N° 2886
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juin 2015.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
visant à renforcer la primauté de la Constitution
sur les normes internationales,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Jean-Frédéric POISSON,
député.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La Cour européenne des droits de l’Homme (également appelée Cour EDH) est une juridiction auprès du Conseil de l’Europe chargée de veiller au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950 par les États qui l’ont ratifiée.
Tout État signataire de la Convention et, depuis 1998, toute personne s’estimant victime d’une violation de la Convention, et qui a épuisé les voies de recours devant les juridictions de son pays, peut saisir la Cour.
Or, dans la période récente, les principes fondamentaux du droit français ont été directement touchés par une série de décisions hautement contestables de la Cour EDH.
S’agissant du droit de la famille, la France a été condamnée à deux reprises, en juin 2014, par la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH), faute d’avoir transcrit à l’état-civil français les actes de naissance d’enfants nés à l’étranger par mère porteuse. Ainsi, les arrêts du 26 juin 2014 (Mennesson et Labassée contre France) concèdent à la France le droit de ne pas reconnaître la gestation pour autrui (GPA), interdite de fait en France, en vertu du principe d’indisponibilité du corps humain. Mais la Cour EDH, au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant », oblige la République française à reconnaître tous les actes d’état civil effectués à l’étranger même lorsque la naissance est l’aboutissement d’une fraude à la loi française.
Ces arrêts réduisent ainsi à néant la liberté des États de ne pas reconnaître d’effets juridiques à la gestation pour autrui, et même la légitimité du choix de l’État en ce sens.
Or le recours aux mères porteuses est un acte grave, qui consiste à considérer qu’un enfant peut être un produit qu’on achète et la femme qui le fabrique, sa mère, un outil de production, niant ainsi leur statut de personne humaine.
À nouveau, le 27 janvier 2015, La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné l’Italie pour avoir retiré à un couple, qui avait violé la loi italienne, l’enfant qu’il a acheté 49 000 euros en Russie auprès d’une société spécialisée dans la gestation par autrui (GPA), et à lui verser 30 000 euros de dommages. Ainsi la Cour EDH condamne ces enfants « pour leur bien », selon sa logique, à vivre avec ceux-là même qui les ont privés de leurs vrais parents et les ont achetés.
– S’agissant du terrorisme, le 4 décembre 2014, la Cour EDH a condamné la France à verser des dommages et intérêts aux pirates somaliens en réparation de leur « dommage moral » pour avoir été présentés à un juge d’instruction avec 48 heures de retard. Précisons que ces pirates avaient été arrêtés en 2008 pour avoir pris en otage des navires français « Le Ponant » et « Le Carré d’As » ; la Cour se gardant bien de mentionner dans ces arrêts la durée de détention des otages retenus par les mêmes pirates. Cette jurisprudence de la Cour est non seulement absurde, mais directement contraire aux mesures qui doivent être prises pour lutter contre le terrorisme international.
En présence de telles jurisprudences destructrices de nos valeurs nationales et des principes fondamentaux de notre droit, notre pays pourrait s’interroger sur la dénonciation de la Convention européenne des droits de l’Homme, prévue par ce texte en son article 58. Cette solution radicale n’est pas celle proposée ici.
– L’objectif de cette proposition de loi constitutionnelle est de mettre fin aux dérives inquiétantes de la Cour EDH.
– Cette proposition n’a pas vocation à remettre en cause les principes fondamentaux de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, née dans le contexte de l’après-guerre, mais de mettre fin aux interprétations abusives qui en sont faites par la Cour EDH. Il est en effet plus que discutable de constater cette authentique dérive de la Cour EDH, qui tend à devenir un niveau de juridiction supplémentaire, ou plutôt – pour mieux dire – parallèle aux juridictions nationales.
– Les élus de la Nation ne peuvent accepter que certains juges s’arrogent le droit de bafouer nos principes fondamentaux et de dévoyer les droits de l’Homme qui devraient être un rempart contre l’indignité et l’exploitation.
Cela est d’autant plus inacceptable que :
– La Constitution française et le bloc de constitutionnalité (déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, Préambule de la Constitution de 1946, tout comme les principes à valeur constitutionnelle dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel) comprennent tous les éléments permettant de défendre efficacement et effectivement les droits de l’Homme et les libertés fondamentales ;
– En droit interne, la Constitution, expression du peuple souverain, prime sur toutes les normes, y compris internationales. Tous les juges français devraient effectivement respecter cette hiérarchie ;
– La règle du pacta sunt servanda (tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi) ne dit pas qu’un traité qui violerait manifestement des droits fondamentaux de la Constitution doit être respecté ;
– « La suprématie conférée (par l’article 55) aux engagements internationaux ne saurait s’imposer, dans l’ordre interne, aux principes et dispositions à valeur constitutionnelle », selon l’arrêt du 8 février 2007 (Arcelor Atlantique) du Conseil d’État ;
– « La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » selon la décision du 27 juillet 1994 du Conseil constitutionnel à propos de la première loi de bioéthique ;
– Le système de la Convention européenne des droits de l’Homme est un système subsidiaire de protection des droits de l’Homme, qui intervient, nécessairement après le système national, qui lui s’inscrit dans la continuité de notre histoire constitutionnelle.
Pour toutes ces raisons, les signataires de cette proposition de loi constitutionnelle invitent à modifier la Constitution en son article 55 afin de lui donner une valeur supérieure aux engagements internationaux de la France, y compris en matière des droits de l’Homme, et d’imposer à tous les juges, constitutionnels, administratifs et judiciaires le respect de cette primauté de la Constitution.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Ajouter à l’article 55 de la Constitution, un second alinéa ainsi rédigé : « La Constitution a une valeur supérieure aux engagements internationaux de la France. Les juges français font prévaloir la Constitution sur toute norme internationale, y compris en matière de droits de l’Homme. »