Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 2927 (rectifié)

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juillet 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à prolonger la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse
et à la maternité,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Dominique ORLIAC, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Jean-Noël CARPENTIER, Ary CHALUS, Gérard CHARASSE, Stéphane CLAIREAUX, Jeanine DUBIÉ, Olivier FALORNI, Paul GIACOBBI, Joël GIRAUD, Gilda HOBERT, Jacques KRABAL, Jérôme LAMBERT, Jean-Pierre MAGGI, Jacques MOIGNARD, Thierry ROBERT, Stéphane SAINT-ANDRÉ et Alain TOURRET,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le code du travail offre à juste titre une grande protection aux femmes pendant la période de grossesse médicalement constatée. Ainsi, l’article L. 1225-1, alinéa 1 dispose : « L’employeur ne doit pas prendre en considération l’état de grossesse d’une femme pour refuser de l’embaucher, pour rompre son contrat de travail au cours d’une période d’essai ou, sous réserve d’une affectation temporaire réalisée dans le cadre des dispositions des articles L. 1225-7, L. 1225-9 et L. 1225-12, pour prononcer une mutation d’emploi. » Le code du travail prévoit également à son article L. 1225-4, alinéa 1 qu’« aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit ».

Le code du travail établit de surcroît qu’un licenciement en raison de la grossesse est constitutif d’une discrimination. Son article L. 1132-1 établit en effet qu’« aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison […] de sa grossesse ».

En dépit de ces dispositions protectrices prévues par le code du travail, la fin du congé de maternité se traduit souvent par un point de rupture dans la carrière des femmes.

Certaines femmes décident d’élever leur enfant après sa naissance et donc de suspendre, voire de cesser, leur activité professionnelle, mais toutes les femmes ne font pas ce choix. Il existe parfois une discrimination à l’égard des mères lors de leur retour au travail : licenciement, pressions pour les inciter à démissionner, freins à une éventuelle promotion interne, etc.

De fait, les mères sont plus susceptibles que les femmes sans enfant de connaître des périodes hors du marché du travail. Or cette tendance est en contradiction avec la baisse du nombre de femmes qui cessent de travailler pour élever leurs enfants (1). Une évolution qui s’explique par des facteurs démographiques (recul de l’âge à la maternité, baisse du nombre des familles nombreuses) et par la progression du niveau d’éducation.

Les ruptures de carrières pour les mères sont cependant une réalité qui s’accroît au fur et à mesure des naissances. Ainsi, l’Institut national d’études démographiques (Ined) a établi qu’entre 2005 et 2008 la femme cesse ou réduit son activité professionnelle dans 25 % des cas si cette naissance est un premier enfant et dans 32 % des cas s’il s’agit d’un enfant supplémentaire (2).

S’il est difficile d’évaluer le nombre de femmes qui ont quitté volontairement leur emploi, ces ruptures de parcours professionnel sont parfois le fait de décisions des employeurs. Selon un projet de recherche au niveau national, mandaté par le gouvernement français en 1998 et cité en 2012 par l’Organisation internationale du travail (OIT), chaque année, 4 % des femmes enceintes en France perdent leur emploi en raison de leur grossesse (3).

Ce constat a mené l’OIT à adopter une Convention (4) qui a allongé la durée de protection des femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité durant une certaine période suivant le retour au travail : « Il est interdit à l’employeur de licencier une femme pendant sa grossesse, le congé visé aux articles 4 ou 5, ou pendant une période suivant son retour de congé à déterminer par la législation nationale, sauf pour des motifs sans lien avec la grossesse, la naissance de l’enfant et ses suites ou l’allaitement. »

Cette détermination par la législation nationale de cette « période suivant le retour de congé » s’apprécie, par conséquent, de façon variable selon les États, sous réserve qu’ils aient ratifié la convention de l’OIT sur ce point.

La France n’a pas ratifié cette convention n° 183 de l’OIT mais applique déjà ce principe de protection des femmes lors de leur retour au travail. En effet, l’article L. 1225-4, alinéa 1 du code du travail précise que l’employeur ne peut se séparer de son employée « pendant les quatre semaines suivant l’expiration de ces périodes », à savoir les périodes de suspension du contrat de travail auxquelles les femmes ont droit au titre du congé de maternité, qu’elles usent ou non de ce droit.

Cette protection de quatre semaines s’applique également aux parents ayant adopté un enfant puisque tout salarié en congé d’adoption bénéficie de la même protection qu’une salariée en congé maternité, que ce soit avant, pendant ou après le congé. En effet, l’article L. 1225-38, alinéa 2 du code du travail établit :

« Le congé d’adoption suspend le contrat de travail.

Pendant la suspension, les parents salariés bénéficient de la protection contre le licenciement prévue aux articles L. 1225-4 et L. 1225-5. L’application de ces articles ne fait pas obstacle à l’échéance du contrat de travail à durée déterminée. »

À l’expiration des congés liés à la grossesse ou à la maternité, ou à l’expiration du congé d’adoption, les femmes sont ainsi licenciables à tout moment après l’expiration d’une période de quatre semaines après la reprise de leur travail.

Cette durée de quatre semaines paraît extrêmement courte et place les femmes dans une situation de précarité, alors même que le foyer compte une personne à charge supplémentaire.

La législation en vigueur dans notre pays, si elle répond à la Convention n° 183 de l’OIT, offre cependant une protection moindre par rapport à ce qui est pratiqué dans nombre d’États.

En Allemagne, par exemple, les mères de famille salariées bénéficient depuis 1952 de dispositions particulières fixées par la loi sur la protection des mères. L’article 9 de cette loi interdit le licenciement des femmes pendant leur grossesse et jusqu’à la fin d’une période de quatre mois suivant la naissance de l’enfant, sous réserve que l’employeur ait été informé de ces événements. Le point de départ de la protection contre le licenciement outre-Rhin ne se situe donc pas à la fin du congé maternité, mais à la date de l’accouchement. Ainsi, si l’on place le point de départ de façon analogue au moment de l’accouchement, la législation allemande est plus généreuse de deux semaines pour les deux premières naissances et équivalente à partir du troisième enfant. À l’instar de l’Allemagne, l’Autriche (article 10 de la loi sur la protection des mères de 1979, modifiée en 2004) et la Suisse (article 336 c du code civil) appliquent cette même protection de seize semaines suivant l’accouchement.

En Belgique (chapitre IV de la loi du 16 mars 1971 sur le travail), il n’existe pas de protection spécifique suivant le retour au travail de la mère, mais si l’employeur n’est pas en mesure de prouver que le licenciement n’est pas lié à la grossesse ou à l’allaitement, il devra verser à son employée un dédommagement forfaitaire non sujet à cotisations sociales et équivalant à six mois de rémunération brute.

En Espagne (sections 53.4 c et 55.5 c du Statut des droits des travailleurs), l’employeur ne peut mettre fin au contrat de travail de sa salariée pendant les neuf mois qui suivent la naissance de l’enfant, cette mesure étant également valable en cas d’adoption.

En Italie (article 54 du décret législatif n° 151/2001, loi sur la protection de la maternité), les salariées ne peuvent être licenciées entre le début de leur grossesse et jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge d’un an.

Aux Pays-Bas (article 7:670 du code civil), il est interdit de licencier une employée à partir du début de sa grossesse et jusqu’à six semaines après son retour au travail.

Par ailleurs, l’OIT indique que la protection de l’emploi s’étend bien au-delà du congé de maternité au Chili et au Panama (de la grossesse jusqu’à l’issue d’une période d’une année à compter de la fin du congé maternité), en Bolivie, en Somalie, au Venezuela et au Viêtnam (de la grossesse jusqu’à un an après l’accouchement) et en Argentine (de la notification de la grossesse jusqu’au septième mois après l’accouchement). Dans de nombreux pays, cette protection de l’emploi des mères est particulièrement importante : en Moldavie, elle court de la grossesse jusqu’aux six ans de l’enfant, au Portugal de la grossesse jusqu’aux deux ans de l’enfant et au Gabon de la grossesse jusqu’à l’issue d’une période de 15 mois consécutifs à l’accouchement (5).

La période de quatre semaines durant laquelle les mères sont protégées dans l’emploi en France semble donc bien insuffisante. On pourrait même parler d’une période de vulnérabilité puisque cette période, particulièrement courte, est un obstacle à leur bonne réinsertion dans l’emploi. En fait, ces quatre semaines de protection ne permettent pas aux femmes qui ne souhaitent pas se retirer du marché du travail de démontrer à leur employeur la réalité de leur volonté. Les femmes qui souhaitent réintégrer leur poste et leurs fonctions à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité se heurtent ainsi à des difficultés qui les fragilisent vis-à-vis de leur employeur.

Certains métiers, en particulier, nécessitent une remise à niveau de ces femmes qui se sont absentées en raison de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité. C’est notamment le cas des métiers liés aux nouvelles technologies. Si la femme bénéficiait d’une protection plus longue lorsqu’elle reprend son travail, cela lui permettrait d’accroître ses chances de s’adapter aux nouvelles exigences du poste qu’elle retrouve.

Autre exemple, le métier d’agent commercial a cette spécificité de n’assurer aux salariés qu’un salaire fixe, correspondant le plus souvent à un SMIC, auquel s’ajoute un montant variable de commissions. À leur retour de congés de grossesse et de maternité, les femmes commerciales sont placées face à une situation délicate, puisqu’il leur faut constituer une nouvelle clientèle, se réadapter aux horaires, souvent chargés, et éventuellement suivre une nouvelle formation. Là aussi, leur permettre d’être protégées plus longtemps dans leur emploi, leur permettra totalement de se réadapter.

La présente proposition de loi vise donc à assurer le maintien dans l’emploi des femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité, au-delà des quatre semaines suivant leur retour au travail prévues par le code du travail dans son article L. 1225-4, alinéa 1 du code du travail. Cette période serait portée à dix semaines, ce qui correspond à la durée totale minimale du congé postnatal fixée par le code de la sécurité sociale et le code du travail. Il s’agirait ainsi d’établir un parallélisme des formes et, avant tout, d’instaurer un délai raisonnable de protection permettant aux femmes de se réinsérer totalement dans leur emploi.

Le texte de la présente proposition de loi ne remet cependant pas en cause les dispositions du code du travail relatives aux licenciements « pour faute grave non liée à l’état de grossesse » ou si l’employeur justifie de son « impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement » (article L. 1225-4 alinéa 2).

Enfin, la présente proposition vise à inscrire dans la loi l’évolution récente de la jurisprudence. Par un arrêt n° 815 du 30 avril 2014 société Foncia groupe, société anonyme, contre Mme Agnès X, la Chambre sociale de la Cour de cassation a fixé le point de départ de la période de protection au retour du congé maternité, en précisant l’articulation des périodes de protection avec les congés payés.

En l’espèce, une salariée avait pris six semaines de congés payés à l’issue de son congé maternité et s’était vue convoquée pour un entretien préalable en vue d’une procédure de licenciement pour motif personnel dès sa reprise effective du travail. La Chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que, « la période de protection de quatre semaines suivant le congé maternité étant suspendue par la prise des congés payés, son point de départ était reporté à la date de la reprise du travail par la salariée ».

Si l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation constitue une avancée, il s’agit d’un simple arrêt d’espèce, dépourvu de portée générale. Or, un revirement de jurisprudence peut toujours intervenir.

Par conséquent et afin d’éviter toute instabilité et donc toute insécurité juridique, il convient d’inscrire dans la loi avec précision que le point de départ de la période de protection des salariées à l’issue de leur congé de maternité tient compte de la prise de congés payés immédiatement après le congé de maternité.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 1225-4 du code du travail est ainsi modifié :

I. – Au premier alinéa, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « dix ».

II. –  Après le premier alinéa est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La prise de congés payés immédiatement après la fin du congé de maternité reporte le point de départ de la protection des dix semaines. »

Article 2

L’article L. 1225-4-1 du code du travail est ainsi modifié :

I. – Au premier alinéa, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « dix ».

II. – Après le premier alinéa est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La prise de congés payés immédiatement après la fin du congé de maternité reporte le point de départ de cette protection des dix semaines. »

1 () Cédric Afsa et Sandrine Buffeteau, 2006, « L’activité féminine en France : quelles évolutions récentes, quelles tendances pour l’avenir ? », Économie et Statiques, n° 398-399, pp. 85-97.

2 ()  Ined-Insee, Erfi-GGS1-2, 2005-2008, in Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’Études démographiques « Population & Sociétés » n° 461, novembre 2009.

3 ()  « Kit de ressources sur la protection de la maternité », partie deux, module 9 « Protection de l’emploi et non-discrimination », Service des conditions de travail et d’emploi (TRAVAIL), Organisation internationale du travail, 2012.

4 ()  C183 - Convention (n° 183) sur la protection de la maternité, 2000.

5 ()  « Kit de ressources sur la protection de la maternité », partie deux, module 9 « Protection de l’emploi et non-discrimination », Service des conditions de travail et d’emploi (TRAVAIL), Organisation internationale du travail, 2012.


© Assemblée nationale