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N° 3010

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à rendre inamnistiables les crimes contre l’humanité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Lionnel LUCA, Éric CIOTTI, Élie ABOUD, Daniel FASQUELLE, Jean-Jacques GUILLET, Alain MOYNE-BRESSAND, Philippe GOSSELIN ,Damien MESLOT, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Jean-Pierre VIGIER, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Claude BOUCHET, Jean-Pierre DECOOL, Jean-Claude MATHIS, Bernard PERRUT, Jacques LAMBLIN, Laurent FURST, Dominique DORD, Josette PONS, Paul SALEN, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain SUGUENOT, Michel VOISIN, Michel HERBILLON, Marcel BONNOT, Laure de LA RAUDIÈRE, Jean-Claude GUIBAL, Patrice VERCHÈRE et Guy TEISSIER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le récent rapport sur la prescription en matière pénale, fait par nos collègues, MM Alain Tourret et Georges Fenech, a rappelé que la prescription de l’action publique et la prescription des peines ne pouvaient s’appliquer aux crimes contre l’humanité, considérant que les fondamentaux de la doctrine pénaliste du « pardon légal » et du « dépérissement des preuves », hérités du XVIIIe siècle, n’avaient plus lieu d’être aujourd’hui et a proposé parmi d’autres mesures que cette imprescriptibilité soit étendue aux crimes de guerre.

Remplacée par une doctrine pénaliste fondée sur la primauté donnée à l’individu et à la protection de son intégrité, l’imprescriptibilité des poursuites et des peines pour les crimes contre l’humanité prévaut aujourd’hui.

Pour autant, la question de leur amnistie reste en suspens.

De par leur gravité, les crimes contre l’humanité ne peuvent bénéficier de la théorie de l’oubli qui a pu prévaloir au XIXe siècle, et la mémoire collective des peuples ne saurait aujourd’hui accepter une amnistie sur des faits qui ont marqué son histoire dans le sang.

La guerre d’Indochine et les crimes commis par George Boudarel, commissaire politique du Viêt-minh, de juin 1952 à février 1954, et à ce titre chargé de la rééducation idéologique des militaires français prisonniers dans des camps de brousse, nous en donne un exemple frappant.

Le 7 février 1953, Georges Boudarel, alors professeur d’histoire, prit en main le camp 113 situé au Nord Tonkin dans la région de Ha-Giang. Avec une cruauté perverse, il appliqua sur ses compatriotes la méthode d’avilissement par la faim, la déchéance physique, l’endoctrinement politique et la délation entre détenus. Durant l’année de son intervention au camp 113, sur 320 prisonniers français, 278 ont péri.

Profitant de la loi d’amnistie de 1966, il n’eut aucun mal à obtenir le rétablissement de ses droits universitaires.

Quelques années plus tard, se préoccupant de sa retraite, il demanda la validation de ses « loyaux services » du 19 décembre 1950 au 30 septembre 1967, en indiquant pour la période 1951-1954 : « voyage d’études en extrême-orient » et pour celle de 1955 à 1958 : « professeur de français à l’école de pédagogie de Hanoi ».

En 1991, Wladislas Sobanski, sergent des troupes coloniales, dépose avec l’Association nationale des anciens prisonniers et internés d’Indochine (ANAPI) représentée par son président, le général Yves de Sesmaisons, une plainte pour « crime contre l’humanité » à l’encontre de Georges Boudarel.

Au vu de cette plainte, le procureur de la République de Paris prend des réquisitions de refus d’informer, fondées sur l’article 30 de la loi n° 66-409 du 18 juin 1966, portant amnistie.

Considérant que les faits reprochés, à les supposer établis, étaient constitutifs de crimes contre l’humanité, selon l’article C-6 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, le juge d’instruction émet, quant à lui, une ordonnance estimant que les actes énoncés par les parties civiles sont, à ce titre, imprescriptibles.

Statuant sur l’appel interjeté le 13 septembre 1991 par le ministère public, un arrêt de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris qualifie, à l’appui de cette plainte, les faits susceptibles d’être reprochés à Georges Boudarel de crimes contre l’humanité, mais admet que la loi d’amnistie du 18 juin 1966 leur soit applicable et que, par l’effet de cette amnistie, l’action publique soit éteinte de sorte qu’il n’y a pas lieu d’informer. Elle confirme ainsi la bonne foi des plaignants.

Il en résulte que ces faits ont été tenus pour amnistiés, sans que la Cour de cassation ne se pose la question de savoir s’ils pouvaient, eu égard à leur nature, être englobés dans une amnistie.

C’est ainsi que Georges Boudarel, tortionnaire de soldats français prisonniers du Viêt-minh, a échappé aux poursuites engagées contre lui sur plainte avec constitution de partie civile de ses victimes, du chef de crimes contre l’humanité.

Il n’est pas question de rouvrir le débat auquel a donné lieu cette affaire qui a été jugée définitivement, et ce, d’autant plus que Georges Boudarel est décédé en 2003.

Toutefois, pour l’avenir, il importe, par cohérence avec le principe d’imprescriptibilité posé à l’alinéa premier de l’article 213-5 du code pénal, de préciser que les crimes contre l’humanité sont inamnistiables.

Au-delà de cet exemple, cette précision serait également applicable à tous les conflits contemporains.

Tel est, Mesdames, Messieurs, l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L’article 213-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ces crimes sont inamnistiables. »

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