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N° 3136

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2015.

PROPOSITION DE LOI

tendant à instaurer un droit au travail opposable,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement

présentée par Mesdames et Messieurs

Alain BOCQUET, François ASENSI, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU,

Député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Déposée une première fois en décembre 2007, la présente proposition de loi tendant à instaurer un droit au travail opposable relevait, comme aujourd’hui, le défi de l’emploi pour tous, tout en répondant au langage abrupt tenu mois après mois par l’ancien Président de la République, les gouvernements de la précédente législature et par le Medef : « Travailler plus pour gagner plus ! »

Face au mépris et au cynisme de dirigeants politiques acquis aux objectifs courtermistes des conseils d’actionnaires, des fonds de pension et des marchés, il s’agissait d’affirmer, d’une part, l’urgence d’une rupture avec des choix économiques appuyés sur le maintien délibéré d’un chômage de masse et, d’autre part, l’exigence de respect du monde du travail et de dignité pour tous.

Ces priorités demeurent toutes d’une brûlante actualité alors que la France de 2015, comme celle de 2012 et celle de 2007, est profondément en crise, les mêmes maux produisant les mêmes ravages : chômage structurel exponentiel, liquidation du code du travail, délocalisations, plans sociaux et licenciements boursiers en écho à la financiarisation globale de l’économie.

Décrétée à Paris comme à Bruxelles, l’austérité demeure strictement porteuse d’inefficacité économique et d’injustice sociale croissante. Elle affaiblit la France et l’Europe et nourrit une spirale de déclin. Elle accroît le risque de voir s’ouvrir, au fur et à mesure de l’écœurement de nos concitoyens pour la vie publique, les pires aventures politiques portées par les courants et forces de l’extrême droite.

Le droit au travail est au cœur des engagements internationaux les plus progressistes.

Au cœur de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unis (ONU), le 10 décembre 1948, et qui dans son article 22-1 proclame que : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. »

Au cœur du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), où il figure comme le tout premier des droits spécifiques reconnus. Ainsi, souligne l’article 6 : « Les États portés au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi et accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit. » Y compris, stipule en amont, l’article 2 : « l’adoptionde mesures législatives. »

La Charte sociale européenne rappelle qu’en vue « d’assurer l’exercice effectif du droit au travail, les Parties s’engagent (…) à protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris. » Et elle fait obligation aux Parties de poursuivre « par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation des conditions propres à assurer l’exercice effectif » de ce droit.

La Convention n° 122 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la politique de l’emploi, revendique des États qu’ils appliquent « comme un objectif essentiel, une politique active visant à promouvoir le plein emploi, productif et librement choisi. » Et elle précise que cette politique « devra tendre à garantir qu’il y aura du travail pour toutes les personnes disponibles et en quête de travail. »

Enfin, le préambule de notre Constitution dispose que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. »

La convergence de ces engagements solennels des Nations unies et des peuples ne laisse planer aucun doute sur l’importance cruciale de l’affirmation du droit au travail, de sa reconnaissance et de la responsabilité première des États dans sa mise en œuvre effective.

À l’échelle de la France, ce n’est pas chose nouvelle. Le préambule de la Constitution de la IIe République en 1848, proclamait le droit au travail. Et en amont de 1848, les Révolutionnaires de 1789 l’avaient affirmé, de même que la loi du 19 mars 1793, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen dans son article 21, puis la Constitution de l’an I !

Dans un pays qui recensait fin juin 2015, cinq millions quatre cents mille demandeurs d’emploi (+ 7,9 % en un an), dont 43,7 % inscrits depuis une durée supérieure à douze mois, le chômage fait des dégâts considérables, dévaste des territoires et brise des milliers de vies et de familles. À l’exemple de la région Nord Pas-de-Calais où le nombre des demandeurs inscrits depuis plus de trois ans (!) a bondi de 17,7 % en un an !

De tels chiffres posent d’abord question sur la légitimité des politiques suivies, d’ailleurs fermement contestées lorsqu’elles incitent à la flexibilisation intégrale de l’emploi en France. Ce que dénoncent, parmi d’autres, les économistes atterrés qui en énumèrent les dispositifs les plus symboliques : création de la rupture conventionnelle en 2008 ; remise en cause des règles du licenciement collectif dans la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 ; dispositions relatives au plafonnement des coûts du licenciement incluses dans la loi « Macron »…

Dans un tel contexte, la décision de Pôle emploi d’affecter au creux de l’été 2015, deux cents agents à ce que syndicats et associations dénoncent comme « la chasse aux chômeurs », s’avère plus encore stigmatisante et intolérable quand on mesure que sur les cinquante-trois mille agents de Pôle emploi, vingt-et-un mille à peine sont en accompagnement direct des femmes, des hommes, des jeunes frappés par le chômage ; et que notre société, toutes sources publiques et privées confondues, peine à produire actuellement plus d’un million d’offres d’emploi !

Dans une décision de 1983, le Conseil constitutionnel a estimé devoir limiter la responsabilité de l’État au regard du droit au travail à une obligation de moyens ; à charge simplement pour les pouvoirs publics dédouanés de toute obligation de résultats de « poser les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi en vue de permettre l’exercice de ce droit au plus grand nombre d’intéressés. »

Ainsi débarrassée des engagements de fond énoncés dans les textes fondateurs français et internationaux les plus officiels, la responsabilité de l’État n’est plus qu’affaire d’accompagnement social de conjonctures successives. Et si le droit au travail existe bel et bien, sa portée juridique se trouve réduite à rien, qui plus est sous prétexte de « fatalité » des logiques à l’œuvre.

Inauguré par une promesse de retour au plein emploi, le mandat présidentiel clos avec l’élection de 2012 s’était achevé par un chômage record. Le risque est patent d’aboutir en 2017 aux mêmes constats du fait des mêmes carences !

Dans le discours fondateur du Bourget, le Président de la République affirmait avec force, qu’il « n’y a jamais une seule politique possible, quelle que soit la gravité de la situation. L’Histoire n’est pas l’addition de fatalités successives, elle nous enseigne qu’il y a toujours plusieurs chemins. »

En complément des leviers économiques qui devraient être actionnés pour favoriser l’emploi stable et durable et offrir à chacun un droit à la sécurité d’emploi et de formation tout au long de la vie, cette proposition de loi vise simplement à garantir ces droits à l’ensemble de nos concitoyens.

Elle pose le principe de la garantie par l’État, du droit au travail et suggère que soient créées deux nouvelles procédures de recours.

D’une part, la proposition de loi ouvre à chaque citoyen, demandeur d’emploi, la possibilité de saisir sans délai une commission de médiation instaurée au niveau départemental. Commission qui serait mise en place au profit des demandeurs d’emploi n’ayant pas obtenu au moins deux offres d’emploi stable valables, c’est-à-dire correspondant au niveau de formation, de qualification et d’expérience acquis par le demandeur. La commission en lien avec les organismes participant au service public de l’emploi, sera chargée de satisfaire l’obligation des deux propositions d’offre.

D’autre part, il est également créé un recours devant le juge administratif, pour toute personne dont la demande d’emploi stable n’a pas reçu une réponse correspondant à l’obligation posée par la présente proposition de loi, dans le cadre du recours amiable devant la commission de médiation.

Ce recours devant la juridiction administrative est dirigé contre l’État. Le juge pourra alors ordonner sous astreinte, le bénéfice d’au moins deux offres d’emploi stable.

Le produit de l’astreinte sera versé à l’Unédic pour moitié et au fonds de solidarité pour l’autre moitié, les deux institutions chargées de servir les indemnités des demandeurs d’emploi. Ainsi, ces ressources nouvelles pour les régimes d’indemnisation des chômeurs permettront de majorer leur revenu de remplacement, et entraîneront une réparation du préjudice subi pour non-respect par l’État du droit au travail.

Tel est l’objet de cette proposition de loi qui vise tout simplement à garantir à chacun un principe constitutionnel et universel.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le droit à un emploi stable, à niveau de rémunération correspondant aux niveaux de formation, d’ancienneté et d’expérience acquise, est garanti par l’État à toute personne qui réside sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État.

Ce droit s’exerce par un recours amiable puis, le cas échéant, par un recours contentieux dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent article et les articles suivants.

Article 2

I. – Dans chaque département est créée, avant le 1er janvier suivant, la promulgation de la présente loi, auprès du représentant de l’État dans le département, une commission de médiation présidée par une personnalité qualifiée désignée à la majorité des membres composants cette commission.

Dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, cette commission est composée à parts égales :

1º de représentants de l’État ;

2º de représentants de la région, du département, des établissements publics de coopération intercommunale et des communes ;

3º de représentants des organismes participant au service public de l’emploi ;

4º de représentants des organisations syndicales représentatives des salariés au plan national, des chefs d’entreprise, des associations de chômeurs, des associations agréées dont l’un des objets est l’insertion et l’aide au retour à l’emploi œuvrant dans le département, d’organisations représentants le monde économique et social.

II. – La commission de médiation peut être saisie par toute personne qui, satisfaisant aux conditions réglementaires de recherche d’emploi, n’a pas reçu au moins deux propositions adaptées à sa situation, dans son bassin d’emploi, en réponse à sa demande d’emploi dans un délai fixé par décret.

Le demandeur peut être assisté par une organisation syndicale représentative de salariés au plan national ou une association dont l’un des objets est l’insertion et l’aide au retour à l’emploi agréée par le représentant de l’État dans le département.

La commission reçoit notamment des organismes participant au service public de l’emploi tous les éléments d’information sur la qualité du demandeur et les motifs invoqués pour expliquer l’absence de proposition adaptée et correspondant à la qualification du demandeur.

Dans un délai fixé par décret, la commission de médiation crée les conditions d’attribution aux demandeurs d’un emploi stable correspondant à leur niveau de qualification, de formation, d’expérience acquise. Elle notifie par écrit au demandeur sa décision.

La commission de médiation transmet au représentant de l’État dans le département la liste des demandeurs auxquels doit être attribué un emploi.

III. – La commission de médiation établit, chaque année, un état des avis rendus et le transmet au représentant de l’État dans le département ainsi qu’aux autres représentants déterminés au I du présent article.

Article 3

Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme devant être pourvu d’un emploi et qui n’a pas reçu, dans un délai fixé par décret, au moins deux offres d’emploi adaptées à sa situation dans son bassin d’emploi, tenant compte de ses niveaux de qualification, de formation, d’ancienneté et d’expérience acquis, peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son droit à l’emploi stable.

Le demandeur peut être assisté par une organisation syndicale représentative des salariés au plan national ou une association dont l’un des objets est l’insertion et l’aide au retour à l’emploi agréée par le représentant de l’État dans le département.

En l’absence de commission de médiation dans le département, le demandeur peut exercer le recours mentionné au premier alinéa si, après avoir saisi le représentant de l’État dans le département, il n’a pas reçu au moins deux offres adaptées à situation dans son bassin d’emploi, tenant compte de ses niveaux de qualification, de formation, d’ancienneté et d’expérience acquise dans un délai fixé par voie réglementaire.

Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne statue en urgence, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Sauf renvoi à une formation collégiale, l’audience se déroule sans conclusions du commissaire du Gouvernement.

Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne, lorsqu’il constate que la demande est fondée et doit être satisfaite, et que n’a pas été offert au demandeur un emploi stable adapté à la situation dans son bassin d’emploi, tenant compte de ses niveaux de qualification, de formation, d’ancienneté et d’expérience acquise, ordonne le droit à un emploi stable de celui-ci par l’État et peut assortir son injonction d’une astreinte.

Article 4

Le produit de l’astreinte visée au dernier alinéa de l’article 3 est versé pour moitié au fonds d’indemnisation de l’assurance chômage et pour moitié au fonds de solidarité créé par la loi n° 82-939 du 4 novembre 1982 relative à la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur des travailleurs privés d’emploi.

Article 5

Le demandeur d’emploi qui n’a pas reçu au moins deux propositions d’emploi stable correspondant à ses niveaux de qualification, de formation, d’ancienneté et d’expérience acquis, et pour lequel le droit au travail n’a pas été garanti, bénéficie d’une majoration, selon sa situation, de ses assurances chômage visées aux articles L. 351-3 et suivants du code du travail, de ses allocations de solidarité ou de tout autre revenu de remplacement qu’il perçoit, dans des conditions définies par décret, jusqu’à l’obtention d’au moins deux propositions d’emploi stable correspondant à ses caractéristiques.

Article 6

Les charges pour les organismes de sécurité sociale sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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