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N° 4213

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 novembre 2016.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution,

présentée par Mesdames et Messieurs

Christian JACOB, Pierre LELLOUCHE, Élie ABOUD, Yves ALBARELLO, Patrick BALKANY, Jean-Pierre BARBIER, Véronique BESSE, Valérie BOYER, Marine BRENIER, Xavier BRETON, Philippe BRIAND, Yves CENSI, Jérôme CHARTIER, Luc CHATEL, Gérard CHERPION, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Éric CIOTTI, Édouard COURTIAL, Marie-Christine DALLOZ, Bernard DEFLESSELLES, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, David DOUILLET, Daniel FASQUELLE, Georges FENECH, François FILLON, Marie-Louise FORT, Yves FOULON, Yves FROMION, Laurent FURST, Claude de GANAY, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Annie GENEVARD, Guy GEOFFROY, Charles-Ange GINESY, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Claude GREFF, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Jacques GUILLET, Christophe GUILLOTEAU, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Philippe HOUILLON, Guénhaël HUET, Christian KERT, Jacques KOSSOWSKI, Marc LAFFINEUR, Guillaume LARRIVÉ, Charles de LA VERPILLIÈRE, Alain LEBOEUF, Isabelle LE CALLENNEC, Vincent LEDOUX, Marc LE FUR, Jean LEONETTI, Pierre LEQUILLER, Thierry MARIANI, Gérard MENUEL, Philippe MEUNIER, Pierre MORANGE, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Patrick OLLIER, Jean-Frédéric POISSON, Axel PONIATOWSKI, Didier QUENTIN, André SCHNEIDER, Michel SORDI, Éric STRAUMANN, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Jean-Marie TÉTART, Pascal THÉVENOT, Catherine VAUTRIN, Philippe VITEL, Éric WOERTH, Marie-Jo ZIMMERMANN,

député(s).

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Avec étonnement et consternation, les Français ont pu prendre connaissance du livre récent de MM. Davet et Lhomme intitulé « Un Président ne devrait pas dire ça ». Dans ces pages surprenantes, produit d’une soixantaine d’entretiens couvrant la quasi-totalité de son mandat, le Président de la République, Chef des Armées, s’installant lui-même dans le rôle de commentateur, en temps réel de ses décisions les plus secrètes en matière d’emploi de la force armée, a communiqué par le menu à ces journalistes du Monde le contenu de ses conversations avec les Présidents Obama et Poutine, son analyse détaillée de leur psychologie et de ses propres « tourments intérieurs ». Il les a même fait assister en direct, à un échange téléphonique avec le Premier ministre grec ! 

Le Président leur a confié par ailleurs le ciblage des bombardements français sur des objectifs en Syrie et des documents ultraconfidentiels fuités aux journalistes, qui seront par la suite publiés dans leur journal ; il leur a détaillé les conditions de libération des otages par nos forces spéciales ; il leur a précisé que la France paie des preneurs d’otage, directement ou indirectement. Il leur a confié qu’il a lui-même ordonné l’assassinat de terroristes identifiés, les fameuses opérations « Homo » : « J’en ai décidé quatre au moins » a-t-il déclaré. La liste des personnes ciblées sera communiquée aux mêmes journalistes.

« La France est en guerre », avait pourtant dit lui-même le Président de la République le 16 novembre 2015 devant le Parlement réuni en Congrès. Nous sommes en état d’urgence, que nous avons prorogé à plusieurs reprises. Nous avons eu 250 morts et 800 blessés l’an dernier. Près de 20 000 soldats français sont engagés, tant sur le sol national que sur plusieurs théâtres d’opération qui, tous, engagent les conséquences graves pour la sécurité de la France. Dans de telles conditions, est-il concevable que le Président de la République, dans l’exercice de ses fonctions, viole ainsi ouvertement l’obligation de secret qui pèse sur les décisions les plus sensibles qu’il doit prendre en tant que Chef des Armées ? 

Autant de telles confessions seraient compréhensibles, sinon conformes au droit, dans des « Mémoires » rédigées dix ou vingt ans après les faits, par un Président qui aurait quitté le pouvoir depuis longtemps ; autant de telles révélations sont proprement intolérables et même dangereuses, alors que la France est en guerre et que le Président est censé en assumer la conduite. On sait que Mme Clinton est aujourd’hui critiquée et même menacée de poursuites, pour avoir utilisé sa boite mail personnelle alors qu’elle était à la tête du Département d’État.

Pour mesurer la gravité des « confessions » présidentielles ainsi révélées, il n’est pas inutile en effet de garder à l’esprit l’extrême rigueur qu’impose notre droit, en cas de divulgations de secrets concernant la défense nationale pour toute autre personne… qui ne serait pas Président de la République. 

Si par exemple, un officier de l’une de nos unités de l’Armée française, un responsable de nos services de renseignement, voire l’un de nos diplomates, était pris d’une envie aussi soudaine qu’irrépressible de révéler publiquement le quart de la moitié des secrets de défense nationale que le Président de la République a lui-même divulgués à deux journalistes du Monde, alors les articles 413-9 et suivants du code pénal viendraient à s’appliquer dans toute leur rigueur. Soit « sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende par toute personne dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ou permanente, d’un procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier qui a un caractère de secret de la défense nationale, soit de le détruire, détourner, soustraire ou de le reproduire, soit d’en donner l’accès à une personne non qualifiée ou de le porter à la connaissance du public ou d’une personne non qualifiée ». La loi prévoit qu’en cas d’imprudence ou de négligence, l’infraction est punie « de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » (article 413-10) ; elle prévoit également l’interdiction d’exercer une fonction publique (article 414-5 du même code). 

La question de l’application de l’article 68 de la Constitution doit dès lors être posée.

Il ne s’agit aucunement de proposer ici de « juger » le Président de la République pour ses confidences, ni même de prétendre les qualifier sur le plan pénal. Au demeurant, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-703 DC du 19 novembre 2014 sur la loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution a clairement rappelé que « la Haute Cour, instituée à la suite de la suppression de la Haute Cour de justice, ne constitue pas une juridiction chargée de juger le Président de la République pour des infractions commises par lui en cette qualité, mais une assemblée parlementaire compétente pour prononcer sa destitution en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »

Or, les confidences du Président de la République, tout autant qu’un effondrement de la fonction présidentielle, relèvent d’un manquement caractérisé à ses devoirs, « manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », tel que prévu aux termes de l’article 68 de la Constitution. 

Il n’est pas inutile de rappeler ici l’origine de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, qui a conduit à l’adoption de cet article.

Après les tentatives du juge Halphen de mettre directement en cause le Président Chirac alors au pouvoir en 2001, la Commission Avril instituée l’année suivante, avait retenu l’idée de confirmer l’irresponsabilité du Chef de l’État pour les actes accomplis en cette qualité, de garantir son immunité judiciaire, civile et pénale, pendant toute la durée de son mandat, mais avec logiquement pour contrepartie, la possibilité d’une destitution lorsque le Président « manque à ses devoirs ». 

C’est précisément ce que prévoit l’article 68, en disposant que « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». 

L’extrême gravité des faits précédemment rappelés, qui concernent directement l’exercice du mandat du Président de la République, Chef des Armées aux termes de l’article 15 de la Constitution, qualité que M. François Hollande a fait ostensiblement valoir auprès de ses interlocuteurs du journal Le Monde, constitue un manquement évident aux devoirs du Président de la République, ainsi qu’à la crédibilité et la dignité même de sa fonction. 

De surcroît, au moment où la Nation est confrontée à un péril imminent justifiant que le Parlement ait prorogé l’état d’urgence pour une durée sans précédent dans l’histoire de la République, les violations répétées du secret relevant de la sécurité nationale sont manifestement incompatibles avec l’exercice du mandat présidentiel.

– Le Président de la République, Chef des Armées, est tenu de préserver le secret de nos opérations militaires et de notre stratégie, afin de protéger le succès de nos armes et l’intégrité du territoire national. Or, la divulgation d’opérations aériennes, celle de l’exécution décidée par le Chef de l’État lui-même, de chefs djihadistes, mettent en péril cet objectif.

– Le Président de la République est le garant de la protection des Français. Or, en révélant que la France payait pour la libération de ses otages, il prend le risque d’inciter à de nouvelles prises d’otages.

– Le Président de la République est le garant de la parole de la France. Or, en révélant le contenu de ses conversations avec des chefs d’Etat étrangers, voire en faisant participer des journalistes à ces entretiens, il met en cause la crédibilité de la parole de la France et la confiance de ses partenaires

La mise en œuvre de l’article 68 paraît donc indispensable. Elle permettra en outre de faire la lumière sur l’étendue des informations secrètes ou confidentielles relevant de la sécurité nationale, qui ont pu être divulguées aux journalistes, ainsi que de signaler solennellement que ce type de débordement ne saurait se reproduire, surtout dans une période dans laquelle nous allons être confrontés à une guerre longue contre le terrorisme.  

Pour l’ensemble de ces motifs, nous vous invitons à adopter la présente Proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application de l’article 68 de la Constitution et de la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution, le Parlement est réuni en Haute Cour aux fins de prononcer la destitution du Président de la République, en raison du manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions que constituent ses confidences concernant la défense nationale, révélées dans l’ouvrage intitulé « Un président ne devrait pas dire ça » publié aux éditions Stock.


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