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N° 4497

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2017.

PROPOSITION DE LOI

instaurant un service minimum
pour les
activités économiques essentielles,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Édouard COURTIAL, Damien ABAD, Élie ABOUD, Laurence ARRIBAGÉ, Sylvain BERRIOS, Jean-Claude BOUCHET, Marine BRENIER, Dino CINIERI, Olivier DASSAULT, Marc-Philippe DAUBRESSE, Lucien DEGAUCHY, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Daniel FASQUELLE, Yves FOULON, Laurent FURST, Bernard GÉRARD, Georges GINESTA, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Arlette GROSSKOST, Michel HEINRICH, Patrick HETZEL, Guillaume LARRIVÉ, Vincent LEDOUX, Pierre LELLOUCHE, Dominique LE MÈNER, Véronique LOUWAGIE, Jean-François MANCEL, Thierry MARIANI, Olivier MARLEIX, Damien MESLOT, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Josette PONS, Paul SALEN, Claudine SCHMID, André SCHNEIDER, Fernand SIRÉ, Alain SUGUENOT, Éric STRAUMANN, Guy TEISSIER, Jean-Marie TÉTART, Laurent WAUQUIEZ et Marie-Jo ZIMMERMANN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En mai 2016, la France était au bord de la paralysie. Les mouvements sociaux se multipliaient et se répétaient inlassablement. Un petit nombre d’individus qui ne défend que ses intérêts propres et une idéologie dépassée a pu mettre l’économie française en danger.

D’abord, les pénuries de carburant ont touché les routiers et les taxis, puis les bâtiments et travaux publics. Par voie de conséquence, les livraisons de matériaux ne parviennent plus, ralentissant d’un coup les chantiers, puis le commerce puisque les clients limitent leurs déplacements et l’approvisionnement se complique. Par ricochet, tous les secteurs sont touchés les uns après les autres, avec les salariés en voiture qui n’étaient plus en mesure de se rendre sur leurs lieux de travail et les commandes qui ne pouvaient plus être livrées. La crainte de coupures d’électricité grandissait avec la contestation qui gagnait les centrales nucléaires. Sans parler de ces Français excédés qui devaient emprunter les transports en commun fortement réduits pendant de longues semaines. Travailler relevait dans ces conditions d’un véritable parcours du combattant.

Cela n’est en aucun cas ni justifiable par quelque façon, ni acceptable.

En outre, ces blocages et autres grèves ont une incidence majeure sur la perception de la France à l’étranger. Alors que notre pays essaie de maintenir son rang de première destination touristique mondiale dans un contexte de menace terroriste sans précédent, ils véhiculent des images aux conséquences néfastes pour la destination France. Les effets sur l’image de notre pays auprès des investisseurs étrangers sont également à redouter et nous ne pouvons que les comprendre. Les difficultés dues aux grèves en France impactent également très négativement notre attractivité. Les mobilisations affectent enfin le revenu national. En 1995, les grèves contre le plan Juppé sur les retraites, étalées sur 22 jours, avaient amputé, selon l’Insee, de 0,2 à 0,3 point de PIB la croissance du pays au quatrième trimestre 1995. En mai 1968, où l’arrêt du pays avait été encore plus général et plus long, le PIB du deuxième trimestre avait chuté de 5 %. Les mobilisations de 2016 auront, elles aussi, très certainement, un impact significatif qui ne peut pas encore être mesuré.

Aussi, afin de préserver les besoins essentiel du pays il est tout d’abord proposé d’étendre le service minimum à tous les secteurs essentiels (article 1).

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose, en son alinéa 7, que : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». En édictant cette disposition, les Constituants ont donc entendu faire du droit de grève un principe de valeur constitutionnelle mais qui, loin d’être absolu, peut être limité par le législateur. Le Conseil Constitutionnel admet que la loi peut aller « jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service public dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ». Il n’a cependant jamais eu l’occasion de préciser la notion de « besoins essentiels du pays » (1).

Comme pour l’Organisation internationale du travail (OIT), le concept de « services essentiels » n’est donc pas absolu en droit français. Un service non essentiel peut le devenir si la grève dure au-delà d’un certain temps ou prendre une certaine envergure, mettant ainsi en danger la vie, la sécurité ou la santé d’une partie ou de l’ensemble de la population. L’OIT a même établi une liste de ces services essentiels tels : le secteur hospitalier ; les services d’électricité ; les services d’approvisionnement en eau ; les télécommunications ; les polices et les forces armées ; les services d’incendie ; les services pénitentiaires publics ou privés ; l’approvisionnement en nourriture des élèves scolarisés ; le nettoyage des écoles et le contrôle du trafic aérien. L’Organisation internationale du travail la complète en définissant des services « de très haute importance » parmi lesquels : la radio et la télévision ; le secteur pétrolier, la production, le transport et la distribution de carburant ; le secteur portuaire ; le secteur bancaire ; les transports ; les services postaux ; les activités agricoles ; la fourniture et la distribution des denrées alimentaires ; les ambulances et le secteur de l’éducation. Dans un avis de 2011, l’Organisation internationale du travail a déclaré que « en cas de paralysie d’un service non essentiel au sens strict du terme dans un secteur de très haute importance dans le pays - comme peut l’être le transport de passagers et de marchandises –, l’imposition d’un service minimum peut se justifier ».

Ainsi, il est suggéré de reprendre les services énoncés ci-avant pour définir les « besoins essentiels du pays », d’autant qu’ils permettent la mise en œuvre des principes constitutionnels suivants : la liberté d’aller et venir, la liberté d’accès aux services publics, notamment sanitaires, sociaux et d’enseignement, la liberté du travail, la liberté individuelle ; la liberté du commerce et de l’industrie ; la sauvegarde de l’ordre public.

Par ailleurs, force est de constater que ces services peuvent être publics ou privés. Or si aujourd’hui, dans le secteur privé, les salariés peuvent utiliser leur droit de grève sans préavis, il leur faut veiller à ce que l’employeur ait connaissance des revendications. Afin de mettre en place un service minimum dans le secteur privé sans pour autant pénaliser fortement les entreprises, il est proposé d’instaurer le préavis de grève obligatoire dans les entreprises liées aux besoins essentiels du pays. Ce préavis reprendrait le même délai que le préavis obligatoire dans le secteur public, à savoir cinq jours franc avant le début de la mobilisation.

Ensuite, le maintien d’une activité peut être primordial pour certaines entreprises. Faute de quoi, elle mettrait la clé sous la porte. Lorsque les mutations internes sont impossible et que les heures supplémentaire ne suffisent plus, il peut nécessiter de faire appel au travail temporaire ou à des embauches en contrat à durée déterminée. Or les articles L. 1242-6 et L. 1251-10 du code du travail proscrivent ces aménagements. Aussi il apparaît opportun de les modifier de façon à autoriser les recrutements temporaires pour pallier au manque de main d’œuvre lors d’une grève (articles 2 et 3).

De nombreuses entreprises ne sont absolument pas armées pour faire face à une mobilisation sociale pouvant les mettre en péril. Cela conduit parfois à des situations absurdes. En effet, le droit actuel précise que « l’employeur doit fournir du travail aux non-grévistes et les rémunérer, sauf s’il peut prouver qu’il a été dans l’impossibilité de faire fonctionner l’entreprise. En cas de piquet de grève ou d’occupation des locaux, l’employeur n’est dispensé de son obligation de payer les non-grévistes que s’il a intenté une action pour faire expulser les grévistes ». Nous rappelons que le Conseil constitutionnel avait censuré comme contraire au principe d’égalité une disposition législative qui limitait la responsabilité civile des organisations syndicales ouvrières en raison de dommages causés par une grève aux seules actions en réparation des dommages causés par une infraction pénale ou par des faits manifestement insusceptibles de se rattacher à l’exercice du droit de grève ou du droit syndical (2). En outre, aujourd’hui, un employeur peut, après consultation du comité d’entreprise, fermer son entreprise ou un service en faisant valoir une situation contraignante. Ainsi, lorsque la grève aboutit à une situation contraignante empêchant l’employeur de fournir du travail aux salariés, il peut procéder à la fermeture de l’entreprise sans commettre de faute. Tel est le cas lorsque les chaînes de production sont bloquées du fait de l’absence de matières premières ou de possibilités de stockage ou lorsque la grève totale du secteur de production a progressivement entraîné la paralysie des autres secteurs d’activité de l’entreprise et que l’employeur a attendu que le fonctionnement de l’entreprise soit bloqué pour recourir à la mise en chômage technique (3). En aucun cas, les pertes financières engendrées par la grève ne peuvent constituer une situation contraignante (4). L’employeur doit toujours consulter le comité d’entreprise avant de décider de la fermeture. Si la fermeture est « justifiée », elle conduit à la suspension des contrats de travail des non-grévistes. Aucun salaire ne leur sera dû et ils ne pourront pas prétendre à des allocations de chômage partiel, sauf dans le cas d’un lock-out se prolongeant plus de trois jours et sur décision du ministre du travail (5). Au contraire, si la fermeture est « injustifiée », l’employeur doit indemniser les salariés non-grévistes des salaires qu’ils auraient dû percevoir s’ils avaient continué à travailler. Il faut donc permettre aux entreprises impactées par une grève extérieure de facturer les rémunérations des employés non-grévistes dans l’incapacité de travailler due à une mobilisation sociale aux organisateurs de ladite mobilisation (article 4).

Enfin depuis la loi Sapin, la contribution patronale au financement des organisations syndicales est due, quel que soit l’effectif de l’entreprise et quelle que soit son activité. Le taux de la contribution est fixé à 0,016 % des rémunérations servant de base de calcul des cotisations de sécurité sociale. Si une entreprise pâtit financièrement d’une mobilisation sans lien avec les activités de l’entreprise, nous proposons qu’elle puisse ajuster ses contributions au financement des organisations syndicales de façon à compenser ses pertes. Il est ainsi proposé de compléter l’article L. 2135-10-1 du code du travail en ce sens (article 5).

La présente proposition de loi ne vise pas à limiter le droit de grève qui, s’il n’est pas absolu, a toute sa place dans l’exercice démocratique mais à mieux le faire cohabiter avec d’autres libertés toutes aussi essentielles.

Il s’agit d’étendre le service minimum, mis en place à juste titre dans les transports par Nicolas Sarkozy en 2007, aux activités économiques essentielles pour ne pas que les Français soient pris en otage par une minorité.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après le livre III de la septième partie, il est inséré un livre III bis ainsi rédigé :


« Livre 3 
bis


« Professions et activités liées aux besoins essentiels du pays


« TITRE IER


« DÉFINITIONS


« Chapitre Ier

« Art. L. 7343-1. – 1° Sont considérées comme professions et activités liées aux besoins essentiels du pays les professions et les activités rattachées aux secteurs dont l’interruption porteraient atteinte aux besoins essentiels du pays.

« 2° L’employeur veille à inscrire dans la fiche de poste la mention : « Professions et activités liées aux besoins essentiels du pays » pour les postes assurant une fonction indispensable à la production de l’entreprise dont l’activité est considérée comme essentielle à l’économie.


« Chapitre II

« Art. L. 7343–2. – Les secteurs mentionnés ci-après définissent les besoins essentiels du pays : secteur hospitalier, services d’électricité, services d’approvisionnement en eau, télécommunications, la police et les forces armées, les services d’incendie, les services pénitentiaires publics ou privés, l’approvisionnement en nourriture des élèves scolarisés et le nettoyage des écoles, le contrôle du trafic aérien, la radio et la télévision, le secteur pétrolier, la production, le transport et la distribution de carburant, le secteur portuaire, le secteur bancaire, les transports, les services postaux, les activités agricoles, la fourniture et la distribution des denrées alimentaires, les ambulances et le secteur de l’éducation.

« D’autres secteurs peuvent être ajoutés par un décret pris en Conseil d’État.


« TITRE II


« EXERCICE DU DROIT DE GRÈVE


« Chapitre Ier


« Dispositions générales

« Art. L. 7343–3. – Pour les employés dont la fiche de poste comporte la mention : « Professions et activités liées aux besoins essentiels du pays » et souhaitant exercer leur droit de grève, un préavis de grève doit être établi et être adressé à la direction au moins cinq jours francs avant (comme pour le public) ou 48 heures avant (comme pour le service minimum dans les transports et les écoles) le début de la grève.


« Chapitre II 


« Aménagement de soutien à l’économie

« Art. L. 7343-4. – 1° Pour les : « Professions et activités liées aux besoins essentiels du pays », un service minimum doit être assuré.

« 2° Si les employeurs ne peuvent assurer un service minimum avec les employés non-grévistes il peut recourir à des embauches en contrat de travail temporaire ou à durée déterminée pour suppléer aux grévistes occupant un poste “Professions et activités liées aux besoins essentiels du pays”. »

Article 2

Le 1° de l’article L. 1242-6 du code du travail est abrogé.

Article 3

Le 1° de l’article L. 1251-10 du code du travail est abrogé.

Article 4

Après l’article L. 3121–66 du code du travail, il est inséré un article L. 3121-66-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3121-66-1. – Ne peuvent bénéficier de l’allocation et de l’indemnité d’activité partielle :

« 1° Les employeurs et leurs salariés quand la réduction ou la suspension de l’activité est provoquée par un différend collectif de travail intéressant l’établissement dans lequel ces salariés sont employés. Toutefois, dans le cas d’une fermeture de l’entreprise ou d’un service décidée par l’employeur suite à une grève, les rémunérations des employés dans l’incapacité de travaillé à cause de la grève seront facturées aux organisateurs de celle-ci ;

« 2° En cas de réduction de l’horaire de travail habituellement pratiqué dans l’établissement, les salariés dont la durée du travail est fixée par forfait en heures ou en jours sur l’année, en application des articles L. 3121-42 et L. 3121-43. Toutefois, ces salariés en bénéficient en cas de fermeture totale de l’établissement ou d’une partie de l’établissement dont ils relèvent. »

Article 5

L’article L. 2135-10-1 du code du travail est complété par un alinéa 3° ainsi rédigé :

« 3° À partir d’un seuil de perte de 5 % lié à une mobilisation syndicale sans lien avec les activités de l’entreprise, la contribution de l’employeur au financement des organisations syndicales peut être temporairement suspendue. Le montant des contributions suspendues ne peut excéder le total des pertes subies. »

1 () Commentaire de la décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007.

2 () Décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982.

3 () Cass. soc., 4 juillet 2000, n° 98-20.537.

4 () Cass. soc., 10 janvier 1973, n° 71-40.803.

5 () Code du travail, article R. 5122-8.


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