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N° 489

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2012.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE

sur les implications constitutionnelles
d’une ratification par la France
de la
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Jean-Jacques URVOAS,

Président.

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La composition de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République figure au verso de la présente page.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Jean-Jacques Urvoas, président ; Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Luc Warsmann, vice-présidents ; M. Sébastien Huyghe, Mme Axelle Lemaire, M. Paul Molac, M. Alain Tourret, secrétaires ; Mme Nathalie Appéré, M. Erwann Binet, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, M. Marcel Bonnot, M. Gilles Bourdouleix, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Carlos Da Silva, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Édouard Fritch, M. Yann Galut, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Pierre-Yves Le Borgn', Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Bernard Lesterlin, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Corinne Narassiguin, Mme Nathalie Nieson, M. Jacques Pélissard, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Didier Quentin, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Cécile Untermaier, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. François-Xavier Villain, Mme Marie-Jo Zimmermann.

INTRODUCTION 5

COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU JEUDI 29 NOVEMBRE 2012 9

ÉLÉMENTS D’INFORMATION SUR LES IMPLICATIONS CONSTITUTIONNELLES D’UNE RATIFICATION DE LA CHARTE EUROPÉENNE DES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES

LES DISPOSITIONS DE LA CHARTE EUROPÉENNE DES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES 29

LA FRANCE FACE À LA CHARTE EUROPÉENNE DES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES 37

LA POSITION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LA CHARTE EUROPÉENNE DANS LES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES 45

ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE 51

ANNEXES 73

MESDAMES, MESSIEURS,

La question de la place des langues régionales dans notre République est, toujours aujourd’hui, d’actualité, faute de consensus politique sur la réponse à lui apporter : si nous sommes nombreux, sur les bancs de notre hémicycle, à appeler de nos vœux l’adoption d’un statut des langues régionales pour, dans le respect de nos principes républicains, en garantir l’épanouissement, un certain nombre de nos collègues y demeurent hostiles, se retranchant derrière un frileux statu quo qui, à nos yeux, ne va pas dans le sens de l’Histoire.

Faut-il rappeler que les langues régionales font partie du patrimoine de la France, une appartenance consacrée par la Constitution elle-même depuis sa révision du 23 juillet 2008 qui y a ajouté un article 75-1 : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Et même si le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2011, a considéré cette disposition comme déclarative et non normative, il n’en reste pas moins que le Constituant a ainsi signifié son intention très explicite de prendre acte de l’existence et de la place des langues régionales en France. C’était une première étape, qui en annonçait d’autres.

Parmi les développements que pouvait appeler cette initiative, la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires de 1992, signée par la France le 7 mai 1999, en est un. De cette ratification, le Président de la République en avait fait l’un de ses engagements de campagne et le Parlement doit se préparer à en être, un jour, saisi. On peut aussi concevoir que, dans le nouveau cadre constitutionnel dessiné par l’article 75-1, le législateur décide de doter les langues régionales d’un statut juridique qui en fixerait les conditions d’usage car, pour l’heure, il n’existe aucun cadre légal et l’emploi des langues régionales, ici ou là, résulte davantage d’une tolérance que d’un droit établi.

Mais l’une comme l’autre de ces deux perspectives se trouvent confrontées à une incertitude juridique, résultant de l’appréciation que le Conseil constitutionnel a portée sur la Charte européenne. Dans une décision du 15 juin 1999, il a en effet jugé celle-ci non conforme à la Constitution, au motif qu’elle contrevenait aux principes à valeur constitutionnelle que sont l’unicité du peuple français, l’indivisibilité de la République, l’égalité des citoyens devant la loi, mais aussi à l’article 2 de la Constitution qui fait du français la langue de la République. Il en a conclu que si la France voulait ratifier la Charte, il lui fallait d’abord réviser sa Constitution. Par voie de conséquence, l’hypothèse d’une loi « simple » qui définirait un statut des langues régionales pourrait encourir le même reproche d’inconstitutionnalité si elle était déférée au Conseil.

Ainsi, quelle que soit l’initiative prise, elle trouvera sur son chemin la décision du Conseil constitutionnel, laquelle, en son temps, faut-il le rappeler, fut loin de faire l’unanimité de la doctrine. C’est pourquoi, treize ans plus tard, la commission des Lois a estimé qu’il était utile, en ce début de législature, de faire un nouveau point sur le sujet et de rouvrir le débat juridique. Elle a ainsi organisé une table ronde avec des constitutionnalistes spécialistes de la question, avec pour objectifs de mesurer toute la portée de la décision de 1999 et de réfléchir à la forme que pourrait revêtir, demain, la réécriture de la Constitution.

On trouvera, après cette introduction, le compte rendu de la réunion de la Commission, le 29 novembre dernier. Les intervenants ont mis en évidence plusieurs points :

– même si, pour certains, la lecture que le Conseil constitutionnel a faite de la Charte est discutable, en y voyant un risque pour l’unité du peuple français et une remise en cause de l’indivisibilité de la République, sa décision s’impose et le passage par une révision de la Constitution est incontournable ;

– on pourrait toutefois, préalablement à cette révision, envisager une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel pour vérifier s’il confirme sa première analyse, compte tenu des changements constitutionnels intervenus depuis 1999, comme la consécration de l’organisation décentralisée de la République (à l’article premier) ou la reconnaissance des populations d’outre-mer au sein du peuple français (à l’article 72-3) ;

– si une révision de la Constitution devait être engagée, le Constituant pourrait décider, soit de compléter l’article 2 pour y insérer une référence aux langues régionales, soit de créer un nouvel article 53-3 qui, sur le modèle de l’article 53-2 relatif à la cour pénale internationale et qui vise explicitement le traité du 18 juillet 1998, autoriserait la France à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires telle qu’interprétée dans la déclaration jointe à sa signature ; on pourrait aussi insérer cette nouvelle disposition à l’article 75-1.

Les travaux de la commission des Lois ont ainsi permis de poser à nouveau clairement les données du débat constitutionnel sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Ils éclaireront le Parlement le moment venu lorsque la question de la ratification lui sera soumise.

Ils ont également mis en lumière la nécessité de procéder, indépendamment de cette ratification, à un recensement des dispositions existantes ou des pratiques en vigueur favorisant l’usage des langues régionales, en vue de l’élaboration d’un statut qui aurait l’avantage d’offrir enfin un cadre légal au sein duquel nos langues régionales trouveraient à s’épanouir. Car, à l’heure actuelle, les démarches entreprises ici ou là en faveur du bilinguisme se heurtent à une incertitude juridique, faute de règles explicites en la matière, mais aussi, et par voie de conséquence, à un accueil très variable de la part des tribunaux, certains validant, d’autres annulant les initiatives prises, par exemple en matière de signalisation routière bilingue. Les hésitations sur la validité des livrets de famille en français et dans une langue régionale illustrent également cette insécurité, à laquelle il importe de remédier rapidement car elle freine le développement de nos langues régionales, cette richesse nationale qu’il nous appartient de faire fructifier.

*

* *

COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE
DU JEUDI 29 NOVEMBRE 2012

La Commission entend, dans le cadre d’une table ronde sur les implications constitutionnelles d’une ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires  : M. Jean-Éric Gicquel, professeur de droit public à l’Uuniversité Rennes I ; M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public à l’université Montesquieu–Bordeaux IV ; M. Michel Verpeaux, professeur de droit public à l’université Paris I ; M. Jean-Marie Woehrling, juriste expert auprès du Conseil de l’Europe.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La question des langues régionales à laquelle est consacrée cette table ronde n’est pas souvent abordée dans l’enceinte du Parlement. Notre dernier débat remonte à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et la réunion d’aujourd’hui entend le relancer. Si les langues régionales constituent pour nous un sujet de réflexion, et parfois de controverses, c’est qu’elles font partie de notre histoire collective. Inscrire dans la Constitution leur appartenance au patrimoine de la France nous avait semblé à même de lever les incertitudes de notre droit en cette matière. La décision du Conseil constitutionnel affirmant que cette disposition n’avait qu’une valeur déclarative a ainsi représenté pour nombre d’entre nous une grande déception.

Il fallait donc remettre le chantier à l’œuvre. L’un des soixante engagements de campagne du Président François Hollande est de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires que la France a signée le 7 mai 1999. Or, dans une décision rendue le 15 juin 1999, après saisine du Président de la République, le Conseil constitutionnel a estimé que la ratification de la Charte exigeait une révision préalable de la loi fondamentale – décision qui a été très diversement accueillie, sur le plan tant politique que juridique.

En ce début de législature, la commission des Lois a estimé que le moment était venu de reprendre le débat afin d’identifier les contraintes juridiques qui constitueraient aujourd’hui un obstacle à la ratification par la France de cette Charte. Elle a également le souci d’examiner les moyens permettant, le cas échéant, de prendre en compte ces contraintes pour progresser sur la voie de la ratification. C’est pourquoi elle a souhaité entendre des constitutionnalistes spécialistes du sujet. Nous avons donc le plaisir d’accueillir : MM. Jean-Éric Gicquel, professeur de droit public à la faculté de droit et de science politique de Rennes I ; Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public à l’université Montesquieu-Bordeaux IV ; Michel Verpeaux, professeur de droit public à l’université Paris I et directeur de son Centre de recherche de droit constitutionnel, et Jean-Marie Woehrling, juriste expert auprès du Conseil de l’Europe.

Nos invités doivent nous éclairer sur plusieurs questions. Dans quelle mesure une révision constitutionnelle est-elle nécessaire et quelle forme doit-elle prendre ? Une seule révision de l’article 2 – qui affirme : « La langue de la République est le français » – est-elle envisageable ? Faut-il réécrire l’article 75-1 de notre Loi fondamentale ? Les principes d’indivisibilité de la République et d’unicité du peuple français, découlant des articles 1er et 3 de la Constitution, sont-ils susceptibles d’entraver une procédure de ratification ?

Si l’on ne révisait pas la Constitution, dans quelle mesure faudrait-il revenir sur les trente-neuf engagements pris par la France lors de la signature de la Charte ? Quelles modifications de nature simplement législative faudrait-il prévoir en vue d’une ratification ? La France devrait-elle revenir sur la déclaration interprétative de la Charte qu’elle avait présentée lors de la signature en 1999 ou, au contraire, pourrait-elle s’en tenir à cette interprétation du texte – par exemple, sur la question de la compatibilité de la Charte avec le préambule de la Constitution, qui assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que le peuple français ? À quelles langues régionales ou minoritaires en France la Charte serait-elle appliquée, eu égard à la définition de ces langues par la Charte ? Quels exemples étrangers pourraient éclairer la démarche française ? De quel pays la France est-elle la plus proche par sa Constitution, son histoire et les spécificités de son parcours juridique ?

Nous faisons aujourd’hui le premier pas sur un chemin qui nous conduira, durant le quinquennat, à concrétiser les engagements du Président de la République. Les majorités sont toujours lentes à construire à l’Assemblée nationale, mais nous souhaitons convaincre nos collègues encore réticents que les langues régionales constituent une richesse qui, loin de menacer l’unité de la République, fait vivre la réalité de ses territoires.

M. Michel Verpeaux, professeur de droit public à l’université Paris I. La décision du Conseil constitutionnel qui est l’objet de notre discussion me semble être une bonne décision. J’évoquerai quatre pistes de réflexion.

Si l’on décidait de changer la Constitution, la première solution – qui ne pose pas de difficultés techniques – consisterait à rédiger un nouvel article 2-1, disposant que « la République peut ratifier la Charte des langues régionales ou minoritaires », sur le modèle de ce qui a déjà été fait pour des traités largement aussi « conflictuels ».

On pourrait également ajouter un nouvel alinéa à l’article 2 – juste après celui reconnaissant le français comme langue de la République – mais il faudrait alors en peser chaque mot. Parlerait-on de « reconnaissance » des langues régionales, de « droit de parler » ces langues ?

Il serait enfin possible de se reporter à l’article 75-1, mais cette solution soulève des difficultés. Le Parlement a en effet inséré cette disposition sur les langues régionales dans le titre XII consacré aux collectivités territoriales, loin de l’article 2, dans une sorte d’exil juridique, comme si le voisinage des deux risquait de produire des effets électriques. Cet emplacement donne à la question des langues régionales ou minoritaires un caractère purement local qu’il sera difficile d’éviter, même en modifiant la formulation de l’article. Or, les langues régionales concernent moins des territoires que des groupes, j’oserais dire ethniques, ou des communautés qui n’ont pas forcément d’ancrage territorial. Quant à l’insertion d’un nouvel article 75-2, cela me paraîtrait superflu.

La deuxième piste consisterait, avant de songer à réviser la Constitution, à opérer une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel. Des précédents existent : en 1992, le Conseil constitutionnel avait exigé une révision constitutionnelle pour la ratification du traité sur l’Union européenne, et il a été saisi à nouveau par des opposants au traité, une fois la révision effectuée. Le procédé ne fut pas considéré comme contraire à l’autorité de la chose jugée : la Constitution ayant été modifiée, le changement de circonstances autorisait une nouvelle saisine sur le même texte.

Quel changement de circonstances constitutionnelles pourrait-on invoquer aujourd’hui ? D’une part, la révision de 2003 a consacré l’organisation décentralisée de la République, notamment par le biais de la modification de l’article 1er de la Constitution. Créer ainsi un lien avec la question des langues nous ferait néanmoins retomber dans le même travers d’une vision des langues régionales ou minoritaires uniquement centrée sur les collectivités territoriales. Par ailleurs, cette disposition ajoutée à l’article 1er n’a pas, pour l’instant, donné lieu à beaucoup de jurisprudence.

D’autre part, la révision de 2008 a introduit, outre l’article 75-1, l’article 72-3 qui reconnaît les populations d’outre-mer au sein du peuple français. Toutefois, on observera que l’outre-mer ne rassemble qu’une partie des langues régionales. Mais surtout, cet article reconnaît les « populations » – terme au demeurant délicat à définir –, mais ne leur confère aucun droit particulier. On pourrait considérer que puisqu’elles sont reconnues, ces populations pourraient avoir des droits particuliers, ce qui n’est pas le cas pour le moment. En tout cas, il serait peut-être possible d’arguer de toutes ces modifications pour soutenir que la Charte est, en quelque sorte, devenue constitutionnelle.

Troisième piste de réflexion : on peut se demander ce que la ratification de la Charte apporterait à notre pays – question évidemment autant politique que juridique. La France a émis tellement de réserves et de restrictions au moment de sa signature que sa ratification ne représentera aucune rupture notable par rapport au droit existant.

La dernière piste consiste à poser la question de l’utilité politique de la ratification. En mesure-t-on bien toutes les conséquences pratiques ? Si l’on devait appliquer la Charte telle qu’elle est, cela aurait des implications financières – par exemple en raison des traductions qu’il y aurait à réaliser ou du recrutement qu’il faudrait effectuer de personnels qualifiés – et nous serions confrontés à des risques de contentieux.

M. Jean-Éric Gicquel, professeur de droit public à l’université Rennes I. Je me permettrais d’abord une remarque préalable : si la tendance actuelle se poursuit, le français lui-même – parlé aujourd’hui par seulement 3 % de la population mondiale – risque de se transformer, dans les années qui viennent, en langue régionale. « La langue de l’Europe, c’est la traduction », disait Umberto Eco. Entre les années 1990 et aujourd’hui, la part des textes provisoires préparatoires européens d’abord rédigés en anglais, puis traduits, est passée de 45 % à 86 %, alors que celle des textes d’abord rédigés en français est tombée de 35 % à seulement 3 %.

Sur le sujet de fond qui nous occupe – les implications constitutionnelles de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires –, nous devons répondre à trois questions essentielles : Pourquoi réviser ? Que réviser ? Que faire après la révision de la Constitution ?

Pourquoi réviser la Constitution ? Le Conseil constitutionnel avait considéré, dans sa décision du 15 juin 1999, que certaines stipulations de la Charte n’étaient pas conformes à la Constitution et qu’en application de l’article 54 de cette dernière, la Charte ne pouvait être ratifiée en l’état. La révision constitutionnelle de 2008 n’a pas modifié la donne puisque l’article 75-1 n’a pas pour objet de permettre la ratification de la Charte. Les termes du débat juridique restant inchangés depuis 1999, si le pouvoir politique souhaite engager un processus de ratification, une révision constitutionnelle préalable est donc nécessaire.

Que réviser dans la Constitution ? C’est sans doute la question la plus complexe. Une première solution consisterait à modifier les articles 1er, 2 et 3 de la Constitution, mais on toucherait là à l’un des « réacteurs nucléaires », si je peux employer cette expression, de la cinquième République. Le plus délicat serait alors de remettre implicitement en cause les principes d’unicité du peuple français, d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi des citoyens, contenus dans les articles 1er et 3. Modifier l’article 2 serait plus facile : on pourrait, par exemple, envisager une fusion des articles 2 et 75-1, et l’article 2 serait ainsi rédigé : « La langue de la République est le français. La République reconnaît les langues régionales. ».

L’alternative à cette proposition consisterait à insérer dans la Constitution un article 53-3 stipulant que « la République française peut engager le processus de ratification de la Charte signée le 7 mai 1999, complétée par sa déclaration interprétative ». On pourrait même envisager d’intégrer directement la substance même de cette déclaration dans la Constitution. Rappelons que la déclaration interprétative, qui désigne une déclaration unilatérale d’un État indiquant comment celui-ci interprète un engagement international, peut-être à tout moment modifiée ou supprimée par l’État. Il s’agit d’un pur acte de gouvernement, au sens juridique du terme, à savoir un acte insusceptible d’être contesté devant le juge administratif.

Un contrôle a posteriori du Conseil constitutionnel serait toujours envisageable, les autorités habilitées à le saisir pouvant lui demander de vérifier si la Constitution révisée est désormais compatible avec la Charte. Une réponse négative constituerait alors un désaveu cinglant. En cas de réponse positive, une loi autorisant la ratification devrait être votée, en application de l’article 53 de la Constitution, et les autorités habilitées pourraient à nouveau saisir le Conseil constitutionnel pour lui demander de contrôler la constitutionnalité de cette loi, lui offrant une nouvelle occasion de vérifier celle de la Charte. C’est donc un double obstacle constitutionnel qui guette le pouvoir constituant dérivé.

Enfin, à supposer que l’on arrive à réviser la Constitution, que faire après ? Pour les défenseurs des langues régionales, la ratification risque d’être une énorme déception puisque la France n’a pris, en 1999, que trente-neuf engagements – je rappelle que le minimum, c’est trente-cinq –, au demeurant modérés, que les collectivités pourraient déjà mettre en œuvre sans difficulté si elles s’en donnaient les moyens. Il y aurait ainsi un décalage entre les efforts législatifs entrepris et le maintien d’une forme de statu quo.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public à l’université Montesquieu-Bordeaux IV. Étant non seulement professeur de droit public et juriste, mais également locuteur quotidien d’une langue régionale – le créole réunionnais –, ma position sera légèrement différente. La Charte est aujourd’hui en vigueur dans vingt-cinq États membres du Conseil de l’Europe ; huit États, dont la France, l’ont signée mais non ratifiée ; quatorze n’ont fait ni l’un ni l’autre. Comme Robert Badinter l’avait souligné il y a déjà un certain temps, la France n’est donc pas isolée.

Faut-il aller plus loin ? Ce n’est pas à moi de prendre position sur cette question d’opportunité politique, même si à titre personnel, en tant que locuteur de langue régionale, j’estime qu’il faut aller plus loin. La question est de savoir comment. Comme les deux premiers orateurs l’ont clairement expliqué, si l’on veut ratifier la Charte, une nouvelle révision constitutionnelle est inévitable. Saisir à nouveau le Conseil constitutionnel, comme l’a astucieusement proposé Michel Verpeaux, pourrait certes constituer une précaution, mais on se doute de la réponse.

La décision du 15 juin 1999 du Conseil constitutionnel est en effet unique en son genre. Habituellement, lorsque celui-ci est saisi d’une question de compatibilité, sur le fondement de l’article 54 de la Constitution, il précise dans son considérant final que l’autorisation de ratifier un traité ou d’adopter une loi nécessite une révision préalable de la Constitution – c’est ce qui s’est passé pour la ratification du traité sur la Cour pénale internationale ou pour la parité entre les femmes et les hommes. La décision du 15 juin 1999 est la seule où le considérant final ne le dit pas, comme si le Conseil constitutionnel voulait éviter même d’envisager cette hypothèse, ce qui montre bien sa fermeté – ou sa fermeture – sur le sujet.

Cette fermeté est liée au fait que nous sommes ici au cœur du pacte républicain. La déclaration d’incompatibilité de 1999 reposait en effet sur le fondement d’une violation de l’article 1er de la Constitution – affirmant les principes d’indivisibilité, d’unicité et d’égalité –, véritable colonne vertébrale de la Nation française – et de celle, moins gênante, de l’article 2 stipulant que le français est la langue de la République. Cette décision du Conseil constitutionnel oblige à modifier les articles 1er et 2, ce qui est très délicat. Lorsque l’ancien Président de la République avait imaginé modifier le préambule de la Constitution, le comité présidé par Mme Veil avait ainsi sagement conclu qu’il valait mieux ne pas y toucher. Je pense que le Conseil constitutionnel a voulu signifier qu’une révision constitutionnelle est impossible sur ce point, ou alors avec une marge bien étroite.

Pour avancer sur cette question, une autre solution consisterait non à réviser la Constitution pour permettre de ratifier la Charte, mais à suivre l’exemple de certains États en donnant un véritable statut aux langues régionales de la France. C’est ce que préconise Véronique Bertile dans sa thèse de doctorat sur les langues régionales ou minoritaires et la Constitution, qui compare la situation de la France, de l’Espagne et de l’Italie. Il s’agirait, comme le proposait Robert Badinter, non seulement de mieux faire connaître les dispositions législatives et réglementaires existantes mais également de donner un plein effet aux stipulations de la partie III de la Charte, plus facilement compatible avec le droit français que les parties I et II, lesquelles comportent la notion de groupe. Il est notamment envisageable de donner toute leur mesure aux articles 8, 11, 12 et 13 de la partie III, qui concernent respectivement les secteurs de l’enseignement, des médias, de la culture et de la vie économique et sociale. Dans les domaines de la justice et des services publics, le caractère officiel de la langue française comme langue de la République me paraît en revanche représenter un obstacle difficilement surmontable.

La solution que je préconise serait donc de donner un statut plus solide aux langues régionales, d’abord en réalisant une codification des dispositions législatives et réglementaires correspondantes, et en mettant ensuite en œuvre, de manière concrète, les stipulations prévues dans la partie III de la Charte. Cela permettrait de rendre le droit applicable plus accessible et plus intelligible. Il laisse des marges de manœuvre très importantes, mais qui bien souvent ne sont pas exploitées. Si l’on tient aux symboles constitutionnels, on pourrait faire reposer ce code sur un socle un peu plus étoffé que l’article 75-1, qui ne dit pas grand-chose, par exemple en envisageant une légère modification de l’article 2 qui serait rédigé ainsi : « La langue de la République est le français, dans le respect des langues régionales de la France ».

M. Jean-Marie Woehrling, juriste expert auprès du Conseil de l’Europe. La Charte n’est pas une fin en soi : elle n’est qu’un moyen pour renforcer la situation des langues régionales en France et en assurer la pérennité. Aucune des dispositions qui y figurent ne donne d’ailleurs à notre pays des compétences qu’il n’aurait pas déjà. La Charte n’est au centre de cette discussion que parce que le Conseil constitutionnel en a fait une interprétation manifestement erronée, l’estimant contraire à la Constitution. Or, aucune de ses dispositions ne porte atteinte aux principes d’égalité des Français ou d’indivisibilité de la République. La Charte ne vise nullement à donner des droits collectifs à des groupes particuliers. Elle n’impose pas le recours aux langues régionales dans la vie publique et considère celles-ci – de même que l’article 75-1 de la Constitution – comme un patrimoine culturel que les États européens doivent entretenir, promouvoir et développer. La Charte prévoit précisément ce que vient de proposer M. Mélin-Soucramanien : donner un statut aux langues régionales, et non à leurs locuteurs. Le problème vient de l’interprétation du Conseil constitutionnel qui, en lisant la Charte, y a vu une convention-cadre pour les minorités nationales. La Charte et la Constitution étant d’ores et déjà compatibles, à quelle révision constitutionnelle devrait-on procéder ?

Face à cette situation, on pourrait choisir d’agir en dehors de la Charte si son interprétation par le Conseil constitutionnel n’avait pas créé une incertitude sur toute mesure en faveur des langues régionales. Comment être sûr, en effet, que telle ou telle disposition législative créant un statut pour les langues régionales ne sera pas demain déclarée anticonstitutionnelle ? Le cadre constitutionnel doit donc être clarifié.

Par ailleurs, le contexte politique actuel nous pousse à développer un statut des langues régionales dans le cadre de la Charte, conformément à la promesse de campagne du Président de la République. Il faudrait donc commencer par regarder ce qui, dans notre législation et notre organisation institutionnelle, doit être modifié en vue d’atteindre cet objectif. La ratification de la Charte serait, pour moi, le couronnement et, non le point de départ, du travail de la France pour donner un statut à ses langues régionales. Mais compte tenu de la position du Conseil constitutionnel, il faut réviser la Constitution, non pas tant pour en modifier les principes, mais simplement pour neutraliser la décision de 1999 et autoriser la ratification de la Charte, laquelle est parfaitement compatible.

Je proposerais personnellement que l’on complète l’article 75-1, qui reconnaît les langues régionales comme un élément du patrimoine de la France, par une formulation de ce type : « Pour assurer la protection de ce patrimoine, la France adhère aux objectifs et met en œuvre les principes de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ». En revanche, je ne suis pas favorable à une référence à la déclaration interprétative ou aux trente-neuf paragraphes, qui me paraît de nature à bloquer la suite de l’activité législative destinée à mettre en œuvre la Charte.

La décision du Conseil constitutionnel a été essentiellement motivée par son analyse de la partie II de la Charte. Celle-ci comporte le seul article 7 relatif aux objectifs et principes de protection des langues régionales ou minoritaires, article qui affirme que l’ensemble des stipulations doivent être appliquées par tous les États à toutes les langues régionales pratiquées sur leur territoire. L’article 21 précise à cet égard qu’un État ne peut formuler de réserves que sur les dispositions mentionnées aux paragraphes 2 à 5 de cet article 7, le reste étant intangible. La déclaration interprétative de la France avait à l’époque un objectif politique : rassurer sur l’application de la Charte, en montrant que la France y lisait des principes compatibles avec son ordre constitutionnel. Mais aujourd’hui que le Conseil constitutionnel a estimé que la lecture de la Charte faite dans la déclaration était erronée, celle-ci n’a plus d’intérêt. Cette déclaration a également une portée juridique très réduite puisqu’au plan international, la ratification doit se faire sans réserves autres que celles prévues par la Charte elle-même.

La partie III de la Charte n’est quant à elle applicable qu’aux langues régionales ou minoritaires désignées par l’État au moment de la ratification. Plus précisément, pour toute langue désignée, il faut choisir un minimum de trente-cinq paragraphes de cette partie III, l’objectif étant d’aménager, pour chacune, le statut le mieux adapté. Or, les trente-neuf paragraphes signés par la France ont été sélectionnés en fonction d’un tout autre principe : celui de minimiser les problèmes potentiels. Si nous ratifions la Charte, il faudra l’appliquer de manière sincère et complète.

Nous devrions ainsi commencer par une réflexion sur les besoins de chaque langue régionale par rapport aux propositions de la partie III de la Charte, afin de constituer pour chacune d’entre elles, dans le respect de nos principes, un cadre qui lui soit adapté. Les secteurs de soutien prioritaire sont ceux de l’enseignement et des médias. Quant à l’utilisation de ces langues dans le cadre des institutions publiques, comme la justice ou l’administration, ce n’est pas la revendication principale de leurs promoteurs. Par ailleurs, bien des mesures – comme l’organisation du bilinguisme ou la réalisation de traductions – peuvent d’ores et déjà être mises en œuvre sans entrer en contradiction avec l’article 2 de la Constitution et sans nécessiter de modifications législatives.

En revanche, sans pour autant vouloir les placer à égalité avec le français, langue de la République, il serait symboliquement important de donner aux langues régionales et minoritaires un statut public. On pourrait par exemple ajouter à l’article 75-1 la phrase suivante : « Le statut public des langues régionales est défini par la loi. ».

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Si je voulais résumer ce que nous venons d’entendre, je noterais d’abord qu’au-delà de la nécessité de concrétiser l’engagement du Président de la République, la première question à nous poser est celle du but recherché. Soit il s’agit de permettre l’épanouissement des langues régionales sur le territoire national, et cela suppose de leur octroyer des droits nouveaux. Ce n’est pas impossible, mais il faut l’assumer, le reconnaître, et donc le permettre sur le plan juridique. Or, vous venez de nous le dire, il est des domaines dans lesquels la chose ne va pas de soi. Soit nous nous lançons dans une bataille politique symbolique – une bataille d’Hernani – visant à modifier le visage de la République, afin d’admettre une réalité qui est encore méconnue, voire combattue.

Vous êtes tous d’accord sur un point : si nous voulons ratifier la Charte, il faut réviser la Constitution. Mais avant de réviser et de ratifier, suggérez-vous, il pourrait être pertinent de solliciter à nouveau le Conseil constitutionnel, afin de vérifier qu’il maintient sa position, même si les éléments nouveaux évoqués par Michel Verpeaux constituent bien un changement de circonstances, pour reprendre, par analogie, la terminologie utilisée dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. Se pose alors la question de savoir sur quel fondement saisir le Conseil afin d’obtenir une nouvelle interprétation. Cette saisine serait sans doute faite par le Président de la République.

M. Michel Verpeaux. Ou par soixante députés – ou soixante sénateurs.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Pour M. Woehrling, le Conseil constitutionnel a fait une lecture erronée de la Charte en 1999. La révision constitutionnelle aurait donc pour objectif de « neutraliser » sa décision. Je ne suis pas certain que la doctrine du Conseil ait évolué au point de nous porter à l’optimisme, ni que les modifications intervenues dans sa composition depuis 1999 favorisent une meilleure compréhension des enjeux qui nous rassemblent ici, et même si de nouveaux membres doivent faire leur entrée au Conseil dans trois mois ! Cette nouvelle saisine nous permettrait de savoir si la doctrine du Conseil a évolué, et si tel n’est pas le cas, d’identifier les obstacles à la ratification de la Charte.

Se pose ensuite la question des dispositions constitutionnelles à modifier. Vous estimez à l’unanimité que mieux vaut ne pas toucher au cœur « nucléaire » de la Constitution, pour reprendre l’expression de Jean-Éric Gicquel, à savoir ses articles 1er, 2 et 3. Il y a donc deux possibilités : ajouter un alinéa supplémentaire à l’article 75-1 ou, comme le propose Jean-Éric Gicquel, créer un article 53-3. Je rappelle que nous avons déjà eu ce débat lors de la révision constitutionnelle de 2008 à propos de la reconnaissance de l’appartenance des langues régionales au patrimoine de la France. À l’époque, la garde des Sceaux nous avait expliqué que peu importait l’article où serait placée la nouvelle disposition, puisqu’il n’existait pas de hiérarchie entre les articles de la Constitution. Qu’il s’agisse de l’article 2 ou de l’article 75-1, c’était donc, comme on dirait en breton, memestra – la même chose. L’Assemblée nationale avait inscrit la disposition en question à l’article 2, avant que le Sénat ne la déplace à l’article 75-1. Lorsque le texte est revenu à l’Assemblée nationale, on nous a expliqué que c’était très bien ainsi. Le professeur Verpeaux a parlé d’exil juridique – j’aime beaucoup l’expression ! – qui a abouti à ce que la responsabilité soit renvoyée aux collectivités locales plutôt qu’à l’État. Le choix de « l’accroche » de la future révision n’est donc pas anodin.

Voilà donc pour l’hypothèse de la « bataille d’Hernani ».

L’autre hypothèse, qui est celle du Professeur Mélin-Soucramanien, consiste à commencer par créer des droits nouveaux avant de ratifier la Charte, en codifiant des pratiques qui existent ou en votant des lois ordinaires. C’était d’ailleurs la base de la proposition de loi que les membres du groupe d’études sur les langues régionales avaient déposée sous la précédente législature. Nous avions considéré que cette proposition de loi pourrait être « vendue à la découpe » : notre ambition était de transformer ses articles en amendements, selon que les textes venant en discussion porteraient sur les médias, la vie publique, les collectivités locales ou l’éducation. Je pense par exemple au conventionnement des écoles Diwan, qui est vécu comme une contrainte en Bretagne et qui devrait être supprimé au plus tôt. Cependant, les lois ordinaires, outre qu’il est nécessaire de réunir une majorité pour leur adoption – ce qui ne va pas de soi puisque la question des langues régionales n’est ni de droite ni de gauche mais renvoie à des considérations géographiques –, peuvent être déférées au Conseil constitutionnel. Nous en revenons alors au point de départ : le Conseil jugera que ces dispositions ne sont pas conformes à la Constitution et qu’avant de donner des droits nouveaux à des groupes, pour reprendre le mot de Michel Verpeaux, il convient de réviser celle-ci… On en revient donc à cette question : comment réviser la Constitution ?

M. Paul Molac. Chaque pays a ses raisons pour ne pas signer ou ratifier la Charte. Ainsi, l’Irlande refuse de signer la Charte au motif que l’irlandais n’est pas une langue régionale ; c’est la langue nationale. Mais dans la vie courante, l’anglais a depuis longtemps supplanté l’irlandais, dont l’usage oral reste limité à certaines zones géographiques, même s’il est enseigné à l’école. La Belgique n’a pas non plus signé la Charte, car elle a deux langues nationales, et même trois avec l’allemand dans les cantons d’Eupen et Malmédy.

Moi qui suis un vrai républicain, je trouve curieux d’assigner une langue à la République. La République n’a pas de langue, puisqu’elle est constituée de l’ensemble des électeurs. Lui assigner une langue, c’est retenir une dimension que je qualifierais d’ethnique. Je reconnais qu’il faut bien une langue, avant tout pour des raisons pratiques. Puisque le français s’est imposé, prenons-le. Mais lier la République à une langue me gêne, car cela revient à favoriser une langue alors que notre pays en compte tant. On n’est plus là dans un esprit de « laïcité », c’est-à-dire de neutralité. Certes, l’État a besoin d’une langue. Il faut donc en prendre une. Mais là où le bât blesse, c’est que ce choix donne la possibilité de ne pas reconnaître les autres langues.

Pendant longtemps, le fait que le français soit langue juridique et langue d’État n’a posé aucun problème. Les langues régionales avaient en effet une telle vigueur dans nos territoires qu’elles demeuraient dans notre patrimoine. Mais tout a changé depuis les années 50. Le risque de perdre ce patrimoine linguistique est aujourd’hui réel et la population a commencé à s’en émouvoir dès les années 60. Paradoxalement, elle manifeste un attachement d’autant plus fort à l’endroit de ces langues qu’elles sont de moins en moins parlées. Il s’agit désormais d’en assurer la pérennité tout en préservant les fondements de notre République. La demande est importante, diffuse, principalement dans les régions périphériques, là où sont traditionnellement parlées les langues régionales, mais aussi dans le reste de la France : nos concitoyens ont une vision plutôt positive des langues régionales, y compris en région parisienne et dans les grandes villes.

Le problème est de moins en moins politique et de plus en plus juridique. Il convient en tout cas de le régler. Nous arrivons aux mêmes conclusions que vous, monsieur le Président : un texte comme celui que vous aviez déposé l’an dernier tombera sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel si celui-ci conserve la même interprétation de la Charte. Nous avons pourtant besoin d’une loi sur le terrain : à l’heure actuelle, on ne sait pas vraiment ce qui est faisable dans le cadre de la législation en vigueur, alors que, beaucoup d’initiatives sont prises. Prenons l’exemple du livret de famille bilingue. Pour le Conseil constitutionnel, c’est le français qui fait foi, mais une traduction est possible. Pour certains juges, c’est contraire à la Constitution. Les mairies n’ont donc aucune certitude sur ce qu’elles doivent ou peuvent faire. Bref, nous sommes dans l’insécurité. Autre exemple : en 2010, le tribunal administratif de Montpellier a exigé le retrait des panneaux en occitan de Villeneuve-lès-Maguelone suite au recours qui avait été intenté par une association. Tout est fait pour que les langues régionales n’investissent pas la sphère publique. Or, une langue qui n’est pas utilisée est vouée à disparaître. Il nous faut donc trouver l’équilibre subtil qui nous permettra de conserver ces langues en même temps que la langue commune dont nous avons besoin par ailleurs. L’État reste aujourd’hui en retrait, si bien que ce sont les régions qui tentent de répondre aux sollicitations de nos concitoyens et font des avancées. Il faut sortir de cette insécurité juridique.

Il faut partir de l’idée de patrimoine. Les langues font partie du patrimoine culturel et immatériel de l’État ; en tant que représentants de la Nation, nous en sommes comptables vis-à-vis de nos concitoyens et des générations futures.

Mme Nathalie Appéré. Paul Molac vient d’évoquer le sujet concret que je souhaitais aborder, à savoir l’exemple du livret de famille bilingue. Jean-Éric Gicquel l’a rappelé, les collectivités locales possèdent déjà la capacité de mener des actions concrètes qui figurent dans la Charte. M. Woehrling a évoqué les dispositions qui sont déjà mises en œuvre en ce qui concerne la pratique du bilinguisme. Élue de Rennes, j’ai interrogé à plusieurs reprises le procureur de la République sur la possibilité de délivrer des livrets de famille bilingues, les maires agissant ici non pas en tant que représentants de collectivités territoriales désireuses de promouvoir une langue, mais en tant qu’officiers d’état civil par délégation de l’État. La réponse a été systématiquement négative, se fondant sur l’interprétation qui peut être faite de la Constitution et des principes d’unicité et d’indivisibilité de la République. Les initiatives concrètes prises par les collectivités locales dans le but de promouvoir une langue régionale se heurtent donc elles aussi à cet obstacle. Sans doute faudra-t-il s’engager à la fois dans la bataille politique et sur la voie juridique.

M. Jean-Luc Bleunven. Je rejoins mes collègues sur la notion d’insécurité juridique. On aura beau prendre toutes les décisions que l’on voudra, rien ne sera opérant si le contexte n’est pas favorable au développement des langues régionales. La question est donc à la fois politique et juridique. Nous devons nous battre sur les deux fronts : le problème juridique sera d’autant plus facile à régler que nous serons forts sur le plan politique. L’engagement du Président de la République constitue à cet égard une avancée sur laquelle nous devons nous appuyer.

Prenons acte que le français est devenu une langue régionale à l’échelle de l’Europe. Nous continuons à promouvoir la francophonie, et c’est heureux. Mais pourquoi ne pas promouvoir les autres langues régionales, qui ont toutes leur valeur ? Je crains que nous n’en restions sur ce sujet aux vieilles lunes de la République centralisatrice. Il faudra bien s’attaquer un jour à ces fondements-là.

Nous avons rencontré cette semaine des députés britanniques préoccupés par le rayonnement de leur langue. Il est naturel que chacun soit attaché à sa langue. Il n’y a donc aucune raison que les locuteurs des langues régionales ne défendent pas les mêmes revendications et les mêmes droits que les locuteurs des langues nationales à l’échelle de l’Europe.

C’est par ailleurs un enjeu de développement économique. Nous regrettons souvent que nos concitoyens mettent si peu d’enthousiasme à apprendre d’autres langues. Le multilinguisme est une richesse que nous n’exploitons pas suffisamment. Cela supposerait, il est vrai, de surmonter des blocages institutionnels, sociaux et politiques. Ce n’est donc pas seulement un problème de langue ; c’est aussi un problème de société. L’approche de cette question doit évoluer : le temps où elle menaçait l’unicité de notre pays est révolu.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. S’agissant de la ratification, il me semble que vous êtes tous d’accord pour dire que le plus simple serait de mentionner la Charte dans la Constitution, comme nous l’avons fait pour la Cour pénale internationale à l’article 53-2 selon lequel « la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. » Cela correspond à la proposition de M. Gicquel – créer un article 53-3 qui disposerait que la République peut engager la procédure de ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – ou à celle de M. Woehrling – compléter l’article 75-1 ainsi : « Pour assurer la protection de ce patrimoine, la France adhère à la Charte ».

M. Michel Verpeaux. Vous évoquiez tout à l’heure l’ « exil » de l’article  75-1. Rédiger un article 53-3 est une autre forme d’exil, peut-être plus subtile puisque ce nouvel article serait placé dans le titre VI, c’est-à-dire dans le cadre des rapports entre la France et les autres États, c’est-à-dire dans le cadre du droit international. Mais après tout, est-ce si important ? La place des dispositions dans la Constitution est-elle juridiquement essentielle ? Ne relève-t-elle pas du symbole ?

Il faut rappeler que la décision de 1999 a été rendue dans un contexte politique particulier, celui de la cohabitation, et quelques années après celle de 1991 par laquelle le Conseil constitutionnel avait refusé de reconnaître un peuple corse. C’est la raison pour laquelle j’ai fait référence aux populations d’outre-mer pour justifier une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel et ainsi voir s’il avait éventuellement évolué sur cette question. En 1999 comme en 1991, il a paru en effet – notamment du fait de sa composition – arc-bouté sur le principe de l’unicité du peuple français et sur le refus de reconnaître toute « collectivité » ou communauté.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Au-delà de la composition du Conseil, on pourrait évoquer la personnalité du ministre de l’Intérieur, en l’occurrence Jean-Pierre Chevènement, et la question de la Nouvelle-Calédonie.

M. Michel Verpeaux. Soit. Le contexte a donc changé. Je me suis moi aussi intéressé à la liste des pays ayant ratifié la Charte. C’est par exemple le cas du Liechtenstein et du Luxembourg, mais cela ne porte guère à conséquence, puisqu’ils n’ont pas de langues régionales ou minoritaires. On peut même se demander si la ratification a une signification en pareil cas. La Suisse a également ratifié. Il est intéressant de comparer son cas avec celui de la Belgique, car les situations linguistiques de ces deux pays sont proches. Alors que la Belgique refuse de signer la Charte pour les raisons que nous avons évoquées, la Suisse l’a ratifiée dès 1997, mais elle déclare qu’elle n’a pas de langues régionales ou minoritaires : toutes ses langues sont officielles. Les deux choix sont totalement opposés.

Parmi les pays n’ayant ni signé ni ratifié la Charte, on trouve également le Portugal et la Grèce – pour des raisons que j’ignore. J’observe au passage qu’il pourrait être intéressant pour la commission des Lois de conduire une étude de droit comparé sur le sujet.

Parmi les pays qui ont signé la Charte mais ne l’ont pas encore ratifiée, on trouve donc la France, ainsi que la Russie.

Venons-en au fond de la décision du Conseil constitutionnel. Il semble que le blocage pour le Conseil trouve son origine dans le quatrième alinéa du préambule de la Charte : « Considérant que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible… ». Je crois qu’il n’existe pas véritablement d’hostilité aux langues régionales en France. M. Molac disait tout à l’heure que les habitants de la région parisienne en avaient une vision plutôt positive. Il ne s’agit bien sûr pas de les faire disparaître ; la question est de savoir quelle place leur donner, et dans quelle sphère. C’est évidemment dans la sphère publique que cela pose problème. Dans sa décision de 1999, le Conseil constitutionnel met en avant la liberté de communication, qui permet à tout un chacun de parler la langue qu’il veut. Mais tout se passe comme s’il y avait une barrière – pour ne pas dire une frontière – entre la sphère privée et la sphère publique. Dans la sphère publique, on ne peut pas autoriser n’importe qui à revendiquer le droit d’utiliser n’importe quelle langue, car cela conduirait à des situations de blocage. Je me distinguerais sur ce point de M. Mélin-Soucramanien. Le considérant 13 de la décision de 1999 est en effet ainsi rédigé : « Considérant que n’est contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des autres engagements souscrits par la France, dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en œuvre par la France en faveur des langues régionales ». C’est donc bien que seul ce point pose problème.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Permettez-moi d’observer que les nouveaux États membres doivent avoir ratifié la Charte avant leur adhésion à l’Union européenne. Il est tout de même paradoxal que notre pays exige des autres ce qu’il ne fait pas lui-même.

M. Michel Verpeaux. Il en va de même de la Charte européenne de l’autonomie locale.

M. Jean-Éric Gicquel. Je reviendrai pour ma part sur trois points.

Demandons-nous, tout d’abord, quelle pourrait être la position du Conseil constitutionnel en cas de nouvelle saisine. Nous avons un indice, avec une décision rendue en 2011 dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, « Mme Cécile Lang et autres ». Il s’agissait de savoir si l’article 75-1 de la Constitution pouvait fonder des droits et des libertés. Le Conseil constitutionnel a répondu par la négative. Sa jurisprudence sur la question linguistique reste donc assez restrictive.

Il faut aussi réfléchir à un statut législatif pour les langues régionales, en commençant par codifier ce qui existe. Je n’ose parler de « loi serpillière », mais l’idée est là : il s’agirait de « ramasser » toutes les pratiques déjà en vigueur pour leur donner un statut législatif. Prenons un exemple concret, qui a fait l’objet de décisions de justice remarquées : la question du bilinguisme routier. Le tribunal administratif de Montpellier a invoqué des raisons de sécurité routière pour ordonner à un maire de retirer les panneaux bilingues de sa commune ; à la suite de quoi, le Sénat a voté une proposition de loi relative à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale. En juillet dernier, la cour administrative d’appel de Marseille a finalement invalidé le jugement du tribunal administratif. Nous avons là un exemple caractéristique, en ce sens que la loi n’a ni expressément autorisé ni expressément interdit cette pratique. Il s’agit donc d’une tolérance à laquelle on pourrait donner un statut législatif afin d’écarter toute incertitude juridique. Un autre exemple est celui de la pagination des sites web. Sur le site du conseil régional de Bretagne, il suffit de cliquer sur une icône pour accéder à des pages en breton. Là encore, il s’agit d’une tolérance. Commençons donc par constater les droits existants et les regrouper dans un texte afin d’assurer une sécurité juridique aux collectivités locales.

Le dernier point est plus complexe. Peut-on se contenter d’écrire dans la Constitution que la France peut engager le processus de ratification de la Charte, voire faire référence à sa déclaration interprétative ? Vous savez que la Charte interdit toute réserve. Néanmoins, il y a une différence entre réserve et déclaration interprétative. Une réserve est émise par l’État qui refuse expressément d’exécuter telle ou telle obligation d’un traité. La France a par exemple émis une réserve sur l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies de 1966, qui stipule que « dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue. »

La déclaration interprétative se distingue de la réserve. Certains États ont déjà assorti leur signature ou leur ratification de la Charte de déclarations interprétatives. C’est le cas du Danemark s’agissant de la question du Groenland, ou de l’Azerbaïdjan pour la partie de son territoire occupée par l’Arménie. La France a la possibilité de faire de même dans son instrument de ratification. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait pour la Charte européenne de l’autonomie locale, qu’elle a ratifiée en 2007, en indiquant que les établissements publics de coopération intercommunale ne sont pas des collectivités locales au sens de cette charte. C’est une interprétation qui est donnée de la Convention en cas de litige. La France avait également assorti la signature de la Charte des langues régionales ou minoritaires d’une déclaration interprétative afin, justement, que celle-ci puisse être acceptée par le Conseil constitutionnel. Mais dans sa décision de 1999, celui-ci a considéré que cette déclaration n’avait aucune force normative et constituait un simple « instrument en rapport avec le traité et concourant, en cas de litige, à son interprétation ». Le Conseil ne l’a donc pas intégrée à son contrôle, se bornant à celui de la seule Charte. Par conséquent, la difficulté reste entière : il n’existe aucune raison objective pour que le Conseil constitutionnel ne maintienne pas sa position de 1999, à savoir que la Charte n’est pas compatible avec la Constitution.

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. Nous sommes, je crois, tous d’accord. Quelle que soit la voie choisie, celle d’un nouvel article 53-3 ou celle d’un nouvel alinéa à l’article 75-1, le risque contentieux devant le Conseil constitutionnel demeure très élevé, y compris en passant par la révision constitutionnelle. Il le serait moins – me semble-t-il – si vous choisissiez de reprendre le texte de votre proposition de loi, et d’aller plus loin en mettant en œuvre un ensemble de stipulations prévues dans la partie III de la Charte. L’article 75-1 ayant changé un certain nombre de choses, ces dispositions législatives n’encourraient pas nécessairement la censure du Conseil constitutionnel. Celle-ci a en effet été provoquée par les dispositions du préambule de la Charte et celles de la partie II, notamment sur les droits des groupes. Peut-être le Conseil constitutionnel a-t-il fait une interprétation erronée de la Charte ou surévalué la portée de ses stipulations, mais sa décision s’impose. Ce n’est donc plus le débat et il est certain qu’une nouvelle tentative de reprendre le « paquet », si je puis dire, de la Charte se heurtera au même obstacle. Si je peux me permettre une boutade, je dirais qu’il serait aujourd’hui plus facile pour vous de réformer le Conseil constitutionnel que de réviser la Constitution sur ce point !

Je suis plus attaché au grain des choses qu’à la paille des mots, et donc à la réalité des actions concrètes en faveur des langues régionales davantage qu’au symbole consistant à ratifier la Charte. Si l’interprétation du Conseil constitutionnel est imparfaite, la Charte n’est pas non plus exempte de critiques. Que vaut-il mieux pour la société française d’aujourd’hui ? Progresser en faisant adopter des mesures concrètes, ou se heurter à ce symbole au prix d’une « bataille d’Hernani » ?

M. Jean-Marie Woehrling. Nous sommes face à une question très débattue : la position que pourrait adopter demain le Conseil constitutionnel sur les dispositions concernant les langues régionales. M. Verpeaux est plutôt optimiste. M. Mélin-Soucramanien est particulièrement pessimiste, puisqu’il estime que le Conseil constitutionnel s’opposerait même à une révision constitutionnelle – ce que je trouve un peu excessif : si un article de la Constitution dit que la République peut ratifier la Charte, je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait ignorer la volonté du constituant. Certes, on peut se poser la question du coût politique d’une telle révision constitutionnelle. Mais sur le plan juridique, je n’ai aucun doute : si cette disposition figure dans la Constitution, le Conseil constitutionnel la respectera. Peu importe par ailleurs l’article dans lequel elle serait placée.

Notre discussion a montré que nous sommes aujourd’hui dans une grande incertitude juridique – ce qui ne devrait pas être. Nous avons évoqué les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération et le livret de famille bilingue : ces questions ne devraient même pas se poser ! Lors de la discussion de la proposition de loi du Sénat, nous avons entendu des propos proprement hallucinants, témoignant de la complète incertitude des élus sur les dispositions qu’ils pourraient ou non adopter en faveur des langues régionales dans le cadre de la Constitution. Il est tout à fait anormal d’en arriver là. Sans doute faudrait-il commencer par faire un travail sur les mesures de promotion des langues régionales qui sont envisageables, puis se livrer à une analyse juridique afin de voir lesquelles posent problème au regard de la Constitution. Personnellement, je pense qu’elles sont peu nombreuses, sauf à adopter une attitude résolument hostile à l’égard des langues régionales. S’agissant du livret de famille bilingue, la réponse a déjà été donnée, en 1999, par le Conseil constitutionnel, qui a dit que les traductions étaient toujours possibles. Je ne comprends même pas qu’une discussion puisse perdurer sur le sujet. En réalité, c’est le contexte qui pollue la discussion : les choses les plus simples sont tout à coup mises en cause et considérées comme juridiquement impossibles. Je conçois que la ratification de la Charte puisse apparaître délicate sur le plan politique, mais elle aurait au moins l’avantage de résoudre le problème. Dès lors que le constituant reconnaît les principes de la Charte, cela signifie en effet qu’ils sont compatibles avec la Constitution.

Encore une fois, la Charte ne comporte aucune disposition vraiment problématique. Vous avez évoqué une phrase du préambule, mais celui-ci n’a pas de portée juridique en lui-même. J’ajoute qu’il faut comprendre la vie publique non pas comme la vie administrative, mais comme l’opposé de la vie privée. Surtout, il faut aller au bout de cette phrase, qui fait référence aux principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies et à l’esprit de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe. C’est sa seule portée.

Commençons donc par établir une liste des choses concrètes qui existent déjà. Le terme de codification n’est pas très heureux, dans la mesure où il n’existe justement rien dans notre législation, hormis peut-être une ou deux dispositions telles que l’article L.312-10 du code de l’éducation. On y trouve aussi quelques dispositions négatives qui viennent limiter l’usage des langues régionales, mais aucune disposition positive, si bien que chaque fois qu’une initiative est prise, on nous objecte que ce n’est pas prévu. La seule codification ne suffira dons pas : il faut introduire des dispositions positives, permissives, pour rompre cette interprétation négative qui limite l’application des mesures qui devraient déjà pouvoir être mises en œuvre en faveur des langues régionales minoritaires.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Pour conclure, je retiens de notre discussion plusieurs éléments qui ne sont pas, hélas, source de certitudes. La décision du Conseil constitutionnel s’impose : on a beau dire que le préambule de la Charte n’a pas de portée juridique en lui-même, le Conseil lui donne cette portée en le visant dans sa décision de 1999.

Une fois le principe de la ratification acquis, la difficulté réside moins dans la Charte elle-même que dans la déclaration interprétative que la France a annexée à sa signature à Budapest en 1999 – Pierre Moscovici était alors ministre des Affaires européennes. Cette signature n’a pu avoir lieu qu’au prix de la déclaration interprétative, comme en témoignent aussi bien le rapport de Bernard Poignant que l’interprétation du professeur Guy Carcassonne. Autrement dit, la France ne reprendra pas la Charte in extenso : elle ne retiendra que les parties qu’elle a signées. Mais si le Conseil ne reconnaît pas la valeur de la déclaration interprétative, nous en restons au même point.

L’idée d’une nouvelle saisine du Conseil me semble néanmoins devoir être suggérée à nos collègues du groupe d’études sur les langues régionales. Cette démarche collective ne me semble pas inutile : elle nous permettrait de mesurer la hauteur des obstacles et de calibrer les moyens à mettre en – qui est celle du Président de la République – le choix du titre VI de la Constitution, relatif aux traités et accords internationaux, pour inclure un nouvel article 53-3 est une voie qui n’avait pas encore été explorée. Je me réjouis que nous ayons pu la dégager et j’espère qu’elle pourra prospérer.

La question des droits nouveaux et de l’existant sonne comme une résonance de la proposition de loi que nous avions déposée sous la précédente législature. C’est une piste que nous pouvons rouvrir, en recourant, le cas échéant, à l’expertise – précieuse – du Conseil d’État, puisque l’Assemblée nationale peut désormais recourir à celle-ci sur des propositions de loi, sous réserve qu’elles soient inscrites à l’ordre du jour de la Commission.

Les sujets que nous avons abordés ne sont pas des détails, car ils suscitent des troubles. Je pense au livret de famille bilingue, à propos duquel j’avais posé une question écrite à la garde des Sceaux. Vous nous dites que le Conseil constitutionnel a donné son point de vue, monsieur Woehrling. Je vais le transmettre à la garde des Sceaux, qui se fonde sur des lois révolutionnaires pour me répondre que tout document officiel ne peut être écrit qu’en français. De mon point de vue, la traduction en breton n’enlevait rien à la validité du texte, puisque le français était maintenu – il ne s’agissait donc pas d’un remplacement. Mais la garde des Sceaux nous a explicitement répondu que ce n’était pas possible.

Nous avons de quoi travailler. Il faudra aller assez vite, car je ne suis pas sûr que les occasions de réviser la Constitution soient si nombreuses durant cette législature. Il nous faudra donc être prêts le moment venu. En 1999, l’alliance entre une droite anti-européenne et une gauche républicaine façon Fondation Marc-Bloch, pour faire court, avait abouti au contexte que l’on sait. Je ne suis pas certain que tout cela soit dissipé. Il nous faudra donc convaincre.

Je vous remercie tous d’avoir participé à cette table ronde.

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ÉLÉMENTS D’INFORMATION
SUR LES IMPLICATIONS CONSTITUTIONNELLES
D’UNE RATIFICATION DE LA CHARTE EUROPÉENNE DES LANGUES RÉGIONALES
OU MINORITAIRES

LES DISPOSITIONS DE LA CHARTE EUROPÉENNE
DES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1) a été élaborée à partir d’un texte proposé par la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe du Conseil de l’Europe (aujourd’hui devenu Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe). Elle a été adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 25 juin 1992 et ouverte à la signature le 5 novembre 1992. Elle est entrée en vigueur le 1er mars 1998.

À ce jour, la Charte a été ratifiée par vingt-cinq États (2). Huit autres l’ont seulement signée, dont la France, le 7 mai 1999.

1. L’objectif de la Charte

L’objectif de la Charte est double :

– d’une part, selon les termes de son préambule, assurer la « protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe », les langues étant envisagées comme un élément menacé du patrimoine culturel européen ;

– d’autre part, favoriser « le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique [, qui] constitue un droit imprescriptible ».

Ainsi que le souligne le site du Conseil de l’Europe (3), l’objectif de la Charte est d’assurer, « autant qu’il est raisonnablement possible, l’emploi des langues régionales ou minoritaires dans l’enseignement et dans les médias mais aussi de permettre et d’encourager leur usage dans le monde juridique et administratif, dans la vie économique et sociale ainsi que dans les activités culturelles.

« L’approche retenue par la Charte respecte les principes de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale. De ce fait, elle ne conçoit pas les relations entre les langues officielles et les langues régionales ou minoritaires en termes de concurrence ou d’antagonisme, le développement de ces dernières ne devant pas entraver la connaissance et la promotion des premières. Elle adopte volontairement une approche interculturelle et plurilingue dans laquelle chaque catégorie de langue a la place qui lui revient. Il s’agit, dans chaque État, de prendre en compte une réalité culturelle et sociale ».

La Charte comporte cinq parties, relatives respectivement aux thèmes suivants : des dispositions générales ; les objectifs et principes fondamentaux ; la déclinaison de mesures concrètes en faveur de l’emploi des langues régionales ou minoritaires ; les modalités de l’application de la Charte ; des dispositions finales.

2. Les engagements prévus par la Charte

a) Les dispositions générales (partie I de la Charte)

• Les définitions

La Charte n’établit pas une liste des langues européennes concernées mais définit l’expression de « langues régionales ou minoritaires » comme renvoyant aux langues pratiquées traditionnellement sur le territoire d’un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l’État, et différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État.

Il revient à chaque État partie à la Charte de définir, dans l’instrument de ratification, les langues auxquelles il entend appliquer les dispositions de celle-ci.

La Charte définit aussi le « territoire dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée » comme l’aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d’expression d’un nombre de personnes justifiant l’adoption des différentes mesures prévues par la Charte.

Enfin, elle qualifie de « langues dépourvues de territoires » celles qui, bien que traditionnellement pratiquées sur le territoire de l’État, ne peuvent être rattachées à une aire géographique particulière de celui-ci.

Cependant, la Charte ne vise pas les langues liées à des phénomènes de migration récents, non plus que les dialectes de la langue officielle.

• Les engagements et modalités

Chaque partie s’engage à appliquer un minimum de 35 paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions de la troisième partie de la Charte, qui énumère quatre-vingt-dix-huit engagements concrets possibles en faveur de l’emploi des langues régionales ou minoritaires. Certains de ces engagements étant considérés comme constituant un « noyau dur », la Charte fait obligation aux États d’en choisir au moins trois parmi ceux inscrits à l’article 8 (relatif à l’enseignement) et trois parmi ceux inscrits à l’article 12 (concernant la culture) ainsi qu’un dans chacun des articles 9 (sur la justice), 10 (relatif aux autorités administratives), 11 (concernant les médias) et 13 (sur la vie économique et sociale).

Ainsi que le souligne le site internet du Conseil de l’Europe, « les langues concernées par la Charte ont des caractéristiques démographiques très diverses et évoluent dans des contextes (sociaux, politiques, économiques) très différents. Par conséquent, le mécanisme d’engagement prévu par la Charte permet d’adapter l’étendue de la protection ainsi garantie à la situation particulière de chaque langue et de tenir compte des coûts entraînés par les dispositions appliquées ».

L’État précise les langues auxquelles il entend appliquer ces engagements.

Comme le relève le site, les parties sont « encouragées à accroître ultérieurement leurs engagements », au fur et à mesure de l’évolution de leur situation juridique ou financière.

b) Les objectifs et principes fondamentaux (partie II de la Charte)

Cette partie définit huit principes fondamentaux qui sont applicables à toutes les langues régionales ou minoritaires pratiquées sur le territoire de l’État. Il s’agit, en quelque sorte, d’un cadre « de base » indispensable à la sauvegarde des langues régionales ou minoritaires.

Les huit principes fondamentaux applicables
à toutes les langues régionales ou minoritaires aux termes de la Charte

–– La reconnaissance des langues régionales ou minoritaires en tant qu’expression de la richesse culturelle ;

–– le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire ;

–– la nécessité d’une action résolue de promotion ;

–– la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit dans la vie publique et dans la vie privée ;

–– la mise à disposition de formes et de moyens adéquats d’enseignement à tous les stades appropriés ;

–– la promotion des échanges transfrontaliers ;

–– la prohibition de toute forme de distinction, discrimination, exclusion, restriction ou préférence injustifiées portant sur la pratique d’une langue régionale ou minoritaire et ayant pour but de décourager ou de mettre en danger le maintien ou le développement de celle-ci ;

–– la promotion par les États de la compréhension mutuelle entre tous les groupes linguistiques du pays.

c) Les quatre-vingt-dix-huit engagements concrets (4) dans sept domaines de la vie publique (partie III de la Charte)

Cette partie définit sept domaines de la vie publique, qui correspondent chacun à un article de la Charte (articles 8 à 14), au sein desquels sont identifiés plusieurs engagements. Parmi ceux-ci, on relèvera notamment, en ce qui concerne :

• l’enseignement (article 8)

– prévoir une éducation préscolaire, un enseignement primaire, secondaire, technique et professionnel ou universitaire, dans les langues régionales ou minoritaires ;

– permettre que soient assurés des cours d’éducation des adultes ou d’éducation permanente dans ces langues ;

– assurer l’enseignement de l’histoire et de la culture, assurer la formation initiale et permanente des enseignants dans ces langues ; etc.

• la justice (article 9)

– favoriser l’emploi des langues régionales ou minoritaires dans les procédures pénales, civiles ou administratives ;

– ne pas refuser la validité d’actes juridiques établis dans l’État du seul fait qu’ils sont rédigés dans une langue régionale ;

– rendre accessibles dans les langues régionales ou minoritaires les textes législatifs nationaux les plus importants ; etc.

• les autorités administratives et les services publics (article 10)

– veiller à ce que les autorités administratives utilisent les langues régionales ou minoritaires ;

– mettre à disposition des formulaires ou textes administratifs dans les langues régionales ou minoritaires ;

– encourager l’emploi des langues régionales ou minoritaires dans le cadre de l’administration régionale ou locale ;

– favoriser la publication par les collectivités régionales ou minoritaires des textes officiels dont elles sont à l’origine dans les langues régionales ou minoritaires ;

– recruter et former des fonctionnaires à cet effet ; etc.

• les médias (article 11)

– assurer la création d’au moins une station de radio et une chaîne de télévision dans les langues régionales ou minoritaires ;

– faciliter la création ou le maintien d’au moins un organe de presse dans les langues régionales ou minoritaires ;

– couvrir les coûts supplémentaires des médias employant les langues régionales ou minoritaires lorsque la loi prévoit une assistance financière de manière générale ;

– soutenir la formation de journalistes pour les médias employant les langues régionales ou minoritaires ;

– garantir la liberté de réception directe des émissions de radio et de télévision des pays voisins dans une langue pratiquée sous une forme identique ou proche d’une langue régionale ; etc.

• les activités et équipements culturels (article 12)

– encourager les initiatives propres aux langues régionales ou minoritaires ;

– favoriser le développement des activités de traduction, de doublage, de post-synchronisation et de sous-titrage ;

– encourager la mise à la disposition des organismes chargés d’entreprendre ou de soutenir des activités culturelles d’un personnel maîtrisant la langue régionale ou minoritaire ; etc.

• la vie économique et sociale (article 13)

– exclure de la législation nationale toute disposition interdisant ou limitant le recours à des langues régionales ou minoritaires dans les documents relatifs à la vie économique et sociale, notamment les contrats de travail ou les modes d’emploi de produits ou d’équipements ;

– s’opposer aux pratiques tendant à décourager l’usage des langues régionales ou minoritaires ;

– définir dans les réglementations financières et bancaires des modalités permettant l’emploi des langues régionales ou minoritaires dans la rédaction d’ordres de paiement – chèques ou traites notamment – ou d’autres documents financiers ;

– veiller à ce que les équipements sociaux tels que les hôpitaux, les maisons de retraite, les foyers, offrent la possibilité de recevoir et soigner dans leur langue les locuteurs d’une langue régionale nécessitant des soins ; etc.

• les échanges transfrontaliers (article 14)

– appliquer les accords existants qui lient l’État partie aux États où la même langue est appliquée de manière identique dans les différents pays ou bien s’efforcer de conclure de tels accords ;

– faciliter la coopération à travers les frontières, notamment entre collectivités régionales ou locales sur le territoire desquelles la même langue est pratiquée ; etc.

Cet aperçu – qui ne saurait avoir valeur exhaustive – des différents engagements envisageables montre que ces engagements sont de diverses natures, parfois assez, voire très contraignants, parfois beaucoup plus « flous » ; à titre d’exemple, comme l’ont relevé certains juristes, au sujet de l’article 9 consacré à la justice, il y a un degré d’exigence bien distinct s’agissant, d’une part, de l’engagement à rendre accessibles dans les langues régionales ou minoritaires les textes législatifs les plus importants – relativement aisé à appliquer – et, d’autre part, du fait de mener les procédures juridictionnelles dans ces mêmes langues – politique plus complexe et lourde à mettre en œuvre (5).

3. Le dispositif de suivi de la Charte

La Charte prévoit, dans sa quatrième partie, un dispositif de suivi et de contrôle destiné à évaluer son application.

L’élément central de ce dispositif est un comité d’experts indépendants (établi conformément à l’article 17 de la Charte). Le comité est composé d’un membre pour chaque partie, désigné par le comité des ministres sur une liste de personnes « de la plus haute intégrité ». Les membres sont nommés pour une période de six ans, leur mandat étant renouvelable.

Le suivi de la Charte est organisé sur des cycles de trois ans, qui comprennent les étapes suivantes, au service d’un « dialogue constructif » (6) :

– chaque État doit présenter au secrétaire général du Conseil de l’Europe des rapports triennaux exposant la politique suivie et les mesures prises en exécution des engagements auxquels il a souscrit ; ces rapports sont rendus publics ;

– le comité d’experts examine le rapport périodique de l’État et, le cas échéant, adresse des questions à l’État. Il organise une visite sur le terrain et examine toute information provenant des organismes et associations légalement établis dans l’État et concernés par la question des langues ; sur la base de ces informations, il élabore son propre rapport, comportant des propositions de recommandations à adresser aux États et qu’il remet au comité des ministres du Conseil de l’Europe – ce rapport est, dans les faits, un document extrêmement détaillé qui examine minutieusement la mise en œuvre de chacun des engagements de l’État ;

– le comité des ministres peut décider de rendre public le rapport du comité d’experts (c’est le cas le plus souvent en pratique) ; il peut aussi adresser des recommandations aux États ; enfin, après la publication d’un rapport d’évaluation, le Conseil de l’Europe peut décider d’organiser une table ronde sur la mise en œuvre de la Charte dans l’État partie concerné. Par exemple, en 2009, une table ronde s’est ainsi tenue à l’Assemblée de la Province autonome de Voïvodine à Novi Sad (Serbie) ;

– tous les deux ans, le secrétaire général du Conseil de l’Europe présente à l’Assemblée parlementaire un rapport détaillé sur l’application de la Charte. Comme le souligne le site du Conseil de l’Europe, cela « permet de s’assurer que les parlementaires européens sont informés de la mise en œuvre de la Charte. Ils peuvent ainsi exercer la pression politique qui pourrait être nécessaire pour encourager la prise de mesures adéquates au niveau national ».

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LA FRANCE FACE À LA CHARTE EUROPÉENNE
DES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES

La signature par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, le 7 mai 1999, a été l’aboutissement d’un long processus d’évaluation de ses implications et de réflexion sur sa conformité à notre Constitution. Il en est résulté une position prudente des autorités françaises au moment de la signature de la Charte, qui s’est traduite par le dépôt d’une déclaration dans laquelle le gouvernement a précisé la portée que la France donnerait à ses engagements au moment de la ratification. Une fois la Charte signée, un débat s’est ouvert sur la constitutionnalité des engagements souscrits par la France.

1. Avant la signature de la Charte : le temps des déclarations et des expertises

Adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 25 juin 1992 et ouverte à la signature le 5 novembre de la même année, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a conduit les pouvoirs publics à prendre position sur le sujet de sa signature et de sa ratification d’une double manière : d’une part, par diverses déclarations ; d’autre part, en requérant des expertises de nature juridique ou administrative sur la question des incidences de la Charte sur les politiques linguistiques nationales ainsi que sur celle de sa compatibilité avec la Constitution.

a) Plusieurs déclarations en faveur des langues régionales

À seul titre d’illustration, on peut rappeler les déclarations suivantes (7) :

– bien avant l’établissement de la Charte, M. François Mitterrand, le 14 mars 1981 à Lorient – il était alors candidat à la présidence de la République –, estimait que « le temps est venu d’un statut des langues et cultures de France qui leur reconnaisse une existence réelle. Le temps est venu de leur ouvrir grandes les portes de l’école, de la radio et de la télévision permettant leur diffusion, de leur accorder toute la place qu’elles méritent dans la vie publique ».

Il souhaitait en outre que la France cesse d’être « le dernier pays d’Europe à refuser à ses composantes les droits culturels élémentaires, reconnus dans les conventions internationales qu’elle a elle-même signées » ;

– M. Jacques Chirac, le 29 mai 1996 à Quimper, lors de son premier voyage officiel en Bretagne comme Président de la République, laissait entendre qu’il ne serait pas opposé à la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (8) ;

– M. Lionel Jospin, Premier ministre, dans un discours au Conseil de l’Europe en octobre 1997, avait évoqué « la troisième dimension à laquelle aucun européen ne saurait rester insensible : la dimension linguistique et culturelle. (…) Plus que jamais, en cette fin du XXe siècle qui voit se développer la mondialisation des échanges et la globalisation de l’économie, l’Europe a besoin d’affirmer son identité qui est faite de la diversité de son patrimoine linguistique et culturel ».

b) L’avis du Conseil d’État du 24 septembre 1996

Compte tenu de l’insertion dans l’article 2 de la Constitution de la mention selon laquelle « la langue de la République est le Français », à l’occasion de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du Traité sur l’Union européenne (9), le Premier ministre, M. Alain Juppé, a sollicité l’avis du Conseil d’État dès 1996 afin de déterminer si la France pouvait signer puis ratifier la Charte.

Celui-ci, aux termes d’un avis rendu dans sa séance du 24 septembre 1996, a conclu à l’impossibilité de ratifier, sur le fondement de l’analyse suivante, que l’on peut ainsi résumer (voir un extrait en annexe 4) :

– les dispositions de l’article 8 de la Charte, relatif à l’éducation, ne sauraient être regardées comme portant atteinte à aucun principe de nature constitutionnelle. Il en va de même de la plupart des dispositions des articles 11 sur les médias et 12 sur la vie culturelle ;

– en revanche, les obligations prévues aux articles 9 et 10 impliquent un véritable droit à l’utilisation des langues régionales ou minoritaires dans les rapports avec la justice et les autorités administratives. Par exemple, les prescriptions de l’article 9 rendant possible l’usage d’une langue autre que le français devant les tribunaux pénaux, civils et administratifs ne pourraient être appliquées sans que soient méconnues les obligations résultant de l’article 2 de la Constitution. Or la Charte contraint les États à retenir un nombre minimum d’obligations dans les articles 9 et 10 (10) ; c’est à ce titre que le cadre constitutionnel français s’oppose à la ratification.

On observe que peu de temps avant, par un avis du 6 juillet 1995, le Conseil d’État avait conclu de manière similaire sur la question de savoir si la ratification de la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales nécessitait une modification constitutionnelle. Il avait notamment considéré que soulevaient des difficultés la question de la reconnaissance de minorités nationales, la consécration d’un droit d’utilisation des langues minoritaires dans les relations avec les autorités administratives ou encore le sujet de la participation effective des personnes appartenant aux minorités nationales aux affaires publiques. Il avait rappelé les exigences de l’article 3 de la Constitution, qui s’oppose à l’exercice de la souveraineté par une section du peuple français.

c) Plusieurs expertises de diverses natures

La question de l’impact de la Charte sur le droit français a, dans les années suivantes, fait l’objet de plusieurs rapports :

–– le 1er juillet 1998, M. Bernard Poignant, maire de Quimper, a remis au Premier ministre un rapport sur les langues et cultures régionales.

Ce rapport faisait suite à la présentation de la situation des langues régionales en France par Mme Nicole Péry dans un rapport d’étape en février 1997 – Mme Péry ayant été entre-temps nommée secrétaire d’État à la formation professionnelle.

Il effectuait un inventaire des langues régionales, établissait une analyse de la diversité linguistique française et des évolutions législatives et réglementaires en cette matière, dressait un tableau de la situation prévalant dans l’enseignement, le milieu culturel et les médias et concluait par plusieurs propositions, qui portaient notamment sur la question de la ratification de la Charte.

À cet égard, M. Poignant proposait, compte tenu, en particulier, de l’avis précité du Conseil d’État, une démarche en trois temps : expertiser les engagements de la Charte susceptibles d’être conformes à la Constitution ; signer ensuite la Charte ; enfin, ratifier la Charte, le cas échéant, après un « ajustement » constitutionnel :

« Soit pour modifier l’article 2 et ajouter une phrase de reconnaissance des langues régionales ou historiques de France.

« Soit pour modifier l’article 34 qui précise le domaine de la loi et notamment ses principes fondamentaux. À ceux déjà écrits pourrait s’ajouter celui " de la conservation des langues historiques du peuple de France, comme formant avec le français le patrimoine linguistique de la nation ".

« Soit pour modifier le préambule de la Constitution de 1946 reconduit en 1958 et reconnu par le Conseil Constitutionnel comme ayant valeur constitutionnelle. Le préambule proclame l’égal accès à la culture. Une disposition pourrait être insérée : " la Nation reconnaît les langues historiques du peuple de France, comme formant avec le français son patrimoine linguistique " ».

M. Poignant proposait que le Gouvernement puisse aussi agir en déposant un projet de loi « ordinaire » fondé sur les orientations retenues par la Charte en matière d’enseignement, de culture et de médias ;

–– en septembre 1998, M. Guy Carcassonne, professeur de droit public, a remis au Premier ministre une étude sur la compatibilité entre la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Constitution.

Il en résultait que la Charte n’était pas, en elle-même, incompatible avec la Constitution, étant entendu, d’une part, que l’objet de la Charte était de protéger des langues et non nécessairement de conférer des droits imprescriptibles à leurs locuteurs et, d’autre part, que ces langues appartenaient au patrimoine culturel de la France.

M. Guy Carcassonne identifiait jusqu’à cinquante-deux engagements, parmi les quatre-vingt-dix-huit prévus par la Charte, dont la compatibilité avec la Constitution ne lui paraissait pas soulever de difficultés.

Quelques mois plus tard, il confirmait que la compatibilité de la Charte avec notre loi fondamentale dépendait des engagements que le Gouvernement souscrirait (11).

–– en avril 1999, M. Bernard Cerquiglini, directeur de l’Institut national de la langue française au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a remis au ministre de l’Éducation nationale, de la recherche et de la technologie ainsi qu’à la ministre de la Culture et de la communication un rapport sur les langues de France. Après une analyse détaillée des principes et notions de la Charte, il a établi une « liste des langues pratiquées sur le territoire national, et distinctes de la langue officielle ». Cette liste comprenait 75 langues (voir l’annexe 5).

Il concluait par quelques propositions, dont la recommandation suivante, liée au constat de la faible connaissance des langues parlées par les citoyens français : il suggérait que « la France se donne l’intention et les moyens d’une description scientifique de ses langues, aboutissant à une publication de synthèse. La dernière grande enquête sur le patrimoine linguistique de la République, menée il est vrai dans un esprit assez différent, est celle de l’abbé Grégoire (1790-1792) ».

2. La signature de la Charte  par la France : le temps de l’interprétation

La France a signé la Charte le 7 mai 1999 et a remis à cette occasion au secrétaire général du Conseil de l’Europe une déclaration précisant ses intentions, dans la perspective d’une éventuelle ratification.

D’une part, la France a annoncé qu’elle envisageait de formuler dans son instrument de ratification de la Charte les interprétations suivantes :

– la Charte serait considérée comme compatible avec le préambule de la Constitution, qui assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que le peuple français, sans qu’elle soit interprétée comme conférant des droits collectifs aux locuteurs des langues régionales ou minoritaires ;

– la Charte serait interprétée de sorte qu’elle n’aille pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution selon lequel l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics ;

– serait préservé le caractère facultatif de l’enseignement et de l’étude des langues régionales ou minoritaires, ainsi que de l’histoire et de la culture dont elles sont l’expression ; l’enseignement des langues régionales ou minoritaires ne doit pas avoir pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire aux droits et obligations applicables à l’ensemble des usagers des établissements d’enseignement ;

– la Charte ne doit pas être comprise comme s’opposant à ce que seule la version officielle en langue française des textes législatifs qui sont rendus accessibles dans les langues régionales ou minoritaires puisse être utilisée par les personnes morales de droit public ainsi que par les usagers dans leurs relations avec les administrations.

D’autre part, la France a déclaré qu’elle indiquerait dans son instrument de ratification de la Charte les langues régionales auxquelles les engagements pris s’appliqueraient.

Enfin, la France avait alors désigné les engagements qu’elle envisageait de prendre au sein de ceux figurant dans la Charte : étaient concernés les différents domaines couverts par celle-ci, à savoir l’enseignement (article 8), la justice (article 9), les autorités administratives et services publics (article 10), les médias (article 11), les activités et équipements culturels (article 12), la vie économique et sociale (article 13) ainsi que les échanges frontaliers (article 14). Ces engagements sont énumérés en annexe 2.

3. Après la signature de la Charte : d’abord le temps des interrogations sur sa conformité à la Constitution, puis celui de l’examen de voies alternatives à la ratification pour promouvoir les langues régionales

a) La décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 et les réactions qu’elle a suscitées

Quelques jours après la signature de la Charte par la France, le Président de la République a saisi le Conseil, en application de l’article 54 de la Constitution, du point de savoir si une modification de la Constitution constituait un préalable nécessaire à une ratification – question à laquelle le Conseil constitutionnel a répondu, comme le Conseil d’État trois années plus tôt, par l’affirmative, dans une décision du 15 juin 1999 (n° 99-412DC), dont on trouvera l’analyse un peu plus loin.

Cette décision a suscité de très nombreux débats et réactions de tous ordres (12), qui ont montré la sensibilité du sujet, non seulement chez les juristes, mais aussi de manière générale dans l’opinion publique, face à ce qui est apparu comme une décision sans appel – d’autant plus que le 23 juin 1999, alors que le Premier ministre, M. Lionel Jospin, proposait au Président de la République, M. Jacques Chirac, de modifier la Constitution en vue de la ratification de la Charte, celui-ci fit savoir qu’il ne souhaitait pas « prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle qui porterait atteinte aux principes fondamentaux de la République », invoquant dans un communiqué le risque d’une remise en cause de l’« unité de la Nation » (13).

D’une certaine façon, il est possible de dire que le « ni ratification-ni modification constitutionnelle » est apparu – à tort ou à raison, et au moins dans un premier temps – comme une forme de fin de non-recevoir de portée générale opposée aux défenseurs des langues régionales.

Des initiatives parlementaires ont alors vu le jour pour tenter de surmonter l’obstacle constitutionnel qui venait de se dresser sur la voie de la ratification. Plusieurs propositions de loi constitutionnelle ont ainsi été déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale, ayant pour objet, soit d’inscrire directement dans la Constitution le principe d’une adhésion de la France à la Charte européenne (propositions de loi n° 1741 de M. Alain Madelin – juin 1999 – ou n° 2517 de M. Daniel Mach – septembre 2005), soit de modifier l’article 2 de la Constitution pour y faire figurer la reconnaissance des langues régionales (proposition de loi n° 657 de M. Victorin Lurel et les membres du groupe SRC – janvier 2008).

b) La recherche d’autres voies pour promouvoir les langues régionales

Dès lors, plusieurs voies alternatives (parfois aussi pensées comme complémentaires) à la ratification de la Charte ont été envisagées dans le but d’assurer la promotion des langues régionales ou minoritaires :

–– le Président de la République a lui-même proposé, en juillet 1999, la préparation d’une « loi-programme pour le développement des langues régionales », dans les domaines de l’enseignement, des médias, de la culture et de la vie économique – domaines couverts par la Charte ; cette loi-programme n’a toutefois jamais vu le jour en tant que telle ;

–– au cours de la séance publique du 7 mai 2008 à l’Assemblée nationale, à l’occasion d’une déclaration du Gouvernement sur les langues régionales, la ministre de la Culture et de la communication, Mme Christine Albanel, après avoir confirmé le refus de la France de ratifier la Charte, comme M. Nicolas Sarkozy l’avait annoncé au cours de la campagne présidentielle de 2007, a suggéré, dans un souci de promotion des langues régionales, d’établir un « cadre de référence », avec la préparation d’un projet de loi qui pourrait reprendre les dispositions législatives ou les pratiques existantes dans le domaine des médias, de l’enseignement, de la signalisation ou encore de la toponymie ; un tel projet de loi n’a finalement pas été déposé au Parlement ;

–– l’insertion, à la faveur de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, d’un nouvel article 75-1 dans la Constitution, aux termes duquel « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », a permis d’inscrire pour la première fois, dans le texte même de notre loi fondamentale, la reconnaissance de l’existence des langues régionales. Cette initiative n’a toutefois pas profondément modifié les termes du débat : saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a considéré le 20 mai 2011 que l’article 75-1 ne constituait pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit (14). Cette décision, dans la lignée de celle de 1999, semble confirmer le caractère plus déclaratif que normatif de l’article ;

–– des propositions de loi ont été déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale en vue de donner aux langues régionales un statut protecteur offrant un cadre juridique sécurisé aux initiatives tendant à leur promotion aussi bien dans l’enseignement, les médias ou la vie publique que du point de vue de l’onomastique ou la toponymie (par exemple, proposition de loi n° 3008 relative au développement des langues et cultures régionales, présentée en décembre 2008 par M. Armand Jung et plusieurs de ses collègues ; proposition de loi n °3055 pour la défense et la promotion des langues régionales, présentée en décembre 2010 par M. Marc Le Fur et certains de ses collègues).

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LA POSITION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LA CHARTE EUROPÉENNE DANS LES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES

Par une décision n° 99-412 DC rendue le 15 juin 1999 (15), le Conseil constitutionnel a jugé que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée par la France le 7 mai 1999 à Budapest, comportait des clauses contraires à la Constitution et que, par conséquent, sa ratification impliquait une révision constitutionnelle préalable. Ce faisant, le Conseil répondait à la question dont le Président de la République l’avait saisi, le 20 mai 1999, en application de l’article 54 de la Constitution, et qui demeure aujourd’hui d’actualité : compte tenu des engagements que la France a choisis de souscrire lors de la signature de la Charte, la ratification de celle-ci doit-elle être précédée d’une révision constitutionnelle ?

Cette décision s’inscrit dans la continuité des principes que la jurisprudence du Conseil constitutionnel avait déjà dégagés précédemment sur l’usage des langues régionales en France. Elle rappelle d’abord les « normes de référence » à valeur constitutionnelle à la lumière desquelles la conformité de la Charte doit être vérifiée, avant de statuer sur le contenu même du texte européen.

1. Les « normes de référence » à la lumière desquelles la conformité de la Charte a été appréciée par le Conseil constitutionnel

Ce n’est qu’en 1992 que le principe selon lequel le français est la langue de la République a été inscrit dans la Constitution à l’article 2, alinéa 1 (loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992). La question des langues régionales n’avait pas, jusque-là, suscité un important débat constitutionnel. On relèvera la décision du 9 mai 1991 (n° 91-290 DC) sur la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, dans laquelle le Conseil constitutionnel a admis l’enseignement de la langue corse sous certaines conditions.

Depuis la réforme de 1992, le Conseil a rendu plusieurs décisions sur les langues régionales mais dans lesquelles il ne se réfère pas seulement à l’article 2 de la Constitution : il fait aussi appel aux principes à valeur constitutionnelle d’unicité du peuple français, d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi, mais également à l’article XI de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui garantit notamment la liberté d’expression et de communication.

C’est sur ces mêmes principes que le Conseil s’est appuyé dans sa décision de 1999 pour considérer que plusieurs dispositions de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires n’étaient pas conformes à la Constitution.

a) Unicité du peuple français, indivisibilité de la République et égalité devant la loi

Pour le Conseil constitutionnel, les principes d’unicité du peuple français, d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi « s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ».

Les principes d’indivisibilité de la République et d’égalité devant la loi sont très clairement énoncés par l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction, de race ou de religion ».

Quant à celui d’unicité du peuple français, le Conseil lui reconnaît « également une valeur constitutionnelle », comme il l’avait déjà fait en 1991 dans sa décision précitée du 9 mai sur le statut de la Corse pour déclarer non conforme à la Constitution la notion de « peuple corse » : « le concept juridique de « peuple français » a valeur constitutionnelle » car il procède non seulement du Préambule de la Constitution de 1958, mais aussi de celui de la Constitution de 1946, de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et la référence au peuple français « figure (…) depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels ». On notera d’ailleurs que l’article 3 de la Constitution interdit à quelque section du peuple que ce soit d’exercer la souveraineté nationale.

b) Liberté de communication et d’expression

Dans sa décision de 1999, le Conseil s’est également référé à l’article XI de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, aux termes duquel « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Déjà dans sa décision de 1994 sur la loi relative à l’emploi de la langue française (n° 94-345 DC du 29 juillet 1994), il avait jugé que cet article garantissait une liberté « fondamentale d’autant plus précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés » et qu’il appartenait au législateur d’en concilier l’exercice avec l’article 2 de la Constitution faisant du français la langue de la République. C’est pourquoi il avait censuré plusieurs dispositions de la loi qui imposaient notamment l’emploi du français et d’une terminologie officielle aux organismes et services de radio-diffusion sonores et télévisuelles, publics et privés.

Dans sa décision de 1999, le juge constitutionnel a réaffirmé que la liberté garantie par l’article XI devait « être conciliée avec le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution ».

c) Le français langue de la République

Depuis l’insertion, au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution, de dispositions faisant du français la langue de la République (loi constitutionnelle du 25 juin 1992 précitée), le Conseil constitutionnel en avait fait plusieurs fois application et ainsi dessiné la portée qu’il entendait lui donner, avant de s’y référer une nouvelle fois lors de l’examen de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.

Ainsi, dans sa décision précitée de 1994 sur l’emploi de la langue française, il avait considéré que l’obligation d’employer le français prévue par l’article 2, alinéa 1, s’appliquait aux « personnes morales de droit public et aux personnes morales de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ». Il avait ajouté, dans sa décision du 9 avril 1996 (n° 96- 373 DC) sur la loi portant statut d’autonomie de la Polynésie française, que cette obligation visait également les « usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics ». On doit donc comprendre que l’utilisation du français ne s’impose pas dans la « vie privée », par opposition à la « vie publique », laquelle est seule visée par le juge constitutionnel.

C’est dans une rédaction très similaire que la décision de 1999 reprend la jurisprudence de 1994 et 1996. Elle reprend également le tempérament que le Conseil avait apporté à l’application de l’article 2 de la Constitution dans sa décision de 1996 : cette application « ne doit pas conduire à méconnaître l’importance que revêt, en matière d’enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d’expression et de communication ». Dans sa décision de 1996, le juge constitutionnel avait estimé que l’article 2 n’interdisait pas l’enseignement de la langue tahitienne dans les établissements scolaires, dès lors qu’il ne revêt pas de « caractère obligatoire » et qu’il n’a pas « pour objet de soustraire les élèves scolarisés aux droits et obligations des usagers des établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci ».

Enfin, le Conseil confirme, dans sa décision de 1999, l’interprétation qu’il avait donnée en 1994 de l’article 2, alinéa 1, comme n’interdisant pas « l’utilisation de traductions ».

2. Les conclusions du Conseil constitutionnel

Dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a jugé que certaines des clauses de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n’étaient pas conformes à la Constitution, en l’occurrence celles du Préambule et de la partie II. En revanche, les engagements pris par la France dans le cadre de la partie III ne lui ont pas paru soulever d’objections d’ordre constitutionnel.

a) Les clauses de la Charte non conformes à la Constitution

Le préambule de la Charte dans son premier alinéa, l’article premier dans ses paragraphes a) et b), et l’article 7 §1-b et §4, ont pour objet, selon le Conseil constitutionnel, de reconnaître des « droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées », dispositions qui se heurtent aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

En prévoyant que les États devront faciliter ou encourager l’usage des langues régionales « dans la vie publique », l’article 7-1-d) est, pour le Conseil, contraire à l’article 2 de la Constitution : la Charte rattachant la justice, les autorités administratives et les services publics à la « vie publique », ces dispositions ne sont pas conformes à l’interprétation que sa jurisprudence a donnée de l’article 2, alinéa 1.

b) La conformité à la Constitution des autres engagements de la France

Excepté, donc, les engagements mentionnés au paragraphe précédent, tous les autres souscrits par la France ont été jugés conformes à la Constitution, « eu égard à leur nature » et dont la plupart, souligne le Conseil, « se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en œuvre par la France en faveur des langues régionales ».

Si l’on reprend, avec M. Jean-Eric Schoettl (16), les différents engagements pris par le Gouvernement français, il apparaît en effet que :

– ceux pris en matière d’enseignement (article 8 de la Charte) et qui auraient pu susciter des interrogations conduiront les autorités françaises à arrêter des mesures sans caractère obligatoire, ce qui est conforme à la jurisprudence du Conseil résultant de la décision de 1991 ou de celle de 1996, à propos de l’enseignement des langues corse ou tahitienne à l’école ;

– l’engagement souscrit au titre de l’article 9 relatif à la justice – rendre les textes législatifs nationaux accessibles dans les langues régionales – implique des traductions, lesquelles ont été admises par le Conseil (décision de 1994 sur l’emploi de la langue française) ;

– les engagements choisis parmi ceux de l’article 10 (autorités administratives et services publics), pour que les textes officiels des collectivités territoriales puissent être publiés en français et dans une langue régionale et que le français et une langue régionale puissent être utilisés par les autorités locales dans la toponymie, n’appellent pas de réserves dès lors que, là aussi, il s’agira de permettre des traductions ;

– parmi les engagements pris dans le domaine des médias (article 11), soit ils sont d’ores et déjà mis en œuvre, soit ils complètent des dispositifs juridiques déjà existants ;

– au titre des activités et équipements culturels (article 12), les engagements retenus ne revêtent pas de caractère obligatoire et sont d’ailleurs, pour certains, déjà pratiqués ;

– les engagements retenus dans l’article 13 (vie économique et sociale), soit concernent des activités qui ne relèvent pas de la « vie publique », soit n’ont pas de caractère contraignant ;

– quant aux engagements inscrits à l’article 14 sur les échanges frontaliers, ils sont déjà mis en œuvre aujourd’hui.

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* *

ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE

La situation de huit pays (17) vis-à-vis de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est ici étudiée, d’un triple point de vue : le cadre constitutionnel applicable ; la politique linguistique de l’État ; la ratification ou l’absence de ratification de la Charte. On soulignera que cette étude ne saurait avoir valeur exhaustive : elle a avant tout vocation illustrative.

Les pays choisis sont : l’Allemagne, la Belgique, la Croatie, l’Espagne, l’Italie, la Roumanie, le Royaume-Uni et la Suisse. Leur étude comparative conduit à distinguer trois groupes :

1. Les pays ayant ratifié la Charte, dont le cadre constitutionnel est tel que la question de sa compatibilité avec celle-ci n’a pas semblé soulever de difficultés majeures, voire ne s’est pas véritablement posée : que ce cadre soit particulièrement souple, voire ambivalent, s’agissant de la place respective d’une langue « officielle » et de langues régionales ou minoritaires (Espagne, Allemagne), ou qu’il soit quasiment inexistant (Royaume-Uni).

2. Les pays ayant ratifié la Charte, pour lesquels la question du cadre constitutionnel s’est posée d’une manière ou d’une autre, sans qu’elle ait été in fine analysée comme un obstacle à la ratification : que cette question ait été pour ainsi dire concomitante au processus de ratification mais sans lien manifeste avec lui (Suisse), qu’une révision constitutionnelle ait été conçue comme un facilitateur mais non comme répondant à une contrainte juridique réelle (Roumanie) ou bien qu’une telle révision soit apparue comme un effet, même indirect, de la ratification (Croatie).

3. Les pays n’ayant pas ratifié la Charte, sans que l’obstacle à la ratification soit identifié à titre principal comme juridique, quelle que soit la raison identifiée : en particulier, que celle-ci soit sociale, voire sociétale (Italie) ou plus directement politique (Belgique).

Une conclusion semble dès lors se dégager de l’examen de ces différentes comparaisons internationales : la singularité de la situation de la France, compte tenu à la fois des exigences juridiques qui ont été à plusieurs reprises rappelées par le Conseil constitutionnel, de son cadre constitutionnel qui reste particulièrement restrictif concernant la place des langues régionales ainsi que de la prégnance du modèle de l’État unitaire.

L’Allemagne

1. Le cadre constitutionnel

La loi fondamentale allemande de 1949, qui tient lieu de Constitution, ne consacre pas de langue « officielle ».

Plus encore, le droit des personnes appartenant à des minorités nationales d’utiliser leur langue dans la vie quotidienne est protégé par l’article 2 de la Loi fondamentale, qui garantit à chacun le droit au libre épanouissement de sa personnalité : il n’existe donc en Allemagne aucune restriction à l’utilisation d’une langue minoritaire dans la vie privée ou en public. De plus, l’article 3 de la loi fondamentale prévoit expressément que nul ne peut être discriminé en raison de sa langue.

Au surplus, la déclaration du gouvernement de la République fédérale d’Allemagne sur les droits de la minorité danoise de 1955, fondée sur un traité bilatéral entre le Danemark et la République fédérale d’Allemagne, vise à protéger la minorité danoise du Land de Schleswig-Holstein – traité toujours en vigueur aujourd’hui. Le texte compte deux articles et énumère une série de huit droits. Ainsi, en application de l’article 2 de cette déclaration, l’appartenance à la communauté et à la culture danoises peut être librement professée et ne doit pas faire l’objet de contestation ou de contrôle administratif.

On peut citer enfin le traité d’union de 1990 : ce troisième texte juridique fédéral porte sur les droits acquis (en 1948) de la communauté sorabe, alors qu’elle faisait partie de l’ex-Allemagne de l’Est. Les Sorabes sont présents en Basse-Lusace dans le Brandebourg (20 000 locuteurs) et en Haute-Lusace dans la Saxe (40 000 locuteurs). Lors de la conclusion du Traité d’unification (Einigungsvertrag) des deux Allemagne en 1990, le gouvernement fédéral a reconnu ces droits acquis de la minorité sorabe.

2. La politique linguistique

Bien que l’allemand n’ait jamais été consacré comme langue « officielle », certains textes plus récents font aujourd’hui mention de ce qualificatif.  Ainsi, l’article 23 de la loi sur la procédure administrative du 25 mai 1976 (modifiée en janvier 2003 et en août 2009) dispose que « la langue officielle est l’allemand ».

L’exemple de l’éducation, domaine qui relève de la juridiction des Länder, est révélateur de certaines pratiques : si en principe l’État fédéral ne peut intervenir dans ce secteur, dans les faits, la langue allemande est enseignée dans toutes les écoles publiques de tous les Länder.

Au total, plus de 90 % de la population parle l’allemand.

Mais dans le même temps, chaque Land possède sa propre langue, ces langues ne dérivant pas nécessairement, comme c’est aussi le cas en Espagne, de la langue officielle : par exemple, le bavarois, qui remonte au IVe siècle, s’est développé en cohabitant avec le latin comme langue écrite à partir du VIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui. On peut citer aussi le hessisch ou frankish en Hesse, le niederhessisch dans la région de Kassel, l’osthessisch à Fulda, le sudhessisch à Darmstadt, etc.

3. Le processus de ratification de la Charte

L’Allemagne a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires le 5 novembre 1992 et l’a ratifiée le 16 septembre 1998. La Charte y est entrée en vigueur le 1er janvier 1999.

Au moment de la ratification, l’Allemagne a déclaré que les langues régionales ou minoritaires protégées au titre de la Charte étaient le danois, le haut sorabe, le bas sorabe, le frison septentrional, le frison du Saterland (ou frison saterois), le bas allemand et le romani.

La question de la révision de la loi fondamentale n’a pas été particulièrement soulevée, le cadre juridique assez souple, tel qu’il a été rappelé plus haut, permettant la mise en œuvre d’une politique linguistique favorable aux minorités.

Dans son troisième rapport périodique au secrétaire général du Conseil de l’Europe (18), en date du 27 février 2007, l’Allemagne avait notamment insisté sur le fait qu’« en dépit du budget serré au niveau fédéral, étatique et local, des efforts considérables [étaient] déployés pour maintenir le statu quo en matière de financement public des langues protégées au titre de la Charte ».

De fait, dès le début des années 2000, on a pu constater combien « en Allemagne, le texte [avait pu] servi[r] de support à une nouvelle politique des langues pour les Länder (États fédérés), qui ont compétence en matière d’éducation.

« En le ratifiant, le Land de Basse-Saxe, au nord de l’Allemagne, s’est engagé à préserver et à développer le frison du Saterland, langue parlée dans trois villages et par 2 000 locuteurs. Depuis, les vœux de mariage peuvent être échangés dans cette langue et cinq jardins d’enfants où on la parle ont été mis en place » (19).

Dans sa recommandation du 25 mai 2011 établie à la suite d’un rapport périodique de l’Allemagne sur le suivi de la Charte ainsi que du rapport d’évaluation du comité d’experts correspondant, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a demandé aux autorités allemandes, notamment, qu’elles :

« 2. veillent à ce que la réduction des subventions accordées aux écoles privées et la réduction des indemnités de transport ne mettent pas en danger la pérennité de l’enseignement danois tel qu’il existe actuellement ;

3. adoptent et mettent en œuvre une politique structurée pour promouvoir et préserver le frison septentrional, le frison saterois et le bas sorabe, y compris, en particulier, par des mesures d’urgence garantissant que l’éducation primaire et secondaire dans ces langues soit systématiquement disponible ; (…)

5. relèvent le statut de l’enseignement du bas allemand pour que cette langue soit enseignée comme une matière ordinaire faisant partie intégrante du curriculum et augmentent le nombre d’heures consacrées au bas allemand dans les Länder concernés ; (…)

7. mènent une action résolue pour mettre en place une politique structurée visant à ce qu’il soit possible, dans la pratique, d’utiliser les langues régionales ou minoritaires dans les rapports avec les administrations et, le cas échéant, devant les tribunaux ;

8. prennent des mesures pour assurer la diffusion adéquate de programmes de radio et de télévision en danois, en bas allemand, en bas sorabe, en frison septentrional, en romani et en frison saterois ».

La Belgique

1. Le cadre constitutionnel et la politique linguistique

L’article 4 de la Constitution belge du 17 février 1994 dispose que « la Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande », qui recouvrent donc l’usage de trois langues officielles différentes – le néerlandais, le français et l’allemand.

On rappelle qu’aux termes de la Constitution, la Belgique est par ailleurs devenue un État fédéral constitué de trois régions économiquement autonomes (la région flamande, la région wallonne et la région de Bruxelles-Capitale) et de trois communautés linguistiques (la communauté française, la communauté flamande et la communauté germanophone). La Belgique est donc à la fois un État fédéral, régional et communautaire.

D’une certaine façon, ainsi que l’a souligné la juriste Jordane Arlettaz, il est possible de dire que « la problématique linguistique a donc été prédéterminante à la structure fédérale de l’État belge » (20).

De nombreuses lois linguistiques définissent l’usage de ces différentes langues, par exemple, une loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire, qui prévoit notamment que les tribunaux civils et commerciaux n’utilisent qu’une seule langue en Flandre (le néerlandais), en Wallonie (le français) et dans la région de langue allemande (l’allemand).

2. L’absence de ratification de la Charte

Le modèle belge est spécifique, dans la mesure où les deux grandes langues officielles de l’État sont en pratique peu employées dans près de la moitié du territoire national. La Belgique demeure l’un des rares États européens à n’avoir ratifié ni la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, ni la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Cette situation est, selon certains observateurs  (21), liée à la « complexité des structures fédérales de la Belgique », ainsi, naturellement, qu’à l’état des relations entre les deux grandes communautés, néerlandophone de Wallonie et francophone de Flandre – mais pas réellement à un obstacle d’ordre constitutionnel.

À la demande de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la Commission européenne pour la démocratie par le droit du même Conseil (dite « Commission de Venise ») a étudié la question de savoir à quels groupes la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, par exemple, pourrait s’appliquer en Belgique.

La Commission est arrivée à la conclusion suivante : « au niveau régional, eu égard à la répartition des compétences entre les diverses régions et communautés et à la division territoriale du pays, la Commission considère que les francophones de la région de langue néerlandaise et de la région de langue allemande peuvent être considérés comme une minorité au sens de la Convention-cadre de même, d’ailleurs, que les néerlandophones et les germanophones de la région de langue française ».

L’Assemblée du Conseil de l’Europe a repris à son compte ces conclusions dans plusieurs recommandations ou projets de résolution. Elle a ainsi notamment estimé que « les groupes suivants sont à considérer comme des minorités en Belgique dans le contexte de la convention-cadre : au niveau de l’État, la communauté germanophone ; au niveau régional, les francophones vivant dans la région de langue néerlandaise et dans la région de langue allemande, et les néerlandophones et les germanophones vivant dans la région de langue française » (22).

D’autres voix ont cependant aussi souligné qu’« en Belgique, pays qui n’a toujours pas signé la Charte – notamment parce que les Flamands ne veulent pas être considérés comme une minorité à Bruxelles ou entendre parler d’une minorité francophone en Flandre –, la communauté française a néanmoins officiellement reconnu en décembre 1990 l’existence en Wallonie de cinq " langues régionales endogènes " : le wallon, le picard, le lorrain, le champenois et le francique » (23).

La Croatie

1. Le cadre constitutionnel

Aux termes du préambule de la Constitution de 2010, « la République de Croatie est (…) reconnue comme l’État national du peuple croate et comme le pays des minorités nationales qui en sont les citoyens : les Serbes, les Musulmans, les Slovènes, les Tchèques, les Slovaques, les Italiens, les Hongrois, les Juifs et les autres, auxquels sont garantis l’égalité avec les citoyens de nationalité croate, ainsi que le respect de leurs droits ethniques, en conformité avec les normes démocratiques des Nations unies et des autres pays du monde libre ».

Dans la précédente Constitution de 1990, le préambule établissait une nette distinction entre deux catégories de citoyens : les Croates, d’une part ; les « minorités », d’autre part. L’État croate était d’abord celui de la seule nation croate. Afin de se conformer aux exigences communautaires – en vue de l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne –, ce préambule a été modifié à la faveur de la consécration de la nouvelle Constitution et reconnaît donc aujourd’hui l’égalité entre tous les citoyens, qu’il s’agisse du peuple croate ou des minorités nationales. On peut voir dans cette modification également un effet, indirect, de la ratification de la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires (voir ci-après).

La langue officielle de l’administration publique est le croate, conformément à l’article 12 de la Constitution de 2010, qui dispose qu’en République de Croatie, « la langue croate et l’alphabet latin sont d’usage officiel ».

Cependant, le même article prévoit aussi que « dans les collectivités locales, une autre langue et le cyrillique ou quelque autre alphabet peuvent, avec la langue croate et l’alphabet latin, être introduits à des fins officielles ».

L’article 14 de la loi sur la procédure administrative générale de 2009 reprend les mêmes dispositions, en exigeant que toute procédure administrative soit « en croate et avec l’alphabet latin », tout en précisant que celle-ci « peut se dérouler dans une autre langue ou un autre alphabet d’usage officiel dans les organismes gouvernementaux ».

En revanche, l’article 6 de la loi de 2008 sur l’éducation et l’enseignement au primaire et au secondaire impose le croate et l’alphabet latin à tous les établissements d’enseignement.

Quant à la loi sur la procédure pénale de 2003, son article 7 dispose que « la langue croate et l’alphabet latin doivent être utilisés dans les procédures pénales, sauf si la loi  a prévu une autre langue ou un autre alphabet pour certaines zones sur le territoire relevant de la compétence des tribunaux ».

2. La politique linguistique

La République de Croatie s’est dotée d’une législation linguistique nationale fixant les règles applicables aux minorités relativement ambitieuse, qui résulte notamment des textes suivants : la loi constitutionnelle sur les droits et les libertés de la personne et sur les droits des communautés ou des minorités nationales et ethniques (1991) ; la charte des droits des Serbes et des autres nationalités en République de Croatie (1991) ; la loi sur l’emploi de la langue et de l’écriture des minorités ethniques (2000) ; la loi sur l’éducation dans les langues et alphabets des minorités nationales (2000) ; la loi sur l’autonomie locale et régionale (2001) ; la loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales (2002) ; etc.

3. La ratification de la Charte

La Croatie a ratifié, le 5 novembre 1997, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Au moment de la ratification, la République de Croatie a déclaré qu’elle appliquerait les dispositions de cette Charte aux langues italienne, serbe, hongroise, tchèque, slovaque, ruthène et ukrainienne. Le traité est entré en vigueur en Croatie le 1er mars 1998.

Dans ses recommandations en date du 8 décembre 2010, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a notamment recommandé que les autorités croates :

« 1. poursuivent leurs efforts pour promouvoir la tolérance et sensibiliser aux langues régionales ou minoritaires et aux cultures qu’elles représentent – éléments à part entière du patrimoine culturel de la Croatie – à la fois dans le programme éducatif général à tous les niveaux de l’enseignement et dans les médias ;

« 2. prennent les mesures qui s’imposent pour garantir aux locuteurs la possibilité de s’exprimer dans leur langue régionale ou minoritaire dans leurs relations avec les autorités administratives de l’État ;

« 3. améliorent le système d’éducation en langues régionales ou minoritaires pour le rendre plus facilement accessible ;

« 4. renforcent et, le cas échéant, introduisent l’enseignement du slovaque, du ruthène et de l’ukrainien à tous les niveaux de l’éducation, en coopération avec les locuteurs ;

« 5. poursuivent leurs efforts pour introduire l’usage officiel à égalité des langues régionales ou minoritaires dans les aires où le nombre de locuteurs est suffisant, et pour garantir la mise en œuvre des statuts des collectivités locales, avec une assistance appropriée si nécessaire ».

L’Espagne

1. Le cadre constitutionnel

Aux termes de l’article 3 de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978, le castillan est la (seule) langue officielle de l’État. En outre, tous les Espagnols « ont le devoir de le connaître et le droit de l’utiliser ».

Quant aux « autres langues espagnoles », elles peuvent également être « officielles dans les Communautés autonomes respectives, conformément à leurs statuts ».

Enfin, cet article dispose que « la richesse des différentes modalités linguistiques de l’Espagne est un patrimoine culturel qui doit être l’objet d’une protection et d’un respect particuliers ».

En application de ces dispositions, le catalan est co-officiel dans les Communautés autonomes de Catalogne et des îles Baléares, le valencien dans la Communauté autonome de Valence, le galicien dans la Communauté autonome de Galice et l’euskera dans les Communautés autonomes du pays basque et de Navarre.

D’autres langues sont dites « sans statut » : il s’agit par exemple de l’asturien, de l’aragonais, de l’andalou ou du léonais. Ces langues ne sont pas considérées comme « co-officielles » et on les désigne souvent comme langues minoritaires. Elles ne font pas l’objet d’une politique volontariste dite de « normalisation » (voir ci-après), mais seulement d’une politique de développement ou de promotion, sans intervention législative spécifique.

On observe que l’obligation de la connaissance d’une langue, applicable au castillan, ne concerne pas les langues co-officielles, non plus, a fortiori, que les autres langues minoritaires. En outre, nul ne peut prétendre à avoir le droit de s’exprimer dans une langue officielle d’une communauté autonome à l’extérieur de son territoire et nul ne peut se voir imposer l’enseignement de cette langue en dehors de son territoire. Bref, la langue co-officielle n’est valide qu’à l’intérieur d’une communauté autonome donnée (24).

On peut dire que, comme l’Italie, l’Espagne constitue un État unilingue disposant cependant de « sous-territoires » bilingues (25).

2. La politique linguistique

Sur le plan législatif, plusieurs lois dites de normalisation linguistique ont été adoptées en Espagne, initiées par les communautés autonomes du Pays basque, de Catalogne, de Galice, de Valence ou encore des îles Baléares.

Le principe de ces interventions législatives a été approuvé par la Cour constitutionnelle dans une décision en date du 26 juin 1986 : selon la Cour, les lois de normalisation linguistique des communautés autonomes ne s’opposent pas au fait que l’État ait la compétence exclusive en ce qui concerne les « conditions basiques qui réglementent l’égalité de tous les Espagnols » dans l’exercice de leurs droits et de leurs devoirs (26).

Au reste, les statuts d’autonomie imposent formellement le maintien d’une politique linguistique de bilinguisme obligatoire : les langues co-officielles ne doivent pas nuire à la prégnance du castillan, seule langue officielle de l’État espagnol.

Comme l’ont noté certains observateurs, « l’expression bien connue et très fréquente en Espagne de " au moins en castillan " semble en contradiction avec un système voulant que deux langues soient officielles » (27). Il reste que ces mêmes observateurs reconnaissent que « l’effort consenti par l’Espagne pour faire coexister la langue officielle et les " langues propres " demeure l’une des tentatives les plus ambitieuses du monde contemporain occidental, compte tenu de l’importance de la population concernée (près de 16 millions de personnes dans les Communautés autonomes) et de la relative harmonie entre les groupes linguistiques, si l’on fait exception du pays basque ».

La politique linguistique espagnole peut dès lors être décrite comme reposant sur une certaine ambivalence.

3. Le processus de ratification de la Charte

L’Espagne a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires le 5 novembre 1992. Elle l’a ratifiée le 9 avril 2001. La Charte est entrée en vigueur en Espagne le 1er août 2001.

Dans ses déclarations contenues dans son instrument de ratification, l’Espagne a indiqué considérer comme « langues régionales ou minoritaires », pour l’application de la partie III de la Charte (partie relative aux engagements et non aux principes), les langues reconnues officielles dans les statuts d’autonomie des communautés autonomes du Pays basque, de la Catalogne, des îles Baléares, de la Galice, de Valence et de Navarre, autrement dit les langues co-officielles.

On peut noter que l’aranais ayant été déclaré langue officielle dans le statut d’autonomie de la Catalogne adopté en juillet 2006, la Charte s’applique désormais aussi à cette langue.

L’Espagne a aussi déclaré, pour l’application de la partie II de la Charte, relative aux principes et aux objectifs, que l’on considère comme langues régionales ou minoritaires celles que les statuts d’autonomie protègent et sauvegardent dans les territoires où elles se parlent traditionnellement. Sont visés en pratique : le galicien en Castille-et-León et en Estrémadure, l’aragonais et le catalan en Aragon, l’asturien et le galicien-asturien en Asturies et le léonais en Castille-et-León.

Aucune révision constitutionnelle n’était requise préalablement à la ratification, compte tenu, manifestement, de la souplesse, voire de l’ambivalence, du cadre qui a été décrit plus haut.

4. Les effets de la ratification de la Charte sur la politique linguistique

Dans son récent rapport sur l’application de la Charte en Espagne (28), le comité d’experts de la Charte « félicite les autorités espagnoles pour leur degré élevé d’engagement et leurs efforts continus visant à protéger et à promouvoir leurs langues régionales et minoritaires par la législation et l’adoption de mesures concrètes, non seulement au niveau des communautés autonomes mais également au niveau de l’État. Plusieurs nouvelles lois ont été adoptées dans le but d’améliorer le cadre législatif en vigueur et de sensibiliser le public au caractère plurilingue de l’Espagne. Dans la pratique, bien d’autres engagements pris au titre de la Charte sont respectés ».

L’Espagne a, par exemple, fait valoir l’augmentation sensible, depuis 2009, de la formation linguistique dispensée au personnel des services de l’administration de l’État afin qu’il soit en mesure de fournir des services dans les communautés autonomes possédant une langue co-officielle ou bien l’adoption, le 28 avril 2012, par le conseil général du pouvoir judiciaire, d’une réglementation relative au pouvoir judiciaire, prévoyant un système destiné à favoriser ceux qui parlent une langue co-officielle dans les concours de recrutement pour les tribunaux dans les communautés autonomes possédant une langue co-officielle.

Le comité d’experts a quant à lui insisté sur les recommandations suivantes, demandant aux autorités espagnoles qu’elles :

« 1. modifient le cadre juridique afin d’indiquer expressément que les autorités judiciaires pénales, civiles et administratives des communautés autonomes mèneront les procédures dans les langues co-officielles à la demande d’une des parties ;

2. prennent les mesures juridiques et pratiques nécessaires pour garantir qu’une proportion adéquate du personnel judiciaire en poste dans les communautés autonomes auxquelles s’applique l’article 9 de la Charte ait une maîtrise suffisante des langues concernées pour des fins professionnelles ;

3. réexaminent l’organisation du recrutement, des carrières et de la formation du personnel des services de l’administration d’État, afin de veiller à ce qu’une proportion adéquate du personnel de ce domaine en poste dans les communautés autonomes ait une maîtrise suffisante des langues concernées pour des fins professionnelles ;

4. s’assurent de la présence de toutes les langues régionales ou minoritaires dans les services publics de l’État ;

5. s’assurent de la présence de toutes les langues régionales ou minoritaires dans l’offre de services de santé ».

L’Italie

1. Le cadre constitutionnel

La Constitution italienne du 22 décembre 1947 ne consacre pas l’italien comme langue officielle de l’État : mais dans les faits, sur l’ensemble du territoire, l’État italien ne reconnaît qu’une seule langue, l’italien, y compris pour l’exercice des missions de l’administration nationale dans les régions autonomes. En pratique, cela signifie par exemple que les députés ne peuvent s’exprimer qu’en italien au Parlement et que les lois ne sont rédigées qu’en italien.

Le caractère officiel de l’italien résulte cependant de la jurisprudence constitutionnelle ainsi que des statuts adoptés pour les régions spéciales (par exemple, l’article 99 du statut du Trentin-Haut-Adige du 31 août 1972). En effet, un statut de co-officialité est organisé dans certaines régions à statut spécial, dans le Trentin-Haut-Adige (avec l’allemand), mais aussi le Val d’Aoste (pour le français) ou le Frioul-Vénétie-Julienne (pour le slovène).

Comme l’Espagne, l’Italie peut être qualifiée, selon l’expression de la constitutionnaliste Jordane Arlettaz, d’État unilingue disposant de sous-territoires bilingues.

Si la Constitution ne reconnaît pas de langue officielle, son article 3 garantit l’égalité de tous les citoyens « sans distinction de langue ». L’article 6 de la loi fondamentale dispose quant à lui que la République protège ses minorités linguistiques « par des mesures appropriées » (29).

Le texte ne précise pas de quel type de minorités linguistiques il s’agit mais, selon certaines analyses (30), on pouvait supposer que l’article 6 faisait avant tout allusion aux minorités qui pouvaient être liées à des pays voisins, comme l’Autriche et l’Allemagne (minorités germanophones), la Yougoslavie et la Slovénie (minorités slavophones) ainsi que la France (valdôtains) et il n’était pas certain qu’étaient incluses les communautés linguistiques ladine (pour le Trentin-Haut-Adige), frioulane (pour le Frioul), sarde (pour la Sardaigne), franco-provençale (pour le Piémont) ou albanaise et grecque, pour ne prendre que quelques exemples. La loi du 15 décembre 1999 est venue lever ces ambiguïtés (voir ci-après).

2. La politique linguistique en faveur des langues régionales ou minoritaires

Depuis 1947, l’État italien a adopté à l’attention des minorités un ensemble de dispositions nombreuses. On peut citer en particulier la loi n° 482 du 15 décembre 1999 sur les normes en matière de protection des minorités linguistiques historiques. Cette loi a été complétée par un décret n° 345 du président de la République en date du 2 mai 2001 portant sur les normes de protection des minorités linguistiques historiques.

Aux termes de l’article 1er de la loi du 15 décembre 1999, « la langue officielle de la République est l’italien ». En outre, « la République, qui valorise le patrimoine linguistique et culturel de la langue italienne, fait la promotion et la valorisation des langues et des cultures protégées par la présente loi ».

L’article 2 énumère quant à lui celles qui constituent les langues minoritaires reconnues, en se référant expressément à la Constitution : « en vertu de l’article 6 de la Constitution et en harmonie avec les principes généraux établis par les organisations européennes et internationales, la République protège la langue et la culture des populations albanaise, catalane, germanique, grecque, slovène et croate, et de celles qui parlent le français, le franco-provençal, le frioulan, le ladin, l’occitan et le sarde ».

La politique linguistique de l’État italien repose aussi sur un critère de territorialité, qui correspond à l’idée selon laquelle les mesures de protection prévues par la loi à l’égard des minorités linguistiques dûment reconnues ne peuvent trouver leur application qu’à l’intérieur du territoire de résidence.

Sont donc ainsi officiellement reconnues 12 langues. Il convient cependant de garder à l’esprit l’existence de nombreuses autres langues non reconnues, notamment le tsigane (romani), le tabarquin (tabarquino), le gallo-italique (gallo-italico), le piémontais (piemontese), le lombard (lombardo), le ligure (ligure), l’émilien-romagnol (emiliano e romagnolo), le sicilien (siciliano), le napolitain (napoletano), le vénitien (veneto) et, de façon générale, toute langue de niveau strictement local, ainsi que tous les dialectes.

C’est qu’il existe une réelle diversité des situations à prendre en compte en matière de minorités linguistiques en Italie : on ne peut comparer la situation d’une toute petite minorité qui ne demande, finalement, qu’à parler sa langue maternelle, et celle de minorités quantitativement plus importantes, qui revendiquent des garanties statutaires et, d’une certaine manière, un « autogouvernement » (31).

3. L’absence de ratification de la Charte

L’Italie n’a pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qu’elle a cependant signée le 27 juin 2000.

« Pourquoi ? Aujourd’hui [en avril 2002], on pourrait dire que c’est parce que l’on a un gouvernement qui se désintéresse des questions linguistiques minoritaires, mais il faut également reconnaître que même le gouvernement de gauche n’avait jamais ratifié la Charte. Je pense [qu’] il s’agit d’un mode de pensée particulier.

Ce n’est pas l’attitude, disons républicaine, qui conçoit l’égalité comme une espèce de mythe, mais le fait pour l’Italie d’envisager la question des minorités linguistiques et des différences linguistiques comme une chose de droit intérieur.

Et d’ailleurs, il suffit de regarder l’actuelle loi de protection des minorités linguistiques pour constater que ce que l’on demande à l’intérieur de la Charte, c’est bien moins que ce qu’il y a dans la loi italienne » (32).

Ce n’est, en tout état de cause, manifestement pas le cadre constitutionnel, tel qu’il a été rappelé, plutôt favorable à la protection des minorités, qui s’oppose à la ratification de la Charte par l’Italie.

La Roumanie

1. Le cadre constitutionnel

Aux termes de l’article 13 de la Constitution de 1991, « en Roumanie, la langue officielle est le roumain ».

Cependant, l’article 6 de la Constitution reconnaît aux minorités de langue autre que le roumain le droit d’employer librement leur langue et consacre le principe de non-discrimination de ces minorités.

En outre, l’article 32 dispose que « l’enseignement de tous les degrés est dispensé en roumain. Dans les conditions de la loi, l’enseignement peut être aussi dispensé dans une langue de circulation internationale ». Cet article, dans le même temps, garantit « le droit des personnes appartenant aux minorités nationales d’apprendre leur langue maternelle et le droit de pouvoir être instruites dans cette langue ».

Quant à l’article 148 de la Constitution, il prévoit que les questions concernant la langue officielle ne peuvent faire l’objet de révision constitutionnelle, ce qui a pu laisser craindre à certains représentants des minorités une éventuelle réduction de leurs droits. Cependant, le deuxième alinéa du même article précise qu’aucune révision ne peut avoir pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens.

2. La politique linguistique

De nombreuses dispositions législatives tendent à favoriser l’usage du roumain dans la vie publique. Par exemple, l’article 12 du code de procédure pénale énonce que « la langue officielle dans une procédure pénale est le roumain ». Quant à la loi sur l’usage du roumain dans les institutions, relations et lieux publics de 2004, elle dispose que « tout texte écrit ou parlé en langue roumaine, ayant un caractère d’intérêt public dans le sens prévu par l’article 2, doit être correct du point de vue des propriétés des termes employés, de la grammaire, de la prononciation et, selon les cas, de la ponctuation et de l’orthographe, conformément aux normes académiques en vigueur ».

Par ailleurs, en application de la décision parlementaire no 14 concernant la traduction en roumain d’émissions diffusées en d’autres langues (1999), les émissions diffusées sur le territoire de la Roumanie en d’autres langues que le roumain doivent être sous-titrées ou traduites en roumain.

Le roumain est la seule langue utilisée par les députés et sénateurs au Parlement.

3. La ratification de la Charte

La Roumanie a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires le 17 juillet 1995. L’instrument de ratification a été déposé auprès du Conseil de l’Europe le 29 janvier 2008. La Charte est entrée en vigueur en Roumanie le 1er mai 2008.

La Constitution roumaine a fait l’objet d’une révision en 2003 en vue de faciliter le processus d’intégration à l’Union européenne et, dans une certaine mesure, ce que l’on peut appeler une forme d’acclimatation aux instruments juridiques utilisés dans le cadre du Conseil de l’Europe.

Sans doute, dès 1999, la Cour constitutionnelle roumaine avait rendu une décision considérant qu’une révision constitutionnelle ne constituait pas un préalable à cette ratification (décision du 20 juillet 1999). Dans cette décision, la Cour avait relevé les éléments suivants (33) :

– la Charte ne porte pas atteinte au concept d’État national, indépendant et indivisible tel qu’il est consacré à l’article 1er de la Constitution, dans la mesure où son préambule garantit que « la protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans les différents pays et régions d’Europe représentent une contribution importante à la construction d’une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale » ;

– la Charte prévoit des « garde-fous », notamment avec son article 5, aux termes duquel « rien dans son contenu ne peut être interprété comme impliquant le droit d’engager une quelconque activité ou d’accomplir une quelconque action contrevenant aux buts de la charte des Nations Unies ou à d’autres obligations du droit international, y compris le principe de souveraineté et de l’intégrité territoriale des États » ;

– la Charte ne porte pas atteinte au caractère officiel de la langue roumaine mentionné à l’article 13 de la Constitution, parce que les dispositions du sixième alinéa de son préambule prévoient que « la protection et l’encouragement des langues régionales ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre », mais aussi parce que l’article 8, premier alinéa, de la Charte consacre expressément la possibilité de prendre des mesures en faveur de l’enseignement des langues régionales ou minoritaires en ce qui concerne les territoires sur lesquels ces langues sont pratiquées « sans préjudice de l’enseignement de(des) langue(s) officielle(s) de l’État » ;

– la Charte n’affecte pas la mise en œuvre du principe d’égalité entre les citoyens, dans la mesure où son article 7 précise que « l’adoption de mesures spéciales en faveur des langues régionales ou minoritaires destinées à promouvoir une égalité entre les locuteurs de ces langues et le reste de la population ou visant à tenir compte de leurs situations particulières, n’est pas considérée comme un acte de discrimination envers les locuteurs des langues plus répandues ».

On observe toutefois qu’au moment de la révision constitutionnelle de 2003 – et donc avant la ratification de la Charte –, la Roumanie a fait le choix de soumettre le projet de révision constitutionnelle, préalablement à son adoption, à la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l’Europe, dite aussi Commission de Venise.

Celle-ci avait considéré, dans son avis du 18 mars 2003, que « la mention dans l’article 13 de l’utilisation de la langue de la minorité nationale dans les rapports entre les citoyens des minorités et les pouvoirs publics [servait] à donner à cette garantie constitutionnelle une dimension générale. Cela est tout à fait raisonnable parce que, s’il s’agit de reconnaître le droit de conserver l’identité linguistique des minorités nationales, l’exercice de ce droit ne peut pas se borner aux rapports avec les autorités locales mais doit s’étendre aussi aux rapports avec tous les pouvoirs publics du territoire où habitent ces minorités. De ce fait, si l’on veut élargir cette garantie aussi aux instances de jugement et aux autorités publiques déconcentrées, il n’y a pas de doute que pour des raisons de systématique il vaut mieux placer cette garantie dans l’article 13. (…) Cet amendement contient, par rapport à l’article 6 de la Constitution, une concrétisation bienvenue du respect et de la protection linguistique des minorités nationales. Elle correspond aux exigences des articles 9 (justice) et 10 (autorités administratives et services publics) de la Charte des langues régionales et minoritaires, mais reste en deçà de ses exigences : il est vrai que la Roumanie a signé cette Charte en 1995, mais ne l’a pas encore ratifiée ».

C’est finalement l’article 119 de la Constitution qui a été modifié à cette occasion, et complété d’un alinéa nouveau selon lequel « dans les unités administratives territoriales où les citoyens appartenant à une minorité nationale ont un poids significatif, est assuré l’usage de la langue de la minorité respective, écrit et oral, dans les relations avec les autorités de l’administration publique locale et avec les services publics déconcentrés, dans les conditions prévues par la loi organique ».

En outre, à l’article 127, a été prévue une disposition nouvelle selon laquelle « les citoyens roumains appartenant aux minorités nationales ont le droit de s’exprimer dans la langue maternelle devant les instances de jugement, dans les conditions établies par la loi organique ».

Le Royaume-Uni

1. Le cadre constitutionnel

Le Royaume-Uni n’a pas de constitution écrite : les règles fondamentales régissant l’organisation des pouvoirs publics reposent sur une combinaison de droit coutumier et de lois.

Si l’on se réfère aux textes de référence majeurs que constituent par exemple la Magna Carta (1215), le Bill of Rights (1689), le Reform Act (1832), ou encore le Human Rights Act (1998), qui définissait les droits fondamentaux des citoyens, seul l’article 14 de ce dernier texte, relatif à la prohibition des discriminations, mentionne le terme « language ».

2. La politique linguistique

Pourtant, les dispositifs juridiques concernant la langue anglaise ont été relativement nombreux dans les dernières décennies, qu’il s’agisse, pour ne prendre que quelques exemples, de la loi sur la nationalité britannique (1981), de la loi sur la langue galloise (1997), de la loi sur l’Irlande du Nord (1998), de la loi sur l’éducation (2002) ou encore de la loi sur le gouvernement du pays de Galles (2006).

Comme le rappellent plusieurs observateurs (34), il existe une forme de contradiction entre, d’une part, le fait que la langue anglaise n’ait jamais véritablement eu besoin de protection et, d’autre part, le caractère « multinational » du Royaume-Uni, avec une diversité de « minorités » nationales (les Écossais, les Gallois, les Irlandais, les Scots, etc. ).

Au Parlement britannique, seul l’anglais est utilisé dans les débats ainsi que pour la rédaction et la promulgation des lois, celles-ci n’étant jamais traduites en une autre langue. En ce qui concerne la justice et les services gouvernementaux, seul l’anglais est utilisé, bien que l’usage du gallois soit autorisé pour l’administration locale au pays de Galles.

Les mêmes observateurs notent que « jusqu’en 1998, le gouvernement britannique [n’a jamais véritablement voulu] favoriser l’emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique, que ce soit dans l’enseignement, la justice, l’administration gouvernementale et les services publics, les médias, les activités et équipements culturels, la vie économique et sociale, etc. Depuis quelques décennies, les revendications des minorités se sont fait entendre de plus en plus fortement, particulièrement en Écosse et au pays de Galles où le nationalisme est plus exacerbé [sans même évoquer la situation en Irlande du Nord] ».

3. La ratification de la Charte

Le gouvernement britannique a signé la Charte le 2 mars 2000 et l’a ratifiée le 27 mars 2001. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 2001.

Le gouvernement britannique s’était engagé sur le sujet  dans une déclaration en date du 4 juin 1998, dans les termes suivants :

« Le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté a étudié de près l’opportunité pour le Royaume-Uni de devenir un des signataires de la Charte qui est entrée en vigueur le 1er mars 1998. Nous avons conclu qu’il y aurait lieu de le faire. La partie II de la Charte énonce des principes généraux de reconnaissance des langues minoritaires indigènes, d’assistance à ces langues et d’élimination de la discrimination dont elles feraient l’objet. Nous souscrivons pleinement à ces principes. Nous envisageons de spécifier le gallois pour le pays de Galles et, dès que les éléments pertinents de procédure seront en place, le gaélique pour l’Écosse, conformément aux dispositions de la partie III qui exigent des mesures spécifiques en faveur de l’emploi de ces langues dans la vie publique. Nous prévoyons également de spécifier l’irlandais pour l’Irlande du Nord, à une date ultérieure. La partie II de la Charte s’appliquera à l’écossais. Nous examinerons quelles autres langues pourraient, le cas échéant, bénéficier des principes généraux de la partie II et, en temps voulu, être spécifiées selon la partie III ».

Finalement, dans sa déclaration afférente au dépôt de son instrument de ratification établie en 2001 (complétée par des déclarations de 2003), le Royaume-Uni a indiqué qu’il appliquerait les dispositions de la partie III de la Charte au gallois, au gaélique d’Écosse et à l’irlandais, et celles de la partie II à l’écossais, à l’écossais d’Ulster, au cornique ainsi qu’au gaélique de l’Île de Man.

Dans ses recommandations sur l’application de la Charte en date du 21 avril 2010, le comité des ministres du Conseil de l’Europe avait demandé que les autorités britanniques :

« 1. Continuent d’agir résolument en faveur de la protection et de la promotion du gaélique d’Écosse dans tous les domaines, et en particulier renforcent l’enseignement du gaélique d’Écosse, y compris à travers la formation d’enseignants et la production de matériels d’apprentissage et d’enseignement ;

2. adoptent et mettent en œuvre une politique complète de promotion de la langue irlandaise, de préférence sur la base de dispositions législatives ;

3. veillent à ce que les établissements de soins et de services sociaux offrent des services en langue galloise ;

4. adoptent une stratégie de renforcement et de développement de l’écossais d’Ulster, en coopération avec les locuteurs ».

La Suisse

1. Le cadre constitutionnel et la politique linguistique

La nouvelle Constitution suisse du 18 avril 1999 est entrée en vigueur le 1er janvier 2000.

Les dispositions de l’article 116 de l’ancienne Constitution sur la langue ont été intégrées dans ce nouveau texte et complétées par d’autres mesures.

–– L’article sur les langues nationales a été repris tel quel dans la partie introductive de la nouvelle Constitution (article 4). Cet article prévoit que le quadrilinguisme est une caractéristique essentielle de la Suisse, « les langues nationales [étant] l’allemand, le français, l’italien et le romanche ».

On peut considérer qu’il comporte également l’obligation implicite, pour la Confédération et les cantons, de prendre des mesures pour sauvegarder le quadrilinguisme de la Suisse.

–– L’article 70 de la nouvelle Constitution définit les langues officielles (35) de la Confédération, qui sont : l’allemand, le français et l’italien. De plus, « le romanche est aussi langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec les personnes de langue romanche ».

Selon ce même article, les cantons déterminent, dans ce cadre, leur(s) propre(s) langue(s) officielle(s) (36). En outre, « afin de préserver l’harmonie entre les communautés linguistiques, ils veillent à la répartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les minorités linguistiques autochtones ».

Au total, on dénombre 17 cantons unilingues allemands, 4 unilingues français, un seul canton italophone (le canton du Tessin), 3 cantons bilingues allemand-français et un seul canton trilingue (le canton des Grisons).

D’une certaine manière, il est possible de dire que la Suisse est un État plurilingue, regroupant en son sein plusieurs « sous-territoires » unilingues, bilingues ou trilingues (37).

–– La liberté de la langue – qui était jusqu’à présent un droit non écrit – a été inscrite dans la nouvelle Constitution, dans le chapitre relatif aux droits fondamentaux (article 18).

–– Enfin, l’article 70 de la nouvelle Constitution :

– charge la Confédération et les cantons d’« encourage[r] la compréhension et les échanges entre les communautés linguistiques ». Ce mandat est renforcé par celui confié à la Confédération à l’article 2 de la nouvelle Constitution, à savoir la mission de favoriser la cohésion interne et la diversité culturelle du pays ;

– confère à la Confédération le soin de soutenir les cantons plurilingues dans l’exécution de leurs tâches particulières ainsi que d’appuyer les mesures prises par les cantons des Grisons et du Tessin pour sauvegarder et promouvoir le romanche et l’italien.

2. Le processus de ratification de la Charte et ses effets sur la politique linguistique

La Confédération suisse a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires le 8 octobre 1993. Les autorités suisses ont officiellement ratifié la Charte le 23 décembre 1997, laquelle est entrée en vigueur le 1er avril 1998.

Dans sa déclaration adressée au Conseil de l’Europe le 23 décembre 1997, le gouvernement helvétique mentionnait que le romanche et l’italien du canton des Grisons étaient les langues auxquelles s’appliquerait la Charte.

Selon le service de presse et d’information relevant du département fédéral de l’Intérieur, l’objectif de la ratification était que la Suisse « puisse valablement faire face à ses responsabilités internationales et manifester concrètement sa solidarité avec les autres États européens ». En outre, la ratification permettait à la Suisse « de faire valoir son engagement en faveur des problèmes touchant les minorités d’Europe ». Cependant, la Charte n’a pas véritablement eu pour effet de créer des obligations nouvelles pour la Confédération et pour les cantons (38).

La modification constitutionnelle de 1999 ne peut être analysée comme un effet – en tout cas direct – de l’entrée en vigueur en Suisse de la Charte le 1er avril 1998, encore moins, par hypothèse, comme une condition préalable à la ratification. Le cadre constitutionnel préexistant était suffisamment ouvert, conformément à l’interprétation qui en était faite par le Tribunal fédéral (telle que rappelée plus haut), pour qu’il ne puisse avoir été considéré comme un obstacle à ce processus.

Pour autant, la signature de la Charte a eu des effets sur la politique linguistique suisse. Par exemple, dans son premier rapport périodique présenté au secrétaire général du Conseil de l’Europe conformément à l’article 15 de la Charte, le 2 décembre 1999, la Suisse faisait part de son intention d’élaborer une législation – la future loi sur les langues, finalement entrée en vigueur en 2009 – prévoyant des mesures concrètes pour la mise en œuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles, en particulier dans le but de définir les modalités d’emploi des langues officielles par les autorités et administrations fédérales, promouvoir les échanges entre communautés linguistiques et assurer le soutien des cantons plurilingues par la Confédération. Elle avait précisé à cette occasion qu’« en élaborant une loi sur les langues, la Confédération pourra également étendre les engagements qu’elle a pris en tant que partie contractante de la Charte en matière de promotion des langues ».

ANNEXES

Annexe 1 : Charte européenne des langues régionales ou minoritaires 75

Annexe 2 : Les engagements déclarés par la France au Conseil de l’Europe à l’occasion de la signature de la Charte (7 mai 1999) 91

Annexe 3 : Décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 du Conseil Constitutionnel 96

Annexe 4 : Extrait de l’avis du Conseil d’État du 24 septembre 1996 portant sur la compatibilité avec la Constitution de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires 100

Annexe 5 : Les langues parlées par des ressortissants français sur le territoire de la République (rapport établi par M. Bernard Cerquiglini - avril 1999) 101

ANNEXE 1


CHARTE EUROPÉENNE DES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES

Strasbourg, 5.XI.1992

Préambule

Les États membres du Conseil de l'Europe, signataires de la présente Charte,

Considérant que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, notamment afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun;

Considérant que la protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l'Europe, dont certaines risquent, au fil du temps, de disparaître, contribue à maintenir et à développer les traditions et la richesse culturelles de l'Europe;

Considérant que le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, et conformément à l'esprit de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l'Europe;

Prenant en compte le travail réalisé dans le cadre de la CSCE, et en particulier l'Acte final d'Helsinki de 1975 et le document de la réunion de Copenhague de 1990;

Soulignant la valeur de l'interculturel et du plurilinguisme, et considérant que la protection et l'encouragement des langues régionales ou minoritaires ne devraient pas se faire au détriment des langues officielles et de la nécessité de les apprendre;

Conscients du fait que la protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans les différents pays et régions d'Europe représentent une contribution importante à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale;

Compte tenu des conditions spécifiques et des traditions historiques propres à chaque région des pays d'Europe,

Sont convenus de ce qui suit:

Partie I – Dispositions générales

Article 1 – Définitions

Au sens de la présente Charte:

a par l'expression «langues régionales ou minoritaires», on entend les langues:

i pratiquées traditionnellement sur un territoire d'un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l'État; et

ii différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État;

elle n'inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l'État ni les langues des migrants;

b par «territoire dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée», on entend l'aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d'expression d'un nombre de personnes justifiant l'adoption des différentes mesures de protection et de promotion prévues par la présente Charte;

c par «langues dépourvues de territoire», on entend les langues pratiquées par des ressortissants de l'État qui sont différentes de la (des) langue(s) pratiquée(s) par le reste de la population de l'État, mais qui, bien que traditionnellement pratiquées sur le territoire de l'État, ne peuvent pas être rattachées à une aire géographique particulière de celui-ci.

Article 2 – Engagements

1 Chaque Partie s'engage à appliquer les dispositions de la partie II à l'ensemble des langues régionales ou minoritaires pratiquées sur son territoire, qui répondent aux définitions de l'article 1.

2 En ce qui concerne toute langue indiquée au moment de la ratification, de l'acceptation ou de l'approbation, conformément à l'article 3, chaque Partie s'engage à appliquer un minimum de trente-cinq paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions de la partie III de la présente Charte, dont au moins trois choisis dans chacun des articles 8 et 12 et un dans chacun des articles 9, 10, 11 et 13.

Article 3 – Modalités

1 Chaque État contractant doit spécifier dans son instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation chaque langue régionale ou minoritaire, ou chaque langue officielle moins répandue sur l'ensemble ou une partie de son territoire, à laquelle s'appliquent les paragraphes choisis conformément au paragraphe 2 de l'article 2.

2 Toute Partie peut, à tout moment ultérieur, notifier au Secrétaire Général qu'elle accepte les obligations découlant des dispositions de tout autre paragraphe de la Charte qui n'avait pas été spécifié dans son instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation, ou qu'elle appliquera le paragraphe 1 du présent article à d'autres langues régionales ou minoritaires, ou à d'autres langues officielles moins répandues sur l'ensemble ou une partie de son territoire.

3 Les engagements prévus au paragraphe précédent seront réputés partie intégrante de la ratification, de l'acceptation ou de l'approbation et porteront les mêmes effets dès la date de leur notification.

Article 4 – Statuts de protection existants

1 Aucune des dispositions de la présente Charte ne peut être interprétée comme limitant ou dérogeant aux droits garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme.

2 Les dispositions de la présente Charte ne portent pas atteinte aux dispositions plus favorables régissant la situation des langues régionales ou minoritaires, ou le statut juridique des personnes appartenant à des minorités, qui existent déjà dans une Partie ou sont prévues par des accords internationaux bilatéraux ou multilatéraux pertinents.

Article 5 – Obligations existantes

Rien dans la présente Charte ne pourra être interprété comme impliquant le droit d'engager une quelconque activité ou d'accomplir une quelconque action contrevenant aux buts de la Charte des Nations Unies ou à d'autres obligations du droit international, y compris le principe de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des États.

Article 6 – Information

Les Parties s'engagent à veiller à ce que les autorités, organisations et personnes concernées soient informées des droits et devoirs établis par la présente Charte.

Partie II – Objectifs et principes poursuivis conformément au paragraphe 1 de l'article 2

Article 7 – Objectifs et principes

1 En matière de langues régionales ou minoritaires, dans les territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées et selon la situation de chaque langue, les Parties fondent leur politique, leur législation et leur pratique sur les objectifs et principes suivants:

a la reconnaissance des langues régionales ou minoritaires en tant qu'expression de la richesse culturelle;

b le respect de l'aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue régionale ou minoritaire;

c la nécessité d'une action résolue de promotion des langues régionales ou minoritaires, afin de les sauvegarder;

d la facilitation et/ou l'encouragement de l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée;

e le maintien et le développement de relations, dans les domaines couverts par la présente Charte, entre les groupes pratiquant une langue régionale ou minoritaire et d'autres groupes du même État parlant une langue pratiquée sous une forme identique ou proche, ainsi que l'établissement de relations culturelles avec d'autres groupes de l'État pratiquant des langues différentes;

f la mise à disposition de formes et de moyens adéquats d'enseignement et d'étude des langues régionales ou minoritaires à tous les stades appropriés;

g la mise à disposition de moyens permettant aux non-locuteurs d'une langue régionale ou minoritaire habitant l'aire où cette langue est pratiquée de l'apprendre s'ils le souhaitent;

h la promotion des études et de la recherche sur les langues régionales ou minoritaires dans les universités ou les établissements équivalents;

i la promotion des formes appropriées d'échanges transnationaux, dans les domaines couverts par la présente Charte, pour les langues régionales ou minoritaires pratiquées sous une forme identique ou proche dans deux ou plusieurs États.

2 Les Parties s'engagent à éliminer, si elles ne l'ont pas encore fait, toute distinction, exclusion, restriction ou préférence injustifiées portant sur la pratique d'une langue régionale ou minoritaire et ayant pour but de décourager ou de mettre en danger le maintien ou le développement de celle-ci. L'adoption de mesures spéciales en faveur des langues régionales ou minoritaires, destinées à promouvoir une égalité entre les locuteurs de ces langues et le reste de la population ou visant à tenir compte de leurs situations particulières, n'est pas considérée comme un acte de discrimination envers les locuteurs des langues plus répandues.

3 Les Parties s'engagent à promouvoir, au moyen de mesures appropriées, la compréhension mutuelle entre tous les groupes linguistiques du pays, en faisant notamment en sorte que le respect, la compréhension et la tolérance à l'égard des langues régionales ou minoritaires figurent parmi les objectifs de l'éducation et de la formation dispensées dans le pays, et à encourager les moyens de communication de masse à poursuivre le même objectif.

4 En définissant leur politique à l'égard des langues régionales ou minoritaires, les Parties s'engagent à prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues. Elles sont encouragées à créer, si nécessaire, des organes chargés de conseiller les autorités sur toutes les questions ayant trait aux langues régionales ou minoritaires.

5 Les Parties s'engagent à appliquer, mutatis mutandis, les principes énumérés aux paragraphes 1 à 4 ci-dessus aux langues dépourvues de territoire. Cependant, dans le cas de ces langues, la nature et la portée des mesures à prendre pour donner effet à la présente Charte seront déterminées de manière souple, en tenant compte des besoins et des vœux, et en respectant les traditions et les caractéristiques des groupes qui pratiquent les langues en question.

Partie III – Mesures en faveur de l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique, à prendre en conformité avec les engagements souscrits en vertu du paragraphe 2 de l'article 2

Article 8 – Enseignement

1 En matière d'enseignement, les Parties s'engagent, en ce qui concerne le territoire sur lequel ces langues sont pratiquées, selon la situation de chacune de ces langues et sans préjudice de l'enseignement de la (des) langue(s) officielle(s) de l'État:

a i à prévoir une éducation préscolaire assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées; ou

ii à prévoir qu'une partie substantielle de l'éducation préscolaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées; ou

iii à appliquer l'une des mesures visées sous i et ii ci-dessus au moins aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant; ou

iv si les pouvoirs publics n'ont pas de compétence directe dans le domaine de l'éducation préscolaire, à favoriser et/ou à encourager l'application des mesures visées sous i à iii ci-dessus;

b i à prévoir un enseignement primaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées; ou

ii à prévoir qu'une partie substantielle de l'enseignement primaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées; ou

iii à prévoir, dans le cadre de l'éducation primaire, que l'enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées fasse partie intégrante du curriculum; ou

iv à appliquer l'une des mesures visées sous i à iii ci-dessus au moins aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant;

c i à prévoir un enseignement secondaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées; ou

ii à prévoir qu'une partie substantielle de l'enseignement secondaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires; ou

iii à prévoir, dans le cadre de l'éducation secondaire, l'enseignement des langues régionales ou minoritaires comme partie intégrante du curriculum; ou

iv à appliquer l'une des mesures visées sous i à iii ci-dessus au moins aux élèves qui le souhaitent – ou, le cas échéant, dont les familles le souhaitent – en nombre jugé suffisant;

d i à prévoir un enseignement technique et professionnel qui soit assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées; ou

ii à prévoir qu'une partie substantielle de l'enseignement technique et professionnel soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées; ou

iii à prévoir, dans le cadre de l'éducation technique et professionnelle, l'enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées comme partie intégrante du curriculum; ou

iv à appliquer l'une des mesures visées sous i à iii ci-dessus au moins aux élèves qui le souhaitent – ou, le cas échéant, dont les familles le souhaitent – en nombre jugé suffisant;

e i à prévoir un enseignement universitaire et d'autres formes d'enseignement supérieur dans les langues régionales ou minoritaires; ou

ii à prévoir l'étude de ces langues, comme disciplines de l'enseignement universitaire et supérieur; ou

iii si, en raison du rôle de l'État vis-à-vis des établissements d'enseignement supérieur, les alinéas i et ii ne peuvent pas être appliqués, à encourager et/ou à autoriser la mise en place d'un enseignement universitaire ou d'autres formes d'enseignement supérieur dans les langues régionales ou minoritaires, ou de moyens permettant d'étudier ces langues à l'université ou dans d'autres établissements d'enseignement supérieur;

f i à prendre des dispositions pour que soient donnés des cours d'éducation des adultes ou d'éducation permanente assurés principalement ou totalement dans les langues régionales ou minoritaires; ou

ii à proposer ces langues comme disciplines de l'éducation des adultes et de l'éducation permanente; ou

iii si les pouvoirs publics n'ont pas de compétence directe dans le domaine de l'éducation des adultes, à favoriser et/ou à encourager l'enseignement de ces langues dans le cadre de l'éducation des adultes et de l'éducation permanente;

g à prendre des dispositions pour assurer l'enseignement de l'histoire et de la culture dont la langue régionale ou minoritaire est l'expression;

h à assurer la formation initiale et permanente des enseignants nécessaire à la mise en œuvre de ceux des paragraphes a à g acceptés par la Partie;

i à créer un ou plusieurs organe(s) de contrôle chargé(s) de suivre les mesures prises et les progrès réalisés dans l'établissement ou le développement de l'enseignement des langues régionales ou minoritaires, et à établir sur ces points des rapports périodiques qui seront rendus publics.

2 En matière d'enseignement et en ce qui concerne les territoires autres que ceux sur lesquels les langues régionales ou minoritaires sont traditionnellement pratiquées, les Parties s'engagent à autoriser, à encourager ou à mettre en place, si le nombre des locuteurs d'une langue régionale ou minoritaire le justifie, un enseignement dans ou de la langue régionale ou minoritaire aux stades appropriés de l'enseignement.

Article 9 – Justice

1 Les Parties s'engagent, en ce qui concerne les circonscriptions des autorités judiciaires dans lesquelles réside un nombre de personnes pratiquant les langues régionales ou minoritaires qui justifie les mesures spécifiées ci-après, selon la situation de chacune de ces langues et à la condition que l'utilisation des possibilités offertes par le présent paragraphe ne soit pas considérée par le juge comme faisant obstacle à la bonne administration de la justice:

a dans les procédures pénales:

i à prévoir que les juridictions, à la demande d'une des parties, mènent la procédure dans les langues régionales ou minoritaires; et/ou

ii à garantir à l'accusé le droit de s'exprimer dans sa langue régionale ou minoritaire; et/ou

iii à prévoir que les requêtes et les preuves, écrites ou orales, ne soient pas considérées comme irrecevables au seul motif qu'elles sont formulées dans une langue régionale ou minoritaire; et/ou

iv à établir dans ces langues régionales ou minoritaires, sur demande, les actes liés à une procédure judiciaire,

si nécessaire par un recours à des interprètes et à des traductions n'entraînant pas de frais additionnels pour les intéressés;

b dans les procédures civiles:

i à prévoir que les juridictions, à la demande d'une des parties, mènent la procédure dans les langues régionales ou minoritaires; et/ou

ii à permettre, lorsqu'une partie à un litige doit comparaître en personne devant un tribunal, qu'elle s'exprime dans sa langue régionale ou minoritaire sans pour autant encourir des frais additionnels; et/ou

iii à permettre la production de documents et de preuves dans les langues régionales ou minoritaires,

si nécessaire par un recours à des interprètes et à des traductions;

c dans les procédures devant les juridictions compétentes en matière administrative:

i à prévoir que les juridictions, à la demande d'une des parties, mènent la procédure dans les langues régionales ou minoritaires; et/ou

ii à permettre, lorsqu'une partie à un litige doit comparaître en personne devant un tribunal, qu'elle s'exprime dans sa langue régionale ou minoritaire sans pour autant encourir des frais additionnels; et/ou

iii à permettre la production de documents et de preuves dans les langues régionales ou minoritaires,

si nécessaire par un recours à des interprètes et à des traductions;

d à prendre des mesures afin que l'application des alinéas i et iii des paragraphes b et c ci-dessus et l'emploi éventuel d'interprètes et de traductions n'entraînent pas de frais additionnels pour les intéressés.

2 Les Parties s'engagent:

a à ne pas refuser la validité des actes juridiques établis dans l'État du seul fait qu'ils sont rédigés dans une langue régionale ou minoritaire; ou

b à ne pas refuser la validité, entre les parties, des actes juridiques établis dans l'État du seul fait qu'ils sont rédigés dans une langue régionale ou minoritaire, et à prévoir qu'ils seront opposables aux tiers intéressés non locuteurs de ces langues, à la condition que le contenu de l'acte soit porté à leur connaissance par celui qui le fait valoir; ou

c à ne pas refuser la validité, entre les parties, des actes juridiques établis dans l'État du seul fait qu'ils sont rédigés dans une langue régionale ou minoritaire.

3 Les Parties s'engagent à rendre accessibles, dans les langues régionales ou minoritaires, les textes législatifs nationaux les plus importants et ceux qui concernent particulièrement les utilisateurs de ces langues, à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement.

Article 10 – Autorités administratives et services publics

1 Dans les circonscriptions des autorités administratives de l'État dans lesquelles réside un nombre de locuteurs de langues régionales ou minoritaires qui justifie les mesures ci-après et selon la situation de chaque langue, les Parties s'engagent, dans la mesure où cela est raisonnablement possible:

a i à veiller à ce que ces autorités administratives utilisent les langues régionales ou minoritaires; ou

ii à veiller à ce que ceux de leurs agents qui sont en contact avec le public emploient les langues régionales ou minoritaires dans leurs relations avec les personnes qui s'adressent à eux dans ces langues; ou

iii à veiller à ce que les locuteurs de langues régionales ou minoritaires puissent présenter des demandes orales ou écrites et recevoir une réponse dans ces langues; ou

iv à veiller à ce que les locuteurs de langues régionales ou minoritaires puissent présenter des demandes orales ou écrites dans ces langues; ou

v à veiller à ce que les locuteurs des langues régionales ou minoritaires puissent soumettre valablement un document rédigé dans ces langues;

b à mettre à disposition des formulaires et des textes administratifs d'usage courant pour la population dans les langues régionales ou minoritaires, ou dans des versions bilingues;

c à permettre aux autorités administratives de rédiger des documents dans une langue régionale ou minoritaire.

2 En ce qui concerne les autorités locales et régionales sur les territoires desquels réside un nombre de locuteurs de langues régionales ou minoritaires qui justifie les mesures ci-après, les Parties s'engagent à permettre et/ou à encourager:

a l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans le cadre de l'administration régionale ou locale;

b la possibilité pour les locuteurs de langues régionales ou minoritaires de présenter des demandes orales ou écrites dans ces langues;

c la publication par les collectivités régionales des textes officiels dont elles sont à l'origine également dans les langues régionales ou minoritaires;

d la publication par les collectivités locales de leurs textes officiels également dans les langues régionales ou minoritaires;

e l'emploi par les collectivités régionales des langues régionales ou minoritaires dans les débats de leurs assemblées, sans exclure, cependant, l'emploi de la (des) langue(s) officielle(s) de l'État;

f l'emploi par les collectivités locales de langues régionales ou minoritaires dans les débats de leurs assemblées, sans exclure, cependant, l'emploi de la (des) langue(s) officielle(s) de l'État;

g l'emploi ou l'adoption, le cas échéant conjointement avec la dénomination dans la (les) langue(s) officielle(s), des formes traditionnelles et correctes de la toponymie dans les langues régionales ou minoritaires.

3 En ce qui concerne les services publics assurés par les autorités administratives ou d'autres personnes agissant pour le compte de celles-ci, les Parties contractantes s'engagent, sur les territoires dans lesquels les langues régionales ou minoritaires sont pratiquées, en fonction de la situation de chaque langue et dans la mesure où cela est raisonnablement possible:

a à veiller à ce que les langues régionales ou minoritaires soient employées à l'occasion de la prestation de service; ou

b à permettre aux locuteurs de langues régionales ou minoritaires de formuler une demande et à recevoir une réponse dans ces langues; ou

c à permettre aux locuteurs de langues régionales ou minoritaires de formuler une demande dans ces langues.

4 Aux fins de la mise en œuvre des dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 qu'elles ont acceptées, les Parties s'engagent à prendre une ou plusieurs des mesures suivantes:

a la traduction ou l'interprétation éventuellement requises;

b le recrutement et, le cas échéant, la formation des fonctionnaires et autres agents publics en nombre suffisant;

c la satisfaction, dans la mesure du possible, des demandes des agents publics connaissant une langue régionale ou minoritaire d'être affectés dans le territoire sur lequel cette langue est pratiquée.

5 Les Parties s'engagent à permettre, à la demande des intéressés, l'emploi ou l'adoption de patronymes dans les langues régionales ou minoritaires.

Article 11 – Médias

1 Les Parties s'engagent, pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, sur les territoires où ces langues sont pratiquées, selon la situation de chaque langue, dans la mesure où les autorités publiques ont, de façon directe ou indirecte, une compétence, des pouvoirs ou un rôle dans ce domaine, en respectant les principes d'indépendance et d'autonomie des médias:

a dans la mesure où la radio et la télévision ont une mission de service public:

i à assurer la création d'au moins une station de radio et une chaîne de télévision dans les langues régionales ou minoritaires; ou

ii à encourager et/ou à faciliter la création d'au moins une station de radio et une chaîne de télévision dans les langues régionales ou minoritaires; ou

iii à prendre les dispositions appropriées pour que les diffuseurs programment des émissions dans les langues régionales ou minoritaires;

b i à encourager et/ou à faciliter la création d'au moins une station de radio dans les langues régionales ou minoritaires; ou

ii à encourager et/ou à faciliter l'émission de programmes de radio dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière;

c i à encourager et/ou à faciliter la création d'au moins une chaîne de télévision dans les langues régionales ou minoritaires; ou

ii à encourager et/ou à faciliter la diffusion de programmes de télévision dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière;

d à encourager et/ou à faciliter la production et la diffusion d'œuvres audio et audiovisuelles dans les langues régionales ou minoritaires;

e i à encourager et/ou à faciliter la création et/ou le maintien d'au moins un organe de presse dans les langues régionales ou minoritaires; ou

ii à encourager et/ou à faciliter la publication d'articles de presse dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière;

f i à couvrir les coûts supplémentaires des médias employant les langues régionales ou minoritaires, lorsque la loi prévoit une assistance financière, en général, pour les médias; ou

ii à étendre les mesures existantes d'assistance financière aux productions audiovisuelles en langues régionales ou minoritaires;

g à soutenir la formation de journalistes et autres personnels pour les médias employant les langues régionales ou minoritaires.

2 Les Parties s'engagent à garantir la liberté de réception directe des émissions de radio et de télévision des pays voisins dans une langue pratiquée sous une forme identique ou proche d'une langue régionale ou minoritaire, et à ne pas s'opposer à la retransmission d'émissions de radio et de télévision des pays voisins dans une telle langue. Elles s'engagent en outre à veiller à ce qu'aucune restriction à la liberté d'expression et à la libre circulation de l'information dans une langue pratiquée sous une forme identique ou proche d'une langue régionale ou minoritaire ne soit imposée à la presse écrite. L'exercice des libertés mentionnées ci-dessus, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles, ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

3 Les Parties s'engagent à veiller à ce que les intérêts des locuteurs de langues régionales ou minoritaires soient représentés ou pris en considération dans le cadre des structures éventuellement créées conformément à la loi, ayant pour tâche de garantir la liberté et la pluralité des médias.

Article 12 – Activités et équipements culturels

1 En matière d'activités et d'équipements culturels – en particulier de bibliothèques, de vidéothèques, de centres culturels, de musées, d'archives, d'académies, de théâtres et de cinémas, ainsi que de travaux littéraires et de production cinématographique, d'expression culturelle populaire, de festivals, d'industries culturelles, incluant notamment l'utilisation des technologies nouvelles – les Parties s'engagent, en ce qui concerne le territoire sur lequel de telles langues sont pratiquées et dans la mesure où les autorités publiques ont une compétence, des pouvoirs ou un rôle dans ce domaine:

a à encourager l'expression et les initiatives propres aux langues régionales ou minoritaires, et à favoriser les différents moyens d'accès aux œuvres produites dans ces langues;

b à favoriser les différents moyens d'accès dans d'autres langues aux œuvres produites dans les langues régionales ou minoritaires, en aidant et en développant les activités de traduction, de doublage, de post-synchronisation et de sous-titrage;

c à favoriser l'accès dans des langues régionales ou minoritaires à des œuvres produites dans d'autres langues, en aidant et en développant les activités de traduction, de doublage, de post-synchronisation et de sous-titrage;

d à veiller à ce que les organismes chargés d'entreprendre ou de soutenir diverses formes d'activités culturelles intègrent dans une mesure appropriée la connaissance et la pratique des langues et des cultures régionales ou minoritaires dans les opérations dont ils ont l'initiative ou auxquelles ils apportent un soutien;

e à favoriser la mise à la disposition des organismes chargés d'entreprendre ou de soutenir des activités culturelles d'un personnel maîtrisant la langue régionale ou minoritaire, en plus de la (des) langue(s) du reste de la population;

f à favoriser la participation directe, en ce qui concerne les équipements et les programmes d'activités culturelles, de représentants des locuteurs de la langue régionale ou minoritaire;

g à encourager et/ou à faciliter la création d'un ou de plusieurs organismes chargés de collecter, de recevoir en dépôt et de présenter ou publier les œuvres produites dans les langues régionales ou minoritaires;

h le cas échéant, à créer et/ou à promouvoir et financer des services de traduction et de recherche terminologique en vue, notamment, de maintenir et de développer dans chaque langue régionale ou minoritaire une terminologie administrative, commerciale, économique, sociale, technologique ou juridique adéquate.

2 En ce qui concerne les territoires autres que ceux sur lesquels les langues régionales ou minoritaires sont traditionnellement pratiquées, les Parties s'engagent à autoriser, à encourager et/ou à prévoir, si le nombre des locuteurs d'une langue régionale ou minoritaire le justifie, des activités ou équipements culturels appropriés, conformément au paragraphe précédent.

3 Les Parties s'engagent, dans leur politique culturelle à l'étranger, à donner une place appropriée aux langues régionales ou minoritaires et à la culture dont elles sont l'expression.

Article 13 – Vie économique et sociale

1 En ce qui concerne les activités économiques et sociales, les Parties s'engagent, pour l'ensemble du pays:

a à exclure de leur législation toute disposition interdisant ou limitant sans raisons justifiables le recours à des langues régionales ou minoritaires dans les documents relatifs à la vie économique ou sociale, et notamment dans les contrats de travail et dans les documents techniques tels que les modes d'emploi de produits ou d'équipements;

b à interdire l'insertion, dans les règlements internes des entreprises et les actes privés, de clauses excluant ou limitant l'usage des langues régionales ou minoritaires, tout au moins entre les locuteurs de la même langue;

c à s'opposer aux pratiques tendant à décourager l'usage des langues régionales ou minoritaires dans le cadre des activités économiques ou sociales;

d à faciliter et/ou à encourager par d'autres moyens que ceux visés aux alinéas ci-dessus l'usage des langues régionales ou minoritaires.

2 En matière d'activités économiques et sociales, les Parties s'engagent, dans la mesure où les autorités publiques ont une compétence, dans le territoire sur lequel les langues régionales ou minoritaires sont pratiquées, et dans la mesure où cela est raisonnablement possible:

a à définir, par leurs réglementations financières et bancaires, des modalités permettant, dans des conditions compatibles avec les usages commerciaux, l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans la rédaction d'ordres de paiement (chèques, traites, etc.) ou d'autres documents financiers, ou, le cas échéant, à veiller à la mise en œuvre d'un tel processus;

b dans les secteurs économiques et sociaux relevant directement de leur contrôle (secteur public), à réaliser des actions encourageant l'emploi des langues régionales ou minoritaires;

c à veiller à ce que les équipements sociaux tels que les hôpitaux, les maisons de retraite, les foyers offrent la possibilité de recevoir et de soigner dans leur langue les locuteurs d'une langue régionale ou minoritaire nécessitant des soins pour des raisons de santé, d'âge ou pour d'autres raisons;

d à veiller, selon des modalités appropriées, à ce que les consignes de sécurité soient également rédigées dans les langues régionales ou minoritaires;

e à rendre accessibles dans les langues régionales ou minoritaires les informations fournies par les autorités compétentes concernant les droits des consommateurs.

Article 14 – Echanges transfrontaliers

Les Parties s'engagent:

a à appliquer les accords bilatéraux et multilatéraux existants qui les lient aux États où la même langue est pratiquée de façon identique ou proche, ou à s'efforcer d'en conclure, si nécessaire, de façon à favoriser les contacts entre les locuteurs de la même langue dans les États concernés, dans les domaines de la culture, de l'enseignement, de l'information, de la formation professionnelle et de l'éducation permanente;

b dans l'intérêt des langues régionales ou minoritaires, à faciliter et/ou à promouvoir la coopération à travers les frontières, notamment entre collectivités régionales ou locales sur le territoire desquelles la même langue est pratiquée de façon identique ou proche.

Partie IV – Application de la Charte

Article 15 – Rapports périodiques

1 Les Parties présenteront périodiquement au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, sous une forme à déterminer par le Comité des Ministres, un rapport sur la politique suivie, conformément à la partie II de la présente Charte, et sur les mesures prises en application des dispositions de la partie III qu'elles ont acceptées. Le premier rapport doit être présenté dans l'année qui suit l'entrée en vigueur de la Charte à l'égard de la Partie en question, les autres rapports à des intervalles de trois ans après le premier rapport.

2 Les Parties rendront leurs rapports publics.

Article 16 – Examen des rapports

1 Les rapports présentés au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe en application de l'article 15 seront examinés par un comité d'experts constitué conformément à l'article 17.

2 Des organismes ou associations légalement établis dans une Partie pourront attirer l'attention du comité d'experts sur des questions relatives aux engagements pris par cette Partie en vertu de la partie III de la présente Charte. Après avoir consulté la Partie intéressée, le comité d'experts pourra tenir compte de ces informations dans la préparation du rapport visé au paragraphe 3 du présent article. Ces organismes ou associations pourront en outre soumettre des déclarations quant à la politique suivie par une Partie, conformément à la partie II.

3 Sur la base des rapports visés au paragraphe 1 et des informations visées au paragraphe 2, le comité d'experts préparera un rapport à l'attention du Comité des Ministres. Ce rapport sera accompagné des observations que les Parties seront invitées à formuler et pourra être rendu public par le Comité des Ministres.

4 Le rapport visé au paragraphe 3 contiendra en particulier les propositions du comité d'experts au Comité des Ministres en vue de la préparation, le cas échéant, de toute recommandation de ce dernier à une ou plusieurs Parties.

5 Le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe fera un rapport biennal détaillé à l'Assemblée parlementaire sur l'application de la Charte.

Article 17 – Comité d'experts

1 Le comité d'experts sera composé d'un membre pour chaque Partie, désigné par le Comité des Ministres sur une liste de personnes de la plus haute intégrité, d'une compétence reconnue dans les matières traitées par la Charte, qui seront proposées par la Partie concernée.

2 Les membres du comité seront nommés pour une période de six ans et leur mandat sera renouvelable. Si un membre ne peut remplir son mandat, il sera remplacé conformément à la procédure prévue au paragraphe 1, et le membre nommé en remplacement achèvera le terme du mandat de son prédécesseur.

3 Le comité d'experts adoptera son règlement intérieur. Son secrétariat sera assuré par le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.

Partie V – Dispositions finales

Article 18

La présente Charte est ouverte à la signature des États membres du Conseil de l'Europe. Elle sera soumise à ratification, acceptation ou approbation. Les instruments de ratification, d'acceptation ou d'approbation seront déposés près le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.

Article 19

1 La présente Charte entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date à laquelle cinq États membres du Conseil de l'Europe auront exprimé leur consentement à être liés par la Charte, conformément aux dispositions de l'article 18.

2 Pour tout État membre qui exprimera ultérieurement son consentement à être lié par la Charte, celle-ci entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date du dépôt de l'instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation.

Article 20

1 Après l'entrée en vigueur de la présente Charte, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe pourra inviter tout État non membre du Conseil de l'Europe à adhérer à la Charte.

2 Pour tout État adhérent, la Charte entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date de dépôt de l'instrument d'adhésion près le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.

Article 21

1 Tout État peut, au moment de la signature ou au moment du dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion, formuler une ou plusieurs réserve(s) aux paragraphes 2 à 5 de l'article 7 de la présente Charte. Aucune autre réserve n'est admise.

2 Tout État contractant qui a formulé une réserve en vertu du paragraphe précédent peut la retirer en tout ou en partie en adressant une notification au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe. Le retrait prendra effet à la date de réception de la notification par le Secrétaire Général.

Article 22

1 Toute Partie peut, à tout moment, dénoncer la présente Charte en adressant une notification au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.

2 La dénonciation prendra effet le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de six mois après la date de réception de la notification par le Secrétaire Général.

Article 23

Le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe notifiera aux États membres du Conseil et à tout État ayant adhéré à la présente Charte:

a toute signature;

b le dépôt de tout instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion;

c toute date d'entrée en vigueur de la présente Charte, conformément à ses articles 19 et 20;

d toute notification reçue en application des dispositions de l'article 3, paragraphe 2;

e tout autre acte, notification ou communication ayant trait à la présente Charte.

En foi de quoi, les soussignés, dûment autorisés à cet effet, ont signé la présente Charte.

Fait à Strasbourg, le 5 novembre 1992, en français et en anglais, les deux textes faisant également foi, en un seul exemplaire qui sera déposé dans les archives du Conseil de l'Europe. Le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe en communiquera copie certifiée conforme à chacun des États membres du Conseil de l'Europe et à tout État invité à adhérer à la présente Charte.

ANNEXE 2

LES ENGAGEMENTS DÉCLARÉS PAR LA FRANCE
AU CONSEIL DE L’EUROPE À L’OCCASION DE LA SIGNATURE DE LA CHARTE (7 MAI 1999)

● article 8 :

– alinéa 1 a (iii) : « appliquer l’une des mesures visées sous i et ii ci-dessus au moins aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant » ;

[i - prévoir une éducation préscolaire assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ii - prévoir qu’une partie substantielle de l’éducation préscolaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées] ;

– alinéa 1 b (iv) : « appliquer l’une des mesures visées sous i à iii ci-dessus au moins aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant » ;

[i - prévoir un enseignement primaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ii - prévoir qu’une partie substantielle de l’enseignement primaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

iii - prévoir, dans le cadre de l’éducation primaire, que l’enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées fasse partie intégrante du curriculum] ;

– alinéa 1 c (iv) : « appliquer l’une des mesures visées sous i à iii ci-dessus au moins aux élèves qui le souhaitent – ou, le cas échéant, dont les familles le souhaitent – en nombre jugé suffisant » ;

[i - prévoir un enseignement secondaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ii - prévoir qu’une partie substantielle de l’enseignement secondaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires ;

iii - prévoir, dans le cadre de l’éducation secondaire, l’enseignement des langues régionales ou minoritaires comme partie intégrante du curriculum] ;

– alinéa 1 d (iv) : « appliquer l’une des mesures visées sous i à iii ci-dessus au moins aux élèves qui le souhaitent – ou, le cas échéant, dont les familles le souhaitent – en nombre jugé suffisant » ;

[i - prévoir un enseignement technique et professionnel qui soit assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

ii - prévoir qu’une partie substantielle de l’enseignement technique et professionnel soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ;

iii - prévoir, dans le cadre de l’éducation technique et professionnelle, l’enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées comme partie intégrante du curriculum] ;

– alinéa 1 e (i) : « prévoir un enseignement universitaire et d’autres formes d’enseignement supérieur dans les langues régionales ou minoritaires » ;

– alinéa 1 e (ii) : « prévoir l’étude de ces langues, comme disciplines de l’enseignement universitaire et supérieur » ;

– alinéa 1 f (ii) : « proposer ces langues comme disciplines de l’éducation des adultes et de l’éducation permanente » ;

– alinéa 1 g : « prendre des dispositions pour assurer l’enseignement de l’histoire et de la culture dont la langue régionale ou minoritaire est l’expression » ;

– alinéa 1 h : « assurer la formation initiale et permanente des enseignants nécessaire à la mise en œuvre de ceux des paragraphes a à g [engagements relatifs à l’enseignement] acceptés par la Partie » ;

– alinéa 1 i : « créer un ou plusieurs organe(s) de contrôle chargé(s) de suivre les mesures prises et les progrès réalisés dans l’établissement ou le développement de l’enseignement des langues régionales ou minoritaires, et établir sur ces points des rapports périodiques qui seront rendus publics » ;

– paragraphe 2 : « en matière d’enseignement et en ce qui concerne les territoires autres que ceux sur lesquels les langues régionales ou minoritaires sont traditionnellement pratiquées, les Parties s’engagent à autoriser, à encourager ou à mettre en place, si le nombre des locuteurs d’une langue régionale ou minoritaire le justifie, un enseignement dans ou de la langue régionale ou minoritaire aux stades appropriés de l’enseignement ».

● article 9 :

– paragraphe 3 : « rendre accessibles, dans les langues régionales ou minoritaires, les textes législatifs nationaux les plus importants et ceux qui concernent particulièrement les utilisateurs de ces langues, à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement ».

● article 10 :

– alinéa 2 c : « la publication par les collectivités régionales des textes officiels dont elles sont à l’origine également dans les langues régionales ou minoritaires » ;

– alinéa 2 d : « la publication par les collectivités locales de leurs textes officiels également dans les langues régionales ou minoritaires » ;

– alinéa 2 g : « l’emploi ou l’adoption, le cas échéant conjointement avec la dénomination dans la (les) langue(s) officielle(s), des formes traditionnelles et correctes de la toponymie dans les langues régionales ou minoritaires ».

● article 11 :

– alinéa 1 a (iii) : « prendre les dispositions appropriées pour que les diffuseurs programment des émissions dans les langues régionales ou minoritaires » ;

– alinéa 1 b (ii) : « encourager et/ou à faciliter l’émission de programmes de radio dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière » ;

– alinéa 1 c (ii) : « encourager et/ou à faciliter la diffusion de programmes de télévision dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière » ;

– alinéa 1 d : « encourager et/ou à faciliter la production et la diffusion d’œuvres audio et audiovisuelles dans les langues régionales ou minoritaires » ;

– alinéa 1 e (ii) : « encourager et/ou à faciliter la publication d’articles de presse dans les langues régionales ou minoritaires, de façon régulière » ;

– alinéa 1 f (ii) : « étendre les mesures existantes d’assistance financière aux productions audiovisuelles en langues régionales ou minoritaires » ;

– alinéa 1 g : « soutenir la formation de journalistes et autres personnels pour les médias employant les langues régionales ou minoritaires » ;

– paragraphe 2 : « les Parties s’engagent à garantir la liberté de réception directe des émissions de radio et de télévision des pays voisins dans une langue pratiquée sous une forme identique ou proche d’une langue régionale ou minoritaire, et à ne pas s’opposer à la retransmission d’émissions de radio et de télévision des pays voisins dans une telle langue. Elles s’engagent en outre à veiller à ce qu’aucune restriction à la liberté d’expression et à la libre circulation de l’information dans une langue pratiquée sous une forme identique ou proche d’une langue régionale ou minoritaire ne soit imposée à la presse écrite. L’exercice des libertés mentionnées ci-dessus, comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles, ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire » ;

– paragraphe 3 : « les Parties s’engagent à veiller à ce que les intérêts des locuteurs de langues régionales ou minoritaires soient représentés ou pris en considération dans le cadre des structures éventuellement créées conformément à la loi, ayant pour tâche de garantir la liberté et la pluralité des médias ».

● article 12 :

– alinéa 1 a : « encourager l’expression et les initiatives propres aux langues régionales ou minoritaires, et favoriser les différents moyens d’accès aux œuvres produites dans ces langues » ;

– alinéa 1 b : « favoriser les différents moyens d’accès dans d’autres langues aux œuvres produites dans les langues régionales ou minoritaires, en aidant et en développant les activités de traduction, de doublage, de post-synchronisation et de sous-titrage » ;

– alinéa 1 c : « favoriser l’accès dans des langues régionales ou minoritaires à des œuvres produites dans d’autres langues, en aidant et en développant les activités de traduction, de doublage, de post-synchronisation et de sous-titrage » ;

– alinéa 1 d : « veiller à ce que les organismes chargés d’entreprendre ou de soutenir diverses formes d’activités culturelles intègrent dans une mesure appropriée la connaissance et la pratique des langues et des cultures régionales ou minoritaires dans les opérations dont ils ont l’initiative ou auxquelles ils apportent un soutien » ;

– alinéa 1 e : « favoriser la mise à la disposition des organismes chargés d’entreprendre ou de soutenir des activités culturelles d’un personnel maîtrisant la langue régionale ou minoritaire, en plus de la (des) langue(s) du reste de la population » ;

– alinéa 1 g : « encourager et/ou à faciliter la création d’un ou de plusieurs organismes chargés de collecter, de recevoir en dépôt et de présenter ou publier les œuvres produites dans les langues régionales ou minoritaires » ;

– paragraphe 2 : « en ce qui concerne les territoires autres que ceux sur lesquels les langues régionales ou minoritaires sont traditionnellement pratiquées, les Parties s’engagent à autoriser, à encourager et/ou à prévoir, si le nombre des locuteurs d’une langue régionale ou minoritaire le justifie, des activités ou équipements culturels appropriés, conformément au paragraphe précédent » ;

– paragraphe 3 : « les Parties s’engagent, dans leur politique culturelle à l’étranger, à donner une place appropriée aux langues régionales ou minoritaires et à la culture dont elles sont l’expression ».

● article 13 :

– alinéa 1 b : « interdire l’insertion, dans les règlements internes des entreprises et les actes privés, de clauses excluant ou limitant l’usage des langues régionales ou minoritaires, tout au moins entre les locuteurs de la même langue » ;

– alinéa 1 c : « s’opposer aux pratiques tendant à décourager l’usage des langues régionales ou minoritaires dans le cadre des activités économiques ou sociales » ;

– alinéa 1 d : « faciliter et/ou à encourager par d’autres moyens que ceux visés aux alinéas ci-dessus l’usage des langues régionales ou minoritaires » ;

– alinéa 2 b : « dans les secteurs économiques et sociaux relevant directement de leur contrôle (secteur public), réaliser des actions encourageant l’emploi des langues régionales ou minoritaires » ;

– alinéa 2 e : « rendre accessibles dans les langues régionales ou minoritaires les informations fournies par les autorités compétentes concernant les droits des consommateurs ».

● article 14 :

– paragraphe a : « appliquer les accords bilatéraux et multilatéraux existants qui les lient aux États où la même langue est pratiquée de façon identique ou proche, ou s’efforcer d’en conclure, si nécessaire, de façon à favoriser les contacts entre les locuteurs de la même langue dans les États concernés, dans les domaines de la culture, de l’enseignement, de l’information, de la formation professionnelle et de l’éducation permanente » ;

– paragraphe b : « dans l’intérêt des langues régionales ou minoritaires, à faciliter et/ou à promouvoir la coopération à travers les frontières, notamment entre collectivités régionales ou locales sur le territoire desquelles la même langue est pratiquée de façon identique ou proche ».

ANNEXE 3

DÉCISION N° 99-412 DC DU 15 JUIN 1999 DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 mai 1999, par le Président de la République, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée à Budapest le 7 mai 1999, doit être précédée, compte tenu de la déclaration interprétative faite par la France et des engagements qu'elle entend souscrire dans la partie III de cette convention, d'une révision de la Constitution ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 18, alinéa 2, 19 et 20 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

- SUR LE CONTENU DE L'ENGAGEMENT INTERNATIONAL SOUMIS A L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET SUR L'ÉTENDUE DU CONTRÔLE EXERCÉ :

1. Considérant que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires soumise à l'examen du Conseil constitutionnel se compose, outre un préambule, d'une partie I, intitulée : "dispositions générales" ; d'une partie II relative aux "objectifs et principes" que chaque État contractant s'engage à appliquer ; d'une partie III comportant quatre-vingt-dix-huit mesures en faveur de l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique, classées par domaine d'application, au sein desquelles chaque État contractant est libre de faire un choix dans les limites précisées à l'article 2 (

2) de la Charte, les mesures ainsi retenues ne s'appliquant qu'aux langues indiquées dans son instrument de ratification ; d'une partie IV contenant des dispositions d'application ; d'une partie V fixant des dispositions finales ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article 2 (

1) de la Charte, "chaque Partie s'engage à appliquer les dispositions de la partie II", comportant le seul article 7, "à l'ensemble des langues régionales ou minoritaires pratiquées sur son territoire, qui répondent aux définitions de l'article 1" ; qu'il résulte de ces termes mêmes que la partie II a une portée normative propre et qu'elle s'applique non seulement aux langues qui seront indiquées par la France au titre des engagements de la partie III, mais à toutes les langues régionales ou minoritaires pratiquées en France au sens de la Charte ;

3. Considérant que l'article 2 (

2) précité de la Charte fait obligation à chaque État contractant de s'engager à appliquer un minimum de trente-cinq paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions de la partie III, dont au moins trois choisis dans les articles 8 : "enseignement" et 12 : "activités et équipements culturels", et un dans chacun des articles 9 : "justice", 10 : "autorités administratives et services publics", 11 : "médias" et 13 : "vie économique et sociale" ; que, lors de la signature de la Charte, la France a indiqué une liste de trente-neuf alinéas ou paragraphes, sur les quatre-vingt-dix-huit que comporte la partie III de cette convention, qu'elle s'engage à appliquer et qui sera jointe à son instrument de ratification ; que onze d'entre eux concernent l'enseignement, neuf les médias, huit les activités et équipements culturels, cinq la vie économique et sociale, trois les autorités administratives et services publics, deux les échanges transfrontaliers et un la justice ; que le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur la partie III doit porter sur les seuls engagements ainsi retenus ;

4. Considérant, par ailleurs, que le Gouvernement français a accompagné sa signature d'une déclaration interprétative dans laquelle il précise le sens et la portée qu'il entend donner à la Charte ou à certaines de ses dispositions au regard de la Constitution ; qu'une telle déclaration unilatérale n'a d'autre force normative que de constituer un instrument en rapport avec le traité et concourant, en cas de litige, à son interprétation ; qu'il appartient donc au Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, de procéder au contrôle de la constitutionnalité des engagements souscrits par la France indépendamment de cette déclaration ;

- SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE APPLICABLES :

5. Considérant, d'une part, qu'ainsi que le proclame l'article 1er de la Constitution : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances" ; que le principe d'unicité du peuple français, dont aucune section ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale, a également valeur constitutionnelle ;

6. Considérant que ces principes fondamentaux s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ;

7. Considérant, d'autre part, que la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi", doit être conciliée avec le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution selon lequel " La langue de la République est le français " ;

8. Considérant qu'en vertu de ces dispositions, l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ; que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ; que l'article 2 de la Constitution n'interdit pas l'utilisation de traductions ; que son application ne doit pas conduire à méconnaître l'importance que revêt, en matière d'enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle, la liberté d'expression et de communication ;

- SUR LA CONFORMITÉ DE LA CHARTE À LA CONSTITUTION :

9. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de son préambule, la Charte reconnaît à chaque personne "un droit imprescriptible" de "pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique" ; qu'aux termes de l'article 1 (a) de la partie I : "par l'expression " langues régionales ou minoritaires ", on entend les langues : i) pratiquées traditionnellement sur un territoire d'un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l'État ; et ii) différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État", exception faite des dialectes de la langue officielle et des langues des migrants ; que, par "territoire dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée", il convient d'entendre, aux termes de l'article 1 (b), "l'aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d'expression d'un nombre de personnes justifiant l'adoption des différentes mesures de protection et de promotion" prévues par la Charte ; qu'en vertu de l'article 7 (

1) : "les Parties fondent leur politique, leur législation et leur pratique sur les objectifs et principes" que cet article énumère ; qu'au nombre de ces objectifs et principes figurent notamment "le respect de l'aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue...", ainsi que "la facilitation et/ou l'encouragement de l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée" ; que, de surcroît, en application de l'article 7 (

4), "les Parties s'engagent à prendre en considération les besoins et les voeux exprimés par les groupes pratiquant ces langues" en créant, si nécessaire, des "organes chargés de conseiller les autorités" sur ces questions ;

10. Considérant qu'il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des "groupes" de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de "territoires" dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ;

11. Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution en ce qu'elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la "vie privée" mais également dans la "vie publique", à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ;

12. Considérant que, dans ces conditions, les dispositions précitées de la Charte sont contraires à la Constitution ;

13. Considérant que n'est contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des autres engagements souscrits par la France, dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France en faveur des langues régionales ;

Décide :

Article premier :

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera notifiée au Président de la République et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 juin 1999, présidée par M Yves GUÉNA, et où siégeaient : MM Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR, M Pierre MAZEAUD et Mme Simone VEIL.

Le président,

Yves GUÉNA

Journal officiel du 18 juin 1999, p. 8964

Recueil, p. 71

ANNEXE 4

EXTRAIT DE L’AVIS DU CONSEIL D’ÉTAT DU 24 SEPTEMBRE 1996 PORTANT SUR LA COMPATIBILITÉ AVEC LA CONSTITUTION DE LA RATIFICATION
DE LA CHARTE EUROPÉENNE DES LANGUES RÉGIONALES OU MINORITAIRES

« (…) III – Il ressort de l’analyse de l’article 8 de la Charte, relatif à l’éducation que l’État signataire dispose de larges possibilités d’option, permettant l’insertion dans le temps scolaire de l’enseignement des langues en cause. Cet enseignement n’est pas contraire au principe d’égalité, dès lors qu’il ne revêt pas un caractère obligatoire et qu’il ne soustrait pas les usagers du service à l’ensemble des droits et obligations concernant les autres citoyens ; par suite les dispositions de cet article 8 ne sauraient être regardées comme portant atteinte à aucun principe de nature constitutionnelle. À condition que le soutien à l’expression dans ces langues dans les médias et sur le plan de l’action culturelle soit dévolu également à toutes les langues, au sens de la Charte, se trouvant dans les mêmes conditions, la plupart des dispositions des articles 11 sur les médias et 12 sur la vie culturelle pourraient être mises en vigueur en France sans se heurter à une objection d’ordre constitutionnel.

« IV – En revanche, les obligations prévues aux articles 9 et 10 prévoient un véritable droit à l’utilisation de langues régionales ou minoritaires dans les rapports avec la justice et les autorités administratives. Or, les prescriptions de l’article 9 rendant possible l’usage d’une langue autre que le français devant les tribunaux pénaux, civils et administratifs ne pourraient être appliquées sans que soient méconnues les obligations résultant de l’article 2 de la Constitution.

« D’autre part, l’État ne saurait raisonnablement esquiver la difficulté créée par les prescriptions de l’article 10 relatif à l’usage des langues régionales ou minoritaires par les autorités administratives et les services publics, en retenant dans cet article quelques mesures marginales, apparemment compatibles avec l’obligation d’utiliser le français à condition que ce ne soit pas à titre exclusif. Cette option ne permettrait pas de donner consistance à la politique qu’il se serait engagé à mettre en œuvre à la partie II, et qui consiste bien à promouvoir l’usage de ces langues dans la vie publique au même titre que dans la vie privée.

« Malgré la compatibilité avec la Constitution des dispositions qui, sur le plan de l’enseignement, de la culture et des médias, reconnaissent aux langues régionales et minoritaires un statut déjà largement assuré par le droit interne, l’obligation de retenir un nombre minimum d’obligations dans les articles 9 et 10 s’oppose à la ratification ».

ANNEXE 5

LES LANGUES PARLÉES PAR DES RESSORTISSANTS FRANÇAIS SUR LE TERRITOIRE DE LA RÉPUBLIQUE (RAPPORT ÉTABLI PAR M. BERNARD CERQUIGLINI - AVRIL 1999)

France métropolitaine

– dialecte allemand d’Alsace et de Moselle ;

– basque ;

– breton ;

– catalan ;

– corse ;

– flamand occidental ;

– francoprovençal ;

– occitan (gascon, languedocien, provençal, auvergnat-limousin, alpin-dauphinois) ;

– langues d’oïl : franc-comtois, wallon, picard, normand, gallo, poitevin-saintongeais, bourguignon-morvandiau, lorrain ;

– berbère ;

– arabe dialectal ;

– yiddish ;

– romani chib ;

– arménien occidental.

Départements d'Outre Mer

– créoles à base lexicale française : martiniquais, guadeloupéen, guyanais, réunionnais ;

– créoles bushinenge (à base lexicale anglo-portugaise) de Guyane : saramaca, aluku, njuka, paramaca ;

– langues amérindiennes de Guyane : galibi (ou kalina), wayana, palikur, arawak proprement dit (ou lokono), wayampi, émerillon ;

– hmong.

Territoires d'Outre Mer

Nouvelle Calédonie :

– 28 langues kanak.

Grande Terre : nyelâyu, kumak, caac, yuaga, jawe, nemi, fwâi, pije, pwaamei, pwapwâ, dialectes de la région de Voh-Koné, cèmuhî, paicî, ajië, arhâ, arhö, ôrôwe, neku, sîchë, tîrî, xârâcùù, xârâgùrè, drubéa, numèè.

Îles Loyauté : nengone, drehu, iaai, fagauvea.

Territoires français de Polynésie :

– tahitien ;

– marquisien ;

– langue des Tuamotu ;

– langue mangarévienne ;

– langue de Ruturu (Îles Australes) ;

– langue de Ra’ivavae (Îles Australes) ;

– langue de Rapa (Îles Australes) ;

– walissien ;

– futunien.

Mayotte :

– shimaoré ;

– shibushi.

1 () Voir texte en annexe 1.

2 () Allemagne, Arménie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Hongrie, Liechtenstein, Luxembourg, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine.

3 () À l’adresse suivante :

4 () Ces quatre-vingt-dix-huit mesures figurent dans soixante-huit « articles » selon le site du Conseil de l’Europe, plus exactement dans les soixante-huit subdivisions (a, b, c,...) des sept articles de la partie III.

5 () Voir sur ce point Hugues Moutouh, « Les langues régionales en droit français », Regards sur l’actualité, avril 1999.

6 () Selon l’expression qui figure dans la plaquette de présentation de la Charte établie par les services du Conseil de l’Europe.

7 () Citations rappelées notamment par M. Bernard Poignant dans son rapport au Premier ministre sur les langues et cultures régionales, 1er juillet 1998 (rapport présenté ci-après).

8 () Information figurant aussi dans La mise en œuvre de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, Éditions du Conseil de l’Europe, septembre 1999.

9 () Article 1er de la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre : « Des Communautés européennes et de l’Union européenne ».

10 ()

11 () « La langue française et les langues de France », entretien avec Alain Finkielkraut diffusé le 24 juillet 1999, publié dans La querelle de l’école, Stock/Panama, 2007.

12 () L’article publié dans Le Monde du 24 juin 1999 par MM. Olivier Duhamel et Bruno Etienne est de ce point de vue particulièrement emblématique (« L’intégrisme césaro-papiste »).

13 () « Langues régionales : Jacques Chirac refuse une révision de la Constitution », Les Échos, 24 juin 1999.

14 () .

15 () Voir annexe 3.

16 () Jean-Éric Schoettl, « La Charte européenne des langues régionales comporte des clauses contraires à la Constitution», AJDA, 1999, p. 573.

17 () Choix réalisé en s’efforçant de préserver une relative diversité, mais qui revêt par nature un aspect aussi aléatoire

18 () Rapport établi dans le cadre de la procédure de suivi de l’application de la Charte (cf. note de présentation de la Charte).

19 () Jean-Chrisophe Ploquin, « Dossier sur les langues régionales », La Croix, 15 septembre 2001.

20 () « Constitutionnalisation des langues régionale et forme de l’État ; étude comparative : Espagne, Italie, Suisse et Belgique », article diffusé sur le site internet de l’Association française de droit constitutionnel.

21 () En effet, il conviendrait que ces traités soient ratifiés par les sept assemblées législatives compétentes avant de pouvoir entrer en vigueur, ce qui implique la Chambre des représentants, le Sénat, le Conseil flamand, le Conseil de la Communauté française, le Conseil de la Communauté germanophone et le Conseil de la région de Bruxelles-Capitale (informations figurant sur le site internet « Trésor de la langue française au Québec » – TLFQ –, qui dépend du département de langues, linguistique et traduction de la faculté des lettres de l’Université Laval de Québec).

22 () application de la Charte sur les langues régionales ou minoritaires.

23 () Jean-Christophe Ploquin, article précité.

24 () Voir notamment, sur ce point, le site internet « Trésor de la langue française au Québec » (TLFQ) de l’Université Laval à Québec.

25 () Selon l’expression de Mme Jordane Arlettaz, dans l’article précité

26 () Santiago Gonzalez-Varas Ibanez, « L’Espagne, un paradis polyglotte », in Quelle(s) langue(s) pour la République ? Le dilemme « diversité/unicité », Éditions du Conseil de l’Europe, 2003.

27 () Voir sur ce point, le site internet précité TLFQ de l’Université Laval à Québec.

28 () Rapport du 24 octobre 2012 sur l’application de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en Espagne.

29 () La Constitution a été établie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Italie venait de connaître une vingtaine d’années d’oppression contre ses minorités linguistiques. Les rédacteurs de la nouvelle Constitution ont considéré qu’était requis un soutien officiel et constitutionnel à l’égard des minorités qui avaient dû subir une italianisation forcée. Cette perception était-elle si profondément ancrée dans les esprits que les rédacteurs n’ont même pas cru utile d’insérer dans la Constitution un article sur le caractère officiel de la langue italienne en Italie ? (hypothèse évoquée sur le site TLFQ précité).

30 () Cf. le site précité TLFQ de l’Université Laval de Québec.

31 () Luciano Caveri, membre du Parlement européen, évoquait en 2002 d’une part, une petite minorité de cent personnes dans le Molise, petite région italienne (minorité croate parlant un ancien dialecte croate), d’autre part, la minorité sud-tyrolienne, importante quantitativement, pour laquelle la province de Bozen assure une forme de tutelle (« La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires dans le contexte actuel du mouvement d’intégration européenne », article publié dans Quelle(s) langue(s) pour la République ? Le dilemme « diversité/unicité », Éditions du Conseil de l’Europe, 2003).

32 () , article précité.

33 () Éléments présentés par Florence Benoît-Rohmer, « Table ronde sur les langues et les Constitutions en Europe », in Quelle(s) langue(s) pour la République ? Le dilemme « diversité/unicité », Éditions du Conseil de l’Europe, 2003. L’auteure conclut toutefois son propos en rappelant que la même Cour rendait quelques jours plus tard une autre décision… par laquelle elle se déclarait finalement incompétente pour statuer sur la compatibilité a priori de la Charte à la Constitution !

34 () Voir le site TLFW de l’Université Laval de Québec.

35 () du choix de la langue officielle, qui emporte en général des conséquences concernant, par exemple, l’activité judiciaire ou administrative. Voir sur ce point Jean-François Aubert, « Le cas de la Suisse », dans Langue(s) et Constitution(s), sous la direction d’Anne-Marie Le Pourhiet, Economica, 2004.

36 () Il est intéressant de noter que le Tribunal fédéral suisse, malgré le silence de la Constitution en ce qui concerne la compétence linguistique des cantons, avait pourtant affirmé, dès 1932, que ces derniers pouvaient prendre, compte tenu de leur autonomie, des mesures en matière linguistique. Selon le Tribunal fédéral, l’article 116 de la Constitution relatif aux langues nationales et officielles de l’État ne concernait ainsi que les rapports avec les autorités fédérales et n’empêchait nullement la réglementation par les cantons des rapports linguistiques sur leur territoire propre. Cette jurisprudence sera confirmée en 1957 et définitivement consacrée par le nouvel article 70 de la Constitution, aux termes duquel « les cantons déterminent leurs langues officielles ».

37 () Selon l’expression de Jordane Arlettaz dans l’article précité.

38 () Éléments d’information figurant sur le site internet « Trésor de la langue française au Québec » (TLFQ) de l’Université Laval de Québec.


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