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N° 1007

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 avril 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SUR LE PROJET DE LOI (n° 835) relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche,

PAR M. SÉbastien DENAJA

Député.

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphé, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-présidents ; Mme Edith Gueugneau ; Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Huguette Bello ; M. Jean-Louis Borloo ; Mme Brigitte Bourguignon ; Mme Marie-George Buffet ; Mme Pascale Crozon ; M. Sébastien Denaja ; Mme Sophie Dessus ; Mme Marianne Dubois ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Martine Faure ; M. Guy Geoffroy ; Mme Claude Greff ; Mme Françoise Guégot ; M. Guénhaël Huet ; Mme Valérie Lacroute ; Mme Sonia Lagarde ; M. Serge Letchimy ; Mme Geneviève Levy ; Mme Martine Lignières-Cassou ; M. Jacques Moignard ; Mme Dominique Nachury ; Mme Ségolène Neuville ; Mme Maud Olivier ; Mme Barbara Pompili ; Mme Josette Pons ; Mme Catherine Quéré ; Mme Barbara Romagnan ; M. Philippe Vitel

INTRODUCTION 5

I.– L’ÉGALITÉ DANS LES ÉTABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE RECHERCHE : ENCORE BEAUCOUP DE PROGRÈS À ACCOMPLIR 9

A. LES INÉGALITÉS DANS LA RÉPARTITION FEMMES/HOMMES DES PERSONNELS AU SEIN DES ÉTABLISSEMENTS 9

1. Un constat : la double ségrégation professionnelle 9

a) La ségrégation verticale : la persistance du « plafond de verre » 10

b) La ségrégation horizontale : une variété de situations d’une discipline à l’autre 12

2. Une prise de conscience encore difficile 13

a) Une réalité en trompe-l’œil 13

b) Le besoin d’études et de statistiques sexuées 13

c) La sous-représentation des femmes dans la recherche est aussi une donnée globale européenne 14

3. Mieux diffuser la culture scientifique vers le grand public 16

B. VIVRE L’ÉGALITÉ ET LA PARITÉ DANS LA COMMUNAUTÉ UNIVERSITAIRE 18

1. Décliner avec volontarisme le plan global en faveur de l’égalité dans les établissements 18

2. Inclure la promotion de la parité et de l’égalité dans les missions des établissements 20

3. Mener des actions anti-sexistes et pour l’égalité plus visibles et plus ambitieuses 21

4. Généraliser les enseignements sur le genre dans les établissements d’enseignement supérieur 22

II.– ÉTABLIR UNE GOUVERNANCE PARITAIRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE TANT AU SEIN DES ÉTABLISSEMENTS QU’AU PLAN NATIONAL 23

A. LA PLACE DES FEMMES DANS LA DIRECTION DES ÉTABLISSEMENTS : UN ÉTAT DES LIEUX 24

B. LE PROJET DE LOI RÉFORME LA COMPOSITION DES CONSEILS CENTRAUX D’ÉTABLISSEMENT 24

C. LA PARITÉ BIENTÔT OBLIGATOIRE POUR LES LISTES DE CANDIDATS AUX CONSEILS CENTRAUX 26

1. Le scrutin à deux tours préféré au scrutin à un tour avec représentation proportionnelle au plus fort reste 27

2. Assurer la parité pour l’ensemble des composantes élues et nommées des conseils centraux 28

3. Les différents organes participant à l’administration des établissements seront-ils tous soumis à l’obligation de parité ? 29

4. Assurer un suivi de l’impact de la loi sur la composition paritaire des conseils 30

D. LA PARTICIPATION DES FEMMES À LA GOUVERNANCE SCIENTIFIQUE AU PLAN NATIONAL 31

1. Le nouveau Conseil stratégique de la recherche 32

2. Le principe de la parité appliqué au CNESER : une mise en œuvre complexe 32

3. L’instance supérieure d’évaluation bientôt paritaire 34

III.– PROMOUVOIR LES FEMMES DANS LE RECRUTEMENT ET LE DÉROULEMENT DES CARRIÈRES 36

A. ASSURER L’ÉGALITÉ DÈS LE RECRUTEMENT 36

B. LE DÉROULEMENT DE LA CARRIÈRE : ADOPTER DES MESURES POUR RÉTABLIR L’ÉGALITÉ 38

C. ÉRIGER LA PARITÉ ET L’ÉGALITÉ EN OBJECTIFS DE PERFORMANCE 40

IV.– ASSURER LE RESPECT ENTRE LES SEXES DANS LA COMMUNAUTÉ UNIVERSITAIRE 41

1. En finir avec l’attitude de déni face aux violences et au harcèlement 41

2. Améliorer la procédure de traitement des faits de violence et de harcèlement sexuel 43

3. Mettre en place des actions de prévention et d’accompagnement 46

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 48

RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION 52

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 55

COMPTE-RENDU DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 58

ANNEXE 74

MESDAMES, MESSIEURS,

Les sphères de l’enseignement supérieur et de la recherche représentent pour notre nation l’intelligence et le progrès. Elles sont porteuses de valeurs positives et doivent symboliser l’idée que notre humanité travaille à une société plus évoluée, plus égalitaire.

Ces concepts d’intelligence et de progrès sont antinomiques de l’existence de discriminations multiformes. En effet, il s’agit de faire la part des choses entre une égalité de droit, acquise aujourd’hui, et une inégalité de fait persistante. Une femme va être confrontée durant sa vie universitaire à des obstacles liés à son genre. Les études consultées par votre Rapporteur, comme les auditions qu’il a conduites au sein de la Délégation aux droits des femmes, ont confirmé un état de fait incompatible avec nos valeurs d’égalité.

Les femmes sont aujourd’hui fortement sous-représentées dans les postes de direction des établissements, sous-représentées dans la hiérarchie administrative, minorées dans les travaux de recherche, discriminées dans les évaluations sur les recherches, peu présentes dans les hauts conseils et instances nationales. Une statistique résume à elle seule les conséquences de l’ensemble de ces discriminations : près de 60 % des diplômés de l’enseignement supérieur sont des femmes, mais elle représentent, en 2011, 50 % des doctorants, 40 % des maîtres de conférence, 22 % de professeurs des universités, et seulement 14 % des présidents d’université.

Votre Rapporteur a été extrêmement attentif à la question du harcèlement sexuel. Ce genre d’actes ne peut plus être toléré dans notre système d’enseignement et de recherche, c’est pourquoi le présent rapport propose un volet significatif d’actions contre toute forme d’atteinte à l’intégrité sexuelle ou à la dignité des personnes.

Après un constat le plus exhaustif possible, l’analyse et les recommandations sont concentrées sur plusieurs axes :

- améliorer la présence des femmes dans la gouvernance des établissements d’enseignement et des organismes de recherche ;

- tendre le plus systématiquement possible vers l’application de la parité dans tous les organismes décisionnels et systématiser des plans d’actions par établissement en faveur de l’égalité ;

- rendre plus égalitaire les déroulements de carrière ;

- rééquilibrer la place des femmes dans les filières scientifiques ;

- faire disparaître les abus et les pratiques de harcèlement sexuel.

Votre Rapporteur s’inscrit ainsi pleinement dans la politique voulue par le président de la République et conduite avec volontarisme par l’actuel gouvernement. La constitution d’un gouvernement intégralement paritaire, la nomination nouvelle d’une ministre de plein exercice des Droits des femmes, la réunion du comité interministériel aux droits des femmes en novembre 2012, après une interruption de douze années, la généralisation des études d’impact sur les droits des femmes dans les projets de loi, les plans gouvernementaux lancés par la ministre des Droits des femmes, Mme Najat Vallaud-Belkacem, sont autant de pas positifs en faveur d’une société plus égalitaire.

Aujourd’hui la place des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche est inférieure à celle des hommes à différents points de vue.

Tout d’abord, si l’on compte 47 % de jeunes filles dans les terminales scientifiques, avec de meilleurs résultats au niveau des baccalauréats, elles sont ensuite moins présentes dans les études supérieures scientifiques. Elles ne sont plus que 40 % au niveau de la licence, et de 10 à 24 % dans les grandes écoles scientifiques.

La part des femmes dans les écoles d’ingénieurs, soit environ 15 % des élèves, tend à diminuer, et certaines écoles d’ingénieur ne comptent que 11 % de femmes. Cette place très réduite des femmes est un handicap pour notre pays, d’autant plus que la désaffection pour certaines disciplines scientifiques concerne également les jeunes gens, ce qui est très inquiétant pour notre pays alors que l’évolution vers une économie de la connaissance est de plus en plus indispensable.

Les statistiques montrent, ensuite, que les femmes scientifiques accèdent moins aux postes supérieurs que leurs homologues masculins et sont sous représentées dans les postes de responsabilité de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il est très vraisemblable que les modèles d’organisation du travail ne soient pas adaptés à la répartition des tâches au sein de la famille, comme dans d’autres professions. Mais d’autres freins existent, que le présent projet de loi peut contribuer à lever.

S’agissant de la présence encore insuffisante des femmes dans les instances de gouvernance des établissements, l’interrogation doit être étendue aux organes centraux de gouvernance et aux structures de financement et d’évaluation de la recherche. Si les premiers sont concernés par le projet de loi, les seconds ne le sont pas tous.

Votre Rapporteur se réjouit des initiatives intervenues récemment, telle la présentation d’un plan d’action global par Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à l’occasion du Comité interministériel pour les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes, réuni le 30 novembre 2012.

Ce plan comporte une quarantaine d’actions, articulées autour de grands axes, concernant par exemple l’égalité des carrières, la mixité des formations, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et le développement de recherches sur le genre. Ce plan est le bienvenu et le présent projet de loi contribuera sans conteste à la réalisation de ses objectifs.

De même, il convient de mettre en exergue la signature, le 29 janvier 2013, de la charte pour l’égalité par les présidents de trois conférences d’établissements : la Conférence des présidents d’université, la Conférence des grandes écoles et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs. Cette charte a également été cosignée par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que par Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes. La charte traduit l’aboutissement fructueux d’un dialogue contractuel, se traduisant par plusieurs engagements, que chaque établissement est invité à mettre en œuvre dans ses murs :

- « utiliser des outils de communication non sexistes, non discriminants, non stéréotypés ;

- faire diffuser un état des lieux statistique sexué ;

- organiser des actions de sensibilisation à l’égalité Femmes/Hommes auprès des étudiant-e-s comme du personnel ;

- prévenir toute forme de violence et de harcèlement. »

Il reste beaucoup à faire dans ce domaine pour accompagner les jeunes filles et les femmes aux différents stades de leurs parcours, du choix de l’orientation à l’intégration d’une profession universitaire ou de chercheure ; peut-être faudrait-il imaginer des techniques et des interventions de soutien au profit de jeunes filles et jeunes femmes à fort potentiel, comme le font certaines grandes entreprises. C’est d’ailleurs le sens de l’initiative du «  mentor », soutien apporté par une femme chercheure plus ancienne dans la carrière, mise en place dans certains établissements.

Notre pays est encore trop marqué par les déséquilibres de genre, tant dans l’enseignement supérieur et la recherche que dans certains mandats électoraux encore ou dans les postes de cadres supérieurs des grandes entreprises. Progressivement, mais souvent trop lentement, nos législations permettent, lorsqu’elles sont strictement mises en œuvre, à faire évoluer des habitudes anciennes.

Le projet de loi récemment adopté par le parlement relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaire est une avancée majeure pour la parité. Le pourcentage de femmes dans les conseils départementaux va passer de 12 % à près de 50 %. Dans toutes les communes entre 3500 et 1000 habitants, des listes paritaires seront désormais la règle. Enfin, la parité devra s’appliquer dans les exécutifs des établissements communautaires. De même, le projet de loi adopté récemment portant sur la sécurisation de l’emploi prévoit désormais une stricte parité dans la désignation des délégués salariés aux conseils d’administration des grandes entreprises.

Car faire progresser la parité, comme la diversité, c’est aussi œuvrer pour l’excellence, la créativité et l’efficacité collective.

Une autre question mériterait un examen approfondi : l’introduction, dans les programmes des établissements, d’enseignements ou de modules d’enseignement sur les questions de genre et d’égalité entre les sexes. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a évoqué cette question ; la Délégation aux droits des femmes, de son côté, devra aussi dresser un état des lieux et proposer les développements souhaitables.

I.– L’ÉGALITÉ DANS LES ÉTABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE RECHERCHE : ENCORE BEAUCOUP DE PROGRÈS À ACCOMPLIR

Dans les établissements, les femmes et les hommes bénéficient formellement des mêmes droits et peuvent accéder à tous les emplois, grades et fonctions de manière égalitaire. Cependant la réalité est beaucoup plus complexe et les statistiques montrent la persistance de différents « plafonds de verre ».

Il existe de fortes inégalités dans la répartition femmes/hommes dans toutes les catégories de personnel, et le déroulement des carrières accentue ces inégalités.

Par ailleurs, les hommes et les femmes restent très inégalement représentés dans certaines disciplines universitaires, avec une perception encore forte dans la société et chez les jeunes d’études « masculines » et d’autres « féminines ». Ce clivage de genre semble même s’accroître pour certaines disciplines scientifiques au lieu de s’atténuer.

A. LES INÉGALITÉS DANS LA RÉPARTITION FEMMES/HOMMES DES PERSONNELS AU SEIN DES ÉTABLISSEMENTS

L’enjeu de la parité au sein du personnel des établissements d’enseignement supérieur et de recherche est complexe car il dépasse la simple égalité de droit, bien acquise, pour puiser dans les préjugés et d’autres facteurs exogènes. Ce sont précisément ces préjugés qu’il faut s’attacher à déconstruire pour pouvoir avancer vers plus d’égalité.

Les statistiques permettent de mieux saisir la réalité de la situation, en montrant que la juste répartition entre hommes et femmes au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche est loin d’être acquise. Cette inégalité de fait touche tous les employés des établissements de recherche, depuis les enseignants et enseignants chercheurs, jusqu’aux personnels de bibliothèque et administratifs, en passant par les ingénieurs et techniciens.

1. Un constat : la double ségrégation professionnelle

De manière générale, la France a un faible taux de féminisation des chercheurs en comparaison avec les pays de l’OCDE : 27 % des femmes seulement se consacrent à la recherche, que celle-ci soit publique ou privée. Notre pays a un taux de féminisation meilleur que l’Allemagne (23 %) ou le Japon (14 %), mais est très en retard par rapport aux autres pays, en commençant par le Portugal (dont 43 % des chercheurs sont des femmes) et l’Estonie (42 %), puis l’Afrique du Sud (40 %). La France est aussi en retard par rapport à certains de ses voisins comme l’Italie (33 %) ou l’Espagne (37 %).

Ensuite, les femmes chercheurs subissent de réelles discriminations dans le déroulement de leur carrière. Par ailleurs, les femmes sont moins présentes dans certaines disciplines (sciences fondamentales et applications, sciences et techniques des activités physiques et sportives) et largement majoritaires dans des études considérées comme « féminines » (langues, lettres, sciences humaines et sociales).

a) La ségrégation verticale : la persistance du « plafond de verre »

La métaphore du fameux « plafond de verre » prend tout son sens lorsque l’on s’intéresse à la progression de la carrière des femmes au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Indépendamment de l’amélioration de leur insertion dans le milieu professionnel de la recherche, les femmes ont en effet beaucoup plus de mal que les hommes à gravir les échelons : on parle aussi de l’effet « semelles de plomb ».

Le graphique suivant, élaboré à l’initiative de l’Association internationale des femmes diplômées des universités, illustre parfaitement l’effet « plafond de verre » évoqué plus haut : alors que les femmes sont majoritaires au stade des études, leur proportion diminue progressivement au fur et à mesure que le niveau hiérarchique augmente, pour ne représenter finalement qu’un pourcentage modeste des professeurs et présidents d’universités.

LA PART DES HOMMES ET DES FEMMES À L’UNIVERSITÉ EN 2011


Presque 60 % des diplômés d’universités sont des femmes, mais elles représentent moins de 15 % des présidents d’universités. Le chiffre frappe par son ampleur et interroge sur les raisons d’une telle disparité.

Le constat est identique au sein du Centre national pour la recherche scientifique (CNRS) : alors que les femmes occupent 37 % des postes de chargés de recherche, elles ne sont plus que 26 % parmi les directeurs de recherche.

Deux enquêtes menées en 2004 (1) et en 2005 (2) au sein du CNRS ont tenté d’éclaircir les mécanismes de ce phénomène. D’après leurs conclusions, les femmes pâtissent toujours des charges familiales, qu’elles assument davantage, qui ont pour effet de réduire leur mobilité géographique ou leur disponibilité à un âge critique pour l’avancement de leur carrière.

Parallèlement, les deux études insistent sur les effets positifs de la présence de femmes au sein des laboratoires, notamment grâce à leur approche souvent plus collective que celle des hommes. Il est nécessaire que cet impact positif des femmes, certes diffus mais bien réel, soit mieux reconnu dans l’avancement de leur carrière.

Les données relatives aux membres des Académies de l’Institut de France montrent aussi une grande inégalité entre les sexes, les femmes ne représentant qu’une proportion de 4 à 14 % des académiciens.

LA PLACE DES FEMMES PARMI LES MEMBRES DES ACADÉMIES (2012)

(en pourcentage de l’effectif total)

Source : Institut de France

b) La ségrégation horizontale : une variété de situations d’une discipline à l’autre

A côté de la ségrégation verticale, subsiste un vaste phénomène de « parois de verre », qui semble restreindre l’accès aux femmes dans un certain nombre de disciplines, alors qu’elles sont plus nombreuses dans d’autres.

Cette ségrégation horizontale traverse l’ensemble des disciplines universitaires, opposant notamment les sciences humaines et les lettres, qui comptent 70 % de femmes à l’université, aux sciences fondamentales et appliquées, qui comptent moins de 30 % de femmes dans leurs effectifs.

LA PROPORTION DE FEMMES PAR DISCIPLINE UNIVERSITAIRE


Les classes préparatoires subissent de plein fouet cet effet de paroi de verre : alors que les jeunes femmes sont plus de 70 % en filière littéraire, elles représentent moins de 30 % des élèves des classes scientifiques.

Au sein du CNRS, les tendances sont également très marquées : si les femmes représentent 50 % des chercheurs travaillant sur le langage et le discours, elles ne sont plus que 9,5 % à s’intéresser aux théories physiques, et 16 % à étudier les mathématiques pures.

Ce type de ségrégation heurte particulièrement l’idéal d’égalité. On sait, par exemple, que pour une classe de seconde donnée, parmi les élèves se jugeant très bons en mathématiques, 80 % des garçons iront en section scientifique contre seulement 60 % des filles.

Contrairement aux idées reçues, ces disparités entre disciplines ne sont pas uniquement le résultat de choix personnels ou d’hypothétiques « prédispositions » sexuées.

Si les causes et les acteurs d’une telle disparité sont multiples, les stéréotypes sur les disciplines jouent un rôle particulièrement néfaste dans le choix d’orientation des jeunes femmes. Il semble indispensable de combattre ces préjugés, et surtout de sensibiliser les acteurs de l’éducation à ces enjeux.

2. Une prise de conscience encore difficile

Le constat de l’inégalité entre les hommes et les femmes dans les carrières menées au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, aussi frappant qu’il puisse paraître, suscitait jusqu’à présent peu de réactions.

a) Une réalité en trompe-l’œil

À cela, il est possible de trouver plusieurs explications. L’arrivée des femmes au cours des dernières décennies, dans des professions réservées, de droit ou de fait, aux hommes, a attiré l’attention et l’a détournée du chemin qui reste à parcourir. La ministre des Droits des femmes, Mme Najat Vallaud-Belkacem, a récemment souligné, à l’occasion de la signature de la Charte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le 28 janvier 2013, que la place des femmes aux postes de direction a diminué de moitié entre 2008 et 2012. Si la réussite des femmes dans la carrière universitaire se poursuivait à son rythme actuel, il faudra attendre 2068 pour avoir la parité chez les professeurs d’universités !

Dans le domaine des mathématiques, particulièrement, les personnes entendues par la Délégation ont également souhaité attirer l’attention des rapporteurs sur l’absence de perspectives favorables.

Enfin, les phénomènes comme le « plafond de verre » sont difficiles à mettre en évidence sans une analyse attentive, puisqu’ils n’ont de sens qu’en comparant les situations sur différents niveaux hiérarchiques, et sont aisément occultés par les bons résultats obtenus pour les emplois les moins prestigieux.

b) Le besoin d’études et de statistiques sexuées

Une bonne compréhension du phénomène de discrimination sexuée qui existe dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche n’est possible qu’avec l’aide d’études précises et approfondies sur la place des femmes et l’évolution de leur carrière.

Á l’heure actuelle, les outils d’appréciation de la place des femmes et de l’évolution de leur carrière sont encore insuffisants. Seule la production systématique de statistiques sexuées au niveau national permettra de combler ce vide.

Certaines initiatives isolées, comme la publication par le CNRS du bilan annuel « La parité dans les métiers du CNRS » permettent réellement de mieux saisir les enjeux de la parité dans le milieu de la recherche, et doivent être encouragées.

Recommandation n°1 : Élaborer des statistiques nationales sur la place des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Adresser une circulaire aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche demandant la mise à disposition de données relatives à la répartition entre les sexes des postes de chercheur et d’enseignant-chercheur, aux différents stades de la carrière. Ces données doivent être disponibles pour les personnels et les usagers des établissements, et transmises au ministère pour l’élaboration des statistiques nationales.

c) La sous-représentation des femmes dans la recherche est aussi une donnée globale européenne

Au niveau européen de même, l’heure est à la prise de conscience. Ainsi, la commission européenne a tout récemment publié la dernière édition du rapport « She Figures », qui s’attache à étudier en profondeur les enjeux de parité dans le monde européen de la recherche.

Les études effectuées dans ce domaine par la Commission européenne font aussi état d’une sous représentation des femmes dans la recherche de manière générale en Europe.

Le rapport « She Figures 2012 », publié au mois d’avril 2013, indique que, bien que le pourcentage de chercheuses progresse en Europe, la sous-représentation des femmes dans les disciplines scientifiques et dans les sommets de carrière perdure. Ce rapport prend en considération les statistiques produites dans les 27 pays membres, mais aussi dans d’autres pays européens non membres de l’Union européenne, soit 34 pays au total.

Les conclusions sont sans surprise : en Europe, les femmes ne représentent que 33 % de la communauté des chercheurs et que 20 % des professeurs titulaires de chaire, tandis que 15,5 % des établissements d’enseignement supérieur seulement sont dirigés par une femme.

Au niveau européen, la proportion d’étudiantes (55 %) et des diplômées (59 %) est supérieure à celle de leurs homologues masculins, mais la tendance s’inverse parmi les doctorants et les titulaires d’un doctorat (49 % et 46 % respectivement). En ce qui concerne la progression de la carrière à l’université, les femmes représentent 44 % des chercheurs titulaires d’un doctorat qui ont accédé au premier grade de la carrière académique, mais ne sont plus que 20 % parmi ceux qui ont atteint le grade le plus élevé. Cette sous-représentation est encore plus marquée dans des domaines tels que les sciences et l’ingénierie.

Ces constatations ont conduit la Commission européenne à faire de l’égalité hommes/femmes l’une des priorités dans la construction de l’Espace européen de la recherche. Elle a également invité les États membres à supprimer les obstacles entravant le recrutement, le maintien et la progression des femmes dans les carrières de la recherche.

Á cet égard, la France pourrait proposer à la Commission européenne d’œuvrer en faveur d’une composition paritaire du Conseil européen de la recherche (ERC), composé aujourd’hui de 14 hommes et huit femmes. De même, notre pays pourrait proposer que le comité indépendant de sélection (identification comittee), composé aujourd’hui de cinq hommes et d’une femme, soit composée de manière paritaire.

Parmi les initiatives européennes visant à établir un diagnostic de la situation en matière d’égalité des chances, peut être également cité le projet européen INTEGER (Institutional transformation for effecting gender equality in research), qui est une enquête portant sur la recherche financée par l’Union européenne.

Cette enquête, qui n’en est qu’à ses débuts, met en évidence différents phénomènes. Ainsi, les femmes chercheurs participeraient à davantage d’appels à projet que les hommes, mais ces derniers participeraient en revanche davantage à des appels à projet portant sur un montant de subvention plus important. Les femmes sont très peu nombreuses à solliciter des bourses européennes. Les projets soumis au Conseil européen de la recherche (ERC) montrent une forte disparité entre projets déposés (où des femmes sont présentes) et projets retenus (où les femmes sont très peu nombreuses).

Les études menées jusqu’à présent sur ces disparités n’ont pas mis à jour les biais qui pourraient les expliquer. De telles initiatives doivent être une source d’inspiration au niveau national, pour l’Agence nationale de la recherche, par exemple, qui n’a pas, jusqu’à présent, analysé la présence et la réussite des femmes chercheurs dans les appels à projet.

L’état des lieux rapide que votre Rapporteur a dressé ici montre que de nombreuses actions doivent être entreprises pour instaurer progressivement une situation de meilleure égalité des chances entre les sexes, pour les jeunes filles, d’abord, au moment de leur choix de vie professionnelle, et pour les femmes, ensuite, pendant leur carrière au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Avant d’aborder l’égalité dans les carrières et dans l’administration des établissements d’enseignement supérieur, votre Rapporteur souhaite mentionner l’une des nombreuses actions à mener, qui concerne la diffusion de la culture scientifique vers les citoyens.

3. Mieux diffuser la culture scientifique vers le grand public

Le manque d’engagement des jeunes filles dans les carrières des sciences et des techniques est constaté depuis longtemps, et l’exemple de femmes parvenues à un haut niveau dans leur discipline, comme celui de Claudie Haigneré, venue témoigner de ce phénomène devant la Délégation en 2012, ne suffit pas à obtenir un inversement de cette tendance.

À ces phénomènes, des explications sont aujourd’hui données. Les jeunes filles semblent toujours pratiquer l’autocensure, et considèrent les métiers scientifiques et techniques comme « masculins ». L’enquête PISA, qui compare la qualité de l’éducation dans de nombreux pays, comporte une épreuve visant à évaluer le sentiment d’efficacité personnelle dans le domaine scientifique. Les jeunes filles y déclarent un sentiment d’efficacité moindre, particulièrement en France. Les facteurs sont donc l’orientation, les représentations de soi, ainsi que des éléments économiques comme la dé-cohabitation plus précoce du foyer et la plus grande exposition aux contraintes économiques.

Le phénomène est d’autant plus regrettable que, comme votre Rapporteur l’a souligné en introduction de ce rapport, dans plusieurs disciplines, les vocations des jeunes gens semblent aussi diminuer.

Cet état de fait est alarmant, et est probablement dû, en bonne partie, au manque d’interaction entre l’enseignement supérieur et la recherche et la société. Le rapport adressé au Président de la République par M. Vincent Berger, rapporteur général des Assisses de l’enseignement supérieur et de la recherche tenues au cours de l’année 2012, porte bien ce diagnostic, soulignant que « plus que jamais, les grands enjeux de société nécessitent de partager les connaissances avec le plus grand nombre », et surtout de construire des espaces de débat démocratiques privilégiant une « éthique de la communication ».

Ce constat appelle au renforcement de la diffusion de la culture scientifique et technique, à différentes échelles, de l’association locale à la grande manifestation nationale, en impliquant les médias. Des modes d’association des citoyens doivent aussi être recherchés, afin de partager la science et aussi les choix scientifiques : ceux-ci doivent comprendre les progrès scientifiques et forger leur opinion.

C’est pourquoi votre Rapporteur s’associe en particulier aux conclusions du rapport Berger portant sur cet aspect de la diffusion des sciences et du partage des connaissances et des choix, appelant à « développer les pratiques permettant de démocratiser les choix scientifiques et de mener des débats de société au niveau local ou régional, comme national : conventions de citoyens, recherche participative, living lab, associations de diffusion de la culture scientifique, expertise collective mixte ».

En particulier, il est impératif d’améliorer la diffusion des connaissances scientifiques par les médias publics, qui ont réduit la présence des sciences dans les grilles de programme, ou ont tendance à privilégier certains domaines scientifiques comme l’histoire, l’archéologie et les civilisations disparues mais n’abordent que très peu les autres champs de la connaissance.

Recommandation n°2 : Favoriser l’orientation des jeunes femmes vers les carrières scientifiques et en particulier vers les disciplines où elles sont encore très minoritaires.

Dans cet objectif, prévoir, dans les cahiers des charges des médias publics, la diffusion d’émissions scientifiques, impliquant des acteurs du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, et tendant à respecter la parité femmes/hommes parmi les intervenants.

La mixité des filières de formation est un objectif essentiel, pour lequel les dispositifs d’orientation doivent être fortement sollicités.

Car non seulement les filières « masculines » doivent s’ouvrir aux jeunes femmes, mais il serait souhaitable que les filières majoritairement « féminines » s’ouvrent davantage aux jeunes gens, mettant en œuvre une réelle déconstruction des stéréotypes.

Le prix de la vocation scientifique et technique, qui permettait de donner confiance, de conforter les jeunes femmes dans l’idée qu’elles avaient fait un bon choix, a été supprimé, ce qui est peut-être regrettable. Il a été remplacé par un autre prix mettant l’accent sur le choix d’une orientation d’études exempte de stéréotypes, ce qui est également nécessaire. L’on peut toutefois penser que l’ancien prix remplissait un rôle un peu différent qui reste encore d’actualité.

Il convient de lever les obstacles pratiques que rencontrent les jeunes femmes dans leur parcours. Ainsi, beaucoup d’internats dans les classes préparatoires ne leur sont pas ouverts, ce qui les oblige à un temps de transport important et leur fait subir l’inconvénient des déplacements et les privant des interactions avec le milieu d’enseignement, dont peuvent bénéficier les jeunes hommes. Il conviendrait que le ministère de l’Éducation nationale assure une égalité entre les sexes à cet égard, en permettant la mixité ou du moins d’assurer une possibilité d’internat aux jeunes femmes également dans les classes préparatoires.

Recommandation n° 3 : Le ministère de l’Éducation nationale doit veiller à l’égalité d’accès aux internats des classes préparatoires afin d’assurer l’égalité des chances et éliminer les obstacles pouvant freiner la réussite des jeunes filles.

B. VIVRE L’ÉGALITÉ ET LA PARITÉ DANS LA COMMUNAUTÉ UNIVERSITAIRE

Comme votre Rapporteur l’a mentionné en introduction, le Gouvernement, et en particulier la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, fait preuve de volontarisme pour instaurer dans les faits une égalité qui a tendance à rester purement formelle dans la vie des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. L’un des outils de ce changement est le plan global en faveur de l’égalité femmes-hommes présenté le 30 novembre 2012.

1. Décliner avec volontarisme le plan global en faveur de l’égalité dans les établissements

Ne seront ici rappelés que les principaux axes du plan, dont chacun se décline en différentes actions :

– inscrire l’égalité dans le dialogue contractuel entre les établissements et le ministère : il s’agit d’un élément novateur qui peut inciter les établissements à adopter et mettre en œuvre une politique interne d’égalité, surtout s’il s’accompagne d’incitations financières à travers la dotation ;

– assurer la parité dans les instances universitaires ;

– soutenir les recherches de genre, qui constituent « des ressources essentielles à la conduite des politiques publiques d’égalité ».

La coordination des politiques d’égalité dans ces domaines sera effectuée par le Comité pour l’égalité, dit COMEGAL. Ce comité, qui était en sommeil depuis plusieurs années, se réunira dorénavant au moins deux fois par an, pour suivre la mise en œuvre des dispositifs adoptés et leur cohérence.

La « feuille de route » de la politique d’égalité entre les femmes et les hommes dans les établissements d’enseignement supérieur a été dressée par les trois conférences signataires de la charte pour l’égalité. Les engagements communs signés par les présidents des conférences d’une part, les ministres de l’Enseignement supérieur et de la recherche et des Droits des femmes, de l’autre, invitent chaque établissement :

– à nommer un-e référent-e ;

– à utiliser des outils de communication non sexistes, non discriminants, non stéréotypés ;

– à faire diffuser un état des lieux statistique sexué ;

– à organiser des actions de sensibilisation à l’égalité femmes/hommes auprès des étudiant-e-s comme du personnel ;

– à prévenir toute forme de violence ou de harcèlement.

Les modalités d’application de ces engagements sont proposées dans des chartes jointes au document préambule, que les établissements relevant de la conférence sont invités à s’approprier et à mettre en œuvre.

Ainsi, la charte signée par la Conférence des présidents d’université (CPU) et par la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) soutient l’intégration de la dimension de l’égalité à la politique générale de l’établissement, avec l’engagement de veiller au respect mutuel et à lutter contre les stéréotypes et toutes les discriminations.

Des actions y sont destinées aux étudiants, incluant même des mesures d’encouragement tendant à ce que l’ensemble des filières aient une composition étudiante équilibrée entre les deux sexes.

D’autres actions concernent les membres du personnel, avec notamment l’engagement de ne pas pénaliser la carrière des personnels en raison de la maternité et d’autres situations familiales comme la famille monoparentale ou un enfant handicapé. La charte inclut notamment la prise en compte des conséquences de la maternité pour le déroulement des carrières des enseignantes chercheuses. Ce dernier élément peut jouer un rôle très important : le présent rapport abordera à nouveau cet aspect dans sa troisième partie consacrée à l’égalité en matière de carrières.

Au-delà de la mise en œuvre de la Charte, votre Rapporteur considère que chaque établissement d’enseignement supérieur, et les universités au premier plan, doivent élaborer un plan d’action, dont la durée peut correspondre à celle du mandat du président. Ce plan doit formuler des objectifs à atteindre, en fonction de la situation propre à l’établissement, et les moyens d’y parvenir.

Recommandation n° 4 : Les établissements d’enseignement et de recherche, sous la direction de leur président (e), doivent élaborer un plan d’action Égalité/parité pour l’établissement, déclinant notamment le plan d’action pour l’égalité élaboré par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche en 2012.

La signature, le 8 mars 2013, d’un accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique, mérite aussi d’être soulignée. Votre Rapporteur rappelle que cet accord a été signé par M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, et Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, avec l’ensemble des organisations syndicales de la fonction publique.

Cet accord comporte notamment l’obligation d’élaborer un rapport de situation comparée (RSC) dans tous les établissements qui seront concernés, rapport qui se veut un outil de diagnostic précis sur l’égalité salariale et les obstacles qui peuvent pénaliser les femmes. La recommandation faite plus haut est complémentaire de cette extension du champ d’application du RSC, auparavant limité aux entreprises.

2. Inclure la promotion de la parité et de l’égalité dans les missions des établissements

L’attribution obligatoire à un vice-président d’une délégation à l’égalité pourrait permettre une mise en œuvre plus dynamique d’une politique en faveur de l’égalité dans les établissements. Bien sûr, votre Rapporteur respecte le principe de libre organisation des exécutifs dans les établissements, mais il souligne pourtant que la loi impose déjà la nomination d’un vice-président étudiant, et qu’en outre le présent projet de loi propose, dans le même esprit que celui de votre Rapporteur, la nomination d’un vice-président chargé du numérique.

Toutefois, l’instauration obligatoire d’un ou d’une chargé (e) de mission Égalité lui paraît un élément nécessaire pour faire évoluer les mentalités et les usages dans les établissements.

Des chargés de mission « Égalité » ont été nommés dans la moitié des établissements universitaires que compte notre pays, pour la durée du mandat du président d’université.

Votre rapporteur considère que la loi doit prévoir la création d’un ou d’une chargé (e) de mission Égalité de manière obligatoire dans les établissements d’enseignement supérieur.

Les compétences du chargé de mission sont actuellement définies par la lettre de mission qu’il reçoit du président. Il serait souhaitable que des compétences minimales soient définies par la loi, afin de permettre à cette personne de jouer un rôle actif et efficace au sein de l’établissement, et que son action puisse s’inscrire dans la durée, sans être remise en cause en cas de changement du président.

Il conviendra alors de préciser ses missions impératives, en permettant aux établissements d’aller plus loin dans la définition de ces missions.

Le ou la chargé (e) de mission devra avoir une action à caractère politique : établir le plan d’action tendant à l’égalité, pouvoir proposer des actions, puis en suivre la mise en œuvre. Il devra être placé auprès du président de l’université.

Il devra suivre la création des comités de sélection et s’assurer de leur caractère paritaire.

Il devra surtout être tenu informé de tout nouveau projet impliquant l’établissement, afin d’être informé des nominations à la tête d’instituts, d’équipes de projet ou autres structures permanente ou temporaire de travail qui pourrait être créée. Il ou elle doit être en mesure d’intervenir très en amont de la mise en place du nouveau projet, afin d’y veiller à la place des femmes, et de pouvoir rappeler sans cesse l’intérêt d’y prévoir un ou plusieurs postes pour des femmes. Il arrive encore très souvent que de nouvelles structures de recherche rapidement mises sur pied pour répondre à un appel à projet ou à une initiative d’excellence ne comprennent aucune femme.

La question peut être posée de confier à une autre personne au sein de l’établissement un rôle complémentaire de celui de chargé de mission, chargé de l’accueil et du conseil aux personnels et aux usagers de discriminations ou de faits de violence ou de harcèlement. Ce rôle de veille pourrait être confié à un référent, ou une référente : cette proposition sera développée dans la dernière partie du présent rapport.

Recommandation n°5 : Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche doivent nommer un (e) chargé (e) de mission Égalité, dont la mission sera de mettre en œuvre la charte pour l’égalité signée le 29 janvier 2013, de définir avec le (la) président (e) de l’établissement une politique de l’établissement et d’en suivre la mise en œuvre.

La loi doit préciser les éléments essentiels de sa mission de même que les moyens d’information et d’action dont il ou elle dispose.

3. Mener des actions anti-sexistes et pour l’égalité plus visibles et plus ambitieuses

Certes, des mécanismes d’autorégulation se mettent en place dans de nombreux établissements conduisant parfois à l’annulation de soirées clairement sexistes ; certes, le nombre de bizutages humiliants est en diminution. Cependant ces bonnes pratiques doivent, d’une part, s’étendre, et, d’autre part, seule la loi et le règlement apportent des changements de comportements généralisés. On ne peut attendre des dizaines d’années dans l’espoir d’une évolution des mœurs fasse disparaître l’inacceptable.

En effet, la loi votée le 17 juin 1998 à l’initiative de Ségolène Royal, alors ministre des Enseignements scolaires, a crée un délit spécifique de bizutage dans le cadre de la loi relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs(3). Il s’agit d’un progrès important de notre législation, qui a conduit à une raréfaction des bizutages honteux.

De même, la communication sexiste et empreinte de stéréotypes doit être prohibée au sein des établissements ; pour cela, la vigilance doit donc s’imposer. Les moyens d’agir pourraient être les suivants.

Tout d’abord, il conviendrait d’élaborer des outils de prévention, sous forme de livrets d’information, de pages sur Internet et de documents d’accueil rappelant la politique d’égalité de l’établissement et la nécessité de lutter contre le sexisme et les discriminations.

Il pourrait également être efficace de préciser le règlement d’utilisation des locaux  en y indiquant que les supports de communication relatifs à l’utilisation de ces locaux, pour des réunions, ou des fêtes étudiantes, par exemple, doit être exempte de stéréotypes sexistes. Ainsi, pour valider une soirée étudiante qui aura lieu dans les locaux, le président ou le directeur général (ou le chargé de mission Égalité) pourront vérifier la teneur de la communication qui va se déployer dans l’établissement. Une telle obligation serait très efficace pour raréfier la communication véhiculant des idées sexistes ou des stéréotypes de genre.

Recommandation n° 6 : Prévoir dans la loi qu’il appartient aux établissements d’enseignement supérieur de mener une action contre les stéréotypes sexués, tant dans les enseignements que dans les différents aspects de la vie de la communauté éducative.

4. Généraliser les enseignements sur le genre dans les établissements d’enseignement supérieur

Les enseignements sur le genre se sont développés au cours des dernières décennies et existent sur plusieurs grands sites universitaires comme Paris, Lyon, Toulouse, Aix-Marseille ou Strasbourg. Deux diplômes interuniversitaires sont consacrés au genre et à l’égalité femmes-hommes. Au-delà des universités, 35 structures, en comptant les institutions et les écoles, sont coordonnées par le GIS-Institut du genre, constitué au sein du CNRS. Le fait que 34 recherches doctorales et 31 recherches postdoctorales sur le genre dans 20 disciplines différentes sont financées par le Conseil régional d’Île-de-France via l’Institut Émilie du Châtelet pour le développement et la diffusion de cette recherche, mérite d’être souligné.

Á partir de ces fondations très pertinentes, il convient de franchir une étape supplémentaire en incitant les universités à construire des licences comportant des modules obligatoires sur le genre et l’égalité hommes-femmes, ancrés dans les disciplines mais aussi un module pluridisciplinaire qui pourrait faire l’objet d’une généralisation.

Également, la formation des enseignants, de la maternelle au supérieur, doit comprendre un enseignement obligatoire sur l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que sur les stéréotypes de genre, avec l’existence de questions portant sur cet enseignement lors des épreuves de recrutement.

Le chargé de mission Égalité peut être chargé de suivre cette mise en place et d’informer les organes de gouvernance sur les diplômes et modules existants dans le domaine du genre.

Recommandation n°7 : Inciter les universités à construire des licences comportant des modules obligatoires sur le genre, ancrés dans les disciplines ou pluridisciplinaires.

Prévoir une formation obligatoire sur l’égalité entre les sexes et les stéréotypes de genre dans la formation des enseignants, de la maternelle au supérieur.

II.– ÉTABLIR UNE GOUVERNANCE PARITAIRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE TANT AU SEIN DES ÉTABLISSEMENTS QU’AU PLAN NATIONAL

L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas assurée au niveau des instances et peu de femmes y sont présentes en pratique. Or, ce sont des lieux décisionnaires pour la vie des établissements, la vie étudiante et la réussite des étudiants.

Ainsi que l’a exprimé Mme Claudie Haigneré lors de son audition par la Délégation en 2012, pendant longtemps, si une femme était présente dans ces instances, elle ressentait sa participation comme celle d’une « femme alibi ». Malgré le fait qu’elle détient les compétences requises, le regard porté sur cette participation explique sa présence « parce que c’est une femme », ce qui est très dévalorisant.

L’une des conclusions essentielles des Assisses de l’enseignement et de la recherche a souligné la nécessité de corriger le déséquilibre de la gouvernance des universités telle qu’elle a été établie par la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU). Ce déséquilibre est caractérisé par une « présidentialisation » excessive et une concentration des pouvoirs sur le seul conseil d’administration. Les conclusions ne tranchaient pas la question de la composition et des compétences de chacun des organes de la gouvernance, en revanche elles reflétaient le consensus apparu sur l’imposition d’une parité entre femmes et hommes sur les listes électorales constituées en vue des élections aux organes de gouvernance.

Le présent projet de loi construit un équilibre différent entre les différents conseils universitaires, et entre les représentants des différentes catégories de personnel au sein des conseils. Il introduit la composition paritaire des listes de candidats aux différents conseils centraux des universités, avec une stricte alternance des sexes.

A. LA PLACE DES FEMMES DANS LA DIRECTION DES ÉTABLISSEMENTS : UN ÉTAT DES LIEUX

Les lois concernant l’égalité hommes-femmes dans l’entreprise, comme la loi Génisson de 2001 ou la loi Copé-Zimmerman de 2011, n’ont pas eu leur pendant dans les établissements publics et la fonction publique. L’obligation d’avoir une participation de 40 % de femmes au minimum dans les instances de direction ne leur est pas applicable, ce qu’ont regretté des mouvements militants féministes comme l’Association nationale des études féministes, par exemple.

Une disposition législative récente traite cependant de la composition par sexe des conseils d’établissement : il s’agit de l’article 52 de la loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, « dite loi Sauvadet ».

Cette disposition a pour objectif de lutter contre les discriminations et d’accroître la part des femmes dans l’accès aux responsabilités dans la fonction publique. L’article 52 de cette loi dispose que la proportion de personnalités qualifiées de chaque sexe nommées en raison de leurs compétences dans les conseils d’administration, les conseils de surveillance ou les organes équivalents des établissements ne peut être inférieure à 40 %.

Cette obligation portera également sur les jurys de recrutement et de promotion, et les nominations aux emplois supérieurs.

Cette règle n’est cependant pas applicable à la composition des organes de direction des établissements publics à caractère scientifique et technologique.

La question se pose quant à la manière dont le présent projet de loi se conjuguera avec cette disposition législative plus ancienne : le projet de loi est plus exigeant en imposant la parité des candidatures sur les listes présentées par tous les collèges appelés à faire élire des représentants aux conseils des établissements, mais il ne prévoit pas de mécanisme garantissant la parité pour la désignation des personnalités qualifiées.

B. LE PROJET DE LOI RÉFORME LA COMPOSITION DES CONSEILS CENTRAUX D’ÉTABLISSEMENT

L’article 24 du projet de loi modifie l’article L. 712-1 du code de l’éducation en prévoyant que « le président par ses décisions, le conseil d’administration par ses délibérations et le conseil académique, par ses délibérations et avis, assurent l’administration de l’université. »

La réforme maintient donc le conseil d’administration, en l’élargissant : il passe de 20 à 30 membres actuellement à 24 à 36 membres. L’ensemble des membres du conseil d’administration élira dorénavant le président de l’université, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent, car les seuls membres élus du conseil participent à cette élection, et non les personnalités extérieures désignées. Á l’avenir, la majeure partie des personnalités extérieures devra être nommée avant la réunion du conseil d’administration convoquée pour l’élection du président.

Le rôle du conseil d’administration sera brièvement rappelé : le conseil détermine la politique de l’établissement. Á ce titre, il approuve le contrat d’établissement de l’université, vote le budget et approuve les comptes, approuve les accords et les conventions signés par le président de l’établissement ainsi que les emprunts, les prises de participation, les créations de filiales et de fondations, l’acceptation de dons et adopte le règlement intérieur de l’université.

Par ailleurs, il fixe, sur proposition du président et dans le respect des priorités nationales, la répartition des emplois qui lui sont alloués par les ministres compétents, autorise le président à engager toute action en justice, adopte les règles relatives aux examens, approuve le rapport annuel d’activité.

Le conseil d’administration sera composé, selon le choix des établissements, de 24 à 36 membres dont les deux tiers sont élus dans l’établissement par les différents collèges des enseignants chercheurs, des étudiants, des personnels ingénieurs, administratifs, techniques et des bibliothèques. Le dernier tiers est composé de personnalités extérieures à l’établissement nommées, qui seront au nombre de huit dans tous les établissements.

Le présent projet de loi transfère une partie du pouvoir délibératif du conseil d’administration, relative aux modalités de contrôle des connaissances, à un nouveau conseil, le conseil académique. Ce conseil reprendra également les domaines de compétences du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie universitaire, qui sont supprimés.

Il faut rappeler que le conseil scientifique (CS) est consulté sur les orientations des politiques de recherche, de documentation scientifique et technique, ainsi que sur la répartition des crédits de recherche. Il est consulté sur les programmes de formation initiale et continue, sur la qualification à donner aux emplois d’enseignants-chercheurs et de chercheurs vacants ou demandés, sur les programmes et contrats de recherche proposés par les diverses composantes de l’université, sur les demandes d’habilitation à délivrer des diplômes nationaux, sur les projets de création ou de modification des diplômes d’établissement et sur le contrat d’établissement. Il peut émettre des vœux. En formation restreinte aux enseignants-chercheurs, il donne un avis sur les mutations des enseignants-chercheurs, sur l’intégration des fonctionnaires des autres corps dans le corps des enseignants-chercheurs, sur la titularisation des maîtres de conférences stagiaires et sur le recrutement ou le renouvellement des attachés temporaires d’enseignement et de recherche.

Quant au conseil des études et de la vie universitaire (CEVU), il est consulté sur les orientations des enseignements de formation initiale et continue, sur les demandes d’habilitation et les projets de nouvelles filières, ainsi que sur l’évaluation des enseignements. Il est en outre consulté sur les mesures de nature à permettre la mise en œuvre de l’orientation des étudiants et de la validation des acquis, à faciliter leur entrée dans la vie active et à favoriser les activités culturelles, sportives, sociales ou associatives offertes aux étudiants et sur les mesures de nature à améliorer les conditions de vie et de travail. Il est également consulté sur les mesures d’aménagement de nature à favoriser l’accueil des étudiants handicapés. Il est enfin le garant des libertés politiques et syndicales étudiantes. De même que le conseil scientifique, il peut émettre des vœux.

Les articles 27 et 28 du projet de loi créent le conseil académique et en fixent la composition.

Le nouveau conseil académique comprendra 40 à 80 membres, ce qui représente l’addition des membres du CS et du CEVU auxquels il se substitue.

En son sein existeront deux commissions : la commission de la recherche (20 à 40 membres) et la commission de la formation (également composée de 20 à 40 membres). La commission de la recherche obéit exactement à la composition du CS telle que prévue à l’article L.712-5 et la commission de la formation à la composition du CEVU telle que prévue à l’article L.712-6 du code de l’éducation. Ces deux commissions réunissent en large majorité des membres représentant les personnels, et une proportion limitée de personnalités extérieures : 10 à 30 % pour la commission de la recherche et 10 à 15 % pour la commission de la formation.

Le conseil académique comportera également deux sections : la section disciplinaire et la section compétente pour l’examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l’affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs.

Le présent rapport n’a pas pour objet de décrire l’évolution des compétences entre les trois conseils actuels et les deux conseils qui leur succéderont après la réforme. Il convient juste de souligner, en lien avec les développements qui suivront à propos des faits de violence et de harcèlement dans l’établissement, que le pouvoir disciplinaire à l’égard des personnels enseignants et des usagers sera exercé par le conseil académique, constitué en section, et non plus par le conseil d’administration des universités constitué en section.

C. LA PARITÉ BIENTÔT OBLIGATOIRE POUR LES LISTES DE CANDIDATS AUX CONSEILS CENTRAUX

Les conclusions des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, tenues au deuxième semestre 2012, recommandaient que soit introduit le principe de la parité entre femmes et hommes dans les listes électorales aux conseils centraux élus.

De fait, le présent projet de loi prévoit ce principe de parité dans son article 37, appelé à modifier l’article L.719-1 du code de l’éducation portant les dispositions communes relatives à la composition des conseils. Il y insère un alinéa prévoyant que « chaque liste de candidats est composée alternativement d’un candidat de chaque sexe ».

1. Le scrutin à deux tours préféré au scrutin à un tour avec représentation proportionnelle au plus fort reste

Depuis la loi du 10 août 2007, les membres des conseils (à l’exception des personnalités extérieures et du président de l’établissement) sont élus au scrutin secret par collèges distincts et au suffrage direct. Le mode de scrutin est un scrutin de liste à un tour avec représentation proportionnelle au plus fort reste, possibilités de listes incomplètes et sans panachage.

La réforme aujourd’hui proposée prend acte du fait que, si l’objectif de la loi de 2007 était d’assurer une majorité stable au conseil d’administration (avec une « prime majoritaire »), le mode de scrutin prive les listes qui, bien que non arrivées en tête, ont obtenu un bon score, d’y avoir une représentation correspondant à ce résultat.

En effet, actuellement, dans chacun des collèges, il est attribué à la liste qui obtient le plus de voix un nombre de sièges égal à la moitié des sièges à pourvoir ou, dans les cas où le nombre de sièges à pourvoir est impair, au nombre entier immédiatement supérieur à la moitié des sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle au plus fort reste.

L’inconvénient de ce mode de scrutin apparaît dans les cas où la liste arrivée en tête recueille la majorité des sièges à pourvoir et, en outre, participe à la répartition des sièges restants, renforçant excessivement sa représentation au conseil d’administration au détriment des autres listes. Dans le cas inverse, la liste arrivée en tête n’a que quelques voix d’avance sur les autres listes, voire une voix d’écart avec la liste suivante, et bénéficie pourtant de la prime majoritaire.

Le présent projet de loi réforme le mode de scrutin en prévoyant que l’élection des représentants des personnels s’effectuera désormais au scrutin de liste à deux tours, avec possibilités de listes incomplètes, sans panachage.

La règle de la parité entre les femmes et les hommes devra être mise en œuvre pour la composition des listes des personnels et des étudiants.

L’article L.719-1 du code de l’éducation sera modifié pour mettre en place les modalités suivantes d’élection. Au premier tour de scrutin, un siège sera attribué à la liste qui aura recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Ensuite, les autres sièges seront répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle au plus fort reste, sous réserve d’avoir obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Dans l’hypothèse où aucune liste ne recueillerait la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il serait procédé à un second tour pour les seules listes ayant obtenu au premier tour au moins 10 % des suffrages. Dans le cas où une seule liste remplit cette condition, la liste ayant obtenu après celle-ci le plus grand nombre de suffrages au premier tour peut se maintenir au second.

Le non-respect de la parité sur une liste entraînera l’irrecevabilité de la liste, prononcée par la commission de contrôle des opérations électorales.

Les conditions d’exercice du droit de suffrage, la composition des collèges électoraux et les modalités d’assimilation et d’équivalence de niveau pour la représentation des personnels et des étudiants sont prévues dans le décret n°85-59 du 18 janvier 1985. Ce décret devra être modifié pour appliquer le présent projet de loi.

Sans décrire ici l’ensemble des modalités prévues par le projet de loi, votre Rapporteur approuve ces modalités d’élection des conseils à deux tours, seul moyen d’installer une réelle féminisation des organes dirigeants des établissements. Les simulations effectuées par le ministère ont confirmé que le recours à ce scrutin à deux tours est plus favorable à l’objectif de parité.

Toutefois, aucune disposition n’est actuellement prévue, dans le projet de loi, pour assurer le résultat paritaire du processus de désignation des personnalités extérieures.

2. Assurer la parité pour l’ensemble des composantes élues et nommées des conseils centraux

Votre Rapporteur considère qu’il convient d’adopter des modalités de désignation des personnalités extérieures permettant de garantir une composition paritaire de l’ensemble des membres des deux conseils.

La procédure de désignation des personnalités extérieures pourrait s’inspirer d’un modèle déjà expérimenté : celui mis en œuvre pour la constitution initiale du Haut conseil des finances publiques, tel que prévu par la loi organique du 17 décembre 2012 et par le décret n°2013-144 du 18 février 2013.

La loi institue un système de tirage au sort. Le décret prévoit en complément qu’un premier tirage au sort détermine le sexe des personnes désignées par le président de l’Assemblée nationale et le président de la commission des Finances de la même assemblée. Puis un deuxième tirage au sort indique le sexe des personnes désignées par le président du Sénat et le président de la commission des Finances de la même assemblée. Le troisième tirage au sort désigne le sexe de la personne désignée par le président du Conseil économique, social et environnemental.

Une procédure inspirée de celle-ci pourrait être prévue pour la désignation des personnalités extérieures par les collectivités territoriales, les représentants des activités économiques, des organisations syndicales et des organismes du secteur de l’économie sociale. Ces personnalités devaient représenter, selon le décret du 7 janvier 1985, 50 à 80 % des sièges réservés aux personnalités extérieures.

Recommandation n°8 : Assurer la parité au sein du conseil d’administration et du conseil académique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Pour cela, s’assurer que le mode de désignation des personnalités extérieures membres de ces deux conseils garantisse une stricte parité.

Les modalités de désignation peuvent s’inspirer par exemple du mécanisme de tirage au sort prévu pour la constitution du Haut conseil des finances publiques.

3. Les différents organes participant à l’administration des établissements seront-ils tous soumis à l’obligation de parité ?

Il est précisé dans l’étude d’impact du projet de loi que ce principe de parité sera la règle dans les différents conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. Il ne s’applique donc pas aux instances de direction des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), qui devront pourtant progresser, eux aussi, vers une direction plus respectueuse de l’égalité entre femmes et hommes.

Pour ce qui concerne les établissements dont traite le présent projet de loi, il importe de vérifier que l’ensemble des instances de gouvernance des établissements soit bien concerné par l’objectif de parité. Se pose par exemple la question de la composition des bureaux des universités, pour laquelle aucune règle de parité n’est prévue.

Votre Rapporteur considère que la loi doit imposer une composition paritaire des bureaux des organes dirigeants des établissements.

Recommandation n°9 : La loi prévoit la parité parmi les vice-présidents, ou au sein des bureaux des organes de gouvernance des établissements d’enseignement publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.

Par ailleurs, la composition de la commission du Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE) n’est pas concernée par le projet de loi.

Votre Rapporteur rappelle qu’il s’agit d’un fonds principalement destiné au financement des projets portés par des associations étudiantes et s’adressant prioritairement aux étudiants mais aussi à la communauté universitaire dans son ensemble. Une part du fonds peut être affectée à l’aide sociale aux étudiants en difficulté.

Le FSDIE est jusqu’à présent géré par une commission constituée dans l’établissement sous le contrôle du CEVU (selon les termes de la circulaire n°2011-1021 du 3-11-2011) et comprenant : le ou les vice-président(s) du CEVU, le (ou les) vice-président(s) étudiant(s) ; des représentants des associations étudiantes ; des représentants des élus étudiants du CA et du CEVU ; le responsable du bureau de la vie étudiante ; le directeur du Crous ou son représentant ; les assistantes sociales ; les représentants des mutuelles étudiantes ; des personnalités qualifiées, notamment issues des services des collectivités territoriales, des services déconcentrés de l’État (rectorat, direction régionale des affaires culturelles, direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale - ou d’acteurs associatifs locaux impliqués dans l’appui aux projets des jeunes).

Le nombre et les modalités de choix des représentants étudiants, des responsables associatifs et des personnalités qualifiées sont fixés par le conseil de la vie universitaire.

La composition de cette commission devra être adaptée à la suite de l’adoption du projet de loi, et il convient de saisir l’opportunité de prévoir une surveillance de manière à ce que sa composition tende à la parité également.

Il semble que la commission gérant le FSDIE soit déjà, dans la pratique, composée de manière assez paritaire. Votre Rapporteur considère que cette composition pourrait être regardée, lors de l’installation de la commission, par le chargé de mission Égalité, qui pourrait saisir le président de l’établissement et le conseil académique si la composition est trop déséquilibrée.

Recommandation n°10 : Le bureau de l’établissement d’enseignement supérieur doit veiller à la composition paritaire de la commission gérant le Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE).

4. Assurer un suivi de l’impact de la loi sur la composition paritaire des conseils

Cependant, le nouveau mode de scrutin ne garantit pas nécessairement, comme le souligne l’étude d’impact jointe au projet de loi, la parité dans l’ensemble des sièges.

Il sera nécessaire de mettre en place un outil statistique dans les établissements afin de disposer de données pour apprécier les résultats du nouveau système au regard de l’objectif de parité. Une remontée des données devra être faite en direction du ministère ; la Mission de la parité et de la lutte contre les discriminations sera en outre chargée d’organiser leur transmission au Haut fonctionnaire à l’égalité des droits rattaché au ministre du droit des femmes.

Recommandation n°11 : Dresser le bilan, deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, de son application et de son résultat en ce qui concerne la composition paritaire des conseils d’établissement.

D. LA PARTICIPATION DES FEMMES À LA GOUVERNANCE SCIENTIFIQUE AU PLAN NATIONAL

Au-delà de la gouvernance des universités et des établissements scientifiques, il est essentiel que la parité puisse gagner les organes de gouvernance scientifique nationaux.

La place respective des hommes et des femmes dans ces enceintes n’a pas fait l’objet d’études. La prédominance y est masculine, mais il n’existe pas de données précises ni d’information sur l’évolution de cette place respective.

Quelques éléments peuvent être mis en exergue. Le comité de pilotage chargé de l’élaboration de la stratégie nationale de la recherche et de l’innovation (SNRI) ne compte que 11 % de femmes. Le Haut conseil de la science et de la technologie comprend 24 % de femmes, tout comme le conseil scientifique du CNRS.

L’ambition d’assurer la parité ne doit pas se limiter aux établissements publics d’enseignement et de recherche. Ainsi, améliorer la place des femmes dans les conseils des agences de financement et d’évaluation est indispensable pour avoir une approche globale et efficace de l’égalité dans le monde de la recherche.

Pour donner un simple exemple, le conseil d’administration de l’Agence Nationale de la recherche (ANR) ne compte que trois femmes parmi ses onze membres. Ce déficit de parité a des répercussions sur les orientations globales de la recherche, parce qu’il touche le cœur du principal organisme de financement sur projet de la recherche dont dépendent de plus en plus les équipes de chercheurs à mesure que la part du financement sur projet s’est accrue.

Imposer la parité est difficile, car la plupart des membres sont des membres de droit : directeur général de la recherche et de l’innovation et directeur des affaires financières du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Enseignement supérieur, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services, notamment. S’y ajoutent des personnalités qualifiées : c’est parmi elles que l’on trouve des femmes actuellement. L’évolution de la composition vers un meilleur équilibre entre les sexes dépendra donc ici des avancées liées à la mise en œuvre de la loi « Sauvadet ». En effet, les postes de direction de la haute administration publique sont en majorité occupés par des hommes.

L’exemple de l’Agence nationale de recherche sur le SIDA présente la même situation : son conseil d’administration compte 4 femmes pour 14 membres.

Enfin, les comités d’experts sont bien souvent quasiment masculins. Ainsi que le souligne l’association Femmes et mathématiques, auditionnée par la Délégation, « l’absence des femmes dans ces comités participe au renforcement du préjugé selon lequel les femmes ne sont pas aptes aux métiers de la recherche ou aux responsabilités ».

La composition du conseil de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), créée par la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006, est plus féminisée : 11 femmes sur 25 membres. Le présent projet de loi remplace cette agence par un Haut conseil de l’évaluation dont la composition devra être paritaire.

Recommandation n°12 : Veiller à respecter la parité sein des conseils et des comités de sélection des agences nationales de financement de la recherche.

1. Le nouveau Conseil stratégique de la recherche

Le présent projet de loi réforme les instances de pilotage de la recherche. Il supprime ainsi le Haut conseil de la science et de la technologie et le remplace par un nouveau conseil stratégique restreint, également placé auprès du Premier ministre. Cette nouvelle instance, voulue moins nombreuse et plus opérationnelle, sera chargée d’élaborer l’agenda stratégique issu de la stratégie nationale de recherche, et de suivre sa mise en œuvre.

L’essentiel des dispositions portant composition, mission et fonctionnement de ce conseil relèvent de dispositions réglementaires.

La nouvelle loi précise cependant que ce conseil doit comprendre « autant de femmes que d’hommes », et qu’il comprend un député et un sénateur.

L’affirmation de ce principe est un élément très positif, qui participe à la transformation profonde des instances de gouvernance au niveau national, comme les deux réformes qui seront décrites ci-après.

2. Le principe de la parité appliqué au CNESER : une mise en œuvre complexe

Deux conseils consultatifs coexistent jusqu’à présent auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche : le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT).

L’article 13 du présent projet de loi réforme l’article L.232-1 du code de l’éducation, dans le but de simplifier la carte des organes consultatifs ; il supprime le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (CSRT), qui avait été créé par le décret n°82-1012 du 30 novembre 1982.

Les attributions du CNESER seront étendues, au-delà de la seule recherche universitaire, à la recherche dans son ensemble. Ces compétences seront ici brièvement rappelées : ce conseil assure la représentation d’une part, des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, et, d’autre part, des grands intérêts nationaux notamment éducatifs, culturels, scientifiques, économiques et sociaux.

Le Conseil est obligatoirement consulté sur un certain nombre de sujets, comme la politique proposée par les pouvoirs publics pour assurer la cohésion des formations supérieures dépendant du ministre de l’Enseignement supérieur, les orientations générales des contrats d’établissements pluriannuels ou la répartition des dotations d’équipement et de fonctionnement entre les différents établissements.

L’article 13 du projet de loi prévoit que l’élection et la nomination des membres du CNESER devront respecter la parité entre les femmes et les hommes.

Présidé par le ministre de l’Enseignement supérieur ou son représentant, ce Conseil est composé de 68 membres provenant de deux catégories : 45 représentent des « responsables, des personnels et des étudiants des établissements publics à caractère scientifique, culturel ou professionnel, et 23 personnalités représentant les grands intérêts nationaux.

La composition du CNESER est fixée par les articles D. 232-2 à D. 232-13 du code de l’éducation, qui précisent les modalités d’élection ou de nomination des membres. Les premiers sont élus par collège (professeurs, enseignants chercheurs, personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques, étudiants…) et les seconds sont désignés de différentes manières – nommés par arrêté du ministre, choisis parmi les membres de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental, ou parmi les membres d’une association représentant les établissements d’enseignement supérieur et les chefs d’établissements d’enseignement secondaire public.

Votre Rapporteur approuve la simplification des organes de conseil et de représentation de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et technologique proposée par le projet de loi.

Affirmer la composition paritaire de cet organe de gouvernance placé au niveau national est un signal très important.

Il conviendra cependant de suivre l’élaboration du décret de mise en œuvre de cet article 13 : en effet, les articles D. 232-2 à D. 232-13 du code de l’éducation régissant la composition et les modalités d’élection ou de nomination au CNESER devront être largement refondues. Le mode d’élection et de nomination à élaborer dans la partie réglementaire du code de l’éducation devra assurer la parité alors que :

– l’élection de la première catégorie de membres n’aura pas forcément pour résultat la parité, même si les listes présentées pour l’élection dans chaque collège sont paritaires ;

– les nominations des représentants des grands intérêts nationaux devront aboutir à une parité au sein de cette composante du CNESER. Il convient donc de préciser les modalités de nomination qui permettront d’aboutir à la parité réelle.

Recommandation n°13 : La composition paritaire du CNESER est affirmée par le projet de loi. Il convient de s’assurer que les modalités d’application traduisent cette parité, et en particulier que le décret d’application à venir prévoie la nomination paritaire des représentants des grands intérêts nationaux par le ministre de l’Enseignement supérieur.

3. L’instance supérieure d’évaluation bientôt paritaire

Le présent projet de loi réforme l’actuelle Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, créée par la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006. Cette instance sera modifiée et renommée Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Le projet de loi s’inspire ici des propositions formulées par M. Jean-Yves Le Déaut, député, dans son rapport au Premier ministre intitulé « Refonder l’université, dynamiser la recherche ». L’objectif est de réformer les missions de cet organe d’évaluation, en lui conservant sa forme juridique d’autorité administrative indépendante.

Des modifications sont en particulier apportées à la composition du conseil chargé d’administrer l’organe d’évaluation et d’arrêter le programme annuel d’évaluation. Le nombre de membres de ce conseil est porté de 25 à 30 et, au sein de ce conseil, le nombre de membres (chercheurs, ingénieurs ou enseignants-chercheurs) désignés sur proposition des instances d’évaluation des établissements passerait de 7 à 9.

Votre Rapporteur se félicite que le principe de parité soit applicable à au Haut conseil, en vertu des dispositions de l’article 50 du projet de loi. Les modalités d’application de la parité sont renvoyées à un décret en Conseil d’État, qui devra préciser le nombre et la répartition par sexe des candidats proposés par chacune des instances chargées d’effectuer des propositions. Là encore, il convient de promouvoir une méthode à la fois effective et évitant la mise en œuvre de procédures trop complexes. La parité devra s’appliquer à la composition suivante :

– 9 membres ayant la qualité de chercheurs, d’ingénieurs ou d’enseignants-chercheurs, nommés sur proposition des instances d’évaluation compétentes en matière d’enseignement supérieur et de recherche ;

– 8 membres ayant la qualité de chercheurs, d’ingénieurs ou d’enseignants-chercheurs, dont trois sur proposition des présidents ou directeurs d’organismes de recherche et trois sur proposition de la conférence des chefs d’établissements de l’enseignement supérieur (prévue par l’article L. 233-1 du code de l’éducation) ;

– 2 membres représentant les étudiants, sur proposition des associations d’étudiants en fonction du nombre de voix obtenues par ces associations lors de l’élection des représentants des étudiants au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche ;

– 9 personnalités qualifiées françaises et étrangères, dont au moins deux issues du secteur de la recherche privée et trois appartenant à des agences d’accréditation ou d’évaluation étrangères ;

– un député et un sénateur.

Le Haut conseil sera en outre assisté par un conseil d’orientation scientifique, « garant de la qualité de ses travaux », composé de personnalités scientifiques françaises et étrangères, pour un tiers au moins du total, reconnues pour leurs compétences scientifiques et leurs compétences dans le domaine de l’évaluation. Ces personnalités qualifiées sont nommées par décret sur proposition du président du Haut conseil.

Votre Rapporteur considère que le choix des personnalités qualifiées siégeant au conseil d’orientation scientifique par le président du Haut conseil devrait également respecter le principe de parité.

Recommandation n°14 : La composition du conseil d’orientation scientifique du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur doit respecter le principe de la parité entre femmes et hommes.

III.– PROMOUVOIR LES FEMMES DANS LE RECRUTEMENT ET LE DÉROULEMENT DES CARRIÈRES 

Les statistiques disponibles sur la répartition des hommes et des femmes aux différentes étapes de la carrière scientifique, présentées dans le premier chapitre de ce rapport, ont montré la grande inégalité entre les carrières menées par les hommes et par les femmes, et cette inégalité contribue à la persistance des stéréotypes et des représentations de la société sur le rôle des femmes, d’autant plus qu’il reste difficile d’articuler carrière et éducation des enfants pour les femmes chercheures et ingénieures, comme pour beaucoup d’autres catégories professionnelles.

Le rapport établi par M. Vincent Berger à l’issue des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche reconnaît que la parité dans les corps d’enseignants-chercheurs et de chercheurs est loin d’être effective, surtout dans le corps des professeurs et des directeurs de recherche. Il souligne que l’on compte seulement 22 % de femmes professeures d’université et à peine davantage de directrices de recherche. Les statistiques produites par le CNRS montrent que l’on ne compte que 17,6 % de femmes au sein des directeurs d’unités mixtes.

Il a été souligné que 15 % seulement des présidents d’université sont des femmes. Par ailleurs, actuellement, aucun président d’établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), n’est une femme.

Cette situation se répercute sur les salaires. Ainsi, le salaire moyen des ingénieures se situe 27 % au dessous de celui des hommes, selon l’association Femmes et sciences.

Promouvoir la carrière des femmes participe, outre à une aspiration à l’égalité, mais aussi, votre Rapporteur en est convaincu, à la promotion d’une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie familiale, dont tous, à terme, bénéficieront.

A. ASSURER L’ÉGALITÉ DÈS LE RECRUTEMENT

Une récente étude menée à l’université de Yale, aux États-unis, a montré l’importance des discriminations lors du recrutement dans les disciplines scientifiques4. Ses auteurs ont demandé à des professeurs d’université de juger deux profils similaires, associés respectivement à un homme et à une femme. La candidature masculine a reçu un jugement plus favorable que la candidature féminine, avec de meilleures chances d’embauche et pour un salaire plus élevé.

En France, les travaux qui s’attachent à décrire les discriminations dans le monde universitaire sont plus rares. Le rapport de Mme Brigitte Grésy, rédigé en 2009 et adressé au ministre du Travail, avait souligné le poids des stéréotypes dans le déroulement de la carrière des femmes pour l’ensemble de la sphère professionnelle5. Dans une étude menée en 2012, trois chercheurs de l’université de Rennes ont également démontré que les discriminations sexuelles à l’embauche ne sont pas seulement le fait des hommes mais bien de l’ensemble des recruteurs, femmes comprises, ce qui prouve l’absence d’un biais de favoritisme intra-groupe, et donc un ancrage de ces stéréotypes chez les représentants des deux sexes.6

Pour revenir aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, une première mesure qui doit s’imposer est de composer les appels d’offres d’emploi des établissements en utilisant une formulation mixte.

La composition des jurys et des comités de sélection des universités et des grandes écoles scientifiques est particulièrement importante, elle décide du recrutement d’un enseignant chercheur sur les vingt à quarante prochaines années. L’ensemble des personnes entendues par la Délégation et le rapporteur a regretté le fort déséquilibre entre femmes et hommes dans ces instances.

Le rapport de M. Vincent Berger, rédigé à l’issue des Assises, présente des propositions quant à l’évolution des comités de sélection : il propose qu’y soit introduite une plus grande pérennité pour assurer la continuité dans la politique de recrutement, davantage de multidisciplinarité et davantage de parité entre femmes et hommes.

Il s’interroge sur la pertinence de l’habilitation à diriger des recherches (HDR), qui fait l’objet de nombreuses critiques. Elle serait assez inégalitaire, son format dépendant beaucoup de l’université ou de la discipline, elle n’exigerait pas d’attestation de compétences spécifiques liées à l’encadrement ou à la direction, et, enfin, elle accroîtrait l’inégalité entre les femmes et les hommes, selon des données statistiques. Par différents aspects, elle favoriserait le mandarinat comme l’absence de parité. Toutefois, le rapport de M Berger ne préconise pas sa suppression, mais plutôt qu’il soit permis à chaque chercheur ou enseignant chercheur permanent titulaire d’un doctorat de diriger une thèse.

La Conférence permanente des missions égalité-diversité recommande pour sa part de respecter au sein des comités un pourcentage du sexe le moins représenté au moins égal à celui, national, de la section ou des sections du Conseil national des universités auxquelles le poste mis au concours est rattaché.

Votre Rapporteur considère cependant que les jurys doivent être composés d’hommes et de femmes de façon équilibrée. La parité y est nécessaire, tout comme au sein des comités de sélection.

Recommandation n°15 : les comités de sélection des universités et des grandes écoles doivent être composés de manière paritaire.

Pour y parvenir, il pourrait être envisagé que dans certaines disciplines, où il y a peu de femmes enseignantes et de chercheures, les établissements évitent de constituer des comités de sélection hyper spécialisés, où seuls siègent des représentants de la « sous-sous » discipline. Dans ces cas, on se trouve avec un « vivier » de la discipline essentiellement masculin qui rend difficile la constitution d’un comité à la représentation équilibrée. Votre Rapporteur estime toutefois que l’excuse du « vivier masculin » ne doit pas être recevable, et que l’affirmation d’un principe de parité contribuera à faire appel à des femmes que l’on n’a pas encore songé à faire participer aux comités de sélection et aux jurys.

B. LE DÉROULEMENT DE LA CARRIÈRE : ADOPTER DES MESURES POUR RÉTABLIR L’ÉGALITÉ

Les promotions et l’accès aux fonctions de responsabilité des femmes restent très difficiles ; ainsi qu’en témoignent les chercheures entendues par la Délégation, « les femmes ne passent pas : il y a toujours des hommes à faire passer ».

La charte égalité femmes-hommes, adoptée par la Conférence des grandes écoles, mentionne, au sein des éléments de la politique paritaire d’établissement, la réalisation d’un état des lieux statistique sexué régulier avec un certain nombre d’indicateurs : répartition par sexe et par catégorie, salaire moyen par catégorie, primes incluses, promotion par catégorie (augmentation de salaire, changement de poste). Cet engagement à étudier les caractéristiques d’un établissement est un bon préalable à la mise en œuvre d’actions plus concrètes, mais il faudra veiller à ce que la situation n’en reste pas là.

Les exemples étrangers montrent que certains pays, décidés à faire progresser le nombre de professeures, ont adopté une attitude de soutien actif : en Suisse par exemple, des entretiens de carrière sont proposés aux femmes, afin de lever les freins à leur carrière et d’apporteur un soutien personnalisé.

Quelques mesures de bons sens peuvent être promues.

Les femmes présentent moins de demandes de prime ou de promotion que les hommes : la question est posée d’un entretien ou de mesures d’encouragement aux enseignantes chercheures et aux chercheures pour les encourager à en présenter.

Une autre question s’avère très importante : la stricte prise en compte des quatre dernières années d’enseignement et de recherche pour la constitution d’un dossier de demande de prime ou de promotion est un handicap lors de l’examen des dossiers de femmes ayant eu un ou plusieurs enfants pendant les années précédentes.

Votre Rapporteur considère que les situations qui imposent une période fixe devraient inclure ce dispositif correcteur, en ajoutant à la période d’évaluation soit une année par naissance, soit la durée du congé de maternité ou parental pris par le salarié, l’évaluation de l’activité se faisant alors sur cette période prolongée et non plus sur les quatre dernières années.

La comparaison avec les règles en vigueur dans les programmes de recherche de l’Union européenne montre que les règles françaises sont plus défavorables aux jeunes mères : il y est ainsi prévu qu’il faut rajouter 18 mois en cas de congé de maternité au délai de 7 ans maximum qu’il faut observer pour faire acte de candidature sur certains types de programmes en qualité de « principal investigator ».

D’autres programmes, notamment pour ce qui concerne l’évaluation, peuvent aussi prévoir un délai « statutaire » en cas de congé de maternité, qui peut être d’un an ou de 18 mois, selon le type de contrat européen.

Recommandation n°16 : Prévoir un dispositif correcteur pour éviter la discrimination, dans le cadre de l’évaluation préalable à une promotion ou une demande de prime, envers les femmes ayant eu des enfants au cours des quatre dernières années, en ajoutant la durée du congé intervenu pendant la période.

Enfin, la mise en place d’un service de « carrières conjointes », pour accompagner le conjoint d’une personne recrutée par l’établissement dans sa recherche d’emploi, pourrait être un soutien non négligeable dans l’optique de favoriser la mobilité et le recrutement de personnes extérieures à l’établissement.

Votre Rapporteur considère aussi que les universités doivent examiner la possibilité de mettre en place un accueil de la petite enfance dans leur périmètre, à l’intention des personnels comme des usagers, qui pour certains sont des adultes en formation permanente.

En effet, les auditions conduites par votre Rapporteur ont démontré que l’absence de crèches dans les grands établissements est un réel frein à l’engagement universitaire ou professionnel pour de nombreuses femmes. À titre d’exemple, en région parisienne, quasiment aucun des grands campus regroupant parfois plusieurs dizaines de milliers d’étudiants et étudiantes et des centaines de salariés ne disposent d’une crèche. Votre Rapporteur considère qu’il s’agit d’un élément important en faveur de l’égalité réelle et qui doit faire l’objet d’un effort particulier dans les prochaines années. Les établissements d’enseignement supérieur ne fonctionnant qu’une partie de l’année, des complémentarités pourront être trouvées durant les périodes de vacances avec les quartiers et les crèches proches pour garantir un plan de charge sur toute l’année.

Recommandation n° 17 : Développer un accueil de la petite enfance au sein de l’université. Le plan d’action Égalité/parité de l’établissement pourrait créer les conditions de l’ouverture d’une crèche sur son emprise territoriale à destination des personnels, mais aussi des usagers ayant des enfants en bas âge.

C. ÉRIGER LA PARITÉ ET L’ÉGALITÉ EN OBJECTIFS DE PERFORMANCE

Le plan d’action pour l’égalité élaboré par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche sera notamment mis en œuvre dans le cadre du dialogue contractuel entre le ministère et les établissements, l’égalité devenant un élément systématique de ce dialogue. Ainsi que l’a annoncé la ministre le 29 janvier 2013, « Chacun devra se fixer des objectifs et définir des indicateurs de suivi, pour vérifier qu’ils sont tenus. En retour, mon ministère s’appuiera sur ce dialogue avec les établissements pour établir une vision globale (….). C’est un élément qui déterminera les dotations : les pressions financières, autant que les pressions morales, ont leur efficacité. »

La possibilité d’une modulation des financements liée à la mise en œuvre de la politique de parité, ouverte par la ministre, est un élément nouveau et très important. En effet, aucun abondement incitatif ou aucune pénalisation n’ont, jusqu’à présent, été envisagés vis-à-vis des établissements, en lien avec la mise en œuvre de politiques ou l’atteinte de résultats en matière d’égalité.

Parallèlement, pour donner un fondement à cette politique incitative, il conviendrait de créer un objectif de mise en œuvre par les établissements de la politique de parité, parmi les objectifs de performance au sens de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Il conviendrait de faire figurer, au sein du projet annuel de performances accompagnant la présentation du projet de loi de finances, un objectif de parité dans les instances de recrutement des établissements et un objectif d’égalité entre les femmes et les hommes dans le déroulement des carrières. Des indicateurs précis pourraient être définis pour chaque objectif.

Votre Rapporteur a mis en évidence dans la première partie du présent rapport le manque d’appétence des jeunes femmes pour certaines disciplines scientifiques et plus généralement pour les carrières de la recherche. Cette situation appellerait une action d’incitation afin de favoriser le choix d’études scientifiques. Cependant, formuler un objectif de mixité des filières est d’un maniement délicat, dans la mesure où les gestionnaires des programmes budgétaires de l’Enseignement supérieur et de la recherche ne disposent pas de leviers susceptibles d’encourager les étudiants et étudiantes à s’inscrire dans les filières encore marquées par les stéréotypes de genre.

Une telle déclinaison des objectifs de performance, dans les différents domaines de la recherche, puis au niveau des établissements, permettrait de faire entrer la politique de la parité de manière globale dans la vie des établissements, au même titre que les publications de leurs membres ou que l’insertion de leurs diplômés.

Recommandation n°18 : Faire figurer, au sein du projet annuel de performances accompagnant la présentation du projet de loi de finances, un objectif de parité entre les femmes et les hommes dans les instances de recrutement des établissements et un objectif d’égalité entre les femmes et les hommes dans le déroulement des carrières.

IV.– ASSURER LE RESPECT ENTRE LES SEXES DANS LA COMMUNAUTÉ UNIVERSITAIRE

Les violences sexuelles demeurent un sujet tabou dans l’enseignement supérieur : il doit faire l’objet d’une véritable prise de conscience et de mesures. Votre Rapporteur traite ici d’une question peu abordée dans le débat pourtant approfondi et pertinent qui s’est instauré sur l’enseignement et la recherche depuis le mouvement des chercheurs intervenu en 2004. Il proposera ensuite quelques moyens de remédier à une situation peu digne de nos ambitions d’excellence et de justice.

De manière plus générale, comme il a déjà été souligné, la dimension de l’égalité doit être intégrée à la politique générale des établissements, afin que les pratiques de discrimination et de sexisme, ancrées dans les habitudes et suscitant une forme de résignation et de sentiment d’impunité chez les femmes, soient remises en question.

L’initiative repose ici tant sur le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche que sur les présidents et les bureaux des établissements d’enseignement. La Mission pour la parité et la lutte contre les discriminations (MIPADI), installée au ministère, doit être une force de proposition et de mise à disposition des bonnes pratiques.

1. En finir avec l’attitude de déni face aux violences et au harcèlement

Plusieurs des représentants de syndicats d’enseignants et d’étudiants, entendus par votre Rapporteur, ont confirmé la réalité des violences à caractère sexiste et du harcèlement sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche et le caractère prégnant de ces comportements, qui restent le plus souvent non dénoncés et généralement impunis. Les victimes sont majoritairement, mais non exclusivement, des femmes.

La loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel comporte une nouvelle définition de ces faits, incluse dans l’article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires : le harcèlement sexuel est constitué « par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit, portent atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » ; lui est assimilée « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

Le code pénal punit ces faits de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, les peines étant portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis par un supérieur hiérarchique, notamment. Toutefois, la justice n’est que très rarement saisie par les victimes dans le milieu universitaire ou dans les organismes de recherche.

En effet, ces comportements sont en général le fait de personnes en position de pouvoir et d’autorité (directeurs de thèse ou de mémoire par exemple), qui proposent ou demandent des contreparties à caractère sexuel en échange,‭ ‬par exemple,‭ ‬pour l’étudiante ou l’étudiant,‭ ‬d’une meilleure note,‭ ‬d’une promotion,‭ ‬d’une lettre de recommandation,‭ ‬d’une publication ou‭ ‬d’un financement.‭ ‬Le refus peut entraîner des sanctions importantes‭ comme l’‬exclusion de l’équipe de travail,‭ ‬de l’institution,‭ la ‬rupture de contrat,‭ ‬le non-renouvellement d’un financement,‭ l’‬abandon du suivi pédagogique, par exemple.

Comme le souligne le Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur, « ces agissements ne sont pas systématiquement masculins et hétérosexuels,‭ mais le plus souvent le fait d’hommes dont la reconnaissance intellectuelle ne laisse pas soupçonner de telles pratiques dans leur relation avec leurs‭ ‬étudiantes ou étudiants.‭ La situation de dépendance et de précarité des victimes,‭ ‬majoritairement des femmes,‭ ‬fait qu’elles ne peuvent se permettre d’accuser officiellement leur agresseur ».

En outre, les victimes n’ont parfois pas conscience de subir un harcèlement,‭ ‬les agresseurs ne se pensent pas comme coupables d’un fait répréhensible par la loi et, enfin, les collègues ne se rendent pas toujours compte de leur complicité tacite.‭ ‬Il existe donc encore une forme de tabou sur le harcèlement sexuel‭ ‬et un déni face à la caractérisation de cette forme de violence.

L’étendue de ce phénomène est peu connue : il conviendrait de mener une enquête de victimation sinon au plan national, du moins dans plusieurs régions de France, pour mieux connaître le connaître.

Il convient de souligner qu’après l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEFF), réalisée en 2000, une nouvelle enquête a été décidée par la ministre des Droits des femmes. Il s’agit de l’enquête Violences et rapports de genre (VIRAGE) : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes, projet soutenu financièrement par le ministère des Droits des femmes, la Caisse nationale des allocations familiales et le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance.

Il aurait été souhaitable qu’un volet de cette enquête soit consacré au champ de l’enseignement supérieur, mais il en a été exclu. L’analyse de la situation dans les établissements pourrait donc être confiée à l’Observatoire de la vie étudiante ou à la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences (MIPROF) récemment instituée.

2. Améliorer la procédure de traitement des faits de violence et de harcèlement sexuel

Ces agissements, comme les autres conflits, sont donc traités – dans les rares cas où ils le sont réellement – à l’intérieur de l’établissement par une section disciplinaire, comme dans toute autre structure publique.

La section disciplinaire peut prononcer des sanctions telles que le rappel à l’ordre, le blâme, le retard à l’avancement d’échelon, l’interdiction d’enseigner, l’interdiction d’exercer des fonctions de recherche, la mise à la retraite d’office, l’exclusion de l’établissement ou la révocation.

Les présidents d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur ont le devoir de prévenir le harcèlement sexuel, comme le leur rappelle la circulaire ministérielle du 25 novembre 2012, remplaçant une note ministérielle de 2005. Cette circulaire fait notamment obligation aux présidents et directeurs d’établissement de saisir les instances disciplinaires pour des faits paraissant suffisamment avérés et relevant du délit de harcèlement sexuel. Sans avoir l’impact de la loi, elle peut au moins être invoquée pour mettre la présidence de l’établissement face à ses responsabilités.

La circulaire constitue un réel progrès pour inciter les présidents et directeurs d’établissement à prévenir ce genre de faits, car elle prévoit des mesures d’information et de formation ; elle précise aussi le rôle du médecin de prévention et du service universitaire de médecine préventive et de promotion de la santé (SUMPPS) dans la prise en charge des victimes.

Cependant, dans les faits, peu de victimes se décident à faire appel à la procédure disciplinaire, subissant le poids d’un rapport de pouvoir qui leur est défavorable, et se heurtant aussi, comme dans tous les cas de harcèlement sexuel, à la difficulté d’apporter la preuve des faits, ceux-ci se déroulant généralement hors la présence de témoins et sans trace écrite.

Il convient d’observer que la procédure disciplinaire est inégalitaire à plusieurs points de vue, comme l’ont souligné plusieurs personnes entendues par votre Rapporteur. Cependant, malgré l’hésitation que peut avoir une victime à engager la poursuite sur le plan disciplinaire, saisir le juge pénal n’est pas plus facile, car la pression sociale du système clos de l’université et la précarité économique de l’étudiant ou du doctorant, qui a besoin de « faire sa place » au sein de l’établissement, conduisent à l’en empêcher. Les victimes craignent que saisir la justice ne nuise à leur cursus, ou ne les oblige à changer d’établissement. Le coût financier d’une procédure pénale est également dissuasif pour un étudiant ou une étudiante.

Quant à la procédure disciplinaire, ses défauts peuvent être ainsi résumés :

– il est impossible de saisir directement la section disciplinaire : la victime doit saisir le président de l’université par lettre ; celui-ci décidera s’il y a lieu de saisir ou non la section. La saisine du président peut aussi être faite par le médiateur académique ou par le chargé de mission Égalité, mais ceux-ci ne peuvent pas davantage saisir directement la section disciplinaire ;

– selon une règle générale en droit administratif, un fonctionnaire ne peut être jugé que par ses pairs, c’est-à-dire uniquement par des agents d’un grade égal ou supérieur. Un enseignant sera jugé par ses collègues, et aucun étudiant ni personnel ingénieur, administratif, technicien, ouvrier, de service et de santé ne pourra être membre de la commission. À l’inverse, si l’accusé est étudiant (ou étudiante), il (elle) sera jugé·(e) par d’autres étudiants, des membres du personnel BIATOSS, et des enseignants.

La situation est fortement inégalitaire lorsque la plaignante est étudiante, et l’accusé enseignant. Mme Anne Fraquet, étudiante représentant l’UNEF, entendue par votre Rapporteur, a souligné que cette inégalité est renforcée par la présence majoritaire d’hommes dans les conseils de discipline ;

– le jugement et l’instruction ne sont pas différenciés : ce sont les mêmes personnes qui, au sein de la section disciplinaire, procèdent à l’enquête et au jugement ;

– le ou la plaignant-e ne peut faire appel de la décision prise par la section disciplinaire, possibilité réservée au seul·accusé. Par ailleurs, l’instance d’appel, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), ne peut pas prononcer une sanction plus élevée que la sanction établie par la section disciplinaire. L’appel s’effectue donc toujours au bénéfice de la personne accusée.

– enfin, le jugement ne peut être rendu public que sur décision du président du CNESER.

Le collectif de lutte antisexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (CLASCHES), dont les représentantes ont été entendues par votre Rapporteur, va jusqu’à mettre en question la conformité du droit français avec la directive du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de travail.

Cette directive définit le harcèlement sexuel, tout en fixant des règles de procédure visant à garantir la défense des droits des personnes victimes de harcèlement, notamment en matière d’accessibilité des recours et de réparation des dommages. Cependant, la loi française de transposition de la directive, adoptée en 2008, a modifié le code du travail, mais non le code de la fonction publique et au code de l’éducation.

La réforme de cette procédure constituerait un signal important, qui concrétiserait les engagements récemment pris par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Il est important que les sections disciplinaires soient paritaires à l’avenir : étant l’émanation du conseil académique qui devrait évoluer vers plus de parité grâce au projet de loi, elles devraient se féminiser. Néanmoins, il peut être utile de le prévoir explicitement.

Votre Rapporteur estime indispensable que la saisine de la section disciplinaire puisse être faite également par une autre personne que le président de l’université. En lien avec la recommandation de créer, de manière obligatoire, un chargé de mission Égalité, votre Rapporteur propose de confier cette faculté de saisine à ce chargé de mission Égalité.

Recommandation n°19 : Réformer la procédure disciplinaire applicable aux plaintes portant sur des violences, des situations de harcèlement ou de discrimination.

Á cette fin il y a lieu de permettre la saisine de la section disciplinaire par, outre le président de l’établissement, une autre autorité, qui pourrait être, par délégation du président, le (la) chargé (e) de mission Égalité au sein de l’établissement.

La section disciplinaire doit être composée de manière paritaire entre les femmes et les hommes. Les personnes chargées de l’instruction des faits ne doivent pas participer au jugement du conflit. La possibilité d’appel auprès de l’instance nationale doit être ouverte au plaignant, ainsi qu’au chargé de mission Égalité.

Il convient enfin d’assurer la publicité de la décision rendue en dernier ressort.

L’on peut également s’interroger sur l’opportunité d’introduire, dans le code de l’éducation, une disposition sanctionnant le harcèlement, de la même manière que le bizutage y a été introduit.

Il est très encourageant que la charte signée par la Conférence des présidents d’université, la Conférence des grandes écoles et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, formule des engagements en ce domaine. Il est souhaitable que les établissements les mettent en œuvre avec volontarisme. Une première étape a eu lieu avec l’introduction, par la loi du 17 juin 1998, dans le code de l’éducation, d’une disposition relative au bizutage (l’article L.511-3), qui renvoie à l’article 225-16-1 et suivants du code pénal7.

Votre Rapporteur souligne la nécessité d’introduire également dans le code de l’éducation une disposition relative au harcèlement sexuel. Cette nouvelle disposition pourrait faciliter la qualification des faits par les sections disciplinaires.

3. Mettre en place des actions de prévention et d’accompagnement

Une circulaire sur le traitement du harcèlement sexuel a été prise par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche le 25 novembre 2012.

Elle rappelle les éléments de prévention à mettre en œuvre, par le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et par des actions régulières de sensibilisation et de formation. Elle donne ensuite compétence au médecin de prévention, au service universitaire de médecine préventive, aux conseillers de prévention pour prendre en charge les victimes du harcèlement.

Il est en outre nécessaire que les établissements diffusent aux étudiants et étudiantes des informations sur les droits des victimes de violences et du harcèlement sexuel, sur l’aide qu’ils peuvent recevoir et auprès de qui.

L’accompagnement de la victime doit aussi être possible, grâce à la mise en place d’une cellule de conseil ou au moins d’un référent chargé d’apporter son soutien aux victimes.

Un exemple de ce genre d’action est la cellule de veille et d’information sur le harcèlement sexuel mise en place par l’Université de Lille III. Composée de 15 à 20 membres représentatifs de la diversité de la communauté universitaire, cette cellule a pour objectif de faire respecter les droits des personnels et usagers de l’université et de vérifier que les relations pédagogiques et professionnelles dans l’établissement se déroulent dans le respect et la dignité de chacun. Elle peut faire appel à des experts suivant les sujets à traiter.

Son rôle est d’être un lieu d’écoute, d’aide et d’orientation des membres de la communauté universitaire, en particulier pour les victimes ou les témoins d’actes de harcèlement sexuel. La prévention des comportements abusifs fait aussi partie de ses missions.

Recommandation n°20 : En coordination avec le (la) chargé (e) de mission, mettre en place, dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, une cellule de veille et d’information sur les discriminations, les violences et le harcèlement sexuel, ou au moins, désigner une personne référente pour informer et orienter les victimes et les témoins.

Votre Rapporteur considère aussi que les établissements d’enseignement supérieur et de recherche doivent délivrer une information précise et complète, facilement accessible aux personnels comme aux étudiants, sur les moyens de faire face à ce genre de faits.

Recommandation n°21 : Les personnels des établissements doivent se voir remettre un document d’information spécifique relatif au harcèlement sexuel, comportant au moins la définition de ce délit, les peines encourues et les voies de saisine de la section disciplinaire compétente.

Ces informations doivent être accessibles sur les sites Internet des établissements et faire l’objet d’un encart dans les documents de présentation générale des droits de devoirs des étudiants.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes s’est réunie le mercredi 24 avril 2013 pour examiner le présent rapport d’information.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Délégation a souhaité se saisir du projet de loi relatif à l’Enseignement supérieur et à la recherche, et en particulier des dispositions sur la mise en œuvre effective de la parité.

M. Sébastien Denaja a mené des auditions dans un délai extrêmement bref pour élaborer les améliorations que pourrait proposer la Délégation : il va nous présenter les recommandations qu’il préconise, et qui feront, pour certaines, l’objet d’amendements. Nous avons également dû inscrire l’examen de son rapport dans un délai très rapide, afin que M. Denaja puisse porter l’avis de la Délégation devant la commission des Affaires culturelles lors de ses réunions consacrées au projet de loi, qui auront lieu les 14 et 15 mai.

Je tiens à saluer le fait que la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a défendu l’objectif de la parité dans ce texte important, ce qui aura des conséquences très importantes pour l’accès des femmes aux fonctions et pour l’amélioration de leur carrière, dans un secteur d’activité où les inégalités sont importantes, même si l’égalité juridique est bien sûr posée.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je vais axer ma présentation sur les recommandations que je propose à la Délégation, et qui devraient traduire les principales améliorations que nous pouvons apporter à ce projet de loi. Ce texte a notamment le mérite d’affirmer le principe de la parité dans de nombreuses enceintes d’administration et de gouvernance des universités, afin de remédier de manière efficace aux inégalités toujours très prégnantes entre les hommes et les femmes dans l’accès aux fonctions de responsabilité et dans le déroulement des carrières des enseignants chercheurs et des chercheurs.

Je propose à la Délégation d’aller plus loin dans la logique paritaire en suggérant de la mettre en place dans la plupart des instances où le projet de loi ne l’a pas prévue.

Ensuite, j’ai souhaité introduire un volet relatif au traitement du harcèlement sexuel, phénomène hélas très connu dans les établissements d’enseignement supérieur ; c’est une question que nous avions soulevée lors de l’examen du projet de loi sur le harcèlement en juillet dernier, et qu’il avait été choisi de traiter lors de l’examen du présent projet de loi.

Un premier élément de la réforme, qu’il convient d’améliorer, vise à établir une gouvernance paritaire de l’enseignement supérieur et de la recherche tant au sein des établissements qu’au plan national.

Pour cela, le projet de loi pose le principe de la parité au sein du conseil d’administration et du conseil académique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Le système de l’élection à deux tours de ces conseils me paraît très pertinent. Néanmoins, il me semble qu’il faut, pour atteindre le but, s’assurer que le mode de désignation des personnalités extérieures membres de ces deux conseils garantisse une stricte parité. Les modalités de désignation pourraient s’inspirer du mécanisme de tirage au sort prévu pour la constitution du Haut conseil des finances publiques.

Ensuite, la loi devrait aussi prévoir la parité parmi les vice-présidents, ou au sein des bureaux des organes de gouvernance des établissements d’enseignement publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.

Au plan national, nous constatons aujourd’hui que la composition des conseils et des comités de sélection des agences nationales de financement de la recherche sont composées d’hommes en plus ou moins grande majorité. Le principe de parité devrait aussi y prévaloir, de même que dans tous les comités de sélection de manière générale. L’argument est souvent opposé d’un manque de femmes dans certaines disciplines, ce qui rendrait difficile la constitution équilibrée des comités. Il me semble que cet argument ne doit pas être retenu, et que, dans un cadre plus contraint, l’on trouvera des femmes pour participer aux instances scientifiques à tous les niveaux, ou que des solutions pourront être trouvées au cas par cas, éventuellement en ouvrant la participation à des personnes ne relevant pas de la même « sous-sous-discipline », c'est-à-dire ne partageant pas obligatoirement la même spécialité vue au sens strict.

La composition paritaire du CNESER est affirmée par le projet de loi. Il convient de s’assurer que les modalités d’application traduiront cette parité, et en particulier que le décret d’application à venir prévoira la nomination paritaire des représentants des grands intérêts nationaux.

Un autre élément est très important pour rétablir l’égalité dans le déroulement des carrières : la stricte prise en compte des quatre dernières années d’enseignement et de recherche pour la constitution d’un dossier de demande de prime ou de promotion ; il s’agit d’un handicap lors de l’examen des dossiers de femmes ayant eu un ou plusieurs enfants pendant les années précédentes. Les situations qui imposent une période fixe devraient inclure un dispositif correcteur, en ajoutant à la période d’évaluation soit une année par naissance, soit la durée du congé de maternité ou parental pris par le salarié, ce qui permettra une évaluation de l’activité sur cette période prolongée et non plus sur les quatre dernières années.

Mon rapport souligne le besoin d’études et de statistiques sur les discriminations sexuées existant dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Á l’heure actuelle, les outils d’appréciation de la place des femmes et de l’évolution de leur carrière sont encore insuffisants. Il existe des initiatives mais isolées, comme la publication par le CNRS du bilan annuel « La parité dans les métiers du CNRS ». C’est pourquoi les établissements devraient collecter et transmettre au ministère les données relatives à la répartition entre les sexes des postes de chercheur et d’enseignant-chercheur, aux différents stades de la carrière. Cela permettra de meilleures statistiques nationales.

Enfin, je consacre un chapitre au respect entre les sexes dans la communauté universitaire. Les violences sexuelles et le harcèlement demeurent un sujet tabou dans l’enseignement supérieur : il doit y avoir une véritable prise de conscience et des mesures plus efficaces que le cadre actuel pour espérer éradiquer ce type d’actes.

Ces agissements, comme les autres conflits, sont traités – dans les rares cas où ils le sont réellement – à l’intérieur de l’établissement par une section disciplinaire, comme dans toute autre structure publique. En effet, les victimes portent rarement plainte devant les tribunaux, pour des raisons de coût et de longueur de la procédure. Mais la procédure impliquant la section disciplinaire est très inégalitaire et loin d’être satisfaisante. Je propose donc de réformer cette procédure pour mieux garantir la défense des droits des personnes victimes de harcèlement, notamment en matière d’accessibilité du recours, d’appel et de publicité. J’ajoute que la section disciplinaire devrait, elle aussi, être composée de manière paritaire. Je considère d’ailleurs que le code de l’éducation devrait comprendre une disposition sanctionnant le harcèlement sexuel, de même qu’il comporte, depuis la loi du 17 juin 1998, une disposition en ce sens sur le bizutage.

J’ai l’intention de déposer un certain nombre d’amendements reprenant les éléments que je viens d’indiquer et d’autres que vous trouverez dans mon rapport d’information.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie pour ce travail qui permet d’aborder beaucoup de sujets importants.

Celui de la place des jeunes filles dans les filières scientifiques, et donc ensuite des femmes dans les carrières scientifiques, est important. Je souligne que la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Mme Geneviève Fioraso, a souhaité améliorer l’information des étudiants en licence, afin qu’ils accèdent à des orientations plus diverses et adaptées à leurs capacités, ce qui n’est pas le cas si les jeunes filles « s’autolimitent » dans leur ambition et leurs choix.

Vous abordez dans votre rapport une autre question : celle de la stricte prise en compte des quatre dernières années d’enseignement et de recherche pour la constitution d’un dossier de demande de prime ou de promotion. Cette règle est critiquée à juste titre car elle désavantage les femmes ayant eu un ou plusieurs enfants pendant les années sur lesquelles porte l’évaluation. Il faut apporter un dispositif correcteur, en ajoutant à la période d’évaluation la durée du congé de maternité ou parental pris par le salarié. La période d’évaluation de l’activité sera alors prolongée, permettant de rétablir une égalité pour la femme qui aura cessé son activité et donc, par exemple, moins publié.

La question de l’accueil des enfants en bas âge des personnels des établissements d’enseignement supérieur et éventuellement des personnes en formation est pertinente ; toutefois, il faut prendre en considération le fait que ces établissements ne sont pas ouverts toute l’année. Créer ce genre de lieux d’accueil de la petite enfance auprès des universités serait une bonne chose, si l’on peut trouver la solution qui permettra l’emploi de leurs personnels toute l’année et une bonne utilisation des investissements réalisés, qui ne seront pas négligeables.

Je souligne enfin que la loi la loi du 12 mars 2012, « dite loi Sauvadet », relative notamment à la lutte contre les discriminations dans la fonction publique, sera applicable aux universités, qui devraient donc être soumises à l’obligation d’établir un rapport de situation comparée. Il sera intéressant de préciser à qui ce rapport devra être adressé et qui va contrôler la mise en œuvre de l’égalité dans ces établissements. Il s’agira en tout cas d’un outil à la disposition des chargés de mission Égalité nommés dans les établissements.

La Délégation a adopté le rapport de M. Sébastien Denaja ainsi que les recommandations qui suivent.

RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

Recommandation n° 1 : Élaborer des statistiques nationales sur la place des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Adresser une circulaire aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche demandant la mise à disposition de données relatives à la répartition entre les sexes des postes de chercheur et d’enseignant-chercheur, aux différents stades de la carrière. Ces données doivent être disponibles pour les personnels et les usagers des établissements, et transmises au ministère pour l’élaboration des statistiques nationales.

Recommandation n° 2 : Favoriser l’orientation des jeunes femmes vers les carrières scientifiques et en particulier vers les disciplines où elles sont encore très minoritaires.

Dans cet objectif, prévoir, dans les cahiers des charges des médias publics, la diffusion d’émissions scientifiques, impliquant des acteurs du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, et tendant à respecter la parité femmes/hommes parmi les intervenants.

Recommandation n° 3 : Le ministère de l’Éducation nationale doit veiller à l’égalité d’accès aux internats des classes préparatoires afin d’assurer l’égalité des chances et éliminer les obstacles pouvant freiner la réussite des jeunes filles.

Recommandation n° 4 : Les établissements d’enseignement et de recherche, sous la direction de leur président (e), doivent élaborer un plan d’action Égalité/parité pour l’établissement, déclinant notamment le plan d’action pour l’égalité élaboré par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche en 2012.

Recommandation n° 5 : Les établissements d’enseignement supérieur et de recherche doivent nommer un (e) chargé (e) de mission Égalité, dont la mission sera de mettre en œuvre la charte pour l’égalité signée le 29 janvier 2013, de définir avec le (la) président (e) de l’établissement une politique de l’établissement et d’en suivre la mise en œuvre.

La loi doit préciser les éléments essentiels de sa mission de même que les moyens d’information et d’action dont il ou elle dispose.

Recommandation n° 6 : Prévoir dans la loi qu’il appartient aux établissements d’enseignement supérieur de mener une action contre les stéréotypes sexués, tant dans les enseignements que dans les différents aspects de la vie de la communauté éducative.

Recommandation n°7 : Inciter les universités à construire des licences comportant des modules obligatoires sur le genre, ancrés dans les disciplines ou pluridisciplinaires.

Prévoir une formation obligatoire sur l’égalité entre les sexes et les stéréotypes de genre dans la formation des enseignants, de la maternelle au supérieur.

Recommandation n° 8 : Assurer la parité au sein du conseil d’administration et du conseil académique des établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

Pour cela, s’assurer que le mode de désignation des personnalités extérieures membres de ces deux conseils garantisse cette parité.

Les modalités de désignation peuvent s’inspirer par exemple du mécanisme de tirage au sort prévu pour la constitution du Haut conseil des finances publiques.

Recommandation n° 9 : La loi prévoit la parité parmi les vice-présidents, ou au sein des bureaux des organes de gouvernance des établissements d’enseignement publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.

Recommandation n°10 : Le bureau de l’établissement d’enseignement supérieur doit veiller à la composition paritaire de la commission gérant le Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE).

Recommandation n°11 : Dresser le bilan, deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, de son application et de son résultat en ce qui concerne la composition paritaire des conseils d’établissement.

Recommandation n° 12 : Veiller à respecter la parité sein des conseils et des comités de sélection des agences nationales de financement de la recherche.

Recommandation n° 13 : La composition paritaire du CNESER est affirmée par le projet de loi. Il convient de s’assurer que les modalités d’application traduisent cette parité, et en particulier que le décret d’application à venir prévoie la nomination paritaire des représentants des grands intérêts nationaux par le ministre de l’Enseignement supérieur.

Recommandation n°14 : La composition du conseil d’orientation scientifique du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur doit respecter le principe de la parité entre femmes et hommes.

Recommandation n°15 : Les comités de sélection des universités et des grandes écoles doivent être composés de manière paritaire.

Recommandation n°16 : Prévoir un dispositif correcteur pour éviter la discrimination, dans le cadre de l’évaluation préalable à une promotion ou une demande de prime, envers les femmes ayant eu des enfants au cours des quatre dernières années, en ajoutant la durée du congé intervenu pendant la période.

Recommandation n° 17 : Développer un accueil de la petite enfance au sein de l’université. Le plan d’action Égalité/parité de l’établissement pourrait créer les conditions de l’ouverture d’une crèche sur son emprise territoriale à destination des personnels, mais aussi des usagers ayant des enfants en bas âge.

Recommandation n° 18 : Faire figurer, au sein du projet annuel de performances accompagnant la présentation du projet de loi de finances, un objectif de parité entre les femmes et les hommes dans les instances de recrutement des établissements et un objectif d’égalité entre les femmes et les hommes dans le déroulement des carrières.

Recommandation n° 19 : Réformer la procédure disciplinaire applicable aux plaintes portant sur des violences, des situations de harcèlement ou de discrimination.

Á cette fin il y a lieu de permettre la saisine de la section disciplinaire par, outre le président de l’établissement, une autre autorité, qui pourrait être, par délégation du président, le (la) chargé (e) de mission Égalité au sein de l’établissement.

La section disciplinaire doit être composée de manière paritaire entre les femmes et les hommes. Les personnes chargées de l’instruction des faits ne doivent pas participer au jugement du conflit. La possibilité d’appel auprès de l’instance nationale doit être ouverte au plaignant, ainsi qu’au chargé de mission Égalité.

Recommandation n° 20 : En coordination avec le (la) chargé (e) de mission, mettre en place, dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, une cellule de veille et d’information sur les discriminations, les violences et le harcèlement sexuel, ou au moins, désigner une personne référente pour informer et orienter les victimes et les témoins.

Recommandation n°21 : Les personnels des établissements doivent se voir remettre un document d’information spécifique relatif au harcèlement sexuel, comportant au moins la définition de ce délit, les peines encourues et les voies de saisine de la section disciplinaire compétente.

Ces informations doivent être accessibles sur les sites Internet des établissements et faire l’objet d’un encart dans les documents de présentation générale des droits et devoirs des étudiants.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

1/ Auditions du Rapporteur

• Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche

—  M. Guillaume HOUZEL, conseiller pour les affaires sociales, la vie étudiante et la culture scientifique et technique, chargé de l’égalité auprès de Mme Geneviève FIORASO, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

• Ministère des Droits des femmes

—  Mme Léa GUILLEBAUD, conseillère parlementaire auprès de Mme Najat VALLAUD-BELKACEM, ministre des Droits des femmes

• Syndicat Union nationale des étudiants de France (UNEF)

—  Mme Anne FRAQUET, responsable des questions de société

• Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP)

—  Mme Michèle LAUTON, membre du bureau

• Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur (CLASCHES)

—  Mme Clara CHEVALIER

—  Mme Marie QUEVREUX

—  Mme Fabienne CHAMELOT

Table ronde du 11 avril 2013 :

• Association française des femmes diplômées d’université (AFFDU)

—  Mme Marie José JONCZY, présidente

—  Mme Evelyne d’AUZAC, présidente sortante

• Association Femmes et Sciences

—  Mme Véronique EZRATTY, présidente sortante

• Association Femmes et mathématiques

—  Mme Colette GUILLOPÉ, vice-présidente

—  Mme Véronique CHAUVEAU, vice-présidente

• Association nationale des études féministes

—  Mme Christelle HAMEL, sociologue, chargée de recherche

2/Réunion de la Délégation (table ronde) du 16 avril 2013

• Conférence permanente des missions Égalité-Diversité des universités françaises

—  Mme Isabelle KRAUS, enseignante-chercheure à l’Université de Strasbourg, présidente de la Conférence permanente

• Conférence des présidents d’université (CPU)

—  M. Vincent BERGER, président

• Conférence des Directeurs des Écoles Françaises d’Ingénieurs (CDEFI)

—  Mme Anne-Marie JOLLY, conseillère spéciale du directeur de Polytech Orléans pour les relations extéieures

—  M. Geoffroy LAHON-GRIMAUD, chargé de mission sur les questions de société

• Conférence des Grandes Écoles (CGE)

—  Mme Nadia HILAL, chargée de mission

• Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

—  Mme Anne PÉPIN, directrice de la mission pour la place des femmes, responsable du projet européen INTEGER (Institutional transformation for effecting gender equality in research).

3/Auditions effectuées avec M. Vincent Feltesse, rapporteur de la commission des Affaires culturelles

• Associations de chercheurs

—  Sauvons l’Université (SLU) – Mme Christine NOILLE, présidente

—  Sauvons la recherche (SLR) – M. Emmanuel SAINT-JAMES, président

• Associations d’étudiants

—  Union nationale des étudiants de France (UNEF) – M. William MARTINET, responsable des questions universitaires

—  Mouvement des étudiants (MET) – M. Antoine DIERS, président

—  Confédération étudiante – M. Thibaut SELLIER, trésorier

—  Promotion et défense des étudiants (PDE) – M. Steven DA CRUZ, président et Mme Lucie GUESNE, secrétaire générale

—  Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) – M. Adrian BRUN, 1er vice-président en charge des affaires académiques

• Centre national de la recherche scientifique (CNRS) 

—  Mme Marie-Hélène BEAUVAIS, directrice adjointe, chargée de la communication, et M. Joël BERTRAND, directeur général délégué à la science

• Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche

—  M. Roger GENET, directeur général pour la recherche et l’innovation.

COMPTE-RENDU DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Au cours de sa réunion du mardi 16 avril 2013, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition, sous forme d’une table ronde, de Mme Isabelle Kraus, enseignante-chercheure à l’Université de Strasbourg, présidente de la Conférence permanente des missions Égalité-diversité des universités françaises ;  Mme Anne Pépin, directrice de la mission pour la place des femmes au CNRS, Mme Anne-Marie Jolly et M.Geoffroy Lahon-Grimaud, représentant la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) ; Mme Nadia Hilal, représentant la Conférence des grandes écoles (CGE) et M. Vincent Berger, représentant la Conférence des présidents d’université (CPU).

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mes chers collègues, cette table ronde est l’occasion de faire un bilan sur la parité entre les hommes et les femmes dans l’enseignement supérieur. Il me semble nécessaire de rappeler que si les femmes sont majoritaires en cursus licence et master (57 % en moyenne), elles deviennent minoritaires dans les fonctions de professeur des universités – 22 % – et président d’université – 15 % seulement. Comme ailleurs, l’université n’échappe pas au phénomène du « plafond de verre ».

Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui des représentants de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont l’expérience et les propositions nous seront très précieuses. Comment assurer la parité dans la gouvernance des établissements – universités et grandes écoles ? De quelle manière les carrières des femmes peuvent-elles être améliorées ? Quels sont les bons leviers pour encourager les filles à s’orienter vers la recherche – sachant qu’elles ont plus souvent leur baccalauréat que les garçons, mais qu’elles deviennent minoritaires dans les études scientifiques ?

M. Vincent Berger, président de l’université Paris-Diderot, représentant de la Conférence des présidents d’université (CPU). Le groupe « égalité » de la Conférence des présidents d’université, que je dirige, a été créé en 2010.

Comme l’a indiqué hier L’Officiel de la recherche et du supérieur, sept femmes sur trente-quatre personnalités ont été nommées dans l’enseignement supérieur et la recherche, soit 20 % de nominations féminines.

S’agissant de la gouvernance dans les universités, le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche présente des avancées, en particulier grâce à la mesure qui consiste à demander des listes alternées pour les listes de candidatures aux élections des conseils centraux des universités. Néanmoins, il présente plusieurs points faibles qui peuvent faire l’objet d’améliorations.

Le premier point faible est que les dispositions en faveur de la parité dans le projet de loi ne concernent pas les personnalités extérieures à l’établissement dans les conseils d’administration. Or dans le cas où toutes les têtes de liste sont des hommes, et que toutes les personnalités extérieures choisies par différentes organisations sont également des hommes, le pourcentage de femmes dans les conseils d’administration peut être faible – bien inférieur à 30 %. Cette proportion pourrait être encore moins importante en cas d’adoption de l’amendement proposant un scrutin à un tour, et non plus à deux tours : même avec des listes alternées, des conseils d’administration pourraient se retrouver quasiment sans femmes.

Sur ce point, la Conférence des présidents d’université propose que le collège des personnalités extérieures comprenne 40 % de personnes de chaque sexe. Dans le cas où les processus de désignation auraient abouti à une composition ne respectant pas cet équilibre, des personnalités extérieures du sexe le plus présenté – à plus de 60 % – seraient tirées au sort et des personnes du sexe opposé seraient désignées en substitution.

Un deuxième point faible, plus important, concerne les communautés d’universités et d’établissements pour lesquelles la parité n’est prévue dans le projet de loi ni pour les conseils d’administration, ni pour le conseil des membres – pour lequel il est prévu que chaque membre de la communauté d’universités et d’établissements nomme séparément un représentant, ce qui pourrait aboutir à 100 % d’hommes.

Sur cette question, la proposition de la CPU devrait être soumise à validation demain auprès de la commission des moyens. Comme pour les personnalités extérieures, si les processus de désignation aboutissent à un très grand déséquilibre dans la représentation des sexes, il s’agirait de tirer au sort des personnalités du sexe le plus représenté qui ont été nommées et de désigner une personnalité du sexe opposé, de telle sorte que la représentation de chaque sexe atteigne 40 %.

J’en viens à l’application de la loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dite « loi Sauvadet ».

Cette loi prévoit une proportion minimale de 40 % de personnes de chaque sexe dans les comités de sélection et les jurys de recrutement dans l’enseignement supérieur et la recherche à partir du 1er janvier 2015. Néanmoins, elle prévoit aussi des dispositions dérogatoires. La CPU est en discussion avec la direction générale des ressources humaines (DGRH) du ministère pour examiner les dispositions permettant à l’enseignement supérieur et la recherche d’être le moins dérogatoire possible en la matière, ce qu’il a été jusqu’à présent.

Dans l’enseignement supérieur et la recherche, on distingue, d’une part, les jurys résultant d’une élection (établissements publics à caractère scientifique et technologique en tout ou partie et Conseil national des universités pour partie) pour le recrutement des personnels hospitalo-universitaires, et, d’autre part, les jurys résultant d’une nomination (comités de sélection pour le recrutement des enseignants-chercheurs non hospitalo-universitaires).

Le problème posé par l’enseignement supérieur et la recherche est le très faible vivier de femmes dans certaines disciplines – 6 % en mathématiques pures, par exemple. Les disciplines médicales posent un double problème : un vivier très faiblement féminin et des jurys reposant sur des élus (les sections du Conseil national des universités).

Pour ce qui concerne les recrutements des enseignants chercheurs non hospitalo-universitaires, la proposition de la CPU a été acceptée par la DGRH. Nous demandons le respect de la proportion de 40 %, prévue dans la loi Sauvadet, pour les disciplines comportant plus de 20 % de femmes. Pour celles qui ont moins de 20 % de femmes, nous demandons de porter la part minimale de femmes dans le comité de sélection à deux fois le vivier – 10 % de femmes dans une section du Conseil national des universités (CNU), par exemple, donneraient 20 % au moins de femmes dans le comité de sélection. Cette disposition permet de tenir compte des contraintes imposées par les viviers très asymétriques, tout en maintenant une contrainte volontariste très supérieure au seul respect de la proportion du vivier.

Pour ce qui concerne le recrutement des enseignants-chercheurs hospitalo-universitaires, les jurys sont constitués par les sections du CNU. Or dans beaucoup de disciplines, le ratio de femmes est très faible – réanimation, médecine d’urgence, chirurgie, orthopédie, urologie, gynécologie. Sur 66 sous-sections du CNU en médecine et en odontologie, 9 ne comptent aucune femme – c’est le cas de la gynécologie obstétrique ! En substance, la CPU propose de modifier les procédures électorales des instances qui jouent le rôle de jury (CNU, comité national), de manière à distinguer un collège femmes et un collège hommes avec autant de sièges et des élections séparées avec candidatures individuelles. Cette option permettrait au CNU de comporter des sections paritaires.

Mme Anne-Marie Jolly, conseillère spéciale du directeur de Polytech Orléans pour les relations extérieures, représentant la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI). J’ai été directrice de Polytech Orléans jusqu’à l’année dernière et suis actuellement professeure des universités émérite en automatique et informatique industrielle – une des branches qui compte le moins de femmes.

La Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) plaide également pour un meilleur équilibre entre les hommes et les femmes dans les conseils d’école des écoles d’ingénieurs – dont certaines sont représentées par la CPU –, où les enseignantes-chercheures sont très peu représentées. C’est le sens de la charte que nous avons signée avec la CPU et la CGE.

D’abord, je dirai que l’effort doit porter sur les comités de sélection, dont la composition hommes-femmes peut en effet se retrouver déséquilibrée par le jeu des désistements. On sait que les sections du CNU se caractérisent par un fort lobby masculin – la soixante et unième section dont je fais partie figure parmi les plus défavorisées en matière de mixité. Il me semble donc fondamental que les désistements se fassent dans le respect de la parité.

Ensuite, il me semble primordial de trouver des solutions à même d’aider les jeunes femmes qui reviennent travailler après leur congé de maternité. En effet, bon nombre d’entre elles se retrouvent malheureusement handicapées dans leur carrière, soit parce que leur service est totalement changé à leur retour, soit parce qu’elles traînent comme un boulet le fait d’avoir réalisé moins de publications pendant un certain temps.

Mme Anne Pépin, directrice de la mission pour la place des femmes au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable du projet européen INTEGER (Institutional transformation for effecting gender equality in research). Je suis chercheuse au CNRS. Le projet européen INTEGER, dont je suis coordinatrice, est soutenu par le septième programme cadre de recherche et développement (PCRD). Dans les jours prochains, et si nous obtenons l’accord en ce sens, nous coordonnerons un important réseau de coopération entre programmes nationaux sur l’égalité professionnelle et l’intégration de la dimension du genre dans la recherche.

S’agissant de la parité dans les instances de gouvernance, le projet de loi concerne uniquement les conseils d’administration, les conseils universitaires et les écoles de l’enseignement supérieur – il ne dit rien sur les organismes de recherche.

M. Sébastien Denaja. La Délégation aux droits des femmes doit plaider à mon sens pour la parité dans les instances de direction des organismes de recherche, d’autant qu’actuellement aucun établissement public à caractère scientifique et technique (EPST) n’est dirigé par une femme ; il est vrai que deux femmes ont dirigé des organismes récemment.

Mme Anne Pépin. S’agissant de la loi Sauvadet, le CNRS a fait une réponse à la DGRH. Dans certaines disciplines où les viviers de femmes sont faibles, il y a encore une demande de dérogation pour le mandat actuel du comité national. S’agissant du jury d’admissibilité, avec deux tiers d’élus et un tiers de personnalités nommées, le CNRS s’engage en cas de désistement à viser l’objectif des 40 %. Pour le jury d’admission, dans le cadre duquel il y a plus de marges de manœuvre puisque davantage de personnalités nommées, il y a encore une demande de dérogation pour les chargés de recherche, mais pas pour les directeurs de recherche. Peut-être est-il possible d’aller au-delà dans certaines disciplines.

Je m’empresse de dire qu’une proportion de 40 % de femmes dans un jury ou dans un conseil d’administration ne suffit pas pour arriver à des décisions plus égalitaires : il faut aussi former les gens à l’égalité professionnelle et au poids des stéréotypes de genre. La formation est donc un élément primordial.

Mme la présidence Catherine Coutelle. Pour moi, l’égalité se justifie parce que les femmes représentent la moitié de la société. À ce titre, elles ont droit aux mêmes perspectives de carrières que les hommes, ce qui renvoie au thème de l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle.

M. Sébastien Denaja. Une expérience a été menée sur le traitement de curriculum vitae (CV) dont les noms avaient été changés : elle montre que même les femmes ont sélectionné davantage de CV identifiés comme étant masculins.

Mme Anne Pépin. Cette expérience concerne les universités américaines : elle a également montré que les femmes obtiennent moins de soutien financier pour leur recherche et se voient offrir moins de possibilités de mentorat. Nous utilisons cette enquête pour interpeller nos instances dirigeantes.

Mme Isabelle Kraus, enseignante-chercheure en physique à l’université de Strasbourg, présidente de la Conférence permanente des missions égalité-diversité des universités françaises. Je suis chargée de mission « égalité » à l’université de Strasbourg.

Je précise tout de suite que le retour du congé de maternité est problématique, mais que beaucoup de femmes sans enfant rencontrent les mêmes freins dans leur carrière à l’université que les femmes qui ont des enfants. Le problème est donc plus large.

La Conférence permanente des chargé-e-s de mission « égalité diversité » regroupe depuis 2011 les chargé-e-s de mission des universités françaises. Grâce à l’action de la CPU, ces derniers sont passés de 17 en 2011 à 47 en 2013 sur un total de 80 universités. Ils se réunissent tous les trois mois pour échanger sur leurs pratiques et discuter des difficultés rencontrées dans la mise en place de leur plan d’action.

Pour notre part, nous parlons d’« instances décisionnelles », plutôt que de gouvernance. Nous sommes favorables à l’article 37 du projet de loi, qui nous semble pouvoir assurer l’égalité hommes-femmes dans les conseils centraux et, surtout, éviter les écueils actuels liés au fait que des conseils d’administration au départ paritaires ne le sont plus au fil du mandat en raison des élections partielles.

Par contre, le projet de loi ne dit rien sur la parité dans les équipes présidentielles. Elle pourrait pourtant y être prévue, d’autant que la nomination favorise la parité, contrairement aux élections.

En outre, des dispositifs me semblent nécessaires concernant les emplois fonctionnels au sein des universités, comme les directeurs généraux des services, qui sont principalement masculins, alors que le vivier est largement féminin.

Enfin, les jurys et les comités de sélection sont également des organes décisionnels puisque ce sont eux qui choisissent les personnes qui deviendront nos collègues pour les vingt, voire les quarante prochaines années. Aussi leurs décisions ont-elles un impact sur la direction future de l’université. Or, depuis leur mise en place en 2009, les comités de sélection comptent pour près de la moitié d’entre eux entre 90 % et 100 % de professeurs hommes, selon les constatations des chargé-e-s de mission. Néanmoins, des actions sont possibles pour inverser la tendance : quatre universités ont d’ores et déjà anticipé la loi en prenant des mesures qui ont donné de très bons résultats.

La loi du 12 mars 2012, qui impose 40 % de personnes du même sexe dans les jurys ou les comités de sélection, nous semble très favorable. Cependant, la dérogation qu’elle mentionne est pour nous un sujet de préoccupation.

En effet, chaque année depuis 2009, les chargés de mission de quatre établissements étudient un par un les comités de sélection au regard de la parité. Nous constatons que l’excuse fréquemment avancée est celle du vivier. Or nous contestons cette excuse car les comités de sélection pour lesquels le vivier de femmes pose problème se veulent souvent exemplaires et sont très proches de la parité, alors que ceux pour lesquels le vivier nécessaire existe aux niveaux local et national ne remplissent généralement pas les critères imposés par l’université pour aller dans le sens de la loi. Selon nous, le problème n’est donc pas l’insuffisance du vivier, mais une réelle méconnaissance de celui-ci de la part des pairs.

Mme Nadia Hilal, chargée de mission à la Conférence des grandes écoles (CGE). Je suis chargée de la commission Amont, qui s’intéresse aux différents viviers dans lesquels vont puiser les grandes écoles, ainsi que des commissions recherche et relations parlementaires.

Depuis les années quatre-vingt-dix, la Conférence des grandes écoles comporte une commission « ouverture sociale et diversité », dont la présidente est actuellement Mme Florence Darmon, directrice de l’École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie (ESTP).

Comme le montre la liste que nous avons établie, la proportion de directrices d’une grande école membre de la CGE est de 12 %, ce qui représente 24 femmes : outre la directrice de l’École nationale d’administration (ENA), 7 femmes dirigent une école de management et deux une école de journalisme.

S’agissant du vivier, nous partageons le constat posé. Les femmes sont surreprésentées aux concours des grandes écoles de gestion où elles sont 50 % à être admissibles et un peu plus de 50 % à être admises. Pour les écoles de management, la parité est pratiquement acquise, même si le taux de femmes diminue à mesure de l’augmentation de la sélectivité de l’école. Par contre, les écoles scientifiques et d’ingénieurs comptent en moyenne 30 % de femmes dont la répartition diffère selon le secteur : elles sont 10 % dans l’informatique, mais 70 % dans les filières sanitaire et sociale, biologie, vétérinaire.

En 2011, le groupe égalité hommes-femmes de la CGE a élaboré le texte d’une charte, qu’il demande aux directeurs d’école d’appliquer. Il s’agit en particulier de nommer un référent égalité auprès des étudiants et du personnel. L’objectif est de sensibiliser les femmes aux carrières scientifiques, où elles sont sous-représentées alors que les salaires y sont plus élevés que dans les secteurs où elles sont surreprésentées.

En outre, la commission Amont constitue une structure d’échanges de bonnes pratiques et de coordination, le but étant d’accroître les viviers en informant les filles dès les classes de troisième et seconde sur les métiers d’ingénieur, qu’elles connaissent peu mais qui recrutent beaucoup. Des coopérations avec l’ONISEP et les associations « Femmes & sciences » et « Elles bougent » permettent de promouvoir les sciences auprès des filles et de les sensibiliser aux concours et aux possibilités de carrière dans ces secteurs.

M. Sébastien Denaja. Pour les modalités d’élection, la Délégation aux droits des femmes défendra le scrutin à deux tours.

S’agissant des personnalités qualifiées, on pourrait imaginer que chaque autorité en nomme deux – un homme et une femme – et que l’arbitrage soit ensuite assuré soit par le président, soit par le recteur, chancelier des universités – ce dernier présentant l’avantage de la neutralité.

Sur le problème des remplacements au fil du mandat, une piste serait de désigner la personne de même sexe qui suit dans la liste.

La Délégation souhaite la parité dans toutes les instances, y compris au sein des bureaux des conseils d’administration.

Enfin, pour les comités de sélection, je pense que l’on pourrait proposer une parité stricte.

Mme Isabelle Kraus. Le problème est que la tendance actuelle est à la création de sous-sous-spécialités de discipline pour constituer des comités de sélection, si bien qu’il devient très difficile de trouver des femmes. Il nous semble que si les comités de sélection avaient une vision plus large leur permettant de juger les capacités pédagogiques et d’intégration de la personne dans la vie universitaire pendant quarante ans, nous aurions des viviers importants de femmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En matière d’égalité professionnelle, chaque fois qu’une dérogation a été instaurée, elle s’est appliquée contre les femmes.

En outre, les jurys trop resserrés ne sont pas forcément une bonne chose, car ils conduisent au « copinage » ou à l’exclusion de certains enseignants-chercheurs. Des jurys plus larges sont préférables.

M. Vincent Berger. Dans un jury, ceux qui sont au cœur de la discipline ont plus d’autorité que d’autres. Il faut donc veiller à ne pas trop ouvrir le spectre disciplinaire du jury car la parité ne suffit pas : chacun doit être à égalité d’autorité pour que la décision soit vraiment paritaire. Autrement dit, il faut éviter la présence de « femmes potiches » d’une autre discipline uniquement pour assurer la parité : c’est un travers possible.

Pour en revenir au projet de loi, il serait compliqué que le président nomme les personnalités qualifiées si elles peuvent – comme le ministère le souhaite, ai-je cru comprendre – voter ensuite pour le second mandat du président.

L’arbitrage du recteur, comme vous le proposez, poserait aussi des difficultés parce qu’une partie importante de la communauté universitaire y verrait la mainmise de l’État dans la gouvernance des universités.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les personnalités qualifiées ne dépendent pas des universités : l’arbitrage du recteur ne toucherait en rien leur indépendance.

M. Vincent Berger. S’agissant du CNU et des sections du comité national, il faut arriver à la parité, mais le scrutin individuel est largement préférable au scrutin de liste pour garantir les choix des experts sur les CV scientifiques. On peut arriver à la parité en faisant deux collèges.

Mme la présidente Catherine Coutelle. N’y aurait-il pas un risque de censure du Conseil constitutionnel ?

M. Vincent Berger. Aux termes de la Constitution, « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives ».

Mme Anne Pépin. Le conseil d’administration du CNRS comprend 33 % de femmes. Il est possible de faire mieux.

S’agissant du comité national, il faut se poser la question du périmètre du projet de loi pour savoir s’il doit reprendre certaines dispositions de la loi Sauvadet et les renforcer. Pour l’instant, les instances de décisions des organismes ne figurent pas dans le projet de loi.

Pour les élections, le président avait proposé des listes de candidats paritaires.

L’équivalent des comités de sélection pour nous, ce sont les jurys d’admission.

M. Sébastien Denaja. Une des recommandations à laquelle nous réfléchissons est l’ajout dans le projet de loi de tous les organismes ayant un lien avec la recherche, puisqu’ils n’y sont pas actuellement prévus.

Nous souhaitons la parité stricte dans les sections disciplinaires. Conformément au droit de la fonction publique, les fonctionnaires sont jugés par leurs pairs. Actuellement, c’est le président de l’université qui déclenche la saisine de la section disciplinaire. La possibilité pour les chargés de mission « égalité » de déclencher cette saisine, ce qui permettrait sans doute à davantage de plaintes d’aboutir, vous paraît-elle pertinente ? Que pensez-vous de la recommandation, qui pourrait être portée par la Délégation, selon laquelle les établissements auraient l’obligation de mettre en place un chargé de mission ?

Actuellement, les enseignants-chercheurs sont évalués tous les quatre ans. Pourrait-on imaginer une évaluation quinquennale pour les femmes ayant eu un enfant, voire portant sur une période plus large pour celles qui ont eu plusieurs enfants ?

Mme Isabelle Kraus. Nous demandons effectivement que la périodicité de l’évaluation des femmes soit allongée d’une année supplémentaire par enfant – à l’échelle européenne, le délai est de dix-huit mois. Cela constituerait une grande avancée.

Nous pensons que la loi devrait prévoir l’existence de chargés de mission dans toutes les universités et, surtout, garantir leur pérennité. Ce faisant, elle contribuerait à lever les freins culturels qui existent au sein des universités. Actuellement, en effet, la mise en place d’un chargé de mission est liée au mandat présidentiel de quatre ans ; ensuite, son maintien dépend du bon vouloir du président suivant. Or l’actualité a montré que certains chargés de mission n’ont pas été reconduits après des changements de présidence. J’ajoute que les chargés de mission devraient se voir attribuer des moyens, ne serait-ce qu’une reconnaissance horaire, mais surtout la possibilité de faire partie du bureau pour être au plus près des décisions qui sont prises au sein des universités au regard des plans d’action qui doivent être mis en œuvre.

M. Vincent Berger. Le travail des chargés de mission est essentiel, en particulier pour l’échange de bonnes pratiques entre établissements. Leur légalisation constituerait une grande avancée.

S’agissant des affaires de harcèlement, le problème est qu’elles sont traitées en interne à l’université. Or il y a beaucoup de gênes à l’intérieur du système quand un collègue que l’on connaît est accusé de ce type de comportement. En outre, on peut imaginer que des présidents et des administrateurs soient tentés d’étouffer une affaire afin de préserver la réputation de leur établissement. La section disciplinaire du conseil d’administration est-elle la bonne instance pour traiter de tels faits ? Ne faudrait-il pas prévoir l’intervention d’une personne extérieure à l’université ? J’ai le sentiment qu’une certaine distance par rapport aux acteurs est nécessaire.

M. Sébastien Denaja. Nous évaluons cette possibilité, mais la question est de savoir s’il est possible de déroger au droit de la fonction publique. On pourrait par exemple imaginer que de telles affaires soient traitées par le conseil disciplinaire d’une autre université.

M. Vincent Berger. S’agissant du retour de congé de maternité, certaines universités accordent aux femmes une décharge d’enseignement, ce qui leur permet de reprendre plus facilement leur activité de recherche. Il faut savoir que les collègues acceptent parfois difficilement d’assurer un nouveau cours pendant un an pour remplacer les femmes en congé, car cela leur demande un investissement considérable. Les décharges de l’activité d’enseignement existent à l’Institut universitaire de France (IUF) : on pourrait donc imaginer l’instauration de décharges d’enseignement post-maternité à l’université.

Mme Anne-Marie Jolly. La décharge d’enseignement est une excellente idée.

S’agissant du harcèlement sexuel, le système des universités suisses repose sur l’intervention d’un référent et d’une personne extérieure. Comme Vincent Berger, je pense que ces affaires ne peuvent pas être gérées en interne.

M. Sébastien Denaja. Deux dispositifs pourraient se cumuler : l’allongement de la périodicité de l’évaluation et le congé recherche, qui n’est pas accordé à l’heure actuelle.

Mme Isabelle Kraus. Le statut des enseignants-chercheurs prévoit le congé pour recherches ou conversions thématiques (CRCT).

Mme Anne Pépin. Les chercheurs du CNRS doivent rendre un rapport d’activité tous les deux ans – même si elles sont en congé de maternité. Il serait donc utile de prolonger la période d’évaluation.

Le plan d’action que nous avons commencé à mettre en œuvre prévoit un dispositif pour l’accueil en délégation : pour les enseignants-chercheurs dans nos laboratoires, nous essayons de donner la priorité aux retours de congés de maternité, d’adoption ou parentaux. Au niveau des laboratoires, nous menons des entretiens avec les directeurs d’unité avant et après les congés pour évaluer les besoins, et nous essayons de mettre en place des dispositifs d’accompagnement : pour les chercheurs, nous pouvons embaucher des post-doctorants ; pour les personnels ingénieurs et techniciens, nous mettons en place des formations.

Les chargés de mission égalité ou référents égalité sont très utiles, mais ont besoin, comme l’a souligné Isabelle Kraus, de réels moyens. Les chargés de mission ont été mis en place ponctuellement à partir des années deux mille, grâce à une aide européenne. La mission pour la place des femmes au CNRS a été créée en 2001 : elle dispose de moyens et de personnels, et elle est essentielle pour la mise en œuvre du plan d’action. Elle est rattachée directement à la présidence, mais ne siège pas au comité de direction du CNRS. Néanmoins, on pourrait imaginer que cela soit possible, au même titre que les chargés de mission pourraient être présents, comme le propose Isabelle Kraus, dans le bureau des universités.

Sur le harcèlement, une importante réflexion est engagée au service du développement social de la DRH du CNRS. Des réunions se tiendront cette année sur ce sujet.

M Sébastien Denaja. Pourquoi ne pas créer une vice-présidence chargée de l’égalité ?

M. Vincent Berger. On peut tout à fait l’envisager. Néanmoins, il faut savoir que les équipes présidentielles diffèrent d’une université à l’autre : certaines comportent trois vice-présidents, d’autres en ont quinze – la loi ne décrit pas ce qu’est une équipe présidentielle. Aussi la loi peut-elle effectivement prévoir l’existence d’un vice-président à l’égalité, mais plus difficilement les réunions auxquelles il devra assister au regard de la diversité des instances et des comités à la tête des universités.

Mme Isabelle Kraus. Actuellement, trois universités comportent une vice-présidence à l’égalité : ce sont plutôt des vice-présidences déléguées, sauf celle d’Avignon qui est une vraie vice-présidence pour laquelle Mme Martine le Friant est associée à toutes les réunions de bureau des instances.

Pour pouvoir jouer son rôle et interpeller la direction sur la parité, il est primordial que le chargé de mission ait connaissance des projets de son établissement.

La décharge d’enseignement post-maternité constituerait une très grande avancée, D’ailleurs, Vincent Berger a parfaitement démontré la discrimination qui touche les femmes, car si l’on trouve facilement des remplaçants aux personnes qui prennent un CRCT pendant six mois, pourquoi est-ce si difficile pour les femmes qui reviennent d’un congé de maternité ? Actuellement, les femmes peuvent demander un CRCT au retour de leur congé de maternité : les chargés de mission doivent mettre en avant cette avancée pour qu’elle soit davantage mise en œuvre.

Une seule charge de mission comporte une cellule sur le harcèlement sexuel : celle de l’université Lille III. Par contre, plusieurs chargés de mission à la CPED peuvent être saisis de cas de harcèlement moral. Notre expérience nous montre que l’autoprotection des collègues est une réalité, mais qu’elle est accentuée lorsque la personne incriminée incarne l’excellence scientifique : cette personne devient intouchable et l’on peut alors parler d’omerta. Par conséquent, nous pensons que la section disciplinaire doit être extérieure à l’université, et même extérieure à toute université.

M. Vincent Berger. Cette solution semble la meilleure, mais compliquée d’un point de vue juridique. Le président de Toulon a été traduit devant une section disciplinaire d’une autre université.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il semble qu’il y ait de nombreux cas de harcèlement, dont sont surtout victimes les post-doctorantes.

M. Vincent Berger. Les femmes qui font un mémoire de master sont également concernées.

Je pense qu’un travail de fond devrait être mené pour préciser où commence le harcèlement dans le contexte de la direction de thèse. Il faut savoir que le directeur de thèse et le doctorant ont un rapport en one to one, ce qui est une spécificité professionnelle. De la même manière, le succès de la thèse du doctorant dépend entièrement du directeur. Il existe également une relation de séduction intellectuelle entre le directeur et son élève. Enfin, beaucoup de professeurs ne disposent pas d’un bureau à l’université et rencontrent leurs étudiants chez eux. Un directeur de thèse a-t-il le droit d’inviter une doctorante chez lui pour discuter de sa thèse ? Une telle pratique va-t-elle trop loin ? Personne ne s’est penché sur ce point précis. Il me semble nécessaire de clarifier les choses.

Mme Anne-Marie Jolly. Un grand nombre de femmes ont abandonné leur thèse parce qu’elles ont été harcelées.

Mme Anne Pépin. Le CNRS est également concerné.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La situation est caractérisée par une grande dépendance pour l’étudiante ou la doctorante.

M. Vincent Berger. Il y a aussi de très belles histoires d’amour et des mariages réussis !

Mme Isabelle Kraus. Comme l’ont constaté les chargés de mission, les saisines de la section disciplinaire proviennent quasi exclusivement des doctorantes étrangères. Par contre, lorsqu’elles sont harcelées par le même directeur que les doctorantes étrangères, les doctorantes françaises nous répondent que ces pratiques font partie du jeu, que c’est le prix à payer pour décrocher leur thèse. Nous sommes donc en présence d’un problème culturel. Les chargés de mission se sentent impuissants face à l’omerta, et très isolés face aux réactions très vives que suscite ce sujet. Ils expriment le besoin d’une aide extérieure, qui pourrait prendre la forme d’une plateforme nationale auprès de laquelle ils pourraient obtenir des conseils juridiques et pratiques.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Très souvent, les victimes sont désemparées et ne savent pas vers qui se tourner.

Mme Anne Pépin. La circulaire du 25 novembre 2012 appelle l’attention des présidents des établissements de l’enseignement supérieur sur les mesures de prévention à mettre en œuvre lorsqu’ils ont connaissance de tels faits, et rappelle le rôle des différents acteurs dans la prise en charge et l’accompagnement des victimes.

Mme Isabelle Kraus. Je pense que, pour traiter cette question, il faut plusieurs points d’entrée dans une université. Celle de Strasbourg en a ainsi institué plusieurs : les chargés de mission, le médecin du travail, la médecine universitaire, l’assistante sociale. Ces points d’entrée multiples sont nécessaires car une personne victime doit pouvoir se diriger vers la personne auprès de laquelle elle se sentira en confiance – et ce n’est pas toujours la même selon les étudiantes.

Depuis 2009, année où je suis devenue chargée de mission, pour des saisines concernant des cas de harcèlement moral, j’ai été saisie de neuf cas avérés, c’est-à-dire corroborés par des témoignages concordants. Par contre, les victimes n’ont pas porté plainte car ce qu’elles veulent avant tout, c’est que le harcèlement sexuel s’arrête au plus vite afin de pouvoir continuer leurs études, leur thèse ou leur travail dans de bonnes conditions.

Malheureusement, les solutions que nous avons imaginées ne sont pas satisfaisantes. Dans le cas où l’étudiant n’est pas trop avancé dans sa thèse, nous proposons le changement de directeur ou directrice de thèse. Mais cela est très délicat pour les étudiants étrangers car leur bourse étant souvent fléchée sur un directeur de thèse, le changement de laboratoire est une procédure très lourde. Sans compter que c’est la victime qui doit changer et non le harceleur. Dans le cas où la thèse est trop avancée, la seule solution que nous avons trouvée est d’écrire une lettre pour signaler les faits à l’école doctorale, avec l’espoir que celle-ci – après avoir reçu d’autres lettres dénonçant ces pratiques de la part de la même personne – ne fléchera plus de thèse sur ce ou cette directrice-là. Mais je le reconnais : cela est naïf car nous nous heurtons, encore une fois, à l’excellence scientifique. Vous l’aurez compris : nous sommes démunis.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les harceleurs agissent en toute impunité.

Mme Anne Pépin. Dans le cadre du projet INTEGER, nous avons réalisé un sondage anonyme auprès d’un échantillon de femmes du CNRS sur les parcours professionnels, la progression de carrière, l’environnement de travail, l’articulation vie familiale vie professionnelle, et avons posé des questions sur le harcèlement sexuel. Il en ressort que 37 % de femmes dans les disciplines de la physique, de l’ingénierie et des mathématiques ont été victimes de blagues, questions intrusives ou remarques à caractère sexuel et/ou sexiste. Un grand nombre également a été victime de gestes déplacés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ceux qui font des blagues n’ont pas conscience que ces pratiques sont intolérables. Certaines femmes en allumant leur ordinateur y trouvent des images pornographiques… J’aimerais que la loi envoie un message clair d’interdiction !

Mme Isabelle Kraus. Le harcèlement ne se produit pas seulement au domicile des directeurs de thèse. En ce qui concerne les neuf saisines avérées dont j’ai parlé, huit cas se sont produits au sein de laboratoires ou dans le cadre de réunions de groupe, où des propos intolérables ont été prononcés. Il s’agit de harcèlement moral, mais à connotation sexuelle : la limite entre harcèlement moral et harcèlement sexuel est ténue ! Quand une femme au sein d’un groupe d’hommes s’insurge contre de tels propos, ces derniers lui rétorquent qu’elle ne comprend pas les blagues ! Le problème est donc culturel, et il faudra des années pour que les choses changent !

Mme la présidente Catherine Coutelle. En matière de financement de la recherche, les femmes chercheures ou responsables de laboratoire subissent-elles des inégalités ? Observez-vous des discriminations entre les porteurs de projets de recherche selon qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes pour l’obtention des soutiens financiers par l’ANR ou l’ANRS, par exemple ?

Mme Anne Pépin. Notre enquête INTEGER a montré que les femmes ont tendance à postuler davantage pour les appels à projets CNRS et régionaux, tandis que les hommes se concentrent davantage sur les appels à projets européens et de l’ANR, qui mobilisent plus d’argent.

Mme Isabelle Kraus. Sur ce point, notre étude débute. Les universités de Strasbourg, Pierre et Marie Curie et Paris XI ont fourni des données à la LERU (League of european research universities), le regroupement européen des universités d’excellence, dont le gender working group est très actif. Il est trop tôt pour que je puisse faire une analyse de l’ensemble de ces données, en particulier sur le taux de réussite des femmes, mais je constate que le nombre de femmes qui sollicitent des bourses européennes est extrêmement faible par rapport à celui des hommes.

Mme Anne Pépin. S’agissant du Conseil européen de la recherche, selon lequel le seul critère d’évaluation est l’excellence, la situation est préoccupante en matière de dépôt de dossiers et de taux de succès femmes. Un groupe de travail commence à se pencher sur ces questions.

S’agissant de l’ANR, j’ai le sentiment que personne ne s’est réellement penché sur ces aspects.

Au CNRS, un des axes de travail de la mission pour la place des femmes est le soutien à la promotion des recherches sur le genre et à la transversalité de ces recherches, non seulement en sciences humaines et sociales, mais aussi en biologie, ingénierie, médecine, environnement, etc. Il semble que le genre ne figure plus dans la nomenclature de certaines formations diplômantes, ni qu’il y soit fait mention dans le cadre de la stratégie nationale de recherche.

La loi espagnole du 1er juin 2011 sur la recherche, la science et l’innovation contient plusieurs dispositions sur la parité dans les conseils, l’intégration du genre dans les stratégies de recherche, la promotion de la recherche sur le genre, la production de statistiques sexuées. Il y a davantage de dispositions sur la parité dans cette loi espagnole que dans la loi française. Notre livret La parité dans les métiers du CNRS fournit des éléments de réflexion afin d’ajuster les politiques RH au CNRS.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les enquêtes sont-elles réalisées de manière sexuée ?

Mme Isabelle Kraus. Les chargés de mission des universités œuvrent en ce sens. Nous avons besoin de toutes les données sexuées pour avoir une bonne connaissance de la situation dans les établissements. À cet égard, les bilans sociaux sexués constituent un important progrès.

Mme Anne Pépin. Le plan d’action du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche prévoit d’inscrire l’égalité dans le dialogue contractuel entre les établissements et le ministère.

Pour la fonction publique, un protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle a été signé par les syndicats.

Mme Isabelle Kraus. Les financements de la recherche sont basés sur l’excellence dont la définition actuelle est sans doute à revoir car nous craignons qu’elle n’entraîne l’exclusion d’un grand nombre de femmes. Au CNRS, des entretiens sont organisés avant et après les congés de maternité, mais ce n’est pas le cas à l’université. En Suisse, où l’augmentation de la proportion de femmes professeurs est un objectif, les entretiens de carrière ont montré leur efficacité. Toutes ces actions sont très utiles, mais nécessitent des moyens financiers.

Je suis persuadée que les avancées que nous obtiendrons au nom de l’égalité professionnelle bénéficieront à tous – aux hommes comme aux femmes – au regard de l’articulation vie personnelle vie professionnelle. Cela a d’ailleurs été prouvé dans le passé.

Aussi, dans ce souci d’égalité, ne serait-il pas heureux que figurent dans le projet de loi le féminin et le masculin ou des formes épicènes ? Cet usage est très répandu dans les autres pays européens et n’alourdit pas les textes – je vous ferai parvenir une liste des différentes formules utilisables. D’ailleurs, comme l’ont montré des études très détaillées, lorsque les offres d’emploi des entreprises privées sont rédigées au masculin et au féminin – par exemple « un directeur ou une directrice » –, la proportion de candidatures féminines est nettement supérieure.

Mme Anne Pépin. Nos documents utilisent d’ores et déjà les deux genres.

Mme Nadia Hilal. En France, les stéréotypes ont la vie dure ! Comme les gens recrutent des personnes qui leur ressemblent, les hommes recrutent naturellement des hommes !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il y a encore beaucoup de résistances dans le domaine de la féminisation des noms de métiers, fonction, grade ou titre, y compris chez les femmes !

Mme Anne Pépin. En Belgique, au Québec, en Suisse, l’utilisation du terme « rectrice » ne pose aucun problème, alors qu’il ne plaît pas en France.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, monsieur, mesdames, pour ces témoignages et ces propositions qui sont le fruit de votre riche expérience. Nous constatons que la loi en cours d’examen comporte des avancées très importantes, mais qu’elle ne comble pas tout le retard qui est le nôtre.

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ANNEXE

Lettre de saisine de la commission des Affaires culturelles

1 () Parcours de femmes, itinéraires féminins (et masculins) au CNRS, 2004, sous la direction de Suzanne de Cheveigné.

2 () Enquête sur les promotions CR-DR dans une section des sciences de la vie du CNRS, 2005, sous la direction de Catherine Marry.

3 () Cet article prévoit que « le fait pour un élève ou un étudiant d’imposer à un autre élève ou étudiant – en exerçant des pressions de toute nature – des actes, des attitudes ou des comportements contraires à la dignité de la personne humaine est puni de six mois d’emprisonnement et de 50000 francs d’amende » et cela pour tous les «  actes humiliants ou dégradants ». L’article 225-16-2 double ces peines lorsqu’ils affectent une personne fragile physiquement et mentalement. Enfin l’article 225-16-3 évoque la responsabilité des personnes morales : il vise les structures scolaires et universitaires qui se refuseraient à prendre des mesures répressives contre le bizutage et les mouvements associatifs qui participent à ces pratiques.

4 Science faculty’s subtle gender biases favor male students, Corinne A. Moss-Racusin, John F. Dovidio, Victoria L. Brescoll, Mark J. Graham, and Jo Handelsman, Yale University, 2012.

5 Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, établi par Brigitte Grésy, Juillet 2009

6 Une mesure expérimentale de la discrimination homme-femme à l’embauche, Sophie Larribeau, David Masclet et Emmanuel Peterle, Février 2012.

7 La loi du 17 juin 1998 crée un délit spécifique de bizutage et punit de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende « le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif  ». La loi prévoit une circonstance aggravante lorsque la victime est une personne particulièrement vulnérable. Le libre consentement des participants n'exonère pas les bizuteurs de leurs actes. Par ailleurs, une instruction du ministère de l'Éducation, diffusée dans une circulaire en juillet 1999, incite les établissements à « engager sans hésitation et sans délai des poursuites disciplinaires à l'égard des auteurs de tels faits pouvant aller jusqu'à l'exclusion temporaire ou définitive des élèves ou des étudiants impliqués ».


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