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N° 1214

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juillet 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

en application de l’article 145 du Règlement

AU NOM DE LA MISSION D’INFORMATION
SUR LES IMMIGRÉS ÂGÉS (1)

Président

M. Denis JACQUAT,

Rapporteur

M. Alexis BACHELAY,

Députés.

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La mission d’information sur les immigrés âgés est composée de : M. Denis Jacquat, président, M. Alexis Bachelay, rapporteur, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Patrick Mennucci, M. Philippe Vitel, vice-présidents, M. Pouria Amirshahi, Mme Hélène Geoffroy, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean-Marie Tetart, secrétaires, M. Élie Aboud, M. François Asensi, M. Julien Aubert, M. Philippe Bies, Mme Kheira Bouziane, M. Jean-Noël Carpentier, M. Sergio Coronado, Mme Françoise Descamps-Crosnier, Mme Fanny Dombre Coste, M. Philippe Doucet, Mme Françoise Dumas, M. Matthias Fekl, M. Claude Goasguen, M. Michel Issindou, M. Henri Jibrayel, M. Guillaume Larrivé (2), M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, M. Fernand Siré, M. Dominique Tian (3), M. Daniel Vaillant, membres.

PRÉFACE DE M. CLAUDE BARTOLONE, PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE 7

AVANT-PROPOS DE M. DENIS JACQUAT, PRÉSIDENT DE LA MISSION 9

INTRODUCTION 11

I.– L’ÉTABLISSEMENT DURABLE DES IMMIGRÉS DES PAYS TIERS N’A PAS ÉTÉ ASSUMÉ 15

A. LE « MYTHE DU RETOUR » 15

1. Une histoire singulière 16

2. Une présence longtemps pensée et vécue comme temporaire 18

3. Des politiques de logement au risque de la relégation 20

4. Des mesures d’action sociale longtemps détachées du droit commun 26

B. LA RÉALITÉ D’UNE INSTALLATION DURABLE 29

1. La fin de la « noria » 29

2. L’attribution progressive de droits sociaux 31

3. Le vieillissement d’une population installée depuis longtemps en France 34

4. La prégnance d’une population masculine et ouvrière 36

5. La répartition géographique, reflet de l’histoire économique 39

II.– LA CONDITION SOCIALE DE NOMBREUX IMMIGRÉS ÂGÉS EST AUJOURD’HUI FRAGILE 45

A. DES CONDITIONS DE VIE DIFFICILES POUR LA PLUPART 45

1. Une intégration imparfaite dans la société 46

2. Des pensions de retraite inférieures à la moyenne 50

3. Un « mal-logement » manifeste 54

4. Un « non-recours » aux droits sociaux fréquent 57

5. Une santé fragile et un accès aux soins défaillant 60

6. Des constats aggravés pour les femmes 67

7. Des difficultés comparables dans plusieurs pays européens 70

B. DES CONDITIONS DE VIE INDIGNES POUR CEUX QUI VIEILLISSENT EN FOYER DE TRAVAILLEURS MIGRANTS 72

1. Une population en grand isolement 72

2. Un vieillissement ignoré 76

3. Des améliorations insuffisantes 86

III.– DES POLITIQUES PUBLIQUES RÉORIENTÉES DOIVENT AMÉLIORER SIGNIFICATIVEMENT LA SITUATION DES IMMIGRÉS ÂGÉS 95

A. PROMOUVOIR UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AU SERVICE D’UNE MEILLEURE INTÉGRATION 95

1. Inscrire pleinement l’histoire de l’immigration dans l’histoire nationale 95

a) Diffuser et valoriser le patrimoine de l’immigration 97

b) Favoriser la transmission 101

c) Encourager la recherche 104

2. Assurer les conditions d’une meilleure intégration au niveau national 107

a) Réfléchir à l’assouplissement du cadre juridique du regroupement familial 107

b) Promouvoir la délivrance de la carte de résident permanent 110

c) Faciliter l’accès à la nationalité française des immigrés des pays tiers ascendants de Français et présents depuis longtemps sur le territoire 112

3. Ancrer la politique de l’intégration au niveau territorial 117

a) Favoriser la participation des immigrés âgés à la vie locale 117

b) Revenir sur la scission entre politique d’intégration et politique de la ville 119

c) Poursuivre la relance des programmes régionaux et départementaux d’intégration des populations immigrées 121

B. ASSURER AUX IMMIGRÉS VIEILLISSANTS DES CONDITIONS DE LOGEMENT ADAPTÉES 129

1. En finir avec l’anomalie du vieillissement en foyer de travailleurs migrants 129

a) Mener à son terme le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants 129

b) Aménager les règles relatives à l’organisation intérieure des logements-foyers 139

2. Encourager le développement de résidences sociales et des services offerts par celles-ci 145

a) Adapter les structures accueillant des immigrés âgés au vieillissement et à la perte d’autonomie 145

b) Renforcer les partenariats avec les gestionnaires de résidence 151

3. Insérer dans la ville les structures accueillant des immigrés âgés 155

a) Éloigner les risques de relégation 155

b) Mieux articuler le travail social aux opérations de requalification des quartiers anciens dégradés 159

C. FAIRE BÉNÉFICIER PLEINEMENT LES IMMIGRÉS DES DROITS SOCIAUX OUVERTS AUX PERSONNES ÂGÉES 161

1. Garantir l’accès des immigrés âgés à leurs droits 161

a) Éviter les ruptures de droits lors du passage à la retraite 161

b) Insérer les immigrés âgés dans les schémas gérontologiques 164

c) Sécuriser les partenariats des pouvoirs publics avec les acteurs associatifs 166

d) Favoriser une coopération avec les services consulaires des pays d’origine 168

e) Faire des immigrés âgés des acteurs des politiques sociales 170

2. Faciliter l’accès à la prévention sanitaire et aux soins 173

a) Renforcer l’accompagnement social vers les soins 173

b) Faciliter l’accès à la CMU-C et à l’assurance complémentaire santé 175

c) Inscrire le vieillissement des immigrés dans les actions menées contre
les maladies neurodégénératives
178

d) Faire de l’accès aux soins à domicile une priorité 179

D. PERMETTRE LE LIBRE CHOIX ENTRE PAYS D’ACCUEIL ET PAYS D’ORIGINE 181

1. Ouvrir le passage de la « double absence » à la « double présence » 181

2. Écarter le soupçon de fraude pesant sur les immigrés vivant dans l’aller-retour 182

3. Assurer l’entrée en vigueur de l’« aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » 198

4. Maintenir les droits sociaux des titulaires de la carte de séjour « retraité » 205

5. Renforcer la coopération avec les pays d’origine dans l’accompagnement du vieillissement 210

6. Garantir le libre choix du lieu d’inhumation 214

LISTE DES PROPOSITIONS 219

EXAMEN DU RAPPORT 229

ANNEXE 1 : NOMBRE DE PERSONNES AYANT ACQUIS LA NATIONALITÉ FRANÇAISE 249

ANNEXE 2 : DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LA MISSION 251

ANNEXE 3 : SIGLES ET ABRÉVIATIONS 255

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS……………………………………………..... 261

PRÉFACE DE M. CLAUDE BARTOLONE,
PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Il est des questions, rares il est vrai, que l’Assemblée nationale n’a jamais eu l’occasion d’examiner. La situation, dans notre pays, des personnes immigrées et âgées faisait partie de celles-là.

Pourtant, les difficultés éprouvées par nombre d’entre elles paraissent évidentes et multiples : manque de reconnaissance de leur apport au développement économique et social de la France, faibles pensions de retraite, accès aux droits défaillant, conditions de logement indignes, santé précaire et dépendance précoce, solitude et isolement…

Ces difficultés posent bien sûr question en elles-mêmes. Mais elles mettent également en cause nos politiques d’intégration, à destination de ces personnes comme de leurs descendants. Elles jouent enfin le rôle de révélateur des faiblesses de nos politiques sociales dans leur ensemble. J’ai la conviction qu’en résolvant les difficultés éprouvées par les personnes immigrées âgées, nous contribuerons à résoudre celles que vivent tous les bénéficiaires de ces politiques.

Fort de ces constats et de cette conviction, confortés lors de la visite que j’ai effectuée, accompagné de plusieurs députés, dans un foyer de Bobigny le 19 novembre 2012, j’ai proposé à la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, qui l’a acceptée, la création d’une mission d’information sur les immigrés âgés.

Soucieux de faire jouer pleinement à l’Assemblée nationale le rôle de contrôle du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques que la Constitution lui confie aux termes de son article 24, je me félicite que notre assemblée se soit saisie, de façon consensuelle, d’un sujet fondamental et qui met en jeu de nombreuses politiques publiques. C’est l’idée que je me fais de la mission de contrôle dévolue aux assemblées parlementaires qui, loin d’être le champ des seules luttes politiques, doivent s’efforcer de faire progresser les connaissances pour mieux légiférer.

À l’occasion de la remise des conclusions de la mission, je veux donc saluer le travail accompli par celle-ci. Elle a, pendant plusieurs mois et sans précipitation, entendu et rencontré sur le terrain les principaux acteurs et experts du sujet, afin d’en identifier les contours, d’en cerner les problématiques et de proposer, in fine, plusieurs grands axes de réforme.

La mission a pu prendre la mesure des difficultés, bien souvent ignorées, qui frappent les immigrés âgés. Trop longtemps, ces personnes, qui ont donné leur force de travail à la France, séparées parfois durablement de leur famille restée au pays, semblent avoir été purement et simplement « oubliées » par les décideurs publics. Il est temps de rompre avec l’illusion du retour au pays, entretenue aux dépens de toute action cohérente à leur égard. Nous avons, à l’inverse, le devoir de reconnaître la réalité de leur vieillissement en France et d’en tirer toutes les conséquences. Les propositions visant à rapprocher ces personnes des dispositifs sanitaires et sociaux de droit commun, desquels elles sont souvent très éloignées, vont dans ce sens.

Il nous appartient également de résoudre le problème du logement d’une partie des immigrés âgés. Installés à leur arrivée en France dans des foyers déjà peu confortables – c’est un euphémisme – situés souvent à la périphérie des villes et, partant, en marge du reste de la société, certains y vieillissent aujourd’hui dans des conditions indignes de notre pays. Au-delà de l’indispensable transformation de ces établissements, il est temps de mettre fin au principe même du logement réservé aux populations immigrées, en contradiction avec les valeurs de notre République.

Nous ne pouvons pas davantage ignorer l’aspiration de ceux qui, une fois parvenus à l’âge de la retraite, souhaitent partager leur temps entre la France et leur pays d’origine, afin de prolonger le mode de vie qui était le leur tout au long de la vie active. Il est de notre devoir de laisser à ces personnes la possibilité de choisir le lieu où elles souhaitent vivre leurs vieux jours. C’est pourquoi, il nous faut supprimer les obstacles à l’aller-retour et faire en sorte que les populations immigrées désormais âgées se sentent chez elles à la fois « ici » et « là-bas ». Dans cette perspective, le Gouvernement doit publier les décrets d’application des articles 58 et 59 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », afin de permettre aux immigrés isolés vivant en foyer de résider principalement dans leur pays d’origine tout en y percevant une aide financière au titre de la solidarité nationale. Plus de six ans après leur vote unanime par notre assemblée, il est grand temps que ces dispositions voient le jour. Il nous revient également d’encourager la coopération avec les pays d’origine afin, entre autres, de créer des synergies dans la prise en charge du vieillissement des populations.

Enfin, nous ne parviendrons pas à régler la question de l’intégration des jeunes issus de l’immigration, qui ont souvent la nationalité française, tant que nous n’aurons pas fait aux anciens la place qui est la leur dans notre société. Ce devoir de reconnaissance, il est de notre responsabilité collective de l’assumer, tout en nous assurant que l’histoire de l’immigration et de ses acteurs, trop peu connue, soit pleinement intégrée à l’histoire nationale.

Je me réjouis que les nombreuses propositions formulées par le rapporteur, Alexis Bachelay, aient été guidées par la volonté de donner aux immigrés âgés les moyens de vivre librement et dignement leur vieillesse, en France, dans leur pays d’origine, ou entre les deux. Je me réjouis également qu’elles aient été adoptées par l’ensemble de la mission.

AVANT-PROPOS DE M. DENIS JACQUAT,
PRÉSIDENT DE LA MISSION

Selon une image commune, les immigrés ne semblent être chez eux ni ici, ni là-bas, en transit permanent, engagés dans une « navette » entre leur pays d’origine, qui n’est plus le leur, et leur pays d’accueil, qui n’est pas devenu leur pays, installés durablement dans le provisoire, invisibles et stigmatisés, indispensables et oubliés, relégués dans un espace oscillant entre folklorisation et indifférence.

Ancienne, l’histoire de l’immigration en France est, il est vrai, une histoire de mouvements. Nombreux furent les travailleurs qui franchirent nos frontières pour apporter leur concours aux travaux des champs ou au développement de l’industrie avant, une fois un pécule obtenu, de rentrer chez eux et de laisser la place à d’autres. Belges, Allemands, Italiens, Algériens, Polonais, Espagnols, Portugais, puis Algériens de nouveau, Marocains, Tunisiens, Sénégalais, Maliens, Mauritaniens, Chinois, Pakistanais, Sri Lankais… se succédèrent ainsi, prêtant leur force de travail à notre économie.

Mais l’histoire de l’immigration en France est aussi une histoire d’installation et d’intégration. Les arrivées se sont traduites par des départs, mais également par l’ancrage de populations nombreuses en certains points puis sur l’ensemble de notre territoire. Très nombreux même sont celles et ceux qui sont devenus français.

Longtemps négligé, volontairement ou non, par les politiques publiques, ce phénomène d’installation durable a conduit, le temps faisant son œuvre, au vieillissement, en France, d’une part de la population immigrée, désormais âgée, voire très âgée. Si le vieux travailleur, ancien ouvrier spécialisé ou agricole, installé dans un foyer depuis plusieurs décennies, en mauvaise santé, éloigné de sa famille, vivant dans des conditions indignes de notre République, en constitue le représentant emblématique, cette population est très diverse, dans ses attentes comme dans ses besoins. Elle n’en demeure pas moins, généralement, dans une situation difficile, qui interroge notre modèle social dans son entier et nos politiques d’intégration en particulier.

C’est pourquoi, je me suis personnellement félicité de la mise en place de cette mission d’information sur les immigrés âgés des États tiers à l’Union européenne, mission que j’ai eu l’honneur de présider. Elle est née de la volonté du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, et a été créée, sur le fondement de l’article 145, alinéa 4, du Règlement, par la Conférence des présidents. Conformément aux prescriptions de ce dernier, sa composition a reflété la configuration politique de notre assemblée.

Ses travaux, qui ont duré plus de six mois, se sont déroulés de manière très constructive, consensuelle, marquant l’urgence et l’importance que reflète, pour notre pays et aux yeux de tous les groupes politiques, cette question.

Avec le rapporteur, Alexis Bachelay, nous nous sommes efforcés de faire de cette mission parlementaire, la première à se pencher de manière transversale sur cette problématique, le point de départ d’une prise de conscience. Cette prise de conscience passait d’abord par la nécessité de rendre visibles ceux qui paraissaient invisibles, d’écouter celles et ceux qui ont tant contribué à l’histoire économique et sociale de notre pays et auxquels on n’a pas assez donné la parole et qui, dans leur digne réserve, ne sont pas prompts à s’en emparer.

De la même manière, nous nous sommes efforcés de prendre la mesure de cette question dans tous ses aspects politiques, historiques, économiques, sociaux, et culturels, et la population immigrée âgée dans sa très grande richesse d’origines, de situations, d’aspirations. Nous nous sommes intéressés à l’émigré et à l’immigré, à celui qui est rentré au pays comme à celle qui est installée en France, au travailleur et au retraité, à l’ouvrier et au travailleur agricole, à la personne vieillissante et à la personne âgée, à la femme et à l’homme seul comme à celui qui vit en famille, au mal logé en foyer ou en habitat diffus, au malade et à tous ceux qui les rencontrent, les aident… Tous sont venus vers nous, répondant volontiers à la myriade de questions que nous n’avons cessé de nous poser et nous sommes allés vers eux, dans toute la France ainsi qu’au Maghreb, dont la plupart sont originaires.

Nos analyses comme nos propositions ont pour fil rouge la ferme volonté de permettre à chaque personne immigrée âgée de vivre sa vieillesse dans la dignité et dans son unité, comme tout un chacun. Il s’agit de créer, dans des parcours souvent heurtés, un continuum entre vie de travail, vie familiale, vie culturelle… mais aussi entre les générations, conditions indispensables pour que chacun se réalise comme individu et membre du corps social, trouve sa place dans notre pays et dispose des moyens d’exercer sa liberté de choix, entre ici et là-bas.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 20 novembre 2012, la Conférence des présidents a créé, sur proposition de M. Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, une mission d’information sur les immigrés âgés originaires des États tiers à l’Union européenne. Sa réunion constitutive a eu lieu le 16 janvier 2013 et les premières auditions se sont tenues le 24 janvier.

La mission a procédé à une trentaine d’auditions et de tables rondes auxquelles ont participé plus d’une centaine de personnalités d’horizons divers : représentants d’administrations nationales et locales, de caisses de sécurité sociale, professeurs et chercheurs, acteurs associatifs, gestionnaires de foyers de travailleurs migrants, médecins, etc.

La mission a aussi entendu les principaux ministres intéressés par le sujet : M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, et M. François Lamy, ministre délégué chargé de la ville.

La mission a, en outre, effectué plusieurs déplacements, en région parisienne, dans le Rhône, dans le Gard, en Moselle ainsi qu’en Algérie et au Maroc. Ces visites de terrain, d’un grand intérêt, ont notamment été l’occasion de se rendre en foyer de travailleurs migrants (FTM) et de rencontrer des immigrés âgés, hommes et femmes, ainsi que de nombreux responsables d’associations intervenant auprès de ces personnes. Ces déplacements ont aussi permis d’échanger avec les responsables des services déconcentrés de l’État et des collectivités territoriales qui participent à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques destinées aux immigrés âgés. Les discussions menées avec les autorités publiques et des acteurs sociaux des deux principaux pays d’origine des immigrés des pays tiers ont également été fructueuses.

Pour la première fois, une mission parlementaire s’est donné pour objectif d’analyser la situation des populations immigrées aujourd’hui âgées. De façon consensuelle, la mission a fait le choix de centrer ses travaux sur les immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’États tiers à l’Union européenne, en raison de la spécificité de leur situation, de la singularité de leur histoire et de leur parcours migratoire, ainsi que de la précarité des conditions de vie d’une part importante d’entre eux.

Intégrer dans le champ des travaux de la mission les personnes de plus de cinquante-cinq ans est apparu pertinent dans la mesure où cette borne marque l’entrée dans la décennie qui précède l’âge de la retraite et en détermine, dans une mesure significative, les conditions. Cet âge correspond par ailleurs aux critères retenus par les institutions européennes. Ainsi, sur le fondement de l’article 19 de la Charte sociale européenne, relatif aux droits des travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et à l’assistance, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, en 2003, la recommandation 1619 relative aux droits des personnes migrantes âgées de plus de cinquante-cinq ans, « arrivées dans les années 1950 et 1960, à la suite de l’essor économique qu’ont connu certains pays d’Europe occidentale » et qui se sont « installées, ont travaillé et ont passé la plus grande partie de leur vie dans des États membres du Conseil de l’Europe ».

Aujourd’hui, les immigrés des États tiers âgés de plus de cinquante-cinq ans représentent plus de 800 000 personnes et les plus de soixante-cinq ans près de 350 000 personnes, dont 205 000 hommes et 145 000 femmes. 140 000 de ces immigrés de plus de soixante-cinq ans ont acquis la nationalité française. Deux tiers des plus de soixante-cinq ans viennent d’un pays du Maghreb. On compte ainsi 127 000 Algériens, 65 000 Marocains et 37 000 Tunisiens.

Après plusieurs mois de travaux, la mission a acquis la certitude que le sort des immigrés âgés des pays tiers doit et peut être amélioré. Il y a là, à n’en pas douter, un impératif politique autant qu’un devoir moral. Trop souvent, leurs conditions de logement, en foyer de travailleurs migrants ou dans l’habitat diffus, ne sont pas dignes. Trop rarement, leur accès aux droits, et notamment aux droits sociaux, est effectif. Trop fréquemment, leur état de santé justifierait de recourir à des soins qu’ils ne sollicitent pourtant pas, par méconnaissance des dispositifs autant que par retenue. Les différents déplacements que la mission a effectués comme les nombreuses auditions qu’elles a conduites ont permis de mesurer l’ampleur des difficultés, tant économiques que sanitaires et sociales, auxquelles sont confrontés nombre d’immigrés vieillissants, « invisibles » dans l’espace social et trop souvent « oubliés » par les politiques publiques.

Votre rapporteur souhaite d’ores et déjà apporter une précision. Si la mission s’est intéressée à la figure emblématique du chibani, terme de l’arabe dialectal si souvent employé pour désigner ces « anciens », ces « cheveux blancs », hommes venus d’Afrique du Nord, qui vivent, isolés, en foyer, elle s’est attachée à embrasser l’ensemble de la population immigrée âgée, au-delà de ce seul vocable. En effet, ce dernier ne suffit à pas dire la complexité des situations auxquelles les immigrés âgés sont confrontés. Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir que les femmes, qui résident majoritairement dans l’habitat diffus, représentent aujourd’hui plus de 40 % des immigrés des pays tiers de plus de soixante-cinq ans, quand les résidents de foyers de travailleurs migrants n’en représentent qu’environ 10 %.

C’est pourquoi votre rapporteur a pris soin de bien distinguer, dans les développements qui suivent, la question des immigrés vieillissants isolés en foyer, d’une part, et celle des immigrés âgés vivant dans l’habitat diffus, d’autre part. Si cette distinction est utile à la bonne compréhension des problématiques et des enjeux, elle ne doit pas faire oublier que les difficultés sociales éprouvées par ces deux pans de la population immigrée âgée sont comparables sur bien des points.

L’insuffisante prise en compte des immigrés âgés dans les politiques publiques, maintes fois rappelée devant la mission, s’explique en partie par le fait que leur installation en France a longtemps semblé n’être que temporaire. Le « mythe du retour » a néanmoins vécu, à tout le moins pour une part significative des immigrés arrivés au cours des Trente Glorieuses puis dans le cadre du regroupement familial. Les pouvoirs publics doivent donc en tirer toutes les conséquences et engager sans tarder une action volontariste et cohérente afin de garantir aux immigrés âgés les conditions d’une vieillesse digne.

De nombreuses pistes ont ainsi été avancées devant la mission, à l’occasion des auditions comme au cours des déplacements. Pour votre rapporteur, l’amélioration de la condition de cette population doit être pensée autour de quatre axes principaux.

Tout d’abord, il est désormais indispensable de faire aux immigrés âgés la place qui leur revient dans la société. À côté de l’amélioration de leur condition sociale, il importe de reconnaître, de façon objective et dépassionnée, le rôle des populations immigrées, aujourd’hui âgées, dans l’histoire de notre pays. Leur histoire est d’ailleurs une composante à part entière de l’histoire nationale, en particulier de l’histoire de la reconstruction du pays et du développement de son outil industriel. La reconnaissance et la transmission de cette histoire apparaissent ainsi comme le fondement de la nouvelle politique d’intégration, notamment des jeunes générations, que votre rapporteur appelle de ses vœux. Comment, en effet, promouvoir l’intégration des jeunes sans reconnaître préalablement le rôle des anciens ? L’intégration n’étant pas simplement l’affaire de la mémoire, votre rapporteur formule également d’autres propositions, consistant par exemple à assouplir les dispositions juridiques du droit au séjour et de l’accès à la nationalité française.

Ensuite, il est fondamental de garantir aux immigrés âgés des conditions de logement dignes. Dans cette perspective, la poursuite du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM), qui a pris un retard considérable depuis son lancement en 1997, constitue une priorité, tant les conditions de logement dans ces établissements sont inadaptées aux besoins de résidents vieillissants, parfois en perte d’autonomie. Tous les foyers doivent à présent être transformés même s’il faut traiter en priorité ceux qui sont le plus éloignés des normes de logement, voire ceux qui accueillent une part significative de retraités immigrés. Par ailleurs, l’amélioration du bâti est indissociable d’un renforcement des services et des soins à domicile. De surcroît, la réécriture des règlements intérieurs, dont les dispositions sont d’une rigueur injustifiée, doit être guidée par le principe du droit au respect de la vie privée.

En outre, il importe d’améliorer l’accompagnement du vieillissement de ce public fragile et pour lequel l’accès aux droits – en particulier aux droits sociaux – et aux soins est souvent difficile, afin de le faire bénéficier des dispositifs de droit commun ouverts aux personnes âgées en général. Dans cette perspective, des efforts doivent être réalisés afin d’éviter les ruptures de droits lors du passage à la retraite. L’accès à la prévention sanitaire et aux soins – y compris à domicile – doit également être renforcé. Par ailleurs, les partenariats avec les associations, qui disposent d’une bonne connaissance des populations immigrées, de leur souffrances et de leurs aspirations, doivent être sécurisés tant leur action apparaît salutaire. Votre rapporteur souhaite que la mobilisation des différents responsables publics contribue à insérer pleinement les immigrés âgés dans leur environnement, en particulier au plan local. Longtemps considérés comme voués au retour, souvent objets d’ignorance ou de méconnaissance, les immigrés âgés doivent enfin être reconnus comme des acteurs de notre société, au même titre que l’ensemble des personnes âgées.

Enfin, il apparaît urgent de lever les obstacles au vieillissement entre la France et le pays d’origine. Il est temps de garantir aux immigrés âgés la possibilité d’organiser plus librement leur retraite et de ne pas être contraints dans leur mode de vie, souvent fait d’allers et retours entre pays d’accueil et pays d’origine. Pour y parvenir, votre rapporteur propose plusieurs changements significatifs. Il se prononce notamment en faveur de l’entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale – dite « loi DALO » – qui instaurent une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine », afin de permettre à ceux qui le souhaitent d’y résider à titre principal sans pour autant perdre tous leurs droits. Il appelle aussi de ses vœux l’aménagement du cadre juridique de la carte de séjour portant la mention « retraité », dont les limites ont été maintes fois rappelées devant la mission. Il souhaite également que la coopération entre la France et les différents pays d’émigration, en particulier en matière de prise en charge du vieillissement, soit renforcée. Il reconnaît en outre la nécessité de poursuivre la construction d’« espaces confessionnels » dans les cimetières, afin que les populations immigrées puissent être inhumées en France, dans le respect de certains rites, si telle est leur volonté.

I.– L’ÉTABLISSEMENT DURABLE DES IMMIGRÉS
DES PAYS TIERS N’A PAS ÉTÉ ASSUMÉ

Selon la définition recommandée par le Haut Conseil à l’intégration (HCI), l’immigré est la personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Il peut être demeuré étranger ou avoir acquis la nationalité française. S’il est né dans un État qui n’est pas membre de l’Union européenne, il est dit provenant d’un « État tiers » ou d’un « pays tiers ».

Ainsi définie, la population immigrée représente en 2008, 5,3 millions de personnes, soit 8,35 % de la population résidant en France : 1,8 million provenaient d’un État membre de l’Union européenne (majoritairement d’Italie, d’Espagne, du Portugal et de Pologne) et 3,5 millions d’un État tiers, soit 5,5 % de la population vivant en France.

La présence en France des immigrés des pays tiers arrivés dans les années 1950 jusque dans les années 1970 a longtemps été considérée comme temporaire. Alors même que la France tentait d’attirer des travailleurs et des familles d’immigrés européens, une place à part était souvent réservée aux immigrés venus, en particulier, du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Si de nombreux immigrés ont pu retourner dans leur pays d’origine, nombreux également furent ceux qui se sont établis en France de manière durable, situation que les pouvoirs publics n’avaient pas anticipée.

Dès le milieu des années 1970, la réalité déchire ce voile d’illusions qui masquait les conditions d’existence réelles des travailleurs venus participer au développement économique de la France. Elle mettait fin, dans les faits, au mythe du travailleur, essentiellement nord-africain, qui, une fois un peu d’argent accumulé, retournerait chez lui, immédiatement remplacé par un compatriote à son poste de travail.

La condition des immigrés des pays tiers aujourd’hui âgés est tributaire de ce parcours migratoire et de cette histoire. Il importe de prendre la mesure de ces politiques, dont l’histoire n’a pas été assumée.

A. LE « MYTHE DU RETOUR »

L’immigration d’après-guerre est, dans une large mesure, issue des territoires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne alors sous souveraineté française. Le legs colonial influe durablement sur la façon dont les pouvoirs publics perçoivent cette présence en France. La perception d’une installation temporaire motive l’instauration de politiques de logement et d’action sociale qui tendent au maintien de ces immigrés à l’écart de la société.

1. Une histoire singulière

La France est une terre ancienne d’immigration. Sans qu’il soit besoin de remonter trop loin dans le temps, notons que, tout au long du XIXe siècle, elle accueille déjà des réfugiés de toute l’Europe et utilise, pour son développement économique, les services d’ingénieurs, de techniciens, d’artisans et d’ouvriers étrangers. À côté de celle des minorités politiques, elle connaît une migration de travail plus importante, qui représente entre 700 000 et 800 000 personnes à la fin du Second Empire. Le besoin de main-d’œuvre, la baisse de la natalité et les pertes de la Grande Guerre alimentent le mouvement. La migration qui venait d’Italie et de Belgique s’élargit à l’Europe centrale et à l’empire colonial.

Les Trente Glorieuses verront le relais de l’émigration de travail passé de l’Espagne et du Portugal à l’Afrique du Nord, à l’Algérie en particulier, puis à l’Afrique de l’Ouest et à l’Asie. Les flux migratoires sont orientés vers les « travailleurs immigrés », recrutés en fonction des besoins et dont la présence est conçue comme provisoire. La population étrangère va passer de 1,765 million en 1954 à 3,68 millions en 1982, population essentiellement masculine et ouvrière.

Dans cette histoire, le poids des stéréotypes coloniaux de l’indigène, arriéré et inadapté à la modernité, marque les conditions de gestion de la main-d’œuvre et la représentation, dans la durée, de la figure de l’immigré. Dans l’usine de Renault-Billancourt par exemple, parmi les brochures diffusées auprès des contremaîtres, l’une, portant le titre Du douar à l’usine, invite ces derniers à s’adapter à la « psychologie particulière » des immigrés où « le rendement et la satisfaction dans le travail paraissent être très nettement proportionnés à l’intérêt que leurs chefs leur portent, à la façon dont ils sont instruits, commandés, surveillés, guidés, suivis » (4).

Des catégorisations ethniques des travailleurs sont utilisées dans les statistiques de gestion du personnel des entreprises employant des immigrés. Conformément à une circulaire du 4 janvier 1949, l’enquête trimestrielle établissant la statistique des effectifs de tous les établissements comportant plus de cinq cents salariés doit également indiquer le nombre d’étrangers ainsi que de « Nord-Africains », catégorie remplacée par celle des Algériens après juillet 1962.

C’est la marque de l’histoire à la fois particulière et représentative de notre relation avec l’immigration des Algériens, qui constituent encore à ce jour la première nationalité parmi les immigrés d’États tiers.

Les musulmans d’Algérie constituent la plupart des 86 000 travailleurs « nord-africains » recensés en 1931. D’après le recensement de 1946, 20 000 musulmans d’Algérie résidaient encore sur le territoire métropolitain. Ils se regroupent dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris ou de Belsunce à Marseille.

Le 20 septembre 1947, l’attribution de la citoyenneté aux musulmans d’Algérie légalise leur liberté de circulation en métropole, déjà effective depuis 1946 puisqu’aucun contrôle de l’Office national d’immigration (ONI) n’est institué pour eux.

Entre 1949 et 1955, 180 000 musulmans d’Algérie s’installent en France contre 160 000 travailleurs de toutes nationalités. Ainsi que l’a indiqué devant la mission Mme Françoise de Barros, maître de conférences à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et chercheuse au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA), « les politiques d’expropriation, qui n’ont fait que s’accélérer depuis le début du XXe siècle, poussent les Algériens ruraux à quitter les campagnes, d’abord pour les villes algériennes, puis – dès les années 1940 – pour la métropole ».

Ces « Français musulmans » sont les premières victimes, en France métropolitaine, des effets du conflit qui éclate en Algérie, mais ils en sont également les acteurs. Comme M. Benjamin Stora l’a maintes fois analysé (5) et comme l’a souligné M. Ahmed Boubeker, professeur de sociologie à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, devant la mission, les immigrés de la première génération ont joué un rôle essentiel dans le mouvement nationaliste algérien : « Malgré l’expérience et l’épreuve de l’invisibilité sociale, ces immigrés ont été acteurs de leur propre vie et de leur propre histoire. »

Les immigrés de la première génération, aujourd’hui âgés, après avoir été acteurs de leur histoire durant leur vie active, doivent pouvoir le rester au moment de la vieillesse.

En outre, ces Algériens résidant en France cessent pour la plupart d’être français après les accords d’Évian : la validité de leur carte d’identité a été prolongée jusqu’au 31 octobre 1963, puis les services de police ont procédé à leur retrait.

Alors que les accords d’Évian ont prévu la liberté de circulation pour les ressortissants des deux pays au cours des années suivant l’indépendance, les gouvernements français et algérien tentent de réguler les flux. Un accord, dit « Grandval-Nekkache », est passé le 9 janvier 1964 pour « fixer les arrivées de travailleurs algériens en France en fonction des disponibilités de main-d’œuvre de l’Algérie et en fonction des possibilités du marché français de l’emploi ». L’Algérie est chargée de contrôler, au départ, le contingentement qui est fixé à 35 000 travailleurs par an. Enfin, l’accord du 27 décembre 1968 limite la liberté de circulation et fixe les règles d’entrée et de séjour encore en vigueur.

Comme le note M. Patrick Weil, les arrivées importantes d’Algériens ont conduit les pouvoirs publics à faciliter l’embauche d’étrangers européens : en 1956, les autorités françaises officialisent la procédure de régularisation qui permet aux entreprises d’embaucher sur place des travailleurs arrivés par leurs propres moyens, principalement des Italiens et des Espagnols (6).

Après 1962, les migrations marocaine et tunisienne sont encouragées au moyen d’accords bilatéraux fixant des contingents de migrants. Pour l’Afrique subsaharienne, comme l’a fait observer M. Jean-Philippe Dedieu, historien et sociologue, la forte progression de l’immigration résulte de la libéralité du régime juridique accordé aux migrants africains après les indépendances : la France accorde la clause d’assimilation aux migrants ressortissants de ses anciennes colonies afin de bénéficier en retour, pour ses coopérants et expatriés en Afrique, de conditions de réciprocité. Le droit des ressortissants africains nés dans les territoires anciennement sous souveraineté française s’alignera progressivement sur le droit commun des étrangers à partir des années 1970.

2. Une présence longtemps pensée et vécue comme temporaire

La contribution des immigrés des pays tiers au développement industriel et agricole des cinquante dernières années a été essentielle. Toutefois, le fait qu’une grande partie d’entre eux demeurerait en France n’est pas apparu, aux yeux de nombreux décideurs, évident.

Certes, une majorité des travailleurs venus en France n’y ont pas séjourné durablement ou ont souhaité prendre leur retraite dans leur pays d’origine au terme de leur carrière. M. Michel Aubouin, ancien directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) au ministère de l’intérieur, a indiqué devant la mission que, sur près de 3 millions de travailleurs entrés en France entre 1950 et 1974, près de 2,5 millions sont retournés dans leur pays : 500 000 sont donc restés en France. Selon des informations fournies par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) à votre rapporteur, pour un immigré algérien retraité du régime général qui réside en France, on compte aujourd’hui entre trois et quatre retraités nés en Algérie qui y résident, soit 450 000 personnes. De même, 60 000 retraités du régime général nés au Maroc perçoivent leur pension dans leur pays de naissance (7).

L’installation durable en France des immigrés des pays tiers, aujourd’hui âgés, a longtemps paru peu souhaitable. Ce constat est d’abord lié au poids des politiques anciennes de sélection des migrants en fonction de leurs origines géographiques.

Conformément aux préconisations du démographe Alfred Sauvy, de nombreux décideurs prônent, après-guerre, une politique d’immigration dite « de peuplement », visant l’installation de travailleurs et de leur famille afin de contribuer au redressement démographique du pays. De nombreux décideurs ou experts veulent néanmoins restreindre cette immigration aux Européens et cantonner les immigrés des pays tiers à une immigration dite « de main-d’œuvre ».

Un Rapport sur l’immigration du 27 mai 1946, document de travail de la commission de modernisation de la main-d’œuvre du Plan, indique ainsi que « l’immigration, en principe, ne doit être recherchée que parmi les étrangers ethniquement assimilables et notamment parmi les nations limitrophes de la France ; ce qui conduit à décourager l’entrée en France des Orientaux, extrême-orientaux ou étrangers de races noires ». Selon l’historien M. Paul-André Rosental, si de telles affirmations dénuées d’ambiguïtés sont rares, les velléités de classification des étrangers en fonction de la « race », largement disqualifiées après l’Occupation, sont toujours présentes sous la forme, euphémisée, de « notions de psychologie des peuples, d’anthropologie physique, de contrôle sanitaire des migrants [et] de localisation rationnelle de la main-d’œuvre » (8).

Ainsi que l’a indiqué devant la mission M. Ahmed Boubeker, « la société française a trop longtemps cru à l’image de la noria, image rassurante d’une éternelle migration temporaire du travail, simple exportation de main-d’œuvre sans coût humain. C’est ainsi que l’on a enfermé ces immigrés dans une situation d’exception, de surnuméraires de la classe ouvrière ».

Un cas emblématique est fourni par les saisonniers agricoles : selon les éléments fournis à votre rapporteur par la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), 8 115 pensionnés résidant à l’étranger sont des salariés agricoles nés à l’étranger. Il s’agit principalement d’immigrés marocains, ayant toujours vécus seuls en France, six mois par an, durée souvent prolongée de deux mois sur autorisation administrative.

Leur titre de séjour étant lié à la durée d’un contrat saisonnier, leur présence prolongée devait constituer l’exception : l’étranger s’engageait à retourner au pays au plus tard deux mois après le terme de son contrat de travail. L’installation durable en France emportait donc irrégularité du séjour. La précarité du titre de séjour se doublait souvent d’une précarité du logement, sur la propriété même de l’employeur, parfois à titre gratuit ou avec retenues sur salaire. L’emploi comme le séjour étaient censés être saisonniers : à la précarité du statut s’ajoutait le contrôle de la mobilité de l’immigré, autant de facteurs dont votre rapporteur regrette qu’ils aient contribué à rendre ineffectifs les droits sociaux ou à rendre plus difficile la conquête de nouveaux droits.

La présence d’une population âgée issue des pays tiers, y compris d’anciens saisonniers agricoles, offre un démenti à cette approche de l’immigration. Le constat a pu être établi dès le début des années 1980 avec l’arrivée à l’âge de la retraite des plus anciens travailleurs algériens, nés en 1920 et établis en métropole dans l’immédiat après-guerre.

Mme Catherine Wihtol de Wenden, politologue et sociologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a ainsi indiqué à la mission que « l’on ne peut opposer immigration de peuplement et immigration de travail, et décider que les uns deviendront de nouveaux Français tandis que d’autres ne seront considérés que comme de la main-d’œuvre : en la matière, aucune règle générale n’est applicable, les choses se décident au cas par cas ».

3. Des politiques de logement au risque de la relégation

Le sociologue Abdelmalek Sayad, qui a su rendre visibles ces immigrés « invisibles », a parfaitement résumé la situation : « Ce qui fait, sans doute, la spécificité du logement des travailleurs immigrés, c’est qu’il trahit la représentation qu’on se fait de la condition d’immigré. […] Le logement de l’immigré, véritable projection des catégories par lesquelles on définit l’immigré et par lesquelles on délimite son espace social, révèle l’idée que l’on se fait de l’immigré et qui contribue à faire l’immigré. » (9)

L’immigration d’après-guerre est concomitante d’une grave crise du logement. Les travailleurs immigrés employés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) sont d’ailleurs recrutés afin de construire de nouveaux logements.

Ils logent toutefois majoritairement dans des campements de fortune et des zones d’habitations de fait. Ainsi que Mme Françoise de Barros l’a indiqué à la mission, « les bidonvilles ne sont d’ailleurs pas seulement habités par des étrangers. Simplement, c’est à eux que cet intitulé renvoie. Les campements d’ATD-Quart monde se développent pourtant à la même période mais on ne les qualifie pas de bidonvilles ». En effet, le terme de « bidonville » « est issu de l’espace urbain colonial français et désigne les conséquences urbaines de l’arrivée incontrôlée d’indigènes dans les plus grandes villes " européennes " de cet espace, en raison de la crise de l’emploi agricole engendrée par la colonisation » (10). Importé de l’Algérie coloniale, le terme n’est utilisé qu’à l’endroit des immigrés algériens et, d’après les travaux des historiens, avec une forte connotation péjorative s’agissant de la capacité d’intégration des personnes qui y vivent. En effet, à Champigny-sur-Marne par exemple, ces installations précaires sont occupées par des immigrés portugais. Or, les services sociaux n’en tirent pas les mêmes conclusions sur leurs habitants.

Seuls les immigrés algériens ont, dans les années 1950, fait l’objet d’un contrôle et d’une offre de logement spécifiques. Un logement particulier doublé d’un encadrement sont jugés nécessaires par les pouvoirs publics qui considèrent, selon le sociologue M. Choukri Hmed, que « ces " Nord-africains " d’origine rurale, " inadaptés " à la ville, rétifs à l’individualisme comme à la raison, doivent être pris en charge au sein d’institutions qui débordent le strict cadre du travail afin qu’ils puissent s’acculturer à la civilisation occidentale et abandonner le caractère primitif et instable de leur " mentalité " » (11).

Ainsi, en matière d’accès au logement social, selon Mme Françoise de Barros, « il y a une logique ségrégative dans l’attribution des logements, directement liée à une approche coloniale des populations, qui tend à opérer une distinction entre celles-ci en fonction d’origines ethniques indélébiles ». Les tableaux bureaucratiques utilisés pour le relogement distinguent en effet les personnes selon leur origine ethnique.

La création en 1956 de la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs algériens (SONACOTRAL) illustre au premier chef la dimension ségrégative des politiques de logement conduites à l’égard des immigrés algériens et progressivement étendues aux autres travailleurs migrants des pays tiers à l’Europe.

Ce choix constitue une exception : il s’agit d’une société nationale dans le secteur du logement social alors que celui-ci est principalement constitué de bailleurs locaux ou régionaux d’habitations à loyer modéré (HLM). De même, alors que le logement des travailleurs migrants relève du ministère du travail, cette société d’économie mixte est créée sous la tutelle du ministère de l’intérieur, choix motivé par le contexte politique et le souhait de contrôler les travailleurs algériens.

M. Pierre-Yves Rebérioux, ancien délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI), a confirmé, devant la mission, l’appréciation des historiens et indiqué que « les foyers de travailleurs migrants ont été conçus à l’origine à deux fins, toutes deux discriminatoires : produire du sous-logement et faire vivre les immigrés à l’écart de la société ». D’après lui, « ces deux objectifs ont été parfaitement atteints ». Il a également souligné « l’hypocrisie » d’un système qui, « à partir de 1956, a consisté à faire comme si ces gens ne devaient rester dans ces foyers que quelques années » mais « à continuer à en construire sur le même modèle jusqu’au début des années quatre-vingt ».

Les logements sont initialement issus du cloisonnement de logements familiaux en petites unités dans l’optique d’un départ ultérieur des résidents et d’une remise en location de logements familiaux. Mais de 1966 à 1976, la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs algériens (SONACOTRA) (12) construit plus de deux cents foyers de grande taille, dont le modèle est figuré par une tour, haute de treize étages, ne comportant qu’une seule entrée.

Les représentants de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) d’Argenteuil ont indiqué à la mission qu’un des plus anciens foyers de travailleurs migrants situé dans leur commune, récemment rasé, était particulièrement isolé du reste de la ville, « situé sous un viaduc, face à un dépôt de carburants et au niveau d’une voie de chemin de fer ».

Une modification des statuts de la SONACOTRAL, approuvée par un décret en Conseil d’État du 27 juillet 1963, a étendu l’objet de la société au logement de travailleurs français et étrangers en général, de leurs familles et, éventuellement, d’étudiants. Elle adopte alors le nom de SONACOTRA.

M. Choukri Hmed a rappelé son évolution : « Conçue dans un premier temps comme un simple bureau d’études, ses effectifs croissent rapidement au cours des années 1960, qui passent de 24 en 1959 à 952 en 1970 et à 2 138 en 1978. Parallèlement, le nombre de foyers mis en service passe de 59 en 1964 à 260 en 1976, soit une livraison annuelle moyenne de 17 établissements. À la fin des années 1970, c’est près de 60 000 résidents, tous masculins et à 70 % de nationalité algérienne, qui logent désormais dans les foyers-hôtels de la SONACOTRA. Au fur et à mesure de l’accroissement de l’activité de la société, celle-ci prend progressivement en charge la " gestion directe " de ses foyers, qu’elle confie prioritairement à d’anciens sous-officiers ayant fait leurs armes dans les guerres coloniales. Leur recrutement devient à ce point systématique que d’après une statistique de l’entreprise, en 1972, sur 151 directeurs de foyers, 143 étaient passés par les armées coloniales. » (13)

Ces derniers, toujours recrutés en binôme et assignés à un logement de fonction attenant au foyer, adoptent au sein de leurs établissements un mode de gestion particulier, que l’on peut qualifier de « paternaliste et autoritaire ». Malgré les variations qu’elles peuvent subir à l’échelon local, ces pratiques mêlent, d’un côté, l’assistance, le travail social et la proximité, et, de l’autre, le contrôle, la surveillance et la discipline.

EXTRAIT DU BULLETIN DU GROUPE INTERMINISTÉRIEL PERMANENT
POUR LA RÉSORPTION DE L’HABITAT INSALUBRE (GIP) DE 1972

Afin que des clandestins ne viennent pas habiter dans les chambres de parents ou amis naturellement accueillants, une réglementation des visites est apparue nécessaire. De même, le directeur doit veiller à ce que, sous prétexte de venir aider les migrants, des personnes extérieures au foyer ne tentent de les exploiter ou de les utiliser. Cela explique la très grande prudence de la SONACOTRA en matière d’animation des foyers.

Comme l’indique la carte ci-après, la répartition des logements de travailleurs migrants recoupe étroitement celle de la migration issue des pays tiers dans les grands centres industriels et les agglomérations. Les chambres en foyer sont moins nombreuses dans le sud de la France, soit parce que les emplois de saisonniers agricoles comportent la mise à disposition d’un logement, soit du fait de l’installation dans les centres anciens des villes.

RÉPARTITION DES LOGEMENTS POUR TRAVAILLEURS MIGRANTS

Source : Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO).

En 1999, pour l’ensemble des foyers de travailleurs migrants, les résidents dont la présence est la plus ancienne sont originaires d’Algérie. La majorité des résidents arrivés après 1975 vient de pays d’Afrique subsaharienne.

ANNÉE D’ARRIVÉE DES HOMMES IMMIGRÉS RÉSIDANT EN FOYER DE TRAVAILLEURS MIGRANTS EN 1999, SELON LE PAYS DE NAISSANCE

Note : PAF : Pays d’Afrique anciennement sous administration française.

Source : INSEE 1999, CNAV, Rémi Gallou, La vieillesse des immigrés isolés ou inactifs en France, Paris, La documentation française, 2006, p. 31.

Le constat d’une gestion « ethnicisée » des résidents ressort d’une étude de 1992 sur un foyer du Bourget (14) alors géré par l’association SOUNDIATA (Soutien, union, dignité, accueil des travailleurs africains), et qui compte 313 résidents, tous masculins, regroupés dans les différents étages en fonction de leur provenance. Si le foyer a pu représenter une alternative au logement normé, particulièrement recherchée à la fois pour le faible coût des loyers proposés et pour la souplesse qu’elle offre aux personnes les plus mobiles, ces avantages diminuent avec le vieillissement et ont placé de nombreux migrants dans une situation d’impasse. Les foyers sont alors devenus le « paroxysme » de leur relégation.

LA GESTION « ETHNICISÉE » DES RÉSIDENTS D’UN FOYER
EN SEINE-SAINT-DENIS EN 1992

Étage

Chambres

Douches

Escaliers

Sanitaires

Chambres

4e étage

Soninkés

     

Soninkés

3e étage

Bambaras

Bambaras

2e étage

Wolofs

Wolofs

1er étage

Maghrébins

Maghrébins

Rez-de-Chaussée

Mosquée–télévision

Hall

 

Source : Xavier Vandromme, Vieillir immigré et célibataire en foyer, Le cas de la résidence sociale du Bourget en Seine-Saint-Denis (1990-1992), Paris, CIEMI L’Harmattan, 1996, p 39.

Selon M. Antoine Math, représentant du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), « les immigrés ont vécu pratiquement toute leur vie en devant se cacher : l’idée des foyers c’était un peu ça, on leur a toujours fait comprendre, y compris spatialement, par le logement, qu’ils n’étaient pas bienvenus dans la cité ».

M. Patrick Mony, ancien directeur du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), a rappelé à la mission les luttes anciennes des résidents des foyers contre leurs conditions de logement, initiées lorsqu’un Comité de coordination des foyers en lutte a vu le jour autour du foyer « Romain Rolland » de Saint-Denis. Ces luttes ont rassemblé jusqu’à deux cents foyers à la fin des années 1970. Les résidents demandaient un statut de locataire, une fonction de délégué de foyer, le droit d’association et l’accès au logement social.

Tout au long des années 1970, les mouvements de grève des loyers ont en partie cristallisé le débat sur l’immigration : ils obtiennent des soutiens politiques, dont celui de François Mitterrand, alors premier secrétaire du Parti socialiste, qui rend visite à un campement de grévistes expulsés à Garges-Lès-Gonesse pendant la campagne des élections municipales de 1979. Le secrétaire d’État aux immigrés met en place une commission d’étude présidée par M. Pierre Delmon : elle pose le principe de « non-discrimination » visant à rapprocher la situation des résidents de foyers de celle des locataires nationaux dans le logement social et propose l’extension de l’aide personnalisée au logement (APL) aux résidents (15).

Enfin, au milieu des années 1970, la nécessité d’accueillir les familles d’immigrés conduit les pouvoirs publics à mettre en place un dispositif spécifique appelé « 1/9e prioritaire ». Instauré par la loi de finances pour 1975, il prévoit qu’une fraction des sommes collectées auprès des entrepreneurs dans le cadre du « 1 % logement » (la participation des employeurs à l’effort de construction), prélevé sur la masse salariale des entreprises de plus de dix salariés, est consacrée au logement des travailleurs immigrés et de leurs familles, principalement sous forme d’aides à la construction.

Or, ainsi que l’a constaté la Cour des comptes dans une insertion de son rapport public de 1997 consacré à « divers aspects de la politique d’intégration des populations immigrées » : « En dépit d’une volonté politique initiale forte, les moyens financiers alloués à ce dispositif se sont, au fil du temps, considérablement réduits. Son fonctionnement a fait apparaître des carences, à l’échelon national comme à l’échelon local. » La Cour faisait observer « l’absence d’orientations données par les pouvoirs publics aux autorités déconcentrées, alors qu’elles géraient la part la plus importante du " 1/9e prioritaire ", ainsi qu’à l’Agence nationale pour la participation des employeurs à l’effort de construction, qui était chargée, depuis 1987, d’établir le programme d’emploi annuel de ces fonds ». La Cour soulignait également « l’insuffisance des contreparties apportées aux financements sur le " 1/9e prioritaire " ». Si ces financements étaient censés garantir à l’État un droit à réservation sur les logements construits en faveur des immigrés et de leurs familles, selon la Cour, « ces droits avaient généralement été exercés à l’égard de premiers locataires d’origine immigrée [et] l’avaient été de manière moins systématique à l’occasion de leur remplacement dans les lieux en raison de carences dans le suivi assuré par les préfectures ». La Cour regrettait « la dérive du système destiné à financer des constructions neuves au profit principal des familles immigrées et qui, au fil de la pratique ou de textes réglementaires de portée limitée, était en fait devenu un complément de financement d’opérations de réhabilitation sans que l’on pût déterminer dans quelle mesure elles profitaient effectivement à ces familles ».

Le dispositif du « 1/9e prioritaire » a été finalement abandonné en 1997. Se substituant à la Commission nationale pour le logement des immigrés (CNLI), la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI) est créée par un arrêté du 9 juin 1998 : elle a pour mission de mettre en œuvre le plan quinquennal de traitement des foyers de travailleurs migrants dont votre rapporteur examinera plus loin les effets.

4. Des mesures d’action sociale longtemps détachées du droit commun

Initialement, l’action sociale destinée aux migrants est financée par le ministère du travail par l’entremise d’un service social d’aide aux émigrants (SSAE), créé en 1921 et reconnu d’utilité publique.

Mais ce dispositif est sous-dimensionné et mal adapté au développement de l’État providence d’après-guerre. Il bute par ailleurs sur le fait que les travailleurs algériens sont des citoyens français.

Comme l’a fait observer Mme Françoise de Barros, des conseillers techniques aux affaires musulmanes (CTAM) placés auprès des préfets de département assurent l’encadrement territorial des Algériens jusqu’en 1965, puis de l’ensemble des immigrés, sous le titre de conseillers techniques, dans les nouveaux services de liaison et de promotion des migrants (SLPM), créés dans les préfectures à cette date. Mais leur mise en place a d’abord pour objet de contrôler ces populations.

Par ailleurs, la direction générale de la sécurité sociale (DGSS) s’oppose au principe d’intégration des « Français musulmans » d’Algérie dans le droit commun de l’ordonnance du 7 mars 1944 relative au statut des Français musulmans d’Algérie. Les Algériens se voient alors attribuer des taux de prestations familiales plus faibles que les travailleurs français. L’écart entre les contributions perçues et les prestations versées par les caisses est élevé. Ainsi que le relève M. Antoine Math, « pour tenter de justifier lexclusion du bénéfice des prestations familiales des Français musulmans vivant en métropole et dont la famille résidait dans l’un des trois départements français d’Algérie, il a été décidé de consacrer à des réalisations sociales une partie du produit de la différence existant entre, d’une part, le montant des prestations familiales calculées au taux moyen métropolitain par famille, et d’autre part, le montant des prestations versées en Algérie au taux algérien » (16).

Instauré par l’ordonnance n° 58-1381 du 29 décembre 1958, le Fonds d’action sociale pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leur famille (FAS) prend la forme d’un établissement public administratif, placé sous la tutelle du ministère des affaires sociales. Il doit « promouvoir une action sociale familiale en faveur des salariés travaillant en France métropolitaine dans les professions visées par le régime algérien d’allocations familiales, et dont les enfants résident en Afrique ». En 1959, le FAS perçoit une somme correspondant à 88,75 % des prestations familiales payées en Algérie aux familles des travailleurs musulmans en métropole (17).

L’indépendance de l’Algérie conduit à étendre progressivement le bénéfice des actions du Fonds à l’ensemble des populations issues de l’immigration et à limiter, logiquement, son champ d’intervention au territoire national : la loi n° 64-701 du 10 juillet 1964 relative au Fonds d’action sociale pour les travailleurs étrangers élargit ses missions et change son intitulé en conséquence. En 1983, la dénomination est modifiée en « Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles » (FASTIF) qui devient, en 2001, le « Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations » (FASILD), prédécesseur direct de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances » (ACSé).

Les immigrés bénéficient de l’appui d’associations de soutien à l’exemple du Service œcuménique d’entraide, issu de la guerre, devenu Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), ou, à partir de 1964, de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs-euse-s immigré-e-s (FASTI), qui accompagne les associations d’immigrés. Après 1981 et l’élargissement du droit d’association aux étrangers, les associations d’immigrés sont orientées vers le FAS. Selon M. Patrick Mony, ceci a empêché les étrangers de prendre leur place dans le mouvement associatif général : « Le FAS a contribué à ce que l’action sociale en direction des immigrés reste distincte du droit commun. Il a aussi été un véritable instrument de contrôle. »

Si l’ONI reste sous la tutelle du ministère du travail jusqu’en 1984, ce dernier est secondé par un secrétariat d’État aux travailleurs immigrés à partir de juin 1974 : l’intervention publique évolue dans un contexte de suspension de l’immigration de main-d’œuvre. Les missions de l’ONI se concentrent progressivement sur « l’insertion sociale des immigrés » (décret n° 75-1001 du 16 octobre 1975), la lutte contre l’emploi non déclaré (loi n° 76-621 du 10 juillet 1976 tendant à renforcer la répression en matière de trafics et d’emplois irréguliers de main-d’œuvre étrangère) puis sur la mise en œuvre des dispositifs d’aide au retour.

Les politiques en matière d’emploi constituent l’angle mort de l’action sociale, dans la mesure où le retour au pays des travailleurs « surnuméraires » est encouragé par les pouvoirs publics : selon M. Khaled Abichou, directeur de l’association Initiatives contre l’illettrisme et lutte contre l’analphabétisme (ICI & LA), des « préjugés tendant à considérer la main-d’œuvre immigrée comme trop fruste pour s’adapter à la modernisation » ont conduit les employeurs à limiter l’accès à la formation professionnelle, indispensable pour adapter le salarié aux évolutions du poste de travail. De même, les travailleurs immigrés n’auraient pas bénéficié des dotations du Fonds national pour l’emploi lors des restructurations industrielles des années 1980 : des actions spécifiques de reclassement, de formation et d’accès aux compétences, notamment linguistiques, n’ont pas suffisamment été mises en place.

En conséquence, les immigrés ont été plus fortement touchés par le chômage que les travailleurs français : entre 1975 et 1982, la part des actifs ayant un emploi diminue de 11,5 % parmi les étrangers, tandis qu’elle augmente de 3,8 % parmi les Français. Selon M. Jean-Philippe Dedieu, dans les secteurs d’emploi des immigrés des pays tiers, le taux de chômage s’élève au début des années 1980 à 22 % pour les demandeurs d’emploi de nationalité française, 35 % pour ceux de nationalité étrangère et 63 % pour les Africains subsahariens.

Selon votre rapporteur, le legs de ces politiques distinctes du droit commun pèse aujourd’hui sur la situation des immigrés âgés que peinent à saisir tant les dispositifs institués par les caisses de sécurité sociale que le mouvement associatif généraliste.

Mais en matière de conditions de travail également, les immigrés aujourd’hui âgés ont été les acteurs de luttes sociales, malheureusement souvent infructueuses. L’inadaptation des politiques sociales et la relative indifférence d’une partie des organisations syndicales ont conduit à de nombreuses mobilisations de travailleurs immigrés, notamment dans les usines Peñarroya à Saint-Denis et à Lyon tout au long des années 1970, ou à Talbot-Poissy au début des années 1980. Les grévistes réclamaient des mesures de prévention, et donc une amélioration des conditions de travail, et refusaient de se contenter de la seule réparation au titre de la législation en matière de maladies professionnelles.

B. LA RÉALITÉ D’UNE INSTALLATION DURABLE

La tentation de mise à l’écart des populations immigrées des pays tiers n’est pas partagée par l’ensemble de la société française. Elle heurte par trop les valeurs de la République. De fait, l’établissement durable de familles aux côtés d’une majorité des travailleurs immigrés l’a rendue caduque. L’illusion du reflux des immigrés vers leur pays d’origine, marquée par la décision prise en juillet 1974 par M. Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, de suspendre l’immigration et la définition d’une politique d’aide au retour, rapidement infructueuse, se heurte à la réalité de cette installation durable. Ce changement a entraîné une amélioration des droits sociaux des intéressés. Cependant, toutes les conséquences de ce changement, en particulier sur le vieillissement des populations, n’ont pas été entièrement prises en compte.

1. La fin de la « noria »

Ainsi que votre rapporteur l’a déjà souligné, l’image d’une immigration de travail sans attaches en France et vouée au retour a faussé les perspectives des décideurs publics. Du fait de la destruction des structures rurales traditionnelles, notamment en Algérie, la migration ne vise rapidement plus seulement à apporter un revenu ponctuel au village, ce qui se traduisait par des rotations migratoires − la « noria » −, elle devient permanente. Dès les années 1950, les femmes et les familles représentent une proportion significative des migrants algériens.

Les statistiques des services de l’immigration dénombrent, entre 1947 et 1953, 740 000 arrivées en métropole et 561 000 retours en Algérie, soit un solde de 179 000. Pendant cette période, les « Français musulmans » d’Algérie constituent le flux migratoire majoritaire.

Le regroupement familial existe donc, de fait, tout au long des années 1950 et 1960. Un décret n° 76-383 du 29 avril 1976 relatif aux conditions d’entrée et de séjour en France des membres des familles des étrangers autorisés à résider en France vient l’encadrer en fixant des conditions de justification d’une année de présence sur le territoire, de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de la famille, de logement adapté et de contrôle médical. Mais le décret n° 77-1239 du 10 novembre 1977 suspendant provisoirement l’application des dispositions du décret n° 76-383 du 29 avril 1976 en suspend pour trois ans l’application, sauf pour les membres de la famille qui renoncent à demander l’accès au marché de l’emploi. Saisi d’une requête du GISTI, le Conseil d’État annule, le 8 décembre 1978, ce décret au motif « qu’il résulte des principes généraux du droit et, notamment, du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, que les étrangers résidant régulièrement en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale » (18). Il en résulte également que ne peut être interdite, par voie de mesure générale, l’occupation d’un emploi par les membres des familles des ressortissants étrangers.

Cette consécration juridictionnelle d’un droit inscrit dans la Constitution contribue à donner une certaine sécurité aux travailleurs migrants qui souhaitent s’établir durablement en France. L’arrivée des membres de la famille compense la réduction des arrivées au titre de l’immigration professionnelle, comme l’illustre l’évolution des effectifs d’immigrés originaires du Maroc passés par les bureaux de l’ONI du milieu des années 1960 aux années 1980. Si l’immigration marocaine diminue progressivement au fil des ans à partir de 1974, la part de l’immigration familiale croît et devient durablement majoritaire.

LES EFFECTIFS D’IMMIGRÉS ORIGINAIRES DU MAROC ENREGISTRÉS
PAR LES BUREAUX DE L’OFFICE FRANÇAIS DE L’IMMIGRATION
ET DE L’INTÉGRATION (OFII)

Années

Immigration professionnelle

Immigration familiale

Total

1963-1964

11 159

100 %

49

0 %

11 208

100 %

1965-1966

11 432

97 %

387

3 %

11 819

100 %

1967-1968

13 368

89 %

1 639

11 %

15 007

100 %

1969-1970

44 233

92 %

3 915

8 %

48 148

100 %

1971-1972

46 964

85 %

8 121

15 %

55 085

100 %

1973-1974

62 536

80 %

15 640

20 %

78 176

100 %

1975-1976

21 954

48 %

23 633

52 %

45 587

100 %

1977-1978

23 551

47 %

26 557

53 %

50 108

100 %

1979-1980

25 527

51 %

24 433

49 %

49 960

100 %

1981-1982

18 990

40 %

28 585

60 %

47 575

100 %

1983-1984

8 684

30 %

20 282

70 %

28 966

100 %

1985-1986

7 658

36 %

13 789

64 %

21 447

100 %

Total

296 056

64 %

167 030

36 %

463 086

100 %

Source : Office français de l’immigration et de l’intégration.

Des familles s’établissent donc sur les deux rives de la Méditerranée. Ces liens sont également renforcés par le fait que l’ensemble d’une fratrie ne rejoint pas toujours le parent qui travaille en France. Un enfant peut être adulte lorsque ses frères et sœurs bénéficient du regroupement familial ou être demeuré auprès d’autres membres de la famille. Si ces situations sont très rares dans la migration des Européens du Sud (0,7 % des enfants, concernant 0,1 % des familles), elles concernent près de 12 % des enfants et 13 % des familles du Maghreb (19).

L’installation en famille contrarie donc l’idée du retour qui devient le « mythe du retour ». Dès lors, les liens au pays d’origine prennent souvent la forme d’investissements : construire une maison ou acheter un appartement lors des vacances annuelles au point que « l’art de bien investir (au pays) peut combler le manque de gain d’argent en France » (20). Un projet de retour au pays est donc tributaire des ressources que l’immigré aura pu constituer au cours de sa trajectoire migratoire.

Si le projet de retour est progressivement abandonné, il a néanmoins laissé des effets : l’idée du départ avant la retraite a contribué à détourner une partie des immigrés du salariat déclaré et à accepter le paiement en numéraire. Le passage à la retraite en France est donc fragilisé.

Enfin, l’installation durable de ressortissants des pays tiers est contemporaine du renforcement de la tradition républicaine d’accueil des réfugiés. Dans son préambule, la Constitution du 27 octobre 1946 proclame en son quatrième alinéa que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Cette protection a été confirmée par la convention relative aux réfugiés de Genève en date du 28 juillet 1951. Cependant, jusqu’aux années 1970, ses bénéficiaires ont été principalement européens, fuyant les républiques sous contrôle soviétique ou les régimes autoritaires d’Europe du Sud. À partir des années 1970, les immigrés des pays tiers, majoritairement originaires d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine, bénéficient de l’asile (21).

2. L’attribution progressive de droits sociaux

L’installation durable d’immigrés vivant en famille a contribué à mettre fin à des discriminations légales touchant les étrangers en matière de droits sociaux.

Les interdictions qui pesaient sur l’action collective et syndicale ont été d’abord supprimées, puisqu’elles furent les premières à apparaître comme contraires au principe d’égalité, sur les lieux du travail. La loi n° 72-517 du 27 juin 1972 relative à l’électorat et à l’éligibilité des étrangers en matière d’élection des membres des comités d’entreprise et des délégués du personnel supprime les restrictions à l’accès aux fonctions représentatives du personnel. La loi n° 75-630 du 11 juillet 1975 relative aux droits des travailleurs étrangers autorise l’accès des étrangers aux fonctions de dirigeant syndical. Enfin les « lois Auroux » de 1982 lèvent les derniers obstacles, relatifs, par exemple, à la désignation du délégué syndical.

La liberté d’association des immigrés était limitée par l’autorisation préalable du ministre de l’intérieur pour la formation d’une « association étrangère » en application du décret-loi du 12 avril 1939 portant statut particulier des associations étrangères et associations composées d’étrangers. Les règles dérogatoires au droit commun des associations sont levées par la loi n° 81-909 du 9 octobre 1981 modifiant la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association en ce qui concerne les associations dirigées en droit et en fait par des étrangers.

De même les dernières incapacités postérieures à l’acquisition de la nationalité française disparaissent : l’article 53 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal supprime les incapacités liées à l’emploi (fonctions publiques, barreau, office ministériel) ainsi que l’interdiction de voter pendant cinq ans issue du décret-loi du 12 novembre 1938 relatif à la situation et à la police des étranger. La loi n° 83-1046 du 8 décembre 1983 modifiant le code de la nationalité française et le code électoral et supprimant les incapacités temporaires frappant les personnes ayant acquis la nationalité française met fin à l’incapacité de solliciter un mandat électif pendant un délai de dix ans après la naturalisation.

Les discriminations fondées sur la nationalité ont été tôt prohibées en matière de sécurité sociale en raison de la nature contributive des droits acquis par le travailleur. Les différences proviennent alors du principe de territorialité, qui prévoit que les prestations sont versées sur le seul territoire national. Or, ce principe est écarté unilatéralement par la France en matière de prestations de retraite. Pour l’ensemble des risques couverts par des branches de la sécurité sociale, le principe de territorialité est également écarté pour les ressortissants des États ayant conclu une convention de sécurité sociale avec la France.

Des régimes légaux d’exclusion des étrangers étaient cependant prévus en matière d’aide sociale, au motif qu’elle procède de la solidarité nationale. Ils ont été progressivement abrogés, ce qui a rendu effectifs les principes du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose, en son onzième alinéa, que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

Par une décision du 30 juin 1989, Ville de Paris, le Conseil d’État a jugé que le fait de réserver une prestation extralégale, instituée par la collectivité territoriale, aux seules familles dont l’un des parents est français méconnaissait le principe constitutionnel d’égalité.

Par la décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990 relative à la loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé, le Conseil constitutionnel a jugé contraires au même principe constitutionnel d’égalité les dispositions législatives réservant aux seuls Français ou aux étrangers se prévalant d’engagements internationaux une prestation de solidarité pour les personnes âgées devenues inaptes au travail – en l’espèce l’allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité (FNS). Il a ainsi censuré la rédaction de l’article L. 815-5 du code de la sécurité sociale qui prévoyait que « l’allocation supplémentaire n’est due aux étrangers qu’en application des règlements communautaires ou de conventions internationales de réciprocité ».

Enfin, par la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 relative à loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, le Conseil constitutionnel a rappelé que « les étrangers jouissent du droit à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ; […] ils doivent bénéficier de recours assurant la garantie de ces droits et libertés ».

Ainsi, le VII de l’article 36 de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France a étendu aux personnes de nationalité étrangère le versement de l’allocation de logement sociale (ALS), initialement versée sous condition de nationalité française (article L. 831-1 du code de la sécurité sociale).

Mais le législateur maintenait des restrictions, par exemple en matière de compléments non contributifs de retraite ou d’invalidité, alors financés par le Fonds national de solidarité.

Le droit européen a eu une influence décisive sur ce point : par l’arrêt Mazari du 7 mai 1991, la Cour de cassation a reconnu le droit à un ressortissant algérien invalide de bénéficier de l’allocation du Fonds spécial invalidité, sur le fondement des accords liant la Communauté européenne à l’Algérie, qui prévoient l’égalité de traitement entre travailleurs étrangers et ressortissants de l’Espace économique européen en matière de prestations de sécurité sociale. Sur le fondement de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’État autrichien qui avait écarté un étranger chômeur en fin de droits du bénéfice d’une prestation de solidarité (22).

Cet arrêt a conduit le législateur, dans la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, dite « loi Chevènement », à supprimer la limitation aux seuls nationaux du bénéfice du « minimum vieillesse » et de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

De même, la directive n° 2000/43/CE du 29 juin 2000 transposée par l’article 19 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), prévoit qu’« en matière de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux, d’éducation, d’accès aux biens et services, de fournitures de biens et services, d’affiliation et d’engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d’avantages procurés par elle, ainsi que d’accès à l’emploi, d’emploi et de travail indépendants ou non-salariés, chacun a droit à un traitement égal, quelles que soient son origine nationale, son appartenance ou non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou une race ».

Enfin, les combats menés au plan local par des associations de travailleurs et d’anciens travailleurs immigrés, dont certaines ont été reçues par la mission, contribuent à rendre effectif le principe d’égalité des droits. Par exemple, saisie à l’initiative de l’Association des mineurs et anciens mineurs marocains du Nord (AMMN), la HALDE, par une délibération n° 2008-38 et 2008-39 du 3 mars 2008, a estimé discriminatoire le refus opposé à un ancien mineur de fond employé par les houillères du bassin du Nord-Pas-de-Calais de rachat de ses prestations de logement et de chauffage en raison de sa nationalité marocaine. La délibération se fonde notamment sur l’article 64 de l’accord euro-méditerranéen liant l’Union européenne au Royaume du Maroc signé le 26 février 1996 et entré en vigueur le 1er mars 2000.

3. Le vieillissement d’une population installée depuis longtemps
en France

Les immigrés issus d’un État tiers et âgés de plus de cinquante-cinq ans représentent, au total, plus de 805 000 personnes. Il s’agit de 6 % de la population âgée de cinquante-cinq à soixante-quatre ans résidant en France et de 3,2 % de la population âgée de plus de soixante-cinq ans. La part d’immigrés du Maghreb s’élève à 66 % des plus de soixante-cinq ans. Dans la tranche d’âge cinquante-cinq à soixante-quatre ans, cette part diminue mais reste majoritaire à 57 % quand celle des immigrés d’Afrique subsaharienne double pour atteindre 8 %.

En 2008, 22,8 % des immigrés des pays tiers ont plus de cinquante-cinq ans. Cette proportion atteint 29 % pour la population non immigrée. On ne constate donc pas de vieillissement global de la population immigrée au sens où la pyramide des âges se déformerait par le haut : si l’âge moyen de la population immigrée est passé de 43,7 ans à 45 ans dans la décennie 1990, il est resté stable dans la décennie 2000, alors que l’âge moyen de l’ensemble de la population augmentait de 1,4 an. C’est la conséquence de l’arrivée de nouveaux immigrés plus jeunes.

La part des personnes immigrées de plus de cinquante-cinq ans parmi l’ensemble des immigrés est stable depuis dix ans ; elle a augmenté au même rythme que l’ensemble de la population immigrée, en hausse de près d’un million de personnes entre 1999 et 2008. En dix ans, on constate une hausse de 330 000 immigrés de cette tranche d’âge, soit un tiers de la hausse totale de la population immigrée. La croissance de la population immigrée de plus de cinquante-cinq ans a donc été un peu plus rapide que la croissance du nombre total de personnes de plus de cinquante-cinq ans.

RÉPARTITION DES IMMIGRÉS PAR PAYS D’ORIGINE

État d’origine

Immigrés âgés de 55 ans à 64 ans

Immigrés âgés de plus de 65 ans

Immigrés âgés de plus de 55 ans

Ensemble des immigrés

815 000

890 000

1 705 000

dont immigrés d’un pays de l’Union européenne

405 000

555 000

960 000

Espagne

55 000

115 000

170 000

Italie

70 000

170 000

240 000

Portugal

135 000

80 000

215 000

Autres États de l’Union européenne

105 000

170 000

275 000

dont immigrés d’un pays tiers à l’Union européenne

450 000

355 000

805 000

Afrique

320 000

260 000

580 000

Algérie

115 000

130 000

245 000

Maroc

110 000

65 000

175 000

Tunisie

40 000

40 000

80 000

Autres pays d’Afrique

55 000

25 000

80 000

Asie

70 000

60 000

130 000

Turquie

25 000

15 000

40 000

Cambodge, Laos, Vietnam

20 000

25 000

45 000

Autres pays d’Asie

25 000

20 000

45 000

Amérique, Océanie

20 000

15 000

35 000

Europe hors Union européenne

40 000

20 000

60 000

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, recensement 2009.

Sur ces 350 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans et nées dans un pays tiers à l’Union européenne, 140 000 sont devenues françaises et 210 000 ont conservé leur nationalité étrangère. 45 % des immigrés issus des États tiers ont ainsi acquis la nationalité française. Pour l’ensemble des immigrés, cette proportion est passée de 30 à 40 % en trente ans.

Les femmes sont systématiquement plus nombreuses à être devenues françaises, à l’exception des immigrés nés dans un État asiatique. En 2008, le taux d’immigrés ayant acquis la nationalité française atteint 77 % parmi ceux qui proviennent d’Asie du Sud-Est et qui ont souvent le statut de réfugiés politiques. Ce taux est de 48 % pour la Tunisie, 43 % pour le Maroc, 42 % pour l’Algérie et 29 % pour la Turquie. Si, en moyenne, un immigré devenu français sur deux conserve sa nationalité d’origine, sept immigrés sur dix nés en Algérie ou en Tunisie devenus français sont binationaux.

L’acquisition de la nationalité française atteste de l’ancrage et de l’ancienneté de la présence en France.

DURÉE DE PRÉSENCE EN FRANCE

Distribution des durées de présence (personnes de plus de soixante-cinq ans)

Personnes présentes en France depuis

0-9 ans

10-19 ans

20-29 ans

30 ans
et plus

inconnue

total en %

Immigrés étrangers

5

4

3

69

19

100

Originaires de l’Union européenne

6

4

2

73

15

100

Non originaires de l’Union européenne

4

3

4

69

20

100

Maghreb

1

1

1

87

10

100

Immigrés devenus Français

1

1

2

83

14

100

Originaires de l’Union européenne

0

0

1

83

15

100

Non originaires de l’Union européenne

1

2

4

76

16

100

Maghreb

0

0

0

97

3

100

Ensemble

4

3

3

66

23

100

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, recensement 2009.

La part des personnes présentes en France depuis plus de trente ans est la plus élevée parmi les immigrés originaires du Maghreb, qu’ils aient acquis la nationalité française ou pas. En effet, les personnes âgées originaires du Maghreb vivent en France depuis plus de trente ans dans la quasi-totalité des cas. D’après le « portrait social » de la France dressé en 2011 par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), en 2008, un quart des immigrés venus d’Algérie est arrivé depuis plus de quarante ans.

Selon le recensement de 1975, 710 000 Algériens sont présents en France : c’est la première nationalité extra-européenne représentée. L’immigration marocaine triple entre 1968 et 1975, passant de 88 200 à 260 025 personnes. L’immigration tunisienne passe de 4 800 personnes en 1954 à 139 735 en 1975. Au cours de la même période, une immigration en provenance d’Afrique subsaharienne atteint vite des niveaux significatifs. Les Africains originaires du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie sont estimés à plus de 80 000 dès 1975, principalement installés en région parisienne et occupés dans la voirie et la manutention.

4. La prégnance d’une population masculine et ouvrière

Sur ces 350 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans et nées dans un pays tiers à l’Union européenne, 205 000 sont des hommes et 145 000 des femmes.

Au recensement de 1975, parmi les immigrés Algériens, les deux tiers sont des actifs, travaillant principalement dans le bâtiment et les industries de transformation : leur importance relative traduit le fait qu’en dépit de la forte progression des familles, les hommes vivant seuls sont alors de loin les plus nombreux.

Il s’agit donc d’une population plus masculine avec une proportion importante d’hommes qui n’ont pas été rejoints par leurs familles : elle se distingue ainsi tant des immigrés plus jeunes que de la population générale.

PART DES HOMMES PARMI LES IMMIGRÉS DES PAYS TIERS

Région

00-54 ans

55-64 ans

65 ans ou +

Île-de-France

48

57

58

Champagne-Ardenne

50

57

60

Picardie

50

56

67

Haute-Normandie

49

71

60

Centre

49

58

63

Basse-Normandie

50

50

50

Bourgogne

46

50

67

Nord-Pas-de-Calais

50

53

67

Lorraine

49

54

64

Alsace

48

53

55

Franche-Comté

48

56

67

Pays de la Loire

49

57

60

Bretagne

50

50

67

Poitou-Charentes

50

33

50

Aquitaine

46

50

50

Midi-Pyrénées

49

55

56

Limousin

50

50

50

Rhône-Alpes

48

54

60

Auvergne

50

50

67

Languedoc-Roussillon

49

56

57

Provence-Alpes-Côte d’Azur

48

57

59

Corse

50

95

95

France métropolitaine

48

56

59

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

La population immigrée de l’ensemble des pays tiers, longtemps principalement masculine, se féminise toutefois depuis le milieu des années 1970, du fait du regroupement familial ou de l’exercice du droit d’asile. En 2008, 51 % des immigrés sont des femmes, au lieu de 44 % en 1968. Près de 52 % des immigrés d’Afrique hors Maghreb et d’Asie sont des femmes. Elles sont majoritaires avant l’âge de cinquante-quatre ans et le sont à nouveau après quatre-vingts ans, du fait de la mortalité différentielle, comme dans la population générale. Elles demeurent minoritaires parmi les immigrés du Maghreb mais leur part augmente depuis 1990. 59 % des personnes originaires du Maghreb de cinquante-cinq à soixante-quatorze ans sont des hommes, contre 52 % des plus de soixante-quinze ans.

Il ressort des travaux des historiens présentés à la mission que ces hommes sont principalement d’anciens ouvriers. Mme Catherine Wihtol de Wenden a ainsi indiqué que « toute leur vie s’est construite autour du monde du travail : à l’usine, au café – tenu par des compatriotes –, en foyer, dans le cadre du syndicat, de l’association du pays d’origine, de l’amicale… » Comme l’a mentionné Mme Laure Pitti, maître de conférences à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, lors de son audition, ces hommes ont occupé les postes les moins qualifiés de l’industrie et connu des situations de stagnation professionnelle.

Ils ont été majoritairement employés dans des secteurs et dans des postes délaissés par les salariés nés en France, principalement dans le BTP et les industries de transformation – au premier rang desquelles l’automobile.

Au recensement de 1975, 13,6 % de la population active en France travaille dans le secteur du BTP ; la proportion est de 32,5 % pour les étrangers, toutes nationalités confondues. Parmi les immigrés des pays tiers, on trouve alors 51,2 % de manœuvres et d’ouvriers spécialisés (OS), alors que cette proportion n’est que de 23,1 % pour la population active dans son ensemble.

Dès lors, les logiques de substitution de main-d’œuvre et des mécanismes traditionnels de la promotion professionnelle permettent aux travailleurs nés en France d’accéder à des emplois d’ouvriers qualifiés ou d’encadrement. Il s’agit donc d’une situation de « segmentation du marché du travail », qui se double, dans l’industrie, d’une segmentation des postes de travail reflétant souvent les origines géographiques des travailleurs.

Ces premiers postes dans les fonctions les plus pénibles et les moins qualifiées n’ont en outre offert que peu de perspectives d’évolution professionnelle. Ainsi, sur les 993 ouvriers algériens de Renault-Billancourt dont Mme Laure Pitti a étudié les carrières, trois seulement ont passé le cap des emplois d’ouvrier spécialisé. Si l’entreprise justifie alors cette stagnation professionnelle en évoquant « l’instabilité certaine du Nord-Africain » ou son inexpérience de l’industrie automobile, il ressort de l’étude des trajectoires professionnelles de ces ouvriers algériens qu’ils ont, pour un tiers d’entre eux, déjà travaillé dans l’industrie automobile ou dans les industries mécaniques avant leur embauche à Renault et qu’ils restent aussi de plus en plus longtemps en métropole et à Renault même (23). Au début des années 1960, les Algériens de Renault ont en effet en moyenne entre cinq et dix ans d’ancienneté. Le caractère provisoire de leur présence en France ou dans l’entreprise invoqué par l’employeur n’est ainsi pas établi.

Un constat similaire peut être fait dans d’autres entreprises ou secteurs d’activité. M. Jean-Philippe Dedieu a indiqué à la mission que l’usine Berliet de Lyon, par exemple, formait des cadres et des ouvriers africains, mais de façon extrêmement temporaire ; les archives indiqueraient qu’elle ne souhaitait pas multiplier ces effectifs pour des raisons « culturelles ».

Le cantonnement aux postes les plus pénibles a pour effet de soumettre plus gravement les ouvriers aux effets sanitaires du travail industriel. L’exposition aux substances nuisibles est prolongée, comme le montrent les travaux d’historiens de la santé au travail sur la silicose ou sur le saturnisme industriel (24).

Il en résulte une interruption prématurée de la carrière, faute de reconversion ou de mobilité convenablement anticipées par les employeurs. D’après les données de PRO BTP, caisse de retraite complémentaire du secteur du bâtiment et des travaux publics, seuls 59 % des ouvriers de la construction ayant entre cinquante-cinq et cinquante-neuf ans et seuls 36 % des plus de soixante ans sont encore actifs et occupés. Au moment de leur départ en retraite, seules 30 % des personnes seraient encore en activité dans le BTP. La carrière se termine donc de manière prématurée pour raison d’inaptitude et par une longue période de chômage causée par l’usure physique (25).

5. La répartition géographique, reflet de l’histoire économique

L’immigration d’après-guerre est encadrée par l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. L’entrée en France est subordonnée à l’obtention d’un contrat de travail visé par l’ONI, mis en place pour assurer le recrutement collectif de la main-d’œuvre. L’ONI dispose de bureaux dans les différents États d’émigration. La localisation de ces bureaux privilégie l’Europe, notamment l’Italie du Nord, pourvoyeuse traditionnelle de travailleurs depuis la fin du XIXe siècle.

Le rôle de l’État est complété par les grandes entreprises qui installent des bureaux de recrutement dans les villages, au Maghreb ou en Afrique subsaharienne. En outre, à partir des années 1950, les Algériens convergent vers le département de la Seine et se présentent aux portes des usines où leur qualité de nationaux français leur permet d’être facilement embauchés.

Les immigrés des pays tiers anciens ouvriers de l’industrie aujourd’hui âgés résident donc principalement dans les anciennes zones d’emploi : région parisienne, région lyonnaise, Nord-Pas-de-Calais et Lorraine, zones portuaires de la rive méditerranéenne.

D’après le recensement de 2008, l’Île-de-France compte relativement moins d’immigrés âgés venus du Maghreb que les autres régions (54 % du total des immigrés de pays tiers) et plus d’immigrés originaires du Vietnam ou du Cambodge (8 %). Dans les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes, respectivement 77 % et 72 % des immigrés âgés sont originaires d’un pays du Maghreb. La région Rhône-Alpes enregistre une proportion importante d’immigrés âgés d’Algérie, mais aussi d’origine turque (8 %), et le Languedoc-Roussillon d’immigrés âgés d’origine marocaine (43 %).

À l’instar de l’ensemble du sud de l’Europe (Andalousie, Pouilles, Péloponnèse et Midi de la France), les saisonniers agricoles sont particulièrement présents dans la production, peu mécanisée, de fruits et légumes qui nécessite une grande quantité de main-d’œuvre saisonnière. Selon les éléments fournis à votre rapporteur par la CCMSA, 15 908 retraités salariés agricoles nés à l’étranger et de nationalité étrangère résident en France. On compte en outre près de 19 000 retraités anciens salariés agricoles nés à l’étranger et de nationalité française : pour une part, que le système d’information de la CCMSA n’a pas permis d’établir, il s’agit d’immigrés ayant acquis la nationalité française ; pour une autre part, importante, il s’agit de Français nés à l’étranger, notamment rapatriés d’Algérie. Les effectifs dépassent le millier dans les Bouches-du-Rhône, le Gard, l’Hérault, le Var, les Alpes-Maritimes, la Haute-Garonne et le Rhône.

LES RETRAITÉS SALARIÉS AGRICOLES TITULAIRES
NÉS À L’ÉTRANGER HORS UNION EUROPÉENNE

A_DP3

Source : Caisse centrale de la mutualité sociale agricole.

Enfin, artisans, commerçants et chefs d’entreprises de dix salariés ou plus sont présents dans les grands centres urbains de première implantation ouvrière : Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, région lyonnaise et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Au terme des trente premières années d’immigration, on compte, en 1982, près de 6 000 artisans originaires des pays tiers, dont 5 200 originaires du Maghreb, soit un cinquième de l’ensemble des artisans immigrés. Les immigrés des pays tiers représentent alors plus de la moitié des commerçants immigrés. 12 700 sont originaires du Maghreb, 912 du Sud-Est asiatique et 1 700 d’Afrique francophone sur une population totale de 27 500 personnes. Les immigrés maghrébins sont enfin très minoritaires parmi les immigrés devenus chefs d’entreprises : on décompte 428 personnes sur 3 880 immigrés chefs d’entreprise (26).

RÉPARTITION PAR RÉGION ET NATIONALITÉ D’ORIGINE DES IMMIGRÉS DES PAYS TIERS (CINQUANTE-CINQ ANS ET PLUS)

 

Région

Algérie

Maroc

Tunisie

Total Maghreb

Afrique hors Maghreb

Cambodge-Laos-Vietnam

Turquie

Autres

Total

Île-de-France

90 000

59 000

34 000

183 000

52 000

27 000

11 000

73 000

346 000

Champagne-Ardenne

5 000

3 000

8 000

1 000

1 000

2 000

12 000

Picardie

4 000

5 000

1 000

9 000

2 000

1 000

2 000

15 000

Haute-Normandie

4 000

3 000

7 000

3 000

2 000

12 000

Centre

4 000

6 000

1 000

12 000

2 000

2 000

1 000

3 000

19 000

Basse-Normandie

1 000

1 000

2 000

1 000

3 000

Bourgogne

4 000

5 000

1 000

9 000

1 000

3 000

14 000

Nord-Pas-de-Calais

16 000

11 000

1 000

27 000

1 000

1 000

1 000

2 000

33 000

Lorraine

10 000

6 000

1 000

16 000

1 000

1 000

3 000

3 000

25 000

Alsace

7 000

6 000

1 000

14 000

1 000

1 000

5 000

6 000

27 000

Franche-Comté

5 000

4 000

9 000

2 000

4 000

15 000

Pays de la Loire

2 000

3 000

1 000

6 000

1 000

1 000

1 000

2 000

11 000

Bretagne

2 000

2 000

3 000

1 000

2 000

7 000

Poitou-Charentes

1 000

1 000

2 000

2 000

4 000

Aquitaine

4 000

7 000

11 000

2 000

2 000

4 000

19 000

Midi-Pyrénées

7 000

6 000

1 000

13 000

1 000

2 000

4 000

21 000

Limousin

1 000

1 000

2 000

2 000

Rhône-Alpes

38 000

13 000

10 000

62 000

4 000

4 000

7 000

17 000

93 000

Auvergne

2 000

2 000

4 000

2 000

6 000

Languedoc-Roussillon

8 000

13 000

2 000

23 000

1 000

2 000

4 000

30 000

Provence-Alpes-Côte d’Azur

30 000

17 000

14 000

61 000

5 000

3 000

2 000

13 000

84 000

Corse

3 000

3 000

3 000

France métropolitaine

242 000

175 000

71 000

488 000

80 000

48 000

40 000

147 000

803 000

Lecture : 90 000 immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’Algérie résident en Île-de-France en 2011. Les effectifs inférieurs à mille ne sont pas renseignés.

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

COMPOSITION, PAR ORIGINE, DE LA POPULATION IMMIGRÉE ÂGÉE
DE CHAQUE RÉGION (CINQUANTE-CINQ ANS ET PLUS)

(Parts en %)

Région

Algérie

Maroc

Tunisie

Total Maghreb

Afrique hors Maghreb

Cambodge-Laos-Vietnam

Turquie

Autres

Total

Île-de-France

26

17

10

53

15

8

3

21

100

Champagne-Ardenne

42

25

0

67

8

0

8

17

100

Picardie

27

33

7

60

13

0

7

13

100

Haute-Normandie

33

25

0

58

25

0

0

17

100

Centre

21

32

5

63

11

11

5

16

100

Basse-Normandie

33

33

0

67

0

0

0

33

100

Bourgogne

29

36

7

64

0

0

7

21

100

Nord-Pas-de-Calais

48

33

3

82

3

3

3

6

100

Lorraine

40

24

4

64

4

4

12

12

100

Alsace

26

22

4

52

4

4

19

22

100

Franche-Comté

33

27

0

60

0

0

13

27

100

Pays de la Loire

18

27

9

55

9

9

9

18

100

Bretagne

29

29

0

43

14

0

0

29

100

Poitou-Charentes

25

25

0

50

0

0

0

50

100

Aquitaine

21

37

0

58

11

11

0

21

100

Midi-Pyrénées

33

29

5

62

5

10

0

19

100

Limousin

50

50

0

100

0

0

0

0

100

Rhône-Alpes

41

14

11

67

4

4

8

18

100

Auvergne

33

33

0

67

0

0

0

33

100

Languedoc-Roussillon

27

43

7

77

3

7

0

13

100

Provence-Alpes-Côte d’Azur

36

20

17

73

6

4

2

15

100

Corse

0

100

0

100

0

0

0

0

100

France métropolitaine

30

22

9

61

10

6

5

18

100

Lecture : 26 % des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans résidant en Île-de-France en 2011 sont originaires d’Algérie. Les effectifs inférieurs à mille ne sont pas renseignés.

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

CONTRIBUTION, PAR ORIGINE, DE CHAQUE RÉGION DANS L’ENSEMBLE
DE LA POPULATION IMMIGRÉE ÂGÉE (CINQUANTE-CINQ ANS ET PLUS)

(Parts en %)

Région

Algérie

Maroc

Tunisie

Total Maghreb

Afrique hors Maghreb

Cambodge-Laos-Vietnam

Turquie

Autres

Total

Île-de-France

37,2

33,7

47,9

37,3

65,0

56,3

27,5

49,7

43,1

Champagne-Ardenne

2,1

1,7

0,0

1,6

1,3

0,0

2,5

1,4

1,5

Picardie

1,7

2,9

1,4

1,8

2,5

0,0

2,5

1,4

1,9

Haute-Normandie

1,7

1,7

0,0

1,4

3,8

0,0

0,0

1,4

1,5

Centre

1,7

3,4

1,4

2,5

2,5

4,2

2,5

2,0

2,4

Basse-Normandie

0,4

0,6

0,0

0,4

0,0

0,0

0,0

0,7

0,4

Bourgogne

1,7

2,9

1,4

1,8

0,0

0,0

2,5

2,0

1,7

Nord-Pas-de-Calais

6,6

6,3

1,4

5,5

1,3

2,1

2,5

1,4

4,1

Lorraine

4,1

3,4

1,4

3,3

1,3

2,1

7,5

2,0

3,1

Alsace

2,9

3,4

1,4

2,9

1,3

2,1

12,5

4,1

3,4

Franche-Comté

2,1

2,3

0,0

1,8

0,0

0,0

5,0

2,7

1,9

Pays de la Loire

0,8

1,7

1,4

1,2

1,3

2,1

2,5

1,4

1,4

Bretagne

0,8

1,1

0,0

0,6

1,3

0,0

0,0

1,4

1,4

Poitou-Charentes

0,4

0,6

0,0

0,4

0,0

0,0

0,0

1,4

0,5

Aquitaine

1,7

4,0

0,0

2,3

2,5

4,2

0,0

2,7

2,4

Midi-Pyrénées

2,9

3,4

1,4

2,7

1,3

4,2

0,0

2,7

2,6

Limousin

0,4

0,6

0,0

0,4

0,0

0,0

0,0

0,0

0,2

Rhône-Alpes

15,7

7,4

14,1

12,7

5,0

8,3

17,5

11,6

11,6

Auvergne

0,8

1,1

0,0

0,8

0,0

0,0

0,0

1,4

0,7

Languedoc-Roussillon

3,3

7,4

2,8

4,7

1,3

4,2

0,0

2,7

3,7

Provence-Alpes-Côte d’Azur

12,4

9,7

19,7

12,5

6,3

6,3

5,0

8,8

10,5

Corse

0,0

1,7

0,0

0,6

0,0

0,0

0,0

0,0

0,4

France métropolitaine

100

100

100

100

100

100

100

100

100

Lecture : 37,2 % des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’Algérie résident en 2011 en Île-de-France. Les effectifs inférieurs à mille ne sont pas renseignés.

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

La contradiction, trop longtemps maintenue, entre un « enracinement » en France et des politiques fondées sur le diagnostic erroné d’une présence temporaire a donc constitué la caractéristique principale de cette histoire migratoire singulière. Votre rapporteur a ainsi souhaité en établir la portée afin de mesurer ses effets sur la situation présente des immigrés des pays tiers devenus âgés.

II.– LA CONDITION SOCIALE DE NOMBREUX IMMIGRÉS ÂGÉS EST AUJOURD’HUI FRAGILE

Une grande partie des immigrés venus travailler en France pour le plus grand bénéfice de notre économie s’y sont installés de manière durable. Les caractéristiques de leur parcours migratoire, la place qui leur a été assignée dans notre société, les lacunes ou les faiblesses de certaines politiques publiques conduisent les plus âgés d’entre eux à se trouver aujourd’hui dans une situation sociale fragile.

La grande diversité de la population concernée appelle bien sûr certaines nuances. À cet égard, l’existence d’un lien familial en France, ce qui est le cas pour la majorité des immigrés âgés, constitue un élément fort de stabilité. Si la condition sociale de la majorité des immigrés âgés appelle une amélioration, c’est particulièrement vrai et urgent pour les plus isolés d’entre eux, ceux qui, célibataires ou « célibatairisés », vivent en foyer.

Si la figure du chibani isolé vivant en foyer est ainsi devenue emblématique et si elle est en partie le produit des politiques migratoires passées, sa situation se distingue par bien des points de celle de la majorité des immigrés âgés qui ont une famille en France. Ainsi, votre rapporteur souhaite-t-il présenter la situation de l’ensemble des immigrés âgés installés très majoritairement en famille, avant d’examiner celle des résidents vieillissants des foyers de travailleurs migrants.

A. DES CONDITIONS DE VIE DIFFICILES POUR LA PLUPART

Si la place des immigrés âgés ne peut pas être réduite et appréhendée exclusivement en termes d’intégration, la question de leur intégration doit être posée. Cette place s’insère dans une problématique beaucoup plus large, celle de la production des inégalités et des injustices tant par le parcours migratoire que par l’imparfaite adaptation des politiques sociales.

Le constat d’une intégration imparfaite dans la société, souvent aggravé pour les femmes, découle notamment de la faiblesse des ressources et d’un insatisfaisant aux éléments fondamentaux de notre pacte social que sont le logement, les droits sociaux et les soins.

Avant de faire part de ses propositions destinées à améliorer la situation des immigrés âgés, il apparaît indispensable à votre rapporteur de présenter les principales difficultés qu’ils rencontrent.

1. Une intégration imparfaite dans la société

Par l’intégration, un individu ou un groupe s’insère avec ses caractéristiques sociales propres, trouve sa place dans une communauté politique et participe au destin commun de la société d’accueil.

Or, l’intégration des immigrés âgés des pays tiers dans la société se heurte à de nombreuses limites, séquelles de la nature du projet migratoire ainsi que de leur mise à l’écart au moment de leur arrivée en France. Les pouvoirs publics ont en effet, pendant longtemps, jugé inutile de favoriser l’intégration de populations dont la présence en France ne devait être que provisoire. Pour de nombreuses personnes entendues par la mission, le mythe du retour, aujourd’hui dépassé, expliquerait en partie l’absence d’actions cohérentes et structurées à l’égard des immigrés, et ce à tous les stades du parcours migratoire.

Votre rapporteur a montré comment l’installation des immigrés au moment de leur arrivée en France s’était traduite par une forme de ségrégation spatiale. Il ne fait pas de doute que leur présence au sein de logements spécifiques, souvent situés à la périphérie des communes et destinés à les héberger autant, à l’origine, qu’à les surveiller, n’a pu que favoriser le sentiment d’exclusion éprouvé, encore aujourd’hui, par nombre d’entre eux. À l’occasion des visites de foyer de travailleurs migrants qu’elle a effectuées, la mission a pu mesurer l’isolement de nombreux résidents, parfois présents depuis plus de trente ou quarante ans en France mais toujours faiblement intégrés à leur environnement.

Longtemps, le foyer et le lieu de travail ont constitué l’univers tout entier des immigrés venus travailler en France. Avec le passage à la retraite, la place occupée par le foyer – véritable vase clos – a pris une importance considérable, rendant plus délicate encore l’intégration dans la société. La transformation des foyers en résidences sociales n’a d’ailleurs pas entièrement résolu ce problème : ces dernières ne sont en effet pas toujours bien intégrées à leur environnement et leurs résidents semblent parfois tout autant vivre « en marge » de la société.

Votre rapporteur regrette par ailleurs que les personnes vivant en foyer de travailleurs migrants ne soient toujours pas considérées comme des résidents des communes au sein desquels ils sont implantés. Il considère que le sentiment d’appartenance à la communauté – qu’elle soit locale ou nationale – peut difficilement aller sans l’existence préalable d’un lien juridique avec un territoire. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que peu d’immigrés âgés participent aux évènements organisés par les communes, tels les banquets de fin d’année.

Plusieurs personnes entendues par la mission voient dans la barrière de la langue une explication au défaut d’intégration de certains immigrés âgés. Mme Juliette Laganier, déléguée nationale « Lutte contre l’exclusion » à la direction de l’action sociale de la Croix-Rouge française, a ainsi indiqué qu’un des principaux obstacles rencontrés par la Croix-Rouge française réside dans la difficulté à communiquer avec eux. Mme Fabienne Grimaud, responsable de l’implantation de Grenoble des petits frères des Pauvres, a quant à elle souligné que la non-maîtrise du français explique le refus des immigrés vieillissants de faire appel aux travailleurs sociaux, accroissant par là-même leur isolement. Pour Mme Martine Bendahan, déléguée territoriale de l’Association service social familial migrants (ASSFAM), les difficultés éprouvées par les professionnels du secteur sanitaire et social à appréhender ce public particulièrement fragile tiennent, notamment, à son absence de compréhension de la langue française. De plus, la barrière de la langue serait fréquemment à l’origine des discriminations subies par les immigrés vieillissants, d’après Mme Martine Conin, directrice des affaires sociales au conseil général du Val-de-Marne. Il n’est par ailleurs pas rare que ces derniers ne sachent pas bien lire le français, quand bien même le parleraient-ils et le comprendraient-ils, ce qui expliquerait en grande partie leurs difficultés d’accès aux droits, et notamment aux droits sociaux. C’est ce qu’a souligné le ministre de l’intérieur lors de son audition par la mission.

À l’occasion de plusieurs de leurs déplacements, les membres de la mission ont pu se rendre compte des difficultés, parfois considérables, éprouvées par certains immigrés âgés pour s’exprimer en français. À plusieurs reprises, il est apparu plus simple aux personnes rencontrées de parler dans leur langue d’origine. Loin de le condamner, votre rapporteur y voit cependant une manifestation des limites de la politique d’intégration conduite jusqu’à présent.

C’est pourquoi il estime, à l’instar de M. Alaya Zaghloula, président de la Fédération Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles (AEFTI), qu’une meilleure maîtrise du français permettrait aux immigrés âgés de mieux s’intégrer. Mme Liliane Capelle, adjointe au maire de Paris, conseillère chargée des seniors et du lien intergénérationnel, a même affirmé que l’accès à la langue constituait la première des dignités.

Aussi votre rapporteur déplore-il la quasi-disparition des actions de formation à la langue française destinées aux immigrés présents en France depuis de longues années et leur concentration au profit des primo-arrivants. Cette évolution est d’autant plus regrettable que nombre d’immigrés aujourd’hui âgés sont analphabètes, comme l’a souligné M. Khaled Abichou, directeur de l’association Initiatives contre l’illettrisme et lutte contre l’analphabétisme (ICI & LA), qui a par ailleurs rappelé que les recrutements effectués dans le BTP, entre les années 1950 et 1970, visaient spécifiquement les candidats ne sachant ni lire ni écrire.

Les difficultés d’intégration dans la société se mesurent aussi à l’aune de la discrimination dont les populations immigrées, notamment âgées, ont le sentiment d’être l’objet. Il apparaît que ce sentiment, sans être unanime ni prégnant, existe néanmoins. L’enquête de la CNAV consacrée au « Passage à la retraite des immigrés » (PRI) (27) révèle ainsi que 5,8 % des migrants déclarent l’avoir souvent éprouvé, 15,1 % l’avoir ressenti de temps en temps et 12,4 % en avoir rarement fait l’expérience (voir tableau ci-dessous). D’importantes disparités existent toutefois selon le pays d’origine. Ainsi, 40,8 % des hommes et 27,5 % des femmes originaires d’Afrique subsaharienne ont dit l’avoir ressenti souvent ou de temps en temps. Cela est aussi le cas de 31,6 % des hommes et de 23,8 % des femmes venus d’Algérie ou encore de 22,4 % des Marocains et de 28,9 % des Marocaines. À titre de comparaison, seuls 11,1 % des hommes et 12 % des femmes originaires du Portugal seraient dans cette situation.

LES DISCRIMINATIONS RESSENTIES PAR LES RETRAITÉS IMMIGRÉS

« Depuis que vous êtes en France, vous est-il arrivé de ressentir l’impression d’être mal accepté(e) ou injustement traité(e) en raison de votre origine ? »

(en %)

Fréquence

Retraités

Ensemble des retraités

Non-retraités

Sexe

Couple

Femmes

Hommes

Oui

Non

Souvent

8,1

4,7

5,5

6,8

5,8

5,1

De temps en temps

16,3

14,5

15,1

15,4

15,1

15,2

Rarement

11,1

13,0

12,9

10,7

12,4

15,5

Jamais

64,4

67,7

66,5

67,1

66,7

64,2

Source : Caisse nationale d’assurance vieillesse, enquête « Passage à la retraite des immigrés » (PRI), 2003.

Au total, il apparaît que le sentiment d’être l’objet de discriminations est nettement plus fort chez les populations non européennes même si l’impression d’être traité différemment en raison de son origine concerne, à des degrés variables, tous les immigrés. Cela n’empêche toutefois pas la grande majorité des immigrés (toutes nationalités confondues) de se sentir bien en France : moins de 1 % des personnes interrogées affirment ne pas s’y sentir bien. Il n’est donc guère surprenant que 70 % des retraités immigrés n’éprouvent pas de nostalgie à l’égard de leur pays d’origine (28).

Par ailleurs, la relative faible étendue du réseau social témoigne, entre autres, de la difficulté à s’intégrer. Dans un article paru en 2005 (29), Mme Claudine Attias-Donfut et M. François-Charles Wolff ont montré que les personnes originaires d’Afrique – principalement d’Afrique du Nord – et de Turquie disposent du réseau social le moins étendu parmi l’ensemble des populations immigrées. On constate à cet égard que le « capital culturel et économique influence fortement le réseau social » (30). Ce dernier est d’autant plus important que le niveau de diplôme ou encore les revenus sont élevés. En outre, le « statut de propriétaire augmente la probabilité d’un réseau non nul » (31). Or, les immigrés âgés perçoivent souvent de maigres pensions de retraite, disposent rarement de diplôme et accèdent moins à la propriété que le reste de la population. Aussi, il apparaît que, « contrairement à une vulgate persistante, la sociabilité des classes populaires est moins développée que celle des catégories favorisées et est davantage restreinte aux membres de la parentèle » (32). Si ce constat ne saurait être réduit aux seuls immigrés vieillissants originaires d’États tiers à l’Union européenne, force est de constater qu’il leur est pleinement applicable.

Si le passage à la retraite peut influer négativement sur l’intégration des populations immigrées âgées, en raison notamment de l’isolement qu’il entraîne parfois, il contribue aussi au sentiment de réussite sociale. Dans leur article déjà cité, Mme Claudine Attias-Donfut et M. François-Charles Wolff rappellent par exemple que le « sentiment de mobilité sociale intergénérationnelle est largement répandu parmi les immigrés qui estiment dans l’ensemble avoir mieux réussi socialement que leurs parents » (33). 82,3 % des retraités d’origine maghrébine interrogés dans le cadre de l’enquête de la CNAV ont dit éprouver ce sentiment, ce qui atteste d’une intégration réussie dans la société d’accueil, au moins partiellement.

En outre, les retraités immigrés sont plus nombreux que les actifs à se sentir Français ou d’une région de France, ce qui témoigne d’un sentiment d’appartenance bien réel. Même si le constat porte sur les immigrés de toutes origines, il révèle que ceux qui résident en France au moment de leur retraite s’y sentent dans l’ensemble à leur place.

Enfin, les débats concernant les conditions d’acquisition de la nationalité ont pu cristalliser la défiance envers la première génération d’immigrés, en particulier algériens. En vertu du principe du « double droit du sol », depuis 1889, l’article 23 du code de la nationalité prévoit qu’« est français l’enfant, légitime ou naturel, né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né ». Or, les enfants d’Algériens nés en Algérie avant 1962 ou en France après l’indépendance algérienne sont nés de parents eux-mêmes nés en territoire français. Cette génération atteint l’âge de la majorité au cours des années 1980, alors que se cristallise un débat sur l’opportunité de revenir sur ce principe et de subordonner l’acquisition de la nationalité à une demande préalable sous conditions. Selon M. Patrick Weil, ce débat a constitué une marque de défiance envers les immigrés et leurs enfants qui a contribué à faire ressurgir la mémoire douloureuse du conflit algérien (34).

En définitive, il semble que l’intégration des immigrés âgés des pays tiers
– pourtant en France depuis plusieurs décennies pour nombre d’entre eux – souffre d’importantes limites, dont les causes sont multiples et les conséquences dommageables, notamment chez les plus jeunes générations. Les bienfaits d’une action volontariste destinée à mieux intégrer les « anciens » s’avèrent indéniables.

2. Des pensions de retraite inférieures à la moyenne

La condition sociale relative des immigrés âgés dans notre pays trouve une première illustration dans la faiblesse de leurs ressources financières. Les travaux de la mission ont permis de mesurer les difficultés matérielles rencontrées par de nombreux immigrés âgés, qui ne disposent bien souvent que de modestes pensions de retraite, résultat de revenus d’activité peu élevés, de parcours professionnels souvent marqués par des périodes de chômage ou de travail non déclaré et de l’envoi régulier d’argent aux membres de la famille demeurés au pays.

Comme votre rapporteur a eu l’occasion de le rappeler, la main-d’œuvre immigrée a été souvent cantonnée aux emplois les moins qualifiés et, par conséquent, les moins bien rémunérés. Plusieurs personnes entendues ont d’ailleurs insisté sur ce point devant la mission. Ainsi, Mme Françoise Bas-Théron, membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et coauteure du rapport sur Les immigrés vieillissants, paru en 2002, a rappelé que les immigrés originaires des pays tiers ont fréquemment connu des carrières erratiques, « hachées » en raison de périodes de chômage plus ou moins longues. Cela fut notamment le cas des ouvriers employés dans les secteurs du BTP et, plus généralement, dans l’industrie. Ce sont ces carrières en « dents de scie », pour reprendre les termes employés par Mme Catherine Wihtol de Wenden, qui expliquent une partie substantielle des difficultés financières éprouvées au moment de la retraite.

Ces parcours souvent heurtés expliquent également la difficulté à procéder à la reconstitution exhaustive des carrières, elle-même source de droits à la retraite amputés. Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), a insisté sur le fait que les variations de retranscription des noms et les changements de patronymes compliquent singulièrement la constitution des dossiers et, partant, l’ouverture des droits à la retraite. Pour M. Boualam Azahoum, membre du collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », la faiblesse des pensions de retraite s’expliquerait dans une mesure non négligeable par l’importance du travail non déclaré dans certains secteurs, comme l’agriculture et le BTP, et l’impossible utilisation de fiches de paie, qui, quand elles existent, ont pu être falsifiées. Ce sont ainsi parfois plusieurs années de travail qui ne peuvent être comptabilisées dans le calcul des pensions de retraite. Les résidents de foyer rencontrés par la mission ont confirmé qu’ils éprouvent parfois de réelles difficultés à réunir l’ensemble des documents nécessaires à l’ouverture des droits à la retraite.

Les témoignages recueillis par la mission en la matière corroborent l’analyse du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), qui, dans son rapport de juillet 2010, souligne que « les retraités maghrébins qui résident dans les foyers disposent de ressources particulièrement faibles », avant d’ajouter que « leurs carrières professionnelles ont été marquées par une alternance de périodes de travail parfois non déclaré et de chômage » et qu’ils ont en conséquence « connu des niveaux de rémunération inférieurs à ceux des travailleurs français » (35).

Votre rapporteur considère néanmoins, à l’instar de M. Rémi Gallou, chargé de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement de la CNAV, qu’il convient de nuancer le propos selon lequel les immigrés auraient invariablement connu des carrières fortement heurtées. En effet, si les « hommes du béton »
– ayant occupé des postes dans le secteur du BTP – ont été soumis aux aléas économiques et perçoivent souvent de faibles pensions de retraite, les « hommes du fer » – ayant travaillé dans l’industrie automobile – ont plus souvent effectué des carrières complètes et linéaires.

L’émigration en France devait permettre de subvenir aux besoins de la famille restée dans le pays d’origine, même si l’immigration familiale a toujours existé, y compris avant la mise en place du regroupement familial. Il n’en reste pas moins que l’envoi d’une partie des revenus au pays, jusques après le passage à la retraite, constitue l’essence du projet migratoire, comme l’ont unanimement expliqué à la mission les personnes entendues. Manifestation essentielle de la solidarité des populations immigrées, d’après Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au centre Edgar-Morin et directrice de recherche honoraire à la CNAV, l’envoi d’argent au pays a souvent pris le pas sur d’autres postes de dépenses tout au long du parcours migratoire.

Il ressort des témoignages recueillis par la mission qu’il n’est en effet pas rare que les immigrés vieillissants, parfois malades, s’abstiennent de toute dépense de santé pour subvenir aux besoins de leur famille. Mme Fabienne Grimaud, responsable de l’implantation de Grenoble des petits frères des Pauvres, a dit l’avoir constaté à maintes reprises.

L’augmentation du montant des redevances – qui correspond au montant acquitté en guise de loyer chaque mois par les résidents – résultant de la transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales, sur laquelle votre rapporteur reviendra plus loin, n’empêche pas non plus les immigrés de continuer à aider financièrement leur famille, au prix de sacrifices supplémentaires. Là encore, le constat est partagé par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, qui, dans son rapport de juillet 2010 déjà cité, explique que les résidents de foyers « continuent à envoyer au pays une part même modeste de leurs ressources, au prix de privations importantes compte tenu de leur reste à vivre après paiement de la redevance au gestionnaire » (36).

Au total, l’envoi d’argent au pays, justification première du projet migratoire, constitue aujourd’hui encore, pour ceux des immigrés vieillissants qui vivent seuls en France, la raison d’être de leur présence ici.

Au regard de ces quelques éléments, il n’est guère étonnant que le montant des pensions de retraite perçues par les immigrés soit dans l’ensemble peu élevé. D’après M. Pierre Mayeur, directeur de la CNAV, le montant moyen des pensions des retraités nés à l’étranger résidant en France – soit 1,6 million de personnes – s’élevait, en 2012, à environ 700 euros par mois quand le montant moyen des pensions versées par le régime général pour une carrière complète s’élevait à un peu plus de 1 000 euros par mois. Ceci n’indique pas le montant moyen de pension perçu par les seuls immigrés puisque la catégorie des retraités nés à l’étranger comprend également les Français rapatriés.

Une indication est cependant fournie par le montant moyen des pensions servies à l’étranger à des personnes qui y sont nées, et qui sont donc principalement des immigrés retournés dans leur pays d’origine. Ils ont travaillé dans les mêmes secteurs, souvent un peu moins longtemps que les immigrés restés en France : or, leurs pensions sont très maigres. Par exemple, le montant moyen des pensions versées en Algérie ou au Maroc à des personnes qui y sont nées s’élève à 300 euros environ. Il semble donc que les immigrés âgés vivant en France perçoivent des pensions dont le montant moyen se situe entre 300 et 700 euros.

D’autres témoignages recueillis par la mission attestent de la faiblesse des ressources globales de nombre d’immigrés retraités. M. Michel Coronas, directeur de cabinet du président du conseil général du Val-de-Marne, a par exemple indiqué que les ressources mensuelles d’un grand nombre de résidents de foyer de travailleurs migrants du département étaient comprises entre 600 et 1 200 euros. D’après Mme Olivia Maire, directrice adjointe de « Profession Banlieue », centre de ressources en Seine-Saint-Denis, les moyens pécuniaires des résidents de foyers dans ce département ne dépassaient pas, en 2005, 610 euros par mois en moyenne.

Cette analyse est corroborée par le fait que la part d’immigrés bénéficiant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – qui a remplacé le 1er janvier 2006, le « minimum vieillesse » –, prestation non contributive visant à garantir aux personnes disposant de faibles pensions de retraite ou ne percevant aucune pension contributive un minimum de ressources, soit élevée.

Ouverte aux personnes âgées d’au moins soixante-cinq ans (37), l’ASPA est versée lorsque les ressources n’excèdent pas, aux termes de la circulaire du 18 avril 2013 de la CNAV (38), 9 447,21 euros par an, soit 787,26 euros par mois, pour une personne seule, et 14 667,32 euros par an, soit 1 222,27 euros par mois, pour un couple (marié, concubin, partenaires liés par un pacte civil de solidarité) (voir encadré ci-dessous pour une présentation de l’allocation).

En 2012, parmi les 422 000 bénéficiaires de l’ASPA relevant du régime général, 162 000, soit près de 40 %, sont nés à l’étranger. Parmi ceux-ci, 60 % sont originaires d’un pays du Maghreb.

LE MINIMUM VIEILLESSE : DE L’ASV À L’ASPA

Le dispositif du « minimum vieillesse », créé en 1963, permet de garantir aux personnes âgées un revenu minimum. Les anciennes prestations qui le constituaient ont été remplacées, à compter du 1er janvier 2006, par une allocation unique, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) par l’effet de l’ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse prise sur le fondement de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

Avant cette réforme, le « minimum vieillesse » résultait de l’addition de « deux étages » de prestations. Le « premier étage » comptait huit prestations différentes, fruits d’une sédimentation historique, et s’adressait chacune à un public spécifique : allocation aux vieux travailleurs salariés ou non salariés, allocation spéciale, majoration de l’ancien article L. 814-2 du code de la sécurité sociale, secours viager, allocation aux mères de famille, allocations vieillesse des exploitants agricoles et des professions libérales. Lorsque ces allocations ne permettaient pas d’atteindre le seuil de ressources garanti, elles étaient complétées par l’allocation supplémentaire vieillesse (ASV) de l’ancien article L. 815-2 du code la sécurité sociale, mise en place en 1956 et formant le « deuxième étage » du « minimum vieillesse ».

Parmi les 576 271 titulaires du « minimum vieillesse » au 31 décembre 2010, 433 235 perçoivent l’ASV, soit près des trois quarts des bénéficiaires ; 143 036 sont titulaires de l’ASPA. Depuis 2007, le nombre d’allocataires de l’ASV diminue régulièrement puisqu’il n’y a plus de nouveaux attributaires.

Au 1er avril 2013, le montant mensuel du « minimum vieillesse » s’élève à 787,26 euros pour une personne seule et à 1 222,27 euros pour un couple.

Il est versé par les caisses de retraite lorsqu’il vient compléter un avantage vieillesse de base de droit direct ou indirect. Au 31 décembre 2011, environ 70 % des allocataires, représentant 3,2 % des retraités du régime général, dépendent de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Pour les bénéficiaires n’ayant pas suffisamment cotisé à un système de retraite, le versement de l’allocation relève du Service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (SASPA) de la Caisse des dépôts et consignations.

Les bénéficiaires de l’ASPA doivent remplir cinq conditions :

– une condition d’âge : l’allocation est versée à partir de soixante-cinq ans ou à partir de l’âge légal de départ en retraite dans les cas d’inaptitude ;

– une condition de ressources : le plafond est fixé à 9 447,21 euros par an pour une personne seule et à 14 667,32 euros par an lorsque les deux conjoints, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité en bénéficient. L’ASPA complète les ressources de la personne âgée jusqu’au montant de l’allocation (mécanisme différentiel). Seule une personne sans aucune ressource perçoit donc le montant maximal de l’ASPA ;

– une condition de résidence stable et régulière sur le territoire national tant pour les Français que pour les étrangers, satisfaite par une présence effective en France de plus de six mois par année civile ;

– une condition de subsidiarité : pour bénéficier de l’ASPA, l’allocataire doit d’abord faire valoir l’ensemble de ses droits à la retraite ;

– une condition de régularité du séjour, pour les seuls étrangers.

Enfin, les immigrés vieillissants connaissent plus souvent des situations de grande précarité, ce qui se traduit notamment par leur surreprésentation au sein des personnes accueillies à l’aide alimentaire. En effet, 17 % de celles ayant recours à l’aide fournie par les neuf cents points de distribution gérés par la Croix-Rouge, soit un peu plus de 20 000 personnes, seraient de nationalité étrangère (principalement originaires de la République démocratique du Congo et d’Afrique du Nord) et 25 % d’entre elles seraient âgées de plus de cinquante ans, d’après Mme Juliette Laganier. Par ailleurs, alors que 2 % de l’ensemble des bénéficiaires de l’aide alimentaire distribuée par la Croix-Rouge sont sans domicile fixe, 8 % des bénéficiaires de nationalité étrangère n’ont pas de logement. De surcroît, 15 % de ces derniers auraient recours à l’aide alimentaire durant plus de deux ans, ce chiffre ne s’élevant qu’à 5 % pour la population prise dans son ensemble.

Au total, la faiblesse des ressources constitue l’un des principaux obstacles au « bien-vieillir » et explique, dans une large mesure, les difficultés rencontrées par nombre d’immigrés aujourd’hui âgés.

3. Un « mal-logement » manifeste

Le « statut d’occupation du logement » (propriétaire ou locataire ou encore locataire d’une habitation à loyer modéré) diffère suivant l’origine.

En 2009, si 78 % des personnes âgées non immigrées sont propriétaires de leur logement, ce n’est le cas que de 55 % des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans et de 37 % des immigrés âgés originaires des pays tiers. La part des propriétaires n’a pas évolué au cours de la décennie 2000. A contrario, 9 % des personnes âgées non immigrées résident en HLM contre 42 % des immigrés âgés des pays tiers (39).

À titre d’illustration, selon une enquête menée en 2002 par l’Observatoire régional de santé du Languedoc-Roussillon sur les immigrés de plus de cinquante ans, si la part des propriétaires est de 18 % pour l’ensemble de la population immigrée de la région, elle est de 47 % pour les immigrés espagnols et de 8 % pour les immigrés du Maghreb (40).

Plus souvent que pour les immigrés européens ou que pour les non-immigrés, les immigrés âgés des pays tiers n’ont donc pas pu se constituer un patrimoine suffisant pour pouvoir acheter un logement. Le logement représente dès lors plus souvent un poste de dépense important, alors qu’une grande partie des retraités sont propriétaires de leur résidence principale sans charge de remboursements d’emprunts.

Cette situation se double d’une localisation en quartiers « politique de la ville ». L’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) a intégré dans son rapport de novembre 2011 des données statistiques reposant sur la nationalité. Ainsi, il apparaît que les immigrés et les descendants d’immigrés représentent plus de la moitié de la population vivant dans une zone urbaine sensible (ZUS). Les immigrés d’origine maghrébine sont les plus nombreux (13,2 % de la population totale des ZUS). Viennent ensuite les immigrés originaires d’Afrique subsaharienne (4,6 %). Les descendants d’immigrés originaires du Maghreb y sont également les plus représentés (14,7 % des habitants).

Selon le recensement de 2009, alors que deux tiers des ménages français vivent dans des logements de bonne qualité, cette proportion est de seulement 45 % pour les immigrés des pays tiers. Il s’agit d’une appréciation objective fondée sur les douze critères de définition d’un logement décent – six critères relatifs à la sécurité physique et à la santé et six critères relatifs aux éléments d’équipement et de confort – fixés par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002, pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU). Si un logement décent doit répondre à l’ensemble des critères, un logement de bonne qualité ne présente en outre aucun défaut sur l’ensemble des critères ; un logement de qualité moyenne présente un ou deux défauts et un logement de mauvaise qualité présente au moins trois défauts.

Cette évaluation est confirmée par un sentiment subjectif, mesuré à partir de la satisfaction déclarée par les habitants du logement recueillie dans le cadre du recensement. En 2009, plus de 75 % des personnes ni immigrées ni descendantes d’immigrés se déclarent très satisfaites ou satisfaites de leur logement. Cette part se réduit à 40 % pour les immigrés des pays tiers, tous âges confondus. Ce sentiment se traduit logiquement par l’expression plus forte d’un souhait de mobilité résidentielle motivé tant par les conditions de logement que par l’environnement.

Lors du déplacement de la mission au « café social » Ayyem Zamen (Au nom de la mémoire) dans le XXe arrondissement de Paris, différents intervenants ont présenté leur situation de logement : du foyer de travailleur proche, en l’occurrence bien inséré dans un tissu urbain dense, à la « chambre de bonne » encore occupée par une ancienne employée, dans un immeuble devenu vétuste. Un élu parisien a témoigné du fait que sur vingt dossiers récemment examinés de relogement d’urgence au titre de l’éradication de l’habitat insalubre, quinze concernaient des personnes âgées de plus de soixante-dix ans.

Le logement dans les centres anciens est plus souvent le fait d’Algériens, arrivés plus tôt en France, et disposant de points de chute dans des quartiers populaires où la présence de travailleurs algériens est attestée depuis le début du siècle. C’est par exemple le cas aujourd’hui autour des quartiers de la gare Saint-Charles à Marseille. M. Michel Aubouin, ancien directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté au ministère de l’intérieur, l’a souligné devant la mission : « Au cours des travaux des PRIPI [programmes régionaux d’intégration des populations immigrées] sont remontés du terrain une figure, qui représente une partie importante de ces anciens travailleurs, ne vit pas dans des foyers, mais dans un habitat de centre-ville souvent dégradé – hôtels meublés, hôtels sociaux ou logement social de fait –, dans des conditions plus indignes que dans les foyers de travailleurs migrants. Il est fortement concentré dans le sud de la France, notamment à Marseille, à Montpellier ou à Béziers, sans doute pour faciliter les allées et venues entre la France et les pays du sud de la Méditerranée. »

En outre, le parc ancien est particulièrement consommateur en énergie : selon les indications fournies à votre rapporteur, des personnes âgées immigrées vivant en habitat diffus sont souvent dans des logements classés en étiquette G, le plus mauvais classement des diagnostics de performance énergétique, correspondant à une consommation d’énergie primaire de plus de 450 Kwh par mètre carré et par an. Ces mauvaises performances énergétiques aggravent la précarisation des personnes âgées. Ainsi, une part importante des mesures d’action sociale fournies par les caisses de retraite concerne l’aide au paiement des factures de chauffage.

L’article 84 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion a inséré à l’article 4 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, une définition de l’habitat indigne. Il s’agit des « locaux ou installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que [des] logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ». Cette clarification juridique a permis de supprimer dans la loi un vestige de l’approche qui contribuait à stigmatiser les personnes connaissant une précarité du logement : la loi a cessé de cibler des personnes logeant dans des « taudis, habitations insalubres, précaires ou de fortune » et fixe désormais l’objectif de faciliter prioritairement l’accès au logement de personnes « exposées à des situations d’habitat indigne », lui-même mieux défini.

Les situations d’habitat indigne concernent, selon les estimations, entre 400 000 et 600 000 logements du parc privé. Elles constituent l’un des critères d’éligibilité au titre du droit au logement opposable. Selon les chiffres avancés par M. Pierre-Yves Rebérioux, 30 000 personnes immigrées âgées vivent en habitat privé indigne : le chiffre de 19 000 personnes figurant au recensement constituerait en effet une sous-évaluation, notamment parce que les pensionnaires des hôtels dits « meublés » passeraient une bonne partie de l’année dans leur pays d’origine et seraient souvent absents au moment des recensements. L’écart est en effet important au regard des chiffres avancés, par exemple, par le rapport de l’IGAS de 2002, selon lequel seuls 2 000 immigrés des pays du Maghreb résidaient en hôtel en 1999.

4. Un « non-recours » aux droits sociaux fréquent

• Un public souvent peu demandeur

Le « non-recours » aux droits concerne les personnes qui n’obtiennent pas les prestations et ne bénéficient pas des services publics auxquels elles peuvent prétendre. Il est mesuré par le différentiel entre les populations potentiellement éligibles aux aides et les populations effectivement bénéficiaires (41).

Si les difficultés d’accès aux droits peuvent provoquer le non-recours, elles s’en distinguent en ce qu’une personne peut faire face à différents obstacles pour bénéficier d’une prestation tout en la percevant in fine. Votre rapporteur estime, en tout état de cause, qu’il existe un devoir collectif de dispenser les personnes âgées, en particulier les plus modestes, de devoir faire face à des difficultés pour recevoir des prestations à bon droit.

Votre rapporteur tient ainsi à réfuter l’idée trop largement répandue selon laquelle les immigrés constitueraient une charge excessive sur les comptes sociaux. Loin d’abuser de leurs droits, ils en sont trop souvent éloignés.

Lorsqu’une aide complémentaire à la retraite est nécessaire, et lorsqu’elle est demandée, cela passe d’abord par la famille. Selon la grande enquête que la CNAV a consacrée en 2003 au « Passage à la retraite des immigrés », les enfants d’immigrés des pays tiers sont fréquemment amenés à apporter une aide financière à leurs parents : c’est le cas pour 34,5 % des enfants d’immigrés d’Afrique subsaharienne dont les parents sont âgés de quarante-cinq à soixante-dix ans, et de 24,1 % des enfants d’immigrés d’Afrique du Nord, soit deux fois plus que dans la population non immigrée (42).

En revanche, dans la relation aux administrations publiques, réticence, timidité, fierté se mêlent. Le Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR), organisation non gouvernementale qui agit depuis 1969 pour la promotion sociale, culturelle et économique des migrants subsahariens en France et de leurs régions d’origine, cite ainsi les propos d’un résident âgé du foyer « Bara » de Montreuil : « On parle mal, on n’a pas le courage parce que quand on demande quelque chose, comme on parle mal le français, on me refuse… Et puis la loi c’est compliqué ; si tu sais pas lire et écrire, même si t’es intelligent, comment tu vas connaître la loi ? » (43)

Il en résulte de fréquentes situations de méconnaissance des droits.

Le directeur général de la CNAV, M. Pierre Mayeur, a fait état devant la mission de « remontées " métier " faisant apparaître une incompréhension des droits, avec une confusion entre la pension de retraite contributive et l’ASPA ».

La Cour des comptes a rappelé, dans son Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de 2012, qu’en 2009 le « minimum vieillesse » ne couvre que les trois quarts des personnes âgées vivant sous le seuil de pauvreté : « en l’absence de dispositif d’information adapté », le nombre de personnes éligibles à la prestation est supérieur au nombre d’allocataires ayant fait valoir leurs droits (44). La Cour a considéré que l’information des nouveaux retraités n’est pas apportée au bon moment : 40 % des attributions d’ASPA par la CNAV en complément d’un droit propre concernent des retraités ayant liquidé leur pension avant l’âge de soixante-cinq ans, alors que le « minimum vieillesse » est attribué à partir de cet âgé, sauf en cas d’invalidité. La Cour considère que « ce décalage temporel entre le moment de l’information et l’âge à partir duquel une demande d’ASPA peut être faite engendre un risque systématique de non-recours au minimum vieillesse par défaut d’information délivrée au bon moment ».

Cette observation concorde avec les témoignages présentés à la mission par des acteurs associatifs qui pointent l’importance du défaut d’information et des cas d’abandon de demande en cours de procédure.

Pourtant, l’article L. 815-6 du code de la sécurité sociale soumet les caisses de retraite à une obligation d’information des assurés au moment de la liquidation de l’avantage de vieillesse.

Ainsi, le recours à une aide extérieure, familiale en premier lieu, pour remplir des dossiers administratifs augmente avec l’âge. D’après l’enquête PRI, le recours à ces aides concerne un tiers des personnes de quarante-cinq à quarante-neuf ans et près de la moitié des plus de soixante ans. Indépendamment du niveau de formation initiale à leur arrivée en France ou acquise depuis lors, cette augmentation tient au fait que le vieillissement multiplie les contacts avec les administrations. La sollicitation de l’aide de l’entourage concerne 50 % des immigrés d’Algérie interrogés dans le cadre de cette enquête, 55,5 % des immigrés du Maroc et 60,5 % des immigrés de Turquie (45).

• Une insécurité juridique ressentie et réelle

Mme Naïma Charaï l’a relevé lors de son audition par la mission : « Le déficit d’accès aux droits dont souffrent les immigrés âgés s’explique par trois causes. Certaines difficultés relèvent directement des textes de loi qui régissent le statut et les conditions de circulation des étrangers en France, et créent des effets pénalisants pour les migrants âgés. D’autres tiennent aux modalités d’application de la loi, au guichet […]. L’arbitraire prévaut dans l’interprétation des critères ouvrant droit au bénéfice d’une allocation, notamment quand ceux-ci ne font pas l’objet d’une définition réglementaire. Les dernières difficultés tiennent à la complexité du système des différentes prestations. Le manque d’information concerne non seulement des immigrés vieillissants, dont certains sont illettrés, mais également des agents des administrations chargés de gérer ces prestations. »

Les délais d’établissement de l’état civil, nécessaire pour sécuriser le Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) et obtenir un numéro d’inscription au répertoire (NIR), peuvent retarder la liquidation d’une pension pendant une durée d’un an. Ceci détériore les relations avec la caisse de sécurité sociale et peut conduire à de vives réactions de la part de membres de la famille du retraité : la mission a pu ainsi constater la présence d’un vigile à l’entrée d’une permanence de la caisse de mutualité sociale agricole (MSA) du Languedoc à Nîmes.

La résidence fiscale en France permet d’obtenir un avis d’imposition ou de non-imposition, nécessaires pour accéder aux prestations sociales ou faire renouveler la carte de résident. Or, les décisions locales des services des finances publiques peuvent aboutir à priver de l’accès aux prestations sociales des personnes auxquelles la qualité de sujet fiscal français ne serait pas reconnue. Ce fut le cas par exemple de nombreux résidents du foyer « Jacques Stamm » de Mulhouse, considérés un temps et à tort comme sujets fiscaux algériens par les services d’une direction des finances publiques. M. Antoine Math, représentant du CATRED, a indiqué devant la mission qu’« en 2005 et en 2006, à Marseille, l’administration fiscale a cherché à radier tous les immigrés âgés vivant dans des hôtels meublés et qui, de ce fait, ne payaient pas d’impôts locaux ». La délibération n° 2006-140 du 19 juin 2006 de la HALDE a jugé discriminatoires ces refus de délivrance d’avis de non-imposition à des contribuables d’origine étrangère domiciliés dans des hôtels meublés.

En outre, le législateur a institué une condition d’antériorité de résidence en France pour le « minimum vieillesse », portée à dix ans par l’article 94 de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2012. Si les immigrés âgés des pays tiers satisfont le plus souvent cette condition, ils doivent cependant apporter la preuve que leur titre de séjour portait autorisation de travailler. Ils doivent donc fournir une attestation établie en préfecture, ce qui représente une formalité inutile, souvent pénible pour des personnes âgées.

Même s’ils ne sont pas en infraction, de nombreux immigrés âgés redoutent de l’être et hésitent à se manifester. L’État social restent pour certains avant tout l’État de police : bien que sans incidence sur leur accès présent aux droits sociaux, leur qualité d’étranger et la connaissance d’épisodes, parfois anciens, de séjour irrégulier, peuvent nourrir des craintes. Ainsi que l’a souligné M. Boualam Azahoum devant la mission, « les immigrés retraités sont issus de pays où les liens avec l’administration sont vécus comme oppressants ». Souvent, ces personnes ne comprennent pas la nécessité de renseigner chaque année des formulaires alors que leur situation financière n’évolue qu’exceptionnellement.

5. Une santé fragile et un accès aux soins défaillant

• Un état sanitaire insatisfaisant

La migration depuis un pays en voie de développement n’est pas, en elle-même, source d’un niveau de santé moindre que celui de la population du pays d’accueil.

Les États-Unis en sont un bon exemple. Les immigrés n’y ont pas les mêmes modes alimentaires et consomment moins de tabac que les personnes non immigrées. Leur espérance de vie, depuis les années 1970, est systématiquement supérieure à celle de la population non immigrée, malgré des niveaux d’éducation et de revenu inférieurs. Selon une étude du Centre américain des statistiques de santé portant sur des données de 2007 à 2009, les immigrants originaires d’Amérique du Sud ont ainsi une espérance de vie supérieure de trois ans à celle des Américains non immigrés dont les parents ont la même origine. D’après une étude de 2006 de l’Université de Californie à San Francisco, le risque, pour les immigrés, de développer un cancer est de 20 % inférieur par rapport à la population née en Amérique dans son ensemble (46). L’immigré âgé vivant en Amérique y vieillit donc en meilleure santé que l’Américain « moyen ».

La situation a été en partie et temporairement comparable en France : d’après l’analyse de l’état de santé de l’enquête Handicap-Santé menée par l’INSEE en 2008 et 2009, les hommes immigrés âgés de soixante-cinq à soixante-quatorze ans qui ne vivent pas en foyer sont en meilleure santé que leurs cadets et que les non-immigrés de la même classe d’âge. Il s’agirait d’un « effet de sélection » : jusqu’aux années 1970, les immigrés venus travailler en France auraient été en meilleure santé que les non-immigrés au même âge.

Ils avaient en effet été soumis aux contrôles sanitaires réalisés dans les antennes de l’Office des migrations internationales (OMI) ou à des tests de sélection conduits dans les bureaux de recrutement de certaines entreprises, établis au Maghreb ou au Sénégal. L’analyse des causes de décès de 1979 à 1991 a montré par exemple que les hommes immigrés marocains bénéficiaient, à âge égal, d’une espérance de vie plus longue que les personnes nées en France.

Un phénomène de rupture s’observe aujourd’hui avec les personnes âgées de cinquante-cinq à soixante-quatre ans d’origine étrangère qui sont plus nombreuses à se déclarer en mauvaise santé, au contraire de leurs aînés de même origine. Par ailleurs, les résidents âgés de foyers de travailleurs migrants subissent un vieillissement précoce : une étude épidémiologique de 2005 du conseil général du Rhône citée par Mme Catherine Delcroix-Howell, responsable du développement social d’Adoma Rhône-Alpes et référente du réseau de santé INTERMED, fait de l’âge de cinquante-six ans le seuil d’entrée, prématurée, dans le vieillissement.

D’après les résultats de l’Enquête santé et protection sociale (ESPS), conduite en 2000-2002, les étrangers apparaissent en moins bonne santé que les Français. À structure démographique équivalente, l’état de santé des étrangers, considéré dans sa dimension subjective, est également plus altéré que celui des Français (47).

D’après une étude de l’INSEE, conduite en 1999, sur le risque d’une survenue de la dépendance à partir de soixante ans, citée dans le rapport de l’IGAS de 2002 sur les immigrés vieillissants, la perte d’autonomie se produit en moyenne à quatre-vingt-deux ans pour la population non immigrée, à soixante-dix-neuf ans pour la population étrangère en général, et à soixante-quinze ans pour la population d’origine maghrébine. Selon M. Arnaud Veïsse, directeur général du Comité médical pour les exilés (COMEDE), entendu par la mission, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a récemment mis en évidence une surmortalité élevée, à Paris, des étrangers entre soixante et soixante-dix ans, en particulier des femmes d’origine subsaharienne ainsi que des hommes originaires d’Afrique du Nord.

• Les facteurs défavorables au « bien-vieillir »

Parmi les facteurs défavorables au vieillissement en bonne santé des immigrés âgés figurent en premier lieu les difficultés liées au parcours migratoire et à l’isolement.

Au-delà des effets liés aux conditions matérielles de vie sur l’état de santé, la perte du lien social ou l’exclusion sociale contribuent à la dégradation de l’état de santé des immigrés. Ce dernier semble dès lors s’altérer avec la durée de résidence dans le pays d’accueil.

Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2008, la migration peut susciter un stress important associé à l’insertion dans un nouvel environnement ou à un manque de soutien social. M. Arnaud Veïsse a décrit à la mission les effets de l’isolement social et relationnel des personnes âgées étrangères, « personne n’étant là pour partager leurs émotions ».

À titre d’illustration, selon une étude conduite en 2003 en Languedoc-Roussillon (48), les hommes immigrés de plus de cinquante ans souffrent de dépression pour 37 % d’entre eux, ces symptômes étant les plus fréquents parmi les hommes isolés maghrébins. Dans la même proportion, ils ont besoin d’aide au regard de six activités essentielles, contre 12 % des personnes en population générale. Les bilans de santé pratiqués par l’Institut régional information prévention sénescence (IRIPS) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur font état de 80 % de situations de souffrance psychique parmi les migrants âgés reçus par cette structure.

L’isolement social rend plus difficile l’accès aux informations sur les ressources médicales disponibles ou sur les filières de soins. La communication entre le patient et le médecin peut être rendue malaisée par une maîtrise insuffisante de la langue ou les différences de représentations culturelles des maladies et des soins. Ces dernières peuvent également entraîner une mauvaise interprétation des symptômes par le praticien.

L’aller-retour entre la France et le pays d’origine semble pallier la « perte des attaches ». Mais, le grand âge venant, il devient de plus en plus difficile : le cas a été cité devant la mission d’un œdème pulmonaire occasionné par le déplacement d’un homme très âgé, décédé à Marseille.

En outre, l’état de santé, au terme de la vie active, est tributaire des conditions de travail. Or, les secteurs d’emploi des immigrés des pays tiers ont, plus que pour le reste de la population active, été marqués par la pénibilité du travail. Comme l’a indiqué Mme Laure Pitti devant la mission : « Ces travailleurs devenus âgés sont aujourd’hui davantage victimes des méfaits du travail. »

Enfin, des inégalités d’accès aux soins sont constatées parmi l’ensemble de la population immigrée âgée dont une partie consulte comparativement soit très peu, soit assez souvent les médecins généralistes. Les immigrés originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sont à la fois très nombreux à les rencontrer rarement, mais aussi très nombreux à les fréquenter au moins une fois par mois. Il semble que ceci soit davantage le fait des hommes que des femmes. La moindre fréquentation est globalement bien plus importante chez les hommes immigrés âgés originaires d’Afrique : 30 % fréquentent le médecin généraliste au plus une fois par an contre 20 % pour les non-immigrés (49).

L’accès à la prévention est par ailleurs moindre que pour la population générale, en particulier pour les femmes. Par exemple, les femmes immigrées maghrébines semblent sous-représentées dans le dépistage des cancers, à l’instar de l’ensemble des personnes en situation précaire. Votre rapporteur voit dans la faiblesse de l’accès aux soins de prévention la conséquence d’une mauvaise insertion dans l’environnement au plan local, alors que les messages de prévention y abondent et que des dispositifs multiples ciblent les personnes âgées pour leur permettre d’accéder à des dépistages adaptés.

M. Arnaud Veïsse a ainsi indiqué que des données non publiées de l’Institut de veille sanitaire montrent qu’au-delà de soixante ans, les retards de diagnostic concernant l’hépatite B ou le VIH sont beaucoup plus fréquents pour les populations étrangères et que les maladies sont donc dépistées à un stade beaucoup plus avancé.

• Les obstacles à l’accès aux soins

In fine, les différences de revenu et de professions et catégories socioprofessionnelles entre la population immigrée et la population française de naissance expliquent respectivement 42,5 % et 16 % des disparités de santé perçues (50).

Les difficultés d’accès aux soins puisent ainsi leur source dans la faiblesse des revenus. Pour M. Bernard Montagnon, conseiller santé du secrétaire général à l’immigration et à l’intégration, la faiblesse des ressources des immigrés âgés explique aussi qu’ils soient environ quatre fois plus nombreux que le reste de la population à bénéficier de la couverture maladie universelle (CMU), couverture médicale instituée par la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999, gratuite si le revenu fiscal du foyer est inférieur à 9 356 euros par an, soit 779,6 euros par mois.

Les immigrés âgés sont en outre cinq fois plus nombreux à bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), qui donne accès de droit à une couverture complémentaire gratuite aux ménages les plus pauvres mais sous des conditions de revenus plus basses que pour la CMU : le plafond d’exclusion est de 661 euros par mois pour une personne seule et de 992 euros pour un couple. De nombreux immigrés âgés ne sont pas éligibles à cette dernière en raison de revenus légèrement supérieurs à ces seuils.

L’aide pour l’acquisition d’une assurance complémentaire santé (ACS), instaurée par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, prend le relai pour les personnes dont les ressources n’excèdent pas le plafond de la CMU-C de plus de 35 %, soit 893 euros pour une personne seule et 1 339 euros pour un couple. Son montant vient en déduction des cotisations ou primes d’assurance complémentaire santé et varie en fonction de l’âge : il est de 350 euros par personne âgée de cinquante à cinquante-neuf ans et de 500 euros par personne âgée de soixante ans et plus. Le seuil d’exclusion reste inférieur au seuil de pauvreté, qui est de 964 euros pour une personne seule en 2013.

La « désertification » médicale concerne en outre tant les quartiers relevant de la politique de la ville, où la plupart des médecins sont en secteur 1
– qui correspond au tarif qui sert de base au remboursement de la caisse d’assurance maladie – mais ne sont pas suffisamment nombreux, que les centres des villes, où les médecins sont nombreux mais plus rarement en secteur 1.

La difficulté d’accès aux dispositifs qui « solvabilisent » la demande de soins se traduit par des taux élevés de renoncement, illustrés par le tableau ci-dessous.

PART DES PERSONNES AYANT DÉCLARÉ AVOIR RENONCÉ À DES SOINS
POUR DES RAISONS FINANCIÈRES PAR SEXE, ÂGE, ORIGINE

Âge et sexe

Maghreb et Afrique subsaharienne

Divers

Union européenne

Non immigrés

Plus de 55 ans

16,8

6,8

4,9

6,3

55-64 ans

17,6

5,8

7,2

7,4

65-74 ans

14,0

8,8

4,4

7,3

75 ans et plus

18,5

5,9

2,2

4,0

Hommes

17,9

6,3

4,4

4,7

Femmes

15,3

7,4

5,3

7,7

Source : Yannick Croguennec, « L’état de santé de la population immigrée âgée », Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Infos migrations, n° 35, février 2012, p. 3.

Issues de l’enquête Handicap-Santé de 2008 conduite par l’INSEE, ces données attestent d’un large renoncement aux soins, notamment pour des raisons financières. Pour les plus de cinquante-cinq ans, le taux est de 16,8 % pour les immigrés d’Afrique contre 6,3 % dans la population non immigrée. Pour les plus de soixante-quinze ans, il est de 18,5 % pour les immigrés d’Afrique contre 4 % dans la population non immigrée. L’écart avec la population non immigrée est deux fois plus élevé pour les hommes que pour les femmes.

Le legs des conditions de travail peut paradoxalement faciliter l’accès aux soins s’il emporte reconnaissance d’une maladie professionnelle. Mais la difficulté à faire reconnaître une maladie professionnelle constitue symétriquement un obstacle auquel il semble que les immigrés âgés soient plus nombreux à devoir faire face. Un exemple emblématique est fourni par les anciens salariés agricoles pour qui les caisses ont longtemps refusé de reconnaître le lien entre les pathologies et les conditions de travail, au point que certains praticiens les ont cantonnés dans la catégorie des « sinistrosés ». Cette expression désigne l’attitude pathologique d’une personne qui refuse de reconnaître sa guérison et qui estime qu’elle n’a pas obtenu de la loi une juste réparation du dommage subi (51).

M. Ahmed Boubeker, professeur de sociologie à l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne, a indiqué à la mission que l’institution médicale a eu du mal à comprendre le « corps souffrant » du travailleur migrant, dont les pathologies ont été cernées par les travaux de M. Tahar Ben Jelloun ou de M. Jalil Bennani qui, en 1980, dans l’ouvrage Le corps suspect, souligne que « la plainte de l’immigré maghrébin est associée à la recherche du profit », notamment parce que les symptômes qu’il présente n’entrent pas dans la norme médicale.

Lors du déplacement de la mission dans le département du Gard, les représentants de la mutualité sociale agricole du Languedoc ont fait état de la difficulté de reconnaître les effets des postures de travail ou des chutes fréquentes dans les secteurs des cultures maraichères ou arboricoles. À partir de cinquante ans, les travailleurs ont fréquemment mal au dos, sans que les effets de cette affection soient spécifiquement pris en compte dans un accompagnement vers les soins.

Enfin, le « bien-vieillir » nécessite de disposer de l’aide humaine qui limite les effets de la perte progressive d’autonomie. Or, les immigrés âgés font deux fois moins souvent appel à une aide humaine de type professionnel que les non-immigrés : ils sont 5,7 % dans ce cas contre 10,4 % dans la population générale. La tendance s’inverse lorsque l’aide humaine est issue de l’entourage des personnes (52).

Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère chargé des affaires sociales, les personnes qui ont des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois sont en effet celles qui ont le plus recours à une aide provenant seulement de l’entourage (38 %) et le moins recours à une aide provenant seulement de professionnels (24 %). Or, cette dernière est financée essentiellement par l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) qui permet une solvabilisation partielle du service apporté, en particulier pour les plus démunis. Le financement de l’aide par l’APA trouve ses limites dans les cas où le plan d’aide est égal au plafond et où le besoin d’aide évalué par le conseil général peut alors dépasser le montant maximal pris en charge. C’est ce qu’indique le « taux de saturation » : il s’accroît logiquement avec le taux de dépendance et atteint 44 % dans les cas de dépendance les plus élevés (groupe iso-ressources-GIR 1), mais on constate également qu’il est élevé lorsque les ressources au sens de l’APA sont inférieures ou légèrement supérieures au seuil de 670 euros par mois, en deçà duquel les allocataires ne participent pas au financement du plan d’aide (53). Quel que soit le degré de dépendance, parmi les bénéficiaires de l’APA à domicile au 31 décembre 2007, les plus modestes ont plus souvent un plan d’aide saturé que les personnes ayant des ressources mensuelles comprises entre 670 et 2 000 euros. Ainsi, le taux d’effort peut être élevé pour les personnes disposant de revenus modestes.

Enfin, l’application d’un plafond unique à niveau de dépendance donné est défavorable aux personnes isolées : leurs besoins de financement d’interventions de professionnels de l’aide à domicile sont plus importants puisqu’elles ne peuvent mobiliser l’aide d’un réseau de proches.

L’ALLOCATION PERSONNALISÉE D’AUTONOMIE (APA)

Créée par la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA s’adresse aux personnes âgées de soixante ans ou plus résidant à domicile ou en établissement et confrontées à des situations de perte d’autonomie, c’est-à-dire « qui, nonobstant les soins qu’elles sont susceptibles de recevoir, ont besoin d’une aide pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie ou dont l’état nécessite une surveillance régulière ». Elle répond aux besoins de chaque bénéficiaire et finance à la fois des aides de nature technique et des aides humaines. Gérée par les départements, elle n’est pas soumise à condition de ressources, mais le montant pris en charge par le conseil général varie selon les revenus des bénéficiaires. Elle permet la prise en charge d’aides et de services diversifiés. Les quatre premiers groupes iso-ressources (GIR 1 à 4) de la grille nationale AGGIR (Autonomie gérontologie groupes iso-ressources) qui sert à évaluer le degré de dépendance ouvrent droit à l’APA.

La grille AGGIR classe les personnes âgées en six niveaux de perte d’autonomie :

– GIR 1 : les personnes confinées au lit ou au fauteuil ayant perdu leur autonomie mentale, corporelle, locomotrice et sociale qui nécessitent une présence indispensable et continue d’intervenants ;

– GIR 2 : les personnes confinées au lit ou au fauteuil dont les fonctions mentales ne sont pas totalement altérées et qui nécessitent une prise en charge pour la plupart des activités de la vie courante ou celles dont les fonctions mentales sont altérées mais qui ont conservé leurs capacités motrices ;

– GIR 3 : les personnes ayant conservé leur autonomie mentale, partiellement leur autonomie locomotrice, mais qui nécessitent quotidiennement et plusieurs fois par jour des aides pour leur autonomie corporelle ;

– GIR 4 : les personnes qui n’assument pas seules leur transfert mais qui, une fois levées, peuvent se déplacer à l’intérieur du logement et qui doivent être aidées pour la toilette et l’habillage ;

– GIR 5 et GIR 6 : les personnes peu ou pas dépendantes.

Fin 2011, 1,2 million de personnes bénéficient de l’APA. Les trois quarts sont des femmes. 17 % des personnes âgées de soixante-quinze ans ou plus sont allocataires de l’APA. En moyenne, en 2007, les allocataires de l’APA ont quatre-vingt-trois ans à l’ouverture du droit. Près d’un allocataire de l’APA sur deux a plus de quatre-vingt-cinq ans (et un quart des allocataires a plus de quatre-vingt-neuf ans et demi). Seuls 5 % des allocataires ont moins de soixante-dix ans.

La durée moyenne de perception de l’APA est de quatre ans et cinq mois pour les femmes et de deux ans et onze mois pour les hommes (1). Parmi les personnes percevant l’APA, 60 % vivent à leur domicile et 40 % en établissement. Le nombre d’allocataires vivant à leur domicile augmente rapidement (il était de 50 % en 2002).

(1) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, « Enquête APA-2007 » annexe à Études et résultats, n° 724, 2010.

6. Des constats aggravés pour les femmes

À maintes reprises, les personnes entendues par la mission ont insisté sur la situation particulière des femmes immigrées vieillissantes, à la fois confrontées à d’importantes difficultés sociales et « invisibles » (54) dans l’espace public. Généralement arrivées en France dans le cadre du regroupement familial, même si l’immigration féminine de travail est ancienne (55), nombre de femmes immigrées
– dont 145 000 sont originaires d’États tiers à l’Union européenne et ont plus de soixante-cinq ans 
(56) – connaissent des situations de grande précarité et d’isolement, bien que ce dernier point mérite d’être relativisé.

NOMBRE DE FEMMES IMMIGRÉES ÂGÉES DE PLUS DE CINQUANTE-CINQ ANS

Origine

Ensemble

dont âgées
de 60 à 79 ans

dont âgées
de plus de 80 ans

Ensemble

830 000

476 000

138 000

dont origine Union européenne

489 000

288 000

107 000

dont origines autres

341 000

188 000

31 000

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

Les difficultés rencontrées par une part significative de femmes immigrées âgées s’expliquent tout d’abord par la modicité de leurs ressources, résultat de carrières professionnelles très heurtées. Ainsi, les femmes ont généralement effectué de très courtes carrières, fréquemment interrompues et occupé des emplois à temps partiel – quand elles ont pu être employées –, comme l’a souligné M. Omar Samaoli, gérontologue, devant la mission. Les femmes membres de l’association Réseau échanges et savoir que la mission a rencontrées à l’occasion de son déplacement dans le Rhône ont d’ailleurs confirmé être arrivées en France après leur mari et y avoir occupé de « petits boulots » pas toujours déclarés. Mme Évelyne Bouzzine, directrice du Centre de ressources politique de la ville en Essonne (CRPVE), a souligné devant la mission que la grande majorité des femmes interrogées dans le cadre d’une recherche-action menée conjointement par le CRPVE et le sociologue M. Smaïn Laacher avaient indiqué ne pas avoir eu d’activité salariée légale en France. En conséquence, elles disposent de pensions de retraite très modestes, de l’ordre de 600 euros par mois, par exemple dans l’Essonne, d’après les chiffres transmis à la mission par Mme Évelyne Bouzzine.

Les femmes immigrées âgées bénéficient par ailleurs généralement de modestes pensions de réversion, conséquence de la faiblesse des pensions de retraite perçues par leur mari. D’après M. Pierre Mayeur, directeur de la CNAV, les femmes nées à l’étranger représentent, en 2012, 55 % des bénéficiaires sans droit direct au régime général – c’est-à-dire ne disposant pas elles-mêmes d’une pension de retraite contributive –, soit 456 000 personnes, parmi lesquelles 20 % résident en France. Celles-ci bénéficient, à cette date, de pensions de réversion dont le montant moyen s’élève à 397 euros par mois.

67 % des bénéficiaires de l’ASPA versée à des personnes ne percevant pas de pension de retraite contributive sont des femmes, d’après les chiffres transmis à la mission par M. Jean-Michel Bacquer, directeur de l’établissement de Bordeaux des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations. La précarité financière des femmes immigrées âgées a été abordée à de nombreuses reprises lors des auditions de la mission. Signe de cette situation, l’association Chibanis 06, dirigée par Mme Zineb Doulfikar, accueille de plus en plus de femmes veuves, célibataires ou divorcées, principalement originaires du Maroc et d’Algérie, bénéficiant de très faibles pensions de retraite, voire de la seule ASPA.

Au-delà de la précarité financière dans laquelle elles se trouvent, les immigrées âgées connaissent aussi une précarité sociale alarmante.

Il n’est ainsi pas rare qu’elles vivent sans conjoint. C’est en effet ce qu’a rappelé Mme Liliane Capelle, adjointe au maire de Paris, à l’occasion de son audition par la mission. Après avoir évoqué la féminisation progressive de la population immigrée à Paris – en 2007, 52 % des personnes immigrées étaient des femmes, contre 45 % en 1982 –, Mme Capelle a insisté sur l’état de dénuement de nombre de femmes immigrées maghrébines âgées de soixante-cinq à soixante-dix ans, majoritairement veuves, divorcées ou séparées. D’après le témoignage de M. Rafaël Ricardou, coordinateur de l’antenne Île-de-France du GRDR, le veuvage, et plus généralement la rupture conjugale, seraient des situations très fréquentes : plus de 70 % des femmes immigrées âgées auprès desquelles cette organisation non gouvernementale intervient n’auraient pas de conjoint.

De plus, une part significative de femmes immigrées âgées est éloignée des dispositifs sociaux de droit commun, en raison notamment du déficit d’information en la matière. Il semble qu’il y ait là un phénomène généralisé sur le territoire. Mme Nathalie Olla, adjointe au maire de Roubaix chargée de la politique de la jeunesse, de la politique des loisirs jeunes, de l’interculturalité et de la lutte contre les discriminations, a insisté devant la mission sur l’éloignement préoccupant des immigrées vieillissantes des dispositifs sociaux de droit commun dans la région lilloise. D’après M. Pierre Hémon, adjoint au maire de Lyon, délégué aux personnes âgées, le centre communal d’action sociale (CCAS) de Lyon n’accueille qu’un petit nombre de femmes. Mme Françoise Bas-Théron n’a pas hésité à qualifier de « dramatique » la situation de certaines femmes se retrouvant seules, ne disposant que de très maigres ressources et éprouvant d’immenses difficultés à accéder aux prestations sociales auxquelles elles pourraient pourtant prétendre. De son côté, Mme Claudine Bouygues, adjointe au maire de Paris, chargée des droits de l’homme, de l’intégration, de la lutte contre les discriminations et des citoyens extra-communautaires, a appelé les pouvoirs publics à définir une action spécifique à l’égard de femmes immigrées âgées, afin de leur permettre d’accéder aux droits sociaux et d’apprendre le français.

Il ressort par ailleurs de plusieurs témoignages recueillis par la mission que les femmes apparaissent plus vulnérables face aux risques sanitaires que les hommes. Votre rapporteur a déjà abordé la question de la surmortalité des étrangers de soixante à soixante-dix ans, et notamment des femmes d’origine subsaharienne, et ne revient donc pas davantage sur ce point.

À l’instar de M. Thierry Tuot, auteur du rapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration et intitulé La grande Nation : pour une société inclusive, remis le 11 février 2013, votre rapporteur considère que les femmes, dont les difficultés sont les moins voyantes et les plus silencieuses, connaissent parfois des difficultés d’intégration supérieures à celles rencontrées par les hommes. À la différence de ceux-ci, elles n’ont pas pu bénéficier d’une insertion professionnelle et n’ont donc pas toujours pu tisser de liens en dehors de la cellule familiale. D’après Mme Évelyne Bouzzine, leur faible intégration s’expliquerait précisément par le fait que leur rôle a longtemps été confiné à la sphère privée. Les difficultés qu’elles éprouvent à s’exprimer en français, souvent évoquées par les personnes entendues par la mission, en sont d’ailleurs le résultat.

Moins bien intégrées, les femmes seraient également davantage l’objet de discriminations (voir tableau page 48), d’après plusieurs témoignages recueillis par la mission, parmi lesquels celui de M. Rafaël Ricardou, pour qui les femmes immigrées âgées cumulent les handicaps.

Paradoxalement, il apparaît cependant que leur isolement est globalement moindre que celui des hommes, en raison principalement de la relation de proximité qu’elles entretiennent avec leurs enfants. Ce phénomène explique en partie que les femmes envisagent plus difficilement que les hommes l’éventualité d’un retour au pays. À l’occasion de sa rencontre, dans le département du Rhône, avec des femmes de l’association Réseau échanges et savoir, la mission a pu constater l’importance de la présence des jeunes générations auprès des femmes immigrées vieillissantes. Cela n’est hélas pas toujours le cas. En effet, les liens entre les parents et les enfants – en particulier lorsque la mère devient veuve – sont susceptibles de se distendre au fil du temps de l’immigration, tandis que la solidarité familiale peut être ébranlée lorsque les enfants traversent eux-mêmes des épreuves sociales, telles que le chômage ou la maladie.

Le vieillissement des femmes immigrées doit être pris en considération, de façon urgente, par les pouvoirs publics. Votre rapporteur considère en effet qu’il convient de veiller avec une attention toute particulière à leur prise en charge par l’ensemble des dispositifs sociaux de droit commun ainsi que par les services sanitaires, afin que les conditions d’une vieillesse digne soient remplies. Le fait que le programme 137 du budget de l’État, dénommé « Égalité entre les femmes et les hommes », n’inclue pas de financement dédié aux femmes immigrées âgées illustre l’insuffisance de la prise en compte de cette thématique par les politiques publiques.

7. Des difficultés comparables dans plusieurs pays européens

Nombre des difficultés que connaissent les immigrés âgés en France sont également vécues par les immigrés âgés installés dans des États proches qui, sans avoir une histoire de l’immigration aussi ancienne que la nôtre – ils ont pu même être des terres d’émigration importante –, ont également fait appel à la main-d’œuvre étrangère au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

En Allemagne, les immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans représentent, en 2010, 9,4 % de l’ensemble des immigrés et leur nombre devrait augmenter de 15 % d’ici l’année 2030. Un rapport élaboré en 2012, pour l’Office fédéral des migrations et des réfugiés, un opérateur du ministère fédéral de l’intérieur, dresse un bilan de la situation des personnes âgées immigrées en Allemagne comparable par bien des points à la situation constatée en France (57).

Cette étude recouvre principalement des immigrés de Turquie : on en dénombre environ 350 000 âgés de plus de soixante-cinq ans dont 150 000 ont acquis la nationalité allemande. Ils sont suivis par les ressortissants polonais ou originaires de l’ex-Union soviétique et de l’ancienne Fédération yougoslave. Bien que ne distinguant pas les immigrés des pays tiers de ceux issus de pays devenus membres de l’Union européenne, l’étude permet néanmoins de relever :

– un déclassement sur le marché du travail pour les personnes encore en activité et qui sont nombreuses, l’âge légal de départ en retraite à taux plein étant fixé à soixante-sept ans ;

– une précarité financière au moment de la retraite du fait de la situation professionnelle antérieure mêlant emplois peu qualifiés et périodes de chômage ;

– un état de santé dégradé par rapport à la population majoritaire qui nécessite d’améliorer l’accès aux soins ;

– un isolement dû à la distance avec la famille ou les proches vivant dans le pays d’origine ;

– la faiblesse du nombre de retours définitifs dans le pays d’origine.

En Belgique, la part des personnes âgées dans la population immigrée est passée de 5,7 % en 1970 à 11,8 % en 2007. Outre les trois pays du Maghreb, les autres ressortissants étrangers viennent principalement de Turquie et des anciennes colonies belges. Un récent rapport de la Fondation Roi Baudouin (58) souligne la faiblesse du niveau de maîtrise de la langue, française comme flamande, et l’attribue notamment au peu d’occasions de la pratiquer et de l’entretenir après leur retraite.

Les éléments fournis à votre rapporteur confirment la précocité des affections liées au vieillissement : seraient présentent dès la cinquantaine des affections auxquelles les personnes âgées nées en Belgique ne sont confrontées que dix ans plus tard. Il est fait état du stress provoqué par le parcours migratoire, des effets du vieillissement dans un pays étranger ainsi que du faible statut socioéconomique aggravé par la pénibilité au travail. En ce qui concerne la santé des femmes, le rapport fait état d’une étude flamande qui attribue l’apparition de nombreux problèmes de santé, avec l’âge, au fait qu’une part importante de femmes immigrées auraient effectué des tâches plus physiques dans leur pays d’origine et se trouvent confrontées, dans leur pays d’accueil, à des travaux nettement moins lourds et à un manque d’activité physique alors qu’elles maintiennent un régime alimentaire traditionnel.

En matière de soins, la difficulté pour les familles d’immigrés résidant en Belgique de rester disponibles pour prendre soin de leurs parents à leur domicile apparaît manifeste : cet état de fait entre dès lors en conflit avec le « mythe de la prise en charge intégrale des anciens par des membres de la famille ». Selon les auteurs du rapport, « les enfants ont honte de ne plus pouvoir s’occuper de leurs parents et ceux-ci ressentent cet " abandon " comme un déshonneur ».

Aux Pays-Bas, selon des données de 2003, la population immigrée âgée de plus de cinquante-cinq ans s’élève à 115 000 personnes, soit 3 % de la population du même âge du pays. Les prévisions établies alors portent le nombre d’immigrés âgés originaires du Surinam à 52 000 en 2010 et 90 000 en 2020 ; de Turquie à 36 000 en 2010 et 65 000 en 2020 et du Maroc à 32 000 en 2010 et 53 000 en 2020 (59). 86 % des immigrés âgés originaires du Maroc et 67 % des Turcs y disposent d’un revenu qui ne dépasse pas le revenu social minimum, obtenu grâce au versement d’un complément au titre des allocations d’aide sociale. Seules 2 % des femmes marocaines âgées et 9 % des Turques disposent d’un revenu salarié. En 2003, 88 % des hommes âgés marocains et 98 % des femmes n’ont connu aucune scolarisation, ni au pays d’origine, ni aux Pays-Bas.

Après cinquante-cinq ans, 57 % des Marocains âgés et 47 % des Turcs souffrent d’une perte de capacité, contre 15 % des personnes non immigrées. Malgré des affections plus prononcées, il ne ressort pas de l’enquête menée en 2003 une moindre consommation de médicaments que dans la population générale.

B. DES CONDITIONS DE VIE INDIGNES POUR CEUX QUI VIEILLISSENT
EN FOYER DE TRAVAILLEURS MIGRANTS

1. Une population en grand isolement

Certains des immigrés âgés isolés sont les parents d’enfants français. La décohabitation des enfants et l’adoption du modèle de la famille nucléaire est certes facteur d’« isolement » des aînés vivant désormais seuls au domicile familial, mais il s’agit aussi d’un ancrage dans le pays d’accueil, par opposition au « souvenir de modes de vies ancestraux de familles élargies, multicohabitantes », comme l’a rappelé M. Omar Samaoli.

L’isolement d’autres immigrés âgés est pour partie le produit d’une politique : fixés dans la situation d’une migration temporaire, souvent hébergés dans des foyers de travailleurs migrants et n’ayant pas disposé de ressources suffisantes pour les quitter, ils n’ont pas pu ou pas voulu mener en France une vie familiale. Le monde du travail ayant été le principal cadre de sociabilité extérieure au foyer, la vieillesse amenuise encore plus durement le tissu social et affectif. Or, le projet de retour durable au pays, cultivé depuis des décennies, est désormais entravé.

Plutôt que « célibataires », ces hommes sont « célibatairisés ». Ainsi, 60 % des résidents de foyers sont mariés au pays et pères de familles nombreuses (50 % ont plus de quatre enfants) (60).

L’isolement des uns n’est donc pas l’isolement des autres malgré la « juxtaposition dans le même paysage social de vieux travailleurs isolés et sans famille et de familles qui se sont constituées ou reconstituées au sein de l’immigration » (61) pointée par M. Omar Samaoli. D’après lui, « la douloureuse question des hommes âgés vivant seuls en foyers » constitue un « anachronisme » qui révèle la situation de « marginaux de l’immigration ».

Votre rapporteur fait sien le souhait de ce gérontologue, pionnier de l’étude du vieillissement des immigrés, de ne pas cantonner ce phénomène à « une exception sociale ou urbaine », mais de le placer dans « l’espace urbain ordinaire […] loin de la vie dans le logement spécifique aux immigrés ou des institutions dédiées aux personnes âgées ».

Dans le même temps, votre rapporteur se refuse à la facilité qui a souvent consisté à stigmatiser les résidents des foyers eux-mêmes. La mise en évidence du caractère indigne de certaines conditions de vie a souvent été un prétexte à la mise en cause des personnes immigrées qui les subissent, à l’exemple de l’approche « ethnicisée » du problème des « bidonvilles » ou de polémiques entourant les conditions de vie des immigrés originaires d’Afrique subsaharienne qui résident dans des foyers de travailleurs migrants souvent suroccupés.

Votre rapporteur a donc souhaité mesurer la part de ces différentes situations d’isolement, qui divergent selon les parcours (62).

Le recensement de la population ne permet pas de savoir si une personne immigrée a été rejointe par un membre de sa famille, mais il indique si une personne en « ménage ordinaire » vit seule. Parmi l’ensemble des immigrés de plus de soixante-cinq ans en ménage ordinaire, 26 % vivent seuls. Cette part est de 38 % pour les femmes – qui subissent plus souvent le veuvage – et de 15 % pour les hommes. Il apparaît donc que les immigrés des pays tiers vivent relativement moins isolés à cette aune que les immigrés originaires d’Europe. La part des personnes âgées immigrées du Maghreb vivant isolées en ménage ordinaire est systématiquement plus faible que pour l’ensemble des immigrés.

PART DES PERSONNES ISOLÉES PARMI LES IMMIGRÉS DE CINQUANTE-CINQ ANS OU PLUS, EN MÉNAGE ORDINAIRE, PAR ORIGINE ET PAR GENRE

(en %)

Origine

Hommes

Femmes

Ensemble

Immigrés étrangers

14

23

18

Originaires de l’Union européenne

12

27

19

Originaires de pays tiers

15

17

16

Maghreb

15

16

15

Immigrés devenus Français

12

31

22

Originaires de l’Union européenne

13

34

26

Originaires de pays tiers

11

24

17

Maghreb

10

22

15

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

PART DES PERSONNES ISOLÉES PARMI LES IMMIGRÉS DE SOIXANTE-CINQ ANS OU PLUS, EN MÉNAGE ORDINAIRE, PAR ORIGINE ET PAR GENRE

(en %)

Origine

Hommes

Femmes

Ensemble

Immigrés étrangers

15

33

22

Originaires de l’Union européenne

14

36

25

Originaires de pays tiers

15

26

19

Maghreb

14

25

18

Immigrés devenus Français

14

42

30

Originaires de l’Union européenne

15

43

32

Originaires de pays tiers

13

37

24

Maghreb

12

35

21

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

À la catégorie des personnes vivant seules en ménage ordinaire, il convient dès lors d’ajouter celle des personnes vivant au sein de « logements en collectivité ». Il s’agit essentiellement de centres de moyen ou de long séjour qui recouvrent à la fois les établissements pour personnes âgées et les foyers de travailleurs migrants.

Environ 49 000 immigrés de plus de cinquante-cinq ans vivent en collectivité, dont 24 000 personnes de plus de soixante-cinq ans. La part des personnes résidant en établissements pour personnes âgées (EHPA) ou personnes âgées dépendantes (EHPAD) ne peut pas, à l’heure actuelle, être distinguée de celle des résidents de foyers (63).

Or, il ressort de constats concordants que la présence des immigrés âgés est faible, sinon inexistante, dans les maisons de retraite. Elle est en revanche manifeste au sein des foyers de travailleurs migrants au point que la figure du chibani résidant en foyer est devenue le symbole, le plus visible, de cette invisibilité sociale.

Les immigrés âgés isolés vivant en collectivité sont donc en quasi-totalité des hommes vivant en foyer de travailleurs migrants.

13 % des hommes immigrés d’Algérie âgés de plus de soixante ans et 17 % des hommes immigrés du même âge originaires d’Afrique hors Maghreb vivent en collectivité, contre 6 % pour l’ensemble des hommes immigrés et 3 % pour l’ensemble des hommes non immigrés du même âge (64).

La population des « isolés » recouvre donc bien ces deux réalités distinctes : d’une part, des veufs et des veuves ou des personnes séparées vivant seuls dans l’habitat « de droit commun » mais dont le réseau familial peut être important ; d’autre part, les résidents de foyers de travailleurs dont la famille réside le plus souvent hors de France.

IMMIGRÉS DES PAYS TIERS ÂGÉS DE PLUS DE CINQUANTE-CINQ ANS ISOLÉS OU VIVANT EN COLLECTIVITÉ (DONT LES FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS)

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

IMMIGRÉS DES PAYS TIERS ÂGÉS DE PLUS DE SOIXANTE-CINQ ANS ISOLÉS OU VIVANT EN COLLECTIVITÉ (DONT LES FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS)

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

2. Un vieillissement ignoré

La situation des immigrés âgés résidant en foyer de travailleurs migrants constitue peut-être la manifestation la plus préoccupante des carences des politiques publiques menées à destination des immigrés âgés. Arrivés en France au cours des Trente Glorieuses afin d’obtenir un emploi et de subvenir aux besoins de leur famille restée au pays, un grand nombre d’immigrés vieillit aujourd’hui dans des foyers en très mauvais état et isolés du reste de la société.

Dans un article paru en 2005, M. Rémi Gallou rappelait que les foyers de travailleurs migrants, créés pour « loger de facon temporaire de jeunes travailleurs », se caractérisaient par des conditions de vie « particulièrement et objectivement mauvaises » (65). Près de dix ans plus tard, et malgré la mise en place du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) sur lequel votre rapporteur reviendra plus loin, la situation ne s’est que partiellement améliorée. Les personnes entendues par la mission ont en effet unanimement insisté sur la précarité des conditions dans laquelle vivent, encore aujourd’hui, de nombreux immigrés vieillissants, ce que votre rapporteur a constaté à l’occasion de plusieurs visites de foyer.

LE FOYER DE TRAVAILLEURS MIGRANTS ET LA RÉSIDENCE SOCIALE :
DÉFINITIONS JURIDIQUES

Article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation :

Un logement-foyer, au sens du présent chapitre, est un établissement destiné au logement collectif à titre de résidence principale de personnes dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs meublés ou non et des locaux communs affectés à la vie collective.

Il accueille notamment des personnes âgées, des personnes handicapées, des jeunes travailleurs, des étudiants, des travailleurs migrants ou des personnes défavorisées.

Le logement-foyer dénommé « résidence sociale » est destiné aux personnes ou familles mentionnées au II de l’article L. 301-1.

La résidence sociale dénommée « pension de famille » est un établissement destiné à l’accueil sans condition de durée des personnes dont la situation sociale et psychologique rend difficile leur accès à un logement ordinaire. La « résidence accueil » est une pension de famille dédiée aux personnes ayant un handicap psychique.

Article L. 301-1 du code de la construction et de l’habitation :

I. - La politique d’aide au logement a pour objet de favoriser la satisfaction des besoins de logements, de promouvoir la décence du logement, la qualité de l’habitat, l’habitat durable et l’accessibilité aux personnes handicapées, d’améliorer l’habitat existant et de prendre en charge une partie des dépenses de logement en tenant compte de la situation de famille et des ressources des occupants. Elle doit tendre à favoriser une offre de logements qui, par son importance, son insertion urbaine, sa diversité de statut d’occupation et de répartition spatiale, soit de nature à assurer la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation.

II. - Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir.

• Des résidents vieillissants

La première caractéristique des foyers – et, dans une moindre mesure, des résidences sociales qui les remplacent peu à peu – est qu’ils accueillent une part importante de personnes désormais âgées, voire très âgées. En 2005, la moyenne d’âge s’y élevait déjà à 54,8 ans (66).

Aujourd’hui, près du tiers des résidents de foyers de travailleurs migrants et de résidences sociales est âgé de plus de soixante-cinq ans, d’après les chiffres transmis à la mission par la CILPI. Au total, environ 35 000 immigrés des pays tiers âgés de plus soixante-cinq ans, soit 10 % de cette catégorie, vivent au sein de ces établissements.

À l’échelle nationale, 42 % des personnes logées par Adoma – qui dispose de 33 826 places dans 186 FTM et de 34 549 places dans 313 résidences sociales, soit près de 55 % des logements du secteur – ont à présent plus de soixante ans (67). En 2009, 12 % des résidents avaient plus de soixante et onze ans (68).

Les proportions sont à peu près équivalentes dans les foyers gérés par d’autres bailleurs. Les personnes âgées de plus de soixante ans représentent 40 % des résidents de foyers Coallia, qui dispose de 19 500 lits au total (69). De leur côté, les foyers et résidences sociales de l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS), comprenant au total 4 200 places, logent 14 % de résidents âgés de plus de soixante-dix ans.

Dans certains foyers, la part de résidents âgés peut être nettement plus élevée. C’est notamment le cas au sein du foyer Adoma « Les Grésillons » de Gennevilliers, où 64 % des résidents ont plus de soixante ans et de la résidence sociale « Les Peupliers » de Woippy, où les personnes de plus de soixante-dix ans représentent 30 % de la clientièle, deux établissements dans lesquels la mission s’est rendue.

DE LA SONACOTRAL À ADOMA

Adoma en quelques dates

En 1956, la Société nationale de construction pour les travailleurs algériens (SONACOTRAL) est créée afin de résorber les « bidonvilles » et d’accueillir dans des conditions décentes les travailleurs algériens dans un contexte de grave pénurie de logements sociaux.

En 1963, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, l’entreprise ouvre ses logements à tous les travailleurs immigrés, quelle que soit leur origine, et devient la SONACOTRA.

En 1966, soit dix ans après sa création, la SONACOTRA dispose de 70 foyers. Au cours des années suivantes, son parc immobilier connaît un développement considérable.

En 1976, la SONACOTRA dispose de 45 679 logements, ce qui en fait un opérateur majeur du logement social.

Au cours des années 1980-1990, la mission de la SONACOTRA évolue. Il s’agit de permettre aux travailleurs immigrés, arrivés en France pendant les Trente Glorieuses et qui ont toujours vécu séparés de leur famille, de vieillir dignement, dans des logements plus spacieux et plus confortables. Un programme de réhabilitation et de transformation des anciens foyers, qui se poursuit aujourd’hui, est alors mis en place.

Entre 1991 et 1998, les pouvoirs publics décident d’élargir la mission de la SONACOTRA et lui demandent de contribuer au logement des personnes défavorisées, quelle que soit leur origine. L’entreprise est aussi chargée de soutenir et d’accompagner ces personnes dans leur parcours d’insertion. À la demande des élus locaux, la SONACOTRA ouvre des résidences sociales sur tout le territoire. Souvent situées en centre-ville, ces résidences accueillent de manière temporaire des jeunes, des familles, des hommes ou des femmes seuls qui traversent des difficultés.

En 1999, la SONACOTRA signe avec l’État un contrat d’objectifs d’une durée de cinq ans destiné à prendre acte des besoins de la clientèle pour adapter les missions de l’entreprise. Y sont notamment inscrites les actions d’accompagnement au vieillissement, d’insertion et d’accueil de la demande d’asile.

En 2001, à la suite des graves inondations dans le département de la Somme et de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, la SONACOTRA est mandatée par l’État pour assurer la fourniture, l’acheminement, le montage et la gestion de structures provisoires d’hébergement des familles sinistrées. La SONACOTRA se voit désormais confier des opérations ponctuelles de logements et d’hébergement d’urgence.

En 2004, à la demande de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de Paris, la SONACOTRA aménage une structure d’accueil d’une capacité de 290 lits pour les sans-abri. Depuis, cette activité fait partie de la palette des savoir-faire de l’entreprise.

En 2005, la SONACOTRA signe avec l’État une convention pour faciliter l’accès au logement de 10 000 jeunes en insertion professionnelle. Par ailleurs, l’entreprise s’est engagée auprès de l’État, dans le cadre d’un nouveau contrat d’objectifs, à réhabiliter ou aménager ses bâtiments pour les adapter aux résidents âgés, à développer l’activité d’aménagement et de gestion d’aires d’accueil des gens du voyage et à pérenniser l’activité d’accueil de la demande d’asile.

En 2007, à l’occasion de son cinquantième anniversaire, la SONACOTRA devient Adoma.

Depuis 2007, pour lutter contre l’habitat indigne, Adoma construit et gère des logements d’urgence transitoires dans lesquels les occupants de logements insalubres peuvent résider durant la réhabilitation de leur immeuble, où séjourner dans l’attente d’un logement décent.

Organisation territoriale

Adoma est structurée sur un modèle déconcentré. Son réseau d’exploitation est organisé autour de cinq établissements répartis sur le territoire : Île-de-France, Nord-Est, Ouest, Rhône-Alpes et Méditerranée.

Chaque établissement est placé sous la responsabilité d’un directeur d’établissement qui a en charge la gestion des résidences, la maîtrise d’ouvrage, l’action commerciale, l’accompagnement social, les achats, la gestion du personnel et le contrôle budgétaire. Les directions territoriales, qui organisent les relations avec les partenaires locaux, sont chargées de relayer l’action régionale.

Répartition des logements Adoma (chiffres 2012)

– 313 résidences sociales, dont 6 foyers de jeunes travailleurs, soit 34 549 logements ;

– 29 pensions de famille, soit 617 logements ;

– 186 foyers de travailleurs migrants, soit 33 826 logements ;

– 120 structures d’accueil pour demandeurs d’asile, soit 8 154 places ;

– 25 centres de stabilisation et d’hébergement d’urgence, soit 1 467 places ;

– 51 aires d’accueil des gens du voyage, soit 1 275 places.

Source : Adoma.

Par ailleurs, nombre d’immigrés aujourd’hui présents en foyer y vivent depuis longtemps. D’après le seizième rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, « parmi les hommes immigrés résidant en FTM en 1999, 8 sur 10 y étaient déjà en 1974 » (70). La situation est toutefois différente selon qu’il s’agit de l’immigration maghrébine ou subsaharienne : si la moitié des immigrés maghrébins résidant en foyer en 1999 y vivait déjà en 1969, seul un dixième des immigrés d’Afrique subsaharienne se trouvait dans cette situation. Même si ces chiffres sont relativement anciens, ils témoignent parfaitement de la situation de nombreux résidents de foyer essentiellement originaires d’Afrique qui vieillissent à présent « dans les murs » (71).

Les visites que la mission a effectuées ont permis de confirmer ce constat. Les témoignages recueillis au foyer « Les Grésillons » de Gennevilliers – parmi lesquels ceux d’hommes respectivement présents depuis quarante-deux et trente-sept ans – en sont de bons exemples. D’ailleurs, on observe que, pour « de nombreux résidents, âge et durée de vie au foyer renseignent sur l’année d’arrivée en France. En sélectionnant le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, les deux régions qui ont fourni l’essentiel des migrants logés en FTM, on voit apparaître la grande proximité de l’ancienneté en France et de l’âge des résidents » (72). Autrement dit, pour nombre d’immigrés, le foyer a constitué la première et unique étape résidentielle en France.

L’enracinement au sein des foyers s’explique, pour beaucoup d’hommes « célibatairisés », par la modicité de leurs ressources, réduites au moment du passage à la retraite et continûment amputées par l’envoi de sommes d’argent à la famille restée au pays. Un grand nombre d’immigrés vieillissant en foyer souffre ainsi d’une précarité aggravée par le passage à la retraite, vécu dès lors comme une étape fragilisante : « Au plan économique, la plupart se retrouvent plus démunis après leur passage à la reraite. Les carrières professionnelles hâchées, incomplètes, les absences de contrat de travail, une plus grande vulnérabilité face au chômage, à la crise économique qui a touché les secteurs et les postes dans lesquels ils étaient fortement représentés (industrie automobile, métallurgie, etc.) sont autant d’aléas qui influencent négativement la reconstitution de carrière » (73).

Au plan social, le passage à la retraite constitue également une étape douloureuse. À l’apparition ou au développement de pathologies diverses, notamment liées aux métiers exercés, s’ajoute un isolement croissant, la fin de l’activité s’accompagnant parfois de l’amenuisement des relations humaines. Dans ces conditions, l’absence de la famille apparaît logiquement plus pesante. De surcroît, l’inactivité peut conduire les immigrés « célibatairisés » à s’interroger sur la légitimité de leur maintien en France et à développer une forme de culpabilité envers leur famille restée au pays. On constate d’ailleurs qu’une part significative d’immigrés âgés souffrent de dépression, ainsi que l’a rappelé devant la mission M. Bernard Montagnon, conseiller santé du secrétaire général à l’immigration et à l’intégration.

Le maintien en foyer a toutefois d’autres explications que la simple précarité financière. D’après Mme Catherine Wihtol de Wenden, un grand nombre d’immigrés vieillissants reste en France de peur que le retour soit perçu comme un échec par la famille. Au « retour-échec » que tous veulent éviter, se substitue souvent l’« installation-échec », solution par défaut pour des personnes qui, pour certaines d’entre elles, ne se sentent chez elles ni en France ni dans leur pays d’origine (74). Le maintien en foyer s’expliquerait aussi parce qu’il permet la « poursuite d’un mode de vie auquel les chibanis se sont adaptés ». En outre, « le FTM présente l’intérêt d’un habitat collectif, rassurant pour des célibataires, au moins géographiques, qui y ont constitué leur deuxième famille » (75).

Même s’ils font le choix de demeurer en foyer, de nombreux immigrés âgés continuent de se rendre dans leur pays d’origine, parfois plusieurs fois par an. Si elle est parfaitement légitime, la pratique de la « navette » pose néanmoins un certain nombre de difficultés, tant pour les immigrés que pour les gestionnaires de logements-foyers. Ces difficultés ne tiennent d’ailleurs nullement à la nationalité des personnes mais bien à la délicate conciliation entre ce mode de vie et certaines règles de nature fiscale et sociale.

D’une part, les personnes percevant des prestations sociales non contributives ne peuvent prolonger leur séjour à l’étranger au-delà d’une durée fixée par voie réglementaire – quatre mois lorsqu’elles bénéficient de l’APL, six mois lorsque l’ASPA leur est versée. Elles ne peuvent donc pas toujours séjourner dans leur pays d’origine autant qu’elles le souhaiteraient, sauf à perdre le bénéfice de ces prestations, voire à rembourser d’éventuels versements indus.

À la suite de contrôles organisés dans les foyers, dont certaines personnes entendues par la mission ont souligné le caractère discriminatoire, des résidents ont été obligés de rembourser une part des sommes perçues au titre de ces prestations. Or, les sommes à rembourser ont pu atteindre des montants importants, supérieurs aux capacités financières des personnes concernées. Afin de contourner cette difficulté, les remboursements ont parfois été échelonnés sur de très nombreuses années, de manière totalement irréaliste, ce qui ne saurait constituer une solution acceptable.

D’autre part, en raison de l’absence temporaire des résidents, de nombreux logements restent vacants une partie de l’année, même si des dispositifs de location alternée se développent (voir encadré ci-dessous). Dans les régions souffrant d’un manque de logements – et notamment de logements sociaux –, cela constitue assurément une situation peu satisfaisante.

LA LOCATION ALTERNÉE : L’EXPÉRIENCE DANS LES FOYERS COALLIA (1)

Face au mode de vie d’une part de leurs résidents, plusieurs foyers Coallia ont fait le choix de réserver certaines chambres aux personnes pratiquant la « navette » entre la France et leur pays d’origine.

Au foyer de Colombes, trente chambres sont concernées. La durée annuelle de location par résident est de trois mois, soit une alternance de quatre résidents par chambre par an. Chaque résident est titulaire d’un contrat d’une année. Les résidents ont la charge de leurs effets personnels et de leurs courriers.

À la résidence sociale de Gennevilliers, six chambres sont concernées. La durée annuelle de location par résident est de 4 mois, soit une alternance de trois résidents par chambre par an. Chaque résident est titulaire d’un contrat d’une année. Une bagagerie est mise à disposition des personnes bénéficiant d’une « chambre navette ».

Le dispositif de « chambres navettes » se heurte toutefois à plusieurs difficultés de gestion pratique et de réglementation :

– il nécessite une souplesse de fonctionnement, car la durée de séjour à l’étranger des résidents est aléatoire et peut être modifiée en cas de retour précipité ou d’absence prolongée. Par ailleurs, la planification des séjours peut être compliquée lorsque les résidents ne se connaissent pas ;

– il ne permet pas aux résidents qui en profitent de bénéficier de certaines prestations sociales non contributives, comme l’ASPA ou l’APL, si leur durée de séjour à l’étranger excède la durée de résidence imposée. La location alternée s’adresse par conséquent en priorité aux résidents les plus aisés ;

– il implique aussi la mise en place d’un contrat dérogatoire au droit commun du code de la construction et de l’habitation, dont le statut juridique est incontestablement fragile.

(1) Cette expérience est mentionnée dans le seizième rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, juillet 2010, pp. 24-25.

• Des conditions de vie inadaptées et dégradées

Les foyers offrent des conditions de logement inadaptées au public accueilli, et notamment aux résidents les plus âgés. Déjà mise en lumière par Mme Françoise Bas-Théron et M. Maurice Michel dans leur rapport de 2002 sur Les immigrés vieillissants, l’inadaptation des locaux tant individuels que collectifs est aujourd’hui patente. Les foyers, déjà marqués au moment de leur construction par leur manque de confort, apparaissent aujourd’hui comme de véritables « sous-logements » (76).

Si les chambres de 4,5 mètres carrés – dans lesquelles ont vécu de nombreux immigrés, essentiellement maghrébins, pendant quarante ou cinquante ans – ont à présent quasiment disparu, la superficie des logements demeure dans l’ensemble très faible. À l’occasion de son déplacement dans le Rhône, la mission a d’ailleurs visité plusieurs chambres de 7,5 mètres carrés, dans lesquelles seuls un lit, une petite table et une chaise peuvent être installés. Légèrement plus spatieuses, les chambres du foyer « Les Grésillons » de Gennevilliers n’en restent pas moins totalement inadaptées à une population vieillissante.

Aujourd’hui, nombre d’immigrés âgés vivant en foyer souffrent de pathologies diverses, liées à leurs conditions de travail, et deviennent dépendants de façon précoce. Votre rapporteur a déjà insisté sur ces points. Il souhaite néanmoins souligner que l’inadaptation du bâti des foyers rend très délicate la prise en charge sanitaire de ce public. L’exigüité des chambres
– lorsqu’elles sont individuelles – et le manque d’intimité – lorsque plusieurs résidents partagent une chambre – expliquent le faible recours des immigrés vieillissants aux services d’aide à domicile, dont certains auraient pourtant cruellement besoin.

S’il peut y avoir des résistances psychologiques de la part des résidents, il est aussi exact que les services d’aide à domicile méconnaissent bien souvent les conditions de vie en foyer, comme l’a fait remarquer M. Bernard Lacharme, ancien secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. M. Gilles Desrumaux, délégué général de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), a quant à lui rappelé que le bénéfice de l’aide à domicile a longtemps été refusé, dans certains départements, aux personnes résidant en foyer. Cette situation, qui n’a heureusement plus cours, témoigne toutefois de la distance latente qui existe entre les résidents de foyer et les dispositifs sociaux de droit commun.

Il ressort des témoignages reccueillis par la mission que des personnes lourdement handicapées et donc très dépendantes ne peuvent parfois plus sortir de leur chambre et ne bénéficient d’aucune prise en charge adaptée. Les résidents du foyer « Le Mas » de Vaulx-en-Velin ont à ce propos expliqué que l’entraide était parfois la seule solution pour améliorer le quotidien des personnes handicapées isolées. Cette situation est bien évidemment préoccupante.

Il semble ainsi que les initiatives visant à remédier à la très imparfaite prise en charge de la dépendance au sein des foyers, comme la convention-cadre conclue par la CNAV et Adoma, demeurent insuffisantes. L’enquête réalisée en 2005 par Adoma, au terme de laquelle il était apparu qu’un résident sur dix nécessitant une aide à domicile en bénéficiait réellement, en est une bonne illustration (77).

L’usure des équipements au sein des foyers est patente et l’état de propreté très aléatoire, ce que la mission a d’ailleurs constaté en se rendant sur place. Certains résidents du foyer « Les Grésillons » de Gennevilliers se sont plaint des conditions d’hygiène, estimant qu’elles relevaient d’un autre âge. Ils ont aussi déploré les pannes répétées des ascenseurs. D’après Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), les foyers d’Île-de-France gérés par Adoma, Coallia et l’ADEF seraient dans l’ensemble très mal entretenus et mal réparés.

La dégradation de ces établissements est d’autant plus marquée que certains d’entre eux connaissent une suroccupation importante. En 2005, les « foyers parisiens abritaient près de 8 500 résidents en titre et près de 6 000 surnuméraires, soit un taux de suroccupation moyen de près de 70 % » (78). Plutôt circonsrite aux foyers d’Île-de-France, la suroccupation constitue un obstacle considérable au maintien de règles d’hygiène et de sécurité satisfaisantes. Elle provoque également des surconsommations (eau, électricité, etc.) et entraîne une usure accélérée des bâtiments, comme l’a souligné M. Jean-Marie Oudot, directeur général de Coallia.

Par ailleurs, les espaces collectifs de certains foyers sont le lieu d’activités commerciales « informelles », telles que la restauration, la vente de produits alimentaires ou d’hygiène, de vêtements, la coiffure, etc. Échappant au contrôle du gestionnaire, ces activités se situent en dehors des cadres réglementaires qui les régissent, sont exercées « en dehors de toute convention de mise à disposition des locaux » (79) et peuvent également soulever d’importants problèmes d’hygiène et de sécurité. Par exemple, à la suite de la visite de la commission communale de sécurité au foyer « Manoukian » de Vitry-sur-Seine, les locaux abritant tout un ensemble d’activités commerciales ont dû être fermés en raison du danger présenté par des branchements électriques anarchiques, l’accumulation de matériaux inflammables ou encore l’absence de détecteurs et de portes coupe-feu.

Même si ces activités procurent un emploi à des personnes qui en sont dépourvues et permettent aux résidents d’accéder à certains biens et services à des prix inférieurs aux prix du marché, il n’en demeure pas moins que « le foyer n’est pas une zone extraterritoriale où les lois françaises ne pourraient pas s’appliquer », comme le rappelle justement le seizième rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (80). Aussi, votre rapporteur estime qu’il conviendrait d’encadrer strictement les activités économiques susceptibles d’être tolérées au sein des foyers et de mettre fin à celles n’y ayant pas leur place.

De manière plus préoccupante, il arrive aussi que les foyers servent de refuge à des activités affectant bien davantage le cadre de vie, telles que la prostitution ou le trafic de stupéfiants. Il ressort ainsi de plusieurs témoignages que certains foyers dépourvus de dispositifs de surveillance, essentiellement situés en Île-de-France, connaissent de sérieux problèmes de sécurité. Des occupants sans titre s’installent parfois dans les espaces collectifs et n’hésitent pas à voler et à agresser les résidents. Bien entendu, il ne saurait être toléré que la sécurité d’hommes vieillissants et vulnérables soit mise en cause par des personnes dont la présence dans les foyers est injustifiée. Il apparaît dès lors indispensable de mettre un terme à ce type de situations dans les meilleurs délais.

3. Des améliorations insuffisantes

• Un plan de traitement salutaire

Face à la dégradation des conditions de vie au sein des foyers et au vieillissement d’une part significative de leurs résidents, les pouvoirs publics ont mis en place, dès 1997, un plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) destiné à transformer ces établissements en résidences sociales. Il s’agissait en effet de remettre à niveau les équipements sanitaires et l’état des bâtiments, mais aussi de mettre fin aux « situations indignes d’entassement » (81) liées à la superficie des chambres ainsi qu’à la suroccupation des locaux, ou encore de mieux prendre en compte les besoins de résidents de plus en plus âgés.

NOMBRE DE STRUCTURES PAR TYPE DE LOGEMENT

Source : UNAFO, enquête « gestionnaires » 2012.

Aux termes de la convention du 14 mai 1997 conclue entre l’État et l’Union d’économie sociale pour le logement (UESL), 326 foyers – sur environ 680 recensés – devaient faire l’objet d’un traitement prioritaire dans le cadre d’un plan quinquennal. Toutefois, entre 1997 et 2001, seuls 111 projets de traitement opérationnel avaient été retenus (82). À la fin de l’année 2004, la moitié du plan de traitement lancé en 1997 avait été réalisée (83). En 2006, en préparation de la prorogation du plan de traitement, un nouveau recensement des FTM susceptibles d’être traités au cours de la période 2007-2013 a été effectué. Ce dernier a permis de recenser 210 FTM – dont certains avaient déjà été identifiés en 1997 – parmi lesquels 130 devaient faire l’objet d’un traitement prioritaire.

Votre rapporteur reviendra plus loin sur les causes et les conséquences du retard accumulé par le plan de traitement mais il souhaite cependant d’ores et déjà rappeler qu’à la fin de l’année 2012, 258 foyers ont été transformés en résidences sociales ou doivent l’être après travaux et 62 foyers ont été agréés sans travaux, d’après les chiffres transmis à la mission par la CILPI (voir graphique ci-dessous pour la répartition géographique des foyers transformés). Parmi les premiers, tous n’ont donc pas encore fait l’objet d’une réhabilitation à cette date. Au total, seuls 47 % des 680 foyers recensés en 1997 ont fait l’objet d’une transformation en 2012.

POURCENTAGE DE FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS
TRANSFORMÉS PAR RÉGION DE 1997 À 2012

Source : Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées.

La transformation des foyers en résidences sociales – qui n’est possible que si les premiers répondent à des normes de construction et présentent un projet social – se traduit néanmoins par l’amélioration des conditions de vie des résidents. Tout d’abord, elle conduit à une augmentation de la surface des logements. Si les foyers comprenaient essentiellement des chambres de 4,5 et 7,5 mètres carrés (ainsi qu’un certain nombre de dortoirs qui, pour certains d’entre eux, existent toujours), les résidences sociales ne peuvent proposer de logements dont la superficie serait inférieure à 12 mètres carrés – s’il s’agit d’un logement neuf – et à 10,80 mètres carrés – s’il s’agit d’une acquisition-amélioration (84).

Les résidences sociales proposent par ailleurs des logements plus autonomes, équipés par exemple de salles de bain et de kitchenettes, et plus adaptés au vieillissement des populations. Ainsi, tous les locaux de services collectifs ou à usage commun, y compris les zones de circulation, doivent, dans les logements-foyers nouvellement construits, être accessibles aux personnes handicapées. En cas d’acquisition-amélioration, cela doit être réalisé dans la mesure du possible.

À l’occasion de sa visite de la résidence sociale Adoma « Les Peupliers » de Woippy (voir encadré ci-dessous), la mission a constaté que les conditions de logement y étaient meilleures que dans les anciens foyers de travailleurs migrants. La superficie des chambres – de 15 mètres carrés pour celles situées dans les unités de vie à 18 mètres carrés pour les studios – et l’accessibilité des locaux aux personnes handicapées offrent par exemple des conditions de vie plus adaptées au public accueilli, ce que les résidents ont d’ailleurs reconnu devant la mission.

UN EXEMPLE DE RÉSIDENCE SOCIALE : « LES PEUPLIERS » DE WOIPPY (ADOMA)

Principales caractéristiques

– 174 logements (tous conventionnés à l’aide personnalisée au logement) ;

– 137 unités de vie d’une superficie de 15 m2 et 37 studios d’une superficie de 18 m;

– 167 ménages ;

– 60 % de résidents de plus de cinquante-cinq ans et 57 % de plus de soixante ans ;

– 158 hommes isolés au 31 décembre ;

– 52 hommes isolés entrés au cours de l’année.

Équipements

– salle d’activités ;

– cuisines collectives ;

– douches collectives ;

– machines à laver ;

– boites à lettres individuelles ;

– téléphone public ;

– garages et parking.

Source : bilan annuel 2011 de la résidence sociale Adoma « Les Peupliers ».

La transformation des foyers en résidences sociales permet aussi à ces dernières de bénéficier de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS), versée par les services déconcentrés du ministère des affaires sociales et de la santé – l’aide représente 11 millions d’euros en 2013 (85) – et conditionnée par la mise en place, par le gestionnaire, de réponses spécifiques aux besoins des populations.

Cette aide a pour objet, aux termes de la circulaire du 31 août 2000 (86), de :

« – favoriser la bonne intégration des nouveaux résidents, notamment lorsqu’ils sortent de conditions de vie particulièrement difficiles ou qu’ils présentent un profil hétérogène par rapport à la population habituelle de la résidence ;

« – faire face aux incidents qui peuvent se produire dans la vie quotidienne d’un site collectif de cette nature ;

« – soutenir les résidents dans les démarches qu’ils effectuent pour accéder au logement ordinaire, grâce aux contacts noués avec les bailleurs publics et privés ;

« – assurer les liaisons nécessaires avec les services sociaux pour que les résidents bénéficient des dispositifs de droit commun. Cela s’applique en particulier aux personnes immigrées vieillissantes, qui doivent pouvoir accéder à l’ensemble des prestations que leur état requiert. »

En 2012, 183 résidences sociales issues de la transformation de foyers de travailleurs migrants bénéficient de l’aide à la gestion locative sociale (87), dont le montant varie en fonction du nombre de logements, des moyens en personnel dont dispose la structure et des difficultés constatées dans la vie de la résidence sociale. Aux termes de la circulaire du 31 août 2000, le montant versé au titre de cette aide s’inscrit dans les plafonds annuels suivants :

– 75 000 francs, soit environ 11 430 euros, par structure de moins de 50 logements ;

– 125 000 francs, soit environ 19 050 euros, par structure comportant de 50 à 100 logements ;

– 150 000 francs, soit environ 22 870 euros, par structure de plus de 100 logements.

Plus de dix ans après sa création, la gestion locative sociale est devenue « une pratique professionnelle bien ancrée dans les résidences sociales. Elle contribue à un accueil personnalisé des résidents, à la mise en place d’un cadre de vie et de concertation adapté à la semi-collectivité des résidences, au développement d’actions de prévention et d’animation qui favorisent l’autonomie des personnes, à l’établissement de liens avec l’environnement et les dispositifs de droit commun… La gestion locative sociale permet en particulier de coller au plus près des besoins des résidents, en fonction de leurs problématiques spécifiques, qu’il s’agisse d’accompagner des migrants âgés dans leur vieillissement ou de participer au déroulement des parcours résidentiels des nouveaux publics accueillis » (88).

Si l’existence de l’AGLS ne saurait être mise en cause, sans doute faudrait-il toutefois réfléchir à apporter au cadre juridique en vigueur quelques ajustements. Votre rapporteur y reviendra plus loin.

• Des difficultés nouvelles

Si nécessaire soit-elle, la transformation des foyers en résidences sociales ne saurait toutefois être considérée comme le remède à l’ensemble des problèmes rencontrés par les immigrés vieillissants qui y résident. Elle s’est même parfois traduite par l’apparition de difficultés nouvelles pour ces derniers.

En premier lieu, cette transformation entraîne une revalorisation des redevances, conséquence des investissements réalisés par les bailleurs. Alors que ce montant était généralement modique au sein des anciens foyers – entre 150 et 350 euros par mois –, il est généralement plus élevé dans les résidences sociales. Même s’ils perçoivent l’APL, les résidents voient leur « reste à charge » augmenter et doivent par conséquent consacrer une part plus importante de leurs ressources au logement.

Votre rapporteur a déjà souligné les difficultés financières éprouvées par nombre d’immigrés vieillissants. Certains d’entre eux ont d’ailleurs fait le choix de ne pas vivre en résidence sociale afin, notamment, de continuer à envoyer de l’argent dans leur pays d’origine. Plusieurs résidents du foyer « Les Peupliers » de Woippy ont ainsi préféré loger dans l’habitat diffus plutôt que de demeurer au sein de l’établissement après sa transformation.

Aussi apparaît-il clairement que l’augmentation du montant des redevances constitue un frein au maintien des immigrés âgés les plus précaires dans leur logement, au sein duquel ils vivent parfois depuis plusieurs décennies. Votre rapporteur partage en la matière l’analyse du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, selon lequel « une augmentation du reste à charge de 20 euros peut devenir rédhibitoire pour un vieux travailleur qui continue d’envoyer de l’argent à ses proches restés au pays » (89).

En deuxième lieu, la transformation des foyers s’accompagne d’une diversification des publics accueillis, parfois à l’origine de problèmes de cohabitation. D’après les chiffres d’une étude menée pour l’UNAFO par le cabinet FORS, citée par le rapport précité du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, il ressort que, dans les résidences sociales issues de FTM, les nouveaux publics sont de plus en plus présents même s’ils demeurent minoritaires.

De leur côté, les personnes vivant en résidence sociale non issues de FTM sont dans l’ensemble plus « précarisées » et plus jeunes. D’après l’étude précitée, plus d’un tiers bénéficient de minima sociaux, 13 % sont en recherche d’emploi, et les salariés – représentant 25 % des personnes concernées – ont le plus souvent « une activité irrégulière » (90). Par ailleurs, si les résidences sociales accueillent 82 % de personnes isolées, on y trouve 11 % de familles monoparentales, 4 % de couples sans enfant et 3,5 % de couples avec enfants (91). En outre, 24 % des résidents sont des femmes (92).

À la lumière de ces quelques chiffres, il apparaît que les résidences sociales accueillent un public nettement plus divers que les foyers de travailleurs migrants, à plus forte raison lorsqu’elles ne sont pas issues de leur transformation (voir graphique ci-dessous pour la répartition des résidents par nature d’activité). Si celles qui en sont issues présentent davantage de similitudes avec les anciens foyers, il est probable que les résidences sociales considérées dans leur ensemble accueilleront dans les prochaines années des publics de plus en plus hétérogènes, ce qui implique de prendre toute la mesure des problèmes de cohabitation existants.

RÉPARTITION PAR NATURE D’ACTIVITÉ DES RÉSIDENTS
DE FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS ET DE RÉSIDENCES SOCIALES

Source : UNAFO, enquête « gestionnaires » 2012.

La mixité sociale initialement recherchée, a priori souhaitable, n’a ainsi pas toujours été sans poser des difficultés d’adaptation aux immigrés vieillissants. La grande précarité de certains résidents souffrant, entre autres, d’addictions ou de troubles psychologiques ou l’augmentation de la part des femmes et des familles au sein des résidences sociales ont indiscutablement transformé l’environnement des immigrés âgés, créant parfois des situations d’incompréhension et de tension. La mission a d’ailleurs pu mesurer combien les préoccupations et les attentes des résidents de foyer pouvaient diverger en raison de leur âge. Fort logiquement, les résidences sociales connaissent des difficultés similaires.

Destinées à accueillir un public hétérogène, ces dernières correspondent en réalité trop souvent à des « fourre-tout de la misère sociale », selon les termes vigoureux de Mme Geneviève Petauton. La mission s’en est aperçue à l’occasion de son déplacement en Moselle. Si la résidence « Les Peupliers » accueille nombre d’immigrés vieillissants, la résidence « La Roseraie », située à proximité, loge un public plus hétérogène et dans l’ensemble précaire. Les problèmes d’insécurité et d’incivilité n’ont pas disparu des résidences sociales, les immigrés vieillissants continuant d’être la cible de résidents peu scrupuleux, voire de personnes extérieures mal intentionnées.

En troisième lieu, l’autonomisation du mode de vie des résidents, conjuguée à la diminution des espaces collectifs, se traduit hélas par l’accroissement de l’isolement et du repli sur soi d’une partie des immigrés âgés, devenus de plus en plus « invisibles », comme l’a souligné Mme Catherine Delcroix-Howell, responsable du développement social d’Adoma Rhône-Alpes et référente du réseau de santé INTERMED. Si cette autonomisation constitue certainement un progrès, il n’en reste pas moins qu’elle a parfois été réalisée au détriment du maintien d’espaces partagés – comme les cuisines et les salles de repas par exemple. Votre rapporteur regrette cette évolution et considère qu’il conviendrait de s’assurer que la transformation des foyers ne conduise pas à la rupture des liens humains au sein des établissements. Il formulera plus loin des propositions en ce sens.

LES FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS ET LES RÉSIDENCES SOCIALES : QUELQUES DONNÉES ISSUES DE L’ENQUÊTE « GESTIONNAIRES » 2012
DE L’UNAFO

Le champ du logement accompagné vise à permettre l’insertion par le logement de ménages qui ne remplissent pas, temporairement ou durablement, les conditions pour accéder à un logement autonome, sans avoir cependant besoin d’un accompagnement global renforcé du type de celui proposé dans les structures d’hébergement. Selon les données fournies par l’UNAFO, union professionnelle rassemblant 83 gestionnaires, les foyers de travailleurs migrants (FTM) continuent de représenter une part substantielle de ce champ.

Les résidences sociales (RS) représentent 50 % des 903 sites répertoriés par l’UNAFO au 31 décembre 2011, les 294 FTM en représentent près du tiers, loin devant les foyers de jeunes travailleurs (FJT), les pensions de famille / résidences accueil et les logements banalisés.

Les FTM ont une capacité moyenne par site élevée, de 181 logements contre 100 logements en moyenne pour les résidences sociales. Ils représentent 47 % de l’offre de logement accompagné contre 42 % pour les résidences sociales et 10 % pour les foyers de jeunes travailleurs.

La part des FTM destinés à loger des travailleurs migrants issus d’États tiers à l’Union européenne se traduit logiquement dans la part des résidents de nationalité étrangère : 39 % sont originaires du Maghreb et 20 % originaires d’Afrique subsaharienne. Dans certains foyers, cette part peut être nettement plus élevée.

Les résidences sociales sont, dans 57 % des cas, elles-mêmes issues de la transformation de FTM ou de FJT. Cela explique que la capacité moyenne par site s’élève à 100 logements, alors qu’elle est moins élevée dans les résidences sociales construites ex nihilo.

68 % des logements gérés sont des chambres : elles comportent un lit dans la quasi-totalité des cas mais 3,5 % des logements sont encore des chambres à deux lits et 1,6 % des chambres à trois lits.

62 % des logements en résidences sociales créées ex nihilo sont autonomes (principalement des T1) alors que les résidences sociales issues des foyers de travailleurs migrants comprennent majoritairement des chambres.

Les structures de logement accompagné ne sont pas réservées aux ménages allocataires de minima sociaux mais logent des personnes dont l’activité et les revenus sont variés, dans le respect des plafonds de ressources des logements financés avec des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) : 28 % sont en contrat à durée indéterminée (CDI), 11 % sont demandeurs d’emploi, 21 % sont sans activité, 4 % sont étudiants.

29 % des résidents de l’ensemble du secteur du logement accompagné sont des retraités. Ils sont concentrés dans les FTM.

Aujourd’hui, de nombreux immigrés âgés vivent dans des conditions difficiles, voire précaires. « Oubliés » par les politiques publiques, selon le terme employé par plusieurs personnes entendues par la mission, ils sont aussi trop souvent isolés, en particulier lorsqu’ils vivent en logements-foyers. Face à cette situation choquante, il faut à présent réorienter nos politiques publiques afin d’offrir à ces personnes les conditions d’une vieillesse digne, qu’elle soit vécue en France, dans le pays d’origine, ou entre les deux.

III.– DES POLITIQUES PUBLIQUES RÉORIENTÉES DOIVENT AMÉLIORER SIGNIFICATIVEMENT
LA SITUATION DES IMMIGRÉS ÂGÉS

La situation des immigrés âgés est révélatrice de la difficulté pour la France de se comprendre comme société d’immigration.

Longtemps, la condition des immigrés vieillissants a été reléguée au rang de préoccupation secondaire par les pouvoirs publics. Les progrès réalisés depuis quelques années, qui ne doivent pas être passés sous silence, sont à mettre au regard de l’ampleur des défis que les pouvoirs publics ont le devoir de relever.

C’est à l’aune de ce devoir qu’il faut désormais repenser l’action publique à destination des immigrés vieillissants.

Tout d’abord, la refondation de la politique d’intégration ne peut aller sans la reconnaissance du rôle des immigrés dans l’histoire nationale, de laquelle leur histoire n’est qu’artificiellement séparée. Hautement symbolique, ce travail de mémoire est aussi un préalable à l’amélioration de la condition sociale des immigrés âgés. C’est en effet parce que les immigrés, qu’ils soient devenus français ou non, sont une composante essentielle de notre société que celle-ci doit leur garantir les conditions d’une vieillesse digne.

La réussite de cette ambition passe par la transformation de leurs conditions de logement, et notamment par la disparition des foyers de travailleurs migrants au profit de structures mieux adaptées aux besoins des résidents. Elle implique aussi le rapprochement de ce public des dispositifs sociaux de droit commun, de façon à le faire bénéficier des politiques sociales et sanitaires mises en place pour les personnes âgées en général. Elle impose enfin de laisser à ces personnes le choix de vivre leur vieillesse plus librement entre la France et le pays d’origine afin qu’elles se sentent réellement chez elles « ici » et « là-bas ».

A. PROMOUVOIR UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AU SERVICE D’UNE MEILLEURE INTÉGRATION

1. Inscrire pleinement l’histoire de l’immigration dans l’histoire nationale

Il paraît malaisé, pour ne pas dire vain, de vouloir favoriser l’intégration des plus jeunes sans reconnaître préalablement aux anciens la place qui leur revient dans notre société. C’est pourquoi votre rapporteur fait siennes les préconisations formulées par M. Thiery Tuot dans son rapport sur la refondation des politiques d’intégration, consistant à démontrer à tous ceux qui ne reconnaissent pas la France comme leur pays, alors qu’ils y sont pourtant souvent nés, que leurs parents et grands-parents sont des membres à part entière de la communauté nationale, parce qu’ils ont participé à la défense de la Nation, à la libération du territoire, à la reconstruction du pays et qu’ils continuent à jouer un rôle social, notamment dans les quartiers sensibles.

Il est vrai que, depuis 1945, la République s’affiche, dans ses lois en matière d’entrée, de séjour et d’accès à la nationalité, comme un pays d’immigration sans distinction selon l’origine ou la nationalité.

Mais l’histoire de l’immigration en provenance des pays tiers à l’Union européenne atteste d’une relation difficile à ces migrants et sa relative méconnaissance traduit l’absence de prise de conscience du fait que la France est une société d’immigration. L’absence relative de reconnaissance est le legs de l’approche initiale qui récusait aux immigrés des colonies ou anciennes colonies toute vocation à appartenir à la Nation. Si le manque de reconnaissance de la participation des immigrés à l’histoire de France doit être une parenthèse, celle-ci n’est pas encore fermée.

Selon l’INSEE, la part des immigrés devenus français dans la population totale a été multipliée par huit en un siècle. Si, depuis 1918, la proportion d’étrangers en France varie entre 3 % et 6 %, la proportion d’immigrés varie entre 5 % et 8 % et progresse plus vite, car le nombre de Français par acquisition, peu élevé avant 1939, n’a cessé d’augmenter depuis lors.

POPULATION FRANÇAISE ET PART DES IMMIGRÉS

Champ : France métropolitaine jusqu’en 1982, France à partir de 1990.

Source : Gérard Bouvier, Immigrés et descendants d’immigrés en France, INSEE, édition 2012, p. 16.

Sans interruption depuis 1945, la France s’est singularisée parmi les pays européens en établissant des voies libérales d’accès à la nationalité française pour les immigrés résidant de façon durable sur son sol, comme gage d’insertion dans la communauté nationale.

Depuis le XIXe siècle au moins, l’immigration est constitutive de l’histoire de France. Un quart des Français ont aujourd’hui au moins un de leurs grands-parents d’origine étrangère. Cette proportion atteint près de 40 % à la quatrième génération d’ascendants.

Pourtant, comme la indiqué à la mission M. Ahmed Boubeker, professeur de sociologie à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, l’histoire de « ces hommes invisibles », les immigrés du travail issus des pays tiers, n’a « jamais été intégrée au patrimoine national ».

Reconnaître ce chapitre du récit national est, pour votre rapporteur, une marque de reconnaissance indispensable envers les immigrés âgés et un préalable nécessaire à toute politique publique efficace. La contribution des intervenants dans les domaines de la recherche, de l’enseignement et de la culture est un gage de la pérennité de notre volonté d’accueil et d’intégration. La culture permet de déconstruire les représentations qui nourrissent les préjugés et les stéréotypes dont procèdent le racisme et les discriminations.

Mme Naïma Charaï a présenté devant la mission une « doctrine » de la mémoire de l’immigration que votre rapporteur partage. Il s’agit de « valoriser les apports historiques des anciens et favoriser le lien intergénérationnel [afin de] permettre aux jeunes descendants de migrants en situation difficile de mobiliser des ressources propres à leur histoire et à celle de leurs ancêtres et de leur famille ». Elle a souligné que, « pour que ces références puissent être appropriées, revendiquées, adoptées par les jeunes [il faut] qu’elles ne soient pas vécues comme honteuses ou frappées d’indignité, et qu’on ne réduise pas les valeurs et savoirs ainsi transmis à des stéréotypes négatifs, tentation récurrente qui affecte l’histoire des immigrés ».

a) Diffuser et valoriser le patrimoine de l’immigration

Pour écrire l’histoire des immigrés aujourd’hui âgés, il faut disposer de sources. La première forme de reconnaissance a consisté à les sauvegarder et les rassembler en leur accordant une valeur d’archive. Cette initiative est venue d’immigrés eux-mêmes, d’enfants d’immigrés et d’associations de soutien aux immigrés et a conduit à la création, en 1987, de l’association Génériques qui rassemble depuis lors les éléments constitutifs de l’histoire de l’immigration.

M. Djamel Oubechou, son président, a rappelé à la mission la crainte qui avait motivé les fondateurs que cette histoire ne soit « exclue de celle de notre pays ». L’association a notamment rassemblé une ample documentation sur les combats menés par les travailleurs immigrés. Elle a également réalisé un inventaire national des sources de l’histoire à partir des différents centres d’archives territoriales et des quatre centres d’archives nationales, dont le Centre d’archives du monde du travail de Roubaix. Ces ressources sont désormais accessibles depuis un portail en ligne Odysseo (93) qui permet d’identifier et de localiser les sources conservées dans le réseau des archives et des bibliothèques publiques, dans les médiathèques, musées ou chez des particuliers, dans des entreprises, des associations et des fondations. À partir de ce travail de référence, l’association lance des partenariats visant à établir l’inventaire des archives de l’immigration en Europe.

Votre rapporteur fait sienne la proposition de l’association Génériques de voir la France initier la création de « Journées européennes du patrimoine de l’immigration ».

Ce souci de l’histoire et de la structuration des savoirs sur la contribution de l’immigration à notre histoire a récemment trouvé un point d’ancrage dans le dernier « musée national » créé en France (article D. 421-3 du code du patrimoine). Le fait qu’il s’agisse du Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, qui a ouvert ses portes en 2007, n’est pas anodin.

La décision de création de ce musée, prise en 2003 en conseil interministériel pour l’intégration, trouve son origine dans une mobilisation ancienne de militants associatifs initiée à la fin des années 1980, notamment autour de l’association Génériques. Cette décision a été préparée par la remise au Premier ministre Lionel Jospin en 2001, par MM. Driss El Yazami et Rémy Schwartz, du rapport intitulé Pour la création d’un Centre national de l’histoire et des cultures de l’immigration.

La mission de préfiguration a été confiée en 2004 à M. Jacques Toubon et a abouti à la création de l’ « Établissement public de la Porte dorée-Cité nationale de l’histoire de l’immigration » (CNHI) par le décret n° 2006-1388 du 16 novembre 2006. Cet établissement associe un site à Paris et un réseau de partenaires institutionnels, associatifs, scientifiques sur tout le territoire national. Si le choix de l’emplacement du Palais de la Porte dorée a prêté à polémique, il établit un lien avec le passé colonial, le bâtiment ayant été construit à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931 et ayant abrité l’ancien Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie.

LES MISSIONS DE LA CITÉ NATIONALE DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION

Selon l’article 2 du décret n° 2006-1388 du 16 novembre 2006, modifié par le décret n° 2011-2008 du 28 décembre 2011, au titre du projet scientifique et culturel de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, l’établissement public est chargé de :

a) Concevoir et gérer le musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, chargé de conserver et de présenter au public des collections appartenant à l’État représentatives de l’histoire, des arts et des cultures de l’immigration, notamment au travers d’expositions temporaires ;

b) Conserver, protéger et restaurer pour le compte de l’État les biens culturels inscrits sur l’inventaire du musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration dont elle a la garde et contribuer à l’enrichissement des collections nationales par l’acquisition de biens culturels pour le compte de l’État, à titre onéreux ou gratuit ;

c) Recueillir dans un centre de ressources les documents et informations de toute nature, portant sur l’histoire et les cultures de l’immigration ainsi que sur l’intégration des personnes qui en sont issues, y compris dans leurs dimensions économique, démographique, politique et sociale, et les diffuser, notamment par voie numérique, aux publics et aux professionnels ;

d) Développer et animer sur l’ensemble du territoire un réseau de partenaires, constitué d’associations, de collectivités territoriales, d’institutions scientifiques et culturelles et de tout autre organisme public ou privé poursuivant des objectifs similaires.

Si le musée ne possédait pas de collections à sa création, il a progressivement rassemblé les matériaux permettant d’accueillir une exposition permanente qui raconte deux siècles d’histoire de l’immigration en France, dans une approche croisée des regards et des disciplines. Il présente en outre des expositions temporaires, actuellement Vies d’exil 1954-1962, Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie, dont M. Benjamin Stora et Mme Linda Amiri sont les commissaires scientifiques. Le centre documentaire, riche de 20 000 documents en accès libre, a été baptisée « Médiathèque Abdelmalek Sayad », en hommage au grand sociologue de la migration de travail, disparu en 1998.

L’établissement public de coopération culturelle (EPCC) du Palais de la Porte dorée est placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés de l’intégration, de la culture, de l’éducation nationale et de la recherche. En 2012, le budget de fonctionnement de la CNHI s’établit à 6,5 millions d’euros, en dépenses comme en recettes.

La cotutelle se traduit par un financement important du ministère de l’intérieur sur le programme budgétaire 104 « Intégration et accès à la nationalité française », 2,6 millions d’euros en 2013, supérieur au financement provenant du ministère de la culture et de la communication, au titre du programme budgétaire 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » (1,9 million d’euros en 2013). La participation du ministère chargé de l’enseignement supérieur atteint 1,2 million d’euros en 2013 au titre des programmes budgétaires 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires ». Le ministère de l’éducation finance les contributions du public scolaire.

Selon votre rapporteur, ce cumul de participations illustre le rôle pivot de la mémoire et de l’histoire de l’immigration : établir et valoriser des savoirs sur l’immigration permet d’atteindre des objectifs tant en matière d’intégration que de démocratisation culturelle. La reconnaissance envers les plus âgés est un outil culturel et éducatif envers les plus jeunes. Votre rapporteur souligne donc la nécessité de consolider pour les années à venir les crédits accordés à l’établissement.

Sur environ six cents projets concernant l’histoire et la mémoire de l’immigration en France menés par la Cité avec un réseau d’associations dans toute la France, soixante-neuf concernent les immigrés âgés.

Votre rapporteur estime que l’objectif d’enrichissement des collections doit être poursuivi et ne pas se limiter à la valorisation de l’histoire du site et à sa dimension patrimoniale. Il convient en particulier de poursuivre le déploiement de l’exposition permanente « Repères » de la CNHI qui contribue à faire évoluer la représentation de l’immigration et souligner son apport à la société française.

Depuis l’ouverture de la Cité nationale en 2007, aucun ministre n’y avait pris la parole publiquement : votre rapporteur se félicite du fait que Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, ait été la première à le faire le 31 août 2012.

Votre rapporteur suggère en outre que le ministère de la culture et de la communication initie une action d’identification de « lieux de mémoire » de l’immigration. On se souvient que l’architecte Jean Nouvel avait, en 1999, appelé à préserver la mémoire ouvrière de Renault-Billancourt, en ne rasant pas le bâtiment de l’île Seguin (94). Sans doute, une société en mouvement ne doit pas figer l’ensemble de l’espace public et progressivement disparaissent des traces de l’immigration de travail au fil des projets de rénovation urbaine. Toutefois, il paraît important à votre rapporteur de préserver et de mettre en valeur des lieux caractéristiques du travail ou du logement des ouvriers immigrés, par exemple sous l’égide de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

Mais s’il faut identifier et valoriser quelques lieux de mémoire d’envergure nationale, la mémoire immigrée trouve aussi sa place à l’échelon le plus local, dans l’histoire et l’architecture d’un bassin de vie.

Votre rapporteur fait donc également sienne la proposition de M. Thierry Tuot figurant le rapport sur la refondation des politiques d’intégration qu’il a remis au Premier ministre en février 2013, consistant à consacrer une fraction de la ressource mobilisée pour tout projet de rénovation urbaine au recueil, à l’exposition et à la conservation de la mémoire de ces quartiers, dont de nombreux résidents sont immigrés : l’initiative pourrait comprendre l’édification préalable d’un lieu de mémoire, en association avec les habitants et sous l’égide de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

Votre rapporteur se félicite en conséquence que, lors de son audition par la mission, M. François Lamy, ministre délégué à la ville, ait indiqué que le ministère de la ville soutient aujourd’hui l’expérimentation d’un « 1 % mémoire » à Amiens. Cette expérimentation sera prochainement élargie à partir d’un programme d’intervention national élaboré par un groupe de travail animé par M. Pascal Blanchard, historien, et destiné à être mis en œuvre par l’ACSé et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) dans le cadre des futurs contrats de ville et des opérations de rénovation urbaine.

Votre rapporteur considère que cette voie prometteuse « illustre l’idée qu’une action mémorielle n’est pas un " gadget ", mais bien une action de mobilisation pour favoriser le vivre-ensemble », selon les termes employés par M. François Lamy devant la mission.

Proposition n° 1

Consolider pour les années à venir les crédits accordés à l’établissement public de la Porte dorée au titre de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI).

Proposition n° 2

Engager une action d’identification de « lieux de mémoire » de l’immigration, coordonnée par le ministère de la culture et de la communication.

Proposition n° 3

Initier la création de « Journées européennes du patrimoine de l’immigration ».

Proposition n° 4

Consacrer une fraction de la ressource mobilisée pour tout projet de rénovation urbaine au recueil, à l’exposition et à la conservation de la mémoire des quartiers concernés.

b) Favoriser la transmission

Les travaux sur la mémoire se nourrissent du témoignage des personnes concernées : ils procèdent d’une conception participative de la culture, loin du regard surplombant ou de l’assignation identitaire. Dès lors, ils sont vecteurs de cohésion sociale. Votre rapporteur a la conviction que la reconnaissance du rôle de ces populations dans l’histoire nationale participera de leur « désinvisibilisation », comme l’a indiqué à la mission M. Piero Galloro, maître de conférences à l’Université Paul Verlaine de Metz.

Les initiatives de recueil de la mémoire d’habitants âgés sont actuellement nombreuses. L’ACSé en finance certaines sous la forme d’ateliers d’écriture ou par le développement de sites internet destinés à recenser les témoignages et les récits. Il en va de même de l’action des artistes et des écrivains qui réalisent des créations à partir d’échanges avec des témoins, et les diffusent par exemple dans les établissements scolaires.

DES EXEMPLES D’INITIATIVE DE TRANSMISSION DE LA MÉMOIRE
PAR LES IMMIGRÉS ÂGÉS

En 2003, l’écrivain Philippe Bohelay et le photographe Olivier Daubard ont par exemple suivis quinze retraités du bâtiment, originaires de la région de Constantine, résidents d’un petit foyer du centre de Clermont-Ferrand (1). Ils ont aidé à mieux faire connaître la contribution de ces travailleurs à la riche histoire ouvrière de la ville.

Le site internet collaboratif « Migrations à Besançon, Histoire et Mémoires » (2) est un exemple remarquable de rassemblement de témoignages de parcours individuels. Géré par le centre communal d’action sociale, il contribue à ancrer le parcours migratoire dans l’histoire collective de ce bassin de vie. L’écriture collective permet de restituer la complexité des faits et d’écarter les fantasmes et les idées reçues.

Mme Zineb Doulfikar, directrice de l’association Chibanis 06, à Nice, a indiqué devant la mission avoir déposé aux archives départementales des Alpes-Maritimes des recueils constitués des témoignages de chacune des personnes accueillies, depuis 2000, dans cette permanence sociale destinée aux personnes âgées immigrées.

L’association Réseau Mémoires-Histoires en Île-de-France, fondée en 2010, regroupe différentes associations francilienne dont l’association Batik International, qui conduit depuis 2007 le projet Patriarches qui valorise la mémoire et les parcours des personnes âgées issues de l’immigration et vivant en Île-de-France (3). Le projet a permis de recueillir les témoignages de migrants âgés du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud-Est restitués au travers de rencontres animées par la présentation d’un livre et d’un film. Plusieurs rencontres ont été organisées dans des foyers de travailleurs migrants.

L’association Paroles d’hommes et de femmes mène depuis 2005 le projet « 100 témoins, 100 écoles » qui fait de la mémoire une source d’action éducative en faisant témoigner dans des collèges et des lycées des migrants âgés d’au moins cinquante ans. Les ateliers, mis en perspective par les enseignants, permettent de faire réfléchir les élèves sur les processus de migration, sur les modes de représentation des immigrés ainsi que sur leur propre environnement. Il ressort des bilans pédagogiques fournis par l’association à votre rapporteur que dans certains territoires, ces rencontres constituent parfois la toute première forme de connaissance de l’autre par des jeunes qui peuvent tenir des propos hostiles aux immigrés. Symétriquement, dans les classes où de nombreux élèves sont issus de l’immigration, on note un effet de valorisation et de motivation. En outre, les personnes âgées participantes y trouvent un rôle social valorisant : l’association les a parfois formées au préalable à la prise de parole en public.

(1) Philippe Bohelay et Olivier Daubard, Chibanis, éditions Bleu autour, 2002.

(2) http://migrations.besancon.fr/

(3) http://www.batik-international.org/Patriarches

Votre rapporteur souligne que l’ensemble de ces approches permet de construire une culture commune. Loin d’être étrangers à la France, même lorsqu’ils n’ont pas acquis la nationalité française, les immigrés âgés participent d’une identité commune qui n’existe que dans les interactions avec la société d’accueil.

Ces actions permettent de travailler sur la prise de conscience de la société d’accueil et l’histoire des territoires et de leurs habitants.

Elle est d’autant plus utile quand les relations entre habitants d’un même territoire sont marquées par les crispations identitaires : peu de temps avant le déplacement de la mission dans le Gard, venait de se tenir une « semaine de la fraternité », organisée par les services de l’État dans le département, sous l’égide de la commission pour l’égalité des chances et la promotion de l’égalité (COPEC), associant l’ensemble du mouvement associatif et de nombreux élus communaux. Le programme comprenait notamment une exposition, à Nîmes, sur le « Languedoc-Roussillon, carrefour des Suds », présentant l’histoire d’un siècle d’immigration. De même, dans le cadre d’un projet de rénovation du centre ancien de la ville de Grasse, participant du réseau des Villes d’art et d’histoire, la commune mène actuellement un projet de récolte des témoignages des immigrés vivant dans le centre ancien, majoritairement des Tunisiens ayant travaillé dans la culture florale, dans le but de changer les regards.

Les activités mettant en valeur la mémoire des immigrés jouent ainsi un rôle de médiation : dans les cas de constitution d’une « histoire orale », le travail conduit avec un sociologue, un anthropologue ou un historien libère et révèle la parole de la personne âgée. L’effort est souvent collectif. La personne qui témoigne retire un avantage immédiat de sa participation à des ateliers qui utilisent les méthodes de l’éducation populaire.

En outre, le tiers facilitateur aide à transmettre une mémoire aux proches et à l’entourage. Ainsi que l’a indiqué à la mission M. Mustapha El Hamdani, coordinateur de l’association Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine (CALIMA) : « Un Algérien qui vient du monde rural n’est pas en mesure de transmettre sa mémoire à ses enfants car il ne dispose pas des outils nécessaires », d’autant, comme l’a rappelé M. Djamel Oubechou, qu’il s’agit d’une expérience « sur laquelle il est difficile de mettre des mots car elle est faite d’humiliations, de difficultés matérielles et sociales ». Selon le témoignage de l’Association des mineurs et anciens mineurs marocains du Nord, à l’occasion de l’écriture avec une troupe de théâtre d’une pièce intitulée Mémoires d’un mineur marocain dans les houillères du Nord-Pas-de-Calais présentée dans les collèges et les lycées, il est apparu que de nombreux enfants ignoraient tout du parcours de leurs grands-parents.

Les actions en matière de mémoire construisent donc des espaces de transmission intergénérationnelle, qui contribuent à améliorer les liens des anciens à leurs enfants et petits-enfants français, et donc l’intégration en France.

À la contribution au lien social s’ajoute un rôle dans la conquête des droits et de la dignité. Ainsi que l’a rappelé M. Abdellah Samate, président de l’AMMN, la mémoire est porteuse de droits. Elle conduit au respect de la dignité des personnes. L’ignorance ou l’oubli sont fréquents lorsque les droits sont bafoués : la mémoire est aussi celle des luttes et des combats menés pour défendre les droits.

Comme l’a très justement souligné Paul Ricœur, « l’accueil des immigrants à l’époque de la croissance fait précisément partie de l’histoire que nous racontons sur nous-mêmes, à propos précisément de ces décennies fortunées. Les accueillir aujourd’hui comme des concitoyens à part entière […] c’est les tenir pour les protagonistes de la même histoire que nous racontons sur nous-mêmes. L’intolérance à leur égard est plus qu’une injustice, c’est une méconnaissance de nous-mêmes en tant que personnage collectif dans le récit qui instaure notre identité narrative » (95).

c) Encourager la recherche

Outre la valorisation d’un patrimoine et le soutien aux initiatives qui tissent le lien social, l’œuvre de reconnaissance doit fonder un savoir : le débat public sur l’immigration est trop fréquemment marqué par la confusion. Les faits historiques comme la réalité démographique doivent être établis objectivement et diffusés.

Selon le témoignage du directeur général de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, M. Luc Gruson, l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) n’a constaté que récemment que l’histoire des immigrés ne figurait pas de façon générale dans les programmes scolaires. Cette anomalie vient d’être corrigée et la CNHI participe chaque année à la formation au contenu de l’histoire de l’immigration de deux mille enseignants.

Cet enseignement doit s’appuyer sur une recherche historique qui progresse. Il convient donc de renforcer le soutien aux chercheurs et la diffusion de leurs travaux. Les travaux en matière d’histoire coloniale doivent permettre à notre pays d’assumer cette page de son histoire afin de lever les freins à la légitimation de l’immigration issue des pays tiers, qui, pour la France, sont majoritairement d’anciens territoires sous souveraineté française. Comme l’a rappelé M. Thierry Tuot devant la mission, il n’est pas possible de tenir un discours sur l’immigration sans assumer l’histoire coloniale.

Il convient également de développer les travaux historiques et sociologiques sur l’histoire des immigrations extra-européennes dans les différentes régions françaises afin d’établir que cette histoire fait partie intégrante de l’histoire commune.

En la matière, les financements du FAS, puis du FASILD et de l’ACSé jusqu’à 2008 sont aujourd’hui particulièrement fragilisés. Votre rapporteur estime qu’ils doivent être pérennisés et rassemblés : au gain en matière de lisibilité budgétaire correspondra une visibilité publique qui aura un effet de levier sur les initiatives publiques territoriales.

Votre rapporteur souhaite également la participation de financements privés : certaines grandes entreprises fortement employeuses d’immigrés aujourd’hui âgés doivent soutenir les projets de recherche. De même, en matière de recherche sur l’histoire des travailleurs immigrés, l’accès aux archives des entreprises doit être garanti et se doubler d’une facilitation, pour les historiens et les sociologues du travail immigré, de la conduite d’entretiens avec les gestionnaires actuels : le travail de sociologie de l’immigration d’aujourd’hui se nourrit en effet des travaux historiques, et l’histoire éclaire les tendances passées qui permettent de mesurer les situations sociales présentes.

Au savoir historique doit donc s’ajouter la connaissance statistique des faits actuels en matière d’immigration. Tout au long de ses travaux, la mission a constaté la difficulté à quantifier les populations immigrées âgées en fonction des champs du droit social : les caisses de retraite ne disposent par exemple de données que pour les personnes nées à l’étranger, ce qui recouvre donc de nombreux Français nés à l’étranger, dont le parcours est différent de celui des immigrés des pays tiers.

Le caractère lacunaire des données rend plus difficile de repérer les difficultés et leurs causes. Le refus de mesurer la part des immigrés en fonction des champs des politiques ou selon les territoires se fonde souvent sur la volonté de ne pas stigmatiser cette population mais parfois également sur un refus de reconnaissance de son appartenance au public visé par les politiques de droit commun. Votre rapporteur estime que la réticence à mieux connaître peut conduire à renforcer l’exclusion et rendre plus difficile le processus d’intégration.

Or, il n’existe plus aujourd’hui de véritables obstacles techniques : conformément au règlement CE/862/2007 du 11 juillet 2007 relatif aux statistiques communautaires sur la migration, l’immigré est désormais défini en fonction de sa durée de résidence, dès l’obtention d’un titre de séjour d’une durée minimale de un an. Le périmètre statistique des populations immigrées, pour tous les âges, peut donc se fonder sur le fichier historique centralisé de gestion des titres de séjour du ministère de l’intérieur, aujourd’hui mobilisable par l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF).

Le secrétaire général à l’immigration et à l’intégration a d’ailleurs fait état d’un travail avec l’INSEE visant à une meilleure appréhension statistique de la situation des immigrés âgés au sein d’un service, créé en 2008, de la statistique et des études de la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté.

Les outils sont donc disponibles. Il est possible de se doter de l’appareil scientifique permettant de connaître les réalités quantitatives et de mieux apprécier les difficultés rencontrées par les immigrés en général et par les immigrés âgés en particulier. Les systèmes d’information géographiques permettent en outre une déclinaison territoriale souvent très fine des données qui renforcerait l’action des acteurs de terrain. Il en résulterait une meilleure efficacité des politiques publiques, dont le gain serait partagé par l’ensemble de la population, immigrée ou pas.

Votre rapporteur souhaite donc que ces différents vecteurs du savoir disposent d’une référence institutionnelle commune, dont la compétence s’étendrait à de nombreux champs de l’action publique. Fort de son positionnement interministériel, le Haut Conseil à l’intégration pourrait jouer le rôle de centre de diffusion des savoirs, à la fois en matière d’histoire et de statistiques.

Régi par le décret n° 89-912 du 19 décembre 1989, le HCI devrait être refondé, et voir ses fonctions actuelles renforcées et complétées. Votre rapporteur fait ainsi sienne une des pistes visant à satisfaite un « devoir d’intelligence collective » figurant dans le rapport de M. Thierry Tuot sur la refondation des politiques d’intégration remis au Premier ministre en février 2013 et propose de l’approfondir.

Doté de crédits d’intervention, le HCI pourrait financer des travaux de chercheurs et de diffuseurs des savoirs sous forme de bourses ou d’appels à projets. Un partenariat pourrait être formalisé avec les instituts de statistiques ou d’études démographiques et un réseau d’universitaires. Le HCI rénové serait le garant d’un programme de recherche universitaire statistique et qualitatif portant sur l’histoire, la sociologie et les politiques de l’immigration. Cette double compétence lui permettrait de devenir le garant du débat public en matière d’immigration et d’initier des partenariats à l’échelle européenne et internationale.

Proposition n° 5

Inviter les grandes entreprises fortement employeuses de travailleurs immigrés à soutenir les projets de recherche sur l’histoire de l’immigration et garantir l’accès à leurs archives.

Proposition n° 6

Confier au Haut Conseil à l’intégration (HCI) des fonctions de recherche sur l’immigration ainsi qu’un rôle de collecte, de diffusion et d’analyse de données statistiques de référence.

2. Assurer les conditions d’une meilleure intégration au niveau national

À titre liminaire, votre rapporteur appelle de ses vœux une modification du cadre juridique de la carte de séjour portant la mention « retraité » afin d’en corriger les insuffisances, souvent mises en lumière devant la mission. Il reviendra plus loin sur les moyens d’améliorer le dispositif en vigueur. Il souhaite ici mettre en exergue plusieurs propositions destinées à assouplir les règles portant sur le droit au séjour ainsi que l’accès à la nationalité des immigrés vieillissants.

a) Réfléchir à l’assouplissement du cadre juridique du regroupement familial

Parmi les immigrés âgés connaissant les situations de précarité les plus préoccupantes, certains vieillissent seuls en France car ils ne peuvent être rejoints par leur famille au titre du regroupement familial. Ils se retrouvent dès lors dans un état d’isolement humainement insupportable, comme l’a souligné M. Yannick Imbert, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), à l’occasion de son audition par la mission.

Aujourd’hui, les deux principaux obstacles à la venue des familles d’immigrés âgés des pays tiers résident dans l’insuffisance de leurs ressources et l’inadaptation de leur logement. En effet, en application du 1° de l’article L. 411-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le regroupement familial peut être refusé si le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille, c’est-à-dire au moins égales au salaire minimum de croissance mensuel. Aux termes du 2° de ce même article, il peut être refusé si le « demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d’arrivée de sa famille en France d’un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ».

Comme votre rapporteur l’a déjà souligné, de nombreux immigrés âgés bénéficient de pensions de retraite peu élevées et perçoivent en conséquence des revenus inférieurs au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Même s’il est pleinement conscient de la rigueur du cadre juridique dont il est ici question, votre rapporteur juge cependant nécessaire de s’assurer qu’une personne souhaitant faire venir sa famille en France dispose de ressources suffisantes pour lui garantir des conditions de vie décentes. Dès lors il n’est pas nécessaire d’entreprendre une refonte globale du cadre juridique du regroupement familial. Toutefois, il pourrait utilement faire l’objet de quelques aménagements.

À la suite des préconisations formulées par la HALDE, la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile a prévu que la condition de ressources ne pourrait plus être appliquée aux titulaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) atteints d’une incapacité dont le taux est au moins égal à 80 %. En modifiant l’article L. 411-5 du CESEDA sur ce point, le législateur a souhaité remédier à l’impossibilité, pour les personnes les plus handicapées percevant l’AAH, de faire bénéficier leur famille du regroupement familial et a donc mis partiellement fin à la discrimination dont elles étaient l’objet.

Il n’en reste pas moins que les titulaires de cette allocation ayant un taux d’incapacité inférieur à 80 % n’ont pas bénéficié de cette évolution. Or, au regard des pathologies dont souffrent aujourd’hui de nombreux immigrés âgés, résultant souvent de l’exposition, tout au long de la carrière professionnelle, à des risques multiples, sans doute serait-il opportun de permettre aux personnes dont le taux d’incapacité est inférieur à 80 % (mais supérieur à un taux qu’il conviendrait de définir) de bénéficier du regroupement familial sans que la condition de ressources puisse leur être opposée, à condition toutefois qu’elles satisfassent aux exigences relatives à la superficie du logement, telles qu’elles figurent à l’article R. 411-5 du CESEDA (voir encadré ci-dessous).

L’ARTICLE R. 411-5 DU CODE DE L’ENTRÉE ET DU SÉJOUR
DES ÉTRANGERS ET DU DROIT D’ASILE (CESEDA)

Pour l’application du 2° de l’article L. 411-5, est considéré comme normal un logement qui :

1° Présente une superficie habitable totale au moins égale à :

– en zone A : 22 m2 pour un ménage sans enfant ou deux personnes, augmentée de 10 m2 par personne jusqu’à huit personnes et de 5 m2 par personne supplémentaire au-delà de huit personnes ;

– en zone B : 24 m2 pour un ménage sans enfant ou deux personnes, augmentée de 10 m2 par personne jusqu’à huit personnes et de 5 m2 par personne supplémentaire au-delà de huit personnes ;

– en zone C : 28 m2 pour un ménage sans enfant ou deux personnes, augmentée de 10 m2 par personne jusqu’à huit personnes et de 5 m2 par personne supplémentaire au-delà de huit personnes.

Les zones A, B et C ci-dessus sont celles définies pour l’application du premier alinéa du j) du 1° du I de l’article 31 du code général des impôts ;

2° Satisfait aux conditions de salubrité et d’équipement fixées aux articles 2 et 3 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain.

Le problème reste par ailleurs entier pour les ressortissants de nationalité algérienne, dont la situation est régie par l’accord franco-algérien de 1968, qui n’a pas été modifié. Votre rapporteur estime, à l’instar du Défenseur des droits, que cette différence n’est pas justifiée et qu’il conviendrait par conséquent de procéder à une harmonisation des dispositions juridiques en la matière. Aussi apparaîtrait-il juste de faire bénéficier, a minima, les ressortissants algériens des dispositions en vigueur depuis la loi du 20 novembre 2007. Par ailleurs, si la modification proposée plus haut par votre rapporteur connaissait une suite favorable, sans doute faudrait-il garantir l’application du nouveau régime à l’ensemble des ressortissants d’origine étrangère présents sur le territoire.

L’inadaptation du logement constitue aussi un obstacle majeur à l’aboutissement des demandes de regroupement familial. Celles formulées par les résidents de FTM font par exemple l’objet d’un refus systématique. Votre rapporteur considère que cela se justifie lorsque la superficie du logement au sein des foyers et des résidences sociales est inférieure aux superficies minimales définies par l’article R. 411-5 du CESEDA. Il estime, en revanche, qu’il conviendrait de s’assurer que les demandes de regroupement familial formulées par des personnes vivant dans des logements d’une superficie égale ou supérieure à ces mêmes critères ne fassent pas l’objet d’une décision de refus sur le seul fondement de la nature de ces logements.

Enfin, pour remédier à l’isolement total de certains immigrés âgés résidant en logement-foyer ou dans l’habitat diffus, peut-être faudrait-il réfléchir à la définition d’un régime dérogatoire, strictement encadré, permettant aux familles de ces immigrés âgés isolés de bénéficier du regroupement familial. Il conviendrait de définir précisément la situation dans laquelle devrait se trouver le demandeur ainsi que la nature et l’étendue de la dérogation, susceptible de porter sur le montant des ressources et la superficie du logement.

Proposition n° 7

Envisager la modification du cadre juridique du regroupement familial pour les personnes handicapées atteintes d’un taux d’incapacité inférieur à 80 % mais supérieur à un taux à définir. La condition de ressources ne pourrait plus leur être opposée, comme cela est le cas pour les personnes souffrant d’un taux d’incapacité égal ou supérieur à 80 %.

Proposition n° 8

Étendre aux ressortissants de nationalité algérienne souhaitant faire bénéficier leur famille du regroupement familial l’application du régime dérogatoire relatif à la condition de ressources applicable aux personnes handicapées souffrant d’un taux d’incapacité au moins égal à 80 %. Garantir à ces mêmes ressortissants l’application, le cas échéant, du régime prévu par la proposition n° 7.

Proposition n° 9

Rappeler que les demandes de regroupement familial formulées par des personnes vivant dans des logements-foyers d’une superficie égale ou supérieure aux superficies définies par l’article R. 411-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ne peuvent faire l’objet d’une décision de refus sur le seul fondement de la nature du logement.

Proposition n° 10

Réfléchir à la mise en place d’un régime de regroupement familial dérogatoire, strictement encadré, au bénéfice des seuls demandeurs âgés et isolés.

 

b) Promouvoir la délivrance de la carte de résident permanent

Il ressort des témoignages recueillis par la mission que le renouvellement du titre de séjour constitue pour certains immigrés vieillissants un véritable « parcours du combattant ». Ce dernier implique la réalisation de démarches administratives parfois compliquées et pesantes, desquelles les étrangers résidant sur le territoire depuis longtemps pourraient utilement être dispensés. Ces démarches obligatoires participent de l’engorgement des guichets des préfectures, source de dégradation des conditions d’accueil pour les usagers et de travail pour les agents. À cet égard, votre rapporteur partage la recommandation formulée par le rapport sur la sécurisation des parcours des ressortissants étrangers en France, remis par notre collègue Matthias Fekl au Premier ministre le 14 mai 2013, selon laquelle le nombre de passages annuels en préfecture devrait être réduit autant que possible (96).

À l’heure actuelle, la carte de résident permanent, créée par la loi du 20 novembre 2007, n’est que très rarement proposée aux immigrés originaires d’États tiers à l’Union européenne, d’après les représentants du GISTI entendus par la mission, ce que votre rapporteur ne peut que regretter. En 2012, seules 1 065 cartes de résident permanent ont été délivrées, contre plus de 60 000 cartes de résident (97).

Le premier alinéa de l’article L. 314-14 du CESEDA prévoit pourtant qu’« à l’expiration de sa carte de résident délivrée sur le fondement de l’article L. 314-8, L. 314-8-1, L. 314-9, L. 314-11, L. 314-12 ou L. 314-15, une carte de résident permanent, à durée indéterminée, peut être délivrée à l’étranger qui en fait la demande, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public et à condition qu’il satisfasse aux conditions prévues à l’article L. 314-2 ». L’article L. 314-2 rappelle que la délivrance d’une première carte de résident est subordonnée à l’intégration républicaine des personnes de nationalité étrangère dans la société française, à leur respect des principes qui régissent la République française ainsi qu’à leur connaissance suffisante de la langue française. Le deuxième alinéa de l’article L. 314-14 dispose que, « lors du dépôt de sa demande de renouvellement de carte de résident, l’étranger est dûment informé des conditions dans lesquelles il pourra se voir accorder une carte de résident permanent ». Cela semble être rarement le cas. Pire, dans certains départements, la carte de résident permanent semble ne pas être connue des services préfectoraux eux-mêmes.

Aussi, au regard des insuffisances du dispositif en vigueur et afin d’éviter aux immigrés âgés des pays tiers présents depuis longtemps en France les démarches inhérentes au renouvellement de la carte de résident, peut-être serait-il opportun de permettre aux étrangers ayant procédé au renouvellement de leur carte de résident à deux reprises d’obtenir automatiquement, à l’occasion d’une nouvelle demande, une carte de résident permanent.

La mesure s’adresserait par construction à des personnes ayant résidé de nombreuses années en France puisque la carte de résident est, en application de l’article L. 314-1 du CESEDA, valable dix ans. Même si elle permet à son titulaire de séjourner pendant trois ans à l’étranger, votre rapporteur n’y voit pas un obstacle de nature à mettre en cause le dispositif proposé.

Lors de son audition, le ministre de l’intérieur s’est engagé devant la mission à favoriser la délivrance de ce titre de séjour, ce dont votre rapporteur ne peut que se féliciter. La circulaire du 25 juin 2013 du ministère de l’intérieur appelle d’ailleurs les préfectures à « faire une application généralisée [de la faculté de délivrer une carte de résident permanent] lorsque l’étranger qui sollicite le renouvellement de sa carte de résident est âgé de plus de 60 ans ou lorsque la demande porte sur un second renouvellement de carte de résident » (98).

Proposition n° 11

Rendre automatique, pour la personne ayant effectué au moins deux renouvellements de sa carte de résident, l’obtention d’une carte de résident permanent, sous réserve qu’elle ne constitue pas une menace pour l’ordre public et satisfasse aux critères d’appréciation de l’intégration républicaine dans la société française visés à l’article L. 314-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

c) Faciliter l’accès à la nationalité française des immigrés des pays tiers ascendants de Français et présents depuis longtemps sur le territoire

L’acquisition de la nationalité française constitue assurément l’une des manifestations les plus fortes et les plus solennelles d’intégration dans la communauté nationale. D’après les chiffres transmis à la mission par M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration, sur les 350 000 immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans originaires de pays tiers, 140 000 ont acquis la nationalité française (soit 40 %) et 210 000 ont conservé leur nationalité (voir tableau en annexe indiquant le nombre de personnes ayant acquis la nationalité française, par origine et par voie d’accès). 70 % de ces derniers viennent d’un pays du Maghreb.

Les immigrés originaires d’États tiers ne réclament généralement la naturalisation qu’après une durée de résidence sur le territoire particulièrement longue. En moyenne, les Marocains ne formulent une demande qu’au bout de trente-quatre ans, les Algériens au bout de trente-six ans, et les Tunisiens au bout de quarante et un ans alors que les étrangers considérés globalement formulent cette demande après seize ans de résidence (99). Il y a donc lieu de s’interroger sur les origines de cette spécificité.

Le droit français prévoit quatre principales voies d’accès à la nationalité (100) : l’acquisition du fait de la naissance et de la résidence en France (articles 21-7 à 21-11 du code civil), l’acquisition par déclaration à raison du mariage (articles 21-1 à 21-6), la naturalisation (articles 21-15 à 21-25-1) et la réintégration (articles 24 à 24-3).

L’article 21-17 du code civil dispose que, « sous réserve des exceptions prévues aux articles 21-18, 21-19 et 21-20, la naturalisation ne peut être accordée qu’à l’étranger justifiant d’une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui précèdent le dépôt de la demande ». La procédure comprend deux phases : la première est consacrée à l’examen de la recevabilité de la demande ; la seconde à l’opportunité de l’octroi de la nationalité. Celui-ci relève toutefois de la compétence discrétionnaire de l’autorité administrative, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans l’arrêt Abecassis du 30 mars 1984, aux termes duquel « le fait de remplir les diverses conditions exigées […] ne donne aucun droit à obtenir la naturalisation, laquelle constitue une faveur accordée par l’État français à un étranger ». Il n’y a donc aucun droit acquis à la naturalisation, ce qui explique d’ailleurs que des personnes remplissant l’ensemble des conditions ne l’obtiennent pas toujours.

Il existe aujourd’hui trois principaux obstacles à l’octroi de la nationalité française aux immigrés âgés des pays tiers, comme l’ont souligné plusieurs personnes entendues par la mission : l’insuffisance des ressources, le défaut d’assimilation et l’absence du conjoint.

D’une part, la recevabilité des demandes de naturalisation est subordonnée à la réalité de l’insertion professionnelle, qui impose de disposer de ressources au moins égales au SMIC annuel. Cette condition peut être interprétée de manière stricte. Ainsi, dans une décision du 19 décembre 1997, la cour administrative d’appel de Nantes a jugé que l’insertion professionnelle d’une personne recrutée par l’éducation nationale en qualité de maître auxiliaire exerçant ses fonctions à temps plein depuis 1991 n’était pas suffisante (101).

De nombreux immigrés âgés perçoivent l’ASPA, dont le montant annuel est inférieur au seuil requis. Il en résulte que la condition de ressources constitue pour nombre d’entre eux un obstacle insurmontable. C’est pour cela que le Défenseur des droits appelle de ses vœux l’assouplissement de cette condition pour les demandeurs titulaires de l’ASPA présents sur le territoire depuis plus de dix ans. S’il trouve la proposition intéressante, votre rapporteur souhaite néanmoins procéder différemment en facilitant l’accès des immigrés âgés des pays tiers à la nationalité française.

D’autre part, la condition d’assimilation à la communauté française (102), qui se traduit, aux termes de l’article 41 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, par l’exigence d’une connaissance suffisante de l’histoire, de la culture et de la société françaises, représente un obstacle difficile à surmonter pour certains immigrés âgés, en particulier pour ceux d’entre eux souffrant d’illettrisme ou d’analphabétisme.

Même si la circulaire du 16 octobre 2012 (103) dispense les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans de produire l’attestation délivrée par un organisme certificateur ou un organisme de formation labellisé « Français langue d’intégration », il n’en demeure pas moins que les demandeurs doivent justifier, en application de l’article 37 du décret précité, d’une « connaissance de la langue française caractérisée par la compréhension des points essentiels du langage nécessaire à la gestion de la vie quotidienne et aux situations de la vie courante ainsi que par la capacité à émettre un discours simple et cohérent sur des sujets familiers dans ses domaines d’intérêt ». Cette connaissance est appréciée à l’occasion d’un entretien individuel, en application de l’article 41 du même décret. Certaines personnes entendues par la mission n’ont pas hésité à qualifier cet obstacle d’« injuste », rappelant que nombre d’immigrés âgés, venus en France il y a plusieurs décennies pour y travailler, n’avaient pu bénéficier d’une quelconque formation linguistique.

Enfin, il arrive que les demandes formulées par les immigrés âgés fassent l’objet de décisions de rejet motivées par la séparation géographique entre le demandeur et sa famille. Plusieurs témoignages recueillis par la mission, tant au cours des auditions qu’à l’occasion des déplacements effectués, révèlent que la présence du conjoint dans le pays d’origine explique parfois le refus de l’autorité administrative de répondre favorablement aux demandes de naturalisation. Aux termes de l’article 21-16 du code civil, « nul ne peut être naturalisé s’il n’a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ». En droit de la nationalité, la résidence coïncide avec le centre des attaches familiales et des occupations professionnelles. Aussi, c’est sur ce fondement que nombre de demandes de naturalisation sont rejetées. Or, comme votre rapporteur l’a précédemment évoqué, certains immigrés, parfois présents en France depuis fort longtemps, ne peuvent faire venir leur famille au titre du regroupement familial. Il semble donc que ces derniers soient alors doublement sanctionnés.

Votre rapporteur est bien conscient que la modification du cadre juridique de l’accès à la nationalité française, à l’inverse de l’amélioration de l’accès aux droits sociaux par exemple, doit se faire avec prudence. Il estime néanmoins que l’assouplissement des dispositions en vigueur serait susceptible de favoriser l’intégration des immigrés âgés des pays tiers en même temps qu’il constituerait une marque significative de reconnaissance. Il considère en effet, à l’instar de Mme Claudine Attias-Donfut, que l’obtention de la nationalité influe fortement sur le sentiment d’appartenance à la communauté nationale.

L’acquisition facilitée de la nationalité répondrait à l’attente d’une part non négligeable (même s’il apparaît délicat de la mesurer avec précision) d’immigrés vieillissants, comme la mission a pu s’en apercevoir à l’occasion de plusieurs de ses déplacements, et notamment lors de ses échanges avec les membres du « café social » tenu, dans le XXe arrondissement de Paris, par l’association Ayyem Zamen.

Elle leur permettrait en outre de voter en France et, partant, de participer tant à la vie locale qu’aux grandes échéances électorales nationales. La mission a pu mesurer combien cela satisferait l’une des attentes de ce public silencieux. Votre rapporteur juge tout à fait justifié que des personnes présentes en France depuis plusieurs décennies prennent part à la désignation de leurs représentants. Mme Claudine Attias-Donfut et M. François-Charles Wolff ont d’ailleurs montré que la participation électorale des personnes naturalisées était forte : elle s’était élevée à 84 % aux élections précédant leur enquête (104).

Obtenir la nationalité française garantirait enfin aux personnes concernées la possibilité d’organiser plus librement leur retraite entre la France et le pays d’origine, ce qui fait l’objet d’une série de propositions que votre rapporteur présentera plus loin. Cela constituerait en effet une forme de « sécurisation » de la situation des retraités immigrés des pays tiers pratiquant la « navette », en les faisant échapper à l’ensemble des dispositions encadrant le droit au séjour. Bien évidemment, cela ne pourrait avoir pour conséquence de mettre en cause la condition de résidence applicable pour bénéficier des prestations sociales non contributives.

Convaincu que l’accès des immigrés à la citoyenneté pourrait utilement être facilité, votre rapporteur fait sienne la proposition formulée devant la mission par M. Thierry Tuot, consistant à octroyer la nationalité française par déclaration aux ascendants de Français résidant en France depuis vingt-cinq ans au moins (105). Comme l’auteur du rapport sur la refondation des politiques d’intégration le rappelle fort justement, « on devient français aussi en donnant des filles et des fils à la patrie – on ne sait pas meilleure façon de marquer son attachement que de vouloir que ceux qu’on élève deviennent et demeurent français » (106).

Le nouveau dispositif pourrait être organisé dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants du code civil, qui posent les règles relatives aux déclarations de nationalité. Au total, il fait peu de doutes que cette procédure apparaît nettement plus adaptée à la situation des immigrés âgés que la voie de la naturalisation, trop souvent assimilable à un véritable « parcours du combattant ». Votre rapporteur voit même dans l’assouplissement du cadre juridique en vigueur une exigence morale autant qu’une marque légitime de reconnaissance.

Il est toutefois conscient de l’ampleur de la proposition précédente et reconnaît que son introduction à très court terme paraît peu envisageable. Il estime d’ailleurs que légiférer dans la précipitation sur un sujet aussi sensible serait une erreur. Il n’en reste pas moins que la procédure d’acquisition de la nationalité française par naturalisation devrait faire l’objet de quelques aménagements.

En premier lieu, la durée de traitement des demandes est aujourd’hui trop longue. Même si le premier alinéa de l’article 21-25-1 du code civil dispose que « la réponse de l’autorité publique à une demande d’acquisition de la nationalité française par naturalisation doit intervenir au plus tard dix-huit mois à compter de la remise de toutes les pièces nécessaires à la constitution d’un dossier complet contre laquelle un récépissé est délivré immédiatement » et que son deuxième alinéa réduit ce délai à « douze mois lorsque l’étranger en instance de naturalisation justifie avoir en France sa résidence habituelle depuis une période d’au moins dix ans », il apparaît que les dispositions juridiques en vigueur n’empêchent pas toujours le dépassement de ces délais.

À la suite de la généralisation de la déconcentration du traitement des demandes de naturalisation par le décret n° 2010-725 du 29 juin 2010 relatif aux décisions de naturalisation et de réintégration dans la nationalité française, le délai entre le dépôt d’un dossier complet et la décision finale a été sensiblement réduit. Au 31 décembre 2010, le délai moyen de traitement des demandes conclues par une décision défavorable s’élevait à cinq mois et demi contre dix mois un an auparavant, et celui des demandes donnant lieu à une décision favorable était de sept mois et demi contre douze mois au 31 décembre 2009 (107). Toutefois, dans certains départements, le délai de traitement des demandes continue d’être significativement plus long.

Aussi s’agirait-il d’abréger ce délai, en le ramenant par exemple à six mois. Dans un premier temps, l’application de cette disposition pourrait être prévue pour les seules demandes formulées par les personnes âgées d’au moins soixante ans et résidant en France depuis plus de dix ans. Le délai pourrait toutefois être prolongé une fois, par décision motivée, pour une période de trois mois, comme le prévoit actuellement le troisième alinéa de l’article 21-25-1 du code civil. Votre rapporteur considère que cette mesure en faveur des étrangers âgés présents depuis longtemps sur le territoire devrait entrer en vigueur indépendamment du sort réservé à la proposition précédente.

En deuxième lieu, il semblerait judicieux qu’un formulaire de demande de naturalisation soit remis aux personnes de nationalité étrangère procédant au renouvellement de leur carte de résident. Cette remise ne préjugerait bien entendu en rien de la décision de l’autorité administrative, mais l’introduction de cette pratique aurait l’avantage d’éviter aux demandeurs potentiels d’effectuer certaines démarches longues, compliquées et parfois décourageantes.

En troisième lieu et de façon plus générale, peut-être faudrait-il envisager de mettre en place, au sein des préfectures, des guichets destinés à accueillir spécifiquement les demandeurs âgés, « très démunis face à la complexité des procédures administratives » selon le mot de M. Manuel Valls. Cette proposition, formulée notamment par les représentants du GISTI entendus par la mission, ne se limiterait pas à l’installation de guichets spécifiques pour les seules demandes d’acquisition de la nationalité. Elle devrait se traduire par la création de guichets réservés à ce public pour l’ensemble des démarches administratives. Afin d’en évaluer la pertinence et l’impact, elle pourrait être conduite à titre expérimental dans certains départements avant que son éventuelle généralisation ne soit envisagée.

Proposition n° 12

Permettre aux étrangers ascendants de Français et présents sur le territoire depuis vingt-cinq ans au moins d’obtenir la nationalité française par déclaration suivant la procédure prévue aux articles 26 et suivants du code civil.

Proposition n° 13

Accélérer le traitement des demandes de naturalisation formulées par les personnes âgées d’au moins soixante ans et présentes sur le territoire depuis dix ans en ramenant le délai d’examen de douze mois à six mois.

Proposition n° 14

Envisager de délivrer aux personnes procédant au renouvellement de leur carte de résident un formulaire de demande de naturalisation.

Proposition n° 15

À titre expérimental, mettre en place, au sein des préfectures, des guichets destinés à accueillir spécifiquement les personnes âgées pour l’ensemble des démarches administratives.

3. Ancrer la politique de l’intégration au niveau territorial

Favoriser l’intégration des personnes âgées immigrées passe non seulement par une reconnaissance pleine et entière de leur contribution à l’histoire de notre pays et par un accès facilité à la nationalité pour ceux qui le souhaitent, mais également par la mise en œuvre des conditions nécessaires à une meilleure participation à la vie locale et à un ancrage territorial des politiques nationales d’intégration menées à leur endroit.

a) Favoriser la participation des immigrés âgés à la vie locale

Votre rapporteur considère que l’institutionnalisation de la participation à la vie locale des immigrés âgés constitue une garantie de prise en compte des besoins de ces derniers par les responsables locaux.

Celle-ci peut prendre la forme de participation à des conseils consultatifs spécifiquement destinés aux résidents des pays tiers, telles l’« assemblée parisienne des citoyens extra-communautaires » ou la « commission extra-municipale des populations immigrées » de la ville de Roubaix, qui dispose également d’un « conseil roubaisien de l’interculturalité et de la citoyenneté » rassemblant des associations.

Elle peut également consister en la participation de personnes âgées immigrées à des conseils consultatifs représentant les personnes âgées, tels le « conseil des sages » instauré pour la première fois à Saint-Coulitz à l’initiative de son maire, M. Kofi Yamgnane.

La question du droit de vote aux élections locales mérite aussi d’être posée. Plusieurs personnes entendues par la mission l’ont évoquée. Ainsi, d’après Mme Catherine Wihtol de Wenden, ce droit « représenterait pour ces personnes un progrès considérable, car il permettrait de les consulter sur les politiques qui les concernent, qu’elles émanent des communes, des départements ou des régions ».

Dans la mesure où les personnes âgées participent activement aux élections, on peut raisonnablement supposer que de nombreux immigrés âgés feraient usage de ce droit.

Puisque de nombreux ressortissants de pays membres de l’Union européenne peuvent voter aux élections locales, l’exclusion de ce droit des seuls étrangers des pays tiers semble par ailleurs reconduire une distinction, en fonction de l’origine, dont votre rapporteur a montré qu’elle avait hélas durablement marqué le parcours migratoire de ces derniers.

Si votre rapporteur ne souhaite pas prendre ici position sur cette question, il considère que le sujet doit faire l’objet d’un débat serein et dépassionné dans le cadre de la refondation des politiques d’intégration en cours. En tout état de cause, il conviendrait de faire en sorte que le droit de vote des étrangers des pays tiers aux élections locales soit subordonné à une condition de réciprocité avec le pays d’origine. Un exemple encourageant a été récemment fourni lors de la révision de la Constitution du Royaume du Maroc. Son article 30 dispose en effet que les étrangers « qui résident au Maroc peuvent participer aux élections locales en vertu de la loi, de l’application de conventions internationales ou de pratiques de réciprocité ».

Proposition n° 16

Favoriser la participation des immigrés âgés aux conseils consultatifs locaux représentant les personnes âgées ou aux conseils communaux consultatifs des résidents étrangers.

Qu’ils aient acquis la nationalité française ou pas, qu’ils disposent ou non du droit de vote aux élections locales, les immigrés âgés vieillissent dignement dans leurs communes et leurs quartiers dans la mesure où ils y bénéficient d’une vie sociale « normale », comparable à celle de l’ensemble des personnes âgées.

Votre rapporteur nourrit de grands espoirs dans l’insertion sociale des immigrés âgés au vu des nombreuses initiatives locales présentées à la mission ou examinées par elle lors de ses visites de terrain.

Ainsi des structures communément appelées « cafés sociaux » sur le modèle de l’établissement, déjà mentionné, créé à Paris au début des années 2000 par l’association Ayyem Zamen, dans le XXe arrondissement. Il s’agit d’un lieu d’accueil de personnes âgées, à orientation communautaire mais non communautariste, ouvert à tous, et dont la mission a pu constater que la fréquentation est mixte et l’espace de sociabilité laïque. Les personnes accueillies peuvent y prendre le petit-déjeuner, disposent d’une permanence d’accès aux droits, d’un écrivain public, d’espaces de jeu et d’animations. Des bénévoles y remplissent un rôle social et d’assistance dans les démarches administratives. Un tel lieu permet de créer du lien social, d’allier convivialité et compétences, afin de trouver des solutions à certains problèmes ou difficultés avant de solliciter les organismes sociaux. D’autres structures de ce type existent en France et sont coordonnées dans le cadre d’un réseau national des « cafés sociaux ».

Les cafés sociaux organisent en outre des sorties culturelles et des voyages. Votre rapporteur considère que l’accès à la culture et aux loisirs est emblématique de la participation à notre société. Ils favorisent la connaissance de la langue et l’attachement au pays d’accueil. Les activités de loisir culturel peuvent même contribuer de façon importante à l’épanouissement personnel des personnes âgées. Mme Liliane Capelle, adjointe au maire de Paris en charge des personnes âgées, a cité le cas d’une association qui offre aux femmes seules ne parlant pas le français la possibilité de s’exprimer dans le cadre du théâtre : certaines ont pu jouer devant le public du théâtre de l’Odéon.

Votre rapporteur regrette dès lors que la proposition du directeur général de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration à Adoma, consistant à organiser des visites pour les résidents de foyers, n’ait pu aboutir. Il se félicite cependant que Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, entendue par la mission, ait fait état de sa détermination à faciliter les démarches de ce type et à renforcer l’accès des personnes âgées défavorisées à la culture et au patrimoine.

Les activités culturelles contribuent à insérer les immigrés âgés dans un environnement local où ils sont aujourd’hui « invisibles ». Selon le témoignage des membres de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) d’Argenteuil, les activités conduites dans l’espace « Retrait’Actifs », le « café social » de la ville, ont donné à leurs participants l’envie d’une socialisation plus importante dans leur ville. Ils ont ainsi participé au banquet de fin d’année offert par la commune aux personnes retraitées, auquel aucun d’entre eux ne s’était rendu auparavant.

b) Revenir sur la scission entre politique d’intégration et politique
de la ville

La participation des immigrés à la vie locale s’inscrit souvent dans des quartiers relevant de la politique de la ville. En effet, selon le rapport d’octobre 2011 de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), sur les 4,4 millions de personnes résidant en zone urbaine sensible, 52,6 % sont immigrées ou descendantes d’immigrés, 64 % pour la seule région parisienne.

La politique de la ville associe des financements nationaux et les initiatives territoriales : votre rapporteur considère que cette combinaison constitue une garantie d’efficacité et un gage d’adaptation de la politique d’intégration tout au long du parcours migratoire. Jusqu’en 2007, l’ACSé était le principal financeur des dispositifs destinés spécifiquement aux migrants, ce qui permettait d’établir un lien entre la politique d’intégration et la politique de la ville : or, l’ACSé est privée, depuis 2008, d’une large partie de sa compétence en matière d’intégration en raison de la création du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

Les publics de la politique d’intégration sont donc réduits, pour l’essentiel, aux étrangers arrivés en France depuis moins de cinq ans, pris en charge par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

La Cour des comptes, dans son rapport de 2004 sur la politique d’intégration, soulignait pourtant que la politique de la ville était largement une déclinaison de la politique d’intégration dans les quartiers où résident les immigrés les plus pauvres. Ainsi que l’a indiqué à la mission Mme Murielle Maffessoli, directrice de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (ORIV), « la question des immigrés âgés est complètement oblitérée par la séparation des politiques publiques en deux catégories distinctes et étanches : la politique de la ville et celle d’intégration. Cette situation complique le travail sur le terrain : une commune peut ainsi solliciter notre aide pour travailler sur le problème de l’immigration et de l’intégration d’un côté et sur celui de la ville de l’autre, mais c’est nous qui devons faire le lien entre les deux ».

Les représentants de l’Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs migrants et de leurs familles (AEFTI) entendus par la mission ont jugé qu’il en résulte une absence de droit à la formation pour les retraités. Par exemple, les cours de langue sont principalement destinés aux signataires de contrats d’accueil et d’intégration (CAI).

En outre, votre rapporteur considère que l’intégration des personnes âgées est indissociable de l’intégration de leurs descendants. Le sentiment, pour les immigrés âgés, de vivre la « vieillesse intégrée », analysée par Mme Claudine Attias-Donfut, dépend de la situation de leurs descendants français. L’immigration vise à améliorer à la fois la situation personnelle de l’immigré et celle de ses enfants. Une vieillesse pauvre peut trouver une rétribution majeure dans la réussite des descendants. A contrario, leur précarité peut causer un sentiment d’échec. Selon l’étude récente de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Trouver ses marques : les indicateurs de l’OCDE sur l’intégration des immigrés 2012, le succès des descendants d’immigrés constitue bien souvent la référence de toute intégration réussie de leurs parents. La situation sociale des descendants d’immigrés influe également sur la capacité des familles à contribuer aux soins des aînés.

Mme Naïma Charaï a ainsi fait état devant la mission de son ambition de voir l’ACSé recouvrer une compétence en matière d’intégration lui permettant de soutenir des initiatives en faveur des migrants âgés.

Votre rapporteur considère qu’à la jonction de la politique d’intégration et de la politique de la ville, un pôle national de ressources et de financement tel que l’ACSé doit être en mesure de sélectionner des projets innovants et exemplaires. L’action publique en matière d’intégration a sans doute pâti de la diminution du rôle d’un organisme dont l’effet d’entraînement sur les initiatives menées aux plans national et local était avéré.

Proposition n° 17

Associer étroitement à la politique d’intégration les différents organismes en charge de la politique de la ville.

c) Poursuivre la relance des programmes régionaux
et départementaux d’intégration des populations immigrées

Afin de permettre aux immigrés âgés d’être des « personnes âgées comme les autres », il est logique que l’État désigne la population immigrée âgée comme une cible de la politique d’intégration. Ces personnes étant présentes sur le territoire depuis longtemps, leurs besoins sociaux relèvent d’abord de politiques sociales de droit commun, largement déconcentrés et décentralisées.

Mais la contribution de l’État à l’amélioration de la situation des personnes âgées immigrées semble essentielle à votre rapporteur : dans ses orientations stratégiques, elle doit d’abord être nationale, la personne immigrée ayant choisi de venir travailler et vieillir en France au premier chef. En outre, l’État a participé à l’organisation de la migration de travail et a une part de responsabilité dans les mécanismes qui ont fragilisé la condition sociale d’une partie des immigrés aujourd’hui âgés. Mais, la déclinaison opérationnelle de ces orientations doit être déconcentrée.

Ainsi, en matière d’intégration, l’État se fonde, à l’échelle territoriale, sur un outil ancien, récemment redéployé : les programmes régionaux d’intégration des populations immigrées (PRIPI), parfois déclinés en plans départementaux (PDI). C’est un outil de coordination territoriale de l’action de l’ensemble des services déconcentrés de l’État, placé sous la responsabilité du préfet de région.

Mis en place en 1990, les PRIPI ont étés relancés à la suite de leur définition par le législateur à l’article L. 117-2 du code de l’action sociale et des familles par l’article 146 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.

ARTICLE L. 117-2 DU CODE DE L’ACTION SOCIALE ET DES FAMILLES

Sous l’autorité du représentant de l’État, il est élaboré dans chaque région et dans la collectivité territoriale de Corse un programme régional d’intégration des populations immigrées. Ce programme détermine l’ensemble des actions concourant à l’accueil des nouveaux immigrants et à la promotion sociale, culturelle et professionnelle des personnes immigrées ou issues de l’immigration. À la demande du représentant de l’État dans la région et la collectivité territoriale de Corse, les collectivités territoriales lui font connaître les dispositions qu’elles envisagent de mettre en œuvre, dans l’exercice des compétences que la loi leur attribue, pour concourir à l’établissement de ce programme. Un décret détermine les conditions dans lesquelles les organismes de droit privé à but non lucratif spécialisés dans l’aide aux migrants et les établissements publics visés aux articles L. 121-13 (Office français de l’immigration et de l’intégration) et L. 121-14 (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) participent à l’élaboration du programme régional d’intégration.

Les PRIPI ont fait l’objet d’une évaluation par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) en 2008, qui pointait l’absence de hiérarchisation des objectifs, certains manques de cohérence et de fortes marges de progression en matière de prise en compte de l’ensemble des acteurs locaux.

Une circulaire du 7 janvier 2009 du ministère en charge de l’intégration a initié la conception d’une nouvelle série de plans dont les axes méthodologiques ont été définis par une circulaire du 28 janvier 2010 : l’analyse préalable de chaque plan est fondée sur un atlas élaboré avec l’INSEE. Le PRIPI doit d’abord être un outil d’analyse du tissu local qui permet de recenser les populations et les dispositifs existants. Il doit ainsi permettre l’établissement d’un programme d’action pour les services de l’État et pour les acteurs locaux. Enfin, les PRIPI sont centrés sur les seuls immigrés des pays tiers à l’Union européenne, pour les mêmes motifs que ceux qui ont guidé la Conférence des présidents dans le choix du périmètre de la mission.

Le financement provient de crédits déconcentrés du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Les crédits sont délégués aux directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), accompagnés le cas échéant de crédits du Fonds européen d’intégration (FEI). Le préfet de région peut également mobiliser d’autres crédits d’État.

• Prendre en compte les immigrés âgés

La circulaire du 28 janvier 2010 mentionne les immigrés âgés résidents des foyers de travailleurs migrants en tant que « population spécifique » et invite à utiliser les PRIPI pour compléter par des actions sociales l’amélioration du bâti financée par les crédits nationaux dans le cadre du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants que votre rapporteur examinera plus loin.

Les PRIPI recoupent ainsi des priorités d’intervention du programme budgétaire 104. M. Michel Aubouin, ancien directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté, a indiqué à la mission que les crédits concernant les personnes âgées immigrées, au titre d’actions nationales, se sont élevés à 5,6 millions d’euros en 2012. En outre, 2,4 millions d’euros du programme budgétaire 104 ont été consacrés au financement d’interventions, à l’échelon local, par le biais des PRIPI. Ces actions ont concerné le financement d’associations accompagnant les immigrés vers le droit ou la gestion de centres de santé prenant en compte les particularités des immigrés.

PART DES ACTIONS CONCERNANT LES IMMIGRÉS ÂGÉS AU SEIN DES PRIPI EN 2011 (CRÉDITS DU PROGRAMME BUDGÉTAIRE 104)

Région

(France métropolitaine)

Total
des dépenses par région

Accompagnement
des immigrés âgés

Mémoire et histoire de l’immigration

En euros

En euros

En %

En euros

En %

Alsace

991 200

45 000

5

0

0

Aquitaine

585 393

20 000

3

0

0

Auvergne

100 450

13 800

8

1 000

1

Bourgogne

303 389

34 000

11

12 000

4

Bretagne

Centre

487 798

0

0

Champagne-Ardenne

201 874

8 100

4

8 199

4

Corse

127 870

Franche-Comté

224 261

12 000

5

5 000

2

Île-de-France

6 394 757

287 550

4

22 000

 

Languedoc-Roussillon

627 749

88 000

14

19 250

3

Limousin

142 520

9 500

7

Lorraine

497 904

14 000

3

20 000

4

Midi-Pyrénées

549 177

44 000

8

48 500

8

Nord-Pas-de-Calais

635 910

53 000

8

Basse-Normandie

107 204

Haute-Normandie

292 873

115 000

39

37 500

13

Pays-de-la-Loire

271 197

6 275

2

3 572

1

Picardie

313 437

85 834

27

Poitou-Charentes

224 909

6 000

3

Provence-Alpes-Côte d’Azur

1 739 328

349 500

20

30 500

2

Rhône-Alpes

2 119 955

Total

17 080 155

1 176 059

7

232 122

1

Source : bilans d’engagement des fonds au cours de l’année 2011 au sein de chaque programme régional d’intégration des personnes immigrées.

Il ressort des PRIPI couvrant la période 2010-2012 que la thématique des immigrés âgés est prise en compte à divers titres dans treize régions.

De nombreux PRIPI prévoient de renforcer la connaissance des populations immigrées âgées : en Île-de-France, il est prévu de centraliser ces connaissances par la mise en place d’un observatoire du vieillissement migrant et l’établissement d’un bilan des schémas de l’accès aux aides. En Alsace, le plan comporte une analyse statistique, une rencontre régionale, ainsi qu’une enquête auprès des maisons de retraite et des services d’aide à domicile.

Le traitement des foyers de travailleurs migrants est considéré comme une priorité en Auvergne, Haute-Normandie, Île-de-France et Rhône-Alpes.

Le plan défini en région Provence-Alpes-Côte d’Azur fixe un objectif prioritaire d’intégration des femmes immigrées âgées à travers l’apprentissage de la langue écrite et orale par une offre de formation de proximité diversifiée, l’accès à la citoyenneté par la participation à la vie associative, sportive et culturelle ainsi que par la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes par la diffusion de publications, l’accompagnement des femmes et la lutte contre les mariages forcés, répudiations et mutilations sexuelles. Pour faciliter l’accès aux droits des femmes immigrées âgées, il est prévu leur prise en compte dans les dispositifs de santé publique, le développement d’ateliers centrés sur l’apprentissage des démarches administratives et, enfin, la promotion des transports alternatifs dans les zones où résident de nombreuses immigrées.

La réalisation des divers projets figurant dans les PRIPI a toutefois pu être aléatoire. Par exemple, le PRIPI de la région Midi-Pyrénées avait prévu de permettre l’accès au droit commun des personnes âgées vieillissantes en confirmant les missions du Centre d’initiatives et de ressources régionales pour le vieillissement des personnes immigrées (CIRRVI) dans le domaine de la santé à travers l’élaboration d’un recueil des besoins et actions prioritaires et le recours aux dispositifs de santé et de soins de droit commun. Il était également prévu d’en élargir les missions au domaine du logement à travers le développement d’initiatives en faveur de l’accès au logement de droit commun et de la lutte contre l’habitat indigne. Or, il a été mis fin, en 2011, au fonctionnement de cette structure.

• Utiliser l’effet de levier du Fonds européen d’intégration (FEI)

La pérennité des PRIPI et d’un pilotage par l’État semblent d’autant plus utiles à votre rapporteur qu’ils sont articulés à des fonds européens.

Institué pour la période 2007-2013 par la décision n° 435/2007 du Conseil du 25 juin 2007, le Fonds européen d’intégration des ressortissants de pays tiers (FEI) fait partie du cadre du programme général « Solidarité et gestion des flux migratoires », qui vise à améliorer la gestion des flux migratoires à l’échelle de l’Union européenne et à renforcer la solidarité entre les États membres. Sa mise en place répond au constat selon lequel l’intégration des ressortissants de pays tiers est un élément clé dans la promotion de la cohésion sociale et économique des États membres de l’Union européenne.

Si le fonds vise principalement les actions concernant les ressortissants de pays tiers arrivés depuis peu, c’est-à-dire arrivés et installés en France depuis cinq ans au plus, il cible également des groupes spécifiques : jeunes, femmes, personnes âgées ou personnes souffrant d’un handicap.

Le FEI dispose d’une enveloppe globale européenne de 825 millions d’euros pour la période 2007-2013, dont 67 millions pour la France.

Le programme pluriannuel 2007-2013 présenté par la France dans ce cadre a permis de développer des interventions destinées aux immigrés âgés.

Ainsi, l’action 3 de l’objectif 2 vise à « favoriser l’accès aux droits et à la santé pour les résidents étrangers/immigrés des foyers de travailleurs migrants (FTM) et résidences sociales (RS) ». Elle part du constat selon lequel les besoins de ces résidents ont longtemps été méconnus des dispositifs locaux. L’action prévoit le financement de partenariats et de cofinancements territorialisés liés, par exemple, aux programmes régionaux de santé publique. Il s’agit de mettre en place ou de développer :

– soit l’intervention d’acteurs spécialisés, notamment associatifs, intervenant à l’intérieur des établissements ;

– soit la mise en réseau avec les dispositifs locaux existants afin que progresse leur utilisation par les résidents de ces établissements.

Les premiers versements des crédits du FEI ont eu lieu en 2009. Depuis, il a soutenu, en France, 81 projets favorisant l’intégration des personnes âgées immigrées pour un montant total de 9 millions d’euros. Les projets peuvent être cofinancés jusqu’à 75 % de leur montant total pour une durée maximale de trois ans.

En 2012, les actions financées au titre de l’appel à projets FEI ont concerné trois grandes thématiques :

– l’accès aux droits et à la santé des personnes âgées immigrées, pour un montant de 1,4 million d’euros, dont une grande partie concerne plus particulièrement l’accès aux soins, notamment en cas de maladie d’Alzheimer et de troubles psycho-sociaux. Certaines de ces actions visent prioritairement des personnes en logement précaire, à des fins de prévention sanitaire et alimentaire et de rupture de l’isolement ;

– des actions de formation en direction des professionnels pour un montant de 500 000 euros. Il s’agit de former les professionnels de la santé, du social, du médico-social, du logement accompagné et du maintien à domicile sur les besoins des personnes âgées immigrées afin de proposer une offre de services de qualité. Des sessions de qualification s’adressent aux futurs travailleurs sociaux au stade de leur formation initiale ;

– des actions qui ciblent plus particulièrement les femmes âgées immigrées, pour un montant de 153 000 euros, afin de lever les freins qu’elles rencontrent pour accéder aux droits socio-sanitaires.

En 2013, la contribution du Fonds européen d’intégration devrait s’élever à 7,7 millions d’euros.

Ce sont ainsi des chargés de mission financés par le FEI qui réalisent les études préalables et les programmes d’action visant à la prise en charge du vieillissement des résidents âgés de foyers de travailleurs migrants gérés par ARALIS, selon M. Richard Jeannin, son directeur général.

Cependant, la pérennité de tels financements n’est pas aujourd’hui assurée. Par la communication du 15 novembre 2011, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont présenté un projet visant à mutualiser les instruments financiers qui concernent les ressortissants des États tiers en fusionnant le FEI, le Fonds européen pour les réfugiés (FER) et le Fonds pour le retour (FR) en un fonds unique baptisé « Asile et migration ». La Commission européenne s’est fixé pour objectif d’approuver le nouveau règlement à la fin de l’année 2013 dans le but de le rendre applicable à la future programmation financière portant sur la période 2014-2020.

Votre rapporteur souhaite que les financements d’actions destinées aux immigrés âgés provenant de l’Union européenne ne soient pas victimes de cette simplification des outils de programmation européens. Entendu par la mission, M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, a précisé que la Commission européenne n’était pas hostile à l’existence d’enveloppes ciblant des publics spécifiques.

Dans le cadre de la présentation de ses objectifs en matière d’asile, de retour et d’intégration, qui nourrissent le dialogue politique au sein de l’Union européenne, la France doit donc insister sur la pérennisation de ce volet innovant des financements de l’Union européenne. Votre rapporteur considère qu’il s’agit d’un domaine dans lequel la France peut être exemplaire en Europe : en s’assumant comme société d’immigration, elle trace l’avenir pour toute l’Union. En retour, l’Union doit donc contribuer à cette tâche.

Proposition n° 18

Pérenniser les financements provenant du budget européen destinés à financer les actions en faveur de l’insertion sociale des immigrés âgés.

• Renforcer les liens avec les organismes de sécurité sociale
et les collectivités territoriales

L’élaboration de chaque PRIPI ou PDI doit se fonder sur des groupes de travail thématiques associant de nombreux acteurs, dont les centres de ressources en matière de politique de la ville. Cette méthode peut inciter au lancement d’études thématiques, à l’exemple d’une « recherche-action sur les femmes âgées immigrées en Essonne », présentée à la mission, et que le Centre de ressources politique de la ville en Essonne a réalisée sur la base de sa première contribution à l’élaboration du PRIPI d’Île-de-France et du PDI de l’Essonne.

Toutefois, il semble que certains partenaires peuvent être réticents à l’idée de prendre en compte la spécificité de cette population, afin d’éviter toute forme de stigmatisation.

Or, les fonds mobilisés au travers des PRIPI permettent le plus souvent des cofinancements. Ils peuvent également soutenir des projets innovants et jouer alors un rôle de « fonds d’amorçage ». Face au risque de « saupoudrage » des fonds publics, votre rapporteur estime qu’une stratégie cohérente, fondée sur un bon diagnostic local, associant l’ensemble des acteurs, est indispensable pour que les fonds jouent un véritable effet de levier.

Il estime donc que la participation des collectivités territoriales et des caisses de sécurité sociale gagnerait à être formalisée préalablement au renouvellement des PRIPI et PDI.

Proposition n° 19

Subordonner le renouvellement des programmes régionaux et départementaux d’intégration des populations immigrées (PRIPI-PDI) à un diagnostic partagé avec les collectivités territoriales et formalisé sous la forme de conventions avec ces dernières et les caisses de sécurité sociale.

Ce type de partenariat permettra par exemple de renforcer le rôle d’un des dispositifs les plus prometteurs financés par un PRIPI ou PDI : la création de postes d’agents de développement local pour l’intégration (ADLI). Lancé en 1996, ce dispositif permet de faire assurer par une personne qualifiée une mission d’accompagnement renforcé et de nature collective au-delà de la phase d’accueil des primo-arrivants. L’ADLI est ainsi en mesure de mobiliser les différents acteurs en charge des politiques de droit commun afin qu’ils prennent mieux en compte la situation des immigrés présents de longue date sur notre territoire, et notamment des immigrés âgés.

En 2010, des ADLI sont présents dans vingt-et-un départements (108) : une quinzaine de postes sont financés grâce aux crédits du programme budgétaire 104 ; la rémunération du solde est couverte par des dotations du Fonds européen d’intégration. Plusieurs PRIPI 2010-2012 contenaient l’objectif de créer un poste d’ADLI. Le PRIPI du Languedoc-Roussillon proposait par exemple la création d’un ADLI dans le département du Gard : les missions de ce dernier ont été fixées dans le plan départemental d’intégration, décrit dans l’encadré ci-dessous.

LE PLAN D’ACTION ENVERS LES IMMIGRÉS ÂGÉS ÉLABORÉ
DANS LE PLAN DÉPARTEMENTAL POUR L’INTÉGRATION (PDI) DU GARD

L’établissement d’un PRIPI ou PDI fournit aux services de l’État et à leurs partenaires l’occasion d’une « prise de conscience ». Il a été indiqué à la mission lors de la présentation, à Nîmes, du PDI du Gard, que son élaboration avait permis de mesurer la faible mobilisation par les personnes âgées immigrées des dispositifs et programmes de droit commun mis en œuvre pour les accompagner. La déclinaison départementale du programme régional s’est inspirée des résultats du travail d’un ADLI dans l’Hérault qui avait identifié le besoin de création d’un centre local d’information et de coordination gérontologique (CLIC) à Lunel, commune limitrophe du Gard dont la population immigrée âgée est élevée. Un poste a ainsi été créé, financé par des crédits du PRIPI. Une travailleuse sociale a été chargée d’une mission d’intermédiation visant à faire connaître aux institutions les obstacles spécifiques rencontrés par ce public et à diffuser de l’information relative à ces institutions auprès des immigrés âgés. L’ADLI est allé, pendant plusieurs mois, à la rencontre de personnes immigrées âgées et de leur entourage, des structures associatives et des services institutionnels.

Elle a constaté la faible visibilité du public pour les multiples dispositifs et services spécialisés auprès des personnes âgées présentes sur le département.

Elle a élaboré un plan d’action identifiant des thèmes spécifiques tels que les besoins des aidants familiaux, dont des femmes jeunes amenées à interrompre leurs études pour s’occuper d’un aïeul ; l’insécurité subie par des personnes âgées résidant dans certains quartiers prioritaires de la politique de la ville ; les difficultés en matière de mobilité liées à l’inadaptation de certains plans de déplacement des transports collectifs, accentuées par les problèmes de santé (mal de dos, douleurs articulaires) pour effectuer les courses alimentaires et l’absence d’utilisation des services de portage à domicile.

Le plan conclut à la nécessité de mettre en place un accompagnement global, inscrit dans une logique de continuité, prenant en compte tous les aspects de la vie de la personne âgée (santé, logement, accès aux droits, vie sociale).

Les différents intervenants ont fait état devant la mission de leur volonté de dépasser le cloisonnement des acteurs : c’est un des résultats de l’établissement du PDI et de l’action de l’ADLI sur les immigrés âgés.

B. ASSURER AUX IMMIGRÉS VIEILLISSANTS DES CONDITIONS DE LOGEMENT ADAPTÉES

La première des garanties qu’il convient d’apporter aux immigrés âgés vieillissants consiste à leur assurer un environnement stable, ce qui suppose des conditions de logement adaptées à leurs problèmes, qui, hors le cas spécifique du vieillissement en foyer de travailleurs migrants − anomalie qu’il convient de résoudre de manière urgente −, sont similaires à ceux que connaît le reste de la population vieillissante.

En effet, les années passées dans le pays d’accueil au temps de la vieillesse sont vécues dignement lorsque l’immigré âgé dispose d’un environnement adapté à ses besoins nouveaux. En la matière, le legs de la politique de logement des immigrés constitue un passif mais présente également une opportunité : les foyers de travailleurs migrants transformés en résidences sociales peuvent être des points de repères pour conduire une politique médico-sociale adaptée aux besoins de l’ensemble des immigrés âgés isolés à condition de les ouvrir sur leurs quartiers.

Selon votre rapporteur, il s’agit de passer d’une logique qui consistait à loger dans le but de contrôler à une démarche visant offrir des services dans le but de permettre l’accès à l’ensemble des droits : habiter dans un environnement de qualité nécessite en effet, avec l’avancée en âge, de combiner logement et services.

1. En finir avec l’anomalie du vieillissement en foyer de travailleurs migrants

Votre rapporteur a insisté sur la dégradation des conditions de logement au sein des foyers de travailleurs migrants. Il considère qu’il n’est pas acceptable que des retraités immigrés, arrivés en France au cours des décennies passées pour y travailler, continuent d’être logés de cette façon. Aussi appelle-t-il de ses vœux la disparition des anciens foyers et leur remplacement par des résidences sociales plus adaptées au vieillissement des résidents.

a) Mener à son terme le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

• Engager la transformation de l’ensemble des foyers

La réhabilitation des anciens foyers passe par la poursuite du plan de traitement qui connaît, comme votre rapporteur l’a déjà souligné, un retard important. Aux termes de la convention du 14 mai 1997 déjà citée, trois cent vingt-six foyers devaient être transformés en priorité en résidences sociales dans un délai de cinq ans. Or, cet objectif n’a toujours pas été atteint, plus de dix ans plus tard.

D’après les représentants du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées entendus par la mission, ce retard traduit la conjonction d’une série d’obstacles : en premier lieu, la réhabilitation des anciens foyers conduit à une augmentation de la surface des logements et, partant, à une diminution potentielle du nombre de logements sur un même site, ce qui pose par conséquent la question du relogement de l’ensemble des résidents, à plus forte raison lorsque les établissements connaissent une suroccupation importante ; en deuxième lieu, les bailleurs peuvent hésiter à investir dans des travaux parfois très coûteux et peu rentables à court terme. Le plan stratégique du patrimoine (PSP) 2012-2021 défini par Adoma prévoit par exemple des investissements à hauteur de 1,3 milliard d’euros sur une période de dix ans ; en troisième lieu, le passage du foyer à la résidence sociale ne rencontre pas toujours l’adhésion des intéressés eux-mêmes, en raison de la hausse du montant des redevances à laquelle il donne lieu. Plusieurs témoignages recueillis par la mission, notamment à l’occasion de sa visite de la résidence sociale Adoma de Woippy, rappellent que certains résidents font le choix de ne pas loger en résidence sociale afin de pouvoir continuer à envoyer de l’argent à leur famille.

D’autres facteurs expliquent également les difficultés à mener à bien le plan de traitement. Tout d’abord, la transformation d’un foyer suppose parfois de trouver de nouveaux sites d’implantation. La restructuration du foyer « Pinel », situé à Saint-Denis, a ainsi non seulement entraîné la reconstitution de l’établissement sur site mais s’est accompagnée de la construction de cinq autres résidences sociales (109). La disponibilité de sites de desserrement apparaît donc comme un préalable indispensable. À titre d’exemple, aucun projet parisien n’a pu voir le jour en 2008 en raison de l’absence de sites de ce type (110).

Ensuite, la transformation de certains foyers implique de disposer de sites « tiroir » destinés à loger temporairement les résidents pendant la réalisation des travaux. Là encore, si certains foyers en régions, implantés sur des terrains suffisamment vastes, peuvent y avoir recours, cela n’est pas toujours le cas lorsque les foyers sont au cœur d’espaces urbains plus denses. Ainsi, comme le rappelle le seizième rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, « la recherche de terrains ou d’immeubles pour la réalisation des opérations de desserrement ou des opérations tiroir est particulièrement difficile en zone tendue. Outre les difficultés habituelles que rencontrent les projets de logements sociaux, les projets qui concernent les résidences sociales issues de FTM ne sont pas les plus faciles à faire accepter ».

LA TRANSFORMATION DES FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS (FTM)
À PARIS

Paris et la Petite Couronne comptent 33 600 lits en foyer de travailleurs migrants (FTM). Le quart de ces lits, soit 8 610, est réparti entre 45 foyers situés dans Paris.

En 2005, la Ville de Paris – qui a récupéré la compétence de l’aide à la pierre – a pris la conduite du plan de traitement (2005-2013). 24 foyers (soit 4 830 lits) doivent être rénovés dans ce cadre.

Dans un premier temps, l’accord passé entre l’État (CILPI et préfecture), la Ville de Paris (mairie centrale et mairies d’arrondissements) et les gestionnaires de foyers a permis de voter le financement de la transformation de 7 foyers en 2006 et 2007.

Néanmoins, des blocages, notamment avec les résidents ou leurs représentants, ont ralenti l’avancée des projets. Le problème de la représentativité des délégués, des espaces collectifs, des résidents surnuméraires, des cuisines illégales ou hors normes, du maintien des résidents dans Paris, ou encore de la limitation des travaux en milieu occupé, ont été et sont encore des difficultés soulevées de façon récurrente.

Afin d’éviter ces blocages, des règles communes, valables pour le traitement de l’ensemble des foyers parisiens ont été édictées, parmi lesquelles :

– la mise en place d’élections dans les foyers : un premier protocole d’élections a été signé en septembre 2006 et revu en 2008. Il vise à garantir une représentativité des délégués lors des réunions de concertation liées aux réhabilitations ;

– l’installation, dans chaque foyer, d’un bureau pour le comité des résidents ainsi que d’une salle polyvalente ;

– la prise en compte des résidents surnuméraires : pour être relogés au sein du patrimoine immobilier des différents gestionnaires, ils doivent être détenteurs d’un titre de séjour, avoir résidé dans le foyer pendant trois ans et être parrainés par un résident titulaire ;

– le traitement de la question des cuisines illégales : la définition d’un plan de création d’une dizaine de restaurants sociaux implantés dans les foyers mais disposant d’un accès direct sur l’extérieur est prévu ;

– la mise en service de près de 1 000 places d’hébergement temporaires réparties sur 8 sites afin de permettre le lancement des travaux des foyers en milieu partiellement ou totalement libre. Certains de ces sites devraient être réutilisés pour l’accueil temporaire ou définitif (après passage en résidences sociales) de résidents issus de foyers dont les transformations seront financées dans les prochaines années.

À ce jour, 21 réhabilitations de FTM ont été financées, 3 résidences ont été livrées, 11 sont en cours de travaux, 3 réhabilitations restent à financer en 2013. Un foyer supplémentaire (situé dans le XVIIIe arrondissement) a été traité hors plan de traitement des foyers de travailleurs migrants sur fonds propres.

Au 31 décembre 2012, 242,8 millions d’euros ont été dépensés pour le traitement des 21 foyers financés dans le cadre du plan de traitement, représentant 3 528 logements.

Parallèlement, 18 résidences sociales de desserrement, soit 802 logements, ont été financées afin de permettre la compensation des pertes de capacités pour un coût total de 84,2 millions d’euros.

Le coût total du plan de traitement parisien s’élevait donc à 327 millions d’euros à la fin de l’année 2012 (hors effort de la Ville de Paris sur la charge foncière).

Source : Ville de Paris.

Même si ces obstacles ne doivent pas être minimisés, votre rapporteur considère que les conditions de vie dans certains foyers et la nécessaire mise aux normes du patrimoine imposent de mener à terme la réalisation du plan de traitement.

Il conviendrait tout d’abord d’engager sans tarder les derniers travaux correspondant au plan lancé en 1997 et prorogé par la suite. Il n’est pas admissible que plus de vingt foyers dont la transformation était considérée comme prioritaire en 1997 continuent d’offrir à leurs résidents les conditions de vie que l’on sait.

Votre rapporteur a précisé plus haut que soixante-deux foyers identifiés dès 1997 parmi ceux à traiter en priorité avaient été transformés en résidences sociales sans avoir fait l’objet de travaux. Aussi conviendrait-il de s’assurer que ces établissements respectent les normes de logement propres aux résidences sociales et, si tel n’est pas le cas, de procéder à leur réhabilitation dans les meilleurs délais.

Par ailleurs, si la définition d’une priorité de traitement pouvait avoir du sens en 1997, elle n’est désormais plus justifiée : aucun foyer « ne peut durablement rester dans la configuration qui a été celle de sa construction » (111). Aujourd’hui, il reste environ trois cent quarante foyers à transformer en résidences sociales, parmi lesquels deux cents ne feraient partie d’aucun projet, d’après les chiffres transmis à la mission par la CILPI (voir tableau ci-dessous pour la situation à la fin de l’année 2012).

Or, comme votre rapporteur l’a mentionné à plusieurs reprises, les conditions de vie des résidents n’y sont généralement pas satisfaisantes. En effet, même si ces foyers ne constituent pas tous un habitat indigne, les espaces individuels et collectifs, ainsi que les équipements, souvent anciens et usés, apparaissent inadaptés aux besoins des personnes logées.

LE PLAN DE TRAITEMENT DES FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS (PTFTM)
À LA FIN DE L’ANNÉE 2012

Situation au milieu des années 1990

680 FTM

dont environ 320 FTM recensés comme étant « à traiter »

Estimation de l’évolution et de la situation actuelle

(fin 2012)

20 FTM fermés ou transformés en d’autres établissements (CADA, hébergement, etc.)

(3 %)

320 FTM dont la transformation en résidences sociales (RS) est réalisée, ou décidée et à réaliser

(47 %)

340 FTM pas encore
transformés en RS

(50 %)

Environ 260 FTM transformés en RS avec réalisation de travaux (achevés, en cours ou à réaliser à court terme)

(81 %)

Environ

60 FTM transformés en RS sans travaux

(19 %)

Environ

140 FTM
à transformer dans le cadre de la poursuite du plan de traitement

(41 %)

Environ

200 FTM dont le devenir reste à déterminer

(59 %)

Source : Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées.

Votre rapporteur appelle donc de ses vœux la transformation de l’ensemble des foyers en résidences sociales, déjà évoquée dans la circulaire du 4 juillet 2006. Dans ce cadre, il souhaite faire de la réhabilitation des foyers qui accueillent une part significative d’immigrés retraités une priorité. À l’instar du directeur général d’Adoma, M. Bruno Arbouet, il considère que les délais de transformation des établissements justifient d’accentuer l’effort en direction de ces foyers. L’amélioration des conditions de vie des retraités âgés qui s’y trouvent constitue en effet non seulement une nécessité mais aussi un devoir.

Votre rapporteur partage l’idée selon laquelle le plan de traitement, à la fois « mesure de relance de l’activité économique » et « mesure de dignité » (112), devrait être achevé dans les délais les plus brefs. Il pense, en revanche, que le délai de dix-huit mois, mentionné dans le rapport de M. Thierry Tuot sur la refondation des politiques d’intégration, apparaît trop ambitieux et considère que le calendrier qu’il revient aux pouvoirs publics et aux bailleurs de définir devrait laisser à ces dernier une plus grande marge de manœuvre.

La transformation des foyers les plus éloignés des normes de logement devrait par ailleurs continuer de faire l’objet d’une attention particulière. Si, comme le rappelle le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées dans son rapport déjà cité, la diminution de 37 % du nombre de lits conventionnés à l’aide transitoire au logement (ATL) (113) entre 2000 et 2008 témoigne de la disparition progressive des places au sein des foyers comportant des dortoirs ou des chambres de 4,5 mètres carrés, trente-sept foyers, représentant 6 423 lits, font toujours l’objet d’un conventionnement à l’ATL en 2012 (114). Au regard de leur mauvais état général, ces établissements devraient bien évidemment être rapidement transformés en résidences sociales.

Votre rapporteur souhaite attirer l’attention sur un point. Certains foyers comportant des chambres de 7,5 mètres carrés, superficie inférieure aux normes applicables aux résidences sociales, ont néanmoins pu être agréés comme telles par le passé. Ces établissements offrent pourtant des prestations inadaptées aux besoins des immigrés vieillissants comme des nouveaux publics. C’est pourquoi votre rapporteur souhaite que les règles relatives aux superficies minimales des résidences sociales soient scrupuleusement respectées à l’avenir.

Il est regrettable, comme l’a précédemment évoqué votre rapporteur, que la transformation des foyers en résidences sociales se traduise parfois par un isolement accru des résidents, en raison de l’autonomisation des logements et de la diminution des espaces collectifs. Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, a insisté devant la mission sur les conséquences négatives de la disparition de ces espaces et a appelé de ses vœux la construction de résidences sociales dotées d’espaces de vie collectifs. Votre rapporteur considère lui aussi que les bailleurs devraient s’efforcer de mettre en place ce type d’espaces, tant il apparaît que le maintien des liens entre les résidents influe positivement sur leurs conditions de vie.

Dans cette perspective, il conviendrait aussi d’encourager la création de résidences sociales comportant des unités de vie, au sein desquelles les personnes disposeraient de cuisines et de salles à manger communes, comme cela existe déjà aujourd’hui dans certains établissements. Si votre rapporteur a conscience que les studios autonomes sont plus adaptés aux attentes et besoins des nouveaux publics accueillis (notamment des personnes les plus jeunes), il estime néanmoins que la mise en place d’unités de vie devrait être encouragée dans le cadre de la poursuite du plan de traitement.

• Réaffirmer la répartition de l’effort financier

La question de la répartition du financement du plan de traitement mérite d’être de nouveau posée. Depuis 1997, 1,571 milliard d’euros ont été investis dans la réhabilitation des foyers (voir graphique page 137 pour la répartition des efforts financiers en faveur du plan de traitement). Par ailleurs, le coût moyen des travaux a augmenté de manière significative entre 1997 et 2012, en raison, notamment, de la production de logements individuels autonomes, de l’augmentation de la part des opérations de démolition-reconstruction ou encore de la définition de normes d’accessibilité plus contraignantes (voir graphique ci-dessous).

COÛT MOYEN DES OPÉRATIONS DE TRAVAUX VALIDÉES PAR LA COMMISSION INTERMINISTÉRIELLE POUR LE LOGEMENT DES POPULATIONS IMMIGRÉES (CILPI)
(en millions d’euros)

Source : Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées.

Votre rapporteur a conscience des enjeux en la matière. À cet égard, les remarques formulées devant la mission par le délégué général de l’UNAFO portant sur l’avenir des financements octroyés par Action Logement (115) et la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté du ministère de l’intérieur, au titre du programme budgétaire « Intégration et accès à la nationalité française », doivent retenir toute l’attention. Entre 2012 et 2013, les crédits octroyés par l’État ont légèrement diminué, comme l’indique le tableau ci-dessous.

CRÉDITS ENGAGÉS AU TITRE DU PLAN DE TRAITEMENT DES FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS (PROGRAMME BUDGÉTAIRE 104)

(en millions d’euros)

Projet de loi de finances

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

PLF 2009

12

12

PLF 2010

12,745

12,745

PLF 2011

12

12

PLF 2012

12

12

PLF 2013

11,04

11,04

La poursuite du plan de traitement passe par la redéfinition préalable des missions de l’ensemble des acteurs concernés – principalement Action Logement, l’État, les collectivités territoriales, la Caisse des dépôts et consignations, l’ANRU, l’ACSé et les bailleurs – et la répartition équitable des efforts financiers consentis par eux. La généralisation de la transformation des foyers devrait être l’occasion de rappeler la nécessité de l’implication financière des collectivités territoriales, qui n’a pas toujours été suffisante par le passé.

La poursuite du plan de traitement pourrait également passer par la modification de la répartition des parts de capital détenues par les actionnaires d’Adoma (voir graphique ci-dessous). Appelée de ses vœux par son directeur général, elle favoriserait l’accélération du traitement des foyers gérés par le bailleur historique, et notamment des foyers logeant une part significative d’immigrés retraités. Une des pistes avancées consisterait à doter la Caisse des dépôts et consignations – qui participe aux financements des travaux par le biais du prêt Action Logement – d’une part de capital plus élevée, tandis que la participation de l’État diminuerait d’autant. En tout état de cause, Adoma conserverait sa mission de service public.

RÉPARTITION DU CAPITAL D’ADOMA

Source : Adoma

RÉPARTITION DES EFFORTS FINANCIERS EN FAVEUR DU PLAN DE TRAITEMENT DES FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS
(1997-2012)

Note : le montant total de l’effort financier est égal à 1,571 milliard d’euros sur la période 1997-2012. Les prêts représentent 51,3 % du total, les subventions 41,5 %, et les fonds propres 7,2 %.

Source : Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées.

• Faire de la transformation des foyers un objectif politiquement assumé

Votre rapporteur pense que le retard accumulé par le plan de traitement est aussi le résultat de l’implication trop faible des gouvernements précédents. Or, la condition des immigrés âgés – trop souvent « oubliés » par les politiques publiques – ne pourra être améliorée que si le sujet fait l’objet d’une impulsion politique forte, relayée par l’ensemble des ministres compétents. Votre rapporteur demeure convaincu qu’un discours politique volontariste et cohérent est un prérequis indispensable à toute évolution en la matière. À cet égard, il se félicite des engagements pris par les différents ministres devant la mission.

Proposition n° 20

Mener à son terme le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) en cours et engager la transformation de l’ensemble des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales.

Proposition n° 21

Transformer en priorité les foyers accueillant une part significative d’immigrés retraités.

Proposition n° 22

S’assurer que les foyers transformés en résidences sociales sans travaux respectent les normes de logement propres à ces dernières et procéder, si cela s’avère nécessaire, à leur traitement.

Proposition n° 23

Accorder une attention particulière à la transformation des foyers les plus éloignés des normes de logement.

Proposition n° 24

Veiller à ce que les résidences sociales issues de la transformation des foyers de travailleurs migrants respectent systématiquement les normes de logement (et notamment celles relatives à la superficie) qui leur sont applicables.

Proposition n° 25

Encourager la création de résidences sociales disposant à la fois de studios et d’unités de vie afin de favoriser le maintien du lien social entre les résidents.

Proposition n° 26

Redéfinir les missions des principaux acteurs (État, collectivités territoriales, Caisse des dépôts et consignations, Agence nationale pour la rénovation urbaine, Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, bailleurs) intervenant dans le cadre du plan de traitement des anciens foyers et procéder à une répartition équitable de leur participation financière.

Proposition n° 27

Envisager la modification de la répartition des parts du capital d’Adoma dans le but d’accélérer la réalisation du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants.

b) Aménager les règles relatives à l’organisation intérieure
des logements-foyers

• Repenser la réglementation intérieure

Votre rapporteur considère que les règlements intérieurs des logements-foyers, vestiges de leur fonction de contrôle des populations hébergées, ne sont aujourd’hui plus adaptés. Si la « loi SRU » du 13 décembre 2000 a conféré aux personnes vivant en foyer le statut de résidents, ce qui a indiscutablement constitué un progrès, il n’en reste pas moins que les règlements intérieurs apparaissent, dans leur rigueur excessive, d’un autre âge.

C’est pourquoi votre rapporteur appelle de ses vœux leur réécriture. À cet égard, il serait certainement utile qu’une charte nationale des bonnes pratiques, qui servirait de guide pour la révision des règlements intérieurs, soit établie en amont.

En premier lieu, les résidents de logement-foyer ne peuvent héberger de personnes extérieures que dans le cadre d’une procédure très encadrée, impliquant une déclaration préalable au bailleur. Si cette règle a pu apparaître justifiée au moment de la construction des foyers, elle semble aujourd’hui particulièrement stricte et contraignante et devrait donc être assouplie.

Ainsi, sans doute serait-il opportun de réfléchir aux moyens de modifier le cadre juridique de l’hébergement d’une ou plusieurs tierces personnes et de s’interroger en particulier sur la pertinence du maintien en vigueur des durées mentionnées à l’article R. 633-9 du code de la construction et de l’habitation (voir encadré ci-dessous).

Le droit d’hébergement reconnu aux résidents pourrait ainsi ne faire l’objet d’aucune limitation au cours d’une année, afin que ces derniers puissent vivre en compagnie de la personne de leur choix. Cela ne devrait toutefois être possible qu’à condition que la sécurité des résidents ne soit pas mise en cause.

L’HÉBERGEMENT D’UNE TIERCE PERSONNE EN LOGEMENT-FOYER

Article R. 633-9 du code de la construction et de l’habitation

La personne logée peut héberger temporairement un ou des tiers dans les conditions prévues au règlement intérieur.

Le règlement intérieur prévoit la durée maximum de l’hébergement, qui ne peut excéder trois mois dans l’établissement pour une même personne hébergée. Il indique, en tenant compte de la vocation de l’établissement, des caractéristiques des logements et des conditions de sécurité, le nombre maximum de personnes pouvant être hébergées dans le logement ainsi que la durée maximale d’hébergement de tiers par une même personne logée, qui ne peut excéder six mois par an. Il prévoit l’obligation, pour la personne logée, d’informer le gestionnaire de l’arrivée des personnes qu’il héberge, en lui déclarant préalablement leur identité. Il reproduit intégralement les articles L. 622-1 à L. 622-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Le règlement intérieur peut prévoir que la personne logée titulaire du contrat acquitte un montant forfaitaire correspondant à une participation aux charges supplémentaires occasionnées par l’hébergement d’un ou plusieurs tiers ; les dispositions tarifaires applicables sont annexées au règlement intérieur.

En deuxième lieu, comme votre rapporteur l’a brièvement évoqué, le système de location alternée pratiqué dans certains logements-foyers offre une réelle souplesse aux résidents souhaitant séjourner à l’étranger plusieurs mois par an. Elle leur permet en effet d’acquitter leur loyer au prorata de la durée de leur présence au sein du logement. Si l’APL ne peut être versée en raison de leur insuffisante durée de résidence en France au cours de l’année civile, il n’en reste pas moins que la location alternée apparaît comme une solution financièrement avantageuse. Elle permet en outre d’éviter que des logements demeurent inoccupés pendant plusieurs mois et garantit aux bailleurs une plus grande marge de manœuvre dans la gestion de leur offre.

La location alternée implique toutefois la mise en place d’un contrat dérogatoire au droit commun du code de la construction et de l’habitation, dont le quatrième alinéa de l’article L. 633-2 prévoit que « le contrat est conclu pour une durée d’un mois et tacitement reconduit à la seule volonté de la personne logée ».

Aussi, peut-être faudrait-il réfléchir aux moyens de sécuriser le cadre juridique de la location alternée et ainsi autoriser expressément les résidents de logements-foyers à y recourir en signant un contrat d’occupation de plusieurs mois. Celui-ci préciserait la durée d’occupation du logement et pourrait être résilié dans les conditions actuellement prévues par l’article L. 633-2 précité.

En troisième lieu, il s’agirait de mettre un terme aux activités économiques « informelles » et illégales ayant cours dans certains logements-foyers, en raison notamment des nombreux risques, en particulier de sécurité, qu’elles entraînent. Cela ne devrait toutefois pas empêcher de légaliser celles qui peuvent l’être, comme la restauration.

Enfin, plusieurs résidents de logements-foyers rencontrés par la mission ont affirmé que le personnel disposait de clés permettant d’accéder à l’ensemble des chambres, ce que Mmes Geneviève Petauton, présidente du COPAF, et Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH), ont d’ailleurs confirmé lors de leur audition mais ce que les bailleurs ont vivement réfuté. Si cela s’avérait toutefois exact, il y aurait là une violation manifeste de la vie privée de ces personnes à laquelle il conviendrait de mettre un terme sans tarder.

Le droit au respect de la vie privée fait en effet l’objet d’une stricte protection tant au plan international que national. Le 1 de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule ainsi que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Le droit au respect de la vie privée est également protégé dans l’ordre juridique interne. L’article 9 du code civil pose à cet égard que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Il ressort par ailleurs de l’étude de la jurisprudence constitutionnelle, judiciaire et administrative que ce droit fait l’objet d’une protection particulièrement forte. Ainsi, dans une décision de 1995, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il appartenait au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, les objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public
– notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens – et de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, « l’exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d’aller et venir ainsi que l’inviolabilité du domicile » 
(116). La méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut donc être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle.

De son côté, la Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt de 1996, l’illégalité de « toute immixtion arbitraire dans la vie privée d’autrui » (117) et, dans un arrêt de 2004, l’interdiction de pénétrer dans le domicile d’une personne sans autorisation (118). Enfin, dans une ordonnance rendue en 2007 dans le cadre d’un référé-liberté, le Conseil d’État a précisé que le droit au respect de la vie privée constituait une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (119) – qui permet au juge des référés « d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ».

Si la détention et l’utilisation des clés par le personnel des logements-foyers peuvent être justifiées dans certains cas – par exemple lorsque le résident a expressément donné son accord ou que la chambre n’est pas occupée –, cela ne saurait constituer une règle générale. Votre rapporteur considère en effet que la détention, par le bailleur, de l’ensemble des clés et la possibilité, pour le personnel, de « visiter » les chambres de façon discrétionnaire, ne sont pas justifiées. À cet égard, il ressort d’une note de service d’Adoma du 16 juin 2009 (n° 22-2009) que « toute intervention dans le logement doit faire l’objet d’une information préalable du résident ». La seule information des personnes concernées n’est cependant pas suffisante. Votre rapporteur ne disposant pas d’informations relatives aux règles mises en place par les autres bailleurs, il s’interroge sur le régime en vigueur dans les foyers gérés par ces derniers.

En tout état de cause, la possibilité – pour toute personne susceptible d’intervenir au sein des foyers – de « visiter » les chambres devrait être subordonnée à l’accord des résidents, sauf en cas de force majeure. Il appartient dès lors aux règlements intérieurs de rappeler la protection dont le droit au respect de la vie privée fait l’objet et de poser les règles applicables en la matière. Votre rapporteur estime de surcroît que la publication d’une circulaire réaffirmant les principes mentionnés plus haut serait de nature à donner plus de poids à ce changement.

Proposition n° 28

Réfléchir aux moyens de modifier les dispositions juridiques encadrant l’hébergement d’une ou plusieurs tierces personnes en logements-foyers.

Proposition n° 29

Autoriser expressément les résidents de logements-foyers à recourir à la location alternée en signant un contrat d’occupation de plusieurs mois qui préciserait leurs droits et obligations.

Proposition n° 30

Mettre un terme aux activités économiques « informelles » pratiquées illégalement dans les logements-foyers et qui ne peuvent être légalisées.

Proposition n° 31

Réécrire les règlements intérieurs des logements-foyers conformément à une charte nationale des bonnes pratiques afin, notamment, de rappeler le droit au respect de la vie privée et l’interdiction, pour toute personne intervenant au sein des établissements, de pénétrer dans les espaces privatifs sans l’autorisation expresse des résidents, sauf en cas de force majeure.

• Renforcer le rôle du comité de résidents et du conseil
de concertation

À l’instar du COPAF, votre rapporteur considère que le rôle du comité de résidents présent dans les foyers et les résidences sociales pourrait être utilement renforcé. Tout d’abord, il est regrettable que ce comité, apparu dès les années soixante-dix, ne soit pas toujours mis en place dans les foyers et les résidences sociales alors qu’il constitue le mode traditionnel de représentation des résidents. Il est ressorti des déplacements de la mission que les personnes vivant dans ces établissements attachent une réelle importance à son existence et à son action. Aussi est-il nécessaire d’encourager sa mise en place dans l’ensemble des logements-foyers.

Par ailleurs, votre rapporteur est favorable à ce que ce comité dispose de prérogatives étendues. Il pourrait être chargé de représenter « les résidents d’un FTM tant dans les discussions et négociations directes avec le gestionnaire du foyer, que pour toutes les questions d’organisation et de régulation interne » (120). Il serait, par exemple, consulté avant toute décision tendant à augmenter le montant des redevances et donnerait son accord préalable à l’intervention d’associations à l’intérieur du logement-foyer ou encore à la mise en place d’animations culturelles. Il nommerait également les représentants du foyer au conseil de concertation, consulté, en application du quatrième alinéa de l’article L. 633-4 du code de la construction et de l’habitation, « notamment sur l’élaboration et la révision du règlement intérieur, préalablement à la réalisation de travaux, et sur tout projet et organisation, dont la gestion des espaces communs, susceptibles d’avoir une incidence sur les conditions de logement et de vie des occupants ».

Il semble ainsi nécessaire à votre rapporteur de faire du comité de résidents un acteur essentiel de l’organisation de la vie collective au sein des foyers et des résidences sociales. Cela pourrait se faire en lui conférant la personnalité morale, comme l’a proposé Mme Geneviève Petauton à l’occasion de son audition par la mission. Votre rapporteur voit notamment dans cette évolution une voie d’amélioration des relations parfois tendues qui existent entre les résidents et les bailleurs.

De plus, si la « loi SRU » avait fait le choix de reconnaître au comité de résidents une existence légale, la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement a supprimé la référence qui en était faite dans le code de la construction et de l’habitation. Votre rapporteur regrette cette évolution et estime que le comité de résidents devrait de nouveau être reconnu par la loi et le règlement.

Enfin, il apparaît que l’obligation de consulter le conseil de concertation avant toute révision du règlement intérieur n’est pas toujours respectée. Or, ce conseil étant composé, aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 633-4 du code de la construction et de l’habitation, de « représentants du gestionnaire et, s’il est distinct du gestionnaire, du propriétaire et, en nombre au moins égal, de représentants des personnes logées », il ne semble pas judicieux de se passer de son avis lorsque des modifications du règlement intérieur sont envisagées. Aussi conviendrait-il de veiller à ce que la révision des règlements intérieurs, que votre rapporteur a par ailleurs proposée, associe systématiquement les conseils de concertation.

Proposition n° 32

Encourager la mise en place d’un comité de résidents dans l’ensemble des foyers et des résidences sociales.

Proposition n° 33

Doter le comité de résidents de la personnalité morale et de prérogatives étendues afin d’en faire un acteur essentiel de l’organisation de la vie collective au sein des foyers et des résidences sociales.

Proposition n° 34

Inscrire dans la loi et le règlement l’existence et les missions du comité de résidents.

Proposition n° 35

Veiller à ce que le conseil de concertation soit systématiquement associé à la révision des règlements intérieurs des foyers et des résidences sociales.

2. Encourager le développement de résidences sociales et des services offerts par celles-ci

Votre rapporteur estime que les améliorations indispensables du bâti permises par le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants et l’amélioration du fonctionnement interne de ces foyers ne suffisent pas. Les résidents immigrés âgés se trouvent encore dans « une situation temporaire qui dure », comparable à celle dans laquelle ils ont été cantonnés durant leur vie active.

Logé en résidence sociale, l’immigré âgé n’en constitue pas pour autant le « cœur de cible » : les résidences sociales ont en effet été conçues pour des familles peu nombreuses ayant des revenus limités et des difficultés à se loger dans le parc immobilier traditionnel. Le logement accompagné a une vocation d’hébergement temporaire et constitue une solution intermédiaire entre l’hébergement et le logement social.

Le vieillissement des résidents immigrés exige de leur offrir les prestations auxquelles ils ont droit, en premier lieu les soins. Dès lors, le foyer, s’il est sufisamment relié à des services sociaux, peut ausi apparaître comme un centre de ressources. Comme la indiqué à la mission M. Rémi Gallou, chargé de recherche à la CNAV, la formation, par les gestionnaires de foyers, de leurs personnels permet aux personnes isolées dans le parc diffus de bénéficier, au sein des foyers, des informations qui y sont délivrées. Votre rapporteur considère que l’intervention sociale menée auprès des résidents vieillissants de foyers de travailleurs migrants peut constituer un axe structurant pour l’ensemble des mesures visant les personnes âgées immigrées et défavorisées.

L’adaptation des structures accueillant des immigrés âgés au vieillissement et à la dépendance doit conduire à les inscrire dans des réseaux favorisant l’accès aux soins et services à domicile de l’ensemble des personnes âgées défavorisées. Un partenariat avec les communes paraît décisif à ce titre.

a) Adapter les structures accueillant des immigrés âgés au vieillissement et à la perte d’autonomie

La transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales ne saurait aller sans l’adaptation des établissements au vieillissement des publics accueillis. De nombreux immigrés vieillissent actuellement au sein des logements-foyers, qui constituent pour eux une solution d’hébergement durable. Il importe donc que le plan de traitement intègre cette dimension et en tire toutes les conséquences quant à l’aménagement des espaces individuels et collectifs.

Cette préoccupation figurait déjà dans la circulaire du 4 juillet 2006 précédemment citée, aux termes de laquelle « une certaine adaptation des résidences sociales au vieillissement des publics » pouvait être envisagée dans la perspective de l’accroissement de ce phénomène au cours des années futures. Votre rapporteur considère qu’il faudrait à présent aller plus loin et ne pas se contenter d’envisager une « certaine adaptation » des établissements mais bien de garantir l’adaptation des résidences sociales aux besoins des résidents vieillissants.

Le maintien à domicile, très majoritairement souhaité par les immigrés âgés, ne peut en effet aller sans cette adaptation. Or, en l’état actuel, la configuration des pièces n’est souvent pas adaptée à l’intervention des services d’aide à domicile. Il est en effet malaisé « d’intervenir dans une chambre qui, dans une surface très réduite, contient toute la vie du résident » (121). La mission s’est rendu compte, à l’occasion des déplacements qu’elle a effectués au sein de foyers non transformés, que certains résidents éprouvaient de grandes difficultés à se déplacer et que les chambres comme les espaces et les équipements collectifs n’offraient pas les garanties nécessaires à la prise en charge de leurs handicaps. Aussi faut-il assurer dans les résidences sociales issues de la transformation des foyers une bonne prise en charge des différents handicaps, en prenant soin d’anticiper les besoins futurs.

Outre l’adaptation du bâti, qui obéit à des obligations règlementaires
– telles que l’accessibilité des parties communes de tous les bâtiments d’habitation collectifs neufs –, l’installation d’équipements supplémentaires non obligatoires devrait être encouragée. Il conviendrait de favoriser la mise en place de lits surélevés pour faciliter le lever et le coucher, de barres d’appui dans les sanitaires, de douches sans seuil et, plus généralement, de tout type d’équipements susceptibles d’assurer une prise en charge satisfaisante des différents handicaps.

Plus difficile à réaliser, l’adaptation du bâti des foyers dont la transformation en résidences sociales n’implique pas de démolition préalable devrait être encouragée. Il s’agirait de faire en sorte que les résidences sociales transformées dans ce cadre tendent aussi souvent que possible vers les normes définies pour les constructions neuves. Par exemple, il faudrait s’assurer que la surface et la disposition des chambres offrent aux personnes en fauteuil roulant suffisamment d’espace pour se déplacer sans contrainte excessive.

Proposition n° 36

Encourager, au sein des foyers transformés en résidences sociales, l’installation d’équipements destinés à assurer la prise en charge du vieillissement et de la dépendance, y compris lorsque la transformation n’implique pas de démolition-reconstruction.

La prise en charge du vieillissement ne constitue pas aujourd’hui un objectif à part entière des résidences sociales, ce qui ne facilite pas l’adaptation de ces structures à la situation des immigrés âgés.

Elles ont en effet été conçues pour permettre à des personnes de disposer d’un lit, d’une chambre ou d’un logement dans le cadre d’une étape de leur parcours vers l’accès à un logement autonome. La circulaire prévoyant leurs modalités de fonctionnement retenait l’objectif de maintien durable au domicile pour les seuls travailleurs migrants des foyers transformés. Depuis, dans les faits, la limitation des durées de résidence n’est plus considérée comme un impératif pour certains publics rencontrant des difficultés particulières d’accès à l’autonomie sociale. La dernière circulaire relative aux résidences sociales en date, précédemment citée, précise en son annexe 3 les conditions de prise en compte du vieillissement des travailleurs migrants.

ANNEXE 3 DE LA CIRCULAIRE N° 2006-45 DU 4 JUILLET 2006
RELATIVE AUX RÉSIDENCES SOCIALES

Les résidences sociales ne sont pas des établissements destinés à accueillir des personnes âgées dépendantes. Cependant, une certaine adaptation des résidences sociales au vieillissement des publics peut être envisagée, en prévision de l’accroissement de ce phénomène dans les dix prochaines années. Mais elle doit se limiter à permettre le maintien des résidents qui restent autonomes. Même adaptées, les résidences sociales gardent une mission principale de logement pour des publics diversifiés et ne peuvent assurer la fonction d’établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). En effet, ces derniers sont des établissements sociaux et médico-sociaux (article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles) qui ont pour mission principale l’accueil de personnes dépendantes dans un cadre conventionnel impliquant une mise aux normes importante du bâti, un accompagnement sanitaire par des personnels spécialisés et un fonctionnement en prix de journée.

À l’occasion d’un projet social portant sur l’adaptation au vieillissement, il pourra être prévu d’accueillir des immigrés vieillissants issus d’hôtels meublés ou d’un habitat indigne. Ce projet sera établi sur la base d’un état des lieux précisant outre l’état du bâti le nombre de personnes âgées accueillies dans le foyer ainsi que leur degré d’autonomie et permettant de définir des actions intégrant les résidents dans les dispositifs de droit commun d’action sanitaire et sociale. Ces actions s’appuieront sur les schémas gérontologiques départementaux et les coordinations locales, notamment CLIC, ou sur un partenariat associatif local offrant des prestations de service : portage des repas, aide à domicile, soins infirmiers, accompagnement social…

Le lien avec les CLIC et les services du conseil général doit faciliter la mise en réseau du foyer avec des EHPAD susceptibles d’accueillir des résidents devenus dépendants pour y faciliter leur accueil : inscription à temps sur liste d’attente, coordination, connaissance des publics, prise en compte de leurs ressources et besoins. Ceci suppose une information appropriée des résidents et un dialogue favorisant leur adhésion en amont.

Le projet social définira également un programme d’aménagement du bâti : dans le cas de création de surfaces nouvelles comme lors de rénovations importantes ou plus modestes, la réglementation impose de rendre accessibles les parties communes, logements et équipements, et de permettre la circulation des résidents à l’extérieur immédiat et à l’intérieur de la structure. De plus, dans le but d’améliorer la qualité d’usage pour tous les usagers de l’établissement, il peut être judicieux de réaliser des aménagements supplémentaires qui ne font pas systématiquement l’objet d’une obligation réglementaire (ascenseur, barres d’appui, revêtements de sol, …).

Afin de tenir compte des habitudes de vie acquises depuis de longues années, une possibilité de conserver à la marge des unités de vie (au sens des foyers de travailleurs migrants) pourra être prévue lorsque les résidents le souhaitent, sous réserve d’être transformables ultérieurement par des travaux simples, en logements autonomes.

Un espace commun destiné à assurer éventuellement des interventions sanitaires (infirmerie, salle de kinésithérapie) pourra être également prévu, notamment si la taille des logements est trop réduite pour permettre l’intervention des professionnels.

Les adaptations prévues par la circulaire le sont a minima. Par exemple, le maintien de lieux de vie collectifs est possible mais seulement « à la marge ». Si votre rapporteur convient que les résidences sociales ne sauraient devenir des établissements médicalisés pour personnes dépendantes, il juge que cette affirmation de principe figurant dans la circulaire oppose de façon excessivement binaire l’établissement pour personnes dépendantes et le logement pour personne autonome, alors qu’il existe un continuum en matière d’accueil des personnes âgées, notamment défavorisées, et qu’un effort soutenu en faveur de leur maintien à domicile est nécessaire pour prévenir la survenue de la grande dépendance. En outre, la médicalisation croissante des EHPAD, de plus en plus réservés aux personnes en situation de dépendance avancée, accroît le besoin de prise en compte des personnes âgées dans les structures non médicalisées où elles résident.

De telles réticences rejoignent le fait que la réorientation stratégique de l’ex-SONACOTRA, devenue Adoma, n’a pas inclus le vieillissement en tant que tel. En 1993, la société avait modifié ses statuts pour substituer à la mention des « travailleurs français ou étrangers venant en France » celle des « personnes ou familles, étrangères ou françaises, disposant de ressources modestes parmi lesquelles des jeunes en formation professionnelle ou en apprentissage et des étudiants disposant de faibles ressources » dans le but de modifier son cœur de cible. Selon M. Marc Bernardot, historien de la SONACOTRA, la résidence sociale a, pour la société, constitué « surtout l’occasion de modifier les discours sur la population logée dans les foyers [qui] se focalisent sur la possibilité de réorienter l’activité vers " les familles monoparentales " ou de " jeunes familles » (122).

Le vieillissement des retraités, et l’arrivée à l’âge de la retraite de nouveaux travailleurs migrants, notamment originaires d’Afrique subsaharienne, contredisent l’approche qui consisterait à voir dans la présence d’un public majoritairement immigré un legs du passé qui ne serait que transitoire. Votre rapporteur estime donc que les gestionnaires de foyers et de résidences sociales accueillant un grand nombre de travailleurs migrants retraités doivent pleinement assumer le fait qu’ils sont devenus des intervenants du domaine du logement pour personnes âgées défavorisées.

Il conviendrait dès lors d’orienter de façon résolue la stratégie des gestionnaires actuels de foyers et de résidences sociales accueillant des immigrés âgés vers des logements semi-collectifs adaptés au vieillissement. À défaut, votre rapporteur verrait une contradiction dans le fait d’afficher que la transformation en résidences sociales signe la fin des foyers, tout en assurant que le public âgé actuel fait l’objet d’un accompagnement social important : les investissements dans l’adaptation du logement aux personnes âgées et dans l’offre de services adaptés ne peuvent être crédibles que si le gestionnaire pense pouvoir le poursuivre au-delà de ses premiers bénéficiaires. Si les bailleurs envisagent le passage rapide à un public plus jeune, l’engagement en faveur des résidents âgés peut difficilement être pleinement assumé. Votre rapporteur considère que l’accompagnement social des résidents de foyers, dans la mesure où il représente un coût et mobilise des compétences spécifiques, doit donc être perçu comme « rentable » : rentable, d’une part, pour les partenaires des gestionnaires de foyers, tels que les collectivités, pour lesquels les foyers adaptés aux résidents âgés peuvent représenter un point d’appui des politiques destinées aux personnes âgées ; rentable, d’autre part, pour les bailleurs eux-mêmes, qui peuvent ainsi occuper un segment de l’offre de logement adapté pour personnes âgées défavorisées, immigrées ou pas, appelé à se développer considérablement dans les prochaines années.

Votre rapporteur estime donc qu’un effort résolu pour adapter les structures doit participer des expérimentations en cours en matière d’hébergement semi-collectif non médicalisé accueillant des personnes âgées autonomes mais qui ont besoin d’un cadre sécurisant et d’être occasionnellement aidées.

Selon le Rapport sur l’adaptation de la société au vieillissement de sa population remis au Premier ministre en mars 2013 par M. Luc Broussy, si 550 000 personnes âgées vivent en EHPAD, 116 000 vivent en logements-foyers. Le champ de l’hébergement intermédiaire pour personnes âgées fait actuellement l’objet d’innovations foisonnantes. Les représentants du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées entendus par la mission ont également plaidé pour la construction et l’adaptation de logements sociaux pour personnes âgées associant étroitement des services à la personne. Les logements-foyers disposent de studios ou de deux pièces offrant aux personnes âgées un logement indépendant avec possibilité de bénéficier de locaux communs et de services collectifs (blanchissage, restauration, salle de réunion, etc.). Les personnes âgées résidentes peuvent faire appel à des services d’aide à domicile hors de la structure tels que l’aide-ménagère ou le portage de repas, etc.

Les situations des logements-foyers pour personnes âgées et des foyers pour travailleurs migrants transformés en résidences sociales se recoupent parfois, surtout quand le foyer est initialement de taille modeste : le plan départemental d’intégration de la Seine-Saint-Denis 2010-2012 fait ainsi état de l’aménagement d’une unité de vie pour le maintien des résidents âgés au foyer « Abeille » d’Aubervilliers.

Un exemple de formule intermédiaire entre le domicile et l’institution est fourni par des logements-foyers soutenus par les caisses de la mutualité sociale agricole (MSA). À côté du maintien à domicile et en complément de celui-ci, la MSA a en effet cherché, depuis une vingtaine d’années, à maintenir dans leur cadre de vie des personnes âgées vivant en milieu rural qui ne voulaient plus ou ne pouvaient plus demeurer à leur domicile. Elle finance la création et le fonctionnement de petits établissements de moins de vingt-cinq résidents disposant de logements individuels et facilitant le recours aux services de soins et d’aide à domicile présents dans l’environnement de ce lieu de vie : il s’agit des maisons d’accueil rurales pour personnes âgées (MARPA). D’après les informations fournies par la CCMSA à votre rapporteur, les MARPA ne s’adaptent actuellement pas à toutes les configurations territoriales et à tous les publics, notamment aux immigrés âgés anciens salariés agricoles, bien qu’elles soient habilitées à l’aide sociale et à l’aide personnalisée au logement. Votre rapporteur considère que la présence d’immigrés âgés dans ces institutions emblématiques contribuera à lever les discriminations qui ont longtemps pesé et continuent de peser sur les salariés agricoles immigrés du Maghreb dans certains territoires agricoles, où leur contribution à la production de richesses a pourtant été décisive.

Une telle orientation peut au demeurant prendre appui sur la nécessaire redéfinition du cadre stratégique d’intervention d’Adoma. Dans l’insertion de son rapport public annuel de février 2013 consacrée à ce bailleur, la Cour des comptes constate en effet « l’absence d’un cadre stratégique fédérateur depuis 2011 » (123: le principe d’une négociation bilatérale entre Adoma et les différents ministères concernés par ses activités a en effet été retenu par l’État, en lieu et place d’un nouveau contrat d’objectifs 2011-2015 que la direction de la société aurait souhaité. Selon la Cour, pendant toute cette période, l’État s’est davantage comporté en client aux priorités changeantes plutôt qu’en actionnaire majoritaire veillant à la poursuite, par la société, des lignes directrices de ses missions et, notamment, de la transformation des foyers en résidences sociales. La coordination interministérielle a ainsi été insuffisante. Pour la Cour, « un document d’orientation fédérateur précisant les missions de service public de la société est indispensable ».

Votre rapporteur considère que ceci fournit à l’État l’occasion de donner une impulsion nouvelle à Adoma en matière de logement pour personnes âgées, au terme d’une consultation interministérielle associant les collectivités territoriales concernées et les différents acteurs du domaine.

Cet objectif pourra être décliné dans les conventions d’utilité sociale (CUS), qui lient les bailleurs aux directions régionales et interdépartementales de l’hébergement et du logement (DRIHL), au stade de la production des logements. Les départements doivent y être associés dans la mesure où le logement accompagné des personnes âgées se trouve au croisement des deux schémas d’organisation dont le président du conseil général est coresponsable : d’une part, le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) prévu par l’article 4 de la loi du 31 mai 1990 ; d’autre part, le schéma d’organisation sociale et médico-sociale prévu par l’article L. 312-4 du code de l’action sociale et des familles, qui doit apprécier la nature, le niveau et l’évolution des besoins sociaux et médico-sociaux de la population.

Proposition n° 37

Inciter les gestionnaires de logements-foyers accueillant des immigrés âgés à investir le champ du logement intermédiaire pour personnes âgées et envisager la contribution d’Adoma dans ce cadre.

b) Renforcer les partenariats avec les gestionnaires de résidence

Votre rapporteur a mentionné plus haut que le cadre juridique de l’aide à la gestion locative sociale pourrait utilement faire l’objet de modifications.

Lorsque la transformation d’un foyer de travailleurs migrants en résidence sociale est concomitante d’une transformation de la population par départ des résidents les plus âgés, le « turn over » des nouveaux résidents est si élevé que les personnels spécialisés se consacrent essentiellement à la gestion des impayés de loyers : ils n’utilisent pas toujours l’AGLS à des fins d’accompagnement, très aléatoire, vers un logement pérenne. Dans les cas, majoritaires, où la transformation en résidence sociale n’entraîne pas de changement démographique significatif, votre rapporteur estime donc que les crédits actuellement versés au titre de l’AGLS ont pleinement vocation à financer des actions d’accompagnement de résidents âgés qui ont, en règle générale, régulièrement payé leurs redevances depuis des décennies.

Il semble en outre que l’augmentation du nombre de résidences sociales n’ait pas été suivie d’une hausse proportionnelle de l’enveloppe consacrée à l’AGLS. Ainsi, alors que le nombre de logements offerts aurait crû de 137 % entre 2002 et 2008, les crédits consommés au titre de l’AGLS n’auraient augmenté que de 58 % au cours de la même période (124). À l’occasion de son audition par la mission, M. Gilles Desrumaux a confirmé que les crédits consacrés à l’AGLS ne correspondaient plus aux besoins réels.

Il est d’ailleurs frappant que son montant n’ait pas été réévalué depuis sa création. Il est dommageable que la mise en place des résidences sociales ne soit pas toujours assortie de l’octroi de l’aide, « les contraintes budgétaires prenant parfois le pas sur les conditions de réalisation des projets sociaux » (125).

Votre rapporteur voit, par conséquent, dans la réévaluation des crédits alloués au titre de l’AGLS, une mesure nécessaire. Il considère plus généralement que le cadre juridique de l’aide devrait faire l’objet d’aménagements destinés, notamment, à adapter son périmètre et ses conditions d’octroi aux besoins actuels et futurs des personnes accueillies au sein des résidences sociales.

Proposition n° 38

Réexaminer les conditions d’attribution et les contours de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS) et instaurer une enveloppe dédiée à l’accompagnement des résidents vieillissants.

Outre les financements d’État au titre de l’AGLS, les gestionnaires peuvent bénéficier du partenariat des caisses de sécurité sociale ou des collectivités territoriales afin d’améliorer l’accès des résidents âgés aux services nécessaires au « bien-vieillir ». La CNAV a ainsi récemment consolidé sa politique de partenariat avec les bailleurs grâce à la signature de deux conventions signées le 22 mai 2012 avec l’UNAFO et Adoma. Ces conventions-cadres prévoient de faciliter l’accès aux droits et aux soins, d’assurer la prévention et l’information et de renforcer l’intervention des services d’aide à domicile au sein des structures.

Votre rapporteur souhaite que ces conventions soient déclinées localement en partenariat avec les conseils généraux, les centres communaux d’action sociale et les acteurs intervenant dans le champ sanitaire et social.

En outre, dans le cadre du plan de préservation de l’autonomie des personnes âgées (PAPA) développé par la CNAV en partenariat avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), les populations immigrées vieillissantes vivant en foyer ont été identifiées parmi les cinq domaines d’offres de services spécifiques. Le Régime social des indépendants (RSI) ainsi que la mutualité sociale agricole (MSA) ont rejoint cette démarche, qui est désormais interbranches et inter-régimes. Votre rapporteur se félicite de cette initiative et souhaite une large diffusion du premier bilan sur ces expérimentations dont il a été indiqué à la mission qu’il est en cours.

Les bailleurs peuvent ainsi développer des médiations sociales, notamment en facilitant l’accès d’intervenants associatifs dans les foyers. Par exemple, le plan départemental d’intégration de la Seine-Saint-Denis 2010-2012 indique que le CLIC d’Aubervilliers a mis en place, en 2008, une fonction de référent intervenant dans les foyers de travailleurs migrants de la commune. L’assistante sociale est par ailleurs évaluatrice de la perte d’autonomie pour l’attribution de l’APA et des aides de la CNAV. En l’absence de travailleurs sociaux, ce rôle peut être joué par des bénévoles associatifs, par exemple les petits frères des Pauvres à Vénissieux.

Ce type d’interventions souligne à nouveau à quel point l’amélioration du bâti dans les chambres ne doit pas se faire au détriment des espaces collectifs qui permettent le maintien d’une vie sociale à l’intérieur des logements-foyers. Ces derniers ont anciennement disposé de « caféterie », progressivement supprimées, tant pour des motifs de sécurité que parce que la transformation du foyer en résidence sociale ne prévoyait pas de lieux collectifs destinés à des résidents de longue durée.

En matière de santé, les bailleurs peuvent nouer des partenariats durables avec des réseaux d’accès à la santé, tel le réseau INTERMED, entendu par la mission, créé en Rhône-Alpes à l’initiative d’Adoma : les intervenants infirmiers se rendent dans les chambres des résidents et offrent un service de soins, initialement à titre gratuit, afin que les résidents en mesurent progressivement l’intérêt. Ils sont ainsi aidés dans la souscription d’une mutuelle et acceptent d’acquitter le ticket modérateur dès lors qu’ils recourent durablement à des soins. En outre, les expériences de mutualisation de l’aide à domicile menées dans les foyers permettent de diminuer le coût des intervenants et de les confier à des personnes formées aux spécificités culturelles des résidents.

Votre rapporteur souhaite donc qu’une action sociale résolue à destination des personnes vivant en foyers et en résidences sociales agisse comme un levier en faveur de la prise en compte de l’ensemble des migrants âgés résidant dans un bassin, quel que soit le statut de leur logement.

L’INITIATIVE UNCCAS/ADOMA SUR APPEL À PROJET
DU FONDS EUROPÉEN D’INTÉGRATION

L’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS) a déposé un dossier de financement dans le cadre du Fonds européen d’intégration, sur le volet de l’axe 3 : action en faveur des personnes âgées migrantes. Le projet concerne l’ingénierie et l’expérimentation d’un nouveau métier lié à l’évaluation des besoins, relevant des services à la personne, sur le champ des publics fragiles relevant des centres communaux et intercommunaux d’action sociale. Il consistera notamment en la mise en place d’un groupe de travail national et d’expérimentations afin d’apporter une réponse à la difficulté de faire recourir les résidents âgés de foyers de travailleurs migrants aux prestations des services à domicile.

Dans ce cadre, l’UNCCAS estime pertinent de promouvoir ce rôle de coordination, essentiellement dans le cadre de l’accompagnement à domicile des travailleurs migrants âgés pour lequel un besoin de médiation sociale aura été identifié par Adoma. Selon les porteurs du projet, l’expérimentation aboutirait à la mise en place d’un nouveau métier dans le champ de l’aide à domicile afin de créer les conditions pour que les résidents âgés des foyers Adoma acceptent de recourir à ces services, à partir d’une évaluation globale de leur situation et de leurs besoins, coordonnée par un référent unique.

L’Agence nationale des services à la personne (ANSP) et les fédérations de l’aide à domicile ainsi que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) figureraient parmi les membres du groupe d’experts associé au projet mis en œuvre à compter de septembre 2013 dans les trois régions de localisation principale des foyers Adoma : Provence-Alpes-Côte d’Azur, Île-de-France et Rhône-Alpes.

Il s’agit ainsi d’éviter les ruptures de prise en charge des publics fragiles, de retarder la perte d’autonomie par une meilleure continuité des parcours, de mettre en adéquation les besoins des publics avec les réponses existantes et de favoriser la coopération entre les différents acteurs du secteur.

Votre rapporteur considère qu’une initiative de ce type participe de la bonne gestion des deniers publics puisqu’elle finance la mise en relation d’une offre déjà existante et des besoins mal cernés. La prévention de la dépendance et l’accès précoce aux soins sont par eux-mêmes porteurs d’économie. L’amélioration de l’identification des besoins sociaux locaux est en outre facteur de renforcement du service public.

Proposition n° 39

Inscrire dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) liant la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) à son autorité de tutelle une enveloppe fléchée, afin d’accroître la visibilité du financement de l’adaptation des lieux de vie collectifs dans les logements-foyers et de l’amélioration de l’accès des résidents aux soins et services sociaux.

Proposition n° 40

Décliner localement les conventions liant la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) aux gestionnaires des structures accueillant des immigrés âgés en partenariat avec les conseils généraux, les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les acteurs intervenant dans le champ sanitaire et social.

3. Insérer dans la ville les structures accueillant des immigrés âgés

a) Éloigner les risques de relégation

Votre rapporteur l’a souligné. L’histoire de l’hébergement des travailleurs immigrés a été marquée par des choix d’implantation motivés par une volonté de mise à l’écart, voire de relégation.

Le plan de transformation des foyers de travailleurs migrants doit signer le passage d’une politique centralisée à une politique déconcentrée associant largement les collectivités territoriales puisqu’il prévoit l’élaboration d’un projet social et la création d’un comité de pilotage regroupant notamment les élus de la commune et du département. Mais il semble que la participation des élus locaux soit aléatoire. Ainsi que l’a souligné M. Pierre-Yves Rebérioux devant la mission, « des discussions longues et approfondies avec les collectivités territoriales [sont nécessaires] afin de mobiliser leurs dispositifs sociaux de droit commun, par exemple pour le maintien à domicile. À la nécessaire transformation du bâti s’ajoute la volonté de réinsérer les immigrés âgés dans les préoccupations locales ».

Votre rapporteur estime qu’un investissement important dans l’adaptation des structures accueillant les immigrés âgés, puisqu’il n’est réalisable qu’avec la participation des communes, doit avoir pour effet de mobiliser durablement ces dernières à l’égard de l’ensemble de leur population immigrée âgée. Après avoir contribué à séparer les immigrés des pays tiers de leur commune de résidence, les foyers adaptés au vieillissement de leurs résidents pourraient contribuer à inscrire pleinement tous les immigrés âgés dans les politiques menées par les communes à destination de leurs habitants âgés et défavorisés.

De nombreux exemples prometteurs en ce sens ont été présentés à la mission : à chaque fois, des actions menées par les gestionnaires de foyers pour améliorer l’accès aux droits des résidents sont soutenues par les communes et permettent à ces dernières de mieux prendre en compte l’ensemble des personnes âgées immigrées.

La Ville de Paris a recensé en 2011 l’ensemble des interventions sociales, sanitaires et culturelles conduites par des services municipaux, départementaux ou associatifs pour chacun des quarante-cinq foyers de travailleurs migrants et des trois résidences de desserrement. Ces interventions sont décrites dans un document public établi par l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR). Chaque fiche descriptive de foyer comporte une carte décrivant l’insertion de celui-ci dans son quartier et les services de droit commun présents à proximité. Parmi les différentes associations intervenues dans les foyers en 2011, nombre d’entre-elles ont une vocation « généraliste » qui ne se réduit pas aux résidents de foyers mais est destinée à un public plus large de personnes immigrées et âgées.

À Roubaix, lors de la rénovation du foyer « Alma-Fontenoy », un pôle social et culturel a été soutenu par la commune, dans lequel l’association Générations et cultures a mené une action intergénérationnelle d’échanges entre les résidents et les enfants des écoles.

À Grenoble, le foyer géré par l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), transformé en résidence sociale, est désormais ouvert sur le quartier : un potager et un verger ont été créés sur une surface de 80 mètres carrés. Les permanences sur site visent à favoriser les liens entre les résidents et leurs représentants avec les associations et les équipements de quartier. Il a été indiqué à votre rapporteur que de nombreuses femmes fréquentent les permanences à l’intérieur du foyer.

À Massy, l’intervention de la commune dans la rénovation de deux foyers a conduit les directeurs de ces structures à faire inscrire, pour la première fois, les 156 résidents dans le fichier des seniors de la ville.

À Montreuil, les travailleurs migrants du foyer « Le Centenaire » vont être logés dans une nouvelle résidence sociale cogérée située dans une ancienne fabrique dont la friche industrielle est en cours de réhabilitation. Le projet comporte également la construction d’un centre d’affaires destiné à accueillir des associations et des entrepreneurs sociaux. Les échanges avec les habitants du quartier ont permis d’aboutir à un lieu ouvert sur son environnement : la résidence sociale et les associations partageront un îlot central ainsi qu’un espace de restauration associatif cogéré par les résidents et ouvert aux habitants du quartier. Le projet est mis en œuvre par l’office public de l’habitat (OPH) de la commune pour un coût global de 7,5 millions d’euros.

Le document ci-dessous, présenté par la commune de Montreuil à l’appui d’un appel à projet du Fonds européen d’intégration, illustre l’importance de la prise en compte des foyers de travailleurs migrants et des résidences sociales situés sur le territoire de la commune afin de mieux saisir les besoins de l’ensemble des résidents immigrés âgés. Un lien peut être établi entre la localisation de ces établissements et la part des personnes immigrées dans la population des différents quartiers : le renforcement de l’accès aux droits médico-sociaux des uns va de pair avec celui des autres.

Source : Ville de Montreuil, direction des solidarités et de la coopération.

La part des résidents âgés croît à mesure que la taille du foyer diminue : le maintien à domicile, en foyer, est en effet plus aisé dans les petites résidences, qui se rapprochent ainsi des logements-foyers pour personnes âgées. Lorsqu’il contribue à maintenir, au sein des foyers, des espaces collectifs susceptibles d’accueillir des permanences sociales, le partenariat avec la commune permet de pallier l’isolement des personnes immigrées âgées, résidentes du foyer ou non.

Proposition n° 41

Inviter les communes à soutenir les actions menées par les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants et de résidences sociales à destination de leurs résidents et s’appuyer sur ces initiatives pour améliorer l’accès aux droits et aux services sociaux des personnes immigrées résidant à proximité de ces structures.

La réappropriation par les communes des foyers qui figurent sur leur territoire pourrait contribuer à faciliter le parcours résidentiel de leurs résidents âgés. Trop souvent, les bailleurs de logements sociaux, notamment communaux, n’examinent pas les dossiers de demande de logement social lorsqu’ils émanent de résidents de foyers, au prétexte qu’ils disposent déjà d’un logement. Or, aucun obstacle de ce type ne doit empêcher le résident d’un foyer, retraité ou approchant l’âge de la retraite, de quitter ce dernier pour accéder à un logement qui lui permettrait de surcroît d’accueillir de façon durable des membres de sa famille.

Proposition n° 42

Rappeler aux bailleurs de logements sociaux que les demandes de logement social ne sauraient être considérées comme irrecevables au motif qu’elles émanent des résidents de logements-foyers.

Enfin, les bailleurs sociaux doivent mieux prendre en compte la situation des femmes âgées devenues veuves qui résident, seules, dans des appartements devenus trop grands après le départ de leurs enfants. Le passage en appartement plus petit, moins coûteux d’entretien et plus facile à adapter au vieillissement, est fréquemment demandé. La plupart des grands bailleurs régionaux ou nationaux le refusent ou exigent des augmentations de loyer au motif que le financement du logement ancien a été amorti et que les appartements de petite taille sont souvent plus récents et font l’objet des plus fortes demandes de la part des jeunes actifs. L’écart de loyer au mètre carré est souvent tel que la diminution de surface ne permet pas d’éviter une augmentation du prix. Une prise en compte plus fine de la population immigrée âgée par les communes devrait permettre de lever ce type d’obstacles.

b) Mieux articuler le travail social aux opérations de requalification des quartiers anciens dégradés

Enfin, votre rapporteur souhaite souligner qu’il existe un autre levier au plan local, coordonné par des acteurs nationaux, qui doit être utilisé pour améliorer l’accès des immigrés âgés aux droits et services nécessaires au « bien-vieillir ».

La carte des territoires où ces immigrés âgés résident recouvre en partie celle des villes dont la candidature a été retenue lors de l’élaboration du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), issu de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.

Sur les quarante sites identifiés, trente-quatre sont inscrits par ailleurs en contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) avec l’ACSé : en zone urbaine sensible (ZUS) pour dix d’entre eux, parmi les quartiers prioritaires de la politique de la ville dans les vingt-quatre autres cas.

Les auteurs de la récente mission de cadrage de l’évaluation du PNRQAD indiquent qu’au nombre des décalages entre les objectifs stratégiques du programme et les objectifs opérationnels des conventions effectivement conclues, figurent au premier plan « les questions de peuplement / relogement qui doivent couvrir l’ensemble des populations touchées par les projets et dont une grande partie est particulièrement fragile » (126). En outre, « le volet d’action coercitive à mener contre les propriétaires indélicats constitue un maillon faible des conventions », alors que la prégnance de cette « délinquance immobilière » leur semble sous-estimée mais avérée, « y compris dans des zones de marché globalement détendu, ou elle concerne certes, des segments limités du parc, mais avec des conséquences particulièrement néfastes pour les populations les plus fragiles ».

Votre rapporteur estime donc qu’il est indispensable, dans le cadre de l’évaluation des opérations de requalification de quartiers anciens dégradés en cours, d’examiner les conditions d’accompagnement des résidents âgés. Parmi ceux-ci, la part des immigrés est importante. Les populations âgées et appauvries, le plus souvent issues de l’immigration maghrébine, notamment algérienne, sont parfois progressivement remplacées par des populations plus jeunes mais aussi précarisées.

Trop souvent, un projet de requalification d’un centre-ville se contente de faire état de l’incapacité à trouver des solutions au relogement des personnes isolées. Dans certains cas, il s’est même agi de contester l’appartenance à la ville et à son histoire de populations immigrées qui se sont établies dans les centres villes lorsque leurs habitants les ont quittés, attirés par les logements neufs de la périphérie, au demeurant souvent construits par les immigrés eux-mêmes (127).

Votre rapporteur estime que la prise en compte des immigrés âgés dans le cadre des opérations de requalification des centres anciens constitue une occasion d’améliorer leurs conditions de logement et d’accès aux services sociaux.

Selon le rapport sur l’évaluation du PNRQAD précité, le manque de compréhension des besoins sociaux constitue en effet une des insuffisances d’ordre stratégique de la conception des projets actuels, conséquence d’une « approche trop strictement urbanistique des besoins locaux ». Faute de prévoir les risques de départ définitif du quartier de ses habitants les plus modestes, une telle approche est à terme porteuse de risque de « gentrification » excessive. À la différence des quartiers d’habitat social périphériques traités principalement par le plan national de rénovation urbaine (PNRU), les quartiers centraux ou de faubourg sélectionnés par le PNRQAD présentent en effet un potentiel de valorisation foncière et immobilière important.

Votre rapporteur attire donc l’attention sur les risques d’une approche des quartiers centraux qui serait, de facto, discriminatoire et se félicite de la mobilisation de nombreuses associations, par exemple à Marseille, dans le but de maintenir les habitants dans les centres anciens lors des opérations de réhabilitation.

Proposition n° 43

Systématiser l’évaluation préalable des besoins des habitants âgés des quartiers anciens dégradés, formaliser leur accompagnement social lors des opérations de rénovation et offrir des garanties de relogement dignes dans leur ancien domicile ou à proximité.

C. FAIRE BÉNÉFICIER PLEINEMENT LES IMMIGRÉS DES DROITS SOCIAUX OUVERTS AUX PERSONNES ÂGÉES

La situation des immigrés âgés au regard des droits sociaux est révélatrice non seulement de la qualité des politiques spécifiques menées à leur égard mais également des difficultés auxquelles se heurtent les politiques sociales en général et des injustices et inégalités qu’elles sont susceptibles de produire.

Il convient donc de garantir aux personnes âgées immigrées l’accès à leurs droits, à l’instar de l’ensemble des personnes âgées quelle que soit leur origine. Des actions spécifiques doivent avoir pour objectif l’accès aux droits que l’ensemble de nos concitoyens ont en partage. Comme le rappelle M. Thierry Tuot, l’action envers les personnes immigrées doit suivre le principe selon lequel « rien n’est fait en faveur des étrangers ou réputés tels qui ne le soit aussi pour ceux qui ne le sont pas », afin de lever tout soupçon de traitement préférentiel.

1. Garantir l’accès des immigrés âgés à leurs droits

L’amélioration de l’accès des immigrés âgés à leurs droits doit être une composante à part entière des politiques destinées aux personnes âgées défavorisées. Cette action d’inclusion sociale nécessite de mobiliser les caisses de sécurité sociale comme les responsables locaux des politiques d’accompagnement du vieillissement et leurs partenaires associatifs. La participation des immigrés âgés eux-mêmes à la définition des dispositifs qui les concernent constituerait une garantie d’efficacité.

a) Éviter les ruptures de droits lors du passage à la retraite

La lutte contre le non-recours aux droits est désormais une priorité majeure du Gouvernement. Votre rapporteur s’en félicite et souligne que ce nouvel élan, illustré par le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, offre l’occasion d’améliorer la situation des immigrés âgés.

La mise en œuvre peut être rapide. Les renégociations des conventions d’objectifs et de gestion (COG) avec la branche famille et la branche retraite sont en cours. L’accès des immigrés âgés aux droits sociaux doit y figurer comme une priorité. Les « rendez-vous des prestations » institués par les caisses de mutualité sociale agricole fournissent un bon exemple : ils détectent un droit non demandé dans un cas sur deux.

Les caisses d’allocations familiales (CAF) pourraient instaurer progressivement des rendez-vous sur ce modèle qui seraient ensuite adaptés aux autres caisses. Dans son Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de 2012, la Cour des comptes préconise l’instauration d’un « rendez-vous des 65 ans » dans le but de fournir une information complémentaire pour des publics ciblés en fonction de leur niveau de pension afin de limiter les situations de non-demande d’ASPA.

À défaut, des actions partenariales entre les caisses de retraite et les services sociaux de proximité mériteraient d’être renforcées pour assurer l’information des bénéficiaires potentiels. Les différents organismes de sécurité sociale doivent aller au-devant des immigrés âgés, en s’appuyant sur les réseaux d’accès au droit, les gestionnaires de logements-foyers et les associations compétentes en matière de gérontologie.

Votre rapporteur se félicite de l’expérimentation en cours, dans les départements de la Loire-Atlantique et de la Seine-et-Marne, d’une action concertée, sous l’égide des préfets, développant des liens entre les différents services qui accueillent des personnes en situation de précarité (caisses d’allocations familiales, caisses primaires d’assurance maladie, centres communaux d’action sociale, services sociaux des conseils généraux, points d’accès au droit, maison de la justice et du droit…) afin d’organiser le repérage des personnes en difficulté et leur accompagnement vers l’ouverture de leurs droits.

La CNAV vient par ailleurs de lancer des expérimentations dans les caisses d’assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) de cinq régions (128) pour favoriser l’information sur le droit à la retraite en direction des personnes immigrées : elle finance des programmes de formation des professionnels dans les secteurs du social, de la santé et de l’aide à domicile. Les différents intervenants des métiers du vieillissement pourront ainsi contribuer à orienter les personnes âgées immigrées vers les caisses en fonction de leurs besoins. De même, les caisses de sécurité sociale gagneraient à nouer des partenariats avec les associations d’aide à l’accès au droit des personnes immigrées afin de favoriser les échanges d’informations réciproques qui permettent d’identifier les situations les plus difficiles.

Votre rapporteur souhaite que, comme l’a proposé la CNAV, ces formations soient généralisées à l’ensemble des CARSAT et que soit étudiée la possibilité de les voir entrer dans le cadre des formations dispensées par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les instituts de formation en travail social.

Proposition n° 44

Généraliser les « rendez-vous des droits » organisés par les caisses de sécurité sociale.

Proposition n° 45

Faire figurer l’accès des immigrés âgés aux droits comme une priorité dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) liant les caisses de sécurité sociale à leur autorité de tutelle.

Proposition n° 46

Faire de l’accès aux droits pour tous les publics un élément essentiel de la négociation, au second semestre 2013, de la convention d’objectifs et de gestion (COG) liant la branche vieillesse du régime général à l’État.

En outre, les immigrés âgés sont fréquemment polypensionnés. La Cour des comptes, dans le rapport précité, a relevé qu’il n’est pas possible de connaître l’ensemble des pensions qu’ils perçoivent. Si le répertoire géré par la CNAV dans le cadre des « échanges inter-régimes de retraite » (EIRR) prévus par l’article 76 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 (article L. 161-1-6 du code de la sécurité sociale) rassemble tous les éléments de pensions des régimes obligatoires de base ou complémentaires, mais l’article R. 161-69-1 du code de la sécurité sociale n’autorise pas l’utilisation de l’EIRR aux fins de détection systématique des situations susceptibles, au regard des seules pensions, d’ouvrir droit à l’ASPA. La bonne connaissance de ces éléments est d’autant plus utile que les pensions personnelles des retraités prédominent dans les ressources totales des personnes de plus de soixante-cinq ans et en particulier dans celles des personnes isolées dans cette même tranche d’âge.

Proposition n° 47

Afin de mieux détecter les situations susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), autoriser l’utilisation du répertoire des « échanges inter-régimes de retraite » (EIRR).

Enfin, dans les différentes caisses, des gains de productivité proviennent de la dématérialisation des procédures et de l’utilisation, par de nombreux usagers plus jeunes, des informations figurant sur internet : votre rapporteur estime que les redéploiements d’emplois en découlant doivent prioritairement permettre de renforcer l’accueil « au guichet » afin d’accorder plus de temps à tous ceux qui ne sont pas familiers des nouveaux usages numériques.

b) Insérer les immigrés âgés dans les schémas gérontologiques

En complément des prestations servies par les caisses de sécurité sociale, l’accès aux droits et services sociaux destinés aux personnes âgées se fonde sur les schémas définis aux articles L. 232-13 et L. 312-5 du code de l’action sociale et des familles et qui structurent l’action départementale respectivement en matière d’allocation personnalisée pour l’autonomie (APA) et d’organisation sociale et médico-sociale. Établis en lien avec les services de l’État et les organismes de sécurité sociale, ils peuvent être complétés par des conventions conclues avec les institutions et organismes publics sociaux et médico-sociaux, tels les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, des organismes mutualistes ou des services d’aide à domicile agréés.

Si ces schémas s’adressent à l’ensemble de la population, ils peuvent définir des programmes d’action spécifiques.

Ainsi, le schéma départemental en faveur des personnes âgées pour 2012-2016 de la Ville de Paris, transmis à votre rapporteur, comporte des fiches-actions qui portent spécifiquement sur la politique en faveur des immigrés âgés et qui prévoient de renforcer l’accès des résidents de foyers de travailleurs migrants à l’aide à domicile financée par l’APA. Les représentants du département du Val-de-Marne entendus par la mission ont indiqué qu’ils ont jugé utile, dans un cadre similaire, de rapprocher des personnes immigrées âgées et isolées de familles candidates à l’accueil familial, relevant également de la responsabilité du département, notamment parce que les deux tiers de ces dernières sont immigrées et vivent dans de grands logements quittés par leurs enfants. L’accueil de personnes âgées immigrées, éligibles à l’aide sociale, semble fructueux.

Les schémas gérontologiques ont un rôle prescripteur sur l’action des centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC) qui permettent aux personnes âgées de s’informer sur l’adaptation de leur logement, les aides à domicile et les aides financières qui leur sont offertes.

Or, il ressort des travaux de la mission que la prise en compte des personnes âgées immigrées par les conseils généraux est inégale. Des intervenants travaillant sur une échelle régionale ont fait état de l’absence de prise en compte des immigrés âgés dans des départements où leur présence est pourtant ancienne, alors même qu’un département voisin peut mener des politiques actives à destination des personnes immigrées.

Ce constat confirme celui qu’avait dressé en 2008 les auteurs d’un avis du Comité national des retraités et des personnes âgées (CNRPA) à partir de réponses transmises par les comités départementaux des retraités et personnes âgées (CODERPA) : seule une dizaine de départements avaient alors intégré la question des personnes âgées immigrées aux documents directeurs de l’action départementale en matière d’habitat, d’intervention à domicile et d’accès aux établissements pour personnes âgées dépendantes.

Votre rapporteur considère que l’ensemble des départements, quel que soit le niveau de la population immigrée qui y réside, doivent prendre en compte cette thématique dans le cadre des nouveaux schémas.

Pour votre rapporteur, la priorité doit être accordée à l’accompagnement des personnes dans les démarches, aux actions d’information et aux partenariats avec les services de gérontologie, de prévention et d’accès aux soins.

En outre, l’aide sociale à l’hébergement des personnes âgées (ASH) à la charge des départements fournit, pour les personnes les plus modestes, un « reste à vivre » en principe égal à 10 % du « minimum vieillesse », sans lequel la différence entre le revenu courant de la personne hébergée et son reste à charge serait fréquemment négative lorsque les ressources sont inférieures à 1 800 euros par mois. Cependant, l’accès aux établissements pour personnes âgées dépendantes n’a pas semblé faire l’objet d’une demande forte de la part des personnes rencontrées par la mission. Ainsi que votre rapporteur l’indiquera plus loin, c’est en matière de mise en réseau des services d’aide à domicile et de facilitation de l’accès aux soins que les schémas gérontologiques doivent améliorer la prise en compte des besoins des personnes âgées immigrées.

Néanmoins, les départements peuvent contribuer à sensibiliser à la situation des immigrés vieillissants l’ensemble des responsables de structures vouées à l’accueil des personnes âgées, y compris les plus médicalisées d’entre elles.

Mme Nadège Bartkowiak, directrice d’établissement sanitaire, social et médico-social, qui a étudié l’accueil des immigrés vieillissants en institution, fait le constat de méconnaissances réciproques : « Le monde de l’immigration [est] bien loin des considérations gérontologiques et l’image des résidences pour personnes âgées, médicalisées ou pas, est très dégradée dans le public âgé immigré. » (129) Selon Mme Bartkowiak, l’image d’une « maltraitance culturelle en établissement pour personnes âgées » serait également entretenue au sein de certains foyers de travailleurs migrants. Des formations des responsables de résidences sociales accueillant des personnes âgées immigrées menées conjointement avec les responsables d’EHPA ou d’EHPAD pourraient donc être organisées.

Parce qu’elle conduit à une approche globale de l’ensemble des besoins sociaux et médico-sociaux dans un départment, l’élaboration d’un schéma géronotologique est un outil de lutte contre la méconnaissance mutuelle entre la sphère de la gérontologie et le monde de l’immigration. L’introduction des variables culturelles, cultuelles et linguistiques dans le soin gérontologique doit, selon Mme Bartkowiak, « accompagner l’ouverture d’une prise en charge jusque là stéréotypée ». Mme Martine Conin, directrice des affaires sociales au conseil général du Val-de-Marne, a ainsi proposé devant la mission de favoriser l’action associative à visée culturelle en EHPAD.

Proposition n° 48

Inscrire les immigrés âgés dans les différentes conventions définissant les priorités des départements en matière d’aide et d’accompagnement des personnes âgées.

c) Sécuriser les partenariats des pouvoirs publics avec les acteurs associatifs

Votre rapporteur estime que l’amélioration de l’accès des immigrés âgés à leurs droits, tant en matière de prestations sociales que de services liés au vieillissement, passe par un renforcement des partenariats entre les acteurs publics et les intervenants associatifs détenteurs d’une véritable expertise en matière d’accès aux droits ou de connaissance des besoins des personnes âgées immigrées.

Le soutien d’initiatives associatives présentes au plus près des besoins semble indissociable de la formation des agents présents aux guichets. Les acteurs de cette intermédiation associative ont été qualifiés de « moins craintifs » par un cadre du conseil général du Gard rencontré par la mission. Ils constituent donc une structure utile de « tiers médian » entre les habitants et les services publics.

Votre rapporteur n’est pas persuadé que l’ensemble des organismes de sécurité sociale aient pris conscience de l’inadaptation des dispositifs d’information qu’ils utilisent pour favoriser l’accès aux droits. Ils gagneraient à faire appel à des intermédiaires associatifs bons connaisseurs des publics afin de diffuser une information plus adéquate et de bénéficier, en retour, de critiques constructives.

À l’échelon local, le soutien de partenaires associatifs qualifiés semble, de même, indispensable : lors du déplacement de la mission à Nîmes, le responsable d’un contrat urbain de cohésion sociale a témoigné de la dépendance de nombreuses personnes âgées immigrées vivant dans des quartiers anciens envers des « écrivains publics autoproclamés », faute de soutien, par une commune du département, d’associations bénéficiant elles-mêmes de l’appui d’une tête de réseau nationale. Votre rapporteur estime donc que le mouvement associatif généraliste, à l’image de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS), peut utilement renforcer ses liens avec les associations locales d’immigrés ou d’aide aux immigrés, dont il ressort des différents déplacements de la mission que certaines sont de dimension réduite et relativement isolées.

RECOMMANDATION DU CONSEIL DE L’EUROPE

Recommandation CM/Rec(2011)5 du Comité des Ministres aux États membres sur la prévention des risques de vulnérabilité des migrants âgés
et l’amélioration de leur bien-être

(adoptée par le Comité des Ministres le 25 mai 2011, lors de la 1114e réunion des Délégués des Ministres)

Rôle des associations dans le soutien aux migrants âgés

Le monde associatif, y compris les associations de migrants, a un rôle important à jouer dans le bien-être des migrants âgés, notamment dans la prévention des abus à leur égard et la réduction de leur vulnérabilité. Pour développer sa contribution et son expertise, il devrait bénéficier du soutien et de l’aide financière des pouvoirs publics. Ce rôle peut consister, entre autres, à mener les activités ci-après :

a) faire pression pour modifier la législation et les politiques au niveau national, et améliorer l’offre de services au niveau local ;

b) agir en tant que défenseurs des migrants âgés, à titre individuel ou collectif, et en tant qu’intermédiaires entre ces personnes et les autorités publiques ;

c) évaluer l’offre de services au niveau local, en tenant compte notamment de leur adéquation aux besoins identifiés des migrants âgés ;

d) dispenser des informations et une formation aux acteurs publics et privés chargés du bien-être des migrants âgés sur les besoins linguistiques et culturels des personnes dont ils ont la charge ;

e) fournir une assistance quotidienne et personnelle aux migrants âgés, les accompagner et les aider à s’adapter au processus de vieillissement ;

f) offrir des possibilités de rencontrer et de socialiser avec d’autres personnes âgées.

Un engagement résolu en faveur des acteurs associatifs doit aujourd’hui tenir compte du fait que leur lien avec les pouvoirs publics a été fragilisé tant par la révision générale des politiques publiques (RGPP) que par la scission entre la politique de la ville et la politique d’intégration. Différents intervenants ont fait état du raccourcissement de l’horizon temporel défini dans les documents qui les lient aux différents financeurs publics et qui s’est souvent accompagné d’une diminution importante des montants de subventions. Votre rapporteur estime que les actions visant à insérer dans le droit commun des personnes âgées qui en sont éloignées exigent une réelle stabilité : elles ne peuvent se faire que dans un cadre pluriannuel.

Il ne semble en outre pas pertinent à votre rapporteur d’élargir sans cesse le champ d’application du code des marchés publics et de la procédure d’appel d’offres, en particulier à des services dans lesquels prédomine une dimension d’accompagnement social. Aussi votre rapporteur se félicite-t-il de la volonté du Gouvernement, traduite dans le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, d’œuvrer, au niveau européen, à un approfondissement de la reconnaissance des services sociaux d’intérêt général prévus dans le traité de Lisbonne et son protocole n° 26, ainsi que de veiller à moderniser la gestion des fonds structurels européens de façon à éviter la fragilisation des acteurs associatifs.

Le soutien aux associations peut en outre prendre la forme de la contribution du service civique, qui donne une dimension intergénérationnelle à l’accompagnement des personnes âgées. Mis en œuvre en 2010, le service civique a déjà concerné plus de 26 500 jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans qui s’engagent auprès d’une association ou d’une personne morale de droit public pour une mission d’intérêt général pendant six à douze mois. Plus de 1 000 contrats ont été signés dans le domaine du handicap et plus de 2 100 dans le domaine de l’exclusion : votre rapporteur estime que pourrait être encouragé, dans le cadre de l’orientation des volontaires à un service civique, l’accompagnement des personnes âgées, résidant notamment dans les quartiers identifiés comme prioritaires par la politique de la ville.

Proposition n° 49

Établir des partenariats entre les associations d’aide aux immigrés âgés et les caisses de sécurité sociale.

Proposition n° 50

Donner aux associations les moyens d’intervenir de façon pérenne en inscrivant les subventionnements publics dans un cadre pluriannuel.

Proposition n° 51

Orienter les volontaires du service civique vers les associations accompagnant les personnes âgées immigrées.

d) Favoriser une coopération avec les services consulaires des pays d’origine

Les implantations consulaires en France des pays du Maghreb sont denses, en particulier pour l’Algérie et le Maroc en région parisienne, dans le bassin lyonnais et dans le Sud-Est. Des personnes immigrées âgées ayant conservé des liens importants avec ces pays s’adressent souvent en premier lieu à leurs consulats, qui disposent de services sociaux au titre de l’aide apportée aux résidents à l’étranger.

Or, il ressort des échanges que la mission a pu avoir, lors de son déplacement en Algérie et au Maroc, avec les responsables de services en charge des consulats, que ces derniers n’ont pas formalisé de partenariats avec les services sociaux communaux ou départementaux de leurs circonscriptions. Les travailleurs sociaux qu’ils emploient ne sont pas toujours formés au droit social et peinent à orienter convenablement certains demandeurs.

LES CIRCONSCRIPTIONS CONSULAIRES DES CINQ PRINCIPAUX PAYS D’ORIGINE
DES IMMIGRÉS ÂGÉS DES PAYS TIERS

Algérie

Maroc

Tunisie

Sénégal

Mali

Paris

Paris

Paris

Paris

Paris

Bobigny

Villemomble

Pantin

Nanterre

Colombe

Vitry-sur-Seine

Orly

Pontoise

Pontoise

Orléans

Le Havre

Marseille

Marseille

Marseille

Marseille

Nice

Bastia

Nice

 

Montpellier

Montpellier

Toulouse

Toulouse

Toulouse

Lyon

Lyon

Lyon

Lyon

Saint-Etienne

Dijon

Grenoble

Grenoble

Besançon

Bordeaux

Bordeaux

Bordeaux

Nantes

Rennes

Lille

Lille

Strasbourg

Strasbourg

Strasbourg

Metz

Comme le lui a suggéré M. Jean-Christophe Lagarde, membre de la mission, votre rapporteur propose donc qu’un modèle d’accord de coopération locale en matière de formation aux droits des personnes âgées résidant en France soit établi avec ces consulats par un groupe de travail réunissant des représentants du ministère des affaires étrangères, interlocuteur des représentations diplomatiques et consulaires, des ministères sociaux et du ministère de l’intérieur. Il serait mis à la disposition des communes et conseils généraux qui pourraient le décliner au plan local, en fonction des pistes de coopération qu’ils auraient identifiées.

Il ne s’agirait en aucun cas de déléguer une compétence nationale aux services d’un État étranger ni d’instaurer une voie particulière ou privilégiée d’accès aux services sociaux de droit commun sur recommandation consulaire, mais de faciliter les échanges de bonnes pratiques et les formations réciproques des personnels afin de permettre à des usagers aujourd’hui éloignés des services publics auxquels ils ont droit d’en trouver le chemin.

Des partenariats pourraient également être noués avec les préfectures amenées à délivrer les titres de séjour.

Proposition n° 52

Établir un modèle d’accord organisant les relations des services consulaires présents en France avec les services sociaux de leur circonscription pour la formation de leurs agents aux droits et services dont bénéficient leurs ressortissants âgés résidant en France.

e) Faire des immigrés âgés des acteurs des politiques sociales

Le meilleur accès des immigrés âgés à leurs droits passe par une meilleure expression de leurs besoins : l’immigré âgé n’est pas un objet de connaissance, il est un acteur de son destin. Il est moins un « problème » que la marque du fait que la société française évolue.

Comme l’a indiqué à la mission Mme Murielle Maffessoli, l’action sociale en direction des publics immigrés a trop longtemps été pensée comme spécifique : « Lorsque le service social d’aide aux étrangers a été intégré dans l’Office français de l’immigration et de l’intégration, la prise de relais par le droit commun – censée se produire naturellement – n’a pas eu lieu. » La connaissance fine des besoins sociaux au plan local, qui existe pour les personnes âgées en général, manque en ce qui concerne les immigrés âgés, notamment dans l’analyse des besoins sociaux conduite annuellement par les centres communaux et intercommunaux d’action sociale sur le fondement de l’article R. 123-1 du code de l’action sociale et des familles.

L’échelon local est pourtant décisif car la catégorie des personnes immigrées âgées n’est pas homogène. D’une commune ou d’un département à l’autre, les parcours sont divergents, les arrivées correspondent à des périodes de l’histoire différentes, ainsi que votre rapporteur a tenté de le montrer. Mme Murielle Maffessoli a également indiqué à la mission qu’il résulte des analyses conduites par le réseau Ressources pour l’égalité des chances et l’intégration (RECI) que l’ampleur de la présence immigrée ne détermine en rien l’action de la commune à leur égard : certaines se saisissent des besoins des personnes immigrées alors qu’elles en comptent moins de 2 % dans leur population.

C’est pourquoi la participation des intéressés constitue une garantie contre les risques d’« aseptisation ou de rigidification » d’initiatives à destination des immigrés âgés, soulignés par le gérontologue M. Omar Samaoli, qui les rendraient de fait inaccessibles aux personnes intéressées.

Cette approche inspire également l’action du Gouvernement puisque le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale prévoit de développer la participation des personnes en situation de pauvreté et de précarité à l’élaboration et au suivi des politiques publiques qui les concernent. Des représentants de retraités immigrés, identifiés comme tels par le biais de leur participation à des associations d’immigrés et d’aide aux immigrés, pourraient participer aux activités du Haut Conseil à l’intégration ou du Conseil supérieur du travail social (CSTS). À l’échelon territorial, votre rapporteur est favorable à la participation des personnes intéressées à l’élaboration et au suivi des plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées, aux schémas directeurs d’action sociale des caisses de sécurité sociale ou des schémas de programmation des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

M. Thierry Tuot a invité la mission à prendre en considération « le rôle social des immigrés âgés [qui] ne sont pas seulement des victimes qui auraient droit à notre commisération : ils peuvent encore être des acteurs sociaux ». Votre rapporteur fait sienne l’idée de « viser pour les immigrés âgés un rôle social qui ne soit pas seulement la compensation des handicaps dont ils peuvent souffrir en matière de santé, de logement ou de revenus, mais aussi la valorisation du rôle qu’ils jouent dans la transmission des savoirs et des valeurs, dans l’animation d’un quartier, dans les relations entre les personnes, dans la médiation ».

Entendu par la mission, M. François Lamy, ministre délégué à la ville, a soutenu cet objectif de valorisation du rôle social des personnes âgées dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Les immigrés âgés peuvent ainsi participer au « développement social local » qui vise à définir les politiques locales par la base et à inciter les bénéficiaires à en devenir les acteurs.

Ainsi, la recommandation CM/Rec (2011)5 du 25 mai 2011 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur la prévention des risques de vulnérabilité des migrants âgés et l’amélioration de leur bien-être, déjà citée, propose d’inscrire les politiques visant à promouvoir le bien-être des migrants âgés et à prévenir leur vulnérabilité dans une politique générale « encourageant l’autonomisation, l’autonomie, le sentiment d’appartenance, la reconnaissance et la participation des personnes âgées à la société ». Le Comité des Ministres considère que des politiques et des pratiques devraient être mises en place pour limiter l’isolement social ou affectif des migrants âgés, « par exemple en entretenant leur intégration sociale et en renforçant leurs liens avec leur famille, leurs réseaux personnels mais aussi en favorisant de nouveaux contacts avec la société ».

Il souligne en outre le rôle du « vieillissement actif des migrants âgés en tant qu’acteurs du développement » et considère que « le dialogue entre les générations devrait être encouragé, favorisé et soutenu pour permettre aux jeunes d’apprécier et de tirer parti des connaissances, de l’expérience et des valeurs de leurs parents migrants âgés, [que] les migrants qui ne sont plus économiquement actifs devraient être encouragés par les pouvoirs publics à participer et à contribuer volontairement aux activités de la collectivité afin de transmettre leurs connaissances, leurs compétences et leur expérience à la société au sens large, [et que] les formes d’activités qui bénéficieraient en particulier de la participation et de la contribution des migrants et des migrantes âgés sont notamment celles qui concernent le soutien à l’intégration des jeunes dans le marché de l’emploi, l’intégration des migrants récemment arrivés et les projets de codéveloppement dans les pays d’origine ».

La participation à la vie locale peut en effet être facilitée par la prise en compte de la réalité du projet migratoire. Ainsi le GRDR a indiqué à votre rapporteur que la Maison des aînés, à Rouen, n’accueillait aucun immigré âgé alors que cette structure héberge à la fois le CLIC, les services offerts aux personnes âgées du CCAS, l’Université du temps libre et la mission municipale en faveur des aînés. Afin que des immigrés âgés s’y rendent, le GRDR a créé, à destination des populations issues principalement d’Afrique subsaharienne, des dispositifs intermédiaires tournés à la fois vers les primo-arrivants et les personnes âgées. D’après les responsables de cette initiative, son succès se fonde sur une bonne connaissance du statut social des migrants âgés, en lien avec leurs communautés et villages d’origine, et avec un projet migratoire, collectif, toujours en cours.

En Belgique, la Fondation Roi Baudouin a lancé en 2009 un appel à projets « migrants âgés, seniors de chez nous », grâce auquel vingt-deux projets ont été soutenus à travers le pays. Ces actions ont ensuite fait l’objet d’un rapport sur leur mise en œuvre dont il ressort que des progrès ont été réalisés, notamment par la mise en place d’échanges de service entre les familles des personnes âgées immigrées et des bénévoles et par l’organisation de groupes de parole entre immigrés âgés et résidents de quartiers afin de mieux appréhender la question du vieillissement, des valeurs et de la religion des personnes âgées immigrées (130).

À l’aune de cette nécessaire participation des immigrés âgés à l’élaboration des dispositifs sociaux qui les concernent au premier chef, votre rapporteur se félicite du partenariat engagé par le Gouvernement avec la Mobilisation nationale de lutte contre l’isolement social des âgés (Monalisa), initiée par un groupe de travail composé d’associations qui souhaitent déployer le bénévolat à destination des personnes âgées isolées. Parmi les membres fondateurs de Monalisa, figure notamment l’association Ayyem Zamen, qui a créé le « café social » visité par la mission.

Proposition n° 53

Encourager la participation de représentants immigrés âgés à la définition des politiques sociales qui les concernent.

2. Faciliter l’accès à la prévention sanitaire et aux soins

L’amélioration de l’accès aux services sociaux constitue à la fois un préalable et une composante d’une politique cohérente en matière de santé.

a) Renforcer l’accompagnement social vers les soins

Les outils mentionnés à l’article L. 1434-2 du code de la santé publique − programmes régionaux de santé et déclinaison en schémas d’organisation médico-sociale, programmes ou contrats locaux de santé – doivent être utilisés de façon plus résolue en faveur des personnes immigrées âgées. Des communes peuvent inscrire à leur contrat local de santé un axe spécifique concernant la santé des immigrés et des immigrés âgés.

Mais un tel cadrage territorial doit s’appuyer sur la dimension sociale de l’accès aux soins. Compte tenu du rôle protecteur du lien social sur la santé, le développement d’actions de proximité spécifiques peut en outre accroître l’insertion sociale des personnes d’origine étrangère.

Des partenariats peuvent être établis avec les centres d’examens de santé gérés par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). En 2008, l’UNAFO a signé un accord-cadre avec le Centre technique d’appui et de formation des centres d’examens de santé (CETAF) comportant des soins d’examens de santé gratuits. Il a cependant été indiqué à la mission que sa mise en œuvre exige des moyens, en termes d’accompagnement, qui font parfois défaut. Le 17 décembre 2012, ARALIS a signé une convention de partenariat avec la CPAM du Rhône afin d’orienter les résidents vers les centres d’examens de santé, qui prévoit des permanences d’une assistante sociale de la caisse dans la résidence.

Le docteur Veïsse a jugé nécessaire d’adapter les pratiques dans les bilans de santé dans l’ensemble des centres d’examens de santé de la sécurité sociale et de droit commun. À la suite des recommandations formulées par l’IGAS, une expérimentation pilotée par la direction générale de la santé est en cours dans trois centres d’examens de santé d’Île-de-France. Elle est circonscrite, dans un premier temps, aux visites de prévention pour les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État (AME), étrangers en situation irrégulière et le plus souvent primo-arrivants.

Votre rapporteur salue cet effort de ciblage de l’action des centres d’examens de santé vers les populations les plus précaires, qui s’inscrit dans la droite ligne des préconisations faites par la Cour des comptes dans le Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de 2009. Votre rapporteur estime donc que des bilans de santé adaptés aux personnes âgées immigrées doivent être expérimentés dans les centres d’examens de santé.

Il pense en effet que le ciblage des dispositifs est essentiel. En outre, l’offre de soins doit être liée à une intervention, sur la durée, qui repère les besoins et aide les personnes à s’approprier le besoin et la demande de santé.

La MSA propose par exemple à tous ses adhérents identifiés comme étant en rupture avec le système de soins un bilan de santé gratuit auprès d’un médecin généraliste préalablement informé par la caisse de la situation du patient. Un bilan dentaire est également proposé. Un suivi est systématiquement assuré par le service social de la caisse qui peut également proposer de participer à des ateliers d’éducation en santé.

Aux côtés des centres de santé financés par les CPAM, des centres de santé, bénéficiant de financements locaux, nationaux (par exemple dans le cadre des PRIPI) et de l’appui des agences régionales de santé (ARS), permettent de toucher les populations précaires, et notamment de les accompagner vers les soins. Votre rapporteur considère que la mise en place de tels programmes de prévention et d’éducation à la santé adaptés est essentielle car ces programmes peuvent donner aux immigrés les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur santé, ce qui les oriente in fine plus facilement vers les dispositifs de santé appropriés.

D’après les témoignages présentés à la mission par les responsables du centre de santé « La Case de santé » de Toulouse et du centre de santé de Grande-Synthe, le facteur de proximité paraît essentiel : de nombreuses personnes se rendent dans les centres de santé accompagnées par un autre habitant du quartier, un voisin, un proche qui connaît l’association ou qui en a entendu parler. Avant même la consultation d’un praticien, le centre permet la prise en compte des besoins sociaux et les met en perspective avec la santé de la personne.

Dans le centre de santé de Grande-Synthe, un programme « Sport, marche, sortir » destiné aux personnes âgées à faibles revenus, majoritairement d’anciens ouvriers de la métallurgie venus du Maghreb, a par exemple permis un premier contact avec des médecins traitants liés au centre, lors de la délivrance du certificat médical. De même, à destination des résidents isolés des foyers de travailleurs migrants de la région Rhône-Alpes, le réseau de santé INTERMED confie prioritairement l’accompagnement à des infirmiers et, depuis peu, à un psychologue chargé de conduire une action de médiation santé en se rendant dans les lieux de vie des résidents.

La dimension interculturelle est importante : les représentations dont la médecine européenne peut faire l’objet chez certains publics âgés sont levées par l’accueil préalable de travailleurs sociaux et d’infirmiers qui maîtrisent les codes culturels. Les intervenants doivent tenir compte de ces spécificités, par exemple pour aider une personne à gérer son diabète pendant la période du ramadan, mesurer l’incidence de l’aller-retour entre le pays d’origine et la France ou les conséquences des pratiques alimentaires traditionnelles, plus ou moins adaptées à la santé de la personne âgée vivant en France.

Ces lieux collectifs permettent également d’organiser des groupes de parole afin de faire émerger certaines demandes ou de connaître certaines souffrances parfois difficiles à porter individuellement dans le face-à-face des consultations. Ceci pallie également le risque d’infantilisation.

Afin de renforcer l’accès des personnes les plus éloignées des institutions de soins, votre rapporteur fait sienne la proposition de Mme Bénédicte Gaudillière du centre de santé « La Case de santé », visant à envisager une contribution de l’assurance maladie pour le financement de l’interprétariat lors de l’accompagnement vers les soins des personnes les plus démunies.

Votre rapporteur se félicite donc que le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale prévoie de dynamiser les structures de soins de proximité, en encourageant notamment le regroupement des professionnels de santé à travers le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et des centres de santé. Il est prévu de moderniser leur modèle économique afin de mieux prendre en compte la patientèle spécifique des personnes en situation de précarité. La possibilité d’intégrer aux rémunérations des équipes de soins de proximité des objectifs en matière de réduction des inégalités sociales de santé pourrait être étudiée.

Proposition n° 54

Définir de façon pluriannuelle des financements dédiés aux centres de santé sur la base de projets locaux visant l’accompagnement social vers les soins des personnes âgées qui en sont éloignées.

Proposition n° 55

Accélérer la mutation des centres d’examens de santé de l’assurance maladie afin qu’ils adaptent les bilans de santé en fonction des risques des bénéficiaires et qu’ils renforcent leur suivi social.

Proposition n° 56

Inviter l’assurance maladie à contribuer au financement de la traduction lors de l’accompagnement social vers les soins des personnes les plus démunies.

b) Faciliter l’accès à la CMU-C et à l’assurance complémentaire santé

Il ressort des travaux de la mission que les immigrés âgés éprouvent de grandes difficultés pour obtenir une couverture complémentaire de santé : ce constat est partagé par les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants et de résidences sociales comme par les associations d’aide aux migrants qui accompagnent la population, notamment féminine, ne vivant pas en foyer.

Ce constat rejoint celui des limites dues au plafond d’exclusion de la CMU-C et de l’ACS et qui concernent l’ensemble des personnes âgées dont les revenus sont légèrement inférieurs ou supérieurs au seuil de pauvreté. Devant la mission, les représentants du Défenseur des droits ont proposé d’exempter les bénéficiaires de l’ASPA résidant depuis plus de dix ans sur le territoire national de la condition de ressources régissant l’accès à la CMU-C. Votre rapporteur y voit une piste intéressante mais souhaite plutôt que soit envisagée la redéfinition de la condition de ressources – dont le seuil serait relevé – permettant d’y avoir droit. Ce geste en faveur des personnes modestes améliorerait l’accès aux soins tant des immigrés âgés que des personnes âgées modestes ayant le même niveau de revenu. Il permettrait en outre de faciliter l’accès aux soins dans les cinq à dix années qui précèdent l’âge moyen de perception de l’APA, ce qui constituerait un facteur de prévention de la perte d’autonomie.

Comme l’a rappelé devant la mission Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le Gouvernement a annoncé une augmentation du plafond de la CMU-C de 7 %, en sus de l’inflation et, en conséquence, une augmentation identique du plafond de l’ACS, dont le niveau serait maintenu au plafond CMU-C augmenté de 35 %.

Mais les difficultés d’accès à l’ACS ne reposent pas exclusivement sur le niveau du plafond d’exclusion : ce plafond a déjà connu des évolutions importantes. Initialement de 15 %, fixé à 20 % le 1er janvier 2007, il a été porté à 26 % le 1er janvier 2011 avant d’atteindre 35 % depuis 2012.

L’ACS ne bénéficie qu’à une faible part des personnes visées, malgré un recours plus fréquent à ce dispositif ces dernières années. Si la population cible de l’aide à une complémentaire santé était estimée à 2,2 millions de personnes en 2007, seul un million de personnes se sont vues délivrer une attestation de droit à l’ACS en 2012, en hausse de 30,8 % par rapport à 2011.

Le dispositif est largement méconnu : de nombreux bénéficiaires de l’ASPA ne savent pas qu’ils y ont droit. M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, a confirmé à la mission qu’un croisement des fichiers de l’assurance maladie et de ceux des caisses de retraite indiquant les montants de pensions permettrait d’identifier les pensionnés qui n’ont pas recours à l’ACS alors qu’ils y sont éligibles. En outre, les outils de « data mining » utilisés par les caisses afin de cibler les risques de fraude ne sont pas, jusqu’à présent, utilisés pour détecter les situations de non-recours aux droits. Votre rapporteur estime qu’ils s’y prêteraient pourtant très bien. Il souhaite donc que cette démarche, qui permettrait aux caisses de solliciter un public qu’elles méconnaissent trop souvent, soit rapidement engagée.

On constate un écart entre le nombre d’attestations de droits délivrées et le nombre d’utilisateurs des attestations ACS qui n’est que de 773 881 en 2012, en hausse de 24 % mais inférieur à la hausse de la délivrance des attestations. S’il existe logiquement un décalage entre délivrance et utilisation, la complexité du recours au dispositif constitue un obstacle rédhibitoire pour de nombreux bénéficiaires potentiels.

Après instruction de la demande par la CPAM compétente, un ménage éligible se voit en effet délivrer un « chèque santé » qu’il peut faire valoir auprès d’un organisme de complémentaire santé au moment de l’achat d’un contrat souscrit à titre individuel. La demande doit être renouvelée chaque année. Une étude récente a cherché à établir la part des différents facteurs de non-recours : l’étude examine en premier lieu le défaut d’information sur l’existence du dispositif et sur les démarches à entreprendre pour en bénéficier ; en second lieu, elle mesure les effets du « reste à charge », afin d’évaluer si le coût de la couverture complémentaire reste trop élevé (131). Les résultats montrent que la majoration du montant du « chèque santé » améliore légèrement le taux de recours à l’ACS et permet de mieux cibler les personnes effectivement éligibles.

Votre rapporteur considère donc que le relèvement du plafond d’exclusion de la CMU-C doit être un objectif prioritaire et que des dispositifs de simplification de l’accès à une complémentaire santé par le biais de l’ACS doivent être étudiés, dans le droit fil de la démarche qui a abouti à la signature, le 30 avril 2013, entre la CNAMTS et l’UNCCAS, d’un protocole d’accord pour favoriser l’accès aux soins des personnes précaires.

Votre rapporteur considère également qu’il convient de compléter le relèvement du plafond de l’ACS par des dispositifs d’aide à la souscription d’une complémentaire santé, à la définition desquels devraient être associés étroitement les organismes complémentaires eux-mêmes.

Proposition n° 57

Relever le seuil de la condition de ressources ouvrant le droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).

Proposition n° 58

Identifier et solliciter les retraités éligibles à l’aide pour l’acquisition d’une assurance complémentaire santé (ACS) qui n’y ont pas recours par le croisement des fichiers de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et des différentes caisses de retraite.

Proposition n° 59

Définir des modalités simplifiées d’accès à une complémentaire santé, formalisées par des accords avec les organismes complémentaires.

c) Inscrire le vieillissement des immigrés dans les actions menées contre les maladies neurodégénératives

Selon une projection statistique présentée à la mission par la M. Omar Samaoli, 14 000 personnes immigrées seraient potentiellement atteintes de troubles neurodégénératifs. Pourtant, le plan Alzheimer 2008-2012 ne prévoit aucune action particulière à leur égard.

Les personnes d’origine étrangère souffrant de la maladie d’Alzheimer, qui maîtrisaient la langue française, finissent par l’oublier et retournent à leur langue d’origine. Leur accompagnement nécessite dès lors d’identifier des interprètes aptes à les mettre en confiance.

M. Omar Samaoli a fait état de l’inadaptation des outils de diagnostic précoce des affections neurodégénératives des personnes originaires du Maghreb. Il en résulte des cas fréquents de première consultation psychiatrique en « phase trois » de la maladie. Mme Zineb Doulfikar, directrice de l’association Chibanis 06 et secrétaire générale de l’Association franco-marocaine de la maladie d’Alzheimer, a indiqué participer à des travaux de coordination entre la France et le Maroc : une convention serait en cours de négociation avec le service de gérontologie de l’hôpital de Nice pour développer des outils de détection précoce et d’exercices de prévention.

Les maladies neurodégénératives des personnes âgées nécessite une forte présence de l’entourage. Celui-ci doit également disposer d’une formation et d’un accompagnement spécifiques. Votre rapporteur estime donc que la thématique des immigrés âgés doit figurer dans les conventions qui lient la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux associations qui contribuent à la formation des aidants, à l’exemple de France Alzheimer.

De même, les ARS doivent introduire des formations d’adaptation aux personnes dont le français n’est pas la langue maternelle dans les référentiels de diagnostic et de soins en cas de maladies neurodégénératives. La même référence aux situations de vieillissement dans la migration doit figurer dans les différents dispositifs d’aide à la formation existants, tels que le contrat local « Soutien aux aidants familiaux » des caisses de la MSA ou les plans de préservation de l’autonomie des personnes âgées (PAPA) des CARSAT.

Proposition n° 60

Fixer dans le prochain plan Alzheimer des objectifs de dépistage précoce des maladies neurodégénératives des personnes âgées originaires des États tiers à l’Union européenne et définir les référentiels adaptés.

Proposition n° 61

Améliorer la formation des professionnels de santé et des aidants.

d) Faire de l’accès aux soins à domicile une priorité

Comme l’a indiqué à la mission M. Omar Samaoli, si peu de personnes immigrées âgées sont présentes dans les institutions gériatriques, « nous le devons d’abord à la présence des familles ». L’effectif global de ceux qui gravitent actuellement autour des institutions sanitaires ne dépasse pas 2 %. Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d’assurance vieillesse, a cependant rappelé que « face au vieillissement des parents, les familles d’immigrés ne prennent pas forcément tout en charge, comme on aurait pu le croire : elles font ce qu’elles peuvent, comme toutes les autres familles ». En particulier, elles ne se montrent pas davantage réservées que les autres à l’égard des professionnels extérieurs, et les aidants finissent par accepter d’être assistés.

Les aidants familiaux peuvent être définis comme les personnes de la famille qui viennent en aide à titre non professionnel, pour partie ou totalement, à une personne dépendante, pour les activités de sa vie quotidienne. Selon l’enquête PRI de la CNAV, déjà citée, les personnes qui dispensent une aide en accordant du temps à un parent immigré appartiennent pour 93 % d’entre elles à la famille proche, 4% à la famille éloignée et 3% ne font pas partie de la famille (132).

La priorité qui doit être donnée aux services et soins à domicile se fonde sur le constat de la densité des liens familiaux et des aides internes aux familles immigrées. Les services à domicile peuvent s’inscrire de façon souple dans le cadre familial. Ils contribuent alors à soulager les aidants familiaux d’une partie de leurs tâches.

La participation des aidants familiaux croît à mesure que l’état de santé du parent se détériore. La fréquence des aides est la plus élevée chez les personnes ayant déclaré une santé « médiocre » ou « très mauvaise » dans le cadre de l’enquête PRI. Par manque d’informations et sentiment de ne pas être légitimes pour recourir aux services ou du fait des difficultés des travailleurs sociaux à entrer en contact avec elles, certaines familles ne disposent d’aucun complément d’aide à domicile à titre professionnel.

Celle-ci doit intervenir à un stade précoce, afin de prévenir des petites pertes d’autonomie et de réduire la période de grande perte d’autonomie. Lorsqu’une personne âgée isolée est repérée pour être accompagnée dans les meilleures conditions, la perte d’autonomie n’est pas inéluctable. L’aide à domicile complémentaire des aidants familiaux fournit un appui à ces derniers.

Les soins et aides à domicile se fondent donc sur la complémentarité entre action professionnelle et action non professionnelle, le plus souvent issue du cercle familial.

Le maintien à domicile des personnes âgées peut être facilité par des solutions d’accueil temporaires. Celles-ci n’ont pas vocation à précéder l’entrée permanente en établissement pour personnes âgées mais fournissent un service d’accueil de jour ou en internat pour des personnes âgées vivant par ailleurs à domicile ou hébergées par des proches. Dans les structures existantes, le principal motif d’entrée a trait à l’aide aux aidants, notamment d’enfants, qui peuvent ainsi faire héberger un parent qui ne souhaite pas vivre durablement hors du domicile familial ou qui ne peuvent plus assumer la charge d’un séjour durable en maison de retraite (133). Le passage temporaire par ces structures permet de réaliser des actes de dépistage et des actions de prévention qui facilitent le retour au domicile et le suivi médical ultérieur.

Votre rapporteur estime que cette prise en compte est d’autant plus nécessaire que les métiers des services sociaux sont de plus en plus fréquemment occupés par des personnes, et notamment des femmes, elles-mêmes immigrées. Mme Catherine Wihtol de Wenden a ainsi indiqué à la mission que « le vieillissement de la population française entraîne de nouvelles migrations liées aux métiers du care ». Elles concernent surtout des femmes originaires des pays d’Europe de l’Est, d’Amérique du Sud ou des Philippines. La régularisation en Italie des badanti, auxiliaires de vie qui s’occupent des personnes âgées, est exemplaire à cet égard.

Votre rapporteur considère qu’il convient donc de ne pas laisser persister des situations de mal-vieillissement des immigrés les plus âgés, alors même que notre pays emploie de nouveaux immigrés pour prendre soin des aînés. Les autorités publiques qui mettent en œuvre les politiques de solidarité en matière de vieillissement doivent y inclure l’ensemble des immigrés âgés. À défaut, alors même que des immigrés plus jeunes prennent souvent soin des seniors, une situation asymétrique dans la relation de soins, dont le fondement, de fait, serait discriminatoire et contraire aux valeurs de notre République, serait susceptible de voir le jour dans notre pays.

Proposition n° 62

Engager une concertation avec les fédérations d’associations de soins et de services à domicile pour diffuser les meilleures pratiques facilitant le maintien à domicile des personnes âgées immigrées et défavorisées.

D. PERMETTRE LE LIBRE CHOIX ENTRE PAYS D’ACCUEIL ET PAYS D’ORIGINE

1. Ouvrir le passage de la « double absence » à la « double présence »

Le sociologue M. Abdelmalek Sayad a parfaitement décrit cette « double absence » que vivent nombre d’immigrés, phénomène qui s’accentue une fois la retraite venue : coupé de ses racines par de nombreuses années d’éloignement, l’immigré âgé n’est plus chez lui dans son pays d’origine et n’est pas non plus véritablement chez lui en France. Or, la liberté de choix de son mode de vie, entre ici et là-bas, seule à même de lui offrir une double présence, ici et là-bas, doit lui être offerte.

Loin de trahir une « mauvaise intégration », l’aller-retour est souvent une manière pour les immigrés âgés de vivre une forme de mobilité résidentielle, comme nombre de retraités.

La pratique de « la navette » concerne, à des degrés divers, de nombreuses personnes. Elle peut être rapprochée de la mobilité résidentielle du troisième âge qui, selon le gérontologue M. Omar Samaoli, ne se traduit « ni par un tourisme classique, ni par un établissement et une fixation définitive sur d’autres territoires et dans d’autres pays, mais dans les deux cas opère comme une " extension territoriale " motivée par une autre appropriation du temps de vie ».

Il devient en effet rare aujourd’hui de rencontrer des personnes d’âge avancé ayant toujours vécu sur leur lieu de naissance. Les travaux de sociologie du vieillissement ont mis en évidence le phénomène de « secondarité » des plus âgés, fait de possession de résidences secondaires, de situations de double résidence ou de résidence alternante. En témoigne la « secondarisation » d’une grande partie des campagnes françaises, qui a également donné lieu à une migration, en France, de personnes âgées originaires de pays d’Europe du Nord. De même, les anciens actifs se sont souvent enracinés sur leur lieu de travail tout en conservant des relations avec leur milieu familial d’origine. Ainsi que le souligne l’analyse du vieillissement des migrants conduite en 2007 en Midi-Pyrénées, « ces pratiques ne cessent vraiment que lorsque la vieille personne perd toute mobilité, et cette rupture apparaît de plus en plus comme un des principaux marqueurs de la vieillesse, sinon de l’avènement du temps de la fin de vie » (134).

En outre, la liberté d’aller et venir a valeur constitutionnelle : elle ne doit pas cesser au moment de la retraite pour des personnes dont l’histoire professionnelle et la situation familiale se sont traduites par le partage de la vie entre deux pays.

Cette mobilité constitue alors le moyen de bien vivre, au moment de la retraite, la situation de « double installation » présentée à la mission par M. Abdelhafid Hammouche, professeur des universités, qui a souligné que, « parmi les personnes vivant en famille, les plus âgées, en particulier les plus marquées par l’histoire coloniale, ont en effet eu du mal à dire qu’elles s’installaient définitivement en France, tout en le faisant. Le va-et-vient du vieillissement permet de concilier des fidélités aux deux pays qu’une histoire a pu faire apparaître comme contradictoires ».

Mme Claudine Attias-Donfut a, pour sa part, rappelé à la mission que la migration a abouti à constituer des « familles devenues transnationales, certains de leurs membres demeurant au pays, d’autres étant accueillis en France », et souvent « confrontées à des difficultés de regroupement familial ». Dès lors, la famille élargie, qui existe dans la plupart des pays tiers à l’Union européenne, se transforme en famille restreinte, limitée aux seuls parents et enfants. Les personnes qui avaient l’habitude de partager des responsabilités familiales et l’éducation des enfants avec la famille élargie peuvent éprouver d’importantes difficultés. Selon Mme Attias-Donfut, cette situation explique la fréquence des allers et retours, tout comme les nombreuses communications à distance entre le pays d’origine et la France.

Votre rapporteur considère que la retraite ne doit pas représenter une étape rendue difficile par des obstacles inutiles opposés à cette dimension constitutive de la migration, qui est aussi un pont culturel entre le pays d’origine et le pays d’accueil. Il souhaite donc affirmer que le libre choix de résidence au moment de la retraite est une condition de la dignité. Il est inacceptable que certains immigrés âgés se considèrent « prisonniers en France » selon les termes employés par un membre de la mission.

2. Écarter le soupçon de fraude pesant sur les immigrés vivant
dans l’aller-retour

Votre rapporteur a souhaité évaluer l’accès aux droits sociaux des immigrés âgés qui effectuent des séjours fréquents ou prolongés « au pays ». Depuis le milieu des années 2000, des constats de pratiques discriminatoires des organismes fiscaux ou de sécurité sociale envers les personnes âgées étrangères ont fait l’objet de délibérations de la HALDE puis du Défenseur des droits.

La pratique de l’aller-retour avec le pays d’origine fragilise la situation juridique des personnes qui perçoivent un complément non contributif de retraite. Plus que les autres, les personnes résidant fréquemment à l’étranger ont en effet été concernées par la réforme des composantes du « minimum vieillesse » menée depuis 2004, qui a mis fin à l’attribution de certaines de ses composantes en cas de résidence habituelle à l’étranger.

En outre, l’appréciation du caractère habituel de la résidence en France et son contrôle ont fait l’objet de pratiques hétérogènes de la part des caisses de sécurité sociale. Cela a pu faire peser sur les immigrés âgés un soupçon de fraude aux prestations sociales. Des collectifs de migrants se sont mobilisés sur ces thèmes, notamment à Toulouse en 2009 ou à Lyon en 2012. La mission a d’ailleurs entendu M. Boualam Azahoum, un représentant du collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », à la pointe de ce mouvement. Votre rapporteur estime nécessaire de lever toute ambiguïté sur ce sujet afin qu’il ne soit plus possible de considérer la « vieillesse immigrée » comme une « vieillesse harcelée » (135).

• Prendre la mesure des effets des réformes du « minimum vieillesse » menées depuis une dizaine d’années

Il convient, au préalable, de rappeler que les pensions contributives de retraite peuvent sans aucun obstacle être perçues à l’étranger. 1,25 million de pensions de retraite sont ainsi versées à des personnes résidant à l’étranger, comme M. Thomas Fatome l’a rappelé devant la mission. 450 000 retraités du régime général nés en Algérie y résident aujourd’hui. Pour un immigré algérien retraité qui réside en France, on compte donc aujourd’hui entre trois et quatre retraités nés en Algérie qui résident dans leur pays de naissance. De même, 60 000 retraités du régime général nés au Maroc y perçoivent leur pension, soit 25 % de l’ensemble des retraités nés dans ce pays.

Le versement à l’étranger des pensions de retraite s’étend aux pensions de réversion. Parmi les pensionnés du régime général nés à l’étranger et qui y résident, la proportion des pensions servies au titre de droits dérivés servis seuls est de 31,8 % contre 5,5 % seulement pour les pensionnés nés à l’étranger et résidant en France. Près d’un tiers des personnes étrangères percevant une retraite au pays sont donc des veuves, beaucoup plus rarement des veufs, disposant d’une faible pension de réversion.

Le montant moyen des pensions de droit direct versées en Algérie par le régime général est de 259 euros et il est de 318 euros au Maroc. Les écarts entre les niveaux de pension sont donc élevés : certaines personnes retournent au pays après une carrière complète en France, d’autres perçoivent des montants de pension dérisoires, à l’instar des anciens saisonniers agricoles rencontrés par une délégation de la mission au consulat général de France à Casablanca. Malgré des années de travail pénible et en raison de pratiques anciennes de travail dissimulé, certains perçoivent des pensions de droit direct d’un montant inférieur à 50 euros par mois.

Un tel niveau de ressources est donc très inférieur à celui résultant de l’attribution, en France, de l’ASPA, qui ne peut être versée à l’étranger. Cependant, jusqu’en 2006, la liquidation des pensions de retraite entraînait l’attribution d’une majoration de pension définie à l’article L. 814-2 du code de la sécurité sociale : celle-ci permettait de porter les avantages attribués en vertu d’un régime de vieillesse au montant de l’ancienne « allocation aux vieux travailleurs salariés » (AVTS), une composante du « premier étage » de l’ancien « minimum vieillesse ». L’attribution et le service de cette majoration n’étaient subordonnés à aucune condition de résidence habituelle en France. Un pensionné immigré disposait donc d’une garantie de ressources minimales à la retraite, quels que soient ses choix de résidence.

Le Gouvernement, par l’ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse, a supprimé, à compter du 1er janvier 2006, l’attribution de cette majoration de pension. De manière transitoire, ce complément a été remplacé par un dispositif défini à l’article L. 815-30 du code précité, qui prévoyait que les avantages attribués en vertu d’un régime de vieillesse à une personne qui ne réside pas en France mais y a résidé pendant une durée fixée par décret devaient être majorés pour être portés à un montant fixé par décret lorsque la personne atteignait un âge minimum et que ses ressources étaient inférieures à un plafond.

L’ordonnance du 24 juin 2004 n’a donc pas supprimé tout complément de retraite dissocié d’une condition de résidence habituelle en France car l’habilitation donnée au Gouvernement par le Parlement prévoyait une simplification de l’ordonnancement juridique et non la modification des conditions de versement des allocations. Avant de pouvoir entrer en vigueur, le complément de vieillesse de l’article L. 815-30 a été supprimé, sur initiative gouvernementale, par l’article 76 de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006. Le Gouvernement prévoyait de réaliser ainsi une économie annuelle de 10 millions d’euros en diminuant les compléments de retraite d’environ 8 000 personnes qui choisissent de rentrer, chaque année, dans leur pays d’origine.

Les personnes qui se sont vues attribuer cette majoration avant le 1er janvier 2006 continuent de la percevoir. Selon les informations fournies à votre rapporteur par la CNAV, à la fin de l’année 2010, près de 240 000 allocations étaient servies à ce titre. Le nombre d’allocataires décroît régulièrement. Le montant moyen servi est de 170 euros mensuels, inférieur à celui versé pour l’ASPA qui s’élève à 410 euros. Les montants versés au titre cette majoration se sont élevés à 640 millions d’euros en 2011 pour l’ensemble des régimes de retraite. Ils diminuent en moyenne de 5 % à 6 % par an. 76 % des bénéficiaires de la majoration prévue à l’article L. 814-2 du code de la sécurité sociale perçoivent uniquement cette prestation : 97 % sont nés à l’étranger et ils résident quasiment tous à l’étranger.

Au regard de cette modification récente de notre droit, la question de l’« exportabilité » de l’ASPA a été soulevée à plusieurs reprises devant la mission. Dans la mesure où le montant de l’ASPA constitue un minimum social défini au regard du seuil de pauvreté en France, votre rapporteur juge qu’il n’est pas possible d’autoriser le versement de l’ASPA à une personne qui ne résiderait plus en France.

Cela l’est d’autant moins en raison de la nature différentielle de cette nouvelle prestation : le montant du complément d’ASPA est d’autant plus élevé que la pension contributive est faible. Si l’ASPA était versée à l’étranger, le « minimum vieillesse » perçu à partir de soixante-cinq ans y serait donc d’autant plus important que le travailleur étranger aurait passé moins de temps en France avant de s’établir définitivement dans son pays d’origine.

En outre, alors que l’article L. 815-13 du code de la sécurité sociale prévoit que les sommes servies au titre de l’allocation sont récupérées après le décès du bénéficiaire si l’actif net de la succession dépasse 39 000 euros, la récupération sur succession dans un pays tiers à l’Union européenne est aujourd’hui difficilement praticable.

Cependant, votre rapporteur souhaite mettre au débat la question de la durée d’antériorité de résidence imposée aux étrangers extra-communautaires pour l’attribution de l’ASPA.

L’article L. 816-1 du code de la sécurité sociale, issu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, a rendu les dispositions relatives à l’ASPA applicables aux personnes de nationalité étrangère sous réserve qu’elles répondent aux conditions régissant alors l’attribution du revenu minimum d’insertion (RMI) : une condition d’antériorité de résidence de cinq ans pour les seuls étrangers ressortissants des pays tiers à l’Union européenne a donc été instaurée.

Cette condition d’antériorité de résidence a ensuite été portée à dix ans, sur amendement du Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. L’article 94 de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 a ainsi modifié l’article L. 816-1 du code de la sécurité sociale qui prévoit désormais que, pour bénéficier de l’ASPA, les étrangers non communautaires, à l’exception des réfugiés, des apatrides, des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des anciens combattants, doivent être titulaires depuis au moins dix ans d’un titre de séjour autorisant à travailler.

Les représentants du Service de l’ASPA de la Caisse des dépôts et consignations ont indiqué à la mission avoir attribué, en 2012, 1 300 allocations de moins qu’en 2011 sur un volume de 8 900 demandes. Cette diminution serait imputable pour 60 % à la modification portant sur la durée de résidence préalable. Le passage de cinq à dix ans de la condition de « stage » préalable a donc accru le pourcentage de dossiers rejetés sur le fondement du non-respect de cette durée, passé de 16 % en 2011 à 24 % en 2012, ce qui représente 650 dossiers.

Par la délibération n° 2009-308 du 7 septembre 2009, la HALDE a considéré que l’instauration, pour les seuls étrangers, de la condition de « stage préalable », alors fixée à cinq ans, constituait une discrimination fondée sur la nationalité, prohibée notamment par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le pacte international sur les droits civils et politiques et la convention n° 97 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les travailleurs migrants.

Dans ses observations présentées en 2012 devant la cour d’appel de Paris portant décision n° MLD/2012-40 Riman Manukyan, le Défenseur des droits a précisé que cette condition opposable aux seuls étrangers non communautaires n’apparaît pas proportionnée au regard des conditions de résidence exigées des demandeurs de nationalité française, y compris lorsqu’ils reviennent de l’étranger. Pour le Défenseur des droits, la durée de dix ans comme la durée de cinq ans sont de nature à faire obstacle à l’objet même de la prestation, qui vise à assister les personnes âgées les plus démunies. La « justification objective et raisonnable » qui seule permet de réserver aux nationaux une prestation sans violation des dispositions de la convention européenne des droits de l’homme fait donc défaut en l’espèce.

De même, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris avait, par le jugement n° 06-02886 du 9 novembre 2009, infirmé la décision du SASPA qui estimait insuffisante l’antériorité de résidence d’un allocataire. Le jugement indique que, « sauf à faire d’un tel étranger résidant régulièrement sur le territoire national un profiteur par destination, sinon par nature, dont il convient de se méfier, l’exigence [d’antériorité de résidence] est nécessairement discriminatoire dans la mesure où elle n’est ni raisonnable, ni objective, ni même proportionnée, par rapport à la solution qui serait retenue, pour un ressortissant français, à l’objectif d’aide aux plus démunis affiché par la loi ».

Les dispositions législatives en cause pourraient apparaître comme contraires aux engagements européens de la France. Si, par l’arrêt Collins du 23 mars 2004, la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne le bénéfice d’une allocation à une condition de résidence, le juge indique que cette condition doit être justifiée sur le fondement de considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national.

L’allongement de la condition d’antériorité de résidence à dix ans pourrait paraître s’éloigner de la lettre de l’article 11 de la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers de longue durée : la qualité de résident de longue durée est acquise après cinq années de séjour régulier et ininterrompu et emporte stricte égalité de traitement pour l’ensemble des prestations de sécurité sociale, contributives ou non contributives. Toute condition d’antériorité de résidence supérieure à cette durée applicable aux seuls ressortissants des pays tiers établit donc une inégalité de traitement avec les ressortissants de l’Union.

Au total, votre rapporteur considère que l’allongement de la condition de résidence préalable a été principalement motivé par un fantasme : celui de l’arrivée en France de personnes âgées mues par la seule perspective d’y percevoir le « minimum vieillesse ». En conséquence, il propose que cette durée soit ramenée à cinq ans, en attendant une éventuelle consolidation de la jurisprudence Collins sur le sujet.

Proposition n° 63

Ramener de dix ans à cinq ans la durée de « stage préalable » imposée aux étrangers extra-communautaires régulièrement installés en France pour bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

• Garantir des contrôles respectueux des droits des personnes

Dans la mesure où le versement de l’ASPA est lié à une résidence habituelle en France, une absence prolongée doit emporter suspension du versement. Au surplus, les aides au logement n’étant attribuées que pour une résidence principale, l’inoccupation du logement supérieure à cent vingt-deux jours, soit quatre mois, expose l’allocataire à rembourser le trop-perçu des périodes ultérieures.

Il paraît légitime à votre rapporteur que le respect de ces conditions de caractère habituel de la résidence ou de l’occupation du logement puisse être contrôlé par les organismes de sécurité sociale chargés du versement à bon droit des prestations.

Mais il considère également légitime le refus des immigrés âgés d’être perçus bien trop systématiquement comme des fraudeurs potentiels.

Il convient, en premier lieu, de rappeler les contours de la condition de résidence habituelle en France afin d’établir si les règles au regard desquelles les situations individuelles font l’objet de contrôle sont conformes à la loi et appliquées de façon homogène par les caisses.

Une clé de lecture est fournie par un avis du Conseil d’État du 8 janvier 1981 sur la notion de résidence en matière d’aide sociale, selon lequel cette condition est « satisfaite en règle générale, dès lors que [la personne] se trouve en France et y demeure dans des conditions qui ne sont pas purement occasionnelles et qui présentent un minimum de stabilité. Cette situation doit être appréciée, dans chaque cas en fonction de critères de fait et, notamment, des motifs pour lesquels l’intéressé est venu en France, des conditions de son installation, des liens d’ordre personnel ou professionnel qu’il peut avoir dans notre pays, des intentions qu’il manifeste quant à la durée de son séjour ».

Cette résidence doit tout d’abord être régulière au regard de la législation sur le séjour et le travail des étrangers en France, l’article 36 de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France ayant posé à l’article L. 115-6 du code de la sécurité sociale le principe selon lequel peuvent seules être affiliées à un régime obligatoire de sécurité sociale les personnes de nationalité étrangère résidant régulièrement en France.

L’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale précise que la condition de résidence en France peut être remplie selon deux modalités différentes :

− soit avoir son foyer permanent sur le territoire ;

− soit y avoir le lieu de son séjour principal.

Selon cet article, « le foyer s’entend du lieu où les personnes habitent normalement, c’est-à-dire du lieu de leur résidence habituelle, à condition que cette résidence sur le territoire métropolitain ou dans un département d’outre-mer ait un caractère permanent ».

En second lieu, « la condition de séjour principal est satisfaite lorsque les bénéficiaires sont personnellement et effectivement présents à titre principal sur le territoire métropolitain ou dans un département d’outre-mer […] et sont réputées avoir en France le lieu de leur séjour principal les personnes qui y séjournent pendant plus de six mois au cours de l’année civile de versement des prestations ».

L’ARTICLE R. 115-6 DU CODE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Pour bénéficier du service des prestations en application du troisième alinéa de l’article L. 111-1 et des articles L. 380-1, L. 512-1, L. 815-1, L. 815-24 et L. 861-1, ainsi que du maintien du droit aux prestations prévu par l’article L. 161-8, sont considérées comme résidant en France les personnes qui ont sur le territoire métropolitain ou dans un département d’outre-mer leur foyer ou le lieu de leur séjour principal. Cette disposition n’est pas applicable aux ayants droit mineurs pour le service des prestations en nature des assurances maladie et maternité.

Le foyer s’entend du lieu où les personnes habitent normalement, c’est-à-dire du lieu de leur résidence habituelle, à condition que cette résidence sur le territoire métropolitain ou dans un département d’outre-mer ait un caractère permanent.

La condition de séjour principal est satisfaite lorsque les bénéficiaires sont personnellement et effectivement présents à titre principal sur le territoire métropolitain ou dans un département d’outre-mer. Sous réserve de l’application des dispositions de l’article R. 115-7, sont réputées avoir en France le lieu de leur séjour principal les personnes qui y séjournent pendant plus de six mois au cours de l’année civile de versement des prestations.

La résidence en France peut être prouvée par tout moyen. Un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale fixe la liste des données ou des pièces relatives à la condition de résidence.

M. Antoine Math, représentant du CATRED, a souligné devant la mission que ces notions doivent être examinées au regard de la condition de résidence en matière fiscale. Or, l’application de l’article 4 B du code général des impôts (CGI) peut conduire à ce qu’une personne résidant moins de six mois en France soit tout de même considérée comme y possédant ses principales attaches. Selon lui, la condition de « foyer permanent » figurant à l’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale pourrait être remplie même en cas d’absence du territoire supérieure aux six mois autorisés pour remplir la condition de séjour principal. Un immigré amené à séjourner longuement dans son pays d’origine au temps de la retraite, pour divers motifs, mais qui conserverait en France ses principales attaches pourrait donc satisfaire la condition de foyer permanent au regard de la condition de résidence habituelle exigée pour le versement d’un complément de retraite. Dans un arrêt n° 216-2013 du 22 avril 2013 du tribunal des affaires de sécurité sociale de Pau, rendu sur le recours d’un allocataire de l’ASPA contre une décision de suspension prise par le Service de l’ASPA de la Caisse des dépôts et consignations, le juge a considéré que les deux modalités prévues à l’article R. 115-6 sont alternatives et que la notion de foyer permanent doit être examinée en premier lieu. Au moyen d’un ensemble d’indices de nature fiscale, économique, matérielle et juridique, dont le titre d’imposition, l’occupation à titre principal d’un logement selon un bail classique ou l’ancienneté de l’entrée en France, le juge conclut que le requérant satisfait la condition de foyer permanent et que celle de séjour principal n’a pas à être examinée.

Il semble que cette démarche soit peu familière aux caisses de sécurité sociale et que la condition de résidence habituelle en France soit principalement examinée à l’aune de la notion de séjour principal. Votre rapporteur estime pourtant qu’une approche fondée sur un faisceau d’indices serait plus favorable à de nombreux allocataires et traduirait mieux la réalité des attaches en France.

Il reste que le séjour principal s’apprécie désormais le plus souvent en fonction de la durée de résidence en France dans l’année. Le décret n° 2007-354 du 14 mars 2007 relatif aux modalités d’application de la condition de résidence pour le bénéfice de certaines prestations et modifiant le code de la sécurité sociale a abaissé de neuf à six mois la durée de séjour permettant de satisfaire cette condition. La durée de séjour maximal hors du territoire français pour continuer à percevoir l’ASPA est ainsi passée de trois mois à six mois.

Cette modification réglementaire a répondu à la demande formulée par le Haut Conseil à l’intégration dans son avis relatif à la condition sociale des travailleurs immigrés âgés remis au Premier ministre en 2005. Elle a donc élargi la possibilité, pour des retraités percevant un complément de retraite au titre de l’ASPA, de faire des allers-retours, ce dont votre rapporteur se félicite. Le décompte de cette durée de six mois doit être fait au cours de l’année civile : lorsqu’il est plus favorable à l’allocataire, le décompte doit donc être établi de date à date.

De même, l’appréciation du respect de la durée de résidence doit suivre les précisions figurant dans la circulaire ministérielle n° 2008/245 du 22 juillet 2008 qui en prévoit une lecture souple et bienveillante. Votre rapporteur considère également que les aléas occasionnés par les séjours prolongés au pays d’origine et par les liens familiaux doivent être systématiquement pris en compte, notamment en cas de problème de santé ou d’accident du pensionné ou d’un de ses proches lors de son séjour à l’étranger.

L’EXAMEN DE LA DURÉE DE PRÉSENCE EN FRANCE
SELON LA CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE N° 2008/245 DU 22 JUILLET 2008

En cas de constat d’une durée de présence en France légèrement inférieure au seuil de six mois, il est recommandé avant de supprimer le droit aux prestations de procéder à un examen attentif, notamment sur les années précédentes de la situation du demandeur afin de s’assurer que cette durée traduit effectivement une absence prolongée du territoire français et non un simple éloignement du territoire pour des circonstances conjoncturelles.

De manière générale, si le contrôle de la résidence effective et stable en France est un objectif important, il convient d’exercer ce contrôle avec discernement en prenant systématiquement en compte la situation individuelle de chaque assuré. L’ensemble des éléments fournis par la personne contrôlée ou que vous aurez pu recueillir notamment dans le cadre d’échanges d’informations avec des tiers (organismes de sécurité sociale, administration fiscale, autres organismes en application des articles L. 114-19 et suivants du code de la sécurité sociale) doivent vous conduire à la conviction que, résidant de manière effective et stable en France, la personne peut prétendre au bénéfice des prestations de sécurité sociale.

Proposition n° 64

Procéder, dans le cadre de l’attribution d’un complément non contributif de retraite (ou en cas de contrôle), à l’examen du respect de la condition de résidence sur le territoire en fonction d’un ensemble d’indices – et pas seulement au regard de la présence pendant six mois au cours de l’année civile – permettant d’établir la nature des attaches en France.

Proposition n° 65

Vérifier le respect, par les caisses de retraite, d’une application de la condition de séjour principal de six mois par année civile à la fois homogène et respectueuse de la situation individuelle des allocataires.

Votre rapporteur a également souhaité savoir si les immigrés ont fait ou continuent de faire l’objet de contrôles ciblés dont les motifs et les effets lui paraîtraient dès lors discriminatoires et illégaux.

Il ressort des travaux de la mission que le plan national de coordination de la lutte contre la fraude aux finances publiques pour 2012 faisait bien figurer, parmi les actions à privilégier « la lutte contre la fraude à la résidence », qui passe « par la détection de lieux dans lesquels sont domiciliés à la même adresse de nombreux prestataires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et pour lesquels apparaît une incohérence manifeste entre le nombre de résidents et la capacité physique d’hébergement ». Le plan fixait également l’objectif de « contrôler la résidence effective de certains bénéficiaires d’allocations non exportables ». Votre rapporteur estime que cela aboutissait dans les faits à viser les foyers de travailleurs migrants et les résidences sociales et se félicite que le nouveau plan national de lutte contre la fraude, annoncé par le Premier ministre le 11 février 2013, ne prévoie plus aucun ciblage de cet ordre.

À la demande de votre rapporteur, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a interrogé les caisses d’allocations familiales de Paris, Bobigny, Lyon, Bordeaux, Marseille et Montpellier, afin de savoir si les foyers de travailleurs migrants ont récemment fait l’objet de contrôles importants. Il en ressort que la plupart ne disposent pas de données statistiques car elles ne déclarent pas avoir retenu de ciblage particulier de ces populations. Deux caisses ont cependant pu communiquer des chiffres : à Marseille, 1 892 allocataires ont été contrôlés en 2010, 1 280 en 2011, mais aucune opération n’a été programmée en 2012. En Seine-Saint-Denis, en 2010, environ 900 contrôles ont été effectués dans les foyers. Aucune opération n’a été réalisée en 2011 ni en 2012. La direction de maîtrise des risques de la CNAF a indiqué que, lors de ces contrôles, quelques redressements ont pu être opérés. Il s’avère toutefois que le risque de non-occupation du logement au moins huit mois par an n’est finalement pas fréquent et ne justifie pas une accentuation des contrôles.

La CNAF a en outre indiqué à votre rapporteur que le fait de résider dans un foyer de travailleurs migrants ne constitue pas un risque dans le cadre du « profilage », qui consiste à établir les profils des bénéficiaires présentant des risques de fraude. La politique de maîtrise des risques ne ciblerait donc pas cette population particulière. S’agissant des prestations versées par les caisses d’allocations familiales, les fraudes à la résidence seraient plutôt rares, tout comme les escroqueries (3 %) et les faux et usages de faux documents (4 %). En revanche, la fraude à l’isolement permettant une majoration indue des montants des prestations représenterait près de 30 % des comportements frauduleux identifiés.

Selon le directeur de la sécurité sociale, M. Thomas Fatome, les vérifications relatives au lieu de résidence représentent 23 % des contrôles conduits par la CNAV en 2011. Ces 3 600 contrôles sur un total de 15 600 auraient permis de détecter 250 cas d’infraction à la condition de résidence pour un préjudice évalué à 2 millions d’euros, mais ceci recoupe à la fois le non-respect de la condition de résidence l’année du contrôle et les fausses déclarations frauduleuses de résidence en France au moment du dépôt de la demande d’allocation. Les immigrés âgés qui ont résidé en France depuis de nombreuses années et qui continuent de vivre dans des foyers de travailleurs migrants ne sont manifestement pas au nombre de ces fraudeurs.

Les responsables du SASPA ont indiqué à la mission que les allocataires sont contrôlés au moins une fois tous les deux ans au titre de la condition de résidence sur le territoire. D’après le rapport annuel d’activité du SASPA pour 2011, 60 % des allocataires ont vu leur situation contrôlée au cours de cette année. Les contrôles à ce titre ont toutefois baissé de 40 % par rapport à l’année 2010, et les annulations de droits à versement de l’ASPA ont reculé de 24 %. Le SASPA fait état de l’élaboration d’une nouvelle cartographie des risques qui aurait permis d’améliorer le ciblage des contrôles. Des actions répétées de communication contribueraient à une appropriation progressive des règles du maintien du droit par les allocataires.

D’après le directeur de la CNAV, M. Pierre Mayeur, les contrôles anti-fraude se fondent sur des critères au nombre desquels ne figure pas celui de la nationalité, parce que le système d’information de la branche retraite ne le permet pas, conformément à la réglementation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Le ciblage tient compte du nombre d’assurés résidant à une même adresse ou de la déclaration de soins à l’étranger. Au-delà des différents témoignages présentés devant la mission, votre rapporteur estime qu’il conviendrait de rendre plus largement publics les critères utilisés par les caisses pour dresser les profils des situations présentant des risques de fraude aux prestations sociales. Les relations entre les caisses et de nombreux allocataires vulnérables et les associations qui leur viennent en aide en seraient améliorées.

M. Jean-Louis Deroussen, président de la CNAF, a confirmé que lorsque les contrôleurs d’une CAF se rendent dans un foyer pour contrôler la situation d’un allocataire résident, ils peuvent être amenés à vérifier la situation des autres résidents bénéficiaires d’une allocation. Il en va de même dans des immeubles d’habitation ordinaire où résideraient de nombreux immigrés. L’opération de contrôle devient dès lors plus visible : il en résulterait l’impression fausse d’un ciblage particulier. Le sentiment exprimé par les collectifs d’immigrés âgés au sujet d’opérations menées « contre les foyers » repose donc bien sur des faits, même si un motif discriminatoire n’est pas toujours avéré.

Saisie des conditions du contrôle, en 2008, par des contrôleurs de la caisse d’allocations familiales du Val-d’Oise, du service des aides au logement versées aux résidents d’un foyer de travailleurs migrants d’Argenteuil, la HALDE, dans sa délibération n° 2009-148 du 6 avril 2009, a constaté que le déroulement des contrôles était contraire aux droits des allocataires. Elle cite des suspensions fondées sur la seule absence de l’allocataire le jour du contrôle et des méthodes d’information, telles que le simple affichage dans le hall du foyer, particulièrement mal adaptées à des résidents immigrés âgés.

M. Gabriel Lesta, membre de l’Association de soutien des travailleurs immigrés de Perpignan, a ainsi fait état devant la mission de « contrôles intempestifs sans préavis de passage, pouvant survenir durant les périodes d’absence légale [et entraînant] en cas d’absence constatée une suspension automatique des droits ». Il a souligné que « les contrôles des passeports sont aléatoires, avec une interprétation des tampons systématiquement défavorable aux migrants âgés et un recours aux documents des douanes étrangères, sans tenir compte des éventuelles erreurs dues aux homonymies, extrêmement nombreuses au Maghreb ». Il en aurait découlé « des suspensions de droits unilatérales, brutales, sans avertissement et sans possibilité de se justifier ».

Dans sa délibération précitée, la HALDE a également contesté une décision de suspension motivée par l’absence de présentation du passeport. L’occupation du logement pouvant être prouvée par tout moyen, l’obligation de présenter un passeport entraînerait, selon la HALDE, une discrimination indirecte envers les personnes étrangères. En outre, il a été indiqué à la mission que les éléments présentés par les intéressés pouvant attester de leur présence effective en France, tels que des visites médicales, des témoignages ou des quittances de loyer, tendent à être refusés par les caisses. Or, il semble que le passage à la douane au moment de l’entrée en France ne fait pas toujours l’objet d’un tampon sur le passeport. Dès lors, le refus des justificatifs présentés empêche de prouver la présence en France pendant plus de six mois, alors même que des éléments concordants permettent de l’établir par ailleurs.

Cependant, le législateur a, par l’intermédiaire de l’article 119 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, renforcé le fondement juridique de ce type de contrôles en modifiant l’article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale. Jusqu’alors, la loi disposait que les organismes de sécurité sociale pouvaient demander « toutes pièces justificatives utiles pour apprécier les conditions du droit à la prestation, notamment la production d’avis d’imposition ou de déclarations déposées auprès des administrations fiscales compétentes [et que] les organismes peuvent se dispenser de cette demande lorsqu’ils sont en mesure d’effectuer des contrôles par d’autres moyens mis à leur disposition ». Désormais, il est précisé d’emblée que « les organismes de sécurité sociale demandent, pour le service d’une prestation ou le contrôle de sa régularité, toutes pièces justificatives utiles pour vérifier l’identité du demandeur ou du bénéficiaire d’une prestation ».

Si la présentation d’un passeport peut être utile aux contrôleurs dans certains cas, votre rapporteur estime que la focalisation sur ce document ou sa demande répétée contribue à tenir l’immigré à l’écart des procédures applicables, dans les faits, au reste de la population.

Il considère donc qu’il convient prioritairement d’aider les personnels des caisses à agir avec respect et pédagogie lorsqu’ils contrôlent des personnes âgées défavorisées, notamment immigrées. Il a été indiqué à la mission que des formations spécifiques à la conduite d’entretiens précisant les droits des allocataires, de deux fois cinq jours, sont offertes depuis novembre 2011 aux contrôleurs des CAF. Votre rapporteur juge cependant qu’il convient d’aller plus loin et que la piste d’échanges formalisés, dans le cadre de formations obligatoires, avec des représentants des associations d’usagers parmi lesquelles figurent les associations d’immigrés âgés, doit être explorée.

Proposition n° 66

Rendre publics les critères du ciblage des contrôles opérés par les organismes de sécurité sociale.

Proposition n° 67

Améliorer la formation des agents de contrôle des caisses de sécurité sociale et les sensibiliser à la situation des immigrés âgés.

Proposition n° 68

Garantir des méthodes de contrôle respectueuses du droit et de la dignité des personnes et une information réelle et complète.

Proposition n° 69

Rappeler les obligations des caisses de sécurité sociale, notamment en matière de notification et de motivation des décisions, et de délais.

Des difficultés peuvent également provenir des conditions de suspension du versement des prestations et de recouvrements d’indus.

M. Antoine Math a indiqué à la mission que, dans le cadre des permanences d’aide à l’accès aux droits, il constatait fréquemment que des décisions de suspension du versement des prestations sont exécutées sans notification ni respect du principe du contradictoire, deux obligations pourtant imposées par la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Lors de l’audition des responsables du Service de l’ASPA, votre rapporteur et plusieurs membres de la mission ont fait état de leur surprise en constatant que des courriers simples sont adressés aux allocataires et leur demandent d’attester de leur résidence en France dans un délai d’un mois, délai au-delà duquel le courrier indique que le versement de l’allocation sera suspendu. Dans la mesure où une personne est autorisée à s’absenter plusieurs mois, votre rapporteur considère qu’un délai de réponse aussi court entraîne mécaniquement des suspensions inutiles. Cela paraît d’autant moins pertinent que 80 % des quelque 8 000 suspensions de droits effectuées par le SASPA chaque année sont suivies d’une remise en paiement. Ceci contribue donc à fragiliser la situation financière de personnes modestes et à faire peser le soupçon de fraude sur les immigrés qui pratiquent l’aller-retour. L’affichage d’un tel délai est au demeurant contradictoire avec le fait que le SASPA a indiqué à votre rapporteur qu’en pratique, en cas de non-réponse, il suspend généralement les droits au bout de deux à trois mois, après avoir pris contact avec les services sociaux de proximité, notamment les centres communaux d’action sociale à l’origine de la demande d’ASPA.

En cas de décision de suspension du versement de prestation par une caisse, une fois établi le montant du trop-perçu, il peut être récupéré de façon échelonnée sur les prestations versées à bon droit, ce qui constitue, en soi, une garantie pour l’allocataire comme pour la caisse. Mais il ressort que les règles sur le « reste à vivre », une fois déduite la retenue effectuée par la caisse, sont mal connues.

Les informations en la matière ne sont pas accessibles aux usagers et il existe une grande disparité dans l’application des règles par les caisses locales et leurs commissions de recours amiable (CRA), au-delà du cadrage règlementaire précisé dans l’encadré ci-dessous.

Les associations de soutien aux immigrés âgés estiment que les règles ne sont pas toujours respectées par les caisses : des décisions manifestement infondées seraient prises par certaines d’entre elles, à peu près certaines que les immigrés âgés n’oseront pas réagir.

Votre rapporteur estime en conséquence qu’il convient de clarifier et d’harmoniser les règles de remboursement des indus et de limiter leurs variations résultant des prestations, des motivations fournies par les caisses et des décisions des différentes commissions de recours amiable.

LES SITUATIONS DE RECOUVREMENT D’INDUS

En matière d’aides au logement, conformément à l’article L. 553-2 du code de la sécurité sociale, « tout paiement indu de prestations familiales est récupéré, sous réserve que l’allocataire n’en conteste pas le caractère indu, par retenues sur les prestations à venir ou par remboursement intégral de la dette en un seul versement si l’allocataire opte pour cette solution ». L’organisme payeur peut procéder à la récupération de l’indu par retenues sur les échéances à venir dues au titre des différentes aides au logement. Les retenues sont déterminées en fonction de la composition de la famille, de ses ressources, des charges de logement, des prestations servies par les organismes débiteurs de prestations familiales. L’individualisation des plans de remboursement est renforcée par le fait que l’article D. 553-1 du même code pondère le revenu mensuel pris en considération pour le calcul des retenues mensuelles en fonction de la composition familiale : une personne seule bénéficie par exemple d’une part et demie.

Ainsi, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) ne définit pas de plans de remboursement-type pour les résidents de foyers par exemple. Le montant mensuel du prélèvement effectué sur les prestations à échoir est calculé sur le revenu mensuel pondéré. Une retenue forfaitaire de 45 euros est établie sur la tranche de revenus inférieure à 231 euros, suivie d’une retenue de 25 % sur la tranche de revenus comprise entre 231 euros et 345 euros, de 35 % sur la tranche de revenus comprise entre 346 euros et 516 euros, de 45 % sur la tranche de revenus comprise entre 517 euros et 690 euros et de 60 % sur la tranche de revenus supérieure à 691 euros.

D’après les indications fournies par la CNAF, les disparités d’application proviendraient des remises de dettes. Celles-ci relèvent de chacune des caisses, puisque le quatrième alinéa de l’article L. 553-2 précise que « la créance de l’organisme peut être réduite ou remise en cas de précarité de la situation du débiteur, sauf en cas de manœuvre frauduleuse ou de fausses déclarations ». Les remises sont décidées par les commissions de recours amiable (CRA) de chaque caisse. La CRA peut être saisie dans les deux mois qui suivent la notification de la décision contestée, ou l’expiration du délai implicite de rejet si l’organisme de sécurité sociale n’a pas notifié sa décision. De nombreux cas d’absence de notification de la décision de retenues ont été signalés à votre rapporteur : l’allocataire découvre alors une diminution du montant de l’aide versée et ignore qu’il dispose d’une voie de recours amiable ou n’en est informé que trop tard. Seul le recours juridictionnel devant le tribunal des affaires de sécurité sociale lui est alors ouvert.

En matière d’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’article L. 815-11 du code de la sécurité sociale dispose que l’allocation « peut être révisée, suspendue ou supprimée à tout moment lorsqu’il est constaté que l’une des conditions exigées pour son service n’est pas remplie ou lorsque les ressources de l’allocataire ont varié ».

Si l’absence de déclaration du transfert de leur résidence hors du territoire métropolitain interdit que les arrérages versés soient acquis au bénéficiaire, toute demande de remboursement de trop-perçu se prescrit par deux ans à compter de la date du paiement de l’allocation au bénéficiaire, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration.

L’article R. 815-43 du même code dispose que les organismes servant l’allocation « peuvent opérer d’office et sans formalité des retenues sur les arrérages de l’allocation de solidarité aux personnes âgées pour le recouvrement des sommes payées indûment à l’allocataire ». Ces retenues ne peuvent excéder la fraction saisissable, telle qu’elle résulte de l’application de l’article L. 815-10 de ce code.

Or, cet article dispose que l’allocation est cessible et saisissable dans les mêmes conditions et limites que le salaire et que lorsqu’elle s’ajoute à un avantage de vieillesse soumis à des règles de cessibilité ou de saisissabilité particulières, ces règles sont applicables à l’allocation. Pour l’application de ces règles, les quotités saisissables sont déterminées séparément.

Les situations sont donc différentes selon la caisse qui verse la pension contributive et le complément d’ASPA. Elle récupère les trop-perçus sur des quotités couvrant tant le complément que la pension de base, et selon des modalités variables en fonction des régimes. De telles dispositions ne sont pas spécifiques aux pensionnés immigrés mais renforce les incertitudes quant aux montants qui peuvent être retenus. Enfin, l’examen par les CRA des situations individuelles et des remises de dettes manque d’homogénéité.

Le Service de l’ASPA, qui ne verse pas de montant contributif, a indiqué à votre rapporteur que la créance suite à annulation correspond en moyenne à une année de versements, soit un montant de l’ordre de 9 000 euros. Dès la notification de la créance, une demande de reversement intégral est adressée à l’allocataire, mais de tels reversements en un paiement unique sont évidemment très exceptionnels. Une procédure de règlement amiable est donc mise en œuvre, avec proposition de versements échelonnés, selon les ressources de l’allocataire. Dans les cas de nouvelle attribution de l’ASPA, la récupération provient d’un précompte dont le montant maximum serait de 80 euros, pour une allocation servie à taux plein.

Votre rapporteur se félicite du fait que le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté le 21 janvier 2013, lors de la réunion du Comité interministériel de lutte contre les exclusions (CILE), qui n’avait pas été réuni depuis 2006, ait fixé comme objectif de garantir aux allocataires ressortissant des CAF et de la MSA une plus grande régularité des aides perçues.

Le principe de fongibilité de la récupération des indus peut être particulièrement préjudiciable aux allocataires de ces deux caisses lorsqu’il conduit à voir l’ensemble des allocations faire l’objet d’une retenue. Au plus tard d’ici 2014, sous la responsabilité de la ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, les dispositions réglementaires vont donc être adaptées afin d’en limiter les effets. Le manque d’information des bénéficiaires est bien identifié par ce plan comme un facteur d’insécurité et de fragilisation pour des personnes disposant de faibles ressources alors même que les flux d’indus et de rappel sont en progression pour l’ensemble des allocataires modestes.

L’IGAS a été chargée d’établir un rapport visant à étudier la faisabilité et les modalités pratiques de garantie du principe d’une information préalable de l’allocataire en cas d’interruption de droit, en privilégiant le contact physique et téléphonique et le respect d’une période de phase contradictoire dans les situations de suspension de droits. De même, le Gouvernement a confié à l’IGAS l’examen des modalités de rapprochement du niveau des quotités insaisissables de celui utilisé par la Banque de France dans les procédures de surendettement.

Proposition n° 70

Améliorer l’information des usagers en matière de recouvrement des sommes indûment versées.

Proposition n° 71

En cas de retenues pour trop-perçus, garantir aux allocataires le respect du principe du contradictoire et la notification de décisions dûment motivées.

Proposition n° 72

Prévoir dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) liant les caisses de sécurité sociale à leur autorité de tutelle un renforcement des partenariats avec les associations d’accès aux droits et d’aide aux allocataires afin de garantir le respect des droits de ces derniers.

Proposition n° 73

Vérifier l’application homogène des règles de recouvrement des indus.

3. Assurer l’entrée en vigueur de l’« aide à la réinsertion familiale
et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine »

La liberté de vivre dignement sa vieillesse ne se limite pas aux modalités de l’aller-retour plus ou moins bien pris en compte par les règles régissant l’attribution et le versement des minima sociaux.

Pour certains immigrés âgés, un retour durable au pays d’origine au temps de la retraite paraît préférable, mais il est entravé par la faiblesse des ressources qui peuvent être perçues au pays après des décennies de présence en France.

Cette situation concerne plus particulièrement les résidents parmi les plus fragiles et les plus isolés des foyers de travailleurs migrants : leur imposer de vivre leur vieillesse en France semble d’autant plus inacceptable que ces personnes ne sont jamais parvenues à quitter le foyer où elles résident depuis parfois de très nombreuses années.

À leur intention, à l’initiative de M. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, a été instaurée, par les articles 58 et 59 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » (ARFS), définie à l’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles.

Plus de six années après l’adoption unanime de ces articles, aucune mesure d’application n’est entrée en vigueur. Il ressort des travaux de la mission qu’une mise en œuvre serait pourtant aujourd’hui possible et présenterait une réelle utilité.

• Une mesure d’aide au retour destinée à un public étroitement circonscrit

La définition par la loi de l’ARFS permet de cerner nettement ses contours et son caractère dérogatoire, motivé par le besoin social particulier auquel elle cherche à répondre.

ARTICLE L. 117-3 DU CODE DE L’ACTION SOCIALE ET DES FAMILLES

(article 58 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable
et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale)

Il est créé une aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine. Cette aide est à la charge de l’État.

Elle est ouverte aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen, en situation régulière, vivant seuls :

− âgés d’au moins soixante-cinq ans ou d’au moins soixante ans en cas d’inaptitude au travail ;

− qui justifient d’une résidence régulière et ininterrompue en France pendant les quinze années précédant la demande d’aide ;

− qui sont hébergés, au moment de la demande, dans un foyer de travailleurs migrants ou dans un logement à usage locatif dont les bailleurs s’engagent à respecter certaines obligations dans le cadre de conventions conclues avec l’État ;

− dont les revenus sont inférieurs à un seuil fixé par décret en Conseil d’État ;

− et qui effectuent des séjours de longue durée dans leur pays d’origine.

Son montant est calculé en fonction des ressources du bénéficiaire. Elle est versée annuellement et révisée, le cas échéant, une fois par an, en fonction de l’évolution des prix hors tabac prévue dans le rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières de la Nation annexé au projet de loi de finances de l’année.

Elle n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu.

L’aide est supprimée lorsqu’il est constaté que l’une des conditions exigées pour son service n’est plus remplie.

Le bénéfice de l’aide est supprimé à la demande des bénéficiaires, à tout moment, en cas de renonciation à effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d’origine. En cas de renonciation au bénéfice de cette aide, les bénéficiaires sont réintégrés dans leurs droits liés à la résidence.

L’aide est cessible et saisissable dans les mêmes conditions et limites que les salaires.

Elle est servie par l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Elle est exclusive de toute aide personnelle au logement et de tous minima sociaux.

Elle ne constitue en aucun cas une prestation de sécurité sociale.

Les conditions de résidence, de logement, de ressources et de durée des séjours dans le pays d’origine posées pour le bénéfice de l’aide, ainsi que ses modalités de calcul et de versement, sont définies par décret en Conseil d’État. Les autres modalités d’application, concernant notamment le contrôle des conditions requises, sont définies par décret.

Cette aide à la réinsertion ne peut ainsi être accordée qu’aux personnes qui s’engagent à effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d’origine et est exclusive des aides au logement et des minima sociaux. Elle s’adresse à des personnes étrangères vivant seules avec des ressources modestes et résidant en foyer de travailleurs migrants ou logés par des bailleurs ayant conclu avec l’État des conventions ad hoc, tels des gestionnaires de résidences sociales bénéficiant de financements au titre du logement accompagné. Le législateur a donc circonscrit cette aide aux résidents « célibatairisés » vivant en habitat collectif et a, dès lors, écarté de son bénéfice la grande majorité des immigrés âgés.

Ainsi, l’ARFS ne constitue pas une « ASPA exportable » mais une aide au retour devant permettre aux personnes concernées de vivre dignement dans leur pays d’origine, auprès de leur famille. L’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrants (ANAEM), devenue l’OFII, est chargée de son versement, comme elle l’est déjà pour celui des aides au retour.

Selon l’exposé des motifs joint en 2007 au projet de loi, le montant de l’aide n’est pas défini par rapport aux niveaux de complément d’ASPA versés en France mais presque exclusivement en fonction d’une logique budgétaire visant à ce que la mesure ait globalement un effet neutre sur les comptes publics. Il est ainsi indiqué que le montant de l’ARFS doit être équivalent à celui de l’aide au logement dont bénéficiait la personne à qui l’aide est attribuée. Il est précisé que « l’allocation est exclusive de toute aide personnelle au logement, si bien que globalement, aucune charge nouvelle n’est créée pour l’État ».

Néanmoins, l’article 59 de la « loi DALO » a inséré à l’article L. 311-7 du code de la sécurité sociale un alinéa qui prévoit que « le bénéficiaire de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants prévue à l’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles a droit, lors de ses séjours en France, au bénéfice des prestations en nature des assurances maladie et maternité du régime obligatoire d’assurances maladie et maternité dont il relevait au moment de son départ ou, à défaut, du régime général de sécurité sociale ». Le législateur a donc souhaité garantir le maintien d’une couverture santé en cas de séjours en France, qui n’ouvrent cependant pas droit au bénéfice de minima sociaux tant que l’ARFS est versée.

Lors de son audition par la mission, M. Thierry Tuot, a proposé que l’attribution de cette aide soit subordonnée à la réalisation d’un diagnostic social préalable, au cas par cas : « Cette entrée sociale dans un régime de dérogation posé par le législateur » serait ainsi une façon, réaliste et concrète, de le circonscrire puisque « tous les vieux immigrés n’ont pas besoin de cette facilité, non plus que tous les étrangers », les bénéficiaires paraissant être « quelques centaines d’immigrés qui vivent dans des foyers, qui ont gardé des attaches familiales importantes dans leur pays d’origine ». Cette méthode pourrait être retenue lors de la mise en œuvre réglementaire ; elle illustre le caractère spécifique de cette aide sociale.

L’addition, par le législateur, d’une série de conditions et le renvoi au décret traduisent bien le fait que cette aide comporte une part de compétence discrétionnaire pour le service instructeur de la demande d’aide, au demeurant non défini par la loi, qui distingue nettement celle-ci des droits sociaux prévus par le code de la sécurité sociale.

• Une carence regrettable du pouvoir réglementaire

Adopté en mars 2007, le dispositif est évoqué dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2008 qui mentionne un montant moyen unitaire mensuel de l’ordre de 190 euros. La prévision porte, en 2008, sur 1 300 allocataires environ, compte tenu des délais de montée en charge du dispositif, et notamment de la nécessité pour les bailleurs de passer une convention ad hoc avec l’État. Il en résulte l’inscription en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement de 3 millions d’euros en 2008, inscrits sur le programme budgétaire 104 « Intégration et accès à la nationalité française ».

Aucun crédit n’a été consommé en 2008 faute d’entrée en vigueur de l’aide. L’enveloppe est réduite à 1,5 million d’euros en lois de finances initiales pour 2009 et 2010, puis supprimée en loi de finances initiale pour 2011.

Ainsi, s’agissant de l’action n° 13 « Aide au retour et à la réinsertion », le « bleu » budgétaire joint au projet de loi de finances pour 2010 se contente d’indiquer, sans plus de précision, « qu’il a été choisi d’expérimenter la mise en œuvre de cette mesure par accord bilatéral avec les principaux pays concernés par ces populations. Des contacts ont d’ores et déjà été pris dans le cadre de projets d’accords globaux mais un tel type d’accord demande un certain temps de négociation et de finalisation. La montée en charge en sera dès lors moins rapide que prévu, ce qui justifie le maintien de l’enveloppe en 2010 » (136).

Votre rapporteur s’étonne que le Parlement ait été aussi peu informé des raisons pour lesquelles l’ARFS n’a pas été mise en œuvre dans les années qui ont suivi l’adoption de la « loi DALO ». Pourtant, le II de l’article 58 de la loi prévoyait qu’« avant le 31 décembre 2009, le Gouvernement présente au Parlement un rapport d’évaluation du dispositif institué au présent article ». Aucun rapport de ce type n’a été remis par le Gouvernement au Parlement.

Entendu par la mission, M. Jean-Louis Borloo a indiqué que les projets de décrets d’application de l’ARFS n’auraient jamais été examinés par le Conseil d’État car le Gouvernement les aurait retirés à l’automne 2008, avant même que le Conseil d’État ait pu se prononcer.

Cette décision résulterait de motifs principalement politiques, interprétation confirmée par M. Yannick Imbert, directeur général de l’OFII, qui a estimé devant la mission que « la possibilité de bénéficier de l’aide tout en s’installant définitivement dans le pays d’origine aurait pu poser […] un problème politique : la population française accepterait-elle que des personnes ne résidant plus dans notre pays continuent à percevoir des prestations de la part d’organismes français ? ». Votre rapporteur considère pourtant que le législateur français a unanimement apporté une réponse positive à cette question.

Divers intervenants ont indiqué à la mission que l’absence d’adoption des décrets d’application provenait d’obstacles relevant du droit de l’Union européenne qui empêcherait de circonscrire l’ARFS à son public cible et emporterait dès lors un risque budgétaire important.

L’origine de ce risque n’a pas toujours été définie très précisément : des intervenants ont fait état d’une ouverture du droit à des étrangers des pays tiers pour des séjours passés dans l’ensemble de l’Union européenne et pas seulement en France ; pour d’autres, il se serait agi d’une ouverture du droit à l’ensemble des étrangers, des pays tiers comme des États membres.

Pourtant, M. Jean-Louis Borloo a témoigné devant la mission du « travail préparatoire extrêmement important mené avec le Conseil d’État », au stade de la préparation du projet de loi, qui aurait « permis de trouver une formule juridiquement acceptable, y compris au regard du droit de l’Union européenne ».

Votre rapporteur souhaite, en tout premier lieu, rappeler que la loi fixe différentes conditions restrictives d’accès à l’ARFS : outre les conditions de nationalité écartant les ressortissants européens et la condition de séjour antérieur de quinze ans en France, il est prévu que l’étranger soit hébergé, au moment de la demande, dans un foyer de travailleurs migrants.

Même s’il fallait tenir compte de la durée de résidence antérieure dans l’ensemble de l’Union européenne et pas seulement en France, votre rapporteur ne voit pas en quoi cela conduirait à accorder l’aide à des bénéficiaires supplémentaires : aucune personne âgée n’est, aujourd’hui, en pratique, accueillie après soixante-cinq ans dans un foyer de travailleurs migrants. On voit mal en quoi des immigrés turcs ou marocains ayant principalement résidé en Allemagne ou aux Pays-Bas parviendraient à s’établir en France au moment de la retraite et à obtenir, à cet âge avancé, un logement en foyer de travailleurs migrants qui les rendrait éligibles à l’ARFS. Un immigré âgé résidant en foyer n’y accède pas au grand âge : il a été logé en foyer au moment de son arrivée en France en tant que travailleur et y est demeuré tout au long de sa vie.

Si cette approche concrète de la prestation suffit à emporter la conviction de votre rapporteur, il reste que la question de l’articulation de la norme nationale avec la réglementation européenne doit être clarifiée, à défaut pour le Gouvernement de l’avoir fait dans le rapport qui devait être remis au Parlement. Or, la réglementation européenne se fonde sur une distinction entre des prestations de sécurité sociale à caractère contributif et des prestations dites « spéciales à caractère non contributif » également appelées de « type mixte ». Les premières relèvent des branches et des régimes énoncés par le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté : elles peuvent être perçues par des ressortissants européens sur tout le territoire de l’Union dans le cadre de la coordination des régimes de sécurité sociale. Les secondes, définies par le règlement modificatif (CEE) n° 1247/92 du Conseil du 30 avril 1992 se distinguent nettement du champ de la sécurité sociale : si la durée de résidence dans l’ensemble de l’Union doit être prise en compte pour attribuer ces prestations non contributives, elles doivent cependant être servies exclusivement sur le territoire de l’État dans lequel réside le demandeur et au titre de la législation de cet État.

Dès lors, on voit mal dans quelle catégorie se situe l’ARFS : elle ne saurait entrer dans le champ d’un régime relevant de la coordination des systèmes de sécurité sociale puisqu’il ne s’agit pas d’une pension contributive ; elle pourrait certes être requalifiée par le juge européen de prestation spéciale à caractère non contributif, telle l’ASPA, mais elle cesserait dès lors d’être exportable.

Enfin, au regard de l’application du principe de non-discrimination tel que prévu par le droit de l’Union européenne, votre rapporteur est conscient que tout immigré d’un pays tiers acquiert après cinq années de séjour régulier et ininterrompu dans l’État membre d’accueil le statut de « ressortissant de pays tiers de longue durée » auquel s’applique la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003. L’article 11 de cette directive prévoit bien l’égalité de traitement concernant à la fois la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale, telles qu’elles sont définies par chaque législation nationale. Cependant, les États membres peuvent limiter l’égalité de traitement aux « prestations essentielles » en matière d’aide sociale.

Une aide sociale de nature si spécifique, liée à la présence prolongée dans une catégorie de logement si particulière, peut légitimement être considérée comme une aide sociale qui ne constitue pas une « prestation essentielle » pour l’ensemble des ressortissants étrangers du fait des différences de situation dans lesquelles ils se trouvent.

Au vu de l’ensemble des critères restrictifs d’accès à cette aide, le risque de requalification en prestation de sécurité sociale paraît donc restreint. M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, a fait état, devant la mission de son « sentiment que la solution proposée par la loi reste la meilleure » et a indiqué continuer « de travailler afin de limiter les risques de " contagion " », car, « sous réserve d’un dialogue avec Bruxelles, il semble possible d’adapter le dispositif ».

Aussi votre rapporteur se félicite-t-il du fait que Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, entendue par la mission, ait déclaré avoir demandé à ses services de « reprendre les expertises – qui avaient été abandonnées – visant à la mise en place de l’ARFS » dans le but d’aboutir rapidement à une solution.

Votre rapporteur considère donc qu’il est possible d’adopter sans tarder des décrets pris sur le fondement de la « loi DALO » et ciblant précisément le public qui a vocation à en bénéficier.

Conformément au paragraphe I, alinéa 17, de l’article 58 de la loi, il convient ainsi de publier :

– le décret en Conseil d’État qui doit définir les seuils de revenus en-deçà desquels les étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne peuvent bénéficier de l’ARFS ;

– le décret en Conseil d’État qui doit fixer les conditions de résidence, de logement, de ressources et de durée de séjour dans les pays d’origine pour bénéficier de l’ARFS et ses modalités de calcul et de versement ;

– le décret simple qui doit fixer les autres modalités d’application de l’aide, notamment de contrôle des conditions requises pour en bénéficier.

Votre rapporteur considère que cette aide à la réinsertion ne doit pas être seulement financière : les services consulaires français dans le pays d’origine et les bureaux de l’OFII doivent accompagner le bénéficiaire dans son projet de réinsertion ou formaliser une coopération à cette fin avec les services sociaux locaux.

Enfin, pour les anciens résidents de foyers de travailleurs migrants qui souhaiteraient continuer à séjourner occasionnellement en France, votre rapporteur estime que l’ARFS permettra de sécuriser les systèmes de location alternée, qui se pratiquent actuellement dans un cadre juridique mal établi. Elle facilitera ainsi les pratiques d’accueil hôtelier initiées par certains gestionnaires de résidences sociales.

Proposition n° 74

Adopter les décrets permettant l’attribution aux résidents les plus défavorisés des foyers de travailleurs migrants de l’« aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » (ARFS).

4. Maintenir les droits sociaux des titulaires de la carte de séjour « retraité »

De nombreuses personnes entendues par la mission ont mis en lumière les problèmes posés par la carte de séjour portant la mention « retraité ». Créée par la loi du 11 mai 1998, celle-ci devait, d’après la circulaire du 12 mai 1998 (137), faciliter la libre circulation des retraités étrangers entre leurs pays et la France, en leur permettant, dans certaines conditions, d’entrer librement et de séjourner sur le territoire français.

Ainsi, aux termes du premier alinéa de l’article L. 317-1 du CESEDA, « l’étranger qui, après avoir résidé en France sous couvert d’une carte de résident, a établi ou établit sa résidence habituelle hors de France et qui est titulaire d’une pension contributive de vieillesse, de droit propre ou de droit dérivé, liquidée au titre d’un régime de base français de sécurité sociale, bénéficie, à sa demande, d’une carte de séjour portant la mention " retraité " ». En application du deuxième alinéa de ce même article, « le conjoint du titulaire d’une carte de séjour " retraité ", ayant résidé régulièrement en France avec lui, bénéficie d’un titre de séjour conférant les mêmes droits ». Valable dix ans et renouvelable de plein droit, elle n’ouvre cependant pas le droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

L’article 6 du décret n° 2002-1500 du 20 décembre 2002 (138) prévoit un régime similaire pour les ressortissants algériens. Seule la dénomination du titre de séjour est différente puisqu’il s’agit d’un « certificat de résidence » portant la mention « retraité ». Sous cette réserve terminologique, aux termes du dernier alinéa de cet article, l’application de la législation française en vigueur tant en matière d’entrée et de séjour qu’en matière sociale est identique.

Environ 14 000 cartes de séjour portant la mention « retraité » ont été délivrées depuis l’entrée en vigueur du dispositif. Le secrétaire général à l’immigration et à l’intégration a par ailleurs souligné, lors de son audition par la mission, que le nombre de demandes diminuait depuis plusieurs années : en 2011, 1 100 cartes ont été octroyées, et en 2012, seulement 700. Il est difficile de ne pas y voir la traduction des limites de ce titre de séjour.

À l’instar de M. Antoine Math, votre rapporteur considère que cette carte aurait pu constituer une avancée « si elle n’avait totalement et volontairement ignoré la question cruciale des droits sociaux » (139). En effet, la détention de ce titre de séjour emporte un certain nombre de conséquences défavorables pour les personnes qui en sont titulaires.

En premier lieu, elle conduit à une rupture du lien avec l’assurance maladie, l’article D. 115-1 du code de la sécurité sociale (140) ne mentionnant pas ce titre de séjour parmi ceux susceptibles d’ouvrir le droit aux prestations de l’assurance maladie. L’article D. 161-15 du même code (141), qui dresse la liste des titres de séjour garantissant aux ayants droit d’un assuré le bénéfice des prestations d’assurance maladie, ne le mentionne pas non plus.

Le législateur a considéré que, ces personnes ayant fait le choix de transférer leur résidence à l’étranger, il revenait aux systèmes de santé des pays de résidence de les prendre en charge. Cette motivation n’est toutefois pas pleinement satisfaisante. En effet, il apparaît difficilement justifiable que des personnes ayant cotisé à l’assurance maladie lorsqu’elles exerçaient une activité professionnelle en France et dont les pensions de retraites contributives continuent de faire l’objet de prélèvements destinés à financer la protection sociale ne puissent pas bénéficier des prestations de l’assurance maladie dans les conditions de droit commun. Il n’est d’ailleurs pas rare que le Comité médical pour les exilés (COMEDE) reçoive des appels de familles françaises dont les parents âgés, titulaires de la carte de séjour « retraité », ne peuvent pas être soignés, ainsi que l’a indiqué M. Didier Maille, responsable du service social et juridique de cette association.

Les titulaires de ce titre de séjour peuvent néanmoins bénéficier d’une prise en charge pour les soins d’urgence. En application de l’article L. 161-25-3 du code de la sécurité sociale, la personne de nationalité étrangère titulaire d’une carte de séjour portant la mention « retraité », qui bénéficie d’une ou de plusieurs pensions rémunérant une durée d’assurance égale ou supérieure à quinze ans, a droit aux prestations en nature de l’assurance maladie du régime de retraite dont elle relevait au moment de son départ de France, pour elle-même et son conjoint, lors de leurs séjours temporaires sur le territoire français, si leur état de santé vient à nécessiter des soins immédiats. Il ne peut s’agir, en l’espèce, que de soins inopinés.

En second lieu, la possession de ce titre de séjour ne permet pas de liquider certains droits à l’assurance vieillesse, ou encore de formuler une demande de regroupement familial ou de naturalisation.

D’après les informations transmises à la mission par le Défenseur des droits, les préfectures inciteraient les retraités étrangers souhaitant partager leur temps entre la France et le pays d’origine à substituer à leur carte de résident une carte de séjour portant la mention « retraité ». Or, les conséquences de ce changement ne sont pas toujours explicitées, ce qui n’est pas satisfaisant. C’est pourquoi votre rapporteur considère que les préfectures devraient systématiquement alerter les demandeurs sur les conséquences attachées à l’acquisition de cette carte.

À la suite des difficultés rencontrées par certains retraités titulaires de ce titre de séjour pour bénéficier des prestations sociales non contributives
– en particulier l’ASPA –, la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 14 janvier 2010 
(142), que rien ne s’oppose à ce que l’étranger titulaire de ce titre de séjour ait également une résidence en France au sens de la réglementation sur les prestations sociales. Comme cela a été rappelé plus haut, la résidence s’entend comme le foyer, à condition qu’il ait un caractère permanent, ou le lieu de séjour principal si la personne y demeure plus de six mois au cours de l’année civile de versement des prestations, en application de l’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale.

La Cour a ainsi considéré que, « fut-il conditionné à une résidence stable et régulière sur le territoire national, le service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ne doit pas porter atteinte à la liberté pour le bénéficiaire étranger d’aller et de venir, laquelle n’est pas limitée au territoire national ; qu’en conséquence, le titulaire d’une carte de séjour mention " retraité ", carte théoriquement délivrée à l’étranger ayant établi ou établissant sa résidence habituelle hors de France, demeure libre de prouver, afin de bénéficier de l’allocation susmentionnée, que, dans les faits et en dépit de cette détermination théorique des conditions d’obtention d’une telle carte, sa résidence habituelle se situe toujours en France ».

Tirant les conséquences de cet arrêt, la circulaire du 6 mai 2010 de la CNAV (143) prévoit que « le titulaire d’une carte de séjour portant la mention " retraité " peut apporter la preuve de la résidence effective en France afin de bénéficier de l’ASPA au sens de l’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale, et ce en dépit de la détermination des conditions d’obtention de la carte de séjour " retraité " ». La circulaire du 15 décembre 2010 de la CNAF (144) précise quant à elle que, lorsque la condition de résidence en France est remplie, la personne est considérée comme résidant en France pour le droit aux prestations familiales, même si, au regard de règles autres que celles de l’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale, elle peut être simultanément considérée comme ayant sa résidence habituelle hors de France.

Si ces évolutions constituent bien évidemment un progrès, votre rapporteur estime néanmoins qu’il conviendrait d’engager sans tarder une réflexion sur les moyens de remédier aux nombreuses difficultés soulevées par ce titre de séjour. Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, a d’ailleurs appelé de ses vœux une réaction « urgente » des pouvoirs publics face aux insuffisances notoires de la carte de séjour « retraité ».

Plusieurs pistes ont été évoquées devant la mission. Pour les représentants du CATRED, les pensionnés des régimes français de sécurité sociale devraient se voir remettre un droit au séjour permanent plutôt qu’une carte de séjour portant la mention « retraité ». Toutefois, si celle-ci était maintenue, il conviendrait alors de prévoir explicitement qu’elle ouvre les mêmes droits que la carte de résident. Ces propositions ont également été formulées par Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la LDH. D’aucuns se sont prononcés en faveur de la suppression de cette carte, après avoir rappelé qu’il ne saurait être toléré que les étrangers retraités ne puissent bénéficier de droits acquis du fait de leur présence et de leur travail en France.

Votre rapporteur ne souhaite pas que la carte de séjour portant la mention « retraité » soit supprimée. Il estime en effet que la liberté d’aller et de venir qu’elle garantit aux personnes qui en disposent doit être préservée. Il considère toutefois que son cadre juridique devrait faire l’objet de plusieurs aménagements :

– tout d’abord, il conviendrait de garantir à ses titulaires le bénéfice des prestations d’assurance maladie dans les conditions de droit commun et, plus généralement, de l’ensemble des prestations sociales auxquelles la carte de résident ouvre droit. Aussi, votre rapporteur appelle-t-il de ses vœux la modification en ce sens des articles D. 115-1 et D. 161-15 du code de la sécurité sociale, susmentionnés ;

– par ailleurs, il s’agirait de sécuriser l’accès des titulaires de ce titre de séjour aux prestations sociales, en inscrivant dans la loi que son acquisition n’emporte qu’une présomption simple de résidence à l’étranger et qu’elle ne peut à elle seule servir de fondement au refus de prestations sociales soumises à une condition de résidence. Votre rapporteur considère en effet qu’il serait judicieux que la loi reprenne le principe dégagé par le juge judiciaire, comme l’ont soutenu les représentantes du Défenseur des droits entendues par la mission ;

– en outre, il apparaîtrait judicieux de permettre aux personnes ayant acquis une carte de séjour portant la mention « retraité » de recouvrer aisément une carte de résident si elles en émettaient le souhait, ce qui n’est pas possible en l’état actuel du droit. En effet, la personne souhaitant de nouveau disposer d’une carte de résident est tenue de déposer une demande dans les conditions de droit commun bien qu’elle ait déjà résidé en France un long moment. Votre rapporteur considère que cette situation devrait évoluer. Aussi serait-il pertinent de reconnaître aux personnes concernées un « droit au repentir », éventuellement limité dans le temps, selon les termes employés par le ministre de l’intérieur devant la mission, et de mettre en place une procédure simplifiée pour leur permettre de recouvrer une carte de résident ;

– enfin, il semble indispensable d’inciter les préfectures à informer de façon précise les personnes formulant une demande de carte de séjour « retraité » quant aux conséquences de leur décision. L’application de cette proposition, dont l’utilité disparaîtrait si le régime de la carte de séjour « retraité » était aligné sur celui de la carte de résident, devrait néanmoins être encouragée à court terme, dans l’attente de plus amples modifications juridiques.

Proposition n° 75

À court terme, inciter les préfectures à informer les personnes formulant une demande de carte de séjour portant la mention « retraité » sur les conséquences de son obtention (notamment en matière d’accès aux prestations sociales).

Proposition n° 76

À moyen terme, aménager le cadre juridique de la carte de séjour portant la mention « retraité » en :

– prévoyant que ce titre de séjour ouvre droit aux prestations sociales dans les conditions de droit commun, et notamment aux prestations d’assurance maladie ;

– ajoutant, à l’article L. 317-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), que l’acquisition de cette carte n’emporte qu’une présomption simple de résidence à l’étranger et ne saurait par conséquent suffire à refuser aux personnes qui en sont titulaires le bénéfice des prestations sociales en France ;

– garantissant à ses titulaires la possibilité de recouvrer une carte de résident, dans un délai à déterminer, par le biais d’une procédure simplifiée.

5. Renforcer la coopération avec les pays d’origine dans l’accompagnement du vieillissement

La liberté de vieillir librement entre la France et le pays d’origine traduit l’existence d’une communauté de destin entre différents pays reliés par l’histoire migratoire. Elle ouvre donc la voie à des coopérations qui doivent permettre de faciliter la vie entre deux pays ou le libre choix du pays de résidence au moment de la vieillesse.

Lors du déplacement d’une délégation de la mission en Algérie et au Maroc, plusieurs interlocuteurs ont qualifié les immigrés âgés de « patrimoine » partagé. Plusieurs responsables algériens et marocains ont dit être conscients du fait que la migration de ces générations de travailleurs vers la France a contribué à enrichir tant le pays d’accueil que le pays d’origine. Cette approche semble particulièrement prometteuse à votre rapporteur.

Outre les liens tissés par l’histoire, un motif de coopération réside dans les transferts financiers consentis par les familles immigrées vers des parents restés au pays. Il n’existe aucun ordre de grandeur précis sur ces « transferts migratoires » ou « remises » mais l’enquête PRI de 2003 réalisée par la CNAV a montré que la proportion des personnes immigrées procédant à ces transferts dépasse 70 % pour les personnes originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Ces transferts se distinguent des versements vers le pays à des fins d’épargne personnelle : pour l’ensemble des immigrés âgés, ils concernaient 13,4 % des personnes interrogées lors de l’enquête de 2003, 12,5 % des personnes interrogées en ayant par ailleurs effectué par le passé, soit près du quart des immigrés de plus de soixante ans.

Il a été indiqué à la délégation de la mission que de nombreux Marocains ont pu financer des projets d’intérêt local dans leur village d’origine, pour des montants souvent modestes mais dont l’impact était significatif. Les travailleurs migrants originaires d’Afrique subsaharienne sont de manière encore plus prononcée des acteurs importants des projets de codéveloppement, avec le Mali ou le Sénégal par exemple.

• Veiller à l’adaptation régulière du contenu des conventions de sécurité sociale

La coopération entre le pays d’accueil et le pays d’origine se fonde d’abord sur la conclusion d’accords garantissant au travailleur puis au retraité que l’ensemble des droits qu’il acquiert au titre des régimes de sécurité sociale sont pris en compte dans les deux pays.

La France a ainsi conclu des conventions bilatérales de sécurité sociale avec quarante-et-un pays et territoires. Ces accords contiennent des dispositions de coordination pour toutes les branches de la sécurité sociale : maladie-maternité, invalidité, vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles, prestations familiales et décès.

Des conventions générales de sécurité sociale lient ainsi la France aux principaux pays d’origine des immigrés âgés des pays tiers à l’Union européenne.

En matière de retraites, ces conventions prévoient la prise en compte de l’ensemble des périodes travaillées dans les deux pays : ceci permet d’additionner des périodes d’assurance et rend moins difficile l’ouverture de droits à pension dans l’État où s’établit le retraité.

Elles permettent ainsi le versement des pensions de retraite des ressortissants de chaque pays dans les territoires des deux parties, sous la seule condition de contrôle régulier du non-décès du pensionné, qui doit remplir un formulaire visé par les autorités locales. Ce contrôle de la « condition d’existence » a pu entraîner des formalités excessives, notamment parce qu’il n’est pas homogène selon les régimes de retraite : des erreurs de la part du pensionné peuvent entraîner des suspensions de versement de la pension. Votre rapporteur se félicite donc du fait que Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, ait confirmé à la mission que la simplification des procédures par lesquelles les pensionnés résidant à l’étranger attestent périodiquement de leur existence serait menée à son terme.

En matière de maladie, les accords prévoient une participation de chaque État aux prestations en nature servies par l’institution du lieu de résidence. La France rembourse, « au titre de la résidence », les soins servis aux membres de la famille des travailleurs résidant en France ainsi qu’aux retraités des régimes français résidant dans le pays. Les remboursements sont effectués par le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS).

Les efforts récents d’actualisation de ces conventions générales de sécurité sociale ont souvent été fructueux. La convention du 9 juillet 1965 liant la France au Maroc a été remplacée par une convention du 22 octobre 2007, entrée en vigueur le 1er juin 2011, dont le champ est plus complet : l’ancienne convention franco-marocaine ne couvrait que les familles, vivant au Maroc, de travailleurs occupés en France. La nouvelle convention a étendu son champ d’application aux pensionnés et à leurs ayants droit.

De même, la convention franco-tunisienne du 17 décembre 1965 visait principalement les travailleurs français ou tunisiens, salariés ou assimilés aux salariés. Elle a été abrogée par la nouvelle convention générale du 26 juin 2003 qui vise désormais également les travailleurs non salariés. Cette convention n’est en vigueur que depuis le 1er avril 2007. En conséquence, malgré le nombre élevé de travailleurs non salariés tunisiens établis en France depuis le début des années 1960, seuls 142 artisans et 484 commerçants retraités relèvent, en Tunisie, des stipulations du nouvel accord.

Outre l’élargissement du champ des personnes couvertes, les renégociations ont permis de mieux prendre en compte l’ensemble des risques sociaux pour lesquels une activité partagée entre les deux pays appelle une protection. En matière de risques professionnels, la nouvelle convention franco-marocaine couvre, par exemple, les accidents de trajet survenant lors du déplacement du migrant entre les deux pays, par exemple en cas d’emploi saisonnier. La délégation de la mission qui s’est rendue au Maroc a rencontré un ancien saisonnier agricole qui avait subi un accident de trajet au terme d’un de ses contrats saisonniers : la convention de sécurité sociale alors en vigueur ne prévoyait aucune couverture de ce risque.

La convention générale de sécurité sociale liant la France à l’Algérie date du 1er octobre 1980. Son champ est restreint aux travailleurs salariés, ce qui exclut par conséquent les indépendants et les professions libérales.

Ses clauses sont parfois moins favorables que dans les conventions plus récentes. La définition du champ des ayants droit algériens est atypique, puisqu’elle s’étend aux collatéraux. Elle est en cours de renégociation, rendue difficile par la question de la « dette hospitalière » constituée par les soins inopinés prodigués dans les hôpitaux français à des Algériens. Lors du déplacement d’une délégation de la mission à Alger, les responsables des ministères sociaux algériens ont indiqué que la commission mixte prévue par la convention aux fins d’apurement des comptes ne s’est pas réunie depuis juin 2010 alors qu’elle se tient en principe tous les ans, alternativement en France et en Algérie.

Proposition n° 77

Réexaminer les conventions de sécurité sociale entre la France et les États tiers à l’Union européenne afin de garantir le transfert des droits entre les pays pour l’ensemble des risques de sécurité sociale.

Proposition n° 78

Relancer sans tarder les négociations visant à actualiser la convention de sécurité sociale liant la France et l’Algérie.

• Encourager la coopération en matière sociale et médico-sociale

Au-delà des accords bilatéraux en matière de sécurité sociale, une coopération peut s’instaurer entre pays d’origine et pays d’accueil afin d’améliorer la prise en compte du vieillissement des personnes ayant vécu entre les deux pays.

Cette coopération peut par exemple se fonder sur des projets associatifs partagés entre deux pays, à l’exemple du foisonnement d’initiatives franco-marocaines constaté lors du déplacement au Maroc.

À Rabat, le projet d’un « café social » et d’une « maison de l’émigré » (Dar Al mouhajir) a été présenté par M. Brahim Hasnaoui, premier adjoint au maire d’Agadir. Ce projet s’appuie sur l’expérience du pôle médico-social « Attakalouf » du quartier d’Ait-Melloul, qui regroupe un centre d’hébergement de personnes âgées, un centre d’hémodialyse et un lieu d’accueil pour des femmes victimes de violences. Il bénéficie en outre de l’appui des concepteurs français du « café social » dont votre rapporteur a déjà parlé.

Le projet, soumis au conseil communal, vise à accoler un lieu de convivialité et une maison de repos de courts séjours à destination des migrants âgés qui passent par Agadir avant de séjourner dans le Sud du Maroc. C’est un « sas de retour » au pays, anonyme, pour des personnes qu’il s’agit, selon le fondateur du centre social, de ne pas « blesser dans leur orgueil ». Le projet se nourrit du constat que le retour durable au pays correspond à un souhait pour de nombreux résidents de foyers mais est entravé par la « honte » de ne pas avoir réussi sa migration. Des intervenants franco-marocains peuvent aider la personne à contextualiser son parcours et mieux comprendre la réalité du pays où il séjourne et qui n’est plus forcément celle dont se nourrissait le « mythe du retour ».

De telles actions favorisent l’insertion ou la réinsertion sociales au pays : elles seraient donc précieuses pour les futurs bénéficiaires de l’« aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine », si celle-ci était mise en œuvre.

Des voies de partenariats importantes existent également en matière sanitaire et médico-sociale. Si la population des pays du Maghreb et du bassin du fleuve Sénégal est encore jeune, la transition démographique va rapidement faire naître d’importants besoins d’accompagnement des personnes âgées. Ce thème a par exemple récemment fait l’objet d’une campagne de presse en Algérie.

Votre rapporteur estime qu’il convient d’explorer sans tarder des voies de coopération bilatérale, en matière de gérontologie par exemple, et de soins aux personnes âgées.

La France peut en outre s’appuyer sur les services consulaires en charge des anciens combattants. Ils disposent, en Algérie, d’un centre de soins ouvert aux anciens combattants algériens des armées françaises et, au Maroc, d’équipes qui coopèrent avec les dispensaires installés dans les villages où résident nombre de ces anciens soldats de la République.

Proposition n° 79

Renforcer la coopération entre la France et les pays d’origine dans la prise en charge du vieillissement.

6. Garantir le libre choix du lieu d’inhumation

La question du choix du lieu d’inhumation est éminemment délicate. Longtemps, le rapatriement du corps dans le pays d’origine a été la solution très majoritairement retenue par les populations originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Aujourd’hui, la revendication – parfaitement légitime – d’une augmentation du nombre de « carrés confessionnels » dans les cimetières, qui s’apparentent en réalité au regroupement de fait des sépultures, traduit une évolution qu’il convient de prendre en compte et à laquelle il faut apporter une réponse adaptée.

À cet égard, la circulaire du ministre de l’intérieur du 19 février 2008 (145) rappelle les obstacles à l’inhumation religieuse en France et le dilemme face auquel se trouvent de plus en plus de familles, contraintes de choisir « entre le renvoi du corps dans le pays d’origine, considéré comme trop onéreux par certaines d’entre elles, et l’inhumation du défunt en France, sachant que les règles propres à son culte (orientation des tombes, durée illimitée des sépultures, etc.) peuvent ne pas être satisfaites ».

Il n’existe pas de statistiques sur le choix des immigrés des pays tiers quant au lieu de leur inhumation. Cette décision varie en fonction de la nationalité et de la religion des personnes considérées, comme l’a souligné Mme Claudine Attias-Donfut devant la mission. Ainsi, selon certaines enquêtes, alors que les immigrés venus d’États membres de l’Union européenne souhaitent majoritairement être enterrés en France (c’est le cas, par exemple, des deux tiers des Espagnols et des trois quarts des Italiens), les personnes originaires du continent africain préfèrent généralement être inhumées dans leur pays d’origine : près de 60 % des immigrés maghrébins et 45 % de ceux issus d’Afrique subsaharienne feraient ce choix. 68 % des Turcs inclineraient également en faveur du rapatriement de leur corps. On retrouve d’ailleurs ces chiffres dans l’article de Mme Claudine Attias-Donfut et M. François-Charles Wolff intitulé « Transmigration et choix de vie à la retraite », paru en janvier 2005 (146). En tout état de cause, les immigrés dont les parents sont inhumés en France, y compris lorsqu’ils sont originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, choisissent généralement de reposer en France.

Comme l’a souligné devant la mission M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur, il est prudent de relativiser le chiffre parfois avancé selon lequel 80 % des immigrés de confession musulmane souhaiteraient se faire enterrer dans leur pays d’origine.

Certains exemples semblent en effet mettre en question la précision de ce chiffre. Ainsi, selon une enquête plus précise, parmi les personnes fréquentant une mosquée de Bordeaux, sur 719 décès survenus entre 1993 et 2011, 491 rapatriements et 228 inhumations en France, solution retenue dans presque un tiers des cas, ont été recensés.

Comme votre rapporteur l’a brièvement évoqué, si le rapatriement du corps dans le pays d’origine a longtemps constitué la norme – l’inhumation dans le pays d’accueil ne faisant pas partie du projet migratoire, à plus forte raison lorsque la famille était demeurée au pays –, cette « règle » a incontestablement évolué. À l’occasion de son audition par la mission, M. Yassine Chaïb, sociologue, a d’ailleurs parlé de « changement de paradigme » pour caractériser la mutation en cours. L’enterrement en France a été validé par les autorités religieuses musulmanes et fait désormais partie du projet de vie de certains immigrés. En outre, l’inhumation en France – particulièrement celle des femmes – est d’autant plus fréquente que les enfants, souvent de nationalité française, y résident.

D’après les chiffres généralement avancés, confirmés par M. Louis-Xavier Thirode devant la mission, il y aurait, en France, trois cents « espaces confessionnels » dans les cimetières, dont deux cents « carrés musulmans » et une centaine de « carrés israélites » (147). Le recensement des « carrés confessionnels » actuellement en cours devrait permettre de disposer de chiffres actualisés. Toutefois, d’après le ministre de l’intérieur, le nombre d’« espaces confessionnels » aurait connu une réelle augmentation au cours des dernières années. À titre d’exemple, le département du Rhône compterait actuellement seize « carrés musulmans » contre dix en 2010 et celui de la Seine-Saint-Denis en compterait désormais quatorze contre neuf en 2010.

Pour votre rapporteur, il apparaît fondamental de garantir aux immigrés la liberté de choisir le lieu de leur inhumation. Afin de faire de ce principe une réalité, il estime nécessaire d’encourager la création d’« espaces confessionnels » dans les cimetières, de façon à permettre le respect de certains rites, comme l’orientation des sépultures vers La Mecque, et de répondre ainsi aux attentes et aux besoins des personnes souhaitant reposer en France. Il semble tout à fait nécessaire « d’anticiper l’augmentation probable des demandes d’inhumation en espace confessionnel dans les dix à quinze prochaines années » (148). Votre rapporteur voit d’ailleurs dans cette augmentation la marque d’une volonté d’intégration dans la société d’accueil, le souhait d’y avoir sa sépulture en constituant peut-être l’ultime manifestation.

Par ailleurs, faisant sienne l’analyse de M. Yassine Chaïb, il considère que les pouvoirs publics doivent rendre possible l’« enracinement » de la première génération d’immigrés, sans quoi la question du choix du lieu d’inhumation se posera immanquablement à la deuxième génération, pourtant née en France. De plus, la mise en place d’« espaces confessionnels » en nombre suffisant serait susceptible d’apaiser les craintes liées à la mort en terre d’accueil parfois ressenties par les immigrés vieillissants. De façon plus générale, votre rapporteur considère, à l’instar du ministre de l’intérieur, que la construction d’un « Islam de France » passe notamment par l’aménagement d’« espaces confessionnels » dans les cimetières.

Il a toutefois pleinement conscience de la fragilité du cadre juridique des regroupements confessionnels de fait et des obstacles à leur reconnaissance par la loi en l’état actuel du droit. Autrefois autorisés par l’article 15 du décret-loi du 23 prairial An XII (149), ces regroupements ont par la suite été interdits par la loi du 14 novembre 1881, dite « sur la liberté des funérailles », puis par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. À présent, l’article L. 2213-9 du code général des collectivités territoriales dispose que « sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort ».

Votre rapporteur considère qu’il n’est pas souhaitable de revenir sur cette disposition. À cet égard, l’argumentation du rapport de M. Jean-Pierre Machelon sur les Relations des cultes avec les pouvoirs publics est particulièrement éclairante : « La loi prohibe la création de " carrés confessionnels " dans la mesure où ceux-ci imposeraient au maire de s’interroger, dans l’exercice de son pouvoir de police et notamment au moment de l’attribution d’une concession, sur l’appartenance religieuse du défunt. En procédant ainsi, il s’interdirait par avance d’autoriser l’inhumation d’un défunt dans un espace donné du cimetière communal, au seul motif de son appartenance religieuse, ce qui paraît contraire au principe constitutionnel d’égalité. » (150) Aussi, seul « le regroupement de fait de sépultures, comme somme de décisions individuelles, n’est donc pas prohibé par la loi » (151). Il apparaît donc que l’institution de regroupements confessionnels de fait n’est « pas possible en droit », comme le rappelait déjà le Conseil d’État dans son rapport public de 2004 (152).

En outre, votre rapporteur s’interroge sur la compatibilité d’une éventuelle loi autorisant les maires à procéder à des regroupements de fait fondés sur la religion des personnes défuntes avec le principe de laïcité, consacré par l’article 1er de la Constitution et rangé par le Conseil d’État au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (153). Une telle loi encourrait ainsi la censure du juge constitutionnel.

Par ailleurs, votre rapporteur ne considère pas non plus que la solution réside dans la création de cimetières privés, dont la légalité a certes été reconnue par le Conseil d’État (154), mais dont la création et l’extension ne sont plus possibles (155).

Aussi se prononce-t-il plutôt en faveur de la publication d’une nouvelle circulaire du ministre de l’intérieur, ayant pour objet de réaffirmer et de compléter les circulaires de 1975, 1991 et 2008. Il s’agirait de rappeler aux maires, qui assurent en application des articles L. 2213-8 et suivants du code général des collectivités territoriales, la police des funérailles et des cimetières, la nécessité de créer des regroupements confessionnels de fait en nombre suffisant après avoir procédé à l’évaluation des besoins à l’échelle des communes ou des intercommunalités. À ce titre, sans doute faudrait-il, comme l’a proposé M. Thierry Tuot, inciter l’ensemble des organisations religieuses à faire part aux collectivités compétentes de leurs vœux en la matière (156).

Votre rapporteur voit dans l’harmonisation de la répartition, entre les communes, des regroupements confessionnels de fait dans les cimetières, un objectif légitime. Aujourd’hui, celles dont le cimetière comporte un espace de ce type se trouvent parfois dans l’incapacité de répondre favorablement à l’ensemble des nombreuses demandes d’inhumation, émanant notamment des résidents de communes voisines. Certains maires, après avoir donné suite à ces demandes, ont été contraints de durcir leur attitude, ce qui n’a pu qu’être mal ressenti par les familles.

Il convient en outre de rappeler qu’en application de l’article L. 2223-3 du code général des collectivités territoriales, la sépulture dans un cimetière d’une commune est due aux « personnes décédées sur son territoire, quel que soit leur domicile », aux « personnes domiciliées sur son territoire, alors même qu’elles seraient décédées dans une autre commune », aux « personnes non domiciliées dans la commune mais qui y ont droit à une sépulture de famille » et aux « Français établis hors de France n’ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits sur la liste électorale de celle-ci ».

Votre rapporteur considère enfin qu’il serait opportun de rappeler, par l’intermédiaire d’informations mises à disposition dans les mairies (et éventuellement dans les préfectures), les principes du droit funéraire français. Il apparaît en effet que les droits et devoirs en la matière ne sont pas toujours bien connus. L’amélioration de l’information permettrait, dans une certaine mesure, d’éviter aux maires d’être la cible de pressions en tous genres, parfaitement inacceptables.

Si, comme votre rapporteur l’a rappelé, les demandes d’inhumation au sein de « carrés confessionnels » augmentent depuis plusieurs années, il n’en reste pas moins que certains immigrés font le choix d’être enterrés dans leur pays d’origine. Ainsi, 10 000 rapatriements de corps, dont 6 000 vers le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Turquie, auraient lieu chaque année, d’après les chiffres transmis à la mission par M. Louis-Xavier Thirode.

Il revient dès lors aux pouvoirs publics de s’assurer que le rapatriement des corps s’effectue dans des conditions de sécurité et d’hygiène satisfaisantes et de combattre les éventuelles dérives auxquelles ce phénomène est susceptible de donner lieu. S’il ressort de différents témoignages, tels celui recueilli auprès des femmes membres de l’association Réseau échanges et savoir ou du professeur Abdelhafid Hammouche, que la solidarité et l’entraide permettent généralement aux familles de supporter le coût du rapatriement du corps, il convient de faire preuve de la plus grande vigilance face aux comportements indélicats de ceux qui pourraient être tentés de tirer un quelconque profit de ce « marché » en dehors de toute légalité.

Proposition n° 80

Réaffirmer par voie de circulaire la nécessité de procéder à des regroupements confessionnels de fait dans les cimetières après avoir évalué les besoins sur l’ensemble du territoire.

Proposition n° 81

Encourager la mise à disposition, dans les mairies (et éventuellement dans les préfectures), d’informations sur le droit funéraire français.

Proposition n° 82

Veiller, s’agissant du rapatriement des corps à l’étranger, au respect de conditions de sécurité et d’hygiène satisfaisantes et lutter contre toutes formes d’activités frauduleuses en la matière.

LISTE DES PROPOSITIONS

PROMOUVOIR UNE MÉMOIRE PARTAGÉE AU SERVICE
D’UNE MEILLEURE INTÉGRATION

Inscrire pleinement l’histoire de l’immigration dans l’histoire nationale

Proposition n° 1 : Consolider pour les années à venir les crédits accordés à l’établissement public de la Porte dorée au titre de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI).

Proposition n° 2 : Engager une action d’identification de « lieux de mémoire » de l’immigration, coordonnée par le ministère de la culture et de la communication.

Proposition n° 3 : Initier la création de « Journées européennes du patrimoine de l’immigration ».

Proposition n° 4 : Consacrer une fraction de la ressource mobilisée pour tout projet de rénovation urbaine au recueil, à l’exposition et à la conservation de la mémoire des quartiers concernés.

Proposition n° 5 : Inviter les grandes entreprises fortement employeuses de travailleurs immigrés à soutenir les projets de recherche sur l’histoire de l’immigration et garantir l’accès à leurs archives.

Proposition n° 6 : Confier au Haut Conseil à l’intégration (HCI) des fonctions de recherche sur l’immigration ainsi qu’un rôle de collecte, de diffusion et d’analyse de données statistiques de référence.

Assurer les conditions d’une meilleure intégration au niveau national

Proposition n° 7 : Envisager la modification du cadre juridique du regroupement familial pour les personnes handicapées atteintes d’un taux d’incapacité inférieur à 80 % mais supérieur à un taux à définir. La condition de ressources ne pourrait plus leur être opposée, comme cela est le cas pour les personnes souffrant d’un taux d’incapacité égal ou supérieur à 80 %.

Proposition n° 8 : Étendre aux ressortissants de nationalité algérienne souhaitant faire bénéficier leur famille du regroupement familial l’application du régime dérogatoire relatif à la condition de ressources applicable aux personnes handicapées souffrant d’un taux d’incapacité au moins égal à 80 %. Garantir à ces mêmes ressortissants l’application, le cas échéant, du régime prévu par la proposition n° 7.

Proposition n° 9 : Rappeler que les demandes de regroupement familial formulées par des personnes vivant dans des logements-foyers d’une superficie égale ou supérieure aux superficies définies par l’article R. 411-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ne peuvent faire l’objet d’une décision de refus sur le seul fondement de la nature du logement.

Proposition n° 10 : Réfléchir à la mise en place d’un régime de regroupement familial dérogatoire, strictement encadré, au bénéfice des seuls demandeurs âgés et isolés.

Proposition n° 11 : Rendre automatique, pour la personne ayant effectué au moins deux renouvellements de sa carte de résident, l’obtention d’une carte de résident permanent, sous réserve qu’elle ne constitue pas une menace pour l’ordre public et satisfasse aux critères d’appréciation de l’intégration républicaine dans la société française visés à l’article L. 314-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Proposition n° 12 : Permettre aux étrangers ascendants de Français et présents sur le territoire depuis vingt-cinq ans au moins d’obtenir la nationalité française par déclaration suivant la procédure prévue aux articles 26 et suivants du code civil.

Proposition n° 13 : Accélérer le traitement des demandes de naturalisation formulées par les personnes âgées d’au moins soixante ans et présentes sur le territoire depuis dix ans en ramenant le délai d’examen de douze mois à six mois.

Proposition n° 14 : Envisager de délivrer aux personnes procédant au renouvellement de leur carte de résident un formulaire de demande de naturalisation.

Proposition n° 15 : À titre expérimental, mettre en place, au sein des préfectures, des guichets destinés à accueillir spécifiquement les personnes âgées pour l’ensemble des démarches administratives.

Ancrer la politique de l’intégration au niveau territorial

Proposition n° 16 : Favoriser la participation des immigrés âgés aux conseils consultatifs locaux représentant les personnes âgées ou aux conseils communaux consultatifs des résidents étrangers.

Proposition n° 17 : Associer étroitement à la politique d’intégration les différents organismes en charge de la politique de la ville.

Proposition n° 18 : Pérenniser les financements provenant du budget européen destinés à financer les actions en faveur de l’insertion sociale des immigrés âgés.

Proposition n° 19 : Subordonner le renouvellement des programmes régionaux et départementaux d’intégration des populations immigrées (PRIPI-PDI) à un diagnostic partagé avec les collectivités territoriales et formalisé sous la forme de conventions avec ces dernières et les caisses de sécurité sociale.

ASSURER AUX IMMIGRÉS VIEILLISSANTS DES CONDITIONS
DE LOGEMENT ADAPTÉES

En finir avec l’anomalie du vieillissement en foyer de travailleurs migrants

Proposition n° 20 : Mener à son terme le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) en cours et engager la transformation de l’ensemble des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales.

Proposition n° 21 : Transformer en priorité les foyers accueillant une part significative d’immigrés retraités.

Proposition n° 22 : S’assurer que les foyers transformés en résidences sociales sans travaux respectent les normes de logement propres à ces dernières et procéder, si cela s’avère nécessaire, à leur traitement.

Proposition n° 23 : Accorder une attention particulière à la transformation des foyers les plus éloignés des normes de logement.

Proposition n° 24 : Veiller à ce que les résidences sociales issues de la transformation des foyers de travailleurs migrants respectent systématiquement les normes de logement (et notamment celles relatives à la superficie) qui leur sont applicables.

Proposition n° 25 : Encourager la création de résidences sociales disposant à la fois de studios et d’unités de vie afin de favoriser le maintien du lien social entre les résidents.

Proposition n° 26 : Redéfinir les missions des principaux acteurs (État, collectivités territoriales, Caisse des dépôts et consignations, Agence nationale pour la rénovation urbaine, Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, bailleurs) intervenant dans le cadre du plan de traitement des anciens foyers et procéder à une répartition équitable de leur participation financière.

Proposition n° 27 : Envisager la modification de la répartition des parts du capital d’Adoma dans le but d’accélérer la réalisation du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants.

Proposition n° 28 : Réfléchir aux moyens de modifier les dispositions juridiques encadrant l’hébergement d’une ou plusieurs tierces personnes en logements-foyers.

Proposition n° 29 : Autoriser expressément les résidents de logements-foyers à recourir à la location alternée en signant un contrat d’occupation de plusieurs mois qui préciserait leurs droits et obligations.

Proposition n° 30 : Mettre un terme aux activités économiques « informelles » pratiquées illégalement dans les logements-foyers et qui ne peuvent être légalisées.

Proposition n° 31 : Réécrire les règlements intérieurs des logements-foyers conformément à une charte nationale des bonnes pratiques afin, notamment, de rappeler le droit au respect de la vie privée et l’interdiction, pour toute personne intervenant au sein des établissements, de pénétrer dans les espaces privatifs sans l’autorisation expresse des résidents, sauf en cas de force majeure.

Proposition n° 32 : Encourager la mise en place d’un comité de résidents dans l’ensemble des foyers et des résidences sociales.

Proposition n° 33 : Doter le comité de résidents de la personnalité morale et de prérogatives étendues afin d’en faire un acteur essentiel de l’organisation de la vie collective au sein des foyers et des résidences sociales.

Proposition n° 34 : Inscrire dans la loi et le règlement l’existence et les missions du comité de résidents.

Proposition n° 35 : Veiller à ce que le conseil de concertation soit systématiquement associé à la révision des règlements intérieurs des foyers et des résidences sociales.

Encourager le développement de résidences sociales
et des services offerts par celles-ci

Proposition n° 36 : Encourager, au sein des foyers transformés en résidences sociales, l’installation d’équipements destinés à assurer la prise en charge du vieillissement et de la dépendance, y compris lorsque la transformation n’implique pas de démolition-reconstruction.

Proposition n° 37 : Inciter les gestionnaires de logements-foyers accueillant des immigrés âgés à investir le champ du logement intermédiaire pour personnes âgées et envisager la contribution d’Adoma dans ce cadre.

Proposition n° 38 : Réexaminer les conditions d’attribution et les contours de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS) et instaurer une enveloppe dédiée à l’accompagnement des résidents vieillissants.

Proposition n° 39 : Inscrire dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) liant la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) à son autorité de tutelle une enveloppe fléchée, afin d’accroître la visibilité du financement de l’adaptation des lieux de vie collectifs dans les logements-foyers et de l’amélioration de l’accès des résidents aux soins et services sociaux.

Proposition n° 40 : Décliner localement les conventions liant la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) aux gestionnaires des structures accueillant des immigrés âgés en partenariat avec les conseils généraux, les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les acteurs intervenant dans le champ sanitaire et social.

Insérer dans la ville les structures accueillant des immigrés âgés

Proposition n° 41 : Inviter les communes à soutenir les actions menées par les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants et de résidences sociales à destination de leurs résidents et s’appuyer sur ces initiatives pour améliorer l’accès aux droits et aux services sociaux des personnes immigrées résidant à proximité de ces structures.

Proposition n° 42 : Rappeler aux bailleurs de logements sociaux que les demandes de logement social ne sauraient être considérées comme irrecevables au motif qu’elles émanent des résidents de logements-foyers.

Proposition n° 43 : Systématiser l’évaluation préalable des besoins des habitants âgés des quartiers anciens dégradés, formaliser leur accompagnement social lors des opérations de rénovation et offrir des garanties de relogement dignes dans leur ancien domicile ou à proximité.

FAIRE BÉNÉFICIER PLEINEMENT LES IMMIGRÉS DES DROITS SOCIAUX OUVERTS AUX PERSONNES ÂGÉES

Garantir l’accès des immigrés âgés à leurs droits

Proposition n° 44 : Généraliser les « rendez-vous des droits » organisés par les caisses de sécurité sociale.

Proposition n° 45 : Faire figurer l’accès des immigrés âgés aux droits comme une priorité dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) liant les caisses de sécurité sociale à leur autorité de tutelle.

Proposition n° 46 : Faire de l’accès aux droits pour tous les publics un élément essentiel de la négociation, au second semestre 2013, de la convention d’objectifs et de gestion (COG) liant la branche vieillesse du régime général à l’État.

Proposition n° 47 : Afin de mieux détecter les situations susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), autoriser l’utilisation du répertoire des « échanges inter-régimes de retraite » (EIRR).

Proposition n° 48 : Inscrire les immigrés âgés dans les différentes conventions définissant les priorités des départements en matière d’aide et d’accompagnement des personnes âgées.

Proposition n° 49 : Établir des partenariats entre les associations d’aide aux immigrés âgés et les caisses de sécurité sociale.

Proposition n° 50 : Donner aux associations les moyens d’intervenir de façon pérenne en inscrivant les subventionnements publics dans un cadre pluriannuel.

Proposition n° 51 : Orienter les volontaires du service civique vers les associations accompagnant les personnes âgées immigrées.

Proposition n° 52 : Établir un modèle d’accord organisant les relations des services consulaires présents en France avec les services sociaux de leur circonscription pour la formation de leurs agents aux droits et services dont bénéficient leurs ressortissants âgés résidant en France.

Proposition n° 53 : Encourager la participation de représentants immigrés âgés à la définition des politiques sociales qui les concernent.

Faciliter l’accès à la prévention sanitaire et aux soins

Proposition n° 54 : Définir de façon pluriannuelle des financements dédiés aux centres de santé sur la base de projets locaux visant l’accompagnement social vers les soins des personnes âgées qui en sont éloignées.

Proposition n° 55 : Accélérer la mutation des centres d’examens de santé de l’assurance maladie afin qu’ils adaptent les bilans de santé en fonction des risques des bénéficiaires et qu’ils renforcent leur suivi social.

Proposition n° 56 : Inviter l’assurance maladie à contribuer au financement de la traduction lors de l’accompagnement social vers les soins des personnes les plus démunies.

Proposition n° 57 : Relever le seuil de la condition de ressources ouvrant le droit à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).

Proposition n° 58 : Identifier et solliciter les retraités éligibles à l’aide pour l’acquisition d’une assurance complémentaire santé (ACS) qui n’y ont pas recours par le croisement des fichiers de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et des différentes caisses de retraite.

Proposition n° 59 : Définir des modalités simplifiées d’accès à une complémentaire santé, formalisées par des accords avec les organismes complémentaires.

Proposition n° 60 : Fixer dans le prochain plan Alzheimer des objectifs de dépistage précoce des maladies neurodégénératives des personnes âgées originaires des États tiers à l’Union européenne et définir les référentiels adaptés.

Proposition n° 61 : Améliorer la formation des professionnels de santé et des aidants.

Proposition n° 62 : Engager une concertation avec les fédérations d’associations de soins et de services à domicile pour diffuser les meilleures pratiques facilitant le maintien à domicile des personnes âgées immigrées et défavorisées.

PERMETTRE LE LIBRE CHOIX ENTRE PAYS D’ACCUEIL
ET PAYS D’ORIGINE

Écarter le soupçon de fraude pesant sur les immigrés vivant
dans l’aller-retour

Proposition n° 63 : Ramener de dix ans à cinq ans la durée de « stage préalable » imposée aux étrangers extra-communautaires régulièrement installés en France pour bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

Proposition n° 64 : Procéder, dans le cadre de l’attribution d’un complément non contributif de retraite (ou en cas de contrôle), à l’examen du respect de la condition de résidence sur le territoire en fonction d’un ensemble d’indices
– et pas seulement au regard de la présence pendant six mois au cours de l’année civile – permettant d’établir la nature des attaches en France.

Proposition n° 65 : Vérifier le respect, par les caisses de retraite, d’une application de la condition de séjour principal de six mois par année civile à la fois homogène et respectueuse de la situation individuelle des allocataires.

Proposition n° 66 : Rendre publics les critères du ciblage des contrôles opérés par les organismes de sécurité sociale.

Proposition n° 67 : Améliorer la formation des agents de contrôle des caisses de sécurité sociale et les sensibiliser à la situation des immigrés âgés.

Proposition n° 68 : Garantir des méthodes de contrôle respectueuses du droit et de la dignité des personnes et une information réelle et complète.

Proposition n° 69 : Rappeler les obligations des caisses de sécurité sociale, notamment en matière de notification et de motivation des décisions, et de délais.

Proposition n° 70 : Améliorer l’information des usagers en matière de recouvrement des sommes indûment versées.

Proposition n° 71 : En cas de retenues pour trop-perçus, garantir aux allocataires le respect du principe du contradictoire et la notification de décisions dûment motivées.

Proposition n° 72 : Prévoir dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) liant les caisses de sécurité sociale à leur autorité de tutelle un renforcement des partenariats avec les associations d’accès aux droits et d’aide aux allocataires afin de garantir le respect des droits de ces derniers.

Proposition n° 73 : Vérifier l’application homogène des règles de recouvrement des indus.

Assurer l’entrée en vigueur de l’« aide à la réinsertion familiale et sociale
des anciens migrants dans leur pays d’origine »

Proposition n° 74 : Adopter les décrets permettant l’attribution aux résidents les plus défavorisés des foyers de travailleurs migrants de l’« aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » (ARFS).

Maintenir les droits sociaux des titulaires de la carte de séjour « retraité »

Proposition n° 75 : À court terme, inciter les préfectures à informer les personnes formulant une demande de carte de séjour portant la mention « retraité » sur les conséquences de son obtention (notamment en matière d’accès aux prestations sociales).

Proposition n° 76 : À moyen terme, aménager le cadre juridique de la carte de séjour portant la mention « retraité » en :

– prévoyant que ce titre de séjour ouvre droit aux prestations sociales dans les conditions de droit commun, et notamment aux prestations d’assurance maladie ;

– ajoutant, à l’article L. 317-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), que l’acquisition de cette carte n’emporte qu’une présomption simple de résidence à l’étranger et ne saurait par conséquent suffire à refuser aux personnes qui en sont titulaires le bénéfice des prestations sociales en France ;

– garantissant à ses titulaires la possibilité de recouvrer une carte de résident, dans un délai à déterminer, par le biais d’une procédure simplifiée.

Renforcer la coopération avec les pays d’origine
dans l’accompagnement du vieillissement

Proposition n° 77 : Réexaminer les conventions de sécurité sociale entre la France et les États tiers à l’Union européenne afin de garantir le transfert des droits entre les pays pour l’ensemble des risques de sécurité sociale.

Proposition n° 78 : Relancer sans tarder les négociations visant à actualiser la convention de sécurité sociale liant la France et l’Algérie.

Proposition n° 79 : Renforcer la coopération entre la France et les pays d’origine dans la prise en charge du vieillissement.

Garantir le libre choix du lieu d’inhumation

Proposition n° 80 : Réaffirmer par voie de circulaire la nécessité de procéder à des regroupements confessionnels de fait dans les cimetières après avoir évalué les besoins sur l’ensemble du territoire.

Proposition n° 81 : Encourager la mise à disposition, dans les mairies (et éventuellement dans les préfectures), d’informations sur le droit funéraire français.

Proposition n° 82 : Veiller, s’agissant du rapatriement des corps à l’étranger, au respect de conditions de sécurité et d’hygiène satisfaisantes et lutter contre toutes formes d’activités frauduleuses en la matière.

EXAMEN DU RAPPORT

La mission a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mardi 2 juillet 2013.

M. le président Denis Jacquat. Nous voici arrivés au terme de notre mission. La semaine dernière, notre rapporteur Alexis Bachelay vous a présenté les principales orientations de son rapport, qui vous a été adressé jeudi dernier.

Je vous rappelle qu’à la fin de notre séance, nous aurons à voter sur le rapport et à en autoriser la publication, conformément aux dispositions de l’article 145 de notre Règlement.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai été très honoré d’avoir été le rapporteur de cette mission d’information sur les immigrés âgés, créée le 20 novembre 2012 par la Conférence des présidents, à la suite de la visite que le Président Bartolone a effectuée, en compagnie de plusieurs collègues députés, dans un foyer Adoma, ex-SONACOTRA, de Bobigny.

Je veux tout de suite remercier Denis Jacquat dont la présidence a permis à la mission de travailler dans de très bonnes conditions, de façon consensuelle et apaisée. Je tiens également à remercier les membres de la mission qui ont régulièrement participé aux auditions comme aux visites de terrain. Si nos travaux se sont aussi bien déroulés, c’est aussi grâce à votre investissement et à votre participation régulière.

Nous avions fait le choix, au cours de notre réunion constitutive du 16 janvier dernier, de nous intéresser à la situation des immigrés des pays tiers à l’Union européenne âgés de plus de cinquante-cinq ans. Ne pas restreindre le champ de nos travaux aux personnes de plus de soixante-cinq ans et examiner la situation des immigrés au cours des années qui précèdent l’âge de départ en retraite était en effet le moyen de cerner les problèmes qui alimentent, en amont, les difficultés qui surviennent ensuite, notamment en raison des conditions de fin du parcours professionnel.

Les immigrés des pays tiers âgés de plus de cinquante-cinq ans représentent aujourd’hui plus de 800 000 personnes, les plus de soixante-cinq ans représentant près de 350 000 personnes, dont 205 000 hommes et 145 000 femmes. Deux tiers des plus de soixante-cinq ans viennent d’un pays du Maghreb – 127 000 Algériens, 65 000 Marocains et 37 000 Tunisiens. 140 000 de ces immigrés de plus de soixante-cinq ans ont acquis la nationalité française.

Parce que la question du vieillissement des immigrés âgés, prise dans son acception la plus large, n’avait jamais fait l’objet d’une mission d’information en tant que telle, il nous est apparu utile de procéder à de nombreuses auditions et de nous déplacer, autant que le temps nous l’a permis, sur le terrain. Aussi avons-nous entendu plus d’une centaine de personnes venant d’horizons très divers : représentants d’administrations nationales et locales, de caisses de sécurité sociale, professeurs et chercheurs, acteurs associatifs, gestionnaires de foyers de travailleurs migrants, médecins et travailleurs sociaux sont venus à l’Assemblée nationale et ont répondu à nos questions.

Nous avons aussi entendu les principaux ministres intéressés par le sujet : le ministre de l’intérieur, la ministre des affaires sociales et de la santé, la ministre de l’égalité des territoires et du logement, la ministre de la culture et de la communication, la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, et, enfin, le ministre délégué chargé de la ville. Ces auditions ont été l’occasion de faire connaître aux ministres les différentes propositions formulées devant nous, en même temps qu’elles nous ont permis de prendre connaissance des sujets qu’ils considèrent comme prioritaires.

Ouvertes à la presse et parfois au public, ces auditions ont été suivies par les personnes engagées auprès des immigrés et des personnes âgées défavorisées. Certaines d’entre elles ont même été diffusées dans des « cafés sociaux » et ont donc pu être regardées par des immigrés âgés. De nombreux intervenants sont spontanément entrés en contact avec plusieurs membres de la mission : ils nous ont fréquemment soumis des contributions ou de la documentation de qualité, qui ont permis d’enrichir le rapport. Il ne m’est pas possible de tous les remercier mais je tiens à vous dire que j’ai pu mesurer les attentes que nos travaux ont fait naître. Nous ne devons pas décevoir ces attentes.

Nous avons par ailleurs effectué plusieurs déplacements, en région parisienne, dans le Rhône, dans le Gard, en Moselle, ainsi qu’en Algérie et au Maroc. Ces visites de terrain, d’un grand intérêt, ont été l’occasion de se rendre en foyer de travailleurs migrants (FTM) et de rencontrer des immigrés âgés, hommes et femmes, ainsi que de nombreux responsables associatifs intervenant auprès de ces personnes. Ces déplacements ont aussi permis d’échanger avec les responsables des services déconcentrés de l’État et des collectivités territoriales qui participent à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques destinées aux immigrés âgés. Je me réjouis qu’à l’occasion de notre déplacement en Algérie et au Maroc, nous ayons pu discuter avec les autorités publiques et les acteurs sociaux des deux principaux pays d’origine des immigrés issus des pays tiers.

Avant de vous présenter les principales propositions que je formule dans le but d’améliorer la situation des immigrés âgés, je voudrais vous faire part de quelques constats – qui font l’objet d’un consensus au sein de notre mission.

Le premier d’entre eux est que la présence en France des immigrés des pays tiers, venus y travailler à partir des années 1950 dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP), des industries de transformation, notamment automobile, ou comme saisonniers agricoles, a longtemps été considérée comme temporaire. Alors même que la France tentait d’attirer des travailleurs et des familles d’immigrés européens, une place à part était souvent réservée aux immigrés venus du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. La perception d’une installation temporaire a motivé la mise en place de politiques de logement et d’action sociale tendant à maintenir ces immigrés à l’écart de la société. Dans les entreprises, cette vision a contribué à les cantonner aux emplois les moins qualifiés et les plus pénibles. Ces immigrés ont connu des carrières hachées et subi plus que les autres travailleurs des épisodes de chômage. Le « mythe du retour » a longtemps fragilisé le séjour en France des immigrés aujourd’hui âgés.

Néanmoins, leurs droits ont été progressivement renforcés, notamment grâce aux luttes sociales dont ils furent les acteurs. Le droit de mener une vie familiale normale, et donc d’être rejoint par sa famille dans le pays d’accueil, leur a notamment été reconnu. Ce n’est toutefois que depuis la fin des années 1990 que l’égalité est la règle pour l’accès à l’ensemble des droits sociaux, sans condition liée à la nationalité.

Au total, la contradiction, trop longtemps entretenue, entre un « enracinement » en France et des politiques fondées sur le diagnostic erroné d’une présence temporaire a constitué la caractéristique principale de cette histoire migratoire singulière. Aujourd’hui, il apparaît qu’une part significative de ces immigrés vieillit dans des conditions difficiles, voire indignes.

Tout d’abord, leurs ressources sont bien souvent inférieures à celles de la population non immigrée. Le montant moyen des pensions des retraités nés à l’étranger résidant en France s’élevait, en 2012, à environ 700 euros par mois quand le montant moyen des pensions versées par le régime général pour une carrière complète s’élevait à un peu plus de 1 000 euros par mois. Autre indicateur, le montant moyen des pensions versées par le régime général en Algérie ou au Maroc à des personnes qui y sont nées se situe autour de 300 euros par mois. Dernier exemple : parmi les 422 000 bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) relevant du régime général en 2012, 162 000, soit près de 40 %, étaient nés à l’étranger. Parmi ceux-ci, 60 % étaient originaires d’un pays du Maghreb.

Ensuite, il est apparu que les populations immigrées âgées souffrent d’un « mal-logement » manifeste. Je vais revenir sur la question bien particulière des personnes habitant en foyer de travailleurs migrants. Je veux néanmoins préciser que la majorité des immigrés âgés vit dans l’habitat diffus, et parfois dans des conditions insatisfaisantes. À cet égard, d’après un recensement de 2009, si deux tiers des ménages français occupent des logements de bonne qualité, cette proportion n’est que de 45 % pour les immigrés des pays tiers.

Souvent, les populations immigrées vivent en quartiers « politique de la ville ». Ainsi, les immigrés et descendants d’immigrés représentent plus de la moitié de la population des zones urbaines sensibles (ZUS).

30 000 personnes immigrées âgées vivent en habitat privé indigne, qui correspond à des « locaux ou installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi [qu’à des] logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ».

Si 78 % des personnes âgées non immigrées sont propriétaires de leur logement, cela n’est le cas que de 55 % des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans et de 37 % des immigrés âgés originaires des pays tiers.

De nombreuses personnes entendues par la mission ont souligné que, généralement, les populations immigrées âgées accèdent insuffisamment à leurs droits. À cet égard, il me semble utile de réfuter d’emblée l’idée trop largement répandue selon laquelle les immigrés constitueraient une charge excessive sur les comptes sociaux. Loin d’abuser de leurs droits, ils en sont en effet trop souvent éloignés. De nombreux acteurs associatifs ont souligné l’importance du défaut d’information en la matière et des cas d’abandon de demandes en cours de procédure.

En outre, les immigrés âgés rencontrent de nombreux problèmes sanitaires et d’accès aux soins. D’après les résultats de l’Enquête santé et protection sociale (ESPS) conduite en 2000-2002, les étrangers seraient de façon générale en moins bonne santé que les Français. Une autre étude, réalisée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a récemment mis en évidence la surmortalité élevée, à Paris, des étrangers entre soixante et soixante-dix ans, en particulier des femmes d’origine subsaharienne ainsi que des hommes originaires d’Afrique du Nord. Ces problèmes de santé tiennent notamment à la pénibilité des conditions de travail de nombreux migrants aujourd’hui âgés. Certains d’entre eux paient à présent le prix de leur exposition, des années durant, au plomb, à l’amiante, aux solvants chlorés, à la silice ou encore aux poussières de bois et aux pesticides.

L’isolement social rend plus difficile l’accès aux informations sur les ressources médicales disponibles ou sur les filières de soins : par exemple, les femmes immigrées maghrébines semblent sous-représentées dans le dépistage des cancers. La communication entre le patient et le médecin peut également être rendue malaisée par une maîtrise insuffisante de la langue ou les différences de représentations culturelles des maladies et des soins.

Ces problèmes d’accès aux soins traduisent les difficultés d’insertion au plan local mais aussi la précarité financière de ce public : la faiblesse des ressources explique que les immigrés âgés soient environ quatre fois plus nombreux que le reste de la population à bénéficier de la couverture maladie universelle (CMU) et cinq fois plus nombreux à bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).

Nos travaux nous ont permis de mettre le doigt sur une réalité pas toujours bien connue : les femmes immigrées âgées, dont 145 000 sont originaires d’États tiers à l’Union européenne et ont plus de soixante-cinq ans, connaissent des situations de grande précarité et d’isolement. Ces difficultés s’expliquent d’abord par la modicité de leurs ressources, résultat de carrières professionnelles très heurtées. Elles bénéficient par ailleurs généralement de modestes pensions de réversion, conséquence de la faiblesse des pensions de retraite perçues par leur mari. Je veux également rappeler que 67 % des bénéficiaires de l’ASPA versée à des personnes ne percevant aucune pension de retraite contributive sont des femmes.

Par ailleurs, les femmes connaissent parfois des difficultés d’intégration supérieures à celles rencontrées par les hommes, dans la mesure où elles n’ont souvent pas pu bénéficier d’une insertion professionnelle et n’ont donc pas toujours pu tisser de liens en dehors de la cellule familiale.

La population immigrée vieillissante souffre, dans l’ensemble, d’une intégration imparfaite dans la société. Cette situation s’explique d’abord, à mon sens, par le traitement réservé aux populations immigrées au moment de leur arrivée en France, notamment par leur mise à l’écart du reste de la société. Ensuite, la barrière de la langue constitue un obstacle à une pleine intégration en même temps qu’elle participe de la difficulté à accéder à l’ensemble des droits. Enfin, le sentiment d’être l’objet de discriminations est nettement plus fort chez les populations non européennes, même si l’impression d’être traité différemment en raison de son origine concerne, à des degrés variables, tous les immigrés.

Nos travaux ont fait une place importante à la situation des immigrés âgés vivant en foyer, dont 35 000 ont plus de soixante-cinq ans. Ces derniers, souvent appelés chibanis même si ce terme recouvre une réalité plus large, cumulent souvent les difficultés que je viens d’évoquer. Nous en avons rencontrés, notamment à Gennevilliers, Colombes ou Vaulx-en-Velin. À chaque fois, nous avons pu mesurer à quel point leurs conditions de logement étaient précaires. Aujourd’hui souvent retraités, ils vieillissent dans des chambres de 7,5 mètres carrés – parfois un peu plus –, peu confortables et pas toujours autonomes. Nombre d’entre eux sont souffrants, voire handicapés. Ces foyers connaissent de surcroît des problèmes préoccupants d’entretien, de sécurité et, pour certains d’entre eux, de suroccupation.

Nous avons pris la mesure de la solitude de ces hommes, « célibatairisés » selon l’expression consacrée, qui souffrent en silence d’un isolement encore plus marqué que le reste des immigrés âgés, à tel point que le sociologue Omar Samaoli, que nous avons entendu, les a qualifiés de « marginaux de l’immigration ». Leur situation spécifique appelle des réponses fortes, sur lesquelles je vais revenir.

Il est bien évidemment regrettable que la transformation des foyers en résidences sociales, décidée dès 1997 puis plusieurs fois prorogée, ait pris un tel retard. Quelques chiffres suffisent pour s’en convaincre : d’une part, alors qu’entre 1997 et 2001, 326 foyers devaient être transformés, seuls 111 l’ont effectivement été ; d’autre part, sur les 680 foyers recensés en 1997, seuls 47 % ont, à ce jour, fait l’objet d’une transformation. C’est dire l’urgente nécessité de reprendre et d’accélérer le plan de traitement.

Au total, nous devons reconnaître que nombre d’immigrés des pays tiers ne vieillissent pas bien dans notre pays. Nous avons le devoir de leur garantir les conditions d’une vieillesse digne en France, dans leur pays d’origine pour ceux qui souhaitent y résider à titre principal, ou entre les deux pour ceux qui pratiquent la « navette » – et ils sont nombreux. Pour y parvenir, j’ai choisi d’orienter notre action autour de quatre axes principaux, que je vais vous présenter maintenant.

En premier lieu, je souhaite que nous œuvrions en faveur d’une meilleure intégration. Celle-ci passe avant tout par la reconnaissance du rôle des populations immigrées dans l’histoire nationale. Il est manifeste que cette histoire est mal connue, parfois même des enfants et petits-enfants des immigrés désormais âgés. Reconnaître ce chapitre du récit national me semble être une marque de reconnaissance indispensable envers les immigrés âgés et le préalable à toute politique publique efficace. J’ajoute qu’il me paraît malaisé de vouloir favoriser l’intégration des plus jeunes sans reconnaître aux anciens la place qui est la leur dans notre société. C’est pourquoi nous devons montrer à tous ceux qui ne reconnaissent pas la France comme leur pays, alors qu’ils y sont pourtant souvent nés, que leurs parents et grands-parents sont des membres à part entière de la communauté nationale, parce qu’ils ont participé à la reconstruction du pays et qu’ils continuent à y jouer un rôle social.

La valorisation de la mémoire de l’histoire de l’immigration, que j’appelle de mes vœux, a récemment trouvé un point d’ancrage dans la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), créée en 2006. Au regard du rôle de la CNHI dans la transmission de l’histoire de l’immigration, il me paraît important de conforter, pour les années à venir, les crédits qui lui sont accordés. Il me semble par ailleurs que la valorisation de l’histoire de l’immigration passe par l’identification de « lieux de mémoire », correspondant par exemple aux anciens lieux de travail des populations immigrées, ou à l’utilisation, lors des opérations de rénovation urbaine, d’une fraction de la ressource mobilisée pour le recueil, l’exposition et la conservation de la mémoire des quartiers concernés. Je me félicite que ces projets aient été accueillis favorablement tant par la ministre de la culture et de la communication que par le ministre délégué à la ville – lesquels ont d’ailleurs déjà parfois intégré certaines de nos préconisations dans le travail de leur ministère.

Enfin, il est fondamental de disposer d’un bon outil statistique pour connaître les réalités quantitatives et mieux apprécier les difficultés rencontrées par les immigrés en général et par les immigrés âgés en particulier. Nous avons proposé de faire évoluer le Haut Conseil à l’intégration (HCI) dans cette direction. Il semble que le Gouvernement y réfléchisse. Pour l’instant, le travail du HCI a été suspendu et nous appelons de nos vœux, soit sa continuation sous d’autres formes, soit sa transformation en institut plus adapté au recueil et au travail sur les statistiques. C’est le sens de la proposition que nous formulons dans le rapport.

Nous devons par ailleurs assurer les conditions d’une meilleure intégration à l’échelle nationale. Il serait pertinent d’aménager le cadre juridique du regroupement familial afin d’en faire bénéficier les familles des immigrés âgés les plus isolés, dans le cadre d’une procédure dérogatoire. Bien entendu, il ne s’agirait pas de modifier de fond en comble les règles encadrant le regroupement familial, mais de mieux prendre en compte des situations d’isolement inacceptables.

Je pense aussi que nous pourrions faciliter l’acquisition de la nationalité française des ascendants de Français présents sur le territoire depuis vingt-cinq ans au moins, accélérer le traitement des demandes de naturalisation formulées par les personnes de plus de soixante ans et résidant en France depuis dix ans au moins, et envisager de mettre en place, dans les préfectures, des guichets réservés aux demandeurs âgés, « très démunis face à la complexité des procédures administratives » selon les termes employés par le ministre de l’intérieur devant la mission. La question de l’accueil en préfecture est très importante, et nous souhaitons que le Gouvernement fasse des propositions en s’appuyant sur nos préconisations et sur celles formulées par notre collègue Matthias Fekl dans le rapport sur la sécurisation des parcours des ressortissants étrangers en France, remis au Premier ministre en mai dernier.

Nous devons également favoriser l’intégration des populations immigrées à l’échelon local. Dans cette perspective, il me semble qu’il conviendrait de mieux articuler aux actions des caisses de sécurité sociale et des collectivités territoriales les programmes régionaux et départementaux d’intégration des populations immigrées (PRIPI-PDI). En effet, ces outils de cadrage déconcentrés des actions financées par le budget de l’État ont modestement pris en compte la situation des immigrés âgés depuis trois ans. Ces programmes permettent de mobiliser des crédits européens destinés à l’intégration des personnes immigrées âgées, crédits dont la pérennité n’est pas garantie au-delà de 2013. Il faut donc que la France obtienne le maintien de ces financements, qui concernent un domaine dans lequel elle peut être exemplaire en Europe : en s’assumant comme société d’immigration, elle trace l’avenir pour toute l’Union. En retour, l’Union doit contribuer à cette tâche.

En deuxième lieu, il est de notre devoir de garantir aux immigrés âgés des conditions de logement adaptées. C’est un point extrêmement important de notre rapport et nos préconisations en la matière sont nombreuses. Nous devons à la fois adapter le bâti au vieillissement et à la dépendance de cette population, et garantir un accès à des services – notamment à domicile – assurant le « bien vieillir ».

Il est temps d’en finir avec cette anomalie que constitue le vieillissement en foyer de travailleurs migrants. Je souhaite par conséquent que le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM) dont j’ai rappelé l’état d’avancement, soit mené à son terme. Tous les foyers, soit environ 340 – dont 200 ne font l’objet d’aucun projet à ce jour – doivent à présent être transformés en résidences sociales, à commencer par ceux d’entre eux qui logent une part significative d’immigrés retraités et qui sont le plus éloignés des normes de logement modernes et adaptées au vieillissement. J’attire votre attention sur cette proposition que nous demandons à Adoma et aux autres bailleurs de reprendre. Il n’est pas possible que le plan de traitement concerne en priorité des foyers dans lesquels il n’y aurait qu’une faible part d’immigré âgé. Il faut reconsidérer la question et faire de l’accueil des immigrés âgés un paramètre fondamental du plan de traitement. Nous devons également prendre garde que les opérations de transformation ne se traduisent pas par la disparition des espaces collectifs au sein des établissements, essentiels au maintien des liens sociaux, ainsi que l’a rappelé la ministre de l’égalité des territoires et du logement.

De même, il apparaît nécessaire de repenser les règlements intérieurs des foyers et des résidences sociales – conformément à ce nous appelons, au sein de la mission, une charte nationale des bonnes pratiques – en raison de leur rigueur excessive et de rappeler le principe fondamental du droit au respect de la vie privée dans les espaces privatifs. Toutes les mesures qui, dans les règlements intérieurs, contreviendraient à ces principes, doivent être supprimées.

Nous devons également mieux insérer dans la ville les structures accueillant des immigrés âgés, notamment en invitant les communes à soutenir les actions menées par les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants et de résidences sociales à destination de leurs résidents et en s’appuyant, de manière générale, sur ces initiatives pour améliorer l’accès aux droits et aux services sociaux des personnes immigrées résidant à proximité de ces structures. Nous souhaitons enfin que l’on rappelle aux bailleurs sociaux que les immigrés résidant en foyer ont le droit, comme tous les résidents d’une commune, d’accéder à un logement social. Jusqu’à présent, ils en sont exclus, ce qui constitue une discrimination.

En troisième lieu, nous devons faire bénéficier les immigrés des droits sociaux ouverts aux personnes âgées. C’est un volet essentiel de notre rapport. Comme je l’ai rappelé, ce public souffre d’un accès insuffisant aux droits, aux soins et, plus généralement, aux services publics de droit commun – ce qui infirme les idées reçues selon lesquelles les personnes immigrées seraient de grandes consommatrices de droits.

Cette action d’inclusion sociale suppose de mobiliser les caisses de sécurité sociale comme les responsables locaux des politiques d’accompagnement du vieillissement et leurs partenaires associatifs. La participation des immigrés âgés eux-mêmes à la définition des dispositifs qui les concernent constituerait une garantie d’efficacité.

Il faut tout d’abord garantir l’accès des immigrés âgés à leurs droits.

La première étape consiste à éviter les ruptures de droits lors du passage à la retraite. Pour y parvenir, sans doute conviendrait-il de généraliser les « rendez-vous des droits » organisés par certaines caisses de sécurité sociale et de faire figurer l’accès des immigrés âgés aux droits comme une priorité dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) liant les caisses de sécurité sociale à leur autorité de tutelle. Je me félicite à cet égard que la lutte contre le non-recours aux droits soit désormais une priorité du Gouvernement.

Ensuite, il faut mieux insérer les immigrés âgés dans les schémas gérontologiques. La prise en compte des personnes âgées immigrées par les conseils généraux est aujourd’hui inégale : certains schémas gérontologiques ne définissent aucune action à l’égard des populations immigrées âgées, alors même qu’elles sont nombreuses dans les départements concernés.

Il apparaît aussi nécessaire de sécuriser les partenariats des pouvoirs publics avec les acteurs associatifs, tant ces derniers disposent d’une bonne connaissance des populations immigrées et des difficultés auxquelles elles sont confrontées. Je souhaite donc que des partenariats soient mis en place entre les associations d’aide aux immigrés âgés et les caisses de sécurité sociale, mais aussi que les subventions publiques à destination des associations soient inscrites dans un cadre pluriannuel afin que ces dernières puissent agir de façon pérenne. Je sais que dans le cadre de l’action menée par le ministre en charge de la politique de la ville, cette proposition a déjà reçu un écho favorable.

Il me semble que nous devrions donner aux immigrés âgés la possibilité de participer au « développement social local », qui vise à définir les politiques locales par la base et à inciter les bénéficiaires à en devenir les acteurs. Cela rejoint la volonté du ministre délégué à la ville, selon lequel le rôle social des personnes âgées dans les quartiers relevant de la politique de la ville doit être valorisé.

Il faut aussi garantir l’accès des immigrés âgés à la prévention sanitaire et aux soins. Dans cette perspective, l’accompagnement social vers les soins doit être renforcé à travers la mise en place de financements dédiés aux centres de santé sur la base de projets locaux. En outre, l’accès à la CMU-C et à l’assurance complémentaire santé (ACS) doit être facilité. Par exemple, le seuil de la condition de ressources ouvrant le droit à la CMU-C pourrait être relevé.

Il convient également d’inscrire le vieillissement des immigrés dans les actions menées contre les maladies neurodégénératives. Aussi apparaît-il nécessaire de fixer dans le prochain plan Alzheimer des objectifs de dépistage précoce des maladies neurodégéneratives des personnes âgées originaires des États tiers à l’Union européenne et de définir les référentiels adaptés.

Je suis convaincu qu’il faut faire de l’accès aux soins à domicile, qui se fonde sur la complémentarité entre action professionnelle et action non professionnelle, le plus souvent issue du cercle familial, une priorité. Je propose que soit engagée une concertation avec les fédérations d’associations de soins et de services à domicile afin de diffuser les meilleures pratiques pour faciliter le maintien à domicile des personnes âgées immigrées et défavorisées.

En quatrième et dernier lieu, il nous revient de permettre aux immigrés âgés de choisir librement le lieu de leur résidence une fois à la retraite.

Tout d’abord, il me paraît fondamental d’écarter le soupçon de fraude qui pèse trop souvent sur les immigrés vivant dans l’aller-retour. Je souhaite que les contrôles opérés par les organismes de sécurité sociale soient plus respectueux des droits et des personnes, que la formation des agents de contrôle des caisses de sécurité sociale soit améliorée, que les obligations des caisses, notamment en matière de notification et de motivation des décisions, et de délais, soient rappelées à tous les acteurs concernés, ou encore que les règles de recouvrement des sommes versées indûment soit homogénéisées.

Je souhaite aussi que la condition d’antériorité de résidence permettant aux étrangers non communautaires de bénéficier de l’ASPA soit ramenée de dix ans à cinq ans.

Par ailleurs, je considère que le Gouvernement doit publier sans tarder les décrets d’application des articles 58 et 59 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », qui créent une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » (ARFS). Ce sujet a fortement interpellé les membres de la mission.

Cette aide à la réinsertion familiale et sociale devait permettre à un étranger extracommunautaire, vivant seul, âgé de plus de soixante-cinq ans, résidant en France depuis quinze ans au moins et logeant dans un foyer de travailleurs migrants, de percevoir une aide sociale dans son pays d’origine s’il décidait d’y résider durablement. Il était prévu que son montant serait équivalent à celui de l’ASPA à laquelle il aurait droit s’il restait dans notre pays.

Il se trouve qu’aucun décret d’application n’a été pris au cours des six années passées. Pourtant, cette aide serait utile au petit nombre de personnes en grande difficulté qui vieillissent en foyer et qui semblent « prisonnières » de leur situation. L’étude d’impact estimait à 17 000 personnes le nombre des bénéficiaires potentiels de cette aide. On peut considérer que depuis, il faudrait y ajouter quelques milliers de personnes qui ont désormais plus de soixante-cinq ans. En tout état de cause, vous l’avez bien compris, cela représenterait une fraction peu importante au regard de l’ensemble des immigrés âgés des pays tiers vivant dans notre pays.

À la lumière des nombreux témoignages que nous avons recueillis, il semble que l’articulation avec le droit de l’Union européenne ne constitue pas la raison principale de la carence du pouvoir réglementaire en la matière. Il est en effet possible de faire bénéficier de l’ARFS le public ciblé par cette aide : il suffit de publier les décrets d’application. Je me félicite que la ministre des affaires sociales et de la santé ait demandé à ses services de réfléchir aux moyens de parvenir à une solution à court terme.

Il semble également indispensable d’aménager le cadre juridique de la carte de séjour portant la mention « retraité » afin de garantir à ses titulaires le bénéfice des prestations sociales en France, et notamment des prestations d’assurance maladie, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il est en effet choquant que des retraités ayant travaillé plusieurs décennies dans notre pays, y ayant cotisé et dont les pensions de retraite continuent de faire l’objet de prélèvements ne puissent bénéficier, lors de leurs séjours en France, que de soins inopinés.

Par ailleurs, notre déplacement en Algérie et au Maroc a confirmé notre sentiment qu’il est souhaitable de renforcer la coopération entre la France et les pays d’origine des migrants issus d’États tiers à l’Union européenne, afin de créer des synergies dans l’accompagnement du vieillissement. Nous devons réexaminer les conventions de sécurité sociale et actualiser, notamment, la convention de sécurité sociale liant la France et l’Algérie. Je précise que l’actualisation de la convention qui lie la France et le Maroc a eu lieu en 2007, qu’elle est entrée en application depuis le 1er janvier 2011 et qu’elle permet une meilleure prise en charge des Marocains résidant en France et des Français résidant au Maroc.

Enfin, permettre le libre choix entre la France et le pays d’origine signifie aussi garantir aux populations immigrées la possibilité de choisir le lieu de leur inhumation. Aussi nous faut-il mettre en place suffisamment d’« espaces confessionnels » dans les cimetières et veiller à leur bonne répartition sur le territoire. Je me félicite que le ministère de l’intérieur prépare actuellement une nouvelle circulaire sur ce sujet fondamental.

Je n’ai pu, évidemment, vous présenter qu’une synthèse de ce rapport et de ses principales propositions. Il y en a au total quatre-vingt-deux, qui se répartissent selon les quatre grands axes que j’ai présentés. L’ensemble de ces propositions visent à permettre aux immigrés âgés de vivre librement et dignement leur vieillesse en France, dans leur pays d’origine, ou entre les deux pays.

Je vous invite à adopter le rapport et ses préconisations, fruit de notre travail collectif. Enfin, je propose que le rapport s’intitule : « Une vieillesse digne pour les immigrés âgés, un défi à relever en urgence ».

M. le président Denis Jacquat. Merci, monsieur le rapporteur.

Mme Martine Pinville. Je tiens à saluer le travail réalisé par notre rapporteur et notre président, avant d’aborder certains des domaines auxquels je me suis plus particulièrement intéressée.

L’existence d’une surmortalité chez les immigrés âgés prouve que ceux-ci rencontrent de véritables problèmes de santé et d’accès aux soins. Il faudra le prendre en compte dans nos travaux, notamment lorsque nous préparerons les prochaines lois de financement de la sécurité sociale. De la même façon, nous devrons lutter contre l’isolement et la perte d’autonomie de ces populations par les mesures que nous pourrons prendre, par exemple, en matière de logement.

Ce rapport nous amènera donc à mieux adapter les textes de loi à la situation des immigrés âgés. Mais au-delà, il jouera un rôle de sensibilisation auprès des collectivités, des structures ou des institutions qui interviennent auprès de ces publics.

M. Philippe Vitel. Je retrouve, dans les propositions qui ont été formulées, l’état d’esprit dans lequel nous avons travaillé et les points sur lesquels nous avons insisté.

Je ferai néanmoins une remarque concernant l’ARFS. Nous pouvons en effet lire dans le rapport qu’il conviendrait d’« adopter les décrets permettant l’attribution aux résidents les plus défavorisés des foyers de travailleurs migrants de " l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine " ». La formulation utilisée me semble manquer de vigueur. Il y a en effet une urgence absolue à débloquer cette ARFS, ce qui permettrait d’ailleurs de résoudre un certain nombre des problèmes que nous avons soulevés.

M. Kheira Bouziane. Je me joins aux félicitations et aux remerciements qui ont été adressés au président et à notre rapporteur, dont je salue l’énergie communicative.

Ce travail a eu le mérite de faire la lumière sur une situation que nous ne connaissions pas forcément bien. Il dresse un constat complet et formule des propositions très précises afin d’améliorer la prise en charge de cette population et de lui redonner sa dignité.

Je me contenterai de faire une suggestion qui intéresse à la fois à l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Pour que ce travail ne reste pas lettre morte, il faudrait que nous définissions des délais – qui peuvent être discutés – à l’issue desquels les progrès réalisés et les solutions apportées aux problèmes qui ont été soulevés seraient évalués. Il s’agirait donc de mettre en place un suivi de nos préconisations.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je me félicite tout d’abord de ce que le Président de l’Assemblée nationale ait eu l’idée de cette mission. C’est en effet la première fois que notre Assemblée se penche sérieusement sur cette question.

Je félicite ensuite notre président et notre rapporteur. Nous avons travaillé tous ensemble, tout en étant membres de partis différents, dans de très bonnes conditions. Ce n’est pas toujours le cas.

Je ferai une remarque de forme. Depuis onze ans que je siège à l’Assemblée, toutes les missions auxquelles j’ai participé se terminent de la même manière, que je trouve très décevante : nous recevons le rapport au dernier moment, alors même que nous y avons travaillé des mois durant !

Quoi qu’il en soit, je ne dirai pas grand-chose de plus que mes collègues sur ce rapport.

Je suis d’accord avec notre collègue Philippe Vitel : il faut que les décrets sur l’ARFS soient très rapidement pris.

J’observe ensuite que notre rapporteur a bien repris dans le rapport tout ce que nous avions dit sur l’accès à la naturalisation et la barrière linguistique. Il faudra suivre de très près la future circulaire du ministère de l’intérieur pour que ces personnes, si elles le souhaitent, puissent bénéficier de la nationalité française, même si elles ne parlent pas la langue. Je n’ai jamais accepté que mon grand-père meure apatride après avoir passé soixante ans dans ce pays.

Enfin, nous n’avons pas beaucoup parlé des 145 000 femmes âgées immigrées, que nous connaissons mal. Voilà pourquoi je reprends l’idée, qui avait été évoquée lors de notre dernière réunion, de confier à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), par exemple, une enquête pour mieux appréhender la situation de ces femmes. Nous en avons rencontré quelques-unes à Vaulx-en-Velin ou au « café social » mais, la plupart du temps, celles-ci vivent seules, en dehors de tout. Elles sont encore plus isolées que les hommes, qui arrivent tout de même à se regrouper. Peut-être devrions-nous ajouter des dispositions spécifiques pour les femmes.

Sur le reste, bravo au président, au rapporteur et à tous les membres de cette mission. Ce fut vraiment une belle mission !

M. le président Denis Jacquat. Merci, chère collègue. Je me ferai l’écho auprès du président de l’Assemblée nationale de votre remarque sur la transmission des rapports.

Mme Françoise Dumas. Je voudrais moi aussi saluer ce travail exemplaire et préciser que j’ai été très fière d’accueillir une délégation de notre mission dans le Gard. Il était important de pouvoir appréhender l’ensemble de la situation des immigrés âgés.

Ce travail a été exemplaire par la diversité des champs étudiés et par le nombre des problématiques abordées. Tout un pan de notre société a ainsi été mis à jour. Ce fut l’occasion de s’intéresser à des personnes qui sont les plus éloignées de leurs droits. Mais notre regard pourrait aller au-delà des personnes immigrées, vers certaines personnes âgées qui sont également éloignées de leurs droits, rencontrent des problèmes de santé et souffrent d’isolement. Ce travail est pour moi une invitation à concevoir autrement l’accès aux droits des Français vieillissants.

À ce propos, le vieillissement de la population nous amènera à chercher de nouvelles façons d’envisager le logement social. Il sera nécessaire de créer les conditions de l’intimité et du partage, du vivre ensemble et du respect de la vie privée. La formule des logements sociaux partagés me paraît constituer une très bonne piste de travail, notamment dans les quartiers défavorisés. Bien au-delà, c’est une façon de repenser les conditions d’accueil et d’accompagnement dans le milieu associatif, et un très bon moyen de créer des emplois et de recréer du lien social. Dans le cadre du travail que nous allons engager sur la politique de la ville et le développement social des quartiers, il faudra prendre en compte cette demande.

Mais revenons aux immigrés âgés. Nous devrons poursuivre notre travail de mémoire, ce qui ne pourra que favoriser l’intégration de personnes qui ne se sentent pas encore totalement françaises : aussi bien les travailleurs immigrés eux-mêmes, qui ont contribué au redressement économique de la France, que leurs enfants et leurs petits-enfants. C’est ce qu’il faut faire pour que notre République retrouve tout son sens.

M. Pouria Amirshahi. Je voudrais moi aussi me féliciter de l’ambiance qui a caractérisée nos travaux et notre débat de ce jour. Celui-ci est important pour la France comme pour les pays dont sont originaires les immigrés âgés dont nous parlons, où il a d’ailleurs été très suivi.

Il est essentiel d’intégrer dans la mémoire nationale ce que sont les immigrés et, plus généralement, ce que l’immigration a apporté à la communauté nationale. Le fait que pour la première fois, ce débat ait lieu ici, à l’Assemblée nationale, a été déterminant. Et nous sommes allés au-delà, en formulant des propositions concrètes.

L’idée d’un comité de suivi a été évoquée. Mais on pourrait aussi envisager, selon un calendrier à déterminer, que chaque ministère, ou le Gouvernement pris dans son ensemble, fasse le point sur chacune des propositions que nous avons faites. Cela nous permettrait de savoir si notre rapport a été suivi d’effets. Il ne faudrait pas qu’il finisse dans un tiroir ou sur une étagère. Bien sûr, on ne peut pas tout faire tout de suite, mais rien n’empêche d’étudier la façon de mettre en œuvre, au fur et à mesure et de façon efficace, les différentes mesures qui ont été préconisées.

Ce serait aussi le moyen de prouver que la reconnaissance envers les populations immigrées est en train de se matérialiser. Ce serait, pour les immigrés âgés comme par leurs enfants et petits-enfants, une manifestation du respect de la parole donnée.

Nous pourrions également envisager de communiquer ce rapport aux pays dont sont issus beaucoup de ces immigrés âgés. Là-bas, au Maghreb, en Afrique de l’Ouest, l’émigration de travail est souvent un sujet de débat : comment, après une longue période de colonisation, la France a-t-elle traité chez elle les ressortissants de ces pays, qui ont pourtant contribué à sa reconstruction ? Ce serait une réponse à leur apporter. J’ai appris que le président et Alexis Bachelay avaient déjà accordé quelques interviews. Je peux vous dire, pour m’être rendu dans ces pays, que notre travail y a eu un grand écho.

Mais nous devons bien faire comprendre qu’il s’agit, pour beaucoup d’immigrés âgés, de rejoindre le droit commun, et non pas de bénéficier d’une quelconque discrimination positive. Il ne faut pas nourrir la rumeur selon laquelle les immigrés pourraient être avantagés par rapport aux nationaux. Dans le contexte actuel, il est important d’expliquer ce qu’il en est.

Il faut enfin faire savoir que certaines préconisations, notamment dans le domaine de la santé, sont extensibles à l’ensemble des personnes âgées. Car nous menons là une bataille pour le droit commun. Si le rapport de notre mission permettait de faire progresser les droits, économiques, sociaux, civiques et civils dans notre pays, nous aurions franchi un grand pas et la Nation toute entière nous en serait reconnaissante.

M. Matthias Fekl. Je commencerai par saluer le travail de notre président et de notre rapporteur.

L’apport de cette mission est d’abord d’avoir tordu le cou à un certain nombre d’idées reçues. Je vise plus particulièrement celle selon laquelle les étrangers en général et les immigrés âgés en particulier pèseraient de façon excessive sur l’équilibre de nos comptes sociaux. Ce n’est pas le cas. Plus généralement, ce rapport constitue une mine d’informations et de données très intéressantes.

Ensuite, les propositions faites par la mission sont très pragmatiques. Certaines d’entre elles peuvent être mises en œuvre rapidement. Je pense notamment aux mesures réglementaires que le Gouvernement va devoir prendre en urgence.

Enfin, la philosophie d’ensemble de la mission rejoint ce que j’ai essayé de faire dans le rapport que j’ai remis au Premier ministre : trouver un équilibre en matière de politique d’immigration. Il s’agit, d’une part, de lutter avec fermeté contre l’immigration illégale et, d’autre part, de tout faire pour renforcer l’intégration des étrangers en situation régulière qui ont droit, à ce titre, à une reconnaissance et à des droits positifs – accueil en préfecture, pluriannualité des titres de séjour, notamment pour les étrangers malades, etc.

M. Daniel Vaillant. Tout ce qui a été dit est juste : ce rapport est excellent et le président et le rapporteur ont très bien travaillé. Je me réjouis moi aussi de la création de cette mission. Lors de la précédente mandature, je me souviens d’avoir accueilli des délégations de travailleurs migrants âgés, sans avoir été en mesure de leur répondre. Je me réjouis donc que ce rapport existe, que quatre-vingt-deux propositions aient vu le jour et que l’on puisse avancer sans perdre de temps.

Ces quatre-vingt-deux propositions peuvent être hiérarchisées dans le temps et selon les priorités gouvernementales. Mais il faut les mettre en œuvre : un rapport n’a pas vocation à rester lettre morte. Une fois que nous l’aurons adopté, notre rapport sera remis au Président de l’Assemblée nationale. Il serait peut-être bon d’y préciser, en annexe, quels sont les ministères concernés. Dans quelques mois, nous pourrions faire le point avec le ministre des relations avec le Parlement pour voir où l’on en est, concrètement, de ces propositions.

Enfin, un débat sur la mise en œuvre de ces propositions pourrait utilement avoir lieu avec les acteurs concernés intervenant sur le terrain. Car la question n’est pas close et pour moi, une des meilleures manières de lutter contre l’immigration illégale et les filières clandestines est de favoriser – tout en maîtrisant les flux – l’immigration légale. En effet, quand on ferme la porte à l’immigration légale, on favorise l’immigration illégale.

Nous devons continuer à travailler. La naturalisation est une piste, notamment pour nos anciens qui le souhaitent. Mais c’est aussi une piste pour l’immigration d’aujourd’hui et celle de demain. Car dans quelques années, nous aurons à nous préoccuper d’autres immigrés âgés, qui seront sans doute bien différents de ceux d’aujourd’hui.

En conclusion, je me félicite du travail accompli à un bon rythme par cette mission, par le rapporteur et le président. Je crois que nous pouvons en être fiers.

M. le président Denis Jacquat. Demain matin, quand il lui remettra son rapport, notre rapporteur pourra relayer certains de vos messages auprès du Président de l’Assemblée nationale.

M. Pierre Aylagas. Bien que n’étant pas membre de cette mission, je me félicite moi aussi que l’on ait choisi ce thème, et je félicite le président et le rapporteur ainsi que tous les membres de la mission pour leur travail. Si je prends la parole, c’est parce que je suis député des Pyrénées-Orientales et que dans mon département, et surtout dans mon village, il y a beaucoup d’immigrés d’origine espagnole, aujourd’hui âgés, qui ont travaillé toute leur vie dans le monde agricole, et dont la retraite est très faible.

Ma question porte sur la proposition n° 80 « Réaffirmer par voie de circulaire la nécessité de procéder à des regroupements confessionnels dans les cimetières après avoir évalué les besoins sur l’ensemble du territoire ».

Le cimetière de la commune dont je suis maire possède depuis plusieurs décennies un « carré israélite ». Or, depuis qu’il existe, une seule personne y a été enterrée. Pour des raisons d’intégration, ceux qui pourraient être concernés préfèrent être inhumés « comme tout le monde ». Mais l’année dernière, un musulman m’a dit qu’il souhaiterait être enterré dans un « carré musulman ». Faut-il en créer un ? Peut-être pas, précisément pour des raisons d’intégration ?

Mme Kheira Bouziane. Il faut que les citoyens aient le choix.

Mme Hélène Geoffroy. Je tenais moi aussi à souligner la qualité de ce rapport et le travail qui a été accompli. Ces six mois ont été pour nous très formateurs. Quelles que soient nos idées sur la question, quelle que soit notre histoire politique, nous nous sommes retrouvés sur les constats. J’espère que nous nous retrouverons sur les conclusions.

Je voudrais par ailleurs insister sur la grande honnêteté du rapport et sur sa fidélité par rapport aux débats que nous avons eus. Les quatre-vingt-deux propositions auxquelles il a abouti tiennent compte à la fois de l’histoire de l’immigration, de l’importance du devoir de mémoire, des problèmes liés au vieillissement et de la façon dont ces personnes âgées immigrées peuvent s’insérer dans notre société. Celles-ci, nous l’avons compris, sont indissolublement liées à notre histoire nationale et la plupart d’entre elles ont la volonté de rester en France – ou, du moins, de faire des allers et retours entre leur pays d’origine et la France.

Je n’ai pas de question particulière à poser, mais je formule le vœu que notre rapport ne reste pas lettre morte. Comme nous nous y sommes engagés, nous allons le présenter sur nos territoires, et vérifier que ses préconisations sont bien suivies d’effets. Il faut dire que nous sommes très attendus par les associations et par toutes les personnes qui ont suivi nos travaux. Si les préconisations de ce rapport se concrétisent, nous aurons réussi et contribué à écrire un beau moment de notre histoire.

Bien entendu, je voterai ce rapport.

M. le président Denis Jacquat. Ce concert de louanges traduit bien l’état d’esprit qui nous a réunis pendant six mois. Nous n’avons pas oublié que ces personnes sont venues dans notre pays pour travailler au développement industriel de notre pays ou pour travailler en milieu rural. Ces personnes sont au seuil de leur vie. Pour la plupart, elles ont choisi de vivre durablement dans notre pays. Nous devons les respecter, les aider, leur montrer que le mot « France » s’écrit en majuscules.

M. le rapporteur. Monsieur Alaygas, la question des carrés confessionnels a été abordée prudemment par la mission. Nous avons préconisé de réaffirmer la nécessité de procéder à des regroupements confessionnels dans les cimetières « après avoir évalué les besoins sur l’ensemble du territoire ». Par principe, faudrait-il refuser les « carrés confessionnels » ? Je pense que ce n’est pas possible, puisqu’il y en a déjà et qu’en vertu du principe de laïcité, soit on accorde à toutes les religions constituées les mêmes droits, soit on ne les accorde à aucune d’entre elles.

Mais j’irai plus loin. Selon moi, le fait que des personnes de confession musulmane, présentes depuis très longtemps sur notre territoire mais nées dans un autre pays, veuillent être enterrées en France est une preuve d’intégration et d’enracinement et non la marque d’une volonté communautaire ou séparatiste.

Nous n’avons pas à juger du souhait d’être enterré dans un « carré confessionnel ». Simplement, cette possibilité existe dans notre pays. Voilà pourquoi il a semblé à la mission que la religion musulmane devait être traitée comme les autres religions. Cela dépend bien sûr des besoins et des demandes. Mais si nous ne répondons pas à ces demandes, les intéressés se feront enterrer au pays. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’un dialogue avec les élus locaux, qui sont décideurs en la matière.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Le Sénat a adopté, il y a deux ans, une proposition de loi sur la législation funéraire. Le texte voté précisait que les communes qui manquaient de place dans les cimetières pouvaient enlever les tombes qui n’étaient pas entretenues et mettre les restes des corps dans des ossuaires. Or, cette pratique est absolument interdite par les religions juive et musulmane. C’est pourquoi, quand ils n’ont pas de famille en France, les intéressés préfèrent se faire enterrer au pays – ce que l’on peut tout de même essayer d’éviter.

M. le rapporteur. Je voudrais maintenant réagir à l’intervention de Françoise Dumas qui remarquait que cette mission s’intéressait aux personnes les plus éloignées du droit et des services publics.

Dans mon rapport, j’ai plusieurs fois fait référence au rapport de M. Thierry Tuot, qui oppose « société inclusive » et « société des droits ». En effet, s’il est nécessaire de donner des droits, il faut faire en sorte que ces droits aient des chances de bénéficier aux personnes à qui ils sont destinés. Si les dispositifs mis en place s’adressent à des personnes défavorisées et précarisées, ils auront du mal à atteindre leurs objectifs d’inclusion et de réintégration de ces personnes. Évidemment, ce qui vaut pour les immigrés âgés vaut aussi pour toutes les personnes âgées qui seraient dans des situations équivalentes – faibles pensions de retraite, « mal-logement », etc.

Nous pensons porter une vision inclusive de la société. Nous nous adressons, bien au-delà des immigrés âgés, à toutes les personnes qui connaîtraient des difficultés similaires. Nous espérons que notre travail pourra inspirer, notamment, les services sociaux, les caisses de sécurité sociale pour que toutes les personnes retraitées aient accès au droit commun.

Plusieurs d’entre vous se sont enfin demandé si ce rapport ne risquait pas de rester lettre morte et s’il était possible de transformer ces préconisations en politiques publiques. Certains ont suggéré que l’on mette en place des groupes de suivi. Daniel Vaillant a fait une proposition intéressante : s’adresser au ministre en charge des relations avec le Parlement pour lui demander de faire le point au bout de quelques mois. C’est en tout cas comme cela que je conçois le travail que nous avons mené. Même si la mission s’arrête aujourd’hui, après un vote que je souhaite unanime, j’espère, en tant que rapporteur, que nous travaillerons avec le Gouvernement et que nous l’inciterons à mettre en œuvre nos préconisations.

J’ai déjà interrogé M. Manuel Valls sur l’accueil en préfecture ou Mme Marisol Touraine sur les contrôles effectués par les caisses de sécurité sociale dans les foyers de travailleurs migrants. Nous pourrions demander aux ministères concernés de nous proposer un calendrier.

Mais nous pouvons également utiliser les textes législatifs à venir, comme le projet de loi présenté par Mme Cécile Duflot sur le logement et l’urbanisme ou le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, pour donner une suite, par l’intermédiaire d’amendements, à certaines de nos préconisations. Cela dit, j’attire votre attention sur le fait que nombre de nos préconisations peuvent passer par la voie réglementaire. Plusieurs d’entre elles ont même déjà été mises en œuvre de cette façon. C’est ainsi qu’une circulaire du ministère de l’intérieur, qui a été publiée la semaine dernière et qui vient d’être envoyée aux préfets, prévoit l’attribution d’une carte de résident permanent aux immigrés âgés de plus de soixante ans ou qui ont déjà effectué deux renouvellements de leur carte de résident.

Vos inquiétudes sont tout à fait légitimes. Mais croyez bien que je n’ai pas l’intention de ranger le rapport dans mon armoire et de ne pas suivre l’action du Gouvernement en la matière. Je suis relativement confiant, dans la mesure où des contacts ont déjà été pris et certaines mesures déjà décidées. Nous pouvons donc raisonnablement espérer la mise en œuvre de l’intégralité de ces préconisations, dans un laps de temps qui reste évidemment à déterminer. Si vous êtes intéressés, nous pourrons mener collectivement ce travail de surveillance et d’évaluation.

M. Sergio Coronado. Nous savons tous que les rapports se perdent parfois dans les sables. En tant que jeune parlementaire, je ne sais pas ce qui est prévu. Mais ne serait-il pas possible de mettre en place un groupe de suivi pendant la durée de la mandature ? Il se réunirait régulièrement et permettrait d’évaluer, en fonction de ce qui a été préconisé, les avancées, les retards ou les difficultés. Ce n’est pas parce que le rapport aura été adopté que le travail sera terminé. Pour moi, il s’agit bien plus d’un point de départ que d’un aboutissement.

M. le rapporteur. Demain à onze heures, à l’Hôtel de Lassay, je remettrai officiellement, au nom de la mission, notre rapport au Président Claude Bartolone. Vous êtes évidemment conviés à ce moment que l’on a voulu un peu solennel, puisque l’on y a invité également les personnes entendues par la mission, y compris les immigrés âgés que nous avons rencontrés.

Ce rapport a suscité des attentes et des réactions nombreuses et je pense que, de ce fait, nous avons un devoir moral vis-à-vis des populations immigrées âgées. Je crois savoir que le Président Bartolone a l’intention de proposer, pour certaines missions parlementaires, un droit de suite et une procédure d’évaluation des mesures préconisées. Ce serait l’équivalent des rapports d’application des lois, qui interviennent six mois après leur entrée en vigueur. Cela va dans le sens de la revalorisation du rôle du Parlement que le Président Bartolone appelle de ses vœux.

Je souhaite, comme je le dirai demain dans mon intervention, que notre mission soit l’occasion d’expérimenter cette nouvelle façon de procéder : aller au-delà de la remise du rapport pour assurer la continuité de l’action publique et faire un point d’étape au bout de quelques mois.

M. le président Denis Jacquat. Les anciens députés qui sont présents savent qu’auparavant, il n’y avait aucune mission de contrôle ni de suivi des lois. C’est un ancien président de la commission des affaires sociales, M. Michel Péricard, qui a souhaité ardemment leur mise en place. Ainsi, dans le cadre des textes sur les retraites dont j’ai souvent été le rapporteur, sur les PLFSS ou les projets de loi, des missions de suivi ont été créées. Chaque année, nous avons fait le point, en examinant les préconisations et les propositions les unes après les autres. En l’occurrence, si l’on veut que les rapports des missions soient efficaces, il faut procéder de la même façon. Mais je ne me fais aucun souci : ce sera un des messages que délivrera demain notre rapporteur.

La mission a adopté, à l’unanimité, le présent rapport, qui sera imprimé et distribué conformément aux dispositions de l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale.

ANNEXE 1 :
NOMBRE DE PERSONNES AYANT ACQUIS
LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

Pays

55-64 ans

65 ans et +

Acquisition par mariage

Acquisition par décret

Acquisition par mariage

Acquisition par décret

Individus

Individus

Durée moyenne de séjour (ans)

Individus

Individus

Durée moyenne de séjour (ans)

Afrique du Sud

2

4

24

1

2

16

Algérie

99

831

33

38

490

36

Angola

0

5

24

0

1

11

Bénin

2

9

18

1

2

9

Burundi

0

1

8

0

1

25

Cambodge

4

62

26

0

105

30

Cameroun

13

21

22

0

3

27

Comores

1

6

18

2

1

13

Congo

3

19

14

0

5

17

Congo (Rép. démocratique)

3

34

20

0

7

16

Côte d’Ivoire

3

26

22

0

8

32

Djibouti

1

0

0

0

0

0

Égypte

5

18

29

4

2

21

Éthiopie

0

0

0

0

1

28

Gabon

4

1

11

1

0

0

Ghana

0

4

25

0

1

30

Guinée

0

7

28

0

1

23

Guinée-Bissau

0

3

22

0

1

20

Haïti

0

31

23

0

8

29

Hong-Kong

1

1

19

0

0

0

Jordanie

0

1

41

1

1

44

Laos

0

15

34

0

11

33

Liban

5

16

15

1

19

24

Madagascar

25

23

17

7

12

15

Malaisie

0

2

38

0

0

0

Mali

2

20

30

0

7

44

Maroc

49

664

27

4

258

34

Maurice

19

29

25

2

7

27

Mauritanie

1

10

21

0

3

28

Népal

0

1

20

0

0

0

Nigéria

0

2

27

0

0

0

Ouganda

1

3

31

0

0

0

Pakistan

0

13

24

0

1

38

République Centrafricaine

0

7

17

0

4

11

Sénégal

19

62

27

0

19

29

Sierra Leone

0

1

26

0

0

0

Somalie

0

3

18

0

0

0

Soudan

0

4

20

0

0

0

Sri Lanka

0

24

25

0

5

22

Tchad

0

2

20

1

1

38

Thaïlande

0

1

31

0

0

0

Togo

3

4

12

0

1

18

Tunisie

23

272

31

6

104

41

Turquie

0

38

29

0

17

33

Vietnam

5

19

24

4

33

25

Zimbabwe

1

0

0

1

0

0

Source : Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (données 2009).

ANNEXE 2 :
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LA MISSION

• Le 11 mars 2013 – Déplacement dans les Hauts-de-Seine

–– Visite de la régie de quartier La Passerelle (Colombes)

–– Visite du foyer Adoma « Les Grésillons » (Gennevilliers)

• Le 25 mars 2013 – Déplacement dans le Rhône

–– Rencontre avec des membres de l’association Futur Vaudais (Vaulx-en-Velin)

–– Visite du foyer Adoma « Le Mas » (Vaulx-en-Velin)

–– Rencontre avec des femmes de l’association Réseau échange et savoir (Rillieux-la-Pape)

–– Audition, à la mairie de Vaulx-en-Velin, sur le thème de l’accès des immigrés âgés aux droits sociaux et au logement en présence des services de la préfecture et du cabinet du préfet, de la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale de Rhône-Alpes, du « café social » Le Patio des Ainés, et de l’association L’Olivier des Sages

–– Audition, à la mairie de Vaulx-en-Velin, sur le thème des femmes immigrées âgées en présence de femmes issues de l’immigration des pays tiers vivant dans le département du Rhône

–– Audition, à la mairie de Vaulx-en-Velin, sur le thème de l’action associative à destination des populations immigrées en présence du conseil général du Rhône, de M. Omar Hallouche, anthropologue, de l’association ISM-CORUM, et de l’association L’Olivier des Sages

• Le 29 mars 2013 – Déplacement à Paris

–– Visite du « café social » de l’association Ayyem Zamen (XXe arrondissement)

–– Visite du « café social » de l’association Chinois de France, Français de Chine (XXe arrondissement)

–– Visite de la « Maison des Anciens » de l’association L’Arbre à Palabre (XIXe arrondissement)

• Le 8 avril 2013 – Déplacement dans le Gard

–– Présentation, à la préfecture, du plan départemental d’intégration des populations immigrées en présence des services de la préfecture, du conseil général du Gard, et de la communauté d’agglomération Nîmes-Métropole (Nîmes)

–– Présentation, à la préfecture, des actions sanitaires à destination des immigrés âgés en présence de l’agence régionale de santé du Languedoc-Roussillon, du comité départemental d’éducation pour la santé, de la Croix-Rouge française du Gard, et de SCOP Confluences (Nîmes)

–– Entretien, à la préfecture, avec M. Hugues Bousiges, préfet du Gard (Nîmes)

–– Visite de la mutualité sociale agricole du Languedoc-Roussillon en présence d’immigrés âgés anciens salariés agricoles (Nîmes)

–– Rencontre avec des associations gardoises et nîmoises du quartier de Valdegour : association AZUR, association Union des Deux Rives, association La Pléiade, association Feu Vert, association Mille Couleurs, association L’Entraide Gardoise, association Protestante de Services, association Familles et Amis d’Algérie, centres médico-sociaux du Chemin Bas et de Pissevin (Nîmes)

• Du 12 mai au 15 mai 2013 – Déplacement en Algérie et au Maroc

Algérie

–– Entretien avec M. Belkacem Sahli, secrétaire d’État chargé de la communauté nationale à l’étranger

–– Entretien au ministère du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale avec les directeurs généraux des caisses algériennes de sécurité sociale

–– Entretien avec M. André Parant, ambassadeur de France

–– Entretien avec les chefs de service du consulat général et de l’ambassade de France

–– Rencontre avec des parlementaires de la commission des affaires sociales de l’Assemblée populaire nationale

Maroc

–– Visite du consulat général de France à Casablanca. Rencontre avec d’anciens migrants âgés et avec les services de l’Office français de l’immigration et de l’intégration

–– Entretien avec M. Driss El Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger

–– Entretien avec M. Abdellatif Maâzouz, ministre délégué auprès du Chef de gouvernement chargé des Marocains résidant à l’étranger

–– Entretien avec les chefs des services du ministère des Marocains résidant à l’étranger

–– Entretien avec M. Mustapha El Bouazzaoui, directeur des Affaires consulaires et sociales du ministère des Affaires étrangères et de la coopération

–– Audition de responsables d’associations marocaines en présence du pôle médico-social Attakalouf d’Agadir, de l’association Migrations & Développement, de l’association des retraités marocains à l’étranger, de l’association Rassemblement des générations marocaines en France, de l’association DUNE, et de l’association mouvement international des seniors

–– Entretien avec M. Charles Fries, ambassadeur de France

–– Rencontre avec les bureaux des commissions des affaires étrangères et des secteurs sociaux de la chambre des représentants

• Le 17 mai 2013 – Déplacement en Moselle

–– Entretien, à la préfecture, avec M. Olivier du Cray, secrétaire général de la préfecture de la Moselle (Metz)

–– Audition, à la préfecture, sur le thème des politiques d’intégration à destination des immigrés âgés en présence des services de la préfecture, de la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale de la Lorraine, de la direction départementale de la cohésion sociale de la Moselle, de l’agence régionale de santé de la Lorraine, de la caisse d’allocations familiales de la Moselle, et du conseil général de la Moselle (Metz)

–– Audition, à la préfecture, sur le thème de l’action associative à destination des immigrés âgés en présence du centre communal d’action sociale de Woippy, de l’association pour l’accompagnement, le mieux-être et le logement des isolés, du secours populaire, de l’association Gérontonord, de l’association Lien El amel, de l’association des travailleurs de Turquie de Moselle, et de l’association des Laotiens de Metz (Metz)

–– Visite de la résidence sociale Adoma « Les peupliers » (Woippy)

–– Visite de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes « Huguette Henry » (Woippy)

ANNEXE 3 :
SIGLES ET ABRÉVIATIONS

AAH 

Allocation aux adultes handicapés

ACS 

Assurance complémentaire santé

ACSé 

Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances

ADLI 

Agent de développement local pour l’intégration

AEFTI 

Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles

AGDREF 

Application de gestion des dossiesrs des ressortissants étrangers en France

AGGIR 

Autonomie gérontologie groupes iso-ressources

AGLS 

Aide à la gestion locative sociale

ALS 

Allocation de logement sociale

AME 

Aide médicale de l’État

AMMN 

Association des mineurs et anciens mineurs marocains du Nord

ANAEM 

Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrants

ANRU 

Agence nationale pour la rénovation urbaine

ANSP 

Agence nationale des services à la personne

APA 

Allocation personnalisée pour l’autonomie

APL 

Aide personnalisée au logement

APUR 

Atelier parisien d’urbanisme

ARALIS 

Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale

ARFS 

Aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine

ARS 

Agence régionale de santé

ASH 

Aide sociale à l’hébergement des personnes âgées

ASI 

Allocation supplémentaire d’invalidité

ASPA 

Allocation de solidarité aux personnes âgées

ASSFAM 

Association service social familial migrants

ASV 

Allocation supplémentaire vieillesse

ATL 

Aide transitoire au logement

ATMF 

Association des travailleurs maghrébins de France

AVTS 

Allocation aux vieux travailleurs salariés

BTP 

Bâtiment et travaux publics

CADA 

Centre d’accueil pour demandeurs d’asile

CAF 

Caisse d’allocations familiales

CAI 

Contrat d’accueil et d’intégration

CALIMA 

Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine

CARSAT 

Caisse d’assurance retraite et de santé au travail

CATRED 

Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits

CCAS 

Centre communal d’action sociale

CCMSA 

Caisse centrale de la mutualité sociale agricole

CDI 

Contrat à durée indéterminée

CEE 

Communauté économique européenne

CESEDA 

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

CETAF 

Centre technique d’appui et de formation des centres d’examens de santé

CGI

CILE 

Code général des impôts

Comité interministériel de lutte contre les exclusions

CILPI 

Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées

CIMADE 

Comité inter-mouvements auprès des évacués

CIRRVI 

Centre d’initiatives et de ressources régionales pour le vieillissement des personnes immigrées

CLEISS 

Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale

CLIC 

Centre local d’information et de coordination

CMU 

Couverture maladie universelle

CMU-C 

Couverture maladie universelle complémentaire

CNAF 

Caisse nationale des allocations familiales

CNAMTS 

Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés

CNAV 

Caisse nationale d’assurance vieillesse

CNFPT 

Centre national de la fonction publique territoriale

CNHI 

Cité nationale de l’histoire de l’immigration

CNIL 

Commission nationale de l’informatique et des libertés

CNLI 

Commission nationale pour le logement des immigrés

CNRPA 

Comité national des retraités et des personnes âgées

CNRS 

Centre national de la recherche scientifique

CNSA 

Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie

CODERPA 

Comité départemental des retraités et personnes âgées

COG 

Convention d’objectifs et de gestion

COMEDE 

Comité médical pour les exilés

COPAF 

Collectif pour l’avenir des foyers

COPEC 

Commission pour l’égalité des chances et la promotion de l’égalité

CPAM 

Caisse primaire d’assurance maladie

CRA 

Commission de recours amiable

CREDOC 

Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie

CRESPPA 

Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris

CRPVE 

Centre de ressources politique de la ville en Essonne

CSTS 

Conseil supérieur du travail social

CUCS 

Contrat urbain de cohésion sociale

CUS 

Convention d’utilité sociale

DAIC

DALO 

Direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté

Droit au logement opposable

DDASS 

Direction départementale des affaires sanitaires et sociales

DGSS 

Direction générale de la sécurité sociale

DREES 

Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques

DRIHL 

Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement

EHPA 

Établissement pour personnes âgées

EHPAD 

Établissement pour personnes âgées dépendantes

EIRR 

« Échanges inter-régimes de retraite »

EPCC 

Établissement public de coopération culturelle

ESPS 

Enquête santé et protection sociale

FAS 

Fonds d’action sociale pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leur famille

FASILD 

Fonds d’aide et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations

FASTI 

Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs-euse-s immigré-e-s

FEI 

Fonds européen d’intégration des ressortissants de pays tiers

FER 

Fonds européen pour les réfugiés

FJT 

Foyer de jeunes travailleurs

FNS 

Fonds national de solidarité

FR 

Fonds pour le retour

FTM 

Foyer de travailleurs migrants

GIR 

Groupe iso-ressources

GISTI 

Groupe d’information et de soutien des immigrés

GRDR 

Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural

HALDE 

Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité

HCI 

Haut Conseil à l’intégration

HCLPD 

Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées

HLM 

Habitation à loyer modéré

IGAS 

Inspection générale des affaires sociales

IGEN 

Inspection générale de l’éducation nationale

INSEE 

Institut national de la statistique et des études économiques

INSERM 

Institut national de la santé et de la recherche médicale

IRDES 

Institut de recherche et documentation en économie de la santé

IRIPS 

Institut régional information prévention sénescence

LDH 

Ligue des droits de l’homme

MARPA 

Maison d’accueil rurale pour personnes âgées

Monalisa 

Mobilisation nationale de lutte contre l’isolement social des âgés

MSA 

Mutualité sociale agricole

MSP 

Maison de santé pluriprofessionnelle

NIR 

Numéro d’inscription au répertoire

OCDE 

Organisation de coopération et de développement économiques

ODTI 

Observatoire des discriminations et des territoires interculturels

OFII 

Office français de l’immigration et de l’intégration

OIT 

Organisation internationale du travail

OMS 

Organisation mondiale de la santé

ONI 

Office national d’immigration

ONZUS 

Observatoire national des zones urbaines sensibles

OPH 

Office public de l’habitat

ORIV 

Observatoire régional de l’intégration et de la ville

OS 

Ouvrier spécialisé

PAPA 

Plan de préservation de l’autonomie des personnes âgées

PDALPD 

Plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées

PDI 

Plan départemental d’intégration

PLAI 

Prêt locatif aidé d’intégration

PNRQAD 

Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés

PNRU 

Plan national de rénovation urbaine

PRI 

« Passage à la retraite des immigrés » (enquête de la CNAV)

PRIPI 

Programme régional d’intégration des populations immigrées

PSP 

Plan stratégique du patrimoine

PTFTM 

Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

RECI 

Ressources pour l’égalité des chances et l’intégration

RGPP 

Révision générale des politiques publiques

RMI 

Revenu minimum d’insertion

RNCPS 

Répertoire national commun de la protection sociale

RS 

Résidence sociale

RSI 

Régime social des indépendants

SASPA 

Service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées

SLPM 

Service de liaison et de promotion des migrants

SMIC 

Salaire minimum interprofessionnel de croissance

SONACOTRA 

Société nationale de construction de logements pour les travailleurs

SONACOTRAL 

Société nationale de construction de logements pour les travailleurs algériens

SOUNDIATA 

Soutien, union, dignité, accueil des travailleurs africains

SRU 

Solidarité et renouvellement urbains

SSAE 

Service social d’aide aux émigrants

UESL 

Union d’économie sociale pour le logement

UNAFO 

Union professionnelle du logement accompagné

UNCCAS 

Union nationale des centres communaux d’action sociale

UNIOPSS 

Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux

ZUS 

Zone urbaine sensible

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions, ouvertes à la presse, sont présentées dans l’ordre chronologique
des séances tenues par la mission.

Audition de Mme Françoise Bas-Théron, membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) (extrait du procès-verbal de la séance du 24 janvier 2013) 267

Audition de Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Centre de recherche fondamentale en sciences sociales de l’international (CERI) (extrait du procès-verbal de la séance du 24 janvier 2013) 274

Audition de Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé) (extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2013) 281

Audition de M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII), de M. Michel Aubouin, directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) au ministère de l’intérieur, et de M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI) (extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2013) 290

Audition de M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), chef du service des politiques sociales et médico-sociales, au ministère des affaires sociales et de la santé (extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2013) 300

Audition de M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI) (extrait du procès-verbal de la séance du 7 février 2013) 306

Audition de M. Bernard Devert, membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), et de M. Bernard Lacharme, secrétaire général (extrait du procès-verbal de la séance du 7 février 2013) 312

Audition de Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, accompagnée de Mme Anne du Quellennec, juriste au sein des services du Défenseur des droits (extrait du procès-verbal de la séance du 7 février 2013) 319

Audition de M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), de M. David Clair, directeur juridique et de la réglementation nationale, et de M. Rémi Gallou, chargé de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement (extrait du procès-verbal de la séance du 14 février 2013) 327

Audition de M. Jean-Michel Bacquer, directeur de l’établissement de Bordeaux des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), et de M. Daniel Rau, directeur de la solidarité et des risques professionnels, responsable du service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (SASPA), accompagnés de Mme Marie-Michèle Cazenave, responsable du pôle des affaires publiques (extrait du procès-verbal de la séance du 14 février 2013) 336

Audition de M. Omar Samaoli, gérontologue (extrait du procès-verbal de la séance du 14 février 2013) 343

Audition de M. Antoine Math, membre du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), de M. Boualam Azahoum, membre du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », de M. Ali El Baz et de M. Christophe Daadouch, membres du Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI) (extrait du procès-verbal de la séance du 21 février 2013) 348

Audition de Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) (extrait du procès-verbal de la séance du 21 février 2013) 363

Audition de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales, et de M. Renaud Villard, chef du bureau des retraites de base à la sous-direction des retraites et des institutions de protection sociale complémentaires (extrait du procès-verbal de la séance du 21 février 2013) 368

Audition, sur le thème du contrôle des prestations sociales, de M. Jean-Louis Deroussen, président de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), de M. Daniel Buchet, responsable de la mission prévention et lutte contre la fraude, de M. Benoit Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère de l’économie et des finances, et de M. Geoffroy Fougeray, chargé de mission (extrait du procès-verbal de la séance du 28 février 2013) 373

Audition de Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), et de Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (extrait du procès-verbal de la séance du 28 février 2013) 380

Audition, sur le thème des logements pour travailleurs immigrés, de M. Jacques Dupoyet, président de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), de M. Gilles Desrumaux, délégué général, de Mme Sylvie Emsellem, chargée de mission, de M. Bruno Arbouet, directeur général d’Adoma, de Mme Nathalie Chomette, directrice d’exploitation, de M. Driss Bechari, directeur territorial, de M. Jean-Marie Oudot, directeur général de Coallia, de M. Djamel Cheridi, responsable produits habitat social adapté et hébergement social, de Mme Séverine Etchecahar, conseillère technique habitat social adapté, de M. Gérald Brenon, coordinateur de l’accompagnement social, et de M. Richard Jeannin, directeur général de l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS) (extrait du procès-verbal de la séance du 28 février 2013) 387

Audition de M. Yannick Imbert, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) (extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2013) 402

Audition, sur le thème de la santé des migrants âgés, de M. Bernard Montagnon, conseiller santé du Secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII) au ministère de l’intérieur, de M. Arnaud Veïsse, directeur général, de M. Didier Maille, responsable du service social et juridique du Comité médical pour les exilés (COMEDE), de Mme Bénédicte Gaudillière, membre de l’association « La Case de santé », de Mme Fabienne Diebold, coordinatrice du réseau de santé INTERMED, de Mme Catherine Delcroix-Howell, responsable du développement social d’Adoma Rhône-Alpes, et de Mme Brigitte Deroo, directrice du Centre de santé Roger-Charles-Vaillant de la commune de Grande-Synthe (extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2013) 410

Audition de M. Thierry Tuot, conseiller d’État, auteur du rapport sur La refondation des politiques d’intégration (extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2013) 428

Audition de Mme Juliette Laganier, déléguée nationale « Lutte contre l’exclusion » à la direction de l’action sociale de la Croix-Rouge française, et de Mme Fabienne Grimaud, responsable de l’implantation de Grenoble des Petits frères des pauvres (extrait du procès-verbal de la séance du 28 mars 2013) 438

Audition de M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement (extrait du procès-verbal de la séance du 28 mars 2013) 445

Audition, consacrée aux thèmes de l’exercice du culte et du droit funéraire, de M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur, de M. Abdelhafid Hammouche, professeur des Universités à Lille 1, et de M. Yassine Chaïb, sociologue (extrait du procès-verbal de la séance du 28 mars 2013) 450

Audition de représentants d’associations d’aide aux personnes âgées immigrées réunissant Mme Martine Bendahan, déléguée territoriale Hauts-de-Seine et Seine-saint-Denis de l’Association service social familial migrants (ASSFAM) et Mme Taous Yahi, agent de développement local pour l’intégration, en charge de la question du vieillissement des personnes immigrées à Gennevilliers, M. Mohamed Memri et Mme Mimouna Gaouaou, membres de l’Association des travailleurs maghrébins de France à Argenteuil (ATMF-Argenteuil), Mme Zineb Doulfikar, directrice de l’association Chibanis 06 (extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2013) 461

Audition d’associations locales participant aux politiques d’intégration et de la ville réunissant Mmes Anna Sibley et Fernanda Antonietta Marruchelli, coordinatrices nationales de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s (FASTI), Mme Claude Hénon, membre de l’Association havraise de solidarité et d’échanges avec tous les immigrés (AHSETI-ASTI), M. Gabriel Lesta, membre de l’ASTI de Perpignan, M. Claude Jacquier, président de l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), et M. Élias Bouanani, responsable du pôle juridique, M. Samba Yatera, directeur adjoint du Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR), et M. Rafaël Ricardou, coordinateur de l’antenne Île-de-France du GRDR (extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2013) 473

Audition, sur les thèmes de l’apprentissage de la langue française et de la lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme, de M. Alaya Zaghloula, président de la Fédération Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles (AEFTI), de Mme Sophie Étienne directrice, de M. Khaled Abichou, directeur de l’association Initiatives contre l’illettrisme et lutte contre l’analphabétisme (ICI & LA), et de Mme Camille Lalung, référente pédagogique (extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2013) 483

Audition, sur le thème des politiques menées par les communes à destination des immigrés âgés, de Mme Claudine Bouygues, adjointe au maire de Paris, chargée des droits de l’homme, de l’intégration, de la lutte contre les discriminations et des citoyens extracommunautaires, de Mme Nathalie Olla, adjointe au maire de Roubaix, chargée de la politique de la jeunesse, de la politique des loisirs jeunes, de l’interculturalité et de la lutte contre les discriminations, de M. Pierre Hémon, adjoint au maire de Lyon, délégué aux personnes âgées, représentant l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), de Mme Édith Danielou, adjointe au maire de Massy, et de Mme Sylvie Vivier, directrice territoriale à Massy, représentant l’Association des maires de France (AMF), de Mme Halima Menhoudj, adjointe à la maire de Montreuil, déléguée aux personnes âgées, et de Mme Muriel Casalaspro, adjointe à la maire de Montreuil, déléguée aux solidarités et aux affaires sociales, représentant l’Association des maires ville et banlieue de France (AMVBF) (extrait du procès-verbal de la séance du 11 avril 2013) 491

Audition, sur le thème des politiques menées par les départements, de M. Michel Coronas, directeur de cabinet du président du conseil général du Val-de-Marne, de Mme Martine Conin, directrice des affaires sociales, et de Mme Liliane Capelle, adjointe au maire de Paris, conseillère chargée des seniors et du lien intergénérationnel (extrait du procès-verbal de la séance du 11 avril 2013) 502

Audition de Mme Murielle Maffessoli, directrice de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (ORIV), de Mme Évelyne Bouzzine, directrice du centre de ressources « Politique de la ville » en Essonne (CRPVE), et de Mme Olivia Maire, directrice adjointe du centre de ressources « Profession Banlieue » (extrait du procès-verbal de la séance du 11 avril 2013) 511

Audition, sur le thème de l’histoire des politiques d’immigration, de Mme Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l’Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, ancienne vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, de Mme Françoise de Barros, maître de conférences à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et chercheuse au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA), et de M. Patrick Mony, ancien directeur du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) (extrait du procès-verbal de la séance du 18 avril 2013) 521

Audition, sur le thème de l’histoire des immigrés originaires d’États tiers à l’Union européenne, de M. Ahmed Boubeker, professeur de sociologie à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, de Mme Laure Pitti, maître de conférences à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, de M. Piero Galloro, maître de conférences à l’Université Paul Verlaine de Metz, et de M. Jean-Philippe Dedieu, historien et sociologue, à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) (extrait du procès-verbal de la séance du 18 avril 2013) 533

Audition, sur le thème de la mémoire de l’immigration, de M. Luc Gruson, directeur général de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée –Cité nationale de l’histoire de l’immigration, de M. Jamel Oubechou, président de l’association Génériques, de Mme Sarah Clément, déléguée générale, de M. Abdellah Samate, président de l’Association des mineurs et anciens mineurs marocains du Nord (AMMN), de Mme Josette Breton, vice-présidente, de M. Mustapha El Hamdani, coordinateur de l’association Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine (CALIMA), et de M. Abdennaceur El Idrissi, membre du bureau national de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) (extrait du procès-verbal de la séance du 18 avril 2013) 550

Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et de Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie (extrait du procès-verbal de la séance du 28 mai 2013) 562

Audition de M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur (extrait du procès-verbal de la séance du 28 mai 2013) 578

Audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication (extrait du procès-verbal de la séance du 5 juin 2013) 590

Audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement (extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 2013) 596

Audition de M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville (extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 2013) 605

Audition de Mme Françoise Bas-Théron, membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 janvier 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons aujourd’hui madame Françoise Bas-Théron, membre de l’Inspection générale des affaires sociales et co-auteure, avec M. Maurice Michel, d’un rapport fondateur sur les immigrés vieillissants. Dans cette étude, parue en 2002, tous deux présentaient de manière transversale les difficultés auxquelles sont confrontés les immigrés âgés, en s’appuyant sur des cas concrets rencontrés lors de leurs visites de foyers, d’hôtels meublés, d’hôpitaux et de maisons de retraite.

Les travaux de madame Bas-Théron et de M. Michel portaient sur des personnes de plus de cinquante-cinq ans. Notre mission d’information a retenu le même seuil. En revanche, conformément à la commande ministérielle de l’époque, ils avaient restreint leurs investigations aux étrangers vieillissants, quelle que soit leur nationalité, tandis que notre mission examine la situation des immigrés originaires des pays tiers à l’Union européenne, dont 45 % ont acquis la nationalité française.

Ce rapport a également eu le mérite de traiter de questions fondamentales telles que l’accès aux soins, au logement et à l’ensemble des droits sociaux, l’isolement et le maintien des liens avec le pays d’origine, et de formuler des propositions destinées à améliorer la prise en charge globale de ces personnes.

Mme Françoise Bas-Théron, membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Je suis honorée de l’occasion qui m’est donnée de rendre compte du travail que j’ai effectué il y a dix ans avec Maurice Michel, aujourd’hui à la retraite.

N’ayant pas eu le temps d’actualiser les données relatives à un sujet aussi vaste, je vous présenterai succinctement les constats que nous avions faits à l’époque, avant de vous livrer quelques réflexions complémentaires, appuyées sur un dossier de l’IGAS et sur les enseignements tirés de quelques-unes des missions que j’ai effectuées sur des thèmes connexes de ceux qui vous intéressent aujourd’hui.

La mission de 2002 avait effectivement restreint le champ de nos investigations aux immigrés étrangers en situation régulière et vivant seuls dans un foyer, un hôtel ou un garni. La population qui vit en dehors des foyers est en effet beaucoup plus difficile à appréhender, compte tenu des règles, posées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), interdisant de prendre en compte la nationalité des personnes. Il en est résulté pour notre étude quelques incertitudes d’ordre statistique.

Pour ce qui est de l’aspect qualitatif, les difficultés sont encore plus grandes, d’autant que nous avons affaire à une population très « silencieuse » et, même si nous les avons lus et consultés, les sociologues sont sans doute mieux placés que moi pour vous éclairer à cet égard.

Nous avons donc étudié une population masculine, originaire du Maghreb, issue de l’immigration de travail et qui a atteint l’âge de la retraite. En dépit des nombreuses réserves méthodologiques que je viens d’évoquer, nous avons évalué à quelque 40 000 le nombre de ces étrangers maghrébins, âgés de soixante ans et plus, vivant isolés, en foyer ou non.

Nous avons essayé, sans disposer des outils de l’Institut nationale de la statistique et des études économiques (INSEE), de cerner l’importance du phénomène qui, selon nous, devait culminer dans la décennie 2010-2020. Nous sommes en 2013. Si l’INSEE confirme notre pronostic, votre mission est donc particulièrement bienvenue.

Nous avons étudié les voies d’accès aux droits sociaux des immigrés vieillissants, notamment en matière de pension. Le risque de perte de ces droits est élevé pour ces populations généralement peu formées et qui ont occupé des emplois peu qualifiés ou non déclarés, ce qui a souvent conduit à des carrières erratiques. En outre, certains ont égaré leurs papiers et l’insuffisance des liens entre les caisses de base de la sécurité sociale et les régimes complémentaires, par exemple entre l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) et la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), accroît encore ce risque.

Cependant, le constat est le même pour toutes les populations fragiles – je pense aux ouvriers agricoles – et n’est donc pas spécifique aux immigrés résidant sur le territoire français, même si, pour ces derniers, s’ajoutent les difficultés liées à la langue et à l’isolement.

Quant à la santé de ces personnes, elle est évidemment précaire, du fait de leurs conditions de vie et de travail antérieures et de leur isolement. Ceux qui parviennent à un âge avancé vivent dans des foyers peu adaptés à une prise en charge optimale de la dépendance.

En 2002, les immigrés vieillissants nous ont semblé très mal connus des institutions de droit commun – organismes de sécurité sociale, centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC), etc. Ils n’étaient pas pris en compte dans les schémas gérontologiques départementaux. En revanche, les institutions spécifiquement dédiées à cette population comme le Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), devenu l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), les foyers, l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO) ou encore la commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI) les connaissaient bien.

Notre rapport avançait des propositions plutôt simples, tendant à une meilleure utilisation des dispositifs existants. Nous préconisions ainsi d’améliorer l’articulation entre les caisses de retraite et les caisses complémentaires et, au sein d’une caisse de retraite, entre le service des prestations légales et le service d’action sociale, afin que les intervenants aient accès à la totalité des informations relatives à une personne. Nous suggérions aussi d’établir des passerelles entre les organismes qui connaissent bien les immigrés et les autres, de manière à mieux les prendre en charge, à les intégrer et à faciliter leur accès aux droits sociaux.

Nous avions également proposé d’utiliser davantage le plan quinquennal de réhabilitation des foyers de travailleurs migrants, qui visait à transformer ceux-ci en résidences sociales. Hélas, ce plan a depuis été étalé sur dix ans, dans l’indifférence générale, de sorte que l’effort s’est dilué.

Nous nous étions heurtés, je l’ai dit, à des difficultés pour trouver des informations statistiques. Cependant, il semble que de gros progrès aient été réalisés à cet égard et la situation des immigrés vieillissants est aujourd’hui plutôt bien documentée sur le plan sociologique et qualitatif. Je citerai notamment une enquête que la CNAV a achevée en 2006, un livre sur le vieillissement des immigrés paru la même année, mais également l’enquête réalisée en 2008 par le Comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA) auprès de ses comités départementaux (CODERPA) et les nombreux travaux de l’UNAFO et des associations de foyers, sans oublier le recensement de l’INSEE de 2012, qui apporte quelques éclairages quantitatifs.

Comme nous avons conduit cette mission il y a dix ans, que je n’ai plus eu à m’occuper du sujet depuis et qu’à l’IGAS, nous ne sommes pas chargés de suivre la mise en œuvre de nos propositions, vous auriez sans doute intérêt à vous tourner vers les « opérateurs » – ministères, directions de l’administration centrale, associations, gestionnaires de foyers, sécurité sociale… – pour savoir ce qu’ils ont fait de notre travail. En dix ans, la situation des immigrés vieillissants a sans nul doute évolué, même si je crois remarquer certains éléments de stabilité. D’autre part, il semble bien que nous ayons atteint le « pic » que nous avions prévu, sans que je puisse pour autant faire de projections pour l’avenir.

Du point de vue qualitatif, l’enquête du CNRPA, réalisée six ans après notre rapport et portant sur beaucoup plus de départements, confirmait nos observations, qu’il s’agisse de l’analyse des difficultés rencontrées par les immigrés âgés ou de la variété des actions menées sur le terrain par les institutions spécifiques. Mais, ce qui était nouveau, elle notait un début de frémissement de la part des institutions de droit commun, notamment de celles qui interviennent dans le cadre des schémas gérontologiques.

Je précise que le problème des immigrés vieillissants ne concerne pas l’ensemble des départements français car ces personnes vivent essentiellement en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en Île-de-France et dans l’est de la France – on trouvait toutefois, en 2002 en tout cas, quelques foyers dans des régions comme le Massif central, héritages d’une activité industrielle aujourd’hui oubliée.

La question de la légitimité du maintien en France des immigrés vieillissants retraités est toujours d’actualité. En effet, pourquoi ces personnes, après une vie de labeur dans des conditions souvent difficiles, font-elles le choix de rester en France – sachant que certaines d’entre elles ne réclament même pas leurs droits ? Je précise que l’expression de « vieillesse illégitime » que nous avons employée dans notre rapport était empruntée à une étude sociologique parue dans la revue Plein droit : nous ne l’avons donc pas inventée.

La question de l’accès des immigrés aux soins et au logement est une question transversale, qui ne peut relever du seul ministère des affaires sociales et de la santé. Elle renvoie en effet à des notions juridiques très complexes : celles de résidence et de nationalité. La résidence est un élément important dans le champ social, mais d’une appréciation variable selon les prestations, d’autant qu’à la réglementation nationale se superpose la réglementation européenne. Je vous invite donc à consulter sur le sujet les représentants du ministère des finances et de la direction de la sécurité sociale.

Quant à la législation sur la nationalité, c’est un véritable millefeuille comme j’ai pu m’en apercevoir en 2008 quand j’ai travaillé sur l’accès aux soins des pensionnés d’un régime de retraite français résidant à l’étranger. Cette étude m’a d’ailleurs donné l’occasion de retrouver les immigrés vieillissants qui avaient choisi de rentrer au Maghreb. En 2002, 10 % des pensionnés de la CNAV résidaient à l’étranger – pour moitié dans un pays d’Europe, pour un peu moins au Maghreb – mais la proportion n’a fait que croître depuis, avec le développement de la mobilité géographique à l’échelle de la France, de l’Europe et même du monde. Quoi qu’il en soit, nous sommes confrontés en la matière à des réglementations communautaire et nationale qui obéissent à des logiques différentes et parfois difficiles à concilier. La logique européenne de libre circulation s’oppose à celle des accords bilatéraux de coopération conclus avec les pays d’origine des immigrés et à celle de notre politique d’immigration qui, prenant en compte des enjeux stratégiques mais aussi les risques d’appel d’air, va parfois à l’encontre des traités, accords et conventions que nous avons signés. Dans le rapport qu’il a rédigé en 1996, votre ancien collègue Henri Cuq a été l’un des premiers à soulever cette question.

Il n’est donc pas facile de concilier les différents aspects d’une question éminemment transversale, dont les enjeux sont certes d’ordre social et sanitaire mais sans que les solutions dépendent du seul ministère des affaires sociales : elles relèvent aussi des ministères de l’intérieur et des finances. Dans notre conclusion, nous expliquions d’ailleurs que nous n’avions pas traité de certaines questions au fond, estimant que les réponses dépendaient de décisions politiques. Il est bon par conséquent que le Parlement se saisisse de ce dossier.

M. le président Denis Jacquat. Votre rapport a eu le mérite d’aborder un problème dont on parlait peu à l’époque et de nous fournir de la situation d’alors une photographie d’où nous pouvons partir.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Vous indiquiez, en préambule de ce rapport, que ce problème des immigrés vieillissants était appelé à prendre de plus en plus d’acuité. Dix ans plus tard, force est de constater que leur situation n’a guère évolué. Notre mission consiste à faire en sorte que ces personnes puissent « vieillir dignement en France », comme vous l’avez écrit.

Quels sont, selon vous, les principaux obstacles auxquels se heurtent les immigrés âgés pour bénéficier d’une pension contributive de retraite ou d’une allocation non contributive ?

Quel est l’impact des politiques publiques qui leur sont dédiées ? Avez-vous évalué la contribution des associations ? Parviennent-elles à les joindre, puis à les accompagner efficacement ?

Mme Hélène Geoffroy. Je vous remercie de nous avoir présenté de façon très complète la mission que vous avez conduite il y a dix ans.

Dans quels départements avez-vous conduit votre étude ? Avez-vous constaté des différences liées à l’histoire ou aux caractéristiques de chaque territoire ?

Savez-vous pourquoi certains de ces immigrés font le choix de rentrer dans leur pays d’origine tandis que d’autres demandent la nationalité française ?

M. le président Denis Jacquat. Quelles pathologies avez-vous constatées ? Y en avait-il de spécifiques aux personnes vivant en foyer, liées par exemple à l’isolement ou à la surface insuffisante des logements ?

Construits par les entreprises pour accueillir cette main-d’œuvre, ces foyers pour immigrés existaient depuis longtemps en 2002. Dénonçait-on déjà leur inadaptation ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Tout se passe comme si la population que vous avez étudiée était uniquement masculine. Mais aujourd’hui, on côtoie à Paris des femmes immigrées âgées. Quelles sont leurs difficultés propres ?

M. le président Denis Jacquat. Je vous rappelle, chère collègue, que madame Bas-Théron n’a plus travaillé sur le sujet depuis 2002…

Mme Françoise Bas-Théron. Madame la députée a raison de poser la question. Les hommes que nous avons rencontrés étaient pour beaucoup, non célibataires, mais « célibatairisés » : ils avaient une famille qu’ils avaient laissée au Maghreb. Parvenus à l’âge de la retraite, ils faisaient des allers et retours entre la France et leur pays. Mais, déjà, nous avions commencé à entendre parler des problèmes concernant les femmes qui avaient rejoint leur mari. Le phénomène a vraisemblablement gagné en ampleur depuis. Nous rencontrons en effet à Paris des femmes maghrébines, très peu qualifiées, dont on peut penser qu’elles sont venues en France dans le cadre du regroupement familial et qui, lorsqu’elles se retrouvent seules, n’ont aucun droit à pension et éprouvent des difficultés à accéder aux prestations auxquelles elles pourraient prétendre. Cela conduit à des situations dramatiques.

Monsieur le rapporteur, je pense que les obstacles rencontrés par les immigrés pour bénéficier d’une pension contributive tendent à s’amenuiser dès lors que les caisses disposent d’un dossier complet – une fois surmontés les obstacles dont j’ai rappelé qu’ils étaient largement communs à toutes les populations fragiles. Le versement de cette pension peut faciliter le retour dans le pays d’origine dans la mesure où, contrairement à ce qui se passe pour les pensions non contributives, il n’est soumis à aucune condition de résidence et échappe donc aux difficultés juridiques que je mentionnais.

Je ne saurais répondre à votre question concernant l’impact des politiques publiques, n’ayant pas étudié cette question dans un passé récent.

Les associations et des organismes tels que l’UNAFO ou le FASILD démontraient en 2002 une capacité effective à accompagner ces travailleurs âgés et l’enquête du CNRPA recensait encore un grand nombre d’initiatives et d’actions concrètes. Tout donne à penser qu’il en est encore de même, ce dont il faut se féliciter car ces acteurs jouent un rôle d’aiguillon.

M. le rapporteur. Mais les personnes qui vivent dans des logements locatifs privés ou sociaux n’ont pas la chance d’être accompagnées et suivies par ces institutions ou associations, qui en outre n’interviennent pas de façon égale sur l’ensemble du territoire. L’ex-SONACOTRA, aujourd’hui Adoma, essaie de développer un accompagnement social au sein des foyers et des cafés sociaux se sont ouverts à Paris où la municipalité soutient des actions associatives, mais il n’en va pas de même en banlieue et en province.

Mme Françoise Bas-Théron. Le champ social se caractérise en effet par la très grande diversité de ses acteurs, qu’ils soient de fait, comme les gestionnaires de foyers, ou de droit, comme les collectivités territoriales. Les prises en charge sont dès lors très variables. D’où l’idée que nous avions eue, reprise ensuite par le CNRPA, de recenser les bonnes pratiques pour essayer de les faire connaître, dans l’espoir qu’elles se généralisent.

Je l’ai dit : il nous a été extrêmement difficile d’appréhender la situation des personnes qui ne vivent pas en foyer. Peut-être la CILPI pourrait-elle vous en dire plus à leur sujet ? Quoi qu’il en soit, l’ouverture des cafés sociaux ou d’autres lieux où ces immigrés isolés peuvent se retrouver ne peut être que positive – à condition que les intéressés acceptent l’assistance qui leur est proposée, ce qui n’est pas toujours acquis.

M. le président Denis Jacquat. Il faut aussi distinguer, parmi les immigrés arrivés à l’âge de la retraite, entre ceux de la « première génération » et les suivants. Les premiers, surtout originaires d’Afrique du Nord, sont arrivés avec l’assurance d’avoir un travail et un logement, l’Office des migrations internationale (OMI) se chargeant de leur accueil. Les autres, plus souvent originaires d’Afrique centrale, en particulier du Mali, ont dû chercher du travail et ont connu des situations plus précaires. On les trouve en général dans la région parisienne. Arrivés peu avant que ne soit institué le revenu minimum d’insertion (RMI), ils n’ont pu percevoir que des revenus d’assistance.

Mme Françoise Bas-Théron. En 2002 déjà, nous commencions à rencontrer ces immigrés, ouvriers du bâtiment et des travaux publics ou de l’industrie, qui avaient eu des carrières « hachées » en raison de longues périodes de chômage. Ils craignaient de ne pas percevoir de retraite contributive et d’être contraints de se contenter de prestations de solidarité.

Madame Geoffroy, nous n’avons pas eu la prétention de donner une représentation statistiquement exacte des diverses situations. Nous avons visité des foyers à Paris, en région parisienne, dans le Rhône et à Marseille ; pour d’autres, nous avons rencontré leur directeur ou pris connaissance d’un dossier. Mais nous nous sommes également rendus dans des hôtels garnis de Marseille, proches du Vieux-Port, où nous avons pu constater les conditions de vie sordides imposées par les marchands de sommeil. La surface dont chacun disposait était si réduite qu’il eût été inimaginable d’y faire venir une infirmière ou une aide ménagère, si le besoin s’en était fait sentir.

Nous avons effectivement rencontré dans les foyers des pathologies spécifiques, liées aux métiers physiquement éprouvants exercés par ces immigrés, et on nous a signalé d’assez nombreux cas de dépression. Même là, les chambres, souvent occupées par deux personnes, sinon trois, sont trop petites pour qu’une aide ménagère puisse venir aider les personnes dépendantes. Or une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé montre que les immigrés tombent dans la dépendance plus tôt que la moyenne de la population française. Et l’on sait aussi que la fréquence des problèmes de santé comme l’espérance de vie dépendent beaucoup de la catégorie socioprofessionnelle à laquelle on appartient : de nombreux immigrés disposant d’un niveau d’éducation et de revenus faibles, ils plus exposés que d’autres à la maladie et souffrent d’une prise en charge sanitaire insuffisante.

L’assistance de personnes extérieures ne se heurte pas seulement à la taille insuffisante des logements : s’y ajoutent la barrière de la langue et des différences culturelles, ainsi que la réticence traditionnelle des personnes âgées à laisser un intrus pénétrer chez elles – réticence encore plus forte chez cette population. En effet, les foyers apparaissaient déjà inadaptés en 2002 et c’est pourquoi nous avions souligné l’intérêt du plan de transformation des foyers en résidences sociales, même s’il avait déjà pris du retard. Cependant, pour la raison que j’ai dite, je ne suis pas certaine que les résultats aient été à la hauteur des ambitions affichées.

M. le président Denis Jacquat. Et les ambitions étaient déjà loin des besoins !

M. le rapporteur. Le fait de rester en France après la retraite résulte-t-il d’un choix ou est-il l’effet d’une nécessité – par exemple, de la condition de résidence imposée pour le versement de certaines prestations ? Quelle attitude adopter à l’égard du va-et-vient entre le pays d’origine et le pays d’accueil ? Faut-il envisager sur ce point des évolutions législatives ou réglementaires ?

Vous aviez souhaité que les politiques sociales de droit commun à destination de ces populations soient plus précisément encadrées à l’échelle nationale, notant en particulier une certaine timidité des caisses d’assurance vieillesse du régime général. Qu’est-ce qui, selon vous, devrait changer du côté des opérateurs ?

Mme Françoise Bas-Théron. Nous avons en France de nombreux outils, peut-être même trop et le problème souvent est de parvenir à les mobiliser. Il faut donc une volonté politique forte, mais il faut surtout affirmer des priorités, sachant que nous ne pourrons tout faire en même temps, en cette période de contraintes budgétaires. D’où la nécessité d’encadrer les politiques au niveau national : les opérateurs sur le terrain ont besoin de savoir quelles sont les priorités et c’est donc une bonne chose que le Parlement s’intéresse au sujet.

Les immigrés âgés restent-ils en France par choix ou par nécessité ? C’est une question très complexe à laquelle on ne peut donner qu’une réponse très nuancée. L’accès aux soins pèse certainement lourd dans la décision, ce qui est tout à fait légitime. À titre personnel, je ne suis pas persuadée que rester soit un choix, hormis pour ceux qui n’ont plus de famille au pays. On peut penser qu’il n’est pas facile pour un homme qui a passé trente ans seul, qui n’a pas vu grandir ses enfants, se contentant d’envoyer la moitié de sa paie à sa famille, de revenir dans un pays où les repères culturels ont changé, où tout le monde s’est débrouillé sans lui…

Comment mieux prendre en compte cette question de la relation au pays d’origine ? Il faut sans doute s’attaquer aux obstacles juridiques que j’ai signalés, mais nous avions également posé la question de la carte de séjour « retraité » du ministère de l’intérieur, qui a l’inconvénient de ne pas donner accès aux soins.

Je pense que les immigrés qui ont fait le choix de la nationalité française ont des attaches dans notre pays, par exemple des enfants. Mais il faudrait sans doute prendre en compte aussi la législation des pays d’origine, que je connais mal…

Mme Danièle Hoffman-Rispal. C’est sans doute pour les immigrés venus de pays qui n’acceptent pas la double nationalité que les choses sont les plus difficiles : abandonner sa nationalité d’origine n’est pas anodin, car c’est rompre avec sa culture. Mais pour beaucoup, arrivés tout jeunes en France, leur vie est ici.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, madame Bas-Théron, pour cette contribution.

Audition de Mme Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Centre de recherche fondamentale en sciences sociales de l’international (CERI)

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 janvier 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous recevons madame Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et, plus précisément, au Centre de recherche fondamentale en sciences sociales de l’international (CERI). Vous avez été, madame, consultante pour divers organismes, dont l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), la Commission européenne, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Conseil de l’Europe. Membre du comité de rédaction des revues Hommes et migrations, Migrations et sociétés et Esprit, vous avez notamment publié une enquête pionnière intitulée La Beurgeoisie, en 2007, et, en 2008, Pour un autre regard sur les migrations. Construire une gouvernance mondiale.

Parce que vous avez mené de nombreuses enquêtes de terrain sur les relations entre les migrations et la politique en France, il nous a semblé particulièrement utile de vous entendre à propos du vieillissement des immigrés. Vous avez d’ailleurs coordonné un numéro récent, très intéressant, de la revue Gérontologie et société, consacré aux liens entre vieillissement et migrations.

Mme Catherine Wihtol de Wenden. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation.

Les politiques migratoires n’avaient pas du tout prévu le vieillissement des immigrés. La plupart des immigrés âgés, qui ne représentent dans notre pays qu’environ 10 % des plus de soixante-cinq ans, sont en effet arrivés très jeunes. C’était durant les Trente Glorieuses, au cours des années soixante et soixante-dix, avant la suspension de l’immigration de travail, intervenue en 1974. Il s’agit d’hommes venus le plus souvent seuls et dont le logement était généralement lié à leur emploi : les fameux foyers de la SONACOTRA pour les travailleurs sédentaires, les logements de type « Algeco » pour ceux qui devaient se déplacer au gré des chantiers. Travaillant dans les mines, dans l’industrie, dans l’agriculture ou dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, ils ont souvent été imprégnés de l’identité ouvrière – ainsi une enquête que j’ai menée en 1984-1985 chez Renault, à Billancourt, montrait-elle un nombre important de Maghrébins parmi les travailleurs à la chaîne, notamment sur l’île Seguin. Depuis l’âge de vingt ans environ, toute leur vie s’est construite autour du monde du travail : à l’usine, au café – tenu par des compatriotes –, en foyer, dans le cadre du syndicat, de l’association du pays d’origine, de l’amicale…

Certains sont repartis ; d’autres, à partir de 1974, ont fait venir leur famille, la fermeture de l’immigration ayant eu pour effet pervers l’accélération du regroupement familial. D’autres enfin sont demeurés célibataires de fait, parce qu’ils n’ont jamais fait venir leur femme de sorte que les liens se sont distendus, ou le sont redevenus en se séparant d’elle. Ils ont vieilli et sont restés là, entre eux, dans le foyer où ils ont fait leur vie, parfois isolés du reste de la société. Ces foyers ont dû s’adapter à leur âge, par exemple en organisant des animations pour eux – jeux de cartes, projections de films. D’autres structures leur offrent une assistance sociale, tel ce café municipal situé au métro Château-Rouge, dans le quartier de la Goutte d’Or, à Paris, et qui sert à la fois de lieu de sociabilité et de guichet d’aide sociale où on les aide à remplir les papiers qui leur permettent de bénéficier de la sécurité sociale ou de percevoir leur pension de retraite, puisque certains d’entre eux sont quasiment illettrés.

Mais ces immigrés-là ne représentent pas la majorité des cas. La plupart, parmi les Maghrébins tout au moins, passe une partie de l’année dans son pays d’origine et l’autre partie en France pour rendre visite aux enfants et consulter le médecin. Les immigrés ayant acquis la nationalité française ou disposant d’un titre de long séjour ont pu faire bâtir une maison, souvent dans leur région natale. Les immigrés âgés isolés, arrivés très jeunes dans un monde du travail qu’ils n’ont plus jamais quitté, restent donc minoritaires. Leur nombre est toutefois appelé à augmenter au cours des années à venir, pour des raisons démographiques puisqu’il s’agit de personnes qui avaient une vingtaine d’années en 1960. Il paraît donc bienvenu de les prendre en compte dans la réflexion globale sur le vieillissement.

J’ajoute qu’il y a maintenant une nouvelle raison d’associer les deux phénomènes : le vieillissement de la population française entraîne de nouvelles migrations liées aux métiers du care et qui concernent surtout les femmes. Il en va de même aux États-Unis, au Canada, au Japon et dans l’ensemble des pays d’Europe – en particulier en Espagne, au Portugal et, surtout, en Italie. Dans ce dernier pays où la prise en charge de l’âge et du grand âge est réduite malgré une longévité record en Europe – l’âge médian y atteint quarante-trois ans et demi, contre trente-neuf à quarante ans en moyenne chez ses voisins européens –, Silvio Berlusconi, répondant, semble-t-il, à une demande électorale, a ainsi régularisé la plupart des badanti, ces auxiliaires de vie qui s’occupent des personnes âgées. Les pays du sud de l’Europe – l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la Bulgarie – et le Maroc tirent d’ailleurs profit de l’attractivité que ce phénomène leur confère et qui nourrit les migrations du Nord vers le Sud, en proposant aux seniors européens des formules d’installation qui peuvent inclure les soins. Quoi qu’il en soit, en Europe, cette prise en charge nourrit de nouveaux flux migratoires, provenant essentiellement des pays de l’Est mais aussi de pays plus lointains, comme les Philippines.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Vous l’avez dit, madame, les immigrés âgés, arrivés en France il y a quarante ou cinquante ans par le biais de l’immigration de travail peu qualifié, sont venus en masse travailler dans les mines, l’agriculture, l’industrie, la construction automobile et le bâtiment. Qu’est-ce qui les distingue spécifiquement des immigrés plus récents ? Vous qui plaidez dans vos travaux pour une gouvernance internationale des migrations, que pensez-vous des politiques menées en France et en Europe vis-à-vis des pays d’origine ? Quel sens donner, de ces deux points de vue, à la rupture de 1974 ?

Mme Hélène Geoffroy. Avez-vous pu analyser les raisons pour lesquelles on choisit de rester en France ou de rentrer au pays ? Comment s’organise la vie entre le pays d’immigration et le pays d’origine ?

Vous avez parlé des hommes ; j’aimerais vous interroger sur les femmes. Les immigrées plus récemment venues s’occuper de seniors sont-elles des femmes jeunes ? Viennent-elles avec leurs enfants ? Comment se construisent-elles une vie de famille ? Les réponses à ces questions nous éclaireront sur ce à quoi nous attendre au cours des années à venir.

Mme Françoise Dumas. Les problèmes ne sont pas les mêmes d’un territoire à l’autre. Nous connaissons, dans le Gard, les nouvelles vagues d’immigration que vous avez évoquées : de jeunes immigrés viennent s’occuper des habitants des « Villégiales », lieux de vie en commun, quelque peu autarciques, dans un cadre très sécurisé. Mais, ailleurs dans ma circonscription, les immigrés âgés vivent pour la plupart dans des logements sociaux, souvent de grands appartements où leurs enfants ont parfois habité avec eux avant de prendre leur indépendance. D’autres sont restés dans des propriétés agricoles où ils ont longtemps travaillé et où ils ont fait venir leurs enfants lorsque ceux-ci ont atteint l’âge de treize ans, les isolant de leur mère et d’un environnement familial souvent plus protecteur au Maghreb.

Même s’ils ont conservé un endroit où vivre dans leur pays d’origine, ces immigrés âgés ont le sentiment que le retour serait un échec : en faisant apparaître leurs conditions de vie réelles, qu’ils avaient cachées, il remettrait en cause un système familial fondé sur la puissance du père qui a réussi à l’étranger. À ces problèmes s’ajoutent les questions urgentes de protection sociale et de pensions, particulièrement aiguës dans le sud de la France où les populations concernées peuvent être victimes de rejet.

M. le président Denis Jacquat. Quels problèmes le vieillissement des immigrés pose-t-il dans l’espace urbain ordinaire, hors des foyers ? Si, comme vous le dites, les immigrées vieillissantes sont moins isolées qu’on ne le croit souvent, quels sont leurs modes de socialisation ?

Mme Catherine Wihtol de Wenden. En ce qui concerne les différences entre les vagues migratoires ancienne et récente, l’immigration est tout d’abord beaucoup plus diversifiée aujourd’hui qu’hier. Pour la première fois, entre le recensement de 1975 et celui de 1982, la population immigrée d’origine non européenne est devenue numériquement supérieure à celle des immigrés venus d’Europe. Les Portugais sont demeurés la première nationalité représentée mais le nombre d’Italiens a baissé au profit des Maghrébins, des Turcs, des personnes originaires d’ex-Yougoslavie, d’Afrique subsaharienne et de nouveaux pays concernés par la migration d’asile, laquelle s’est beaucoup développée avec les crises des années quatre-vingt-dix.

Les immigrés sont aussi plus jeunes, ont le plus souvent été scolarisés, mais arrivent dans des conditions beaucoup plus précaires qu’auparavant. En effet, la suspension de l’immigration de travail salarié n’ayant épargné que les commerçants, les hommes d’affaires, les étudiants dans certaines filières et des personnes très qualifiées, les immigrés qui ne faisaient pas partie de ces catégories sont arrivés au compte-gouttes ou clandestinement. Parmi ces nouveaux migrants, beaucoup ont ainsi connu avant leur régularisation des parcours très complexes (demande d’asile, immigration clandestine).

Par ailleurs, ces nouveaux migrants ne viennent plus seulement du Sud – rive sud de la Méditerranée ou Afrique subsaharienne ; ils sont également originaires de pays de l’Est de l’Europe. Cependant, contrairement à ce qui avait été annoncé durant les années quatre-vingt-dix, cette dernière migration, apparue après la chute du mur de Berlin, n’a jamais été très nourrie et a plutôt pris la forme d’allers et retours : ces Européens, confiants dans les possibilités offertes à terme par leur pays d’origine, ne s’installent pas définitivement ici, d’autant qu’ils bénéficient de la liberté de circulation, d’installation et de travail. Cette mobilité, conséquence de la libre circulation qui a résulté des accords de Visegrád, en 1991, puis de l’adhésion des pays signataires à l’Union européenne – où ils ont été rejoints en 2007 par la Roumanie et la Bulgarie – distingue nettement ces migrants de ceux du Sud qui, entrés irrégulièrement dans le pays d’accueil, s’y installent durablement, pour y attendre des papiers mais aussi parce qu’ils ne pourraient y revenir s’ils le quittaient. À la sédentarisation aléatoire des immigrés en situation précaire s’oppose ainsi la mobilité des titulaires de titres de séjour de longue durée ou des personnes ayant acquis la nationalité française.

La France est par ailleurs redevenue le pays de transit qu’elle était à la fin du XIXe siècle. À l’époque, c’était de nos ports que partaient les grands paquebots à destination de New York ou de Buenos Aires. Des Polonais, des Allemands, mais aussi des Russes séjournaient temporairement en France le temps de se constituer un pécule leur permettant de se rendre outre-Atlantique. Aujourd’hui, les Afghans, les Irakiens, les Kurdes viennent en France dans l’espoir d’en repartir pour le Royaume-Uni, leur destination finale. La France est aussi un pays de départ : parmi les nouveaux migrants, on trouve des Européens qui quittent l’Europe, dont des Français – ils seraient quelque 200 000 à Londres –, et qui vont débuter ou poursuivre leur vie professionnelle à l’étranger, non seulement aux États-Unis, au Canada ou en Australie, mais aussi dans les « BRICS ».

Les nouveaux profils de migrants sont donc extrêmement variés. Les migrations s’opèrent de l’est vers l’ouest, du sud vers le nord mais aussi du nord vers le sud. Les cartes sont rebattues dans le contexte de mondialisation de la migration.

S’agissant des points de rupture, tous les pays européens qui étaient déjà des pays d’immigration – la France, mais aussi le Benelux et l’Allemagne – ont suspendu les flux migratoires de travail en 1973 ou 1974, selon les cas, puisque il n’existait pas encore à cette époque de politique européenne commune en la matière. Cette date a marqué le coup d’arrêt de ce que l’on appelait la noria – les allers et retours –, au profit de la sédentarisation. Ne pouvant plus partir puis revenir en cherchant chaque fois un nouveau travail, les immigrés se sont installés, et ont fait venir leur famille : le regroupement familial a alors connu une accélération et les difficultés propres à la deuxième génération et liées aux banlieues sont apparues et avec elles les problèmes sociaux que nous connaissons aujourd’hui.

Deuxième moment de rupture : en 1992-1993, la « loi Pasqua » a intégré le dispositif européen relatif à l’immigration en droit français. Depuis, nous dépendons, pour ce qui touche à l’entrée, au séjour et à l’asile, de décisions prises pour l’essentiel à Bruxelles, même si elles sont adaptées à l’état de l’opinion et aux traditions de chaque pays. Tout ce qui concerne les flux relève de Bruxelles, la gestion des « stocks » ressortissant à la politique nationale au titre du principe de subsidiarité. Rappelons également, bien qu’elle soit moins décisive, l’instauration en 1985-1986 de la politique des visas et du passeport européen, qui a beaucoup nui par exemple à la ville de Marseille, où l’on pouvait jusqu’alors faire facilement halte, venant du sud de la Méditerranée, pour acheter des produits et rendre visite à sa famille.

Troisièmement, en 2006, la loi du 24 juillet relative à l’immigration et à l’intégration dite « loi Sarkozy » a mis fin au dogme de l’« immigration zéro » en France. Avant elle, l’Allemagne avait commencé de rouvrir ses frontières en 2000, en créant une green card qui n’a pas rencontré un grand succès, et surtout en 2005, en instaurant un permis à points sur le modèle du Royaume-Uni. Comme ce dernier dispositif, la « loi Sarkozy » permet une immigration sélective, en distinguant les personnes très qualifiées de celles qui ne le sont pas et dont le séjour ne peut être que saisonnier.

Malgré ces ruptures, l’immigration s’est poursuivie. Toutefois, l’effectif d’étrangers en France – 3,6 millions – est resté très stable depuis vingt ans, car le nombre de nouveaux Français, avant de tomber à 130 000 l’année dernière, a longtemps été égal au nombre d’entrées nettes, soit environ 150 000. La France est ainsi devenue le cinquième pays d’immigration en Europe après avoir longtemps été le deuxième : l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni sont passés devant nous, le premier rang étant occupé par l’Allemagne.

En matière de politique migratoire, il convient aussi de distinguer les textes de leur application. Celle-ci a pris depuis les années quatre-vingt-dix un tournant sécuritaire qui s’est beaucoup accentué au cours des dernières années et a entraîné des effets pervers. En particulier, le nombre de régularisations a été beaucoup plus restreint en France que dans les pays du sud de l’Europe et même qu’en Allemagne, où la plupart des étrangers en situation irrégulière ont été régularisés, fût-ce de façon discrète. En outre, le durcissement des critères de regroupement familial a développé la clandestinité. Enfin, on a assimilé à tort travail peu qualifié et travail saisonnier : une partie des migrants concernés s’installe, d’autres reviendront. Le fait de rester ou de repartir ne dépend en effet pas de la seule qualification. On ne peut opposer immigration de peuplement et immigration de travail comme on l’a fait depuis 1945, et décider que les uns deviendront de nouveaux Français tandis que d’autres ne seront considérés que comme de la main-d’œuvre : en la matière, aucune règle générale n’est applicable, les choses se décident au cas par cas.

À mon sens, la politique française a donc été beaucoup trop frileuse, sévère et sécuritaire. Le rapport entre le coût des politiques de reconduction à la frontière – qui varie pour un individu de 3 000 à 35 000 euros, record atteint à l’époque où M. Éric Besson était ministre de l’immigration – et leur effet est disproportionné puisque la politique de retour et de réinsertion est en échec depuis trente ans. De plus, l’exemple de nos voisins montre que nous aurions pu éviter certains gâchis. En 1991, la France a interdit aux demandeurs d’asile de travailler, afin d’éviter que cette procédure ne soit détournée aux fins d’immigration économique alors qu’au même moment, l’Allemagne prenait le parti inverse. La mesure n’a eu aucun effet dissuasif et a conduit à ce que les demandeurs, dont 80 % seront déboutés, restent à la charge de l’État, directement ou par l’intermédiaire des associations qu’il finance, ce qui ne les prépare guère à entrer sur le marché du travail. Ceux dont la demande est acceptée souffrent ensuite d’une sous-évaluation de leurs diplômes et d’un sous-emploi de leurs compétences professionnelles parce que l’on considère que l’obtention du statut de réfugié résout tous les problèmes. Enfin, il est regrettable que notre politique migratoire ait été à ce point orientée au cours des dernières années par l’espoir de reprendre des voix au Front national, ce qui a détourné de décisions plus rationnelles.

Ce sont plutôt des raisons familiales qui fondent le choix de l’installation définitive ou du retour. En général, ceux qui ont fondé une famille restent. Les femmes repartent également moins volontiers que les hommes, car elles craignent que leur condition empire au pays et répugnent à quitter leurs enfants, lesquels préfèrent rester à l’exception des plus qualifiés ou de ceux qui sont au contraire en échec grave. Cependant, la plupart des immigrés sont arrivés en pensant qu’ils allaient rentrer chez eux. Les hommes sont d’autant plus désireux de le faire qu’ils ont beaucoup économisé pour envoyer de l’argent au pays et y faire construire une maison, en consommant relativement peu ici. Il arrive ainsi que la femme reste seule en France, entièrement abandonnée, y compris financièrement, tandis que l’homme parvenu à l’âge de la retraite refait sa vie au pays avec une compagne plus jeune et plus soumise.

Le choix du retour dépend aussi du pays d’origine. Lorsqu’il est en plein développement, comme la Turquie, de jeunes gens qualifiés qui peinent à trouver du travail en France ou en Allemagne sont tentés d’y retourner, mais dans la capitale plutôt que dans le village de leurs parents. Ce phénomène a un peu touché le Portugal jusqu’en 2008 et s’étend aujourd’hui au Maroc, où l’on revient créer une petite entreprise ou, pour les plus diplômés, bénéficier de la politique d’aide à la réinsertion des élites menée par le gouvernement.

Certaines des femmes concernées par l’immigration liée au care sont jeunes, d’autres ont déjà élevé des enfants. Les premières considèrent leur emploi comme temporaire, surtout si elles sont en situation irrégulière. En revanche, les femmes plus âgées qui ont peu de qualifications à « vendre » dans le pays d’accueil y voient un moyen d’accéder à une rémunération relativement élevée, en étant logées et nourries, ce qui leur permet d’économiser davantage pour envoyer de l’argent chez elles.

Le phénomène d’isolement des immigrés âgés est moins répandu à Paris qu’en province. On assiste toutefois à des « retours-échecs » de personnes qui ne se sont jamais senties à leur place ici, parce qu’elles ont souffert de discriminations, ont échoué dans leur vie professionnelle ou commis des actes de délinquance. Certains immigrés souhaitent par ailleurs retourner vivre en terre d’islam. Mais ils ne sont pas très nombreux à agir ainsi, faute d’avoir conservé le même mode de vie que leurs contemporains restés au pays. Les retours sont plutôt vécus de manière positive : on rentre au pays au moment de la retraite parce que l’on a réussi en France. A contrario, nombre de chibanis restent parce qu’ils ont le sentiment d’avoir échoué : ils se cachent dans les foyers pour éviter d’affronter leur famille, parce qu’ils ont connu des difficultés sentimentales, qu’ils ont abandonné leur femme, cessé d’envoyer de l’argent ou négligé leurs enfants. Il y a donc aussi des « installations-échecs ».

Enfin, l’isolement des femmes dans l’espace urbain, peu étudié, paraît moins prononcé que celui des hommes. Elles sont souvent restées plus proches de leurs enfants que les hommes qui les ont abandonnées – car il s’agit surtout de femmes qui ont été mariées – et sont, par exemple, souvent sollicitées pour garder leurs petits-enfants.

Pour ces personnes, le droit de vote aux élections locales représenterait un progrès considérable, car il permettrait de les consulter sur les politiques qui les concernent, qu’elles émanent des communes, des départements ou des régions : l’aménagement des modes d’habitat, l’animation de la vie associative locale, les problèmes sanitaires, sociaux, l’aide sociale et administrative, etc. On peut supposer que les immigrés âgés seraient sensibles à cette mesure et participeraient beaucoup aux élections, comme les autres personnes âgées en France.

M. le rapporteur. Comment la prise en charge des immigrés sans famille par les foyers de travailleurs migrants a-t-elle évolué pour s’adapter à leur vieillissement ?

Le phénomène des chibanis isolés, dont vous dites qu’il est numériquement assez marginal, ne masque-t-il pas les difficultés d’une majorité d’immigrés vieillissants qui composent des ménages « ordinaires » ? Comment ceux-ci sont-ils aidés par les associations
– par exemple par les associations civiques que vous avez étudiées –, par l’administration, par les services publics, dans le tissu urbain dense où ils résident généralement ? Selon Mme Bas-Théron, que nous avons entendue avant vous, leur prise en charge par les grandes institutions que sont la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés et la Caisse nationale d’assurance vieillesse est pour le moins timide, faute de volonté politique.

Mme Catherine Wihtol de Wenden. Le fait que ces personnes ne votent pas n’incite pas les acteurs locaux à les prendre en charge, d’où le désert associatif et l’absence d’aide sociale à cet échelon.

Les couples immigrés sont parfois moins isolés que les couples français car ils ont souvent eu plus d’enfants. N’oublions pas que la transition démographique est toute récente. En revanche, les femmes répudiées connaissent des situations de détresse car elles dépendaient du salaire de leur mari et ne peuvent pas toujours compter sur leurs enfants, surtout lorsque, tombés dans la délinquance ou dans la violence, ils ne fréquentent plus leur famille. Elles vivent de la charité familiale et, souvent, dans une très grande indigence.

Dans l’espace urbain, peu de structures permettent d’accueillir ces personnes, dont le faible niveau ou l’absence de scolarisation compliquent considérablement la vie quotidienne, sociale et culturelle.

Mme Françoise Dumas. J’ajoute que la prise en charge est disparate car les systèmes de protection sociale et la politique d’action sociale varient beaucoup selon les professions.

Mme Catherine Wihtol de Wenden. Elle l’est d’autant plus que certains immigrés ont eu des carrières « en dents de scie », dans le bâtiment par exemple, alors que d’autres ont été longtemps salariés de grandes entreprises.

M. le rapporteur. Avez-vous étudié les politiques menées par les pays d’origine pour accompagner leurs ressortissants ou les réintégrer dans la communauté nationale ?

Mme Catherine Wihtol de Wenden. Cette question constitue un angle mort des politiques de ces États, qui ont déjà du mal à s’occuper de ceux qui sont restés au pays et qui commencent seulement à s’intéresser à leurs migrants, longtemps considérés comme des « traîtres » ou des « indésirables ». Lorsqu’ils le font, ils privilégient les jeunes diplômés et les cadres associatifs et ne se tournent guère vers les immigrés âgés, sauf – c’est notamment le cas du Maroc et de la Turquie – pour les inciter à investir dans des habitats collectifs en zone touristique ou en milieu urbain, où ils loueraient leur bien pendant la période de l’année où ils sont en France. Mais cette politique ne donne encore que de maigres résultats, car il s’agit en majorité de ruraux qui préfèrent faire construire une maison dans leur village pour montrer leur réussite.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame, de votre analyse et de la précision de vos réponses. Par votre constat et vos propositions, vous nous avez donné des pistes pour élaborer une politique rationnelle.

Audition de Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé)

(extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mme Naïma Charaï préside le conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), placée sous la tutelle du ministère chargé de la ville, assisté par le secrétariat général du Comité interministériel des villes. L’agence met en œuvre les politiques définies par l’État dans le domaine de la politique de la ville, de la prévention de la délinquance et de la prévention des discriminations. Elle agit au plus près du terrain, grâce à ses délégués, aux préfets et à son réseau territorial, en soutenant et en mobilisant les collectivités territoriales, les associations et les entreprises. Parmi ses champs d’action figurent l’éducation, l’emploi et le développement économique, l’habitat et le cadre de vie, la santé, l’accès aux soins et à la culture.

Les immigrés âgés sont concernés alternativement ou simultanément par la politique d’intégration, de cohésion sociale, et par la politique de la ville, quand ils résident dans les quartiers qui en relèvent. Les liens entre politique de la ville et politique d’intégration sont anciens, puisque l’ACSé est l’héritière du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), lui-même issu du Fonds d’action sociale (FAS) pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leur famille, créé en 1958.

Avant d’être nommée à ses fonctions actuelles, Mme Charaï a été administratrice suppléante de l’ACSé au titre de l’Association des régions de France. Son engagement associatif est ancien.

Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé). Je vous remercie de votre invitation. Je suis heureuse de participer à cette mission d’information dont le sujet me tient particulièrement à cœur, compte tenu de mon parcours associatif et militant.

Même si, du fait de la création, en 2007, du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, les actions que nous menions en faveur des vieux migrants ont en partie disparu de notre champ d’action, nous poursuivons cependant certaines initiatives en leur faveur.

Avant le début de l’immigration familiale, en 1974, les immigrés étaient considérés comme une main-d’œuvre jeune, isolée, sans ascendants ni conjoints, et destinée à retourner dans son pays d’origine. Ce n’est que dans le courant des années quatre-vingt-dix que certains historiens, chercheurs et associations, appuyés par le FASILD, se sont penchés sur la mémoire et la transmission intergénérationnelle, et qu’ils ont commencé à rendre compte des conditions de vie des vieux migrants dans les foyers de travailleurs. Le constat est sévère. Après des années de travail harassant, les vieux migrants meurent seuls, en silence, dans l’indifférence générale que la société dite « d’accueil » réserve aux personnes âgées, a fortiori quand elles sont immigrées.

En 1999, le dernier recensement général de la population par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) dénombrait 537 000 étrangers de plus de soixante ans, dont 100 716 vivant seuls, le plus souvent chez eux. Ces 57 478 femmes et 43 238 hommes viennent en majorité d’un État membre de l’Union européenne. Si l’on y ajoute les étrangers ayant acquis la nationalité française, on compte 1 037 000 immigrés de plus de soixante ans, dont 510 000 hommes et 527 000 femmes. Algériens, Marocains et Tunisiens représentent près de 30 % de la population immigrée de plus de soixante ans résidant en France et 86 % de la population étrangère âgée vivant dans un foyer de travailleurs immigrés. En somme, les vieux migrants ne sont pas uniquement des hommes, ils ne vivent pas tous dans un foyer et ne sont pas majoritairement maghrébins.

Leur espérance de vie est inférieure de dix ans à celle du reste de la population. Même si cette inégalité ne leur est pas spécifique, au sens où elle touche plus généralement les populations précaires, force est d’observer que les immigrés âgés représentent une part importante des catégories les moins favorisées.

À l’interrogation persistante qui sous-tend le débat sur la prise en charge des immigrés vieillissants – faut-il les diriger vers les structures de droit commun destinées à tous les résidents ou concevoir pour eux des instances spécifiques ? –, l’ACSé répond en affirmant la nécessité de les intégrer au sein des structures relevant du droit commun des personnes âgées, et d’adapter les services mis à leur disposition, notamment en matière d’aide à domicile.

Cependant, compte tenu de la faiblesse de cette prise en charge dans le cadre des institutions de droit commun, et lorsqu’il s’agit d’un travail en milieu ouvert – permanences sociales, lieux de rencontre, soutien aux réseaux dits « communautaires » –, l’ACSé n’exclut pas du champ de ses interventions l’élaboration d’une offre dédiée, en raison de la spécificité de l’accompagnement et de la prise en charge des immigrés âgés. Nous privilégions même cet axe d’intervention, compte tenu des difficultés que rencontrent les immigrés vieillissants pour accéder à leurs droits : droit à la santé, à un logement digne, à la retraite et aux allocations complémentaires des ressources.

On peut sérier les obstacles ou les retards spécifiques à l’accès aux droits. Les uns relèvent des restrictions législatives qui conditionnent la prise en charge à l’appartenance à la citoyenneté française. D’autres relèvent des pratiques administratives différenciées que mettent en œuvre les institutions publiques et privées confrontées à des publics perçus à tort ou à raison comme étrangers. D’autres sont imputables à un manque de ressources des intéressés, qu’il provienne d’un problème linguistique, d’une méconnaissance de la réglementation ou de certaines représentations. Plus largement, l’ACSé évite la segmentation entre les publics concernés au profit de la définition d’axes stratégiques privilégiant les différentes thématiques : logement, formation, accès aux droits, à l’action sociale et à la culture.

Il faut affiner la connaissance de la réalité comme des besoins des populations immigrées vieillissantes et isolées, notamment dans leur composante féminine. Si l’on dispose de certaines informations à ce sujet, on pèche aussi par ignorance, faute de pouvoir recenser les immigrés, en particuliers isolés et vivant en habitat diffus. Des études ou diagnostics précédemment cofinancés par le FASILD, notamment à l’échelon régional ou local, restent toutefois de précieux outils. Leurs méthodes innovantes ont souligné la féminisation du vieillissement des immigrés et défini des stratégies territoriales adaptées. Il convient de développer ces études – recherches, actions, diagnostics – qui contribuent à une prise de conscience de l’ensemble des partenaires impliqués, même si, comme le remarque le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2002, elles demeurent plus orientées vers la réflexion que vers une action inscrite dans une véritable politique.

Mieux connaître les migrants âgés permettrait de prendre en compte certains traumatismes liés à l’exil : culpabilité d’avoir quitté le pays et la famille, honte de ne pas pouvoir revenir dans le pays d’origine quand on n’a pas accompli la mission sociale pour laquelle on l’avait quitté, impression de non-utilité.

Le déficit d’accès aux droits dont souffrent les immigrés âgés s’explique par trois causes. Certaines difficultés relèvent directement des textes de loi qui régissent le statut et les conditions de circulation des étrangers en France, et créent des effets pénalisants pour les migrants âgés. D’autres tiennent aux modalités d’application de la loi, au guichet, particulièrement en ce qui concerne les allocations de ressources, prestations contributives et non contributives. L’arbitraire prévaut dans l’interprétation des critères ouvrant droit au bénéfice d’une allocation, notamment quand ceux-ci ne font pas l’objet d’une définition réglementaire. Les dernières difficultés tiennent à la complexité du système des différentes prestations. Le manque d’information concerne non seulement des immigrés vieillissants, dont certains sont illettrés, mais également des agents des administrations chargés de gérer ces prestations.

Régularité du séjour et effectivité de la présence sur le territoire sont les deux premières conditions de l’accès aux droits sociaux des étrangers en France. La règle s’applique aussi aux pensions de retraite, aux compléments à la part contributive, c’est-à-dire aux majorations et allocations supplémentaires qui forment le minimum vieillesse et l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA). Tous sont soumis à des conditions d’âge, de ressources et de résidence en France. Cependant, dans la plupart des cas, les critères d’appréciation de la résidence restent factuels, sans décret d’application, donc difficiles à apprécier par les services gestionnaires.

La question des ressources est centrale pour la population immigrée, notamment isolée, dont une partie de la famille continue de résider au pays. Beaucoup de retraités s’installent dans un va-et-vient entre le pays d’accueil et le pays d’origine : s’ils ont une femme et des enfants au pays, ils doivent revenir en France pour conserver leur part de prestations complémentaires.

L’ACSé assume un rôle de vigie qui correspond à sa mission de lutte contre les discriminations. Elle développe aussi un dispositif de sensibilisation et de formation pour aider les acteurs de l’intégration à prendre en compte la situation économique, sociale, juridique et culturelle des immigrés vieillissants. Il concerne notamment les professionnels des services médico-sociaux et gérontologiques, les agents des caisses régionales et départementales de retraite et de l’assurance maladie, les personnels des services d’aide à domicile. Dans ce domaine, les services des conseils généraux sont nos interlocuteurs privilégiés. Nous avons créé un observatoire de l’accès au droit des immigrés vieillissants, ainsi que des programmes destinés à former des acteurs médico-sociaux à la spécificité du travail avec ce public. Nous avons aussi réalisé des guides pratiques à l’accueil des immigrés vieillissants pour les personnels et gestionnaires d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), de foyers de travailleurs migrants (FTM) et de résidences sociales.

Des modalités d’intervention plus spécifiques sont mises en place pour favoriser l’accès aux soins et à la sécurité sociale. Bien que l’accès des immigrés vieillissants à la sécurité sociale soit aussi difficile qu’aux autres droits sociaux, la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU), en facilitant l’affiliation, a changé la donne. Il faut poursuivre cette dynamique, tout en veillant à la bonne application des dispositifs destinés à ce public fragilisé.

Au vieillissement précoce commun à toutes les populations précaires, s’ajoutent la souffrance du déracinement et une maladie fréquente chez les personnes âgées : la démence sénile. L’état de connaissance de la prise en charge des troubles et maladies psychiques des immigrés vieillissants étant très insuffisante, on doit se fixer pour principe d’améliorer la prise en charge de la souffrance psychique, notamment en l’absence de famille. Au vieillissement prématuré s’ajoute l’apparition plus précoce de la dépendance, phénomène appelé à s’amplifier. Dès à présent, il convient de favoriser la prise en charge en EHPAD d’immigrés vieillissants ne pouvant plus rester isolés. Nous devons également poursuivre notre partenariat avec les agences régionales de santé (ARS) en matière de prévention et de prise en charge de la dépendance.

Nous soutenons également le droit à un logement digne et le maintien à domicile, qui relève de la compétence du ministère de l’intérieur sur la politique d’intégration, en lien avec la politique de la ville. Comme le souligne l’IGAS, dans le résumé des conclusions de sa mission, « pour des raisons économiques […], mais aussi culturelles, les immigrés vieillissants sont peu présents dans les institutions pour personnes âgées. Ils restent ancrés dans leurs lieux de vie traditionnels : le foyer, l’hôtel, le meublé […] On sait pourtant l’importance d’un logement décent pour permettre l’accès des fonctions de soutien à domicile […] Si on veut mettre en œuvre les dispositifs de maintien à domicile, l’adaptation du logement des immigrés isolés est une nécessité. À ce titre, tout ce qui concourt à l’amélioration de leur habitat doit être tenté ou poursuivi : il faut donc donner une nouvelle impulsion à la réalisation du plan quinquennal, poursuivre l’éradication de l’habitat indigne, prendre appui sur le programme expérimental “pensions de famille” ».

Le maintien à domicile peut être favorisé par l’adaptation du bâti des FTM et par le développement, particulièrement dans les FTM et les résidences sociales, des interventions de tous les services de droit commun. Il faut aussi s’assurer que les allers-retours entre la France et le pays d’origine se déroulent dans de bonnes conditions, et apporter des solutions durables de logement aux immigrés âgés et isolés, qui vivent en hôtel meublé, voire dans l’habitat diffus insalubre. À titre expérimental, on pourrait implanter sur un même site une résidence sociale qui logerait des immigrés vieillissants et un établissement d’hébergement de petite dimension pour personnes âgées dépendantes, qui recevrait en priorité les hôtes de la résidence ayant perdu leur autonomie.

Jusqu’à présent, en matière d’amélioration et d’adaptation des conditions de logement des immigrés vieillissants, la mobilisation institutionnelle a essentiellement porté sur les FTM, mais l’ACSé doit contribuer à développer un programme d’intervention pour un égal accès à la diversité des formules de location ou de propriété.

Pour justifier les difficultés de prise en charge des migrants par les structures et services gérontologiques, on invoque souvent les spécificités culturelles et cultuelles, partant du principe que les immigrés vieillissants sont très attachés à leurs racines grâce auxquelles ils ressentent encore une appartenance au pays d’origine. Au-delà de ce postulat, il faut souligner le caractère toujours singulier des parcours individuels. Les lieux de vie – FTM, hôtel ou meublé –, qui constituent pour les acteurs de la gérontologie des habitats inhabituels et difficiles à appréhender, s’expliquent par la nature du projet migratoire qui, par définition, devait être transitoire et non pas inscrit dans la durée.

Dans cette perspective, on peut agir sur deux aspects.

Le premier concerne la réhabilitation et l’adaptation du bâti. Il permettrait de faciliter la vie des personnes âgées dans des structures aussi spécifiques que les FTM. Des aménagements techniques – ascenseurs ou rampes d’accès – peuvent améliorer l’accessibilité aux lieux. On peut aussi adapter les espaces et équipements collectifs, équiper les sanitaires privatifs, aménager spécifiquement les chambres en les dotant non seulement d’alarmes, mais d’un mobilier confortable, pourvu de dossiers, d’accoudoirs, etc.

Le second aspect concerne la gestion adaptée et l’accompagnement des résidents. Outre la gestion classique d’un habitat collectif, le logeur doit assumer tant une fonction de veille pour repérer les situations nécessitant des interventions spécifiques qu’une fonction d’accompagnement. Cette dernière suppose de recourir aux aides et dispositifs existants tels que le maintien à domicile, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), les services de soins infirmiers à domicile, mais également la mise à disposition ou l’organisation d’activités ou d’animations sociales et culturelles. Celles-ci aident les personnes vieillissantes à ne pas se couper de leur environnement externe. Les actions menées à l’extérieur des structures sont à privilégier.

Hormis les investissements lourds et les opérations de réhabilitation du bâti, l’ACSé peut soutenir toute action permettant aux immigrés vieillissants de vivre dans un logement décent, sans limiter ses interventions aux seuls FTM. Elle accompagne la poursuite du plan de traitement des FTM pour favoriser leur évolution en résidences sociales, en veillant tout particulièrement aux adaptations réservées à ce public. Elle agit en direction des bailleurs privés et publics ainsi qu’auprès des collectivités territoriales pour qu’ils inscrivent la question du vieillissement des migrants parmi leurs priorités et y apportent leur contribution. Elle soutient divers organismes tels que Pour loger, l’Association des femmes africaines du Val-d’Oise, l’Espace Solidarité Habitat de la Fondation Abbé Pierre, les agences immobilières à vocation sociale et la Fédération des compagnons bâtisseurs.

Le maintien à domicile, offre un bon exemple des paramètres à prendre en compte pour élaborer une réponse adaptée aux contraintes financières, aux besoins et aux attentes des vieux migrants (aide ménagère, soins, portage des repas). Nos actions en la matière, sur un champ partagé avec le ministère de l’intérieur, se sont heurtées jusqu’ici à trois obstacles principaux. Le premier tient à la rémunération de la prestation. En deuxième lieu, les services traditionnels de maintien à domicile (comme la prestation d’aide ménagère) supposent que la personne occupe un véritable logement et non un lieu d’hébergement collectif comme le foyer. Le troisième obstacle tient au déficit de formation des personnels des services d’aide à domicile. Comme l’IGAS, l’ACSé recommande de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et d’adapter à leurs besoins les modalités d’intervention des services d’aide à domicile.

L’amélioration de l’accès à la retraite, aux prestations et plus généralement au droit est une compétence partagée entre la politique de la ville et le ministère de l’intérieur, chargé de la politique d’intégration. Outre les difficultés liées au statut d’étranger, l’ouverture des droits à la retraite se heurte à de nombreux obstacles dont les premiers sont relatifs à l’état civil des personnes et à la reconstitution des carrières. Les variations de retranscription des noms et les changements de patronymes compliquent singulièrement la constitution des dossiers. En outre, la reconstitution de carrière nécessite des documents concernant des périodes de travail souvent très morcelées sur l’ensemble du territoire, que l’employeur n’a pas toujours déclarées.

En 2002, l’IGAS disait du minimum vieillesse qu’il constitue « un des dispositifs de solidarité dont les mécanismes sont les plus hermétiques pour l’usager (confusion entre les différentes prestations du minimum vieillesse et avec le minimum contributif, application du plafond de ressources...). Les procédures d’information des caisses ne sont pas à la hauteur de cette complexité [...] Surtout, les modes d’information devraient être adaptés au public concerné ».

Soucieuse de permettre l’accès aux soins et à la sécurité sociale, ainsi que le maintien dans un logement digne, l’ACSé soutient les services d’aide à domicile et distribue une information de proximité, notamment dans les centres locaux d’information et de coordination (CLIC). Elle favorise aussi le développement des lieux d’accueil et d’information, tout comme les modalités d’accompagnement spécifiques des immigrés vieillissants par des associations généralistes ou communautaires. Enfin, à l’échelon départemental, elle mobilise les services des conseils généraux qui ont compétence sur ces interventions.

Les questions complexes liées au droit des étrangers, comme l’ouverture de droits ou les contentieux qui y sont liés, demeurent un thème sensible dans lequel se sont spécialisées plusieurs associations têtes de réseau : le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et le Comité médical pour les exilés (COMEDE). Ces associations organisent des séances d’information collective ou des permanences juridiques et sociales d’accueil, d’information et d’accompagnement des immigrés vieillissants dans leurs démarches. Elles élaborent aussi à leur intention des guides et outils d’information.

Notre action vise aussi à rompre l’isolement des immigrés vieillissants, à consolider le lien intergénérationnel et à favoriser leur participation à la vie sociale comme leur reconnaissance par la société dite d’accueil. Sans nier l’importance du traitement social du vieillissement des immigrés, rappelons qu’un traitement citoyen doit toujours prévaloir. Vieillir, ce devenir constitutif de la condition humaine, n’est pas seulement le problème sanitaire et social auquel on a tendance à le réduire. C’est aussi et surtout un destin social et culturel.

Pour la plupart des travailleurs immigrés âgés, la vie a été assumée comme une parenthèse pour ne pas perdre le lien ni la raison de la migration, pour continuer à entretenir la légitimité de l’exil, majoritairement rapportée au travail. Quand vient la retraite, l’immigration perd son sens. Sa légitimité première disparaît, comme sa motivation initiale : le retour au pays. En bout de course, il faut poser la question pénible, mais inévitable, de la présence en France, corrélée à celle de l’échec ou non du projet de vie.

Accompagner le vieillissement d’une telle population n’a pas de sens si l’on ne prend pas en considération les conditions à réunir pour que bien vieillir en France ne soit pas un vain mot. Si les lieux de sociabilité permettent de rompre l’isolement, un logement à la périphérie et des liens familiaux distendus renforcent la relégation dans la solitude. Pour remédier à ces situations de détresse, l’ACSé se réserve le droit de soutenir les initiatives visant à ouvrir des lieux de sociabilité tels que les cafés sociaux, comme celui créé à Toulon par l’Association des Tunisiens de France (ATF) ou Ayyem Zamen (Au nom de la mémoire), implanté à Paris, dans le XXe arrondissement.

Valoriser les apports historiques des anciens et favoriser le lien intergénérationnel permet aussi aux jeunes descendants de migrants en situation difficile de mobiliser des ressources propres à leur histoire et à celle de leurs ancêtres et de leur famille. La reconnaissance des immigrés vieillissants passe par les travaux sur la mémoire, structurant le lien social et le rapport à soi, où prend source la question de l’identité – individuelle et collective – et du lien à la culture du pays d’origine et du pays d’accueil.

Le rôle dévolu à l’action sociale et culturelle au sein de l’ACSé est essentiel, tant la culture est productrice de lien, notamment entre les générations. La valorisation des cultures d’origine permet aux plus âgés de jouer le rôle essentiel de transmission de mémoire, et d’assumer avec les plus jeunes un passé et une identité trop souvent niés.

Encore faut-il, pour que ces références puissent être appropriées, revendiquées, adoptées par les jeunes, qu’elles ne soient pas vécues comme honteuses ou frappées d’indignité, et qu’on ne réduise pas les valeurs et savoirs ainsi transmis à des stéréotypes négatifs, tentation récurrente qui affecte l’histoire des immigrés. Certains d’entre eux sont même conduits à intérioriser ces stéréotypes ou à les revendiquer en les accentuant. L’ACSé cherche à favoriser la transmission de l’histoire familiale et culturelle, dans une perspective de recomposition et de refondation, et non de reproduction normative figée, que l’expérience du déplacement et du temps n’aurait pas transformée.

Les interventions qui visent à instituer ou à restituer une mémoire collective, comprenant par exemple la participation des anciens combattants aux luttes héroïques, doivent être poursuivies, en même temps que le travail sur les blessures de l’héritage colonial, auquel nous renvoient les migrants âgés, témoins du siècle passé. Il faut aussi restaurer la transmission de la mémoire familiale, lorsque celle-ci, fragilisée par l’exil, s’est enfermée dans un silence déstructurant pour les descendants.

La mémoire des habitants fait l’objet d’interventions qui encouragent le dialogue entre générations ou entre populations d’origines diverses. Les actions qui développent l’expression, le recueil et la valorisation des mémoires dynamisent l’émergence de la parole dans une perspective citoyenne et patrimoniale. Pour rendre visibles l’histoire et la mémoire des habitants, l’ACSé finance des ateliers d’écriture, de création, de transmission et le développement de sites internet destinés à recenser les témoignages et les récits. Ces actions permettent, entre autres, de travailler sur la prise de conscience de la société d’accueil et l’histoire des territoires et de leurs habitants.

La transmission de l’histoire et de la mémoire des vieux migrants, qu’ils soient d’anciens combattants ou d’anciens travailleurs, est essentielle : il serait désolant d’oublier leurs parcours.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Comment s’articulent la politique de la ville et celle de l’intégration ? Pour les immigrés ayant vieilli en France, dont beaucoup vivent dans des quartiers relevant de la politique de la ville, quelles ont été les conséquences des réformes engagées à partir de 2008 et des politiques d’intégration centrées sur les primo-arrivants ? Comment prendre en compte la présence de personnes arrivées il y a longtemps, dont l’insertion sociale reste incertaine ?

Quelles actions avez-vous engagées pour faciliter l’accès des vieux immigrés aux dispositifs sociaux de droit commun ? Peut-on aller plus loin ?

Dans les territoires relevant de la politique de la ville, où il est déjà difficile de trouver des médecins généralistes, comment mettre en place des soins de proximité dont les immigrés âgés ont besoin ?

À quelle hauteur financez-vous les actions destinées à valoriser l’histoire des immigrés âgés ? Utilisez-vous l’ensemble des crédits dont vous disposez à cette fin ?

Mme Hélène Geoffroy. Qu’est-ce qui caractérise la situation des femmes âgées et immigrées, généralement venues au titre du regroupement familial ? Sont-elles moins isolées du fait de la présence de leurs enfants ? Quelles actions avez-vous menées ou souhaitez-vous développer à leur égard ?

L’accès à la retraite est-il le seul facteur qui conditionne le retour au pays ou l’installation en France ?

Comment se construit l’histoire professionnelle des immigrés ? Se sont-ils pleinement insérés dans le monde du travail, par exemple à travers l’action syndicale ?

M. Philippe Vitel. En quoi l’action de l’Association des Tunisiens de France, à Toulon, est-elle originale ? Son modèle est-il exportable ?

M. le président Denis Jacquat. Les immigrés âgés résident souvent là où ils ont vécu durant leur période professionnelle, c’est-à-dire généralement dans des foyers. Ceux-ci peuvent être réhabilités, mais, compte tenu des coûts, des nuisances et de la longueur des travaux, ne vaut-il pas mieux prévoir d’autres résidences, EHPAD ou foyers spécifiques, qui permettraient aux intéressés de rester entre eux et de parler leur langue ?

Pour faciliter l’accès des immigrés à leurs droits, notamment à la retraite, nous avions créé à Metz un CLIC dans le principal quartier sensible, en recrutant, grâce aux emplois jeunes, du personnel parlant les langues les plus usitées : les langues du Maghreb et le turc.

M. Philippe Vitel. On sait combien il est difficile de reconstruire des parcours professionnels très divers. Peut-être faudrait-il proposer des pistes dans ce domaine.

Mme Naïma Charaï. La création, en 2007, du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire a eu pour effet de retirer au ministère de la ville une partie de la politique de l’intégration, ce qui a introduit une rupture de notre action en faveur des vieux migrants. L’ACSé souhaite pourtant poursuivre les initiatives de ce type menées dans les départements et les régions.

Le Premier ministre devrait recevoir demain un rapport consacré à la refondation des politiques d’intégration, dont l’auteur, M. Thierry Tuot, m’a auditionnée. Je n’ai pas encore eu accès à ce document, qui formule des propositions relatives aux politiques d’intégration et de la ville. Peut-être faut-il recréer un lien entre elles, car il n’est pas possible d’agir à long terme en les séparant. L’accueil aux primo-arrivants ne résout pas les problèmes qui se posent dans la durée.

Depuis ma nomination, je constate une forte attente de la part des nouvelles générations. Elles souhaitent que le droit commun améliore la situation de leurs parents ou de leurs grands-parents, qui les ont inscrites dans l’histoire de France, et que le nouveau Gouvernement et les assemblées envoient un signe positif aux vieux migrants.

Visitant récemment, à la demande du Président de la République, un foyer Adoma situé à Colombes, j’ai mesuré les difficultés d’accès aux soins et à la santé que rencontrent les populations vieillissantes. Dans certains quartiers, on ne peut que constater l’indigence des services publics. Quand les acteurs de l’accompagnement social appellent les services d’urgence ou SOS Médecins, ils n’arrivent pas à faire venir des médecins en soirée, alors qu’une personne âgée qui fait un malaise doit être prise en charge le plus vite possible. Nous appelons votre attention sur ce sujet, bien qu’il ne relève pas de notre champ de compétences.

Des programmes de réhabilitation menés par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) sont en cours, mais il faut les intensifier. Selon les acteurs des foyers Adoma, trois personnes migrantes meurent par jour. À Colombes, j’ai rencontré un ancien ouvrier de l’industrie automobile qui dispose de sept mètres carrés, après avoir passé sa vie dans les campements et les bidonvilles de Nanterre. Il faut accélérer les réhabilitations si l’on veut que les immigrés âgés terminent leur vie dignement.

Il n’existe pas d’étude spécifique sur la situation des femmes immigrées âgées. Les statistiques manquent pour retracer leur parcours. Selon les conclusions du « rapport Tuot » et la suite que lui donneront le Gouvernement et le Parlement, nous formulerons des propositions les concernant, mais des interventions visant à faire respecter leurs droits sont déjà menées dans les quartiers, au titre de la politique de la ville.

Vous m’avez demandé ce qui motive le retour au pays. Dans ce domaine, chacun a un parcours singulier. Ce sont souvent les ressources et les conditions de leur maintien qui conditionnent le séjour en France, mais les hommes et les femmes qui ont contribué à l’essor de notre pays y sont généralement attachés. Pourquoi ne pas leur faciliter l’acquisition de la nationalité française ?

Nous soutenons depuis des années les cafés sociaux, formidables outils de socialisation et de lien intergénérationnel, qu’il faudrait multiplier sur le territoire national. Dans ces lieux, des acteurs qui connaissent bien les migrants prennent en compte leur spécificité et leur histoire.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Le café social du XXe arrondissement tente de mener des actions intergénérationnelles, par exemple en emmenant l’été dans les bois les jeunes et leurs aînés. Ceux-ci apprécient cette compagnie, car ils n’ont pas toujours des petits-enfants. Reste que les jeunes ne se sentent pas toujours concernés par ces initiatives.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, et je souhaite bonne chance à l’ACSé.

Audition de M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII), de M. Michel Aubouin, directeur de l’accueil,
de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) au ministère de l’intérieur, et de M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI)


(extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons aujourd’hui M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII), accompagné de M. Michel Aubouin et de M. Pierre-Yves Rebérioux.

Monsieur Derepas, vous avez pour mission de faciliter l’intégration des immigrés en situation légale en favorisant leur insertion sociale et professionnelle. À ce titre, vous êtes le responsable du programme budgétaire 104 « Intégration et accès à la nationalité française » et veillez à la bonne utilisation des financements du Fonds européen d’intégration (FEI) des ressortissants de pays tiers. Vous avez été nommé secrétaire général à l’immigration et à l’intégration le 8 novembre 2012.

Monsieur Michel Aubouin, vous êtes à la tête de la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l’intérieur, chargée de concevoir et de mettre en œuvre la politique publique d’intégration des populations immigrées et d’accès à la nationalité française, et dont l’action porte notamment sur l’apprentissage par les immigrés de la langue française et des valeurs de la République, ainsi que sur l’accès à l’activité professionnelle. La DAIC s’intéresse également aux étrangers confrontés à des difficultés spécifiques, tels que les femmes, les migrants âgés – sujet qui nous préoccupe plus particulièrement aujourd’hui – et les réfugiés. Elle participe aussi à l’élaboration des règles en matière d’acquisition et de retrait de la nationalité française pour les étrangers adultes.

Monsieur Pierre-Yves Rebérioux, que la mission d’information entendra également à l’occasion d’une prochaine audition, est, depuis juillet 2001, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI), laquelle a pour mission de mener des actions en faveur du logement des personnes immigrées.

M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration. En réponse à la demande de la mission d’information, je présenterai les principales questions relatives aux personnes âgées immigrées présentes en France. Quelle est cette population ? Quels problèmes particuliers rencontre-t-elle ? Quelles sont les actions que nous avons déjà menées et celles que, le cas échéant, il reste à développer ?

Pour l’INSEE, un immigré est une personne née étrangère à l’étranger. Le terme inclut donc à la fois les étrangers restés étrangers et vivant en France et les étrangers naturalisés français et vivant en France.

Les personnes immigrées âgées de plus de soixante-cinq ans vivant en France sont au nombre de 890 000, dont 25 % ont plus de quatre-vingts ans et 350 000 sont issues de pays tiers à l’Union européenne.

Sur ces 350 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans et nées dans un pays tiers à l’Union européenne, 140 000 sont devenues françaises et 210 000 ont conservé leur nationalité étrangère ; 205 000 sont des hommes et 145 000 des femmes.

Sur les 210 000 personnes ayant conservé une nationalité étrangère, on considère que 60 000 à 80 000 sont isolées, vivant seules dans un appartement de droit commun ou dans un foyer de travailleurs migrants. Les chiffres relatifs à ces foyers varient selon qu’ils proviennent de l’INSEE ou des gestionnaires des foyers, car cette catégorie de personnes est mal appréhendée par les outils statistiques : alors que l’INSEE dénombre environ 20 000 hommes, les gestionnaires de foyers en comptent 35 000. Nous n’avons pu, quant à nous, préciser davantage ces chiffres.

Une très grande majorité des 210 000 personnes restées de nationalité étrangère et vivant en France – 70 %, soit environ 150 000 – est originaire des pays du Maghreb.

C’est d’abord dans le domaine de la santé que ces personnes rencontrent des difficultés. Leur état de santé est en effet plus dégradé que celui de la moyenne des Français, ce qui est souvent lié aux conditions de travail qu’elles ont connues. Paradoxalement, les personnes âgées immigrées recourent moins que la moyenne des personnes âgées au système de santé, en raison d’une méconnaissance des dispositifs existants ainsi que d’une certaine inhibition.

Elles ont par ailleurs des revenus très faibles, généralement inférieurs à la moyenne des personnes âgées, ce qui est lié au faible niveau de leurs conditions d’emploi et de rémunération antérieures et à des difficultés d’ordre administratif dans l’accès aux droits dont elles pourraient bénéficier au titre des régimes de retraite. Cette difficulté d’accès aux droits est une thématique caractéristique de cette population, sur laquelle nous reviendrons.

En troisième lieu, il semble qu’elles aient une moins bonne maîtrise de la langue française que l’ensemble de la population immigrée, sans doute parce qu’elles n’ont pas bénéficié, à leur arrivée en France, des dispositifs d’acquisition de la langue qui ont été mis en place au cours des dernières années.

Elles se caractérisent enfin par un isolement qui n’est pas seulement personnel, mais également citoyen. Elles éprouvent de grandes difficultés à maîtriser les procédures administratives permettant d’obtenir des droits dans de nombreux domaines, tels que la santé, l’aide sociale ou l’aide au logement. S’ajoute à cela, pour ceux qui ont fait le choix de vivre en France sans leur famille, un assez fort isolement social.

Ces difficultés identifiées par divers rapports et études ont peu à peu été prises en compte par le SGII pour développer, à l’intention de ces personnes, en liaison avec divers partenaires, des politiques spécifiques dont les orientations principales sont les suivantes.

Le premier principe consiste, pour l’administration chargée d’assurer la bonne intégration des personnes immigrées qui, par choix ou par contrainte, vieillissent en France et y demeureront pour la plupart jusqu’à leur décès, à les accompagner sur ce parcours en évitant autant que possible la dégradation de leur situation.

Le deuxième principe consiste à recourir le moins possible à des dispositifs spécifiques, afin d’éviter la stigmatisation ou la mise en avant de ces personnes. Il s’est donc agi, sans créer de droits supplémentaires, d’utiliser autant que possible les politiques de droit commun pour permettre aux personnes âgées immigrées de jouir de l’ensemble des droits dont bénéficient les personnes âgées vivant en France.

Il ne suffit pas pour cela de déclarer que le droit commun est applicable : il faut développer les instruments permettant aux divers acteurs concernés de prendre en compte la situation particulière de ces personnes. La DAIC, que dirige Michel Aubouin, a mené au cours des deux dernières années un travail interministériel associant notamment aux administrations centrales et aux services déconcentrés les collectivités territoriales, les agences régionales de santé, les organismes de sécurité sociale, les gestionnaires de foyers et le monde associatif, afin de mobiliser davantage l’action de ces partenaires au bénéfice des personnes âgées immigrées. Un groupe de travail a été créé et s’est réuni une dizaine de fois entre 2010 et 2012 pour identifier les problèmes, définir les actions et s’assurer que les partenaires concernés les mettent en œuvre.

La Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), par exemple, a engagé à l’échelle régionale des expérimentations visant à développer l’information et l’accompagnement de certains publics précaires en focalisant l’attention sur les personnes âgées immigrées. Il s’agissait d’aller davantage à la rencontre de ces personnes pour faciliter leur accès aux droits et dispositifs existants.

Le groupe de travail a également permis d’intégrer dans le plan de préservation de l’autonomie des personnes âgées mis en place par la CNAV la prise en compte des difficultés particulières rencontrées par les personnes âgées immigrées.

La CNAV a par ailleurs passé avec d’autres acteurs du secteur, notamment l’Union des professionnels de l’hébergement social et Adoma, des conventions-cadres renforçant l’intervention des services d’aide à domicile au sein des structures pour mieux accompagner ces personnes.

La thématique relative aux personnes âgées immigrées a en outre été inscrite dans les programmes régionaux d’intégration des personnes immigrées (PRIPI), qui, pour la plupart, contiennent désormais des actions spécifiques visant à assurer l’accès aux droits sociaux, aux soins et à la santé, au maintien à domicile et à un logement plus conforme aux normes communément acceptées.

Sur le plan budgétaire, une partie des moyens dont nous disposons a été intégrée par l’intermédiaire du programme 104, géré par la DAIC, et des fonds européens dont nous assurons la gestion en faveur d’actions propres aux personnes âgées immigrées. Depuis 2010, 7 à 10 millions d’euros en moyenne sont ainsi consacrés chaque année à ce public. Nous pourrons vous présenter plus en détail, si vous le souhaitez, les actions ainsi financées.

Les dispositifs existants et la situation des personnes immigrées âgées peuvent être améliorés. Notre département de statistique travaille ainsi, en collaboration avec l’INSEE, à une meilleure appréhension statistique de la situation de ces personnes. Par ailleurs, les conclusions de votre mission d’information seront très importantes pour orienter la poursuite du travail interministériel que nous avons engagé. Nous continuerons en outre à intégrer dans les PRIPI la thématique des personnes âgées immigrées et à y consacrer, en fonction de l’évolution des crédits, le montant nécessaire.

Certains sujets suscitent cependant des interrogations. Tout d’abord, la situation du logement est très préoccupante et le plan d’action engagé pour améliorer les modalités de logement, notamment en foyer de travailleurs migrants, a pris du retard. Des évolutions budgétaires seraient nécessaires pour mener à bien ce plan – ce point sera évoqué prochainement lors de l’audition de M. Pierre-Yves Rebérioux.

Le deuxième point sur lequel des progrès sont possibles est l’accès aux droits. En effet, les personnes âgées immigrées rencontrent des difficultés pour accéder aux dispositifs de droit commun et une action beaucoup plus résolue devra être engagée avec les partenaires susceptibles de faciliter cet accès, afin de créer des dispositifs proactifs permettant d’aller à la rencontre de ces personnes et de leur indiquer comment bénéficier des dispositifs existants. Les trois acteurs principaux sont les conseils généraux, les caisses d’assurance maladie et les caisses d’assurance vieillesse.

Le troisième point qui soulève des interrogations concerne les droits sociaux non contributifs susceptibles d’être ouverts aux personnes immigrées âgées, mais exigeant que celles-ci justifient d’une durée minimale de résidence en France – durée variable selon les dispositifs, mais en moyenne de six mois. Les personnes qui ont choisi de vieillir en France sans renoncer pour autant à faire des allers et retours entre la France et leur pays d’origine peuvent ne pas respecter la règle de durée minimale de résidence qui ouvre le droit à certaines allocations non contributives et se trouver obligées de rester en France pour bénéficier de ces droits alors qu’elles souhaiteraient passer plus de temps dans leur pays d’origine. Le législateur a voulu créer un régime spécifique permettant de résoudre une partie de ces difficultés en instaurant une allocation différentielle destinée aux personnes justifiant d’un certain nombre d’années de résidence en France et remplissant certaines autres conditions, même si elles résident majoritairement à l’étranger.

L’élaboration des décrets d’application de cette loi a cependant rencontré des difficultés juridiques liées pour l’essentiel au droit communautaire. Un règlement européen récemment modifié exige en effet de prendre en compte, pour le versement de certaines prestations non contributives, le temps passé dans un autre État membre de l’Union européenne au même titre que le temps passé en France. Attribuer l’allocation au titre d’une certaine durée passée en France supposerait donc d’ouvrir aussi ce droit pour une durée cumulée identique passée dans l’ensemble de l’Union européenne, ce qui élargirait considérablement le nombre des bénéficiaires et aurait un impact budgétaire très important. Nos collègues de la direction de la sécurité sociale pourront vous fournir des précisions supplémentaires sur ce point : bien qu’il s’agisse de prestations non contributives, ce sont les règlements sur la sécurité sociale qui ont créé ce mécanisme d’équivalence au sein de l’Union européenne. Cet obstacle a retardé la mise en place d’un dispositif conçu initialement pour éviter de contraindre des personnes vivant majoritairement à l’étranger à demeurer en France uniquement pour pouvoir bénéficier de certains droits sociaux.

J’évoquerai enfin un type particulier de titre de séjour : la carte de séjour portant la mention « retraité », créée afin de rendre plus fluides les allers et retours entre la France et le pays d’origine et de permettre à ses titulaires de demeurer majoritairement dans leur pays d’origine sans pour autant les accabler de procédures à leur retour en France. Cette carte est en quelque sorte le pendant de la carte de résident : alors que cette dernière a une durée de dix ans et que son titulaire en perd le bénéfice s’il réside plus de trois ans hors de France, la carte de séjour « retraité » permet de vivre à l’étranger sans limitation de durée et de faire des allers et retours sans autre condition. Il s’agit donc d’une sorte de visa permanent pour la France.

Cette carte a cependant pour effet de rompre le lien avec l’assurance maladie pour les personnes de nationalité française ou pour les titulaires d’une carte de résident. Ces derniers bénéficient de plein droit de toutes les prestations de l’assurance maladie en fonction de leur statut, alors que les titulaires de la carte de séjour « retraité » ne peuvent bénéficier d’une prise en charge que pour les soins d’urgence, et non pour les soins de droit commun. De fait, ces personnes ayant choisi de résider majoritairement à l’étranger, elles devraient être prises en charge par les systèmes de santé des pays concernés. Ce dispositif a pu se révéler très dissuasif : le nombre de cartes de séjour « retraité » distribuées depuis l’origine du dispositif est estimé à 14 000 et on observe en tendance une diminution assez nette, année après année, avec 1 100 titres délivrés en 2011 et 700 en 2012. Cette tendance est également attribuée au fait que la majorité des personnes âgées immigrées fait aujourd’hui le choix de vivre en France et n’envisage plus de rentrer, comme la génération précédente, dans son pays d’origine.

M. Michel Aubouin, directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC). Je compléterai les propos de monsieur Derepas par une appréciation plus qualitative, en particulier à propos du cheminement que nous avons accompli au cours des dernières années sur la question des personnes âgées immigrées.

La DAIC a redécouvert sous un autre angle, depuis moins de trois ans, la thématique des personnes âgées que portait déjà la direction des populations et des migrations, direction du ministère des affaires sociales dont elle est héritière. Cette question était traditionnellement abordée par le biais du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants et axée sur la figure ancienne du travailleur migrant arrivé en France durant la période de l’immigration professionnelle – entre 1950 et 1973 – et résidant dans des foyers de travailleurs migrants, parfois depuis des décennies, où il vieillit dans des conditions souvent indignes après avoir longtemps travaillé en France. Cette conception est particulièrement illustrée par la figure des chibanis, anciens travailleurs de sexe masculin venus des pays du Maghreb, qui sont encore 200 000 environ en France.

Au cours des travaux des PRIPI sont remontés du terrain deux types de figure de personnes âgées immigrées.

Le premier, qui représente une partie importante de ces anciens travailleurs, ne vit pas dans des foyers, mais dans un habitat de centre-ville souvent dégradé
– hôtels meublés, hôtels sociaux ou logement social de fait –, dans des conditions plus indignes que dans les foyers de travailleurs migrants. Il est fortement concentré dans le sud de la France, notamment à Marseille, à Montpellier ou à Béziers, sans doute pour faciliter les allées et venues entre la France et les pays du sud de la Méditerranée.

L’autre figure, assez largement occultée, est celle de la veuve, réalité sociale encore plus difficile. Ces femmes, arrivées en France dans le cadre du regroupement familial, c’est-à-dire après 1974, et souvent beaucoup plus jeunes que leurs maris, sont devenues veuves sur notre territoire sans avoir eu la possibilité de s’y intégrer complètement. Elles ne vivent pas dans les foyers de travailleurs migrants, mais dans un habitat dégradé, parfois dans des conditions d’une extrême précarité.

Nous nous sommes attachés à mieux connaître et accompagner ces populations, qui représentent quelques dizaines de milliers de personnes.

Nous avons également constaté que subsistait l’idée fausse – qui avait pourtant parfois fondé des décisions – selon laquelle les personnes âgées immigrées n’aspiraient qu’à retourner dans leur pays d’origine. Cette idée est démentie par toutes les études de terrain. Certes, sur près de 3 millions de travailleurs entrés en France entre 1950 et 1974, une grande partie a regagné son pays, mais les 500 000 qui sont restés en France l’ont fait volontairement, et pas seulement pour des raisons de « confort ». La plupart de ceux que nous rencontrons n’émettent nullement le désir de repartir dans un pays que, depuis quarante ou cinquante ans, ils ne connaissent plus que par les séjours qu’ils y ont faits chaque année ou tous les deux ans, et cela même si leur famille y est restée. Qu’ils l’aient ou non choisi, ils entendent conserver jusqu’à leur fin ce mode de vie. Il importe de prendre en compte les personnes immigrées qui font la navette chaque année, sans leur imposer ni de rester en France ni de retourner dans leur pays d’origine dès lors qu’elles ne le souhaitent pas.

M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées. Je me contenterai, dans l’attente de mon audition prévue pour la semaine prochaine, de souligner l’intersection forte qui existe entre le monde des foyers et la question de la navette. Ce sont là des questions que je suis depuis plusieurs années.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. De quels instruments de mesure et d’évaluation des besoins liés au vieillissement des immigrés disposez-vous ?

Quels sont les moyens mobilisés en direction des immigrés âgés dans les programmes relevant de votre ministère, tout particulièrement au titre du programme 104 ? En complément des moyens engagés par le ministère, qu’en est-il des projets financés par le FEI des ressortissants de pays tiers, dont le programme pluriannuel s’achève précisément en 2013 ? Quelles sont les priorités envisagées pour la reconduction de ce programme ?

Quelle est la proportion des personnes ayant eu accès à la nationalité française ? Quelles sont les principales voies d’accès à la nationalité ? Quelle est la durée moyenne de séjour avant naturalisation ? Quelle est la part de personnes possédant une double nationalité ?

Il a été constaté que la durée moyenne de séjour pour obtenir la naturalisation par décret était de 17,5 ans pour les immigrés d’Afrique, de 15 ans pour les immigrés d’Asie et de 13,6 ans pour les immigrés d’Amérique. Pouvez-vous expliquer cette différence – qui peut atteindre quatre années – d’un continent à l’autre ?

Pourriez-vous également indiquer, par ordre de lien avec les pays d’origine, la part d’immigrés vivant en France depuis plus de vingt ans qui ont été rejoints par leur famille dans le cadre du regroupement familial depuis 1974 ? La demande a-t-elle été forte ou s’agit-il d’une minorité des personnes immigrées en France ?

Enfin, disposez-vous d’une statistique sur la part des immigrés souhaitant être enterrés dans leur pays d’origine ? Il semblerait que ce soit le cas pour une part significative de ces personnes – suffisamment en tout cas pour qu’Adoma envisage de proposer des services de ce type ?

Mme Hélène Geoffroy. Les demandes de cartes de séjour portant la mention « retraité » ont fortement diminué l’année dernière, passant de 1 100 à 700. Comment l’expliquez-vous ? La carte a-t-elle été créée dans l’idée que la plupart des personnes concernées allaient rentrer dans leurs pays d’origine, ce que la réalité a démenti, rendant le dispositif moins pertinent ? Hormis la question des soins, d’autres droits sont-ils également supprimés ?

La navette dont vous avez parlé se mesure-t-elle qualitativement, c’est-à-dire en relation avec les pays ou les continents d’origine, en fonction de comportements géographiques différents et de la présence, ou non, d’une famille sur place ?

Comment les PRIPI, qui dépendent des services de l’État, s’articulent-ils avec l’action des collectivités territoriales, notamment des départements et des communes ?

Mme Kheira Bouziane. Sans doute est-il prématuré de dresser le bilan des PRIPI, mais il n’en est pas moins souhaitable de connaître les résultats du dispositif des agents de développement local pour l’intégration (ADLI), mis en place en 1996, et l’évolution des moyens qui lui ont été accordés.

M. Pouria Amirshahi. Dispose-t-on de données relatives à la présence en France d’enfants d’immigrés âgés ? On présente généralement ces derniers comme des personnes isolées. On évoque davantage les liens de famille qu’ils ont conservés à l’étranger que ceux qu’ils ont en France.

M. le président Denis Jacquat. Pouvez-vous nous fournir des indications sur les éventuels projets européens ainsi que sur la situation des veuves ? Avez-vous identifié des besoins particuliers concernant les femmes ?

Le nombre de souhaits de retour dans le pays d’origine traduit-il des différences selon les pays et les continents ?

Les séjours en France métropolitaine correspondent souvent à des besoins de soins médicaux. Expliquent-ils les demandes de carte de séjour portant la mention « retraité » ?

M. Luc Derepas. Le département des statistiques du SGII opère, en liaison avec l’INSEE, des analyses spécifiques aux populations d’immigrés âgés, à partir du recensement général, qui constitue notre principale source d’information. À titre complémentaire, nous intégrons les données établies au niveau européen, notamment sur les conditions de vie, qui permettent des comparaisons avec les autres pays européens. Nous utilisons également les résultats de l’enquête Emploi, de l’enquête Trajectoires et origines, menée par l’Institut national d’études démographiques (INED), ou de l’enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants (ELIPA). Nous pourrions enfin envisager de mener nous-mêmes des enquêtes sur la population des immigrés âgés. Si, en 2003, l’INSEE et la CNAV ont étudié conjointement les modalités de passage des immigrés à la retraite, aucune enquête de ce type n’est en cours pour l’instant.

Nous ne disposons pas de données sur les souhaits des immigrés pour leur enterrement, car la question se traite principalement dans l’intimité des familles et ne fait pas l’objet d’un cadre juridique général. Peut-être faudrait-il y songer pour l’avenir afin de définir au moins quelques règles de base visant notamment à éviter des comportements indécents de la part de certains prestataires. La direction générale des collectivités territoriales (DGCL) suit cette question au niveau de l’administration centrale et pourrait examiner ses déclinaisons locales et particulières.

La diminution du nombre de demandes de cartes de séjour « retraité » s’explique mal. On peut cependant faire valoir que les personnes les plus âgées s’orientent souvent vers une fin de vie en France. Dans ce cas, la carte de résident est beaucoup plus avantageuse, limitant simplement à trois ans la durée de résidence à l’étranger. Par ailleurs, l’attribution de la carte de retraité fait perdre les droits à la couverture santé. Il en va différemment de la couverture des autres risques sociaux qui, le plus souvent, comporte une exigence de durée de résidence en France, généralement de six mois, mais variable selon les différentes catégories d’allocations : elle atteint huit mois pour l’aide personnalisée au logement (APL) et neuf mois pour le revenu de solidarité active (RSA) comme pour l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Dans ces conditions, la carte de séjour retraité peut avoir pour effet indirect de priver les intéressés de certains droits sociaux.

M. Michel Aubouin. Les crédits du SGII proviennent de deux sources : d’une part le programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », du ministère de l’intérieur, d’autre part le FEI.

Le premier, fixé pour trois ans, se décline à la fois au plan national et au plan régional, à travers les PRIPI dont les crédits sont déconcentrés au niveau du préfet de région. Pour les seules personnes âgées immigrées, les crédits correspondants ont été, en 2012, consommés à hauteur de 8 millions d’euros, dont 5,6 millions au titre des actions nationales et le reste au titre des actions locales.

Ces actions, très variées, concernent le financement des associations qui accompagnent ces personnes pour faire valoir leurs droits, la gestion de centres de santé prenant en compte les particularités des immigrés ou la problématique du logement.

Cette année, le FEI représente 14 millions d’euros pour la France et devrait être stabilisé.

Nous allons procéder à une évaluation des PRIPI pour la période 2010-2012 et nous lançons une nouvelle génération de PRIPI couvrant la période 2013-2015. La précédente évaluation avait relevé la difficile articulation avec les actions menées par les collectivités territoriales. Les nouveaux PRIPI en tiendront compte et associeront mieux les différents intervenants publics.

Il est souvent difficile de repérer les difficultés des immigrés âgés, qui forment généralement une population discrète peu encline à s’adresser d’elle-même aux services sociaux.

Sur les 2,5 millions d’immigrés venus en France entre 1945 et 1973, 422 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans y vivent encore. Quelque 200 000 ont demandé la nationalité française : elles avaient bénéficié du regroupement familial et leurs enfants, nés sur le territoire national, étaient français.

Parmi les immigrés âgés de nationalité étrangère, on compte environ 100 000 personnes isolées.

Le mouvement de naturalisation des plus de soixante-cinq ans continue et a concerné l’an dernier 490 Algériens, 258 Marocains et 104 Tunisiens. Viennent ensuite les Cambodgiens.

M. le président Denis Jacquat. Nous avons accueilli, en Moselle, de nombreux réfugiés du Sud-Est asiatique – Laotiens, Vietnamiens, Cambodgiens. Ces derniers, qui avaient fui un régime particulièrement dur, n’avaient aucun espoir de retourner chez eux. Ils prenaient donc très vite la nationalité de leur pays d’accueil.

M. Sergio Coronado. Je peux le confirmer, étant arrivé en France avec ma famille en 1982 : dans le foyer de France Terre d’asile, à Créteil, nous avons vu de nombreux Cambodgiens, qui savaient que les communautés traditionnelles, rurales et montagnardes, dont ils étaient issus, avaient beaucoup changé en cinq ou six ans et qu’ils auraient le plus grand mal à se réinstaller dans leur pays d’origine.

M. Michel Aubouin. Pour les personnes acquérant la nationalité française à un âge avancé, la durée moyenne de séjour en France avant l’accès à la nationalité était extrêmement longue : quarante et un ans pour les Tunisiens, trente-six ans pour les Algériens et trente-quatre ans pour les Marocains, alors qu’elle est de seize ans pour tous les ressortissants étrangers confondus.

M. le rapporteur. Les inégalités de durée d’attente de la naturalisation sont en effet préoccupantes.

M. Michel Aubouin. La durée de résidence de droit commun pour accéder à la nationalité française est de cinq ans (avant le dépôt de la demande). En pratique, les demandeurs ne déposent leur dossier qu’au bout de quinze ans. Mais ceux qui n’entendent pas revenir dans leur pays d’origine la demandent plus rapidement.

M. le président Denis Jacquat. La longueur des délais s’explique parfois par les lenteurs du pays d’origine à fournir certains documents.

M. Michel Aubouin. Les immigrés demandant à être naturalisés rencontrent généralement trois types de difficultés : l’application de l’article 21-16 du code civil qui fixe les conditions de résidence, et donc celle des attaches familiales de la personne en France, ce qui constitue un obstacle pour les hommes dont, par exemple, l’épouse réside à l’étranger ; celle de l’article 21-24 du code civil sur la condition de langue, car les personnes concernées parlent souvent très mal le français ; enfin la fourniture de documents administratifs ou d’état civil par le pays d’origine.

M. le rapporteur. La circulaire du 16 octobre 2012 a-t-elle eu un impact sur les démarches à effectuer ? Prend-on en compte le fait qu’un grand nombre de ces personnes, arrivées jeunes en France, n’a pas bénéficié de l’aide de réseaux associatifs, notamment pour faciliter l’alphabétisation ?

M. Michel Aubouin. La circulaire a dispensé les postulants à la naturalisation âgés de plus de soixante-cinq ans de produire l’attestation délivrée par un organisme certificateur ou un organisme de formation labellisé « français langue d’intégration ».

Nous nous efforçons aujourd’hui, en liaison avec diverses associations, de monter des opérations d’accompagnement des personnes désirant devenir françaises.

Depuis la loi de 1889 sur l’accès à la nationalité française, la France n’interdit pas les doubles nationalités, puisqu’elle les méconnaît. Nous ne disposons donc pas de statistiques sur le sujet, mais nous savons que la grande majorité des Marocains conservent leur nationalité, et probablement une part importante des Algériens. Certaines personnes craignent, à tort, que l’obtention de la nationalité française n’entraîne la déchéance de leur nationalité d’origine.

Mme Kheira Bouziane. Les ADLI ont été mis en place en 1996. Quel bilan peut-on aujourd’hui tirer de leur action ?

M. Philippe Vitel. Les immigrés hommes parviennent à peu près à s’exprimer convenablement en français, mais ce n’est pas toujours le cas pour leur veuve. L’action des associations est donc primordiale. En tenez-vous compte ? Quels sont les moyens disponibles ?

M. Michel Aubouin. La question des veuves n’est apparue que tardivement et les actions en leur faveur sont en cours de développement. Il s’agit le plus souvent de personnes très motivées qui, prises en charge, réalisent rapidement des progrès considérables. Il convient d’abord de les repérer et d’aider les structures qui les accompagnent.

Les ADLI sont aujourd’hui une trentaine et traitent largement des personnes âgées, particulièrement dans le sud de la France. Financés par le programme 104 ou par le FEI, ils amplifient utilement notre action et celle des collectivités territoriales.

M. Pierre-Yves Rebérioux. Les navettes expliquent largement les écarts statistiques portant sur les immigrés isolés, principalement les hommes, dont les familles résident souvent de l’autre côté de la Méditerranée. Les veuves, dont les enfants sont en France, retournent moins souvent et pour moins longtemps dans leur pays d’origine. A contrario, 30 à 50 % des hommes isolés résidents des foyers, des hôtels meublés et de l’habitat privé indigne résident très longuement chaque année de l’autre côté de la méditerranée ; cette part est la plus élevée en période de ramadan. Selon le recensement général, qui appréhende mal cette réalité, on compterait environ 60 000 personnes isolées ; en se fondant sur les sources internes aux foyers de travailleurs migrants, elles sont probablement plutôt entre 80 000 et 100 000.

La pratique de la navette est différente entre, d’une part les Maghrébins, qui reviennent parfois chez eux deux ou trois fois par an, et les Subsahariens, principalement de l’ethnie Soninké, très peu Bambara, qui viennent de la région de Kayes, au nord-ouest du Mali, aux confins du Sénégal et de la Mauritanie. En raison des difficultés du voyage – qui s’apparente parfois à une véritable expédition –, ces derniers effectuent des séjours moins fréquents, mais nettement plus longs. La pratique de la navette nécessite dans tous les cas une bonne santé : le voyage jusqu’à Agadir dans un car au confort sommaire est éprouvant pour un octogénaire…

Les immigrés retraités isolés continuent d’envoyer chaque mois de l’argent à leur famille car c’est le sens qu’ils ont donné à leur migration. Devenus retraités, ils rendent également plus souvent visite à leur famille que lorsqu’ils travaillaient. Cela crée une difficulté supplémentaire pour l’accès à certaines prestations médico-sociales liées au vieillissement – séjour en établissement d’hébergement pour personnes âgées (EHPA), voire en EHPAD –, car ils ne peuvent alors conserver que 10 % de leurs ressources, ou 90 euros au maximum. Pour eux, recourir au secteur médico-social reviendrait à renoncer à envoyer de l’argent au pays d’origine, l’acte qui précisément justifie le mode de vie qui est le leur depuis quarante ans.

La mise en œuvre de la loi sur le droit au logement opposable (DALO) se heurte à des blocages résultant du texte de loi lui-même, et non de ses décrets d’application.

M. le président Denis Jacquat. Messieurs, nous vous remercions pour tous ces éclaircissements.

Audition de M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), chef du service des politiques sociales et médico-sociales, au ministère des affaires sociales et de la santé

(extrait du procès-verbal de la séance du 31 janvier 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale de la cohésion sociale, chef du service des politiques sociales et médico-sociales au ministère des affaires sociales et de la santé.

La DGCS est, au sein des ministères sociaux, chargée de la conception, du pilotage et de l’évaluation des politiques publiques de solidarité, de développement social et de promotion de l’égalité favorisant la cohésion sociale. Elle est compétente en matière de politique familiale, d’autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées, d’égalité entre les femmes et les hommes et de promotion des droits des femmes, de prévention et de lutte contre les exclusions, et d’insertion des personnes en situation de précarité.

Nos premiers travaux ont montré que les personnes immigrées âgées des pays tiers à l’Union européenne éprouvaient des difficultés particulières d’accès aux dispositifs de droit commun d’aide sociale ou de prise en charge de la dépendance. Ce constat ressort notamment d’un rapport de l’IGAS de 2002 sur la situation des immigrés vieillissants, ainsi que d’un avis du Haut Conseil à l’intégration (HCI) de 2005 sur les travailleurs immigrés âgés.

Vous pourrez nous présenter les mesures mises en œuvre depuis lors et nous indiquer la façon dont les politiques de cohésion sociale, en lien avec les politiques d’intégration et de la ville, peuvent améliorer l’insertion sociale et favoriser l’autonomie des immigrés des pays tiers à l’Union européenne, dont 800 000 sont âgés de plus de cinquante-cinq ans et 350 000 de plus de soixante-cinq ans.

M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale de la direction générale de la cohésion sociale. L’action de la DGCS ne s’adresse pas directement au public spécifique que constituent les personnes âgées immigrées, mais le concerne à plusieurs titres. Après un rappel de ce que la DGCS – ainsi que l’ancienne direction générale des affaires sociales (DGAS) – et les services chargés de l’immigration ont réalisé au cours de ces dernières années, je mettrai l’accent sur quelques sujets en particulier. La DGCS intervient dans le domaine d’hébergement des personnes immigrées âgées, car la transformation des foyers pour travailleurs migrants en résidences sociales fait appel à des dispositifs de financement qui relèvent de notre compétence. Nous avons été à l’initiative de travaux qui analysent la façon dont certains schémas gérontologiques départementaux prennent en compte la spécificité de la population immigrée. Participant à la gestion des minima sociaux aux côtés des groupements de coopération sociale (GCS), la DGCS a son mot à dire sur la question de l’accès aux droits et aux prestations, tout comme sur la situation des femmes immigrées âgées. Sans méconnaître le secteur de la sécurité sociale, nous sommes moins compétents en matière d’accès aux retraites ou aux dispositifs réservés aux personnes âgées. Enfin, certaines mesures récemment décidées dans le cadre du Comité interministériel de lutte contre les exclusions (CILE), sans être destinées aux personnes immigrées et âgées en particulier, peuvent contribuer à améliorer leur situation.

Notre collaboration avec les services de la DAIC du ministère de l’intérieur s’est développée au fil du temps, la préparation conjointe d’un comité interministériel pour l’intégration, en 2011, en ayant constitué un moment particulièrement fort. Si ce comité ne s’est finalement pas tenu, le travail réalisé à cette occasion par la DGCS, la DAIC, les services de la sécurité sociale et d’autres administrations vient irriguer nos actions actuelles. Un groupe de travail s’était ainsi penché sur l’accès aux soins, à la santé et à la prévention des populations immigrées, une attention particulière ayant été portée aux résidences sociales et aux difficultés d’accès aux prestations sociales. Il en est ressorti que, au-delà des obstacles techniques, juridiques ou réglementaires, l’essentiel des problèmes relevaient d’un énorme déficit d’information, et de la difficulté d’adapter le message aux besoins particuliers des vieux travailleurs migrants et des femmes immigrées âgées, souvent veuves et isolées.

Nous avons également pris connaissance des statistiques sur les conditions d’accès des immigrés âgés à la retraite et à la complémentaire santé, recueillies par la division des affaires communautaires de la direction de la sécurité sociale (DSS), ainsi que des conclusions d’une enquête sur le vieillissement des immigrés que la CNAV avait conduite avec l’INSEE.

Ces travaux nous ont permis de repérer les expériences menées sur le terrain. Le département de l’Hérault s’est ainsi inspiré d’une étude de l’Observatoire régional de santé (ORS) du Languedoc-Roussillon pour mettre en réseau des services de droit commun et intégrer dans le schéma gérontologique départemental la question des personnes âgées immigrées. Des opérations intéressantes ont également été conduites dans la région Midi-Pyrénées, en lien avec la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) : le Centre d’initiative et de ressources régionales autour du vieillissement des populations immigrées (CIRRVI) a mené des actions de formation, d’analyse des besoins et d’accompagnement qui ont contribué à l’élaboration du nouveau PRIPI, qui inclut la question de la santé et du logement. Sans procéder d’une directive donnée par le haut, ces travaux préparatoires se sont ainsi appuyés sur des expériences locales qu’il est important de connaître.

La collaboration avec la DAIC se traduit également par notre participation aux travaux de la CILPI, qui concernent la transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales. Enfin, même si ce projet n’a pas abouti, nous avions mis au point ensemble quelques propositions portant sur les besoins spécifiques des immigrés âgés dans les foyers, sur les actions sociales qu’il conviendrait de conduire en matière d’accueil – en articulation, à l’échelon local, avec les centres communaux d’action sociale (CCAS) –, ainsi que sur l’information et l’accès aux droits et aux dispositifs sanitaires. L’ensemble de ces travaux a été réalisé entre 2010 et 2011.

Depuis de nombreuses années, les foyers de travailleurs migrants peuvent être transformés en résidences sociales. Ils doivent pour cela répondre à des normes de construction, mais surtout présenter un projet social qui leur permette de bénéficier de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS), à laquelle nous consacrons actuellement 11 millions d’euros par an au titre du programme budgétaire 177. À la date du dernier recensement, fin 2012, on comptait 238 foyers pour travailleurs migrants transformés en résidences sociales
– soit un parc de 33 000 places –, dont 183 bénéficiaient de l’AGLS. Cette aide – qui s’adresse à l’ensemble des résidences sociales – n’a pas été revalorisée depuis 2006, mais un renforcement a été annoncé lors la dernière réunion du CILE. Plusieurs mesures nouvelles encore en discussion devraient nous permettre, en 2013, 2014 et 2015, de poursuivre l’effort en faveur des résidences sociales, et donc des foyers de travailleurs migrants qui ont pris cette qualification, dont 30 à 40 % des résidents ont plus de soixante ans.

Comment agir face au vieillissement des personnes immigrées résidant dans les foyers ? Parmi les pistes envisagées, celle des structures spécifiques réservées aux immigrés âgés a recueilli des avis partagés. L’étude que nous avons fait conduire sur cette question montre qu’il est indispensable, lorsqu’un foyer pour travailleurs migrants transformé en résidence sociale comporte une proportion importante de personnes âgées, de lui permettre de s’adapter à ce public, en termes d’architecture, de mobilier, d’animation et d’appui ; en revanche, il ne paraît pas souhaitable de créer des structures coupées du droit commun. Nous estimons préférable d’aider le développement et l’aménagement des foyers, tout en les mettant en contact avec les services de gérontologie et les structures d’accueil pour personnes âgées de droit commun qui, le jour venu, pourront accueillir les immigrés devenus dépendants. Aussi croyons-nous davantage à la mise en réseau et au passage progressif de relais qu’à la création d’EHPAD réservés aux personnes immigrées. Les choix ne sont cependant pas encore faits, et je tâcherai de porter à votre connaissance les préconisations des travaux et études qui nous ont amenés à ces conclusions.

Il y a quatre ans, un questionnaire diffusé aux comités départementaux des retraités et des personnes âgées (CODERPA) nous a permis de les interroger sur les difficultés des immigrés vieillissants et les actions menées à leur intention. Au moment de l’enquête, une dizaine de départements avaient réalisé des schémas gérontologiques intégrant la question des personnes âgées immigrées en matière d’habitat, d’intervention à domicile, d’articulation avec les EHPAD, d’accompagnement dans les démarches, d’actions d’information, de partenariats avec les services de gérontologie, de prévention et d’accès aux soins. Au-delà de ces thématiques figurant dans les schémas – qui ne représentent que des projets –, la liste des réalisations qui en ont résulté figure également dans le rapport.

S’agissant de l’accès aux droits, s’il faut saluer les initiatives existantes – comme la réalisation d’un guide sur l’accès à la retraite –, peu d’efforts ont été faits pour rendre l’information accessible et compréhensible par des publics qui n’y sont pas préparés. Les annonces faites par le Gouvernement dans le cadre du CILE sur l’action à conduire pour lutter contre le phénomène du non-recours aux droits laissent entrevoir une solution possible : au lieu d’attendre que les personnes les plus en difficulté aillent vers les services compétents, il faut au contraire aller vers ces demandeurs confrontés aux problèmes culturels et à l’isolement, à l’instar des femmes étrangères âgées.

Les dispositifs de la DGCS s’adressent en premier lieu aux étrangers en situation irrégulière, qui représentent un véritable défi pour les structures d’hébergement – notamment d’urgence –, à cause du droit inconditionnel à l’hébergement ; la question des Roms nous mobilise également. L’analyse que nous avons menée il y a deux ou trois ans, au moment du débat sur l’accès aux droits des étrangers, nous a pourtant permis de prendre conscience que des personnes en situation régulière, présentes depuis longtemps sur le territoire, peuvent elles aussi se trouver confrontées à des difficultés, souvent techniques. L’accès à l’ASPA est ainsi soumis à la condition de résidence régulière, six mois par an, qui n’est pas sans poser problème aux personnes âgées immigrées dont certaines effectuent des allers-retours fréquents entre la France et le pays d’origine. Pour l’heure, aucun changement n’est toutefois envisagé.

Accueillant en son sein le service des droits des femmes, la DGCS suit avec attention les difficultés très particulières des immigrées âgées, et si un comité interministériel ou un ensemble de mesures sur les immigrés devaient voir le jour, nous appuierions cette question auprès de la DAIC. Afin de ne pas empiéter sur les responsabilités des services chargés de l’immigration, nous préférons pourtant aborder ce problème en amont, car une action précoce peut éviter qu’une femme immigrée ne se retrouve, en vieillissant, dans une situation de précarité et d’isolement qui l’empêcherait de faire valoir ses droits. Le travail que notre direction mène sur les droits des femmes porte sur les questions d’accès à l’emploi, de lutte contre la violence et d’égalité entre les hommes et les femmes. Ces mesures visent les générations encore jeunes, et non les personnes âgées installées dans la difficulté.

Au-delà des 11 millions d’euros que nous versons, au titre de l’AGLS, aux résidences sociales, la DGCS distribue d’autres subventions. Le programme budgétaire 137, consacré aux droits des femmes, n’inclut pas de financement dédié aux femmes immigrées âgées ; le programme 177 ne prévoit pas non plus, au plan national, de fléchage vers les associations d’aide aux immigrés, ce type de subventions étant pris en charge par le ministère de l’intérieur. En revanche, dans le cadre d’une convention pluriannuelle, nous apportons une aide à l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), importante tête de réseau en matière d’accueil.

Il faut enfin mentionner les mesures du CILE annoncées au mois de janvier ; sans être toutes directement destinées aux personnes immigrées – ce n’était pas l’objet du plan quinquennal –, elles les concernent amplement. L’action en faveur de l’accès aux droits et la lutte contre le non-recours se traduiront notamment par des indicateurs qui figureront dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) qui nous lient à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Le développement d’une offre de logement adapté et le renforcement de l’AGLS, annoncés par le Premier ministre, concerneront une bonne partie des résidences sociales accueillant des personnes immigrées âgées. Enfin, lorsque le projet de mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées (MONALISA), lancé par les Petits Frères des pauvres, recevra le concours de l’État, dans le cadre du plan porté par Mme Michèle Delaunay, la question des personnes immigrées y trouvera assurément sa place.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Une grande partie des immigrés âgés habitent des territoires qualifiés de zones prioritaires. Comment encourager, dans ces quartiers, la création d’activités de soins aux populations vieillissantes et parfois dépendantes ? Avez-vous des relations avec le secteur de l’économie sociale et solidaire qui se spécialise dans ce type de services ?

L’entrée dans la dépendance de cette population est-elle précoce, à cause d’une activité professionnelle souvent pénible ou d’un recours limité aux soins médicaux ?

La prise en compte de la question des immigrés par certains schémas gérontologiques est liée aux spécificités locales, et notamment à la présence, sur le territoire concerné, des populations immigrées. Quel rôle jouent, à votre avis, les CLIC gérontologiques ?

En matière d’accès aux droits, comment mieux prendre en compte les besoins des immigrés âgés dans leur relation avec les différents organismes sociaux ? Les rapports distants que cette population entretient avec les services de sécurité sociale ne sont pas étrangers à ses problèmes d’accès aux soins médicaux.

Enfin, les conditions de résidence auxquels sont soumis certains droits sociaux non contributifs – tels que le RSA ou l’ASPA – vous semblent-t-elles adaptées, et les modalités de contrôle, satisfaisantes, tant du point de vue de l’application des règles que du respect des droits des personnes immigrées ?

Mme Hélène Geoffroy. Pourquoi la réflexion qui avait été menée sur l’accueil des immigrés âgés n’a-t-elle pas abouti ? L’aménagement d’un accueil adapté à ce public a-t-il rencontré des lenteurs ou des freins ?

S’agissant des EHPAD, vos propos semblent dessiner deux écoles de pensée : hébergement des personnes âgées au sein des foyers – transformés – où elles ont longtemps vécu, ou bien inscription dans le droit commun existant. Quelles sont leurs limites respectives ?

M. le président Denis Jacquat. Disposez-vous, sur la question des immigrés âgés, de points de comparaison à l’échelle européenne ?

M. Philippe Didier-Courbin. Monsieur Bachelay, la DGCS n’ayant pas la maîtrise des dispositifs d’accès aux soins, nous agissons par le biais des liens privilégiés que nous entretenons avec le réseau des ARS. L’année dernière, les directeurs généraux des ARS et les directeurs régionaux de la cohésion sociale ont ainsi organisé un séminaire national, animé par la directrice générale de la cohésion sociale, sur la question de l’accès aux soins des personnes en situation de précarité. Nous veillons, en effet, à ce que les programmes régionaux de santé, en constante évolution, tiennent compte du problème d’accès aux soins des plus démunis, en concertation avec les directions de la cohésion sociale et les collectivités territoriales. C’est en coordonnant l’action des ARS et en mettant en commun les expériences – l’objet du séminaire – que nous travaillons sur cette question, les personnes immigrées âgées faisant partie des publics concernés par notre action. Nous avons l’intention de poursuivre l’effort afin que les orientations décidées lors du séminaire s’installent dans la durée.

Il est difficile de décrire avec précision les spécificités du vieillissement des immigrés. Une partie de la population étrangère, qui vit en habitat diffus, échappe à l’observation ; surtout, on ne demande pas sa nationalité à un patient qui vient à l’hôpital ou qui se rend dans une caisse de sécurité sociale. La DGCS comme la DAIC s’appuient donc moins sur les statistiques que sur l’observation locale qui, pour n’être pas toujours scientifique, reste parlante. Ces remontées du terrain montrent que les personnes résidant dans les foyers subissent une usure prématurée liée aux métiers qu’elles ont exercés, à leurs conditions de vie et au manque de suivi médical.

Madame Geoffroy, il ne s’agit pas de choisir entre structures dédiées aux immigrés âgés et structures de droit commun. L’essentiel est de permettre à la personne vieillissante de conserver son lieu de vie, et si ce lieu est un foyer – comme c’est souvent le cas pour cette génération –, il faut tout faire pour qu’elle puisse continuer à y vivre si elle le souhaite. Il faut alors que ce foyer s’adapte progressivement aux besoins physiques de ses habitants et noue des liens avec les services de droit commun – aide à domicile, infirmiers à domicile ou gérontologie –, afin d’assurer le suivi médical et de préparer l’éventualité d’un futur hébergement dans un EHPAD. Mais créer des EHPAD spéciaux pour immigrés n’apparaît pas souhaitable.

S’agissant des schémas gérontologiques, je vous renvoie à l’enquête que nous avons menée avec les CODERPA, qui recense les cas dans lesquels ces schémas ont tenu compte de la question de la population immigrée, en relation avec les CLIC.

L’amélioration de la prise en compte des besoins de cette population renvoie, pour nous, aux financements que nous accordons, à travers l’AGLS, aux résidences sociales. Aujourd’hui, c’est à l’échelon local et en fonction de chaque projet que les services déconcentrés de notre ministère décident, dans le cadre d’une convention, de l’octroi de cette aide et qu’ils en fixent le montant. L’enveloppe globale n’a pas été augmentée depuis des années ; par ailleurs, les critères qu’une résidence doit remplir pour en bénéficier étant définis dans la circulaire de 2006, déjà ancienne, les décisions – souvent éclairées – des services déconcentrés souffrent aujourd’hui d’un manque de coordination à l’échelle nationale. Les mesures annoncées dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale comportent une légère augmentation de l’enveloppe de l’AGLS, mais surtout une remise à plat de la circulaire qui en régit l’emploi. Les nouvelles instructions nous permettront de mieux définir les attentes à l’égard des résidences sociales qui accueillent des immigrés âgés.

Les succès ou échecs des différents guichets des caisses de sécurité sociale constituent un sujet sensible. Le travail des agents n’est pas en cause ; rendre ces organismes accessibles aux personnes immigrées âgées implique plutôt, au-delà des initiatives isolées, d’élaborer un discours politique national audible sur la question. Le problème du non-recours aux droits par les bénéficiaires potentiels de certaines prestations est ainsi à dissocier de la lutte contre l’abus de ces prestations par des personnes qui n’y ont pas droit. Seule une action politique déterminée et affichée – incluant l’introduction, dans les COG qui lient les caisses à l’État, d’indicateurs portant sur le non-accès aux droits – pourra créer un cadre permettant de généraliser les bonnes pratiques. N’étant pas chef de file en matière de politique à l’intention des immigrés, la DGCS ne saurait devenir le porte-drapeau de ce combat, mais les préoccupations que vous exprimez et l’existence même d’une mission d’information sur la question constituent pour nous un signal. Lorsque nous aborderons, dans le cadre de la COG, la question de l’accès aux droits, nous tâcherons de considérer non seulement les personnes en situation de précarité, mais également des publics marginalisés pour d’autres raisons. En somme, le progrès en cette matière exige un message qui articule les aspects politique, administratif et technique.

Les obstacles techniques dans l’accès aux droits résultent parfois des parcours chaotiques des immigrés âgés – et en particulier des femmes qui ont peu travaillé –, certaines personnes peinant à constituer leur dossier. Une partie des dispositifs comporte également des obstacles intrinsèques, à l’image de l’ASPA soumise à la condition de résidence régulière. Dans ce domaine, aucune évolution n’est envisageable sans une décision d’ordre politique, impliquant des conséquences financières qui ne relèvent pas de la DGCS.

S’agissant des comparaisons internationales, je ne dispose malheureusement d’aucune information.

M. le président Denis Jacquat. Les immigrés âgés sont nombreux en Allemagne, même si leur gestion au sein des Länder relève d’une politique davantage régionale que nationale. Les exemples étrangers pourraient nous fournir des sources d’inspiration.

M. Philippe Didier-Courbin. Les travaux sur la situation des immigrés âgés en Europe s’apparentent à des réflexions très générales et proposent peu d’illustrations concrètes.

M. le président Denis Jacquat. Monsieur Didier-Courbin, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions.

Audition de M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général
de la Commission interministérielle pour le logement
des populations immigrées (CILPI)


(extrait du procès-verbal de la séance du 7 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Soyez le bienvenu, monsieur Rebérioux. C’est votre deuxième audition par notre mission d’information, cette fois au titre de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI). Créée en 1998, celle-ci est chargée de mener des actions en faveur du logement des personnes immigrées et de leurs familles. Elle a notamment une mission de proposition et de coordination mais elle doit aussi élaborer, à partir des propositions des préfets, des programmes d’opérations éligibles au financement par la participation des employeurs à l’effort de construction, et elle pilote le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM). Elle est présidée par le ministre chargé de l’intégration, ou par son représentant, et réunit les ministres chargés du logement, des affaires sociales, du budget, de l’économie et des finances, ou leurs représentants.

Monsieur Rebérioux, vous êtes délégué général de la CILPI depuis juillet 2001 et vous êtes également, depuis décembre 2005, administrateur de la société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA), devenue Adoma en janvier 2007.

M. Pierre-Yves Rebérioux. Les politiques publiques tiennent peu compte de la fraction des immigrés extracommunautaires qui, âgés, isolés ayant généralement conservé leur nationalité, vivent dans l’habitat indigne et les hôtels dits meublés, c’est-à-dire dans les pires conditions qui soient : en comparaison, le « bas de gamme » des foyers de travailleurs migrants peut sembler correct. Totalement à l’écart de la société, ces personnes ne disposent d’aucun lien social et, compte tenu des caractéristiques de leur habitat, nous ne pouvons compter sur aucun gestionnaire pour nous permettre de les détecter et de porter attention à leurs besoins.

Sa situation n’est abordée, par les politiques publiques, qu’à travers l’éradication de l’habitat indigne, au croisement des politiques du logement et de la santé, sans prise en compte des caractéristiques de cette population. De ce fait, je ne suis guère à même de vous donner des informations précises sur le sujet qui mériterait pourtant d’être l’objet de travaux.

Quant aux foyers de travailleurs migrants (FTM), ils ont été conçus à l’origine à deux fins, toutes deux discriminatoires : produire du sous-logement et faire vivre les immigrés à l’écart de la société. Ces deux objectifs ont été parfaitement atteints. Quarante ou cinquante ans après leur création, la situation reste largement inchangée, bien que 40 % du programme de traitement des foyers ait été réalisé à ce jour. Les foyers Adoma représentent, avec les résidences sociales qui en sont issues, 55 % du secteur : ils offrent ce qu’on pourrait considérer comme le « moyen de gamme ». Or, il s’agit bien souvent de chambres de 7 mètres carrés, certes plus spacieuses que celles de 4,5 mètres carrés – le « bas de gamme » –, qui ont aujourd’hui disparu, mais dans lesquelles des immigrés, essentiellement maghrébins, ont vécu pendant quarante ou cinquante ans. Existent également des chambres à lits multiples, où sont logés pour l’essentiel des travailleurs originaires des régions subsahéliennes, issues majoritairement des ethnies Soninké et Bambara.

Ces logements étaient déjà d’un autre âge lorsqu’on les a construits. Le modèle économique fondateur visait à surveiller de la main-d’œuvre bon marché, à la tenir à l’écart de la société françaises sans la faire bénéficier d’aucun travail social. Rien n’a changé à cet égard et ces conditions d’hébergement, déjà scandaleuses à l’époque, sont bien évidemment inadaptées à une population – toujours la même – qui dépasse soixante-dix, voire soixante-quinze ans. Dans certains foyers que j’ai visités, l’âge moyen dépassait soixante-quinze ans. Ces foyers fonctionnent toujours comme lors de leur création, avec seulement un responsable administratif et un ouvrier de maintenance, et ce sont plus de 20 000 chambres de 7 mètres carrés qui sont ainsi gérées par Adoma, sur un total de 60 000 !

Sur 110 000 lits ou logements, dans les FTM et dans les résidences sociales issues de leur transformation, environ 35 000 sont occupés par des personnes de soixante-cinq ans et plus, très majoritairement de nationalité étrangère. S’y ajoute une population de cinquante-cinq à soixante-quatre ans, appelée à vieillir dans cet habitat – FTM ou résidences sociales. Le problème apparu il y a de cela une vingtaine d’années n’est donc pas près de s’atténuer.

La fonction d’hébergement de main-d’œuvre étant passée au second plan avec l’aggravation du chômage et le tarissement des flux d’immigration de travailleurs, on s’est posé la question du devenir de ces structures. Après la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, le choix a été fait de transformer progressivement les FTM en résidences sociales de droit commun, mais sans apporter par là même de réponse satisfaisante aux besoins d’accompagnement des personnes, grâce à la mobilisation des dispositifs de droit commun et à un travail de médiation sociale. Il y a certes eu l’institution de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS), mais celle-ci ne vise en rien à traiter les problèmes spécifiques des immigrés âgés. Cela étant, le bâti de ces résidences est convenable, voire de qualité, comme en témoigne la résidence Hector-Berlioz de Bobigny que monsieur le rapporteur a visitée, mais qui n’est pas parfaitement représentative de la qualité habituelle de ces établissements.

On a toutefois voulu intégrer la prise en compte des besoins des résidents, notamment des plus âgés, dans les politiques locales, autrement dit ne plus les laisser vivre à l’écart de la société. Ce qui implique des discussions longues et approfondies avec les collectivités territoriales afin de mobiliser leurs dispositifs sociaux de droit commun, par exemple pour le maintien à domicile. À la nécessaire transformation du bâti s’ajoute la volonté de réinsérer les immigrés âgés dans les préoccupations locales.

La navette des immigrés âgés entre la France et leur pays d’origine soulève une autre série de problèmes, qui ne tiennent nullement à la nationalité des personnes concernées – des Français circulant entre la France et l’étranger rencontreraient les mêmes –, mais au heurt entre un mode de vie et certaines règles fiscales et sociales. Ainsi, à la différence des retraites contributives qui sont « exportables » contrairement à ce que certains soutiennent, le bénéfice de prestations non contributives comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) est soumis à certaines conditions de durée de résidence. Par ailleurs, la résidence fiscale en France permet d’obtenir un avis d’imposition ou de non-imposition, qui sont eux-mêmes nécessaires pour accéder à l’aide personnalisée au logement (APL) ou faire renouveler la carte de résident de dix ans.

De plus, ces exigences sont différentes selon les régimes et les prestations. La résidence fiscale suppose de séjourner en France au moins pendant six mois et un jour et, si la durée est la même pour l’obtention de l’ASPA, après avoir été de neuf mois jusqu’en 2007, concernant l’APL, elle est de huit mois, non de résidence en France mais d’occupation du logement, ce qui pose des problèmes à certaines catégories de population.

Par ailleurs, le bénéfice de l’APL est réservé aux personnes dont les revenus individuels sont inférieurs à 1 100 euros par mois, mais la condition de revenu n’est que de 780 euros pour l’ASPA. Le public concerné par l’APL est par définition nettement plus nombreux que celui concerné par l’ASPA.

Ces règles de droit commun concernent un grand nombre de ménages – près d’un quart dans le cas des aides à la personne – au sein desquels les immigrés âgés ne représentent qu’une petite minorité. Instaurer des règles dérogatoires en leur seule faveur pose immédiatement le problème de la discrimination, fût-elle positive. Il n’est donc pas aisé de modifier des règles structurantes de droit commun non fondées sur la nationalité pour les adapter à un micro-public. Se greffe sur ce problème celui du respect du droit européen.

Pour contourner la difficulté, on a d’abord envisagé de créer une allocation spécifique qui, se substituant aux prestations existantes, permettrait aux immigrés de vivre plus longuement dans leur pays d’origine au cours d’une année. Une loi a été votée en ce sens, mais la rédaction du décret d’application s’est heurtée au droit communautaire : le Conseil d’État a fait valoir qu’une telle allocation, considérée par le droit communautaire comme une prestation de sécurité sociale, devait s’appliquer aux immigrés remplissant la condition de résidence, fixée en l’espèce à quinze ans, – dans n’importe quel pays de l’Union européenne, et pas uniquement en France. On imagine sans peine la portée politique et financière d’un tel dispositif ainsi que les problèmes concrets que poserait son contrôle.

D’autres solutions sont donc à rechercher.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Pouvez-vous préciser de quelle façon, selon quel processus et au vu de quelles consultations, la disposition législative instituant cette prestation alternative, versée aux immigrés dans leur pays d’origine, a été bloquée dans sa mise en œuvre pour des raisons tenant au droit communautaire ? Pourquoi le Parlement n’a-t-il pas été de nouveau saisi de la question, puisqu’il était notamment prévu par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable qu’un rapport lui serait remis avant le 31 décembre 2009 ? L’exercice par la représentation nationale de son droit de suite aurait peut-être fait émerger des solutions alternatives. Lesquelles avez-vous explorées jusqu’ici ?

La situation des 90 % d’immigrés âgés vivant hors des foyers, dans l’habitat diffus, est effectivement dramatique. Comment peut-on les aider et bâtir une politique sociale adaptée à leur situation, étant observé que leurs conditions de vie réelles sont mal connues et qu’ils ont, pour beaucoup, renoncé à solliciter des aides?

Mme Hélène Geoffroy. Pouvez-vous préciser quelles formules alternatives de prestations sociales vous préconisez ? Liez-vous l’attribution d’un complément de retraite à la condition que les bénéficiaires restent résidents des foyers ?

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la pratique de la navette et sur ses conséquences ?

Pourquoi tant d’immigrés n’ont-ils jamais quitté les foyers qui ne devaient constituer qu’un hébergement temporaire ? A-t-on réussi à créer, avec les résidences sociales, des lieux de vie plus accueillants pour les personnes âgées ? Comment s’organise dans ce cadre l’accès aux soins ?

M. le président Denis Jacquat. Les premiers foyers construits par la SONACOTRA étaient souvent de bonne qualité. En Lorraine, on avait fait appel à des Grands prix de Rome pour en être les architectes. On pouvait comparer les conditions d’hébergement proposées à celles des résidences universitaires de la même époque. Certains foyers étaient même présentés comme des chefs-d’œuvre du logement social. Mais il est vrai qu’il n’y a eu aucune évolution en quarante ans, de sorte que ces immigrés, restés en définitive dans notre pays, sont logés dans des conditions inchangées, devenues inadaptées à des personnes âgées.

M. Pierre-Yves Rebérioux. La comparaison avec les chambres des cités universitaires, intéressante par elle-même, a cependant ses limites : un étudiant ne vit pas pendant quarante-cinq ans dans le même local et le « bas de gamme » des cités universitaires – des chambres de 9 ou 10 mètres carrés – correspond à peu près au « haut de gamme » des foyers de travailleurs immigrés. Toute l’hypocrisie de ce système, à partir de 1956, a consisté à faire comme si ces gens ne devaient rester dans ces foyers que quelques années et à continuer à en construire sur le même modèle jusqu’au début des années quatre-vingt. Je reviens en effet sans arrêt à la même observation : concevoir des hébergements spécifiquement pour les immigrés a toutes les chances de produire du sous-logement, en dessous des normes en vigueur. J’ai ainsi rencontré quelqu’un, à Montreuil, qui vivait dans 4,5 mètres carrés depuis quarante-deux ans !

Selon le recensement général, sur 350 000 immigrés âgés de soixante-cinq ans et plus, environ 100 000 vivent isolés, dont 60 000 de nationalité étrangère. Mais il s’agit là d’une sous-évaluation, aussi bien s’agissant des foyers que des hôtels dits « meublés », où les conditions de vie sont les mêmes et dont les pensionnaires passent une bonne partie de l’année dans leur pays d’origine, de sorte qu’ils sont souvent absents au moment du recensement. J’estime pour ma part à environ 30 000 le nombre de personnes vivant en habitat privé indigne et, alors que le recensement en compte 19 000, à 35 000, comme je l’ai dit, le nombre de celles qui sont logées en foyer ou en résidence sociale.

Le film La graine et le mulet, de 2007, a donné une image sympathique de leurs conditions de vie, mais hélas fort éloignées de la réalité, lorsque les enfants des immigrés âgés ne vivent pas en France.

Comment aller à la rencontre de ces publics ? Depuis une dizaine d’années s’est mise en place une politique d’éradication de l’habitat indigne sur laquelle vous pourriez prendre appui. Une table ronde réunissant des représentants de l’État et des collectivités territoriales permettrait de définir les conditions dans lesquelles une politique visant à résorber le mal-logement pourrait être complétée par la prise en compte d’une population spécifique, dont l’état de santé est parfois préoccupant. Mais ce genre de politique implique des interventions très fines, par bloc d’immeubles, sinon par immeuble – beaucoup plus fines par exemple que celles qu’a conduites l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) à Saint-Étienne et à Toulon.

La modification des conditions de durée de résidence pour ouvrir droit à l’aide à la réinsertion familiale et sociale (ARFS) des anciens migrants dans leur pays d’origine s’est faite dans le cadre d’un projet de loi pour lequel on a volontairement ignoré, pour des raisons politiques, l’avis du Conseil d’État. Celui-ci avait indiqué qu’on ne pouvait réserver, au regard du droit communautaire, au seul territoire français l’exigence d’une durée de résidence antérieure de quinze ans. L’article 58 de la loi du 5 mars 2007 a donc été ainsi adopté et n’a pas été soumis au Conseil constitutionnel.

Saisi du projet de décret d’application, le Conseil d’État a formulé les mêmes remarques que la première fois et indiqué qu’en cas de contentieux, le décret serait probablement annulé. Le risque juridique a alors semblé tel qu’on a renoncé à ce texte. D’où le blocage que j’ai mentionné.

En outre, le fait que la loi ait précisé que l’aide désormais prévue à l’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles ne constituait « en aucun cas une prestation de sécurité sociale » attirait maladroitement l’attention sur la faiblesse du dispositif au regard du droit communautaire.

M. le rapporteur. Quelle était la rédaction proposée par le Conseil d’État ?

M. Pierre-Yves Rebérioux. Elle consistait simplement à élargir la condition de résidence antérieure à tous les pays de l’Union européenne.

M. le rapporteur. A-t-on ensuite étudié des formules alternatives ?

M. Pierre-Yves Rebérioux. On a d’abord réduit la condition de durée de résidence ouvrant droit à l’ASPA de neuf à six mois, comme pour la résidence fiscale. Je rappelle que l’aide correspondante, comme les autres minima sociaux, apporte un complément de revenu pour permettre de vivre en France, non à l’étranger, et, dans ce cadre, on pourrait difficilement descendre en dessous du seuil de six mois. L’ARFS répondait donc à une autre logique puisqu’elle devait bénéficier à des personnes ne désirant pas vivre en France.

On a ensuite envisagé de passer par des accords bilatéraux avec les États étrangers concernés, essentiellement l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Mali. D’une façon générale, les gouvernements de ces pays n’ont pas manifesté un grand enthousiasme à l’égard d’un sujet pour eux très marginal et auraient préféré un accord global portant sur bien d’autres questions. C’est donc seulement avec le Mali qu’un projet a pu être rédigé et discuté, ce pays se montrant très intéressé par le versement d’une somme d’argent à ses ressortissants, mais la tentative a échoué faute d’accord sur d’autres dispositions.

Il nous faut donc maintenant explorer d’autres pistes, sur la base de nouvelles expertises juridiques dont nous ne disposons pas encore.

En attendant, il serait nécessaire que les potentiels allocataires de l’ASPA et de l’APL disposent d’une bonne information sur leurs droits. En effet, si 80 % des personnes résidant dans les foyers bénéficient de ces prestations, une bonne partie des autres n’y ont pas accès faute de connaissance ou de compréhension du système. Lorsque certaines caisses d’allocations familiales (CAF) ont voulu diffuser une information pour y remédier, elles ont produit des documents illisibles pour les intéressés.

Une autre solution consisterait à mettre en place des formules de « location alternée », aux termes desquelles le résident ne paierait son logement qu’a due concurrence de sa durée réelle d’occupation au cours de l’année, sans bénéficier de l’APL puisqu’il ne résiderait pas huit mois. Le résident paierait donc la totalité de trois ou quatre mois de loyer, sans percevoir d’APL, mais il paierait moins que le reste à charge de douze mois de loyers avec APL. Il est en tout état de cause absurde que des chambres restent inoccupées l’essentiel de l’année tout en donnant droit à l’APL durant douze mois, surtout dans les résidences sociales neuves, financées à 30 % par une aide de l’État et où les chambres mesurent 18 mètres carrés alors que, par ailleurs, des milliers de jeunes travailleurs ne parviennent pas à se loger décemment.

Concernant les allocataires de l’ASPA, dont les ressources sont très inférieures au seuil d’exclusion de l’APL, on pourrait envisager de subordonner le bénéfice de la location alternée à une condition d’au moins six mois et un jour de présence… Mais ils perdraient alors le droit à l’APL. On pourrait donc envisager, dans certains cas précis, encadrés par des conventions spécifiques passées entre le gestionnaire du logement, l’État et la CAF, de maintenir le versement de l’APL pour les mois d’occupation du logement… Mais un tel dispositif, dérogeant au droit commun de l’APL, pourrait soulever des problèmes de discrimination, fût-elle à nouveau positive...

M. le président Denis Jacquat. Nous vous remercions.

Audition de M. Bernard Devert, membre du Haut Comité
pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD),
et de M. Bernard Lacharme, secrétaire général


(extrait du procès-verbal de la séance du 7 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons M. Bernard Devert, membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), accompagné de M. Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité.

Créé en 1992 à la demande de l’abbé Pierre, le Haut Comité a pour mission de faire toute proposition utile sur l’ensemble des questions relatives au logement des personnes défavorisées. Il peut émettre des avis, soit à la demande du Gouvernement, soit de sa propre initiative, sur tout projet ou proposition de loi portant sur ce sujet. Parmi les publications du Haut Comité directement liées au champ des travaux de la mission, figurent le rapport de juillet 2010 intitulé Du foyer de travailleurs migrants à la résidence sociale : mener à bien la mutation, et celui d’octobre 2012 intitulé Habitat et vieillissement : vivre chez soi mais vivre parmi les autres !, dont vous pourrez nous parler plus en détails.

Monsieur Devert, vous avez travaillé dans l’immobilier puis avez été ordonné prêtre. En 1985, vous avez fondé à Lyon l’association Habitat et Humanisme, qui agit en faveur du logement et de l’insertion des personnes en difficulté en permettant notamment l’accès des personnes seules et des familles en situation de précarité à un logement décent et à faible loyer. C’est aujourd’hui une fédération reconnue d’utilité publique qui rassemble cinquante-quatre associations dans de nombreux départements. Habitat et Humanisme s’appuie également sur une société foncière qui investit l’épargne solidaire dans le logement d’insertion. Vous intervenez enfin auprès des personnes âgées dépendantes à faibles ressources au moyen de l’association La Pierre angulaire, un réseau de maisons d’accueil et de soins. Vous êtes membre du Haut Comité depuis 2008.

Monsieur Lacharme, vous avez été nommé secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées en avril 2002. Auparavant, vous avez notamment été directeur du groupement d’intérêt public Habitat et interventions sociales pour les mal logés et les sans-abris.

M. Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. S’agissant du seizième rapport du Haut Comité portant sur les FTM, il faut distinguer deux types de population : les personnes originaires du Maghreb et celles originaires de l’Afrique subsaharienne – qui sont moins concernées par le problème du vieillissement que par celui de la suroccupation des logements.

Pour les immigrés originaires du Maghreb, les foyers présentent l’avantage d’être économiques et d’apporter un cadre de vie collective, ce qui est fondamental pour des personnes seules. Nous avons peu d’éléments statistiques à leur sujet par comparaison avec la population du logement locatif social – nous avons d’ailleurs dû nous référer à une enquête de 1999 : cette lacune devrait être corrigée, surtout dans l’optique retenue de transformer ces foyers en résidences sociales visant à accueillir des publics en difficulté.

Ces personnes, qui ont travaillé le plus souvent dans les secteurs du bâtiment et travaux publics, de la métallurgie ou de l’automobile, disposent de faibles ressources, et ont parfois de grosses difficultés à présenter l’ensemble des documents nécessaires à la reconstitution de leur carrière afin d’obtenir une pension de vieillesse. Beaucoup continuent d’envoyer de l’argent dans leur pays d’origine.

Nous nous sommes interrogés sur les raisons de leur décision de rester en France : est-ce le fait d’une contrainte, d’un choix, ou de la nécessité de continuer à effectuer des allers retours entre la France et le pays d’origine ?

La condition de résidence pour bénéficier des minima sociaux pose problème : elle est fixée à six mois pour l’ASPA et se double d’une condition d’occupation du logement de huit mois pour l’APL. On pourrait réfléchir à une évolution de la réglementation dans ce domaine. S’il existe des expériences de chambres « navette » dans certains foyers, nous souhaitons que la location alternée, qui se pratique en marge du cadre juridique, puisse être formellement prévue pour tenir compte de ces allers retours.

À présent, les foyers, qui ont vieilli et qui n’étaient pas conçus pour loger de façon permanente les résidents qui s’y trouvaient, doivent être réhabilités.

Se pose par ailleurs le problème, pour les résidents des foyers, de l’accès aux aides relatives au maintien à domicile : il y a des résistances psychologiques de la part des résidents et une méconnaissance, par les services d’aide à domicile, de leurs conditions de vie. Il existe toutefois d’intéressantes expériences de terrain, fondées sur la nécessaire collaboration entre les gestionnaires des foyers et ces services. Nous avons donc proposé de développer les interventions de médiation pour faciliter l’accès des résidents âgés aux prestations d’aide au maintien à domicile.

Se pose également pour certains la question de l’accès aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) : en dehors de l’obstacle du prix, des résistances culturelles et psychologiques existent. Nous avons fait état dans le rapport d’une ou deux expériences d’EHPAD dédiés à ce public, qui n’ont guère été concluantes. Il en est ainsi de l’EHPAD de Colombes.

En ce qui concerne la restructuration des foyers, le plan de traitement des FTM a pris un retard considérable, en raison d’obstacles importants. D’abord, la réhabilitation se traduit par une augmentation significative de la surface des logements. Ensuite, se pose un problème de financement pour les gestionnaires, qui doivent rentabiliser leurs investissements. Enfin, on se heurte au montant de la redevance supportée par les résidents, du fait de la faiblesse de leurs revenus et de leur volonté de continuer à envoyer de l’argent dans leur pays d’origine. Les plafonds de redevance autorisés sont inabordables pour ces populations, aussi bien pour les personnes bénéficiant de l’APL que pour celles qui ne peuvent y prétendre au vu de leurs ressources, et dont le taux d’effort peut atteindre 40 %. Nous estimons que les loyers ne sont abordables que s’ils sont inférieurs de 20 % à ces plafonds.

Il y a donc un besoin de fonds gratuits importants. Les foyers que nous avons étudiés bénéficient d’un taux de subvention de 40 %. L’État apporte une aide dans le cadre du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) à hauteur de 25 %, avec parfois une subvention de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). On note également une mobilisation de plus en plus importante des collectivités territoriales, qui ont financé 17 % du coût des restructurations au cours des dernières années.

Nous avons proposé que ce plan de traitement, qui est ancien, soit réaffirmé par voie de circulaire, soutenu au plan national et étendu à l’ensemble des foyers nécessitant une adaptation. Il ne doit plus être limité à ceux qui se trouvent dans les situations les plus critiques.

À cet égard, l’inscription des foyers dans les territoires constitue un enjeu important. Historiquement, ces foyers ont été imposés aux collectivités territoriales – en tout cas, cela a été souvent vécu ainsi – et relégués aux frontières des villes, même si l’urbanisme s’est ensuite étendu. Mais les collectivités se sont plus fortement engagées en faveur des politiques de l’habitat et prennent globalement en compte ces questions. En tout état de cause, leur soutien est indispensable.

En outre, il y a lieu d’intégrer les besoins de ces populations dans les plans gérontologiques et l’ensemble des interventions sanitaires et sociales locales.

M. Bernard Devert, membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. La question du vieillissement au regard de l’habitat est marquée par des situations de rupture. Entre le foyer et l’EHPAD, il manque une solution intermédiaire. Lorsque le groupe iso-ressources (GIR) moyen pondéré (GMP) des résidents des foyers dépasse 300, il faut trouver aux plus dépendants une place ailleurs. Or, les EHPAD tendent à s’hospitaliser et à héberger des personnes en fin de vie, et de plus en plus d’entre eux refusent, à la demande des agences régionale de santé, d’accueillir des personnes dont le GMP est de 350 ou 400. Par ailleurs, peu d’EHPAD voient le jour, en dépit du vieillissement de la population. La personne, vivant dans un foyer, dont le GMP excède 300 est tenue de trouver un autre type d’établissement avant de pouvoir être éventuellement accueillie en EHPAD. Il faudrait par conséquent augmenter le niveau des GMP acceptés dans les foyers pour que les résidents puissent, lorsqu’ils doivent en sortir, entrer directement en EHPAD.

L’autre rupture tient à ce que, lorsque la personne immigrée entre dans ce type d’établissement, elle bénéficie de l’aide sociale et ne dispose donc plus que de 80 à 120 euros mensuels, ce qui l’empêche d’être financièrement solidaire de ses proches et peut la placer dans une certaine solitude.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Sur 720 FTM, 320 ont été retenus dans le plan de traitement en 1997, leur transformation devant intervenir dans les cinq ans. Cet objectif n’a apparemment pas été atteint. Pouvez-vous revenir sur l’explication de cette situation ? De quelle manière a-t-on déterminé les foyers prioritaires, sachant que les FTM, qui recouvrent un patrimoine globalement ancien, sont caractérisés par des conditions de confort peu satisfaisantes ? Comment pourrait-on relancer la dynamique de réhabilitation ?

Se pose par ailleurs la question du droit des résidents et de leur participation à l’évolution du fonctionnement du foyer ou au projet de sa transformation en résidence sociale. Il semblerait que, dans certains foyers, les relations entre le bailleur Adoma et le résident soient difficiles, voire douloureuses, et qu’il ne soit pas aisé d’obtenir des réponses, des explications ou des interventions liées aux travaux d’entretien, à la sécurité, à des charges ou des augmentations de loyer.

Si la restauration du bâti doit rester un objectif prioritaire, il faut aussi prendre en compte les situations sociales et humaines et garantir à des personnes qui sont parfois au soir de leur vie un réel accompagnement.

Mme Hélène Geoffroy. Pouvez-vous préciser les difficultés auxquelles sont confrontées les populations d’origine subsaharienne ?

Par ailleurs, comment se fait l’inscription des résidents de FTM dans la vie locale ? Y a-t-il une volonté de favoriser cette intégration ? Le travail en partenariat se fait-il facilement en la matière ?

M. Pouria Amirshahi. Disposeriez-vous de données sociologiques sur les liens entre les immigrés âgés résidant en France et leur famille dans les pays d’origine ? Avez-vous des éléments sur les aides financières qu’ils accordent, sachant que le montant global de celles octroyées par les étrangers dans le monde représente plus de 600 milliards d’euros ? Peut-on opérer des ponctions sur ces flux en vue d’investir dans l’aide au développement ?

M. Philippe Vitel. Quelle place occupe la question des veuves dans votre analyse ? Quels problèmes particuliers soulève-t-elle ?

M. le président Denis Jacquat. L’augmentation du taux d’effort des résidents liée à la transformation des foyers en résidences sociales a-t-elle des effets négatifs ? Certains d’entre eux partent-ils ? Dans ce cas, où vont-ils ?

Quels sont précisément les problèmes liés à l’accès à l’aide à domicile ?

Enfin, dans les EHPAD, environ 73 % des résidents présentent des pathologies du type de la maladie d’Alzheimer : passer d’un foyer à ce type d’établissement peut donc constituer un changement terrible. Pouvez-vous préciser les résultats des expériences d’EHPAD spécifiques que vous avez évoquées ? Comment assurer les transitions entre le FTM et le nouvel établissement accueillant la personne âgée dépendante qui ne dispose pas du soutien de sa famille ?

M. Bernard Lacharme. La mise en œuvre du plan de traitement est confrontée à de nombreux obstacles : le fait de limiter à 150 logements un foyer qui en comportait 300 et hébergeait le double de personnes suppose de trouver de nouveaux terrains d’habitation, sachant que la municipalité où est situé le FTM peut souhaiter un partage des responsabilités avec les autres collectivités – ce qui n’est pas facile à arbitrer. C’est la raison pour laquelle nous préconisons d’approfondir les relations avec les collectivités territoriales, même si elles n’ont pas été associées au départ, il y a quarante ans, lors de la construction des foyers. Il faut aussi tenir compte des maîtres d’ouvrage – je pense notamment à Adoma –, qui doivent consentir une mise de fonds propres. Enfin, certains ont peur de réaliser des opérations ne rencontrant pas l’adhésion des intéressés, en raison de l’augmentation du coût de la redevance. On nous a parlé de personnes demandant à intégrer un autre foyer n’ayant pas fait l’objet d’une réhabilitation pour éviter cet inconvénient.

M. le président Denis Jacquat. Dans un FTM, l’accès à l’aide sociale est limité, alors que, dans un EHPAD, si l’on a peu de revenus, on peut être pris en charge entièrement par le département.

M. Bernard Lacharme. Il faut que l’État réaffirme la priorité accordée à la redynamisation du plan – il mobilise d’ailleurs des crédits dans le cadre des PLAI notamment – et que cette politique soit prise en compte dans les documents des programmes locaux de l’habitat (PLH) et des plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD).

Or, on a supprimé la prime à l’amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale (PALULOS), qui permettait de subventionner les réhabilitations. Quand celles-ci sont suffisamment lourdes, on peut les assimiler à de la reconstruction et bénéficier des PLAI, mais, pour des opérations plus légères, on ne dispose pas d’aides de l’État.

S’agissant des droits des résidents, j’ai le sentiment que l’on a progressé – je crois que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) du 13 décembre 2000 a créé un contrat de résidence. Toutefois, certains règlements intérieurs – qui sont nécessaires pour les habitats collectifs – seraient abusifs, même si les gestionnaires ont dit que ce problème était réglé. Nous avons préconisé qu’il y ait une charte nationale de bonne conduite pour ces règlements, sachant qu’il faut aussi tenir compte des contraintes spécifiques des bâtiments.

Par ailleurs, si la politique conduite tend à transformer les FTM en résidences sociales, celles-ci présentent beaucoup d’ambiguïtés – en particulier le fait de servir de logement temporaire. Les contrats de résidence sont valables un mois, renouvelable par tacite reconduction. Or, on ne peut y mettre fin que si l’occupant ne remplit plus les conditions d’accès, qui sont généralement satisfaites à vie, car il y a peu de chances que celui-ci dépasse le plafond de ressources. Ces contrats ne présentent donc pas d’insécurité pour les immigrants âgés : ce n’est le cas que pour les nouveaux publics. On peut s’interroger à cet égard sur l’opportunité d’installer ceux-ci dans des logements provisoires. Je note que, dans les pensions de famille, il est prévu que les résidents peuvent rester aussi longtemps qu’ils le souhaitent.

En ce qui concerne la participation des résidents aux évolutions du foyer, des instances de concertation existent. Tout dépend de leur bon fonctionnement.

M. le rapporteur. Les conseils de résidents ou de concertation ne permettent pas d’avoir un dialogue fluide. Dans le logement social traditionnel, il n’est pas toujours simple pour des locataires d’obtenir des réparations ou des améliorations : la situation est encore plus difficile dans les FTM, qui se trouvent dans des bâtiments anciens qui présentaient dès l’origine des conditions de confort médiocres. On imagine les problèmes auxquels peuvent être confrontées les personnes âgées, parfois en mauvaise santé, habitant dans des immeubles de plusieurs étages sans ascenseur. Le sentiment de ne pouvoir dialoguer librement avec le bailleur aggrave encore l’isolement et l’impression d’être relégué.

Quant aux règlements intérieurs, parfois ils ont vingt ou trente ans et sont appliqués à la lettre, avec des horaires très stricts, pouvant donner lieu à des rappels à l’ordre. Les bailleurs ont donc un sérieux travail à faire dans ce domaine.

M. Bernard Devert. 65 % des résidents des EHPAD ont des dégénérescences cérébrales ou syndromes apparentés et peu sont d’origine maghrébine. Il y a une sorte de blocage en la matière et la mixité est quasiment inexistante dans ces établissements. À cet égard, on pourrait inciter les collectivités territoriales à faire en sorte que les lits éligibles à l’aide sociale représentent un certain pourcentage, affecté en priorité aux personnes d’origine étrangère.

M. le président Denis Jacquat. Cela relèverait alors du conseil général, qui est compétent pour définir les plans gérontologiques : il pourrait le prévoir dans ses contrats d’objectifs et les conventions qu’il signe. On sait bien que des sélections se font à l’entrée des EHPAD : étant donné que le taux d’encadrement est extrêmement limité, certains prennent des personnes peu dépendantes – ayant un GIR 5 ou 6 –, dont ils savent qu’elles le seront beaucoup plus quelques années après.

M. Bernard Devert. Cela est de moins en moins possible : les agences régionales de santé veillent, à juste titre, à éviter ce type de dérives et elles font parfois de sévères rappels à l’ordre. À Lyon, nous avons essayé de faire en sorte que les résidents d’un domicile collectif, dont nous assurions la gestion et qui accueillait essentiellement des immigrés âgés, viennent prendre leurs repas dans un EHPAD appartenant à la ville : nous nous sommes heurtés à un refus à la fois de la part de cet établissement et des personnes en question, qui n’avaient pas l’impression d’être à leur place. Si l’on veut que les immigrés âgés intègrent les EHPAD, il faut faire un travail d’accompagnement et leur réserver un lieu où ils pourraient retrouver leurs racines culturelles.

M. le président Denis Jacquat. Voulez-vous dire que l’immigré âgé très dépendant – avec un GIR 1 ou 2 – reste en FTM en étant pris en charge par ses amis vivant sur place ?

M. Bernard Devert. Oui, mais on nous dit que son état de dépendance est tel qu’il ne peut demeurer dans ce foyer. Et nous sommes contraints de le placer dans un logement classique autonome avec des services qui coûtent cher. La réglementation des foyers doit donc être revue au regard de la prise en charge des personnes dépendantes.

M. le président Denis Jacquat. À défaut, le problème ne pourrait que s’accentuer.

M. Bernard Lacharme. Nous avons proposé de rendre possible le maintien en foyer de personnes ayant un GMP supérieur à ce qui est possible aujourd’hui. Il est choquant d’obliger une personne à aller dans d’autres structures alors qu’elle désire rester dans son foyer et que celui-ci est prêt à la garder. Alors qu’on souhaite permettre aux personnes même très dépendantes de demeurer dans leur logement, il est paradoxal que, lorsqu’il s’agit d’un foyer, on veuille les en empêcher !

M. le président Denis Jacquat. Il faudra proposer à Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de la dépendance, de revoir ces règles d’hébergement dans le cadre du texte en préparation sur la perte d’autonomie.

M. Bernard Lacharme. Nous demandons aussi une remise à plat de la prise en charge de la dépendance dans les EHPAD, dans la mesure où l’on fait supporter au tarif dit « d’hébergement » des dépenses de restauration ou d’animation qui sont liées à la dépendance. Il doit y avoir, à côté du tarif de soins, un tarif de logement relevant de l’APL et une partie liée à la perte d’autonomie.

Il existe trois formes de solidarité à cet égard, dont les règles doivent être redéfinies : l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), qui tient peu compte des ressources ; des aides fiscales, qui bénéficient aux personnes les plus aisées ; et l’aide sociale à l’hébergement, destinée à des personnes ayant de faibles ressources, mais à laquelle beaucoup évitent d’avoir recours en raison des contraintes liées à la mise en jeu de l’obligation alimentaire des enfants et aux récupérations sur les successions.

M. le président Denis Jacquat. L’aide sociale peut intervenir concernant l’hébergement et la partie médicale. Quant à la récupération sur les successions, elle a été supprimée, ce qui a donné lieu à beaucoup de discussions.

Par ailleurs, il faut bien distinguer l’immigré logé en foyer et celui résidant en habitat diffus.

Messieurs, je vous remercie.

Audition de Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations
et de la promotion de l’égalité, accompagnée de Mme Anne du Quellennec, juriste au sein des services du Défenseur des droits


(extrait du procès-verbal de la séance du 7 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Prévu à l’article 71-1 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 le Défenseur des droits est une autorité constitutionnelle indépendante, chargée de veiller à la protection des droits et libertés et de promouvoir l’égalité. Il exerce les missions auparavant dévolues au Médiateur de la République, au Défenseur des enfants, à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et à la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Le Défenseur des droits combat les inégalités fondées à partir des dix-neuf critères prohibés par la loi, dont fait partie l’origine, dans le domaine de l’emploi, du logement, de l’éducation et de l’accès aux biens et services. La mission a souhaité entendre le Défenseur des droits à propos des discriminations dont font parfois l’objet les immigrés, et notamment les immigrés âgés, auxquels elle s’intéresse en priorité.

Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité. Je vous remercie de permettre au Défenseur des droits de contribuer à vos travaux. Nous le faisons au titre de deux de nos missions : la défense des droits et des libertés des citoyens dans le cadre de leurs relations avec l’administration et la lutte contre les discriminations.

Nous évoquerons les obstacles rencontrés par les immigrés âgés dans cinq domaines : l’accès aux soins ; l’acquisition de la nationalité française ; l’accès aux droits sociaux ; le droit de mener une vie familiale normale ; la possibilité de bénéficier d’une sépulture conforme à leurs convictions religieuses.

Premièrement, en matière de santé et d’accès aux soins, les immigrés âgés cumulent plusieurs facteurs de vulnérabilité. Il en résulte une surmortalité chez les moins de soixante-dix ans, un état de santé dégradé et des souffrances psychiques pour nombre d’entre eux, ainsi qu’une dépendance plus précoce. D’après les chiffres de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), les immigrés âgés ne consomment pas plus de soins que le reste de la population, mais y renoncent plus fréquemment.

En effet, le montant de l’ASPA – la prestation différentielle que perçoivent majoritairement les immigrés âgés – est supérieur au plafond de ressources applicable pour l’attribution de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Quant à l’aide à l’acquisition d’une assurance complémentaire santé (ACS), elle est difficilement accessible aux immigrés âgés. De ce fait, ils sont souvent dépourvus de couverture maladie complémentaire.

Le Défenseur des droits recommande d’engager une réflexion, d’une part, sur les moyens de faciliter l’accès des immigrés âgés à l’ACS et, d’autre part, sur la possibilité d’exempter les bénéficiaires de l’ASPA résidant depuis plus de dix ans sur le territoire national de la condition de ressources susmentionnée.

S’agissant, deuxièmement, de l’acquisition de la nationalité française, la condition d’insertion professionnelle, qui se traduit par l’exigence de ressources au moins égales au SMIC, constitue un premier obstacle. Si elle peut se comprendre pour les immigrés âgés de moins de soixante ans, elle pose, au-delà de cet âge, une difficulté aux bénéficiaires de l’ASPA, dont le montant est largement inférieur au SMIC.

La condition d’assimilation à la communauté française, qui se traduit par l’exigence d’une bonne connaissance de la langue et d’une connaissance suffisante de l’histoire, de la culture et de la société françaises, représente un obstacle supplémentaire, difficile à surmonter pour certains immigrés très âgés, en particulier pour ceux d’entre eux qui sont illettrés.

Le Défenseur des droits recommande de faciliter l’acquisition de la nationalité française par les étrangers qui résident régulièrement en France depuis longtemps. Nous soutenons, à cet égard, la proposition de loi déposée par M. Jean-Christophe Lagarde, qui consiste à accélérer la procédure de traitement des demandes de naturalisation des étrangers présents depuis plus de dix ans en France. En outre, la condition de ressources pourrait être assouplie pour les étrangers âgés bénéficiaires de l’ASPA résidant sur le territoire national depuis plus de dix ans.

Troisièmement, la problématique de l’accès aux droits sociaux, en particulier à l’ASPA, est particulièrement complexe.

Une condition de résidence – ou « stage » – préalable a été imposée en 2006 aux bénéficiaires de l’ASPA et renforcée depuis : elle est portée de cinq à dix ans à partir de cette année. De plus, la résidence doit être attestée par la possession de titres de séjour autorisant à travailler pendant la durée correspondante. Il est difficile aux immigrés âgés de remplir ces deux exigences cumulées. Si elles peuvent se comprendre pour ceux qui ont moins de soixante ans, on peut s’interroger sur leur bien-fondé au-delà.

Le Défenseur des droits recommande d’engager une réflexion sur la cohérence du dispositif et de veiller à ce que ne soit imposée aucune condition excessive au regard de l’objectif de l’ASPA – assurer une forme de « minimum vieillesse » aux personnes âgées résidant régulièrement en France –, qui serait dès lors discriminatoire.

Par ailleurs, la HALDE et le Défenseur des droits ont relevé, respectivement dans deux délibérations d’avril et de septembre 2009 et dans une décision de 2012, des pratiques discriminatoires : appréciation restrictive de la condition de résidence par les organismes de sécurité sociale ; modalités de calcul contestables du montant des prestations ; absence d’information des intéressés ; ciblage des contrôles sur les personnes âgées résidant dans les foyers de travailleurs migrants ; contrôles peu respectueux des personnes, notamment lorsque les contrôleurs d’organismes de sécurité sociale exigent la présentation d’un passeport, alors qu’ils n’en ont pas le droit.

Toutes ces restrictions trouvant leur origine dans la condition de résidence sur le territoire français, le Défenseur des droits recommande de lancer une réflexion sur la portabilité de certains droits sociaux, en particulier l’ASPA.

Enfin, la possession par les étrangers de la carte de séjour portant la mention « retraité » – créée en 1998 à la suite du « rapport Weil », dans l’intention louable de faciliter la libre circulation de ces personnes entre la France et le pays d’origine – a pour effet de transférer leur résidence dans leur pays d’origine et, de ce fait, de les priver de l’accès aux droits sociaux soumis à condition de résidence en France : ASPA, revenu de solidarité active (RSA), APL, assurance maladie. Il convient d’engager une réflexion approfondie et urgente à son sujet, d’autant que nous sommes saisis de nombreuses réclamations la concernant. D’après les chiffres du ministère de l’intérieur, seules 14 000 cartes « retraité » auraient été délivrées, mais les préfectures inciteraient les immigrés âgés à y recourir, d’après les nombreux témoignages d’associations reçus par le Défenseur des droits

Quatrièmement, le droit de mener une vie familiale normale découle de textes européens, en particulier de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les immigrés âgés de moins de soixante ans bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) subissent une discrimination en matière de regroupement familial, dans la mesure où le montant de cette allocation est inférieur au SMIC, seuil de ressources exigé pour en bénéficier.

À soixante ans, les bénéficiaires de l’AAH deviennent généralement allocataires de l’ASPA et ne peuvent pas davantage, pour les mêmes raisons, bénéficier du regroupement familial. Ils subissent dès lors une double discrimination : à raison du handicap et de l’âge. Nous sommes, là aussi, saisis de nombreuses réclamations à ce sujet.

En sus, le regroupement familial est systématiquement refusé aux Algériens se trouvant dans cette situation, du fait des stipulations de l’accord franco-algérien de 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles.

Cinquièmement, en ce qui concerne les obstacles au bénéfice d’une sépulture conforme aux convictions religieuses, le Défenseur des droits a publié, le 29 octobre 2012, un rapport relatif à la législation funéraire. Nos services chargés de la médiation avec les services publics sont régulièrement saisis de demandes à ce sujet. La pratique est en contradiction avec les textes : malgré la position exprimée en 2004 par le Conseil d’État dans son rapport public sur la laïcité, le ministère de l’intérieur a incité les maires à créer des espaces confessionnels dans les cimetières publics.

En outre, comme l’a indiqué Mme Claudine Attias-Donfut lors d’un colloque national sur ce thème, seuls 5 % des immigrés âgés de confession musulmane souhaitent être inhumés dans leur pays d’origine. Le Défenseur des droits recommande d’anticiper cette demande croissante de sépultures conformes aux convictions religieuses. Il reprend à son compte le constat formulé en 2003 par la « commission Stasi » sur l’application du principe de laïcité et recommande d’engager une réflexion avec toutes les parties intéressées.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Votre exposé reprend les principaux points soulevés au cours des auditions que nous menons. Il laisse penser que le nombre de réclamations augmente. Est-ce bien le cas ? Pourriez-vous nous préciser la manière dont il évolue ?

Plusieurs auditions nous ont fait prendre conscience des difficultés éprouvées par les immigrés âgés pour accéder aux administrations et communiquer avec elles. Comment trouvent-ils le chemin du Défenseur des droits ? Vous semblez jouer un rôle important dans l’accompagnement de ce public. Prenez-vous en compte ses spécificités lorsque vous recueillez ses demandes ? Êtes-vous saisis plutôt par les associations ou par les familles ?

S’agissant de l’acquisition de la nationalité française, en quoi améliorerait-elle la situation des immigrés âgés ? Convient-il, selon vous, d’en modifier les conditions ? Il est sans doute moins compliqué d’intervenir dans ce domaine que dans celui des droits sociaux
– où l’on constate des effets de seuils, des contradictions entre dispositions juridiques. En outre, s’agissant de personnes qui, pour la plupart, résident en France depuis plus de vingt ans et ont eu des carrières longues, une simplification des conditions d’acquisition de la nationalité s’imposera d’elle-même, si l’on réalise qu’elle est dans leur intérêt.

Vous avez évoqué les difficultés d’accès aux droits sociaux. Une part d’entre elles semble relever d’un déficit d’information et de la méconnaissance de dispositifs déjà complexes pour des ayants droit maîtrisant parfaitement le français. Comment améliorer l’information ? Quelles sont vos préconisations à l’égard des organismes de sécurité sociale ? Certaines caisses prennent, en la matière, des initiatives, qui demeurent cependant locales.

M. Philippe Vitel. Vous avez évoqué les difficultés qu’éprouvent les immigrés âgés pour bénéficier de la CMU-C. Pouvez-vous préciser ce point ? Le respect du plafond de ressources est une des conditions d’accès à la CMU-C et je vois mal comment nous pourrions faire évoluer cette règle.

Mme Hélène Geoffroy. Vous avez évoqué les inconvénients liés à la délivrance de la carte de séjour portant la mention « retraité ». Préconisez-vous de la supprimer ?

Vous avez mentionné la situation particulière des Algériens au regard de l’AAH. Pouvez-vous la décrire précisément ?

Je déduis, du chiffre que vous avez cité, que 95 % des immigrés âgés souhaitent être inhumés en France. Est-ce bien le cas ?

Mme Maryvonne Lyazid. Oui, c’est bien le cas.

Je ne suis pas en mesure de vous communiquer de chiffres précis concernant les saisines. Nous le ferons ultérieurement.

D’une manière générale, nous sommes constamment alertés sur la situation des immigrés âgés. Nous disposons, à cet égard, de trois sources d’information.

Premièrement, dans le cadre de notre mission de médiation avec les services publics, les délégués du Défenseur des droits – ils sont plus de quatre cent cinquante, répartis dans l’ensemble des départements français – nous font remonter de nombreux cas concrets. C’est vers eux que se tournent en priorité les associations qui accompagnent les immigrés âgés.

Deuxièmement, nous sommes régulièrement saisis de réclamations individuelles dans le cadre de notre mission de lutte contre les discriminations. Les deux délibérations de la HALDE et la décision du Défenseur des droits que j’ai citées sont le fruit de la saisine d’une seule personne, mais dont le cas était emblématique. En général, ces cas sont portés à notre connaissance par le mouvement associatif. Dans l’affaire des contrôles excessifs intervenus dans la région de Toulouse, plus de quatre-vingts personnes étaient concernées, mais nous n’avons travaillé que sur la situation d’une seule personne. Ainsi le veulent les règles juridiques qui encadrent notre action.

Troisièmement, le Défenseur des droits a également pour mission de promouvoir les droits et l’égalité. À ce titre, nous travaillons de manière préventive avec les associations et apportons notre contribution à des colloques – l’un des derniers a porté sur l’accès aux soins et aux droits sociaux –, qui constituent également pour nous une source d’information.

Mme Anne du Quellennec, juriste au sein des services du Défenseur des droits. En principe, l’acquisition de la nationalité française ne présente pas d’intérêt en matière d’accès aux droits sociaux, lequel n’est plus soumis à une condition de nationalité depuis 1998. Cependant, dans les faits, les obstacles qui résultent de l’application d’autres critères, en apparence objectifs, concernent bien plus durement les étrangers que les nationaux.

L’acquisition de la nationalité n’est pas nécessairement une revendication unanime des immigrés : elle demeure une question de choix individuel. Quoi qu’il en soit, elle peut avoir des effets importants, dans la mesure où elle fait tomber toute une série d’obstacles à l’accès aux droits sociaux même quand ils ne sont pas soumis, en théorie, à une condition de nationalité.

Mme Maryvonne Lyazid. Vous avez relevé à juste titre, monsieur le rapporteur, le déficit d’information. Les immigrés âgés sont confrontés à des dispositifs complexes, déjà difficiles à appréhender pour les nationaux. Ils ont souvent besoin d’un accompagnement, que fournissent les services d’accueil des organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales et les associations.

La problématique des immigrés âgés, auparavant traitée exclusivement par des associations spécialisées, est devenue plus visible. Les schémas gérontologiques départementaux prennent désormais en compte leurs besoins spécifiques, tant à domicile que dans les établissements d’accueil, et abordent la question de leurs droits. Les études en cours sur les raisons pour lesquelles certains publics renoncent à leurs droits s’intéressent aux immigrés âgés et à leurs difficultés propres : maîtrise de la langue française, réticence à faire appel aux services sociaux, etc.

Il convient de réfléchir à la manière dont les organismes de sécurité sociale pourraient aller au-devant de ce public particulier, en s’appuyant sur les réseaux d’accès au droit, les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants et les associations compétentes en matière de gérontologie. Ce travail reste à faire.

Mme Anne du Quellennec. De nombreux facteurs expliquent le renoncement aux soins par les immigrés âgés : les barrières culturelles, linguistiques ou autres. Le premier d’entre eux est cependant l’absence de couverture maladie complémentaire. Celle-ci tient au fait que les immigrés âgés sont majoritairement bénéficiaires de l’ASPA, dont le montant, quoique faible, est supérieur au plafond de ressources applicable pour l’attribution de la CMU-C. Quant au dispositif de l’ACS, il demeure sous-utilisé par les personnes qui y sont éligibles, quelle que soit leur nationalité.

M. Philippe Vitel. Nous dénonçons cette situation depuis des années : on a créé un dispositif que personne n’utilise. Cela soulève de nouveau la question de l’information. Je suis choqué par le nombre de dispositifs mis en place et l’absence d’articulation entre eux. Les associations spécialisées dans l’accompagnement de tel ou tel public ont certainement une valeur ajoutée. Mais il convient d’adopter une approche plus transversale et de trouver un nouvel équilibre.

Mme Anne du Quellennec. L’ACS constitue une aide pour financer une mutuelle privée. Or, il n’est pas simple à un immigré âgé de prospecter le marché des mutuelles et d’accomplir les démarches nécessaires pour obtenir le remboursement de la cotisation ou un chèque de participation.

M. le président Denis Jacquat. Nous avons pourtant mis en place, il y a quelques années, une aide financière qui tient compte du revenu des personnes.

Mme Maryvonne Lyazid. Pour ce qui est de la carte de séjour portant la mention « retraité », il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’opportunité de sa suppression. Nous proposons qu’une réflexion approfondie soit lancée. Il convient, à tout le moins, que les préfectures fournissent une information précise aux personnes à qui elles proposent de délivrer cette carte : elles doivent appeler leur attention sur les conséquences en matière d’accès aux droits sociaux, en particulier à l’assurance maladie.

Mme Anne du Quellennec. La carte de séjour portant la mention « retraité » implique le transfert de la résidence à l’étranger. Tous les droits soumis à condition de résidence deviennent, dès lors, inaccessibles. Tel est le principe qui a été posé par la loi en 1998. Une ouverture, très restrictive, existe cependant en matière d’assurance maladie : les immigrés âgés détenteurs de la carte de séjour portant la mention « retraité » ont droit au remboursement des soins immédiats, c’est-à-dire inopinés – qu’il convient de distinguer des soins urgents, toute pathologie connue ou déclarée antérieurement au séjour en France étant exclue –, à condition de pouvoir se prévaloir d’une durée d’assurance d’au moins quinze ans en France.

Les étrangers résidant régulièrement en France ont, eux, accès à l’assurance maladie dans les mêmes conditions que les Français.

L’impossibilité d’accéder aux droits sociaux pour les détenteurs de la carte de séjour portant la mention « retraité » a fait l’objet de nombreux contentieux. Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a estimé que la possession de ladite carte ne constituait qu’une présomption simple de non-résidence en France. Dès lors, les caisses de sécurité sociale devaient vérifier concrètement si la personne avait résidé ou non le temps nécessaire – généralement, six ou huit mois selon le dispositif – pour bénéficier d’une prestation.

Tirant les conséquences de cette jurisprudence, la CNAV et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) ont, par le biais de circulaires, donné instruction aux caisses de ne pas refuser de prestations aux personnes qui présentent une carte de séjour portant la mention « retraité » au motif qu’elles auraient transféré leur résidence dans un autre pays. De notre point de vue, il n’est pas satisfaisant que des circulaires contredisent l’esprit de la loi, même dans un sens plus favorable. La loi devrait elle-même reprendre la règle fixée par la jurisprudence.

Par ailleurs, rien n’a changé en matière d’assurance maladie : les détenteurs de la carte de séjour portant la mention « retraité » n’y ont accès que dans les conditions très restrictives susmentionnées, pendant toute la durée de leur séjour – une année ininterrompue au maximum – en France. Dans les faits, cela réduit considérablement l’intérêt de cette carte.

Mme Maryvonne Lyazid. Nous appelons votre attention sur le caractère potentiellement discriminatoire des refus de regroupement familial opposés aux bénéficiaires de l’AAH, au motif qu’ils ont des revenus inférieurs au plafond de ressources exigible. Ces refus se fondent, de fait, sur un critère prohibé : le handicap. Lorsque, après soixante ans, la personne handicapée perçoit non plus l’AAH, mais l’ASPA, le problème reste le même et les refus de regroupement familial constituent alors une double discrimination : à raison du handicap et de l’âge.

Mme Anne du Quellennec. À partir de 2006, la HALDE a préconisé d’exempter les bénéficiaires de l’AAH de la condition de ressources exigée pour le regroupement familial. La loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile dite « loi Hortefeux » l’a fait au profit des bénéficiaires de l’AAH atteints d’une incapacité dont le taux est au moins égal à 80 %. La HALDE, puis le Défenseur des droits, ont estimé qu’il s’agissait d’une avancée incomplète.

D’une part, le problème reste entier pour les bénéficiaires de l’AAH atteints d’une incapacité dont le taux est inférieur à 80 %. S’ils perçoivent l’AAH, cela signifie qu’une commission départementale a reconnu qu’ils subissent une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi. Ils ne sont donc guère en mesure de travailler.

D’autre part, la « loi Hortefeux » n’a rien changé à la situation des Algériens bénéficiaires de l’AAH : la condition de ressources continue à s’appliquer à eux, même s’ils sont atteints d’une incapacité dont le taux est supérieur ou égal à 80 %. En effet, les Algériens sont soumis, non pas au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, mais à l’accord franco-algérien de 1968, qui impose cette même condition de ressources.

Nous sommes régulièrement saisis de réclamations concernant des refus de regroupement familial opposés au motif que la condition de ressources n’est pas respectée.

M. le président Denis Jacquat. Nous rencontrons souvent un autre problème : lorsque les personnes handicapées sont atteintes d’une incapacité dont le taux est inférieur à 80 %, tous les départements n’en tirent pas les mêmes conséquences.

M. le rapporteur. Les auditions nous ont fourni très peu d’éléments de politique comparée. Comment nos voisins européens abordent-ils la question des discriminations à l’égard des immigrés, en particulier des immigrés âgés ? Connaissez-vous les dispositifs en vigueur chez eux – notamment en Allemagne et au Royaume-Uni ?

Certains choix ont été spécifiques à la France : l’hébergement des travailleurs migrants dans des foyers particuliers, situés à l’écart des centres villes et au niveau de confort très inférieur aux standards en vigueur ; les conditions imposées pour l’accès aux droits sociaux, dont nous avons vu les conséquences. Savez-vous ce qu’il en est sur ces deux aspects dans d’autres pays ?

M. le président Denis Jacquat. Sauf erreur, vous avez travaillé auparavant, madame Lyazid, pour le Conseil de l’Europe ?

Mme Maryvonne Lyazid. Dans le cadre de mes fonctions au Conseil de l’Europe, j’ai en effet été amenée, en 1998, à travailler à des éléments de programme avec la Commission européenne. Cependant, la problématique des immigrés âgés n’avait pas encore vraiment émergé. Elle l’a fait progressivement : les premiers travaux la concernant remontent à 1983 ; les premières alertes, lancées par les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants, à 1992 ; le premier schéma gérontologique départemental l’intégrant – celui du Haut-Rhin – à l’année 2000. Elle fait aujourd’hui l’objet d’une approche globale – soins, droits sociaux, isolement.

Lorsque je travaillais pour le Centre des études européennes de Strasbourg, nous avons eu le projet d’organiser un colloque européen sur les immigrés âgés en 2002, mais n’avons pas pu le conduire à terme. L’accueil des travailleurs migrants – en particulier les formes d’hébergement – relève en effet, dans chaque pays européen, de spécificités culturelles très marquées.

Pas plus que la HALDE avant lui, le Défenseur des droits ne dispose d’éléments de comparaison avec les autres pays européens en la matière. La question n’a pas été abordée non plus, à ce stade, dans le cadre du réseau européen des organismes de lutte contre les discriminations auquel nous appartenons, dans la mesure où elle concerne avant tout les pays de « vieille immigration » : France, Belgique, Allemagne, Royaume-Uni. Des études comparatives seraient pourtant utiles.

Audition de M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), de M. David Clair, directeur juridique
et de la réglementation nationale, et de M. Rémi Gallou, chargé
de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement


(extrait du procès-verbal de la séance du 14 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons aujourd’hui M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), M. David Clair, directeur juridique et de la réglementation nationale, et M. Rémi Gallou, chargé de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement, accompagnés de M. Pierre Gallet, élève de l’École nationale supérieure de sécurité sociale.

La CNAV et son réseau régional gèrent la retraite obligatoire de base des salariés de l’industrie, du commerce et des services, soit, en 2011, 69 % des actifs et plus de 13 millions de cotisants.

La très grande majorité des immigrés âgés qui ont acquis des droits à une retraite contributive relève du régime général mais vous pourrez également préciser vos relations, en la matière, avec les régimes complémentaires obligatoires ainsi qu’avec le régime agricole, celui des indépendants, ou certains régimes spéciaux plus particulièrement concernés, tel celui des mines. Je précise que nous entendrons tout à l’heure le service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées de la Caisse des dépôts et consignations, qui verse l’allocation de solidarité aux personnes âgées – l’ASPA – aux personnes qui n’ont acquis aucun droit auprès d’un régime de retraite, alors que vous-mêmes êtes amenés à verser l’ASPA différentielle aux personnes ayant obtenu de faibles droits à une retraite contributive.

Les sujets qui relèvent du champ des travaux de notre mission vous sont familiers. La CNAV a mené au début de la décennie 2000 une grande enquête sur le passage à la retraite des immigrés, dont le champ recouvrait cependant à la fois les immigrés européens et ceux provenant des pays tiers. Il en est résulté une étude importante, à laquelle M. Gallou a contribué, en s’intéressant à la spécificité des immigrés isolés résidant en foyer de travailleurs migrants. Il serait utile de savoir comment la situation a évolué depuis lors.

M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. La CNAV, qui gère le régime des salariés du secteur privé, est le premier opérateur de la retraite en France. Sans vous accabler de chiffres, cela représente grosso modo 100 milliards d’euros de prestations et 13 millions de retraités. La CNAV est à la fois caisse nationale et caisse compétente pour l’Île-de-France, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) étant compétentes pour les autres régions.

Nous nous réjouissons qu’une mission parlementaire soit consacrée au sujet des immigrés âgés, qui est rarement appréhendé dans sa globalité.

En tant que régime général de la sécurité sociale, le sujet nous intéresse pour trois raisons principales.

Premièrement, la CNAV consacre une partie de son activité de recherche à la population immigrée vieillissante. Elle dispose en effet d’une unité de recherche sur le vieillissement, longtemps sous la responsabilité de Mme Claudine Attias-Donfut. Cette unité a effectué un travail pionnier sur cette population au travers de trois thèmes distincts : l’enracinement, à partir d’une démarche quantitative de grande ampleur, réalisée en partenariat avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), sur la base d’un échantillon de 6 500 personnes – qui a permis de montrer que le retour au pays était tout sauf une évidence ; les foyers de travailleurs migrants ; la population originaire d’Afrique subsaharienne.

Ces travaux de recherche se justifient par eux-mêmes ; ils représentent une source précieuse et unique. Ils ont conforté plusieurs constats sur les difficultés rencontrées par les personnes immigrées âgées : isolement, méconnaissance des prestations, précarité du logement, difficultés d’accès aux soins. Ils nous permettent également d’améliorer notre service public en matière de retraite et d’action sociale.

Deuxièmement, en tant que caisse de retraite, nous sommes responsables du paiement à bon droit des pensions. Nous attribuons des droits à retraite, notamment l’ASPA, soumise à des conditions de ressources, de résidence et de régularité du séjour. Celles-ci n’ont pas été fixées par la CNAV, qui est un opérateur, mais par les pouvoirs publics.

Sur les 422 000 bénéficiaires de l’ASPA relevant du régime général, la population immigrée âgée est importante : 162 000, soit près de 40 %, sont nés à l’étranger. Parmi ceux-ci, plus de 60 % sont nés au Maghreb – en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. Je tiens à préciser que nous ne faisons pas figurer la nationalité dans nos fichiers ; nous ne connaissons que le pays de naissance.

À partir du moment où une prestation est sous condition de ressources et de résidence, déterminées par les pouvoirs publics, il apparaît logique qu’il existe des contrôles. Mais je sais que nous pouvons parfois être critiqués sur ce point.

Nous avons deux types de contrôles : un contrôle systématique des non-résidents fiscaux en France, sur la base de questionnaires adressés aux retraités ; et des contrôles anti-fraudes, ciblés selon plusieurs critères : le nombre d’assurés résidant à une même adresse, le libellé de l’adresse, la déclaration de soin à l’étranger. En aucun cas, nous n’utilisons le critère de la nationalité, simplement parce que le système d’information de la branche retraite ne le permet pas, conformément à la réglementation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Sur les contrôles nécessitant une enquête et un déplacement sur place, le pourcentage des dossiers contrôlés chaque année s’élève à moins de 1 % du stock total des avantages non contributifs. Nous avons effectué 3 656 contrôles de lutte contre la fraude sur la condition de résidence en 2011 et avons détecté 250 cas de fraude.

Nos chiffres n’attestent pas d’un déséquilibre dans la répartition des contrôles ni d’un quelconque ciblage sur les foyers des travailleurs migrants.

Les remontées « métier » font apparaître une incompréhension des droits, avec une confusion entre la pension de retraite contributive et l’ASPA, qui est non contributive et repose donc sur des conditions différentes. Nous nous sommes donc efforcés de mieux expliquer la législation retraite, en revoyant notre brochure Les allocations du minimum – à la demande d’administrateurs de la CNAV – ou en participant à la rédaction du Guide du retraité étranger, en partenariat avec l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO) et la direction de l’accueil et de l’intégration (DAIC) du ministère de l’intérieur. Ce guide est destiné aux personnes travaillant dans les structures de prise en charge des travailleurs migrants âgés.

Troisièmement, la population âgée immigrée fait partie des populations âgées précaires qui constituent aujourd’hui la cible de notre action sociale.

La politique d’action sociale nationale a été nourrie par les travaux de recherche sur les enjeux liés à une meilleure prise en charge de la population immigrée âgée, à savoir l’accès aux soins, l’accès à l’information et l’amélioration des conditions de vie. Avec la Caisse nationale de l’assurance maladie, nous avons défini le plan de préservation de l’autonomie des personnes âgées (PAPA), dont un volet particulier vise à mieux prendre en compte les difficultés de cette population. Notre offre de services est déclinée sur quatre aspects : l’accès aux droits et l’accès aux soins, les actions sous forme d’ateliers adaptés pour favoriser une prise de conscience sur les enjeux liés au « bien vieillir », l’aide au maintien à domicile et l’amélioration du cadre de vie.

L’accès aux droits et l’accès aux soins passe à la fois par l’information des professionnels relais – agents de médiation, agents de développement local d’intégration (ADLI), référents opérationnels des foyers ou résidences sociales – et l’information collective, avec l’intervention d’acteurs de la santé et de la retraite au sein des foyers de travailleurs migrants. L’objectif est d’organiser des ateliers collectifs sur les thèmes essentiels du « bien vieillir » – nutrition, équilibre, mémoire –, comme nous le faisons pour tous les retraités du régime général.

Nous souhaitons développer également les aides individuelles – aides au maintien à domicile et aide à l’amélioration du cadre de vie pour les espaces individuels –, mais sous la forme d’un financement collectif directement versé aux foyers. Nous expérimentons cet axe d’intervention aujourd’hui dans la région Sud-Est. La CNAV apporte également des prêts visant à financer des plans d’amélioration d’espaces collectifs. Dans le cadre de l’enveloppe « lieux de vie collectifs », 7,7 millions d’euros ont été accordés sous forme de prêts entre 2009 et 2012 afin d’aider les gestionnaires de foyers à adapter des espaces collectifs au vieillissement de leurs résidents.

Enfin, nous encourageons, à travers le plan PAPA, les caisses de retraite de notre réseau à développer des actions de coopération avec l’ensemble des acteurs, dont les associations, qui doivent être associées au dispositif public de prise en charge.

À l’échelon national, la CNAV a consolidé sa politique de partenariat grâce à la signature de deux conventions, le 22 mai 2012, avec l’UNAFO et Adoma.

En conclusion, je souhaiterais vous faire part de nos propositions d’actions visant à une meilleure prise en charge des personnes immigrées âgées.

Dans le domaine de la recherche, nous souhaitons maintenir une activité de veille attentive à l’évolution de cette population et nous pencher plus particulièrement sur la situation des femmes.

Dans celui de l’action sociale, nous voulons améliorer la visibilité des moyens de financement alloués pour adapter les lieux de vie collectifs. Une enveloppe fléchée, dans le cadre de notre future convention d’objectifs et de gestion (COG), pourrait constituer une réponse.

Dans le métier de la retraite, nous souhaitons renforcer les efforts que nous avons engagés pour la formation de nos agents en contact avec cette population.

Par ailleurs, pour améliorer l’information des immigrés âgés et l’accès aux droits, il nous paraît essentiel de clarifier un certain nombre de règles juridiques et d’établir des liens avec les différents acteurs associatifs, afin de mieux expliquer les conditions d’octroi des prestations et de service. Mais, une fois encore, la CNAV n’a pas à modifier des règles dont l’appréciation revient aux seuls pouvoirs publics : elle peut seulement faire des propositions au vu de son expérience.

Je crois souhaitable de mettre fin à une incohérence sur la condition de résidence : s’il faut justifier de six mois de présence sur le territoire français pour le maintien du versement de l’ASPA, cette durée n’est pas exigée lors de l’attribution de cette aide. Cela est source de confusion pour la population concernée. Il serait peut-être plus simple de prévoir cette clause de six mois dès l’attribution.

Enfin, la condition de stage de dix ans, introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, se heurte à plusieurs obstacles pour être appliquée. Le ministère des affaires sociales et de la santé ne nous a pas donné le mode d’emploi de cette application : en conséquence, nous n’avons pas transmis d’instructions aux caisses régionales sur ce point.

M. Rémi Gallou, chargé de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement de la CNAV. La recherche sur ce sujet à la CNAV a commencé au début des années 2000. Nous avons constaté alors que nous avions peu de littérature scientifique sur le sujet, qui était nouveau. Comme cela vient d’être rappelé, nous avons réalisé une première étude d’envergure – fondée sur une enquête effectuée auprès d’environ 6 500 personnes dans toute la France – traitant, non seulement de la population immigrée, mais aussi des enjeux sociaux liés au vieillissement.

Cette étude a permis de faire plusieurs constats : la diversité de la population immigrée – qu’il s’agisse de la composition des familles, du parcours de vie, des attentes ou des projets, résidentiels notamment ; le rôle important de la retraite – qui parachève un travail, conçu comme une valeur fondamentale –, en tant que vecteur d’intégration ; le fort attachement à la France, six personnes sur dix nous ayant déclaré vouloir rester en France, le quart ayant choisi d’effectuer des allers et retours entre la France et le pays d’origine
– concrétisant ainsi une double appartenance – et 6 % souhaitant retourner définitivement dans leur pays – les autres personnes ne se prononçant pas.

Le départ à la retraite a été un moment choisi pour près des deux tiers des personnes interrogées. Celles qui maîtrisent mal le français ont souligné les complications liées aux démarches administratives : retrouver des papiers dans le pays d’origine, justifier de toutes les périodes travaillées quand on a été victime d’employeurs indélicats, etc.

Parmi les points positifs, il faut retenir l’importante mobilité sociale ainsi que le sentiment d’avoir réussi sa vie – c’est le cas pour 75 % des personnes interrogées. Cet avis provient davantage des hommes, qui sont globalement plus actifs et sont arrivés plus tôt en France, beaucoup de femmes étant venues après pour rejoindre leur famille. Toutefois, cette distinction tend à disparaître, de nombreuses femmes se rendant également seules en France pour travailler.

L’étude fait également ressortir l’importance accordée à la famille, aux enfants et à la réussite scolaire.

En ce qui concerne la santé, elle est moins bonne pour cette population, mais cela est lié aux parcours professionnels et aux conditions de logement des personnes en question.

Quant au choix du lieu de sépulture, il constitue souvent une question difficile à trancher, en raison du sentiment de double appartenance. La présence (ou non) des enfants en France et la religion jouent un rôle important à cet égard.

Cette enquête n’ayant porté que sur des personnes en habitat ordinaire – à distinguer, pour l’INSEE, de l’habitat collectif que constituent les foyers –, nous en avons réalisé une seconde, comparant la situation des hommes isolés et vieillissants vivant dans ceux-ci avec ceux demeurant dans le parc d’habitation ordinaire ou diffus : elle a fait ressortir une population globalement homogène présentant des spécificités. Pour celle-ci, le fait de se retrouver seule peut constituer un problème important.

L’étude sur la population subsaharienne, coordonnée par M. Jacques Barou, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s’est intéressée aux liens entre les immigrés vieillissants et leurs enfants. Elle repose sur une enquête qualitative menée à partir d’une série d’entretiens avec les familles concernées.

M. le président Denis Jacquat. Merci pour toutes ces données chiffrées ainsi que pour vos propositions.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je souhaiterais avoir des précisions statistiques sur plusieurs points : les différences entre les pensionnés du régime général et les bénéficiaires de l’ASPA ; le niveau moyen des pensions et la durée moyenne de perception de celles-ci ; la part et le nombre des pensions reçues par les immigrés résidant dans le pays d’origine, ainsi que, parmi ces derniers, le nombre de ceux ayant opté pour la carte de séjour portant la mention « retraité ».

Pouvez-vous également préciser la situation des femmes immigrées en matière d’avantages familiaux de retraite ? Combien d’entre elles bénéficient d’une pension de réversion ? Quels ont été les effets de l’article 74 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 qui a fixé à nouveau à cinquante-cinq ans l’âge d’ouverture du droit à la réversion ?

S’agissant des conditions de résidence pour l’octroi de pensions non contributives, comment avez-vous analysé les articles 58 et 59 de la loi du 5 mars 2007, dite loi « DALO », instituant une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » qui se serait substituée à l’ASPA ? Avez-vous été associés aux tentatives de mise en œuvre d’une nouvelle pension permettant d’assouplir ces conditions ?

Enfin, souvent, lors des contrôles, les immigrés peuvent se retrouver du côté des fraudeurs parce qu’ils n’ont pas respecté la condition de résidence – Mme Lyazid, adjointe au Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, nous a fait part de saisines de plus en plus nombreuses à cet égard. Or, chez ces personnes pour qui la valeur travail structure l’existence, il est très difficile de se trouver condamné administrativement ou judiciairement alors qu’elles n’ont pas le sentiment d’avoir fraudé : cela peut susciter un violent sentiment d’injustice. Que pourriez-vous préconiser au législateur pour prendre en compte ces situations particulières, sachant qu’il n’est déjà pas toujours simple pour les immigrés nés en France de liquider leurs droits ?

Mme Martine Pinville. Comment a été mise en place l’expérimentation dont vous avez parlé en matière de perte d’autonomie ? On sait que les problèmes de santé et de perte d’autonomie apparaissent plus précocement, notamment en fonction des métiers. Avez-vous évalué les effets sur la santé ? En avez-vous fait un premier bilan ?

Mme Hélène Geoffroy. Comment entendez-vous mieux expliquer leurs droits aux populations concernées pour éviter les incompréhensions qui ont été évoquées ? Un plan d’action précis est-il prévu dans ce domaine ?

Pouvez-vous par ailleurs nous préciser votre point de vue sur la condition de résidence ?

M. Pierre Mayeur. Au-delà des éléments que je vais vous indiquer, vous recevrez un certain nombre de réponses écrites.

Sur les 13,2 millions de retraités du régime général, 422 000 sont bénéficiaires de l’ASPA – sachant que des personnes relevant d’autres régimes, beaucoup moins nombreuses, en bénéficient aussi. Ce nombre constitue un minimum historique, qui s’explique par l’amélioration des carrières et l’augmentation des pensions de retraite sur longue période. Parmi ces personnes, 160 000 sont nées à l’étranger, soit près de 40 %. 10% des pensionnés nés à l’étranger et résidant en France bénéficient de ce « minimum vieillesse ».

Nous avons en effet 2 847 000 retraités nés à l’étranger, dont 1,6 million, soit 56 %, qui résident en France et près de 1,3 million à l’étranger. Le montant moyen des pensions des personnes nées à l’étranger résidant en France est de 708 euros, contre 250 euros pour celles qui résident à l’étranger – il est en effet logique que ceux qui sont restés le plus longtemps en France bénéficient d’une pension plus élevée, le montant de celle-ci dépendant à la fois du montant des salaires et du nombre d’années de cotisation en France.

En revanche, nous n’avons pas, à ce stade, de données précises sur la durée moyenne de perception des pensions.

En ce qui concerne les pensions de réversion, il faut distinguer les personnes qui ont travaillé et qui ont donc un droit propre au régime général et celles qui n’ont pas travaillé et ont seulement la pension de réversion pour vivre. Nous avons environ 2,7 millions de droits dérivés servis par le régime général, dont 94 % bénéficient à des femmes : 856 000 sont des droits dérivés servis seuls, et 1 857 000 sont servis avec un droit direct au régime général.

Parmi les bénéficiaires sans droit direct au régime général, les femmes nées à l’étranger représentent 55 %, soit 456 000 personnes, dont 80 % résident à l’étranger. Pour les 20 % qui résident en France, le montant moyen global des pensions est de 397 euros par mois, contre 215 euros pour celles qui résident à l’étranger. On voit bien que le choix de la résidence en France est lié au nombre d’années passées dans notre pays, ce qui est logique.

S’agissant de l’information des publics concernés, il faut savoir qu’ils sont en grande partie analphabètes : nous faisons donc les brochures avant tout pour les personnes relais qui sont dans les foyers. Nous nous sommes efforcés d’expliquer de la façon la plus simple possible ce qu’est l’ASPA et dans quelles conditions elle peut être attribuée. Nous sommes néanmoins prêts à améliorer encore la formation des personnels en contact avec cette population.

Madame Pinville, nous avons adopté le plan PAPA avec la CNAM ; s’y sont greffés ensuite le Régime social des indépendants (RSI) et la Mutualité sociale agricole (MSA) dans le cadre d’une démarche interbranches et interrégimes. Nous avons essayé d’adapter des actions définies dans un cadre général en fonction de la population concernée, dans la mesure où les ateliers collectifs correspondants ne répondent pas aux spécificités de celle-ci. Mais nous n’avons pas fait de premier bilan sur ces expérimentations, qui commencent à peine.

M. David Clair, directeur juridique et de la réglementation nationale de la CNAV. Je rappelle que l’attribution de l’ASPA est soumise à plusieurs conditions, dont une condition de résidence stable et régulière en France : la loi indique que son bénéficiaire doit avoir en France son lieu de résidence habituel, qui s’entend comme son foyer ou lieu de séjour. Concrètement, on considère que cette condition est remplie lorsque la personne concernée réside en France pendant au moins cent quatre-vingts jours au cours d’une année civile.

Mme Hélène Geoffroy. Doivent-ils être consécutifs ?

M. David Clair. Non.

Le problème résulte du décalage entre les conditions demandées lors de l’attribution – où l’on réclame des pièces justificatives de la résidence d’une validité inférieure à trois mois – et celles exigées un an après, lors de la vérification – où l’on s’assure d’une résidence de cent quatre-vingts jours sur l’année civile. Nous donnons aux intéressés des premières explications au moment où l’on instruit les demandes. Nous les informons également par le biais des brochures de la CNAV et du formulaire de demande de l’ASPA, qui comporte des précisions sur les conditions de résidence. De plus, nous avons écrit il y a un an et demi à l’ensemble des bénéficiaires à cet effet.

S’agissant de l’aide à la réinsertion familiale et sociale prévue par les articles 58 et 59 de la loi « DALO », elle doit être prise en charge par l’État et servie par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), devenue l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Il ne s’agit donc pas d’une prestation de sécurité sociale ; nous n’avons pas été associés à la mise en œuvre de ce dispositif et à sa coordination avec les prestations de l’assurance vieillesse.

M. Rémi Gallou. Nous avons constaté, au travers de nos enquêtes, qu’il était rare que les immigrés découvrent au moment de la retraite les différentes procédures administratives : ils savent se faire aider à cet égard. Mais il y a toujours une confusion entre la pension de retraite et les prestations sociales. Il faut distinguer deux populations différentes : les hommes du fer – ayant travaillé dans l’industrie automobile, avec souvent des carrières complètes et linéaires – et ceux du béton – beaucoup plus soumis aux aléas économiques et bénéficiant de pensions bien inférieures.

Le « bouche à oreille » est le vecteur de communication privilégié, sur lequel on peut essayer d’agir. On peut à cet égard améliorer les relais – ce qui est en train d’être fait au travers de l’action sociale, sous l’impulsion de la DAIC. Cela dit, je n’ai jamais entendu dire du mal de la CNAV en tant que telle et les intéressés estiment plutôt être bien reçus par ses services. Mais ils sont désolés de voir les difficultés qu’ils ont à regrouper les documents qu’on leur demande.

M. le président Denis Jacquat. Je trouve, pour ma part, que les documents d’information sont bien faits. Il est difficile d’avoir des brochures parfaites, davantage simplifiées – même si les élus eux-mêmes ont parfois du mal à les lire.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Grâce à vous, monsieur le président, les futurs retraités de la CNAV ont un document d’information sur leur future retraite, mais celui-ci est rédigé de telle manière qu’il fait peur aux intéressés. La forme pourrait être moins abrupte !

M. le président Denis Jacquat. Pour ces documents, nous nous sommes inspirés de la Suède et de l’Allemagne, sachant qu’outre-Rhin, les intéressés les reçoivent tous les ans, au lieu de cinq ans chez nous. Beaucoup de personnes nous disent qu’ils sont très bien.

Mme Kheira Bouziane. Le numéro de la revue Retraite et société, consacré au vieillissement des immigrés datant de 2005, qui nous a été remis, comportait une analyse des actions menées en Europe. On constate à ce sujet une insuffisance des dispositifs de coordination : or, il est difficile pour les intéressés de s’adresser à plusieurs structures, surtout quand ils ont des difficultés linguistiques. Y a-t-il eu des évolutions dans ce domaine, où la France avait engagé quelques rares expérimentations ?

Par ailleurs, avons-nous suffisamment de personnes relais sur le territoire, notamment dans les foyers ?

M. Pierre Mayeur. Les personnes bénéficiaires de l’ASPA ne sont pas dans la même situation que ceux disposant d’un système de pensions contributives – dans lequel, lorsque le droit a été liquidé, il n’y a pas de raison a priori qu’il y ait un contrôle au cours du versement de la prestation. Cette aide étant soumise à différentes conditions, il est normal de vérifier régulièrement auprès d’eux qu’elles sont réunies.

S’agissant du droit à l’information, les régimes de retraite se sont efforcés, à la suite du cahier des charges fixé par le législateur, de délivrer l’information la plus synthétique possible. C’est un progrès considérable.

Mais comme cela n’est pas suffisant, on a également mis en place une offre de conseil interrégimes, l’« entretien information retraite », que nous avons expérimenté à la CNAV dès 2009. En 2012, nous avons ainsi réalisé plus de 80 000 entretiens en face-à-face d’une durée de près d’une heure, pendant laquelle on a expliqué aux intéressés l’ensemble des droits à la retraite.

M. Rémi Gallou. On ne peut considérer que nous avons aujourd’hui suffisamment de relais. Mais nous partons d’une situation, au début des années 2000, où les lacunes étaient très importantes. Depuis, un partenariat s’est développé : ainsi, les gestionnaires tels Adoma ont étendu leurs offres, formé leurs personnels, et proposé des évolutions du bâti et des structures au sein des foyers. Cela est d’autant plus important que les personnes isolées dans le parc diffus peuvent bénéficier, au sein de ceux-ci, des informations qui y sont délivrées.

Cependant, se pose le problème de l’accompagnement apporté aux femmes migrantes, pour lequel nous n’en sommes qu’au tout début. Le fait de garantir leur accès à l’information est un véritable enjeu pour l’avenir.

M. Pierre Mayeur. Notre objectif est de mobiliser l’ensemble des acteurs. Dans le cadre du plan PAPA, nous faisons ainsi appel au service social des caisses de retraite et des caisses primaires d’assurance maladie, aux centres d’examen de santé, au secteur associatif, aux conseils généraux, aux mairies, aux centres communaux d’action sociale (CCAS), soit à l’ensemble des intervenants susceptibles d’entrer en relation avec la population immigrée âgée.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Michel Bacquer, directeur de l’établissement
de Bordeaux des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts
et consignations (CDC), et de M. Daniel Rau, directeur de la solidarité
et des risques professionnels, responsable du service de l’allocation
de solidarité aux personnes âgées (SASPA), accompagnés
de Mme Marie-Michèle Cazenave, responsable du pôle
des affaires publiques


(extrait du procès-verbal de la séance du 14 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Au sein de l’établissement des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), le service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (SASPA) est chargé du versement des prestations qui permettent d’assurer le minimum vieillesse aux personnes exclues du système de retraite français : d’une part, les allocations spéciale et supplémentaire et, d’autre part, l’ASPA, que l’ordonnance n° 2004-602 du 24 juin 2004 relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a substituée à l’ensemble des prestations constitutives du « minimum vieillesse ». À ce titre, il instruit les demandes d’ASPA, traite les informations relatives aux allocataires, effectue les paiements et les contrôles.

D’après le rapport annuel du SASPA pour l’année 2011, 58 % des allocataires relevaient déjà de dispositifs de solidarité nationale – allocation aux adultes handicapés (AAH) ou revenu de solidarité active (RSA) – avant de percevoir l’ASPA.

Nos travaux ont fait apparaître qu’un grand nombre d’immigrés âgés sont bénéficiaires de l’ASPA. Celle-ci leur est servie le plus souvent par la caisse de retraite à laquelle ils sont affiliés, mais également par votre service. C’est pourquoi il nous a semblé utile de vous entendre.

M. Jean-Michel Bacquer, directeur de l’établissement de Bordeaux des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations. Nous vous remercions de votre invitation.

L’ASPA est actuellement versée à quelque 71 000 personnes qui ne relèvent d’aucun régime de base obligatoire d’assurance vieillesse. C’est une prestation non contributive : financée par la solidarité nationale à travers le Fonds de solidarité vieillesse, elle est servie sans contrepartie. À ce titre, le SASPA a reçu de ce fonds 622 millions d’euros en 2012.

Tout comme les régimes obligatoires d’assurance vieillesse, nous attribuons l’ASPA sous les conditions d’âge, de ressources et de stabilité de résidence sur le territoire national ; il nous revient au surplus de vérifier l’absence de cumul avec une pension de retraite ; l’ASPA est récupérable sur succession, sous certaines conditions, lorsque l’actif net successoral dépasse 39 000 euros.

Il s’agit d’une prestation différentielle. Elle est allouée aux personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs au minimum vieillesse, soit aujourd’hui 777 euros pour une personne seule et 1 206 euros pour un couple.

Lors du dépôt de la demande, toutes les conditions d’ouverture du droit sont vérifiées. Elles sont également contrôlées tout au long de l’existence du droit : une fois tous les deux ans pour la condition de résidence, une fois tous les trois ans pour les autres conditions.

Le SASPA est signataire d’une convention d’objectifs et de gestion (COG) avec les ministères chargés du budget et de la sécurité sociale. La convention actuelle couvre les années 2011 à 2013. Nous négocierons au second semestre de cette année une nouvelle convention triennale. Le SASPA travaille sous le contrôle d’une commission consultative où siègent ses tutelles et qui se réunit deux fois par an.

Les allocataires de l’ASPA sont à 67 % des femmes, à 52 % des célibataires et à 36 % des non-nationaux – 3 % sont ressortissants d’un État membre de l’Union européenne et 33 % d’autres pays. Leur moyenne d’âge s’établit à environ soixante-quatorze ans. Avant de percevoir l’ASPA, 63 % d’entre eux relevaient déjà d’un dispositif de solidarité, généralement l’AAH ou le RSA.

La récupération sur succession est très largement effective : près de 7 millions d’euros ont été recouvrés à ce titre l’année dernière ; 75 % des créances ouvertes dans ce cadre sont soldées dans l’année.

Nous avons connu récemment deux réformes des conditions d’attribution de l’ASPA. La première concerne la condition d’âge. L’ASPA demeure accordée, de manière générale, à partir de soixante-cinq ans. En revanche, l’âge auquel une personne peut bénéficier de l’ASPA au titre de l’inaptitude – soixante ans auparavant – est repoussé progressivement, de la même manière que l’âge d’ouverture des droits à la retraite, en application de la loi de 2010. La seconde réforme concerne la condition de résidence préalable sur le territoire national pour les étrangers : elle a été portée, en 2011, de cinq à dix ans.

Sous l’effet conjugué de ces deux mesures, le SASPA a attribué 1 300 allocations de moins en 2012 qu’en 2011, sur un volume de 8 900 demandes. D’après nos derniers calculs, cette diminution est imputable, pour 40 %, au recul de la borne d’âge et, pour 60 %, à l’allongement de la durée de résidence préalable.

Les contrôles que nous réalisons portent sur les quatre conditions de maintien du droit : la régularité du séjour en France ; le non-cumul avec un avantage vieillesse servi par la caisse de retraite d’un régime contributif – en cas de cumul, il revient à cette dernière de verser la pension, complétée par le montant d’allocation qui permet d’atteindre le minimum vieillesse ; le respect du plafond de ressources ; la condition de stabilité de résidence. En 2012, le service a procédé à 43 000 enquêtes sur la seule condition de résidence et à 37 300 contrôles sur les autres conditions. En 2012, ces procédures ont abouti à un peu plus de 8 000 suspensions de paiement et à environ 1 250 annulations de droits, dont 600 pour non-respect de la condition de résidence. Huit dossiers dans lesquels l’intention frauduleuse était caractérisée, voire répétée, ont fait l’objet d’un dépôt de plainte.

En outre, nous avons renforcé notre politique de communication, en particulier à l’attention de nos correspondants dans les CCAS, qui sont les guichets auxquels s’adressent les personnes âgées pour demander l’ASPA.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je vous remercie de votre présentation liminaire. Je souhaiterais disposer de quelques compléments : quelle est la part de la population immigrée qui bénéficie de l’ASPA ? Pour quelles raisons, selon vous, de nombreux immigrés ne peuvent-ils pas prétendre à la retraite contributive et relèvent donc du dispositif de solidarité ? Combien de temps séjournent-ils en France en moyenne avant de percevoir l’ASPA ? Disposez-vous de données concernant l’espérance de vie des allocataires en fonction de leur sexe et de leur origine ?

Vous l’avez rappelé : la condition de résidence préalable à l’accès à l’ASPA a été portée à dix ans par l’article 94 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Le demandeur est désormais tenu de fournir une attestation de résidence délivrée par la préfecture, laquelle vérifie s’il a bien détenu, pendant au moins dix années consécutives, un ou des titres de séjour l’autorisant à travailler. Avez-vous pu mesurer les effets de cette mesure ? Combien de personnes supplémentaires bénéficieraient-elles de l’ASPA si la durée de stage préalable était ramenée à cinq ans, ou était supprimée ? Il s’agit de pistes de réflexion, la condition de résidence préalable semblant affecter particulièrement les immigrés âgés.

Enfin, de quelle manière contrôlez-vous le respect de la condition de résidence ? Dans une délibération du 6 avril 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a recommandé aux caisses d’allocations familiales d’employer des méthodes de contrôle plus respectueuses des droits fondamentaux et du principe de non-discrimination. Cette décision a-t-elle eu un impact sur vos propres procédures ? Avez-vous identifié des pistes d’amélioration à cet égard ?

Mme Hélène Geoffroy. Vous avez évoqué les 43 000 enquêtes – chiffre important au regard du nombre de bénéficiaires de l’ASPA – auxquelles vous avez procédé en 2012. Quelles sont les conditions dont le non-respect a entraîné la suspension ou l’annulation des droits ?

Le nombre de plaintes – huit – apparaît faible au regard de la quantité d’enquêtes réalisées. Quels types de fraude avez-vous pu constater ?

M. Jean-Michel Bacquer. Nous pouvons évaluer l’impact de l’allongement de la durée de stage préalable à travers le nombre de dossiers recevables qui nous sont adressés : en 2012, nous en avons reçu 700 à 800 de moins qu’en 2011, pour un total de 8 900 à 9 000 demandes par an. La population éligible à l’ASPA aurait donc diminué de 8 à 10 %.

Au 31 décembre 2012, 25 165 des 70 827 bénéficiaires de l’ASPA étaient des non-nationaux. Cette proportion est stable depuis 2006 : on comptait à cette date 24 627 non-nationaux parmi les 70 024 bénéficiaires de l’ASPA.

M. Daniel Rau, directeur de la solidarité et des risques professionnels, responsable du service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (SASPA). Nous ne disposons guère d’éléments précis sur les raisons pour lesquelles une partie importante de la population immigrée n’est pas éligible à une pension de retraite contributive.

D’une manière générale, les bénéficiaires de l’ASPA ont exercé une activité professionnelle très limitée. On peut distinguer parmi eux quatre catégories : ceux qui ont peu cotisé et ont reçu de leur caisse de retraite un versement forfaitaire unique (VFU) – capital qui se substitue à la pension lorsque son montant annuel est inférieur à 159 euros – que nous complétons en leur servant l’ASPA ; ceux qui ont exercé une activité salariée non déclarée ; ceux – mais ce sont plutôt des nationaux – qui ont exercé une activité uniquement à l’étranger ; ceux qui sont à la charge d’un tiers, en général de leur famille.

M. Jean-Michel Bacquer. Nos allocataires ont résidé en moyenne dix à onze ans sur le territoire national avant de bénéficier de l’ASPA.

M. Daniel Rau. Pour contrôler le respect de la condition de résidence, nous envoyons des questionnaires à la moitié de nos allocataires chaque année. Dans un deuxième temps, nous procédons à un contrôle plus ciblé, en fonction d’un ensemble de critères
– notamment la région et le mode de logement. Les allocataires concernés doivent alors fournir par tout moyen – quittance de loyer, facture d’électricité, etc. – la preuve de leur résidence sur le territoire national.

M. Jean-Michel Bacquer. Lorsque les allocataires tardent à répondre aux demandes d’information complémentaire, nous suspendons leurs droits. Ces retards ont deux causes principales : la négligence et les séjours des allocataires à l’étranger – pour une durée qui, en principe, ne peut excéder cent quatre-vingts jours par an. Lorsque, à leur retour en France, les personnes justifient à nouveau des conditions requises, nous rétablissons le versement de l’ASPA.

La suspension des droits est un moyen efficace d’obtenir des réponses à nos questions. Dans une large majorité des cas, les allocataires finissent par fournir les informations demandées : 80 % des suspensions de droits sont suivies d’une remise en paiement. Cette dernière intervient dans de très brefs délais.

M. le rapporteur. Sur les lettres-types envoyées par votre service, il est indiqué : « en cas de non-réponse dans un délai d’un mois, le paiement de votre allocation sera suspendu ». Est-ce bien la procédure que vous suivez ?

M. Daniel Rau. Oui.

M. le rapporteur. Ces lettres sont envoyées par courrier non pas recommandé, mais simple. Est-ce bien le cas ?

M. Daniel Rau. Oui.

M. le rapporteur. Nous sommes un peu surpris : le délai d’un mois paraît très court. La règlementation exige que les allocataires soient présents sur le territoire national pendant au moins six mois et un jour au cours de l’année civile. Rien ne les empêche de partir en voyage pour, par exemple, deux ou trois mois. Or, leur absence risque d’entraîner une enquête plus approfondie, voire une suspension de leurs droits.

Mme Hélène Geoffroy. Lorsque les droits sont rétablis, le sont-ils de manière rétroactive ?

M. Jean-Michel Bacquer. Bien sûr.

M. Daniel Rau. Les bénéficiaires doivent être parfaitement informés non seulement de leurs droits, mais aussi de leurs obligations. C’est un préalable indispensable et une de nos préoccupations.

Dans le cadre de la COG pour les années 2011 à 2013, nous avons renforcé la communication à l’attention des allocataires. Ce n’est pas une tâche simple : nous devons expliquer une réglementation complexe à des personnes âgées qui, parfois, ne maîtrisent pas le français. Nous avons contourné la difficulté en travaillant avec les CCAS et les centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC), qui constituent de véritables « relais d’information ». Nous échangeons régulièrement avec eux, notamment sous forme dématérialisée, pour faire en sorte que les allocataires potentiels qui s’adressent à eux soient correctement renseignés sur leurs obligations.

M. le président Denis Jacquat. De contacts précédents avec des responsables de la Caisse des dépôts et consignations, j’avais retenu que les allocataires savaient très bien à quelles dates ils devaient être présents en France et qu’ils s’organisaient en conséquence. Si nous faisions passer le délai de réponse à deux mois, ils continueraient à faire de même.

M. Jean-Christophe Lagarde. Quel est l’intérêt d’un délai de réponse aussi court, sachant que 80 % des quelque 8 000 suspensions de droits sont suivies d’une remise en paiement ?

Si le délai était de trois mois, les sommes engagées ne seraient pas excessives. Le délai d’un mois vous est-il imposé par une règlementation ou procède-t-il d’un choix de votre part ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Avec quelle fréquence les lettres-types évoquées par M. le rapporteur sont-elles envoyées aux allocataires ?

M. Jean-Michel Bacquer. Tous les deux ans.

Le délai d’un mois est celui que nous affichons dans les lettres. En pratique, en cas de non-réponse, nous suspendons généralement les droits au bout de deux à trois mois, après avoir pris contact avec les services sociaux de proximité, notamment les CCAS qui ont été à l’origine de la demande d’ASPA.

M. le président Denis Jacquat. Encore une fois : si certains allocataires ne savent pas lire, ils savent en revanche s’organiser.

M. Jean-Christophe Lagarde. La population concernée est âgée et ne maîtrise pas nécessairement bien le français, à l’oral comme à l’écrit. On peut donc comprendre que certains allocataires oublient de répondre à une lettre qui leur est envoyée tous les deux ans. Surtout, votre manière de procéder les contraints à être présents à leur domicile à une période donnée, alors que ce n’est pas une condition exigée pour l’ouverture des droits.

Ne pourrait-on pas imaginer que les allocataires aient à se manifester à une échéance fixée à l’avance et dans un délai plus long, et que vous le leur rappeliez au besoin ? Je saisis mal l’intérêt de la procédure actuelle, très automatique, même si on la modifiait en allongeant le délai de réponse.

En outre, s’il est opportun que vous fassiez appel aux CCAS ou à d’autres services sociaux de proximité, ce n’est pas nécessairement efficace, notamment dans le cas où l’allocataire est parti à l’étranger pour cinq mois. Le CCAS de la ville dont je suis maire n’est pas à même de relancer une personne pour la prévenir qu’elle a reçu ou va recevoir un courrier.

Pourquoi n’a-t-on pas choisi une procédure plus adaptée à une population fragile, qui n’est pas nécessairement au fait des arcanes de l’administration française ?

M. Daniel Rau. Je précise que les CCAS fournissent toute l’information utile aux bénéficiaires de l’ASPA dès leur entrée dans le dispositif. C’est essentiel.

Par la suite, ce ne sont pas les CCAS, mais notre service qui assure le suivi des allocataires. Non seulement nous procédons à des contrôles, mais nous leur diffusons aussi des informations tout au long de leur relation avec nous.

M. le rapporteur. À l’instar de M. Lagarde, je ne suis pas entièrement convaincu du bien-fondé de la procédure actuelle. Est-elle encadrée par la loi ou le règlement ou relève-t-elle d’un choix de gestion propre au SASPA ?

Par ailleurs, je relaie une question qui m’a été posée par des associations : combien compte-t-on, parmi les bénéficiaires de l’ASPA, d’étrangers anciens combattants des armées françaises, notamment d’origine marocaine ?

M. Jean-Michel Bacquer. La procédure que nous appliquons relève d’un choix de gestion, qui s’inscrit néanmoins dans le cadre de la COG que nous concluons avec nos tutelles. La mention du délai d’un mois revêt un caractère incitatif. Dans la pratique, nous suspendons les droits entre le deuxième et le troisième mois après l’envoi du courrier.

J’ajoute que les annulations de droits ont, généralement, un caractère rétroactif et nous conduisent donc à réclamer des indus. Or, notre objectif est de réduire le montant des indus, car les personnes modestes éprouvent de grandes difficultés à les rembourser. C’est pourquoi nous contactons individuellement chacun des allocataires de l’ASPA une fois tous les deux ans.

M. Daniel Rau. Nous ne disposons pas de statistiques par nationalité, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un critère qui conditionne l’ouverture des droits.

Nous pouvons en revanche identifier, au sein de nos allocataires, les étrangers titulaires d’une pension de retraite militaire. Nous en comptions environ 800 auparavant, mais la moitié d’entre eux est sortie du dispositif de l’ASPA à la suite de la « décristallisation » des pensions de retraite.

M. le président Denis Jacquat. La décristallisation concerne des anciens combattants très âgés, dont l’effectif diminue progressivement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous vous efforcez – c’est louable et nécessaire – d’éviter les indus. Quel est leur montant total ?

Je me permets de suggérer, à votre attention et à celle de M. le rapporteur, une procédure alternative. Plutôt que d’informer les allocataires, au moment de leur entrée dans le dispositif, qu’ils recevront un questionnaire au bout de deux ans, nous pourrions leur demander de prendre eux-mêmes contact avec le SASPA pour justifier à nouveau de leur situation au plus tôt dix-huit mois et au plus tard vingt-quatre mois après l’attribution de l’ASPA. S’ils ne le font pas, vous pourriez alors envoyer la lettre-type actuelle et procéder comme vous le faites aujourd’hui. Cette méthode permettrait tout autant d’éviter les indus et faciliterait la vie des allocataires : ils commettraient moins d’erreurs ou d’oublis et pourraient quitter le territoire national sans risquer une suspension de leurs droits.

M. Jean-Michel Bacquet. Je ne dispose pas ici du montant des indus. En 2012, nous avons procédé à 1 250 annulations de droits.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, messieurs les directeurs, de vos réponses très précises.

Audition de M. Omar Samaoli, gérontologue

(extrait du procès-verbal de la séance du 14 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Monsieur Samaoli, vous êtes gérontologue, directeur de l’Observatoire gérontologique des migrations en France (OGMF), et enseignant en sciences médicosociales. Vous vous intéressez depuis longtemps à la situation des immigrés âgés dans notre pays, et avez écrit ou participé à la rédaction de nombreux ouvrages sur la question du vieillissement des immigrés : Vieillesse, démence et immigration : pour une prise en charge adaptée des personnes âgées migrantes en France, au Danemark et au Royaume-Uni, paru en 2000, Marocains résidant à l’étranger : le troisième âge, paru en 2005, ou encore Retraite et vieillesse des immigrés en France, paru en 2007. La mission d’information souhaite donc vous entendre sur les principaux constats et pistes d’amélioration que vous avez mis en avant dans vos différentes publications.

J’ajoute que vous avez travaillé sur de nombreux sujets intéressant directement nos travaux : la retraite des migrants âgés, leur isolement dans la vieillesse, la situation des femmes, ou encore le rapatriement des corps dans le pays d’origine.

M. Omar Samaoli, gérontologue. Je suis très heureux de votre initiative, qui met en lumière des réalités humaines trop longtemps négligées – réalités au contact desquelles je suis resté si longuement que j’ai appris à marcher au rythme des gens. Lorsqu’on a accompagné, aidé, épaulé, consolé, lavé, enterré, pleuré des personnes, alors on n’est plus dans le cadre d’une recherche académique ; on touche à ce qu’il y a de plus profond dans la relation humaine. Si mon propos est souvent passionné, c’est parce qu’il est nourri d’une exigence morale et d’un sens aigu de la justice, ou tout au moins du sentiment d’abandon que l’on éprouve toujours à l’égard de nos aînés de l’immigration.

Je me consacre depuis longtemps à cette thématique. Dès 1990, j’ai organisé un colloque intitulé « Mort et accompagnement dans la vieillesse. Éthique, identité et diversité culturelle en France ».

Les personnes dont nous parlons, aujourd’hui âgées, sont des immigrés venus travailler en France parce qu’ils ont été sollicités. On ne dira jamais assez ce qu’ils ont apporté à notre pays. Certains sont retournés dans leur pays d’origine, d’autres se sont installés ici.

Il serait réducteur de ne percevoir de cette réalité singulière et urgente que l’image de vieux messieurs perdus dans les couloirs des foyers : les femmes sont aujourd’hui de plus en plus souvent concernées. De même, on parle surtout aujourd’hui de ressortissants des pays du Maghreb mais, si l’on n’y prend garde, les ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne risquent de prendre bientôt le même chemin.

J’ai, dans le cadre de mes travaux, insisté sur la difficulté de l’insertion urbaine des personnes isolées. Mais je veux aussi souligner que si, aujourd’hui, nous avons peu de personnes immigrées âgées dans nos institutions gériatriques, nous le devons d’abord à la présence des familles. L’effectif global de ceux qui gravitent actuellement autour des institutions sanitaires ne dépasse pas 2 %. Parmi les populations immigrées âgées de l’Hexagone, la part des personnes isolées ne dépasse pas 10 %.

Par ailleurs, toute une population féminine arrive aujourd’hui à l’âge de la retraite et à un âge avancé : jusqu’ici, ces femmes n’ont rien négocié, rien demandé. Elles sont souvent arrivées en France non comme travailleuses, mais dans le cadre du regroupement familial : elles ont souvent de très petites carrières, quand elles en ont une, et se trouvent donc fréquemment dans une grande précarité financière.

Les enjeux gérontologiques nouveaux que sont la perte d’autonomie et les troubles neurodégénératifs sont souvent passés sous silence lorsque l’on parle des immigrés âgés. Ils sont pourtant brûlants : la dernière enquête de l’INSEE sur le risque d’une survenue de la dépendance à partir de soixante ans a montré que la perte d’autonomie se produisait en moyenne à quatre-vingt-deux ans pour la population non immigrée, à soixante-dix-neuf ans pour la population étrangère en général, et à soixante-quinze ans pour la population d’origine maghrébine.

L’absence d’intérêt des pouvoirs publics pour les troubles neurodégénératifs de ce public particulier est flagrante : les seuls instruments de prévention sont en français, et ne sont pas adaptés. Alors qu’une projection statistique montre que 14 000 étrangers seraient potentiellement touchés par des troubles neurodégénératifs, le plan Alzheimer de 2008-2012 n’a pas prévu d’action particulière à leur égard.

Il faudra enfin se pencher sur la question de la fin de vie et des lieux de sépulture.

M. le président Denis Jacquat. Dans une région industrielle comme la mienne, il y a trente ans, il n’y avait aucune personne d’origine italienne dans les maisons de retraite : la famille était là. Malheureusement, la question de la perte d’autonomie se pose aujourd’hui différemment, notamment parce que certaines personnes sont tout à fait isolées. Souvent, toutefois, les personnes qui résident en foyer préfèrent y demeurer, sans doute par peur de changer d’environnement. La mission entend se pencher sur ces questions.

Les politiques publiques sur la perte d’autonomie et les troubles de type Alzheimer étaient animées d’une volonté de non-discrimination, mais il est vrai qu’il y a un problème d’information. Il est vrai aussi que ces politiques sont déjà difficiles à comprendre pour des francophones instruits, voire pour des élus. Il faudra donc essayer d’améliorer la situation à cet égard.

Enfin, vous avez raison, l’instauration du regroupement familial, en 1974, a constitué un tournant très important.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Monsieur Samaoli, vous avez beaucoup étudié les foyers de travailleurs migrants, qui constituent un aspect important de la question du logement des immigrés âgés, même si ce n’est pas le plus important numériquement. Ces foyers constituent, avez-vous écrit, des « anachronismes douloureux ». Pour vous, leurs résidents sont des « marginaux de l’immigration » : on rajoute donc de la marginalité à des parcours de vie déjà marqués par la stigmatisation et la difficulté. Comment transformer ces foyers ? Comment mieux les intégrer à la ville ?

Lorsqu’ils sont arrivés, la plupart de ces immigrés pensaient que leur séjour en France serait une parenthèse ; ils ont souvent gardé des liens très forts avec leur pays d’origine. Aujourd’hui, seule une minorité souhaite pourtant rentrer au pays. Comment analysez-vous ce choix, peut-être pas toujours très conscient, de vieillir en France ?

Vous avez appelé à une plus grande implication des pays d’origine qui montreraient une certaine indifférence à ces situations. Connaissez-vous des exemples d’actions menées par ces pays en faveur des immigrés âgés ?

S’agissant de la dépendance et des troubles neurodégénératifs, dont vous avez montré qu’ils impactent ces travailleurs immigrés âgés de façon prématurée par rapport à l’ensemble de la population, quelles actions préconisez-vous pour lutter contre ce que vous avez appelé le « mauvais vieillissement », notamment en ce qui concerne les schémas gérontologiques ? Que peuvent faire en la matière les collectivités locales ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal. S’agissant de la perte d’autonomie et des troubles neurodégénératifs, les dispositifs de droit commun s’appliquent : aucun EHPAD ne refuserait une personne immigrée âgée qui aurait besoin de cette institution, même si cette personne relève de l’aide sociale ! À quel type de mesures spécifiques pensez-vous alors ? Il faut peut-être laisser à part le cas particulier des foyers, car vieillir en foyer est indigne de toute façon.

À Paris, la communauté asiatique construit actuellement son propre EHPAD.

Mme Hélène Geoffroy. Je voudrais vous interroger sur les allers retours avec le pays d’origine. Certains ne rentrent pas au pays : pourquoi ? Y a-t-il des obstacles ? On peut peut-être se demander comment ces personnes ont été accueillies lorsqu’elles ont pu rentrer dans leur pays d’origine.

La cohabitation de plusieurs générations est-elle plus fréquente chez les personnes immigrées ? Les enfants d’immigrés, qui sont français, ont-ils la même attitude que la population en général vis-à-vis des maisons de retraite ?

Que pensez-vous de cette question des EHPAD spécifiques ?

M. Sergio Coronado. Les travaux sur l’exil montrent que l’on ne veut pas toujours rentrer dans le pays que l’on a quitté.

La question du public féminin me semble effectivement constituer un point aveugle des politiques publiques, alors que ces femmes se trouvent souvent dans des situations très précaires, notamment d’un point de vue financier. Comment mettre en place des politiques pour atteindre ces personnes qui, souvent, parlent peu ou pas français ?

M. Omar Samaoli. Il y a la réalité globale du vieillissement, et la réalité particulière, urgente, du vieillissement dans les foyers : je considère qu’à partir de soixante ans, il ne devrait plus être possible de résider en foyer. Il faut que toutes ces personnes puissent s’insérer dans l’habitat ordinaire. Je ne veux pas m’aventurer sur le terrain des prestations sociales, car je sais que vous allez entendre des gens plus compétents que moi, mais les deux questions sont liées.

La vieillesse en foyer, c’est une vieillesse marginale, confisquée ! Ces personnes habitent en ville, mais ne vivent pas la ville. Ils sont dans une sorte de no man’s land qui n’a longtemps fait l’objet d’aucune attention, même si cela est en train de changer. Les foyers de travailleurs migrants construits en France sont d’ailleurs uniques à l’échelle européenne.

Il faut donc de la volonté politique : ceux qui ne travaillent plus n’ont rien à faire dans ces foyers. Ils doivent pouvoir accéder à un logement normal, même si cela implique de recourir à une mesure de discrimination positive. Ils ont le droit d’avoir une vie de famille.

Les allers retours avec le pays d’origine montrent que quelque chose chez eux a été profondément déstabilisé : ils ne sont finalement ni d’ici, ni d’ailleurs. Je dis parfois qu’ils ont réinventé une nouvelle territorialité. Et, à force d’avoir vécu dans ces foyers, ils ne savent plus s’en détacher.

Il faut donc réfléchir non seulement aux moyens qui leur permettraient de se regrouper, mais aussi à la façon dont leurs épouses pourraient les rejoindre pour s’occuper d’eux. Il y a effectivement des problèmes de délivrance de visas. Nous pouvons trouver des solutions pour ces personnes âgées qui ne vivent pas leur vieillesse comme tous nos concitoyens, pour leur permettre d’avoir enfin une vie de famille. Une épouse s’occuperait mieux d’eux qu’une soignante !

Ces foyers ont joué leur rôle, ont amélioré le quotidien, mais ils ne conviennent pas à des personnes âgées : ceux-ci doivent pouvoir passer ailleurs leurs vieux jours. Les foyers ne sont notamment pas équipés pour gérer la dépendance : on risque de voir se développer des maisons de retraite déguisées, qui pourraient devenir de tristes mouroirs.

Il faut se souvenir que, pour nombre de ces travailleurs, la vie s’est faite sans leur conjoint, sans leurs enfants : ils ont la nostalgie du Maghreb quand ils sont en France, mais la nostalgie de la France quand ils sont là-bas.

Il est donc temps d’agir, par volonté humanitaire et par simple réalisme.

M. le président Denis Jacquat. La construction des foyers-logements a donné lieu à de longues discussions dans les départements : beaucoup ont d’ailleurs cessé d’en construire. Aujourd’hui, on recommence, mais de façon très différente.

Le départ en maison de retraite peut être vécu comme un nouveau déracinement dans des vies qui n’en comptent déjà que trop. Il faut aussi souligner que mettre en maison de retraite une personne de soixante ans, c’est presque la condamner à la dépression, car une grande partie des personnes vivant dans ces institutions sont atteintes de troubles neurodégénératifs plus ou moins importants.

Enfin, l’isolement accentue les problèmes. Le regroupement des familles constitue donc une piste intéressante.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je vais être un peu provocatrice, mais si l’on construit des immeubles pour permettre à ces gens de sortir des foyers et d’être rejoints par leurs épouses qui n’ont jamais vécu en France et qui ne parlent pas notre langue, celles-ci ne deviendront-elles pas de simples « bonnes à tout faire » ? Ne vaudrait-il pas mieux prévoir une aide au retour et permettre à ces personnes de rentrer dans leur pays d’origine pour y retrouver leur famille ?

M. Omar Samaoli. Aujourd’hui, les personnes que nous voyons arriver en consultation psychiatrique sont souvent en « phase trois » de leur maladie. Ce sont leurs familles qui se sont occupées d’elles jusque-là ! Il faut absolument une meilleure information, une meilleure sensibilisation et un diagnostic précoce. Pour trouver des outils adaptés aux populations immigrées originaires du Maghreb, nous avons dû nous rendre au Maroc.

Le lien avec le pays d’origine est toujours extrêmement fort : les origines sont tyranniques, et plus encore lorsqu’on avance en âge.

En pratique, je ne peux témoigner que de l’expérience marocaine : nous avons mis en place de nombreuses actions. Tout ce que nous n’avons plus les moyens de faire ici, nous devons aller le faire de l’autre côté de la Méditerranée.

Pendant longtemps, les pays d’origine de ces ressortissants montraient beaucoup d’indifférence pour leurs ressortissants émigrés ; ce n’est plus le cas, et les séminaires internationaux sur ce sujet se multiplient.

Il y a aujourd’hui une réflexion sur les maisons de retraite : nous verrons ce qu’il en sera advenu dans quinze ans. Mais la question de la maison de retraite, ou du maintien à domicile, constitue un dilemme très douloureux pour les enfants.

M. le président Denis Jacquat. Souvent, la famille est très présente dans les hôpitaux en Afrique de l’Ouest et au Maghreb : outre qu’elle sert d’auxiliaire sanitaire, elle apporte une présence rassurante et chaleureuse pour le malade.

Je vous remercie.

Audition de M. Antoine Math, membre du Collectif des accidentés
du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), de M. Boualam Azahoum, membre du Collectif « Justice et dignité
pour les chibani-a-s », de M. Ali El Baz et de M. Christophe Daadouch, membres du Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI)


(extrait du procès-verbal de la séance du 21 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous commençons notre cycle d’auditions de ce jour avec M. Antoine Math, membre du collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), et M. Boualam Azahoum, qui représente le Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », et MM. Ali El Baz et Christophe Daadouch, membres du Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI).

Fondé en 1985, le CATRED a été créé par des travailleurs étrangers, issus de l’immigration du travail d’après-guerre, appuyés par des syndicalistes et des juristes. Ce collectif s’est constitué pour permettre aux étrangers, présents sur le territoire français et se trouvant dans l’incapacité temporaire ou définitive de travailler – handicapés, invalides ou chômeurs de longue durée –, d’accéder aux prestations non contributives – allocation aux adultes handicapés (AAH), allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), etc. – et d’obtenir ainsi l’égalité de traitement en matière de protection sociale.

Le GISTI est né en 1972 de la rencontre entre des travailleurs sociaux, des militants associatifs en contact régulier avec des populations étrangères et des juristes. Le GISTI s’efforce de répondre, sur le terrain du droit, aux besoins des immigrés et des associations qui les soutiennent.

Enfin, le Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s » s’est constitué pour veiller aux conditions de vie des immigrés âgés et se mobiliser contre les discriminations dont ils sont souvent victimes.

Cette audition, consacrée à l’accès aux droits sociaux des immigrés âgés, entre pleinement dans le champ des travaux de notre mission, qui s’intéresse aux immigrés de plus de cinquante-cinq ans originaires de pays tiers à l’Union européenne. Nos auditions précédentes ont souvent mis en lumière les nombreuses difficultés existantes en matière d’accès aux droits sociaux : vos témoignages concrets ainsi que vos éventuelles propositions enrichiront certainement notre réflexion.

Messieurs, nous vous laissons la parole pour un propos liminaire d’une dizaine de minutes avant que le rapporteur et les membres de la mission ne vous posent des questions.

M. Antoine Math, membre du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED). Le CATRED défend l’égalité des droits entre ressortissants français et étrangers et organise des permanences juridiques, en particulier sur les droits sociaux, pour des femmes et des hommes dont une forte proportion est immigrée et âgée. J’interviens en concertation avec d’autres associations, notamment celles du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s ».

Je centrerai mon intervention sur la question de la condition de résidence sur le territoire français. En théorie, pour l’accès à la plupart des prestations sociales, la condition de résidence s’impose à tous, Français comme étrangers, mais, en réalité, les problèmes se posent particulièrement pour les personnes immigrées, qu’elles fassent des allers et retours entre la France et leur pays d’origine ou qu’elles souhaitent y séjourner pour de longues périodes.

La question renvoie à la liberté d’aller et venir, qui a valeur constitutionnelle et est d’autant plus fondamentale pour ces personnes que, de par leur histoire professionnelle et personnelle et de par leur situation familiale, elles ont partagé leur vie entre deux pays. Or, cette liberté peut ne pas être effective si la personne est pénalisée lorsqu’elle l’exerce. Beaucoup se voient assignés à résidence en France, contraints d’y rester bien plus longtemps qu’ils ne le voudraient, pour ne pas perdre leurs droits sociaux ou la possibilité de recevoir des soins.

À ce propos, j’aborderai trois points. Les deux premiers, assez rapides, porteront sur la carte de séjour portant la mention « retraité » et sur la question de la portabilité des droits sociaux des personnes souhaitant repartir. Le troisième insistera sur la condition de résidence et sur son contrôle par les organismes sociaux.

La carte de séjour portant la mention « retraité » représente un piège puisque, lorsqu’elle échange sa carte de résident contre une carte « retraité », la personne âgée ignore qu’elle perd non seulement la quasi-totalité des droits sociaux, mais aussi d’autres possibilités, comme celles de liquider certains droits à l’assurance vieillesse, d’obtenir un duplicata du permis de conduire ou de demander un regroupement familial ou une naturalisation. La personne perd également le droit de changer d’avis et de récupérer une carte de résident.

Plutôt que la carte de séjour portant la mention « retraité », les pensionnés des régimes français devraient se voir remettre un droit au séjour permanent. Comme l’a préconisé la Cour de cassation, l’éligibilité des prestations devrait uniquement dépendre de la situation concrète de la personne et non de la détention de telle ou telle carte.

S’il était décidé de maintenir cette carte de retraité, il faudrait prévoir explicitement qu’elle ouvre les mêmes droits que la carte de résident et, pour ceux qui auraient décidé à un moment de repartir en disposant de cette carte, de pouvoir changer d’avis, de revenir sans obstacle en France et d’y recouvrer leurs droits.

S’agissant de la portabilité des droits sociaux des personnes souhaitant repartir, je ne reviens pas sur le dispositif de la loi de mars 2007 instituant le droit au logement opposable (DALO) qui a créé, à l’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles, une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine », prestation exportable pour faciliter le retour d’immigrés âgés, qui n’a jamais vu le jour.

Si l’idée de départ était bonne, le dispositif, mal conçu, est peu défendable en l’état car trop limité, ciblé et discriminatoire. Je veux souligner la légèreté et l’hypocrisie dont le Gouvernement de l’époque et les représentants de l’administration ont fait preuve dans cette affaire en invoquant des difficultés juridiques et en parlant de discrimination ou d’incompatibilité avec le droit communautaire. Il ne s’agissait que d’un alibi commode puisque, quelques mois seulement avant le vote de la loi DALO, il existait encore, et depuis cinquante ans, une petite prestation exportable. Un retraité pauvre, quel que soit son lieu de résidence, ne pouvait pas recevoir une retraite du régime général inférieure à quelque 280 euros par mois, en vertu de la majoration prévue à l’article L. 814-2 du code de la sécurité sociale qui rendait exportable, en pratique, une petite partie du « minimum vieillesse ». Cette majoration devait certes disparaître au 1er janvier 2007, à la suite de l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2004 simplifiant le minimum vieillesse et créant l’ASPA, mais cette ordonnance avait prévu, à l’article L. 815-30 du code de la sécurité sociale, une prestation de remplacement appelée « complément de retraite » pour les pensionnés non résidents. Or, le législateur l’a supprimée en 2006 par voie d’amendement avant même son entrée en application, ce qui a rendu la décision de repartir au pays encore plus coûteuse qu’auparavant. Pourquoi ne pas revenir à la situation antérieure en réintroduisant ce « complément de retraite » ?

Mon troisième et dernier point porte sur la condition de résidence et son contrôle par les organismes sociaux. Vous n’ignorez rien des graves problèmes qui sont intervenus à partir de 2008-2009 : je vous renvoie aux actes d’un séminaire de réflexion que le CATRED a récemment organisé sur le thème « Suppression des droits des sociaux des immigré-e-s âgé-e-s. Contrôle de la résidence et harcèlement par les caisses de sécurité sociale ».

Cette question conjugue les trois causes qui rendent difficile l’accès aux droits et que Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé) a rappelées lors de son audition : les textes inadaptés ou restrictifs ; les pratiques administratives, l’interprétation et la mise en œuvre des textes ; enfin, les difficultés inhérentes à la complexité des règles et au manque d’information.

Avant d’aborder la question des textes, je voudrais revenir sur les pratiques administratives qui posent actuellement les plus graves problèmes, en notant tout d’abord que les responsables d’administrations que vous avez auditionnés ont passé sous silence ou nié les pratiques contestables de leurs organismes, alors même qu’elles ont été soulignées par le Défenseur des droits. Comme lui, nous dénonçons les pratiques illégales, déloyales ou peu respectueuses des personnes. Elles sont contestables sur le plan de l’interprétation de la condition de résidence comme sur celui des modalités de contrôle et de suspension des prestations ou des méthodes de recouvrement des indus.

Les associations ont accumulé, sur ces pratiques, de nombreux témoignages et établi de nombreux constats, mais, pour ne pas paraître porter des accusations gratuites, je me contenterai d’en donner deux illustrations, attestées par des écrits des organismes eux-mêmes. Lors de la dernière audition, vous avez noté qu’une des méthodes du service de l’ASPA (SASPA) de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) consiste à envoyer un courrier simple à un bénéficiaire et, si ce dernier ne renvoie pas le questionnaire dans le délai d’un mois, à suspendre automatiquement le versement de l’ASPA. Les caisses d’allocations familiales (CAF) recourent également à des méthodes douteuses, comme l’atteste une note interne que nous nous sommes procurée : après le passage d’un contrôleur dans un foyer, précédé d’un courrier envoyé quatre jours auparavant, la note préconise à ses services
– immédiatement après le contrôle – de « suspendre le versement de toutes les prestations » « à titre préventif » pour « les allocataires non rencontrés », « le risque de suspension infondée » étant jugé faible.

D’une manière générale, les décisions de suspensions sont exécutées sans notification et sans respect du principe du contradictoire, qui laisse la possibilité à la personne de s’expliquer, deux obligations pourtant contenues dans la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

C’est pourquoi les associations demandent, dans l’attente des résultats de cette mission d’information, un moratoire sur les contrôles et une annulation des dettes des personnes âgées qui ont été piégées, ce qui reviendrait finalement à étendre à tous ce qui a été obtenu par certains à la suite de mobilisations locales ou de contentieux.

Elles demandent également des pratiques respectueuses du droit et de la dignité des personnes, un réel respect de l’obligation d’information des caisses – l’information devant être accessible et non pas purement formelle – et des règles relatives au remboursement des indus, ainsi qu’une réelle amélioration des relations entre les usagers et les caisses. Ces relations se sont en effet beaucoup dégradées pour l’ensemble des personnes précaires du pays, un trop grand nombre de caisses, qui tendent à se « bunkériser », étant devenues injoignables. Cette amélioration des relations doit également passer par la possibilité, pour les caisses, d’avoir des relations avec les associations.

Il convient enfin d’adapter le droit lui-même. La question de la portabilité des prestations doit être réexaminée, en particulier pour les personnes qui ont, sur la base de situations objectives, une forte légitimité à résider « ici et là-bas », parce qu’elles ont travaillé et cotisé « ici » et ont conservé des attaches « là-bas ». La condition devrait être au moins assouplie pour tous les pensionnés ayant travaillé et cotisé durant de longues années en France.

Aujourd’hui, les retraites contributives sont déjà exportables. D’autres prestations le sont dans le cadre de la coordination européenne des systèmes de sécurité sociale ou dans celui de certaines conventions bilatérales : rentes d’accidents du travail, pensions d’invalidité, certaines prestations d’assurance maladie. Mais il faut avouer que c’est un peu la loterie, puisque cette possibilité dépend de la nationalité. C’est pourquoi il conviendrait de l’étendre unilatéralement à toutes les nationalités sans se réfugier derrière d’hypothétiques nouvelles conventions bilatérales avec des pays qui ne prêtent que peu d’intérêt à leurs ressortissants émigrés. L’époque où il revenait aux seuls pays d’origine de défendre l’intérêt de leurs ressortissants est révolue. L’existence même de votre mission en est d’ailleurs une illustration.

En ce qui concerne les prestations pour lesquelles la condition de résidence est maintenue, il conviendrait de la simplifier et de l’harmoniser tout en prévoyant plus de souplesse et des exceptions, par exemple en cas de problème de santé ou d’accident du pensionné ou d’un de ses proches lors de son séjour au pays, surtout lorsque les personnes sont très âgées.

Il pourrait être également envisagé de limiter l’exigence de la condition de résidence à l’ouverture des droits, notamment en matière d’assurance maladie et a fortiori pour les soins reçus en France. Une fois ouverts, certains droits resteraient attachés à la personne retraitée.

Si la condition de résidence est maintenue en l’état, il faudrait à tout le moins que les pensionnés de régimes français revenant en France puissent recouvrer leurs droits sociaux, sans qu’aucun obstacle ne leur soit opposable.

En matière de contrôle, il faudrait rappeler et clarifier les pratiques auxquelles les caisses ont le droit de recourir ou non, ainsi que leurs obligations, notamment en matière de notification, de motivation des décisions ou de délais.

L’obligation de loyauté des caisses vis-à-vis des assurés, qui figure dans la loi, devrait être renforcée.

Il conviendrait par ailleurs de rendre effective l’interdiction de critères discriminatoires dans le ciblage des contrôles. Les caisses devraient rendre publics les critères utilisés, qu’il s’agisse des méthodes statistiques de type « data mining » ou d’autres méthodes. D’une manière générale, les caisses devraient rendre des comptes plus transparents, qui ne porteraient pas seulement sur le nombre de contrôles effectués ou sur celui des indus ou des fraudes détectés.

Les décisions de coupure des droits devraient également être suspendues dès leur contestation par les intéressés, les personnes âgées vivant dans des conditions précaires ne pouvant se permettre d’attendre deux ou trois ans la décision du juge. Il en va de l’effectivité du droit au recours.

Enfin, il serait nécessaire de clarifier et d’harmoniser les règles de remboursement des indus et les règles sur le « reste à vivre », qui sont complexes et varient non seulement en fonction des prestations, mais également selon le bon vouloir de la caisse ou la motivation qu’elle a fournie.

M. Ali El Baz, membre du Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI). Notre débat sur la population immigrée vieillissante ne saurait s’abstraire d’un contexte plus global marqué par des politiques xénophobes et discriminatoires associées à une précarité dont le chômage et la crise du logement sont les éléments les plus apparents.

Le droit de vivre en famille est consacré par de nombreux textes internationaux ainsi que par la loi DALO. Les conditions du regroupement familial – des ressources égales ou supérieures au SMIC et un logement décent – sont considérées comme facilement accessibles à qui le veut vraiment. Or, même quand une personne remplit les conditions de ressources et de logement, l’administration, par excès de zèle, peut refuser le regroupement. Nous avons reçu un courrier notifié le 23 janvier 2013 par le préfet de la Haute-Savoie, qui indique : « Bien que le montant de vos revenus mensuels moyens – soit 1 494 euros – atteigne le seuil requis pour un couple, vos revenus ne revêtent aucune garantie de stabilité dès lors que vous ne bénéficiez que d’un contrat à durée déterminée. »

Je pense également au statut des anciens mineurs, auxquels a été proposée une préretraite en 1987 appelée « congé charbonnier », qui a amputé leur retraite postérieure, ou aux cheminots maghrébins qui, après avoir travaillé à la SNCF durant des décennies, se retrouvent discriminés sans pouvoir bénéficier des mêmes retraites et avantages que leurs collègues français.

Selon le dernier rapport d’ATD Quart Monde, un million de demandes de logements sont insatisfaites pour ressources insuffisantes. Le rapport précise également que « le système d’attribution est opaque et injuste ».

L’accumulation de plusieurs critères négatifs – l’âge, de faibles ressources et la nationalité étrangère – transforme l’accès à une vie familiale normale en rêve inaccessible.

À la suite des pressions exercées par plusieurs associations et d’une délibération de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), la « loi Hortefeux » du 20 novembre 2007 relative au regroupement familial prévoit une dérogation en matière de ressources à l’article L. 411-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pour les bénéficiaires de l’AAH et de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI). Saisie une nouvelle fois par des associations, la HALDE a reconnu le 1er mars 2010 que la condition de ressources peut être discriminatoire à raison du handicap, de l’âge, de la nationalité ou encore de l’état de santé, en violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Toutefois, même si le législateur instaure une dérogation pour les revenus, le logement constituera toujours un frein au regroupement familial. En région parisienne, la majorité des résidents de logements insalubres sont dirigés vers les foyers. Or, une fois qu’ils y sont entrés, il leur est quasiment impossible d’en sortir, car les demandes de logement sont systématiquement rejetées, ce qui bloque toute tentative de regroupement familial.

Les politiques publiques en direction des personnes âgées se traduisent pour celles-ci par une perte de temps excessive tout en visant à contraindre les vieux migrants à retourner dans leur pays d’origine.

Le dernier rapport de la Cour des comptes révèle que, en 1991, Adoma a pris la décision de construire des maisonnées pour le troisième âge, mais que le projet a été abandonné l’année suivante. Ce n’est que quinze ans plus tard, en 2005, qu’Adoma a entrepris la construction de deux établissements pour vieux migrants à titre expérimental. Le projet s’est arrêté là, ce qui démontre que le caractère d’urgence n’a jamais été pris en considération, alors qu’Adoma reconnaît que trois personnes meurent chaque jour dans ses foyers.

Lorsque des décisions d’éloignement sont prises, c’est toujours avec de bonnes intentions. Je pense notamment à la carte de séjour portant la mention « retraité », à l’allocation de réinsertion sociale et familiale des anciens migrants ou aux dernières conventions bilatérales franco-tunisienne ou franco-marocaine. En fait, ces dispositifs ont tous pour objectif d’éloigner le migrant en le faisant bénéficier de prestations dans son pays d’origine. Jamais n’est pris en considération le fait qu’il puisse désirer résider à la fois ici et là-bas, c’est-à-dire en France et dans son pays d’origine. La carte de résident permanent, quant à elle, prévue à l’article L. 314-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est quasi clandestine puisque personne n’en parle, même dans le milieu associatif. Elle a été instaurée par la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Le deuxième alinéa précise : « Lors du dépôt de sa demande de renouvellement de carte de résident, l’étranger est dûment informé des conditions dans lesquelles il pourra se voir accorder une carte de résident permanent. » Toutefois, le demandeur est prévenu : la préfecture dispose d’un pouvoir discrétionnaire. Il doit en effet remplir deux conditions : sa présence en France ne doit pas constituer une menace pour l’ordre public et il doit prouver son intégration républicaine dans la société française. Or, cette carte est méconnue du public, même si elle présente une avancée en direction des migrants. Ce déficit est caractéristique de l’absence d’information relative aux droits nouveaux ou anciens. En revanche, quand il s’agit de faire respecter ses droits, l’administration ne se prive pas d’excès de zèle.

M. Christophe Daadouch, membre du GISTI. Je vous remercie de nous avoir invités ainsi que de la bienveillance des débats que j’ai pu écouter depuis le début de la mission. C’est d’autant plus important que, pour bien vieillir, il faut vivre dans la bienveillance. C’est un des enjeux de cette mission d’information.

J’ai été étonné des propos tenus devant vous par les représentants de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et de la CDC sur la condition d’antériorité de résidence de dix ans sur le territoire français pour bénéficier de l’ASPA. La CNAV a en effet expliqué que, en l’absence de circulaire, la loi ne s’appliquait pas, tandis que la CDC a précisé qu’en un an, 10 % des étrangers avaient été rayés des listes, soit de 700 à 800 personnes, en raison de l’application de cette même loi. Il est tout de même surprenant que, devant l’Assemblée nationale, deux organismes aient une interprétation différente d’une même loi. C’est pourquoi, s’agissant de l’ASPA, nous proposons le retour à la situation antérieure à 2006 : à l’époque, la seule condition pour pouvoir en bénéficier était, à l’instar des règles applicables aux autres droits sociaux – AAH ou prestations familiales –, la régularité du séjour en France. Il est paradoxal que la prestation sociale pour laquelle l’exigence d’antériorité est la plus longue concerne les personnes les plus âgées et les plus vulnérables – le revenu de solidarité active (RSA) a une condition d’antériorité de cinq ans seulement. Cela révèle, en filigrane, une suspicion à l’encontre des personnes âgées. Lors du débat à l’Assemblée nationale, d’aucuns ont déclaré qu’il s’agissait d’éviter le développement d’un tourisme ayant pour objectif d’obtenir cette allocation par opportunisme, comme si des personnes âgées étrangères pouvaient subitement décider de venir en France pour toucher l’ASPA. C’est oublier qu’il n’existe pas de droit acquis à l’obtention d’un visa, les refus n’ayant pas à être motivés. De plus, si le visa est accordé, il n’existe pas non plus de droit à la carte de séjour. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 repose sur un fondement idéologique erroné : l’éventualité que des fraudeurs viennent massivement bénéficier du dispositif. Les étrangers sont jugés responsables de la montée en puissance de cette allocation, qui n’est due qu’à sa revalorisation.

De plus, la loi est contestable sur le plan administratif. En effet, en raison de la condition d’antériorité de dix ans, le titre de séjour ne permet plus à lui seul d’en bénéficier : les immigrés retraités doivent apporter la preuve qu’ils avaient l’autorisation de travailler. Les personnes âgées, qui ont déjà dormi dehors pour renouveler leur carte de séjour, doivent retourner en préfecture pour obtenir une attestation établissant qu’ils ont disposé durant plus de dix ans d’un titre les autorisant à travailler. Cette seconde attestation répond-elle à la logique de la simplification administrative ? Pourquoi cette mention ne figurerait-elle pas sur leur carte de séjour ? Une circulaire administrative aurait pu prévoir la délivrance d’un tel sésame, à savoir un document attestant que ces immigrés sont en France depuis plus de dix ans avec l’autorisation de travailler. C’est pourquoi ils ne cessent pas de faire la navette entre les caisses de prestations sociales et la préfecture.

Enfin, l’antériorité de dix ans est contestable sur le plan juridique. Certes, le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi sur l’ASPA, mais il l’a été sur le RSA : il a alors jugé que, comme ce droit est lié à l’insertion professionnelle, prévoir une condition d’antériorité de cinq ans sur le sol français pour s’insérer est fondé. Mais l’ASPA, elle, n’est pas liée à l’insertion professionnelle. Faudra-t-il attendre une question prioritaire de constitutionnalité pour abroger cette discrimination légale ? Cette disposition est également contraire aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui posent le principe de l’égalité de traitement entre Français et étrangers réguliers. Il est inutile enfin de revenir sur le caractère discriminatoire de cette antériorité : vous avez entendu le Défenseur des droits sur le sujet.

Cette loi idéologiquement, administrativement et juridiquement infondée doit être abrogée.

Je tiens à souligner également qu’il est nécessaire de garantir la formation des professionnels qui ont pour mission d’informer les migrants, qui ne vivent pas en foyer, sur leurs droits et de les accompagner.

Il faudra également que votre mission aborde la réforme des tutelles de 2007 : les allers et retours des travailleurs âgés sous curatelle ou curatelle renforcée et qui ont leur curateur en France posent des problèmes spécifiques.

M. Boualam Azahoum, membre du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s ». Je ne rentrerai pas dans des considérations juridiques : nous vous ferons parvenir un document qui en traite.

Cette mission était une nécessité. Elle répond du reste à une demande que nous avions formulée dès 2006, lorsque nous avons lancé notre premier appel, mais à l’époque nos militants étaient condamnés, comme les chibanis, à l’anonymat et à l’invisibilité. Nous nous sommes un jour rendu compte que, non loin de chez nous, dans la région lyonnaise, en Île-de-France ou à Marseille, des immigrés, qui avaient fait toute leur carrière en France et qui paraissaient n’avoir jamais eu de jeunesse, continuaient de vivre dans des foyers de travailleurs. Nous pensions qu’ils vivaient dans le mythe du retour alors qu’ils aspiraient à l’aller-retour. Les carrières de ces travailleurs étaient pour la plupart morcelées. Ils avaient souvent travaillé dans des secteurs concernés par la fraude – l’agriculture ou le bâtiment : lorsqu’ils avaient voulu liquider leur retraite, ils s’étaient aperçus qu’ils possédaient l’équivalent de dix ans de fiches de paie inutilisables, falsifiées par les employeurs. Ils n’avaient pas été déclarés et, en raison de la prescription, il leur était impossible d’engager des poursuites, si bien qu’ils se sont retrouvés avec des retraites très faibles, sans même pouvoir bénéficier, au début, du minimum vieillesse, car ils étaient étrangers. Heureusement, il existe aujourd’hui l’ASPA.

Beaucoup d’entre eux avaient une espérance de vie très faible et vivaient loin de leur famille, n’ayant pas pu ou voulu les faire venir. Ils se sont retrouvés seuls dans les foyers pour migrants, vivant parfois à trois dans quinze mètres carrés – la situation s’est améliorée. Je tiens à souligner l’extrême dignité de ces vieux travailleurs, qui ont toujours cherché à faire valoir leurs droits à leur manière, face à une administration tatillonne. Il faut savoir également que leur pays d’origine, notamment le Maroc, la Tunisie ou l’Algérie, se désintéressent d’eux et n’appliquent même pas les conventions bilatérales. Rien n’est prévu pour eux là-bas.

Je tiens aussi à évoquer le cas des femmes, qui sont encore plus discriminées, du fait notamment de carrières professionnelles chaotiques. Nous ne savons pas comment elles vivent, surtout les veuves qui n’ont jamais travaillé ou ont travaillé sans être déclarées, comme c’était souvent le cas dans l’agriculture ou l’artisanat. Les anciens combattants de la seconde guerre mondiale se sont, eux aussi, trop souvent retrouvés abandonnés. La CDC, qui établit à leur encontre des dossiers à charge, n’hésite pas à leur demander des pièces en grand nombre. Quand ils ne peuvent pas se rendre aux rendez-vous, les certificats médicaux qu’ils produisent sont insuffisants aux yeux de l’administration. Ils sont présumés fraudeurs.

Comme cette population était peu organisée et précaire, on l’a offerte en pâture à l’opinion publique. Elle a servi de bouc émissaire : en période de crise, ne s’agit-il pas de faire des économies ? Des départements pilotes ont même été désignés dans la lutte contre la fraude. Toutefois, il faut reconnaître que les agents de l’administration sont souvent gênés, sur les plans humain et éthique, de devoir se conformer aux pratiques que les circulaires leur imposent. Ces pratiques sont-elles efficaces, au moins ? L’ampleur de la fraude a été souvent exagérée dans le seul dessein de justifier ces contrôles – des études commencent à le montrer, mais personne ne connaît les chiffres exacts de la fraude. Cette mission devrait permettre d’appréhender la question avec plus de sérieux. Il faut cesser de harceler les immigrés âgés.

Le statu quo étant inacceptable, les associations souhaitent que la mission émette le vœu que, durant ses travaux, l’administration procède à un moratoire des contrôles et des demandes de remboursement des indus, et reprenne le versement des prestations suspendues. Certaines administrations font déjà preuve d’une plus grande mansuétude.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je vous remercie pour votre propos liminaire que vous pourrez compléter par les réponses que vous apporterez à nos questions.

Pouvez-vous préciser en quoi, selon vous, les caisses de sécurité sociale font une lecture restrictive de la condition de résidence pour l’accès aux droits sociaux ? Vous indiquez que l’appréciation de la condition de séjour principal, remplie quand la résidence en France dépasse six mois, ne doit pas se substituer à celle de foyer permanent, qui peut selon vous être remplie même quand les absences du territoire sont plus longues. Comment les caisses pourraient-elles mieux prendre en compte ce critère ?

Les immigrés âgés éprouvent-ils toujours des difficultés à se faire délivrer un document prouvant leur résidence fiscale en France ?

De quels éléments disposez-vous pour considérer que les immigrés âgés ont fait l’objet d’un « ciblage » particulier en matière de contrôle ? J’ajoute qu’un « ciblage » fondé sur la nationalité ou l’origine serait illégal. Avez-vous des preuves ? Je tiens à vous signaler que nous recevrons les représentants des services administratifs chargés des contrôles.

À la suite de la délibération n° 2009-148 du 6 avril 2009 dans laquelle la HALDE recommandait à une caisse d’allocations familiales de suivre des méthodes de contrôle plus respectueuses des droits fondamentaux et du principe de non-discrimination, avez-vous noté un changement dans l’organisation et le déroulement des contrôles menés par les différents organismes de sécurité sociale ? Quelles sont les pistes d’amélioration en la matière ?

Les décisions de suspension prises par les caisses de sécurité sociale sont-elles suffisamment motivées ? Pouvez-vous compléter vos propos sur le sujet ?

Quels sont les principaux enseignements des actions que vous avez menées au contentieux ? La judiciarisation des rapports entre l’administration et les immigrés âgés a-t-elle porté des fruits ? Dans quel sens la justice s’est-elle prononcée ?

Mme Kheira Bouziane. Les associations sont nombreuses et éparpillées sur le territoire : existe-t-il une région où les relations entre l’administration et les immigrés âgés se passent relativement bien ? De quels moyens disposez-vous pour en être certains ?

Mme Martine Pinville. Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de réformer les pratiques administratives pour permettre une meilleure information et un vrai accompagnement des intéressés ? Si les travailleurs résidant dans les foyers sont plus facilement accessibles, comment informer de leurs droits ceux qui n’y vivent pas ?

Les conventions bilatérales ne sont pas toujours respectées : comment intervenir en la matière ?

Vous souhaiteriez que les droits soient attachés à la personne : nous devrons mener la réflexion sur le sujet.

Mme Hélène Geoffroy. Vous avez évoqué le dispositif antérieur à l’ASPA : pourriez-vous le détailler ? En quoi le droit européen pose-t-il des difficultés ?

Quelles sont les avancées liées à la carte de résident permanent, qui est peu connue ?

Comment les intéressés vous contactent-ils en dehors des foyers où, je suppose, vous tenez des permanences ?

M. le président Denis Jacquat. Je tiens à souligner que le rapporteur et les membres de la mission, notamment M. Jean-Christophe Lagarde, ont longuement interrogé les représentants de la Caisse des dépôts et consignations. Nous sommes très vigilants quant à la qualité des pratiques des différentes caisses.

Monsieur Azahoum, s’agissant d’un éventuel moratoire des contrôles administratifs durant le temps de nos travaux, je tiens à vous signaler que nous n’avons aucun pouvoir de décision en la matière.

Vous avez raison, monsieur Daadouch, il n’existe pas de droit aux visas. Les députés que nous sommes sont souvent sollicités pour intervenir: que nous appartenions à la majorité ou à l’opposition, nos interventions sont loin d’être toujours couronnées de succès. Il est faux de prétendre, comme cela se lit sur internet, que nous distribuons les visas à tour de bras !

Monsieur El Baz, je suis élu de la Moselle. Le « congé charbonnier » a concerné notamment plus de 2 000 Marocains qui ont vu leurs contrats à durée déterminée (CDD) transformés en contrats à durée indéterminée (CDI) : ils ont bénéficié des mêmes avantages que leurs collègues. Du reste, il y avait consensus entre les élus de gauche et ceux de droite sur les modalités de ce congé, notamment sur le passage du statut de préretraité à celui de retraité. Il va de soi que la base de calcul du montant de ce congé était fondée sur le nombre d’années travaillées. Peut-être le minimum qu’ont touché certains travailleurs marocains n’était-il pas suffisant pour leur permettre de vivre décemment en France.

Le problème du logement concerne non seulement les immigrés retraités, mais également les salariés et les étudiants, à plus forte raison en région parisienne. Il est difficile pour chacun d’obtenir un logement social : les offices HLM ne pratiquent aucune discrimination.

Je tiens à rappeler que l’objet d’une mission d’information est de faire le bilan d’un sujet donné en révélant tous les dysfonctionnements éventuels.

M. Christophe Daadouch. Madame Pinville et madame Geoffroy, trop souvent on ne pense qu’à l’accès général au droit, en oubliant l’accès concret aux droits. L’administration se contente de faire connaître les textes existants aux intéressés via une belle plaquette sans que des professionnels les accompagnent pour leur permettre d’accéder effectivement à leurs droits. Il n’existe plus de service social spécialisé dans l’aide aux migrants : il a été supprimé. Les politiques sociales relatives à l’immigration relèvent dorénavant du ministère de l’intérieur, ce qui n’est pas sans poser des problèmes. Peut-être faudrait-il revoir la répartition des compétences gouvernementales en la matière.

M. le président Denis Jacquat. Nous recevrons le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Daadouch. Il ne s’agit pas tant de prévoir des structures où les intéressés sont invités à se rendre que d’aller à leur rencontre, là où ils vivent, notamment dans les centres sociaux et culturels des quartiers. Les intéressés, souvent, ne se rendent pas dans les structures qu’on ouvre à leur intention. Une belle vitrine ne suffit pas. Il faut donner aux associations les moyens de pratiquer un réel accompagnement.

M. Boualam Azahoum. On demande à l’administration d’être efficace : c’est ainsi que Mme Roselyne Bachelot, alors ministre des solidarités et de la cohésion sociale, avait désigné huit départements pilotes dans la lutte contre la fraude. Nous aurions aimé connaître les résultats chiffrés de cette politique. Il va de soi que, par souci d’efficacité, les contrôleurs vont là où ils pensent avoir le plus de chance de dépister des fraudeurs : ils ciblent les quartiers ou les foyers qui sont l’objet de rumeurs. C’est ainsi qu’à Vénissieux, 50 % des contrôles sont concentrés sur deux foyers, alors que les chibanis y sont devenus minoritaires. Certains contrôles ont lieu à la fin du ramadan ou durant les vacances à des périodes où la probabilité que les habitants des foyers soient au pays est relativement élevée. Ces contrôles sont donc bien ciblés.

Par ailleurs, même si ces contrôles n’étaient pas discriminatoires, ils demeureraient injustes, car ils visent une population qui a une histoire précise. Le mot discrimination a changé de sens : auparavant, il s’agissait de permettre à certains d’avoir accès au droit commun ou à des avantages précis en fonction de leur itinéraire. Quand les chibanis retournent chez eux, c’est pour voir leur famille. Il faut savoir que, pour entrer dans les foyers Adoma, ils ont été « célibatairisés », même s’ils sont mariés et ont des enfants dans leur pays d’origine.

Il ne faut pas non plus oublier que c’est sous couvert d’une opération immobilière qu’on a vidé de ses immigrés le quartier Belsunce, à Marseille, en demandant à l’administration fiscale de ne plus leur délivrer d’avis d’imposition ou de non-imposition, ce qui a coupé leurs droits aux prestations.

S’agissant des conventions bilatérales, la France, dont la prétention à garantir l’égalité sociale est réelle, devrait appliquer le mieux-disant. La presse a évoqué le cas de plusieurs centaines de retraités aux très faibles revenus qui vont s’installer dans le sud du Maroc : ils seront un jour ou l’autre confrontés aux mêmes difficultés qu’en France. Le plus important est d’assurer, en matière de convention, la plus grande transparence possible. Les immigrés doivent être associés à l’établissement de ces conventions et doivent en être informés.

Enfin, la mission d’information n’a-t-elle pas une autorité morale suffisante pour émettre le vœu d’un moratoire sur les contrôles pratiqués par les caisses et l’obligation des remboursements, le temps qu’elle rende ses conclusions ?

M. Ali El Baz. La signature, il y a deux ans, de la convention bilatérale entre la France et le Maroc a suscité beaucoup d’espoir. Or, pour que les retraités puissent bénéficier de soins dans leur pays d’origine, ils doivent laisser leur carte Vitale en France, c’est-à-dire quitter définitivement le territoire français. Je le répète, tous les dispositifs qui sont adoptés visent à éloigner les immigrés retraités de la France.

La carte de résident permanent, qui existe déjà dans plusieurs pays européens et dont l’avantage est de donner un droit de séjour permanent, même si la personne quitte un temps le territoire français, doit sortir de la quasi-clandestinité dans laquelle on la cantonne. Jamais personne à la préfecture ne me l’a proposée.

Je tiens, monsieur le président, à rappeler que 78 000 Marocains sont venus travailler en France comme mineurs, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais et en Moselle.

M. le président Denis Jacquat. C’est vrai, mais ce sont les derniers qui, étant venus travailler pour peu de temps, ont pu bénéficier du « congé charbonnier » après la transformation de leurs CDD en CDI.

M. Antoine Math. L’accès aux droits, pour l’administration, se limite trop souvent à l’existence d’une brochure explicative ou d’un point d’accès aux droits. Or, pour se traduire concrètement, l’accès aux droits demande un suivi, surtout quand il s’agit de personnes âgées qui doivent résoudre des problèmes de reconnaissance d’accident du travail, d’invalidité ou de handicap, de santé, d’accession aux droits sociaux ou de versement des pensions. Le CATRED reçoit chaque année quelque 4 500 appels téléphoniques, qui donnent lieu à 1 500 rendez-vous – 1 200 concernent les droits sociaux et 300 des problèmes de droit au séjour ou de nationalité pour des retraités handicapés ou invalides. Ces 1 500 rendez-vous génèrent à leur tour 600 dossiers, dont certains demandent plusieurs années avant d’être réglés, car le suivi, notamment contentieux, peut se révéler très long et compliqué. Les cafés sociaux ont leur utilité, mais ils ne peuvent pas remplacer l’action des associations, qui ont malheureusement très peu de moyens.

Dans certaines régions, notamment dans le grand Ouest ou dans l’Est, les retours négatifs sont peu nombreux. Est-ce parce que les relations avec l’administration sont au beau fixe ou parce que notre association est inégalement répartie sur le territoire, à l’instar, du reste, de l’immigration ? Nous n’en savons rien.

La délibération d’avril 2009 de la HALDE, à la suite d’un contrôle de la CAF du Val-d’Oise dans un foyer en 2008, a évidemment eu des effets immédiats – plusieurs contrôleurs de la CAF nous ont alors fait part de leur volonté de respecter strictement les procédures. Il faut savoir toutefois que les caisses locales des CAF, des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA) sont autonomes : de ce fait, leurs pratiques varient dans l’espace et le temps. C’est ainsi que nous avons connu des problèmes en 2009 à Toulouse et en 2011 à Lyon. De plus, les problèmes ne sont pas les mêmes, qu’il s’agisse de la CAF, de la CARSAT ou d’autres caisses. Il est donc difficile d’établir la cartographie des difficultés.

La condition de résidence des six mois a été calée par décret, en 2007, sur la condition de résidence en matière fiscale. Or l’article 4 B du code général des impôts prévoit qu’une personne qui réside moins de six mois en France peut tout de même être considérée comme ayant sa résidence principale en France si l’administration fiscale considère que cette personne y a ses attaches principales. Il faut évidemment que l’administration fiscale fasse son travail. Les caisses de sécurité sociale pourraient avoir la même démarche à l’égard des immigrés retraités qui vivent plus de six mois hors de France.

Les conditions pour obtenir les diverses prestations sont différentes entre elles. Pour percevoir les aides au logement, il faut occuper effectivement le logement huit mois par année civile – des aménagements sont prévus en cas d’accidents ou de soins médicaux. Or, des caisses n’appliquent pas la règle des huit mois par année civile. Si une personne s’absente du mois de septembre au mois de mars, la caisse considérera qu’elle a été absente durant sept mois, alors qu’elle a été absente quatre mois la première année civile, trois mois la seconde : elle remplit donc les conditions de résidence, les textes législatifs sont très clairs.

Alors que nous avons perçu un durcissement très net des caisses de sécurité sociale à partir de 2008 et de 2009 en réponse à des instructions précises, l’attitude de l’administration fiscale a plutôt dépendu d’initiatives locales isolées, que l’on pourrait qualifier de malveillantes : c’est ainsi que, en 2005 et en 2006, à Marseille, l’administration fiscale a cherché à radier tous les immigrés âgés vivant dans des hôtels meublés et qui, de ce fait, ne payaient pas d’impôts locaux. Or, faute d’avis d’imposition ou de non-imposition, ils ne pouvaient plus percevoir de prestations sociales. Plusieurs plaintes ont été déposées, soutenues par le GISTI, et une délibération de la HALDE a permis de mettre fin à ces pratiques. Nous avons également eu des problèmes de même nature avec le centre des impôts de Gennevilliers et, en septembre 2012, des immigrés âgés et des saisonniers agricoles se sont plaints de pratiques semblables du côté de l’Étang de Berre dans les Bouches-du-Rhône.

Je ne peux pas administrer la preuve du ciblage des contrôles, mais, à mes yeux, il convient d’en inverser la charge, car les administrations mentent lorsqu’elles prétendent ne pas disposer de statistiques portant sur la nationalité des bénéficiaires du minimum vieillesse, alors que l’octroi de la prestation est conditionné, entre autre, à la régularité du séjour. La nationalité des bénéficiaires figure donc dans les fichiers.

Les méthodes de data mining utilisées en vue de rendre les contrôles plus efficaces nous inquiètent également. Cette technique statistique vise à révéler des profils types de fraudeurs afin de cibler les contrôles sur les personnes qui partagent ces mêmes caractéristiques, que ce soit en termes d’âge, de nombre d’enfants ou de nationalité. Toutefois, certaines caractéristiques couplées ressortent nécessairement en cas de contrôles massifs dans les foyers – âge, prestations, nationalités. Nous n’avons aucune information précise sur les profils exacts que cette technique a permis de définir.

Les caisses ne ciblent pas uniquement les immigrés âgés, mais plus généralement les populations précaires. Trop souvent, elles ne respectent pas la loi, notamment celle du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, en matière de notification des suspensions, de motivation en fait et en droit des décisions de refus et de respect du principe du contradictoire.

Les recours sont peu nombreux en raison des pressions exercées par les caisses en matière de recouvrement des indus : les intéressés craignent une diminution de leurs prestations – j’ai connaissance d’un recouvrement s’étalant jusqu’en 2045. C’est pourquoi, dans l’affaire de la caisse du Val-d’Oise, très peu de personnes concernées ont porté plainte : elles ont préféré négocier et renoncer à leur recours, même si celui-ci était solidement fondé. De plus, tous les documents – bulletins de paie, retraits d’argent ou certificats médicaux – attestant de la présence de la personne en France sont écartés par la justice – qui soupçonne la personne d’être revenue uniquement pour obtenir ces documents –, alors que tous les éléments liés au pays d’origine sont portés à charge. Quant au passeport, il est toujours présenté comme la preuve par excellence du retour en France. Or, il faut savoir qu’il n’est pas nécessairement tamponné à chaque passage à la douane. Le passeport n’apporte donc aucune preuve absolue en matière d’absence du territoire français.

Madame Geoffroy, la majoration prévue à l’article L. 814-2 du code de la sécurité sociale permettait de porter le montant du « premier étage » de l’ancien minimum vieillesse à 280 euros pour les personnes dont les pensions étaient inférieures à ce montant. C’est l’allocation supplémentaire qui permettait d’atteindre le minimum vieillesse. L’ordonnance de 2004, créant l’ASPA en vue de simplifier le minimum vieillesse à compter du 1er janvier 2007, avait prévu un complément de retraite équivalent pour les non-résidents. Or, en 2006, le législateur a décidé, dans un climat défavorable aux immigrés âgés et pour réaliser des économies, de supprimer le complément de retraite avant même son entrée en application. L’ancienne majoration n’avait jamais posé aucun problème juridique, notamment au regard du droit communautaire ou en termes de discrimination. Il est donc possible de prévoir la portabilité d’une partie du minimum vieillesse : c’est un garde-fou nécessaire.

M. le rapporteur. Cette mission d’information a une fonction tribunitienne puisqu’elle permet de porter au cœur des institutions républicaines la parole de vos associations. J’ai des retours très intéressants de la part de ceux qui suivent nos débats sur le site internet de l’Assemblée nationale – les auditions y sont diffusées en direct. Ils s’appuient même sur la publicité de ces auditions pour espérer une modification du climat entourant les immigrés âgés. Le fait qu’une mission parlementaire auditionne les administrations et les mette, preuves à l’appui, face à leurs dysfonctionnements éventuels, participe sans conteste de ce changement de climat, avant même que la mission, qui entendra les ministres concernés, ne rende ses conclusions. Le Parlement remplit ainsi parfaitement sa mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.

M. Daadouch a fait une remarque très judicieuse sur l’accompagnement des intéressés dans l’accès aux droits. Les pouvoirs publics locaux ont un rôle à jouer en la matière en raison de leur connaissance sociologique des populations. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques des pouvoirs locaux ?

M. Christophe Daadouch. La question de la formation des acteurs locaux, au sein des mairies ou des conseils généraux, est cruciale. Je ne suis pas certain que les personnels des centres communaux d’action sociale (CCAS) maîtrisent suffisamment les enjeux que nous évoquons dans le cadre de cette mission d’information et qui sont très techniques, puisqu’ils se situent à mi-chemin entre le droit des étrangers et celui de la protection sociale. Or, les associations ne peuvent pas gérer toutes les situations individuelles. La formation des professionnels est une nécessité absolue.

Il existe, dans les préfectures, des guichets prioritaires pour les chefs d’entreprise ou les professions culturelles et artistiques : pourquoi n’envisageraient-elles pas d’en créer pour les personnes âgées ?

M. Boualam Azahoum. Moins les personnes âgées voient l’administration, mieux elles se portent, d’autant que leur situation financière n’évolue qu’exceptionnellement. Pourquoi doivent-elles remplir chaque année les mêmes formulaires ? Pourquoi ne pas prévoir le renouvellement de la carte de séjour portant la mention « retraité » ou des droits eux-mêmes ? De plus, les immigrés retraités sont issus de pays où les liens avec l’administration sont vécus comme oppressants.

M. Ali El Baz. Pourquoi seulement un tiers des retraités marocains et un quart des retraités algériens perçoivent-ils une retraite complémentaire ? C’est ce que révèle le rapport du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). La réponse se trouve, à mon avis, dans le manque d’information des intéressés et l’absence d’articulation entre les caisses.

La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998 a prévu des cas de dérogation à la taxe d’habitation. Or, le service des impôts exige encore aujourd’hui la taxe d’habitation de personnes âgées qui pourraient bénéficier d’une dérogation. La mission devrait aborder cette question.

M. le président Denis Jacquat. Il faut savoir qu’il existe des retraites complémentaires obligatoires et non obligatoires, la cotisation se décidant au niveau de la direction. Il existe même des retraites supplémentaires dans le secteur de la sidérurgie. C’est durant leur temps d’activité que les salariés doivent être informés du type de retraite complémentaire dont ils bénéficieront plus tard.

Mme Martine Pinville. Il ressort de vos propos, messieurs, que la question de l’accès au droit est primordiale et qu’il convient de trouver de nouveaux moyens d’informer les intéressés. Si ce problème était résolu, les dossiers pourraient être traités plus facilement. C’est un des enjeux importants des années à venir.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, messieurs.

Audition de Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée
au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire
à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV)


(extrait du procès-verbal de la séance du 21 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

Madame, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendue par la mission d’information sur les immigrés âgés, dont le champ des travaux est circonscrit aux immigrés de plus de cinquante-cinq ans originaires de pays tiers à l’Union européenne. Vous êtes spécialiste des relations entre générations et avez publié de nombreux ouvrages et articles en lien avec notre sujet. Ainsi, vous avez participé à l’enquête réalisée par la CNAV au milieu des années 2000 sur le vieillissement et le passage à la retraite des immigrés en France. Ce travail a abouti à la publication d’un ouvrage de référence, L’enracinement, qui démontre le profond attachement à la France manifesté par les immigrés dans la vieillesse. Les enseignements que vous en avez dégagés sont d’un intérêt très vif pour nos travaux. La mission d’information gagnera également à connaître les principaux enseignements de vos travaux actuels sur le vieillissement des immigrés originaires d’Afrique subsaharienne.

Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Notre grande enquête sur le vieillissement des immigrés l’a montré, la retraite est un facteur d’intégration. En dépit de la modicité des pensions qu’ils perçoivent, le passage à la retraite confère à des travailleurs qui ont connu la précarité et le chômage un sentiment de stabilité et, sur le plan symbolique, d’appartenance. C’est ainsi que plus de 80 % des personnes interrogées considèrent avoir accédé à une meilleure réussite sociale que leurs parents restés au pays, d’autant plus si elles sont d’origine modeste ou viennent d’un pays où la retraite n’existe pas ou est embryonnaire.

Toutefois, cet effet identitaire s’observe moins chez les femmes âgées n’ayant pas été intégrées au monde du travail, surtout pour celles originaires d’Afrique du Nord et de Turquie. En outre, le sentiment d’intégration est moins marqué chez les personnes arrivées tardivement en France – l’enracinement concerne les immigrés arrivés plus jeunes et ayant fondé une famille, mené une carrière, bénéficié d’une retraite, etc. Pour les immigrés arrivés plus tardivement – des parents venus s’occuper de leurs petits-enfants, des enfants venus s’occuper de leurs parents –, la création de liens en dehors de la famille est difficile. S’ils vivent chez leurs enfants, qui, le plus souvent, ont une vie professionnelle, leur seul univers est la maison, et ils se retrouvent très seuls. Ceux qui sont originaires de pays dont les émigrés sont peu nombreux, comme l’Iran ou le Sri Lanka, ne sont même pas pris en compte par les enquêtes. Il me semble essentiel de créer des lieux de rencontre à l’intention de ces laissés-pour-compte.

La migration a un impact très fort sur les rapports intergénérationnels. En la matière, deux thèses s’opposent. Selon la première, il existe un fossé entre générations en raison de la différence d’acculturation à la société moderne : les jeunes deviennent plus individualistes, adhèrent à la modernité, s’écartent des normes traditionnelles auxquelles les parents sont toujours attachés, ce qui entraîne des conflits entre générations. Selon la seconde thèse, les familles immigrées sont plus solidaires que les autres du fait de valeurs familiales plus fortes – respect de la tradition, piété filiale – et du besoin accru de trouver refuge et protection dans la famille face à un environnement parfois hostile. Aucune de ces deux thèses n’a été vérifiée par les enquêtes empiriques : les conflits entre générations et la solidarité familiale ne concernent pas plus les familles d’immigrés que les autres.

Cependant, ces familles se transforment. Lorsqu’elles sont devenues transnationales, certains de leurs membres demeurant au pays, d’autres étant accueillis en France, elles sont souvent confrontées à des difficultés de regroupement familial. La famille élargie, qui existe dans la plupart des pays tiers à l’Union européenne, avec frères, sœurs, tantes, cousins, se transforme en famille restreinte, limitée aux seuls parents et enfants. De ce fait, les personnes qui avaient l’habitude de partager des responsabilités familiales et l’éducation des enfants avec la famille élargie, parfois même avec tout le village, peuvent éprouver d’importantes difficultés, voire un grand sentiment de solitude, en particulier lorsqu’elles doivent faire face à des coups durs. Cette situation explique la fréquence des allers et retours, tout comme les nombreuses communications à distance, facilitées par les nouvelles technologies, entre le pays d’origine et la France. Ainsi, les immigrés forment un pont culturel entre le pays d’origine et le pays d’accueil.

Dans la mesure où le projet migratoire vise à trouver de meilleures conditions de vie pour soi-même, mais aussi pour les générations suivantes, l’enfant occupe une position centrale dans les familles immigrées. Encouragés à poursuivre des études, la majorité des enfants d’immigrés connaissent une meilleure réussite sociale que leurs parents – davantage en France qu’en Belgique. Toutefois, comparés à l’ensemble des enfants de leur classe d’âge et en tenant compte de l’ensemble de la population du pays d’origine, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, ces enfants réussissent moins bien, les immigrés comportant une forte proportion d’ouvriers peu qualifiés. Il s’agit donc principalement de la détermination par le milieu social qui existe pour n’importe quel groupe d’immigrés comme pour la population française en général. De la même manière, les personnes originaires d’un même pays sont hiérarchisées, celles issues d’un milieu plus élevé réussissant mieux que celles qui viennent d’un milieu plus modeste.

La solidarité chez les immigrés prend la forme, comme pour la population générale, de transferts financiers au sein des générations qui sont un effet direct de la protection sociale et du bénéfice des retraites. Chez les immigrés, la solidarité se manifeste de plusieurs façons. D’abord, par des envois d’argent à la famille restée au pays, surtout aux vieux parents, qui les ont parfois aidés à partir et dont le niveau de vie est généralement très bas. Pour des immigrés dont les revenus sont généralement peu élevés, cela limite d’autant la possibilité d’aider les enfants présents en France à faire des études ou à démarrer dans la vie. Pourtant ces aides sont un facteur de réussite des études.

Ensuite, les enfants d’immigrés aident beaucoup leurs parents et interviennent même plus jeunes que les enfants du pays d’origine. Éduqués à l’école française, mieux à même de maîtriser la langue et de décoder la société, ils se posent comme médiateurs entre la famille et celle-ci. Après avoir été aidés par leurs parents, ils leur apportent à leur tour une aide tant sur le plan matériel que pour les démarches administratives et les soins.

Les immigrés gardent souvent des liens importants avec leur pays d’origine. Ce double attachement a été très bien étudié à l’aune des notions d’identité et de citoyenneté. Des attachements pluriels sont possibles. Néanmoins, les immigrés transmettent rarement, sinon jamais, à leurs enfants leur propre attachement à leur pays d’origine, et encore moins leur sentiment d’appartenance, si bien que ces derniers ont souvent un rapport distancié au pays d’origine et se sentent surtout appartenir au pays dans lequel ils vivent. Ainsi, les enfants de la deuxième génération nés en Grande-Bretagne, pays qui a choisi le multiculturalisme, ou nés en France, qui prône l’intégration par l’assimilation, et même nés en Afrique du Sud, où les immigrés subissent de fortes discriminations, aspirent très fortement à être Anglais, Français, Sud-Africains, c’est-à-dire au fond à être comme les autres. Leur rapport au pays d’origine est différent de celui de leurs parents : d’ailleurs, quand ils s’y rendent quelques jours, ils y sont considérés comme des étrangers. Cette tension dans le sentiment d’appartenance au pays de naissance et au pays d’origine conduit souvent ces jeunes à exprimer un goût pour le travail à l’international ou pour l’aide au développement ou à se définir comme « citoyens du monde ».

Les cultes sont pratiqués différemment selon les religions. Il y a beaucoup plus d’observance parmi les musulmans. On note chez les enfants d’immigrés soit une surenchère lorsqu’ils sont à la recherche d’une identité religieuse, soit un détachement – il n’y a pas de reproduction des parents aux enfants.

Quant aux préférences pour le lieu de sépulture, elles diffèrent selon le pays d’origine et la religion. Quand ils sont originaires d’Europe, les immigrés optent en majorité pour l’enterrement en France – les Espagnols à 66 %, les Italiens à 76 % –, à l’exception des Portugais (31 % optent pour la sépulture en France, contre 34 % pour une inhumation au pays) et des Turcs (68 % optent pour une sépulture au pays). Les Asiatiques souhaitent également être inhumés en France à 62 % – 12% seulement souhaitent être enterrés dans leur pays. À l’inverse, les personnes venues d’Afrique sont plus nombreuses à vouloir être inhumées dans leur pays d’origine : 58,5 % pour celles originaires du Maghreb (au lieu de 23 % qui optent pour une inhumation en France), 44,5 % pour celles d’Afrique subsaharienne. En revanche, les immigrés dont les parents sont inhumés en France, y compris lorsqu’ils sont originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, choisissent leur sépulture en France. Ainsi la continuité générationnelle se traduit soit par la fidélité au pays d’origine, soit par la création d’une continuité en France.

M. le président Denis Jacquat. Lorsque j’étais médecin en milieu hospitalier à Metz, un grand nombre de Portugais demandaient s’il était possible de transférer leur proche, qui était mourant, vers l’hôpital de Biarritz ou de Saint-Jean-de-Luz, c’est-à-dire tout près de la frontière espagnole. Cette réalité humaine rejoint les résultats de votre enquête.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Les travailleurs algériens, marocains et tunisiens, arrivés massivement en France dans les années soixante et soixante-dix, ont été accueillis dans les foyers pour travailleurs migrants, ce qui témoigne d’une certaine mise à l’écart de ces populations. Comment expliquez-vous les lacunes de la politique d’intégration conduite à l’égard des immigrés de travail ? D’autres pays européens ont-ils eu la même attitude ?

À l’heure actuelle, un tiers environ des immigrés de plus de soixante-cinq ans ont obtenu la nationalité française. Quelles sont les conséquences de l’acquisition de la nationalité sur l’accès aux droits, l’intégration, l’appartenance à un réseau social ?

Mme Martine Pinville. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les difficultés des femmes immigrées âgées qui n’ont pas travaillé ?

Si les enfants occupent une position centrale dans ces familles, n’éprouvent-ils pas des difficultés face à leurs parents âgés au regard de l’évolution des modes de vie ?

Mme Hélène Geoffroy. Je suis élue d’une circonscription où le militantisme chez les femmes immigrées d’une soixantaine d’années, à travers les associations, semble davantage marqué que chez les femmes arrivées plus tardivement. Vos études ont-elles révélé ce phénomène ?

La solidarité s’exprime de façon plus précoce chez les enfants d’immigrés, avez-vous dit. Ces derniers sont-ils écartelés entre deux traditions, celle de la France et celle du pays d’origine ?

Mme Claudine Attias-Donfut. Comparer les politiques d’intégration est un exercice très difficile. Nous l’avons surtout fait entre la France et l’Angleterre, même si leur modèle d’intégration est distinct, l’Afrique du Sud étant un pays dont le point fort n’est pas le respect des droits des immigrés. La France est considérée comme un modèle d’intégration par mes collègues enquêteurs anglais, pour qui le multiculturalisme de leur pays a trouvé ses limites, car plusieurs générations d’immigrés n’y parlent pas l’anglais, qui est pourtant l’une des langues les plus parlées au monde. Les études comparatives entre ces deux pays montrent que, le sentiment d’appartenance est plus fort en France – j’y vois une réussite de notre politique d’assimilation, en dépit de ses insuffisances – et que très peu d’immigrés retraités souhaitent revenir dans leur pays d’origine. Il faut reconnaître aussi que le climat français est plus attractif que le brouillard anglais. Le multiculturalisme, qui existe aussi en Belgique, peut certes faciliter l’accès à des services, mais les personnes concernées se trouvent souvent à part dans la société, alors même qu’elles aspirent à en faire partie.

En définitive, la politique d’intégration française ne me semble pas si mauvaise que cela, même si elle nécessite des améliorations en matière d’accès aux services et d’aide des associations. En fait, il n’y a aucun pays où les choses se passent bien : en Allemagne, par exemple, les populations turques connaissent de grandes difficultés d’intégration.

L’acquisition de la nationalité favorise fortement le sentiment d’appartenance. La stratification civique, qui permet de différencier les individus selon leur degré d’appartenance à la citoyenneté, recoupe la stratification sociale qui constitue une autre forme de hiérarchie sociale. En facilitant l’intégration, la citoyenneté est symboliquement très importante : elle facilite les démarches, l’accession à la propriété, etc.

La migration peut parfois profiter davantage aux femmes qu’aux hommes. Après un divorce, un grand nombre d’entre elles refuse de retourner au pays, car elles risquent d’y être cantonnées dans le rôle traditionnel des femmes – s’occuper des autres, servir tout le monde… Elles sont donc plus attachées à la France, les hommes l’étant davantage au pays d’origine. Ainsi, l’immigration est une forme d’empowerment des femmes, et c’est ce qui peut expliquer l’évolution du militantisme. Comme le montre une récente thèse sur les femmes immigrées marocaines en Belgique et en France, des femmes qui se retrouvent seules après avoir été abandonnées par leur conjoint, mais qui ont pu se reconstruire grâce notamment aux services sociaux, se considèrent plus libres et plus heureuses qu’avant.

M. le rapporteur. Pour ces femmes, l’immigration est une forme d’émancipation.

Mme Claudine Attias-Donfut. Tout à fait. À l’inverse, certaines femmes sont isolées et maîtrisent mal la langue, faute d’avoir été aidées par des travailleurs sociaux pour intégrer un groupe. On le voit : l’intégration des femmes immigrées, y compris des femmes âgées, est un élément clé, car elles sont autant de médiatrices potentielles, comme l’a démontré Catherine Delcroix dans son étude sur les femmes immigrées dans les quartiers difficiles.

Pour les enfants, le plus difficile à vivre est le fait que les parents soient très tournés vers le pays d’origine : s’ils doivent y adhérer, ils peinent à s’intégrer et réussissent difficilement. Pour réussir, ils sont alors parfois obligés de rompre avec leurs parents. Ces situations sont douloureuses et très compliquées. Les premiers travaux sur la mobilité sociale des enfants d’Algériens dans les années quatre-vingt ont montré que les enfants accèdent d’autant plus facilement aux études supérieures que les parents sont très orientés vers l’intégration en France.

Enfin, face au vieillissement des parents, les familles d’immigrés ne prennent pas forcément tout en charge, comme on aurait pu le croire : elles font ce qu’elles peuvent, comme toutes les autres familles. De la même manière, elles ne se montrent pas davantage réservées que les autres à l’égard des professionnels extérieurs, et les aidants finissent par accepter d’être assistés. Toutefois, le manque d’informations, le sentiment de ne pas être légitime pour recourir aux services, les difficultés des travailleurs sociaux à entrer en contact avec elles, constituent de réels problèmes. C’est la raison pour laquelle des actions me semblent indispensables pour apporter à ces familles une meilleure information et un meilleur accès aux services.

M. le président Denis Jacquat. Merci beaucoup, madame, pour cet exposé très intéressant. Vos comparaisons européennes et internationales vont nous permettre d’enrichir notre réflexion.

Audition de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné
de Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales, et de M. Renaud Villard,
chef du bureau des retraites de base à la sous-direction des retraites
et des institutions de protection sociale complémentaires


(extrait du procès-verbal de la séance du 21 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales, et de M. Renaud Villard, chef du bureau des retraites de base à la sous-direction des retraites et des institutions de protection sociale complémentaires.

Il revient à notre mission d’information d’identifier les difficultés que rencontrent les immigrés âgés pour accéder aux droits sociaux. Nous serions heureux de connaître votre point de vue et les pistes d’amélioration qu’il vous semble possible d’explorer : des dispositions nouvelles concernant les immigrés âgés pourraient par exemple figurer dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) qui lient les différents organismes de sécurité sociale à la tutelle.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. L’amélioration de l’accès des personnes âgées immigrées aux droits et de leur accompagnement par les caisses de sécurité sociale constitue l’une de nos préoccupations majeures.

S’agissant des droits à retraite contributifs, je rappelle que les pensions correspondant au versement de cotisations liées à une activité professionnelle en France sont totalement « exportables » sans condition de réciprocité – contrairement aux règles retenues par d’autres pays occidentaux comme le Royaume-Uni. Aujourd’hui, 1,25 million de pensions de retraite sont versées à des personnes résidant à l’étranger. Elles n’ont qu’une seule particularité : leurs bénéficiaires doivent produire régulièrement un « certificat d’existence », visé par les autorités locales, prouvant qu’ils sont toujours en vie. Afin de simplifier cette formalité et d’améliorer la maîtrise des risques et la lutte contre les fraudes, nous travaillons actuellement à une évolution de cette procédure.

Les droits non contributifs concernent les migrants âgés qui, en raison de périodes de cotisation trop courtes ou de non-déclaration par leurs anciens employeurs, perçoivent une pension modique complétée par le minimum vieillesse. Ce minimum social a fait l’objet, en 2004, d’une réforme créant une allocation unique : l’ASPA, entrée en vigueur en 2007. Les bénéficiaires des anciennes allocations continuent toutefois de les percevoir selon les règles applicables avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 juin 2004 relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.

Nous travaillons avec les organismes compétents, la CNAV et le SASPA de la Caisse des dépôts et des consignations, à l’amélioration de l’accès aux droits et de l’information. Ainsi, le SASPA, qui compte aujourd’hui 70 000 allocataires sans droits à retraite liés à des cotisations, organise depuis plusieurs années trois réunions annuelles en région afin d’informer les acteurs de terrain, notamment les centres communaux d’action sociale, des conditions d’attribution de l’ASPA. Une lettre d’information diffusée sous forme dématérialisée est aussi distribuée à près de 7 000 partenaires. Ces pratiques ont été inscrites dans la COG signée entre le SASPA et l’État.

Dans le même esprit, l’assurance retraite a contribué à la publication du Guide du retraité étranger, réalisé par l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO). Elle mène également diverses actions destinées à favoriser l’accès aux droits et le « bien vieillir », et consent notamment des efforts financiers en faveur de l’adaptation et de la réhabilitation des foyers de travailleurs migrants. Entre 2009 et 2012, treize projets de ce type ont été financés grâce à des prêts sans intérêts à hauteur de 7,7 millions d’euros, et des subventions ont été accordées pour environ 200 000 euros.

La Cour des comptes a rappelé l’année dernière la nécessité de mieux informer de leurs droits les bénéficiaires potentiels de l’assurance vieillesse. L’accès aux droits pour tous les publics constituera un élément essentiel des futures COG, dont celle qui sera négociée avec la branche vieillesse du régime général au second semestre 2013.

En matière d’accès aux soins, je précise que nous informons les bénéficiaires du « minimum vieillesse », dont le montant dépasse le seuil permettant l’affiliation à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), qu’ils peuvent recevoir l’aide à la complémentaire santé (ACS).

Depuis 2006, dans le souci d’aligner les conditions de versement des minima sociaux, le législateur a soumis les bénéficiaires de l’ASPA à une obligation de résidence : le demandeur doit désormais justifier d’une présence effective sur le territoire national de plus de six mois au cours de l’année civile. Les bénéficiaires soumis au régime antérieur continuent néanmoins de percevoir des prestations qui restent « exportables ». À la fin de l’année 2010, près de 240 000 allocations étaient encore servies à ce titre, mais il faut noter que ce « stock » décroît régulièrement et que le montant moyen des allocations servies, soit 170 euros mensuels, est inférieur à celui versé pour l’ASPA qui s’élève à 410 euros – sachant que le montant maximal de cette allocation est de 777 euros pour une personne seule.

La condition de résidence entre dans le champ des contrôles opérés par la CNAV. Je précise que le plan national de lutte contre la fraude, annoncé par le Premier ministre il y a une dizaine de jours, exclut de cibler spécifiquement les foyers de travailleurs migrants. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) nous avait d’ailleurs fait part de recommandations visant à prévenir tout risque de discrimination dans la sélection des allocataires contrôlés. Par ailleurs, leurs obligations en matière d’accueil ont été rappelées aux directeurs d’établissements.

En 2011, les vérifications relatives au lieu de résidence représentaient 23 % des contrôles antifraude de la CNAV, soit 3 600 contrôles sur un total de 15 600. Ils ont permis de détecter 250 cas de fraudes à la résidence – par non-respect de la condition de résidence l’année du contrôle ou fausse déclaration de résidence en France au moment du dépôt de la demande d’allocation –, pour un préjudice évalué à 2 millions d’euros.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. La durée de résidence préalable nécessaire à l’attribution de l’ASPA a été portée de cinq à dix ans par l’article 94 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Que savez-vous de la mise en œuvre de cette mesure ? La CNAV nous a indiqué ne pas avoir transmis d’instructions aux caisses régionales, mais, selon le SASPA qui applique ce nouveau dispositif, il entraîne une réduction de 10 % de la population éligible.

Savez-vous combien de personnes bénéficieraient de l’ASPA si la durée de résidence préalable était ramenée à cinq ans ou si elle était supprimée ?

Quel est l’effet de l’obligation de fournir une attestation, établie en préfecture, de résidence régulière ininterrompue sous couvert d’un titre de séjour autorisant à travailler depuis plus de dix ans ?

Certaines des associations que nous avons entendues considèrent que les caisses de sécurité sociale ont une lecture restrictive de la condition de résidence pour l’accès aux droits sociaux. Ces associations estiment que la condition de « caractère permanent » du foyer, telle qu’elle figure à l’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale, est remplie même en cas d’absence du territoire de plus de six mois. Partagez-vous cette analyse ?

Une autre question d’interprétation se pose quant à l’obligation de résidence de plus de six mois sur le territoire. Le décret semble préciser que cette durée doit être comptabilisée au cours de l’année civile, mais ce décompte est parfois effectué à cheval sur deux années consécutives.

Par ailleurs, en cas de divergences entre l’administration et les bénéficiaires, compte tenu des populations concernées, il n’y a sans doute pas toujours fraude intentionnelle.

Enfin, la comparaison des accords bilatéraux en matière de sécurité sociale liant la France aux pays de provenance des immigrés âgés fait-elle apparaître des différences ? Les dispositions de ces conventions ont-elles une incidence particulière sur les immigrés âgés pratiquant la navette entre la France et leur pays d’origine ?

Mme Hélène Geoffroy. Pouvez-vous détailler le calendrier et les modalités des actions que vous envisagez de mener afin de donner aux usagers une meilleure connaissance de leurs droits et d’améliorer leur accompagnement ?

M. Thomas Fatome. Nous manquons encore de recul pour mesurer l’impact de l’allongement de la durée de résidence préalable à l’attribution de l’ASPA. Compte tenu des publics concernés, il me semble que le SASPA sera plus à même de vous répondre que la CNAV. Le pourcentage de dossiers rejetés pour non-respect de la durée de séjour préalable a mécaniquement augmenté : alors que cette proportion était sensiblement la même depuis trois ans – 16 % de l’ensemble des dossiers rejetés –, elle est passée à 24 % au 30 septembre 2012, ce qui représente 650 dossiers.

Le SASPA nous a indiqué que, pour satisfaire à l’obligation de fournir une attestation établie dans les préfectures, des référents avaient été désignés dans chacune d’entre elles. Après une période de mise en place, le traitement des dossiers semble désormais donner satisfaction.

Pour notre part, nous n’avons pas été saisis de difficultés d’interprétation de la règle relative à l’obligation de résidence. Il apparaît clairement que le décompte doit être fait au cours de l’année civile, ce qui correspond aux règles retenues en matière fiscale. Il semble que le nombre de contrôles reste mesuré : je ne crois pas que, en la matière, les organismes de sécurité sociale fassent preuve d’excès de zèle.

M. le rapporteur. Des associations nous ont signalé qu’il était arrivé qu’une absence de septembre à avril soit considérée, parce qu’elle avait duré sept mois, comme contraire à l’obligation de résidence.

M. le président Denis Jacquat. Il s’agit peut-être de l’appréciation isolée d’une caisse. En tout état de cause, dans votre exposé liminaire, vous aviez bien précisé que la condition de six mois de résidence s’entendait au cours de l’année civile.

M. Thomas Fatome. Si des problèmes d’interprétation ont pu se poser, nous serons amenés à clarifier la situation avec les caisses.

En matière de vieillesse et de pensions de retraite, les accords bilatéraux respectent une même logique visant à ce que toutes les périodes d’assurance, dans les deux pays concernés, soient bien prises en compte. Il peut y avoir, selon les conventions, quelques écarts de champ, par exemple entre les travailleurs salariés et les indépendants.

Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales de la direction de la sécurité sociale. Ces accords ont aussi une conséquence en matière de prise en charge des soins.

Dans le cas où la France a signé une convention bilatérale avec un État non membre de l’Union européenne, il faut distinguer deux cas. Si la personne concernée ne bénéficie que d’une pension de retraite française, les soins sont toujours attachés au versement de la pension. Ils sont alors remboursés par la France, même s’ils sont dispensés dans le pays tiers signataire de la convention. Si la personne concernée est polypensionnée, les dépenses de santé relèvent de son pays de résidence, même si le bénéficiaire perçoit aussi une retraite versée par la France.

Dans le cas où la France n’a pas signé de convention bilatérale, des soins prodigués de façon urgente et inopinée sur notre territoire peuvent être pris en charge, sous réserve que la personne concernée dispose d’un visa en règle, mais, en tout état de cause, le pays d’origine n’intervient pas.

M. le président Denis Jacquat. Il faut rappeler que l’obtention d’un visa n’est pas chose automatique. Certaines personnes disposant d’un visa touristique oublient parfois que sa validité est limitée. La question des droits dont ils peuvent bénéficier est alors posée.

Mme Christiane Labalme. Le visa touristique n’est accordé que si son titulaire bénéficie d’une assurance. Un problème se pose en effet si ce dernier souffre d’une maladie précédemment diagnostiquée qu’il n’aurait pas déclarée, ou que l’assurance ne peut plus être mise en œuvre.

M. Thomas Fatome. Madame Geoffroy, à la suite de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, il a été décidé de renforcer la mobilisation des caisses de sécurité sociale en faveur de l’accès aux droits. Elles iront au-devant des assurés afin de repérer les cas dans lesquels des droits ne seraient pas exercés. En 2013, la renégociation des COG passées tant avec la branche famille qu’avec la branche retraite et la branche maladie permettra de faire de ce sujet une priorité forte.

Dans ce cadre, les croisements des fichiers dont disposent les organismes de sécurité sociale peuvent servir à autre chose qu’à lutter contre la fraude, et permettre de repérer les personnes qui n’ont pas mobilisé des droits dont elles sont potentiellement bénéficiaires, par exemple les personnes qui ont droit à l’ACS et ne la sollicitent pas.

M. le rapporteur. Quels sont les obstacles à la mise en œuvre des articles 58 et 59 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable – dite « loi DALO » –, qui a créé une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » ? Les décrets d’application n’ont pas été pris au motif que des textes communautaires sur la sécurité sociale ou des décisions juridictionnelles conduiraient à requalifier cette aide d’État : considérée comme une prestation sociale, elle ouvrirait un droit pour les séjours dans tous les pays de l’Union européenne. Vous semble-t-il impossible de réserver cette aide ou une aide comparable à des personnes ayant résidé de longue date dans des foyers de travailleurs migrants, dont il a par ailleurs été indiqué à la mission d’information qu’ils étaient une spécificité française ?

En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, les étrangers rencontrent-ils une difficulté particulière pour la reconnaissance d’un taux d’incapacité permanente partielle supérieur à 20 % qui permet la délivrance de plein droit de la carte de séjour « vie privée et familiale » ?

M. le président Denis Jacquat. Le rapporteur pour l’assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale que j’ai été sait que, pour régler le problème de la pénibilité, on peut faire le choix du laxisme ou celui de la rigueur.

M. Thomas Fatome. Selon le Conseil d’État, la prestation prévue par la loi DALO pourrait être considérée par les instances de l’Union européenne comme entrant dans le champ de coordination de la sécurité sociale. Nous nous trouverions alors dans l’obligation de prendre en compte pour tous les allocataires, communautaires ou non, l’ensemble des périodes de résidence dans les pays de l’Union. Si cette interprétation a empêché à ce jour la publication des textes d’application, j’ai le sentiment que la solution proposée par la loi reste la meilleure. Nous continuons donc de travailler afin de limiter les risques de « contagion », car, sous réserve d’un dialogue avec Bruxelles, il semble possible d’adapter le dispositif.

M. le rapporteur. Une modification législative ne vous semble donc pas nécessaire ?

M. Thomas Fatome. En tout état de cause, les décrets devront écarter la distinction que la loi voudrait opérer entre les ressortissants des pays de l’Union européenne et les autres. Mais, même si nous ne sommes pas au terme du processus et si la décision politique doit encore être prise, toutes les autres solutions semblent plus difficiles à mettre en place et lourdes de conséquences pour l’architecture de notre système de sécurité sociale. En matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles, comme sur les autres sujets, nous ne distinguons pas les personnes selon leur nationalité. Cela dit, je n’ai pas connaissance que ce facteur introduise un biais dans l’appréciation du taux d’incapacité des personnes concernées.

M. le président Denis Jacquat. Madame, messieurs, je vous remercie pour la richesse et la clarté de vos propos.

Audition, sur le thème du contrôle des prestations sociales, de M. Jean-Louis Deroussen, président de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), de M. Daniel Buchet, responsable de la mission prévention et lutte contre la fraude, de M. Benoit Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère de l’économie
et des finances, et de M. Geoffroy Fougeray, chargé de mission


(extrait du procès-verbal de la séance du 28 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, notre première audition de la journée va nous permettre d’examiner le contrôle des prestations sociales. À cette fin, nous recevons M. Jean-Louis Deroussen, président de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et M. Daniel Buchet, responsable de la mission prévention et lutte contre la fraude, accompagnés de Mme Patricia Chantin, chargée des relations publiques de la CNAF. Dans le cadre de cette audition, nous entendrons également M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude, et M. Geoffroy Fougeray, chargé de mission à la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au ministère de l’économie et des finances.

Il a été fait état devant la mission de situations parfois difficiles de contrôle de la situation de personnes immigrées âgées, notamment des résidents de foyers allocataires d’un « minimum vieillesse » et d’une aide au logement. Je tiens à vous préciser que la mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’un État tiers à l’Union européenne, qu’ils résident en foyer ou en habitat diffus. Il nous revient donc d’établir quelles sont les conditions actuelles de contrôle du respect des règles relatives à l’attribution et au versement des minima sociaux et des aides à la personne, et de proposer, si nécessaire, leur amélioration.

Même si les caisses locales sont relativement autonomes, vous devriez être en mesure de présenter à la mission une bonne vision d’ensemble puisque les contrôles menés conjointement par différentes caisses sont coordonnés par les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), pilotés par la DNLF. Dans les cas, majoritaires, d’interventions séparées, vous avez au demeurant vocation à comparer les modes opératoires.

Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du rapporteur, Alexis Bachelay, qui ne peut être ce matin avec nous puisque le Premier ministre est en déplacement dans sa circonscription.

M. Jean-Louis Deroussen, président de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Les anciens travailleurs immigrés, dont les revenus sont généralement très faibles, peuvent bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et de l’allocation logement. Pour percevoir la première prestation, le demandeur doit résider régulièrement en France depuis au moins six mois et, pour la seconde, justifier d’une occupation de son logement huit mois par an, cette dernière allocation pouvant cependant être versée au prorata du nombre de mois d’occupation pendant l’année civile.

Les éléments pris en compte par la branche famille pour le versement de l’allocation logement sont la situation familiale (personne vivant en couple, personne isolée, enfants à charge), la situation professionnelle (activité, retraite, maladie), et la situation financière (revenus imposables, avantages en nature) de la personne. Pour maintenir ou suspendre l’allocation, il nous faut donc vérifier, comme pour toute prestation soumise à conditions d’attribution, l’exactitude des renseignements donnés par les bénéficiaires.

Grâce aux télétransmissions, nous pouvons vérifier auprès des services fiscaux les ressources annuelles des bénéficiaires ou savoir si ces derniers perçoivent une allocation chômage. Mais dans la mesure où les informations fournies sont en grande partie déclaratives, elles ne peuvent être vérifiées que par un contrôle sur place ou auprès de la personne elle-même.

Nos contrôles portent sur environ 40 % des informations des dossiers allocataires. Cela nous a permis de détecter, en 2012, près de 1,2 milliard d’euros d’indus – sommes versées à tort pour cause d’informations erronées ou non transmises à temps par les allocataires.

Comme je l’ai dit, la procédure automatisée du contrôle nous permet de savoir si la somme déclarée par l’allocataire correspond bien à la somme enregistrée par une autre administration. Nos contrôles portent sur les situations à risque au regard de la situation familiale – la personne est-elle réellement isolée ? Ses enfants sont-ils bien à sa charge ? – et de la situation financière. En aucun cas, ces contrôles ne sont ciblés sur la nationalité – nos fichiers automatiques indiquent simplement si l’allocataire est français, originaire d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État tiers. Nous ne disposons d’aucun moyen permettant de contrôler spécifiquement les anciens travailleurs migrants vivant dans les foyers.

Afin de cibler nos recherches, nous utilisons plusieurs méthodes, à commencer par le data mining pour la modélisation de nos dossiers à risque. Les croisements de fichiers nous permettent de savoir si une personne occupe réellement le logement pour lequel elle demande une allocation. De la même manière, nous pouvons nous interroger lorsque cent personnes perçoivent une allocation logement et habitent à la même adresse.

Ce travail est complété par des contrôles sur place : 620 contrôleurs se rendent au domicile des allocataires pour lesquels une situation présentant des anomalies a été détectée.

En outre, des contrôles peuvent être déclenchés après signalement de partenaires qui ont découvert une situation leur semblant présenter des anomalies.

Enfin, pour les contrôles sur pièces, nous pouvons envoyer un courrier à l’allocataire pour nous étonner que les chiffres qu’il nous a fournis ne semblent pas correspondre à ceux transmis à nos services par d’autres organismes, ou qu’une allocation logement lui est versée alors que ses revenus sont relativement élevés.

Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une politique globale de bonne gestion de l’argent public : il nous est demandé de nous assurer que les prestations versées sont bien en rapport avec la situation des allocataires. Ainsi, nos agents n’effectuent pas de contrôle systématique, directement dans un foyer par exemple. En revanche, s’ils se déplacent dans un foyer pour contrôler la situation d’un allocataire résident, ils peuvent être amenés à vérifier la situation des autres résidents bénéficiaires d’une allocation.

M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère de l’économie et des finances. Constituée d’une douzaine de cadres de haut niveau, la DNLF a pour mission, en premier lieu, d’identifier les possibilités de rapprocher l’action des acteurs engagés dans la lutte contre la fraude aux finances publiques, qu’elle concerne les prélèvements obligatoires ou les prestations sociales, et, en second lieu, de piloter les CODAF qui, placés sous la double autorité du préfet et du procureur de la République, organisent des opérations conjointes et définissent des axes de contrôle. Ainsi, la DNLF a vocation non à se substituer à la CNAF, mais à organiser la coordination des différents acteurs.

Le versement des principales prestations étant subordonné à l’existence de conditions d’attribution, notamment de ressources, il est normal qu’il fasse l’objet de contrôles, qu’il s’agisse de l’aide au logement, pour laquelle le bénéficiaire doit également justifier d’une occupation du logement au moins huit mois par an, ou du « minimum vieillesse » dont l’une des conditions d’attribution est d’être en situation régulière en France.

Les CODAF mènent deux types d’action : ils organisent les opérations conjointes de contrôle, d’une part, et détectent les fraudes à partir de signalements des partenaires, d’autre part. Validées par le procureur de la République, garant des libertés individuelles, ces actions ne représentent cependant qu’une part infime des contrôles opérés sur l’ensemble du territoire.

Les critères permettant d’orienter les contrôles menés par les différents acteurs, à commencer par les 620 contrôleurs des caisses d’allocations familiales (CAF), ne sont en aucun cas fondés sur la nationalité – ce qui serait d’ailleurs contraire aux principes garantis par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Nos investigations résultent d’une requête, par exemple de la branche vieillesse, face à l’existence de plusieurs allocataires à une même adresse. Autrement dit, les contrôles sont opérés à partir du signalement de situations objectives.

Concrètement, les contrôles – effectués à partir d’échanges entre partenaires ou de signalements s’appuyant sur des éléments factuels – se déroulent sur convocation ou sur place. En règle générale, les agents choisissent le contrôle sur place lorsqu’il est nécessaire de constater la réalité de l’occupation de la résidence au regard des nombreuses fraudes – non-occupation ou sous-location. Les allocataires reçus au siège de la caisse ou contrôlés sur place peuvent fournir tout moyen de preuve : carte d’identité, carte de séjour, passeport, quittance de loyer, justificatif de transport, ou toute pièce justifiant de la résidence en France.

Vous le voyez : aucun parti pris ne préside à ces contrôles, qui ne sont ainsi pas ciblés de manière infondée.

M. le président Denis Jacquat. Dans sa délibération du 6 avril 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) recommandait aux CAF de suivre des méthodes de contrôle plus respectueuses du principe de non-discrimination, suite à une décision de suspension de versement des prestations motivée par l’absence de présentation du passeport et par l’absence des allocataires le jour du contrôle. Quelles ont été les conséquences pratiques de cette décision pour les organismes de contrôle ?

Il a été fait état, devant cette mission, de cas d’envoi de courriers simples demandant des pièces justificatives. Avez-vous identifié des pistes de simplification et d’adaptation des contrôles à la situation des personnes âgées immigrées ?

Par ailleurs, entretenez-vous des relations avec les associations qui fournissent un service d’accès aux droits pour les immigrés âgés ?

Que pouvez-vous nous dire des suites données aux contrôles engagés sur requête du procureur de la République ?

Pouvez-vous décrire vos actions de contrôle en matière de travail illégal dont on sait qu’il est l’une des causes des petites retraites perçues par les immigrés âgés ?

Enfin, comment contrôlez-vous la perception de retraites contributives à l’étranger ?

Mme Kheira Bouziane. Comment sont répartis les 620 contrôleurs des CAF sur le territoire ?

Quelles actions mènent les CAF pour informer les allocataires de leurs droits comme de leurs obligations ?

Enfin, lorsque vous contrôlez un allocataire dans un immeuble, en profitez-vous pour contrôler l’ensemble des allocataires qui y habitent, comme vous le faites dans les foyers d’immigrés ?

Mme Hélène Geoffroy. Comment améliorer l’information des allocataires, et mieux former ceux qui la dispensent ?

L’adjointe du Défenseur des droits, que nous avons reçue le 7 février dernier, a fait état de contrôles ciblés. Avez-vous établi une typologie des fraudes ? Que représentent-elles par rapport à l’ensemble des fraudes détectées sur l’ensemble du territoire ?

Sur quels critères s’appuie la modélisation des dossiers à risque ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Certains allocataires logés en foyer touchent l’aide personnalisée au logement (APL), alors que leur conjointe, qui habite à proximité avec leurs enfants, bénéficie de prestations familiales. Comment appréhendez-vous ces situations ?

M. Jean-Louis Deroussen. Le contrôle du foyer d’Argenteuil réalisé en 2008 a consisté à demander aux résidents bénéficiaires de l’APL de présenter leur passeport pour justifier de leur identité. Monsieur le président, aurais-je pu moi-même être auditionné aujourd’hui devant vous si je n’avais pu produire une pièce d’identité à l’entrée de l’Assemblée ? Sachant que ces personnes sont de nationalité étrangère, on peut se poser la question de savoir si le fait de leur demander leur passeport est une pratique plus discriminatoire que celle consistant à demander tout autre papier d’identité. En l’occurrence, la non-présentation du passeport ou l’absence des allocataires pendant le contrôle a conduit à la suspension de leurs droits, qui ont d’ailleurs été rétablis les jours suivants après que les personnes se furent soumises au contrôle.

En la matière, la rigueur est une nécessité et nous devons avoir les moyens d’imposer le respect des règles.

M. le président Denis Jacquat. Nous-mêmes, en tant que députés, devons présenter notre carte d’identité ou notre passeport – et non notre carte d’identité parlementaire – lorsque nous prenons l’avion. Bref, il faut des procédures sérieuses et compréhensibles pour éviter toute polémique.

Mme Kheira Bouziane. En l’occurrence, demander le passeport avait un sens puisqu’il permettait aux contrôleurs de vérifier les migrations des personnes.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il faut maintenir des contrôles rigoureux, d’autant que les personnes présentes dans certains foyers de travailleurs migrants ne sont pas toujours celles qui sont officiellement déclarées. Je connais bien le problème dans ma commune. Dans la mesure où une allocation est attribuée, il appartient à l’organisme allocataire de vérifier qu’elle est versée à la bonne personne. Il est donc logique de demander une pièce d’identité officielle.

Sans doute la réaction à cette affaire a-t-elle été « surjouée » – un titre de séjour suffit pour contrôler l’identité des personnes. Cependant, j’espère que cela ne vous empêchera pas de poursuivre vos contrôles d’identité car, dans le cas contraire, vous ouvririez la porte à tous les abus. L’essentiel, selon moi, est la formation des personnels, qui doivent agir avec doigté, les contrôles de l’occupation effective dans les foyers étant très délicats. Grâce à des explications claires et compréhensibles, on peut être rigoureux sans être rigide.

M. Jean-Louis Deroussen. Dans cette affaire, les bénéficiaires de la prestation avaient été avertis au moyen d’une affiche apposée dans le hall du foyer. Certes, on nous a reproché de n’avoir pas envoyé un courrier individuel aux allocataires, mais les envois en recommandé ont un coût. En règle générale, nous pouvons écrire des lettres simples : si la réponse de l’allocataire nous parvient dans les huit jours, le problème est réglé et le droit est maintenu. D’ailleurs, les contrôles au foyer d’Argenteuil n’ont pas été inutiles puisqu’ils ont révélé que certains allocataires étaient décédés et que d’autres avaient quitté le territoire français depuis plusieurs mois.

Cela dit, les contrôleurs sont des hommes et des femmes comme les autres et, comme nous, ils peuvent parfois s’énerver – ce qui est regrettable car nous souhaitons bien évidemment que les choses se passent bien.

M. Jean-Christophe Lagarde. D’où l’intérêt de veiller à leur formation !

M. Geoffroy Fougeray, chargé de mission à la DNLF. Je précise que le président du comité des résidents du foyer d’Argenteuil avait à l’époque une chambre dans ce foyer, mais n’y résidait pas : il était officiellement domicilié avec sa famille dans un logement du parc social.

À la suite des recommandations de la HALDE, le législateur a, dans sa grande sagesse, modifié l’article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale, permettant aux agents de demander les pièces justificatives aux contrôles, en ajoutant les termes « utiles pour vérifier l’identité du demandeur ». En effet, les informations contenues dans le passeport sont très utiles puisqu’elles permettent de vérifier si les personnes ont été absentes plus de six ou huit mois au cours de l’année civile. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi certains allocataires, convoqués à la suite d’un premier contrôle auquel ils ne se sont pas soumis, présentent un passeport vierge de tout tampon, arguant du vol ou de la perte de leur passeport d’origine.

M. Benoît Parlos. Les interventions des procureurs de la République, grâce à leur implication dans les CODAF, ont permis des améliorations.

Le travail illégal des immigrés âgés existe, mais nous ne sommes pas capables de le mesurer.

S’agissant des prestations contributives servies à l’étranger, la loi s’applique et elle n’est pas contestée, me semble-t-il.

M. Geoffroy Fougeray. Le procureur de la République copréside le CODAF, mais toutes les affaires traitées par cette instance ne connaissent pas une suite judiciaire. En effet, le législateur a prévu des sanctions administratives, et cela est fort heureux car une judiciarisation des affaires serait préjudiciable en termes de délai et d’encombrement des juridictions, qui doivent se concentrer sur les affaires les plus graves. Le dispositif actuel permet aux caisses de prendre rapidement des décisions contradictoires. Le procureur de la République étant le garant des libertés individuelles, les contrôles doivent se dérouler dans le respect du droit et de la déontologie.

M. Daniel Buchet, responsable de la mission prévention et lutte contre la fraude à la CNAF. S’agissant des modalités de contrôle, parfois critiquées, nous effectuons en principe deux relances avant de procéder à une suspension des droits. Concrètement, l’allocataire est soit convoqué à l’organisme, soit informé d’un avis de passage. Il peut alors fixer une autre date pour rencontrer le contrôleur, mais en cas de non-réponse à deux reprises à la demande de contrôle, une mesure de suspension des droits peut être prise. Une telle décision amène le plus souvent l’allocataire à se manifester : le contrôle peut alors se dérouler et il n’y a pas de suspension des droits puisque celle-ci ne peut être effective qu’en fin de mois. C’est uniquement en cas de forte suspicion de fraude – en particulier en cas de présentation par le bénéficiaire de faux documents ou de fausses déclarations, sanctionnée par le code de la sécurité sociale – que les droits peuvent être suspendus immédiatement. Ainsi, dans une affaire à Perpignan, les contrôles ont révélé que le taux de présence d’anciens travailleurs migrants dans des logements privés appartenant à un même bailleur, était inférieur à 10 %. Certains cas contrôlés ont révélé des fraudes et la CAF a suspendu les droits par précaution. Certaines personnes se sont alors manifestées et leurs droits ont été régularisés. Une note interne de la CAF qui a été diffusée par des associations évoque cette décision motivée par une très forte suspicion de fraude – laquelle est très probablement une escroquerie de grande ampleur, mais cette affaire est en cours de jugement et je ne peux en dire plus.

Les 620 contrôleurs sont répartis dans chaque organisme au prorata du nombre d’allocataires. Cette répartition sera optimisée de façon à répondre au mieux aux besoins en fonction du niveau de risque – largement dépendant des types de prestations perçues – propre à chaque organisme.

En 2011, nous avons détecté 15 000 fraudes, les chiffres pour 2012 n’étant pas encore disponibles. Il s’agit essentiellement de fausses déclarations (90 %) relatives aux ressources, à la situation professionnelle, à la situation familiale (enfants à charge, personne isolée) ou encore à la résidence. Les fraudes à la résidence sont plutôt rares, tout comme les escroqueries (3 %) et les faux et usages de faux documents (4 %). En revanche, la fraude à l’isolement représente près de 30 % des comportements frauduleux identifiés.

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans la mesure où elle a révélé une fraude à hauteur de 90 % et qu’elle est en cours de jugement, l’affaire de Perpignan laisse plutôt présager une escroquerie de grande ampleur.

Sur combien d’allocataires ont porté les 15 000 fraudes détectées en 2011 ?

M. Daniel Buchet. Sur 11 millions d’allocataires.

M. Jean-Christophe Lagarde. La fraude à la résidence, certes difficile à détecter, est selon moi assez courante. En effet, les règles que nous avons édictées en matière d’allocation vieillesse incitent à la fraude. Autrement dit, nous créons notre propre fraude.

M. Geoffroy Fougeray. Pour répondre à la question sur la typologie des fraudes, nous avons affaire essentiellement à des fraudes à la résidence, des fraudes à l’existence
– des allocataires sont décédés, et les caisses peuvent s’en apercevoir des années plus tard si elles n’en sont pas été informées par les foyers –, et des fraudes aux ressources si ces dernières dépassent les seuils.

Les contrôles en matière de logement et de résidence révèlent des taux d’irrégularité donnant lieu au calcul d’indus – frauduleux ou non frauduleux – compris entre 28 % et 51 %, avec un pic à 71 %. Vous le voyez : ces taux sont assez élevés.

M. Daniel Buchet. Avant leur entrée en fonction, tous nos agents de contrôle bénéficient d’une formation de six mois, réalisée dans le cadre d’un tutorat assuré par un contrôleur expérimenté et comprenant notamment des modules de conduite d’entretien. En outre, nos agents bénéficient, depuis novembre 2011, d’une formation spécifique à la conduite d’entretien, de deux fois cinq jours, dont le contenu aborde le respect de l’allocataire et de ses droits et les conditions nécessaires au bon déroulement d’un entretien. Tous nos contrôleurs auront l’obligation de suivre cette formation, laquelle a d’ores et déjà été dispensée à 50 % d’entre eux. Ce dispositif devrait, nous l’espérons, améliorer les choses.

Nos modèles informatiques sont construits sur la base d’informations relatives à la situation familiale et professionnelle – ressources, enfants à charge, prestations perçues – mais ni à la nationalité ni aux foyers. Vous le voyez : ces modélisations s’appuient sur des critères totalement objectifs, ce qui nous permet d’affirmer qu’il n’y a aucune discrimination en matière de contrôles.

Lorsqu’ils doivent contrôler la situation d’un allocataire résidant dans un immeuble, les contrôleurs peuvent vérifier les boîtes aux lettres des autres personnes bénéficiaires d’une allocation. Certes, la visibilité n’est pas la même selon que le contrôle est effectué dans un foyer – tous les allocataires sont concentrés dans un même lieu – ou dans un quartier. Néanmoins, les personnes concernées, qu’elles résident en foyer ou dans un logement privé, sont ciblées de la même manière.

M. le président Denis Jacquat. Merci, messieurs, pour la clarté de vos réponses et pour votre franchise sur ce sujet délicat.

Audition de Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), et de Mme Mylène Stambouli, membre
du bureau national de la Ligue des droits de l’homme


(extrait du procès-verbal de la séance du 28 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), et Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Fondé en 1996, le COPAF regroupe des militants qui soutiennent les résidents des foyers de travailleurs migrants. Les grandes lignes de son engagement sont décrites dans l’ouvrage de Michel Fiévet, Le livre blanc des travailleurs immigrés des foyers, du non-droit au droit, paru en 1999. Parmi les principes directeurs de l’action du COPAF, figurent aujourd’hui la reconnaissance des comités de résidents et le renforcement des instances de cogestion des foyers de travailleurs migrants.

Quant à la Ligue des droits de l’homme, elle est la doyenne des grandes associations françaises en matière d’égalité des droits et de lutte contre le racisme puisqu’elle a été créée en 1898 à l’occasion de l’affaire Dreyfus. Elle s’intéresse aujourd’hui de près à la situation des immigrés et apporte notamment son soutien aux actions du COPAF.

La mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’un État tiers à l’Union européenne, qu’ils résident en foyer ou en habitat diffus. Aussi, vos éclairages respectifs sur les conditions de vie en foyer ainsi que l’organisation des résidents et les discriminations de toutes natures dont souffrent les immigrés vieillissants nous seront certainement très utiles.

Mme Geneviève Petauton, présidente du Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF). Si tous les vieux travailleurs migrants ne résident pas en foyer, c’est cependant le cas d’un très grand nombre d’entre eux – essentiellement originaires du Maghreb et des trois pays du bassin du fleuve Sénégal que sont le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Arrivés en France à la fin des années 1960, les migrants issus de ces trois pays ont pour la plupart plus de cinquante-cinq ans.

Le fait qu’ils soient logés en foyer traduit une double hypocrisie : considérant que les travailleurs migrants doivent disposer d’un logement « spécifique », on refuse dans le même temps de leur accorder des droits comparables à ceux des locataires – ce qui correspond à une conception fort curieuse de la spécificité ! Désormais, lorsque des foyers sont transformés en résidences sociales, on qualifie cet habitat de logements « autonomes de droit commun » alors qu’il ne s’agit en réalité ni de logements autonomes ni de logements de droit commun, mais de petits studios voire de studettes dans lesquels ces immigrés doivent vivre pendant quarante ans. Lors de l’une de vos auditions, il vous a été précisé qu’il s’agit là d’une spécificité française, que l’on ne trouve autrement qu’en ex-République démocratique allemande, en Afrique du Sud et en Chine.

On recense quatre types de foyers : le premier correspond à des quasi-taudis tout à fait indignes, meublés de lits superposés, accueillant essentiellement des travailleurs d’Afrique noire. Des foyers-tours furent ensuite construits dans les années 1970 par la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA), afin non seulement d’exercer un contrôle social sur les travailleurs migrants mais aussi de les « reléguer ». C’est pourquoi ces tours, hautes de treize étages, ne comportent qu’une seule entrée. Plus récents et destinés aux travailleurs originaires d’Afrique noire, les foyers Coallia (ancienne AFTAM) et Soundiata comportent beaucoup d’espaces communs et de services collectifs tels qu’une cuisine, un bar et des salles de réunion. Ils sont désormais illégalement suroccupés. Enfin, les résidences sociales, censées favoriser la mixité sociale, ne correspondent en réalité qu’à des « fourre-tout de la misère sociale » : outre les travailleurs migrants issus de foyers, on y place des personnes confrontées à de graves problèmes – soit qu’elles sortent de prison ou d’un hôpital psychiatrique, soit qu’elles se trouvent en situation de grande précarité. Non seulement ces mélanges sont explosifs mais, de surcroît, comme il s’agit de logements autonomes, les espaces collectifs y sont limités si bien que chacun vit dans sa boîte et doit subvenir seul à ses besoins. Ce système est extrêmement critiqué et critiquable.

Les conditions de vie dans ces quatre types de sous-logement présentent des points communs. En Île-de-France, les foyers de Coallia, d’Adoma, et de l’ADEF, administrés de manière extrêmement opaque, sont très mal entretenus et mal réparés. Les espaces collectifs et parties communes de ces foyers – tels que leurs petites salles ou leurs escaliers – sont malheureusement occupés par des squatteurs sans argent qui, loin d’être aimables avec les personnes âgées qui y résident, les bousculent ou les volent.

Dans la majeure partie des cas, les travailleurs migrants résidant dans ces foyers souhaitent définitivement quitter la France lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite tout en gardant le droit au séjour c’est-à-dire la possibilité d’y revenir – soit pour revoir leurs amis, soit pour y être soignés dans l’hypothèse où ils seraient atteints d’une maladie grave qui ne peut être traitée dans leur pays d’origine. Ce souhait est d’autant plus fort qu’il leur est désormais beaucoup plus facile d’entretenir un lien avec leur pays, que ce soit grâce au téléphone ou aux chaînes de télévision maghrébines et d’Afrique noire qui sont à présent accessibles dans tous les foyers.

Cependant, certaines personnes souhaitent rester sur le territoire, pour quatre raisons. La première est d’ordre sanitaire : les travailleurs immigrés atteints de pathologies telles que l’hypertension, le diabète ou le cancer le sont dix ans plus jeunes que les travailleurs français en raison du travail pénible qu’ils ont exercé au cours de leur vie, notamment dans le secteur du bâtiment. D’ailleurs, si l’on constate un recul des maladies respiratoires chez ces populations, ce n’est en revanche pas le cas des maladies squeletto-musculaires. Par ailleurs, certaines personnes ont perdu leurs relations au pays, par exemple si leur conjoint(e) est décédé(e) ou que leurs enfants sont partis. De plus, certains travailleurs souhaitent continuer à bénéficier d’un complément de retraite. Enfin, beaucoup de travailleurs migrants maghrébins font des allers retours entre la France et leur pays d’origine, ce qui est moins le cas des travailleurs d’origine subsaharienne, pour lesquels le coût du voyage est beaucoup plus élevé.

Ces résidents âgés ont exprimé plusieurs demandes fortes.

Tout d’abord – et c’est là leur revendication principale –, ils ne cessent de répéter qu’ils ne souhaitent ni vivre ni mourir seuls et isolés dans une chambre et réclament de l’aide, si possible de la part d’un membre de leur famille, ainsi qu’une protection face à l’insécurité que suscitent les jeunes squatteurs. Ensuite, ils souhaiteraient pouvoir accéder aux soins. Par ailleurs, le montant du loyer en résidence sociale, de l’ordre de 400 euros, leur paraît trop élevé. Or, ils ne peuvent partager ce loyer – paradoxalement moins élevé à Paris qu’en banlieue du fait des subventions accordées par la Ville de Paris – puisqu’il leur est interdit d’héberger qui que ce soit. De surcroît, pour pouvoir bénéficier d’aides personnelles au logement, il leur faut demeurer huit mois dans le logement en question. Enfin, ils déplorent le harcèlement administratif dont ils font l’objet de la part des caisses de retraite et d’allocations familiales et de la préfecture – d’autant plus qu’ils sont issus de pays ignorant la culture du papier – et les files d’attente qu’il leur faut partout affronter.

Plus généralement, les vieux travailleurs migrants ont le sentiment que la France n’a pas besoin d’eux et qu’elle souhaite les voir retourner dans leur pays d’origine. Ils comprennent mal une culture française en vertu de laquelle soit les services sont complètement pris en charge par l’État, soit ils le sont par le marché. Leur logique à eux est plutôt celle du don et du contre-don, de la solidarité familiale ou de l’entraide au sein de leur petite communauté. C’est pourquoi, il leur est très difficile de demander de l’aide auprès des services sociaux mais très facile de le faire auprès d’un jeune.

Quant aux autres difficultés auxquelles ils sont confrontés, je soulignerai en premier lieu qu’en interdisant aux résidents de foyer de vivre avec quelqu’un, la loi et les règlements intérieurs les empêchent de bénéficier d’une vie privée. Le COPAF a demandé à plusieurs reprises aux gestionnaires et aux comités de pilotage de prévoir dans les résidences sociales pour résidents âgés des unités de vie comprenant chacune une kitchenette, une douche commune et des chambres à deux lits tout autour – dont le loyer serait plus faible qu’actuellement. Or, cette proposition n’a fait l’objet d’aucune suite.

En deuxième lieu, les travailleurs migrants ont de grandes difficultés d’accès aux droits. Or, il n’y a paradoxalement que dans les foyers de l’ADEF à Paris – où le loyer est pourtant très élevé et la culture de la concertation très peu développée – que l’on trouve ce personnage clef qu’est le médiateur social, quasi absent dans les foyers Adoma et Coallia.

En troisième lieu, les membres du personnel gestionnaire, très mal formés, ont souvent une mentalité de « petits chefs », ne s’activant que pour obtenir le paiement des loyers. Ce personnel n’étant présent sur les lieux que huit heures par semaines, il est extrêmement difficile de discuter avec lui de l’ensemble de ces questions.

Enfin, pas une seule fois n’a-t-on mis à l’ordre du jour des conseils de concertation la question de l’adaptation du bâti à la situation des personnes âgées qui ont besoin de barres auxquelles se tenir et de chaises à proximité des ascenseurs, ces derniers devant par ailleurs être entretenus et réparés.

Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme (LDH). La LDH est une association généraliste très ancienne qui s’est particulièrement intéressée au droit des étrangers – et par conséquent à votre travail qui nous semble l’expression d’une reconnaissance nécessaire envers la composante la plus fragile de notre immigration.

Notre association a notamment milité en faveur de la ratification de la convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Nous avons ainsi organisé une grande campagne de signature de pétitions à laquelle de nombreux députés et plusieurs ministres ont souscrit. La ratification de cette convention par la France constituerait un geste extrêmement fort.

Enfin, la LDH plaide en faveur du droit de vote des résidents étrangers – sujet qui, en dépit des apparences, n’est pas éloigné de notre audition puisque les personnes dont nous parlons aujourd’hui ont obtenu depuis longtemps le droit au séjour et devraient par conséquent pouvoir participer à la vie de la cité, notamment aux élections municipales de l’an prochain.

Je développerai à présent trois points.

Le premier concerne l’accès à la nationalité française et le droit au séjour. Dans son rapport sur La refondation des politiques d’immigration, M. Thierry Tuot propose de substituer à l’actuelle procédure de naturalisation – d’autant plus longue et complexe pour les migrants âgés qu’ils ont des difficultés avec l’écrit, et par conséquent à réunir tous les documents requis – par un système de déclaration simplifiée, dès lors que leur durée de séjour est égale à vingt ans et qu’ils ont des enfants français. Une personne immigrée âgée a récemment témoigné du fait qu’en préfecture, il y a quarante ans, un dossier de naturalisation était proposé aux immigrés résidant en France de longue date, sans même attendre une demande de leur part. Il faudrait renouer avec ce type de démarche. Parmi les obstacles à leur naturalisation, il y a aujourd’hui le fait que le conjoint soit resté au pays et que la personne immigrée, puisqu’elle est retraitée, ne dispose que de faibles ressources. Quant au titre de séjour portant la mention « retraité », il conviendrait soit de le supprimer, au profit de la seule carte de résident, soit de le réformer, afin que leurs titulaires continuent à bénéficier de leurs droits sociaux. Ce serait là une mesure de justice pour des personnes qui, bien qu’ayant cotisé pendant des années à la sécurité sociale, n’y ont pas droit lorsqu’elles acceptent la carte de séjour portant la mention « retraité ». S’agissant du regroupement familial, s’il constitue un droit fondamental, son effectivité se heurte à des obstacles tels que la faiblesse des ressources des immigrés.

Ma deuxième remarque porte sur les droits sociaux des immigrés âgés, dont la première préoccupation est de bénéficier d’un revenu suffisamment décent pour vivre. En la matière, ce sont les objectifs de dignité et d’égalité de traitement qui devraient orienter vos conclusions, tant leurs revenus sont faibles. En effet, ils ouvrent leurs droits à la retraite trop tard pour pouvoir reconstituer leur carrière, puisque la plupart des entreprises qui les ont employés n’existent plus. En outre, ils ont besoin d’aide pour réunir les documents requis, qu’ils ont du mal à lire et à comprendre. Par ailleurs, l’articulation entre l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou le revenu de solidarité active (RSA) d’une part et la retraite et l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) d’autre part mériterait d’être réformée. Or, si l’ASPA est mise en question, on exigera d’eux une restitution.

Rappelons aussi qu’en termes de mémoire et de culture, ces vieux migrants représentent une richesse pour notre histoire nationale.

Enfin, dans le cadre d’un colloque organisé récemment par le COPAF, nous avons débattu de l’alignement des droits des résidents sur celui des locataires : il est anormal qu’un résident qui ne paie pas son loyer après avoir passé toute sa vie dans un foyer s’en trouve expulsé parce que le contrat de résidence – strictement appliqué pour des montants d’impayés souvent peu élevés – ne prévoit aucune garantie équivalente à celles dont bénéficient les locataires victimes d’accidents de la vie, tels que le deuil familial ou les difficultés passagères. La multiplication des procédures d’expulsion des foyers est un phénomène nouveau qui résulte de la volonté des gestionnaires d’équilibrer leur budget. Pour l’enrayer, nous proposons de rendre obligatoire le recours à un huissier et de permettre au juge de suspendre la clause résolutoire et d’organiser l’apurement de la dette.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. En vous écoutant, j’ai eu l’impression de revivre une réunion que j’ai organisée dans ma circonscription de Gennevilliers avec des chibanis. Ceux-ci m’ont malheureusement fait part de leurs souffrances et de leurs difficultés, qu’elles concernent l’état des foyers dans lesquels ils vivent, de leur accès aux droits ou encore à la santé. Je vous remercie pour la qualité de vos interventions et souhaiterais revenir sur quelques aspects.

Tout d’abord, le fonctionnement des comités de résidents qui ont été créés il y a quelques années pour mieux associer les résidents à la vie de leur foyer semble insatisfaisant : comment l’améliorer ? Ne faudrait-il pas aussi faire évoluer les règlements intérieurs datant des années 1960-1970, à une époque où l’on souhaitait avant tout contrôler les résidents, et qui sont encore appliqués à l’identique par les gestionnaires ?

Ensuite, Adoma souhaite transformer ses foyers en résidences sociales et faire disparaître leur fonction de gardiennage en recrutant un personnel qualifié à l’égard des personnes âgées. Une telle évolution me paraît souhaitable : qu’en pensez-vous ? Au terme de ces rénovations, on constate d’ailleurs qu’un certain nombre de résidents souhaitent se maintenir dans les lieux pour pouvoir bénéficier d’un niveau de confort sans commune mesure avec ce qu’ils avaient connu auparavant.

Enfin, s’il est vrai que beaucoup d’immigrés ont des difficultés à reconstituer leur carrière, c’est aussi parce que certains n’ont pas été déclarés ou que leurs fiches de paie sont fausses. Quel est, selon vous, l’acteur le mieux à même d’aider concrètement ces personnes : les collectivités territoriales, les services chargés de la liquidation des retraites ou encore les milieux associatifs ?

Mme Kheira Bouziane. Mme Petauton a rappelé que ces personnes souhaitent ne pas vivre seules et a proposé de créer des unités de vie. A-t-on envisagé de leur proposer des colocations dans le logement social ? Cela nous éviterait de concentrer en un lieu ces populations – ce qui peut leur apparaître comme une protection mais qui les empêche de bénéficier de conditions de vie dignes.

Mme Hélène Geoffroy. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la convention des Nations Unies que vous avez citée ?

L’accès à la nationalité française correspond-il à une demande forte et majoritaire des résidents que vous avez interrogés ?

Lors des auditions que nous avons menées, le président de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et le délégué national à la lutte contre les fraudes nous ont signalé les irrégularités significatives qu’ils avaient constatées lors de leurs contrôles dans les foyers – s’agissant notamment du non-respect de la condition de résidence. Dressez-vous le même constat ? Cela s’explique-t-il par un manque d’informations des résidents quant à leurs droits et à leurs devoirs ?

Enfin, les communes prennent-elles mieux en compte les immigrés dans leurs actions ?

M. Sergio Coronado. La Ville de Paris projetait de désengorger les foyers de personnes âgées en favorisant la colocation : ce projet a-t-il abouti ?

Par ailleurs, les publics dont nous parlons aujourd’hui sont non seulement des personnes âgées mais aussi des gens habitués à vivre en communauté et qui rencontrent des difficultés d’accès aux droits. Ne conviendrait-il pas de mettre en place des cellules très spécifiques, non seulement pour traiter de la question de leur logement mais plus encore pour leur apporter une assistance globale ?

M. Jean-Christophe Lagarde. La proposition de loi du 13 mars 2010 pour l’amélioration de la vie dans les logements-foyers, que nous retransmet aujourd’hui le COPAF, ne règle pas la question de la gestion des services collectifs de restauration qui existent dans les foyers : en dépit des contraintes qui s’imposent à cette gestion sur l’ensemble du territoire, un certain nombre de résidents dans les foyers ont souhaité confier ces services non pas à des sociétés mais à des proches. Une telle confusion complique la rénovation des foyers et la relation des résidents avec les bailleurs. Que proposez-vous à ce sujet ?

Mme Geneviève Petauton. Après avoir été pratiquée dans les années 1970 dans le parc de logement social, la colocation a commencé à poser problème dans les années 1980 en raison du licenciement de nombreux colocataires. Elle fut alors abandonnée. Lorsqu’en 1996, nous avons créé le COPAF, M. Michel Fiévet, a proposé la création de foyers-soleil dans lesquels la colocation serait gérée, non pas par le bailleur, mais par le gestionnaire du foyer. Cela aurait facilité le remplacement des colocataires perdant leur travail ou souhaitant retourner dans leur pays d’origine par les demandeurs figurant sur liste d’attente. Or, cette proposition n’a jamais abouti à un projet concret. Nous maintenons pourtant l’idée qu’il faut autoriser la colocation dans les foyers. Car, lorsque les travailleurs originaires d’Afrique noire cumulent leurs vacances sur douze ans pour pouvoir quitter la France pendant quatre ou cinq mois, le montant du loyer est tel qu’il leur faut trouver des remplaçants, ce que leur interdisent les règlements intérieurs.

J’insiste sur le fait que les migrants âgés résidant en foyer revendiquent de ne pas vivre seuls.

Quant à la gestion des restaurants collectifs, elle peut tout à fait être prise en charge par des associations. Encore faut-il qu’elles disposent d’un espace de 200 mètres carrés, ce qui signifie que le foyer concerné doit disposer d’un espace équivalant à onze chambres d’un loyer de 400 euros – ce que refusent les gestionnaires. Si la mairie de Paris fait fonctionner deux restaurants sociaux par arrondissement, en banlieue en revanche, les associations porteuses de projet parviennent difficilement à trouver des surfaces de 200 mètres carrés. Il reste ensuite aux délégués des résidents, au gestionnaire et à l’association porteuse à conclure une convention définissant les modalités de gestion du restaurant collectif. Il me semble néanmoins que cela se passe plutôt bien pour le moment.

Il existait autrefois des comités de résidents dans les foyers, chargés d’y assurer la cohésion sociale et le dialogue avec le gestionnaire, la mairie et le médiateur social. Nous avons toujours souhaité qu’ils soient légalement reconnus. Si la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi « SRU » les mentionnait, la loi portant engagement pour le logement (ENL) a supprimé cette précision. Nous souhaitons en outre que le comité de résidents dispose de la personnalité morale, qu’il représente ces derniers et qu’il ait la faculté de s’adresser en leur nom à la municipalité, avec ou sans le gestionnaire. Il pourrait par ailleurs proposer des actions d’animation sociale ou culturelle dans les foyers.

Quant au conseil de concertation, les gestionnaires sont censés le réunir une fois par an au moins ainsi que préalablement à toute révision du règlement intérieur et à tous travaux, mais ils ne le font jamais. Il conviendrait de rendre la loi plus contraignante pour les gestionnaires mais aussi plus favorable aux représentants des résidents en permettant aux comités de résidents de participer aux conseils de concertation, ce qui leur permettrait par exemple d’évoquer la médiocrité du service rendu par certains prestataires privés.

Nous estimons que la présence de médiateurs sociaux est indispensable dans les foyers. Or, M. Michel Pélissier, l’ancien président d’Adoma, l’a refusée, considérant que les résidences sociales hébergent des résidents de droit commun.

Je reconnais que le niveau de confort s’améliore nettement en cas de réhabilitation des foyers mais l’on ne peut vivre pendant quarante ans dans une chambre de 13,5 à 15 mètres carrés ! De surcroît, il conviendrait que, dans chaque appartement, les fonctions de séjour, de cuisine et de chambre soient bien délimitées et de proposer des espaces collectifs en nombre suffisant car les personnes originaires du Maghreb aiment se réunir, et les Africains subsahariens palabrer. Qui plus est, la plupart des résidents sont impliqués dans des projets de développement et ont donc besoin de salles de réunion. Pour eux, la vie en foyer ne se conçoit que selon un savant dosage entre les espaces privatifs et collectifs.

Enfin, les résidents n’ont aucun droit à la vie privée puisque les gestionnaires peuvent pénétrer dans leurs chambres en leur absence.

Mme Mylène Stambouli. Il est vrai que les règlements intérieurs ne respectent pas leur vie privée puisque les gestionnaires disposent des clefs des chambres et qu’ils peuvent y entrer quand bon leur semble.

Quant à la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, il s’agit d’une convention des Nations Unies du 18 décembre 1990. Dans son avis du 23 juin 2005, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a considéré que la France pouvait tout à fait la ratifier tout en formulant des réserves interprétatives si nécessaire.

M. le président Denis Jacquat. Au nom de notre mission d’information, je vous remercie de la précision de vos réponses et de l’attention que vous portez par ailleurs à nos travaux.

Audition, sur le thème des logements pour travailleurs immigrés,
de M. Jacques Dupoyet, président de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), de M. Gilles Desrumaux, délégué général, de Mme Sylvie Emsellem, chargée de mission, de M. Bruno Arbouet, directeur général d’Adoma, de Mme Nathalie Chomette, directrice d’exploitation, de M. Driss Bechari, directeur territorial, de M. Jean-Marie Oudot, directeur général de Coallia, de M. Djamel Cheridi, responsable produits habitat social adapté et hébergement social, de Mme Séverine Etchecahar, conseillère technique habitat social adapté, de M. Gérald Brenon, coordinateur de l’accompagnement social, et de M. Richard Jeannin, directeur général de l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS)


(extrait du procès-verbal de la séance du 28 février 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Même si le champ de nos travaux n’est pas circonscrit aux immigrés résidant en foyer de travailleurs, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un sujet central, tant les situations des résidents de ces foyers illustrent les difficultés auxquelles sont confrontés les immigrés vieillissants : faibles revenus, difficultés d’insertion sociale, isolement, dépendance précoce, etc.

Avant de nous rendre sur le terrain, il nous est donc apparu fondamental de bénéficier de vos éclairages sur des points aussi variés que l’organisation de la « vie en foyer », la transformation des foyers en résidences sociales, la pratique de la « navette » entre la France et le pays d’origine, la prise en charge du vieillissement et de la dépendance, ou encore les difficultés rencontrées par les résidents dans l’accès aux droits.

M. Gilles Desrumaux, délégué général de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO). L’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO) regroupe 83 gestionnaires qui gèrent plus de 1 150 établissements représentant 128 000 logements. Nous fédérons 97 % de l’offre de logement dans les foyers de travailleurs migrants et 70 % dans les résidences sociales.

L’UNAFO assure la représentation de ses adhérents auprès des pouvoirs publics et c’est à ce titre qu’elle les interpelle sur un certain nombre de problématiques, dont celle des migrants âgés. En faveur de la professionnalisation du secteur, l’UNAFO dispose désormais d’un centre de formation qui propose des modules de formation sur la question des migrants âgés. Ce centre a accueilli plus de 600 personnes en 2012.

La problématique des migrants âgés est très ancienne au sein de l’UNAFO puisque nous étions présents au colloque fondateur qui s’est tenu à Grenoble en 1986 et à celui que le Fonds d’action sociale (FAS) a organisé en 1999 à Aix-en-Provence. L’UNAFO a organisé un premier séminaire sur ces questions en 1996. Nous sommes donc engagés depuis le milieu des années quatre-vingt-dix sur ces problématiques, sur lesquelles je me propose de vous livrer notre analyse et l’orientation qui est la nôtre.

Notre analyse est la suivante : le vieillissement des migrants, l’arrêt de l’immigration de travail, l’émergence des phénomènes de précarité et de pauvreté ont provoqué la fin d’un cycle, celui des foyers de travailleurs migrants, et a laissé place à un nouveau cycle, celui des résidences sociales.

En raison de la nature de leur bâti, de leur réglementation, de l’extraterritorialité qu’ils induisent, de leur fonction même qui ne correspondait plus aux besoins, les foyers de travailleurs migrants ont vu leur rôle et leur fonction bouleversés. De lieu de passage temporaire, ils sont devenus pour partie des lieux de vie permanents pour des personnes qui ont perdu leur statut de travailleur du fait du chômage, des problèmes de santé ou la retraite.

Les résidences sociales proposent des logements plus autonomes et plus adaptés, et leur réglementation accorde plus de droits aux personnes. En outre, elles s’appuient sur des projets sociaux répondant mieux aux besoins des migrants âgés.

Au regard de cette analyse, trois orientations ont guidé notre action : la première consiste à adapter le parc, devenu obsolète, aux nouveaux besoins des résidents ; la deuxième vise à favoriser l’accès des migrants âgés aux droits sociaux, à la santé, aux services gérontologiques et au maintien à domicile ; la troisième a pour objet d’assurer une reconnaissance aux migrants âgés en les inscrivant dans les politiques et les dispositifs nationaux et locaux.

En ce qui concerne la réhabilitation du parc, 300 établissements ont été traités ou sont en cours de traitement, et 160 seront traités ultérieurement. Il reste 200 établissements dont le statut doit être précisé et dont les difficultés ont pour origine des raisons complexes, parfaitement décrites dans le rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Il s’agit d’opérations qui mobilisent d’importants moyens humains et financiers, des maîtres d’ouvrage, qui nécessitent des sites de desserrement et des « opérations-tiroirs » difficiles à trouver et qui souffrent de l’inégale implication des collectivités territoriales.

Lors des dernières rencontres nationales de l’UNAFO, qui se sont tenues à Lyon en novembre dernier, notre organisation a fait un certain nombre de propositions en vue d’achever le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM). Il faut pour cela mettre en place un pilotage national et des moyens financiers fléchés, gérer les priorités dans la réalisation du précédent plan de traitement, faire en sorte que le plan s’articule autour des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l’État, et enfin prendre en considération les outils de programmation territoriaux pour y intégrer le PTFTM.

La mise en œuvre de ce plan suscite notre inquiétude sur trois points. Le premier porte sur le devenir des moyens d’Action logement, qui concoure pour 43,33 % au financement du plan ; le deuxième touche à la pérennité et aux modalités des financements apportés par le ministère de l’intérieur, par le biais de la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC), aux pertes d’exploitation, à l’aide transitoire au logement et au soutien des gestionnaires, sommes qui représentaient 11 millions d’euros en 2011 ; la troisième inquiétude concerne l’abandon de l’indexation composite des redevances des résidences sociales – depuis 2010, celles-ci sont indexées sur l’indice de référence des loyers (IRL), ce qui provoque pour les gestionnaires un effet ciseau entre les charges et les recettes.

J’en viens à l’accès des migrants âgés aux droits sociaux, à la santé et au maintien à domicile. Il faut noter que la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », a donné aux établissements qualifiés de foyers de travailleurs un statut juridique qui en fait le domicile des résidents, leur donnant ainsi accès aux droits sociaux. Je rappelle la longue bataille juridique qu’a entraînée l’éligibilité des étrangers non communautaires aux allocations concourant au « minimum vieillesse ». Comme vous le voyez, les gestionnaires se sont toujours souciés de l’accès aux droits sociaux des résidents qu’ils accueillent.

Aujourd’hui, notre difficulté vient de ce que la notion de « résidence habituelle » ne correspond pas à la situation des personnes qui pratiquent un va-et-vient entre leur pays d’origine et la France. À cet égard, nous avons constaté des entraves au droit et aux contrôles et nous nous heurtons à la difficulté de généraliser les expériences d’accueil hôtelier pour ces personnes.

S’agissant de l’accès à la santé, nous devons tenir compte du fait qu’un grand nombre de ces personnes rencontrent très tôt des problèmes aigus de santé. En 2008, l’UNAFO a signé un accord-cadre avec le Centre technique d’appui et de formation des centres d’examens de santé (CETAF), mais la mise en œuvre de cet accord, qui permet aux personnes de bénéficier d’examens de santé gratuits, exige des moyens, en termes d’accompagnement, qui ne sont pas toujours suffisants.

En ce qui concerne le maintien à domicile et l’accès aux services gérontologiques, nous considérons que les migrants âgés doivent avoir accès à toutes les prestations de maintien à domicile, ce qui suppose de financer les services de droit commun. Mais ce n’est pas toujours simple. Notre système d’aide, très individualisé, se prête mal aux interventions auprès de personnes vivant dans un cadre semi-collectif. Ne pourrait-on expérimenter des formes mutualisées de prise en charge ?

En matière d’accès aux droits sociaux, l’UNAFO propose d’organiser dans les territoires une coordination entre les services de droit commun, les acteurs associatifs et les immigrés âgés, de mettre en place un accompagnement individualisé pour les personnes âgées et d’assurer la pérennité des fonctions de coordination et d’accompagnement.

Sur le plan de la reconnaissance des migrants âgés, il faut noter qu’en dehors du PTFTM, malgré divers rapports officiels et de nombreux colloques, aucune politique définissant un public cible, une finalité, des objectifs et des moyens d’action n’a jamais été définie. Nous y voyons un manque. Les gestionnaires font ce qu’ils peuvent, mais ils se heurtent à l’absence d’une politique nationale. Celle-ci pourrait se traduire par trois mesures précises : l’inscription nécessaire des migrants âgés dans les schémas gérontologiques, la coordination de l’ensemble des acteurs – caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), services sociaux, services de santé et d’aide à domicile, établissements spécialisés – et enfin la reconnaissance des migrants âgés par la publication de livres, l’organisation d’expositions et la diffusion de films qui leur montreraient que, s’ils sont originaires de là-bas, ils sont aujourd’hui des gens d’ici. De nombreuses initiatives en ce sens sont en cours et l’UNAFO est très active sur cette question.

M. Bruno Arbouet, directeur général d’Adoma. Adoma, ancienne SONACOTRA, a été créée par l’État dans les années 1950 pour accueillir de jeunes travailleurs migrants d’Algérie, puis du Maghreb et, plus tard, des pays d’Afrique subsahélienne.

Adoma, avec ses 2 300 collaborateurs, est présente dans 56 départements et 20 régions. Elle gère 600 sites qui représentent 73 000 logements, dont 42 % concernent des publics âgés de plus de soixante ans.

Ces logements avaient été conçus de façon provisoire pour accueillir des migrants à titre provisoire. Force est de constater qu’un certain nombre d’entre eux sont restés sans toutefois que notre modèle économique ne change.

Il y a deux ou trois ans, Adoma a rencontré d’importantes difficultés et a dû faire face à un certain nombre de dérives dont rend compte le récent rapport de la Cour des comptes, qui souligne également le retard pris par le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants. Mais le redressement est désormais acquis. Nous avons, au cours des dernières années, amélioré nos équilibres économiques, ce qui nous a permis de créer des marges de manœuvre que nous affecterons prioritairement au plan de traitement. Grâce au plan stratégique de patrimoine dont nous nous sommes dotés, nous pourrons, au cours des dix prochaines années, investir 1,3 milliard d’euros pour transformer, dans un tiers de notre parc, des chambres de 7,5 mètres carrés en studios autonomes au sein de résidences sociales.

Mais ce plan de traitement ambitieux se déroulera sur dix ans ; or, les populations dont nous parlons sont très fragiles – nous constatons aujourd’hui trois décès par jour au sein de nos foyers, et ce chiffre ne cessera d’augmenter.

Nous concentrons nos efforts dans deux directions. Avant tout, il est impératif de sortir du discours, c’est pourquoi nous attendons avec beaucoup d’espoir les recommandations concrètes que vous formulerez, mesdames et messieurs les députés. Adoma se préoccupe depuis dix ans des travailleurs vieillissants, mais les tentatives pour améliorer leur sort se sont souvent soldées par des expérimentations sans lendemain, des retards dans le traitement des foyers, parfois même par de fausses bonnes idées. Ainsi à Bobigny, où nous avons accueilli le président de l’Assemblée nationale, accompagné de quelques parlementaires, j’ai refusé d’inaugurer un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) que nous avions réalisé suite à la demande de l’État il y a une dizaine d’années et dans lequel nous avons investi, avec un certain nombre de partenaires, quinze millions d’euros. Cet établissement de quatre-vingt-dix places devait accueillir en priorité des chibanis ; près de 10 000 personnes immigrées âgées résidant à proximité étaient donc éligibles. Or, à l’ouverture de l’établissement, seuls trois chibanis, sur quatre-vingt-cinq résidents, étaient présents.

Cette faible proportion de chibanis accueillis montre que, comme toutes les personnes âgées, ceux-ci souhaitent vieillir à domicile – c’est-à-dire dans le logement qu’ils occupent depuis près de quarante ans dans leur foyer ; en outre, l’accueil en EHPAD exigeait d’eux qu’ils versent les quelques économies dont ils disposaient, ce qu’ils ont refusé, préférant les envoyer dans leur pays d’origine.

Nous nous orientons vers des travaux qui nécessitent de faibles investissements mais permettent d’adapter les foyers au vieillissement des personnes. Pour le gestionnaire que je suis, transformer les foyers de travailleurs migrants en EHPAD n’aurait pas de sens car la grande majorité des personnes concernées ne seront plus là dans dix ans, et les personnes qui frappent à nos portes sont essentiellement des jeunes vivant dans la précarité.

J’insiste sur la nécessité de faire en sorte que l’accès aux droits, à la santé et aux services des migrants âgés relève du droit commun. Nous mobilisons pour cela tous les réseaux associatifs de l’aide à domicile. Nous avons signé un accord avec l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (CCAS) et nous nous apprêtons à signer avec l’Association d’aide à domicile en milieu rural (ADMR) et l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA) pour qu’ils interviennent dans les foyers dans des conditions économiques acceptables, sachant que les migrants âgés, dans la mesure où ils ont travaillé au cours de leur vie, sont potentiellement bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).

Le modèle économique de la SONACOTRA – une chambre de très petite taille au sein d’un foyer comprenant un gardien et un ouvrier de maintenance – était pertinent lorsqu’il s’agissait d’accueillir de jeunes travailleurs qui ne faisaient que dormir au foyer. Cinquante ans plus tard, ce modèle n’a pas changé, mais les personnes, elles, y vivent vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Nous devons donc faire évoluer notre modèle économique et financer des intervenants sociaux, comme nous finançons des compétences internes en matière de maintenance et de gestion locative. Adoma bénéficie aujourd’hui, au titre des résidences sociales, de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS), mais celle-ci ne peut être utilisée pour les foyers de travailleurs migrants. Je plaide auprès du ministère compétent la possibilité de mobiliser cette aide et de la mutualiser.

M. Jean-Marie Oudot, directeur général de Coallia. Coallia, association régie par la loi de 1901, ancienne Association pour l’accueil et la formation des travailleurs migrants (AFTAM), a changé de nom en 2012 à l’occasion de son cinquantenaire. Nous gérons actuellement 19 500 lits dans des foyers d’hébergement de travailleurs migrants ou en résidences sociales et nous accueillons 40 % de personnes âgées de plus de soixante ans. Notre spécificité, par rapport à Adoma, vient de ce que nous hébergeons un plus grand nombre de personnes originaires d’Afrique de l’Ouest, dont 36 % ont plus de soixante ans.

En ce qui concerne le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, sur les 70 établissements ciblés il y a une quinzaine d’années, 70 % sont financés, 90 % seront réalisés dans les cinq prochaines années et 10 % connaîtront des difficultés.

Coallia dispose en outre d’un secteur médicosocial en fort accroissement et développe une importante activité d’accompagnement des demandeurs d’asile.

Notre implication dans le domaine médicosocial, notamment en matière d’accueil des personnes âgées, a conduit l’État à nous demander de tenter l’expérience, à Colombes, d’un EHPAD destiné aux habitants maghrébins. L’opération fut toutefois un échec. Cela ne nous a pas surpris car les résidents maghrébins sont tout aussi réticents que les autres familles à l’idée de s’enfermer dans un établissement accueillant des personnes très dépendantes.

Il y a quelques années, sous la pression de M. Jean-Louis Borloo, le Parlement avait voté un texte qui exprimait la sympathie de la France à l’égard des vieux migrants. Les articles 58 et 59 de la loi instituant le droit au logement opposable, dite « loi DALO », prévoient implicitement la création d’une prestation compensant l’absence de perception du « minimum vieillesse » à l’étranger. Ce dispositif avait été accueilli très favorablement par les adhérents de l’UNAFO, même s’ils regrettaient que l’on cherche à vider les foyers des personnes âgées. Ce texte est resté lettre morte, les fonctionnaires de la direction de la sécurité sociale et du ministère du budget ayant jugé utile de censurer le Parlement. Il faudrait revenir sur ce point. Expliquer à des personnes qui ont travaillé plusieurs dizaines d’années en France qu’elles ont droit à un minimum de prestations serait la moindre des élégances.

M. Richard Jeannin, directeur général de l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS). ARALIS est une association régie par la loi de 1901, essentiellement implantée dans l’agglomération lyonnaise et le département de la Loire. Sa capacité est d’environ 4 200 places en résidences sociales et en foyers. Créée en 1951, ARALIS a d’abord été appelée « la Maison de l’Afrique du Nord », puis « la Maison du travailleur étranger ». Depuis, cette association d’insertion a fait évoluer son patrimoine et son projet social.

ARALIS a toujours été préoccupée par les questions que viennent d’aborder mes collègues. Dans les années 2000, elle a fondé le forum Traces qui visait à mieux comprendre la problématique des vieux immigrés. Cette démarche a servi de base à un grand nombre d’actions, dont la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) et a permis de donner une certaine lisibilité à cette question sociale.

Récemment, nous avons réalisé un diagnostic sur la situation des immigrés âgés et constaté leur isolement, leur précarité et de nombreux problèmes de santé. Ces personnes entrent dans la vieillesse entre cinquante et soixante ans et les cas de perte d’autonomie sont de trois à quatre fois plus nombreux que dans l’ensemble de la population âgée en France.

Face à la flexibilité des modes de vie que nous avons constatée, nous avons, comme d’autres organismes, mis en place des logements en location alternée afin de permettre aux personnes âgées qui le souhaitent de pratiquer des allers et retours entre la France et leur pays d’origine.

Enfin, en matière d’égalité de traitement, nous avons constaté des contrôles abusifs pratiqués par un certain nombre d’organismes de sécurité sociale.

Pour assurer pleinement la prise en charge de la population qui occupe les résidences sociales et les foyers, nous avons intégré la question du vieillissement à notre projet associatif et nous proposons à nos agents des programmes de formation portant sur la prise en charge des décès ou des situations de fin de vie dans les foyers, sur la pratique du culte ou la problématique de la suppression du lieu de culte dans les foyers que nous réhabilitons.

Pour organiser cet accompagnement, il nous faut trouver des solutions satisfaisantes, notamment en impliquant les conseils généraux. Nous disposons, depuis peu de temps, de chargés de mission, financés par le Fonds européen d’intégration (FEI), qui étudient la prise en charge du vieillissement et dont les études préalables et les programmes d’action permettent de répondre aux besoins.

Nous fabriquons, aménageons ou réhabilitons des résidences sociales en adaptant les appartements à la prévention de la dépendance. Nous prévoyons également un certain nombre d’appartements partagés qui permettent, sans tomber dans le communautarisme, de partager les sanitaires et certaines formes d’organisation.

Nous réfléchissons à la façon dont il convient de traiter la santé en tenant compte des spécificités communautaires. Il ne s’agit pas seulement de poser quelques barres d’appui et des bacs de douche à l’italienne, mais surtout d’organiser le réseau de santé en vue d’assurer la prise en charge et la prévention de la dépendance, donc le maintien à domicile, des personnes concernées. Je me permets d’insister sur ce point qui nécessite de déployer des programmes ambitieux avec nos partenaires de droit commun. Nous avons récemment signé des conventions de partenariat avec les centres d’examens de santé (CES) pour qu’ils deviennent accessibles aux personnes immigrées âgées. Dans le même esprit, nous formons 137 de nos salariés, sur un total de 160, à la prise en compte du vieillissement.

S’agissant des inégalités d’accès aux droits, nous entendons prévenir et lutter contre les contrôles abusifs. Certaines situations inacceptables sur le plan humain nous ont amenés à organiser des recours, mais vous disposez en la matière de témoignages significatifs et vous connaissez les propositions du Défenseur des droits.

Pour nous, l’enjeu de ce débat consiste à prendre en compte le vieillissement et le maintien à domicile des migrants âgés, tant sur le plan technique que sur le plan de l’accès aux droits et aux soins. Cet enjeu nécessite une action plus volontariste de la part des collectivités publiques, car, bien que l’accompagnement du vieillissement soit l’une des compétences des conseils généraux, elle ne s’applique pas aux publics que nous accueillons.

En matière d’égalité de traitement et d’accès aux droits, il est regrettable que des personnes qui ont rendu un certain nombre de services à notre nation fassent l’objet d’une forme de suspicion. Il est paradoxal de concevoir une politique publique en portant un regard négatif sur une population qui, comme vous l’avez constaté, ne fait pas beaucoup de bruit.

Enfin, nous sommes plutôt favorables à l’adaptation des logements et à l’organisation du service de droit commun, mais nous ne voulons pas pour autant médicaliser nos foyers, considérant que ce serait le meilleur moyen de laisser mourir à petit feu les personnes qui nous occupent sans leur apporter les services auxquels ont droit nos concitoyens. Il faudra donc accepter de financer le vieillissement des plus démunis, sans le réduire à une problématique qui me paraît d’ordre ethnique.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je souhaite revenir sur un certain nombre de points en lien avec nos précédentes auditions.

Les représentants des associations que nous avons auditionnés ont pointé des difficultés et des dysfonctionnements relatifs au règlement intérieur, au respect de la vie privée, à la libre circulation, à l’exercice du culte et, plus généralement, à l’association des résidents aux décisions qui les concernent et à leurs droits. D’après différents témoignages, les comités de résidents, créés il y a plusieurs années dans le but de les associer à la gestion des foyers, ne fonctionnent pas, ou bien de manière très aléatoire. Ils ne répondent pas à une véritable volonté d’associer les résidents au fonctionnement de l’établissement et ne leur donnent pas la possibilité de partager un projet social et un projet de vie, sans oublier l’absence de travaux dans les foyers les plus anciens, dont certains sont très dégradés, ni les mauvaises conditions d’hygiène. Depuis peu, selon des propos recueillis dans les foyers de ma circonscription, la sécurité n’y est même plus assurée. Des personnes squattent les parties communes et agressent les personnes âgées, lorsqu’elles ne les rackettent pas. Ce sont des réalités vécues au quotidien par les résidents dans certaines de vos structures.

Longtemps, les foyers de travailleurs migrants sont restés en marge de la société, et de nombreuses communes ne souhaitaient pas les accueillir. Avez-vous le sentiment que cette situation a évolué ? Pouvez-vous citer des communes ou des conseils généraux qui se sont montrés exemplaires en la matière ? Certaines collectivités intègrent ces publics dans les schémas gérontologiques ou prennent en compte leur particularité : quel regard portez-vous sur l’action de ces collectivités ?

La présence auprès des immigrés âgés de leur famille est une question rarement abordée par les intervenants institutionnels, mais il semble que les cas soient de plus en plus nombreux.

Enfin, les intervenants associatifs ont évoqué leur attente en matière de médiation sociale. Existe-t-elle dans vos foyers, et si cela est le cas, chaque foyer dispose-t-il d’un médiateur ? Quelles sont les perspectives de développement en matière de médiation sociale, dont les populations vieillissantes ont besoin face à la complexité administrative ? Il faudra sans nul doute la renforcer dans les années à venir. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Mme Kheira Bouziane. Les conseils de concertation ont-ils été mis en place dans toutes les résidences ? Les résidents sont-ils consultés pour les travaux de réhabilitation ou l’amélioration des services ? Les griefs qui nous ont été rapportés font apparaître que certains services payés par les résidents ne sont pas de la qualité qu’ils sont en droit d’attendre.

Mme Hélène Geoffroy. Je vous remercie, messieurs, pour la qualité de vos exposés.

Comment envisagez-vous le vieillissement dans vos structures ? Si les expériences tendant à créer des EHPAD n’ont pas été très heureuses, quelles sont celles que vous préconisez ? Selon vous, les migrants âgés doivent-ils vieillir entre eux ou au milieu des autres citoyens de la communauté nationale ? Quelle est votre philosophie en la matière ?

Vous avez peu ou prou évoqué la question des contrôles. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Qu’est-ce qui oblige les gestionnaires que vous êtes à conserver le droit d’entrer chez un locataire en son absence ?

Je suis favorable à l’extension des droits sociaux, mais je ne suis pas sûr que les foyers puissent se reposer exclusivement sur les CCAS et les conseils généraux. Les bailleurs jouent un rôle important car ils représentent une communauté pour les résidents et sont souvent leur principal lien institutionnel. Plus que des passerelles, vous devez être de véritables moteurs.

Les rénovations donnent souvent lieu à une demande de restauration collective, mais sa gestion présente un certain nombre de difficultés, d’une part, faute d’acteurs et, d’autre part compte tenu des demandes émises par les résidents qui ne sont pas toujours conformes à la législation sanitaire, voire au droit du travail. Quel est le pourcentage de foyers rénovés pour lesquels un tel projet a abouti ?

Je suis naturellement favorable au fait d’associer les locataires aux décisions qui les concernent, mais je reconnais que cela n’est pas toujours simple et fait parfois du maire de la commune le représentant des locataires. Quelles pistes préconisez-vous pour favoriser l’association des locataires ?

M. le président Denis Jacquat. On évoque parfois la sous-occupation des foyers par les chibanis, du fait notamment de la pratique de la navette. En revanche, il est souvent fait état d’une suroccupation des foyers de populations d’origine subsahélienne, qui sont plus jeunes en général, car arrivées plus récemment en France. Mais cette population vieillit également : à quels problèmes sont confrontées ces personnes, à présent âgées, dans les foyers à très fort taux d’occupation ?

Je confirme que certains problèmes comme la présence de squats dans les foyers sont propres à la région parisienne et n’existent pas en Lorraine et en Moselle.

M. Gilles Desrumaux. L’UNAFO a demandé à un cabinet extérieur de réaliser une enquête sur la gestion locative sociale. Cette enquête s’adresse à 150 établissements en France et porte sur quatre pôles d’investigation : la régulation de la vie collective dans l’établissement, la prévention des impayés, la lutte contre l’isolement et la médiation.

Cette étude montre que l’AGLS, qui a été mise en place en 2000 pour les résidences sociales et qui reste formulée en francs dans les circulaires, n’a pas été réévaluée depuis treize ans, ce qui entraîne une perte de 25 % de pouvoir d’achat. En outre, cette aide n’a pas suivi la montée en charge puisque le nombre de personnes vivant dans des résidences sociales est passé de quelques milliers à plus de 90 000. Nous espérons que les mesures qui viennent d’être annoncées comprendront une aide complémentaire, faute de quoi nos adhérents ne pourront effectuer le travail de médiation.

Notre philosophie est bien de considérer nos établissements comme des domiciles
– il n’y a pas si longtemps, dans de nombreux départements, le bénéfice de l’aide à domicile était refusé aux personnes résidant en foyer. Sur ce point, la loi SRU a posé le socle d’un important changement. La loi considère le foyer comme le domicile des personnes et encadre le contrat de résident et le règlement intérieur, mais la loi a été votée en 2000 et son décret d’application a été pris en 2007. Or, il faut plus de cinq ans pour que les choses se mettent en place.

En outre, notre philosophie tend vers le maintien des personnes à domicile. L’UNAFO a édité à ce titre un recueil de bonnes pratiques pour l’accompagnement et la médiation ainsi qu’un guide du retraité étranger, publié en 2012 et diffusé en plusieurs milliers d’exemplaires.

Les questions concernant les dysfonctionnements en Île-de-France doivent effectivement être pondérées car les personnes d’origine subsahélienne représentent 20 % de la capacité d’hébergement de la région. Les réalités sont totalement différentes en province.

L’instauration de conseils de concertation exige une démarche volontaire dans les foyers de chibanis tant ces personnes ne sont pas habituées à faire des demandes, d’autant qu’on leur a longtemps demandé de se taire.

Nous avons organisé un atelier pour étudier ces questions, en tenant compte des difficultés que nous rencontrons pour mettre en place les conseils de concertation, pourtant prévus par la loi, et de mobiliser les personnes intéressées. Nous organisons des formations pour sensibiliser nos adhérents, et le conseil d’administration de l’UNAFO a adopté des vœux sur la nécessité de développer la concertation.

Si la concertation est inscrite dans notre philosophie, elle bute sur la problématique des foyers subsahéliens en Île-de-France, liée à des questions complexes de suroccupation, d’état des locaux, de personnes en situation irrégulière. Mais n’en tirons pas des conclusions qui vaudraient pour l’ensemble des établissements.

Mme Sylvie Emsellem, chargée de mission à l’UNAFO. Si les constats et les diagnostics sont à peu près partagés, il me semble important de mettre l’accent sur un paradoxe, né de la rencontre d’une approche universaliste et d’une approche culturaliste.

En matière d’accès aux droits, la politique publique qui est menée et les actions concrètes comme le financement du guide du retraité étranger par la DAIC reposent sur le fait qu’il s’agit de personnes éloignées de droits qu’elles méconnaissent. Mais face à la politique publique, il existe des entraves administratives et des contrôles. Je prendrai l’exemple concret des avis d’imposition : l’administration fiscale considère ces personnes comme des célibataires et non comme des personnes mariées, ce qui a des conséquences importantes en termes d’abattement fiscal et d’accès aux droits sociaux.

Le deuxième paradoxe vient de ce que tout le monde souhaite que ces personnes bénéficient de l’accès aux soins et aux services gérontologiques, mais sans prendre en compte le fait qu’elles méconnaissent leurs droits. La prise en compte de ces personnes par les centres locaux d’information et de coordination (CLIC) relève d’une position universaliste. Les conseils généraux et les CLIC s’adressent à tous les publics, leur seul critère étant le niveau de dépendance des personnes. D’ailleurs, la notion même de « service de droit commun » est emblématique, comme si une partie des éléments n’était pas prise en compte par le droit commun.

La difficulté vient de là : nous devons associer un principe universaliste et une approche culturaliste qui tient compte de l’incidence de la culture d’origine dans la demande d’accès de ces personnes aux services gérontologiques et permet de constater qu’elles préfèrent souvent d’autres formes de solidarité et rejettent l’aide à domicile.

Or, pour mettre en place des dispositifs opérationnels, nous ne pouvons nous appuyer seulement sur des principes abstraits. Il faut faire preuve d’un certain pragmatisme.

Cette préoccupation peut-elle être prise en compte dans les schémas gérontologiques compte tenu de la faiblesse des moyens alloués pour financer l’interface entre ces personnes et les services de droit commun ?

M. Bruno Arbouet. Sur des sujets aussi complexes, la situation n’est ni blanche ni noire. Il est clair que nous rencontrons des problèmes spécifiques en Île-de-France, en particulier la suroccupation chronique des foyers accueillant les personnes d’Afrique subsahélienne.

L’ensemble de la profession reconnaît l’exigence croissante de nos résidents à être considérés comme des clients. Les jeunes précaires qui remplacent les chibanis n’acceptent pas les conditions que ces derniers ont acceptées pendant vingt ou trente ans.

Nous reconnaissons en effet que, du fait du retard pris dans le traitement des foyers, certains de nos résidents connaissent des conditions de vie indignes.

On nous parle de restauration collective, de salles de culte, mais nous sommes en République. Concrètement, la restauration collective est gérée par des mafias, qui exploitent des femmes sans papiers et les emploient dans des conditions inacceptables, sans parler des problèmes de sécurité et des responsabilités qui nous incombent. Nous avons tenté de régulariser la situation dans trois foyers, sur les 600 que nous gérons, mais leur modèle économique reste fragile.

Nous sommes gestionnaires de fait de 200 salles de culte, mais, aux termes des lois de notre République, nous n’avons pas vocation à le faire. Certes, il existe une tolérance dans les foyers où résident des migrants âgés qui ne peuvent pas se rendre à la mosquée, et je plaide pour que nous puissions maintenir cette tolérance. En revanche, il n’est pas acceptable que des salles permettant d’accueillir vingt personnes en accueillent en réalité trois cents, voire des milliers.

Pour instaurer un conseil de concertation dans les deux tiers de nos foyers, nous avons dû faire preuve d’un grand volontarisme. Dans le tiers des foyers qui n’en disposent pas, nous avons établi un procès-verbal de carence. Mais les conseils de concertation entraînent certaines difficultés pour les gestionnaires. Dans l’un de nos foyers, situé à Gennevilliers, les opposants au conseil, qui sont pourtant minoritaires, ont publié des articles défavorables dans la presse.

En matière de médiation sociale, Adoma dispose en interne de six cents intervenants sociaux, soit 25 % de son effectif, tous affectés aux demandeurs d’asile qui pourtant ne représentent que 10 % de notre public. Ni les jeunes précaires, victimes de toutes sortes d’addictions, ni les chibanis ne bénéficient d’interventions sociales. Le modèle économique des foyers ne le prévoyait pas. Aujourd’hui, l’AGLS représente 11 millions d’euros. Adoma en reçoit près de 4 millions, ce qui est notoirement insuffisant pour instaurer la médiation sociale ; par ailleurs, les foyers de travailleurs migrants n’y sont pas éligibles. Nous venons de créer soixante postes de médiation sociale. Ce chiffre représente une avancée significative, mais il est notoirement insuffisant.

En bref, je ne nie pas notre responsabilité en tant que gestionnaires, mais notre modèle économique ne permet pas de dégager des marges suffisantes pour financer la médiation sociale dans des proportions acceptables.

M. le rapporteur. Pouvez-vous répondre à notre question concernant le règlement intérieur des foyers et le droit à la vie privée des personnes ?

La spécificité de l’Île-de-France est sans doute une réalité, mais les personnes ont droit à la même considération et à la même dignité, qu’elles habitent en Rhône-Alpes ou en Île-de-France.

M. le président Denis Jacquat. Notre collègue Jean-Christophe Lagarde a en effet posé une question importante sur le fait que les gestionnaires ont le droit d’entrer dans les chambres des résidents. Il est paradoxal d’interdire à une personne de la famille du résident de vivre temporairement avec lui tout en laissant s’installer des personnes dans les escaliers et les espaces communs.

M. Jean-Marie Oudot. L’autonomie et la non-accessibilité du logement privé relèvent du règlement intérieur. Dans les logements individuels gérés par Coallia, la visite sans autorisation du résident est strictement interdite, et c’était déjà le cas il y a vingt-cinq ans dans les foyers de la SONACOTRA. Le bruit qui circule selon lequel le gestionnaire peut accéder à tout moment aux logements est une vue de l’esprit.

M. le président Denis Jacquat. Il est bon de vous l’entendre dire, car certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont affirmé que le gestionnaire pouvait pénétrer dans les chambres à sa guise, et cela vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

M. Jean-Marie Oudot. Reconnaissons qu’en tant que locataires d’un appartement en ville, nous admettrions difficilement que quelqu’un entre chez nous pour vérifier qui habite avec nous. Les associations de défense des immigrés expriment une gêne face à nos règlements intérieurs qui, conformément à la loi, prévoient la déclaration à l’accueil de tous les habitants occasionnels. À titre personnel, je ne serais pas opposé à la modification du décret, mais dans ce cas les gestionnaires ne seraient plus responsables des conditions d’occupation des établissements. La suroccupation des établissements accueillant des résidents originaires du Mali ou de Mauritanie, y compris dans les zones non tendues, a des raisons culturelles car ils sont obligés d’accueillir leur famille lorsque celle-ci est présente.

Pour nous, la suroccupation des locaux est un problème car elle provoque des surconsommations, mais nous pensons qu’elle cessera d’elle-même dès lors que les personnes jugeront qu’il est préférable de vivre seul dans 18 mètres carrés. L’usure accélérée des bâtiments me semble poser un problème plus grave. Il est facile de dire que nous n’accomplissons pas correctement notre service, mais je vous invite à visiter quelques foyers, vous comprendrez qu’il n’est pas toujours facile de respecter deux principes qui s’opposent, à savoir le respect légitime de la vie privée et le maintien de la sécurité des bâtiments.

M. le rapporteur. Le respect de la vie privée est plus que légitime puisqu’il est prévu par les conventions internationales.

M. Jean-Marie Oudot. Le décret dispose que le résident a le droit d’héberger une personne externe mais qu’il doit la déclarer au gestionnaire. Si l’État a prévu cette disposition, c’est bien qu’une frange de ses représentants, notamment celle qui dépense tout l’argent du plan de traitement des foyers, juge nécessaire de freiner la suroccupation de nos établissements.

Dans les foyers gérés par Coallia, le taux des conseils de concertation est proche de 90 %, simplement parce que beaucoup de nos foyers accueillent des résidents d’origine malienne avec qui il est plus facile de monter des projets collectifs. Convaincus qu’il est préférable d’accueillir des personnes avec qui nous pouvons discuter, nous défendons naturellement la mise en place de conseils de concertation. Mais leur élection n’est pas toujours facile. Un certain nombre de mairies, dont la Ville de Paris, font la promotion des conseils et les défendent avec force, jusqu’à obliger les gestionnaires à les mettre en place, mais les conseils sont quelquefois contestés par les élites des communautés. Je rappelle que dans les entreprises françaises, lors des élections professionnelles des institutions représentatives, le taux de participation atteint à peine 50 %. Conscients de cette difficulté, nous envisageons d’organiser une élection pour l’ensemble des établissements. Celle-ci se déroulerait sur une journée et pourrait être transformée en événement festif.

M. Richard Jeannin. Les taux de participation ne sont pas aussi élevés dans les foyers gérés par ARALIS. Malgré notre politique volontariste en la matière, les conseils de concertation connaissent une activité fluctuante, à l’instar des associations. Je pense comme mes collègues qu’il faut favoriser le contact avec les représentants des résidents à chaque fois qu’il est possible, mais nous préférons une démarche visant à nous assurer de la qualité du service rendu aux personnes, ce qui passe par des sondages sur des sujets comme la qualité du service ou la médiation sociale.

Si je puis m’autoriser une boutade, quelqu’un a regretté tout à l’heure que certains services payés ne soient pas rendus, mais à partir d’un certain niveau d’intervention sociale, même s’ils n’apparaissent pas sur les lignes budgétaires, les services rendus ne sont pas toujours payés. C’est pourquoi nous devons revoir notre modèle économique.

Enfin, notre association n’entend pas laisser les migrants vieillir entre eux, mais plutôt optimiser les services rendus à la population dans les foyers en mobilisant nos partenaires. Nous pourrions utiliser l’ASPA pour les appartements partagés car il est plus rentable de déplacer un prestataire dans un logement partagé, ce qui bénéficiera à quatre ou cinq résidents, que de déplacer vingt prestataires dans vingt logements différents. Il faut faire évoluer notre modèle économique pour développer les services à domicile et les services infirmiers, sans pour autant médicaliser les logements.

M. Gilles Desrumaux. C’est à juste titre que cette question de droit vous préoccupe. Nous suivons pour notre part les recommandations d’une note établie par M. Jean-Philippe Brouant avant la parution du décret d’application de la loi SRU de novembre 2007 et qui pose les principes d’une réglementation particulière pour les logements en foyer de travailleurs migrants, les résidences sociales, les pensions de famille. Cette note tient compte de l’équilibre difficile qu’il convient de trouver entre le respect de la vie privée et les nécessités de la vie collective. On ne peut nous reprocher dans le même temps la suroccupation des établissements et le fait d’intervenir pour réguler a minima les conditions d’occupation. En matière de règlement intérieur, la notion de clause abusive qui relève du droit commun doit s’appliquer. L’UNAFO, en tant qu’union professionnelle, recommande à ses adhérents de s’y conformer.

Il s’agit d’une question juridique complexe. J’ai demandé au ministère du logement d’actualiser cette note que nous utilisons très souvent dans la gestion de nos établissements, mais il n’y a pas d’un côté des résidents et de l’autre des gestionnaires qui chercheraient à réduire leurs droits. Les gestionnaires ont le souci de sortir les foyers de travailleurs migrants de la situation d’isolement dans laquelle ils ont été relégués pendant de nombreuses années. Cela passe par la mise en œuvre du plan de traitement des foyers et leur transformation en résidences sociales. Ce plan témoigne du passage d’une politique fortement nationale à une politique largement décentralisée puisqu’il prévoit l’élaboration d’un projet social et la création d’un comité de pilotage regroupant notamment les élus de la commune et du département. Ce partenariat permettra d’inscrire les résidents dans le droit commun.

Mme Kheira Bouziane. Je ne suis pas satisfaite de la réponse concernant les services payés et non rendus. Ce n’est pas parce que des services relèvent de la gestion globale de la structure qu’il faut accepter qu’ils ne soient pas satisfaits.

M. Jean-Marie Oudot. Je n’ai pas dit que nous ne voulions pas remplir nos obligations, madame, mais est-il opportun de faire peser sur la redevance le prix du service que nous rendons ? En d’autres termes, les pauvres doivent-ils payer le service qui pourrait les sortir de la pauvreté ?

M. le président Denis Jacquat. Monsieur Arbouet vous avez souhaité nous parler d’une question spécifique. Aussi, nous vous redonnons la parole.

M. Bruno Arbouet. J’ai souhaité en effet vous faire part d’un problème spécifique à Adoma. Il y a en effet un décalage entre l’ambition que nous avons de rattraper le retard dans le plan de traitement des foyers et la situation dans laquelle se trouvent les chibanis. Comme je vous l’ai dit, nous allons engager des travaux à hauteur de 1,3 milliard d’euros sur une période de dix ans pour réhabiliter ou reconstruire un tiers de notre parc. Toutefois, force est de constater que de nombreux chibanis auront disparu d’ici là. Aussi, la question qui se pose est celle de la possibilité d’accélérer le plan de traitement, plus particulièrement en faveur des foyers accueillant des chibanis. Une solution serait que l’État multiplie par deux les subventions à destination d’Adoma mais cela n’est bien évidemment pas réaliste dans le contexte économique actuel.

Aujourd’hui, lorsque nous investissons cent euros, l’État ainsi que les collectivités territoriales participent à hauteur de quinze euros – il y a trois ans, la participation de l’État s’élevait à vingt-deux euros –, la Caisse des dépôts et consignations participe à hauteur de soixante euros (prêt action logement) et le reste (entre dix et vingt euros) est à la charge d’Adoma.

Si l’on veut accélérer le plan de traitement des foyers, peut-être que l’effort supplémentaire doit être consenti par Adoma. Une des hypothèses possibles serait que la Caisse des dépôts et consignations acquière davantage de part de capital et que l’État dispose de moins de 51 %. Sans aucune remise en cause des missions de service public exercées par Adoma, la répartition du capital serait modifiée. Le législateur a voté la possibilité pour l’État de détenir entre 33 % et 51 % de notre capital.

Avant que ce sujet soit traité par les actionnaires principaux, la question de la feuille de route d’Adoma devra être posée. Les deux grands sujets sont ceux des jeunes en situation de précarité et des vieux travailleurs migrants. Alors que pour les jeunes, le logement proposé par Adoma n’est qu’une passerelle, une étape, pour les chibanis, cela représente un domicile dans lequel ils vont vieillir.

M. le président Denis Jacquat. Cela est très clair. J’ai lu le rapport de la Cour des comptes et suivi l’évolution historique d’Adoma. La question que je me pose est la suivante : les autres bailleurs ont-ils eu une même pression de la part de l’État pour accueillir des jeunes en difficulté, des demandeurs d’asile, etc. ? Cela complique bien entendu les missions du bailleur. Comme vous l’avez indiqué, le médiateur social chargé de s’occuper de jeunes en difficulté et de migrants âgés accomplit des missions très diversifiées.

M. Bruno Arbouet. Aujourd’hui, nous sommes devenus le premier opérateur de la demande d’asile – nous représentons 8 000 places sur un peu plus de 20 000. Il est toutefois évident que les places pour demandeurs d’asile sont situées dans les territoires où la demande de jeunes précaires est faible et où les migrants âgés sont peu nombreux.

M. le président Denis Jacquat. Ces logements demeureraient en effet vides si vous ne les utilisiez pas à cette fin.

M. Bruno Arbouet. C’est effectivement le cas en Lorraine, et dans une moindre mesure, en Rhône-Alpes.

Encore une fois le sujet des chibanis doit être résolu rapidement car dans dix ou quinze ans, il sera trop tard. La médiation sociale est importante mais le sujet central reste l’accélération du plan de traitement. Ceci bénéficiera en priorité aux chibanis mais aussi aux autres publics, notamment les jeunes en situation de précarité.

M. le rapporteur. Je crois que vous avez parfaitement exprimé le décalage entre les projets d’Adoma et la réalité de la situation des chibanis. Bien évidemment, il n’est pas possible de faire en deux ou trois ans ce qui aurait dû être fait en dix ou quinze ans. Ce qui est mis en cause est davantage l’histoire et les évolutions que la situation actuelle d’Adoma. En tout état de cause, il faut conduire une réflexion globale, décloisonnée.

J’entends bien ce que vous dites sur les marges de manœuvre dont Adoma doit disposer si elle souhaite accélérer le plan de traitement des foyers en cours. C’est un des éléments sur lesquels la mission pourra peut-être faire des propositions. Je souhaiterais ajouter qu’une période de dix ans est vécue très différemment selon que l’on a un emploi ou que l’on est à la retraite ou en fin de vie. Aussi, je crois qu’il faudrait réaliser un diagnostic afin de savoir où se trouvent les populations les plus âgées et mettre en place un plan d’urgence dans les foyers concernés. Pour les populations fragiles et âgées, qui vivent aujourd’hui dans des conditions très difficiles, le plan de traitement à dix ans ne peut pas être présenté comme une avancée. C’est un argument qu’elles ne peuvent entendre. C’est pour cela qu’il faudrait adosser aux investissements stratégiques en cours un plan d’urgence pour remédier aux situations les plus problématiques. Ce plan pourrait être ciblé sur les foyers d’Île-de-France, qui connaissent une situation très particulière que l’on ne retrouve pas véritablement dans d’autres régions. Il faut faire davantage là où les besoins sont les plus importants.

M. Bruno Arbouet. Nous sommes tout à fait d’accord. Adoma représente 70 % du secteur du logement accompagné : nous sommes donc en mesure d’entraîner l’ensemble du secteur. Il me semble que la feuille de route d’Adoma devrait identifier cette urgence et prévoir en conséquence l’accélération du plan de traitement des foyers.

Audition de M. Yannick Imbert, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)

(extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous commençons notre cycle d’auditions de ce jour avec M. Yannick Imbert, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Le président de l’Office, M. Rémi Schwartz, retenu au Conseil d’État, ne peut donc, pour sa part, être présent parmi nous.

Créé en 2009, l’OFII regroupe l’ensemble des compétences de l’ancienne Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations – ANAEM –, à l’exclusion de la question de l’emploi des Français à l’étranger, et d’une partie des anciennes missions de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, (ACSé). L’OFII est désormais le seul opérateur de l’État en charge de l’immigration légale, et notamment de l’intégration des migrants durant les cinq premières années de leur séjour en France. Il remplit quatre missions principales : la gestion des procédures d’immigration régulières aux côtés ou pour le compte des préfectures et des postes diplomatiques et consulaires ; l’accueil et l’intégration des immigrés autorisés à séjourner durablement en France et signataires, à ce titre, d’un contrat d’accueil et d’intégration avec l’État ; l’accueil des demandeurs d’asile ; l’aide au retour et à la réinsertion des étrangers dans leur pays d’origine, notamment dans un but de codéveloppement.

Il revient en outre à l’OFII de servir l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, disposition adoptée en 2007 dans le cadre de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable dite « DALO », mais qui n’a pu, jusqu’à présent, entrer en vigueur.

M. Yannick Imbert, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Vous avez rappelé les missions essentielles de l’établissement dont j’ai la charge depuis seulement quatre mois. Au vu de ces missions, qu’il s’agisse de l’accueil ou de l’intégration, on pourrait considérer que l’OFII est directement concerné par le problème posé par les immigrés âgés. Mais nous n’accueillons les migrants que pendant les cinq premières années de leur séjour en France. Une telle limite ne s’applique pas, il est vrai, à notre action en faveur de l’insertion, mais il n’en demeure pas moins que le rôle de mon établissement est essentiellement de faire en sorte que les premières années du séjour d’un migrant en France se déroulent dans les meilleures conditions possibles, en favorisant l’apprentissage de la langue française, les formations civiques et citoyennes, la connaissance de nos institutions ou de tout ce qui relève, d’une manière générale, des valeurs, des mœurs et des modes de vie ou de comportement dans notre pays. Au-delà de l’honneur qui m’est fait de parler devant vous ce matin, on pourrait donc s’interroger sur la capacité de l’OFII à intervenir dans le champ de compétences de cette mission d’information.

Il est vrai que l’Office a failli être directement concerné, puisqu’aux termes des articles 58 et 59 de la loi DALO instituant « l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » – ARFS –, l’ANAEM, devenue l’OFII, avait été chargée de verser cette allocation.

Comme M. Luc Derepas, le secrétaire général à l’immigration et à l’intégration, vous l’a rappelé lors d’une précédente audition, certains migrants, habitués à faire des allers et retours entre la France et leur pays d’origine, peuvent se voir contraints de respecter une durée minimale de résidence en France pour bénéficier de certaines allocations non contributives. Pour résoudre en partie cette difficulté, le législateur a voulu créer un régime spécifique en instaurant une allocation différentielle destinée aux personnes justifiant d’un certain nombre d’années de résidence en France et remplissant certaines autres conditions, même si elles résident majoritairement à l’étranger.

L’élaboration des décrets d’application de cette loi a cependant rencontré des difficultés juridiques liées au droit communautaire. Un règlement européen récemment modifié exige en effet de prendre en compte, pour le versement de certaines prestations non contributives, le temps passé dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Attribuer l’allocation au titre d’une certaine durée passée en France supposerait donc d’ouvrir aussi ce droit pour une durée cumulée identique passée dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, ce qui élargirait considérablement le nombre des bénéficiaires et aurait un impact budgétaire très important. Cet obstacle a retardé la mise en place d’un dispositif conçu initialement pour éviter de contraindre des personnes vivant majoritairement à l’étranger à demeurer en France uniquement pour pouvoir bénéficier de certains droits sociaux.

Les prestations dont le versement est conditionné à une durée minimale de résidence sur notre sol sont notamment l’allocation personnalisée au logement – APL –, versée par la caisse d’allocations familiales (CAF), l’allocation de solidarité aux personnes âgées
– ASPA, ex-« minimum vieillesse » –, le droit à l’assurance maladie et certains avantages fiscaux. Le fait d’effectuer la « navette » entre leur pays d’origine et la France expose en effet les immigrés âgés bénéficiant de ces prestations à se voir réclamer des sommes indues. Les retraites contributives ne sont en revanche pas concernées par le problème.

L’article 58 de la loi du 5 mars 2007 a donc institué une aide financière annuelle, et l’article 59 un régime de couverture santé, au bénéfice d’étrangers extracommunautaires – les chibanis représentant le public cible –, âgés d’au moins soixante-cinq ans et donc retraités ou soixante ans en cas d’inaptitude au travail, vivant seuls en France, depuis au moins quinze ans, disposant de faibles ressources, et désireux d’effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d’origine. Le plafond de ressources aurait dû être fixé par décret, de même que la durée maximale de séjour hors de France – le retour définitif dans le pays d’origine n’était pas a priori exclu. La possibilité de bénéficier de l’aide tout en s’installant définitivement dans le pays d’origine aurait néanmoins pu poser un problème constitutionnel, mais aussi un problème politique : la population française accepterait-elle que des personnes ne résidant plus dans notre pays continuent à percevoir des prestations de la part d’organismes français ?

Le Conseil d’État, consulté sur un projet de décret d’application, a formulé plusieurs remarques de fond, relatives notamment à l’éligibilité à cette aide de ressortissants communautaires non français. Et il a conclu que, pour respecter le droit européen, tous les étrangers devraient pouvoir en bénéficier.

Or, suivre son avis aurait représenté plusieurs risques pour le Gouvernement de l’époque. Un risque budgétaire, d’abord, en raison de l’accroissement considérable du nombre de bénéficiaires potentiels ; un risque politique, ensuite, dans la mesure où cela revenait à faire payer aux contribuables français une forme de pension destinée à des étrangers qui n’auraient pas résidé en France ; un risque pour l’administration, enfin, dû à la quasi-impossibilité de vérifier la condition de résidence dans le cas d’étrangers ayant vécu dans l’un des vingt-six autres États de l’Union européenne.

Après des hésitations, le Gouvernement n’a donc finalement pas retenu la rédaction du Conseil d’État. Un projet de décret visant à appliquer l’article 58 de la loi DALO a cependant été préparé, faisant de l’ANAEM l’institution pivot pour le paiement de l’ARFS, comme elle l’était déjà pour celui des aides au retour – à la différence, toutefois, que le versement des secondes est ponctuel, tandis que celui de la première aurait été permanent. Le Conseil d’État s’étant toutefois opposé à ce deuxième projet de décret pour les mêmes raisons qu’il s’était opposé au premier, le ministre chargé de l’immigration a fini par y renoncer en octobre 2007.

Pour autant, depuis cette date, l’État n’a pas manqué de rechercher d’autres solutions. Ainsi, un décret de 2007 a ramené à six mois par année civile, contre neuf auparavant, la durée minimale de résidence en France pour le bénéfice de l’ASPA et de certaines aides non contributives. Non seulement cela représentait un progrès pour les allocataires du « minimum vieillesse », qui ont désormais la possibilité de passer trois mois de plus dans leur pays d’origine, mais cela permettait de limiter significativement le public potentiellement concerné par l’ARFS. En revanche, s’agissant de l’APL, le problème reste entier : un immigré passant cinq mois par an à l’étranger risque toujours de se voir réclamer un trop-perçu en cas de contrôle par la CAF.

D’un point de vue budgétaire, l’ARFS avait fait l’objet, en loi de finances initiale pour 2008, d’une inscription spécifique de 3 millions d’euros sur le « programme 104 »
– « Intégration et accès à la nationalité ». Cette enveloppe a toutefois été réduite à 1,5 million d’euros en loi de finances initiale pour 2009 et 2010, puis supprimée en loi de finances initiale pour 2011, d’une part en raison de l’impossibilité pratique de mettre en œuvre le dispositif, et d’autre part parce que la réduction des crédits du « programme 104 », passés de 125,8 millions d’euros de crédits d’intervention en 2008 à 66 millions en 2013, rendait impossible le financement de l’aide à la réinsertion familiale et sociale.

Les dispositions des articles 58 et 59 de la loi DALO n’ont donc pas pu être appliquées pour les raisons que je viens de rappeler. Mais si vous décidiez de relancer cette orientation, l’OFII pourrait être l’opérateur du versement régulier des prestations.

M. le président Denis Jacquat. Merci pour cet exposé à la fois clair et synthétique.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Les dispositions des articles 58 et 59 de la loi DALO sont en effet l’objet d’échanges réguliers avec les personnes que nous auditionnons. Elles représentent un aspect important des travaux de cette mission, mais pas le seul.

Jusque dans les années soixante-dix, l’immigration, dans notre pays, était considérée comme un apport ponctuel de main-d’œuvre dont l’installation n’avait pas vocation à se pérenniser. De nombreux immigrés âgés dont l’arrivée en France remonte à cette période ne bénéficient pas d’une retraite contributive, non seulement en raison des métiers qu’ils ont exercés, mais aussi à cause des difficultés qu’ils éprouvent à reconstituer leur carrière. En effet, soit une partie du travail qu’ils ont effectué était du travail dissimulé, soit ils ont perdu les traces de leurs activités professionnelles passées. L’immigration a évolué depuis, et on peut espérer que le travail dissimulé n’est plus aussi répandu qu’autrefois. Pour autant, l’OFII mène-t-il des politiques de prévention destinée à éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets ?

L’action de l’Office se concentre sur les cinq premières années de séjour en France, ce qui est normal, puisque l’intégration des étrangers fait partie de ses missions. Participez-vous aux plans régionaux d’intégration des populations immigrées (PRIPI) ? Quels sont vos liens avec les organismes chargés de la politique de la ville, qui interviennent en particulier dans les quartiers où se concentrent les populations immigrées ? Votre action bénéficie-t-elle de relais associatifs ? Plus généralement, sur quelles intermédiations l’Office peut-il compter pour que son action à l’échelon national soit relayée sur le terrain auprès des publics ciblés ?

Je m’interroge également sur l’évolution du regroupement familial après le tournant de 1974. Parmi les immigrés présents en France depuis plus de vingt ans, savez-vous quelle est la part de ceux qui ont été rejoints par leur famille ? Les immigrés âgés sont-ils nombreux à avoir déposé une demande de regroupement familial après 1974 ? Quels sont les principaux obstacles à ce qu’un immigré, une fois parvenu à la retraite, puisse faire venir sa famille ? Est-il envisageable de faciliter de telles demandes ?

La question de l’accès à la nationalité est récurrente dans les travaux de cette mission d’information. Estimez-vous que cet accès devrait être facilité pour les immigrés âgés résidant en France depuis plusieurs décennies ? Il nous semble en effet que, parmi les mesures envisageables rapidement, celle-ci pourrait contribuer à améliorer substantiellement leurs conditions de vie.

Vous avez rappelé les raisons pour lesquelles les articles 58 et 59 de la loi DALO ne sont toujours pas entrés en application. À cet égard, chaque audition permet d’enrichir nos connaissances sue le sujet. Nos premiers interlocuteurs, en effet, n’étaient pas en mesure de nous dire pourquoi les décrets d’application n’avaient jamais été publiés, ni par qui les décisions avaient été prises. Grâce à vous, nous savons désormais ce qu’il en est.

La mise en place d’une aide spécifique destinée aux immigrés âgés non communautaires souhaitant résider la plus grande partie de l’année dans leur pays d’origine se heurte donc à des obstacles juridiques, et en particulier au droit de l’Union européenne. Avez-vous une idée de la manière dont le législateur pourrait les franchir ? On sait qu’il serait contraire au principe de non-discrimination de restreindre à certaines catégories ou à certaines nationalités l’éligibilité à l’ARFS. La solution ne résiderait-elle pas dans la conclusion de conventions bilatérales entre la France et les pays d’origine, sachant que 70 à 80 % des migrants dont nous parlons proviennent de seulement quatre pays : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Mali ? Dans cette hypothèse, le bénéfice de l’aide au retour serait de fait limité aux ressortissants de ces pays. La mission d’information ayant prévu d’effectuer prochainement un déplacement en Algérie et au Maroc, nous aurons l’occasion de poser la question aux autorités locales. Mais il s’agit, me semble-t-il, d’une piste sérieuse sur laquelle vous pourriez commencer à travailler.

M. Yannick Imbert. Je me réjouis d’avoir pu vous éclairer sur les raisons pour lesquelles les décrets d’application des articles 58 et 59 de la loi DALO n’ont pas été pris, ce que le ministre de l’époque ne cesse de regretter, tant il était attaché aux dispositions portées par ces articles.

La reconstitution des carrières à l’occasion de la liquidation des pensions de retraite n’est évidemment pas la mission principale de l’OFII. Mais l’Office accomplit une démarche comparable, toutes proportions gardées, lorsqu’il joue un rôle de médiateur dans les centres de rétention administrative et aide des migrants s’apprêtant à regagner leur pays d’origine – dans des conditions certes très particulières – à récupérer leurs avoirs et à recouvrer l’intégralité de ce qui leur est dû. Il pourrait, de même, intervenir auprès d’organismes sociaux pour le compte des migrants âgés – et obtenir, espérons-le, de meilleurs résultats –, mais cela représenterait une mission nouvelle et exigerait des moyens supplémentaires. En outre, la reconstitution ne serait possible que pour la partie officielle de la carrière professionnelle. On se heurterait donc rapidement à l’obstacle du travail dissimulé dont les populations dont nous parlons ont souvent été victimes, comme vous l’avez vous-même rappelé. L’Office pourrait donc s’engager dans ce nouveau métier, mais son action trouverait rapidement ses limites.

Nous participons activement à l’élaboration des PRIPI. L’Office dispose d’un réseau d’antennes locales, composé de trente et une directions régionales implantées en métropole et en outre-mer, en plus des neuf représentations à l’étranger. Tous les préfets de région font en sorte d’associer de très près nos directeurs territoriaux aux travaux d’élaboration des PRIPI, mais, en certains endroits, comme à Marseille, leur implication est particulièrement forte.

En ce qui concerne les liens entre l’accueil et l’intégration des immigrés et la politique de la ville, M. Michel Aubouin – ancien directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté au ministère de l’intérieur – serait probablement plus compétent que moi pour vous répondre. Mais mon expérience, y compris à d’autres postes que celui que j’occupe actuellement, me permet d’affirmer que la multiplicité des organismes chargés, à un titre ou à un autre, d’intervenir dans les quartiers classés en zone prioritaire a toujours constitué un problème, chacun défendant son « pré carré ». L’histoire de notre établissement offre un bon exemple de ces difficultés d’ordre administratif, voire technocratique : alors que l’ANAEM dépendait essentiellement de ministères sociaux, l’OFII est passé d’abord sous la tutelle du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, puis sous celle du ministère de l’intérieur. Même si cela ne nous interdit pas d’intervenir sur les questions de politique de la ville, celles-ci souffrent déjà d’un défaut de coordination interministérielle. En outre, nos activités ne relèvent pas des mêmes programmes budgétaires.

On peut qualifier d’ambivalentes nos relations avec le tissu associatif. L’OFII est souvent perçu par ce dernier comme, au mieux, un rival, et au pire un acteur non légitime. Le secteur associatif considère en effet que certaines missions d’accueil et d’intégration relèvent de sa vocation, voire de son domaine exclusif. Il n’a donc pas apprécié de voir un opérateur de l’État empiéter sur son terrain.

Même si les relations sont désormais apaisées entre l’Office et les associations, on ne peut nier, chez ces dernières, l’existence d’un discours un peu amer. Que nous soyons sous la tutelle du ministère de l’intérieur constitue même un facteur aggravant aux yeux de certains. Nos relations s’apparentent plus à celles du donneur d’ordres avec son fournisseur qu’à des relations entre partenaires. Qu’il s’agisse de l’accueil des demandeurs d’asile, des formations linguistiques, civiques ou relatives à la vie quotidienne, nous sélectionnons des associations grâce à des appels à projets – à partir de 2015, nous aurons recours à des appels d’offres – lancés sur la base d’un référentiel destiné à unifier les modes d’intervention. Une importante association nationale agissant en faveur des demandeurs d’asile a d’ailleurs contesté la légalité de ce référentiel devant le Conseil d’État, illustrant une fois de plus l’ambiguïté des relations entre l’OFII et les associations.

J’en viens au regroupement familial. Dans le cadre de mes fonctions au sein du corps préfectoral, j’ai pu malheureusement constater que les immigrés âgés étaient parfois dans un état d’isolement humainement insupportable. La situation est moins mauvaise pour ceux qui vivent en foyer que pour ceux qui se trouvent en habitat diffus – on connaît d’ailleurs moins bien les conditions de vie de ces derniers –, mais tous souffrent d’isolement moral et psychologique. Ces gens qui, sur le plan physique, ont beaucoup donné d’eux-mêmes pendant cinquante ans de leur vie, parfois même au-delà du raisonnable, ont le sentiment, à la fin de leur parcours, d’avoir représenté de simples bailleurs de fond pour leur famille restée au pays. Non seulement leurs liens familiaux sont distendus, mais ils ont parfois subi un quasi-reniement. Et c’est avec une profonde émotion que je me remémore la situation de solitude tragique dans laquelle se trouvaient certains immigrés âgés avec qui j’ai pu échanger.

Dans un tel contexte, les demandes de regroupement familial ne sont pas nombreuses. Elles ne concernent que les personnes ayant eu la chance de conserver des liens familiaux. Je ne dispose pas, cependant, d’éléments statistiques susceptibles de répondre à votre question. Certes, depuis 2008, on observe une augmentation de 34 % du nombre de visites médicales passées par des immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans – avec 3 225 visites sous statut visiteur, concernant 1 153 hommes et 2 072 femmes –, mais de telles visites ne sont pas organisées uniquement dans le cadre du regroupement familial. On peut toutefois en conclure, avec une certaine prudence, que la nouvelle génération d’immigrés âgés ne vivra pas dans l’isolement absolu subi par leurs prédécesseurs.

La question de l’accès à la nationalité déborde largement des compétences de l’OFII. On peut considérer qu’après des dizaines d’années de présence en France, l’acquisition de la nationalité française serait la meilleure solution pour des personnes qui ne sont pas des citoyens français, sans non plus être réellement des étrangers. Mais cela relève d’un choix politique.

Vous m’avez demandé comment il serait possible de contourner les obstacles juridiques qui ont empêché la publication des décrets d’application de la loi DALO. Il existe déjà des accords bilatéraux en matière de gestion des flux migratoires ou de réciprocité de la couverture sociale. Or, sans être spécialiste, je sais que la question du recouvrement d’indus, notamment pour les dépenses hospitalières, est un sujet qui, quoique sensible, n’a pas fait partie de l’ordre du jour lors des récentes rencontres entre les dirigeants des pays concernés. Et je ne vois pas bien en quoi un accord bilatéral pourrait constituer une solution pour les immigrés âgés souhaitant conserver le bénéfice de leurs prestations tout en vivant une grande partie de l’année dans leur pays d’origine. En outre, une telle piste devrait faire l’objet d’une expertise juridique, car elle pourrait constituer une violation du principe d’égalité devant la loi.

M. Philippe Vitel. L’acquisition de la nationalité, dans notre pays, est le résultat d’une démarche individuelle et volontaire, et rien n’empêche les immigrés âgés pouvant justifier de nombreuses années de résidence dans notre pays de déposer une demande. En outre, un travailleur étranger en situation régulière dispose des mêmes droits sociaux qu’un Français. Je ne vois donc pas en quoi un accès facilité à la nationalité pourrait constituer une réponse au problème dont s’occupe notre mission d’information – laquelle n’aurait d’ailleurs plus d’objet si tous les immigrés âgés obtenaient la nationalité française.

Vous avez évoqué les difficultés que peuvent rencontrer les immigrés âgés pour reconstituer leur carrière au moment de prendre leur retraite. Des dispositifs sont pourtant prévus pour accompagner les citoyens dans ce type de démarche, mais il existe un évident problème d’accès à l’information. Pour bénéficier de ces aides, il faut en effet les connaître ! C’est encore plus vrai pour les femmes immigrées, dont certaines ne quittent presque jamais leur domicile. Auriez-vous les moyens d’améliorer l’information des immigrés âgés sur l’assistance dont ils sont susceptibles de bénéficier ?

M. Yannick Imbert. Ce n’est pas notre cœur de métier, mais il est toujours possible pour nous d’évoluer. Il nous serait possible d’agir pour le compte des personnes concernées. Confrontées à un véritable maquis administratif, celles-ci ne disposent pas nécessairement, en effet, des capacités, linguistiques ou autres, nécessaires pour être reçues et se faire entendre. Elles ne savent pas nécessairement où aller ni à quel guichet s’adresser. À cet égard, une intervention de l’OFII pourrait représenter une véritable plus-value. Nous pourrions commencer par faire la liste de tous les organismes susceptibles d’être intéressés par cette population et définir les dispositifs permettant d’agir au nom des immigrés âgés. Ce serait toutefois un nouveau métier, impliquant de nouvelles procédures en matière de comptabilité et de recouvrement, ainsi que des procédures contentieuses dans le cas où un organisme contesterait les demandes qui lui sont adressées.

M. le rapporteur. Le logement est un des aspects très importants dont nous avons à connaître dans le cadre de cette mission d’information. Quel regard portez-vous sur le plan de traitement lancé voici plusieurs années par Adoma, le principal gestionnaire des foyers de travailleurs migrants ? Avez-vous conclu des partenariats avec cet organisme, de façon à pouvoir intervenir là où se concentrent les migrants, et surtout les primo-arrivants ? Connaissez-vous la proportion de primo-arrivants dans ces foyers de travailleurs ? Plus généralement, comment se loge un migrant qui arrive en France ?

M. Yannick Imbert. Je ne l’ai pas précisé tant cela semble aller de soi, mais les exigences en matière de logement constituent, avec les conditions de ressources, un obstacle majeur au regroupement familial. Sachant le peu de mètres carrés dont disposent la plupart des immigrés âgés, il n’est même pas besoin d’une enquête logement pour savoir s’ils sont en mesure d’accueillir les membres de leur famille. Et pour accéder à un logement plus vaste, il faut un niveau de ressources dont ils ne peuvent généralement pas se prévaloir.

Je ne dispose pas d’éléments statistiques sur la répartition entre les immigrés logés dans des foyers institutionnels et ceux qui logent en habitat diffus. La connaissance de ces derniers est rendue particulièrement difficile, notamment dans les villes du sud de la France, par la paupérisation de certains quartiers dont on sait pourtant qu’elle frappe plus particulièrement les populations immigrées, et parmi elles, les personnes âgées.

La façon dont se logent les immigrés dépend beaucoup de leur nationalité. Ce qui est certain, c’est qu’ils savent parfaitement où ils veulent s’installer. Le choix du lieu ne doit rien au hasard, puisque, grâce à des liens de type communautaire – au mieux – ou mafieux – au pire –, ils savent où aller, comment s’y rendre et qui contacter.

Les demandeurs d’asile représentent un cas spécifique dans la mesure où ils ont le droit d’être mis à l’abri par l’État français au sein des centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Ceux qui ne peuvent pas y être logés perçoivent l’aide temporaire à l’asile (ATA). Nos relations avec Adoma sont précisément liées, pour l’essentiel, à l’accueil des demandeurs d’asile, puisque cet organisme est gestionnaire d’un certain nombre de CADA. Adoma est d’ailleurs sur le point de répondre à l’appel à projets lancé par le Gouvernement pour la construction de 4 000 places supplémentaires en CADA d’ici la fin de la mandature. Cet opérateur dispose de 20 000 logements potentiellement disponibles en France et a engagé un programme de rénovation à hauteur de 1,3 milliard d’euros. Son potentiel est donc loin d’être négligeable.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, monsieur le directeur général.

Audition, sur le thème de la santé des migrants âgés, de M. Bernard Montagnon, conseiller santé du Secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII) au ministère de l’intérieur, de M. Arnaud Veïsse, directeur général, de M. Didier Maille, responsable du service social et juridique du Comité médical pour les exilés (COMEDE), de Mme Bénédicte Gaudillière, membre de l’association « La Case de santé », de Mme Fabienne Diebold, coordinatrice du réseau de santé INTERMED, de Mme Catherine Delcroix-Howell, responsable du développement social d’Adoma Rhône-Alpes, et de Mme Brigitte Deroo, directrice du Centre de santé Roger-Charles-Vaillant de la commune de Grande-Synthe

(extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Monsieur le docteur Bernard Montagnon, vous êtes le conseiller santé du secrétaire général à l’immigration et à l’intégration au ministère de l’intérieur, que nous avons d’ailleurs déjà reçu. Auparavant, vous avez été notamment conseiller médical auprès du directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de la région Centre. Vous pourrez donc présenter à la mission un éclairage général sur la prise en compte des enjeux de santé des immigrés âgés par les politiques publiques, qu’elles relèvent des politiques d’intégration ou de santé publique.

Monsieur le docteur Arnaud Veïsse et monsieur Didier Maille, vous représentez le Comité médical pour les exilés (COMEDE), association créée en 1979 pour promouvoir la santé des migrants et qui alerte à ce titre les pouvoirs publics sur le plan national. Le COMEDE gère un centre de santé à l’hôpital de Bicêtre et a créé, en partenariat avec la CIMADE, un espace santé-droit à Aubervilliers qui fournit une assistance juridique pour l’accès aux soins.

Mesdames Catherine Delcroix-Howell et Fabienne Diebold, votre contribution permettra à la mission de connaître les actions du réseau de santé INTERMED, lequel intervient en Rhône-Alpes auprès des résidents des foyers de travailleurs migrants gérés notamment par Adoma. La mission a récemment visité un foyer Adoma en région parisienne ; vos propositions pour améliorer l’accès aux soins des résidents nous seront particulièrement utiles – j’ajoute que, grâce à notre collègue Hélène Geoffroy, nous nous rendrons bientôt dans votre région.

Mme Brigitte Deroo, vous êtes la directrice du Centre de santé Roger-Charles-Vaillant de la commune de Grande-Synthe, dans le Nord, qui s’adresse à l’ensemble des habitants d’un bassin de vie comptant un grand nombre de familles immigrées, dont de nombreux retraités de l’industrie. Vous pourrez nous décrire vos interventions en matière d’éducation en santé sociale, d’actions de prévention et d’aide au bien-être, lesquelles ne passent pas toujours par une consultation médicale.

Enfin, madame le docteur Bénédicte Gaudillière, vous représentez l’association « La Case de santé » qui, depuis 2006, soutient les populations immigrées du quartier toulousain Arnaud-Bernard et des environs, dont une grande partie connaît une forte précarité. Vos actions conjuguent prévention sociale par l’accompagnement et prévention primaire par les soins infirmiers. Vous avez eu notamment l’occasion de souligner que l’aide aux personnes les plus précaires a indéniablement des effets sur leur état de santé.

M. Bernard Montagnon, conseiller santé du secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII) au ministère de l’intérieur. Je vais m’intéresser plus particulièrement aux 347 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans originaires de pays tiers à l’Union européenne qui sont concernées par les politiques publiques de santé et pour lesquelles nous bénéficions de données via un certain nombre d’enquêtes.

Seulement 10 % d’entre elles, les plus « emblématiques », habitent dans des foyers de travailleurs migrants quand 90 % vivent dans l’habitat diffus et sont donc moins bien connues.

Hors le travail mené par les associations, dont il vous sera fait part, nous bénéficions plus globalement de deux sources principales afin de connaître, quoique d’une manière non détaillée, leur état de santé : l’enquête « handicap- santé » de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ; l’enquête « santé et protection sociale » de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES).

Il ressort que l’état de santé de ces personnes a changé. Alors que, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, elles étaient plutôt en meilleure santé que la population native et que leur espérance de vie était supérieure, depuis les années 2000, leur espérance de vie est moindre par rapport à la population native et le ressenti quant à leur état de santé est également moins bon que celui de cette dernière. Cela s’explique en partie par la féminisation de cette population, en raison du regroupement familial – lequel a progressivement remplacé l’immigration de travail. J’ajoute que ces données sont ajustées en fonction des considérations socio-économiques.

L’accès à la prévention est également moindre. Les enquêtes montrent, par exemple, que ce public est sous-représenté dans le dépistage des cancers, ce qui, plus globalement, concerne l’ensemble des personnes en situation précaire.

L’état de santé des migrants âgés s’explique par le changement que je viens d’évoquer mais, aussi, par la diversification des pays d’origine ainsi que par la nature de la couverture sociale. Si 78 % des personnes immigrées sont au régime général, elles sont environ quatre fois plus représentées parmi les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) et cinq fois plus s’agissant de la CMU complémentaire (CMU-C). Il convient cependant de faire preuve de prudence puisqu’en recoupant les effectifs des personnes bénéficiant de la CMU-C et le nombre d’immigrés des pays tiers, on obtient des chiffres très faibles, et il est compliqué d’en tirer des conclusions tangibles. Quoi qu’il en soit, la surreprésentation en CMU constitue probablement un frein à l’accès aux soins puisque ces personnes doivent s’acquitter d’un reste à charge.

Nous ne disposons pas de données chiffrées quant à l’accès à la complémentaire santé de ce public-là.

La règle est que les immigrés ont accès au droit commun des prestations de l’assurance maladie, mais il est notable qu’ils consomment moins de soins que la population native. Vraisemblablement disposerons-nous de données plus précises en la matière, notamment en ce qui concerne les affections de longue durée, puisque l’enquête « handicap-santé » prévoit un couplage avec le fichier de liquidation de l’assurance maladie.

S’agissant des politiques menées, je souhaite aborder plus particulièrement les PRIPI.

Le décret de 1990 et l’article L. 117-2 du code de l’action sociale et des familles n’évoquent pas explicitement la question de la santé mais font plutôt état de l’accueil, de l’action éducative, de la formation, de l’emploi, du logement, de l’insertion sociale, de la lutte contre les discriminations. La santé n’est mentionnée qu’à partir de la circulaire de 2003 avec, notamment, l’ouverture et l’interruption des droits. C’est également dans cette même circulaire que la question des immigrés âgés, qui n’étaient pas toujours repérés auparavant au sein des PRIPI, est abordée. La circulaire de 2010 précise quant à elle les intentions des pouvoirs publics en définissant ces personnes comme une population spécifique dont il convient de résoudre les problèmes d’accès aux droits repérés. Un aspect particulier est également dédié aux foyers de travailleurs migrants ainsi qu’à la question de l’accès aux soins.

La première vague de PRIPI a fait l’objet d’une évaluation par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) en 2008.

Sur vingt et un PRIPI, le champ de la santé n’est couvert que dans la moitié des régions, le public immigré âgé étant pris en compte, mais pas nécessairement sous cet angle-là. Les comités départementaux des retraités et des personnes âgées (CODERPA) ont fait le même constat la même année quant aux questions de dépendance et de perte d’autonomie mais je n’insisterai pas sur ce point-là puisqu’il ne relève pas absolument du domaine de la santé. Selon les CODERPA, il n’est pas possible de connaître les bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) parmi les personnes immigrées vieillissantes. De la même manière, les schémas gérontologiques abordent peu ce public spécifique.

Dans la génération des PRIPI 2010-2012, la moitié des régions aborde la question de la santé et du vieillissement. Si l’on cumule ces deux aspects, nous pouvons considérer que les trois quarts des régions ont abordé ce problème.

Ces personnes souffrent des maladies communes à l’ensemble des personnes âgées : diabète, rhumatismes, hypertension artérielle, maladies infectieuses. Les PRIPI insistent également beaucoup sur les problèmes de santé mentale, notamment les dépressions en relation avec l’isolement et le phénomène migratoire, donc, la perte des attaches.

Parmi les actions proposées ou mises en œuvre en leur sein figurent l’information des usagers, la formation et la mise en réseaux des acteurs, la promotion et le renforcement de l’interprétariat – ce qui doit sans doute être corrélé à la féminisation de l’immigration, les épouses étant souvent restées à l’écart et souffrant d’une moins bonne maîtrise de la langue, ce qui constitue un frein pour accéder aux professionnels de santé.

L’inscription de la population formée par les immigrés âgés dans les différents programmes et schémas des agences régionales de santé serait sans doute envisageable.

En 2010, un important bouleversement s’est produit qui a entraîné une forme de scission administrative entre les domaines sanitaire et social. Il est frappant de constater que très peu de médecins de l’administration interviennent au sein des PRIPI. Autant il était facile, lorsque les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) existaient, de faire travailler ensemble le médecin proche de l’assistante sociale et de l’inspecteur sur un programme général social-santé, autant la disjonction des institutions ne facilite plus une telle démarche. En tout cas, telle était la situation en 2010 mais peut-être s’est-elle améliorée entre-temps.

Les outils dont il est question à l’article L. 1434-2 du code de la santé publique
– programmes régionaux de santé et déclinaisons en schémas d’organisation médico-sociale, sanitaire, programmes ou contrats locaux de santé – pourraient être utilisés en faveur des personnes immigrées âgées.

Enfin, une meilleure connaissance du public grâce à des outils statistiques idoines serait utile même si, hélas, ce repérage pourrait être très vite interprété comme une stigmatisation alors qu’il s’agirait simplement de mieux connaître les besoins de cette population. De surcroît, les fichiers de liquidation de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), par exemple, ne comportent aucune donnée permettant de définir l’origine d’une personne.

M. Arnaud Veïsse, directeur général du Comité médical pour les exilés (COMEDE). Je vous remercie de nous donner l’occasion de partager avec vous l’expérience du COMEDE.

Le Comité travaille dans le domaine de la prévention, des soins et de l’accompagnement des migrants. Il dispose d’un « centre ressources » sur la santé des migrants menant des actions de recherche, d’information et de formation sur la santé et l’accès aux soins. En 2012, 6 500 personnes ont été directement soutenues par le COMEDE dont 600 âgées de soixante ans et plus.

Concernant la santé des migrants, certains points sont connus.

Plusieurs travaux décrivent ainsi la situation sociale, la vulnérabilité et le rapport des migrants âgés à la santé. Les chiffres corroborent les propos qui ont été tenus lors d’autres auditions : addition de nombre de facteurs de vulnérabilité, précarité du logement, isolement social et relationnel – personne n’étant là, disent-ils, pour « partager leurs émotions » - précarité financière. Certaines enquêtes qualitatives font également état des obstacles linguistiques qui, pour ne pas être chiffrés, sont souvent cités, ce qui contribue à expliquer le non-recours ou les difficultés d’accès aux soins ou aux programmes de prévention. La situation, dans chacun de ces cas de figure, est encore pire pour les femmes que pour les hommes.

D’autres travaux font état de la mauvaise santé ressentie, d’une dépendance plus précoce, des accidents du travail et de la souffrance psychique. Précisément, en matière d’épidémiologie, la santé mentale est encore plus difficile à caractériser que d’autres pathologies mais certains chiffres n’en demeurent pas moins impressionnants. Les bilans de santé pratiqués par l’Institut régional information prévention sénescence (IRIPS) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour les migrants âgés indiquent que 80 % d’entre eux souffrent psychiquement.

Une série d’informations dont nous disposons corrobore l’idée d’une difficulté d’accès à la prévention et aux soins ainsi que de renoncements fréquents à ces derniers en raison d’obstacles linguistiques et financiers. La moitié des personnes qui appelle les permanences téléphoniques du COMEDE est dépourvue d’une protection maladie en raison des difficultés à l’obtenir.

J’ajoute que cette population a préférentiellement recours au médecin généraliste et à l’hôpital public.

Enfin, les immigrés ne consomment pas plus de soins que l’ensemble de la population.

Certains points sont en revanche moins connus.

Très peu de données épidémiologiques permettent de corréler les problèmes de santé liés aux principales pathologies avec la nationalité ou le pays d’origine alors qu’un certain nombre d’acteurs confondent les statistiques ethniques – ce n’est en l’occurrence pas de cela qu’il s’agit – et des données d’état civil permettant, comme cela fut le cas dans la caractérisation du VIH ou de la tuberculose, de montrer que des actions de prévention prioritaires doivent être développées auprès de certains publics. Un tel travail étant beaucoup plus difficile à mettre en œuvre pour les autres pathologies, nous avons besoin d’affiner les recherches afin de mieux caractériser les principaux problèmes de santé de ce public. J’ajoute que, lorsque de telles données existent, nous n’avons pas toujours la possibilité de les croiser avec celles concernant les personnes de plus de cinquante-cinq, soixante ou soixante-cinq ans tant nous disposons d’encore moins d’informations.

Les signaux d’alerte n’en sont pas moins réels. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a ainsi montré qu’à Paris, la surmortalité des étrangers entre soixante et soixante-dix ans, en particulier des femmes d’origine subsaharienne ainsi que des hommes originaires d’Afrique du Nord, est patente. Concernant l’hépatite B ou le VIH, des données non publiées de l’Institut de veille sanitaire montrent qu’au-delà de soixante ans, les retards de diagnostic sont beaucoup plus fréquents et que les maladies sont donc dépistées à un stade beaucoup plus avancé qu’en deçà de cet âge.

Les pathologies principales, quant à elles, sont d’abord constituées par les maladies chroniques, en particulier chez des personnes exclues des soins pendant longtemps mais, aussi, les cancers, lesquels n’ont pas été dépistés en temps et en heure.

Enfin, deux zones d’ombre demeurent.

La population originaire d’Afrique du Nord représente certes 72 % des ressortissants des pays tiers âgés de soixante ans mais nous disposons d’encore moins d’informations sur les 28 % qui viennent d’Afrique subsaharienne, d’Europe de l’Est ou d’Asie. Il serait donc important de mieux caractériser leurs problèmes de santé et d’accès aux soins. Les facteurs de vulnérabilité sont probablement identiques mais sans doute sont-ils encore plus intenses s’agissant, par exemple, de l’obstacle linguistique ou de la précarité.

De plus, il est très difficile de caractériser les facteurs de vulnérabilité généraux et spécifiques – je songe à l’accès aux droits sociaux – des personnes qui sont en séjour précaire, qui ont fait des allers-retours avec leur pays d’origine et qui sont alternativement exclues des soins et régularisées.

Je précise que le ministère de la santé ne propose aucun programme dédié en tant que tel à la santé des migrants âgés. Tant qu’il en sera ainsi, il sera encore plus difficile de caractériser la situation de ceux qui, parmi eux, ont plus de soixante ans. Les ARS et le ministère de la santé doivent considérer qu’il s’agit là d’une mission prioritaire, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui.

M. Didier Maille, responsable du service social et juridique du COMEDE. Mon intervention portera sur le droit de la santé et, plus particulièrement, sur la carte de séjour portant la mention « retraité » et la question du « double transfert » de ces vieux migrants qui, après avoir travaillé en France et être retournés dans leur pays d’origine, reviennent en France.

Pour les titulaires de la carte de séjour portant la mention « retraité », il est très difficile de se soigner en France, comme l’attestent les appels de familles françaises dont les parents âgés ne peuvent pas accéder aux soins. Sur un plan juridique, la situation est assez kafkaïenne mais il existe des moyens techniques assez simples permettant de l’améliorer. Je rappelle qu’il est question de retraités percevant une retraite contributive de droit français, qui ont par exemple quitté la France sous le statut que confère cette carte et qui, de retour en France avec un titre de séjour, se retrouvent face à une situation « juridiquement bloquée ».

Bien entendu se pose alors la question de l’accès à l’assurance maladie à laquelle ces personnes sont éligibles. Or, tout est verrouillé par l’article D. 115-1 du code de la sécurité sociale qui énumère la liste des titres de séjour donnant accès à l’assurance maladie et où n’est pas mentionnée la carte de séjour « retraité ». L’article D. 161-15 du même code interdit quant à lui au titulaire de la carte de séjour portant la mention « retraité » d’être ayant droit d’une personne bénéficiant de l’assurance maladie. Il n’est pas non plus possible de bénéficier de de la CMU de base puisque l’adresse figurant sur la carte de séjour est celle du pays d’origine. Ces personnes se retrouvent donc dans la situation de nouveaux entrants alors qu’elles ont un lien fort avec la collectivité puisqu’elles ont accompli toute leur carrière en France et que, je le répète, elles perçoivent une retraite de droit français.

Le COMEDE a produit un certain nombre de travaux concernant les difficultés rencontrées par les nouveaux entrants.

Le double système assurance maladie/aide médicale de l’État (AME), en l’occurrence, est absolument néfaste. Que doit faire la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) lorsque le père d’un citoyen français est de retour depuis un an sur le territoire national et que lui sont ouverts les droits à l’assurance maladie, éventuellement au titre de la CMU de base s’il a bénéficié du soutien juridique nécessaire, dès lors que les séjours réguliers sous carte « retraité » sont supposés durer au maximum une année, la résidence ayant été transférée à l’étranger ? Au bout d’un an, la caisse se retrouve avec une personne qui est en séjour irrégulier, qui doit donc être prise en charge par l’AME. Je vous passe les détails bien connus de tous ceux qui travaillent sur la situation des étrangers précaires.

Nous avons écouté attentivement le directeur de la sécurité sociale, M. Thomas Fatome. Il travaille beaucoup à cette importante question qu’est l’accès aux droits, comme en attestent les travaux de la mission, mais je vous alerte sur ce paradoxe que constitue le désengagement des caisses primaires et régionales. Dans les départements d’outre-mer, par exemple, nous constatons la fin du front office et de l’accueil du public, le COMEDE devant constituer les dossiers et les envoyer par voie postale. En outre, et cela est très alarmant, les caisses mettent en place des « filières VIP » : si le COMEDE constitue le dossier, il faut six jours pour le traiter à Paris – tel est le chiffre qui a été communiqué le 6 juillet 2012 – mais si c’est un citoyen lambda, cinquante-trois jours sont, en moyenne, nécessaires. Si le discours sur l’accès aux droits est très fort, les pratiques, elles, sont catastrophiques.

Je me permets, pour conclure, de formuler quelques recommandations.

Il convient, tout d’abord, de sécuriser le droit au séjour des migrants âgés.

S’agissant de l’organisation des droits, nous insistons lourdement sur le double système AME/assurance maladie. Nous comprenons ce fort enjeu politique qu’est le maintien de 200 000 personnes dans le système de l’AME mais cela constitue une gabegie en termes financier et d’organisation.

Il doit être assez simple, techniquement, de faire en sorte que la carte de séjour « retraité » permette d’être ayant droit puisque les personnes concernées résident en France et sont en situation légale.

Enfin, il faut progresser sur la question du financement de l’interprétariat car c’est grâce à ce dernier qu’il est possible, dans un premier temps, d’apprendre le français. Pourquoi ne pas envisager son financement par l’assurance maladie ou la protection sociale ?

M. le président Denis Jacquat. Je vous invite, le cas échéant, à nous remettre les documents dont vous disposeriez.

Mme Catherine Delcroix-Howell, responsable du développement social d’Adoma Rhône-Alpes du réseau de santé INTERMED. Je vous remercie de votre invitation.

INTERMED est une association loi de 1901 créée à l’initiative d’Adoma Rhône-Alpes afin de tenter de répondre aux problématiques de santé qui devenaient de plus en plus prégnantes dans les foyers et résidences sociales Adoma. Ce dispositif cible les adhérents les plus vulnérables, les plus isolés et je dirais même les plus « reclus » dans leur logement. Il vise l’ensemble de ces publics et, notamment, nos anciens travailleurs migrants.

Ces personnes ne se situent pas dans le registre de la demande. Elles ont été « perdues de vue », formule qui avait été reprise en conclusion d’une étude épidémiologique menée par le conseil général du Rhône en 2005, qui considérait également qu’il y avait urgence à mettre en place des dispositifs de « médiation santé » fondés sur un « aller vers » puisque, précisément, ces personnes ne demandent rien et ne disposent pas d’un accès « autonome » aux soins.

Cette étude avait également relevé la précocité du vieillissement des anciens migrants, lequel devait être selon elle considéré dès l’âge de cinquante-six ans, de même que la prévalence de la dépendance par rapport à l’ensemble de la population française.

La SONACOTRA a expérimenté des dispositifs de médiation santé depuis 2003 en Savoie et dans le Rhône (à Villeurbanne) mais, outre que les financements sont toujours extrêmement précaires, il faut à chaque fois en trouver d’autres dès que l’expérience est probante. C’est pour sortir d’une telle logique que nous avons tenté l’aventure « réseau de santé » en promouvant des programmes aussi pérennes que possible. La caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) nous a donné un grand coup de pouce grâce à un financement à hauteur de 50 %, ce qui nous a permis de travailler à une autre échelle car nous ne pouvions plus nous contenter d’œuvrer sur de petits dispositifs s’adressant à quelques foyers de Villeurbanne ou de Savoie. Nous devions nous attaquer aux problèmes qui se posent à l’échelle des besoins tels que nous les connaissons dans tous les foyers et toutes les résidences sociales. Ce réseau de santé a alors été labellisé en 2009 par l’union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM) et l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH).

Par parenthèse, je signale que l’ARS a décidé qu’INTERMED ne serait plus « réseau de santé » mais, heureusement, d’autres financements permettent de pérenniser notre action. Avec 85 % des foyers et résidences sociales impactés en Rhône-Alpes, nous disposons aujourd’hui d’une couverture quasi régionale et nous atteignons 88 % des résidents« Adoma ».

Compte tenu des expériences passées, ce sont des infirmiers et, depuis peu, un psychologue qui travaillent dans le cadre de ces dispositifs de médiation santé. En tout, cela représente environ quatorze équivalents temps plein déployés sur l’ensemble de la région. Pour 2012, le nombre de bénéficiaires s’élève à près de 1 150, soit 13 % des résidents concernés, ce qui est considérable puisque INTERMED, je le rappelle, ne cible que les personnes les plus vulnérables et les plus isolées afin de les « apprivoiser » et de tenter auprès d’elles une démarche d’accès aux droits et aux soins. Au 31 décembre 2012, 40 % des bénéficiaires d’INTERMED étaient des anciens travailleurs migrants, surreprésentés par rapport à leur nombre parmi les résidents Adoma.

Mme Fabienne Diebold, coordinatrice du réseau de santé INTERMED. Notre philosophie consiste à considérer ce qu’il est possible de faire tout en prenant en compte et en analysant les différents blocages existant.

Le soin relationnel est une démarche active d’« aller vers » les personnes, sur leur lieu de vie, à domicile ou au plus près de ce dernier, quel que soit celui qui est proposé par Adoma. Nous nous rendons dans les plus petites chambres, dans les cuisines collectives, le jardin, les couloirs s’il le faut, partout où nous sommes susceptibles de rencontrer ces personnes en situation de vulnérabilité, d’isolement et qui connaissent un syndrome d’auto-exclusion leur interdisant, pour la plupart, de se rendre spontanément vers les services de droit commun.

Nous promouvons une approche globale et médico-sociale des situations ainsi qu’un accompagnement de proximité s’inscrivant le plus souvent dans la durée, notamment pour les migrants âgés, et intégrant la question des allers-retours mais, aussi, de la fin de vie.

Ce travail est évidemment effectué en réseau afin de favoriser l’articulation et la coordination avec les différentes interventions ainsi que leur continuité. Nous travaillons à la mise en place d’aides et de soins à domicile dans le cadre de tout dispositif existant dans un quartier ou une commune.

Nous proposons des actions de prévention et de dépistage ainsi qu’une veille attentive visant à ce que les différents dispositifs se relaient efficacement. En effet, ce n’est pas parce qu’une méthode de travail et un plan d’aide ont été mis en place que la vie devient un long fleuve tranquille, bien au contraire. Il est donc très important de pouvoir suivre les personnes en grande vulnérabilité sans interruption, régulièrement.

Nous contribuons et nous avons recours aux diverses instances locales de travail inter-partenarial. Ainsi, nous sommes membres de la majorité des CODERPA en Rhône-Alpes, nous avons participé à des groupes de travail dans le cadre de schémas gérontologiques, nous participons aux centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC), au conseil local de santé mentale et à toutes les instances de réflexion sur les questions liées à la vieillesse, à la vieillesse des migrants, ainsi qu’à la santé mentale et psychique.

Parmi les problèmes repérés, 45 % relèvent de l’aspect somatique : pathologies très lourdes, poly-pathologies relevant d’accidents du travail plus ou moins bien pris en charge, problématiques ophtalmologiques, cancers souvent très avancés – nous avons l’habitude de dire que nous commençons les soins par les complications –, maladies cardio-vasculaires, diabète, maladies neurologiques dégénératives, souffrances psychiques et syndromes dépressifs liés à un parcours migratoire complexe et, assez souvent, à des ruptures de liens.

18 % des problèmes concernent les addictions et, en particulier, l’alcoolo-dépendance.

Nous sommes également confrontés, quoique dans une moindre mesure, à des personnes souffrant de handicaps.

Le temps est notre outil de travail car lui seul permet d’établir une relation de confiance, prérequis indispensable à toute approche et à toute acception d’un plan d’aide de la part de ce public.

Nous proposons aussi un accompagnement à l’accès aux droits et aux démarches administratives car sans droits, il n’y a pas de soins.

Malgré les réticences initiales, nous parvenons à mettre en œuvre des plans d’aide, y compris au sein des foyers, quel que soit le type d’habitat contraint, y compris pour des personnes qui font des allers-retours : APA, plans d’aide personnalisée (PAP), etc.

Des professionnels de droit commun interviennent plus facilement depuis que nos équipes constituent un interlocuteur légitime et professionnel, avec des garanties éthiques et de confidentialité. Ainsi, grâce à INTERMED, nous sommes parvenus à opérer des rapprochements avec l’ensemble des dispositifs de soins de ville.

Enfin, nous observons un moindre recours aux hospitalisations récurrentes et aux services d’urgence grâce à un accès aux soins coordonné.

Mme Brigitte Deroo, directrice du Centre de santé Roger-Charles-Vaillant de la commune de Grande-Synthe. Je vous remercie de m’avoir invitée à présenter une action différente puisque nous travaillons spécifiquement avec un public qui vit dans l’habitat diffus, a priori le plus difficile à sensibiliser aux questions de santé.

Grande-Synthe compte 20 901 habitants. C’est une ville que l’on disait jeune en raison de la population qui est venue y travailler lors de l’installation des usines de métallurgie et, plus particulièrement, d’Usinor. Aujourd’hui, ces personnes ont évidemment vieilli et sont restées sur place. Très longtemps, elles ont été invisibles en s’auto-excluant du droit commun et en ne participant guère à la vie de la cité.

Grande-Synthe a mis en place un centre de santé et une association de type loi de 1901 financée à 60 % environ par la ville avec un souci prégnant de « santé communautaire ». Tous les services de prévention y sont présents : protection maternelle et infantile (PMI), santé scolaire, médecine du travail, etc. Les habitants connaissent cette pluridisciplinarité, étrangère à toute distinction stigmatisante : médecine de pauvres – je pèse mes mots –, médecine parallèle, médecine gratuite… L’accès à cette structure est également très simplifié.

Nous avons mis en place ce projet d’accompagnement des personnes immigrées depuis longtemps car, cela a été dit, ce public très fragile a besoin de temps, de proximité et de confiance, les politiques contractuelles à court terme, en revanche, soulevant bien des difficultés dès lors qu’il est sans arrêt nécessaire de remettre l’ouvrage sur le métier.

À l’origine, après la perte de milliers d’emplois dans l’industrie, la ville s’est posée la question du devenir d’anciens travailleurs vieillissants devenus allocataires du revenu minimum d’insertion (RMI) : quel avenir et quelle retraite ? Nous nous sommes rendus compte que nombre d’entre eux étaient immigrés. La première année, nous avons travaillé avec de nombreux messieurs puisque c’est le chef de famille qui, alors, était porteur du dossier RMI. Nous leur avons donné la parole afin de connaître leurs attentes quant à la retraite et au droit commun de la culture, dont l’axe santé. Ces personnes ont déclaré qu’elles pouvaient penser à elles après le départ de leurs enfants, qu’elles souhaitaient quitter des logements jugés désormais trop vastes, qu’elles voulaient faire du sport et connaître leur état de santé.

Nous avons donc mis en place le programme santé. Après un an d’accompagnement, les hommes nous ont demandé d’agir en faveur de leurs épouses. Les mille immigrés de Grande-Synthe âgés de plus de cinquante-cinq ans ont alors intégré ce programme et nous travaillons aujourd’hui avec des hommes et des femmes, pour la plupart d’origine marocaine et berbère.

Leurs demandes d’information nous surprennent beaucoup. Nous sommes souvent confrontés à des caricatures ou à des clichés dont sont victimes de nombreux professionnels selon lesquels ces personnes n’auraient ni attentes ni besoins, se ficheraient de leur silhouette et de leur poids, etc. Or, c’est faux. Elles se sont simplement exclues du droit commun, considérant que ce n’était pas pour elles.

Les médecins traitants nous accompagnent puisque la participation au programme
– sport, marche, sorties etc. – implique la délivrance d’un certificat médical. L’infantilisation est moindre, les demandes sont positives. La CPAM est également très proche de nous car, grâce à l’accompagnement collectif, les dépistages – mammographie, détection du cancer du côlon – font moins peur et la participation est assez impressionnante. Nous partons du principe que les personnes ont le choix d’y participer ou non. Ce n’est pas parce que nous travaillons sur un plan collectif que nous les emmenons systématiquement réaliser un bilan de santé ou un dépistage.

Cette meilleure relation avec le médecin traitant entraîne une meilleure prise en charge de la personne par elle-même.

Sans la conjonction du temps, du lieu et des participants au projet, il est impossible d’agir. C’est pourquoi, d’ailleurs, il est toujours difficile de reproduire ceux d’entre eux qui se déroulent dans des micro-territoires.

La volonté politique est également importante afin de pérenniser le programme, en particulier dans une période de restriction budgétaire où il est difficile de trouver des financements. Sans elle, sans une volonté de reconnaissance et de non-stigmatisation, il n’aurait pas pu avoir lieu.

J’ajoute que ce projet a permis de « rafraîchir » l’image que les soignants se font de ce public. Ils se sont rapprochés de lui en ayant beaucoup moins d’a priori et de blocages.

Enfin, le centre de santé peut servir d’interface afin d’améliorer les relations entre les dispositifs de droit commun, les dépistages organisés et l’accès aux soins et aux droits. Une telle structure joue le rôle de passerelle avec la population visée.

Mme Bénédicte Gaudillière, membre de l’association « La Case de santé ». « La Case de santé » est un centre qui se situe dans le quartier Arnaud-Bernard, l’un des derniers quartiers populaires de Toulouse, lieu de vie historique, de rencontres et de passages pour les vieux migrants. Un café social a été mis en place, El Zamen, « Le temps », celui qui passe et celui que professionnels et usagers passent ensemble. C’est un lieu de reconnaissance mutuelle dans lequel la pluridisciplinarité des intervenants permet de faire émerger certaines considérations.

S’agissant des soins primaires ambulatoires, la question de l’interprétariat nous semble très importante. Le premier recours étant la médecine générale, il importe d’en faciliter l’accès. Pourquoi ne pas envisager un mode de financement par l’assurance maladie, au moins pour les plus démunis, ou bien un forfait comme c’est le cas pour les soins palliatifs ? L’interprétariat pourrait également être utile dans le cadre de l’éducation thérapeutique afin notamment que ces personnes puissent utiliser des lecteurs de glycémie ou manipuler certains médicaments.

Tout cela demande du temps, comme cela a été dit et comme je serai sans doute amenée à le répéter moi-même.

Il nous semble aussi important de rendre visible l’invisible.

Je songe à la question des femmes âgées, qui sont souvent les oubliées des programmes d’intervention. Ainsi les personnes dont le score de précarité EPICES est supérieur à 30 ont-elles moins recours aux soins, en particulier sur le plan gynécologique. Les femmes âgées sont d’autant plus éloignées des soins que la barrière de la langue demeure importante, de même que la barrière que s’imposent certains soignants en matière de gynécologie.

En outre, comme il est parfois plus difficile pour les femmes d’intervenir dans les lieux de partage et de rencontre, peut-être faudrait-il envisager la configuration d’endroits non mixtes.

Je songe, également, à la question de la santé mentale pour laquelle il importe d’adapter les outils existant comme ceux permettant aux personnes francophones de mesurer la démence. Leur usage nécessite de surcroît une formation primaire de base dont les migrants ne disposent pas toujours.

Des lieux conviviaux comme « El Zamen » ou d’autres endroits auxquels il vient d’être fait référence à Grande-Synthe permettent de faire émerger collectivement des points qui sont parfois difficiles à exprimer, notamment en ce qui concerne les discriminations. Les migrants rappellent ainsi qu’ils ont été assignés à une place tout au long de leur vie et que leur trajectoire a souvent été douloureuse.

De tels espaces sont aussi propices à l’émergence d’un questionnement sur la mort, lequel est un facteur d’anxiété : lorsque ces personnes vivent en habitat diffus, ce qui est le cas de nombreux migrants âgés, elles craignent de mourir seules ; à cela s’ajoute la peur de mourir en exil avec tous les problèmes liés au rapatriement des corps.

Il est urgent de clarifier la façon dont la gestion de la fin de vie de ces migrants âgés pourrait être effectuée.

Le maintien à domicile est difficile pour les personnes âgées dépendantes en général et encore plus pour les migrants en raison de leur isolement, de la barrière de la langue, de la non prise en compte de certains régimes sociaux, etc.

Les soignants, quant à eux, doivent pouvoir bénéficier d’une formation initiale et continue, la première étant notamment dispensée à Toulouse dans le département universitaire de médecine générale à travers le module « patient migrant accompagné s’exprimant mal en français ».

Plus généralement, les formations à la prise en charge des migrants, notamment âgés, doivent être pérennisées : comment gérer le diabète pendant la période du ramadan, les allers-retours entre le pays d’origine et la France, etc. ?

S’agissant du niveau secondaire, les orientations en gériatrie qui ont été définies en 2012 au centre de santé ont toutes échoué, les différentes approches étant globalement mal adaptées. Les soignants en gérontologie qui reçoivent ces personnes sont souvent confrontés à ce qu’ils appellent la « barrière de la langue », laquelle limite bien des possibilités de soins à l’hôpital, certes, mais aussi et surtout lorsque les patients en sortent.

J’ajoute que ces personnes semblent essuyer plus de refus que l’ensemble de la population lorsqu’elles souhaitent intégrer des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Sur le plan de l’environnement, la question des maladies professionnelles a été un peu évoquée. Le dépistage est probablement très difficile à réaliser en raison de la complexité du parcours professionnel des migrants âgés, certaines périodes de travail, parfois longues, n’ayant pas fait l’objet de déclaration. Cette population a été pourtant très exposée à l’amiante et à d’autres substances. J’ajoute que les médecins ont le plus grand mal à trouver des référents au sein des caisses de retraite afin de synthétiser leurs parcours.

Les questions de l’habitat et de l’alimentation sont également essentielles. D’une part, je l’ai dit, l’isolement, constitue un facteur d’angoisse dont les conséquences en termes de santé mentale sont très importantes. D’autre part, à « La Case de santé », nous avons dépisté chez des patients dénutris des maladies historiques comme le scorbut.

L’accès aux droits est également problématique en raison de toutes les contraintes qui pèsent sur la vie quotidienne de ces personnes et, notamment, l’obligation de respecter une durée de résidence égale à six mois par année civile pour bénéficier de l’ASPA. Cela constitue un facteur d’anxiété très important, voire, de dépression parfois sévère entraînant de fortes consommations de psychotropes.

À mon sens, ces personnes doivent faire l’objet d’une approche spécifique mais au sein du droit commun.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je vous remercie de vos interventions.

Pouvez-vous mesurer les conséquences des conditions de logement sur la santé des migrants âgés et, notamment, sur ceux qui vivent dans des foyers ? Notre mission en a visité certains et elle continuera de le faire mais il est d’ores et déjà manifeste que, les conditions de logement étant ce qu’elles sont, la qualité du sommeil ou du mobilier n’offrent pas des perspectives très satisfaisantes sur le très long terme en particulier. Cela est d’autant plus problématique que l’ensemble de ces populations a été astreint à des conditions de vie identiques, peu dignes et peu confortables, pendant très longtemps.

Cela m’amène à évoquer la question des maladies professionnelles et des affections spécifiques de ces populations liées au type de travail qu’elles ont accompli : les travaux physiques, notamment, ont pu avoir des impacts sur la colonne vertébrale et les membres inférieurs ou supérieurs, les personnes ayant travaillé dans l’industrie ou le bâtiment et les travaux publics pouvant quant à elles souffrir de problèmes respiratoires. Pourriez-vous nous en dire plus à ce propos ? Les programmes de la sécurité sociale permettent-ils de prendre en compte ces spécificités ou existe-t-il des difficultés particulières ?

S’agissant de l’accès aux soins, de nombreux centres d’examens sont coordonnés par la CNAMTS. Dans le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de 2009, la Cour des comptes les avait jugés insuffisamment ciblés sur les populations les plus précaires et avait proposé leur transformation en centres de santé comme ceux dont vous avez parlé. Ces préconisations ont-elles commencé à être mises en œuvre et, si oui, l’ont-elles été de manière satisfaisante ?

La liaison s’opère-t-elle correctement entre les communes, les centres communaux d’action sociale (CCAS), les départements et les différents acteurs locaux dans la conduite des actions de prévention et d’accompagnement ? Les auditions que nous avons réalisées ont montré que les situations étaient très variables en raison de la diversité des territoires, certains d’entre eux menant l’ensemble des politiques nécessaires et coordonnant l’ensemble des acteurs, d’autres étant peut-être en retrait. Comment améliorer cette coordination dès lors que cela ne concerne pas tout le territoire mais, le plus souvent, des lieux spécifiques, marqués par l’histoire industrielle ? Des actions particulières pourraient-elles être envisagées pour inciter les conseils généraux, les collectivités concernées et les administrations à agir en ce sens ?

Enfin, avez-vous constaté une modification de certains comportements alimentaires, certaines personnes âgées étant friandes de sucre et la prévalence du diabète chez les Maghrébins étant patente ? J’ajoute que la question d’une meilleure prise en charge du diabète a été posée lorsque nous avons rencontré les chibanis du foyer Adoma de Gennevilliers.

Mme Hélène Geoffroy. J’ai été intriguée par votre affirmation sur l’état de santé des migrants, lequel aurait été meilleur chez ceux de la génération précédente. J’avoue que je n’avais pas mesuré cet aspect-là de la situation.

Pourriez-vous préciser les disparités de santé existant en fonction du pays d’origine ?

Pourriez-vous également préciser ce qu’il en est de la surreprésentation de ces personnes parmi les bénéficiaires de la CMU par rapport à ceux de la CMU-C ? Les différents types de titres de séjour existant ont-ils une incidence sur cette situation ?

S’agissant de l’accès aux soins, considérez-vous qu’il convient de maintenir des actions spécifiques pour les femmes immigrées âgées ?

Enfin, pourriez-vous préciser votre pensée quant à la question de la mixité dans les lieux d’accueil et de vie ?

M. Philippe Vitel. S’agissant de la consommation de soins, les statistiques montrent que nombre de migrants ne rencontrent jamais de médecin généraliste mais qu’ils sont néanmoins aussi nombreux à être en surconsommation, ce qui aboutit à une surconsommation globale alors que certains n’y ont jamais recours. Ce déséquilibre un peu paradoxal nécessiterait d’affiner les études en fonction du mode et du lieu de résidence. On compte en effet beaucoup d’immigrés âgés en milieu urbain mais ils sont également nombreux en milieu rural.

Parfois, cela a été dit, les femmes immigrées ne sortent pas de leur domicile. Lorsqu’elles sont atteintes de cancers, ils sont souvent découverts au stade quatre, ce qui doit nous interpeller. J’ose donc évoquer l’idée d’une mise en place, pour ces populations fragiles, d’une consultation annuelle obligatoire afin de réaliser un point sur leur état de santé et de limiter le nombre de cas aussi extrêmes.

Le diabète des populations maghrébines étant souvent d’origine génétique, elles constituent comme telles des populations à risque. Cette pathologie s’explique également par une mauvaise nutrition et un excès de consommation de féculents, lesquels sont moins onéreux que les viandes ou les poissons, ce qui favorise le développement d’une obésité. Cette maladie, de surcroît, est économiquement terrible et entraîne l’apparition d’autres pathologies, en particulier oculaires, lesquelles débouchent inexorablement sur la cécité. La prévention et l’éducation à la santé sont donc fondamentales mais ces populations sont difficiles à atteindre en raison d’une méconnaissance de notre langue et d’un impossible accès à l’information.

Depuis que nous avons commencé nos travaux, je me rends compte que nous avons de très nombreux dispositifs et un milieu associatif très riche mais que, parfois, le manque de coordination explique l’accès insuffisant des immigrés âgés aux soins.

M. le président Denis Jacquat. M. Montagnon a précisé que 78 % des migrants sont couverts par le régime général, qu’un certain nombre d’entre eux l’est par la CMU et d’autres par la CMU-C, ces derniers disposant des ressources les plus faibles. Avez-vous des informations plus précises à ce propos ?

Parmi les immigrés âgés figurent ceux qui ont travaillé dans des régions industrielles comme, par exemple, à Grande-Synthe, chez Usinor ou, en Lorraine. En souriant, je dis parfois qu’elles ont droit à des « retraites chapeaux » car la couverture sociale de ces usines était alors extrêmement importante via leur système de mutuelle. En revanche, les salariés qui ont travaillé dans le domaine agricole n’étaient pas tous déclarés, certains étant par ailleurs hébergés et nourris, et l’on a constaté au moment de leur retraite, puisqu’ils ont décidé de rester dans notre pays, les dégâts que cela pouvait causer.

Vous avez évoqué la souffrance psychique et nous savons en effet que l’isolement est en partie responsable de maladies neurodégénératives. Or, il est extrêmement difficile, pour des personnes qui ont vécu très longtemps très isolées, de sortir de leur situation – d’où l’importance du rôle des animateurs et des médiateurs au sein des foyers. Par ailleurs, ces personnes ne parlent pas toujours bien la langue et ne savent pas toujours lire, ce qui rend très difficile leur compréhension du système et des documents de sécurité sociale.

Mme Brigitte Deroo. Il me semble important de se mettre au niveau de la population intéressée. La première des préoccupations n’est pas tant de créer des systèmes ou des organisations que de mieux articuler les dispositifs existant. J’entends souvent parler de « réseaux de partenaires » mais dès lors que l’on travaille avec un public en grande précarité, la tendance est forte de vouloir se l’approprier et de le garder. Nous éprouvons donc des difficultés à faire en sorte que les financements servent des activités et non des personnes, de manière à éviter qu’ils soient liés à un tel mouvement d’appropriation, lequel constitue par exemple, un frein phénoménal pour les allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Au lieu d’aider à l’accompagnement des gens vers le droit commun, la nature des financements favorise leur « rétention ».

Mme Catherine Delcroix-Howell. Vous connaissez les conditions d’habitat dans certains foyers ou résidences sociales avant leur réhabilitation. Leur impact sur la santé n’est pas contestable. Le plan de traitement d’un foyer de travailleurs migrants prend du temps et est complexe, notamment s’agissant du foncier, mais il ne faut pas pour autant abdiquer. Là où il est possible d’aménager des sanitaires plus dignes et plus accessibles, nous essayons de le faire. Là où l’on peut réaliser des aménagements, nous le faisons – je ne parle pas des nouvelles résidences sociales dans lesquelles les logements sont autonomes ; cela ne signifie d’ailleurs pas que nos anciens travailleurs migrants vivent facilement leur entrée dans ce type d’habitat car, parfois, ils se font de plus en plus invisibles, en raison de la disparition des cuisines collectives notamment. Nos anciens migrants représentent aujourd’hui 31 % des résidents des foyers Adoma. Les autres personnes qui vivent dans les foyers connaissent également une grande souffrance psychique ainsi que des problèmes de santé mentale, ce qui rend la cohabitation parfois très anxiogène pour nos anciens. C’est pourquoi nous insistons toujours sur le clivage des financements. INTERMED est donc pour nous très important, comme il est important de continuer à travailler auprès de tous les résidents en grande souffrance et en grande vulnérabilité. Travailler auprès d’une personne en grande précarité et en grande souffrance, d’âge médian et français contribuera à apaiser le lieu de vie et à améliorer les conditions d’existence de tous.

Enfin, la stigmatisation des logements Adoma constitue encore un problème mais il n’est désormais pas rare, grâce à un travail de médiation dans la durée, d’entendre nos infirmiers et les professionnels du soin déclarer se sentir plus « sécurisés » parce qu’ils savent qu’il y aura des soins de suite et qu’un travail au long cours sera engagé. Cela enclenche un cercle vertueux grâce auquel les professionnels de droit commun, médecins, infirmiers, aides à domicile, savent qu’ils pourront bénéficier d’un appui. INTERMED contribue donc à changer le regard qu’ils avaient sur Adoma.

Mme Bénédicte Gaudillière. La reconnaissance de l’existence de maladies professionnelles est déjà difficile pour tous les Français qui savent lire et écrire et qui ont des parcours professionnels « lisibles » ; or, le public dont nous parlons a souvent connu des parcours très morcelés et n’a parfois pas été déclaré, à son insu d’ailleurs. Il faudra bien trouver une solution pour eux.

De plus, lorsque le médecin généraliste ou le médecin du travail identifie des pathologies professionnelles de type respiratoire ou musculo-squelettique, il est extrêmement difficile de trouver des référents au sein des caisses de retraite pour reconstituer les carrières et trouver des preuves d’activité.

Dans le domaine de l’accès aux soins, la promotion des bilans de santé, notamment au sein des centres de santé, me semble une bonne chose parce que l’on y prend souvent le temps nécessaire. Sans doute faudrait-il même réfléchir à la façon de « rémunérer le temps ».

S’agissant de la prévention et de l’accompagnement, l’expérience d’« El Zamen » a montré l’importance des lieux collectifs pour faire émerger certaines demandes ou connaître certaines souffrances parfois difficiles à porter individuellement dans le face-à-face des consultations.

En ce qui concerne les régimes alimentaires, la question des carences a été évoquée
– elles sont souvent liées à la cherté des produits – et j’approuve entièrement les propos de monsieur Vitel sur le diabète.

Les femmes constituent une population encore plus vulnérable en raison de leurs parcours. Sans doute conviendrait-il de travailler sur les représentations des soignants, par exemple pour qu’ils puissent pratiquer un examen gynécologique sur une femme âgée qui, de surcroît, ne parle pas le français.

J’ai en effet évoqué la question de lieux non mixtes où rendre plus faciles les approches entre femmes car il est parfois difficile d’intervenir dans des endroits collectifs ou dans des assemblées d’hommes. Même si « El Zamen » est un lieu de mixité ouvert à tous, les femmes n’y viennent plus. Nous avons donc mis en place d’autres expériences comme la « cantine des femmes » mais sans doute faudrait-il réfléchir à ce problème plus longuement, les femmes ayant tendance à s’exclure elles-mêmes de ces lieux.

À « El Zamen », nous nous sommes rendu compte qu’une action sur l’environnement permet de diminuer la fréquence de certains problèmes, dont ceux de la consommation de psychotropes ou d’alcool.

Je ne crois pas du tout à l’instauration de consultations obligatoires. En revanche, notre expérience à « El Zamen » montre que les gens sont plutôt contents de venir nous voir si nous parvenons à réaliser certains aménagements et à rompre certaines représentations.

Enfin, s’agissant des pathologies oculaires, il faudrait songer à la prise en charge du coût des lunettes.

M. Arnaud Veïsse. L’amélioration de nos connaissances épidémiologiques permet de montrer que, s’il n’existe pas de maladies spécifiques des migrants, ces dernières sont plus ou moins réparties selon les publics, ce qui influe sur les conseils de dépistage ainsi que sur les bilans de santé.

Il est vrai que la prévalence du diabète est plus importante chez les personnes originaires d’Afrique du Nord mais aussi, et c’est moins connu, chez celles qui viennent du sud de l’Asie – d’où, lorsque cela est ignoré, certains retards de dépistage.

La prévalence du VIH est plus importante chez les personnes d’origine subsaharienne ou des Caraïbes, l’épidémie d’hépatite C l’étant chez celles qui viennent d’Europe de l’Est et l’hépatite B chez celles qui viennent d’Afrique de l’Ouest.

Il est nécessaire que l’ensemble des centres d’examens de santé de la sécurité sociale et de droit commun adaptent leurs pratiques dans leurs bilans de santé. Cela a d’ailleurs commencé suite à une recommandation formulée dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) puisqu’une expérimentation pilotée par la direction générale de la santé est en cours dans trois centres d’examens de santé d’Île-de-France s’agissant des visites de prévention pour les bénéficiaires de l’AME.

Cela est d’autant plus important que, indépendamment du problème des migrants, nos systèmes de prévention sont très verticaux. En effet, une radio du poumon montrera, par exemple, qu’un patient n’est pas atteint de tuberculose alors que l’hépatite C dont il souffre ne sera dépistée que dix ans plus tard, lorsqu’il souffrira d’une cirrhose.

Nous avons besoin de lieux adaptés et les centres d’examens de santé sont une bonne chose. Doivent-ils pour autant devenir des centres de santé ? C’est une autre question. S’ils remplissent leur mission de prévention et de dépistage, cela sera déjà très bien.

À l’instar de Mme Gaudillière, je considère que le caractère obligatoire des consultations n’améliorerait pas l’efficacité des soins, au contraire. Des économies devant être réalisées, je note que la visite obligatoire de l’OFII n’a aucun intérêt en termes de santé publique même si elle peut avoir du sens en termes de contrôle sanitaire aux frontières. En tout cas, elle en aurait si elle n’était pas effectuée longtemps après l’arrivée sur le territoire et si elle ne se limitait pas, par exemple, à détecter une tuberculose. Le caractère obligatoire d’une démarche entame la confiance et se heurte également à une contradiction légale et déontologique : exercer une médecine de contrôle, ce n’est pas exercer une médecine de prévention.

Le centre de santé du COMEDE propose à tous les nouveaux patients un bilan de santé que 84 % d’entre eux effectuent. Les autres ne le refusent pas mais il arrive qu’ils ne puissent pas s’y rendre le jour de leur convocation ou que l’interprète ne soit pas disponible ce jour-là. Il n’en reste pas moins qu’ils en bénéficient plus tard. Dans les centres d’examens de santé, facilitons un accès aux bilans de santé et les gens iront le faire !

M. Bernard Montagnon. La variation de l’état de santé entre les générations de migrants a également été constatée sur un plan international. Nombre de publications montrent que celui des premiers migrants, sans doute en raison d’une sur-sélection liée à l’immigration de travail, était meilleur. Il s’est dégradé ensuite, après le changement de nature de l’immigration.

La surreprésentation des migrants parmi les bénéficiaires de la CMU est évidemment liée à leur niveau de ressources.

Mme Hélène Geoffroy. Qu’en est-il de la CMU-C ?

M. Bernard Montagnon. La majorité des personnes concernées bénéficient de la CMU mais pas de la CMU-C en raison de l’effet de seuil, même si, en principe, celui-ci devrait ouvrir le droit à l’assurance complémentaire. Toutefois, nous ne disposons pas d’information particulière en la matière, ce qui constitue sans doute une nouvelle piste de travail.

M. le président Denis Jacquat. Si ces personnes ne disposent pas de la CMU-C, c’est qu’elles bénéficient de revenus qui ne les y autorisent pas.

J’ai vécu ici même la création de la CMU et de la CMU-C et, comme vous l’avez dit, il existe différents seuils.

M. Bernard Montagnon. L’impact est très important, dans ces cas-là, sur le renoncement aux soins.

Les conditions d’habitat, quant à elles, ont certes été indignes mais elles se sont améliorées, ce qui a dû avoir des conséquences sur la santé.

Les migrants disposent de ressources très faibles et comptent à l’euro près, parce qu’ils doivent envoyer de l’argent à leur famille. L’un des moyens d’y parvenir est de s’abstenir de toute dépense de santé ou de loisirs.

S’agissant de la surconsommation ou de la non-consommation de soins, les statistiques de l’IRDES s’intéressent aux bénéficiaires de la CMU sans distinguer les immigrés des autres.

L’article L. 1111-4 du code de la santé publique s’oppose à la consultation obligatoire, chaque personne étant libre vis-à-vis de sa propre santé.

S’agissant des spécificités territoriales, le contrat local de santé implique que les ARS, en lien avec les communes, s’adaptent aux réalités locales afin de constituer leurs programmes.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie.

Audition de M. Thierry Tuot, conseiller d’État, auteur du rapport
sur La refondation des politiques d’intégration


(extrait du procès-verbal de la séance du 21 mars 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons à présent M. Thierry Tuot, conseiller d’État, auteur du rapport sur La refondation des politiques d’intégration, remis au Premier ministre le 11 février 2013.

Votre rapport aborde de nombreux points directement liés aux travaux de la mission. Dans le cadre de nos auditions, nous avons eu l’occasion d’aborder plusieurs thèmes : le périmètre des politiques d’intégration et leurs liens avec la politique de la ville et de la cohésion sociale, l’accès aux droits sociaux, le logement – notamment la transformation des foyers de travailleurs migrants –, la santé, l’isolement, la dépendance, la pratique de la « navette », l’accès à la nationalité, etc. Nous nous sommes également rendus dans un foyer Adoma à Gennevilliers et nous poursuivrons nos visites de terrain jusqu’au terme de nos travaux.

Dans la mesure où le rapport que vous avez remis au Premier ministre traite largement de ces thématiques, il nous a semblé indispensable de vous entendre, afin que vous nous présentiez le diagnostic que vous avez établi ainsi que les recommandations, de court terme comme de moyen et de long terme, qui vous ont semblé devoir être formulées.

M. Thierry Tuot, conseiller d’État. Je vous remercie pour votre invitation. Je m’efforcerai de mettre en exergue les points de mon rapport qui ont trait à l’objet principal de votre mission, à savoir les immigrés les plus âgés.

Le Premier ministre m’a commandé le rapport le 1er août 2012 et la version de travail a été remise le 29 novembre de la même année. C’est dire le peu de temps dont j’ai disposé pour étayer mon propos, qui est plus allusif qu’il ne serait souhaitable.

Du reste, une des difficultés principales auxquelles on se heurte est le défaut de connaissances scientifiques et académiques en la matière. La première chose à faire pour éclairer le débat public et les politiques publiques serait de satisfaire à ce que j’ai appelé le « devoir d’intelligence collective ». Nous devons nous doter de l’appareil scientifique permettant de connaître les réalités quantitatives, d’apprécier les évolutions de toutes natures – sociologique, historique, économique, sociale – de façon à mieux apprécier les difficultés rencontrées en matière de santé, de logement, etc.

Certaines données présentées comme évidentes ne le sont pas toujours. De nombreuses intuitions issues de l’observation spontanée peuvent être mises en cause par une analyse scientifique de long terme, indépendante et critique.

C’est pourquoi il me semble que les pouvoirs publics doivent d’abord relancer un programme universitaire de recherche de haut niveau, que l’on gagnerait d’ailleurs à rendre européen. En effet, un regard étranger nous aiderait à sortir des biais nationaux et à mieux comprendre ce dont nous parlons.

Aussi mon propos est-il subordonné à la critique, tout à fait fondée, de l’insuffisance de données scientifiques suffisantes pour étayer le propos, quel qu’il soit.

Dans mon rapport – dont le champ, je le rappelle, était très large puisqu’il s’agissait de la refondation des politiques d’intégration –, j’appelle les pouvoirs publics à prendre une position politique claire. Il ne s’agit pas simplement de recourir à des remèdes technocratiques ou sociologiques, mais bien de réfléchir au choix collectif à faire sur la manière d’aider la société à mieux intégrer les personnes étrangères.

Cela suppose une vision nette du type de rapports sociaux que nous voulons construire. Il ne s’agit pas d’apporter des réponses éparses à des problèmes dénués de lien entre eux – tantôt l’islam, tantôt les foyers, tantôt les femmes, tantôt la politique de la ville, etc. – mais de considérer les choses comme un tout en les articulant autour d’une idée précise du fonctionnement social de la nation française.

Il m’a semblé que cette approche globale devait d’abord, pour marquer une rupture, être fondée sur la bienveillance. La politique vis-à-vis des immigrés ne peut reposer sur la suspicion, la crainte et l’invocation permanente de l’ordre public, de la menace et du danger. On le voit lorsque l’on s’intéresse aux immigrés âgés : il s’agit de sujets humains, nullement menaçants, qu’il faut avant tout traiter selon une exigence morale. Or, la situation dans laquelle ils se trouvent est souvent indigne des valeurs que nous rappelons en permanence lorsque nous parlons d’intégration. Pour crédibiliser le discours public en la matière, il faudrait commencer par le mettre en application en ce qui concerne cette catégorie de personnes. Les valeurs de la famille, de la patrie – c’est-à-dire de la terre des pères –, reposent sur la reconnaissance de l’exigence formulée dans le préambule de la Constitution de 1946 : nous devons sécurité et secours aux personnes les plus âgées. Les immigrés ne peuvent pas et ne doivent pas faire l’objet d’un traitement distinct.

À ceux qui ne seraient pas convaincus par la nécessité de ce devoir moral, on peut répondre que les politiques publiques en direction des populations les plus sensibles et les plus difficiles – les jeunes, les délinquants, les islamistes, ceux qui manifestent leur refus de s’intégrer par des positions agressives ou peu compatibles avec nos mœurs – gagneraient en efficacité et en crédibilité si nous faisions preuve, vis-à-vis des plus âgés de notre capacité de reconnaissance au regard de leur contribution à l’histoire nationale ou d’un traitement social à même de répondre à leurs difficultés.

Autrement dit, une politique s’adressant aux immigrés âgés est rentable : elle est moins coûteuse, plus efficace, et ses retombées dépassent largement ce seul public. Pour parvenir à s’adresser aux jeunes, il faut nécessairement parler aux plus âgés.

À tous ceux qui n’ont pas de racines, nous devons montrer que leurs grands-parents sont toujours les bienvenus et que nous les traitons convenablement. À tous ceux qui imaginent une religion islamique trouvée sur internet, nous devons montrer des pratiques et des rites très différents, pratiqués de façon paisible et pacifique. À tous ceux qui pensent qu’ils ne sont pas français alors même qu’ils possèdent des papiers d’identité, nous devons montrer que leurs pères, leurs grands-pères et leurs arrière-grands-pères ont participé à la défense de la nation, à la libération du territoire, à l’essor national, à la croissance, et continuent à jouer un rôle social dans les quartiers.

En résumé, une politique exemplaire en direction des immigrés âgés fera passer un message beaucoup plus crédible en matière d’ordre public, de mœurs et d’intégration. S’il fallait désigner un public prioritaire pour la politique d’intégration, c’est très volontiers les immigrés âgés que je désignerais, beaucoup plus que les jeunes, les femmes ou les habitants des quartiers comme on le fait d’ordinaire.

Le rôle social des immigrés âgés devrait être beaucoup mieux considéré qu’il ne l’est. Ce ne sont pas seulement des victimes qui auraient droit à notre commisération : ils peuvent encore être des acteurs sociaux. Alors que l’on cherche à maintenir le rôle des seniors dans l’emploi, dans l’entreprise, dans la vie associative, publique, etc., il faut viser pour les immigrés âgés un rôle social qui ne soit pas seulement la compensation des handicaps dont ils peuvent souffrir en matière de santé, de logement ou de revenus, mais aussi la valorisation du rôle qu’ils jouent dans la transmission des savoirs et des valeurs, dans l’animation d’un quartier, dans les relations entre les personnes, dans la médiation. Ce n’est pas seulement aux grands frères que revient ce rôle-là, c’est aussi aux personnes âgées, hommes et femmes.

J’insiste sur ce dernier point car les femmes souffrent d’un double handicap : non seulement elles sont tout aussi mal intégrées dans leur quartier que leur mari – dont souvent elles sont veuves –, mais elles sont souvent venues en France plus tardivement, à la faveur d’un regroupement familial, et n’ont pas bénéficié d’une insertion professionnelle. Leur rôle a souvent consisté à s’occuper de la famille. Lorsqu’elles se retrouvent abandonnées à la suite de divers accidents de la vie, il leur est encore plus difficile de trouver les voies d’une bonne insertion : les solidarités traditionnelles entre collègues de travail, entre camarades de café ou entre joueurs de boules et de PMU leur sont étrangères. Une priorité devrait leur être accordée, notamment en matière de reconnaissance du rôle social et d’accès au logement, car leurs difficultés sont les plus silencieuses et les moins voyantes.

Là encore, le « rendement » social d’une telle politique serait élevé. Il est toujours frappant d’entendre à quel point le discours des grands-mères afghanes, turques, nord-africaines, d’Afrique noire ou asiatiques porte sur les valeurs, l’ordre, la discipline. Ce discours que les pouvoirs publics ont du mal à tenir sans paraître ridicules leur est spontané et il est entendu. Le respect pour les anciens est partagé par tous. S’il est encore une valeur qui nous unit et qui nous donne la possibilité d’échanger sur certains sujets, c’est bien la transmission par les générations les plus âgées.

Reconnaître ce rôle et soutenir les associations qui travaillent à le qualifier et à le diffuser me paraît être une priorité.

J’ai proposé, dans mon rapport, différentes mesures dont certaines sont purement symboliques : elles concernent peu de personnes mais sont de nature à marquer de façon nette que nous arrêtons de nous affronter sur l’invocation rituelle de grands mots qui ignorent les réalités sociales.

Si nous voulons être respectés, il faut d’abord que nous respections les morts. Aménager des « carrés musulmans » dans les cimetières pour éviter la reconduite à la frontière des cadavres est essentiel et ne demande aucune évolution juridique, contrairement à ce que l’on entend parfois : tout maire en a aujourd’hui la possibilité.

Il est dommage de procéder par circulaires. Sur un plan symbolique, une disposition législative affirmant qu’il est possible de procéder à de telles inhumations religieuses serait marquante et utile.

De même, en matière d’accès à la nationalité, j’ai proposé une mesure simple qui a d’ailleurs soulevé une controverse. Il s’agit de mettre en accord nos principes et nos actes: puisque nous reconnaissons la famille comme l’élément essentiel de ce qui nous unit et le respect des anciens comme le fondement de la famille, peut-être pourrions-nous donner enfin la nationalité française à des mères de famille qui en sont à leur troisième titre de séjour, qui ont donc résidé plus de vingt ans en France, et qui ont donné des enfants et des petits-enfants au pays – lesquels, je le rappelle, sont surreprésentés dans nos forces armées, de même que dans nos services publics. Leur épargner la procédure quelque peu sourcilleuse et restrictive qui est d’ordinaire appliquée pour l’octroi de la nationalité serait un geste symbolique – seules quelques dizaines ou centaines de personnes seraient concernées – mais extrêmement significatif. Là aussi, une disposition législative serait la bienvenue.

Il faut également rénover les foyers de travailleurs migrants qui ne l’ont pas encore été, sachant qu’il s’agit en réalité d’accompagner leur disparition progressive : pas plus qu’il n’y a de voitures pour immigrés, de restaurants pour immigrés, de plages pour immigrés, il ne saurait y avoir de logement pour immigrés. Hélas, on constate que ce sont essentiellement des personnes âgées qui restent dans ces foyers. Nous devons non pas les en extraire – ce qui porterait atteinte à la sociabilité qui s’y est construite –, mais leur permettre de finir leurs jours de façon décente.

Sur le plus long terme, les pouvoirs publics doivent reconnaître, dans leur discours, le rôle des immigrés âgés dans la construction de la nation française, dont ils sont une composante majeure ; soutenir les associations qui travaillent à leurs côtés, aussi bien dans l’accompagnement que dans la valorisation de leur rôle ; prêter une attention toute particulière au logement – on se réfère trop souvent aux grandes familles d’immigrés alors qu’aujourd’hui, le problème est plutôt celui des petits logements, pour les vieux comme pour les jeunes, ce qui suppose de faire des choix dans le parc social ; lutter contre la discrimination dans l’accès aux soins, aux prestations sociales, à la retraite et aux maisons de retraite, et subordonner la délivrance des agréments administratifs à la prise en compte du sujet de la discrimination envers les personnes âgées d’origine étrangère.

M. le président Denis Jacquat. Vous dressez des constats mais apportez surtout des propositions. C’est ce que nous attendons et nous vous en remercions.

Nous en venons aux questions que le rapporteur et moi-même vous posons conjointement.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Le travail que vous avez effectué sera un élément important de notre propre rapport. En elle-même, notre mission d’information se veut déjà un cadre d’écriture de cette histoire qui n’a pas été écrite – du moins pas au sein de cette institution de la République. Le fait que le Bureau de l’Assemblée ait décidé de la création de notre mission à l’unanimité constitue en lui-même un premier pas dans la direction que vous avez indiquée.

Je souhaiterais que nous revenions sur les mesures qu’il conviendra de prendre, parfois en urgence, après la publication de nos travaux respectifs.

Pour ce qui est de la connaissance des publics concernés, vous estimez que la solution résiderait dans la réorganisation et la réécriture des missions du Haut Conseil à l’intégration. Pourriez-vous préciser ce point ? Plusieurs auditions nous l’ont montré : la connaissance parcellaire ou l’absence de connaissance pose d’emblée le problème de l’efficacité des politiques publiques. Comment, en effet, apporter des réponses à des situations dont on a une compréhension insuffisante ?

Vous appelez également de vos vœux la réorganisation et la rationalisation de la politique d’intégration à l’échelle des territoires, en commençant par expérimenter, dans une vingtaine de territoires, la réorganisation des compétences des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Étant observé que la prochaine loi de décentralisation devrait traiter de ce sujet, avez-vous envisagé un calendrier pour ces expérimentations ? Quelles institutions imaginez-vous comme « chefs de file » ? Nos auditions nous ont confirmé un problème récurrent : nous avons en France beaucoup d’administrations, de politiques publiques, de collectivités locales ; la difficulté ne réside pas tant dans l’absence de dispositifs que dans la nécessité de les diriger vers le public auquel ils sont destinés. Mettre en place un dispositif, c’est bien ; amener les gens à le connaître et à l’utiliser, c’est mieux !

Quant à la proposition de donner la nationalité française à certaines personnes sur simple déclaration, je considère qu’elle est utile. Je le vois dans ma circonscription : la constitution du dossier telle qu’elle est conçue aujourd’hui est un obstacle à l’accession à la nationalité française pour de nombreuses personnes vivant depuis longtemps en France mais ayant du mal à maîtriser l’écrit. Il arrive que les élus jouent les médiateurs, mais ce n’est pas le signe d’un fonctionnement normal. Une mesure serait en effet la bienvenue, d’autant, vous l’avez dit, qu’elle ne concerne que des publics très ciblés.

Le plan de rénovation des foyers de travailleurs migrants a pris beaucoup de retard. Le directeur d’Adoma, M. Arbouet, nous l’a confirmé. Vous proposez pour votre part d’achever ce plan dans un délai de dix-huit mois. Une accélération serait certes possible si Adoma bénéficiait de financements renforcés. Néanmoins, cent cinquante foyers restent à traiter dans le cadre de la première partie du plan et cent cinquante autres ne sont pas dans le plan. En d’autres termes, sur l’ensemble du patrimoine d’Adoma, les deux tiers restent à traiter. Votre proposition est formidable sur le papier, mais selon quel calendrier et grâce à quels leviers financiers la rendre concrète ?

Vous avez formulé une autre proposition intéressante : la modification des critères d’attribution des logements sociaux. La plupart du temps, les résidents des foyers ne peuvent bénéficier d’un logement social en raison même de leur qualité de résident de foyer. On peut résumer ainsi le raisonnement des communes, qui sont aussi des bailleurs sociaux : nous avons fait l’effort d’accueillir un foyer de travailleurs migrants, mais en contrepartie, les résidents doivent y rester. Vous avez mis le doigt sur un problème. Pourriez-vous y revenir ?

Vous souhaitez enfin que les décrets d’application des articles 58 et 59 de la loi « DALO » soient pris. Or, les auditions que nous avons menées ont progressivement fait apparaître que c’est surtout la rédaction de la loi qui pose un problème et que le Conseil d’État considère le texte comme inapplicable au regard du droit de l’Union européenne. Le risque est que les dispositions s’appliquent à tous les étrangers, dans l’Union européenne, ce qui entraînerait d’importantes conséquences politiques et financières.

Notre mission a demandé à tous les responsables concernés s’il existe des voies alternatives acceptables politiquement et juridiquement sécurisées. Avez-vous réfléchi à cette question, sachant que l’on se heurte en l’occurrence à l’un des principes essentiels du droit communautaire, le principe de non-discrimination, pour mettre en place une aide spécifique aux immigrés âgés ?

Mme Hélène Geoffroy. « Doit-on encore parler d’intégration ? » vous demandez-vous dans votre rapport. C’est un peu l’objet de notre mission d’information. À partir de quand les personnes sont-elles intégrées ? Faut-il lier cette question à celle des droits et des devoirs, comme on le fait souvent, ou considérer qu’elle n’a plus lieu d’être au bout d’un certain temps ?

Vous évoquez aussi notre histoire partagée. Que préconisez-vous pour construire une mémoire commune ? Lorsqu’une opération de rénovation urbaine intervient, on assiste à de nombreuses initiatives pour que chacun raconte son histoire. Souvent, un livre est édité qui retrace l’histoire des hommes et des femmes venus d’ailleurs. C’est un moment d’émotion mais cela ne suffit pas à faire partager une histoire à l’échelle de la nation.

Vous proposez d’« interdire par la loi et pour une période donnée la création de toute nouvelle institution culturelle ailleurs que dans les quartiers de la politique de la ville ». Qu’entendez-vous par là ? L’objectif est-il de faire « culture commune » ?

Que pensez-vous de l’action de dispositifs comme le Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) ou l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé) dans le cadre de ces politiques ?

M. Thierry Tuot. Quel est le terme de l’intégration ? Je n’en sais rien, évidemment. C’est toute la difficulté de la notion même d’intégration, dont la plupart des acteurs de ces politiques voudraient que l’on se débarrasse.

Je propose que la réflexion s’articule autour de deux idées que je confesse avoir empruntées, pour l’essentiel, aux politiques américaines.

D’abord celle de « société inclusive » : une société qui ne repose pas sur un modèle uniforme, mais une société qui n’a pas de frontières à l’extérieur desquelles on maintient des catégories – pauvres, personnes d’origine étrangère, femmes, homosexuels, etc. Il ne s’agit ni de lutte contre les discriminations ni d’intégration à un ensemble que l’on serait bien en peine de définir, mais de l’idée que la société, aidée par les pouvoirs publics, doit en permanence faire en sorte de ramener toutes ses composantes en son centre, lequel centre peut avoir plusieurs couleurs ou plusieurs façons d’exister.

La notion s’articule avec celle de « mise en capacité » – l’empowerment américain. Il ne s’agit pas d’accorder plus de droits aux immigrés qu’aux non-immigrés, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas possible de les identifier en tant que tels, mais de faire en sorte que personne ne subisse de difficultés sociales parce qu’on lui prête une origine étrangère. Ce n’est ni la négation de cette origine ni la volonté de son effacement par « blanchiment » de la population. Le propos n’est pas de refuser les identités et de forcer les personnes à s’intégrer dans un ensemble qui les dépasse, mais de les mettre en capacité d’utiliser tous les leviers de la réussite sociale : école, logement, insertion sociale, etc.

Loin de tout aspect normatif, on considère là que les personnes étrangères doivent bien entendu évoluer, mais que nous aussi évoluons avec elles. La société inclusive qui résulte de cet effort collectif n’est pas la même que la société de départ. C’est ce qui explique une partie des craintes qu’elle inspire, puisqu’il est dit aux gens qu’ils ne seront pas les mêmes après. Même si cela fait des siècles qu’il en va ainsi en France, ils n’en sont pas conscients et il est compréhensible que cela puisse paraître inquiétant. C’est néanmoins le chemin qu’il faut prendre.

S’agissant de la mémoire partagée, je déplore que les très nombreuses initiatives prises dans les quartiers ne soient que rarement relayées par les pouvoirs publics. C’est pourquoi je propose que les programmes de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) consacrent systématiquement un premier pour-cent du montant des travaux à la mémoire, à l’identité et au devenir des habitants. Il est essentiel de rappeler que les opérations de rénovation urbaine ne sont pas destinées à enlever les habitants de là où ils sont, mais à mieux les reloger.

Les objectifs poursuivis doivent toujours être sociaux. La politique de la ville ne consiste pas à dissoudre l’identité pour recréer autre chose, elle doit permettre de continuer d’habiter quelque part mais dans de meilleures conditions. C’est donc d’abord un projet social dans lequel la mémoire doit jouer un rôle important.

À l’échelon national, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration est un outil public trop peu utilisé alors qu’il dispose d’une capacité de rayonnement aussi bien comme musée qu’en milieu scolaire, dans l’audiovisuel et sur internet. Il faut qu’elle redevienne porteuse d’un grand projet national consacré à la mémoire.

Ce projet, nous ne le mènerons pas à bien si nous ne réglons pas définitivement son compte à notre mémoire coloniale. Nous ne pouvons tenir un discours sur l’histoire de l’esclavage – à laquelle sera peut-être consacré, un jour, un musée –, un discours sur l’immigration, et ne pas parler des colonies, comme si nous n’y étions jamais allés et qu’il ne s’y était rien passé. Le temps est venu d’affronter cette réalité. Si une immigration d’un certain type se poursuit dans notre pays, c’est parce que nous avons une histoire coloniale que nous devons assumer. Je rêve d’un triptyque mariant la vision que la France avait des peuples d’autres couleurs jusqu’au XVIIIe siècle – c’est-à-dire une histoire de la colonisation commerciale et de l’esclavage –, l’histoire de la colonisation massive du XIXe et du début du XXe siècle et l’histoire de l’immigration.

Nous devrions être capables de regarder en face ces trois aspects de notre relation à l’étranger. Il ne faut pas fuir cette histoire mais la reconnaître et la célébrer.

J’ai ainsi proposé que l’on rende hommage à tous les anciens soldats de nos colonies dont les pays d’origine n’entretiennent plus les tombes. Il est paradoxal qu’en Afrique du Nord les tombes des Français soient désormais convenablement entretenues, tandis que les corps des tirailleurs marocains, des goumiers, des moghaznis, sans parler des Sénégalais – le régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad, rappelons-le, a pris Koufra – ont disparu dans le sable. Les noms de ces combattants nous sont connus et il serait symboliquement fort qu’on leur érige un monument. J’avais suggéré que l’on trouve à cet effet un hectare de blé près de Chartres, non loin de l’endroit où Jean Moulin avait essayé de mettre fin à ses jours pour ne pas se rendre complice de l’exécution de Sénégalais par les Allemands. Il ne s’agit pas du lieu d’un combat, d’une défaite ou d’une victoire, mais d’un lieu moral qui me semble être propice à une telle célébration.

En matière culturelle, je suis choqué par la discrimination sociale pratiquée par les grands établissements culturels malgré leurs efforts propres. Ils sont en général situés dans les beaux quartiers, accessibles aux personnes qui en ont les moyens. Et, ce qui est paradoxal, les personnes qui en ont les moyens ne paient pas !

Il faut donc ouvrir de grandes institutions culturelles consacrées à des formes artistiques rares – pas forcément le rap et le graff, mais l’opéra, la littérature, le théâtre, la création contemporaine – qui soient à la fois des outils d’ouverture à la culture pour les populations et des lieux de mélange social. Aller dans les quartiers parce que c’est le lieu de la dernière création et pas pour tourner un reportage comme dans un pays en guerre ou pour donner dans la commisération ou dans le militantisme social transformerait notre regard.

Pour en revenir au Haut Conseil à l’intégration, j’ai participé à sa création aux côtés de M. Marceau Long comme chargé de mission et rédacteur. C’est le débat sur les statistiques de l’immigration qui avait conduit le Premier ministre à créer cette instance. En 1987-1988, en effet, la question de savoir si les immigrés coûtaient ou non aux régimes sociaux était au centre d’une vive polémique. La première action du Haut Conseil, qui comptait Stéphane Hessel parmi ses membres et ne pouvait être soupçonné de partialité, a été de demander à des universitaires de faire des calculs. Dix-huit mois plus tard, il a publié les chiffres et la polémique s’est éteinte.

À la lumière de cette première expérience, il me semble que le Haut Conseil à l’intégration doit redevenir le garant du débat public en matière d’immigration, et le garant d’un programme de recherche universitaire statistique et qualitatif portant sur l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, l’économie de l’immigration. Il faut que nous sachions de quoi nous parlons. Alors que notre pays mène depuis trente ans des politiques presque martiales de lutte contre la clandestinité, nous ne savons pas d’où viennent les clandestins, qui les « fabrique », quelles sont les filières et comment elles fonctionnent. Contrairement à la Belgique, aux Pays-Bas, à l’Allemagne, à la Grande-Bretagne, les études académiques n’existent pas en France. Il me paraît donc plus important de travailler à une connaissance dont le Haut Conseil serait le garant que d’avoir une structure ajoutant des rapports à d’autres rapports.

Sa composition doit être incontestable. C’est pourquoi j’ai proposé que l’on en revienne au mode tripartite de nomination bien connu – exécutif, président de l’Assemblée nationale, président du Sénat – et qu’il ne comprenne que neuf membres. Il est inutile qu’il dispose d’une administration et de bureaux : c’est une autorité morale qu’il exerce, d’abord sur les données statistiques qui permettront d’alimenter le débat public en connaissance, ensuite sur l’évaluation critique du programme de recherche sur les migrants âgés. À cet égard, comme je l’ai dit au président Bartolone, le lien avec les assemblées parlementaires devrait être renforcé, puisque cette action se rapproche davantage de la mission de contrôle propre au Parlement que de l’assistance à l’exécutif.

Pour ce qui est de l’administration territoriale, je rêve d’un système dans lequel, tout en conservant une mairie où l’on célébrerait les mariages et où l’on remettrait les diplômes de nationalité ou les médailles de la famille française, on ne compterait plus que 1 000 ou 2 000 communes en France au lieu des 36 700 actuelles et où l’on supprimerait tous les autres échelons territoriaux pour n’en garder qu’un seul. Dans certains cas, ce seraient de grandes agglomérations, sur le modèle des villes libres allemandes.

C’est à cette expérimentation territoriale que je pense. Essayons de la mener sur une base volontaire. Depuis vingt ans, nous simplifions la politique de la ville en concentrant les pouvoirs, mais il n’en reste pas moins que, pour décider d’attribuer 1 000 euros à une association, au moins vingt responsables administratifs doivent être autour de la table. Le coût de l’administration de ces subventions est devenu inacceptable !

Dans l’idéal, on pourrait conserver deux autorités.

La première, selon les endroits, serait la ville, l’intercommunalité ou le département, voire la région. Il ne faut pas être dogmatique en la matière : en Alsace, on peut imaginer que deux autorités pourraient se charger de la politique d’intégration, Strasbourg et la région, pour tenir compte de la concentration de l’immigration à Strasbourg et sa diffusion dans les banlieues et dans le milieu rural ; en Picardie également, la région pourrait être la bonne échelle ; mais dans la Petite Couronne, ce rôle reviendrait aux départements.

Toujours est-il qu’une fois choisi le bon échelon, il faut y concentrer par délégation tous les pouvoirs, crédits, personnels et compétences, moyennant un contrôle politique renforcé.

M. le rapporteur. Des missi dominici, en somme…

M. Thierry Tuot. Exactement.

Pourquoi ne pas ouvrir, par voie législative, la possibilité de conduire une telle expérimentation, qui commencerait dans les prochains mois et s’étendrait jusqu’à la fin de la législature, c’est-à-dire pendant trois ans ? Dans le même temps, on lancerait l’appel d’offres pour choisir les quinze laboratoires universitaires qui suivraient et évalueraient l’expérience. Au demeurant, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques pourrait mener une évaluation parallèle.

S’agissant de la rénovation des foyers, je reconnais que le calendrier que je propose est ambitieux. Mais cela fait trente ans que l’on parle d’accélération ! On sait ce qu’il faut faire, on peut trouver l’argent : ce qui manque, c’est une unité de commandement. Soit on demande à Adoma de mener les opérations, ce qui suppose de la renforcer. Soit Adoma désigne des opérateurs en régie, par exemple les offices publics de l’habitat, pour lesquels la rénovation de cinquante chambres, sur un programme de 3 000, représente peu de chose : moyennant l’ajout d’une tranche de marché, on peut y arriver. Car il ne s’agit pas, à quelques exceptions près, de restructurations massives : il s’agit de repeindre ce qui ne l’a pas été depuis quarante ans, de changer des huisseries, de racheter du mobilier...

M. le rapporteur. Il y a aussi des démolitions-reconstructions.

M. Thierry Tuot. Elles ne sont pas majoritaires. Et, dans tous les cas, il faut déterminer ce que l’on fera de ces foyers lorsque le dernier résident âgé sera parti : démolition, transformation, acquisition d’autres structures ? C’est un moyen de réduire considérablement la facture des travaux.

Il faut donc définir une stratégie. Adoma possède l’expertise technique pour le faire. Pour le reste, je rêve d’un système où l’on pourrait désigner des ministres pour accomplir une mission pour une durée de six mois, un peu sur le modèle des parlementaires en mission. Ainsi, ils consacreraient tout leur temps et leur autorité à une seule tâche, avec l’aide, le cas échéant, de dispositions législatives permettant de déroger en urgence au code des marchés publics et aux normes de construction.

M. le président Denis Jacquat. Cela existe dans les pays anglo-saxons.

M. Thierry Tuot. Tout à fait.

J’ai par ailleurs participé au groupe de travail mis en place par Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, sur les critères d’attribution des logements sociaux. Il va de soi que le fait de résider dans un foyer de travailleurs migrants devrait donner une priorité pour l’accès au logement social et non l’inverse.

Il convient aussi d’apprécier ces critères à l’échelle d’un bassin de population et non, comme on le fait aujourd’hui, opérateur par opérateur ou commune par commune. À l’évidence, avec un immigré de plus dans le parc social de Gennevilliers, on risque d’aggraver une situation sociale qui peut apparaître comme tendue, tandis que cela sera sans incidence à Marnes-la-Coquette. Une analyse sociale portant sur l’ensemble du bassin de vie, incluant les réseaux de sociabilité, l’implantation familiale, la scolarisation, l’accès aux soins, etc., change complètement la donne et fait tomber les critères usuels, qui répondent à une logique de frontières artificielles sans rapport avec la vie réelle de la société.

Concernant les décrets d’application de la « loi DALO », je ne me prononcerai pas sur ce que mes collègues du Conseil d’État ont estimé au sujet de la conventionalité du texte. Je pressens simplement le problème, dans la mesure où le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont relevé la même difficulté s’agissant des lois relatives aux rapatriés et anciens supplétifs : les clauses de nationalité française ont dû être déclarées inconventionnelles par la sous-section que je préside et inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel. Prendre des mesures réglementaires – même sur une base législative – qui privilégieraient les personnes originaires d’Afrique du Nord ou des anciennes colonies françaises nous exposerait à une censure.

Mais il existe d’autres façons de faire. La première démarche est d’identifier les populations concernées. En matière d’immigration et d’intégration, il est toujours difficile de légiférer par le haut. Mieux vaut partir du bas et définir le problème. En l’occurrence, celui de quelques centaines d’immigrés qui vivent dans des foyers, qui ont gardé des attaches familiales importantes dans leur pays d’origine, qui ont ou n’ont pas la nationalité française et auxquels on oppose des clauses de durée de résidence pour la perception de leurs droits.

Plutôt qu’un dispositif législatif définissant des droits pour toute personne, ne pourrait-on imaginer qu’après intervention d’une assistante sociale ou d’une association agréée, les personnes s’inscrivant dans cette situation précise puissent faire l’objet d’une mesure dérogatoire ? Ce diagnostic social – qui, d’ailleurs, devrait toujours présider à l’attribution de quelque avantage que ce soit, ne serait-ce que pour désarmer la critique selon laquelle on n’agit que pour les immigrés et pas pour les autres – permettrait d’écarter d’emblée l’hypothèse de l’avocat britannique retraité dans le Périgord qui demanderait à bénéficier des mêmes droits. Une entrée sociale dans un régime de dérogation posé par le législateur me paraît préférable à un dispositif normatif forcément aveugle. Tous les vieux immigrés n’ont pas besoin de cette facilité, non plus que tous les étrangers. En revanche, nous savons qu’il existe un problème social. Traitons-le !

M. le président Denis Jacquat. Nous vous remercions vivement de la qualité et de l’originalité de vos réponses. La matière intellectuelle que vous apportez nourrira assurément notre rapport.

Audition de Mme Juliette Laganier, déléguée nationale « Lutte contre l’exclusion » à la direction de l’action sociale de la Croix-Rouge française, et de Mme Fabienne Grimaud, responsable de l’implantation de Grenoble des Petits frères des pauvres

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mars 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous commençons notre cycle d’auditions de ce jour avec Mme Juliette Laganier, déléguée nationale « Lutte contre l’exclusion » à la direction de l’action sociale de la Croix-Rouge française, et Mme Fabienne Grimaud, responsable de l’implantation de Grenoble des Petits frères des pauvres.

La Croix-Rouge a été créée en 1859 par Henry Dunant. Aujourd’hui, la Croix-Rouge française est à la fois une association comptant 52 000 bénévoles engagés dans la lutte contre les précarités et une entreprise de services à but non lucratif dans les domaines sanitaire, social, médico-social et de la formation avec 17 000 salariés dans plus de 550 établissements. Dans sa stratégie 2015, la Croix-Rouge française a choisi d’orienter son action en direction de cinq publics prioritaires, parmi lesquels les personnes vulnérables, dont font indiscutablement partie les immigrés âgés.

De leur côté, les Petits frères des pauvres accompagnent, depuis 1946, les personnes, en priorité de plus de cinquante ans, souffrant de pauvreté, d’exclusion, de solitude et de maladies graves. Ils mènent auprès de ces personnes des actions d’aide sociale afin notamment de les réinscrire dans un tissu social qui les soutienne. Les Petits frères des pauvres regroupent près de 10 000 bénévoles et 500 salariés.

Les personnes que nous avons entendues depuis le début de nos travaux ont souligné l’état de précarité et de solitude dans lequel se trouvent de nombreux immigrés âgés. Aussi, il nous a paru tout à fait utile de vous entendre sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir l’action associative en direction des plus vulnérables.

Mme Juliette Laganier, déléguée nationale « Lutte contre l’exclusion » à la direction de l’action sociale de la Croix-Rouge française. La Croix-Rouge exerce une action en direction de tous les publics vulnérables. S’agissant des migrants âgés, notre analyse s’appuie sur des éléments statistiques tirés des données recueillies auprès des personnes qui fréquentent les 900 points de distribution d’aide alimentaire gérés par la Croix-Rouge.

Environ 17 % des personnes accueillies à l’aide alimentaire, soit un peu plus de 20 000 personnes, sont de nationalité étrangère ; 25 % d’entre elles sont âgées de plus de cinquante ans et 62 % sont des hommes – c’est une proportion plus importante que pour le reste de la population ayant recours à l’aide alimentaire. Les personnes de nationalité étrangère sont sous-représentées dans les classes d’âge cinquante-cinquante-quatre ans, cinquante-cinq-cinquante-neuf ans, mais surreprésentées dans les classes d’âge supérieures à soixante-cinq ans. Les personnes originaires de la République démocratique du Congo sont les plus nombreuses, suivies de celles originaires d’Afrique du Nord. La majorité des bénéficiaires est à la retraite ou hors du marché du travail.

Les personnes de nationalité étrangère sont davantage en couple avec des enfants à charge que la moyenne de la population aidée par la Croix-Rouge – 31 % d’entre elles ont au moins un enfant à charge. Elles sont aussi plus souvent hébergées à l’hôtel ou dans leurs familles et sont moins nombreuses que les autres à disposer d’un logement stable – 8 % sont sans domicile fixe contre 2 % pour l’ensemble des bénéficiaires.

Contrairement à l’ensemble de la population vulnérable, les personnes de nationalité étrangère habitent majoritairement dans les grandes villes – 29 % sont installées dans les villes moyennes et 11 % dans les petites villes. Elles ont également plus recours aux épiceries sociales du fait de leur implantation urbaine.

D’une façon générale, 50 % des personnes qui bénéficient de l’aide alimentaire y ont recours pendant plus d’une année. Une durée de recours de un à deux ans est le cas le plus fréquent pour les deux types de populations. En revanche, les personnes de nationalité étrangère sont surreprésentées lorsque le recours à l’aide alimentaire dure plus de deux ans : 15 %, au lieu de 5 % pour la population générale.

Plusieurs caractéristiques distinguent les immigrés âgés du reste de la population précaire : un âge plus élevé, l’isolement, même s’il semble moins important que ce qui ressort de vos auditions, et les conditions d’hébergement.

La Croix-Rouge gère une cinquantaine d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui accueillent 10 % de personnes de nationalité étrangère, majoritairement originaires d’Afrique du Nord et bénéficiant presque toutes de l’aide sociale. Plusieurs problèmes ont été recensés : le premier tient à la barrière de la langue et aux difficultés de communication qui en résultent, notamment pour la compréhension des maladies et des soins médicaux appropriés. Viennent ensuite l’alimentation, la difficulté à vivre en collectivité et l’isolement social.

Mme Fabienne Grimaud, responsable de l’implantation de Grenoble des Petits frères des pauvres. L’association des Petits frères des pauvres lutte depuis plus de soixante ans contre l’isolement et la précarité, sous toutes ses formes, dont souffrent les personnes de plus de cinquante ans. Son action repose sur un réseau de bénévoles, formés et soutenus par l’association, qui interviennent durablement et régulièrement auprès des personnes signalées.

Dans le cadre de son projet « Ensemble vers les plus pauvres », l’association a choisi de développer son action auprès des personnes de plus de cinquante ans dans des zones urbaines sensibles et dans les lieux de vie isolés.

À la différence des personnes qui habituellement viennent à nous, les migrants âgés constituent un public invisible qui ne demande rien malgré des besoins importants. Nous avons dû aller à leur rencontre et résoudre une difficulté : comment entrer dans leurs lieux de vie souvent exigus sans déranger leur intimité ? Nous avons donc pris le parti de les rencontrer collectivement avec le soutien et l’accord de ce qui était encore la SONACOTRA, devenue Adoma. En vertu d’un partenariat noué avec cette dernière, des locaux sont mis à notre disposition. Les bénévoles interviennent un après-midi par semaine autour d’une « caféterie ». Cette démarche s’inscrit dans l’histoire des foyers puisque des agents de la SONACOTRA animaient auparavant ce type de lieu dans lesquels les chibanis pouvaient avoir une vie sociale. Les animateurs ont disparu, mais nous les avons remplacés dans les locaux qui demeurent.

Les migrants âgés nous ont d’abord réservé un accueil mitigé, car ils avaient été échaudés par leur expérience d’associations qui ne s’engageaient pas durablement. Les Petits frères des pauvres sont présents auprès d’eux depuis huit ans maintenant – 120 bénévoles travaillent auprès de 250 personnes dans 25 foyers.

Nous avons constaté, à la lumière de notre expérience à Grenoble et à Lyon, que l’accompagnement des immigrés âgés différait selon le lieu d’implantation des foyers et les moyens qui leur étaient dédiés en matière d’action sociale.

À Grenoble, le foyer est situé au cœur de la ville. Le schéma départemental de gérontologie prend en compte depuis longtemps le cas des immigrés âgés, ce qui a permis de nouer des partenariats rapidement, notamment avec Adoma. La politique d’action sociale a donné des moyens aux travailleurs sociaux pour accompagner les migrants âgés. La présence d’une assistante sociale dans le foyer où nous intervenions a ainsi aidé à démêler de nombreuses situations.

À l’inverse, à Lyon, le foyer est situé à Vénissieux, à l’extérieur de la ville. L’absence de schéma gérontologique n’a pas empêché Adoma de nous accueillir, mais, à Vénissieux, les travailleurs sociaux n’ont pas de temps dédié aux migrants âgés ni de bureau dans les foyers.

À cause notamment de la barrière de la langue, les chibanis sont réticents à aller vers les travailleurs sociaux. En revanche, lorsque les travailleurs sociaux vont à leur rencontre, de nombreux problèmes peuvent se régler. Nous nous sommes donc inspirés de cette démarche.

Notre action repose sur un engagement dans le temps : afin de créer du lien social, il nous faut gagner la confiance de personnes qui ont été malmenées par la vie et ne comprennent pas toujours la nature bénévole du travail des associations.

À Vénissieux, en l’absence de travailleurs sociaux, les bénévoles de l’association jouent le rôle de passerelle et de courroie de transmission vers les acteurs institutionnels. Ils aident à démêler les situations administratives complexes, notamment liées la reconstitution des carrières complètes pour faire valoir les droits à la retraite. L’accès au droit des migrants âgés nécessite d’abord de signaler leur existence aux services sociaux.

La santé est un autre sujet important. En Rhône-Alpes, nous travaillons avec Intermed, réseau d’accès à la santé créé à l’initiative d’Adoma. Cette expérience enrichissante confirme l’intérêt de la présence de ce type d’acteurs dans les foyers. Les immigrés âgés sont souvent dépourvus de mutuelle et ignorent leurs droits en matière de santé. Ils préfèrent se priver de soins pour pouvoir continuer à envoyer de l’argent dans leur pays d’origine.

Notre travail auprès d’eux permet de signaler à Intermed des personnes dont l’état de santé est précaire. L’existence de partenariats dans le domaine de la santé permet d’améliorer le suivi sanitaire et de prévenir les situations les plus alarmantes.

Les intervenants dans les foyers permettent aussi de recréer un entourage qui pallie l’absence de proches.

À Grenoble, nous avons la chance d’avoir un café social que les chibanis apprécient puisqu’il correspond à leur culture et à leur mode de vie – ils aiment être à l’extérieur de chez eux et se retrouver autour de cafés. Ce lieu, riche de sens pour eux, permet de créer du lien social, d’allier convivialité et compétence afin de trouver des solutions à certains problèmes ou difficultés avant de solliciter les organismes sociaux. Les bénévoles y jouent un rôle social et d’assistance dans les démarches administratives.

Il faut comprendre pourquoi les immigrés âgés ne retournent pas dans leur pays d’origine. Leur histoire complexe fait qu’ils sont tiraillés entre la nostalgie du pays et la difficulté à y trouver une place après quarante ans d’absence. Cela explique les nombreux allers et retours qu’ils font. Certains disent même ne se sentir bien que sur le bateau ou dans l’avion, lorsqu’ils sont entre leurs deux pays.

Les immigrés âgés rencontrent les mêmes problèmes relevant de la gérontologie que les autres personnes âgées, mais ils sont victimes d’un vieillissement précoce en raison d’un métier difficile et émaillé d’accidents du travail.

Il est regrettable que les EHPAD soient aujourd’hui construits hors des villes alors que la présence des foyers au cœur des villes facilite le lien social, y compris avec les familles.

Je veux vous faire part d’une expérience intéressante dans un foyer à Grenoble qui, malheureusement, fermera prochainement. Ce foyer a aménagé une unité de vie en rez-de-chaussée pour qu’elle soit accessible aux migrants vieillissants qui connaissent des problèmes de mobilité, ainsi qu’un espace partagé par les praticiens pour prodiguer des soins. Les migrants, qui ne souhaitent pas plus que les autres personnes âgées aller dans les établissements spécialisés lorsque leur état de santé se détériore, ne sont ainsi pas obligés de quitter le foyer qu’ils ont connu pendant quarante ans. Cela les préserve d’un second déracinement et leur permet de finir leurs jours au même endroit.

Par ailleurs, plusieurs foyers ont été réhabilités avec la volonté de favoriser la mixité des publics accueillis. Mais, si la mixité est souhaitable, elle n’est pas possible entre tous les publics. Les personnes accueillies temporairement dans les foyers, qui souffrent d’addictions ou sont dans une situation de grande précarité, créent en effet une ambiance d’insécurité pour les immigrés âgés. La nuit, la population des foyers peut ainsi doubler ou tripler, et le week-end, certains d’entre eux deviennent des zones de non-droit, livrées à la prostitution et au trafic de drogue. Les migrants âgés sont alors obligés de rester enfermés dans leur chambre, en raison des problèmes de violences physiques.

Notre travail auprès des migrants, comme des autres publics, est guidé par la fidélité et la régularité : les chibanis sont très preneurs de liens et de rencontres régulières à condition de faire le premier pas.

Enfin, nous sommes confrontés au turn-over des responsables de foyer. En dépit du partenariat qui nous lie à Adoma, le manque d’information pèse sur le travail des bénévoles sur place. Nous avons ainsi appris par ses occupants la fermeture du foyer que j’évoquais précédemment. Ils avaient reçu une lettre leur laissant un mois seulement pour choisir l’endroit où ils souhaitaient aller vivre, ce délai étant peu compatible avec l’absence parfois prolongée à laquelle donne lieu leur retour dans le pays d’origine.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je vous remercie, mesdames, pour vos exposés très concrets qui illustrent parfaitement les problèmes rencontrés par les vieux migrants. Profitant de votre expérience dans l’accueil de ces populations, je veux vous interroger sur quelques points particuliers.

En premier lieu, quels sont les principaux facteurs de fragilité et de vulnérabilité des immigrés âgés sur le plan sanitaire et social ? S’il est indispensable, comme vous l’avez dit, de leur porter la même attention et de leur reconnaître les mêmes droits qu’à tous les anciens, ne présentent-ils pas des spécificités liées à leur parcours et leur histoire ?

Avez-vous identifié des difficultés dans l’accès aux droits sociaux, notamment aux minima sociaux ? Quelles en sont les conséquences sur leur vie ?

Quelles sont les pathologies les plus fréquentes chez les immigrés âgés ? Nous souhaiterions à cet égard confronter votre expérience d’acteurs de terrain avec celle des professionnels de santé que nous avons auditionnés.

Les personnes âgées immigrées victimes d’isolement sont-elles pour l’essentiel des hommes, anciens travailleurs migrants, ou des femmes arrivées en France dans le cadre du regroupement familial et qui sont souvent veuves de façon précoce ?

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de la prise en compte spécifique des migrants âgés par les départements, notamment dans les schémas gérontologiques que vous avez évoqués ?

Enfin, nos auditions montrent que la prise en charge dans des établissements spécifiques est difficile à faire accepter. Je prendrai l’exemple de cet établissement construit par Adoma à Bobigny, doté de quatre-vingts chambres spécialement dédiées à l’accueil des immigrés âgés dépendants. Seules quatre personnes vivant dans des foyers ont été volontaires pour s’y installer. Comment analysez-vous l’échec de ce qui apparaissait à Adoma comme une bonne idée ? Comment améliorer la prise en charge du grand âge pour ces personnes victimes d’un vieillissement précoce ?

M. Daniel Vaillant. Votre constat concerne des migrants hommes arrivés en France pendant les Trente Glorieuses, après la décolonisation, qui ont travaillé dans les usines automobiles ou comme éboueurs. Ils sont confrontés à des difficultés en matière d’accès aux droits, de prise en charge sanitaire et d’hébergement. Ces problèmes peuvent être résolus à condition que cela corresponde à une volonté politique. Mais qu’en est-il pour la génération actuelle qui a subi des périodes de fort chômage ? Les problèmes posés seront-ils différents, compte tenu de la précarisation croissante ?

Considérez-vous que l’intégration est plus facile en milieu rural où la solidarité et la proximité sont plus fortes que dans les grandes villes où l’isolement semble plus grand ?

La situation dans les foyers dans lesquels cohabitent plusieurs générations est très préoccupante. Après avoir consacré leur vie à un travail pénible, les immigrés âgés pensaient pouvoir jouir d’une retraite paisible leur permettant de rentrer occasionnellement dans leur pays d’origine. Ils vivent très mal les problèmes posés par la prostitution et la drogue dans ces foyers.

Les petites résidences dédiées aux migrants sont-elles préférables aux grands foyers inhumains et mal entretenus, dans lesquels la pratique de la prière apparaît difficile ?

Quels sont les problèmes de santé spécifiques que rencontrent les immigrés âgés par rapport aux personnes dépendantes ?

Le rôle des cafés sociaux est primordial pour améliorer l’accès aux droits. Les associations peuvent sensibiliser les personnes aux droits auxquels elles pourraient prétendre.

Enfin, j’aimerais vous entendre sur la situation des femmes.

M. le président Denis Jacquat. Mesdames, j’ai entendu avec intérêt vos propos sur les EHPAD dont les échecs dans l’accueil des immigrés âgés nous ont été rapportés à plusieurs reprises. Vous avez également insisté sur l’importance de la localisation de ces établissements pour lutter contre l’isolement social. Je précise que les plans gérontologiques doivent aujourd’hui prévoir un essaimage des établissements sur le territoire, car toutes les collectivités souhaitent en accueillir. Vous avez raison de souligner l’intérêt des unités de vie dans les foyers pour immigrés âgés et l’importance de lieux de vie comme les anciennes cafétérias.

La succession de directeurs dans les foyers Adoma et l’évolution des missions qui leur sont confiées ne permettent pas de définir des lignes directrices claires. Vous avez fort justement mis en garde contre la cohabitation de populations très hétérogènes. Les pouvoirs publics doivent prendre conscience que les publics ne peuvent pas être mélangés lorsque les habitudes de vie sont trop différentes.

Mme Juliette Laganier. Pour nous, les personnes âgées immigrées sont un public comme les autres. Elles ne font pas l’objet de dispositifs dédiés qui, d’expérience, ne répondent pas toujours aux attentes.

Dans les projets d’accompagnement social, il faut veiller à favoriser la mixité entre des personnes confrontées à des problèmes similaires. Il est également important que les bénévoles, comme les travailleurs sociaux ou les personnels médicaux, soient formés afin d’avoir une meilleure connaissance des parcours des immigrés âgés et des moyens de les aider.

La question de la précarisation croissante se pose pour tous les publics – le nombre d’appels à l’accueil d’urgence du 115 a augmenté de 30 % et les demandes d’asile s’accumulent depuis cinq ans. Nous sommes en pleine réflexion sur ce sujet sans avoir encore trouvé de solutions.

Enfin, s’agissant de la taille des structures d’accueil, il est important d’associer les personnes concernées aux dispositifs créés pour elles. Leur avis est insuffisamment pris en compte.

M. le président Denis Jacquat. Les immigrés âgés ont souvent recours à l’aide alimentaire car ils ne bénéficient pas d’une retraite à taux plein puisqu’ils ont souvent interrompu leur carrière pour des raisons médicales avant l’âge légal de départ à la retraite.

Mme Juliette Laganier. En effet, 20 % des personnes bénéficiant de l’aide alimentaire sont d’origine étrangère. La mise en place d’un dispositif spécifique pour ces personnes ne serait pas une bonne idée puisque celles-ci vivent essentiellement dans les grandes villes où se trouvent pour l’essentiel les centres de distribution d’aide alimentaire.

En revanche, nous devons améliorer la formation des bénévoles qui interviennent auprès de ce public, en leur permettant de surmonter la barrière de la langue et de proposer un accueil qualitatif qui ne se limite pas à la seule distribution d’aide alimentaire.

Mme Fabienne Grimaud. Nous assurons parfois avec les infirmières ou les assistantes sociales le suivi du retour à domicile après une hospitalisation – les immigrés âgés n’ont souvent pas de médecin traitant et s’adressent donc directement aux urgences. Cet exemple illustre l’importance de travailler en partenariat avec tous les intervenants pour améliorer le suivi sanitaire.

Il en va de même pour lutter contre la précarité financière. Nous disposons d’interlocuteurs à qui nous pouvons signaler les difficultés et faciliter leur prise en charge. Les immigrés âgés n’ont pas tous le réflexe de se tourner vers l’assistante sociale ou de solliciter l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), faute de connaître leurs droits.

En matière de santé, leurs petites retraites ne leur permettent pas de souscrire une mutuelle. Il est donc utile de leur expliquer le fonctionnement de la couverture maladie universelle (CMU) dont ils ignorent souvent l’existence.

Les immigrés âgés sont essentiellement aujourd’hui des chibanis de quatre-vingts ans. Mais nous commençons à rencontrer des femmes seules que l’on appelle les « bâtons de vieillesse » et qui sont arrivées en France par le biais d’un regroupement familial tardif afin d’aider un vieil homme dépendant. Devenues veuves, elles se trouvent sans moyens, sans maîtriser la langue et sans savoir comment retourner dans leur pays. Elles fréquentent plutôt les centres sociaux – nous en rencontrons très peu dans les foyers.

Deux raisons expliquent le faible succès des EHPAD auprès des immigrés âgés. Le premier frein tient au coût de cet hébergement : il est impensable, pour ces personnes, que le reliquat qu’elles auraient à payer les empêche d’envoyer de l’argent dans leur pays à des familles qui ne connaissent pas la réalité de leur vie en France. Par ailleurs, comme les autres personnes âgées, elles craignent que leurs libertés ne soient restreintes dans ces structures.

Les petites résidences sont évidemment préférables aux grands foyers, mais le plus important reste le maintien à domicile. Une expérience de mutualisation de l’aide à domicile est actuellement menée dans un foyer d’Aix-en-Provence afin de diminuer le coût des intervenants. Cela suppose que les personnes intervenant dans les foyers soient formées au respect des codes culturels des migrants âgés. Nous essayons de mettre en place à Grenoble, pour l’aide à domicile, une organisation plus efficace et à moindre coût, car les immigrés âgés en sont demandeurs.

La question de la fin de vie est également importante pour les immigrés âgés. Nombre d’entre eux craignent de devoir rester en France alors que, pour des raisons culturelles, ils souhaitent mourir sur la terre où ils sont nés. Ils attendent souvent le dernier moment pour retourner définitivement au pays, malgré des conditions de vie très précaires.

M. le président Denis Jacquat. Nous savons qu’il existe des assurances pour le rapatriement des corps. Mais cette question est très complexe pour les familles.

Je vous remercie, mesdames, pour la qualité et la pertinence de vos réponses.

Audition de M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre de l’emploi,
de la cohésion sociale et du logement


(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mars 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. M. Jean-Louis Borloo était ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement lors de l’adoption de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO ». Ses articles 58 et 59 prévoyaient la création d’une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine », destinée à permettre aux anciens travailleurs immigrés, résidant notamment dans des foyers de travailleurs, qui souhaiteraient résider durablement dans leur pays d’origine, d’y percevoir une aide comparable aux prestations versées sous condition de résidence ou d’occupation d’un logement.

Lors de nos précédentes auditions, la question de l’absence d’entrée en vigueur de cette disposition a souvent été abordée. Il revient donc à notre mission d’information de s’interroger sur les raisons de la non-application de la loi, d’en comprendre les causes et d’envisager de nouvelles solutions.

M. Jean-Louis Borloo. Je me félicite de la création par Claude Bartolone de votre mission d’information, qui concerne des questions importantes et sensibles, aussi bien sur le plan humain que sur le plan des symboles de notre pays et de son histoire.

Les populations concernées – les chibanis – ont largement contribué à la reconstruction de la France, dans le secteur du bâtiment notamment, et ont généralement décidé de ne pas bénéficier du regroupement familial. Elles n’envisageaient pas de s’installer définitivement chez nous.

J’ai découvert le problème dans les années 2004 et 2005, par le prisme de la SONACOTRA, devenue Adoma, chargée de la gestion des foyers de travailleurs migrants.

Les chibanis ont désormais une part de leurs racines en France, parce qu’ils se sont liés d’amitié avec leurs voisins de chambrée notamment, mais conservent néanmoins un certain attachement à leur terre d’origine. Ils sont inquiets à l’idée de savoir si, en cas de retour au pays, ils pourront néanmoins revenir en France de temps en temps. Il s’agit d’une préoccupation vitale.

Il fallait donc trouver une formule leur permettant de retourner dans leur pays d’origine pendant quelques mois, voire définitivement, sans que le lien avec France ne soit entièrement rompu.

À ma grande surprise, ce sujet a suscité d’invraisemblables débats. Peu de textes de loi ont fait l’objet d’autant de prévention juridique et de rigueur de la part des différentes administrations.

Je considère que verser ces prestations non contributives aux immigrés âgés n’est rien d’autre qu’un geste de dignité républicaine qui, de surcroît, ne coûterait rien à la France. En effet, si les personnes concernées devaient rester en France, elles continueraient de percevoir ces prestations. On pourrait même considérer que leurs retours momentanés au pays entraîneraient quelques économies pour nos services publics, notamment de santé.

Les arguments portant sur les problèmes posés par le versement d’une prestation non contributive réservée aux personnes ayant résidé en France sont les mêmes depuis des années. Le travail préparatoire extrêmement important mené avec le Conseil d’État avait permis de trouver une formule juridiquement acceptable, y compris au regard du droit de l’Union européenne. La création de l’allocation spécifique, qui ne soulevait pas de difficultés juridiques d’après le Conseil d’État, fut d’ailleurs adoptée à l’unanimité de l’Assemblée nationale et du Sénat à la toute fin de la XIIe législature. Malgré cela, certains travailleurs migrants m’ont dit qu’ils craignaient que l’aide ne soit pas mise en place. Ils avaient vu juste !

Les projets de décrets d’application furent ensuite transmis au Conseil d’État. Plus tard, constatant que les décrets d’application n’avaient toujours pas été publiés, on me dit que le Conseil d’État s’était soi-disant opposé à leur rédaction. J’ai alors découvert que les projets de décrets avaient été rappelés pour être légèrement modifiés. En réalité, aucune modification n’y a été apportée, le texte a purement et simplement disparu. C’est pourquoi je demande, chaque année, à tous les chefs de Gouvernement de mener à bien ce dossier.

Comment a-t-on pu ainsi méconnaître un vote unanime des représentants de la nation en soustrayant de l’examen du Conseil d’État le projet de décret d’application correspondant ?

Aujourd’hui encore, j’entends, à l’encontre de ce texte, les mêmes arguments qu’il y a six ans. Or, j’affirme que le travail avait été réalisé en amont en concertation étroite avec le Conseil d’État et que nous avions pris le temps de penser la mesure de façon très minutieuse.

Je me réjouis donc de l’initiative prise par votre mission d’information car c’est un sujet qui me tient à cœur.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Vous venez, et je vous en remercie, d’ajouter une pièce manquante au « puzzle » de l’histoire mouvementée des articles 58 et 59 de la « loi DALO », qui ne sont toujours pas entrés en vigueur.

Le débat a rapidement pris un tour juridique, portant notamment sur l’« exportabilité » des droits, les conditions de résidence, ou encore les risques d’extension d’une prestation au-delà des personnes pour lesquelles elle a été conçue. Nous avons à cet égard recueilli des avis très différents les uns des autres, ce qui nous prive de certitudes quant à la validité juridique de la solution retenue par la loi.

Aurait-il fallu que celle-ci bénéficiât d’un travail préparatoire plus approfondi ? La majorité des immigrés dont nous parlons, à hauteur de 80 % ou 90 %, ne souhaite pas rentrer définitivement dans leur pays d’origine. Le problème posé est donc celui de leur « navette » entre terre d’origine et terre d’accueil, à laquelle ils sont parfois au moins autant, sinon davantage, attachés. Ce qui fait que la question de l’« exportabilité » des droits cache bien d’autres problèmes, notamment celui des conditions de logement.

Il y a donc une loi adoptée, des projets de décret d’application déjà rédigés mais non examinés par le Conseil d’État…

M. Jean-Louis Borloo. Parce que le Gouvernement les a retirés, avant que le Conseil d’État ait pu se prononcer. Ne vous laissez pas abuser par les mêmes arguments inlassablement mis en avant ! Il faut aller à Gennevilliers pour se rendre compte de ce que ressentent les chibanis, tant de fois trahis ! Ils souhaitent, dans un premier temps, pouvoir effectuer la « navette » pendant quelques années, et, dans un second temps, se réinstaller dans leur pays d’origine.

M. le rapporteur. Nous savons, par le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qu’une décision politique, prise en octobre 2007, est intervenue et a eu pour effet d’enterrer le sujet.

Nous avons maintenant fait le tour de la question. Ce qui importe est de savoir comment on peut la réexaminer et quelle formule, analogue ou différente, il est possible de mettre en place. À mon sens, il ne faut pas se focaliser sur la rédaction « loi DALO » car rien ne nous empêche de la modifier pour qu’elle aboutisse enfin.

De nombreuses associations nous ont indiqué qu’une partie considérable des immigré âgés ne bénéficiaient pas de l’ASPA parce qu’ils ne l’avaient jamais demandée. Il nous est donc apparu que le premier problème des immigrés âgés résidait dans leur accès très insuffisant aux droits. L’isolement dans lequel ils se trouvent, la barrière de la langue et leur discrétion expliquent qu’ils ne réclament pas leurs droits. Par ailleurs, et cela est grave, les contrôles effectués dans les foyers les ont placés dans la situation de fraudeurs, ce qui a constitué une atteinte à leur honneur et est totalement contraire à leur état d’esprit. En réalité, le non-respect de la condition de résidence de six mois et un jour pour bénéficier de l’ASPA explique qu’ils aient été considérés comme en tort. Dans certains cas, leur absence de réponse à un courrier simple de l’administration a entraîné la suspension de leurs droits, avant qu’ils aient eu le temps de répondre. À cet égard, il y un problème plus général de maltraitance qu’il conviendrait de corriger. Cela relève de l’honneur de la République !

Parallèlement au problème d’accès aux droits, la question du logement des immigrés âgés est celle qui revient le plus souvent. Adoma a lancé, il y a une quinzaine d’années, un plan de traitement des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales. Sur 320 établissements concernés, 160 seulement ont été traités. Lorsque vous étiez ministre chargé du logement, vous êtes-vous penché sur cette question ? Comment expliquez-vous le retard de réalisation par rapport à l’objectif ? À titre d’exemple, on compte une résidence sociale et trois foyers à Gennevilliers, dont un comporte 380 chambres, avec toutes les conséquences pratiques, en termes de manque de convivialité ou de promiscuité, que l’on peut imaginer : ce foyer doit être démoli et reconstruit à l’horizon 2016.

Aujourd’hui, d’après les chiffres transmis par Adoma, trois immigrés âgés meurent en moyenne chaque jour. Ils sont souvent victimes de pathologies dues aux métiers qu’ils ont exercés et leur taux de mortalité est sensiblement supérieur à celui des retraités français. Nous aimerions aussi recueillir votre avis sur ce point.

M. le président Denis Jacquat. La moyenne d’âge des immigrés vivant en foyer est d’environ soixante-dix ans.

M. Daniel Vaillant. Je salue d’abord la franchise et la liberté d’expression de M. Jean-Louis Borloo. Il nous faut surmonter les vicissitudes du passé et régler politiquement un problème sur lequel nous semblons être tous d’accord. Une nouvelle loi est-elle nécessaire puisqu’il en existe déjà une ?

Les immigrés âgés peuvent jouer un rôle utile dans l’actuelle société française vis-à-vis des jeunes générations dont ils ne partagent pas les dérives, animés qu’ils sont par une double nostalgie, du pays de leur enfance et des Trente glorieuses au cours desquelles tout était possible dans une République laïque, soucieuse du droit et du respect de tous.

En outre, un texte de loi voté à l’unanimité mérite une considération particulière, que le pouvoir exécutif semble avoir méconnue.

Est-ce pour des raisons purement budgétaires que le projet de décret d’application de la « loi DALO » a été retiré ou bien du fait de certaines barrières idéologiques qu’il faudrait aujourd’hui dépasser ?

Sa mise en vigueur ne règlerait évidemment pas tous les problèmes, certains tenant par exemple à l’accès à la santé et au logement.

Quoi qu’il en soit, et indépendamment de son incidence financière, cette allocation spécifique me semble être due aux migrants âgés, qui ont cotisé aux régimes d’assurances sociales et ne sont pas, contrairement à ce que l’on peut entendre, à la charge de la collectivité. Cela est également vrai des immigrés plus jeunes.

Quand l’État aura honoré son engagement, il conviendra de faire participer les collectivités territoriales à l’organisation de la vie quotidienne des immigrés, et privilégier ainsi une politique de proximité.

Mettons en place l’allocation spécifique – mission qui incombe à l’État – puis traçons des pistes d’évolution avec les collectivités territoriales.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Qu’est-ce qui bloque réellement dans cette affaire de prestation spécifique ?

M. Jean-Louis Borloo. C’est bien la question la plus difficile ! On a d’abord opposé à la prestation des arguments budgétaires mais ils ne sont pas valables pour les raisons déjà indiquées.

Votre mission d’information a également entendu des arguments, notamment d’ordre juridique, dont je réfute complètement le bien-fondé.

Il m’a été expliqué qu’un projet de décret a bien été transmis pour avis au Conseil d’État le 2 mai 2007, mais qu’en octobre 2007, le Gouvernement a fait savoir qu’un nouveau projet de décret serait soumis au Conseil d’État et qu’il n’était donc plus nécessaire qu’il se prononce sur le précédent. Celui-ci a donc été rayé des rôles et aucune nouvelle saisine n’est intervenue. Il est scandaleux de faire dire au Conseil d’État ce qu’il n’a jamais dit.

Il me semble qu’à différents échelons administratifs, la mise en place de ce dispositif n’était pas souhaitée. On continue donc de vous abreuver des mêmes arguments, notamment de celui prétendant que les immigrés concernés n’auraient pas souhaité percevoir la prestation, pour des raisons irréelles. La prestation présentait l’avantage de la simplicité.

De nombreux immigrés sont déjà rentrés dans leur pays en abandonnant leurs droits et je crains bien que, dans certains milieux administratifs, on ait espéré que les autres suivraient le même chemin ou disparaîtraient avec le temps.

Le plan d’Adoma a pris du retard car le Gouvernement devait par ailleurs faire face à des problèmes de logement social et de risques de multiplication des émeutes urbaines.

Mais je reviens sur ce qui me tient le plus à cœur : il suffit aujourd’hui de ressaisir le Conseil d’État sur le projet de décret qui lui a déjà été transmis.

M. Daniel Vaillant. Le Parlement pourrait adopter une résolution demandant que le décret soit remis à l’ordre du jour.

M. le président Denis Jacquat. Cela pourrait faire l’objet d’une préconisation de notre mission d’information.

M. le rapporteur. Le blocage est d’autant plus incompréhensible que l’« exportabilité » des droits existe déjà pour les retraites contributives. Le problème du bénéfice de l’allocation spécifique ne se pose donc que pour ceux qui, ayant eu des carrières professionnelles discontinues, ne peuvent jouir d’une retraite à taux plein et doivent rester en France pour profiter de l’ASPA. Sauf à considérer qu’il serait illégitime de leur accorder la possibilité de conserver des droits équivalents grâce à l’allocation spécifique, ce qui renverrait à des considérants inavouables, rien ne peut expliquer de façon rationnelle le blocage constaté.

Je voudrais aussi évoquer une toute autre question, qui fait partie des revendications des associations : celle du droit de vote aux élections locales des résidents non communautaires. Alors qu’on pourrait aborder ce sujet de façon sereine, des passions typiquement françaises nous en empêchent. Qu’en pensez-vous ? Le Gouvernement explique qu’il ne sera pas possible de réunir les trois cinquièmes des voix nécessaires à l’adoption d’une révision constitutionnelle par le Parlement réuni en Congrès.

M. Jean-Louis Borloo. Je trouve extraordinaire qu’on anticipe la réponse avant d’avoir posé la question ! Le vote des parlementaires est libre. Un certain nombre de parlementaires, de toutes les couleurs politiques, y étaient plutôt favorables. Mais il est vrai que certains se demandent aujourd’hui si ce débat est opportun dans le contexte actuel. Prenons garde, en effet, de ne pas lancer de débats qui risqueraient surtout de provoquer des blessures, comme on l’a vu à l’occasion du débat sur l’identité nationale.

Sur le thème de l’intégration, un effet d’optique nous empêche de bien raisonner. Je suis aujourd’hui stupéfait par les progrès réalisés par l’intégration républicaine au cours des dix dernières années, depuis les premiers concours « Talents des cités » jusqu’au succès, dans l’entreprise, comme au cinéma ou à la télévision, de nos compatriotes d’origine immigrée... Mais, en même temps, une petite frange de la population immigrée s’est radicalisée, ce qui laisse d’aucuns penser que les trafiquants et les djihadistes mettent en péril l’évolution générale. Il faut donc être prudent sur ces sujets !

La mesure envisagée en 2007 est fondamentale. Elle aura un impact essentiel sur les générations plus jeunes.

M. le président Denis Jacquat. Nous vous remercions pour la qualité et la franchise de vos explications.

Audition, consacrée aux thèmes de l’exercice du culte et du droit funéraire, de M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques
au ministère de l’intérieur, de M. Abdelhafid Hammouche, professeur des Universités à Lille 1, et de M. Yassine Chaïb, sociologue


(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mars 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous abordons à présent les thèmes de l’exercice du culte et du droit funéraire, en recevant M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur, M. Yassine Chaïb, sociologue, et M. Abdelhafid Hammouche, professeur à l’université Lille 1, accompagné de Mme Sylvaine Colombier.

La sous-direction des libertés publiques, dont fait partie le bureau central des cultes, assure la veille juridique en ce qui concerne le droit des cultes, l’application du principe de laïcité et du principe de liberté religieuse et le respect des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Églises et de l’État. Elle entretient par ailleurs des relations avec les autorités représentatives de toutes les religions pratiquées en France.

Monsieur Chaïb, vous êtes sociologue et responsable de la mission d’appui aux politiques de la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale de Picardie. Vous êtes notamment l’auteur d’un ouvrage intitulé L’émigré et la mort : la mort musulmane en France, dans lequel vous abordez de nombreuses questions liées à l’inhumation d’immigrés en France comme au pays. Plus généralement, vous avez travaillé sur la question du vieillissement dans l’immigration, ce qui constitue le cœur de nos travaux.

Monsieur Hammouche, vous êtes sociologue, professeur des universités. Vos recherches portent sur les situations migratoires, notamment sur les rapports de génération et les évolutions familiales lors des migrations, ainsi que sur les dynamiques sociales dans les quartiers dits « sensibles ». Vous pourrez donc nous apporter un éclairage sur les relations familiales en matière de religion et un écho du terrain, notamment des quartiers relevant de la politique de la ville.

Il nous a semblé nécessaire d’aborder les thèmes de l’exercice du culte des immigrés âgés, au sein des foyers comme en dehors, et du droit funéraire. Nous aimerions donc vous entendre sur les pratiques religieuses en lien avec le temps de la retraite, le choix du lieu d’inhumation, la présence de « carrés confessionnels » dans les cimetières, etc.

M. Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur. Après vous avoir présenté quelques observations générales sur la pratique religieuse des immigrés âgés, qui, pour l’essentiel, sont musulmans, j’aborderai trois sujets particuliers : la pratique funéraire, l’exercice du culte dans les foyers de travailleurs et le pèlerinage à La Mecque.

Deux sondages, réalisés par l’IFOP en 2009 et 2011, et l’enquête « Trajectoires et origines » de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) permettent de dégager quatre faits saillants liés à la pratique religieuse des musulmans âgés.

Les personnes âgées sont relativement peu nombreuses chez les musulmans de France, la population musulmane étant assez jeune dans notre pays.

Elles ont une pratique religieuse plutôt plus développée que les classes d’âge plus jeunes. Ainsi, 41 % des personnes de plus de cinquante-quatre ans fréquentent la mosquée, 34 % font le pèlerinage, 32 % des plus de soixante-cinq ans ont l’intention de le faire, alors que ces pratiques sont beaucoup plus faibles dans les autres classes d’âge étudiées.

Le rapport à la société ambiante révèle des positions un peu plus conservatrices chez les immigrés âgés, notamment sur la question des mariages mixtes.

Enfin, la religiosité des personnes âgées musulmanes est plus développée que celle des autres immigrés, notamment de ceux se déclarant catholiques.

Sur la question des musulmans âgés face à la mort, où se mêlent l’émotion, le droit funéraire et les rites religieux, on entend tout et son contraire. Il est vrai que le matériel statistique est assez difficile à trouver. Ainsi, on prétend que 80 % des musulmans souhaitent se faire enterrer dans leur pays d’origine. Ce chiffre s’explique par des facteurs psychologiques, la mort ne faisant pas nécessairement partie du projet migratoire, par des facteurs culturels ou religieux – la plupart des rites musulmans étant contrariés par les modes de gestion de la pratique funéraire en France – et, enfin, par des facteurs économiques liés à l’intérêt de certains acteurs du marché funéraire à organiser le rapatriement des corps.

Il convient toutefois de relativiser cette réalité, et l’estimation traditionnelle de 80 % est à considérer avec précaution. Ainsi, l’exemple d’une mosquée de Bordeaux montre que, sur 719 décès survenus entre 1993 et 2011, il y a eu 491 rapatriements pour 228 inhumations sur notre territoire, soit une proportion des deux tiers. Pour l’ensemble des décès, les rapatriements, qui sont autorisés par une décision administrative, sont au nombre de 10 000 par an, dont 6 000 vers le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Turquie.

Il faut noter que, en la matière, les pratiques évoluent. L’enterrement dans notre pays a été religieusement validé et, aujourd’hui, le projet de vie en France implique un enterrement en France. L’État se préoccupe de cette question : le premier cimetière confessionnel musulman a été installé à Bobigny dans les années trente et plusieurs circulaires relatives à la législation funéraire ont été prises à partir de 1975, renouvelées en 1991 et en 2008. C’est donc la circulaire du 19 février 2008 qui fixe le cadre actuel de l’exercice funéraire.

Quatre questions pratiques se posent en la matière. La première est celle des « carrés confessionnels » dans les cimetières. Un recensement réalisé en 2010 auprès des communes françaises a dénombré 200 « carrés confessionnels » musulmans sur notre territoire. Un autre recensement en cours, pour lequel nous avons déjà recueilli les réponses d’un tiers des départements, laisse présager une augmentation de la création des « carrés musulmans ». Ainsi, le département du Rhône compte seize « carrés musulmans », contre dix en 2010, et le département de la Seine-Saint-Denis en compte quatorze, contre neuf en 2010.

La création des « carrés confessionnels » doit être conforme aux principes du droit funéraire, au premier rang desquels la neutralité des cimetières et notamment de leurs espaces collectifs, en application de la loi de 1881 sur la liberté des funérailles.

La deuxième question est relative à la perpétuité des concessions. Elle se pose pour toutes les sépultures, en raison, notamment, de la raréfaction des terrains dans les cimetières. En la matière, une grande liberté est laissée aux communes. Il faut noter que la problématique de l’absence ou de la raréfaction des concessions perpétuelles peut être compensée par un renouvellement des concessions temporaires, comme le rappellent les maires.

La troisième question a trait au respect des rites. Sur ce point, je pense que l’adaptation est plutôt réussie, le meilleur exemple étant celui des monuments funéraires qui allient les styles traditionnels et les styles plus communs dans nos cimetières. Il faut cependant noter que des volontés s’expriment, s’agissant notamment des règles sanitaires, comme en témoigne le débat qui a eu lieu à Avignon en fin d’année dernière, à l’occasion duquel une partie des responsables musulmans contestait l’utilisation du géotextile pour la réfection d’un cimetière.

La quatrième question est liée au choix de l’emplacement de la tombe au sein du cimetière. À cet égard, il faut rappeler que le principe de liberté des funérailles implique que c’est l’individu qui choisit d’être enterré au sein d’un « carré confessionnel » ou, à défaut, sa famille, et non la communauté religieuse.

Sur ce point de la « doctrine funéraire », je dirai qu’il est sans doute nécessaire de trouver un équilibre entre l’aspiration à s’approprier la terre où l’on a vécu, qui correspond réellement à une demande des communautés de fidèles musulmans, et le respect des grands principes du droit funéraire – salubrité, individualisation des funérailles, etc. Dans ce cadre, l’État a un devoir de facilitation, d’explicitation du droit, notamment au regard du respect des principes. Il a également un devoir de protection des individus.

Il existe en France de grands opérateurs de gestion des foyers de travailleurs migrants, notamment Adoma, qui dénombre environ 300 salles de prière dans ses foyers. À l’origine, la SONACOTRA mettait à la disposition des résidents des espaces pouvant être utilisés ponctuellement comme lieux de culte. La situation a changé à partir des années soixante : le public cible a évolué, l’opérateur s’est réorganisé et a proposé des salles permanentes, ouvertes aux personnes extérieures aux foyers. En outre, on dénombre aujourd’hui quelque 2 300 mosquées, contre une centaine dans les années soixante-dix. Cette situation pose la question de l’application du principe de laïcité : un opérateur public a-t-il vocation à gérer des lieux de culte dans les foyers ?

En la matière, votre mission pourrait opportunément accompagner les efforts d’Adoma et de l’État qui travaillent à une rationalisation de la gestion des lieux de culte et éventuellement, dans le cadre des projets de réorganisation, à leur regroupement dans des salles extérieures.

Les immigrés âgés partent souvent en pèlerinage à La Mecque à la fin de leur vie. L’État a un rôle de protection à leur égard et ses services sont loin d’être inactifs en la matière. En effet, chaque année, le Quai d’Orsay, le ministère de l’économie et des finances et le ministère de l’intérieur diffusent, par le biais des conseils régionaux du culte musulman et le Conseil français du culte musulman (CFCM), une brochure sur l’organisation du pèlerinage. En outre, les ministères concernés travaillent à un projet de charte de qualité des agences de voyages. Enfin, sur place, à Djedda, le Quai d’Orsay organise une assistance d’urgence pour les pèlerins en difficulté afin de favoriser, en concertation avec les instances représentatives du culte musulman, la qualité des prestations fournies par les agences de voyages.

M. Yassine Chaïb, sociologue. Mes travaux sur l’intégration par la mort et les rites funéraires d’enracinement, que je mène depuis trente ans, m’ont amené à distinguer l’immigration familiale et l’immigration de l’homme seul.

Dans le cas de l’immigration familiale, les études que j’ai effectuées sur des dossiers consulaires concernant le Maghreb et la Turquie m’ont permis de démontrer que le retour post mortem systématique s’explique par le fait qu’il est interdit chez les immigrés de mourir en France, car cela n’est pas prévu dans le projet migratoire. J’ai également montré l’existence d’enjeux économiques liés au rapatriement, car, même s’il représente un coût important, la famille d’origine souhaite faire valoir son droit de succession. Ainsi, cinq cents Tunisiens sont rapatriés chaque année et rares sont ceux qui sont inhumés en Europe, sauf en cas de mariage mixte ou de souhait de crémation. J’ai observé la même situation chez les Marocains.

Il faut dire que les pays d’origine offrent à l’immigré une protection personnelle. Ainsi, l’État tunisien fournit une avance qu’il récupère à la liquidation de la succession. Le gouvernement mexicain utilise également le rapatriement des nationaux qui décèdent aux États-Unis comme un moyen diplomatique. Cette question du retour post mortem dans un cadre familial comporte donc un volet sociologique, social – puisque des familles sont encore présentes dans le pays d’origine –, mais aussi un volet politique lié au pays d’origine.

Mais nous vivons actuellement un changement de paradigme et le rapatriement n’est plus systématique. Auparavant, les gens faisaient valoir leur attachement au pays : « Mon pays, c’est l’Algérie », disaient-ils par exemple. Désormais, comme l’ont montré mes travaux sur des personnes en fin de vie, ils déclarent : « Mon pays, ce sont mes enfants. » Il s’agit véritablement d’une revendication citoyenne. Cette génération de l’enracinement est cependant confrontée à plusieurs obstacles : la tension foncière freine l’aménagement des « carrés musulmans » et les pompes funèbres n’offrent pas un service commercial adapté.

Face au manque de places, les collectivités territoriales devraient devenir aménageurs et innovateurs. Aucune revendication n’est exprimée par les migrants pour refuser l’inhumation dans un cercueil, mais des innovations pourraient être envisagées dans le domaine des rites funéraires, comme le stationnement mixte avant l’inhumation – avec la présence de Français, de musulmans, de femmes, d’hommes –, pratique qui n’existe pas dans le pays d’origine où la personne est inhumée le matin en présence des hommes, alors que les femmes ne se rendent au cimetière que l’après-midi.

Pour l’heure, aucune circulaire n’a pris en compte cette tendance à se faire enterrer auprès de ses enfants. D’ailleurs, plus qu’aménageurs, les collectivités pourraient s’octroyer le rôle de géomètre en aménageant tout simplement, dans les « carrés musulmans », des concessions orientées vers l’est. Le reste ne les concerne pas, puisque ce sont les personnes concernées qui choisissent s’il convient d’édifier ou non un monument.

S’agissant des immigrés seuls hébergés dans des foyers Adoma, les départs de corps se multiplient en raison du vieillissement des résidents. Cette question de la mort chez les personnes âgées migrantes seules révèle une ambiguïté entre ce que j’appelle « décéder en France » et « mourir en France ». En fait, ces personnes prennent le risque de « décéder en France », car elles y ont cotisé et bénéficient de soins, mais elles se protègent du « mourir en France », car elles ne souhaitent pas s’y faire inhumer. Afin de se protéger de cette malédiction de mourir en France, elles souscrivent des assurances rapatriement ou développent une solidarité communautaire qui leur permet de se faire enterrer au pays grâce aux cotisations des résidents. Aussi font-elles des navettes constantes entre leur pays d’origine et la France, certaines conservant leur chambre au foyer pour faire ces allers et retours en prenant le risque de mourir sur le sol français.

Il faut également évoquer ce que j’appelle « l’économie de la valise ». Si ces personnes voyagent constamment entre le pays d’origine et la France, c’est aussi pour trouver des moyens de subsistance : elles tiennent des petits commerces de marchandises et viennent en France pour bénéficier de l’ASPA, qui fait vivre toute une famille dans le pays d’origine
– cette allocation étant souvent bien supérieure au salaire moyen des enfants restés au pays. Les migrants âgés sont par ailleurs une source d’inspiration culturelle, comme le montre le nombre croissant de travaux réalisés sur « les oubliés de guerre », qui ont combattu aux côtés de la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Je crois qu’il est important de recueillir leur parole pour connaître leur trajectoire et de leur donner une citoyenneté, car ce sont des citoyens à part entière.

Ces personnes âgées et isolées, piégées par leur propre projet migratoire, appartiennent à l’histoire de l’immigration, et nous n’en connaîtrons pas d’autres comme elles à l’avenir : nous aurons désormais beaucoup plus à gérer leur mort qu’à gérer leur vie.

M. Abdelhafid Hammouche, professeur à l’université Lille 1. Comme vous l’avez indiqué en préambule, monsieur le président, mes travaux ne portent pas directement sur les thèmes du culte et de la pratique funéraire, mais plus largement sur les situations migratoires. Je me suis plus précisément intéressé à la vie des migrants, à ce qui se passe au sein des familles, au rapport entre générations et aux questions matrimoniales. À cet effet, je me suis penché sur la situation des migrants seuls ou vieillissants, jamais en les isolant, mais plutôt en les incluant dans un contexte, dans un système social. Mon questionnement porte sur la vie sociale, sur le type de lien que ces personnes entretiennent ici et là-bas. Dans le cadre des travaux que je mène depuis les années quatre-vingt sur plusieurs régions de France, je me suis principalement concentré sur les migrants originaires du Maghreb.

Mon exposé s’articulera en trois points. J’évoquerai d’abord les évolutions en matière de vieillissement, de culte et de mort depuis les années soixante jusqu’à aujourd’hui. Puis, j’étudierai la nature des liens qui se nouent avec la France et avec le pays d’origine. Enfin, je soulignerai quelques éléments qui me paraissent importants.

La question du vieillissement a pris une dimension considérable au cours des dernières décennies. Si elle concerne la société française dans son ensemble, elle est sans doute plus sensible pour les migrants qui, dans les années soixante, étaient considérés comme de passage. À bien des égards, leur sédentarisation relative, pas toujours énoncée, a accompagné nos changements de regard : un certain nombre de questions sont apparues avec le vieillissement des migrants. Aussi n’est-il pas surprenant que la question funéraire revête aujourd’hui une importance sociale et politique.

Parmi les migrants des années soixante, celui – et non pas celle – qui vous intéresse est le célibataire géographique.

M. le président Denis Jacquat. La mission s’intéresse à tous les immigrés âgés.

M. Abdelhafid Hammouche. Au départ, mes travaux ont essentiellement porté sur les hommes, mais il est vrai que la féminisation de l’immigration est un élément non négligeable. Pour le moment, le vieillissement concerne principalement les hommes.

Jusqu’aux années quatre-vingt, les migrants seuls ou en famille avaient une perspective non négociable, le retour, si bien que la question de la mort et celle du culte étaient quelque peu suspendues. Les pratiques cultuelles donnaient lieu à des compromis, et nous avions affaire à un islam villageois où les gens s’autorisaient, par exemple, à ne pas faire le ramadan. La pratique était donc réservée, aménagée. Pour la mort, des formes de solidarité étaient organisées par les migrants, avec la constitution de caisses pour le rapatriement des corps. Aujourd’hui, nous sommes dans un islam urbain où le jeu des définitions et des interprétations prend une importance considérable. Et la solidarité villageoise a été écartée au profit d’une autre forme de solidarité, avec les assurances et le rapport au consulat.

À partir des années quatre-vingt, les personnes vieillissantes ont connu une trajectoire différente selon qu’elles vivaient en famille ou étaient seules. Les personnes vivant en famille ont éprouvé une difficulté à affirmer clairement ce que j’appelle « la double installation » : les plus âgées, en particulier les plus marquées par l’histoire coloniale, ont eu du mal à dire qu’elles s’installaient définitivement en France – ce qui ne veut pas dire qu’elles ne l’ont pas fait. Ce concept de « double installation » est important selon moi, car il interroge sur la précarité et toutes les difficultés que vous pouvez supposer. En tout cas, pour ces personnes, se posent les questions de la gestion des rapports intergénérationnels à l’intérieur de la famille, qui est très compliquée, et de la relation au pays, évoquée par M. Chaïb.

Pour les migrants célibataires géographiques, les choses sont plus difficiles. Certains ont tenté de retourner s’installer au pays d’origine. Cela ne s’est pas toujours très bien passé : des complications peuvent naître là-bas, liées à des considérations économiques notamment, alors que, en France, des formes d’entraide et de solidarité existent, à l’intérieur du foyer ou grâce à une partie de la famille à proximité, ou encore par le bénéfice de logements en ville.

Il est important de noter que, au cours des deux périodes évoquées, la situation du migrant célibataire géographique n’est pas la même selon qu’il peut compter sur quelques parents à proximité ou qu’il est isolé. Au cours de la première période, les immigrés logés dans des foyers ou dans des cités accueillant des ouvriers baignaient dans une sorte de matrice relationnelle qui rappelait constamment le village. Aujourd’hui, la situation est autrement plus difficile pour les personnes seules.

Pour revenir à la « double installation », elle est soit appréciée, soit subie par la personne en fonction de son histoire. Un retraité revenu en Algérie me disait naguère : « Vous, les jeunes, vous pouvez au moins dire que vous ne supportez pas, tandis que nous, les plus âgés, nous n’avons pas ce droit moral, nous devons dire que nous attendions ce moment du retour. » Le fait d’avoir quitté la France lui posait de nombreux problèmes. Dans la mesure où ces situations peuvent se révéler très compliquées d’un point de vue pratique, financier ou juridique, il serait intéressant de réfléchir à leur amélioration. Cette « double installation » est vécue différemment par les migrants isolés et les migrants en famille, mais aussi selon l’âge et l’état de santé.

Le passage d’un lien clivé à un lien articulé constitue un changement décisif. Dans les années soixante et soixante-dix, il était inconcevable pour beaucoup d’affirmer autre chose qu’un lien exclusif au principe de l’État-nation. Un Allemand ne pouvait pas être français. Aujourd’hui, les personnes âgées qui ont gardé leur nationalité d’origine peuvent afficher plus sereinement une double appartenance. Cette question étant minée symboliquement, il est heureux que votre mission se soit emparée du sujet des immigrés âgés. On assisterait donc au passage d’un lien d’opposition à un lien plus articulé, lequel existe pour les personnes âgées, mais aussi pour les familles et les enfants. Un certain nombre d’associations militent en ce sens et des dispositions législatives ont été prises en la matière.

Le rapport au culte a changé très profondément, non seulement en France, mais dans la plupart des pays d’origine. Aujourd’hui, les migrants ont affaire à un islam urbain, autrement dit à des pratiques qui sont mises en discussion et interprétées, et non plus à des pratiques transmises de génération en génération. J’ignore quelle est, dans cette dynamique de transformation, la part d’action volontaire et la part de contrainte.

S’agissant des droits, il faudrait parvenir à articuler contrôle et accompagnement, pour que les personnes concernées cessent de se sentir en permanence l’objet d’une suspicion. Ne négligeons pas non plus la portée du discours, la question migratoire revêtant une importante dimension symbolique. Soutenir et encadrer les initiatives comme celles de Saint-Étienne et de Lyon – destinées en priorité aux personnes âgées, mais potentiellement utiles à l’ensemble de la cité – peut également être bénéfique, même si chercher à résoudre tous les problèmes posés par les jeunes en les mettant au contact des plus âgés relève sans doute de l’utopie. En tout état de cause, il convient de reconnaître la contribution de ces derniers à l’effort industriel.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Quel lien peut-on établir entre le vieillissement et la pratique religieuse ? Est-il exact qu’une fois à la retraite, les immigrés souhaitent consacrer plus de temps à l’exercice du culte, et faut-il en faciliter les modalités ? Ce problème ne semble pas prioritaire pour les chibanis des foyers de travailleurs migrants, d’autant qu’il existe aujourd’hui davantage de mosquées qu’il y a quelques années.

Vous avez évoqué la dichotomie entre islam villageois et islam urbain ; mais n’en existe-t-il pas une autre entre l’islam des parents et celui des plus jeunes ? Vous semblez dire d’un côté que les plus anciens sont plus attachés au respect de la pratique religieuse et de l’autre que l’islam urbain, entraînant une forme de pratique plus collective, exerce un contrôle social plus étroit que l’islam villageois qui laissait à chacun une liberté d’interprétation. Ces deux idées n’entrent-elles pas en contradiction ?

Le temps de la retraite, vous l’avez souligné, correspond au moment de la vie où le croyant peut effectuer un pèlerinage. Cette pratique se déroule-t-elle aujourd’hui dans des conditions satisfaisantes ou bien, face aux abus que vous semblez évoquer, faudrait-il en améliorer la réglementation et le contrôle ?

En matière de droit funéraire, la part des personnes souhaitant se faire enterrer dans leur pays d’origine a-t-elle évolué depuis dix ans ? Le nombre de 300 « carrés confessionnels » dans les cimetières français, souvent avancé, correspond-il à la réalité ? Quelque 70 % des immigrés âgés sont de confession musulmane et issus des pays du Maghreb ; d’autres religions sont-elles concernées par la question des rites funéraires ? Existe-t-il des études évaluant les besoins et les demandes des populations immigrées dans ce domaine ?

En tant qu’élu local, je sais d’expérience que les maires ayant aménagé un « carré confessionnel » font face à l’afflux des demandes de la part des résidents des communes voisines qui n’offrent pas la même possibilité. Comme en matière de logement social, le fait de jouer le jeu républicain soumet leurs villes à la pression ; pourtant, s’ils souhaitent privilégier les habitants de leur propre commune, ils ne peuvent que rejeter les demandes des résidents extérieurs et doivent donc assumer une position inconfortable face au deuil des familles. Pour limiter cet effet pervers, il faudrait sensibiliser la population aux règles du jeu, et les maires qui n’en ont pas encore pris conscience, au fait qu’il est nécessaire d’offrir aux personnes qui le demandent la possibilité d’être inhumées dans un espace confessionnel.

M. Abdelhafid Hammouche. Comme on a pu l’observer à la fin des années soixante-dix, lorsque la crise de la sidérurgie a mis nombre d’ouvriers de la région stéphanoise à la retraite, ce passage a pour les individus une double conséquence : ils ont désormais du temps libre et, surtout, sont confrontés à l’approche de la mort. Le rapport suspendu au culte disparaît dès lors que la sédentarisation conduit à la sacralisation du territoire, la France cessant d’être un lieu de passage pour devenir un lieu d’ancrage. Si la retraite dégage du temps pour la pratique religieuse, ce changement du rapport au culte apparaît également fondamental.

S’agissant de la différence entre l’islam des parents et celui des enfants, les immigrés âgés ne veulent plus se cacher aujourd’hui pour pratiquer leur religion. Cette dynamique est liée à leur sédentarisation, mais également aux mutations qui interviennent dans leurs pays d’origine où l’urbanisation rend l’islam villageois de moins en moins praticable. Dans les villes du Maghreb, il ne survit que là où l’urbanisation procède du regroupement d’anciens villages, la transmission des pratiques perpétuant l’implication des plus âgés dans les grands événements, tels les enterrements. Mais même ce type de villes n’échappe pas à la diffusion d’une nouvelle vision de l’islam, qui concerne également la France. Le décalage entre les pratiques des parents et celles des enfants créé des situations compliquées au sein des familles. Le contrôle social, qui passait au village par l’implication de tout un chacun, fait alors l’objet d’une surenchère autour de l’exégèse des textes saints. Dans certains cas, la pratique religieuse peut conforter, voire renforcer l’autorité des parents ; mais dans d’autres, ces derniers sont au contraire discrédités sous prétexte de ne pas avoir connu le « vrai islam ». Les jeunes gens et les jeunes filles portés à lire et à réfléchir choisiront alors d’argumenter ; mais dans les quartiers sensibles, le conflit peut aussi prendre d’autres formes.

La redéfinition des rapports au religieux peut enfin se jouer non seulement entre parents et enfants, mais aussi à l’intérieur du couple. Les pèlerinages peuvent alors faire l’objet d’un jeu tactique subtil autour de la conduite à adopter, l’homme pouvant par exemple faire valoir son autorité sur la femme.

M. Yassine Chaïb. Le vieillissement favorise le retour sur soi, celui-ci pouvant être dominé par le moi collectif – déterminant le regain du religieux – ou par le moi individuel
– créant la déviance, comme dans le cas de la prostitution des seniors, en augmentation. L’évolution des immigrés âgés n’est donc pas univoque.

S’agissant de la dichotomie entre islam villageois et urbain, l’islam traditionnel
– pratiqué par les parents, souvent analphabètes – a cédé le pas à un islam d’érudition ou encyclopédique, les jeunes privilégiant une démarche de connaissances quasi boulimique. Comme l’expliquait Olivier Roy, on devient extrémiste lorsqu’on veut devenir docteur en théologie sans être reconnu académiquement.

En matière de pèlerinage, les associations qui organisent les voyages se distinguent souvent par une éthique commerciale défaillante, la fraude étant monnaie courante. Par ailleurs, autant la mort que le pèlerinage ont un prix et doivent être replacés dans une perspective économique. Aussi, le pèlerinage est-il un luxe : on se l’offre pour clôturer la vie de façon religieuse et obtenir un passeport pour l’au-delà.

De même, le rapatriement coûte cher. Les Chinois se font systématiquement rapatrier, alors que les Vietnamiens – d’une autre confession – ne le font pas.

M. le président Denis Jacquat. Les Chinois se font-ils incinérer en France ?

M. Yassine Chaïb. Non, ils se font rapatrier. Un port de Chine est spécialisé dans le retour post mortem, et une aérogare est réservée à cette activité. Des personnes de confession israélite se font également enterrer à Jérusalem. Ce désir personnel entraîne donc toute une circulation mortuaire.

En ce qui concerne le droit funéraire, la possibilité de se faire inhumer religieusement constitue une revendication citoyenne importante, que j’espère voir figurer dans les programmes des partis politiques à l’occasion des élections municipales. Tant que les communes n’auront pas réalisé cet aménagement, la frustration et la tentation de se faire rapatrier perdureront. Si les pouvoirs publics ne rendent pas possible l’enracinement de la première génération des immigrés, et que les parents décédés sont rapatriés dans leur pays d’origine, le problème sera transmis à la seconde génération, pourtant née en France, qui se demandera, le moment venu, si elle doit se faire enterrer auprès des parents, en Algérie. La possibilité de se faire inhumer en France conforterait le sentiment d’appartenance et l’enracinement de cette population, tout en lui laissant le choix de la solution.

Par ailleurs, la rareté générant toujours la cherté, les concessions funéraires deviennent un marché, leurs propriétaires se livrant parfois à un trafic lucratif. La surenchère foncière qui se développe dans les mairies ne cessera que si l’on aménage suffisamment de « carrés confessionnels ».

Enfin, l’idée de constituer des comités des sages dans les quartiers afin de fournir une référence aux jeunes a bien mieux fonctionné avec l’immigration subsaharienne qu’avec la population maghrébine.

M. le président Denis Jacquat. Il s’agit certainement d’une différence culturelle : en Afrique, « quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » selon le proverbe.

M. Louis-Xavier Thirode. Toutes les études statistiques montrent que, quel que soit le culte, la pratique religieuse augmente avec l’âge, mais l’exercice du culte dans les foyers ne constitue pas le souci principal des chibanis. L’existence des salles confessionnelles représente en revanche un problème pour les foyers eux-mêmes, du point de vue de la gestion comme du respect du principe de laïcité : jadis utilisées ponctuellement par les résidents dans le cadre d’activités variées, certaines salles se sont progressivement ouvertes au public extérieur, tout en devenant un lieu de culte permanent.

La pratique de l’islam a indéniablement évolué, sous l’effet combiné de la mutation sociologique de l’immigration et du contexte international, l’appropriation de la religion acquérant une valeur identitaire. Gilles Kepel – qui a popularisé, dans son ouvrage Quatre-vingt-treize, la distinction entre l’islam des parents et celui des jeunes – parle d’« extension du domaine du halal » pour évoquer la nouvelle emprise du religieux sur des domaines qui n’y étaient auparavant pas soumis : désormais, on « voyage halal », on fréquente des « filières halal », et plus généralement on « vit halal ». Il ne s’agit toutefois que d’une des modalités de la pratique, les islams restant très divers.

Le pèlerinage – correspondant à un acte de purification – s’effectue traditionnellement en deuxième partie de vie. La Mecque accueille quelque 1,3 million de pèlerins par an, dont 20 000 à 30 000 Français. Les vieux pèlerins, qui en constituent le groupe le plus important, sont généralement encadrés par des agences, la délivrance du visa spécifique par l’Arabie Saoudite nécessitant en théorie de disposer d’un accompagnateur et d’une réservation d’hôtel sur place. En pratique, ces règles sont souvent contournées, certains opérateurs de marché n’hésitant pas à vendre des prestations inexistantes. Il conviendrait de renforcer le contrôle de ces opérations sur le territoire français, car un prestataire de service de voyages est tenu de respecter les conditions du contrat.

La proportion de personnes souhaitant se faire enterrer en France semble avoir augmenté, mais comme pour d’autres enjeux concernant les immigrés âgés, il est difficile d’avancer des chiffres précis. Le Défenseur des droits qui a travaillé sur l’évaluation des places dans les « carrés confessionnels » a également constaté le besoin d’un matériau statistique plus fiable.

En 2010, le recensement auprès des préfectures a révélé l’existence de 200 « carrés musulmans » et d’une centaine de « carrés juifs » – soumis à des prescriptions religieuses fortes en matière de perpétuité des concessions – dans les cimetières des communes françaises. Il existe également des cimetières confessionnels musulmans et juifs ainsi que quelques cimetières protestants ; cependant, depuis les lois sur le service public funéraire, si les cimetières confessionnels existants demeurent, on ne peut plus en créer de nouveaux.

M. le président Denis Jacquat. Il existe également des cimetières privés.

M. Louis-Xavier Thirode. Ils sont soumis à la même règle.

Quant aux situations de jeu non coopératif entre communes à propos de la création des regroupements confessionnels, déplorées par monsieur le rapporteur, elles sont le fait de l’autonomie des collectivités territoriales. Rien n’oblige le maire à créer un espace confessionnel ni à accepter sur le territoire de sa commune une personne qui n’y dispose pas d’attaches suffisantes. Cependant, si la situation dans ce domaine demeure imparfaite, la demande excédant l’offre, la meilleure prise en compte de ce besoin constitue un signe encourageant. Il convient de poursuivre l’effort de pédagogie.

M. le rapporteur. Dans son rapport relatif à la législation funéraire, le Défenseur des droits rappelait que, en 2011, un rapport du ministère de l’intérieur et de l’Association des maires de France avait préconisé l’aménagement d’espaces confessionnels à l’occasion de la création de cimetières intercommunaux. Que pensez-vous de cette recommandation ? La mise en place de ces carrés au sein de cimetières nouvellement créés doit-elle nécessairement passer par la loi, ou bien peut-on se contenter d’une circulaire du ministère de l’intérieur ?

M. Louis-Xavier Thirode. Il appartient aux assemblées d’en juger. Notre droit funéraire est lié à notre histoire, le principe de liberté des funérailles consacrant le caractère individuel – et non communautaire – de ce choix. L’incitation actuelle à créer des « carrés confessionnels » n’étant sans doute pas pleinement suffisante, il faudrait en rappeler la nécessité aux maires qui, aujourd’hui, ne jouent pas le jeu.

M. le président Denis Jacquat. Les maires s’opposent généralement à la création de cimetières intercommunaux, car les résidents de leurs communes souhaitent être enterrés à l’endroit où ils habitent et où reposent souvent leurs parents et grands-parents. Leur mise en place nécessiterait une longue phase de transition.

M. le rapporteur. La loi sur la décentralisation ouvre pourtant l’ère du renouveau de l’intercommunalité !

M. le président Denis Jacquat. La patience, la constance et la conviction nous permettront de réussir. Je vous remercie, messieurs, pour vos réponses précises.

Audition de représentants d’associations d’aide aux personnes âgées immigrées réunissant Mme Martine Bendahan, déléguée territoriale Hauts-de-Seine et Seine-saint-Denis de l’Association service social familial migrants (ASSFAM) et Mme Taous Yahi, agent de développement local pour l’intégration, en charge de la question
du vieillissement des personnes immigrées à Gennevilliers, M. Mohamed Memri et Mme Mimouna Gaouaou, membres
de l’Association des travailleurs maghrébins de France à Argenteuil (ATMF-Argenteuil), Mme Zineb Doulfikar, directrice de l’association Chibanis 06


(extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous commençons notre cycle d’auditions de ce jour avec des associations d’aide aux personnes immigrées âgées. Nous recevons pour en parler Mme Martine Bendahan, déléguée territoriale Hauts-de-Seine et Seine-Saint-Denis de l’Association service social familial migrants (ASSFAM) et Mme Taous Yahi, agent de développement local pour l’intégration, en charge de la question du vieillissement des personnes immigrées à Gennevilliers, M. Mohamed Memri et Mme Mimouna Gaouaou, membres de l’Association des travailleurs maghrébins de France à Argenteuil (ATMF-Argenteuil), et Mme Zineb Doulfikar, directrice de l’association Chibanis 06.

Association loi de 1901 créée en 1951, l’ASSFAM est un service social spécialisé destiné à faciliter l’intégration des migrants et à contribuer à leur insertion dans une optique de promotion dans la société française. Ses actions s’adressent aux nouveaux arrivés en France et aux personnes immigrées ou d’origine étrangère en difficulté d’insertion sociale et professionnelle.

Créée en 1982, l’ATMF est une association laïque, démocratique et indépendante qui œuvre pour l’égalité des droits entre Français et immigrés, et contribue à la défense des exclus et des migrants avec ou sans papiers. Elle lutte contre toutes les formes d’exclusion, de racisme, d’islamophobie, d’antisémitisme, de discriminations et d’inégalités. Elle prône par ailleurs une « citoyenneté active » pour les Maghrébins de France, concept que vous aurez bien entendu la possibilité de nous expliquer plus en détails.

L’association Chibanis 06 est née pour répondre aux demandes, formulées par les immigrés âgés suivis par Mme Zineb Doulfikar, alors assistante sociale, de création d’un espace de parole et d’écoute permettant de rompre avec l’isolement et la solitude. Association loi de 1901, c’est aujourd’hui un lieu d’accueil, d’écoute et d’information, qui a également une vocation culturelle destinée à offrir aux personnes âgées des activités valorisantes capables de contribuer à leur épanouissement.

Je précise que notre mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans, originaires d’États tiers à l’Union européenne, qui représentent 800 000 personnes, les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. Nous abordons l’ensemble des questions les concernant : précarité du logement, insuffisance de l’accès aux soins et aux droits de façon générale, difficultés d’intégration, isolement et dépendance, etc., autant de points sur lesquels vous pourrez apporter un éclairage essentiel pour nos travaux.

Mme Martine Bendahan, déléguée territoriale de l’Association service social familial migrants (ASSFAM). Je tiens tout d’abord à vous remercier pour cette audition. Depuis plus de soixante ans, l’ASSFAM œuvre en faveur de l’intégration des migrants dans la société française. Ses principaux objectifs sont de favoriser la prévention des problèmes liés au phénomène de l’immigration ; promouvoir l’insertion sociale et professionnelle des personnes immigrées ou d’origine étrangère ; participer à l’action contre les phénomènes de discrimination ou d’exclusion sociale ; apporter une aide à l’exercice des droits ; enfin, contribuer à l’information et à la formation des acteurs de l’intégration.

Pour en venir à notre sujet d’aujourd’hui, l’action de l’ASSFAM auprès des personnes âgées immigrées se concentre essentiellement en Île-de-France et en Rhône-Alpes. Ce public s’inscrit au cœur de toutes nos actions, de manière très transversale à toutes les délégations – accompagnement vers l’intégration, la citoyenneté, l’égalité effective des chances – et nous cherchons à garantir à chacun les meilleures conditions de vieillissement possibles.

L’ASSFAM s’est toujours efforcée de s’adapter aux besoins réels des publics et d’affiner la connaissance de leurs problématiques et de leurs caractéristiques sociologiques.

Nos délégations mènent des actions d’intervention sociale auprès des migrants âgés ou dans des foyers de travailleurs migrants ; des actions collectives, de type ateliers sociolinguistiques ; des formations d’acteurs ; des études de repérage, de diagnostic des besoins des personnes en habitat diffus.

Nous avons centré nos actions sur trois thèmes-clés : l’accès aux droits, l’accès à la santé et la sortie de l’isolement.

Notre démarche consiste à nouer un contact avec les personnes âgées immigrées, à aller vers elles afin d’amorcer une action sociale en leur faveur. Cette façon de faire n’est pas très courante chez les travailleurs sociaux.

Avant d’aborder plus spécifiquement les interventions de l’ASSFAM, j’aimerais rappeler qui sont les migrants âgés que nous rencontrons, et les constats que nous partageons avec nos partenaires – ateliers Santé Ville, caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (CRAMIF), services sociaux, services de gérontologie, etc. – tout en précisant que les personnes âgées immigrées ne forment pas un groupe homogène.

Premier constat : très peu de migrants âgés sollicitent les services sociaux et sanitaires de droit commun pour faire valoir leurs droits, même élémentaires – droits à la retraite, services d’aide à domicile, entrée en foyer, etc. Il est assez difficile de repérer ce public que l’on qualifie le plus souvent d’invisible au regard du droit commun. Si vous le souhaitez, nous pourrons revenir sur les raisons de ce phénomène.

Deuxième constat : ce public souffre, la plupart du temps, d’un vieillissement physiologique précoce lié aux conditions de travail et de vie pendant la période d’activité salariée. Sont particulièrement prégnantes les pathologies liées aux mauvaises conditions de logement, aux carences alimentaires, aux affections respiratoires, aux problèmes de santé bucco-dentaire. Par ailleurs, certaines maladies métaboliques comme le diabète, par exemple, sont beaucoup plus fréquentes parmi la population immigrée âgée.

Troisième constat : les immigrés âgés ont moins souvent recours aux maisons de retraite. Ils souhaitent se maintenir le plus longtemps possible à leur domicile et, surtout, dans leur foyer. Ils expriment leur volonté de rester avec leurs pairs, à proximité de leurs amis qui, le plus souvent, résident dans le même foyer. Il est important de prendre cette dimension en considération, d’autant plus que les migrants âgés vivent souvent loin de leur famille. Mais ce moindre recours aux maisons de retraite peut s’expliquer par d’autres raisons : le coût de ces maisons, prohibitif au regard de leurs faibles ressources ; la réticence des intéressés à être pris en charge par l’aide sociale de la ville, qui suppose parfois une obligation alimentaire dont ils ne veulent pas ; le manque d’adaptation des structures existantes à leur mode de vie. On observe en effet un décalage entre les dispositifs de droit commun destinés aux personnes âgées et les caractéristiques culturelles et cultuelles des populations issues de l’immigration.

Quatrième et dernier constat : ce public est le plus souvent à l’écart des réseaux de proximité – notamment les commerces de proximité, les gardiens d’immeuble ou les cafés sociaux. Et pourtant, la plupart de ces personnes sont toujours autonomes et peuvent effectuer les actes de la vie courante. Elles ne participent pas non plus à la vie locale et échappent aux campagnes de prévention. Lors de nos permanences sociales, elles sont nombreuses à nous faire part de leur sentiment d’isolement et de leur besoin d’écoute.

La vie de ces migrants est fréquemment faite d’allers et retours au pays. Mais ils ne sont ni d’ici, ni de là-bas et, à force de vivre dans les foyers, ils ne peuvent plus s’en détacher. Même mariés ou vivant en foyer de travailleurs, certains se trouvent dans un extrême isolement socio-affectif, loin de la famille, sans qu’une réelle solidarité intergénérationnelle se manifeste en France. La plupart du temps sans leur conjoint et sans leurs enfants, ils ont la nostalgie du pays quand ils sont en France, et la nostalgie de la France quand ils sont au pays.

Les professionnels du secteur sanitaire et social ont également du mal à appréhender ce public : barrière de la langue, absence de coordination des interventions des différents acteurs, financement précaire de certaines actions qui se terminent prématurément, acteurs peu sensibilisés à la problématique spécifique des migrants âgés, modes de logement difficilement accessibles, mobilité de la population.

Je passerai sur les questions d’accès aux droits et à la santé : bien qu’elles représentent un lourd travail d’accompagnement social de proximité, elles ont été déjà largement décrites au cours de vos précédentes auditions. Il me semble en revanche essentiel d’insister sur les actions de lutte contre l’isolement menées par l’ASSFAM. Ces actions sont soutenues par la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l’intérieur à travers un poste d’agent de développement local pour l’intégration
– occupé par ma collègue Mme Taous Yahi.

Je ne parlerai pas – nous aurons peut-être l’occasion d’échanger plus tard à ce propos – de la problématique spécifique des femmes migrantes âgées. Mais je tenais à l’évoquer parce que, lorsque l’on parle des migrants âgés, on a tendance à oublier qu’il y a aussi des femmes parmi eux.

Je terminerai en évoquant les ateliers sociolinguistiques que nous animons, qui sont très suivis en Isère et dans le quartier du Luth, à Gennevilliers. En effet, les migrants âgés rencontrent des difficultés dans leur vie sociale, en partie parce qu’ils ne maîtrisent pas bien la langue française. Ils ne pratiquent pas de loisirs et les liens avec la famille restée au pays finissent par se disloquer. Ces ateliers les aident – et aident plus particulièrement les femmes âgées – à s’approprier des repères linguistiques et culturels, à développer leur autonomie et leur bien-être. Ils favorisent l’interactivité entre les participants, la convivialité, libèrent la parole et contribuent à mettre en valeur les capacités de chacun. Ils sont un vecteur de reconnaissance sociale, dans la mesure où les participants peuvent agir pour eux-mêmes et pour leurs enfants.

Mme Taous Yahi, agent de développement local pour l’intégration. Au-delà de la lutte contre l’isolement, qui constitue un axe transversal de notre politique, nous travaillons à la valorisation sociale des personnes âgées immigrées, à la valorisation de la mémoire et de l’histoire de l’immigration, notamment à travers des actions intergénérationnelles.

Il est important d’entretenir et de conserver cette mémoire, en faisant en sorte de la transmettre aux plus jeunes. Ainsi, nous organisons des rencontres entre des jeunes des collèges et des lycées et un groupe composé de personnes âgées immigrées rencontrées dans nos permanences d’accès aux droits, dans les foyers de travailleurs migrants, ou dans nos ateliers sociolinguistiques.

Ces rencontres sont l’occasion de parler des logiques qui ont façonné les situations migratoires et des difficultés d’intégration. Les personnes âgées ont des parcours très riches, qu’il est important de faire connaître aux plus jeunes. Nous considérons qu’il est nécessaire de soutenir ce travail de mémoire, d’inscrire cette histoire de l’immigration dans l’histoire commune. De fait, l’arrivée en France des migrants aujourd’hui âgés correspond à la période des Trente Glorieuses, et fait donc partie de l’histoire de France.

Mme Bandahan a insisté sur les actions destinées à lutter contre l’isolement. J’insisterai pour ma part sur l’importance du travail à l’échelon local. C’est à l’échelon départemental, communal ou intercommunal que les actions sont les plus efficaces. Comme vous l’avez sans doute entendu dans les précédentes auditions, le public des personnes immigrées âgées est difficile à appréhender, parce qu’il manque d’homogénéité. D’une commune ou d’un département à l’autre, les parcours sont différents, les arrivées correspondent à des phases historiques différentes. D’où l’intérêt de s’appuyer sur l’échelon local.

Il serait utile d’inscrire cette question dans les programmes régionaux et départementaux d’intégration des populations immigrées ou dans les schémas gérontologiques départementaux, qui constituent les documents de référence de la politique des conseils généraux en faveur des personnes âgées. En effet, même si ces schémas s’adressent à l’ensemble de la population, des programmes d’action spécifiques peuvent être mobilisés pour répondre à des besoins peu ou mal couverts au regard des difficultés particulières rencontrées par certains publics, notamment les plus fragilisés comme les personnes âgées immigrées vivant en foyers de travailleurs migrants. Mais j’aurais, bien sûr, d’autres propositions à formuler…

M. le président Denis Jacquat. Vous pourrez nous remettre tous les documents que vous souhaitez, soit aujourd’hui, soit ultérieurement.

M. Mohamed Memri, membre de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF). L’association des travailleurs maghrébins de France existe à Argenteuil depuis 1980. Elle mène des actions, pilote des projets, toujours en phase avec les besoins, les attentes de la population de notre ville, en particulier celle du Val-d’Argent. Parmi les nombreuses initiatives auxquelles l’ATMF participe, citons le dispositif CLAS (contrat local d’accompagnement à la scolarité), les actions de formation linguistique, l’Espace femmes citoyennes, un certain nombre d’ateliers (consacrés à l’informatique, l’art culinaire, etc.), les sorties pour les familles, les séjours familiaux, l’Espace jeunes et le service d’accès aux droits. Ce service consiste à accompagner, écouter et conseiller les usagers qui sollicitent une aide
– rédaction ou interprétation d’un courrier, remplissage d’un formulaire de demande de logement, etc.

En 2009, pour compléter et donner une cohérence à cet ensemble, l’ATMF a décidé de s’occuper des personnes âgées, y compris de celles qui vivent au sein des foyers
– en s’appuyant, bien entendu, sur les comités de résidents. Il faut savoir qu’à Argenteuil, 1 600 personnes environ vivent actuellement dans cinq foyers, le sixième ayant été récemment, et fort heureusement, rasé : il était complètement isolé du reste de la ville, situé sous un viaduc, face à un dépôt de carburants et au niveau d’une voie de chemin de fer… On peut se demander pour qui avait été conçu ce foyer tant sa localisation était exécrable.

En 2009, nous avons mis en place un projet de retraite active pour compléter le projet de l’ATMF. Si nous ne l’avions pas fait, qui se serait occupé de ces personnes, qui ne fréquentent pas les espaces sociaux, ni les espaces culturels, qui sont souvent malades et vivent la plupart du temps confinées dans leur chambre ? Mais je laisse Mme Gaouaou vous parler de cet espace.

Mme Mimouna Gaouaou, membre de l’ATMF. Je fais en effet partie du groupe dont vous a parlé M. Memri, qui tente, entre autres, de faire sortir les chibanis de leur isolement. Ces hommes ont effectué pendant des années les travaux les plus difficiles et n’ont pas su vivre leur vie, ni ici ni dans leur pays. Ils ont appris à ne pas se donner d’importance et à passer après leur famille, ont vécu en retrait et se sont renfermés sur eux-mêmes. On parle de l’enfermement des femmes, mais celui de ces hommes retraités est encore plus difficile. Cela dit, nous rencontrons aussi, dans les foyers, des femmes âgées qui ne se considèrent pas comme des retraitées dans la mesure où elles n’ont jamais travaillé et même, ce qui est nouveau, des femmes seules qui sont venues pour travailler.

Nous sommes donc allés dans les foyers pour proposer des activités à plus de soixante-dix retraités. Comme il ne fallait pas aller trop vite, nous avons commencé par organiser des rencontres autour d’un thé. Les gens en ont parlé, de foyer à foyer et petit à petit, ils sont venus. Nous avons ainsi créé un lieu d’écoute et d’échange, ce qui manque précisément dans les foyers.

Il existe maintenant plusieurs ateliers : un atelier « informatique », un atelier « mémoire et transmission », car les anciens ont beaucoup à raconter, même s’ils n’en ont pas conscience. L’apprentissage du français se fait tout au long des conversations. Un professeur parle de l’histoire de l’immigration, dans le cadre plus large de l’histoire de France et apporte de la connaissance. Ce n’est pas parce qu’on ne sait ni lire ni écrire qu’on est privé d’intelligence.

Des sorties ont été organisées sur plusieurs jours, comme à Strasbourg ou au Mont-Saint-Michel. Nous avons visité l’Assemblée nationale, ce qui a été très valorisant pour ces retraités. Nous sommes aussi allés au théâtre afin d’assister à des pièces traitant de l’immigration, etc.

J’ajoute qu’au sein de l’ATMF, nous avons des contacts avec les élus de la mairie et avec les services sociaux, qui se déplacent à l’association.

Je voudrais également insister sur l’importance des problèmes de santé rencontrés par les retraités, qui sont usés par des travaux pénibles, et sur le manque cruel d’information dont ils disposent. En effet, dans les foyers, il n’y a pas de travailleurs sociaux. Et je terminerai sur une de leurs demandes : arrivés à leurs vieux jours, ils souhaiteraient pouvoir faire venir leur épouse auprès d’eux.

Mme Zineb Doulfikar, directrice de l’association Chibanis 06. Précisons d’emblée que le terme « chibanis » signifie « cheveux gris », ce qui est plutôt affectueux, et pas du tout péjoratif.

Assistante sociale depuis maintenant trente-trois ans je me suis rendue à Nice en 1993 pour travailler auprès de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés des Alpes-Maritimes (ASTIAM), en raison de ma connaissance de la langue arabe.

Dès la fin des Trente Glorieuses, les travailleurs immigrés employés dans le bâtiment se sont retrouvés au chômage, puis n’ont pu bénéficier que du seul revenu minimum d’insertion (RMI). Dans les années 1995-1996, j’ai commencé à recevoir davantage de personnes âgées entre cinquante-cinq et cinquante-huit ans, et je me suis rendu compte de la spécificité des problèmes qu’elles rencontraient. J’ai donc créé à leur intention des groupes de parole et, en 2000, j’ai mis en place l’association Chibanis 06.

Les personnes âgées que nous recevons viennent rarement des foyers, dans la mesure où d’autres associations y interviennent. Il s’agit surtout d’hommes isolés, dont la famille et l’épouse sont restées au pays.

Au départ, mon rêve était de les faire accéder à la culture. Nous en avons beaucoup parlé avec M. Yassine Chaib – le sociologue qui, avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) des Alpes-Maritimes, m’a beaucoup aidée dans mon initiative. Nous avons d’ailleurs mis en place un atelier de calligraphie pendant quelques années. Malheureusement, nous avons été rapidement envahis par les problèmes administratifs qui se posent au quotidien.

J’ai travaillé dans le service social traditionnel jusqu’en 2009, tout en me consacrant à l’association, dont je suis la fondatrice et la responsable. Depuis cette date, je travaille à plein temps pour Chibanis 06 : il y a en effet beaucoup à faire. Mais il n’est pas question de vous noyer sous les chiffres et les statistiques, et je vous invite à vous reporter aux documents que je vais vous transmettre, et qui retracent, dans le détail, toutes nos actions.

Sachez malgré tout que Chibanis 06 s’efforce de faciliter l’accès de ces personnes âgées aux droits, à la santé et, dans une moindre mesure, à la culture. Nous organisons des voyages, des sorties. Nous avons mené à bien, en 2007, un projet intergénérationnel fantastique. Il était intitulé : « Retrouver ses racines à travers des récits de vie des personnes âgées migrantes » et s’adressait à vingt-trois jeunes issus de l’immigration, inscrits au GRETA « hôtellerie » de Nice.

Depuis cinq ans, nous recevons de nombreuses femmes veuves, célibataires ou divorcées, principalement originaires du Maroc et d’Algérie. Leur problématique est la même que celle des hommes : elles sont seules en France et continuent à aider leurs enfants restés au pays. Mais leur retraite est encore plus faible que celle des hommes. Elles ont commencé à émigrer dans les années 1980-1985 et sont plus nombreuses à ne bénéficier que de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

Comme je suis avant tout assistante sociale, je terminerai en évoquant les problèmes rencontrés par ces hommes et ces femmes qui bénéficient de l’ASPA.

Leur situation peut être terrible et certains d’entre eux vont très mal. J’ai reçu avant-hier un monsieur de quatre-vingt-dix ans, qui est resté trop de temps au Maroc, en l’occurrence six mois et dix jours. Pour ces dix jours de trop, on lui demande de rembourser 10 000 euros et le versement de l’ASPA lui a été suspendu. Un autre monsieur, d’origine tunisienne, doit rembourser 16 000 euros.

En ce moment, mon travail consiste à préparer des demandes d’aide juridictionnelle – pour prendre des avocats et former des recours devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale – et à servir d’interprète. J’ai avec moi les conclusions d’une avocate qui va défendre un monsieur dont l’audience a été reportée parce que la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) a demandé à « réfléchir » !

Il est très dur de recevoir ces personnes au quotidien. Ce que j’avais envie de vous dire aujourd’hui, c’est qu’elles ont le droit de vivre leur retraite dans la dignité. Ces personnes font partie de notre pays, elles ont participé à la construction de l’économie française. C’est une question de respect. Or, elles vivent leur retraite dans des conditions dramatiques.

Malgré le barrage de la langue, on peut faire des efforts pour les recevoir et les comprendre. Je collabore avec succès avec mes collègues assistantes sociales du centre communal d’action sociale (CCAS) de Nice. Mon rêve serait d’ailleurs que l’association Chibanis 06 disparaisse, que ces personnes vivent correctement et relèvent du droit commun.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Merci pour vos témoignages, qui viennent enrichir les travaux de cette mission. Je reviendrai sur certains points.

Mme Bendahan a relevé un trait caractéristique des migrants âgés, qui a été signalé dans toutes les auditions que nous avons menées : ceux-ci ne s’adressent que très rarement aux services de droit commun pour obtenir ce à quoi tout citoyen ou tout travailleur qui a cotisé peut prétendre dans notre pays. Cela m’amène à vous demander si vous conduisez, en direction des migrants âgés, des actions d’information spécifiques, afin de mieux leur faire connaître les structures sanitaires et sociales de droit commun. Je pense surtout aux plus isolés d’entre eux, qui ne vivent pas dans des structures collectives comme les foyers de travailleurs migrants, et que nous connaissons d’ailleurs fort mal.

L’information n’est toutefois pas une fin en soi. Comment les migrants âgés peuvent-ils se débrouiller, une fois arrivés au guichet ou dans le bureau d’un agent de ces services ? La barrière de la langue, notamment, reste difficilement surmontable, ce qui m’amène à vous demander si les services intéressés eux-mêmes font des efforts. Après tout, nous disposons maintenant d’un certain recul puisque c’est dans les années quatre-vingt-dix que la première vague de migrants est entrée dans la vieillesse et s’est approchée de l’âge de la retraite.

D’autres questions, qui sont rarement abordées au cours de nos auditions à l’Assemblée nationale, l’ont été à l’occasion de nos visites sur le terrain – à Vaulx-en-Velin, Colombes, Gennevilliers, etc.

Nous avons entendu les migrants âgés nous parler des discriminations vécues, selon eux, par leurs enfants ou leurs petits-enfants. La perception du racisme et des discriminations varie-t-elle, d’après vous, selon les générations ?

Pensez-vous que le rôle de médiation que vous remplissez entre ces migrants âgés et certaines institutions traduit les carences des pouvoirs publics ? Intervenez-vous pour combler ces carences ou pour compléter la prise en charge des institutions ?

Les collectivités territoriales – je pense principalement aux communes – facilitent-elles votre travail ? Que pourrait-on améliorer ?

Enfin, il y a quelques jours, à Paris, nous avons visité un café social. Faudrait-il créer davantage de lieux de ce type ? Ce serait le moyen de sortir ces personnes des problématiques purement administratives qui pèsent sur leur vie, et de lutter contre leur isolement.

M. Daniel Vaillant. Je m’associe bien sûr aux questions d’Alexis Bachelay. J’aurai quelques réflexions à ajouter et d’autres questions à poser.

Tout d’abord, la multiplicité des structures que vous représentez peut donner l’impression d’un maquis qui se serait constitué en fonction des besoins, au point que l’on pourrait se demander s’il ne conviendrait pas de rationaliser le système. Mais où en serait-on, si les uns et les autres n’avaient pas pris de telles initiatives ! Maintenant, comment faire mieux ?

Ensuite, Mme Doulfikar a été la seule à aborder la question de la législation sociale. J’espère que la mission contribuera à apporter, via l’Assemblée nationale, les réponses qui s’imposent et qui ont été éludées jusqu’à présent – pour des raisons inavouables, si je me réfère à l’audition récente de M. Jean-Louis Borloo par notre mission. Il faut en effet éviter qu’à l’occasion d’un voyage dans leur pays d’origine, certains immigrés âgés perdent le bénéfice des prestations sociales. À mon avis, ce n’est pas difficile à régler.

J’en viens à mes questions.

Vous avez évoqué les pathologies des travailleurs migrants. Je suppose qu’ils sont, comme les autres populations, affectés par la maladie d’Alzheimer. Que savez-vous à ce propos ?

Vous avez évoqué la situation des femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à vous solliciter. Je pense que le phénomène va s’amplifier. Peut-on anticiper cette difficulté ?

Vous avez évoqué l’immigration datant des Trente Glorieuses et déploré la barrière de la langue. De fait, une partie de ceux qui sont venus travailler chez nous après la décolonisation n’ont pas appris le français – ce que nous pouvons considérer comme « notre » échec. La situation s’est-elle améliorée ? Les jeunes travailleurs immigrés d’aujourd’hui maîtrisent-ils davantage la langue française ?

Quel regard portent ces migrants sur la jeunesse d’aujourd’hui ? Étant élu d’une circonscription des 18e et 19e arrondissements de Paris, j’ai l’impression qu’ils sont très critiques à l’égard de leur descendance. Je me demande d’ailleurs pourquoi les enfants qui étaient restés au pays ne sont pas venus rejoindre leur père travaillant en France.

Quel regard portent-ils sur leurs propres parents ? Peuvent-ils devenir des relais intergénérationnels ? Ils ont une mémoire à transmettre. Ils peuvent contribuer à « dédiaboliser » le passé et à favoriser la réconciliation. Cela peut avoir de l’importance dans le contexte actuel. Au mois de décembre, j’ai accompagné le Président de la République en Algérie. On voit bien que cette question est essentielle pour l’avenir de notre région commune.

Mme Hélène Geoffroy. Je connais un peu le travail de l’ASSFAM qui a été présente pendant quelques années à Vaulx-en-Velin où elle accompagnait, notamment, des femmes migrantes. Or, j’ai été frappée par ce que vous disiez sur les femmes qui, aujourd’hui, comme les hommes, une fois à la retraite, continuent à envoyer de l’argent au pays. Le phénomène est-il en train de se développer ? Pensez-vous qu’à terme, ces femmes rentreront dans leur pays d’origine ? Resteront-elles en France, comme le font les hommes ?

Avez-vous le sentiment que les échanges intergénérationnels que vous organisez favorisent, chez les plus jeunes, une meilleure prise en compte de l’histoire de notre pays ? Cette transmission a-t-elle un réel effet d’apaisement ? Il y a des sujets que l’on aborde toujours avec beaucoup d’émotion, comme celui de la guerre d’Algérie. De tels sujets sont-ils facilement évoqués à l’occasion de ces échanges ?

Enfin, au fil des auditions, deux conceptions sont apparues : la première consiste à transformer les foyers en maisons de retraite, ou du moins à construire des maisons de retraite un peu spécifiques pour les immigrés âgés ; la seconde consiste à insérer ces derniers dans les structures existantes. Avez-vous un point de vue sur la question ?

M. le président Denis Jacquat. J’ai les mêmes interrogations que mes collègues. Je ferai néanmoins quelques observations.

Madame Bendahan, vous avez évoqué le coût des maisons retraites, trop élevé pour les immigrés âgés. Ceux-ci ont eu en effet des carrières courtes. Mais ils peuvent bénéficier de l’aide sociale et n’avoir ainsi rien à payer. Je pense donc que leur moindre accès aux maisons de retraites tient plutôt à des raisons d’ordre culturel.

De notre côté, nous avons remarqué que votre association réalisait un énorme travail d’approche auprès de ces populations et nous avons noté, lors de notre déplacement à Lyon, le rôle actif que jouent les femmes.

Vous avez par ailleurs abordé les problèmes de santé – tout autant psychiques que physiques – des immigrés âgés et insisté sur la lutte à mener contre leur isolement. Il semblerait qu’une structure telle que les cafés sociaux – qui remplace souvent le café du quartier qui a disparu – y contribue utilement. Pourrait-on faire en sorte que ce type de structure bénéficie à la fois aux résidents des bâtiments collectifs – je pense aux foyers – et aux gens de l’extérieur ?

Mme Zineb Doulfikar. Monsieur Vaillant, vous avez parlé de la maladie d’Alzheimer. Il se trouve que je suis la secrétaire générale de l’Association franco-marocaine de la maladie d’Alzheimer, créée il y a une vingtaine d’années par un monsieur d’origine marocaine dont la mère était atteinte de cette maladie. Je suis plus spécialement chargée de la coordination entre la France et le Maroc.

Nous envisageons de passer une convention avec le service de gérontologie de l’hôpital de Nice. Les personnes d’origine étrangère souffrant de la maladie d’Alzheimer, qui pratiquaient la langue française, finissent par oublier cette dernière et retournent à leur langue d’origine. Nous allons donc essayer de nous faire les interprètes des personnes atteintes de cette maladie. Nous prévoyons également de faire de la prévention.

Monsieur Bachelay, vous nous avez demandé si nous faisions en sorte d’informer les migrants âgés sur les droits dont ils peuvent bénéficier. La réponse est naturellement positive. Comme je l’ai dit au départ, je suis assistante sociale. Je les accompagne donc, même lorsqu’ils n’ont pas encore atteint l’âge de la retraite. J’interviens comme médiatrice auprès des collègues assistantes sociales pour mieux leur faire comprendre la problématique de ces personnes. Mes relations avec le CCAS de Nice sont d’ailleurs excellentes.

Il est exact que les migrants âgés ne s’adressent pas à elles d’emblée. Ils viennent nous voir, déballent leur courrier que nous trions avec eux et en discutons ensemble. En cas de convocation dans une administration, nous jouons un rôle de médiation.

J’ai oublié tout à l’heure de vous dire que nous avions déposé aux archives départementales des Alpes-Maritimes des petits recueils retraçant la vie de chacun de ceux qui viennent nous voir à l’association, ainsi que les deux documentaires que nous avons réalisés sur eux : dans le premier, intitulé « Mémoires de chibanis », je les interroge pendant cinquante minutes sur leur vie ; dans le second, intitulé « 40 ans d’absence », que nous avons réalisé en 2007, nous avons filmé un monsieur qui n’est pas rentré au pays depuis quarante ans ainsi que sa femme et ses enfants qui, eux, sont restés au Maroc. Il est très émouvant de les entendre, les uns et les autres, exprimer leur souffrance.

M. le président Denis Jacquat. Nous serions très intéressés de voir ces documentaires.

M. Mohamed Memri. Tout à l’heure, nous avons expliqué l’action menée par l’ATMF au sein de ce groupe de retraités. L’association n’a toutefois pas attendu la fin des années 2000 pour mener des actions dans les foyers, essentiellement en matière d’accès aux droits.

Ces foyers ont été conçus pour assurer un hébergement d’urgence, provisoire. Mais ce provisoire dure depuis plus de soixante ans ! Et comme ces foyers avaient un statut d’hôtels, les résidents n’étaient pas considérés comme des habitants de la ville. Par conséquent, même au bout de trente ou quarante ans, il n’était pas question pour eux de faire une demande de logement pour quitter leur foyer. Un tel statut à contribué à renforcer leur isolement : puisqu’ils ne faisaient pas partie de la ville, ils ne participaient à rien. D’où les premières initiatives de l’association. Cette année, un groupe de retraités d’Argenteuil a participé au banquet de fin d’année offert par la ville aux personnes retraitées de la commune. Et le 23 janvier dernier, comme l’a indiqué Mme Gaouaou, nous avons effectué une visite de l’Assemblée nationale, guidés par M. Philippe Doucet, député-maire de la circonscription d’Argenteuil-Bezons.

Je voudrais également parler des conventions bilatérales. La première convention franco-marocaine, qui date des années soixante, époque où il n’y avait que quelques milliers de Marocains en France, n’a jamais été révisée. Elle est donc obsolète. Il conviendrait donc de se préoccuper de cette question. Pourquoi ne s’adresserait-on pas aux associations qui travaillent sur le secteur, et aux organisations syndicales d’ici et de là-bas, pour prendre en compte les revendications des retraités ?

Je terminerai sur la carte de séjour portant la mention « retraité ».

Je suggère à la commission de consulter la revue du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), Plein Droit, qui a consacré à cette question un article intitulé « Vieillesse immigrée, vieillesse harcelée ». On y trouve des extraits de la délibération de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) portant sur un contrôle massif opéré dans un des foyers d’Argenteuil. Nous ne sommes évidemment pas opposés aux contrôles, mais il faut savoir comment les agents de la caisse d’allocations familiales (CAF) ont procédé. Tout de suite après avoir demandé aux résidents de présenter leur passeport et des justificatifs sur les trois dernières années, ils ont suspendu les allocations non contributives – comme l’aide personnalisée au logement (APL) et l’ASPA – d’un certain nombre d’entre eux, soit parce qu’ils n’étaient pas là pendant la période de contrôle, soit parce qu’ils ont refusé de présenter leur passeport du pays d’origine. Selon la HALDE, ce contrôle était illégal et contraire à la convention européenne des droits de l’homme. Cela n’a pas empêché la CAF de gagner les deux procès qui avaient été intentés contre elle à la suite de la plainte déposée par certains résidents.

Sincèrement, cette carte est un piège. Vous, les représentants du peuple français, devez y mettre fin. Un retraité, membre du groupe, s’est vu privé de ses droits, tout simplement parce qu’il avait accepté la carte qu’on lui avait proposée à la préfecture du Val-d’Oise. On lui a dit qu’il pourrait faire des allers et retours au pays et qu’il n’aurait pas besoin de revenir jusqu’en France pour la renouveler.

M. le président Denis Jacquat. Nous connaissons la situation des personnes titulaires de la carte de séjour portant la mention « retraité ». On peut même dire que c’était une fausse bonne idée. L’intention était louable mais c’est un échec.

M. Mohamed Memri. La représentation nationale peut y remédier très rapidement.

Mme Taous Yahi. Je voudrais revenir sur la question de l’accès aux droits. Il est effectivement important de mener des actions de proximité et de médiation dans les foyers de travailleurs migrants et, plus généralement, dans les lieux où ils sont présents. En effet, sur le terrain, il y a des lacunes.

Tout à l’heure, j’ai parlé de l’importance de l’implication des politiques à l’échelon local. En effet, selon leur degré d’implication, cette problématique est inscrite dans les schémas directeurs locaux, comme le programme départemental d’insertion (PDI) ou le schéma gérontologique, et des actions sont menées, ou ne le sont pas. Dans ce dernier cas, le tissu associatif vient en effet combler des manques.

Je tiens par ailleurs à déplorer le fait que les financements ne soient pas pérennes. L’ASSFAM bénéficie de financement du Fonds européen d’intégration (FEI) d’une durée de trois ans. Mais, en trois ans, il est tout juste possible d’amorcer une action ! Or, nous savons qu’avec le public auquel nous nous adressons, il faut agir sur le long terme. Il convient donc de pérenniser les financements et d’éviter le saupoudrage.

Il faut enfin réduire le déficit de sensibilisation des professionnels intervenant auprès de ce public. Pourquoi ne pas proposer des démarches interculturelles ou transculturelles afin de faciliter cette prise en charge ? On se rend bien compte, en effet, qu’il y a des a priori et des blocages des deux côtés.

Mme Martine Bendahan. Les actions de nos travailleurs sociaux pour l’accès aux droits constituent une passerelle vers le droit commun. Elles portent sur des problématiques très lourdes – dégâts de la carte de séjour « retraité », ASPA, etc. Mais nous avons fait le choix de ne pas en parler aujourd’hui, parce que nous savons que vous avez organisé de nombreuses auditions sur ces sujets.

Nous voudrions mettre l’accent sur la question de l’isolement – notamment celui des femmes. Certes, nous considérons qu’il est utile de développer les lieux de convivialité comme les cafés sociaux dont nous avons parlé. Mais nous insistons beaucoup sur les activités collectives et sur nos ateliers sociolinguistiques qui allient apprentissage de la langue et lutte contre l’isolement. Il faut encourager de telles actions, qui permettent de recréer une solidarité entre les participants et de valoriser leur identité. Ils peuvent ainsi s’intégrer plus normalement dans leur environnement.

Enfin, comme le disait ma collègue, il est essentiel de travailler auprès des professionnels, et pas uniquement auprès des publics. Je reconnais que dans certains cas, les services, comme la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) ou la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), ont très bien répondu. En effet, ils ont pris conscience de l’inadaptation de leurs outils d’information et de l’intérêt de faire appel à des intermédiaires comme nous pour diffuser une information plus adéquate.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie. N’oubliez pas de nous remettre vos documents, ou, si vous le souhaitez, de nous envoyer des compléments de réponse par écrit.

Audition d’associations locales participant aux politiques d’intégration et de la ville réunissant Mmes Anna Sibley et Fernanda Antonietta Marruchelli, coordinatrices nationales de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s (FASTI), Mme Claude Hénon, membre de l’Association havraise de solidarité
et d’échanges avec tous les immigrés (AHSETI-ASTI), M. Gabriel Lesta, membre de l’ASTI de Perpignan, M. Claude Jacquier, président
de l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), et M. Élias Bouanani, responsable du pôle juridique, M. Samba Yatera, directeur adjoint du Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR), et M. Rafaël Ricardou, coordinateur
de l’antenne Île-de-France du GRDR


(extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant des représentants d’associations participant aux politiques d’intégration et de la ville. J’ai le plaisir d’accueillir Mmes Anna Sibley Fernanda Antonietta Marruchelli, coordinatrices nationales de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s (FASTI), Mme Claude Hénon, membre de l’Association havraise de solidarité et d’échanges avec tous les immigrés (AHSETI-ASTI), M. Gabriel Lesta, membre de l’ASTI de Perpignan, M. Claude Jacquier, président de l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), et M. Élias Bouanani, responsable du pôle juridique, M. Samba Yatera, directeur adjoint du Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR), et M. Rafaël Ricardou, coordinateur de l’antenne Île-de-France du GRDR.

Née dans les années soixante dans les bidonvilles de la région parisienne, la FASTI se bat pour les droits des personnes migrantes, pour la liberté d’installation et de circulation, pour l’égalité femmes-hommes et pour le droit de vote des étrangers à toutes les élections. Les actions de la quarantaine d’ASTI présentes sur le territoire sont très diverses : cours d’alphabétisation et de français langue étrangère, soutien à la scolarité, aide juridique au séjour et aux droits sociaux, activités interculturelles – cinéma, radio, fêtes, concerts, etc. –, soutien aux femmes immigrées…

Lors de sa création en 1970 par des militants associatifs et syndicaux, l’Office dauphinois des travailleurs immigrés avait pour objectif de soutenir les travailleurs issus de l’immigration dans un contexte marqué par des conditions de logement insalubres dans le centre-ville ancien de Grenoble. Devenue en 2004 l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI), l’association s’est donné trois missions principales : informer et aider les personnes à conquérir leurs droits sociaux et politiques, proposer des solutions en matière de logement – l’Office gère un foyer de travailleurs migrants –, prévenir et lutter contre les discriminations de toutes natures. Le foyer géré par l’ODTI a été restauré et transformé en résidence sociale dans le cadre du plan national de traitement des foyers de travailleurs migrants. Au total, l’ODTI accueille et soutient environ 2 000 personnes par an.

Enfin, le GRDR, organisation non gouvernementale (ONG), agit depuis 1969 pour la promotion sociale, culturelle et économique des migrants subsahariens en France et pour le développement de leurs régions d’origine. L’association assiste les travailleurs immigrés en vue d’assurer à leurs familles, villages et pays un meilleur accès à l’éducation, à la santé, à l’eau, à la production agricole et à la micro-entreprise. Chaque année, des écoles ou des dispensaires voient le jour dans les pays du Sahel avec l’appui du GRDR, tandis qu’en France des associations de migrants, appuyées par l’ONG, apportent leur aide aux femmes et aux migrants les plus âgés notamment. Le GRDR intervient dans cinq pays – le Mali, la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée-Bissau et la France – et une soixantaine de communes, avec une vingtaine de partenaires européens et ouest-africains.

Je précise que notre mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’États tiers à l’Union européenne, qui représentent 800 000 personnes – les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. Nous traitons de l’ensemble des questions les concernant : précarité du logement, insuffisance de l’accès aux soins et aux droits de façon générale, difficultés d’intégration, isolement, dépendance, etc.

Mme Anna Sibley, coordinatrice nationale de la Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s immigré-e-s (FASTI). Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de nous recevoir. Au nom de la FASTI, qui regroupe une soixantaine d’associations, mes collègues et moi-même allons vous présenter la vision que nous avons sur le terrain. Mme Fernanda Marruchelli exposera les problèmes généraux rencontrés en matière d’accès aux droits, d’accès à la santé et de conditions de vie, puis Mme Claude Hénon et M. Gabriel Lesta illustreront ce constat par le récit d’expériences vécues, au Havre et à Perpignan.

Mme Fernanda Antonietta Marruchelli, coordinatrice nationale de la FASTI. Il nous faut malheureusement dresser un constat négatif s’agissant de l’accès aux droits et à la santé des personnes migrantes âgées. Pourtant, à travers leur dignité, c’est celle de la société française qui est en jeu.

Les personnes qui ont un titre de séjour se heurtent à des obstacles pour obtenir le renouvellement de celui-ci, notamment en raison de la dématérialisation des demandes opérée depuis un an par les préfectures, procédure qui suppose qu’on prenne rendez-vous par internet : je vous laisse imaginer les difficultés que cela représente pour des personnes qui parlent mal la langue ou ne maîtrisent pas l’écriture.

Nous nous reconnaissons dans le constat dressé par les associations que vous avez reçues précédemment – comme le Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), le Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI), la Ligue des droits de l’homme (LDH) ou le Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF) –, ainsi que dans leurs préconisations, notamment celles relatives à la carte de séjour portant la mention « retraité ». Si la mise en place de cette carte, créée par la loi du 11 mai 1998, partait d’une bonne idée – permettre aux vieux migrants d’effectuer plus facilement des allers et retours entre la France et leur pays d’origine –, il s’avère qu’elle n’est pas un véritable titre de séjour, mais une sorte de visa permanent. En échangeant la carte de résident contre cette carte, les migrants âgés perdent le droit au séjour de manière définitive, ainsi que l’essentiel des droits à l’assurance maladie – bien que les cotisations sociales continuent d’être prélevées sur leur pension de retraite –, et la plupart des droits sociaux. De plus, dans les préfectures, rien n’est expliqué aux demandeurs, et ceux-ci ne peuvent pas mesurer les conséquences qu’aura leur choix de bénéficier de la carte de séjour portant la mention « retraité ». Nous dénonçons des pratiques aussi déloyales et nous demandons la suppression de cette carte ; les retraités étrangers doivent pouvoir jouir du régime de droit commun, et non d’un statut particulier injuste, qui les prive des droits qu’ils ont acquis par leur présence et leur travail en France.

Je n’évoquerai pas la question des prestations sociales soumises au contrôle, car je préfère laisser mes camarades qui ont une expérience de terrain en parler.

Nombre de migrants âgés ont exercé un travail où ils étaient exposés à des risques professionnels ou à des substances cancérigènes comme le plomb, l’amiante, les solvants chlorés, la silice ou les poussières de bois. Les cancers qu’ils ont pu contracter du fait de leur travail sont mal connus ; nous souhaiterions que l’on porte une plus grande attention aux facteurs de risque, et que les personnes atteintes d’un cancer ne soient pas contraintes d’effectuer des démarches épuisantes pour faire reconnaître leur maladie professionnelle.

Les migrants souffrent souvent d’un vieillissement physiologique précoce en raison de leurs conditions de travail – je vous renvoie aux études de la CNAV sur la question. Cette usure physique provoque un état de dépendance, dont les politiques publiques ne tiennent pas compte. Actuellement, il n’existe pas de prise en charge adéquate : les migrants âgés ne disposent pas de complémentaire santé susceptible de supporter une partie des frais occasionnés par une aide à domicile ; le personnel des organismes d’aide et de soins à domicile, qui est quasi exclusivement féminin, hésite à se rendre dans les foyers de travailleurs migrants. Il serait opportun de mettre en place dans ces foyers des unités de vie qui permettraient aux personnes âgées de ne pas mal vieillir et d’être aidées au quotidien. Nous souhaiterions que les immigrés âgés soient considérés par la société française comme des personnes âgées comme les autres, et qu’ils aient accès aux mêmes dispositifs que les autres.

Pour ce qui est du droit à la vie privée et familiale, de nombreux résidents en situation régulière ont du mal à obtenir un titre de séjour pour leurs ascendants à charge. Plus généralement, les enfants, même quand ils ont la nationalité française, ont toutes les peines du monde à faire venir en France un parent isolé ; celui-ci ne peut même pas mener une vie paisible avec les siens.

Autre problème, l’accès à la nationalité française est souvent conditionné à un certain niveau de ressources ; bien qu’ils aient contribué à la construction de la France au plan économique et social, les migrants âgés ont non seulement de toutes petites retraites, mais ils sont pénalisés du fait de bas revenus !

L’accès à la nationalité française est également conditionné à la maîtrise de la langue française. Alors que jusqu’à leurs soixante ans, on a simplement demandé aux migrants âgés de travailler, sans qu’aucune structure ni aucune entreprise ne leur propose le moindre cours, on leur reproche à présent de ne pas connaître le français et on leur demande de dépenser 3 000 euros pour pouvoir acquérir la nationalité française !

Nous trouvons en outre injuste le fait que la nationalité française puisse leur être refusée parce que la conjointe est restée au pays.

J’aurais souhaité aborder la question du logement et celle des femmes, mais je n’en aurai pas le temps.

Je voudrais pour terminer évoquer les problèmes liés aux funérailles. Le rapatriement du corps est une question à laquelle pensent les immigrés âgés mais son coût est très élevé et j’estime que le service public devrait s’en occuper. La question est d’autant plus importante qu’il est difficile de se faire inhumer en France suivant le rite musulman, car le nombre de « carrés musulmans » dans les cimetières est nettement insuffisant par rapport à la demande.

Mme Claude Hénon, membre de l’Association havraise de solidarité et d’échanges avec tous les immigrés (AHSETI-ASTI). Je vais vous exposer la situation d’un foyer du Havre, géré par Coallia, et qui doit devenir une résidence sociale. Faute de concertation, et comme les gestionnaires n’ont aucune considération pour les résidents, le projet est actuellement bloqué et judiciarisé.

Le Havre, comme tout port, accueille beaucoup de populations migrantes. Certains résidents du foyer habitent là depuis quarante ans ; ils ne veulent pas d’une résidence sociale où ils seraient logés dans des chambres avec kitchenette ; ils souhaitent pouvoir continuer à disposer de cuisines et de salles à manger collectives, ainsi que de salles polyvalentes pour les activités associatives. La sous-préfecture du Havre ayant compétence pour s’occuper de la population migrante, les personnes doivent prendre rendez-vous par internet – ce qui est très compliqué pour elles. La situation est pénible et très stressante.

Aujourd’hui, pour un migrant âgé, devoir s’adresser à une administration, c’est se préparer aux pires ennuis. On vous demande des documents impossibles à produire, même quand il ne s’agit pas d’ouvrir droit à une prestation : par exemple, l’acte de naissance de votre épouse qui est au pays. On comptabilise page par page sur votre passeport le temps passé hors de France durant l’année. On vous traite en permanence comme un fraudeur potentiel. Certes, beaucoup de Français se trouvent dans la même situation, mais les immigrés âgés sont traités de manière extrêmement humiliante, et c’est d’autant plus douloureux pour eux qu’ils ont connu une période où les choses étaient différentes. Mais, depuis une vingtaine d’années, la situation ne fait qu’empirer !

M. Gabriel Lesta, membre de l’ASTI de Perpignan. L’accès aux droits sociaux étant soumis à une condition de résidence, des contrôles sont effectués par les caisses. À Perpignan, nous avons relevé d’importants dysfonctionnements : contrôles intempestifs sans préavis de passage, pouvant survenir durant les périodes d’absence légale ; en cas d’absence constatée, suspension automatique des droits ; comptabilisation des absences de date à date, et non sur une année civile comme le prévoit pourtant la loi ; contrôles des passeports aléatoires, avec une interprétation des tampons systématiquement défavorable aux migrants âgés ; recours aux documents des douanes étrangères, sans tenir compte des éventuelles erreurs dues aux homonymies, extrêmement nombreuses au Maghreb. Tout cela aboutit à des suspensions de droits unilatérales, brutales, sans avertissement et sans possibilité de se justifier.

Comme il est difficile d’obtenir un rendez-vous avec la caisse, il faut des mois pour qu’une erreur soit reconnue ; pendant ce temps, les droits sont suspendus – avec toutes les conséquences que cela implique. Les suspensions de droits peuvent aussi donner lieu à des demandes de remboursement d’indus d’un montant extravagant, avec des échelonnements de paiements non conformes aux grilles légales, ou pouvant courir jusqu’à l’âge de cent quatorze ans ! En faisant appel aux commissions de recours amiable, on peut obtenir correction, mais cela prend plusieurs mois et, pendant ce temps, les remboursements continuent – sachant qu’ils peuvent aller jusqu’à 400 euros par mois pour un revenu de 770 euros. Lorsque les droits sont rouverts, toute la somme est affectée rétroactivement aux remboursements, alors que ces personnes s’étaient endettées auprès de leurs amis pour pouvoir vivre !

Le résultat, ce sont des revenus faibles, qui remettent en cause la notion de minimum vieillesse, une vie dans l’angoisse perpétuelle et une véritable assignation à résidence pour des personnes qui sont contraintes de rester en France alors qu’elles ont été coupées de leur famille durant toute leur vie professionnelle – le regroupement familial étant quasiment impossible au regard de la faiblesse de leurs revenus.

Il est donc nécessaire de faire évoluer la loi et les règlements. On pourrait, par exemple, rendre « exportables » certains droits sociaux, comme l’ASPA, qui deviendrait universelle : on continuerait à en bénéficier même en cas de retour a pays pour y vivre avec son conjoint ou ses enfants. Le coût pour les finances publiques serait le même, voire inférieur, dans la mesure où un départ définitif, même en conservant son droit à l’ASPA, impliquerait que la personne ne bénéficierait plus de l’APL.

M. Claude Jacquier, président de l’Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI). Sans revenir sur les diagnostics et les propositions qui figurent dans les comptes rendus des précédentes auditions, je me contenterai de développer quelques points à partir de l’expérience de la petite association locale qu’est l’ODTI – notre budget atteint 1,1 million d’euros et nous ne possédons qu’un seul établissement.

L’ODTI est aujourd’hui en redressement judiciaire : nous avons jusqu’à 2018 pour rembourser 550 000 euros mais nous avons néanmoins été autorisés à poursuivre nos activités. Nous avons donc dû engager des réformes. Les associations comme la nôtre, créée à Grenoble à l’époque où M. Hubert Dubedout était maire de la ville, sont en difficulté en raison des coupes décidées dans les subventions, essentiellement étatiques, entre 2004 et 2007 ; nous avons pour notre part perdu 700 000 euros. D’autres pourraient se trouver bientôt dans la même situation. Pourtant, nos associations sont indispensables : il faut impérativement les préserver.

Il faut également soutenir les expériences locales, car c’est peut-être là qu’apparaissent les plus grandes innovations. Nous devons bénéficier d’un droit à l’expérimentation, qui doit venir du bas pour alimenter le sommet.

Plus de la moitié du public que nous recevons a plus de soixante et un ans. Nous accueillons essentiellement des hommes, mais aussi, désormais, des femmes. Dans les quartiers où nous intervenons, on note en effet un affaiblissement du rôle des pères, et plus généralement une dévalorisation du rôle des anciens. Il convient de réfléchir à la manière de le restaurer. Aujourd’hui, les femmes jouent un rôle essentiel dans les quartiers : ce sont elles qui tiennent les familles monoparentales, qui sont prescriptrices, opératrices, et qui assurent une sorte de paix sociale.

Nous utilisons plusieurs types d’habitat : nous avons de l’habitat en colocation, nous avons transformé le foyer de travailleurs migrants en résidence sociale, et nous disposons d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ainsi que d’une formule hôtelière. Sur l’année, le taux d’occupation est de 95 %.

Peut-être faudrait-il abandonner l’approche en termes de précarité et de pauvreté pour mettre en valeur le rôle des diasporas dans le cadre de la mondialisation. Un grand nombre de nos publics est qualifié ; les transferts de ressources vers les pays d’origine représentent un montant plus élevé que celui de l’aide publique au développement, et équivalant à celui des investissements directs étrangers ; en outre, ils ne sont soumis à aucune condition et sont particulièrement bien ciblés sur les pays et les villages d’origine. La plupart des populations âgées transfèrent une part importante de leurs maigres ressources.

Nous devons impérativement qualifier des professionnels pour travailler dans ce secteur – non seulement des salariés, mais aussi des bénévoles et des retraités. C’est de plus en plus difficile ; en ce qui me concerne, je suis retraité du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et il m’est difficile de mobiliser mes collègues sur ces questions.

Il convient de passer d’une approche en termes d’assistanat à une approche en termes de projet de vie, dans le cadre du développement soutenable ; nous parlons à ce propos de « développement soutenable communautaire ». Il s’agit de développer, non le communautarisme, mais les communautés et les capacités à agir des individus.

Il convient également de passer de l’hébergement à l’habitat. Nous intervenons dans le centre-ville de Grenoble, dans les quartiers anciens, comme le quartier Très-Cloîtres, sensible au plan social et « dur » d’un point de vue architectural : c’est un quartier de béton et de pierre. Pour répondre à la demande de nombreux chibanis, nous essayons de créer un potager et un verger ; nous ne disposons que d’une surface de 80 mètres carrés, mais cela peut être positif.

On s’intéresse beaucoup aux lieux et aux individus, mais moins à une troisième composante, qui joue pourtant un rôle important : les institutions. Or, ce que nous constatons actuellement, c’est une balkanisation des territoires, un empilement administratif incessant, de l’État jusqu’au canton, une sectorisation et un cloisonnement des administrations. Pour notre potager, par exemple, il nous faut mobiliser vingt-cinq vice-présidents, adjoints ou représentants de l’État ! Cela retarde toutes les procédures. « Simplification » : que l’on applique ce mot d’ordre aussi aux institutions !

Nous sommes bombardés de demandes d’évaluation sous forme de tableaux Excel. À la suite du redressement judiciaire, nous avons dû nous priver des deux tiers de notre personnel, pour remplir les mêmes missions. Il nous a donc fallu inventer de nouvelles façons de faire et recruter des professionnels capables d’exercer plusieurs métiers – c’est ce qu’à l’échelon européen, on appelle « l’approche intégrée ». À l’ODTI, nous estimons qu’un équivalent temps plein plus un équivalent temps plein, cela fait plus que deux équivalents temps plein : cela peut difficilement rentrer dans un tableau Excel !

En conclusion, contrairement à ce que l’on prétend, le va-et-vient n’est pas une situation exceptionnelle ; il n’est l’apanage de personne. Au regard de la progression rapide du PIB des pays d’Afrique et d’Asie, ce sera demain le lot de tous nos enfants.

Chercheur au CNRS, j’ai dû taire mes activités militantes pendant quarante ans : vous n’en trouverez nulle trace dans mes rapports d’activité. Pourquoi ? Parce qu’en France, nous séparons la recherche et la formation, l’État et les collectivités territoriales, les entreprises et les associations. Il faut impérativement sortir de ces clivages si nous souhaitons inventer et innover.

M. Samba Yatera, directeur adjoint du Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR). Notre association GRDR-Migrations, citoyenneté, développement a maintenant quarante-deux ans et, dès sa création, elle a travaillé sur l’immigration, principalement subsaharienne. Son but est d’accompagner les immigrés et leurs associations pour soutenir le développement des pays d’origine : la mobilité doit être considérée comme un enrichissement, pour la société d’origine comme pour la société d’accueil.

Nous sommes nous aussi confrontés aujourd’hui à la question du vieillissement, et donc à celle de l’accès aux droits des migrants âgés.

Beaucoup de choses justes ont été dites. Je voudrais insister sur la nécessité de valoriser ces immigrés vieillissants, qui ont beaucoup apporté à leur pays d’accueil comme à leur pays d’origine. Nous avons pour cela mis en place des actions intergénérationnelles. D’autre part, 8 % seulement des migrants âgés résident en foyer : comment agir auprès de tous les autres ? Comment les associer à la vie de leur quartier et leur permettre de demeurer actifs, ce qu’ils ont toujours été ? Comment impliquer les associations de migrants dans ces réflexions sur le vieillissement, mais aussi sur la citoyenneté ?

Nous essayons toujours d’insister sur leurs atouts, plutôt que sur la précarité.

Nous voulons également observer ce qui se passe ailleurs en Europe et nous en inspirer ; nous participons ainsi à la plateforme européenne des personnes âgées (AGE).

M. Rafaël Ricardou, coordinateur de l’antenne Île-de-France du GRDR. Je voudrais évoquer, à partir de notre expérience, un public spécifique : celui des femmes immigrées âgées, de plus en plus nombreuses, mais peu accompagnées pour accéder aux droits et aux soins notamment. Ces femmes sont invisibles dans l’espace public et rarement prises en considération. Dans les trois territoires où je travaille – le dix-neuvième et le vingtième arrondissements de Paris, ainsi qu’Aubervilliers –, il faut toutefois noter que ce public est pris en compte par les schémas gérontologiques départementaux ; mais ce n’est pas le cas partout, par exemple dans le Val-de-Marne.

La difficulté de l’articulation entre les politiques de l’État et celles des collectivités territoriales est évidente, mais il faut aussi mentionner la difficulté d’articuler les politiques sociales, gérontologiques, d’intégration… C’est pourquoi nous avons ménagé d’importants espaces de concertation, avec des comités de pilotage, et mobilisé des réseaux d’acteurs. Il faut en effet les sensibiliser et essayer de mieux organiser les différentes politiques menées.

L’enjeu majeur, c’est l’accès de ces publics au droit commun, même s’il peut être nécessaire, à des moments spécifiques, de mettre en place des actions spécifiques. Mais il faut veiller à ne pas mettre en place un traitement trop particulier et plutôt favoriser l’appropriation du droit commun par tout le monde. De la même façon, le vieillissement concerne l’ensemble de la société et pas seulement les immigrés.

Les femmes avec lesquelles nous travaillons – dans une démarche d’action sociale, d’expérimentation, de mutualisation et de réflexion globale sur les actions à mener – sont majoritairement, mais pas uniquement, arrivées en France depuis plus de vingt-cinq ans. Le veuvage, et plus généralement la rupture conjugale, est une situation très fréquente : plus de 70 % d’entre elles n’ont pas de conjoint. Leurs ressources – retraite, mais aussi complémentaire santé – sont souvent très faibles, en raison de leurs trajectoires professionnelles ; elles ont fréquemment travaillé de façon hachée, et souvent exercé des métiers pénibles. Cela n’est d’ailleurs pas nouveau : l’Institut national de la statistique et des études économique (INSEE) a montré dans l’enquête « Handicap-Santé » de 2008-2009 un large renoncement aux soins notamment, pour des raisons financières.

Nous essayons de travailler de façon transversale et interrégionale, dans une logique de mise en commun de nos pratiques professionnelles et d’échanges d’expériences entre nos centres de Rouen, Lille et Montreuil.

Enfin, une question se pose : celle de la trop faible reconnaissance institutionnelle aujourd’hui accordée aux associations de migrants. Il y avait cinq femmes adultes-relais dans le vingtième arrondissement ; il n’y en a plus qu’une.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Malgré le grand nombre d’auditions déjà réalisées par notre mission, nous avons toujours le plaisir d’entendre des points de vue nouveaux. Cela nous permet d’affiner notre diagnostic.

Ma première question ira à la FASTI : pensez-vous qu’il serait opportun de faciliter l’accès à la nationalité ? Cela répond-il à une attente ? Nous avons déjà plusieurs fois posé cette question et les réponses ont toujours été très nuancées, avec beaucoup de retenue et de pudeur.

Faciliter les naturalisations, c’est quelque chose qui peut être fait rapidement : à titre personnel, je serais plutôt partisan de prévoir, pour ces cas-là, une procédure hors du circuit commun – même si je souscris à l’idée que le droit commun est en principe préférable à des procédures particulières.

Ma deuxième question s’adresse au GRDR : pourriez-vous nous parler des actions que vous conduisez dans les pays d’origine et nous en donner quelques exemples ?

Ma troisième question s’adresse à l’ODTI : nous assistons à la fin du mythe du retour ; beaucoup de ces immigrés ont cru qu’ils ne venaient en France que pour le temps de leur vie professionnelle, mais ils souhaitent finalement rester. Cela pose la question de l’« exportabilité » de certains droits, mais aussi de l’appréhension de la fin de vie et du lieu de sépulture. Ne faudrait-il pas commencer par considérer les résidences et les foyers comme des logements à part entière ? La mission se veut en tout cas très vigilante sur le plan de traitement des foyers, dont l’achèvement rapide est indispensable.

M. Daniel Vaillant. Les auditions d’associations apportent en effet toujours des perspectives nouvelles.

Il faut bien sûr éradiquer les conditions de vie indignes – nous pensons tous en particulier aux foyers de l’est parisien. Cette action doit être menée par l’État et par les collectivités territoriales, en partenariat. Mais il faut agir en tenant compte des aspirations de tous, car elles peuvent différer grandement selon les endroits, les parcours, les personnes… La valorisation des trajectoires est effectivement un enjeu majeur.

La simplification est en effet tout à fait nécessaire, de même que l’internationalisation des droits ; en ce domaine, il faudrait sans doute envisager des actions bilatérales. J’ai conscience que ce sont des questions lourdes et qui ne seront pas réglées rapidement !

Nous sommes tous ici d’accord pour faciliter les naturalisations. Mais il faut aussi respecter l’identité et la volonté de chacun : la nationalité ne doit pas conditionner l’accès aux droits ou aux soins. Il faut s’interroger sur les critères : celui des revenus, celui du conjoint ; en particulier, il ne faut pas éluder le problème de la polygamie.

Nous parlons des migrants d’hier, mais, vous avez raison, il faut aussi penser à ceux d’aujourd’hui et de demain : comment anticiper ces problèmes ?

Enfin, comment faciliter la pratique d’une religion, dans le cadre des lois de la République ? Plusieurs d’entre nous essayent, localement, mais de façon parfois considérée comme un peu aventurière, de régler ce problème bien réel.

Mme Hélène Geoffroy. Pourriez-vous préciser ce que vous disiez sur les parents isolés et leurs enfants ?

Le travail en partenariat avec les collectivités territoriales est évidemment essentiel : sentez-vous chez ces dernières une plus grande sensibilité aux problèmes rencontrés par les immigrés âgés ?

J’ai beaucoup apprécié les propos de M. Jacquier sur les diasporas et la hausse du niveau de qualification. Pourriez-vous les préciser ? Existe-t-il des études en ce domaine ?

Je voudrais enfin poser, comme je le fais souvent, la question des maisons de retraite : estimez-vous préférable de permettre à ces migrants âgés de vieillir ensemble, dans les foyers où ils ont vécu, ou de les inciter au contraire à s’installer dans des maisons de retraite existantes, avec les difficultés que nous connaissons ?

M. le président Denis Jacquat. Le rendez-vous à prendre par internet, cela n’est souvent pas facile pour les personnes âgées en général, alors pour des migrants âgés, effectivement, c’est redoutable ! C’est un problème qui concerne tout le monde.

Je vous propose de répondre rapidement, dans les minutes qui nous restent, aux questions qui vous semblent essentielles, et de compléter par écrit si cela vous paraît utile.

M. Rafaël Ricardou. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : il est essentiel d’articuler actions spécifiques et droit commun ; aujourd’hui, un traitement particulier est nécessaire pour aider les femmes immigrées âgées, car elles cumulent les discriminations
– liées au genre, à l’origine, à l’âge.

Il est également essentiel de prendre en considération la grande hétérogénéité de ces publics, de leurs parcours, de leurs projets migratoires. Nous avons évoqué l’immigration maghrébine et subsaharienne, mais n’oublions pas, par exemple, l’immigration asiatique.

M. Élias Bouanani, responsable du pôle juridique de l’ODTI. Ce que nous constatons, c’est plutôt une prépondérance des allers et retours. Ce va-et-vient ne cesse que quand la personne tombe malade ; elle se voit alors obligée de demeurer en France. Notre association propose donc des solutions originales, notamment en matière de logement : nous avons imaginé un système hôtelier adapté à la pratique de la « navette », avec des chambres partagées.

Certains migrants restent sur le sol français sans jamais retourner dans leur pays d’origine : souvent alors, il y a une situation de rupture personnelle. Mais le souhait de tous n’est certainement pas de rester sur le sol français.

M. le président Denis Jacquat. Il semble que, pour des raisons financières, les allers et retours soient plus fréquents avec le Maghreb qu’avec les pays du Sahel.

M. Élias Bouanani. En effet.

S’agissant des diasporas, c’est vrai, notre association reçoit dans ses permanences juridiques de plus en plus de personnes très qualifiées, qui nous sollicitent pour leurs parents âgés, ou pour elles-mêmes. Les problèmes posés par les migrations concernent des personnes très différentes les unes des autres.

Quant aux maisons de retraite, je connais beaucoup de personnes très attachées à leur lieu de vie : il faut alors se demander comment favoriser le maintien à domicile même dans des habitats qui, au départ, ne sont pas forcément adaptés pour cela. On peut l’envisager dans des résidences sociales comme celle que nous gérons. Je doute pour ma part que la question des maisons de retraite constitue une priorité.

M. le président Denis Jacquat. Je le dis souvent : pendant longtemps, en Moselle, nous n’avions pas du tout d’Italiens dans nos maisons de retraite, car ils étaient pris en charge par leur famille. Aujourd’hui, les mentalités ont changé. Il en ira de même pour les personnes venues du Maghreb ou du Sahel : ce n’est pas dans leur culture aujourd’hui, mais cela changera vite.

Mme Anna Sibley. Il nous paraîtrait judicieux de faciliter l’accès à la nationalité française, même si tous les vieux migrants ne souhaitent pas devenir français ; cela relève de la liberté de chacun.

Plus largement, il faudrait un changement de regard sur les migrations et les migrants : il faudrait cesser de soupçonner ces personnes systématiquement, de s’acharner contre elles, et les considérer, tout simplement, comme des gens d’ici, qu’ils aient acquis ou pas la nationalité française.

Mme Claude Hénon. Beaucoup d’enfants, souvent français eux-mêmes, souhaitent faire venir leurs parents pour prendre soin d’eux ; ce sont souvent des parents isolés, une mère veuve ou un père veuf. Le problème est alors celui de l’accès au visa et de l’accueil dans les consulats.

M. le président Denis Jacquat. Mesdames et messieurs, je vous remercie pour vos réponses et pour tout le travail que vous effectuez.

Audition, sur les thèmes de l’apprentissage de la langue française
et de la lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme, de M. Alaya Zaghloula, président de la Fédération Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles (AEFTI),
de Mme Sophie Étienne directrice, de M. Khaled Abichou, directeur
de l’association Initiatives contre l’illettrisme et lutte contre l’analphabétisme (ICI & LA), et de Mme Camille Lalung, référente pédagogique


(extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

Monsieur le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous terminons cette matinée avec une audition consacrée à l’apprentissage de la langue française et à la lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme et recevons M. Alaya Zaghloula, président de la Fédération Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles (AEFTI), et Mme Sophie Etienne, directrice, ainsi que M. Khaled Abichou, directeur de l’association Initiatives contre l’illettrisme et lutte contre l’analphabétisme (ICI & LA), accompagné de Mme Camille Lalung, référente pédagogique.

Fondée en 1971 par des personnalités issues du monde syndical, associatif, politique et universitaire animées par des préoccupations humanistes et citoyennes, la Fédération AEFTI est un réseau d’associations loi de 1901 dont l’objectif est la lutte contre l’illettrisme et l’analphabétisme, la promotion du droit à la formation et à la qualification de la population immigrée et des publics en difficulté d’insertion. Aujourd’hui, il existe sept AEFTI, réparties sur le territoire national.

Autrefois animées par des formateurs bénévoles, les AEFTI se sont professionnalisées tout en maintenant une structure associative vivante ; elles représentaient, en 2009, quatre-vingt-seize centres de formation, 36 000 personnes accueillies et 330 formateurs.

De son côté, l’association Initiatives contre l’illettrisme et lutte contre l’analphabétisme (ICI & LA), créée en 2001, est un centre de ressources de lutte contre l’illettrisme. Ce centre est un espace d’information, d’animation, de mutualisation et de capitalisation qui assure les fonctions suivantes : information des acteurs sur les dispositifs de formation de base ; sensibilisation à la prise en compte des savoirs de base dans les actions d’insertion sociale et professionnelle ; animation de groupes de travail pour la mutualisation des compétences des acteurs pédagogiques et institutionnels de l’insertion et de la formation ; contribution à la réalisation des actions dans le cadre du plan régional de lutte contre l’illettrisme d’Île-de-France.

Je précise que notre mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’États tiers à l’Union européenne, qui représentent 800 000 personnes, les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. Nous abordons l’ensemble des questions les concernant : précarité du logement, insuffisance de l’accès aux soins et aux droits de façon générale, difficulté d’intégration, isolement et dépendance, etc. Il nous a souvent été dit que leur mauvaise maîtrise de la langue française pouvait avoir d’importantes conséquences sur leur accès aux dispositifs sociaux de droit commun. Aussi votre éclairage nous sera-t-il très certainement utile.

M. Alaya Zaghloula, président de la Fédération Association pour l’enseignement et la formation des travailleurs immigrés et de leurs familles (AEFTI). Il y a encore quatre ou cinq ans, les retraités fréquentaient nos centres parce qu’ils souhaitaient pouvoir enfin maîtriser la langue française pour mieux s’intégrer à la société et vaquer plus librement à leurs occupations. Malheureusement, les stages en leur direction ont disparu puisque la politique d’intégration des immigrés s’est, au cours des dernières années, essentiellement intéressée aux primo-arrivants. Il faut savoir que ces stages ont même été rémunérés durant une période. Depuis le démantèlement du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) et la création de l’Agence nationale pour la cohésion sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille (ACSé) et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), les retraités n’ont plus droit à aucune formation. Après un véritable parcours du combattant, tout au plus peuvent-ils en bénéficier lorsque les municipalités agissent en ce domaine. Non seulement nos centres menaient – et pour certains mènent encore – des actions d’alphabétisation des retraités dans les foyers mais ils les aidaient également dans leurs démarches administratives – sécurité sociale, allocations familiales ou aide personnalisée au logement. Il peut même s’agir d’anciens combattants qui ne peuvent pas rentrer au pays parce qu’ils perdraient leurs droits.

Nos centres disposent de formateurs bénévoles qui, le soir, proposent des cours d’alphabétisation au sein des AEFTI ou des foyers. Auparavant, nous pouvions assurer la formation des sans-papiers. Malheureusement, personne ne peut plus venir nous voir sans être auparavant passés par des pôles de diagnostic où il est demandé aux immigrés de présenter leurs papiers. En l’absence de ceux-ci, ils n’ont droit à aucune formation, alors que seule la maîtrise de la langue française leur permettrait de s’intégrer. C’est pourquoi, comme nous sommes des militants, nous assurons des cours du soir qui ne sont financés ni par l’ACSé ni par l’OFII.

Mme Sophie Étienne, directrice de la Fédération AEFTI. Notre structure s’est professionnalisée pour répondre à l’évolution des politiques conduites en matière d’intégration, notamment au fait que la formation linguistique est désormais soumise à des appels d’offre. Alors que la formation dispensée répondait auparavant aux besoins locaux, cette évolution a malheureusement écarté le public de proximité, dont faisaient partie les chibanis et leurs épouses qui sont arrivées en France dans le cadre du regroupement familial. Ce public n’a plus la possibilité d’apprendre le français. Toutefois, des dispositifs, comme les ateliers sociolinguistiques, permettent d’élargir le public des bénéficiaires de l’enseignement du français. Le secteur caritatif tente lui aussi d’assurer l’apprentissage linguistique auprès des personnes âgées et des sans-papiers, qui sont écartés des dispositifs de droit commun. Mais les cours sont dispensés par des bénévoles, qui ne sont pas nécessairement formés à cette fin. Aussi, l’enseignement dispensé dans ce cadre n’est-il pas toujours de grande qualité.

La Fédération AEFTI est un des membres fondateurs de l’Association pour le droit à la langue du pays d’accueil, visant à promouvoir le droit pour tous à une formation linguistique de qualité. Comme à l’heure actuelle, je l’ai dit, la qualité de la formation n’est pas garantie, nous menons des actions d’ingénierie de formation à l’attention des formateurs
– nous avons été à l’origine de la mise en place de la formation de tous les formateurs au « français langue d’intégration » (FLI). Nous menons également des projets de professionnalisation des acteurs de l’insertion, créons des outils pour l’alphabétisation et publions une revue scientifique, qui fait le lien entre la formation de terrain et l’université, ainsi qu’une revue d’interface qui permet aux acteurs de l’intégration de s’exprimer sur la question de la formation. Plusieurs numéros ont traité de la question des chibanis, ces derniers exigeant non pas tant un traitement social, comme s’ils devaient être réduits au statut de victimes, mais plutôt la possibilité d’être écoutés, car, dotés d’une riche expérience, ils pourraient la transmettre aux jeunes générations des quartiers dans le cadre de projets intergénérationnels.

M. Khaled Abichou, directeur de l’association Initiatives contre l’illettrisme et lutte contre l’analphabétisme (ICI & LA). Nous sommes très honorés d’être auditionnés par les représentants de la nation et souhaitons que vos travaux aboutissent pour améliorer la condition de ceux qui ont contribué à l’effort d’industrialisation de la France.

En 1971, un membre du Conseil national du patronat français déclarait : « La main-d’œuvre étrangère comprend mal le français. La spécialisation devait rester la règle, une main-d’œuvre trop fruste ne pouvant s’adapter à la modernisation. » L’origine du problème actuel tient dans ce préjugé.

C’est en effet à cause de celui-ci que, lorsque l’industrie française s’est restructurée dans les années 1980, après les deux chocs pétroliers, les travailleurs immigrés n’ont pas bénéficié des dotations du Fonds national pour l’emploi, alors que celui-ci était bien « garni » – et je ne parle pas des fonds mutualisés. Nous n’aurions pas à résoudre ce problème aujourd’hui si, à l’époque, des actions spécifiques de reclassement, de formation et d’accès aux compétences, notamment linguistiques, avaient été mises en place.

Ces personnes ont pourtant travaillé en France entre trente et cinquante ans, notamment sur les chaînes de production d’automobiles, en remplacement des ouvriers spécialisés français.

L’intérêt de notre structure pour cette population vient du fait que, dans le cadre des plans régionaux de lutte contre l’illettrisme, qui s’occupent prioritairement des personnes qui ont été scolarisées en langue française, l’axe « cohésion sociale » la vise directement. Le problème de l’accès aux compétences pourrait donc être résolu au plan territorial – une trentaine de ces plans sont actuellement signés ou en cours de signature – si cette population bénéficiait pleinement des dispositifs de droit commun.

En effet, je ne crois pas à l’utilité des dispositifs particuliers. Il faut savoir qu’il existe, d’un côté, ces plans régionaux de lutte contre l’illettrisme décidés par le ministère du travail et mis en place par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) et, de l’autre, des programmes régionaux d’intégration des populations immigrées (PRIPI), qui dépendent du ministère de l’intérieur et sont mis en œuvre par la DAIC. Or, alors que les problèmes rencontrés concernent la maîtrise de la langue orale et écrite et l’accès à des compétences sociales pour communiquer avec son environnement, nous avons affaire à deux politiques différentes en dépit de l’existence de points de convergence qui se situent autour des territoires. Il suffirait de flécher, dans les dispositifs de droit commun, des actions spécifiques pour ces populations sans créer de dispositifs particuliers, pour améliorer leur maîtrise de la langue et leur accès aux compétences sociales – pour, par exemple, simplement savoir retirer de l’argent à un guichet automatique avec une carte bancaire.

Il existe deux référentiels de compétences européens : le cadre européen des compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, qui s’adresse, en ce qui concerne la France, aux francophones scolarisés en France qui n’ont pas acquis tous les savoirs, et le cadre européen commun de référence pour les langues, qui s’adresse uniquement aux populations immigrées. Or, nous avons affaire à des personnes qui sont en France depuis trente ou quarante ans, voire davantage : peut-on les traiter comme des primo-arrivants ? Il faut les traiter dans le cadre de l’accès aux compétences sociales de communication. Cela permettrait de créer des points de convergence entre les pilotages politiques des actions menées par les deux ministères du travail et de l’intérieur.

Mme Camille Lalung, référente pédagogique. Que l’intégration soit à l’heure actuelle si rare est dommageable pour le public qui vous intéresse, qui doit subir la fracture numérique en plus des difficultés d’apprentissage de la langue et d’accès à la lecture et à l’écriture. Ces adultes migrants ont du mal à s’adapter à la modernisation de leur poste professionnel et ne peuvent exécuter, dans leur vie quotidienne, des actes aussi simples que le retrait d’argent à un distributeur automatique ou l’achat à une borne d’un ticket de métro ou d’un billet de train.

Toutes les formations de base à la bureautique dans les espaces publics numériques demandent comme prérequis la lecture et l’écriture. Or, la recherche montre que ces outils permettent l’alphabétisation, ce qui permettrait d’accélérer l’apprentissage dans les deux domaines et donc de mieux intégrer les immigrés âgés.

En l’absence de dispositifs de droit commun en direction de ces populations, c’est le FEI qui les prend en charge, mais de façon marginale. Il conviendrait de généraliser ces actions.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Même si depuis les années 1980, l’immigration a évolué dans notre pays, il reste en France 350 000 immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans, qui sont arrivés entre les années 1950 et 1970 sans pouvoir bénéficier des dispositifs qui accompagnent aujourd’hui les primo-arrivants pour la simple raison que ces dispositifs n’existaient pas.

Quelle est la part des immigrés âgés qui ont été scolarisés dans leur pays d’origine ? Lorsqu’ils l’ont été, à quel âge ont-ils, en moyenne, quitté l’école ? En effet, ce n’est pas la même chose d’immigrer en maîtrisant la lecture et l’écriture dans la langue de son pays d’origine et d’immigrer en étant totalement analphabète, y compris dans sa langue maternelle.

Quel est le taux de réussite chez le public que vous accompagnez, compte tenu évidemment des évolutions réglementaires qui ont rendu plus difficile l’accès des immigrés âgés aux dispositifs que vous proposez ? Revenir sur ces évolutions pourrait du reste faire partie des préconisations de la mission. À quelles difficultés autres que les lenteurs cognitives propres à l’âge ces personnes se heurtent-elles?

La non-maîtrise de la langue française constitue un frein non seulement à l’accès aux droits, mais aussi à la réalisation des gestes les plus simples de la vie quotidienne. Ce frein est d’autant plus important que s’amplifie la dématérialisation des procédures administratives, laquelle oblige de passer de plus en plus souvent par internet. Comme vous l’avez parfaitement souligné, à la fracture linguistique s’ajoute la fracture numérique.

Pensez-vous que les immigrés âgés soient l’objet de discriminations en raison, notamment, de leur maîtrise imparfaite de la langue française ? Si oui, cette absence de maîtrise serait-elle une des sources principales de discrimination ?

M. le président Denis Jacquat. Si je vous ai bien compris, les immigrés âgés ont encore besoin d’une formation continue, alors qu’ils sont à l’heure actuelle abandonnés à eux-mêmes.

L’objectif de la mission est d’être une force de propositions : il ressort de vos propos qu’il est d’autant plus nécessaire de remettre l’apprentissage au cœur des dispositifs prévus en direction de ces immigrés âgés que les exigences de la vie moderne les poussent vers internet et qu’ils sont souvent arrivés analphabètes en France. Il leur est donc impossible d’acquérir seuls les nouvelles technologies.

Madame Étienne et monsieur Abichou, vous avez évoqué la qualité de la formation dispensée par les bénévoles. Toutefois, le bénévolat n’interdit pas la labellisation des associations.

Vous avez également évoqué la question des papiers qui sont désormais exigés pour pouvoir participer aux formations. Certes, il est toujours possible de créer des associations ouvertes à tous – la semaine dernière nous nous sommes rendus dans les locaux d’une association, située dans le quartier Belleville à Paris, dispensant des cours de français à des personnes chinoises dont la plupart n’avaient pas de papiers. Le blocage administratif que vous avez évoqué est d’autant plus paradoxal que le public est demandeur. De plus, sans qu’on sache toujours bien pourquoi, la nationalité française est refusée à de très nombreux immigrés, aujourd’hui âgés, qui la demandent sans succès depuis de très nombreuses années, alors même qu’ils ont choisi de rester en France. Il arrive que les demandeurs d’asile, arrivés récemment dans notre pays, soient naturalisés dans des délais plus courts que les migrants âgés arrivés il y a plusieurs décennies.

Mme Camille Lalung. Il est difficile de déterminer avec exactitude le parcours scolaire de ces immigrés âgés, du fait que celui-ci n’a pas été recensé à leur arrivée sur le territoire français, contrairement, par exemple, aux étudiants étrangers venant achever leur formation en France. De plus, le caractère morcelé de la prise en charge de l’alphabétisation des immigrés par les associations de quartiers dans les années 1960 ne permet pas d’établir des chiffres précis.

M. le rapporteur. Je ne pensais pas tant à des statistiques précises qu’à une évaluation sur le terrain, à travers des témoignages.

Mme Camille Lalung. Le plus souvent, la formation est dispensée par des associations de bénévoles – il en existe un grand nombre ne serait-ce qu’à Paris : or, très souvent, ces associations ne procèdent pas à des évaluations des progrès réalisés. Il faudrait sinon professionnaliser le bénévolat, du moins prévoir une formation systématique des bénévoles afin de garantir, comme l’a souligné Mme Étienne, la qualité de la formation.

M. Khaled Abichou. Les recrutements des années 1950 à 1970 visaient spécifiquement les candidats analphabètes– dans le film Mémoires d’immigrés, Yamina Benguigui rappelle que les recruteurs de la régie nationale Renault allaient jusqu’à serrer la main des villageois des douars pour vérifier qu’elle était bien calleuse et qu’il ne s’agissait donc ni d’intellectuels ni de paresseux ! C’était un critère de recrutement. J’estime à 200 000 le nombre de personnes concernées par votre mission – immigrés âgés et leurs conjoints arrivés dans les années 1970 à l’ouverture du regroupement familial. Ce sont essentiellement des Nord-africains et des Africains francophones, recrutés dans ce qu’on appelait les États du « champ » – c’est ainsi que le ministère de la coopération dénommait la zone francophone. Ces personnes vivent dans des foyers Adoma ou dans des meublés. En dépit de la rénovation du quartier, certains ont pu, pour ne prendre que cet exemple, rester à la Goutte d’Or.

La vague des années 1970 est celle d’immigrés ayant suivi un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) dans leur pays d’origine. Je suis d’origine tunisienne. Mes camarades avaient quitté l’école pour la section professionnelle. Le niveau d’écrit de ces immigrés est donc imparfait mais ils disposent des connaissances de base. Ils ne concernent pas la mission car ils ont pu bénéficier d’une promotion professionnelle lors des réorganisations du travail dans les années 1980 – il y avait alors peu d’Algériens mais un grand nombre de Turcs, qui fuyaient, à l’époque, la dictature militaire. Ils étaient arrivés comme réfugiés politiques. Quant aux immigrés asiatiques, ils ont très souvent été scolarisés dans leur pays d’origine.

S’agissant des discriminations, il faut savoir que l’administration n’hésite pas à demander à des immigrés âgés de soixante-dix ans et plus, venus renouveler leur carte de séjour, leur diplôme de langue française, alors qu’ils vivent en France depuis quarante ans. C’est une pratique courante dans certaines préfectures.

M. le président Denis Jacquat. L’administration ne distingue pas les immigrés âgés des primo-arrivants. Elle semble également ignorer qu’en raison du regroupement familial, les immigrés âgés d’aujourd’hui rencontrent des difficultés que ne rencontreront plus les immigrés âgés de demain.

M. le rapporteur. Si ces pratiques sont systématiques, elles sont discriminatoires. Demander un diplôme de langue française à un primo-arrivant répond à une certaine logique, puisqu’il peut bénéficier de dispositifs de droit commun, mais il s’agit d’une forme ciblée de discrimination quand cette demande est formulée à l’endroit d’immigrés âgés qui, eux, n’ont pas pu bénéficier des mêmes dispositifs.

M. Khaled Abichou. Je tiens à rendre hommage aux travailleurs sociaux, qui témoignent d’une forte empathie individuelle à l’égard de ces immigrés retraités, en raison de leur âge ou par reconnaissance pour leur participation à l’effort national, d’autant que ces populations ont toujours fait preuve, contrairement à leurs enfants, d’une grande discrétion.

S’agissant des aspects cognitifs de la formation à leur dispenser, nous sommes convaincus que ces immigrés âgés doivent bénéficier d’une approche multidisciplinaire, laquelle exige des intervenants très bien formés, qu’ils soient salariés ou bénévoles.

Mme Sophie Étienne. Mon doctorat portait sur l’apprentissage des savoirs de base. Dans les années 1970, l’université s’est tournée vers ces immigrés, s’apercevant que leurs besoins étaient différents de ceux des étudiants : s’ils souhaitaient apprendre le français, c’est qu’ils en avaient besoin pour leur travail et la vie de tous les jours. C’est grâce à ce public qu’est née l’approche communicative, qui permet d’adapter la formation aux besoins. La définition d’un « niveau seuil » ou B1, issue cette approche, a permis de créer le cadre européen commun de référence.

L’université s’est par la suite et durant plusieurs années désintéressée de ce public. C’est le secteur associatif qui a alors pris la relève. Il s’est progressivement professionnalisé. L’AEFTI a créé de nombreux outils en direction de ce public – elle mettra à disposition à compter du 29 avril 2013 un logiciel interactif pour apprendre à se servir des bornes automatiques.

L’approche doit en effet être d’autant mieux adaptée aux différents publics auxquels nous avons affaire que les flux migratoires ont changé. Les nouveaux publics relèvent désormais en majeure partie du flux français langue étrangère (FLE), du fait qu’ils ont été scolarisés dans leur langue maternelle mais ne maîtrisent pas la langue française. En revanche, les chibanis, qui proviennent de pays francophones, connaissent le français « oral » : ce dont ils ont besoin, c’est d’un apprentissage du français « écrit ». Il ne s’agit donc pas de la même approche : la formation doit être différente.

Les AEFTI étant militantes, elles ont créé des formations sur la grève ou le droit
– récemment encore sur le droit du travail. Il est important de ne pas réduire la formation à la seule approche linguistique.

La réussite dépend de la motivation de celui qui suit les cours.

Je souhaiterais évoquer le label qualité « FLI », dont j’ai été une des contributrices et qui a donné ses lettres de noblesse à l’apprentissage de l’usage quotidien de la langue française. Ce label est délivré par l’État aux organismes professionnels de formation. Assurer une formation de qualité implique en effet d’avoir auparavant défini les besoins des personnes. Il était également prévu de mettre en place un agrément pour les structures employant des bénévoles, ceux-ci ayant pour fonction de servir d’intermédiaires entre les immigrés et des formateurs professionnels de qualité. Notre public est composé d’adultes et non pas d’enfants : les cours qui leur sont dispensés doivent absolument prendre en considération cette caractéristique essentielle.

Au plan politique, je regrette que les titres de séjour soient conditionnés au niveau de langue de l’immigré. Pour les primo-arrivants, il conviendrait de prendre en considération leur progression. Quant aux immigrés âgés, ils sont à mes yeux citoyens français de fait. On leur doit la qualité de la formation.

M. Alaya Zaghloula. Je partage les analyses des orateurs précédents.

Je suis venu en France au début des années 1970 pour travailler dans le bâtiment. Notre génération parle le français sans le maîtriser. Nos prédécesseurs arrivés dans les années 1960 étaient des analphabètes en provenance d’États qui venaient juste d’accéder à l’indépendance. De plus, le niveau de scolarisation était différent d’un pays d’origine à un autre : il était à l’époque plus élevé en Tunisie qu’au Maroc.

J’ai dirigé une AEFTI en Seine-Saint-Denis : j’ai eu affaire à des quadragénaires ou des quinquagénaires qui souhaitaient se former. Ils ont fort heureusement pu recourir au congé individuel de formation (CIF), même si l’accès à ce congé ne peut se faire avant un délai de trois ans. Ces formations sont nécessaires pour progresser sur le plan professionnel
– je citerai l’exemple d’un camionneur malien qui a pu enfin, après sa formation, remplir sans plus aucune difficulté les formulaires de la douane.

Avant la création de l’ACSé, des communes finançaient des formations pour ceux qui vivent ou travaillent sur leur territoire. Désormais, ces communes se tournent vers la politique de la ville, pour laquelle la formation linguistique n’est plus la priorité. La sécurité est désormais la première préoccupation.

M. le président Denis Jacquat. Les villes ont plus de pouvoir dans le cadre de l’ACSé que dans celui des contrats de ville, dont les financements reposaient pour moitié sur la commune et pour moitié sur l’État, qui pouvait les refuser. Désormais, les villes sont libres de disposer de leur volume financier et l’État ne fait plus que prendre acte de leur politique en la matière. Elles sont responsables.

M. Alaya Zaghloula. En effet, les villes comptent désormais sur l’ACSé. Je citerai l’exemple de la commune de Pantin, qui a assuré des cours durant quinze ans auprès d’un public composé essentiellement de femmes de quarante à cinquante ans. Cette formation linguistique était « leur passeport pour la vie », car elle leur assurait une pleine autonomie dans la vie de tous les jours. Elles n’avaient plus besoin de demander à leurs enfants de les aider dans leurs démarches ou de les accompagner chez le médecin. Je pourrais vous citer d’autres exemples. Il importe de ne pas confondre ce public avec celui des primo-arrivants, comme le font trop souvent les médias. Le décalage entre ces deux publics est réel. Il est malheureux qu’en raison du manque de moyens, les cours qui étaient dispensés à ces femmes ou à ces immigrés âgés ne puissent plus l’être.

Quant au racisme de l’administration, qui provoque parfois de l’énervement, il se traduit surtout par des demandes impossibles à satisfaire. Il est arrivé ainsi à l’administration d’exiger d’un étranger qui venait chercher un titre de séjour comme conjoint étranger d’un citoyen français, deux certificats prouvant que le couple possédait un logement commun et un compte bancaire commun, alors même que l’obtention de ces deux certificats nécessitent la possession préalable du titre de séjour !

M. le président Denis Jacquat. C’est un problème de cohérence.

M. Alaya Zaghloula. J’ai dû accompagner cette personne avec deux déclarations, la première de l’office HLM et la seconde de la banque, attestant que la loi interdisait de délivrer un logement commun ou d’ouvrir un compte commun, tant que l’administration n’avait pas délivré elle-même à un titre de séjour à cette personne. Voilà ce qui se passe dans les préfectures !

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, mesdames et messieurs.

Audition, sur le thème des politiques menées par les communes
à destination des immigrés âgés, de Mme Claudine Bouygues, adjointe au maire de Paris, chargée des droits de l’homme, de l’intégration, de la lutte contre les discriminations et des citoyens extracommunautaires, de Mme Nathalie Olla, adjointe au maire de Roubaix, chargée de la politique de la jeunesse, de la politique des loisirs jeunes, de l’interculturalité et de la lutte contre les discriminations, de M. Pierre Hémon, adjoint au maire de Lyon, délégué aux personnes âgées, représentant l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), de Mme Édith Danielou, adjointe au maire de Massy, et de Mme Sylvie Vivier, directrice territoriale à Massy, représentant l’Association des maires de France (AMF), de Mme Halima Menhoudj, adjointe à la maire de Montreuil, déléguée aux personnes âgées, et de Mme Muriel Casalaspro, adjointe à la maire de Montreuil, déléguée aux solidarités et aux affaires sociales, représentant l’Association des maires ville et banlieue de France (AMVBF)


(extrait du procès-verbal de la séance du 11 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons ce matin, pour nous parler des politiques menées par les communes à destination des immigrés âgés :

– Mme Claudine Bouygues, adjointe au maire de Paris, chargée des droits de l’homme, de l’intégration, de la lutte contre les discriminations et des citoyens extracommunautaires, que nous avons déjà eu le plaisir de rencontrer lors du déplacement de la mission à Paris, le 29 mars dernier ; elle est accompagnée de M. Christophe Pichaud et de Mme Jeanne Bonnemay ;

– Mme Nathalie Olla, adjointe au maire de Roubaix, chargée de la politique de la jeunesse, de la politique des loisirs jeunes, de l’interculturalité et de la lutte contre les discriminations ;

– M. Pierre Hémon, adjoint au maire de Lyon, délégué aux personnes âgées, représentant l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) ;

– Mme Édith Danielou, adjointe au maire de Massy, et Mme Sylvie Vivier, directrice territoriale, représentant l’Association des maires de France (AMF) ;

– Mme Halima Menhoudj, adjointe à la maire de Montreuil, déléguée aux personnes âgées, et Mme Muriel Casalaspro, adjointe à la maire de Montreuil, déléguée aux solidarités et aux affaires sociales, représentant l’Association des maires ville et banlieue de France.

Le logement et l’action sociale sont des compétences fondamentales des communes, et de leurs centres communaux d’action sociale (CCAS) : il nous a donc semblé nécessaire de vous entendre sur les politiques mises en place à l’échelon communal ou intercommunal à destination des migrants âgés. Par ailleurs, la commune est le cœur battant de notre démocratie et la participation à la vie locale, sous ses diverses formes, est l’un des premiers signes de l’insertion dans la société française.

Notre mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’États tiers à l’Union européenne : on estime leur nombre à 800 000, les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. Nous abordons l’ensemble des questions les concernant : précarité du logement, insuffisance de l’accès aux soins et aux droits de façon générale, difficulté d’intégration, isolement et perte d’autonomie, etc.

Mme Claudine Bouygues, adjointe au maire de Paris, chargée des droits de l’homme, de l’intégration, de la lutte contre les discriminations et des citoyens extracommunautaires. La ville de Paris est particulièrement attentive à la question des immigrés âgés : différentes études, notamment celle de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) qui date de 2006, en ont signalé l’importance. À Paris, 20 % de la population immigrée est âgée, ce qui est beaucoup ; et cette proportion continue d’augmenter. La ville travaille donc pour accompagner et soutenir ces publics.

Les difficultés rencontrées par les migrants âgés ont déjà été signalées lors des auditions que vous avez réalisées : problèmes de santé et d’accès aux soins plus importants que pour l’ensemble de la population, précarité, problèmes de logement et d’accès aux droits… Notre but est donc d’accompagner ces migrants âgés vers le droit commun, afin de leur permettre de vieillir dignement.

Notre action porte d’abord sur l’information et l’orientation, notamment grâce aux centres locaux d’information et de coordination (CLIC) gérontologique, dits « CLIC Paris Émeraude » : ils permettent à tous les seniors, migrants ou non, de s’informer sur l’adaptation de leur logement, les aides à domicile, les aides financières auxquelles ils ont droit… Ils peuvent aussi contribuer à rompre l’isolement des personnes âgées. Nous essayons d’accompagner les migrants vers le droit commun, notamment en diffusant des fiches multilingues ; un nouveau guide intitulé Vivre à Paris, dont l’un des chapitres est consacré aux personnes âgées, est en cours d’impression. Il est traduit en sept langues.

En ces domaines, la ville de Paris ne peut pas agir seule : nous nous appuyons beaucoup sur des associations qui accompagnent les migrants âgés, telles que le Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED) ou l’association Chinois de France, Français de Chine.

La mission d’information a pu découvrir sur place le dispositif des cafés sociaux, qui sont des espaces de solidarité et de convivialité. Il en existe aujourd’hui quatre à Paris à destination des migrants, et nous prévoyons d’en ouvrir un cinquième ; nous leur consacrons un budget de 160 000 euros.

Nous avons également beaucoup travaillé sur la question des foyers : 17 % de leurs résidents ont en effet plus de soixante ans et 46 % ont entre quarante-cinq et soixante ans. La mairie de Paris a lancé en 2005 un plan de rénovation très important, en transformant nombre de foyers de travailleurs migrants – souvent franchement insalubres – en résidences sociales ; environ 30 % des chambres sont maintenant accessibles aux personnes handicapées. Cette rénovation est allée de pair avec la mise en place d’un meilleur accompagnement social.

Nous réfléchissons aujourd’hui, avec les autres intervenants, aux actions à mener spécifiquement en faveur des personnes âgées immigrées : nous pensons par exemple à un diagnostic global individuel – santé, droits sociaux, habitat, loisirs – qui nous permettrait d’accompagner chacun vers les aides et réseaux déjà existants, tout en nous fournissant les éléments nécessaires à l’élaboration de notre action future.

Je voudrais enfin évoquer la situation particulière et tout à fait préoccupante des femmes immigrées qui, si elles disposent souvent d’une famille en France et sont donc peut-être moins souvent isolées que les hommes, n’en rencontrent pas moins des problèmes dramatiques, car elles ont peu travaillé et parlent beaucoup moins souvent français que les hommes. Il faut que les politiques publiques les prennent particulièrement en considération, pour leur permettre d’accéder à leurs droits ; il faut notamment leur faciliter l’apprentissage de la langue française, car elles ont, en la matière, un handicap très fort par rapport aux hommes, et améliorer leur formation, souvent très faible. La ville de Paris consacre chaque année 6 millions d’euros à l’apprentissage du français.

Mme Nathalie Olla, adjointe au maire de Roubaix, chargée de la politique de la jeunesse, de la politique des loisirs jeunes, de l’interculturalité et de la lutte contre les discriminations. La ville de Roubaix compte environ 14 000 habitants immigrés de plus de soixante ans, dont 5 500 sont âgés de plus de soixante-quinze ans. Depuis dix ans, le CCAS a mené, avec un fort soutien des élus, une réflexion spécifique sur la prise en charge des personnes âgées issues de l’immigration.

Ainsi, lors de la rénovation du quartier de l’Alma, nous nous sommes penchés sur le cas du foyer-logement Fontenoy, structure importante datant de 1981 qui accueille des personnes de plus de soixante ans, dont 82 % sont issues de l’immigration. En 2003, tous les résidents ont été interrogés individuellement afin de connaître leurs attentes et leurs besoins, mais la communication s’est révélée très difficile : ces personnes ne voulaient pas parler des difficultés qu’elles rencontraient et faisaient preuve de beaucoup de retenue et de pudeur. Il est néanmoins ressorti de ces entretiens le constat de leur usure physique précoce ainsi qu’une grande appréhension du vieillissement, de la maladie et de la mort.

Le personnel du foyer est fréquemment sollicité pour des démarches administratives, surtout par les femmes, qui maîtrisent très peu la langue française. L’Association pour le développement de l’éducation permanente (ADEP) intervient pour les aider et organiser des cours.

Lors de la rénovation, nous avons aussi fait le choix de travailler sur un pôle social et culturel. L’association Générations et cultures a mené, dès 2006, une action intergénérationnelle en organisant des échanges entre les résidents et les enfants des écoles. Cela nous a d’ailleurs beaucoup aidés, car la communication a été bien plus facile avec les enfants qu’elle ne l’avait été avec nous.

Un diagnostic a été réalisé en 2005 par le cabinet Amnyos sur le vieillissement des personnes issues de l’immigration à Lille, Roubaix et Tourcoing – trois communes qui concentrent les deux tiers de la population immigrée de la métropole lilloise. C’est à Roubaix que le poids de la population immigrée, notamment âgée, est le plus important. Les constats ne sont pas très différents de ceux qui sont faits par ailleurs, avec toutefois un fort accent mis sur la situation des femmes, souvent très éloignées des dispositifs de droit commun.

En 2007, un colloque régional sur ces questions a été organisé à Roubaix. Cela nous a permis de proposer des formations spécifiques aux personnels du CCAS.

Depuis 2008, une nouvelle démarche a été engagée : portée par l’association ARÉLI, elle réunit de nombreux acteurs du territoire – associations, collectivités territoriales, services sociaux… – et a permis d’imaginer un plan d’action intitulé « Vieillesses plurielles », qui sera mis en œuvre dans les prochaines semaines.

Une expérimentation a été mise en place, en lien avec le conseil général, pour faciliter l’accès à l’aide sociale et à l’hébergement.

Des actions portées conjointement par le foyer-résidence Alma-Fontenoy et la résidence ARÉLI sont organisées régulièrement : elles sont principalement festives, mais permettent aux personnes de la résidence sociale de s’habituer au fonctionnement du foyer, ce qui facilite leur arrivée par la suite.

La ville de Roubaix a mis en place une commission extra-municipale des populations immigrées (CEMPI) qui réalise un travail important en réunissant l’ensemble des communautés présentes dans notre ville ; elle organise par exemple la fête de l’amitié, qui est une journée de valorisation culturelle, gastronomique… dont la trente-sixième édition aura lieu au mois de juin prochain – cette fête rencontre toujours un grand succès auprès du public. Nous avons également créé le conseil roubaisien de l’interculturalité et de la citoyenneté (CRIC), qui rassemble maintenant plusieurs dizaines d’associations. Le maire et le conseil municipal ont souhaité confier au CRIC une mission sur l’accompagnement des personnes âgées issues de l’immigration – sujet d’ailleurs issu des réflexions du CRIC.

M. Pierre Hémon, adjoint au maire de Lyon, délégué aux personnes âgées, représentant l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF). En tant qu’élu lyonnais, je mesure toute la difficulté du sujet que vous abordez ; de plus, Lyon fait partie du réseau francophone des « Villes amies des aînés », qui veut favoriser les échanges de bonnes pratiques entre les villes de France. Je remercie donc doublement la mission d’information de son travail fort utile.

Lyon compte un peu plus de 100 000 habitants âgés de plus de cinquante-cinq ans ; parmi eux, il y a plus de 7 000 Maghrébins, dont 60 % d’Algériens, et 60 % d’hommes, et 700 personnes venues d’autres pays d’Afrique.

La ville de Lyon et la communauté urbaine ont choisi de mener une politique volontariste en matière de logement. Les foyers de travailleurs migrants sont peu à peu rénovés et transformés en résidences sociales. La ville de Lyon accueille certaines réalisations sur son territoire et participe à ces investissements, lorsqu’elle est sollicitée, à hauteur de 1 000 euros par place ; entre 2001 et 2012, elle a investi plus de 660 000 euros pour 852 logements. Le Grand Lyon dispose par ailleurs d’un partenariat avec l’État : grâce à la délégation des aides à la pierre, il a participé à la rénovation à hauteur de 5 000 euros par place depuis 2007, contre 3 500 euros auparavant.

Le problème, c’est que les chambres de ces foyers étaient minuscules – il faut imaginer des pièces de quatre mètres carrés. La rénovation et la mise aux normes conduisent donc à diminuer le nombre de places offertes. L’objectif fixé en 1997 de maintenir le nombre global de places n’a pas été atteint : il reste 1 800 places à construire dans l’agglomération, dont 134 à Lyon. Je dois souligner que Lyon a construit 85 % des places nécessaires pour atteindre le but fixé, quand le reste de l’agglomération n’en a construit que 10 %.

Une partie des résidents qui ne trouvent plus de place dans les nouvelles résidences est donc contrainte de se loger chez des « marchands de sommeil », dans des chambres meublées, souvent bien chères, très petites et bien sales… Ma première suggestion serait de conditionner les subventions de la ville de Lyon ou du Grand Lyon à un véritable accompagnement des vieux résidents et à la mise en place d’une offre de logement adaptée.

Le deuxième axe de notre politique est le soutien aux associations. Je prendrai l’exemple de l’une d’entre elles, le « Patio des Aînés », qui fait partie du réseau national des cafés sociaux et accueille une population essentiellement masculine, dont une partie seulement réside en foyer. Son but est de permettre un meilleur accès aux droits et aux soins, tout en luttant contre l’isolement. Cette association a aussi ouvert une sorte d’épicerie sociale et solidaire. Elle fournit un très important travail en réseau, notamment pour ce qui relève du domaine médico-social. Agissant dans le quartier de La Guillotière, elle fait preuve de beaucoup de finesse, d’intelligence et de débrouillardise, et au total d’un impressionnant dynamisme.

Ces associations jouent un rôle très important de passerelle entre les travailleurs sociaux et les migrants, notamment pour permettre à chacun de faire valoir ses droits : le problème, en effet, c’est très fréquemment l’absence de recours aux droits. Cela passe par des choses simples : aider à prendre un rendez-vous ou à remplir un dossier administratif, aider à comprendre une ordonnance…

L’accès aux soins est un enjeu majeur, car ces migrants ont souvent exercé des métiers difficiles et leur corps est fatigué de façon précoce : un important travail d’information et de prévention est fourni.

La ville de Lyon soutient d’autres actions associatives. Ainsi, les associations d’aide alimentaire ne s’adressent pas spécifiquement aux immigrés âgés, mais les accueillent – il s’agit surtout de femmes – très souvent dans leurs permanences. Nous aidons enfin des projets culturels, par exemple par la mise à disposition de locaux.

Le troisième axe de notre action concerne la prise en compte des immigrés âgés par le CCAS et les services de la ville de Lyon. Créée en 2005, la mission Égalité regroupe les démarches transversales au sein des services de la ville, afin de garantir à tous le même traitement. Elle accompagne la mise en œuvre du volet « Lutte contre les discriminations » du contrat urbain de cohésion sociale. La ville de Lyon a obtenu le label « Diversité », et créé un programme spécifique intitulé « Égalycité ».

Les services du CCAS disposent d’une antenne – mais non d’un lieu spécifique – dans chacun des neuf arrondissements. Les immigrés accueillis, principalement des hommes et un petit nombre de femmes seules, sollicitent de l’aide pour effectuer des démarches administratives, souvent liées à l’obtention de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), de la couverture maladie universelle (CMU), de la complémentaire santé, d’une mutuelle ou de la retraite. D’autres démarches concernent le dépôt d’un dossier de surendettement ou une demande d’aide au logement. La plupart des antennes disposent d’agents arabophones.

On trouve à Lyon deux bains douches, où les populations immigrées aiment se retrouver, notamment le vendredi, ce qui en fait des lieux de sociabilité.

Les cimetières lyonnais comprennent des « carrés musulmans », et les pompes funèbres intercommunales peuvent assurer un service public, même si les populations concernées se tournent plutôt vers les pompes funèbres communautaires.

Je conclurai mon propos en signalant trois difficultés. Il est dommage que le schéma gérontologique du département du Rhône, contrairement à celui de l’Isère, n’intègre pas la problématique du vieillissement des immigrés. La situation des veuves, très isolées, n’est pas prise en compte. Enfin, sur 700 000 sans-papiers, certains, présents depuis plus de dix ans dans notre pays, y resteront. Il faut d’ores et déjà réfléchir au problème que posera, à terme, leur prise en charge.

Mme Édith Danielou, adjointe au maire de Massy, représentant l’Association des maires de France (AMF). Je ciblerai mon intervention sur les deux foyers de Massy qui accueillent des résidents vieillissants, puisque la situation des couples d’immigrés âgés intégrés à la population de la ville, où ils vivent parfois depuis plusieurs générations, ne pose pas de problème.

Prochainement, deux foyers Adoma – ex-SONACOTRA – ouverts entre 1971 et 1973 seront rénovés. L’un, relativement excentré, accueille 414 résidents, dont 47 % de plus de soixante ans, parmi lesquels 80 % ont plus de soixante-dix ans. Le second, situé au centre-ville, héberge 311 résidents, dont 40 % ont plus de soixante ans et 46 % ont entre soixante et onze et quatre-vingt-onze ans. Au total, ces foyers logent 126 personnes de plus de soixante-dix ans. En 2002, la SONACOTRA, ainsi que les partenaires de la ville, ont pris en compte le problème du vieillissement en réalisant, au rez-de-chaussée, une unité de vie de cinq chambres pour faciliter l’autonomie des résidents à mobilité réduite. De grandes chambres, avec sanitaires adaptés, ont été aménagées afin de permettre l’intervention des services de maintien à domicile, impossible dans des « cellules » de sept mètres carrés.

Deux nouvelles unités devant être créées en 2007, un projet de restructuration complète du foyer a été lancé. Une concertation entre la ville et le conseil général, les associations, des cabinets libéraux et la caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (CRAMIF) a débouché sur la création, en 2012, d’une médiation destinée à favoriser l’accompagnement de proximité des résidents âgés confrontés à des problèmes de santé, à la difficulté d’effectuer des actes de la vie quotidienne ou des démarches administratives, à la précarité sociale et financière, ainsi qu’à l’isolement et à la solitude. Sachant que des freins nous empêchent de satisfaire leurs demandes, les résidents sont rarement demandeurs. Ils ne se présentent à la mairie que de manière irrégulière, pour résoudre un problème majeur. La plupart ne connaissent pas leurs droits en matière d’accessibilité, ni l’existence de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Par ailleurs, les professionnels n’aiment pas intervenir dans des lieux vétustes et peu sécurisés, les petites chambres ne se prêtant pas au maintien à domicile.

Parmi les actions menées en partenariat avec la ville, je citerai l’envoi des programmes d’animation à la médiatrice, afin de favoriser les sorties et la participation des résidents aux activités, les échanges réguliers avec le directeur de chaque foyer pour inscrire les résidents aux réceptions de fin d’année et leur faire parvenir des colis. Cependant, sur les 126 résidents âgés de plus de soixante-dix ans, un seul est venu au banquet de fin d’année et seulement dix-sept demandes de colis – contenant, comme il se doit, des produits halal – ont été formulées.

M. le président Denis Jacquat. Le taux de demande n’est, semble-t-il, pas plus élevé à l’échelle nationale.

Mme Édith Danielou. Les directeurs des foyers ont fait inscrire en tout 156 personnes dans le fichier des seniors de la ville. Nous organisons des réunions sur place afin de leur présenter les services d’animation, de loisirs, de maintien à domicile et de port des repas – deux personnes ont souhaité en bénéficier.

Deux autres, et cela nous semble intéressant, ont demandé à entrer dans une résidence dédiée aux personnes âgées, qui n’est pas un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). L’une d’elles sera accueillie en septembre prochain. Pour l’heure, le montant du loyer serait trop élevé, mais une procédure est en cours pour faire conventionner les résidences.

Un projet important vise à reconstruire le foyer de travailleurs du centre-ville pour en faire une résidence sociale. Une tour de treize étages, qui comprend 310 chambres de 7,5 mètres carrés, sera démolie pour laisser place à une résidence sociale de 300 logements, dont 220 pour le public actuel et 80 pour un nouveau public – 75 places de stationnement sont prévues en sous-sol.

Les résidents resteront au cœur de la ville, face aux nouveaux quartiers, ce qui leur permettra de garder un lien avec les commerces, l’hôtel de ville, la poste et les transports. Lors des réunions préparatoires, je me suis battue contre le projet d’Adoma qui consistait à installer les travailleurs vieillissants dans le second foyer, qui est excentré. Ces personnes ont en effet toutes leurs habitudes au centre-ville. C’est là qu’elles achètent leur pain et se retrouvent entre elles, pour jouer au PMU notamment. Les postières du centre-ville les aident à gérer leur livret d’épargne.

La première phase du projet, qui comprend la reconstruction de 250 logements, s’étendra de juin à décembre ; la seconde se déroulera en 2015, et la troisième, portant sur la construction de 50 studios, en 2016. Le chantier coûtera 22,5 millions, ce qui représente un engagement important pour la ville. Celle-ci garantit les emprunts, ce qui lui permet de réserver 20 % des logements, soit 60 logements. La réhabilitation des locaux facilitera les échanges entre la ville et les résidents qui n’auront plus honte d’accueillir chez eux les aides à domicile.

Mme Halima Menhoudj, adjointe à la maire de Montreuil, déléguée aux personnes âgées, représentant l’Association des maires ville et banlieue de France (AMVBF). La ville de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, est confrontée quotidiennement aux problèmes des immigrés âgés, puisqu’elle compte dix foyers de travailleurs immigrés et sa population comprend 25 % d’immigrés. Les foyers offrent une capacité administrative totale de 2 000 places, chiffre qu’il faut multiplier par deux pour obtenir le nombre de résidents réels, compte tenu de la suroccupation des lieux.

Plusieurs centaines de travailleurs venus du Maghreb et d’Afrique subsaharienne vieillissent dans ces foyers ou en habitat diffus. Dans le foyer Bara, le plus grand et le plus « édifiant », des chambres abritent jusqu’à six lits. Constatant le caractère alarmant de cette situation, des cas d’isolement dramatiques et des pratiques vexatoires, voire stigmatisantes de la part des institutions, la ville de Montreuil a lancé un appel contre les discriminations subies par les immigrés âgés. Celui-ci a recueilli de nombreuses signatures d’élus locaux, convaincus que la situation doit changer et qu’en dépit de leurs convictions et des outils dont ils disposent, ils ne peuvent plus offrir aux migrants âgés la sérénité ni la stabilité auxquelles ces derniers ont droit.

Nous nous félicitons donc de la création de la mission d’information qui, par son travail d’auditions, d’analyse et de propositions, permettra sans doute un changement radical dans les pratiques. Nous espérons qu’il sera dès lors possible d’élaborer un cadre législatif organisant la prise en charge des immigrés âgés. L’heure est en effet venue d’impulser une politique globale de solidarité pour garantir à chacun l’accès à ses droits.

Mme Muriel Casalaspro, adjointe à la maire de Montreuil, déléguée aux solidarités et aux affaires sociales, représentant l’AMVBF. Sur le terrain, on constate le manque d’anticipation d’une situation éminemment prévisible, et la dégradation progressive des conditions sanitaires et sociales propres aux immigrés âgés. Comment a-t-on pu croire qu’il serait possible de fermer les yeux sur le vieillissement de ces travailleurs qui ont cotisé toute leur vie, sur leur habitat, sur leur devenir de citoyens de nos villes et sur leur santé précaire ? Comment peut-on les laisser dans des situations administratives inextricables, leur dénier la possibilité d’aller et venir librement entre leurs deux pays sans crainte de perdre leurs droits sociaux ? Comment imaginer qu’ils puissent seuls reconstituer leur carrière et faire calculer leurs droits à la retraite, à partir des liasses de bulletins de salaires accumulés pendant des décennies ? Les élus locaux manquent de personnel pour les y aider.

Certes, les collectivités territoriales peuvent initier des actions et faire de la question des migrants âgés une cause locale, puisqu’elle n’est pas considérée comme une cause nationale. Montreuil a saisi l’appel à projets du Fonds européen d’intégration (FEI) pour prendre en compte leur situation, dans le cadre d’une relation de proximité.

Il faut d’abord opérer un changement radical de regard et passer d’une logique parcellaire, segmentée, à une approche globale des personnes, coordonnée par les acteurs présents sur le territoire.

Ensuite, la prise en compte de la personne doit irriguer l’ensemble des politiques sectorielles de la ville, notamment dans les centres de santé, où l’on doit trouver des permanences et des consultations adaptées. Montreuil a intégré dans son contrat local de santé un axe spécifique baptisé « Agir pour la santé des migrants ». La santé des immigrés vieillissants est précaire, car ils présentent des pathologies complexes.

La ville mène également des actions spécifiques dans les maisons de quartier, agréées centres sociaux, en instaurant des temps d’écoute et de convivialité. Telle est la mission du centre local d’information et de coordination gérontologique, guichet unique destiné à prendre en compte la situation des migrants vieillissants. Puisque ceux-ci font rarement valoir leurs droits, il faut aller à leur rencontre, ce qui n’est pas toujours simple.

Enfin, les services culturels des villes doivent valoriser l’expérience et la culture de ces publics en les amenant à participer à des activités. C’est ce que font, dans les antennes de quartier, les associations qui ouvrent des cafés sociaux.

Pour répondre à l’appel à projet du FEI, nous avons choisi de développer deux axes. Le premier concerne l’accès aux droits médicaux et sociaux, qui suppose la mobilisation de tous les acteurs de droit commun présents sur le territoire, ainsi qu’un effort pour former les personnels souvent démunis face au vieillissement des migrants et à la barrière de la langue. Le second axe est la participation à la vie de la cité. À cet égard, nous voulons multiplier les liens entre les migrants âgés et les associations, et inciter les premiers à aller vers des lieux de vie extérieurs. À ce titre, nous défendons vivement la participation des étrangers non communautaires aux élections locales. Nous agissons également en partenariat avec une organisation non gouvernementale (ONG), le Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR).

Cette dynamique locale ne sera pas pérenne tant que le Gouvernement et le Parlement n’auront pas pris des mesures cruciales. Sur la question du logement, nous nous battons contre une réglementation tatillonne, inadaptée à la vie des migrants âgés, et nous soutenons les propositions du collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), lesquelles visent à élargir les droits et à libérer la vie dans les foyers.

Nous déplorons les contrôles systématiques, notamment par la caisse d’allocations familiales (CAF), de la situation des migrants âgés, qui se soldent par l’arrêt brutal du versement de certaines prestations, comme l’ASPA ou l’aide personnalisée au logement (APL), motivé par les allées et venues des intéressés entre les deux pays d’attache. Un tel harcèlement est inconcevable. Nous regrettons aussi que les règles régissant les différentes caisses de retraite ne soient pas harmonisées : la durée du séjour conditionnant le maintien des droits varie de l’une à l’autre. Les conditions de renouvellement des titres de séjour doivent aussi être révisées. Il est ahurissant que des résidents de plus de quatre-vingts ans attendent des heures aux guichets ou restent des mois sans prestations. Des personnels formés doivent aussi être missionnés pour résoudre des situations que les gestionnaires de foyers ou de résidences sociales ne prennent plus en compte.

Je terminerai en citant deux réalisations dont nous sommes fiers.

Nous avons signé récemment avec la ministre du logement, le bailleur et le propriétaire du foyer Bara un protocole visant au desserrement et à la reconstruction de celui-ci. Si le nombre global de places risque de diminuer, les unités de vie seront multipliées, ce qui permettra de reloger les résidents dans leur quartier.

Par ailleurs, grâce à un partenariat avec l’Office public de l’habitat montreuillois (OPHM), le foyer historique du Centenaire, qui est autogéré, sera reconstruit. Le projet est socialement innovant, puisque ce foyer, qui abritera des migrants de tout âge, sera voisin d’un hôtel associatif qui accueillera des membres des ONG. Cette proximité créera du lien.

Mme Kheira Bouziane. Je remercie les intervenants d’avoir souligné la forte implication de leur commune dans la question du logement des immigrés âgés. Vous avez bien fait, madame Danielou, de plaider pour leur maintien en centre-ville, en dépit d’un marché immobilier très tendu.

Quelle que soit la manière dont se pose la question du logement à l’échelle nationale, il est choquant qu’on offre à des immigrés âgés des chambres de quatre mètres carrés qu’un bailleur privé n’aurait le droit ni de vendre ni de louer.

M. Hémon a signalé que des occupants n’avaient pas réapparu après la réhabilitation de leur foyer. N’ont-ils pas été relogés ? Cela est d’autant plus grave que les publics fragilisés, caractérisés par une grande précarité et une faible maîtrise de la langue, sont peu enclins, vous l’avez dit, à faire valoir leurs droits.

En vous écoutant, on a le sentiment que tous les immigrés âgés sont condamnés à vivre en foyer. Certains demandent-ils à en sortir ?

Enfin, tous les habitants des foyers sont-ils étrangers ?

M. le président Denis Jacquat. Je vous transmets, outre les miennes, certaines questions ou observations du rapporteur, qui ne peut, pour des raisons personnelles, être présent parmi nous aujourd’hui.

Les occupants d’un foyer réhabilité ne sont-ils pas relogés de manière prioritaire après les travaux ? Pour avoir présidé un office de HLM et suivi la rénovation lourde de certaines maisons de retraite, j’ai constaté que l’on réserve toujours une place aux personnes ayant résidé dans un établissement, même si, quand la rénovation s’éternise, elles adoptent souvent de façon définitive le logement qu’on leur a proposé ailleurs à titre provisoire.

Si les personnes âgées souhaitent occuper un logement plus grand ou s’installer dans une résidence sociale, rares sont celles qui acceptent d’acquitter un loyer plus important. Dans le cadre des grands projets de ville (GPV), il arrive qu’une rénovation ne se traduise pas par une augmentation des loyers. Cet exemple doit nourrir notre réflexion.

Certains foyers d’immigrés se sont spécialisés dans l’accueil des immigrés âgés, qui ont besoin de chambres un peu plus grandes, d’un cadre de vie adapté à certains soins, ainsi que de calme et de repos. D’autres abritent à la fois un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), un foyer de jeunes travailleurs et des populations en situation de précarité et de pauvreté, par exemple originaires de Roumanie ou de Bulgarie. Dans ces conditions, la cohabitation ne se passe pas toujours bien.

Dans certaines zones sensibles, les résidents, qui se retrouvaient dans un café de quartier, ne savent plus où aller quand celui-ci disparaît. Il leur manque un espace collectif au sein de la résidence. En préconisant l’ouverture, en fonction de certaines conventions, de lieux sociaux pouvant abriter les résidents comme leurs amis de même origine, on lutterait contre l’isolement, facteur de maladies neurodégénératives.

Pour les foyers, Paris a repris la compétence de l’État. Comment s’est passé le relais sur le plan technique ou financier ?

Les immigrés âgés se sont tus longtemps, pensant qu’ils rentreraient chez eux ; lorsqu’ils ont décidé de rester en France, leur décision n’a pas été prise en compte. Comment favoriser l’application du droit ? J’espère que cette mission d’information, la première officiellement chargée du sujet, marquera un tournant.

Vous avez posé le problème des femmes immigrées. À Paris comme à Lyon, certaines présidentes d’associations, que nous avons eu l’occasion de rencontrer lors de nos déplacements sur le terrain, sont très toniques, mais souvent les femmes immigrées ont peu de moyens, du fait qu’elles sont arrivées très tard en France. La situation des veuves est encore plus difficile.

Les immigrés refusent souvent la présence d’aides à domicile, considérant que seuls des membres de leur famille peuvent s’occuper d’eux. Cette assistance peut même être vécue par certains comme un drame psychologique. Peut-on résoudre le problème ?

Vous avez rappelé que des foyers sont suroccupés. C’est parce qu’ils sont squattés, comme certains foyers universitaires, où il est fréquent que des étudiants abritent, à l’insu du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), des amis sans logement. Dans la région parisienne, il n’est pas admissible que des lieux collectifs comme des escaliers puissent être squattés.

Il nous faut envisager un échange de bonnes pratiques. Les initiatives communales que vous avez présentées sont positives, mais le problème des immigrés âgés n’a jamais été abordé de manière transversale. Vous nous avez envoyé un message intéressant ; notre rôle sera de le relayer.

Je vous remercie d’avance de répondre par écrit aux questions que nous vous avons posées.

Audition, sur le thème des politiques menées par les départements,
de M. Michel Coronas, directeur de cabinet du président du conseil général du Val-de-Marne, de Mme Martine Conin, directrice des affaires sociales, et de Mme Liliane Capelle, adjointe au maire de Paris, conseillère chargée des seniors et du lien intergénérationnel


(extrait du procès-verbal de la séance du 11 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous accueillons à présent des représentants de l’Assemblée des départements de France (ADF), M. Michel Coronas, directeur de cabinet du président du conseil général du Val-de-Marne, et Mme Martine Conin, directrice des affaires sociales, ainsi que des représentants de la Ville de Paris, Mme Liliane Capelle, adjointe au maire de Paris, conseillère chargée des seniors et du lien intergénérationnel, accompagnée de Mme Alexandra Ouraeff, directrice de cabinet, et de Mme Sandrine Langlois.

Nous le savons, le département exerce des compétences élargies en matière d’aide sociale, parmi lesquelles la création et la gestion des maisons de retraite, l’amélioration des conditions de vie à domicile, le versement de l’APA, la gestion du revenu de solidarité active (RSA), notamment à la fin de la carrière professionnelle, etc.

Cette audition fournit à la mission l’occasion de s’intéresser à la question de la prise en charge de la perte d’autonomie de ce public. Mesdames, monsieur, vous pourrez nous indiquer la façon dont vous prenez en compte les immigrés âgés dans le cadre des schémas gérontologiques, et nous donner des exemples de bonnes pratiques en la matière.

M. Michel Coronas, directeur de cabinet du président du conseil général du Val-de-Marne. Le conseil général du Val-de-Marne traite la question des populations immigrées âgées au travers de deux dispositifs principaux.

Le premier s’inscrit dans le cadre de notre politique départementale en faveur du logement : il s’agit de la restructuration des foyers de travailleurs migrants. Le conseil général est déjà intervenu sur à peu près la moitié des trente-cinq établissements situés dans le département, ce qui traduit un effort très important. Nous avons accompagné la mutation de ces foyers, qui étaient constitués essentiellement de chambres, en des structures de type résidence sociale. S’est alors posée la question de leur adaptation au vieillissement, voire à la perte d’autonomie de leurs occupants. Cette problématique a été portée par les gestionnaires qui se sont déclarés démunis quant aux moyens d’accompagnement spécifiques à mettre en place : il apparaît en effet nécessaire d’orienter les personnes vers d’autres établissements, notamment si elles ont besoin d’un accueil médicalisé, lorsqu’il n’est plus possible de les héberger dans de bonnes conditions dans les résidences existantes.

Dans le cadre de cette politique d’aide à la transformation des foyers, nous disposons d’un quota réservataire à l’intention des populations immigrées, mais aussi d’autres catégories de publics, soit un contingent de 600 logements environ, sachant que 7 000 places ont été rénovées ces dernières années. Si cet effort pour l’adaptation des foyers a pu être poursuivi jusqu’en 2010-2011, nous avons dû le réduire en raison de la forte mobilisation de notre département sur des programmes portés par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) – le Val-de-Marne étant un des rares départements à avoir signé une convention départementale avec l’ANRU. Ainsi, à l’heure actuelle, nous ne sommes pas en capacité de répondre aux nouvelles demandes.

S’agissant du second dispositif, la prise en charge des publics, notamment dans le cadre du schéma départemental en faveur des personnes âgées, je laisse la parole à Mme Conin.

Mme Martine Conin, directrice des affaires sociales au conseil général du Val-de-Marne. Les populations immigrées connaissent des problèmes d’accès aux droits, comme l’ont souligné les experts que nous avons réunis dans le cadre de l’élaboration du schéma départemental en faveur des personnes âgées.

Ensuite, certaines femmes immigrées, qui n’ont pas vécu plusieurs décennies sur notre sol, se retrouvent totalement isolées après avoir rejoint la France à la demande de leur conjoint devenu dépendant ou au moment du décès de celui-ci. Ce problème doit être pris en considération.

Enfin, hormis les équipes spécialisées, les travailleurs sociaux et les différents services, y compris les services municipaux, ont une mauvaise connaissance de ces problématiques, car ces populations ne se dirigent pas naturellement vers les dispositifs.

Dans ce contexte, nous travaillons à la constitution d’un réseau de généralistes de l’action sociale et de personnes ayant développé une expertise sur ces problématiques. Pour ce faire, nous nous appuyons sur nos six CLIC. À l’heure actuelle, les réseaux sont encore assez inégaux sur l’ensemble du département, mais le schéma prévoit de corriger cette situation.

Nous avons aussi trouvé intéressant de rapprocher des personnes immigrées âgées et isolées de familles candidates à l’accueil familial, les deux tiers de ces dernières étant immigrées. Cette forme d’accueil, favorisée par une culture partagée, concerne essentiellement les personnes originaires du Maghreb. Pour les populations d’origine asiatique, nous travaillons sur le type de réponse à leur apporter.

Pour ce qui est des EHPAD, notre réflexion n’est pas aboutie – nous devrons sans doute nous engager dans une expérimentation. En tout cas, nous ne sommes pas favorables à la création d’EHPAD communautaires. Le regroupement de quelques personnes, qui pourraient ainsi se fondre dans l’ensemble de la communauté des résidents de l’établissement, nous semble beaucoup plus intéressant.

Mme Liliane Capelle, adjointe au maire de Paris, conseillère chargée des seniors et du lien intergénérationnel. Le schéma départemental en faveur des personnes âgées pour 2012-2016 de la ville de Paris, que nous venons de voter, comporte des fiches actions qui portent spécifiquement sur notre politique en faveur des immigrés âgés.

À Paris, les immigrés représentent un peu plus de 20 % de la population et, en dehors des ressortissants de l’Union européenne, ils sont majoritairement nés au Maghreb, en Asie et en Afrique subsaharienne. En outre, 19 % sont âgés de soixante ans et plus, ce qui représente environ 89 000 personnes ; 26 % sont issus de l’immigration maghrébine du travail des années soixante – ce type d’immigration étant tout à fait différent de l’immigration économique qui a eu cours par la suite – et 12 % sont d’origine asiatique.

Nous notons une féminisation de la population immigrée : en 2007, 52 % des personnes immigrées présentes à Paris étaient des femmes, contre 45 % en 1982. Les difficultés auxquelles sont confrontées ces femmes diffèrent selon les types d’immigration. Les femmes immigrées maghrébines âgées de soixante-cinq à soixante-dix ans sont le plus souvent veuves, divorcées ou séparées, et elles n’ont rien – elles ne parlent même pas notre langue. Il y a donc une vraie interrogation à leur égard, d’autant que la plupart d’entre elles ne retourneront pas au pays car leur vie – je dirai même leur malheur – est ici.

La population étrangère de Paris est essentiellement localisée dans le Nord et le Nord-Est. Les IIIe et IVe arrondissements accueillent la communauté chinoise ; le Xe arrondissement abrite une importante population turque ; dans le XIe arrondissement, les populations se sont mélangées au gré des vagues d’immigrations juives, maghrébines et chinoises ; enfin, dans les XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements, 20 % des résidents sont des immigrés de tous ces pays.

Le logement est un problème majeur pour ces populations qui ont une particularité : elles ont besoin d’indépendance, mais ne peuvent pas vivre seules. Il faut donc trouver des structures qui leur permettent non seulement d’être indépendantes, mais aussi d’être intégrées au droit commun : le moment est venu d’accorder cette reconnaissance à ces personnes qui ont apporté beaucoup à la France. La majorité d’entre elles ne sont en effet pas propriétaires de leur logement, et quand elles le sont, c’est d’un six mètres carrés sous les toits. La grande opération de réhabilitation des foyers que nous avons lancée nous a permis de constater que ces populations ont vieilli dans ces structures – sur 8 000 résidents en foyer de travailleurs migrants, 32 % étaient âgés de plus de soixante ans en 2010, contre 17 % en 2002.

Ainsi, nos principaux axes de travail sont la lutte contre l’isolement, l’accès aux droits et l’adaptation des logements. Je trouve en effet indécent que des personnes continuent à vivre à plusieurs dans une chambre, d’autant que le vieillissement précoce concerne particulièrement ces populations qui ont connu des conditions de travail précaires et n’ont pas bénéficié d’un suivi médical. Au surplus, les personnes immigrées vivant à Paris ont peu recours aux dispositifs dédiés, que ce soit les aides proprement dites, ou les loisirs, l’hébergement collectif, les actions de prévention et l’aide à domicile.

Nous avons réorganisé nos six CLIC, dont certains étaient déjà très en avance sur ces problématiques, comme dans le XIIIe arrondissement, où des groupes de travail dédiés avaient été mis en place. Ce travail a permis l’implantation de cafés sociaux, au nombre de quatre actuellement.

M. le président Denis Jacquat. Pouvez-vous nous parler des « biffins » ?

Mme Liliane Capelle. Nous avons accordé des « carrés » à ces personnes qui vivent de la revente de petits objets dans le Nord-Est parisien, et des travailleurs sociaux les accompagnent dans leurs droits afin de les aider à sortir de cette misère de la revente qui est un monde très dur.

Par ailleurs, nous allons travailler à la mise en place de cafés sociaux itinérants, en particulier dans le XIIIe arrondissement. Grâce au contact avec les populations immigrées qu’ils rendront possible, ces dispositifs permettront de lutter contre l’isolement de ces personnes, d’obtenir des informations sur leurs besoins en matière de logement et d’intégrer ces populations au droit commun – elles font partie de notre cité et ont droit à cette reconnaissance.

En matière de logement, nous réfléchissons à la création de petites unités de vie qui permettent à ces personnes de rester ensemble tout en bénéficiant des droits sociaux.

Enfin, la ville de Paris ne souhaite pas créer d’EHPAD communautaire – quelle que soit leur origine, les personnes dépendantes ont besoin des mêmes soins et du même respect. Je pense que l’on peut faire appel à des associations, comme les cafés sociaux, qui connaissent et suivent ces populations.

Mme Hélène Geoffroy. De quelle manière les personnes immigrées vieillissantes peuvent-elles être intégrées dans les EHPAD ou les structures traditionnelles ? Faut-il prévoir une formation spécifique à l’intention des personnels soignants ?

Comment les départements travaillent-ils pour aider les personnes vieillissantes les plus isolées ? Un réseau particulier d’accueil est-il prévu dans le cadre des schémas départementaux pour orienter ces personnes vers les dispositifs ?

M. le président Denis Jacquat. Participez-vous à l’élaboration de certains plans départementaux d’intégration (PDI) aux côtés des services de l’État ?

Quel regard portez-vous sur l’action des associations d’aide aux migrants âgés ? Quel relais constituent-elles ? Sont-elles solides ? Comment les évaluez-vous ? Les conditions actuelles de financement sur base contractuelle à deux ou trois ans leur permettent-elles de conduire une action adaptée sur la durée ?

Quelles sont les difficultés spécifiques des femmes ? La féminisation de l’immigration a régulièrement été évoquée au cours de nos auditions. Bien souvent, les épouses qui doivent rejoindre la France pour s’occuper de leur conjoint âgé ou malade sont désarmées car elles ne parlent pas la langue française, ou très peu, et elles se retrouvent très isolées quand leurs enfants ont quitté le foyer.

Aujourd’hui, les surfaces des logements ne sont plus adaptées à la vie des immigrés âgés qui, après avoir travaillé pendant trente ans dans notre pays, souhaitent y rester définitivement. À cet égard, la transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales vous semble-t-elle satisfaisante ? Les résidents doivent-ils, selon vous, supporter un « taux d’effort » ? Faut-il prévoir une aide spécifique ? À titre de comparaison, la politique de l’État dans les quartiers GPV a permis à Metz de mener des opérations de rénovation et de réhabilitation des HLM très lourdes sans augmentation des loyers. Pensez-vous qu’il serait opportun d’accélérer la réalisation du plan de traitement des foyers ? Certains d’entre eux comportent encore, en effet, des pièces avec plusieurs lits.

Les CLIC ont un rôle important. Malheureusement, depuis qu’ils dépendent des conseils généraux, l’accompagnement et la prise en charge des personnes âgées et de leur famille, qui était leur objectif initial, a fait place dans certains départements à un guichet d’accueil qui se contente de remettre les papiers aux personnes. Or, les immigrés âgés éprouvent de grandes difficultés pour accomplir toutes les formalités administratives, d’autant que la première génération ne lit pas le français.

Madame Conin, votre département comporte-t-il beaucoup de familles d’accueil ?

S’agissant des EHPAD communautaires, nous sommes d’accord avec vous.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Recevez-vous beaucoup de demandes pour des EHPAD communautaires ? Pour ma part, j’en recevais beaucoup il y a encore dix ans.

M. le président Denis Jacquat. S’il existe des EHPAD regroupant des communautés juives et protestantes en Alsace-Moselle, la notion d’« EHPAD communautaire » reste étrangère à la mentalité des immigrés âgés, comme en témoigne l’échec des deux expériences réalisées en France en la matière. Mieux vaut donc offrir à ces personnes un espace collectif où elles puissent se retrouver librement que de les regrouper de la sorte.

Si les plans gérontologiques d’autrefois préconisaient la construction de maisons de retraite dans les vallées sidérurgiques du nord de la Lorraine, il n’y eut cependant pas de demande à l’époque parce que les familles – essentiellement d’origine italienne – s’occupaient de leurs aînés à domicile. Trente ans plus tard, la situation a radicalement changé et les maisons de retraite commencent à se remplir. De même, d’ici vingt à trente ans, lorsque les familles d’immigrés âgés seront éclatées et que leurs enfants ne pourront plus prendre soin d’eux, ceux-ci finiront par aller d’eux-mêmes en EHPAD.

En attendant, leur proposer une offre à la carte demeure encore la meilleure solution, tout en sachant qu’ils restent réticents à l’idée de confier leur corps à une personne inconnue et par conséquent de recevoir une aide à domicile. Comme vous l’avez rappelé, ils souhaitent vivre de manière indépendante, mais ne peuvent vivre seuls. C’est précisément autour de ce nœud que doit se construire notre politique sociale en leur faveur – une politique qui doit être fondée sur la lutte contre l’isolement.

Quant aux « biffins », si leur présence reste un phénomène marginal – l’immigration subsaharienne étant beaucoup plus récente –, l’un de mes interlocuteurs m’a signalé le cas d’un foyer strasbourgeois dont ils occupent tous les espaces communs avec leur matériel, y créant des troubles de vie.

Mme Liliane Capelle. La formation constitue effectivement l’un des axes majeurs de notre action. Outre les personnes handicapées – qui atteignent la vieillesse dès soixante ans alors que l’âge moyen d’entrée en EHPAD est de quatre-vingt-sept ans à Paris – et les personnes d’origine étrangère, les EHPAD commencent à accueillir les premières personnes atteintes du VIH, et leur personnel continue à craindre la contamination. C’est pourquoi nous privilégions la formation à l’accueil différencié des publics.

Quant aux associations qui soutiennent les personnes âgées migrantes, j’ai souhaité qu’elles bénéficient de subventions pérennes et croisées, tant l’enjeu est transversal. Nous avons en effet la chance à Paris de pouvoir faire collaborer étroitement différents services de la ville tels que la direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé (DASES), la délégation à la politique de la ville et à l’intégration (DPVI), et la direction du logement. Et si j’insiste sur la nécessité de mener des politiques de droit commun, c’est afin que les immigrés âgés bénéficient des mêmes droits que tout un chacun.

Parallèlement aux cafés sociaux, certaines associations aident à l’accès aux droits. « Yvoir » est quant à elle une association de cœur qui offre aux femmes seules – soit que leur mari soit décédé, soit qu’il les ait quittées – ne parlant pas le français la possibilité de s’exprimer dans le cadre du théâtre. Au terme d’un mois de travail, certaines de ces femmes ont ainsi pu se produire devant 350 personnes au théâtre de l’Odéon – c’était un public non pas d’immigrés, mais de spectateurs réellement intéressés par la démarche. Je suis convaincue que le sport et la culture sont deux vecteurs d’intégration pour ces populations.

S’agissant des familles d’accueil, nous n’en trouvons à Paris ni pour les adultes ni pour les enfants. Nous envisageons en revanche de recourir à un système de partage de domicile et de colocation entre personnes âgées, suivi par des travailleurs sociaux.

Étant donné le contexte de vieillissement et de précarisation que nous connaissons dans la capitale – nous enregistrons le taux de personnes âgées vivant sous le seuil de pauvreté le plus élevé de France –, nous avons besoin de relais. C’est pourquoi nous avons recentré les CLIC sur leur métier d’origine.

Bien qu’encore inachevée, la réhabilitation des foyers parisiens est en bonne voie. Nous veillons tout particulièrement à ne pas pratiquer de loyers trop élevés dans ces logements qui ouvrent droit non seulement à l’APL mais aussi, depuis l’an dernier, à « Paris Logement ». Cette aide est accessible aux ménages qui consacrent à leur loyer plus de 30 % de leurs ressources – ces dernières ne devant pas excéder 1 100 euros. Ayant d’abord profité aux familles, l’aide a été étendue l’année dernière aux personnes âgées – y compris aux immigrés, qui ne font pas l’objet d’un traitement spécifique. Il s’agit donc d’une aide universelle, qui doit le rester.

Dans les EHPAD, nous coopérons avec les associations qui connaissent bien les particularités des différents publics concernés : ainsi, à la différence des Subsahariens qui ont des familles composées et pensent retourner dans leur pays d’origine, l’immense majorité des Maghrébins ne se sent plus de là-bas mais pas tout à fait d’ici non plus. Il est donc de notre responsabilité de leur dire qu’ils sont d’ici. Quant aux immigrés chinois, comme les immigrés juifs autrefois, ils viennent en famille et souhaitent rester.

L’accès à la langue étant la première des dignités, il nous faut apprendre le français aux femmes, quel que soit leur âge. Il n’y a en effet pas d’âge pour apprendre et c’est là leur seul moyen de survivre. Parallèlement, comme cet apprentissage ne pourra se faire du jour au lendemain, nous continuons à rédiger en plusieurs langues les dépliants que nous destinons au personnel car celui-ci doit être en mesure de comprendre le public accueilli.

M. le président Denis Jacquat. Je souhaiterais revenir sur une question récurrente : de nombreux immigrés âgés vivant en France depuis vingt à quarante ans ne parviennent pas à obtenir la nationalité française, contrairement aux immigrés des pays d’Europe de l’Est, pourtant arrivés dans notre pays beaucoup plus récemment. Ne devrions-nous pas accorder la nationalité française à ceux qui ont vécu plus longtemps ici que dans leur pays d’origine et qui comptent rester ? Cela nous permettrait de résoudre les problèmes de délais administratifs auxquels nous sommes confrontés ?

Mme Liliane Capelle. Nous sommes en train de consulter des associations comme « Ayyem Zamen » sur cette question, qui concerne non seulement les immigrés ayant acquis un fort sentiment d’appartenance au terme de longues années de travail en usine, mais aussi ceux – certes très minoritaires mais représentant un symbole – qui ont porté les armes pour la France. Il est plus important pour eux et leurs familles – avec lesquelles ils ont parfois dû rompre – de se voir accorder cette reconnaissance, même tardive, plutôt que d’être décoré de la légion d’honneur ! Nous devons aussi parvenir à leur faire comprendre qu’ils ne perdront pas pour autant leur nationalité d’origine, à laquelle ils sont légitimement attachés.

M. le président Denis Jacquat. La « décristallisation » des pensions a tout de même permis de résoudre le problème des immigrés ayant combattu pour la France.

Mme Liliane Capelle. Cette situation était un pur scandale !

M. le président Denis Jacquat. Si nous avons tant débattu à cette occasion, c’est que l’on raisonnait à partir des bases de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et sur le niveau de vie du pays d’origine des anciens combattants concernés. C’est pourquoi, tant les gouvernements de gauche que de droite craignaient que cette décristallisation n’entraîne l’apparition de nouveaux riches. De plus, comme vous l’avez rappelé, ce problème ne concerne plus que quelques milliers de personnes dans le monde. Leur reconnaissance était néanmoins nécessaire.

Quant à la question de la naturalisation, notre mission devrait permettre de faire mûrir la réflexion.

M. Michel Coronas. Il nous est assez difficile de connaître la situation des populations immigrées vieillissantes qui vivent pour la plupart en dehors de l’habitat groupé. Ainsi, dans le Val-de-Marne, sur les 26 000 immigrés de plus de soixante ans, 10 % seulement habitent ce type de logements, contre plus de 80 % en dehors. Je partage l’idée que ces personnes doivent accéder à un logement de droit commun. Il reste que la modicité de leurs ressources – comprises entre 600 et 1 200 euros par mois pour environ 50 % des personnes vivant en foyer – les en empêche le plus souvent.

Le maintien à domicile en secteur diffus des personnes en perte d’autonomie n’est pas chose aisée. Car si certains services tels que les soins infirmiers à domicile sont bien acceptés, d’autres, tels que l’aide familiale, le sont beaucoup moins, pour des raisons culturelles : ces personnes admettent difficilement que quelqu’un d’extérieur à la cellule familiale vienne effectuer chez elles des tâches qui incombent normalement à celle-ci.

Les gestionnaires de structures se sentent d’ailleurs démunis face à la perte d’autonomie progressive des immigrés âgés. Sur les trente-cinq commissions de vieillissement qui ont été créées dans le département, une seule fonctionne : localisée à Ivry, elle a été installée par le bailleur unique, Coallia. Les gestionnaires, qui souffrent également de la multiplicité des niveaux de collectivité auxquels ils doivent s’adresser, souhaiteraient la création de dispositifs spécifiques leur permettant de mener une action plus efficace.

Mme Martine Conin. En région parisienne, la dimension des logements est si réduite que l’accueil à domicile reste limité. Cependant, les difficultés sont moindres dans le Val-de-Marne qu’à Paris et le nombre de familles candidates pour accueillir des immigrés âgés augmente depuis trois ou quatre ans : les trois quarts d’entre elles sont d’origine maghrébine et vivent dans de grands logements que leurs enfants ont quittés. Elles disposent donc de l’espace nécessaire. L’accueil familial constitue pour elles une véritable tradition qui leur permet de surcroît de bénéficier d’un emploi et d’une rémunération comprise entre 1 300 et 1 500 euros par mois en fonction des sujétions dont elles doivent s’acquitter. Quant aux personnes accueillies, elles peuvent bénéficier de l’aide sociale à l’accueil familial et de l’APA. On pourrait imaginer que cette aide sociale fasse l’objet d’une récupération sur succession, mais c’est impossible car les biens des bénéficiaires se trouvent le plus souvent à l’étranger.

Dans les foyers, comme dans d’autres secteurs de l’action sociale et médico-sociale, les équipes, les institutions et les dispositifs demeurent trop cloisonnés pour que nous puissions exploiter les données dont disposent les associations gestionnaires, qui connaissent pourtant fort bien les problèmes rencontrés par les résidents. S’il est vrai que les CLIC favorisent les rencontres entre professionnels, ce cloisonnement institutionnel transforme néanmoins les démarches des migrants en un véritable parcours du combattant – d’autant plus que les associations qui y interviennent sont relativement fragiles. Et même les plus solides d’entre elles, telles que les associations gestionnaires, ne rencontrent pas suffisamment les services sociaux des CCAS. C’est pourquoi, dans le Val-de-Marne, nous avons souhaité que les CLIC concentrent leurs efforts sur l’animation de réseau et l’accompagnement.

Dans l’habitat diffus, nous organisons depuis quelques années des formations de gardien d’immeuble avec certains bailleurs sociaux à qui nous demandons de prêter une attention particulière à l’isolement des personnes âgées, handicapées et migrantes : ce système fonctionne bien dès lors que le bailleur social se montre volontariste. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un processus de longue haleine.

Quant au placement en EHPAD, nous devons tenir compte du libre choix des immigrés âgés concernés car ils risquent de comprendre encore moins que les autres pourquoi on le leur propose. Si les pressions qu’ils ressentent ne sont pas toujours mal intentionnées, elles leur sont souvent difficiles à vivre. Et s’il est vrai que les EHPAD accueillent des personnes de plus en plus dépendantes, il reste qu’environ 30 % de leurs résidents ne comprennent pas bien ce qui se passe autour d’eux et revendiquent une certaine qualité de vie. Or, comme l’indiquait Liliane Capelle, les personnes migrantes, parce qu’elles n’ont souvent pas pu accéder aux soins, sont couramment atteintes de pathologies multiples – notamment d’hypertension et de diabète – et donc susceptibles d’entrer plus jeunes en établissement, alors qu’elles ne sont pas forcément désorientées psychologiquement. Leurs revendications étant par conséquent beaucoup plus fortes, elles risquent de se replier sur elles-mêmes si les EHPAD ne s’en préoccupent pas suffisamment. C’est pourquoi, nous leur portons une attention particulière. Pour ma part, je ne serais pas choquée qu’un EHPAD accueille quelques personnes de même origine. Cela étant, gardons-nous bien de créer des établissements communautaires. Il serait également important que des associations puissent venir soutenir les équipes de l’établissement en y apportant une dimension culturelle
– essentielle pour les populations migrantes.

En tout état de cause, il convient sans doute d’explorer différentes pistes dans la mesure où il n’existe pas de personne migrante âgée standard, chacune d’entre elle ayant une vie et une culture qui lui sont propres.

M. le président Denis Jacquat. Rien n’interdit aux associations d’intervenir en EHPAD : certaines le font d’ailleurs déjà et l’on peut tout à fait le prévoir par convention. Il est en revanche de notre devoir d’élus d’inciter les responsables d’établissement à recourir à ce type de pratiques, tout en les adaptant à la demande.

Mme Martine Conin. Il me paraît aussi extrêmement important de lever la barrière de la langue, tant la discrimination qu’elle introduit est considérable.

S’il est vrai que les associations organisent des ateliers dans les établissements, ces initiatives demeurent cependant encore trop liées à des opportunités ponctuelles ou à certaines personnes en particulier. Les résidences et les foyers accueillent également des écrivains publics – dont il faudrait étendre la présence à d’autres établissements. Une telle mesure suppose néanmoins que l’on dispose de moyens suffisants. Plus généralement, il serait bénéfique que les activités proposées dans les foyers soient étendues aux autres types d’établissements.

M. le président Denis Jacquat. Notre mission nous a permis de constater qu’en matière de lutte contre l’illettrisme et d’enseignement du français, notre pays a accompli des efforts beaucoup plus importants à l’égard des primo-arrivants qu’en direction des personnes ayant décidé de rester dans notre pays. Ces dernières doivent absolument avoir la possibilité d’apprendre le français, quel que soit leur âge, et l’on pourrait d’ailleurs le leur permettre en recourant aussi bien à des bénévoles qu’à des professionnels.

Nous vous remercions pour vos exposés et vos réponses. Nous nous efforcerons de retenir au mieux vos préconisations afin d’améliorer la situation des immigrés âgés dans notre pays.

Audition de Mme Murielle Maffessoli, directrice de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (ORIV), de Mme Évelyne Bouzzine, directrice du centre de ressources « Politique de la ville »
en Essonne (CRPVE), et de Mme Olivia Maire, directrice adjointe
du centre de ressources « Profession Banlieue »


(extrait du procès-verbal de la séance du 11 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous terminons cette matinée par une audition consacrée aux centres de ressources « Politique de la ville », qui nous permettra d’entendre Mme Murielle Maffessoli, directrice de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (ORIV), co-directrice du centre de ressources « Politique de la ville » Lorraine (CRPVL) et déléguée du réseau Ressources pour l’égalité des chances et l’intégration (RECI), Mme Évelyne Bouzzine, directrice du centre de ressources « Politique de la ville » en Essonne (CRPVE), et Mme Olivia Maire, directrice adjointe du centre de ressources « Profession Banlieue », situé en Seine-Saint-Denis.

Créé en 1992, l’ORIV est un centre de ressources intervenant sur les questions relatives à l’intégration des populations immigrées, à la prévention des discriminations et à la cohésion sociale et territoriale. Il a pour objet de développer et de diffuser des connaissances sur ces trois thèmes. Depuis 2010, le centre de ressources « Politique de la ville » Lorraine exerce les mêmes missions dans la région voisine que je connais bien.

Association créée en 2001, le centre de ressources « Politique de la ville » en Essonne constitue un espace d’échange d’expériences et de qualification. Il s’adresse aux acteurs de la politique de la ville et aux professionnels relevant de services de droit commun qui exercent dans les quartiers concernés, notamment dans le département de l’Essonne.

Constituée en association depuis 1993, « Profession Banlieue » est un centre de ressources destiné aux professionnels de la politique de la ville de la Seine-Saint-Denis, qui a pour objet de soutenir, de faciliter et de qualifier l’action des professionnels par l’échange de savoir-faire et la capitalisation d’expériences innovantes, ainsi que par la mise en relation des scientifiques et des professionnels du développement social urbain.

Notre mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’États tiers à l’Union européenne, qui représentent en France 800 000 personnes, dont 350 000 sont âgées de plus de soixante-cinq ans. Nous abordons l’ensemble des questions les concernant : précarité du logement, insuffisance de l’accès aux soins et aux droits de façon générale, difficulté d’intégration, isolement et dépendance.

Vos éclairages sur ces sujets – notamment à partir des interventions des travailleurs sociaux et des acteurs de la politique de la ville, dont le rôle est décisif pour améliorer la situation des immigrés âgés – constitueront un retour d’expérience très précieux.

Mme Murielle Maffessoli, directrice de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (ORIV). Je vous remercie de votre invitation. Le fait d’intervenir à la fois en Alsace et en Lorraine permet à notre centre de comparer les problèmes qui se posent dans différents territoires. Mais même si chacune de ces deux régions présente une configuration sociodémographique spécifique, la première question à laquelle on est toujours confronté lorsqu’on entreprend de travailler sur le problème des personnes âgées immigrées, est la question de la nécessité de montrer que celles-ci existent et de mettre au jour leurs besoins. Ce public exprimant peu de demandes, il faut encourager les acteurs concernés à s’y intéresser. Au-delà des seules populations immigrées, le vieillissement constitue d’ailleurs, aujourd’hui encore, une zone d’ombre au sein de la politique de la ville, la rénovation urbaine n’en tenant pas compte.

Les immigrés âgés ne formulant pas de revendications, on considère souvent qu’il faut concevoir une action spécifique à leur intention, et non les inclure dans les dispositifs de droit commun – débat qui concerne l’ensemble des politiques publiques en France. Nous estimons que, si la singularité de ce public justifie une approche particulière, le droit commun et les politiques sectorielles doivent néanmoins être mobilisés. Reste à convaincre et à sensibiliser l’ensemble des acteurs publics à cette idée.

Depuis peu, on parle de personnes âgées immigrées et non plus de chibanis – terme très restrictif – ou de migrants ; ce dernier mot renvoie au mouvement permanent, alors qu’il faut précisément noter la sédentarisation de ces populations.

En Alsace, les immigrés représentent 10,3 % de la population, pourcentage supérieur à la moyenne nationale. Parmi eux, 70 % viennent de pays hors Union européenne – chiffre là encore supérieur à la moyenne. La part des personnes âgées y est toutefois assez faible, car l’immigration alsacienne – alimentée notamment par le flux migratoire turc – est relativement récente. Les immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans, originaires de pays tiers à l’Union européenne, représentent ainsi en Alsace 28,4 % du total ; leur nombre connaît en revanche une croissance de 4 % par an.

En France, c’est l’isolement des hommes résidant au sein des foyers de travailleurs migrants qui a surtout retenu l’attention. Mais le cas des foyers n’épuise pas la diversité des situations observées sur le territoire alsacien et interdit de penser la prise en charge des populations immigrées par le droit commun dans le cadre de l’aide à domicile. Ces interventions se révèlent complexes dans les zones d’habitat diffus – particulièrement lorsqu’il s’agit de territoires peu accessibles – et auprès des familles réunissant plusieurs générations. Il faut territorialiser notre réflexion en adaptant le travail aux caractéristiques du lieu, des publics et des acteurs concernés afin de mettre en place des solutions pérennes et non spécifiques.

Il y a cinq ans, l’Association meusienne d’accueil des travailleurs migrants (AMATRAMI) a souhaité travailler sur les femmes immigrées âgées – de plus en plus nombreuses depuis la récente vague de demandes d’asile – que le décès précoce du mari laisse souvent seules, isolées et sans ressources. Elle a développé une action en direction de tous les acteurs du territoire pour prendre ce public en charge à l’égal des autres personnes âgées.

La caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) de Lorraine a également lancé des actions spécifiques en direction du public âgé immigré. Le principal problème tient à l’inadaptation des relais de communication, les initiatives ne parvenant pas toujours à trouver leur cible. L’enjeu consiste donc à rapprocher les associations de ce public.

M. le président Denis Jacquat. La CARSAT Nord-Est compte moins d’immigrés sur son territoire que celle d’Alsace-Moselle ; elle est donc moins sensible à la question.

Mme Murielle Maffessoli. Paradoxalement, la CARSAT de Strasbourg n’a pas mis en œuvre d’actions spécifiques en direction de cette population, ce qui prouve à nouveau que c’est non pas le pourcentage d’immigrés sur un territoire, mais la préoccupation des acteurs concernés qui détermine l’intérêt pour la question. Il faut changer la donne ; une vigilance accrue des observatoires devrait permettre la prise en charge de ce public dans le cadre du droit commun. La réflexion que nous développons sur les moyens d’information et l’adaptation des politiques publiques profite d’ailleurs à tous.

Je terminerai mon propos par deux exemples. Dans le Haut-Rhin, l’association Aléos, gestionnaire de foyers, s’est saisie de cette question dès les années quatre-vingt-dix, transformant sa manière de travailler avec les résidents des foyers. Elle a associé à sa démarche le conseil général du Haut-Rhin, qui a interrogé les maisons de retraite sur leur capacité à prendre en charge ces publics et a créé, dans la ville de Mulhouse, un service de portage à domicile de repas halal. Les effets d’entraînement entre différents acteurs se révèlent donc déterminants.

Enfin, en Alsace, l’ORIV travaille depuis des années avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) sur le profil des primo-arrivants âgés. Depuis plus de six ans, quelque 3 % d’entre eux sont âgés de plus de soixante ans. Si ce chiffre paraît dérisoire, ces personnes arrivent particulièrement démunies ; n’étant pas concernées par le contrat d’accueil et d’intégration – qui impose l’apprentissage de la langue française –, elles se retrouvent complètement isolées. Leur cas montre les limites de l’approche française qui consiste à élaborer des politiques à l’intention de populations statistiquement nombreuses. En évitant d’interroger ces évolutions, on risque de passer à côté de questions qui touchent l’ensemble de nos politiques publiques.

Mme Évelyne Bouzzine, directrice du centre de ressources « Politique de la Ville » en Essonne (CRPVE). J’ai choisi de vous faire part des résultats d’une recherche-action sur les femmes âgées immigrées, que le CRPVE conduit depuis un an avec le sociologue Smaïn Laacher. Cette recherche s’inscrit dans le programme sur l’immigration et les dynamiques d’intégration que nous menons depuis plus de quatre ans et nourrit le travail de formation des professionnels en matière de conditions de vie des femmes.

Il y a un peu plus de trente ans, l’immigration de travail s’est transformée en immigration de peuplement, conduisant à la multiplication des familles composites – dans lesquelles mères et enfants sont nés dans des pays différents – en terre d’immigration. Pourtant, les femmes – jeunes, adultes ou âgées – sont longtemps restées à l’arrière-plan, tant dans le domaine de la recherche sociologique que dans celui des préoccupations des politiques publiques.

La recherche-action en cours vise à rendre intelligibles les conditions objectives et subjectives du vieillissement – à la fois social et biologique – des femmes immigrées, afin de relever les particularités de cette population spécifique et de saisir, sur le long terme, les transformations de la structure familiale immigrée et la place qu’y occupe la femme âgée.

Quatre questions essentielles fondent notre problématique. Quelles sont les conditions de vie de ces femmes âgées immigrées aujourd’hui ? Quels sont leurs besoins et projets à court et à moyen termes ? Comment se structurent les relations entre cette catégorie de la population et les institutions publiques et privées qui en ont la charge ? Comment contribuer à la production d’un savoir et d’une connaissance sur les processus de vieillissement et ses conséquences sociales et symboliques sur ces femmes et leurs familles ?

Sans nous étendre sur la rareté numérique et la relative indigence théorique de la littérature sur les femmes âgées immigrées, notons simplement que ce sont les hommes qui ont concentré jusqu’à très récemment les recherches sur le vécu de la vieillesse des immigrés. Ce n’est qu’au milieu des années deux mille que le vieillissement de la population immigrée – hommes et femmes – est devenu une préoccupation nationale.

Contrairement à une idée reçue, dans les pays d’origine – notamment au Maghreb –, le vieillissement commence à être perçu comme un problème structurel et humain. En effet, ces sociétés ne sont pas statiques et la transition démographique y devient irréversible ; l’individualisme ne se cantonne plus au continent européen, et les personnes âgées pèsent sur les systèmes de protection sociale généralement peu développés de ces pays. Le retour chez soi au moment de la vieillesse ne garantit donc aucune prise en charge institutionnelle ; plus encore, cette absence de protection force les immigrés à finir leurs jours dans le pays d’accueil.

Dans notre travail, nous sommes partis d’une conviction : les femmes immigrées ne devaient pas être perçues comme passives, ayant été soumises toute leur vie aux aléas d’un destin naturel ou social. Au contraire, les premiers éléments de notre enquête montrent que leur émigration, leur installation et les conditions dans lesquelles elles vieillissent en terre d’immigration constituent autant d’éléments auxquels elles ont été confrontées et qu’elles ont tenté, avec plus ou moins de réussite, de maîtriser. Les entretiens que nous avons menés ont représenté pour elles des moments autoréflexifs ou des occasions de témoigner de leur parcours. À ce jour, nous avons interrogé soixante-quatre femmes sur trois territoires : à Athis-Mons, en Essonne ; au quartier du Luth, à Gennevilliers ; et à la cité Balzac, à Vitry-sur-Seine. Nous nous sommes également appuyés sur les interventions des professionnels qui ont participé à cette recherche-action.

Les femmes âgées que nous avons interrogées, majoritairement mariées à des hommes ayant d’importants problèmes de santé, ont entre cinquante-cinq et soixante-douze ans. Elles sont souvent veuves, parfois divorcées. La plupart d’entre elles ont été peu ou pas scolarisées et n’ont pas bénéficié de cours d’alphabétisation. Elles sont arrivées en France dans le cadre du regroupement familial à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt, âgées alors d’une trentaine d’années ; ce regroupement familial tardif relevait d’un désir collectif de vivre et de vieillir en famille en terre d’immigration. Le taux élevé de fécondité de ces femmes – quatre enfants et plus – n’est pas reproduit à la génération suivante.

Tant qu’il leur y reste de la famille, les immigrées âgées valides retournent une fois par an au pays d’origine – lieu exclusif de déplacement – aux frais des enfants. La relation au pays se complique, et les visites deviennent plus aléatoires, dès lors que le mari est malade ou a fortiori décédé ; les retours s’espacent progressivement, puis s’arrêtent.

Les fortes réticences à retourner dans son pays d’origine pour y terminer sa vie posent la question du lieu d’enterrement. La réponse la plus fréquente, indépendamment de l’âge et de la nationalité, consiste à dire que c’est aux enfants d’en décider, le souhait étant généralement d’être inhumée à proximité des enfants qui vivent en France.

Ces femmes font partie des dernières générations immigrées à avoir eu beaucoup d’enfants. Mais, loin du stéréotype de la famille maghrébine unie, les liens entre les parents et les enfants – en particulier lorsque la mère devient veuve – peuvent se distendre au fil du temps de l’immigration. La solidarité familiale est ébranlée lorsque les enfants traversent eux-mêmes des épreuves sociales telles que le chômage, la maladie ou la délinquance.

De façon générale, le lien social est à la fois faible et fragile. Ces femmes appartiennent à des générations dont la liberté de circulation, l’autonomie et les choix existentiels – du conjoint, du lieu de résidence, du nombre d’enfants – ont été très réduits. Confinées à l’espace privé, elles sont faiblement intégrées au quartier et tissent peu de liens avec les autres femmes.

Leurs activités quotidiennes sont fortement ritualisées et donc prévisibles : faire les courses, voir le médecin, rendre visite à une amie, parfois recevoir chez soi, visiter les enfants. La majorité des femmes âgées que nous avons interrogées sont de confession musulmane, et la religion devient de plus en plus importante avec l’âge. Pour certaines d’entre elles, les prières structurent le quotidien. Rares sont pourtant celles qui vont à la mosquée : elles prient seules chez elles. La télévision – à travers les chaînes du pays d’origine, mais également françaises – est systématiquement mentionnée parmi les activités pratiquées.

Ces femmes ressentent fortement la solitude. Celle-ci ne procède pas automatiquement du vieillissement, mais renvoie le plus souvent à l’isolement dû à la maladie. Elles déplorent également – probablement plus fortement que la moyenne des femmes – le processus de dégradation de leur corps et de leur sociabilité, lié à l’âge, et l’impuissance physique et sociale qui en découle.

La vieillesse est perçue et vécue différemment par les hommes et les femmes. Ayant une relation moins intime avec leurs enfants, les hommes de cette génération peuvent décider de les laisser en France pour finir leurs jours dans leur pays d’origine. Leurs épouses, très attachées à leurs enfants, envisagent bien plus difficilement l’éventualité d’un retour.

Quasiment aucune des femmes interrogées n’a eu d’activité salariée légale, ni dans le pays d’origine ni en France ; en revanche, certaines d’entre elles ont pratiqué des petits boulots. Leurs retraites sont donc faibles – autour de 600 euros par mois –, alors que les loyers restent relativement élevés. Elles ne bénéficient d’aucune aide de la part des mairies et n’osent pas en demander – non seulement parce qu’elles ne savent pas à qui s’adresser, mais aussi et peut-être surtout parce qu’elles ne veulent rien demander à personne. Leur cas gagnerait donc à être intégré dans la réflexion des professionnels qui n’y accordent pas suffisamment d’attention.

M. le président Denis Jacquat. Votre exposé éclaire de manière remarquable le problème du retour au pays des femmes immigrées. N’hésitez pas, mesdames, à nous transmettre des rapports plus complets ou des documents relatifs au thème de cette audition.

Mme Olivia Maire, directrice adjointe du centre de ressources « Profession Banlieue ». Mon propos s’appuie sur les travaux menés au sein du centre « Profession Banlieue » et dans le cadre du programme départemental d’insertion (PDI) de la Seine-Saint-Denis pour les années 2012-2014, ainsi que sur le rapport du Haut Conseil à l’intégration (HCI) de 2005. Je me réfère également aux recherches d’Abdellatif Chaouite, ethno-psychologue et rédacteur en chef de la revue Écarts d’identité, du démographe Férial Drosso, du sociologue Rémi Gallou – qui avait réalisé une enquête pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) –, de Florence Brunet, consultante chez FORS-Recherche sociale, et de Françoise Milewski, chercheure à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Selon le recensement de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de 2006, la population immigrée en Seine-Saint-Denis compte près de 400 000 personnes et représente 26,5 % de la population totale du département, alors que la moyenne en Île-de-France s’élève à 17 %. Sur les huit départements franciliens, la Seine-Saint-Denis est celui qui accueille la proportion la plus importante d’immigrés, devant Paris et le Val-de-Marne. Les préfets estiment que 70 % de la population du département est issue d’une immigration récente, et selon les chiffres de la protection maternelle et infantile (PMI), les mères de près de 60 % des enfants nés en Seine-Saint-Denis en 2004 étaient nées à l’étranger.

Les populations immigrées en Seine-Saint-Denis sont à 36 % originaires du Maghreb ; 22,3 % sont d’origine africaine subsaharienne, 18 % d’origine asiatique ; 17 % sont des ressortissants de l’Union européenne. Sur l’ensemble de cette population, 15,2 % sont âgés de plus de soixante ans ; le département accueille 18 % des immigrés franciliens âgés de soixante ans et plus, Paris en accueillant 24 %. La population immigrée de la Seine-Saint-Denis, généralement pauvre ou très pauvre, compte enfin 52 % d’hommes et 48 % de femmes.

La situation des hommes est mieux connue que celle des femmes. En effet, contrairement à la population vivant dans le logement social ou diffus, les foyers de travailleurs migrants ont fait l’objet de plusieurs études. Ces hommes sont souvent isolés, célibataires ou veufs ; ils séjournent en France depuis de nombreuses années, doivent régulièrement renouveler leur carte de résident et disposent de ressources limitées – moins de 610 euros par mois en moyenne en 2005. Ils rencontrent des problèmes d’accès aux droits et à la retraite, tant il est difficile de réunir les pièces pour percevoir l’ASPA. Son bénéfice est conditionné par le respect d’une antériorité de résidence en France (fixée à dix ans), mais comme le décret n’a pas été publié, des différences d’interprétation existent entre les départements. Le versement de l’APL peut également poser problème : laisser le logement inoccupé durant un certain temps oblige, en effet, à refaire le dossier, ce qui entraîne un décalage dans le versement de la prestation et peut fragiliser la situation financière du bénéficiaire.

Les cinquante-deux foyers de la Seine-Saint-Denis accueillent officiellement 13 000 résidents – en réalité, sans doute trois fois plus, tant la suroccupation peut être importante. Ces établissements concentrent une population immigrée particulièrement importante, dont une grande majorité de retraités et 70 % de personnes vieillissantes. Bon nombre de ces foyers sont vétustes et font l’objet de transformation en résidences sociales ; huit sont actuellement en rénovation en Seine-Saint-Denis. L’augmentation du prix du foncier et la crise du logement en Île-de-France compliquent les opérations de réhabilitation, déjà confrontées à la question de la prise en charge du vieillissement. La présence dans les foyers de résidents âgés de plus de soixante ans – dont les trois principaux gestionnaire de foyers (Adoma, ADEF et Coallia), évaluent la part à 38 %, soit 5 000 personnes – nécessite de réfléchir à la prévention des pathologies inhérentes à la vieillesse et à l’isolement social, à l’accompagnement dans les foyers et à l’accès des résidents aux droits sanitaires et sociaux. Si l’on peut avoir recours aux EHPAD, il faut trouver d’autres solutions pour permettre aux résidents de vieillir dans la dignité, d’autant que les études – notamment celles de Férial Drosso – montrent que la grande majorité des personnes âgées souhaitent vieillir chez elles.

S’agissant de l’accès aux soins, la bonne couverture sociale dont bénéficient les immigrés motive leur maintien en France. Ces personnes souffrent de pathologies particulières liées non seulement à leurs conditions de travail passées – vieillissement physiologique précoce dû aux postes de travail peu ou non qualifiés, souvent exposés aux rigueurs climatiques –, mais également aux mauvaises conditions de logement, aux carences alimentaires, aux affections respiratoires ou aux problèmes bucco-dentaires. De façon générale, l’étendue et la vitalité du réseau social et familial ont une incidence sur l’état de santé et le recours aux soins des individus : plus ce réseau est actif, mieux les personnes se soignent. En revanche, les individus isolés – tels que les immigrés âgés – ne se dirigent pas spontanément vers les soins.

La situation des femmes immigrées est plus grave encore. Selon les chiffres de l’INSEE datant de 2004, 25 % d’entre elles vieillissent seules, veuves ou divorcées, mais puisqu’elles sont venues en France dans le cadre du regroupement familial, elles sont a priori moins isolées. Leur confinement dans la sphère familiale a pour conséquence un niveau moins important d’alphabétisation, et la situation n’a fait qu’empirer depuis que l’ouverture de la formation linguistique aux marchés publics, en 2003, a fait disparaître les associations de proximité qui assuraient des cours et tissaient le lien social. Venues en France pour élever leurs enfants, ces femmes ont moins travaillé que les hommes et ont souvent occupé des emplois à temps partiel ; elles ne bénéficient par conséquent que de faibles pensions de retraite.

Nous estimons essentiel de soutenir les associations de proximité de la Seine-Saint-Denis. Il est également indispensable de réfléchir au problème de l’adaptation du logement.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie pour vos exposés qui ont couvert un large éventail de sujets.

Disposez-vous d’éléments de cadrage sur les résidents immigrés âgés des quartiers relevant de la politique de la ville ? Quelle est plus généralement la place des personnes âgées dans cette politique ? Certaines collectivités territoriales ou conseils généraux avaient tenté d’intégrer l’immigration – notamment âgée – dans la politique de la ville, mais les CLIC ont souvent disparu avec le temps. Or, les personnes qui travaillaient dans ces antennes, elles-mêmes issues de l’immigration et appartenant aux quartiers, entretenaient une relation de confiance avec les immigrés âgés, facilitant leurs démarches en matière d’accès aux soins ou à l’aide à domicile. Qu’en pensez-vous ?

Participez-vous aux mesures animées par l’État dans le cadre des programmes régionaux d’intégration des populations immigrées (PRIPI) et des PDI ?

Mme Hélène Geoffroy, députée du Rhône, qui a dû nous quitter, m’a demandé de vous poser deux questions. Quel est le profil des personnes qui arrivent en France à l’âge de quatre-vingts ans ? Viennent-elles rejoindre leur famille ou bénéficier de soins ? Enfin, les associations arrivent-elles à créer du lien entre les femmes ?

Pour ma part, je souhaite connaître votre avis sur l’enseignement du français aux immigrés. La politique nationale s’est recentrée sur les primo-arrivants, délaissant les populations installées. J’y vois une erreur, car continuer à s’occuper de celles-ci permet d’entretenir le lien social.

Enfin, cet enseignement doit-il être assuré par des professionnels uniquement, ou bien les bénévoles ont-ils également un rôle à jouer ?

Mme Olivia Maire. Pratiquement toutes les communes de Seine-Saint-Denis possèdent au moins un quartier qui relève de la politique de la ville et, étant donné les spécificités de la population du département, la question de l’immigration y est très prégnante.

Les mesures prises ces dernières années ont fragilisé la situation des petites associations de proximité, étranglées par le manque de financement. Au-delà du cas de la formation linguistique, tout le tissu associatif qui accompagnait les personnes immigrées se délite, et les centres de ressources « Politique de la ville » sur notre territoire ont à plusieurs reprises tiré le signal d’alarme. « Profession Banlieue » soutient l’action des médiateurs socioculturels, qui maintiennent le lien avec ces populations ; s’ils commencent en tant que bénévoles, ils bénéficient d’une formation et leur efficacité est reconnue jusque dans les hôpitaux où ils servent de relais entre médecins et patients. Il faut préserver, épauler et dynamiser cette médiation, car dans les quartiers, où les services de l’État font souvent défaut, ce sont ces structures qui s’y substituent.

Quant à l’apprentissage du français, en effet, les immigrés non primo-arrivants ne bénéficient plus d’aucun dispositif, même si les associations implantées depuis longtemps sur le territoire essaient de ne pas les abandonner.

Mme Évelyne Bouzzine. Notre centre de ressources participe activement aux travaux de réflexion du PRIPI et du PDI ; dans le cadre de ce dernier, nous avons notamment créé et piloté, à la demande du préfet délégué à l’égalité des chances, le groupe de travail sur les femmes, ce qui nous a poussés à réaliser ensuite notre recherche-action sur les femmes âgées immigrées. Nous avons également participé à la réflexion sur l’apprentissage linguistique.

Actuellement, le centre de ressources mène un programme de formation des bénévoles des ateliers sociolinguistiques, qui ne possèdent pas toujours les compétences nécessaires pour enseigner la langue aux adultes étrangers. Le programme se décline en huit modules – assurés par des intervenants de haut niveau – et fournit aux bénévoles les outils pédagogiques adaptés aux spécificités de cet apprentissage. Le nombre important de demandes dont il a fait l’objet montre qu’il existe un véritable besoin de formation.

Confier l’encadrement et la coordination de ces ateliers aux linguistes professionnels constituerait un atout, mais les bénévoles possèdent une compétence sociale précieuse : leur proximité rend leur fonction d’enseignant moins intimidante, plus conviviale. De plus, les associations sont dans un tel état qu’elles ne peuvent pas se passer du travail bénévole dans les quartiers.

Je répondrai enfin à la question, qui nous tient à cœur, de la formation des travailleurs sociaux en matière d’accompagnement des immigrés âgés et de prise en charge du vieillissement en général. L’insuffisance des moyens – seuls trois centres de formation existent aujourd’hui sur le territoire national – ne permet pas d’aborder ce sujet, laissant les jeunes professionnels démunis, mal à l’aise, voire en souffrance professionnelle devant des situations sociales dramatiques qui les prennent au dépourvu. Si l’on ne remédie pas à cette lacune, les défections des travailleurs sociaux – dont le turn-over est déjà très important – se multiplieront, au détriment des habitants des quartiers.

M. le président Denis Jacquat. Le turn-over a toujours été important dans ce secteur. Pour avoir été, pendant dix-sept ans, président de l’Institut régional du travail social (IRTS) de Lorraine, j’ai constaté qu’en cette terre d’immigration, la question n’a jamais fait l’objet d’une réflexion spécifique de la part des travailleurs sociaux. Seul M. Roland Favaro
– élu communiste au conseil régional de Lorraine – s’y était intéressé, mais son décès l’a empêché d’agir pour en promouvoir la connaissance. Notre mission d’information peut relayer cette préoccupation.

Mme Murielle Maffessoli. Si les intervenants sociaux ne peuvent se transformer en spécialistes des questions d’immigration, le droit des étrangers étant extrêmement complexe, il faut leur fournir des outils pour faire face aux situations qu’ils rencontrent sur le terrain et des ressources pour y répondre. L’École supérieure en travail éducatif et social (ESTES) de Strasbourg a récemment engagé une action en ce sens, intitulée « L’accompagnement des personnes âgées immigrées », qui a fait l’objet de cinq journées de formation en 2012-2013. Entre 150 et 200 personnes y ont participé, dans le cadre d’une formation initiale ou continue ; l’initiative sera renouvelée et étendue à la Lorraine.

Pendant longtemps, en France, l’action sociale en direction des publics immigrés fut associée aux structures telles que l’Association service social familial migrants (ASSFAM) ou le Service social d’aide aux émigrants (SSAE), et pensée comme spécifique. Ce cloisonnement a empêché le travail social classique de s’interroger sur les besoins de ce public, et lorsque le SSAE a été intégré dans l’OFII, la prise de relais par le droit commun
– censée se produire naturellement – n’a pas eu lieu.

Il en va de même pour la formation linguistique : l’État concentrant les moyens sur les primo-arrivants, les populations déjà en place devaient être prises en charge par les collectivités. Or, seules certaines collectivités le font, ce qui crée des inégalités sur le territoire. Le travail que nous menons avec le réseau Ressources pour l’égalité des chances et l’intégration (RECI) montre d’ailleurs que l’ampleur de la présence immigrée ne détermine en rien l’action de la commune : certaines d’entre elles se saisissent ainsi de ce problème alors qu’elles ne comptent que 2 % d’immigrés.

La question des immigrés âgés est complètement oblitérée par la séparation des politiques publiques en deux catégories distinctes et étanches : la politique de la ville et celle d’intégration. Cette situation complique le travail sur le terrain : une commune peut ainsi solliciter notre aide pour travailler sur le problème de l’immigration et de l’intégration d’un côté et sur celui de la ville de l’autre, mais c’est nous qui devons faire le lien entre les deux.

Nous sommes plus qu’impliqués dans les PRIPI : nous avons contribué à l’élaboration de ceux de Lorraine et d’Alsace et assurons un accompagnement de ces programmes sur la durée.

M. le président Denis Jacquat. Le PRIPI de Lorraine qui s’est terminé en 2006 avait été prolongé de deux ans ; il y en a donc eu d’autres depuis ?

Mme Murielle Maffessoli. Un autre PRIPI a été mis en place sur la base d’un nouveau diagnostic et renouvelé en 2012. Alors que le premier programme s’adressait à tous les publics immigrés, le PRIPI actuel vise uniquement les populations originaires d’États tiers à l’Union européenne. La question des personnes âgées immigrées est explicitement formulée dans les deux PRIPI d’Alsace et de Lorraine actuels, et suivie en Lorraine par un « agent de développement local pour l’intégration » – poste créé au sein du groupe de travail sur les questions de santé.

En Alsace, c’est par le biais des ateliers sociolinguistiques que l’on essaie de remédier au manque de crédits. Une forte proportion des immigrés habitant l’Alsace vient, en effet, d’États non membres de l’Union européenne et non francophones ; leur maîtrise de la langue est donc extrêmement faible. Deux structures alsaciennes forment professionnels et bénévoles et la ville de Strasbourg a prévu des crédits spécifiques pour le financement des actions linguistiques en direction de tout public, et pas uniquement des primo-arrivants. Mulhouse – ville d’Alsace où le taux d’immigrés est le plus élevé – a également une plateforme linguistique particulière.

Quant aux femmes âgées arrivant en France, elles viennent dans le cadre du regroupement familial, voire d’un accompagnement de fin de vie de l’époux. Les travailleurs sociaux notent d’ailleurs qu’elles rencontrent d’importantes difficultés, y compris dans la sphère intime. Autre détail : le taux d’activité salariée des femmes immigrées de plus de soixante-cinq ans est largement supérieur à celui des femmes autochtones du même âge, alors que la relation est inverse pour les femmes plus jeunes.

Enfin, en matière d’apprentissage du français, pourquoi opposer professionnels et bénévoles ? Tous peuvent contribuer à la prise en charge des populations immigrées ; il est en revanche nécessaire de bien former et informer les acteurs associatifs dont l’ignorance peut parfois induire en erreur les personnes qu’ils conseillent. Certaines associations ayant encouragé les immigrés âgés à demander la carte de séjour portant la mention « retraité » sans bien maîtriser tous les aspects juridiques du dispositif, des personnes ont failli être expulsées dans le secteur de Mulhouse.

M. le président Denis Jacquat. Les cartes de séjour portant la mention « retraité » relèvent d’une fausse bonne idée ; il faudrait peut-être les supprimer et faciliter plutôt la naturalisation des personnes âgées.

Je vous remercie, mesdames, d’avoir répondu à nos questions.

Audition, sur le thème de l’histoire des politiques d’immigration,
de Mme Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l’Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, ancienne vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, de Mme Françoise
de Barros, maître de conférences à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et chercheuse au Centre de recherches sociologiques
et politiques de Paris (CRESPPA), et de M. Patrick Mony, ancien directeur du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI)


(extrait du procès-verbal de la séance du 18 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous débutons aujourd’hui nos travaux par une audition sur l'histoire des politiques d'immigration. Nous accueillons donc Mme Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l’Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, Mme Françoise de Barros, maître de conférences à l’Université de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et chercheuse au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA), et M. Patrick Mony, ancien directeur du Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI).

Madame Lochak, vous êtes à la fois juriste et militante, engagée dans la défense des droits de l’homme, en particulier des droits des étrangers. Vous nous présenterez les grandes évolutions juridiques en matière de séjour, d’asile, d’accès à la nationalité, mais aussi d’égalité des droits. Les évolutions des quatre dernières décennies ont certes été engagées par le législateur, mais elles proviennent aussi des décisions des juges – notamment constitutionnel – et du droit européen.

Madame de Barros, vous avez soutenu en 2004 une thèse qui soulignait le rôle des conseillers techniques aux affaires musulmanes de la période coloniale, devenus agents de la politique de liaison et de promotion des migrants. Vous avez montré que des catégorisations héritées de la colonisation ont joué un rôle dans les politiques de logement des migrants ou de résorption de l’habitat insalubre, en particulier en ce qui concerne les bidonvilles. Vous nous parlerez du rôle des différents acteurs administratifs dans les politiques d’intégration conduites dans les dernières décennies.

Monsieur Mony, vous avez longtemps milité, en tant que permanent du GISTI, pour l’égalité d’accès aux droits sociaux des travailleurs immigrés. Vous avez travaillé en lien avec les organisations syndicales et les associations d’immigrés. Vous nous préciserez le rôle des différents acteurs et les relations qu’ils ont entretenues avec les pouvoirs publics.

Votre éclairage nous permettra de mieux cerner les effets des politiques d’immigration et d’intégration sur le parcours migratoire des populations aujourd’hui âgées.

Mme Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l’Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, ancienne vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme. La législation sur l’immigration a traversé plusieurs périodes depuis 1945. La première va de 1945 aux années 1972-1974. Durant cette période, l’immigration est théoriquement très encadrée par l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France et l’Office national d’immigration (ONI). À l’époque, on ne peut venir en France sans un contrat de travail visé par l’administration. Le choix qui a été fait en 1945 est donc clairement celui d’une immigration de main-d’œuvre. Mais en réalité, les normes très strictes édictées à cette date sont largement inappliquées, et l’essentiel de l’immigration de main-d’œuvre a lieu librement, en-dehors de cette voie. Un processus de régularisation systématique se met cependant en place, si bien qu’à la fin de la période, 80 % des entrées correspondent en fait à des régularisations. Cela conduit d’ailleurs à relativiser l’idée selon laquelle les immigrés en situation irrégulière ne respectent pas la loi : entre 1945 et 1972, la loi a été constamment contournée, et avec l’accord de tous.

En 1972, les « circulaires Marcellin-Fontanet » tentent de revenir à l’esprit et à la lettre de l’ordonnance de 1945. Elles sont suivies de grèves de la faim, qui contraignent le Gouvernement à reculer. L’année 1974 marque finalement la fermeture officielle des frontières à l’immigration de main-d’œuvre. Cette dernière a des conséquences sur l’ensemble de l’immigration, à la fois parce que toutes les personnes qui viennent à titre familial, au titre de l’asile ou en tant qu’étudiants sont dès lors soupçonnées de chercher à contourner la loi, et parce que l’objectif est désormais de réduire les flux migratoires de façon générale.

La période 1974-2003 est marquée par les alternances politiques et par ce que j’appellerai un faux mouvement de balancier. En effet, le contraste entre les périodes où la droite gouverne et celles où la gauche est aux affaires n’est qu’apparent. La première partie du septennat de M. Valéry Giscard d’Estaing est plutôt libérale. Jusqu’en 1976, plusieurs gestes sont faits en direction des immigrés, dans l’idée de les intégrer. Des lois sont votées, notamment sur l’accès aux droits sociaux et l’assouplissement des conditions d’éligibilité aux fonctions de représentation du personnel dans l’entreprise. En 1976, un premier texte officialise le droit au regroupement familial, même si un autre vient le contredire dès 1977. On observe dès lors un raidissement des pouvoirs publics, qui se traduit notamment par l’adoption de la « loi Bonnet » en 1980. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le discours sur les étrangers se fait très positif : « ils resteront ». L’adoption de la loi relative à la carte de résident en 1984 marque un progrès considérable, qui va malheureusement rapidement être privé d’effets.

Derrière ces allers et retours de la législation demeure en effet un credo commun à tous les gouvernements : il faut maîtriser les flux migratoires. Cette politique, qui avait été définie dès 1976 par M. Paul Dijoud, secrétaire d’État aux travailleurs immigrés, consiste à intégrer les immigrés en situation régulière, tout en se montrant très sévère avec les personnes en situation irrégulière. Cette « balance » n’a pas été respectée : toute la politique d’immigration a été axée sur la répression.

Je n’évoquerai pas aujourd’hui ce volet répressif, préférant m’intéresser à l’intégration et au séjour, qui ont évolué dans un sens regrettable.

L’insertion ou l’intégration est un objectif affiché dès 1976. Mais il n’a jamais été véritablement poursuivi par les politiques d’immigration. Certes, il y a eu le droit au regroupement familial et l’assouplissement des conditions d’accès aux fonctions de représentation du personnel dans l’entreprise. Les « lois Auroux » ont consolidé ces droits sociaux, tandis que la loi du 9 octobre 1981 supprimait les entraves à la liberté d’association pour les étrangers. Je pense aussi aux politiques de la ville telles le développement social des quartiers (DSQ), qui sans être dirigées officiellement vers les immigrés, avaient de fait cet objectif. Le plus important reste néanmoins la loi du 17 juillet 1984 qui crée la carte de résident de dix ans, renouvelable automatiquement, et qui dissocie complètement le droit au travail et le droit au séjour, ou plus exactement fait du droit au travail le corollaire du droit au séjour. Cette carte de résident avait vocation à être attribuée à la grande majorité des étrangers présents en France. Elle l’a d’ailleurs été, dès l’origine, à tous ceux qui séjournaient régulièrement en France depuis plus de trois ans. Compte tenu de la régularisation de 1981-1982, la plupart des étrangers étaient concernés. D’autre part, elle devait être attribuée de plein droit à tous ceux ayant des attaches familiales ou personnelles en France.

On sait ce qu’il en est advenu : cette loi, qui avait pourtant été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, a été progressivement « grignotée ». On a supprimé des catégories d’accédants de plein droit à la carte de résident, soumis sa délivrance à des conditions supplémentaires, notamment la condition d’ordre public et celle de la régularité du séjour. Le coup de grâce a été porté par les « lois Sarkozy » de 2003 et de 2006, qui sonnent le glas de la délivrance de la carte de résident de plein droit : les seuls à pouvoir l’obtenir sont désormais les réfugiés, catégorie résiduelle, et les anciens combattants, catégorie en voie d’extinction. Avec ces deux lois et la « loi Hortefeux » de 2007, la problématique de l’intégration est totalement inversée. La loi de 1984 était une loi d’intégration, fondée sur l’idée selon laquelle les immigrés allaient rester sur le territoire et qu’il fallait en conséquence les aider à s’intégrer en leur donnant une assurance de stabilité. Avec les lois de 2003, 2006 et 2007, ils doivent apporter la preuve de leur intégration républicaine pour obtenir une carte de résident. Plus personne – ni les conjoints de Français, ni les parents d’enfants français, ni les personnes entrées en France avant l’âge de treize ans – n’obtient aujourd’hui de plein droit une carte de résident. Il faut attendre au moins trois ans, sinon cinq, pour demander cette carte, qui n’est délivrée qu’à ceux qui apportent la preuve de leur intégration « républicaine » dans la société française. C’est extrêmement déstabilisant, puisque les personnes entrant en France ne peuvent plus espérer qu’une carte d’un an renouvelable. On en observe d’ailleurs les effets dans le fonctionnement déplorable des préfectures, appelées à ne plus délivrer que des cartes de séjour de très courte durée.

Indépendamment même de l’objectif dit « de maîtrise des flux migratoires », que nous pouvons contester par ailleurs, ceux qui avaient vocation à rester en France ont été déstabilisés par cette politique, qui vaut aussi sur le plan de la nationalité. Les conjoints de Français ne peuvent plus demander la nationalité française qu’au bout de quatre ans de vie commune, même dans les cas où l’on ne saurait soupçonner un mariage de complaisance puisque des enfants sont nés du couple. Le nombre des naturalisations a considérablement chuté ces dernières années, plus encore sur la base de la pratique que sur celle des textes.

Quant à l’égalité des droits, elle a fait des progrès considérables, notamment en raison des conventions internationales, qui ont fait admettre l’universalité des droits de l’homme : les étrangers ont désormais les mêmes droits civils et sociaux que les nationaux. Même en ce qui concerne les « emplois fermés », nous progressons vers l’égalité des droits, même si ni l’Assemblée nationale ni le Sénat n’ont pour l’instant voulu la consacrer.

Si nous avons le sentiment que la condition des étrangers a régressé, c’est bien sûr en raison de la dimension policière des politiques d’immigration, mais aussi parce que l’octroi de droits reste le plus souvent soumis à une condition de séjour régulier, qui est de plus en plus difficile à remplir. Le droit de vivre en famille a certes été affirmé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), par le Conseil d’État dans sa décision GISTI de 1978, et par le Conseil constitutionnel. Mais on ne peut plus dire qu’il est respecté lorsque des entraves sont mises à l’exercice de ce droit au nom de la maîtrise des flux migratoires ou de la méfiance envers les actes d’état civil. Le droit à la liberté individuelle ne l’est pas davantage, puisque l’enfermement se développe. Le contraste est donc saisissant entre la problématique de l’égalité des droits, de l’assimilation croissante – au sens où les juristes l’entendent, c’est-à-dire assimilation de la condition des étrangers à celle des nationaux –, et le sentiment – justifié – que dans les faits, l’égalité des droits est remise en cause par ces politiques policières et le refus d’accueillir des étrangers sur notre territoire.

Mme Françoise de Barros, maître de conférences à l’Université de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et chercheuse au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA). S’agissant des politiques d’immigration menées par la France entre 1945 et les années 1970, il convient tout d’abord de relever un contraste entre les politiques migratoires et les politiques en direction des étrangers.

En effet, la politique migratoire à proprement parler est relativement stable, sur le plan juridique, au cours de cette période. Elle consiste en une politique de recherche – ou à tout le moins de large accueil – de la main-d’œuvre étrangère. Par rapport à la précédente période de forte immigration en France, à savoir les années 1920, il n’y a pas de changement du point de vue des objectifs et des effets, même si les modalités administratives et juridiques sont différentes.

En revanche, les politiques en direction des étrangers, puis des immigrés résidant sur le sol français, connaissent de profonds bouleversements sur la période. Entre 1945 et 1975, sont en effet mises en place de multiples institutions, qui n’ont pas leur équivalent dans l’entre-deux-guerres. Ce renouvellement est très largement articulé à la décolonisation de l’ensemble de l’empire français, plus particulièrement de l’Algérie.

J’organiserai donc mon propos à partir de cette articulation. Après avoir insisté sur les relations entre la décolonisation de l’Algérie et le renouvellement des politiques en direction des étrangers, j’évoquerai les éléments – tout aussi importants – d’explication de ce renouvellement qui sont extérieurs à cette décolonisation.

En quoi la décolonisation algérienne participe-t-elle profondément au renouvellement des administrations et politiques en direction des immigrés à partir de 1945 ? Pour répondre à cette question, je distinguerai deux points.

Le premier réside dans la création d’institutions et la mise en place de politiques à destination des Algériens alors présents en métropole, qui n’ont pas leur équivalent dans ce qui existait auparavant. Ces innovations s’expliquent par le fait qu’entre 1945 et 1962, les Algériens ne sont pas des étrangers mais des « sujets » français. Bien qu’elle ait acquis le droit de vote en 1945, cette population demeure en effet sous domination coloniale française.

Ces institutions et politiques publiques spécifiques sont désormais bien connues, plusieurs travaux ayant permis d’identifier les conditions de leur création depuis une quinzaine d’années. Il s’agit de la Société nationale de construction pour les travailleurs algériens (SONACOTRAL), du Fonds d’action sociale (FAS), lui aussi à destination des travailleurs algériens, mais aussi des conseillers techniques aux affaires musulmanes (CTAM), mis en place auprès de l’administration préfectorale dans les régions où résident de fortes proportions d’Algériens, pour encadrer ces derniers dans l’ensemble des domaines sociaux, et enfin de la politique de résorption des bidonvilles, directement liée, à l’origine, à la présence d’Algériens.

Ces diverses institutions ont des objectifs et des effets communs, qui consistent tout d’abord à encadrer une population colonisée et à fonder cet encadrement spécifique sur une conception « racialisée » de cette population, mais aussi, très rapidement, à la contrôler en tant que « vivier » des mouvements indépendantistes, afin de pouvoir les réprimer efficacement. Leur dimension coloniale est donc indéniable.

Elle est renforcée par le fait que ces institutions comme ces politiques reposent en grande partie sur des personnels recrutés pour leur expérience coloniale, voire leur « compétence » en matière d’encadrement des Algériens.

Le second point concerne non seulement le maintien de ces institutions et de leurs personnels après l’indépendance, mais surtout leur élargissement à l’ensemble des étrangers, de plus en plus souvent désignés comme immigrés. Le FAS est ainsi l’ancêtre du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), qui a lui-même cédé la place à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé) en 2006. De son côté, la SONACOTRAL est devenue SONACOTRA au lendemain de l’indépendance de l’Algérie puis Adoma en 2007.

Bien que moins connus, les CTAM ont continué à assurer un encadrement territorial des Algériens jusqu’en 1965, puis de l’ensemble des immigrés, sous le titre de conseillers techniques, dans les nouveaux services de liaison et de promotion des migrants (SLPM) créés dans les préfectures à cette date. Cette dernière évolution est elle-même liée à la transformation – au début des années 1970 – de la résorption des bidonvilles, à l’origine circonscrite à la région parisienne, en une politique de résorption de l’habitat insalubre (RHI) conduite à l’échelle du territoire, qui sera elle-même à l’origine de la politique de la ville. Or, même si cette dernière n’est pas explicitement désignée comme une politique d’intégration, elle a été conçue comme un outil institutionnel de l’intégration.

L’ensemble de ce qui apparaît ainsi comme une forme de reconversion des personnels et des institutions coloniales dans de toutes nouvelles institutions à destination des immigrés s’incarne notamment dans la création de la direction de la population et des migrations (DPM) en 1966. Le rôle de cette dernière est en effet de coordonner et de chapeauter, au sein de l’administration centrale, les diverses institutions dont j’ai parlé.

Cette évolution qui s’apparente à une forme de consécration des administrations coloniales peut paraître paradoxale, puisqu’elle est consécutive à la disparition de l’empire français.

En réalité, le paradoxe n’est qu’apparent : la décolonisation a également contraint l’ensemble des personnels administratifs qui assuraient jusqu’alors l’exercice de la domination coloniale sur les territoires colonisés à trouver d’autres fonctions. Il apparaît effectivement qu’une partie des évolutions que j’ai décrites résulte du travail de certains d’entre eux pour se reconvertir professionnellement au sein ou à la marge de l’administration.

Il reste que ces évolutions n’auraient pu advenir sans la convergence d’autres éléments, qui sont extérieurs à l’empire français. Ce sera le second temps de mon propos.

Deux points doivent ici être retenus.

Le premier tient aux profondes évolutions que connaît l’ensemble de l’administration métropolitaine au cours des années soixante, qui jouent à deux niveaux.

D’une part, l’action de l’État central se réorganise par la création de nouveaux ministères, en particulier ceux des affaires sociales et de l’équipement en 1966 – date dont nous avons déjà parlé. Ces deux ministères sont justement ceux qui « recueillent » les reconversions. La DPM est ainsi créée comme une direction du ministère des affaires sociales. Bien que ces nouveaux ministères aient été créés à partir de ministères préexistants, ils procèdent de recompositions administratives qui ont facilité l’institutionnalisation des anciennes structures destinées aux Algériens.

Sur un tout autre plan, la création de l’École nationale d’administration (ENA) produit également des effets sur les structures administratives en charge de l’immigration. C’est en effet à partir des années soixante que des énarques arrivent aux postes d’encadrement dans des ministères qui étaient jusqu’alors dépourvus – ou presque – de grands corps de l’État, tout en étant en charge d’une partie de l’administration des étrangers. C’est notamment le cas du ministère de l’intérieur, chargé depuis l’entre-deux-guerres de gérer le séjour des étrangers sur le plan juridique : il va accueillir – et fournir – de plus en plus de hauts fonctionnaires, qui tendent d’autant plus à faire de la gestion bureaucratique du séjour des étrangers une question politique qu’ils sont de potentiels hommes politiques. Le leitmotiv de l’obligation de la maîtrise des flux migratoires évoqué par madame Lochak est symptomatique de cette évolution.

Le second point concerne une évolution du même ordre, mais qui concerne cette fois-ci le logement en tant que domaine d’intervention publique. Il est extrêmement important.

Comme vous l’avez constaté, le logement était l’un des domaines à travers lesquels l’administration métropolitaine a le plus encadré les Algériens dès les années 1950. Cette superposition entre action en matière de logement et encadrement des Algériens, puis entre logement et intervention en direction des immigrés, va dès cette époque de pair avec le très fort développement de l’action publique en matière de logement.

Ce développement se traduit non seulement par la mise en place – inédite – d’outils publics de construction de logements sociaux, mais également par la politisation et l’utilisation de ces outils non seulement par les élus locaux, mais aussi par des acteurs sociaux de plus en plus variés, tels que les associations ou les partis politiques.

Je me suis contentée d’évoquer les éléments les plus importants. Mais si j’en retenais d’autres, nous retrouverions le plus souvent la dynamique sur laquelle j’ai construit mon propos, avec à la fois des éléments qui proviennent de l’encadrement colonial des Algériens jusqu’en 1962 et des éléments touchant à la sociologie des personnels administratifs ou politiques ou aux évolutions structurelles de l’administration, qui sont donc indépendants de la colonisation ou de la décolonisation.

M. Patrick Mony, ancien directeur du GISTI. Je tiens à préciser d’emblée que je ne suis ni un historien ni un universitaire. C’est donc en ma qualité de témoin que je m’exprimerai.

Mon intervention portera sur les luttes de l’immigration et l’évolution du mouvement associatif lié à l’immigration, qu’il s’agisse des associations de solidarité ou des associations d’immigrés.

Il y aurait beaucoup à dire sur la période qui a précédé l’année 1981. Jusqu’à cette date, les étrangers ne bénéficiaient en effet pas vraiment du droit d’association, qui restait encadré par le décret-loi de 1939, lequel soumettait la constitution d’une association étrangère à une autorisation préfectorale et à des règles très strictes. Après 1968, on a assisté à de nombreuses luttes menées par les immigrés, souvent en lien avec les associations de solidarité qui s’étaient créées durant cette période, voire avec les syndicats. Je pense d’abord aux luttes en usine, avec la révolte des ouvriers spécialisés (OS) chez Renault à Flins et à Boulogne-Billancourt, et la mobilisation contre des conditions de travail indignes des ouvriers de Peñarroya à Saint-Denis et à Lyon. Les personnels étaient alors logés par l’employeur dans des conditions épouvantables ; le saturnisme était devenu une maladie professionnelle atteignant de nombreux travailleurs qui n’avaient même pas le droit de se syndiquer. Cette lutte exemplaire en a entraîné d’autres, un peu partout en France, qui n’ont pas toujours été soutenues par les syndicats. Cela a été à l’origine – après la révolte des OS chez Renault – de la création de l’Union nationale des comités de lutte d’ateliers (UNCLA). Il s’agissait d’essayer d’organiser les immigrés dans les industries où ils étaient fortement implantés.

C’est seulement après les « lois Auroux » que le droit syndical a véritablement été accordé aux immigrés. Je ne suis cependant pas certain que les syndicats aient mis toute la volonté nécessaire pour que les immigrés prennent leur place dans le mouvement syndical. Aux élections prud’homales, le nombre des élus issus de l’immigration ne dépasse guère quelques dizaines – et sans doute suis-je trop généreux.

Entre 1972 et 1975 se développent en outre de grandes luttes contre le racisme. Elles ne sont pas tant le fait des associations que de groupes d’intellectuels, qui se forment autour de Jean-Paul Sartre ou de Michel Foucault. À la suite du meurtre d’un jeune homme à la Goutte d’Or, puis d’un Algérien dans un commissariat, ils mettent en place le Comité pour les droits et la vie des travailleurs immigrés (CDVTI), qui va jouer un rôle important pour aider les étrangers à connaître, puis à défendre leurs droits. Une enquête sera ainsi conduite chaque fois qu’il apparaît qu’il y a eu crime raciste. Le comité accompagne les luttes durant toute la période ; il va jusqu’à une tentative de liaison avec l’UNCLA. La volonté des immigrés d’obtenir la reconnaissance d’un droit d’association est donc bien présente.

Il faut bien sûr parler des luttes pour le logement. Madame de Barros a évoqué la SONACOTRAL, devenue Adoma. Les conditions d’accueil n’ayant pas été mises en place alors même que l’on faisait venir massivement les immigrés en France, de nombreux bidonvilles sont apparus autour des villes, de même que des hôtels meublés sordides ; l’insalubrité était réelle. Les revendications en matière de logement se sont donc développées un peu partout en France, mais elles n’ont commencé à se coordonner que dans les années 1974, 1975 et 1976, lorsqu’un Comité de coordination des foyers en lutte s’est créé autour du foyer Romain Rolland de Saint-Denis. Cette lutte particulièrement exemplaire a rassemblé jusqu’à deux cents foyers et des milliers de travailleurs jusqu’en 1978, sur la base de revendications précises : la reconnaissance du statut de locataire, qu’ils n’ont toujours pas obtenue, celle du rôle de délégué de foyer, lutte qui est aujourd’hui menée par le Collectif pour l’avenir des foyers (COPAF), avec les délégués de foyer, le droit d’association et l’accès au logement social. Cette lutte a également été la colonne vertébrale des luttes contre l’évolution suivie par les politiques d’immigration : c’est le comité de coordination des foyers en lutte qui a organisé les grandes manifestations contre les lois de 1978-1979. J’ai suivi de près ce combat : ce fut une expérience très intéressante de voir comment les délégués de foyers, même illettrés, arrivaient à s’approprier les actions juridiques conduites pour les expliquer dans les assemblées générales des foyers. Cela a aussi été un lieu d’expression culturelle extraordinaire. Les « journées portes ouvertes » ont permis de montrer que les foyers étaient en réalité des structures ghettos, et qu’il n’existait pas – c’est toujours le cas aujourd’hui – de possibilité de passer du logement en foyer au logement social, ce qui aurait pourtant été un moyen d’intégration. On se retrouve donc avec des immigrés âgés, qui occupent depuis vingt, trente ou quarante ans des logements qui ne sont plus du tout adaptés à leur âge dans des foyers taudis.

À partir de 1972, on a vu se développer la lutte contre les « circulaires Marcellin-Fontanet », avec le grand mouvement des grèves de la faim initié avec succès par Saïd Bouziri le 6 novembre 1972, dans la salle paroissiale de l’église Saint-Bernard, qui s’est ensuite étendu à toute la France.

En 1964 est née la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs-euse-s immigré-e-s (FASTI), principalement issue des milieux chrétiens, qui accompagne les associations d’immigrés. En 1979, un collectif d’associations s’est constitué contre la politique de refoulement instaurée par les « lois Bonnet-Stoléru ». Durant toute cette période, les associations – l’Association des Marocains de France (AMF), créée en 1964, les comités de travailleurs algériens et tunisiens, et les regroupements d’Africains – n’ont cessé de réclamer le droit d’association. C’est sur cette base que le Service œcuménique d’entraide, aujourd’hui Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), accueillit à la Maison des travailleurs immigrés (MTI) de Puteaux un regroupement d’associations pour faire reconnaître le droit d’association.

Après 1981, les étrangers disposent donc du droit d’association. Je tiens ici à dire un mot du FAS, vers lequel on a orienté les associations d’immigrés. Ce faisant, nous avons raté quelque chose : l’enjeu de ce mouvement était que les étrangers prennent leur place dans le mouvement associatif général, non qu’ils créent leurs propres associations. Le danger était là : quoi qu’on en dise, le FAS a contribué à ce que l’action sociale en direction des immigrés reste distincte du droit commun. Il a aussi été un véritable instrument de contrôle.

Beaucoup d’associations se sont créées après 1981, notamment dans les quartiers. La remise en cause des subventions qui leur avaient été attribuées a profondément déstabilisé le mouvement associatif, qui était pourtant un partenaire indispensable.

J’aurais aimé vous parler également – mais je n’en ai plus le temps – du mouvement de mobilisation des banlieues.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je remercie nos invités pour leurs exposés. Résumer leur propos en quelques minutes était un exercice périlleux, car l’histoire des politiques d’immigration brasse un grand nombre de paramètres et de questions à la fois juridiques, sociétales et sociales. Aussi reviendrai-je sur certains points qui méritent soit des éclaircissements, soit des précisions.

Madame Lochak, vous avez retracé les grandes étapes des politiques d’immigration depuis 1945. Vous avez insisté sur le fait que, depuis cette date, la volonté des pouvoirs publics avait toujours été de favoriser une immigration de main-d’œuvre : une logique économique semble donc prévaloir depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. J’aimerais que vous reveniez sur les conditions dans lesquelles la venue de cette main-d’œuvre a été organisée, que ce soit par les entrepreneurs ou par les pouvoirs publics. Madame de Barros a mis en évidence la préexistence de certaines structures de l’époque coloniale, qui ont subsisté dans la période post-coloniale. On parle souvent de ce qui s’est passé après, une fois cette main-d’œuvre immigrée arrivée en France, mais finalement assez peu de la manière dont son recrutement a été opéré.

La situation difficile de certains immigrés âgés aujourd’hui n’est-elle pas justement la conséquence d’une certaine approche de l’immigration de main-d’œuvre ? Dans la mesure où son installation était considérée comme temporaire, on n’a en effet pas pris en compte les besoins à moyen et long termes, ce qui expliquerait la dégradation de certaines situations individuelles au moment de la retraite.

Je m’interroge également sur les politiques de logement à destination des immigrés. Vous avez évoqué les foyers de travailleurs migrants, sur lesquels notre mission d’information s’est déjà penchée – nous avons auditionné Adoma et des collectifs associatifs. Nous avons ainsi identifié un certain nombre de problématiques liées à ce qui est une spécificité française, puisqu’il semble que la France a inventé un modèle, celui d’un logement un peu discriminant, qui a souvent produit des effets de relégation territoriale. Vous avez aussi évoqué – ce que la mission d’information avait assez peu fait jusqu’ici – les bidonvilles, qui constituent – il faut bien le dire – l’autre versant de la politique du logement à destination des immigrés. Les populations qui vivaient dans les bidonvilles étaient en effet toutes d’origine étrangère, et c’est un phénomène qui a marqué l’histoire de nos territoires.

J’aimerais également savoir, monsieur Mony, comment vous percevez le rôle des associations et des collectifs d’immigrés dans l’évolution du droit des étrangers, qu’il s’agisse du droit de séjour, du droit d’asile ou encore de l’accès à la nationalité. Ont-elles réussi à se faire entendre des pouvoirs publics, ou ont-elles davantage subi les législations qui se sont « empilées », surtout depuis une vingtaine d’années ?

Enfin, j’aimerais que vous reveniez sur les effets en matière de droit au séjour du durcissement des règles relatives aux liens familiaux des migrants. La mission a constaté qu’une partie des migrants – notamment les plus âgés – souffrait d’un fort isolement. Les restrictions en matière de visas ou la peur de ne pas pouvoir revenir sur notre territoire ne contribuent-elles pas à renforcer cet isolement ?

Mme Danièle Lochak. Vous nous demandez comment a été organisée l’immigration. Il est justement manifeste qu’elle n’a pas été organisée. Dans l’entre-deux-guerres, il n’existait pas de politique de l’immigration autre que purement policière. Les syndicats reprochaient d’ailleurs aux employeurs de s’être substitués aux pouvoirs publics à travers la Société générale d’immigration (SGI). L’immigration était certes organisée, mais c’était le fait des patrons, qui allaient recruter de la main-d’œuvre en Pologne ou ailleurs. L’État se contentait pour sa part de conclure des accords de main-d’œuvre. À côté de cela, on enregistrait une immigration dite spontanée.

Après la Seconde Guerre mondiale apparaît un contraste évident entre les ambitions d’une politique qui se veut dirigiste, comme le veut l’époque, marquée par la naissance de la planification, et la réalité. Ce contraste se reflète dans les débats entre ceux qui, tels le démographe Alfred Sauvy, prônent une politique d’immigration de peuplement, et ceux qui appellent de leurs vœux une politique d’immigration de main-d’œuvre. Les seconds ont eu gain de cause, ce qui signifie que l’on sera moins « regardant » sur la provenance – bien que le général de Gaulle ait évoqué dans un discours la nécessité d’une immigration assimilable. En vérité, la position de notre pays sur ce sujet a toujours été ambivalente. Ce n’est pas le cas en Allemagne, où l’on fait venir des travailleurs « hôtes ». En France, on a au contraire toujours admis – y compris dans l’entre-deux-guerres – que des familles accompagnent le travailleur migrant. Après la guerre, l’immigration a aussi été un moyen de repeupler la France. Néanmoins, nous n’avons pas eu une vraie politique de main-d’œuvre. Les besoins étaient considérables ; les gens sont venus, avec ou sans papiers ; ils ont trouvé un employeur ; et ensuite, leur situation a été régularisée. C’est ainsi que s’est faite la régulation. Ce n’était pas du tout ce qui avait été imaginé. Il est vrai que l’ONI était un système bureaucratique, qui ne pouvait pas tenir. À cela s’est ajouté le problème des Algériens, qui venaient librement en France et y étaient très nombreux.

Non seulement il n’y a pas eu de politique organisée pour faire venir de la main-d’œuvre, mais il n’y a pas eu de politique pour loger celle-ci. Nous payons aujourd’hui l’absence d’une véritable politique d’intégration, dont il n’y a eu que de timides éléments.

S’agissant de l’isolement des immigrés, la réponse est déjà dans votre question. Les politiques actuelles, qui rendent impossible l’obtention d’un visa pour venir voir sa famille et freinent le regroupement familial, ne peuvent que renforcer cet isolement. En outre, les gens savent désormais que s’ils repartent, ils ne pourront pas revenir. Cela a concouru à les « enfermer » en France, alors que jusqu’en 1974, ils considéraient eux-mêmes leur situation comme provisoire et rêvaient d’un retour au pays.

M. le rapporteur. Vous dites que les pouvoirs publics n’ont pas vraiment organisé l’arrivée de cette main-d’œuvre. Selon les témoignages que nous avons entendus, il semble pourtant que de grandes entreprises françaises installaient des bureaux de recrutement dans les villages, au Maghreb ou en Afrique subsaharienne. Les jeunes gens y défilaient ; on vérifiait qu’ils étaient en bonne santé, puis on signait les papiers leur permettant de commencer à travailler à l’usine quelques semaines plus tard. J’avais d’ailleurs pris soin, dans ma question, de distinguer les entrepreneurs et les pouvoirs publics. En somme, on a laissé les entreprises libres de faire venir cette main-d’œuvre, sans prendre les mesures nécessaires – d’où l’apparition des bidonvilles, et tous les problèmes que nous connaissons aujourd’hui. N’y a-t-il pas eu un choc entre la logique des acteurs économiques et celle des pouvoirs publics, qui n’ont pas pris – même à partir du moment où le mythe du retour au pays s’est dissipé et où il est apparu que les immigrés avaient vocation à rester dans notre pays – les mesures qui s’imposaient ?

M. le président Denis Jacquat. J’ajouterai une troisième logique, que l’on a vue à l’œuvre en milieu rural. La population des villages savait qu’il y avait besoin de main-d’œuvre en France. Un arrangement était conclu entre les familles avant l’arrivée des personnels de l’ONI, pour décider qui irait en France. Ces jeunes gens représentaient leur territoire d’origine et se devaient d’en donner une bonne image.

Mme Danièle Lochak. Qu’ils aient été recrutés par les entrepreneurs ou qu’ils soient venus seuls en France importe finalement assez peu. Ce qui est sûr, c’est que les pouvoirs publics sont restés plutôt absents.

Il est en effet intéressant de voir où ont été implantées les antennes de l’ONI. J’ai moi aussi beaucoup entendu parler de ces circuits migratoires, qui ont disparu après 1974, lorsque les gens ont cessé d’être mobiles.

M. Patrick Mony. La carte de séjour portant la mention « retraité » est aussi un terrible piège pour les immigrés âgés.

M. le président Denis Jacquat. Avec le recul, il apparaît en effet que c’était une fausse bonne idée.

M. Patrick Mony. Tout à fait. Les immigrés qui prennent la carte de retraité perdent tous leurs droits en France – ce qu’ils ignorent le plus souvent.

J’en viens au rôle des associations. À la suite des grandes grèves de la faim des années 1972 à 1975, le CDVTI a obtenu la publication de la « circulaire Gorse », qui a accordé un délai pour l’application des circulaires « Marcellin-Fontanet ». Je pense que les associations ont joué un rôle d’alerte intéressant, mais pas toujours dans un sens favorable aux immigrés. Lorsque M. Pierre Joxe était ministre de l’intérieur, elles ont cependant pris toute leur part dans la réflexion sur la nouvelle politique d’immigration et l’élaboration de la « loi Joxe ». Des échanges très intéressants ont eu lieu à cette occasion avec le Gouvernement, et je crois que les associations ont été écoutées.

Mme Danièle Lochak. Cela a en effet été le cas en ce qui concerne la « loi Joxe », qui revenait à l’esprit des textes votés en 1981 et 1984. Mais la politique d’immigration, elle, est restée la même – à savoir « stop à l’immigration ». De fait, les associations ont aujourd’hui cessé de discuter avec les pouvoirs publics.

Mme Françoise de Barros. L’opposition entre politique d’immigration de main-d’œuvre et politique d’immigration de peuplement est très artificielle, même si elle a pu s’incarner à certaines périodes – par exemple dans le débat de 1945 entre les démographes, partisans de la seconde, et les représentants du ministère du travail ou du patronat, partisans de la première. La politique de main-d’œuvre du patronat français de l’entre-deux-guerres était aussi une politique de peuplement : faire venir des travailleurs signifiait aussi faire venir leur famille et leur procurer un logement, afin de fixer les travailleurs – le problème n’étant pas seulement d’avoir de la main-d’œuvre, mais d’avoir une main-d’œuvre stable. Politique de main-d’œuvre et politique de peuplement étaient donc liées.

Le patronat – du moins certains types de patronat – a une politique active d’immigration, et parfois la politique de peuplement qui va avec même si, après 1945, la composante coloniale de la main-d’œuvre fait que celle-ci n’est plus systématique. Mais la politique de l’immigration des pouvoirs publics reste théorique et donc dépourvue de vrais outils. En-dehors des outils juridiques d’encadrement du séjour, ceux-ci ont en effet été conçus pour une population dont les membres n’ont pas le statut d’étranger, mais celui de sujet colonial, et dont les pouvoirs publics ne contrôlent ni la circulation ni la venue en métropole, puisqu’elle a la nationalité française et que les politiques d’expropriation, qui n’ont fait que s’accélérer depuis le début du XXe siècle, poussent les Algériens ruraux à quitter les campagnes, d’abord pour les villes algériennes, puis – dès les années 1940 – pour la métropole.

À cette époque domine encore, y compris chez les migrants eux-mêmes, une logique d’immigration de travail. Ce que vous évoquiez à propos des villages marocains vaut d’ailleurs aussi pour la migration algérienne. Mais du fait de la destruction des structures rurales traditionnelles, la migration en métropole ne vise bientôt plus seulement à apporter un revenu ponctuel, ce qui se traduisait par des rotations migratoires : elle devient permanente, à l’insu des populations. Dès les années 1950, les femmes et les familles représentent donc une proportion significative des migrants. Celle-ci a pu varier selon les périodes, mais elle reste une constante.

La question des politiques du logement est complexe. Après la Seconde Guerre mondiale, le logement est une ressource rare en France. Le problème est donc loin de concerner les seuls migrants, qu’ils soient sujets coloniaux ou étrangers : il est immense. Les bidonvilles ne sont d’ailleurs pas seulement habités par des étrangers. Simplement, c’est à eux que cet intitulé renvoie. Les campements d’ATD-Quart monde se développent pourtant à la même période mais on ne les qualifie pas de bidonvilles. Il est intéressant de constater que les réponses qui vont être apportées diffèrent selon le statut juridique des occupants.

Les archives montrent que le logement est l’un des principaux outils dont dispose un CTAM pour encadrer les Algériens ; c’est aussi l’une des actions prioritaires qu’il doit mener, tant les conditions de logement sont déplorables. Au début de la période, l’objectif est de faire en sorte que des familles d’Algériens intègrent des logements HLM. Ces ambitions seront revues à la baisse, sur le fondement d’un discours « intégrationniste » d’inspiration coloniale : d’abord plutôt favorables aux Algériens, les objectifs en termes de proportions de populations dans les HLM vont diminuer au cours de la guerre d’Algérie. Ce ne sont pas nécessairement ceux dont on pourrait penser qu’ils sont les plus hostiles qui préconisent les mesures les plus restrictives en matière de logement. Les oppositions auxquelles on se heurte sont en fait liées à la situation du logement. Certes, il y a peut-être un problème d’intégration par le logement ; mais il y a surtout un problème général de logement. Si la construction de logements, déjà importante à l’époque, l’avait été encore plus, les difficultés de logement des étrangers auraient sans doute été moindres.

En revanche, il y a une logique ségrégative dans l’attribution des logements, directement liée à une approche coloniale des populations, qui tend à opérer une distinction entre celles-ci en fonction d’origines ethniques indélébiles. Cela sera très tôt – dès la politique de résorption de l’habitat insalubre – l’une des caractéristiques de ces politiques du logement : dès le début des années 1970, les tableaux bureaucratiques utilisés pour le relogement distinguent les personnes selon leur origine ethnique ; certains distinguent même les personnes originaires d’outre-mer. Ce type de tableau était déjà utilisé par les CTAM. Les agents chargés de mettre en œuvre la politique de résorption de l’habitat insalubre ne sont pourtant pas tous d’anciens personnels coloniaux. Il y a donc eu diffusion de cette approche ethnicisée – ou « racialisée » – des populations à qui s’adressent ces politiques.

Mme Kheira Bouziane. Je vous remercie pour vos exposés et pour les documents riches d’enseignements qui sont dans nos dossiers. Je suis frappée d’apprendre qu’il y aurait des traitements différenciés en fonction de l’origine des immigrés. Le document de monsieur Mony fait référence aux luttes qui ont été menées et remportées, ainsi qu’à des accords avec l’Algérie en ce qui concerne les droits sociaux. D’une manière générale, le traitement des demandes est-il différencié en fonction de l’origine des migrants ?

Mme Danièle Lochak. Juridiquement, il ne peut l’être sur la base de la législation française. Le cas des Algériens était spécifique, puisque, selon les accords d’Évian, ils bénéficiaient des mêmes droits que les Français, à l’exception des droits politiques. La question a notamment été posée de savoir si le droit d’être élu représentant du personnel était un droit politique. La Cour de cassation a finalement répondu par la négative. Entretemps, les lois votées sous le septennat du Président Valéry Giscard d’Estaing et les « lois Auroux » avaient cependant donné les mêmes droits aux salariés étrangers et aux salariés français.

Sur le plan juridique, il n’existe donc pas de différence en fonction de l’origine des migrants. En matière sociale, il est cependant possible que des accords bilatéraux ou multilatéraux – par exemple sous l’égide de l’Organisation internationale du travail (OIT) – confèrent des droits plus importants aux personnes issues de pays partenaires. Mais le droit français proprement dit n’opère pas de distinction.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie une nouvelle fois de votre présence et de la clarté de vos exposés.

Audition, sur le thème de l’histoire des immigrés originaires d’États tiers à l’Union européenne, de M. Ahmed Boubeker, professeur de sociologie à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, de Mme Laure Pitti, maître de conférences à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, de M. Piero Galloro, maître de conférences à l’Université Paul Verlaine de Metz, et de M. Jean-Philippe Dedieu, historien et sociologue, à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

(extrait du procès-verbal de la séance du 18 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous poursuivons nos travaux par une audition d’historiens spécialistes des différentes migrations afin d’examiner les contextes et les conditions d’accueil puis d’établissement en France des populations qui constituent les immigrés aujourd’hui âgés. Nous recevons M. Ahmed Boubeker, professeur de sociologie à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Mme Laure Pitti, maître de conférences à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, M. Piero Galloro, maître de conférences à l’Université Paul Verlaine de Metz, chercheur à la Maison des sciences de l’homme de Lorraine, et M. Jean-Philippe Dedieu, historien et sociologue à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS) de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Monsieur Ahmed Boubeker, vous avez étudié l’immigration algérienne dans la région lyonnaise ainsi qu’en Lorraine, et récemment dirigé une Histoire politique des immigrations (post-coloniales) qui analyse ces migrations sous leurs aspects sociaux, politiques et cultuels. Vous vous interrogez par ailleurs sur la façon de raconter la contribution à l’histoire de France des immigrés originaires des territoires anciennement sous souveraineté française.

Madame Laure Pitti, vous êtes historienne de l’immigration algérienne, en particulier sous le prisme du travail dans l’industrie, notamment à Renault Billancourt. Vous en avez également analysé les effets sanitaires en matière de santé au travail et d’accès aux soins des milieux populaires, notamment immigrés.

Monsieur Piero Galloro, vous avez d’abord étudié l’histoire des « ouvriers du fer » en Lorraine de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe ; il s’agissait donc d’immigrés principalement européens. Vous avez ensuite étudié l’histoire des mineurs marocains et algériens de Lorraine et du Nord. Vous avez notamment conduit de nombreux entretiens avec ces personnes immigrées aujourd’hui âgées.

Monsieur Jean-Philippe Dedieu, dans votre ouvrage La parole immigrée, les migrants africains dans l’espace public en France (1960-1995), vous examinez la façon dont les immigrés d’Afrique subsaharienne ont pu s’organiser, dans le cadre d’associations et d’amicales, sous une double contrainte provenant à la fois de leur pays d’origine et des politiques menées en France. Vous avez également contribué à l’histoire sociale des avocats et des comédiens africains, et étudié la situation des employé(e)s de maisons dont vous avez montré qu’elle a longtemps été tributaire de classifications héritées de la période coloniale.

Mme Laure Pitti, maître de conférences à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis. Je vous remercie pour cette invitation. Comme vous l’avez précisé, j’ai travaillé sur l’immigration algérienne. C’est sur celle-ci ainsi que sur l’immigration maghrébine que j’aimerais apporter une contribution, notamment à partir de ce que l’on a appelé les Trente Glorieuses et le recours massif à cette main-d’œuvre immigrée dans l’appareil productif français.

Après un premier point de contextualisation sur l’immigration algérienne, j’aborderai l’histoire de cette immigration sous le prisme du travail et les enjeux, notamment sanitaires, des conditions de travail auxquelles ces immigrés ont été exposés, et qui se posent particulièrement au moment de leur vieillissement. Je terminerai sur l’enjeu d’une reconnaissance de ces vies de travail en termes de droits sociaux, qui se pose aussi particulièrement pour les immigrés âgés.

Les immigrés algériens représentent l’un des premiers groupes d’étrangers en France à compter du début des années soixante-dix. Ils constituent aujourd’hui une part importante des immigrés âgés, notamment de ceux qui vivent en foyers. Ils ont une histoire singulière liée à l’empire colonial, mais aussi une caractéristique qu’ils partagent avec d’autres immigrations, qui ne viennent pas forcément des pays tiers : leur histoire est intrinsèquement liée au développement industriel de la France.

Cette immigration algérienne est également caractérisée par son histoire coloniale et une liberté de circulation, grâce à la nationalité française accordée à ceux que l’on appelait les « indigènes musulmans » jusqu’en 1945 puis les « Français musulmans d’Algérie ». Ceux-ci étaient dotés d’une nationalité amputée de l’exercice plein et entier des droits politiques et sociaux, mais avaient néanmoins la liberté d’aller et venir et d’entrer sur le territoire que l’on appelle jusqu’en 1962 le territoire métropolitain, puis français. En 1945, aucun contrôle de l’Office national d’immigration n’a donc été mis en place pour cette population. Cela peut expliquer le recours particulièrement important, dans une phase de développement de l’appareil productif, à la main-d’œuvre algérienne qui se présente spontanément aux portes des usines et des chantiers.

Il est intéressant de constater que l’immigration algérienne est celle qui a augmenté le plus fortement à partir de 1945 jusqu’en 1962, voire jusqu’au début des années soixante-dix. Et comme le montre l’édition du « Portrait social » de la France dressé en 2011 par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), depuis 1982, le nombre d’immigrés nés en Algérie a augmenté encore de près de 20 % pour atteindre 710 000 personnes en 2008. En outre, la continuité de l’immigration algérienne se reflète dans l’ancienneté de la présence en France de ces immigrés. En effet, en 2008, un quart des immigrés venus d’Algérie est arrivé depuis quarante ans et plus. La chronologie de ces mouvements croise donc le développement industriel français.

Pour ces migrants-là, l’enjeu du vieillissement se pose tout particulièrement, dans la mesure où leur présence a été marquée par des carrières dans l’industrie, entamées pour beaucoup durant les années soixante, et dès les années cinquante pour certains.

Deux secteurs sont principalement concernés : d’une part le bâtiment et les travaux publics (BTP), et de l’autre les industries de transformation – au premier rang desquelles l’automobile – principalement avec l’immigration algérienne à partir des années cinquante et soixante et, dans une moindre mesure, l’immigration marocaine – plus fortement employée dans l’agriculture.

Ces travailleurs sont sur-représentés dans les postes les moins qualifiés : manœuvres dans le BTP, comme l’a montré l’enquête menée par le sociologue M. Nicolas Jounin, ou OS dans l’automobile, comme j’ai pu le montrer à partir de mon travail sur les carrières de 1 000 ouvriers algériens employés à Renault durant les Trente Glorieuses. En revanche, les nationaux, bénéficiant des mécanismes traditionnels de la promotion ouvrière, peuvent accéder à des emplois d’ouvriers qualifiés ou d’encadrement.

Ainsi, au recensement de 1975, 13,6 % de la population active en France travaille dans le secteur du BTP ; la proportion est de 32,5 % pour les étrangers, toutes nationalités confondues, et encore plus forte pour les Algériens – et les Portugais. En leur sein, on trouve une forte proportion de manœuvres et d’OS : plus de 50 % parmi les employés du BTP étrangers, alors que cette proportion n’est que de 23 % pour la population active dans son ensemble. Vous avez là un tableau de ce que l’on appelle classiquement une « segmentation du marché du travail », qui se double d’une segmentation des postes de travail dans l’industrie, sur une base ethnique. Les récents développements judiciaires en matière de discrimination le montrent.

Dans l’agriculture, secteur qui emploie plus particulièrement les Marocains, on assiste à un recours massif à des saisonniers, sous contrat dits « OMI ». Ces saisonniers, même s’ils sont généralement embauchés en contrats à durée déterminée (CDD)
– généralement de six mois, régulièrement portés à huit mois par l’administration – travaillent plusieurs années, voire des dizaines d’années consécutives dans les mêmes exploitations agricoles ainsi que l’ont montré les travaux du sociologue M. Frédéric Decosse.

En phase de crise, les immigrés ont plus fortement été exposés au chômage auquel s’est ajoutée la précarisation de leur séjour liée aux évolutions de la réglementation des titres de résidence. Mais ils ont plus gravement été soumis aux effets sanitaires du travail industriel. De nombreuses recherches sont aujourd’hui menées, croisant histoire de la santé au travail et immigration – comme celles de M. Paul-André Rosental, sur la silicose, et les miennes, sur le saturnisme industriel.

Le Haut Conseil à l’intégration, dans son rapport de mars 2005 sur la condition sociale des travailleurs immigrés, a souligné que les vieux travailleurs maghrébins souffrent dès cinquante-cinq ans de pathologies observées chez les Français de vingt ans plus âgés, et liées précisément aux conditions de travail pénibles sur les chantiers, sur les chaînes de montage, à l’exposition aux produits toxiques tels l’amiante ou les pesticides dans l’agriculture, le plomb dans les industries métallurgiques, ainsi qu’au logement précaire, pour certains indigne et insalubre, aux carences alimentaires et aux affections respiratoires
– lesquelles peuvent être liées à l’ensemble de ces conditions.

On repère historiquement ces effets sanitaires du travail industriel dans les mobilisations de travailleurs immigrés qui, dès les années soixante-dix, se sont développées sur les enjeux sanitaires de la stagnation professionnelle aux postes les moins qualifiés : dans la métallurgie, c’est particulièrement le cas chez Renault, chez Peñarroya devenu Metaleurop en 1988, l’un des principaux producteurs de plomb, ou dans les mines du Nord. On voit se multiplier des grèves, avec des mots d’ordre qui réclament des mesures de prévention, et donc une amélioration des conditions de travail, et refusent de se contenter de la seule réparation au titre de la législation en matière de maladies professionnelles. Ces ouvriers sont d’autant plus concernés par la prévention qu’ils stagnent sur des postes auxquels d’autres échappent par les effets de la promotion ouvrière. On ne peut pas percer le plafond de verre, alors on se mobilise contre les conditions de travail et qui, encore une fois, montrent l’importance de lier histoire de l’immigration et histoire du travail.

Aujourd’hui, on connaît mieux les inégalités sociales face à la santé. Ces inégalités sont particulièrement importantes au sein de cette population, notamment vieillissante, employée massivement dans des secteurs d’emploi marqués par la pénibilité du travail, sans possibilité d’y échapper par les mécanismes traditionnels d’une promotion ouvrière qui dans les faits leur est interdite. Ces travailleurs devenus âgés sont aujourd’hui davantage victimes des méfaits du travail.

Différentes enquêtes montrent que la reconnaissance d’une pathologie en maladie professionnelle constitue un véritable parcours du combattant en raison, notamment, du caractère différé de nombreuses maladies professionnelles – pathologies liées à l’amiante, cancers d’origine professionnelle sur lesquels le Groupe d’intervention scientifique sur les cancers d’origine professionnelle, le GISCOP 93, en Seine-Saint-Denis, fondé par Mme Annie Thébaud-Mony et aujourd’hui dirigé par Mme Émilie Counil, a particulièrement travaillé. Classiquement, il faut avoir ce que l’on appelle dans notre langage de socio-historiens des « ressources symboliques » pour faire valoir les droits à la reconnaissance. Or, cet accès au droit à la reconnaissance en maladie professionnelle et à la protection qui lui est liée est un enjeu majeur pour cette population.

Cela m’amène à mon dernier point : l’enjeu de la reconnaissance de ces vies de travail en termes de droits sociaux. Certes, depuis 1998, il n’y a plus de condition de nationalité à l’obtention de droits sociaux pour les prestations non contributives. Pour autant, divers travaux comme ceux d’Antoine Math, chercheur à l’Institut de recherche économique et sociale (IRES), et diverses mobilisations collectives comme celle menée par le collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s » à Toulouse, font apparaître que l’accès aux droits sociaux est, pour ces populations, compliqué par les pratiques restrictives de certaines administrations – la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) en a fait état en 2009, à propos d’une administration de sécurité sociale dans un département de la banlieue parisienne.

Les multiples plaintes pour discrimination raciale prouvent, à rebours, une inégalité d’accès aux droits. Je pourrais en donner plusieurs exemples. Je retiendrai, dans l’agriculture, l’affaire de M. Aït Baloua, un ouvrier saisonnier ayant passé vingt-deux ans dans la même exploitation en contrat à durée déterminée – six mois systématiquement prolongés à huit mois par l’administration. Celui-ci avait gardé l’ensemble des preuves de son travail sur un calepin et sur les enveloppes dans lesquelles il recevait son salaire. On a estimé qu’il avait effectué 6 300 heures supplémentaires non payées, équivalant à plus de trois années de travail gratuit ! Les prud’hommes, puis le tribunal administratif de Marseille, statuant sur les enjeux de résidence, ont reconnu la situation de M. Aït Baloua. Il est aujourd’hui résident régulier avec un titre « vie privée et familiale » en France.

M. le président Denis Jacquat. Notre mission ne se contente pas d’aller en zone industrielle – comme Lyon ou Metz –, elle s’est rendue en zone rurale – par exemple dans le Gard. Nous y avons entendu parler de situations analogues à celle que vous venez d’évoquer.

M. Ahmed Boubeker, professeur de sociologie à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je suis d’autant plus honoré de prendre la parole qu’ayant suivi les auditions de la mission, j’ai trouvé que les interventions étaient, pour la plupart, d’une grande rigueur intellectuelle. J’en suis d’autant plus agréablement surpris que notre solitude de chercheurs travaillant sur les situations migratoires recoupe un peu celle de notre objet : l’isolement de ces vieux migrants, dont les différents experts auditionnés ont dressé un tableau à la fois très objectif et très alarmant sur le plan sanitaire, social mais aussi et surtout juridique.

Je ne pense pas que la recherche fondamentale soit en retard sur l’expertise. Je crois plutôt que c’est son développement, ses moyens, notamment de communication, qui sont en cause. À ce propos, les situations migratoires ont toujours été emblématiques d’une certaine carence des politiques de recherche. En effet, nous n’avons pas, en ce domaine, de longue tradition. C’est d’ailleurs étonnant, dans la mesure où, dans notre pays, le phénomène migratoire traverse le XXe siècle. Il a fallu attendre la fin des années soixante-dix pour assister à l’émergence timide d’un champ scientifique sur ces questions.

Au début, les différentes sciences humaines ont investi ce champ d’études de manière dispersée, alors même que la connaissance de l’immigration oblige à croiser les regards et à avoir des approches pluridisciplinaires. C’est tout le mérite de chercheurs
– notamment le sociologue Abdelmalek Sayad – d’avoir mis en perspective la complexité de ces objets qui nécessitent de penser la globalité des rapports, notamment entre sociétés d’immigration et sociétés d’émigration.

Aujourd’hui, c’est un domaine d’études dont le statut reste incertain. Nous n’en sommes plus au temps où Abdelmalek Sayad parlait d’un « objet ignoble » victime de ce que Bourdieu appelait le « chauvinisme français de l’universel ». Des progrès réels ont été accomplis grâce à de nouvelles perspectives ouvertes par M. Gérard Noiriel, puis par de nouvelles générations de chercheurs qui ont osé affronter les tabous de la mémoire collective – en particulier les questions coloniale et postcoloniale.

Mais pour en venir aux vieux immigrés algériens sur lesquels j’ai travaillé, je dirai que les politiques migratoires n’avaient pas prévu ce cas de figure du vieillissement. La surprise est à la hauteur de celle éprouvée au début des années quatre-vingt, au moment de l’émergence publique des jeunes de la seconde génération. D’une certaine manière, c’est la lutte pour la reconnaissance de ces héritiers de l’immigration qui a permis de redécouvrir la génération des anciens, dont les conditions de vie restent tout aussi honteuses qu’au temps des années de croissance.

La société française a trop longtemps cru à l’image de la noria, image rassurante d’une éternelle migration temporaire du travail, simple exportation de main-d’œuvre sans coût humain. C’est ainsi que l’on a enfermé ces immigrés dans une situation d’exception, de surnuméraires de la classe ouvrière.

L’histoire de ces hommes invisibles n’a jamais été intégrée au patrimoine national. Mais il est vrai que ces immigrés-là n’étaient pas prévus au programme officiel. Ils sont arrivés en raison de circonstances exceptionnelles, liées notamment aux guerres mondiales et aux nécessités économiques des années de croissance. Ces gens-là ne devaient pas rester en France et ils se sont adaptés à cette condition de force de travail immigrée et temporaire. Ils sont souvent restés coincés dans un transit qui leur a permis de résister, malgré des vies contaminées par le sale boulot jusqu’à la cassure de la sinistrose. Les rares psychiatres qui se sont penchés sur ce « corps souffrant » du travailleur migrant – je pense aux premiers travaux de Tahar Ben Jelloun à l’époque où il était psychiatre, à ceux de Jalil Bennani, et notamment à son ouvrage de 1980 sur Le corps suspect. Ces travaux soulignent que même l’institution médicale a eu du mal à comprendre ces pathologies, et que le déni de la souffrance se traduit aussi par une perte progressive de droits et une forme de « désinsertion » sociale.

Cela dit, il me semble que quand on parle du vieil immigré, du chibani, on en reste trop souvent à une figure de victime et à des clichés misérabilistes. C’est sans doute ce mouvement cantonnant ces vieux immigrés dans un rôle de victimes qui nous empêche de les regarder comme des sujets. En effet, ils ont aussi une mémoire, une mémoire de lutte, et je voudrais insister là-dessus pour dépasser certains clichés publics : malgré l’expérience et l’épreuve de l’invisibilité sociale, ces immigrés ont été et voudraient demeurer acteurs de leur propre vie et de leur propre histoire. On oublie, par exemple, le rôle essentiel qu’ont joué les immigrés de première génération dans le mouvement nationaliste algérien. Nous sommes quelques trop rares chercheurs à avoir travaillé sur l’histoire politique des immigrations postcoloniales. Les immigrés ont été présents dans le mouvement ouvrier et dans d’autres luttes sociales qui ont marqué le XXe siècle.

Même s’ils sont des oubliés de l’histoire, ces vieux immigrés sont des hommes fiers. Ils ne sont pas réductibles à des hommes machines ou des bras ramasseurs de poubelles. Il faudrait donc les tenir aussi pour les protagonistes de la même histoire que nous racontons sur nous-mêmes. Je cite à ce propos le philosophe Paul Ricœur : « L’intolérance à leur égard est plus qu’une injustice, c’est une méconnaissance de nous-mêmes en tant que personnages collectifs dans le récit qui instaure notre identité narrative. »

Donc, au-delà de la dette à l’égard de ces personnes qui ont aidé à la construction de la France, je crois que la question des chibanis est un enjeu de mémoire et d’histoire, un enjeu de reconnaissance essentiel, non seulement pour les héritiers de l’immigration mais, plus largement, pour l’ensemble de la société française. Il me semble en effet qu’il est grand temps que notre société reconnaisse sereinement son identité plurielle et qu’elle assume, notamment, son histoire coloniale et son héritage.

M. le président Denis Jacquat. Merci beaucoup pour cet exposé. J’espère que c’est le début de la fin de la solitude des chercheurs !

M. Piero Galloro, maître de conférences à l’Université Paul Verlaine de Metz. Monsieur le président, mesdames et messieurs, la plupart des études qui ont été menées sur l’histoire et la mémoire de l’immigration sont accessibles, et je suppose que vous en connaissez certaines : des travaux sur l’histoire et la mémoire des immigrations en région ont été pilotés par M. Gérard Noiriel, en 2007, dans toutes les régions françaises – Ahmed Boubeker et moi-même avons travaillé sur la Lorraine. D’autres sont venus les compléter. Nous vous en offrons deux : L’immigration en héritage et Mineurs algériens et marocains, que j’ai dirigés avec deux étudiantes.

On pourrait supposer qu’à partir du moment où de nombreux travaux ont été réalisés dans toute la France, voire hors métropole, nous croulons sous les connaissances. Or ce n’est pas le cas. Par exemple, le travail que nous avons mené sur l’histoire et la mémoire de l’immigration en Lorraine ne nous a permis que d’effleurer la question. Nous avons d’ailleurs rédigé un autre ouvrage sur la Lorraine, qui sortira cette année, et qui est intitulé : Les non-lieux de la mémoire de l’immigration. C’est d’autant plus surprenant que la Lorraine, région frontalière, a été l’une des plus grosses régions industrielles de France, et terre d’immigration de 1830 aux années 1970. Les migrants sont arrivés de partout : des pays limitrophes
– Luxembourg, Belgique puis Allemagne – au Chili, en passant par les anciennes colonies françaises, dont celles d’Afrique subsaharienne. Pourtant, on ne connaît rien ou pratiquement rien des populations qui ont fait la richesse de la région. Il faut dire que le premier ouvrage réalisé sur l’histoire et la mémoire des immigrations coloniales – notamment en Lorraine – date de 2010.

Dans ces conditions, parler des migrations, quelles qu’elles soient, et surtout des migrations extra-européennes, revient à replacer ces populations dans une mémoire collective, à la fois locale, régionale, mais aussi nationale. Toujours en Lorraine, dans le bassin houiller, du côté de Forbach, dans certaines localités, pratiquement deux personnes sur trois sont originaires des pays tiers. C’est le cas de Behren-lès-Forbach, mais je pourrais multiplier les exemples.

L’ouvrage sur les mineurs algériens et marocains que je vous ai offert a pour origine une étude préalable sur les discriminations. Celle-ci dressait un diagnostic territorial de lutte contre les discriminations et incitait à reconnaître les personnes qui se trouvent aujourd’hui dans des foyers – en Lorraine les foyers AMLI (Association pour le mieux-être et le logement des isolés) – comme ayant contribué à la richesse de la région et de la population : aujourd’hui, avec un nom comme Piero Galloro ou Ahmed Boubeker, on peut se targuer d’être un bon Lorrain !

Cette prise de conscience est nécessaire. En multipliant les recherches, les travaux, les angles d’attaque, à la fois en sociologie et en histoire (certains d’entre nous et moi-même et d’autres ici avons la double compétence de sociologues et d’historiens), nous devons corriger la vision que l’on a de ces populations, parfois tronquée par rapport à toute une série de phénomènes à la fois psychologiques, historiques ou coloniaux, et montrer que ces immigrés ne sont pas dans une « double absence » comme disait Abdelmalek Sayad, mais peut-être dans une double présence.

De fait, nous menons actuellement une étude sur les mémoires franco-marocaines des Marocains arrivés en Moselle depuis les années cinquante et surtout dans les années soixante-dix, pour travailler dans les Houillères du Bassin de Lorraine, et qui font la navette entre le bled, où ils ont de la famille, et notre région, où ils sont « coincés » : s’ils quittent le territoire au-delà d’un certain nombre de mois, ils seront pénalisés par rapport à leurs droits. Nous étudions ces populations sur quatre régions : la région Lorraine, celle de Nice, celle d’Ouarzazate et celle de Fès-Boulemane. Nous nous sommes ainsi rendu compte que ces gens-là sont vraiment présents : à la fois parce qu’ils ont travaillé et apporté leur richesse, mais aussi parce qu’ils ont, à un moment donné, créé des foyers locaux, ici en Lorraine, ou parfois des foyers binationaux ou même transnationaux du côté marocain et du côté français.

Ce diagnostic territorial et ces études nous ont fait prendre conscience qu’il y avait toute une histoire à réhabiliter, repenser, retravailler ou simplement travailler.

Je tiens à insister sur le fait que la reconnaissance de ces populations participera à leur « désinvisibilisation ». Je ne vais pas vous citer tous les auteurs, comme Axel Honneth ou Guillaume Le Blanc, qui ont travaillé sur cette question ou sur la reconnaissance sociale. Reste que la reconnaissance suppose une connaissance, et que pour apprécier et agir, il faut avoir les moyens de la réflexion et des moyens d’action. Les universitaires que nous sommes pourront contribuer à la connaissance de ces populations, laquelle contribuera à leur reconnaissance.

Je vais vous en donner un exemple. Le coffret que je vous ai apporté comprend un ouvrage scientifique, que l’on trouve dans le commerce, et un deuxième ouvrage, dû à Jean-Paul Wenzel, homme de théâtre qui a déjà écrit sur la Lorraine – notamment Fer bleu et Loin d’Hagondange. Cet ouvrage, intitulé Tout un homme, est le fruit d’un travail collectif réunissant les chercheurs et l’artiste. À partir des dizaines d’entretiens que nous avons faits en Lorraine, en Algérie et au Maroc, Jean-Paul Wenzel a décrit deux parcours d’immigrés – un Algérien et un Marocain. Une fois que cet ouvrage a été écrit, il en a fait une pièce de théâtre intitulée, de la même façon, Tout un homme, qui tourne actuellement dans toute la France.

Les immigrés algériens et marocains et leurs enfants, qui ne connaissaient pas l’histoire de leurs parents, sont allés voir la pièce qui a été jouée dans le bassin houiller. On a assisté alors à un rapprochement transgénérationnel. Le discours « racialisant » qui existait s’est atténué. Les enfants des écoles, des lycées et des collèges ont récupéré la pièce pour en faire un spectacle de rap qui s’appelle Tout un spectacle.

Il y a donc eu une catharsis autour de la connaissance, qui a permis une reconnaissance de ces immigrés qui sont aujourd’hui dans des foyers AMLI. De nombreux étudiants de l’université qui ont participé à ces enquêtes viennent leur rendre visite. Ces immigrés sortent un peu de l’isolement parce qu’il y a cette forme de reconnaissance.

M. le président Denis Jacquat. Un élu lorrain, Roland Favaro, s’était beaucoup intéressé aux problèmes d’immigration.

M. Piero Galloro. C’est avec lui qu’en 1999 nous avons organisé le colloque intitulé Lorraine, terre d’accueil et de brassage des populations.

M. Jean-Philippe Dedieu, historien et sociologue, à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Vous m’avez invité à participer à cette audition organisée par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les immigrés âgés en me demandant, notamment, de revenir sur les contextes et sur les conditions d’accueil puis de vieillissement en France des immigrés en provenance des pays africains subsahariens.

Avant de répondre plus précisément à vos questions, je reviendrai quelques minutes sur l’histoire longue de ces courants migratoires. C’est en effet ce à quoi me semble indirectement inviter la mission sur les immigrés âgés : un âge, des âges, une génération, des générations, une cohorte et des cohortes pour parler comme les sociologues et les démographes ; une époque et des époques pour parler comme les historiens.

Je découperai donc ma présentation en plusieurs temps : l’époque moderne qui court de l’époque dite des Grandes découvertes jusqu’à la Révolution française ; l’époque de l’âge des empires du XIXe siècle jusqu’à la décolonisation ; enfin, l’époque qui suit les indépendances.

Sans remonter trop dans le temps et céder ainsi à un « démon des origines » qui semble tarauder une France décidément bien hostile, les migrations africaines doivent être replacées, d’une part, dans le contexte de la période précoloniale durant laquelle existait déjà une forte mobilité et, d’autre part et pour notre propos, dans le contexte de la rencontre entre l’Europe et l’Afrique et de la constitution de ce que les historiens africanises appelleront, à partir des années soixante, la diaspora africaine.

Les recherches conduites par les historiens ont bien sûr amplement documenté l’ampleur tragique de la traite dite « triangulaire ». Ils ont aussi et plus récemment mis en valeur la circulation de personnes noires ou de couleur en France du XVIe au XVIIIe siècle, que leur circulation s’inscrive dans le prolongement des échanges commerciaux mais aussi diplomatiques entre l’Europe et les royaumes africains, ou que ces personnes noires ou de couleur aient été amenées par des entrepreneurs de la traite dans la capitale ou les ports français.

Pour ce qui est de l’âge de l’expansion de l’empire français à compter du XIXe siècle, les recherches conduites ont bien montré l’influence exercée par l’entreprise impériale et la « situation coloniale » selon les travaux fondateurs de Georges Balandier sur les populations locales.

Deux types de migrations peuvent être définis : les migrations intracontinentales et les migrations intercontinentales.

En termes de circulations intracontinentales, qui préfigurent les migrations intercontinentales du XXe siècle, on peut constater, notamment d’après les travaux de François Manchuelle, que certaines populations notamment ouest-africaines ont su tirer avantage des opportunités de travail offertes par la colonisation française.

Elles sont employées en qualité de travailleurs saisonniers dans les bassins arachidiers, ou de marins autochtones pour la défense des convois fluviaux des commerçants français de Saint-Louis, au Sénégal. Ces migrations internes vont également prendre de l’ampleur avec le développement des centres urbains de l’Afrique et l’ouverture de grands chantiers développés par l’administration.

En termes de circulations intercontinentales, différents facteurs sociaux et géopolitiques vont inscrire, dans le temps et l’espace européen, les migrations africaines.

Quatre catégories peuvent être distinguées : les migrations des soldats durant les deux grands conflits mondiaux ; les migrations du personnel africain embauché dans la marine marchande ; les migrations de domestiques qui accompagnent les colons lors de leur déplacement en métropole ; les migrations des étudiants en dépit du malthusianisme éducatif de l’administration coloniale française et en raison de l’inculcation de la langue française qui, bien sûr, demeure et se prolonge jusqu’à nous en partage.

Au milieu des années vingt, la population africaine subsaharienne présente en métropole est numériquement très restreinte – 2 000 personnes. Elle est constituée de quelques étudiants, de domestiques, de navigateurs et de commerçants, employés et ouvriers.

Quelles sont les raisons de ce nombre limité ?

La main-d’œuvre africaine employée dans l’Hexagone jusqu’aux années quarante et cinquante fut, durant l’époque coloniale, l’objet d’une étroite surveillance de la part de l’administration afin de prévenir son installation définitive sur le sol métropolitain. Ce contrôle s’inscrivait dans une volonté étatique de préserver l’homogénéité ethnique de la population hexagonale. Comment ? D’une part, en refoulant du territoire métropolitain les sujets de son empire, sans égard aucun pour leur participation aux combats de tranchées ou à l’effort industriel de guerre. D’autre part, en stimulant le recrutement d’une main-d’œuvre d’origine européenne.

Mais la population africaine en France, qui ne comptait que moins de 2 500 personnes au milieu des années cinquante, s’éleva rapidement, à environ 20 000, après la décolonisation, au début des années soixante. Dans cette décennie des Trente Glorieuses, ces personnes sont principalement employées dans les entreprises automobiles ou métallurgiques, mais aussi textiles ou chimiques. Il faut avoir tout de même à l’esprit que cette population compte également des représentants de professions plus qualifiées : des avocats, des intellectuels, des artistes, des comédiens dont les contributions enrichissent la culture française entendue au sens large.

Cette forte progression ne résulte nullement d’une politique publique de main-d’œuvre. La lecture des archives laisse à penser que ces courants migratoires en provenance du continent africain n’ont en effet jamais été véritablement institutionnalisés. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale puis de la décolonisation, de prétendues différences culturelles sont mises en avant par le patronat et le gouvernement français pour légitimer « l’inemployabilité » des travailleurs africains au nom d’une idéologie qui avait pourtant été officiellement abandonnée.

La forte progression de l’immigration africaine résulte en revanche de la libéralité du régime juridique accordé aux migrants africains après les indépendances. En effet, l’État français accorde la clause d’assimilation au national aux migrants ressortissant de ses anciennes colonies. Il espère ainsi bénéficier en retour, pour ses coopérants et expatriés en Afrique, de conditions de réciprocité, maintenir sa présence et défendre ses intérêts économiques et géostratégiques sur le continent. L’État français accorde donc la liberté de circulation, d’établissement et d’association aux migrants issus des pays africains anciennement sous administration française.

À partir des années 1970, un double basculement va se produire : un basculement juridique et un basculement économique, dont nous ne sommes jamais sortis.

Basculement juridique : à partir des années 1970 prend fin la période strictement postcoloniale. Elle correspond à la prise en main par le ministère de l’intérieur du traitement et de la gestion des flux migratoires en provenance d’Afrique, qui était auparavant dévolu au ministère des affaires étrangères. Le droit des ressortissants africains nés dans les pays anciennement sous administration française va progressivement s’aligner sur le droit commun des étrangers. Cet alignement consacre d’une certaine manière la « décolonisation de l’immigration » selon l’expression de Gérard Noiriel et la transformation des membres ou représentants des migrations postcoloniales en étrangers absolus.

La suspension de la main-d’œuvre en 1974 provoque une stabilisation de cette population mais également une féminisation par le biais des regroupements familiaux. Les femmes représentent aujourd’hui entre 20 % et 40 % de la population active immigrée africaine.

Basculement économique : le processus de désindustrialisation qui avait été entamé dès les années soixante-dix ne prend sa véritable ampleur qu’à compter des années quatre-vingt. La reconversion et l’abandon de bassins industriels entiers entrainent une déstructuration profonde de la classe ouvrière, à commencer par les travailleurs immigrés. Le taux de chômage s’élevant au début des années 1980 à 22 % pour les demandeurs d’emploi de nationalité française et de 35 % pour ceux de nationalité étrangère, dont 63 % pour les Africains subsahariens.

La différenciation continûment opérée entre « travailleurs français » et « travailleurs étrangers », « travailleurs communautaires » et « travailleurs extracommunautaires », est reprise pour organiser les licenciements, notamment dans les grandes entreprises publiques ou privées. À partir des statistiques conservées dans les archives, on peut tracer un bref portrait des travailleurs africains, de ceux qui sont aujourd’hui âgés, et de ceux qui sont l’objet de votre mission.

Chez Talbot, les travailleurs sénégalais représentent 11 % des 2 000 licenciements prononcés au milieu des années 1980. 90 % de la population sénégalaise a moins de quarante-cinq ans. 85 % est mariée. 55 % a au moins trois enfants. Chez Renault, les travailleurs maliens représentent 11 % des salariés étrangers employés dans l’entreprise en 1987. 70 % ont moins de quarante-cinq ans.

Ces données mettent en exergue combien la fin des « forteresses ouvrières » a vulnérabilisé une population africaine dans la pleine force de l’âge. Ils sont devenus des « valides invalidés par la conjoncture » pour reprendre la formule de Robert Castel.

En raison de leur installation récente sur le territoire français, les cohortes de l’immigration subsaharienne ont, en valeur relative, subi plus qu’aucun autre courant migratoire la crise économique qui a frappé les pays industrialisés. Cette population n’a cessé d’être une variable d’ajustement particulièrement affectée par une crise ou des crises dont il semble que nous ne soyons jamais sortis ou sortis que par intermittences.

En évoquant les migrants âgés, il est difficile de ne pas penser à ce qu’ils furent et à ce que furent leurs destins sociaux quand ils étaient dans « la force de l’âge ». Il est difficile aussi de ne pas penser à ce que sont aujourd’hui leurs enfants ou leurs petits-enfants, ceux qui sont dans « l’âge le plus tendre », avant qu’ils ne deviennent plus âgés.

M. le président Denis Jacquat. Je tiens à signaler que cette mission est la première que l’Assemblée nationale a organisée sur ce thème. Pour autant, en 1992, j’avais été chargé par le parti politique auquel j’appartenais, l’UDF, d’assister à des réunions organisées à Paris sur le logement des personnes immigrées. On avait en effet pris conscience, au niveau national, que les personnes qui étaient venues travailler dans notre pays vingt ans, trente ou quarante ans auparavant, dans l’idée de rentrer au pays, étaient finalement restées et que leurs conditions d’hébergement n’étaient plus adaptées. Les foyers, avec leurs petites chambres et leurs espaces collectifs, leur convenaient dans le sens où elles voulaient envoyer le maximum d’argent dans leur pays. Mais à partir du moment où elles avaient décidé de vivre ici, ce type d’hébergement n’était plus compatible ni décent. On s’était par ailleurs rendu compte qu’avec l’âge, ces personnes rencontraient des problèmes de santé et perdaient en autonomie. Ainsi une première réflexion avait-elle été engagée. Mais elle l’avait été en dehors de l’Assemblée.

Les travaux de la mission vont donc aboutir au premier rapport officiel de l’Assemblée nationale sur les personnes immigrées âgées.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. L’un d’entre vous a souligné la rigueur intellectuelle des travaux menés au sein de la mission. Mais il convient de saluer tout particulièrement la rigueur des intervenants, dont la vôtre. Par la qualité de vos exposés, vous avez éclairé nos travaux. Je reviendrai sur plusieurs points.

En premier lieu, je voudrais savoir comment a été perçue l’immigration des pays tiers, depuis les années soixante, tant par les élus, les administrations que par l’opinion publique en général. En quels termes cette question a-t-elle émergé dans les discours publics ? Vous l’avez dit, très peu de recherches ont été menées sur ce thème. Pourtant, dès les années soixante-dix, un certain type de discours s’était développé autour des questions migratoires, alors même que l’on méconnaissait totalement la réalité de cette immigration.

En deuxième lieu, comment les employeurs et les pouvoirs publics ont-ils organisé l’immigration de main-d’œuvre ? C’est un aspect assez méconnu. Or il semble que les acteurs économiques aient largement et efficacement contribué à la venue de ces migrants, par exemple en mettant en place des filières et des bureaux de recrutement.

En troisième lieu, Mme Pitti a parlé du cantonnement de ces immigrés aux échelons les plus bas de l’entreprise. Auriez-vous, dans vos études, quelques cas de migrants ayant bénéficié de promotions professionnelles ? Comme vous l’avez fait remarquer, il ne faut pas présenter exclusivement les travailleurs migrants comme des victimes passives, ni parler que de ce qui n’a pas fonctionné.

En quatrième lieu, quelles étaient les durées habituelles d’emploi dans l’industrie ? Il semble que les travaux de chercheurs remettent en cause l’idée d’une « noria » nord-africaine ou subsaharienne, faite de brefs séjours en France et d’allers et retours permanents.

Enfin, vous avez, à différents titres, la charge d’écrire cette histoire de l’immigration. Comment éviter les clichés et une certaine « folklorisation » en raison du manque de travaux anciens ? Avez-vous identifié des risques d’assignation identitaire ? Comment liez-vous l’histoire des populations immigrées à l’histoire nationale, au-delà des polémiques politiques qui entourent malheureusement ces questions ? En d’autres termes, comment réintégrer ces populations dans le récit national, qui semble actuellement en panne ? Il me semble que celui-ci repartirait sur de bonnes bases si la France s’acceptait telle qu’elle est, si elle reconnaissait enfin l’apport de ces populations. Notre identité multiculturelle représente une opportunité nouvelle de développement, et non une menace comme cela ressort malheureusement trop souvent du discours public.

M. Jean-Philippe Dedieu. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué une rupture dans le discours public, à partir des années soixante-dix…

M. le rapporteur. J’ai dit qu’il me semblait que la thématique de l’immigration était apparue dans le débat public à partir des années soixante-dix.

M. le président Denis Jacquat. L’approche de l’immigration a totalement changé dans notre pays, à partir de 1974 et avec tous les textes relatifs au regroupement familial.

M. Jean-Philippe Dedieu. Je vais plutôt céder la parole à mes collègues qui travaillent sur l’immigration algérienne ou marocaine, parce qu’il me semble que c’est à travers ce prisme comparatif qu’il faut poser la question. En outre, d’après mes recherches, c’est certainement l’immigration algérienne qui, en raison de la guerre d’Algérie, a le plus souffert de cette représentation publique – ce qui ne signifie pas que la population subsaharienne n’ait pas été l’objet du même type de discours.

M. Ahmed Boubeker. Je vais commencer à répondre à cette question, en tant qu’« ancien Algérien » – du moins jusqu’à ma naturalisation.

En collaboration avec Alain Battegay, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), nous avons publié en 1993 un ouvrage intitulé Les images publiques de l’immigration. Nous y reprenons cette thématique de l’image de l’immigration algérienne et maghrébine en général, du point de vue des médias et, plus largement, de la société française et nous retraçons l’évolution de ce rapport à l’image.

Malgré tout ce qui avait été vécu après la guerre d’Algérie, l’immigration demeure invisible jusqu’aux années soixante-dix, période marquée, notamment, par les attentats et les crimes racistes de Marseille. C’est d’ailleurs l’État algérien qui, de manière unilatérale, arrête l’immigration algérienne avant même que la France ne mette fin à l’immigration. L’opinion publique commence alors à changer, et une vraie peur s’installe. Un fantasme revient, qui réactualise tous les schémas relatifs à la guerre d’Algérie ?

Pour ma part, je dirai que ce sont les années quatre-vingt qui ont véritablement changé la perspective avec la découverte de la génération issue de l’immigration – c’est la question des banlieues – et l’apparition des beurs sur la scène publique – nous allons fêter les trente ans de « la marche pour l’égalité ». À partir de cette période, la société française prendra conscience de sa dimension multiraciale et multiculturelle. J’en veux pour preuve un premier débat organisé par les pouvoirs publics sur la dimension multiculturelle de la société française. Avec l’émergence du Front national, l’immigration devient un enjeu politicien.

Par la suite, toutes les questions liées à l’islam marquent l’opinion publique. Mais c’est depuis les années quatre-vingt que s’est instauré un débat public, qui ne prend pas toujours les formes les plus apaisées au point qu’on a l’impression de ne pas s’en sortir. On reprend les mêmes clichés, les stéréotypes demeurent et, concrètement, la situation n’évolue pas très bien. D’ailleurs, depuis l’étranger, les gens ne comprennent pas ce qu’est ce dialogue franco-français sur l’immigration.

La mission examine la situation des vieux immigrés qui, finalement, n’a pas beaucoup avancé depuis les années de croissance. Quant à la situation des jeunes dans les quartiers, elle n’a pas beaucoup avancé non plus.

M. le président Denis Jacquat. Entre-temps, la politique de la ville a tout de même apporté énormément.

M. Ahmed Boubeker. C’est vrai.

En conclusion, il me semble que les enjeux ont été soulignés depuis les années quatre-vingt. La France doit pouvoir reconnaître son identité plurielle et multiculturelle. Une politique élargie et ouverte sur la culture historique peut lui permettre de s’accepter comme une société d’immigration, ce qu’elle est, même si elle ne l’a jamais reconnu. Elle doit s’assumer en tant que telle, pour mettre fin à toutes les formes de repli identitaire, qui ne sont pas seulement le fait des immigrés. C’est en valorisant ces apports multiples que l’on pourra sortir de l’impasse.

Mme Kheira Bouziane. Effectivement, les années soixante-dix, plus particulièrement l’année 1973, avec le choc pétrolier, ont remis en cause les relations entre la France et l’Algérie, sur le plan économique et en matière d’immigration. Je me souviens que jusqu’à cette date, il existait en Algérie des agences qui recrutaient pour la France. Puis les relations se sont un peu brouillées et les échanges économiques entre les deux pays ont été réorientés.

M. Piero Galloro. Mes collègues ont déjà abordé un certain nombre de questions mais, en tant que socio-historien, il me semble nécessaire de se replacer sur le long terme. Je le ferai à partir d’exemples, peut-être triviaux, mais qui ont le mérite de faire prendre conscience d’évènements resitués dans un temps long, dans le « processus » comme dirait Norbert Élias.

En Lorraine, il y a deux festivals : le festival du film italien de Villerupt et le festival du film arabe de Fameck. L’un a lieu en octobre et l’autre en décembre, à une vingtaine de kilomètres l’un de l’autre. S’agissant du premier, la presse locale a titré sur la Lorraine « ritale ». J’appartiens à une génération où, si l’on me traitait de rital dans la cour de récréation, une bagarre générale éclatait – ce n’était pas un compliment. Or, s’agissant du second, la presse ne se permettrait pas de titrer « Lorraine… ». Je précise que les Arabes de Lorraine sont plutôt des Algériens, arrivés depuis 1934, à cause de la loi de 1932, donc bien avant la guerre d’Algérie.

Cette différence d’attitude s’explique par une différence de perception. Les Italiens ont bénéficié d’un processus de légitimation, ce qui n’a pas été le cas d’autres populations, qui étaient des populations coloniales. Dans cette perception, le rapport colonial est donc indéniable.

S’agissant des Italiens, on ne peut pas se référer au basculement des années soixante-dix, à laquelle certains ont fait allusion. Rappelez-vous qu’on appelait les Italiens « les Crispi », du nom du ministre des affaires étrangères qui avait signé l’alliance avec l’Allemagne dans les années 1880. On les appelait aussi « les christos » parce qu’en 1905, au moment de la séparation de l’Église et de l’État en France, ils portaient des croix. On lit d’ailleurs dans les rapports des préfets de Lorraine de 1905 et de 1936 que deux populations ne pourront jamais s’intégrer : les Italiens et les Polonais, trop catholiques.

Les Italiens, sur le siècle, ont mis du temps pour se faire légitimer, mais ils l’ont été. Ce ne fut pas le cas des populations qui étaient dans un rapport colonial. Je crois qu’il faut l’avoir en tête, pour apprécier à quel moment il y a pu avoir un basculement. Dès les années 1880, quand on a fait venir massivement des Italiens, est apparue l’expression : « des étrangers qui viennent voler le pain des Français ».

Mme Laure Pitti. Pour aller dans le sens de Piero Galloro, Patrick Simon, sociologue à l’Institut national d’études démographiques (INED), a intitulé, de façon un peu provocatrice, une partie d’un texte qu’il a écrit sur cette question de la période postcoloniale : « Pourquoi les Algériens ne sont pas des Italiens comme les autres ». L’idée est que la singularité du traitement de cette main-d’œuvre est liée à son origine coloniale. C’est un des points qu’il me semble devoir être souligné.

Commençons par les durées d’emploi. Une historienne, Geneviève Massart-Guilbaud, qui a beaucoup travaillé sur les Algériens, dans l’entre-deux guerres, dans la région lyonnaise, a montré que pendant cette période, au moment du démarrage de l’immigration algérienne, ce que Abdelmalek Sayad appelait le « premier âge » d’une migration très liée à la communauté paysanne d’origine, la main-d’œuvre s’était progressivement stabilisée – même s’il y a toujours eu une rotation entre la métropole et l’Algérie.

J’ai constaté le même phénomène, en partant d’un échantillon de 993 ouvriers algériens employés chez Renault entre 1950 et 1962.

Il existe une nette opposition entre les trajectoires de l’entre-deux guerres, très marquées par des va-et-vient permanents, et celles des années cinquante, beaucoup plus longues. Elles sont relativement brèves au départ – un ou deux ans – mais, de manière générale, leur durée moyenne s’allonge. Au début des années soixante, les Algériens de Renault ont en moyenne entre cinq et dix ans d’ancienneté. Dans mon échantillon, il y en avait un qui, en 2002, au moment où j’ai soutenu ma thèse, était toujours en activité – après une carrière de quarante ans.

Les carrières s’allongent donc, progressivement, entre la génération des années cinquante et la génération qui arrive après l’indépendance, laquelle s’installe aussi plus durablement. Mais il est tout de même intéressant de noter que la génération des années cinquante n’est pas repartie au moment de l’indépendance, contrairement à ce que l’on a pu croire de part et d’autre de la Méditerranée.

Il y a en effet un fantasme du retour et une réalité du retour. Le fantasme du retour est d’ailleurs partagé, dans cette phase-là, entre les pouvoirs publics, qui pensent que ces immigrés ne sont que transitoires, et des immigrés qui pensent qu’ils ne resteront qu’un temps pour travailler et qu’ils repartiront. Sauf que, progressivement, soit parce qu’ils ont fait venir leur famille, soit parce qu’ils en ont fondé une en France (les couples mixtes existent dès les années cinquante), ils finissent par rester. Ils s’installent avec leurs enfants, repoussent l’idée de leur retour au moment de la retraite et, au moment de la retraite, l’abandonnent définitivement.

Cette question de la noria doit très clairement être laissée de côté. C’est tout l’apport d’un sociologue algérien comme Abdelmalek Sayad, qui a dit qu’il fallait réintroduire les trajectoires complètes, partir des mécanismes d’émigration pour étudier l’immigration et arrêter de penser ces situations comme transitoires.

Venons-en au rôle joué par les pouvoirs publics et le patronat, notamment en matière de comptabilité. La statistique publique est importante, dans la mesure où elle fonde un certain nombre de représentations et d’outils de gestion différenciée. Ainsi, à partir de 1947, le ministère du travail et de la sécurité sociale demande à toutes les entreprises de plus de 500 salariés de fournir des statistiques trimestrielles sur leurs employés français, leurs employés étrangers et leurs employés nord-africains.

Sur le plan de la nationalité, y compris de la citoyenneté à compter du statut de 1947, les Français musulmans d’Algérie sont français. Quand ils viennent en métropole, ils sont français de plein droit et peuvent voter aux élections de l’Assemblée nationale. Ainsi, en 1956, des Français musulmans d’Algérie présents en métropole votent pour les élections législatives comme tous les Français : c’est le moment du Front républicain et de l’appel à voter pour la paix en Algérie– qui va pourtant conduire à l’accentuation de l’envoi des troupes. En revanche, en Algérie, ils sont encore sous le système du double collège et ne votent pas dans le même collège que les Européens.

Existe donc à cette époque un accès différé à la citoyenneté entre le territoire colonial lui-même et le territoire métropolitain, tout comme existent des dispositifs de gestion segmentée, liés à cette comptabilité différenciée dans la statistique publique, reprise dans les entreprises.

Il ressort des travaux que j’ai pu faire au sujet de Renault et de ceux que Nicolas Hatzfeld a pu faire au sujet de Peugeot qu’il existait des statistiques différentes pour les Français, les étrangers et les Nord-Africains. Cela se traduit dans des dispositifs spécifiques. À Renault, sont mis en place des services d’embauche particuliers : outre trois assistantes sociales spécialisées pour les Nord-Africains, un spécialiste ès question nord-africaine qui est un ancien militaire. Il y a donc une reconversion des formes d’encadrement « musclées » de cette population, et toute une expérience coloniale à prendre en considération.

Les structures de recrutement sont différentes selon les entreprises. Citroën a des recruteurs, notamment au Maroc, que l’on voit, par exemple, témoigner dans le film de Yamina Benguigui, Mémoire d’immigrés.

Renault tarde à mettre en place un système de recrutement. Il faut dire que l’entreprise bénéficie, dans ces années-là, d’une réputation de laboratoire social : elle est la première à accorder la troisième puis la quatrième semaine de congés payés, reconnaît avant 1968 la section syndicale d’entreprise et conclut les premiers accords d’entreprise. De tous les entretiens que j’ai pu avoir avec des ouvriers algériens retraités, il ressort que Renault était considérée comme la consécration de la carrière ouvrière dans l’automobile, et qu’il fallait absolument fuir Citroën et Simca – réputée « usine de la peur ».

Vers le milieu des années cinquante, Renault met en place une antenne de recrutement à Alger. Cela témoigne de l’intérêt de l’entreprise pour une telle main-d’œuvre, qu’elle emploie d’ailleurs massivement. En 1954, un ouvrier de Renault sur dix est dit « nord-africain », et cette proportion s’accroîtra au fil des ans, si l’on excepte les aléas de la conjoncture économique des Trente Glorieuses, que l’on a souvent tort de considérer comme une période magnifique et linéaire. En effet, il y avait tout de même un peu de chômage et parfois des licenciements, dont étaient plus rapidement victimes les Algériens. Ce fut notamment le cas en 1960, en pleine guerre d’Algérie. C’était aussi un moyen d’évacuer des gens qui militaient, y compris dans les usines, en faveur de l’indépendance.

Pour Renault, enfin, le recours à la main-d’œuvre immigrée, en l’occurrence majoritairement algérienne, constituait un modèle de développement. C’est ainsi qu’en 1955 son secrétaire général Bernard Vernier-Pailliez – qui deviendra son PDG – déclare : « La main-d’œuvre immigrée coûte moins cher que l’automatisation. » On réduit donc les coûts pour accroître la productivité du travail en recrutant massivement des immigrés dans la mesure où l’automatisation serait plus coûteuse. Différents travaux ont ainsi montré qu’il y a, du moins chez Renault, un recours structurel à cette main-d’œuvre. Je terminerai sur votre question relative à la promotion ouvrière. Comme mes collègues, je pense qu’il ne faut pas avoir une vision misérabiliste de l’immigration. On oublie d’ailleurs trop souvent que les immigrés ont été les acteurs de luttes collectives, notamment sur des enjeux de santé. Pour autant, la situation qui leur a été faite sur le plan des carrières et de l’emploi est assez noire. C’est ainsi que sur les 993 ouvriers algériens dont j’ai étudié les carrières, trois seulement ont passé le cap des emplois d’OS : deux pour devenir ouvriers qualifiés et un troisième terminant dans l’encadrement au bout de dix ans. Cela signifie que l’assignation à des emplois d’OS est à relier à un modèle de développement industriel – le « travail en miettes » aurait dit Georges Friedman, avec passage à la production en très grandes séries – qui nécessite de recourir à une main-d’œuvre plus nombreuse, avec des cadences plus élevées. En conclusion, j’aurais bien aimé trouver un plus grand nombre de promotions parmi ces travailleurs immigrés. Mais ce ne fut pas le cas.

M. Jean-Philippe Dedieu. Je constate également, à la lecture des archives, qu’en tout cas à partir des années soixante, période à partir de laquelle les migrants africains ont été de plus en plus nombreux en France, la durée d’emploi s’allonge de manière constante et que les allers et retours ont tendance à s’espacer dans le temps – passant, entre le début et la fin de cette décennie, de deux ou trois ans à quatre ou cinq ans.

Par ailleurs, j’avais déjà évoqué le rôle des pouvoirs publics dans le recrutement. Mais je pense nécessaire de compléter mes propos. Il semble que les entreprises françaises n’aient pas cherché à recruter activement des travailleurs africains dans les pays d’origine, mais que le départ de certains travailleurs algériens en Algérie entre 1954 et 1962 ait indirectement favorisé le recrutement de travailleurs africains.

Par exemple, l’usine Berliet de Lyon forme des cadres et des ouvriers africains, mais elle le fait de façon extrêmement temporaire et il ressort des archives qu’elle ne souhaite en aucune manière – en faire venir d’autres, pour des raisons « culturelles ».

En revanche, si les pouvoirs publics et le patronat n’ont pas encouragé le recrutement, ils ont très bien organisé le licenciement. Ce fut le cas dans les années quatre-vingt, notamment dans les usines Renault. J’ai recueilli des témoignages assez dramatiques de cette gestion ethnique du licenciement. C’est l’époque de l’émergence et de la stabilisation du paradigme du codéveloppement – qui peut être multiforme, qui peut aller contre le développement – qui sera mis en avant tant par la gauche que par la droite.

Je voudrais maintenant signaler que lorsque nous décidons de mener des recherches sur les questions liées au travail, nous avons des difficultés à accéder aux archives des entreprises, qu’elles soient publiques ou privées. Il me semblerait indispensable de réfléchir à la façon d’obliger les entreprises à ouvrir leurs archives.

M. le président Denis Jacquat. Cela pourrait faire l’objet d’une préconisation dans le rapport.

M. Jean-Philippe Dedieu. Les entreprises ont également bien du mal à ouvrir leurs bureaux à des sociologues, des anthropologues, des ethnologues, pour répondre à des entretiens semi-directifs.

Je terminerai par la dernière question du rapporteur. Il y a certainement, dans la mise en place des dispositifs des musées parisiens, un risque de « folklorisation » et de parcellisation – la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, lancée avec un fond d’archives assez réduit, a opté pour une politique tournée délibérément vers l’art contemporain, tandis que le musée Branly, pour des raisons liées à l’histoire coloniale, a le devoir d’ouvrir ses collections.

De grandes expositions, que l’on n’a jamais vues en France, ont été montées aux États-Unis. Je pense notamment à une immense collection photographique constituée à partir des années soixante par les Menil de Houston, qui se trouve maintenant à la Fondation Du Bois et qui a fait l’objet d’une exposition à Baltimore, puis à Princeton, sous le titre : La représentation du noir dans l’art occidental. Je pense que c’est tout à fait le type d’expositions qui permettrait d’avoir un autre regard sur l’immigration, sur une perspective plus longue. En effet, un regard trop centré, trop présentiste, fait courir le risque d’une certaine folklorisation.

M. le président Denis Jacquat. Madame, messieurs, je vous remercie.

Audition, sur le thème de la mémoire de l’immigration, de M. Luc Gruson, directeur général de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée – Cité nationale de l’histoire de l’immigration, de M. Jamel Oubechou, président de l’association Génériques, de Mme Sarah Clément, déléguée générale, de M. Abdellah Samate, président de l’Association des mineurs et anciens mineurs marocains du Nord (AMMN), de Mme Josette Breton, vice-présidente, de M. Mustapha El Hamdani, coordinateur de l’association Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine (CALIMA), et de M. Abdennaceur El Idrissi, membre du bureau national de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF)

(extrait du procès-verbal de la séance du 18 avril 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Nous terminons nos travaux de l’après-midi par une audition sur le thème de la mémoire de l’immigration qui nous permettra de mesurer ce qui a été réalisé et ce qui pourrait être entrepris afin de mieux faire connaître la contribution des immigrés aujourd’hui âgés à notre histoire commune.

Nous recevons à cet effet M. Luc Gruson, directeur général de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée – Cité nationale de l’histoire de l’immigration, M. Jamel Oubechou, président de l’association Génériques, et Mme Sarah Clément, déléguée générale, ainsi qu’une délégation commune de trois associations rassemblant M. Abdellah Samate, président de l’Association des mineurs et anciens mineurs marocains du Nord (AMMN), accompagné de Mme Josette Breton, vice-présidente, M. Mustapha El Hamdani, coordinateur de l’association Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine (CALIMA), et M. Abdennaceur El Idrissi, membre du bureau national de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF).

Créée en 2004 à l’initiative du Président Jacques Chirac, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration a pour mission d’intégrer l’histoire de l’immigration à notre patrimoine commun en la diffusant auprès du grand public. Le Palais de la Porte Dorée accueille une exposition permanente qui raconte deux siècles d’histoire de l’immigration en France, dans une approche croisée des regards et des disciplines. Il présente actuellement une exposition temporaire, Vies d’exil 1954-1962, Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie, dont M. Benjamin Stora et Mme Linda Amiri sont les commissaires scientifiques. Le directeur de la Cité, M. Luc Gruson, nous présentera les travaux conduits par celle-ci, les liens qu’il a noués avec d’autres organismes à travers la France et les enseignements qu’il en tire.

Depuis 1987, l’association Génériques est spécialisée dans l’histoire et la mémoire de l’immigration. Elle a réalisé l’inventaire des archives de l’immigration en France et en Europe. Elle est à l’origine de la création de la Cité de l’immigration avec laquelle elle entretient des liens étroits. Ses délégués nous indiqueront quels sont les vecteurs de diffusion des savoirs et des témoignages qu’ils privilégient et ce que les sources peuvent nous apprendre.

L’AMMN transmet le témoignage des centaines de marocains âgés qui ont travaillé pour les houillères de France. Son président nous indiquera les formes que prennent ses actions et la façon dont il envisage de les pérenniser.

L’association CALIMA œuvre pour l’accès aux droits et la participation à la vie locale des immigrés, notamment âgés, en Alsace. M. El Hamdani nous présentera son approche de la transmission de la mémoire de l’immigration.

Enfin, l’ATMF, dont nous avons déjà reçu l’association locale d’Argenteuil, conduit à l’échelon national plusieurs actions concernant la mémoire des immigrés du Maghreb.

M. Luc Gruson, directeur général de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée – Cité nationale de l’histoire de l’immigration. J’évoquerai pour commencer le rôle de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

Le désir de créer un musée de l’immigration en France est né dans les années 1990, un peu sur le modèle d’Ellis Island à New York. Ce musée fédéral de l’immigration a été inauguré en 1990, conçu après la guerre du Vietnam pour raconter l’histoire des courageux immigrés arrivés sans rien et qui ont bâti l’Amérique et pour intégrer cette histoire dans le roman national. Un certain nombre d’historiens et de militants associatifs de notre pays ont souhaité reprendre cette idée typiquement américaine et présenter l’histoire de nos immigrés dans un lieu de mémoire.

Peu de Français savent que l’immigration fut un phénomène massif dès le début du XIXe siècle. Notre pays est en cela un cas particulier en Europe puisqu’à cette époque, la plupart des pays européens étaient des pays d’émigration. Depuis deux siècles, la France est le fruit d’une immigration massive, composée à la fois de main d’œuvre et de réfugiés politiques.

La proportion d’étrangers dans la population française est restée à peu près stable tout au long du XXe siècle, à la différence de pays comme l’Espagne ou l’Italie où le phénomène est très récent. La France connaît depuis plus de cent ans d’importants flux migratoires, qui varient en fonction des guerres et des crises. En 1931, année d’ouverture du Palais de la Porte Dorée et de l’Exposition coloniale, le nombre d’étrangers était, contrairement aux idées reçues, proportionnellement plus important en France qu’aux États-Unis, d’après les chiffres de l’INSEE.

La Cité nationale est née suite au rapport rédigé en 2001 par MM. Driss El Yazami et Rémy Schwartz Pour la création d’un Centre national de l’histoire et des cultures de l’immigration. Depuis, elle s’efforce de changer les représentations de nos concitoyens sur l’immigration et de faire connaître sa place dans l’histoire de la France. Cela nous a amenés à travailler sur l’histoire plus que sur la mémoire.

Le phénomène historique qu’est l’immigration, bien que peu connu, est constitutif de l’histoire de France puisque l’on considère aujourd’hui qu’un quart des Français ont au moins un de leurs grands-parents d’origine étrangère et, si l’on remonte à la quatrième génération, ils sont près de 40 % à avoir au moins un ancêtre étranger. Cette prépondérance de l’immigration a été jusqu’à présent peu évoquée dans les manuels d’histoire.

Pour changer les regards et les représentations des Français, nous avons adopté une approche muséographique, car seule une approche patrimoniale est en mesure de légitimer la place de l’immigration dans l’histoire.

La Cité, qui est le dernier musée national créé en France, a pour particularité qu’à sa création elle ne possédait pas de collections, à la différence des autres grands musées nationaux dont la création peut remonter, comme c’est le cas du Louvre, à la Révolution française. La question s’est donc posée de savoir comment constituer des collections à partir d’une histoire dont nous avons peu de traces, en termes de monuments et d’œuvres d’art.

L’histoire de l’immigration se trouvant essentiellement dans la mémoire des personnes qui l’ont vécue, l’une des urgences de notre institution fut de collecter les traces de cette histoire avant qu’elles ne disparaissent, car les travailleurs migrants des Trente Glorieuses, qui ont reconstruit la France après la Seconde Guerre mondiale, sont aujourd’hui âgés.

Nous avons collecté un certain nombre de témoignages de migrants, qui sont présentés dans l’exposition permanente. Nous avons par ailleurs fait l’acquisition d’un certain nombre de travaux réalisés par des artistes sur ce thème, essentiellement des photographies et des œuvres cinématographiques.

La Cité travaille en réseau avec des associations dans toute la France. Sur environ six cents projets concernant l’histoire et la mémoire de l’immigration en France, soixante-neuf concernent les migrants âgés. Ce thème a suscité près d’une centaine d’initiatives, les artistes ayant en commun le souci de collecter une mémoire qui disparaît peu à peu et de rendre les migrants fiers de leur participation à la société française, alors qu’ils ont parfois le sentiment d’avoir été oubliés.

Je voudrais faire une proposition concrète à votre commission. Les migrants âgés, notamment ceux qui vivent dans les foyers, n’ont pas accès à la culture. Lorsque nous parlons de l’accès aux droits des migrants, nous entendons l’accès à des éléments de droit commun comme les prestations sociales, mais ils sont les grands oubliés des politiques culturelles. N’ayant pas eu l’occasion au cours de leur vie de découvrir les musées, ils sont très éloignés de la culture.

La fréquentation de notre musée se compose pour moitié de publics scolaires ou relevant du champ social, mais nous n’accueillons quasiment jamais de groupes de personnes âgées immigrées. J’ai proposé à Adoma d’organiser des visites pour les résidents des foyers, mais le projet n’a pas pu se concrétiser. Je le regrette car il serait opportun de revenir sur cette période de l’histoire de France qu’est la guerre d’Algérie et de permettre aux migrants de visiter le musée de l’immigration.

M. le président Denis Jacquat. Nous allons transmettre votre message à Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Je ne doute pas qu’il recevra un accueil favorable.

M. Luc Gruson. Depuis l’ouverture de la Cité nationale en 2007, aucun ministre n’y avait pris la parole publiquement. Mme Aurélie Filippetti fut la première à le faire à l’occasion de l’inauguration de l’exposition de Benjamin Stora et son discours illustrait parfaitement le sens de la Cité nationale.

M. Jamel Oubechou, président de l’association Génériques. L’association Génériques a été créée il y a vingt-cinq ans par un groupe de militants inquiets de la disparition progressive de ceux qui constituaient l’histoire de l’immigration en France.

Craignant que cette histoire soit exclue de celle de notre pays, alors même qu’elle en est l’une des composantes, ils ont créé une association afin de regrouper les documents sur les combats menés par les migrants, les grèves de la faim, les luttes pour les droits, les manifestations.

Parmi les nombreuses initiatives qui ont été prises par l’association, je citerai la création du Guide des sources sur l’immigration en France, l’organisation de grandes expositions patrimoniales et le travail entrepris par M. Driss El Yazami, délégué général de l’association et l’un de ses fondateurs, et M. Rémy Schwartz, dans leur rapport pour la création d’un centre national de l’histoire et des cultures de l’immigration.

Ce rapport, qu’ils ont remis à M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, est à l’origine de la création de la Cité nationale. Nous nous réjouissons de son existence. S’il n’a eu aucune portée politique, du moins jusqu’à une date récente, il montre l’importance que notre pays attache à la préservation de cette mémoire et à son inscription dans notre histoire collective.

Ces vingt-cinq années se sont articulées autour de la sauvegarde et du sauvetage de la mémoire de l’immigration. Cette démarche nous a amenés à décoller, en vue d’assurer leur préservation, des affiches de manifestations – pour des droits, des papiers, la reconnaissance, la protection contre les brutalités policières. Nous avons constitué un fonds patrimonial, que nous entendons valoriser et diffuser. Une association comme la nôtre ne peut se contenter de préserver un patrimoine, elle se doit de le faire connaître. C’est l’une de nos missions.

Une autre de nos missions consiste à favoriser l’accès à la culture de populations qui en sont éloignées. Nous aspirons en effet à restituer aux populations immigrées ou issues de l’immigration la complexité et la plénitude de leur histoire. Pour cela il est important de faire connaître, au-delà du folklore, leurs propres pratiques culturelles. Tel était l’objet de l’exposition que nous avons organisée à la Cité nationale, intitulée Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France.

Nous nous attachons particulièrement à la sauvegarde de l’histoire des chibanis et des immigrés âgés de manière générale. Il en va de la dignité de ces personnes qui ont consacré beaucoup d’énergie et une partie de leur vie à la construction de notre pays, tant sur le plan économique que social.

Il est important que la collectivité nationale tout entière, et pas seulement leurs descendants, sache que les immigrés âgés sont une composante de l’histoire de notre pays et ne sont pas une entité extérieure qui pourrait contaminer la pureté nationale.

Mme Sarah Clément, déléguée générale de l’association Génériques. Le Guide des sources est un inventaire national réalisé dans les années 1990 et 2000 sur consultation des centres d’archives territoriales et des quatre centres d’archives nationales, dont le centre d’archives du monde du travail de Roubaix. Il est le fruit d’un travail de collaboration réalisé avec la plus grande rigueur scientifique tant auprès des acteurs publics que des détenteurs de fonds privés – responsables associatifs, militants et syndicats.

Le recensement des organes de la presse publiée par les étrangers en France a donné lieu à l’exposition fondatrice de l’association. Celle-ci a été présentée dans le cadre du bicentenaire de la Révolution française au CNIT, à La Défense, et dans un certain nombre de musées d’histoire.

Nous procédons également à la numérisation des affiches.

Nous avons développé un catalogue en ligne, Odysseo, qui, à la demande du ministère de la culture, deviendra dans quelques semaines un portail national des sources relatives à l’histoire de l’immigration. Ce catalogue a vocation à s’enrichir des sources récoltées par divers partenaires comme les institutions, les laboratoires de recherche et les associations.

Nous présentons notre travail dans la revue Migrance, créée en 1993, qui est la seule revue traitant de l’histoire de l’immigration en France et dont le quarantième numéro paraît aujourd’hui.

Ce catalogue sur internet se double d’un centre de ressources, situé au siège de l’association, qui nous permet de recueillir des archives privées.

Nous recevons des demandes diverses – renseignements, recherches iconographiques – et nous sommes sollicités par un certain nombre de structures associatives qui nous demandent d’accompagner leurs projets.

Nous apportons en outre notre aide aux collectivités territoriales, par exemple à la ville de Dunkerque qui s’intéresse aux étrangers dans le cadre de son rôle de capitale culturelle régionale.

L’association Génériques accomplit un travail de transmission et de médiation, en lien avec les associations, les institutions, les centres d’archives publiques, les collectivités territoriales et quelques établissements comme la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

Nous travaillons également sur les lieux de mémoire et d’histoire en Seine-Saint-Denis, et plus largement en Île-de-France et dans d’autres territoires. Nous développons un dictionnaire historique de l’immigration en ligne qui contient des notices biographiques et décrit les divers organismes et événements organisés sur le sujet.

Enfin, depuis l’année dernière, pour répondre à la demande, nous proposons des journées de formation sur l’immigration et son cadrage historique, mais également sur la gestion des archives associatives, ce qui rejoint la question de la transmission. Nous sommes un lien pour tous les publics qui veulent travailler sur ces questions – chercheurs, acteurs associatifs ou culturels. Les demandes sont nombreuses et diverses : nous avons par exemple été récemment sollicités pour organiser des ateliers périscolaires.

M. Abdennaceur El Idrissi, membre du bureau national de l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF). Je vous remercie d’avoir invité nos trois associations, qui sont membres de la même fédération et ont pour mission la défense des droits des travailleurs maghrébins.

Avant de vous présenter notre association, je tenais à vous indiquer que nous nous attendions à ce que pendant les travaux de votre mission, les contrôles et les poursuites à l’encontre des migrants âgés soient suspendus – du moins c’est ce que nous espérions. Malheureusement, cela ne s’est pas passé ainsi.

M. le président Denis Jacquat. Vous avez le droit de faire des préconisations : elles figureront dans le rapport.

M. Abdennaceur El Idrissi. Notre association s’est engagée à réaliser un film retraçant l’histoire et la mémoire de l’immigration. Malheureusement, faute de moyens, ce travail, commencé il y près de deux ans et demi, n’a pu être achevé.

Pour nous, la mémoire de l’immigration ne doit pas rester la propriété des historiens et des spécialistes. Elle ne doit pas être une réponse à des appels d’offre ni une simple démarche en vue de sensibiliser nos compatriotes et de restaurer la confiance.

La mémoire de l’immigration a fait l’objet de nombreux travaux depuis les années 1980. C’est bien, mais c’est insuffisant. Car les associations qui représentent l’immigration sont plus les sujets de notre mémoire que les acteurs de celle-ci.

Aujourd’hui différentes mémoires sont traitées et la question de l’immigration fait l’objet de multiples réflexions. Là encore, c’est insuffisant. La mémoire de l’immigration ne doit pas servir uniquement la recherche du « vivre ensemble » mais devenir une composante de la société.

Nous devons travailler sur différentes mémoires, celle des mineurs comme celle des anciens combattants. Mais beaucoup d’entre eux ne sont pas encore informés de tout ce qui a été accompli dans ce domaine et nous n’avons pas les moyens de contacter les anciens combattants qui habitent au fin fond de leur pays d’origine et qui sont seuls pour faire valoir leurs droits. Et nous devons prendre en considération toutes les populations, sans oublier, notamment, les cheminots ou celles qui ont travaillé dans l’agriculture.

Les deux autres associations de notre fédération – l’AMMN et CALIMA – apportent à notre réseau les éléments qui nous permettent de nous approprier cette mémoire. Je ne dénigre pas le travail qui a été accompli, mais il faut que ces structures donnent la parole aux immigrés et qu’elles partagent leurs travaux afin que la mémoire de l’immigration soit partagée par tous.

M. Abdellah Samate, président de l’Association des mineurs et anciens mineurs marocains du Nord (AMMN). Je suis l’un de ces mineurs qu’on est venu chercher au Maroc en 1963 pour aller travailler au fond de la mine.

L’AMMN, avec l’aide de l’ATMF, tente de travailler sur la mémoire, mais elle dispose de peu de moyens matériels et financiers.

Le travail de mémoire qui est entrepris doit rappeler que la France est allée chercher ces personnes dans leur pays pour qu’elles viennent travailler dans la mine, et cela jusqu’en 1968 lorsque les mines ont commencé à fermer. Quels moyens a-t-on donné à ces migrants ? Les a-t-on respectés, en 1967, lorsqu’on leur a proposé des contrats de dix-huit mois ? En 1980, lorsqu’ils ont manifesté pour obtenir un statut dont ils étaient exclus ? Et en 1987 quand on leur a imposé le retour forcé, même s’ils avaient fait venir leurs enfants en France ?

La mémoire doit refléter la réalité et respecter la dignité et les droits des personnes. Car les migrants ont des devoirs, mais leurs droits sont bafoués. Voilà la vraie mémoire ! Il ne faut pas nier la réalité. À quoi sert d’écrire des livres sur la mémoire si la nation et le gouvernement ne font pas leur devoir ?

Qu’en pensent les personnes âgées dont la famille vit au Maroc depuis quarante ans et qui subissent des pressions pour ne pas faire valoir leurs droits ? Et ceux que nous avons renvoyés chez eux ? J’espère que cette mission parlera d’eux et que la société les prendra enfin en compte. Nous avons le devoir de respecter leurs droits et de faciliter l’installation définitive de ceux dont les enfants sont français, qui votent et paient des impôts en France. Nous parlons beaucoup d’intégration : celle-ci doit devenir une réalité.

C’est de cette histoire, de cette mémoire que je veux parler et qui doit nous permettre d’éclairer une réalité que les pouvoirs publics évitent depuis trop longtemps.

Mme Josette Breton, vice-présidente de l’AMMN. Je vais vous présenter le travail effectué par notre association sur le thème de la mémoire.

On peut difficilement comprendre les livres qui sont écrits sur le sujet si on ne les relie pas à l’histoire vécue par les mineurs marocains. C’est ce qui nous a amenés à intituler notre travail « mémoire au service du droit ».

Lorsque nous nous sommes intéressés à l’histoire de la transmission, nous nous sommes aperçus qu’une association dirigée par les mineurs eux-mêmes, qui sont dans l’ensemble analphabètes, pouvait difficilement créer des outils de mémoire. Nous avons souhaité dépasser cette réalité et avons décidé de faire preuve d’initiative. Pour cela nous avons utilisé les méthodes de l’éducation populaire. Il n’a pas été facile, par exemple, d’établir un partenariat avec le Centre historique minier de Lewarde, car on voulait nous assigner une fonction trop folklorique. Nous avons finalement réussi à faire accepter nos exigences, qui étaient d’organiser une exposition présentant l’histoire des travailleurs marocains. Cette exposition a vu le jour et nous sommes en mesure de la faire circuler.

Nous avons demandé à des sociologues et à des cinéastes de collaborer à notre projet. Sans vouloir faire leur travail, nous avons orienté leurs interventions, en demandant aux cinéastes de filmer telle ou telle manifestation ou tel ou tel événement que nous considérions important. Dans le même esprit, nous avons demandé aux sociologues de nous former. Ainsi, pour rédiger un document sur les discriminations liées au logement, nous avons construit ensemble les questionnaires remis aux mineurs et avons exigé de poser les questions à leurs enfants.

Nous sommes fiers d’avoir donné à des mineurs marocains analphabètes, venus des contrées les plus pauvres et les plus reculées du sud du Maroc, l’occasion de montrer qu’ils sont capables d’ouvrir le chemin de la mémoire collective sans faire l’impasse sur les luttes et les combats qu’ils ont menés pour défendre leurs droits.

Il est urgent de considérer la situation sociale de cette population. Les mineurs sont âgés et fragilisés. Ils se sentent bafoués et discriminés par rapport à la façon dont est traitée la corporation minière. Cette situation entraîne des dégâts sociaux considérables. À l’heure où leurs organismes de tutelle ont renoncé à rendre justice aux mineurs marocains, il est urgent que les politiques s’emparent du sujet et trouvent une solution propre à réparer ce qui constitue une véritable injustice sociale. Alors seulement nous pourrons poursuivre notre travail sur la mémoire.

M. Mustapha El Hamdani, coordinateur de l’association Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine (CALIMA). Je vous remercie à mon tour, monsieur le président, pour cette initiative qui permet de rompre le silence.

Travailler sur le vieillissement des immigrés est pour moi une façon pertinente d’aborder la question de l’immigration d’une manière globale, car c’est la seule manière de rompre avec cette politique de l’intégration dont on nous rebat les oreilles depuis plusieurs décennies et qui affecte les descendants de l’immigration.

Nous sommes venus pour travailler et produire français et nous nous sommes retrouvés à « faire des Français ». Mais que fait-on de ces Français ? Nous ne pouvons nous contenter de restituer la mémoire : nous devons la transmettre et la conjuguer au présent et au passé pour construire le « vivre ensemble » de demain. Quant au vieillissement de la population immigrée, il relève du droit commun.

J’en viens à la culture de l’immigration, longtemps confinée dans le domaine du folklore – le couscous et le thé. Pour nous, la culture ne doit en aucun cas être traitée comme un problème périphérique mais devenir un enjeu central pour la société française qui, comme l’a démontré M. Gruson, est cosmopolite.

Comment assurer la transmission de la mémoire ? Je participais la semaine dernière à la « marche des vivants », organisée pour perpétuer le souvenir des victimes de la Shoah. À Auschwitz, j’ai discuté avec un historien juif qui nous accompagnait. Il évoquait cette mémoire avec beaucoup de lucidité et de recul, car la communauté juive est outillée pour parler de la Shoah et a mis au point une méthode pour le faire. Elle dispose d’un certain nombre d’espaces – le théâtre, le cinéma, l’écriture, la culture en générale – pour combler ce vide. Ce n’est pas le cas de la communauté maghrébine. Un Algérien qui vient du monde rural n’est pas en mesure de transmettre sa mémoire à ses enfants car il ne dispose pas des outils nécessaires.

Notre démarche au sein de l’ATMF consiste à créer des espaces susceptibles de jouer un rôle de médiateurs. Le sociologue, l’anthropologue et l’historien doivent s’accaparer cette mémoire. Si nous ne faisons rien, elle disparaîtra, ce qui serait dommageable non seulement pour nos enfants, mais aussi pour la société française dans son ensemble.

Investir le champ culturel est pour nous le meilleur moyen de déconstruire les représentations qui nourrissent les préjugés et les stéréotypes, qui eux-mêmes nourrissent le racisme et les discriminations.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je vous remercie, mesdames, messieurs, pour vos témoignages et votre contribution aux travaux de la mission.

Je répondrai tout d’abord à M. El Idrissi au sujet des migrants âgés qui font l’objet de nombreux contrôles de la part des différentes caisses notamment à propos de versements de pensions de retraite non contributives qui les placent parfois, à leur insu, en situation de fraude. Nous sommes conscients de cette situation et nous avons interrogé l’administration sur le caractère arbitraire, voire abusif, de ces contrôles lorsqu’ils ne respectent pas la dignité et le droit des personnes. Nous ne sommes pas à la place du Gouvernement, mais nous soulèverons ce problème dans notre rapport et ferons des préconisations pour qu’il soit résolu.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, se rendra demain à Gennevilliers en compagnie de M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. Je ne peux naturellement pas m’engager à la place du Gouvernement et décider d’un moratoire, mais je parlerai à ses représentants de ce vrai problème et vous propose d’attendre les conclusions de notre mission, qui seront rendues en juin, en vous précisant que nous aurons à nouveau l’occasion d’évoquer la question avec la ministre au moment de son audition par la mission.

J’en viens à quelques questions que je souhaiterais vous poser.

Les migrants et leurs familles aspirent légitimement à la reconnaissance et entendent prendre toute leur place dans le récit national. Selon vous, l’enseignement scolaire, la recherche universitaire et les grands médias font-ils une juste place à l’histoire des immigrés des États tiers à l’Union européenne ? Les universitaires que nous avons entendus regrettent que ces sujets aient été trop peu abordés dans le passé et que les administrations manquent d’outils statistiques. Avez-vous des pistes de travail pour combler ce vide ? Convient-il d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur ce point ?

La Cité de l’immigration a pour mission d’écrire l’histoire de l’immigration en évitant plusieurs écueils, dont le folklore et les clichés. Pour les dépasser, il faut reconstruire la complexité de cette mémoire. Comment éviter les risques d’assignation identitaire, sachant que de nombreux migrants, venus dans notre pays avec le mythe du retour en tête, ont néanmoins souhaité s’intégrer dans la société française ? Beaucoup nous ont dit qu’ils se sentaient « d’ici et de là-bas », et parfois plus d’ici puisqu’ils y ont passé la majeure partie de leur vie. Leur identité est multiple. Comment éviter de leur attribuer une identité qui n’est pas la leur ?

Comment faire le lien entre l’histoire de ces populations et notre histoire nationale ?

De quelle manière cette histoire se transmet-elle dans les familles et dans les territoires ?

Vous avez identifié des lieux de mémoire des travailleurs immigrés en France. Nous qui nous targuons d’être un pays de culture, d’histoire et de patrimoine, ne pourrait-on édifier d’autres lieux de mémoire ? Que recouvre, selon vous, le patrimoine de l’immigration ? Comment lui donner du sens ?

Bien qu’il s’agisse d’une histoire tragique, nous sommes un certain nombre à vouloir réintégrer la date du 17 octobre 1961 dans l’histoire nationale, pour aller à l’encontre d’une certaine aseptisation de l’histoire et du refus de regarder les choses en face. Le Président de la République a rappelé avec force l’année dernière que cet événement faisait partie de notre histoire nationale. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Luc Gruson. S’agissant de l’enseignement scolaire, je suis en mesure de vous apporter des éléments très précis. En 2003, avec M. Jacques Toubon, nous avions demandé à M. Luc Ferry, alors ministre de l’éducation nationale, de dresser un état des lieux de l’enseignement de l’histoire de l’immigration en France. L’inspection générale de l’éducation nationale avait constaté que cette thématique n’était pas enseignée dans les écoles, sauf peut-être de manière allusive dans les cours d’éducation civique dispensés dans les lycées techniques, ce qui n’était pas anodin.

Nous avons, depuis, assisté à une évolution importante. Notre établissement dispose désormais d’une commission pédagogique, actuellement présidée par M. Philippe Joutard, qui a par ailleurs présidé à la réforme des programmes scolaires. Cela nous a permis d’introduire l’histoire de l’immigration dans les manuels d’histoire destinés aux lycéens, de la filière générale comme de la filière technologique. Dans son livre sur l’enseignement de l’histoire de l’immigration, M. Benoît Falaize, qui a travaillé dans notre association, dresse un état des lieux de la situation. Notre institution forme chaque année près de deux mille enseignants au contenu de l’histoire de l’immigration, et ce ne sont pas uniquement des professeurs d’histoire.

L’exposition de Benjamin Stora attire essentiellement des lycéens. Le fait de se déplacer dans un musée leur permet d’aborder la question du 17 octobre 1961 de manière apaisée.

Comment sont perçus les migrants âgés et leur culture ? Il convient à cet égard de faire évoluer les stéréotypes. Nous avons, en France, l’impression que notre pays a offert aux travailleurs immigrés un parcours idéal et qu’ils se sont bien intégrés. La réalité est beaucoup plus diverse et aléatoire. Certains sont restés en France parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre de rentrer dans leur pays d’origine – où ils ne percevraient plus certaines prestations sociales. D’autres sont repartis. Sur plus d’un million de Portugais venus en France pendant les Trente Glorieuses, on estime que près d’un tiers sont repartis. Les migrants portugais et leurs descendants assument leur double culture, ce qui prouve que la question de l’identité est plus complexe que ce que l’on veut bien en dire. Nous vivons aujourd’hui dans un monde ouvert dans lequel les références identitaires sont multiples.

J’ai été très touché par la trilogie de Mme Yamina Benguigui, Mémoires d’immigrés, en particulier par le film dans lequel on voit des femmes maghrébines dire qu’elles auraient bien aimé retourner en Algérie mais qu’elles sont restées en France parce que leurs enfants sont français.

M. Jamel Oubechou. La question de savoir comment faire le lien entre ces populations et notre histoire nationale doit être reformulée car ces populations font partie intégrante de notre histoire nationale. C’est un message essentiel qu’il faut diffuser.

La décolonisation fait partie de notre histoire nationale, comme en témoigne un article paru dans le dernier numéro de la revue Migrance sur la mobilisation des immigrés africains pour la décolonisation de 1930 à 1970 dans toute la France.

La transmission de la mémoire dans les familles et les territoires est complexe. Au sein des familles, cette transmission varie selon les cultures mais elle est souvent douloureuse. L’expérience des travailleurs immigrés, qu’il s’agisse de mineurs, d’ouvriers sidérurgistes ou d’ouvriers agricoles en France, dans les années 1960 comme aujourd’hui, est difficile à transmettre à leurs enfants. C’est une expérience sur laquelle il est difficile de mettre des mots car elle est faite d’humiliations, de difficultés matérielles et sociales. Si les chibanis et les personnes âgées ont fait de leurs enfants de bons Français, c’est au prix de sacrifices très durs, qu’il leur est très difficile de transmettre.

Mme Sarah Clément. Les lieux de mémoire et d’histoire peuvent être des lieux de travail, des cafés, des théâtres, des établissements cultuels ou des écoles. Une dynamique a été engagée à l’échelon européen, à l’initiative de l’association Génériques et d’un certain nombre de partenaires étrangers, en faveur d’itinéraires culturels du patrimoine d’immigration. Il est clair que notre travail gagne à être soutenu par des politiques publiques, mais organiser des journées européennes du patrimoine de l’immigration pourrait être une façon de le valoriser.

M. Abdellah Samate. Comment voulez-vous que nous transmettions à nos enfants une mémoire aussi difficile et douloureuse ? Ils ont grandi dans la misère ! Raconter notre histoire à nos enfants risque de développer chez eux un racisme vis-à-vis de la société dans laquelle ils sont nés et ils ont grandi.

Je répète souvent cette histoire : mon fils est né ici, il a été à l’école en France. À l’occasion d’un voyage scolaire en Angleterre, il a été mis à l’écart au moment de franchir la frontière. Il est resté seul toute la journée et n’a retrouvé ses camarades que le soir. Aujourd’hui il est Français, il a créé son entreprise à Toulouse et est devenu Compagnon du devoir. Mais il conserve le souvenir de cette expérience d’exclusion.

Avant de parler de mémoire, il faut d’abord guérir les blessures qui nous ont été infligées. On est venu me chercher, j’ai battu le charbon au fond de la mine, comme des centaines et peut-être des milliers d’immigrés. Aujourd’hui, que fait la société ? En 1995, Mme Marie-Christine Blandin, présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, a voulu s’intéresser au problème. Certains élus lui ont alors conseillé de ne pas ouvrir ce chapitre de l’histoire afin d’éviter toute polémique !

Avant d’écrire la mémoire de l’immigration, il reste beaucoup de problèmes à régler.

Mme Josette Breton. Force est de constater que les écoles et les universités ne font pas toute sa place à la mémoire de l’immigration. Nous les encourageons sans relâche à travailler sur cette question, mais beaucoup de choses restent à faire. Le conseil régional d’Alsace a récemment organisé un colloque intitulé Mineurs du monde qui faisait l’impasse sur l’immigration marocaine.

Nous sollicitons les universitaires afin qu’ils étudient la reconversion des Français et des Marocains et qu’ils se prononcent sur la présence éventuelle de discriminations.

Nous avons travaillé avec une troupe de théâtre à l’écriture d’une pièce intitulée Mémoires d’un mineur marocain dans les houillères du Nord-Pas-de-Calais qui a été présentée dans les collèges et les lycées. Nous avons appris à cette occasion que les enfants issus de l’immigration marocaine ne savaient rien de l’histoire de leurs parents. Les artistes et les écrivains doivent s’intéresser à cette histoire et faire circuler leurs créations dans les établissements scolaires.

M. Mustapha El Hamdani. Pour l’exposition que j’ai organisée sur les chibanis qui sont venus en Alsace dans les années 1960 et 1970, j’ai eu besoin de les rencontrer. Je voulais à cette occasion que toute la famille soit regroupée. À chaque fois, les enfants me remerciaient de leur avoir fait découvrir l’histoire de leur père. Cela montre à quel point la transmission de la mémoire a besoin d’un tiers.

Dans les cultures méditerranéennes, la mémoire se transmet du grand-père au petit-fils. Il nous manque donc un élément du puzzle et cela pose un problème car étant très pudiques, nous parlons peu avec nos descendants. C’est pourquoi nous demandons que des espaces soient créés, non seulement pour articuler les dispositifs institutionnels et le droit commun mais pour diffuser l’information et « sociabiliser » les mémoires.

Le mythe du retour a fait beaucoup de dégâts, à la fois dans la société d’accueil, qui a considéré les immigrés comme des personnes qu’elle pourrait « jeter » lorsqu’ils auraient terminé leur travail, et parmi les personnes qui étaient venues en France pour gagner de l’argent avant de retourner dans leur pays mais sont restées plusieurs dizaines d’années. Que peut transmettre un Marocain qui est resté trente ans dans le pays d’accueil ? Il parle du Maroc des années 1960 alors que nous sommes en 2013 !

Nous devons multiplier les acteurs – universitaires, sociologues, associations – et les espaces qui permettent d’évoquer cette mémoire. Nous en avons le devoir.

La date du 17 octobre 1961 est un symbole intéressant. Pourquoi ne pas nommer ainsi une grande place ? M. Samate a été nommé chevalier de la Légion d’honneur et il le mérite. Ce sont des symboles qu’il faut multiplier.

Nous sommes d’ici. Preuve en est qu’à Strasbourg a été ouvert un cimetière réservé à la communauté musulmane. Le jour de l’inauguration, les immigrés étaient massivement présents et très heureux de cette marque de reconnaissance.

M. le président Denis Jacquat. Mesdames, Messieurs, nous vous remercions.

Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et de Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mai 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous entendons aujourd’hui les ministres responsables de politiques qui peuvent améliorer la situation des immigrés âgés et débutons avec Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Mesdames les ministres, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendues par la mission afin de nous présenter la situation des immigrés âgés au regard de vos périmètres d’intervention respectifs ainsi que les évolutions qui pourraient être envisagées dans l’accès aux droits sociaux, aux soins et aides à domicile, etc.

Je précise que notre mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’États tiers à l’Union européenne, qui représentent 800 000 personnes, les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. La mission a effectué trente-deux auditions et s’est également déplacée à plusieurs reprises sur le terrain, en région parisienne et à Paris même, dans le Rhône, dans le Gard, en Moselle ainsi qu’en Algérie et au Maroc.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, je suis heureuse de vous retrouver ici pour aborder la question des personnes âgées immigrées, question qui concerne notre société toute entière. En effet, le destin de ces hommes et de ces femmes est intimement lié au nôtre et à celui de notre pays. On ne peut pas évoquer la situation de ces personnes sans se souvenir que leur histoire s’inscrit pleinement dans la nôtre, puisqu’ils sont venus pour nous aider dans la reconstruction de notre pays.

On a tendance, lorsque l’on parle de questions sociales, à mettre en avant des chiffres, des statistiques et des réalités. Mais je tiens à rappeler que derrière ces chiffres et ces statistiques, il y a des hommes, des femmes, des parcours de vie, des engagements, des choix. Derrière ces réalités, il y a une diversité de situations sociales : des ouvriers agricoles, des travailleurs du bâtiment et de l’industrie, des femmes qui, en général, ont rejoint la France plus tard, dans le cadre du regroupement familial. Quoi qu’il en soit, ceux dont nous parlons aujourd’hui sont venus en France pour nous apporter leur travail et dans l’espoir d’une vie meilleure.

Aujourd’hui, ces hommes et ces femmes ont vieilli. Mais ils ne sont pas reconnus, comme s’ils n’existaient pas. Ils sont devenus « invisibles », qualificatif qui revient souvent dans leur bouche et dans celle des représentants des associations qui les aident. Ces hommes et ces femmes sont nombreux à exprimer un sentiment d’incompréhension, et leur impression d’être mis à l’écart d’une société à laquelle ils ont beaucoup contribué. En arabe dialectal, on les appelle les chibanis, c’est-à-dire les anciens ou les « cheveux blancs ». Or les chibanis ne vivent pas bien dans notre pays.

Nombre d’entre eux sont isolés et doivent endurer les épreuves quotidiennes de la solitude ou de l’indifférence. Leur maîtrise de la langue française n’est pas suffisante, ce qui leur pose des difficultés pour comprendre les procédures administratives et accéder aux droits auxquels ils pourraient prétendre.

Leur retraite est très modeste. Beaucoup d’entre eux ont occupé des emplois qui, pendant des années, n’ont pas été déclarés. Certains ont enchaîné petits boulots ou emplois à temps partiel. D’autres ont été obligés d’arrêter de travailler assez tôt parce qu’ils étaient devenus invalides ou en raison de la pénibilité des tâches qui étaient les leurs. Ces situations les contraignent, d’une façon générale, à dépendre en totalité ou en partie de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’ancien « minimum vieillesse ». Par ailleurs, lorsqu’ils le peuvent encore, ces hommes et ces femmes effectuent des allers et retours entre la France et leur pays d’origine. Mais de telles habitudes de vie génèrent des ruptures de droits sociaux.

Ces personnes sont mal logées. Elles vivent souvent dans des hôtels meublés, des foyers de travailleurs migrants ou au sein de parcs privés diffus plutôt dégradés. Ces conditions de vie précaires sont inadaptées à leurs besoins, d’autant qu’une partie d’entre elles est en perte d’autonomie. En outre, malgré leur mauvais état de santé, les chibanis renoncent fréquemment à se soigner.

Reconnaître cette situation est une exigence, et je me réjouis des travaux que conduit votre mission. La première responsabilité des pouvoirs publics et des élus est bien de rendre visible une réalité sociale qu’il ne s’agit pas de cacher. Ma volonté, comme celle du Gouvernement, est de faire en sorte que ces personnes âgées immigrées bénéficient du droit commun. La règle dans notre pays est que chacun puisse avoir accès à ses droits.

Lorsque l’on évoque des situations particulières, on encourt le reproche de vouloir mettre en place des droits particuliers. Mais l’enjeu n’est pas celui-là : il est tout simplement que ces hommes et ces femmes puissent accéder aux droits auxquels ils peuvent prétendre. Dans le cadre de la Conférence nationale de la lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, Mme Carlotti et moi-même avons fait de l’accès aux droits l’un des enjeux majeurs de la lutte contre la pauvreté. Le problème ne concerne pas seulement les immigrés âgés, mais toutes les personnes en situation de fragilité ou de précarité. En effet, il est parfois difficile d’accéder au droit commun quand on ne maîtrise pas les procédures et qu’on ne sait pas à qui s’adresser.

Le combat du Gouvernement va néanmoins au-delà. Nous entendons reconnaître la dignité de ces hommes et de ces femmes, et exprimer fortement notre volonté de ne pas laisser de côté celles et ceux qui ont permis à notre pays de se construire, de façon vigoureuse, au cours des Trente Glorieuses. C’est le message que nous devons adresser aux nouvelles générations, quelle que soit leur origine. La République se préoccupe de toutes les générations. La solidarité intergénérationnelle est au cœur de notre pacte social.

Pour lutter contre les obstacles du quotidien, améliorer les conditions des personnes âgées immigrées, je souhaite vous présenter les deux axes prioritaires de la politique que j’ai engagée.

Tout d’abord, dans le champ social – probablement le champ principal – il est devenu urgent d’apporter une réponse adaptée au mode de vie et aux besoins des immigrés vieillissants.

Commençons par la retraite. Comme tous les minima sociaux, l’ASPA est une aide financée par la solidarité nationale, qui permet de garantir un montant minimal de ressources aux retraités qui vivent en France, et ce en fonction du niveau de vie français. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir sa résidence principale en France pour en bénéficier, ce qui implique une présence de six mois minimum par année civile sur le territoire national. Si nous changions ces règles, nous prendrions le risque de rendre exportables toutes les aides sociales françaises, et nous serions amenés à verser ces prestations à des ressortissants communautaires. Ce n’est pas une orientation que nous pouvons privilégier ou défendre
– pour des raisons financières et parce que d’autres pays ne pratiquent pas l’exportation de leur aide sociale. Je souhaite toutefois qu’une solution soit trouvée pour répondre aux difficultés particulières rencontrées par ces personnes. J’ai donc demandé à mes services de reprendre les expertises – qui avaient été abandonnées – visant à la mise en place de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine prévue par la loi du 5 mars 2007 dite « loi DALO ». Je pense que nous pourrons avancer sur ce terrain, et je souhaite que nous aboutissions rapidement. La création d’une aide à la réinsertion familiale et sociale est donc la première orientation que je vous soumets.

Continuons par les procédures de contrôle. Je ne porterai pas de jugement général, mais le fait est que nous avons tous à l’esprit des témoignages dénonçant des procédures de contrôle qui ne satisfont pas au respect et à la dignité des personnes. Des améliorations seront donc apportées. Les contrôleurs bénéficieront d’une formation plus poussée. Un modus operandi du contrôle sera défini avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Les courriers adressés par les caisses aux assurés devront être réécrits, afin qu’ils soient à la fois plus lisibles et moins comminatoires. J’adresserai très prochainement une lettre aux caisses concernées pour leur faire part de ces instructions.

Venons-en aux formalités imposées aux personnes qui reçoivent une pension contributive. À la différence du « minimum vieillesse », les retraites contributives sont totalement exportables. Mais les assurés qui reçoivent une pension à l’étranger doivent attester périodiquement de leur existence en remplissant un formulaire visé par les autorités locales – pour éviter que l’on ne verse une pension à des personnes décédées. Néanmoins, la régularité de ces formalités représente une contrainte. Chaque régime de retraite a mis en place son propre certificat d’existence, avec des formulaires différents, et des périodicités de demandes variables. Les assurés qui résident à l’étranger – et a fortiori les polypensionnés – doivent multiplier les demandes de certificat d’existence auprès des autorités locales, ce qui implique des déplacements répétés, parfois difficiles, souvent inutiles.

Nous avons les moyens de mettre un terme à ces entraves et à ces contraintes administratives. Je vous ai demandé de voter, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, plusieurs mesures visant à simplifier ces formalités. C’est le sens de l’article 83 de la loi qui prévoit : d’abord, que les retraités qui résident hors de France fournissent à leur caisse de retraite un justificatif d’existence au maximum une fois par an ; ensuite, qu’à compter de la date butoir fixée par la caisse pour la réception du justificatif, un délai minimal d’un mois soit prévu avant la suspension de la pension ; enfin, que les régimes obligatoires de retraite puissent mutualiser la gestion des certificats d’existence dans des conditions fixées par décret. La publication de ce décret a été fixée pour le troisième trimestre 2013, c’est-à-dire dans le courant de l’été.

La réussite de cette politique passe par la coordination des différentes actions qui sont menées.

Ainsi, nous travaillons de façon très proche avec Michèle Delaunay qui conduit le projet MONALISA – soit mobilisation nationale de lutte contre l’isolement social des âgés. Ce projet a pour vocation de déployer le bénévolat de type associatif et de faire de la lutte contre l’isolement des âgés un axe majeur de l’implication citoyenne. Par ailleurs, les schémas gérontologiques devront intégrer la spécificité de ces publics.

Ensuite, la loi de financement de la sécurité sociale ayant prévu la mise en place d’expérimentations sur les parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d’autonomie, ou PAERPA, j’ai procédé à une sélection des projets d’expérimentation et j’ai demandé explicitement qu’un de ces projets intègre des actions spécifiques en direction des personnes âgées d’origine étrangère ; ce sera le cas du projet présenté par le Pas-de-Calais.

Comme je l’ai déjà dit, dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, nous avons mis en place toute une série de mesures pour favoriser l’accès aux droits communs qui doivent pouvoir s’appliquer à ces personnes. De façon plus générale, je proposerai d’utiliser les conventions d’objectifs et de gestion (COG) pour faire avancer la question de l’accès aux droits sociaux des personnes immigrées âgées.

Le second axe de mon action concerne la santé. L’approche selon le parcours de santé reste à déterminer, au-delà même des parcours de soins concernés par la mise en place des expérimentations PAERPA. Il s’agit de développer des actions de médiation, des actions innovantes, conduites par des personnes issues des quartiers et des communautés concernées. Ces personnes sont chargées de procéder à un accompagnement pour faire le lien entre les acteurs institutionnels locaux et la population. En effet, nous savons que le renoncement aux soins ou la difficulté à s’adresser à des structures de soins tient, entre autres, à la perception, par les immigrés âgés, de barrières qu’ils ne savent pas comment franchir. La médiation est donc un élément important pour faciliter l’accès de ceux-ci au système de santé, car elle permet de nouer des relations de confiance et de lever des barrières culturelles.

La médiation ne se limite évidemment pas à l’interprétariat. Elle permet de faire passer des messages de santé ciblés, de faciliter l’accès à des structures de soins identifiées et adaptées aux besoins de cette population. Par exemple, nous avons besoin de transmettre des messages de prévention de la tuberculose dans les foyers de travailleurs migrants, en faisant évoluer les représentations qui existent autour de la maladie et de la nutrition. Or, nous savons bien qu’à lui seul, un médecin « classique » ne peut y parvenir. Le message doit être porté, relayé, expliqué.

C’est donc une approche globale que je souhaite mettre en place, en valorisant les nombreuses initiatives qui existent. J’ai demandé aux agences régionales de santé (ARS), au-delà même de l’expérimentation que j’ai déjà évoquée, de soutenir les démarches qu’elles peuvent identifier sur leur territoire.

Mesdames et messieurs les députés, que ce soit par des actions dans le domaine social ou dans celui de la santé, le Gouvernement a la volonté de permettre à chacun de vivre dans la dignité. C’est une exigence que nous pouvons partager collectivement.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre, pour la clarté de votre exposé.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le président, mesdames messieurs les députés, les migrants âgés qui sont entrés dans le champ de l’âge, voire du grand âge, sont très nombreux. Plusieurs courants politiques ont tenté d’apporter des solutions humaines aux problèmes qu’ils rencontrent. C’est en effet une question de dignité, qui préoccupe particulièrement la ministre en charge de l’âge et de l’autonomie que je suis. En effet, ce que nous ne leur apportons pas maintenant, nous ne pourrons pas le leur apporter dans dix ans. Il y a bien urgence et j’apprécie que ce sentiment soit partagé par beaucoup d’entre vous, quels que soient les bancs sur lesquels vous siégez.

Dès le début de ma prise de fonctions, je me suis rendue dans certains de ces foyers qui accueillent ces personnes âgées immigrées : 40 000 à 50 000 sur un total de 350 à 400 000. Il y a de quoi être saisi par les conditions de vie de celles-ci, à la limite de la décence, par leur immense isolement et leur immense solitude. Bien souvent, elles passent presque tout leur temps devant un poste de télévision, dans des chambres de 7,5 mètres carrés.

Nous avons mis en place un groupe de travail réunissant les ministères concernés. Nous avons essayé d’envoyer très rapidement des messages en nous rendant sur le terrain et en agissant à l’échelon national pour faire prendre certaines mesures d’urgence : simplification de toutes les demandes ; allègement des contrôles, qu’il faut rendre plus humains, en particulier en évitant d’en faire pendant la période du ramadan ; lancement d’expérimentations et de réflexions sur la mutualisation des certificats d’existence entre les différentes caisses et la sécurité sociale ; possibilité de recevoir ces certificats par courriel ; généralisation, ou du moins diffusion d’une structure qui existe dans plusieurs caisses d’assurances retraite et de la santé au travail – CARSAT – et dont j’ai pu voir un exemple à Angers : je veux parler d’ateliers où l’on organise, notamment, des visites au domicile des immigrés âgés.

Comme cela a été rappelé, ces âgés ont des conditions de vie très pénibles.

Ils souffrent dramatiquement de l’isolement, lequel est encore aggravé par leur manque de maîtrise de la langue française. Cet isolement est pris en compte dans la démarche MONALISA, qui réunit les trente grandes associations engagées dans la solidarité. Parmi elles, l’association Ayyem Zamen a mis en place des cafés sociaux, dont le premier est dû à l’initiative de Mme Hoffman-Rispal. Ces cafés sont des éléments importants de la lutte contre l’isolement des migrants, notamment des migrants âgés.

Leur vie de travail les a prématurément vieillis, ce qui ne fait qu’empirer leur situation au moment de la retraite. L’ASPA n’étant pas exportable, nous nous heurtons à une difficulté fondamentale, qui a mené jusqu’à présent plusieurs groupes de travail à l’échec. Mais les décrets d’application de la « loi DALO » vont peut-être nous permettre d’en sortir. Je pense que nous nous retrouverons sur cette piste de la création d’une allocation spécifique, étant observé que la dépense qu’elle entraînera pourra être compensée par l’économie évidente des sommes engagées pour les accueillir – dans des conditions d’ailleurs insatisfaisantes. Un très gros progrès pourrait ainsi être réalisé, pour un coût qui serait en tout cas supportable au regard de l’importance de l’enjeu. J’espère qu’un tel engagement sera inclus dans le projet de loi que je prépare, comme dans le schéma gérontologique de la plupart de nos conseils généraux.

Il y a là un enjeu social, humain, mais aussi sociétal, extrêmement important. Nous devons témoigner à ces âgés la reconnaissance de la République pour leur implication pendant leur vie de travail. Mais nous devons aussi témoigner aux plus jeunes générations que le souci de mémoire de ces migrants, notamment d’origine maghrébine, est bien aussi le nôtre, et que nous savons honorer, respecter et accompagner les personnes vieillissantes.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre. Il y a en effet urgence, car l’âge moyen des chibanis qui vivent dans notre pays en logements collectifs est élevé. Par ailleurs, comme l’a rappelé Mme Touraine, nous devons permettre à ces personnes, qui sont venues dans notre pays pour aider à la reconstruction de la France et participer à son développement rural, de vivre dans la dignité.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Mesdames les ministres, je vous remercie à mon tour pour la clarté de vos propos. J’ai le sentiment que vous avez suivi de très près les travaux de la mission. Certaines des préconisations qui seront dans le rapport ont d’ores et déjà fait l’objet aujourd’hui, de votre part, d’annonces extrêmement importantes.

Ces auditions constituent incontestablement un temps fort des travaux que nous menons maintenant depuis plus de cinq mois dans le cadre de cette mission parlementaire, dirigée par le président Jacquat dans un esprit de consensus. Les attentes sont grandes et nous partageons la même volonté d’améliorer de façon tangible les conditions de vie de ces migrants âgés.

Je suis heureux de constater que vous partagez notre sentiment d’urgence, lié à la très grande précarité et aux caractéristiques socio-sanitaires de cette population. Si les parlementaires et la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale ont pensé nécessaire de créer cette mission, c’est notamment parce que les migrants âgés ont une espérance de vie de dix ans inférieure à celle de nos compatriotes, qu’aujourd’hui deux à trois migrants âgés décèdent chaque jour dans les foyers Adoma, et que plus de la moitié des migrants âgés déclarent être en maladie professionnelle ou avoir été victimes d’accidents du travail.

En entendant des responsables de la sécurité sociale ou des médecins qui suivent de façon régulière ces populations, nous avons appris que celles-ci recouraient moins souvent que les autres aux soins et à notre système de sécurité sociale – contrairement d’ailleurs à ce que l’on peut parfois entendre. En outre, parce qu’elles ont souvent exercé des métiers peu qualifiés, qu’elles ont eu une carrière hachée en raison du chômage ou du comportement des employeurs (travail non déclaré, fiche de paie falsifiée), elles perçoivent des retraites contributives nettement plus faibles que les retraités français. Cette faiblesse a été quelque peu compensée par la mise en place de l’ASPA. Malheureusement, la non-exportabilité de cette allocation de solidarité nationale leur pose de graves problèmes.

Je reviendrai sur quelques points.

Tout d’abord, madame la ministre, vous avez évoqué la question des contrôles. Je fais d’ailleurs partie des parlementaires qui ont attiré votre attention à ce propos. Je rappelle que dès 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) avait recommandé l’utilisation de méthodes de contrôle plus respectueuses des droits fondamentaux et du principe de non-discrimination. Mais si votre réponse m’a rassuré pour l’avenir, je m’interroge sur les dossiers en cours. En effet, des contentieux assez durs opposent les caisses aux chibanis, qui se sont parfois rassemblés dans des collectifs pour tenter de défendre leurs droits et n’hésitent pas à aller jusqu’à saisir le juge pénal. Certains migrants âgés doivent rembourser des indus importants, surtout par rapport au montant de leurs revenus. Le ministère envisage-t-il de réexaminer ces cas et les actions déjà engagées ?

Par ailleurs, l’aide à la réinsertion familiale et sociale était en effet prévue par les articles 58 et 59 de la « loi DALO ». Pour des raisons qui ont été mises à jour dans le cadre des travaux de la mission, notamment grâce au témoignage direct et franc de M. Jean-Louis Borloo, les décrets qui auraient permis la création effective de cette aide n’ont jamais été publiés. Le texte répondait essentiellement à la situation des travailleurs migrants âgés de plus de soixante-cinq ans vivant en foyers et ciblait donc de façon explicite cette population souvent « célibatairisée », qui souffre le plus d’isolement et se sent le moins libre de ses mouvements. De fait, ce sont souvent eux qui gardent une chambre dans le foyer pour pouvoir bénéficier du complément d’ASPA. Au-delà de l’annonce très forte qui a été faite par la ministre, nous souhaiterions savoir s’il est envisagé de publier les décrets, ou si la mise en œuvre de cette allocation pourrait suivre un autre chemin législatif. Avez-vous poussé les expertises jusqu’à savoir selon quel calendrier et sous quelle forme ?

Je reviendrai également sur la contribution des différentes caisses de sécurité sociale, au titre de leur action sociale, à l’amélioration de la situation des résidents de foyers de travailleurs migrants. Comment faciliter l’intervention des services sociaux dans ces foyers ? Comme nous l’avons constaté, ce public très spécifique ne va pas spontanément vers les services sociaux. Les représentants d’Adoma nous ont bien parlé d’une médiation sociale. Malheureusement, sa mise en place n’en est qu’aux balbutiements. Le ministère peut-il l’accélérer ?

Ensuite, comme l’a fait remarquer Mme Delaunay, il est important de sensibiliser les pouvoirs locaux à la problématique des personnes âgées. Il est indispensable d’inscrire systématiquement cette dernière dans tous les schémas gérontologiques, que ce soit à l’échelon départemental ou régional. Mais il ne faut pas oublier de sensibiliser les pouvoirs publics à l’échelle communale. La commune est en effet le premier échelon d’intervention sociale, via les centres communaux d’action sociale (CCAS). Or, l’implication des communes est très inégale. Si certaines communes prennent des responsabilités dans ce domaine, d’autres ne le font pas.

Je voudrais également vous interpeller sur la question de la rupture des droits, notamment lors du passage à la retraite. Comment orienter l’action des régimes de retraite en faveur des publics les plus éloignés de leurs droits ?

Je terminerai par la situation spécifique des conjointes. Souvent, au moment de la retraite, certains travailleurs migrants, qui ont vécu très longtemps seuls en France parce que leur famille était restée au pays, font venir leur conjointe. Ils ont des problèmes de santé, ne sont plus autonomes et ont besoin d’un accompagnement. Celles qui les rejoignent, parfois au bout de trente ans, ne maîtrisent pas le français et n’ont jamais travaillé dans notre pays. Quand leur conjoint décède, elles sont très démunies financièrement car elles n’ont pas de retraite contributive. Il semble qu’il faille porter une attention particulière à ces femmes. La question a été soulevée de façon récurrente au cours de nos travaux.

M. le président Denis Jacquat. Merci, monsieur le rapporteur. Je rappelle qu’en leur temps, les articles 58 et 59 de la « loi DALO » ont été votés à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je m’en tiendrai à la situation des travailleurs migrants qui vivent en foyers. Ceux-ci rencontrent en effet davantage de problèmes que les travailleurs migrants qui se sont intégrés grâce au regroupement familial, et qui vivent à peu près normalement.

Les vieux travailleurs des foyers nous ont souvent dit qu’ils n’étaient de nulle part. Ils ne se sentent bien ni dans notre pays, ni chez eux. Ils ne sont bien que dans l’avion. Nous devons y réfléchir, car nous sommes redevables vis-à-vis de ces personnes qui sont venues à notre demande et nous ont aidés à reconstruire notre pays. J’espère que notre rapport consacrera une partie suffisamment importante à notre devoir de mémoire.

Nous avons compris que l’ASPA ne serait pas exportable, et nous avons entendu le président Jacquat nous rappeler que les articles 58 et 59 de la « loi DALO » avaient été votés à l’unanimité de notre Assemblée. Comme nous l’a très franchement déclaré ici même M. Jean-Louis Borloo, les décrets d’application ont été bloqués pour des motifs politiques. Je pense que l’on pourrait, après expertise, publier ces décrets afin que l’allocation de réinsertion familiale et sociale puisse être mise en place. De fait, un aller et retour en avion coûte très cher à ces travailleurs, qui seraient sans doute très heureux de séjourner un certain temps dans leur pays. Ils nous ont tous dit qu’ils voulaient vieillir en France, mais être enterrés au pays. Cela signifie qu’ils veulent tout de même garder des liens avec celui-ci.

Reste le problème, plus compliqué, de leur accès à la couverture maladie s’ils repartent avec cette allocation de réinsertion. Je suis convaincue qu’ils ne reviendront pas se faire soigner pour une grippe. S’ils doivent revenir, cela sera pour de graves problèmes de santé. Certes, dans certains pays, dont l’Algérie, des systèmes de sécurité sociale sont en train de se mettre en place. Mais ce n’est absolument pas le cas au Maroc ni en Tunisie – et sans doute pas non plus au Mali. Les travailleurs migrants ont tous beaucoup insisté sur le fait qu’ils ont travaillé en France et qu’ils doivent pouvoir s’y faire soigner, même s’ils décident de rester un certain temps au pays.

Je tenais à insister sur ces deux points. Je remercie Mmes les ministres de leur présence, mais aussi le rapporteur et le président pour leur action. Cette mission s’est en effet très bien passée. Elle ne peut pas rester sans effet, sachant qu’un consensus politique s’est formé autour des solutions que nous avons dégagées.

Mme Hélène Geoffroy. À mon tour de dire combien cette mission a été non seulement agréable, mais également chargée d’émotion. Nous avons revisité les cinquante dernières années de l’histoire de notre pays aussi bien d’un point de vue théorique qu’en nous rendant au sein des territoires, y compris en Algérie et au Maroc. Nous avons pu mesurer, notamment dans nos circonscriptions, les attentes suscitées par notre mission. Nous avons fait naître beaucoup d’espoirs. Les préconisations que formulera notre mission devront donc être traduites dans les faits.

À propos de l’aide à la réinsertion familiale et sociale, qui a été fréquemment évoquée tout au long de nos travaux, vous nous avez dit, madame la ministre, que vous étiez décidée à lui trouver une solution et que les expertises étaient en cours. Avez-vous mis au point un calendrier ou disposez-vous d’éléments permettant de penser que l’on aboutira très rapidement, dans l’année ou dans les mois qui viennent ?

À propos des procédures en cours, je ferai cette remarque : au cours de nos auditions, un moratoire nous a très souvent été demandé, et nous avons pu mesurer la détresse des personnes concernées, qui vivent ces situations comme une humiliation.

Madame la ministre, vous avez également abordé la question de l’accès aux droits dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion. Comment décliner ce plan à l’intention de ce public si particulier ? Faut-il prévoir une formation pour les travailleurs sociaux ? Comment mieux intégrer l’accompagnement des bénévoles ? Les associations nous ont fait remonter les difficultés qu’elles rencontrent parfois à rentrer dans les lieux et à y être acceptées, que ce soit dans les foyers ou dans les hôpitaux. Peut-on réfléchir au moyen de faire en sorte que les associations soient mieux acceptées ? Sans doute serait-il utile de travailler avec les consulats des pays concernés qui ont des travailleurs sociaux, en les mettant en relation avec les travailleurs sociaux de nos communes et de nos départements. Même si cela ne relève pas de votre compétence directe, comment, dans un plan pluriannuel, une telle démarche pourrait-elle être exprimée et impulsée ?

Se pose ensuite la question des maisons de retraite et de l’accompagnement des personnes devenues dépendantes. Pour toutes sortes de raisons, liées à l’histoire et aux traditions, il est parfois difficile à des personnes aidantes d’entrer dans l’intimité des immigrés âgés. Y avez-vous réfléchi ? Nous savons que les maisons de retraite sont peu fréquentées par les migrants âgés même si, financièrement, l’aide sociale permet de couvrir les dépenses qu’elles entraînent. Certaines associations ont demandé qu’il y ait des maisons de retraite spécifiques. Je ne crois pas que nous nous engagerons dans cette voie. Irons-nous, de ce fait, vers une transformation des foyers ? L’avez-vous imaginé ?

Je terminerai sur la question des conjointes ou, plus largement, des femmes immigrées âgées. Celles-ci vieillissent dans notre pays, avec de faibles pensions de réversion. Par rapport aux autres femmes âgées, elles ont la particularité de moins maîtriser la langue et d’être plus isolées. Nous savons que leur situation n’est pas simple. Mais nous aurions besoin de disposer d’éléments chiffrés et de statistiques pour mieux connaître cette population et mieux répondre à ses attentes.

Mme Martine Pinville. J’ai moi-même participé à cette mission avec beaucoup de plaisir.

Les immigrés âgés sont une population vulnérable et fragile – état de santé souvent insatisfaisant, notamment chez les femmes ; perte d’autonomie plus précoce que d’autres populations ; surmortalité. Ils peuvent bénéficier de certains droits mais, en raison de difficultés multiples, n’y ont pas accès. Je pense donc qu’il est nécessaire de leur garantir un accompagnement spécifique, à travers l’action des CCAS, des départements ou encore des caisses primaires d’assurance maladie. Pour autant, je sais qu’il est parfois malaisé, notamment dans les foyers de travailleurs migrants, d’accompagner ces personnes vieillissantes et parfois dépendantes.

Mme Kheira Bouziane. J’ai eu moi aussi beaucoup de plaisir à participer à cette mission, d’autant qu’un large consensus existe en son sein. Madame la ministre, vous partagez avec nous le constat que nous avons dressé lors de nos auditions. Vous avez souligné à juste titre qu’il y avait urgence à agir. Vous nous avez annoncé certaines dispositions que nous serons à même d’enrichir, à partir de tout ce que nous avons vu sur le terrain.

Lors d’une audition, quelqu’un a utilisé cette formule que je trouve intéressante : « S’agissant des personnes âgées immigrées, il faut sortir du mythe du retour pour passer à la réalité de l’aller et retour. » Mais ces allers et retours sont parfois générateurs d’inquiétudes et de ruptures de droits. Nous devrons donc faire preuve d’imagination.

Vous avez évoqué quelques pistes destinées à rassurer ces personnes qui sont « invisibles » et éloignées du droit commun. Nous devons en effet faciliter leur accès aux droits car certaines d’entre elles vivent dans une insécurité insupportable. La médiation est un moyen de les accompagner. Mais comment faire pour que, sur notre territoire, quel que soit le lieu où elles habitent, ces personnes âgées puissent avoir accès aux mêmes droits que les autres ?

M. Daniel Vaillant. Tout ce qui a été dit par le président, le rapporteur et nos collègues reflète l’état d’esprit de la mission. Mais la question se serait-elle posée dans les mêmes termes s’il n’y avait pas eu, comme on l’a reconnu ici, un problème dû au fait que la loi qui avait été votée n’a pas été appliquée ? Il est peut-être politiquement incorrect de le dire, mais je pense que cela s’explique par des raisons idéologiques, liées à la situation des étrangers en France.

Si je me suis prononcé pour la création de cette mission, c’est parce que, malgré nos sollicitations, les articles 58 et 59 de la « loi DALO » n’avaient pas reçu d’application. Mme la ministre Marisol Touraine a apporté certains éléments, mais des précisions s’imposent. La logique voudrait qu’il ne soit pas nécessaire de voter deux fois la loi pour qu’elle s’applique, et qu’on puisse résoudre les problèmes de ruptures de droits. C’est une question de justice, qui relève de l’urgence.

Il ne faut pas oublier, bien sûr, de s’intéresser à l’avenir. Mais n’oublions pas que ces migrants âgés, qui étaient une main-d’œuvre recherchée par le patronat de l’époque, ont travaillé, cotisé, vécu dans notre pays. Pourquoi n’auraient-ils pas droit à ces allers et retours ? Il faut traiter cette question pour que l’on comprenne bien, psychologiquement, que l’on a changé de période. À mon avis, cela représente un grand nombre de situations. L’élu du Nord-Est parisien que je suis peut en témoigner.

Ensuite, il faut se préoccuper de l’ensemble des problématiques abordées par la mission et auxquelles Mme Marisol Touraine, Mme Michèle Delaunay et le rapporteur ont apporté des éléments de réponse. C’est le moment de se lancer.

Il suffit de visiter certains foyers pour éprouver un sentiment de honte. Malgré le dévouement de leurs gestionnaires, la situation y est catastrophique. Je considère, pour ma part, qu’on ne pourra la redresser qu’en passant par un partenariat avec les collectivités territoriales.

Au cours de nos visites, nous avons été interpellés sur le mode de vie des migrants âgés. De quel mode vie s’agit-il ? Je ne suis pas sûr que la réponse soit identique pour toutes et tous. Encore faut-il se poser la question de la dignité de la vie, de la sécurité de la vie, et notamment, de l’accès aux soins. La vie en foyer dans certaines conditions est de nature à casser la santé.

Nous devons retravailler sur toutes ces questions et rechercher tous les moyens d’améliorer la situation. À ce propos, je remarque que les cafés sociaux sont utiles pour favoriser l’accès aux droits et à la santé, la convivialité et le retour à une vie sociale. Celle-ci est évidemment impossible quand on reste cloîtré chez soi. Il nous faut donc avancer, et peut-être devrons-nous recourir à la loi.

Nous devrons également nous pencher sur l’avenir des générations d’après les Trente Glorieuses. Celles-ci n’ont pas les mêmes caractéristiques. Elles n’auront pas acquis les mêmes droits par rapport au travail – notamment les femmes. Il est de notre devoir d’anticiper les problèmes qui ne manqueront pas de se poser.

Je pense, comme Michèle Delaunay, que les initiatives liées au mode de vie, aux formes associatives d’aide, au partenariat avec les collectivités territoriales, indépendamment des questions financières, sont essentielles. En effet, lorsque l’on s’éloigne de la proximité, on perd le sens des réalités. Lorsque l’on est proche du terrain, on prend la mesure des problèmes, on leur apporte plus facilement des réponses et on appréhende mieux l’avenir. Cela dit, madame la ministre, si l’on réglait la question des ruptures de droits provoquées par les allers et retours des migrants âgés, je crois qu’on aurait fait œuvre très utile. La mission pourrait, à travers son rapport, manifester l’intérêt que la nation entière porte à ces derniers. Envoyons-leur ce signal pour qu’aucun ne regrette d’avoir finalement choisi la France.

M. Philippe Vitel. Je suis très heureux d’avoir participé à cette mission, parce que j’y ai découvert énormément de choses. Quatre sujets m’ont interpellé : l’accès aux droits, les droits eux-mêmes, le quotidien des immigrés âgés et les relations avec les pays d’origine.

Force est de constater que, malgré la multiplicité des dispositions existant dans notre pays, l’accès aux droits reste difficile pour certaines catégories de personnes. Peut-être ne prend-on pas suffisamment en compte leurs vrais besoins. La situation est encore pire pour les veuves qui sont déracinées et qui, du fait de leur arrivée récente dans le pays, ne peuvent pas appréhender ce que leur conjoint avait pu déjà avoir du mal à appréhender. Nous devons améliorer l’accès aux droits de ces populations, en développant la communication et en sensibilisant tous les acteurs amenés à les côtoyer.

Il nous faut également revoir cette obligation de résidence pour avoir accès aux droits dans notre pays. En effet, elle pèse sur le quotidien et empêche de construire un avenir à un moment de la vie où les fragilités s’accumulent. Il faut donc que l’on étudie sérieusement la question, que l’on revienne sur les textes qui n’ont pas été appliqués et que l’on fasse en sorte que cette contrainte ne soit plus perçue comme un obstacle insurmontable.

Par ailleurs, nous avons passé des conventions avec certains pays. Celles-ci n’ont parfois pas été révisées depuis plus de trente ans ! Il est nécessaire de tout reprendre à zéro, d’autant que les relations que nous entretenons avec les pays d’origine ont évolué et qu’elles sont différentes selon les pays. C’est notamment le cas avec l’Algérie et le Maroc, deux pays voisins dont la population est allée, de la même façon, travailler en France. La situation d’un immigré algérien n’est pourtant pas la même que celle d’un immigré marocain. Nous devrons donc revoir nos relations avec les pays les plus importants de l’immigration et chercher comment travailler avec eux pour que les solutions que nous proposons soient bien comprises de tous. C’est un point qui devra être abordé dans notre rapport.

En conclusion, je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour la qualité du travail que vous avez initié. Aujourd’hui, nous devons trouver les solutions les plus adéquates pour améliorer le quotidien de ces personnes.

Mme Françoise Dumas. Merci pour cette belle mission. Beaucoup de choses ont été clairement énoncées et observées. J’y ai pris moi aussi beaucoup d’intérêt.

Je pense que le vieillissement doit être étudié par le biais de l’analyse de l’interaction entre les facteurs biologiques, l’environnement socioculturel et économique des personnes âgées, leur mode de vie et leur perception sociale de la vieillesse.

Les personnes âgées immigrées sont souvent issues de pays où le vieillissement est conçu comme un processus cumulatif au cours duquel l’individu emmagasine des qualités et de l’expérience pour atteindre la sagesse. Vivre vieux s’apprécie comme un don spirituel dans une société où l’avancée en âge permet de gagner en dignité. Les études anthropologiques qui ont été faites sur un certain nombre d’ouvriers – une étude effectuée dans ma région porte d’ailleurs sur les ouvriers agricoles saisonniers marocains – ont permis de mettre en évidence la dévalorisation des hommes atteints de maladies invalidantes, en particulier le diabète et les maladies musculo-squelettiques qui les rendent inaptes au travail. Leur corps ne leur permettant plus de travailler, ils n’existent plus. Ils se sentent coupables de ne plus pouvoir assumer leur rôle avant d’avoir atteint l’âge d’être un sage. Ils y voient la marque d’un mauvais destin.

Bien évidemment, il n’est pas question de créer une politique spécifique pour une population spécifique, ni de mettre en place un système sectoriel. Nous n’en avons pas les moyens. Néanmoins, il est peut-être nécessaire de mener une réflexion sur les politiques existantes afin que la population des immigrés âgés qui rencontre des problématiques spécifiques soit plus visible et que notre politique réussisse à les cibler.

Comment, à partir des politiques publiques de santé déjà mises en place, élaborer un processus de désignation qui ferait apparaître les besoins de cette population ?

Comment développer une coordination de l’ensemble des politiques pour améliorer l’accès à la prévention, aux soins des personnes les plus démunies et pour que ces immigrés âgés soient également ciblés ? Je pense à la coordination entre les organismes d’assurance maladie des trois régimes, les partenaires institutionnels, les préfectures, les collectivités territoriales, et notamment les départements, les acteurs de l’emploi, de l’hébergement et de l’intégration. Dans cette perspective, quel rôle les associations peuvent-elles jouer avec l’État et les institutions publiques ?

En fait, c’est le travail qui fait naître l’immigré, qui le fait être. C’est aussi le travail qui le fait mourir. À nous de trouver des formules innovantes, notamment en termes d’hébergement et de « vivre ensemble », pour ce public spécifique. Pour ma part, je ne pense pas à des conditions d’accueil très individuelles. Je crois qu’une prise en charge sociale semi-collective serait la plus adaptée pour ces personnes âgées qui ont contribué à faire l’histoire de notre pays et qu’il est nécessaire d’aider.

M. le président Denis Jacquat. Mesdames les ministres, au regard du temps qu’il nous reste, vous pouvez, si vous le souhaitez, nous répondre par écrit sur certaines des nombreuses questions qui ont été posées par les membres de la mission.

M. le rapporteur va traiter d’un point qui n’a pas été abordé : celui de la carte de séjour portant la mention « retraité ». J’ai approuvé sa mise en place. Mais avec le recul, je constate que c’était une fausse bonne idée. Nous souhaiterions connaître votre opinion à ce propos.

M. le rapporteur. Si nous apportons une solution à l’« exportabilité » de la retraite non contributive à travers l’aide à la réinsertion familiale et sociale, nous n’aurons pas pour autant réglé la question de l’accès aux soins et à la santé. En effet, en 1998, dans l’idée de faciliter les allers et retours, on a mis en place la carte de séjour portant la mention « retraité », aujourd’hui proposée en préfecture aux étrangers lors du renouvellement de leur carte de de résident, ou à la place de la carte de résident permanent. On leur explique qu’ils pourront voyager de façon beaucoup plus souple, puisqu’ils n’auront plus besoin de visa. Le problème est que les détenteurs de ce titre de séjour perdent le bénéfice de nombreuses prestations sociales, et notamment des prestations d’assurance maladie. Or, vous le savez, il y a également une condition de résidence en France pour bénéficier de la couverture maladie, que ce soit la couverture maladie universelle (CMU) ou la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Seule une prise en charge sanitaire d’urgence, pour répondre au besoin de soins inopinés, est possible pour les étrangers titulaires de la carte. Aussi, peut-être pourrait-on maintenir ce titre de séjour en vigueur, mais modifier les décrets pour permettre aux personnes concernées de revenir se faire soigner dans le pays où ils ont cotisé. Il s’agit, au fond, de leur restituer l’intégralité de leurs droits.

Mme la ministre des affaires sociales et de la santé. Nous pourrons en effet répondre plus complètement par écrit sur certains points. Pour l’instant, je vais me concentrer sur les principales questions qui ont traversé l’ensemble des interventions.

Je crois qu’il y a aujourd’hui un consensus sur la nécessité d’avancer vers la mise en place d’une aide à la réinsertion familiale et sociale, dispositif qui doit nous permettre de dépasser les contraintes qui existent du fait de la pratique des allers et retours. C’est une voie dans laquelle j’ai engagé le ministère. Je souhaite que nous puissions procéder par voie réglementaire. À ce stade, je ne suis pas en mesure de prendre devant vous un engagement absolu, mais nous y travaillons. Parce que nous avons encore à lever des obstacles ou à répondre à quelques interrogations principalement de nature juridique, je ne veux pas m’avancer sur les délais dans lesquels nous pourrions aboutir. Ma volonté est néanmoins d’aboutir d’ici à la fin de l’année – perspective dans laquelle je fais travailler mes services. Un texte de loi a été identifié, mais il n’a pas été mis en œuvre, parce qu’on s’est aperçu assez rapidement qu’il avait besoin d’être précisé. Il est temps de procéder à ce travail, et c’est ce à quoi nous nous sommes engagés.

Par ailleurs, je tiens à vous rassurer : il n’y a pas de politiques différenciées sur le territoire. Il n’est pas question que ceux qui habitent à tel endroit bénéficient de tel dispositif, mais ceux qui habitent à tel autre endroit n’en bénéficient pas. Les instructions que je vais donner aux caisses seront évidemment les mêmes partout sur le territoire.

Je ferai néanmoins deux observations.

D’abord, ces populations sont concentrées sur certains territoires, ce qui justifie que l’on conduise un travail particulier dans certaines ARS ou avec certaines collectivités territoriales.

Ensuite, j’ai évoqué une expérimentation, mais celle-ci porte uniquement sur la mise en place de parcours de soins. Cela ne signifie pas que la prise en charge au quotidien ne pourra pas avancer et se faire selon les règles de droit commun. Nous sommes en train de mettre en place des dispositifs nouveaux pour l’ensemble de la population sur le territoire français. Et dans le cadre de cette nouvelle politique, j’ai souhaité que la population étrangère vieillissante ne soit pas oubliée. C’est tout ce que j’ai dit. Je n’ai pas indiqué qu’il y aurait d’autres expérimentations.

Vous avez souhaité que l’on puisse accélérer la mise en place des médiations. C’est bien le sens des négociations en cours dans le cadre des COG, et les caisses reçoivent des instructions en ce sens. Au-delà, nous avons engagé les travaux pour que, dans le cadre du Plan pauvreté, se tiennent des états généraux du travail social. Nous voulons précisément que l’amélioration de ce travail social puisse bénéficier, notamment, aux personnes âgées vieillissantes.

Pour ce qui est de la carte portant la mention « retraité », mes services ont commencé à travailler avec ceux du ministère de l’intérieur – qui est pilote sur ce dossier. M. Valls, que vous allez recevoir dans un instant, pourra vous donner des précisions, mais notre volonté est d’avancer ensemble pour faire en sorte que les obstacles que vous avez évoqués n’existent plus et que l’accès à la santé via la CMU puisse être garantie à l’ensemble des personnes concernées.

Pour ce qui est de la sensibilisation des pouvoirs locaux, je crois que nous sommes tous d’accord sur sa nécessité.

Comment éviter les ruptures de droits ? En dehors de ce que je vous ai déjà dit, nous avons engagé une réflexion sur les moyens de faciliter l’accès des immigrés âgés, non pas à la CMU, mais à l’assurance complémentaire santé (ACS) ; des mesures vont par ailleurs être mises en place afin de lutter contre le non-recours à l’ASPA qui, aujourd’hui, ne concerne pas tout le monde.

Enfin, vous vous êtes réjouis que je puisse envoyer des instructions aux caisses pour que les contrôles à venir se fassent dans de meilleures conditions. Pour ce qui est des contrôles en cours, si les procédures de recours sont engagées, nous verrons bien à quoi elles aboutiront. Pour le reste, j’appelle votre attention sur la difficulté d’établir des différences de traitement selon les catégories de population concernées. Nous ne pouvons donc pas instituer des dispositifs qui ne s’appliqueraient qu’à certaines catégories de la population. C’est la raison pour laquelle nous appelons l’attention des caisses sur les situations qu’elles ont à prendre en charge, pour qu’elles fassent preuve de bienveillance et qu’elles anticipent sur les éventuellement modifications les concernant. Nous ne pouvons pas leur demander explicitement et juridiquement de traiter ce public différemment des autres catégories de la population.

M. le président Denis Jacquat. Madame la ministre, merci pour la clarté de votre exposé et pour la précision de vos réponses, et pour les réponses complémentaires que vous voudrez bien nous adresser.

Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Le premier point que j’aborderai est celui de la coordination entre les caisses de retraite. Nous travaillons beaucoup sur ce sujet, s’agissant notamment des mesures de prévention destinées aux personnes classées en groupes iso-ressources (GIR) 5 et 6. L’objectif est de dégager un socle commun dont toutes pourraient bénéficier. Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas s’agissant des populations migrantes âgées.

Le deuxième est celui des maisons de retraite. Le problème se pose régulièrement mais nous n’avons pas encore trouvé de solution. D’ailleurs, très probablement n’y en a-t-il pas qu’une.

On pourrait installer des maisons de retraite dans les quartiers à forte population migrante. C’est une formule qui me tient à cœur. Vous savez que les personnes migrantes recourent peu aux maisons de retraite, en grande partie par tradition familiale. Mais ces maisons seraient réservées aux personnes dont le maintien à domicile est devenu difficile et ouvertes sur le quartier. Le respect envers les personnes âgées est très important et de telles maisons pourraient avoir un rôle structurant dans les quartiers.

On a évoqué la possibilité de maisons de retraites « communautaires », qui permettraient notamment aux résidents d’échanger dans leur langue d’origine. Nous avons en effet constaté que beaucoup d’immigrés âgés étaient isolés, ne serait-ce que pour des raisons linguistiques. Jusqu’à présent, aucune maison de retraite ne peut véritablement être qualifiée de communautaire. Je vais bientôt en visiter une qui s’en approche. J’aimerais avoir votre avis sur cette question, qui me semble importante.

La question des logements-foyers est également ouverte. Je suis pour ma part décidée à soutenir une telle formule, qui s’adapte bien au contexte.

Je voudrais enfin vous parler d’un sujet n’a pas du tout été abordé : les « carrés musulmans » des cimetières. Dans l’état actuel de la loi, la République n’autorise pas les carrés cultuels dans les cimetières. Mais la loi n’est pas respectée. Rien qu’à Bordeaux, il y a deux « cimetières israélites » et un « cimetière protestant ». Le président de la communauté urbaine de Bordeaux, qui est un de vos collègues, a donc laissé ouverte la possibilité d’installer un « carré musulman ». Cela pourrait satisfaire certains travailleurs migrants qui souhaitent aujourd’hui retourner au pays afin d’y être enterrés selon leurs principes religieux, faute d’espaces confessionnels en nombre suffisant en France. Il n’y a aucune raison que la République écarte une telle perspective. Le moment particulier de la mort et de l’enterrement exige le respect des coutumes. Je serais heureuse d’avoir votre opinion là-dessus.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie de vous être saisis du sujet des migrants âgés, qui nous amène à nous interroger sur notre conception du « vivre ensemble », sur notre façon de respecter les différentes cultures et, tout simplement, l’être humain. Je vous remercie de l’avoir abordé dans cet esprit de consensus. Si des dispositions législatives susceptibles d’améliorer leur situation devaient être prises dans le cadre de la loi que je prépare, j’en serais heureuse. Notre République s’honorerait de les voter à l’unanimité.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre, pour vos réponses. À moi de répondre à vos questions et à vos observations.

Le problème des « carrés musulmans » a été abordé lors d’une table ronde ici même. Nos interlocuteurs nous ont indiqué qu’à l’échelon national, il y en avait actuellement deux cents.

Ensuite, faut-il, dans notre pays, des maisons de retraite réservées uniquement aux personnes issues de l’immigration ? Des essais ont été effectués par Adoma. Avec le recul, on peut dire qu’ils se sont soldés par un échec.

S’agissant des maisons de retraites, je tiens à vous citer l’exemple de la commune mosellane de Woippy, qui compte 73 % de logements sociaux et dont la moitié de la population – soit 7 000 habitants sur environ 15 000 – est d’origine immigrée. Une seule personne d’origine algérienne s’est installée dans la maison de retraite construite il y a quelques années. Aucune personne originaire d’un État tiers à l’Union européenne n’est inscrite sur la liste d’attente, qui compte une centaine de noms. Et pourtant, la maison de retraite est située en plein cœur de la commune. En fait, il s’agit avant tout d’un problème culturel.

Les chibanis acceptent de vivre au sein de foyers, ce qui leur permet de vaincre l’isolement. Simplement, ils souhaitent avoir des logements plus grands, d’autant qu’ils savent qu’ils vont rester en France jusqu’à la fin de leurs jours, se contentant éventuellement d’effectuer des allers et retours au pays. Nous avons visité des foyers transformés en résidences sociales ou en unités de vie. Les travailleurs migrants en étaient globalement satisfaits, surtout dans la mesure où cela ne leur coûte pas trop cher. J’ajoute que certains organismes, parmi lesquels Adoma, ne font plus de contrats à l’année, mais des contrats de quatre mois, ce qui est compatible avec leurs faibles ressources. En fin de compte, la dignité que nous devons leur assurer passe par des conditions de logement adéquates.

Les services de l’État nous ont fait que l’on avait décidé il y a trente ans de construire des maisons de retraite en Lorraine, et notamment en Moselle, parce qu’il en manquait. Mais, à l’époque, les habitants d’origine italienne, très nombreux dans cette région, ne mettaient pas leurs parents dans les maisons de retraite. La société a néanmoins évolué et on trouve à présent dans ces établissements de nombreuses personnes d’origine italienne. De la même façon, j’imagine que dans quinze ou vingt ans, les personnes d’origine maghrébine ou malienne seront nombreuses dans les maisons de retraite.

Le problème des services à domicile et des services de soins a été également évoqué. Si les migrants âges n’y ont pas recours, c’est encore pour des raisons culturelles. Ils veulent très majoritairement être soignés par des membres de leur famille, principalement leur épouse qu’ils font venir. J’observe que ces femmes, souvent âgées, illettrées, ne connaissent pas la vie en France et parlent mal le français. Lorsqu’elles arrivent pour s’occuper de leur époux âgé et malade avec lequel elles n’ont jamais vécu plus d’un mois d’affilée, cela n’est pas toujours facile. Bien sûr, lorsque les immigrés âgés ne vivent pas en foyer mais en habitat diffus, cela ne se passe pas trop mal, dans la mesure où leur épouse et leurs enfants vivent avec eux. Il reste malgré tout beaucoup de migrants âgés isolés.

Pour dépasser cet obstacle culturel, nous pourrions proposer un service « à la carte ». Nous étudierons la question avec le rapporteur et les membres de la mission. Nous l’avons déjà dit, dans vingt-cinq ans, ces personnes seront décédées. Mais il est de notre devoir de les aider maintenant qu’elles sont à la fin de leur vie, car elles ont contribué à la grandeur de notre pays.

Mme la ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie. Dans mon intervention sur les maisons de retraite, je me situais déjà dans le futur, en particulier lorsque j’ai mis en avant l’éventuel caractère structurant d’une maison de retraite installée au sein des quartiers.

Je suis bien consciente, par ailleurs, que des problèmes nouveaux sont apparus. Par exemple, l’accueil des malades d’Alzheimer, souvent des femmes, commence à se poser, alors que ce n’était pas le cas auparavant. Nous allons devoir nous en occuper.

De la même façon, quand je parlais de résidences foyers ou de logements-foyers, je ne visais pas les structures de type Adoma, mais au contraire les habitats regroupés, des petits conglomérats, qui permettent d’aménager un espace privatif plus spacieux et plus décent.

M. le président Denis Jacquat. Merci, mesdames les ministres. Nous serons très attentifs lorsque vous défendrez, dans les textes à venir, des dispositions concernant les immigrés âgés, qu’il s’agisse de leur hébergement ou de toute autre matière relevant de votre compétence.

Audition de M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mai 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous terminons nos auditions de ce jour avec M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur.

Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendu par la mission pour nous présenter votre analyse de la situation des immigrés âgés ainsi que les évolutions qui pourraient être envisagées, notamment en matière de droit au séjour, d’accès à la nationalité et de droit funéraire.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je veux d’abord vous dire tout l’intérêt que je porte, en tant que ministre en charge de l’immigration et de l’intégration des populations étrangères, à cette mission d’information sur les immigrés âgés.

Je sais que, durant ces derniers mois, vous avez entendu de nombreux intervenants, des experts, des acteurs associatifs. Vous vous êtes rendus sur différents sites et avez rencontré les immigrés âgés dans leurs lieux d’habitation, en particulier dans les quartiers populaires où ils vivent dans leur grande majorité.

Je me félicite de cette démarche très pragmatique et des perspectives qui seront dégagées.

Vous avez également auditionné les responsables des services du ministère de l’intérieur, le Secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII), le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), le directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) et le délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI). Vous disposez donc d’une grande richesse d’éléments d’analyse provenant du ministère de l’intérieur.

Cette mission d’information a retenu l’intitulé « immigrés âgés » et elle a eu raison. Je vous sais gré d’avoir préféré cette appellation à celle de chibanis, terme qui serait porteur d’un risque de « folklorisation » s’il était employé tel quel par les pouvoirs publics.

Or, c’est précisément avec cette tentation qu’il nous faut rompre ; celle qui consiste à réduire cette population à une catégorie spécifique, tellement spécifique que le droit commun ne trouve pas à s’appliquer à leurs besoins, à leurs conditions de vie, de logement et d’accès aux droits sociaux.

Je considère que notre responsabilité collective est de permettre à ces personnes immigrées âgées – femmes et hommes – qui, pour plus de 70 % d’entre elles, sont en France depuis plus de trente ans, d’accéder pleinement au droit commun de nos politiques publiques – dans les domaines du logement, de la santé et des droits sociaux – et, plus globalement, d’accéder au droit de vivre et de vieillir dignement et en toute sécurité dans notre pays, un pays qu’ils ont contribué à construire et dont ils ont assuré une part de l’essor économique.

Arrivés en France pour la plupart depuis plusieurs décennies, au moment des Trente Glorieuses, les hommes, célibataires géographiques pour l’essentiel, ont été massivement recrutés pour les travaux pénibles de l’industrie et de la mine. Ils n’avaient jamais imaginé vieillir sur le sol français, pas plus qu’on avait imaginé avoir à prendre en charge les conditions de leur vieillissement en France. Et finalement, pour beaucoup d’entre eux, l’émigration a été vidée de son sens et de sa légitimité première, celle du travail, puis du retour. Demeurant en France, ils ont vu leurs conditions de vie se dégrader pour ne reposer, en définitive, que sur une identité sociale faite d’incertitudes, de frustrations, de regrets. Tahar Ben Jelloun a décrit avec beaucoup de justesse ce qu’il a appelé « la plus haute des solitudes », cette solitude liée à l’exil dont souffre cette toute première génération issue de nos anciennes colonies, en particulier du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.

À ce jour, 890 000 personnes immigrées en France ont plus de soixante-cinq ans, 350 000 étant issues d’États tiers à l’Union européenne, en majorité des pays du Maghreb. Parmi ces 350 000 personnes, 60 000 à 80 000 sont considérées comme « isolées ». Ce sont des hommes qui n’ont pas eu recours au regroupement familial. Ce sont aussi des femmes
– dont 25 000 sont de nationalité étrangère –, surtout des veuves, venues en France dans le cadre du regroupement familial. Elles sont restées largement confinées dans la sphère familiale et sont très peu intégrées à la société française.

Selon les données des gestionnaires de foyers, environ 35 000 hommes isolés sont hébergés dans les foyers de travailleurs migrants (FTM) ou les résidences sociales. Par ailleurs, compte tenu de l’évolution des résidents des FTM, la question de la sécurité des immigrés âgés émerge aujourd’hui. En tant que ministre de l’intérieur, je me dois de répondre à cette question. Et je n’oublie pas que j’ai eu à la traiter pendant de longues années, comme adjoint aux affaires sociales à Argenteuil, mais aussi comme maire à Évry où la situation de certains foyers très dégradés peut aboutir à des drames humains.

Une part non négligeable d’immigrés âgés est logée dans des meublés du secteur privé, sur lesquels nous n’avons que peu d’éléments, mais qui doivent nous préoccuper au regard des conditions éventuelles d’insalubrité.

Les difficultés auxquelles ces populations sont confrontées sont multiples et se cumulent souvent. Je ne les listerai pas toutes ; vous les connaissez comme moi. Je me limiterai à celles concernant directement le périmètre du ministère de l’intérieur au titre de ses missions d’intégration.

Ces difficultés sont liées à la précarité et à un état de santé dégradé par rapport aux personnes de la même classe d’âge. Les raisons tiennent, notamment, aux conditions antérieures de travail et à un recours plus faible aux dispositifs de soins.

Ensuite, cette population dispose de faibles revenus du fait des conditions antérieures d’emploi et des problèmes d’accès à une retraite correspondant aux carrières réelles.

On constate également chez les immigrés âgés une faible maîtrise de la langue française et des procédures administratives, ce qui limite d’autant le recours aux dispositifs existant en matière de droits, de santé, ou de maintien à domicile.

Les difficultés rencontrées sont aussi liées au mode d’habitat. Les conditions de logement des hommes isolés sont souvent précaires, voire indignes, et elles sont totalement inadaptées aux besoins des personnes âgées, surtout en cas de perte d’autonomie. Même si une réelle amélioration a été apportée grâce au plan national de traitement des foyers de travailleurs migrants, un réel accompagnement social reste à garantir. Sur ce point, le ministère de l’égalité des territoires et du logement fournira des pistes concrètes.

Les difficultés résultent enfin des allers et retours entre la France et le pays d’origine. Les personnes âgées vivant en famille font des séjours de quelques mois – un à quatre par an – dans leur pays d’origine, alors que les personnes isolées, en particulier les hommes retraités, font souvent des séjours plus longs au pays où vit leur famille.

Ce mode de vie fait de « navettes » entre ici et là-bas crée une difficulté supplémentaire pour une large partie de ces isolés s’agissant de l’accès à certaines prestations médico-sociales et sanitaires liées au vieillissement. Des tensions apparaissent pour l’accès à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et à l’aide personnalisée au logement (APL), toutes deux soumises à une condition de résidence en France. Des contrôles récurrents et ciblés ont attiré l’attention, depuis plusieurs années, sur ces difficultés qui ne sont pas directement liées à la nationalité des personnes.

S’ajoutent à ces problèmes les conditions associées à la carte de séjour portant la mention « retraité » créée par M. Jean-Pierre Chevènement en 1998. Initialement prévue pour faciliter les allées et venues entre la France et le pays d’origine, sans visa et sans limite de temps, elle se traduit dans les faits par une limitation des droits à la sécurité sociale, une rupture de droits à laquelle nous devons être attentifs.

Enfin, l’antériorité de la présence en France de ces immigrés ne se traduit que de manière limitée par l’accès à la nationalité française. La complexité des procédures et des démarches administratives explique cette situation. Comme vous le savez, j’ai engagé deux grands chantiers, l’un sur l’accueil dans les préfectures, l’autre sur l’accès à la nationalité française. Je vous propose d’évoquer ces points en répondant à vos questions.

Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur, ce que je tenais à poser en guise d’introduction.

D’autres à cette place l’ont certainement déjà évoqué, et je le dis à mon tour : nous devons beaucoup à cette première génération, discrète et invisible, travailleuse et courageuse. Nous lui devons reconnaissance et justice sociale. Il y va de la dignité de ces personnes, de celle de leur famille et de leurs enfants devenus Français pour la plupart. Et il y va de la crédibilité de notre promesse républicaine.

Qu’on me comprenne bien : il ne s’agit ni de compassion, ni d’aide – même si c’est aussi l’honneur de la République que de prêter assistance ; il s’agit de droits, des droits de ces personnes.

Il est de notre responsabilité d’agir pour améliorer les conditions de vie de cette génération d’immigrés. Cela nécessitera la mobilisation de tous : des collectivités territoriales, des acteurs associatifs et, s’agissant de l’État, de l’ensemble des ministères concernés
– personnes âgées, santé, lutte contre l’exclusion, culture, anciens combattants et, bien évidemment, ministère de l’intérieur.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté et la brièveté de ce propos liminaire. Nos questions seront néanmoins nombreuses, le ministère de l’intérieur étant en charge à la fois de l’immigration, du droit de séjour, de la circulation des personnes étrangères et d’une partie des politiques d’intégration.

Certaines actions concernant les immigrés âgés sont financées par le Fonds européen d’intégration des ressortissants de pays tiers, dont le programme pluriannuel actuel s’achève en 2013. Cet outil de programmation européen va être fusionné avec d’autres dispositifs. Comment la France compte-t-elle agir pour pérenniser les financements européens destinés aux immigrés âgés ?

La question des foyers de travailleurs migrants a pris une place très importante dans nos débats. En effet, 40 000 immigrés âgés de plus de soixante ans sont logés dans ces foyers. Le premier a été créé à Argenteuil, il y a plus de cinquante ans. Ce sujet a suscité nombre d’interpellations, en particulier lorsque les travaux de notre mission ont été connus par les chibanis et les collectifs qui œuvrent pour améliorer leur situation. Évoqué pour la première fois en 1994, le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants a été relancé en 2005. Sur les 700 FTM existant en France, 450 sont gérés par Adoma ; or, sur ces 450 foyers, environ 250 ont bénéficié d’une reconstruction ou d’une réhabilitation. Il est ainsi clairement établi que, contrairement à ce qui avait été annoncé, la totalité des foyers Adoma n’a pas été réhabilitée depuis 2005. Dans le projet de loi de finances pour 2013, les crédits consacrés à cette action ont légèrement diminué par rapport aux années précédentes – ils sont passés de 12 millions d’euros en 2012 à 11,04 millions cette année. Les représentants d’Adoma nous ont indiqué faire le maximum en termes d’investissements par rapport aux moyens dont ils disposent, et son directeur, Bruno Arbouet, a émis des propositions visant à augmenter la capacité d’investissement. Néanmoins, cette société d’économie mixte étant majoritairement détenue par l’État, c’est d’abord à ce dernier d’accélérer le traitement des foyers. Il serait donc tout à l’honneur de notre pays de transformer ces derniers en résidence sociale, comme celui de Bobigny, devenu un établissement remarquable au sein duquel existe un accompagnement social. Ainsi, l’écart est grand entre ce genre de structures reconstruites ou réhabilitées et les plus anciennes qui, faute d’avoir bénéficié d’un investissement suffisant, sont aujourd’hui totalement dégradées et indignes de notre pays. C’est pourquoi les pouvoirs publics devraient donner une impulsion nouvelle à cette question.

Le cadre juridique de l’accès à la nationalité est également un point très important. Un grand nombre de migrants, dont certains sont présents en France depuis trente ou quarante ans, se sont vu refuser l’accès à la nationalité ou ont abandonné le processus de naturalisation, découragés par l’accueil en préfecture et la difficulté à produire les pièces administratives demandées, les services d’état civil de certains pays d’origine n’étant pas aussi efficaces que les nôtres. Il serait donc souhaitable que le ministère de l’intérieur rende sinon automatique, du moins beaucoup plus simple l’accès à la nationalité pour ces immigrés âgés. Une telle mesure serait le symbole de la reconnaissance que l’on doit à ces personnes, même si toutes ne souhaitent pas accéder à la nationalité française.

Sur l’accueil en préfecture, le rapport de notre collègue Matthias Fekl a été remis au Premier ministre. Des améliorations sont en cours, d’autres sont envisagées. Ce travail mérite d’être salué.

L’attribution de la carte de résident permanent, prévue par l’article L. 314-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), n’est que rarement proposée par les préfectures, notamment aux immigrés les plus âgés qui demandent un troisième, un quatrième, voire un cinquième renouvellement de la carte de résident de dix ans. Il serait donc souhaitable que la carte de résident permanent leur soit délivrée de manière automatique au terme d’un certain temps de présence en France.

La carte de séjour portant la mention « retraité » a fait l’objet de vives critiques devant notre mission, essentiellement parce qu’elle ne permet pas à son titulaire de bénéficier des droits sociaux en France, notamment des prestations de l’assurance maladie, alors que des cotisations sociales continuent d’être prélevées sur sa pension de retraite. Mme Marisol Touraine nous a indiqué que cette question devait être traitée conjointement avec le ministère de l’intérieur. Depuis sa création en 1999, cette carte délivrée en préfecture aux titulaires d’un titre de séjour de dix ans a été présentée comme devant faciliter la vie des retraités étrangers ; or un certain nombre d’entre eux n’ont pas été avertis des conséquences de cette carte sur leurs droits sociaux, d’où son rejet de la part de ceux qui pourraient pourtant en bénéficier.

L’inhumation en France est un sujet important. En effet, si certains immigrés âgés désirent être enterrés au pays, d’autres veulent l’être en France, ce qui pose la question des « espaces confessionnels » dans les cimetières réclamés dans beaucoup de communes. Depuis plusieurs années, des circulaires ministérielles incitent les municipalités à mettre en place ces « carrés confessionnels », mais la concrétisation de ces préconisations se heurte à la bonne volonté et à l’acceptation politique des maires notamment. Il conviendrait donc de les y inciter plus fortement dans le respect du principe de laïcité.

Les auditions d’historiens auxquelles a procédé notre mission ont retracé cinquante années de l’histoire de notre pays. Une histoire, vous l’avez dit, monsieur le ministre, qui a souvent été occultée, au point que le mot le plus souvent employé pour qualifier ces immigrés âgés est celui d’« invisibles ». Invisibles parce que ces personnes ont toujours, par discrétion, évité de revendiquer des droits dont elles devraient pourtant bénéficier dans les mêmes conditions que le reste de la population. Invisibles parce qu’ils n’ont pas eu l’attention ni la reconnaissance que les pouvoirs publics auraient dû leur accorder. Le changement de regard sur les immigrés âgés et sur leur contribution à notre histoire nationale est, pour nous, indispensable dans le cadre du discours général sur l’immigration, afin de faire prendre conscience à nos concitoyens que la France est une société d’immigration. Notre mission estime que notre pays manque de lieux, de temps forts mémoriels, permettant de marquer l’apport positif de ces migrants, notamment les plus âgés, à la vie de la nation. Au travers du programme budgétaire 104, relatif à l’intégration et à l’accès à la nationalité française, c’est étrangement le ministère de l’intérieur qui finance un musée, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à hauteur de 2,6 millions d’euros en 2013, musée où a notamment été organisée il y a quelques mois une exposition intitulée « Vies d’exil » retraçant la vie des Algériens entre 1954 et 1962. Cet établissement constitue un de ces rares lieux de mémoire mais n’a pourtant pas été inauguré officiellement. Monsieur le ministre, au-delà de la question mémorielle, comment valoriser cette cité et d’autres lieux encore, ainsi que la dimension culturelle ?

Enfin, les activités du Haut Conseil à l’intégration (HCI) sont temporairement gelées. Selon nous, il manque aujourd’hui dans notre pays une institution capable de produire des études statistiques incontestables, qui permettraient d’analyser de façon plus fine le parcours de vie des migrants, notamment de ceux présents sur notre sol depuis très longtemps – les données statistiques sur les migrants les moins âgés étant relativement fiables. Si le HCI devait disparaître – il n’a pas forcément joué le rôle qu’on attendait de lui –, il devrait être remplacé soit par une agence indépendante, soit – comme le propose le président Claude Bartolone – par un office parlementaire. Cette question nous semble très importante, monsieur le ministre, car le parcours de vie de ces immigrés âgés est mal connu, malgré leur présence sur notre sol depuis de très nombreuses années. En tout cas, j’espère que notre mission aura permis de mieux appréhender leur situation et que nos préconisations permettront d’améliorer leurs conditions de vie dans notre pays.

Mme Hélène Geoffroy. Nous avons eu beaucoup de plaisir à travailler dans le cadre de cette mission qui nous a permis de mettre en perspective l’histoire des cinquante dernières années de notre pays. Nos nombreux déplacements nous ont donné l’occasion de constater les spécificités de nos territoires et de mesurer à quel point l’histoire de l’immigration était méconnue. Aujourd’hui, il s’agit non de demander des droits particuliers ou de faire preuve de compassion, mais de permettre aux personnes immigrées vieillissantes d’avoir accès à l’intégralité de leurs droits, en particulier en matière de santé.

Parmi les immigrés âgés ayant demandé la nationalité française, certains ont abandonné la procédure de naturalisation, d’autres ont changé d’avis. Sachant que certaines personnes maîtrisent mal la langue française et les circuits administratifs, comment l’accueil en préfecture pourrait-il être amélioré ?

Les associations jouent un rôle très important en matière d’accès aux droits et à la nationalité. Elles se sont présentées comme des facilitatrices et nous ont expliqué la difficulté à travailler avec les administrations. De quelle façon l’accueil de ces dernières pourrait-il être amélioré ?

L’accélération du traitement des foyers de travailleurs migrants est, au regard de l’âge moyen de leurs occupants, une urgence. Les immigrés âgés n’iront pas en maison de retraite : ils resteront dans les foyers – notamment Adoma – qu’il convient donc de réhabiliter.

Enfin, les regroupements familiaux se poursuivent puisque certains immigrés vieillissants font venir en France leur femme afin qu’elle les accompagne dans leur parcours de santé. Nous disposons de peu de chiffres sur les femmes d’immigrés. Nous devons apporter des réponses sur ces aspects.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le ministre, vous avez indiqué que les immigrés âgés ont le droit de vivre en toute sécurité. Or, la situation administrative de ces derniers peut évoluer dans le temps. Comment remédier à cette insécurité ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le ministre, la question essentielle est de savoir si les personnes ayant participé à la reconstruction et au développement économique de notre pays ont le droit de vivre où elles le désirent et comme elles l’entendent. Cette question renvoie aux prestations pour la retraite, aux droits sociaux, mais également aux conditions de logement, d’hébergement, à l’accompagnement en fin de vie, voire à l’inhumation.

S’agissant de la retraite, il n’y a aucune légitimité à ce que les personnes ayant cotisé toute leur vie dans notre pays perçoivent une pension de retraite d’un montant différent selon qu’elles finissent leur vie en France ou dans leur pays d’origine. Les retraités français qui font le choix de vivre leur retraite au Maroc – le plus souvent pour des raisons fiscales – voient-ils leur retraite amputée ? Au nom de la dignité et de la liberté des personnes immigrées, il me semble indispensable de supprimer cette discrimination, au même titre que nous avons voté il y a plusieurs années la « décristallisation » des retraites des anciens combattants.

S’agissant des droits sociaux, la situation est complexe car, en vertu des accords particuliers conclus entre la France et les pays du Maghreb, les systèmes de santé et de couverture sociale diffèrent d’un pays à l’autre, l’Algérie ayant par exemple une vision très large de l’ayant droit, contrairement au Maroc. Il me semblerait donc logique, au nom de l’équité, d’harmoniser la situation des ayants droit.

Monsieur le ministre, nous souhaitons, et nous avons déposé des propositions de loi en ce sens, que l’accès à la nationalité française soit non seulement proposé, mais aussi facilité et accéléré. Une personne désireuse de renouveler son titre de séjour de dix ans devrait se voir proposer par l’administration française, en plus du dossier pour le titre de séjour, celui pour l’accès à la nationalité. En outre, l’administration française ne devrait pas demander aux personnes concernées de reconstituer leur propre état civil, alors même que la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale, n’a pas tenu un état civil correct ou n’a pas su le préserver. Au nom de la dignité de ces personnes présentes sur notre sol depuis vingt ou trente ans, ne peut-on pas leur permettre de reconstruire cette identité à partir d’une date de naissance, certes fictive, mais fixée comme étant la date officielle de leur naissance ?

Il est tout à fait indécent que les personnes âgées doivent attendre pendant douze à dix-huit mois pour obtenir un rendez-vous en préfecture afin de pouvoir retirer un dossier ! Depuis que je suis député, je n’ai de cesse d’écrire au préfet de Seine-Saint-Denis pour réclamer la réduction de ce délai à deux mois. D’ailleurs, à quoi sert ce rendez-vous ? S’il s’agit simplement de retirer un dossier, une solution simple serait que l’administration l’envoie par courrier postal et que les personnes concernées le retournent de la même manière, après l’avoir éventuellement complété sur rendez-vous en cas de pièces manquantes. Cette solution conviendrait aux plus jeunes et aux mieux formés et allègerait la procédure. Pour les plus âgés et les personnes handicapées, est-il si difficile d’imaginer qu’ils pourraient tout simplement être reçus par les communes, ce qui leur éviterait d’attendre parfois de nuit, en bravant les intempéries, sachant que les maires enregistrent déjà les demandes de carte d’identité et de passeport et les délivrent ensuite pour le compte des préfectures ? C’est une question de respect de la dignité humaine.

La question des « carrés confessionnels » est complexe. Notre pays comporte deux édifices un peu particuliers, la Grande Mosquée de Paris et l’Hôpital Avicenne de Bobigny
– près duquel un « carré musulman » a été délimité –, qui ont été construits par la République pour rendre hommage à la contribution des personnes originaires des colonies d’Afrique du Nord pendant la Première Guerre mondiale. Dans le cimetière musulman de Bobigny, initialement propriété de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) avant d’être cédé aux communes d’Aubervilliers, Bobigny, Drancy et La Courneuve, la partie réservée aux « Morts pour la France » vient d’être réhabilitée. Le reste est cependant dans un état indigne ! Il me semble que le ministre de l’intérieur devrait accompagner les communes pour remédier à cette situation.

Enfin, un retraité présent en France depuis vingt à trente ans a-t-il vraiment besoin d’une carte de séjour portant la mention « retraité » ? S’il n’a pas choisi de devenir membre de notre communauté nationale, ne pourrait-il pas se voir délivrer une carte de résident permanent ? Il pourrait ainsi faire des allers et retours entre son pays d’origine et la France, où il a construit des liens, mais la légitimité de sa présence sur le territoire national n’aurait plus à être contrôlée.

Enfin, dans le cadre du regroupement familial, des femmes viennent en France afin d’accompagner leur conjoint en fin de vie. Arrivées tardivement sur notre sol, souvent plus jeunes que leur conjoint, elles maîtrisent mal la langue française et ne connaissent pas notre mode de vie. Monsieur le ministre, avez-vous des pistes à nous proposer sur le traitement qui doit être réservé à ces femmes après la disparition de leur conjoint ? En effet, elles se retrouvent alors très seules sur le territoire national, complètement perdues faute de solidarité familiale et parce que les services sociaux ont beaucoup de mal à les accompagner. Plutôt que de multiplier les obstacles lorsqu’elles souhaitent rejoindre la France, ne conviendrait-il pas de faciliter leur arrivée en prévoyant leur retour au pays une fois leur conjoint décédé ?

M. le président Denis Jacquat. Il est urgent de régler les problèmes auxquels sont confrontés les immigrés âgés de la première génération, la moyenne d’âge des résidents en établissement étant de soixante-dix ans. Ces personnes, qui ont contribué au redressement économique de notre pays, méritent toute notre attention.

M. le rapporteur. Notre collègue Jean-Christophe Lagarde a eu l’occasion d’évoquer précédemment le rôle que pourraient jouer les consulats des pays d’origine. La représentation consulaire de l’Algérie et du Maroc en France est importante, et elle recoupe souvent la carte d’implantation des migrants âgés, notamment des résidents en foyers. Nous avons donc appelé les pouvoirs publics algériens et marocains à porter une attention particulière à ces populations, éventuellement à mieux former certains de leurs personnels. Les autorités marocaines nous ont dit avoir déjà créé, dans certains consulats, des postes d’assistantes sociales. Il nous semble souhaitable de mieux articuler, à l’échelon des départements concernés, le travail des services des préfectures et celui des services sociaux départementaux. C’est pourquoi nous avons proposé aux autorités de renforcer les liens, de façon institutionnelle ou dans le cadre d’accords, entre les consulats, dont la vocation est de recevoir les anciens migrants, et nos services sociaux et d’immigration, amenés à délivrer des documents. Nous vous soumettons cette proposition aujourd’hui, monsieur le ministre, sachant qu’un des obstacles à l’accompagnement de ces personnes est souvent le manque d’information et la difficulté à mieux faire connaître leurs droits, surtout quand elles ne maîtrisent pas parfaitement notre langue.

M. le ministre. L’ensemble des préconisations de votre mission sera bien évidemment étudié par le Gouvernement.

À ce jour, je ne peux m’engager sur les priorités qui seront mises en œuvre dans le cadre du Fonds européen pour l’intégration, qui vient d’être rebaptisé fonds « Asile et migration ». Le dialogue politique du futur fonds, qui aura lieu le 21 juin, devra permettre de définir les orientations pour la période 2014-2020 en fonction des priorités européennes et des orientations nationales. La Commission européenne semble toujours attachée à engager des actions à destination de publics spécifiques, ce qui laisse présager la possibilité de reconduire celles à destination des personnes âgées immigrées. Pour l’heure, nous n’avons aucune certitude, mais nous sommes bien évidemment très attentifs à cette question.

La transformation des foyers en résidence sociale permet aux gestionnaires d’attribuer aux résidents immigrés, notamment âgés, des logements individuels, en remplacement des dortoirs ou des chambres de très petite superficie. Elle permet aux résidents âgés de bénéficier d’un accompagnement social lié au vieillissement, mais également d’accéder aux services de santé et de bénéficier des droits sociaux. Pour 2013, les subventions octroyées aux gestionnaires pour la mise en œuvre de l’accompagnement social et pour le traitement des foyers s’élèvent à environ 10,6 millions d’euros. Ces opérations de transformation ont concerné 320 foyers sur 680 recensés en 1997 : 258 ont été transformés en résidence sociale avec travaux – soit 80 % des 320 foyers et 47 % des 680 identifiés initialement –, et 62 ont été transformés en résidence sociale sans travaux. Je crois qu’il faut maintenir, voire accélérer, l’effort pour traiter les 360 foyers restants. Les crédits à dégager peuvent être estimés à environ 1 milliard d’euros d’aide à la pierre au cours des quinze à vingt prochaines années. J’ajoute qu’un grand nombre de ces foyers est situé dans des quartiers concernés par la politique de la ville, voire par les opérations de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) : c’est le cas d’un foyer Adoma de la ville d’Évry qui va faire l’objet d’une destruction et d’une reconstruction à un autre endroit, mais qui comportera le même nombre de chambres.

S’il paraît souhaitable de donner la priorité au traitement des foyers où les immigrés âgés sont majoritaires, je précise que ce choix relève d’abord d’une demande des propriétaires ou des gestionnaires. Ces projets devraient s’inscrire dans le cadre d’un projet d’accompagnement du vieillissement et faciliter l’accès des immigrés âgés aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de droit commun – et non à des EHPAD destinés à accueillir spécifiquement des immigrés, les expérimentations menées en la matière par deux gestionnaires ayant été peu concluantes –, en les adaptant à la culture des immigrés et, surtout, à leurs ressources financières. Toutes ces actions, même si elles ont un caractère prioritaire et sensible, n’échappent pas au contexte de contrainte budgétaire que nous connaissons. Nous ferons avec cette contrainte. En 2013, 11,04 millions d’euros sont inscrits en loi de finances initiale, et 10,677 millions d’euros après mise en réserve de précaution. J’ajoute que nous serons très vigilants sur les transformations en cours à Adoma : la puissance publique doit piloter ce sujet sans faiblir et en tenant compte des orientations que vous proposerez.

Un ministre du Gouvernement précédent a fait le choix politique de rendre l’accès à la nationalité française plus complexe. Des obstacles à la naturalisation ont écarté de la nationalité des étrangers méritants, installés régulièrement et depuis longtemps sur notre territoire et parfaitement intégrés à la société française. Le nombre de naturalisations a baissé de 40 % entre 2011 et 2012, confirmant le recul de l’année précédente. Infléchir la courbe des naturalisations a été pour moi une priorité dès l’année 2012 : il faut retrouver le niveau de 2008. La circulaire du 16 octobre 2012 adressée aux préfets a donc mis un terme à des critères que je considérais comme discriminants. Il s’agit non de brader la nationalité, mais de lever un certain nombre d’obstacles qui apparaissent absurdes. Alors que les étrangers formulent une demande de naturalisation après seize ans en moyenne de résidence en France, les immigrés originaires d’États tiers n’engagent cette démarche que très tardivement, après de longues années : quarante et un ans pour les Tunisiens, trente-six ans pour les Algériens et trente-quatre ans pour les Marocains. Sur les 2,5 millions d’immigrés venus en France entre 1945 et 1973, 422 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans vivent encore sur notre sol, et près de 200 000 ont demandé la nationalité française, soit à peine la moitié, ce qui est insuffisant quand on sait que la plupart ont fondé leur famille en France et que leurs enfants sont Français.

Les principales difficultés rencontrées par ces populations sont connues. Elles s’expliquent aussi par l’application de l’article 21-16 du code civil qui fixe les conditions de résidence et donc celles des attaches familiales de la personne en France, ce qui constitue souvent un obstacle pour les hommes dont l’épouse réside à l’étranger par exemple. Elles sont également dues à l’application de l’article 21-24 du même code, relatif à la condition de connaissance de la langue française, car les personnes concernées parlent souvent mal le français. Ces difficultés sont enfin liées à la fourniture de documents administratifs ou d’état civil par le pays d’origine. La circulaire du 16 octobre 2012 a d’ores et déjà intégré une disposition spécifique relative à la production d’une attestation de niveau linguistique en prévoyant d’en dispenser les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans. Cette circulaire prévoit également le nécessaire accompagnement des immigrés âgés par les associations financées par le programme budgétaire 104 pour l’accomplissement des démarches d’accès à la nationalité.

Comme vous le savez, j’ai demandé un travail plus approfondi permettant de réformer l’ensemble du dispositif d’accès à la nationalité afin de le rendre plus juste et plus transparent. À ce stade, je n’envisage pas une modification du cadre législatif car je me méfie des débats sur la nationalité – sans doute les choses seront-elles plus faciles une fois la croissance retrouvée et le chômage moins élevé. Tout ce qui pourra être engagé à cadre législatif constant pour faciliter la naturalisation des personnes immigrées âgées le sera : assouplissement de certains critères, simplification des formalités administratives, accompagnement des personnes, amélioration de l’information et de la qualité de l’accueil en préfecture. J’étudierai avec beaucoup d’intérêt les propositions formulées, mais il est d’ores et déjà possible de faire avancer les choses sur les bases actuelles. Une circulaire globale en cours de finalisation remettra à plat l’ensemble des critères et proposera une nouvelle organisation des préfectures. Elle précisera également les conditions de prise en compte des publics vulnérables que sont les immigrés âgés installés en France depuis de nombreuses années. À cet égard, Jean-Christophe Lagarde a eu raison de souligner la situation de la préfecture de Bobigny.

Vous le savez, le regroupement familial est soumis à des conditions strictes de ressources et de logement. L’étranger qui sollicite la venue de son conjoint en France doit être titulaire de revenus au moins équivalents au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Ces conditions d’ouverture sont légitimes dans leur principe et doivent être maintenues : elles garantissent l’intégration du bénéficiaire du regroupement familial et lui évitent de se retrouver à son arrivée en France dans une situation économique ou de logement très précaire. Néanmoins, la condition de ressources peut poser problème, notamment pour les retraités dont la pension est souvent inférieure au SMIC et qui n’ont pas de perspectives d’amélioration de leur situation financière. Ils se trouvent de fait exclus du regroupement familial, même si leur état de santé nécessiterait qu’ils puissent faire venir leur conjoint. En 2007, le législateur a tenu compte de cette difficulté en dispensant de la condition de ressources certains titulaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI). Cette disposition n’est par ailleurs pas applicable aux ressortissants algériens puisque la convention franco-algérienne n’a pas été modifiée. On pourrait donc réfléchir à un assouplissement des conditions de ressources lorsque l’état de santé du demandeur du regroupement familial nécessite la présence auprès de lui de son épouse. Toutefois, cet aménagement devrait être limité à quelques cas spécifiques. En effet, il ne s’agit pas d’introduire dans notre droit une dérogation générale à la condition de ressources et de logement pour les retraités étrangers, qui poserait de manière aiguë la question de l’insertion sociale des bénéficiaires du regroupement familial. Tel est le cadre dans lequel nous pouvons travailler.

En 1998, le législateur a voulu prendre en compte la situation des immigrés âgés souhaitant effectuer des allers et retours entre la France et le pays d’origine. C’est le sens de la création de la carte de séjour portant la mention « retraité » qui s’apparente davantage à un visa de circulation qu’à un véritable titre de séjour. Ce titre est d’ailleurs peu délivré : moins de 1 000 l’ont été en 2011 sur 14 000 bénéficiaires au total. Ces étrangers bénéficient du maintien de leur droit à pension contributive. Toutefois, du fait du transfert de leur résidence principale à l’étranger, ils perdent souvent le bénéfice de certaines prestations, notamment d’assurance maladie. Les étrangers bénéficiaires de ce titre de séjour n’avaient pas nécessairement mesuré, au moment de sa délivrance, son incidence en termes de couverture sociale, ce qui explique les critiques dont il fait l’objet. Aussi un travail interministériel pourrait-il être mené avec trois objectifs. D’abord, améliorer l’information des bénéficiaires quant aux conséquences emportées par l’obtention de ce titre de séjour, qui pourrait peut-être devenir une carte de « retraité résidant à l’étranger ». Ensuite, favoriser un droit au repentir, éventuellement limité dans le temps : les bénéficiaires de la carte « retraité » doivent en effet pouvoir bénéficier à nouveau de la carte de résident à laquelle ils avaient droit auparavant, s’ils souhaitent, après réflexion ou au vu de l’évolution de leur état de santé, rétablir leur résidence principale en France. Enfin, expertiser les incohérences de notre régime de sécurité sociale pour les titulaires de cette carte, notamment au regard des conditions d’accès aux soins en France. Mme Marisol Touraine est engagée dans ce travail interministériel.

J’ajoute que notre droit permet la délivrance d’une carte de résident permanent sans limitation de durée ; or seules 1 065 ont été délivrées en 2012, contre plus de 60 000 cartes de résident. Je m’engage, au besoin par une modification de la loi en 2013 ou 2014, à favoriser la délivrance de cartes de résident permanent pour les immigrés âgés : cette disposition pourrait être intégrée à un texte de loi sur l’immigration portant sur le titre de séjour pluriannuel de trois ans et le « paquet asile ».

La question des « carrés confessionnels » est très importante au regard de la construction d’un islam de France. Elle se pose aujourd’hui avec acuité particulière à mesure que les générations vieillissent. La mort ne fait pas partie du projet migratoire. Dans toutes les cultures et à toutes les époques, elle a fait l’objet d’une approche particulière, dans le respect des traditions et des rites. La France est une terre d’accueil et elle a toujours eu à cœur d’offrir une sépulture à ceux qui l’avait défendue – ce fut le cas après la Grande Guerre. La législation actuelle permet aux maires de délimiter des « carrés confessionnels » – il faut le leur rappeler, et le ministère de l’intérieur continuera à s’y employer. Ces « carrés confessionnels » sont peu nombreux aujourd’hui malgré quelques progrès. Un recensement précis en cours montre qu’ils sont en augmentation – ils étaient 200 (pour les seuls « carrés musulmans ») en 2010. La Seine-Saint-Denis, par exemple, en comptait quatorze en 2012, contre neuf en 2010. Maire d’Évry, j’ai instauré un « carré musulman » à côté du « carré israélite » ; président de l’agglomération d’Évry Centre Essonne, j’ai contribué avec les autres élus à la mise en place d’un « carré confessionnel » dans le cimetière intercommunal. M. Serge Dassault l’a fait à Corbeil-Essonnes. Cela est donc possible. Légiférer dans l’immédiat poserait des problèmes de constitutionnalité. Le droit en vigueur permet déjà aux maires de décider, en vertu de leur pouvoir de police, de l’emplacement des sépultures et donc des regroupements confessionnels de fait. Il est du devoir des pouvoirs publics de faciliter le regroupement lorsque cela est possible, que cela ne lèse personne, afin de permettre à ceux ayant passé l’essentiel de leur vie en France de reposer dans ces espaces. Pour autant, les cimetières sont des lieux de repos et de neutralité. Soyons donc prudents : ces débats sont déjà sensibles et complexes lorsqu’ils concernent le monde des vivants. Certes, c’est une loi qui a permis la construction de la Grande Mosquée de Paris. Néanmoins, je pense que nous pouvons avancer sur ces questions.

Beaucoup de travaux ont été réalisés sur les questions de mémoire et d’histoire. Au milieu des années quatre-vingt-dix, un travail de recueil de la parole des immigrés a été réalisé à Argenteuil avec Mehdi Alaoui, cinéaste et historien. Aujourd’hui, cette parole disparaît. Or l’histoire des immigrations en France, c’est notre histoire, celle de la France. Elle doit être diffusée, enseignée, et c’est la mission de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. C’est parce que nous sommes convaincus que le changement de regard sur les immigrés et que leur contribution à l’histoire nationale sont des éléments essentiels à la compréhension de notre pays et à sa cohésion sociale que le ministère subventionne à la fois la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et diverses associations. Le programme budgétaire 104 participe au financement de ce musée ; il a été ramené à 2,5 millions d’euros en 2013 après mise en réserve de précaution. Le soutien du ministère de l’intérieur est complété par d’autres soutiens au titre de l’appel à projet national, à hauteur de 350 000 euros pour onze porteurs de projet. Les projets concernent des publications et des colloques, pour lesquels des financements proviennent également d’autres ministères. Ces financements sont essentiels pour contribuer à la reconnaissance des anciens combattants étrangers, à la production de recherches universitaires, à la formation des enseignants. La Cité nationale de l’histoire de l’immigration est donc un lieu d’histoire et de culture. J’ai souhaité m’y rendre dès le mois de juillet 2012 avec Jacques Toubon et Mercedes Erra qui ont réalisé un travail de très grande qualité. Ce lieu de rencontre et de valorisation de ces cultures mérite d’être mieux connu, et nous permettrait de sortir du débat sur l’identité nationale.

Le HCI est une belle idée, mais son rôle et ses missions ont été dévoyés. Cette instance est placée auprès du Premier ministre. J’approuve la nécessité de produire du savoir sur ces questions de manière apaisée, monsieur le rapporteur. J’ai moi-même lancé un travail visant à accroître la transparence sur les chiffres dans le respect des règles de la statistique ministérielle, désormais très encadrées par le droit européen. Comme vous, je pense que le nouveau HCI devra, en toute indépendance, jouer un rôle central afin de promouvoir la connaissance en matière d’immigration, d’intégration et de diversité. Les chiffres sur l’immigration des travailleurs et des étudiants, sur celle liée au conjoint français et au regroupement familial permettent de constater qu’un certain nombre de fantasmes peuvent tomber. Le Premier ministre a engagé une refonte de la politique d’immigration : c’est dans ce cadre que les missions, le rôle et le nom du HCI seront appréciés – nonobstant les initiatives du président Bartolone.

Concernant l’accueil des immigrés âgés en préfecture, nous devons nous appuyer à la fois sur l’inspection que nous avons menée et le travail remarquable de votre collègue Matthias Fekl. Un titre pluriannuel constituerait une réponse pour faire baisser le nombre
– absurde – de demandes de renouvellement de titres de séjour d’un an. J’ai nommé une mission d’appui, placée auprès du SGII et du secrétariat général du ministère de l’intérieur, chargée d’expertiser, sur la base d’un diagnostic propre à chaque préfecture, les moyens à mettre en œuvre pour améliorer la situation. C’est pour nous une priorité.

Enfin, concernant la vulnérabilité des immigrés âgés, très démunis face à la complexité administrative, plusieurs propositions seront formulées par votre mission. Peut-être pourrions-nous envisager de mettre en place des guichets spécifiques afin d’améliorer la prise en charge de ce public par les services préfectoraux ?

M. le président Denis Jacquat. Merci infiniment, monsieur le ministre, pour la clarté et la précision de votre exposé et de vos réponses.

Audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture
et de la communication


(extrait du procès-verbal de la séance du 5 juin 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Madame la ministre, votre audition a pour but de mesurer ce qui a été réalisé et ce qui pourrait être entrepris pour valoriser la contribution des populations immigrées des pays tiers à l’Union européenne aujourd’hui âgées à notre histoire commune, mais aussi pour favoriser leur participation et leur contribution à la vie culturelle de notre pays. Votre intervention devant nous s’inscrit dans le droit fil du discours remarquable que vous avez prononcé le 31 août 2012 à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI).

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. La question de la place faite dans nos politiques culturelles aux immigrés âgés est une question cruciale : notre mission, c’est de favoriser l’accès de tous à la culture et aux œuvres, mais aussi d’assurer une meilleure représentation de la diversité des parcours, des horizons et des sensibilités de nos concitoyens. Les richesses culturelles apportées à notre pays par les vagues d’immigration successives ne sauraient être sous-estimées.

Le ministère de la culture mesure toute l’importance de l’accès à la culture des personnes âgées immigrées ; nous ne mettons pas en œuvre pour eux une politique spécifique, mais ils sont pleinement concernés par les politiques de droit commun, en particulier les politiques de cohésion sociale, menées au niveau interministériel. Le ministère a inscrit des propositions concrètes dans le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale ; la forte présence du ministère de la culture au sein des politiques de la ville confirme l’importance de la culture comme outil de cohésion sociale. Nous menons des actions en faveur d’une plus grande diversité des publics, notamment en termes d’âge et de genre.

Nous avons également mis en place, avec le ministère en charge des anciens combattants, un groupe de travail sur le thème de la mémoire de l’immigration.

Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait souligné la nécessité de renouveler l’approche des questions d’intégration. Dans un rapport remis à M. Jean-Marc Ayrault le 11 février dernier, M. Thierry Tuot a souligné les limites des politiques culturelles actuelles, et en particulier le trop fréquent cantonnement des personnes immigrées à leur culture d’origine ou à une sous-culture du divertissement. M. Tuot propose donc des actions symboliques portant sur la mémoire et l’histoire de l’immigration, comme sur la mémoire des quartiers, en lien avec les opérations de rénovation urbaine. Il formule de nombreuses propositions sur des thèmes qui font également partie de mes priorités : éducation artistique et culturelle ouverte à toute la diversité des champs de la création, éducation populaire, développement des mesures en faveur de l’égalité des chances. Il aborde enfin la question des nouveaux médias comme facteurs d’intégration. Ce rapport constitue un travail important, tout à fait cohérent avec ma volonté de promouvoir une meilleure reconnaissance de l’apport culturel des populations immigrées. Mon attention se porte notamment sur le monde du travail : la direction générale des patrimoines travaille beaucoup sur la question du patrimoine industriel, en Moselle, dans la Loire... La valorisation de ce patrimoine permet aussi de valoriser les générations de travailleurs venus d’ailleurs qui ont enrichi notre pays, économiquement, mais aussi culturellement.

La question des programmes et des manuels scolaires concerne bien sûr au premier chef le ministre de l’éducation nationale, mais il nous revient aussi de veiller à la valorisation des artistes et du patrimoine.

Nos commémorations nationales ont trop souvent laissé de côté les anciens combattants venus de nos anciennes colonies ; je souhaite plus généralement que l’on prenne en considération l’apport de toutes les populations immigrées à la construction de notre pays.

Pour remédier à ces lacunes, la Cité nationale d’histoire de l’immigration est un outil essentiel. Elle a deux missions fondamentales : constituer une collection permanente et faire vivre un réseau sur tout le territoire. La Cité a été durement attaquée entre 2007 et 2012 : avec les autres ministres concernés, j’ai souhaité la préserver des efforts budgétaires demandés aux autres institutions et lui redonner les moyens de son action ; son budget a augmenté de 130 000 euros en 2013.

Avec les ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de l’intérieur – qui en est la première source de financement –, nous travaillons à définir, pour l’automne, une nouvelle ambition pour la CNHI. Sa première mission est de travailler sur l’histoire de l’immigration et cela doit rester sa priorité ; la tentation existe d’aller vers une histoire de la colonisation : ce serait à mon sens une erreur. La qualité de sa démarche scientifique est primordiale et doit être préservée. La Cité a également la mission d’accueillir tous les publics, afin de permettre une prise de conscience collective de l’importance des phénomènes migratoires et de leur apport positif à notre culture. Elle met en place des pratiques de médiation culturelle ; elle participe à l’opération « les Portes du temps », organisée pendant les vacances scolaires, ce qui permet à des jeunes souvent défavorisés de travailler sur la représentation de l’immigration et des parcours migratoires. La Cité contribue enfin à mieux faire connaître notre histoire. L’exposition « Vies d’exil. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie 1954-1962 », dont l’un des commissaires était Benjamin Stora, a ainsi connu un très grand succès.

En matière de médias, il nous faut soutenir les pratiques culturelles émergentes, notamment dans nos banlieues ; il faut à la fois accorder une juste place aux nouveaux médias et renouveler l’offre des médias traditionnels à destination des quartiers.

La question de la langue relève du ministère de la culture. Il faut bien sûr garantir la primauté du français et donc en permettre une bonne maîtrise par tous – c’est la condition de la cohésion sociale – mais aussi favoriser la pratique et la transmission des langues d’origine.

Aujourd’hui, les immigrés âgés n’ont souvent pas accès aux dispositifs d’enseignement du français, qui sont réservés aux primo-arrivants ; seuls les cours mis en place par les communes ou les associations peuvent leur être ouverts. Or, les changements dans le code des marchés publics ont provoqué une marchandisation et fragilisé les associations, pourtant les mieux à même de répondre à la demande des immigrés âgés. Ces associations organisent des activités très diverses et nombreuses : il faut soutenir et renforcer encore leurs actions ; en particulier, il faut favoriser une meilleure formation des intervenants bénévoles. La connaissance du français est indispensable, tant pour l’accès aux droits que plus généralement pour la cohésion sociale.

Je veux souligner ici que l’apprentissage du français concerne au premier chef des femmes arrivées en France il y a trente ou quarante ans, qui ont souvent été peu scolarisées dans leur pays d’origine et qui, ici, sont restées confinées dans la sphère familiale : souvent, elles parlent mal le français, et c’est pour elles un frein considérable à l’autonomie. Les immigrés plus récents ont souvent, heureusement, été mieux scolarisés. Il faut aussi prévoir des dispositifs accessibles aux chibanis, qui connaissent le français oral mais ne maîtrisent pas la langue écrite.

Ne laissons pas de côté la question de la fracture numérique : il faut permettre l’appropriation par tous des outils numérique de base, sinon il y aura une sorte d’illettrisme numérique.

Parler mieux la langue, c’est pouvoir accéder plus facilement à l’offre culturelle ; en retour, l’offre culturelle renforce la pratique et la connaissance de la langue. Il faut ici encore travailler avec les associations, qui sont au plus près des populations concernées. Nous avons signé, en 2012, des conventions avec le Secours populaire et ATD Quart monde ; nous venons de renouveler nos conventions avec le Secours catholique, Emmaüs France, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), la Cimade et la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes (FNASAT)-Gens du voyage. Nous voulons favoriser l’accès à l’art et à la culture des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion, mais aussi permettre l’expression culturelle de tous, lutter contre le racisme, la discrimination et l’intolérance.

Il s’agit bien sûr de renforcer l’égalité des chances et l’accès de tous à la pleine citoyenneté. En particulier, la culture permet de poser la question de la laïcité de façon dépassionnée.

Enfin, je voudrais citer la mission « Vivre ensemble » qui permet d’aller à la rencontre des publics peu familiers des institutions culturelles. Je souhaite soutenir cette action, notamment en direction des immigrés âgés, et il me paraît particulièrement important qu’elle se déroule sur tout le territoire de la République.

Les politiques culturelles doivent permettre de faire reculer les inégalités entre les citoyens et entre les territoires : nul ne doit être exclu et nous sommes au service de tous, où qu’ils habitent, quelle que soit leur origine, quel que soit leur milieu social. Hier, le Président de la République a inauguré le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM), à Marseille : ce grand établissement, ouvert sur l’ensemble du bassin méditerranéen, symbolise notre communauté de destin.

M. le président Denis Jacquat. Merci beaucoup de cette riche intervention, madame la ministre. Je me réjouis que vous accordiez une grande importance à la CNHI, car l’audition de son directeur général, M. Gruson, avait impressionné les parlementaires. Je souligne aussi que les associations que nous avons entendues ont beaucoup insisté sur l’importance de l’apprentissage du français pour les immigrés de longue date, notamment les femmes.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. La transmission de la mémoire de l’immigration est cruciale : l’oubli, l’invisibilité, voire la mise à l’écart des immigrés ont été souvent mentionnés au cours de nos travaux. Le rôle des politiques culturelles est donc primordial.

Vous avez largement évoqué la CNHI, dont votre ministère assure la cotutelle. M Gruson, son directeur général, nous a dit avoir essayé d’organiser des visites de la Cité en lien avec Adoma, important bailleur social, sans que ce projet ait pu aboutir. C’est un point certes mineur, mais malheureusement emblématique de la situation de relégation des immigrés âgés dans notre pays : je me permets donc de vous faire passer ce message.

Vous avez parlé d’enseignement scolaire ; il faut souligner aussi les inquiétudes dont nous ont fait part les chercheurs : ils ont du mal à faire reconnaître l’histoire de l’immigration comme un sujet noble ainsi qu’à obtenir des financements pérennes.

Si le cinéma a un peu travaillé la question de l’immigration, la télévision semble en retard sur ces sujets. Ne manque-t-il pas des émissions et des productions consacrées à ces sujets ? Ils sont peu traités par l’écriture télévisuelle, peu abordés lors des débats. Le service public de l’audiovisuel, dont vous exercez la tutelle, ne peut-il pas faire plus et mieux ?

Vous avez rappelé les propositions du « rapport Tuot » sur la conservation de la mémoire urbaine lors d’opération de rénovation. Certaines collectivités territoriales se préoccupent de préserver ces lieux et cette mémoire, mais pas toutes : il pourrait être intéressant de systématiser ces pratiques, qui permettent de mieux associer les habitants à la vie de leur quartier. L’identification de lieux de mémoire, notamment industriels, est quelque chose de très important – je pense notamment, dans mon département, à Billancourt, dont il ne reste que des vestiges : l’apport des immigrés à la vie de l’usine a été majeur.

Que pensez-vous de la proposition, formulée par l’association Génériques, de création d’une journée européenne du patrimoine de l’immigration ?

Le Haut Conseil à l’intégration est aujourd’hui à l’arrêt. Pourrait-il jouer un rôle pour financer la recherche en histoire de l’immigration, voire des projets d’écriture et de diffusion de cette histoire ?

Êtes-vous certaine qu’il faille établir une forte distinction entre héritage colonial et mémoire de l’immigration ? Certains des immigrés aujourd’hui présents dans notre pays ont été français, puis ont cessé de l’être et, pour certains, le sont redevenus. Il paraît difficile de ne pas lier l’accueil qui leur a été fait à la colonisation : même s’il faut peut-être traiter ces problèmes de façon séparée, il ne paraît pas possible de laisser de côté la question de la colonisation.

M. Daniel Vaillant. Les vieux migrants sont des relais essentiels pour dédramatiser les questions de citoyenneté : ce ne sont pas eux qui sont les plus amers à l’égard de la France. Il est très important de leur accorder un statut social, une forte reconnaissance, car leur autorité morale leur permet de transmettre aux jeunes des valeurs morales : ils peuvent ainsi nous aider à lutter contre la violence, l’intolérance et la misogynie.

Il est donc essentiel de leur permettre d’accéder à la culture. Les cafés sociaux par exemple jouent là un rôle majeur. Il est bon aussi de les inviter dans les établissements culturels. Il devrait être possible d’aller vers eux, par exemple en organisant des animations dans les foyers où ils résident : cela permettrait de diminuer l’appréhension qu’ils peuvent ressentir vis-à-vis de nos institutions culturelles. Le ministère de la culture ne pourrait-il pas lancer des initiatives en ce sens ? Souvent, dans ces foyers, il ne se passe vraiment pas grand-chose…

Mme Hélène Geoffroy. Le monde du travail, et du travail industriel en particulier, a été un lieu de rencontre et de construction d’une histoire partagée par des immigrés venus d’horizons très différents, notamment grâce au syndicalisme. Aujourd’hui, dans le Rhône, beaucoup d’anciennes usines textiles sont devenues des friches : nous pourrions en faire des lieux de mémoire. Souvent, les opérations de rénovation urbaine ont aussi arasé les mémoires : nous voudrions pourtant, nous aussi, avoir nos quartiers historiques. L’histoire de l’immigration a souvent été difficile, mais nous ne voulons pas l’oublier.

Il est effectivement indispensable de lutter contre le cantonnement et la relégation, pour redonner de l’autorité aux anciens, et pour apprendre aux plus jeunes à être fiers du parcours de leurs aînés. Le travail des centres sociaux est essentiel, mais c’est un travail de proximité. Il serait bon que la télévision comme la parole politique traitent aussi de l’immigration, en s’adressant à tous.

Mme la ministre. Je me réjouis de ce que la mission d’information accorde une grande place aux politiques culturelles. Notre rôle est effectivement d’offrir à tous l’accès à la culture, mais aussi de faire mieux connaître et comprendre l’histoire de l’immigration.

Je prends bonne note, monsieur le rapporteur, de la difficulté que vous signalez avec Adoma.

Nous continuons de soutenir la recherche. Un appel à projets de recherche a été lancé le 15 mars 2013 sur les pratiques interculturelles dans les institutions patrimoniales. Il existe par ailleurs un groupement d’intérêt scientifique sur ce même sujet.

La création audiovisuelle n’est pas moins importante. Le cahier des charges de France Télévisions lui impose de promouvoir la diversité. Il faudrait sans doute encore renforcer cette dernière, par exemple en faisant appel à de jeunes scénaristes eux-mêmes porteurs de l’histoire de l’immigration – sans bien sûr les y cantonner.

S’agissant des propositions de M. Tuot sur la prise en considération de la mémoire des quartiers lors des opérations de rénovation urbaine, il existe effectivement des initiatives locales en ce sens. Nous pourrions inciter les acteurs de ces opérations à multiplier ce type d’actions. C’est une bonne manière de faire participer les habitants à la vie de leur quartier, mais aussi de promouvoir des pratiques artistiques.

Sur les lieux de mémoire et le patrimoine industriel, je suis entièrement d’accord avec Mme Geoffroy. Le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est maintenant classé patrimoine mondial par l’UNESCO, et nous nous en réjouissons. Le monde du travail a été un creuset. Il a son histoire et sa culture, liées à celles de l’immigration, et il faut les mettre en valeur. Le syndicalisme a naturellement joué un rôle majeur.

Jacques Toubon avait préconisé la réalisation d’un inventaire du patrimoine industriel. Dans la loi sur le patrimoine que nous préparons, j’ai veillé à ce que le patrimoine industriel soit mis en avant.

Monsieur Vaillant, vous avez raison, les vieux migrants peuvent nous aider à apaiser cette histoire et à transmettre nos valeurs, notamment laïques.

Enfin, le lien entre immigration et colonisation est évidemment important, et je ne veux absolument pas l’occulter ; mais histoire de l’immigration et histoire de la colonisation ne sont pas réductibles l’une à l’autre. À mon sens, la CNHI doit se concentrer sur la question, déjà très large, de l’immigration. C’est d’ailleurs plutôt à elle qu’au Haut Conseil à l’intégration – dont le rôle est plutôt l’évaluation des politiques publiques – que je compte donner plus de moyens pour lancer des projets de recherche et des projets artistiques.

L’exposition « J’ai deux amours » a permis à la CNHI de montrer l’intérêt du travail des artistes contemporains sur l’immigration. C’est toute la force de la culture. Partant d’une histoire individuelle, ces artistes atteignent à l’universel. Grâce à eux, grâce à leur art, nous nous sentons tous liés par une communauté de destin.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre.

Audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires
et du logement


(extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat, Mes chers collègues, nous entamons nos auditions de ce jour en recevant Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Madame la ministre, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendue par la mission. Cette audition pourrait être l’occasion d’aborder plusieurs sujets qui intéressent directement nos travaux : l’accès au logement social des personnes immigrées âgées, notamment celles vivant en foyer de travailleurs migrants ; la lutte contre la précarité et l’exclusion ; l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, votée dans le cadre de la « loi DALO », mais jamais entrée en vigueur ; ou encore l’avenir du plan de transformation des foyers de travailleurs migrants.

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, tout d’abord, je tiens à vous remercier de votre invitation et à vous dire que je suis très heureuse que l’Assemblée nationale ait fait le choix de cette mission d’information. La question des immigrés âgés, de leurs conditions de vie et de leur place dans notre société, me semble tout à la fois très importante et trop peu prise en compte et reconnue, et c’est pourquoi je me réjouis que vous vous en empariez. Soyez assurés que je m’appuierai sur les conclusions de votre travail pour ce qui me concerne.

L’histoire personnelle des centaines de milliers de personnes dont nous parlons est intrinsèquement liée à l’histoire de notre pays. Venus en France mus par un projet économique et une farouche volonté de retourner « au pays », ces travailleurs migrants issus des vagues d’immigration des Trente Glorieuses vivent en réalité encore là où ils ne pensaient pas rester. Ces travailleurs, qui ont largement contribué à la reconstruction et au développement économique de notre pays, vieillissent aujourd’hui dans les foyers.

Prendre en compte ces personnes, non seulement isolées, mais encore trop souvent invisibles et silencieuses, est notre devoir. Ce n’est pas seulement parce que nous aurions une dette envers elles : c’est tout simplement parce qu’elles font partie de nos cités, qu’elles habitent ici, qu’elles doivent avoir toute leur place et vivre dans des conditions dignes.

En tant que ministre du logement, je suis bien entendu particulièrement préoccupée par leurs conditions de logement. Vous avez pu, au cours de vos auditions, dresser le diagnostic des difficultés : habitat privé indigne, hôtels meublés pas toujours de qualité, foyers de travailleurs migrants en mauvais état ; je ne vais pas à nouveau en dresser une liste détaillée.

Ma priorité est de faire en sorte que ces immigrés âgés puissent habiter dans des conditions de confort acceptables, mais aussi, au-delà, qu’ils soient considérés comme des citoyens à part entière.

L’un des axes de la politique que je mène pour contribuer à améliorer les conditions de logement des immigrés âgés réside dans la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil.

Le projet de loi « pour l’accès au logement et un urbanisme rénové » (« ALUR ») que j’aurai le plaisir de présenter en conseil des ministres à la fin du mois, contiendra des dispositions en ce sens. Pour l’habitat indigne, je souhaite créer les conditions de mise en place d’un acteur unique afin de simplifier la mise en œuvre des polices spéciales de l’habitat ; concernant les marchands de sommeil, je souhaite mettre à mal ce fléau en instaurant une astreinte administrative lourde et dissuasive.

Selon les estimations, 35 000 immigrés âgés de plus de soixante-cinq ans vivent à ce jour en foyer. À cet égard, je souhaite évoquer deux questions : le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants et la vie des immigrés âgés dans les foyers et résidences sociales.

À la fin des années 1950, lorsque les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de loger ces ouvriers migrants qui peuplaient les usines et les chantiers, les travailleurs avaient fait naître le slogan : « de l’usine prison au foyer cercueil ». En tant que ministre, j’ai un devoir de lucidité, et force est de constater que ce slogan n’a pas pris une ride. Soixante ans plus tard, les conditions dans lesquelles vivent ces immigrés âgés, au regard de la redevance qu’ils paient chaque mois, sont trop souvent intolérables et indignes.

Ces foyers ont été construits rapidement pour répondre aux besoins exponentiels identifiés à l’époque ; ils ont surtout été construits pour une population supposément en transit. Or à présent, nous devons en faire le constat, ces personnes vivent – souvent à plusieurs – dans des chambres exiguës depuis plus de quarante ans. Elles sont aujourd’hui recluses dans ces chambres qui, n’ayant pas évolué avec elles, sont devenues inadaptées au regard de leur âge, de leur mobilité, de leurs besoins. Je souhaite m’attarder sur cette question des besoins, car s’il est légitime d’avoir envie et besoin de bâtir une vie collective au-delà des quatre murs de sa chambre à vingt ou trente ans, c’est également le cas pour les personnes de plus de soixante-cinq ans. La vie collective des foyers, pour un faisceau de raisons, notamment financières ou liées à la sécurité, s’est beaucoup dégradée ; les lieux de vie communs ont souvent été réduits ou supprimés. Cela est particulièrement regrettable.

La situation à laquelle nous sommes confrontés nous impose d’agir.

Je souhaite ardemment que le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, financé par l’État et Action Logement, soit achevé – et ce plus rapidement que prévu. Néanmoins, je voudrais souligner ici qu’il ne s’agit pas seulement d’une question budgétaire.

En effet, la démarche consiste bien à construire des projets partagés, aussi bien avec les collectivités locales qu’avec les résidents eux-mêmes. J’ai déjà eu l’occasion de le dire le 18 février dernier au foyer « Bara » à Montreuil lors de la signature du protocole de reconstruction de ce foyer de travailleurs maliens. Cela a été un moment fort pour cet établissement particulièrement emblématique. Grâce à l’intelligence de l’ensemble des acteurs qui ont uni leurs efforts, une solution a pu être trouvée, alors même que la situation paraissait inextricable. C’est bien parce que le propriétaire, Antin Résidences, et le gestionnaire, Coallia, ont accepté de s’inscrire dans une démarche participative et innovante et qu’ils ont construit un projet viable en lien avec les collectivités et les résidents, que ce protocole tant attendu a pu être signé.

Sur ce modèle, qui démontre que les situations les plus difficiles peuvent être surmontées – le foyer « Bara » se caractérise par une très forte suroccupation et un état extrêmement délabré –, ma volonté est de faire en sorte que les projets soient construits collectivement. C’est le message que je souhaite envoyer à l’ensemble des acteurs : gestionnaires, propriétaires et collectivités locales. Il s’agit de ne pas plaquer un modèle identique partout afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé.

Je sais que les questions posées sont complexes. Si la transformation d’un foyer devenu obsolète et insalubre en résidence sociale apparaît comme la solution préalable à l’amélioration des conditions de vie de leurs occupants, elle n’est cependant pas la solution magique. Certes, il est plus confortable pour les immigrés âgés de bénéficier de studios plus grands et en meilleur état, mais il n’est pas évident pour eux de manger et de vivre seul dans un petit appartement. Aussi, pour un certain nombre d’entre eux, le maintien d’un mode de vie collectif – comme ils l’ont connu pendant plus de quarante ans – est-il nécessaire car leur isolement entraînerait des souffrances psychologiques importantes. Un décalage violent avec leurs modes de vie n’est donc pas souhaitable.

Pour toutes ces raisons, il est nécessaire d’élaborer des projets de manière participative et, le cas échéant, de faire évoluer les règles régissant les résidences sociales. L’enjeu est de trouver le bon équilibre pour répondre aux besoins présents, tout en anticipant les besoins à venir.

D’autres projets intéressants voient le jour. Lors de son audition, l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion sociale (ARALIS) vous a fait part de son expérience de logements partagés.

Ainsi, nous devons faire le pari de l’intelligence collective et laisser la possibilité d’expérimenter de nouveaux usages avec pragmatisme. Nous devons imaginer dès aujourd’hui l’évolution probable de certains de ces lieux.

Il est indéniable que ces démarches d’élaboration collective prennent du temps, mais elles sont indispensables. Pour autant, nous ne pouvons pas rester sans rien faire pour les immigrés âgés dans les foyers non traités, et nous devons donc améliorer leurs conditions de vie dans les foyers existants.

Il s’agit notamment de faire en sorte que les aides au maintien à domicile s’appliquent dans les foyers comme ailleurs. Le ministère des affaires sociales et les gestionnaires travaillent à des avancées en la matière.

Il s’agit également de prendre en compte les travaux d’adaptation nécessaires et, enfin, de maintenir des lieux de sociabilité. En effet, un des plus grands reproches que l’on peut faire à certains travaux de réhabilitation est la suppression de tout espace de vie collective – espace de grande proximité d’autant plus nécessaire que le vieillissement entraîne une perte de mobilité. Je sais que la sécurité représente un réel enjeu, mais je suis très attachée à l’existence de lieux collectifs sous une forme ou une autre. Les opérateurs de l’État ont imposé à ces personnes un mode de vie très collectif, voire hypercollectif ; nous ne pouvons pas, au motif de faire mieux, priver de lien social ceux qui en ont le plus besoin aujourd’hui.

Près de trois cents foyers ont à ce jour été transformés ou sont en voie de l’être. Le plan de traitement a donc avancé. Néanmoins, ne se pose pas la seule question du bâti : nous devons aussi nous préoccuper des immigrés âgés dans les résidences sociales.

Pour cette raison, la nouvelle circulaire relative à l’aide à la gestion locative sociale (AGLS) prévoit explicitement que celle-ci doit permettre aux personnes immigrées âgées de faire valoir leurs droits et de bénéficier des aides. De plus, cette aide est revalorisée, comme le Gouvernement s’y est engagé dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Il s’agit à la fois de relever le plafond de l’aide et de faire en sorte que des nouvelles résidences qui ne pouvaient pas être financées faute de crédits puissent l’être dorénavant. Le soutien fort apporté par le ministère du logement à l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), la fédération professionnelle des gestionnaires, permet également le développement d’outils contribuant à une meilleure prise en compte des problèmes rencontrés.

Enfin, François Lamy, ministre délégué chargé de la politique de la ville, aura l’occasion tout à l’heure d’évoquer avec vous l’action menée par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé).

Je ne vais pas revenir sur la mise en œuvre de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine (ARFS). Marisol Touraine a eu l’occasion de vous présenter ce qui est en cours, sous son égide et en lien avec moi et mon ministère.

S’agissant de l’épineuse question des allers et retours, je suis favorable au développement d’initiatives comme celles que certains gestionnaires ont prises en faveur de de logements partagés. C’est une recommandation du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) dans son seizième rapport. Je ne vous cache pas que modifier la condition des huit mois de résidence pour le bénéfice de l’aide personnalisée au logement (APL) est compliqué. Néanmoins, permettre le paiement de quelques mois de redevance seulement et l’utilisation du logement par plusieurs personnes constitue une solution susceptible de répondre aux attentes et aux besoins et, au final, relativement rationnelle au regard de l’utilisation des logements. J’ai bien conscience que cela est complexe d’un point de vue logistique, et je salue l’engagement des gestionnaires qui explorent cette voie. Je souhaite que nous travaillions à lever les obstacles rencontrés. Cette question n’est pas complètement indépendante de celle de l’ARFS ; il s’agira donc d’articuler ces deux sujets.

Je voudrais aborder un dernier point qui n’est pas spécifique aux immigrés âgés, mais qui les concerne également : celui des droits dans les foyers, du droit au respect de la vie privée et à la participation à la vie des foyers et résidences. Le projet de loi que je vais présenter prévoit des dispositions sur la participation des personnes accompagnées et hébergées. Ces dispositions pourront être complétées dans le cadre du débat parlementaire pour répondre aux attentes des résidents de foyers et résidences sociales.

Enfin, les personnes âgées immigrées doivent pouvoir accéder à un logement « autonome » si elles le souhaitent, notamment pour pouvoir accueillir leur famille. Elles doivent donc avoir les mêmes droits que les autres en la matière. L’effort doit être collectif. Je compte sur le travail en cours visant à améliorer le traitement des demandes de logement social, afin de mieux prendre en compte les demandes des immigrés âgés.

En conclusion, je voudrais réaffirmer que les immigrés âgés doivent avoir toute leur place dans nos villes et que tout doit être fait pour qu’ils ne soient ni relégués, ni oubliés. Pour ce faire, l’implication des pouvoirs publics doit être forte, ces personnes étant généralement peu revendicatrices. Je suis donc déterminée à faire en sorte que nous puissions leur offrir des conditions de vie dignes et un accès au droit commun.

Le rapport de votre mission d’information sera bientôt finalisé et rendu public. La responsabilité du Gouvernement sera de prendre appui sur votre travail et de mettre en place une politique cohérente et globale à destination de ces personnes. Nous ne pouvons pas attendre qu’elles disparaissent à petit feu et dans l’indifférence.

Je vous remercie.

M. le président Denis Jacquat. Merci beaucoup, madame la ministre, de votre exposé particulièrement clair.

Nos préconisations rejoignent les vôtres, en particulier sur les appartements partagés auxquels les immigrés âgés sont très favorables.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Madame la ministre, je vous remercie de votre exposé liminaire qui témoigne de votre connaissance fine de la situation des immigrés âgés, en particulier de ceux encore présents dans les foyers de travailleurs migrants. Vous avez évoqué la quasi-totalité des sujets qui nous ont préoccupés dans le cadre de cette mission. Je souhaite néanmoins revenir sur un certain nombre de questions cruciales pour nous au regard de la problématique du logement.

D’abord, sur les sept cents foyers de travailleurs migrants que compte notre pays, environ 50 % ont été soit reconstruits, soit réhabilités au titre du plan de traitement des foyers. Néanmoins, si l’on additionne le nombre de foyers qui n’ont pas encore été traités par le plan et ceux qui n’en ont jamais fait partie, ce sont environ trois cent quarante foyers qui sont aujourd’hui en mauvais état, puisqu’ils ont été construits dans les années soixante-dix à quatre-vingt et n’ont malheureusement pas bénéficié des travaux nécessaires.

Depuis 1997, Action Logement a participé au financement du plan de traitement à hauteur de 37 %. Suivent l’État à 23 % et les collectivités territoriales à 10 %. Cette répartition de l’effort financier vous semble-t-elle pérenne ? La poursuite du plan de traitement rend-elle nécessaire de repenser la répartition de son financement, voire de mobiliser des fonds nouveaux, comme nous l’a suggéré le directeur général d’Adoma ? En effet, dans le cadre de la répartition capitalistique de cette société, un pacte d’actionnaires est en cours de renégociation, et M. Bruno Arbouet nous a soumis l’idée de faire bénéficier cette dernière de crédits supplémentaires, condition indispensable selon lui à l’accélération du plan de traitement des foyers. Cette piste sera probablement reprise dans les préconisations de notre rapport.

Un grand nombre de communes ne considèrent pas les travailleurs migrants vivant dans les foyers comme des résidents à part entière, en raison de l’extraterritorialité liée à l’implantation et à l’histoire de ces foyers. Ce faisant, elles refusent de leur accorder l’accès à un logement social – auquel ils ont pourtant droit – au motif qu’elles n’ont pas à assumer, en plus de l’accueil dans les foyers, leur relogement dans un parc social, souvent géré par des bailleurs municipaux. Par conséquent, les immigrés âgés sont victimes d’une discrimination, alors que certains d’entre eux souhaiteraient bénéficier d’un logement social de droit commun pour des raisons de vie privée, de regroupement familial ou tout simplement parce qu’ils en ont les moyens.

La transformation des foyers en résidence sociale est indispensable car elle permet une adaptation du bâti et du mobilier au vieillissement des résidents. Néanmoins, cette adaptation entraînera une augmentation des redevances et donc du « reste à charge » de ces personnes dont la modicité des pensions de retraite a été soulignée. Avez-vous des pistes à nous proposer pour remédier à cette situation ?

Il est relativement aisé de disposer d’informations sur les résidents des foyers de travailleurs migrants par l’intermédiaire des bailleurs, au premier rang desquels Adoma. En revanche, comme nous l’ont confirmé des historiens et des sociologues, il est beaucoup plus compliqué d’en obtenir sur les immigrés âgés vivant en habitat diffus, en raison du manque d’études et de recherches sur leur situation économique et sociale. Certes, tous ne subissent pas des conditions de logement précaires ou difficiles, mais beaucoup se sont réfugiés dans de l’habitat privé, souvent indigne. Comment évaluer les besoins de ces personnes isolées vivant dans des logements privés et des quartiers anciens dégradés ?

Enfin, comment faire en sorte que les programmes locaux de l’habitat (PLH) prennent systématiquement en compte la situation des personnes immigrées vieillissantes ? Certaines communes le font déjà, d’autres n’en tiennent pas compte, ce sujet étant laissé à la libre appréciation des collectivités locales. D’ailleurs, certains conseils généraux n’ont pas inscrit dans leur schéma gérontologique cette préoccupation.

Mme Kheira Bouziane. Merci de votre présentation, madame la ministre : elle illustre votre volonté de trouver des solutions au logement des travailleurs immigrés âgés, qui sont, comme nos auditions l’ont souligné, des personnes discrètes et exclues du droit commun.

Dans la mesure où certaines d’entre elles souhaitent quitter leur foyer, mais ont des difficultés à intégrer un logement social, ne pourrait-on pas imaginer de réquisitionner des logements financés par le « 1 % patronal » ?

Mme Hélène Geoffroy. S’agissant de l’APL, madame la ministre, vous avez souligné la difficulté à imaginer un régime spécifique, et l’intérêt d’une forme de colocation. Comment généraliser cette solution, sachant que ces immigrés âgés continueront de faire des allers et retours réguliers entre la France et leur pays d’origine ?

Vous avez évoqué la question très importante des lieux de socialisation. Permettre aux personnes extérieures aux foyers d’y venir, par exemple les associations de quartiers et les habitants âgés d’origine immigrée vivant dans l’habitat diffus, nous semble indispensable. Comment améliorer ces liens afin de permettre aux personnes immigrées de vieillir dignement ?

Mme Françoise Dumas. Merci, madame la ministre, de votre intervention.

Je crois nécessaire de repenser le logement social. En effet, plus les logements sont récents, plus les loyers sont chers. C’est le cas des petits logements adaptés à la perte d’autonomie et au handicap.

Ne pourrait-on imaginer des solutions s’inspirant des maisons en partage, comme dans le Gard pour les personnes en perte d’autonomie ? Ce genre de structure respecte l’indépendance et la vie privée des personnes, tout en assurant une prise en charge par les départements au titre de la dépendance. Je crois beaucoup au rôle des associations pour le maintien du lien social car les immigrés âgés n’ont pas l’habitude de revendiquer des droits, ayant le sentiment que leurs demandes sociales ne seraient pas légitimes.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Madame la ministre, je me réjouis de votre volonté de promouvoir des avancées sur toutes ces questions qui nous préoccupent.

Les immigrés âgés sont très attachés aux lieux de rencontre et de convivialité, qu’ils ont toujours connus, comme les « cafés sociaux ».

Le logement partagé sera très compliqué à mettre en place, même s’il répond à une demande. Quant à la résidence sociale, elle me paraît intéressante à condition de prendre en compte le fait que les personnes, aujourd’hui âgées de soixante-cinq à soixante-quinze ans et vivant dans les foyers, vont encore perdre en autonomie, d’où la question de l’aide relevant de l’ergothérapie à laquelle Adoma ne semble pas avoir réfléchi.

Mme la ministre. Monsieur le rapporteur, vous avez raison d’évoquer l’accélération du plan de traitement. À cet égard, je tiens à saluer le travail de redressement financier d’Adoma engagé par son directeur général. Néanmoins, cet objectif de redressement ne doit pas, selon moi, être la seule orientation de l’entreprise, au risque de la voir se diversifier vers des activités beaucoup plus rémunératrices. Il me semble donc nécessaire de redéfinir le projet d’Adoma, notamment en matière de mission sociale, de niveau de redevance, mais aussi d’accélération du plan de traitement, laquelle sera rendue possible grâce une évolution de son capital. Mais cela ne doit pas être fait au détriment de sa mission éminemment sociale. La logique de rentabilité imposée à Adoma a abouti à des constructions de résidences sociales ne répondant pas aux critères de qualité de vie des résidents. L’entreprise a connu de graves dérives en son sein il y a quelques années, mais la nouvelle direction y a mis fin. Ma position est donc très ferme. Il faut à présent, je le redis, redéfinir son projet social, en plus de l’objectif de traitement des foyers et de l’objectif financier.

Comme vous le soulignez, un certain nombre de collectivités considèrent l’accueil simple du foyer comme une contribution extrême et ne voient pas les résidents comme des citoyens à part entière au regard de leur demande de logement. Le travail que nous menons sur le lieu unique de dépôt de la demande et sur une réflexion dans le cadre intercommunal devrait contribuer à lever ces difficultés.

La transformation des foyers en résidences sociales est un sujet délicat, en particulier au regard du niveau de redevance lié à la qualité des logements. Il faut étudier les projets en amont. En effet, la transformation des trois cent quarante foyers restants, mais avec moins de places et un niveau de redevance les rendant accessibles à de nouveaux résidents, mais pas aux résidents antérieurs, aboutirait à renvoyer ces derniers dans l’habitat diffus. Il faut veiller à ce que scénario ne se réalise pas, car les immigrés âgés dans l’habitat diffus sont une population encore plus vulnérable à cause des « marchands de sommeil », de l’habitat très dégradé, parfois même des maisons individuelles divisées où ils sont locataires d’une chambre avec un accès aux parties communes réglementé en nombre d’heures ! Le projet de loi remédiera à la question du logement indécent en modifiant les dispositions juridiques actuelles, qui sont d’une grande complexité pour les collectivités locales.

Il est compliqué d’imposer par principe l’intégration dans les PLH de la question des immigrés âgés car elle ne se décline pas de la même manière sur l’ensemble du territoire. En revanche, je pense qu’elle doit être prise en compte dans le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD), l’idée étant de fusionner PDALPD et plan départemental d’accueil, d’hébergement et d’insertion (PDAHI).

Madame Bouziane, vous avez évoqué le contingent d’Action Logement dans le logement social. L’étape suivante de la concertation sur les attributions de logement que j’ai lancée concernera l’usage des contingents. Certains d’entre eux doivent contribuer à la résolution de difficultés, notamment celui d’Action Logement sur des territoires. La mise en place du dépôt de la demande dans un lieu unique facilitera la prise en compte des besoins sur les territoires par les bailleurs et permettra de fixer à ces derniers des objectifs de relogement des personnes immigrées âgées. Cette disposition figurera dans le projet de loi ALUR.

Madame Geoffroy, la concertation sur le futur projet de loi a permis d’évoquer la colocation, notamment la possibilité de créer des baux pour les colocataires et de supprimer la clause de solidarité en cas de départ d’un des signataires du bail. À l’heure actuelle, la colocation n’existe pas juridiquement. La suppression de la clause de solidarité est prévue dans le projet de loi.

Vous avez raison : les projets réussis sont ceux qui, dans le cadre de la rénovation ou de la reconstruction d’un foyer, ont prévu des lieux de socialisation accueillant les résidents, mais aussi d’autres personnes – enfants, personnes faisant partie des associations et des bars associatifs. Ce lien entre le foyer et l’ensemble de la vie sociale est extrêmement utile. Dans le cadre de l’élaboration de ces projets, les résidents ont à cœur non seulement de se retrouver entre eux, mais aussi de voir d’anciens résidents installés ailleurs et d’autres personnes. L’association des résidents à l’élaboration des projets aboutit quasi automatiquement à l’émergence de ce type d’opération. Notre responsabilité est de permettre leur financement. En effet, le maintien d’un niveau de redevance limité dans les résidences sociales complique considérablement la création de lieux communs. Je précise que la réglementation sur les établissements recevant du public (ERP), en interdisant l’accueil de plus de vingt personnes simultanément dans les salles, ne sera pas sans poser des difficultés.

Madame Dumas, les maisons partagées, à la frontière entre résidence sociale et logement autonome, constituent des solutions innovantes et très intéressantes. L’évolution du statut de la résidence sociale faciliterait ce type de réalisation qui répond à la problématique du vieillissement que vous avez évoquée, madame Hoffman-Rispal. Les maisons relais, dont la vocation est d’accueillir des personnes en difficulté sociale, peuvent aussi être une très bonne réponse aux personnes vieillissantes, la vie collective étant un élément de sécurisation.

Enfin, la question des allers et retours et des deux lieux de résidence est pour moi primordiale. Les nombreux résidents que j’ai rencontrés m’ont dit : « Nous ne sommes chez nous nulle part, ni ici, ni là-bas ; chez nous, c’est les deux endroits. » Notre pays a la responsabilité d’apporter rapidement des réponses aux besoins de ces personnes, pour lesquelles les moyens financiers ne sont pas hors de portée.

Monsieur le président, je vous renouvelle mes remerciements, ainsi qu’à l’ensemble des membres de votre mission.

M. le rapporteur. Pour terminer, madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le fonctionnement des foyers de travailleurs migrants. En effet, l’interprétation du règlement intérieur par le personnel est très inégale d’un foyer à l’autre, certains résidents ne pouvant recevoir sans avoir déposé au préalable une autorisation auprès du gardien. En outre, certains comités de résidents fonctionnent également de façon très inégale. Je vous soumets donc deux pistes qui figureront probablement parmi les préconisations du rapport de la mission.

Il apparaît nécessaire, d’abord, de faire évoluer ces règlements intérieurs grâce à l’adoption d’une charte nationale de bonne conduite, laquelle contribuerait à homogénéiser les pratiques dans un sens bienveillant à l’égard des résidents.

Il conviendrait, ensuite, d’octroyer le statut de personne morale aux comités d’usagers, ce qui leur permettrait d’être reconnus légalement, mais aussi de mener des animations sociales et culturelles indépendamment des bailleurs, sur la volonté desquels tout repose actuellement.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre, pour la précision de vos réponses. Il est très important que ces personnes immigrées, venues participer au redressement de notre pays pendant les Trente Glorieuses, puissent vieillir dans la dignité et accéder aux aides auxquelles elles ont droit.

Audition de M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville

(extrait du procès-verbal de la séance du 11 juin 2013)

Présidence de M. Denis Jacquat, président

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous entendons maintenant M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville.

Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendu par la mission, afin d’aborder, notamment, la prise en compte des personnes immigrées âgées par la politique de la ville et dans le cadre de la rénovation urbaine, et l’articulation entre la politique de la ville et la politique d’intégration. Vous pourrez également nous parler des projets d’amélioration des actions d’insertion et d’accompagnement actuellement à l’étude.

M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, je vous remercie de m’auditionner sur ce sujet important. Mon propos prolongera l’audition de Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

Ministre délégué à la ville, je suis le ministre des quartiers populaires et concerné par les populations immigrées âgées, puisque 50 % des habitants de ces quartiers sont étrangers ou nés de parents étrangers. La plupart d’entre eux ont exercé des métiers difficiles et participé au développement économique du pays. Aujourd’hui, ils vivent dans une grande précarité, et leur état de santé est dégradé.

La question des immigrés âgés est avant tout une question sociale et humaine, porteuse des stigmates d’une politique d’intégration qui a montré ses faiblesses et ses limites. C’est pourquoi, mon portefeuille étant par nature interministérielle, je parlerai tout particulièrement de la politique d’intégration.

Nos réponses sont, d’abord et avant tout, la mobilisation du droit commun pour permettre aux personnes âgées d’accéder à leurs droits, ou le devoir de reconnaissance et de mémoire en valorisant la transmission de l’héritage de l’immigration ; j’y reviendrai.

Refonder en profondeur la politique d’intégration est un objectif ambitieux du Gouvernement, à condition que nous nous en donnions les moyens. Mon ministère est mobilisé au premier chef compte tenu des articulations multiples entre la politique de la ville et la politique d’intégration.

Cette problématique, en miroir de la stigmatisation ressentie par plusieurs millions de nos concitoyens, dont la plupart vivent dans les quartiers populaires, est un enjeu fondamental pour la cohésion de notre société, d’autant que la crise actuelle fragilise encore un peu plus les fondamentaux de notre « vivre ensemble ». Il est de notre devoir de trouver le « ton juste » : le fait de porter ces sujets n’a pas pour but de cliver encore un peu plus la société française, mais au contraire d’avoir un discours rassembleur, autour du « vivre ensemble ».

C’est d’ailleurs dans cette optique que le Premier ministre engage, en lien avec les ministères de l’intérieur et de la ville, une concertation autour de la refondation des politiques d’intégration. D’ici à septembre, cinq groupes de travail, qui traiteront de culture et de mémoire, de lutte contre les discriminations, d’habitat, de mobilité sociale et de protection sociale, associeront les ministères et les personnalités qualifiées intéressées, rendront leurs conclusions à la rentrée de septembre, afin que le Gouvernement présente un document de stratégie générale au mois d’octobre.

La question des immigrés âgés y sera une question transversale, tant elle touche à toutes les dimensions traitées. Elle fera l’objet d’un volet spécifique dans ce cadre. Je suis convaincu que définir une politique exemplaire à destination des immigrés âgés permettra de favoriser le sentiment d’appartenance des jeunes générations à une société française qui respecte leurs parents et grands-parents.

De la même manière, le respect de l’engagement présidentiel en faveur du droit de vote des étrangers sera un signe de notre volonté politique par rapport à la refondation de la politique d’intégration. Cet engagement, dont on sait qu’il sera concrétisé au Parlement après les élections municipales, est essentiel. Attendu de tous les acteurs des quartiers, il est devenu un principe dans la considération attendue des personnes intéressées qui souhaitent être traitées comme des citoyens à part entière.

Je sais que vous avez eu l’occasion d’auditionner Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’ACSé, l’un des bras armés du ministère de la ville. Elle vous a déjà présenté de manière détaillée l’action de l’Agence ; je vous renvoie donc, à ce sujet, aux éléments de son audition.

Je souhaite, par contre, insister sur deux points qui me paraissent essentiels.

Le premier est celui de la reconnaissance, de l’histoire et de la mémoire.

Le travail sur l’histoire et la mémoire est une préoccupation ancienne de la politique de la ville. Cet intérêt a donné lieu à un grand nombre d’initiatives tant à l’échelle locale, avec les élus et les associations, qu’à l’échelle nationale avec le Secrétariat général du Comité interministériel des villes (SG-CIV), l’ACSé et lAgence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Nous rassemblons actuellement ces nombreuses initiatives afin de les valoriser. L’année 2013 est très importante car elle est marquée par le trentième anniversaire de la Marche pour l’égalité.

Par leur diffusion, ces actions « mémoire et histoire » s’inscrivent directement dans une démarche de lutte contre les discriminations, car elles contribuent directement à modifier le regard porté par la société française sur les habitants des quartiers en renforçant les liens sociaux et les liens intergénérationnels. C’est un enjeu majeur, car parler d’intégration doit, non plus se traduire par une injonction aux « immigrés âgés » et à leurs descendants de s’intégrer, mais plutôt exprimer une volonté de la société française de s’enrichir au fil des ans des différences des citoyens qui la composent, dans le respect des valeurs de la République.

Ces actions ont aussi pour objectif de participer à la reconnaissance et à l’inscription des parcours de ces migrants, qui ont façonné et participé à l’histoire de France, dans notre histoire commune. Le ministère de la ville soutient aujourd’hui une expérimentation autour du 1 % mémoire à Amiens. Cette initiative, que je soutiens avec Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants, et la municipalité d’Amiens, illustre l’idée qu’une action mémorielle n’est pas un « gadget », mais bien une action de mobilisation pour favoriser le vivre-ensemble. En effet, accompagnés dans une meilleure connaissance de leurs territoires et des parcours migratoires, les habitants se sentent plus en confiance ! On construit ainsi les bases d’une future mobilisation citoyenne !

Je lancerai d’ailleurs la semaine prochaine un groupe de travail, animé par l’historien Pascal Blanchard, chargé de présenter des propositions concrètes à l’automne. Ce groupe sera chargé de structurer les bases d’un programme d’intervention national copiloté par l’ACSé et l’ANRU, afin de favoriser la prise en compte de la « mémoire » dans les futurs contrats de ville et opérations de rénovation urbaine. Aucune opération de rénovation urbaine ne devra être réalisée sans mobilisation autour de la mémoire. En proposant cela, je souhaite donner corps à la proposition de M. Thierry Tuot dans son rapport sur l’intégration.

La reconnaissance, c’est aussi la concrétisation de la possibilité d’être enterré en France, selon les rites choisis par les familles. Mourir en France aujourd’hui, pour un musulman, revient encore trop souvent à être enterré le plus rapidement possible hors des frontières, afin de pouvoir l’être selon les rites religieux. Il me semble essentiel, au contraire, d’encourager l’aménagement des « carrés musulmans » dans les cimetières.

Après la question de la mémoire et de la reconnaissance, je souhaite aborder celle de l’accès aux droits.

Vous avez eu l’occasion d’auditionner Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, qui vous ont finement détaillé les mesures spécifiques qu’elles mettent en œuvre.

Pour ma part, je suis favorable à la publication, dès que possible, des décrets d’application de la loi instituant le droit au logement opposable « DALO » de 2007, qui devait permettre aux immigrés âgés de rentrer dans leur pays d’origine tout en continuant de percevoir leurs allocations, et en touchant une allocation supplémentaire calculée selon leurs revenus. Ainsi, selon les articles 58 et 59 de cette loi, les personnes peuvent rester dans leur pays pour de longs séjours et continuer à bénéficier du régime de sécurité sociale et des droits sociaux.

Dans le cadre des engagements concrets de la convention passée entre le ministère de la ville et le ministère des affaires sociales que j’ai signée avec Mme Marisol Touraine et Mme Michèle Delaunay le 19 avril dernier, je souhaite mentionner l’excellente initiative qu’est la Mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées (Monalisa), engagée par un collectif d’associations – centres sociaux, régies de quartier.

Je souhaite également souligner l’action menée par les acteurs de proximité, en prenant exemple sur l’action menée par le collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », qui travaille majoritairement à Toulouse contre ce qu’il appelle le « harcèlement administratif » en pointant du doigt certaines pratiques des services sociaux. En 2009, ce sont trois associations toulousaines soutenues par l’ACSé, La Case de santé, le Centre d’initiatives et de ressources régionales autour du vieillissement des populations immigrées (CIRRVI) et le Tactikollectif, qui ont fait émerger ce mouvement, étendu depuis à d’autres villes.

La convention interministérielle conclue entre le ministère de la ville et celui des affaires sociales comme les décisions du conseil interministériel des villes du 19 février dernier confirment l’engagement de l’ensemble du Gouvernement dans la lutte contre les discriminations, dont j’ai chargé l’ACSé de la mise en application.

Les derniers obstacles à l’accès aux droits sont ceux qui relèvent d’une insuffisante information d’une partie des usagers immigrés pour faire valoir leurs droits. Je demanderai à l’ACSé d’engager des actions spécifiques en faveur des immigrés retraités sur cette question, dès que les conclusions de votre mission d’information seront rendues publiques.

Je continuerai à soutenir l’ensemble des associations qui œuvrent en matière d’accès au droit – le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), ou encore le Comité médical pour les exilés (COMEDE) – soutenues de nouveau par l’ACSé, après avoir subi une forte baisse de leurs crédits ces dernières années.

En outre, ma volonté est de sanctuariser en 2014 et 2015 les crédits destinés aux associations de proximité, acteurs indispensables du lien social dans les quartiers populaires. La reconnaissance de leur rôle serait ainsi appréciée à sa juste valeur par le monde associatif dans le contexte actuel. Je souhaite l’appui du Parlement en la matière.

Avant de conclure, je dirai quelques mots sur les foyers de travailleurs migrants (FTM), qui ont fait l’objet de discussions au sein de la mission.

Les foyers de travailleurs migrants font l’objet, depuis 1997, d’un plan national de traitement visant à les transformer en résidences sociales respectant les normes actuelles de logement. Tous les FTM ont vocation à devenir, à terme, des résidences sociales et à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes, notamment grâce à l’aménagement de sanitaires adaptés et de rampes d’accès, mais aussi à permettre l’intervention de tous les services de droit commun, tels les services infirmiers à domicile.

Les travaux du plan de traitement relèvent soit de la réhabilitation lourde, soit de la démolition-reconstruction. La délimitation des aides de l’État et de l’ANRU est la même que pour les logements sociaux classiques : l’ANRU subventionne les travaux dans les quartiers faisant l’objet d’une convention ANRU ; l’État le fait partout ailleurs. Cependant, quand l’ANRU ne dispose pas des crédits suffisants, notamment pour les projets de rénovation urbaine (PRU) contractualisés tardivement, les aides à la pierre de droit commun peuvent être mobilisées.

Je suis évidemment favorable à l’accélération du plan de traitement des foyers, afin d’améliorer les conditions de vie des immigrés âgés.

Enfin, tous les futurs projets de rénovation urbaine, lorsqu’ils comporteront des foyers, prendront en compte de manière prioritaire la réhabilitation de ces derniers, dans le cadre d’une approche globale liant urbain et social, articulation qui sera à la base des futurs contrats de ville, objet de la réforme de la politique de la ville en cours.

Je vous remercie.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Merci, monsieur le ministre, de cet exposé très complet.

Les mesures décidées lors du conseil interministériel des villes du 19 février dernier visant à « territorialiser les politiques de droit commun » devraient apporter des réponses en matière d’accès aux soins, à travers le « Pacte territoire santé », mais aussi dans le cadre de la lutte contre l’isolement des personnes âgées dans les quartiers prioritaires.

La sensibilisation des pouvoirs publics locaux à la prise en compte des immigrés âgés est très importante. L’engagement de l’ensemble des collectivités – conseils généraux et communes – sur les questions liées au vieillissement nous semble indispensable au regard des spécificités territoriales et des pratiques hétérogènes en la matière. Nous pensons utiles de rendre systématiques les partenariats dans les territoires où vivent les immigrés âgés, territoires qui dépendent très souvent de la politique de la ville. Les immigrés âgés vivant quasiment toujours dans les quartiers populaires, les foyers et les territoires concernés sont identifiés.

Un grand nombre d’associations, comme le GISTI et la FASTI, ont attiré notre attention sur l’articulation entre la politique d’intégration et les politiques de la ville et de la cohésion sociale. En effet, s’il existe des dispositifs d’accueil en faveur des primo-arrivants, les personnes présentes sur le territoire national depuis très longtemps sont malheureusement confrontées à une relative indifférence de la part des pouvoirs publics s’agissant de leur parcours migratoire. Il nous semble que la politique de la ville devrait prendre en compte cette situation, sachant que ces personnes sont arrivées dans notre pays à une époque où les ministères de la ville et de l’immigration n’existaient pas.

Une grande partie des immigrés âgés est accompagnée par le milieu associatif, certaines associations ayant été créées spécifiquement autour du vieillissement de ces migrants et de la problématique des chibanis. Elles ont exprimé auprès de la mission leur inquiétude face à la baisse, voire la suppression, de leurs subventions, cette instabilité financière fragilisant leurs projets de long terme. Des pistes sont-elles à l’étude pour sécuriser ces financements, notamment dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) ? Le tissu associatif est un pilier dans l’accompagnement de ces personnes, surtout au moment de leur vieillesse, et il nous semble légitime, en dépit du contexte budgétaire, que le Gouvernement en tienne compte. En tout cas, le Parlement sera particulièrement vigilant sur cette question.

Dans son rapport remis au Premier ministre en février dernier, M. Thierry Tuot évoque l’édification de lieux de mémoire, en association avec les habitants et éventuellement sous l’égide de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. En effet, si certaines communes essaient de faire revivre, dans le cadre de projets urbains, la mémoire des populations ayant vécu dans les quartiers, notre pays manque de lieux dédiés, rappelant de manière symbolique l’apport des migrants à son histoire industrielle et urbaine. Il nous semblerait donc intéressant que votre ministère réfléchisse à cette question.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Merci, monsieur le ministre, de votre engagement, en particulier sur le décret d’application des articles 58 et 59 de la loi DALO. Je pense que notre administration est parfois bien sévère à l’égard de ces personnes en leur infligeant des pénalités sous prétexte qu’elles ne sont pas revenues en France au bout de six mois et deux jours, quand bien même elles étaient restées au pays pour cause de maladie.

S’agissant des carrés musulmans, une proposition de loi du Sénat discutée il y a trois ou quatre ans n’a pas arrangé les choses. Il me semble nécessaire de revoir les dispositions en la matière.

Certes, la mobilisation du tissu associatif pour l’accès aux droits de nos migrants âgés est une très bonne chose ; néanmoins, cela ne suffira pas, car ces derniers souffrent avant tout d’un problème de langue. Ne peut-on imaginer des conventions entre notre pays et les trois pays du Maghreb et le Mali, afin que leurs consulats collaborent avec nos centres d’action sociale pour remédier à ce problème ?

Enfin, un texte sur la cohésion sociale a rendu les actions en matière d’alphabétisation beaucoup plus difficiles qu’auparavant en raison de l’obligation d’appel d’offres, qui prive souvent les centres sociaux de subventions. Il me semble nécessaire de remédier à cette situation.

Mme Françoise Dumas. Associer les consulats est une très bonne idée.

Les associations, notamment d’aide à domicile, peuvent jouer un rôle d’interface, voire de médiation entre les migrants âgés et les services sociaux et les administrations. Elles sont à même d’identifier les besoins des migrants âgés, surtout ceux qui résident en foyer. Dans le cadre de la politique de la ville, il faudra conforter dans leur rôle les cafés sociaux, mais également les médiateurs des associations – en particulier au regard de leur financement –, dont certains parlent la langue des immigrés.

Il convient de repenser la question du logement en imaginant des parties communes, de convivialité et de socialisation, afin de maintenir le lien entre ces personnes qui avaient l’habitude de vivre ensemble et étaient peu reconnues en dehors de leur travail.

Au final, il faut à la fois aider les immigrés âgés à conserver cette identité qu’ils se sont créée, malgré eux, souvent dans une situation d’isolement et de souffrance, et pallier leur perte d’autonomie en maintenant ce lien social avec les autres personnes âgées et la vie sociale dans les quartiers.

Mme Hélène Geoffroy. Cette mission, qui s’achève, nous a permis de balayer cinquante ans de notre histoire et de nous rendre compte à quel point la question des immigrés âgés concerne la majorité des villes de notre pays.

Je souhaite revenir sur les liens entre contrats de ville, reconnaissance et mémoire. En effet, il convient de travailler non seulement au plus près des immigrés, c’est-à-dire avec les centres sociaux et les associations, mais aussi au niveau national en inscrivant pleinement ces personnes dans notre histoire nationale. En outre, dans le cadre des rénovations urbaines, il faut tenir compte des quartiers et de leur histoire – du patrimoine industriel, des constructions retraçant les immigrations. À cet égard, il me semble important de conserver des vieux quartiers, à l’image des vieux centres-villes dans les agglomérations.

Enfin, les associations de proximité et celles qui interviennent dans les foyers créent le lien social et permettent aux immigrés âgés, confrontés aux administrations, d’accéder à leurs droits.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le ministre, merci pour votre volonté de promouvoir des avancées.

Votre souhait de voir sanctuarisés les crédits des associations marque la reconnaissance de leur rôle et de leur travail auprès de nos immigrés âgés.

Je salue également votre engagement sur la publication du décret d’application des articles 58 et 59 de la loi DALO.

Je voudrais faire une remarque sur l’implication des consulats, même si celle-ci fait consensus. En effet, il ne faudrait pas que les personnes immigrées âgées, qui aujourd’hui sont isolées et confrontées à de grandes difficultés, passent « sous la coupe de certains » – le risque existe. Il convient donc d’être très vigilant en matière de conventions. Pour ma part, je suis favorable à un service de l’État français, à l’image des services aux migrants qui existaient autrefois dans nos départements et qui ont totalement disparu – ils sont aujourd’hui remplacés par les associations.

Enfin, si les foyers présents dans les quartiers populaires feront l’objet d’une rénovation, qu’en est-il des autres ? Vous avez évoqué la réforme de la géographie de la politique de la ville. Des moyens seront-ils dégagés pour rénover les foyers en dehors de ces quartiers ?

M. le ministre. L’engagement de « territorialiser les politiques de droit commun » est en effet inscrit au chapitre 2 du relevé de décisions du Comité interministériel des villes du 19 février 2013. C’est un titre auquel je tenais particulièrement parce qu’il signifie bien ce que je souhaite faire dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il s’agit de faire en sorte que les administrations françaises prennent en compte les différences qui existent dans les territoires, entre les villes, mais aussi à l’intérieur des villes, et le fait que les politiques ne peuvent pas être appliquées indifféremment dans tous les quartiers. J’ai conscience que cela mettra du temps : le travail commencera une fois les conventions signées avec les ministères concernés – cinq ou six le sont d’ores et déjà, cinq sont en cours de négociation ou de rédaction. En effet, les habitudes ont parfois la vie dure, dans certaines administrations plus que dans d’autres – moins au ministère des affaires sociales et de la santé puisque des politiques territoriales sont d’ores et déjà menées dans le cadre des contrats locaux de santé qui devraient devenir les volets santé des futurs contrats de ville. Dans ce cadre, je suis favorable, avec Marisol Touraine, au développement des maisons de soins, qui sont une bonne réponse à une offre de soins au sein des quartiers prioritaires, tout particulièrement pour les personnes âgées. Pour cela, il faut au préalable un projet émanant du terrain
– associations, professionnels, élus. Marisol Touraine et moi-même prenons l’engagement de soutenir tous les projets, avec les crédits de cohésion sociale et de l’ANRU, soit en investissement direct, soit en soutien à l’équipement de maisons de soins mises en place par les collectivités. Aussi convient-il de développer une méthodologie qui sera proposée au monde associatif ou aux collectivités désireuses de s’engager dans la création de maisons de soins. La territorialisation des politiques de droit commun vaut d’ailleurs pour l’ensemble des dispositifs. Je précise que la situation des personnes âgées dans les quartiers relevant de la politique de la ville est une problématique nouvelle. On parle beaucoup de la jeunesse des quartiers populaires, il n’en est pas moins nécessaire de développer un axe spécifique de la politique de la ville compte tenu du vieillissement de la population de ces quartiers. Le bon outil sera le contrat de ville.

Douze sites vont expérimenter ces futurs contrats de ville. Mon souci est d’élargir le nombre de signataires, sans transformer ces contrats en usines à gaz. Pour cela, j’ai à cœur que les thématiques qui y seront abordées ne soient pas définies de Paris, mais correspondent le plus possible à la réalité du terrain, sachant que les quartiers ont des histoires différentes. Dans ce cadre, je souhaite la mobilisation de trois volets transversaux obligatoires : un volet jeunesse ; un volet égalité hommes-femmes ; et un volet lutte contre les discriminations et les stigmatisations, à l’intérieur duquel pourraient être développés des axes de travail sur les questions de la mémoire et de l’accès aux droits des retraités âgés.

S’agissant de l’articulation entre les politiques d’intégration et les politiques de cohésion sociale, le Gouvernement a engagé une concertation, comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire. En trente ans, les problématiques ont beaucoup changé, et le regard de la société, y compris celui des héritiers de l’immigration, n’est plus le même. J’ai la volonté de voir reconnue la discrimination sociale dont sont victimes ces populations immigrées, quelle que soit leur origine réelle ou supposée. Comme j’ai pu le constater en visitant plus de cent dix quartiers, si les populations se sentent parfaitement intégrées à la société française, il n’en demeure pas moins que ce phénomène de discrimination ressentie est réel. C’est pourquoi la refondation de la politique d’intégration est un élément majeur.

Cela suppose de réfléchir à la gouvernance, qui évolué au cours des cinq dernières années. En effet, c’est le ministère de l’intérieur qui conduit actuellement les politiques d’intégration. Et l’ACSé, prolongement du Fonds d’action sociale pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leur famille (FAS) et du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), s’est vu retirer ses crédits intégration au profit de la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l’intérieur, créée en 2007 ; néanmoins, elle continue à mener des actions de soutien au monde associatif. La répartition des rôles au sein du Gouvernement devra être arbitrée dans le courant du mois d’octobre. Cette clarification permettra de sécuriser, dans le cadre des conventions pluriannuelles d’objectifs, le financement des associations, comme la FASTI et le GISTI. Pour ma part, je suis très attaché à la sanctuarisation des crédits pour 2014 des grandes têtes de réseau spécialisées dans la lutte contre les discriminations et les stigmatisations.

Par ailleurs, je souhaite que le groupe de travail qu’animera Pascal Blanchard propose une méthodologie qui permette la création de lieux de mémoire ou l’instauration d’obligations à l’intérieur des contrats de ville pour développer la mémoire des habitants
– voire la mémoire des lieux, madame Geoffroy, mais il faut dans ce cas-là des lieux de mémoire vivants. Quelques exemples intéressants existent. Des communes, où des immeubles étaient promis à la démolition, ont finalement choisi de les conserver pour les réhabiliter ou les rénover, et de changer leur destination en favorisant une mixité entre activités économiques et culturelles et actions de mémoire, de telle sorte que la vie continue à l’intérieur de ces bâtiments et que la mémoire soit présente à l’intérieur du quartier.

S’agissant des lieux sociaux, en particulier les « cafés sociaux », nous travaillons actuellement sur la nouvelle génération d’opérations de renouvellement urbain. Comme je l’ai indiqué au directeur de l’ANRU, M. Pierre Sallenave, si une réflexion sur les méthodologies, les subventions de l’agence, les techniques de rénovation, les choix en matière de démolition et reconstruction est nécessaire, la prise en compte par l’ANRU de la problématique des fonctions sociales indispensables dans les quartiers est primordiale. Je vous livre quelques exemples, qui ne concernent pas forcément les immigrés âgés. J’ai l’intention de demander à l’ANRU de prévoir systématiquement des logements de cinq ou six pièces dans toutes les opérations de rénovation urbaine afin d’accueillir des microcrèches. J’envisage également de lancer une réflexion sur la construction dans les quartiers, où la sécurité est un élément important, de logements spécifiques pour les policiers afin de les fidéliser. Les locaux communaux résidentiels (LCR) n’existent quasiment plus, mais les « cafés sociaux » continuent de jouer un rôle social, comme à Amiens, qu’ils soient subventionnés ou pas, je dirai même un rôle de service public à l’intérieur de ces quartiers. Ainsi, un certain nombre de fonctions essentielles pour la vie du quartier doivent être prises en compte dans le cadre de la rénovation urbaine, afin que l’ANRU les finance de manière spécifique.

En outre, dans le cadre d’un dispositif qui pourrait remplacer les zones franches urbaines, je souhaite la mise en place d’un dispositif particulier en faveur du commerce et de l’artisanat de proximité, essentiels à l’intérieur des quartiers, soit pour les maintenir, soit pour les réimplanter.

Enfin, s’agissant du travail avec des consulats, j’avoue que je n’ai pas encore réfléchi à la question. Je dois rencontrer les ambassadeurs des trois pays du Maghreb. Dans ce cadre, je pourrai éventuellement prendre en compte les préconisations de la mission.

M. le président Denis Jacquat. S’agissant des consulats, l’idée a émergé lors de nos déplacements en Algérie et au Maroc.

Merci beaucoup, monsieur le ministre. Vous clôturez l’ensemble de nos auditions.

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Démissionnaire le 17 avril 2013.

3 () Démissionnaire le 12 avril 2013.

4 () Laure Pitti, « La main-d’œuvre algérienne dans l’industrie automobile (1945-1962) ou les oubliés de l’histoire », Immigration et marché du travail, n° 1263, septembre-octobre 2006, p. 53.

5 () Notamment, Benjamin Stora, Les immigrés algériens en France. Une histoire politique 1912-1962, Paris, Hachette Littératures, Pluriel, 2009.

6 () Patrick Weil, « L’immigration », in Jean-François Sirinelli (direction), Le dictionnaire historique de la vie politique française (XXe siècle), Paris, PUF, 2003.

7 () Le montant moyen des pensions versées en Algérie par le régime général est de 259 euros ; il est de 318 euros au Maroc.

8 () Paul-André Rosental, « Frontières et rhétorique de l’acceptable dans les politiques migratoires : l’autocorrection politique des ‘experts’ ès politiques migratoires en France au milieu du XXe siècle », Informations sociales, 113 (1), 2004, pp. 38-49.

9 () L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, Paris, Raisons d’agir, 2006.

10 () Françoise de Barros, « Les bidonvilles : entre politiques coloniales et guerre d’Algérie », Métropolitiques, 5 mars 2012 (http://www.metropolitiques.eu/Les-bidonvilles-entrepolitiques.html).

11 () Choukri Hmed « L’encadrement des étrangers " isolés " par le logement social (1950-1980) », Genèses, n° 72, 3/2008, pp. 63-81.

12 () Voir infra les grandes étapes de l’évolution de la SONACOTRAL, devenue SONACOTRA puis Adoma.

13 () Choukri Hmed, op.cit., pp. 63-81.

14 () Xavier Vandromme, Vieillir immigré et célibataire en foyer, Le cas de la résidence sociale du Bourget en Seine-Saint-Denis (1990-1992), Paris, CIEMI L’Harmattan, 1996.

15 () Marc Bernardot, Loger les immigrés, la SONACOTRA 1956-2006, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, Terra, 2008, pp. 163-174.

16 () Antoine Math, « Les allocations familiales et l’Algérie coloniale », Revue de la CNAF Recherches et Prévisions, n° 53, septembre 1998.

17 () Ibid.

18 () Conseil d’État, assemblée, 8 décembre 1978, GISTI, CFDT et CGT, n° 10097-10677-10679.

19 () Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, Le destin des enfants d’immigrés. Un désenchaînement des générations, Paris, Stock, 2009, p. 116.

20 () Mohamed El Moubaraki, Marocains du Nord : entre la mémoire et le projet, Paris, CIEMI L’Harmattan, 1989, p. 113.

21 () France Terre d’Asile, « Les réfugiés âgés. Invisibles parmi les invisibles », Les cahiers du social, n° 34, mars 2013.

22 () Cour européenne des droits de l’homme, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche, n° 17371/90.

23 () Laure Pitti, op. cit., pp. 52-53.

24 () Jean-Claude Devinck et Paul-André Rosental, « " Une maladie sociale avec des aspects médicaux " : la difficile reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle dans la France du premier XXe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 56-1, 1/2009, pp. 99-126.

25 () Nicolas Jounin, « Les immigrés du BTP à l’ombre de la "pénurie de main-d’œuvre" », Agone, n° 40, 2008, pp. 147-170.

26 () Bernard Dinh, « L’entrepreneuriat ethnique en France », Hommes et migrations, n° 1264, novembre-décembre 2006, p. 117.

27 () Les chiffres mentionnés dans ce paragraphe sont cités dans l’article de Claudine Attias-Donfut, Philippe Tessier et François-Charles Wolff, « Les immigrés au temps de la retraite », Retraite et société, n° 44, janvier 2005, pp. 38-39.

28 () Ibid., p. 35.

29 () Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, « Les liens affinitaires, des alter ego ? Aspects de la sociabilité des personnes nées hors de France », Retraite et société, n° 44, janvier 2005.

30 () Ibid., p. 58.

31 () Id.

32 () Ibid., pp. 58-59.

33 () Claudine Attias-Donfut, Philippe Tessier et François-Charles Wolff, op. cit., p. 42.

34 () Patrick Weil, La République et sa diversité. Immigration, intégration, discriminations, Paris, Le Seuil, La République des idées, 2005, pp. 58-60.

35 () Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, Du foyer de travailleurs migrants à la résidence sociale : mener à bien la mutation, juillet 2010, p. 19.

36 () Id.

37 () L’âge peut toutefois être abaissé à soixante ans, par exemple lorsque la personne est atteinte d’une incapacité de travail d’au moins 50 % et reconnue définitivement inapte au travail.

38 () Circulaire n° 2013-29 du 18 avril 2013 de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

39 () Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Infos migrations, n° 34, février 2012, p. 3.

40 () Valérie Desmartin Belarbi, Bernard Ledesert, Simone Ridez et Marcos Sieira Antelo, Conditions de vie et état de santé des immigrés isolés de 50 ans et plus en Languedoc-Roussillon, CESAM Migrations santé et Observatoire régional de la santé du Languedoc-Roussillon, octobre 2003, pp. 47-48.

41 () Ministère des affaires sociales et de la santé et ministère délégué chargé des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, « Le non-recours aux prestations sociales, état des lieux », Rapport du Gouvernement sur la pauvreté en France, décembre 2012.

42 () Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, Le destin des enfants d’immigrés. Un désenchaînement des générations, Paris, Stock, 2009.

43 () Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural, Méthodologies d’interventions auprès des résidents âgés des foyers de travailleurs migrants, 2012, p. 8.

44 () Cour des comptes, La sécurité sociale, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, chapitre XIV « La couverture vieillesse des personnes les plus pauvres », septembre 2012, Paris, La documentation française, pp. 404-431.

45 () Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, Le destin des enfants d’immigrés. Un désenchaînement des générations, Paris, Stock, 2009, p. 158.

46 () Sabrina Tavernise, « The Health Toll of immigration », The New York Times, 18 mai 2013.

47 () Caroline Berchet et Florence Jusot, « État de santé et recours aux soins des immigrés : une synthèse des travaux français », Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), Questions d’économie de la santé, n° 172, janvier 2012.

48 () Valérie Desmartin Belarbi, Bernard Ledesert, Simone Ridez et Marcos Sieira Antelo, op.cit., pp. 47-48.

49 () Yannick Croguennec, « L’état de santé de la population immigrée âgée », Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Infos migrations, n° 35, février 2012.

50 () Caroline Berchet et Florence Jusot, op.cit.

51 () Frédéric Décosse « La santé des travailleurs agricoles migrants : un objet politique ? », Études rurales, 2/2008, n° 182, pp. 103-120.

52 () Yannick Croguennec, op.cit.

53 () Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), Études et résultats, n° 748, février 2011 (sur la base des données APA au 31 décembre 2007).

54 () M. Rafaël Ricardou, coordinateur de l’antenne Île-de-France du Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR).

55 () Linda Guerry, « Des migrantes de longues date », Plein droit, n° 75, 2007/4, pp. 7-10.

56 () Ces chiffres ont été communiqués par M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration, à l’occasion de son audition par la mission.

57 () Peter Schimany, Stefan Rühl et Martin Kohls, Ältere Migrantinnen und Migranten, Entwicklungen, Lebenslangen, Perspekitven (Vieux migrantes et migrants, évolutions, conditions de vie, perspectives), Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral des migrations et des réfugiés), 2012.

58 () David Talloen, Jean Chech et Jan Verstraete, Migrants âgés, seniors de chez nous. Des leçons tirées de la pratique, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, janvier 2012, pp. 12-13.

59 () Abdellatif Maroufi, « La vieillesse et l’accès des immigrés âgés aux droits et aux soins aux Pays-Bas », Migrations santé, n° 127-128, 2007, pp. 191-200.

60 () Rémi Gallou, « Les immigrés isolés : la spécificité des résidants en foyer », Retraite et société, n° 44, janvier 2005.

61 () Omar Samaoli, Retraite et vieillesse des immigrés en France, Paris, L’Harmattan, 2007.

62 () Sylvie Emsellem, « Décrypter le vieillissement des immigrés par le prisme de leurs liens familiaux », L’année du Maghreb, 2007, III, Paris, CNRS éditions, pp. 601-614.

63 () Les services de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ont indiqué à la mission qu’ils achèvent une modification de la nomenclature du recensement leur permettant de mieux distinguer, parmi les immigrés résidant en collectivité, les résidents de foyers des personnes vivant en maison de retraite.

64 () INSEE, Immigrés et descendants d’immigrés en France, édition 2012, pp. 230-231.

65 () Rémi Gallou, op. cit., p. 108.

66 () Rémi Gallou, op. cit., p. 117.

67 () Ce chiffre a été communiqué à la mission par M. Bruno Arbouet, directeur général d’Adoma, à l’occasion de son audition.

68 () Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, op. cit., p. 18.

69 () Ce chiffre a été communiqué à la mission par M. Jean-Marie Oudot, directeur général de Coallia, à l’occasion de son audition.

70 () Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, op. cit., p. 18.

71 () Rémi Gallou, op. cit., p. 136.

72 () Ibid., p. 137.

73 () Ibid., p. 141.

74 () Il s’agit de l’analyse que Mme Catherine Wihtol de Wenden a présentée lors de son audition par la mission.

75 () Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, op. cit., p. 21.

76 () Cette expression a été employée par M. Pierre-Yves Rebérioux, ancien délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées, à l’occasion de son audition par la mission.

77 () Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, op. cit., p. 26.

78 () Ibid., p. 32.

79 () Ibid., p. 33.

80 () Ibid., p. 35.

81 () Ibid., p. 63.

82 () Circulaire DPM-ACI4/CILPI n° 2002-515 du 3 octobre 2002 du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité relative à la prorogation du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants.

83 () Circulaire n° 2006-45 du 4 juillet 2006 du ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement relative aux résidences sociales.

84 () Arrêté du 17 octobre 2011 abrogeant et remplaçant l’arrêté du 10 juin 1996 relatif à la majoration de l’assiette de la subvention et aux caractéristiques techniques des opérations de construction, d’amélioration ou d’acquisition-amélioration d’immeubles en vue d’y aménager avec l’aide de l’État des logements ou des logements-foyers à usage locatif.

85 () Cette aide est versée dans le cadre du programme budgétaire 177 « Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables ».

86 () Circulaire DGAS/PIA n° 2000-452 du 31 août 2000 relative à l’aide à la gestion locative sociale des résidences sociales.

87 () Ce chiffre ne comprend pas les résidences sociales créées ex nihilo.

88 () « L’aide à la gestion locative sociale dans les résidences sociales », Recherche sociale, n° 192, octobre-décembre 2009, p. 14.

89 () Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, op. cit., p. 74.

90 () Ibid., pp. 38-39.

91 () Ibid., p. 39.

92 () Id.

93 () http://odysseo.org/.

94 () Jean Nouvel, Boulogne assassine Billancourt, « Le Monde », 6 mars 1999.

95 () Paul Ricoeur, « Entretien avec Éric Plouvier », Politis, 7 octobre 1988.

96 () En 2011, on comptait environ 5 millions de passage en préfecture pour quelque 3,7 millions d’étrangers résidant régulièrement en France, d’après le rapport de M. Matthias Fekl, Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France, remis au Premier ministre le 14 mai 2013.

97 () Ces chiffres ont été communiqués par M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, à l’occasion de son audition par la mission.

98 () Circulaire NOR INTV1316280C du 25 juin 2013 du ministère de l’intérieur relative aux conditions de renouvellement des titres de séjour.

99 () Ces chiffres ont été communiqués par M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, à l’occasion de son audition par la mission.

100 () Les autres voies d’accès, qui représentent une part relativement faible des dossiers traités, correspondent aux différents régimes d’adoption, aux dispositifs applicables aux enfants recueillis en France, à la possession d’état de Français, à l’acquisition de la nationalité par un étranger engagé dans les armées françaises ou encore aux cas d’annexion de territoires.

101 () Cour administrative d’appel de Nantes, 3e chambre, 19 décembre 1997, M. En Nassiri, n° 96NT01378.

102 () Cette condition est prévue par l’article 21-24 du code civil et précisée par le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française.

103 () Circulaire n° NOR INTK1207286C du 16 octobre 2012 du ministre de l’intérieur relative aux procédures d’accès à la nationalité française.

104 () Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, « Transmigration et choix de vie à la retraite », Retraite et société, n° 44, janvier 2005, p. 92.

105 () Thierry Tuot, La grande Nation : pour une société inclusive, rapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration, 1er février 2013, p. 31.

106 () Id.

107 () Secrétariat général du comité interministériel de contrôle de l’immigration, Les orientations de la politique de l’immigration et de l’intégration, rapport au Parlement, décembre 2011, p. 158.

108 () Ain, Alpes-Maritimes, Bas-Rhin, Bouches-du-Rhône, Charente-Maritime, Corse-du-Sud, Guyane, Gironde, Hauts-de-Seine, Hérault, Territoire de Belfort, Isère, Loire, Loire-Atlantique, Oise, Paris, Rhône, Somme, Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis et Var.

109 () Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, op.cit., p. 70.

110 () Id.

111 () Ibid., p. 75.

112 () Thierry Tuot, op. cit., p. 34.

113 () L’aide transitoire au logement (ATL) est une allocation versée directement aux gestionnaires de foyers pour aider au paiement des redevances des résidents dont le logement ne correspond pas aux normes et qui ne peuvent dès lors pas bénéficier de l’APL.

114 () Ces chiffres ont été communiqués par la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées.

115 () Action Logement (anciennement appelée « 1 % Logement »), instituée en 1953 pour les entreprises du secteur privé non agricole, est la dénomination usuelle de la participation des employeurs à l’effort de construction.

116 () Conseil constitutionnel, décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité, cons. 4.

117 () Cour de cassation, 1ère chambre civile, 6 mars 1996, n° 94-11273.

118 () Cour de cassation, 3e chambre civile, 25 février 2004, n° 02-18081.

119 () Conseil d’État, ordonnance de référé du 25 octobre 2007, n° 310125.

120 () Collectif pour l’avenir des foyers, Propositions concernant l’élection des comités de résidents des foyers et la nomination des membres des conseils de concertation, novembre 2005.

121 () Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, op. cit., p. 25.

122 () Marc Bernardot, op. cit., pp. 264-266.

123 () Cour des comptes, « De la SONACOTRA à Adoma : des dérives corrigées tardivement », Rapport public annuel 2013, pp. 433-456.

124 () « L’aide à la gestion locative sociale dans les résidences sociales », Recherche sociale, n° 192, octobre-décembre 2009, p. 15.

125 () Ibid., p. 16.

126 () Jean-Pierre Decourcelle et Philippe Schmit, Évaluation du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), Conseil général de l’environnement et du développement durable, décembre 2012, p. 38.

127 () Gilles Ascaride et Salvatore Condro, La ville précaire : Les « isolés » du centre-ville de Marseille, L’Harmattan, Logiques sociales, 2001.

128 () Île-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Basse-Normandie et Haute-Normandie.

129 () Nadège Bartkowiak, L’accueil des immigrés vieillissants en institution : réflexions-actions autour de l’accueil en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, Rennes, Presses de l’École des hautes études en santé publique, 2008, pp. 57-59.

130 () David Talloen, Jean Chech et Jan Verstraete, op. cit.

131 () Sophie Guthmuller, Florence Jusot, Jérôme Wittwer et Caroline Desprès (INSEE), « Faire valoir ses droits à l’Aide complémentaire santé : les résultats d’une expérimentation sociale », Économie et statistique, n° 455-456, mai 2013.

132 () Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, Le destin des enfants d’immigrés. Un désenchaînement des générations, Paris, Stock, 2009, p. 159.

133 () L’exemple du Relais Sépia de Tours figure dans Les Cahiers de Profession Banlieue, « Vieillir dans les quartiers populaires. Un enjeu de politique publique », juin 2009, p. 80.

134 () Kadija Rafaï, Jean Mantovani, Jenny Duchier et Martine Gayral-Taminh, Le vieillissement des migrants. Situation en Midi-Pyrénées, Observatoire régional de la santé de Midi-Pyrénées, 2007, p. 55.

135 () Groupe d’information et de soutien des immigrés, « Vieillesse immigrée, vieillesse harcelée », Plein droit, n° 93, 2012/2.

136 () http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/farandole/2010/pap/html/DBGPGMJPEPGM104.htm.

137 () Circulaire n° NOR INTD 9800108C du 12 mai 1998 du ministre de l’intérieur relative à l’application de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile.

138 () Décret n° 2002-1500 du 20 décembre 2002 portant publication du troisième avenant à l’accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et à son protocole annexe (ensemble un échange de lettres), signé à Paris le 11 juillet 2001.

139 () Antoine Math, « Le contrôle par la résidence », Plein droit, n° 93, 2012/2, pp. 3-7.

140 () L’article D. 115-1 du code de la sécurité sociale complète l’article L. 115-6 du même code, aux termes duquel « les personnes de nationalité étrangère ne peuvent être affiliées à un régime obligatoire de sécurité sociale que si elles sont en situation régulière au regard de la législation sur le séjour et le travail des étrangers en France ou si elles sont titulaires d’un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour » et qui renvoie à un décret le soin de fixer « la liste des titres ou documents attestant la régularité de leur situation ».

141 () Cet article précise l’article L. 161-25-2 du code de la sécurité sociale qui dispose que « les ayants droit de nationalité étrangère majeurs d’un assuré bénéficient des prestations d’assurances maladie, maternité et décès s’ils sont en situation régulière au regard de la législation sur le séjour des étrangers en France » et qui renvoie à un décret le soin de fixer « la liste des titres et documents attestant la régularité de leur résidence en France ».

142 () Cour de cassation, 2e chambre civile, 14 janvier 2010, Ahrab c/ Caisse régionale d’assurance-maladie Rhône-Alpes, n° 08-20782.

143 () Circulaire n° 2010/49 du 6 mai 2010 de la Caisse nationale d’assurance vieillesse relative aux modalités d’examen de la condition de résidence en vue de l’attribution ou du service de l’ASPA et de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI).

144 () Circulaire n° 2010-014 du 15 décembre 2010 de la Caisse nationale des allocations familiales relative aux conditions de résidence en France et d’occupation du logement pour le droit aux prestations légales (PF) et aux aides au logement.

145 () Circulaire du 19 février 2008 du ministre de l’intérieur relative à la police des lieux de sépulture.

146 () Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff, « Transmigration et choix de vie à la retraite », Retraite et société, n° 44, janvier 2005, p. 99.

147 () Ces chiffres sont issus d’un recensement réalisé en 2010.

148 () Défenseur des droits, Rapport relatif à la législation funéraire, octobre 2012, p. 29.

149 () Cet article disposait que « dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier ; et dans les cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte ».

150 () Jean-Pierre Machelon, Les relations des cultes avec les pouvoirs publics, Paris, La documentation française, septembre 2006, p. 61.

151 () Id.

152 () Conseil d’État, « Un siècle de laïcité », in Rapport public 2004, La documentation française, 2004.

153 () Conseil d’État, 6 avril 2001, Syndicat national des enseignements du second degré, n° 219379, 221699, 221700.

154 () Conseil d’État, 13 mai 1964, Eberstarck, n° 53965.

155 () Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 1er février 1971, Sieur Rouquette et Association cultuelle israélite de Marseille, AJDA, 1972, p. 111.

156 () Thierry Tuot, op. cit., p. 40.


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