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N° 1396

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 septembre 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

sur le projet de loi (n° 1376) garantissant l’avenir et la justice du système de retraites,

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Catherine COUTELLE

Députée

——

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de :

Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphé, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-présidents ; Mme Édith Gueugneau ; Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Huguette Bello ; M. Jean-Louis Borloo ; Mme Brigitte Bourguignon ; Mme Marie-George Buffet ; Mme Pascale Crozon ; M. Sébastien Denaja ; Mme Sophie Dessus ; Mme Marianne Dubois ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Martine Faure ; M. Guy Geoffroy ; Mme Claude Greff ; Mme Françoise Guégot ; M. Guénhaël Huet ; Mme Valérie Lacroute ; Mme Sonia Lagarde ; M. Serge Letchimy ; Mme Geneviève Levy ; Mme Martine Lignières-Cassou ; M. Jacques Moignard ; Mme Dominique Nachury ; Mme Ségolène Neuville ; Mme Maud Olivier ; Mme Barbara Pompili ; Mme Josette Pons ; Mme Catherine Quéré ; Mme Barbara Romagnan ; M. Philippe Vitel

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I.– DES INÉGALITÉS FLAGRANTES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES AU MOMENT DE LA RETRAITE 7

A. DES ÉCARTS DE PENSION PERSISTANTS ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 7

1. Le constat des inégalités de pension : un état de fait inacceptable pour les Français-e-s 7

a. Le niveau des pensions 7

b. Un âge plus tardif de départ à la retraite et une décote plus fréquente 9

c. Les femmes plus concernées par l’allocation de solidarité aux personnes âgées 11

2. Les raisons de ces inégalités persistantes 12

a. Les interruptions de carrière, facteur défavorable à la constitution de droits par les femmes 13

b. Le développement du travail à temps partiel à partir des années 1990 15

c. Les inégalités salariales 16

3. Les projections quant aux tendances futures 16

B. L’IMPACT DES RÉFORMES SUCCESSIVES SUR LES RETRAITES DES FEMMES 18

1. Les réformes des retraites de 1993 à 2012 18

2. L’impact des réformes sur les retraites de femmes 21

II.– LE PROJET DE LOI DE RÉFORME DES RETRAITES : UNE AMBITION DE JUSTICE AFFICHÉE 24

A. UN TEMPS DE RÉFLEXION ET DE CONCERTATION POUR UNE RÉFORME DURABLE 24

1. La conférence sociale de juillet 2012 et la feuille de route 24

2. L’analyse du Conseil d’orientation des retraites 25

3. Les travaux de la commission sur l’avenir des retraites 25

4. La consultation des partenaires sociaux 27

B. UNE RÉFORME QUI N’OUBLIE PAS LES FEMMES 28

1. La création d’un comité de surveillance des retraites 28

2. La validation des trimestres de maternité 29

3. La prise en compte des carrières à temps partiel ou à faible rémunération 29

4. La prise en compte de la pénibilité au travail 31

5. La place faite aux conjoints collaborateurs et aux conjointes collaboratrices 36

6. L’amélioration des droits des aidants et aidantes familiaux 38

III.– L’ÉVOLUTION DE NOTRE SOCIÉTÉ EXIGE UNE RÉFLEXION COMPLÉMENTAIRE SUR LA RÉFORME DES DROITS FAMILIAUX ET CONJUGAUX 38

A. LA RÉFORME DES DROITS FAMILIAUX ET DES DROITS CONJUGAUX NÉCESSITE UNE RÉFLEXION APPROFONDIE 39

B. LA QUESTION DE LA RETRAITE À TAUX PLEIN : RÉTABLIR LA SITUATION DES FEMMES 41

C. LA SITUATION DES FEMMES RISQUE D’ÊTRE BOULEVERSÉE DANS LES ANNÉES À VENIR 42

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 45

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 51

PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE 53

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 55

ANNEXE 103

Mesdames, Messieurs,

Malgré la progression de l’activité professionnelle des femmes de manière continue au cours du 20ème siècle, qui leur a permis de se constituer des droits propres à la retraite, et bien que des mécanismes correcteurs liés aux droits familiaux et conjugaux aient été mis en place, les pensions des femmes accusent toujours un net retard par rapport à celles des hommes.

Trois réformes du système de retraite ont eu lieu au cours des dernières années : la réforme du 22 juillet 1993, la réforme du 21 août 2003 et celle du 9 novembre 2010. La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes s’est, à deux reprises, saisie du projet de réforme et a dressé un état des lieux portant sur les disparités de la retraite entre les hommes et les femmes : le constat des écarts de pension demeure. Les pensions des femmes sont moins élevées, les femmes partent plus tard à la retraite et sont souvent frappées par le mécanisme de la décote, elles sont majoritaires enfin parmi les allocataires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.

Les causes de ces inégalités persistantes ont été identifiées : inégalités de salaire qui demeurent malgré l’adoption de plusieurs législations visant à établir l’égalité professionnelle et salariale, développement massif du temps partiel à partir des années 1990, interruptions d’activité liées à la naissance et à l’éducation des enfants. Les projections faites par le Conseil d’orientation des retraites n’incitent pas à l’optimisme : en 2040, par exemple, l’écart de pension devrait rester de 20 % pour la génération née dans les années soixante-dix. Le Conseil indique que ces écarts ne se résorberont pas spontanément ; il est donc souhaitable d’adopter des mesures volontaristes pour parvenir à une situation plus égalitaire et surtout plus favorable aux femmes.

Les différentes réformes du système de retraite, qui se sont succédé à partir de 1993 et jusqu’à 2010, n’ont pas pris en considération la situation des femmes et ont même eu, dans certains cas, des effets défavorables sur les conditions dans lesquelles les femmes peuvent prendre leur retraite et sur le niveau de leur pension. Si le différentiel de salaires entre les femmes et les hommes s’établit autour de 27 %, le différentiel en matière de retraites s’élèverait à 47 % si l’on considère les droits propres acquis par les femmes.

Aujourd’hui, devant la situation financière critique de notre système de retraite, le Gouvernement présente un projet de loi visant à garantir l’avenir et la justice du système de retraite.

La nécessité d’une réforme avait été évoquée lors de la grande conférence sociale tenue avec les partenaires sociaux en juillet 2012. Par la suite, le Conseil d’orientation des retraites a établi, dans son douzième rapport présenté en janvier 2013, un état du système de retraite français. Dans un second temps, la Commission pour l’avenir des retraites, présidée par Mme Yannick Moreau, conseiller d’État, a élaboré, conformément à la lettre de mission qui lui avait été adressée par le Premier ministre, différentes propositions de réforme présentées au mois de juin.

Comme il s’y était engagé en 2012, le Gouvernement a mené une consultation avec les partenaires sociaux, avant de présenter le projet de loi réformant le système des retraites en Conseil des ministres, le 18 septembre.

Comme ses statuts le prévoient, la Délégation aux droits des femmes a souhaité analyser ce projet de loi dont l’une des ambitions annoncées est d’améliorer les pensions des femmes en prenant en compte les situations telles que les bas salaires cumulés au temps partiel, ainsi que l’impact des aléas de carrière liés à la prise en charge des enfants.

Le projet de loi est porteur d’améliorations concrètes dans plusieurs domaines qui seront analysés; il présente aussi le mérite d’affirmer parmi les grands principes régissant notre système de retraite celui d’un traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient le sexe, les activités professionnelles passées et le ou les régimes dont l’assuré relève. Plusieurs mesures sont très importantes : la validation des trimestres de maternité, la prise en compte des carrières à temps partiel, la prise en compte de la pénibilité au travail, la place faite aux conjoints collaborateurs et l’amélioration des droits des aidants familiaux, et, enfin, la création d’un comité de surveillance qui aura notamment pour tâche de suivre l’évolution des inégalités de pension.

Malgré le délai très court imparti à son examen, la Délégation a souhaité entendre les propositions des partenaires sociaux quant à l’amélioration de la situation des femmes à la retraite. Elle a ainsi entendu les représentants de la CGT, de la CFTC, de la CGC, de l’UNSA ; ainsi que ceux de la CGPME et du MEDEF. Elle a également entendu des chercheures spécialistes des systèmes de retraite et de la protection sociale afin d’envisager comment les dispositions aujourd’hui examinées peuvent se compléter, ou se combiner par la suite avec d’autres réformes en perspective : la réforme des droits familiaux et conjugaux, prévue par le Gouvernement en 2020, l’évolution du système de la réversion, mais également l’amélioration de la politique familiale et du système d’accueil de la petite enfance.

Des évolutions dans ces domaines seront indispensables pour améliorer en profondeur la situation des femmes et prendre en compte les évolutions de notre société. La Délégation continuera à suivre avec attention les propositions qui seront faites dans ces domaines et aura à cœur de participer à ces réflexions.

I.– DES INÉGALITÉS FLAGRANTES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES AU MOMENT DE LA RETRAITE

Votre Rapporteure mettra tout d’abord en évidence les inégalités de situation constatées entre les femmes et les hommes au moment de la retraite. Elle note avec satisfaction qu’en 2013, l’enjeu de la résorption de ces inégalités a pour la première fois été présent dans les analyses des experts : tant le rapport du Conseil d’orientation des retraites que celui de la commission sur l’avenir des retraites y consacrent des développements, pas encore suffisants néanmoins. L’étude d’impact qui accompagne le projet de loi consacre plusieurs pages à l’impact du système actuel sur les inégalités entre les femmes et les hommes, et présente les conséquences futures de la réforme.

Cette prise de conscience de la nécessité de dispositifs correctifs est nouvelle. Elle est salutaire car, comme l’a souligné Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, lors de son audition par la Délégation, « en n’intégrant pas, dès le départ, dans une réforme des retraites, la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, on court le risque, non seulement de conforter, mais encore d’aggraver les inégalités. »

A. DES ÉCARTS DE PENSION PERSISTANTS ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Le constat des inégalités est dressé depuis longtemps par les études statistiques ; les plus récentes seront ici rappelées. Les causes de ces inégalités doivent être examinées avec attention, car notre société évolue et les institutions doivent accompagner cette évolution, en agissant sur les différents « leviers » qui peuvent établir, à moyen terme, une égalité réelle entre les femmes et les hommes. C’est cette action plus large qui permettra, à l’horizon 2040, de faire disparaître cet écart de 20 %.

1. Le constat des inégalités de pension : un état de fait inacceptable pour les Français-e-s

Les inégalités constatées portent sur plusieurs éléments : le niveau des pensions, l’âge de départ à la retraite qui est plus tardif pour les femmes, une application de la décote aussi plus fréquente pour les femmes et une plus grande représentation des femmes parmi les allocataires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, appelé avant 2007 minimum vieillesse.

a. Le niveau des pensions

Selon les données figurant dans le douzième rapport du Conseil d’orientation des retraites adopté le 22 janvier 2013, le montant moyen de la pension de droit propre (hors réversion et hors majoration pour trois enfants et plus) s’élevait à la fin 2010 à 1 216 euros par mois, mais en fait 1 552 euros pour les hommes et 899 euros pour les femmes.

Cette statistique porte sur l’ensemble des personnes percevant une pension de droit propre en provenance d’un régime de retraite français, résidant ou non en France.

Pour les non-résidents, les pensions en provenance des régimes français sont souvent très faibles et il est préférable de se limiter aux éléments relatifs aux retraités résidant en France. Les dernières statistiques portent alors sur l’année 2008. En effet, ainsi que l’a expliqué M. Hadas-Lebel lors de son audition par la Délégation, le COR travaille sur la base d’un échantillon interrégimes préparé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des Affaires sociales (DREES), laquelle travaille sur une périodicité de quatre ans.

Si l’on ne considère que les résidents, à la fin 2008, le montant moyen de la pension de droit propre s’élevait à 1 245 euros par mois, soit 1 657 euros pour les hommes et 879 euros pour les femmes. En d’autres termes, la pension de droit propre des femmes ne représente que 53 % de celle des hommes. Ce ratio a néanmoins progressé au fil des générations et continue de progresser. Ainsi pour la génération née entre 1924 et 1928, le ratio était de 44 % contre 56 % pour la génération née entre 1939 et 1943. Ensuite, selon l’Insee, pour les générations nées dans les années 1950 – celles qui partent actuellement à la retraite –, ce ratio atteindrait 70 % et il serait de 80 % pour les générations nées dans les années 1970.

Si l’on intègre la pension de réversion (qui fait partie des droits conjugaux), les écarts de pension entre les femmes et les hommes se réduisent. Pour 2008, le montant moyen des pensions était de 1165 euros pour les femmes contre 1749 euros pour les hommes. Le ratio est alors de 67 %, à comparer avec celui de 53 %, la réversion expliquant cette différence de 14 %.

Si l’on inclut ensuite dans le montant moyen, les pensions de réversion et les avantages accessoires comme les majorations pour trois enfants et plus (droits familiaux), le montant de la pension totale, hors minimum vieillesse des retraités, s’élevait alors en moyenne, en 2008, à 1 431 euros par mois, soit 1 740 euros pour les hommes et 1 157 euros pour les femmes.

Les droits dérivés, en particulier, constituent donc une part importante de la pension moyenne des femmes : 20 % de la retraite totale contre seulement 1 % pour les hommes, les femmes étant surreprésentées parmi les personnes veuves du fait d’une plus grande longévité. Ainsi, l’avantage de droit direct ne représente que 75 % de la pension totale chez les femmes contre 95 % chez les hommes.

La pension totale des 4,2 millions de personnes veuves – dont 90 % de femmes, percevant une pension de réversion avec ou sans droits propres s’élève en moyenne à 1 200 euros par mois fin 2008, répartis pour moitié entre droits propres et réversion.

Les disparités de pension entre retraités sont relativement importantes : 10 % des retraités perçoivent une pension mensuelle de droit propre inférieure à 521 euros tandis que 10 % perçoivent une pension supérieure à 2 495 euros, parmi les résidents en France, toujours fin 2008. Ces inégalités recouvrent notamment les écarts entre femmes et hommes mais on note une dispersion des montants de retraite globale plus importante chez les femmes que chez les hommes, du fait d’une plus forte variabilité des durées validées.

Le Laboratoire pour l’égalité a fait réaliser, à l’occasion du projet de réforme des retraites, une enquête d’opinion auprès des Français. Il en ressort que 89 % des répondants jugent que les inégalités salariales et de retraites entre les femmes et les hommes correspondent à une situation inacceptable. Pour 83 % d’entre eux, la réforme doit permettre de changer cet état de fait en profondeur.

Mme Yannick Moreau, présidente de la Commission pour l’avenir des retraites, entendue par la Délégation, a indiqué qu’elle avait pu constater, au sein de cette commission, une plus vive sensibilité à la question des inégalités de pension, ce qui n’avait pas toujours été le cas lors des travaux du Conseil d’orientation des retraites dont elle a été la présidente au cours des dernières années.

b. Un âge plus tardif de départ à la retraite et une décote plus fréquente

Les femmes ne sont pas seulement désavantagées en termes de montant des pensions. Elles disposent moins souvent d’une carrière complète : 47 % des femmes seulement totalisent une carrière complète contre 81 % des hommes. Les femmes ont une durée d’assurance inférieure de 8 ans en moyenne.

Le tableau suivant récapitule les éléments présentés plus haut et fait apparaître le pourcentage de retraités ayant une carrière complète par sexe.

LES RETRAITÉS DE DROIT DIRECT EN 2008

 

Hommes

Femmes

Ensemble

Tous retraités de droit direct

     

Effectifs (en milliers)

6 292

7 065

13 357

Part des effectifs en %

47,1

52,9

100,0

Montant moyen de l’avantage principal mensuel (euros)

1 657

879

1 245

Durée d’assurance moyenne (années)

40,3

32,7

36,3

Part des polypensionnés (%)

43,9

26,9

24,9

Part des retraités ayant une carrière complète (%)

81,1

47,2

63,2

Par des retraités au minimum contributif et/ou garanti (%)

32,6

52,3

42,1

Part des retraités au minimum vieillesse (%)

3,2

3,4

3,3

Champ : Retraités de droit direct d’un régime de base, résidents en France, au 31 décembre 2008.

Sources : EIR 2008, DREES.

Selon les données de l’échantillon interrégimes 2008, 61,2 % des hommes et 51,7 % des femmes nées en 1942 ont liquidé un premier droit à retraite à 60 ans. Les femmes sont sous représentées parmi les retraités qui liquident leur retraite avant 60 ans ; elles sont en revanche plus nombreuses en proportion à attendre 65 ans pour liquider leur pension, en raison d’une durée d’assurance généralement plus courte.

ÂGE DE PREMIÈRE LIQUIDATION DE LA RETRAITE POUR LA GÉNÉRATION NÉE EN 1942

Régime de base (unique pour les unipensionnés ou principal (1) pour les polypensionnés)

Répartition des retraités (en %)

Répartition par âge de liquidation (en %)

Âge moyen de liquidation
(en années)

< 60 ans

60 ans

61-64 ans

65-66 ans

Ensemble

Ensemble des femmes

100,0

8

52

12

29

100

61,4

Unipensionnés

             

Régime général (salariés du privé)

60,3

ns

52

11

37

100

62,3

MSA salariés

0,9

ns

30

7

63

100

63,5

Fonction publique civile (2)

9,7

42

46

8

3

100

58,0

Polypensionnés

             

Régime général (salariés du privé)

12,6

2

51

16

31

100

62,0

MSA salariés

0,7

ns

72

6

22

100

61,3

Fonction publique civile (2)

7,8

31

51

15

4

100

58,8

Unipensionnés et polypensionnés

             

Régimes spéciaux

1,2

66

18

6

9

100

56,4

Agriculteurs

4,0

ns

79

13

9

100

60,8

Artisans ou commerçants

1,5

ns

47

20

34

100

62,4

Professions libérales

0,6

ns

19

33

48

100

63,5

Autres (4)

0,6

6

61

20

13

100

60,9

Ensemble des hommes

100,0

10

61

14

14

100

60,5

Unipensionnés

             

Régime général (salariés du privé)

51,0

ns

66

15

19

100

61,5

MSA salariés

1,5

ns

38

9

53

100

63,0

Fonction publique civile (2)

4,8

34

47

13

6

100

59,2

Polypensionnés

             

Régime général (salariés du privé)

18,2

4

73

13

10

100

60,6

MSA salariés

1,8

ns

75

13

12

100

60,9

Fonction publique civile (2)

6,4

30

52

13

4

100

59,0

Unipensionnés et polypensionnés

             

Régimes spéciaux

4,6

89

8

3

1

100

56,4

Militaires (3)

1,9

99

ns

ns

ns

100

48,4

Agriculteurs

3,3

ns

82

13

5

100

60,8

Artisans ou commerçants

4,3

ns

67

22

11

100

62,4

Professions libérales

1,1

ns

18

39

44

100

63,5

Autres (4)

1,1

15

63

17

5

100

58 ,8

Ns : non significatif

(1) : les polypensionnés sont ici classés selon leur régime de base principal, celui où ils ont validé au moins la moitié de leurs trimestres d’assurance. L’âge de leur première liquidation n’est pas nécessairement celui de la liquidation dans leur régime principal.

(2) : service des Retraites de l’État (civils), CNRACL.

(3) : non isolés pour les femmes en raison de leur petit nombre.

(4) : retraités bénéficiant d’un avantage direct dans au moins 3 régimes de base différents, dont aucun ne représente plus de la moitié de la carrière.

Champ : retraité de droit direct d’un régime de base, nés en 1942, en France ou à l’étranger.

Source : Drees, Échantillon interrégimes de retraités 2008.

Les femmes sont également plus concernées par l’application de la décote. Celle-ci est un coefficient de minoration de la pension, qui s’applique si les conditions du taux plein ne sont pas remplies en termes de durée de cotisation ou d’âge. Depuis la réforme des retraites de 2003, le taux de cette décote s’élève progressivement pour chaque génération pour atteindre 1,25 % par trimestre manquant en 2015.

Ainsi à la CNAV, les liquidations avec décote concernent 7,9 % des femmes contre 6,6 % des hommes. Elles concernent également plus de 7 % des femmes au RSI et 15,7 % dans la fonction publique d’État civile. Les femmes liquident leur pension avec plus de trimestres de décote en moyenne que les hommes. Elles sont plus souvent concernées en particulier par la décote maximale de 20 trimestres.

c. Les femmes plus concernées par l’allocation de solidarité aux personnes âgées

Ce rappel des inégalités femmes-hommes en matière de retraite ne serait pas complet sans mentionner deux autres faits.

D’une part, les personnes recevant l’allocation de solidarité aux personnes âgées, ancien « minimum vieillesse », qui s’élève depuis le 1er avril 2013 à 787 euros pour une personne seule, sont majoritairement des femmes. D’autre part, les bénéficiaires du « minimum contributif » sont aussi très majoritairement des femmes : 70 % des cas parmi la population de prestataires au 31 décembre 2008.

Le tableau suivant présente l’âge et la situation familiale des allocataires du minimum vieillesse. Cette enquête prend en compte l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), versée depuis 2007, et les autres allocations qui continuent d’être servies à ceux qui en bénéficiaient à cette date, comme l’allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) et l’allocation supplémentaire du minimum vieillesse (ASV).

LES ALLOCATAIRES DU MINIMUM VIEILLESSE EN 2011

 

Isolés
(en milliers)

En couple (1)
(en milliers)

Ensemble
(en milliers)

Proportion d’allocataires dans la population totale
(en %)

 

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

60-64 ans

39,8

30,2

4,5

17,9

44,3

48,2

2,1

2,4

65-69 ans

46,4

28,7

6,2

29,6

52,6

58,3

3,4

4,1

70-74 ans

42,0

19,8

6,7

29,5

48,8

49,4

3,8

4,6

75-79 ans

43,5

15,6

6,6

24,3

50,1

39,9

3,8

4,2

80-84 ans

42,6

11,5

4,8

16,6

47,5

28,1

4,1

4,0

85-89 ans

39,7

7,3

2,6

10,2

42,3

17,5

5,2

4,6

90 ans ou plus

36,3

3,8

1,0

3,6

37,3

7,3

8,6

5,3

Ensemble

290,3

116,9

32,4

131,8

322,8

248,7

3,7

3,7

(1) : pour les allocataires de l’ASV, le couple est défini au regard du statut matrimonial légal exclusivement, c’est-à-dire si les personnes sont mariées. Pour les allocataires de l’ASPA, la notion de couple est élargie aux couples pacsés ou vivant en concubinage.

Champ : France

Source : Drees, Enquête sur les allocations du minimum vieillesse.

Recommandation n° 1 : Une femme sur deux, faute de droits à la retraite suffisants, percevra le minimum contributif. Il conviendrait de porter progressivement le montant de ce minimum à hauteur de 75 % du SMIC, de même que le projet de loi le prévoit pour les retraites des exploitants agricoles.

2. Les raisons de ces inégalités persistantes

Les inégalités décrites ci-dessus proviennent de différents facteurs connus ; pourtant, il convient de garder à l’esprit la priorité de développer les droits propres des femmes, afin que leurs droits au moment de la retraite ne dépendent pas de leur situation familiale et conjugale.

Le premier facteur est celui des inégalités de rémunération qui demeurent pendant que les femmes et les hommes sont sur le marché du travail – en particulier les inégalités de rémunération à temps de travail égal. Agir sur ce facteur suppose de faire appliquer pleinement les lois relatives à l’égalité professionnelle, en mettant en œuvre les procédures de contrôle des entreprises et la prise de sanctions.

Le deuxième facteur est celui du travail à temps partiel, qui peut être choisi mais est souvent subi, et qui concerne beaucoup les femmes. La loi de sécurisation de l’emploi devrait contribuer à la réduction des inégalités de rémunération, en luttant contre les effets néfastes du petit temps partiel ; votre Rapporteure rappelle qu’avec les mesures que sont le seuil minimum de 24 heures hebdomadaires pour le temps partiel, et la majoration de 10 % dès la première heure complémentaire, un autre levier a été mis en œuvre, visant à limiter autant que possible le recours aux petits temps partiels.

Le troisième est lié aux interruptions fréquentes de carrière pour les femmes lorsqu’elles deviennent mères. Le levier d’action est alors celui de l’amélioration de l’accueil de la petite enfance.

Nous verrons que si les dispositifs redistributifs permettent de rapprocher le nombre de trimestres validés par les femmes de ceux validés par les hommes, ils ne corrigent pas les écarts de pension entre hommes et femmes, qui sont dus aux écarts de salaires mais aussi à certains éléments de carrière. C’est pourquoi il existe encore un levier d’action consistant à briser, petit à petit, le plafond de verre qui subsiste dans les entreprises, pour voir se féminiser les postes d’encadrement jusqu’aux comités directeurs des grandes entreprises.

De même, il conviendrait que le rapport de situation comparée des entreprises (RSC) figure sur un site dédié, qui pourrait être celui du ministère du Travail ou du Droit des femmes, et que s’impose aux partenaires sociaux une véritable obligation de rattrapage des inégalités lors des négociations annuelles obligatoires.

a. Les interruptions de carrière, facteur défavorable à la constitution de droits par les femmes

L’activité des femmes progresse continûment : quel que soit l’âge, le taux d’activité des femmes tend à s’accroître au fil des générations. Mais depuis le milieu des années 1990, la progression de l’activité des femmes marque le pas sous l’effet des interruptions d’activité liées aux naissances.

Dans les générations qui parviennent aujourd’hui à la retraite, il n’était pas rare que les femmes restent au foyer durant une longue période, avec des cessations d’activité parfois définitives lors des naissances, ou avant l’âge normal de la retraite. Chez les générations actuellement en activité, ces comportements sont devenus beaucoup plus rares mais il reste fréquent qu’une femme s’arrête de travailler temporairement après une naissance.

Ainsi, 38 % des femmes ne travaillent pas après une première naissance, 51 % après une deuxième et 69 % après une troisième. Selon les dernières projections de population active de l’Insee qui extrapolent les tendances passées, le taux d’activité des femmes de plus de 45 ans devrait continuer à progresser pour rejoindre ceux des hommes d’ici vingt ans, mais les taux d’activité des femmes de moins de 45 ans devraient se stabiliser et rester 10 à 15 points en deçà de ceux des hommes. Plusieurs explications sont avancées pour expliquer la fréquence et la persistance des interruptions et réductions d’activité. Ainsi, les effets négatifs de l’extension de l’allocation parentale d’éducation (APE) au deuxième enfant dans les années 1990 sur l’activité des mères sont avérés. Dans une moindre mesure, l’ouverture du complément de libre choix d’activité (CLCA) au premier enfant semble avoir modifié le comportement d’activité des mères.

Plus généralement, la persistance de « normes sociales dissymétriques » quant au travail féminin révélées par les enquêtes d’opinion peut expliquer ces interruptions de carrière.

Ainsi les enquêtes « Aspirations » du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) relèvent que lorsque les parents de jeunes enfants travaillent, une nette majorité des enquêtés (passant de 79 % en 1994 à 66 % en 2006) déclare qu’il est « plutôt favorable qu’un seul des deux parents s’arrête momentanément de travailler » ou « réduise son temps de travail ». Le parent qui devrait de préférence cesser ou réduire son activité est « la mère » dans 56 % des cas, « le père » dans 1 % des cas et « le plus bas salaire » dans 42 % des cas. Comme le plus bas salaire est celui de la femme dans trois couples de salariés sur quatre, on en déduit que le parent désigné implicitement serait la mère dans 89 % des cas. Les partisans de choix symétriques (« les deux parents continuent leur activité » ou « les deux parents réduisent leur temps de travail ») demeurent minoritaires. De même, dans l’enquête relations familiales et intergénérationnelles (Erfi) menée en 2005, plus de la moitié des personnes pensent qu’un enfant d’âge préscolaire risque de souffrir du fait que sa mère travaille, cette part étant moins élevée chez les plus jeunes.

Or, il est clair qu’une plus forte activité professionnelle des femmes conduirait à augmenter leurs droits propres et permettrait aussi d’engranger des cotisations supplémentaires susceptibles d’améliorer le financement des retraites.

À cet égard, la progression significative du nombre de places d’accueil de la petite enfance est un objectif essentiel : tant vis-à-vis des personnes qui pourraient continuer à travailler que pour la création d’emplois dans cette branche. Le Premier ministre a récemment annoncé la création de 275 000 places d’accueil pour les jeunes enfants, ce qui représenterait de toute évidence un levier d’action important pour l’égalité entre les deux parents.

Recommandation n° 2 : Favoriser une meilleure articulation de la vie personnelle et professionnelle par la création de nouvelles places d’accueil pour les jeunes enfants. Repenser le lien entre l’accueil des plus jeunes enfants et l’école préélémentaire en proposant une offre collective alternative sur le plan pédagogique.

Rééquilibrer le congé parental afin de mieux le partager entre les deux parents.

Votre Rapporteure se réfère ici à la contribution de la délégation sur l’accueil de la petite enfance, réalisée à la demande de la ministre de la Famille lors de sa consultation « Au tour des parents » (1).

b. Le développement du travail à temps partiel à partir des années 1990

Si 15 % des femmes étaient à temps partiel au début des années 1980, cette proportion a atteint 30 % à la fin des années 1990 ; depuis, elle s’est stabilisée à ce niveau de 30 % de femmes travaillant à temps partiel contre 6 % seulement des hommes. De fait, au-delà de l’accroissement de l’activité des femmes et de l’augmentation de la part des services dans l’économie, le développement du temps partiel est à relier aux mesures de politiques publiques prises en faveur de ces emplois. À partir de 1992, un abattement de cotisations patronales sur les emplois à temps partiel a été instauré dans le secteur privé ; cet abattement a pu se cumuler avec des allègements généraux des cotisations sociales « employeurs » sur les bas salaires. Au final, si les modalités d’application de ces mesures ont varié, il en est résulté un encouragement de l’emploi à temps partiel.

Le fort développement des services à la personne, soutenu par les pouvoirs publics, explique également l’envolée de l’emploi à temps partiel.

Aussi, si l’activité des femmes au sens du Bureau international du travail (BIT) continue d’augmenter au fil des générations, quoique plus lentement pour les générations nées après 1965, l’emploi des femmes mesuré en équivalent temps plein a cessé de progresser entre la génération 1955 et la génération 1970.

Le passage à temps partiel pour les femmes peut également être lié à la naissance d’enfants dans le couple, et la dissymétrie de la norme sociale qui prévaut alors a déjà été évoquée : si un tiers des femmes âgées de 25 à 49 ans exerce un emploi à temps partiel, cette part s’élève à 38 % lorsqu’elles en ont deux et presque une femme sur deux (47 %) lorsqu’elles en ont trois.

La fréquence des emplois à temps partiel chez les femmes les désavantage au moment du calcul de la retraite. Il est d’ores et déjà possible pour les employés à temps partiel de surcotiser pour ne pas subir cette réduction de pension, mais cette surcotisation est soumise à l’acceptation de l’employeur. Celle-ci pourrait être rendue obligatoire.

Recommandation n° 3 : Rendre la surcotisation obligatoire pour les employeurs lorsqu’ils abusent du recours à l’emploi à temps partiel ; un seuil de 50 % de salariés à temps partiel pourrait être retenu pour l’application de cette surcotisation.

c. Les inégalités salariales

Rappelons ici que les écarts de salaires entre les femmes et les hommes sont actuellement encore de 19 % dans le secteur privé si on considère les salariés à temps complet, et de 28 % si l’on compare les salaires annualisés moyens, ce qui permet de prendre en compte le temps partiel.

Les écarts salariaux ont pratiquement cessé de se réduire depuis le milieu des années 1990, dans le secteur privé comme le secteur public en lien avec les phénomènes de ségrégation professionnelle, concentrant les femmes dans des secteurs peu valorisés et donc peu rémunérés. Cette inégalité dans les salaires perçus se retrouve bien entendu au moment du calcul de la retraite.

L’harmonisation des salaires des femmes et des hommes par le haut représenterait pour le financement des régimes de retraite un gain de cotisations de 11 milliards par an.

À cet égard, la Délégation ne peut que se réjouir du fait que les premières sanctions financières aient été appliquées, cette année, aux entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle et salariale, à la suite de la parution du décret du 18 décembre 2012.

Recommandation n° 4 : Renforcer la politique de sanctions à l’égard des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations légales en matière d’égalité professionnelle et salariale. Publier le rapport de situation comparée (RSC) de l’entreprise sur le site du ministère du Travail ou celui des Droits des femmes. Le RSC devrait comprendre un bilan de l’évolution des résultats obtenus en matière d’égalité.

3. Les projections quant aux tendances futures

Les taux d’activité masculins et féminins se rapprochent progressivement, puisqu’en trente ans, on est passé d’un écart de 30 % à 10 % entre les taux d’activité. À la différence des générations plus anciennes qui ont peu ou pas travaillé, 83 % des femmes entre 25 et 49 ans sont aujourd’hui actives.

En conséquence, les écarts de durée d’assurance entre les femmes et les hommes tendent à se resserrer au fil des générations : la durée d’assurance validée par les femmes s’accroît, même si elle reste inférieure à celle des hommes. La seule convergence des durées d’assurance ne suffirait pas cependant à combler les écarts de niveau de pension constatés entre les hommes et les femmes. Selon les travaux du COR, pour les générations de 1965 à 1974, les pensions des femmes ne représenteraient encore que 63 % de celle des hommes.

Le système de retraite français a néanmoins inclus des dispositifs de redistribution qui réduisent les inégalités entre les femmes et les hommes. Il en est ainsi des droits familiaux par exemple, qui comptent quatre dispositifs principaux.

Le premier est la MDA, ou majoration de durée d’assurance. Celle-ci concerne les mères et éventuellement, depuis 2010, les pères, sans condition de réduction d’activité. Il s’agit d’une majoration de huit trimestres par enfant pour le régime général – les règles étant différentes dans les régimes spéciaux, en particulier dans la fonction publique. Ce dispositif a permis de rapprocher la durée moyenne de trimestres validés par les femmes et par les hommes.

Le deuxième dispositif est l’AVPF, ou assurance vieillesse des parents au foyer. Lorsqu’il a été créé, en 1972, il visait à comptabiliser les périodes passées au foyer pour élever des enfants de moins de trois ans, ou de nombreux enfants - d’abord quatre, puis trois à partir de 1977. Au fil des années, il a été étendu à différentes situations. Aujourd’hui, il permet de valider des trimestres avec un salaire porté au compte à hauteur du SMIC. Mais pour en bénéficier, il faut remplir certaines conditions : perception de certaines prestations familiales, condition de ressources et, dans certains cas, de revenus professionnels. À la différence de la MDA, il est lié au fait que l’on arrête de travailler et à la carrière professionnelle.

Le troisième dispositif est la majoration de pension pour les pères et les mères ayant eu ou élevé trois enfants ou plus. Celle-ci est proportionnelle à la pension et défavorise donc les femmes ; dans le régime général, elle est de 10 %. Il s’agit d’une pure mesure familiale qui vise à favoriser les familles nombreuses, de trois enfants ou plus.

Existe enfin un dernier dispositif, celui des départs en retraite anticipés dans les régimes spéciaux après quinze années de service et trois enfants ou plus, en voie d’extinction.

Ces dispositifs représentent des montants financiers importants : plus de 15 milliards d’euros, soit un peu moins d’un point de PIB et à peu près 8 % du montant global des pensions de droits propres. Il faut noter par ailleurs la montée en charge de l’AVPF.

Dans le régime général, un arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 2010 a abouti à ce que l’on scinde la MDA en deux pour les pensions prenant effet à partir du 1er avril 2010. C’est le système applicable aujourd’hui. Les huit trimestres ont donc été scindés en deux avec une majoration de quatre trimestres par enfant au titre de la maternité, et une majoration qualifiée d’éducation d’un an par enfant attribuée à la mère, pour tous les enfants nés avant le 1er janvier 2010, sauf si le père a seul élevé l’enfant. Pour les enfants nés après le 1er janvier 2010, cette deuxième majoration est attribuée à l’un des deux parents au choix du couple. C’est un système anti-redistributif, moins favorable aux femmes.

À ces droits familiaux s’ajoutent également des droits conjugaux, il s’agit des pensions de réversion. Lors du décès d’un bénéficiaire d’une pension, une partie de cette pension est reversée au conjoint ou ex-conjoint survivant. Le montant de la pension de réversion est de 54 % de la pension d’origine pour les plus de 55 ans uniquement, sous condition de ressources (dans le privé). Si le montant total de la pension est inférieur à 840 euros par mois, la pension de réversion est majorée jusqu’à 60 % de la pension d’origine. Les pensions de réversion représentent 30 milliards d’euros par an, soit 13 % du total des pensions versées.

Fin 2010, 4,25 millions de personnes touchaient une pension de réversion dont 90 % de femmes. Parmi elles, un million n’ont aucun droit propre. Dans l’avenir, on peut prévoir que la diminution du nombre de mariages, l’augmentation du nombre de célibataires et divorcés conduira à un moindre accès aux pensions de réversion.

En revanche, on peut espérer qu’avec les trimestres attribués au titre de la MDA et de l’AVPF, la durée d’assurance moyenne validée par les femmes nées après 1960 rejoindra, voire dépassera la durée moyenne validée par les hommes. Mais si ces dispositifs permettent de rapprocher le nombre de trimestres validés par les femmes de ceux validés par les hommes, ils ne corrigent pas les écarts de pension entre hommes et femmes, qui sont dus aux écarts de salaires et à certains éléments de carrière.

Les interrogations actuelles portent donc sur un éventuel redéploiement des droits familiaux qui permettrait de corriger les écarts de salaire plutôt que les écarts de durée.

Votre Rapporteure a souligné à quel point agir pour la retraite des femmes passait aussi par d’autres politiques visant à réduire les inégalités de parcours et de rémunération. Celles-ci devront être complétées prochainement par le projet de loi global sur l’égalité entre les femmes et les hommes en cours d’examen par le Parlement. La Délégation sera très vigilante quant à la mise en œuvre de l’accord sur la question de l’égalité professionnelle et de la qualité de vie au travail intervenu au mois de juin dernier.

B. L’IMPACT DES RÉFORMES SUCCESSIVES SUR LES RETRAITES DES FEMMES

Les réformes successives ont eu pour effet de renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes.

1. Les réformes des retraites de 1993 à 2012

Après l’ordonnance du 26 mars 1982 qui fixe l’âge de la retraite à taux plein à 60 ans pour les assurés ayant cotisé 150 trimestres, le Livre blanc sur les retraites de 1991 marque un tournant en mettant en évidence les difficultés à venir des systèmes de retraite par répartition, ouvrant la voie aux réformes menées à partir de 1993.

La loi du 22 juillet 1993 réforme le régime général (salariés) et les trois régimes alignés (salariés agricoles, artisans, industriels et commerçants) :

– confronté à une forte dégradation financière des régimes de retraite, le Premier ministre, M. Édouard Balladur décide de porter progressivement de 37,5 ans à 40 ans (de 150 à 165 trimestres) la durée de cotisation nécessaire à l’obtention d’une retraite à taux plein ;

– le salaire moyen de référence servant de base pour le calcul de la pension est calculé progressivement sur les 25 meilleures années et non plus les dix meilleures ;

– la revalorisation annuelle des pensions est faite en fonction de l’indice des prix à la consommation et non plus selon l’évolution générale des salaires.

Une étude de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) publiée en 2008, montre que la réforme de 1993 s’est traduite par le versement de pensions moins élevées pour l’ensemble des retraités présents entre 1994 et 2003. Pour les salariés, elle a eu principalement pour effet de faire baisser le taux de remplacement (ratio entre le total des pensions versées la première année de retraite et le dernier salaire annuel perçu).

Portant le nom de M. François Fillon, ministre des Affaires sociales du gouvernement Raffarin, la réforme de 2003 complète la réforme Balladur. La loi du 21 août 2003 réforme l’ensemble des régimes de retraite, à l’exception des régimes spéciaux. Les principales mesures sont :

– entre 2004 et 2008, un alignement progressif de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé (de 37,5 à 40 ans) ;

– à partir de 2009, un allongement progressif de la durée de cotisation pour tous afin d’atteindre 41 ans en 2012 ;

– la création d’un mécanisme de décote (baisse de la pension lorsque l’assuré prend sa retraite avant d’avoir la durée de cotisation requise), et de surcote (hausse de la pension en cas de départ retardé) ;

– la création d’un dispositif de départ anticipé pour les carrières longues permettant à ceux qui ont commencé à travailler entre 14 et 16 ans et ont cotisé la durée requise pour leur génération de prendre leur retraite avant 60 ans ;

– la création de deux nouveaux dispositifs d’épargne retraite : un produit d’épargne individuel, le Plan d’épargne retraite populaire (PERP), et un dispositif collectif, le Plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO) ;

– l’incitation au maintien en activité des seniors avec la limitation de l’accès aux préretraites ;

– l’indexation des pensions des fonctionnaires sur les prix et non sur le point de la fonction publique.

Le bilan de la réforme dressé par la CNAV en 2008 apparaît mitigé. Elle n’est pas parvenue à retarder le départ à la retraite (le taux d’emploi des 55-64 ans reste faible). En revanche, les mesures destinées à cesser le travail plus tôt ont rencontré un franc succès.

La réforme des régimes spéciaux entre en vigueur en 2008 sous le quinquennat de M. Nicolas Sarkozy. Elle concerne deux types de régimes :

– les régimes des établissements publics à caractère industriel et commercial gérant un service public (EDF, GDF, SNCF, RATP, Banque de France, Opéra national de Paris, Comédie française),

– les professions à statut (clercs et employés de notaires).

Trois principes directeurs ont conduit la réforme : le passage progressif de la durée de cotisation de 37,5 ans à 40 ans, l’instauration d’un mécanisme de décote/surcote et l’indexation des pensions sur l’évolution des prix et non plus sur celle des traitements des agents publics en activité.

La loi du 9 novembre 2010, portée par M. Éric Woerth, ministre du Travail, de la solidarité et de la fonction publique du deuxième gouvernement Fillon, met fin au principe de la retraite à 60 ans, héritage du septennat de François Mitterrand et provoque d’importantes manifestations, à l’appel de tous les syndicats.

Cette réforme comporte, outre des mesures liées aux droits des assurés (âge légal de départ, âge de liquidation à taux plein) des dispositions relatives à la prise en compte de la pénibilité et des interruptions de carrière (maternité, chômage) :

– le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite pour atteindre 62 ans en 2018 ;

– l’âge à partir duquel il est permis à un assuré n’ayant pas la durée de cotisation requise, de bénéficier tout de même d’une retraite à taux plein, passe progressivement de 65 à 67 ans ;

– le dispositif des « carrières longues » est modifié, les salariés ayant commencé avant 18 ans peuvent partir à la retraite au plus tôt, sous réserve d’avoir la durée de cotisation requise pour leur génération plus deux ans ;

– pour les salariés qui du fait d’une situation d’usure professionnelle, ont une incapacité physique supérieure ou égale à 20 %, l’âge légal de départ à la retraite reste fixé à 60 ans et aucune décote ne leur est appliquée ;

– les jeunes en chômage non indemnisé pourront valider jusqu’à six trimestres (au lieu de 4) ;

– pour les femmes, l’indemnité journalière perçue pendant le congé de maternité entrera dans le salaire de référence sur lequel sera calculée la pension de retraite ;

– de nouvelles recettes financières sont instaurées ;

– l’objectif assigné au Fonds de réserve des retraites est modifié : ses réserves seront à partir de 2011 ponctionnées annuellement au profit de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES).

La loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 (article 88) prévoit l’accélération de la réforme des retraites de 2010 : l’âge légal de départ à la retraite et l’âge d’obtention automatique de la retraite à taux plein passent respectivement à 62 et 67 ans dès 2017 au lieu de 2018.

À son arrivée au pouvoir en 2012, M. Françoise Hollande revient partiellement sur la réforme Woerth ; un décret du 2 juillet 2012 assouplit le dispositif « carrières longues » et renforce les mesures en faveur des assurés ayant connu des accidents de carrière :

– les personnes qui ont commencé à travailler avant 20 ans (18 ans auparavant) et ont la durée de cotisation requise pour leur génération peuvent prendre leur retraite à 60 ans ;

– il était jusqu’alors possible d’intégrer jusqu’à quatre trimestres de périodes assimilées liées au service national et jusqu’à quatre trimestres de périodes assimilées liées à la maternité ou à la maladie. Désormais s’ajoutent deux trimestres de périodes de chômage indemnisé et deux trimestres supplémentaires liés à la maternité.

2. L’impact des réformes sur les retraites de femmes

Les inégalités entre femmes et hommes au moment de la retraite ont été analysées par Mme Carole Bonnet – entendue par votre Rapporteure – et M. Jean-Michel Houriez, chercheurs à l’Institut national des études démographiques (INED), dans une note de 2012 publiée dans « Regards sur la parité ». Ils se sont notamment interrogés sur l’impact des réformes successives sur les écarts de pension entre les femmes et les hommes.

Selon leurs propres termes, évaluer l’impact des réformes des retraites selon le sexe est délicat. En effet, chaque réforme modifie plusieurs paramètres simultanément ou comporte plusieurs dispositions, de sorte que l’effet global est difficile à appréhender. De plus, la superposition des règles et leur complexité peuvent aboutir à des résultats contre-intuitifs. Par exemple, des résultats de travaux sur l’impact de la réforme de 1993 montrent qu’elle conduit à une baisse de la pension moyenne plus importante pour les hommes (- 6,9 %) que pour les femmes (- 4,6 %) sur le champ des retraités du régime général liquidant leur pension entre 1994 et 2003, vivant fin 2005. Pourtant, les paramètres de calcul de la pension (salaire de référence et taux de liquidation) ont davantage été affectés à la baisse pour les femmes. En fait, pour de nombreuses femmes, la baisse de la pension a été neutralisée par le minimum contributif.

D’après la note susmentionnée, peu de travaux ont à ce jour évalué la réforme de 2003 sous l’angle des écarts entre femmes et hommes. En fait, d’après les chercheurs, certaines dispositions sont favorables aux hommes et d’autres aux femmes. En raison de leur durée d’assurance plus longue, les hommes sont davantage bénéficiaires des retraites anticipées pour carrières longues (75 % des départs en retraite anticipée dans les générations qui partent). De même, ils bénéficient actuellement davantage du dispositif de la surcote (58 % en 2009), alors qu’ils représentent la moitié des départs en retraite en 2009. En revanche, la réduction du taux de décote de 10 à 5 % au régime général est plus avantageuse pour les femmes. Mais l’instauration de cette dernière dans la fonction publique est plus pénalisante pour les femmes.

Toujours selon l’étude de ces chercheurs, les effets différenciés selon le sexe du décalage des bornes d’âge issu de la réforme de 2010 pourraient se compenser. D’ici 2020, tant que la durée d’assurance moyenne des femmes restera inférieure à celle des hommes, le relèvement de l’âge minimum légal aura plus d’impact sur les hommes tandis que le relèvement de l’âge du taux plein aura plus d’impact sur les femmes. À plus long terme, si la durée d’assurance moyenne des femmes dépassait celle des hommes comme le prévoient les projections et si, par conséquent, les femmes partaient à la retraite plus tôt que les hommes, le relèvement de l’âge minimum légal pourrait avoir un impact plus important sur les femmes tandis que le relèvement de l’âge du taux plein pourrait avoir un impact plus important sur les hommes, l’âge moyen de départ étant relevé à peu près autant pour les femmes et les hommes. La réforme de 2010 aurait ainsi pour effet de relever l’âge moyen de départ à la retraite au régime général d’environ 1,2 an à partir de 2020, pour les hommes comme pour les femmes.

Enfin, de manière générale, l’indexation sur les prix des pensions liquidées a un impact plus important sur le montant des pensions des femmes dont l’espérance de vie est plus longue. En effet, l’indexation sur les prix dans un contexte de croissance économique aboutit à une baisse progressive du revenu relatif de chaque retraité au fur et à mesure qu’il vieillit, baisse d’autant plus marquée que le retraité vit longtemps.

Si les chercheurs, dans leurs études, demeurent légitimement prudents quant à l’évaluation des effets globaux des différentes réformes sur les retraites des femmes, certains faits demeurent.

Ainsi, l’application de la décote instaurée en 2003 touche davantage les femmes (9 % des femmes et 6 % des hommes, et la décote est plus forte pour les femmes que pour les hommes puisqu’elles ont en moyenne une plus faible durée de cotisation).

L’allongement de la durée de cotisation initié dès 1993 et poursuivi en 2003 pénalise plus fortement les femmes qui ont en moyenne des carrières plus courtes et incomplètes.

Les carrières validées par les femmes sont plus courtes de 2,75 ans ; et elles ne sont que 47 % à valider une carrière complète (contre 83 % des hommes).

Depuis la réforme de 2010, l’âge du taux plein a reculé de 65 à 67 ans, ce qui affecte davantage les femmes. La Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale avait d’ailleurs recommandé de maintenir à 65 ans l’âge légal de départ à taux plein.

De nombreuses femmes attendent l’âge légal pour que la décote ne s’applique pas. L’âge moyen de départ à la retraite des femmes est supérieur de 1 an à celui des hommes.

Depuis 1993, le salaire moyen pris en compte dans le calcul de la pension est effectué à partir des 25 et non plus des 10 meilleures années. Cela pénalise les carrières courtes, et oblige à prendre en compte les années de faibles salaires perçus pendant les périodes travaillées à temps partiel.

Recommandation n° 5 : Fixer le nombre d’années prises en compte dans le calcul du salaire moyen non pas en absolu – soit 25 ans dans le privé –mais en fonction du nombre d’années de carrière concrètement réalisées en pratiquant une proratisation.

L’indexation des salaires pris en compte dans le calcul de la pension sur les prix, et non plus sur les salaires, fait baisser les pensions (idem pour la revalorisation des pensions). Cette baisse est d’autant plus importante que l’année concernée est éloignée : sont particulièrement touchées par ce calcul les retraitées de plus de 75 ans, population parmi laquelle les femmes isolées sont surreprésentées.

Par ailleurs, les dispositifs destinés à atténuer les effets négatifs des réformes bénéficient surtout aux hommes (le départ anticipé pour carrières longues, le dispositif de surcote, les possibilités de rachat des trimestres d’assurance au titre des études).

Les effets globalement défavorables des réformes successives sur la situation des femmes ont également été soulignés par Mme Christiane Marty, chercheuse à la Fondation Copernic, et par Mmes Clémence Helfter et Anne-Cécile Mailfert, représentantes d’« Osez le féminisme », entendues par votre Rapporteure.

II.– LE PROJET DE LOI DE RÉFORME DES RETRAITES : UNE AMBITION DE JUSTICE AFFICHÉE

Avant d’analyser les avancées que comporte le présent projet de loi, seront rappelées les étapes de réflexion et de concertation qui l’ont précédé.

A. UN TEMPS DE RÉFLEXION ET DE CONCERTATION POUR UNE RÉFORME DURABLE

Plusieurs étapes de réflexion et de concertation ont pris place avant la présentation de la réforme. Trois études ont été présentées afin d’établir le cadre dans lequel prend place la réforme : le 12ème rapport du Conseil d’orientation des retraites, le rapport de la commission pour l’avenir des retraites et le rapport présenté en juin 2013 par l’Institut des politiques publiques, qui porte plus particulièrement sur les options de réforme des droits familiaux et conjugaux. Ces derniers ne sont pas concernés par le présent projet de loi.

1. La conférence sociale de juillet 2012 et la feuille de route

La grande conférence sociale qui s’est tenue en juillet 2012 avait abordé, dans l’une des sept tables rondes organisées, le thème de l’avenir des retraites et de la protection sociale. Quelques constats et objectifs avaient été définis dans la feuille de route résultant de cette conférence sociale : le maintien du système de répartition, la garantie d’un niveau de pension satisfaisant pour toutes les générations et l’objectif d’équité assigné au système de retraites notamment au regard de l’égalité entre les hommes et les femmes. Un calendrier pour une réforme globale était arrêté :

– une phase de diagnostic sur la base d’un état des lieux du système de retraite français et de ses perspectives financières, réalisé par le Conseil d’orientation des retraites (COR) entre septembre 2012 et début 2013. Un état des lieux plus précis devait être élaboré sur le thème de l’équité du système (égalité femmes/hommes, personnes handicapées, pénibilité) ;

– à partir des travaux du COR, sur la base d’un cahier des charges négocié entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, une commission ad hoc devait formuler différentes pistes de réforme à plus ou moins long terme sur la base de consultations menées auprès de l’ensemble des acteurs concernés ;

– une phase de concertation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux sur la base des conclusions de cette commission ad hoc, sur les évolutions souhaitables du système de retraite à partir du printemps 2013. Au terme de cette phase de concertation, le Gouvernement devait choisir et retenir les orientations à donner au système de retraite en déposant un projet de loi.

2. L’analyse du Conseil d’orientation des retraites

Le douzième rapport du COR intitulé « Retraites : un état des lieux du système français » a été remis au Gouvernement le 23 janvier 2013 selon le calendrier retenu. Il rappelle les principales caractéristiques du système de retraite français puis les analyse à l’aune des objectifs assignés au système, tout en réalisant un chiffrage du besoin de financement à l’horizon 2020.

Le système de retraite français légalement obligatoire se caractérise par une multiplicité des régimes de base et par le développement de régimes complémentaires, structurés en fonction de critères d’appartenance socioprofessionnelle et financés par répartition auxquels s’ajoutent des dispositifs facultatifs d’épargne individuelle ou collective en capitalisation. Les conditions d’ouverture des droits à retraite, les règles d’acquisition et de valorisation de ces droits ainsi que les paramètres de calcul des pensions diffèrent entre les régimes, malgré un mouvement de convergence qui accompagne l’allongement de la durée d’assurance requise pour le taux plein en fonction des gains d’espérance de vie à 60 ans et le relèvement des âges légaux de la retraite.

Le rapport du COR fait état des disparités de pensions entre les femmes et les hommes. Il s’interroge également sur l’adéquation du système à ses objectifs assignés et aborde cinq séries de problématiques avec des exemples à l’appui et des pistes éventuelles d’évolution :

– mieux compenser à la retraite les aléas de carrière ;

– améliorer le ciblage et l’incidence des droits familiaux ;

– s’interroger sur la nature forfaitaire ou proportionnelle des droits familiaux et sur le moment de prise en charge des périodes d’éducation des enfants ; réfléchir à la façon de prendre en compte différemment les parcours conjugaux ;

– réfléchir à la prise en compte des évolutions de la société.

Nous renvoyons à la lecture du rapport du COR pour une analyse détaillée.

3. Les travaux de la commission sur l’avenir des retraites

Le rapport de la commission pour l’avenir des retraites, présidée par Mme Yannick Moreau, a été rendu public le 17 juin 2013 après trois mois de travaux, un cahier des charges lui ayant été remis par la ministre des Affaires sociales, Mme Marisol Touraine, le 15 mars 2013. La Délégation a pu entendre en audition Mme Moreau, qui s’est réjouie que les droits des femmes et les inégalités de pensions soient devenus de véritables sujets soumis au débat.

Le rapport de la commission sur l’avenir des retraites, dit « rapport Moreau », fruit d’un travail très approfondi, distinguait trois objectifs à atteindre :

– les efforts à consentir à court terme doivent permettre de stabiliser rapidement le système et le mettre en situation d’être piloté pour qu’il soit moins sensible aux variations de la croissance et aux évolutions de la démographie ;

– la recherche d’une justice accrue doit renforcer l’adhésion de toutes les catégories sociales et professionnelles à ce bien commun ;

– une ambition nationale en faveur de l’emploi des seniors et la recherche d’un traitement rénové des situations pénibles doit accompagner ces évolutions.

Ces trois priorités doivent guider la recherche de solutions permettant aux citoyens et à la société dans son ensemble, d’envisager avec davantage de sérénité ce progrès social et collectif qu’est l’allongement de l’espérance de vie.

Première priorité donc, il s’agit de rééquilibrer le système à court terme pour assurer sa pérennité, et piloter sa trajectoire à long terme. Les projections du COR faisant apparaître un besoin de financement de 20 milliards d’euros à l’horizon 2020, la commission a envisagé divers types de mesures pour revenir à l’équilibre en 2020 : mobiliser de nouvelles recettes, agir sur le niveau des pensions, agir sur la durée d’activité. À long terme gérer une trajectoire d’équilibre et construire un système de pilotage des régimes.

Deuxièmement, il s’agit de renforcer l’équité et la lisibilité par la convergence des droits et des organisations, en remédiant aux inégalités dans l’accès aux droits, en clarifiant les règles d’acquisition des trimestres par l’activité, en améliorant les droits à pension des jeunes actifs, en coordonnant mieux les pensions des polypensionnés, en renforçant les mesures de solidarité face aux aléas de carrière, en modernisant les règles de calcul.

Concernant cet objectif d’équité, la commission sur l’avenir des retraites s’est notamment penchée sur les droits familiaux. En effet, comme on l’a vu plus haut, les avantages familiaux jouent un rôle central pour réduire les inégalités de pensions entre les femmes et les hommes. Or, ces avantages familiaux n’ont pas intégré la forte progression du taux d’emploi des femmes. Une hypothèse de réforme globale a été étudiée par la commission. Elle conduirait à modifier l’objectif assigné aux avantages familiaux : il serait non plus celui d’améliorer les durées d’assurance des femmes puisque celles-ci se rapprochent de celles des hommes, mais de compenser les interruptions de carrière directement liées aux jeunes enfants d’une part, et l’impact sur les rémunérations (et partant sur les pensions) induit par l’éducation des enfants et la charge des activités domestiques, assurées principalement par les femmes, d’autre part.

La commission a souligné l’intérêt de ce scénario mais a aussi étudié des ajustements plus mineurs qui pourraient être envisagés, si une refonte globale des avantages familiaux était jugée prématurée ou difficile à réaliser dans le temps prévu pour la réforme. Nous reviendrons plus loin sur cette question de la réforme des avantages familiaux.

Troisièmement, il s’agit d’accroître le taux d’emploi des seniors qui est de 41,5 % en 2011 contre 37 % en 2003, et d’améliorer les conditions de travail.

4. La consultation des partenaires sociaux

Après la remise du rapport « Moreau » au Gouvernement et selon ce qui avait été annoncé, le Premier ministre recevait les 26 et 27 août derniers l’ensemble des partenaires sociaux pour une phase de concertation. Sans attendre de connaître les détails de la réforme, quatre syndicats (CGT, FO, la FSU, et solidaires) avaient déjà appelé à une journée de mobilisation le 10 septembre. Les organisations patronales de leur côté, ont fait connaître leur désaccord global sur les orientations du projet de loi, le MEDEF annonçant 24 propositions alternatives.

À l’issue du deuxième et dernier jour de consultation, le premier ministre annonçait les grandes lignes de la réforme des retraites, un projet de loi devant être présenté au conseil des ministres le 18 septembre.

Concernant la question du financement, ce sont les cotisations sociales qui seront sollicitées à un faible taux et progressivement, tous les régimes étant concernés. La durée de cotisation requise pour une retraite à taux plein sera progressivement relevée, d’un trimestre tous les trois ans, pour atteindre 43 ans en 2035. À partir de 2035, la démographie permettra aux régimes de retraite de s’équilibrer. L’âge légal de départ à la retraite reste fixé à 62 ans.

Par ailleurs, le premier ministre annonçait que les majorations de 10 % des pensions pour les retraitées ayant élevé trois enfants, aujourd’hui exonérées, seront désormais soumises à l’impôt sur le revenu, pour un gain escompté de 1,3 milliard en 2020. Ceci représentera l’effort demandé aux retraités pour participer au redressement financier du système de retraite.

La réforme prévoit le report de l’indexation des pensions : la revalorisation en fonction de l’inflation, effectuée jusqu’à présent au 1er avril, interviendra au 1er octobre, les plus petites retraites (allocation de solidarité aux personnes âgées) échappant à ce report temporel.

Enfin, le projet de loi réaffirme solennellement à travers son article 1er les principes et objectifs du système de retraite au premier rang desquels le choix de la retraite par répartition et le traitement équitable au regard de la retraite. Il n’est pas indifférent que soit ajouté au code de la sécurité sociale ce paragraphe qui affirme : « La Nation assigne au système de retraite par répartition les objectifs d’équité et de solidarité entre les générations et au sein des générations, de réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes, de maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités, de pérennité financière et d’un niveau élevé d’emploi des salariés âgés ».

B. UNE RÉFORME QUI N’OUBLIE PAS LES FEMMES

Le présent projet de loi comporte six éléments susceptibles d’améliorer la situation des femmes et témoigne d’une approche radicalement nouvelle par rapport aux précédents projets de réforme des retraites.

1. La création d’un comité de surveillance des retraites

L’article 3 du projet de loi instaure un mécanisme original de pilotage du système de retraite. Ce dispositif s’appuyant sur le Conseil d’orientation des retraites et sur la création d’un Comité de surveillance des retraites jouera bien sûr un rôle de surveillance financière mais aussi un rôle d’observatoire des inégalités générées par le système de retraite et de suivi des dispositifs mis en place pour les corriger. Chaque année, le COR devra réaliser un bilan public du système de retraite à partir d’indicateurs de suivi du respect des objectifs dont celui de l’équité. Le Comité de surveillance sera chargé de rendre chaque année un avis public relatif au suivi des écarts de pension entre hommes et femmes et de leurs déterminants. S’il estime que le système de retraite s’éloigne de ses objectifs, le Comité pourra assortir son avis de recommandations publiques. Le Gouvernement présentera alors au Parlement, après consultation des partenaires sociaux, les suites qu’il entend donner aux recommandations du Comité de surveillance.

Ce comité de surveillance sera composé de quatre personnalités, à parité deux hommes et deux femmes, choisis pour leur compétence en matière de retraite et nommés pour cinq ans par décret. L’avis annuel du comité devra analyser selon les termes de l’article 3 « la situation comparée des hommes et des femmes au regard de l’assurance vieillesse, en tenant compte des différences de montant de pension, de la durée d’assurance respective et de l’impact des avantages familiaux de vieillesse sur les écarts de pension ».

La Délégation aux droits des femmes approuve l’inscription dans la loi d’une mission d’observation et de correction des inégalités de pension entre les femmes et les hommes, confiée au comité de surveillance des retraites.

Néanmoins, si elle se réjouit de la parité introduite dans la composition de ce comité, elle note que tel n’est pas le cas au sein du Conseil d’orientation des retraites, ce qui est regrettable à ses yeux.

Recommandation n° 6 : Introduire la parité entre les femmes et les hommes dans la composition du Conseil d’orientation des retraites.

2. La validation des trimestres de maternité

Les périodes de congé de maternité sont, au regard des droits à la retraite, des périodes dites « assimilées », c’est-à-dire qu’elles ouvrent droit à la validation de trimestres de la même façon que si la personne avait été en activité.

La réforme prévoit de mieux prendre en compte les trimestres d’interruption au titre du congé de maternité en permettant, à compter du 1er janvier 2014, de valider autant de trimestres que de périodes de 90 jours de congé de maternité. Cette mesure fera l’objet d’un décret.

En outre, le décret du 2 juillet 2012 pris après l’élection de M. François Hollande avait déjà permis que soient aussi validés deux trimestres supplémentaires au titre de la maternité pour les femmes afin notamment, de leur permettre d’accéder au dispositif « carrières longues ». Le projet de loi sur les retraites va plus loin puisqu’il prévoit dans son article 15 que l’ensemble des trimestres acquis au titre de la maternité seront désormais pris en compte pour bénéficier de la retraite anticipée « carrières longues » à compter du 1er janvier 2014.

La Délégation approuve cette mesure de justice à l’égard des femmes qui s’appliquera après 2014.

3. La prise en compte des carrières à temps partiel ou à faible rémunération

Aujourd’hui, le nombre de trimestres d’assurance vieillesses validés au titre d’une année est établi en fonction du montant de la rémunération annuelle soumise à cotisations : sont validés autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 200 heures rémunérées au SMIC. Cette disposition ne permet pas aux assurés à temps très partiel, à faible durée de travail ou à faible revenu dans l’année, de valider quatre trimestres. À l’inverse, il est possible, pour un salarié percevant une rémunération mensuelle brute égale au plafond de la sécurité sociale, de valider quatre trimestres en moins de deux mois et demi d’activité.

La Délégation aux droits des femmes, à de multiples reprises, s’est penchée sur la situation des travailleurs à temps partiel (le plus souvent subi) qui sont à 80 % des femmes. À l’occasion de l’examen du projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, le rapport de la Délégation présenté par Mme Ségolène Neuville et M. Christophe Sirugue (2) a consacré notamment un long développement à cette problématique du travail à temps partiel qui pénalise les femmes : salaires faibles et carrières ralenties, protection sociale affaiblie et retraites amoindries.

Or, aujourd’hui, l’article 14 du projet de loi sur les retraites décide de mieux prendre en compte les carrières à temps très partiel ou à faible rémunération, en modifiant les modalités de validation d’un trimestre.

Désormais, il sera possible d’acquérir un trimestre avec 150 heures rémunérées au SMIC au lieu de 200 ; en conséquence, un mois de travail rémunéré au SMIC permettra de valider un trimestre, quatre mois permettant de valider une année ; une activité rémunérée au SMIC durant toute l’année permettra de valider quatre trimestres dès que le temps de travail dépasse 11,5 heures par semaine.

Néanmoins, un plafond spécifique sera instauré afin de limiter les effets d’aubaine : ne seront prises en compte pour le calcul de la durée d’assurance que les cotisations portant sur un revenu mensuel inférieur à 1,5 SMIC.

De plus, lorsqu’une année compte moins de quatre trimestres validés, les cotisations non utilisées pour la validation d’un trimestre pourront être reportées sur l’année suivante ou sur la précédente si ces années comptent également moins de quatre trimestres validés.

Ces deux mesures combinées sont particulièrement profitables aux assurés à bas salaire et à faible quotité de travail : elles bénéficient donc en particulier aux femmes, qui représenteraient entre 60 et 70 % des bénéficiaires d’après l’étude d’impact du projet de loi. Selon l’étude d’impact annexée au projet de loi, 15 % des salariés seraient concernés par cette mesure.

Le Conseil d’orientation des retraites a publié en 2009 une note de travail sur la modification du salaire de référence pour valider un trimestre et sa conséquence sur le montant des pensions. Il ressort de cette étude que le passage à un salaire de référence équivalent à 150 heures de SMIC conduirait, en 2050, à une augmentation du nombre de trimestres validés au régime général pour un homme sur trois et pour un peu plus d’une femme sur deux. Le fait que cette mesure ait plus d’incidence pour les femmes que pour les hommes s’explique précisément par la plus importante fréquence du travail à temps partiel des femmes ainsi que par leurs niveaux de salaire plus faibles.

Les assurés qui bénéficieraient de cette mesure augmenteraient leur durée d’assurance au régime général d’environ deux trimestres en moyenne.

L’augmentation du nombre de trimestres se répercuterait sur le montant des pensions ; pour une partie des femmes, cependant, l’écart positif du montant serait absorbé par le minimum contributif. La hausse de pension serait néanmoins limitée : parmi les assurés qui auraient un montant supérieur, en 2050, en moyenne, la hausse serait de 1,6 % pour les hommes et de 2,1 % pour les femmes.

L’incidence sur le montant de la pension serait plus importante pour les assurés bénéficiaires de montants de pensions faibles. Elle serait au contraire presque nulle pour les assurés touchant des montants de retraite importants.

En ce qui concerne les hommes, le quart des assurés ayant les montants de retraites les plus faibles auraient une pension supérieure de 3 % en 2050, alors que pour le quart des assurés touchant les montants les plus élevés, cet écart ne serait que de 0,9 %.

Pour les femmes, l’augmentation des montants de pension en 2050 serait plus importante : les 25 % de femmes touchant les montants de retraite les plus faibles auraient une retraite plus élevée de 4 %. Au final, pour la moitié des femmes, le montant de la retraite varierait d’au moins + 2,4 %.

La diminution du salaire nécessaire à la validation d’un trimestre conduirait à un coût supplémentaire de masse globale qui peut être estimée en 2050 à un milliard d’euros, dont près des deux tiers pour les femmes.

Cette mesure entraînerait une très légère diminution de l’âge moyen au départ à la retraite, lequel passerait en 2050 de 62,8 ans à 62,7 ans.

Votre Rapporteure se félicite de cette disposition du projet de loi qui aura des conséquences positives pour les femmes et également pour les jeunes, qui pourront valider des trimestres correspondant à leurs périodes travaillées pendant les vacances universitaires, par exemple. Elle note que les syndicats dans leur ensemble sont favorables à cette mesure même si le syndicat FO appelle à la vigilance quant à la création d’une possible « trappe à précarité ».

Elle considère que pourrait être étudié l’abaissement du seuil, pour la validation d’un trimestre, à 100 heures rémunérées au SMIC, afin de renforcer l’impact de cette mesure positive et d’éviter que des salariés à très petit temps partiel ne cotisent à fonds perdus.

M. Gérard Pelhâte, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), auditionné par votre Rapporteure, a estimé à plus de 220 000 personnes le nombre de bénéficiaires de la mesure de validation d’un trimestre avec 150 heures SMIC : 65 000 d’entre elles valideraient un trimestre de mieux, 160 000 en valideraient deux en plus. Il a considéré qu’il s’agissait d’une mesure susceptible d’encourager les employeurs à déclarer leurs salariés, qui, quant à eux, financeront leur retraite tout en touchant en revenu immédiat. La diminution à 100 heures, en prenant en compte les heures déclarées auprès de différentes caisses, constituerait selon lui également un progrès.

Recommandation n° 7 : Prévoir la possibilité, pour les salariés, de valider autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 100 heures rémunérées au SMIC.

4. La prise en compte de la pénibilité au travail

Le chapitre Ier du titre II du projet de loi sur les retraites porte sur la prise en compte de la pénibilité au travail, qui a des répercussions sur l’espérance de vie et la durée de la retraite. Le Gouvernement estime avec justesse que face à ces situations, la réponse passe avant tout par la prévention. L’enjeu est bien que les travailleurs puissent sortir des situations de travail pénibles, définies comme des expositions professionnelles susceptibles de laisser des « traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé » (article L. 4121-3-1 du code du travail). Aussi, à la suite des propositions faites par la commission sur l’avenir des retraites, le Gouvernement a décidé de créer un compte personnel de prévention de la pénibilité (article 6 du projet de loi).

Le principe en est simple : tout salarié exposé à au moins un facteur de pénibilité voit son compte pénibilité crédité d’un point par trimestre d’exposition, ou de deux points en cas d’exposition à plusieurs facteurs de pénibilité. Les seuils d’exposition, en termes de durée, de fréquence et d’intensité, seront définis par décret, après concertation avec les acteurs sociaux.

L’article 5 du projet de loi prévoir que l’exposition au risque d’un salarié devra être consignée par l’employeur dans la fiche de prévention des expositions imposée par la réforme des retraites de 2010, effective depuis début 2012. Un point important doit être souligné : les seuils d’exposition seront définis par décret et non sur la seule appréciation de l’employeur.

Le salarié peut ensuite utiliser ses points, soit pour suivre une formation lui permettant d’accéder à un emploi non pénible, soit pour travailler à temps partiel à la fin de sa carrière en conservant sa rémunération, soit enfin, pour partir à la retraite jusqu’à deux ans plus tôt que ce que le droit commun lui permettrait.

Le nombre de points que le salarié pourra utiliser sera plafonné à 100, ce qui correspond à une exposition de 25 ans à des facteurs de pénibilité au-delà d’un certain seuil). C’est à partir d’un âge déterminé qu’il pourra affecter ses points au financement d’une réduction de son temps de travail (55 ans) ou à la majoration de sa durée d’assurance lors de la liquidation de sa pension.

Le financement des nouveaux droits accordés reposera sur un financement à deux étages : un socle payé par l’ensemble des entreprises et une cotisation additionnelle appliquée aux seules entreprises exposant à un travail pénible.

Le code du travail apporte des précisions pour évaluer la pénibilité en retenant dix critères, ou facteurs de pénibilité. Ils sont définis à l’article D. 4125-5 du code du travail. Ce sont : 

a) Au titre des contraintes physiques marquées :

– Les manutentions manuelles de charges définies à l’article R. 4541-2 ;

– Les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ;

– Les vibrations mécaniques mentionnées à l’article R. 4441-1 ;

b) Au titre de l’environnement physique agressif :

– les agents chimiques dangereux mentionnés aux articles R. 4412-3 et R. 4412-60, y compris les poussières et les fumées ;

– les activités exercées en milieu hyperbare définies à l’article R. 4461-1 ;

– les températures extrêmes ;

– le bruit mentionné à l’article R. 4431-1 ;

c) Au titre de certains rythmes de travail :

– le travail de nuit dans les conditions fixées aux articles L. 3122-29 à L. 3122-31 ;

– le travail en équipes successives alternantes ;

– le travail répétitif caractérisé par la répétition d’un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini.

Des données relatives au pourcentage de travailleurs exposés à des conditions de travail pénible figurent dans une étude de la DARES portant sur l’année 2007. Le tableau suivant fait apparaître ces données, qui sont les dernières disponibles.

EXPOSITION À DES CONDITIONS DE TRAVAIL PÉNIBLE

(en %)

 

Exposition en cours au moment de l’enquête (si en emploi)

Au moins une période d’exposition
au cours de la vie

Femmes

Hommes

Ensemble

Femmes

Hommes

Ensemble

Travail de nuit (toujours ou souvent)

3

9

6

11

29

20

Travail répétitif (toujours)

10

11

11

29

27

27

Travail physiquement exigeant (toujours)

23

26

24

34

46

40

Produits nocifs (toujours)

8

12

10

19

29

24

Au moins une des quatre formes de pénibilité

32

37

35

50

63

57

Champ : France métropolitaine, ensemble des personnes de 50 à 59 ans ayant eu un emploi pendant au moins dix ans.

Lecture : 6% des personnes de 50 à 59 ans ayant eu un emploi au moins dix ans et qui ont un emploi au moment de l’enquête déclarent travailler souvent voire toujours de nuit.

Source : DARES ; Insee, enquête Santé et itinéraire professionnel 2007

Selon l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, environ 3,3 millions de salariés, soit 18,2 % des salariés du privé seront concernés par le compte pénibilité. Environ 55 % des bénéficiaires seraient des hommes et 45 % des femmes.

On peut cependant s’interroger sur la façon dont seront prises en compte les spécificités des postes de travail majoritairement occupés par les femmes et la pénibilité particulière qui y est attachée.

En effet, les chiffres de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) visant à mesurer l’impact différencié du travail sur la santé des femmes font apparaître une dégradation des conditions de travail des femmes au cours des dix dernières années. En s’appuyant sur les statistiques d’accidents du travail, de trajet et de maladies professionnelles de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Mme Florence Chappert, responsable du projet « Genre et conditions de travail » à l’ANACT a indiqué dans un rapport récent de la Délégation aux droits des femmes du Sénat intitulé « Femmes et travail : agir pour un nouvel âge de l’émancipation » les éléments suivants : entre 2001 et 2010, le nombre de maladies professionnelles des femmes a augmenté de 162 % dépassant celui des hommes en 2010, dont le nombre de maladies professionnelles avait augmenté de 73 % pendant la même période. Dans le même temps les accidents de trajet ont augmenté de 23,4 % pendant que ceux des hommes diminuaient de 21 %.

Allant dans le même sens, l’enquête Sumer 2003, qui analyse la différence d’exposition des femmes et des hommes à la tension au travail, a évalué qu’une femme sur trois y était exposée, contre un homme sur cinq.

Les indicateurs statistiques des risques psychosociaux au travail publiés par la DARES en décembre 2010 font par exemple apparaître que concernant le contact direct avec le public 75,4 % des femmes y sont exposées contre 65,2 % des hommes.

Mmes Florence Chappert et Pascale Levet de l’ANACT, entendues par la Délégation, ont attribué la dégradation de la qualité de santé des femmes au travail à deux facteurs principaux.

Le premier est l’organisation du travail subie par les femmes. Majoritaires dans le travail à temps partiel, les femmes cumulent horaires atypiques, facteurs émotionnels, facteurs de stress et absence de perspective d’évolution et absence de reconnaissance. L’organisation du travail est également facteur de stress pour les femmes qui travaillent à temps plein. Rappelons ici que 80 % du temps domestique et les deux tiers du travail parental sont toujours assumés par les femmes.

Le second facteur d’explication tient aux caractéristiques des emplois occupés par les femmes.

Largement majoritaires dans certains services des secteurs à la personne - de santé notamment – les femmes souffrent souvent de maladies professionnelles spécifiques répertoriées dans la catégorie des troubles musculo-squelettiques (TMS), liés à des travaux répétitifs tels que les postures sur écran, les stations debout ou assise sans bouger. Elles sont aussi exposées au port de charges lourdes lorsqu’elles s’occupent de personnes âgées dépendantes. Pourtant, lorsque dans les enquêtes statistiques on pose la question : « portez-vous des charges ? », un homme qui soulève des colis de 20 kg va répondre oui mais, dans le secteur des services à la personne, une femme qui soulève des personnes alitées ou en perte d’autonomie va répondre non.

Les deux chercheuses concluaient en mettant en garde contre le risque de sous-estimation systématique de la dureté des emplois féminins.

Cette question est essentielle et l’exemple de la manutention manuelle de charge retenu comme critère de pénibilité est révélateur. En effet, l’article R. 45-41-2 du code du travail précise qu’on entend par manutention manuelle, « toute opération de transport ou de soutien d’une charge, dont le levage, la pose, la poussée, la traction, le port ou le déplacement, qui exige l’effort physique d’un ou plusieurs travailleurs ». Un peu plus loin l’article R. 45-41-9 du même code ajoute que « lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable… un travailleur ne peut être admis à porter de façon habituelle des charges supérieures à 55 kilogrammes qu’à condition d’y avoir été reconnu apte par le médecin du travail, sans que ces charges puissent être supérieures à 105 kilogrammes.

Toutefois, les femmes ne sont pas autorisées à porter des charges supérieures à 25 kilogrammes ou à transporter des charges à l’aide d’une brouette supérieures à 40 kilogrammes, brouette comprise ».

Une recommandation ou norme française (NF X35-109) de la CNAMTS va même plus loin puisqu’elle fixe un poids maximal admissible dans la manutention manuelle de charges sans distinction de sexe de 25 kg par opération (soit 12 tonnes par jour et par personne pour les actions soulever/porter))

La question importante est donc de savoir si le déplacement des personnes âgées dépendantes par les aides-soignantes sera considéré comme entrant dans cette catégorie de facteurs de pénibilité.

La ministre des Affaires sociales, Mme Marisol Touraine, interrogée à ce sujet par votre Rapporteure lors de son audition par la commission des Affaires sociales le 18 septembre, a assuré que ce serait le cas.

Recommandation n° 8 : Si la Délégation considère que la création du compte personnel de pénibilité constitue une avancée majeure, elle attire l’attention sur la prise en compte des facteurs de pénibilité dans les emplois majoritairement occupés par des femmes.

Elle demande qu’un rapport soit effectué, analysant la prise en compte, par le droit du travail, des facteurs de pénibilité propres aux emplois majoritairement occupés par les femmes.

Elle appelle les organisations syndicales à se saisir de cette question et demande qu’elle soit obligatoirement traitée lors des renégociations des conventions collectives de branche.

Les représentants des syndicats de salariés, entendus par votre Rapporteure, se sont félicités que l’approche individuelle et médicalisée de la pénibilité, qui avait prévalu avec la réforme des retraites de 2010, laisse place à une approche collective (les dix critères concernant l’ensemble des salariés).

Votre Rapporteure souligne que le dispositif à mettre en place doit rester simple à mettre en œuvre pour les entreprises, en prenant en considération les PME, les artisans ou les entreprises agricoles pour lesquelles il ne doit pas constituer une source de « bureaucratie » supplémentaire.

5. La place faite aux conjoints collaborateurs et aux conjointes collaboratrices

Obligatoirement affiliés à l’assurance vieillesse depuis 2007, les conjoints collaborateurs des indépendants (artisans et commerçants, exploitants agricoles, professions libérales) peuvent se voir privés de couverture en cas de divorce, de décès ou de départ à la retraite du chef d’entreprise ou du professionnel libéral. Aussi, l’article 19 du projet de loi sur les retraites leur permet de s’affilier à l’assurance volontaire vieillesse dans ces situations afin qu’ils ne perdent pas la possibilité d’acquérir des droits à retraite.

Les conjoints collaborateurs (quelque 100 000 personnes) étant majoritairement des femmes (79 % chez les commerçants, 91,5 % chez les artisans, et 90 % chez les professions libérales), elles seront les premières bénéficiaires de la mesure.

Le bénéfice de la majoration des retraites personnelles servies par le régime d’assurance vieillesse des personnes non salariées agricoles, qui garantit un montant minimum de retraite égal, pour une carrière complète, à 681,20 euros par mois pour les chefs d’exploitation et pour les personnes veuves, et à 541,30 euros par mois pour les collaborateurs d’exploitation ou d’entreprise agricole, les anciens conjoints participant aux travaux et les aides familiaux, est conditionné à une durée minimale d’assurance de 17,5 ans dans le régime agricole.

L’article 20 du projet de loi prévoit la suppression de cette condition de durée minimale pour les liquidations postérieures au 1er janvier 2014.

L’affiliation des conjoints collaborateurs au régime complémentaire obligatoire d’assurance vieillesse des non-salariés agricoles à compter du 1er janvier 2011 ne s’est pas accompagnée, à la différence de ce qui a été fait pour les chefs d’exploitation, de l’attribution de points gratuits, ni de la possibilité de racheter des années antérieures.

L’article 21 du projet de loi permet d’attribuer à ces conjoints collaborateurs et aides familiaux des points gratuits au titre des années antérieures à leur affiliation. Cette mesure touche une population de femmes âgées : 72 % des bénéficiaires de la mesure sont des femmes, 44 % des femmes concernées ont plus de 80 ans et 62 % ont plus de 75 ans selon l’étude d’impact fournie par le Gouvernement.

Le même article prévoit également d’étendre la réversion de ce régime de retraite complémentaire obligatoire aux conjoints d’assurés décédés en activité. En effet, les conjoints survivants des chefs d’exploitation décédés avant d’avoir procédé à la liquidation de leurs droits à pension ne peuvent aujourd’hui bénéficier d’une réversion des droits RCO attribués à titre gratuit, contrairement aux conjoints de chefs décédés après la liquidation.

Enfin, cet article étend le dispositif dit des droits combinés, spécifique au régime non salarié agricole, au régime complémentaire obligatoire. Aujourd’hui limité à la retraite de base, ce mécanisme permet au conjoint survivant d’un chef d’exploitation décédé avant d’avoir demandé la liquidation de sa pension, de cumuler les droits du défunt et les siens pour le calcul de sa retraite.

Cette mesure permettra d’améliorer les pensions servies aux veuves de chefs d’exploitation décédés en activité, lorsqu’elles reprennent l’exploitation. Elle figure au nombre des mesures inscrites dans le plan interministériel d’action pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2013-2017.

Votre Rapporteure se réjouit de la protection sociale accrue des conjoints et conjointes collaborateurs des agriculteurs et de l’amélioration des droits prévue pour les conjoints collaborateurs des professions indépendantes – le plus souvent des femmes – , ce qui devrait réduire les situations de précarité les concernant.

En complément de ces mesures, l’article 22 met en place un complément différentiel de retraite complémentaire qui permettra à tout chef d’exploitation agricole ayant une carrière complète de bénéficier d’une retraite minimum équivalente à 75 % du SMIC au lieu de 71 % actuellement. Cette progression, accomplissement d’une promesse de campagne du président Hollande, s’effectuera progressivement sur trois années de 2015 à 2017.

Votre Rapporteure prend acte de la proposition émise par M. Gérard Pelhâte, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole, d’atteindre ce minimum par le biais de la retraite de base, qui offrirait selon lui de meilleures garanties pour le long terme.

6. L’amélioration des droits des aidants et aidantes familiaux

La prise en charge par les proches de personnes handicapées ou en perte d’autonomie suppose un investissement notamment en temps, souvent considérable. La conséquence en est souvent un éloignement du marché du travail qui peut être durable et cela réduira d’autant leurs droits à retraite. Souvent, les aidants familiaux sont les femmes qui en supportent toutes les conséquences.

Aujourd’hui, les aidants bénéficient de l’affiliation gratuite et obligatoire à l’allocation vieillesse des parents au foyer, qui leur garantit une continuité dans leurs droits à retraite. Toutefois, cette affiliation est soumise à condition de ressources : elle n’est ouverte que si les revenus du foyer sont inférieurs au plafond de ressources du complément familial.

L’article 25 du projet de loi sur les retraites supprime cette condition de ressources afin qu’elle ne prive plus de droits à retraite certaines personnes qui réduisent ou interrompent leur activité pour prendre soin d’une personne handicapée ou en perte d’autonomie. Cette mesure s’appliquera également dans les départements d’outre-mer.

Le même article crée une majoration de durée d’assurance pour les aidants familiaux en charge d’un adulte lourdement handicapé, à l’image du dispositif existant pour les enfants handicapés (majoration d’un trimestre par période de trente mois de prise en charge à temps complet et dans la limite de huit trimestres).

Cette majoration sera créée au régime général et rendue applicable aux régimes alignés et au régime des travailleurs indépendants (professions libérales, avocats, non-salariés agricoles).

Le champ des bénéficiaires de la mesure sera identique à celui ouvrant droit à l’AVPF, à savoir l’ascendant, le descendant, le collatéral ou le conjoint (ou concubin ou pacsé).

Votre Rapporteure approuve cette mesure qui sera favorable aux femmes sur qui repose, le plus souvent, la charge d’un ascendant en perte d’autonomie.

III.– L’ÉVOLUTION DE NOTRE SOCIÉTÉ EXIGE UNE RÉFLEXION COMPLÉMENTAIRE SUR LA RÉFORME DES DROITS FAMILIAUX ET CONJUGAUX

D’autres éléments de notre système de retraite pourraient être réformés si l’on examine de manière exhaustive les évolutions qu’a connues notre société depuis la période à laquelle a été élaboré notre système de protection sociale.

Dès 2008, le Conseil d’orientation des retraites consacrait ainsi son sixième rapport aux droits familiaux et conjugaux, menant une réflexion approfondie sur les conséquences à tirer des transformations du couple et de la famille. Cette étude recensait des pistes possibles d’évolution afin d’éclairer les choix futurs.

A. LA RÉFORME DES DROITS FAMILIAUX ET DES DROITS CONJUGAUX NÉCESSITE UNE RÉFLEXION APPROFONDIE

À la suite de ces travaux, la commission sur l’avenir des retraites présidée par Mme Moreau a envisagé un scénario de refonte globale des avantages familiaux de retraite en se plaçant dans une logique de convergence des régimes et une logique de modernisation de la réglementation.

Ces mesures recherchent par ailleurs comment transformer très progressivement, en tout ou partie, les majorations de durée d’assurance et la majoration de pension de 10 % pour trois enfants, en une majoration forfaitaire de pension susceptible de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes.

La Direction de la sécurité sociale a élaboré un scénario de refonte globale des mécanismes existants pour tous les régimes. Il conduit à modifier l’objectif assigné aux avantages familiaux : il serait non plus celui d’améliorer les durées d’assurance des femmes (qui à moyen terme convergeraient avec celles des hommes) mais de compenser les interruptions de carrière directement liées aux jeunes enfants d’une part, et l’impact sur les rémunérations (et partant sur les pensions) induit par l’éducation des enfants, assurée principalement par les femmes d’autre part. Dans ce cadre, il s’agit d’un scénario global de redistribution.

Le schéma cible pour le régime général consisterait en premier lieu en un dispositif unique de compensation de la réduction d’activité pour enfant.

La MDA éducation (4 trimestres au régime général et dans les régimes alignés) et l’AVPF ont pour objectif commun la compensation des aléas de carrière liés à l’éducation des enfants ; la MDA éducation n’a pas d’équivalent dans les régimes spéciaux. Une mesure de cohérence et de convergence consisterait donc à fusionner des avantages qui poursuivent le même objectif. Dans ce cadre, les 4 trimestres MDA éducation disparaîtraient progressivement (pour les enfants à naître) au profit d’une AVPF simplifiée.

Cette réforme serait cohérente avec l’ambition de limiter le risque de « trappe à inactivité » attaché aux longues interruptions de carrière pour s’occuper des jeunes enfants. Il s’agirait de mieux indemniser au titre des droits à pension l’interruption de carrière, sans la placer sous condition de ressource, mais en la ciblant sur les enfants non scolarisés.

En second lieu, il s’agirait de mettre en place une majoration de pension liée à l’accouchement/adoption/congé parental.

La MDA accouchement (4 trimestres dans les régimes alignés, 2 dans les régimes spéciaux) et la majoration pour trois enfants et plus seraient transformées en une majoration unique de pension, forfaitaire pour chaque enfant au titre de l’impact de l’accouchement ou de l’adoption sur la carrière. Cette majoration pour enfant pourrait, à titre de simple exemple, être fixée entre 70 et 100 euros par enfant (soit environ 7 % du montant moyen de pension au régime général pour une carrière complète) servie aux femmes (mais partageable en cas d’adoption) - sous réserve de chiffrages plus fins.

Cette mesure serait très favorable aux femmes à petite pension qui, compte tenu du caractère proportionnel de la majoration de pension à 10% bénéficient peu de cette majoration, en termes financiers. En effet, une telle majoration ne serait proportionnelle ni à la durée d’assurance dans le régime, ni au montant de la pension ; seule une condition minimale de durée d’assurance pourrait être exigée comme pour la MDA aujourd’hui.

Selon les termes de la commission sur l’avenir des retraites, un tel schéma a vocation à entrer en vigueur de façon progressive afin d’éviter de dégrader la durée d’assurance des femmes avant qu’elle n’ait effectivement convergé avec celle des hommes. La réforme ne s’appliquerait ainsi dans toutes ses composantes qu’aux enfants à naître (après 2014).

Par ailleurs, la commission a souligné dans son rapport que plusieurs conditions devaient être réunies avant une réforme d’envergure :

– s’assurer que la durée d’assurance rejoint bien celle des hommes après 40 ans ;

– s’assurer que le droit européen est respecté ;

– mesurer précisément l’impact sur les femmes.

La commission a estimé que des travaux complémentaires importants étaient encore nécessaires et elle s’interrogeait sur la possibilité de faire cette réforme dans les délais envisagés.

Aussi, la commission a-t-elle envisagé également des schémas alternatifs de réformes plus modestes. Elle propose soit de rendre la majoration pour trois enfants redistributive par son plafonnement ou sa forfaitisation, soit de réduire les risques de trappe à inactivité liés au cumul AVPF-MDA. Ceci pourrait être obtenu en limitant la durée du bénéfice de l’AVPF, en conditionnant l’AVPF à une réduction d’activité, ou en limitant les redondances entre AVPF et MDA éducation, qui poursuivent les mêmes buts.

La commission sur l’avenir des retraites s’est également penchée sur les pistes d’évolution en matière de pensions de réversion. Mais elle a estimé que le nombre et la sensibilité des décisions à examiner pour une telle réforme excédaient largement le temps qui lui était imparti pour ses travaux.

Parallèlement aux travaux de la commission sur l’avenir des retraites, l’Institut des politiques publiques (IPP) a réalisé en juin 2013 un rapport intitulé : « Réformer le système de retraite : les droits familiaux et conjugaux » dans lequel il est proposé des options de réforme des droits familiaux, l’une des pistes consistant dans la forfaitisation de la bonification de pension pour trois enfants et plus, qui serait attribuée à toutes les femmes dès le premier enfant. La Délégation aux droits des femmes a reçu en audition deux des auteurs de cette étude : Mme Carole Bonnet et M. Antoine Bozio, qui ont pu présenter leurs réflexions.

La réforme des droits familiaux avait été annoncée comme l’un des points essentiels du projet de loi sur les retraites. En fait, le Gouvernement, suivant en cela l’avis de la commission sur l’avenir des retraites, a décidé de se donner du temps en renvoyant aux travaux d’une mission à créer et au dispositif de pilotage. Rien ne sera donc mis en œuvre avant 2020 hormis la fiscalisation des bonifications de 10 %.

Les représentants syndicaux de la CFDT et de la CFTC, entendus par votre Rapporteure, ont fait part de leur déception devant ce report, qui contraindra selon eux les femmes à attendre encore dix ans avant de voir leur situation s’améliorer.

L’article 13 du projet de loi prévoit néanmoins que le Gouvernement remettra un rapport au Parlement, préalable à la préparation des évolutions législatives et réglementaires nécessaires pour la mettre en œuvre. Ce rapport pourra envisager des orientations à plus long terme s’agissant de la validation de trimestres au titre des avantages familiaux, prenant en compte l’évolution de la société et de l’activité féminine et permettant de mieux compenser les interruptions de carrière et l’impact sur les rémunérations induit par l’éducation des enfants.

Le projet de loi n’aborde pas non plus la thématique des pensions de réversion qui sera probablement aussi examinée ultérieurement.

La Délégation aux droits des femmes prend acte de la décision du Gouvernement de préserver une période de réflexion pour la réforme des droits familiaux et conjugaux, mais restera attentive à l’évolution de ce dossier.

Recommandation n° 9 : Dans le respect des prérogatives du Parlement, la Délégation aux droits des femmes conduira une réflexion sur la réforme des droits familiaux et conjugaux, au regard des évolutions récentes de notre société.

B. LA QUESTION DE LA RETRAITE À TAUX PLEIN : RÉTABLIR LA SITUATION DES FEMMES

L’allongement de la durée de cotisation requise pour équilibrer les comptes de la protection sociale n’est pas une mesure très favorable aux femmes qui valident en général, on l’a vu, moins de trimestres que les hommes. Rappelons également que selon les données de l’échantillon inter-régimes 2008, 61,2 % des hommes et 51,7 % des femmes nées en 1942 ont liquidé un premier droit à retraite à 60 ans. Les femmes sont sous-représentées parmi les retraités qui liquident leur retraite avant 60 ans et sont à l’inverse plus nombreuses à attendre 65 ans pour liquider leur pension (Cf : tableau figurant à la page 3 du présent rapport).

Le déplacement de l’âge du taux plein à 67 ans induit par la réforme de 2010 pénalise les femmes ; ce fait a été souligné par la Délégation à plusieurs reprises et notamment dans le rapport d’information sur la réforme des retraites de 2010 présenté par Mme Zimmermann. Ce seront majoritairement des femmes qui devront attendre l’âge de 67 ans pour bénéficier du taux plein ou alors partiront plus tôt mais avec une retraite amputée de la décote. L’automaticité entre le report de l’âge légal de deux ans et le report de l’âge du taux plein de deux ans ne va pas de soi.

Recommandation n° 10 : La Délégation, reprenant sa recommandation faite en 2010, considère que le report de l’âge du taux plein à 67 ans affecte particulièrement les femmes qui ont déjà des retraites inférieures aux hommes, et qu’il conviendrait d’étudier la possibilité d’un retour à 65 ans de l’âge du taux plein afin de ne pas ajouter un facteur de pénalisation à leur égard. À défaut de cette mesure, pourrait être étudiée la possibilité de supprimer ou d’abaisser la décote appliquée.

Elle souhaite que le Conseil d’orientation des retraites réalise une étude de l’impact financier d’un retour de l’âge du taux plein à 65 ans en vue de sa mise en œuvre en 2017, ainsi que de l’impact d’une telle mesure sur le niveau de retraite des femmes.

C. LA SITUATION DES FEMMES RISQUE D’ÊTRE BOULEVERSÉE DANS LES ANNÉES À VENIR

Nous avons observé dans le présent rapport que les écarts de pensions de droits propres entre femmes et hommes demeureront importants dans les années à venir. Les droits familiaux et conjugaux viennent aujourd’hui réduire ces écarts et corrigent partiellement les inégalités constatées.

Si l’on considère les veuves par exemple, le mécanisme des pensions de réversion permet souvent de leur assurer un niveau de vie se rapprochant du niveau de vie antérieur du couple.

Mais la société et les choix personnels évoluent : de nombreux jeunes vivent ensemble sans se marier, d’autres personnes restent célibataires toute leur vie, d’autres divorcent. Or ces évolutions auront un impact sur les retraites des personnes concernées.

Faut-il craindre, au moment de la retraite, une dégradation du niveau de vie des femmes seules par rapport aux couples ou aux hommes seuls ? Les travaux menés aux États-Unis et au Royaume-Uni depuis plusieurs années ont déjà mis en évidence une situation économique dégradée des femmes seules divorcées, ainsi que le remarque Carole Bonnet qui a analysé cette question. C’est la raison pour laquelle il est urgent de réfléchir à une réforme des droits conjugaux et familiaux qui prenne en compte ces évolutions importantes de la société.

Il conviendra de s’interroger collectivement, notamment sur les objectifs assignés à ces droits.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes, sous la présidence de Mme Catherine Coutelle, a examiné le présent rapport d’information, au cours de sa réunion du mercredi 25 septembre 2013.

Un débat a suivi l’exposé de la Présidente.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Délégation m’a confié le rapport d’information qui doit être présenté en son nom sur le projet de loi visant à garantir l’avenir et la justice du système de retraites. En 2010, la Délégation avait, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, déjà analysé la précédente réforme des retraites ; elle a donc une expérience sur ce sujet.

Tout d’abord, les inégalités de pensions persistent entre les hommes et les femmes, malgré l’augmentation de l’activité professionnelle des femmes. Si le différentiel de salaires s’établit autour de 27 %, le différentiel en matière de retraites s’élève à 47 % si on prend en considération les droits propres des femmes, 34 % si on inclut dans le calcul les droits conjugaux bénéficiant au conjoint survivant. Outre un niveau de pension plus bas pour les femmes, celles-ci partent plus tardivement en retraite et sont frappées plus fréquemment par le mécanisme de la décote. Le mode de calcul des retraites, basé sur les vingt-cinq meilleures années, leur est défavorable ; le calcul de la retraite lors de la liquidation obéit en fait à un modèle privilégiant les carrières linéaires et complètes, majoritairement masculines, ce qui ne correspond plus au cas de nombreux salariés, et en particulier des femmes.

Je souligne que, malgré le temps imparti très court, nous avons pu conduire plusieurs auditions. J’ai pu entendre les représentants des syndicats de salariés et d’employeurs. La ministre des Affaires sociales, Mme Marisol Touraine, a été entendue par la commission des Affaires sociales, audition à laquelle j’ai assisté. La délégation avait également entendu, avant l’été et en septembre, M. Hadas-Lebel, président du Comité d’orientation des retraites, Mme Moreau, présidente de la commission sur l’avenir des retraites, ainsi que M. Bosio, directeur de l’Institut des politiques publiques. Je rappelle que nous avions en outre abordé le sujet des retraites des femmes avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, lors de son audition par la Délégation le 18 juin dernier. Enfin, j’ai pu entendre des chercheures spécialisées dans le droit social et particulièrement attentives à la situation des femmes comme Mme Carole Bonnet, dont l’analyse est très pertinente.

Aujourd’hui, 52 % des femmes partent en retraite avec une pension à hauteur du minimum contributif. Les inégalités salariales, même si elles ont progressivement diminué, ne sont toujours pas résorbées. Un autre phénomène est très défavorable aux retraites des femmes : le développement du temps partiel depuis les années 1990, qui ne procure aux femmes qui occupent ces postes que de faibles salaires, et donc de faibles droits à retraite.

Certes, il est impossible de compenser par la loi toutes les inégalités liées à une carrière professionnelle, mais encore faut-il ne pas les aggraver au moment de la retraite. Car je rappelle que les précédentes réformes ont comporté des éléments aggravant la situation des femmes.

Le projet de loi sur les retraites qui nous est présenté par le Gouvernement marque une réelle nouveauté puisque pour la première fois, la thématique de la retraite des femmes est venue au premier plan de la scène. Une enquête d’opinion commandée par le Laboratoire pour l’égalité, pour lequel j’ai entendu Mme Olga Trotiansky en qualité de représentante, montre que les Français sont devenus très sensibles aux inégalités de pensions : 91 % des personnes interrogées jugent anormal que les pensions de retraite des femmes restent encore inférieures à celle des hommes à l’horizon 2040/2050 (l’écart de pension devrait en effet rester de 20 % en 2040 pour la génération née dans les années 70). Il y a une conscience aujourd’hui que les retraites des femmes posent un véritable problème.

La présente réforme prend réellement en considération la question de l’inégalité des retraites entre les femmes et les hommes.

Il faut rappeler que la présentation du projet de loi a été précédée d’un temps de réflexion et de concertation. La grande conférence sociale tenue en juillet 2012 a donné lieu à une feuille de route ; le Conseil d’orientation des retraites a posé un diagnostic de l’état des lieux du système français ; la commission présidée par Mme Yannick Moreau a proposé des pistes de réforme dans un rapport très complet. Enfin, le Gouvernement a consulté les partenaires sociaux à la fin du mois d’août.

Ce projet de loi annonce, dès son exposé des motifs et son article 1, l’objectif de réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes. Il prévoit la création d’un comité de surveillance paritaire qui aura notamment pour tâche de veiller aux inégalités de pensions et de proposer des correctifs, le Conseil d’orientation des retraites (COR) ayant considéré qu’il ne lui appartenait pas de jouer ce rôle. Ce sera une structure légère de quatre personnes, et paritaire. Nous profiterons de cette création, prévue à l’article 3 du projet de loi, pour proposer un amendement visant à assurer la parité au sein du COR, qui ne comprend que très peu de femmes sur les 40 membres.

Le texte instaure une nouvelle règle pour la validation des trimestres correspondant à la maternité, qui sera plus avantageuse pour les femmes. La mesure « phare » du projet est selon moi la meilleure prise en compte des carrières à temps partiel ou à faible rémunération, grâce à l’abaissement du seuil de validation d’un trimestre à partir de 150 heures rémunérées au SMIC contre 200 heures jusqu’à présent. De plus, les cotisations non utilisées pour la validation d’un trimestre pourront être reportées sur l’année suivante ou précédente. Cela permettra d’éviter à de nombreuses femmes qui ont des petits temps partiels de cotiser à fonds perdus. Cette mesure me paraît être une grande avancée aussi pour les jeunes, par exemple aux étudiants qui travaillent pendant les congés d’été.

Cette disposition m’a paru essentielle, car elle permet à des personnes travaillant 11,5 heures par semaine de pouvoir valider un trimestre, au lieu de 15 heures jusqu’à présent. La délégation doit s’emparer de ce sujet très important : je proposerai d’ailleurs d’abaisser encore ce seuil à 100 heures SMIC afin de renforcer l’impact positif de cette mesure ; mais il faut évidemment faire preuve de prudence, car il ne faut pas encourager le recours au temps partiel.

Le nouveau dispositif ne pourra pas prendre en considération les trimestres déjà travaillés, et n’aura donc que peu d’impact pour les salariés qui sont proches de l’âge de la retraite. Je regrette que l’impact de la mesure ne puisse se ressentir plus rapidement ; cependant, les réponses qui m’ont été données par le ministère des Affaires sociales indiquent qu’il serait impossible de retracer les cotisations versées par les salariés pour les heures non « validées », et a fortiori pour de nombreuses années de travail. Cependant, il faut souligner la deuxième avancée que représente la possibilité de prendre en compte les cotisations non utilisées pour la validation d’un trimestre pour les reporter sur l’année suivante ou sur la précédente si ces années comptent moins de quatre trimestres travaillés ; est donc mis en place un système d’annualisation du calcul des 150 heures SMIC qui est très favorable aux femmes et aux jeunes.

Le projet de loi permet aussi d’améliorer les droits des conjoints collaborateurs qui sont majoritairement des femmes et qui seront mieux protégés en cas de divorce, de décès ou de départ à la retraite du chef d’entreprise ou du professionnel libéral. Quant aux aidants familiaux – souvent des femmes – en charge d’un adulte dépendant, ils pourront désormais bénéficier d’une majoration de durée d’assurance.

Une autre mesure importante réside dans la création d’un compte personnel pénibilité, qui s’appuiera sur les fiches de prévention mises en place à la suite de la réforme des retraites du 9 novembre 2010. Le compte pénibilité, qui fonctionnera en points acquis, pourra être utilisé par le travailleur pour trois usages : soit suivre une formation permettant d’accéder à un emploi non pénible, soit travailler à temps partiel à la fin de sa carrière, soit enfin partir à la retraite plus tôt. Il s’agit là d’un élément très favorable.

Cependant, et j’insiste beaucoup sur ce point, il conviendra de s’assurer que les métiers majoritairement exercés par des femmes, dans le domaine de l’aide à la personne et la santé, qui comportent une pénibilité, soient bien pris en compte. La vision selon laquelle les métiers pénibles seraient essentiellement masculins doit être combattue. Si l’on prend l’exemple du maçon qui soulève des charges lourdes, personne ne doute qu’il s’agit d’un métier pénible ; mais si l’on prend une femme travaillant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui soulève des personnes en perte d’autonomie, c’est beaucoup moins évident.

Mme Barbara Romagnan. L’abaissement du seuil de validation d’un trimestre à partir de 150 heures est une mesure très importante, notamment pour les jeunes qui travaillent le samedi par exemple. Il est en effet regrettable que l’effet positif de l’abaissement à 150 heures pour la prise en compte d’un trimestre ne puisse avoir un impact plus tôt. L’hypothèse d’un abaissement à 100 heures SMIC pourrait-elle être chiffrée ?

L’amélioration de la prise en compte de la pénibilité, au-delà des fiches de prévention de la pénibilité que doivent déjà établir les entreprises, est une grande avancée. Les dix critères de pénibilité retenus n’ont-ils pas intégré les emplois majoritairement occupés par des femmes ? Par ailleurs, comment faire avancer la prise en compte des risques psychosociaux, sur lesquels les partenaires sociaux ne se sont, semble-t-il, pas mis d’accord ? Ne pourrait-on pas demander que ce sujet soit inscrit à l’ordre du jour des prochaines négociations portant sur les conventions collectives ? Je suis d’accord avec l’idée d’une parité des délégations syndicales lors de ces négociations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’accord obtenu sur la pénibilité est le fruit de cinq ans de négociations, et la question des risques psychosociaux est très délicate ; il n’était donc pas possible d’aller plus loin. Je souhaiterais que la délégation travaille dans les prochains mois sur le droit actuel relatif à la pénibilité et son évolution, afin de vérifier si la pénibilité des emplois majoritairement occupés par des femmes est bien prise en compte. En 2010, la pénibilité a été liée à la notion d’invalidité, pendant les années de travail ou au moment de la retraite. L’on peut s’appuyer dans cette démarche sur le constat de biais discriminants, dressé par le rapport « Comparer les emplois : de nouvelles pistes vers l’égalité salariale entre les femmes et les hommes » commandé par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et publié en 2010, qui mettait notamment en évidence la discrimination salariale des emplois occupés majoritairement par des femmes, pour un travail de valeur comparable.

À cet égard, il me paraîtrait bon que lors des négociations entre les partenaires sociaux, les délégations syndicales soient paritaires, pour éviter les distorsions dans la prise en compte des situations vécues par les travailleurs hommes et femmes. Il est nécessaire de poursuivre les discussions entre partenaires sociaux sur la notion de pénibilité. Beaucoup a déjà été fait pour améliorer les conditions de travail des femmes, notamment par des mesures d’ergonomie. Le but de ces discussions est de progresser encore, non de compliquer la tâche des entreprises.

J’en viens à la réforme des droits familiaux évoquée par le rapport de la commission sur l’avenir des retraites présidée par Mme Moreau mais dont vous savez qu’elle a été repoussée à une date ultérieure, en principe 2020. Le seul élément nouveau sera la fiscalisation de la majoration de 10 % pour les parents de trois enfants et plus. Cette bonification profite aux pensions les plus élevées, et donc beaucoup aux pères. Elle devrait donc être réformée. Certaines associations préconisent de s’attaquer aussi à une réforme du quotient conjugal.

Sur la question du report du taux plein à 67 ans en 2017, mon rapport reprend la position antérieure de la délégation, qui s’y était opposée. Je propose d’adopter une recommandation demandant que soit étudié le retour au taux plein à 65 ans, afin de ne pas pénaliser davantage les femmes, qui sont nombreuses à ne pas avoir de carrières complètes et doivent travailler plus longtemps que les hommes. Il ne m’a pas été possible d’obtenir une étude sur l’impact financier qu’aurait le retour de l’âge du taux plein à 65 ans. À défaut, il faudrait au moins obtenir la suppression de la décote, ou la diminution du taux de cette décote, qui s’élève à 1,5 % par an. J’aimerais que l’économie réalisée par ce report à 67 ans soit chiffrée, car il faut certainement trouver un équilibre entre notre objectif de rétablissement des comptes sociaux d’une part, et le fait d’assurer aux femmes des conditions de vie correctes à la retraite. Si cette économie devait s’élever à 3 milliards d’euros comme je l’ai entendu dire, il s’agirait de 3 milliards venant, en pratique, en défaveur des femmes.

Je proposerai aussi de modifier le mode de calcul des années prises en compte dans le calcul du salaire moyen afin de ne pas le considérer en absolu, c’est-à-dire les 25 meilleures années, méthode très défavorable aux femmes, mais en fonction du nombre d’années de carrière concrètement réalisées, en pratiquant une proratisation par rapport à une carrière complète.

Enfin, j’attire l’attention sur l’avenir de la situation des femmes, en lien avec les évolutions sociétales que nous constatons : de moins en moins de couples se marient, et les séparations nombreuses font que les retraitées seront de plus en plus des célibataires ou des personnes divorcées. Ces personnes ne percevront pas de pension de réversion ou de droits familiaux et risquent une vraie paupérisation. Il est dans le rôle de la délégation de relayer les alertes des experts, lorsque les évolutions en cours sont susceptibles d’avoir un impact défavorable sur la situation des femmes. Cet impact interviendra assez rapidement, car il touchera les générations nées à partir des années 1970, donc nos actuelles quadragénaires.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Le rapport présenté par la présidente me paraît très complet, et s’inscrit dans le prolongement des travaux antérieurs de la délégation. Celle-ci avait alerté dès 2003 sur la question de la retraite des femmes, en demandant par exemple une meilleure prise en compte des congés de maternité pour la validation, de la même manière que l’année de service militaire était bien validée pour les hommes.

Je voudrais insister sur trois points.

Il faut que les particularités des carrières des femmes soient mieux prises en compte : ce sont des carrières hachées, avec des périodes à temps partiel ou des années non travaillées, pour élever les enfants ou être présentes auprès des adolescents, ou les deux.

À la différence des précédents projets de loi, celui-ci intègre la préoccupation de la situation des femmes à la retraite, il faut s’en féliciter. C’est à mon sens le résultat de la mobilisation poursuivie toutes ces dernières années, tant par les délégations parlementaires aux droits des femmes que par les associations.

Les réformes précédentes ont parfois mis en place des obstacles supplémentaires pour les femmes. Il est donc essentiel de poursuivre la réflexion sur la situation des femmes à la retraite et d’y inclure les droits familiaux. Cette réflexion intègre en fait selon moi une réflexion sur la réelle appartenance des femmes à la société tout entière. J’approuve la teneur de ce rapport et les recommandations qui l’accompagnent.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Un argument nous avait été opposé par M. Éric Woerth alors ministre du Travail et de la Solidarité, lors de la réforme des retraites de 2010 : les durées de cotisation des femmes convergeraient à moyen terme avec celles des hommes, ce qui dispenserait d’adopter des mesures spécifiques. Or, les dernières projections réalisées par le COR montrent que ce ne sera pas le cas.

Je propose aussi une recommandation relative à l’abus du temps partiel : je considère qu’il faudrait prévoir une surcotisation obligatoire pour les employeurs lorsque plus de 50 % de leurs salariés sont à temps partiel. Un seuil relatif au nombre total des salariés pourrait être prévu pour limiter la disposition aux grandes entreprises.

Je suis d’accord avec l’observation de Mme Zimmermann sur la persévérance de notre délégation, depuis dix ans, à défendre des mécanismes favorables aux femmes dans le système de retraite et le fait est que cette persévérance a porté ses fruits. La délégation a accompli un bon travail pendant toutes ces années, quelles que soient les majorités parlementaires en place.

La Délégation adopte le rapport d’information ainsi que les recommandations suivantes :

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

Recommandation n° 1 :

Une femme sur deux, faute de droits à la retraite suffisants, percevra le minimum contributif. Il conviendrait de porter progressivement le montant de ce minimum à hauteur de 75 % du SMIC, de même que le projet de loi le prévoit pour les retraites des exploitants agricoles.

Recommandation n° 2 :

Favoriser une meilleure articulation de la vie personnelle et professionnelle par la création de nouvelles places d’accueil pour les jeunes enfants. Repenser le lien entre l’accueil des plus jeunes enfants et l’école préélémentaire en proposant une offre collective alternative sur le plan pédagogique.

Rééquilibrer le congé parental afin de mieux le partager entre les deux parents.

Recommandation n° 3 :

Rendre la surcotisation obligatoire pour les employeurs lorsqu’ils abusent du recours à l’emploi à temps partiel ; un seuil de 50 % de salariés à temps partiel pourrait être retenu pour l’application de cette surcotisation.

Recommandation n° 4 :

Renforcer la politique de sanctions à l’égard des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations légales en matière d’égalité professionnelle et salariale. Publier le rapport de situation comparée (RSC) de l’entreprise sur le site du ministère du Travail ou celui des Droits des femmes. Le RSC devrait comprendre un bilan de l’évolution des résultats obtenus en matière d’égalité.

Recommandation n° 5 :

Fixer le nombre d’années prises en compte dans le calcul du salaire moyen non pas en absolu – soit 25 ans dans le privé, mais en fonction du nombre d’années de carrière concrètement réalisées, en pratiquant une proratisation.

Recommandation n° 6 :

Introduire la parité entre les femmes et les hommes dans la composition du Conseil d’orientation des retraites.

Recommandation n° 7 :

Prévoir la possibilité, pour les salariés, de valider autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 100 heures rémunérées au SMIC.

Recommandation n° 8 :

Si la Délégation considère que la création du compte personnel de pénibilité constitue une avancée majeure, elle attire l’attention sur la prise en compte des facteurs de pénibilité dans les emplois majoritairement occupés par des femmes.

Elle demande qu’un rapport soit effectué, analysant la prise en compte, par le droit du travail, des facteurs de pénibilité propres aux emplois majoritairement occupés par les femmes.

Elle appelle les organisations syndicales à se saisir de cette question et demande qu’elle soit obligatoirement traitée lors des renégociations des conventions collectives de branche.

Recommandation n° 9 :

Dans le respect des prérogatives du Parlement, la Délégation aux droits des femmes conduira une réflexion sur la réforme des droits familiaux et conjugaux, au regard des évolutions récentes de notre société.

Recommandation n° 10 :

la Délégation, reprenant sa recommandation faite en 2010, considère que le report de l’âge du taux plein à 67 ans affecte particulièrement les femmes qui ont déjà des retraites inférieures aux hommes, et qu’il conviendrait d’étudier la possibilité d’un retour à 65 ans de l’âge du taux plein, afin de ne pas ajouter un facteur de pénalisation à leur égard. À défaut de ce retour à 65 ans, pourrait être étudiée la possibilité de supprimer ou d’abaisser la décote appliquée.

Elle souhaite que le Conseil d’orientation des retraites réalise une étude de l’impact financier d’un retour de l’âge du taux plein à 65 ans en vue de sa mise en œuvre en 2017, ainsi que de l’impact d’une telle mesure sur le niveau de retraite des femmes.

PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE

Syndicats représentant les employeurs

Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA)

- M.  Gérard Pelhâte, président, Mme Christine Dupuy, sous-directrice chargée de la réglementation et de l'appui au réseau et Mme Ghislaine Rosay, responsable de département

CGPME

- M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales

MEDEF

- Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale

- Mme Émilie Comellas, chargée de mission senior retraite et personnes âgées

- Mme Kristelle Hourques, chargée de mission sénior à la direction des affaires publiques

Table ronde réunissant des représentants de syndicats des salariés

CFDT

- Mme Marie-Claude Lasnier, secrétaire confédérale, responsable du service protection sociale de la CFDT

- Mme Sophie Mandelbaum, secrétaire confédérale, en charge de l’égalité professionnelle et de la mixité

CFTC

- Mme Pascale Coton, secrétaire générale

- Mme Clémence Chumiatcher, conseillère technique

CFE-CGC

- Mme Chantal Guiolet, déléguée nationale en charge de l’égalité hommes/femmes

- Mme Laurence Matthys, conseillère technique

CGT

- Mme Sophie Binet, responsable confédéral des retraites

- Mme Sylvie Brunol, chargée des retraites à la fédération Santé-action sociale

UNSA

- M. Jean-Louis Besnard, conseiller national

- Mme Dominique Thoby, secrétaire nationale UNSA Fonction publique

- M. Said Darwane, conseiller national

Ministère des Affaires sociales et de la santé

Mme Marie Daudé, sous-directrice des retraites et des institutions de la protection sociale complémentaire à la direction de la sécurité sociale

Fondation Copernic

- Mme Christiane Marty, chercheure

Institut national des études démographiques (INED)

- Mme Carole Bonnet, chercheure

Laboratoire de l’égalité

- Mme Trostiansky

Osez le féminisme

- Mme Clémence Helfter

- Mme Anne-Cécile Mailfert

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Audition de MM. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d’orientation des retraites (COR) et Jean-Michel Hourriez, responsable des études, sur le bilan des réformes du système de retraite français au regard de la situation des femmes 57

Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, sur les enjeux de la réforme du système des retraites au regard de la situation des femmes 73

Audition de M. Antoine Bozio, président de l'Institut des politiques publiques (IPP), sur les enjeux de la réforme du système des retraites au regard de la situation des femmes 87

Audition de Mme Yannick Moreau, présidente de la Commission pour l'avenir des retraites 95

Audition de MM. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d’orientation des retraites (COR) et Jean-Michel Hourriez, responsable des études, sur le bilan des réformes du système de retraite français au regard de la situation des femmes.

Compte rendu de l’audition du mardi 14 mai 2013

Mme la présidente Catherine Coutelle. Monsieur le président, notre Délégation sachant que le Gouvernement avait l’intention de rouvrir le sujet des retraites avant la fin de l’année, a souhaité vous entendre, non pas sur l’ensemble des rapports du Comité d’orientation des retraites, mais sur un point très sensible, à savoir les inégalités entre les femmes et les hommes en matière de retraite.

Ces inégalités perdurent, en dépit des trois réformes de 1993, 2003 et 2010. Le différentiel de retraites entre les femmes et les hommes est toujours de 40 %. En 2010, le ministre de l’époque, M. Éric Woerth, nous avait affirmé que le problème allait se résorber parce qu’aujourd’hui, les femmes travaillent davantage et parce que l’égalité des salaires finirait par être effective. Nous voulons bien être patientes, mais rien n’est moins sûr. Voilà pourquoi nous aimerions travailler pour obtenir des résultats plus efficaces lors de la prochaine réforme.

Monsieur le président, vous avez fait un état des lieux, construit des scénarios et l’un de vos rapports consacre un chapitre à la situation respective des femmes et des hommes. Après avoir entendu le diagnostic établi par le COR, nous vous poserons des questions pour savoir comment remédier à une situation qui nous préoccupe grandement. Ce sera sans doute l’une des priorités de la Délégation d’ici à la fin de l’année 2013.

Je vous remercie enfin de votre présence, car je sais que vous allez être très sollicité.

M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d’orientation des retraites. Madame la présidente, je suis très heureux de m’exprimer cet après-midi devant la Délégation. Je rappellerai, pour commencer, la procédure choisie par le Gouvernement.

Le Gouvernement a programmé une grande conférence sociale qui s’est tenue les 9 et 10 juillet 2012 au palais d’Iéna. Un certain nombre de thèmes, dont celui des retraites, ont été abordés avec les partenaires sociaux et ont donné lieu à des ateliers.

Il avait été décidé qu’en matière de retraites, on procéderait en plusieurs étapes, que je vais vous rappeler.

Premièrement, il a été demandé au COR de procéder à un état des lieux pour la fin 2012 et le début de 2013. Nous avons parfaitement respecté ce délai.

Deuxièmement, il a été demandé à un groupe d’experts de travailler sur la base des analyses du COR pour dégager des pistes de réflexion concernant la réforme des retraites, pistes qui seraient soumises au Gouvernement au printemps. Mme Yannick Moreau – mon prédécesseur au COR – anime ce groupe d’experts.

Troisièmement, il reviendra au Gouvernement, sur la base, à la fois du rapport du COR et des pistes dégagées par le groupe d’experts de Mme Moreau, de commencer la concertation avec les organisations syndicales et de décider ce qui devra être fait en la matière.

Cette progression en trois étapes s’explique par la composition et le rôle des institutions. Le COR, que j’ai l’honneur de présider, est un organisme pluraliste, composé de trente-neuf membres, parmi lesquels : quatre députés et quatre sénateurs, de droite comme de gauche ; des représentants du patronat, de l’ensemble des organisations syndicales représentatives comme de l’UNSA et de la FSU ; des représentants des retraités ; enfin, des experts indépendants et les fonctionnaires en charge du dossier.

Le COR peut aller très loin dans l’analyse du diagnostic, en particulier dans la définition de projections. Il peut même se mettre d’accord sur le diagnostic, malgré la diversité des membres qui le composent. Je considère qu’il est déjà remarquable que depuis que cette instance existe, et tout particulièrement au cours des derniers exercices de projection réalisés en 2010, à la veille de la réforme conduite par la précédente majorité, puis à la fin de 2012, à la demande de l’actuelle majorité, le travail technique mené avec les caisses et les administrations par la petite équipe de huit personnes qui m’entoure ait donné lieu à un diagnostic que personne n’a contesté, ni à droite, ni à gauche, ni au sein des organisations syndicales.

Notre onzième rapport, du 12 décembre 2012, portait sur les perspectives du système français de retraites pour 2020, 2040 et 2060, et le douzième, du 12 janvier 2013, qui faisait un état des lieux, procédait à une analyse plus qualitative. En revanche, ce n’est pas au COR de dire ce qu’il faut faire ensuite, après le diagnostic, l’état des lieux et les projections.

Nous pouvons dégager les principaux leviers d’action – nous l’avons fait, dans le cadre de ce que l’on appelle l’abaque du COR, que je ne commenterai pas aujourd’hui – permettant d’assurer l’équilibre d’un système de retraite comme celui que nous avons actuellement. Ces leviers sont au nombre de trois : premièrement, le niveau de l’ensemble des ressources – et pas seulement des cotisations – mises à la disposition du système de retraite, qui représente 280 milliards, soit plus de 14 % du PIB ; deuxièmement, le niveau des retraites, plus exactement le niveau du rapport entre la moyenne des salaires et la moyenne des retraites ; troisièmement, l’âge effectif de départ à la retraite.

Nous avons expliqué à tous les gouvernements, quelle qu’en soit la couleur, que ces trois leviers étaient les seuls que nous pouvions actionner pour équilibrer le système. Nous savons même évaluer le nombre de points qu’il faudrait pour parvenir à l’équilibre en utilisant l’un ou l’autre des leviers. En revanche, nous ne pouvons pas dire qu’il faut préférer tel levier à tel autre, parce que la composition du COR est telle qu’il ne peut y avoir d’accord sur ce point. Il serait irréaliste de prétendre le contraire.

Il est donc logique que le Gouvernement, sur décision du Premier ministre, ait chargé un groupe de travail, qu’il a composé lui-même, de lui faire des suggestions à partir de nos analyses. Il lui appartiendra ensuite de trancher, après une concertation avec les partenaires sociaux.

Nous avons clairement indiqué dans notre onzième rapport quel était le besoin de financement prévisible de notre système de retraite aux échéances 2020, 2040 et 2060.

En 2020, en fonction des différents scénarios qui ont été examinés, le besoin de financement serait de quelque 20 milliards, soit un peu moins d’un point de PIB – plus près de 0,9 point, compte tenu de l’évolution économique que nous envisageons. Cela signifie que si celle-ci était moins favorable que prévu entre aujourd’hui et 2010, le besoin sera supérieur. Ensuite, en fonction de différentes hypothèses et scénarios économiques, nous avons dit ce qu’il en serait en 2040 et 2060.

Nous sommes arrivés à la conclusion qu’en 2035, nous pourrions assister à un retournement de la situation ou à une stabilisation. C’est en effet à ce moment-là que s’achèvera la phase d’augmentation permanente, depuis 2006, du nombre de personnes qui partent à la retraite – le « papy boom ». Le rapport entre cotisants et retraités sera un tout petit peu moins défavorable et, si la conjoncture économique est satisfaisante, nous pourrons nous rapprocher de l’équilibre, voire l’atteindre. Tout dépendra de l’emploi (du taux de chômage) et de la croissance (du taux de productivité). En cas de retour à la croissance, le système peut être équilibré ou se rapprocher de l’équilibre. Quoi qu’il en soit, le problème lié au « papy boom » aura été surmonté aux alentours de 2035 – comme nous l’indiquions dans notre onzième rapport de décembre 2012.

Dans le douzième rapport, nous avons essayé de situer notre système de retraites au regard de la réalisation de certains objectifs : l’objectif d’équilibre financier – et là, nous n’avons pu que reprendre ce que nous disions un mois plus tôt – ; l’objectif d’équité et l’objectif de solidarité, qui est un des objectifs fixés par la loi de 2010.

Nous avons analysé les différentes composantes du système, ce qui nous a amenés à évoquer le problème des disparités de situation entre les hommes et les femmes. Mais pour être tout à fait complet, ce problème avait été traité de manière plus approfondie dans notre sixième rapport. Bien que datant de décembre 2008, ce rapport reste d’actualité. Vous pouvez le consulter en ligne. Par ailleurs, la Documentation française en a repris le contenu dans une publication qui paraîtra dans quelques jours sous forme de fiches. Cela dit, j’ai lu ces douze fiches il y a trois semaines et je n’ai pas souvenir qu’une fiche spécifique ait été consacrée aux disparités entre les hommes et les femmes.

M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études. La fiche numéro 3 décrit la situation des retraités. Elle fait état de toutes les disparités de pensions, et notamment des écarts entre celles des hommes et celles des femmes.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Je vais maintenant faire un état des lieux de la question.

Les données les plus sûres dont nous disposons datent de 2008. En effet, nous travaillons sur la base d’un échantillon inter régimes préparé par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des affaires sociales (DREES) laquelle travaille sur une périodicité de quatre ans.

Il est intéressant de noter que si la situation change, elle ne change pas assez rapidement.

À la fin de 2008, parmi les retraités résidant en France, la pension de droits propres – hors réversion et hors droits familiaux – des femmes ne représentait en moyenne que 53 % de celle des hommes : 879 euros par mois, contre 1 657 euros pour les hommes. Ce ratio a progressé au fil des générations et continue à progresser. Ainsi, pour la génération née entre 1924 et 1928, le ratio était de 44 % ; contre 56 % pour la génération née entre 1939 et 1943. Ensuite, selon l’INSEE, pour les générations nées dans les années 50 – celles qui partent actuellement à la retraite – ce ratio atteindrait 70 % et il serait de 80 % pour les générations nées dans les années 70.

Le dernier avis rendu par le COR sur la durée d’activité concerne les générations nées en 1955 et 1956. Il se base sur un chiffre de l’INSEE qui est encore grossier et qui porte sur les droits propres. Si l’on intègre la réversion, on constate que les écarts de pension entre les hommes et les femmes se réduisent. Pour 2008, le montant moyen des pensions était de 1 165 euros par mois pour les femmes, contre 1 749 euros pour les hommes. Le ratio est de 67 %, à comparer avec 53 % – c’est la réversion qui explique la différence de 14 %.

La réduction des écarts de pension est donc une bonne nouvelle. Mais il y a une moins bonne nouvelle : cette réduction des écarts de pension, qui était forte pour la génération née peu après 1945, en raison de la montée de l’activité féminine et de la baisse des écarts de salaire, marque le pas.

Les raisons de ce phénomène sont nombreuses. Les principales sont les suivantes : la persistance des interruptions d’activité liées aux naissances, qui ont un effet sur la carrière des femmes – 38 % des femmes ne travaillent pas après la première naissance, 47 % après une deuxième naissance, 70 % après une troisième – ; le développement de l’emploi à temps partiel, qui a une répercussion sur le niveau des salaires – 30 % des femmes travaillent actuellement à temps partiel – ; les écarts salariaux, qui ont tendance à cesser de se réduire depuis le milieu des années 90 – pour les temps complets, ils restent de 20 % dans le secteur privé et de 15 % dans le secteur public.

Ces écarts sont liés à la répartition des activités professionnelles et domestiques au sein du couple. Les femmes continuent à tenir une place plus importante que les hommes à la fois dans les tâches domestiques et dans l’éducation des enfants. C’est une réalité sociologique qui évolue très lentement. Cette dissymétrie se retrouve dans tous les pays européens, y compris dans les pays avancés en matière de parité comme les pays nordiques, la Suède ou le Danemark.

Cela dit, les conséquences de ces écarts en termes de niveau de vie sont aujourd’hui relativement limitées. En effet, la plupart des femmes vivant seules, à la retraite, sont veuves et bénéficient, de ce fait, de pensions de réversion. Mais dans les nouvelles générations, à cause de la montée du divorce et du célibat, davantage de femmes qu’aujourd’hui vivront seules sans percevoir de pension de réversion et leur niveau de vie risque d’en pâtir.

Pour réduire les écarts de pension, il faut d’abord agir en amont, sur le marché du travail. Mais une correction en aval par les dispositifs de retraite non contributifs – droits familiaux et minima de pension – peut se justifier tant que les écarts sur le marché du travail persistent et que ce sont les femmes qui prennent en charge l’éducation des enfants. Après tout, l’éducation des enfants permet d’assurer, le moment venu, la pérennité du système de retraite. Les droits familiaux viendraient ainsi corriger une situation dans laquelle, au regard du marché du travail, les femmes sont défavorisées par rapport aux hommes. Il existe par ailleurs toute une série de mesures, que la Délégation connaît bien, tendant à rééquilibrer la situation des femmes dans les activités économiques, dans les conseils d’administration notamment. Mais ce n’est qu’un aspect d’un problème plus général. Telle est la philosophie qui ressort des rapports du COR.

J’en viens au deuxième volet de mon propos, qui porte sur les droits familiaux de notre système de retraite. Il existe aujourd’hui trois principaux dispositifs.

Le premier est la MDA, ou majoration de durée d’assurance. Celle-ci concerne les mères et éventuellement, depuis 2010, grâce à l’Europe, les pères, sans condition de réduction d’activité. C’est une majoration de huit trimestres par enfant pour le régime général – les règles sont différentes dans les régimes spéciaux, en particulier dans la fonction publique. Ce dispositif a permis de rapprocher la durée moyenne de trimestres validés par les femmes et par les hommes.

Le deuxième dispositif est l’AVPF, ou assurance vieillesse des parents au foyer. Lorsqu’il a été créé, en 1972, il visait à comptabiliser les périodes passées au foyer pour élever des enfants de moins de trois ans, ou de nombreux enfants - d’abord quatre, puis trois à partir de 1977. Au fil des années, il a été étendu à différentes situations. Aujourd’hui, il permet de valider des trimestres avec un salaire porté au compte à hauteur du SMIC. Mais pour en bénéficier, il faut remplir certaines conditions : perception de certaines prestations familiales, condition de ressources et, dans certains cas, de revenus professionnels. À la différence de la MDA, il est lié au fait que l’on arrête de travailler et à la carrière professionnelle.

Le troisième dispositif est la majoration de pension pour les pères et les mères ayant eu ou élevé trois enfants ou plus. Celle-ci est proportionnelle à la pension et, dans le régime général, elle est de 10 %. C’est une pure mesure familiale qui vise à favoriser les familles nombreuses, de trois enfants ou plus.

Existe enfin un dernier dispositif, celui des départs en retraite anticipés dans les régimes spéciaux après quinze années de service et trois enfants ou plus, que je me contente de mentionner dans la mesure où il est en voie d’extinction.

Ces dispositifs représentent des sommes importantes : plus de 15 milliards d’euros, soit un peu moins d’un point de PIB et à peu près 8 % des pensions de droits propres. Il faut noter par ailleurs que l’AVPF monte en charge. Je précise enfin que les droits familiaux sont principalement attribués par le régime de base, mais parfois aussi par les régimes complémentaires.

La part des droits familiaux dans les droits à la retraite représente à peu près 16 % de la pension moyenne des femmes nées entre 1934 et 1938. Dans ces générations, neuf femmes sur dix avaient validé en moyenne 21 trimestres de MDA, soit l’équivalent de « deux enfants et demi ».

J’en viens au troisième volet de mon propos, qui concerne plus particulièrement la MDA. L’Europe ayant mis en avant le principe d’égalité entre hommes et femmes, cette majoration a été ouverte en droit aux hommes. Malgré tout, des conditions restrictives ont été posées afin que les femmes en restent les principales bénéficiaires. J’ai moi-même poussé en ce sens, bien que cela aille un peu à contre-courant de la jurisprudence européenne

Dans la fonction publique, c’est le fameux arrêt Griesmar de la Cour de justice des communautés européennes du 29 novembre 2001 qui a conduit à réformer cette majoration d’un an. Depuis 2004, celle-ci a été remplacée par une majoration de six mois au titre de l’accouchement, et complétée par une majoration de six mois destinée à compenser les interruptions d’activité jusqu’à trois ans – pour les enfants nés après le 1er janvier 2004.

Dans le régime général, un arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 2010 a abouti à ce que l’on scinde la MDA en deux pour les pensions prenant effet à partir du 1er avril 2010. C’est le système applicable aujourd’hui. Les huit trimestres ont donc été scindés en deux avec une majoration de quatre trimestres par enfant au titre de la maternité, et une majoration qualifiée d’éducation d’un an par enfant attribuée à la mère, pour tous les enfants nés avant le 1er janvier 2010, sauf si le père a seul élevé l’enfant. Pour les enfants nés après le 1er janvier 2010, cette deuxième majoration est attribuée à l’un des deux parents au choix du couple. C’est un système anti-redistributif, moins favorable aux femmes, mais fondé sur le principe d’égalité.

Le COR a repris ces analyses, qu’il avait développées dans son rapport de 2008, sans les modifier fondamentalement dans la mesure où depuis cette date, s’agissant de ces différents dispositifs, la situation n’a pas avancé.

Nous avons mis en avant la nécessité de clarifier les objectifs que l’on veut attribuer à chaque droit familial. Veut-on compenser les effets des enfants sur les carrières des mères ? C’est un peu l’objectif de l’AVPF, lorsqu’elle bénéficie aux femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants. Veut-on réduire les inégalités existant entre les hommes et les femmes au moment de la retraite ? Veut-on effectuer une redistribution en faveur des familles les plus nombreuses ou vers les bas revenus ? Ces objectifs peuvent être cumulés. Lorsque ces dispositifs ont été créés, on avait sans doute ces objectifs en vue, mais ils n’avaient pas été définis de façon précise.

On peut espérer qu’avec les trimestres attribués au titre de la MDA et de l’AVPF, la durée d’assurance moyenne validée par les femmes nées après 1960 rejoindra, voire dépassera la durée moyenne validée par les hommes. Mais si ces dispositifs permettent de rapprocher le nombre de trimestres validés par les femmes de ceux validés par les hommes, ils ne corrigent pas les écarts de pension entre hommes et femmes, qui sont dus aux écarts de salaires et à certains éléments de carrière. En outre, les femmes qui ont travaillé sans interruption, même lorsqu’elles ont eu des enfants, bénéficient peu de l’AVPF. Pour elles, d’ailleurs, la MDA est inutile. Elles n’ont pas besoin de trimestres supplémentaires, puisqu’elles les ont obtenus au titre de leur activité. Simplement, elles peuvent partir plus tôt, sans attendre soixante-cinq ou soixante-sept ans.

Voilà pourquoi, dès le sixième rapport, nous avions fait des propositions concernant à la fois la MDA, l’AVPF et la majoration pour trois enfants et plus.

S’agissant de la MDA, nous avons dit qu’il serait intéressant d’étudier l’idée consistant à en transformer, à terme, une partie en majoration de montant de pension et non de montant de trimestres – dont peuvent maintenant bénéficier, en partie, les hommes qui le souhaitent. Cette majoration du montant de pension serait réservée aux femmes et viendrait compenser les écarts de salaire existant entre les hommes et les femmes. Cela suppose, bien évidemment, que les mesures adoptées soient compatibles avec le droit européen. Ces majorations pourraient être soit proportionnelles, soit forfaitaires pour favoriser une redistribution vers les bas salaires. Encore faut-il le vouloir et l’expliciter.

L’AVPF étant un système complexe, subordonné à des conditions de perception de prestations familiales, de ressources du ménage, parfois d’activité, nous avons évoqué des pistes de simplification. L’idée était d’en faire un véritable dispositif de compensation des interruptions ou de réduction d’activité pour s’occuper d’un jeune enfant. La durée des interruptions compensées serait cohérente avec celle des prestations familiales, afin de ne pas favoriser un éloignement durable des femmes du marché du travail – pas au-delà de trois ou quatre ans.

Enfin, les majorations pour trois enfants et plus ne réduisent pas les écarts entre les hommes et les femmes. Ce dispositif poursuit plutôt un objectif de redistribution vers les parents de familles nombreuses. L’idée était de le transformer en majoration forfaitaire, ce qui favoriserait plutôt les bas revenus. Mais certains pourront faire remarquer que cela ne correspond pas à l’objectif premier qui était d’opérer non pas une redistribution des hauts revenus vers les bas revenus, mais une redistribution horizontale entre les familles célibataires ou peu nombreuses et les familles nombreuses à même niveau de revenus. C’est un débat politique. Nous disons simplement qu’une telle transformation est envisageable.

On peut aussi envisager de rendre ces majorations imposables. En effet, l’exonération de la majoration pour trois enfants et plus coûtait, lorsque nous avons fait notre rapport, à peu près 800 millions d’euros. Mais je dois dire que cette proposition n’a pas soulevé l’enthousiasme des membres du COR, même au sein des organisations syndicales. Un certain conservatisme semble régner en la matière. Sans doute la philosophie « familles nombreuses » est-elle encore prégnante. J’en veux pour preuve les réactions suscitées par le rapport de mon collègue Bertrand Fragonard, le président du Haut conseil de la famille, sur les aides aux familles. Je tiens cependant à préciser que M. Fragonard n’a pas abordé la question des avantages familiaux liés à la retraite, qu’il s’est contenté de la mentionner dans une annexe de son rapport en rappelant le dispositif que nous avions nous-mêmes présenté. Le HCF a simplement fait remarquer qu’une partie de ce dispositif était financée par la branche famille.

En tant que président du COR, je ne vois rien de choquant à ce que la majoration pour trois enfants et plus et l’AVPF soient partiellement financées par la branche famille puisqu’elles contribuent à la fois à la politique familiale et à la politique de retraite. En revanche, le HCF considère que cela aggrave le déficit de la branche famille et que ces avantages devraient être financés par la branche vieillesse.

Rappelez-vous ce que je vous ai dit de l’abaque du COR : les ressources prises en compte sont celles qui sont mises à la disposition du système. Or, parmi ces ressources, il peut y avoir des ressources fiscales comme des ressources provenant du transfert d’autres branches, et notamment de la protection sociale.

Certes, il existe un lien entre le niveau des retraites et celui des contributions, c’est-à-dire des cotisations. Le COR a d’ailleurs toujours considéré qu’il était dans la logique du système que la part essentielle du financement des retraites relève des contributions. Reste qu’environ 20 % du système de retraite - y compris les mesures familiales – relèvent de la solidarité. Dans ces conditions, l’introduction d’éléments redistributifs, soit par voie fiscale, soit par d’autres modes de financement, n’a rien de choquant.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, Monsieur le président, pour le tableau que vous avez brossé. Entre 2010 et 2013, il y a eu des évolutions dont certaines sont légèrement favorables aux femmes, d’autres moins. Nous devrons étudier attentivement les conséquences qu’ont eues les dernières mesures sur les retraites des femmes. Un débat très vif a déjà eu lieu autour de l’allongement de la durée de cotisation et du relèvement de l’âge de départ sans décote de soixante-cinq à soixante-sept ans, lorsque la durée de cotisation n’est pas atteinte. On sait en effet que ce sont majoritairement les femmes qui, en raison d’une carrière professionnelle souvent hachée ou faite de temps partiel, devront travailler jusqu’à soixante-sept ans.

Vous avez évoqué les leviers sur lesquels on peut jouer pour tenter d’équilibrer notre système de retraite, comme la durée de cotisation et le nombre de trimestres cotisés ou validés. Vous avez ensuite parlé des droits familiaux, qui permettent de gommer en partie les écarts entre les hommes et les femmes au moment de la retraite. Nous devrons nous pencher plus longuement que nous ne l’avons fait jusqu’à présent sur ces droits, car la situation des familles a évolué. Je pense aux familles éclatées, aux familles recomposées et aux nombreuses familles monoparentales. Je pense plus particulièrement à la femme seule, avec un unique enfant, qui travaille à temps partiel. Les droits familiaux ne compenseront pas les conséquences que les petits emplois précaires auront sur sa retraite.

Nous avions réfléchi à un système de retraites par points, comme il en existe en Allemagne. Dans un tel système, les points capitalisés dans le couple pourraient être répartis entre les conjoints au moment du divorce. Cette répartition relèverait du juge. Une femme ayant arrêté sa carrière, et donc perdu des points de retraite, se verrait attribuer l’équivalent d’un « capital retraite ».

Enfin, d’après ce que j’ai compris, le COR prend en compte la situation telle qu’elle est. Mais a-t-il analysé complètement les effets de la réforme de 2010 ? Nous devons le faire pour les femmes, qui sont les premières victimes des inégalités de notre système de retraites.

Mme Marie-Jo Zimmermann. En 2010, grâce à l’appui de la Délégation, nous avions tout de même réussi à secouer un peu le système : au départ, la question des femmes n’était même pas abordée dans la réforme des retraites ! J’ai toujours regretté que le COR n’aborde pas suffisamment la question des inégalités entre hommes et femmes. Éric Woerth, ministre des Affaires sociales, nous renvoyait toujours le même argument : la situation s’améliore progressivement. Mais je suis pour ma part très inquiète pour les femmes nées entre 1950 et 1960, dont la situation n’est absolument pas réglée. J’avais demandé pour elles des mesures temporaires : je ne les ai pas obtenues, et sur ce point la loi de 2010 est insuffisante ; aujourd’hui, je reste une fois encore sur ma faim. J’aimerais que le COR fasse des propositions sur ce sujet, même si c’est sans doute désormais plutôt vers la commission sur l’avenir des retraites qu’il faut se tourner.

Il faut également réfléchir à l’évolution des familles, et en particulier à la répartition des droits à la retraite en fonction du nombre d’années de vie commune.

Mme Barbara Romagnan. Les compensations accordées aux femmes, notamment parce qu’elles ont élevé des enfants, ne contribuent-elles pas à faire perdurer la mauvaise situation qui leur est faite durant leur vie professionnelle, puisqu’il est ainsi moins préjudiciable d’abandonner son travail ?

J’aimerais donc aussi entendre des propositions pour compenser, en amont, le fait que ce sont le plus souvent les femmes qui prennent les congés parentaux et les congés pour enfant malade. On pourrait ainsi proposer qu’une partie du congé parental soit obligatoirement prise par le père.

Il faudrait enfin créer les conditions pour que les emplois les moins bien rémunérés ne soient pas occupés en très grande majorité par des femmes, et pour que celles-ci accèdent au sommet des hiérarchies.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En 2010, le Gouvernement n’a fini par aborder le problème des femmes que lorsqu’il s’est aperçu que celles-ci étaient largement majoritaires dans les manifestations contre le projet de loi !

Vous avez raison de dire qu’il y a là un problème d’égalité professionnelle – je tiens d’ailleurs à saluer les premières condamnations par les tribunaux des entreprises qui ne font aucun effort pour assurer l’égalité des femmes et des hommes au travail. Mais il faut aussi traiter le problème lorsque les femmes arrivent à la retraite, après avoir subi ces inégalités au travail.

Mme Ségolène Neuville. Votre exposé était très instructif. Mais j’ai eu l’impression que les femmes, ici, n’étaient considérées que comme des mères ; or, aujourd’hui, 10 % des femmes n’ont pas d’enfant, et beaucoup n’en ont qu’un seul. Or même ces femmes ont des carrières moins développées que les hommes, et sont moins bien payées.

Il faut donc agir pour l’égalité professionnelle : si nous attendons qu’elle se fasse naturellement, aucun d’entre nous ne la verra de son vivant !

Vos propositions sont fines et détaillées, Monsieur Hadas-Lebel : ne pourriez-vous donc pas trouver un mécanisme pour aider les femmes qui sont pénalisées non par la maternité, mais plus généralement par la situation qui leur est faite dans le monde du travail – je pense notamment au temps partiel et à la moindre rémunération à compétences égales ?

Mme Édith Gueugneau. Beaucoup de métiers ont été créés pour les femmes, notamment dans le domaine des services à la personne : mais ce sont toujours des emplois à temps partiel, et les rémunérations sont très faibles. Ces femmes n’ont pas le choix. C’est un problème bien réel, en milieu rural comme en milieu urbain.

M. Guy Geoffroy. Une partie de la solution à ces problèmes ne passe-t-elle pas par l’introduction d’une forme de capitalisation, à côté de notre régime par répartition ? Pour sauvegarder nos principes, ne faudra-t-il pas nécessairement utiliser ces deux approches complémentaires ?

M. Raphaël Hadas-Lebel. Je suis, au nom du COR, très fier et très heureux de la confiance que vous nous accordez.

Nous n’avons pas analysé en détail les effets de la réforme de 2010 : notre rapport de décembre 2012 portait globalement sur les changements intervenus dans nos diagnostics entre avril 2010, c’est-à-dire avant la réforme, et décembre 2012. Beaucoup de choses se sont passées entre ces deux dates : application de la réforme, mais aussi rebond de la crise à la fin de l’année 2011, mesures prises par le nouveau Gouvernement en juillet 2012… Nous avons montré que nos besoins de financement avaient été ramenés de 40 milliards d’euros environ, soit deux points de PIB, à 20 milliards en 2012.

Il faut effectivement établir une distinction : la situation des femmes change selon qu’elles sont nées avant ou après 1960. Pour les premières, aujourd’hui encore, la durée d’assurance validée demeure inférieure à celle validée par les hommes, bien qu’elle s’en rapproche. Le relèvement de l’âge minimal de départ décidé en 2010 a donc plus d’impact sur les hommes que sur les femmes : ils sont obligés de partir plus tard, même si leur durée de cotisation est déjà importante. En revanche, le changement du second curseur, c’est-à-dire la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite sans décote, a plus d’impact sur les femmes. Aujourd’hui, nous ne savons pas encore lequel des deux effets l’emportera.

Pour les générations nées après 1960, il y aura beaucoup moins d’écart entre les durées d’assurance moyennes des femmes et des hommes, compte tenu en particulier des droits familiaux. Il est donc difficile aujourd’hui de prévoir si le relèvement des bornes d’âge aura de plus grandes conséquences pour les femmes que pour les hommes.

Madame Zimmermann, vous proposez de prendre des mesures temporaires. C’est une solution que nous n’avons pas examinée : je ne dis pas que ce serait impossible, mais notre système est déjà extrêmement compliqué. Pour compenser ce qui peut l’être, nous avons plutôt privilégié les droits familiaux, que nous proposons d’ailleurs également de réformer.

D’une façon très générale, peut-on compenser au moment du départ à la retraite tout ce qui s’est passé durant une vie d’activité ? La même question se pose au sujet de la pénibilité. Philosophiquement, le problème de la pénibilité du travail doit nécessairement être posé dans le cadre du travail lui-même : il faut des mesures de prévention, de correction, des sanctions le cas échéant… Le COR estime qu’au niveau de la retraite, seuls les éléments de pénibilité dont il est sûr qu’ils ont des conséquences pour l’espérance de vie – donc pour la durée de la retraite – peuvent être compensés. Mais c’est un sujet difficile : puisque l’espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes, faut-il prévoir une compensation pour ces derniers ? Ce serait bien paradoxal ! Et je vous assure que je l’ai entendu dire !

Je ne peux pas préjuger de ce que contiendra le rapport de Mme Moreau. Rien ne s’oppose en tout cas à ce que le COR se penche sur la question d’éventuelles mesures temporaires : je retiens votre suggestion.

Madame Romagnan, vous avez raison, l’essentiel des problèmes se forment en amont. Il me paraît concevable que l’on oblige les pères à prendre une partie du congé parental, même si je ne sais pas si cette idée serait acceptée par la société française ; mais cela relève de la politique familiale. Le COR ne s’occupe que des retraites, et ne peut se pencher que sur les mesures correctrices que l’on peut prendre à ce moment-là.

Aujourd’hui, il faut souligner que, s’il est exact que beaucoup d’emplois mal rémunérés sont occupés par des femmes, la France est, peut-être avec les États-Unis, l’un des pays où les femmes occupent le plus d’emplois supérieurs, en particulier dans la fonction publique, par exemple dans l’enseignement ou la magistrature. Dans les pays que l’on croit le plus avancés, comme la Scandinavie, les femmes occupent souvent en réalité des emplois de moins bon niveau, et à dominante sociale. Le système des concours, en particulier, permet aux femmes d’être mieux loties en France que dans d’autres pays comparables : même dans les entreprises privées, la réussite aux concours des grandes écoles est un atout.

M. Jean-Michel Hourriez. En termes de secteurs d’activité, le marché du travail est en effet plus segmenté en Scandinavie qu’en France.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Nous consacrons par ailleurs un chapitre du rapport de 2008 aux transformations du couple et de la famille.

Madame Neuville, nous ne considérons pas les femmes seulement comme des mères. Vous avez absolument raison : il est indispensable de corriger les inégalités professionnelles, mais cela ne relève pas du COR.

Si nous envisageons la femme comme mère, c’est parce que c’est entre autres l’obligation d’élever les enfants qui explique sa moindre durée d’activité sur l’ensemble de sa carrière. On a tout de même progressé : le fait que la femme travaille est désormais admis par la société. Les inégalités qui subsistent sont dues d’abord à la répartition inégale des tâches domestiques au sein des couples, même les plus jeunes – c’est une réalité sociologique – ; ensuite au fait d’avoir physiquement les enfants, puis de les élever, tâche qui, dans notre société, revient plutôt aux femmes. C’est cela que nous essayons de compenser. C’est pour cela que nous étions quelque peu furieux de la fausse égalité juridique imposée par le droit européen, qui nous impose de prendre des mesures en faveur des hommes, qui n’en ont pas besoin.

Nous avons fait cette année de nouvelles propositions, notamment sur les pensions de réversion. Aujourd’hui, le niveau de la pension de réversion dépend du parcours matrimonial après le divorce. On pourrait envisager de calculer le montant de la pension de réversion au prorata de la durée effective du mariage, indépendamment du fait que le défunt se soit remarié ou non. Nous avons également suggéré que les pensions de réversion du fait de mariages successifs du conjoint survivant puissent être cumulées, ce qui serait une vraie innovation : aujourd’hui, la pension de réversion est souvent perdue en cas de remariage du conjoint survivant.

Nous avons également envisagé l’instauration d’un partage des droits à la retraite dès le moment du divorce, sur le modèle du Rentensplitting allemand. C’est un mécanisme plus facile à mettre en place avec un système de points – qui existe déjà dans certains régimes, notamment les régimes complémentaires –, puisqu’il suffit alors de partager les points. Cela dit, il faut rester vigilant car ce système peut en réalité défavoriser légèrement les femmes. Je suis d’ailleurs obligé d’avouer que les membres du COR n’ont pas envisagé cette proposition avec enthousiasme.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Alors que nous sommes en train d’élargir l’obligation de parité à de nombreuses instances, il faudrait demander au Gouvernement, et aux partenaires sociaux, de faire un effort pour que le nombre de femmes au sein du COR augmente – nous avions remarqué en 2010 qu’elles y étaient très peu nombreuses.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Pardonnez ma malice, Madame la présidente, mais le COR compte, sur huit parlementaires, trois sénatrices, et une députée seulement.

Les nominations ne dépendent pas du président. J’ai une certaine influence – j’ai ainsi veillé à la présence d’une représentante de l’OCDE, pour assurer une ouverture internationale –, mais elle n’est pas toujours décisive. Si les organisations patronales et syndicales désignaient plus de femmes, vous m’en verriez particulièrement heureux.

Sur la question du temps partiel, soulevée notamment par Mme Gueugneau, nous avons également fait des propositions. Il est aujourd’hui possible de cotiser sur la base du taux plein même si l’on travaille à temps partiel, mais il faut que l’employeur l’accepte. Il serait possible de jouer sur ce facteur.

Les familles monoparentales constituent un sujet nouveau et important. De plus en plus de femmes jeunes se trouvent dans des situations très préoccupantes, car elles se retrouvent seules, sans avoir été ni mariées ni pacsées, avec des enfants et une activité professionnelle insuffisante ; le COR estime toutefois que ces problèmes ne peuvent être gérés au niveau de la retraite.

Il existe une certaine égalité entre hommes et femmes pour la durée de cotisation validée. En revanche, le fait que la pension soit calculée en fonction des vingt-cinq meilleures années profite avant tout aux hommes, qui ont des carrières plus longues ; pour beaucoup de femmes, vingt-cinq ans, c’est presque toute leur carrière. Nous avons donc émis l’idée de calculer la retraite en prenant en considération l’ensemble de la carrière. Certes, d’une certaine façon, cela défavorise tout le monde, sauf si l’on corrige en contrepartie le taux de liquidation ! Mais c’est difficile à faire passer ; ce serait une révolution. La situation actuelle, qui semble acceptée de tous, est anti-redistributive : elle favorise les gens qui ont des carrières longues et linéaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le Sénat avait proposé de remplacer les vingt-cinq meilleures années par les cent meilleurs trimestres. Il semblerait que cela aille dans le sens d’une meilleure équité.

M. Jean-Michel Hourriez. Tout à fait. Les simulations du COR l’ont montré : cent meilleurs trimestres ou vingt-cinq meilleures années, cela ne revient pas au même, notamment pour les personnes – souvent des femmes – qui ont travaillé à temps très partiel, ou avec des contrats de très courte durée. Pour les plus précaires, il y a une double peine : ils ont peu d’années de travail, et avec des salaires de référence très faibles ; ils sont alors perdants en termes à la fois de durée d’assurance et de salaire de référence. Notre douzième rapport donne sur ce point des exemples chiffrés qui sont tout à fait frappants.

Le calcul du salaire de référence sur une partie de la carrière plutôt que sur la carrière tout entière est par ailleurs effectivement plutôt défavorable aux personnes ayant eu des carrières courtes.

M. Raphaël Hadas-Lebel. J’en viens aux autres systèmes possibles.

Un système de splitting faciliterait énormément la répartition des droits à la retraite en cas de divorce : le système actuel oblige tout de même à attendre la mort de l’ex-conjoint pour bénéficier d’une pension de réversion…

Le Sénat nous avait demandé, à l’initiative du sénateur Dominique Leclerc, une étude sur l’intérêt d’instaurer, au lieu de notre système par annuités, un système en points ou en compte notionnel, qui est le système suédois. Le COR estime que ce serait possible : ces systèmes offrent des avantages en termes de pilotage, et de transparence. Ainsi, avec un système par points, il suffit, pour assurer des droits familiaux ou conjugaux, de compter des points : c’est simple et lisible. Chaque système a aussi des inconvénients. Nous avons déjà travaillé et nous approfondirons encore nos études si on nous le demande. Je note toutefois que, parmi les organisations syndicales, seule la CFDT avait manifesté son intérêt pour un changement de système. Je n’ai pas le sentiment que ce soit à l’ordre du jour : nous verrons ce que proposera la commission sur l’avenir des retraites.

La capitalisation est un tout autre sujet : il ne s’agit plus seulement de modifier le calcul des droits à pension. Ce ne sont plus les cotisations d’une année donnée qui financent les prestations de cette même année ; chacun capitalise des sommes qui fructifient pour l’avenir. Le régime en compte notionnel s’inspire un peu de ce système.

Il y a sur ce sujet, vous le savez, un grand débat politique. Nous constatons pour notre part que la capitalisation peut jouer un rôle, mais que ce rôle ne peut être que celui d’un complément à notre régime général par répartition. On peut estimer que ce rôle est aujourd’hui insuffisant, puisque l’épargne-retraite représente entre 2 % et 4 % du système de retraite. On peut aussi estimer que c’est trop, puisque ces sommes échappent au système de base.

Il est probable que les cadres, dont le taux de remplacement – c’est-à-dire le rapport entre la pension et le dernier salaire – est très inférieur à celui des non-cadres, chercheront des ressources supplémentaires dans l’épargne-retraite. Le poids de celle-ci augmentera donc sans doute ; mais je n’ai pas le sentiment que les hommes et femmes politiques d’aujourd’hui, à droite comme à gauche, souhaitent faire une grande place à la capitalisation, et ce d’autant que nous sommes aujourd’hui dans une période défavorable sur le plan boursier. On peut certes estimer que, sur vingt à vingt-cinq ans, la capitalisation peut apporter des ressources appréciables, mais la crise de 2008 a montré ses failles.

Les régimes par capitalisation courent un risque financier, lié en particulier à l’inflation ; les régimes par répartition courent un risque démographique. Il faut trouver un équilibre en prenant en considération les caractéristiques de chaque système.

Mme Geneviève Levy. Il serait donc possible d’introduire une dose de capitalisation.

M. Raphaël Hadas-Lebel. C’est un choix politique. Le rôle de la capitalisation restera de toute façon limité. Mais nous sortons ici du problème des inégalités entre hommes et femmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certaines cotisations ne rapportent rien à ceux qui les versent : lorsque des salariés cotisent moins de 200 heures par trimestre, ces sommes sont perdues pour eux. C’est toujours le problème du temps très partiel.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Vous avez raison. Dans un système par points, toute cotisation, si faible soit-elle, doit donner lieu plus tard à une prestation : c’est la philosophie de la contributivité. Dans notre système, ce n’est pas le cas ; mais il faut aussi souligner que 20 % de notre système sert à la redistribution. Ces cotisations financent l’ensemble du système. Là aussi, notre douzième rapport fait des propositions pour faciliter la validation de trimestres, même lorsque l’on a travaillé moins de 200 heures.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais connaître votre opinion sur une idée qui m’est venue à propos du calcul des années de référence. Si on parle de départ à taux plein, cela veut dire « à son propre taux plein », c’est-à-dire sans décote. Pourrait-on concevoir que pour une personne partant à 67 ans avec son taux plein mais sans avoir le « vrai » taux plein (n’ayant pas atteint les 41,5 années de cotisation de référence pour la période 2020), on considérerait que le calcul des années de référence se ferait au prorata du nombre total des années effectuées jusqu’au jour du départ en retraite, ramené au total exigé pour pouvoir bénéficier du départ en retraite à 62 ou 63 ans soit avant les 67 ans.

Par exemple, si une personne travaille 33 ans et part en retraite à 67 ans, sa retraite serait établie sur les 25 années de référence calculées à partir d’un ratio portant sur les 33/41èmes de 25 ans. Est-ce inenvisageable ? Cette personne n’a pas de décote, elle a 33 ans d’activité au lieu de 41 ou 42 ans : sa pension est calculée sur le ratio 33 sur 41 multiplié par 25.

Cela rétablirait une égalité qui mettrait fin à cette double peine du calcul de la retraite qui pénalise généralement les femmes.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Ce serait une autre manière, par rapport que celle étudiée par le COR, de corriger les effets négatifs anti-redistributifs du système basé sur la prise en compte des 25 meilleures années. Je ne sais pas si c’est simple à faire, mais on pourrait l’examiner.

M. Jean-Michel Hourriez. C’est un peu ce qui existe pour les polypensionnés depuis la loi de 2003, dans la mesure où pour ces personnes, la prise en compte des 25 meilleures années peut porter sur plusieurs régimes différents.

M. Raphaël Hadas-Lebel. C’est vrai, et lorsqu’on étudie les conséquences de l’application de ce prorata sur leur situation par rapport aux monopensionnés, on s’aperçoit que dans certains cas, ils sont en meilleure situation que les monopensionnés et dans certains cas en plus mauvaise position. L’application de ce prorata les met en meilleure situation. Par contre, il me semble qu’ils perdent quant au calcul du nombre de trimestres, plus ou moins selon les régimes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ajoute que jusqu’à récemment, les femmes découvraient le montant de leur retraite très tard, et parfois quasiment au moment de la prendre. Cette situation est un peu améliorée aujourd’hui avec les obligations d’information au cours de la carrière, mais il n’en demeure pas moins que notre système est très complexe.

M. Raphaël Hadas-Lebel. Ce problème s’est un peu résorbé car la loi de 2010 a prévu que les premières informations doivent être communiquées dès l’âge de 35 ans, puis les salariés ont droit à un entretien sur leurs perspectives de retraite à l’âge de 45 ans.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous vous remercions pour cet exposé très intéressant qui nous permettra d’aborder les travaux des mois à venir avec des bases précises et de présenter des propositions en faveur d’une plus grande égalité entre les femmes et les hommes.

Audition de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, sur les enjeux de la réforme du système des retraites au regard de la situation des femmes.

Compte rendu de l’audition du mardi 18 juin 2013

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mes chers collègues, nous auditionnons pour la troisième fois Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui nous parlera aujourd’hui d’un sujet qui intéresse l’ensemble des Français, et tout particulièrement les femmes. La Délégation aux droits des femmes – je le dis en présence de Mme Marie-Jo Zimmermann, son ancienne présidente, qui a présenté en 2011 un rapport sur le sujet – s’est toujours préoccupée de l’injustice qui est faite aux femmes au moment de la retraite.

À la différence de ce qui s’est passé en 2010, la situation des femmes a été évoquée dès que l’on a décidé d’examiner à nouveau l’avenir des retraites. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Cette situation est connue de tous : l’inégalité des retraites des femmes perdure dans notre pays, en dépit des réformes de 1993, 2003 et 2010. En 2011, hors réversion, les retraites atteignaient en moyenne 932 euros par mois pour les femmes, contre 1 603 euros pour les hommes. Le différentiel est toujours de 40 à 50 % – suivant ce que l’on inclut dans la notion de retraite – et il progresse au fil des générations.

L’activité féminine augmentant, on pouvait imaginer qu’au fur et à mesure des années, les retraites des femmes rejoindraient celles des hommes. Mais il se trouve que des obstacles s’opposent à cette évolution. Le principal est la multiplication, à partir des années quatre-vingt-dix, des temps partiels, à l’origine de carrières hachées et incomplètes. Un autre est le fait que certaines femmes arrêtent leur carrière pour s’occuper de leurs enfants. Ces deux phénomènes font qu’aujourd’hui les femmes continuent à avoir des retraites beaucoup plus faibles que celles des hommes.

Je vous poserai deux questions. Que fait-on pour assurer une vie décente aux femmes qui ont une toute petite retraite ? Que fait-on pour stopper l’aggravation des inégalités en matière de retraite ?

M. Raphaël Hadas-Lebel est venu nous présenter le rapport 2013 du Conseil d’orientation des retraites (COR). Mme Yannick Moreau, quant à elle, vient de remettre le sien au Premier ministre. J’aurais aimé que ce dernier rapport soit un peu plus étoffé sur la situation des femmes.

Madame la ministre, nous avons compris que la méthode employée serait différente de celle de 2010, dans la mesure où une grande place sera faite – avant que le texte n’arrive au Parlement – à la négociation qui a été engagée avec les partenaires sociaux. Mais selon vous, à quel moment, par rapport à cette négociation, le Parlement devra-t-il intervenir ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, en n’intégrant pas, dès le départ, dans une réforme des retraites, la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, on court le risque, non seulement de conforter, mais encore d’aggraver les inégalités. À l’inverse, si l’on fait de l’égalité entre les hommes et les femmes un objectif de cette réforme, on pourra progresser. En effet, il y a peu de domaines dans lesquels on arrive à réduire de façon aussi évidente les inégalités. Nous avons donc une occasion en or devant nous.

En outre, les décisions que l’on est amené à prendre pour procéder à une réforme des retraites se construisent un peu comme un Lego, bloc par bloc. Si l’on attend d’avoir construit chaque bloc du Lego avant de poser la question de l’égalité, on aura laissé passer cette occasion.

Enfin, les décisions qui conduisent à modifier les règles de calcul de la pension, c’est-à-dire la manière dont on traduit la carrière en droits à la retraite, peuvent peser différemment sur les femmes et sur les hommes. De fait, les carrières des femmes ne sont pas encore tout à fait les mêmes que celles des hommes – par exemple, elles sont souvent moins continues. C’est une raison supplémentaire pour que nous abordions cette question de l’égalité hommes/femmes dès le début de notre réflexion sur la réforme des retraites.

Pour mon ministère, vous imaginez bien que c’est un sujet majeur. Il y a quelques mois, nous avons lancé la campagne Léa, une campagne de communication télévisée dans laquelle on faisait reprendre conscience aux Français de l’ampleur des inégalités existant entre les hommes et les femmes : inégalités professionnelles, inégalités dans la répartition des tâches domestiques, et inégalités de retraite.

Aujourd’hui, pour compléter ce que disait Mme la présidente, les hommes retraités perçoivent, en moyenne, chaque mois, une retraite de 1 749 euros, et les femmes, de 1 165 euros, soit un écart d’un tiers. Et près de 700 000 femmes de plus de soixante-cinq ans vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.

Le faible niveau de retraite des femmes est le résultat de parcours professionnels hachés, interrompus et d’un accès limité au marché du travail dans les années cinquante et soixante. Ces parcours discontinus les conduisent à devoir attendre très souvent l’âge limite pour bénéficier d’une retraite à taux plein.

Les droits acquis en matière de retraite sont étroitement liés aux carrières professionnelles, à l’importance des interruptions de carrières, des emplois occupés et des salaires perçus. Par définition, davantage d’interruptions de carrière, de temps partiels, de petits salaires et de précarité génère mécaniquement, pour les femmes, des droits à la retraite plus faibles.

Certes, on nous objectera que l’activité des femmes, ces dernières décennies, n’est pas celle des femmes des années cinquante, qu’elle s’est considérablement développée, que leurs parcours professionnels sont moins hachés, que les postes qu’elles occupent aujourd’hui sont sans commune mesure avec ceux qu’elles occupaient dans les années soixante-dix, qu’elles sont formées, qualifiées – leurs résultats scolaires sont d’ailleurs meilleurs que ceux des garçons – et que certaines d’entre elles exercent de hautes responsabilités. Pour autant, sur le marché du travail, les inégalités demeurent entre les femmes et les hommes. Et si on ne change rien à ces inégalités professionnelles et salariales, elles deviendront demain des inégalités de pensions de retraite. De fait, les inégalités de retraite sont un condensé des inégalités de rémunération et de carrière sur le marché du travail.

Dans un système contributif comme le nôtre, si l’on veut corriger ces inégalités primaires, il faut conduire une politique de discrimination positive. Il s’agit en effet de compenser, une fois arrivé l’âge de la retraite, les inégalités que l’on n’a pas pu attaquer à la racine. Voilà pourquoi il est important de fixer au régime de retraite de base un objectif de réduction des inégalités de pensions de retraite entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, il y a à peu près un tiers de différence entre la retraite des femmes et celle des hommes. Le COR a montré que ces écarts ne se résorberont pas spontanément. Par exemple, en 2040, pour la génération née dans les années soixante-dix, l’écart devrait rester de 20 %.

Pour autant, ce serait une erreur de vouloir compenser, par les régimes de retraite, l’intégralité de l’écart. Si nous voulons être rationnels, nous devons également faire en sorte d’intervenir sur les causes. Voilà pourquoi la stratégie que je vous propose pour tenter de faire disparaître, à l’horizon 2040, cet écart de 20 %, repose sur trois piliers.

Premier pilier : il s’agit d’annuler les inégalités de rémunération pendant que les hommes et les femmes sont sur le marché du travail – en particulier les inégalités de rémunération à temps de travail égal.

Pour ce faire, nous appliquons la loi sur l’égalité professionnelle, procédure de contrôle sur les entreprises, prise de sanctions ; on a assisté à la multiplication des plans d’action au cours de ces derniers mois.

Mais la loi de sécurisation de l’emploi, en luttant contre les effets néfastes du petit temps partiel – seuil minimum de 24 heures hebdomadaires, majoration de 10 % dès la première heure complémentaire – contribue elle aussi à la réduction des inégalités de rémunération.

Les politiques que nous menons pour briser, petit à petit, le plafond de verre qui subsiste dans les entreprises, vont également dans le bon sens. Par exemple, nous publierons désormais chaque année le taux de féminisation des comités directeurs des grandes entreprises pour inciter ces dernières – qui tiennent à préserver leur image de marque – à évoluer en la matière.

De même, la mise en place d’un plan crèche ou, plus globalement, les mesures visant à améliorer l’accueil de la petite enfance – le Premier ministre a récemment annoncé la création de 275 000 places – éviteront aux mères de jeunes enfants de devoir interrompre leur carrière.

Toutes ces politiques visant à réduire les inégalités de parcours et de rémunération seront complétées demain par l’accord sur la question de l’égalité professionnelle et de la qualité de vie au travail. Cet accord est très important parce qu’il a vocation à assurer l’effectivité des droits résultant des lois Roudy et Génisson. Une fois que les partenaires sociaux auront conclu cet accord, et j’espère qu’il sera conclu, on en tirera les conséquences dans le projet de loi global sur l’égalité entre les hommes et les femmes que j’ai l’intention de vous présenter.

Deuxième pilier : il s’agit, cette fois, d’aller encore plus loin sur la question du temps partiel, même si l’Accord national interprofessionnel ou ANI, devenu loi de sécurisation de l’emploi, en avait déjà traité. Pour en avoir discuté avec vous, je sais que votre délégation a pris cette question à bras-le-corps.

Comment renforcer les droits sociaux des salariés à temps partiel – qui, à 80 %, sont des femmes ? Je me souviens que vous aviez proposé que l’on rende enfin effectives les dispositions de l’article L. 241-3-1 du code de la sécurité sociale qui prévoit la possibilité de la prise en charge, par l’employeur, des cotisations patronales additionnelles sur la base d’un temps plein, lorsque le salarié à temps partiel en fait la demande. Ces dispositions, qui datent de plusieurs années, ne sont quasiment jamais appliquées. Il faudrait faire en sorte que le sujet soit plus largement abordé dans le cadre des négociations annuelles sur l’égalité. Nous devrons y réfléchir.

Mme Yannick Moreau, dans son rapport, propose des pistes de travail intéressantes, pour mieux prendre en compte les carrières heurtées et celles des assurés à temps très partiel. Par exemple, vous savez qu’aujourd’hui, en dessous de 200 heures travaillées par trimestre, le trimestre n’est pas comptabilisé pour les droits à retraite. Selon ce rapport, ces heures qui donnent lieu à cotisation pourraient être totalisées en fin de carrière pour valider des trimestres supplémentaires utiles en cas d’années incomplètes. La limite serait de quatre trimestres par an, mais cela signifie que ces heures seraient enfin comptabilisées. C’est un sujet sur lequel je serai heureuse de vous entendre.

Troisième pilier de cette stratégie : réduire les inégalités au moment de la retraite. De ce point de vue, la réforme que l’on s’apprête à adopter constitue, je le redis, une opportunité extraordinaire. Je sais que Mme Marisol Touraine, qui en assure la responsabilité, y est extrêmement sensible.

Un certain nombre de pistes ont été proposées par Mme Yannick Moreau dans son rapport. Mais que les choses soient claires : aujourd’hui, aucune décision n’a été prise. La concertation débute jeudi par la Conférence sociale et durera jusqu’au mois de septembre.

Pour autant, je vous propose de revenir sur ce que pourraient être les objectifs de ce troisième pilier.

L’essentiel des efforts doivent porter sur les moyens de compenser la pénalité que subissent les femmes au moment des naissances, la Child Penalty. On pense en effet que celle-ci expliquerait quelque 10 % des écarts de salaires entre les femmes et les hommes. On manque de données pour évaluer son impact en matière de retraites. Voilà pourquoi j’ai demandé à l’Institut des politiques publiques, avec lequel nous avons passé une convention-cadre, de réaliser une étude approfondie sur cette question. Cette étude, qui dure depuis plusieurs mois, est sur le point d’être finalisée. Elle m’a semblé prometteuse, et je vous suggère d’auditionner ses auteurs.

Nous pensons par ailleurs que cette réforme des retraites doit être l’occasion de s’interroger sur les droits familiaux et conjugaux. Ceux-ci permettent de réduire un certain nombre d’inégalités qui découlent automatiquement du marché du travail et de la répartition inégale des responsabilités parentales. Mais ces droits sont assez peu lisibles et le rapport « Moreau » souligne qu’ils sont à l’origine d’un certain nombre de situations d’iniquité.

Ces droits recouvrent trois mécanismes différents : les bonifications de pension, les majorations de durée d’assurance, et l’assurance vieillesse des parents au foyer ou AVPF. Il faut reconnaître que ces trois droits cumulatifs contribuent aujourd’hui à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. Ils représentent même une part significative des droits à retraite des femmes qui ont liquidé leur pension, en 2010, au régime général.

Mais vous aurez sans doute remarqué que je parle de « droits familiaux » et non d’« avantages familiaux », qui est le vocabulaire habituellement utilisé. Je le fais sciemment, parce que je pense que le choix des mots a son importance. Ces trois mécanismes ne sont pas tant des avantages que des moyens de compenser, au moins en partie, au moment de la retraite, le manque à gagner lié au poids que font peser les enfants sur la carrière des femmes.

Certes, les parcours des femmes qui vont partir à la retraite demain ne seront pas les mêmes que ceux de leurs aînées. Elles sont en effet plus actives. En revanche, elles travaillent beaucoup plus souvent à temps partiel – 30 % des femmes actives sont aujourd’hui à temps partiel. Les écarts en termes de durée de validation, qui sont aujourd’hui importants, devraient se réduire très sensiblement. Mais ce sont les écarts de salaire – dans la mesure où ils intègrent, notamment, les effets du temps partiel – qui seront demain la cause principale des écarts de pension.

Le COR a fait des projections qui lui permettent de dire qu’à partir de 2020, l’écart entre les durées d’assurance moyenne des hommes et des femmes se réduirait à environ deux trimestres seulement et que l’écart entre les âges moyens de départ à la retraite des hommes et des femmes disparaîtrait progressivement. Restent les écarts de salaires.

Le premier des droits familiaux est la majoration de durée d’assurance, ou MDA, qui représente aujourd’hui environ 5 milliards. Son impact est réel, puisque le gain moyen de pension, sur l’ensemble des femmes, est estimé à environ 12 %. Ce mécanisme permet d’augmenter la durée d’assurance pour les mères, mais elle ne compense pas du tout la moindre progression salariale ou le fait d’être passée à temps partiel.

Par ailleurs, elle a un effet négatif sur le travail des femmes dans la mesure où celles qui ont connu peu d’interruptions de carrière entrent plus vite, vers la fin de leur vie active, dans la zone de surcote, et sont, de ce fait, « désincitées » à continuer à travailler.

Nous nous interrogeons donc sur la cible et sur les effets pervers de ce mécanisme de MDA.

Le deuxième des droits familiaux est l’assurance vieillesse des parents au foyer, ou AVPF, accordée aux bénéficiaires de certaines prestations familiales - notamment le complément de libre choix d’activité, ou CLCA, et le complément familial – sous conditions de ressources. Elle permet de valider des trimestres, par le rapport au compte du salarié, au régime général, d’un salaire mensuel équivalent au SMIC. Ce dispositif coûte environ 4,5 milliards d’euros à la CNAF. Il est toujours en phase de montée en charge, mais on considère qu’il a concerné un peu moins de 50 % des femmes qui sont parties en retraite en 2010.

Le troisième de ces droits familiaux est constitué par les bonifications de pension. Le dispositif en est très simple, puisqu’il consiste à majorer de 10 % la pension des parents de trois enfants et plus. On estime qu’il coûte aujourd’hui un peu moins de 6 milliards d’euros et qu’il devrait en coûter 10 milliards en 2040. Le problème est qu’il profite, de fait, davantage aux hommes qu’aux femmes. En effet, cette majoration est proportionnelle au salaire et donc proportionnelle à la pension, et avantage ceux qui ont les pensions les plus élevées – les hommes.

Ainsi, ces droits familiaux tendent à favoriser les pensions les plus élevées et accentuent, dans une certaine mesure, les inégalités – c’est le cas de la bonification de pension. Par ailleurs, ils privilégient très clairement la durée d’assurance sur le montant de la pension – c’est le cas de la MDA.

En conclusion, ce système est complexe, onéreux et parfois inadapté. Comment aménager ces dispositifs autour d’objectifs plus clairs, tout en veillant à ce que le système soit globalement efficace ? C’est un des sujets essentiels de la concertation qui va s’ouvrir. Mais j’accueillerai vos propositions avec beaucoup de soin.

Je voudrais terminer sur les pensions de réversion, qui bénéficient en très grande majorité aux femmes ; 90 % de ses bénéficiaires sont en effet des femmes. Ces pensions de réversion représentaient en 2010 une dépense annuelle, tous régimes confondus, de plus de 30 milliards d’euros. Il ne s’agit pas de les remettre en cause, mais de voir si elles sont adaptées aux changements sociétaux de notre pays, où il y a de plus en plus de divorces et de couples qui ne se marient jamais.

L’idée même des droits dérivés s’était imposée dans une société où le mariage était la forme prédominante de la vie en couple. La pension de réversion permettait d’éviter qu’en raison de la faiblesse des droits acquis par la femme au cours de sa vie professionnelle – faiblesse liée à la répartition inégalitaire des rôles au sein du couple –, celle-ci voie son niveau de vie chuter au décès de son conjoint. D’une certaine façon, la dépendance financière de celle-ci se trouvait compensée par la solidarité du couple au-delà même du décès de son conjoint.

Le problème est que le modèle sur lequel a été bâtie la pension de réversion n’est plus le modèle dominant et que les femmes qui se retrouveront seules au moment de leur retraite seront autant, voire davantage des femmes célibataires ou divorcées que des femmes veuves. Cela doit nous amener à chercher à renforcer plutôt les droits propres des femmes que les droits dérivés.

Je tiens à vous donner l’exemple, pour moi très parlant, d’une de mes administrées : son mari gagnant bien sa vie, elle arrête de travailler pour élever ses enfants. Le couple divorce. Elle se retrouve dans une situation précaire et ne touchera rien pendant des années, malgré les efforts qu’elle a fournis pendant sa vie de couple. Elle ne touchera une pension de réversion que très tardivement, lorsqu’elle partira elle-même à la retraite, et lorsque son ex-conjoint sera décédé. Et si cet ex-conjoint s’est remarié, le montant de la pension de réversion sera divisé entre les épouses successives.

Nous pouvons chercher des pistes à l’étranger. Il se trouve qu’en Allemagne, les droits à la retraite sont partagés au moment du divorce – c’est le splinting. Mais ce dispositif est difficile à appliquer à notre système de retraite, qui n’est pas un système à points et qui ne permet pas de calculer en temps réel, au cours de la carrière, les droits qui ont été acquis.

En conclusion, même si on peut commencer à y réfléchir, la question de la pension de réversion ne se résoudra que sur le long terme. En revanche, nous avons dès maintenant la capacité d’agir sur les droits familiaux. En en réorientant les masses financières, qui sont assez importantes, nous pourrions déjà résoudre certains problèmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame la ministre, je vous remercie pour la façon dont vous avez posé les questions, auxquelles nous n’avons plus qu’à répondre.

Comme vous l’avez dit, le système des droits familiaux pèche par son opacité, sa complexité et parfois, par une certaine iniquité. Mais le système des retraites, qui ne se limite pas au régime de base du secteur privé, est lui-même très complexe. En outre, les femmes ne connaissent souvent leurs droits à la retraite - et donc ce qu’elles vont toucher – qu’au moment où elles y arrivent. C’est alors que se profilent des situations souvent dramatiques.

Le rapport « Moreau » préconise deux solutions pour réformer les droits familiaux : l’une radicale, et l’autre à évolution lente. Va-t-on vers une refonte complète de ces droits ? Celle-ci se justifierait, pour des raisons de justice. Mais elle risque de prendre du temps, car pour mener une telle réforme, il faudra faire des études d’impact.

Par ailleurs, vous n’avez pas abordé le sujet du report à soixante-sept ans du départ à la retraite, que l’on justifie par une plus grande longévité. Certes, au sortir de la guerre, on n’imaginait pas vivre aussi longtemps. À ce propos, si les femmes ont une plus grande longévité que les hommes, elles vivent moins longtemps en bonne santé que ceux-ci.

Cette mesure est particulièrement injuste pour les femmes qui seront les plus nombreuses à devoir attendre soixante-sept ans pour partir en retraite avec un taux plein, du fait de l’allongement progressif de la durée de cotisation. Ne pourrait-on pas revenir à soixante-cinq ans ? Bien sûr, je suis consciente que l’enjeu de la prochaine réforme est d’éviter que nous ne nous retrouvions en 2020 avec un déficit de 20 milliards. Mais on voit mal comment certaines femmes pourraient travailler jusqu’à soixante-sept ans. Un accord sur la qualité de vie au travail, nous avez-vous dit, est sur le point d’être signé. Je m’en réjouis, mais je remarque que certains métiers, majoritairement occupés par des femmes, ne sont pas considérés comme pénibles. Dans les EHPAD, dans les crèches, dans les maisons de santé, les femmes qui vieillissent connaissent des problèmes musculaires. Elles n’effectuent pas un travail de force comme sur les chantiers, mais ces métiers n’en sont pas moins usants. Ces sujets-là sont encore à étudier.

Mme Édith Gueugneau. J’observe que pour éviter les inégalités de retraite, il faudrait déjà que l’on puisse permettre aux femmes d’occuper des temps pleins. Or on leur propose le plus souvent des temps partiels, notamment dans le secteur des services à la personne. Ce secteur crée certes de l’emploi pour les femmes, mais pas à temps plein.

Madame la ministre, je voudrais savoir quel outil nous pourrions mettre en place pour lutter contre les inégalités salariales.

Je remarque par ailleurs que les basses pensions mériteraient d’être revalorisées. Certaines sont en effet inférieures au seuil de pauvreté, ce qui est préoccupant. Par exemple, les femmes d’artisans ou d’agriculteurs qui ont travaillé avec leur conjoint ne touchent qu’une retraite de 350 ou de 400 euros.

Enfin, si les femmes arrêtent de travailler, c’est parce leur salaire n’est pas assez élevé pour que ce soit rentable. Lorsqu’elles travaillent à temps partiel, les entreprises pourraient payer une surcotisation. Mais elles ne le font pratiquement jamais. Comment les y obliger ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie, Madame la ministre, d’aborder devant la Délégation cette question de la retraite des femmes. Vous avez eu raison de distinguer la génération des femmes nées dans les années soixante-dix, dont la situation se sera sans aucun doute améliorée, au moment de la retraite, des générations précédentes. Je vous félicite également des efforts que vous déployez pour faire appliquer la loi sur l’égalité professionnelle. Sous la menace d’une sanction, les entreprises comprendront rapidement où est leur intérêt.

Vous proposez d’agir sur les droits familiaux. Certes, comme l’a fait remarquer Mme la présidente, le système est complexe et les situations multiples. Mais si le principe est posé et qu’on a la volonté politique nécessaire, on trouvera des solutions. C’est un espoir pour ces générations nées avant les années soixante-dix, dont la situation m’inquiète beaucoup.

Enfin, le sort des salariés à temps partiel a toujours été l’une de mes grandes préoccupations. Comme je l’ai dit à la délégation, la loi sur la sécurisation du travail, prise après la conclusion de l’ANI, aurait pu aller plus loin en matière de temps partiel, notamment en faveur des femmes. Voilà pourquoi il me semble absolument nécessaire, dans cette loi sur les retraites, de s’intéresser au temps partiel.

Mme Cécile Untermaier. Madame la ministre, comme tout un chacun, j’assure des permanences dans ma circonscription. Nous y recevons des femmes d’exploitants agricoles ou d’artisans qui se trouvent dans des situations telles qu’on ne sait pas comment leur répondre. Nous rencontrons également des femmes qui dépendent de plusieurs régimes, qui ne connaissent pas ce que sera leur future retraite et qui constatent, au moment où elles s’arrêtent de travailler, que tel régime ou tel dispositif aurait été beaucoup plus intéressant. Pour que ces femmes ne soient pas surprises par le niveau de leur retraite ou par le mode de calcul, nous avons un gros effort d’information à faire. Il faut reconnaître aussi que c’est toujours la formule la moins favorable qui leur est appliquée.

Je voudrais par ailleurs vous alerter une nouvelle fois sur le travail dominical. Les lois adoptées en 2008 et 2009 sous la présidence de M. Sarkozy ont abouti à une libéralisation, notamment dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire. Ainsi, désormais, des femmes – qui sont majoritaires dans ces grandes surfaces – travaillent le dimanche au tarif de la semaine. C’est une régression pour ces salariées, aussi bien en termes de rémunération que de qualité de vie. Je compte donc sur notre ministre et sa détermination pour évoquer très sérieusement cette question qui concerne de nombreuses femmes – qui, en outre, travaillent le plus souvent à temps partiel.

Mme Martine Pinville. Madame la ministre, je voulais attirer votre attention sur les femmes âgées immigrées, qui sont arrivées par le biais du regroupement familial, avec un visa de tourisme, ou par d’autres moyens. Parmi elles, certaines ont travaillé, mais peu et sur de très courtes périodes. Elles ont une double peine : celle d’être femmes et celle d’être étrangères. C’est un sujet important, sur lequel nous devons nous pencher.

M. Sébastien Denaja. Madame la ministre, je vous ai entendu avec satisfaction rappeler que l’égalité entre les femmes et les hommes devait être un des objectifs de la réforme des retraites. En effet, cette dernière doit d’abord être une réforme de justice, une réforme pour l’égalité, avant même d’être une réforme comptable. Améliorer le sort des femmes au moment de la retraite est un enjeu positif et mobilisateur. Et, comme l’a rappelé notre collègue, la retraite est le premier sujet de préoccupation des personnes que nous recevons dans nos permanences.

Je voulais saluer également la prise en compte globale de la problématique. Il ne faut pas en en effet se limiter à la période des retraites. En amont de la retraite, il y a le travail des femmes. En aval, il y a la fiscalité applicable aux femmes retraitées. Avez-vous des éléments à nous communiquer sur ce dernier point ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Où en est-on de la suppression de la demi-part fiscale ? L’année dernière, j’avais tenté d’intervenir par amendement sur ce sujet, qui me tient à cœur. En effet, certaines personnes, en raison de cette suppression, peuvent devenir imposables et être soumises à de nouvelles charges dont elles étaient auparavant exonérées.

Mme Virginie Duby-Muller. Madame la ministre, je m’interroge sur le choix fait par François Hollande de prolonger la durée de cotisation plutôt que de reculer l’âge légal de la retraite. Cela pénalisera davantage les femmes qui ont le plus souvent des carrières incomplètes, et donc moins d’années de cotisation. Ne vaudrait-il pas mieux augmenter l’âge légal de départ à la retraite, en prenant en considération, par exemple, les années consacrées à l’éducation des enfants, lesquelles seraient ainsi davantage valorisées ?

Ensuite, j’ai l’impression qu’il y a une dichotomie entre votre discours, pétri de bonnes intentions – agir à la racine et réduire à la fois la situation de précarité des femmes et les inégalités professionnelles – et les mesures qui ont été récemment mises en œuvre par le Gouvernement. Le taux d’activité des femmes françaises est parmi les plus élevés et le taux de natalité est le plus important d’Europe. Or tout semble fait pour qu’elles préfèrent rester chez elles que de reprendre leur activité professionnelle : baisse du crédit d’impôt pour les emplois à domicile, durcissement des conditions d’attribution de la prestation d’accueil du jeune enfant – PAJE, révision du CLCA, baisse du quotient familial, suppression de la réduction d’impôt pour frais de scolarité.

Je me demande donc si l’on pourra continuer à réduire les disparités de pensions entre les femmes et les femmes, et atteindre l’objectif de faire disparaître cet écart de 20 % à l’horizon de 2040.

Mme Monique Orphé. La population de La Réunion est plus jeune que celle de l’hexagone. Nous avons 100 000 seniors, dont le niveau de retraite est très faible. 30 % touchent l’allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA – contre 7 % dans l’hexagone. Comment améliorer le salaire de référence ?

Certaines femmes arrivent à l’âge de la retraite complètement « cassées ». Celles qui travaillent dans les administrations publiques et les collectivités, dans les cantines ou les écoles maternelles, finissent par être atteintes de diverses pathologies comme les troubles musculosquelettiques – ou le diabète. Mais elles doivent attendre pour partir à la retraite parce qu’elles n’ont pas suffisamment de trimestres. Quand elles partent, elles ne touchent que la moitié de leur salaire. En fin de compte, elles ne gagnent pas plus qu’une personne qui n’aurait jamais travaillé. Ne pourrait-on pas améliorer le taux de liquidation ? Pourrait-on faire en sorte que ces femmes qui connaissent de graves difficultés de santé à 55 ou 60 ans, puissent partir et attendre de toucher une retraite à taux plein à 65 ans ?

Mme la ministre. Madame la présidente, vous vous demandiez si on allait vers une refonte complète des droits familiaux. Le rapport « Moreau » suggère leur remise à plat, avec création d’une majoration dès le premier enfant, et non plus à partir du troisième, comme c’est le cas pour l’actuelle bonification de pension. Plus précisément, le schéma qui est proposé s’organise autour de deux mécanismes : d’abord, un dispositif unique de compensation de la réduction d’activité pour enfants, qui serait issu d’une fusion de l’AVPF et de la MDA ; ensuite, la mise en place d’une majoration de pension, qui serait liée à l’accouchement ou à l’adoption, et qui serait issue de la refonte de la bonification de pension pour trois enfants et de la MDA.

La commission sur l’avenir des retraites a également envisagé d’autres schémas de réformes plus modestes. On pourrait se contenter, par exemple, de plafonner ou de forfaitiser la majoration de pension pour trois enfants, ou de mettre en place un dispositif de non-cumul entre l’AVPF ou la MDA. Plusieurs pistes ont été lancées.

Pour en avoir discuté, notamment avec Mme Yannick Moreau, je pense que le rapport n’a pas été suffisamment ambitieux en matière de refonte des droits familiaux. Il faut continuer à travailler sur le sujet. L’Institut des politiques publiques, qui est très avancé dans son travail, est arrivé au constat qu’une remise à plat vraiment ambitieuse des avantages familiaux pourrait permettre de réduire de six points l’écart de pension entre les femmes et les hommes, ce qui conforte mon point de vue.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Aura-t-on le temps de procéder à la refonte des droits familiaux dans le cadre de cette réforme, ou faudra-t-il remettre ce travail à plus tard ?

Mme la ministre. Je souhaite évidemment qu’on le fasse dans le cadre de cette réforme. Le rapport de l’IPP sera rendu public dans les jours qui viennent et sans doute pourrez-vous le recevoir dès la semaine prochaine. Vous serez donc à même de contribuer à ce travail. Madame la présidente, vous vous interrogiez sur le rôle du Parlement. Il est évident que vos propositions sur ce sujet sont très attendues.

Vous m’avez également demandé pourquoi on ne reviendrait pas sur le report à soixante-sept ans de l’âge de départ à la retraite. Que les choses soient claires : je partage l’idée que les mécanismes de décote de 2010 ont pénalisé les femmes. J’ai demandé à Mme Yannick Moreau pourquoi elle n’avait pas chiffré cette éventualité. Elle m’a répondu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments pour le faire. C’est un sujet que l’on peut en effet regarder de plus près, mais il m’est difficile de vous en dire plus aujourd’hui.

Ensuite, sur le temps partiel, j’avais discuté avec vous d’une mesure qui a été reprise par la commission sur l’avenir des retraites, et que je trouve intéressante : un salarié à temps partiel pourrait reporter d’une année sur l’autre les heures excédentaires qui n’ont pas donné lieu à validation de trimestres. Par exemple, une femme qui aurait cotisé 750 heures payées au SMIC validerait trois trimestres, donc trois fois 200 heures. Mais les 150 heures qui resteraient pourraient être reportées pour valider un autre trimestre. Cela augmenterait donc le nombre de trimestres validés.

Je pense qu’il faut aller dans le sens de cette proposition. Pour autant, cela ne résout pas le problème que vous avez été plusieurs à aborder : comment faire en sorte de rendre effective la possibilité laissée, par la loi, aux employeurs de surcotiser ? Nous pourrions au moins essayer d’obtenir que, dans les branches qui n’auraient pas conclu un accord sur les modalités d’organisation du temps partiel comme cela leur est imposé aujourd’hui par l’ANI, cette cotisation équivalent temps plein soit réclamée avec davantage de fermeté. Mais c’est le type de sujet qui sera abordé avec les partenaires sociaux. Nous y reviendrons après la conclusion de l’accord de demain, et je referai le point avec vous.

Mme Gueugneau s’est inquiétée des petites retraites. Là encore, le rapport « Moreau » fait des propositions intéressantes. On pourrait fixer une règle selon laquelle le montant minimal de la pension de retraite doit être équivalent à 85 % du SMIC pour les carrières complètes. C’est un point que l’on est en train d’étudier, car il faudra aussi s’intéresser aux carrières incomplètes. Ce serait une avancée intéressante.

S’agissant des services à la personne, vous avez tout à fait raison. Nous avons intérêt à ce qu’ils se développent, si ce n’est qu’ils créent par nature des emplois à temps partiel. Mais nous sortons là de la réforme des retraites. Quoi qu’il en soit, j’ai évoqué à plusieurs reprises cette question avec le Premier ministre. Je souhaite vivement que l’on s’attaque de façon ambitieuse au chantier des services à la personne et que l’on en étudie tous les aspects.

Les services à la personne libèrent certaines femmes : en déléguant un certain nombre de tâches domestiques, elles peuvent travailler. Mais nous devons nous préoccuper de ceux qui exercent ces tâches, et qui sont principalement des femmes. Or nous n’avons peut-être pas suffisamment travaillé sur la qualité de ces emplois – exercés souvent au domicile de l’employeur. L’un des réponses est la création de filières, mais aussi la professionnalisation des salariés. J’ai souhaité m’impliquer dans ce chantier des services à la personne, qui représentent un gisement d’emplois qu’il ne faut pas négliger. Vous en aurez des nouvelles assez prochainement.

Je pense avoir répondu à Mme Zimmermann à propos des droits familiaux. Et je suis d’accord avec elle : l’idéal serait d’aller plus loin que la loi de sécurisation de l’emploi, s’agissant du temps partiel.

Je répondrai à Mme Untermaier que le sujet des polypensionnés figure dans les priorités du rapport «Moreau». La logique proposée consisterait à créer une passerelle entre les règles du régime général et celles des régimes spéciaux. C’est un sujet essentiel, qui concerne très souvent des femmes. Mais nous n’en sommes encore qu’au stade de la réflexion.

Je lui répondrai également que le non-travail le dimanche doit rester la règle. Les conditions de travail et de rémunération qui sont faites aux femmes qui travaillent le dimanche, notamment dans les grandes surfaces, nous incitent à rester sur ce principe.

Mme Pinville m’a interrogée sur les femmes âgées immigrées. Nous étudions cette question dans le cadre des conventions bilatérales que nous réactualisons avec un certain nombre de pays concernés, notamment en Afrique du Nord. La question du statut et des conditions de vie des personnes âgées fait partie des sujets traités. Si vous le voulez, nous pourrons en reparler. J’aimerais que vous travailliez avec nous sur le sujet.

M. Denaja m’a interrogée sur la fiscalité appliquée aux veuves retraitées - la demi-part fiscale. Nous abordons ce sujet sous l’angle de la réduction de la pauvreté. Je vous l’ai dit, 700 000 femmes se trouvent sous le seuil de pauvreté, une fois arrivées à l’âge de la retraite. Mais la demi-part fiscale attribuée aux veuves peut aussi être considérée comme une niche fiscale. Nous allons nous en préoccuper.

Mme Gueugneau s’est inquiétée de la situation des conjoints collaborateurs. Il se trouve que la France a transposé la directive européenne de 2010, qui pose le principe d’égalité de traitement. Par ailleurs, certaines dispositions du futur projet de loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes concerneront les congés de maternité et paternité. Mais vous avez raison, la réforme des retraites devra également s’intéresser à ces conjoints collaborateurs. J’examinerai avec attention les propositions que vous pourrez faire sur ce sujet. En effet, je n’ai pas l’impression qu’il ait été abordé par le rapport «Moreau».

Madame Duby-Muller, vous voyez une contradiction entre le fait de chercher à remettre les femmes dans l’emploi et les mesures prises par le Gouvernement qui ne les inciteraient pas à retravailler.

Les mesures adoptées dans le cadre de la réforme de la politique familiale – à laquelle j’ai participé – visent à permettre aux femmes de concilier travail et vie personnelle. Celles que vous avez mises en avant comme, par exemple, la réduction du quotient familial, ne doivent pas en occulter d’autres, très importantes, comme la création de places de crèches, le doublement du complément familial ou la revalorisation de 25 % de l’allocation de soutien familial.

La réforme de la politique familiale répond à un objectif de solidarité avec les familles les plus en précarité, et de modernisation de notre politique familiale. Il s’agit, notamment, de prendre en compte le fait que les femmes travaillent - d’où la création de places de crèche.

Je reconnais, madame Orphé, qu’à La Réunion, la pauvreté est plus grande que dans l’hexagone et les enjeux bien spécifiques. M. Victorin Lurel sera présent, en tant que ministre des outre-mer, à la Grande conférence sociale, et il aura le privilège de pouvoir participer à différents ateliers. Ce sera pour lui l’occasion de porter les enjeux de La Réunion.

Mesdames et messieurs les députés, voilà ce que je pouvais vous répondre. Vous avez compris que de nombreuses questions sont encore à l’étude. Certes, l’exercice auquel nous nous sommes pliés aujourd’hui ne constitue qu’une étape. Mais il était important de réaffirmer nos objectifs et de poser ces questionnements pour pouvoir avancer. Nous verrons comment s’engagera la Grande conférence sociale, qui devrait se terminer à la fin du mois de septembre. Les suggestions que vous pourrez nous faire parvenir d’ici là seront les bienvenues.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame la ministre, nous apprécions beaucoup la manière dont vous avez engagé ce travail, dont nous serons les « coproducteurs ». Le rapport « Moreau » suggère la mise en place d’un comité de pilotage des retraites. Celui-ci pourra proposer des ajustements, ce qui est fort judicieux. En effet, les mesures que l’on prend en matière de retraites ont parfois des conséquences que l’on n’avait pas envisagées au départ.

Mes chers collègues, le message que nous devons adresser à nos concitoyens est que nous allons améliorer les retraites, particulièrement les plus faibles d’entre elles. Ceux qui le peuvent devront faire des efforts, mais il n’est pas question de toucher aux petites et très petites retraites. Certains le craignent pourtant.

Madame la Ministre, vous avez lancé un certain nombre de pistes. Je peux vous assurer que nous allons les étudier. Nous souhaitons vous revoir. Nous auditionnerons début juillet, comme vous l’avez suggéré, l’Institut des politiques publiques qui va remettre, à votre demande, un rapport sur les droits familiaux. Cette question est très importante, dans la mesure où les droits familiaux constituent une variable d’ajustement pour les retraites des femmes.

Audition de M. Antoine Bozio, président de l'Institut des politiques publiques (IPP), sur les enjeux de la réforme du système des retraites au regard de la situation des femmes.

Compte rendu de l’audition du mardi 9 juillet 2013

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Antoine Bozio, président de l’Institut des politiques publiques (IPP), à qui Mme Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, a demandé un rapport sur les droits familiaux. Publié en juin 2013, ce rapport s’intitule « Réformer le système de retraite : les droits familiaux et conjugaux ».

Aujourd’hui, la retraite moyenne des femmes est inférieure de 40 % à celle des hommes. Cette situation s’explique par les inégalités entre hommes et femmes en matière de salaires, avec un écart de 30 % en moyenne ; de carrière, en particulier avec l’arrivée des enfants et l’inégal partage des tâches familiales ; de qualification au travail, les femmes étant majoritaires dans les métiers non qualifiés ; et de la santé au travail enfin, car les femmes subissent davantage d’accidents du travail et de trajet domicile travail et sont plus nombreuses à exercer des métiers dont la pénibilité est invisible.

Malgré trois réformes des retraites – en 1993, 2003 et 2010 –, les retraites des femmes n’ont pas été améliorées.

La réforme de 1993 a prévu que les pensions devaient être calculées sur les 25 meilleures années pour les salariés du secteur privé. Or cette disposition est très préjudiciable aux femmes qui sont plus nombreuses à connaître des interruptions de carrière. La nécessité de valider 200 SMIC horaire par trimestre pénalise également les femmes qui travaillent à temps partiel.

La réforme de 2003 a créé la surcote et la décote. Or j’ai constaté que les femmes partent en général au moment de l’âge légal à la retraite quelle que soit la décote.

En 2008, à la suite d’une décision européenne de la Cour de justice des communautés européennes, la majoration de durée d’assurance a été partagée entre le père et la mère. Il a en outre été mis fin à la possibilité, pour les fonctionnaires ayant eu au moins trois enfants, de partir à la retraite après quinze ans de service.

Enfin, avec la réforme de 2010, la durée de cotisation est allongée et le taux plein est porté progressivement à soixante-sept ans, mesures qui lèsent encore plus les femmes. Je précise que taux plein signifie non pas retraite maximum, mais retraite sans décote.

Dans ce contexte, nous sommes conscients de la nécessité d’une réforme juste qui prenne en compte la situation des femmes. Les droits familiaux ont pour objet de remédier aux écarts de pension entre les femmes et les hommes en compensant les aléas de carrière liés à l’arrivée des enfants.

Je pense que nous devons nous battre avant tout pour que les femmes acquièrent de meilleurs droits directs. À l’heure actuelle, trois dispositifs principaux visent à compenser l’insuffisance des droits directs liée aux aléas de carrière : la bonification de pension pour trois enfants et plus, la majoration de durée d’assurance (MDA) et l’assurance vieillesse des parents aux foyers (AVPF). Dans votre rapport, monsieur Bozio, vous jugez le dispositif opaque, peu redistributif et inégalitaire. Vous proposez deux scénarios : soit des réaménagements, soit une refonte du dispositif. Vous présentez également des pistes pour améliorer les droits dérivés en faveur des femmes.

Notre ambition est d’améliorer le système de retraite actuel, profondément injuste puisque les petites retraites concernent essentiellement les femmes. Comment améliorer la situation de l’ensemble des femmes ? Celles qui vivent avec le minimum contributif, de 628,99 euros par mois ? Celles qui arriveront à la retraite dans une dizaine d’années et dont la carrière a souvent été interrompue avec l’arrivée des enfants ? Et les jeunes générations qui connaissent le plafond de verre, les carrières incomplètes et le temps partiel ?

M. Antoine Bozio, président de l’Institut des politiques publiques (IPP). L’essentiel des propositions chiffrées de notre rapport concerne les droits familiaux. Nous avons néanmoins formulé des propositions généralistes pour les droits conjugaux.

Les droits familiaux sont des droits propres ; les droits conjugaux sont des droits dérivés du conjoint. Cette différenciation est importante dans le contexte actuel où il semble souhaitable de passer d’un système où l’essentiel des pensions des femmes est assuré par des droits dérivés, à un système leur permettant d’acquérir des droits propres grâce à la fois à leur carrière professionnelle et aux droits non contributifs.

Il est important de garder à l’esprit que les pouvoirs publics doivent arbitrer entre des actions visant à corriger les inégalités sur le marché du travail et des actions visant simplement à compenser les inégalités. En effet, se contenter de compenser des inégalités existantes risquerait de les maintenir, alors que le premier objectif de long terme est de s’attacher à les réduire au moment de leur formation. À titre d’exemple, si les dispositifs de congés parentaux permettent de compenser les inégalités hommes femmes, ils ont aussi comme effet de maintenir les femmes dans ce rôle d’appoint et de ne pas les encourager dans la poursuite de leur carrière.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certes, mais les inégalités ne seront toujours pas résorbées en 2040, si on ne se montre pas plus volontariste.

M. Antoine Bozio. Il n’en reste pas moins qu’un arbitrage budgétaire doit être effectué.

Les droits familiaux de retraite sont de trois ordres.

Le premier est la bonification de pension pour trois enfants et plus. Le taux de majoration est de 10 % pour les parents. Plusieurs réformes ont conduit à l’homogénéisation du dispositif dans le secteur privé pour atteindre ce taux. Dans la fonction publique, la majoration est de 10 % pour le troisième enfant, puis de 5 % par enfant supplémentaire. Le montant budgétaire annuel de ce mécanisme est très important, de l’ordre de 5 à 6 milliards d’euros. Néanmoins, il ne réduit pas les inégalités de pension hommes femmes, puisque les hommes ont des pensions supérieures aux femmes, et il ne compense pas les aléas de carrière liés à la présence des enfants. En outre, les raisons fréquemment invoquées pour ce genre de dispositif, en particulier encourager la fécondité, ne sont pas fondées.

Le deuxième dispositif est la majoration de durée d’assurance (MDA). Il consiste à créditer des trimestres d’assurance à la mère, au moment de l’accouchement, et des trimestres pour éducation, par défaut octroyés à la mère, sauf si le père peut justifier d’avoir pris en charge majoritairement les aléas de carrière liés à l’éducation des enfants.

Rappelons que le calcul de la pension prend en compte à la fois le salaire de référence ou salaire moyen annuel (SAM), qui détermine le niveau de pension, et les trimestres d’assurance qui permettent de déterminer le taux – application de la décote ou pas – sur le salaire de référence. Les trimestres rajoutés ne serviront qu’aux femmes qui ont besoin des trimestres d’assurance. Par conséquent, la formule du système actuel donne une pension qui dépend soit de la distance minimale par rapport à l’âge d’annulation de la décote, soit de la distance entre la durée d’assurance cotisée et la durée d’assurance requise. Autrement dit, une femme bénéficiera du taux plein si elle a soixante-sept ans ou si elle a la durée d’assurance requise. Et une femme qui a une faible durée d’assurance sera de toute façon touchée par l’âge : si elle a, par exemple, plus de cinq ans de distance avec la durée d’assurance, rajouter des durées d’assurance ne changera rien, car c’est l’âge qui compte. Or une grande partie des femmes est dans ce cas. Ainsi, les MDA tendent à sous-compenser les carrières avec interruptions et faibles SAM, et les carrières très longues sans interruption.

Un deuxième groupe de femmes bénéficie très peu des majorations de durée d’assurance : ce sont celles qui ont eu des carrières complètes, mais avec des temps partiels. La MDA leur ajoute beaucoup de trimestres supplémentaires, mais ils ne sont pas utiles. Et la prise en compte des temps partiels, qui correspondent par nature à des salaires peu élevés, va jouer dans le calcul du salaire de référence et pénaliser ces femmes.

Au final, ces droits ne permettent pas d’améliorer le niveau de pension d’une partie importante de femmes – le rapport du COR évoque des droits qui ne sont pas utiles. Le dispositif des majorations de durée d’assurance, en ne compensant que pour des trimestres de durée d’assurance, et pas pour les salaires portés au compte qui rentrent dans le calcul du salaire annuel moyen, n’atteint pas ses objectifs.

Dans la mesure où ces différents dispositifs du système de retraite actuel ne permettent pas d’améliorer les pensions des femmes, quelles modifications peuvent être envisagées ?

Une première solution, proposée par le COR et le rapport «Moreau», est de forfaitiser la bonification pour enfants. Néanmoins, dans la mesure où le même montant par enfant est attribué aux hommes et aux femmes, le mécanisme ne réduira pas significativement les inégalités de pension entre hommes et femmes.

Mme Barbara Romagnan. Les inégalités seront tout de même moins importantes.

M. Antoine Bozio. Absolument. On peut même imaginer de supprimer les bonifications pour enfant, ce qui permettrait d’utiliser 5 milliards pour d’autres dispositifs.

Si les différences de participation au marché du travail entre hommes et femmes ont tendance à se réduire, les projections montrent que les inégalités salariales entre hommes et femmes vont se maintenir. Par conséquent, un dispositif qui ne toucherait que la durée d’assurance serait insuffisant.

Nous proposons donc de remplacer les deux dispositifs existants par des majorations en fonction du nombre d’enfants qui prennent en compte l’effet MDA et la perte subie au niveau du salaire. Il s’agirait donc d’une majoration de pension par enfant dégressive en fonction du niveau de la pension, car il faut davantage compenser les petites retraites des femmes ayant subi des interruptions de carrière, mais sans pénaliser les autres femmes. Un tel mécanisme ne serait donc pas incitatif au retrait d’activité. Notre rapport présente des graphiques avec plusieurs types de barème.

En définitive, ce dispositif utilisera les crédits budgétaires des bonifications de pension et des MDA pour les rendre plus efficaces en réduisant les inégalités de pension hommes-femme. Il permettra aussi de réduire les inégalités dans la population féminine entre les différents niveaux de pension. Évidemment, la pente du barème peut être modulée en fonction du niveau budgétaire choisi, du niveau de dégressivité, etc.

Ce qui est important à mon sens est que ce dispositif ne tombe pas dans le piège des modifications soit de durée d’assurance, soit du calcul du salaire de référence. En intervenant à la fin du calcul de la pension, il permet de rajouter une bonification de pension pour chaque femme et chaque enfant : c’est à mon sens la condition pour qu’il soit utile à la réduction des inégalités de pension entre hommes et femmes.

Les droits conjugaux dans le système de retraite français sont l’ensemble des droits dits « dérivés », c’est-à-dire essentiellement les pensions de réversion en cas de décès et les pensions de réversion en cas de divorce.

Dans un monde idéal, les femmes devraient plutôt avoir des droits propres. Néanmoins, les dispositifs des droits dérivés ne peuvent pas être supprimés du jour au lendemain. Un objectif envisageable serait donc de renforcer progressivement les droits propres des femmes.

Dans la mesure où les femmes survivent plus souvent à leur mari, un objectif possible serait d’assurer le risque veuvage en maintenant le niveau de vie du conjoint survivant. Le système actuel permet de maintenir en moyenne le niveau de vie des veuves, mais cette moyenne cache des disparités avec des effets soit de surcompensation, c’est-à-dire que des femmes se retrouvent avec un niveau de vie plus élevé qu’avant le décès de leur conjoint, soit des pertes sensibles de niveau de vie. Cette hétérogénéité est peu justifiable.

Sans proposer de chiffrage, nous préconisons des pensions de réversion à un taux des deux tiers couplé avec un plafond de ressources dégressif en fonction de la pension. En prenant en compte la composition des revenus du ménage, ce mécanisme permettrait de maintenir le niveau de vie – et non les droits d’un point de vue matrimonial.

Dans le système actuel, les pensions de réversion ne sont offertes qu’aux personnes mariées, ce qui signifie qu’elles sont financées par la collectivité, c’est-à-dire par les couples en union libre ou pacsés. Or un objectif de maintien du niveau de vie et du risque veuvage devrait pouvoir être étendu à tous les types d’union.

Le système actuel des pensions de réversion en cas de divorce est inadéquat, car ces dernières dépendent du parcours marital de l’ex-conjoint et ne permettent pas de protéger les femmes divorcées.

Selon nous, la solution la plus efficace est le partage des droits à la retraite. Au moment du divorce, les droits acquis pendant la durée du mariage devraient être partagés entre les conjoints pour créditer à la femme des droits propres. Une fois crédités, ces droits resteraient acquis au moment du décès du conjoint.

Le partage des droits existe dans la plupart des autres pays d’Europe. Néanmoins, sa mise en œuvre semble difficile dans le système français, caractérisé par de très nombreuses non-linéarités. Au contraire, dans les régimes complémentaires en points, par exemple, il suffit de partager les points du couple.

Une autre solution pour le partage des droits est la prise en compte, au moment de la fixation de la prestation compensatoire, des droits à la retraite. En effet, la législation actuelle prévoit que, pour fixer la prestation compensatoire, le juge prend en compte notamment la situation respective des époux en matière de pensions de retraite. Mais cela suppose que le juge comprenne la complexité de notre système de retraite actuel.

M. Christophe Sirugue. Pour le partage des droits en cas de divorce, l’estimation sera plus compliquée si le couple se sépare au bout de quatre ans plutôt qu’au bout de vingt ou trente ans de mariage. En outre, les 25 meilleures années pour le calcul du salaire de référence dans le régime général peuvent s’être déroulées au début, au milieu ou à la fin du parcours professionnel du mari : des personnes peuvent avoir eu un très bon salaire en début de carrière, avant d’être licenciées et de retrouver un emploi avec un salaire inférieur en fin de parcours professionnel.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Depuis 2000, le juge peut en effet tenir compte des droits à la retraite du mari pour fixer la prestation compensatoire. Cette possibilité est peu connue.

M. Antoine Bozio. Si le divorce intervient en début de carrière, les droits à la retraite peuvent être partagés, c’est-à-dire que des salaires sont crédités sur le compte de la femme à la CNAV. Mais étant donné le caractère non linéaire du système français, le risque est que ce mécanisme se traduise par un surcoût pour la collectivité.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le partage des droits est appliqué en Allemagne, au Canada, en Suisse, au Royaume-Uni.

M. Antoine Bozio. Dans les années soixante-dix, la France a fait le choix bizarre d’instaurer des pensions de réversion en cas de divorce, alors que la plupart des pays voisins s’orientaient vers le partage des droits. Certes, les autres pays ont souvent des dispositifs plus linéaires que le nôtre, avec la prise en compte des carrières plus longues et des systèmes à points, ce qui facilite le crédit de droits à n’importe quel moment de la carrière. Je suis bien conscient qu’il n’est pas évident de mettre en place le partage des droits dans notre pays, mais ce n’est pas une raison pour maintenir un dispositif bizarroïde ne permettant pas d’atteindre l’objectif initial. Rien ne dit que nous ne pourrions pas nous-mêmes instaurer le partage des droits au moment de la retraite et créditer aux femmes, au moment de leur divorce, des droits qui dépendent de leur durée de mariage. Laisser au seul juge la possibilité d’en décider ne permettra certainement pas d’atteindre cet objectif, étant donné la complexité de notre système de retraite actuel.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Selon vous, la réforme de la majoration pour trois enfants et plus, dispositif injuste et non redistributif, aurait l’avantage d’accorder une bonification de pension dès le premier enfant, ce qui permettrait d’améliorer les petites retraites des familles monoparentales. Comme vous, je ne suis pas convaincue que le système actuel favorise le taux de fécondité dans notre pays.

Pour la majoration de durée d’assurance, il s’agirait, si j’ai bien compris, de jouer sur la durée de cotisation et sur l’âge de la retraite pour le taux plein. L’objectif est que les femmes aient des durées de cotisations suffisantes et puissent avoir le taux plein à l’âge de soixante-sept ans si elles n’ont pas obtenu suffisamment de trimestres.

M. Antoine Bozio. Oui et non : pour une partie des femmes qui ont de faibles durées d’assurance, le taux plein ne dépend pas de la durée d’assurance requise. Fixer à soixante-dix ans la durée requise d’assurance ne changera rien pour ces femmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le taux plein ne signifie pas une retraite pleine. Le taux plein signifie que la femme ne se voit pas appliquer une décote par rapport aux droits qu’elle a acquis. C’est pourquoi nous étions contre l’âge de départ à soixante-sept ans lors de la réforme de 2010.

M. Antoine Bozio. La pension est égale au produit d’un taux appliqué sur le salaire de référence. Pour avoir une retraite complète, il faut avoir des salaires de référence sur au moins vingt-cinq années et pouvoir bénéficier du taux plein grâce à l’âge, soixante-sept ans, ou grâce à la durée d’assurance. En cas de durée d’assurance trop faible, le taux qui est multiplié au salaire de référence dépendra uniquement de l’âge.

Mme Sophie Dessus. Pourriez-vous nous donner un exemple ?

M. Antoine Bozio. Prenons l’exemple d’une femme de soixante-deux ans avec 100 trimestres de cotisations. Sa distance à la durée requise de cotisations (164 – 100 = 64) est beaucoup plus importante que sa distance entre soixante-sept ans et soixante-deux (cinq ans). Par conséquent, des trimestres d’assurance supplémentaires ne l’aideront jamais à avoir le taux plein. Elle aura le taux plein à soixante-sept ans, mais rajouter dix trimestres de cotisations ne changera rien puisque sa distance à la durée d’assurance requise est trop éloignée. Ainsi, donner des MDA à des femmes qui ont eu des interruptions de carrière assez longues n’améliora pas leur pension quel que soit leur âge !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les femmes qui ont eu des carrières discontinues partent à la retraite au moment où elles le peuvent puisque de toute façon elles ne pourront pas acquérir plus de droits à la retraite. C’est bien cela ?

M. Antoine Bozio. Aujourd’hui, le pic des départs à la retraite à soixante-cinq ans concerne surtout les femmes pour la raison que je viens d’expliquer. Et il est probable qu’une grande partie des femmes sera concernée par le pic à soixante-sept ans. Pour ces femmes, la première contrainte n’est pas la durée d’assurance, c’est l’âge pour le taux de liquidation.

La contrainte des salaires va toucher l’ensemble des femmes, y compris celles qui seront soumises à la contrainte de la durée d’assurance, qui subiront à la fois l’effet de la décote et l’effet salaires. Mais les femmes qui ont de faibles durées d’assurance seront essentiellement soumises aux bornes d’âge et aux salaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Un grand nombre de femmes qui travaillent à temps partiel ne parviennent pas à valider suffisamment d’heures sur un trimestre – soit 200 heures SMIC minimum pour un trimestre. Autrement dit, elles cotisent à la retraite, mais n’en tireront aucun bénéfice. Il y a également le cas des femmes pour lesquelles la prise en compte des 25 meilleures années ne les avantage pas du fait des aléas de carrière.

Le Sénat avait proposé de retenir les 100 meilleurs trimestres plutôt que les 25 meilleures années. Avez-vous fait des simulations et pensez-vous que cette solution améliorerait sensiblement les pensions des femmes ?

M. Antoine Bozio. Sur ce point, nous n’avons pas fait de simulation. Je ne suis pas sûr que cette piste améliorerait significativement les pensions des femmes.

Depuis la réforme de 1993, le salaire de référence calculé sur les 25 meilleures années est pondéré par l’inflation. Ainsi, pour les carrières à trous, prendre en compte les 25 meilleures années très éloignées n’améliore pas les pensions des femmes car les salaires correspondant étant mal revalorisés, ils pèseront très peu même s’ils n’étaient pas si mauvais à l’époque. Un salaire en 1990 vaudra donc moins qu’un salaire de 2013. De ce fait, les femmes dont les carrières sont discontinues, et elles sont nombreuses, sont là encore pénalisées. C’est un gros problème de nos systèmes de retraite : leur ajustement par la désindexation des salaires portés au compte engendre des effets redistributifs non contrôlés qui vont plutôt dans le sens inverse de l’objectif recherché.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En définitive, notre système de retraite convient davantage aux hommes, qui ont des carrières linéaires et longues. Et il pénalise les femmes, plus nombreuses à travailler à temps partiel et à avoir des carrières non linéaires. Le problème est de trouver les bons mécanismes qui compensent ces inégalités.

M. Antoine Bozio. Je prends l’exemple de ma belle-mère, infirmière dans le secteur privé au début de sa carrière, puis fonctionnaire. Son niveau de retraite à la CNAV baisse au fur et à mesure de son âge de liquidation car ses salaires de début de carrière portés au compte sont très éloignés et valent de moins en moins.

Ainsi, pour une carrière complète, les 25 meilleures années correspondent aux derniers salaires, mais pour une carrière à trous, les 25 meilleures années correspondent aux premiers salaires qui valent de moins en moins. Finalement, le mécanisme d’ajustement ne joue pas son rôle.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les effets se faisaient moins sentir lorsque le salaire de référence était calculé sur les dix meilleures années.

M. Antoine Bozio. Sauf que le système en vigueur avant la réforme de 1993 avantageait les salariés qui finissaient leur carrière avec dix années croissantes, mais pénalisait les carrières longues au niveau du SMIC.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Un grand nombre de femmes découvrent le niveau de leur pension au moment où elles prennent leur retraite. La réforme de 2010 avait prévu une information à l’intention des assurés sur les éléments de carrière. Nous souhaiterions rajouter une telle disposition pour le temps partiel, qui n’est pas toujours choisi, afin de permettre aux femmes d’en connaître les conséquences sur le niveau de leur pension. Au demeurant, chaque cas est un cas particulier.

M. Antoine Bozio. Le système de retraite français est d’une telle complexité que je ne peux pas vous indiquer l’impact d’une mesure sans avoir au préalable fait tourner un ordinateur. À cause de cette complexité, on est incapable à l’heure actuelle de garantir aux salariés la transparence de leurs droits. Certes, il est nécessaire d’apporter davantage d’informations, mais il est surtout primordial de concevoir un système beaucoup plus transparent sur les droits acquis par les bénéficiaires, droits qui doivent être garantis quel que soit leur parcours professionnel.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il existe 35 régimes de retraite en France, ce qui est une vraie difficulté pour nous, législateur, car, comme vous venez de le démontrer, les mécanismes existants ne sont pas toujours justes pour les femmes. Ainsi il m’a été soumis le cas d’une femme qui a arrêté de travailler pour s’occuper de ses trois enfants et de ceux de son mari, nés d’un premier mariage, dont la première épouse va toucher l’essentiel des droits sans s’être jamais occupée de ses propres enfants.

La situation est toujours aussi problématique pour les femmes qui, je le rappelle, assurent encore 80 % des tâches domestiques au sein du couple et sont plus nombreuses à s’arrêter de travailler pour s’occuper des enfants. Notre objectif est donc de prendre des mesures de rééquilibrage et de justice en leur faveur.

Merci beaucoup, monsieur Bozio, pour tous ces éclaircissements.

Audition de Mme Yannick Moreau, présidente de la Commission pour l'avenir des retraites

Compte rendu de l’audition du mercredi 18 septembre 2013

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous accueillons aujourd’hui Mme Yannick Moreau, présidente de section au Conseil d’État, qui a dirigé les travaux de la commission pour l’avenir des retraites instituée par le Premier ministre en février dernier. Cette commission a rendu son rapport en juin ; nous savons que ses travaux ont servi de base à la réforme des retraites que notre assemblée examine actuellement.

Je rappelle que la Délégation a auditionné en mai M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Comité d’orientation des retraites, et en juin M. Antoine Bozio, président de l’Institut des politiques publiques.

J’ai lu intégralement le rapport, que je trouve remarquable et dont j’ai apprécié les analyses et les propositions. Je regrette peut-être que les retraites des femmes n’aient pas fait l’objet de développements plus longs et de propositions particulières. J’ai noté l’ambition d’une plus grande équité dans l’acquisition des droits, de la solidarité vis-à-vis des jeunes et de ceux qui ont connu des aléas de carrière, ainsi que l’objectif d’une simplification des procédures pour les assurés. Les pistes de réforme des droits familiaux que vous avez présentées sont aussi très utiles.

Notre préoccupation est, comme vous l’aurez compris, l’amélioration de la situation des femmes au moment de la retraite. Je résume brièvement notre constat : les réformes successives ont plutôt aggravé la situation des femmes (notamment le report de l’âge du taux plein à 67 ans) ; les allocataires du minimum vieillesse sont majoritairement des femmes ; seulement 47 % des femmes ont effectué une carrière complète contre 81 % des hommes, et les femmes sont davantage touchées par les conséquences du report à 67 ans de l’âge du taux plein.

Les projections faites par le Conseil d’orientation des retraites (COR) montrent que le rattrapage de la situation des femmes demandera encore beaucoup de temps si l’on n’agit pas par des mesures volontaristes.

Il faut, d’une part, corriger les aléas de carrière des femmes et, d’autre part, constatant que les femmes ont des retraites beaucoup plus basses que les hommes, rétablir une équité. Je souhaiterais que vous nous indiquiez ce qui, dans le projet de loi portant réforme des retraites, est favorable aux femmes, ce qui va améliorer leur situation à court ou à moyen terme. Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur l’impact de ce qui est proposé ?

J’ajoute trois questions encore. L’abaissement à 150 heures du nombre d’heures SMIC prises en compte pour la validation d’un trimestre d’assurance vieillesse est une bonne mesure pour les femmes. Cependant, je crains que les modalités d’application n’en diffèrent beaucoup l’impact. Je souhaiterais qu’elle ait un effet plus rapidement sur la situation des femmes.

La commission a travaillé sur l’objectif de convergence des régimes, convergence souhaitée, d’après les enquêtes, par les Français. Il m’a semblé que, dans votre rapport, l’un des moyens principaux d’établir le rapprochement entre régimes passe par la refonte des droits familiaux. Si la convergence est souhaitable, quels en sont les principaux leviers ?

Nous prenons acte de la création d’un nouveau dispositif relatif à la pénibilité. Parmi les emplois majoritairement occupés par les femmes, certains comportent des éléments de pénibilité qui ne sont pas pris en compte dans les fiches « pénibilité » élaborées à la suite de la loi de 2010. La notion de pénibilité profite plus aux hommes qu’aux femmes. Comment faire en sorte que le compte pénibilité prenne vraiment en compte des postes majoritairement occupés par des femmes, comme dans le secteur de l’aide à la personne ou de la santé par exemple ?

Mme Yannick Moreau. Je dois dire en introduction que le débat sur les retraites a beaucoup évolué. Je reconnais que la question des femmes, qui n’a pas été ignorée par le passé – il y avait en effet la prise en compte de la situation des « veuves pauvres » – mais qui était traitée comme une question un peu cantonnée, a pris aujourd’hui la place qu’elle devait avoir, et notamment au regard des inégalités entre les sexes. Mais il faut garder beaucoup de réalisme et de précision dans l’analyse des dossiers à traiter. Une plus grande présence des femmes au sein du COR serait bien sûr souhaitable pour que les travaux de ce conseil soient plus sensibles à la question des inégalités.

Le sujet de l’égalité hommes-femmes est bien traité dans les rapports du Conseil d’orientation des retraites. Il y a encore d’autres travaux bien documentés, comme ceux de la DREES, ou ceux de Mme Carole Bonnet par exemple.

Au moment de la liquidation de la retraite, il existe un écart important d’environ 30 % au détriment des femmes. Si l’écart de situation était plus important dans le passé, il entrait toutefois en jeu un élément sociologique plus prégnant : il y avait plus de mariages et moins de divorces. Non seulement les femmes bénéficiaient donc indirectement des revenus de la retraite de leur mari, mais les droits de réversion étaient également dus à la mort de ce dernier.

Aujourd’hui, on constate que les droits propres des femmes s’améliorent et que les durées d’assurance convergent. En projection, elles pourraient devenir identiques, voire même un peu surcompensées, avec le jeu des majorations de durée d’assurance et de l’assurance vieillesse du parent au foyer (AVPF). Mais les niveaux de salaires ne sont pas encore égaux, et les enfants sont souvent à l’origine, pour les femmes, de périodes de travail à temps partiel. Il y a donc à la fois un problème au niveau du marché du travail, et un problème dans la répartition des rôles dans le couple en ce qui concerne les tâches accomplies au foyer.

Si les femmes mariées bénéficient d’une bonne couverture sociale par les pensions de réversion, à terme, il peut y avoir une inquiétude pour les femmes célibataires et les femmes divorcées. Le problème des femmes se modifie donc au cours du temps dans les deux sens, positif et négatif. Il faut considérer tous les aspects de la question.

Il faut en effet regarder plus franchement certaines évolutions de la société. Les femmes se considèrent aujourd’hui plus libres, mais les situations de couples qui résultent de cette liberté ne leur sont pas favorables. L’éventualité du mariage est souvent aujourd’hui considérée comme « pas digne » ; pour certaines, ce n’est guère envisageable. On parle beaucoup de la liberté du couple ; il y a donc davantage de choix de vies, mais qui ne favorisent pas les femmes. Au-delà du court terme, il faudrait donc réfléchir à ce que les droits familiaux et les pensions de réversion soient équitables et que les couples soient bien informés.

L’exemple des pensions de réversion est typique : dans une espèce d’inconscience collective, le taux de mariage a considérablement baissé, en conséquence c’est le droit à la réversion et la protection des femmes, qui diminuent. Il y a en outre beaucoup de séparations : les couples ont donc de fortes chances d’être séparés au moment du décès de l’époux.

Pour réfléchir d’une manière plus précise et consciente à l’accompagnement de cette évolution, les femmes devraient être beaucoup plus présentes dans les instances qui traitent ces problèmes comme le COR.

Je vais préciser quelle a été notre logique en traitant la question des avantages familiaux.

Nous avons d’abord constaté que l’on ne pouvait toucher ni au marché du travail, ni lancer une politique d’information des couples pour orienter leurs choix !

Le sujet du rapprochement des régimes est une question d’intérêt national, et très difficile, car chacun est attaché à sa particularité, et les catégories sont persuadées de bénéficier du meilleur régime.

En revanche, d’autres sujets ne font pas l’objet de blocages a priori : la question des droits familiaux et celle des réversions. Pour ces deux éléments, le rapprochement est souhaité par les citoyens et les syndicats. La culture « prestations familiales », égalitaire, prédomine et la compréhension du rapprochement comme progrès de justice et de lisibilité existe. Nous avons considéré préférable de commencer par ce qui apporte de la cohésion, ce qui peut remporter une large adhésion. C’est pourquoi nous avons ouvert cette piste de travail et conçu une réforme, qui ne touchait cependant pas tous les avantages familiaux. Nous avons beaucoup travaillé mais la complexité intrinsèque de ces dossiers a fait que le Gouvernement a préféré prendre plus de temps pour commencer ces réformes.

La réforme des droits familiaux nous paraissait être la seule mesure qui nous permettrait de donner spécifiquement un avantage aux femmes à raison de la maternité. L’avantage obtenu selon notre projection aurait pu être d’environ 70 euros et non 15 euros. Ce chantier sera rouvert, et il faut que des femmes y soient présentes.

Je souhaiterais qu’on procède à une réforme des pensions de réversion sans trop tarder, car les jeunes aujourd’hui ne connaissent pas bien les conséquences des choix qu’ils font. Tout est très compliqué. S’il y avait un régime unique de réversion, les jeunes couples connaîtraient les conséquences de leurs choix : il faut une lisibilité.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les pensions de réversion sont un sujet complexe, comme vous l’avez dit, et bien souvent les personnes ne savent pas si elles peuvent en bénéficier ou pas. Concernant la réforme des droits familiaux, je crois qu’il ne faut pas considérer les mesures individuellement. Si on prenait l’hypothèse de la réorientation de la seule bonification de 10 % pour enfants, qui représente globalement un montant considérable, vers une aide forfaitaire par enfant, cela ne ferait que 15 euros par enfant et par femme, soit une somme ridicule. On peut comprendre que le Gouvernement ait hésité à remplacer les bonifications par enfant par un tel dispositif ! Il faudra reprendre la réflexion, et le Gouvernement a annoncé un rapport en juillet 2014 sur ce thème.

Il est vrai que personne ne comprend rien aux pensions de réversion, les jeunes en particulier sont perdus et il faut clarifier ce sujet. Mais je crois qu’il faut garder à l’esprit l’idée de privilégier les droits directs des femmes.

Mme Yannick Moreau. Bien sûr, mais il faudra du temps pour aboutir à ce que les femmes bénéficient de droits directs à hauteur de ce qu’elles obtiennent avec la pension de réversion, d’où l’idée de poursuivre les réformes pour promouvoir des mesures d’équité ; néanmoins il faut réellement se donner le temps d’une réflexion approfondie.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certaines associations que j’ai reçues sont favorables à une réforme du quotient conjugal, cela ferait-il un changement important ? Chacun aurait une déclaration de revenus séparée. Y aurait-il un impact sur les retraites des femmes ?

Mme Yannick Moreau. Je ne connais pas bien ce sujet, d’une grande importance et d’une grande sensibilité. Cela n’aurait pas de conséquences directes sur la retraite, mais sur les conséquences du travail sur l’impôt, et il y aurait probablement un encouragement au travail des femmes. En cas d’imposition séparée, l’un des conjoints, souvent le mari actuellement, serait davantage imposé et la femme ne payerait pas d’impôt, ou peu, et n’atténuerait pas le niveau d’impôt sur le revenu du mari. Ce serait une incitation au travail du conjoint qui actuellement ne travaille pas ou peu, et il y aurait une valorisation de son travail. Il est vrai qu’il y a aujourd’hui une forme de subvention fiscale au non-travail des femmes, avec aussi l’affiliation à l’assurance maladie automatique du conjoint qui ne travaille pas. La différence en termes de montant de l’impôt pour le couple serait importante. La présence d’un conjoint, généralement la femme, à la maison, fait beaucoup d’économie et fait incontestablement progresser le niveau de vie du couple. Il faudrait examiner en fait la situation faite au travail de chacune des deux personnes dans un couple. Les questions de fiscalité et de retraites sont généralement traitées séparément et il faut avouer qu’une réforme du quotient conjugal est politiquement très difficile…

Mme Édith Gueugneau. Il y a des avancées dans le projet de loi sur les retraites. La question des inégalités est maintenant traitée par le ministère des Droits des femmes, dans un contexte très favorable. Les femmes, souvent à temps partiel, touchent de faibles retraites. Il faut développer les temps complets pour réduire les temps partiels contraints des femmes, et les retombées sur la retraite seront alors réelles. Concernant la pénibilité, comment les critères seront-ils attribués aux postes ? Les caissières de grande surface par exemple seront-elles concernées ?

Mme Yannick Moreau. Le sujet de la pénibilité était évoqué avant les années 1981 82, puis a été un peu oublié et est ressorti lorsque l’on a évoqué le rapprochement des régimes de retraites et la durée de cotisation tous régimes. Pour aller vers ce rapprochement qui est apparu inévitable, il fallait prendre en compte les carrières longues et les situations de travail pénibles qui ont des conséquences mesurables sur l’espérance de vie ou les conditions de vie à la retraite. Lorsque j’étais présidente du Conseil d’orientation des retraites, nous avons travaillé sur cette notion. Plusieurs rapports de qualité ont été réalisés sur ce sujet : le rapport d’Yves Struillou en 2003, le rapport de Gérard Lasfargues en 2005 et le rapport de Serge Volkoff en 2006, que vous pourriez consulter sur la pénibilité de tel ou tel métier.

Les partenaires sociaux ont entamé des négociations sur le sujet : les négociations ont échoué mais il y a eu un accord sur les catégories de métiers pénibles et les critères à retenir. Il s’agissait d’une reconnaissance scientifique et sociale de la pénibilité.

Lors de la réforme des retraites de 2010, le Gouvernement, soumis à une très forte pression au sujet de la pénibilité, a prévu un dispositif qu’il a inscrit dans la loi. Le dispositif proposé aujourd’hui ne constitue pas une rupture par rapport au précédent et repose toujours sur les dix critères de la pénibilité inscrits dans le code du travail en 2010. Les fiches d’exposition aux risques que devront établir les entreprises se basent sur les mêmes catégories.

Historiquement, beaucoup de métiers ayant des conséquences négatives sur l’espérance de vie et la qualité de vie à la retraite étaient exercés par des hommes. Le rapport de M. Volkoff n’a pas constaté une sous-évaluation de la pénibilité des emplois majoritairement occupés par les femmes. Il peut y avoir des biais, bien sûr, car jusqu’à présent, les personnes qui rédigent les textes réglementaires relatifs à la pénibilité sont des hommes, d’où la réflexion que je faisais plus haut.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La pénibilité se mesure à l’espérance de vie et aussi à l’espérance de vie en bonne santé. Le rapport effectué à la demande du Médiateur de la République, intitulé « Comparer les emplois : de nouvelles pistes vers l’égalité salariale entre les femmes et les hommes », a bien souligné que le monde du travail a été codifié par des hommes et que de ce fait, par exemple, de nombreux emplois considérés comme féminins sont assortis de salaires faibles alors qu’ils supposent autant de qualités professionnelles, de responsabilité ou de stress que des métiers « masculins » traditionnellement mieux rémunérés. Ce rapport souligne qu’il faut aller vers le respect d’un principe « à travail de valeur égale, salaire égal ».

Les chercheurs de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) constatent une progression des accidents de travail chez les femmes au cours des dix dernières années. Les femmes sont également davantage victimes d’accidents de transport vers le travail ou d’un poste vers l’autre, ce qui montre le développement du cumul de postes à temps partiel ou très partiel ou des horaires hachés. Il est donc très important d’y accorder une plus grande importance et de formuler des propositions sur ce sujet.

Je confirme vos paroles en ce qui concerne le changement d’atmosphère à l’égard de la prise en considération des inégalités de retraite entre les femmes et les hommes : c’est devenu un sujet de société. Je ne suis pas personnellement pas défavorable à l’allongement de la durée de cotisation, mais je n’approuve pas le système de décote en cas de départ à la retraite à 65 ans : les femmes, comme nous le savons, valident des carrières plus courtes. L’exigence à leur égard est donc accrue par rapport aux hommes. Si leur état de santé les empêche de travailler jusqu’à 67 ans, elles subiront cette décote, système qui ne va certes pas dans le sens de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes.

J’aurais aimé connaître le coût du rétablissement de l’âge de départ au taux plein à 65 ans. Il semble que l’avantage financier qui sera tiré de ce report du taux plein est de 3 milliards d’euros en 2040. Ce qui voudrait dire que l’on économise 3 milliards d’euros au détriment des femmes…

Mme Yannick Moreau. Je ne possède pas cette projection, je ne peux donc vous le confirmer.

Mme Ségolène Neuville. Les projections réalisées par le COR prennent-elles en considération la baisse des mariages et donc à terme la diminution du montant des pensions de réversion à verser ?

Le rapport de Carole Bonnet sur les droits familiaux est très bien fait, et il défend la situation des femmes. Ce rapport pose le principe selon lequel le niveau de vie du conjoint survivant doit être maintenu autant que possible après le décès. On peut s’interroger : faut-il absolument le maintenir quelles que soient les ressources des personnes ? Ce système de solidarité est défendable quand la personne survivante a de faibles ressources, mais il l’est moins lorsque le conjoint survivant a de bonnes ressources.

Mme Yannick Moreau. Le calcul a été effectué, me semble-t-il, de manière forfaitaire. Le COR peut vous préciser la manière dont la projection a été faite. Il y aurait deux réformes des réversions à faire successivement. La première réforme serait celle de l’unification. Il faudrait cependant maintenir le système actuel dans un premier temps pour préserver la situation des veuves pauvres. Dans un deuxième temps, quel droit de réversion faut-il dans une société dans laquelle la moitié d’une classe d’âge se marie ?

Nous aurons à envisager les situations de pauvreté des personnes qui ne se marient pas du tout, car je ne crois pas à l’éventualité d’une pension de réversion pour les concubins, étant donné que le concubinage ne comporte pas les mêmes devoirs et droits de solidarité que le mariage. Le système mis en place en Suède est instructif : un des conjoints peut décider au moment de la liquidation s’il veut qu’une pension de réversion soit versée à son ex-conjoint divorcé ou non divorcé. S’il y a réversion, sa propre pension est abaissée de 20 %. Les femmes suédoises y ont en pratique beaucoup perdu, car ce système ne reconnaît pas le rôle qu’a tenu le conjoint qui a élevé les enfants. En tout cas, si l’on aborde cette réforme, le sujet sociétal « non-mariage » prendrait une importance considérable.

À votre deuxième question, on peut, bien sûr, dire que la réversion est sous conditions de ressources. Les retraites de base sont déjà placées sous condition de ressources. Pour ce qui est des retraites complémentaires, elles ne sont pas placées sous condition de ressources, ce qui peut donner des pensions de réversion importantes. Ces situations se sont élaborées pour des raisons historiques, et les assurés y sont encore très attachés. Ils sont moins profondément attachés aux droits familiaux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous savons que le taux d’activité des femmes ne rattrapera pas celui des hommes, en tout cas entre 30 et 50 ans, ce qui aura donc des conséquences sur les pensions. Les raisons liées au soutien de la natalité ou à la manière dont les familles constituaient leur épargne au cours de leur vie, ce qui explique le versement d’une bonification pendant la retraite pour compenser une moindre épargne chez les familles nombreuses, sont moins prégnantes aujourd’hui, aussi pourrait-on admettre une évolution des droits familiaux. Néanmoins ceux-ci ont encore aujourd’hui l’effet concret de contribuer à rééquilibrer la situation des femmes, c’est pourquoi d’éventuelles remises en cause doivent être considérées avec circonspection.

Je vous remercie beaucoup pour votre disponibilité, et pour votre travail qui a, je crois, permis de pacifier ce débat difficile et que soit présentée une réforme qui va vers plus de justice.

ANNEXE

1 () L’accueil de la petite enfance, clef de l’égalité entre les femmes et les hommes, contribution à la consultation « Au tour des parents » demandée à la Délégation par Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille, présentée par Mme Catherine Coutelle le 24 janvier 2013.

2 () Rapport d’information sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 837) présenté le 20 mars 2013 par Ségolène Neuville et Christophe Sirugue, députés.


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