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N° 1760

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 février 2014.

RAPPORT D’ACTIVITÉ

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER (1)

juillet 2012 – décembre 2013

PAR

M. Jean-Claude FRUTEAU

Député

——

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, Mme Annick Girardin, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, Mme Pascale Boistard, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Édouard Courtial, Mme Florence Delaunay, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Édouard Fritch, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes , M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Pascal Popelin, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Gérard Terrier, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Jean Jacques Vlody

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LES RAPPORTS D’INFORMATION DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER 9

A. LES RAPPORTS D’INFORMATION SUR DES PROJETS DE LOI 9

1. Le rapport d’information sur le projet de loi de régulation économique outre-mer 9

2. Le rapport d’information sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture l’alimentation et la forêt 12

B. LES RAPPORTS D’INFORMATION THÉMATIQUES 15

1. Le rapport d’information sur l’octroi de mer 15

2. Le rapport d’information sur la défiscalisation des investissements outre-mer 17

3. Le rapport d’information sur les agricultures des Outre-mer 19

II. LES AUTRES CENTRES D’INTÉRÊT DE LA DÉLÉGATION 19

A. L’ÉGALITÉ DES CHANCES DES FRANÇAIS D’OUTRE-MER 20

B. L’APPLICATION DE L’ARTICLE 349 DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE 20

C. LES FORAGES PÉTROLIERS EN GUYANE 21

D. LES DIFFÉRENTS MOYENS PERMETTANT DE MIEUX FAIRE ACCÉDER LES RESSORTISSANTS ULTRAMARINS AUX EMPLOIS, PUBLICS OU PRIVÉS, CRÉÉS DANS LEURS TERRITOIRES 21

E. LE PROJET DE LOI ORGANIQUE PORTANT ACTUALISATION DE LA LOI ORGANIQUE N° 99-209 DU 19 MARS 1999 RELATIVE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE 21

F. LA QUESTION DU PLATEAU MARIN CONTINENTAL À SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON 22

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 25

AUDITIONS MENÉES PAR LA DÉLÉGATION SUR LES SUJETS CITÉS DANS LA SECONDE PARTIE DU RAPPORT 31

Mesdames, Messieurs,

La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a été créée, par la Conférence des Présidents, le 17 juillet 2012.

Elle est composée de soixante-trois députés, dont les vingt-sept élus ultramarins qui sont membres de droit, et elle est chargée d’informer la représentation nationale sur toute question particulière concernant les départements et les collectivités d’outre-mer.

Incontestablement, la création de la Délégation a répondu à un besoin très fort. En effet, l’Assemblée nationale manquait, jusqu’alors, de lieux de réflexion et de débats portant spécifiquement sur les Outre-mer.

Certes, les commissions peuvent étudier les réalités ultramarines à travers le prisme, très varié, des textes dont elles sont saisies, surtout lorsque ces derniers disposent d’un volet spécifique consacré à l’outre-mer ; mais, sauf dans le cas de projets de loi totalement dédiés aux DOM ou aux COM, elles étudient rarement les sujets ultramarins de façon transversale. À l’inverse, ce rôle a été attribué désormais, et de façon permanente, à la Délégation.

Outre cette approche transversale des thématiques, le président de votre Délégation a également voulu privilégier la méthode des regards croisés, celui des élus métropolitains et celui des élus ultramarins, pour, à la fois, élargir et enrichir la réflexion collective : ainsi, pour chaque rapport d’information, la Délégation a-t-elle systématiquement désigné deux rapporteurs, l’un député de métropole, l’autre député d’outre-mer.

Ce souci de complémentarité des analyses, mais aussi celui du dialogue, ont par ailleurs conduit le président de votre Délégation à associer majorité et opposition dans la désignation des rapporteurs, ce qui a permis l’adoption de la plus grande partie des rapports à l’unanimité.

Dix-huit mois après la création de la Délégation, son président souhaite ici dresser un premier bilan de son activité.

Entre juillet 2012 et décembre 2013, la Délégation s’est réunie trente et une fois, soit, en moyenne, une fois tous les quinze jours lorsque l’Assemblée a siégé.

Le nombre des heures de réunion de la Délégation, au cours de cette période, s’est élevé à cinquante-huit heures. La plupart de ces heures correspondent soit à des auditions d’experts, soit à l’organisation de tables rondes – ces différentes formes de rencontres permettant de recueillir les données nécessaires à la réalisation de rapports.

En effet, indépendamment du présent rapport d’activité, la Délégation, sur la période considérée, a réalisé cinq rapports d’information.

Ces rapports sont les suivants :

– Rapport n° 240 intitulé : « Loi de régulation économique outre-mer : le temps de l’action » (octobre 2012),

– Rapport n° 659 intitulé : « L’octroi de mer, un enjeu stratégique pour les économies ultramarines » (février 2013),

– Rapport n° 1024 intitulé : « La défiscalisation des investissements outre-mer, un outil d’avenir pour le développement de l’emploi » (mai 2013),

– Rapport n° 1510 intitulé : « Les agricultures des Outre-mer : des réformes ambitieuses pour un secteur d’avenir » (novembre 2013),

– Rapport n° 1603 intitulé : « Pour une agriculture d’avenir dans les Outre-mer » (décembre 2013).

Ces rapports représentent un nombre total de 667 pages.

Par ailleurs, la Délégation a procédé à sept auditions sur des sujets thématiques mais qui n’ont pas donné lieu à un rapport.

Ces auditions sont les suivantes :

– Audition de Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, sur les différentes missions qui lui sont attribuées au titre de sa fonction (18 décembre 2012) ;

– Auditions de M. Serge Letchimy, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, sur l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (17 janvier et 25 juin 2013) ;

– Audition de M. Patrick Roméo, président de la société Shell France, sur les forages pétroliers en Guyane (26 février 2013) ;

– Audition de M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, sur les différents moyens permettant de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois, publics ou privés, créés dans leurs territoires (22 mai 2013) ;

– Audition de M. René Dosière, rapporteur de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur le projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (11 septembre 2013) ;

– Audition de Mme Annick Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, sur la question du plateau marin continental (19 novembre 2013).

Avec ces sept auditions à caractère thématique, la Délégation a entendu, au total, 152 personnes, de juillet 2012 à décembre 2013.

Parmi les cinq rapports mentionnés ci-dessus, certains ont permis à la Délégation de participer, de manière très étroite, à l’élaboration de la norme législative.

Dès le début de son existence, en effet, la Délégation a décidé de retenir, pour le déroulement de ses travaux, un calendrier lui permettant de faire connaître ses positions en temps utile, de manière à pouvoir faire entendre sa voix, le cas échéant, en défendant les amendements de ses membres lorsqu’un projet de loi s’inscrivait dans l’actualité législative.

Ainsi, en mai 2013, la Délégation s’est plus particulièrement investie dans un rapport sur l’analyse et la réforme des dispositifs d’aide aux investissements productifs et en faveur de la construction de logements sociaux outre-mer. Sur la base de ce rapport, le Gouvernement a entrepris une réforme qui a été adoptée par l’Assemblée nationale lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2014.

De même, en novembre 2013, la Délégation a adopté un rapport sur l’avenir des agricultures dans les départements et les collectivités d’outre-mer. Durant de nombreuses semaines, un travail très approfondi sur le sujet a été conduit et de nombreuses auditions ont été réalisées pour définir, évaluer et proposer des modifications législatives. Un certain nombre ont été intégrées au projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, examiné en première lecture à l’Assemblée nationale du 7 au 10 janvier 2014.

Ainsi, malgré sa jeunesse, la Délégation aux outre-mer a rapidement trouvé sa place au côté des autres instances internes de l’Assemblée nationale et dans le fonctionnement de celle-ci. Elle est devenue, peu à peu, un lieu de réflexion privilégié pour tous les sujets relatifs aux territoires ultramarins.

Le présent rapport va reprendre plus en détail ces différents points.

Dans un premier temps, nous examinerons le contenu et la portée des différents rapports d’information présentés par la Délégation au cours des dix-huit mois écoulés.

Dans un second temps, nous examinerons les thèmes d’étude ponctuels retenus par la Délégation dans le cadre de certaines de ses auditions. Ces auditions figurent en annexe du rapport.

I. LES RAPPORTS D’INFORMATION DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER

De juillet 2012 à décembre 2013, les rapports d’information présentés par la Délégation aux outre-mer ont été au nombre de cinq : deux rapports d’information sur des projets de loi et trois rapports d’information thématiques.

Les rapports d’information sur des projets de loi ont concerné la loi de régulation économique outre-mer et la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Les rapports thématiques ont porté sur la taxation de l’octroi de mer, la défiscalisation des investissements ultramarins et les agricultures des Outre-mer.

A. LES RAPPORTS D’INFORMATION SUR DES PROJETS DE LOI

Le premier rapport, rédigé par le président de la Délégation, a été présenté à l’occasion de la première lecture à l’Assemblée de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. Le second rapport, rédigé par Mme Hélène Vainqueur-Christophe, députée de la Guadeloupe, a été présenté à l’occasion de la première lecture à l’Assemblée du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (n° 1548). La discussion de ce texte en séance publique a eu lieu du 7 au 10 janvier 2014.

1. Le rapport d’information sur le projet de loi de régulation économique outre-mer

Le projet de loi relatif à la régulation économique s’est attaché à combattre la cherté de la vie dans les départements et les collectivités d’outre-mer.

La cherté de la vie est en effet un problème très sensible pour toutes les collectivités territoriales ultramarines. Elle érode les revenus disponibles des ménages et ralentit considérablement les économies locales. C’est ainsi que les revenus des habitants des pays d’outre-mer sont inférieurs de 38 % au revenu médian national et que le PIB des territoires ultramarins est deux fois inférieur à celui de la nation. D’autre part, 52 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Face à cette situation gravement dégradée, le projet de loi, devenu la loi du 20 novembre 2012, comporte un certain nombre de mesures qui visent à réguler les marchés de manière volontariste, en s’attaquant aux phénomènes structurels qui déterminent la formation des prix.

Parmi ces mesures, on peut citer les dispositions suivantes :

– Le Gouvernement a désormais la possibilité de légiférer par décrets, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, pour réglementer les différents secteurs du commerce de gros et ramener de bonnes pratiques concurrentielles (article 1er du texte de loi) ;

– Les clauses exclusives d’importation sont interdites dans les accords commerciaux, sauf à ce qu’elles apportent des avantages objectifs certains en terme d’approvisionnement (article 5) ;

– L’Autorité de la concurrence dispose d’un pouvoir d’injonction structurelle dans le domaine du commerce de détail (article 10) ;

– Des accords annuels de modération des prix pour les produits de grande consommation sont institués ; ces accords, conclus entre les opérateurs privés et la puissance publique, constituent la réalisation concrète du bouclier qualité/prix, un mécanisme correspondant à une promesse du Président de la République lors de sa campagne électorale (article 15) ;

– Enfin, des observatoires des prix, des marges et des revenus sont créés dans les DOM, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna ; ils ont pour objet d’analyser le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus dans ces territoires et de fournir aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution ; ces observatoires doivent rendre un rapport annuel au Parlement, ainsi qu’aux ministres chargés des Outre-Mer, rapport qui peut être assorti d’avis et de propositions (article 23).

Indépendamment de ces mesures, le président de votre Délégation, qui était aussi son rapporteur sur le projet de loi, a fait adopter à cette instance six recommandations attirant l’attention des pouvoirs publics sur les questions suivantes :

– Il conviendrait d’apporter une attention toute particulière aux dysfonctionnements des marchés de gros des produits de première nécessité ; l’Autorité de la Concurrence pourrait remettre au Gouvernement un rapport sur cette question, dans les six mois suivant la date de publication de la loi ;

– Les contrats ou accords en cours qui ne seraient pas conformes aux dispositions du texte concernant l’interdiction des clauses d’exclusivité d’importation et qui n’auraient pas été mis en conformité dans les quatre mois suivant l’entrée en vigueur de la loi devraient donner lieu à des amendes acquittées par les parties ; l’Autorité de la Concurrence pourrait-être l’instance chargée d’infliger cette sanction ;

– Les entreprises ou groupements d’entreprises ayant fait l’objet d’une injonction de l’Autorité de la Concurrence devraient rendre publique cette injonction par une publication dans la presse quotidienne locale ; en cas de non- exécution de cette publication, l’Autorité de la Concurrence devrait pouvoir prononcer à leur encontre une sanction pécuniaire ;

– Les opérateurs de téléphonie fixe et mobile opérant en France métropolitaine et ceux opérant dans les départements d’outre-mer devraient informer chaque année les utilisateurs sur les tarifs d’itinérance applicables à leur communication ; cette information devrait s’effectuer à l’occasion de l’envoi d’une facture mensuelle ; en cas de modification des tarifs d’itinérance intervenant en cours d’année, les opérateurs devraient également en informer les utilisateurs au cours des deux mois suivant l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs ;

– Il serait souhaitable que le Gouvernement puisse réglementer l’approvisionnement et le coût de l’électricité dans les îles de Wallis-et-Futuna ;

– Enfin, il conviendrait d’organiser la transparence et de diminuer les coûts des tarifs bancaires pratiqués dans les départements et les collectivités d’outre-mer ; il conviendrait aussi d’organiser la baisse des tarifs des liaisons aériennes desservant ces territoires.

Pour leur part, les députés de Nouvelle-Calédonie ont souhaité que soient adoptées trois autres recommandations :

– Fixer par décret, pour cette collectivité territoriale, un prix plafond pour les douze principaux services bancaires définis par le code monétaire et financier ;

– Prévoir que la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs soit étendue et adaptée à la Nouvelle-Calédonie ;

– Étendre, enfin, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française les dispositions prévues par le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement social.

Cinq articles de la loi du 20 novembre 2012, adoptés au cours de la première lecture à l’Assemblée nationale, sont issus de ces recommandations. Il s’agit des articles 2, 16, 32, 33 et 34.

L’article 2 du texte prévoit que le Parlement doit être saisi, avant le 1er juillet 2013, d’un rapport sur la structure des prix des compagnies aériennes desservant les départements et les collectivités d’outre-mer. L’article 16 indique que les tarifs bancaires des établissements de crédit dans les DOM, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon, ne peuvent être supérieurs à la moyenne de ceux pratiqués par ces mêmes établissements ou par les caisses régionales du groupe auxquels ils appartiennent dans l’hexagone. Les articles 32 et 33 prévoient que le Gouvernement peut fixer les valeurs maximales des services bancaires de base en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Enfin, l’article 35 prévoit que les rapports locatifs en Nouvelle-Calédonie sont désormais fixés par la loi du 6 juillet 1989.

Par ailleurs, il convient de relever que la Délégation aux outre-mer, dans le cadre de l’examen du projet de loi, a contribué à l’adoption de l’article 22 du texte qui dispose que les entreprises qui font l’objet d’une mesure de régulation économique ou qui bénéficient d’une aide publique au sens de la loi de régulation sont tenues de répondre favorablement à toute demande du représentant de l’État dans le territoire tendant à ce qu’on lui communique « leurs comptes sociaux et la comptabilité analytique de l’activité régulée ou subventionnée ». Le préfet, en cas de refus, peut, en passant par le juge des référés, contraindre l’entreprise à communiquer les documents demandés sous astreinte. Cette mesure a pour objet d’impliquer plus étroitement les entreprises dans la lutte contre la hausse des prix.

2. Le rapport d’information sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture l’alimentation et la forêt

La Délégation aux outre-mer a souhaité se saisir, le 19 novembre 2013, du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (n° 1548), texte transmis en première lecture à l’Assemblée après son adoption en Conseil des ministres le 13 novembre.

Cette saisine a fait suite à l’important travail d’écoute et de synthèse réalisé par Mme Chantal Berthelot, députée de la Guyane, et par M. Hervé Gaymard, député de la Savoie, sur les agricultures ultramarines, travail présenté dans le rapport d’information n° 1510 – un rapport adopté à l’unanimité par la Délégation – et intitulé : « Les agricultures des Outre-mer : des réformes ambitieuses pour un secteur d’avenir ».

En accord avec M. François Brottes, Président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale – cette commission étant saisie au fond pour l’examen du texte –, la Délégation a décidé d’étudier tout particulièrement les articles 3, 12, 13, 14, 34, 35, 36 et 37 du projet de loi.

Les quatre premiers articles sont des articles qui concernent aussi bien l’hexagone que les départements d’outre-mer. L’article 3 a trait à l’institution des groupements d’intérêt économique et environnemental ; l’article 12 concerne la lutte contre l’artificialisation des terres ; l’article 13 a trait aux SAFER (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) et l’article 14 à l’établissement des jeunes agriculteurs.

Les quatre articles suivants correspondent au volet plus spécifiquement ultramarin du projet de loi. L’article 34 – qui est l’article central du dispositif – comporte un ensemble de mesures sur la gouvernance, les exploitations et les filières outre-mer. L’article 35 adapte les dispositions du code forestier relatives à la forêt des particuliers. L’article 36 adapte les titres I à IV du projet de loi aux spécificités des différentes collectivités territoriales d’outre-mer. Par ailleurs, il homologue différentes sanctions pénales assorties de peines d’emprisonnement contenues dans des lois de pays de la Polynésie française relatives à la santé publique. Enfin, l’article 37 habilite le Gouvernement à procéder par ordonnance pour la refonte de la codification relative à l’outre-mer dans le code rural et de la pêche maritime.

Dans le cadre de ces articles, et avant la discussion en première lecture, certaines dispositions du projet de loi ont repris différentes propositions contenues dans le rapport d’information de la Délégation sur les agricultures des Outre-mer.

Ces dispositions sont les suivantes :

– La simplification de la mise en place des ZAP (Zones agricoles protégées) ; le projet de loi prévoit en effet que, lorsque l’arrêté de délimitation de la zone est pris sur proposition d’un établissement public compétent en matière de plan local d’urbanisme, l’accord des conseils municipaux des communes intéressées par la ZAP et qui ont transféré leur compétence à cet établissement n’est plus requis (article 12 qui tient compte de la recommandation n° 5 du rapport d’information) ;

– La création d’une source de financement complémentaire pour les SAFER, le texte ayant choisi la modalité du fonds de péréquation, alors que le rapport préconisait plutôt une ressource dédiée (article 13 qui correspond à la recommandation n° 2) ;

– L’extension du contrat de génération à l’agriculture (article 14 qui correspond à la recommandation n° 13) ;

– La création d’un comité régional pour assurer la coordination de manière très fine, au niveau des territoires, des politiques agricoles et plus particulièrement pour assurer la gestion des crédits délégués et régionalisés du FEADER, c’est-à-dire du Fonds européen agricole pour le développement rural (article 34 qui reprend la recommandation n° 31) ;

– La modification des règles de vote en usage dans les indivisions pour donner à bail un bien agricole (article 34 qui tient compte de la recommandation n° 10) ;

– L’instauration d’un critère horaire alternatif pour l’affiliation des exploitants au régime de protection sociale des non-salariés agricoles (article 34 qui reprend la recommandation n° 27) ;

– Et enfin, l’institution d’un dispositif permettant d’allonger la durée des projets d’intérêt général (PIG) ; le texte prévoit en effet que les PIG, régis par l’article L. 121-9 du code de l’urbanisme, pourront faire l’objet d’une adaptation dans les DOM par décret pris en Conseil d’État sur le fondement d’une délégation de compétence prévue par l’article L. 150-1 du même code (article 36 qui tient compte de la recommandation n° 7).

Lors de la première lecture du texte, d’autres dispositions ont été ajoutées au projet de loi, à l’initiative de la Délégation :

– La création d’un préambule placé avant le volet outre-mer du projet, c’est-à-dire avant l’article 34 ; ce préambule définit les grands principes devant régir l’agriculture ultramarine et encourage la mise à disposition de solutions ou de méthodes de lutte contre les ennemis des cultures, ces moyens prophylactiques devant être adaptés aux contextes phytosanitaires ultramarins (article 34 A) ;

– La redéfinition des cas où les indivisaires peuvent voter à la majorité des deux tiers lorsqu’ils font partie d’une indivision successorale portant sur une exploitation agricole ultramarine ; le vote s’applique désormais aussi bien à la location qu’à la vente du bien indivis (article additionnel après l’article 34) ;

– La communication, dès leur réalisation, des études d’impact et des évaluations environnementales aux commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers ; ainsi, en recevant ces études très en amont de leur saisine officielle, les commissions pourront faire immédiatement des prescriptions et donc participer à une sorte de cogestion des projets (article 36) ;

– Enfin, le passage de 30 à 35 ans de l’âge limite pour les admissions des jeunes agriculteurs au dispositif du contrat de génération dans les exploitations agricoles situées en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin (article 36).

Dans le cadre de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, la Délégation a ainsi apporté une contribution importante à l’élaboration des mesures destinées à faciliter la préservation du foncier, l’installation des jeunes agriculteurs et, plus généralement, la modernisation des modes de production dans les départements et les collectivités d’outre-mer.

Par ailleurs, dans le rapport d’information de la Délégation sur les agricultures des Outre-mer, parmi les trente-neuf recommandations qui ont été formulées, il convient de rappeler l’existence d’un certain nombre de propositions qui n’ont pas pu être intégrées dans le projet de loi mais dont la transcription dans le droit positif pourrait être très utile pour les DOM et les COM :

– En ce qui concerne les structures foncières, pour éviter les blocages au décès des exploitants, il serait utile de promouvoir – au sein des « Points info installation » gérés, en règle générale, par l’ASP (l’Agence de services et de paiement) – certains moyens légaux existants, mais malheureusement méconnus, comme le mandat à effet posthume (recommandation n° 9) ; il serait intéressant aussi de créer de nouveaux moyens sociétaux permettant de faciliter la transmission des entreprises du vivant de leurs propriétaires (recommandation n° 8) ;

– Pour l’installation des jeunes, il serait nécessaire que l’État mette en place un fonds de cautionnement permettant à ces derniers de négocier dans de bonnes conditions des prêts bonifiés auprès des banques (recommandation n° 17) ; l’État pourrait aussi instaurer une bourse mensuelle, servie sur trois ou cinq ans et s’ajoutant aux autres aides publiques, en cas de création d’exploitation, par un jeune agriculteur, sur une terre en friche (recommandation n° 20) ;

– S’agissant du statut des agriculteurs, un effort particulier devrait porter sur la formation ; on pourrait augmenter les enseignements dispensés dans les fermes agricoles (recommandation n° 22) ; améliorer les liens des lycées et des collèges avec les RITA, c’est-à-dire les Réseaux d’innovation technique et de transfert (recommandation n° 24) ; et créer des modules de cours sur toutes les questions liées à l’installation dans les CFA et les centres de formation continue pour adultes (recommandation n° 26) ;

– Du point de vue de la protection sociale des agriculteurs, il serait utile de prévoir, à terme, une revalorisation des retraites agricoles d’exploitant calculée de telle manière qu’aucune retraite mensuelle ne puisse être inférieure au montant du SMIC (recommandation n° 28) ; il serait également utile de créer une obligation pour les exploitations ou les entreprises implantées dans les DOM, lorsqu’elles emploient des salariés exerçant une activité agricole, d’adhérer, à l’intention de ces salariés, à une ou plusieurs institutions de retraite complémentaire (recommandation n° 29) ;

– Enfin, pour les filières, il serait souhaitable d’éviter le « découplage » des crédits européens du POSEI, c’est-à-dire du Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, avec ceux de la PAC (recommandation n° 30) et de compenser les diminutions éventuelles visant certains secteurs par des crédits nationaux (recommandation n° 32) ; il faudrait également améliorer les fonds propres des organisations professionnelles des filières de diversification (recommandation n° 33) et promouvoir systématiquement des actions de valorisation des produits locaux sur les différents marchés (recommandations n° 38 et 39).

B. LES RAPPORTS D’INFORMATION THÉMATIQUES

Durant les dix-huit derniers mois, les rapports d’information consacrés à des sujets d’études à caractère général ont été au nombre de trois.

La Délégation a ainsi adopté un rapport sur l’octroi de mer (n° 659), rédigé par M Mathieu Hanotin, député de Seine-Saint-Denis, et par M. Jean Jacques Vlody, député de La Réunion ; un rapport sur la défiscalisation des investissements outre-mer (n°1024), rédigé par le président de la Délégation et par M. Patrick Ollier, député des Hauts-de-Seine ; et un rapport sur les agricultures des Outre-mer (n° 1510), rédigé par Mme Chantal Berthelot, députée de la Guyane, et par M. Hervé Gaymard, député de la Savoie.

1. Le rapport d’information sur l’octroi de mer

L’octroi de mer est un impôt qui ne s’applique qu’aux marchandises. C’est un très vieil impôt puisque sa création remonte à 1670, avec l’institution du « droit de poids ».

Naturellement, depuis cette date, l’imposition a évolué. Aujourd’hui, la taxe concerne toujours les marchandises, produites ou importées dans les départements d’outre-mer, mais elle est très largement régie par des décisions qui relèvent de l’Union européenne au titre des « mesures spécifiques » concernant les régions ultrapériphériques, mesures prévues par l’article 349 du traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.

C’est ainsi que la décision 2004/162/CE du Conseil européen du 10 février 2004 relative à l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer a édicté une prorogation de l’impôt pour un peu plus de dix ans, soit jusqu’au 1er juillet 2014.

Au début de l’année 2013, le Gouvernement français a demandé à la Commission européenne – instance qui prépare les décisions du Conseil – une reconduction du régime de l’impôt.

La Délégation a souhaité accompagner cette démarche en procédant, à la fin de l’année 2012, à une évaluation du dispositif de l’octroi de mer.

Les conclusions des travaux conduits par la Délégation aux outre-mer et contenues dans le rapport d’information paru sur ce sujet, en février 2013, sont sans appel : la reconduction de l’octroi de mer constitue un enjeu majeur pour les économies des territoires ultramarins.

Les exonérations d’imposition liées aux différentiels de taux – selon que le produit est importé ou non et à condition qu’il figure sur l’une des trois listes (A, B ou C) prévoyant la possibilité d’instaurer de tels différentiels – constituent une aide précieuse pour les entreprises locales. Elles leur permettent de compenser une partie des surcoûts affectant les activités productives outre-mer.

Par ailleurs, le produit de cet impôt – qui représente environ un milliard d’euros en année pleine – permet aux collectivités territoriales d’assurer le bon fonctionnement des services publics locaux et d’investir dans le développement des économies ultramarines.

Il est toutefois possible et souhaitable de rendre l’octroi de mer plus juste et plus efficace. Aussi le rapport propose-t-il deux modifications au dispositif :

– L’instauration d’un taux zéro d’octroi de mer pour tous les produits de grande consommation retenus par le bouclier qualité/prix, afin d’alléger le coût de l’impôt pour les ménages les plus fragiles. Ce taux serait à zéro pour les produits fabriqués localement et aussi à zéro pour les produits importés, à condition qu’ils ne concurrencent pas les produits locaux.

– La possibilité de modifier, de manière plus souple et réactive, au niveau européen, les listes de produits faisant l’objet d’un différentiel de taxation, afin de mieux prendre en compte de nouvelles productions ou l’évolution de contextes concurrentiels.

Les conclusions du rapport de la Délégation, ainsi que ces deux propositions, ont été intégrées dans le mémoire du Gouvernement présenté à l’appui de sa demande de reconduction de l’impôt, au début de l’année dernière.

La Commission, puis le Conseil, devraient bientôt faire connaître au Gouvernement leur décision définitive.

En cas d’avis favorable, leur décision devra être retranscrite dans le droit national par le biais d’un projet de loi – projet qui pourrait être déposé au Parlement dans le courant de l’année 2014.

2. Le rapport d’information sur la défiscalisation des investissements outre-mer

La défiscalisation des investissements outre-mer repose sur quatre articles du code général des impôts : l’article 199 undecies A, 199 undecies B, 199 undecies C et 217 undecies. Il s’agit de déductions fiscales appliquées soit à l’impôt sur le revenu, soit à l’impôt sur les sociétés pour des investissements concernant aussi bien le domaine industriel que le secteur du logement social (l’article 199 undecies A – qui vise le logement à loyer libre ou intermédiaire – étant en extinction depuis le 31 décembre 2012). L’ensemble des dépenses fiscales concernant ces quatre articles est évalué à 1,1 milliard d’euros pour 2013.

Dans le courant de l’année 2013, le Gouvernement a souhaité reconsidérer en profondeur ce système, dans le cadre de la diminution des « niches fiscales ».

Aussi, la Délégation aux outre-mer a-t-elle souhaité se saisir de la question de l’évaluation du dispositif.

Dans son rapport d’information n° 1024 (La défiscalisation des investissements outre-mer : un outil d’avenir pour le développement de l’emploi), la Délégation montre que ce système est bien adapté à la collecte de l’épargne en vue du financement d’objectifs ciblés, que ce soit la réalisation de grands projets structurants dans les DOM et dans les COM ou la construction de logements neufs destinés aux bailleurs sociaux. Le dispositif a donc pleinement atteint son but qui était de contribuer à l’aménagement du territoire.

Par suite, le rapport préconise un certain nombre d’orientations visant, à compter de l’année 2014, à maintenir le système tout en le modernisant. Ces orientations sont les suivantes :

– Maintien de la défiscalisation pour les particuliers et les entrepreneurs individuels assujettis à l’impôt sur le revenu ;

– Maintien du système de défiscalisation existant (c’est-à-dire, soit le système de défiscalisation directe où ce sont les entreprises qui défiscalisent pour elles-mêmes, soit le système de défiscalisation indirecte où ce sont les investisseurs qui défiscalisent le montant des investissements qu’ils consentent en faveur des exploitants ultramarins) pour les petites et les moyennes entreprises, c’est-à-dire celles qui ont un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros ou un effectif inférieur à 50 salariés ;

– Création d’un système de crédit d’impôt pour remplacer, pour les entreprises les plus importantes, c’est-à-dire les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros ou un effectif supérieur à 50 salariés, le mécanisme de défiscalisation (ce qui permet de limiter le rôle des intermédiaires financiers pour les plus grosses opérations) ;

– En cas d’investissement direct, ces entreprises seraient incitées à défiscaliser pour elles-mêmes jusqu’à épuisement de l’impôt sur les sociétés (IS) ; ensuite, elles pourraient recevoir des recettes complémentaires, défiscalisées par ailleurs, de la part d’autres investisseurs ;

– En cas d’investissement indirect, le crédit d’impôt permettrait de mobiliser des fonds issus des entreprises à fort résultat fiscal et confiés à un intermédiaire qui ferait l’acquisition du bien pour le compte de l’exploitant ultramarin ; l’exploitant disposerait d’un crédit-bail, consenti par exemple pour cinq ans, et au terme duquel il deviendrait propriétaire de l’investissement ;

– Maintien des procédures de défiscalisation existantes pour l’ensemble des entreprises situées au sein des collectivités territoriales d’outre-mer à autonomie fiscale ; en effet, celles-ci – sauf de rares exceptions comme à Saint-Pierre-et-Miquelon – ne disposent pas du système de l’imposition des sociétés à l’IS ; ces collectivités auraient donc du mal à mettre en œuvre un crédit d’impôt en faveur de leurs sociétés commerciales, même en se limitant aux plus importantes ;

– Enfin, introduction de mesures d’encadrement dans les mécanismes existants, par exemple en accroissant les obligations déclaratives pour le secteur du « plein droit », en prévoyant un agrément au premier euro pour certaines opérations (comme celles qui concernent les transports) ou en encadrant la profession de monteur d’opérations de défiscalisation (MOD).

Ces propositions ont servi de base aux discussions portant sur le dispositif d’aide aux investissements productifs et à la construction de logements sociaux outre-mer, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances initiale pour 2014.

L’article 21 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a repris un certain nombre de préconisations qui avaient été proposées par le rapport. Ces préconisations se sont substituées à l’ancienne rédaction des articles 199 undecies B, 199 undecies C et 217 undecies du code général des impôts.

Simplement, la ligne de partage entre le mécanisme de la défiscalisation et celui du crédit d’impôt a été finalement fixée, pour les entreprises, à la suite des débats, à hauteur de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce montant étant apprécié au niveau du groupe et non au niveau de chaque entreprise. Par ailleurs, le Gouvernement n’a pas retenu le critère lié au nombre d’employés.

3. Le rapport d’information sur les agricultures des Outre-mer

Les principaux apports de ce rapport d’information vis-à-vis des dispositions contenues dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ont été soulignés dans les pages qui précèdent.

Toutefois, il convient d’ajouter, en outre, que ce rapport est incontestablement celui qui – jusqu’à aujourd’hui – a procédé à la plus large écoute de toutes les parties prenantes.

Les auditions nécessaires à la réalisation de ce travail ont débuté, en mars 2013, avec l’audition par la Délégation, le 26 mars, de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Elles se sont poursuivies, au cours du mois d’avril 2013, avec l’audition, par les rapporteurs, de la directrice de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer) et du président de l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique) et, au cours du mois de mai 2013, avec l’audition, par la Délégation, le 14 mai, de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

À partir du mois de juin, la Délégation a procédé par tables rondes (table ronde sur le fonctionnement des filières, sur la filière « canne-sucre-rhum-bagasse », sur la filière « banane », table ronde avec les syndicats, avec les chambres d’agriculture, avec les SAFER – Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural –, etc.). Les tables rondes se sont poursuivies au cours des mois de juillet et de septembre. Elles se sont achevées le 15 octobre 2013.

Parallèlement, les rapporteurs ont continué leurs entretiens avec les responsables en charge des dossiers concernant l’agriculture outre-mer, rencontres organisées en dehors des auditions plénières de la Délégation (entretien avec le directeur général des politiques agricoles, agroalimentaires et des territoires, avec le conseiller outre-mer auprès de la Représentation permanente de la France à Bruxelles, avec le directeur général adjoint de FranceAgriMer…).

Au total, les rapporteurs ont consacré environ 15 heures à l’audition de hauts fonctionnaires et d’experts et près de 25 heures à celle des principaux acteurs de la politique agricole ultramarine.

II. LES AUTRES CENTRES D’INTÉRÊT DE LA DÉLÉGATION

Durant les dix-huit mois écoulés, la Délégation s’est intéressée, de manière plus ponctuelle, à six questions relevant de domaines assez diversifiés. Pour approfondir ces six sujets, elle a procédé à l’audition de six personnalités qui lui ont paru être spécialement qualifiées.

Ces domaines d’intérêt sont les suivants : l’égalité des chances des Français d’outre-mer ; l’application de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; les forages pétroliers en Guyane ; les différents moyens permettant de mieux faire accéder les ressortissants ultramarins aux emplois, publics ou privés, créés dans leurs territoires ; le contenu du projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ; et enfin, la question du plateau marin continental à Saint-Pierre-et-Miquelon.

A. L’ÉGALITÉ DES CHANCES DES FRANÇAIS D’OUTRE-MER

Pour étudier cette question, la Délégation a procédé, le 18 décembre 2012, à l’audition de Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer.

La Délégation a interrogé Mme Elizéon sur les différentes missions qui lui incombaient au titre de sa fonction.

Au cours de son audition, Mme Elizéon a fait part de sa volonté d’articuler son action autour de trois axes de travail : l’anticipation des situations susceptibles de provoquer ou d’amplifier les inégalités, en particulier celles qui relèvent d’a priori et de préjugés ; l’amélioration de l’accès des ultramarins à l’emploi, au logement et à la formation ; et la diffusion de la démarche de la délégation interministérielle dans les différents secteurs de la société – et avant tout dans les services de l’État – pour faire prendre conscience de la réalité de ces inégalités.

Pour faciliter son action, la déléguée interministérielle a décidé de se doter d’un Observatoire de l’outre-mer. Cet Observatoire est une association qui doit élaborer des données chiffrées concernant les ultramarins qui vivent dans l’hexagone.

La Délégation a convenu d’entendre à nouveau Mme Elizéon, notamment lorsque l’Observatoire aura mis en place un certain nombre d’éléments chiffrés.

B. L’APPLICATION DE L’ARTICLE 349 DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L’UNION EUROPÉENNE

Pour approfondir ce sujet, la Délégation a auditionné deux fois M. Serge Letchimy, député de la Martinique, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par le Gouvernement : rédiger un rapport pour une meilleure prise en compte des régions ultrapériphériques dans les politiques de l’Union européenne.

La première audition a eu lieu le 17 janvier et la seconde le 25 juin 2013. La seconde audition a été tenue en commun avec la Délégation sénatoriale à l’Outre-mer et a été coprésidée par M. Serge Larcher, président de cette Délégation.

M. Serge Letchimy a rendu son rapport au Gouvernement, le 24 mai 2013. Il préconise la mise en place d’un programme de développement multi-filières, en transposant le modèle du POSEI pour l’organisation et le financement de chacune d’entre elles (actuellement, le POSEI ne concerne que l’agriculture, il ne vise pas les filières de l’énergie, du recyclage des déchets, etc.).

C. LES FORAGES PÉTROLIERS EN GUYANE

La Délégation a entendu, le 26 février 2013, M. Patrick Roméo, président de la société Shell France, sur les forages pétroliers en Guyane.

Celui-ci a présenté les différentes activités de prospection conduites actuellement par sa société et ayant pour domaine géographique la zone côtière du département de la Guyane.

M. Roméo a indiqué que la société Shell était fortement convaincue qu’il y avait du pétrole sur ce territoire puisqu’il y en avait au Venezuela et au Surinam qui sont deux pays voisins. Par ailleurs, à une date très ancienne, les continents sud-américain et africain étaient joints. Avant que ces continents ne dérivent, la Guyane était très proche du Sierra Leone actuel. Or, il y a du pétrole dans la zone côtière de l’Afrique qui s’étend de la Guinée au Sierra Leone et au Ghana.

La société Shell a affirmé se donner tous les moyens pour aboutir. Pour l’instant, cependant, les forages n’ont pas été couronnés de succès.

D. LES DIFFÉRENTS MOYENS PERMETTANT DE MIEUX FAIRE ACCÉDER LES RESSORTISSANTS ULTRAMARINS AUX EMPLOIS, PUBLICS OU PRIVÉS, CRÉÉS DANS LEURS TERRITOIRES

La Délégation a entendu, le 22 mai 2013, M. Patrick Lebreton, député de La Réunion, parlementaire en mission auprès du Gouvernement et chargé d’un rapport concernant l’identification des moyens visant à mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires.

M. Patrick Lebreton a procédé à un échange de vues avec la Délégation sur les premières orientations de son rapport.

E. LE PROJET DE LOI ORGANIQUE PORTANT ACTUALISATION DE LA LOI ORGANIQUE N° 99-209 DU 19 MARS 1999 RELATIVE À LA NOUVELLE-CALÉDONIE

La Délégation a procédé à une audition de M. René Dosière, député de l’Aisne, rapporteur pour la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Ce projet de loi est devenu, depuis, la loi organique n° 2013-1027 du 15 novembre 2013.

La Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer à statut sui generis puisque les accords de Nouméa, signés le 5 mai 1998 et qui prévoient des transferts progressifs de compétences relevant de l’État en direction de la collectivité, ont été « constitutionnalisés » (articles 76 et 77 de la Constitution).

Au 1er janvier 2014, ce sont les domaines de la sécurité civile, de l’enseignement secondaire, du droit civil et du droit commercial qui sont transférés.

Par ailleurs, pour compléter ce transfert, la loi organique prévoit deux dispositions complémentaires : d’une part, la dévolution au président du gouvernement, aux côtés du pouvoir de police administrative générale du Haut-Commissaire, d’un pouvoir de police administrative spéciale destiné à faciliter la mise en œuvre des compétences nouvelles confiées à la collectivité ; d’autre part, la création par la Nouvelle-Calédonie, notamment dans le domaine de la concurrence, d’autorités administratives indépendantes locales, toutes dotées de l’intégralité de leurs prérogatives.

L’année 2014 sera une année charnière pour la collectivité puisque le Congrès sera intégralement renouvelé en mai et que c’est à lui qu’il reviendra de décider, à la majorité des 3/5èmes, d’une date de consultation – laquelle devra intervenir au cours de la mandature, soit avant 2019 – sur l’accession à la pleine souveraineté du territoire.

F. LA QUESTION DU PLATEAU MARIN CONTINENTAL À SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON

La Délégation a entendu, le 19 novembre 2013, Mme Annick Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, sur la question du plateau marin continental.

La collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon est soucieuse de la question liée à l’extension du plateau continental français à partir de ses côtes, une question qui a un grand intérêt pour les droits de pêche et pour l’exploitation des fonds marins.

Par application de l’article 76 de la convention de Montego Bay du 10 décembre 1982, la délimitation du plateau continental est réalisée, dans le cadre de l’ONU, par la commission des limites du plateau continental.

Un dossier venant d’être déposé par la France sur cette question à l’ONU, Saint-Pierre-et-Miquelon souhaiterait que les droits français – droits qui apparaissent naturellement comme étant antithétiques vis-à-vis de ceux du Canada, l’autre État intéressé par la délimitation du plateau continental dans la zone – soient fortement défendus par le ministère des Affaires étrangères.

Au cours de sa réunion du 19 novembre 2013, la Délégation a décidé d’accompagner la démarche du Gouvernement français en déposant une proposition de résolution appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette proposition de résolution (n° 1727) a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée le 23 janvier 2014.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux outre-mer s’est réunie le 4 février 2014 pour examiner le rapport d’information de M. Jean-Claude Fruteau, rapporteur, dressant le bilan d’activité de la Délégation pour la période s’étendant de juillet 2012 à décembre 2013.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le rapport d’activité vous a été adressé par voie électronique. Il fait le point sur l’activité de la Délégation depuis sa création, c’est-à-dire le 17 juillet 2012.

Je commencerai par quelques remarques à caractère général :

– En propos liminaire, je tiens à observer que la création de la Délégation a répondu à un besoin très fort.

En effet, l’Assemblée nationale manquait, jusqu’alors, de lieux de réflexion et de débats portant spécifiquement sur les Outre-mer. Certes, les commissions peuvent étudier les réalités ultramarines à travers le prisme, très varié, des textes dont elles sont saisies, surtout lorsque ces derniers disposent d’un volet spécifique dédié à l’outre-mer. Mais, sauf dans le cas de projets de loi totalement dédiés aux DOM ou aux COM, elles étudient rarement les sujets ultramarins de façon transversale. À l’inverse, ce rôle a été attribué désormais, et de façon permanente, à la Délégation.

– Sur le travail de la Délégation, il est possible de donner quelques statistiques.

Sur les dix-huit mois écoulés, la Délégation s’est réunie trente et une fois, soit en moyenne une fois tous les quinze jours lorsque l’Assemblée a siégé.

Le nombre des heures de réunion de la Délégation, au cours de cette période, s’est élevé à cinquante-huit heures.

Enfin, elle a entendu 152 personnes et a déposé cinq rapports d’information pour un nombre total de 667 pages.

Derrière cet aspect purement quantitatif, on peut dire, incontestablement, que la Délégation a beaucoup travaillé et qu’elle a su trouver sa place au côté des autres instances internes à l’Assemblée nationale. Elle s’est bien intégrée dans le fonctionnement de l’Assemblée et elle constitue maintenant un lieu de débat et de proposition reconnu.

– S’agissant enfin de la méthode, je pense pouvoir affirmer que celle-ci est bien adaptée aux spécificités des études que nous conduisons.

J’ai souligné l’approche transversale des thématiques. Mais, comme vous le savez, nous privilégions aussi la méthode des regards croisés : le regard des élus métropolitains et celui des élus ultramarins. C’est ainsi que, pour chaque rapport d’information (sauf pour les projets de loi où, du fait du règlement, nous ne pouvons désigner qu’un seul rapporteur), la Délégation a systématiquement désigné deux rapporteurs, l’un député de métropole et l’autre député d’outre-mer.

De plus, dans notre souci de nouer des dialogues fructueux et d’entretenir toujours une grande complémentarité dans les analyses, nous associons également, de manière fréquente, la majorité et l’opposition pour la désignation des rapporteurs.

De la sorte, ces dix-huit derniers mois, la Délégation a adopté la plus grande partie de ses rapports à l’unanimité.

J’en viens maintenant au contenu des rapports d’information qui ont été déposés par la Délégation.

La Délégation, sur la période considérée, a réalisé cinq rapports d’information. Ces rapports sont les suivants :

– Le rapport de votre président, déposé en octobre 2012 et intitulé : « Loi de régulation économique outre-mer : le temps de l’action » ;

– Le rapport de M. Mathieu Hanotin et de M. Jean Jacques Vlody, déposé en février 2013 et intitulé : « L’octroi de mer, un enjeu stratégique pour les économies ultramarines » ;

Le rapport de votre président et de M. Patrick Ollier, ancien Président de l’Assemblée nationale, déposé en mai 2013 et intitulé : « La défiscalisation des investissements outre-mer, un outil d’avenir pour le développement et l’emploi » ;

– Le rapport de Mme Chantal Berthelot et de M. Hervé Gaymard, déposé en novembre 2013 et intitulé : « Les agricultures des Outre-mer : des réformes ambitieuses pour un secteur d’avenir » ;

– Et enfin, le rapport de Mme Hélène Vainqueur-Christophe, déposé en décembre 2013 et intitulé : « Pour une agriculture d’avenir dans les Outre-mer ».

Tous ces rapports ont permis à la Délégation de faire connaître ses positions soit à l’occasion de la discussion de projets de loi déposés par le Gouvernement, soit au moment même de la rédaction de certains textes.

Plus précisément :

– Les rapports sur la régulation économique outre-mer et sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ont servi de bases de réflexion pour le dépôt d’un certain nombre d’amendements. Beaucoup de ces amendements ont d’ailleurs été adoptés et je renvoie au rapport d’activité pour le détail des différents dispositifs qu’ils ont permis de mettre en place.

– Le rapport sur l’octroi de mer a été adressé à la Commission européenne, en même temps que le mémorandum de la France demandant la prolongation de cette taxe. Pour le cas où l’impôt serait prorogé, après un avis favorable de la Commission et du Conseil, les propositions contenues dans le rapport pourraient redevenir d’actualité au moment de la discussion du projet de loi redéfinissant le régime de l’imposition – discussion qui devrait intervenir, au plus tard, au cours du mois de juillet 2014. Je rappelle que l’octroi de mer n’est pas seulement un droit de douane, mais aussi un système relativement complexe dont le but est de compenser les handicaps structurels (cherté des coûts, étroitesse des marchés…) qui caractérisent les régions ultrapériphériques de l’Union européenne et qui pénalisent les entreprises locales.

– Le rapport sur la défiscalisation des investissements outre-mer a servi de base pour la discussion de l’article 21 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, c'est-à-dire pour la rénovation du dispositif d’aide aux investissements productifs et à la construction de logements sociaux outre-mer. Cet article 21 a repris la majeure partie des prescriptions qui avaient été proposées dans le rapport d’information.

– Enfin, le rapport d’information sur les agricultures des Outre-mer – qui a constitué un gros travail d’écoute et de propositions, puisque le rapport contient 39 recommandations et que les auditions qu’il a nécessité représentent 25 des 58 heures totales d’auditions que la Délégation a réalisées ces 18 derniers mois – a fait l’objet d’un accueil très favorable de la part du Gouvernement. C’est ainsi qu’un certain nombre de mesures préconisées par ce rapport ont été reprises dans le texte du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, texte qui a été examiné en première lecture à l’Assemblée du 7 au 10 janvier 2014.

Par ailleurs, comme je l’ai dit plus haut, le rapport d’information déposé sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture – rapport venu immédiatement à la suite du rapport sur les agricultures des Outre-mer – a permis l’adoption de nombreux amendements complémentaires.

Au total, il me semble donc que la Délégation a su faire entendre sa voix : d’une part, parce qu’elle a su, très fréquemment, retenir, pour le déroulement de ses travaux, un calendrier lui permettant de se situer assez en amont de la procédure législative, de telle sorte qu’elle a pu exercer un pouvoir d’influence sur des textes en cours d’élaboration ; et, d’autre part, parce qu’elle a su défendre un certain nombre d’amendements déposés par ses membres, lorsqu’un projet de loi s’inscrivait dans l’actualité législative.

Enfin, durant les dix-huit mois écoulés, il convient d’ajouter que la Délégation s’est intéressée, de manière plus ponctuelle, à six questions relevant de domaines assez diversifiés.

Ces domaines d’intérêt sont les suivants : l’égalité des chances des français d’Outre-mer ; l’application de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; les forages pétroliers en Guyane ; les différents moyens permettant de mieux faire accéder les ressortissants ultramarins aux emplois, publics ou privés, créés dans leurs territoires ; le contenu du projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ; et enfin, la question du plateau marin continental à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Pour approfondir ces six sujets, elle a procédé à l’audition de six personnalités qui lui ont paru être spécialement qualifiées. Il s’agit des personnes suivantes :

– Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, qui a été interrogée sur les différentes missions lui ayant été attribuées au titre de sa fonction (audition du 18 décembre 2012) ;

– M. Serge Letchimy, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, qui est intervenu sur l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (auditions du 17 janvier et du 25 juin 2013) ;

– M. Patrick Roméo, président de la société Shell France, qui a présenté une synthèse sur les forages pétroliers en Guyane (audition du 26 février 2013) ;

– M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, qui a fait le point sur les différents moyens permettant de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois, publics ou privés, créés dans leurs territoires (audition du 22 mai 2013) ;

– M. René Dosière, rapporteur de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, qui est intervenu sur le projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (audition du 11 septembre 2013) ;

– Et enfin, Mme Annick Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a fait une intervention sur la question du plateau marin continental (audition du 19 novembre 2013).

Les comptes rendus de ces sept auditions – M. Serge Letchimy ayant été entendu deux fois et, la seconde fois, au cours d’une réunion conjointe avec la Délégation sénatoriale à l’Outre-mer – figurent dans le rapport d’activité.

À la suite de la dernière audition, c’est-à-dire celle de Mme Girardin, la Délégation a décidé de déposer une proposition de résolution appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s’agit de la proposition de résolution n° 1727, déposée le 23 janvier 2014 et cosignée par 43 parlementaires inscrits soit à la Délégation, soit au groupe d’études sur les îles d’Amérique du Nord et Clipperton. Ces 43 parlementaires représentent la totalité des groupes politiques figurant à l’Assemblée. Un tel consensus est très rare et mérite d’être souligné.

M. Philippe Gosselin. Comme vous, Monsieur le président, je me félicite de la création de la Délégation. Au cours de ces dix-huit derniers mois, je n’ai pas pu être présent aux réunions comme je l’aurais souhaité, mais mon désir est bien de me réinvestir en 2014. Je suis conscient que la Délégation, depuis sa création, a accompli un gros travail d’écoute et de proposition, avec beaucoup de sérieux, et je voudrais souligner ce travail. Ce que vous appelez de vos vœux, c’est-à-dire un échange réel, au-delà des sensibilités politiques, sur des sujets souvent essentiels pour les Outre-mer, est une ambition que je partage pleinement. Ensuite, bien entendu, cela n’exclut pas le débat en séance publique, qui peut être parfois âpre.

M. Patrick Lebreton. Je salue, moi aussi, la mise en place de la Délégation aux outre-mer qui correspond à une attente déjà ancienne des députés ultramarins. Dans notre travail, les approches thématiques transversales m’ont paru très fructueuses. En revanche, je pense qu’il faudrait améliorer encore notre capacité à porter un regard croisé sur nos différents sujets d’étude, c’est-à-dire accroître encore l’implication des élus de l’hexagone dans l’élaboration de nos rapports. Les élus ultramarins ont beaucoup d’informations et de messages à faire passer mais, à l’inverse, la Délégation aurait aussi beaucoup à gagner à ce que les élus hexagonaux s’emparent des sujets traités et se les approprient. De même, la Délégation a entretenu, durant les dix-huit mois écoulés, des échanges fructueux avec le Sénat. Il serait intéressant d’approfondir encore ces relations afin de créer une synergie plus forte. Dix-huit mois cependant est une durée qui donne déjà une bonne mesure des choses. Je félicite le président de la Délégation pour tout le travail accompli et ces félicitations valent aussi encouragements.

M. Serge Letchimy. Je m’associe aux propos élogieux qui viennent d’être tenus par notre collègue, M. Patrick Lebreton. La Délégation, selon moi, constitue un organe essentiel de préparation des débats. Elle permet d’étudier les textes très en amont, d’évaluer les arguments et d’élaborer des projets d’amendements qui peuvent s’avérer fort utiles lorsque les projets de loi sont inscrits pour un examen en séance publique.

Dans ce contexte, je souhaiterais que la Délégation se saisisse du texte sur la biodiversité qui devrait être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée dans le courant du second semestre de l’année 2014. Ce texte est très important pour les Outre-mer. Il y a la question de la pharmacopée locale dont le régime juridique doit être consolidé. Il y a aussi la question de la traduction des accords de Nagoya, accords signés au Japon, en octobre 2010, par un certain nombre d’États du Nord et du Sud et dont l’objet est de mieux protéger la faune, la flore et les espaces naturels terrestres.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, le texte sur la biodiversité fait partie de notre programme de travail pour l’année 2014. J’ai bien noté votre intérêt pour travailler sur le thème de la protection des espèces et des écosystèmes, intérêt qui ne se dément pas car vous aviez déjà investi sur ces questions lors de l’examen, en 2009, du projet de loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM). Il est un peu tôt pour désigner des rapporteurs mais nous le ferons le moment venu.

S’il n’y a plus de questions ou de remarques, je mets aux voix le rapport d’information.

Le rapport est adopté à l’unanimité.

AUDITIONS MENÉES PAR LA DÉLÉGATION SUR LES SUJETS CITÉS DANS LA SECONDE PARTIE DU RAPPORT

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

– Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer (Premier ministre) 33

– M. Serge Letchimy, parlementaire en mission, auprès du Ministre des Outre-mer, sur l’article 349 du traité de Lisbonne (mesures spécifiques concernant les régions ultrapériphériques)

Audition du 17 janvier 2013 43

Audition du 25 juin 2013 en présence de la Délégation sénatoriale à l’Outre-mer 51

– M. Patrick Roméo, président de Shell France, accompagné de M. Olivier Gantois, directeur des affaires publiques, de Mme Domitille Fafin, responsable des relations institutionnelles de Shell France, et de M. Guillaume Labbez, directeur conseil du cabinet Boury, Tallon et associés 63

– M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, chargé d’un rapport visant à identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires (secteur public et secteur privé) 83

– M. René Dosière, député, rapporteur de la commission des Lois sur le projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie 93

– Mme Annick Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, sur la question du plateau marin continental 99

Audition de Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer (Premier ministre)

(compte rendu de la réunion du 18 décembre 2012)

M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation. Nous vous remercions, madame la Déléguée interministérielle, d’avoir accepté l’invitation de la Délégation.

Le décret de juillet 2007, qui a institué un Délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, lui a confié une mission très ambitieuse : prévenir les difficultés spécifiques que rencontrent en métropole les Français d’outre-mer, faciliter leurs relations avec les collectivités d’origine ; apporter un concours et une expertise pour la définition des politiques destinées à assurer l’égalité des chances des Français d’outre-mer, notamment en matière d’accès au travail, au logement et aux services bancaires ; coordonner la mise en œuvre de ces politiques, renforcer les liens des Français d’outre-mer résidant en métropole avec leurs collectivités d’origine, et enfin veiller à la reconnaissance et à la diffusion en métropole des cultures d’outre-mer.

Comment concevez-vous ces missions ? Sont-elles assorties des moyens nécessaires ? Qu’avez-vous retiré des contacts que vous avez noués avec de nombreuses associations en charge des personnes originaires d’outre-mer dans l’hexagone ?

Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer. Je vous remercie de m’accueillir dans les locaux de l’Assemblée nationale. Permettez-moi tout d’abord de me présenter : je suis la fille d’un Réunionnais de Langevin et d’une Corrézienne de Brive-la-Gaillarde. Je suis née à Paris mais mes études et mon parcours professionnel m’ont amenée à partager mon temps entre la Réunion et la métropole. Je vis actuellement sur le territoire hexagonal.

Mon parcours professionnel est centré sur le développement local, économique et social. Après avoir été chef de projet dans le cadre de la politique de la ville, j’ai eu l’occasion de conduire des politiques publiques en direction de publics spécifiques, tout d’abord en accompagnant vers l’insertion professionnelle des bénéficiaires du RMI, puis en favorisant le maintien en milieu rural de l’activité économique dans le Limousin, avant d’occuper à la Réunion, de juin 2007 à octobre 2012, le poste de Déléguée régionale aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes.

C’est cette connaissance du service de l’État et mon sens du service public – qui m’ont permis d’occuper, depuis deux mois, le poste de Déléguée interministérielle – qui m’amènent devant vous aujourd’hui.

C’est avec respect et fierté que j’ai accepté votre invitation. J’ai la plus grande estime pour le travail parlementaire au service des territoires ultramarins et de leurs habitants, et je sais que l’Assemblée nationale souhaite prendre toute sa part dans le processus d’intégration de leurs problématiques dans le domaine législatif.

La Délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français de l’outre-mer que j’ai l’honneur de diriger a été créée dans le but de garantir l’accès à la citoyenneté et l’égalité des droits pour nos compatriotes d’outre-mer sur le territoire hexagonal. Mais nous savons tous que nous ne sommes pas encore parvenus à destination, loin s’en faut.

Pour mener à bien mon ambitieuse mission, je me suis fixé un cap, une méthode et un certain nombre d’actions. Toute décision pertinente s’appuie sur une connaissance fiable des personnes auxquelles nous devons porter notre attention. C’est pourquoi j’ai prévu de disposer, dès 2013, d’un outil d’évaluation et de prospective sociologique, économique et démographique. Cet outil est en cours d’élaboration au sein de l’Observatoire national des ultramarins. Il nous appartient de l’interroger, de le faire évoluer et d’en utiliser les ressources car tous les éléments objectifs dont nous disposerons nous permettront d’évaluer, de corriger et de pérenniser nos actions.

Je souhaite que la Délégation mette toute sa créativité en œuvre pour illustrer et valoriser l’audace des ultramarins de l’hexagone. De très nombreux exemples démontrent que l’excellence est possible, dans l’entreprise, les universités, la recherche, sans parler des arts et des sports.

Je propose d’articuler notre action autour de trois axes de travail, qui deviendront les rouages d’un mouvement vertueux vers l’égalité.

Le premier axe consiste à prévenir. Il s’agit pour moi d’anticiper, autant que possible, les situations susceptibles de provoquer ou d’amplifier les inégalités constatées, en particulier celles relevant d’a priori et de préjugés. Il me semble fondamental, à cet égard, de mettre l’accent sur l’accompagnement des ultramarins, dès leur arrivée dans l’hexagone, en prenant le relais des actions engagées sur le territoire d’origine. Ainsi, le travail entrepris par le régiment du service militaire adapté (RSMA) en matière d’insertion professionnelle pourrait être prolongé dans l’hexagone. Nous avons, d’ores et déjà, évoqué l’hypothèse d’une expérimentation commune en matière d’accueil des personnes en recherche d’emploi sur notre territoire.

Je souhaite également que les ultramarins de l’hexagone soient mieux représentés au sein des communautés d’experts, tant dans les médias généralistes qu’au sein des colloques, séminaires et instances consultatives, comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Tout en poursuivant notre travail de reconnaissance d’une culture et la recherche d’une identité propre, nous devons rappeler ce qui nous rassemble et ce qui nous fédère. Notre communauté se définit en effet autant par ses différences culturelles que par ses attachements républicains. À ce titre, je souhaite que le rôle des Français des outre-mer soit reconnu au cours de la cérémonie de commémoration des actions de la Résistance qui aura lieu en 2014.

Le deuxième axe de ma mission consiste à agir et à corriger. En plus des importants efforts de prévention que nous pourrons engager, il nous faudra rectifier un certain nombre d’inégalités dont souffrent les ultramarins dans l’hexagone, afin de gommer les difficultés d’accès à l’emploi, au logement ou à la formation. Les actions menées en ce sens par mes prédécesseurs doivent être poursuivies et renforcées.

Le sujet crucial de la continuité territoriale nécessite un engagement constant. À ce titre, les conventions qui ont été signées avec les partenaires du transport aérien doivent être renouvelées et améliorées. Il est important pour les ultramarins d’être mieux informés des solutions qui leur sont offertes et, pour cela, la Délégation compte sur les bénévoles du Défenseur des droits présents sur l’ensemble du territoire national. J’ai eu l’occasion de rencontrer M. Dominique Baudis, la semaine dernière, à ce sujet.

Les bailleurs et tous les acteurs du service public de l’emploi doivent être sensibilisés à l’obligation que leur fait la loi de ne faire aucune différence de traitement entre nos concitoyens. Il n’est pas tolérable que les cautions solidaires des personnes résidant dans les territoires ultramarins soient encore perçues comme défaillantes par de nombreux bailleurs privés, ni que les relevés d’identité bancaire des comptes domiciliés outre-mer soient considérés par certains opérateurs de téléphonie mobile de l’hexagone comme des comptes détenus dans un pays étranger.

Le troisième axe de mon action consiste à diffuser. Le Gouvernement a mis en place des référents spécifiquement dédiés aux outre-mer au sein de chaque cabinet ministériel. J’ai entrepris de les rencontrer. Ce réseau permettra de diffuser la démarche de la Délégation interministérielle et d’instiller, au sein des services de l’État, une prise de conscience de la réalité de ces inégalités. Il nous sera désormais plus aisé de sensibiliser les acteurs publics aux préjugés et aux discriminations, ordinaires ou inconscientes.

Je souhaite, en outre, que soit élaboré un plan d’action interministériel, tant interne qu’externe, sous la forme d’informations systématiques dans les parutions des différents services gouvernementaux, de plans de formation spécifiques des agents en contact avec le public et d’actions de sensibilisation des partenaires des services de l’État aux spécificités des publics et des territoires ultramarins. Nous allons initier cette démarche au sein des ministères dont les portefeuilles sont les plus immédiatement concernés par nos priorités, à savoir ceux en charge du logement, de la culture, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, de la ville et de la santé.

Toutes ces actions convergent vers la Cité des outre-mer, dont la création a été voulue par le Président de la République afin que la pluralité de nos concitoyens ultramarins soit reconnue par tous comme constitutive de notre tissu national. La Délégation interministérielle travaille à sa réalisation, en partenariat étroit avec le ministère des Outre-mer.

Tout ceci ne peut se faire sans votre soutien, mesdames et messieurs les députés, ni sans votre concours. Vous êtes la voix de nos concitoyens des outre-mer. C’est grâce à vous et à vos observations que nous serons au contact des territoires et que notre feuille de route ne restera pas lettre morte.

Votre concours sera également nécessaire pour appuyer les travaux de la Délégation. Celle-ci dispose de moyens humains – elle se compose d’une équipe de huit personnes – mais ses moyens financiers, compte tenu des efforts engagés par l’ensemble des ministères, sont considérablement réduits et ne permettront pas de mener à bien la feuille de route. C’est la raison pour laquelle j’envisage un plan d’action interministériel. J’aurai sans doute besoin de votre appui auprès du Gouvernement pour faire avancer certains dossiers.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Quels sont les chiffres dont vous disposez s’agissant de nos compatriotes d’outre-mer installés dans l’hexagone ?

Mme Sophie Elizéon. J’ai rencontré hier soir une centaine de représentants du tissu associatif ultramarin installé dans l’hexagone. Selon eux, pas moins d’un million d’ultramarins sont implantés dans l’hexagone. Mais selon un récent rapport de l’INSEE, ils ne seraient que 360 000. La première question que nous aurons à nous poser sera donc de savoir où vivent les ultramarins installés dans l’hexagone et quelle est leur origine. Les statistiques de l’INSEE, établies en 2008, ne prenaient en compte que les personnes nées en outre-mer. Notre conception est naturellement plus large. Nous considérons que les statistiques doivent englober les enfants d’ultramarins nés dans l’hexagone mais qui ont déjà vécu ou conservent des attaches dans les régions et les départements d’outre-mer.

Mais, comme vous le savez, la loi nous interdit d’identifier ces personnes dans des données statistiques. Ce que l’on peut identifier clairement, et sur ce point les données statistiques existent à l’INSEE, à l’Institut national d’études démographiques (INED), à l’Observatoire de la diversité, mais également, hélas, à l’Observatoire de la délinquance, c’est le lieu de naissance des personnes. L’INSEE a notamment identifié, dans son rapport annuel, que, sur les 365 000  ultramarins résidant dans l’hexagone, deux tiers des Antillais résident en Ile-de-France, tandis que 72 % des Réunionnais résident en région. Cela nous donne un éclairage particulier, notamment sur la construction et le développement du tissu associatif. L’INSEE a également identifié qu’un Antillais sur six et près de la moitié des Mahorais occupent des logements surpeuplés – ce qui s’explique en partie par le fait qu’ils résident dans des métropoles.

En matière d’accès à l’emploi, il apparaît que le taux d’activité des ultramarins installés dans l’hexagone est équivalent à celui des autres Français. Néanmoins, à niveau de diplôme égal, les ultramarins accèdent à des emplois sous-qualifiés. Est-ce dû à un phénomène d’autocensure, à l’intégration de certains stéréotypes, ou au contraire à une discrimination, directe ou indirecte ? C’est une question à laquelle, avec le Défenseur des droits, nous allons tenter de répondre. Encore faut-il que les personnes victimes de discrimination soient informées de ce que sont ces discriminations et qu’elles en saisissent le Défenseur des droits.

Un certain nombre de données existent mais elles ne sont pas exploitées. Tout le travail de l’Observatoire consistera à les exploiter et à mettre en place des indicateurs qui nous permettront d’évaluer les champs d’activité de la Délégation.

M. Jean-Jacques Vlody. Votre tâche n’est pas simple, madame, mais en tant que parlementaires d’outre-mer nous partageons votre souci d’améliorer la représentation de nos territoires et de veiller à ce que les ultramarins vivant en métropole soient pris en compte dans tous les dispositifs relevant de la Nation.

Nous connaissons les discriminations liées à la domiciliation des comptes bancaires outre-mer et les difficultés que rencontrent les familles ultramarines qui souhaitent louer un logement pour leurs enfants étudiants. Avez-vous des pistes de réflexion sur ces questions ?

Le conseil général de la Réunion a passé un contrat avec le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) pour qu’il réserve un quota de logements aux étudiants réunionnais au niveau de la licence. En outre, le conseil général finance des associations susceptibles d’accompagner les Réunionnais en métropole. Un certain nombre d’actions sont engagées, mais elles sont désordonnées. La Délégation serait-elle en mesure de dresser un état des lieux de toutes les actions engagées par les collectivités d’outre-mer et d’assurer leur coordination ?

Mme Sophie Elizéon. Les partenariats que vous évoquez me paraissent très positifs. Il n’en est pas moins nécessaire de mener un travail de fond pour changer les pratiques professionnelles des bailleurs, privés ou sociaux. Il s’agit de les sensibiliser, de leur rappeler les termes de la loi en matière de discrimination et ceux de la Constitution en matière de continuité territoriale. Il convient également de les informer de ce qu’ils encourent en enfreignant la loi et de les engager à signer des partenariats pour mettre fin aux pratiques discriminatoires. Nous envisageons, comme l’avait proposé l’un de mes prédécesseurs, de mettre en place un conventionnement avec la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) en vue de former les personnels des agences sur le sujet de l’égalité des chances et de la lutte contre les discriminations. En cas de manquement à leurs obligations, les agences se verraient retirer la labellisation. Ce partenariat serait, à mes yeux, une première étape vers la diffusion de bonnes pratiques. Je précise que le Défenseur des droits soutient cette démarche.

Je soutiens votre proposition, monsieur le député, de coordonner l’ensemble des actions menées en direction du logement et de l’insertion professionnelle. Le conseil régional de la Guadeloupe a récemment signé une convention avec l’association « Nos quartiers ont des talents », dans le but d’accompagner de jeunes diplômés vers l’emploi, et il a signé une convention avec le CNOUS.

M. Ibrahim Aboubacar. J’attire votre attention, madame, sur un problème dont souffre de plus en plus le territoire de Mayotte. Le dispositif de formation professionnelle n’est pas complet. Comme l’a souligné l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM), les étudiants mahorais qui suivent une formation en métropole ont des difficultés à trouver un stage dans les entreprises. Le conseil général a été contraint de mettre en place un dispositif quasi-systématique et de modifier le règlement des bourses pour permettre aux étudiants de suivre des stages à Mayotte. Comment pourrions-nous améliorer cette situation ?

Mme Gabrielle Louis-Carabin. J’entends beaucoup parler de discriminations, pourtant je ne suis pas certaine qu’elles existent encore à l’encontre des ultramarins.

Lorsque j’étais jeune, je me suis vue refuser par une agence de la BRED à Paris un chèque de banque émis par une agence de Guadeloupe. Mais ce temps est révolu et pour moi cette expérience appartient au passé.

En revanche, la disposition qui, en cas de décès d’une personne outre-mer, accordait un billet d’avion à prix réduit à chaque membre de la famille résidant en France semble ne plus exister.

Je considère, pour ma part, que les ultramarins font l’objet de discriminations surtout s’ils ne respectent pas les règles sociales édictées pour tous. Je ne pense pas qu’il soit exact de dire que nos étudiants ne trouvent pas à se loger. Pour cela, comme vous l’avez rappelé, madame, le conseil régional de Guadeloupe a signé une convention. S’ils adoptent un comportement satisfaisant et font preuve de rigueur dans leur travail, les jeunes originaires d’outre-mer s’insèrent parfaitement dans la vie professionnelle. Je pense donc qu’il faut faire la part des choses et qu’il faut établir un état des lieux très précis de toutes les situations.

Pendant longtemps on a demandé aux ultramarins qui vivaient à Paris de ne pas s’inscrire sur les listes électorales. Je les ai incités à le faire, ce qui a permis à une Guadeloupéenne, Mme Pau-Langevin, d’être élue à l’Assemblée nationale.

Il convient en effet d’expliquer aux bailleurs qui nous sommes. Je n’ai eu aucun mal, récemment, à trouver un logement pour mon plus jeune fils. Pour cela, on m’a simplement demandé le montant de mes revenus – je n’ai même pas été obligée de dire que j’étais députée.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Vous souhaitez, madame la Déléguée interministérielle, valoriser l’audace des ultramarins de l’hexagone. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Bernard Lesterlin. Nous sommes ravis de faire votre connaissance, madame.

Votre action, vous avez raison, doit s’appuyer sur une observation objective de nos compatriotes ultramarins. Il faut reconnaître que la situation a beaucoup évolué. La précédente génération n’a pas connu l’égalité des chances. Depuis la dernière guerre mondiale, nos compatriotes des départements et territoires d’outre-mer contribuent à faire de la France ce qu’elle est et enrichissent notre société. Cet enrichissement ne va pas sans heurts et peut entraîner des discriminations, c’est pourquoi nous devons rester vigilants.

Notre société sera toujours faite de différences. Il convient de les valoriser. Pour cela, nous ne devons pas rester arc-boutés sur les discriminations et l’inégalité des chances, mais promouvoir tout ce que nous ont apporté les collectivités ultramarines.

Enfin, pouvez-vous nous apporter des précisions sur le fonctionnement, la méthodologie et les moyens de l’Observatoire de l’outre-mer ?

Mme Sophie Elizéon. Mon objectif, qui est également celui de la Délégation, est de porter un regard neuf et positif sur les ultramarins installés dans l’hexagone.

Pourquoi les ultramarins ont-ils de l’audace ? Parce qu’ils créent des entreprises, qu’ils s’engagent dans des parcours universitaires, intègrent des grandes écoles, qu’ils osent se former à des métiers dans lesquels ils deviennent excellents, qu’ils deviennent présidents ou présidentes d’association, parce qu’ils s’engagent en politique. C’est ce regard que je souhaite promouvoir, sans pour autant nier les difficultés et les discriminations auxquelles sont confrontés certains d’entre eux.

S’agissant du cautionnement solidaire et de la garantie bancaire, le Défenseur des droits a rendu en mai une décision visant à faire cesser les pratiques discriminatoires.

Les ultramarins réussissent et disposent souvent de parcours excellents : c’est le message que souhaite délivrer la Délégation, afin de changer le regard que portent sur eux nos compatriotes et afin de sortir des stéréotypes, ainsi que de l’image, trop souvent véhiculée par les médias, d’ultramarins plus occupés à faire la fête qu’à travailler.

Pour évaluer notre progression, nous devons savoir d’où nous partons et mesurer l’impact de nos actions.

L’Observatoire de l’outre-mer est une association dont la création est née du constat que nous ne disposions d’aucune donnée chiffrée concernant les ultramarins qui vivent dans l’hexagone. Il se compose d’une équipe de professionnels qui maîtrisent les métiers liés au recueil des données et à l’analyse statistique. Un comité de pilotage, avec des partenaires comme l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSÉ) ou les ministères du logement et de la justice, sera mis en place avec pour mission d’identifier un certain nombre d’indicateurs, en vue d’orienter notre action vers le logement, l’emploi, la formation, la culture ou la santé. Les travaux de l’Observatoire nous permettront, en outre, d’évaluer l’impact des actions menées.

L’enjeu du troisième axe de l’action de la Délégation que je viens de présenter consiste à mettre en place des mesures pérennes, afin qu’un jour nous n’ayons plus besoin, dans notre pays, d’une Délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer…

S’agissant des difficultés d’accès à l’information, la Délégation a engagé un partenariat avec un certain nombre d’associations, dont « Nos quartiers ont des talents » et AKELIO accompagnement, dont la mission est d’aider les jeunes diplômés à obtenir un stage ou un emploi. Ces associations s’adressent à un public de niveau bac + 4, mais nous entendons étendre cette expérience à un public moins diplômé. Il semble, monsieur Aboubacar, que les jeunes Mahorais qui recherchent un stage dans l’hexagone entrent tout à fait dans le cadre de cette association.

S’agissant de l’accès à l’emploi et à la formation, et s’agissant, plus généralement, du développement économique, nous comptons faciliter, dans les territoires d’outre-mer, la reprise d’entreprises en difficultés par des compatriotes, originaires des mêmes régions que celles où ces entreprises exercent leurs activités.

M. Bernard Lesterlin. Je souhaite bonne chance à l’Observatoire, dont la mission me paraît essentielle. Vos propos donnent à penser que de plus en plus d’ultramarins naîtront dans l’hexagone. Cette évolution devrait faire progressivement disparaître les discriminations.

Si vous faites bien votre travail, et je suis certain que c’est ainsi que vous le ferez, et nous vous y aiderons, la discrimination individuelle s’effacera progressivement. Mais nous sommes confrontés à une autre discrimination, que je connais bien en tant qu’élu du nord de l’Auvergne : il s’agit de la désertification. Notre objectif doit être de réduire cette inégalité-là. Les chiffres macroéconomiques montrent des disparités en matière de revenus moyens, de taux de chômage – en particulier celui des jeunes, qui est une véritable bombe à retardement. L’utilisation des talents de nos jeunes ultramarins pour booster l’économie et l’environnement social de territoires qui souffrent de ces disparités peut être un objectif intéressant, encore faut-il que cette politique soit bien comprise et bien conduite. L’exemple de notre collègue Ibrahim Aboubacar est édifiant : les jeunes Mahorais qui viennent se former en France mais ne trouvent pas de stages sont obligés de retourner à Mayotte pour compléter leur formation. Mais, en fait, c’est diplômes en poche qu’ils devraient pouvoir revenir dans le département d’origine de leurs parents, pour le faire profiter de leur expérience. Il faut que nous soyons très attentifs à tout cela.

M. Jean-Jacques Vlody. Pour déterminer le nombre des ultramarins, il suffirait d’utiliser la notion de territoire « au centre des intérêts matériels et moraux » de la personne, qui s’applique pour le traitement des avantages acquis des fonctionnaires ultramarins.

J’apprécie votre souhait de ne pas stigmatiser les ultramarins sous l’angle des discriminations dont ils font l’objet et votre volonté de mettre en avant leurs réussites. Il faut établir des partenariats étroits avec les outre-mer et mettre en œuvre des dispositifs innovants. En matière de reprise d’activités économiques, des dispositifs existent, en particulier ceux mis en place par le Comité national d’aide et d’action pour les Réunionnais en mobilité (CNARM), mais ils ne s’appliquent pas dans toutes les régions. Je partage votre sentiment sur la nécessité de coordonner l’ensemble des initiatives.

Certaines collectivités de l’hexagone, publiques et privées, ont besoin de pédagogie. Je pense à une collectivité locale qui s’inquiétait d’un dispositif du CNARM qui avait si bien fonctionné que cette commune craignait que des cargos entiers de Réunionnais viennent s’installer sur son territoire pour réclamer des logements sociaux.

Les ultramarins ne doivent plus être considérés comme des personnes marginales au sein de la République. Pour cela, il faut changer la mentalité de nos concitoyens. La République doit intégrer sa dimension ultramarine à tous les niveaux et ne plus raisonner de manière purement hexagonale. Je répète souvent à mes collègues élus du sud ou de l’est de la France, en particulier de Nice et de la Savoie, que la Réunion était française bien avant leurs propres régions. Si tous les Français le savaient, ils regarderaient sans doute différemment leurs compatriotes des territoires ultramarins.

M. Ary Chalus. Je tiens simplement à rappeler que les citoyens ultramarins, pour une fois, ont compté dans une élection présidentielle et que les deux assemblées se sont dotées d’une Délégation aux outre-mer. Il s’agit là d’éléments favorables devant permettre – enfin – une meilleure prise en compte des vœux des ressortissants des départements et des collectivités d’outre-mer.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Quel est le nombre d’ultramarins qui viennent dans l’hexagone chercher du travail – et à qui je conseille, d’ailleurs, de rester sur leur territoire, quand ils le peuvent, pour ne pas aller gonfler l’effectif de ceux qui ne trouvent pas d’emploi en métropole ? Et quel est le pourcentage de ceux qui ne réussissent pas à s’insérer ?

Mme Monique Orphé. Je souhaite que la Délégation interministérielle se penche sur le problème des violences subies par les femmes dans les départements d’outre-mer, départements qui semblent tenus à l’écart des débats qui se déroulent actuellement sur ce thème.

Une enquête nationale « Virage » (Violences et rapports de genre) sera menée en 2014. La ministre des droits des femmes en a exclu les outre-mer, comme ce fut le cas en 2000 pour l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF). Il serait normal que l’Observatoire national des violences engage une enquête approfondie pour recenser le nombre de femmes victimes de violences dans les départements d’outre-mer, dans la mesure où ceux-ci affichent un taux de 15 % d’actes de violences contre 9 % en métropole. Je souhaite donc que les départements d’outre-mer ne soient pas exclus de la prochaine enquête sur les violences exercées envers les femmes, et je vous demande, madame, d’appuyer ma demande auprès de la ministre. Les femmes d’outre-mer ne comprendraient pas une telle exclusion.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Vous avez parfaitement raison. Il ne faudrait pas que resurgissent des pratiques qui avaient beaucoup régressé au cours des dernières années.

Vous constatez, madame la Déléguée interministérielle, que les attentes des parlementaires sont tout aussi ambitieuses que les objectifs du décret.

Je vous remercie et vous propose de renouveler cette expérience, qui vous a permis d’exposer votre méthode et le cap que vous entendez suivre.

M. Ibrahim Aboubacar. Je vous suggère, monsieur le président, de programmer des rencontres régulières avec Mme la Déléguée interministérielle.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Ce serait souhaitable, mais le programme de travail de l’Assemblée est très chargé et nos collègues, qui doivent faire face à différentes réunions se tenant au même moment, choisissent celles qui se rapportent à des sujets qui les intéressent directement ou qui sont d’actualité, au détriment des réunions de la Délégation. Quoi qu’il en soit, j’espère vous rencontrer, dans le courant de l’année prochaine, pour connaître l’état d’avancement de vos travaux.

Mme Sophie Elizéon. Je vous remercie, à mon tour, pour vos questions qui me permettront de compléter ma feuille de route. Je reviendrai avec grand plaisir vous présenter l’état d’avancement de nos travaux lorsque l’Observatoire aura mis en place un certain nombre d’éléments chiffrés.

Audition de M. Serge Letchimy, parlementaire en mission, auprès du ministre des Outre-mer, sur l’article 349 du traité de Lisbonne (mesures spécifiques concernant les régions ultrapériphériques)

(compte rendu de la réunion du 17 janvier 2013)

Mme Chantal Berthelot, présidente. Nous accueillons aujourd’hui M. Serge Letchimy, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer. Il doit rendre un rapport dans le courant du mois prochain sur l’article 349 du traité de Lisbonne, rapport à propos duquel il va nous exposer ses premières pistes de réflexion.

Il s’agit là d’un travail d’ampleur considérable et qui revêt une grande importance pour nos territoires d’outre-mer.

M. Serge Letchimy, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer. Je suis très heureux de m’exprimer devant vous. J’évoquerai ma méthode de travail ainsi que quelques points de fond.

Le Premier ministre m’a demandé d’étudier l’application de l’article 349 du traité de Lisbonne et de voir comment améliorer sa mise en œuvre, compte tenu des conditions de développement des régions ultrapériphériques (RUP), françaises notamment, ainsi que de leurs handicaps permanents et de leurs particularités.

Je m’en réjouis d’autant plus que, depuis très longtemps, le statut spécifique de ces régions tend progressivement à s’étioler. Or, l’article 349, du fait des politiques publiques européennes, a encore aggravé l’absence de prise en compte effective par la Commission européenne de ces particularités.

Nous avons obtenu beaucoup de choses au titre de l’article 227 du traité de Rome. Ce fut notamment le cas à l’époque du Président François Mitterrand – qui a exigé la prise en compte de l’ultrapériphéricité –, une déclaration commune annexée au traité de Maastricht ayant donné lieu à une forte implication. Et la situation fut la même, quelques années plus tard, avec l’article 299 du traité d’Amsterdam.

Parallèlement, est née la conférence des régions ultrapériphériques, réunissant l’ensemble de ces régions – portugaises, françaises et espagnoles – pour accroître leur capacité de lobbying et faire en sorte qu’elles constituent un partenaire efficace.

Mais nous sommes aujourd’hui dans une situation très difficile.

Le calendrier de la mission est très contraint puisque je dois rendre mon rapport le 15 février – je pense d’ailleurs que je vais demander au Premier ministre quelques jours de plus. Cela dit, nous avons déjà beaucoup travaillé depuis décembre, avec des collaborateurs de qualité.

Le périmètre retenu comprend la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion, mais aussi Mayotte – même si elle n’a pas encore le statut de RUP – ainsi que Saint-Martin.

Nous allons prendre en compte tous les rapports déjà réalisés, notamment le rapport Solves, et ceux des conférences des RUP.

Par ailleurs, je me rendrai à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Martin, en Guadeloupe et en Guyane en informant chaque député et sénateur – les réunions seront préparées par les préfets et les représentants économiques et sociaux. Il a aussi été prévu d’écrire à l’ensemble des acteurs économiques et des forces vives des départements et des collectivités d’outre-mer pour leur demander de nous faire part des informations dont ils disposent.

Nous consulterons également les ministères concernés en leur demandant un état des lieux de l’application de l’article 349 et les propositions qu’ils souhaiteraient faire dans ce domaine. Nous ferons de même avec les représentants socio-professionnels.

Il faut que le rapport comporte des propositions concrètes, qui soient soutenues au plus haut niveau, faute de quoi nous n’aurons pas de résultats.

S’agissant de l’octroi de mer – que nous ne traiterons pas dans la mesure où il fait l’objet d’un rapport en cours commandé par le précédent Gouvernement et présenté actuellement à M. Victorin Lurel –, nous attirerons l’attention du Président de la République sur la nécessité de le maintenir et de l’adapter. Cette adaptation doit être efficace et permettre d’atteindre l’objectif d’optimiser le développement économique, en réduisant les prix tout en évitant de déstabiliser les recettes des communes.

En ce qui concerne les programmes d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI), dont l’un d’entre eux fait l’objet d’un régime dérogatoire, se pose la question de savoir si nous devons conserver des dispositifs extrêmement réglementés, imposant un délai d’un à trois ans pour modifier leur contenu, et où chaque dérogation nécessite un processus devant la Commission – laquelle, au surplus, ne fait pas, selon moi, preuve de suffisamment de souplesse.

Quant au POSEI agricole, qui est à 80 % consacré à la banane, s’il faut continuer à protéger la production d’une banane de très haute qualité écologique, cela ne doit pas se faire au détriment de la diversification de la politique agricole, qui permet de développer l’agroalimentaire, notamment de substitution. L’objectif est double : augmenter la production locale au service de la consommation locale pour diminuer le flux de l’importation et permettre, par la labellisation, de détecter d’autres productions, comme le sucre ou le café, tel que le café de Guadeloupe.

Il faut aussi faire évoluer les POSEI vers le tourisme pour avoir une approche globale de celui-ci.

Au-delà du fait qu’il convient d’avoir un vrai POSEI pêche, qui couvre les productions locales les plus significatives, nous devons avoir un regard d’ensemble sur la biodiversité et la politique des énergies renouvelables et des richesses marines.

De même, l’Europe et la France devraient travailler à une politique de grand voisinage favorisant le développement économique territorialisé, comme entre La Réunion et l’Afrique du Sud, ou entre la Guyane ou les Antilles et le Brésil. Il faut en permanence faire le lien entre les politiques que l’on demande à l’Europe de mettre en place et les politiques nationales. À cet égard, il convient que l’Europe finance les liaisons maritimes ou terrestres avec ces pays voisins. Nous devons favoriser une croissance partagée et non, seulement, le versement classique de subventions.

L’allocation spécifique pour les RUP est une question majeure car elle permet de compenser les surcoûts liés aux intrants. Or, il est stupide d’importer à 8 000 kilomètres des produits de base alors que ceux-ci se trouvent à 1 000 kilomètres. Il faut donc ouvrir un chantier sur les normes, avec des systèmes d’équivalence, nous permettant d’importer de l’essence à proximité ou des matériaux de base, comme le bois de Guyane, pour pouvoir les transformer dans des zones d’activité que l’on pourrait mettre en place.

Nous sommes de plus en plus confrontés au risque d’une banalisation de l’article 349, au point de n’en tenir véritablement compte dans aucun dispositif européen. Nous devons passer d’une logique de guichet financier à une logique de projets avec des perspectives de croissance, faute de quoi ce sont les plus débrouillards et les plus influents qui exerceront un leadership sur les financements européens.

Je n’entre pas dans le détail technique des nombreuses petites modifications des règlements européens non prises en compte. Je rappelle seulement à cet égard que, sur les cinquante propositions faites dans les rapports des RUP, aucune n’a été retenue par la Commission.

Enfin, nous sommes confrontés à deux enjeux géopolitiques très importants.

Le premier est que les États membres ne sont plus 12 mais 27. Or, le PIB moyen par habitant de certains pays de l’Est est beaucoup plus bas que celui des RUP. De plus, il y a, parallèlement, en France, une tendance à l’harmonisation des politiques régionales. Beaucoup, au niveau national comme européen, sont favorables à un régime prudentiel vis-à-vis de l’outre-mer comparable à celui prévalant pour la défiscalisation : il faut en tenir compte, d’un point de vue diplomatique, pour la mise en place des procédures, de même qu’il faut bien sensibiliser le Parlement. Il est proposé à cet égard de réorganiser les politiques publiques liées aux RUP.

Je rappelle que le groupe interservices situé à Bruxelles n’a pas de position ou d’autorité véritable. Il faut trouver une méthode entre le Parlement, la Commission et la France pour que les négociations tiennent compte en permanence, des RUP. Il convient également d’exiger que, dans toutes les politiques publiques européennes, le statut dérogatoire de l’article 349 soit précisément rappelé et que les RUP ne soient pas la variable d’ajustement des budgets, ce qui commence à être le cas. La diplomatie européenne en faveur des RUP manque de poids.

Le deuxième enjeu tient à la relation de la France avec l’Espagne et le Portugal. Il faut voir quelles négociations ces trois pays pourraient mener pour bien prendre en compte les RUP.

Nous sommes condamnés à changer de modèle économique : c’est, en tout cas, le cas pour la Martinique. Les difficultés financières, dans le contexte de la crise actuelle, empêcheront de disposer des mêmes mécanismes que par le passé. Mais nous ne pouvons changer de modèle si la France n’intègre pas cette idée pour repenser le développement endogène et si nous-mêmes, dans nos régions, ne modifions pas les paramètres à cet effet.

Le taux de croissance, qui est actuellement compris entre 0,4 % pour la Martinique et 3 à 4 % pour la Guyane, n’a pas de lien avec la stabilité de la cohésion sociale, ce qui fait que 50 % des jeunes sont en inactivité et que nous avons un taux de chômage compris entre 22 et 30 %.

Changer de modèle suppose éventuellement de passer par une phase de sacrifice : il faut profiter de la situation de crise, ainsi que du contexte de mutation climatique et écologique, pour le faire – on peut, à cet égard, construire des filières de développement économique. Il convient aussi de changer de modèle dans notre représentation de l’ingénierie du développement et dans celle du financement des économies ultramarines, ce qui posera à terme le problème de la fiscalité.

Il faut donc donner à la France, à l’Europe et à nous-mêmes tous les éléments nécessaires pour bien anticiper et bien réaliser ce changement de paradigme.

M. Patrick Ollier. J’estime que personne d’autre que vous n’était aussi légitime dans cette fonction de parlementaire en mission, même si nous ne partageons pas toujours les mêmes idées. J’ai beaucoup de respect pour votre compétence, votre connaissance des problèmes et votre intelligence pour trouver des solutions, au-delà des clivages politiques.

Vous avez quasiment tout dit. Je partage votre combat depuis vingt ans et j’ai toujours essayé d’aller dans ce sens lorsque j’étais président de la commission des Affaires économiques. J’avais d’ailleurs incité le précédent Gouvernement à demander une dérogation aux normes européennes pour la Guyane. Et je dis la même chose que vous, aux pages 8 à 15 de mon rapport budgétaire.

Je pense que vous serez en mesure de proposer les bonnes solutions au Président de la République et au Premier ministre. Mais il faudra qu’ils aient la volonté de se battre contre la technostructure et la lourdeur des prises de décision européennes !

Il s’agit, en fait, de mettre en place une réelle politique d’aménagement du territoire, laquelle implique de tenir compte de la spécificité des espaces géographiques, quels que soient les traités et les contrats – une spécificité qui existe tout autant dans les zones de montagne de l’hexagone ! Pour compenser les handicaps et rétablir les équilibres, il faut des dispositions permettant de le faire, ce qui est le cas de l’article 349. Son dernier alinéa prévoit, en effet, que le Conseil arrête ses mesures, en tenant compte des caractéristiques et des contraintes des RUP, sans nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique de l’Union. On notera, par ailleurs, que personne ne veut nuire à cette intégrité ! Il suffit d’établir clairement la hiérarchie des normes, une hiérarchie qui est indispensable en ce domaine. À cet égard, certaines situations, telles que l’imposition du bois de hêtre de Guyane, sont toujours aussi absurdes.

Je soutiens les orientations que vous avez exposées. Il n’y a rien de pire que de pousser un territoire à s’engager dans la monoculture – j’ai vu notamment, dans le Sud-Ouest, les conséquences terribles de la monoculture du maïs. Le changement de modèle que vous proposez est courageux et il constitue la seule solution viable. À cet effet, il faut cesser de compter sur des habitudes anciennes débouchant sur des systèmes qui ne fonctionnent plus.

Le tourisme constitue la pierre angulaire. Il faut, pour cela, que la politique de grand voisinage soit réellement établie. La territorialisation des politiques économiques est, à cet égard, essentielle.

J’ai apprécié que vous préconisiez de passer d’une politique de guichet à une politique de projets. C’est d’ailleurs l’argument que j’ai utilisé concernant l’article 6 de la loi pour la cohésion sociale de 2004 pour les zones financées par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et pour faire en sorte que les villes dites riches puissent accéder à des programmes environnementaux. Mais il faut être prudent car la politique de projets comporte parfois des excès : dans le cas que je viens d’évoquer, la multiplication des demandes avait en effet asséché la première vague de crédits prévus. Il faut, à cet égard, prévoir des cliquets de sécurité pour éviter que l’on ne vous oppose des risques de dérapage financier.

S’agissant de l’attitude des pays de l’Est, j’étais pour ma part plus favorable à l’approfondissement de l’Union européenne qu’à son élargissement, pour ne pas affaiblir les politiques conduites. D’un autre côté, on ne pouvait laisser ces pays en déshérence après la chute du mur de Berlin. Ils se trouvent dans la même situation que l’Espagne et le Portugal jadis – on peut rappeler que si le Portugal a rattrapé son retard, c’est parce que l’Union a consacré des milliards d’euros à financer ses investissements ! Il faut un juste équilibre entre les crédits accordés aux États membres de l’Union et ceux dont bénéficient les RUP. Or, les mesures prises ne donnent pas l’impression que l’article 349 est réellement appliqué.

L’enjeu de votre mission est exceptionnel : j’ai le sentiment que le Gouvernement a la réelle volonté de le prendre en compte.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Merci, monsieur Ollier, pour vos propos.

M. Ibrahim Aboubacar. La question de la diplomatie territoriale et des relations économiques avec nos proches voisins est importante. Il y a eu des discussions, au cours de ces dernières années, dans l’océan indien, sur des accords de partenariat économique entre des territoires relativement peu éloignés, discussions auxquelles ont participé des représentants de plusieurs organisations régionales. Mais elles n’ont pas abouti pour l’instant et elles ont conduit quatre pays – les Seychelles, Maurice, Madagascar et les Comores – à proposer un mini-accord pour continuer à bénéficier, auprès de l’Europe, de dérogations pour les échanges.

J’ai été confronté, à ce sujet, au problème de la lourdeur des normes, notamment dans le domaine agricole, laquelle constitue un frein majeur au développement des échanges, qu’il s’agisse des bovins ou des produits maraîchers. Or, si on demande à ces États de se conformer aux normes européennes dans un certain nombre de filières, on risque d’attendre longtemps ! Vis-à-vis des Malgaches, se pose notamment le problème de l’importation de la viande par exemple.

Par ailleurs, on est confronté à la question du transport de marchandises ou de personnes. Certes, à une époque, la piraterie avait affaibli considérablement la desserte de l’océan indien, mais, aujourd’hui, l’un des principaux freins au développement du tourisme tient aux difficultés de circulation. En outre, il est plus facile pour les Malgaches d’écouler des productions maritimes vers l’Europe continentale que dans nos zones : la crevette malgache fait, par exemple, le trajet vers Paris avant de revenir à La Réunion ou à Mayotte ! Cela ne peut que renchérir les coûts pour les consommateurs.

Sur la question du partage des avoirs, nous avons, à Mayotte, un très grand espace maritime, où nous essayons, depuis quinze ans, de développer l’aquaculture. Or, la production, qui est de 100 à 150 tonnes par an, ne décolle pas. Pourtant, tous les spécialistes indiquent que notre espace maritime devrait nous permettre d’accroître les échanges de façon beaucoup plus significative. D’autre part, certains pays voisins développent d’autres cultures analogues sans qu’il y ait d’échanges. À cet égard, se pose la question de la recherche et du développement pour créer des filières supplémentaires, en nous inspirant de ce que font les autres et en identifiant les problèmes de normes qui se posent.

Reste aussi à savoir si la labellisation doit se limiter à nos propres produits ou s’étendre à des productions régionales. Si nous tentons d’ignorer ces dernières, nous risquons de perdre la labellisation. Ainsi, à Mayotte, on a perdu très vite la labellisation de la vanille faute de la coordonner avec celle des Comoriens et des Malgaches.

M. Ary Chalus. J’ai beaucoup apprécié votre soutien, monsieur Ollier, ainsi que la notion de sacrifice évoquée par M. Letchimy. De fait, les États-Unis ont su consentir des sacrifices pour relancer General Motors !

Par ailleurs, plutôt que de faire des promesses, il vaut mieux se concentrer sur la réalisation de quelques projets concrets.

M. Boinali Said. On ne peut qu’adhérer à votre projet d’excellence, monsieur Letchimy. Mais la tâche est vaste, d’autant que nous devons opérer, comme vous l’avez indiqué, un changement de modèle, voire de paradigme !

Le risque serait en effet de conserver le réflexe de la logique de guichet sans passer à la logique de projets.

Se pose la question du temps imparti pour remettre à plat le dispositif et mettre en œuvre ces orientations nouvelles en fonction des spécificités des territoires. Il conviendra, à cet égard, de définir des politiques appropriées, en application de l’article 349, compte tenu des lourdeurs institutionnelles, des rouages politiques et diplomatiques, des stratégies régionales et des intérêts de chacun.

Les politiques publiques doivent aussi tenir compte de l’humain, faute de quoi elles sont mal ressenties, ce qui explique les violences de rues auxquelles on a pu assister.

Mme Chantal Berthelot, présidente. La situation actuelle, que vous venez de décrire, implique que l’on s’interroge sur les différents modèles possibles de développement.

Il faut continuer à sensibiliser, non seulement Bruxelles, mais aussi les décideurs en France. Car il n’est pas possible de convaincre les institutions européennes, si nous ne sommes pas nous-mêmes convaincus que nos territoires d’outre-mer ont besoin d’approches communes, quoique différenciées en fonction de leurs spécificités. Faute de quoi, elles nous renverront à nous-mêmes.

Par ailleurs, nous devons intensifier nos relations avec l’Espagne et le Portugal, qui sont, avec nous, les seuls pays à avoir des RUP, en identifiant ce sur quoi on peut être d’accord. Or, les relations entre les RUP portugaises et espagnoles et leur État sont, en raison de leur statut, différentes de celles prévalant entre les RUP françaises et la métropole. Elles donnent aux premières une force que n’ont pas les secondes.

Quant à la Guyane, elle a toujours été solidaire à l’égard de la Martinique et de la Guadeloupe et souhaite que ces régions fassent de même à son égard.

Je suis, pour ma part, monsieur Letchimy, également tout-à-fait acquise à votre démarche.

M. Serge Letchimy. J’ai pris note de vos observations et je remercie M. Ollier, qui a toujours été un président de commission attentif, remarquable et extrêmement honnête vis-à-vis de l’outre-mer, ainsi que Mme Berthelot et MM. Aboubacar et Said pour leurs interventions.

Je serai à Mayotte et à La Réunion entre le 11 et le 14 février, en Guyane entre le 7 et le 8 février, en Guadeloupe le 6 et en Martinique le 4 février. Nous serons également à Saint-Martin le 30 janvier. Les parlementaires pourront nous faire part de leurs observations écrites.

Je m’appuierai sur des exemples concrets pour bien faire comprendre les problèmes. Dès que mon projet sera suffisamment avancé, je viendrais vous présenter mes premières conclusions si le Premier ministre m’y autorise.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Je vous remercie.

Audition, coprésidée avec M. Serge Larcher, président de la Délégation sénatoriale à l’Outre-mer, de M. Serge Letchimy, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, sur l’article 349 du traité de Lisbonne (mesures spécifiques concernant les régions ultrapériphériques)

(compte rendu de la réunion du 25 juin 2013)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle l'audition de notre collègue Serge Letchimy, désigné parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer par M. le Premier ministre et qui vient de remettre à M. Jean-Marc Ayrault et à M. Victorin Lurel un rapport sur l'article 349 du traité de Lisbonne.

Cette audition fait suite à l’audition du 17 janvier 2013 au cours de laquelle M. Letchimy nous avait fait part des premiers axes de sa réflexion. Le cadre de notre réunion est un peu différent cette fois puisque nous avons le plaisir d’accueillir M. Serge Larcher, président de la Délégation sénatoriale à l'Outre-mer, et les membres de cette délégation.

Je suis ravi de la tenue de cette première réunion commune ; j’espère qu’elle sera suivie de réunions semblables, consacrées à d’autres sujets importants pour nos départements et nos collectivités.

Comme vous l’aurez constaté en lisant le rapport, qui a été adressé par courrier électronique à chaque membre des deux délégations, M. Serge Letchimy a réalisé un travail considérable, l'article 349 visant toutes les mesures spécifiques en faveur des régions ultrapériphériques, notamment les fonds structurels européens, le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) ou encore les exonérations d'octroi de mer en faveur des entreprises locales.

La mission de M. Serge Letchimy n'était pas sans lien avec les travaux conduits par le sénateur Georges Patient, chargé par la commission des affaires européennes du Sénat d'un rapport d'information sur une proposition de résolution européenne relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020, ni avec ceux du président Serge Larcher, chargé par la commission des affaires économiques du Sénat d'un rapport d'information sur une proposition de résolution concernant l'Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises.

M. le président Serge Larcher. Je vous remercie, monsieur le président Fruteau, d’avoir pris l’initiative de cette réunion commune sur un sujet d’une très grande importance pour nos collectivités et qui doit tous nous mobiliser. Je ne doute pas que cette première aura une suite.

Nous nous félicitons des actions complémentaires et convergentes de nos deux délégations – ainsi des deux rapports successifs consacrés au maintien des dispositifs de défiscalisation en faveur de l’investissement outremer. Pour ce qui est des dossiers européens, 2013 est une année charnière, avec le rapport d'information qui a été fait au nom de votre Délégation sur l'octroi de mer, et les trois propositions de résolution européenne que nous avons déposées. L’une porte sur la politique commune de la pêche, la deuxième sur l'Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises à l’horizon 2020, la dernière sur le renouvellement du régime fiscal applicable au rhum traditionnel des départements d'Outre-mer. Vous l’aurez constaté, les dossiers européens entrent pour une grande part dans le travail de notre Délégation, et nous avions aussi antérieurement élaboré une proposition de résolution relative aux accords de libre-échange entre l’Union européenne et les pays andins. Ces textes confirment malheureusement l’interprétation restrictive faite par la Commission européenne de la portée de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’arrivée à échéance, en 2013, de plusieurs régimes dérogatoires suscite des inquiétudes légitimes. C’est dire tout l’intérêt du rapport de M. Serge Letchimy a consacré au bilan et aux perspectives de mise en œuvre de cet article essentiel du traité de Lisbonne – notre Graal, en quelque sorte…

M. Serge Letchimy. Le rapport dont il va être question a été remis le 17 mai à son commanditaire, M. le Premier ministre. À cette occasion, j’ai été frappé par l’intérêt qu’a manifesté M. Jean-Marc Ayrault pour ce travail collectif.

Animateur des travaux menés, je me suis rendu dans chacune des collectivités ultramarines et auprès de notre représentation permanente à Bruxelles. J’ai rencontré quelques-uns de nos élus européens. Nous avons aussi souhaité travailler en étroite collaboration avec les ministères concernés. J’ai bien entendu consulté les rapports précédemment établis par MM. Camille Darsières, Georges Patient et Serge Larcher. Je n’entendais pas remettre au Premier ministre un rapport uniquement théorique, ni lui rendre un rapport d’expert, ce que n’est pas l’élu que je suis. J’ai tenu avant tout à montrer que le problème existe et à formuler des propositions ciblées permettant de progresser.

Le rapport que j’ai remis à M. le Premier ministre sera, par sa volonté, confié aux deux ministres concernés. Il leur a donné mandat de négocier avec la Commission européenne et avec le Conseil de manière que les propositions avancées trouvent une traduction pratique. Si les préconisations formulées ne sont pas traitées au plus haut niveau, ce quatrième ou cinquième rapport consacré à l’Outre-mer restera, comme les précédents, dans un tiroir. On constate en effet que toute négociation relative aux régions ultrapériphériques ayant permis un progrès n’a été rendue possible que par l’impulsion donnée personnellement par un Président de la République, François Mitterrand d’abord, M. Jacques Chirac ensuite. L’impulsion présidentielle est indispensable pour faire respecter le principe même de l’article 349 du Traité : n’obtenir que cela serait déjà une bonne chose puisque, aujourd’hui, le principe qui sous-tend cet article n’est pas respecté. Il est donc bon que le Gouvernement reprenne les conclusions du rapport pour entrer dans une négociation, et qu’il le fasse maintenant, alors que se décide le cadre budgétaire européen pour la période 2014-2020. Si l’on ne casse pas quelques murs maintenant, il sera trop tard.

Plusieurs mémorandums de la Conférence des régions ultrapériphériques sont restés lettre morte, tout comme le rapport sur la place des régions ultrapériphériques dans le marché intérieur rédigé à la demande du commissaire européen Michel Barnier par M. Pedro Solbes Mira. Nous nous heurtons à un mur : l’interprétation extrêmement rigide que fait la Commission européenne de l’article 349 en considérant qu’il ne permet de déroger qu’au droit primaire – les traités – et non au droit dérivé. Cette interprétation est fausse, nous le démontrons au chapitre Ier du rapport. D’ailleurs, le programme d’options spécifiques pour l’éloignement et l’insularité (POSEI) a été conçu, à la fin des années 1980, sur la base d’une organisation dérogatoire des politiques européennes.

En réalité, l’argument juridique n’est qu’un paravent masquant les intérêts du marché. Le dernier alinéa de l’article dispose en effet que : « le Conseil adopte les mesures visées au deuxième alinéa en tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques sans nuire à l’intégrité et à la cohérence de l’ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur ». C’est cette mention qui est présentée comme limitant le champ possible des dérogations. Cette interprétation est d’autant plus paradoxale que l’article 349 précise la liste thématique des domaines dans lesquels on pourrait intervenir, une liste qui outrepasse assez largement l’octroi de mer et la possibilité de programmes spécifiques parcellaires.

Tel est le cadre actuel. Cependant, on note que le Conseil et la Commission ont sur ces sujets des positions très différentes. Par ailleurs, le Parlement européen, qui prend davantage de force qu’il n’en avait, essaye de reprendre la main sur la Commission européenne qui, aujourd’hui, fait la loi. Nos parlementaires se battent à cette fin.

Par ailleurs, l’élargissement de l’Union européenne à vingt-sept membres a fragilisé la position des régions ultrapériphériques. L’adhésion de nombreux pays d’Europe de l’Est dont le PIB moyen est souvent inférieur au PIB moyen de l’Union a modifié les équilibres antérieurs. Il n’en reste pas moins que les régions ultrapériphériques ont un statut dérogatoire avec un cadre spécifique pour l’instant inscrit dans le marbre communautaire. Les handicaps structurels de ces régions sont parfaitement connus et décrits. Mais il y a là un enjeu géopolitique majeur, certains pays membres ayant des régions ultrapériphériques une idée très floue. Les masses financières en jeu sont considérables : les fonds européens représentent de 3 à 4 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 5 à 6 milliards de fonds nationaux. On comprendra que l’enjeu est fondamental pour nos régions, pour lesquelles ces fonds ont une utilité démontrée.

Il se trouve que le PIB des régions ultrapériphériques connaît une augmentation importante – Mayotte exceptée, il a crû de quelque 30 % au cours de la période 2007-2013 – mais que, dans le même temps, le taux de chômage n’a pas reculé d’un iota. Il y a là un paradoxe terrible : la richesse augmente mais la situation sociale reste relativement dégradée, si bien que certains économistes s’interrogent sur la pertinence de l’utilisation des fonds européens en matière d’activité et d’emploi. La croissance de leur PIB aura pour conséquence que certaines régions d’outre-mer vont sortir du cadre de l’objectif de convergence, mais elles compteront autant de chômeurs qu’auparavant. L’exemple de la Martinique est éclairant : on peut estimer l’investissement global à 1,1 milliard d’euros, fonds européen et fonds nationaux cumulés, pour un résultat alarmant en termes de créations d’emplois. Ces fonds ne créent pas la dynamique voulue : les emplois sont maintenus, mais il ne s’en crée pas. Ce problème concerne la France, non l’Union européenne : comment parvenir, grâce aux fonds européens, à un développement plus structuré ? Le problème est donc plus large que celui de l’interprétation de l’article 349 du Traité, dont nous avons démontré avec l’aide de l’expert Christian Vitalien que le champ d’application et la portée sont plus étendus que la Commission européenne ne le dit.

Le chapitre II du rapport rappelle la longueur des négociations – quarante années de discussions, qui ont conduit à une forme de législation jurisprudentielle, administrative, technique, tactique ou politique, par laquelle de petits avantages sont consentis par-ci et de petits gestes par-là, sans stabilité de la politique européenne à l’égard des régions ultrapériphériques. Cela permet une certaine souplesse, mais ce n’est pas satisfaisant. Ces quatre décennies de négociations entre Bruxelles et les régions ultrapériphériques françaises ont eu toute leur place dans la construction juridique européenne. Parallèlement, le concept du développement économique a évolué, et bien des débats ont eu lieu sur ce qu’il faut entendre par les « frontières extérieures de l’Europe » quand elles sont situées à des milliers de kilomètres du continent. De même, comment appliquer des dynamiques de développement qui intègrent les contraintes liées à l’insularité et à la distance, non seulement par des compensations financières mais aussi par des dérogations ?

Parce que les solutions à ces questions n’avaient pas été prévues, nous nous trouvons pris dans un système très ankylosé. Il faut accepter de changer de paradigme. Parler de l’article 349 du Traité, ce n’est pas traiter uniquement de retard structurel puisque, même s’il reste beaucoup à faire, le rattrapage a eu lieu en matière d’équipements. Mais si l’équipement d’un pays participe de son développement, cela ne suffit pas à le développer. Aussi, la question fondamentale est maintenant de définir une stratégie de développement économique qui devra se traduire par la création de filières de développement efficaces. À quoi bon pêcher s’il n’y a pas de filière organisée pour vendre le produit de cette pêche ?

Actuellement, les fonds européens dictent les programmes de développement des régions ultrapériphériques. Il va sans dire que ce devrait être l’inverse. Les projets de développement doivent être conçus au plan local, puis ces projets doivent être négociés avec les institutions européennes, au lieu que les diktats techniques ou administratifs européens s’imposent à nous. J’ai constaté une évolution sensible en ce sens. De nombreuses régions commencent à défendre leurs projets, qui sont nécessairement différents. Les projets de développement doivent être personnalisés au lieu que, comme c’est le cas en ce moment, la rigidité d’utilisation des fonds européens entrave la libération des énergies et des savoir-faire et l’émancipation économique dont nous avons besoin.

À cela s’ajoute le fait que le groupe interservices est désormais placé auprès du commissaire européen chargé de la politique régionale, ce qui est la pire des configurations. Il doit, pour retrouver sa transversalité, et comme cela était le cas lors de sa création, être replacé directement auprès du président de la Commission.

Chacun de vous, ayant eu le rapport entre les mains, aura pris connaissance des 43 propositions qu’il contient. Le principe qui les sous-tend est qu’une réforme s’impose, orientée vers un POSEI multi-filières. Je rappellerai pour mémoire les recommandations saillantes : étendre le dispositif du POSEI à la filière de diversification de la production agricole comme le propose le commissaire européen à l’agriculture Dacian Cioloş ; labelliser d’autres produits d’excellence que la canne et la banane ; favoriser l’accès au marché intérieur pour l’élevage ; proroger le régime fiscal applicable au rhum traditionnel ; renforcer le POSEI pour la filière canne-rhum ; instituer un véritable POSEI pour la pêche et l’aquaculture en intégrant l’ensemble des volets relatifs à ce secteur ; étendre le POSEI à la filière forêt/bois, notamment en Guyane ; créer une filière régionale de valorisation des déchets par bassin et, pour La Réunion, adapter les obligations déclaratives associées au transfert de la Réunion vers l’Europe ; créer un POSEI « énergie » ; définir un dispositif de type POSEI pour la filière touristique et étendre le crédit d’impôt compétitivité des entreprises (CICE) aux filières d’avenir, dont le tourisme ; ouvrir l’accès des régions ultrapériphériques aux aides au désenclavement sur le modèle du réseau de transport transeuropéen.

Nous proposons aussi de créer une méthode d’identification de la vulnérabilité des régions ultrapériphériques aux politiques extérieure de l’Union, et la réalisation d’études d’impact préalables à la négociation d’accords commerciaux internationaux, ce qui pourrait conduire à des clauses de sauvegarde pour certaines productions pendant une période donnée.

Nous recommandons instamment de prévoir une coordination FED-FEDER. La nécessité de cette articulation est soulignée depuis dix ans, mais, de manière décourageante, rien n’a avancé.

Nous préconisons encore de renforcer la politique engagée par M. Alain Juppé et amplifiée par M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, en matière de diplomatie territorialisée incluant un volet économique, afin de susciter une dynamique de coopération transfrontalière rénovée pour les régions ultrapériphériques. Nous proposons aussi la création dans les régions ultrapériphériques de zones franches d’exportation s’appuyant sur des plateformes logistiques.

Nous disons l’urgence de créer, dans les bassins Océan Indien d’une part, Atlantique-Caraïbes d’autre part, un dispositif d’expertise et un système d’adaptation et d’équivalence des normes, des outils de certification pour les matériaux et autres produits d’origine régionale et une certification euro-régions ultrapériphériques pour l’exportation des produits fabriqués dans les outre-mer. Ce sont là de puissants vecteurs de développement régional.

Nous proposons de définir un programme opérationnel spécifique pour Saint-Martin avec une forte dimension transfrontalière.

Mayotte, devenue région ultrapériphérique, n’a obtenu que 200 millions d’euros des 500 millions qui auraient dû lui être alloués à ce titre. Nous proposons l’application à Mayotte des programmes POSEI avec des affectations budgétaires spécifiques, distinctes du programme opérationnel, intégrant les moyens nécessaires à l’adaptation de la règlementation européenne.

Nous proposons enfin de renforcer le rôle du groupe interservices de la Commission européenne.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie pour cette présentation très dense. Nous appelons l’attention avec insistance depuis longtemps sur certains des éléments que vous avez évoqués et nous mesurons la difficulté à obtenir un frémissement significatif s’agissant du positionnement de l’Union européenne vis-à-vis des régions ultramarines.

M. le président Serge Larcher. Les régions ultrapériphériques espagnoles et portugaises partagent-elles votre analyse ?

M. Serge Letchimy. L’appréciation portée sur l’interprétation de l’article 349 par la Commission européenne est globalement la même. Madère et les Açores sont un peu moins offensifs que nous ne le sommes, mais les Canaries sont d’une virulence particulière à l’égard de la Commission. J’ai suggéré au Premier ministre une démarche commune de la France, de l’Espagne et du Portugal auprès de la Commission, tendant à préciser le cadre juridique de la dérogation pour mettre un terme définitif aux divergences d’interprétation.

M. le sénateur Thani Mohamed Soilihi. Je vous remercie, monsieur Letchimy, pour ce rapport complet. L’application des propositions qu’il contient permettrait des progrès. Dans le cadre général qui a été décrit, Mayotte connaît une situation particulière. Le respect des critères d’attribution aurait dû faire que 450 millions d’euros lui soient mécaniquement versés au titre des fonds européens ; or Mayotte n’a reçu qu’une allocation forfaitaire de 200 millions d’euros, alors que les besoins à satisfaire dans le nouveau département sont criants. Dans ce contexte, pourriez-vous expliciter la teneur des propositions 41 et 42 du rapport relatives à Mayotte ? La non consommation des fonds européens pose un problème réel, mais ce n’est pas en les réduisant de plus de moitié qu’il sera réglé. L’ingénierie technique et financière faisant défaut à Mayotte, le conseil général a pris la décision judicieuse mais paradoxale de confier à l’État la gestion des fonds européens destinés au département. Les transferts de compétences au département s’étant faits sans transfert de moyens, il serait bon que le rapport recommande vigoureusement un accompagnement exceptionnel sans lequel les fonds européens alloués à Mayotte, seraient-ils réduits à 50 millions d’euros, ne pourront être consommés.

M. Serge Letchimy. Mayotte ayant droit à des fonds européens d’un montant réglementairement défini, l’amputation décidée par la Commission européenne au motif que les fonds versés ne seraient pas consommés est incorrecte et irrespectueuse. Cela étant, la situation a été parfaitement décrite : les capacités locales d’ingénierie locales, le tissu entrepreneurial et le tissu social rendent très difficiles la consommation de ces fonds. La Commission devrait donc être invitée à accorder à la France une dérogation de cinq ans autorisant des aides de l’État destinées à accompagner les porteurs de projets et l’instruction des dossiers et à assurer le contrôle de l’utilisation des fonds. Si l’État ne prend pas cette obligation en considération, Mayotte court au désastre : que 200 millions d’euros d’aides européennes ne soient pas consommés alors que le taux de chômage et les besoins sociaux sont ceux que l’on sait – certains quartiers sont insalubres, je l’ai constaté – provoquera une onde de choc sinon une explosion sociale. Le rapport que nous avons rendu au Premier ministre n’est pas un texte politique mais un document qui énonce les faits avec retenue. Il revient aux deux présidents de mettre le Gouvernement face à ses responsabilités, sachant que si les attentes, immenses, restent sans réponse, les conséquences risquent d’être difficiles.

M. le sénateur Georges Patient. J’espère que les 43 propositions de ce rapport de seront retenues. L’énoncé de l’article 349 du traité assimile la Guyane à un territoire insulaire, l’enfermant ainsi dans des considérations qui ne la concernent pas. Une évolution de l’article sur ce point est-elle envisageable ?

M. le député Bernard Lesterlin. Élu d’Auvergne, une région qui doit régulièrement restituer des fonds européens non consommés, je partage la préoccupation exprimée par notre collègue sénateur Thani Mohamed Soilihi sur notre capacité collective à faire émerger des projets de développement économique. Quel que soit le cadre institutionnel de répartition des compétences entre les États et les collectivités ultramarines, c’est une question majeure : les outils d’ingénierie nous manquent pour répondre à ce défi et l’État, outre qu’il ne lui revient pas forcément de le faire, est incapable de gérer cela. Il en résulte un problème réel en matière de stratégie de développement. Or, la Commission européenne adopte à l’égard des régions ultrapériphériques la même attitude que la Banque mondiale à l’égard des pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique), avec une inversion de logique qui impose aux pays bénéficiaires des aides de fixer ces stratégies. Aussi, si nous ne parvenons pas à définir une vision du développement économique à Mayotte, dont nous connaissons l’ampleur des besoins, ou en Guyane, dont il faut parvenir à canaliser la croissance démographique, nous raterons notre rendez-vous avec l’Europe. C’est une autre manière de dire que nous ne règlerons pas le problème de fond en vilipendant un article du traité ou l’interprétation qu’en fait la Commission. Il nous faut recenser nos ressources en ingénierie et nous rendre capables d’expliquer à la Commission ce que sont nos projets, tant il est vrai que lorsqu’on défend de bons projets on sait convaincre et obtenir les fonds nécessaires pour les mettre en œuvre.

M. le sénateur Jacques Cornano. Je rends hommage au remarquable travail de M. Serge Letchimy, qu’il s’agisse de l’état des lieux ou des propositions de renforcement des politiques sectorielles. Je tiens cependant à souligner que toutes les réformes institutionnelles conduites depuis 1946 ont ignoré ou sous-estimé la situation des îles du Sud de la Guadeloupe – Terre-de-Bas et Terre-de-Haut aux Saintes –, de la Désirade, de Marie-Galante et de la partie française de Saint-Martin. Je souhaite donc que l’on insiste sur les contraintes liées à l’insularité et sur l’indispensable continuité territoriale. Lors de sa venue à Basse-Terre, le président de la République avait dit qu’il en tiendrait compte. Depuis lors, j’ai interpellé le Premier ministre à ce sujet lors de sa récente visite et j’ai le sentiment de ne pas être compris. Une décision politique claire s’impose pour instituer la continuité territoriale comme règle d’administration du territoire. La traversée de Quiberon jusqu’à Palais coûte 7 euros, mais pour se rendre de Pointe-à-Pitre à Marie-Galante, île jumelée à Belle-Île-en-Mer, le billet coûte 40 euros ! L’insularité est prise en compte pour la Corse ; nous ne comprenons pas pourquoi l’équité territoriale et la justice sociale ne prévalent pas pour les îles du Sud.

Mme la députée Éricka Bareigts. Je salue à mon tour le travail accompli. Nous sommes à la fin d’une phase. Dans un premier temps, il fallait investir dans les infrastructures, et l’on partait de rien. Cette phase est finie. La suite logique, c’est l’entrée dans une stratégie de développement économique qui rendra efficients les investissements réalisés. Telle est la logique européenne qu’éclaire le rapport. Beaucoup de nos territoires sont proches d’atteindre un PIB par habitant égal à 75 % de la moyenne communautaire ; la règle serait donc que nous sortions de l’objectif de convergence. Mais, plutôt que sur le PIB per capita, ne faudrait-il pas se fonder sur un autre critère, l’indice de développement humain ? Peut-on se diriger dans cette voie ? Dans un autre domaine, pourriez-vous expliciter ce qu’il faut entendre par le statut de l’entreprise ultramarine dont la création fait l’objet de la proposition n° 26 ?

M. le député Boinali Said. Nous sommes en effet confrontés à un changement de paradigme, et le rapport fait écho à des préoccupations que nous exprimons de longue date. Je retiens en particulier de votre exposé la nécessité de mieux articuler utilisation des fonds européens et création d’emplois et de développer la diplomatie économique régionale. Comment, par ailleurs, les deux assemblées du Parlement prendront-elles à bras-le-corps le défi que représente la convergence de Mayotte vers les normes nationales et européennes ?

M. le sénateur Michel Vergoz. Je salue à mon tour le rapport de M. Serge Letchimy et je saisis cette occasion pour rappeler l’ampleur du travail réalisé depuis un an dans nos deux assemblées, qu’il s’agisse de « la vie chère », de la pêche – marchepied pour bien des affairistes – ou de la zone économique exclusive. À cela s’ajoute l’interprétation de l’article 349 du traité. Nous demandons à être entendus, mais comment procéder pour contourner le mur qui ferme notre horizon depuis quarante ans ? Nous sommes bien peu de chose face aux puissants lobbies à l’œuvre, pour la banane par exemple. Des décisions concrètes doivent être prises pour que ce rapport ne reste pas lettre morte, mais même si le cadre institutionnel donne plus de souplesse, rien ne changera si les esprits restent figés rigides.

Je félicite mes collègues de leur détermination à faire valoir sans faille que nous appartenons à la République, que nos spécificités l’enrichissent et que nous voulons un retour sur investissement. Il s’est pourtant produit qu’à un moment de crise, un certain gouvernement a pris des mesures relatives aux zones économiques exclusives dans l’Océan indien bien davantage conçues pour faire de la pêche dans les eaux réunionnaises une variable d’ajustement destinée à régler les difficultés des pêcheurs en France métropolitaine que pour contribuer au développement d’une région ultrapériphérique. Maintenant encore, de grands bateaux viennent de métropole pêcher dans la zone économique exclusive de l’Océan indien sans que La Réunion en retire un centime, le traitement et le conditionnement du poisson ayant lieu en haute mer. L’essentiel est donc de savoir quel sort sera réservé à ce beau rapport : que ferons-nous d’autre, de nouveau ?

Mme la députée Chantal Berthelot. Je partage le point de vue du sénateur Vergoz. Nous en sommes tous convaincus : la Commission européenne doit tenir compte des différences territoriales, mais nous devons aller au-delà de l’assouplissement du cadre juridique. Le Premier ministre a demandé au ministre des Outre-mer et au ministre délégué chargé des affaires européennes d’étudier de manière approfondie les recommandations du rapport de M. Serge Letchimy. Il reste à déterminer comment nous, parlementaires, contribuerons à lui donner une traduction pratique en contribuant à infléchir, comme nous le souhaitons tous, la position de la Commission européenne, alors que le commissaire Dacian Cioloş a lancé le chantier de la réforme du POSEI, que le programme opérationnel 2014-2020 est en négociation et que de nouvelles élections européennes se profilent.

M. le sénateur Félix Desplan. Je joins mes félicitations à celles qui ont été adressées à M. Serge Letchimy. Comme mes collègues, j’espère que ce rapport très bien fait ne restera pas lettre morte. Mais s’il en a été ainsi pour tant d’autres rapports, est-ce parce que la volonté a manqué de les exploiter, ou serait-ce que le rapport de force entre la Commission européenne et le Conseil est à revoir ? Alors que nous sommes à la veille d’une consultation européenne, ne faut-il se demander si la conception même de l’Union est la bonne ou si certains éléments institutionnels devraient être modifiés ? N’est-ce pas dans ce cadre que nous pouvons espérer trouver une solution aux problèmes qui se posent à nous ?

M. le sénateur Gilbert Roger. Avant d’être sénateur, j’ai été très longtemps vice-président chargé des affaires européennes du conseil général de la Seine-Saint-Denis. La Commission avait admis que certaines caractéristiques de notre département le rendaient éligible aux aides européennes. L’État considérait pour sa part qu’il ne convenait pas d’allouer un montant d’aides européennes trop élevé à un département situé dans une des régions les plus riches de France et d’Europe, au risque d’assécher trop vite l’enveloppe globale destinée à notre pays ; la difficulté tenait donc davantage à la réglementation nationale qu’à la réglementation européenne. Dans cette perspective, lesquelles de vos excellentes propositions le Gouvernement retiendra-t-il, selon vous ? Seront-elles appliquées en nombre suffisant ou devrons-nous intervenir pour renforcer la puissance de tir ?

Dans un autre domaine, j’ai toujours été impressionné, lors de mes visites à Bruxelles, par la visibilité des représentations régionales, notamment celles des pays nouveaux entrants d’Europe centrale et de l’Est. Les régions ultramarines françaises, espagnoles et portugaises ne gagneraient-elles pas à une représentation groupée à Bruxelles ?

M. le député Jean Jacques Vlody. Je souhaite revenir sur la question de la pêche, qui a une importance particulière à La Réunion et qui est abordée avec insistance dans l’île. C’est une source de grande frustration pour les entreprises de pêche réunionnaises de ne pouvoir pêcher dans la très large zone économique exclusive parce qu’elles sont soumises aux règles de réduction de flotte de pêche imposée à la France. Il en résulte une situation ubuesque : la flotte réunionnaise est contrainte d’aller pêcher dans les eaux françaises, puis la transformation du produit de leur pêche se fait à Maurice ! Les territoires ultramarins sont certes le prolongement de l’État français, mais il faut leur donner la possibilité d’établir des collaborations décentralisées et, comme il est proposé dans le rapport, les associer aux accords bilatéraux signés par le ministère des affaires étrangères. Cela vaut pour les accords passés avec Madagascar, Maurice ou les Seychelles dans l’Océan Indien – auxquels La Réunion n’a aucunement été associée alors qu’elle a des contacts permanents avec ces États – comme pour les accords passés aux Caraïbes et dans le Pacifique.

Comment, enfin, améliorer les règlements nationaux et européens relatifs aux passations de marchés publics ? Le chantier titanesque de la nouvelle route du littoral est lancé à La Réunion. Treize kilomètres seront construits en viaduc sur l’océan, pour un coût prévisionnel de quelque 1,6 milliard d’euros. Le projet a donné lieu à des appels d’offres internationaux, et rien ne contraint les soumissionnaires à un partenariat avec les entreprises réunionnaises ; sont seulement mentionnés des accords de sous-traitance locale. N’est-il pas temps de poser ces questions qui dérangent ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’article 349 fonde les relations entre les régions ultrapériphériques et l’Union européenne, et de nombreux collègues ont mis l’accent sur le rôle de la Commission. Comme eux, je m’interroge sur le « mur » évoqué : des réticences persistantes, les restrictions apportées à l’interprétation de l’article et la rigidité de sa mise en œuvre. Cependant, la Commission n’est pas une instance politique mais, conformément à sa fonction de gardienne des traités, une instance d’exécution ; c’est dans ce rôle qu’elle fait preuve de rigidité. La seule manière de parvenir à un infléchissement consiste à faire intervenir le plus haut niveau politique de l’État membre intéressé. Chacun l’a constaté : à chaque fois qu’une avancée s’est produite dans les relations entre les régions ultrapériphériques et l’Union européenne, c’est parce qu’une volonté très ferme des présidents de la République successifs – François Mitterrand, puis M. Jacques Chirac – s’était manifestée. Les parlementaires bataillent autant qu’ils peuvent, mais il serait bon que nos deux délégations en appellent solennellement à une intervention volontariste du président François Hollande sur ce dossier, qui pourra aboutir si nous montrons que nous envisageons cette évolution comme le début d’une nouvelle phase des relations entre les régions ultrapériphériques et l’Union européenne.

M. Serge Letchimy. Nous entrons effectivement dans une nouvelle phase, qui suppose un nouveau souffle et une nouvelle manière d’envisager les choses, par exemple pour ce qui concerne les relations entre la Guadeloupe et les îles du Sud.

Si l’on veut aboutir, ces problèmes doivent en effet être traités au niveau du président de la République et du Premier ministre, et l’interpellation du chef de l’État – qui a déjà pris des engagements à ce sujet – par les présidents des deux délégations parlementaires à l’outre-mer ne peut avoir qu’un effet bénéfique. Je rappelle que la négociation précédant la substitution de l'article 299-2 du Traité d'Amsterdam à l’ancien article 227-2 du Traité de Rome avait été conduite par Aimé Césaire et Camille Darsières. Ils avaient rencontré le président François Mitterrand et mobilisé l’Espagne et le Portugal pour faire évoluer la conception des aides spécifiques.

À titre personnel, je pencherai en faveur d’une loi-cadre pour les régions ultrapériphériques comportant un volet « développement économique » très dense. Cela suppose de saisir le chef de l’État sans tarder car nous ne pouvons manquer cette nouvelle phase ; or le cadre financier pluriannuel 2014–2020 est en négociation et, à ce jour, la Commission européenne n’est disposée à changer ni de braquet ni de système. Un tel texte tiendrait compte des spécificités de chacun des territoires considérés pour traiter des filières de croissance, de la fiscalité, du financement de l’investissement productif, de l’orientation de la commercialisation, de la validation des processus de normes, de recherche et développement, d’infrastructures, d’exportations, de valorisation des filières essentielles, de diversification du secteur agricole...

La gouvernance de l’Union européenne présente des aspects surprenants : alors que les régions ultrapériphériques et l’exécutif français, qui demandaient depuis vingt ans un POSEI totalement diversifié en matière agricole, se voyaient opposer un refus obstiné, le commissaire à l’agriculture Dacian Cioloş décide subitement, seul, qu’il est temps d’élargir le POSEI à la diversification agricole, et formule à ce sujet des propositions remarquables. Le commissaire Cioloş décide et tout le monde semble le suivre ; c’est que, dans l’intervalle, il n’y a pas eu d’initiative nationale percutante – aucune stratégie globale n’a été proposée à la Commission. Si les présidents des délégations parlementaires à l’outre-mer demandent l’élaboration d’une loi-cadre relative au développement économique des régions ultrapériphériques, c’est sur le volet européen de cette loi que la négociation s’engagera entre la France et la Commission européenne sur la manière d’asseoir plus solidement la base juridique de l’article 349. Nous devrons quant à nous prendre la mesure de notre capacité à définir une stratégie de développement économique créatrice d’emplois dans les régions ultrapériphériques.

Sa dernière phrase mise à part, l’article 349 est bien écrit, et il me semblerait hasardeux de reprendre la définition du handicap, qui a permis en l’état l’application d’une politique de rattrapage. Il reste à entrer dans un processus de valorisation de nos atouts.

Il faut définir des stratégies locales de développement, j’en suis entièrement d’accord. La politique européenne à l’égard des régions ultrapériphériques ne peut se limiter à des financements ; il faut aussi tenir compte des conditions de vie et prendre en considération, en effet, l’indice de développement humain. On ne peut avoir une société à deux vitesses ; or, 60 % des jeunes âgés de moins de 25 ans sont au chômage à La Réunion, et 52% à la Martinique. La situation est trop grave pour que l’on ne trouve pas une solution.

Il est vrai, même si le rapport ne s’y attarde pas, que les îles du Sud vivent une double peine.

Les critères d’octroi des fonds européens au titre de l’objectif de convergence peuvent conduire à des paradoxes difficiles à admettre : comment se satisfaire que ces aides cessent mécaniquement lorsque la convergence est tenue pour acquise dans une région ultrapériphérique donnée, au moment où le PIB par habitant atteint 75 % de la moyenne communautaire, alors que le taux de chômage s’y établit à 30 % ?

On ne peut plus accepter la persistance d’une économie amorphe fondée sur des importations massives, et des voix s’élèvent pour que ce système change. La France doit demander l’application, pendant cinq ans, d’une clause de sauvegarde destinée à protéger une liste de productions. Actuellement, un capitalisme prédateur perdure, mais sommes-nous disposés à changer de modèle économique ? Bien des prés carrés subsistent, et bien des gens veulent que rien ne change.

Donnant suite aux préconisations de la Chambre de commerce de la Martinique, nous proposons de créer un statut des entreprises ultramarines, qui les protégerait mieux, sachant que 90 % d’entre elles ne comptent qu’un ou deux salariés et que 70 % ont pour seul salarié l’entrepreneur lui-même.

Mayotte, qui a fait un choix politique courageux, doit être accompagnée sans faux-semblant. Les présidents des deux délégations parlementaires à l’outre-mer doivent peser de tout leur poids, qui est réel, pour sensibiliser les plus hautes autorités de l’État à la situation de à Mayotte ; si rien n’est fait, on va vers de très graves problèmes.

Le Parlement devra harmoniser les normes au niveau national – ce qui représente un travail considérable – et des négociations devront avoir lieu avec les instances communautaires sur les directives cadre en matière d’environnement et de questions sanitaires.

La représentation permanente à Bruxelles de l’Union régionale Antilles Guyane a été rejointe, au sein d’un bureau de lobbying commun, par les représentants de La Réunion et de Saint-Martin ; Mayotte a annoncé son intention de se joindre à nous.

La Martinique et la Guadeloupe siègent en qualité de membres associés à l’Organisation des États de la Caraïbe orientale, à la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes – une des cinq commissions régionales de l'Organisation des Nations Unies – ainsi qu’à l'Association des États de la Caraïbe, et nous entrons à la Communauté caribéenne (CARICOM). La Réunion devrait tendre à des participations de cette nature pour ce qui a trait à la pêche, car la négociation de la diplomatie économique territoriale devient ainsi réalité. Siéger dans des instances de ce type permet d’agir avec plus d’efficacité que si la négociation se fait exclusivement sous l’ombrelle du ministère des affaires étrangères, et l’on peut ainsi parvenir à la signature d’accords commerciaux.

La question des règles de passation des marchés publics est compliquée. Faut-il envisager un Small business Act par zone ? Avant d’être communautaire, le problème est national. Sommes-nous capables de définir des co-investissements en partenariat avec des pays tiers ? Étant donné l’ampleur du déficit public, c’est l’avenir, mais toutes sortes de problèmes techniques, fiscaux, juridiques et administratifs restent à résoudre et toute une ingénierie du développement doit se tisser. Il faudra faciliter les co-financements et les co-investissements. C’est dire l’importance d’une loi-cadre relative à l’Outre-mer, dont l’objet déborderait évidemment très largement la seule question de la défiscalisation honnie par M. Philippe Marini, président de la commission des finances du Sénat.

M. le président Serge Larcher. Je remercie M. Serge Letchimy pour son excellent rapport, aussi précieux que celui qu’il a rédigé sur l’habitat insalubre et indigne dans les départements et régions d’outre-mer. Nous prendrons certainement l’initiative d’une interpellation commune du Président de la République afin que les propositions avancées se traduisent par des mesures pratiques ; mais c’est aussi le combat quotidien des parlementaires dans leur ensemble et des parlementaires ultramarins en particulier de faire les piqûres de rappel nécessaires.

L’hypothèse d’une loi-cadre a été formulée ; nous analyserons ce qu’il convient de faire à cet égard.

Certains voient un « mur » en l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Réservons à ce mur le destin échu au Mur de Berlin, et parvenons à appliquer les dispositions qui permettront de mettre en œuvre une politique de projet dans chaque collectivité d’outre-mer.

À la suite des événements qui avaient secoué les Antilles, M. Éric Doligé a rendu en 2009, au nom de la Mission commune d'information outre-mer, un rapport d’information recensant 100 propositions pour fonder l'avenir. Nous y traitions – déjà – de la politique de voisinage et des normes, en soulignant qu’il ne pouvait y avoir d’intégration économique dans nos zones respectives si ces questions n’étaient pas réglées. Mais, comme chacun le sait, pour faire entrer un clou dans un mur, il faut taper plusieurs fois ! Le combat continue donc. Les deux délégations parlementaires doivent porter les propositions de l’outre-mer, dont elles sont les meilleurs défenseurs.

Nous avons fait un pas aujourd’hui, nous en ferons d’autres. À cette fin, notre prochaine réunion commune se tiendra au Sénat.

M. Serge Letchimy. Il serait judicieux de définir dans une note si l’idée d’une loi-cadre est pertinente.

M. le président Serge Larcher. Je vous entends.

Audition de  M. Patrick Roméo, président de Shell France, accompagné de M. Olivier Gantois, directeur des affaires publiques, de Mme Domitille Fafin, responsable des relations institutionnelles de Shell France, et de M. Guillaume Labbez, directeur conseil du cabinet Boury, Tallon et associés

(compte rendu de la réunion du 26 février 2013)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle, avant l’audition M. Patrick Roméo, la désignation de deux rapporteurs sur les questions posées par l’agriculture ultramarine.

Je vous rappelle qu’après avoir d’abord envisagé de déposer un projet de loi spécifique à l’outre-mer, le Gouvernement se propose de déposer, sans doute à la rentrée de septembre, un projet de loi de programmation comportant un volet sur l’outre-mer.

Le rapport d’information aura pour objet d’anticiper les questions susceptibles de se poser. Nos rapporteurs et les membres de la Délégation pourront ensuite déposer des amendements, dans le cadre de la discussion du projet, en prenant appui sur les recommandations qui auront été adoptées dans le cadre de ce rapport d’information.

Je ne veux pas déflorer les sujets, mais il me semble que cinq thèmes pourront être abordés dans le rapport – les structures agricoles et le foncier ; le renforcement des productions locales ; la filière « canne-sucre-rhum » et l’utilisation de la bagasse ; l’installation des jeunes agriculteurs ; le statut social de l’agriculteur, et notamment la situation des retraités agricoles en outre-mer – et se retrouver dans la loi de programmation agricole.

Je suis donc saisi de la candidature de deux parlementaires, membres de la Délégation : celle de Mme Chantal Berthelot, députée de Guyane, qui a manifesté depuis longtemps son intérêt pour les questions agricoles ; et celle de M. Hervé Gaymard, dont on connaît l’expérience et l’expertise en la matière.

Il n’y a pas d’opposition ? Ces deux parlementaires sont donc désignés comme rapporteurs.

Nous allons maintenant entendre M. Patrick Roméo, président de la société Shell France, sur le projet pétrolier en Guyane et sur les évolutions à venir du code minier, notamment en ce qui concerne l’outre-mer.

Je précise que cette audition a lieu à la demande de M. Roméo. Celui-ci a été, il y a quelques semaines déjà, entendu par la Délégation à l’outre-mer du Sénat.

M. Patrick Roméo. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré d’être parmi vous aujourd’hui pour vous parler du projet Guyane, qui est un des grands projets d’exploration et de production pétrolière dans notre pays.

La société Shell France, qui date de 1919, est une des plus anciennes sociétés pétrolières françaises, filiale du groupe Royal Dutch Shell, qui est lui-même le premier groupe européen, dont le siège est à La Haye. Nous sommes présents en France dans l’ensemble des activités dites de l’aval : commercialisation de produits pétroliers à travers un réseau de stations services et de stations en aéroport ; nous vendons des lubrifiants, des bitumes, du gaz liquéfié sous la marque Butagaz. Nous avons par ailleurs deux projets que nous classons dans l’amont : un projet de prospection en mer profonde au large de la Guyane et un projet de construction d’un terminal méthanier à Fos-sur-mer. Nous sommes enfin l’opérateur du permis « Guyane Maritime » que nous représentons ici aujourd’hui.

On s’étonne souvent que nous investissions beaucoup d’argent dans une prospection pétrolière. C’est parce qu’une des spécialités de Shell est, historiquement, de construire des scénarios énergétiques. Nous nous intéressons à 2050 – parce que 2030 est déjà écrit – et aux choix qui auront un impact sur la demande énergétique de 2050.

Nous pensons que, de toutes les façons et quels que soient les scénarios les plus audacieux en termes d’efficacité énergétique, la demande doublera quasiment d’ici à 2050, compte tenu de l’explosion démographique et de l’élévation du niveau de vie dans les pays émergents. Or, selon nos scénarios, la production aura du mal à suivre. Toutes les sources d’énergie, qu’elles soient ou non renouvelables, sont donc les bienvenues pour éviter une pénurie énergétique, dont nous savons qu’elle affecte toujours les plus pauvres. Enfin, nous devons tenir compte du réchauffement climatique et de la nécessité de limiter les émissions de CO2.

Nous sommes ainsi confrontés à une problématique à trois dimensions : une demande qui va doubler, une production qui a du mal à suivre, et des émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’il convient de limiter. Je précise que ce qui est le plus facile à produire, comme le charbon, génère le plus de GES. Les choix qui seront faits devront prendre en compte, de la meilleure façon possible, les trois dimensions du problème.

Même si la production d’énergies renouvelables, sous toutes ses formes, augmente très fortement, nous aurons encore besoin de pétrole et de gaz à l’horizon 2050, au niveau mondial. Et dans tous les scénarios que l’on a développés, le charbon est l’énergie qui croîtra le plus. Ce qui signifie que, chaque fois que l’on produit du pétrole, chaque fois que l’on produit du gaz, c’est du charbon dont on n’a pas besoin, et des émissions de GES que l’on évite. Ces émissions peuvent être réduites, selon les cas, d’un facteur 1,5 ou 2.

À partir du moment où le monde aura besoin de pétrole en 2050, autant qu’il soit produit en Guyane plutôt qu’ailleurs. Un des problèmes de notre pays est celui de la balance commerciale, et mieux vaut utiliser de l’énergie nationale lorsqu’elle existe. D’où l’intérêt, pour le groupe Shell et pour Shell France, de prospecter en Guyane.

Mais pourquoi en Guyane ?

Les cartes du dossier qui vous a été remis montrent qu’il y a 104 millions d’années, les continents sud-américain et africain étaient joints. Avant que ces continents ne dérivent, la Guyane française était très proche du Sierra Leone d’aujourd’hui. Or, ces dernières années, on a découvert beaucoup de pétrole dans la zone côtière de l’Afrique s’étendant de la Guinée au Sierra Leone et au Ghana. Notre raisonnement est que ces richesses pétrolières peuvent exister du côté sud-américain. Voilà pourquoi nous nous sommes intéressés à la Guyane.

Nous avons également étudié les pays autour de la Guyane. Or il y a beaucoup de pétrole au Venezuela, et un peu au Surinam.

L’idée qu’il puisse y avoir du pétrole en Guyane est confortée par ce que l’on connaît et, avec un peu de travail supplémentaire, dont des analyses sismiques simples, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il y avait là un vrai potentiel à explorer. D’où notre activité d’exploration.

Le permis d’exploration de Guyane maritime, auquel nous participons depuis 2009, avait été attribué en 2002 à une petite société. Depuis, il a été acquis par Tullow Oil, qui en a revendu des parts à Shell, Total, etc. Aujourd’hui, c’est un consortium qui gère ce permis : Shell (45 %) qui est opérateur ; Tullow Oil (27,5 %) ; Total (25 %) et Northpet (2,5 %).

Ce permis porte sur une superficie très importante, de 24 100 km², avec des profondeurs d’eau allant de 200 à 3 000 m, à cheval sur le plateau continental et sur l’océan plus profond.

Nous avons mené, en 2002, 2005, 2009 et 2012, des campagnes d’acquisition de données sismiques, qui s’apparentent à des échographies du sous-sol et nous ont permis d’identifier des réservoirs potentiels : en l’occurrence des couches de sable éventuellement riches en hydrocarbures. Nous avons alors décidé de faire un premier forage en 2011, qui a été un succès, puis un deuxième en 2012. Nous en train d’en faire un troisième.

Mais revenons sur l’historique des forages.

Le premier forage, désigné sous le code GM-ES-1, a été effectué à 160 km des côtes, quasiment au large de Cayenne. Nous avons foré jusqu’à 6 000 m, sachant que la profondeur d’eau est d’environ 2 000 m. La durée totale du forage a été de 261 jours. Nous avons traversé deux couches de sable riche en hydrocarbures, dont la hauteur cumulée est de 70 m. Reste bien sûr à savoir sur quelle surface les 70 m sont pertinents. Nous devons donc continuer à travailler pour le déterminer.

Le deuxième forage, GM-ES-2, était censé s’adresser aux mêmes bancs de sable, un peu plus loin. Nous avions dans l’idée qu’il s’agissait du même réservoir. Mais nous n’avons pas trouvé de pétrole, en raison d’une discontinuité de ce réservoir, que nous n’avions pas détectée. Cette partie s’avère très pauvre en hydrocarbures. Le GM-ES-2 a donc été un échec en termes de découverte d’hydrocarbures, mais un grand succès opérationnel : il a été réalisé en 150 jours, sans incident.

Nous en sommes au troisième forage, GM-ES-3, qui s’effectue sur une autre grappe de bancs de sable. Nous ne savons pas encore si ceux-ci sont, ou non, riches en hydrocarbures. Nous ne rencontrons pas de soucis opérationnels, et j’espère un jour vous annoncer la présence d’un réservoir pétrolifère.

Aujourd’hui, la viabilité du projet n’est ni acquise, ni abandonnée. Nous n’en sommes qu’à un programme de prospection, d’exploration, qui doit permettre de cataloguer les hydrocarbures en place, et de savoir s’il y en a, en qualité et quantité, et s’ils sont disposés de façon à être commercialement exploitables.

En 2012, en parallèle du forage, nous avons fait de nouvelles acquisitions sismiques – plutôt au large de Kourou – qui ont révélé d’autres cibles très intéressantes. Il s’agit de détecter, par ce biais, des sables potentiellement riches en pétrole et d’aller forer pour vérifier ce qu’il en est. À de telles profondeurs, les techniques actuelles ne permettent pas de faire l’économie d’un forage, sachant qu’en cent millions d’années, de nombreux événements ont pu faire qu’à certains endroits, le pétrole qui était présent a disparu. Il suffit que la couche d’argile sur le sable soit fissurée pour que le pétrole remonte à la surface. La question est alors de savoir si on arrive trop tôt ou trop tard, et s’il est toujours là. C’était le cas à l’endroit du premier forage, ce n’était pas le cas à l’endroit du deuxième. Nous verrons pour le troisième.

Ce sont des activités très lourdes au point de vue opérationnel. Quatre cent cinquante personnes environ sont mobilisées sur ce projet. Les moyens humains et matériels sont énormes. Certains d’entre vous ont eu l’occasion de visiter le Stena Icemax, le navire de forage utilisé : il est plus gros que le Charles de Gaulle et probablement aussi cher. Il est très spécialisé et très performant. On ne le mobilise pas facilement, d’autant qu’il nécessite des équipages et des personnels très compétents. La chaîne logistique mise en place autour de ce navire, pour l’approvisionner en matériel, tubes, ciment, etc., représente une véritable flottille qui navigue entre Trinidad, Cayenne et le lieu de stationnement du bateau.

Dans ce contexte, la sécurité et la protection de l’environnement sont fondamentales. Chez nous, personne n’a vocation à polluer quoi que ce soit. Nous sommes des citoyens soucieux de préserver l’environnement, d’autant que nous savons que c’est une condition sine qua non pour pouvoir travailler. Nous serions les premiers affectés par un incident, qui coûterait cher et risquerait d’entraîner le refus des autorisations dont nous avons besoin pour forer.

Cela signifie que nous mettons en œuvre les meilleures mesures d’atténuation possibles de l’empreinte environnementale : règles très strictes (discipline et procédures quasi militaires) ; maintenance préventive, tests réguliers des équipements (par exemple celui des blocs obturateurs de puits) ; gestion des déchets, solides et aqueux ; surveillance permanente des autres mouvements de navires dans la zone ; absence d’éclairage direct vers l’océan ; utilisation de fluides synthétiques de forage, plus adaptés que l’eau. Le choix des matériels que nous utilisons vise à réduire au maximum les émissions de CO2. De fait, les prélèvements que nous avons effectués avant, pendant et après les forages n’ont pas permis de détecter d’impact négatif sur la biodiversité marine.

Parallèlement aux activités de forage, nous menons des activités liées aux mouvements sismiques. Assez paradoxalement, ce sont ces dernières qui ont créé le plus d’émotion et de réactions de rejet. Que l’on puisse émettre un signal sonore et écouter l’écho, pour en déduire la géologie, a déclenché de nombreuses peurs – rendre les cétacés sourds, faire fuir les tortues, etc.

Voilà pourquoi nous avons pris de nombreuses mesures, destinées à prévenir de telles peurs : surveillances acoustiques passives ; observateurs certifiés indépendants et démarrages progressifs de bruit – pour éviter de surprendre et d’effrayer, notamment, les dauphins qui pourraient remonter trop rapidement à la surface. De nombreuses procédures visent à alerter les animaux qu’il va se passer quelque chose et à éloigner les espèces sensibles au bruit.

En quatre mois et demi de campagne sismique, en 2012, 18 espèces différentes de cétacés ont été identifiées par les observateurs. Aucun cétacé n’a été observé dans la zone d’exclusion. Trois espèces menacées ont été observées. Une seule tortue a été vue aux abords de l’espace de prospection. Je précise que le sort des tortues était le principal sujet d’inquiétude des associations environnementales.

La conclusion des observateurs indépendants est qu’il n’y a pas d’impact visible.

Nous pouvons maintenant nous interroger sur les retombées économiques de ce projet.

La difficulté tient au fait que nous en sommes à une phase de recherches. Nous pouvons dépenser beaucoup d’argent et mobiliser beaucoup de moyens avant de nous apercevoir qu’il n’y a pas de site commercial et avant de décider de partir en laissant derrière nous espoirs et déceptions, sans aucune activité résiduelle. Nous pouvons aussi découvrir un site commercial qui entraînera la création d’une industrie de production, laquelle sera accompagnée par diverses activités – personnels, transports, expertise – et aura des retombées économiques, notamment fiscales.

Nous ne pouvons pas encore investir dans le long terme puisque nous n’avons pas encore établi la présence d’un gisement commercial. Malgré tout, nous essayons de maximiser les retombées à court terme, mais qui seront acquises pour toujours à la collectivité : par exemple, si nous partons, les personnes formées aux métiers du pétrole pourront trouver du travail ailleurs qu’en Guyane. Bien sûr, si nous trouvons demain un gisement commercial, nous devrons réfléchir au développement d’une activité pérenne. Mais nous n’en sommes pas là.

Pour gérer l’aspect « intégration » du projet, l’État et la région ont défini une gouvernance autour d’une commission de suivi et de concertation rassemblant les autorités locales, les associations socioprofessionnelles, les pêcheurs et les associations environnementales. Shell n’est pas membre de cette commission, pour une raison que je n’ai pas comprise, mais elle est un invité permanent.

Cette commission s’appuie sur des groupes de travail – dans lesquels nous sommes donc invités – traitant de plusieurs thèmes : formations et emploi, stimulation du tissu économique local, recherche, sécurité et environnement, pêche. Chacun de ces groupes de travail associe les personnes directement intéressées par l’activité et développe des projets, assure des suivis ou formule des recommandations visant à optimiser les retombées locales.

Dans le cadre de l’attribution des autorisations de travaux, nous avons mis en place un Fonds de financement de la recherche qui nous permettra de mobiliser des crédits pour la stimulation du tissu économique et la pêche si un forage s’avère probant.

Quatre cent cinquante personnes gravitent autour de ce projet et 150 entreprises de Guyane bénéficient de l’activité générée. Fin 2012, 9 millions d’euros avaient déjà été dépensés par Shell et ses principaux partenaires. Nous avons affrété un certain nombre de navires de pêches pour des campagnes de suivi de l’environnement, pour de la surveillance, etc.

Nous avons développé un important pôle d’activités à l’aéroport Félix Éboué, où se trouve la base d’hélicoptères par laquelle transitent les équipages qui viennent de Paris ou de Trinidad, et d’où partent les équipes qui vont sur le Stena, à 150 km. Le transport des personnels se fait par hélicoptère. Le transport des biens se fait plutôt par bateau. Cela dit, l’activité logistique au port de Degrad des Cannes est limitée par les capacités du port. Il y a un an, lorsque nous avons souhaité utiliser le port, on ne nous a attribué qu’un seul créneau, le dimanche matin. De ce fait, nous avons dû assurer l’essentiel de notre logistique en transitant par Trinidad. Depuis, le créneau du dimanche matin s’est un peu élargi et nous utilisons bien plus le port qu’il n’était prévu. Néanmoins, la disponibilité n’est pas encore suffisante pour imaginer tout organiser à partir de ce lieu. Dans l’avenir, si l’activité se poursuit, il faudra utiliser davantage Degrad des Cannes. Cela suppose de modifier la gestion du port pour accueillir davantage d’activités liées au pétrole, ou d’investir dans le port pour lui donner la capacité nécessaire.

Par ailleurs, des projets sont en cours d’étude – motorisation de la pêche artisanale, chaîne du froid et machines à glace. Un appel à manifestation d’intérêt a été lancé par la Région pour identifier un nombre d’entreprises guyanaises susceptibles d’alimenter le Stena plus élevé qu’aujourd’hui. Il faut savoir qu’actuellement de nombreux opérateurs refusent d’utiliser Degrad des Cannes en raison de nombreux incidents logistiques : des aliments sont arrivés avariés à bord, à cause de la rupture de la chaîne du froid. Ainsi, le degré de fiabilité des opérations depuis Degrad ne permet pas d’envisager une activité qui serait purement centrée sur ce port. Il serait pourtant très intéressant que cet espace devienne la base logistique principale : mieux vaut parcourir 150 km entre Degrad et le bateau que 4 000 km entre le bateau et Trinidad. Mais encore faut-il que Degrad le permette.

Ensuite, la grande opportunité et le grand défi résident dans la formation et l’emploi local.

Shell et ses principaux sous-traitants ont créé 23 emplois. Le nombre paraît faible, mais nous n’avons généré qu’une activité de passage : tout a lieu au large, où les équipages sont des professionnels du métier qui viennent du monde entier.

Nous avons par ailleurs recruté cinq stagiaires, basés à Cayenne, La Haye et Paris. Nous essayons de stimuler la jeunesse pour qu’elle s’intéresse aux métiers du pétrole, sachant que ce n’est pas une activité traditionnelle en Guyane ou même en France. Enfin, l’apprentissage de l’anglais – indispensable dans ce domaine – organisé avec des tuteurs pour 50 jeunes remporte un énorme succès.

Nous ne pouvons pas recruter les équipes dont nous aurions besoin dans cinq ou dix ans, puisque nous ne savons pas encore comment évoluera le projet. En revanche, nous avons décidé d’ouvrir des postes Shell « monde » à des Guyanais. Ces derniers seront recrutés, formés dans le système et reviendront un jour en Guyane si le projet aboutit. Chacun de nos partenaires poursuit la même démarche.

Nous travaillons également avec la collectivité pour ajuster la carte des formations afin qu’il y ait une adéquation entre les formations disponibles et les métiers à pourvoir. Mais si l’on peut faire beaucoup en Guyane, tout ne sera pas fait en Guyane. Pour autant, notre volonté est réelle, parce que l’enjeu est important. On ne peut pas imaginer une activité qui se développe un jour en Guyane sans associer à l’aventure le plus grand nombre possible de Guyanais.

Je vous propose maintenant d’aborder un autre des grands sujets liés à cette activité, à savoir la fiscalité. On parle beaucoup de rente pétrolière, de profits éhontés des sociétés pétrolières. Les pétroliers gagneraient beaucoup d’argent en pillant la ressource nationale.

Il faut savoir qu’aujourd’hui, si nous faisons un forage dans une zone inexplorée, nous avons 20 % de chances de succès. Imaginez que je fasse dix forages et qu’un seul me donne un puits commercial. À 250 millions le puits, il faut que je puisse me rémunérer sur « 9 fois 250 millions d’échecs ». Je vous rappelle que l’argent vient exclusivement d’investisseurs privés, qui entendent bien pouvoir se rétribuer un jour. Il faut donc que la fiscalité rémunère, non seulement l’investissement direct sur le champ et les coûts, mais aussi les investissements amont qui ont permis à l’État de comprendre qu’il avait un patrimoine exploitable. Or c’est un élément que l’on a du mal à percevoir.

L’échelle de temps doit également être prise en compte. Entre le moment d’une découverte commerciale et la mise en production, il peut se passer beaucoup de temps. D’abord, l’État peut mettre jusqu’à trois ans pour instruire une demande de concession de production. Et puis, il faut construire. Un système pétrolier de production demande trois ou quatre ans. Donc, entre la prospection, l’instruction du dossier et la construction du système, il se passe facilement huit ans. Il faut donc sept ou huit ans de dépenses pour obtenir un baril !

Autre élément à prendre en compte : la forme du réservoir commercial, qui est plus ou moins profond ou plus ou moins étendu et qui nécessite un plus ou moins grand nombre de puits. Suivant les cas, les coûts de production varient entre 5 et 20 milliards de dollars ou d’euros. Il faudra les assumer sur plusieurs années avant qu’un baril commence à rémunérer l’activité. Il faudra ensuite rémunérer l’arrêt de la production et le réinvestissement dans la prospection.

Voilà pourquoi l’off-shore a besoin d’une fiscalité adaptée ou en tout cas pertinente par rapport à toutes ces contraintes. On n’est pas en Seine-et-Marne, où l’on peut construire, au rythme que l’on décide, des puits qui coûtent deux millions d’euros et qui produiront au bout de six mois. J’ajoute qu’en Seine-et-Marne, il est possible de s’entendre avec la commune, le canton, le département, c’est-à-dire avec telle ou telle entité administrative. Ce n’est pas le cas ici : le site de ce projet pétrolier off-shore se trouve à 150 km des côtes, en zone économique exclusive, en dehors des eaux territoriales ; la supervision des tutelles, l’information du public se passent différemment. Cela m’amène à dire que le code minier devrait s’intéresser à ces éléments plus spécifiques à l’off-shore.

Quand j’entends parler du code minier, j’ai l’impression qu’on imagine qu’il pourra s’appliquer aussi bien au nickel ou à l’or qu’au pétrole on-shore et off-shore. D’où mon scepticisme. Je ne suis pas du tout sûr, en effet, qu’il pourra permettre à chacun des miniers, des pétroliers et des gaziers d’investir dans des projets intéressants pour lui et pour la collectivité.

Le Stena Icemax est un immense navire, qui emploie environ 450 personnes. On ne peut pas programmer ses activités sans avoir de certitude sur la date à laquelle il sera possible de forer. Imaginez que je dépose une demande de permis et que j’apprenne que l’information du public risque de prendre entre trois mois et dix-huit mois : mon programme tombe à l’eau ! Il en va différemment dans d’autres activités minières, pour lesquelles le fait que l’information du public dure quatre semaines de plus que prévu n’a pas le même impact. Je vous rappelle que, dans le monde, il n’y a que quelques unités comme le Stena Icemax. Si j’attends trop longtemps, il sera mobilisé sur d’autres projets.

Les dispositions du code minier – information du public, procédures d’autorisation, sécurité réglementaire – doivent permettre des investissements de ce type.

Je précise que ces investissements se font sur trente ans. Or, dans une précédente législature, on a compté une révision fiscale toutes les trois semaines. Il est difficile d’investir 20 milliards sans avoir une certaine visibilité sur le moyen ou le long terme. Quand le projet en cause est un projet unique et que tout le monde voudrait le réaliser, ce n’est pas très grave. Mais quand ce n’est qu’un projet parmi cinquante et que la France n’est qu’un des candidats possibles à l’investissement, je dois l’emporter sur les quarante-neuf autres candidats.

Aujourd’hui, la France se distingue par son instabilité fiscale et réglementaire. Notre pays terrorise les investisseurs ! Comme le Parlement est à l’origine des lois, je vous invite à aborder ce sujet au moment de la révision du code minier ou de la fiscalité pétrolière.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur Roméo, pour cet exposé préliminaire, que j’ai trouvé très pédagogique.

Vous nous avez expliqué que vous vous étiez lancé dans une aventure tout à fait incertaine, qui promettait d’être longue et pas forcément rémunératrice, que vous ne trouviez pas un grand soutien dans l’arsenal fiscal et réglementaire français et que, pourtant, vous agissiez avec une grande vertu, ne serait-ce que pour assurer la défense et la protection de l’environnement et de la faune.

Je comprends que vous ayez axé votre exposé dans cette direction. Mais cela suscite de nombreuses questions. Qui sont les observateurs indépendants dont vous avez parlé ? Comment agissent-ils et à quel titre ? Cette aventure peut être enthousiasmante mais elle est encore incertaine, notamment pour la Guyane et les Guyanais. Que pourront donc en tirer les habitants de ce département d’outre-mer ?

Mme Chantal Berthelot. Je remercie, moi aussi, M. Roméo d’avoir fait preuve de pédagogie dans la présentation de ce qui peut constituer une opportunité pour la Guyane. Je tiens à signaler à la Délégation que, depuis que Shell a repris le dossier, M. Roméo a toujours fait l’effort d’informer les collectivités, les partenaires et les parlementaires de son évolution.

M. Roméo a parlé de la commission de concertation et de suivi. Celle-ci, bien qu’elle cherche encore un peu ses règles de fonctionnement, a l’avantage d’exister et de permettre à tous les partenaires d’exprimer leurs désirs et leurs inquiétudes et, donc, de se sentir impliqués. De fait, les Guyanais ont besoin d’être associés à cette aventure, qui leur ouvre un monde bien particulier, si particulier qu’il n’existe pas, dans notre pays, de législation relative à la prospection et à l’exploitation off-shore du sous-sol.

Cela m’amène à aborder l’autre objet de cette audition : la réforme du code minier, dont les trois ministres concernés, M. Montebourg, Mme Batho et M. Lurel ont présenté les grandes lignes au Conseil des ministres, il y a quelques jours.

Tout ce qui est dans le sous-sol devient le bien commun de la Nation. J’approuve totalement cette affirmation. Elle signifie que le sous-sol doit être protégé et valorisé au profit de la Nation. Elle signifie aussi que, s’agissant de la ressource pétrolière, la Nation française engage sa responsabilité vis-à-vis des Guyanais.

Je poserai à M. Roméo les questions que j’ai posées lors de la table ronde au président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP).

D’abord, pensez-vous qu’il faille se doter d’une législation particulière, bien spécifique, à la prospection et à l’exploitation pétrolières ? Je ne connais pas encore l’avis du Gouvernement, car M. Montebourg ne m’a pas répondu à ce propos, mais il me semble que c’est indispensable, dans la mesure où le domaine des mines et celui de l’off-shore n’ont rien à voir l’un avec l’autre.

J’observe que le Parlement européen vient d’élaborer une directive selon laquelle tout opérateur minier qui souhaite aller sur un champ devra garantir qu’il dispose des moyens humains, physiques et financiers lui permettant de réagir et d’assurer ses responsabilités en cas d’accident. Tous ces éléments devront être intégrés dans le code minier.

Ensuite, je vous poserai des questions relatives aux retombées d’une exploitation – sujet à propos duquel j’avais demandé au président de l’UFIP de faire au moins une contre proposition aux propositions de la commission travaillant sur le code minier. Ce sont les suivantes : faut-il ou non moduler la taxation ? Êtes-vous prêt à échanger sur la taxation de cette activité, étant donné que plusieurs modèles de taxation sont envisageables ?

Enfin, je rappelle que dans la réforme que l’on va initier, il faudra mettre en conformité le code minier avec la Charte de l’environnement. Depuis décembre déjà, l’information du public est actée dans certains textes. Quelle est donc votre position en la matière ?

M. Patrick Roméo. Je tiens à préciser que dans le code minier actuel – qui, de mon point de vue, est plutôt bien fait – le sous-sol, qui est un bien commun, appartient à l’État. Nous sommes rémunérés pour l’extraire et le commercialiser. Différents modes de rémunération sont possibles. Dans certains systèmes, on extrait, on commercialise et on verse des royalties à l’État sur chaque baril vendu. Dans d’autres, l’État se paye en nature et récupère un pourcentage de la production qu’il vend pour son compte. Le sous-sol étant le bien commun de la Nation, il est fondamental que celle-ci gère son bien et décide de ses conditions d’exploitation.

Sur la fiscalité, je n’ai aucun commentaire. C’est la prérogative de l’État et du Parlement. En revanche, et quel que soit le modèle choisi, cette fiscalité doit être équitable, aussi bien pour la Nation que pour la personne qui a investi dans l’aventure sans en connaître l’aboutissement, tout en en assumant les risques. En l’occurrence, je dois être sûr d’être raisonnablement rémunéré, compte tenu des moyens que j’ai mobilisés et de la compétence et de l’expertise que j’ai apportées à la France, et dont elle ne dispose pas.

Je suis absolument d’accord sur le fait que l’opérateur et le consortium doivent assumer leurs responsabilités. Nous assumerons les nôtres, mais nous devons être rémunérés pour cela. Je dépense x milliards pour produire, j’ai un risque de x milliards en cas d’incident, et il faut que je gagne ma vie entre le moment où j’investis et le moment où je produis. Sinon, pourquoi investir ?

Pour moi, c’est une question d’équité : toutes les parties – l’État, l’investisseur et le public – doivent être satisfaites.

Autre point : j’ai toujours grand plaisir à parler de mon métier et de mon activité. Je l’ai fait en Guyane, et je le referai. L’information du public est essentielle, parce qu’il n’y a rien de pire que l’ignorance. Tous ceux que nous accueillons sur le Stena Icemax, quel que soit leur profil, y découvrent quelque chose qu’ils ne connaissaient pas. Mais comme on ne peut pas amener toute la Nation sur le Stena Icemax, il faut amener le Stena Icemax à la population. De la même manière, il faut lui parler de notre projet, dont la vertu fait ma fierté. Je suis en effet très fier d’être un Français qui mobilise des capitaux étrangers pour la France. J’espère simplement qu’en retour, la France sera reconnaissante et ne verra pas dans cette démarche une intention cachée de piller le bien commun. Ce serait assez attristant.

L’information du public doit être assurée dans un cadre pragmatique. Elle ne doit pas durer trop longtemps : au bout d’un certain temps, il faut passer à la phase de réalisation. Nous devons savoir quel type d’information communiquer. Par exemple, si nous expliquons à tous les citoyens français comment se fait un forage, nous risquons d’en ennuyer beaucoup !

Si le public a confiance dans les experts qui lui exposent leur technique, il se contentera de développements assez généraux. Sinon, il exigera d’eux des précisions, et, à chaque fois que j’utiliserai un produit, je devrai le faire analyser par un grand nombre d’organismes d’État indépendants. Dès lors, l’information deviendra pénalisante.

Ce pays souffre de désindustrialisation. Il faut éviter que l’information du public ne freine l’industrialisation. Cela suppose de trouver le bon équilibre. Je fais bien sûr tout à fait confiance à la représentation nationale pour y parvenir. Mais, pour ma part, je ne ferai jamais de commentaire sur la fiscalité. Si celle-ci n’est pas équitable, nous n’investirons pas, et ce serait dommage. Si elle est équitable, nous investirons avec beaucoup de plaisir – dans la mesure où nous trouvons un projet intéressant.

Je ne pense pas qu’il y ait un problème d’alignement de nos objectifs respectifs. Jamais personne n’a prospéré dans le cadre de contrats inéquitables. Et jamais personne n’a développé d’industrie contre la population. D’où l’importance de l’information et de l’acceptabilité du projet.

Nous faut-il un code minier spécifique à l’activité off-shore ? J’aurais tendance à penser que oui, tout simplement parce qu’il est difficile de mettre au point un système qui soit applicable à toutes les activités. Encore une fois, l’acceptabilité fiscale sur un projet off-shore n’est pas la même que pour une mine de nickel, où l’on est certain que le nickel est présent. Dans un projet off-shore, il faut prendre en compte le risque financier et l’amplitude des incidents qui peuvent survenir.

Enfin, monsieur le président, vous m’avez interrogé sur les observateurs indépendants. Comme leur nom l’indique, ils ne relèvent d’aucune instance : leur curriculum vitae ont été étudiés, scrutés, analysés, par les organisations environnementales. Ils ont été choisis par le WWF, et ce n’est pas nous qui les avons formés. Je ne les soupçonnerai jamais de ne pas être indépendants. En revanche, comme nous sommes obligés, de par la loi, de rémunérer ces observateurs ou ces cabinets indépendants, on nous soupçonne toujours d’influencer leurs résultats. Et il est extrêmement difficile de faire cesser de telles remarques.

M. Gabriel Serville. Je vous remercie de nous avoir encore une fois donné l’occasion de nous exprimer sur ce projet d’exploitation pétrolière en Guyane. M. Roméo, que j’ai rencontré à de multiples reprises, connaît les doutes qui sont les miens. Les témoignages sur la façon dont le pétrole est exploité dans certaines régions de la planète ont de quoi inquiéter les Guyanais. Nous avons le sentiment qu’il y a, d’un côté, ceux qui exploitent, et, de l’autre, ceux qui se font exploiter par des sociétés qui sont souvent internationales. Je ne dis pas cela pour M. Roméo, pour lequel j’ai beaucoup d’estime.

J’ai relevé dans son propos qu’il était fier d’être français et de pouvoir apporter des capitaux à son pays. Je rappelle tout de même que le consortium qui s’organise autour de ce projet regroupe d’autres compagnies pétrolières qui ne sont pas de nationalité française. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte que, sur le Stena Icemax, peu d’employés parlaient notre langue. Il n’en reste pas moins que c’est une grosse entreprise, bien organisée, malgré de rudes conditions de travail.

M. Roméo a également parlé de confiance. Il me semble qu’il faudrait, par des discours appropriés et des démonstrations idoines, rétablir la confiance avec la population française en général, et guyanaise en particulier. C’est ainsi que l’on pourra avancer de façon sereine. J’en veux pour preuve le Forum des métiers du pétrole qui a été organisé très récemment en Guyane. Celui-ci a suscité un grand engouement auprès de la jeunesse. Malheureusement, je n’ai pas le sentiment qu’il sera suivi d’effet. M. Roméo lui-même nous a expliqué que Shell positionnerait sur les plates formes, à travers le monde, une dizaine de jeunes Guyanais qui pourraient être opérationnels une fois que l’exploitation du pétrole aurait démarré en Guyane. Ainsi, 1 000 jeunes seront passés par le Forum des métiers, mais bien peu seront positionnés sur les plates formes. Que fera-t-on des autres qui espèrent ? Il ne faut pas les décevoir. Or, les responsables des services de l’État en Guyane nous ont dit leur inquiétude : beaucoup de jeunes, qui auraient aimé pouvoir s’insérer dans cette dynamique, risquent de ne pas y parvenir. Pour moi, la question est donc bien de savoir comment rétablir un rapport de confiance avec les décideurs et la population.

J’ai bien entendu que la société Shell, comme les autres sociétés, mettait son expertise technique à la disposition de la France et qu’elle avait droit, à ce titre, à une fiscalité équitable. Ne pourrait-on pas s’inspirer, dans le nouveau code minier, de la fiscalité qui se pratique ailleurs ? J’imagine qu’il y a d’autres endroits, dans le monde, où l’on a été amené à forer à 6 000 mètres de profondeur.

J’ai envie d’avoir confiance dans ce projet, mais je m’interroge. Ces interrogations ne sont pas nées de la pratique de Shell en Guyane – puisque nous n’en sommes qu’à la phase d’exploration – mais des observations sur ce qui s’est passé et sur ce qui se passe ailleurs. Ne risquons-nous pas, en Guyane, d’être confrontés aux mêmes difficultés ?

M. Patrick Roméo. Je serais le premier heureux d’employer de très nombreux jeunes Guyanais – ou de moins jeunes, d’ailleurs. Cela signifierait que l’on développe une opportunité d’activité commerciale importante pour la Guyane et pour la France.

Dans la phase où nous nous trouvons, les moyens que nous déployons sont tels que nous ne pouvons que générer de l’espoir. Cela dit, je ne peux pas promettre que nous allons découvrir un champ commercial si je n’en suis pas sûr – même si j’y crois. Nous ne pouvons pas présenter de projet, comme c’eût été le cas si le deuxième forage avait été un grand succès. On parlerait alors de centaines d’emplois et d’un programme de formation pour les jeunes Guyanais. Mais nous n’en sommes pas là. Il faut donc faire preuve de patience, même si je sais combien cela peut être difficile dans le contexte actuel – en Guyane et, plus généralement, en France.

À la suite du Forum des métiers du pétrole, nous avons collecté à peu près 170 curriculum vitae de très bonne qualité, que nous gardons en stock et que nous espérons voir déboucher un jour sur des emplois. J’observe que, sur le millier de personnes que nous avons reçues, près de la moitié d’entre elles nous a dit ne pas être intéressée par une activité en mer. Quoi qu’il en soit, je suis heureux que nous ayons suscité des vocations. Mais j’aurais peut-être besoin que la collectivité territoriale nous aide à gérer l’impatience qui se fait jour pendant cette période de prospection.

Je répondrai à votre question sur la fiscalité en indiquant que je me rends régulièrement à Bercy et que nous communiquons, notamment sur toutes les données de benchmark. Cela dit, lorsque l’on compare les systèmes, on s’aperçoit qu’il y a plusieurs façons d’arriver au même résultat – taxation du chiffre d’affaires, des bénéfices, remboursement des investissements non productifs, etc. – et que l’important est la rentabilité sur l’investissement dans un scénario de prix. Personnellement, je suis quasiment certain des chiffres auxquels nous aboutirons. Mais cela passera par une discussion visant à faire émerger une fiscalité équitable, et non par une formule toute faite intégrée dans le code minier.

Je vous rappelle que Shell Exploration and Production France est une société française depuis 1919 et que 850 Français sont employés par la Société des Pétroles Shell. Il est vrai qu’aujourd’hui, les équipages qui travaillent au large de la Guyane ne sont pas français. Mais cela est dû au fait que nous ne disposons pas, sur place, des compétences suffisantes. Je serais très heureux d’employer, un jour, 100 % de personnels français et 80 % de personnels guyanais. Sans compter que les Français formés à ces métiers peuvent travailler non seulement en Guyane, mais aussi dans d’autres pays que la France, dans la mesure où l’activité est en plein développement. Cela dit, cela ne sera possible que si nos recherches aboutissent et que si nous nous donnons les moyens de réussir.

Il ne peut s’agir que d’une démarche collective. Certes, nous sommes en France. Nous ne vivons pas dans un contexte de guerre civile, avec une déconnexion entre le niveau local et le niveau gouvernemental, dans des pays où l’intégrité n’est pas forcément une vertu première et où certains profitent davantage de la richesse que d’autres. Il est toutefois important que la fiscalité soit équitable, non seulement pour l’opérateur, mais aussi pour la collectivité.

Je fais partie de ceux qui ont milité pour qu’il y ait une retombée directe du montant des prélèvements liés à l’activité pétrolière sur la Guyane, ce qui n’est pas dans la tradition fiscale française. Je suis conscient, en effet, du problème qui surgirait si tout allait à Paris et revenait au compte-gouttes en Guyane. D’un autre côté, on ne peut pas imaginer que la Guyane dispose de 90 % d’une richesse au détriment du reste de la Nation. Cela me semble être une question très intéressante pour la représentation nationale.

Mme Annick Girardin. Je pense qu’en ce domaine, nous pourrions nous inspirer de la législation fiscale existant à Saint-Pierre et Miquelon – même si elle a été entièrement pensée par Bercy et mise en place avec Bercy.

M. Patrick Lebreton. Je m’exprime en tant que député ultramarin, tout en faisant partie de la représentation nationale. Vous savez, en effet, que la dernière décennie a été celle du Grenelle de l’environnement et que l’on a reconnu à l’outre-mer – dont la Guyane – une place exceptionnelle en matière de biodiversité. Par ailleurs, nos territoires ont des perspectives économiques très restreintes. Or, le secteur des énergies – fossile en Guyane, marine, solaire, thermique et éolienne dans d’autres départements comme l’île de la Réunion – peuvent constituer des piliers de développement.

Élus de la République, nous manifestons évidemment de la satisfaction à l’idée que la France puisse accentuer son autonomie d’approvisionnement énergétique. Mais nous sommes aussi élus des territoires d’outre-mer et il est légitime que nous nous interrogions sur l’intérêt qu’il y a, pour les populations que nous représentons, à exploiter ces énergies.

Ce type d’exploitation, quoi que vous en disiez, n’est jamais neutre et leur impact environnemental, même modéré, est réel. Or, la richesse de notre biodiversité et le caractère exceptionnel de notre environnement sont des atouts majeurs pour nos territoires, notamment dans le domaine touristique. Vous me trouverez peut-être provocateur, mais je me demande si l’avantage que la population guyanaise tirerait de l’exploitation du pétrole au large de ses côtes est supérieur à celui qu’elle tirerait du développement d’une industrie touristique florissante.

Le problème peut se poser ailleurs, dans les mêmes termes, et pour d’autres énergies. Ainsi, dans ma commune, EDF a un projet de STEP à eau de mer qui concerne aussi bien les agriculteurs que ceux qui s’occupent de tourisme. De la même façon, on peut comprendre que certains n’apprécient pas les éoliennes, qui ne sont pas aussi plaisantes à contempler que des arbres, tels que les palmiers ou les cocotiers.

M. Patrick Roméo. Pour beaucoup, il y aurait incompatibilité entre le développement de la ressource touristique et l’exploitation de certaines énergies. Mais je ne comprends pas pourquoi on ne pourrait pas développer en Guyane à la fois le tourisme et une activité pétrolière. Prenez la Norvège, qui est un très grand pays pétrolier et gazier et qui a la chance de posséder sur son littoral de magnifiques fjords : son tourisme ne semble pas souffrir des exploitations de pétrole et de gaz qui ont été installées au large. Et puisque vous avez mis en avant le bénéfice des populations, je vous précise que la Norvège a fait le choix de financer ses retraites avec la rente pétrolière.

Pour moi, le principe de précaution passe à la fois par la préservation de l’environnement, l’indépendance nationale et la valorisation du patrimoine. Une activité gérée de façon responsable, réglementée et supervisée, n’est pas incompatible avec le développement économique et touristique, ni avec le bien-être des populations. Mieux vaut être bien payé, dans l’activité pétrolière, sur une plate-forme, qu’être au chômage, à terre, et ne pas avoir accès aux soins médicaux.

Le développement du bien-être passe par le développement économique. Je ne connais pas de pays où la décroissance imposée génère davantage de bonheur que le développement économique. La corruption et le pillage, qui peuvent accompagner des activités économiques mal menées et créer des tensions communautaires, sont en effet dramatiques. Mais une action économique bien menée et bien intégrée profite à la Nation et aux salariés.

Cette incompatibilité n’a donc pas de raison d’être. J’ai d’ailleurs observé que, bien souvent, la fermeture de sites dont tout le monde dénonçait les émissions lorsqu’ils étaient en activité provoquait de vives réactions, une fois réalisée, en raison de la perte des emplois correspondants.

Notre pays est suffisamment mature pour avoir une approche responsable de ces dossiers à tous les niveaux – environnement, développement de l’économie et ressource. Une activité pétrolière en Guyane pourrait favoriser l’infrastructure hôtelière et faire de ce territoire une destination beaucoup attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui, malgré son potentiel touristique.

Le pétrole ne résoudrait pas le problème du chômage, mais il pourrait devenir le catalyseur d’une activité économique en Guyane et contribuer à son rayonnement culturel.

M. Gabriel Serville. Je peux vous donner l’exemple d’une industrie qui fonctionne très bien en Guyane, sans corruption ni pillage : celle de l’industrie spatiale.

Cette activité avait été présentée comme potentiellement capable de servir de locomotive au développement économique de la Guyane. Certes, le secteur spatial représente un pourcentage important de son PIB. Mais, à lui seul, il ne suffit pas à assurer son développement, en raison d’un certain nombre de dispositions, notamment fiscales, qui restent encore à prendre. On sent bien que le spatial reste une chasse gardée, un domaine réservé, qui ne joue pas pleinement le rôle qui aurait pu être le sien. De la même façon, nous craignons qu’une industrie pétrolière, même correctement organisée, ne se heurte à des barrières naturelles, d’ordre administratif, réglementaire ou fiscal, et que la Guyane n’en tire pas tout le bénéfice qu’elle serait en droit d’en attendre.

Tullow Oil avait estimé les réserves potentielles de pétroles à 4 milliards de barils, mais la Shell les avait estimées à 300 millions. Nous nous étions alors demandé si la Guyane pourrait prétendre posséder une raffinerie. Pour Shell, avec 300 millions de barils, ce ne serait pas rentable. Mais ce ne serait pas techniquement impossible. Le fait d’avoir une raffinerie sur place éviterait aux Guyanais de devoir aller jusqu’à Trinidad et permettrait à la Guyane de développer des industries connexes.

Il est évident que la Guyane ne va pas compter que sur le pétrole pour s’assurer un développement économique durable et pérenne. Mais qu’adviendrait-il si la Shell faisait le choix, tel un mécène, de mettre à la disposition de la Guyane des leviers beaucoup plus conséquents que la simple exploitation de pétrole, pétrole ensuite dirigé vers les raffineries de Trinidad ou d’ailleurs ? Sans doute n’est-ce qu’un rêve…

Monsieur le président, je sais bien que la Shell n’est pas un philanthrope. C’est une société commerciale, soumise à des impératifs d’ordre économique. Elle n’est pas là pour assurer le développement des pays dont elle exploite le pétrole. Je connais les logiques qui sous-tendent le fonctionnement des entreprises capitalistiques comme la Shell. Il n’empêche qu’en tant que représentant de la population, je peux être amené à adopter une position opposée à la vôtre. Cela me paraît tout à fait légitime.

M. Patrick Roméo. Le problème de la raffinerie ne se pose pas aujourd’hui, parce que nous n’avons pas de gisement commercial. Lorsque ce sera le cas et que nous connaîtrons les caractéristiques et les capacités de production de ce gisement, nous pourrons nous demander si l’aménagement du territoire bénéficierait de l’implantation d’une raffinerie. Aujourd’hui, le seuil de rentabilité est de 300 000 à 500 000 barils/jour, ce qui correspond à deux ou trois gisements commerciaux. Il faut donc trois gisements commerciaux pour justifier la mise en place d’une raffinerie. Vous pouvez décider d’implanter une petite raffinerie non rentable, mais cela ne peut relever que d’un choix politique. Vous pouvez aussi décider que l’argent ne sera pas investi dans une raffinerie, mais dans d’autres filières industrielles plus pertinentes. C’est alors un choix d’aménagement du territoire, qui n’est pas du tout incompatible avec la position que peut prendre une entreprise comme la nôtre.

Shell produit le pétrole et grâce à la fiscalité équitable dont nous avons parlé, la collectivité peut disposer de ressources et décider d’investir dans une raffinerie. Shell peut proposer elle-même de produire le pétrole et de le raffiner. Cela dit, les forages sont déjà très difficiles à effectuer en Guyane, et je suis assez réservé à l’idée de défricher au moins 20 hectares de forêts pour construire une raffinerie dans la mangrove. Il s’agit là néanmoins d’un choix.

Lorsque nous aurons un gisement commercial, la question qui se posera sera celle de la maximisation de la valeur générée par le baril. Pour la collectivité, ce peut être d’exporter le pétrole et de bénéficier immédiatement de la ressource. Ce peut être, demain, d’en exploiter une partie sur place. Ce peut être aussi d’exploiter le gaz, s’il y en a aussi, car le gaz est une source extraordinaire de développement local. Mais il faut un projet de production pour que la collectivité et le consortium se prononcent.

Notre métier n’est pas de raffiner mais de produire ; néanmoins, si le projet est intéressant, vous aurez des investisseurs raffineurs. Personnellement, s’il y avait une raffinerie rentable en Guyane, j’en serais très heureux.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Monsieur le président, vous avez parlé, à plusieurs reprises, d’équité. Vous avez dit que votre société recherchait un équilibre économique, que si le gisement pétrolier était suffisant, vous pourriez envisager une activité de raffinerie. Mais vous avez précisé que, sinon, ce ne serait pas votre problème et que la création d’une éventuelle raffinerie ne pourrait relever que d’un choix politique. Or, l’équité est globale. Elle ne consiste pas uniquement à permettre au partenaire économique de tirer son épingle du jeu.

M. Serville ne croit pas au mécénat. Au demeurant, nous n’en demandons pas tant. Reste que, pour les populations, et spécialement pour celles de la Guyane, la vraie question est de connaître quelles seront les retombées – positives et négatives – de cette activité, et ce qui leur restera. Or, j’ai bien peur, monsieur Roméo, que tout en parlant d’équité, vous ne soyez un peu trop soucieux de vos intérêts économiques.

M. Patrick Roméo. Pour moi, il n’y a qu’un seul sens pour le mot « équité ». En l’occurrence, il consiste à affirmer que chaque partie présente autour de la table trouve son intérêt : la population guyanaise, comme le consortium et la population française dans son ensemble.

Préféreriez-vous que je finance une activité à perte ? C’est une façon de payer l’impôt. Je pourrais financer une raffinerie, l’État prélevant moins sur la part du baril que je vends. Pour moi, cela ne change rien car ce qui compte, en dernier ressort, c’est la façon dont je suis rémunéré pour mon activité. Cela dit, je ne pense pas que le bénévolat soit un facteur de développement économique. Il convient que tous les acteurs – vous comme nous – puissent être rémunérés pour leurs efforts.

M. Patrick Lebreton. Certaines activités apparemment peu rentables peuvent constituer un facteur d’apaisement social et sécuriser notre économie.

M. Patrick Roméo. Mais l’apaisement social s’obtient en générant de la richesse et en la partageant, pas forcément en faisant des cadeaux.

M. Gabriel Serville. Donc, pas de mécénat, pas de bénévolat !

M. le président Jean-Claude Fruteau. J’ai de plus en plus l’impression, mes chers collègues, que c’est auprès de l’État que vous devrez vous tourner pour bénéficier d’un traitement équitable.

M. Jean-Jacques Vlody. M. Roméo et son équipe représentent une grande entreprise, de dimension planétaire, intervenant dans un domaine stratégique. C’est à ce titre que je m’adresse à eux.

Depuis un moment, nos collègues s’interrogent sur les retombées de certaines activités sur les territoires de la République, en particulier sur les territoires ultramarins. Il se trouve en effet que ces derniers ont des potentialités en matière de ressources – ressources énergétiques, sous-marines, etc. – et que votre entreprise – ou des entreprises comme la vôtre – sera sans aucun doute amenée à s’y intéresser davantage.

Ces territoires se demandent comment tirer profit des richesses qui se trouvent à proximité et comment résoudre leurs difficultés liées à l’emploi, notamment celui des jeunes. De fait, l’outre-mer a connu un peu partout des problèmes qui ne sont pas de simples étincelles, mais les symptômes d’un vrai malaise social. Or, la confiance dans l’investissement suppose stabilité et paix sociale.

Je remarque que, dans votre système de fonctionnement économique, il est normal – comme est normale votre volonté d’avoir un comportement vertueux en matière d’environnement – de faire travailler des personnels qualifiés à l’échelle du monde, des personnels capables de se déplacer et d’être opérationnels n’importe où. Mais envoyer ces travailleurs à proximité d’un bassin social où des jeunes et des moins jeunes ne peuvent pas prétendre aux mêmes types d’emplois génère de l’incompréhension. Les habitants s’interrogent alors sur les retombées d’une activité qui pourrait leur être, sinon réservée, du moins accessible.

Admettons que vous soyez contraints, par la loi, de tenir compte de la réalité sociale de ces territoires – ce que l’on appelle, dans certaines clauses de marchés publics, la clause sociale – en intégrant ou en formant tel ou tel pourcentage des travailleurs des territoires où vous avez décidé de développer votre activité. Comment répondriez-vous à cette obligation ?

M. Patrick Roméo. Une telle démarche est nécessaire et même obligatoire de notre point de vue. Cela n’aurait aucun sens de recruter des personnels hors de Guyane s’il y en a de disponibles sur place. Il faut utiliser les capacités locales et faire en sorte qu’un jour, si une industrie pétrolière s’installe, chaque Guyanais ait un parent – oncle, cousin, etc. – qui y travaille. C’est ainsi que l’on assurera la prospérité de cette activité sur le territoire.

Cela dit, a-t-on besoin de textes ? La France a pour habitude de légiférer et de réglementer en de nombreux domaines. Or, les pays qui ont adopté des réglementations multiples ont tendance à être contreproductifs. Il serait beaucoup plus pertinent de discuter du projet avec la collectivité de la Guyane ou avec l’État et de faire en sorte que 80 % des salariés travaillant dans cette activité soient, à l’horizon de sept ans par exemple, des Guyanais. En posant le problème ainsi, on pourrait y répondre. Mais, si vous affirmez brutalement que toute activité en Guyane ne pourra s’exercer que si 80 % de Guyanais y travaillent, c’est simple : on ne démarrera jamais.

Certes, il n’est pas possible de travailler dans un territoire contre ses habitants. En l’occurrence, si les Guyanais nous reprochent le trop petit nombre de locaux que nous employons, nous risquons de nous heurter à de nombreux obstacles. Pour autant, je ne vois pas l’intérêt qu’il y aurait à réglementer sur le sujet. Le Français a-t-il besoin d’une réglementation pour se comporter honnêtement ? N’est-il pas capable de faire des choix pertinents ?

M. Jean-Jacques Vlody. Il est assez nouveau que les entreprises considèrent comme nécessaire de recruter localement. Elles trouvent toujours de bonnes raisons pour ne pas le faire, mettant en avant, par exemple, le manque de ressource qualifiée. C’est là où la réglementation peut avoir son utilité. Elle pourrait obliger l’entreprise qui a déjà prospecté et qui envisage de s’installer sur un territoire à y former les personnes qualifiées dont elle aura besoin pour les deux ou trois prochaines années.

Monsieur Roméo, je ne connais pas l’histoire de ce forage. Mais, trois ans avant d’y procéder, avez-vous eu l’idée de former des ingénieurs locaux ?

M. Patrick Roméo. En 2010, j’ai indiqué que, si nous développions un projet, nous devions envisager d’employer, à terme, des Guyanais.

Dans plusieurs pays, nous avons développé ce type d’activité à partir de rien. C’est ainsi qu’aujourd’hui, sur les plates formes Shell des Philippines, ce sont des Philippins qui interviennent. Ce qui n’empêche pas – et c’est bien normal – que des Philippins travaillent à l’étranger et que des étrangers travaillent aux Philippines.

Reste que, pour former 80 % des personnels en Guyane, nous aurons besoin de mettre en place un partenariat avec la collectivité. Nous le ferons le jour où nous saurons qu’il y a un projet commercial.

M. le président Jean-Claude Fruteau. J’ai relevé, dans votre propos, que vous aviez recueilli plus de 150 curriculum vitae très intéressants à l’occasion du Forum des métiers du pétrole. Quelles suites avez-vous pu leur donner ?

M. Patrick Roméo. Nous avons envoyé un message aux auteurs de ces curriculum vitae dans lequel nous leur indiquions que nous n’avions pas d’opportunité à leur proposer, en l’état actuel des choses, parce que notre projet n’en était pas encore au stade du développement. Certains l’ont compris, d’autres ont été déçus, ce qui est bien normal.

Mme Annick Girardin. Ne pourrait-on pas envisager de créer outre-mer, en partenariat avec Shell et avec l’État, un pôle de compétences autour de toutes les questions liées à l’industrie en général, et à l’énergie en particulier ? Certes, les métiers des plates formes sont très spécifiques. Mais d’autres métiers qui seraient valorisés à cette occasion – gestion, maintenance, etc. – pourraient s’appliquer à d’autres types d’exploitations, tournées notamment vers la mer.

Par ailleurs, la Guyane et le sous-sol guyanais étant français, l’État doit se positionner. C’est avec lui que la collectivité et les élus que nous sommes auront à mettre en place le système qui vous sera proposé ou bien imposé. Qu’on ne s’y trompe pas, monsieur Roméo, je ne suis pas en train de négocier avec vous sur la fiscalité. Celle-ci sera à discuter avec l’État français.

Certes, la dynamique régionale relève de la collectivité ou des collectivités de Guyane, mais vous pourriez jouer un rôle moteur pour favoriser cette dynamique. Tous, nous cherchons à exploiter nos territoires et à y créer des emplois, car il ne faut pas oublier que l’outre-mer va très mal. C’est sans doute pour cela que ce projet suscite, à la fois, de la méfiance et de l’espoir.

Cela m’amène à vous donner l’exemple de la province canadienne de Terre-Neuve, affectée par l’arrêt de la pêche, l’abandon de tous les secteurs d’activité, notamment industriels, avant que l’activité ne reparte grâce à la dizaine de puits qui sont aujourd’hui exploitables. Presque 80 % des personnels qui travaillent sur terre habitent le territoire ou le Canada. Pour ceux qui travaillent en mer, sur les plates formes, la situation est différente, dans la mesure où la technicité requise est plus élevée. Quoi qu’il en soit, les Terre-Neuviens viennent à Saint-Pierre et Miquelon nous demander si nous avons des gens à former pour aller chez eux.

Nous aurions donc intérêt à nous intéresser à d’autres modèles, notamment d’îles ou de territoires ultramarins. Comme vous l’avez vu, Terre-Neuve semble avoir de nombreux points communs avec les outre-mer. Et nous devrions nous pencher sur la façon dont Shell, en Guyane et au-delà de la Guyane, pourrait devenir, aux côtés de l’État, le partenaire des outre-mer sur toutes les questions relatives à l’énergie.

M. Patrick Roméo. Une simple remarque : nous explorons juste à côté de Saint-Pierre et Miquelon, dans les eaux canadiennes.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Je préférerais que Shell explore autour de la Guadeloupe !

M. Jean Jacques Vlody. Et de la Réunion !

M. Patrick Roméo. Je remarque, de mon côté, que le permis maritime de la Martinique n’a pas été renouvelé. Il a été victime, voici quelques années, du gel des permis pour une raison d’ordre administratif, que j’ignore d’ailleurs. Le projet Guyane a lui-même connu une phase un peu difficile.

Mme Gabrielle Louis-Carabin.  Sauf qu’en Guyane, vous en êtes au stade de la recherche de la ressource. Et si j’ai bien compris, ce sont les investisseurs étrangers qui sont rebutés par les incertitudes de la fiscalité française.

M. Patrick Roméo. Pour le moment, ils font confiance aux Français de leur consortium pour mener à bien un projet d’exploration. Mais il est exact qu’il est de notre intérêt d’attirer, en France et outre-mer, ceux qui ont envie d’investir au niveau mondial. Pour le moment, nous avons la chance d’avoir un projet qui fonctionne dans sa phase d’exploration. J’espère qu’un jour il fonctionnera dans sa phase de développement.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Quand vous êtes venu à La Réunion, vous avez pu observer nos projets de développement locaux en matière d’énergie. Au début, dans ma commune du Moule, les habitants n’étaient pas d’accord avec ces projets. Maintenant, ils en sont satisfaits, puisque la collectivité en tire des ressources fiscales. Mais il a fallu se battre, ce qui prouve que le développement ne se fait pas sans peine.

M. Gabriel Serville. Monsieur Roméo, avez-vous en tête le chiffre d’affaires moyen de la Shell, ainsi que son bénéfice moyen, sur les dix dernières années ?

M. Patrick Roméo. Pas sur les dix dernières années.

M. Gabriel Serville. Et en 2010-2011 ?

M. Patrick Roméo. Je peux vous indiquer, pour l’avoir vérifié à l’intention de mon personnel, que celui qui a acheté une action Shell, il y a dix ans, a gagné à peu près ce que lui aurait rapporté le taux d’intérêt de la Caisse d’épargne française. Cela signifie que la valorisation de l’action est équivalente à un taux de rémunération de quelques points en pourcentage seulement. Vous pouvez constater combien l’actionnaire de Shell s’est enrichi !

Cela dit, monsieur Serville, je dois pouvoir vous donner les informations que vous me demandez.

M. Gabriel Serville. Du point de vue de la balance commerciale, quel est le poids de l’État par rapport à la compagnie Shell ? L’État a-t-il la possibilité de contraindre Shell, compte tenu de ce que la société représente financièrement ? On dit souvent que celui qui paie est celui qui décide et que celui qui détient le capital est celui qui a raison. Je pense que le capital de Shell est tel que l’État français aurait bien du mal à imposer à cette entreprise sa manière de voir. Mais je me trompe peut-être …

M. Patrick Roméo. Je ne vois pas ce que vous voulez dire. Même s’il est possible de négocier sur tel ou tel aspect, nous ne pouvons que nous soumettre à la législation. Pour ma part, je préférerais développer l’idée que nous sommes dans un système de partenariat, où chacun poursuit un objectif commun, qui est de développer une ressource, pour des raisons qui sont complémentaires. Shell, c’est évident, espère un retour sur investissement. Mais les salariés de Shell France espèrent faire prospérer leur société en France et y créer des emplois.

De fait, dans nos groupes, nous sommes les ambassadeurs de la France. Nous sommes devenus ceux de la Guyane et nous souhaitons un jour nous faire les ambassadeurs de Saint-Pierre et Miquelon. Nous sommes à la fois les salariés de Shell et des citoyens français. Rien ne me rendrait plus fier que de trouver du pétrole en Guyane et d’y développer un projet qui emporte votre adhésion. Franchement, c’est tout le mal que je nous souhaite.

En tout cas, nous sommes constants dans nos discours, à savoir qu’il faut créer de la richesse locale. J’espère simplement que nous aurons un jour un vrai projet à mettre sur la table et que nous pourrons alors nous interroger sur les moyens de développer les compétences locales. Bien sûr, il ne m’appartient pas de me prononcer sur ce qui relève de la compétence de la région de Guyane et sur ce qui relève de celle de l’État. Mais tout cela est une affaire de partenariat, chacun agissant dans le cadre de ses prérogatives. De toutes les façons, il y a énormément d’espace pour faire aboutir ensemble un beau projet – à condition de découvrir une ressource pétrolière de qualité.

Mme Chantal Berthelot. Dans le cadre du comité de concertation et de suivi, le gouvernement précédent a désigné Mme Anne Duthilleuil pour piloter, au nom de l’État, les discussions et les travaux liés au projet sur la Guyane. Je tenais à le rappeler dans la mesure où la Délégation pourrait avoir intérêt à l’auditionner.

Je voudrais par ailleurs demander à M. Roméo si le consortium qu’il a évoqué dans son propos liminaire se présente toujours de la même façon.

M. Patrick Roméo. Rien n’a changé – Shell y représente 45 %, Tullow 27,5 %, Total 25 % et Northspet 2,5 %.

M. Jean Jacques Vlody. En Guyane, vous n’en êtes qu’au stade de la prospection. Mais, sur les forages, vous avez tout de même fait des prévisions ?

M. Patrick Roméo. Je pense que le potentiel existe, et c’est bien pour cela que nous explorons. En revanche, je suis incapable de vous dire si nous trouverons un gisement commercial au troisième ou au quinzième forage.

M. Jean Jacques Vlody. Vous avez donc l’intention d’en faire plusieurs ?

M. Patrick Roméo. Oui, et même si le forage actuel est un échec. Nous nous sommes engagés à en faire au moins cinq.

M. Jean Jacques Vlody. À partir de là, vous déciderez ou non de continuer ?

M. Patrick Roméo. En effet, cela dépendra. J’ajoute que nous menons, en parallèle, des campagnes sismiques, pour multiplier les données.

Nous pouvons être amenés à reconnaître que nous nous sommes trompés d’endroit, réussir dès cette année ou faire deux choses en même temps : développer un champ et continuer à explorer. Le scénario n’est pas écrit d’avance, mais nous avons la foi de l’explorateur. Le consortium y croit suffisamment pour y consacrer des crédits.

Nous forons avec 20 % de chances de succès, ce qui est déjà une excellente perspective. De toute manière, nous ne savons procéder que de cette façon : détecter des cibles et aller forer pour vérifier ce qu’il en est. C’est à la fois beaucoup et peu. Heureusement, comme pour l’échographie humaine, avec le temps, les images gagnent en qualité. Voilà pourquoi nous pouvons découvrir aujourd’hui des champs que nous n’avions pas découverts il y a dix ans. Reste qu’en matière de détection d’hydrocarbures, nous nous heurtons aux limites de la technologie.

En conclusion, je reconnais qu’il est difficile de concevoir que nous puissions dépenser autant d’argent sans savoir ce qui va se passer. C’est pourtant le cas.

M. le président Jean-Claude Fruteau.  Au nom de la Délégation, je vous remercie, monsieur le président, d’avoir répondu à notre invitation.

Monsieur le président Roméo, vous avez exprimé votre point de vue avec courtoisie et franchise, et nous y sommes sensibles. De votre côté, vous devez comprendre que nous accordons une certaine force à la loi et que nous ne sommes pas forcément complètement acquis à la culture du partenariat comme mode de fonctionnement d’une société. Sans être sur deux versants opposés, il peut nous arriver d’avoir des différences d’appréciation sur la manière d’agir ensemble.

Quoi qu’il en soit, il ne nous reste plus qu’à espérer que vos travaux de forage s’avèrent fructueux, pour la France comme pour la Guyane, que tout le monde – y compris Shell, bien sûr – en profite … et que les revenus disponibles de chacun puissent décoller, avec une progression supérieure au niveau d’évolution du taux d’intérêt de la Caisse d’épargne !

Mes chers collègues, avant de clore la séance, je tiens à vous signaler qu’à dix-sept heures, le mercredi 20 mars, et non pas le mardi 19 mars comme précédemment indiqué sur la dernière convocation, nous entendrons le ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel. Celui-ci nous indiquera, sans doute, quelles sont les recommandations figurant dans notre rapport sur l’octroi de mer qui auront pu être retenues dans ses négociations avec Bruxelles. Il nous parlera de la défiscalisation, des investissements outre-mer et nous donnera son sentiment sur les problèmes de l’agriculture. J’espère que vous serez nombreux à assister à cette audition qui s’annonce particulièrement intéressante. Ce sera la deuxième fois que le ministre nous fera l’honneur de venir devant notre Délégation.

Audition de M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, chargé d’un rapport visant à identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires (secteur public et secteur privé)

(compte rendu de la réunion du 22 mai 2013)

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’ordre du jour appelle l’audition de M. Patrick Lebreton, député de La Réunion, membre de notre Délégation, qui vient d’être nommé par le Premier ministre parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Sa mission vise à identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.

Mon cher collègue, je vous laisse la parole pour un propos introductif présentant votre mission, après quoi les autres membres de la Délégation pourront vous poser des questions.

M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer. Ma lettre de mission m’a été remise par M. le ministre des Outre-mer le 13 avril dernier, dans ma commune de Saint-Joseph. Dès avant cette date, la mission qui allait m’être confiée a suscité bien des commentaires, et j’ai même été sollicité pour soutenir des demandes individuelles de mutation, ce qui m’a quelque peu surpris. En réalité, je n’ai été chargé ni d’instruire des demandes particulières ni de donner mon sentiment sur les affectations, mais bien de la mission suivante : travailler à la régionalisation de l’emploi, dans les secteurs tant public que privé. Et la réflexion sur ce sujet essentiel doit selon nous aboutir au principe suivant : à compétence requise, recrutement local.

Dans les outre-mer, l’attente est grande. Il importe donc de résister à la tentation d’intenter de faux procès. Je rappelle à ce propos que la régionalisation de l’emploi faisait partie des trente propositions de M. François Hollande pour l’outre-mer lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle. Élu Président de la République le 6 mai 2012, il a annoncé le lancement de cette mission, qu’il a souhaité me voir confier, lors de ses vœux aux ultramarins, le 3 janvier 2013, soit moins d’un an plus tard : à ceux qui lui reprochent de jouer la montre, on pourrait faire valoir ces délais pour le moins convenables.

Le problème de l’emploi est crucial dans nos territoires. La régionalisation de l’emploi devrait à mes yeux faire l’objet d’un consensus. On a d’ailleurs parlé ces derniers temps d’« union sacrée » à ce propos et M. Cyrille Hamilcaro, représentant de la droite à La Réunion, a même appelé les membres de sa famille politique à se joindre à notre démarche.

Dans le cadre de cette mission, priorité sera donnée au dialogue avec les syndicats et avec les acteurs de l’insertion au sens large – associations, entreprises, administrations –, bref à toutes les bonnes volontés, d’où qu’elles viennent ; et elles sont nombreuses. C’est dans cette perspective que je me présente aujourd’hui devant vous, en toute modestie. Sur ce sujet plus encore que sur d’autres, nous devons nous garder de toute polémique stérile et de tout clivage qui nous détournerait des intérêts des ultramarins.

Sans nous laisser aller aux faux procès, nous ne devons pas non plus verser dans les fausses promesses. Soyons clairs : je ne suis pas chargé de trouver des pistes de création d’emplois, mais des moyens d’ouvrir davantage aux ultramarins les emplois, publics et privés, qui existent déjà dans leur territoire d’origine. Il ne s’agit donc pas de proposer un catalogue de mesures inapplicables, ni de s’en tenir à un rapport écrit par un haut fonctionnaire et au bas duquel je me contenterais d’apposer ma signature.

Je suis toutefois convaincu qu’il nous faudra bousculer certains conservatismes politiques et économiques. Il importe d’abord de proscrire tout slogan. Très vite, les journalistes m’ont ainsi demandé s’il fallait parler de « régionalisation de l’emploi » ou de « préférence régionale ». Ma réponse est simple : ce que nous voulons, c’est que les ultramarins bénéficient d’un meilleur accès à l’emploi chez eux. Ce qui impose de définir au préalable, et sans tarder, ce qu’est un originaire.

Dans la fonction publique, le critère du « centre des intérêts matériels et moraux », ou CIMM – qui permet aux ultramarins exerçant dans l’éducation nationale de bénéficier d’une bonification de 1 000 points lorsqu’ils rentrent chez eux après avoir passé une première année dans l’hexagone –, paraît assez pertinent mais demeure fragile du point de vue juridique. C’est le ministre de l’Éducation nationale lui-même qui nous l’a confirmé. Nous devons donc nous attacher à doter ce critère d’un fondement légal solide et d’un contenu incontestable. D’autres pistes peuvent être explorées, dont la maîtrise de la langue, l’ascendance ou les usages culturels.

S’agit-il d’une rupture d’égalité ? Au-delà de l’égalité républicaine, parlons d’égalité réelle : en matière d’emploi, l’ultramarin est souvent discriminé chez lui. Dans nos territoires éloignés de l’hexagone, le chômage atteint des niveaux record et la précarité s’aggrave. Isolés, nous sommes parfois victimes d’un système de cooptation, voire de copinage, qui nous exclut de l’emploi et des postes d’encadrement. Nous sommes aussi victimes – disons-le sans tabou – de nos propres mentalités. À La Réunion, comme ailleurs sans doute, le syndrome tendant à minimiser ce qui ne vient pas de la métropole a la vie dure ! Un chef d’entreprise que nous avons auditionné nous a ainsi confié que, des deux excellents commerciaux qu’il envoyait aux mêmes clients, c’était toujours le « Zoreille » – le métropolitain – qui rapportait un contrat, et non le Réunionnais. Ce phénomène appelle sans doute une véritable révolution culturelle, qui ne se décrète pas et excéderait largement les limites de notre mission.

Il nous incombe en revanche de prendre acte des difficultés que rencontrent nos régions ultrapériphériques. Pour ma part, je plaide pour que nous le fassions dans le cadre des lois fondamentales de la République. Nous devons redéfinir nos modèles, et je le dis tout net car je sais que nous sommes attendus sur ce sujet : dans la fonction publique, il faut instaurer une nouvelle règle qui permette de substituer la transparence au piston. Il convient donc de trouver des leviers réglementaires afin de faire de l’égalité d’accès aux emplois une égalité réelle et de tenir compte de notre éloignement, de nos difficultés structurelles, de notre histoire, de notre culture, mais aussi de nos richesses. Loin de rompre avec la République, nous souhaitons davantage de République, de justice et d’équité. Cela vaut dans le public comme dans le privé : l’objectif est donc commun même si les problèmes sont différents.

Dans l’emploi public, le retour des ultramarins dans leur région d’origine, sur lequel plusieurs d’entre vous m’ont déjà interrogé, est essentiel. Mais ne nous leurrons pas : l’on ne pourra pas affecter à un même poste deux ultramarins, l’un qui attend de rentrer au pays, l’autre qui vient de réussir son concours sur place. Le temps est venu de mettre un terme au désordre et aux dérives nés de la réforme des mutations adoptée en 2002 dans la police et qui faisait prévaloir l’ancienneté du fonctionnaire sur l’ancienneté de la demande. Cette réforme a rendu quasi impossible le retour des policiers dans leur région d’origine et les a privés d’une vie familiale normale, à rebours d’une exigence de plus en plus souvent exprimée.

Nous nous intéresserons également à l’accès à la fonction publique d’État et aux formations qui y préparent, aux conditions d’avancement, à la fluidité des mobilités. Nous étudierons sans tabou le phénomène des « chasseurs de primes », ces fonctionnaires âgés de plus de 55 ans qui viennent dans les îles pour s’y constituer un pécule afin de préparer leur retraite, phénomène encouragé par la réforme des conditions de mutation dans la police que nous venons de mentionner. Nous tenterons d’inciter l’administration d’État à mieux intégrer les locaux, surtout à des postes de responsabilité, postes qui nous sont souvent interdits dans les faits.

Dans le secteur privé, nous devons aller à la rencontre des employeurs pour définir avec eux une démarche partenariale qui favorise l’embauche et la promotion de nos compatriotes ultramarins. Aujourd’hui, quelques entreprises jouent le jeu de l’embauche locale, selon le fameux principe « à compétence requise, recrutement local ». Il nous faudra aussi échanger avec celles qui le font moins volontiers afin qu’elles prennent conscience du fait qu’elles y ont, elles aussi, intérêt. Nous devons en outre identifier les mécanismes permettant d’enrayer la fuite de nos élites et de faciliter leur retour au pays après une expérience de mobilité formatrice.

Comment inciter les employeurs à favoriser le recours aux ressources humaines disponibles sur place ? Faut-il rapprocher le demandeur d’emploi des offres locales ? Mettre en réseau tous les talents ultramarins de par le monde ? Inciter les entreprises à adopter des chartes de bonnes pratiques en ce sens ? Adapter les formations locales aux besoins des acteurs économiques ? Autant de pistes qui devront être explorées, dans le respect du principe de non-discrimination.

Telle que nous la concevons, la régionalisation de l’emploi n’a rien d’un repli sur soi : c’est le moyen de valoriser nos atouts, de faire émerger nos nombreux talents. Les outre-mer ont besoin qu’une élite nouvelle, jeune, motivée, les entraîne vers le progrès social et vers une profonde modification de notre système économique, depuis longtemps dépassé. Or la régionalisation de l’emploi peut être un puissant moteur de ce changement.

Avant même de formuler des propositions, mon rapport doit être l’occasion d’une « opération vérité » dans les secteurs tant public que privé. Lorsque nous avons commencé la tournée des ministères, très vite, une question s’est posée : qui occupe les emplois dans les outre-mer ? Pour le comprendre, il convient de reprendre le travail entrepris en 2012 par le préfet Jean-Marc Bédier, aujourd’hui à la retraite, en l’étendant au secteur privé.

La mission est complexe, les difficultés nombreuses. Certains ont même pu dire que l’on m’avait tendu un piège en me la proposant. Mais parce que nous avions demandé, avant l’élection présidentielle, au candidat à la Présidence, M. François Hollande, de prendre en considération ce problème criant, il est de notre devoir de considérer cette mission comme l’opportunité d’ouvrir des perspectives d’avenir.

J’en viens à la méthode. Notre objectif est de formuler une quinzaine de propositions, dont quatre ou cinq principales, susceptibles d’être traduites en actes législatifs ou réglementaires. Notre principe directeur consistera à rechercher l’efficacité en refusant les pressions, la surenchère, les tentatives d’instrumentalisation – je songe à une émission télévisée sur l’emploi diffusée ce soir à La Réunion et à la manifestation organisée dimanche dernier sur le thème « done Kréol travay ». Bref, nous ne nous laisserons pas détourner de notre cap.

Quant au calendrier, nous avons commencé de travailler un peu avant la remise officielle de la lettre de mission, le 13 avril, et nous devons remettre notre rapport le 2 septembre. Notre travail comportera trois étapes. La première, qui devrait durer jusqu’à la seconde quinzaine du mois de juin, consistera à recueillir des informations auprès des ministères, des syndicats, etc. Elle inclura, sur une durée d’une semaine à dix jours, une tournée des outre-mer, notamment des DOM – Guyane, Guadeloupe, Martinique. Je ne souhaite pas m’en tenir à un cadre exclusivement préfectoral : nous nous adresserons non seulement aux DIRECCTE (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) mais aussi à nos collègues députés et sénateurs pour qu’ils nous orientent dans notre quête d’informations. Une fois cette première étape achevée, et alors que l’architecture de notre travail commencera de se dessiner, il serait bon, monsieur le président, que vous nous auditionniez à nouveau. J’en profite pour signaler que je serai prochainement entendu par le Sénat. La deuxième étape correspondra à une phase de recadrage et de vérification des informations recueillies. La troisième, enfin, qui correspond à la rédaction du rapport, occupera le mois d’août afin que le travail puisse être rendu début septembre.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, mon cher collègue, pour cette présentation, qui confirme s’il en était besoin la complexité de la question cruciale dont vous êtes saisi. Elle met en effet en jeu la légalité républicaine, dans le cadre de laquelle votre travail doit s’inscrire, ainsi que la définition même de l’originaire, de l’ultramarin. La régionalisation de l’emploi figurait d’emblée au programme de travail de notre Délégation ; toutefois, nous ne l’examinerons pas en elle-même puisque vous vous en chargerez dans votre rapport. Nous sommes tout disposés à vous auditionner à nouveau dès que vous l’estimerez nécessaire.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Le problème est en effet complexe. Peut-on maintenir dans leur territoire d’origine nos compatriotes qui ont réussi un concours de la fonction publique ? Comment le faire dans le respect de la légalité républicaine ? En répondant à cette question, ne tombons pas dans un piège. Lorsque la mission a été lancée, certains de nos compatriotes ont pensé qu’il s’agissait de leur permettre de rentrer chez eux. Nombreux sont en effet les domiens, notamment dans la police et dans l’éducation nationale, qui travaillent en France hexagonale et qui voudraient revenir. L’année dernière, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé que tous les lauréats des concours pourraient effectuer leur stage dans leur territoire d’origine. Mais la pente naturelle est souvent de trouver son sort injuste quelle que soit la situation. Bref, qui ne risque rien n’a rien, mais prenons garde que ce rapport ne produise un effet boomerang sur nos compatriotes et sur nous-mêmes.

Chez nous, en Guadeloupe, il faudra rencontrer le directeur de l’emploi, visiter les centres de gestion, le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) et échanger avec les syndicats, notamment le LKP (Liyannaj kont pwofitasyon ou Collectif contre l’exploitation outrancière), un syndicat très dur dont le porte-parole est le directeur-adjoint d’une antenne locale de Pôle Emploi. Je suis toute disposée à apporter ma contribution à la mission, mais la situation est vraiment complexe. Ne parlons pas du privé. Dans la fonction publique territoriale, bien des Guadeloupéens en voie de titularisation estiment qu’ils bénéficient d’un acquis, qu’ils ne travaillent pas pour la commune, pour la population, mais pour le maire et, très souvent, pour quelqu’un de très éloigné qui envoie de l’argent. C’est un véritable problème de mentalité. Voilà pourquoi il faut tout mettre sur la table.

M. Patrick Lebreton. Si nous n’avons pas l’intention de proposer un catalogue de mesures, nous devrions très rapidement identifier, au cours de notre tournée, les sujets sur lesquels il nous faudra prendre position, ce que nous ferons au prisme de ce que nous permettent notre Constitution et les lois de notre République.

S’agissant des fonctionnaires ultramarins de l’éducation nationale qui sont appelés à travailler dans l’hexagone, notre premier souhait a été de rencontrer directement le ministre pour étudier les moyens de faciliter leur retour et, avant toutes choses, leur recrutement local. Mais nous ne pouvons pas mentir : on ne saurait encourager les ultramarins à se présenter à un concours organisé sur place dans la mesure où l’on ne peut pas, comme je l’ai dit, affecter deux personnes au même poste. L’absence de règle claire encourage les démarches individuelles. Comment pouvons-nous, nous, politiques, intervenir, comme on nous demande régulièrement de le faire, si nous ne savons pas comment les choses se passent ?

La création d’une commission administrative paritaire locale dans la police, qui fait partie des propositions qui nous ont été communiquées, paraît très difficile. Elle risque de favoriser ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir au niveau local, au détriment de tous les autres intervenants, y compris le pouvoir syndical national. Certains estiment qu’il est plus facile aux fonctionnaires de l’éducation nationale de rentrer chez eux, grâce à la fameuse bonification de 1 000 points qui tient compte du centre des intérêts matériels et moraux. Nous avons toutefois appris du ministre de l’Éducation nationale que, contrairement à ce que nous pensions, il ne s’agit pas d’une garantie sanctuarisée, assise sur un fondement juridique solide, mais d’un acquis fragile, subordonné à l’absence de recours de la part du ministère. Il serait donc extrêmement difficile de la transposer à la police.

Dans nos propositions, nous devrons suggérer de ne plus s’en tenir au seul critère du CIMM tel qu’il existe aujourd’hui. On nous dit que certaines pistes seraient exclues par notre Constitution, mais comment faire si nous ne pouvons nous appuyer sur la maîtrise de la langue ? Une juge réunionnaise nous a d’ailleurs confirmé qu’il lui semblait fondamental de prendre en considération la langue d’origine. En effet, certaines condamnations sont prononcées à cause d’une incompréhension linguistique, du fait de la faible représentation des originaires dans la justice outre-mer. On le comprend d’autant plus aisément que l’on se souvient du chiffre souvent cité de 120 000 illettrés à La Réunion.

Au cours de notre déplacement, nous veillerons à éviter les erreurs d’appréciation : loin de moi l’idée d’aller définir en Guadeloupe ce qu’est un ultramarin guadeloupéen ! Nous serons donc à votre écoute, mes chers collègues, sans toutefois nous laisser enfermer par telle ou telle définition.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Chez nous, presque tous les juges viennent de l’hexagone. En primaire et en maternelle, beaucoup d’enseignants sont métropolitains. Nous avons connu des grèves demandant qu’on ne les fasse pas travailler, et cela arrive encore. Il faudra donc faire preuve de vigilance. Dans ma circonscription, j’ai incité la directrice de l’établissement pénitentiaire et le directeur-adjoint, deux métropolitains fraîchement arrivés, à apprendre le créole car ils auront affaire à des personnes qui, tout en posant des problèmes d’adaptation évident, ne parlent que cette langue.

Mme Huguette Bello. La Réunion connaît un problème rarement évoqué, même si deux rapports au moins ont déjà été remis sur le sujet, dont celui du préfet Jean-Marc Bédier, concernant l’emploi dans la fonction publique des personnes originaires des outre-mer. Selon certaines statistiques, entre 2001 et 2012, 25 000 métropolitains seraient venus travailler à La Réunion tandis que 28 000 Réunionnais résideraient dans l’hexagone.

Nous manquons aujourd’hui des moyens de vérifier les diplômes des premiers. Or, ces moyens existent : il faut les mettre en place.

Autrefois, les fonctionnaires en poste à La Réunion, notamment dans l’éducation nationale, étaient en grande partie des natifs de l’île, qui est aussi le département français où l’on parle le plus le créole. Il faut en tenir compte dans l’enseignement dispensé aux tout petits si l’on veut lutter plus efficacement contre l’illettrisme qui frappe aujourd’hui 120 000 personnes à La Réunion.

L’Institut départemental de préparation aux concours de la fonction publique doit être mieux outillé et bénéficier à davantage de ressortissants de l’île.

Dans le secteur privé de la santé, on fait venir des infirmières et des aides- soignantes de Belgique et d’autres pays européens alors que nous pourrions les former et les recruter au sein de la population locale. De telles injustices, qui font coexister deux sociétés distinctes et entraînent une certaine ségrégation, sont de nature à susciter des troubles. On le vérifie encore plus à Mayotte.

Il est regrettable qu’en la matière, la France ultramarine paraisse en retard sur des pays comme la Malaisie, les États-Unis et l’Afrique du Sud.

On ne peut continuer ainsi à désavantager les diplômés de nos régions, ce qui provoque beaucoup d’émoi et parfois même des drames.

Dans l’hexagone, on confie souvent aux ultramarins, y compris dans l’éducation nationale, les postes de travail les plus difficiles ou les moins intéressants. On croirait parfois être revenu aux années soixante quand on faisait venir des travailleurs d’outre-mer pour remplir les tâches dont ne voulaient pas les hexagonaux.

Une France soucieuse de l’égalité des droits, de surcroît avec un gouvernement de gauche, ne saurait supporter que perdurent de telles discriminations.

Alors que des parents consentent aujourd’hui des sacrifices importants pour que leurs enfants franchissent les barrières sociales et acquièrent une formation professionnelle, ceux-ci ne trouvent d’emploi qu’en venant dans l’hexagone. Si certains le font parce qu’ils le souhaitent librement, beaucoup d’autres le font par contrainte économique.

La région Réunion incite ses jeunes à poursuivre des études au Canada mais ceux-ci ne peuvent ensuite revenir travailler chez eux faute d’équivalence des diplômes. Comme au temps de l’Union soviétique, quand on allait faire, à Moscou, des études de médecine ou d’ingénieur et qu’on ne pouvait ensuite exercer chez soi le métier correspondant. On se prive ainsi de talents. Or, La Réunion a besoin des siens.

M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est en effet un sujet capital qui nous tient tous à cœur.

M. Patrick Lebreton. Nous devrons rester modestes dans les propositions que nous formulerons à la fin de notre mission et je ne ferai aucune promesse avant d’avoir formalisé mon rapport, notamment à l’intention des syndicats de gardiens de la paix.

Nous ne pouvons en effet aboutir à des conclusions sérieuses que si nous disposons de chiffres susceptibles d’être exploités et incontestables, ce à quoi nous nous employons actuellement afin d’établir des statistiques permettant de retracer les évolutions depuis 2002.

On ne peut pas demander au Gouvernement de résoudre aujourd’hui en urgence tous les problèmes accumulés outre-mer depuis de nombreuses années.

Le moment venu, nous nous efforcerons de définir objectivement, s’agissant des affectations dans la fonction publique locale, le partage entre originaires de nos départements et personnes venant de l’extérieur, notamment de la métropole, ces derniers ne devant représenter à terme, selon les préconisations de certains, qu’un effectif de 25 % des nominations.

Je suis bien entendu preneur de toutes vos propositions concernant notamment le statut et les débouchés de nos élites. Quelles mesures adopter pour leur donner davantage envie de venir vivre et travailler au pays ? Nous ne voulons pas proposer de dispositifs auxquels on pourrait adresser le reproche d’être trop coûteux pour les finances publiques compte tenu du contexte actuel.

C’est pourquoi nous sélectionnerons quelques suggestions, entre cinq et dix, que nous reviendrons vous présenter ici.

Mme Monique Orphé. L’attente est forte parmi les populations des outre-mer, avec l’espoir et la volonté de faire toute la lumière sur la régionalisation. Il ne faut pas se cacher les choses, surtout quand on est confronté à 800 demandes de retour par an dans des postes de gardiens de la paix locaux, eu égard à la faiblesse des possibilités.

La Réunion, comptant 60 % de jeunes au chômage et 5 000 diplômés annuels, ne saurait accepter de voir fuir sa matière grise. Nous souffrons, en outre, d’un complexe vis-à-vis des hexagonaux et, dans une moindre mesure, vis-à-vis des Antillais. Certains employeurs locaux préfèrent souvent recourir à eux plutôt qu’à des créoles.

Posons franchement les bonnes questions : savons-nous bien nous vendre ? La langue ne nous handicape-t-elle pas ?

Notre population locale est particulièrement peu présente dans les fonctions d’encadrement, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Des agents publics venant de l’hexagone, nommés chez nous pour trois ans, n’ont évidemment pas le temps d’apprendre à nous connaître vraiment. Il faudra donc faire une véritable révolution culturelle, chez nous comme en métropole, au regard du principe d’égalité et au regard de son application aux mutations. En effet, un Réunionnais muté à Paris est évidemment bien plus coupé de ses racines qu’un Marseillais par exemple.

Des initiatives ont été prises au niveau de la région. Certaines renferment quelques contradictions, quand, par exemple, on fait venir des chercheurs d’Israël. D’autres, en revanche, vont dans le bon sens, comme les aides accordées aux entreprises favorisant l’embauche locale.

La définition du Réunionnais devra viser le résident insulaire et natif, mais aussi le résident hexagonal qui aimerait retrouver la terre de ses ancêtres.

M. Patrick Lebreton. Nous n’échapperons pas à une analyse froide de la situation mais la « réunionnisation » des cadres est déjà une réalité dans certaines communes. Ceux qui voudraient nous donner des leçons ne sont pas forcément les mieux placés pour le faire. Mais je m’abstiendrai de toute polémique.

Il est important que, parmi les propositions que nous présenterons, certaines puissent être immédiatement applicables, quitte à ce qu’elles soient peu nombreuses.

La commande d’un rapport sur l’emploi outre-mer au préfet Jean-Marc Bédier par l’ancien Président de la République s’est faite dans un contexte très particulier, c’est-à-dire la perspective, à court terme, de l’élection présidentielle. De sorte que le rapport a été remis le 5 mai 2012 ! On peut comprendre qu’il n’ait pas été suivi d’effets… Mais nous aurons à en reparler avec son auteur.

Ne pouvant me rendre partout dans les outre-mer, je compte aussi sur vous pour que vous me fassiez bénéficier de remontées d’informations.

M. Jean Jacques Vlody. L’emploi outre-mer est un sujet passionnant, souvent passionné, gardons-nous qu’il ne devienne aussi passionnel et qu’il nous fasse manquer de discernement pour trier les problèmes et les solutions les plus adaptées.

Tous les ultramarins ne peuvent trouver un emploi dans leur département d’origine. Ils doivent donc pratiquer une certaine mobilité. C’est pourquoi nous devons notamment nous intéresser à la problématique juridique des mutations des fonctionnaires. Le cadre actuel est-il satisfaisant ou bien faut-il prévoir son remplacement ?

On invoque souvent le régime juridique existant pour protéger certaines situations acquises. Je pense plus particulièrement à la mutation des hauts fonctionnaires dans les préfectures et les rectorats. Il y a un an et demi, le poste de secrétaire général du rectorat de La Réunion se trouvant vacant, l’un des critères retenus par l’administration afin d’y pourvoir résidait dans la mobilité du fonctionnaire, exigeant que celui-ci ait déjà effectué au moins cinq ans de service dans une autre administration ou en dehors du territoire de La Réunion. Était-ce vraiment indispensable, alors que l’on dispose, sur place, de fonctionnaires compétents mais ne répondant pas au critère de mobilité ? Ne peut-on parfois déroger à la règle générale ? La promotion interne ne risque-t-elle pas de s’avérer insuffisante si on la conditionne par des règles de mobilité trop rigide ?

MM. Jean-Marc Bédier et Daniel Paillette furent, je crois, les rares préfets réunionnais.

On observe également, à l’université de La Réunion, des difficultés d’accès aux postes d’enseignants pour les jeunes diplômés de cette même université. On leur préfère souvent, pour des postes de maîtres de conférences, des enseignants venus de l’hexagone afin, nous dit-on, d’éviter les phénomènes de consanguinité intellectuelle. Or, dans toutes les autres universités françaises, le taux de recrutement interne est, au minimum, de 40 à 50 %. Pourquoi la situation est-elle différente outre-mer, principalement à La Réunion ? Formulons donc le souhait de rétablir un certain équilibre qui efface le sentiment d’injustice.

C’est pourquoi, je propose à M. Patrick Lebreton, dans le cadre de son rapport, de travailler, de manière prioritaire, sur ces deux sujets : la mobilité des fonctionnaires et le recrutement des universitaires.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. La situation de La Réunion est différente de celle de la Guadeloupe et probablement aussi de celle de la Martinique. Il faut donc bien distinguer les territoires, ainsi que les domaines, c’est-à-dire le secteur public, pour lequel nous devrons fixer de nouvelles règles de mutation, et le secteur privé, pour lequel il sera beaucoup plus difficile de légiférer.

M. Bernard Lesterlin. Nos collectivités d’outre-mer doivent s’organiser pour être aussi des lieux de promotion professionnelle et de carrière pour leurs ressortissants. Toutefois, étant issu du corps préfectoral, je rappelle que celui-ci fait exception par rapport au reste de l’administration car il est demandé à ses membres de signaler les territoires dans lesquels ceux-ci ont des attaches afin de ne pas y être nommés. Nous ne devons pas exclure les outre-mer de cette règle générale car la mobilité géographique constitue aussi une opportunité de progression dans la carrière.

M. Patrick Lebreton. Je partage l’analyse de M. Jean-Jacques Vlody et de Mme Hélène Vainqueur-Christophe sur l’insuffisance des postes offerts outre-mer pour tous les ultramarins. Mais nous manquons encore de chiffre précis pour arrêter une position définitive et pour savoir quelles règles d’équilibre il faudra retenir, notamment sur les mutations des fonctionnaires. Celles relatives aux policiers concentrent un certain nombre de difficultés et de contraintes. Quand nous disposerons de statistiques parfaitement exploitables, nous pourrons affirmer combien de personnes peuvent revenir au pays et au bout de combien de temps. Il sera alors possible, par exemple, de conseiller à un ultramarin de choisir un autre métier que la police s’il entend rentrer chez lui plus tôt.

Les postes préfectoraux devraient être offerts aussi, en plus grand nombre, aux ultramarins. Nous étudierons comment faire évoluer les choses dans cette administration.

De même pour la justice. Sur les 82 agents de la Cour d’appel de La Réunion et de Mayotte, on compte seulement trois Réunionnais ! Je puis citer néanmoins le cas d’une juge réunionnaise, mariée à un métropolitain, qui a pu, contre son autorité de tutelle, revenir à La Réunion au moyen d’un référé, écartant ainsi les risques de collusion qu’on lui opposait.

Instituer une sorte d’observatoire des cadres – et pas seulement des cadres réunionnais ! –, cet observatoire servant aussi d’outil d’évaluation des mutations et d’instrument de repérage des talents et des compétences, me semble une idée fructueuse.

Il faudra également bousculer les conservatismes. En tout cas, il me semble qu’aujourd’hui un premier message est passé : notre rapport s’articulera autour d’un petit nombre de propositions réalistes et opérationnelles, sur le plan législatif comme sur le plan réglementaire, en vue de faire avancer les choses.

M. le président Jean-Claude M. Jean-Claude Fruteau. Nous vous remercions.

Audition de M. René Dosière, député, rapporteur de la commission des Lois sur le projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie

(compte rendu de la réunion du 11 septembre 2013)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous auditionnons aujourd’hui M. René Dosière, membre de notre Délégation, au titre de rapporteur pour la commission des Lois sur le projet de loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie.

Ce projet de loi organique renforce les compétences exercées par cette collectivité territoriale et améliore le fonctionnement d’un certain nombre d’institutions. S’agissant d’un texte important, il m’a paru utile que M. Dosière vienne nous faire part de ses observations, et je le remercie d’avoir accepté. Son expertise sera d’autant plus intéressante qu’il rentre tout juste d’un déplacement en Nouvelle-Calédonie, effectué en compagnie du président de la commission des Lois, M. Jean-Jacques Urvoas, et de M. Dominique Bussereau, où il a pu se rendre compte sur place de la situation politique, économique et sociale.

Est associé à la discussion de ce projet de loi organique un autre texte portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. Il s’agit principalement de la ratification d’ordonnances ainsi que de quelques modifications dans le code de l’organisation judiciaire et des dispositions relatives à l’artisanat à Saint-Martin.

L’emploi du temps de M. Dosière étant très chargé, je lui laisse la parole sans plus tarder.

M. René Dosière, rapporteur. Monsieur le président, vous avez souligné que je rentrais d’une mission parlementaire de la commission des Lois en Nouvelle-Calédonie. J’indique que nous allons faire, sur cette mission particulièrement intéressante et enrichissante, un rapport d’analyse qui devrait sortir le 11 octobre, juste avant une réunion importante pour la Nouvelle-Calédonie. Il serait intéressant que nous puissions en débattre dans la mesure où il traitera des difficultés que nous avons pu découvrir sur le territoire. Pour l’heure, nous parlons d’un texte essentiellement technique, qui ne soulève aucune difficulté et est plutôt consensuel puisque réclamé par le gouvernement local.

Permettez-moi un bref rappel institutionnel. La Nouvelle-Calédonie est un territoire sui generis, c’est-à-dire qu’elle n’est plus une collectivité territoriale de la République. Certains modes de fonctionnement de la Nouvelle-Calédonie dérogent à nos normes constitutionnelles et font l’objet d’un chapitre particulier de la Constitution. Ils résultent de l’accord signé en mai 1998 à Nouméa par les partenaires locaux et le Gouvernement français.

Les grandes lignes de ce dispositif sont les suivantes :

D’abord, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a une vocation parlementaire en matière de lois dites de pays, qui sont directement soumises au Conseil constitutionnel sans plus passer par l’Assemblée nationale. C’est le seul territoire de la République aujourd’hui dont l’assemblée locale a un pouvoir parlementaire, ce que l’on pourrait considérer comme un premier pas vers une république française fédérale.

Ensuite, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est constitué « à la proportionnelle », selon une formule originale qui réunit indépendantistes et non-indépendantistes.

Autre particularité, tous les Calédoniens, qu’ils soient d’origine kanak, européenne ou autre, sont français mais seuls ceux que l’on appelle « citoyens de la Nouvelle-Calédonie » ont le droit de vote aux élections provinciales : ce sont les personnes qui se trouvaient en Nouvelle-Calédonie en 1998, au moment du vote de l’accord de Nouméa. Ils constituent un corps électoral figé. Les élections provinciales sont celles qui intéressent le plus les Calédoniens puisque les compétences sont réparties entre les provinces, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie étant lui-même issu des élections provinciales. Les citoyens de la Nouvelle-Calédonie ont une priorité en matière d’emploi local : lorsque des emplois sont ouverts dans le secteur privé, à diplômes et compétences équivalents, ils leur sont attribués en priorité sans que cela soulève de problème particulier. Le Congrès a défini 200 à 250 types d’emploi dans le secteur privé pour lesquels les candidatures doivent faire l’objet de vérification. Très souvent, d’ailleurs, pour un grand nombre de postes, la qualification ou la formation n’existe pas sur le territoire, ce qui laisse toutes leurs chances aux autres candidats.

Particularité encore, les transferts de compétences effectués de la métropole vers la Nouvelle-Calédonie sont irréversibles. Certaines compétences sont anciennes. Ainsi, depuis 1945, la Nouvelle-Calédonie est souveraine en matière de fiscalité. Elle décide elle-même de ses règles fiscales, les services fiscaux dépendent du gouvernement local et aucune ressource perçue sur le territoire ne revient en métropole, comme d’ailleurs en Polynésie. D’autres compétences ont été transférées à la suite de l’accord de Nouméa. C’est le cas, en 2000, de l’enseignement primaire, par exemple. Puis, selon les termes de l’accord, progressivement, seront transférées d’autres compétences, la dernière étant l’enseignement secondaire.

Tout cela est justifié par le fait que la Nouvelle-Calédonie a vocation – ce qui ne signifie pas l’obligation – à l’indépendance ou à la souveraineté. Il appartiendra à la population locale d’en décider. En vertu de l’accord de Nouméa, il est prévu, au plus tard en 2018, la tenue d’un référendum local par lequel les Calédoniens diront s’ils veulent récupérer les dernières compétences qui leur manqueront, c’est-à-dire les compétences régaliennes : justice, police, armée. Tout le débat est de savoir comment l’accès à cette souveraineté peut se faire tout en restant dans l’ensemble français, puisqu’on n’a pas senti de volonté de rupture. En attendant, des élections provinciales auront lieu en mai 2014, qui seront fondamentales puisque les élus qui en seront issus décideront de la suite du processus.

Le texte dont nous sommes saisis a été demandé, d’une part, par le gouvernement calédonien et, d’autre part, par le comité des signataires. Ce comité, qui a vocation à suivre l’application de l’accord de Nouméa, était constitué au départ par tous ceux qui l’ont signé. Seulement, ceux-ci commencent à décéder les uns après les autres et il finit par ne plus en rester beaucoup. Par ailleurs, la situation politique s’étant un peu éparpillée dans tous les camps, on a décidé d’associer au comité des signataires des représentants de pratiquement toutes les forces politiques, ce qui représente à peu près une quarantaine de personnes. Tous les ans, le Premier ministre réunit ce comité pour faire le point. En 2012, des propositions ont été faites ; ce sont celles que l’on retrouve dans le projet de loi organique. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a donné un avis favorable unanime à ce texte, puisque le Gouvernement a choisi de n’y mettre que les dispositions faisant consensus.

Ce texte comporte trois dispositions principales. La première donne à la Nouvelle-Calédonie la possibilité de créer des autorités administratives indépendantes, en particulier une autorité de la concurrence. Ce dispositif n’a pas été facile à mettre en œuvre parce que le Conseil d’État avait fait remarquer, sur un avant-projet, qu’une grande partie de ce qui concernait cette autorité de la concurrence était de compétence calédonienne et que nous n’avions, par conséquent, pas à intervenir. Il a donc fallu, au Sénat, à l’initiative de la rapporteure, Mme Catherine Tasca, préciser un peu les choses. C’est l’objet de l’article 1er.

Une autre disposition permet de créer des sociétés publiques locales, à l’exemple de ce qui se passe en métropole. Les Calédoniens ont en effet demandé, pour gérer certains services publics locaux, à disposer de ce type de société où la collectivité publique – souvent la collectivité provinciale – va être actionnaire à 100 % et ne sera donc pas soumise aux règles de la concurrence. Au passage, il est curieux de créer, dans le même texte, une autorité de la concurrence et un dispositif non soumis à la concurrence.

D’autres dispositions modifient à la marge le fonctionnement des institutions, qui est, actuellement, pour le moins chaotique et un peu hésitant. Sans toucher à ce fonctionnement, on se contente d’introduire quelques précisions relatives au règlement intérieur et à certaines dispositions d’information budgétaires, déjà applicables dans nos collectivités mais pas en Nouvelle-Calédonie. Il est vrai que le statut date de 1999 et que, depuis lors, des évolutions ont eu lieu en métropole dont il s’agit de tirer les conséquences.

L’autre texte portant diverses dispositions relatives aux outre-mer est un projet de loi ordinaire qui tire les conséquences ordinaires de quelques-unes des dispositions de la loi organique. Il porte également ratification de toute une série d’ordonnances relatives à la Polynésie, à Mayotte et autres. Les parlementaires ont la possibilité de présenter des amendements. C’est ainsi que notre collègue, Mme Chantal Berthelot, a pensé trouver là un vecteur pour sa proposition de loi sur l’orpaillage en Guyane. Reste à savoir jusqu’où nous pourrons aller pour enrichir ce texte.

M. Daniel Gibbes. Si aucune révision de la loi ne permet de revenir sur les transferts de compétences accordés à la Nouvelle-Calédonie, pourrait-il en être de même pour les nouvelles collectivités régies par l’article 74 que sont Saint-Martin et Saint-Barthélemy ?

M. le rapporteur. Dans l’immédiat, je ne peux vous faire qu’une réponse de bon sens : ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire… sauf pour la Nouvelle-Calédonie dont l’irréversibilité des transferts de compétences a été constitutionnalisée. Si l’on a jugé utile de le faire, c’est bien que, ailleurs, il était possible de reprendre une compétence transférée. Cela dit, hormis un motif dirimant ou une demande de la collectivité, je ne vois pas quel pourrait être l’intérêt d’une telle opération. Pour la Nouvelle-Calédonie, la situation est tout à fait particulière et elle a nécessité une modification de la Constitution.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette particularité tient à ce que, à l’époque, il était reconnu que ce territoire avait vocation à l’indépendance.

M. le rapporteur. Tout à fait, même si vocation ne signifie pas obligation.

M. Philippe Gosselin. La Nouvelle-Calédonie est un territoire particulier. Son histoire des trente dernières années a conduit à différents accords et aux modifications constitutionnelles que l’on connaît. Si sa vocation à l’indépendance est reconnue, la volonté d’y accéder n’est pas le sentiment qui domine aujourd’hui. On ne peut que se réjouir de ce que nos concitoyens de ce territoire ont pu apprendre, de manière apaisée, à mieux vivre ensemble. Dépassant nos divergences partisanes, il nous appartiendra de veiller à donner à nos propos et à nos débats un ton le plus consensuel possible s’agissant d’une île qui a besoin d’un regard particulier. L’accès à la souveraineté a été une demande et le demeure sans doute pour une partie de la population. Reste à voir comment concilier cette souveraineté avec le maintien dans l’ensemble français. C’est une sorte de quadrature du cercle que l’on cherche à résoudre depuis quelques dizaines d’années maintenant.

Nous entrons dans une période délicate propice à l’expression de crispations de part et d’autre. Je plaide pour que nous sachions collectivement conduire ce territoire vers l’avenir le plus paisible possible dans l’ensemble français. L’ennui naît de l’uniformité ; la République a su montrer, par ses différents statuts, qu’elle savait désormais s’adapter à la diversité. J’espère que nous aurons l’unité dans la diversité.

M. le rapporteur. Il serait intéressant que nous puissions avoir un débat sur le rapport que la commission des Lois doit rédiger, ne serait-ce que pour nuancer tel ou tel point. Les choses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait le croire vu de loin.

Depuis les accords de Matignon, les problèmes calédoniens n’ont jamais été un enjeu de politique nationale. À l’exception de deux ou trois personnes hostiles au processus, les forces politiques nationales ont toujours accepté les accords de Matignon, l’accord de Nouméa, la loi organique et la révision constitutionnelle de 2007. Dans la période qui va s’ouvrir, il sera important de maintenir cette cohésion nationale vis-à-vis de la Nouvelle-Calédonie, ce qui n’est pas évident. Le fractionnement des forces politiques calédoniennes, en particulier des forces anti-indépendantistes – de l’opposition, pour prendre une dénomination métropolitaine –, est tellement fort que le risque que le statut de la Nouvelle-Calédonie soit utilisé comme enjeu de politique nationale n’est pas à écarter complètement. J’invite nos collègues métropolitains de l’opposition à y être très attentifs, et ceux de la majorité à ne pas faire des propositions susceptibles de soulever des difficultés. À ce sujet, le futur rapport devrait apporter des éléments de débat intéressants.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Disons clairement que la période sera suffisamment difficile pour nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie pour que nous n’allions pas compliquer les choses en y transposant nos rivalités partisanes hexagonales. Tout le monde en est à peu près d’accord, et la meilleure preuve en est l’équilibre qui a pu être conservé pendant de longues années.

M. Ibrahim Aboubacar. Je salue l’engagement de M. René Dosière sur les questions d’outre-mer et je me réjouis pour la Nouvelle-Calédonie, que j’ai eu l’occasion de visiter à l’invitation de Mme Tjibaou. Je me réjouis en particulier de constater que les engagements sont respectés, qu’un comité de suivi existe et fonctionne, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. Pour notre propre processus de départementalisation, l’installation du comité de suivi prévu dans les accords n’a jamais été respectée.

Je comprends que le projet de loi ordinaire permet d’ouvrir des fenêtres sur d’autres sujets plus généraux, comme l’indique son intitulé. Dans ce cadre, nous aurions souhaité soulever des sujets qui, dans le processus de mise en œuvre de la départementalisation de Mayotte, ont dérapé ou pris du retard et dont le calendrier doit être rectifié en urgence. Je pense en particulier à l’intercommunalité, pour laquelle il est nécessaire de revoir les délais, et à la création du service départemental d’incendie et de secours, très important pour la population. Nous nous réjouirions de pouvoir déposer des amendements. Du reste, les dérapages de calendrier observés sur plusieurs sujets nous incitent à réclamer une surveillance attentive de la mise en œuvre de la départementalisation de Mayotte.

M. Boinali Said. Diriez-vous, d’après votre expérience de la Nouvelle-Calédonie, qu’il y a eu, depuis la période de l’accord de Nouméa, une évolution de la cohésion des territoires, notamment en matière sociale ? Clairement, les mouvements liés à l’indépendance sont fortement imprégnés de la considération des disparités sociales. Les transferts de compétences ont-ils favorisé l’effacement des disparités territoriales ?

M. Bernard Lesterlin. Pour ma part, c’est à M. Ibrahim Aboubacar que je demanderai de préciser le contenu de sa question sur la loi simple. J’ai cru comprendre que le Gouvernement avait des intentions d’amendement concernant le département de Mayotte. Nous n’avons pas eu communication de ces projets d’amendement, néanmoins, je crois savoir que nos collègues parlementaires de Mayotte ont été consultés. Il serait intéressant qu’il nous en dise deux mots et surtout qu’il nous donne le point de vue de ces élus sur les intentions gouvernementales d’amendement de ce texte.

M. Ibrahim Aboubacar. Le premier point est le calendrier de la mise en œuvre de l’intercommunalité sur l’île, puisque chaque département doit être doté d’un schéma départemental d’intercommunalité. Selon la loi du 16 décembre 2010, ce travail aurait dû être terminé au plus tard le 1er juin 2013. À Mayotte, il n’a pas pu être mené à terme dans ce délai. La commission départementale de l’intercommunalité n’a été mise en place par le préfet que très récemment, à quelques mois des élections municipales. L’objectif est de repousser l’ensemble des calendriers du 1er juin 2013 au 1er janvier 2016 afin de donner plus de temps, car, outre la prochaine campagne électorale, les municipalités auront d’autres sujets brûlants à traiter dans les mois qui viennent, en particulier l’introduction de la fiscalité locale.

L’autre sujet concerne la situation du service d’incendie et de secours du territoire, qui fonctionne actuellement comme un service du conseil général au regard de ses agents comme de ses moyens. Selon les textes, il devait fonctionner comme les services départementaux de droit commun au 31 janvier 2013, puis sous un nouveau format, avec participation des communes, au 31 décembre 2013. La fiscalité locale entrant en vigueur le 1er janvier 2014, sous une forme qui est encore en débat, il n’est pas certain que les communes puissent contribuer comme en régime de droit commun puisque l’ordonnance sur la fiscalité locale n’est pas elle-même de droit commun. Là encore, un amendement proposerait de prolonger la période transitoire et de mettre en place une procédure de création ad hoc. Si, en métropole, il fallait faire évoluer la gestion par les communes vers un service départemental, à Mayotte, c’est l’inverse : d’une gestion par le conseil général, il faut passer à un service auquel les communes contribuent. C’est une demande locale qui date de nombreuses années que le service fonctionne de manière équilibrée et ne soit pas à la charge financière du seul département.

Tels sont les deux points repris par l’exécutif, étant entendu que nous devons continuer à discuter avec celui-ci pour voir si ce sont les seuls sujets d’urgence qu’il est possible d’intégrer.

M. le rapporteur. Par définition, une loi sur l’outre-mer portant diverses dispositions relatives aux outre-mer est la porte ouverte à tout amendement de nature ordinaire. Vous pouvez donc en déposer, le tout est que l’exécutif les accepte. Saisissez cette occasion de vecteur que constitue cette loi sur les outre-mer, cela ne se présente pas si souvent. Au demeurant, pour avoir parlé de l’intercommunalité avec le ministre, je peux dire que le projet d’amendement évoqué ne pose pas, à ma connaissance, de problème. Je n’ai pas entendu parler du second sujet, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas. Il faut en discuter avec le Gouvernement. En passant, je rappelle aux députés de la majorité que M. Bernard Lesterlin animera, à dix-huit heures, une réunion de travail au titre de porte-parole du groupe socialiste sur ce texte.

La question sur la réduction des disparités suite aux transferts de compétences appelle une réponse nuancée. Dans la mesure où les responsables locaux se saisissent de la compétence transférée et la mettent en application, cela peut effectivement aboutir à réduire les inégalités. J’en veux pour exemple le développement économique qui a entouré une usine métallurgique dans le Nord. Près de 6 milliards de dollars ont été investis. À l’échelle de la Nouvelle-Calédonie, voire de la France, on a peu d’investissements d’une telle ampleur. Grâce aux aménagements que ce projet, qui est entré dans sa phase terminale, a nécessités, il n’y a plus de chômage dans la province Nord. Même si la population ne compte que 20 000 ou 30 000 habitants, ce résultat a de quoi faire rêver bien d’autres régions.

Reste qu’il subsiste en Nouvelle-Calédonie des inégalités fortes, souvent liées aux origines ethniques. Une particularité du territoire est que, au nom de la préservation de la culture et du peuple kanak, il faut identifier les Kanak. La Nouvelle-Calédonie est la seule partie du territoire français où les statistiques démographiques ethniques sont autorisées, même si elles ne sont pas toutes diffusées. L’INSEE diffuse les statistiques de population sur le nombre de Kanak, de Polynésiens, d’Européens, d’Australiens, mais pas les statistiques ethniques en termes d’emploi, même s’il en dispose. Des inégalités subsistent donc, mais le processus n’est pas arrivé à son terme. Il y a un effort très sensible de promotion des cadres calédoniens dont bénéficie plutôt la population kanak, mais sans avoir d’exclusivité.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, M. René Dosière, d’être venu nous parler de ces deux textes importants, sur lesquels il nous semblait impossible que la Délégation aux outre-mer ne soit pas informée.

M. le rapporteur. Je rappelle que ces textes seront examinés le 18 septembre en commission et le 2 octobre en séance publique.

M. le président Jean-Claude Fruteau. À mon tour, je rappelle à la Délégation que, dans le cadre de nos travaux sur l’agriculture, l’audition des présidents de SAFER, initialement prévue le 24 septembre, se tiendra le 17 septembre, soit la semaine prochaine, à dix-sept heures.

Communication de Mme Annick Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, sur la question du plateau marin continental

(compte rendu de la réunion du 19 novembre 2013)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle aujourd’hui la désignation d’un rapporteur pour le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (n° 1548).

Conformément à l’usage, j’ai sollicité, par une lettre en date du 12 novembre 2013, M. François Brottes, président de la commission des Affaires économiques, commission saisie au fond, pour lui demander que la Délégation puisse étudier ce texte. Il m’a en effet semblé indispensable que notre Délégation puisse porter les préoccupations de nos territoires sur ce sujet essentiel, sachant que Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard viennent de rédiger un rapport intitulé « Les agricultures des Outre-mer : des réformes ambitieuses pour un secteur d’avenir » – un travail qui servira de base à toutes nos réflexions.

Notre saisine portera sur les articles 3 (groupement d’intérêt économique et environnemental), 13 (SAFER), 14 (installation des jeunes agriculteurs), ainsi que sur le volet ultramarin du projet de loi (articles 34, 35, 36 et 37).

Je suis saisi de la candidature de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Il n’y a pas d’opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Je donne à présent la parole à Mme Annick Girardin qui va nous parler du plateau marin continental et de la revendication de Saint-Pierre-et-Miquelon en ce domaine.

Mme Annick Girardin. Le programme français d’extension du plateau continental (EXTRAPLAC) permet à la France de revendiquer des zones maritimes supplémentaires au-delà des 200 milles de sa zone économique exclusive (ZEE). Depuis que notre pays a ratifié la Convention de Montego Bay, nous avons en effet la possibilité de revendiquer des milles supplémentaires sur le plateau continental. Pour cela, nous devons pouvoir confirmer qu’il s’agit d’un plateau géologique continu.

La France possède le deuxième domaine maritime mondial – après les États-Unis – et pourra gagner, grâce à l’ensemble des outre-mer, plus d’un million et demi de kilomètres carrés supplémentaires. J’insiste sur ce point car, selon moi, notre pays n’est pas, en revanche, la deuxième puissance maritime du monde. Nos outre-mer regroupent de grandes richesses et permettent à la France de conforter sa position. Nous devons faire en sorte que toutes ces richesses soient identifiées, valorisées et protégées.

La question de l’extension du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon est complexe car le Canada, pays voisin, revendique la même zone. Ce pays a su s’imposer en matière de politique maritime et a pris de l’avance sur ce dossier.

En 1992, la France a demandé un arbitrage international pour la définition de sa ZEE, le Canada ne cédant pas, mais elle ne s’est pas donné les moyens juridiques d’argumenter son dossier, si bien qu’elle a perdu cet arbitrage et s’est retrouvée avec une zone minime. Aujourd’hui, le Canada rejette la revendication de la France pour Saint-Pierre-et-Miquelon, estimant l’archipel totalement enclavé – ce qu’il n’était pas en 1992. En effet, en 1996, le Canada a changé sa ligne de base – le point à partir duquel sont déterminés les milles supplémentaires –, ce qui a entraîné l’enclavement de l’archipel. Si la France n’a pas approuvé cette décision unilatérale, elle ne l’a pas contestée non plus. Il y a donc là un combat juridique à mener en matière de droit maritime. Le Canada va très certainement déposer, d’ici à deux semaines, un dossier unique revendiquant la zone de Saint-Pierre-et-Miquelon, tout le Grand nord et une zone à l’Est.

Dans un arbitrage rendu au mois de juillet, le Président de la République a annoncé la ferme intention de la France – et c’est une première dont nous devons nous féliciter – de revendiquer cette zone. Les services du ministère des Affaires étrangères sont très opposés au dépôt de ce dossier qui fâche le Canada au regard des enjeux économiques. Pour autant, le ministre des Affaires étrangères a adressé très récemment un courrier à M. Paul Giacobbi, président du groupe d’études sur les îles d’Amérique du Nord et Clipperton, le rassurant sur la défense de ce dossier. Il est important pour nous de suivre les travaux des techniciens d’IFREMER, dont le dossier s’appuiera sur des analyses, réalisées en 2011, des fonds marins au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le fait pour la France de ne pas avoir contesté la décision unilatérale de 1996 peut être un inconvénient si un arbitrage doit être demandé. La France va déposer un dossier à la commission des limites du plateau continental de l’ONU revendiquant une zone correspondant à celle revendiquée par le Canada. La commission de l’ONU, constatant l’existence de droits des deux pays côtiers, ne statuera pas et estimera que les dossiers devront être classés définitivement. La France et le Canada pourront alors, soit se mettre d’accord et déposer un dossier unique, soit demander un arbitrage international.

Pour ma part, je plaide pour une négociation avec le Canada sur un dossier commun et pour l’invention d’une cogestion. La totalité de la zone revendiquée pourrait être cogérée par les deux pays côtiers et les ressources être attribuées aux pays en fonction de leur superficie dans la zone. Ainsi, la France pourrait voir cette zone préservée et aurait l’assurance que des extensions sont possibles à l’avenir. En effet, nous ne savons pas comment seront gérées à l’avenir ces étendues maritimes par les organismes internationaux ; le droit maritime va incontestablement évoluer. Or, la mer est l’avenir de la Terre. Au regard de cet enjeu économique et environnemental majeur, la France doit faire en sorte d’être présente partout demain, et également de se positionner comme leader en matière d’évolution du droit maritime. Nous le savons, des zones de non-droit existent aujourd’hui, les mers ne sont pas gérées correctement, la piraterie est une menace, la question des hydrocarbures est de plus en plus prégnante, les techniques permettront d’aller plus profondément chercher les ressources maritimes, etc.

En 2009, la mobilisation de l’ensemble des députés – de droite comme de gauche – sur cette question avait conduit le Gouvernement, M. Nicolas Sarkozy étant Président de la République, à déposer une lettre d’intention. Aujourd’hui, le groupe d’études sur les îles d’Amérique du Nord et Clipperton et la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale peuvent maintenir la pression sur ce dossier afin de le rendre prioritaire.

Aujourd’hui, la France exprime sa volonté de mettre en place une politique maritime. Elle peut devenir une vraie puissance maritime, à condition de s’en donner les moyens en termes de structures, d’équipements, de relais dans les outre-mer. L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est concerné par l’ouverture de la route maritime du Grand Nord. De la même manière, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la route maritime du Pacifique, la plus fréquentée à l’avenir. J’espère que ces questions seront abordées lors du prochain Comité interministériel de la mer (CIMER), au mois de décembre. Je souhaite également que l’ensemble des inventaires maritimes soit abordé.

En conclusion, je dirai que la France doit prendre un tournant aussi fort que celui engagé par le Général de Gaulle avec le nucléaire. Au-delà du grand défi maritime, notre pays doit se donner les moyens de devenir la deuxième puissance maritime. Soyons très agressifs sur ces questions, car d’autres ont tendance à ne pas respecter nos étendues maritimes.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, Madame la députée, pour ce plaidoyer. Ce sujet est peu abordé à l’Assemblée nationale et par les médias. Vous avez souligné, comme j’ai cru le comprendre, l’absence de volonté politique de faire de la France une vraie puissance maritime.

La Délégation aux outre-mer doit donc se saisir de cette question dont les enjeux, économiques en particulier, sont considérables. Je suis prêt à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour soutenir cette revendication, non seulement dans l’intérêt de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais aussi dans celui de l’ensemble des collectivités territoriales d’outre-mer, et, plus généralement, dans l’intérêt de la France.

M. Ary Chalus. Madame la députée, le document que vous nous avez distribué indique que « Saint-Pierre-et-Miquelon est le territoire ultramarin le plus proche de la Métropole ». Pouvez-vous nous apporter une petite explication sur ce point ? En outre, les 200 milles canadiens à partir de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Ecosse incluent la ZEE française délimitée en 1992 et la zone que vous revendiquez, c’est bien cela ?

Mme Annick Girardin. Saint-Pierre-et-Miquelon est le territoire ultramarin le plus proche de la Métropole en distance (4 700 kilomètres).

En 1992, dans le cadre de la décision arbitrale de New York, les Canadiens ont déclaré que leur ligne de base serait la Nouvelle-Ecosse et non l’Île de Sable. Par conséquent, la ligne des 200 milles canadiens s’arrêtait au bout de notre zone qui débouchait alors sur la zone maritime internationale puisque leur ZEE ne nous enclavait pas. Il faut dire que la France n’a pas été très vigilante dans cette affaire ; elle aurait pu demander la révocation de certains juges, dont la majorité était américains et canadiens. Mais en 1996, les Canadiens ont fait ce qu’ils avaient déjà pensé faire en 1992, c’est-à-dire qu’ils ont pris l’Île de Sable comme nouveau point de base – l’embouchure du Saint-Laurent est la zone la plus riche en gaz naturel. En 1992, la France se préoccupait essentiellement du dossier sur la pêche à la morue à Saint-Pierre-et-Miquelon – personne n’avait pensé aux hydrocarbures ! Aujourd’hui, la limite des 200 milles canadiens enclave totalement l’archipel et les Canadiens rejettent notre revendication de l’extension du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Je pense que la France n’a pas à tenir compte de la décision unilatérale canadienne de 1996, qu’elle n’a pas contestée, mais qu’elle n’a pas approuvée non plus. Elle peut plaider devant une juridiction maritime une collusion d’intérêt, en 1992, entre les juges du tribunal de New York et les Canadiens. Deux points peuvent également plaider en sa faveur. D’abord, la législation sur la bande d’eau et celle sur les fonds marins ne sont pas identiques ; or, le plateau continental concerne les espèces au fond et le sous-sol et donc les richesses en hydrocarbure. Un certain nombre d’avocats en conviennent, y compris du côté canadien. Ensuite, sur le plan interne, Terre-Neuve et la Nouvelle-Ecosse contestent eux-mêmes l’Île de Sable comme ligne de base au regard du partage des retombées économiques liées aux hydrocarbures, sachant que les provinces canadiennes bénéficient d’une autonomie fiscale.

Pour lire tous les jours la presse canadienne, je connais très bien le dossier, un dossier que le ministère des Affaires étrangères a longtemps négligé.

M. Ary Chalus. Depuis 2009, personne n’est intervenu sur ce dossier.

Mme Annick Girardin. Personne !

M. Ary Chalus. Comme vous l’indiquez, un certain nombre de juristes donnent raison à la France. La Délégation aux outre-mer doit appuyer cette revendication au regard des enjeux économiques non seulement pour Saint-Pierre-et-Miquelon, mais aussi pour la France ! Nous avons un ministre des Affaires étrangères ! Il est incroyable que rien ne se passe !

Mme Gabrielle Louis-Carabin. En réalité, il y a d’autres enjeux économiques !

M. Philippe Houillon. Je tiens à féliciter Mme Girardin pour la clarté de son exposé et la passion dont elle fait preuve sur ce dossier.

Monsieur le président, ne pensez-vous pas utile de créer, au sein de notre Délégation, une « sous-mission » qui serait chargée de mener un audit sur cette question, dont les enjeux sont extrêmement importants pour notre pays au regard de la richesse des ressources maritimes ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’idée est bonne, mais nous sommes une toute petite délégation, avec des moyens très limités. Monsieur Chalus, cette question concerne effectivement l’ensemble des Français. Je pense qu’Annick Girardin peut porter plus spécifiquement cette question dans le cadre de notre Délégation.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. L’Assemblée nationale, et pas seulement la Délégation aux outre-mer, doit se saisir de cette question car elle revêt un intérêt national.

Mme Annick Girardin. Les Canadiens ont jusqu’au 6 décembre pour déposer leur dossier. La France doit déposer le sien en moins de trois mois. Le Secrétariat général à la mer, chargé du dossier EXTRAPLAC, défendra notre dossier devant une commission onusienne qui, après délibération, pourra soit demander des précisions, soit renvoyer les parties vers d’autres instances ou les condamner à se mettre d’accord.

Je pense que nous devons, dans les trois mois à venir, maintenir la pression auprès du Gouvernement. Une commission supplémentaire ne me semble pas nécessaire pour l’instant. Je propose que le président de la Délégation aux outre-mer, à l’instar du président du groupe d’études sur les îles d’Amérique du Nord et Clipperton, envoie un courrier au Premier ministre ou au ministre des Affaires étrangères pour signaler que la Délégation est très attentive à ce dossier. Je vous propose aussi de vous associer à une audition, que je souhaite organiser, du Secrétariat général de la mer, dès que la France aura décidé de sa stratégie. Nos groupes politiques peuvent également se mobiliser, en particulier en posant des questions écrites au Gouvernement.

N’oublions jamais que la France ne deviendra une puissance maritime que grâce à ses outre-mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je pense que ce dossier doit être porté par l’Assemblée nationale. Pourquoi notre Délégation ne déposerait-elle pas une proposition de résolution ?

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Le Gouvernement français a-t-il réellement la volonté de défendre l’extension du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon ? Peut-être y a-t-il des choses que l’on ne sait pas… De grands États peuvent passer des accords économiques…

M. Ary Chalus. Il y a urgence ! La Délégation aux outre-mer devrait effectivement écrire une lettre, ainsi que les groupes politiques. S’il faut faire une pétition, les parlementaires ultramarins sont prêts à la signer !

Mme Annick Girardin. Il est évident que le ministre des Outre-mer est à nos côtés sur cette question. La difficulté est que le ministère des Affaires étrangères veut éviter un différend avec le Canada – l’accord Union européenne/Canada va ouvrir les marchés publics canadiens.

Je pense que chaque pays doit défendre ses droits. Le problème est effectivement lié aux marchés publics, sans doute dans le domaine des matériels de défense. Mais je crois honnêtement que notre pays peut devenir leader mondial et jouer un vrai rôle en matière de droit maritime. Il en va de l’avenir économique de la France.

M. Jean-Philippe Nilor. Entendons-nous défendre les intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon ou ouvrir les yeux de la France sur la défense de ses propres intérêts ?

Mme Annick Girardin. Les deux.

M. Jean-Philippe Nilor. Il serait grave que la France ne prenne pas conscience de ses intérêts. Tout cela est l’illustration de ce que j’appelle « l’amère patrie »…

M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous ne sommes pas naïfs au point de penser que les choses seront faciles. Il y a dans ce dossier des enjeux politiques que nous ne maîtrisons pas – nous ne pouvons pas penser qu’il s’agit simplement de lenteurs administratives. Mais nous devons nous battre.

M. Gabriel Serville. La problématique exposée par notre collègue, Mme Annick Girardin, me fait penser à l’orpaillage clandestin qui sévit en Guyane, au sujet duquel nous nous sommes demandé si des accords commerciaux n’avaient pas été passés entre la France et le Brésil, empêchant de lutter efficacement contre ce fléau. Il va bien falloir qu’on nous explique un jour les raisons pour lesquelles ce problème n’est toujours pas réglé.

Lors de la conférence environnementale, à laquelle j’ai participé, il a été dit, à plusieurs reprises, que c’est grâce aux outre-mer que la France peut se targuer d’être la deuxième puissance maritime mondiale. Si un grand nombre de propositions ont été formulées à cette occasion, les collectivités d’outre-mer n’ont pratiquement pas été évoquées au moment de la synthèse. Je pense qu’un important travail de sensibilisation doit être mené auprès des parlementaires, afin d’établir un rapport de force intelligent permettant de faire entendre cette revendication.

Mme Annick Girardin. Merci de vous impliquer sur cette question. Une proposition de résolution aurait le mérite de permettre aux parlementaires de mettre en avant l’importance de la politique maritime française, et au Gouvernement de fournir une réponse claire sur l’avenir de notre pays.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, Madame la députée, vous pouvez compter sur nous.


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