en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et
de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale
sur le transport de patients,
Député.
——
SOMMAIRE
___
Pages
SYNTHÈSE 7
INTRODUCTION 11
LISTE DES 22 PRÉCONISATIONS 13
I. UN SECTEUR AUX MULTIPLES INTERVENANTS, MARQUÉ PAR LE DYNAMISME DES DÉPENSES 17
A. UN POSTE DE DÉPENSE IMPORTANT 17
1. Des dépenses dynamiques 17
2. Des dépenses hétérogènes 18
a. Une disparité de l’offre 19
b. Une disparité géographique 20
3. Des facteurs inévitables de progression 21
B. UNE OFFRE PARTAGÉE ENTRE DE MULTIPLES ACTEURS 22
1. Les transporteurs sanitaires 23
2. Les taxis 25
3. L’organisation spécifique des transports urgents pré-hospitaliers 26
a. Le service mobile d’urgence et de réanimation 26
b. Les services d’incendie et de secours 27
c. La garde ambulancière 27
C. UNE PRISE EN CHARGE SOUS CONDITIONS 30
1. Les transports programmés 30
a. Une prise en charge sous conditions 30
b. Un remboursement encadré 32
2. Les transports urgents pré-hospitaliers 33
a. Un pilotage unique 33
b. Un financement différent selon les intervenants et la nature des missions 34
II. UN SECTEUR QUI CONNAÎT D’IMPORTANTES « DÉRIVES » 35
A. UN PILOTAGE ÉCLATÉ 35
1. Un pilotage ministériel partagé 35
2. Une double tutelle territoriale 36
B. UNE GESTION DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE NON MAÎTRISÉE 37
1. Des stratégies d’optimisation par les transporteurs 37
a. Une demande influencée par l’offre 37
b. Un contournement des plafonds entre les catégories de véhicules 38
c. De nouvelles règles plus restrictives 39
2. Une offre de transport assis déséquilibrée 40
3. Les dysfonctionnements de la garde ambulancière 42
4. Une gestion défaillante des flux de transport au sein des établissements de santé 45
C. UN CONTRÔLE INSUFFISANT 47
1. Un référentiel inappliqué 47
2. Des fraudes avérées 49
III. UNE DOUBLE NÉCESSITÉ D’UNE RÉORGANISATION DU SECTEUR ET D’UNE RATIONALISATION DES DÉPENSES 53
A. MIEUX COORDONNER LE PILOTAGE 53
B. RESTRUCTURER L’OFFRE ET LA DEMANDE AU SEIN D’UN PARCOURS DE SOINS COORDONNÉ 55
1. Adapter l’offre à la demande 55
a. Une offre régulée 55
b. Une logique tarifaire homogénéisée 57
2. Rénover la garde ambulancière 58
a. Un découpage géographique et temporel de la garde revu 58
b. Une indemnisation révisée 58
c. Une organisation coordonnée 59
3. Rationaliser les flux à l’hôpital 61
a. Un circuit des transports mieux organisé 61
b. De nouvelles règles de financement 66
C. RENFORCER LE CONTRÔLE 67
1. Adosser la prise en charge à un référentiel affiné 67
a. La question du libre choix du mode de transport 67
b. Un référentiel affiné 68
c. Un référentiel respecté 69
d. Une prise en charge optimisée 71
2. Cibler le contrôle 73
a. De nouveaux outils 74
b. Une expérimentation prometteuse 76
TRAVAUX DE LA COMMISSION 79
ANNEXES 93
ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION 93
ANNEXE 2 : DOCUMENT TRANSMIS PAR LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES YVELINES À LA DEMANDE DE LA MECSS 95
ANNEXE 3 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 101
ANNEXE 4 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 105
Selon la Cour des comptes dont les travaux incontestables ont étayé le présent rapport, 450 millions d’euros d’économies pourraient être réalisées sur les dépenses de transport de patients.
Depuis dix ans, les dépenses de transport de patients progressent inexorablement sont passées de 2,3 milliards d’euros en 2003 à 4 milliards d’euros en 2013.
Des facteurs objectifs et inéluctables expliquent cette augmentation comme le vieillissement de la population, l’augmentation des patients atteints d’une ALD (1), dont les frais de déplacement sont majoritairement pris en charge à 100 % ou encore le regroupement géographique de plateaux techniques.
D’autres raisons existent, qui impliquent tous les acteurs concernés.
De la part des patients, tout d’abord, le caractère médical de la prescription du transport, complémentaire au parcours de soin, s’est estompé au profit de la perception qu’il s’agirait d’un droit au transport faisant l’objet de la simple délivrance d’un bon de transport.
Ensuite de la part des professionnels de santé, qui ne suivent pas toujours le référentiel de prescription de transport élaboré en 2006 et qui ne respectent pas la règle de l’établissement approprié le plus proche lorsqu’ils orientent leur patient, sans compter, qu’à l’hôpital, la prescription est le plus souvent faite par le secrétariat et parfois même a posteriori.
Enfin, de la part des transporteurs, qui ont su contourner les règles en leur faveur, en évitant le contingentement entre ambulances et VSL et en privilégiant les modes de transport les plus rentables pour eux mais aussi les plus coûteux pour l’assurance maladie. En effet, en moyenne, un trajet en VSL coûte 30 euros et celui en taxi 40 euros.
Une difficulté supplémentaire réside dans le pilotage éclaté de ce dossier, à la fois au niveau ministériel et au niveau territorial.
Deux ministères sont en charge du transport de patients. Celui des affaires sociales et de la santé qui pilote les transports sanitaires, c’est-à-dire les ambulances et les VSL, et celui de l’intérieur qui supervise le parc des taxis et particulièrement sa tarification.
Au niveau territorial, les agences régionales de santé (ARS) autorisent l’agrément et la mise en service des véhicules des transporteurs sanitaires tandis que les caisses primaires d’assurance maladie gèrent le conventionnement et assurent la prise en charge.
Le constat est sans appel : profitant de ce pilotage éclaté, l’offre de transport a dépassé les plafonds autorisés au profit des modes les plus onéreux, à savoir l’ambulance et les taxis et a fini par induire la demande.
C’est ainsi que le parc de taxis a explosé, particulièrement en milieu rural : le nombre de véhicules conventionnés est ainsi passé de 31 400 en 2009 à 37 100 en 2013. S’agissant des artisans taxis, la délivrance des licences relève de la compétence du maire dans les petites communes et le conventionnement avec l’assurance maladie étant quasi-automatique à partir du moment où le chauffeur exerce depuis deux ans de façon effective et continue, un effet d’aubaine s’est produit.
Au sein des établissements de santé, la gestion défaillante des flux de transport entraîne des temps d’attente qui pénalisent la rentabilité des entreprises de transport sanitaire et le service rendu au patient.
Enfin le contrôle exercé par l’assurance maladie est insuffisant, il se déroule rarement sur place, le plus souvent a posteriori et ne débouche pas automatiquement sur des pénalités financières ou des poursuites pénales.
Afin de limiter ces dérives, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale (MECSS) a donc identifié plusieurs pistes de rationalisation et de réorganisation de ce secteur et propose 22 préconisations.
Afin de disposer d’une vision globale des transports, intégrés dans un parcours de soins, elle propose que figure un volet transport dans les SROS, les schémas régionaux d’organisation des soins des ARS (Préconisation n° 1). De manière pratique, l’impact sur les déplacements et donc les frais de transport pourraient ainsi être mieux appréhendés lors des regroupements de plateaux techniques et l’opportunité de créer des centres de soins de proximité serait mieux prise en compte. Ces derniers pourraient, entre autres, pratiquer des dialyses et éviter des déplacements itératifs coûteux.
Pour parfaire cette cohérence entre l’offre et la demande, le pilotage doit, par ailleurs, être mieux coordonné. Afin que les procédures d’autorisation et de conventionnement des véhicules soient gérées par le même organe, la préconisation n° 2 suggère, par souci de simplification, de transférer les procédures d’agrément des entreprises de transport sanitaire et d’autorisation de mise en service de leurs véhicules, de l’ARS vers la caisse primaire d’assurance maladie, sur délégation de l’ARS. Cela permettrait, de plus, de mieux articuler le déconventionnement et le retrait d’agrément.
Un partage des bases de données, dont notamment celles du répertoire national des transports de la CNAMTS, et la participation de l’assurance maladie au comité des transports sanitaires iraient dans le même sens (préconisations n° 4 et 5).
Par ailleurs, afin de maîtriser les dépenses, l’offre doit être restructurée.
Afin de réguler le parc de véhicules, il est nécessaire de rétablir un équilibre dans le transport assis en harmonisant la tarification entre les VSL et les taxis. La préconisation n° 6 propose que les taxis ne puissent facturer à l’assurance maladie que la prise en charge et la tarification au kilomètre comme c’est le cas pour les VSL et non plus les temps d’approche, les temps d’immobilisation ou les retours à vide. Par contre, une majoration leur serait accordée pour les transports partagés à titre incitatif.
S’agissant de la demande de transport qui émane presque aux deux tiers des établissements de santé, la préconisation n° 12 suggère de rapprocher le demandeur et le financeur. Ainsi, la prise en charge des transports hospitaliers pourrait relever du budget de l’hôpital et non plus de l’enveloppe soins de ville de l’assurance maladie. Cela suppose auparavant que l’hôpital réorganise notamment le circuit de ses demandes. Certaines expérimentations sont prometteuses, comme la mise en place d’un service unique au sein de l’hôpital dédié à la commande de transport, qui centralise les demandes, ou la création d’un salon d’attente qui fluidifie les entrées et les sorties.
Rationaliser les dépenses passe également par une optimisation de leur prise en charge.
En premier lieu, le référentiel de prescription des transports de 2006 doit être respecté et affiné. Ce référentiel fixe des conditions pour la prise en charge par l’assurance maladie des frais de transport mais il reste imprécis, c’est pourquoi la préconisation n° 17 demande l’élaboration par la CNAMTS de fiches repères indicatives, sur le modèle de celles des arrêts maladie, qui fixeraient un mode de transport selon les pathologies et les interventions chirurgicales les plus fréquentes, avec l’appui et l’expertise de la Haute Autorité de santé.
En deuxième lieu, la MECSS incite au développement des transports partagés, à un meilleur remboursement des frais lorsque l’assuré utilise son véhicule individuel ainsi qu’à la mise en place de frais de stationnement réduits dans les établissements de santé et plaide pour la mise en place d’une carte individuelle de transport pour les patients effectuant des trajets itératifs, afin d’optimiser les dépenses (préconisations n° 9, 10, 11).
Enfin, renforcer le contrôle est impératif. La Cour des comptes a souligné l’insuffisance du contrôle de la facturation par l’assurance maladie, malgré de nombreux abus de la part des transporteurs. C’est pourquoi, la préconisation n° 15 incite à la dématérialisation des prescriptions et des factures et la préconisation n° 16 tend à imposer la géolocalisation dans tous les véhicules de transport de patients en en faisant une condition au conventionnement.
Chiffrées à 2,3 milliards d’euros en 2003, les dépenses de transport de patients ont atteint 4 milliards d’euros en 2013. Depuis dix ans, ce poste de dépense progresse de manière continue et occupe une part grandissante de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) soins de ville.
C’est pourquoi dès 2008, la question du transport de patients, de son organisation et de sa prise en charge par l’assurance maladie, s’est posée. Deux rapports ont été élaborés, le premier en avril 2008 par MM. Gérard Dumont et Jean-Claude Mallet (2) et le second en septembre 2010 par M. Didier Eyssartier (3). Leur constat et une partie de leurs préconisations sont toujours d’actualité. Une offre de transport hétérogène et peu maîtrisée sur le territoire, un système de tarification déséquilibré au sein du transport assis professionnalisé (TAP), un référentiel de prescription de transport peu respecté par les professionnels de santé combiné à un contrôle insuffisant de l’assurance maladie concourent à une augmentation de ces dépenses.
Cette progression, même si elle s’est ralentie ces dernières années, résulte de plusieurs facteurs comme le vieillissement de la population, l’augmentation des patients atteints d’une affection longue durée dont les frais de déplacement sont pris en charge majoritairement à 100 % ou le regroupement des plateaux techniques.
La prescription de transport, complémentaire au parcours de soins, est gage de l’égalité d’accès à des soins de qualité pour tout assuré. Néanmoins, le caractère médicalisé de cette prescription s’est estompé au profit de la réclamation par les patients d’un droit à un bon de transport. Par ailleurs, le référentiel de prescription de transport est peu appliqué par les professionnels de santé qui, par ailleurs, méconnaissent le coût entraîné par leurs prescriptions pour l’assurance maladie. Quant aux transporteurs, ils optimisent leurs modèles économiques en privilégiant l’offre de transport la plus rentable pour eux mais la plus onéreuse pour l’assurance maladie.
À l’heure où des économies sont nécessaires et qu’un programme de près de dix milliards d’euros d’économies de dépenses sociales a été annoncé par le Gouvernement, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a choisi de se pencher sur cette question identifiée par la Cour des comptes comme porteuse d’économies.
Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2014, la Cour des comptes (4) rappelle qu’elle a estimé, dès 2012, que 450 millions d’euros pourraient être économisés sur les transports de patients, soit 13 % de la dépense totale sans pour autant fragiliser l’accès aux soins.
La mission a procédé à l’audition de responsables de l’assurance maladie, de responsables de l’administration, de représentants des établissements de santé, des transporteurs sanitaires, des chauffeurs de taxis et de directeurs d’agences régionales de santé. La Cour a apporté son expertise qui, comme toujours, nous est précieuse.
À l’issue de ses auditions, la mission émet 22 préconisations.
Seule une réorganisation du secteur en profondeur permettra une rationalisation des dépenses de transport.
Un meilleur pilotage du dossier, mieux coordonné entre les deux ministères en charge du secteur et mieux articulé entre les deux tutelles territoriales que sont l’agence régionale de santé et la caisse primaire d’assurance maladie est tout d’abord nécessaire.
Ensuite, l’offre de transport doit être régulée et correspondre aux besoins sanitaires de la population, la demande, quant à elle, doit être réorganisée, particulièrement au niveau des établissements de santé.
Enfin, un véritable contrôle doit être mis en place, qui passe par l’amélioration et le respect du référentiel de prescription des transports et par des vérifications ciblées et approfondies.
Coordonner le pilotage
1. prévoir un volet transport dans les schémas régionaux d’organisation des soins des agences régionale de santé (ARS) afin de mieux appréhender, lors du regroupement des plateaux techniques, l’impact sur les déplacements et les dépenses de transport et de mieux prendre en compte l’opportunité de créer des centres de soins de proximité pour les soins itératifs comme la dialyse ;
2. transférer les procédures de délivrance de l’agrément des entreprises de transport sanitaire et de l’autorisation de mise en service de leurs véhicules, de l’ARS à la caisse primaire locale d’assurance maladie, sur délégation de compétence de l’ARS afin de disposer d’une vision d’ensemble des transports disponibles, et de contribuer à mieux articuler les procédures d’agrément et de déconventionnement des entreprises de transport sanitaire ;
3. faire participer un représentant des caisses primaires locales d’assurance maladie au comité de transport sanitaire afin de contribuer à améliorer l’articulation avec le déconventionnement, ce comité étant consulté sur tout retrait d’agrément ;
4. partager les bases de données entre tous les acteurs (à savoir les deux ministères de tutelle, celui des affaires sociales et de la santé et celui de l’intérieur, les ARS et l’assurance maladie) et notamment le répertoire national des transports de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).
Restructurer l’offre
5. parvenir à une harmonisation tarifaire du transport assis professionnalisé en rapprochant les tarifs des véhicules légers sanitaires (VSL) et des taxis. Les dispositions tarifaires prévues dans les conventions locales conclues entre les entreprises de taxis et l’assurance maladie ne comprendront que la prise en charge et la tarification au kilomètre et non plus les temps d’approche, les temps d’immobilisation ou les retours à vide et prévoiront une majoration pour transport partagé ;
6. actualiser l’arrêté de 1995 qui fixe des plafonds d’autorisations de mise en service de véhicules en fonction des besoins sanitaires des habitants (indice national selon un classement de communes par tranches) afin de réguler l’offre et de limiter les dépassements de plafonds ;
7. rendre conforme l’avis de la commission départementale ou communale pour la délivrance des autorisations de stationnement des taxis afin de limiter la progression du parc notamment en milieu rural.
Rationaliser des dépenses
8. favoriser le transport partagé dans les VSL et les taxis et autoriser les VSL à emprunter les couloirs de bus ;
9. inciter les patients à utiliser un transport individuel en assurant un remboursement plus rapide de leurs frais et en encourageant les établissements de santé à pratiquer des tarifs de stationnement attractifs ;
10. mettre en place une carte individuelle de transport pour les patients atteints de pathologies chroniques requérant des trajets itératifs qui indiquerait le mode de transport requis ;
11. programmer de façon progressive la prise en charge des dépenses hospitalières de transport sur le budget des établissements de santé et non plus par l’enveloppe soins de ville de l’assurance maladie afin de mieux relier le responsable de la demande de prescription et celui qui en supporte le financement.
Ce qui suppose :
1) d’introduire un volet transport dans la conférence médicale d’établissement (CME) (5) afin de sensibiliser les praticiens hospitaliers au coût représenté par ce poste ;
2) de rendre obligatoire l’individualisation des prescriptions des praticiens hospitaliers afin de mieux connaître les dépenses par prescripteur ;
3) de restructurer les flux de transport au sein de l’hôpital par :
* la régulation des flux de transport à l’hôpital en favorisant l’anticipation des sorties, le regroupement des consultations et la mise en place des salons d’attente ;
* la centralisation de la commande de transport au sein de l’établissement de santé ;
* la revitalisation du tour de rôle.
12. demander au Gouvernement de prendre le décret d’application de l’article 39 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 qui prévoit la possibilité de mener des expérimentations pour internaliser la prestation de transports non urgents au sein des établissements de santé.
Renforcer et améliorer le contrôle
13. compléter le formulaire de prescription de transport en indiquant l’arrivée du trajet et le cas échéant l’origine du trajet ;
14. inciter les professionnels de santé à la dématérialisation de la prescription de transport ;
15. rendre la géolocalisation de tous les véhicules de transport de patients obligatoire en la conditionnant au conventionnement avec l’assurance maladie ;
16. favoriser le respect du référentiel de prescription des transports de 2006 par les professionnels de santé en l’affinant par la réalisation par la CNAMTS des fiches repères indicatives de moyens de transport par pathologies et interventions chirurgicales les plus courantes, validées par la Haute Autorité de la santé (HAS) et demander à la HAS d’édicter un guide de bonnes pratiques dans ce domaine ;
17. donner pour instructions aux directeurs de caisses primaires locales d’assurance maladie d’appliquer systématiquement des pénalités financières lors d’un recouvrement d’indus et de saisir systématiquement le juge pénal en cas de fraude. En complément, l’agrément serait automatiquement retiré et la procédure conventionnelle serait systématiquement engagée.
Rénover les transports urgents pré-hospitaliers
18. demander au Gouvernement de prendre le décret d’application de l’article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 qui prévoit la possibilité pour les ARS de mener des expérimentations, en liaison avec les caisses primaires d’assurance maladie, sur les règles d’organisation et de financement des transports sanitaires urgents pré-hospitaliers ;
19. mettre en place des plateformes communes départementales ou interdépartementales entre le service d’incendie et de secours (SDIS) et le service d’aide médicale urgente (SAMU) ;
20. faire participer un représentant de l’assurance maladie au comité départemental de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (CODAMUPS-TS), qui réunit les acteurs du transport urgent afin de mieux associer le financeur ;
21. revoir les secteurs de la garde ambulancière, à la fois leur découpage temporel (différencier la nuit profonde et le début de soirée) et leur découpage géographique (adapter les secteurs aux territoires de santé) en n’excluant pas de supprimer à terme la garde ambulancière dans les secteurs où son maintien ne semble pas justifié ;
22. retirer l’agrément aux entreprises de transport sanitaires en cas de non-respect de leurs obligations de garde ambulancière.
I. UN SECTEUR AUX MULTIPLES INTERVENANTS, MARQUÉ PAR LE DYNAMISME DES DÉPENSES
Bien qu’encadrée et soumise à condition, la prise en charge des frais de déplacement des assurés connaît une dynamique continue depuis une décennie que ce soit en termes de volumes de transport ou de montant de dépenses remboursées.
A. UN POSTE DE DÉPENSE IMPORTANT
Les dépenses de transport, inégales selon le mode de transport et la zone géographique, sont appelées à continuer de croître, compte tenu des facteurs de progression que sont notamment le vieillissement de la population ou la restructuration de l’offre de soins.
Depuis 2003, l’augmentation des dépenses de transport de patients est continue.
TRANSPORT DE PATIENTS
(En milliards d’euros)
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | |
Montant total des dépenses |
2,3 |
2,5 |
2,7 |
2,9 |
3,0 |
3,1 |
3,4 |
3,5 |
3,5 |
3,8 |
4,0 |
Évolution en valeur (en %) * |
8,7 % |
6,8 % |
7,8 % |
9,5 % |
5,0 % |
3,2 % |
7,1 % |
5,2 % |
3,4 % |
5,9 % |
5,0 % |
Évolution en volume (en %) * |
7,4 % |
7,0 % |
5,2 % |
6,2 % |
3,2 % |
2,0 % |
2,7 % |
4,3 % |
2,5 % |
2,3 % |
0,6 % |
Pourcentage dans l’ONDAM soins de ville |
3,9 % |
4,1 % |
4,3 % |
4,3 % |
4,3 % |
4,4 % |
4,6 % |
4,7 % |
4,6 % |
4,9 % |
5,0 % |
Pourcentage dans l’ONDAM total |
1,9 % |
1,9 % |
2,0 % |
2,0 % |
2,0 % |
2,0 % |
2,2 % |
2,2 % |
2,1 % |
2,2 % |
2,3 % |
Montant total des dépenses d’ambulances |
0,9 |
1,0 |
1,1 |
1,2 |
1,3 |
1,3 |
1,4 |
1,5 |
1,5 |
1,6 |
1,6 |
Montant total des dépenses de VSL (véhicules sanitaires légers) |
0,8 |
0,8 |
0,8 |
0,8 |
0,8 |
0,7 |
0,8 |
0,8 |
0,7 |
0,7 |
0,8 |
Montant total des dépenses de taxis |
0,5 |
0,6 |
0,7 |
0,8 |
0,9 |
0,9 |
1,1 |
1,1 |
1,2 |
1,4 |
1,5 |
(*) Données corrigées des jours ouvrés et des variations saisonnières.
Source : Cnamts.
D’un niveau de 2,3 milliards d’euros en 2003, ces dépenses ont atteint 4 milliards en 2013. Elles représentaient 3,9 % de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) soins de ville en 2003 et en atteignent désormais 5 % en 2013. Cette augmentation touche toutes les composantes de la dépense, à la fois en volume et en valeur (6) :
– l’évolution du nombre de transports remboursés croît de 11,7 millions de trajets en 2011 à 12,3 millions en 2013 ;
– le montant moyen du remboursement augmente, passant de 48 euros en 2011 à 52 euros en 2013.
De plus, cette progression apparaît comme particulièrement dynamique par rapport à celle des autres dépenses de l’ONDAM dans le contexte d’une maîtrise de ce dernier. La Cour des comptes (7) observe qu’entre 2001 et 2010, l’augmentation des dépenses de transport au sein de l’ONDAM a été de 63 % alors que l’augmentation des autres dépenses a été de 39,4 %.
Face à cette dynamique, les pouvoirs publics ont réagi. Tout d’abord, l’article 45 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 pose le principe de la régulation des dépenses de transport (8) : « Sur la base de l’analyse nationale de l’évolution des dépenses de transport et sur recommandation du conseil de l’hospitalisation, l’État arrête, chaque année, un taux prévisionnel d’évolution des dépenses de transport remboursées sur l’enveloppe de soins de ville. ». Pour 2013, ce taux était de 3,5 %, et pour 2014 il a été fixé à 2,5 %.
Par ailleurs, un objectif de maîtrise médicalisée de certains postes de dépenses de l’ONDAM est fixé chaque année, dans la loi de financement de la sécurité sociale. En 2013, l’objectif programmé de 70 millions d’euros d’économies de dépenses de transport a été largement dépassé, atteignant 152 millions d’euros.
De plus, la maîtrise des dépenses de transport fait partie des dix priorités fixées aux agences régionales de santé (ARS), pour 2014, en matière de gestion du risque.
Si l’on détaille la composition de ces dépenses, on constate une forte disparité des dépenses, à la fois selon l’offre de transport et selon la zone géographique concernée.
La croissance des dépenses varie fortement selon le mode de transport utilisé. L’offre a évolué vers les transports les plus coûteux, à savoir les ambulances et les taxis.
Le recours aux ambulances reste majoritaire et stable. Les dépenses sont passées de 900 millions d’euros en 2003 à 1,6 milliard d’euros en 2013. En 2012, 54 % des patients ont utilisé ce moyen de transport et les dépenses d’ambulances représentent 39 % du total des dépenses de transport.
S’agissant du transport assis professionnalisé (TAP), l’offre de véhicule sanitaire léger (VSL) diminue au bénéfice des taxis.
En 2010, selon la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), le nombre de trajets par VSL a baissé en passant de 18 millions en 2010 à 16 millions en 2013 et le nombre de patients transportés a également diminué passant de 1,2 million en 2010 à 1,1 million en 2013. À l’inverse, le nombre de trajets en taxis a progressé passant de 18,5 millions en 2010 à 20 millions en 2013 et le nombre de patients transportés a légèrement augmenté, passant de 1,3 million de patients en 2010 à 1,4 million en 2013.
Lors de leur audition, les représentants de la Cour des comptes ont indiqué que l’offre de taxis a encore progressé de + 7,3 % en 2012 et de + 4,2 % en 2013, tandis que l’offre de VSL avait diminué de – 2,9 % en 2012 et de – 0,3 % en 2013.
En 2012, 32 % des patients ont eu recours aux VSL à comparer aux 38 % d’assurés ayant utilisé un taxi.
Mécaniquement, cette moindre utilisation des VSL se traduit dans les dépenses remboursées. Les dépenses de VSL se sont stabilisées depuis 2003 à hauteur de 800 millions d’euros, tandis que celles des taxis ont triplé, passant de 500 millions d’euros en 2003 à 1,5 milliard d’euros en 2013.
Les dépenses de taxis ont augmenté d’environ 10 % par an entre 2009 et 2012 (9) et de 6,4 % entre novembre 2012 et novembre 2013.
En 2004, les dépenses de VSL contribuaient à hauteur de 30 % du total des dépenses de transport et n’en représentent plus que 20 % en 2012 tandis que celles des taxis qui représentaient 24 % du total des dépenses en 2004 atteignent désormais 37 % de ces dépenses en 2012.
Ces chiffres se retrouvent au niveau local.
Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, a indiqué que, en 2013, les taxis représentaient 45 % des transports et les VSL 19 % en Champagne Ardenne. Mme Cécile Alfocea, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise, a confirmé ces tendances pour son département. 37 % des patients sont véhiculés par des taxis et 6 % par des VSL en 2013. En Champagne-Ardenne, le montant moyen par patient transporté en taxi sur l’année 2013 s’élève à 787 euros soit la dépense la plus importante contre 519 euros pour les ambulances et 473 euros pour les VSL.
M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, a reconnu que l’utilisation du taxi pour éviter le recours aux ambulances avait accentué la diminution de l’emploi de VSL. Les dépenses de taxis ont progressé de 130 % entre 2004 et 2013 dans son département soit une moyenne de 10 % par an tandis que les dépenses de VSL diminuaient de 13 % sur la même période.
Selon le territoire, l’offre de transport est plus ou moins dense. D’après les représentants des transporteurs sanitaires, plus la densité de la population est faible, plus le parc de véhicules est conséquent car l’offre de soins est plus éloignée.
Parallèlement, la composition du parc de véhicules est loin d’être homogène.
Selon M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, la densité d’ambulances selon les départements varie de 1 à 4 et celle de taxis de 1 à 5.
Une des conséquences de cette disparité est un taux de recours à l’ambulance différent selon les départements. Selon M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales, le pourcentage de patients transportés une fois en ambulance se situe à 53 % au niveau national mais peut varier de 22 % dans les Hautes-Alpes à 76 % dans le Val-de-Marne. M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, a ajouté que, dans le cadre des trajets itératifs de patients dialysés, le taux de recours à l’ambulance variait de 2 % à 37 % selon les départements.
De manière plus globale, la Cour des comptes (10) relève que le nombre de trajets en 2010 rapporté à la population varie de un à trois, la valeur moyenne étant de 0,54. Les départements des Hauts-de-Seine, de la Haute-Savoie, des Yvelines, de Paris, de la Savoie, du Rhône et de l’Ain figurent parmi les plus faibles consommateurs avec 0,32 à 0,36 trajet par habitant tandis que les Alpes-Maritimes, la Creuse, les Bouches-du-Rhône et la Somme représentent les plus forts consommateurs avec 0,84 à 0,95 trajet par habitant.
3. Des facteurs inévitables de progression
Trois grands facteurs peuvent expliquer la progression des dépenses de transport :
• L’état de santé de la population
L’augmentation du nombre de patients pris en charge au titre des affections de longue durée (ALD) accroît mécaniquement les dépenses de transport car les déplacements vers les lieux de soins de ces pathologies sont pris en charge par l’assurance maladie.
Cinq grandes pathologies contribuent à ces dépenses : le cancer (à hauteur de 23 %), l’insuffisance rénale chronique (à hauteur de 17 %), les troubles psychiatriques et les maladies cardio-vasculaires (à hauteur de 15 %), et enfin le diabète. L’insuffisance rénale chronique est un poste particulièrement onéreux car il représente des transports itératifs.
En 2013, les personnes en ALD ont représenté 60 % des personnes transportées et ont concentré 80 % des dépenses de transport (11). Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, a confirmé ces chiffres, en indiquant que dans sa région, en Champagne Ardennes, ce sont 94 % des transports remboursés qui l’étaient au titre d’une affection de longue durée.
Un deuxième facteur, le vieillissement de la population, explique cette progression. En effet, 56 % des dépenses remboursées le sont à des personnes âgées de plus de 60 ans. En Champagne Ardennes, en 2013, 82 % des montants remboursés correspondaient à des patients âgés de 40 ans à plus de 60 ans (12).
• De nouvelles prises en charge
Le développement de la prise en charge ambulatoire favorise en principe la croissance des frais de déplacement, eu égard à des sorties plus précoces dans des situations médicales plus fragiles.
Ce constat doit néanmoins être nuancé, car comme le rappelaient M. Jean-Christophe Paille, directeur général de l’ARS de Champagne-Ardenne, et Mme Martine Aoustin, directrice générale de l’ARS de Languedoc-Roussillon, le nombre d’entrées et de sorties hospitalières en chirurgie ambulatoire reste inchangé. Cette dernière a souligné, par ailleurs, que si l’accompagnement de la sortie du patient était préparé, il n’aurait pas à revenir à l’établissement de santé pour un suivi.
• La réorganisation territoriale de l’offre de soins et le regroupement des plateaux techniques
Dans les départements ruraux, lorsque des plateaux techniques ont été regroupés, le temps de transport pour accéder aux établissements de santé a pu être allongé et de ce fait devenir plus onéreux. À terme, il serait pertinent, pour votre Rapporteur, que les schémas régionaux d’organisation des soins des ARS prennent en compte la variable du transport sanitaire et qu’un volet transport y figure afin de mieux appréhender l’impact sur les déplacements et les dépenses de transport.
C’est dans cette perspective que l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) a décidé de renforcer son appui aux ARS s’agissant du transport de patients, par le biais de sessions nationales et interrégionales. Ainsi, elle travaille à la mise en place d’un logiciel qui permettrait d’établir une cartographie des transports existants dans une région et qui évaluerait l’impact sur les transports d’une réorganisation de l’offre de soins.
B. UNE OFFRE PARTAGÉE ENTRE DE MULTIPLES ACTEURS
S’agissant des transports programmés, deux catégories de transporteurs prennent en charge les patients.
Les transporteurs sanitaires qui proposent des prestations en ambulances (transport couché) ou en véhicules sanitaires légers, les VSL, (transport assis professionnalisé) qui sont régis par le code de la santé publique et relèvent du ministère des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes. L’article L. 6312-1 du code de la santé publique définit le transport sanitaire comme « tout transport d’une personne malade, blessée ou parturiente, pour des raisons de soins ou de diagnostic, sur prescription médicale ou en cas d’urgence médicale, effectué à l’aide de moyens de transports terrestres, aériens ou maritimes, spécialement adaptés à cet effet ».
Les taxis, quant à eux, assurent uniquement des transports assis, dont la réglementation figure au code des transports et dont la tarification dépend du ministère de l’intérieur.
Il convient néanmoins de mentionner l’existence des entreprises de transport sanitaires mixtes qui disposent d’un parc de véhicules comprenant aussi bien des ambulances, que des VSL ou des taxis. L’assurance maladie estime que 40 % à 50 % des entreprises de transport sanitaire posséderaient également une flotte de taxis.
S’agissant des transports urgents pré-hospitaliers, s’ajoutent aux transporteurs sanitaires mentionnés ci-dessus, ceux relevant du service public de l’urgence, la structure mobile d’urgence et de réanimation pré-hospitalière (SMUR) et les services d’incendie et de secours (SDIS).
1. Les transporteurs sanitaires
● Les catégories de véhicules
L’article R. 6312-8 du code de la santé publique prévoit quatre catégories de véhicules de transport sanitaire.
– Les véhicules spécialement aménagés qui comptent trois sous-catégories :
• les ambulances de secours et de soins d’urgence (ASSU) de catégorie A ;
• les voitures de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) de catégorie B ;
• les ambulances de catégorie C.
– Les VSL de catégorie D.
Selon l’article L. 6312-2 du code de la santé publique, toute personne effectuant un transport sanitaire (ambulance et VSL) doit être agréée par le directeur général de l’ARS. Pour obtenir cet agrément, l’entreprise de transport sanitaire doit disposer d’au moins deux véhicules dont au moins un des catégories A ou C.
Seuls les titulaires d’un agrément d’un transport ambulancier peuvent par ailleurs disposer d’un agrément VSL.
Il n’existe plus de contingentement du nombre de VSL en fonction du nombre d’ambulances (13).
● La composition de l’équipage
L’équipage doit être constitué pour les véhicules de catégorie A, B et les ambulances d’au moins deux personnes dont l’une doit disposer du diplôme d’État d’ambulancier ou du certificat de capacité d’ambulancier. La deuxième personne peut être auxiliaire ambulancier ou conducteur d’ambulance.
Pour les véhicules VSL, la présence d’une personne titulaire soit du diplôme d’État d’ambulancier ou du certificat de capacité d’ambulancier, soit de l’attestation d’auxiliaire ambulancier est exigée.
Depuis l’arrêté du 26 janvier 2006 (14), la formation exigée pour être ambulancier est plus contraignante. Au moins un des membres de l’ambulance doit être titulaire d’un diplôme d’État d’ambulancier, obtenu après une formation de 630 heures d’enseignement clinique et théorique (15). Les conducteurs de VSL doivent avoir suivi une formation d’auxiliaire ambulancier de 70 heures.
● Selon l’article L. 6312-4 du code de la santé publique, dans chaque département, le directeur général de l’ARS délivre une autorisation de mise en service des véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres selon un plafond fixé en fonction des besoins sanitaires de la population. Ce plafond peut être modulé de plus ou moins 10 % (16).
Ce plafond est fixé en deux temps.
En premier, un indice national de besoins de transports sanitaires (nombre de véhicules par habitant) est arrêté par le ministre chargé de la santé selon un classement des communes par tranches (17).
– pour les communes de 10 000 habitants et plus, un véhicule pour chaque tranche de 5 000 habitants par département ;
– pour les communes de moins de 10 000 habitants, un véhicule pour chaque tranche de 2 000 habitants par département.
Ensuite, dans chaque département, le directeur général de l’ARS fixe le nombre théorique de véhicules affectés aux transports sanitaires en appliquant à la population du département l’indice national précité.
La minoration ou majoration de ce nombre théorique prend en compte :
– les caractéristiques démographiques, géographiques ou d’équipement sanitaire du département ;
– la fréquentation saisonnière ;
– la situation locale de la concurrence dans le secteur ;
– le taux d’utilisation des véhicules. Ce taux correspond au temps de disponibilité des véhicules utilisés par rapport au temps de disponibilité total. Cette nouvelle disposition a pour but d’adapter le quota départemental du nombre théorique de véhicules au besoin réel de transports sanitaires.
L’ARS procède à une visite systématique pour chaque nouveau véhicule mis en service. Les inspections sont variables selon les régions. En Champagne-Ardenne, il est prévu une inspection tous les trois ans par entreprise ou gestionnaire.
● Afin que leurs patients soient pris en charge par l’assurance maladie, les transporteurs doivent avoir adhéré à la convention nationale établie entre l’assurance maladie et les organisations professionnelles les plus représentatives de transporteurs sanitaires (18). Cette convention fixe les tarifs qui comprennent un forfait de prise en charge et un tarif kilométrique. Le forfait est identique pour le lieu de prise en charge pour les ambulances mais varie selon le département pour les VSL.
La structure économique de la profession fait apparaître un secteur très atomisé, composé majoritairement de très petites entreprises.
Selon M. Thierry Schifano, président de la Fédération nationale des transporteurs sanitaires (FNTS), seulement 4 % des entreprises comprennent plus de 50 salariés. Elles emploient en moyenne une dizaine de salariés. Le secteur n’a pas encore trouvé les moyens de se restructurer par crainte du dépassement des seuils sociaux, ce qui se traduit par son atomisation : on est ainsi passé de 4 660 entreprises en 2006 à 5 560 entreprises en 2012. Les effectifs ont également progressé, passant de 49 553 salariés à 54 304 personnes en 2012 (19).
Les entreprises de taxis doivent disposer d’une autorisation de stationnement délivrée par le maire, après avis consultatif d’une commission départementale ou communale (20). Le maire fixe le nombre de taxis admis à être exploités dans sa commune, attribue les autorisations de stationnement sur la voie publique dans l’attente de la clientèle et délimite les zones de prise en charge (21).
L’article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales a transféré cette prérogative au président de l’établissement public de coopération intercommunale lorsque ce dernier est compétent en matière de voirie (22).
Dans Paris et sa petite couronne, la gestion est assurée par le préfet de police de Paris dans le cadre communal.
Dans les zones aéroportuaires, les autorisations relèvent de l’État.
Selon l’article L. 322-5 du code de la sécurité sociale, les entreprises de taxi doivent être conventionnées avec un organisme local d’assurance maladie pour permettre à leurs clients d’être remboursés par l’assurance maladie.
Les conditions fixées dans la convention type à destination des entreprises de taxis et des organismes locaux d’assurance maladie sont limitées :
– le véhicule doit avoir été exploité de façon effective et continue en taxi depuis plus de deux ans ;
– le chauffeur doit fournir des pièces justificatives liées aux conditions administratives requises pour exercer la profession ;
– le chauffeur doit attester de l’absence de condamnation pour fraude dans les trois ans qui précèdent la demande.
La convention, conclue pour une durée de cinq ans au plus, détermine « les tarifs de responsabilité qui ne peuvent excéder les tarifs des courses de taxis résultant de la réglementation des prix applicable à ce secteur et fixe les conditions dans lesquelles l’assuré peut être dispensé de l’avance de frais. ».
La tarification repose sur un forfait de prise en charge auquel s’ajoutent des tarifs kilométriques. Les temps d’immobilisation du véhicule, le temps d’approche ainsi que des retours à vide peuvent être facturés.
L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) recense 32 000 entreprises de taxi dont 80 % sont exploitées par des artisans et 6 % par des sociétés.
La mission de concertation taxis-VTC (23) estime que le transport de malades assis représente 70 % à 90 % de l’activité des taxis en zone rurale et 10 % à 40 % des autres zones, à l’exception des grandes métropoles.
En zone rurale, les représentants des chauffeurs de taxis auditionnés ont confirmé que 90 % à 95 % de leur activité étaient consacrés au transport de patients, qui rapporterait entre 30 000 et 40 000 euros par an.
Selon ces représentants des chauffeurs de taxis, leur offre est complémentaire aux entreprises de transport sanitaire dans les zones rurales. En effet, M. Gérard Gabet, président de la Fédération française des taxis de province (FFTP), a relevé que les entreprises de transport sanitaires privilégiaient une implantation au plus près des centres de soins afin de rentabiliser leurs activités de TAP et délaissaient les zones reculées.
3. L’organisation spécifique des transports urgents pré-hospitaliers
a. Le service mobile d’urgence et de réanimation
Le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) prend en charge un patient qui requiert une prise en charge médicale urgente et le transporte vers un établissement de santé et assure le transfert du patient vers un autre établissement, lorsque ce dernier nécessite une prise en charge médicale durant le trajet (24). Cette unité est basée à l’hôpital.
Elle dispose de véhicules de catégorie A dont l’équipage comprend au moins un médecin urgentiste, un infirmier et un conducteur titulaire du diplôme d’État d’ambulancier (25).
b. Les services d’incendie et de secours
En vertu de l’article L.1424-2 du code général des collectivités territoriales, les services d’incendie et de secours mettent en œuvre les secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation. Leur spécificité réside donc dans ce cumul entre une évacuation vers un centre hospitalier et une assistance médicale et sanitaire.
Néanmoins, comme l’a rappelé le docteur Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, « les transports sanitaires ne sont pas au cœur de la mission des sapeurs-pompiers dont la vocation première est le secours aux personnes. ».
Au sein de ces services, le service de santé et de secours médical assure le soutien sanitaire et concourt aux transports sanitaires dans le cadre de l’aide médicale urgente.
Ils disposent de véhicules de catégorie B dont l’équipage comprend trois sapeurs-pompiers secouristes.
Les transporteurs sanitaires privés peuvent également intervenir dans le cadre de l’urgence pré-hospitalière, définie comme toute demande d’intervention non programmée nécessitant une réponse rapide et adaptée à l’état du patient (26).
Selon l’article R. 6312-11 du code de la santé publique, l’agrément délivré aux transporteurs sanitaires ouvre droit à titre principal à la participation à l’aide médicale urgente. Le référentiel du 9 avril 2009 d’organisation de la réponse ambulancière à l’urgence pré-hospitalière conforte cette mission : « les ambulanciers, professionnels de santé, ont vocation à être missionnés par la régulation du SAMU-Centre 15 pour participer à la prise en charge des urgences vitales, dans l’intérêt du patient ».
Chaque département est divisé en secteurs de garde par le directeur de l’agence régionale de santé en tenant compte de plusieurs facteurs :
– les délais d’intervention ;
– le nombre d’habitants ;
– les contraintes géographiques ;
– la localisation des établissements de santé ;
– les territoires de permanence des soins.
Le directeur établit un tableau de garde pour l’année, après avis de l’association départementale des transports sanitaires urgents et du comité de l’aide médicale urgente des transports sanitaires. Ce tableau est révisable trimestriellement.
Entre 20 heures et 8 heures du matin tous les jours et entre 8 heures et 20 heures les week-ends et jours fériés, une garde ambulancière est organisée dans chaque département (27). Les entreprises qui participent à la garde doivent réserver au moins un véhicule de catégorie A ou C avec un équipage composé d’au moins deux personnes dont l’une est titulaire du diplôme d’État d’ambulancier (28).
TRANSPORTS TERRESTRES DE PATIENTS
Moyens de transport |
Ambulance de secours et de soins d’urgence (ASSU) |
Voiture de secours aux asphyxiés et victimes (VSAV) |
Ambulance |
Véhicule sanitaire léger (VSL) |
Taxi |
Transport en commun / véhicule individuel |
Catégorie de véhicule affecté au transport sanitaire |
OUI Catégorie A |
OUI Catégorie B |
OUI Catégorie C |
OUI Catégorie D |
NON |
NON |
Personnel |
2 personnes dont au moins une titulaire du diplôme d’État d’ambulancier |
2 personnes dont au moins une titulaire du diplôme d’État d’ambulancier ou sapeur-pompier |
2 personnes dont au moins une titulaire du diplôme d’État d’ambulancier |
1 personne titulaire du diplôme d’État d’ambulancier ou d’auxiliaire ambulancier |
||
Prise en charge |
Assurance maladie sur enveloppe dépenses hospitalières dans le cadre de la permanence des soins en établissement de santé |
Assurance maladie sur enveloppe dépenses hospitalières en cas d’intervention du SDIS si carence ambulancière Collectivités territoriales en cas d’intervention du SDIS lors d’un « prompt secours » |
Assurance maladie sur enveloppe soins de ville |
Assurance maladie sur enveloppe soins de ville |
Assurance maladie sur enveloppe soins de ville |
Assurance maladie sur enveloppe soins de ville |
C. UNE PRISE EN CHARGE SOUS CONDITIONS
La prise en charge des dépenses de transport du patient est loin d’être automatique. Il convient, en premier lieu, de distinguer les transports programmés, de ceux de l’urgence pré-hospitalière, qui relèvent de réglementations et de prises en charge différentes.
a. Une prise en charge sous conditions
L’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale pose le principe de la couverture par l’assurance maladie des frais de transport de l’assuré ou des ayants droit dans des conditions et limites tenant compte de l’état du malade et du coût du transport.
Cette couverture est soumise à deux conditions :
1) soit le déplacement est lié à une obligation de recevoir des soins ou de subir des examens appropriés à l’état de santé de l’assuré.
L’article R. 322-10 du même code liste les situations relevant de cette obligation :
– une hospitalisation (entrée et/ou sortie de l’hôpital), quelle que soit sa durée (complète, partielle, ou ambulatoire) ;
– des traitements ou examens prescrits à des malades souffrant d’une affection de longue durée (ALD) ;
– un transport en ambulance justifié par l’état du malade ;
– une prise en charge dans un lieu distant de plus de 150 km ;
– des transports en série liés à au moins quatre traitements sur deux mois vers un lieu distant de plus de 50 km.
2) soit le déplacement de l’assuré est lié à un contrôle en application de la législation de la sécurité sociale, comme notamment la fourniture d’appareillage ou la convocation à un contrôle médical.
Cette couverture est encadrée :
– l’article L. 322-5 du code de la sécurité sociale précise que cette couverture s’effectue sur la « base du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec l’état du bénéficiaire ». L’appréciation du mode de transport relève du prescripteur.
– les différents modes de transport susceptibles d’être pris en charge sont définis à l’article R. 322-10-1 du même code :
• l’ambulance ;
• le transport assis professionnalisé qui comprend les véhicules sanitaires légers (VSL) et les taxis ;
• l’avion ou le bateau de ligne régulière ;
• les moyens de transports individuels, les transports en commun terrestres.
Face à l’augmentation continue des dépenses, l’assurance maladie a établi en 2006 (29) un référentiel de prescription venant préciser l’utilisation de ces différents moyens de transport et complétant l’article L. 322-5 précité. Prévu à l’article R. 322-10-1 du code de la sécurité sociale, ce référentiel « précise les situations dans lesquelles l’état du malade justifie la prescription des modes de transport en fonction de l’importance des déficiences et incapacités et de leurs incidences. ».
1) « Un transport par ambulance peut être prescrit seulement lorsque l’assuré ou l’ayant droit présente au moins :
• une déficience ou des incapacités nécessitant un transport en position obligatoirement allongée ou demi-assise,
• un transport avec surveillance par une personne qualifiée ou nécessitant l’administration d’oxygène,
• un transport avec brancardage ou portage,
• un transport devant être réalisé dans des conditions d’asepsie. »
2) Un transport assis professionnalisé peut-être prescrit seulement lorsque le patient présente au moins :
« • une déficience ou incapacité physique invalidante nécessitant une aide au déplacement technique ou humaine mais ne nécessitant ni brancardage ni portage ;
• une déficience ou incapacité intellectuelle ou psychique nécessitant l’aide d’une tierce personne pour la transmission des informations nécessaires à l’équipe soignante en l’absence d’un accompagnant ;
• une déficience nécessitant le respect rigoureux des règles d’hygiène ;
• une déficience nécessitant la prévention du risque infectieux par la désinfection rigoureuse du véhicule. »
L’assuré ou l’ayant droit doit présenter une prescription médicale de transport qui indique le motif et le mode de transport retenu ainsi qu’une facture délivrée par le transporteur ou un justificatif de transport (30).
Les praticiens hospitaliers délivrent plus de la moitié de ces prescriptions ; en 2012, ils ont été à l’origine de 63 % des dépenses de transport prises en charge sur les soins de ville, soit environ 2 milliards d’euros. 51 % de ces prescriptions proviennent d’établissements de santé publics pour 1,9 milliard d’euros et 12 % sont issues des établissements privés pour 435,5 millions d’euros.
Une entente préalable est nécessaire dans plusieurs cas (31) :
– une prise en charge dans un lieu distant de plus de 150 km ;
– les transports en série (32) ;
– les transports maritimes et aériens.
Le remboursement des frais de transport liés à une hospitalisation s’effectue sur la base de la distance parcourue pour les trajets de moins de 15 km (33).
Le remboursement des frais de transport liés soit à des traitements ou examens prescrits à des malades souffrant d’une affection relevant de l’ALD, soit à une prise en charge dans un lieu distant de plus de 150 km ou à des transports en série est calculé sur la base de la distance séparant le point de prise en charge du malade de la structure de soins prescrite appropriée la plus proche (34).
De manière générale, les frais de transport en taxi conventionné, en VSL ou en ambulance sont remboursés à 65 % sur la base des tarifs conventionnels (35).
Le remboursement à 100 % intervient notamment pour :
– les transports liés aux traitements ou examens pour les patients reconnus atteints d’une affection de longue durée et présentant une des incapacités ou déficiences définies par le référentiel de prescription des transports. Cette dernière condition de prise en charge liée à l’état de santé a été complétée par le décret du 10 mars 2011 (36) ;
– les transports liés aux traitements ou examens en rapport avec un accident du travail ou une maladie professionnelle ;
– les transports des personnes relevant du régime d’assurance maladie d’Alsace-Moselle ;
– les transports des personnes titulaires d’une pension d’invalidité, d’une pension militaire, d’une pension vieillesse substituée à une pension d’invalidité, d’une pension de veuf ou de veuve invalide, d’une rente pour un accident du travail ou une maladie professionnelle avec un taux d’incapacité supérieur à 66,66 % ;
– les transports des personnes bénéficiaires de la CMU complémentaire ou de l’aide médicale de l’État et des soins urgents.
Une franchise médicale s’applique aux transports en ambulance, en taxi conventionné et en VSL (37). Son montant est de deux euros par trajet, avec un plafond journalier fixé à quatre euros par jour et par transporteur pour un même patient, et un plafond annuel fixé à cinquante euros.
2. Les transports urgents pré-hospitaliers
La réponse à l’urgence pré-hospitalière non programmée repose sur la qualité de la prise en charge, la proximité et la rapidité d’accès. C’est pourquoi, le pilotage est assuré par un acteur unique, le SAMU (service d’aide médicale urgente) – Centre 15.
Selon l’article R. 6311-1 du code de la santé publique, le SAMU a « pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d’urgence. » Le médecin régulateur est chargé d’évaluer la gravité de la situation et de mobiliser l’ensemble des ressources disponibles.
À ce titre, il organise, le cas échéant, « le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaire ».
Ainsi, le centre de réception et de régulation des appels aura recours soit à un véhicule de la structure mobile de réanimation pré-hospitalière (SMUR) soit à un véhicule des services d’incendie et de secours (SDIS), soit à une ambulance relevant d’une entreprise privée de transport sanitaire.
Même si le SAMU exerce des missions de soins tandis que les SDIS exercent des activités de secours, le docteur François Braun, président du SAMU-Urgences de France, a souligné l’exemplarité de la coopération entre ces deux services publics qui travaillent étroitement en commun.
b. Un financement différent selon les intervenants et la nature des missions
La prise en charge des transports urgents est différenciée selon les intervenants et selon le type de missions effectuées.
S’agissant des sapeurs-pompiers, des conventions sont conclues entre le SAMU et les services d’incendies et de secours afin de fixer les conditions de prise en charge financière de leurs interventions par l’établissement de santé siège du SAMU lorsqu’elles ont eu lieu à la demande du Centre 15 en cas de carence ambulancière (38).
Ces conventions peuvent choisir entre deux modalités :
– le montant de l’indemnisation est fixé de manière forfaitaire en début d’année, notamment sur la base du nombre d’interventions constatées l’année précédente ;
– le montant de l’indemnisation correspond à un tarif national fixé chaque année et applicable à chaque intervention.
Si l’intervention du SDIS a eu lieu dans le cadre de ses missions de service public de l’urgence (39) et de prompt secours défini « comme une action de secouristes agissant en équipe et visant à prendre en charge sans délai les détresses vitales ou à pratiquer sans délai des gestes de secourisme », elle est à la charge des collectivités territoriales .
S’agissant des transporteurs privés, la tarification est composée d’un forfait et d’une indemnité de garde de 346 euros, par période de 12 heures. Un abattement de 60 % est pratiqué sur le tarif conventionnel (40).
II. UN SECTEUR QUI CONNAÎT D’IMPORTANTES « DÉRIVES »
Profitant d’un pilotage éclaté, l’offre de transport a dépassé les plafonds autorisés au profit des modes les plus onéreux. Par ailleurs, les lacunes du contrôle de l’assurance maladie ont accentué la progression des dépenses.
De nombreux acteurs pilotent la question des transports de patients : au niveau ministériel, le ministère des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes et celui de l’intérieur et au niveau territorial, les agences régionales de santé (ARS) et les caisses primaires locales d’assurance maladie.
1. Un pilotage ministériel partagé
Deux ministères, celui des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes ayant en charge les transports sanitaires et celui de l’intérieur gérant le parc de taxis, pilotent le transport de patients.
De plus, au sein du ministère affaires sociales, de la santé et du droit des femmes, deux directions traitent de la question du transport des patients : la direction de la sécurité sociale (DSS) et la direction de l’organisation des soins (DGOS).
La DSS élabore la réglementation relative aux transporteurs sanitaires et les conditions de prise en charge.
Le transport étant un maillon dans le parcours de soins, à ce titre, la DGOS est compétente pour réglementer l’activité de transport (agrément des entreprises ou autorisation de mise en service des véhicules) et pour superviser l’organisation territoriale des transports, notamment les transports urgents. Elle joue également un rôle d’interface avec les ARS.
Comme l’a relevé M. Didier Eyssartier, cette particularité complique le pilotage de ce dossier. Dans d’autres domaines, tels que celui du travail ou de l’emploi, une seule direction est compétente au niveau ministériel et identifiée comme l’interlocuteur par les acteurs.
Ce double pilotage ministériel empêche une harmonisation des politiques tarifaires et de la structure de l’offre.
En effet, s’agissant du TAP, le tarif des VSL est fixé par le ministère des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes tandis que le tarif des taxis est fixé par un arrêté du ministère de l’économie et des finances, en concertation avec le ministère de l’intérieur et décliné localement par des arrêtés préfectoraux. Ce dernier point entraîne, de plus, des variations tarifaires selon les départements. La tarification des taxis échappe donc à la régulation de la CNAMTS, les caisses primaires ne pouvant que négocier des réductions avec les représentants locaux des chauffeurs de taxi lors de la conclusion de conventions locales.
Cette différence de tarification dans le TAP s’est effectuée au détriment du VSL.
Quant à l’offre, les autorisations de stationnement des taxis sont délivrées soit par l’État ou les maires, sans tenir compte des principes fixés dans le code de la santé publique régissant les plafonds de véhicules fixés selon les besoins sanitaires de la population. A contrario, les autorisations de mise en service des VSL par le directeur général de l’ARS ne prennent pas en considération le parc de taxis disponible, si bien que sa décision est fondée sur une partie seulement de l’offre.
2. Une double tutelle territoriale
Les agences régionales de santé et les caisses primaires locales d’assurance maladie interviennent dans l’organisation des transports sanitaires, sur deux plans différents.
L’agence régionale de santé accorde les agréments aux entreprises de transport sanitaire (41) et les autorisations de mise en service de leurs véhicules (42).
La caisse primaire d’assurance maladie, quant à elle, est en charge du conventionnement avec les entreprises de transports sanitaires (43).
La coordination entre ces deux procédures est insuffisante.
Comme le relève la Cour des comptes (44), si un retrait d’agrément entraîne automatiquement un déconventionnement, l’inverse ne s’applique pas. Les conséquences de cette sanction peuvent alors être contournées. En outre, de nombreuses entreprises de transport sanitaires, constituées en SARL sur plusieurs départements, peuvent mutualiser leurs moyens pour continuer à exercer (45).
M. Mathieu Frelaut, directeur adjoint de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, a cité un exemple particulièrement édifiant, dans le ressort de sa caisse, d’un transporteur déconventionné, dont le retrait d’agrément est intervenu dix années après.
Ce point est accentué par l’absence de participation des caisses primaires d’assurance maladie au sous-comité des transports sanitaires. Institué par l’article R. 6313-5 du code de la santé publique, cette structure coprésidée par le directeur général de l’ARS et le préfet est composée de représentants de transporteurs sanitaires, des sapeurs-pompiers, de directeurs d’établissements de santé et de médecins. Ce sous-comité donne son avis avant tout retrait d’agrément et peut être saisi par l’un de ses coprésidents de tout problème relatif aux transports sanitaires (46).
B. UNE GESTION DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE NON MAÎTRISÉE
Bien que la création d’une entreprise de transport sanitaire et la délivrance d’une autorisation de stationnement d’un taxi soient encadrées et que toute mise en service d’un véhicule sanitaire de type ambulance ou VSL doive faire l’objet d’une autorisation du directeur général de l’ARS compétente en fonction des besoins sanitaires de la population, les plafonds de véhicules de transport de patients ont été dépassés et contournés : force est de constater que a posteriori l’offre a induit la demande.
Le nombre moyen de véhicules, en 2013, pour 100 000 habitants en France est de 23,3 pour les ambulances, de 27,8 pour les VSL et de 63,3 pour les taxis.
En 2013, on dénombrait 13 979 ambulances, en légère diminution par rapport à 2012 (– 0,1 %), tout comme les 14 027 VSL (– 0,4 %). En revanche, le parc de taxis continue son impressionnante progression : il est ainsi passé de 31 400 véhicules conventionnés en 2009 à 37 100 en 2013 et a connu une augmentation de 2,7 % cette dernière année par rapport à 2012.
1. Des stratégies d’optimisation par les transporteurs
a. Une demande influencée par l’offre
La Cour des comptes en fait le constat : plus le parc de véhicules est dense, plus le nombre de prescriptions est important.
Comme l’a rappelé M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales, le parc de véhicules sanitaires se situe au-delà des normes fixées en fonction des besoins sanitaires de la population (47).
La Cour des comptes (48), de son côté, relève que le plafond des transports sanitaires n’est pas respecté pour plus des deux tiers des départements. Dans certains départements, les taux de dépassement des équipements en transport sanitaire (ambulances et VSL) autorisés par la réglementation sont particulièrement importants. Elle cite les départements de la Somme (dépassement de 123 %), de la Réunion (100 %), de l’Aisne (65 %) et de la Seine-Saint-Denis (54 %).
Lors de son audition, M. François Maury, directeur général de l’ARS de Poitou-Charentes, a également souligné que sa région avait dépassé le plafond autorisé des transports sanitaires.
Par ailleurs, on assiste à une explosion du parc de taxis en milieu rural. Dans les petites communes, les maires ont délivré généreusement des autorisations de stationnement et le conventionnement avec l’assurance maladie étant quasi-automatique, un effet d’aubaine s’est créé. Ces artisans taxis réalisent de 80 % à 90 % de leur activité avec le transport de patients.
b. Un contournement des plafonds entre les catégories de véhicules
Parallèlement au dépassement des plafonds, les entreprises de transport sanitaire ont développé des stratégies d’optimisation. Ainsi, elles ont favorisé les moyens de transport qui leur étaient les plus rentables, à savoir l’ambulance et le taxi. Le parc d’ambulances a été étoffé au détriment des VSL, profitant du fait que la transformation d’un VSL en ambulance n’était pas soumise à autorisation. À titre d’exemple, dans le Val d’Oise, sur 68 sociétés, 28 seulement sont dotées de VSL, dont 15 ne disposent que d’un seul véhicule.
Pour assurer le TAP, nombre d’entreprises de transport sanitaire ont contourné le plafond du parc de VSL en se dotant de véhicules taxis dans leur flotte et privilégient ce mode de transport. La Cour des comptes (49) a relevé qu’ainsi les entreprises de transport sanitaires optimisaient leur facturation. En effet, le montant moyen d’un trajet en taxi est de 48 euros alors qu’il n’est que de 31 euros pour un déplacement en VSL (50).
Lors de son audition, M. Bernard Pelletier, président de la Fédération nationale des ambulanciers privés (FNAP), a confirmé que lors d’un changement de direction, si l’entreprise se voyait refuser l’agrément au motif qu’elle avait déjà atteint son plafond de VSL, elle se tournait vers l’obtention d’autorisations de stationnement de taxis.
Les représentants des transporteurs sanitaires n’ont pu donner de chiffres précis mais ont estimé que 40 % à 50 % des entreprises du secteur possédaient un parc de taxis.
Par ailleurs, le contingentement de l’offre a entraîné le développement d’un commerce lucratif entre les entreprises du secteur qui peuvent transférer leurs autorisations de mises en service de leurs véhicules sanitaires, ce qui donnerait lieu à des transactions conséquentes, pouvant aller jusqu’à 250 000 euros.
c. De nouvelles règles plus restrictives
Afin de limiter cette progression du parc de véhicules affectés au transport de patient et d’assurer une meilleure adéquation aux besoins de la population, le ministère des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes a choisi de réorienter l’offre de TAP vers les VSL et de mieux encadrer les mises en services de nouveaux véhicules de transport sanitaire.
Afin de rééquilibrer l’offre en faveur des VSL et de mieux respecter les plafonds départementaux de nombre théorique de véhicules, en août 2012, un décret (51) a modifié les conditions d’agrément et d’autorisation de mise en service des véhicules de transports sanitaires.
En premier lieu, ce décret a supprimé le contingentement du nombre de VSL par ambulance détenu par une entreprise (52). Auparavant, une entreprise agréée était tenue de respecter un plafond de deux VSL par ambulance ; dorénavant, elle pourra disposer par exemple de quatre VSL et d’une ambulance.
En deuxième lieu, le quota départemental de véhicules sanitaires a été modulé. Un critère supplémentaire, le taux d’utilisation des véhicules de transport sanitaires qui correspond au temps de disponibilité des véhicules sanitaires utilisés pour transporter des patients par rapport au temps de disponibilité total, complète les conditions pour minorer ou majorer le nombre théorique par département de véhicules sanitaires.
En troisième lieu, les autorisations de mises en service de véhicules sanitaires délivrées après le 1er septembre 2012 doivent être accordées en fonction de priorités d’attribution définies par le directeur général de l’ARS après avis du sous-comité des transports sanitaires. Ces priorités comprennent notamment la catégorie du véhicule, le lieu d’implantation et la situation locale de la concurrence. Ainsi le directeur général pourra refuser une demande d’autorisation de mise en service d’un véhicule sanitaire, même si le plafond des autorisations n’est pas dépassé, si elle ne correspond pas aux priorités définies (53).
Enfin, le contournement du plafonnement des VSL et des ambulances, par l’intermédiaire de la procédure du transfert d’autorisation de mise en service, a été rendu plus difficile. En plus des deux motifs existants, la satisfaction des besoins sanitaires de la population et la situation locale de la concurrence, le décret prévoit deux nouveaux motifs de refus : le respect du nombre théorique de véhicules affectés aux transports sanitaires mentionné à l’article R. 6312-30 du code de la santé publique et la maîtrise des dépenses de transports de patients. Le motif financier peut donc être invoqué par l’ARS pour refuser un transfert d’autorisation.
M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales, n’a pu donner une première évaluation de la mise en œuvre de ce décret.
M. Christophe Paille, directeur général de l’ARS de Champagne-Ardenne, a indiqué qu’il n’accordait plus de nouveaux agréments et utilise désormais deux critères pour accorder de nouvelles autorisations de mises en service de véhicules : l’évolution des besoins sanitaires de la population et les caractéristiques de la concurrence sur la zone géographique.
Dans ce même esprit, l’assurance maladie incite à la conclusion de contrat d’amélioration de la qualité et de la coordination des soins (CAQCS) (54) entre le transporteur sanitaire privé conventionné et l’ARS de sa région. Ce dernier prévoit le versement d’une contrepartie financière si les engagements assignés au transporteur ont été tenus et les objectifs fixés atteints.
Les engagements sont les suivants :
– ne pas diminuer le nombre de VSL dont le transporteur dispose ;
– enregistrer son personnel et ses véhicules sur le répertoire national des transporteurs auprès de sa caisse primaire ;
– atteindre un taux minimal de factures en ligne.
Les objectifs à atteindre consistent à :
– mettre à disposition des assurés des VSL, en atteignant un montant annuel de dépenses remboursables par VSL supérieur à une valeur précisée ;
– assurer le transport partagé.
Au bout d’une année civile, l’ARS réalise un bilan du contrat sur la base des données fournies par la caisse primaire. Si les engagements et objectifs ont été respectés, l’ARS demande à la caisse de verser au transporteur une contrepartie financière.
2. Une offre de transport assis déséquilibrée
L’offre de transport dans le cadre du transport assis professionnalisé repose sur un régime inégalitaire. En effet, d’importantes différences, que ce soit en termes de réglementation ou de tarification, existent entre les véhicules sanitaires, à savoir les VSL, et les taxis, tous deux chargés d’assurer le transport assis de patients.
Tout d’abord, la régulation de l’offre est soumise à deux logiques différentes.
Les entreprises de transport sanitaire sont agréées en fonction des besoins sanitaires de la population tandis que la délivrance de l’autorisation de stationnement aux entreprises de taxi (55) n’est pas liée à leur activité de transport de patients.
De plus, s’agissant des entreprises de transport sanitaire, la mise en service de leurs VSL est soumise au respect d’un plafond (56).
Ensuite, les exigences de formation sont différentes. La convention type de 2008 (57) conclue entre l’assurance maladie et les entreprises de taxis n’impose que la présence d’une trousse de secours, le respect rigoureux de règles d’hygiène et une aide au déplacement et à l’installation du patient dans le véhicule, alors que les entreprises de transports sanitaires doivent respecter des conditions de formation de leurs personnels et d’équipement beaucoup plus rigoureuses, mentionnées ci-dessus.
Quant au système de tarification, il n’est pas homogène. Les principes de base sont similaires, reposant sur un forfait de prise en charge et un tarif kilométrique majoré la nuit et le week-end. Néanmoins la part du forfait dans le prix est plus importante pour le VSL et les taxis peuvent facturer les temps d’immobilisation du véhicule ainsi que des retours à vide, difficilement contrôlables.
De plus, la tarification des VSL est fixée par une convention nationale tandis que, pour les taxis, la réglementation tarifaire suit des conventions conclues dans chaque département.
TRANSPORT ASSIS PROFESSIONNALISÉ (TAP)
VSL |
Taxi conventionné | |
Agrément |
accordé par le directeur général de l’ARS |
non |
Mise en service des véhicules |
autorisation donnée par le directeur général de l’ARS |
autorisation de stationnement délivré par le maire de la commune après avis de la commission départementale |
Limitation du nombre de véhicules |
nombre théorique de véhicules fixé par département en fonction des besoins sanitaires de la population |
Utilisation du véhicule comme taxi de façon continue depuis au moins deux ans |
Formation |
– être titulaire du diplôme d’auxiliaire ambulancier – disposer de l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgences de niveau 2 (AFGSU2) |
– être titulaire du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi – disposer de la formation prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1) |
Tarification |
– forfait de prise en charge – tarif au km (avec majoration la nuit et le week-end) |
– forfait de prise en charge tarif au km (avec majoration la nuit et le week-end) – facturation du temps d’immobilisation du véhicule et du retour à vide |
Transport partagé |
oui |
non |
Tiers payant |
oui |
oui mais ne prennent pas la carte Vitale |
Utilisation des couloirs de bus |
non |
oui |
Ces différences, expliquent la diminution de l’activité des VSL dans le transport assis professionnalisé, devenu moins rentable, au profit des taxis. La mission de concertation taxis-VTC indique dans son rapport (58) que les taxis assurent désormais 55 % du TAP.
3. Les dysfonctionnements de la garde ambulancière
L’aide médicale urgente peut nécessiter des missions de secours et/ ou des missions de soins. Cette ambiguïté a entraîné de fait une superposition d’acteurs, sapeurs-pompiers, SAMU et ambulanciers, dont certaines missions peuvent se recouper.
Le Centre 15, chargé de la régulation des transports urgents pré-hospitaliers, est confronté à des difficultés de coordination et manque de visibilité sur les moyens de transport mis à sa disposition.
Si le tableau de garde mentionne la liste des entreprises privées de transport sanitaire, n’y figure pas la catégorie de leurs véhicules, ni leur équipement et la formation du personnel. De plus, le médecin régulateur ne sait pas quels véhicules sont disponibles au moment où il reçoit l’appel.
Dans les faits, le SAMU et les sapeurs-pompiers déplorent la fréquence des indisponibilités des transporteurs sanitaires privés, appelées carence ambulancière (59). Le docteur Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, a estimé à 338 000 le nombre de leurs interventions liées à ces carences sur trois millions d’interventions de secours aux personnes, soit environ 10 %.
Les représentants des transports urgents pointent de leur côté « le départ réflexe » (60) des sapeurs-pompiers lors d’un appel au 18, sans évaluation de la situation, d’où des carences ambulancières dites déclaratives, où dans les faits, les ambulances n’ont pas été sollicitées. Selon M. Thomas Stephan, conseiller technique de l’union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF), 20 % des secours à personne assurés par les SDIS sont des transports sanitaires, décidés en situation de départ réflexe et de prompt secours. Ce volume d’activité qui est perdu pour les transporteurs sanitaires accentue le manque de rentabilité des gardes. Le docteur Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, réfute cette analyse, en arguant que les sapeurs-pompiers n’ont aucun intérêt à multiplier les interventions sur le terrain car leur financement n’est pas lié au volume d’activité.
Deux points expliquent en partie ces carences.
Le premier tient au découpage du secteur.
La réglementation de la garde ambulancière est uniforme et ne tient pas compte de l’activité constatée des services d’urgence sur les territoires ; la Cour des comptes souligne dans son rapport (61) que, selon les départements, l’ambulance de garde n’est sollicitée qu’une fois par semaine, comme en Corse du sud, en Loire-Atlantique et en Lozère.
Cette situation se reflète dans la disparité des carences ambulancières selon les départements. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) (62) a relevé que la moyenne nationale en 2012 est de 2,68 carences pour 1 000 habitants. Dans 16 départements on constate une carence inférieure à 1 tandis que dans 5 autres le taux est supérieur à 8 pour 1 000. Le Doubs affiche un taux de presque 10, le Tarn et Garonne 8,8, la Meuse et l’Oise 8,5 et la Moselle 8,2.
Dans les Hauts-de-Seine et dans le Val d’Oise, le système de garde ambulancière n’a pu être mis en place, les entreprises de transport sanitaire contestant les secteurs définis.
Le deuxième point est lié à l’inadaptation de l’indemnisation de la garde ambulancière.
L’abattement de 60 % sur les tarifs conventionnels rend les sorties rentables que si les entreprises de transport sanitaire sont sollicitées pour de deux à trois sorties. Le dispositif actuel est paradoxal puisque l’on se trouve devant une garde qui entraîne des coûts importants pour le transporteur lorsqu’elle est peu mobilisée tout en n’étant pas rentable lorsqu’elle est fortement sollicitée. Selon une étude réalisée par KPMG (63), l’indemnité forfaitaire de 346 euros ne couvrirait que 72 % des coûts fixes de l’entreprise.
M. Didier Eyssartier relevait, dans son rapport (64), que les entreprises pouvaient donc avoir intérêt à ne pas répondre aux besoins de la garde et effectuer des sorties en dehors du dispositif, payées au plein tarif.
Par ailleurs, les conditions d’indemnisation sont restées inchangées depuis 2005 (65).
Le constat final des carences ambulancières est un surcoût pour l’assurance maladie. La FNTS estime le coût moyen d’une intervention par les pompiers autour de 105 euros tandis qu’une intervention de la part d’un transporteur sanitaire privé s’élèverait à 65 euros.
En 2010, la Cour des comptes a estimé le coût total des transports urgents pré-hospitaliers pour l’assurance maladie à 260 millions d’euros dont 17 millions d’euros pour les carences ambulancières.
Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, a chiffré à 5 millions d’euros le coût représenté par la garde ambulancière en Champagne-Ardenne en 2013. Dans le seul département de la Marne, la garde s’est élevée à 1,5 million d’euros.
4. Une gestion défaillante des flux de transport au sein des établissements de santé
L’organisation du circuit des transports au sein des établissements de santé est complexe.
L’ANAP, chargée de travailler sur cette question, a identifié plusieurs points problématiques. M. Christian Espagno, adjoint au directeur général de l’ANAP, a, tout d’abord, insisté sur l’insuffisante organisation des flux de transport et l’absence de procédures standardisées dans les établissements de santé, ce qui donne lieu à des pratiques hétérogènes.
Ensuite, il a déploré que les composantes de la dépense de transport, que ce soit en termes de volume ou de nature des transports ainsi que la part représentée par chaque service ou unité, soient méconnues par l’établissement.
Ce constat se retrouve du côté des transporteurs.
Selon M. Thierry Schifano, président de la FNTS, un des points noirs est le défaut d’anticipation et d’organisation des sorties hospitalières. Ainsi, lors de leur sortie, la majeure partie des patients quitte l’établissement en début d’après-midi, ce qui entraîne un engorgement des transports. Par ailleurs, les transporteurs ne sont pas toujours informés à l’avance des sorties, ce qui empêche toute programmation de leur part.
Les représentants des transporteurs sanitaires et des taxis ont unanimement témoigné de longues attentes lors de la prise en charge de leur patient à l’hôpital, occasionnant un taux d’occupation insuffisant de leurs véhicules, qui plafonnerait entre 45 % et 50 %, et une rentabilité amoindrie.
La mission de concertation taxis-VTC (66) mentionne pour sa part que 50 % du temps des taxis serait consacré à du temps d’attente ou à des retours à vide.
C’est pourquoi, un mécanisme incitatif, les contrats d’amélioration de la qualité et de l’organisation des soins (CAQOS) (67), a été proposé aux établissements de santé afin de les encourager à mieux organiser leurs flux de transport et limiter leurs dépenses afférentes.
Conclu entre les agences régionales de santé, les caisses locales d’assurance maladie et les établissements de santé, ce contrat d’une durée de trois ans comporte :
– un objectif de réduction du taux d’évolution des dépenses de transport de l’établissement en lien avec le taux national ;
– un objectif d’amélioration des pratiques hospitalières en matière de prescription de transport ;
– un mécanisme d’incitation financière, entraînant des pénalités ou un reversement.
Si des économies ont été réalisées par rapport à l’objectif, l’ARS peut enjoindre à l’organisme local d’assurance maladie de verser à l’établissement une fraction des économies réalisées. A contrario, si l’objectif n’a pas été respecté, l’ARS peut enjoindre à l’établissement de santé de verser à l’organisme local d’assurance maladie une fraction du montant des dépenses de transport concernées. En 2012, 185 contrats étaient en vigueur et ont entraîné 22,6 millions d’économies.
Cette démarche se veut, avant tout, pédagogique. L’ARS et l’assurance maladie doivent mener des actions de sensibilisation et d’accompagnement. Cependant, arguant de la liberté de prescription des professionnels, cette expérimentation a suscité des réserves de la part de la Fédération hospitalière de France qui a relevé que des établissements hospitaliers pourraient être sanctionnés pour des manquements qui ne leur seraient pas directement imputables.
C’est pourquoi l’application des CAQOS a été inégale selon les régions.
Ainsi, en Languedoc Roussillon, le mécanisme, mis en place dès 2011, s’étoffe. Partant de quatre CAQOS signés en 2011, la région en compte désormais huit et trois sont en cours d’élaboration. En 2013, sur les huit établissements ayant signé un tel contrat, six ont atteint leurs objectifs, donnant lieu à un intéressement total de 110 418 euros. Les deux restants se verront appliquer une pénalité globale de 55 639 euros. Les objectifs fixés aux établissements, qui dans un premier temps, étaient quantitatifs, s’affineront et deviendront en 2014 plus qualitatifs. Ainsi, il est demandé de fluidifier les sorties en créant un salon d’attente, d’inciter au transport partagé et au recours au véhicule personnel et de diminuer la part des ambulances dans l’offre de transport.
À l’inverse, en Poitou-Charentes, la mise en œuvre d’un tel dispositif a suscité des réticences des établissements de santé, c’est pourquoi l’ARS a dû proposer des contrats d’objectifs (68) conclus sur deux ans. Ces derniers fixent un certain nombre d’engagements aux établissements de santé, dont notamment la mise en place du répertoire partagé des professionnels de santé et d’un tableau de bord de suivi des dépenses de transport avec analyse périodique, mais ne prévoient pas de mécanismes financiers incitatifs, ni de compensations ou de pénalités financières. Trois accords ont été conclus. Les résultats sont probants, tous les établissements signataires de ces accords enregistrent une diminution du taux d’évolution de leurs dépenses. Par ce biais, l’ARS envisage de conclure plusieurs CAQOS avec des établissements ciblés comme d’importants prescripteurs de transport.
En pratique, ce dispositif rencontre l’approbation des caisses primaires sur le plan des principes mais elles émettent toutefois des réserves sur sa mise en application.
Dans la caisse primaire du Val d’Oise, trois CAQOS ont été signés : en 2013 pour l’un, aucune diminution notable des dépenses de transport n’a été constatée ; pour un autre, une dynamique positive semble s’engager avec un recul des dépenses, qui restent néanmoins supérieures à l’objectif fixé ; le dernier a respecté les objectifs.
Selon M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, ce dispositif qui est un contrat de droit public manque de flexibilité, car il se fonde sur un taux national de dépenses de transport qui ne tient pas compte des spécificités locales. Il a relaté l’expérience de sa caisse où sept contrats ont été conclus. Des établissements avaient rencontré des difficultés, sans pour autant dépasser le taux national et n’avaient donc pas été ciblés, tandis que des établissements dans lesquelles des services avaient été nouvellement créés ont été retenus car ils avaient entraîné un surcroît de dépenses, qui se sont stabilisées par la suite. Il conviendrait donc, selon lui, d’être prudent dans la conclusion de ce type de contrats.
Le contrôle exercé par l’assurance maladie souffre de lacunes : en particulier la vérification du respect du référentiel de prescription des transports et de la facturation est insuffisante.
Le transport est partie intégrante du parcours de soins, il est gage de la qualité du soin et sa prise en charge assure l’égalité des patients sur tout le territoire. C’est pourquoi, la prescription d’un transport à un patient est un acte médicalisé qui s’appuie sur un référentiel (69). Or, depuis une dizaine d’années, l’aspect médical a été occulté pour faire place à la simple délivrance d’un bon de transport, sans respecter les règles établies. Selon les termes de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, « le bon de transport constitue un automatisme et le choix du transporteur résulte d’habitudes locales, celles du prescripteur ou celles du patient. »
La Cour des comptes (70) constate que ce référentiel est peu suivi par les praticiens libéraux ou hospitaliers.
En particulier, la règle de l’établissement le plus proche, règle de nature à contraindre la dépense n’est pas systématiquement respectée par les médecins lors de l’établissement de la prescription.
Un autre dysfonctionnement dans la délivrance de la prescription de transport provient du fait qu’à l’hôpital, elle est souvent délivrée par le secrétariat du praticien hospitalier et non par ce dernier.
De plus, la régularisation a posteriori du transport est une pratique courante. À l’entrée, bon nombre de patients sont admis après avoir utilisé des transports sanitaires ou des taxis, sans prescription médicale.
M. Mathieu Frelaut, directeur adjoint de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, a ainsi relaté que le transporteur faisait pression sur le secrétariat du centre hospitalier pour qu’il établisse une prescription, qui bien souvent se traduit par un transport couché réalisé en ambulance et donc plus onéreux, alors qu’un transport assis aurait été suffisant.
Le suivi de ce référentiel est, par ailleurs, peu contrôlé par l’assurance maladie. Lors de l’élaboration de son rapport, sur les sept caisses visitées par la Cour des comptes, une seule (71) vérifiait le respect de ce référentiel. Ce contrôle avait révélé que sur 500 prescriptions contrôlées, 80 % ne comportaient pas de justification médicale.
La Cour s’est livrée à une estimation des dépenses induites par le non-respect du référentiel de 2006 (72). Le total s’élèverait à 220 millions d’euros, décomposé comme suit :
– 40 millions d’euros proviendraient d’une prescription injustifiée, soit qu’un transport en ambulance ait été utilisé alors qu’un transport en TAP aurait pu être substitué soit que la prise en charge ne fût pas pertinente et aurait pu être évitée.
– 180 millions d’euros seraient issus d’une prescription de transport qui mentionne des soins en lien avec une ALD (remboursée à hauteur de 100 % et non de 65 %).
C’est pourquoi, en 2011 un décret (73) a rappelé que la prise en charge du transport pour le traitement ou les examens des patients atteints d’une affection de longue durée n’était pas systématique, mais était soumise à une des incapacités ou déficiences définies par le référentiel de prescription des transports. Selon la caisse primaire des Hauts-de-Seine, aucune différence notable dans son département n’a été constatée, à ce jour, dans les prescriptions délivrées par les praticiens.
L’assurance maladie, lorsqu’elle exerce son contrôle, constate un large éventail d’abus et de fraudes, allant de la surfacturation kilométrique à la confection de fausses factures et au défaut de permis.
Ce contrôle effectué a posteriori vis-à-vis des transporteurs porte sur plusieurs volets :
– la prescription médicale, son existence et son contenu ;
– la conformité entre la prescription médicale et le transport ;
– la réalisation du transport, sa facturation ;
– l’activité du transporteur, sa situation administrative et juridique.
En premier lieu, si un de ces volets détecte une anomalie qui s’apparente à un abus, l’assurance maladie notifie un indu et met en œuvre une procédure de recouvrement, qui peut donner lieu à des pénalités financières.
En deuxième lieu, si cette anomalie est constitutive d’une fraude, l’assurance maladie applique des pénalités financières et peut déposer une plainte pénale.
De 2006 à juin 2012, l’assurance maladie a notifié 3 013 indus et récupéré 17 millions d’euros. 119 dossiers ont fait l’objet de pénalités financières et ont donné lieu à des amendes d’un montant de 421 000 euros, 458 dossiers ont entraîné des poursuites pénales.
En avril 2013, sur 468 contrôles ciblés menés sur des entreprises de transport sanitaire, de sociétés de taxis et d’entreprises mixtes, 20 pénalités financières ont été prononcées pour un montant de 45 000 euros et 15 plaintes pénales ont été déposées.
Au niveau local, les montants recouvrés sont également loin d’être négligeables.
M. Mathieu Frelaut, directeur adjoint de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, a de son côté, indiqué que sa caisse avait notifié une centaine d’indus pour un montant de 371 000 euros en 2012 et 2013 (74). 9 pénalités financières ont été prononcées pour un montant de 21 500 euros. Deux poursuites pénales ont été engagées pour un préjudice estimé à 97 000 euros.
Dans les Hauts-de-Seine, en 2013, les indus se sont élevés à 1,7 million d’euros sur un total de 44,6 millions d’euros de dépenses de transport. Six plaintes au pénal ont été déposées.
Votre Rapporteur a souhaité approfondir et compléter ses recherches sur les moyens mis en œuvre par l’assurance maladie pour lutter contre les abus et les fraudes. En vertu des pouvoirs d’investigation accordés à la MECSS (75), il a sollicité, avec l’appui de la coprésidente de la mission, la caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines pour obtenir un dossier complet relatif aux contrôles exercés dans cette caisse sur les transporteurs de patients et aux suites données à ces actions. Une partie de ces documents figure en annexe (76), à l’exception des éléments nominatifs qu’il n’a pas souhaité publier.
Malgré les résultats cités ci-dessus, la Cour des comptes (77) souligne que ce contrôle reste insuffisant et souffre de lacunes, notamment dans la vérification de la facturation.
Elle déplore, en premier lieu que le contrôle s’effectue majoritairement sur pièces et non sur place, à l’entrée des établissements de santé notamment.
En deuxième lieu, elle relève que plusieurs vérifications ne sont généralement pas effectuées notamment celle de la distance facturée, de la bonne application du tarif pour les taxis, de la conformité du moyen de transport facturé avec celui prescrit et de l’existence d’un accord préalable lorsque ce dernier est nécessaire. La règle de l’établissement approprié le plus proche n’est appliquée que lorsque le transport est soumis à accord préalable pour un transport sur une distance supérieure à 150 km.
De plus, les caisses primaires ne s’assureraient que rarement de la présence des pièces justificatives à la facturation, comme la prescription.
C’est dans le même esprit que la mission de concertation taxis-VTC (78) insiste sur la nécessité de mieux vérifier la facturation des taxis en listant le nombre de paramètres qu’il conviendrait de contrôler : entreprise, véhicule, date, horaires, durée, lieu de départ et d’arrivée, kilométrage, prescripteur et patient. La caisse primaire des Hauts-de-Seine a d’ailleurs relevé la difficulté de vérifier la facturation du temps d’approche des taxis, limité à 15 euros maximum, mais qui n’est pas différenciée dans le total de la facture.
Cette insuffisance du contrôle est particulièrement dommageable car les transports arrivent en deuxième position dans l’indicateur de risque financier résiduel mis en place par la Cour (79), après les médicaments. Ainsi, en 2013, 11 % des règlements de dépenses de transport comportaient des anomalies de facturation non détectées en interne (tarifs erronés, cumuls de prestations non autorisés, incohérence du nombre de kilomètres parcourus entre le domicile du patient et le lieu de soins), soit un total de 140 millions d’euros sur 3,3 milliards d’euros représentant donc 3,4 % du total des règlements de prestations de transport de patients.
Ce constat a été confirmé par la caisse primaire des Hauts-de-Seine. M. Alain Bourez, directeur de cette caisse primaire d’assurance maladie, a insisté sur la part conséquente représentée par les transports dans la fraude constatée dans son département. Celle-ci s’élève à 44 % de l’ensemble des dépenses indues et des fraudes constatées chez les professionnels de santé en 2013.
III. UNE DOUBLE NÉCESSITÉ D’UNE RÉORGANISATION DU SECTEUR ET D’UNE RATIONALISATION DES DÉPENSES
Face aux dérives du secteur et à la progression continue des dépenses, une plus grande coordination entre tous les acteurs doit être mise en place, l’offre et la demande doivent être restructurées et le contrôle renforcé.
A. MIEUX COORDONNER LE PILOTAGE
Force est de constater que l’articulation entre les deux ministères et la coordination entre les deux tutelles territoriales sont insuffisantes.
Un des facteurs de l’augmentation de l’offre de véhicules réside dans l’absence de vision d’ensemble des transports de patients disponibles dans un département. En effet, l’ARS autorise la mise en service de véhicules sanitaires sans connaître le nombre de taxis conventionnés tandis que les caisses primaires locales d’assurance maladie conventionnent des taxis sans se référer au parc de VSL disponibles.
C’est pourquoi, afin de mieux coordonner la gestion du parc de véhicules destinés au transport de patients, les ARS et les caisses primaires doivent disposer d’une représentation globale de l’offre de transport dans leur région. Ce constat est partagé par M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales, et par M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS. Ainsi, ce dernier suggérait de confier aux caisses primaires, sur délégation des ARS, la délivrance de l’agrément des entreprises de transport sanitaires. Les ARS conserveraient leur fonction stratégique, définiraient les orientations régionales en matière de transport et continueraient à user de leur pouvoir de réquisition en cas de carence ambulancière.
Ce transfert permettrait d’alléger les ARS de tâches administratives et fluidifierait la mise à jour des agréments, notamment en cas de changement de chauffeur et de modification de véhicule.
Sur le terrain, cette coordination existe. Ainsi, M. François Maury, directeur général de l’ARS de Poitou-Charentes, a indiqué qu’un groupe de travail commun avec la caisse primaire réfléchissait à la restructuration de l’offre de transport dans sa région. Néanmoins, ces initiatives ne sont pas formalisées et dépendent de relations personnelles. C’est pourquoi, votre Rapporteur est favorable à ce transfert de tâches.
Un point, en particulier, devrait être amélioré : l’articulation entre le conventionnement et l’agrément du transporteur. Votre Rapporteur suggère que le déconventionnement d’un transporteur par la caisse primaire locale entraîne son contrôle systématique par l’ARS, voire un retrait de son agrément, suivant le même principe de l’automaticité du déconventionnement en cas de retrait d’agrément.
La participation d’un représentant des caisses primaires locales au comité de transport sanitaire permettrait d’améliorer cette articulation, ce comité étant consulté sur tout retrait d’agrément. C’est pourquoi votre Rapporteur y est favorable.
Cette régulation de l’offre de transport passe aussi par une stratégie concertée entre le ministère des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes et celui de l’intérieur, tous deux assurant la tutelle administrative et financière sur le parc des véhicules assurant le TAP.
Une des difficultés est la délivrance des autorisations de stationnement des taxis par le maire, ce qui de facto a entraîné une explosion du parc de ce type de véhicule particulièrement dans les zones rurales.
Il semble difficile, pour des raisons de libre administration des collectivités territoriales, de confier au préfet la compétence de délivrer les autorisations de stationnement, bien que cette solution ait été évoquée par les représentants des fédérations de taxis, lors de leur audition, afin d’éviter le risque d’une forme de clientélisme de la part des maires.
Par ailleurs, M. Ludovic Guillaume, sous-directeur de l’action interministérielle à la délégation à la sécurité et à la circulation routière, a fait part de l’attachement du ministère de l’intérieur à cette prérogative communale.
Une des solutions proposée par votre Rapporteur consisterait à rendre conforme l’avis de la commission départementale ou communale, qui n’est jusqu’à présent que consultatif pour toute nouvelle demande d’autorisation de stationnement.
En tout état de cause, cette coordination ne pourra être effective qu’avec un partage des informations. Votre Rapporteur suggère de partager les bases de données entre tous les acteurs, que ce soit les ministères de tutelle, les ARS ou l’assurance maladie. Ainsi, le répertoire national des transporteurs géré par l’assurance maladie devrait être consultable aussi bien par les ARS que par le ministère de l’intérieur. M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, s’est montré disposé à ouvrir ses bases de données à tous les services de l’État.
Le répertoire national des transporteurs (RNT)
L’assurance maladie a élaboré fin 2009 un référentiel regroupant les entreprises de transport de patients (ambulances, VSL et taxis) permettant de connaître l’offre de transport.
L’avenant n° 6 de la convention nationale entre les transporteurs privés et l’assurance maladie propose que chaque caisse primaire d’assurance maladie soit le guichet unique de tout enregistrement de véhicules.
Un outil de mise à jour est disponible sur le site Ameli de l’assurance maladie.
Les objectifs en sont les suivants :
– identifier et suivre le parc de véhicules et de personnels effectuant le transport de patients ;
– établir une cartographie de l’offre de soins ;
– favoriser le contrôle lors des agréments et de la facturation.
B. RESTRUCTURER L’OFFRE ET LA DEMANDE AU SEIN D’UN PARCOURS DE SOINS COORDONNÉ
Afin que l’offre de transport corresponde à la demande des patients et non l’inverse, il importe de mieux contrôler le respect des plafonds de véhicules et d’équilibrer les modes de transport. Parallèlement, la rationalisation du circuit des transports au sein des établissements de santé doit progresser.
1. Adapter l’offre à la demande
Comme cela a été rappelé ci-dessus, afin de stabiliser le dépassement des plafonds de véhicules destinés au transport de patients, les conditions de délivrance de l’agrément d’une entreprise de transport sanitaire et les autorisations de mise en service de leurs véhicules sont devenues plus contraignantes.
De plus, au sein des entreprises de transporteurs sanitaires, l’assurance maladie tente de freiner la diminution du parc de VSL et cherche à encourager leur utilisation. C’est ainsi que l’avenant n° 6 à la convention nationale entre l’assurance maladie et les transports sanitaires a revalorisé les tarifs des VSL sur les trajets courts.
En fonction du nombre de kilomètres parcourus, le tarif kilométrique a été majoré. À partir du 1er février 2013, le trajet compris entre 7 km et 8 km est majoré de 6 euros tandis que le trajet compris entre 17 km et 18 km se voit appliquer une majoration de 80 centimes d’euros (80).
Ce type de mesure semble produire des effets, puisqu’entre 2011 et 2012, le nombre de kilomètres par patient effectué par un VSL a diminué de 2,4 % et entre 2012 et 2013 de 2,6 % (81) signe de trajets plus courts.
Enfin, afin d’unifier l’offre sur tout le territoire et d’éviter de conduire à l’indisponibilité d’un certain type de véhicules, une révision de l’arrêté du 5 octobre 1995 (82) paraît nécessaire à votre Rapporteur.
Comme l’a reconnu M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales, les modalités de plafonds définies par cet arrêté ne sont pas respectées et ils sont sensiblement dépassés.
M. François Maury, directeur général de l’ARS de Poitou-Charentes, propose une solution pragmatique et suggère de retirer l’agrément aux transporteurs sanitaires dont le taux d’utilisation de leurs véhicules serait insuffisant afin de repositionner l’offre aux besoins.
S’agissant des taxis, leurs conditions de conventionnement avec l’assurance maladie devraient être durcies afin d’éviter que les maires ne délivrent des autorisations de stationnement en milieu rural à des taxis dont 90 % de leur activité sera consacrée au transport de patients. Les représentants des chauffeurs de taxi sont favorables à une limitation de ces délivrances qui profitent surtout à des entreprises de transport sanitaire mixtes.
Lors de leur audition, ces derniers ont plaidé pour un conventionnement qui ne pourrait intervenir qu’en fonction des besoins constatés et qu’après une exploitation du véhicule de façon effective et continue pendant une durée de cinq ans.
C’est dans cet esprit que M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales, avait indiqué que ses services réfléchissaient à la possibilité de laisser aux caisses primaires la capacité de ne pas conventionner des taxis dans la mesure où la réponse aux besoins serait assurée par le parc commun VSL et taxis déjà en activité.
L’article 45 du projet de loi de financement pour la sécurité sociale pour 2015 (83), en cours d’examen, reprend ces propositions.
Les demandes de conventionnement des taxis avec l’assurance maladie pourront être désormais refusées, lorsque le nombre de véhicules de taxis faisant déjà l’objet d’une convention pour le territoire concerné excédera un seuil fixé par le directeur général de l’ARS sur la base de critères tenant compte des caractéristiques démographiques, géographiques et d’équipement sanitaire du territoire ainsi que du nombre de véhicules affectés au transport de patients.
b. Une logique tarifaire homogénéisée
La prestation de TAP est plus rentable pour le transporteur si elle est effectuée en taxi plutôt qu’en VSL, d’où cette stratégie d’optimisation des transporteurs sanitaires et l’explosion du nombre de taxis conventionnés. M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, a ainsi souligné qu’un transport en VSL coûtait 32 euros en moyenne à l’assurance maladie tandis que celui en taxi revenait à 40 euros.
Une des explications de cette différence de prix réside dans la tarification spécifique applicable aux taxis, qui peut comprendre dans certains cas les temps d’approche et d’immobilisation et le retour à vide.
La tarification entre taxis et VSL doit donc être revue et harmonisée. Ainsi, M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, s’est prononcé pour une tarification comprenant la prise en charge et un tarif kilométrique pour les taxis. Votre Rapporteur souscrit à cette proposition qui aurait l’avantage d’unifier les règles tarifaires entre VSL et taxis. Il préconise donc que les dispositions tarifaires prévues dans les conventions locales conclues entre les entreprises de taxis et l’assurance maladie ne comprennent que la prise en charge et la tarification au kilomètre et non plus les temps d’approche, les temps d’immobilisation ou les retours à vide.
Votre Rapporteur suggère également d’autoriser les VSL à emprunter les couloirs de bus.
Par ailleurs, si pour le VSL, les conditions de facturation sont fixées au niveau national, il en va différemment pour les taxis. Chaque caisse primaire négocie une convention locale avec les représentants des chauffeurs, ce qui entraîne une différenciation de tarification selon les départements. Ces tarifs négociés ne peuvent être supérieurs à ceux fixés dans le département par le préfet. La remise peut être comprise entre 5 % et 15 % (84). À titre d’exemple, la nouvelle convention conclue dans les Hauts-de-Seine prévoit une remise de 10 % et dans le Val-d’Oise un rabais de 8 % et de 15 % sur les trajets itératifs.
M. Jean-Claude Richard, président de la Fédération nationale des artisans du taxi (FNAT), déplore cette multiplication des conventions départementales qui instituent des règles d’indemnisation différentes et créent une disparité territoriale. C’est pourquoi, les fédérations de taxis plaident, elles-mêmes, pour la conclusion d’une convention nationale et l’institution de règles claires sur tout le territoire.
2. Rénover la garde ambulancière
Afin d’éviter des carences ambulancières injustifiées et le recours aux moyens des SDIS, plus onéreux et souvent disproportionnés, le dispositif de garde ambulancière doit être revu et adapté. Trois points pourraient être améliorés.
En tout état de cause, votre Rapporteur suggère de retirer l’agrément aux entreprises de transports sanitaires qui ne respectent pas leurs obligations de garde ambulancière.
a. Un découpage géographique et temporel de la garde revu
L’évolution de la population comme le regroupement des plateaux techniques nécessitent de revoir le découpage des secteurs.
Comme le soulignaient Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, et M. Christophe Paille, directeur général de l’ARS de Champagne-Ardenne, le découpage des secteurs ne tient pas compte de la nouvelle délimitation géographique qu’est le territoire de santé. C’est pourquoi il serait pertinent de repenser ce découpage en se fondant, non pas sur le nombre d’habitants qui a, par ailleurs, évolué depuis 2003, mais sur l’offre de soins et sur l’activité réelle particulièrement durant la nuit.
Votre Rapporteur suggère donc d’adapter le découpage géographique des secteurs aux territoires de santé.
Le découpage temporel devrait également être revu.
Votre Rapporteur préconise de différencier la nuit profonde (entre minuit et 4 heures du matin) du début de soirée, s’agissant de la permanence nocturne. Lors de son audition, la FNTS s’est déclarée favorable à cette révision de l’organisation de la garde lors de la permanence de nuit ainsi qu’au réexamen du nombre de véhicules affectés. Pour ce faire, elle préconise une réorganisation des secteurs de garde qui devraient être différenciés entre la nuit profonde et la journée.
Comme cela a été développé ci-dessus, l’indemnisation de la garde ambulancière n’est rentable pour les entreprises de transport sanitaires que sous certaines conditions (85), d’où des déclarations de carences injustifiées. M. Didier Eyssartier, dans son rapport (86), soulignait une situation paradoxale : l’activité de l’urgence, qui nécessitait plus de savoir-faire, était, de fait, moins bien rémunérée. C’est pourquoi, il proposait de revoir son modèle de financement et de l’ajuster aux coûts réels afin de rendre attractive la garde ambulancière, solution plébiscitée par les fédérations ambulancières.
La Cour des comptes (87) suggère elle aussi de supprimer l’indemnité de garde et l’abattement de 60 % sur les tarifs. L’économie de telles mesures est estimée à 95 millions d’euros.
Un premier pas pour permettre de déroger aux dispositions relatives à la garde ambulancière et de s’affranchir des modalités de tarification fixées dans la convention nationale entre les transporteurs privés et l’assurance maladie a été tenté par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 (88). L’article 66 de cette dernière avait prévu la possibilité pour les ARS de mener des expérimentations, en liaison avec les caisses primaires d’assurance maladie, sur les règles d’organisation et de financement des transports sanitaires urgents pré-hospitaliers. Néanmoins, ce dispositif n’a toujours pas pu être mis en œuvre, le décret d’application n’étant pas paru, ce que regrette votre Rapporteur.
c. Une organisation coordonnée
Une partie des carences ambulancières résulte d’une coordination insuffisante entre tous les acteurs de l’urgence.
Mettre fin à cette situation insatisfaisante passe par une amélioration de l’interopérabilité. Votre Rapporteur est favorable à la mise en place de plateformes communes départementales ou interdépartementales entre le SDIS et le SAMU. Plus que la mise en place de plateformes téléphoniques communes, qui ont démontré leurs limites, la constitution de systèmes d’information communs entre ces deux acteurs et leurs différents services est impérative.
Mme Perrine Ramé-Mathieu, chef du bureau du premier recours à la DGOS, l’a résumé ainsi : « ce qui prime n’est pas tant le regroupement physique sur un lieu que la qualité de l’interconnexion et la capacité d’articuler et de coordonner les acteurs et les missions sur le terrain. ».
De même, le docteur Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, a insisté sur l’élaboration d’une doctrine opérationnelle commune et préconise de s’orienter vers des plateformes interdépartementales particulièrement dans les zones peu peuplées ou sous-dotées en matière sanitaire.
Par ailleurs, la coordination entre tous les acteurs des transports urgents pré-hospitaliers, impose de mieux associer l’assurance maladie, qui participe à son financement. Ainsi, votre Rapporteur juge pertinent d’inclure un représentant de la caisse primaire d’assurance maladie dans le sous-comité des transports sanitaires du comité départemental de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (CODAMUPS-TS). Ce dernier réunit les représentants des transporteurs sanitaires, des médecins et des administrations compétentes, sous la direction du directeur général d’ARS et du préfet.
Au sein même des transporteurs sanitaires, un coordinateur ambulancier, financé par ces derniers peut améliorer la coopération. Il est plébiscité à la fois par les SDIS et le SAMU. Selon M. Thierry Schifano, président de la FNTS, lorsqu’une telle organisation existe, le nombre de carences est réduit de 75 %.
Ce dernier, qui était prévu dans le référentiel du 9 avril 2009 précité, peine cependant à se mettre en place. Ainsi, selon un rapport de l’IGAS (89), sur 95 départements, 29 seulement disposent d’un coordonnateur ambulancier.
Son rôle est pourtant décisif, puisqu’en tant qu’interface unique, il centralise les demandes de transports sanitaires privés sollicités sur la zone, et ainsi optimise la disponibilité ambulancière et permet la traçabilité des ambulanciers. Afin d’accroître son efficacité, il devrait d’ailleurs être interconnecté avec le Centre 15.
Selon la Chambre nationale des services d’ambulances (CNSA), pour que ce dispositif soit effectif et de qualité, il est impératif que l’ARS élabore un cahier des charges précis, détaillant les obligations de service des transporteurs.
D’autres types d’expérimentation de structurations de la commande des transports urgents ont été mis en place.
L’ARS de Franche-Comté a notamment installé, en janvier 2014, une plate-forme ambulancière, gérée par une association ad hoc, qui fonctionne de 8 heures à minuit tous les jours, y compris les samedis, dimanches et jours fériés. La nuit profonde est assurée par le Centre 15 de Besançon. L’ARS a accordé un financement en 2014 de 106 207 euros. En contrepartie, les entreprises de transport sanitaire s’engagent à réduire d’au moins 25 % le nombre de carences.
La Cour des comptes, de son côté, propose une solution plus radicale, consistant à supprimer la garde ambulancière dans les secteurs où elle est peu sollicitée et prévoir le recours systématique au SDIS. Elle cite les départements de Corse du sud, de Loire-Atlantique, de Lozère où la garde ambulancière se limite à une sortie par semaine, ce qui entraîne un coût moyen par intervention de 1 600 euros.
Cette solution ne remporte pas l’adhésion des pompiers, attachés à leur mission première, le secours aux personnes, mission de service public. Quant aux représentants des transporteurs sanitaires, ils regrettent d’avoir perdu le monopole des transports urgents. Le dispositif actuel, malgré ses imperfections, semble fonctionner.
3. Rationaliser les flux à l’hôpital
Une meilleure organisation du circuit des transports au sein des établissements de santé serait profitable à toutes les parties. Les temps d’attente diminuant, le service rendu aux patients serait amélioré, le taux d’occupation des véhicules des entreprises de transport serait accru, ce qui leur assurerait une plus grande rentabilité. Quant aux établissements de santé, ils optimiseraient la gestion de leurs lits et de ce fait pourraient réaliser des économies.
a. Un circuit des transports mieux organisé
• Une gestion centralisée de la commande
Une centralisation des commandes de transport par un service dédié et un interlocuteur unique au sein des établissements de santé contribuerait à une gestion optimale des entrées et sorties. C’est pourquoi votre Rapporteur préconise cette solution.
Quoiqu’il s’agisse d’une mesure de bon sens, les tentatives pour en faire un principe contraignant ont jusqu’à présent toutes échoué.
En 2009, une première expérimentation posée par l’article 64 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 (90) proposait aux établissements de santé de signer une convention avec les entreprises de transport sanitaire afin de créer des centres de régulation, chargés de proposer le mode de transport le plus adapté au patient.
En 2012, 59 établissements seulement y avaient eu recours. L’absence d’incitation financière expliquerait ces mauvais résultats. C’est pourquoi, face à ce bilan décevant, ce mécanisme a été abrogé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.
Dans le même temps, l’article 44 de la même loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 (91) instaurait une procédure d’appels d’offres au sein de l’hôpital.
Il prévoyait de faire assurer les transports de patients par l’entreprise qui aurait remporté l’appel d’offres dans l’établissement de santé, sur la base du moins-disant. Seuls ces derniers auraient été pris en charge par l’assurance maladie.
Ce dispositif a été suspendu, face aux craintes des petites entreprises de transport sanitaire et des taxis d’être évincés de ces marchés, faute d’atteindre la taille critique nécessaire.
D’où l’importance d’une démarche pédagogique afin de sensibiliser les établissements de santé à cette problématique.
C’est dans cette perspective, à la suite du rapport M. Didier Eyssartier, l’ANAP a été sollicitée. Elle a inscrit la thématique du transport de patients dans son programme de travail et a lancé, en 2011, un projet avec sept établissements de santé (92) afin de réfléchir à une meilleure organisation de leurs demandes de transport et une maîtrise de leurs dépenses. Lors de leur audition, les représentants de l’ANAP ont d’ailleurs observé que les transports de patient étaient le parent pauvre de la gestion hospitalière.
Après avoir procédé à l’analyse qualitative et quantitative du processus des demandes de transport, l’ANAP a élaboré un guide intitulé « Améliorer la gestion des transports sanitaires en établissement de santé », paru en mai 2013 et a mis à disposition des établissements un outil d’autodiagnostic intitulé « Quick eval », qui permet, à travers une grille d’évaluation, d’aider l’établissement à recenser ses points forts et ses points faibles et de lui proposer des mesures d’amélioration.
La démarche opérationnelle du guide de l’ANAP
« Améliorer la gestion des transports sanitaires en établissement de santé »
– Légitimer le lancement d’un tel projet ;
– Chaque établissement doit réfléchir à ses priorités et à ses objectifs. Une lettre de mission adressée à tous les acteurs concernés par le directeur doit permettre d’élaborer un diagnostic sur l’organisation de la commande de transport ;
– Mettre en place un plan d’action ;
– L’objectif sur du long terme est de parvenir à une centralisation de la commande de transport.
1) Gérer le processus de transport
– Faciliter les démarches administratives pour l’utilisation du véhicule personnel des patients, en lien avec les caisses primaires pour les remboursements ;
– Optimiser l’organisation de l’équipe interne chargée des transports ;
– Formaliser un circuit unique de demande de transport pour tous les services de l’établissement ;
– Appliquer la règle du tour de rôle afin de respecter une équité entre tous les transporteurs ;
– Limiter les entrées en transport de patients sans prescription qui donnent lieu à une régularisation ;
– Organiser le covoiturage ;
– Regrouper les consultations et examens le même jour.
2) Contrôler la facturation
– Assurer un suivi des dépenses à la charge des établissements de santé et repérer le volume des prestations réalisées par des entreprises afin de contractualiser ces demandes ;
– Éviter les doublons de facturation.
3) Accroître la collaboration avec l’ARS et les caisses primaires
– L’organisation de la commande de transport reste dépendante de l’offre de transport disponible sur le territoire, sur laquelle l’ARS et les caisses primaires peuvent influer.
4) Pratiquer une évaluation régulière
Une nouvelle tentative d’internaliser la prestation de transports non urgents au sein des établissements de santé figure à l’article 39 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 (93).
« Cette expérimentation a pour objectifs de développer des modes de transport plus efficients en proposant au patient le mode de transport le moins onéreux compatible avec son état de santé, de contribuer à l’amélioration de l’organisation des soins ou examens délivrés dans un même établissement de santé et d’optimiser l’utilisation des véhicules de transport des patients. ».
Cette nouvelle expérimentation repose sur la base du volontariat. Néanmoins, il revient à l’ARS de fixer la liste des établissements entrant dans le champ de cette expérimentation et d’enjoindre le cas échéant ceux éligibles au CAQOS d’y participer.
La convention d’expérimentation conclue entre l’établissement de santé, l’organisme local d’assurance maladie et l’ARS, après consultation des organisations professionnelles de transport détermine notamment :
– les modalités d’organisation des transports assurés au départ ou à destination de l’établissement de santé expérimentateur ;
– les obligations des établissements de santé ainsi que les pénalités versées en cas de manquement à ces obligations ;
– les conditions d’attribution d’un financement de lancement et de dotations d’intéressement des établissements de santé par l’ARS
Dès lors que le transporteur n’aura pas respecté les conditions d’organisation prévues par la convention ou que le transporteur n’aura pas adhéré à la convention, les frais de transport ne seront pas pris en charge par l’assurance maladie. Le directeur de l’ARS pourra allouer une dotation d’intéressement si les dépenses de transport diminuent (94).
Le décret d’application n’est toutefois pas toujours paru, ce qui augure mal de l’avenir de ce texte, ce que déplore votre Rapporteur.
Cependant, certains établissements ont anticipé l’application de ce texte et ont mis en place des dispositifs performants.
En Champagne-Ardenne, trois établissements de santé ont institué un service consacré à la planification et à la gestion de la commande de transport. L’évaluation de ce dispositif a montré une meilleure utilisation de l’offre de transport plus conforme au référentiel de prescription de transport 2006.
Dans le même esprit, l’ARS d’Île de France a développé un outil de gestion centralisée des demandes de transports intitulé « Transport Manager ». Quatre établissements de santé l’ont déployé : l’hôpital Foch, le centre hospitalier d’Orsay, l’hôpital Saint-Joseph et l’UGECAM-Coubert.
L’expérimentation la plus aboutie a eu lieu en Poitou-Charentes avec la mise en place d’une plateforme de centralisation de la commande des transports au centre clinique de Soyaux, en Charente, à la fin de l’année 2013. Toute demande de transport transite par un robot téléphonique qui confie la mission à un transporteur adapté à la demande. Un logiciel a recensé les transporteurs disponibles, y compris les taxis, en tenant compte de leur situation géographique et économique. Ces critères servent à attribuer les demandes en garantissant un tour de rôle équitable. Un comité de suivi suit les dysfonctionnements relevés.
M. Gérard Recugnat, directeur de la stratégie de l’ARS de Poitou-Charentes, s’est félicité de l’évaluation positive de ce dispositif. L’établissement hospitalier a obtenu un gain de temps tandis que l’assurance maladie a observé un meilleur respect de la prescription médicale, ce qui a entraîné une moindre substitution entre les moyens de transport et il en a résulté des économies.
La mise en place d’un tour de rôle incitatif qui favorise les entreprises les plus vertueuses constitue une solution prônée par votre Rapporteur. Lors de son audition, M. Gérard Quevillon, président du régime social des indépendants (RSI), a, pour sa part, cité l’exemple d’une clinique de Cherbourg qui avait institué un tour de garde entre toutes les entreprises de la région qui, ainsi, intervenaient successivement.
• Une anticipation et un étalement des demandes
Parallèlement à cette formalisation d’un circuit unique de la commande de transport, les établissements de santé doivent améliorer le processus d’établissement des demandes.
La FNTS a fait plusieurs propositions qui vont dans ce sens auxquelles souscrit votre Rapporteur. Elle plaide pour une anticipation et un étalement des demandes de transport. Elle suggère d’optimiser l’heure de rendez-vous des consultations ou des soins des patients en les programmant selon leur lieu d’habitation, afin d’éviter que le transport soit effectué à des heures de forte circulation.
Par ailleurs, un regroupement des consultations ou soins pourrait être prévu afin d’éviter plusieurs déplacements.
M. Thierry Schifano, président de la FNTS, a cité l’exemple de l’hôpital de Martigues qui a réussi à réduire de 3 % son budget de dialyse en coordonnant les différents services traitant les patients.
Enfin, elle préconise la mise en place d’un salon d’attente afin que les patients y attendent leur admission ou leur sortie. Ce dispositif présente de nombreux atouts. Il permettrait, en premier lieu, de libérer plus rapidement des lits, de fluidifier les entrées et sorties de patients et serait avantageux pour l’établissement de santé. Par ailleurs, il optimise le temps administratif des personnels hospitaliers qui y effectueraient les démarches d’admission ou de sortie du patient. Enfin, il faciliterait le recours au transport partagé.
Cette démarche reste à mettre en œuvre dans les établissements, ce qui nécessite pour eux de repenser le circuit du patient. Selon la DGOS, ce modèle ne sera adopté que si les établissements de santé y trouvent un intérêt. En effet, comme le rappelait M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, les transports de patients ne figurent pas parmi les axes prioritaires d’économies des établissements de santé.
b. De nouvelles règles de financement
Les transports de patients, hors transports intra-hospitaliers, inter-hospitaliers et transports urgents pré-hospitaliers, sont financés sur l’enveloppe soins de ville de l’assurance maladie, ce qui n’incite pas les hôpitaux à optimiser l’organisation du circuit de leurs transports.
Par ailleurs, la circulaire du 27 juin 2013 relative à la diffusion du guide de prise en charge des frais de transport de patients (95) a transféré une partie des transports inter-hospitaliers à la charge directe de l’assurance maladie. Lorsqu’un patient hospitalisé dans un établissement de santé est transporté dans un autre établissement plus spécialisé pour des soins itératifs concernant la dialyse, la chimiothérapie ou la radiothérapie, avec retour dans son établissement d’origine en moins de 48 heures, les frais de transport incomberont maintenant à l’assurance maladie.
Transports intra-hospitaliers et transports inter-hospitaliers
Les transports intra-hospitaliers comprennent les transports effectués entre établissements de santé d’une même entité juridique et dans la même agglomération. La prise en charge relève de l’établissement au sein duquel ils sont effectués.
Les transports inter-hospitaliers correspondent à des transports réalisés entre deux établissements de santé pour des séjours provisoires ou définitifs et aux transports de retour des patients à leur domicile.
Lors d’un séjour provisoire (moins de deux nuitées) dans un autre établissement d’accueil, la prise en charge des frais de transport relève de l’établissement de santé d’origine (sauf cas spécifiques cités ci-dessus) tandis que lors d’un séjour définitif et d’un retour à domicile des patients, la prise en charge incombe à l’assurance maladie.
Selon M. René Caillet, responsable du pôle organisation sanitaire et médico-sociale de la Fédération hospitalière de France, le coût de ces transports est estimé entre 300 millions et 400 millions d’euros, sans compter les dépenses de location des véhicules.
Un financement des dépenses de transport sur le budget de l’hôpital irait dans le sens d’une plus grande responsabilisation et relierait le responsable de la demande de prescription et celui qui en supporte le financement. Votre Rapporteur suggère de programmer de façon progressive la prise en charge des dépenses hospitalières de transport sur le budget des établissements de santé.
M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, a néanmoins souligné que ce principe pourrait conduire l’établissement à sélectionner des malades résidant dans un périmètre géographique proche, afin d’éviter de longs déplacements onéreux.
La prise en charge des frais de transport par l’assurance maladie doit être justifiée en s’appuyant sur un référentiel de prescription plus détaillé, et optimisée notamment en incitant au transport partagé. Parallèlement, l’assurance maladie doit parfaire son contrôle grâce à l’utilisation de nouveaux outils comme la géolocalisation.
1. Adosser la prise en charge à un référentiel affiné
a. La question du libre choix du mode de transport
La prise en charge des frais de déplacement de l’assuré par l’assurance maladie implique que ce dernier se conforme à la réglementation. Comme le souligne M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, le transport est devenu un droit, associé plus à un bon de transport qu’à une prescription médicale : « Il faut faire comprendre aux usagers que ce n’est ni un droit ni une obligation, mais une nécessité, et qui s’impose dans un nombre de cas finalement assez réduit ».
L’argument de la liberté de choix, entendue dans une acception large par les patients qui choisissent un mode de transport précis ou qui refusent le transport partagé, n’est pas jugé recevable pour votre Rapporteur car cette disposition conventionnelle ne peut contrevenir à la règle législative du recours au moyen de transport le moins onéreux. En effet, si l’article 3 de la convention nationale entre les transporteurs sanitaires et l’assurance maladie précise (96) que « les assurés sociaux ont le libre choix entre tous les transporteurs sanitaires », l’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale pose, de son côté, le principe de la couverture par l’assurance maladie des frais de transport de l’assuré ou des ayants droit dans des conditions et limites tenant compte de l’état du malade et du coût du transport. De plus, ainsi qu’il a été précédemment indiqué l’article L. 322-5 du code de la sécurité sociale précise, que cette couverture s’effectue sur la « base du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec l’état du bénéficiaire ». L’appréciation du mode de transport relève donc seulement du prescripteur.
Votre Rapporteur insiste donc sur la nécessité de rappeler aux patients et aux transporteurs le caractère médicalisé de cette prescription et de faire œuvre de pédagogie pour que cette exigence soit intégrée dans les comportements.
Un référentiel édicté en 2006 (97) définit les conditions dans lesquelles les frais de déplacement liés à des soins peuvent être pris en charge par l’assurance maladie. Il reste néanmoins imprécis.
Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, le considère plus comme un cadre général que comme un référentiel. C’est pourquoi elle plaide pour l’élaboration d’un référentiel détaillé par pathologie. C’est également le même constat qu’a livré M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, qui a reproché au référentiel actuel de manquer de précisions. « Le référentiel actuel ne repose que sur la distinction entre le transport en position allongée et celui où le patient est assis, ce qui s’avère insuffisant. Il conviendrait d’indiquer au médecin le degré de handicap ou de besoin du malade afin de l’éclairer sur la nécessité de prendre en charge son transport. ».
La Haute Autorité de santé (HAS), lors de l’audition de ses représentants, a indiqué que le transport de patients, qui est une prestation de santé, ne se situe pas dans son champ d’appréciation direct. Mais elle peut l’aborder sous l’angle de la thématique du parcours de soins. C’est à ce titre, d’ailleurs, que la question du transport sera étudiée dans son programme de travail pour 2015-2017 comme l’a indiqué M. Dominique Maigne, directeur de la Haute Autorité de santé.
En vertu de l’article L. 161-39 du code de la sécurité sociale, la HAS peut être saisie par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) de tout projet de référentiel visant à encadrer la prise en charge par l’assurance maladie d’un type particulier de soins. Cette procédure a été utilisée dans le cadre de la prescription des arrêts de travail afin de valider des fiches repères élaborées par la CNAMTS. Ces fiches mentionnent des durées indicatives d’arrêt de travail en fonction des pathologies et des interventions chirurgicales les plus courantes. Elles ne bénéficient que d’une valeur indicative et servent avant tout à contribuer à harmoniser et objectiver les conditions de prescription.
Sur ce modèle, votre Rapporteur propose de faire réaliser par la CNAMTS des fiches repères indicatives des modes de transport par pathologies et interventions chirurgicales les plus courantes qui seraient validées par la HAS et de demander à cette dernière d’édicter un guide de bonnes pratiques dans ce domaine.
Parallèlement, ce référentiel devrait être mieux suivi par les professionnels de santé.
C’est pourquoi il convient tout d’abord de les responsabiliser.
En premier lieu, l’assurance maladie rappelle aux médecins la réglementation en vigueur et les alerte sur leurs dépenses de transports qu’ils prescrivent, par le biais de visites confraternelles de délégués d’assurance maladie pour les médecins libéraux et de conseillers en établissement pour les praticiens en établissement de santé.
M. Christian Espagno, adjoint au directeur général de l’ANAP, a insisté sur la nécessité de responsabiliser les prescripteurs, particulièrement en les informant de la différence de coût entre les différents moyens de transport qu’ils peuvent prescrire. Pour ce faire, il suggère qu’un volet transport de patient soit prévu dans les commissions médicales d’établissement (CME). Cette instance consultative vise à associer le corps médical à la gestion de l’établissement de santé notamment sur des questions d’organisation du parcours de soins. Votre Rapporteur souscrit à cette proposition.
En Champagne-Ardenne, le programme régional de gestion du risque a consacré un volet aux transports et à la sensibilisation des professionnels de santé au respect du référentiel.
Une de ces règles, celle du choix de l’établissement le plus proche, n’est pas toujours respectée comme cela a été indiqué précédemment. C’est pourquoi, dans la Marne, une action concertée avec le service médical vise à vérifier systématiquement les demandes d’ententes préalable pour les soins effectués à plus de 150 km et applique strictement la réglementation dès lors qu’une offre de soins appropriée existe dans le département. Le remboursement s’effectue sur la base d’un TAP et cible des pathologies spécifiques – chirurgie cardiaque, neurochirurgie ou maladies mentales. 400 000 euros ainsi ont été économisés en 2012 et 2013.
Au final, les résultats de cette action de sensibilisation autour du respect du référentiel des transports dans la région Champagne-Ardenne sont probants, puisqu’elle a permis une économie globale de 70 millions d’euros en 2013.
Le dispositif, mis en place dans les Hauts-de-Seine, est plus drastique. En effet, eu égard à l’offre de soins dans le département, toute demande de prise en charge de frais de transport pour des soins effectués dans des établissements situés à de plus de 150 km y est systématiquement refusée.
La deuxième étape, plus coercitive, consiste à mettre en œuvre la procédure d’entente préalable, pour les professionnels de santé libéraux dont les prescriptions de transports sont atypiques. L’article L. 162-1-5 du code de la sécurité sociale permet la mise sous accord préalable de médecins, pour une durée maximale de six mois, qui prescrivent un nombre de transport significativement supérieur à la moyenne constatée pour une activité comparable dans le même ressort territorial. Ce dispositif est assez peu utilisé. Début 2014, selon les données de la CNAMTS, 34 médecins ont été ciblés dans trois régions. Dans les Hauts-de-Seine, un seul médecin a été mis sous objectif (98), au motif qu’il prescrivait uniquement des transports en ambulances. Ce dispositif devrait être généralisé à tout le territoire en 2015.
Cependant, comme cela a été rappelé ci-dessus, la majorité des prescriptions provient de praticiens hospitaliers, ce qui limite le champ d’application de ce dispositif.
C’est pourquoi la Cour des comptes suggère de mettre en œuvre une mise sous accord préalable des praticiens hospitaliers, à l’identique de celle qui est prévue pour les médecins libéraux.
L’élargissement de ce dispositif se heurte, toutefois, à la difficulté d’individualiser le prescripteur hospitalier. En effet, cette identification par l’assurance maladie n’est toujours pas opérationnelle, ce qui ne permet pas de connaître les dépenses de transport par médecin, mais seulement par établissement. Ce constat récurrent et particulièrement dommageable conduit certains directeurs d’établissements hospitaliers à constater une augmentation significative de leurs dépenses de transport, sans pour autant pouvoir l’analyser, comme le rappelait M. Gérard Recugnat, directeur de la stratégie de l’ARS de Poitou-Charentes.
La MECSS, dans son rapport d’information sur les arrêts de travail et les indemnités journalières (99), avait déjà relevé cette difficulté et préconisait de lever cet obstacle. Votre Rapporteur, de nouveau, préconise de rendre obligatoire l’individualisation des prescriptions des praticiens hospitaliers.
Des réticences de la part des professionnels de santé et des contraintes technologiques expliqueraient les difficultés rencontrées.
Le numéro RPS (répertoire partagé des professionnels de santé) attribué à chaque médecin en vue de son identification n’est pas toujours renseigné par les praticiens hospitaliers, qui n’ont pas le réflexe de l’utiliser.
La lourdeur et la complexité du système d’information à mettre en place expliqueraient, en outre, le retard selon M. Christophe Paille, directeur général de l’ARS de Champagne-Ardenne. Ce qu’a confirmé M. Samuel Pratmarty, sous-directeur par intérim de la régulation de l’offre de soins à la DGOS, qui a indiqué que l’assurance maladie ne pouvait pas encore traiter l’ensemble de ces flux d’information et en extraire des statistiques fiables.
d. Une prise en charge optimisée
Afin de limiter les dépenses, l’assurance maladie encourage deux pratiques encore innovantes ; le transport partagé et le recours aux moyens de transport personnels.
Selon plusieurs estimations, le développement du transport partagé pourrait permettre un gain important d’économies. La FNTS l’a chiffré à 150 millions d’euros par an et selon l’ANAP, le covoiturage réalisé pour des patients dialysés dans un établissement privé (100) aurait permis une économie de 10 euros à 13 euros par jour et par patient. C’est pourquoi votre Rapporteur plaide pour un encouragement de cette pratique.
En pratique, pour l’assurance maladie, le transport de trois patients dans un même VSL permet une réduction tarifaire de 35 % et celui de deux patients, un abattement de 23 %.
Cependant, en 2012, les transports partagés ne représentaient que 12 % des transports en VSL (101).
C’est pourquoi des initiatives incitant au transport partagé ont été mises en œuvre à l’instar de celle mentionnée par M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, dans un centre de lutte contre le cancer dans l’Est, élargie à huit autres centres.
La mise en œuvre du transport partagé est plus délicate pour les taxis. Comme l’a rappelé M. André Dorso, rapporteur pour la mission concertation taxis-VTC (102), la législation proscrit certes la location à la place mais dans le cas des taxis, la location portant sur le véhicule, aucun obstacle ne s’y oppose.
M. Gérard Gabet, président de la Fédération française des taxis de province (FFTP), y est pour sa part favorable. Afin de respecter la réglementation, il propose de facturer le trajet au taximètre et de le répartir entre les assurés transportés. Votre Rapporteur propose qu’une majoration de la tarification soit appliquée en cas de transport partagé afin de le rendre incitatif.
La valorisation des moyens individuels de transport des patients est également une piste de nature à mieux réguler les dépenses.
Dans son rapport sur l’évolution des charges et produits de l’assurance maladie de juillet 2013 (103), la CNAMTS préconise de faciliter le recours au véhicule personnel, en simplifiant et accélérant les procédures de remboursement et en prenant en charge les frais de stationnement. Par ailleurs, la CNAMTS incite les établissements hospitaliers à pratiquer une tarification incitative de leurs parkings.
M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, a détaillé une expérimentation mise en œuvre dans son département. Afin d’inciter les patients souffrant d’insuffisance rénale chronique à utiliser leurs véhicules personnels pour se rendre à leurs séances de dialyse, cinq établissements des Hauts-de-Seine ont conclu une convention avec la caisse. Cette dernière prend en charge les frais de véhicules et participe aux frais de stationnement et s’engage à les rembourser aux patients dans un délai de cinq jours suivant la réception des documents. Les établissements de santé, de leur côté, ciblent les patients et envoient un tableau mensuel des séances. Cette expérimentation pourrait être étendue aux centres de lutte contre le cancer.
Lors de son audition, M. Christian Espagno, adjoint au directeur général de l’ANAP, s’est montré favorable à une prise en charge simplifiée de l’utilisation du véhicule personnel du patient, notamment s’agissant de chirurgie ambulatoire.
C’est pourquoi votre Rapporteur propose d’assurer un remboursement plus rapide des frais de déplacement des patients lorsqu’ils utilisent des moyens de transport individuels et d’inciter les établissements de santé à pratiquer des tarifs de stationnement attractifs.
Ce même rapport de la CNAMTS souhaite mettre en place une carte de transport pour les assurés réalisant des transports itératifs, qui indiquerait si le patient nécessite un transport assis ou couché. Cette solution, comme l’a rappelé M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, permettrait au transporteur de connaître la situation des patients et pour l’assurance maladie de veiller au respect du référentiel. Votre Rapporteur souscrit à cette proposition.
Enfin, des actions autour des transports itératifs permettraient de substantielles économies.
L’exemple du transport des patients dialysés est significatif.
Au niveau national, le montant moyen des remboursements pour un patient dialysé s’élève à 13 000 euros par an et par patient et l’insuffisance rénale chronique (IRC) représente 17 % de l’ensemble des dépenses de transport. Au niveau local, ces chiffres peuvent même être supérieurs. Ainsi, dans le Val d’Oise, le coût moyen des remboursements par personne dialysée s’élève à 15 308 euros contre 928 euros pour l’ensemble des patients transportés. 1 % de ces patients consomment 18,3 % de l’ensemble des frais de transport remboursés.
Afin de contenir ce poste de dépenses, deux solutions peuvent être mises en œuvre : encourager le recours à l’offre la plus proche et améliorer l’organisation de l’offre de soins.
Des expérimentations ont été effectuées afin d’inciter les prescripteurs à favoriser l’offre de soins de proximité et d’éviter de prescrire un transport en ambulances. Lors de son audition, Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, a confirmé le coût entraîné par les transports de patients en insuffisance rénale chronique. Dans son département, 700 malades représentent 15 % de la dépense totale de transports. Le coût moyen par personne dialysée s’élève à 13 000 euros par an. Une expérimentation serait lancée, en lien avec les associations concernées, pour accompagner les patients via une carte de transport. Elle proposerait une liste de transporteurs et supprimerait l’accord préalable. Selon les simulations effectuées par la caisse, 1,5 million d’euros pourraient être économisés.
M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, a fait part également des initiatives de l’assurance maladie pour favoriser une offre de soins de proximité, en liaison avec les ARS, afin de diminuer le temps de transport dans le cas de trajets itératifs. Il a cité l’exemple de la Creuse où les patients en IRC doivent aller soit à Clermont Ferrand soit à Limoges pour effectuer leurs séances et où les dépenses de transport atteignent 30 000 euros par patient par an. Un centre de dialyse pourrait être ouvert à Guéret afin de diminuer les temps de transport et mécaniquement baisser les frais de déplacements. Ce serait profitable à l’assurance maladie et au patient.
Depuis 2013, un plan national de contrôle des transports a été mis en place par l’assurance maladie, qui cible un certain nombre de sociétés faisant apparaître des anomalies de prescription ou de facturation. Il a été reconduit en 2014.
Tirant parti des nouvelles technologies, la CNAMTS encourage un contrôle ciblé qui s’effectue au moyen de requêtes informatiques, permettant de limiter les moyens humains affectés à cette tâche.
Votre Rapporteur préconise que le directeur de la caisse primaire applique automatiquement des pénalités financières, lors de la procédure d’un recouvrement d’indus et saisisse systématiquement le juge pénal, en cas de fraude, dans un but pédagogique et dissuasif. De plus, l’agrément aux entreprises de transport sanitaire serait automatiquement retiré et les caisses primaires d’assurance maladie devraient systématiquement engager une procédure conventionnelle.
De nouveaux moyens informatiques permettent à l’assurance maladie d’optimiser ses contrôles.
Le premier outil consiste dans l’envoi dématérialisé des prescriptions et des factures à l’assurance maladie, ce qui lui permet de pratiquer un contrôle a priori et non plus a posteriori.
La dématérialisation de la prescription permettrait, de plus, d’inciter plus efficacement les professionnels de santé à respecter le référentiel qui y serait adossé.
Cette dématérialisation de la prescription est le point le plus problématique. Bon nombre de professionnels de santé n’ont pas encore intégré ce dispositif dans leur pratique, ce que déplore votre Rapporteur qui suggère d’inciter les professionnels de santé à recourir plus largement à cette procédure. Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, a indiqué que sa caisse avait été choisie pour expérimenter l’envoi de la prescription en ligne par les médecins libéraux. Cette prescription serait transmise au transporteur et ce dernier communiquerait sa facture à la caisse.
La mission de concertation taxis-VTC (104) suggère que la prescription indique l’origine et la destination de la course. Cette proposition a été également proposée par M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, lors de son audition. Votre Rapporteur suggère de compléter le formulaire de prescription qui mentionnerait ces données.
L’état des lieux de l’envoi en ligne des factures à l’assurance maladie est plus avancé. L’assurance maladie expérimente dans la caisse primaire de Reims, une solution de facturation avec les transporteurs sanitaires : le service étendu de facturation intégrée (SEFI). La facture et les pièces justificatives sont dématérialisées et envoyées à la caisse où un contrôle de recevabilité est effectué automatiquement, puis la facture est traitée et réglée au transporteur.
Comme le rappelait Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, cet envoi dématérialisé permet une plus grande fiabilité du contrôle. Les vérifications des conditions de recevabilité s’effectueront en ligne et devraient, à terme, diminuer les rejets. Par ailleurs, cette procédure, en évitant la manipulation de pièces justificatives, permettra de libérer du temps pour d’autres types de contrôle.
C’est pourquoi l’assurance maladie a pour objectif de généraliser cette expérimentation et a fixé comme priorité la fiabilité de la facturation des prestations de transport grâce à la communication en ligne de la situation administrative du patient dans l’avenant n° 6 de la convention entre l’assurance maladie et les transporteurs sanitaires (105).
De même, la convention type à destination des entreprises de taxi (106), en date de 2008, prévoit que les conventions conclues localement entre les représentants des chauffeurs de taxi et le directeur de la caisse primaire d’assurance maladie doivent obligatoirement comprendre une clause liée à la télétransmission.
À titre d’exemple, la nouvelle convention conclue dans les Hauts-de-Seine impose la télétransmission et exige d’atteindre dans un délai de six mois un taux supérieur à 85 %. C’est ainsi que M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie, a indiqué que, dans son département, 91 % des factures de taxi sont transmises par voie électronique.
La convention conclue dans le Val d’Oise est plus incitative puisqu’elle prévoit que le taxi doit privilégier la télétransmission, néanmoins dès lors que le montant des factures remboursables est supérieur à 500 euros par mois au cours d’une période de trois mois consécutifs, il doit opter pour la télétransmission.
Un autre outil, la géolocalisation permettrait d’optimiser le contrôle de l’assurance maladie sur la facturation. Un tel dispositif assurerait la traçabilité des véhicules et permettrait de vérifier le nombre de kilomètres parcourus et les horaires de transport.
À ce stade, la démarche est incitative et fondée sur le volontariat.
Ainsi, l’article premier de l’avenant n° 5 à la convention entre l’assurance maladie et les transporteurs sanitaires privés, signée en avril 2008, a initié une expérimentation visant à promouvoir le développement de systèmes informatiques embarqués dans les véhicules sanitaires, à la fois de type GPS (positionnement et trajet du véhicule par satellite) et de type GPRS (107) pour transmettre des données d’instruction et d’exécution de la prise en charge.
L’avenant n° 7 à cette convention précitée, signé en mars 2014, actualise le dispositif. Le transporteur qui adhère à une option consistant à équiper son véhicule avec un système informatisé de géolocalisation bénéficiera d’une indemnité annuelle de 100 euros par véhicule. Il doit, en outre, s’engager à transmettre ses données.
Lors des auditions, il est apparu que le taux d’équipement des véhicules était variable selon les départements. En région Poitou-Charentes, seul le département de la Vienne dispose d’un parc géolocalisé. En région Nord-Pas-de-Calais, 80 % des véhicules de transports sanitaires seraient équipés.
Ce taux dépend essentiellement de la taille des entreprises. En effet, la géolocalisation est également un moyen pour la société de connaître en temps réel la position et la disponibilité de ses véhicules et ainsi de mieux gérer sa flotte et d’optimiser le taux d’utilisation de ses véhicules.
Les taxis sont plus réticents à s’équiper de ce dispositif, à la fois pour des raisons financières, le coût estimé de l’installation étant de 300 euros et l’abonnement mensuel s’élevant de 10 euros à 20 euros, et culturelles, liées au statut d’artisan indépendant.
L’article premier de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur crée un registre de disponibilité des taxis, qui recense des informations relatives à l’identification, à la disponibilité et à la géolocalisation des taxis. Sa finalité est commerciale, puisqu’elle consiste à améliorer l’accès aux taxis par leurs clients mais les informations relatives à la géolocalisation pourraient aussi servir au contrôle de la facturation. Néanmoins, ce dispositif requiert une démarche volontaire des artisans taxis.
Aussi votre Rapporteur suggère-t-il d’imposer l’équipement de tous les véhicules chargés du transport de patients d’un dispositif de géolocalisation. Cette disposition conditionnerait leur conventionnement avec l’assurance maladie et la prise en charge de leurs trajets par l’assurance maladie.
b. Une expérimentation prometteuse
Votre Rapporteur a été particulièrement attentif à la mise en place de l’application CACTUS (contrôle automatisé des caisses sur les transporteurs sanitaires), développé par la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, qui utilise le croisement de fichiers et permet d’opérer un ciblage du contrôle.
Cette application informatique regroupe un certain nombre de données sur les transports de patients en Île de France afin d’opérer des contrôles sur l’activité des transporteurs sanitaires et de détecter d’éventuelles irrégularités qui pourront donner lieu à un contrôle.
Elle a intégré au sein de cette application plusieurs informations, dont notamment :
– la liste des véhicules autorisés et leur personnel via le répertoire national des transports et les listes des ARS (date de création de la société, numéro d’identification, liste du personnel avec leur diplôme et liste des véhicules comprenant le type et les autorisations) ;
– les arrêts maladie du personnel ;
– des références kilométriques et horaires (temps de trajet entre deux communes) via une application Michelin (108) ;
– le chiffre d’affaires des sociétés grâce au relevé individuel d’activité et de prescription (RIAP) ;
– les cotisations URSSAF du personnel par le biais de la déclaration automatisée des données sociales (DADS).
Ce dispositif a permis de détecter de multiples anomalies :
– retrait de l’agrément des transporteurs, utilisation d’un véhicule personnel ;
– personnel non autorisé (retrait de permis, absence de diplôme), travail dissimulé ;
– facturations erronées : double remboursement, surfacturation kilométrique, incompatibilité d’horaires, communes inconnues, majoration injustifiée (nuit, jour férié, supplément SAMU) ;
– transport fictif ;
– prescriptions datant de plus de six mois ;
– non-respect du mode de transport prescrit.
En 2013, le contrôle après remboursement a donné lieu à 259 788 euros d’indus. Cette application devrait être étendue à l’ensemble des caisses d’Île de France, puis aux caisses des autres régions qui en feront la demande. Auditionnées, les caisses du Val-d’Oise et de la Marne ont indiqué qu’elles devraient le mettre en place au cours de l’année. M. Mathieu Frélaut, directeur adjoint de la caisse primaire de la Marne, a souligné que cet outil devait cependant être adapté en fonction des caractéristiques propres à chaque territoire.
Cet outil prometteur permettrait de contrôler les petites fraudes au kilométrage réparties entre de multiples transporteurs, c’est pourquoi votre Rapporteur est favorable à sa généralisation.
La Commission des affaires sociales examine le rapport d’information de M. Pierre Morange en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur le transport de patients au cours de sa séance du mercredi 26 novembre 2014.
Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. À la demande de son coprésident M. Pierre Morange, la MECSS s’est saisie de la question du transport de patients, en travaillant sur le fondement d’une insertion de la Cour des comptes dans son rapport sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. La MECSS s’est réunie sur ce thème d’avril à novembre 2014, avant d’adopter le 18 novembre dernier le rapport qui va nous être présenté.
Son sujet n’est pas sans lien avec celui de la mission d’information sur l’organisation de la permanence des soins, dont notre présidente Mme Catherine Lemorton est rapporteure, ne serait-ce que parce que la permanence des soins suppose une permanence opérationnelle des transports lorsque l’état de santé des patients ne leur permet pas de se déplacer seuls. Le rapport de cette autre mission d’information devrait nous être présenté le 17 décembre prochain, avant l’examen du projet de loi relatif à la santé, lequel pourrait permettre de débattre d’évolutions législatives dans ces deux domaines.
M. Pierre Morange, rapporteur. En effet, le rapport de la MECSS s’inscrit dans la continuité du rapport publié par la Cour des comptes en septembre 2012, après les rapports présentés par MM. Jean-Claude Mallet et Gérard Dumont ainsi que par M. Didier Eyssartier, mais aussi dans le cadre de la réflexion sur la permanence des soins.
Particulièrement dynamiques, les dépenses de transport de patients sont passées de 2,3 milliards en 2003 à 4 milliards d’euros en 2013. Entre 2001 et 2010, leur augmentation au sein de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) a été de 63 %, contre 39 % pour les autres dépenses comprises dans ce périmètre.
Pour expliquer cette évolution, on a coutume d’invoquer trois facteurs. D’abord, le vieillissement démographique, ensuite, l’augmentation du nombre de personnes atteintes d’affections de longue durée (ALD), qui concernent 60 % des personnes transportées et concentrent 80 % des dépenses de transport. Cinq pathologies dominent : le cancer, pour 23 % des dépenses, l’insuffisance rénale chronique – essentiellement les dialyses –, à hauteur de 17 %, les troubles psychiatriques et les maladies cardio-vasculaires, pour 15 % et, enfin, le diabète. Le troisième facteur de cette progression est le regroupement géographique des plateaux techniques spécialisés.
Mais d’autres paramètres interviennent : la gouvernance du secteur n’est pas maîtrisée ; l’offre de transports est hétérogène et hypertrophiée ; la demande n’est pas correctement encadrée et le contrôle reste insuffisant.
D’une manière générale, le dynamisme de la dépense s’explique par un dévoiement du sens initial de la prescription du transport de patients. Celui-ci dépend en principe d’une décision médicale, laquelle est soumise au code de la sécurité sociale, en particulier à son article L. 322-5 : le mode de transport choisi doit être le moins onéreux qui soit compatible avec l’état du patient, et celui-ci doit être orienté vers l’établissement approprié le plus proche.
Or, du côté des patients, cette prestation médicale est désormais perçue comme un droit au transport justifiant la délivrance d’une sorte de bon de transport.
Quant aux professionnels de santé, ils ne s’appuient pas assez sur le référentiel de prescription de transport de 2006, lui-même insuffisant. Il arrive, d’ailleurs, que la prescription soit établie par une secrétaire médicale, parfois même a posteriori, sous la pression des entreprises de transport.
Du côté des transporteurs, en effet, qui se répartissent entre les ambulances, les véhicules sanitaires légers (VSL) et les taxis, on observe des stratégies d’optimisation financière. Entre 2003 et 2013, les dépenses de transport en ambulance sont passées de 900 millions à 1,6 milliard d’euros ; les dépenses de VSL sont restées stables, à 800 millions d’euros, alors que le poste taxis est passé de 500 millions à 1,5 milliard d’euros. Cette forte hausse doit être mise en relation avec la tarification, celle des taxis étant supérieure de 50 % en moyenne à celle qui s’applique aux VSL. On constate par ailleurs une très forte augmentation de la flotte de taxis, le nombre de véhicules conventionnés passant de 31 000 à 37 000 entre 2009 et 2013.
À ces paramètres s’ajoute, je l’ai dit, une gouvernance éclatée. Deux ministères pilotent le transport de patients : le ministère des affaires sociales et de la santé, par l’intermédiaire des agences régionales de santé (ARS), dont dépendent les agréments, et des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), qui gèrent le conventionnement et le ministère de l’intérieur, qui supervise les taxis, sachant que ce sont les maires qui délivrent les autorisations de stationnement. En outre, l’articulation entre l’agrément et le conventionnement fait défaut. Tous ces facteurs empêchent de rationaliser l’offre pour répondre à la demande.
Enfin, le contrôle est insuffisant, notamment lorsqu’il s’agit de vérifier les surfacturations, et les pénalités ne sont pas assez dissuasives.
Dans son rapport – adopté à l’unanimité par les membres de la MECSS, ce dont je remercie la coprésidente Mme Gisèle Biémouret et l’ensemble des membres de la mission, sans oublier nos administrateurs qui ont fourni un travail remarquable –, la MECSS formule 22 préconisations.
Pour coordonner le pilotage – c’est le premier chapitre –, nous proposons en premier lieu d’inclure un volet transport dans les schémas régionaux d’organisation des soins des ARS, afin de mieux appréhender l’effet du regroupement de plateaux techniques sur les déplacements. Deuxièmement, pour mieux articuler la délivrance de l’agrément et le conventionnement, les CPAM seraient désormais chargées de l’agrément, par délégation de compétence de l’ARS. Cette unité de commandement mettra un terme à la situation absurde dans laquelle le retrait de l’agrément entraîne automatiquement le déconventionnement alors que la réciproque n’est pas vraie. Troisièmement, un représentant des caisses primaires locales d’assurance maladie participerait au comité de transport sanitaire. Quatrièmement, les données, en particulier le répertoire national des transports de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), seraient partagées entre tous les acteurs ; les ARS y tiennent beaucoup.
Pour restructurer l’offre, ensuite, notre cinquième préconisation tend à harmoniser la tarification des transports assis professionnalisés (TAP) en rapprochant les tarifs des taxis et ceux des VSL, sur le fondement du kilométrage et de la prise en charge, abstraction faite des retours à vide et des temps d’attente qui n’ont pas à être facturés à l’assurance maladie. En revanche, une majoration bénéficierait aux transports partagés, dont le développement pourrait permettre d’économiser 150 millions d’euros par an, à en croire la Fédération nationale des transporteurs sanitaires. On voit la portée d’une simple rationalisation – car rationaliser, et non rationner, telle est l’antienne de la MECSS.
Notre sixième préconisation vise à actualiser l’arrêté de 1995 qui définit les plafonds d’autorisation de mise en service des véhicules sanitaires en fonction des besoins de la population. Elle a été quelque peu anticipée par l’adoption de l’article 45 du PLFSS pour 2015.
Septième préconisation : rendre conforme l’avis de la commission départementale ou communale quant à la délivrance des autorisations de stationnement des taxis, toujours afin de réguler l’offre.
J’en viens au chapitre de la rationalisation des dépenses, qui correspond à nos préconisations 8 à 12. La huitième préconisation consiste à favoriser le transport partagé dans les VSL et les taxis. La neuvième tend à inciter les patients à utiliser un mode de transport individuel car, dans nombre de cas, le simple remboursement des frais de stationnement pourrait heureusement se substituer aux dépenses de transport de patients. Dixième préconisation : créer une carte individuelle de transport pour les patients atteints de pathologies chroniques, notamment celles qui nécessitent des dialyses, afin d’instaurer une sorte de forfaitisation.
La onzième proposition concerne la budgétisation hospitalière des dépenses de transport qui constitue un sujet sensible : les transporteurs de patients redoutent que les petites entreprises de transport disparaissent faute de pouvoir répondre aux appels d’offres qui en découleraient. Rappelons que, sur les 5 500 entreprises de transport de patients existantes, qui regroupent 55 000 salariés, 4 % seulement emploient plus de 50 salariés. Toutefois, 40 % des entreprises de transport sanitaire possèdent aussi une flotte de taxis.
La budgétisation hospitalière suppose d’introduire un volet transport dans la conférence médicale d’établissement ; de rendre obligatoire l’individualisation des prescriptions des praticiens hospitaliers afin de les responsabiliser – 63 % des prescriptions de transport émanent des établissements de soins – et de garantir la traçabilité de l’acte ; enfin, de restructurer les flux de transport au sein de l’hôpital grâce à une gestion centralisée incluant l’anticipation des sorties, la création de salons d’attente, la centralisation de la commande de transport et la revitalisation du « tour de rôle », lequel évitera d’exclure les petits transporteurs en donnant leur chance à tous ceux qui satisfont aux clauses techniques et aux normes sanitaires.
Douzième proposition : demander au Gouvernement de publier le décret d’application de l’article 39 du PLFSS pour 2014, qui permet de mener des expérimentations en vue d’internaliser la prestation de transports.
D’autres préconisations ont pour objet de renforcer et d’améliorer le contrôle. La treizième tend à compléter le formulaire de prescription de transport par la mention du point d’arrivée et, le cas échéant, de l’origine. Quatorzième préconisation : encourager la dématérialisation de la prescription auprès des professionnels de santé et des transporteurs. Préconisation 15 : rendre obligatoire la géolocalisation de tous les véhicules – ambulances, VSL et taxis – en en faisant une condition du conventionnement avec l’assurance maladie. Seizième proposition : améliorer le référentiel de prescription de 2006 précité en l’affinant par des fiches repères établies par la CNAMTS et validées par la Haute Autorité de santé (HAS). Dix-septième proposition : donner pour instruction aux directeurs des CPAM d’appliquer systématiquement des pénalités financières lors d’un recouvrement d’indus et de saisir tout aussi systématiquement le juge pénal.
Dernier chapitre : la rénovation des transports urgents pré-hospitaliers.
Dans cette perspective, la dix-huitième préconisation tend à demander au Gouvernement de prendre le décret d’application de l’article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, qui permet de mener des expérimentations concernant les transports sanitaires urgents pré-hospitaliers.
La dix-neuvième vise à instaurer des plateformes communes aux services d’incendie et de secours (SDIS) et aux services d’aide médicale urgente (SAMU), à rebours d’une opposition « culturelle » entre « rouges » et « blancs ». Dans les départements qui ont expérimenté ces plateformes, les compétences de chacun ne sont nullement remises en cause. On ne peut continuer de faire dépendre de dispositifs séparés ces deux structures qui bénéficient de financements publics.
Vingtième proposition : faire participer un représentant de l’assurance maladie au comité départemental de l’aide médicale urgente.
Vingt-et-unième proposition : revoir les secteurs de la garde ambulancière. En la matière, le principe est le suivant : les transporteurs privés assurant la garde perçoivent un forfait de 346 euros par période de douze heures et un abattement de 60 % sur le tarif conventionnel s’applique à chaque déplacement. Or la garde ambulancière est très peu utilisée dans certains territoires, au point que l’on peut s’interroger sur la nécessité d’un tel dispositif financièrement aussi lourd et pourtant insuffisant dans la mesure où l’indemnité couvrirait à peine 75 % du coût, selon les transporteurs sanitaires. En outre, on constate des tentatives de contournement du dispositif : certaines entreprises chargées d’établir le « tour de garde » organisent la carence pour faire sortir des véhicules à plein tarif la nuit, ce qui n’est pas tolérable.
Il est donc proposé que les SDIS prennent le relais lorsque le nombre de déplacements et les besoins ne justifient pas le maintien de la garde ambulancière. Plus précisément, le redécoupage serait non seulement géographique mais temporel, grâce à une distinction entre la période qui précède minuit, où le nombre de demandes est maximal, et la seconde partie de la nuit – dite nuit profonde –, qui, ne nécessitant pas un système de garde ambulancière, pourrait être couverte par les SDIS, déjà présents dans les départements.
La vingt-deuxième et dernière préconisation consiste en une mesure disciplinaire de retrait de l’agrément des entreprises de transport sanitaire qui ne respecteraient pas leurs obligations de garde ambulancière.
Dans son rapport de septembre 2012, la Cour des comptes évaluait à 450 millions d’euros les économies susceptibles d’être réalisées sur les dépenses de transport de patients, dont un tiers résulterait d’un plus grand respect du référentiel de prescription, un tiers de la réforme de la garde ambulancière et un tiers du contrôle et de la lutte contre la fraude.
Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. Merci, monsieur le rapporteur, de cette présentation complète et dense, sur un sujet difficile dont il a beaucoup été question au cours des dernières années et à propos duquel je salue, comme en d’autres matières, votre persévérance.
Mme Gisèle Biémouret. Coprésidente de la MECSS, je salue à mon tour votre excellent travail, monsieur le rapporteur.
Notre Assemblée, tous courants confondus, est d’accord avec la Cour des comptes : il faut maîtriser les dépenses de transport de patients. Le Gouvernement prend lui aussi le problème au sérieux puisqu’il a inclus cet objectif parmi les dix priorités assignées aux ARS pour 2014 en matière de gestion du risque, et a introduit dans le PLFSS pour 2015, à l’article 45, une mesure destinée à mieux maîtriser l’offre de taxis conventionnés pour transporter des malades dans les territoires.
Élue d’un territoire rural, j’ai constaté le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre des patients atteints d’une ALD et le regroupement des plateaux techniques auxquels vous attribuez la hausse des dépenses. Je partage également vos préoccupations sur le rôle des SDIS et la manière dont ils sont détournés de leur mission première en raison de la carence ambulancière. Votre proposition de créer une plateforme commune au SAMU et au SDIS dans les zones peu peuplées me paraît donc appropriée. Nous l’expérimentons dans le Gers depuis plusieurs années, avec succès.
Vous proposez par ailleurs de transférer des ARS aux CPAM la délivrance des agréments et l’autorisation de mise en service des véhicules. Ne serait-il pas cependant logique que les ARS, qui jouent un rôle reconnu dans la répartition de l’offre de soins, continuent de délivrer les agréments et d’évaluer les transports sanitaires ? L’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) a d’ailleurs décidé de renforcer son appui aux ARS en créant un logiciel destiné à évaluer l’effet sur les transports existants d’une réorganisation de l’offre de soins.
En conclusion, votre rapport nous sera particulièrement utile dans la perspective du projet de loi relatif à la santé qui nous sera bientôt soumis.
Mme Joëlle Huillier. Le très bon rapport de M. Pierre Morange ayant été adopté à l’unanimité le 18 novembre par la MECSS, dont je fais partie, je ne me permettrai que d’apporter quelques précisions à ses conclusions sans qu’il soit question de les remettre en cause.
En ce qui concerne la coordination du pilotage, l’ensemble des préconisations devrait au préalable faire l’objet d’une étude d’impact globale. Les auditions ont montré qu’il existait des initiatives de pilotage concerté. Gardons-nous donc d’appliquer séparément les mesures préconisées si nous voulons parvenir à un pilotage simple, efficace et compris de tous.
S’agissant de la restructuration de l’offre, l’harmonisation tarifaire du transport assis professionnalisé par le rapprochement entre les tarifs des VSL et ceux des taxis me paraît tout à fait pertinente. Là encore, une étude d’impact s’impose cependant en amont, tant les réglementations diffèrent.
Au chapitre de la rationalisation des dépenses, il est proposé de créer une carte individuelle de transport qui indiquerait le mode de transport requis pour les patients atteints d’une pathologie chronique nécessitant des trajets itératifs. Je signale que l’assurance maladie conduit à partir du 1er décembre une expérimentation portant sur les soins itératifs relatifs au traitement de l’insuffisance rénale chronique. Il serait intéressant d’en connaître les résultats avant de procéder à une généralisation.
Dans le même chapitre, j’apporterai un léger bémol à la dernière préconisation, consistant à demander au Gouvernement de prendre le décret d’application de l’article 39 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 qui permet de mener des expérimentations afin d’internaliser la prestation de transports non urgents au sein des établissements de santé. Je n’ai pas d’objection quant au fond, mais vu les difficultés que connaissent ces établissements, je doute que le moment soit bien choisi pour envisager de nouvelles expérimentations alors que les ARS sont libres d’en lancer, en les faisant financer par le fonds d’intervention régional (FIR). D’autant, monsieur le rapporteur, que vos autres propositions, tout à fait opportunes, limitent beaucoup l’intérêt de celle-ci.
En ce qui concerne enfin le renforcement des contrôles, je n’ai aucune observation à formuler, sinon pour confirmer qu’il est urgent de mettre en œuvre vos préconisations.
Je vous renouvelle mes félicitations pour ce rapport qui dresse un état des lieux très clair et propose des mesures permettant de répondre aux besoins de la population dans un cadre structuré indispensable, garant de la bonne gestion des fonds de la sécurité sociale.
M. Jean-Pierre Door. Un patient doit pouvoir se déplacer pour bénéficier de soins et pour regagner son domicile après une hospitalisation ou après une consultation spécialisée. Mais les dépenses de transport de patients ont considérablement augmenté, selon l’assurance maladie, et continuent d’augmenter d’année en année. La Cour des comptes observait en septembre 2012 que « les déterminants de [la dépense] demeuraient insuffisamment étudiés » mais qu’« une action résolue et cohérente permettrait […] des économies », ou tout au moins une rationalisation. Tel est l’objectif de ce rapport à la fois concis et riche de pistes. Je retiendrai principalement les suivantes.
D’abord, la préconisation 16 relative au respect du référentiel de prescription. Celui-ci, totalement perdu de vue depuis plusieurs années, doit maintenant être affiné par la CNAMTS et validé par la HAS, entièrement indépendante, insoupçonnable et chargée de l’évaluation médico-économique, laquelle est fondamentale. Le respect du référentiel devra faire l’objet d’un contrôle.
Ensuite, la préconisation 11 sur les dépenses hospitalières. À la sortie de l’hôpital, les transports sont prescrits par une infirmière, un interne, un externe, voire une autre personne du service, qui orientent tantôt vers un taxi, tantôt vers une ambulance, etc. Et, au bout du compte, la dépense est répertoriée dans la médecine de ville. Il faut absolument distinguer, dans la prise en charge des dépenses, ce qui relève de l’hôpital de ce qui relève des soins de ville.
La préconisation 15 consiste à rendre obligatoire la géolocalisation, qui existe déjà pour les taxis et pour les transports publics. Assurément intéressante, ne sera-t-elle pas cependant difficile à mettre en œuvre ?
La proposition de dématérialisation de la prescription mérite elle aussi d’être soutenue.
J’en viens à mes questions.
Avant même l’examen du projet de loi relatif à la santé, qui contiendra probablement des dispositions concernant les transports, la mission d’information sur l’organisation de la permanence des soins conclura ses travaux dans quelques semaines. Il en ressort que, s’agissant des soins ambulatoires, les relations entre les transporteurs privés et le SDIS sont difficiles car, trop souvent, le SDIS se déplace en réponse à des appels qui ne justifient pas son intervention, se substituant aux transporteurs classiques. Je l’ai moi-même constaté comme vice-président d’un SDIS. Ce phénomène a un coût et tend à détourner le SDIS de son cœur de métier.
Par ailleurs, pendant la première partie de la nuit, ce sont souvent les maisons médicales de garde – elles sont aujourd’hui 300 à 400 en France – qui assurent la permanence des soins : on peut être orienté vers ces structures en appelant le 15. L’assurance maladie ne pourrait-elle prendre en charge le trajet qui en découle pour les habitants de territoires ruraux ou éloignés des centres urbains qui n’ont pas de moyens personnels de se déplacer ? On orienterait ainsi le flux de patients vers les permanenciers au lieu de surcharger les urgences hospitalières. Nous en parlerons dans le rapport de la mission d’information sur la permanence des soins que j’ai l’honneur de présider.
Enfin, le rapport n’aborde pas la prise en charge des déplacements entre la Corse et le continent, qui couvre non seulement des urgences mais aussi des consultations spécialisées ou même des consultations simples, voire le trajet de la personne accompagnant le patient. Il ne s’agit pas de la supprimer, car elle répond à des besoins, mais d’en évaluer le coût annuel.
Membre de la MECSS, je donne naturellement mon satisfecit au rapporteur pour cet excellent travail.
Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. En 2007, le rapport de notre collègue M. Georges Colombier sur la prise en charge des urgences médicales abordait déjà les problèmes d’engorgement et la possibilité d’y remédier en orientant les patients vers d’autres structures. C’est donc un travail de longue haleine que nous poursuivons ici.
Mme Isabelle Le Callennec. Je remercie à mon tour M. Pierre Morange pour cet excellent rapport, très attendu, particulièrement éclairant et très utile en vue de l’optimisation des dépenses sociales que nous appelons tous de nos vœux. Il souligne d’importantes dérives – le mot est du rapporteur – et souligne la nécessité d’une réorganisation du secteur et d’une rationalisation des dépenses dans lesquelles les ARS seront certainement appelées à jouer un rôle majeur.
Le rapport a été voté à l’unanimité par la MECSS et j’espère qu’il le sera également par notre commission, mais il restera alors à mettre en œuvre ses préconisations. Or, lors de l’examen du PLFSS pour 2015, plusieurs amendements de notre collègue Bérengère Poletti, fondés sur un rapport d’information sur les arrêts de travail et les indemnités journalières également voté à l’unanimité par la MECSS, n’en ont pas moins été rejetés. Je fais le rêve que, lors des débats sur le projet de loi relatif à la santé, des amendements qui relayeraient des recommandations du présent rapport puissent être votés sinon à l’unanimité, du moins à la majorité. Ce serait un progrès pour nous tous.
M. le rapporteur. J’ai proposé dès 2006 l’interconnexion des fichiers afin de lutter contre la fraude sociale. Le décret d’application correspondant est paru en 2010. Et nous venons seulement de finaliser le dispositif grâce à l’adoption d’un amendement permettant d’inscrire les données relatives aux montants de prestations reçues dans le répertoire national commun de protection sociale et de rendre les échanges de données automatiques. J’en remercie mes collègues de la commission ainsi que tous ceux qui l’ont voté dans l’hémicycle.
Ce ne fut pas facile : il y a fallu une réflexion politique et une longue maturation. Défavorable au départ, le Gouvernement a fini par s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée. La mesure a été adoptée et le dispositif pourra être opérationnel. Le Gouvernement n’escompte-t-il pas de la lutte contre la fraude quelque 500 millions d’euros, qui doivent être portés à 900 millions à la suite des préconisations de Bruxelles ? Il me semble qu’il ne peut que s’associer à notre démarche.
Enfin, sans préjuger du vote de la MECSS sur le présent rapport, j’avais déposé des amendements au PLFSS 2015, notamment sur la géolocalisation obligatoire et sur la délégation de compétence des ARS aux CPAM en matière d’agrément, qui n’ont malheureusement pas été adoptés. Mais je ne doute pas qu’à force de remettre l’ouvrage sur le métier, nous parviendrons à faire accepter ces propositions de bon sens qui transcendent les clivages idéologiques et concourent à un objectif partagé de maîtrise des dépenses.
Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. J’avais moi-même proposé il y a sept ans par voie d’amendement une disposition sur le transport des enfants handicapés vers les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) qui a finalement été retenue il y a peu par le comité interministériel du handicap. Mieux vaut tard que jamais, pour ces enfants et leur famille.
Mme Chaynesse Khirouni. Monsieur le rapporteur, je partage votre souhait d’améliorer le transport de patients et de mieux structurer l’offre et la demande au sein du parcours de soins.
Je profite de l’occasion pour étendre le débat au transport d’enfants handicapés en taxi, à propos duquel des parents m’ont alertée dans ma circonscription. Ce problème n’est pas abordé dans le rapport, mais lui est indirectement lié.
Au-delà des questions de coût et d’optimisation des dépenses, c’est la sécurité des enfants qui doit être améliorée. Les parents déplorent notamment l’absence d’équipement adapté, ne serait-ce qu’un simple siège rehausseur. De nombreux chauffeurs ne connaissent pas bien le handicap et n’adoptent pas toujours un comportement adapté à la situation. Il convient d’accompagner et de rassurer les familles qui confient leur enfant à une tierce personne, et de faire en sorte que les chauffeurs assurent une prestation de qualité, irréductible à une course simple.
Pouvons-nous envisager de travailler sur cette question ?
M. Dominique Dord. Merci à M. Pierre Morange pour cet excellent rapport, que je regarderais de très près si j’étais ministre de la santé : quatre milliards d’euros de dépenses, quelque 500 millions d’euros d’économies potentielles, ce n’est pas rien, surtout s’agissant d’un domaine qui déchaîne moins les passions que d’autres en cette matière.
Je suis toutefois surpris de ne pas y trouver le moindre élément kilométrique. Avec ces quatre milliards d’euros, combien parcourt-on de kilomètres ? Naturellement, cet aspect n’est pas le seul pertinent si l’on songe aux courses en ville ou à certains déplacements très spécifiques, mais ces cas sont l’exception et non la règle. Cette lacune est d’autant plus surprenante que l’administration fiscale est la reine des barèmes kilométriques !
À mes yeux, la proposition la plus importante est celle qui vise l’harmonisation tarifaire entre les VSL et les taxis. Encore faut-il avoir ici la main légère, car en remettant en cause l’économie actuelle du transport sanitaire, on risque de créer d’autres problèmes.
Mme Annie Le Houérou. Je félicite à mon tour le rapporteur et l’ensemble de la MECSS pour ce rapport.
La première préconisation tend à « prévoir un volet transport dans les schémas régionaux d’organisation des soins des ARS afin de mieux appréhender, lors du regroupement des plateaux techniques, l’impact sur les déplacements et les dépenses de transport et de mieux prendre en compte l’opportunité de créer des centres de soins de proximité pour les soins itératifs comme la dialyse ».
Elle témoigne de l’effet de la centralisation de l’offre de soins dans des plateaux techniques très sophistiqués. Ainsi, on a tendance à orienter les malades atteints d’un cancer vers ces centres très spécialisés, souvent régionaux, ce qui impose à ces patients des déplacements très pénibles, alors que l’on pourrait trouver des solutions beaucoup moins onéreuses, par exemple des chimiothérapies délocalisées dans des hôpitaux de proximité, sous la responsabilité d’infirmières spécialisées qui resteraient en lien avec le médecin ayant défini le protocole. Nous devons nous efforcer d’accroître la coopération entre les pôles d’excellence et les hôpitaux de proximité. Il nous faudra également développer la télémédecine, pour une prise en charge au plus près du patient, beaucoup plus confortable. Dans ma circonscription, certains patients se mettent en route à cinq heures du matin ou repartent à minuit pour se faire soigner à Rennes ou à Saint-Brieuc, à deux ou trois heures de leur domicile. Je songe aussi à la télédialyse. Nous devons d’autant plus évoluer en ce sens que la population vieillit. La stratégie nationale de santé nous y aidera.
La proposition de M. Jean-Pierre Door sur le transport des personnes vulnérables vers les maisons médicales de garde mériterait également d’être étudiée.
Un meilleur service, un service de proximité, sans compromettre la qualité de la prise en charge, tel est en somme l’objectif que nous devons viser.
Mme Bernadette Laclais. Je salue à mon tour ce travail approfondi, équilibré et complet, qui vise à améliorer la qualité de la prise en charge tout en maîtrisant la dépense.
Comme M. Dominique Dord, je suis élue d’un département de montagne, où l’on compte les trajets en heures plutôt qu’en kilomètres. Il convient donc de concilier les deux approches.
Dans le droit-fil du propos de Mme Annie Le Houérou, j’aimerais évoquer une belle expérimentation qui a permis, dans la vallée de la Maurienne, d’ouvrir des places en chimiothérapie de jour, sous la responsabilité de l’hôpital du chef-lieu, ce qui évite des transports coûteux et surtout très fatigants pour les patients. Les malades ne se déplacent plus qu’une fois par mois pour un contrôle. Il existe dans nos territoires bien d’autres innovations qui méritent d’être mises en avant et de nourrir notre réflexion.
Il convient également d’étudier avec les villes les questions de stationnement et de circulation, afin de gagner un temps précieux du point de vue du coût comme du confort des malades – qui préoccupe aussi la MECSS.
Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. Au-delà de l’aspect financier, c’est en effet la qualité du transport des patients, et plus généralement des personnes vulnérables, qui est en jeu. Nous sommes tous interpellés sur ces sujets et nous ne pouvons plus nous dispenser de cette réflexion. Comme l’a rappelé notre collègue Chaynesse Khirouni à propos du transport des enfants handicapés, trop souvent les intervenants sont mal informés, peu sensibilisés, ce qui rejaillit sur la qualité du service. Les personnes transportées sont parfois moins bien traitées que des colis : c’est inadmissible !
Du transport dépend l’égalité d’accès à des soins de qualité, et plus généralement l’accès aux différents lieux de vie des personnes appelées à fréquenter les établissements et services médico-sociaux. Peut-on compléter en ce sens le volet transport que le rapport propose d’inclure dans les schémas régionaux d’organisation des soins des ARS ? Cela pourrait contribuer à renforcer l’appui de l’ANAP aux ARS.
Au-delà de cette préconisation, pourrait-on compléter la réglementation en vigueur, notamment en matière d’agrément, par une charte spécifique comportant des obligations de sensibilisation, de formation et d’engagement des professionnels, en contrepartie d’une labellisation « Handitransport », sur le modèle du label Handibat dans le bâtiment ?
M. le rapporteur. Je vous remercie tous pour vos éloges ; ils s’adressent en réalité à l’ensemble des membres de la MECSS, dont les préconisations de sagesse sont toujours collectives – c’est la spécificité de cette mission.
Madame Gisèle Biémouret, si je propose de transférer l’agrément des ARS aux CPAM, c’est parce que celles-ci se situent au niveau opérationnel et que la proximité qui en découle les rend plus à même d’assurer l’agrément comme le conventionnement. Les ARS, de création récente, doivent assumer une mission stratégique de premier plan qui comprend déjà l’aspect environnemental, le secteur médico-social, l’organisation de la démocratie sanitaire, etc., dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire. Soyons pragmatiques : déchargeons les des tâches trop lourdes en gestion. En revanche, les ARS doivent avoir accès à toutes les données en vue de l’élaboration du schéma régional d’organisation des soins.
Madame Joëlle Huillier, vous avez raison de demander des études d’impact : il va de soi que nos préconisations ne sauraient être appliquées du jour au lendemain, sans évaluation. Diverses expérimentations existantes peuvent nourrir cette approche pragmatique. L’évaluation doit être globale, pluridisciplinaire et plurifactorielle. Toutefois, et sans oublier le caractère obligatoire de l’étude d’impact préalable en matière législative, ne différons pas trop la mise en œuvre de mesures de bon sens qui font l’unanimité au sein de la représentation nationale.
Quant à la budgétisation hospitalière des dépenses de transport, j’en propose le principe sachant que la montée en puissance serait progressive. Tel est le sens des préconisations tendant à introduire un volet transport dans la conférence médicale d’établissement de l’hôpital, à individualiser les prescriptions hospitalières de transport, à réguler les flux de transport par la gestion des lits et l’anticipation des sorties. Quant à la revitalisation du « tour de rôle » pour la commande du transport, elle devrait apaiser les inquiétudes des petits transporteurs qui craignent d’être défavorisés par rapport aux grandes entreprises.
Monsieur Jean-Pierre Door, le respect des référentiels de prescription est une préoccupation ancienne et essentielle. Contrairement à ce que l’on croit souvent, ces référentiels ne portent pas atteinte à la liberté de prescription du médecin, mais représentent une aide, un outil de formation professionnelle en quelque sorte. Les fiches repères doivent être établies par la CNAMTS au titre de son rôle assurantiel et médico-économique, mais être aussi validées par la HAS afin que l’on ne puisse les soupçonner d’être dictées par la seule considération de l’efficacité économique.
La géolocalisation des taxis ne pose pas de difficultés techniques. C’est essentiellement l’aspect financier qui motive les réserves des fédérations de taxis à cet égard. À l’heure actuelle, la géolocalisation se fonde sur le volontariat. Rappelons que la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur promeut la géolocalisation pour améliorer le service rendu aux clients mais ne la rend pas obligatoire. Ici, l’objectif est à la fois économique et sanitaire, la géolocalisation conditionnant le conventionnement avec l’assurance maladie. Cette proposition devrait pouvoir trouver une issue heureuse si nous faisons preuve de pédagogie.
En ce qui concerne les SDIS, le coût de déplacement d’un camion représente en théorie 110 euros – contre 65 euros pour une ambulance – et près de dix fois plus si l’on tient compte de l’armement et du personnel embarqué, à en croire l’Association des départements de France. Une rationalisation de l’offre est donc nécessaire, d’autant que l’intervention en cas de sinistre, cœur de métier des sapeurs-pompiers, ne représente plus que 20 % de leur activité, contre plus de 52 % pour le secours à personne.
La prise en charge des transports à destination des maisons médicales de garde est un véritable enjeu, car l’offre de soins se doit d’être déconcentrée, dans les cas cités par M. Jean-Pierre Door comme s’agissant des plateaux techniques ultraspécialisés que d’autres ont évoqués. Les maisons médicales de garde ne font pas à ce jour partie du dispositif mais l’évaluation médico-économique pourrait conduire à les intégrer au parcours de soins. Il est légitime que la mission d’information sur la permanence des soins formule une préconisation en ce sens.
S’agissant enfin de la Corse, l’évaluation est évidemment nécessaire. Le problème est le même que pour les zones rurales ou de montagne en général, les centres hyperspécialisés se trouvant sur le continent.
La pédagogie est l’art de la répétition, Madame Isabelle Le Callennec !
Madame la présidente, madame Chaynesse Khirouni, si le transport des enfants handicapés, sujet très douloureux, n’est pas abordé dans le rapport, c’est uniquement parce qu’il relève de l’enveloppe médico-sociale et non de l’enveloppe des soins de ville. La situation est totalement anormale : le transport des enfants handicapés ou des personnes en grande dépendance est assuré dans un cadre insuffisamment normé, par des chauffeurs non formés. Il faut quelque 760 heures de formation pour prétendre au diplôme d’ambulancier, 70 heures pour un auxiliaire ambulancier qui peut conduire un VSL, mais les chauffeurs de taxi qui transportent des enfants autistes, trisomiques, handicapés moteur ou en situation de dépendance ne disposent d’aucune formation spécifique !
En la matière – je parle sous le contrôle de Mme la présidente, rapporteure de la mission d’information en cours sur la mise en œuvre des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie –, il reste donc beaucoup à faire. Sans doute faudra-t-il s’appuyer sur des dispositifs d’agrément, de conventionnement ou de codification obligatoires. En zone rurale, le transport de patients représente 70 % à 80 % du chiffre d’affaires des taxis, soit 30 000 à 40 000 euros par an : c’est à un véritable problème économique qu’ils sont confrontés.
Monsieur Dominique Dord, le rapport comporte des références kilométriques. Vous avez souligné à juste titre l’importance de la valorisation tarifaire. La tarification du transport en VSL ou en ambulance repose sur une prise en charge assortie d’un tarif kilométrique ; dans le cas des taxis, s’y ajoutent le temps d’attente ou le retour à vide. Ce qui engendre, faute de contrôle, des surfacturations et des surévaluations kilométriques. Voilà pourquoi la CPAM des Hauts-de-Seine a développé l’application Cactus (Contrôle automatisé des caisses sur les transports sanitaires), qui permet de croiser de multiples données – cotisations URSSAF, flotte de véhicules circulant dans le secteur, références kilométriques grâce à une application Michelin, absentéisme du personnel – et d’identifier ainsi des transporteurs « à risque » afin de mieux cibler le contrôle.
Madame Annie Le Houérou, l’offre de soins doit, je l’ai dit, être déconcentrée, qu’il s’agisse de dialyses, de chimiothérapie ou de télémédecine, dans le cadre du schéma régional d’organisation des soins – un peu sur le modèle des structures de rang successif dans le système sanitaire des armées.
Madame Bernadette Laclais, la proximité et ses conséquences sur le temps de transport sont essentiels. Même dans les grandes métropoles, la pertinence du kilométrage est relativisée du fait des embouteillages. Il faut en tenir compte dans la tarification et viser toutes les formes d’optimisation, qu’il s’agisse du transport partagé ou d’une gestion des transports tenant mieux compte de l’origine et de la destination. S’agissant en particulier des établissements de soins dont émanent, je le rappelle, 63 % des prescriptions, le simple fait de mieux appréhender les flux d’entrées et de sorties en vue d’une hospitalisation ou d’une consultation et de créer des salons d’attente rationalisera la gestion du temps.
Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente. Merci encore, monsieur le rapporteur. Mes chers collègues, nous passons au vote en vue d’autoriser la publication du rapport.
*
* *
La commission autorise, à l’unanimité, le dépôt du rapport d’information sur le transport de patients en vue de sa publication.
ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION
Coprésidents
Mme Gisèle Biémouret (SRC) (depuis le 8 octobre 2014)
M. Jean-Marc Germain (SRC) (jusqu’au 30 septembre 2014)
M. Pierre Morange (UMP)
Membres
Groupe SRC
Mme Martine Carrillon-Couvreur
M. Jérôme Guedj (jusqu’au 2 mai 2014)
Mme Joëlle Huillier (depuis le 8 octobre 2014)
Mme Bernadette Laclais (depuis le 8 octobre 2014)
M. Gérard Sebaoun (depuis le 20 mai 2014, jusqu’au 30 septembre 2014)
Groupe UMP
M. Jean-Pierre Door
Mme Isabelle Le Callennec
Mme Bérengère Poletti
M. Dominique Tian
Groupe UDI
M. Hervé Morin
M. Francis Vercamer
Groupe Écolo
M. Jean-Louis Roumegas
Groupe RRDP
Mme Dominique Orliac
Groupe GDR
M. Jean-Philippe Nilor
ANNEXE 2 : DOCUMENT TRANSMIS PAR LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES YVELINES À LA DEMANDE DE LA MECSS
ANNEXE 3 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Pages
– M. Didier Eyssartier, auteur du rapport « Rénovation du modèle économique pour le transport sanitaire terrestre » remis au ministère de la santé et des sports en septembre 2010 105
– M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS), et Mme Laure-Marie Issanchou, cheffe du bureau des établissements de santé et médico-sociaux au ministère des affaires sociales et de la santé 111
– M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Christophe Colin de Verdière, conseiller référendaire 119
– M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins, et Mme Véronika Levendof, responsable des relations avec le Parlement, M. Franck Duclos, directeur délégué aux politiques sociales de la Mutualité sociale agricole (MSA), et M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires, M. Gérard Quévillon, président du Régime social des indépendants (RSI), et M. Pascal Perrot, médecin conseil national 127
– M. Thierry Schifano, président de la Fédération nationale des transporteurs sanitaires (FNTS) 139
– M. Samuel Pratmarty, sous-directeur par intérim de la régulation de l’offre de soins, Mme Perrine Ramé-Mathieu, cheffe du bureau du premier recours, et Mme Élise Riva, adjointe au bureau du premier recours à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) au ministère des affaires sociales et de la santé 147
– Table ronde réunissant des représentants de fédérations d’ambulances : M. François Bonnet, secrétaire national de la Chambre nationale des services d’ambulances (CNSA), et M. Marc Basset, conseiller économique, M. Jean-Claude Maksymiuk, président de la Fédération nationale des artisans ambulanciers (FNAA), et M. Serge Beaujean, secrétaire, M. Bernard Pelletier, président de la Fédération nationale des ambulanciers privés (FNAP) 155
– Table ronde réunissant des représentants de fédérations de taxis : M. Gérard Gabet, président de la Fédération française des taxis de province (FFTP), et M. Tony Bordenave, secrétaire général, M. Jean-Claude Richard, président de la Fédération nationale des artisans du taxi (FNAT), M. Didier Hogrel, président de la Fédération nationale du taxi (FNDT), et Mme Frédérique Paillard, vice-présidente, responsable de la commission CPAM, Mme Armelle Lamblin et M. Gregorio Roberti, membres de la commission affaires sociales de la Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI), et M. Alain Griset, président de l’Union nationale des taxis 169
– M. Christian Espagno, adjoint au directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), et M. Jamel Mahcer, manager 182
– Table ronde réunissant des représentants des transports urgents : médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, Dr François Braun, président du Service d’aide médicale urgente (SAMU)-Urgences de France, et Pr. Jean-Emmanuel de La Coussaye, secrétaire général adjoint, M. Nelson Nazon, président de l’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF–UNATSU), M. Charles Greiner et M. Thomas Stéphan, conseillers techniques, M. Sébastien Breuil, président de l’ATSU 19, M. Thomas Greiner, président de l’ADRU 67, et Me Sophie Gallet, conseillère technique, avocate 191
– Table ronde réunissant des représentants des fédérations hospitalières : Dr Catherine Réa, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP), M. René Caillet, responsable du pôle organisation sanitaire et médico-sociale de la Fédération hospitalière de France (FHF), M. Emmanuel Masson, vice-président de la Fédération de l’hospitalisation privée-soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), et M. Thierry Béchu, délégué général de la Fédération de l’hospitalisation privée-médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO), accompagnés par M. David Castillo, responsable des études économiques et des systèmes d’information, et M. Anthony Frémondière, directeur du développement et de la vie institutionnelle de la Fédération de l’hospitalisation privée 202
– M. Alain Bourez, directeur de la Caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, et Mme Bintou Boïté, directrice adjointe 209
– Mme Cécile Alfocea, directrice de la Caisse primaire d’assurance maladie du Val-d’Oise, M. Philippe Bouquet, directeur adjoint en charge de la gestion du risque, et Mme Brigitte Loison, responsable du processus régulation 218
– M. Ludovic Guillaume, sous-directeur de l’action interministérielle à la délégation à la sécurité et à la circulation routières du ministère de l’intérieur, M. André Dorso, rapporteur auprès du député M. Thomas Thévenoud pour la mission de concertation taxis-VTC, et M. Yann Dumareix, chef du bureau de la législation et de la réglementation 223
– Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, directrice coordinatrice gestion du risque pour la région Champagne-Ardenne, M. Mathieu Frélaut, directeur-adjoint, Mme Rafiaa Bénaïcha, responsable du département « hospitalisation transports », et M. Fares Trad, responsable de la cellule de coordination gestion du risque 228
– M. Jean-Christophe Paille, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Champagne-Ardenne 239
– M. François Maury, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Poitou-Charentes, et M. Gérard Récugnat, directeur de la stratégie 242
– Mme Martine Aoustin, directrice générale de l’agence régionale de santé (ARS) du Languedoc-Roussillon 248
– Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence 257
– M. Dominique Naëls, secrétaire régional de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de région Nord de France, M. Martial Duru, président départemental des ambulanciers du Nord, M. Christophe Silvie, président des ambulanciers du Pas-de-Calais, M. Xavier Tétu, président de l’Association des transports de secours d’urgence (ATSU), M. Raphaël Zaitziev, ingénieur projet, et Mme Barbara de Vos, chargée de mission à la CCI de région Nord de France 265
– M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Christophe Colin de Verdière, conseiller référendaire 273
ANNEXE 4 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de M. Didier Eyssartier, auteur du rapport « Rénovation du modèle économique pour le transport sanitaire terrestre » remis au ministère de la santé et des sports en septembre 2010
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Monsieur Didier Eyssartier, soyez le bienvenu. Les membres de la MECSS vous prient de bien vouloir excuser leur absence, due à un agenda parlementaire chargé.
Le transport de patients a récemment été mis au cœur de l’actualité par un rapport de la Cour des comptes ; l’enveloppe qui lui est dédiée – 3,8 milliards d’euros en 2012, soit 2,1 % des dépenses totales d’assurance-maladie – connaît une progression soutenue, de 63 % entre 2001 et 2010, contre 39 % en moyenne pour les autres postes de dépenses intégrés dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Quatre facteurs sont généralement mis en avant pour expliquer cette progression : le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre de patients atteints d’affections de longue durée (ALD), la restructuration de l’offre – regroupement des plateaux techniques et développement des alternatives à l’hospitalisation lourde – et l’augmentation de l’offre de transports, qui n’incite pas à privilégier les solutions de proximité ou les moins coûteuses.
Au-delà de ces constats, qui font consensus, nous aimerions connaître vos préconisations, qu’il s’agisse du non-respect des référentiels de prescription, d’une réforme de la garde ambulancière, du renforcement des contrôles pour lutter contre la fraude ou du contingentement de l’offre.
M. Didier Eyssartier. Je vous remercie de votre invitation, et vous prie par avance de bien vouloir excuser mes éventuels oublis ou lacunes, car mes travaux sur le sujet sont assez anciens.
La dynamique des dépenses que vous avez rappelée, Monsieur le coprésident, doit être prise en compte sans jeter l’anathème sur tel ou tel acteur, car le sujet est complexe. Cette dynamique tient notamment au vieillissement de la population ainsi qu’à une évolution, dont il faut se réjouir, de la prise en charge de certaines pathologies. Seuls 8 % des assurés ont recours au transport et, parmi eux, 85 % sont en ALD ; il est donc logique que les dépenses augmentent davantage dans ce secteur qu’ailleurs.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La progression représente 5 millions de patients supplémentaires, pour 65 millions de transports.
M. Didier Eyssartier. En effet ; et puisque le recours aux transports est habituel pour les patients concernés, ce chiffre n’ira pas en diminuant. Il faut toujours avoir cette réalité à l’esprit lorsque l’on parle de la progression des dépenses, même si rien n’interdit de réfléchir à la bonne application, voire à la révision du référentiel de prescription du 23 décembre 2006, ou à l’évolution des taux de prise en charge. Le transport de patients étant une activité de masse, on peut, en exceptant le transport d’urgence, essayer d’en réduire les coûts, en commençant par réduire ceux des transporteurs eux-mêmes. Une réflexion sur les prescriptions ordonnées par les établissements hospitaliers, qui restent les premiers demandeurs, est également utile, d’autant que l’hospitalisation de jour tend à se développer.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les demandes des professionnels de santé et des établissements hospitaliers représentent 63 % des prescriptions.
M. Didier Eyssartier. Et ce chiffre va croissant. Dans ce contexte, l’organisation de la demande est aussi un problème logistique ; elle doit prendre en compte les modes de tarification des transports, mais aussi, par exemple, les temps d’attente devant les établissements, afin de les réduire autant qu’il est possible. La jonction entre les soins et le transport peut donc relever de l’organisation interne des établissements ; on sait aussi qu’une rotation régulière et programmée des transports est à la fois plus facile à mettre en œuvre et moins coûteuse.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Puisque vous développez une approche horizontale, pleine de bon sens, que pensez-vous de la proposition d’inclure le transport de patients dans le budget des hôpitaux ? Quelques expérimentations ont été lancées en ce sens, mais le moins qu’on puisse dire est qu’elles n’ont pas prospéré.
S’agissant d’un transport de masse intéressant un nombre réduit de prescripteurs, ne pourrait-on envisager des appels d’offres qui rendraient le système plus efficace et moins coûteux ?
M. Didier Eyssartier. Comme je l’explique dans mon rapport, il y aurait une logique à cibler le financement vers ceux qui formulent et organisent la demande. Le transport de patients, au demeurant, concourt aux soins ; dans le cas contraire, on se contenterait de rembourser les trajets en transport en commun.
Un tel ciblage n’implique cependant pas une autonomie immédiate pour les établissements : la réorganisation prendrait du temps, comme l’acquisition des capacités à rédiger des appels d’offres permettant d’acheter au meilleur prix.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Toute réforme structurelle ne génère des économies, dans le meilleur des cas, que dans un délai de trois à cinq ans. On voit donc mal quelles peuvent être les marges de manœuvre à court terme, en dehors de la réduction des taux de remboursement.
Les référentiels n’ont pas encore eu le temps d’ « infuser » dans la communauté des prescripteurs. L’inclusion des transports dans le budget des établissements hospitaliers nécessite une pédagogie plus systématique, qui aurait un effet de masse. Il faut tenir compte des contraintes budgétaires tout en veillant, bien entendu, à préserver les conditions de soins de nos concitoyens, dont participent les transports, comme vous l’avez à juste titre souligné.
M. Didier Eyssartier. Faire des économies suppose de rationaliser l’organisation, pour les transports comme pour le reste. Au-delà de la demande et de l’organisation des transports, l’appréciation du coût de l’ensemble des soins suppose une comptabilité interne, à partir de laquelle un dialogue puisse s’instaurer au sein de l’établissement, en vue d’une meilleure efficience.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Seul un établissement sur trois est doté d’une comptabilité analytique de type 2. Cette cruelle insuffisance est soulignée dans un rapport sur le fonctionnement interne de l’hôpital sous la mandature précédente.
M. Didier Eyssartier. L’organisation des sorties est aussi un vieux serpent de mer. Bref, c’est l’ensemble de ces éléments qui devraient permettre d’améliorer l’efficience du système.
Compte tenu du nombre relativement faible d’acteurs, des expérimentations me semblent toutefois possibles, dès à présent, sur des actes bien identifiés, comme la dialyse, l’un des cinq actes les plus consommateurs de transport, y compris en termes de transports annuels.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Depuis qu’elle existe, c’est-à-dire depuis 2004, la MECSS a maintes fois fait le constat de la complexité de notre système de protection sociale. On est en droit de se demander, à cet égard, pourquoi certaines mesures n’ont pas été mises en œuvre, qu’elles concernent le parcours de soins, la coordination des acteurs pour les traitements ambulatoires ou la gouvernance entre les agences régionales de santé (ARS), qui délivrent les agréments, et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Résultat : l’offre est mal ajustée aux besoins des patients et à nos capacités budgétaires, et les prescripteurs ne suivent qu’insuffisamment les référentiels. Peut-être est-ce l’ampleur même du dispositif qui empêche la mise en œuvre de ces mesures, alors que le constat, je le répète, fait consensus. Sur l’enveloppe de 3,8 milliards d’euros, ce sont environ 450 millions, soit 15 %, qui pourraient être économisés à en croire la Cour des comptes, qui évalue le coût du non-respect du référentiel de prescription de 2006 à 220 millions, celui de l’inadaptation de la garde ambulancière – doublons, conventions confuses et contrôle de légalité aléatoire par les autorités de la concurrence ou les comités départementaux de lutte contre la fraude – à 100 millions d’euros et celui des lacunes de la politique de contrôle et de liquidation de factures à quelque 120 millions d’euros.
M. Didier Eyssartier. L’expérimentation inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de 2013 permettant aux hôpitaux de passer des appels d’offres n’a pas encore été lancée, et ne le sera peut-être pas ; une nouvelle expérimentation est prévue en 2014.
Le secteur de la santé est très éclaté, à l’échelon national comme à l’échelon régional. S’agissant des transports, deux acteurs coexistent au niveau régional alors que des synergies sont possibles, sinon, pour certaines actions, la limitation à un seul acteur : on conçoit, dans la logique du système actuel, que les caisses primaires pilotent les négociations tarifaires avec les transporteurs mais, dans l’absolu, on aurait pu confier une partie de cette tâche aux ARS.
Au niveau national, on ne compte pas moins de trois directions – direction générale de l’offre de soins (DGOS), direction de la sécurité sociale (DSS) et assurance maladie –, ce qui induit, pour le petit secteur dont nous parlons, des coûts de coordination très élevés car tout accord requiert du temps – sans compter qu’il faut parfois se mettre d’accord avec d’autres ministères. J’ai d’ailleurs constaté avec plaisir que l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) se penchait désormais, dans le cadre de ses travaux annuels, sur les questions de transport de patients ; la suggestion que j’avais faite en ce sens, à l’époque, avait essuyé une fin de non-recevoir.
Dans les ministères sociaux, à chaque sujet comme l’emploi, le sport, la jeunesse ou le travail correspond à peu près une direction. Pour la santé, ce sont, je le répète, trois directions qui coexistent.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La complexité du système génère son inertie : sur ce point, vous prêchez des convertis. On déplore à juste titre l’éclatement des centres de décision ou les informations qui ne circulent pas entre les ARS et les caisses primaires, si bien que les données pour établir une politique tarifaire font défaut. Un rapport d’information sur le financement des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) de MM. Georges Ginesta, Bernard Derosier et Thierry Mariani, dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC), alors présidée par M. Georges Tron et M. David Habib, avait pointé, en juillet 2009, le coût de ces services. Comment rationaliser le système de la garde ambulancière, qu’évoque aussi le rapport de la Cour des comptes ? Le budget des SDIS, il faut le rappeler, avoisine les 4,5 milliards d’euros ; or leur mission d’origine – la lutte contre les sinistres et les incendies – ne représente plus que 15 % de leur activité, contre 60 % à 65 % pour le secours aux personnes, lequel recoupe partiellement le transport des patients.
La convention sur la garde ambulancière a établi un forfait de 350 euros pour les gardes de nuit, le coût paraît élevé au regard du faible nombre de déplacements : les sommes en jeu sont modestes par rapport à l’ensemble des crédits affectés au transport des patients, mais elles illustrent l’insuffisante rationalisation des moyens.
M. Didier Eyssartier. La réponse doit être adaptée à chaque territoire ; c’est d’ailleurs le sens des missions des ARS.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Encore faudrait-il une coordination entre les services d’aide médicale urgente (SAMU) et les SDIS : sauf erreur de ma part, seuls une quinzaine de départements sont dotés de plateformes téléphoniques communes. C’est un peu étonnant, pour ne pas dire irritant.
M. Didier Eyssartier. Ce sujet a été traité par de nombreux rapports, et l’est encore par un autre, actuellement en préparation.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales, mène en effet une mission sur la permanence des soins ; les transports font bien entendu partie de sa réflexion.
M. Didier Eyssartier. L’organisation est loin d’être optimale ; et la complexité s’accroît encore si l’on y ajoute la question de la permanence des soins. L’urgence avérée n’est pas forcément l’urgence perçue, si bien que le sujet dépasse la seule coordination entre SAMU et SDIS.
S’agissant du transport urgent, il n’y a pas de réponse univoque. Je laisse de côté le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), car il appartient au SAMU d’en assurer la régulation ; par ailleurs, les plateformes communes doivent permettre une coordination entre SAMU et SDIS. En tout état de cause, le référentiel du 9 avril 2009 de la réponse ambulancière à l’urgence pré-hospitalière paraît pertinent pour ce qui touche à la répartition entre SDIS et transporteurs sanitaires, même s’il est toujours possible de l’ajuster ; cependant, il faut s’interroger sur sa mise en œuvre dans de bonnes conditions. Dans les zones qui ne sont pas desservies par d’autres transports sanitaires efficients, on peut toujours faire appel aux SDIS, mais je rappelle que leur coût est plus élevé, chacun des transports qu’ils assurent impliquant jusqu’à quatre personnes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce coût, selon les chiffres de l’Association des départements de France, varie entre 230 euros et 1 100 euros. Chaque véhicule est mieux « armé », avec en effet quatre personnes à bord, capables de traiter les transports de patient comme les urgences. Peut-être pourrait-on alléger l’armement en fonction de la mission…
M. Didier Eyssartier. Cela peut en effet être une piste, là où le recours aux SDIS est nécessaire. Un service public – celui du transport urgent, en l’occurrence – peut faire appel à des moyens publics ou privés, pourvu que ces moyens soient adaptés aux besoins.
Réduire le coût du transport des patients suppose, disais-je, de réduire les coûts assumés par le transporteur ; mais il ne faudrait pas se priver de la possibilité de mobiliser des véhicules la nuit. Dans les zones denses, le recours à des transporteurs privés me semble justifié, d’autant que leur formation s’est consolidée. Gardons-nous de les écarter au profit des SDIS, sauf en dessous d’un certain seuil.
Une garde ambulancière généralisée n’a, par ailleurs, pas de sens aujourd’hui. La garde peut être organisée au niveau régional, mais il faut l’adapter en fonction des secteurs, conformément aux objectifs initiaux du service public du transport d’urgence. Cela suppose de trouver les meilleurs acteurs, c’est-à-dire des acteurs efficients et responsabilisés.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. L’offre de transport des patients est très développée, et la logique des plafonds du parc des véhicules fixés pour chaque territoire peut sembler discutable. On pourrait, de ce point de vue, imaginer un plafond global mieux affiné, quitte à le dédoubler, pour les ambulances, le transport assis professionnalisé (TAP) qu’assurent majoritairement les taxis – pour des raisons entre autres tarifaires – et les véhicules sanitaires légers (VSL). Le système de vases communicants entre les ambulances et les VSL obéit à des considérations économiques davantage que sanitaires, ce qui est inacceptable ; d’où la nécessité de rationaliser cette offre mal adaptée aux besoins des patients.
Les ARS sont tout désignées pour cela, qu’il s’agisse de l’échange d’informations avec les caisses primaires ou de la sélection des entreprises de transport, qui doit se faire dans le respect des règles de concurrence. Pour la garde ambulancière, notamment de nuit, les conventions signées sous l’autorité du préfet, de l’ARS et des caisses confient à certaines sociétés le soin d’assurer la ventilation des transports ; si bien que lesdites sociétés fixent elles-mêmes les standards. Cette situation vous paraît-elle satisfaisante, au regard de la transparence et de l’équité ?
M. Didier Eyssartier. Le fait que ces plateformes téléphoniques – qui d’ailleurs peuvent être voisines de plateformes de jour – assurent une seconde régulation après celle du SAMU ne me semble pas poser de problème, dès lors que les règles sont connues et les appels tracés par un intervenant indépendant, en l’occurrence le SAMU ou le SDIS ; au besoin, les standards peuvent être définis via des appels d’offres, et les retours d’expérience discutés dans le cadre de tel ou tel comité.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les parquets ont reçu des plaintes, avec à la clé des débours qui se chiffrent en millions d’euros. Le système n’est donc pas forcément adapté aux besoins des patients, non plus qu’aux exigences de bonne gestion des deniers publics.
M. Didier Eyssartier. Il incombe à l’ARS et au SAMU de vérifier que la société qui assure la ventilation, tâche normalement dévolue au SAMU, le fait en respectant la convention ; faute de quoi les dérives peuvent évidemment prospérer. En l’espèce, il s’agirait plutôt de comprendre, par exemple à travers une enquête administrative, pourquoi le système a pu dériver. Il arrive que l’on crée les conditions de la fraude…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les conventions sont signées par le préfet ou le directeur général de l’ARS : cela élève donc le niveau de responsabilité.
Comment surmonter la possible contradiction entre, d’une part, la liberté de choix du patient et, de l’autre, l’exigence, fixée par la loi, de privilégier le mode de transport le moins coûteux et l’établissement le plus proche ?
M. Didier Eyssartier. La loi impose, en principe, d’opter pour le mode de transport le moins onéreux. À ce titre, la prescription de transport doit préciser la nature de la prestation : remboursement d’un trajet en transport en commun, d’un trajet avec son véhicule personnel ou prise en charge technique – dans laquelle j’inclus les taxis.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les chauffeurs de taxi sont tenus à une formation aux premiers secours ; pour eux, le transport de patients représente d’ailleurs un revenu qui, selon la Cour des comptes, peut représenter quelque 30 000 euros par an.
M. Didier Eyssartier. Quant à la liberté de choix, le fait est que la collectivité autorise différents types de prestataires ; à mon sens, il faudrait d’ailleurs tendre à un système de prix unique pour des prestations identiques.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pour les TAP, on constate en effet une différence de tarification entre les VSL et les taxis. Cela nous renvoie aux politiques des ARS et des caisses primaires en matière d’agréments et de conventionnements. Le plafonnement global du parc de transport permet une libre répartition entre les différents types de véhicules, si bien que la cession des autorisations de transport délivrées aux ambulances peut se monnayer autour de 250 000 euros ! Cette valeur est déterminée par la rareté de l’agrément ; mais le fait que des acteurs privés tirent profit d’une mission définie par des autorités publiques a de quoi laisser perplexe.
M. Didier Eyssartier. On peut en effet en discuter.
Quant au libre choix du patient, il ne doit porter, en principe, que sur l’entreprise de transport, les écarts de coût, variables selon les territoires, étant normalement acceptables pour la collectivité. À l’époque où j’ai rédigé mon rapport, les tarifs des VSL étaient clairement inadaptés ; mais, depuis, ils ont été réévalués. Quoi qu’il en soit, il est logique que les patients aient la possibilité de choisir en fonction de l’offre disponible, voire qu’une relation de confiance s’installe avec tel ou tel prestataire privé.
Il importe néanmoins que la collectivité soit en mesure de proposer des services de qualité, afin d’inciter les patients à aller vers le moins coûteux, comme les transports partagés quand c’est possible. Il est pour le moins désolant, y compris sur le plan écologique, de voir des files de véhicules attendant devant les établissements de santé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comme je l’indiquais, la politique d’agrément et de conventionnement détermine, du fait du contingentement de l’offre, des prix de cession dont le niveau laisse perplexe. Quel est votre sentiment sur ce point ?
M. Didier Eyssartier. Le phénomène que vous avez décrit s’observe dans beaucoup d’autres secteurs.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. À la différence qu’ici, les opérateurs privés, matériellement libres, coexistent avec un secteur très socialisé par son financement.
M. Didier Eyssartier. Oui, mais les médecins ou les pharmaciens vendaient naguère leur patientèle… La logique me semble être la même ; elle ne me choque pas, même si l’on peut réévaluer certains plafonds ou critères. Desserrer l’offre permettrait de réduire les coûts, qui se répercutent sur le prix de la prestation.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. L’inadéquation entre l’offre et la demande se traduit en effet dans les coûts. Cela met en évidence une organisation insuffisante de la prestation au regard des besoins des patients.
M. Didier Eyssartier. Tout à fait. Un dernier mot sur le TAP, pour lequel l’ensemble des acteurs devraient être soumis aux mêmes contraintes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Merci, monsieur Didier Eyssartier. N’hésitez pas à nous faire part de tout élément de réflexion qui revêtirait un caractère opérationnel, sur le plan réglementaire ou législatif.
*
* *
Audition de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS), et Mme Laure-Marie Issanchou, cheffe du bureau des établissements de santé et médico-sociaux au ministère des affaires sociales et de la santé
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous accueillons maintenant M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS) au ministère des affaires sociales et de la santé, et Mme Laure-Marie Issanchou, cheffe du bureau des établissements de santé et des établissements médico-sociaux.
En 2012, 3,8 milliards d’euros ont été affectés au transport de patients. Cette dépense représente 2,1 % de la totalité des dépenses d’assurance maladie et sa progression dans l’ONDAM, pour la période 2001-2010, est deux fois plus élevée que celle des autres dépenses.
La Cour des comptes a estimé les économies potentielles qui pourraient être réalisées. Ainsi, le respect du référentiel de prescription permettrait d’économiser 220 millions d’euros, la réforme du système de garde ambulancière, une centaine de millions d’euros et un meilleur contrôle de la liquidation des factures, 120 millions d’euros. Ces 450 millions d’euros d’économies, qui représentent 15 % des 3,8 milliards d’euros que coûte l’ensemble des dépenses de transport de patients, sont une marge de manœuvre conséquente qui pourrait produire des effets substantiels, ce qui, compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, donne une acuité particulière aux travaux de la MECSS.
M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale (DSS) au ministère des affaires sociales et de la santé. À partir des constats que vous avez dressés, j’évoquerai les difficultés que nous rencontrons dans la régulation des dépenses de transport, les initiatives prises au cours des dernières années et les voies de progrès que nous avons identifiées.
Les dépenses de transport représentent un peu moins de 4 milliards d’euros en 2012 et leur progression reste plus dynamique, en dépit d’un léger ralentissement au cours des dernières années, que celle de l’ONDAM, dont la progression devrait être fixée autour de 2 % pour les trois prochaines années.
Cette dynamique des dépenses de transport s’explique en partie par des évolutions épidémiologiques et la transformation de l’organisation du système de soins. Il est certain que la réorganisation hospitalière et le développement des prises en charge ambulatoires impliquent pour les patients des déplacements vers des centres hospitaliers plus éloignés et des sorties précoces dans des conditions qui justifient un transport sanitaire.
Cette dynamique est donc justifiée. Si l’équilibre économique global nécessite que nous réalisions des économies, en allégeant les prises en charge hospitalières ou en regroupant les plateaux techniques, il nous faut parallèlement investir dans une prise en charge pertinente des transports de patients. Nous avons, sur cette question, engagé un dialogue avec l’assurance maladie et nous essayons de convaincre les professionnels transporteurs ; il ne faut pas se contenter de critiquer cette dynamique mais aller plus loin.
Pour autant, nous notons d’importantes disparités de prise en charge. Quelques chiffres : le coût par patient transporté varie de un à deux selon les départements, le pourcentage de patients transportés une fois en ambulance, qui se situe à 53 % au niveau national, varie de 22 % dans les Hautes-Alpes à 76 % dans le Val-de-Marne. Pour certaines pathologies comme l’IRC – insuffisance rénale chronique –, le recours à l’ambulance pour les patients dialysés va de un à deux, voire de un à trois. Ces disparités ne semblent pas reposer sur une analyse objective du besoin des patients.
Plusieurs éléments permettent d’expliquer cette situation.
Tout d’abord, les comportements de prescription, en ville et à l’hôpital, sont très variables et trop déconnectés des règles, des dispositifs réglementaires et des référentiels de prise en charge.
Ensuite, l’hétérogénéité de la tarification du service de transports, qui regroupe les ambulances et les véhicules sanitaires légers (VSL) – dont les tarifs sont fixés par l’assurance maladie dans le cadre de la négociation conventionnelle – et les taxis, dont la tarification est prévue par une autre autorité, suscite des stratégies d’optimisation, ce qui bloque l’instauration d’une régulation globale.
Cette situation est également due à l’organisation même des acteurs du transport de patients, qui souvent cumulent une offre de taxi, de VSL et d’ambulance. Les différentes tentatives de rationalisation de l’organisation hospitalière se heurtent à un marché très éclaté, fait de petites entreprises qui craignent qu’une réorganisation hospitalière soit de nature à les écarter de leur activité de transport.
Enfin, le secteur a fait l’objet, au fil du temps, d’outils de contrôle et de maîtrise médicalisée imparfaits ou insuffisamment développés.
Quelles sont les actions envisagées par la direction de la sécurité sociale ?
Il convient avant tout de rappeler que la DSS n’est que l’un des trois principaux acteurs publics concernés, aux côtés de la direction générale de l’offre de soins (DGOS), qui a compétence en matière d’organisation des soins, de négociations conventionnelles et de pilotage des opérations de maîtrise médicalisée et de lutte contre la fraude, et de l’assurance maladie.
Il s’agit tout d’abord d’agir sur l’offre de véhicules, qui se caractérise par un parc abondant, voire surabondant. C’est pourquoi le décret du 29 août 2012 renforce le pouvoir des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) en matière d’agrément et d’autorisation des véhicules de transport sanitaire, qui leur permet de refuser les demandes de transformation d’un VSL en ambulance et leur donne un pouvoir d’appréciation sur l’opportunité des demandes de transfert d’autorisation suite à la cession ou à la modification de l’implantation géographique et de la catégorie du véhicule.
La réalité est complexe car le parc de véhicules se situe d’ores et déjà au-delà des normes fixées. Sauf à prendre des mesures radicales, qui pourraient d’ailleurs être critiquées pour leurs conséquences en matière d’emploi et d’activité économique, il nous apparaît pertinent de placer les directeurs généraux d’ARS en capacité d’adapter l’offre à la réalité des besoins et de faire évoluer le parc afin de limiter l’utilisation inadaptée des véhicules.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous le sentiment que le décret est appliqué ? Vous le savez comme moi, nous avons souvent, en France, le sentiment qu’un problème est résolu dès lors que nous l’avons couché sur le papier… J’ai la faiblesse de croire, pour ma part, qu’il n’est résolu que quand il a trouvé une solution opérationnelle sur le terrain.
Les directeurs généraux des ARS ne souhaitent-ils pas reconduire l’existant en évitant certes que la surabondance ne se renforce ? Ont-ils la volonté suffisante de remettre de l’ordre dans cette offre anarchique ? Qu’en pensez-vous ? Sachant que plus de 60 % des dépenses de transport des patients sont prescrites par les seuls professionnels de santé des établissements de soins, pourquoi ne pas tout simplement leur demander, par le biais des référentiels de prescription, de respecter une méthodologie et l’équité de traitement ? Il n’est pas normal que le transport d’un patient atteint d’IRC s’effectue un jour en VSL et le lendemain en ambulance, sachant que la tarification va du simple au double.
Quel est votre sentiment sur l’intégration du poste « transport de patients » dans le budget hospitalier ?
M. Thomas Fatome. En ce qui concerne le décret, la stratégie consistait à éviter une trop grande augmentation du parc d’ambulances et de permettre aux ARS de le maîtriser, mais nous n’avons pas à ce jour le recul suffisant pour juger de ses résultats. Il est clair qu’il s’agit d’une question difficile…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Elle l’est en effet, du fait de certaines postures monopolistiques et de pressions exercées par certains syndicats ou corporations qui polluent le débat.
M. Thomas Fatome. Nous avons essayé au cours des dernières années de responsabiliser davantage l’hôpital et de lui confier l’organisation du transport. Certains sont allés jusqu’à parler d’« achat » de transport…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Êtes-vous l’un de ceux-là ?
M. Thomas Fatome. Sur le plan de la rationalité économique, je pense que cette piste a un sens, mais le principe de réalité m’amène à considérer, compte tenu de la diversité des acteurs du secteur, qu’elle n’est pas praticable. Les transporteurs sanitaires et les entreprises de taxi considèrent que toute logique qui donnerait aux hôpitaux le droit de lancer des appels d’offres ou de grouper leurs achats placerait les petites entreprises de taxi en situation d’infériorité. C’est ce qui a amené un certain nombre d’entre elles à bloquer la mise en œuvre de l’expérimentation prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Je préfère pour ma part réfléchir à des solutions praticables, susceptibles de nous permettre d’atteindre des objectifs réalistes sans nous heurter aux mêmes obstacles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous comprenons l’argument en faveur de la pérennisation du dispositif existant, même s’il n’est pas satisfaisant, mais une politique tarifaire claire et équitable nous permettrait sans doute de trouver une solution plus efficiente.
En ce qui concerne le transport assis professionnalisé (TAP), ne peut-on exiger, en dehors de critères médicaux très spécifiques qui pourraient l’interdire, le recours à des transports groupés de patients dans des minibus ? Ce covoiturage, au-delà de son intérêt en termes de bilan carbone, allégerait aussi le bilan financier sans nuire au bon fonctionnement des petites entreprises.
M. Thomas Fatome. Bien que certains dispositifs se heurtent à des résistances importantes, nous ne restons pas inactifs. Quatre régions – Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Franche-Comté, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon – expérimentent de nouveaux modes d’organisation des transports. Dans ces régions, un partenariat entre les acteurs du transport de patients et l’hôpital a été mis en place en vue notamment de développer le transport partagé, de coordonner les heures de sortie des patients…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Depuis quand dure cette expérimentation ?
M. Thomas Fatome. Elle a été mise en place au début de l’année 2012 et devrait, nous l’espérons, donner des résultats satisfaisants.
Nous développons par ailleurs des outils de maîtrise médicalisée par le biais de la contractualisation entre les ARS et les établissements hospitaliers, en particulier les contrats d’amélioration de la qualité et de l’organisation des soins (CAQOS) et les contrats d’amélioration de la qualité et de la coordination des soins (CAQCS) qui visent à cibler les établissements dont les progressions de dépenses de transport sont très élevées.
Il s’agit d’un outil relativement lourd que nous avons simplifié dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment, en matière de transport des patients, articuler le secteur sanitaire et le secteur médico-social, notamment avec le handicap et la dépendance ?
M. Thomas Fatome. Nous allons y venir.
En mars 2011, nous avons pris un décret spécifiant que la prise en charge du transport des personnes souffrant d’une ALD n’était pas systématique mais liée à l’état de chaque patient. Il s’agissait de mieux adapter la prise en charge aux besoins de chaque patient. Nous ne sommes pas en mesure de fournir une évaluation précise de l’impact de ce décret, faute de pouvoir appréhender l’évolution des volumes globaux de transport des personnes souffrant d’une ALD, mais il semble que ces volumes diminuent, ce qui signifie que son impact n’est pas nul.
L’assurance maladie déploie des programmes de maîtrise médicalisée et de lutte contre la fraude : accompagnement des prescripteurs en ville et à l’hôpital, développement de la communication sur le respect des référentiels et lutte contre la fraude par le contrôle régulier d’entreprises de transport de patients. Au cours du premier trimestre 2013 a été lancé un programme visant à vérifier auprès de 450 entreprises de transport la réalité des facturations et le respect des règles de prise en charge. Le bilan de ce programme nous sera transmis dans quelques semaines.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous serons très attentifs à ses résultats.
La récupération marginale d’un indu peut s’apparenter au détournement de fonds publics à vocation sanitaire et sociale, ce qui est particulièrement scandaleux. La seule récupération, sans pénalités, d’une partie des sommes engagées, en l’absence d’une sanction pénale, me semble relativement peu dissuasive et surtout n’a aucune vertu pédagogique.
M. Thomas Fatome. Je partage totalement votre diagnostic, mais l’opération en cours a permis aux organismes de notifier 20 pénalités financières, pour un montant de 45 000 euros, et de déposer 15 plaintes pénales. Il s’agit bien, non seulement, de récupérer l’argent issu de remboursements non justifiés, mais aussi de prendre des sanctions administratives et financières à l’encontre des transporteurs de patients concernés.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mon propos ne sera pas électoraliste, mais nous sommes à la MECSS : les pénalités administratives sont d’un montant trop limité pour avoir une valeur pédagogique. Nous avons des exemples très précis de pénalités administratives totalement dérisoires par rapport aux volumes financiers détournés, notamment dans des affaires dans lesquelles le détournement systématique, pendant plusieurs années, pour un montant de un million d’euros par an, n’a été sanctionné que par la récupération de l’indu d’un montant de 30 000 euros et sans poursuites pénales !
M. Thomas Fatome. Cette affaire est regrettable. Nous veillons, tant dans la branche maladie que dans les autres branches, à utiliser l’outil des pénalités financières de façon plus systématique…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. D’autant que dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale, des comités départementaux de lutte ont été mis en place, sous l’égide du préfet et du procureur. Il est d’ailleurs étonnant qu’ils aient à la fois la responsabilité de la lutte contre la fraude et une responsabilité pénale liée à l’organisation du transport de patients au travers des conventionnements placés sous la triple égide de l’ARS, de la CPAM et du préfet. Quoi qu’il en soit, les chiffres de la Cour des comptes sont éloquents : sur les 4 milliards d’euros que représentent les dépenses de transport, près de un demi-milliard est mal utilisé. Nous devons donc faire cesser au plus vite des pratiques qui perdurent au détriment de celles et ceux qui sont frappés par les aléas de la vie.
M. Thomas Fatome. Nous partageons cet objectif de poursuivre et de renforcer les programmes de lutte contre la fraude. Le contrôle de 450 entreprises, qui a abouti à 15 plaintes et 20 pénalités financières, ne me semble pas anecdotique et démontre la mobilisation des caisses sur ces sujets.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je ne conteste pas la mobilisation d’un certain nombre de caisses et je ne doute pas de votre volonté de lutter contre la fraude…
M. Thomas Fatome. Le ministère a demandé à l’assurance maladie de renforcer ses contrôles et c’est ce qu’elle a fait en ciblant au niveau national les établissements qui semblaient justifier un contrôle.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les 15 plaintes déposées ont-elles eu des suites judiciaires ?
M. Thomas Fatome. Non, car le programme de contrôle a été initié en avril 2013. Mais je vous ferai parvenir un compte rendu détaillé de ces suites.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je souhaite qu’il soit exhaustif, région par région, caisse primaire par caisse primaire et qu’il mentionne les volumes financiers en jeu.
M. Thomas Fatome. Comme vous le savez, le processus pénal est assez long. Quoi qu’il en soit, dans la plupart des cas, c’est bien un contrôle de la caisse primaire qui a donné lieu à l’engagement d’une procédure pénale.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. En effet, la plainte a été engagée par la caisse primaire d’assurance maladie qui s’est totalement investie, avec beaucoup d’efficacité, mais le sujet a été classé sans suite au parquet.
M. Thomas Fatome. En lien avec la Délégation nationale de lutte contre la fraude (DNLF) et le ministère de la justice, nous assurons l’information et la sensibilisation des parquets sur ces questions pour que ces affaires débouchent plus souvent sur l’engagement de poursuites pénales.
J’en viens à la garde ambulancière, même si cette question relève plus de l’organisation des soins, qui est traitée par la DGOS. Nous partageons le diagnostic de la Cour sur les montants trop élevés des dépenses et la difficulté d’organiser une garde ambulancière efficiente entre les ambulanciers et les sapeurs-pompiers. Cette question éminemment sensible sur le plan local a donné lieu à des expérimentations. L’article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 offre à dix agences régionales la possibilité d’ajuster les modes d’organisation et de financement des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et des ambulanciers. Certains départements, notamment dans la région Pays de la Loire, ont commencé à expérimenter des modes d’organisation prometteurs. Mais sur une dépense de 300 millions d’euros, 280 millions correspondent aux rémunérations, or celles-ci sont un élément non négligeable de l’équilibre économique des transporteurs concernés. Nous souhaitons vivement avancer en la matière, reste à trouver l’organisation qui permettra aux uns et aux autres de s’organiser.
M. le coprésident Pierre Morange, rapport. Un rapport d’information de juillet 2009 de MM. Georges Ginesta, Bernard Derosier et Thierry Mariani sur le financement des SDIS mentionnait déjà la mauvaise articulation historique entre le SAMU et les SDIS. La plateforme téléphonique commune n’est pas présente dans la totalité des départements et dans certains territoires, soucieux d’optimiser l’existant, les coûts induits par le recours au SDIS sont très élevés. La convention fixe à 350 euros la garde de vingt-quatre heures, à laquelle s’ajoute le forfait attribué pour chaque déplacement. Or plus de 60 % de l’activité des sapeurs-pompiers est consacrée au secours aux personnes, contre seulement 15 % aux sinistres.
Vous avez individualisé les départements se trouvant dans ce cas de figure. Les 280 millions d’euros font-ils référence à ces situations particulières ou correspondent-ils à une enveloppe globale ? Une meilleure rationalisation permettrait-elle d’en retrancher une partie ?
M. Thomas Fatome. Le montant de 280 millions d’euros correspond à l’enveloppe globale destinée aux transporteurs sanitaires, et 20 millions d’euros sont affectés aux SDIS en cas de carence.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le montant que nous pourrions économiser grâce à une meilleure organisation de la garde ambulancière ? La Cour des comptes parle de 100 millions d’euros.
M. Thomas Fatome. Je laisse à la Cour la responsabilité de son chiffrage… Je préfère que nous fixions des objectifs que nous pourrons atteindre. Si nous parvenons demain à réaliser 100 millions d’euros d’économies sur ce poste, ce sera une perte de revenus pour les transporteurs de patients, et je sais d’expérience que ce sera compliqué. Si nous proposons une réforme de la garde ambulancière affichant une économie de 100 millions d’euros, nous ne les atteindrons pas et nous risquons même de ne faire aucune économie. Je préfère poser la question en termes d’organisation de la garde et de mobilisation efficiente des moyens.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous n’y arriverons pas à cause des pressions qu’exercera la corporation des transporteurs ?
M. Thomas Fatome. Oui, parce que dans ce secteur, plus encore que dans d’autres, il est plus judicieux de proposer aux professionnels une organisation dans laquelle ils peuvent voir une évolution structurelle plutôt que de raisonner de façon purement comptable. Depuis cinq ou six ans, nous proposons des modifications législatives qui se heurtent à un certain nombre de résistances. Nous devons en tenir compte.
Quand je regarde les contraintes qui pèsent sur l’ONDAM et l’importance de la dépense, ma première réaction est de vouloir rendre l’organisation plus efficiente. Dans le domaine de la permanence des soins ambulatoires, nous avons fait progressivement évoluer les choses en donnant davantage d’autonomies aux ARS qui peuvent désormais organiser les secteurs et rémunérer les professionnels. Cela va dans le bon sens. De la même manière, nous devons donner davantage d’autonomie aux ARS pour qu’elles puissent, en concertation avec les professionnels des transports, rationaliser l’organisation et éviter les situations qui nous amènent à payer à la fois de l’astreinte, de la sortie de véhicules privés et l’utilisation du SDIS, ce qui, dans l’état actuel de nos finances publiques, n’est pas raisonnable.
Je ne peux vous dire si l’objectif de 100 millions d’euros est raisonnable, mais il est à l’évidence très élevé par rapport à l’assiette de dépenses.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ne pourrait-on généraliser ces expérimentations par la voie législative ?
M. Thomas Fatome. Dès lors que l’expérimentation aura montré son efficience…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. En France, nous adorons les expérimentations mais nous ne passons pas souvent au stade de leur généralisation. Sur cette question, la conjoncture semble très favorable pour le faire dans le prochain PLFSS…
M. Thomas Fatome. C’est un peu rapide... Le temps des expérimentations est peut-être long mais il est celui du dialogue entre le niveau national et les ARS, et entre celles-ci et les acteurs locaux.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je ne suis pas certain que la situation budgétaire du pays nous laisse beaucoup de temps... Ce dont nous débattons aujourd’hui figure dans différents rapports depuis de nombreuses années et les expérimentations ne manquent pas.
M. Thomas Fatome. Le défi pour les prochaines années est de nous montrer rapides et efficaces pour rendre « absorbable » la contrainte financière dans les ONDAM actuels et futurs.
En matière de politique tarifaire, l’assurance maladie, en plein accord avec le ministère, a développé une stratégie consistant à adapter les règles de tarification afin de rendre le VSL plus attractif et limiter ainsi le recours à l’ambulance. Cette stratégie, mise en œuvre depuis quelques années, a un coût – elle suppose des revalorisations régulières – mais elle reste un objectif structurel pertinent. L’assurance maladie organise par ailleurs en direction des prescripteurs, en ville et à l’hôpital, des actions efficaces sur le thème du respect de la juste prescription. Certes, cette stratégie produit encore peu d’effets, néanmoins depuis cinq ans la dynamique globale de la dépense est ralentie. Il faut poursuivre dans cette voie, même si elle complique la négociation avec les acteurs.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Préconisez-vous le double contingentement, valable pour les ambulances et les VSL, ou le contingentement global sur un territoire ?
Mme Laure-Marie Issanchou, cheffe du bureau des établissements de santé et des établissements médico-sociaux. Dans le domaine du transport assis professionnalisé, des quotas théoriques sont appliqués aux transporteurs sanitaires, ce qui inclut les ambulances et les véhicules sanitaires légers, mais les autres acteurs du TAP que sont les taxis conventionnés par l’assurance maladie ne se voient appliquer aucun contingentement effectif, à l’exception de celui lié au fait d’être titulaires de l’autorisation de stationner dans la commune depuis au moins deux ans.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. L’offre privilégie désormais les taxis, qui occupent près de 40 % du marché, contre 32 % pour les VSL.
Mme Laure-Marie Issanchou. L’un des enjeux principaux en matière de structuration de l’offre, pour l’assurance maladie et les agences régionales de santé, est de pouvoir disposer d’une vision partagée et globale du parc incluant les taxis conventionnés, soit près de 25 000 véhicules, à comparer aux 15 000 VSL.
Il est certain que les modalités de calcul des quotas théoriques définies par l’arrêté du 5 octobre 1995 fixant l’autorisation de mise en service des véhicules affectés aux transports sanitaires terrestres sont aujourd’hui largement dépassées. Nous réfléchissons aujourd’hui à la possibilité de laisser aux caisses la capacité de ne pas conventionner de nouvelles entreprises de taxi dans la mesure où la réponse aux besoins est assurée par le parc commun de VSL et de taxis déjà en service.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce dispositif est-il opérationnel ?
Mme Laure-Marie Issanchou. Pas encore.
M. Thomas Fatome. Le récent rapport du député Thomas Thévenoud sur les taxis et les véhicules de tourisme avec chauffeur contient des éléments de réflexion sur l’adaptation des autorisations des taxis à la satisfaction des besoins de transport sur le territoire. Nous allons instruire ces propositions afin de les traduire par des mesures complémentaires dans le prochain PLFSS ou en prenant des mesures réglementaires.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quid du transport des personnes frappées par un handicap ?
Mme Laure-Marie Issanchou. La législation différencie les personnes en perte d’autonomie et les personnes âgées ou handicapées, pour lesquelles une part des dépenses de transport est prise en charge par le budget de l’établissement médico-social – c’est notamment le cas pour les enfants handicapés – à l’exception des prises en charge ambulatoires.
Le transport des adultes handicapés a fait l’objet d’évolutions dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale. Ainsi, les dépenses de transport des personnes en accueil de jour sont désormais intégrées dans les budgets des établissements, de même que celles liées au transport des personnes âgées. Ces transports sont donc financés par l’ONDAM médico-social et non plus remboursés individuellement au titre des soins de ville. L’Agence nationale de l’appui à la performance (ANAP) travaille sur ce sujet.
La loi de financement de la sécurité sociale de 2012 prévoit la rédaction d’un décret portant sur la prise en charge du transport pour les enfants et jeunes adolescents qui fréquentent des centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) et les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) afin de faciliter le dépistage, le diagnostic et l’accompagnement précoce du handicap. Ce décret devrait paraître prochainement.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Eu égard au parallélisme des formes, ne serait-il pas légitime d’intégrer le transport des patients dans le budget des hôpitaux ?
Mme Laure-Marie Issanchou. Je vous rappelle simplement que les séjours à l’hôpital sont généralement moins longs que les consultations dans les centres médico-sociaux.
M. Thomas Fatome. Il serait logique de mieux relier le responsable de la prescription avec celui qui en supporte le financement, mais nous ne sommes jamais allés au bout de cette logique. Nous n’y sommes pas opposés, tout en sachant qu’elle nous confronterait aux mêmes difficultés. Si j’étais gestionnaire hospitalier et que l’on m’accordait un budget global pour financer les transports, je serais tenté d’organiser ou d’acheter du transport de patients, donc de structurer le marché dans des conditions que le secteur ne sait pas gérer et que certaines entreprises, en particulier celles de taxis, ne peuvent assumer.
Je crois qu’entre cette hypothèse très ambitieuse et ce qui est train de se déployer sur le terrain, il existe une marge qu’il convient d’exploiter en optimisant l’organisation du transport. Les transports itératifs, pour les personnes qui se rendent à l’hôpital à une heure prédéfinie, nous offrent des marges de manœuvre substantielles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Entre le recours au mode de transport le moins coûteux et le principe de liberté qui implique le choix par le patient de son transporteur, où vous situez-vous ?
M. Thomas Fatome. Le patient n’a pas le choix de son mode de transport mais, aux termes d’une disposition réglementaire, ce transport doit être effectué dans le respect du libre choix du patient. Les organisations professionnelles nous opposent parfois cette règle, croyant qu’elle est de nature législative et immuable, mais elle n’est que réglementaire. Je ne suis pas saisi d’une demande de modification de cette règle, mais ce pourrait être une piste de réflexion.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. En effet, d’autant que les contrôles effectués par le service du contrôle médical de l’assurance maladie sont assez limités notamment pour les déplacements inférieurs à 150 km.
Nous sommes attentifs à toute proposition opérationnelle, qu’elle soit de nature réglementaire ou législative. Monsieur le directeur, madame, nous vous remercions.
*
* *
Audition de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, et M. Christophe Colin de Verdière, conseiller référendaire
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Bienvenue à l’Assemblée nationale, messieurs.
Je tiens au préalable à vous informer du fait que le rapport sur le financement de la branche famille a été adopté par la MECSS ce matin. Le coprésident Jean-Marc Germain et notre rapporteur Jérôme Guedj ont voté pour. De mon côté, je me suis abstenu, non sans préciser ma conviction personnelle sur le sujet, dans l’esprit de réflexion collégiale qui a présidé à nos travaux. Dans ce même esprit, nous avons unanimement salué la contribution que la Cour des comptes a bien voulu nous apporter à ce sujet.
Les enjeux financiers sont moindres s’agissant du transport de patients, autre préoccupation d’actualité. Toutefois, si les dépenses prises en charge à ce titre représentaient en 2012 quelque 3,8 milliards d’euros, soit environ 2,1 % de l’enveloppe totale de l’assurance maladie, elles ont augmenté de 63 % entre 2001 et 2010 au sein de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), contre 39 % pour les autres dépenses. En 2010, le nombre de trajets effectués a ainsi atteint 65 millions, pour cinq millions de bénéficiaires. Dans la précieuse contribution que vous avez consacrée au sujet en septembre 2012, vous rappelez ces chiffres et les grandes tendances susceptibles d’expliquer le dynamisme de cette progression : vieillissement de la population, développement des affections de longue durée, regroupement de l’offre de soins, restructuration des plateaux techniques, développement de l’hospitalisation à domicile et de la chirurgie ambulatoire.
Certes, ces dernières évolutions sont destinées à améliorer le parcours de soins. Vous constatez pourtant que l’offre reste insuffisamment construite – pour rester courtois. Vous préconisez donc de la rationaliser afin de dégager des marges de manœuvre financières. Premièrement, en respectant plus strictement le référentiel de prescription, ce qui permettrait selon vous d’économiser quelque 220 millions d’euros. Deuxièmement, en réformant le système de garde ambulancière, ce qui représenterait une économie potentielle de 100 millions d’euros environ. Troisièmement, en contrôlant la liquidation des factures et en luttant contre la fraude, pour 120 millions d’euros. En somme, ce n’est pas moins de 450 millions d’euros, sur un total de dépenses de 3,8 milliards d’euros, dont nous pourrions faire l’économie, ce qui n’est pas négligeable vu la situation financière de notre pays, surtout en matière de protection sociale.
M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Le constat que nous faisions en septembre 2012 – sur le rapport de M. Christophe Colin de Verdière –, fondé sur des données qui s’arrêtaient en 2010, n’a pas été démenti depuis. Au contraire, l’augmentation des dépenses de transport prises en charge par le régime général tend à s’accélérer : ramené à 2,7 % en 2011, le taux de progression est passé à 5,5 % en 2012, retrouvant ainsi un niveau historique. En outre, le décalage entre le rythme de progression de l’ONDAM et celui des dépenses de transport tend à se creuser : alors que le second s’accélérait, le premier a ralenti.
Cette évolution récente s’explique essentiellement par deux phénomènes. Premièrement, le nombre de transports pris en charge par le régime général continue d’augmenter : il était de 11,7 millions en 2011 et de 12,3 millions en 2013. Parallèlement, le montant moyen remboursable d’un transport a augmenté encore davantage, passant de 48,52 euros en 2011 à 52,10 euros en 2013 ; l’augmentation s’est élevée à 4,8 % entre 2012 et 2013. L’évolution est globalement identique pour les ambulances et pour les transports assis professionnalisés (TAP), mais varie au sein même de cette dernière catégorie : alors que le nombre de transports en véhicule sanitaire léger (VSL) diminuait – de - 2,9 % en 2012 et de - 0,3 % en 2013 –, le nombre de transports en taxi a très fortement augmenté, de 7,3 % en 2012 et de 4,2 % en 2013. Il faut évidemment mettre ce phénomène en relation avec l’évolution du parc de véhicules consacrés au transport de patients : ces dernières années, le nombre d’ambulances a faiblement augmenté, le nombre de VSL a faiblement diminué et celui des taxis a fortement augmenté. En 2013, on dénombrait ainsi 13 979 ambulances, soit 0,1 % de moins qu’en 2012 ; 14 027 VSL, en baisse de 0,4 % par rapport à l’année précédente ; et 37 100 taxis conventionnés, ce qui représente cette fois une hausse de 2,7 %.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La direction de la sécurité sociale, que nous venons d’auditionner, a parlé de 25 000 taxis.
M. Antoine Durrleman. Les chiffres que nous donnons sont ceux de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Il y avait 31 384 taxis en 2009 et 37 100 en 2013.
Sur ces différents points – dynamiques des dépenses, augmentation du parc de véhicules, augmentation du nombre de transports –, notre constat n’est pas mieux documenté aujourd’hui qu’en 2012. Nous n’avons pas eu connaissance depuis lors de nouvelles études éclairant davantage les déterminants de la dépense.
Ces derniers incluent des facteurs objectifs, bénéfiques pour les patients et propices à l’efficience du système de soins. Car le transport de patients, naturellement essentiel au parcours de soins, est aussi un gage d’efficience en ce sens qu’il permet de concentrer les ressources du système de santé et les prises en charge dans certains lieux, plateaux techniques ou établissements, tout en garantissant à l’ensemble de la population l’égalité d’accès à des soins de qualité.
D’autres facteurs sont moins positifs. D’abord, les habitudes de prescription peuvent beaucoup varier selon la zone géographique, le département, le médecin prescripteur. Ensuite, le nombre de prescriptions d’un transport paraît d’autant plus important que le parc de véhicules installés est dense.
Qu’ils soient positifs ou négatifs, ces facteurs sont insuffisamment connus. C’est à nos yeux un problème majeur. Pour mieux piloter la dépense, il convient donc d’investir dans une analyse plus précise de ses déterminants.
Précisons en outre que les mesures de « gestion du risque » prises par les pouvoirs publics depuis 2012 n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité.
S’agissant des problèmes organisationnels, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a ainsi prévu l’expérimentation de nouveaux modes d’organisation du transport de patients, consistant à confier ces derniers, dans certaines zones géographiques, à des entreprises de transport de patients désignées sur appel d’offres, quel que soit le prescripteur. Cette disposition a suscité l’émotion des transporteurs, ce qui a conduit les pouvoirs publics à surseoir à la parution du décret d’application de cette expérimentation. Ce sursis perdure à ce jour.
Sans annuler cette expérimentation, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 en a prévu d’autres. Il s’agit d’abord de confier aux établissements de santé volontaires le soin d’organiser le transport de patients à destination ou au départ de l’établissement ; en d’autres termes, d’internaliser la prestation de transport au sein des établissements de santé – mais non son financement comme l’avait proposé la Cour. Là non plus, les décrets d’application ne sont pas encore parus ; il est vrai que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 est parue récemment.
Afin de réguler, et en vue de mieux maîtriser la dépense émanant des hôpitaux, la loi précitée alourdit, en outre, les pénalités dont les établissements de santé sont redevables en cas d’augmentation de leurs prescriptions de transports. Nous avions, en effet, constaté que les prescriptions de transport émanaient à 53 % des médecins hospitaliers et que les contrats d’amélioration de la qualité de l’organisation des soins (CAQOS) en matière de transport de patients avaient essentiellement une existence virtuelle. Il est évidemment trop tôt pour mesurer l’effet de cette disposition.
Un décret du 29 août 2012, qui résultait en grande partie de nos travaux, a renforcé les dispositions tendant à réguler l’offre de transports. Ainsi, la transformation d’un VSL en ambulance, qui permettait jusqu’à présent de contourner le plafonnement du parc d’ambulances, est désormais subordonnée à l’avis favorable des ARS. En outre, pour limiter l’attribution de nouvelles autorisations par l’ARS lorsque le plafond calculé en fonction de la population n’est pas atteint, cette attribution n’est plus automatique ; les conditions du transfert de l’autorisation d’exploitation des véhicules sont durcies ; en particulier, la maîtrise des dépenses peut désormais constituer un motif de refus de transfert.
Ces mesures visent à « colmater » certains des points de fuite que nous avions identifiés. Toutefois, elles ne remédient pas au principal défaut que nous avions mis en lumière : l’absence d’articulation entre les dispositifs de régulation applicables aux VSL et ambulances, d’une part, et aux taxis, de l’autre.
Du côté de l’assurance maladie, on peut noter des progrès dont la portée ne peut être encore véritablement appréciée. Il s’agit de la mise en œuvre effective, qui nous avait été annoncée par la CNAMTS, d’une évolution de son application informatique permettant d’automatiser davantage la liquidation des factures de transport. Les prescriptions sont dématérialisées, les droits des patients vérifiés lors de l’établissement des factures et les pièces justificatives sont elles aussi dématérialisées. Selon les informations fournies par l’assurance maladie, le nombre de rejets a été divisé par deux depuis que les factures sont traitées par ce nouveau système. Toutefois, la diminution du nombre d’incidents bloquants ne signifie pas que les vérifications soient plus efficaces.
Dans le cadre de notre campagne de certification des comptes 2013 de la branche maladie, dont nous remettrons le rapport au Parlement courant juin, nous avons étudié plus particulièrement l’indicateur de risque financier résiduel, c’est-à-dire la mesure des anomalies touchant les factures de transport de patients. En 2013, 11 % des règlements de prestations de transport sanitaire ont été affectés par des erreurs de liquidation à caractère définitif, imputables à des anomalies de facturation qui n’ont pas été détectées ni corrigées par les dispositifs de contrôle interne. Ces erreurs ont notamment pour origine l’application de tarifs erronés, des cumuls non autorisés de prestations et l’incohérence du nombre de kilomètres parcourus entre le domicile du patient et le lieu où il a bénéficié d’actes de soins. L’incidence financière de ces erreurs représente 3,4 % du montant total des règlements de prestations de transport de patients pris en charge par le régime général au cours de l’année, soit environ 140 millions d’euros, sur un montant total de 3,36 milliards d’euros répartis entre la branche maladie, qui en absorbe l’essentiel, et, pour une part résiduelle, la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. S’agit-il d’erreurs ou de fraudes ?
M. Antoine Durrleman. Ce que nous documentons, ce sont des erreurs. Assurément, s’agissant par exemple du nombre incohérent de kilomètres entre le lieu de prise en charge et celui où sont dispensés les soins, on peut s’interroger sur le caractère intentionnel du dérèglement du GPS…
Au total, le secteur du transport de patients pâtit fortement de ces anomalies : il est le deuxième des quatre domaines qui concentrent, en matière d’assurance maladie, 80 % du montant du risque financier résiduel une fois appliqués tous les dispositifs de contrôle, après les médicaments et avant les soins infirmiers, puis les soins de kinésithérapie. En 2013, ce secteur représente 5 % du nombre total d’erreurs de liquidation affectant des prestations en nature de l’assurance maladie, mais ces 5 % sont responsables de 24,2 % de l’incidence financière totale des erreurs de liquidation.
En somme, si l’assurance maladie a amélioré son système d’information, ces anomalies, qui correspondent en grande partie à des excès de versement, demeurent très importantes. L’assurance maladie doit donc particulièrement veiller, surtout dans ce secteur, à renforcer son contrôle interne et la lutte contre la fraude en son sein.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Merci de cette présentation très synthétique de vos travaux.
Vous aviez montré que la hausse de la dépense pouvait résulter de plusieurs facteurs : le référentiel de prescription – une prescription qui émane surtout des établissements hospitaliers – était mal respecté ; l’offre de transports était surabondante, inadaptée à la demande, de sorte que sa tarification alimentait la dépense ; enfin, la gouvernance paraissait éclatée entre l’ARS et les caisses d’assurance maladie. La progression s’est poursuivie depuis. Certes récentes, les mesures de réorganisation de l’offre que vous avez évoquées vous paraissent-elles suffisantes pour la freiner ?
M. Antoine Durrleman. Nous avions préconisé une action résolue de maîtrise de la dépense. Mais celle-ci exige de la pédagogie puisque, dans le secteur des soins de ville, le dispositif dont nous parlons se caractérise par le fait qu’il n’a encore jamais été véritablement régulé. Cette pédagogie doit s’adresser aux patients et assurés sociaux comme aux prescripteurs et aux transporteurs eux-mêmes : tous devraient être partie prenante de la démarche de régulation.
Vis-à-vis des assurés sociaux, en particulier, il convient d’insister sur deux points cruciaux qui ont fait l’objet de dérives. Premièrement, la règle de l’établissement le plus proche : depuis 1986, le patient doit en principe être soigné dans l’établissement le plus proche qui soit compatible avec son état de santé. Or cette règle n’est véritablement appliquée ni par l’assurance maladie, ni par le corps médical. Il importe de rassurer le patient sur ce point : la mise en œuvre de ce principe n’implique pas pour lui une perte de chance. Toute pathologie n’a pas besoin d’être soignée en centre hospitalier universitaire (CHU). Pourtant, il existe des stratégies d’adressage qui font augmenter le nombre de kilomètres parcourus.
Deuxièmement, la liberté de choix du patient. Les conventions conclues avec les transporteurs de patients font une application inexacte des dispositions du code de la sécurité sociale qui établissent ce principe. En effet, la liberté concerne le choix du professionnel de santé ; ce n’est qu’au nom d’une conception extensive, extra legem, qu’elle a pu être étendue au choix du transporteur. De ce point de vue, la pédagogie doit d’ailleurs également viser les transporteurs.
Si ces règles ne sont pas clarifiées, la dépense n’a aucune raison de cesser sa progression.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je suis tout à fait d’accord.
Le simple fait d’évoquer l’internalisation de la gestion budgétaire du transport de patients au sein des établissements de soins suscite les craintes des transporteurs, tous modes de transport confondus – ambulances, taxis ou VSL. Certes, dès lors que la dépense de transport est diligentée par les établissements à près de 60 %, l’application de ce principe, appuyée sur le référentiel de prescription de 2006, permettrait de rationaliser le système sans nuire à l’intérêt du patient. Mais l’on y voit souvent la porte ouverte à des appels d’offres dont seraient exclues de petites entreprises, lesquelles craignent pour leur viabilité financière. Sans aller jusqu’à parler de prise d’otages, on sort alors de la logique sanitaire : c’est l’offre qui conditionne la dépense publique, alors qu’il faudrait définir les moyens sanitaires adaptés en tenant compte des recettes disponibles.
Au contraire, si les mesures récemment décidées par l’exécutif tardent à être mises en œuvre, c’est, semble-t-il, faute de volonté, quelle que soit la majorité politique en place. Le principe de l’expérimentation en témoigne : selon une démarche dont notre pays est coutumier, l’on se satisfait d’initiatives artisanales au lieu de mener une politique volontariste à l’échelle de tout le territoire.
M. Antoine Durrleman. Il s’agit en effet d’une forme de procrastination qui n’est d’ailleurs pas nouvelle. En 2012, nous avions été très surpris de constater que l’idée du référentiel de prescription, principe simple qui aurait dû n’être qu’une première étape, avait été inscrite dans les textes en 1986, mais n’avait fait l’objet d’un arrêté d’application qu’en décembre 2006, soit vingt ans plus tard – vingt ans de perdus. La mesure n’était peut-être pas totalement oubliée, mais on hésitait à la mettre en œuvre.
En outre, aujourd’hui, le respect de ce référentiel n’est contrôlé ni par les caisses primaires, ni dans les hôpitaux. Dans les CHU, en particulier, c’est traditionnellement l’interne qui signe un bon de transport rempli par la secrétaire ou l’assistante sociale du service. En d’autres termes, le caractère nécessairement médicalisé de la prescription, qui fonde la notion même de transport de patients telle que la définissent les textes, par opposition à un transport de confort, n’est pas du tout assimilé. Le bon de transport constitue un automatisme et le choix du transporteur résulte d’habitudes locales, celles du prescripteur ou celles du patient.
Ce problème central doit être au cœur de l’effort de pédagogie.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Votre constat pourrait être étendu aux logiciels d’aide à la prescription – LAP – ou aux fiches-repères, établies par la CNAMTS et validées par la Haute Autorité de santé, que nous avons étudiées dans le cadre de nos travaux sur les arrêts de travail et les indemnités journalières. Malheureusement, nos préconisations à ce sujet n’ont pas passé le barrage de la validation parlementaire. Cela témoigne de résistances qui ne se limitent pas au milieu médical et conduisent à diaboliser une proposition pourtant raisonnable, fondée sur des critères scientifiques.
M. Antoine Durrleman. Alors que, pour être efficace, la démarche de régulation devrait associer toutes les parties prenantes, les expérimentations prévues par les lois de financement de la sécurité sociale pour 2013 et pour 2014 ne s’inscrivent pas dans une stratégie globale. Voilà pourquoi les acteurs du transport de patients peuvent se sentir stigmatisés et redouter leurs conséquences économiques. Le cadre n’est pas assez clair, l’effort de persuasion n’est pas suffisant. Il faut montrer qu’il n’est pas question de mettre en doute la pertinence de tout transport, simplement de consacrer la dépense d’assurance maladie à la qualité et à l’efficience de la prise en charge. Faute d’une stratégie globale, appliquée à chaque catégorie d’acteurs, on s’expose inévitablement au risque de réactions exacerbées comme celles que nous avons connues début 2013.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. En effet, les réactions sont épidermiques lorsque la viabilité du secteur est en jeu. Or celui-ci bénéficie de la dynamique de la dépense, mais n’échappe pas au contexte actuel de contrainte budgétaire.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le contrôle médical et la lutte contre la fraude ? Vous le soulignez dans votre rapport, l’assurance maladie cherche désormais à récupérer les sommes indûment versées, mais celles-ci sont bien inférieures aux montants qui se sont accumulés avant l’instauration des contrôles ; en outre, les sanctions sont rares et limitées, ce qui n’est guère dissuasif pour les prestataires, certes minoritaires, qui font délibérément fi des besoins du patient et de l’orthodoxie budgétaire.
M. Antoine Durrleman. Le contrôle médical est essentiel, s’agissant d’une prestation thérapeutique. Pour l’instant, il prend surtout la forme de la mise sous accord préalable de certains médecins de ville qui sont de forts prescripteurs. Cette mesure n’est pas négligeable, car elle peut être dissuasive : elle produit un effet de tempérance réel et durable, pour autant que nous ayons pu le documenter en 2012. Outre le renforcement des pénalités financières applicables aux hôpitaux, prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, on pourrait donc s’interroger sur l’opportunité d’une mise sous accord préalable, mutatis mutandis, des prescripteurs hospitaliers qui se distingueraient par leurs pratiques. Cela pose le problème de la régulation de la prescription hospitalière.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. De son individualisation.
M. Antoine Durrleman. Désormais, celle-ci est censée être mesurable, grâce à l’ordonnancier individuel.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. À notre connaissance, cette mesure n’est pas parfaitement opérationnelle.
M. Antoine Durrleman. Ce n’est pas le seul problème : une prescription hospitalière qui donne lieu à un achat en ville pèse aussi sur l’enveloppe des soins de ville.
Une action menée au niveau de l’établissement reste à peu près sans effet. J’ai été directeur d’hôpital ; on connaît les réactions que suscite l’intervention d’un administratif en matière de prescription, même dans un établissement important où le directeur général a plus d’autorité qu’ailleurs. Quant aux instances médicales de l’hôpital, leur action en la matière est généralement limitée. Ne faudrait-il donc pas inciter directement certains prescripteurs à surveiller leurs prescriptions ? La question se pose en matière de transport comme dans d’autres domaines de la prescription hospitalière. Cela supposerait que les services du contrôle médical établissent une typologie des prescriptions hospitalières, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cette question a fait l’objet d’un amendement, mais celui-ci n’a pas connu un sort heureux.
M. Antoine Durrleman. En tout cas, nous constatons l’inefficacité de toutes les formes de contrat liant l’assurance maladie aux établissements, dans le domaine du transport de patients comme du médicament. La pénalisation accrue prévue par la loi de financement pour 2014 provoquera-t-elle une responsabilisation collective ? Je n’en suis pas entièrement certain.
Par ailleurs, l’assurance maladie doit vérifier beaucoup plus systématiquement que le référentiel est respecté. Sur les sept caisses où nous nous étions rendus en 2011, une seule s’y employait.
En matière de lutte contre la fraude, le transport de patients doit être considéré comme une zone à risque qui appelle une attention particulière, ce qui n’était pas le cas lorsque nous avons mené notre enquête. En outre, les sanctions appliquées en cas de fraude devraient être plus sévères. La lutte contre la fraude a naturellement pour objectif de détecter, de redresser et de recouvrer, mais elle doit aussi avoir une vertu pédagogique – celle de la peur salubre du gendarme. Donner le sentiment que le risque mérite d’être pris revient à encourager la fraude.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je suis heureux d’entendre ces propos de bon sens.
Que pensez-vous de la politique de transport de patients dans le secteur médico-social ?
M. Antoine Durrleman. Nous ne l’avons pas étudiée spécifiquement. Je ne pourrai donc vous répondre sur ce point.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Venons-en à la garde ambulancière, c’est-à-dire au problème de l’organisation départementale du transport sanitaire et de l’articulation entre les services d’aide médicale urgente (SAMU), les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et les associations des transports de secours d’urgence (ATSU). Il ressort des travaux de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), ainsi que de rapports parlementaires, que le coût de la garde est, dans certains territoires, disproportionné par rapport à la demande. Vous avez donc suggéré de recourir plutôt à l’existant, c’est-à-dire aux SDIS, dont plus de 60 % de l’activité est dédiée au secours à personne, et 15 % seulement à des interventions en cas de sinistre. Certes, l’armement en effectifs d’un camion de sapeurs-pompiers est deux fois supérieur à celui d’une ambulance ; mais, en lissant le coût de la garde au moyen de forfaitisations par voie conventionnelle, l’on pourrait, sans refondre le système, adapter l’organisation aux réalités du territoire lorsque le nombre d’interventions n’y dépasse pas un certain seuil. Les départements ont pu craindre que cette approche affinée ne dissimule une mesure plus générale propre à alourdir encore les dépenses consacrées aux SDIS, qui représentent déjà quelque 4,5 milliards d’euros pour les collectivités, auxquels s’ajoute un milliard pour l’État au titre de la sécurité civile.
Les coûts de transport restent donc pour l’instant très disparates, allant de 200 euros à 1 100 euros pour le déplacement d’un camion de sapeurs-pompiers, tandis que, en cas de carence ambulancière, l’indemnisation du SDIS est de 105 euros. Les entreprises privées de garde perçoivent quant à elles une indemnité d’environ 340 euros par période de douze heures ; en contrepartie, un abattement de 60 % s’applique au tarif du déplacement.
À ce problème s’ajoute le manque de coordination entre les SAMU et les SDIS, qui ne disposent pas d’une plateforme téléphonique commune dans tous les départements.
M. Antoine Durrleman. Sur ce dernier point, la Cour a constaté comme vous que la conjonction géographique entre les services, et même la simple concaténation informatique de leurs systèmes de permanence, progressent à la vitesse d’un escargot. Elle a donc proposé récemment que l’obligation d’unifier les centres de traitement des appels des SDIS et ceux des SAMU soit inscrite dans la loi.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Selon les chiffres dont je dispose, et qui méritent sans doute d’être actualisés, seuls une quinzaine de départements compteraient une plateforme commune aux SAMU et aux SDIS.
M. Antoine Durrleman. Ils ne doivent pas être beaucoup plus nombreux aujourd’hui. Nous pourrons vous communiquer les derniers chiffres dont nous avons connaissance.
La garde ambulancière, qui découle de la mise en place de la permanence des soins telle qu’elle s’est construite après 2002, constitue une réponse un peu trop générale à des situations très particulières. Si le dispositif est trop peu mobilisé, les coûts d’intervention s’envolent : nous avons établi qu’un déplacement pouvait revenir à 1 600 euros. Inversement, dès lors que la garde ambulancière est fréquemment sollicitée, l’application de l’abattement de 60 % fait perdre de l’argent au transporteur. Bref, le système est ubuesque : s’il ne fonctionne guère, ou pas du tout, cela coûte très cher à l’assurance maladie ; s’il fonctionne bien, le transporteur sanitaire est en déséquilibre économique. Nous avons donc préconisé de le réformer sous ces deux aspects. Là où des déplacements sont nécessaires et n’exigent pas la mobilisation du SAMU, il faut assurer l’équilibre d’exploitation du transporteur sur ce segment d’activité qui est pour lui coûteux ; en revanche, là où les déplacements sont exceptionnels, mieux vaut faire appel au SDIS, qui a toujours un camion armé pour le prompt secours, et non simplement pour l’incendie – relativement rare, heureusement.
À ce propos, la Cour a bien documenté l’importance du coût des effectifs mobilisés par les SDIS – souvent exagérément, d’ailleurs. Lorsque nous avons étudié le fonctionnement des SDIS, nous avons eu le sentiment que l’importance des mobilisations de nuit, très variable, n’était souvent pas fondée sur un besoin réel. Cela ne vaut pas pour les SDIS qui ont procédé à des études d’effectivité. Le fait qu’il revienne à chaque centre de définir le nombre de sapeurs-pompiers qu’il mobilise chaque nuit explique que les chiffres liés à l’armement et au déplacement d’un camion varient considérablement d’un centre à l’autre. Du point de vue de la Cour, les marges d’efficience sont considérables dans ce domaine aussi.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On a pu justifier ces sureffectifs par l’éventualité que les sapeurs-pompiers soient détournés de leur mission initiale de transport de patients pour intervenir à la suite d’un grave accident de la route. Chacun est libre de se faire son opinion à ce sujet.
M. Antoine Durrleman. Chaque territoire est différent.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quoi qu’il en soit, tout cela ne témoigne pas d’une optimisation des moyens disponibles dans la situation financière que connaît notre pays.
Merci, monsieur le président, d’avoir répondu aussi complètement à nos questions. Nous serons très attentifs à d’autres préconisations opérationnelles, tant législatives que réglementaires ; dans ce dernier domaine, nous aurons à cœur d’user de notre influence sur l’exécutif.
Audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins, et Mme Véronika Levendof, responsable des relations avec le Parlement, M. Franck Duclos, directeur délégué aux politiques sociales de la Mutualité sociale agricole (MSA), et M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires, M. Gérard Quévillon, président du Régime social des indépendants (RSI), et M. Pascal Perrot, médecin conseil national
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mesdames, messieurs, la MECSS vous remercie de répondre toujours rapidement à nos sollicitations répétées.
Différents rapports ont traité de la question du transport de patients. La dépense en forte hausse de ce poste est principalement liée à quatre grands facteurs structurels : l’augmentation de la population frappée par des affections de longue durée, le développement des prises en charge ambulatoires, la restructuration de l’offre hospitalière et les regroupements des plateaux techniques qui peuvent augmenter les distances à parcourir, et une offre de transports mal construite n’apportant pas nécessairement une réponse pertinente à la demande.
La Cour des comptes estime possible d’économiser 450 millions d’euros au minimum à travers trois grands axes de rationalisation du dispositif : le strict respect du référentiel de prescription permettrait de récupérer 220 millions d’euros, la réforme du système de garde ambulancière 100 millions d’euros et le contrôle des liquidations de factures 120 millions d’euros. Nous souhaiterions entendre vos réactions sur ces éléments.
M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). De 2,3 milliards d’euros en 2003, les dépenses liées au transport de patients sont passées à 4 milliards d’euros en 2013. Leur place au sein des dépenses de l’assurance maladie s’est donc accrue, dans un contexte de forte maîtrise de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM).
Cette croissance varie fortement selon le mode de transport utilisé : la dépense est stable pour les véhicules sanitaires légers (VSL), elle s’élève à 800 millions d’euros depuis dix ans. Elle a augmenté de 700 millions d’euros pour les ambulances, passant de 900 millions d’euros en 2003 à 1,6 milliard d’euros en 2013, tout en demeurant à peu près stable depuis 2010 ; en revanche, les dépenses de taxi ont triplé, passant de 500 millions d’euros en 2003 à 1,5 milliard d’euros en 2013.
L’usage des ambulances et des taxis permet aux transporteurs de dégager des marges plus importantes que l’utilisation d’un VSL : il est logique que les acteurs économiques optimisent l’utilisation des véhicules, en choisissant en priorité ceux qui sont les plus rentables. De fait, par le passé, notamment au moment de la loi sur la réduction du temps de travail, les ambulances ont été fortement favorisées, au détriment des VSL. Nous essayons aujourd’hui de revenir sur cet état de fait, mais ce changement ne peut être que progressif – c’est un sujet socialement délicat.
Quant aux tarifs des taxis, ils sont fixés par les préfets et échappent donc à la régulation exercée par la CNAMTS. Dans les zones urbaines, ces tarifs rémunèrent notamment le temps d’immobilisation du véhicule : c’est le résultat de négociations sur les composantes tarifaires très bien menées, à mon sens, par les représentants des taxis au niveau départemental, même si ceux-ci ne sont pas forcément de cet avis. Les variations de tarifs entre les départements sont importantes, et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) cherchent à négocier des ristournes, ce qui n’est pas toujours facile.
Il faudrait également se pencher sur l’évolution du nombre de personnes susceptibles d’être transportées.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous sommes donc dans un système où c’est l’offre qui détermine la demande, alors que c’est l’intérêt du patient, et donc la demande, qui devrait prévaloir. On peut notamment s’étonner de l’absence de contingentement séparé des VSL et des ambulances. En matière de transports assis professionnalisés (TAP), on peut également regretter l’atomisation des centres de décision – la CNAMTS est chargée du conventionnement, les ARS (agences régionales de santé) donnent un agrément aux entreprises de transport, les préfets délivrent les autorisations de stationnement des taxis. Voilà un de ces problèmes de gouvernance dont nous sommes coutumiers. Il n’est pas certain que les deniers publics soient utilisés au mieux !
M. Frédéric Van Roekeghem. Il n’est pas forcément inutile de répéter, même si vous-même ne l’ignorez évidemment pas, que la CNAMTS n’a jamais été responsable du pilotage de l’offre de transport.
Les variations de l’offre selon les départements sont importantes : la densité d’ambulances et de VSL varie de 1 à 4, celle de taxis de 1 à 5.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment expliquez-vous cette hétérogénéité ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Elle provient, d’une part, des transformations de VSL en ambulances, qui sont permises par les textes, d’autre part, des politiques d’augmentation du nombre de licences de taxi, récemment pointées par les professionnels dans le cadre du rapport de M. Thomas Thévenoud. On ne peut que constater que le pilotage de l’offre varie beaucoup selon les départements. Vous avez raison, c’est bien l’offre qui détermine ici la demande : dans certains cas, on a recours au taxi, voire à l’ambulance, quand aucun VSL n’est disponible.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce recours au taxi est-il parfois organisé ou bien est-il lié à une véritable carence ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Il n’est pas anormal que les acteurs économiques cherchent à optimiser leurs gains.
Cette situation bien connue est la conséquence d’un pilotage macroéconomique dont il faut bien reconnaître qu’il est imparfait et qu’il induit des dépenses qui ne sont pas toujours justifiées, notamment au regard des référentiels de transport qui ont été mis en place progressivement. Les chiffres que j’ai donnés montrent que nous avons plutôt développé le transport de malades assis que le transport de malades couchés. N’oublions pas non plus que le nombre de malades susceptibles d’être transportés s’accroît.
Nos études montrent que ce sont les transports itératifs qui coûtent le plus cher. Ainsi, l’insuffisance rénale chronique est l’une des sources de dépense les plus importantes : 17 % des dépenses concernent en effet des patients dialysés. En l’occurrence, nous connaissons la bonne stratégie, mais nous rencontrons, collectivement, des difficultés pour la mettre en œuvre : il faudrait développer la greffe avec donneur vivant, à l’instar de certains pays, notamment du nord de l’Europe. C’est la solution qui offre au patient la meilleure qualité de vie, et c’est sans doute aussi la solution la plus économique médicalement – la Haute Autorité de santé est en train de le vérifier – et en termes de transports puisque les patients n’ont plus besoin d’aller se faire dialyser. Par ailleurs, et bien que ce soit une priorité pour les ARS, nous n’avons pas suffisamment développé la dialyse péritonéale, une très bonne technique qui supprime tout à fait le besoin de transport. À terme, on peut espérer le développement de l’auto-dialyse : là non plus, il n’y aurait plus de transport. L’évolution des techniques médicales et l’optimisation de la prise en charge compte tenu des coûts peuvent donc faire diminuer de façon substantielle les besoins de transport.
Les coûts de transport des patients dialysés varient très substantiellement entre les territoires, allant de 9 300 euros à 30 000 euros, sachant que le montant moyen des remboursements de transports s’élève à 13 000 euros par an et par patient. Cela s’explique facilement : le coût le plus élevé correspond aux patients résidant en Creuse, qu’il faut transporter soit à Clermont-Ferrand, soit à Limoges. La CPAM de la Creuse travaille donc, en liaison avec l’ARS, pour mettre en place, dans des conditions satisfaisantes, un poste de dialyse à Guéret. C’est tout le problème de l’organisation d’une offre de soins de bonne qualité.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il faudrait également mieux choisir le moyen de transport en fonction de l’état du patient.
Où en est le partage de l’information, et notamment du référentiel national des transports, entre les caisses primaires et les ARS ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Ce référentiel – dont on pourrait d’ailleurs se demander pourquoi il n’existait pas encore – a, vous le savez, été développé progressivement par la CNAMTS, et il est aujourd’hui quasiment exhaustif. Sur le principe, nous sommes tout à fait disposés à le partager ; en pratique, c’est un vrai travail que d’ouvrir les systèmes d’information.
Toutefois, il est nécessaire de s’interroger sur le processus administratif – dont chacun s’accorde à considérer qu’il est peu productif – de répartition des tâches entre les caisses primaires et les ARS. Celles-ci ne sont pas, me semble-t-il, absolument attachées à l’idée de réaliser des tâches administratives parfois lourdes, dès lors qu’elles continuent de les encadrer. Par ailleurs, nous ferions de grands progrès en évitant les allers et retours entre les organismes payeurs et les ARS, dans l’attente, par exemple, de l’enregistrement d’un changement de chauffeur ou d’une modification de véhicule. Les transporteurs considèrent ces parcours administratifs comme peu performants.
Sur ce sujet, qui ne me semble pas stratégique pour les ARS dès lors qu’elles demeurent responsables du cadre général, il me semblerait possible que les caisses primaires agissent par délégation des ARS pour enregistrer des organismes. Parallèlement, nous pouvons ouvrir nos bases de données et le référentiel des transports.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est la position des ARS sur ce sujet ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Aucun problème particulier n’a surgi lors de nos discussions au ministère. Le vrai problème, c’est la mise en œuvre informatique : il faut créer une interface entre des systèmes d’information différents, et ce n’est pas nécessairement très simple.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Puisqu’il semble y avoir consensus sur le principe, en combien de temps estimez-vous que ce partage pourrait être effectif ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Je ne suis pas aujourd’hui en mesure de vous donner une réponse. Le projet de référentiel national de transport a débuté en 2008 : il est maintenant opérationnel, mais cela ne s’est pas fait en quelques mois.
Chacun s’accorde à considérer que le dispositif actuel de pilotage, trop éclaté, n’est pas suffisamment efficace. Nous sommes d’accord pour ouvrir nos bases de données à tous les services de l’État qui en auraient besoin, au-delà du ministère de la santé, par exemple au ministère de l’intérieur : nous n’avons aucune raison de conserver par-devers nous ce travail qui a été réalisé et qui est mis à jour par les CPAM. En revanche, nous attendons encore certains arbitrages, notamment sur notre proposition dont la mise en œuvre permettrait que les CPAM agissent sur délégation des ARS, afin de simplifier le dispositif et de le rendre plus efficace. Cela nécessiterait peut-être un aménagement juridique, et relève donc du Gouvernement.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il nous reviendra donc de harceler le Gouvernement pour que ce dispositif consensuel soit réellement mis en place ! Avez-vous des informations sur la révision de l’indice national de besoins de transports sanitaires de la population, exprimé en nombre de véhicules par habitant ? Si l’on ne le met pas à jour, on risque d’empêcher toute rationalisation du système.
M. Frédéric Van Roekeghem. Je ne dispose pas d’information sur ce sujet. Il vous faudra interroger le Gouvernement.
Il faut, je le redis, bien distinguer transports sanitaires et taxis, dont il semblerait aujourd’hui que les représentants de la profession souhaitent une meilleure maîtrise de l’évolution de ce parc. Les autorisations de stationnement accordées par les maires donnent droit au conventionnement par l’assurance maladie après deux ans d’exercice. Je peux comprendre l’attrait théorique de l’idée de libéraliser les taxis, afin de créer des emplois, mais il ne faut pas perdre de vue qu’en zone rurale, les taxis sont financés à 80 % par des deniers publics. Il faut donc éviter une erreur conceptuelle sur ce point : nous sommes, pour notre part, même si cela ne paraît ni très moderne ni très libéral, favorables à une bonne maîtrise des autorisations de stationnement dans les endroits où la demande privée n’est pas en mesure de les solvabiliser.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Sur la garde ambulancière, qui constituait l’un des axes de la réflexion de la Cour des comptes, quel est votre point de vue ? Plusieurs rapports ont montré qu’il était nécessaire de rationaliser le dispositif.
M. Frédéric Van Roekeghem. La garde ambulancière relève de la responsabilité des ARS.
Il existe de très nombreux rapports sur la garde ambulancière et ses rapports avec les SDIS (services départementaux d’incendie et de secours), certains dénonçant la création de carences ambulancières, voire de carences fictives. Aujourd’hui, l’article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2012 vise à privilégier l’un ou l’autre des opérateurs, de manière à éviter les doubles interventions et à responsabiliser les acteurs. Cette organisation peut fonctionner : certaines villes ont mis en place un coordinateur, qui permet de déclencher l’intervention des uns ou des autres en fonction de l’occupation réelle des véhicules, en particulier des ambulances de garde. Il est possible, j’en suis persuadé, d’améliorer encore largement la situation, ce qui passe par une meilleure coopération des deux systèmes. Les ARS, qui disposent de pouvoirs de régulation, ont les moyens de l’améliorer.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cela repose le problème de l’articulation entre les ARS, qui délivrent les agréments des transporteurs, et la CNAMTS, qui a le pouvoir de conventionner.
M. Frédéric Van Roekeghem. Nous mettons en place les conventionnements en fonction des besoins. Les secteurs de garde relèvent des ARS.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La Cour des comptes a signalé que le retrait par l’ARS de l’agrément d’une entreprise de transport de patients entraîne automatiquement son déconventionnement, mais que l’inverse n’est pas vrai.
M. Frédéric Van Roekeghem. Le retrait de conventionnement est un sujet complexe, pour les professionnels de santé en général et pour le secteur du transport sanitaire en particulier. Il existe une disposition législative qui autorise l’assurance maladie, en particulier en cas de fraude, à déconventionner unilatéralement un professionnel. Malheureusement, le décret d’application n’est jamais paru. Aujourd’hui, nous ne pouvons donc déconventionner un professionnel que par la voie conventionnelle – c’est une procédure contradictoire, donc longue – ou bien à la suite d’une décision des pouvoirs publics, en particulier une décision judiciaire.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le référentiel de prescription de transport de 2006 est-il respecté ? La Cour estime qu’il y a là un gisement d’économies.
Où en sont, par ailleurs, les réflexions sur l’inclusion du transport de patients dans le budget des hôpitaux, dans une logique de responsabilisation financière ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Force est de constater qu’il existe de fortes disparités entre départements pour des patients souffrant des mêmes affections, et qu’elles ne sont pas explicables par des différences de leur état de santé : le taux de recours à l’ambulance pour les patients dialysés varie ainsi de 2 % à 37 %. On ne peut qu’en conclure que l’arrêté du 23 décembre 2006, que nous avions favorisé, est incorrectement appliqué, du fait notamment de l’indisponibilité de certains modes de transport : cela nous ramène au problème du pilotage de l’offre.
Comment optimiser la dépense tout en agissant dans l’intérêt du patient et en respectant sa liberté de choix inscrite dans la convention entre l’assurance maladie et les transporteurs de patients ? L’enjeu est d’autant plus crucial que nous devrons réaliser 10 milliards d’économies nouvelles dans les quelques années à venir.
D’abord, en incitant les prescripteurs eux-mêmes à respecter davantage les référentiels. En 2013, deux tiers des transports sont prescrits par des praticiens exerçant en établissement de soins – 51 % dans des établissements publics et 12 % dans des établissements privés –, et un tiers le sont par les médecins de ville, en général libéraux. La solution la plus efficace réside vraisemblablement dans la dématérialisation de la prescription de transport, qui pourrait alors se rapporter systématiquement au référentiel de 2006. Nous y travaillons avec les transporteurs, afin d’optimiser, dans un premier temps, leurs modalités de facturation. Il faudrait, dès 2014, expérimenter cette prescription dématérialisée, sans doute d’abord chez les médecins de ville, qui sont déjà très informatisés, mais aussi dans les établissements de soins.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. En agissant avec les établissements de soins, qui concentrent un nombre important de prescripteurs et des capacités technologiques, on doit pouvoir obtenir des effets importants.
M. Frédéric Van Roekeghem. En tout cas, il faut, c’est sûr, continuer à travailler avec les prescripteurs, afin qu’ils connaissent et respectent mieux le référentiel de 2006. La dématérialisation de la prescription nous permettrait également de disposer plus rapidement de l’information, comme elle permettrait aux transporteurs d’améliorer leur chaîne de liquidation et son coût.
Nous avons également proposé, dans notre rapport sur l’évolution des charges et produits de l’assurance maladie paru en juillet 2014, la mise en place, pour les patients transportés de façon régulière, qui représentent le poste de dépenses le plus important, d’une carte de transport précisant le mode de transport – assis ou couché – autorisé, et donc remboursé, par l’assurance maladie. C’est une solution assez simple, qui n’a pas encore été expérimentée, car elle nécessite sans doute des ajustements juridiques, mais qui a montré son efficacité dans d’autres cadres. Elle permettrait à la fois, au transporteur, de connaître la situation des patients et, à l’assurance maladie, de veiller au respect du référentiel. J’ai demandé que l’on commence à examiner les conditions dans lesquelles cette carte pourrait être mise en œuvre. Cela implique naturellement une information individuelle des transporteurs.
Quant à l’inclusion des frais de transport dans les budgets des hôpitaux, elle est déjà réalisée dans certains cas, notamment pour les transports inter-hospitaliers.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les procédures d’appel d’offres qui en résultent suscitent, on le sait, des craintes chez les transporteurs.
M. Frédéric Van Roekeghem. La question de l’appel d’offres est, en effet, sensible à un double titre pour les transporteurs. D’une part, ils n’interviendraient pas dans la détermination du mode de transport, qui doit être le plus pertinent ; d’autre part, seules quelques entreprises emporteraient l’appel d’offres. Or le secteur du transport sanitaire est composé de nombreuses entreprises, qui craignent d’être écartées et donc de perdre beaucoup de chiffre d’affaires.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ces inquiétudes sont compréhensibles : près de 5 000 entreprises sont concernées, et les deux tiers d’entre elles emploient moins de dix salariés. Aucune ne peut réaliser tous les transports nécessaires. Il faudrait au moins un cahier des charges clair et opposable, prenant en considération les caractéristiques du secteur, et notamment le grand nombre de toutes petites entreprises. Cela permettrait de les sécuriser économiquement, comme de mieux répondre à l’intérêt du patient, tout en permettant la meilleure gestion possible des deniers publics.
Le principe, énoncé par la loi, du choix du transport le moins onéreux vers le centre le plus proche doit prévaloir sur celui de la liberté de choix du patient.
M. Frédéric Van Roekeghem. C’est un sujet qui devra être abordé avec la profession. Les très vives réactions que nous avons constatées sont très certainement le signe d’une concertation imparfaite.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il faut, en tout cas, trouver une solution satisfaisante pour tous.
M. Frédéric Van Roekeghem. Absolument. Cela nous renvoie à la question de l’organisation de l’offre.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La lutte contre la fraude fait également partie des thèmes de réflexion de la MECSS. Où en êtes-vous ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Comme dans toute profession, un petit nombre d’acteurs du secteur du transport de patients fraudent : leur facturation ne correspond pas à des prestations réellement servies. Nous réalisons régulièrement des programmes de contrôle et de détection.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. De quel type de contrôles s’agit-il ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Ce sont des contrôles ciblés : nous choisissons les entreprises en fonction de divers critères – anomalies de prescription ou de facturation, par exemple. Ainsi, en avril 2013, nous avons lancé le contrôle de 468 entreprises de transport, dont 229 sociétés de transport sanitaire, 235 sociétés de taxis et 4 sociétés mixtes. Ces contrôles sont encore en cours, mais nous avons d’ores et déjà déposé quinze plaintes pénales.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le pourcentage des contrôles ayant révélé une fraude ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Je ne saurais pas vous citer le chiffre de tête, mais dans la mesure où il s’agit de contrôles ciblés, les taux de contrôles positifs sont relativement élevés. En 2013, par exemple, à la suite des contrôles engagés antérieurement, nous avons déposé cinquante-huit plaintes pénales, prononcé soixante-quatorze pénalités financières et engagé quinze procédures conventionnelles contre des entreprises de transport de patients. En 2012, nous avions déposé soixante et onze plaintes pénales.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Parmi ces plaintes pénales, combien ont été suivies d’effet ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Nous effectuons un suivi des plaintes déposées, mais la durée d’instruction est longue, du fait notamment de la complexité des textes – en moyenne, de l’ordre de trois à quatre ans. En outre, les stratégies des parquets sont variables, en fonction de leurs moyens et du nombre de plaintes déposées.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le volume financier des fraudes détectées ?
M. Frédéric Van Roekeghem. En 2013, vingt et une sanctions pénales ont été prononcées et nous estimons le préjudice détecté à un peu moins de 20 millions d’euros.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Et qu’avez-vous pu récupérer ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Je n’ai pas le chiffre ici, mais je vous le communiquerai.
Pour résumer, dans un premier temps, nous identifions les risques ; dans un deuxième temps, nous déclenchons des contrôles ; dans un troisième temps, en fonction de la gravité des manquements constatés, nous nous orientons soit vers une plainte pénale, soit vers une déclaration d’indu et l’application d’une pénalité financière. Cette seconde procédure fonctionne convenablement ; si seulement des fautes de facturation sont détectées, une commission ad hoc se réunit ; en cas de fraudes, une décision est prise directement par le directeur de la caisse. La procédure judiciaire est, bien sûr, beaucoup plus longue.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La Cour des comptes évalue les indus à une centaine de millions d’euros.
M. Frédéric Van Roekeghem. Cette évaluation remonte aux travaux de certification de nos comptes effectués l’an dernier par la Cour, sur la base d’un échantillonnage qui n’avait pas été jugé satisfaisant par les caisses primaires. Cette année, en accord avec la Cour, nous avons constitué un ensemble de vérificateurs venus de l’ensemble des caisses, et nous avons pris 888 dossiers traités dans le cadre de la certification. Une quarantaine d’entre eux présentent des anomalies de facturation, parfois tout à fait minimes : assez rarement, des sommes que nous aurions dû verser ; beaucoup plus souvent des indus. J’ai repris personnellement ces dossiers, et il est exact qu’il existe, surtout pour des transports sur de faibles distances, des facturations qui ne correspondent pas au kilométrage réel.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cela montre la nécessité d’une géolocalisation des véhicules. Quand sera-t-elle effective ?
M. Frédéric Van Roekeghem. La géolocalisation constitue une première solution que nous avons négociée avec les transporteurs sanitaires. Elle doit être intégrée dans le système de liquidation, ce qui nécessite des travaux important sur les systèmes d’information. Une autre solution consisterait à imposer que le point de départ et le point d’arrivée soient indiqués de façon plus précise dans les prescriptions, et par voie informatique, ce qui renvoie à la prescription de transport dématérialisée.
Pour l’année 2015, j’ai demandé à mon responsable du contrôle de développer l’expérimentation en cours sur la mise sous accord préalable et la mise sous objectifs des prescripteurs qui, à notre sens, ne respectent pas le référentiel de 2006, ce qui concerne une quarantaine de prescripteurs dans différentes régions. Nous envisageons de généraliser cette expérience, de façon similaire à ce que nous faisons pour les arrêts de travail – autant que faire se peut, puisque ce sont les médecins conseils qui seront sollicités et que cette mise sous objectifs serait assez consommatrice de ressources.
Il me semble également, et nous devrons en discuter avec la Cour lors du prochain exercice de certification, qu’il est très difficile d’extrapoler à l’ensemble des prestations d’assurance maladie, et plus encore au seul secteur du transport de patients, les fraudes ou erreurs constatées sur quelques dizaines de dossiers sur un millier. Du point de vue statistique, la fourchette situe entre zéro et 2,5 %, ce qui fait une énorme différence !
Il n’en reste pas moins que cet examen fait apparaître, plus que des fraudes massives de certains transporteurs, de petites fraudes au kilométrage réparties entre de multiples transporteurs. Il faut donc mettre en place un contrôle spécifique : j’ai demandé au docteur Pierre Fender, directeur du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude de l’assurance maladie, de s’en occuper, avec les caisses primaires. Certaines d’entre elles l’exercent d’ores et déjà, et il s’agira donc de généraliser ces bonnes pratiques afin de maîtriser au mieux ce type de risque. Ce n’est pas facile : les facturations sont très nombreuses, et il est nécessaire de cibler les contrôles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous attendons les résultats chiffrés de ces différentes procédures.
Monsieur Franck Duclos, la MSA s’est également, je crois, engagée dans un contrôle des référentiels de prescription de transport.
M. Franck Duclos, directeur délégué aux politiques sociales de la Mutualité sociale agricole (MSA). Pour la MSA, les dépenses de transport représentent un peu plus de 300 millions d’euros, dont 80 % au titre des affections de longue durée (ALD).
Jusqu’en 2012, nous effectuions des contrôles aléatoires, dont les résultats étaient stables d’une année sur l’autre, ce qui montrait que les comportements ne changeaient pas. Cette année, nous avons mis en place une logique de ciblage, à partir de différents critères. Malheureusement, les résultats de l’exercice 2013 sont très peu satisfaisants, puisque nous avons détecté moins de fraudes qu’auparavant – nous sommes à 80 % seulement de nos résultats de l’année précédente. Nous allons donc analyser ces résultats très décevants et retravailler notre méthodologie.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous êtes-vous concentrés sur les médecins de ville ou plutôt sur les établissements de soins ?
M. Franck Duclos. Nous avons effectué un contrôle sur ces deux acteurs mais les établissements de soins prescrivant plus de transports, les contrôles y sont, c’est normal, plus nombreux.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Lorsque des infractions sont constatées, votre politique est-elle la même que celle de la CNAMTS ? Portez-vous systématiquement plainte ?
M. Franck Duclos. En règle générale, nous n’allons pas jusqu’à déposer une plainte pénale, sauf lorsque la CNAMTS nous associe à certains dossiers.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pourquoi ?
M. Franck Duclos. C’est une démarche technique, dont nous n’avons guère l’habitude.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est aussi une démarche pédagogique, et il paraît indispensable de déposer plainte quand c’est justifié ! Il serait bon que tous les organismes agissent de la même façon, et la MECSS sera vigilante sur ce point.
Avez-vous une stratégie de sensibilisation des transporteurs et des patients, qui doivent saisir toute l’importance de ce sujet pour une bonne gestion des deniers publics ?
M. Franck Duclos. C’était bien la logique que nous entendions faire passer en mettant en place des contrôles ciblés, les contrôles aléatoires ne modifiant pas, semble-t-il, les comportements. Nous allons donc faire évoluer nos pratiques.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Sur les autres sujets déjà évoqués, avez-vous des réflexions particulières ? La MSA gère une population d’assurés assez spécifique, très concernée en particulier par le problème des déserts médicaux.
M. Franck Duclos. Nous sommes associés, depuis le début de l’année, au programme PRADO Orthopédie (programme d’accompagnement du retour à domicile), lancé par l’assurance maladie. À notre sens, ce type de programme peut créer des dépenses de transport supplémentaires, mais le bilan est globalement positif pour l’assurance maladie, car des économies sont réalisées ailleurs. Tout cela mériterait d’être quantifié.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous des réflexions en cours sur le covoiturage, par exemple ? Cette mutualisation du transport pourrait se révéler très utile lorsque les centres de soins sont lointains, et cela n’attenterait en rien à la dignité des malades. Nous avons évoqué le cas des malades atteints d’insuffisance rénale, mais on pourrait aussi citer les malades traités pour un cancer.
M. Franck Duclos. Nous n’avons pas travaillé sur ce sujet.
M. Frédéric Van Roekeghem. La CNAMTS, pour sa part, souhaite favoriser le transport partagé et l’utilisation du véhicule personnel de l’assuré. Une expérimentation, en lien avec un centre de lutte contre le cancer (CLCC), a été réalisée dans l’est de la France qui a été maintenant élargi à huit CLCC. Il s’agit notamment de vérifier que la tarification des parkings des établissements hospitaliers demeure correcte, car des tarifs trop élevés découragent l’usage du véhicule personnel. Il faut également simplifier la facturation et le remboursement de l’usage du véhicule personnel, surtout si cet usage est régulier.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce programme sera-t-il opérationnel en 2015 ?
M. Frédéric Van Roekeghem. Nous ferons un bilan en fin d’année, mais nous espérons effectivement le généraliser en 2015.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Qu’en est-il des questions de prise en charge du transport dans le secteur médico-social ?
M. Frédéric Van Roekeghem. C’est un sujet d’une extrême complexité. Actuellement, la prise en charge est régie par l’article L. 344-1-2 du code de l’action sociale et des familles, ainsi que par l’article R. 314-208 du même code. Ce second article, qui dispose que les frais sont inclus dans le budget d’exploitation de l’établissement médico-social et financés dans ce cadre par l’assurance maladie, est issu du décret du 15 septembre 2010, lui-même résultat des réunions en 2009 d’un groupe de travail rassemblant la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), les conseils généraux, la CNAMTS et les associations de personnes handicapées. Ce texte est d’une application difficile, et il ne paraît pas totalement satisfaisant, notamment au regard des coûts de transport pour les malades, en particulier lors des sorties en fin de semaine.
Le décret relatif aux enfants handicapés se rendant dans des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ou des centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP), dont les frais de transport sont normalement pris en charge, est en attente d’examen au Conseil d’État. L’article R. 314-121 du code de l’action sociale et des familles précise que des dotations globales peuvent être mises en œuvre. Toutefois, là aussi, l’arrêté interministériel qui devrait fixer le montant maximal des frais n’est pas publié.
Si les textes sont si complexes, et si certains ne sont toujours pas publiés, c’est bien parce que le sujet est très délicat : l’enjeu financier est important, mais il y a surtout un enjeu social. Ainsi, la circulaire ministérielle du 27 juin 2013 relative à la diffusion du guide de prise en charge des frais de transport de patients, qui se bornait à rappeler les bonnes pratiques et les règles aujourd’hui applicables, en réaffirmant notamment l’encadrement des frais de transport liés aux sorties temporaires à but thérapeutique, et en rappelant que celles-ci n’étaient pas prises en charge, a provoqué de très fortes réactions des familles et des associations. Cela m’a conduit à surseoir aux contrôles mis en place et à demander au ministère de la santé le réexamen de ces textes et de leur applicabilité.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Existe-t-il une évaluation financière ?
Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins (CNAMTS). Le grand nombre de financeurs – l’assurance maladie, mais aussi les conseils généraux, parfois les familles – rend difficile une telle évaluation. Les dotations de transport étant incluses dans les dotations des établissements médico-sociaux, il est d’autant plus compliqué d’avoir une photographie claire.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. A-t-on une idée, au moins approximative, des sommes consacrées au transport par l’assurance maladie, les collectivités territoriales, les familles ?
Mme Mathilde Lignot-Leloup. Non, l’assurance maladie ne dispose pas de tels chiffres. Pour vous répondre, il faudrait effectuer un travail avec le ministère, notamment la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la CNSA ou d’autres.
L’ANAP (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux) essaye actuellement d’inciter les établissements médico-sociaux à mieux piloter cette dépense de transport, et à réaliser des économies, dans le but de mieux maîtriser le budget des établissements mais aussi le reste-à-charge des patients. Elle a organisé des séminaires sur ce thème, et appuie concrètement les établissements, afin de permettre un partage des meilleures pratiques.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Monsieur le président du Régime social des indépendants, quelles sont vos réflexions sur tous ces sujets ?
M. Gérard Quévillon, président du régime social des indépendants (RSI). Pour ma part, je surveille de près la question des appels d’offres, qui peuvent entraîner de véritables problèmes. La ville de Cherbourg, que je connais bien, comptait une vingtaine d’entreprises de transport sanitaire il y a quinze ans ; aujourd’hui, il n’y en a plus que quelques-unes, mais ce sont de grosses entreprises. Elles se sont équipées, à grands frais, en véhicules médicalisés : il est, en effet, souvent nécessaire d’amener des patients jusqu’à Caen. La grande crainte de ces entreprises, c’est que l’appel d’offres ne désigne qu’une ou deux d’entre elles : que deviendront les autres ?
Nous estimons également, depuis des années, qu’il faudrait réguler le nombre de taxis chez les transporteurs sanitaires. Pour compter parmi nos adhérents aussi bien des taxis traditionnels que des taxis ambulanciers, nous constatons que la situation est conflictuelle. Aujourd’hui, 40 % du parc des entreprises d’ambulances sont des taxis, car chaque petit village a son enseigne de taxi, dont le transport sanitaire représente une part importante de l’activité. Cela déséquilibre tout ce secteur économique, et certaines entreprises, même importantes, commencent à connaître de grandes difficultés.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Évidemment, le RSI est tiraillé entre des intérêts contradictoires s’agissant des taxis, dont il faudrait, selon vous, contingenter l’offre. Selon la Cour des comptes, le transport de patients représenterait pour cette profession un chiffre d’affaires annuel moyen supérieur à 30 000 euros. Mais l’intérêt de la nation est bien que la demande conditionne l’offre, et non l’inverse. Avez-vous des pistes de réflexion en matière de contrôle de l’offre de TAP par taxi ?
M. Gérard Quévillon. À Cherbourg, une clinique privée a choisi une autre méthode que celle de l’appel d’offres : elle a négocié un tarif et organisé une sorte de tour de garde entre toutes les entreprises de la région, qui interviennent ainsi successivement.
M. Pascal Perrot, médecin conseil national (RSI). En 2013, les dépenses de transport du RSI représentaient 179 millions d’euros, dont 56 % liées à des malades atteints d’ALD. Cela renvoie à la structure de la population concernée ; il serait d’ailleurs intéressant de distinguer, au sein de nos assurés, les auto-entrepreneurs.
Depuis 2009, le taux d’évolution annuel des dépenses est passé de 9 % à 5,4 % en 2010, puis à 3,7 % en 2013. Si l’on regarde l’évolution de chaque moyen de transport, on retrouve les chiffres de la CNAMTS : les dépenses d’ambulance sont plutôt stables, tandis que les dépenses de taxi augmentent énormément. En 2005, le taux d’utilisation des taxis s’élevait à 27 % ; en 2013, ce taux est de presque 41 %. En revanche, les VSL sont passés de 39 % à 17 %.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est votre réflexion sur ce point ? Il faut une formation spécifique pour conduire un VSL, ce qui n’est pas le cas pour les taxis ; la tarification du second est pourtant supérieure à celle du premier !
M. Pascal Perrot. Pour nous, le problème principal réside dans la mise en œuvre de contrôles ciblés.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le meilleur moyen de contrôler est, semble-t-il, de le faire à la sortie de l’hôpital, mais cela nécessite la mobilisation de services nombreux, ce qui n’est pas facile à réaliser.
M. Pascal Perrot. La prescription du transport doit rester, comme vous l’avez mentionné, avant tout médicale. Les effectifs du RSI sont faibles – 128 médecins conseils seulement, avec un périmètre aussi large que celui des autres régimes. Nous devons donc choisir nos priorités. En 2012, les services médicaux ont émis 31 000 avis ; en 2013, nous avons modifié nos priorités, et le nombre de ses avis a baissé à 27 000. Or, alors que les taux de refus étaient de près de 21 % en 2012, ils étaient de 21,25 % en 2013 avec une moindre émission d’avis. Le ciblage reste donc l’élément clé.
Nous avons également mis en place, depuis 2011, un contrôle des transports de malades en ALD prescrits par des spécialistes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le RSI dépose-t-il des plaintes pénales, et organise-t-il des poursuites administratives ?
M. Pascal Perrot. Nous avons mis en place, depuis deux ans, un département de lutte contre la fraude. Nous déposons des plaintes pénales quand cela nous paraît nécessaire.
Nous vérifions particulièrement que les transporteurs de patients affiliés au RSI qui seraient en arrêt de travail, avec des indemnités journalières, ne reçoivent pas, dans le même temps, des remboursements de transport.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ne rencontrez-vous pas des problèmes de conflits d’intérêts ?
M. Pascal Perrot. Jusqu’à présent, non.
S’agissant des plaintes pénales contre des transporteurs, nous n’avons pas encore assez de recul pour vous répondre. Nous sommes déjà allés jusqu’à déposer une plainte pénale pour d’autres professions que les taxis – des pharmaciens, par exemple.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Monsieur Frédéric Van Roekeghem, quel est votre sentiment sur la politique tarifaire des VSL, des taxis et des ambulances ?
M. Frédéric Van Roekeghem. En moyenne, un transport en VSL coûte à l’assurance maladie 32 euros ; un transport en taxi, 40 euros ; un transport en ambulance, 95 euros. Bien sûr, les patients transportés sont différents ainsi que les trajets, puisque les sociétés de transporteurs, souvent mixtes, savent optimiser l’usage des véhicules.
L’assurance maladie a quelque peu changé sa politique par rapport aux années précédentes. Il nous semble que les décisions, prises au début des années 2000, de favoriser plutôt l’ambulance et d’ouvrir plus largement le transport de patients aux taxis ont eu des conséquences économiques regrettables, que nous avons déjà mentionnées : forte augmentation de la dépense d’ambulance et explosion de la dépense de taxi, compte tenu du fait que le nombre de véhicules s’accroît substantiellement.
Dorénavant, il faut donc payer, plus que du chiffre d’affaires, du service et de la marge, en évitant d’utiliser les ambulances lorsque ce n’est pas souhaitable – il y a un gain important lorsque le malade voyage assis plutôt que couché –, et en veillant à développer l’offre de VSL plutôt que la substitution par les taxis. Le dernier accord signé avec les transporteurs a fortement revalorisé la marge sur les trajets courts, de manière à éviter que les VSL ne soient pas utilisés lorsque les trajets étaient trop courts car cette marge était jusque-là négative.
Nous ne maîtrisons pas, je l’ai rappelé, la tarification des taxis. Nous sommes davantage favorables à payer le service plutôt que la sous-productivité organisationnelle, dont résulte notamment l’attente par les transporteurs des patients qui sortent des établissements de soins. Nous sommes donc plutôt favorables à une tarification forfaitaire kilométrique et de prise en charge. Par ailleurs, presque toutes les caisses ont maintenant renégocié au niveau local, pour l’année 2013, des remises sur les dépenses de taxi : elles ont obtenu en moyenne 3 % de remise supplémentaire. Toutefois, la complexité de la tarification, notamment en matière de retour à vide ou de transport partagé, rend les contrôles difficiles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie de la précision de vos réponses au cours de cette audition, ainsi que des éléments d’information que vous voudrez bien nous communiquer ultérieurement, qui seront fort utiles à la rédaction de notre rapport.
*
* *
Audition de M. Thierry Schifano, président de la Fédération nationale des transporteurs sanitaires (FNTS)
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. Thierry Schifano, président de la Fédération nationale des transporteurs sanitaires, la FNTS.
Le transport des patients est un poste non négligeable sur le plan financier, puisqu’il représente une dépense de 4 milliards d’euros pour l’exercice 2013. Il a fait l’objet, en septembre 2012 dans le cadre du contrôle de l’application des lois de financement de la sécurité sociale, d’un rapport de la Cour des comptes visant, non pas à contester la légitimité d’une dépense qui découle d’une prescription médicale, mais à connaître sa structuration et les facteurs de son dynamisme, afin de définir les moyens de sa rationalisation.
La croissance de cette enveloppe est, on le sait, liée au vieillissement de la population, au développement des affections de longue durée, à celui de l’hospitalisation à domicile et de la chirurgie ambulatoire et à la restructuration des plateaux techniques. Mais elle est aussi liée à une offre considérée par certains experts comme insuffisamment construite pour s’adapter aux besoins des patients.
La Cour affirme qu’il est possible de réaliser 450 millions d’euros d’économies sur cette dépense, en agissant sur trois axes : un meilleur respect du référentiel de prescription, une réforme de la garde ambulancière et une amélioration du contrôle de la facturation.
Nous aimerions connaître votre sentiment sur ces pistes de réflexion et sur l’organisation de l’offre de soins dans un cadre budgétaire chaque jour plus contraignant. Quelles sont, selon vous, les pistes de rationalisation de l’offre de transport, tant au regard des véhicules – ambulances, VSL, taxis – que de la gouvernance, aujourd’hui partagée entre le préfet, l’ARS et la caisse primaire d’assurance maladie, qui permettraient d’optimiser la prescription de transport sanitaire ?
M. Thierry Schifano, président de la Fédération nationale des transporteurs sanitaires (FNTS). Je voudrais dire d’emblée que j’adhère à l’intégralité des observations de la Cour des comptes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est là faire preuve d’un esprit de responsabilité dont je vous félicite, monsieur le président.
M. Thierry Schifano. Je parviens au même montant d’optimisation de la dépense que la Cour – je préfère, en effet, parler d’optimisation, plutôt que de rationalisation ou d’économies. Je ne conteste pas que la dépense de transport de patients souffre de certaines dérives, quoi qu’on soit loin des clichés véhiculés par certains médias. Le transport de patients manque d’une véritable organisation au sein de la chaîne de soins, alors qu’il en est un des maillons. Le pilotage de cette dépense manque de lisibilité du fait que le prescripteur n’est pas le financier, que l’utilisateur n’est pas le payeur, et que le payeur n’est parfois pas réceptif aux demandes. Aujourd’hui, en raison d’un défaut d’organisation des flux de transport, mais également de la gestion des lits hospitaliers, le taux d’utilisation de nos véhicules varie entre 45 % et 50 %, ce qui ne signifie pas pour autant que nos salariés ne soient pas occupés le reste du temps.
Avant 2008, l’assurance maladie compensait tout enchérissement de nos charges par des revalorisations tarifaires. Depuis cette date, la situation économique ne permettant plus une telle compensation, notre fédération collabore, avec la Fédération nationale des artisans ambulanciers et la Fédération nationale des ambulanciers privés, à l’élaboration de propositions d’optimisation dans le cadre d’un plan stratégique. Nous avons, nous aussi, dégagé des pistes qui devraient nous permettre, non seulement d’augmenter nos marges, mais surtout de porter le taux de remplissage de nos véhicules à 70 %, soit le taux d’utilisation moyen de tout outil industriel, afin de pouvoir baisser nos tarifs.
L’élaboration de ce plan nous a enseigné que nous n’y arriverions pas seuls. Ramenés à la dépense totale de l’assurance maladie, les 4 milliards d’euros du transport de patients ne représentent que 3 % à 3,5 %. Or, en tirant ce fil de la chaîne de soins, on obtient une vision de son organisation globale. C’est forts de ce constat que nous prétendons contribuer par nos réflexions à une meilleure organisation du système de soins. C’est aussi la raison pour laquelle l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) nous a accompagnés dans l’élaboration de ce plan stratégique.
Nous avons d’abord travaillé sur la régulation des flux hospitaliers en mettant en place, dans différents hôpitaux, des expérimentations en vue d’évaluer la gestion des transports hospitaliers. À cet égard, il faut savoir que 65 % des patients quittent l’hôpital par leurs propres moyens. Sur les 35 % qui utilisent les transports, 80 % sont transportés en ambulance et 20 % en transport assis.
Un gros point noir tient au défaut d’anticipation et d’organisation des sorties hospitalières, qui provoque une concentration des transports autour de quatorze heures et une congestion des urgences hospitalières. Toutefois, la régulation des flux de transport commence surtout par une meilleure gestion des lits hospitaliers. Aujourd’hui, les familles sont moins disponibles pour venir chercher le patient à l’hôpital. C’est la raison pour laquelle nous proposons que soient aménagés au sein des établissements des salons d’accueil, où le patient qui vient par ses propres moyens pourra attendre qu’un lit se libère, accomplir les premières formalités administratives et mieux connaître l’établissement. C’est là une première proposition de régulation des flux.
S’agissant du transport proprement dit, nous proposons de réduire le temps consacré par les transporteurs sanitaires aux formalités administratives, qui désorganise toute la filière, grâce au recours accru aux outils de dématérialisation. Une messagerie sécurisée permettrait de transmettre les données relatives au patient aux intervenants en soins de suite ou au médecin généraliste. S’il ne s’agit pas d’une source d’économie directe, c’est un moyen de contribuer à décongestionner les urgences, en tout cas de souligner la nécessité de réfléchir à une nouvelle organisation.
Nous préconisons, par ailleurs, un véritable effort de coordination des services, notamment en ce qui concerne les consultations. Nous avons constaté, pour ne donner que cet exemple, que certains patients dont l’état nécessitait trois dialyses hebdomadaires pouvaient effectuer quatre déplacements, voire cinq, par manque de coordination entre les différents services intervenant dans leur pathologie. Grâce à la mise en place d’une telle coordination, l’hôpital de Martigues a d’ores et déjà réussi à réduire de 3 % son budget « dialyse ».
Nous recommandons également que les rendez-vous de consultation tiennent compte de paramètres tels que le lieu d’habitation du patient. Cela aurait l’avantage, non seulement d’améliorer la qualité du service, mais également de réduire significativement son coût. Par exemple, en évitant de convoquer à Paris, aux heures de pointe, une personne qui habite en banlieue, on lui épargne une fatigue excessive et une tarification majorée de 75 %. Il suffirait d’installer un programme d’aide à la consultation.
Si nous proposons ces pistes d’optimisation, c’est que, pour toutes les raisons que vous avez évoquées – vieillissement de la population, développement des maladies chroniques, restructuration des plateaux techniques – les dépenses de transport de patients sont appelées à connaître une croissance située entre 2 % et 6 %.
Dans le même esprit, nous avons mis en place des expérimentations de covoiturage. Cette modalité de transport, que nous préconisons depuis des années, représente aujourd’hui 13 % du montant de la dépense de transport de patients et est utilisée par 30 % des patients. Le covoiturage a été organisé pour assurer notamment le transport de patients nécessitant des traitements par hémodialyse, une rééducation fonctionnelle, une chimiothérapie et radiothérapie, soit les postes de dépense les plus importants dans le domaine du transport assis. Nous avons estimé que ce mode de transport, outre qu’il a un impact positif sur l’environnement, permettrait à l’assurance maladie d’économiser 150 millions d’euros par an. En effet, le transport de trois patients dans le même VSL permet une réduction tarifaire de 45 % et celui de deux patients se traduit par un abattement de 25 %.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il ne s’agit là que d’une projection.
M. Thierry Schifano. Cette expérimentation a été mise en place dans trois établissements, l’un de chimiothérapie et deux de rééducation fonctionnelle.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment serait-il possible de généraliser cette expérimentation au plus tard au début de l’année 2015 ?
M. Thierry Schifano. Le fonctionnement de ce système suppose une organisation commune à l’ensemble de la filière. C’est la raison pour laquelle nous avions proposé, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, que les établissements de santé puissent passer des accords avec l’agence régionale de santé afin que les sommes ainsi économisées leur soient reversées. En effet, l’hôpital étant le prescripteur et non pas le payeur, il n’a aucun intérêt à mettre en place un système qui serait pour lui une contrainte supplémentaire.
Nos expérimentations ont démontré qu’en coordonnant le travail des différents acteurs, on pouvait atteindre un taux de transports sanitaires en covoiturage de 90 %. L’exemple le plus marquant est celui d’un centre de rééducation fonctionnelle dont, il y a cinq ans, 90 % des transports étaient effectués en ambulance, principalement parce que le chirurgien prescripteur prescrivait autant de transports que de séances quotidiennes de rééducation. Or sur trente séances, par exemple, le transport en ambulance était le seul élément qui ne changeait jamais. D’où l’idée de demander au chirurgien de ne prescrire de déplacements que pour les cinq premières séances, laissant au médecin rééducateur le soin de déterminer si les séances suivantes devaient mobiliser un transport allongé ou assis covoituré.
Depuis 2011, nous avons engagé avec l’assurance maladie tout un travail pour développer le transport en VSL. Auparavant, notre alerte s’agissant des taxis n’était pas entendue.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On peut s’interroger sur le système de vases communicants entre les ambulances et les VSL ainsi que sur l’augmentation du recours au taxi, qui en font aujourd’hui le deuxième poste de dépense en matière de transport des patients.
M. Thierry Schifano. Je ne suis pas d’accord.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est pourtant ce que le directeur général de la CNAMTS vient de nous rappeler et ce qui ressort du rapport de la Cour des comptes.
M. Thierry Schifano. La Cour des comptes a comptabilisé, pour plus de cinq millions de bénéficiaires, soixante-cinq millions de trajets effectués, quinze millions étant assurés en ambulance et cinquante-huit millions en transport assis – vingt-cinq millions par VSL, vingt-cinq millions par taxi. Les quinze millions de transports en ambulance représentent une dépense de 1,3 milliard d’euros, les vingt-cinq millions de transports en VSL une dépense de 800 millions d’euros, et les vingt-cinq millions de transports en taxi une dépense de 1,5 milliard d’euros. S’il y a un système de vases communicants, il opère entre VSL et taxis plutôt qu’entre VSL et ambulances.
Si les dépenses des transports en ambulance sont à ce niveau, c’est que la tarification et la prestation ne sont pas du tout les mêmes, et diminuer la durée moyenne des hospitalisations n’y changera rien. Ce qu’il faut, c’est un référentiel de prescription de transport qui soit exact. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas de faire du chiffre d’affaires grâce aux transports en ambulance ; c’est que nos entreprises soient pérennes et puissent jouer leur rôle. Il ne faut pas oublier que nous faisons travailler 54 000 salariés, sur des emplois non délocalisables et offrant des voies d’insertion fortes.
Un autre chiffre à mettre en regard des 4 milliards d’euros dépensés en transport de patients est la marge moyenne du transport sanitaire : en 2013, elle était de 0,8 %.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pour quel nombre d’entreprises ?
M. Thierry Schifano. Environ 5 400 entreprises.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Contre 4 660 entreprises employant 46 000 salariés en 2006 ?
M. Thierry Schifano. Oui.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les deux tiers comptaient alors moins de dix salariés. Est-ce toujours le cas ou a-t-on observé un phénomène de concentration ?
M. Thierry Schifano. Non, le secteur n’a pas encore trouvé les moyens de se restructurer, vraisemblablement par crainte des conséquences du dépassement des différents seuils sociaux : peu osent franchir le seuil de dix ou de vingt salariés, et 4 % seulement ont dépassé les cinquante salariés. Engager une réflexion sur les moyens d’harmoniser ces seuils nous permettrait de trouver des voies d’optimisation, sans pour autant remettre en cause le dialogue social dans l’entreprise. Il est vrai qu’une entreprise de cinquante et un salariés et une de trois cents salariés ne sont pas au même niveau.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pour revenir au système des vases communicants, on a tout de même constaté qu’il en existait un entre VSL et ambulance.
M. Thierry Schifano. C’est précisément ce point que je conteste. Je vous rappelle que le transport de patients est une prescription médicale : c’est le médecin qui juge, en son âme et conscience, si le patient doit être transporté en ambulance ou en VSL.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous interrogeais plutôt sur la possibilité pour une entreprise de transport sanitaire de demander la transformation d’un VSL en ambulance. Quelle est votre position sur le sujet ?
M. Thierry Schifano. Nous demandons clairement que le transporteur sanitaire ne puisse pas modifier son VSL en ambulance.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Êtes-vous partisan d’un système de double contingentement, l’un pour les ambulances et l’autre pour les VSL ?
M. Thierry Schifano. Oui.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est votre sentiment sur la géolocalisation ?
M. Thierry Schifano. Nous y sommes favorables : d’abord, elle permettra d’optimiser l’utilisation de nos flottes, ensuite, elle assurera la traçabilité de la facturation de nos prestations, car nous n’avons rien à cacher. Qui plus est, c’est un outil essentiel de la dématérialisation que nous appelons de nos vœux. Elle pourra également apporter une aide dans le secteur de l’urgence pré-hospitalière. Pour toutes ces raisons, l’avenant n° 7 à la convention nationale entre l’assurance maladie et les transporteurs sanitaires privés, que nous venons de signer, pose de façon forte le principe de la géolocalisation.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les transports de patients en taxi relèvent d’un système de tarification spécifique. Ils mobilisent un volume financier supérieur à celui des transports en VSL, alors qu’ils requièrent une qualification moindre. Quelle est la position de votre fédération sur ce sujet dans une optique de rationalisation ?
M. Thierry Schifano. Notre fédération a proposé plusieurs pistes de réflexion ; certaines n’ont pas eu de suite, du fait de l’action de certains groupes de pression.
Afin de favoriser le transport des personnes en mobilité réduite, le TPMR, nous avions proposé que le lumineux du taxi donne droit à assurer un TPMR. Encore faut-il distinguer entre le taxi qui fait du transport de patients de façon ponctuelle et celui dont plus de 90 % du service relève de l’assurance maladie. L’objectif de cette proposition était de sortir de la tarification distincte des prestations assurées par les taxis afin d’aller vers une tarification commune aux VSL et aux taxis. Cette ligne n’a pas été suivie, mais nous continuons à préconiser une harmonisation de la tarification de ces prestations. Je sais cependant qu’aborder cette question de façon frontale serait aller droit à l’échec.
Aujourd’hui, beaucoup de conventions départementales passées par l’assurance maladie avec les entreprises de taxis ne sont pas conformes au code de la sécurité sociale. Un conventionnement plus rigoureux permettrait d’éviter qu’on puisse basculer du VSL au taxi. Parallèlement, toutes les entreprises de transport sanitaire qui renonceraient à leur service de taxis pourraient bénéficier d’une autorisation de transport en VSL non cessible et non transformable.
Ce qui est regrettable, ce sont les caricatures qui affirment qu’il n’existe plus de transport en VSL, alors que les chiffres de la Cour des comptes prouvent que c’est faux. Je rappelle que c’est l’assurance maladie qui, en 1995, a décidé de se conventionner avec des entreprises de taxi pour des raisons que je n’approuve pas ; les entreprises de transport sanitaire n’ont fait suivre en proposant des prestations de taxi.
Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour remettre à plat le système et nos propositions ont d’abord pour objet d’indiquer une voie de progression.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est votre position quant à la possibilité pour les établissements de soins de lancer des appels d’offres et la budgétisation au sein de l’hôpital des dépenses de transport de patients ? Quelles sont, par ailleurs, vos propositions de réforme de la garde ambulancière, qui fait l’objet de vives critiques, notamment de la part de la Cour des comptes ?
M. Thierry Schifano. Il est trop tôt pour autoriser les établissements de santé à lancer des appels d’offres. Les entreprises de transport ne sont pas prêtes, et on risquerait de voir apparaître des opérateurs spécifiquement organisés, qui trouveraient là leur unique mode de financement. À ce jeu, beaucoup d’entreprises pourraient se retrouver au tapis.
Commençons par explorer les voies d’optimisation de la dépense que nous avons proposées. Cela laissera aux entreprises le temps de se préparer à franchir une nouvelle étape d’ici quatre à cinq ans.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il s’agirait, en somme, de laisser au marché le temps de se réorganiser.
M. Thierry Schifano. Tout à fait. Les pistes que nous avons indiquées devraient déjà permettre d’économiser entre 450 et 500 millions d’euros, soit plus de 12 % de la dépense en transport de patients. Du reste, avec une marge de 0,8 % des entreprises, quelle remise les établissements de santé pourraient-ils espérer ?
N’oublions pas non plus que les entreprises de transport de patients souffrent bien davantage de la crise dans les pays qui ont adopté le système de l’appel d’offres que chez nous, où les amortisseurs sociaux ont fonctionné. Notre secteur n’a encore licencié personne, ce qui n’est pas le cas chez nos amis espagnols, par exemple.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il est bien évident qu’une rationalisation de l’offre aura des impacts économiques et sociaux, mais cet argument ne vaut pas face à l’intérêt général.
M. Thierry Schifano. Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je veux simplement souligner que notre modèle économique a été mis en place dans un contexte de croissance de 7 % à 8 %.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Entre nous, il s’agissait d’une croissance artificielle puisque assise sur la dépense publique et sans recettes correspondantes. Cette situation perdure depuis.
M. Thierry Schifano. Je suis d’accord avec vous, et nous le payons aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle en m’engageant à contribuer à l’optimisation de la dépense, j’en suis venu à évoquer un nouveau modèle économique. S’il ne s’agissait, à l’origine, que de renouveler le transport de patients, je pense de plus en plus que c’est tout le système de santé, voire l’ensemble de notre pays, qui a besoin d’un nouveau modèle économique. La crise que nous traversons n’est pas ponctuelle : je suis persuadé que nous sommes partis pour une dizaine d’années de croissance très faible.
S’agissant de la garde ambulancière, je partage la conviction de la Cour des comptes qu’elle doit être réformée, sans approuver les modalités qu’elle propose. Nos organisations professionnelles pensent préférable de financer les urgences pré-hospitalières en regroupant les crédits soins de ville et les crédits MIGAC (missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation) de l’assurance maladie dans une même enveloppe dont la gestion serait assurée à travers un contrat d’objectifs. Un système viable pour les entreprises passe par la réorganisation des secteurs de garde, qui doivent être différents entre la nuit profonde et la journée, et surtout par le déblocage du verrou administratif qui empêche d’adapter l’outil d’exploitation à l’offre.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Que pensez-vous de l’éventualité de confier, dans certains territoires à très faible densité de population, l’ensemble de la mission de garde ambulancière aux SDIS, le secours à la personne constituant déjà plus de 50 % de leur activité ?
M. Thierry Schifano. Pour nous, la solution n’est pas d’exclure les transporteurs sanitaires de la réponse en nuit profonde, mais de basculer en gestion « H24 » de l’urgence pré-hospitalière via une réorganisation globale de son fonctionnement. Cela pourrait nous conduire à faire appel aux pompiers durant la nuit profonde, quand les appels d’urgence sont rares, et de les désengager de la journée. En effet, c’est durant la journée, et non la nuit, qu’on observe des carences ambulancières.
C’est donc toute l’organisation qui doit être repensée. On pourrait imaginer, dans ce cadre, une offre de transport variable selon les différents secteurs de garde dans le même département. Certaines ARS ont d’ailleurs déjà lancé une réflexion sur ce sujet. L’institution d’un coordinateur ambulancier, financé par la profession, serait l’élément clé d’une telle organisation.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cette fonction de coordination de l’ensemble des services d’urgence ne devrait-elle pas plutôt être exercée par des plateformes téléphoniques communes aux SAMU (services d’aide médicale urgente) et aux SDIS, dont la généralisation est prônée par certains ?
M. Thierry Schifano. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous sur ce point. Aujourd’hui, les transporteurs sanitaires exercent une compétence clairement déterminée et il convient de ne pas la brader.
Nous militons, pour notre part, pour la mise en œuvre d’une plateforme virtuelle et autonome. Les expérimentations que nous avons mises en place prouvent que ce modèle fonctionne. Une fois que le médecin régulateur a décidé de recourir à tel ou tel mode de transport, le coordinateur ambulancier organise ce transport, en s’adressant d’abord au transporteur sanitaire puis, en cas d’indisponibilité de celui-ci, au SDIS, via le centre 15. C’est ainsi que l’on prendra véritablement en charge la carence ambulancière.
En tout état de cause, il faut procéder à des expérimentations, les évaluer, et d’après les résultats de ces évaluations, soit les généraliser, soit proposer d’autres modèles d’organisation.
Dans une telle organisation, l’enveloppe globale destinée à la garde ambulancière doit assurer aux entreprises une rentabilité suffisante pour financer ce coordinateur. Celui-ci ne serait que le bras armé du médecin régulateur.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il pourrait même mobiliser un véhicule de secours et d’assistance aux victimes ?
M. Thierry Schifano. Tout à fait.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce coordinateur ambulancier financé par les entreprises privées de transport sanitaire ne serait-il pas juge et partie, sur un marché où règne une concurrence féroce, avec des risques de constitution de monopoles ?
M. Thierry Schifano. Je dirais, sous forme de boutade, que le seul monopole dans ce domaine est celui des SDIS. Quand un marché compte plus de 5 000 acteurs, il ne peut pas y avoir de situation de monopole. Il s’agit d’une organisation à laquelle ne participeraient que des entreprises volontaires et aucune entreprise de transport sanitaire ne pourrait en être exclue. Par ailleurs, ce n’est pas le coordinateur ambulancier qui passerait les marchés : il aurait simplement pour mission d’organiser un « tour de rôle ».
Nos incubateurs ont prouvé qu’une telle organisation permettrait de réduire le nombre de carences de plus de 75 %. Les expérimentations devraient démarrer courant 2014 dans une dizaine de départements, étant entendu que tous peuvent s’engager dans cette voie pour peu qu’ils soient structurés.
Nous pensons que le recours à la géolocalisation et une organisation réformée assurant une plus grande fluidité permettraient d’absorber 5 % de volume supplémentaire en deux ans. Tel est notre engagement.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est l’état de votre réflexion en ce qui concerne la fraude dans le secteur du transport de patients ? Les sanctions prévues vous semblent-elles adaptées ?
M. Thierry Schifano. Il faudrait d’abord s’entendre sur ce qu’on entend par « fraude ». Quelqu’un qui falsifie une prescription médicale ou facture des prestations de transport qu’il n’a pas effectuées n’a droit à aucune indulgence.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous sommes bien d’accord : la fraude se définit par son caractère intentionnel. En cela, elle se distingue de l’erreur, qui n’est jamais intentionnelle. Si l’erreur une fois établie n’appelle que la récupération de l’indu, la fraude doit, elle, être sanctionnée, la sanction ayant une fonction pédagogique et dissuasive.
Vous approuvez donc le fait que les fraudes puissent être sanctionnées tant sur le plan administratif que pénal ?
M. Thierry Schifano. Je suis même favorable à des mesures conservatoires telles que la suspension d’activité.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous ne seriez donc pas opposé au recours à des procédures de flagrance ?
M. Thierry Schifano. Tout à fait. Tout cela peut être débattu au sein des commissions de concertation.
Cela dit, la fraude ne représente que 1 % à 2 % de la dépense globale, ce qui est déjà trop. Puisque vous avez déjà fait le distinguo, j’insiste sur la nécessité de ne pas classer les indus dans la fraude. Je rappelle que nos prestations sont prescrites et que la prescription médicale est intangible. C’est en développant la géolocalisation et en sécurisant notre facturation qu’on supprimera la question du kilométrage.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel serait, à vos yeux, le délai raisonnable de mise en œuvre d’une dématérialisation des données permettant de contribuer à la fois à l’efficience économique, à la rationalisation des moyens de contrôle et à l’optimisation des ressources humaines ?
M. Thierry Schifano. Je souhaiterais un processus en deux étapes : une première étape serait consacrée à la dématérialisation de la facture et de l’annexe, qui devrait être réalisée d’ici au 1er janvier 2015. Restera le problème de la capture de la signature du patient. La dématérialisation de la prescription médicale devra être réalisée dans un deuxième temps, celle-ci posant des problèmes d’intangibilité de la prescription et d’indus. Nous ne pouvons être que parrains, et non acteurs de cette deuxième étape.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie pour la précision de vos réponses.
*
* *
Audition de M. Samuel Pratmarty, sous-directeur par intérim de la régulation de l’offre de soins, Mme Perrine Ramé-Mathieu, cheffe du bureau du premier recours, et Mme Élise Riva, adjointe au bureau du premier recours à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) au ministère des affaires sociales et de la santé
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Monsieur le sous-directeur, mesdames, vous connaissez l’objet des travaux de la MECSS, plus que jamais d’actualité en ces temps de disette budgétaire. La rationalisation des moyens et l’optimisation sont désormais une grille de lecture, qui est la raison d’être de notre mission. C’est dans ce contexte que nous avons engagé une réflexion sur le transport de patients.
Vous savez que les dépenses prises en charge à ce titre en 2013 représentent quelque 4 milliards d’euros, soit environ 2,1 % des dépenses d’assurance maladie. Leur progression dynamique, supérieure à celle des autres postes de dépenses de l’assurance maladie, s’explique par le développement des affections de longue durée (ALD), par le recours croissant à la prise en charge ambulatoire et à l’hospitalisation à domicile, ainsi que par la restructuration de l’offre de soins et des plateaux techniques, d’une part, mais aussi par une offre de transport mal construite et hétérogène, tant sur le plan tarifaire que sur le plan territorial, marquée par une sédimentation d’inadaptations et par l’absence de coordination entre une multiplicité d’acteurs – DGOS, agences régionales de santé (ARS), préfets, caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) – qui ne partagent pas toujours leurs données, d’autre part. M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, vient de nous confirmer qu’il était prêt à mettre à disposition ses banques de données constituées à son initiative, corroborant le manque de coordination en matière de protection sanitaire et sociale constaté par la MECSS.
Le rapport Rénovation du modèle économique pour le transport sanitaire terrestre remis en septembre 2010 au ministère de la santé et des sports par M. Didier Eyssartier, le rapport de la Cour des comptes de septembre 2012 ou le rapport de M. Gérard Dumond et M. Jean-Claude Mallet, sur les transports sanitaires, qui n’a jamais été publié mais dont la MECSS a eu connaissance par le truchement de la Cour des comptes, font tous état de l’existence de marges de manœuvre sur ces dépenses de 4 milliards d’euros. Des efforts fermes et durables de rationalisation et d’optimisation, que ce soit sur le référentiel de prescription, la garde ambulancière ou le contrôle des facturations, permettraient de faire 450 à 500 millions d’euros d’économies par an.
Nous venons d’auditionner M. Thierry Schifano, président de la Fédération nationale des transporteurs sanitaires (FNTS), qui a validé les grands axes de cette analyse et qui rejoint nombre des préconisations qui ont été faites, pourvu qu’elles soient mises en œuvre dans le cadre d’une politique proactive.
La situation de nos finances publiques et l’objectif du Gouvernement de réaliser quelque 10 milliards d’euros d’économies sur l’enveloppe des dépenses sociales doivent conduire l’État à accélérer la manœuvre, d’autant que les différents responsables sont dans d’assez bonnes dispositions. Quelles sont les modalités privilégiées par la DGOS, non plus tant au travers d’expérimentations, puisque le temps nous est désormais compté, mais sur le plan opérationnel ?
M. Samuel Pratmarty, sous-directeur par intérim de la régulation de l’offre de soins à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère des affaires sociales et de la santé. Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Jean Debeaupuis, le directeur général de l’offre de soins, qui m’a demandé de le suppléer.
Permettez-moi d’abord de préciser le rôle de la DGOS dans la régulation des transports de patients, puisque plusieurs administrations se partagent cette fonction, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale.
La DGOS a vocation à réguler l’offre de transports conjointement avec la direction de la sécurité sociale (DSS) et la CNAMTS. Toutefois, sa compétence ne s’étend pas à l’ensemble du champ, puisqu’elle n’intervient pas en matière de tarification de l’activité ni de régulation des enveloppes budgétaires correspondantes. Elle est essentiellement en charge de la réglementation de l’activité de transport, qu’elle soit relative aux agréments des entreprises, aux autorisations de mise en service des véhicules ou à l’organisation territoriale. Ce rôle spécifique s’explique par le fait que la DGOS est compétente en matière de régulation globale de l’offre de soins : les transports de patients sont un maillon de la chaîne.
La DGOS est également compétente en matière de régulation des transports urgents – SAMU et SMUR (services mobiles d’urgence et de réanimation). Qui plus est, même si cela n’entre pas dans ses attributions officielles, elle assure, de fait, un rôle de veille et d’animation au profit du réseau des ARS, qui ont trouvé en elle l’interlocuteur naturel pour répondre à leurs questions relatives aux transports.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La multiplicité des compétences et des acteurs dessine, en effet, un paysage particulièrement complexe, dans lequel s’inscrivent également les départements, pour ce qui concerne les SDIS, et le ministère de l’intérieur, s’agissant des taxis ou de la sécurité civile.
M. Samuel Pratmarty. L’action de la DGOS s’inscrit principalement dans deux directions, qui contribueront à la mise en œuvre du plan global d’économies de l’assurance maladie et permettront une rationalisation de la dépense en matière de transports de patients.
L’une est l’amélioration de l’organisation de la prescription, et surtout de la commande de transports en interne aux établissements de santé. Les établissements de santé sont les premiers prescripteurs et les principaux destinataires de transports de patients ; ils ont donc un rôle à jouer dans la régulation de la dépense de transports. Il y a là un « nœud » essentiel et stratégique sur lequel il faut consentir des efforts. M. Thierry Schifano l’a sans doute fait valoir, et à juste titre, cette commande de transports en interne aux établissements n’est pas suffisamment organisée ; elle peut être source de perte de temps pour les transporteurs, pour les malades et pour les services, donc de surcoûts de fonctionnement pour les entreprises sanitaires, qui entraînent eux-mêmes des hausses de tarifs.
L’idée générale est qu’une meilleure organisation de la commande de transports permettrait de fluidifier ces transports, de gagner du temps, de faire des économies d’échelle, et in fine de mieux maîtriser la tarification.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous connaissons les solutions, à peu de chose près. L’ANAP a fait plusieurs études sur le sujet, et les préconisations des professionnels rejoignent d’ailleurs celles de la puissance publique. Le contexte est donc particulièrement favorable à cette rationalisation. Sachez qu’à la MECSS, le mot « économies » a une connotation positive.
Le directeur général de la CNAMTS estime que, dans le cadre de la dématérialisation, il faut mettre en œuvre une pédagogie auprès des prescripteurs, essentiellement les médecins libéraux de ville. Nous voyons bien que celle-ci bute sur l’enceinte des établissements de soins. En tant que direction du ministère de tutelle, la DGOS a une autorité plus forte pour le faire. Puisque nous connaissons les solutions, quand comptez-vous les mettre en œuvre ?
M. Samuel Pratmarty. Nous avons une idée de ce que pourrait être la bonne organisation, même si elle ne nous semble pas nécessairement applicable à toutes les situations. Tout l’enjeu est de la diffuser, c’est-à-dire d’aligner les pratiques sur ce modèle « cible » qui fait globalement consensus. Pour les établissements hospitaliers, cela implique une transformation non négligeable de leur organisation interne, puisque cela nécessite de repenser entièrement le circuit des patients en leur sein. Une telle transformation ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Certains établissements y sont toutefois parvenus. À cet égard, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nîmes constitue un modèle du genre, prouvant que c’est possible pour peu que l’on s’en donne les moyens. Nous sommes en train de réfléchir, à partir de réussites de ce type, à la manière de généraliser ce mode d’organisation et ces pratiques.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est une spécialité française que de construire des cathédrales sur le papier et de ne pas savoir passer à l’action, sans doute parce que la volonté politique – quelle que soit la majorité au pouvoir – fait défaut. Pour dire les choses comme elles sont, c’est un constat d’impuissance que nous faisons. Puisque les solutions sont identifiées, ne faisons pas des résistances humaines une raison suffisante pour différer la réforme dans le temps, d’autant que les contraintes économiques et financières ne nous laissent plus de marge de manœuvre. Nous avons l’obligation de faire 10 milliards d’euros d’économies dans les dépenses sociales sans attendre des réformes structurelles, trop longues à porter leurs fruits. Nous avons des solutions intelligentes et opérationnelles, dont la généralisation, moyennant une marge d’adaptation, pourrait constituer une ambition collective. C’est la raison pour laquelle j’insiste pour que vous nous donniez des précisions sur l’agenda.
M. Samuel Pratmarty. Je comprends votre préoccupation, mais je ne peux vous fournir de précisions sur ce point. La question centrale est celle de l’intérêt à agir pour l’établissement de santé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est la position de la DGOS sur l’intégration du poste « transports de patients » dans le budget hospitalier, voire sur la procédure de l’appel d’offres pour passer des marchés de transport, qui suscite quelques réticences chez les transporteurs ?
M. Samuel Pratmarty. À modèle d’organisation et de financement constant, les établissements de santé ont intérêt à agir – comme le montre l’exemple du CHU de Nîmes. Mais pour que cet intérêt soit bien compris par l’ensemble des acteurs, il faudrait leur confier des leviers ou les faire bénéficier d’une forme d’intéressement. Cela pose notamment la question du transfert de la responsabilité soit de l’enveloppe budgétaire, soit de la commande de transports – le cas échéant dans le cadre d’un appel d’offres –, soit les deux, ce qui serait plus logique. Cette modalité d’organisation a déjà été expérimentée, sans grand succès puisque nous ne sommes pas parvenus à l’ancrer dans le réel. Nous n’excluons cependant pas de refaire des propositions en ce sens lorsque le sujet sera mûr.
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, nous avions envisagé l’expérimentation d’appels d’offres groupés à l’échelle territoriale, à l’initiative d’une ARS, d’une CPAM ou d’un établissement de santé. Cette approche avait fait consensus et suscité un certain intérêt. Malheureusement, le contexte défavorable créé par la hausse de la TVA sur les véhicules sanitaires légers (VSL) a parasité la bonne volonté des uns et des autres, et l’expérimentation n’a pu être menée jusqu’à son terme. Sans doute le secteur n’était-il pas tout à fait préparé non plus.
Il faut rappeler que nous avons affaire à un secteur très éclaté, qui compte beaucoup de petites entreprises exploitant peu de véhicules. La généralisation des appels d’offres à une échelle territoriale, même plus réduite, se traduirait donc par l’éviction d’un certain nombre d’entre elles. C’est en fait la consolidation du secteur qui est en jeu. La question est de savoir par où commencer : faut-il attendre que le secteur ait lui-même opéré cette consolidation pour introduire les appels d’offres ou bien mettre en œuvre les appels d’offres pour permettre cette consolidation ? Il ne m’appartient pas de trancher cette question sensible, mais c’est, à l’évidence, une question sous-jacente.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le rendez-vous avec les transporteurs sanitaires, qui avait été reporté, est-il reprogrammé ?
M. Samuel Pratmarty. À ce stade, tout est gelé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce n’est pas l’offre qui conditionne la demande, mais l’inverse, surtout lorsque le financement est public. Lorsque la volonté politique est forte, il y a des marges de manœuvre ; en l’espèce, elles existent. Il importe donc que l’exécutif nous fournisse un calendrier de mise en œuvre plus précis.
Permettez-moi de vous citer un exemple. Il y a quelques années, le cabinet McKinsey avait proposé ses services à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour l’aider à rationaliser l’offre de soins, et notamment la gestion des files d’attente aux urgences, où le temps d’attente moyen était d’une douzaine d’heures, dans une fourchette d’une à deux heures jusqu’à dix-huit. Par une simple amélioration de la gestion de file, la technique du cabinet aurait permis d’améliorer l’accueil et de diminuer ce temps d’attente. Les réserves émises par l’institution vis-à-vis de ces cabinets privés, réserves liées à sa culture publique, m’avaient conduit à inviter le cabinet à assurer une prestation « test » presque gracieuse. Celle-ci a fait la preuve de son caractère opérationnel, puisqu’elle a permis de diminuer le temps d’attente de 40 % en l’espace de trois mois à l’hôpital Beaujon. On peut donc aboutir à des résultats tangibles pour peu qu’il existe une volonté politique forte.
M. Samuel Pratmarty. Nous en sommes convaincus. Cet exemple a d’ailleurs fait tache d’huile, puisque nous avons mis en œuvre un programme d’accompagnement des établissements gérant des services d’urgences. D’ici à un an, près de 160 structures devraient bénéficier de cet accompagnement à travers le territoire, notamment dans l’idée de réduire les temps d’attente. Mais, encore une fois, cela s’inscrit dans le cadre d’une organisation globale à l’intérieur des établissements. Vous voyez donc que l’idée a prospéré.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est votre sentiment sur les autres éléments de réflexion de la Cour des comptes, notamment en ce qui concerne l’organisation ?
Les éléments qui pourraient contribuer à une rationalisation, tels que le covoiturage, en sont encore au stade expérimental. La pertinence nécessiterait à la fois un partage de la gouvernance et une coordination, c’est-à-dire le partage du répertoire national de transports. Selon M. Frédéric Van Roekeghem, cela ne devrait pas poser problème dès lors qu’une convention permet de l’organiser.
Il importe également de revoir l’arrêté de 1995 sur le ratio véhicule par habitant. Actuellement, les ambulances et les VSL sont soumises à un plafond global, du fait de la possibilité qu’ont les entreprises de transformer un VSL en ambulance. Il n’existe donc pas de contingentement de l’offre, ce qui empêche de gérer l’héritage, qui se caractérise à la fois par une offre excédentaire sur une partie du territoire national, une hétérogénéité et une dispersion de l’offre. Le rapport de 1 à 4 que nous observons sur le parc d’ambulances ne se fonde sur aucune explication rationnelle, ce qui suscite frustrations et procès d’intention.
M. Samuel Pratmarty. La question présente plusieurs aspects. Je dirais que l’actuelle organisation globale du travail, qui commande la répartition des compétences entre les différentes administrations en charge du secteur, est le fruit de l’histoire et d’arbitrages successifs. Elle n’est peut-être pas toujours adaptée aux enjeux du moment, mais il ne m’appartient pas de la commenter. C’est dans le cadre de cette répartition institutionnelle que s’inscrit le travail de la DGOS. Nous nous efforçons de nous coordonner au maximum avec la DSS et la CNAMTS, et de faire en sorte que cette répartition parfois éclatée des compétences soit la plus transparente possible, du point de vue des transporteurs de patients comme de celui des gestionnaires locaux, qu’il s’agisse des CPAM ou des ARS. Les transports sanitaires font ainsi partie des dix priorités du programme de gestion du risque ; il s’agit bien de coordonner et de mutualiser nos politiques respectives. À cadre organisationnel constant, et sans nier les limites de ce dernier, je pense que nous pouvons faire en sorte d’assurer la transparence du dispositif en dépit de sa dispersion.
M.le coprésident Pierre Morange, rapporteur. En ce qui concerne l’articulation des actions des SAMU et des SDIS, une vingtaine de départements seulement disposent désormais de plateformes téléphoniques communes. Peut-on espérer que leur nombre progresse dans les six prochains mois ? Ce modèle de plateforme a fait la démonstration de son efficacité dans certains dispositifs. Que ce soit en termes de ventilation entre transports d’urgence ou d’articulation avec la garde ambulancière, il permet une rationalisation des moyens mis en œuvre pour répondre à la diversité des prescriptions médicales. L’intervention du régulateur trouve donc ici sa légitimité.
M. Samuel Pratmarty. Permettez-moi d’exprimer une nuance sur cette question des plateformes communes. Nous y sommes bien entendu favorables. Pour autant, nous ne les considérons pas comme la solution par excellence. Ce n’est pas notre priorité. Nous nous attachons avant tout à l’amélioration de l’interconnexion entre SAMU et SDIS, qui nous semble être le principal enjeu. La création de plateformes peut favoriser des mutualisations et des gains en effectifs, essentiellement d’ailleurs sur les fonctions support. En tout cas, nous ne disposons pas d’évaluations objectivées des économies réelles qu’elle a pu entraîner.
Mme Perrine Ramé-Mathieu, chef du bureau du premier recours. Les gains sont minimes. Seuls les outils sont mutualisés ; encore chaque équipe conserve-t-elle souvent ses effectifs et ses systèmes d’information. En dehors des locaux, il n’y a donc pas vraiment de mutualisation. En réalité, ce qui prime n’est pas tant le regroupement physique sur un lieu que la qualité de l’interconnexion et la capacité d’articuler et de coordonner les acteurs et les missions sur le terrain.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le vrai problème est le passage de l’information à la coordination. Pouvez-vous nous en dire plus sur le calendrier de mise en œuvre de cette interconnexion ?
La nature ayant horreur du vide, les compétences des uns et des autres se sont étendues. Les SDIS se sont ainsi éloignés de leur cœur de métier : le secours aux personnes représente désormais 55 % de leur activité. D’où l’intérêt de la coordination pour la rationalisation des moyens.
La Cour des comptes a préconisé des pistes pour la garde ambulancière. En dessous de quatre déplacements, qui correspondent au seuil de vitalité économique pour les transports de patients, l’exercice est déficitaire pour le transporteur. Ne serait-il pas plus pertinent de renoncer à y affecter des sommes par voie conventionnelle – le coût est tout de même de 360 euros pour douze heures de garde –, et d’utiliser les moyens existants, c’est-à-dire les SDIS ? Cette solution est préconisée à la fois par la Cour des comptes et par le rapport d’information de l’Assemblée nationale de juillet 2009, présenté par MM. Georges Ginesta, Bernard Derosier et Thierry Mariani sur le financement des SDIS.
M. Samuel Pratmarty. L’organisation territoriale de l’offre de transports est la deuxième direction de notre action. Dans ce cadre, nous travaillons sur la rationalisation de l’organisation et du financement de la garde ambulancière, qui est un enjeu majeur en termes d’amélioration du fonctionnement des transports de patients. Nous avons donc proposé – ce que le Parlement a adopté dans le cadre de l’article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 – une expérimentation permettant aux ARS de déroger aux règles relatives à l’organisation de la garde ambulancière, mais aussi à son financement et à sa tarification. Nous partageons, en effet, le constat de l’inadaptation de ces règles, qui sont uniformes et ne tiennent pas compte des besoins et des spécificités locales. Quant au modèle de financement, il n’est adapté qu’aux secteurs de garde où l’activité tourne autour de deux ou trois transports par garde. En deçà de ce point d’équilibre, la garde est insuffisamment rémunérée ; à partir de cinq à six transports par garde, le modèle n’est pas non plus adapté.
L’expérimentation va permettre aux ARS qui le souhaitent de mettre en œuvre, dans une relative liberté, des règles alternatives qui leur paraissent plus adaptées avec les acteurs concernés, transporteurs sanitaires et SAMU. Ce projet fait consensus entre nous ; les fédérations de transports sanitaires, notamment la FNTS, coopèrent sur le sujet. Nous avons préparé un décret en Conseil d’État qui viendra préciser les conditions d’application de l’article 66 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. La longue concertation à laquelle il a donné lieu a permis de faire émerger entre les acteurs concernés un consensus propre à garantir une application réelle du dispositif. Cela devrait permettre à cette expérimentation de ne pas sombrer dans les mêmes difficultés que la précédente. Un certain nombre d’ARS sont d’ores et déjà volontaires pour y participer.
Mme Perrine Ramé-Mathieu. Et d’autres y réfléchissent.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous voudrez bien nous en adresser la liste.
M. Samuel Pratmarty. Le décret n’ayant pas été publié, il n’y a pas encore eu d’appel à candidatures officiel, mais nous savons qu’un certain nombre d’ARS sont intéressées par le dispositif. Nous sommes donc confiants quant à l’intérêt qu’elles vont y porter. Dans ce cadre, le rôle des SDIS en matière de transport de patients pourra être précisé. Vous l’avez dit, le transport n’est pas leur rôle premier : les deux seuls cas dans lesquels les SDIS sont compétents sont l’évacuation des victimes de sinistres et la carence ambulancière. Selon nous, il n’y a pas de raison de sortir de ce cadre. En revanche, on peut envisager de leur confier un rôle particulier au cas par cas, notamment dans les territoires où l’activité est très réduite. Cela fait partie des pistes qui pourront être explorées dans le cadre de l’expérimentation.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. De fait, les SDIS sont déjà sortis de leur cadre naturel, puisque les déplacements pour secours à personne représentent 55 % de leur activité. Le coût de fonctionnement n’est pas du tout le même, l’armement étant différent – deux personnes pour une ambulance, contre quatre pour un camion de pompiers. Les coûts des SDIS vont de 300 euros à 1 200 euros selon les estimations de l’Assemblée des départements de France (ADF) – d’où les réflexions en cours sur l’allègement de l’armement, qui appelle tout de même un certain nombre de réserves.
J’en viens à un autre sujet important : le contrôle et la lutte contre la fraude. Le ministère des affaires sociales et de la santé en général, et la DGOS en particulier, ont-ils une stratégie en la matière ? Quels en sont les axes prioritaires, sachant que des dispositions législatives ont été adoptées à cet effet dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale ? Mentionnons également les comités départementaux de lutte contre la fraude, où siègent le préfet, les magistrats compétents, les établissements publics et les institutionnels. Il ne s’agit pas de désigner une profession à la vindicte populaire ; mais comme dans toute activité humaine, il existe une fraction marginale qui se comporte mal ; la sanction est donc essentielle pour que la vertu des uns ne soit pas polluée par les turpitudes des autres.
Quelles sont les remontées d’information dont vous disposez sur ce sujet ?
M. Samuel Pratmarty. Je suis d’autant plus à l’aise sur le sujet que la DGOS n’est pas en charge de l’organisation des contrôles. Bien évidemment, nous sommes favorables aux contrôles, qui sont nécessaires. Nous sommes coresponsables du contrôle sur les établissements de santé, et nous veillons à ce qu’il soit mis en œuvre rigoureusement. Lorsque c’est nécessaire, ces contrôles sont étendus au champ des transporteurs de patients. Je ne suis pas en mesure de vous en dire davantage. Mais à chaque fois que l’assurance maladie ou la DSS nous sollicitent sur le sujet, nous nous efforçons de leur apporter notre aide.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Où en sont les expérimentations sur l’individualisation de la prescription hospitalière ? Si l’on veut faire en sorte que le référentiel de prescription du transport de patients soit correctement suivi à l’intérieur d’un dispositif hiérarchique clairement individualisé, et puisque nous avons pris acte d’une certaine concentration des dépenses de transport dans les hôpitaux, il faut une identification du prescripteur, afin qu’il y ait une philosophie partagée. Sur des cas standardisés, la règle doit être la même partout.
M. Samuel Pratmarty. La prescription est individualisée. Ce qui ne l’est pas encore totalement, c’est le suivi et le contrôle de la prescription par praticien.
Aujourd’hui, nous sommes capables d’évaluer les dépenses induites de manière collective par un établissement de santé. Pour être plus précis et plus efficaces, il nous faudrait pouvoir individualiser les prescriptions par praticien à l’intérieur de l’établissement de santé. Les praticiens se sont vu proposer des numéros RPPS – répertoire partagé des professionnels de santé – qui permettront de les identifier. Nous nous heurtons néanmoins à deux difficultés : d’abord, tous les praticiens n’ont pas le réflexe de l’utiliser, même si, en principe, il devrait être affiché automatiquement sur les prescriptions ; ensuite, les systèmes d’information de l’assurance maladie ne permettent pas encore de traiter l’ensemble de ce flux d’informations et d’en extraire des statistiques fiables et précises par individu. Nous y travaillons.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est l’objectif ? Le sujet est bien l’individualisation du prescripteur. Il n’est pas insensé de vouloir savoir qui prescrit quoi ; la démarche n’a rien d’inquisitorial. Si l’on veut vraiment avoir une logique de permanence des soins, de rationalisation, de standardisation des procédures et d’équité de traitement sur le territoire, cette individualisation est nécessaire. Dès lors que nous sommes dans un dispositif hiérarchique, l’autorité – et donc le ministère – doit exiger que le dispositif soit appliqué sous peine de sanction. Ce processus devrait d’ailleurs s’inscrire dans un calendrier précis.
M. Samuel Pratmarty. Nous avons pris du retard par rapport aux échéances fixées. Nous avons prévu de rappeler aux établissements et aux prescripteurs la nécessité d’utiliser systématiquement le numéro RPPS.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Connaissez-vous le pourcentage d’utilisation de ce numéro RPPS ?
M. Samuel Pratmarty. Je ne l’ai pas en tête, mais je vous le transmettrai.
Nous avons prévu, disais-je, de rappeler cette règle dans les prochains mois. Cela fait partie des objectifs que nous nous sommes donnés dans le cadre du programme de gestion du risque. Mais l’échéance n’a pas été fixée à ce stade.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. En ce qui concerne la fraude, les poursuites pénales doivent être systématiques lorsque la fraude est identifiée. Cette philosophie a-t-elle été « matérialisée » par une lettre à tous les directeurs d’ARS ? Il serait légitime que l’autorité de tutelle fasse en sorte que la pédagogie de la sanction soit la même en tout point du territoire.
M. Samuel Pratmarty. Je n’ai pas la réponse à cette question. Je vais me renseigner et vous la ferai parvenir.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions. Si vous avez des attentes particulières à formuler, auxquelles nous pourrions répondre dans le cadre législatif ou réglementaire, n’hésitez pas à nous en faire part. Nous aurons à cœur de les porter.
Table ronde réunissant des représentants de fédérations d’ambulances : M. François Bonnet, secrétaire national de la Chambre nationale des services d’ambulances (CNSA), et M. Marc Basset, conseiller économique, M. Jean-Claude Maksymiuk, président de la Fédération nationale des artisans ambulanciers (FNAA), et M. Serge Beaujean, secrétaire, M. Bernard Pelletier, président de la Fédération nationale des ambulanciers privés (FNAP)
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les dépenses prises en charge au titre du transport de patients ont représenté quelque 4 milliards d’euros sur l’exercice 2013 ; elles ont augmenté de plus de 60 % entre 2000 et 2010. Cette progression dynamique, près de deux fois supérieure à celle constatée sur les autres postes de dépenses de l’assurance maladie, s’explique par le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre des patients atteints par des affections de longue durée (ALD), l’hospitalisation à domicile (HAD) et la restructuration des plateaux techniques. Mais elle trouve aussi son origine, selon le rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale publié en septembre 2012 et le rapport Rénovation du modèle économique pour le transport sanitaire terrestre remis en septembre 2010 au ministère de la santé et des sports par M. Didier Eyssartier, dans une offre insuffisamment construite.
La philosophie de la MECSS s’inscrit dans une logique de recherche du meilleur rapport coût-efficacité. S’agissant du transport de patients, qui n’est pas une prestation mais un acte médical, il convient d’analyser précisément les différents paramètres qui influent sur la dépense, afin de réduire les zones d’ombre par une rationalisation du système. La situation de nos comptes sociaux rend plus ardente que jamais cette nécessité.
La Cour des comptes estime que près de 450 millions d’euros seraient susceptibles d’être économisés grâce à un effort de rationalisation et de coordination portant sur trois grands axes : l’amélioration de la prescription, cet acte médical devant être justifié par des considérations strictement médicales, la réforme de la garde ambulancière et un contrôle de la facturation à la fois plus structuré et plus tenace.
Je souhaite donc vous entendre sur ces différents sujets. Je remercie la Chambre nationale des services d’ambulances (CNSA) de nous avoir fait parvenir une réponse écrite – sans doute collégiale – au questionnaire que nous vous avions adressé.
M. Bernard Pelletier, président de la Fédération nationale des ambulanciers privés (FNAP). Si le transport de patients est notre cœur de métier, nous sommes aussi des citoyens responsables. La maîtrise de la dépense sociale nous tient donc à cœur, comme le service rendu aux usagers.
Si le maillage des entreprises de transport sanitaire sur le territoire national est important, il regroupe des entreprises très différentes, tant en secteur rural qu’en secteur urbain. L’entreprise moyenne emploie huit à dix salariés. De nombreuses entreprises – c’est le cas dans mon département du Finistère – ne comptent que deux ou trois véhicules ; mais le service est large, puisqu’il permet de répondre aux besoins de l’ensemble de nos concitoyens.
Il importe de rappeler que le transport sanitaire – véhicules sanitaires légers (VSL) et ambulances – ne représente que 2,1 ou 2,2 milliards d’euros des 4 milliards d’euros dont vous avez parlé. Certes, c’est une dépense importante, mais elle doit être relativisée, d’autant que, en dix ans, la dépense imputable aux taxis a doublé, voire triplé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les chiffres sont connus : le transport de patients est assuré par environ 14 000 ambulances, 14 000 VSL et 37 000 taxis conventionnés. Quelle est la part des entreprises de transport sanitaire qui possèdent des taxis ?
M. Bernard Pelletier. La réglementation applicable aux VSL, notamment le numerus clausus, et l’augmentation de la demande de transport assis professionnalisé (TAP) ont conduit un certain nombre d’entreprises à se tourner vers d’autres secteurs, dont celui des taxis. Selon l’assurance maladie, 40 % à 50 % des entreprises de transport sanitaire possèdent aujourd’hui des taxis.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ces véhicules sont-ils comptabilisés dans les taxis conventionnés ? Et quelle est la part des taxis qui sont détenus par une entreprise de transport sanitaire ?
M. Bernard Pelletier. Ils sont comptabilisés dans les 37 000. Quant à savoir combien il y a de taxis dans les entreprises de transport sanitaire, c’est plus difficile.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je m’étonne que vous ne connaissiez pas ce chiffre, alors que vous représentez l’ensemble du secteur. C’est un élément qui n’est pas neutre pour les organismes assurantiels, sachant que la stratégie d’une entreprise et celle d’un artisan ne sont pas les mêmes.
M. Bernard Pelletier. Ce qui conduit les entreprises de transport sanitaire à privilégier le taxi plutôt que le transport sanitaire, c’est aussi une démarche économique : la tarification en taxi est une fois et demie supérieure à celle du VSL. Il est donc logique que le chef d’entreprise opte pour le taxi.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. N’est-ce pas plutôt 30 % ?
M. Bernard Pelletier. Selon la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et la Cour des comptes, il s’agit bien d’une fois et demie.
M. François Bonnet, secrétaire national de la Chambre nationale des services d’ambulances (CNSA). Nous ne pouvons avancer aucun élément objectif sur la répartition des entreprises de transport sanitaire qui posséderaient des taxis, car les deux types de transports relèvent de deux réglementations différentes et de deux numéros d’identification ou codes indépendants pour l’assurance maladie – laquelle est donc la seule à détenir l’information.
En milieu rural, il est plus facile pour de nombreuses entreprises d’obtenir des autorisations de stationnement que dans les grandes villes. Le chiffre qui a été cité doit donc être relativisé : si beaucoup d’entreprises rurales de transport sanitaire possèdent des taxis, il est plus difficile de connaître leur nombre par rapport aux 37 000 taxis conventionnés.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il n’est pas interdit aux fédérations professionnelles de chercher à acquérir une connaissance plus pointue de l’offre mise à disposition.
M. François Bonnet. Les entreprises qui sont dans ce cas adhèrent à deux fédérations : une fédération de transport sanitaire pour l’activité de transport sanitaire, et une fédération de taxis pour l’activité taxis. Il n’y a pas de transversalité.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mais dès lors que l’activité de taxis peut avoir une vocation sanitaire, il n’est pas absurde d’améliorer la connaissance du marché.
Que pensez-vous de l’estimation de la Cour des comptes quant aux marges de manœuvre susceptibles d’être dégagées ?
M. Bernard Pelletier. L’écart de tarification entre les VSL et les taxis offre une première piste pour parvenir à ces 450 millions d’euros d’économies. Les dépenses de taxi s’élèvent aujourd’hui à 1,2 milliard d’euros, contre 800 millions d’euros pour les VSL ; ces dernières n’ont pratiquement pas augmenté en dix ans. 400 millions d’euros pourraient être facilement économisés.
Deuxième piste : lorsque le référentiel d’aide à la prescription a été publié, en 2006, la FNAP avait défendu l’idée que le transport n’était pas un droit, mais un besoin. Pourquoi l’assuré social pris en charge à 100 % doit-il emprunter un transport de patients alors qu’il peut prendre sa voiture ou les transports en commun, tandis que le transport d’un non-voyant qui ne souffre d’aucune affection particulière mais doit se rendre à une visite médicale n’est pas pris en charge ? Nous souhaitions donc revoir le motif de la prescription de transport sur le fondement de la notion de besoin, mais cela fut un échec. La FNAP continue néanmoins de considérer qu’il est possible de réguler la dépense à travers la prescription pour offrir la prestation à celui qui en a réellement besoin.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il est vrai que, en matière de transport sanitaire, l’offre est assez disparate et hétérogène sur le territoire français. Les ratios par habitant, qui n’ont pas été réactualisés, sont souvent malaisés à expliciter. Quelle est votre position sur ce sujet ?
M. Bernard Pelletier. Le décret du 26 août 2012 a actualisé la réglementation relative aux autorisations de mise en service des véhicules et les agréments d’entreprises. Un directeur général d’agence régionale de santé (ARS) accorde l’autorisation en se fondant sur quatre points. J’observe que, dans certains départements, les agréments sont refusés lorsque l’entreprise a changé de direction, par exemple parce que le quota de VSL est déjà atteint. Celui qui ne possède plus de VSL va alors demander une licence de taxi – d’autant que, comme je l’ai mentionné tout à l’heure, la tarification de ce mode de transport est une fois et demie supérieure. S’il faut veiller à ce que l’offre de transport soit en adéquation avec les besoins, il faut aussi prendre garde à l’aspect administratif, qui pénalise le transport sanitaire. Alors que le VSL est le mode de transport le moins onéreux pour l’assurance maladie, il semble parfois qu’il ne soit pas encouragé. C’est pourquoi, il faut revoir les plafonds. Des véhicules sanitaires manquent dans certaines régions. Il faudra bien, un jour ou l’autre, clarifier les rôles de chacun : l’ambulance et le VSL ont une vocation de transport sanitaire, les taxis ont une vocation de transport de personnes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est votre avis sur la recommandation de la Cour des comptes qui prône l’instauration d’un double plafonnement en lieu et place du plafonnement global qui existe aujourd’hui pour les VSL et les ambulances pour mettre fin à la possibilité de transformer des VSL en ambulances ?
M. François Bonnet. S’agissant de la démographie et de l’implantation des véhicules par rapport à la population, l’offre est moins hétérogène qu’il n’y paraît. En effet, elle n’est pas appréhendée au regard de la chaîne de soins. On constate que plus la densité de population dans un département est faible, plus il compte de véhicules de transport de patients, ce qui paraît légitime, puisque la chaîne de soins est de plus en plus longue.
Quant au plafond du nombre de véhicules, vous n’ignorez pas qu’il est contourné par l’ouverture massive du conventionnement accordé aux taxis. Le numerus clausus des véhicules de transport sanitaire a été instauré par une loi de 1992 et mis en œuvre par des décrets de 1995. Ce plafonnement des véhicules de transport sanitaire a été contourné dès l’origine, notamment pour le TAP, par la mise en place du conventionnement de l’assurance maladie avec les taxis. Il semble que ce plafond ait été arrêté de façon arbitraire, pour diminuer l’offre et donc la dépense, selon le dogme de l’assurance maladie, sans objectiver les incidences par rapport à la chaîne de soins. Compte tenu de la profitabilité négative du VSL, les entreprises ont donc abandonné ce marché au profit de l’activité de taxi conventionné. L’évolution des dépenses de taxi est donc liée à la diminution en volume du nombre de transports en VSL.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Lorsque vous dites que les entreprises ont investi le secteur du taxi pour des raisons de profitabilité, parlez-vous des entreprises de taxis, ou des entreprises de transport sanitaire qui ont investi dans les taxis ?
M. François Bonnet. Tout est possible. En milieu rural, ce sont principalement des artisans qui s’installent. Un certain nombre d’entreprises se sont tournées vers des rachats de licence. Quelques entreprises commencent à être structurées. Il peut s’agir d’entreprises de transport sanitaire, mais aussi de vraies entreprises de taxis qui se spécialisent dans le transport de patients. La profitabilité moyenne d’un transport est de 47 euros pour un taxi, et de 32 euros pour un VSL. Malgré les efforts qui sont effectués sur la structuration tarifaire, l’activité de VSL diminue en volume. Si l’on devait restructurer l’ensemble du TAP demain, cela se solderait nécessairement par un surcoût pour l’assurance maladie.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Et que pensez-vous du double plafonnement ?
M. François Bonnet. Le plafonnement existe déjà. Depuis le décret d’août 2012 précité, on ne peut pratiquement plus transformer de VSL en ambulances. Plus exactement, c’est à l’appréciation des ARS.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cela n’a donc pas de valeur normative ou réglementaire.
Dans le cadre de cette libre appréciation, les ARS s’intéressent-elles au stock, au flux ou aux deux ?
M. François Bonnet. L’ARS ne maîtrise que le nombre de véhicules de transport sanitaire, alors même que l’offre de taxis conventionnés a ouvert un gouffre financier. Nous avions demandé à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) que la circulaire relative à l’application du décret de 2012 prenne en compte la totalité de l’offre de transports remboursable par l’assurance maladie. Aujourd’hui, aucun acteur ne possède la maîtrise globale du TAP. Le ministère de la santé ne peut pas réglementer le transport par taxi conventionné, qui relève du ministère de l’intérieur. Cette dualité empêche le pilotage du dossier. C’est en vain que, depuis 1998, l’assurance maladie et le ministère de la santé ont cherché une convergence avec les professionnels sur les deux types de véhicules.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Un rendez-vous a eu lieu il y a quelques mois. Sur quel point avez-vous achoppé ?
M. François Bonnet. Initialement, il devait y avoir une convention commune sur le TAP. Notre convention avec l’assurance maladie a déjà été renouvelée deux fois depuis 2003. Mais personne n’a eu le courage politique de gérer cette situation – pour le plus grand profit des taxis.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Sur quel point la réunion au ministère a-t-elle achoppé ?
M. François Bonnet. Tout simplement à cause de la pression des taxis.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Seulement sur ce point-là ?
M. François Bonnet. Oui. Nous demandons que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. Le VSL soulève une difficulté : il est défini comme un véhicule de transport sanitaire, qui ne peut être emprunté que sur prescription médicale, alors que le taxi – qui a accès au transport de patients – est ouvert à de multiples marchés. En outre, notre tarification relève du contrôle de l’assurance maladie, alors que celle des taxis relève du ministère des finances. Les courbes d’évolution des dépenses sur dix ans – que nous vous avons fournies – sont significatives.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle appréciation portez-vous sur la pertinence et l’efficacité de la garde ambulancière ? La Cour des comptes et le rapport de M. Didier Eyssartier se sont interrogés à cet égard, car, dans certaines régions, elle n’est rentable qu’à partir de quatre déplacements. Vous semble-t-il opportun de faire appel aux structures existantes – c’est-à-dire aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) – dans ces secteurs afin d’éviter les doublons dans l’offre de transports ?
M. Jean-Claude Maksymiuk, président de la Fédération nationale des artisans ambulanciers (FNAA). Je rejoins les propos de mes collègues sur le contingentement de véhicules sanitaires. Le critère retenu a toujours été le nombre d’habitants, alors qu’il faudrait se fonder aussi sur les structures hospitalières et sur les plateaux techniques pour traiter le problème de la garde.
Permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Il y a plus de 62 millions de trajets par an, pour plus de 5 millions de patients transportés, ce qui représente 8 % de la population. Quant au nombre de véhicules par département, il faut rappeler que, pour 100 000 habitants, on compte 23 ambulances, 27,8 VSL et 63 taxis.
Une refonte de la garde ambulancière est nécessaire, car le dispositif – y compris les prises en charge – est obsolète. Les sapeurs-pompiers et le ministère de l’intérieur ont été placés devant le fait accompli à l’issue de négociations sur la question qui ont duré plusieurs années et auxquelles ils n’ont pas participé. Les entreprises de transport sanitaire ont dû ensuite mettre en place des référentiels ; mais comment travailler avec les sapeurs-pompiers sans avoir négocié avec eux au préalable ? Il faut refondre complètement la garde départementale. Aujourd’hui, elle est obligatoire. Il me semble qu’on ne peut contraindre tous les ambulanciers à effectuer des transports urgents. Mieux vaudrait en faire une spécialité, basée sur le volontariat ; nous aurions ainsi une garde plus efficace et des équipes structurées pour des missions d’urgence.
Les secteurs sont aussi à revoir. Nous réclamons depuis plusieurs années une refonte complète de la garde, notamment des indemnités, qui n’ont pas évolué depuis 2003 et ne sont pas attractives pour des entreprises privées contraintes à une certaine productivité.
M. Bernard Pelletier. Pour notre part, nous considérons que la garde doit être rémunérée au coût réel des interventions. Nous sommes favorables à une fongibilité des enveloppes soins de ville et des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (MIGAC). Les indemnités de garde s’élèvent à 346 euros et un abattement de 60 % est appliqué à l’indemnité liée aux interventions ; lors d’une carence ambulancière, l’intervention des sapeurs-pompiers est rémunérée à concurrence de 117 euros, mais jusqu’à 120 euros, voire 140 euros dans certaines régions ; les transports médicalisés sont également onéreux, même s’ils ne représentent que 3 % ou 4 % du volume total des transports urgents. Il faut refondre toute l’enveloppe, optimiser les secteurs de garde, et retenir le critère de l’activité. Dans certains secteurs, il y a quatre ambulances de garde pour une nuit ; ce nombre pourrait être réduit à deux.
Il importe également d’optimiser la tarification et de réduire les carences ambulancières, pour arriver à un taux de 5 %. En période de garde, un ambulancier par secteur est disponible pour intervenir en cas d’appel du centre 15. Or le nombre de carences ambulancière rémunérées pour les SDIS et le nombre de carences réelles enregistrées par les services d’aide médicale urgente (SAMU) sont différents.
Toutes ces propositions passent par une coordination des transports, à travers une plateforme centralisée, qui peut être départementale ou régionale.
Les interventions que nous demandent les SAMU ne relèvent pas toutes de l’urgence vitale. Dans certains cas, ils pourraient envoyer un médecin libéral.
J’en viens à la suggestion de la Cour des comptes de faire appel aux SDIS lorsque le nombre de transports urgents est faible. La FNAP considère que, dans tous les secteurs, il faut d’abord laisser le transporteur sanitaire remplir ses missions. S’il existe des endroits reculés où les délais d’intervention ne sont plus de l’ordre de vingt minutes, mais plutôt de trente à quarante minutes, vous conviendrez qu’un transport qui n’est pas très urgent peut attendre jusqu’à quarante minutes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Dans la note que vous nous avez fait parvenir en complément des réponses au questionnaire que nous vous avions adressé, vous faites référence à l’indemnité de la garde ambulancière par période de douze heures, qui s’établit à 346 euros. Il convient d’y ajouter la tarification pour chaque déplacement minorée de 60 %, qui n’est pas mentionnée dans votre note.
Par ailleurs, la mise à disposition de moyens doit se fonder sur un principe édicté dans la loi, celui de l’utilisation du transport le moins coûteux. Au-delà du fait que le transport de patients obéit à une prescription médicale, il y a la logique de rationalisation. Nous avons donc d’un côté un critère sanitaire, de l’autre un critère économique.
M. Marc Basset, conseiller économique à la Chambre nationale des services d’ambulances (CNSA). S’agissant de la garde, je rappelle que l’expérimentation qui a été conduite a mis en évidence un besoin de gouvernance sur lequel les organisations syndicales ont souhaité insister. Les départements où cela fonctionne bien sont ceux où il existe une vraie gouvernance, avec une vraie optimisation dans la mise en œuvre des moyens – sectorisation, cahier des charges… De fait, les volumes sont souvent au rendez-vous.
En ce qui concerne la structuration tarifaire, il faut rappeler que les 346 euros découlent d’un calcul un peu ancien. À l’époque où celui-ci a été fait, le coût du personnel roulant représentait 60 % du chiffre d’affaires des entreprises. Comme il était nécessaire de mobiliser deux personnes quel que soit le nombre des interventions effectuées, et nonobstant les autres coûts de fonctionnement, nous avions calculé que le coût de revient de ces personnes était de 346 euros en 2003, mais il s’élève aujourd’hui à 408 euros.
Il est clair que, lorsque l’organisation de la garde départementale n’est pas structurée, l’équilibre économique ne peut être atteint par les entreprises de transport sanitaire. D’autres phénomènes comme le nombre d’interventions et la densité de population entrent en ligne de compte, et posent un problème particulier dans les zones fortement rurales.
M. François Bonnet. Dans les zones rurales où la garde fonctionne bien, où elle est bien pilotée, avec une gouvernance et une traçabilité, l’activité est au rendez-vous. Si nous vidons les zones rurales des moyens de transport en ambulance, nous n’aurons plus d’effecteurs.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les 40 % de facturation du prix correspondent aux coûts de fonctionnement. Or nos coûts de fonctionnement ont augmenté plus vite que nos tarifs. Dans certains cas, plus l’entreprise sort, plus elle perd d’argent. C’est la raison pour laquelle elles se retirent du système de garde.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Aussi ne peut-on se contenter d’avancer ce chiffre de 346 euros : il y a une indemnité facturée à 40 % pour chaque déplacement.
M. François Bonnet. Ils ne correspondent qu’aux coûts de fonctionnement.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous dites que les 346 euros n’ont pas été réévalués. On ne peut jouer sur tous les tableaux : il faut un raisonnement global.
M. François Bonnet. Tout à fait. En ce qui concerne l’urgence pré-hospitalière, on peut considérer que le modèle économique a atteint ses limites. Je rappelle que la Cour des comptes a estimé le coût des sorties des SDIS à au moins 150 euros, et jusqu’à 750 euros.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), le coût de déplacement des SDIS serait supérieur à 1 000 euros, dans la mesure où l’armement de chaque véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) correspond au coût réel. En revanche, ils sont opérationnels dans tous les cas de figure, qu’ils se déplacent ou non. Il s’agit donc d’optimiser les structures existantes.
M. François Bonnet. On constate aujourd’hui une évolution des pathologies, plus endogènes qu’exogènes. L’arrivée de tout nouvel acteur dans la chaîne de soins pose des problèmes de structure et d’organisation. Il importe donc de définir les missions de chacun, à quel prix et comment. Les départements qui tracent des activités peuvent démontrer que les interventions des ambulanciers sont compétitives par rapport à celles des SDIS.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Que pouvez-vous dire du covoiturage, de la géolocalisation, ou de tout ce qui peut être envisagé en termes d’optimisation du mode de transport ?
M. François Bonnet. En ce qui concerne la géolocalisation, nous avons signé en 2008 un avenant à la convention avec l’assurance maladie qui prévoyait une expérimentation. Mais il est resté sans suite : nous n’avons pas eu de retour de l’expérimentation qui avait été lancée. Les entreprises se sont presque toutes équipées. Il reste à relancer – c’est l’objet de l’avenant qui vient d’être signé – le code de bonnes pratiques.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette expérimentation ?
M. François Bonnet. Elle a été conduite en 2008, et ouverte à 200 ou 300 entreprises. Nous avons tout transmis à la CNAMTS, mais n’avons eu aucun retour de sa part.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous aimerions connaître les territoires où les entreprises se sont impliquées dans l’expérimentation.
M. François Bonnet. S’agissant de nombre de véhicules équipés, nous avons atteint la cible fixée par la convention. Tous les éléments ont été transmis à l’assurance maladie. Il lui reste à exploiter les données fournies par la géolocalisation, pour la traçabilité des trajets et des horaires, pour vérifier que le service facturé correspond bien à celui qui a été accompli. La profession est prête à généraliser cette expérimentation.
Un second volet concerne l’urgence pré-hospitalière assurée avec ambulance, en relation avec les centres 15. En la matière, la géolocalisation des véhicules est essentielle pour permettre au médecin régulateur de prendre la bonne décision. Mais l’interopérabilité des systèmes informatiques est compliquée à mettre en place. Comme le rappelait M. Bernard Pelletier, les carences ambulancières sont estimées sur des critères subjectifs ; on ignore si des ambulances sont disponibles ou pas. Là où des expérimentations sur la géolocalisation ou la traçabilité des véhicules ont été conduites, le taux d’activité des ambulanciers – y compris en garde – a augmenté.
En ce qui concerne le covoiturage, la CNSA est plus en retrait. On demande aujourd’hui aux transporteurs sanitaires – aux VSL – de faire du covoiturage, donc d’imposer des contraintes à leurs patients en termes de confort, alors que les taxis peuvent offrir des prestations individuelles sans imposer ces contraintes à leurs clients.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Dès lors qu’on établit un principe, il est le même pour tous. La logique du covoiturage concerne donc tout le monde.
M. François Bonnet. Sur le plan réglementaire, rien ne permet aujourd’hui de l’imposer aux patients. Nous avions demandé que les prescriptions soient établies de manière à pouvoir éventuellement interdire le covoiturage. Actuellement, ce sont les entreprises qui demandent au patient son accord pour être transporté en covoiturage. C’est délicat tant vis-à-vis du patient que vis-à-vis de la chaîne de soins. Il ne me paraît pas légitime de laisser cette responsabilité à la profession.
M. Bernard Pelletier. Comme la FNAA et la Fédération nationale des transporteurs sanitaires (FNTS), la FNAP a signé avec l’assurance maladie tous les accords en vigueur sur les VSL. Le VSL est le parent pauvre du TAP. Nous avons conscience que les années où nous réclamions à l’assurance maladie des revalorisations tarifaires sont derrière nous. Les accords passés avec l’assurance maladie, à partir des avenants n° 5 et n° 6 à la convention entre l’assurance maladie et les transporteurs sanitaires, visent à redonner de la productivité au VSL. Celle-ci passe par une tarification intéressante sur les courses courtes. En effet, on a constaté que les entreprises n’utilisaient pas de VSL pour les courses courtes par manque de rentabilité. L’activité VSL se trouve ainsi « revalorisée », comme elle l’est par le transport partagé ou le covoiturage. Le VSL est le seul moyen de transport conventionné qui peut transporter jusqu’à trois patients, avec une tarification dégressive. Il s’agit désormais de favoriser le VSL, qui est le transport le moins onéreux et peut donc être un outil de régulation de la dépense.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Permettez-moi d’insister : le principe de libre choix du patient n’a aucune valeur législative. C’est un élément de type conventionnel, qui a été assimilé à tort à un principe législatif. En la matière, le seul principe ayant valeur législative est celui énoncé par l’article L. 322-5 du code de la sécurité sociale, qui précise que « les frais de transport sont pris en charge sur la base du trajet et du mode de transport les moins onéreux compatibles avec l’état du bénéficiaire ». Par conséquent, les desiderata du patient n’ont qu’un rôle marginal à jouer par rapport à la prescription médicale et à l’impératif de bonne gestion des deniers publics.
M. Bernard Pelletier. C’est en effet ce que nous avait affirmé la Cour des comptes. Mais le code de la santé publique pose le principe du libre choix du transporteur par le patient.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le libre choix du patient ne s’applique qu’au praticien, et en aucun cas au transport du patient. C’est par analogie que ce raisonnement, qui s’apparente à une prise d’otages, a été fait, sans doute aussi parce que nous vivons dans une société où les tendances consuméristes sont à l’œuvre. Mais la situation qui est la nôtre nous impose une rationalisation des dépenses de l’assurance maladie. Sachez que, à la MECSS, le mot « économies » est respecté. En matière de transport de patients, les seuls principes qui prévalent sont l’état sanitaire du patient – autrement dit la motivation de la prescription médicale – et la définition du transport le moins onéreux vers l’établissement le plus proche adapté à sa situation.
M. François Bonnet. J’attire cependant votre attention sur le mécanisme tel qu’il fonctionne au quotidien ; l’assurance maladie et la chaîne de soins n’ont mis en place aucune logistique à ce niveau.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous sommes d’accord sur le constat – qui pourrait s’appliquer à tous les postes de dépenses de l’assurance maladie, voire à tout notre système de protection sociale : l’absence de vraie gouvernance, de rationalisation et de coordination, la multiplicité des centres de décision font que le système est contre-productif. Vous avez été auditionné par Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales, dans le cadre de la mission d’information sur l’organisation de la permanence des soins. En matière de transport sanitaire, nous constatons que l’absence d’articulation entre l’offre et la demande aboutit à un phénomène d’engorgement, et donc à une inadaptation de l’offre. Cela démontre une absence totale de rationalisation et de gestion des besoins.
M. François Bonnet. Depuis plus d’une décennie, la profession a déployé tout son possible pour introduire de la logistique. Nous avons signé en 2003 un contrat de bonnes pratiques avec les fédérations hospitalières publiques et privées et les fédérations ambulancières. Ce dossier n’a été piloté ni par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) ni par les établissements de soins. Nous avons donc réitéré en 2009-2010, avec la mise en place d’un référentiel pour le transport post-hospitalier ; nous y avons introduit la notion de plateforme de régulation des transports au sein des établissements de santé, en demandant qu’elle soit réservée aux transports sanitaires. Comme on pouvait s’y attendre, le dossier a avorté en raison du blocage des fédérations de taxis. Aujourd’hui, toutes les plateformes logistiques qui essayent de se mettre en place, notamment en Poitou-Charentes à l’initiative de l’ARS, sont bloquées par les taxis. S’il existait une véritable gouvernance et un appui décisionnel à l’ensemble des parties, qui permette de mettre en place ces plateformes logistiques, nous arriverions à faire comprendre à la patientèle que c’est le mode de transport le moins onéreux qui est pris en charge ; mais si cela ne repose que sur notre profession, ce ne sera pas possible. La vraie difficulté réside dans l’absence de gouvernance de la profession, qui dépend pour une part du ministère des transports, pour une part de celui de la santé et pour une autre de l’assurance maladie. En résumé, il manque un pilotage du transport sanitaire. Or c’est un domaine complexe.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Venons-en au sujet des deux flottes – ambulances et VSL. La pratique qui consistait à transformer des VSL en ambulances a-t-elle définitivement cessé ?
M. François Bonnet. Oui, car le décret d’août 2012 a bloqué cette possibilité.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mais la décision est à la discrétion des ARS.
M. François Bonnet. Certes, mais les conditions sont très contraignantes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Reconnaissez qu’il était tout de même difficile à admettre que le prix de revente d’une autorisation de mise en service d’une ambulance puisse aller jusqu’à 250 000 euros. Confirmez-vous ce chiffre ?
M. François Bonnet. Cela s’est pratiqué surtout dans les très grandes villes, où, dans les années 2000, les entreprises n’ont pas pu continuer à exercer. Nous avons assisté à une ré-atomisation du secteur, puisque nous sommes passés de 4 700 entreprises au début de 2000 à 5 700 entreprises aujourd’hui. Le phénomène a surtout touché les grandes villes. Les autorisations sont revendues à des artisans, qui travaillent dix-huit heures par jour, avec seulement un véhicule et deux personnes, au mépris du respect d’un certain nombre de réglementations professionnelles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je suis heureux de vous l’entendre dire. Nous sommes entrés dans une logique mercantile, bien qu’elle s’adosse à des référentiels techniques par le biais de l’agrément. C’est un vrai dévoiement, puisque nous assistons à l’instrumentalisation d’un système à vocation sanitaire.
M. François Bonnet. Lorsqu’on regarde le paysage du transport sanitaire en France, on peut s’interroger sur l’absence de concentration du secteur. On est en droit de se demander s’il ne va pas basculer entièrement dans l’artisanat. Aujourd’hui, ce sont les entreprises les plus structurées qui ont le plus de difficultés économiques.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On observe un double mouvement : une tendance à l’atomisation, que vous venez de décrire, et une tendance à la concentration qui s’explique par les problématiques de gestion de la masse salariale et de rationalisation des moyens. Vous savez que les prescripteurs des établissements de soins sont à l’origine de près de 63 % de la dépense de transport de patients. En matière de prescription de transports, les référentiels ne sont pas assez respectés, ce qui a conduit certains à préconiser une budgétisation de cette dépense à l’intérieur de la comptabilité hospitalière, pour responsabiliser l’hôpital et sensibiliser les prescripteurs à la nécessité d’une rationalisation.
Sachant que le transport sanitaire répond à des critères techniques exigeants, notamment en termes d’armement des véhicules, ne craignez-vous pas que l’atomisation du paysage du transport sanitaire entraîne un risque sanitaire, dans la mesure où ces micro-entreprises ne sont pas assez solides pour assumer un entretien des véhicules permettant de répondre aux exigences du service qui leur est confié ?
Que pensez-vous de la budgétisation hospitalière du transport de patients ? Nous avons reçu la direction de la sécurité sociale (DSS), qui est un peu en retrait sur ce dossier. Nous avons cru comprendre que les fédérations de transporteurs de patients redoutaient que cette mesure ne favorise une concentration du marché du transport de patients à partir des établissements de soins, ce qui aurait inévitablement des incidences économiques. Sachez que cette mesure, qui a toute sa légitimité dans une économie de marché, serait mise en œuvre en tenant compte de la spécificité du secteur : c’est une prescription médicale, financée par de l’argent public à vocation sociale et sanitaire.
M. François Bonnet. Sur le premier point, je vous rejoins : il suffit de regarder ce que nous voyons passer comme véhicules ambulances à Paris pour mesurer le danger que représente cette évolution.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous avons des exemples concrets d’entreprises très artisanales dans leurs modalités de fonctionnement, que ce soit au titre de l’ambulance ou du VSL ou de la formation du personnel. Cela pose la question de l’insuffisance du contrôle des autorités de tutelle, à savoir l’ARS pour l’agrément et l’assurance maladie pour le conventionnement, sachant que, si un retrait d’agrément entraîne un déconventionnement, l’inverse n’est pas vrai.
M. François Bonnet. Il existe des moyens très simples d’imposer des règles économiques de référence. L’assurance maladie détient, à travers les remboursements, les profils d’activités par véhicule ou par structure.
Nous préconisons depuis longtemps la création d’un diplôme de chef d’entreprise de transport sanitaire. La profession a besoin d’être structurée. Nous avons mis en place un diplôme d’État en 2006 ; nous avions le projet de mettre en place ce diplôme de chef d’entreprise. Nous voyons trop de véhicules mal équipés ou sous-dimensionnés, et de personnels insuffisamment qualifiés, voire non diplômés, y compris pour ce qui concerne l’accueil des patients. Disons-le, dans cette démarche, on s’intéresse aux transports davantage qu’aux patients. Tout cela est grave et préjudiciable pour la profession.
J’en viens à la budgétisation du transport de patients des hôpitaux. Permettez-moi de vous faire observer que la circulaire du 27 juin 2013 qui a transféré des transports à la charge des hôpitaux vers l’assurance maladie ne va pas dans ce sens. Les hôpitaux sont conscients que le volume de transports ne fait qu’augmenter du fait de l’organisation de la chaîne de soins. On ne peut pas filialiser, mettre en place des plateaux d’excellence, réduire les durées de séjour, adresser les patients à des établissements adaptés à leur état de santé et encourager les retours précoces vers les hôpitaux de périphérie sans provoquer des transports. Il n’existe d’ailleurs aucune étude sérieuse pour démontrer que l’on peut faire des économies à ce niveau. M. Van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, a lui-même reconnu, lors de la dernière réunion à laquelle nous avons participé, qu’il allait devoir adapter sa communication à la réalité des chiffres. Il faut savoir que nous transportons chaque année 1 % de patients de plus, que le nombre de patients transportés est itératif, et que parmi les patients transportés, cinq pathologies dominent. Je veux bien que l’on sensibilise chacun sur le respect de la prescription ; mais, pour faire des économies sur la dépense totale, il faut introduire de la logistique et du suivi. Or ce n’est pas la logique qui est suivie ; comme je l’ai rappelé avec le transfert des dépenses de transport à la charge des hôpitaux vers l’assurance maladie, les hôpitaux eux-mêmes constatent qu’ils ne savent pas gérer les flux de transport. En somme, les hôpitaux sont-ils de bons gestionnaires du transport ?
M. Bernard Pelletier. Permettez-moi de revenir sur « l’élitisme » des entreprises de transport sanitaire. Nous souhaitons tous que nos entreprises soient aussi performantes que possible. Vous avez évoqué un coût de 250 000 euros pour la cession d’autorisation de mise en service d’une ambulance. C’est très exagéré ; en zone rurale, les autorisations se négocient 10 000 euros, 15 000 euros ou 20 000 euros. Si les entreprises cèdent leurs autorisations, c’est parce que leur situation économique n’est plus tenable. Nous dénonçons comme vous les entreprises qui ne répondent pas aux exigences de la réglementation ; mais comment redresser leur productivité ? Nombre d’entreprises rurales de transport sanitaire sont contraintes d’avoir une activité parallèle – de taxi par exemple – pour financer leur activité principale.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Faisons attention à l’argumentaire. Nous comprenons que l’aspect économique soit au cœur des préoccupations des chefs d’entreprise, mais nous sommes dans un financement social – qui ne se fonde pas sur une justification économique, mais sur une justification médicale, qui a pour objet de rationaliser le plus possible l’utilisation de l’argent public pour fournir une réponse à une souffrance humaine. Certes, les moyens qui sont mobilisés obéissent aux principes d’une économie de marché, avec des charges et des produits. J’ai évoqué le prix de revente d’une autorisation pour une ambulance – 250 000 euros dans les centres urbains ; je crains que l’atomisation du paysage du transport de patients n’aboutisse de fait à une dérive, puisqu’il faudra bien amortir l’investissement, et que cela risque d’entraîner de la précarité sur les plans technique, humain et sanitaire. Il ne s’agit pas de diaboliser les uns ou les autres ; pour la MECSS, le sujet est celui de la rationalisation et de l’optimisation.
Quelle est votre position sur les appels d’offres passés par les établissements de santé ? J’ai bien noté qu’un mouvement inverse avait eu lieu, monsieur François Bonnet ; mais cela n’interdit pas de réfléchir sur le sujet. J’ai compris que vous redoutiez une concentration de type monopolistique au profit des grandes entreprises, qui auraient seules la capacité de répondre aux appels d’offres. Cependant, le raisonnement est un peu court, car on peut aussi imaginer une mutualisation de structures pour répondre à ces appels d’offres.
M. Bernard Pelletier. Nous ne sommes pas opposés à ce qu’il y ait des appels d’offres pour réguler et mieux organiser la dépense. En revanche, nous refusons que des entreprises « restent sur le carreau » – et c’est pourquoi nous nous opposons à l’article 44 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Quid des entreprises rurales éloignées d’un centre hospitalier ? Quid des investissements consentis dans le cadre d’un appel d’offres par une entreprise qui perdrait le marché quelques années après ? Nous n’avons pas obtenu de réponse à ces questions.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. À l’inverse, on peut envisager que l’absence de procédure d’appel d’offres pérennise des situations qui s’enracinent dans une histoire particulière, ou des réseaux de relations, et qui évincent les nouveaux arrivants. Nous comprenons votre inquiétude, mais au moins la procédure d’appel d’offres a-t-elle l’avantage de se fonder sur des critères techniques qui sont les mêmes pour tous. Il ne s’agit pas de le faire du jour au lendemain : nous laisserons le temps de l’adaptation aux structures. Quoi qu’il en soit, la crainte de voir disparaître des micro-entreprises ne peut être le seul argument pour s’opposer à la mise en œuvre d’une procédure de mise en concurrence.
M. Bernard Pelletier. Bien entendu, il faut éviter les « petits arrangements entre amis ».
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le moins qu’on puisse dire est que cela existe… Toute profession a ses « moutons noirs ». Il s’agit donc d’apporter la transparence nécessaire.
M. Bernard Pelletier. Nous avons évoqué tout à l’heure les centres de régulation des appels, qui permettraient d’avoir un tour de rôle équilibré pour l’ensemble des entreprises. C’est assez facile à mettre en place.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Venons-en au contrôle de la facturation et à la lutte contre la fraude. Toute profession ayant son lot de fraudeurs, un certain nombre d’échos médiatiques ont entaché la réputation de la vôtre. Quelles propositions formulez-vous pour que ces quelques cas ne viennent pas ternir son image ?
J’ai entendu vos interrogations sur les taxis. Au-delà de l’existence de deux autorités de tutelle, le ministère de la santé et celui de l’intérieur, vous avez le sentiment que les règles, les obligations et les facturations ne sont pas les mêmes – ce qui est exact. Comment assurer une équité de traitement entre les deux modes de transport ?
M. François Bonnet. Sur la dépense, quelques questions méritent d’être posées. Quel est le service médical rendu par un transport de patients ou un transport sanitaire ? Que se passe-t-il ailleurs en Europe ? Les transports assurés par taxi conventionné ou VSL sont-ils adaptés aux besoins de la population ? Quels sont les vrais besoins de celle-ci ?
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Justement, avez-vous des informations à nous donner sur la pratique dans les autres pays européens ?
M. François Bonnet. En Allemagne et dans les pays anglo-saxons, il existe, en plus des ambulances, des véhicules réservés au transport de patients exigeant une surveillance constante, et enfin des véhicules dédiés au transport ou au déplacement de patients nécessitant soit de l’accompagnement, soit de la manutention, conformément aux normes européennes, qui prévoient trois types de véhicules : les véhicules d’unités de soins intensifs, les ambulances avec surveillance des patients, et enfin les véhicules dédiés au déplacement de patients multiples, qui peuvent être aussi bien un patient en brancard ne nécessitant pas de surveillance constante qu’un malade en fauteuil roulant ou un patient ayant besoin d’être accompagné. Il s’agit donc de transport partagé, avec une dimension logistique – marche qu’il nous reste à franchir en France.
Par ailleurs, les taxis ne sont pas pris en charge par l’assurance maladie dans les autres pays européens. Seuls les véhicules techniques le sont. Comme je l’ai déjà mentionné, il faut se demander si le transport par taxi conventionné ou par VSL est adapté aux besoins des patients.
J’en viens aux appels d’offres. Le référentiel que nous avons voulu mettre en place en 2010 est une façon d’aborder le sujet. Il suppose un vrai tour de rôle, avec une vraie clé de répartition en fonction des moyens, sur des critères objectifs d’analyse, de suivi qualitatif, de suivi de la formation et du service rendu. Aujourd’hui, dans les hôpitaux, tout le monde « fait du prix » aux heures de forte activité. Nombre d’hôpitaux se servent de la garde ambulancière comme d’un système post-hospitalier, parce qu’il n’existe pas de réponse libérale en la matière. Le risque de l’appel d’offres, c’est que les prix baissent en période de forte activité. Mais, en période de faible activité, qui acheminera les patients jusqu’à la chaîne de soins ? L’objectif de ce référentiel était de répondre à cette question : il a avorté en raison de la multitude des acteurs, de l’incompréhension du système et d’un manque de volonté de la tutelle.
J’en viens à la fraude. L’avenant de 2008 de la convention avec l’assurance maladie prévoit la mise en œuvre de la géolocalisation. Il ne peut donc plus y avoir de fraude, puisque nous transmettons à l’assurance maladie l’ensemble des éléments du déplacement relevés par des outils certifiés et inviolables.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Dès lors que l’élément intentionnel de la fraude est démontré, le déconventionnement qui peut s’ensuivre doit-il systématiquement s’accompagner d’un retrait de l’agrément ?
M. François Bonnet. Bien entendu. Sachant que, seul un transport assuré par un prestataire conventionné peut être remboursé, une entreprise qui se voit retirer le conventionnement ne peut pas survivre économiquement.
Cela dit, il est rare qu’une sanction soit prononcée – y compris par l’assurance maladie. À y regarder de plus près, ce que l’on qualifie de fraude relève parfois du « misérabilisme administratif » de la part de certaines entreprises, qui tentent simplement de reconstituer leurs facturations. Je ne nie pas que la fraude existe dans notre secteur – comme dans tous les métiers. Mais je suis un peu perplexe lorsque j’entends chiffrer à des centaines de millions d’euros les sommes pouvant être récupérées. Demain, les entreprises devront tracer ce qui a été fait. Nous disposons déjà d’outils qui permettent d’analyser l’activité d’une entreprise ; on peut produire un chiffre d’affaires par personne, par véhicule… En réalité, l’assurance maladie – qui connaît les standards professionnels – dispose déjà des outils de requête et de télétransmission pertinents qui lui permettraient d’observer et de détecter la fraude. En revanche, pour les taxis, seul le montant de la course est communiqué à l’assurance maladie, sans détail.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous constatons qu’il existe, entre les entreprises que vous représentez et les taxis, une sorte de compétition sur le transport de patients. Je note que vous appelez à une évaluation du service médical rendu et à la mise en place de dispositifs de géolocalisation analogues à ceux des véhicules de transports sanitaires pour les taxis. Avez-vous d’autres demandes à formuler ?
M. François Bonnet. Nous demandons un conventionnement unique pour assurer une égalité entre tous les acteurs. L’ouverture des VSL au secteur médico-social soulève une difficulté juridique, puisque ces véhicules ne peuvent être utilisés que sur prescription médicale. Il va donc bien falloir poser la question du statut juridique de ces véhicules. Nous réclamons depuis longtemps la séparation de l’activité ambulances et de l’activité TAP. Celle-ci doit être pratiquée avec des obligations conventionnelles, un tarif conventionnel unique et des normes sanitaires qui s’appliquent à tous. Aujourd’hui, un patient peut monter dans un taxi qui vient de transporter un client accompagné d’un animal, par exemple. Si l’on souhaite aller vers le déplacement de personnes à vocation de santé, on peut se permettre un abaissement des normes sanitaires ; si l’on veut aller vers des véhicules sanitaires réservés au transport de patients, c’est une autre approche et une autre organisation qu’il faut mettre en œuvre. Depuis quinze ans, nous sommes confrontés à cet obstacle. Mais la profession manque aujourd’hui tellement de perspectives qu’elle est assez ouverte à la discussion.
M. Bernard Pelletier. Nous luttons bien sûr contre la fraude. Cette lutte recouvre deux aspects : la dématérialisation de la prescription, qui est en cours, et la traçabilité des missions. Peu d’entreprises rurales ont acquis un système de géolocalisation ; elles considèrent qu’il ne s’agit pas d’un acte de « production » pour elles. Cela a un coût, mais ne leur apporte rien à première vue. Il faudra donc les sensibiliser à l’importance de cet élément, peut-être par une aide financière.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le coût d’un système de géolocalisation ?
M. François Bonnet. Il est symbolique. Et nous venons de signer un accord avec l’assurance maladie sur le sujet.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On peut donc se contenter de le rendre obligatoire.
M. François Bonnet. Je n’ai pas les chiffres précis, mais je vous les transmettrai. Près de 80 % des véhicules sont équipés.
M. Bernard Pelletier. En ce qui concerne les taxis, une tentative d’harmonisation a eu lieu à travers les travaux conduits en 1998. Malheureusement, la pression des taxis n’a pas permis d’aller plus loin. Nous étions pourtant d’accord sur une harmonisation des contraintes, un contingentement des véhicules et une convention unique. Tous ces travaux ont donc déjà eu lieu en amont. Pourquoi ne pas les reprendre ? Dans les faits, l’expérience montre que c’est souvent le plus fort qui gagne…
M. Jean-Claude Maksymiuk. Je rejoins mes collègues. La profession est attentive à tout ce qui est susceptible d’être mis en place.
Pour ce qui est des appels d’offres, il me semble qu’il faudrait commencer par mettre en place, au sein des structures hospitalières, des plateformes de régulation centralisées. Compte tenu de la dispersion des prescriptions dans les hôpitaux, nous sommes aujourd’hui appelés par les différents services, sans aucune régulation centralisée.
Nous n’avons pas évoqué les coordonnateurs ambulanciers, qui jouent un rôle très important dans notre profession. Ils connaissent la région, les ambulanciers, le paysage, ce qui peut être un élément important pour le covoiturage, et aussi le tour de rôle – que les ambulanciers ont la possibilité de vérifier. Il est impératif d’en passer par là avant d’en arriver aux appels d’offres.
Nous avons cité des petites entreprises qui ne respectent pas la réglementation. Permettez-moi de dire que les véhicules sont obligés de la respecter, puisqu’ils sont contrôlés par les ARS.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Certes, mais les capacités de contrôle des ARS sont quelque peu aléatoires, et force est de reconnaître que, sur le transport de patients, elles n’ont pas les moyens d’exercer ce contrôle dans les faits.
M. François Bonnet. Les entreprises qui mettent spontanément en place une démarche qualité – par la certification par exemple – ne sont pas reconnues, même dans les appels d’offres. La vraie problématique à poser est aujourd’hui la suivante : quel est le service rendu à la chaîne de soins et au patient ? Il n’existe aucune analyse, y compris à la Haute Autorité de santé (HAS), qui n’édicte aucune préconisation en matière de transport de patients, alors que les normes de certification de services ou ISO permettent de régler un certain nombre de problèmes. Une entreprise qui s’engage dans cette voie doit donc être reconnue.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie pour l’ensemble des informations que vous nous avez fournies. N’hésitez pas à nous transmettre toutes précisions écrites qui pourraient nous permettre d’avancer sur ce sujet qui n’a pas fait l’objet de toute l’attention qu’il méritait de la part des autorités de tutelle.
*
* *
Table ronde réunissant des représentants de fédérations de taxis : M. Gérard Gabet, président de la Fédération française des taxis de province (FFTP), et M. Tony Bordenave, secrétaire général, M. Jean-Claude Richard, président de la Fédération nationale des artisans du taxi (FNAT), M. Didier Hogrel, président de la Fédération nationale du taxi (FNDT), et Mme Frédérique Paillard, vice-présidente, responsable de la commission CPAM, Mme Armelle Lamblin et M. Gregorio Roberti, membres de la commission affaires sociales de la Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI), et M. Alain Griset, président de l’Union nationale des taxis
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. L’offre de transport de patients souffre d’une gouvernance éclatée entre le ministère de la santé et le ministère de l’intérieur – dont dépendent les taxis que vous représentez, mesdames et messieurs, de sorte que les différents transporteurs ne sont pas soumis au même cadre réglementaire. En outre, la complexité du transport de patients varie selon que celui-ci s’effectue en ambulance, en VSL, en véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) ou en taxi conventionné.
Concentrée sur cinq pathologies, la prescription de transport émane à 63 % environ des établissements de soins. Elle est en revanche extrêmement dispersée et hétérogène selon les territoires, dont le maillage est censé répondre aux besoins variés de nos concitoyens.
L’objectif de la MECSS, structure parlementaire paritaire, est de s’en assurer, comme plus généralement de la rationalisation des moyens financiers, techniques et humains dévolus au transport de patients. La situation budgétaire de la nation l’exige, et c’est notre cœur de métier que de rechercher le meilleur rapport coût-efficacité en matière de protection sanitaire et sociale, dans l’intérêt de nos concitoyens.
L’évolution des dépenses de transport varie selon le mode de transport utilisé : en forte augmentation pour les ambulances et les taxis, elles stagnent s’agissant des VSL. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Selon la Cour des comptes, quelque 450 millions d’euros pourraient être économisés sur ces dépenses, essentiellement par trois moyens. D’abord, un meilleur respect du référentiel de prescription, puisque le mode de transport doit dépendre de motifs médicaux et non du bon vouloir du patient. Rappelons que le code de la sécurité sociale pose le principe du trajet et du mode de transport le moins onéreux, ainsi que la règle de l’établissement le plus proche, et que le libre choix du transporteur n’a qu’une valeur conventionnelle, à la différence du principe de libre choix du praticien d’ordre législatif. La deuxième source d’économies est l’amélioration de la garde ambulancière, qui ne correspond pas à votre cœur de métier. La troisième résiderait dans le contrôle de la facturation. Que pensez-vous de ces préconisations, ainsi que de celles qui ont pu être formulées par ailleurs en la matière, notamment dans le rapport de M. Didier Eyssartier ?
M. Alain Griset, président de l’Union nationale des taxis (UNT). À nos yeux, il ne serait pas réaliste d’espérer réduire l’enveloppe allouée au transport de patients au cours des mois et des années à venir. Mieux vaut s’intéresser à ce que le transport peut faire gagner globalement à la sécurité sociale en cas d’hospitalisation. Car, si l’on cherche, comme le rappelle la Cour des comptes, à développer l’ambulatoire, pour réaliser des économies importantes s’agissant des frais d’hospitalisation, cela impliquera l’augmentation du volume de transports. Au lieu d’isoler cette ligne de dépenses, voyons donc les économies supplémentaires qu’elle permet de réaliser sur d’autres postes.
Ensuite, il faut effectivement étudier de plus près l’offre de transports. Beaucoup d’autorisations de stationnement – qui donnent le droit de mettre en service un taxi sur la voie publique – ont été délivrées depuis une dizaine d’années, dans des communes où le transport de malades assis représente 90 % à 95 % de l’activité de ces professionnels. Aujourd’hui, en vertu d’une décision de la CNAMTS, un taxi doit être exploité depuis deux ans pour être conventionné ; il l’est alors automatiquement. Selon le rapport de la mission de concertation Taxis-VTC conduite par M. Thomas Thévenoud, le conventionnement ne devrait plus être automatique, mais déterminé par les besoins du territoire. Nous considérons pour notre part que le délai de deux ans pourrait être prolongé, par exemple jusqu’à cinq ans, afin d’éviter les effets d’aubaine.
J’en viens à un problème récurrent qu’ont successivement abordé les lois de financement de la sécurité sociale pour 2013 et pour 2014, en permettant d’expérimenter la passation d’appels d’offres, puis la création de plateformes de coordination – non sans susciter quelque émoi au sein de la profession. Aucun des décrets d’application de ces dispositions n’est paru à ce jour. Si l’on peut comprendre que l’on cherche à améliorer le parcours de soins du patient, toutes les expérimentations menées jusqu’à présent, en particulier en Poitou-Charentes, montrent que ces outils ne permettent pas d’assurer un juste équilibre entre les professionnels du secteur. Si la CNAMTS souhaite développer ces plateformes, il convient d’en encadrer le fonctionnement afin d’éviter qu’elles ne soient réservées à quelques professionnels au nom d’intérêts purement individuels, comme c’est, hélas, le cas actuellement.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pouvez-vous préciser votre allusion à l’expérimentation menée en Poitou-Charentes ?
M. Alain Griset. Je songe en particulier au département de la Charente, où, il y a quelques années, anticipant les évolutions législatives, la caisse primaire d’assurance maladie a souhaité installer une plateforme d’orientation des patients, organisée par les professionnels du transport sanitaire eux-mêmes. En réalité, un seul professionnel a décidé de créer la plateforme et celle-ci oriente presque exclusivement les patients des hôpitaux vers quelques transporteurs.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. J’imagine que cette plateforme est gérée par un coordonnateur ambulancier…
M. Alain Griset. En effet.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. … sous l’autorité du préfet et de l’ARS.
M. Alain Griset. Du préfet, non ; quant à l’ARS, en Poitou-Charentes, elle a très peu travaillé sur le sujet, préférant laisser les professionnels s’organiser.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mais le préfet devrait être partie prenante dans cette affaire.
M. Alain Griset. Il ne l’a pas été du tout. Le nouveau préfet a un peu repris les choses en main en demandant à l’ARS de revoir le dispositif. Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, celui-ci ne fonctionne pas ; il ne devrait donc pas être étendu.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous faites allusion à une atteinte au principe de libre concurrence, principe reconnu par le Conseil constitutionnel sur le fondement de la liberté d’entreprise. En avez-vous saisi l’Autorité de la concurrence ?
M. Alain Griset. Non. Nous avons commencé par solliciter le préfet pour qu’il demande au directeur général de l’ARS de remettre ce fonctionnement en cause. Cela a été fait il y a peu : le nouveau directeur général, récemment nommé, a organisé une réunion à ce sujet la semaine dernière. Si la situation ne change pas, nous saisirons l’Autorité de la concurrence.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cette situation, qui s’apparente à une entente de marché, fait-elle également l’objet de procédures judiciaires ? En d’autres termes, y a-t-il eu dépôt de plaintes ?
M. Alain Griset. Pour l’instant aucune plainte formelle n’a été formulée, car la démarche en est à ses débuts et, sur place, la profession a privilégié la concertation. Mais, naturellement, cette éventualité peut être envisagée.
En ce qui concerne le libre choix du transporteur, j’ai entendu vos arguments ; toutefois, nombre de nos patients, surtout les plus fragiles, souhaitent pouvoir bénéficier du même transporteur aussi bien au retour qu’à l’aller. Dans le cadre des expérimentations qui ont été menées, en particulier en Charente, l’une des demandes de la profession tendait donc à leur laisser ce choix.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. N’oublions pas que ce principe n’est pas inscrit en tant que tel dans le code de la sécurité sociale, de sorte que sa valeur n’est ni législative ni réglementaire, mais uniquement conventionnelle.
M. Alain Griset. Certes, mais les patients auxquels nous avons affaire sont souvent dans une situation difficile.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je connais le sujet : je suis médecin. Il faut évidemment tenir compte de la situation de précarité dans laquelle la maladie les place, mais sans renoncer à rationaliser le dispositif. Le terme d’économies n’a rien d’un gros mot. À cet égard, vous avez d’ailleurs eu tout à fait raison de vous placer dans la perspective globale de la permanence des soins et du parcours de soins, au sein duquel une dépense peut être source d’économies ailleurs – à condition, toutefois, d’assurer une coordination qui fait aujourd’hui défaut, d’où les problèmes de délais d’attente, de libération des patients à des tranches horaires très concentrées, etc. Cela dit, il n’est pas interdit d’espérer dégager des marges de manœuvre sur la seule ligne du transport de patients.
M. Gregorio Roberti, Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI). Dans l’Eure, où je préside la Fédération des taxis indépendants, nous sommes confrontés au même type de problèmes. Certes, les dépenses de transport en taxi augmentent alors que les dépenses de transport en VSL stagnent. Mais il convient de préciser que, dans nos départements, les sociétés d’ambulances créent de plus en plus de taxis pour compenser le manque de profitabilité des VSL.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les représentants des fédérations d’ambulances ont eu quelque difficulté à nous indiquer le nombre d’entreprises qui se sont ainsi enrichies d’une flotte de taxis. De fait, dans la comptabilité globale du parc – quelque 37 000 taxis sont conventionnés –, nous peinons à distinguer l’activité relevant du métier d’artisan taxi, dans sa polyvalence, de celle d’entreprises de transport sanitaire qui complètent leur offre pour rendre l’exercice plus rentable. Pourriez-vous nous fournir des chiffres précis ?
M. Gérard Gabet, président de la Fédération française des taxis de province (FFTP). Dans les Alpes-de-Haute-Provence, par exemple, plus de 40 % des autorisations de stationnement de taxis sont détenues par les sociétés d’ambulances. C’est énorme. Ces entreprises de transport sanitaire deviennent de fait des entreprises mixtes. Dans de nombreux départements, dont l’Eure où je travaille également, ce sont majoritairement les sociétés d’ambulances qui demandent des autorisations de stationnement de taxis aux commissions départementales, et ce afin de pouvoir proposer, au bout de deux ans en théorie, du transport de patient assis, à distinguer du transport sanitaire. Cela nous pose un problème. Nous avons donc demandé à la CNAMTS et aux CPAM des départements de nous indiquer la répartition précise des autorisations de stationnement conventionné entre les entreprises de transport sanitaire et les autres.
Il est exact que les dépenses de transports en VSL sont stables, et pour cause : le nombre de ces véhicules est contrôlé par l’ARS. En revanche, depuis le 1er juin 2008, un taxi peut être conventionné automatiquement au bout de deux ans d’exercice. La profession dénonce cette disposition et souhaite sinon prolonger ce délai, du moins adapter l’offre à la demande, ainsi qu’à l’enveloppe budgétaire des CPAM, puisque la progression des dépenses de transport dépasse celle fixée par l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM).
Précisons que la demande de transports se développe davantage dans certains départements qui comptent un peu plus de retraités que d’autres. Cette hausse de la demande résulte notamment de l’augmentation du nombre de patients soignés en oncologie. L’éloignement des structures de soins adaptées oblige à de longs trajets : lorsqu’ils résident dans l’Eure, ces patients doivent aller se faire soigner dans le département voisin de Seine-Maritime, distant d’une soixantaine de kilomètres, ou en région parisienne.
L’indéniable augmentation des dépenses de transport en taxi par rapport aux dépenses de transport en VSL est donc liée au comportement des entreprises de transport sanitaire, d’une part, à la forte hausse de la demande couplée au manque de structures de soins dans de nombreux départements, d’autre part.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pour remédier au premier de ces problèmes, faut-il, selon vous, suivre la Cour des comptes lorsqu’elle propose de substituer, dans chaque département, au plafond global de VSL et d’ambulances un double plafonnement, l’un pour les ambulances, l’autre commun aux VSL et aux taxis conventionnés ?
M. Gérard Gabet. Plutôt que fixer un objectif au niveau national, il faut tenir compte de la situation départementale ou régionale, très variable. À l’intérieur même d’un département, certains cantons se distinguent – malheureusement – des autres par un plus grand nombre de patients soignés en oncologie. Les CPAM semblent donc les mieux placées pour décider, en commission paritaire avec les taxis, du nombre de véhicules qui doivent être mis en service. Je parlerais donc moins de plafonnement que d’adaptation.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous suggérez de considérer les transports assis professionnalisés de manière globale et d’appliquer les mêmes règles à tous les transporteurs. Cela n’implique-t-il pas également des règles communes en matière de covoiturage ou de géolocalisation, comme le préconisent certains rapports ?
M. Gregorio Roberti. Rappelons d’abord que, dans la majorité des départements, ce ne sont pas les commissions départementales qui délivrent les autorisations de stationnement, mais les maires, hélas sans toujours tenir compte des avis de la commission et encore moins de celui de la CPAM. Dès lors, il est tout à fait possible, dans de petites communes, d’obtenir la création d’un taxi parce que l’on est ami avec le maire.
Dans mon département, le nombre de taxis est passé de 160 véhicules en 1991 à près de 400 aujourd’hui ! Dans la plupart des cas, le transport de malades assis est leur seule activité, et 40 % d’entre eux appartiennent à des sociétés d’ambulances.
Des règles communes à l’activité de transport assis professionnalisé : pourquoi pas ? Nous y travaillons ensemble. Mais quel type de règles adopter ? Jusqu’où aller ? Jusqu’où l’État, en particulier, va-t-il aller ? Membres d’une profession artisanale et indépendante, nous tenons à notre liberté d’action. N’oublions pas non plus que le taxi transporte des malades assis depuis 1914, avant même les VSL.
Mais nous aimerions pouvoir aussi pratiquer le transport partagé, qui nous est désormais interdit en Seine-Maritime alors qu’il permet aux caisses d’assurance maladie de réaliser des économies, étant entendu qu’il doit être réservé à certaines situations : tout à fait envisageable en hospitalisation de jour, il est en revanche inadapté à un patient qui vient d’être soigné pour un cancer.
S’il faut assurément réglementer l’activité, nous ne sommes pas favorables à un contrôle systématique. Les taxis font du TAP et complètent l’offre de transport de malades assis, mais aussi des courses classiques.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous demandez que les maires tiennent compte de l’avis des CPAM pour délivrer les autorisations : ne craignez-vous pas, justement, les critères médicaux qui s’imposeraient alors à vous ?
M. Gregorio Roberti. Nous souhaitons l’installation d’une commission nationale, qui définirait une sorte de charte destinée aux prestataires de TAP.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Êtes-vous favorables à la géolocalisation ?
M. Gregorio Roberti. Oui et non : tout dépend de son prix. Nous venons de dépenser des sommes exorbitantes – 2 300 euros par taxi en moyenne – pour installer les nouvelles enseignes lumineuses, nous ne souhaitons pas nous équiper d’autres matériels aussi onéreux dans l’immédiat. Nous voulons améliorer notre technique et notre capacité de travail, mais aussi préserver l’économie de nos entreprises.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mais vous n’êtes pas opposés par principe à la géolocalisation, abstraction faite de ces considérations économiques ?
M. Gregorio Roberti. Non, en effet.
M. Jean-Claude Richard, président de la Fédération nationale des artisans du taxi (FNAT). Des économies doivent être réalisées, c’est entendu. Mais l’offre crée la demande. Or ce sont les maires qui ont distribué les licences sans discernement, sans jamais écouter les représentants de la profession. Interrogés, les demandeurs de ces autorisations annoncent pourtant qu’ils ne feront que du transport de malades assis. Les ambulanciers s’installent et le maire, bien souvent contre l’avis de la commission, délivre les autorisations de stationnement. Dans une commune de mon département, la Marne, il y a quatre licences de taxi pour 300 habitants ! Les maires commencent à se rendre compte qu’ils ont créé une situation difficile à maîtriser. Maintenant l’assurance maladie nous demande de faire des ristournes alors que, presque partout, c’est des maires, et d’eux seuls, qu’a dépendu la décision.
L’assurance maladie a posé la limite des deux ans avant d’obtenir le conventionnement, que l’on envisage de porter à cinq ans. Mais les grandes sociétés d’ambulances qui disposent de nombreux taxis peuvent mettre un véhicule en sourdine pendant deux ans, le temps qu’il soit conventionné ; ce n’est pas le cas de l’artisan qui s’installe tout seul et qui est bien obligé de travailler.
Les maires ont inondé la France de taxis : qu’ils prennent leurs responsabilités ! J’aimerais que ce soit dit dans votre rapport.
M. Gérard Gabet. En effet, les commissions départementales sont consultatives et non délibératives, notamment dans les communes de moins de 20 000 habitants, et les maires sont libres de leur choix. Nous nous heurtons ici à une pression politique, surtout en période pré-électorale. Une disposition législative va permettre de transférer au président de l’établissement public de coopération intercommunale les pouvoirs de police du maire en la matière. C’est une première étape. Mais nous aurions aimé que la décision appartienne au préfet ; or, politiquement, nous n’avons pas été suivis. On pourrait toutefois résoudre le problème par un moyen plus indirect, en agissant sur le conventionnement plutôt que sur l’attribution d’autorisations de stationnement : les demandeurs se décourageront s’ils savent par avance que le conventionnement ne sera pas systématique.
Il est évidemment difficile d’interdire par la loi aux entreprises de transport sanitaire de posséder un parc taxis, mais il faudrait tenter de séparer les activités. Sachez d’ailleurs que les autorisations de stationnement détenues par des entreprises de transport sanitaire ne sont pas utilisées conformément à la loi. Je songe à une petite commune de l’Eure où cinq autorisations de stationnement ont été délivrées, dont quatre à des transporteurs sanitaires. Le soir après dix-huit heures et le week-end, aucun de ces quatre taxis n’est disponible pour la clientèle, alors que la loi impose l’exploitation effective et continue de l’autorisation. Les clients ne bénéficient donc pas du service qu’ils sont en droit d’attendre. Au demeurant, c’est ainsi que l’on a un temps contourné l’ancien numerus clausus sur les VSL.
Comme nous l’avons expliqué au directeur de cabinet du ministère de l’intérieur lorsqu’il nous a reçus en janvier 2013, des taxis sont nécessaires pour suppléer les grandes entreprises de transport sanitaire, qui s’installent toujours à proximité des grosses structures de soins pour rentabiliser leur activité. Les VSL n’étant payés qu’en charge, ces entreprises préfèrent les aller-retour, les lignes directes, aux transversales, de sorte qu’elles ne desservent pas volontiers les lieux reculés. Il faut pourtant bien que chaque citoyen puisse accéder aux soins si son état de santé l’exige. Mais ces sociétés refusent des courses qui ne sont pas rentables pour elles. Ainsi, dans l’Eure, un patient qui sollicite le dimanche après-midi une grosse entreprise de transport sanitaire pour se faire hospitaliser à Paris n’obtiendra aucune réponse.
Ce ne sont pas d’abord les artisans taxis, les très petites entreprises, qui ont favorisé la hausse de la dépense ou qui en ont profité : ce sont les entreprises de transport sanitaire, en utilisant la possibilité qui leur était offerte de compléter leur parc. Voilà pourquoi on pourrait freiner l’expansion en mettant fin à la systématicité du conventionnement – M. Thomas Thévenoud l’a très bien compris – pour adapter les décisions à la situation locale, sans imposer, je le répète, un objectif national.
Mme Armelle Lamblin, Fédération nationale des taxis indépendants (FNTI). Il y a eu une époque où beaucoup de sociétés d’ambulances ont transformé leurs agréments de VSL en autorisations de mise en service d’ambulances, puis ont demandé des autorisations de stationnement pour exploiter des taxis.
Dans mon département du Var, la préfecture se fonde sur un tableau des indices d’activité économique pour délivrer les autorisations de stationnement, sachant que la décision appartient ensuite au maire. Pourquoi les CPAM ne se serviraient-elles pas du même outil au sein des commissions départementales ? Le conventionnement serait accordé en fonction des besoins, sans durée préalable d’exploitation.
Cela permettrait également de limiter la spéculation sur les licences de taxi, qui atteignent des prix délirants.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Par exemple ?
Mme Armelle Lamblin. Dans les Alpes-Maritimes, la dernière qui ait été vendue s’est négociée autour de 400 000 euros !
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment l’expliquer ?
M. Didier Hogrel, président de la Fédération nationale du taxi (FNDT). En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la population est aisée.
Mme Armelle Lamblin. En milieu rural, une licence de taxi se négociait 50 000 euros à 60 000 euros il y a quelques années, contre 120 000 euros à 150 000 euros aujourd’hui. C’est, entre autres, le conventionnement qui lui confère une telle valeur.
Pourquoi ne pas miser aussi sur le transport de personnes à mobilité réduite (TPMR) ? Ce domaine a connu des dérives : les véhicules TPMR ont été ajoutés aux parcs existants, surtout à ceux d’entreprises d’ambulances ; en réalité, ils servaient à tout sauf à transporter des personnes en fauteuil roulant et, chez nous, l’affaire s’est terminée au tribunal administratif. Aujourd’hui, ce mode de transport intermédiaire entre le transport assis et le transport couché, plus confortable pour le patient qui reste sur son fauteuil tout au long de la prise en charge, plus onéreux qu’une course en TAP mais moins coûteux que le transport en ambulance, pourrait intéresser de nombreux professionnels des TAP. Il faudrait négocier le tarif, car l’investissement à consentir est plus élevé que pour un simple taxi.
S’agissant des temps d’attente, nous sommes témoins de situations inadmissibles. Comment se fait-il que les patients que nous accompagnons dans des centres hospitaliers publics, où les médecins sont salariés de l’État, ne soient reçus qu’à neuf heures alors qu’ils sont convoqués à huit heures ? Ce fonctionnement coûte de l’argent à la sécurité sociale – même si le coût des temps d’immobilisation du véhicule est plafonné – et désorganise nos plannings.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce sont donc non seulement la géolocalisation et le covoiturage qu’il paraîtrait logique de généraliser si l’on veut traiter tous les professionnels de manière équitable et les soumettre à une autorité et à des règles communes, mais aussi la gestion rationnelle du parcours de soins en vue de limiter les temps d’attente, qui a d’ailleurs pour corollaire l’organisation de l’espace afin d’éviter des files interminables.
M. Gérard Gabet. Vous nous demandiez tout à l’heure des chiffres précis. On observe couramment, à la campagne, des entreprises de transport sanitaire acheter plus de 100 000 euros des autorisations de stationnement de taxis, sans clientèle, ou presque, ni numéro de téléphone : pour ce prix, elles n’acquièrent que le droit d’utiliser le taxi, afin de pallier leur manque de véhicules.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. À qui versent-elles la somme ?
M. Gérard Gabet. Au titulaire de l’autorisation de stationnement.
Nous constatons et déplorons le transfert des autorisations vers les entreprises de transport sanitaire. Mais allons plus loin : pourquoi ce phénomène ? Parce que la rentabilité d’un VSL n’est plus assurée. Les transports en ambulance représentent aujourd’hui 33 % des transports de patients, ambulances et TAP confondus ; cette part est en baisse. Auparavant, les bénéfices réalisés grâce aux ambulances compensaient les pertes dues au transport en VSL. Désormais, à 85 centimes d’euros le tarif kilométrique, plus le forfait, l’exploitation des VSL n’est plus rentable. Si l’on créait aujourd’hui une entreprise disposant de dix VSL, elle ne pourrait atteindre l’équilibre. Or le tarif des taxis est parfois moindre que celui des VSL, mais souvent plus élevé. C’est donc par l’acquisition d’autorisations de stationnement que les sociétés d’ambulances cherchent à obtenir une compensation économique, en bénéficiant de la facturation applicable aux taxis. Ne vaudrait-il donc pas mieux leur délivrer des autorisations de véhicules sanitaires légers supplémentaires ? Après tout, c’est bien de transport « sanitaire » dont il est question.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous souhaitez en somme que le secteur soit harmonisé et que le système qui conduit à mettre des véhicules sur le marché sans justification, de manière artificielle, soit revu. Reste à savoir si les pratiques de conditionnement du marché par certaines plateformes, que vous avez évoquées, sont des cas isolés.
S’agissant de la facturation, dont le contrôle fait partie des sources d’économies identifiées par la Cour des comptes, votre profession compte – comme toutes les autres – des moutons noirs dont les pratiques dans ce domaine ont pu entacher son honneur. Il convient de faire le tri pour s’assurer que les moyens financiers et humains employés servent bien l’objectif initial.
Mme Frédérique Paillard, vice-présidente de la FNDT. Vous l’avez compris, les conséquences de la différence de facturation entre ambulances et taxis sont un véritable fléau pour notre profession.
Je suis présidente de la fédération du taxi de l’Yonne. Ce département est aux mains d’un seul ambulancier qui y gère les transports de patients à sa guise ; il a racheté toutes les entreprises de transport sanitaire existantes, il acquiert toutes les licences de taxi disponibles. Je connais bien son fonctionnement pour avoir travaillé chez lui.
Le mode de facturation est totalement obsolète : nous sommes plus chers en cas d’hospitalisation et en sortie ; dès qu’un ambulancier dispose d’une flotte suffisante, il facture donc en taxi les trajets pour hospitalisation et en VSL les trajets pour consultation. De notre côté, les facturations sont très claires. J’ai déjà fait l’objet de deux contrôles de la sécurité sociale dont je suis sortie blanchie, fort heureusement.
Nous avons demandé au ministère de la santé des chiffres concernant les dépenses de transport des artisans taxis et celles des ambulanciers, selon que ceux-ci mobilisent des taxis ou des VSL. Aujourd’hui, la CNAMTS n’est pas en mesure de nous fournir ces informations.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La situation dont vous faites état n’a rien d’anecdotique : il ne s’agit de rien de moins qu’une organisation de marché, contraire au cadre législatif et réglementaire comme aux valeurs de la République, doublée d’un détournement de fonds publics, fonds qui étaient en l’occurrence destinés à soulager la souffrance des malades. Et ce, semble-t-il, dans la plus grande indifférence des autorités de tutelle – les ARS, les préfectures, les CPAM –, voire des autorités judiciaires. Cela laisse perplexe. Qui en est responsable ? Chacun des acteurs incrimine les autres.
Cela confirme la nécessité d’instaurer des règles communes et transparentes, notamment en matière tarifaire, et d’en contrôler l’application. Il convient toutefois de distinguer le service rendu, et les véhicules utilisés, en fonction des besoins du patient et l’équipement médical qu’ils supposent. La médicalisation du véhicule est inutile lorsque le patient se rend à une consultation ou va se soumettre à des examens simples. Les VSL ne transportent que des patients, alors que les taxis transportent aussi des clients. Cette diversité est-elle compatible avec les exigences médicales et leurs conséquences techniques ? Les conditions d’hygiène requises sont-elles toujours réunies ? On nous a parlé de transport d’animaux dans des taxis susceptibles d’accueillir des malades. Qu’en pensez-vous ?
Mme Frédérique Paillard. J’ai géré une flotte de véhicules pour le compte de la société d’ambulances à laquelle j’ai fait allusion, et je m’occupais des désinfections. Les VSL n’ont jamais été désinfectés. De plus, les VSL assuraient un service de taxi payant, ce qui est formellement interdit par la loi.
Voilà la situation : les deux professions s’affrontent, alors qu’elles ne devraient pas être en concurrence.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Et l’État, semble-t-il, ne fait pas respecter les règles communes.
Mme Frédérique Paillard. Les LOTI – du nom de la loi d’organisation des transports intérieurs de 1982 –, c’est-à-dire les véhicules légers de transport de personnes, sont un autre fléau. Ils font du transport de malades assis.
L’ambulancier auquel j’ai fait référence est régulièrement contrôlé par la sécurité sociale et frappé tous les six mois d’une amende de 200 000 euros pour fraude. Il y a six mois, il a refusé de payer. J’ai protesté auprès de la sécurité sociale dans mon département, où les sanctions sont rares. On contrôle les artisans taxis qui sont seuls, tandis que cette entreprise qui emploie 187 personnes, ne fait l’objet d’aucune vérification ! Il y a vraiment un problème en France. Je me battrai jusqu’au bout pour défendre les artisans taxis. La fraude existe dans notre profession, comme dans toutes les autres. Mais il faut que les sanctions tombent. Des fraudes, j’en observe tous les jours. Cela ne peut plus durer !
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cette organisation monopolistique qui évoque des pratiques mafieuses, puisqu’elle régit un marché irrigué par l’argent public, est proprement intolérable. Au-delà des cas particuliers que vous citez, avez-vous une vision d’ensemble de ces infractions et de leur répartition sur le territoire ?
Mme Frédérique Paillard. Non.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vos fédérations ne se sont-elles pas organisées pour combattre et faire sanctionner ces atteintes au principe de libre concurrence et à la réglementation en vigueur ?
Mme Frédérique Paillard. Face à l’administration, il est toujours difficile d’expliquer des faits. Certains de mes collègues ont monté des dossiers. Moi aussi, à propos d’un artisan taxi de mon département. Rien n’y a fait. La sécurité sociale a été prévenue, de même que le préfet et les gendarmes ; des dossiers sont arrivés en conseil de discipline ; et pourtant, les intéressés continuent d’exercer. Ils doivent être écartés de la profession, car leurs pratiques illégales, inadmissibles, nuisent à l’image des artisans respectueux de la loi.
On dit que les taxis exagèrent en matière de transport de malades assis. Mais nous ne pouvons pas abuser du système puisque ce n’est pas nous qui sommes prescripteurs, ce sont les médecins et les établissements hospitaliers.
Des sociétés d’ambulances, notamment dans le Midi, ont été sanctionnées pour avoir facturé au tarif ambulance des dialyses effectuées en VSL. Dans ce cas, c’est l’ambulancier qui est sanctionné, alors que le médecin, responsable de la prescription, n’encourt aucune amende. Ce n’est pas admissible. Je ne défends pas les ambulanciers, qui ont leur part de responsabilité. Mais les CPAM et les préfectures doivent agir. Des conseils de discipline existent. Il faut sanctionner le non-respect des règles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous êtes donc favorable à des poursuites non seulement administratives, mais aussi au pénal.
Mme Frédérique Paillard. Bien sûr !
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est la part du transport de patients dans votre chiffre d’affaires ?
Mme Frédérique Paillard. Elle se monte à 60 %. Titulaire d’une licence de transport intérieur, je transporte donc aussi des colis – essentiellement la presse –, et j’ai réduit mon activité de transport de malades assis.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Êtes-vous dans la moyenne ?
Mme Frédérique Paillard. Non : dans mon département, la proportion est de 95 % à 98 %.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le transport de patients, nous a-t-on dit, rapporterait en moyenne 30 000 euros par an à un taxi. Est-ce bien cela ?
Mme Frédérique Paillard. En moyenne, oui.
M. Gérard Gabet. En Haute-Normandie, la moyenne est de 38 000 euros.
Je le répète, les entreprises de transport sanitaire s’implantent là où leur activité peut être pérenne ; ce n’est pas le cas dans nos nombreux départements ruraux, dans de petites communes de 1 000 habitants ou 1 500 habitants. Pour garantir à tous nos concitoyens l’accès aux soins, une offre complémentaire doit exister. C’est là que nous, taxis, intervenons. Voilà pourquoi le TAP représente plus de 50 % de notre chiffre d’affaires. Nous assurons le lien social, nous transportons les personnes âgées, nous rendons service aux habitants des petites communes, mais le chiffre d’affaires que nous réalisons ainsi ne nous permet pas de pérenniser notre activité. Le TAP est donc très important pour nos entreprises, soyez-en convaincus. Les entreprises de transport sanitaire, elles, ne sont pas intéressées par les trajets transversaux, par la desserte de petites communes reculées, qui ne sont pas rentables pour elles. Je le répète, nous sommes donc complémentaires.
Dans ce contexte, voici nos propositions.
Premièrement, nous pourrions faire du transport partagé, limité à trois passagers, en facturant la course au taximètre, sans remise, et en répartissant le coût entre les assurés transportés. La loi serait respectée et les caisses d’assurance maladie feraient des économies.
Deuxièmement, nous pourrions, comme le suggérait ma collègue, utiliser des véhicules équipés pour transporter des personnes à mobilité réduite en fauteuil roulant électrique – nous le faisons déjà quotidiennement pour les personnes en fauteuil pliant. À l’heure actuelle, les médecins sont obligés de prescrire à ces personnes un transport en ambulance, qui coûte trois fois plus cher qu’un trajet en taxi. Certes, l’enveloppe budgétaire allouée aux TAP augmenterait, mais l’enveloppe globale des transports de patients serait réduite.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vos entreprises ont-elles mis en œuvre des contrats ayant pour objet d’améliorer la coordination et la qualité des soins (CAQS) ?
Par ailleurs, la dématérialisation de la prescription et de la facturation vous paraît-elle opérationnelle ?
M. Gérard Gabet. Nous sommes engagés dans une procédure de concertation avec la CNAMTS au sujet du logiciel d’aide à la prise en charge « PEC + TIRAT » et de ses évolutions, notamment la prescription médicale de transport dématérialisée. Le problème est notamment que les caisses d’assurance maladie ne pourront obliger les médecins prescripteurs à se doter des équipements nécessaires à celle-ci.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous sommes conscients du problème. M. Frédéric Van Roekeghem a d’ailleurs suggéré, lorsque nous l’avons auditionné, que la prescription dématérialisée serait expérimentée en ville, où l’informatisation est entrée dans les mœurs, avant de l’être à l’hôpital où l’évolution est plus laborieuse, ne serait-ce qu’en raison des problèmes d’identification individuelle de la prescription.
M. Gérard Gabet. Par ailleurs, on pourrait prendre modèle sur les structures de soins les mieux organisées – je songe notamment à certains établissements parisiens –, qui parviennent par exemple à regrouper au cours d’une même matinée les consultations d’anesthésie et de chirurgie préalables à une intervention chirurgicale en oncologie. On éviterait ainsi de multiplier des trajets longs et coûteux dans les nombreux départements où il faut parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour rejoindre une structure adaptée.
Ne pourrait-on également obliger les entreprises de transport sanitaire, qui sont parfois tentées d’utiliser le type de véhicule le plus propre à assurer leur équilibre financier, à facturer au moins coûtant comme l’impose le code de la sécurité sociale ?
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mais cette pratique des transporteurs suppose une modification de la prescription.
M. Gérard Gabet. Je songe par exemple à un cas où le prescripteur opte pour un VSL plutôt que pour un taxi, alors qu’il n’a le droit de sélectionner que le TAP, sans distinction entre ces deux types de véhicule.
M. Didier Hogrel. Le but de votre mission, monsieur le président, est d’économiser.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. De rationaliser et, ce faisant, de réaliser des économies.
M. Didier Hogrel. Mieux vaut, en effet, parler de rationalisation du système, dès lors que le budget du transport de patients ne peut qu’augmenter, du fait des progrès qui prolongent l’espérance de vie, du vieillissement de la population et du regroupement des centres de soins.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Rationalisation et économies se tiennent. Si notre pays était correctement géré, il n’aurait pas de tels déficits.
M. Didier Hogrel. Comme chefs d’entreprise, nous ne pouvons qu’être d’accord avec vous !
Vous l’avez compris, le coût du transport et ses dérives résultent de la mixité de certaines professions plutôt que d’une profession proprement dite.
Nous, taxis, souhaitons être représentés au sein des ARS. Peut-être pourriez-vous relayer cette demande dans vos préconisations. Nous aurions ainsi accès à des chiffres qui nous font aujourd’hui défaut et pourrions prendre la mesure des dérives, au-delà des cas ponctuels. En la matière, notre fédération soupçonne que l’opacité est intentionnelle : les CPAM connaissent sans doute ces chiffres par l’intermédiaire des entreprises mixtes, et pourraient nous les donner si elles le voulaient, puisque le code APE d’activité principale attribué par l’INSEE aux sociétés d’ambulances n’est pas le même que celui des entreprises de taxi.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La mise en œuvre de l’article 44 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, sur l’expérimentation de procédures d’appels d’offres, suppose elle aussi la transparence. De ce point de vue, les contrats d’amélioration de la qualité des soins (CAQS) présentent un intérêt méthodologique. La généralisation de ces expérimentations serait propice à l’uniformisation des règles et des pratiques, sous la tutelle d’une autorité commune et collégiale. Qu’en pensez-vous ?
Quant à la dématérialisation, indépendamment des problèmes qu’elle pose aux prescripteurs, êtes-vous équipés, vous, transporteurs ?
Mme Armelle Lamblin. La dématérialisation n’a pas été expérimentée dans mon département. Mais je sais que le logiciel « PEC+TIRAT » fonctionne très bien : grâce à lui, les taxis disposent des données relatives aux assurés à jour de leurs droits.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Connaissez-vous l’agenda de sa généralisation ?
Mme Armelle Lamblin. Non. Le dispositif est encore en phase expérimentale. Selon un agent de la sécurité sociale avec lequel je me suis entretenue récemment, la dématérialisation est en cours dans les pharmacies, chez les opticiens, chez certains dentistes, mais elle n’est pas totale : il existe encore des supports papier.
En ce qui concerne la géolocalisation, elle présente des avantages, mais aussi des inconvénients. L’artisan taxi reste une personne indépendante. Il est d’ailleurs inutile de nous « pister » puisque, pour contrôler la cohérence de la facturation, il suffit de croiser les données dont dispose la CNAMTS, concernant, par exemple, les heures de prise en charge.
La convention nationale entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et les taxis doit impérativement être revue, ce qui suppose d’installer une commission de concertation afin d’établir une charte de qualité encadrant les obligations des prestataires de TAP – aide au déplacement, transmission des dossiers médicaux, asepsie du véhicule. Dans notre département, la CPAM nous considère comme une profession « ingérable » : qu’une prise de sang soit effectuée dans le Nord ou dans le Sud, le tarif est le même, mais l’on ne peut pas en dire autant du transport. Voilà pourquoi notre activité doit être encadrée, pour en finir avec les négociations tarifaires auxquelles on assiste dans certains départements en vue d’obtenir des remises qui peuvent atteindre 20 % ou 25 %. Nous voulons être payés pour notre travail réel. Le taxi attend : il est payé pour son attente ; le taxi n’attend pas : il fait une course directe.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les situations d’organisation de marché que vous évoquez sont-elles des cas particuliers ou bien la règle commune ?
M. Alain Griset. Dans les départements où exercent des entreprises d’ambulance très importantes – dans l’Yonne, en Haute-Saône, en Franche-Comté –, un véritable monopole s’est instauré et entraîne des dérives. Mais, comme l’a dit Mme Frédérique Paillard, les autorités administratives et judiciaires réagissent peu : les premières ne sanctionnent guère ; les secondes mènent rarement à leur terme les procédures ouvertes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment l’expliquez-vous ?
M. Alain Griset. Ces cas sont loin d’être prioritaires dans le monceau de dossiers à traiter.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), qui réunissent magistrats et représentants des administrations préfectorale, douanière et fiscale ainsi que des branches assurantielles, pourraient légitimement s’en saisir.
M. Alain Griset. Toujours est-il que, à ce jour, malgré nos demandes, bien des problèmes n’ont pas été traités comme nous l’aurions voulu.
Vous parlez de règles communes, monsieur le député, mais n’oublions pas une différence fondamentale, que personne, semble-t-il, ne conteste : les taxis travaillent avec le tarif fixé par l’autorité administrative et le taximètre, ce qui n’est pas le cas des ambulances.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’était implicite, mais vous faites bien de le rappeler.
M. Alain Griset. Quant à la géolocalisation, elle peut être envisagée dans le cadre de la modernisation de notre profession, mais ne doit pas servir, comme on l’a constaté dans le cas des véhicules de tourisme avec chauffeur, à détourner la réglementation professionnelle, en matière par exemple de zone de prise en charge. L’éditeur du dispositif doit donc intégrer la réglementation des différentes professions.
Ensuite, tous les acteurs du transport de malades assis regrettent que, depuis quelques années, la CNAMTS se soit quelque peu déchargée sur les caisses primaires locales de ses responsabilités en la matière, ce qui encourage la diversité des pratiques et l’opacité globale. Nous souhaitons une reprise en main qui, sans nécessairement entraîner un retrait des caisses locales du dispositif, fasse valoir sur tout le territoire des règles claires et vérifiables.
Outre la convention nationale, il me paraît indispensable d’installer une commission de concertation nationale entre la profession et la CNAMTS afin de remédier aux problèmes d’organisation et de structuration du secteur et, au quotidien, aux dysfonctionnements dont nous sommes témoins.
Enfin, il faut étudier de près l’organisation du transport de malades assis au sein des entreprises mixtes – ambulances, VSL, taxis, voire pompes funèbres. Nous aurions intérêt à connaître les rôles de chacun, surtout lorsque les règles tarifaires varient avec le type de véhicule. Faut-il aller jusqu’à interdire d’utiliser les deux modes de transport au sein d’une même entreprise ? Notre profession est majoritairement favorable à la séparation des deux activités. Nous l’avons dit au député Thomas Thévenoud à propos des VSL et des taxis. Quand un patient doit emprunter un VSL, qu’on ne lui envoie pas un taxi et réciproquement.
M. Jean-Claude Richard. Chaque département a sa convention départementale avec l’assurance maladie, et aucune ne ressemble à une autre : selon les cas, les taxis travaillent au compteur, avec des remises qui varient de 5 % à 15 %, au distancier, avec des forfaits intra-muros ou non, avec ou sans approches, etc. Ce n’est pas acceptable ! Il faut établir une convention nationale et revoir les conventions départementales, car dans certains endroits la situation est inadmissible.
M. Gregorio Roberti. Avant la première convention nationale, qui date de 1995, on ne constatait pas de dérives financières. Les taxis qui assuraient le transport de malades assis étaient payés directement par le patient, lequel envoyait la facture, avec la prescription de transport, à la sécurité sociale pour se faire rembourser. Quand on paie soi-même, on est plus conscient de ce que l’on coûte.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vaste sujet que celui du tiers payant.
M. Gregorio Roberti. Les problèmes datent de cette époque et se sont amplifiés en 2008. L’irresponsabilité des assurés, des transporteurs, des services médicaux ont aggravé la situation.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la multiplication de conventions départementales qui varient selon le bon vouloir du directeur de la caisse, et le dispositif est devenu totalement incontrôlable du point de vue financier. Il faut donc absolument une commission de concertation nationale et une convention nationale à laquelle les caisses primaires se réfèrent.
Quant au paiement, pourquoi ne pas en revenir à l’ancien système ?
M. Jean-Claude Richard. Sur ce dernier point, je serais plus prudent, car, à l’époque dont parle mon collègue, nous acquittions la facture, mais le patient attendait d’être payé pour nous rembourser, ce qu’il ne faisait pas systématiquement !
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Merci, mesdames et messieurs. N’hésitez pas à nous faire parvenir vos réflexions et vos préconisations ainsi que – sans vous inciter le moins du monde à la délation – tout élément non conforme aux règles de l’État de droit dont vous pourriez être témoins. Nous en tiendrons compte dans notre travail collégial.
*
* *
Audition de M. Christian Espagno, adjoint au directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), et M. Jamel Mahcer, manager
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous souhaiterions connaître les réflexions de l’ANAP sur l’organisation du transport sanitaire, notamment sur les expérimentations en cours dans ce domaine.
M. Christian Espagno, adjoint au directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP). L’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux est jeune puisqu’elle est issue de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST). C’est une agence de petite taille, puisque nous ne pouvons pas employer plus de quatre-vingt-seize équivalents temps plein. Nos missions sont très clairement définies par la loi : il s’agit d’aider les établissements de santé et médico-sociaux, mais aussi, aux termes de la convention constitutive de l’ANAP, les ARS, à améliorer leurs performances. Ce point est d’importance, car il signifie que l’ANAP n’est en rien une agence de contrôle ou de régulation : notre rôle est d’aider à faire et certainement pas de faire à la place de ces établissements.
Depuis cinq ans, l’ANAP a accumulé une expérience et des outils qui doivent être diffusés à l’ensemble des établissements sanitaires et médico-sociaux et des ARS, ces dernières devant à notre sens jouer un rôle fondamental dans la diffusion de cette culture de la performance.
Depuis sa création, l’ANAP travaille sur des sujets tels que les coopérations entre les établissements – nous menons en la matière plusieurs expérimentations –, les systèmes d’information dans le cadre du programme « Hôpital numérique », les parcours de santé, notamment ceux des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA), ou encore le développement de la chirurgie ambulatoire. Toutes ces problématiques ont un impact sur le transport de patients.
C’est donc tout naturellement que, dès 2012, le conseil d’administration de l’ANAP a souhaité qu’elle se penche sur la question. En dépit de nombreux travaux de très grande qualité, notamment le rapport de M. Didier Eyssartier ou celui de la Cour des comptes, et de décisions réglementaires, le transport de patients reste en effet le parent pauvre de la gestion hospitalière. Chacun reconnaît pourtant que la prescription de transport fait partie du soin. Il est bon à ce propos de rappeler aux médecins qu’il s’agit d’un acte médical qui engage leur responsabilité.
Déclinant les recommandations du rapport de M. Didier Eyssartier, nos réflexions ciblent trois niveaux : le niveau de l’établissement, l’échelon territorial et le niveau national.
Au niveau des établissements de santé, il s’agissait de les aider à mieux maîtriser leurs dépenses de transport. Nous avons voulu analyser leur processus interne de gestion des demandes de transport sanitaire. Ces travaux, qui ont duré douze mois, ont abouti à la publication d’un guide en mai 2013. Notre réflexion sur l’organisation territoriale du transport de patients devrait être achevée d’ici à la fin de l’année et donnera lieu, elle aussi, à publication.
Nous avons travaillé avec sept établissements répartis dans deux régions, l’Île-de-France et Champagne-Ardenne, ainsi que cinq caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Nous avons tenu les transporteurs informés de l’état d’avancement de nos travaux, qui se sont déroulés en deux étapes : une première phase consacrée à l’établissement d’un diagnostic, une seconde à l’appui à la mise en œuvre des solutions d’amélioration de la performance qui ont été identifiées à travers la mise en place d’une feuille de route.
Pour établir le diagnostic, nous avons procédé à une analyse de type qualitatif, à travers des entretiens avec l’ensemble des acteurs concernés au sein des établissements de soins, direction, corps médical, soignants, service financier, etc. Nous avons également mené une analyse quantitative, en recueillant l’ensemble des informations dont les établissements disposaient relativement aux transports sanitaires, qu’il s’agisse de transport pris en charge par l’établissement de santé ou par l’assurance maladie.
À partir de ces analyses, nous avons développé et mis à la disposition des établissements un outil d’autoévaluation de la fonction Transports sanitaires en établissement, que nous avons appelé « QuickEval ». Il permet, à travers une grille d’évaluation assez étoffée, d’aider l’établissement à évaluer son degré de maturité, ses points forts et ses points faibles, et lui propose un certain nombre de mesures correctrices.
Nos observations globales nous ont d’abord révélé le niveau très faible d’organisation des transports sanitaires au sein des établissements. La plupart sont dépourvus de procédures standardisées, chaque service ayant élaboré sur le tas ses propres pratiques organisationnelles. En outre, si les établissements disposent désormais d’une connaissance relativement précise des coûts à leur charge, ils sont incapables de préciser le volume et la nature des prestations de transport, voire la part respective de chaque service ou unité dans la dépense de transport.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. D’autant que tous les établissements ne sont pas dotés d’une comptabilité analytique.
M. Christian Espagno. Tant s’en faut, alors qu’un tel outil permettrait aux établissements de mettre le doigt sur leurs points faibles. En outre, si son extension progressive permet aux établissements de santé d’améliorer la connaissance de leurs dépenses, elle ne leur permet pas encore d’en connaître le contenu. Faute d’une telle connaissance, il est impossible de mettre en place des mesures correctrices.
Nous avons également constaté des dysfonctionnements. Par exemple des patients se présentent sans prescription de transport. Or la régulation de leur situation est chronophage et source de dépenses inutiles, tant en personnel qu’en moyens financiers. Nous avons également observé une très grande hétérogénéité des pratiques au sein même des établissements, chaque service ayant ses propres habitudes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les dépenses qu’entraîne l’absence de prescription sont-elles importantes ou leur niveau est-il anecdotique ?
M. Christian Espagno. Sans avoir de chiffres précis en tête, je peux vous dire de façon très claire que ce n’est absolument pas anecdotique, de tels dysfonctionnements se produisant chaque jour dans un certain nombre d’établissements. Ils sont le corollaire d’un manque de sensibilisation de l’ensemble des acteurs des établissements à ce problème, au premier chef des médecins prescripteurs. Je plaide coupable, puisque j’ai exercé pendant vingt-cinq ans comme chirurgien au sein d’un hôpital sans me préoccuper de ce sujet qui, à mes yeux, relevait de l’administratif. Il y a donc un très gros effort de pédagogie à faire auprès de tous les échelons des établissements. Ainsi, les commissions médicales d’établissement (CME) devraient systématiquement prévoir un volet transport de patients dans le cadre du projet médical d’établissement, ce qui est très loin d’être le cas à l’heure actuelle.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Où en est-on en matière d’individualisation de la facturation au sein des établissements de soins ?
M. Christian Espagno. Depuis la création du registre partagé des professionnels de santé (RPPS), il est possible, théoriquement, de connaître le nom du prescripteur. Cela dit, peu d’établissements ont établi une traçabilité nominative des prescriptions, alors que cela permettrait de responsabiliser les acteurs. C’est là une piste exploitable à court terme.
Il faut également informer les prescripteurs de la différence de coût significative entre les divers modes de transport, ambulance, VSL ou taxis s’agissant du transport assis professionnalisé. Là encore, les directions des établissements et les CME pourraient sensibiliser à cette question des médecins prescripteurs qui font preuve d’une méconnaissance quasi totale du sujet.
Nous avons également observé qu’une réglementation trop complexe pour le remboursement au patient du transport dans son véhicule personnel limitait le recours à cette modalité de transport, alors qu’on aurait avantage, sur le plan financier, à se tourner davantage vers ce type de prise en charge, notamment en cas de chirurgie ambulatoire. On a constaté par exemple que les frais de parking n’étaient pas pris en charge, ce qui n’est pas forcément anecdotique pour les patients.
Nous avons constaté également que l’existence d’un contrat entre l’établissement et les prestataires de transport exerçait une pression à la baisse sur les tarifs. Les conventions entre CPAM et établissement ont le même effet, en sensibilisant ce dernier au coût des transports de patients pour l’assurance maladie.
Enfin, certains établissements commencent à réfléchir à améliorer la répartition des transports entre VSL et taxis pour les TAP, par exemple dans un cadre contractuel, afin de pouvoir, dans chaque cas, choisir le mode de transport le plus performant sur le plan économique.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cela renvoie à la question de la budgétisation de la prestation de transport au sein de l’hôpital et de la possibilité pour les établissements de passer des appels d’offres, solution préconisée par la Cour des comptes. Quel est le sentiment de l’ANAP à ce sujet ?
M. Christian Espagno. Notre réflexion sur l’organisation territoriale du transport de patients nous a conduits à évaluer les expériences étrangères de ce mode de régulation. Celles-ci ont mis en évidence le caractère très concentrateur du système d’appel d’offres, qui privilégie certains transporteurs. En France, où le marché du transport sanitaire est particulièrement éclaté entre de nombreuses PME, un tel système risquerait de provoquer une restructuration à marche forcée. Or on sait qu’une telle restructuration est susceptible, soit de générer des blocages, soit de provoquer de nombreuses faillites. D’autre part, ce type de démarche suppose un degré de maturité que la plupart des établissements n’ont pas encore atteint. Si cette solution n’est donc pas à écarter a priori, il faut prendre garde que les solutions les plus brutales et les plus simples ne sont pas nécessairement les plus pertinentes.
Nos expérimentations ont également permis de pointer des modifications ponctuelles de l’organisation du transport qui peuvent se révéler d’une grande efficacité, parce qu’elles sont bien acceptées sur le terrain. Il en est ainsi du covoiturage, en particulier pour des transports itératifs en cas de pathologies chroniques, qui connaissent un développement considérable. Les patients peuvent même y trouver, comme dans les salons d’attente pour la chirurgie ambulatoire, l’occasion de confronter leurs expériences.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce sujet vous a-t-il conduit à formuler des préconisations sur le plan réglementaire ?
M. Christian Espagno. Nous n’avons pas été beaucoup plus loin, mais cela ne semble pas d’une mise en œuvre compliquée à partir du moment où les transporteurs disposent de véhicules rendant possible une telle organisation. Si c’est aujourd’hui rarement le cas, c’est faute d’une demande suffisante, mais il s’agit là d’une piste à exploiter à court terme.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous, au cours de ces expérimentations, rencontré le cas d’un établissement qui aurait appliqué toutes les préconisations de rationalisation de la dépense de transport ?
M. Jamel Mahcer, manager à l’ANAP. Nous n’avons malheureusement pas trouvé d’établissement exemplaire dans tous ces domaines. En revanche, certains établissements sont particulièrement sensibilisés à telle ou telle problématique. L’hôpital privé nord parisien de Sarcelles, par exemple, qui compte beaucoup de patients sous dialyse, a réalisé un important travail en matière d’organisation du covoiturage, en étroite collaboration avec la CPAM afin d’identifier les patients éligibles.
Autre exemple, le centre hospitalier de Martigues s’intéresse depuis très longtemps à la thématique de l’organisation de la gestion des flux, notamment afin de lutter contre l’engorgement des urgences.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On pourrait aussi citer la réorganisation des urgences de l’hôpital Beaujon, pilotée par le cabinet McKinsey, qui a permis de réduire de 30 % à 40 % le délai d’attente.
M. Jamel Mahcer. Même si certains acteurs ont pris à cœur le sujet, le transport de patients reste le parent pauvre des établissements, alors même qu’il est reconnu comme un maillon de la chaîne de soins. Cela dit, la situation évolue.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous constaté des économies dans chacun de ces deux cas, qu’il s’agisse de l’hôpital privé nord parisien ou du centre hospitalier de Martigues ?
M. Jamel Mahcer. Sans avoir d’évaluation précise, nous avons observé une tendance intéressante. Nous avons constaté, en outre, que les acteurs ont amplifié le dispositif. Nous poursuivons notre collaboration avec ces acteurs, de façon à tirer un enseignement de ces expérimentations et à disposer de résultats chiffrés.
M. Christian Espagno. Nos travaux relatifs à l’organisation des transports non urgents au sein des établissements sanitaires nous ont convaincus de la nécessité de la pédagogie afin qu’il existe à tous les niveaux des établissements une véritable prise de conscience de l’importance du problème. C’est pourquoi l’enjeu majeur aujourd’hui est de diffuser le plus largement possible les outils de rationalisation déjà identifiés.
Notre projet, actuellement en cours, a deux objectifs : réfléchir aux modalités d’organisation territoriale du transport de patients à l’échelon d’un territoire ; élaborer une méthodologie permettant d’anticiper l’impact des réorganisations sanitaires sur les transports.
Aujourd’hui les schémas régionaux d’organisation des soins ou les schémas régionaux d’investissement en santé élaborés par les ARS ne prennent pas en compte la variable du transport sanitaire, faute de disposer d’outils prospectifs leur permettant d’évaluer l’impact, sur les transports sanitaires, de telle ou telle évolution de l’offre de soins. C’est pourquoi nous travaillons à la mise en place d’un logiciel qui, à partir d’une dizaine de facteurs, permette non seulement d’établir une cartographie des transports de patients existants, mais aussi d’évaluer l’impact de telle ou telle réorganisation sanitaire sur les transports. Il ne s’agit pas de réguler l’ensemble de l’offre de soins à partir de l’offre de transport, mais de permettre une prise en considération en amont de ce facteur.
Nous avons par ailleurs analysé les solutions d’organisation de la demande de transports de patients mises en place en France par certaines ARS et à l’étranger, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada et en Espagne. La plupart d’entre elles visent à centraliser les demandes selon un périmètre variable : région, bassin de vie, voire au sein d’une organisation territoriale de l’ensemble de la demande de transports, et pas seulement de transport de patients.
Par définition, ces plateformes de gestion de la demande imposent aux transporteurs l’obligation de coopérer entre eux, mais elles n’entraînent pas systématiquement une concentration à marche forcée. On retrouve deux types d’organisation, selon que la plateforme a été mise en place par la tutelle ou à l’initiative des transporteurs eux-mêmes, comme c’est le cas au Québec. Le risque est de biaiser les conditions de la concurrence si un transporteur pilote l’ensemble de la plateforme.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La féroce compétition économique qui sévit entre les acteurs de ce secteur n’est pas favorable à ce type d’initiative, qui comporte des risques de situation monopolistique et d’atteinte à la liberté économique.
Préconisez-vous un modèle particulier de réorganisation de la demande de transport sanitaire ?
M. Christian Espagno. Je me permettrai d’autant moins de vous donner des réponses simplistes que, en tant qu’agence d’appui à la performance, nous ne sommes pas là pour être directifs : notre rôle est d’analyser les solutions existantes et de dresser un inventaire objectif des avantages et des inconvénients qu’elles présentent. Il revient ensuite aux structures ad hoc de faire les choix qui relèvent de leur responsabilité. À mon avis, si l’on veut mettre en place une organisation véritablement efficace de la demande de transport de patients, on n’évitera pas la nécessité d’une réflexion en profondeur sur la pertinence de certaines règles du code de la santé publique, telle celle du libre choix du patient. Il me semble que le souci de préserver le colloque singulier, qui fonde le libre choix du médecin, n’a pas à être étendu au choix du mode de transport : les deux n’ont pas les mêmes implications au regard du consentement éclairé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Croyez bien que j’ai abordé cette question sans ménagement en rappelant aux fédérations de taxis que cette règle de la liberté de choix n’avait aucune valeur législative face à l’obligation d’assurer la meilleure allocation de crédits publics à destination sanitaire et sociale.
M. Christian Espagno. En tout état de cause, une réflexion doit être menée dans l’ensemble des établissements et auprès des transporteurs. Il n’y aura pas d’organisation rationnelle de la demande de transport si chaque patient peut librement choisir son transporteur.
Ce type de plateforme peut être mis en place par la tutelle – régions, caisse d’assurance maladie, voire un groupe d’établissements – qui en confie assez souvent la gestion à un opérateur indépendant. L’avantage d’une telle solution est qu’elle ne présente pas de risque de conflit d’intérêts et est a priori plus favorable à une organisation rationnelle. Elle suppose cependant un niveau de maturité que l’ensemble des acteurs, notamment les établissements, n’a pas encore atteint.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On peut craindre que des transporteurs gestionnaires de telles plateformes tiennent compte avant tout de leurs intérêts propres.
Les ARS ne se sont pas suffisamment préoccupées de ces problèmes d’atteinte à la concurrence dans leur politique de conventionnement avec les transporteurs. L’inertie dont elles font preuve dans la mise en œuvre de la rationalisation et de l’homogénéisation des procédures de conventionnement laisse quelque peu perplexe.
M. Christian Espagno. Absolument. Ce sera l’objectif de la troisième phase de nos travaux : comment, à partir de toutes les expérimentations, mettre en œuvre à l’échelon national une méthodologie et des outils de rationalisation de l’offre de transport sanitaire.
Les exemples étrangers de recours à la procédure de l’appel d’offres montrent que ce système provoque une réduction drastique du nombre de transporteurs. En Catalogne, le nombre des sociétés de transport sanitaire est passé, en dix ans, de cinquante-trois à onze.
Tels sont les travaux que nous avons menés. À titre personnel, j’attends beaucoup de la mise en place d’un outil prospectif pour permettre aux ARS d’introduire la dimension du transport de patients dans l’ensemble de leur réflexion sur l’organisation de l’offre de soins.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La Cour des comptes estime qu’un meilleur contrôle de la facturation de la prestation de transport sanitaire permettrait de dégager 120 millions d’euros d’économies. L’ANAP a-t-il des préconisations à faire en la matière ?
M. Christian Espagno. Une meilleure connaissance de la dépense de transport de patients et une meilleure traçabilité des prestations de transport ne peuvent qu’améliorer le contrôle de la facturation en permettant d’identifier les comportements déviants.
Par ailleurs, nous consacrerons un chapitre de nos travaux à la géolocalisation, qui est non seulement un moyen de contrôler la réalité de la prestation de transport, mais qui est aussi indispensable à la mise en œuvre d’une gestion efficace de la demande de transport de patients. Je rappelle cependant que notre mission est de faire des propositions, y compris dans ce domaine, et non de réguler à la place du régulateur.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Que vous ont appris ces expérimentations s’agissant de la dématérialisation de la facturation ?
M. Jamel Mahcer. Au moment d’élaborer notre programme de travail sur le transport de patients, nous nous sommes rapprochés de la CNAMTS à propos de la géolocalisation et de la dématérialisation des prescriptions.
S’agissant du contrôle de la facturation, la mise en place d’un processus de vérification est un élément fondamental. C’est la dynamique que nous avons fait le pari de privilégier à travers nos réflexions sur l’organisation opérationnelle du transport de patients.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les ARS vous semblent-elles suffisamment attentives au sujet ? L’ANAP a-t-elle engagé une réflexion sur le transport médico-social ?
M. Christian Espagno. Il est vrai que ce sont des structures récentes, qu’elles ne sont pas homogènes sur le plan de leur organisation interne et qu’elles sont accablées de circulaires. Nous sommes cependant convaincus qu’il n’y aura pas de déploiement à grande échelle auprès des établissements sanitaires et médico-sociaux sans le relais des ARS.
Voilà pourquoi, dans les deux ans qui viennent, nous allons axer nos efforts sur l’appui aux ARS, notamment en ce qui concerne le transport de patients. Nous avons élaboré des outils d’aide à la performance des ARS, et nous comptons mettre en place dès juillet des sessions nationales et interrégionales afin d’échanger avec les ARS au cours de séances de quarante-huit heures. Actuellement, leur maturité est encore insuffisante.
En ce qui concerne le secteur médico-social, nous n’y avons pas encore consacré de travaux spécifiques, mais un certain nombre de nos réflexions nous conduisent à aborder cette problématique. Nous mettons à la disposition des établissements médico-sociaux des tableaux de bord afin de leur permettre d’améliorer leur gestion.
Enfin, dans le cadre de leur stage de MBA, trois étudiants de Dauphine mènent actuellement au sein de l’ANAP, sous l’égide de Jamel Mahcer, une réflexion prospective sur le transport sanitaire dans le secteur médico-social.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Messieurs, nous vous remercions.
Table ronde réunissant des représentants des transports urgents : médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, Dr François Braun, président du Service d’aide médicale urgente (SAMU)-Urgences de France, et Pr. Jean-Emmanuel de La Coussaye, secrétaire général adjoint, M. Nelson Nazon, président de l’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF–UNATSU), M. Charles Greiner et M. Thomas Stéphan, conseillers techniques, M. Sébastien Breuil, président de l’ATSU 19, M. Thomas Greiner, président de l’ADRU 67, et Me Sophie Gallet, conseillère technique, avocate
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie d’être présents aujourd’hui pour aborder le thème des transports de patients. Les sommes en jeu sont considérables puisque 4 milliards d’euros sont consacrés à ces transports. Comment réagissez-vous à l’idée d’un référentiel de prescription pour encadrer le recours aux transports de patients et à l’idée de mieux contrôler le respect de ces prescriptions et les facturations ? Selon la Cour des comptes, il serait possible d’économiser 450 millions d’euros si les transports étaient gérés de manière plus efficiente.
Dr Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d’urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Les transports sanitaires ne sont pas au cœur de la mission des sapeurs-pompiers dont la vocation première est le secours aux personnes.
Pour situer les enjeux financiers, je voudrais rappeler que les sommes consacrées aux transports de patients sont du même ordre, soit 4 milliards d’euros, que l’ensemble du budget de fonctionnement de la sécurité civile.
Il me paraît, en effet, important de bien faire la distinction entre ce qui relève des transports sanitaires et ce qui relève du secours aux personnes. Certes, pour des raisons de rapidité et de commodité, ce sont les mêmes professionnels qui portent les actes de secours et qui procèdent à l’évacuation des blessés ou malades. Mais la spécificité des sapeurs-pompiers est d’offrir une assistance médicale et sanitaire en plus de l’évacuation vers un centre hospitalier ou un autre lieu de soins.
Les sapeurs-pompiers n’ont aucun intérêt à multiplier les interventions sur le terrain car leur financement n’est pas lié au volume d’activité, ils doivent plutôt essayer de les maîtriser pour faire face à leurs multiples missions. Leurs ressources en hommes et en matériel sont rares et ils doivent les gérer le plus efficacement possible. C’est pourquoi, les sapeurs-pompiers ne tiennent pas du tout à concurrencer les transporteurs sanitaires qui ont un champ d’intervention bien spécifique.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment réagissez-vous à la préconisation de la Cour des comptes qui suggère pour les zones reculées, de faible activité, de transférer aux sapeurs-pompiers la garde ambulancière car celle-ci n’est pas rentable pour les transporteurs sanitaires ? Selon la Cour des comptes, cette substitution permettrait d’économiser 100 millions d’euros, sachant que, pour les sapeurs-pompiers, le secours aux personnes représente 55 % de leurs interventions.
Dr Patrick Hertgen. Ce que préconise la Cour des comptes est déjà pratiqué dans les zones de montagne ou rurales à faible densité de population. Les transporteurs sanitaires doivent réaliser au moins trois ou quatre transports par période de garde pour que leur rentabilité soit assurée, c’est pourquoi il arrive fréquemment que les sapeurs-pompiers pallient la carence des transporteurs.
Notre Fédération est opposée à ce que cette substitution confiée à des opérateurs privés devienne un principe inscrit dans les textes. Mieux vaut évaluer la carence au cas par cas et laisser les professionnels s’organiser, à l’initiative des médecins régulateurs du centre 15.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pouvez-vous nous indiquer quelle est la proportion d’interventions que vous réalisez pour pallier la carence des transporteurs sanitaires, sur un total de 3 millions d’interventions de secours aux personnes ?
Dr Patrick Hertgen. Selon les chiffres publiés par la direction de la sécurité civile du ministère de l’intérieur, ces interventions seraient de l’ordre de 338 000 sur 3 millions d’intervention de secours aux personnes, soit 10 %. Le taux d’intervention suite à une carence des transporteurs est très variable selon les départements et ce ne sont pas les départements ruraux qui connaissent le plus ce type de substitution.
Il est vraisemblable que ce chiffre soit sous-évalué pour des raisons budgétaires car la charge financière de l’intervention est à la charge des centres 15 et donc des budgets hospitaliers. C’est donc celui qui détecte la carence qui en assume la charge. Ce système n’est pas satisfaisant car il crée des tensions entre les agences régionales de santé (ARS) et les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). La notion même de carence devrait être revue car les pompiers effectuent aussi des interventions à domicile qui relèvent plus de l’accompagnement social que du secours à la personne.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Que pouvez-vous nous dire sur l’avancée de l’interconnexion entre les plateformes des centres 15 et celles des sapeurs-pompiers ?
Dr Patrick Hertgen. Actuellement on peut évaluer à quinze le nombre de plateformes communes au sens physique du terme avec locaux communs et personnels des deux origines travaillant de concert. Il existe aussi cinq plateformes communes virtuelles c’est-à-dire parfaitement intégrées avec un seul système d’information.
Les autres sites sont interconnectés au sens où les appels sont immédiatement basculés d’un site à l’autre mais les systèmes d’information ne sont pas en phase. Le recours aux liaisons téléphoniques est donc nécessaire. Il faudrait s’orienter vers des plateformes communes interdépartementales car le niveau départemental n’est pas pertinent pour des zones peu peuplées ou sous-dotées en matière sanitaire. Il conviendrait d’étendre cette interconnexion à d’autres services intervenant dans les secours à la personne.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous connaissance d’études qui auraient étudié l’efficience de ces plateformes communes et analysé les implications financières de cette nouvelle organisation ?
Dr Patrick Hertgen. À ma connaissance, il n’existe pas d’études officielles mais les avis sont très contrastés chez les professionnels. La création de plateformes communes a précédé l’élaboration d’une doctrine opérationnelle sur laquelle les professionnels se seraient mis d’accord. L’interopérabilité des systèmes d’information est une phase nécessaire mais il faut aussi réfléchir à la méthodologie commune d’intervention.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pensez-vous que le coordonnateur ambulancier doive être présent au centre 15 ?
Dr Patrick Hertgen. Nous estimons, au vu des expériences existantes, que la présence d’un coordonnateur ambulancier dans les locaux du centre 15 est très positive pour coordonner les interventions.
Dr François Braun, président du Service d’aide médicale urgente (SAMU)-Urgences de France. Contrairement à beaucoup d’idées reçues, les professionnels des SAMU ont une analyse identique à celle des sapeurs-pompiers. Nous reconnaissons la spécificité de la mission de secours des sapeurs-pompiers, tandis que la mission de santé et de soins incombe au SAMU.
Les SAMU sont tout d’abord des prescripteurs, notamment de transports sanitaires, tâche qui revient aux médecins régulateurs des centres 15 comme l’indique le référentiel de 2009. À ce titre, nous estimons aussi que la présence d’un coordonnateur ambulancier est très positive. Elle est effective dans la moitié des départements. Un mouvement de réorganisation est déjà à l’œuvre dans certaines régions comme la Franche-Comté où les centres 15 sont interdépartementaux ou dans d’autres régions où le regroupement est limité aux périodes nocturnes.
On peut parvenir à diminuer les carences. En Indre, on constate quatre carences par mois. Dans mon département, la Moselle, qui avait l’un des taux de carence les plus élevés, un travail régulier, conduit avec les transporteurs sanitaires sous le couvert de l’agence régionale de santé, a permis d’améliorer la situation.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le taux de carences dans votre département ?
Dr François Braun. La statistique annuelle établie pour l’année 2012 par le ministère de la santé indique que la Moselle connaît un taux de carence élevé, de 838 pour 100 000 habitants. Par comparaison, on observe un taux de 77 carences pour 100 000 habitants dans le département de Loire-Atlantique et plus de 1 000 dans le département du Doubs. Ce ne sont pas les départements ruraux qui ont le plus de difficultés. Ce taux dépend des organisations locales qui sont de la responsabilité des ARS. Les carences ne sont pas seulement imputables à la période de garde ambulancière. Elles se produisent aussi en dehors des périodes de garde. Nous devons réfléchir avec les transporteurs sanitaires à la manière de répondre aux besoins de prise en charge en dehors des heures de garde. Pendant la période de garde, une ambulance est affectée à un secteur. Quand les ARS l’ont prévu, cette ambulance intervient dans des conditions fixées dans un cahier des charges. Pour éliminer la majorité des carences, nous devrions pouvoir recourir, de la même façon, aux services des transporteurs sanitaires en dehors des périodes de garde. Nous avons commencé à réfléchir au lancement d’appel d’offres sur les territoires en dehors des horaires de garde.
Les missions des SAMU et des sapeurs-pompiers sont parallèles. Le ministère de l’intérieur reconnaît, selon les chiffres avancés par le docteur Patrick Hertgen, 338 000 carences de leur part en 2013. Le ministère de la santé, selon les chiffres de l’année 2012 de la statistique annuelle des établissements de santé (SAE), concernant 98 des 120 SAMU, reconnaît pour sa part 163 000 carences. La différence entre les deux est manifeste et conduit à mettre en cause l’usage indifférencié du terme de carence ambulancière, sans tenir compte de l’urgence. Les besoins de transports sanitaires urgents peuvent être couverts de plusieurs manières, par les sapeurs-pompiers ou par des associations de secouristes comme la Croix-Rouge. Je souhaite distinguer nettement, dans les transports sanitaires, les secours et les soins. La brigade des sapeurs-pompiers de Paris, toujours innovante, a recours, dans ses interventions, à des secouristes spécialisés, dont nous louons l’efficacité, qui sont à même de constater, sur place, qu’une personne n’a pas besoin d’un transport sanitaire urgent et obtiennent l’accord du médecin régulateur du SAMU, qui reste le prescripteur en la matière, pour qu’une ambulance privée vienne la prendre en charge. Cette répartition des rôles libère les secouristes pour qu’ils se consacrent à leur mission première, celle de porter secours, en évitant d’immobiliser leurs véhicules puis de les affecter à un transport sanitaire sans urgence qui les rend indisponibles dans le même temps pour des interventions plus urgentes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous avez été interrogé, lors d’une audition conduite par la présidente de la commission des affaires sociales, Mme Catherine Lemorton, sur l’idée de mettre en place des plateformes téléphoniques communes avec celles des sapeurs-pompiers afin de mutualiser les moyens de transport sanitaires pour assurer la permanence des soins et l’unité des parcours de soins suivis par les patients ?
Dr François Braun. Les sapeurs-pompiers, qui portent secours, et les SAMU, qui prodiguent des soins de santé dans les mêmes conditions d’urgence, coopèrent de manière exemplaire. Il est rare de trouver deux services publics qui travaillent aussi étroitement en commun. Ces deux services publics ont des missions et des obligations différentes et complémentaires, les uns de secours, les autres de soin, qui leur sont confiées par le législateur. Dédier les plateformes téléphoniques de chacun de ces deux services publics à la mission qui lui incombe est une garantie d’efficience, de sécurité et de qualité. Je rejoins le souhait, exprimé par le docteur Patrick Hertgen, que la plateforme des sapeurs-pompiers soit dédiée au secours et couvre aussi les services de police, de gendarmerie, de sécurité civile et de secours en montagne, tandis que la plateforme des soins regrouperait le SAMU-centre 15, les centres antipoison, les médecins généralistes et la télémédecine. Les missions des deux services ne sont pas fongibles. Les interventions transmises aux centres 15 par les centres de traitement de l’alerte des centres opérationnels départementaux d’incendie et de secours (CTA-Codis) représentent 20 % de l’activité des SAMU. Ce sont certes des interventions qui concernent les malades les plus graves mais les soins que leur état requiert sont bien décrits dans le référentiel du secours à personne et de l’aide médicale urgente de 2009. Ils sont prodigués par les sapeurs-pompiers avant même l’intervention du médecin régulateur. L’interface entre le logiciel de régulation et celui des alertes des sapeurs-pompiers est essentielle. Les SAMU réfléchissent depuis un an et demi à un système de régulation national qui simplifierait la mosaïque des logiciels que les SAMU départementaux utilisent actuellement. La ministre de la santé rendra un arbitrage à ce sujet. Il sera alors facile de l’« interfacer » avec le logiciel des sapeurs-pompiers, comme avec ceux de nos autres partenaires, en suivant les recommandations exprimées par l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP-Santé). Il n’en reste pas moins que nous avons des missions différentes, y compris en matière de gestion de crises. La réaction aux crises qui intéressent tous les services d’urgence est bien préparée par les plans d’organisation des secours (ORSEC) dirigés par les préfets. Chaque service public doit aussi faire face, par ses seuls moyens, à des crises qui lui sont propres et lui impose des contraintes particulières. Les crises purement sanitaires sont soumises, par un texte du département des urgences sanitaires de la direction générale de la santé, à un plan spécifique d’organisation de secours, nommé ORSAN, établi à la suite de la grève des médecins généralistes. Les inondations, les feux de forêts ne concernent que les sapeurs-pompiers et non pas le SAMU. Voilà pourquoi nous sommes favorables à des plateformes uniques par mission, l’une pour les secours, l’autre pour les soins de santé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. J’aurai été surpris que vous me disiez le contraire. Les missions imparties à chacun de deux services peuvent néanmoins être redéfinies de manière à obtenir une coordination plus efficiente du transport sanitaire, telle qu’elle existe dans une quinzaine de départements.
Dr François Braun. Cette coordination, établie dans quelques départements, est marginale. Sur le terrain, il n’existe pas, au quotidien, tant de problèmes qu’il faille l’étendre. Dans mon département, le SAMU coopère de manière satisfaisante avec les sapeurs-pompiers en dépit de l’absence de liaison entre nos logiciels. Nous n’avons jamais deux ambulances, l’une privée, l’autre des pompiers, qui interviennent en même temps, ou guère plus d’une fois par mois, ce qui est anecdotique. Notre culture hospitalière nous porte à l’efficience et à l’évaluation de nos interventions. Le docteur François Dissait, inventeur d’une plateforme commune aux deux services, installée à l’hôpital de Clermont-Ferrand il y a quinze ans alors qu’il était à la fois responsable du service des urgences et médecin-chef des sapeurs-pompiers, a lui-même évalué son fonctionnement et reconnu qu’elle n’était pas satisfaisante, au point d’accepter qu’elle soit à nouveau scindée il y a deux ans. Son analyse relevait la différence culturelle entre les deux services mais aussi celle de leurs missions et reconnaissait qu’ils n’étaient pas interchangeables. Le docteur François Dissait a eu le courage de reconnaître qu’il avait commis une erreur en réunissant leurs plateformes. Une plateforme téléphonique commune ne serait concevable que si l’appel était pris par un assistant de régulation médicale ou par un stationnaire de sapeurs—pompiers mais ce n’est aujourd’hui pas le cas. Ce le sera peut-être dans dix ou quinze ans. En attendant, nous pouvons y réfléchir.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je donne la parole à M. Nelson Nazon, président de l’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF-UNATSU) pour nous faire part des réflexions que lui inspirent les conclusions de la Cour des comptes.
M. Nelson Nazon, président de l’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France (UNADAUF–UNATSU). Je vous remercie de nous avoir convoqués. Nous le souhaitions depuis de nombreuses années. Je vous propose de laisser la parole aux responsables des entreprises de transport, qui ont une compétence éprouvée sur le terrain et qui ont bien voulu m’accompagner pour répondre à vos questions.
Me Sophie Gallet, conseillère technique, avocate de l’UNADAUF. Les ambulanciers qui agissent dans l’urgence sont, à ce titre, délégataires d’une mission de service public et estiment, à la lecture du code de la santé publique, qui fait du SAMU le directeur de l’urgence, qu’il appartient à ce dernier de coordonner leurs interventions dans les secours urgents en recevant et en régulant les appels téléphoniques. C’est au SAMU de décider du moyen de transport sanitaire approprié, soit médical, soit de secours, le transport médical pouvant être assuré par une ambulance de ce service comme par une ambulance privée. Je me réjouis d’entendre que la mission des sapeurs-pompiers n’est pas d’assurer le transport sanitaire des patients mais leur évacuation en urgence. La réalité est cependant toute autre. Les interventions des sapeurs-pompiers obéissent à une notion floue de secours à la personne qui aboutit, dans les trois-quarts des cas, à un transport sanitaire sans urgence, dans des ambulances, immatriculées et identifiées comme telles, qui ne répondent pas à la mission principale d’évacuation qui incombe aux pompiers, mais à celle dévolue au transport sanitaire.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les auditions précédentes témoignent des conflits préoccupants d’attribution, qui opposent les transporteurs, les taxis et les services d’incendie et de secours et qui donnent lieu à des accusations de malversations. Les prescriptions de transport sanitaire représentent une dépense importante qui doit être rationalisée. Les économies dégagées, attendues par nos concitoyens qui payent ces dépenses par leurs cotisations, seront redéployées pour mettre fin aux carences et aux pénuries et au profit d’autres actes sanitaires. C’est l’objet de cette mission d’évaluation.
M. Thomas Stéphan, conseiller technique de l’UNADAUF. Je me réjouis des propos des docteurs Patrick Hertgen et François Braun. Ils distinguent bien les missions de chacun. Le 4° de l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales attribue aux services d’incendie et de secours, les secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation. Le transport sanitaire est défini par l’article L. 6312-1 du code de la santé publique : « Constitue un transport sanitaire, tout transport d’une personne malade, blessée ou parturiente, pour des raisons de soins ou de diagnostic, sur prescription médicale ou en cas d’urgence médicale, effectué à l’aide de moyens de transports terrestres, aériens ou maritimes, spécialement adaptés à cet effet. » L’ambulancier, formé pendant 630 heures, qualifié par un diplôme d’État, est habilité à assurer cette évaluation clinique, à prendre en charge le patient et son entourage et à dispenser des soins d’urgence. Le secouriste n’est formé qu’à des actes réflexes destinés à préserver la vie. Ces deux intervenants ont des fonctions distinctes, exercées pour l’un dans le cadre du secours et pour l’autre dans la chaîne des soins. Le docteur François Braun admet que, dans les zones reculées, les secouristes pouvaient, comme cela s’observe dans d’autres pays, être engagés comme premier répondant à un appel d’urgence, après une formation équivalente à celle d’un sapeur-pompier pour se porter au-devant d’une détresse vitale dans un secteur isolé qu’une ambulance ne pourrait atteindre assez vite. Les préconisations de la Cour des comptes remettent en cause le principe d’une garde ambulancière et proposent d’en transférer la tâche aux services départementaux d’incendie et de secours dans les départements dans lesquels cette garde est peu sollicitée. Le docteur Patrick Hertgen a indiqué que la direction centrale de la sécurité civile et de la gestion des crises reconnaissait 338 000 carences de ces services en 2013, réparties sur les 17 catégories d’interventions relevant du secours à personne. La catégorie des transports, depuis leur domicile, de personnes malades et en situation de détresse vitale représente, à elle seule, 25 % de ces interventions, c’est-à-dire le principal de l’activité de secours à personne des SDIS. Or, 75 % de ces interventions concernent des cas bénins qui ne nécessitent pas de secours d’urgence. En résumé, 20 % des secours à personne assurés par les SDIS sont des transports sanitaires, décidés en situation de départ réflexe et de prompt secours, sans prescription médicale, et non pas des évacuations d’urgence pour une détresse vitale. Ce volume d’activité, perdu par les transporteurs sanitaires, explique la faible rentabilité des gardes qu’ils assurent et la faible efficacité ou la faible performance de ces gardes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est la part des transports urgents assurés par les transporteurs sanitaires ?
M. Thomas Stéphan. Cela dépend de la définition retenue. Nous considérons qu’un transport urgent est celui d’un patient déposé dans un service d’urgence hospitalière et non pas seulement celui d’un patient en détresse vitale, dont l’état nécessite une évacuation dans un délai défini médicalement par le médecin traitant ou par la régulation du SAMU. Son transfert dans un service d’urgence tient compte de son état de détresse mais aussi de son âge, de ses antécédents et de la situation contextuelle. Des cas cliniques bénins peuvent néanmoins être dirigés vers un service d’urgence. Le SAMU ne nous confie que des transports urgents.
Le docteur François Braun a rappelé que les transports médicaux urgents donnaient lieu à peu de carences en Loire-Atlantique. Cela s’explique par la mise en place d’un cahier des charges par le SAMU qui a imposé ses besoins aux ambulances privées, lesquelles sont devenues sa première force d’intervention. Ces ambulances sont guidées par un service de géolocalisation que le coordonnateur du SAMU supervise pour anticiper les carences prévisibles, sans attendre l’appel de secours, en veillant à maintenir une couverture optimale du territoire. Le système de géolocalisation des ambulanciers permet d’assurer en journée un maillage dynamique. Le président de l’Association départementale des transports sanitaires d’urgence (ADTSU) de Loire-Atlantique m’expliquait qu’à Nantes et Saint-Nazaire, les ambulances des secteurs ruraux transportant des patients pour une consultation en ville se mettent à la disposition du centre de secours d’urgence le temps de cette consultation programmée. Cette tâche de coordination des transports doit être assurée au sein des SAMU. En revanche, nous ne sommes pas directement concernés par la plateforme téléphonique commune aux SAMU et aux sapeurs-pompiers et par leur réunion dans une même pièce. Le SAMU n’assure pas seulement une régulation médicale mais aussi une formation, le suivi épidémiologique et le suivi médical. Une plateforme téléphonique commune sortirait le SAMU de l’hôpital. Je ne sais pas si c’est une bonne chose. Une divergence entre services sur la décision de secourir ou d’évacuer un patient ne peut pas être arbitrée à chaud dans une même pièce.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quels sont les obstacles, actuellement, à la généralisation des coordinateurs ambulanciers ?
M. Thomas Stéphan. Le problème est principalement budgétaire. Nous avons mené une expérience en 2003 dans cinq départements. Des enveloppes de l’ARS prenaient en charge le fonctionnement des interventions, le financement des gardes postées des ambulanciers qui sont en départ réflexe – cette situation les différencie des sapeurs-pompiers, volontaires à 85 % des effectifs, qui disposent d’un délai incompressible de 7 à 8 minutes pour rejoindre leur base – et le financement du coordinateur ambulancier. Or l’indemnité de garde de 346 euros n’a servi qu’à couvrir les dépenses de personnel. Le dispositif n’était donc pas à même d’être pleinement assuré dans ses différentes composantes. Le docteur François Braun estime que 50 % des départements sont couverts par ce dispositif, car beaucoup des ATSU, en liaison avec les SAMU, disposent de logiciels de mise en disponibilité associés à une géolocalisation, mais, à mon sens, ils ne sont pas aussi nombreux.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La géolocalisation est-elle totalement effective ?
M. Thomas Stéphan. En Bretagne, trois départements sur quatre ont mis en place la géolocalisation. D’autres le seront dans les mois à venir. On assiste à une montée en puissance liée aux logiciels informatiques. Des problèmes d’interconnexion existent entre les SAMU et les ambulanciers. Les assistants de régulation médicale disposent de systèmes numériques portables de type PDA (Personal Digital Assistant) permettant une transmission immédiate à l’ambulance. Pour autant je ne dispose pas actuellement, alors que des développements techniques sont en cours, d’un taux de couverture national de la géolocalisation du parc d’ambulances.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est une information que nous demanderons à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Au nom des SAMU, le docteur François Braun a soulevé un sujet qui peut être source de tensions, la procédure des appels d’offres dans le cadre de prestations groupées, à l’échelon plutôt interdépartemental, recouvrant les périodes de jour et de nuit pour répondre aux besoins de la population. La Cour des comptes suggère qu’afin de rationaliser l’offre de transport de patients, le prescripteur principal, qui est l’établissement de soins, suive simplement le référentiel et qu’il soit davantage impliqué en appliquant le principe de la budgétisation des dépenses de transport au sein de l’hôpital. Les 53 000 structures qui ont en charge le transport de patients sont inquiètes de la concentration que de telles mesures peuvent induire et de ses conséquences pour les petites entreprises confrontées dès lors à des formes de monopoles.
M. Thomas Stéphan. Le service ambulancier privé est aujourd’hui assuré par des petites et moyennes entreprises et des très petites entreprises. Ce qui paraît être un inconvénient me semble être un avantage. Or une concentration des entreprises voudra dire une concentration géographique se traduisant par une désertification des zones rurales pour ces services. En maintenant la structuration actuelle, et en raisonnant au niveau régional, si le décret d’application de l’article 66 de la loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 est publié, il est dès lors indispensable que les SAMU départementaux élaborent, à travers SAMU de France, par exemple, un cahier des charges qualitatif et opérationnel.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les délais importants pour la publication des décrets d’application sont une constante. J’ai ainsi été à l’origine de la disposition législative mettant en place l’interconnexion de tous les fichiers des systèmes de protection sanitaire et sociale, avec ceux du fisc, le 21 décembre 2006. Le décret d’application n’est sorti qu’en 2010. Si la pédagogie est l’art de la répétition, une forme de « harcèlement » politico-administratif s’avère parfois nécessaire pour avoir gain de cause…
M. Thomas Stéphan. L’aide médicale d’urgence est une des missions de l’activité du transport sanitaire qui est très lourde par ses conséquences médico-légales et nécessite des investissements humains ou techniques. Il serait intéressant que soit créé au niveau régional, comme pour les établissements hospitaliers publics ou privés, un groupement de coopération effectif pour le transport sanitaire, correspondant à une cogestion et une co-administration, par le biais de l’ARS – entre l’hôpital public et les entreprises de transports sanitaires volontaires répondant au cahier des charges qualitatif fixé – d’un service d’ambulances, certes privé, mais totalement affecté à la mission de service public qu’est l’aide médicale d’urgence.
La taille des entreprises aujourd’hui traduit non pas une concentration mais plutôt une atomisation du secteur due aux difficultés économiques qui fragilisent l’ensemble du secteur privé. Les entreprises autour de 10 salariés ou au-delà de 30 salariés semblent mieux résister à la crise. Les entreprises de taille intermédiaire ont un chiffre d’affaires insuffisant pour financer le personnel administratif nécessaire. Un groupement de coopération sanitaire sera ainsi mieux à même d’assurer la continuité en cas de défaillance de l’un de ses membres.
Il n’existe pas, en France, de grand groupe de transport sanitaire, contrairement au Danemark par exemple. Les appels d’offres vont permettre de retenir quelques grosses entreprises implantées dans les pôles urbains au détriment des zones rurales, qui ne disposeront plus, pour assurer leurs transports sanitaires, que des sapeurs-pompiers. Or, si les demandes de transport ne correspondent pas à leurs missions définies à l’article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales, les SDIS pourront demander le financement des moyens sollicités. Alors que le tarif de la carence ambulancière est passé de 105 euros à 113 euros, la conférence nationale des SDIS demande une rémunération au coût réel de l’intervention par ses services, ce qui semble légitime. Le coût sera donc très supérieur à la tarification actuelle des ambulances. En effet, le coût moyen d’une intervention en véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) serait de 600 euros, entre un minimum à 280 euros et un maximum autour de 1 200 / 1 300 euros.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ces chiffres ont été cités par l’Association des départements de France et repris dans un rapport d’information de juillet 2009 sur le financement des SDIS de nos collègues Georges Ginesta, Bernard Derosier et Thierry Mariani présenté au nom de la mission d’évaluation et de contrôle, alors présidée par MM. Georges Tron et David Habib. Ce rapport et ses réflexions sur l’armement d’un VSAV avec quatre personnes – au lieu des deux personnes dont est dotée une ambulance – pour accomplir des missions autres que celles confiées par le mandat initial, avaient fait quelque bruit… Mais revenons à la rationalisation des moyens fondée sur une transmission facilitée des informations : la dématérialisation de la facturation ou d’autres expérimentations, même si elles sont parfois décevantes.
M. Thomas Greiner, président de l’association départementale de réponse à l’urgence du Bas-Rhin. Pour revenir rapidement sur les questions précédentes, un historique du fonctionnement des transports urgents dans mon département me semble utile. En 1997, nous avions mis en place une garde « 24 heures sur 24 heures » comme elle est aujourd’hui prévue dans le référentiel de 2009, sans financement mais sur la base de l’auto-organisation des ambulanciers. Notre département n’avait pas de VSAV, sauf à Strasbourg, communauté urbaine de 450 000 habitants, où il est affecté aux seuls besoins des pompiers. L’ensemble des interventions – qu’il s’agisse de secours sur la voie publique ou aux personnes – était effectué par des ambulances privées. Les ambulanciers privés ne recevaient pas d’indemnité de garde et facturaient leurs interventions à l’assurance maladie. Le volume de travail ainsi assuré permettait l’autofinancement du système. L’ambulancier disponible obtenait des gardes plus fréquentes, tandis que l’ambulancier occupé perdait des tours d’appel du SAMU. Ce système performant et moins onéreux que celui d’aujourd’hui a été remis en cause avec la mise en service des VSAV. Je m’étonne un peu d’entendre que les pompiers veulent se désengager du transport sanitaire : on observe l’inverse sur le terrain. Les 168 000 carences recensées par le SAMU selon le docteur François Braun sont à comparer avec les 338 000 déclarées par les SDIS. Il faut une régulation médicale avant tout engagement : sinon une fois le moyen d’intervention engagé, il ne peut plus être arrêté… Alors que le transport sanitaire est notre mission, les pompiers deviennent nos concurrents. Parler d’économies suppose de prendre en compte le coût énorme des engagements des pompiers et des VSAV financés par les collectivités territoriales, et pas seulement celui des carences ambulancières financées indirectement par l’assurance maladie. Il s’agit donc d’un transfert de charges. Le calcul global des missions de transport sanitaire et de secours doit intégrer l’ensemble des payeurs et pas seulement l’assurance maladie.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Sans tirer de conclusions hâtives, tout ceci prêche pour un renforcement de la coordination et pour réunir l’ensemble des acteurs du transport sanitaire, puisque leurs autorités de tutelle sont différentes. Ces questions doivent s’inscrire dans la logique du parcours de soins. Le transport doit s’articuler avec les demandes suscitées par la prescription médicale – incarnée majoritairement par les établissements de soins – et la nécessité d’appliquer les référentiels alors qu’il convient de rappeler que le dernier acteur du transport de patients, les taxis, en ont une application un peu particulière.
Dr Patrick Hertgen. Il me semble utile d’apporter quelques précisions après ce qui vient d’être dit. Je ne m’appesantirai pas sur le dernier argument, selon lequel les interventions des pompiers seraient onéreuses parce que leurs moyens surabondants déséquilibreraient le coût de ces interventions. Je rappelle que l’ensemble des services d’incendie et de secours, pour toutes leurs missions, représente 4 milliards d’euros, à comparer aux 4 milliards d’euros que représentent également les seuls transports de patients. Il ne me semble pas qu’on puisse faire aux sapeurs-pompiers le procès de coûter trop cher à ce titre. Si notre mission n’est pas de faire du transport sanitaire, nous n’entendons pas que le service de secours public aux personnes soit privatisé. Chacun doit rester sur le champ de sa mission, là où il est pertinent et il convient de s’y tenir. Nous n’entendons pas devenir un opérateur de transport sanitaire, mais nous n’entendons pas que ces missions de secours puissent être privatisées et faire l’objet d’une délégation de service public. Ce n’est pas le modèle français de la sécurité civile et ce serait fragiliser son édifice. Les sapeurs-pompiers sont les garants de la péréquation territoriale. Les soins et les secours sont distribués facilement dans les zones densément peuplées, mais beaucoup moins dans les zones qui le sont moins, comme la montagne… Le délai moyen d’intervention des sapeurs-pompiers est de 12 minutes 32 secondes en France métropolitaine, maintenir la péréquation ville-campagne suppose qu’il n’y ait pas de démembrement de leurs fonctions. La Fédération des sapeurs-pompiers est fortement opposée à l’idée que la partie secours devienne une mosaïque dont chaque acteur prélèverait une pièce au gré des territoires les plus rentables. Ce cœur de métier, le secours, doit rester un service public assurant sa continuité sur tout le territoire.
Cela ne signifie pas que les transporteurs sanitaires n’ont pas de rôle dans l’urgence. Mais, dès lors qu’il s’agit d’apporter une mission de secours, qui n’est pas exactement le sauvetage − éteindre les flammes et écarter les tôles − mais une action urgente, cela nécessite un substrat technique un peu plus important. Toutes les ambulances ne sont pas les équivalents techniques de VSAV et ne peuvent être affectées aux mêmes missions.
Sur les plateformes communes, j’aurais souhaité entendre des arguments plus convaincants. Notre activité, j’en suis d’accord avec le docteur François Braun, manque d’évaluation qualitative ou bien les évaluations sont peu publiées. Il serait pertinent pour tous les services que soit évaluée l’efficience de nos dispositifs, de la régulation médicale, des secours distribués. Or, il n’est aujourd’hui procédé qu’à une analyse quantitative du nombre d’interventions.
Je le répète, nous sommes favorables à ces plateformes parce que nous pensons qu’elles facilitent l’interopérabilité des acteurs. Mais ce n’est pas une condition suffisante. Il faut qu’une doctrine commune soit trouvée. Un mot sur l’Indre : la situation serait excellente parce qu’il n’y a que quatre carences par mois. Mais c’est dans l’Indre que l’on retrouve cette situation de confusion entre le service public de secours et le transport sanitaire. Les sapeurs-pompiers de l’Indre se plaignent, non parce qu’ils n’interviennent pas en situation de carence, mais parce qu’ils constatent que les missions de secours sont effectuées par un acteur privé, ce qui fragilise la péréquation territoriale.
Sur la part des missions de sapeurs-pompiers effectuées à domicile alors qu’elles ne sont pas médicalisées qui a été relevée par un représentant des transporteurs sanitaires, je ferai remarquer que sur 3 millions d’intervention de secours aux personnes, 750 000 missions d’urgence sont qualifiées de porteuses de détresse vitale à domicile. Elles correspondent, pour 5 % d’entre elles, à des patients décédés, 20 % sont médicalisées et ont fait l’objet d’un renfort avec un service médical d’urgence et de réanimation. Sur les 75 % restant, 10 % des patients sont maintenus à domicile et les autres, soit 65 %, sont conduits à l’hôpital. Ce poste d’intervention est celui qui a connu la plus forte croissance entre 2012 et 2013, puisqu’elle a atteint 18 %. Cette augmentation n’est pas due à un intérêt économique des sapeurs-pompiers, les services d’incendie et de secours connaissant déjà en 2012 des difficultés budgétaires, ni au référentiel et au départ réflexe qui créerait une inflation d’activité : le référentiel est applicable depuis 2009. Elle est probablement due à cette zone grise d’intervention pour laquelle la frontière entre transport sanitaire et mission de secours n’est pas clairement établie et pour laquelle nous ne sommes pas les seuls prescripteurs. Au sens administratif du terme comme le remarquait le docteur François Braun, les SAMU, qui nous demandent d’intervenir, sont des prescripteurs des sapeurs-pompiers, même si ce n’est pas au sens de l’assurance maladie. Et quotidiennement, nous sommes sollicités par les SAMU pour intervenir sur cette zone grise et non pas de notre propre initiative. Nous aimerions diminuer notre activité sur ce point-là. Nous ne sommes pas dans une logique inflationniste et nous n’y avons pas intérêt.
Enfin en matière de formation, les sapeurs-pompiers ne sont pas uniquement formés à sauvegarder la vie. Le différentiel de formation des professionnels du secours que sont les sapeurs-pompiers n’est pas si important avec les professionnels de santé que sont les transporteurs sanitaires.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je souhaiterais que soient abordées les tensions qui règnent avec les fédérations de taxis. L’Union nationale des associations départementales des ambulanciers urgentistes de France, structurée par département, a-t-elle une idée de la répartition des parts de marché, si vous m’autorisez cette expression un peu mercantile, en ce qui concerne le TAP (transport assis professionnalisé), ventilé entre les VSL (véhicules sanitaires légers) des entreprises ambulancières et les taxis, eux-mêmes répartis entre les artisans taxis et des taxis relevant en fait des entreprises de transport sanitaire. Disposez-vous de chiffres illustratifs ?
M. Charles Greiner, conseiller technique à l’UNADAUF. Je souhaite d’abord répondre à ce que vient de dire le docteur Patrick Hertgen. À Strasbourg, il n’existait pas de véhicules VSAV jusqu’en 2004. Leur arrivée a été présentée comme une obligation légale nécessaire aux centres de secours. Aujourd’hui, le directeur du SAMU est l’ancien médecin-chef des pompiers et le président du conseil général est également le président du conseil d’administration du SDIS. La boucle est bouclée… et l’activité de d’ambulancier privé diminue. Je qualifie de transport sanitaire à 80 % l’activité des VSAV pure puisque 3 % correspond en fait à des urgences vitales. L’activité des pompiers connaît ainsi une croissance à deux chiffres depuis dix ans. C’est inquiétant car il n’y a pas une croissance équivalente des urgences, il s’agit bien de la prise de marchés qui relevaient des autres acteurs du transport sanitaire. 10 % des sapeurs-pompiers strasbourgeois sont des professionnels, les autres sont des sapeurs-pompiers volontaires comme le boucher, le boulanger ou le plâtrier… qui ne peuvent pas assurer les mêmes missions qu’un ambulancier diplômé d’État qui a suivi une formation dix fois plus longue. Le transporteur sanitaire assure avec difficulté l’équilibre de ses investissements financiers et des charges qu’il assume comme employeur. Son propre ambulancier peut d’ailleurs concurrencer directement sa société en étant chef d’agrès dans un véhicule de pompiers dès qu’il est libéré de sa garde dans l’entreprise… Enfin, certains employés n’hésitent pas à se mettre au chômage pour pouvoir suivre une formation en étant plus disponibles !
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Au-delà du différentiel de formation que vous évoquez, je voudrais aborder la problématique des charges économiques. Vous êtes des acteurs économiques, même si la réalité économique, qu’il faut intégrer à notre réflexion, ne doit pas conditionner l’offre sanitaire. À ce sujet, différents rapports et auditions nous ont appris que la cession des autorisations de mise en service d’une ambulance pouvait s’élever à 250 000 euros – ce chiffre, qui a néanmoins été relativisé, dépendrait de la concentration urbaine. En tant qu’union nationale représentante de l’ensemble des associations départementales, avez-vous une estimation plus précise de ce montant ?
M. Thomas Stéphan. Sur la partie concernant le transport assis professionnalisé, les taxis conventionnés représentent 65 % de la part de marché et sont en progression croissante par rapport aux VSL. Les VSL et les taxis conventionnés n’ont pas vocation à assurer le transport d’urgence. Aujourd’hui, il existe une enveloppe fermée regroupant les trois effecteurs et il est en effet indispensable de pouvoir dissocier la partie transport assis du transport couché en ambulance. Les tarifs des transports VSL- ambulance sont définis par l’assurance maladie, alors que les tarifs des taxis sont définis par arrêté préfectoral.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il est légitime de vouloir séparer le versant « ambulance » et le versant « VSL », mais on peut néanmoins mener une réflexion sur les logiques de plafonnement de chacune des flottes, ce qui a d’ailleurs été évoqué par la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2012.
M. Thomas Stéphan. Les ARS doivent geler les autorisations de mise en service des véhicules sanitaires et éviter les transferts de VSL vers l’ambulance. Il existe en effet des problèmes dans les grandes villes car les tarifs des taxis ne sont pas adaptés, mais cette situation n’est pas du tout représentative de l’ensemble du territoire national.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Disposez-vous de statistiques sur les montants des cessions ?
M. Thomas Stéphan. Les chiffres sont très variables d’un territoire à l’autre, on annonce 50 000 euros à 70 000 euros pour une cession d’autorisation de mise en service d’une ambulance, bien loin du montant de 250 000 euros que vous avez mentionné.
En dehors des grandes agglomérations comme Paris, il existe des carences d’ambulance, et on note en même temps une inflation des délivrances des autorisations de stationnement de taxis. Dans mon département, l’ensemble des centres de secours, y compris les centres de proximité avec faible activité, se voient dotés de VSAV, alors que nous nous retrouvons avec un plafond établi sur la base de modes de calculs datant d’il y a vingt-cinq ans à partir de critères qui ne correspondent plus à la réalité.
Concernant le financement du transport d’urgence, l’indemnité de garde ambulancière de 346 euros, qui nous paraissait correcte il y a quelques années, se révèle aujourd’hui problématique. Il faut, dans le cadre de la maîtrise des coûts, favoriser la facturation à l’acte. En revanche, il doit être possible, grâce à la géolocalisation, de déterminer les périodes d’inactivité, notamment dans les zones rurales. Si l’on veut faire de l’urgence, il faut accepter d’avoir des phases d’inactivité. Le financement doit être en rapport avec le volume d’activité.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie pour l’ensemble de ces propos et vous invite à nous faire parvenir vos préconisations, qui doivent être marquées par leur caractère opérationnel et la recherche d’un bon rapport coûts/efficacité.
M. Nelson Nazon. Je vous remercie pour votre confiance. Nous allons tout mettre en œuvre pour permettre la réussite de votre projet.
*
* *
Table ronde réunissant des représentants des fédérations hospitalières : Dr Catherine Réa, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP), M. René Caillet, responsable du pôle organisation sanitaire et médico-sociale de la Fédération hospitalière de France (FHF), M. Emmanuel Masson, vice-président de la Fédération de l’hospitalisation privée-soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), et M. Thierry Béchu, délégué général de la Fédération de l’hospitalisation privée-médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO), accompagnés par M. David Castillo, responsable des études économiques et des systèmes d’information, et M. Anthony Frémondière, directeur du développement et de la vie institutionnelle de la Fédération de l’hospitalisation privée
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Notre interrogation porte notamment sur les capacités à dégager des marges de manœuvre, à hauteur d’environ 450 millions euros, et s’articule autour de trois axes : l’amélioration du respect de la prescription – le transport de patients étant un acte médical –, la réforme de la garde ambulancière et enfin la lutte contre la fraude.
Dr Catherine Réa, conseillère médicale au sein de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP). Au titre de la FEHAP, nous nous réjouissons de l’existence de travaux consacrés au transport de patients. Il est en effet nécessaire d’organiser des parcours plus efficients afin de pouvoir réduire les prescriptions de transport.
À l’aube de la révision des programmes régionaux de santé et des schémas régionaux d’organisation des soins, il serait bon d’y inclure une réflexion sur les transports, parallèlement à celle sur le regroupement des plateaux techniques, dont le coût secondaire, qui n’est pas pris en compte, n’est pas évalué.
Il est important d’associer les professionnels libéraux à la prescription de transport dans le cadre de certains contrats comme les contrats d’amélioration et de qualité de l’organisation des soins (CAQOS) et de pouvoir contrôler et payer sur la base de la prescription. Trop souvent, les transports de patients, par défaut de disponibilité des transports assis, s’effectuent en transport couché alors que la prescription initiale concernait bien un transport assis.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Concernant les prescripteurs, où en sommes-nous sur la question de l’identification et de l’individualisation de la prescription en établissements de soins ?
Dr Catherine Réa. Au sein des établissements de la FEHAP, un travail d’appropriation a été mené. La prescription est rédigée et signée par le médecin. Les CAQOS ont participé à une prise de conscience collective au sein des établissements.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous pu mesurer le taux de progression de l’individualisation de la prescription ?
Dr Catherine Réa. Nous vous fournirons les données si elles existent.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Au-delà du domaine proprement sanitaire, existe-t-il des réflexions sur le transport de patients dans le domaine médico-social ?
Dr Catherine Réa. Aujourd’hui, la télémédecine, la télé-expertise et les téléconsultations constituent une piste pour réduire les aller-retour entre un plateau technique et les établissements médico-sociaux. Par exemple, le suivi des plaies chroniques peut se faire par télémédecine, de même que le suivi post-chirurgical après une pause de prothèse de hanche. Mais cela représente un coût important.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous évalué ces coûts ?
Dr Catherine Réa. Le bénéfice de ces opérations n’a pas encore été mesuré. Un établissement de la FEHAP, accompagné par l’URC ECO (unité de recherche en économie) en Île-de-France, va se charger de la simulation économique, pour voir, en fonction des différents programmes de télémédecine, quelles sont les actions objectivement économiques et celles qui ne le sont pas mais qui améliorent la qualité des soins. Concernant par exemple les suivis cardiologiques dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), où 20 % des résidents sont insuffisants cardiaques, la télémédecine permettrait de réduire les transports. Le coût final est néanmoins difficile à évaluer dans la mesure où il faut construire un modèle économique nouveau.
M. René Caillet, responsable du pôle « organisation sanitaire et médico-sociale » de la Fédération hospitalière de France (FHF). L’augmentation des transports de patients est une tendance lourde, le mouvement de développement de la télémédecine étant encore lent et difficile à évaluer. Les restructurations, qui ont eu pour conséquence un regroupement des plateaux techniques, ont contribué au développement du transport. Par ailleurs, l’âge des patients et leurs pathologies les amènent à venir plus souvent. Enfin, l’organisation du système est très fractionnée au sein des établissements.
Il existe des exemples intéressants, notamment au CHU de Dijon, dans un établissement de Martigues, ou encore à l’hôpital de Troyes. Mis à part ces quelques cas, les prescriptions – en tout cas dans le public – sont marquées par l’urgence. Certaines habitudes doivent être dépassées.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est toute la difficulté de la transmission de l’information et de l’accès à des banques de données. À cet égard, le guide produits par l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) Améliorer la gestion des transports sanitaires en établissements de santé est-il adapté aux établissements de soins et aux établissements médico-sociaux ? Vous évoquiez le sujet de l’urgence et preniez l’exemple de l’hôpital de Martigues, qui d’ailleurs résulte d’une expérimentation menée aux urgences de l’hôpital Beaujon. Je suis moi-même à l’initiative d’une étude réalisée pour ce dernier par le cabinet de conseil Mac Kinsey pour réduire le temps d’attente aux urgences : il est regrettable que ce dispositif, qui a fait la preuve de son efficience, n’ait pas été généralisé.
M. René Caillet. Le référentiel de l’ANAP est excellent et doit être déployé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Existe-t-il un calendrier raisonnable de mise en place de ce référentiel ?
M. René Caillet. L’organisation de la fonction de transport est un enjeu de service public. Il faut encore intégrer la réflexion : on a aujourd’hui des coordinations établissement par établissement, mais il est nécessaire de passer à une coordination par territoire, y compris pour le secteur médico-social.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Concernant toujours le guide de l’ANAP, envisagez-vous une programmation de l’appropriation de ces bonnes pratiques dans les établissements rattachés à votre Fédération ? Est-il au moins possible de connaître l’importance de la montée en charge de ces bonnes pratiques ?
M. René Caillet. Pourquoi ne pas imaginer que cela fasse l’objet d’une contractualisation ? Cela pourrait être traité dans un délai de trois à cinq ans.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous des exemples de dispositifs permettant de lutter contre les phénomènes « d’embolisation » à certaines tranches horaires ? Que pensez-vous de la proposition de la Cour des comptes de mettre en place une procédure d’appel d’offres pour la commande de transports de patients ?
M. René Caillet. S’agissant de votre première question, nous n’avons pas de remontées d’information à ce sujet, mais nous pouvons faire une demande auprès de nos adhérents. Nous sommes favorables à une procédure d’appel d’offres qui devrait favoriser la transparence et le contrôle du respect des droits et obligations de chacun. Les groupements territoriaux de santé pourraient intervenir dans ce domaine.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce sujet fait polémique : les représentants des entreprises de transports craignent qu’une telle procédure favorise la constitution de monopoles alors que le secteur est actuellement très éclaté. Quelle serait la formule la plus pertinente ?
M. René Caillet. La formule de l’appel d’offres est plus souple qu’on ne le croit. Les interrogations des entreprises de transports de patients sont légitimes mais l’objectif est d’avoir un système globalisé avec un cahier des charges précis fixant des obligations de service public – notamment le respect du tour de rôle par tous les acteurs ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. L’objectif de la FHF n’est pas de constituer des monopoles régionaux mais de favoriser davantage de lisibilité sur le territoire. Les fonctions transversales ont aujourd’hui bien évolué. La mise en place de plateformes de gestion des transports nous permettrait d’être plus compétitifs. Notons que le transport médico-social obéit à une logique différente et qu’il est aujourd’hui exposé à un resserrement financier.
Dr Catherine Réa. S’agissant de la prescription du transport au moment de la sortie d’un établissement de santé, la circulaire du 27 juin 2013 relative à la prise en charge des frais de transport de patients du ministère des affaires sociales et de la santé nous complique la tâche. Se pose aussi la question des transports intra-hospitaliers. Il faut une mise à plat de ces prises en charge.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Existe-t-il une évaluation du coût des transports intra-hospitaliers ?
M. René Caillet. Nous ne disposons pas d’une telle évaluation. En revanche, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) devrait pouvoir vous transmettre des données chiffrées. D’après nos estimations, quatre à cinq mille agents de la fonction publique sont concernés par les transports intra-hospitaliers. Cependant, ces agents remplissent généralement aussi d’autres missions et la distinction entre les transports intra-hospitaliers et les transferts par brancardiers est parfois délicate : ces éléments rendent nos estimations approximatives. Toujours est-il que celles-ci font état d’un coût compris entre 200 millions et 300 millions d’euros. Cette estimation ne prend néanmoins pas en compte le coût des véhicules, qui font l’objet de plus en plus fréquemment de locations et non d’achats, conformément aux préconisations de la Cour des comptes. La mise en place d’une plateforme de coordination et d’organisation des transports de patients devrait permettre des gains d’efficience.
M. Emmanuel Masson, vice-président de la Fédération de l’hospitalisation privée-soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR). Nous partageons la majorité des constats de la FHF et de la FEHAP – même si le mode de fonctionnement de nos établissements diffère – car les transports de patients représentent une charge financière très lourde pour les établissements de santé. La baisse de la durée des séjours qui a résulté de la mise en place de la tarification à l’activité (T2A), l’évolution du profil des patients et des polypathologies entraînent une augmentation du nombre de trajets par patient. Une évaluation faite par certains départements montrait qu’en 2000 les patients en gériatrie effectuaient deux trajets par mois en moyenne ; aujourd’hui, nous constatons plutôt que ces patients effectuent en moyenne deux trajets par semaine.
Il est difficile d’adapter l’offre de transport à la demande. Le prix d’un transport en VSL – hors indemnité kilométrique – est de 28 euros alors que celui d’une ambulance est – hors indemnité kilométrique – de 121 euros. Pour autant, il est difficile de refuser l’arrivée d’une ambulance quand un simple VSL a été demandé car le patient attend et souhaite être transporté rapidement. Il est difficile de mesurer l’ampleur de ce phénomène mais il est extrêmement fréquent, d’autant plus que le système favorise la transformation de VSL en ambulance.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On nous a assuré que la nouvelle réglementation qui attribue la compétence aux agences régionales de santé dans ce domaine rendrait ce genre de situation impossible.
M. Emmanuel Masson. Sur le terrain, les choses n’ont pas changé…
Dr Catherine Réa. Cette situation ne résulte pas seulement d’un comportement délibéré des entreprises de transports : en cas de forte affluence de la demande, ces entreprises envoient les véhicules disponibles qui sont, parfois, seulement des ambulances.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le bilan de l’expérimentation, adoptée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, de mise en place de centres de régulations ?
M. Emmanuel Masson. Il faudrait donner suite aux études locales qui ont été réalisées sur ce sujet. La règle du prescripteur/payeur pose problème : si le prescripteur ne paye plus, pourquoi mettrait-il en place une régulation en amont ? Les procédures de télémédecine ont été peu développées car on ignore comment rémunérer les médecins libéraux.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le bilan de la dématérialisation des données ? Avez-vous le sentiment de pouvoir évaluer la progression de cet outil ?
Dr Catherine Réa. Tous les établissements travaillent sur ce projet et il y a des contractualisations avec les caisses primaires d’assurance maladie à ce sujet. Cela constitue un vrai enjeu pour les établissements car cela représente un coût important. Des échéanciers ont été définis au niveau national et au niveau local dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens entre les agences régionales de santé et les établissements de santé.
M. René Caillet. Je peux moi aussi témoigner que l’interopérabilité des systèmes d’information progresse et que les interfaces sont meilleures. Il n’en demeure pas moins que les systèmes informatiques répondent à des logiques propres à chaque établissement. De plus, la problématique des transports de patients ne figure pas comme une priorité dans les projets des établissements qui se mobilisent beaucoup plus sur le dossier médical individuel ou sur le suivi des prescriptions. Les ARS devraient être plus dynamiques pour impulser des systèmes compatibles avec des liaisons transversales et opérationnelles sur un territoire donné. Il faut améliorer les mécanismes contractuels et tenir compte des particularités de chaque territoire.
S’agissant du contrôle des prescriptions de transports, beaucoup reste à faire, personne ne vérifie l’exécution de la prescription qui est souvent largement interprétée. Les cas les plus patents résultent des patients qui arrivent aux urgences. Très souvent les prescriptions de transport sont régularisées a posteriori et le prescripteur n’a aucune marge d’appréciation, il avalise le mode de transport qui a été utilisé par l’entreprise de transport sanitaire.
M. Thierry Béchu, délégué général de la Fédération de l’hospitalisation privée-médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO). Pour la clarté de nos débats je crois qu’il faut bien distinguer les questions du court terme des problématiques à plus longue échéance.
L’offre de soins a subi ces dernières années des restructurations. Il n’est pas neutre, comme en Mayenne par exemple, de supprimer tous les plateaux techniques de chirurgie qui font moins de 1 500 interventions par an. Cette modification de l’offre de soins a de fortes conséquences en termes de demande de transports car les lieux de soins s’éloignent des lieux de vie des patients.
La difficulté est d’anticiper les conséquences de ces changements de localisation des soins et de durée de séjour.
À plus court terme, certains aspects de l’organisation des soins pourraient être améliorés ; ainsi pour les soins chroniques comme l’insuffisance rénale chronique, nécessitant des dialyses, et qui, de ce fait, entraînent des transports réguliers et programmés plusieurs fois par semaine, certaines ARS ont mis en place des systèmes de covoiturage en VSL pour conduire les patients à ces séances de soins.
Les transports de patients en amont et en aval des hospitalisations pourraient aussi être rationalisés mais c’est une question complexe. Le recours à des appels d’offres dans le choix d’un transporteur pour faire des économies a montré ses limites car avoir recours à une seule entreprise de transport pose souvent des difficultés notamment dans le cas des départements très étendus géographiquement.
Il faut s’inspirer des bonnes pratiques locales. À Montpellier, certains hôpitaux ont choisi d’internaliser les transports et de se charger eux-mêmes de l’organisation des rotations des transporteurs. Il faut de plus rappeler que la prescription doit primer sur la facturation, les transporteurs n’ayant pas à modifier le type de véhicule qui est inscrit sur la prescription. C’est le médecin qui apprécie le besoin qui dépend de multiples facteurs sanitaires.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. D’une manière un peu triviale j’ai eu l’occasion d’affirmer lors de l’audition précédente que la prescription de transport n’est pas une prestation à la carte, c’est un acte médical.
M. Thierry Béchu. Le suivi des prescriptions ne pose pas de difficulté car les praticiens peuvent être facilement identifiés. En revanche, il n’est pas toujours facile de déterminer précisément lors d’une prescription de sortie d’un établissement de santé s’il s’agit d’un transport à la sortie d’une hospitalisation ou s’il s’agit d’un transport lié à d’une visite post opératoire.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quels sont les principaux dysfonctionnements que pouvez constater dans la prescription et la facturation des transports de patients ?
M. Emmanuel Masson. Compte tenu de la réduction des durées de séjour, il est fréquent que des patients récemment hospitalisés reviennent quelques jours plus tard pour des examens qui n’ont pu être passés durant le séjour hospitalier. Cette tendance a pour conséquence de multiplier les prescriptions de transport en ambulance ou VSL. De plus, les chirurgiens, pour rassurer leurs patients ont tendance à les faire revenir plusieurs fois pour le suivi de leurs interventions, ce qui entraîne encore de nouvelles prescriptions.
Il arrive aussi fréquemment que les transporteurs ne respectent pas le type de véhicule indiqué dans la prescription. Enfin, si le parcours de soins était plus opérationnel de nombreux transports pourraient être évités : des actes seraient réalisés plus en amont et il ne serait pas nécessaire de procéder à des interventions en urgence qui, elles, sont toutes précédées par un transport de patients.
Dr Catherine Réa. Les établissements ont pu constater les conséquences de l’application de la circulaire du 27 juin 2013 relative à la prise en charge des frais de transport de patients. Le prescripteur n’est plus le payeur. Cette circulaire a modifié l’échelonnement des actes d’exploration. On constate fréquemment que lorsque les hospitalisations sont programmées, les patients arrivent accompagnés par leurs proches alors que lorsque les patients arrivent aux urgences le recours aux transports de patients est systématique. Il faudrait donc essayer d’augmenter la part des hospitalisations programmées en améliorant la prévention.
M. Thierry Béchu. L’évolution des pratiques médicales a de multiples conséquences. Le développement de la chirurgie ambulatoire va nécessiter leur suivi à domicile pour les soins post-opératoires. La chirurgie ambulatoire ne va pas conduire à une réduction des actes mais à une modification de leur mode d’administration. Si la sortie n’est pas préparée il risque d’y avoir de multiples réhospitalisations avec autant d’interventions des transports de patients.
M. René Caillet. Comme par le passé la dotation globale avait eu ses effets pervers, on constate que la T2A entraîne des réactions dont les conséquences sont fâcheuses pour le service rendu aux patients. Certaines dépenses ont tendance à être reportées sur d’autres acteurs car les établissements hospitaliers sont très contraints financièrement. Il serait préférable de fixer des enveloppes régionales ou territoriales globales pour telle ou telle catégorie de soins, les ARS étant alors responsables de leur bonne utilisation pour offrir une offre de soins adéquate.
Dr Catherine Réa. Au lieu de se focaliser pour réaliser des économies sur le regroupement des plateaux techniques, il serait beaucoup plus réaliste de chercher à améliorer les centres de proximité et l’aide à domicile. Sans cela, il est illusoire de développer les hospitalisations ambulatoires car les patients ne pourront faire face aux soins de suite.
M. Emmanuel Masson. La circulaire de juin 2013 a pour conséquence non pas de reporter les dépenses de transport dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM)-soins de ville mais dans l’ONDAM hospitalier.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie pour ces échanges très riches et constructifs. Les membres de la MECSS y trouveront des pistes de réforme qui se traduiront sans doute par de futurs amendements notamment dans la future loi de santé publique.
Audition de M. Alain Bourez, directeur de la Caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, et Mme Bintou Boïté, directrice adjointe
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, accompagné de son adjointe, Mme Bintou Boïté.
En tant que président et rapporteur, je souhaitais entendre les responsables des caisses primaires, qui sont responsables de la déclinaison territoriale des transports de patients, ceux-ci ayant représenté une dépense de quelque 4 milliards d’euros en 2013.
Nos travaux sur le transport des patients s’inspirent notamment de plusieurs rapports, dont celui de la Cour des comptes de 2012 et celui de M. Didier Eyssartier de 2010. La Cour des comptes a émis des préconisations visant à améliorer la prescription de transport par rapport au référentiel de 2006, à réformer la garde ambulancière et à parfaire le contrôle en matière de tarification et de lutte contre la fraude. Elle estime que la mise en œuvre de ces recommandations permettrait d’économiser 450 millions d’euros.
Quelles pistes préconisez-vous pour améliorer une offre aujourd’hui mal construite, pour affiner la logique tarifaire et pour accroître l’efficience de la gouvernance de la politique du transport de patients ?
M. Alain Bourez, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine. Les questions liées à la consommation médicale s’avèrent toujours complexes. On se retrouve souvent démuni face à l’évolution des comportements. Le transport médical est devenu un droit que l’on ne sollicitait pas auparavant. Améliorer la prescription, la facturation et le contrôle n’arrêtera pas la forte augmentation des dépenses de transport. La solidarité familiale qui amenait un parent à venir chercher un membre de sa famille à la sortie de l’hôpital s’est estompée derrière la commande d’un taxi ou d’un véhicule sanitaire léger (VSL).
Le transport de patients représente une dépense d’à peu près 4 milliards d’euros : c’est finalement peu en comparaison avec les dépenses de pharmacie, mais de petites choses peuvent entraîner, en bout de chaîne, des économies non négligeables. J’ai conscience que bien des choses peuvent être améliorées, pour peu que l’on s’efforce de les comprendre. Le système de tarification pour commencer est relativement opaque : les taxis ont pris une part importante dans le transport de patients, ce qui pose de sérieuses difficultés, les taxis parisiens ayant des règles de tarification différentes de celles des taxis des autres départements. Le système de tarification des ambulances et des VSL n’est pas simple non plus. Mais ce qui est fondamental, c’est que le transport médical ne soit plus considéré comme un droit, mais comme une prescription médicale. Il faut faire comprendre aux usagers que ce n’est ni un droit ni une obligation, mais une nécessité, et qui s’impose dans un nombre de cas finalement assez réduit.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous prêchez des convaincus, monsieur le directeur : pour les membres de la MECSS, le transport de patients correspond à un acte médical et non à une prestation consumériste dépendant des seuls desiderata des citoyens. Cette prise en charge doit être justifiée et donc adossée à un référentiel. Au-delà de la tendance de notre société à développer un droit de tirage permanent sur les systèmes de protection sanitaire et sociale, il existe la règle que l’on doit appliquer. Les établissements de soins – qui représentent 63 % des prescriptions – et le secteur ambulatoire doivent faire en sorte que le respect du référentiel de 2006 soit assuré au quotidien, car le libre choix du patient n’est pas opposable à l’article L. 322-5 du code de la sécurité sociale.
M. Alain Bourez. Nous sommes totalement d’accord sur ce point, et je me demande si le référentiel de 2006 est suffisamment précis. Lorsque l’on a voulu faire relever du droit commun la prescription de transport pour les assurés souffrant d’une affection de longue durée, les dépenses liées aux frais de transport pour ces patients n’ont pas diminué, au contraire ; elles ont continué à augmenter.
Le référentiel actuel ne repose que sur la distinction entre le transport en position allongée et celui où le patient est assis, ce qui s’avère insuffisant. Il conviendrait d’indiquer au médecin le degré de handicap ou de besoin du malade afin de l’éclairer sur la nécessité de prendre en charge son transport. On peut, par ailleurs, s’interroger en constatant que 68 % des transports sont prescrits par des médecins hospitaliers.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous avons en tête un chiffre de 63 %…
M. Alain Bourez. C’est le taux national ; le chiffre de 68 % est le taux constaté dans les Hauts-de-Seine. Nous agissons, mais il existe d’autres priorités à l’hôpital, si bien qu’il serait inopportun de privilégier la question des transports : la prescription de médicaments, dont très peu sont des génériques, par les médecins hospitaliers représente ainsi un risque financier autrement plus sérieux que les transports.
Pour commencer, l’assurance maladie, en l’état actuel des choses, ne connaît pas l’identité du prescripteur hospitalier. On ne connaît que le nom de l’établissement, puisqu’il s’agit d’une prescription hospitalière. Mais nous devrions bientôt être en mesure d’identifier le prescripteur.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quand ?
M. Alain Bourez. Cela prend du temps : cela fait dix ou quinze ans qu’on en parle… Les médecins hospitaliers sont intégrés dans les fichiers de praticiens détenus par l’ordre des médecins – et tous ne sont pas forcément inscrits à l’ordre… Il nous faut mettre en place des liens avec nos fichiers. Il existe un projet en ce sens piloté par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), le « référentiel offre de soins », qui permettra de faire apparaître les médecins hospitaliers dans les bases des caisses. On saura enfin qui prescrit quoi.
Par ailleurs, nos conseillers d’établissement rencontrent les praticiens hospitaliers pour les sensibiliser et, lorsque cela est nécessaire, les inviter à choisir des modes de transport adaptés à l’état de santé de leur patient. Avec l’agence régionale de santé (ARS), nous souhaitons que les établissements hospitaliers se dotent d’une structure – par un redéploiement d’effectifs – permettant de gérer la demande de transport. Nous travaillons également ensemble pour mettre en place le système « Transport Manager » qui permettra de connaître et de réguler la demande de transport à l’intérieur de l’hôpital.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pourriez-vous expliquer ce qu’est « Transport Manager » ?
M. Alain Bourez. « Transport Manager » assurera le lien entre le service demandeur et la personne commandant le transport, afin qu’un contrôle puisse être effectué et que les services hospitaliers ne subissent pas la pression des transporteurs.
Dans les Hauts-de-Seine, il y a très peu de VSL ; et lorsque l’on sort de l’hôpital guéri, on peut prendre un VSL. Or, les entreprises de transport envoient une ambulance, mais le remboursement se fait sur la base de l’utilisation d’un VSL. L’entreprise fait alors pression pour que la prescription soit changée au profit d’un transport en ambulance.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Qu’entendez-vous par le terme de « pression » ? Comment peut-on imaginer une pression d’un acteur économique privé sur un membre de la fonction publique hospitalière ?
M. Alain Bourez. Le souhait des hôpitaux est que le malade sorte au plus vite : si l’état du patient nécessite un transport, l’hôpital peut céder à cette pression et prescrire une ambulance.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie de votre franchise et je conclus de vos propos qu’il existe une organisation du marché de l’offre qui conditionne la demande de transport de patient et l’influence afin d’obtenir un avantage matériel. Il s’agit d’un détournement d’argent public au profit de tiers.
M. Alain Bourez. Et cette situation n’incite pas les entreprises de transport à se doter de VSL. Nous avons essayé de développer le recours au taxi, mais cela a simplement tempéré l’utilisation des ambulances et a accentué la diminution de l’emploi des VSL.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le mouvement de transformation des VSL en ambulances perdure-t-il ? Depuis un an, on nous affirme que ce transfert n’est plus autorisé alors qu’une totale liberté prévalait auparavant.
M. Alain Bourez. L’organisation de l’offre en matière de transports est très imparfaite : on n’a pas su maîtriser la demande, mais on n’a pas su non plus gérer l’offre.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le coût d’un taxi représente bien 50 % de plus qu’un VSL ?
M. Alain Bourez. Oui. L’utilisation des ambulances a également été stimulée par l’insuffisance de la revalorisation tarifaire des VSL, ce qui a rendu ce mode de transport peu rentable pour les entreprises.
Aujourd’hui, nous ne disposons pas de directives en matière d’utilisation de transports. De notre propre initiative, nous avons communiqué auprès des établissements hospitaliers pour les inciter à faire appel aux VSL plutôt qu’à des ambulances, mais le résultat de cette campagne fût l’augmentation du recours au taxi.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La progression de l’usage du taxi se constate également au niveau national.
M. Alain Bourez. Dans les Hauts-de-Seine, le volume des dépenses du transport en ambulance a crû de 66,6 % entre 2004 et 2013, soit une augmentation annuelle de 6 % ; les dépenses liées aux VSL ont connu une baisse de 13,2 % au cours de la même période, soit une diminution de 0,2 % par an ; enfin, les dépenses de taxis ont progressé de 130 % entre 2004 et 2013, soit 10,3 % par an.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il s’agit bien d’un système de vases communicants.
M. Alain Bourez. Les taxis ont tué les VSL, déjà sous-utilisés.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les ont-ils tués ou n’est-ce pas le résultat de l’organisation du marché qui s’est concentré sur les modes de transport plus rentables : les ambulances d’abord, les taxis ensuite ?
La forte progression du recours au taxi profite-t-elle à des compagnies de taxis, à des artisans taxis ou à des taxis détenus par des compagnies de transport sanitaires ? Dans certaines régions, des entreprises d’ambulances ont acquis une flotte de taxis pour compenser la moindre rentabilité des VSL. Est-ce également le cas dans les Hauts-de-Seine ?
M. Alain Bourez. Non, notre département présente les mêmes structures sociologiques et d’organisation médicale que Paris. Ce sont les taxis parisiens qui viennent chercher des malades dans les établissements des Hauts-de-Seine, les taxis communaux étant très peu nombreux. Ils n’admettraient pas trop que des sociétés d’ambulances insèrent des taxis sur ce marché.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les auditions précédentes nous ont fait comprendre qu’il existait en effet une forte concurrence entre les fédérations de taxis et les sociétés d’ambulances.
M. Alain Bourez. La difficulté vient du fait que seules des règles tarifaires – plus ou moins opaques d’ailleurs – ont été fixées et qu’aucune norme régissant l’offre de soins n’a été édictée. Est-ce facile à faire ? C’est une autre question !
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous avons eu connaissance d’une transaction d’une autorisation de mise en service d’une ambulance se monnayant autour de 250 000 euros. Confirmez-vous ce chiffre, qui varie peut-être selon les départements ?
M. Alain Bourez. Je n’ai pas connaissance de l’existence d’un tel marché dans les Hauts-de-Seine, mais peut-être existe-t-il dans des départements moins urbains que le nôtre car il peut arriver qu’une même personne assure le taxi et l’ambulance dans une entreprise unique. Il est possible que cela existe dans les Hauts-de-Seine, mais le chiffre auquel vous faites allusion serait bien plus élevé dans ce cas.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. De votre point de vue de directeur de caisse primaire d’assurance maladie, quel est l’état de votre réflexion sur la demande de convention unique entre les taxis et les transporteurs ambulanciers ?
M. Alain Bourez. Une convention unique pour les taxis soulèverait un vaste problème. Les caisses de Paris et des Hauts-de-Seine couvrent des populations sociologiquement proches, mais elles ne disposent pas de la même convention avec les taxis car ce sont les préfets qui fixent les tarifs des taxis. Ainsi, dans les Hauts-de-Seine, la convention repose sur un taux de remise des tarifs de 10 %, alors que ce taux n’atteint que 5 % à Paris. Pourtant, les deux caisses avaient échangé sur ce sujet, d’autant plus que celle des Hauts-de-Seine est chargée de la coordination entre l’ensemble des acteurs concernés par le transport des patients – y compris l’ARS avec laquelle nous avons de bonnes relations. Certaines différences peuvent d’ailleurs s’expliquer. La CPAM de Paris a prévu des clauses de revoyure liées à l’évolution du taux tarifaire moyen, que nous n’avons pas souhaité insérer dans notre convention. On pourrait envisager la création d’une convention cadre entre l’assurance maladie et les taxis qui fixerait les grandes lignes pour l’ensemble du pays, mais qui ne concernerait pas la question tarifaire, car les habitudes sont trop ancrées et les taxis éprouvent déjà des difficultés à gérer leurs relations avec l’assurance maladie.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Que pensez-vous des recommandations destinées à favoriser la budgétisation hospitalière du transport de patients, la géolocalisation et le covoiturage pour rationaliser les déplacements de patients ? Des expérimentations sont-elles conduites dans les Hauts-de-Seine au titre des contrats d’amélioration de la qualité et de l’organisation des soins (CAQOS) ?
M. Alain Bourez. Qu’un établissement hospitalier, l’ARS et l’assurance maladie concluent un contrat tel que le CAQOS, visant à diminuer les frais de transport, relève d’une excellente idée de responsabilisation. Mais il faut apprendre à gérer un tel système, ce qui pose de nombreuses difficultés.
Tout d’abord, l’établissement n’est pas toujours volontaire pour signer un CAQOS. Ensuite, ce contrat relève du droit public et son régime obéit donc à un ordre juridique non modifiable, ce qui rend difficile les ajustements. Le CAQOS est un outil compliqué qui, en outre, fait référence à un taux national de dépenses de transport, ce qui s’avère ridicule car de nombreux établissements rencontrent des problèmes de transports, sans pour autant atteindre le taux national.
La CPAM des Hauts-de-Seine a signé depuis 2011 sept CAQOS, dont la mise en œuvre a abouti à reverser de l’argent aux établissements. Cela résulte du fait que les établissements ayant conclu un CAQOS connaissaient une augmentation très forte de leurs dépenses de transport de patients. Peut-être n’avons-nous pas fait assez attention en signant ces contrats, ce constat devant être nuancé par la modestie des sommes reversées.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cela fait penser aux primes que l’on proposait aux élèves pour les inciter à venir à l’école…
M. Alain Bourez. En effet, mais ce phénomène est en l’occurrence plus mécanique, puisque ce sont les établissements ayant connu l’augmentation la plus importante qui ont signé un CAQOS. Nous n’avons pas analysé les causes de cette progression, mais on sait qu’elle peut atteindre de 20 % à 30 % à la suite de la création d’un service l’année précédente. Une fois que la situation s’est stabilisée, le taux de croissance des dépenses de transport, par le fait, diminue et les établissements se mettent du coup à gagner de l’argent… L’ARS et nous-mêmes serons plus vigilants à l’avenir sur le suivi de ces taux et les établissements doivent se montrer plus responsables. Quoi qu’il en soit, le système du contrat est une excellente méthode.
La solution la plus simple – qui a ma préférence – réside dans la budgétisation au sein de l’hôpital des transports de sortie. Mais ce système n’est pas sans inconvénients : lorsqu’il a été mis en place pour les transports engagés par les établissements médico-sociaux, ceux-ci se sont mis à choisir des patients dont le domicile était proche… Les mesures incitatives ne se traduisent jamais autrement que par de fortes augmentations, car les gens réclament ces transports et seule la budgétisation permet aux établissements de résister à cette pression. L’utilisation des transports par les personnes ayant subi une dialyse peut se justifier médicalement, mais le référentiel doit être strict.
S’agissant de la géolocalisation, nous n’avons pas effectué de progrès, car nous attendons les instructions de la CNAMTS, les CPAM étant des organismes extrêmement disciplinés ! La géolocalisation évitera les fraudes en matière de kilométrage. Dans les Hauts-de-Seine, toutes les facturations de taxi sont contrôlées avant le paiement, ce qui permet de vérifier le kilométrage a priori.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Disposez-vous de suffisamment de moyens humains pour effectuer cette tâche ?
M. Alain Bourez. Pour les taxis, oui. Pour les autres types de transport, c’est un peu plus compliqué : on ne peut pas affecter un contrôleur pour chaque entreprise. En fait, on distingue deux types de comportement : ceux qui ne sont pas habitués aux formalités administratives, mais qui ont amélioré leur traitement de ces documents du fait de l’attractivité du marché des transports pris en charge par l’assurance maladie, et les autres, rompus aux formalités administratives… Ce sont les plus dangereux, car ils peuvent en exploiter toutes les failles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est la situation de la garde ambulancière dans les Hauts-de-Seine, monsieur le directeur ?
M. Alain Bourez. La garde ambulancière fonctionne dans notre département, mais ce n’est pas celle qui repose sur la convention avec les transporteurs – qui prévoit une indemnité de garde de 346 euros par transport en ambulance, diminué de 60 % du montant de la facturation – car les acteurs de notre département ne veulent pas la signer.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Qu’en est-il de la plateforme commune ?
M. Alain Bourez. C’est le centre 15 qui s’en occupe.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. En relation avec les sapeurs-pompiers ?
M. Alain Bourez. Les sapeurs-pompiers interviennent en cas de carence.
Dans les Hauts-de-Seine, une association de transports d’urgence a conclu un contrat avec le centre 15 : elle y détache un coordonnateur chargé d’assurer une liaison. Ce système fonctionne – avec une majoration de 21,67 euros –, et une garde ambulancière fonctionne dans les Hauts-de-Seine sans l’intervention de l’assurance maladie.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les entreprises de transport de patients assument la charge de ce coordonnateur, mais elles refusent de signer la convention. Pourquoi ?
M. Alain Bourez. À cause d’un désaccord sur la définition des secteurs.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pourtant, la convention a été acceptée dans des départements voisins. Qu’est-ce qui justifie la prétention des transporteurs des Hauts-de-Seine ?
M. Alain Bourez. Je l’ignore, car comme le système marche par ailleurs, je n’interviens pas sur ce sujet. D’ailleurs, seule une trentaine d’entreprises, sur les 88 que compte le département, participent à la garde ambulancière non conventionnelle.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous calculé le montant des économies que dégagerait l’application d’une convention ?
M. Alain Bourez. Non, mais on peut vous le transmettre.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cela serait utile pour vérifier si l’application de l’une des trois préconisations de la Cour des comptes dans le département des Hauts-de-Seine rapporterait autant que le ratio estimé pour l’ensemble du pays.
M. Alain Bourez. En effet, mais il faudrait garder à l’esprit que les Hauts-de-Seine sont perméables aux autres départements de la région parisienne ; ainsi, les transports assurés par les entreprises locales représentent 30 % du marché, quand plus de 20 % sont effectués par des entreprises parisiennes et l’autre moitié est effectuée par des entreprises venant des autres départements de l’Île-de-France.
Les entreprises de transport – excepté les taxis – ont créé des SARL et ont tendance à se prêter des véhicules d’un département à l’autre, même si cette pratique n’est pas forcément légale.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pourriez-vous préciser votre propos sur cette notion de « perméabilité interdépartementale » ?
M. Alain Bourez. Les sociétés transportant des patients assurés dans les Hauts-de-Seine et ayant leur siège dans ce département représentent 39,6 % du marché ; celles ayant leur siège à Paris en transportent 27,2 %. Viennent ensuite les Yvelines pour 8,7 % du marché des Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis pour 6,1 % et les autres départements pour 13,6 %. La région parisienne forme donc un tout.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous venez d’affirmer que vous doutiez de la légalité de ce système.
M. Alain Bourez. Oui, car à une entreprise correspond un nombre d’ambulances et de VSL. Si vous créez des SARL dans plusieurs départements, vous utilisez l’ensemble de votre flotte si les besoins l’exigent, ce qui peut être utile mais illégal. Qui plus est, dans la mesure où il est facile de contourner les règles, le risque de fraude s’avère élevé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Jugez-vous cette pratique illégale au regard d’un système de plafonnement et de quotas ou parce qu’elle s’apparente à une mutualisation de l’offre ?
M. Alain Bourez. En effet, il s’agit d’une mutualisation de l’offre : si vous coincez une entreprise en train de frauder, vous mettez un terme à son fonctionnement, ce qui débouche sur la création d’une nouvelle SARL ou sur l’appel à une autre SARL dont le propriétaire réside dans un autre département.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous décrivez là le problème classique du retrait d’agrément opéré par l’ARS et impliquant un déconventionnement, ce dernier n’induisant pas automatiquement un retrait d’agrément.
M. Alain Bourez. Tout à fait.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cela n’est pas intellectuellement satisfaisant ; la MECSS formulera des propositions précises sur le sujet.
Quelle est l’évaluation de la fraude effectuée par vos services ? Quels sont les montants que vous avez pu récupérer ? Quelles poursuites administratives et pénales avez-vous engagées ?
M. Alain Bourez. La notion de fraude est définie juridiquement, mais, dans le cadre de l’assurance maladie, mais elle peut s’appliquer à des abus, qui, sans constituer une fraude au sens strict du terme, peuvent, lorsqu’ils se répètent, être assimilés à une action frauduleuse.
Les dépenses indues notifiées – qui ne correspondent donc pas forcément à des fraudes, même si, dans le cas des transporteurs, il s’agit bien souvent de pratiques interdites – représentent 1,714 million d’euros sur un total de 44,6 millions d’euros de dépenses de transport de patients. Les indus atteignent 4,97 millions d’euros pour l’ensemble des dépenses engagées par les professionnels de santé : la part du transport de patients dans les dépenses indues s’élève donc, dans les Hauts-de-Seine, à 41,84 %.
Les fraudes stricto sensu représentent 1,543 million d’euros au sein des 1,714 million d’euros de dépenses indues liées au transport de patients. Pour tous les professionnels de santé confondus, les fraudes comptent pour 3,145 millions d’euros. En outre, nous avons déposé plainte avec constitution de partie civile pour obtenir le remboursement de 543 000 euros au titre du transport de patients – soit un total de 2,257 millions d’euros pour ce poste, cette somme atteignant 5,124 millions d’euros pour l’ensemble des professionnels de santé. Les transports représentent donc 44,33 % de l’ensemble des dépenses indues, des fraudes et des irrégularités annexes. Cela montre que le transport des patients représente un risque de fraude et d’abus conséquent.
Nous avons déposé six plaintes au pénal en 2013, ce qui représente 35 % des 17 plaintes de la CPAM des Hauts-de-Seine. Nous utilisons donc cette arme malgré la difficulté à la gérer en raison de la longueur et de la complexité des procédures.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous ne pouvons que vous louer d’avoir systématiquement recours au dépôt de plainte, car cette pratique n’est pas suivie dans l’ensemble des départements.
M. Alain Bourez. Nous y sommes incités, car la CNAMTS fixe des objectifs en matière de recouvrement de dépenses indues. Nous nous concentrons donc sur le secteur des transports où la fraude s’avère élevée.
S’agissant des taxis, notre système de vérification avant paiement nous a permis d’éviter 300 000 euros de dépenses indues.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Combien de personnes sont affectées à ce contrôle a priori ?
M. Alain Bourez. 91 % du flux des factures des taxis – sans l’ordonnance – est télétransmis, si bien que seuls 9 % des factures doivent être saisies.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Où en êtes-vous justement de la télétransmission des ordonnances ?
M. Alain Bourez. Nulle part. N’oublions pas que seuls 90 % des médecins – et ce taux ne concerne que les spécialistes – utilisent Sésame-Vitale, alors que la CNAMTS réclame son usage depuis 1996 ! L’ordonnance électronique viendra sûrement, mais peut-être dans un autre siècle… Il faut intéresser les médecins à la mise en œuvre de l’ordonnance électronique.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pouvez-vous nous dresser une hiérarchie des fraudes ?
M. Alain Bourez. Certaines dépenses indues ne sont pas vraiment des fraudes, mais sont intéressantes à relever. Ainsi, les transports entre les établissements hospitaliers d’une même structure juridique ne sont pas pris en charge par de l’assurance maladie, puisqu’intégrés dans le budget de ces établissements ; mais comme ils sont onéreux, les hôpitaux cherchent souvent à les faire payer par l’assurance maladie…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelle est leur technique ?
M. Alain Bourez. Ils utilisent les transporteurs en leur demandant d’envoyer la facture à la CPAM… Lorsque nous nous en apercevons, nous réclamons le remboursement du transport aux établissements publics, mais nous nous retrouvons désarmés en cas de refus car il est impossible de saisir une personne de droit public. Nous arrivons toutefois à nous faire rembourser dans la plupart des cas, car il est plus facile de s’adresser au prescripteur qu’à une entreprise privée ; cela nous permet de récupérer plusieurs centaines de milliers d’euros, même si ce chiffre a tendance à diminuer, les établissements mettant de l’ordre dans leurs pratiques après avoir dû acquitter de forts remboursements – notamment l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui a dû reverser d’importantes sommes à la CPAM de Paris. Disons qu’il ne s’agit pas d’une fraude à proprement parler, mais plutôt d’un abus répété lié à des problèmes d’organisation interne…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous utilisez des contorsions sémantiques, monsieur le directeur !
M. Alain Bourez. Je prends des précautions, monsieur le président, l’AP-HP est un gros morceau !
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous admirons votre subtilité de langage !
M. Alain Bourez. Les fraudes effectuées par les transporteurs prennent souvent la forme d’une triche au kilométrage. La CPAM des Hauts-de-Seine a créé un système, Cactus, qui est maintenant déployé dans l’ensemble des caisses de la région parisienne et qui permet de contrôler le kilométrage grâce à 90 000 références de transport. Ce logiciel n’est pas d’utilisation facile, mais il permet de contrôler l’identité des personnes conduisant le véhicule, de vérifier si elles disposent bien des autorisations nécessaires et de savoir combien de fois dans une journée est utilisé le même véhicule, ce qui empêche de le voir déclarer circulant à deux endroits éloignés au même moment… Le cas était courant, mais ce phénomène tend à diminuer grâce à l’informatique. Cet outil rapporte donc de l’argent. Nous l’avons d’ailleurs présenté à l’ensemble des caisses, et certaines d’entre elles ont marqué leur intérêt pour en disposer.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel montant financier avez-vous perçu grâce à cet instrument ?
M. Alain Bourez. Nous réalisons plusieurs centaines de requêtes par jour sur l’ensemble des professionnels, ce qui nous permet d’exercer un contrôle étendu. Notre recouvrement est sûrement insuffisant par rapport à la réalité de ce type de fraude, mais il s’avère l’un des plus élevés de France.
Une douzaine d’agents travaillent sur le contrôle des transports à la CPAM des Hauts-de-Seine.
D’autres fraudes consistent à inscrire un numéro de commune inexistante dans l’imprimé de facturation, ce qui empêche de contrôler le kilométrage – ou à falsifier une facture. Un ambulancier a récemment été attaqué au pénal car il volait des cachets dans des hôpitaux : il lui suffisait alors d’imiter une signature et d’y mettre un tampon… Ce sont là des larcins, somme toute modestes, mais ils peuvent représenter au total des montants non négligeables, et nous ne disposons pas des moyens de tout contrôler. Nous surveillons donc avant tout les entreprises dont le chiffre d’affaires évolue fortement et celles que nous avons déjà épinglées ; pour le reste, notre veille s’exerce de manière aléatoire. Nous effectuons également des descentes à la sortie des hôpitaux avec la préfecture et le procureur de la République, mais ces opérations ne rapportent pas beaucoup, car les fraudeurs disposent désormais de systèmes de communication sophistiqués et réagissent immédiatement dès lors qu’ils s’aperçoivent de quelque chose d’inhabituel ; mais il nous est arrivé d’identifier des ambulanciers qui n’avaient plus leur permis de conduire… L’ARS ne contrôle la possession du permis qu’au moment de la délivrance de l’agrément. On peut avoir perdu tous ses points par la suite…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. N’existe-t-il pas d’information automatique grâce au croisement des données ?
M. Alain Bourez. Non.
L’assurance maladie a créé un registre national des transports pour ses besoins de contrôle. La plupart des autorisations sont fournies par l’ARS qui les communique aux transporteurs qui nous les transmettent. Il serait intéressant que l’ARS dispose d’un tel fichier pour intégrer directement les informations. M. Frédéric van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, a affirmé que les caisses primaires pourraient être sous-traitantes des ARS dans ce domaine : il s’agit d’une bonne idée, car les ARS se trouvant toujours dans une période de montée en charge, les CPAM pourraient leur fournir les capacités techniques et leur fichier de transport.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous avez indiqué être partisan de la budgétisation hospitalière pour le transport de patients, perspective qui angoisse les entreprises qui y voient la source d’une organisation oligopolistique des transporteurs qui aboutirait à la disparition de très nombreuses entreprises de petite taille. Qu’en pensez-vous ?
Certaines personnes auditionnées, notamment dans le monde hospitalier, ont affirmé que cette réforme était envisageable, à la condition que le cahier des charges de l’appel d’offres prévoie la mise en place d’un tour de rôle.
M. Alain Bourez. On peut penser qu’un établissement public se doit d’émettre un appel d’offres, mais cela ne me paraît pas primordial dans la mesure où les tarifs sont conventionnels. Rompre ce système pour chercher l’offre la moins chère – les critères de qualité n’étant pas nombreux en la matière – ne présente guère d’intérêt. En revanche, ce qui compte, c’est que le prescripteur paie la dépense qu’il a requise.
*
* *
Audition de Mme Cécile Alfocea, directrice de la Caisse primaire d’assurance maladie du Val-d’Oise, M. Philippe Bouquet, directeur adjoint en charge de la gestion du risque, et Mme Brigitte Loison, responsable du processus régulation
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mesdames, monsieur, je vous remercie d’être présents aujourd’hui pour aborder le thème des transports de patients. La Cour des comptes a mis en lumière que ce poste de dépenses augmente plus vite que les autres dépenses de santé. Selon elle, le vieillissement de la population, l’augmentation des affections de longue durée, la logique de restructuration des plateaux techniques ou le développement de l’hospitalisation à domicile n’expliquent pas à eux seuls cette évolution, qui tiendrait également à une offre de transport insuffisamment structurée. La Cour des comptes trace trois pistes d’amélioration : le recours plus systématique au référentiel de prescription des transports élaboré en 2006, la réforme de la garde ambulancière et la lutte contre la fraude. Quelles sont vos préconisations ?
Mme Cécile Alfocea, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie du Val-d’Oise. Dans notre département, la caisse primaire d’assurance maladie gère les droits de 1,1 million de bénéficiaires. Le transport de patients y représente 50 millions d’euros en 2013, qui sont, soit versés directement aux professionnels, soit remboursés aux assurés de la caisse. Cela correspond à 4 % des dépenses remboursées au titre de la médecine de ville, ou encore 2 % de l’enveloppe globale de soins pour le département, qui s’élève pour 2013 à 2,5 milliards d’euros.
Relativement modeste, ce poste évolue cependant de manière particulièrement dynamique. Il a crû de 11 % entre 2012 et 2013. Dans le Val-d’Oise, où quatre cents professionnels travaillent dans ce secteur, l’offre n’est pas nécessairement en adéquation avec les besoins de la population : une soixantaine de sociétés d’ambulances y disposent d’un parc de 223 véhicules ; l’offre de VSL se réduit, de manière atypique, à 49 véhicules ; les taxis conventionnés sont au nombre de 323.
Mme Brigitte Loison, responsable du processus régulation. Il s’agit exclusivement d’artisans et non de taxis appartenant à une entreprise de transport sanitaire.
Mme Cécile Alfocea. Les ambulances prennent en charge 54 % des patients, les VSL seulement 6 % des patients et les taxis véhiculent 37 % des patients, le transport individuel n’étant que marginal.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous estimé le montant des sommes indûment versées par votre caisse ?
Mme Cécile Alfocea. Dans le cadre de la lutte contre la fraude, nous avons engagé des démarches de contrôle qui ont conduit à des redressements allant de 100 000 euros à 400 000 euros selon les années. Mais les contrôles permettent également de prévenir la survenance d’un préjudice. Quand une facture indique qu’un patient doit être pris en charge à 100 % par la caisse primaire parce qu’il souffre d’une affection de longue durée, il est aisé d’en suspendre le paiement si ce patient, après vérification, ne présente pas ce type de pathologie. Nous avons ainsi été amenés à rejeter de 4 % à 5 % des factures ces dernières années.
Un ciblage sur les dépenses de transport à l’échelle nationale a mobilisé toutes les caisses primaires en 2007-2008. Il s’est concentré sur un mois dans le Val-d’Oise, vu le grand nombre de transporteurs à contrôler. Mais à l’époque, la liquidation des factures s’opérait de manière très dispersée dans le département. Jusqu’en 2008, onze centres traitaient les demandes des transporteurs et effectuaient les remboursements, certains centres ne traitant que les demandes remplies sur papier, d’autres ne traitant que les demandes formulées par voie électronique. Le lieu de résidence de l’assuré bénéficiaire du transport constituait le critère complémentaire de répartition entre les centres. Un même transporteur pouvait ainsi se trouver simultanément pris en charge avec chacun des onze centres.
L’analyse des résultats de 2007 a permis d’isoler dix-neuf transporteurs auxquels des sommes avaient été indûment versées. Plus de la moitié des 400 000 euros indûment versés était imputable à deux transporteurs, l’un pour un montant de 175 000 euros, l’autre pour un montant de 60 000 euros. Chez les autres, le préjudice subi par la caisse s’établissait à 5 000 euros en moyenne.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La fraude s’est donc concentrée sur deux entreprises. Avez-vous engagé contre ces transporteurs des poursuites pénales ? Ont-ils déjà remboursé votre caisse ?
Mme Cécile Alfocea. Lorsque les anomalies portent sur des montants importants, des plaintes pénales sont déposées. Pour la plus importante d’entre elles, l’issue de la procédure ne sera connue qu’en octobre 2014, l’affaire ayant connu des aléas de procédure.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Entre-temps, ont-ils été déconventionnés ? Ou faut-il attendre l’issue du procès ?
Mme Cécile Alfocea. Dès qu’une procédure lourde est engagée à l’encontre d’un transporteur, nous resserrons le contrôle sur son activité, pour éviter que des anomalies ne se reproduisent. La caisse primaire se devant de respecter la présomption d’innocence, elle ne dispose pas de marge d’action tant que le tribunal correctionnel du Val-d’Oise ne s’est pas prononcé. Une procédure en cours n’est pas un motif suffisant pour rompre une convention. En revanche, rien ne s’oppose à ce que de nouveaux contrôles conduisent à prononcer des sanctions financières, consistant à la fois en répétition de l’indu et en pénalités contractuelles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il est regrettable qu’il ne soit pas possible de tirer plus rapidement, sur un plan administratif, les conséquences de tels comportements. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 a créé une procédure de flagrance sociale qui aurait toute son utilité dans ce type de cas.
Mme Cécile Alfocea. Il me semble qu’elle permettrait en effet de prendre des mesures suspensives. Encore faut-il souligner que la procédure en cours contre le transporteur incriminé dure un temps exceptionnellement long. Les affaires de la caisse primaire d’assurance maladie sont généralement traitées beaucoup plus rapidement, grâce à une excellente coopération avec le parquet de Pontoise qui s’attache à les prendre en charge avec diligence.
Ajoutons que les nouvelles conventions conclues avec les taxis incluent une clause de résiliation en cas d’infraction caractérisée à la réglementation, telle que la conduite sans permis.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Sauriez-vous énumérer par ordre décroissant les causes majeures de préjudice pour la caisse ?
Mme Cécile Alfocea. L’application Cactus, développée dans les Hauts-de-Seine, permettra d’optimiser les contrôles, mais n’est pas encore opérationnelle dans notre département.
M. Philippe Bouquet, directeur adjoint en charge de la gestion du risque. Elle y sera mise en place cette année.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment appréciez-vous la garde ambulancière dans votre département ? Quelles sont les relations entre pompiers et ambulanciers ? Je crois que le Val-d’Oise est l’un des quinze départements à proposer une plateforme qui leur est commune.
Mme Cécile Alfocea. Placée sous la responsabilité de l’ARS, la garde ambulancière ne relève pas de la caisse primaire.
M. Philippe Bouquet. Il n’y a pas de garde ambulancière organisée dans le département du Val-d’Oise. Le centre téléphonique du 15 gère globalement les urgences, y compris les gardes des médecins. Mais il n’y a pas de tour de garde, ni de secteur de garde pour les ambulances.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les moyens de transports retenus correspondent-ils toujours à l’état réel du patient ? Ne pensez-vous pas qu’il serait possible d’obtenir des économies en révisant le référentiel de prescription des transports de 2006 ? Que pensez-vous d’une intégration des frais de transport dans le budget des établissements de soins ? Je rappelle qu’au niveau national, 63 % des transports sont prescrits par les centres hospitaliers.
Mme Cécile Alfocea. Dans notre département, la part hospitalière des prescriptions de transport ne s’établit qu’à 57 % du total. Les CAQOS seront un levier pour faire évoluer la structure de l’offre des transports. Les huit établissements hospitaliers implantés dans le département pratiquent pour l’heure de manière différente.
La plupart d’entre eux suivent l’usage vertueux qui consiste à adapter la prescription de transport au profil et aux besoins des patients, avec le souci concomitant de ménager les fonds publics. Mais on observe aussi deux établissements qui procèdent de manière différente alors qu’ils présentent des profils similaires. L’un mobilise des ambulances dans moins de 40 % des cas, tandis que l’autre y a recours dans plus de 80 % des cas. Il ne semble pas que la tranche d’âge des patients ou les pathologies dont ils soient affectés suffisent à justifier un écart qui s’élève, en rythme annuel, à 800 000 euros.
Un système d’incitations et de pénalités permettrait de faire évoluer la prise en charge du transport des patients. Intégrer les frais de transport dans le budget des hôpitaux ne fournirait au contraire pas de solution immédiate, car cela figerait la disparité des budgets actuels. Mieux vaut agir d’abord sur le mode de prescription.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Lorsque le véhicule adéquat n’est prétendument pas disponible, la prescription s’en trouve finalement dénaturée. L’internalisation ferait sans doute mieux partager les enjeux du transport de patients.
Mme Cécile Alfocea. L’accessibilité aux moyens de transport adéquats constitue en effet un problème. L’offre des taxis est très atomisée, alors qu’un standard téléphonique commun à tous permettrait de regrouper leur offre.
M. Philippe Bouquet, directeur adjoint en charge de la gestion du risque. Quand une demande de taxi ne peut aboutir dans le Val-d’Oise, il faut faire appel aux taxis parisiens, plus organisés. Mais cela est plus onéreux, ce qui alourdit la facture de transport des patients dans le département.
Mme Cécile Alfocea. La Cour des comptes l’avait relevé dans son rapport. Mais il convient de se pencher également sur la situation des patients présentant des affections de longue durée, tels les dialysés. À eux seuls, ils représentent 17 % des dépenses de transport dans le département, alors qu’ils ne constituent que 1 % de l’ensemble des patients. Un protocole devrait être rédigé pour les affections de longue durée, au plan national, qui pourrait être mis en œuvre à chaque fois qu’un patient souffre d’une telle affection. Enfin, le covoiturage devrait être encouragé.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelles propositions formuleriez-vous ? Préconiseriez-vous un meilleur encadrement de l’offre par la rédaction de protocoles ou encore un plafonnement du nombre des ambulances et des véhicules sanitaires légers ? De nouvelles normes législatives ou réglementaires vous semblent-elles nécessaires ?
Mme Cécile Alfocea. Il n’y a pas de réponse unique. Travailler à une meilleure structuration de l’offre de transport constitue une première piste, pour la faire mieux correspondre à la demande. Mieux veiller au respect de leurs obligations par les transporteurs en constituerait une deuxième. Mais je ne saurais apprécier si de nouvelles normes sont nécessaires.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je vous remercie beaucoup. Si des propositions vous viennent à l’esprit, n’hésitez pas à en fournir à la mission d’évaluation et de contrôle.
Audition de M. Ludovic Guillaume, sous-directeur de l’action interministérielle à la délégation à la sécurité et à la circulation routières du ministère de l’intérieur, M. André Dorso, rapporteur auprès du député M. Thomas Thévenoud pour la mission de concertation taxis-VTC, et M. Yann Dumareix, chef du bureau de la législation et de la réglementation
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale poursuit ses travaux sur le transport de patients en accueillant aujourd’hui, au titre de la délégation à la sécurité et à la circulation routières, M. Ludovic Guillaume, sous-directeur de l’action interministérielle du ministère de l’intérieur, M. André Dorso, rapporteur auprès de M. Thomas Thévenoud, député, pour la mission de concertation entre les taxis et les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), et M. Yann Dumareix, chef du bureau de la législation et de la réglementation.
Nos travaux s’inscrivent dans la réflexion en cours, notamment au sein de la Cour des comptes, sur la nécessaire rationalisation des moyens budgétaires affectés à l’assurance maladie. Sur la part de cette enveloppe affectée au transport de patients, soit environ 4 milliards d’euros en 2013, les pistes d’économie dégagées par la Cour des comptes représenteraient environ un demi-milliard d’euros.
Il n’est pas envisageable de maîtriser cette dépense en faisant l’économie d’une réflexion sur la gouvernance de l’offre de transport, aujourd’hui assez complexe. En effet, si le transport sanitaire en ambulance ou en véhicule sanitaire léger (VSL) dépend essentiellement des agences régionales de santé, les ARS, et des caisses primaires d’assurance maladie, les CPAM, le ministère de l’intérieur et les maires sont les autorités dont relèvent les autorisations de stationnement délivrées aux taxis. Or cette « dyarchie » rend difficile toute maîtrise réelle de l’offre de transport, notamment sur le plan de la tarification.
Quel est l’état de la réflexion de la délégation à la sécurité et à la circulation routières sur cette question ? Que pensez-vous des préconisations de la Cour des comptes pour rationaliser l’offre de transport sanitaire, qu’il s’agisse du respect du référentiel de 2006, du contrôle de la liquidation des factures ou du recours à la géolocalisation des véhicules ?
M. Ludovic Guillaume, sous-directeur de l’action interministérielle à la délégation à la sécurité et à la circulation routières du ministère de l’intérieur. Je précise d’emblée que la délégation n’a hérité du dossier des taxis qu’en octobre dernier et que le conflit entre taxis et VTC a mobilisé une bonne partie de notre temps. Je le dis sans détour : la question du transport des malades assis n’a pas occupé l’essentiel de notre activité. Par ailleurs, le ministre de l’intérieur ne dispose pas, s’agissant du nombre de taxis conventionnés auprès des caisses primaires d’assurance maladie, d’éléments chiffrés autres que ceux qu’on trouve dans le rapport de M. Thomas Thévenoud, par exemple, et qui sont issus de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS. Nous ne sommes donc pas en situation, ni de les confirmer, ni de les infirmer.
Vous n’ignorez évidemment pas que la question du conventionnement des taxis et de la tarification de leurs prestations est, depuis les deux dernières lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), au cœur des préoccupations de la profession des taxis. En effet, leurs organisations professionnelles ont contesté les expérimentations prévues en matière de régulation de l’offre de transport de patients en taxis, au point que celles-ci n’ont pas pu être mises en œuvre : l’application de l’article 44 de la LFSS pour 2013, qui permettait le recours à des appels d’offres dans les établissements de santé, a été suspendue. Quant à l’article 39 de la LFSS pour 2014, qui autorise les établissements de santé à expérimenter de nouvelles modalités d’organisation et de régulation des transports, il n’a pas à ce jour fait l’objet d’un décret d’application. En toute hypothèse, le ministère de l’intérieur devrait être associé à la rédaction de ce décret afin d’être en mesure de concilier l’exigence de rationalisation du transport de patients et l’accompagnement d’une profession relevant de la tutelle du ministère de l’intérieur, tout en pacifiant au maximum les relations entre les taxis et les pouvoirs publics – l’actualité atteste que cette dernière exigence n’est pas la plus évidente à satisfaire !
Les organisations professionnelles nous ont fait savoir qu’elles sont évidemment favorables à la mise en place d’une nouvelle convention nationale avec l’assurance maladie. Les sociétés de taxis sont en effet attachées à ce mécanisme d’une convention nationale déclinée au niveau local, même si elles contestent la manière dont les caisses ont parfois conduit les négociations. Chacun est certes dans son rôle, celui du ministère de l’intérieur étant de leur faire comprendre qu’on ne peut pas « gagner sur tous les tableaux » et que le fait que le transport de patients représente une part très importante de l’activité de certaines sociétés en zone rurale implique en retour qu’elles s’engagent résolument dans la rationalisation des dépenses sociales.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le ministère de l’intérieur dispose-t-il d’indications chiffrées sur la part du chiffre d’affaires des taxis générée par le transport de patients, ou s’agit-il là encore des données fournies par l’assurance maladie ?
M. Ludovic Guillaume. Nous ne disposons pas de chiffres précis, mais la CNAMTS et les organisations professionnelles de taxis elles-mêmes s’accordent sur un ordre de grandeur de 70 % à 90 % de leur chiffre d’affaires pour certaines entreprises. Le transport de patients représente donc une part essentielle de leur activité, ce qui justifie la réticence des organisations professionnelles à toute volonté de faire évoluer le dispositif. Elles ne contestent d’ailleurs pas l’accroissement de leur chiffre d’affaires sous le régime de la convention nationale, ce qu’elles justifient par la qualité de la prestation.
Au ministère de l’intérieur, on reconnaît à ce dispositif du conventionnement le mérite de correspondre à notre propre organisation, notamment en ce qui concerne la politique tarifaire. En effet, les tarifs des taxis sont fixés par un arrêté du ministre de l’économie et des finances, en concertation avec le ministère de l’intérieur, et déclinés localement par des arrêtés préfectoraux, sur la base desquels sont négociées les remises en matière de transport de patients par les caisses primaires.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est l’état de la réflexion de la délégation interministérielle quant à la proposition d’une convention commune à tous les prestataires du transport assis professionnalisé (TAP) ?
M. Ludovic Guillaume. Le ministère de l’intérieur n’a pas de doctrine particulière à ce sujet.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pensez-vous que les autorisations de stationnement délivrées aux taxis qui relèvent aujourd’hui de la compétence des maires devraient faire l’objet d’une procédure de délivrance au niveau national ?
M. Ludovic Guillaume. L’exercice de la compétence communale en matière d’autorisations de stationnement est d’ores et déjà appelé à évoluer dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. En effet, dans le cas où l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sera compétent en matière de voirie, c’est au président de l’EPCI qu’il reviendra de délivrer les autorisations. À ce stade, le ministère de l’intérieur reste attaché à la préservation de cette prérogative communale, même si nous sommes conscients des manœuvres frauduleuses dont les maires de petites communes peuvent faire l’objet.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ne peut-on pas imaginer un système plus susceptible d’assurer une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire en permettant la coordination entre le pouvoir local et les autorités sanitaires, les ARS ou les CPAM ?
M. Ludovic Guillaume. Le rapport du député Thomas Thévenoud prône une meilleure association des organisations professionnelles de taxis, soit au sein du comité départemental de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires, le CODAMUPS-TS, soit dans le cadre d’une rénovation des commissions départementales des taxis qui étendraient leurs compétences au transport des patients. L’idée est de permettre à l’ensemble des acteurs de se réunir régulièrement au sein de structures locales afin de fournir des éléments de diagnostic partagés sur la situation du transport individuel en général, et du transport de patients en particulier.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il est vrai que l’existence de différentes strates de décision rend le pilotage de l’offre de transports quelque peu illisible. Il faudrait pouvoir disposer de structures de gouvernance suffisamment robustes pour pouvoir ne pas dépendre d’éventuels changements de périmètre décidés au nom d’une volonté légitime de rationalisation et de simplification du fameux « millefeuille » politico-administratif.
M. André Dorso, rapporteur auprès de M. Thomas Thévenoud pour la mission de concertation taxis-VTC. La question du développement, depuis huit ans environ, du transport de malades assis par les taxis a été au cœur des auditions que nous avons conduites dans le cadre de la mission de concertation. Nous disposons de peu d’éléments précis sur l’évolution annuelle du nombre de licences, celles-ci relevant de la compétence des communes, excepté à Paris. Il est cependant vraisemblable que l’augmentation importante de leur nombre depuis une dizaine d’années est due en grande partie à la croissance du recours au transport de malades assis, notamment dans les territoires ruraux.
Les maires sont en effet seuls compétents pour délivrer les licences, l’avis de la commission départementale des taxis et voitures de petite remise ayant un caractère simplement consultatif. Une des propositions du rapport de M. Thomas Thévenoud est de transformer cette commission, qui joue essentiellement le rôle d’une structure de concertation avec les organisations professionnelles de taxi, en une commission départementale des transports légers de personnes, dont les compétences s’étendraient aux véhicules légers de transport de personnes relevant de la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI), dont l’activité n’est pas négligeable dans certains départements, ainsi qu’aux VTC. Cette commission compterait au nombre de ses missions l’observation de l’évolution de l’offre et de la demande au niveau départemental. Elle inclurait des représentants des collectivités territoriales, notamment des EPCI, dotés depuis la loi du 27 janvier 2014 de compétences nouvelles en matière de transport de personnes. Le rapport évoque également la possibilité que l’assurance maladie soit représentée au sein de ces commissions, afin que celle-ci puisse se saisir des questions liées au TAP et proposer un bilan annuel de l’évolution de la demande et de l’offre en la matière.
Les organisations professionnelles de taxi ont elles-mêmes reconnu que l’augmentation de l’offre de taxi pouvait dans certains territoires dépasser celle de la demande. Or, on sait que les dépenses de TAP risquent d’augmenter avec le nombre de licences. Paradoxalement, il peut y avoir convergence d’intérêts entre des organisations professionnelles soucieuses de préserver une sorte de numerus clausus, et l’État engagé dans une stratégie de réduction de ce type de dépenses.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La CNAMTS propose une série de mesures de rationalisation ayant trait à la géolocalisation, au covoiturage, ou encore à la gestion des files d’attente au départ des hôpitaux.
Face à une situation présentée comme inéluctablement inflationniste, l’organisation du parcours de soin peut apporter des remèdes.
La délivrance des autorisations au mépris des besoins ainsi que la porosité entre sociétés d’ambulances et taxis qui profite au mode de transport le plus rentable contribuent à la dérive des dépenses. L’atomisation et le cloisonnement des décisions rendent également le système contre-productif. Des instances de coordination sont nécessaires pour exercer un rôle de prescription mais aussi, n’ayons pas peur des mots, de contrôle.
Quels moyens la délégation interministérielle envisage-t-elle pour s’assurer du bon usage des fonds publics dans l’intérêt des patients et de notre régime de solidarité ?
M. Ludovic Guillaume. Nous savons que la CNAMTS travaille sur un dispositif de géolocalisation mais nous n’avons pas été sollicités pour l’instant.
Le ministère de l’intérieur est favorable à la création d’un registre de disponibilité des taxis qui garantira la mise en place d’un open data, prévue par le rapport de M. Thomas Thévenoud, et la proposition de loi relative aux taxis et aux VTC qui en est issue, dont la mise en œuvre technique est renvoyée au pouvoir réglementaire. Notre réflexion sur la géolocalisation, encore balbutiante, privilégie le taximètre plutôt que le téléphone portable.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel est le coût de la géolocalisation ? Quels sont les délais pour sa mise en œuvre ?
M. Ludovic Guillaume. Je suis prudent dans ma réponse car rien n’est arrêté. Dans la perspective de l’adoption de la proposition de loi que nous appelons de nos vœux, nous travaillons principalement sur le taximètre qui constitue l’élément d’identification du taxi. Des contacts informels ont été pris avec les fabricants de taximètre qui, de leur côté, ont amorcé une réflexion technique sur le sujet.
L’installation d’un système de géolocalisation sur un taximètre coûte environ 300 euros.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les grandes compagnies de taxis géolocalisent déjà leurs véhicules. Comment procèdent-elles ?
M. André Dorso. En effet, les grandes compagnies, ou en province, les regroupements de taxis, ont recours à la géolocalisation.
La réglementation sur les taximètres n’a pas à être modifiée. L’installation coûte entre 200 et 300 euros. La transmission des informations du taximètre à une base de données, via le réseau GSM, représente un coût de 10 à 20 euros sous forme d’abonnement mensuel.
Il n’y a aucun obstacle réglementaire à la mise en place de la géolocalisation au moyen du taximètre qui a notre préférence.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Votre choix me semble relever du bon sens : difficile de géolocaliser un véhicule auquel le téléphone, mobile par essence, peut ne pas être attaché !
M. André Dorso. Un autre argument peut être avancé : le taximètre est mis en route automatiquement lors du démarrage du véhicule alors que l’utilisation du téléphone portable à des fins de géolocalisation suppose des manipulations peu compatibles avec la sécurité routière.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le débours semble raisonnable compte tenu du chiffre d’affaires généré par le transport de patients, de l’ordre de 35 000 euros par an. Il n’est pas illégitime de solliciter un effort de la part des taxis.
Le covoiturage serait prohibé pour le transport de patients par les taxis. Je peine à comprendre cette interdiction alors que les taxis ont pour habitude de transporter plusieurs passagers. Quel texte en est à l’origine ?
M. André Dorso. La législation proscrit la location à la place. Dans le cas des taxis, la location porte sur le véhicule. Le transport partagé est d’ailleurs pratiqué dans plusieurs départements, notamment en milieu rural. Aucun obstacle réglementaire ne s’oppose à ce que l’on pourrait qualifier de ramassage médical.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Reste à en déterminer les modalités tarifaires. Une majoration pour le covoiturage serait légitime compte tenu des économies dégagées in fine.
M. André Dorso. Les organisations professionnelles de taxis que nous avons auditionnées tirent argument du flou de la réglementation sur le transport partagé pour justifier leur demande d’une convention nationale qui préciserait la règle pour l’ensemble du territoire.
La demande d’une convention nationale est également motivée par le besoin de reconnaissance qu’expriment les organisations professionnelles de taxi, indépendamment de leurs divisions. Ils souhaitent être des interlocuteurs légitimes de l’assurance maladie, au même titre que les ambulanciers.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ne serait-il pas opportun d’introduire des critères de compétence sanitaire minimale pour les conducteurs de taxi ? La responsabilité du taxi et celle de l’assurance maladie sont susceptibles d’être engagées en cas de recours du patient ou du prescripteur au motif d’une prise en charge inadéquate. Sans verser dans l’excès de réglementation, une convention nationale pourrait clarifier ce point qui soulève des questions d’assurance. Quelle est la position de la délégation interministérielle ?
M. Ludovic Guillaume. La seule exigence posée aujourd’hui pour le conventionnement des taxis est la détention d’une autorisation de stationnement depuis deux ans.
Nous n’avons, à ce jour, pas été informés de difficultés liées au manque de formation des chauffeurs de taxi dans le cadre du transport de patients.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il ne s’agit pas de soumettre les transporteurs à des exigences démesurées au regard de leur mission. Mais les comparaisons européennes montrent que l’organisation du transport est radicalement différente dans de nombreux pays : le mode de transport varie selon que l’état du patient requiert une précaution particulière ou peut supporter une prise en charge standardisée. Votre réflexion est-elle guidée par ces exemples ou par la volonté de ne pas ajouter de la complexité ?
M. Ludovic Guillaume. Nous réfléchissons actuellement à la refonte de la formation préparant à l’examen de capacité professionnelle de conducteur de taxi dont l’organisation représente une lourde charge pour les préfectures.
D’une part, nous envisageons d’externaliser la délivrance du certificat. Le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures autorise à prendre des mesures par ordonnance à cet effet.
D’autre part, nous cherchons à adapter la formation aux besoins des taxis. C’est dans ce cadre que des éléments de formation sur le transport de patients pourraient être introduits, comme vous semblez le souhaiter. Mais ce sujet n’a pas été évoqué pour l’instant.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les conducteurs de taxis doivent être titulaires de l’attestation « prévention et secours civique de niveau 1 ». Est-ce suffisant pour répondre aux préoccupations médicales et pour être couvert par les assurances ? Un module spécifique de formation pour le transport de patients a, semble-t-il, déjà été envisagé.
M. Ludovic Guillaume. Je n’en ai pas connaissance. Ce sujet n’a pas été abordé dans les échanges avec les organisations professionnelles de taxis.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pour les mêmes raisons d’assurance, il ne faut pas sous-estimer les problèmes posés par la mixité – entre clients et patients – du transport par les taxis et les risques de contagion et de contamination qui en découlent.
M. Ludovic Guillaume. La formation au transport de patients, absente de la réflexion initiale, n’a pas été évoquée par les organisations professionnelles qui pourraient pourtant y avoir intérêt pour leur propre protection.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Messieurs, je vous remercie. Nous sommes intéressés par les suggestions concrètes que vous pourriez nous transmettre afin de nous aider dans notre entreprise de rationalisation des dépenses de l’assurance maladie au service des patients.
*
* *
Audition de Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, directrice coordinatrice gestion du risque pour la région Champagne-Ardenne, M. Mathieu Frélaut, directeur-adjoint, Mme Rafiaa Bénaïcha, responsable du département « hospitalisation transports », et M. Fares Trad, responsable de la cellule de coordination gestion du risque
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Mesdames, messieurs, bienvenue à l’Assemblée nationale. Vous le savez, l’objectif de la MECSS est de parvenir au meilleur rapport coût-efficacité, souci également partagé par tous les responsables de caisses primaires.
Dans le cadre de nos travaux sur les indemnités journalières, dont la rapporteure était Bérengère Poletti, nous avons déjà eu le plaisir de vous accueillir, ainsi que certains de vos collègues du Val-d’Oise et des Hauts-de-Seine. Sans plus attendre, je vous propose d’aborder quelques thèmes : offre de transport de patients mal maîtrisée et gouvernance dont l’atomisation et la complexité ne sont pas une garantie d’efficacité.
Mme Liliane Ropars, directrice de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne, directrice coordinatrice gestion du risque pour la région Champagne-Ardenne. Monsieur le président, nous sommes très honorés d’avoir été invités à cette audition pour vous parler du transport en Champagne-Ardenne et dans le département de la Marne, les deux secteurs géographiques que nous connaissons le mieux.
Plantons le décor avec quelques chiffres. S’agissant du régime général, les dépenses de transport s’élèvent à 70 millions d’euros pour la région Champagne-Ardenne et à 21 millions d’euros pour la Marne.
Qui prescrit, sachant qu’il faut bien une prescription et non pas ce que d’aucuns appellent un bon de transport ? Sept prescriptions sur dix émanent d’établissements de santé publics, un chiffre qui témoigne que, dans ce domaine, nous disposons de pistes d’amélioration.
Qui transporte ? Dans sept cas sur dix, le patient assis est transporté en VSL ou en taxi, sachant que ce dernier est devenu prédominant : en Champagne-Ardenne, la part des taxis atteint 45 % contre 19 % pour les VSL.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Savez-vous comment se répartit ce taux de 45 % entre les artisans taxis et les sociétés ambulancières qui possèdent à la fois des taxis et des VSL et font jouer un système de vases communicants ?
Mme Liliane Ropars. Merci infiniment de faire ma transition. Nos travaux, qui se réfèrent au nombre de véhicules et non pas au nombre d’entreprises, montrent que sur dix véhicules, six sont des taxis, deux sont des ambulances et deux sont des VSL, ce qui détermine l’offre de transport.
Au-delà des raisons sociales, qui possède les entreprises ? Six entreprises d’ambulances et de VSL sont aussi propriétaires de taxis. Les trente-six sociétés d’ambulances appartiennent à six personnes physiques dans le département de la Marne.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quel merveilleux mouvement de concentration !
Mme Liliane Ropars. Quinze de ces sociétés d’ambulances disposent aussi de huit sociétés de taxis. Le monde du transport sanitaire est un monde concentré et il faut aller au-delà de la raison sociale pour le découvrir, ce que nous avons essayé de faire dans un premier temps.
Ces six personnes physiques détiennent 40 % du parc d’ambulances, 60 % du parc de VSL et 40 % des sociétés de taxi.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. De fait, il s’agit d’une situation monopolistique.
Mme Liliane Ropars. C’est un secteur très concentré. Ces personnes physiques réalisent 45 % du chiffre d’affaires du transport de patients dans la Marne. Voilà pour la concentration de l’offre.
Le phénomène de concentration existe aussi en ce qui concerne les pathologies : l’insuffisance rénale chronique – sujet abordé au cours des précédentes auditions et dont j’aimerais vous entretenir plus longuement à la fin de cette audition ; les soins en lien avec les cancers ; les affections psychiques, notamment celles qui touchent les enfants âgés de six à dix-huit ans ; les maladies cardio-vasculaires.
Une autre forme de concentration apparaît quand on s’intéresse à la population qui utilise ces transports : seulement 6 % de ces transports ne sont pas remboursés à 100 %, en Champagne-Ardenne.
Si l’on veut faire évoluer le modèle du transport, il faut s’intéresser à toutes ces composantes et travailler notamment en fonction des pathologies.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Vous venez de nous décrire une offre concentrée qui peut se concevoir au titre de la rationalisation des moyens, mais doit-elle continuer à se présenter sous cette forme très émiettée plutôt que sous forme de holding ? Notons que cette présentation émiettée peut être utilisée pour faire jouer les vases communicants en cas d’éventuels retraits de conventionnements.
Mme Liliane Ropars. Mon directeur-adjoint pourrait vous dire que, dans les négociations, cette concentration de l’offre de transport fait face à une dispersion des opérateurs publics, ce qui conduit à une distorsion.
M. Mathieu Frélaut, directeur-adjoint de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne. Je vais vous en citer un exemple. Avec mes collègues, j’ai mené les négociations tarifaires sur les avenants locaux pour le renouvellement de la convention locale entre l’assurance maladie et les taxis. En tant qu’organisme d’assurance maladie, dans le cadre des orientations de la CNAMTS et d’une bonne gestion de nos deniers, nous avons tendance à négocier pour obtenir un maximum d’abattements.
Nous négocions avec les représentants des différents syndicats de taxis mais aussi avec ceux des transporteurs sanitaires qui possèdent un parc de taxis. Lorsque nous avons négocié en début d’année, nous avons obtenu d’importantes réductions mais, de façon très transparente, nos interlocuteurs nous ont indiqué qu’ils en tiendraient compte lors de la renégociation de leurs tarifs avec les services préfectoraux.
Les tarifs des taxis, fixés par les préfets, évoluent en fonction de trois paramètres : le nombre de kilomètres, le temps d’attente et la prise en charge. Nos négociations ayant abouti à une économie d’environ 200 000 euros, soit 1 % de la dépense de la Marne, nos interlocuteurs nous ont indiqué qu’en contrepartie, ils demanderaient une répercussion sur le prix du kilomètre. On négocie d’un côté mais une partie de l’économie est absorbée par un autre secteur.
Dans une situation monopolistique, les arbitrages légitimes des acteurs se font au détriment de l’assurance maladie.
Mme Liliane Ropars. Précisons que sur les 21 millions d’euros de dépenses de transport de l’assurance maladie dans la Marne, 15 millions d’euros sont liés à des déplacements vers le centre hospitalier universitaire. Nous constatons donc une très forte concentration que ce soit sur l’offre ou sur la demande de transport – la prescription – et une dispersion du système de négociation.
M. Mathieu Frélaut. L’une de vos questions nous a beaucoup intéressés en tant que praticiens de terrain : la nécessaire articulation avec les ARS.
Ma collègue pourra vous répondre sur la problématique des fichiers partagés. Pour ma part, je voudrais aborder un sujet qui peut paraître anecdotique mais qui est très révélateur. Si nous avons de très bonnes relations avec les équipes de l’ARS, d’un point de vue personnel et sur le plan de la coordination, les textes ne facilitent pas la coordination, en effet.
Comme la Cour des comptes l’a souligné dans son rapport, la relation est unilatérale : lorsqu’un transporteur ambulancier perd son agrément, il est déconventionné mais non l’inverse. Sans citer de nom, je vais vous donner un exemple. L’ARS vient de nous envoyer une décision de retrait d’agrément, concernant un ambulancier qui exerce aussi la profession de cafetier et que nous connaissons depuis longtemps dans le cadre conventionnel. Rappelons-le, au-delà de l’agrément, ce qui fait vivre un transporteur sanitaire c’est le conventionnement avec l’assurance maladie. Or depuis la nouvelle convention entre les transporteurs sanitaires et l’assurance maladie de 2004, un transporteur qui n’est pas à jour de ses cotisations à l’URSSAF est déconventionné automatiquement. Cet « ambulancier-cafetier », installé en face d’un établissement de santé et qui facturait encore à la main, nous posait de gros soucis d’un point de vue administratif. Il vient cependant d’être déconventionné au motif qu’ « il est installé dans un lieu disposant d’une licence de débit de boissons, alors que les dossiers nominatifs de patients sont accumulés et visibles à toute personne entrant dans le débit de boisson. Le matériel professionnel afférant à la société de transport sanitaire – dispositifs à usage unique, draps, couvertures – est également entassé dans ce débit de boisson ».
Voilà qui est révélateur des problèmes de coordination avec l’ARS, qui n’a pas forcément les moyens de contrôler ! Nous, nous pouvons le faire mais ce n’est pas dans notre champ de compétence. Il a donc fallu attendre quasiment dix ans pour qu’une procédure de retrait d’agrément aboutisse. Il faudrait que les textes nous permettent de disposer d’une instance de coordination beaucoup plus en amont. Pourquoi ne pas prévoir, comme l’a suggéré le directeur général de la CNAMTS, dans le respect des compétences des uns et des autres, une délégation à la caisse primaire qui notifierait l’agrément et, dans certains cas de déconventionnement, le retrait immédiat de l’agrément ?
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il semble légitime, dans le cadre des échanges d’informations et du respect d’un parallélisme des formes, qu’il y ait une réciprocité en matière d’agrément et de conventionnement, que le retrait de l’un engendre celui de l’autre.
Une réelle coordination est nécessaire sur le plan local – entre les instances régionales et les caisses primaires d’assurance maladie – et au niveau des autorités de tutelle – entre les ministères de la santé et de l’intérieur – face aux entreprises de taxis. Loin d’être toutes artisanales, celles-ci sont en effet bien souvent des sociétés qui possèdent à la fois des ambulances, des VSL et des taxis, afin d’enrichir leur offre et de profiter d’opportunités liées à la tarification.
Cette description d’une gouvernance quelque peu éclatée, pour ne pas dire atomisée, nous conduit au deuxième sujet, celui de la prescription de transport de patients. Faut-il le rappeler, il s’agit d’un acte médical prescrit conformément au code de la sécurité sociale : le transfert doit être effectué vers l’établissement adapté à l’état du patient le plus proche et en utilisant le mode de transport le moins coûteux. Le concept de liberté du patient n’a pas sa place dans ce domaine.
Mme Liliane Ropars. S’agissant de la prescription, tous les acteurs s’appuient sur le fameux référentiel de 2006. Pour ma part, je le considère plutôt comme un cadre général – l’arrêté fait une demi-page – que comme un référentiel au sens moderne du terme, contrairement aux référentiels liés aux avis d’arrêt de travail que nous avions évoqués l’an dernier.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous allons auditionner prochainement la Haute Autorité de santé sur les prescriptions en matière de transport de patients afin qu’elle puisse apporter son éclairage et ses compétences comme elle a pu le faire pour les indemnités journalières.
Mme Liliane Ropars. Sur ces référentiels, les travaux devront forcément débuter. À titre de comparaison, la moitié des avis d’arrêts de travail sont désormais dématérialisés dans la Marne, c’est-à-dire un pourcentage beaucoup plus élevé qu’il y a un an et demi. À la fin de l’année 2014, les deux tiers des avis d’arrêt de travail devraient être dématérialisés.
Ces avis d’arrêts de travail dématérialisés embarquent le référentiel sur la prescription. Ce sont des référentiels par pathologies. La caisse de la Marne a beaucoup de chance dans ce domaine car le directeur général de la CNAMTS a choisi mon organisme pour expérimenter deux nouvelles formules : la prescription et la facturation en ligne des transports de patients. Mme Rafiaa Bénaïcha est chargée de suivre ce dossier pour la CNAMTS.
Par ailleurs, nous avons beaucoup travaillé avec le service de contrôle médical, notamment sur les ententes préalables pour les déplacements de plus de 150 kilomètres. Nous pouvons donc vous faire part de notre expérience dans ce domaine.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je voudrais insister sur la nécessaire individualisation du prescripteur de l’établissement de soins, un sujet déterminant qu’il s’agisse du transport de patients ou de prescription de médicaments génériques à l’hôpital. Tant que nous n’aurons pas cette individualisation et donc cette identification du praticien hospitalier, nous resterons dans les généralités. Il est nécessaire de responsabiliser le prescripteur, non pas en lui imposant un diktat informatique mais en l’incitant à rationaliser sa prescription – qu’il doit établir lui-même et non déléguer à sa secrétaire, pour dire les choses de manière un peu crue.
Mme Liliane Ropars. Comme je vous l’ai déjà indiqué, sur les 21 millions d’euros de dépenses de transport de l’assurance maladie dans la Marne, 15 millions d’euros sont liés à des déplacements vers le CHU. Voilà qui justifie la nécessaire individualisation du prescripteur de l’établissement de soins.
Nous avons fait un carottage dans nos bases pour repérer le prescripteur non pas de transport – pour l’instant ce n’est pas possible car les logiciels de transporteurs ne permettent pas encore de véhiculer le répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS), c’est-à-dire le numéro de prescripteur dans un établissement public – mais le prescripteur de médicaments. Nous nous sommes aperçus que, dans plus de la moitié des cas, le référentiel du prescripteur n’est pas véhiculé, en particulier dans celui de l’établissement le plus important de notre région. D’emblée, cela pose une difficulté d’identification et cela nécessite un travail en partenariat avec les ARS et avec les établissements en question, de telle sorte que l’on puisse enfin savoir qui prescrit quoi et que l’on puisse agir de manière éclairée sur la prescription.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous une idée de l’échéancier ?
Mme Liliane Ropars. Dans certains établissements le processus d’identification est satisfaisant alors que dans d’autres il n’atteint que 5 %. Ce n’est donc pas une question technique.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. C’est une question d’autorité, comme toujours.
Mme Liliane Ropars. C’est une question de décision, d’autorité, de suivi, d’organisation. Nous procéderons à des carottages tous les six mois pour voir si la situation évolue et nous le ferons savoir.
Mme Rafiaa Bénaïcha, responsable du département « hospitalisation transports » de la caisse primaire d’assurance maladie de la Marne. Au cours des prochaines semaines, nous allons mener une expérimentation sur la facturation en ligne avec un transporteur sanitaire, dans le but de mettre en place la dématérialisation de la facture. Dans ce cadre, le transporteur aura accès à des services en ligne et au référentiel de l’assurance maladie.
L’objectif est d’améliorer la fiabilité de la facturation et une diminution des rejets par les caisses primaires puisque tout se fera en ligne, notamment les contrôles de recevabilité. Le transporteur disposera de ses rejets en ligne et sera amené à les corriger. Quant à la caisse primaire, elle recevra une facture, prête à être payée.
Le transporteur y gagnera en simplification des démarches et en fiabilité. De son côté, la caisse enregistrera moins de rejets, n’aura plus à manipuler les pièces justificatives, qui lui seront adressées sous forme dématérialisée via le système de scanérisation des ordonnances (SCOR), et elle pourra ainsi dégager du temps pour effectuer des contrôles et de la gestion du risque, c’est-à-dire des tâches plus efficientes.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Cette dématérialisation évoquée pour les prescripteurs se passe de façon très satisfaisante dans certains établissements de soins et avec difficulté dans d’autres pour des raisons culturelles ou historiques. Cela étant, la culture et l’histoire ne sont pas des justifications : ce qui compte est la bonne utilisation de l’argent public.
Techniquement parlant, au-delà de ces aléas et de ces réticences, combien de temps avez-vous mis ? À chaque fois que l’on évoque ces sujets, face au constat d’une expérimentation réussie, se pose la question de sa généralisation. On rencontre alors des objections liées à la complexité et au temps.
Cependant, le temps presse, tout particulièrement du fait des contraintes budgétaires que nous connaissons aujourd’hui.
Mme Liliane Ropars. Cela fait environ un an que nous travaillons sur ce sujet avec la CNAMTS. Nous avons lancé notre première facturation.
Mme Rafiaa Bénaïcha. Nous avons testé notre système informatique sur cette facturation en ligne.
Mme Liliane Ropars. Le système fonctionne. Nous allons donc refaire le test avec un groupe de six caisses primaires. Ensuite, nous serons confrontés à une difficulté : l’équipement des transporteurs. Il faudra les accompagner et faire en sorte qu’ils soient équipés pour faire de la facturation en ligne.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Qu’entendez-vous par « les accompagner » ?
Mme Liliane Ropars. Dans nos caisses primaires, nous avons des conseillers en informatique, des délégués de l’assurance maladie qui peuvent se déplacer pour expliquer le fonctionnement du système dans chacune des sociétés. Il faudra aussi s’assurer que les éditeurs de logiciels soient prêts.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Qu’en est-il dans ce domaine ?
Mme Liliane Ropars. Les éditeurs ne sont pas très nombreux – ce secteur est également très concentré – et il y aura lieu de travailler avec eux de manière très poussée. S’agissant des feuilles de soins électroniques, nous sommes aidés par le GIE SESAM-Vitale, basé au Mans. En ce qui concerne les transporteurs, nous passons par des flux appelés « échanges de données informatiques » qui ne sont pas des feuilles de soins électroniques. La relation avec les éditeurs de logiciels se place sur un autre registre, néanmoins elle est structurée.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pour les établissements de soins, vouliez-vous apporter d’autres précisions, madame Rafiaa Bénaïcha ?
Mme Rafiaa Bénaïcha. Je voulais aussi parler de la prescription en ligne qui permettra d’avoir un système totalement sécurisé, du prescripteur jusqu’au transporteur qui facture. La CNAMTS, qui va mener une expérimentation avec des établissements de santé, a choisi la Marne pour expérimenter la prescription en ligne avec des médecins libéraux. Cette expérimentation, qui va commencer en septembre ou en octobre, vise à permettre aux médecins de prescrire en ligne d’abord via Espace pro, puis par le biais de leur logiciel intégré.
Il s’agit de sécuriser la prescription médicale sur le plan de la réglementation, en apportant une aide au prescripteur – grâce à des champs obligatoires, par exemple – puis au transporteur qui recevra cette prescription et devra la facturer à l’assurance maladie. Il s’agit donc de fiabiliser le système et de nous permettre de bien le contrôler afin d’assurer la maîtrise des dépenses de transport.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Sur le sujet des logiciels de contrôle, la CPAM des Hauts-de-Seine a mis en place un dispositif baptisé Cactus, dans le cadre du contrôle des facturations, qu’elle considère comme particulièrement performant sinon idéal. Au travers des échanges de données automatisés, il permet un contrôle beaucoup plus efficient dans le cadre de la gestion du risque et de la bonne adéquation entre l’offre et la demande. Quelle est votre position sur le sujet, dans la mesure où son usage pourrait être étendu sur tout le territoire ?
M. Mathieu Frélaut. Effectivement, nous allons mettre en place dans les mois qui viennent cet outil. Il s’agit d’abord d’enrichir la base de Cactus où ont été enregistrées près de 90 000 références de distances de transport dans la zone de chalandise de ce département. Nous devons l’adapter à notre région où les distances ne sont pas celles des Hauts-de-Seine. De plus, certaines règles tarifaires pour les taxis étant liées au territoire, nous disposons de règles propres. En fait, Cactus est un outil que chacune des régions doit s’approprier en fonction des caractéristiques de son propre territoire.
Aujourd’hui, nous effectuons essentiellement des contrôles a posteriori des transporteurs qui sont extrêmement chronophages : nous aurions donc tout intérêt à développer un système de géolocalisation. Évidemment, équiper nos 36 transporteurs sanitaires serait coûteux, mais cela nous ferait gagner beaucoup de temps – dans un contexte de forte pression sur les effectifs de la caisse – en nous évitant de comparer des distances : celles-ci nous seraient données par la géolocalisation.
Nous allons donc mettre en place Cactus. Mais, si l’on veut chercher plus d’efficience, la géolocalisation permettrait de simplifier considérablement les contrôles.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous avons entendu dire qu’il arrivait que des prescriptions soient faites a posteriori : est-ce vraiment le cas ?
M. Mathieu Frélaut. C’est une question complexe : cela arrive effectivement. Un transporteur se présente alors que le transport n’a pas été prescrit par un médecin et fait pression sur les secrétaires en expliquant qu’il n’a pas pu utiliser un transport assis car seule une ambulance était disponible…
Au-delà du problème de la prescription a posteriori – beaucoup de réflexions doivent être menées sur la pertinence du transport, sur la justification médicale de la prise en charge de transports. Je pense aussi à la question du « don d’ubiquité » : les contrôles d’activités a posteriori font parfois apparaître qu’un même véhicule est censé avoir transporté deux patients au même moment, à des endroits différents, l’un pour le régime général et l’autre pour la Mutuelle sociale agricole (MSA) par exemple. Aujourd’hui, nous ne pouvons le vérifier que par une interconnexion a posteriori de nos bases, ce qui est très lourd.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce n’est toujours pas automatique ?
M. Mathieu Frélaut. Juridiquement, ce n’est pas possible a priori. Lorsque nous effectuons un contrôle d’activité, nous demandons à nos collègues, généralement du régime agricole ou du régime des indépendants, de faire les mêmes requêtes à propos des mêmes personnes. Ensuite, nous menons un travail de bénédictin pour recouper toutes ces informations. Mais aujourd’hui, il n’y a pas d’interconnexion des bases pour la facturation.
Mme Liliane Ropars. En ce domaine, nous travaillons vraiment de façon artisanale, au cas par cas.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. J’ai réussi à faire voter l’interconnexion des fichiers en 2006 – ce qui a suffisamment fait gloser – mais seulement, c’est vrai, pour le contrôle d’éligibilité. J’ai d’ailleurs enfin reçu une réponse à une question écrite que j’avais posée en 2012 : il semblerait que l’interconnexion soit enfin techniquement réalisée.
M. Mathieu Frélaut. La prescription dématérialisée du transport nous permettra de faciliter énormément les contrôles, tant au sein du régime général qu’entre les différents régimes.
En résumé, Cactus est un outil très intéressant, mais la recherche d’efficience dans le contrôle voudrait que l’on aille au-delà.
Mme Liliane Ropars. Le seul vrai moyen de sortir d’un contrôle au cas par cas pour aller vers un contrôle systématique et massif, ce sont les dispositifs de géolocalisation. Les fédérations de transporteurs et de taxis s’y sont d’ailleurs montrées plutôt favorables.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il faudrait rendre la géolocalisation obligatoire.
Quel est l’ordre de grandeur des sommes indûment versées par votre caisse ? Parvenez-vous à récupérer les versements indus ? Engagez-vous des poursuites pénales en cas de fraude ?
M. Mathieu Frélaut. Nous mettons en œuvre des contrôles a posteriori, qui sont des contrôles d’activité d’ensemble. Nous ne distinguons donc pas forcément l’indu relevant d’une fraude de celui qui n’est pas intentionnel. Nous mêlons fraude, faute et abus, et c’est l’assiette de cet indu qui nous sert à apprécier l’éligibilité à la procédure des pénalités financières.
Pour toute la région Champagne-Ardenne, en 2012 et 2013, nous avons notifié près de 100 indus, pour un montant de 370 000 euros. Les principaux motifs sont le don d’ubiquité que j’ai déjà évoqué, le non-respect de la prescription médicale ou des règles d’abattement, l’absence d’entente préalable et la facturation de transports non remboursables.
9 pénalités financières pour un montant de 22 000 euros ont été prononcées. Dans notre région, nous choisissons effectivement d’utiliser systématiquement la procédure de la pénalité, qui est assez pédagogique, puisque les représentants de la profession y sont associés.
Mme Liliane Ropars. Il faut également souligner que c’est une procédure rapide, puisqu’elle aboutit en quelques mois, voire quelques semaines.
M. Mathieu Frélaut. Nous avons également engagé 2 poursuites pénales, pour un préjudice estimé à 97 000 euros.
En résumé nous menons en principe des contrôles systématiques a posteriori. Lorsque les textes le permettent, nous avons recours directement à la procédure des pénalités financières. Cela ne se traduit d’ailleurs pas forcément par une pénalité, mais au moins par une lettre de rappel de la réglementation et à un avertissement. Nous associons ainsi répression et accompagnement.
Mme Liliane Ropars. Pour mieux évaluer ces montants, on peut rappeler que la Champagne-Ardenne est une petite région, puisqu’elle représente 2 % de la France ; la Marne est un département moyen, qui représente 1 % de la France. Ces 370 000 euros ne sont donc pas négligeables.
Mme Rafiaa Bénaïcha. Nous avons également mis en place une action concertée avec le service médical, notamment pour les demandes d’entente préalable pour les transports sur plus de 150 kilomètres. Le service médical a élaboré un arbre décisionnel dont le but est de privilégier la règle du traitement dans l’établissement de soins le plus proche : il sert de base à nos décisions. Dès lors qu’une offre de soins appropriée existe dans la Marne, les patients n’ont pas de raison de se rendre dans d’autres départements. Nos efforts portent également sur l’utilisation du mode de transport le plus adapté à l’état de santé du malade. Nous nous sommes inspirés de l’expérimentation menée par la CPAM de l’Aube, qui avait été citée par la Cour des comptes : il s’agissait d’éviter que les patients de ce département n’aillent se faire soigner à Châlons-en-Champagne ou à Reims lorsque ce n’était pas nécessaire.
En 2012 et 2013, nous avons ainsi économisé plus de 400 000 euros.
Mme Liliane Ropars. Ces actions ont également un intérêt en matière d’aménagement du territoire ; de plus, elles permettent une meilleure association des différents établissements de soins.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Différentes réflexions ont montré que l’organisation de l’offre pouvait être largement améliorée. La prescription étant largement concentrée, il faudrait également mieux gérer, par exemple, les temps d’attente, ceux-ci étant facturés notamment par les taxis.
Quel est votre point de vue sur la garde ambulancière, qui semble onéreuse ? Quelle est l’articulation entre les services médicaux d’urgence et les sapeurs-pompiers ? Les points de vue semblent très contrastés.
Mme Liliane Ropars. Sur les quelque 20 millions d’euros que coûtent les ambulances, 5 millions sont consacrés à l’ambulance agréée de garde et à l’indemnité de garde ambulancière. Beaucoup d’argent est donc versé à ce titre en Champagne-Ardenne. À titre de comparaison, le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) reçoit 350 000 euros.
Nous sommes les financeurs, mais la garde ambulancière relève du planificateur, c’est-à-dire de l’ARS.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelles sont vos attentes sur ces sujets ?
M. Mathieu Frélaut. Du modeste point de vue marnais, je peux dire que l’apparition de la garde ambulancière a constitué pour la profession une substantielle rémunération. Cela représente pour notre département 1,5 million d’euros, pour 4 300 gardes, soit 349 euros par garde. Nous contrôlons que l’abattement de 60 % est bien appliqué. Nous n’avons toutefois pas le sentiment que les véhicules sortent beaucoup.
Il est au minimum indispensable de revoir la sectorisation, ce dont l’ARS est consciente. La sectorisation a été déterminée avant la définition de « territoires de santé » par l’ARS : il faut à tout le moins assurer une meilleure articulation. La diminution du nombre de secteurs nous permettra de faire des économies, sans nuire en rien à la qualité des soins apportés à nos concitoyens. Dans la Marne, la coordination entre les « rouges » et les « blancs » se passe, me semble-t-il, bien. Mais le dispositif pourrait être optimisé.
Il me semble donc qu’il serait judicieux – mais je parle pour ma région – d’associer les financeurs à l’ARS. Une concertation entre planificateur et financeur serait à tout le moins nécessaire : aujourd’hui, nous payons, mais je ne suis pas sûr que cela ait entraîné une amélioration de la qualité des soins…
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Il faudrait que l’État prenne ses responsabilités : effectivement, cette concertation devrait être obligatoire !
Mme Liliane Ropars. Tant qu’à rêver de coordination entre planificateur et financeur, il apparaîtrait opportun d’associer également les établissements hospitaliers à ces réflexions sur les transports urgents. On pourrait ainsi être beaucoup plus efficient.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Notre dispositif est très cloisonné, ce qui n’est pas précisément source de productivité.
Menez-vous des expérimentations sur la gestion de l’attente des patients ?
Mme Liliane Ropars. Nous ne menons aucune expérience en ce domaine, mais il paraît en effet indispensable que les établissements hospitaliers mettent en place un pôle de gestion du transport. Certains établissements de notre région ont été accompagnés par l’Agence nationale d’appui à la performance (ANAP), et il en ressort que la mise en place de pôles de gestion des relations avec les transporteurs serait très utile. Cela n’implique pas, d’ailleurs, que l’on privilégie les appels d’offres par rapport aux tours de rôle, ces derniers permettant d’ailleurs d’assurer une meilleure égalité entre les sociétés de transport, quelle que soit leur taille.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les transporteurs redoutent le transfert de la dépense de transports vers le budget des hôpitaux – ce que préconise la Cour des comptes – car ils craignent une concentration accrue du secteur. Mais les chiffres que vous nous avez donnés montrent déjà une forte concentration : il faut être lucide sur ce point.
Comment fonctionnent ces tours de rôle ?
Mme Liliane Ropars. L’idée est que les prescripteurs hospitaliers dans un établissement transmettent leurs prescriptions, dématérialisées, à un secrétariat qui fait appel, de façon raisonnée, à des professionnels du transport. On pourrait également mettre en place des transports partagés. Cela rendrait service à l’établissement hospitalier, mais aussi aux transporteurs, qui ne perdraient plus leur temps à attendre.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous connaissance d’expériences particulièrement intéressantes ?
Mme Liliane Ropars. La concentration des demandes de transport sur un pôle unique est vraiment une bonne chose. Au total, en Champagne-Ardenne, les dépenses de transport augmentent tous les ans, mais un peu moins que la moyenne nationale, alors que la région est très rurale et compte beaucoup de personnes âgées.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Souhaitez-vous nous faire part d’autres initiatives ?
Mme Liliane Ropars. Vous savez que le rapport charges et produits pour l’année 2014 de la CNAMTS propose la mise en place d’une carte de transport assis pour les patients chroniques qui ont besoin de transports itératifs. Nous nous sommes penchés sur le cas des patients souffrant d’insuffisance rénale chronique, car cette affection occasionne une grande part des dépenses de transport.
L’insuffisance rénale chronique coûte, en Champagne-Ardenne, 89 000 euros par an pour un patient en hémodialyse, auxquels il faut ajouter 13 000 euros de frais de transport ; une dialyse péritonéale à domicile coûte 64 000 euros. Une greffe coûte quant à elle 86 000 euros la première année, mais ensuite 20 000 euros – malheureusement, vous le savez, nous n’en réalisons pas suffisamment. Au total, très peu de malades sont concernés – il y a 790 malades dialysés en Champagne-Ardenne –, mais cela représente 15 % de la dépense totale de transport dans la région.
Nous avons donc souhaité mettre en place un programme d’accompagnement, à l’image des différents dispositifs PRADO (programme d’accompagnement du retour à domicile) que vous connaissez. Les patients en hémodialyse se déplacent trois fois par semaine, pour des séances de quatre heures ; dans notre région, l’aller-retour dure souvent une heure et demie. En outre, la plupart de ces patients sont âgés. C’est une situation loin d’être facile.
Nous avons donc imaginé de proposer à ces patients un accompagnement qui puisse leur faciliter la vie. Nous mettrions ainsi en place une offre plus individualisée, avec notamment une proposition de liste de transporteurs et une simplification administrative – en particulier, suppression de l’accord préalable pour le transport, puisque celui-ci est obligatoire tant qu’il n’y a pas de greffe : il est inutile d’ennuyer les malades avec des formalités qui sont coûteuses pour tous. On pourrait également imaginer des incitations financières pour l’utilisation d’un véhicule personnel.
Nous avons contacté les associations qui œuvrent en ce domaine et elles partagent notre point de vue. Nous allons donc essayer de mener à bien ce travail, peut-être en utilisant des budgets d’action sanitaire et sociale du département. La CNAMTS est également mobilisée sur ces sujets.
Le cas de l’insuffisance rénale chronique montre aussi qu’il sera nécessaire de mettre en place des référentiels de transport par pathologie.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Disposez-vous déjà de bilans financiers pour ces offres alternatives – participation au déplacement du patient lorsqu’il est fait par des moyens personnels, remboursement des tickets de stationnement… ?
Mme Liliane Ropars. Non, nous n’avons encore aucun résultat. Nous avons seulement effectué une simulation, en prenant l’hypothèse que notre proposition intéresserait 10 % des patients concernés : en Champagne-Ardenne, on gagnerait déjà 1,5 million d’euros, sur une dépense totale de 9 millions d’euros. Nous espérons pouvoir démarrer l’expérience de la carte de transport assis au mois de septembre. Cela demande un travail avec les centres de dialyse et les associations, bien sûr, mais ce n’est pas hors de portée.
J’insiste sur le fait que cet exemple montre qu’un référentiel de transport doit être élaboré pour chaque pathologie : aucune ne ressemble à l’autre.
Audition de M. Jean-Christophe Paille, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Champagne-Ardenne
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je souhaiterais que vous nous fassiez part de vos réactions par rapport aux réflexions et préconisations que la Cour des comptes a émises dans son rapport de septembre 2012 sur le transport de patients.
M. Jean-Christophe Paille, directeur régional de l’agence régionale de santé (ARS) de Champagne-Ardenne. Je souhaiterais débuter mon propos sur la conciliation entre les économies de dépenses de transport et la réorganisation territoriale de l’offre de soins, qui se situe au cœur des compétences de l’ARS.
Si le développement de la chirurgie ambulatoire n’entraînera pas d’augmentation de dépenses de transport car le nombre d’entrées et de sorties hospitalières devrait rester le même, le regroupement des plateaux techniques devrait, quant à lui, avoir une incidence en termes de temps de transport et devrait donc entraîner un coût supplémentaire.
Afin de pallier cette incidence, je citerai plusieurs pistes. En premier lieu, des consultations avancées sont mises en œuvre. Dans notre région, une centaine de consultations sont réalisées dans les hôpitaux de proximité. Ainsi un oncologue du centre de lutte contre le cancer de Reims vient-il consulter à Saint-Dizier afin de permettre d’économiser aux patients un temps de transport d’une heure et demie.
En deuxième lieu, l’amélioration d’outils d’aide à la décision dans les centres hospitaliers qui figurent dans le guide de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) permet de limiter la progression des dépenses. Trois établissements de santé de la région ont mis en œuvre un service dédié à la planification et à la gestion de la commande de transports. Une première évaluation montre que ce dispositif contribue à une meilleure utilisation de l’offre de transport, un recours plus conforme au référentiel de 2006.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Qu’en est-il de l’identification du prescripteur hospitalier ? Où se situent les oppositions à la mise en œuvre de ce principe ?
M. Jean-Christophe Paille. La réponse se situerait plus au niveau de l’assurance maladie que de l’ARS. Le principe est incontesté mais sa réalisation opérationnelle suppose la mise en place d’un système d’information complexe et lourd à réaliser.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Avez-vous mené une action dans ce sens dans votre région ?
M. Jean-Christophe Paille. Vous avez eu l’occasion d’auditionner Mme Liliane Ropars, directrice coordinatrice gestion du risque pour la région Champagne-Ardenne, qui vous a fait part des bonnes relations que la caisse d’assurance maladie entretient avec l’ARS. Nous avons collaboré dans la mise en place du programme régional de gestion du risque mais la question de l’identification du prescripteur hospitalier n’a pas été abordée.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Observe-t-on des réticences corporatistes ou des considérations d’ordre financier pour justifier cette lenteur dans la mise en œuvre de ce principe ?
M. Jean-Christophe Paille. Les réticences ne se situent ni du côté de l’assurance maladie, ni du côté de l’ARS. Il faut être conscient qu’un effort important est demandé aux établissements de santé en termes de systèmes d’information.
Pour conclure sur les pistes à explorer dans le cadre de la réorganisation de l’offre de soins, une collaboration avec les collectivités territoriales peut conduire à la mise en place d’un transport collectif, sur le modèle du ramassage scolaire, afin de permettre aux populations les plus éloignées d’un site hospitalier d’y accéder.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je m’interroge sur la justification qui pourrait être apportée auprès des collectivités territoriales, car la santé ne relève pas de leur périmètre principal. Je crains que ce dispositif n’ait une mécanique inflationniste. La question fondamentale reste l’application du référentiel de 2006 et l’adossement du transport sur une prescription médicale.
M. Jean-Christophe Paille. La bonne application du référentiel est, en effet, une question primordiale. S’agissant des relations avec la caisse primaire, la collaboration est excellente dans notre région. Comme je l’ai évoqué, le programme régional de gestion du risque, élaboré en commun, comprend un volet consacré aux transports. La sensibilisation, auprès des professionnels de santé (médecins généralistes et spécialistes) ainsi qu’auprès des établissements de santé, au respect du référentiel de 2006, une économie de 70 millions d’euros en 2013, a été un succès dans notre région. Pour 2014, l’accent sera mis sur la pertinence de la prescription des transports itératifs.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Certaines pathologies pouvant être compatibles avec un transport non médicalisé, avez-vous mis en place des expérimentations pour encourager les patients à recourir à leur véhicule personnel avec remboursement, par exemple, des frais de stationnement ?
M. Jean-Christophe Paille. Dans notre région, de telles actions expérimentales n’existent pas. Nous avons privilégié les actions prévues dans le cadre du programme régional de gestion du risque. À ce titre je voudrais insister sur l’importance de l’articulation entre l’assurance maladie et l’ARS. Il est vraiment regrettable que l’assurance maladie n’ait pas de représentation institutionnelle au sein du comité départemental de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (CODAMUPS-TS), même si elle est souvent invitée aux réunions à titre d’observateur. On pourrait envisager de mettre en place certains logiciels communs notamment pour contrôler les modifications apportées au Référentiel national des transports.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Beaucoup reste à faire pour améliorer la coordination entre les autorités publiques, notamment le ministère de la santé et le ministère de l’intérieur pour l’organisation du transport de patients. À ce titre, que pensez-vous de l’idée d’attribuer à une seule autorité, en l’occurrence les caisses primaires, le pouvoir à la fois d’agrément et de conventionnement des transporteurs ?
M. Jean-Christophe Paille. La finalité des deux procédures est différente : l’agrément du transporteur vise à contrôler les conditions d’exercice aussi bien quant à la sécurité des véhicules qu’à la compétence des professionnels. On évalue la capacité à rendre une prestation de service de qualité, le conventionnement porte uniquement sur les conditions de prise en charge par l’assurance maladie des frais de transports engagés.
Lier la perte de conventionnement et la perte d’agrément risquerait de rigidifier le système mais on pourrait envisager que les caisses primaires reçoivent délégation de pouvoir de l’ARS pour être responsable des deux procédures.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. On pourrait prévoir une obligation de double signature ARS et caisses primaires afin d’arriver à un copilotage des autorisations.
M. Jean-Christophe Paille. Si ces pouvoirs étaient délégués aux caisses primaires, il faudrait prévoir un certain nombre de conditions pour rendre le mécanisme opérationnel :
– si l’assurance maladie dispose du pouvoir d’agréer les entreprises de transports sanitaires, il convient de lui transférer aussi le pouvoir d’assurer le contrôle de ces entreprises par des inspections régulières ;
– les ARS devraient garder la prérogative de définir les orientations régionales en matière de transports sanitaires ;
– les instances de concertation locales comme le CODAMUPS-TS et le comité des transports sanitaires devraient être maintenues car ils permettent une véritable régulation ;
– la délégation de compétences ne devrait pas interférer avec les possibilités de réquisition en cas de carence de la garde ambulancière.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Que pensez-vous de la budgétisation des transports sanitaires au sein des budgets des hôpitaux ? Ce recours systématique aux appels d’offres inquiète beaucoup les transporteurs qui craignent de ne pas avoir la capacité de concourir car ce sont en majorité des très petites entreprises. Cela risquerait aussi d’accélérer le mouvement de concentration dans ce secteur où on observe déjà la création de « holdings » pour contrôler plusieurs entreprises jusque-là indépendantes.
M. Jean-Christophe Paille. À titre personnel, j’y suis plutôt favorable car cette procédure serait un facteur incitatif pour une gestion optimisée du recours aux transports des patients. Ceci dit, il faut entendre les inquiétudes des professionnels et veiller à ce que les cahiers des charges prennent en compte la diversité des entreprises de transport et permettent une mise en concurrence équitable.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Que pouvez-vous nous dire de la garde ambulancière dans votre région ?
M. Jean-Christophe Paille. Je tiens tout d’abord à souligner que les secteurs de la garde ambulancière ne sont pas en adéquation avec les territoires de santé tels qu’ils ont été définis par la loi dite « HPST », pour hôpital, patients, santé et territoire. Ces secteurs de garde se rapprochent beaucoup plus des territoires de premier secours et correspondent à des bassins de vie. Le dimensionnement de ces secteurs est un facteur clé pour leur efficacité, certains ne connaissant qu’une très faible activité, tout particulièrement durant les heures de nuit. Il faudrait sans doute s’inspirer de ce qui a été fait pour la permanence des soins ambulatoires avec l’agrandissement des secteurs pour tenir compte de l’activité réelle aux heures non ouvrables.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Qu’en est-il dans votre région des relations entre les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et le service d’aide médicale urgente (SAMU) ?
M. Jean-Christophe Paille. Si j’en juge par mon expérience dans différentes régions, la qualité de la coopération dépend beaucoup des relations personnelles entre les responsables de chaque institution. Je peux donner l’exemple de la Haute-Marne où la mobilisation des différentes autorités publiques (préfecture, ARS et conseil général) a permis de créer une plateforme commune de réception des appels d’urgence entre le SDIS et le SAMU, mais cette action aurait été très délicate si les personnels de terrain n’avaient pas été moteurs pour opérer cette gestion commune.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Les actions de contrôle de la facturation reviennent aux caisses mais qu’en est-il de la stratégie globale ? La Cour des comptes a souligné que l’offre de transports sanitaires n’était pas efficace car elle est prisonnière de situations passées avec l’attribution d’agréments qui ont figé des situations acquises. Comment favoriser des actions innovantes, gage d’économies, sans réduire le service rendu aux patients ? Quelle part des véhicules est équipée d’un système de géolocalisation ? Enfin, quelle est votre politique de contrôle des entreprises de transports sanitaires ?
M. Jean-Christophe Paille. En Champagne-Ardenne, l’ARS n’accorde plus de nouveaux agréments et l’offre est analysée de très près avec un suivi rigoureux des fermetures d’entreprises pour évaluer s’il est alors opportun d’accorder de nouvelles autorisations de mise en service de véhicules. Nous utilisons les critères suivants pour attribuer ces autorisations : l’évolution des besoins de la population et les caractéristiques de la concurrence sur une zone géographique déterminée. Concernant la géolocalisation des véhicules et le plan de contrôle, je vous répondrai ultérieurement par écrit.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Nous avons constaté que les dépenses générées par les entreprises de taxi avaient fortement augmenté sans que le ministère de la santé et le ministère de l’intérieur ne mettent en place une stratégie coordonnée de maîtrise de cette offre de transport. Au plan local, qu’en est-il de l’action concertée entre les préfectures et l’ARS ?
M. Jean-Christophe Paille. Pour l’instant, il n’existe pas de coopération sur cette question, ce qui est regrettable car une approche articulée serait beaucoup plus efficace.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Quelles seraient selon vous les actions prioritaires à mettre en œuvre pour rationaliser l’offre de transports de patients ?
M. Jean-Christophe Paille. Le point le plus important me paraît être le travail mené actuellement sur le référentiel national de transport de 2006 dont il faut vérifier le respect. Le plan régional de gestion des risques a fait porter la priorité sur ce type de contrôle et c’est tout à fait pertinent. Le deuxième point me semble être la restructuration de l’offre de transport pour qu’elle soit adaptée aux besoins réels de la population.
Le troisième point concerne le renforcement des contrôles liés à la tarification opérés par les caisses primaires qui sont en mesure d’organiser des contrôles ciblés.
Enfin, le pilotage doit être vraiment amélioré entre l’assurance maladie et l’ARS sans d’ailleurs préjuger de la décision qui sera prise au sujet de la délégation de pouvoir relative aux agréments des entreprises de transport sanitaire. La représentation des caisses primaires dans les CODAMUPS-TS semble être un facteur important pour une véritable stratégie concertée qui passe bien évidemment aussi par le partage de logiciels permettant l’accès aux données relatives à l’activité des entreprises de transport.
*
* *
Audition de M. François Maury, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Poitou-Charentes, et M. Gérard Récugnat, directeur de la stratégie
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Le transport de patients représente des volumes financiers conséquents qui sont en augmentation. Deux facteurs expliquent cette progression : la réorganisation de l’offre de soins et le vieillissement de la population. Nous souhaitons adopter, avec la MECSS, une démarche opérationnelle et nous sommes donc intéressés par une approche de terrain.
M. François Maury, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Poitou-Charentes. Je ne suis directeur général de l’ARS que depuis deux mois et demi, c’est pourquoi j’ai souhaité être accompagné par M. Gérard Récugnat, directeur de la stratégie.
La région Poitou-Charentes compte 1,8 million d’habitants et 70 établissements de santé. Les dépenses de transports se sont élevées à 88 millions d’euros en 2013. Leur progression est de 3,5 %, contre 5,7 % pour la moyenne nationale. 80 % des prescriptions sont hospitalières, ce qui est plus élevé que la moyenne nationale. On compte 2 350 véhicules – les quotas autorisés de véhicules sanitaires sont dépassés. Une attention particulière a été portée aux transports sanitaires au cours des dernières années, de par la volonté de mon prédécesseur, M. François-Emmanuel Blanc.
Pour concilier économies de dépenses de transport et réorganisation territoriale de l’offre de soins, il faut avant tout apprécier la problématique dans sa globalité. Le recours à l’ambulatoire diminue les coûts structurels fixes mais peut induire un léger surcoût des dépenses de transports. Cette évolution de la prise en charge des patients s’appuie aussi sur des technologies nouvelles, comme la télémédecine et la messagerie électronique. Nous constatons en conséquence une diminution d’un certain nombre de transports de patients.
L’articulation entre les ARS et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) est une question clé. La gouvernance éclatée des transports de patients entre l’ARS, le préfet et l’assurance maladie est préjudiciable. En effet, la prise en charge des entreprises de transport sanitaire incombe à l’assurance maladie, tandis que les ARS sont chargées de leur agrément et de l’autorisation de mise en service de leurs véhicules. Je me suis rapproché du coordonnateur-directeur des CPAM de la région afin que nous adoptions une approche différente et nous avons décidé de partager nos informations et de travailler ensemble.
M. Gérard Récugnat, directeur de la stratégie de l’ARS de Poitou-Charentes. Nous avons, en effet, mis en place un groupe de travail commun ARS-assurance maladie, afin de réfléchir aux modalités de restructuration de l’offre ambulatoire sur la région, en s’appuyant sur des informations de l’assurance maladie que nous n’avions pas toujours.
Il faudrait vérifier le taux d’utilisation des véhicules sanitaires. On pourrait notamment opposer à un gestionnaire de transport un taux d’utilisation insuffisant pour lui retirer l’agrément. Il est important de repositionner l’offre aux besoins.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Ce que vous dites pose le problème d’une offre souvent qualifiée de mal construite. Les moyens sont pléthoriques dans certaines régions. L’éclatement des centres de décision ne favorise pas la clarté de l’analyse opérationnelle en matière d’offre. Le sujet de la prescription, qui n’est pas en adéquation avec les référentiels, aboutit à une offre ne répondant pas à des considérations strictement médicales.
M. François Maury. Nous avons pris des initiatives, parmi lesquelles la diffusion d’une charte « processus », l’expérimentation d’une plateforme de centralisation des commandes de transport et le déploiement d’un logiciel spécifique.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce logiciel ?
M. Gérard Récugnat. Cet outil, construit par un responsable informatique de la région, nous permet de disposer d’une base de données fiable sur le nombre d’entreprises de transport sanitaire dans la région et sur la composition du parc ambulancier ou VSL de l’entreprise. Nous disposons de trois gestionnaires pour les quatre départements de la région. Si l’un est absent, les dossiers sont repris par les autres gestionnaires.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Depuis combien de temps ce logiciel fonctionne-t-il ?
M. Gérard Récugnat. Il fonctionne depuis un an de façon satisfaisante.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Je suis surpris que cet outil très pertinent fonctionne seulement depuis un an, puisque l’agrément délivré par l’ARS s’adosse sur ses capacités de contrôle, notamment des moyens mis à disposition pour la mission de transport de patients. Ceci nous renvoie à une problématique de rationalisation des moyens. Il existe également un enjeu de gouvernance, qui se traduit a minima par la capacité à travailler de façon collégiale.
M. François Maury. L’État dispose de moins en moins de moyens pour exercer un contrôle – il est de toute manière impossible de contrôler 2 350 véhicules. Il est plus simple d’opter pour une procédure plus déclarative avec des certifications. Il est plus facile pour nous de faire confiance a priori. Il est illusoire de penser que l’ARS peut exercer un contrôle complet et exhaustif sur ces véhicules. L’important est que les ARS gardent leur mission de régulateur et de cadrage des moyens et de l’implantation des transports et leur mission de gestion de l’offre globale de soins.
M. Gérard Récugnat. Il semblerait judicieux que la répartition des tâches entre l’ARS et l’assurance maladie soit revue : il conviendrait de confier quasi exclusivement la gestion du personnel et des véhicules à l’assurance maladie et de recentrer l’action de l’ARS vers les missions d’inspection et de contrôle que nous exerçons, mais de manière insuffisante. Nous pourrions développer ces fonctions de terrain si nous étions déchargés de tâches administratives.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Où en est la géolocalisation dans votre région ?
M. François Maury. Elle fonctionne seulement dans un département, la Vienne.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. Comment peut-elle devenir systématique, existe-t-il une montée en charge opérationnelle de cette géolocalisation ?
M. Gérard Récugnat. Elle se mettra en place dans le cadre de l’expérimentation « transports » que nous pilotons, et qui commence à se déployer depuis la fin de l’année 2013.
Nous travaillons en lien avec les acteurs concernés, à savoir les établissements de santé et les professionnels de taxis. Il existe une participation financière des adhérents à la plateforme, mais qui reste modeste.
Pour lancer cette expérimentation, l’agence a mobilisé des crédits à hauteur de 100 000 euros : une partie pour financer la logistique et l’informatique, une autre pour les ressources humaines.
M. le coprésident Pierre Morange, rapporteur. La géolocalisation pourrait-elle devenir totalement obligatoire ?
M. François Maury. Cela est envisageable si on le présente dans le cadre d’une approche globale, où les acteurs concernés seraient associés et où on leur montrerait qu’ils y ont un intérêt.
S’agissant des contrats d’amélioration de la qualité et de l’organisation des soins (CAQOS), nous n’avons pas participé à leur signature. La Fédération hospitalière de France (FHF) n’était pas favorable à cette démarche.
M. Gérard Récugnat. Un recours a en effet été formé par la FHF contre ce mécanisme. En Poitou-Charentes, l’esprit de ce recours a été très suivi par les établissements de santé, qui ont appliqué la consigne nationale et n’ont pas souhaité adhérer à ces contrats.
M. Pierre Morange, président. Il est curieux que la FHF se permette de s’opposer à des dispositions validées par la représentation nationale, même si c’est à titre expérimental. Je souhaiterais disposer du texte de ce recours.
M. François Maury. Nous avons tout de même engagé une démarche de concertation avec une dizaine d’établissements ciblés pour leur proposer de signer des accords d’objectifs, en étant un peu en retrait sur les éléments de sanction qui étaient liés aux CAQOS. Les directeurs d’hôpitaux ont compris notre nouvelle démarche. Au final, quatre établissements seraient prêts à aller vers le CAQOS, après avoir expérimenté les accords d’objectifs. Cette solution alternative est propre à la région Poitou-Charentes. Je souhaiterais qu’elle puisse être évaluée.