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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2016
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 4 mars 2015 (1)
sur le Liban
Président
M. Axel PONIATOWSKI
Rapporteur
M. Benoit HAMON
Députés
(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information sur le Liban est composée de : M. Axel Poniatowski, président ; M. Benoît Hamon, rapporteur ; MM. Jean-Paul Bacquet, Christian Bataille, Jean-Jacques Guillet, Jean-René Marsac et Alain Marsaud.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 11
I. UNE SITUATION ALARMANTE SUR TOUS LES FRONTS 15
A. UN BLOCAGE PRESQUE COMPLET DES INSTITUTIONS 15
1. Le Liban reste sans chef d’Etat depuis 2014 15
a. Une élection déjà reportée quarante fois 16
i. Le boycott d’une partie des députés 16
ii. Une situation qui reste pourtant fluide 16
b. Un écheveau complexe de paramètres explicatifs 17
i. La controverse autour du maintien de la candidature de Michel Aoun 17
ii. La question des divisions interchrétiennes 18
iii. Des interrogations sur les intentions réelles du Hezbollah 19
iv. La dimension régionale 20
v. Des acteurs libanais qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas débloquer la situation ? 21
c. Une difficulté majeure pour les équilibres institutionnels et communautaires du pays 21
i. Des institutions déséquilibrées et affaiblies en l’absence de Président 21
ii. Une question qui devrait être prioritaire pour les chrétiens libanais 22
2. Une République sans chef d’Etat, mais aussi sans Gouvernement et Parlement qui fonctionnent 22
a. Un Gouvernement largement paralysé 23
b. Un Parlement entré en léthargie profonde 24
c. En conséquence, un processus décisionnel en panne 26
B. MALGRÉ UNE ACCALMIE PRÉCAIRE, DES RISQUES TOUJOURS TRÈS ÉLEVÉS SUR LE PLAN SÉCURITAIRE 26
1. Ersal et Bekaa-Nord : un front qui se stabilise 27
a. Des infiltrations de groupes djihadistes depuis la Syrie 27
b. Une pression désormais contenue, mais des infiltrations et des « poches » djihadistes persistent 28
2. D'autres foyers de tensions où les risques sécuritaires demeurent élevés 28
a. Tripoli : un précaire retour au calme 29
b. Des risques de percée à travers le Akkar ou de reprise d’actions terroristes majeures : vers une nouvelle poussée djihadiste au Liban ? 29
c. Une situation fragile dans les camps palestiniens 30
i. Une forte poussée djihadiste 30
ii. Une situation certes contenue mais précaire 32
3. Sud-Liban, Golan : la crainte d’un réveil des fronts calmes 33
a. L'intérêt de toutes les parties pour le maintien de la stabilité au Sud-Liban, garantie par la FINUL 33
b. Des risques d'infiltrations djihadistes sans doute limités, malgré des inquiétudes liées à la situation du Golan 34
c. Une application limitée de la résolution 1701 et de graves violations de la cessation des hostilités 35
C. UNE PRÉSENCE MASSIVE ET PROLONGÉE DE RÉFUGIÉS 35
1. Un accueil généreux des réfugiés syriens qui s’accompagne aujourd’hui de multiples défis 36
a. Une situation humanitaire très dégradée 36
i. Des réfugiés syriens en situation de paupérisation et de marginalisation croissante 36
ii. La question des départs vers l’Europe 39
b. Une charge désormais majeure pour le Liban 40
i. Une pression supplémentaire sur des infrastructures et des services publics déjà en difficulté avant 2011 40
ii. Des effets incertains sur le marché du travail 42
iii. Un impact budgétaire significatif 43
c. Une aide internationale qui atteint des niveaux records et accorde une place croissante au développement, mais reste limitée au regard des besoins 43
d. Une inflexion des mesures concernant les réfugiés syriens 44
i. Un sentiment de saturation, s’accompagnant d’une dénonciation des risques d’« implantation » durable des réfugiés 44
ii. Un durcissement des conditions d’entrée et de séjour, s’accompagnant d’une stabilisation du nombre de réfugiés enregistrés 45
iii. Vers une facilitation de l’accès au travail et aux titres de séjour ? 47
2. La question des réfugiés palestiniens 47
a. La situation très préoccupante des réfugiés palestiniens au Liban 48
i. Une population paupérisée et marginalisée 48
ii. Les réfugiés palestiniens venus de Syrie : une population encore plus vulnérable 49
b. Des difficultés aggravées par la crise financière structurelle de l’UNRWA 49
i. Des difficultés chroniques de financement conduisant à une réduction des aides 49
ii. Des risques de dégradation de la situation dans les camps palestiniens 50
D. UNE SITUATION ÉCONOMIQUE, FINANCIÈRE ET SOCIALE QUI CONTINUE À SE DÉGRADER 51
1. Alors que l’économie libanaise était déjà très affectée depuis 2011, la conjoncture est aujourd’hui sensiblement plus morose 51
a. L’impact de la crise syrienne : malgré des répercussions économiques majeures, le Liban a tenu le choc jusqu’à présent 52
i. Les répercussions économiques de la crise syrienne 52
ii. Les facteurs de résilience 53
b. Une croissance qui tend désormais vers zéro 54
c. Des déficits « jumeaux » significatifs et une dette publique, déjà massive, qui repart à la hausse 55
2. Des défis structurels qui demeurent sans réponse 57
a. Le poids des conflits, de la gouvernance confessionnelle et de la paralysie institutionnelle et politique 58
b. Un développement trop peu inclusif 59
i. Des créations d'emploi insuffisantes 59
ii. Un niveau de pauvreté qui ne se réduit pas 60
iii. Des infrastructures et des services publics largement défaillants 60
iv. D’importantes disparités régionales 63
c. Les ressources offshore en hydrocarbures : une opportunité économique et financière majeure qui reste inexploitée 64
3. Les principales traductions du malaise social 67
a. Des flux d'émigration qui restent significatifs 67
i. Une importante « fuite des cerveaux » 67
ii. Un soutien massif à l’économie libanaise grâce aux remises de fonds 67
b. Des mouvements de protestation populaire jusque-là limités 68
i. 2011 : pas de « printemps arabe » au Liban 69
ii. 2015 : une « crise des déchets » sans lendemain 69
II. QUELS SCÉNARIOS D'ÉVOLUTION POUR LE LIBAN ? 71
A. SUR LE PLAN INTERNE, UNE RÉELLE CAPACITÉ DE RÉSILIENCE, MAIS JUSQU'OÙ ? 72
1. De puissants facteurs de résilience peuvent continuer à empêcher le Liban de basculer, pourvu qu'il n'y ait pas de choc supplémentaire 72
a. Des peurs qui servent de cordes de rappel 72
i. Le spectre de la guerre civile 72
ii. Le déséquilibre manifeste des forces en présence joue un rôle dissuasif 73
iii. Dans une certaine mesure, la peur du djihadisme fait l'union 74
b. Des tensions politico-confessionnelles certes avivées par la crise en Syrie, mais jusqu'à présent contenues 75
i. Une montée dangereuse des tensions communautaires 75
ii. Des responsables qui prônent la modération 76
iii. Les tensions et les divisions n'excluent pas une certaine cohésion 77
c. Des faiblesses qui sont aussi des forces 77
i. Des mécanismes informels de solidarité 78
ii. Des acteurs qui ont pris le relais de l'Etat 78
2. Pour autant, des scénarios de rupture ne doivent pas être exclus 79
a. La capacité des forces de sécurité à faire face à un choc d'une intensité supérieure est en question 79
i. Une résilience sécuritaire réelle, mais jusqu'où ? 79
ii. Des faiblesses structurelles préoccupantes 80
b. Des interrogations sur la stabilité du système bancaire et financier libanais 82
i. Des facteurs importants de stabilité 82
ii. Une vulnérabilité réelle 83
B. LES PRINCIPAUX FACTEURS EXTÉRIEURS D'ÉVOLUTION 85
1. Le virage de la politique saoudienne à l’égard du Liban 85
a. Un revirement sans doute profond et durable 85
i. Une volonté de contrer l'influence iranienne, y compris au Liban ? 86
ii. Une évolution de la relation particulière que les Saoudiens entretenaient jusque-là avec le Liban 87
b. Un potentiel déstabilisateur encore difficile à évaluer 88
i. Les mesures déjà mises en œuvre 88
ii. Les inquiétudes pour l'avenir 89
2. L’avenir du Liban dépendra étroitement de l’évolution de la crise syrienne 91
a. La crise en Syrie : des incertitudes qui laissent le champ ouvert à trois scénarios principaux 91
b. Pour chaque scénario relatif à la Syrie, des répercussions importantes au Liban 92
i. Le règlement politique de la crise en Syrie, peu probable à ce stade, aurait des effets stabilisateurs sur le Liban s’il n’était pas jugé déséquilibré 92
ii. La victoire militaire de l’un des camps syriens, scénario lui aussi peu probable à ce stade, se traduirait par une instabilité accrue au Liban 93
iii. L’absence de règlement du conflit syrien : potentiellement peu de répercussions supplémentaires au Liban dans l’immédiat et des effets plus ambigus à terme 95
3. Le scénario d'un nouveau conflit avec Israël 97
a. La montée en puissance militaire du Hezbollah 97
b. L'hypothèse de frappes préemptives israéliennes 98
c. Le Hezbollah n'a pas d'intérêt à déclencher une nouvelle crise avec Israël tant que le conflit syrien n'est pas réglé 98
d. L'éventualité d'un déclenchement accidentel 99
C. TROIS SCÉNARIOS D'ÉVOLUTION POUR LE LIBAN 99
D. A PLUS LONG TERME, DES PERSPECTIVES LIMITÉES POUR UNE SORTIE DU SYSTÈME CONFESSIONNEL 100
1. Un système profondément ancré dans l’histoire et les réalités socio-culturelles 101
a. Un mode d’organisation politique et administratif qui plonge ses racines dans l’histoire contemporaine du Liban 101
i. L’introduction du confessionnalisme politique dès l’apparition d’une entité libanaise sur la carte régionale 101
ii. Une réalité confortée sous le mandat français 102
iii. Un système pérennisé malgré la lettre des accords de Taëf 103
b. Un « plus petit dénominateur commun » finalement durable en l’absence de projet national 103
i. Deux rêves distincts à la création du Liban 103
ii. Le « Pacte national » ou la tentative de concilier deux identités 103
iii. Toujours deux visions concurrentes du Liban 104
c. Une emprise qui est également culturelle et sociale 105
2. Un dépassement souhaitable du confessionnalisme, dans l'intérêt du Liban et des Libanais 106
a. Des aspects positifs : la coexistence et une société relativement libre et ouverte 106
b. Le confessionnalisme favorise les antagonismes et les blocages internes, tout en exposant le Liban aux répercussions des crises régionales 107
c. Le confessionnalisme pousse le Liban à demeurer une démocratie incomplète et un Etat faible 108
i. Une démocratie incomplète et des institutions bloquées 108
ii. Un Etat faible 110
3. Un dépassement néanmoins peu probable dans l’immédiat 111
a. Le confessionnalisme est-il voué à être éternel ? 111
b. Par quoi remplacer le système actuel ? 112
c. Quelles forces disponibles pour porter un changement d’une telle ampleur ? 114
d. Des circonstances peu favorables 116
e. Dans ces conditions, que faire ? 116
III. QUEL RÔLE POUR LA FRANCE ? 119
A. LA FRANCE EST ATTENDUE AU LIBAN 119
1. Une histoire et une proximité qui obligent 119
a. Une part éminente dans la construction du Liban et une place qui reste de premier plan 119
b. Des liens étroits, traduisant une réelle proximité 121
i. Des liens humains 121
ii. Une francophonie dynamique 122
iii. Une présence significative sur le plan culturel, éducatif et audiovisuel 122
iv. Une coopération décentralisée ralentie par la crise syrienne, mais toujours active 124
v. Une relation économique dense 127
2. Le Liban : un intérêt stratégique pour la France 128
a. Un marqueur clef de notre influence 128
b. Un modèle à protéger 128
B. DES MOYENS VARIABLES, MAIS À MOBILISER PLEINEMENT AU SERVICE DU LIBAN 129
1. Malgré des capacités plus restreintes que dans d’autres domaines d’action, un rôle à jouer pour traiter le mal à la racine 129
a. Rester engagé pour le règlement de la crise syrienne 130
b. Poursuivre le contact avec les Iraniens et les Saoudiens 130
i. Un poids à utiliser auprès de Riyad et de Téhéran 130
ii. Des efforts jusque-là infructueux 131
iii. Continuer à faire passer des messages 131
c. Faciliter le dénouement de la crise institutionnelle au Liban 132
i. Un rôle de facilitateur à jouer 132
ii. Vers des initiatives nouvelles ? 132
2. Mobiliser nos moyens pour aider directement le Liban à tenir le choc 133
a. Une coopération de défense et de sécurité essentielle 133
i. Un soutien bilatéral aux forces armées libanaises qui est à renforcer après l’interruption du DONAS 133
ii. La participation française à la FINUL 135
iii. La coopération en matière de sécurité intérieure et de protection civile 135
b. Le renforcement nécessaire de notre aide humanitaire 136
c. L’aide au développement 137
i. Un soutien bloqué du fait de la crise institutionnelle 137
ii. Diversifier les modalités d’action et les partenaires de l’AFD 138
3. A plus long terme, une présence à consolider, dans l’intérêt de la France comme du Liban 139
a. Le renforcement de la francophonie 139
b. Soutenir la société civile libanaise 141
c. Développer la relation économique bilatérale 142
i. Renforcer l’appui aux entreprises françaises 142
ii. Un potentiel de développement important dans le domaine des infrastructures, sous réserve de la mise en œuvre de projets structurants par les autorités libanaises 143
iii. Des coopérations qui peuvent être engagées avec des acteurs libanais en pays tiers 143
CONCLUSION 145
EXAMEN EN COMMISSION 147
ANNEXE N°1- CARTE GÉOGRAPHIQUE DU LIBAN 163
ANNEXE N°2 - PRÉSENTATION DU LIBAN 165
ANNEXE N°3 - INDICATEURS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX 169
ANNEXE N°4 - TABLEAU DES COOPÉRATIONS DÉCENTRALISÉES 171
ANNEXE N°5 - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET DES VISITES EFFECTUÉES 177
Mesdames, Messieurs,
La création de cette mission d’information, décidée en mars 2015, est la traduction d’un attachement profond pour le Liban et le peuple libanais, mais aussi d’une très vive inquiétude. Depuis le début de la crise syrienne, en 2011, le Liban est exposé à une montée des périls sur tous les fronts. La commission des affaires étrangères en avait obtenu un témoignage direct en recevant le Premier ministre libanais, M. Tammam Salam, au mois de décembre 2014.
La mission s’est donné trois objectifs complémentaires, pour lesquels elle s’est rendue au Liban en septembre dernier et a conduit une trentaine d’auditions à Paris (1) :
- réaliser un état des lieux précis dans tous les domaines où la stabilité du Liban se trouve menacée ;
- dans une démarche prospective, identifier les principaux scénarios d’évolution auxquels il faut se préparer ;
- évaluer notre action au regard de la situation du Liban, des attentes placées dans la France et des outils à sa disposition.
En rendant public le présent rapport, la mission d’information souhaite appeler l’attention de l’ensemble de la représentation nationale et de nos concitoyens sur l’accumulation et la gravité des menaces pesant sur le Liban.
- La paralysie des institutions est presque complète. Le pays n’a plus de chef d’Etat depuis plus de deux ans, le Parlement ne parvient quasiment plus à légiférer et le Gouvernement, très divisé, reste largement bloqué. Les capacités d’arbitrage et de prise de décision sont ainsi devenues à peu près inexistantes.
- La crise en Syrie se traduit par de multiples répercussions sécuritaires au Liban. Les affrontements communautaires pourraient reprendre à tout moment à Tripoli. Les offensives des groupes djihadistes depuis la frontière syrienne ont été contenues à ce stade, mais les risques d’infiltrations subsistent. Des groupes combattants, des réseaux et des cellules terroristes sont implantés sur le territoire et les capacités des forces armées libanaises (FAL) restent tributaires de la modernisation de leurs équipements. La situation est également tendue au Sud-Liban.
- La situation économique, très affectée depuis le début de la crise syrienne, vient de se dégrader d’un cran supplémentaire, la croissance s’approchant désormais de zéro. Le déficit budgétaire s’aggrave et la dette publique pourrait atteindre 143 % du PIB cette année. Le chômage et la pauvreté restent très élevés. Les défaillances majeures des infrastructures et des services publics de base ne sont pas traitées et le malaise social reste entier. A cela s’ajoute un malaise démocratique qui se traduit notamment par une désaffection croissante à l’égard des forces politico-communautaires dominantes.
- L’arrivée d’1,5 million de réfugiés syriens représente une augmentation de la population d’environ 30 % en cinq ans et une charge particulièrement lourde. Les problèmes humanitaires, les difficultés économiques, les angoisses existentielles et l’intolérance montent en flèche. Dans le même temps, les réfugiés palestiniens, paupérisés et marginalisés, restent dans l’impasse.
L’analyse des évolutions potentielles fait ressortir des inquiétudes supplémentaires pour l’avenir immédiat du Liban.
- Alors que tous les éléments d’une crise ouverte paraissent déjà réunis, le pays a fait preuve jusqu’à présent d’une capacité de résilience exceptionnelle. Toutefois, le degré d’usure de plusieurs « cordes de rappel » indispensables ne permet pas d’écarter des scénarios de rupture.
- Plusieurs risques de chocs extérieurs nouveaux, qui pourraient faire basculer le Liban, ont par ailleurs été identifiés par la mission : le durcissement récent de la politique saoudienne ; différents scénarios d’évolution de la crise syrienne qui s’accompagneraient d’effets déstabilisateurs au Liban ; l’hypothèse de frappes israéliennes préemptives pour affaiblir le Hezbollah.
Une situation aussi alarmante sur tous les fronts ne peut pas laisser indifférent. Pour la France, le Liban occupe nécessairement une place à part. Nous avons tissé des liens historiques, culturels, linguistiques, économiques et surtout humains si étroits que nous ne pouvons que nous tenir aux côtés des Libanais dans cette période critique. Mais le Liban n’est pas seulement un pays cher à notre cœur. C’est aussi un modèle de pluralisme et de coexistence à défendre dans une région du monde où la haine, la guerre et la ségrégation ne cessent de gagner du terrain.
La mission appelle donc à renforcer la priorité donnée au Liban sur tous les volets de l’action extérieure de la France – les initiatives et les contacts diplomatiques, assurément, mais aussi la coopération militaire et sécuritaire, l’assistance humanitaire, l’appui au développement et la politique éducative et culturelle.
Les Libanais n’attendent pas de la France qu’elle s’en tienne à un rôle de lanceur d’alerte ou de facilitateur, bien qu’il soit primordial d’œuvrer pour le rapprochement entre les principaux partis politiques libanais et de mobiliser nos partenaires pour que le Liban puisse bénéficier de tout le soutien nécessaire afin d’accueillir les réfugiés déjà présents sur son territoire et de maîtriser sa situation sécuritaire. Il appartient aussi à la France de montrer le chemin en renforçant concrètement sa propre politique d’appui au Liban dans tous les domaines clefs pour sa stabilité et son développement.
I. UNE SITUATION ALARMANTE SUR TOUS LES FRONTS
Le Liban traverse une crise multiforme et complexe, se caractérisant à la fois par le blocage des institutions, par la persistance de menaces sécuritaires graves, par des défis liés à la présence massive et prolongée des réfugiés syriens et par une situation économique et sociale très dégradée.
Une première difficulté pour l’analyse – et pour l’action – provient de l’étroite imbrication des différents aspects de la crise. La paralysie du processus de décision politique ne permet pas d’apporter des réponses efficaces aux difficultés du pays. De même, l’aggravation de la situation économique et sociale résulte en grande partie du contexte sécuritaire et de la charge que représentent les réfugiés. Il n’y a donc pas de solution simple.
Ensuite, la crise syrienne ne suffit pas à tout expliquer. Elle est à l’origine des menaces les plus immédiates pour la stabilité du Liban, mais ses répercussions se sont greffées sur des difficultés internes préexistantes. La polarisation de la scène politique entre pro-syriens et anti-syriens ne date pas de 2011, mais elle s’est trouvée exacerbée depuis. Sur le plan économique et social, bien que l’afflux des réfugiés syriens se traduise par un poids supplémentaire, le Liban paie depuis longtemps le prix des défaillances de ses infrastructures et des services publics de base. Enfin, la gravité de la menace sécuritaire résulte aussi de la faiblesse des forces armées et de sécurité, après quinze ans de guerre civile et quinze ans de tutelle syrienne.
A. UN BLOCAGE PRESQUE COMPLET DES INSTITUTIONS
Les principales institutions libanaises sont durablement et presque entièrement paralysées. La Présidence de la République reste vacante depuis mai 2014, le Conseil des ministres ne se réunit que de manière irrégulière et peine à adopter des décisions, tandis que la Chambre des députés ne légifère plus que très exceptionnellement.
Ce n’est certes pas la première fois, depuis la fin de la guerre civile, que les tensions et les désaccords politiques conduisent à un blocage des institutions. Toutefois, la paralysie actuelle est particulièrement longue et dangereuse pour la stabilité du pays. Alors que le Liban aurait besoin de pouvoir compter sur toutes ses forces dans la situation critique qui est la sienne, il est à bien des égards un pays en suspens.
1. Le Liban reste sans chef d’Etat depuis 2014
Le Président Michel Sleiman a quitté ses fonctions le 25 mai 2014, au terme de son mandat, sans qu’un nouveau chef d’Etat ait pu être désigné – ou que le mandat de M. Sleiman ait été prolongé par la Chambre des députés, comme celui de ses prédécesseurs immédiats, Emile Lahoud et Elias Hraoui. Bien que les prérogatives du Président libanais aient été significativement réduites depuis les accords de Taëf, ce vide au sommet de l’Etat est lourd de conséquences.
a. Une élection déjà reportée quarante fois
i. Le boycott d’une partie des députés
Depuis 2014, la Chambre des députés a été convoquée quarante fois sans parvenir à élire un nouveau Président de la République (2). En réalité, seul le premier tour de scrutin a eu lieu, le quorum n’ayant jamais été atteint lors des convocations suivantes. Les députés du Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun, qui constitue l’un des quatre principaux « pôles chrétiens » (3), boycottent en effet l’élection avec l’appui du Hezbollah et d’autres composantes du 8 mars.
L’article 49 de la Constitution libanaise requiert une majorité des deux tiers des suffrages au premier tour, mais la majorité absolue est en principe suffisante par la suite. Toutefois, cette disposition est neutralisée par une règle de quorum, non écrite, qui exige la présence des deux tiers des 128 députés, au nom de l’entente entre les blocs parlementaires et les communautés confessionnelles libanaises. Ce quorum permet en effet à chaque camp de contrer un candidat adverse en s’abstenant de siéger. En réalité, l’élection présidentielle ne résulte pas d’une véritable compétition électorale, mais dépend d’un consensus préalable entre les principales factions politiques.
Le cadre général de l’élection présidentielle
La Constitution libanaise prévoit que le Président de la République est élu par la Chambre des députés (4), pour un mandat de six ans non renouvelable immédiatement.
Selon une règle non écrite, il doit s’agir d’un chrétien maronite, le Président du Conseil des ministres étant sunnite et le Président de la Chambre des députés chiite.
En principe, les magistrats, les fonctionnaires de première catégorie ou équivalent ne peuvent être élus pendant l’exercice de leur fonction ou les deux années qui suivent. Michel Sleiman a néanmoins été élu sans amendement constitutionnel alors qu’il était commandant en chef de l’armée.
ii. Une situation qui reste pourtant fluide
Aucune sortie de crise ne paraît en vue, à ce stade, mais la situation reste paradoxalement encore ouverte. Les derniers mois ont ainsi été marqués par la formation d’alliances nouvelles qui ont redistribué les cartes de manière spectaculaire.
Un premier retournement de situation s’est produit fin 2015, lorsque Sleiman Frangié, chef de file du Courant des Marada, a officialisé son alliance avec Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri et chef du Courant du Futur (sunnite). Si ce rapprochement était inattendu, c’est que Sleiman Frangié appartient au bloc dit du « 8 mars », favorable à l’axe irano-syrien et dominé par le Hezbollah chiite, alors que Saad Hariri dirige le principal courant de la coalition anti-syrienne du « 14 mars ». Ce « ticket » verrait ainsi un représentant du 8 mars accéder à la Présidence de la République, tandis que le leader du 14 mars aurait vocation à devenir ensuite Président du Conseil des ministres.
Un second coup de théâtre a eu lieu début 2016 quand Samir Geagea, chef des Forces libanaises, s’est officiellement rallié à la candidature de Michel Aoun. Samir Geagea est pourtant le principal allié chrétien de Saad Hariri au sein du 14 mars et Michel Aoun celui du Hezbollah du côté du 8 mars. Autre élément qui donne la mesure du changement de cap, Michel Aoun et Samir Geagea se sont affrontés par les armes à la fin de la guerre civile et passaient pour être restés des ennemis jurés.
A ce stade, ces deux alliances nouvelles se sont mutuellement neutralisées, la première manquant d’un soutien chiite et la seconde d’un appui sunnite. Le paradoxe est que l’élection présidentielle reste bloquée alors que les deux principaux candidats appartiennent désormais au même camp, celui du 8 mars.
b. Un écheveau complexe de paramètres explicatifs
Il n’appartient pas à cette mission d’information de se prononcer sur les responsabilités du blocage de l’élection présidentielle, ni sur les mérites des candidats. Surtout, il serait simpliste de chercher une cause unique. Plusieurs aspects méritent néanmoins d’être soulignés : la controverse autour du maintien de la candidature de Michel Aoun ; la question des divisions interchrétiennes ; les interrogations portant sur les intentions du Hezbollah, qui détient en grande partie les clefs de l’élection ; la dimension régionale du blocage ; l’intérêt probable d’au moins une partie des acteurs libanais pour le maintien du vide au sommet de l’Etat.
i. La controverse autour du maintien de la candidature de Michel Aoun
Bien que le général Michel Aoun ne se soit pas formellement soumis au vote jusqu’à présent, il demeure l’un des principaux candidats à la magistrature suprême.
Pour une partie des interlocuteurs de la mission, le maintien de la candidature de M. Aoun serait l’un des principaux nœuds de l’élection présidentielle. N’ayant pas abouti depuis deux ans déjà, sa candidature serait vouée à l’échec en raison du véto saoudien dont elle ferait l’objet. Cela prolongerait le vide au sommet de l’Etat et bloquerait d’autres candidatures qui pourraient avoir plus de chances de succès.
Dans une certaine mesure, la réaction du Hezbollah à l’annonce officielle de la candidature de Sleiman Frangié pourrait accréditer cette thèse. Après avoir gardé un assez long silence après la formation du « ticket » Frangié-Hariri, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré en substance que M. Frangié était un candidat que son mouvement pourrait tout à fait soutenir, mais qu’il maintenait son appui à M. Aoun par fidélité à son égard. Le Hezbollah aurait ainsi fait comprendre qu’il se rallierait à la candidature de Sleiman Frangié si Michel Aoun se retirait. M. Frangié rassemblerait alors les principales formations politiques autour de son nom.
Le général Aoun, pour sa part, met en avant sa popularité au sein du camp chrétien et le fait que son mouvement, le Courant patriotique libre, compte le plus grand nombre de députés chrétiens. Partisan de l’élection d’un Président « fort », politiquement représentatif de sa communauté et capable de peser au sein des institutions, il estime être le mieux placé pour accéder à la Présidence de la République. Une autre analyse consiste à penser, compte tenu du blocage persistant à la Chambre des députés, que seul pourrait être élu un Président dit « de compromis », certes doté d’une moindre assise communautaire mais moins clivant.
Afin de contourner le blocage, M. Aoun a notamment proposé de procéder à l’élection présidentielle au suffrage universel direct, en réservant le premier tour aux seuls chrétiens. Il considère en effet que l’actuelle Chambre des députés a perdu toute légitimité en prorogeant, déjà à deux reprises, son propre mandat. Néanmoins, outre le fait que les conditions d’une révision constitutionnelle pourraient être au moins aussi délicates à réunir que celles de l’élection présidentielle, il faut souligner que la révision doit être adoptée par la Chambre des députés, que M. Aoun répudie.
Autre élément, que plusieurs interlocuteurs de la mission ont présenté comme étant un facteur déterminant du blocage de l’élection, Michel Aoun serait déterminé, à plus de quatre-vingts ans, à ne plus céder son tour, après avoir été déjà évincé de la course présidentielle à deux reprises, d’abord en 1989-1990, à la fin de la guerre civile, puis en 2007-2008 alors qu’il était rentré au Liban depuis peu.
ii. La question des divisions interchrétiennes
M. Patrice Paoli, ambassadeur de France au Liban de mi-2012 à mi-2015, a souligné devant la mission d’information qu’il suffirait que les principaux partis chrétiens parviennent à s’entendre sur un candidat pour que l’élection aboutisse. Il serait en effet très difficile aux autres factions libanaises de s’opposer à un nom faisant l’objet d’un consensus entre chrétiens. Ces derniers disposeraient d’une réelle marge de manœuvre s’ils parvenaient à surmonter leurs divisions.
Eux-mêmes les déplorent, y voyant une cause supplémentaire d’affaiblissement, outre les évolutions démographiques qui leur sont défavorables. Les autres communautés sont davantage unifiées, les sunnites au sein du Courant du Futur et les chiites avec l’alliance entre le Hezbollah et Amal. Ecartelés entre ces deux camps rivaux, les chrétiens perdent leur capacité d’initiative et se trouvent politiquement marginalisés. Certains vont jusqu’à les qualifier de « chrétiens sunnites » ou de « chrétiens chiites » selon leurs alliances, tant ils seraient devenus des supplétifs des autres communautés libanaises.
Les divisions interchrétiennes s’enracinent dans les blessures de la guerre civile, dans les ambitions et les rivalités personnelles, mais aussi dans des différences très marquées sur le plan politique, en particulier sur la question de savoir ce qui constitue la menace principale pour la communauté chrétienne. S’agit-il plutôt du Hezbollah ou du radicalisme sunnite ? Deux visions s’opposent aussi quant à la manière de se protéger. Les uns préfèrent s’allier avec les sunnites, majoritaires dans la région, les autres avec le Hezbollah et l’axe irano-syrien, dans une logique d’alliance des minorités.
Des capacités de dialogue et de rapprochement existent néanmoins. En témoigne le ralliement de Samir Geagea à la candidature de Michel Aoun, qui a dessiné un début de réconciliation au sein du camp chrétien. Cette évolution demeure toutefois incomplète à ce stade.
iii. Des interrogations sur les intentions réelles du Hezbollah
La candidature de M. Aoun étant manifestement bloquée à ce stade, on peut se demander pourquoi le Hezbollah ne change pas de candidat en faveur de M. Frangié, qui est également son allié politique. Plusieurs raisons ont été évoquées devant la mission d’information.
Première explication, le Hezbollah ne pourrait pas se permettre de perdre le soutien de M. Aoun. Grâce à lui, le mouvement chiite peut former la coalition du 8 mars et rester un parti de gouvernement, au lieu de n’occuper qu’une extrémité de la scène politique libanaise. Le courant de M. Frangié n’a pas le même poids politique que celui de M. Aoun au sein de la communauté chrétienne.
Il est également possible que le Hezbollah préfère en réalité la candidature de M. Frangié, compte tenu de la personnalité et du parcours de M. Aoun, mais temporise parce qu’il ne voudrait pas que M. Hariri devienne Président du Conseil des ministres – condition du « ticket » qui verrait M. Frangié accéder à la Présidence de la République. Préférant d’autres responsables sunnites que M. Hariri, le Hezbollah attendrait le retrait de cette condition.
Autre analyse, le Hezbollah organiserait à dessein un blocage profond et durable des institutions libanaises en vue de provoquer une révision des équilibres de Taëf, dans un sens plus favorable à la communauté chiite et aux responsables qui la représentent. Le projet attribué au Hezbollah, mais officiellement démenti, consisterait en particulier à substituer à l’actuelle parité islamo-chrétienne au Parlement (5) une répartition par tiers – entre sunnites, chiites et chrétiens. Selon Mme Aurélie Daher, toutefois, le Hezbollah n’en aurait guère besoin car il est pragmatique et dispose déjà des leviers nécessaires pour exercer son influence (6).
La persistance du blocage politique et institutionnel est intimement liée à la situation régionale. La poursuite de la crise en Syrie et l’aggravation des tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite n’aident pas les acteurs libanais à trouver un terrain d’entente.
La crise en Syrie paraît alimenter un certain attentisme au Liban. L’éventuelle victoire de l’un des camps syriens pourrait en effet avoir des traductions dans les équilibres politiques au Liban, en renforçant soit les pro-syriens du 8 mars soit les anti-syriens du 14 mars. Une certaine forme de sagesse pourrait conduire à s’entendre maintenant sur une solution de compromis qui ménagerait les intérêts des uns et des autres, quelle que soit l’issue de la crise syrienne, mais c’est au contraire l’immobilisme qui prévaut, dans l’attente d’une redistribution des cartes. Les dossiers syrien et libanais restent ainsi liés dans les esprits.
L’état des relations entre Riyad et Téhéran ne facilite pas non plus le déblocage de la situation. Alors que l’Arabie saoudite et l’Iran parviennent traditionnellement à un arrangement implicite au Liban sur la question de l’élection présidentielle, les « parrains » régionaux des sunnites et des chiites libanais ne sont manifestement pas disposés aujourd’hui à s’entendre sur une sortie de crise. L’exécration réciproque n’a jamais été aussi forte.
Selon des responsables français entendus par la mission, les questions libanaise et syrienne resteraient également liées pour Téhéran et Riyad. Du côté iranien, le Liban pourrait être une carte à jouer dans une partie qui inclurait par ailleurs la Syrie. En parallèle, les Saoudiens considèreraient que les affaires libanaises ne pourront pas être réglées tant que la question syrienne ne l’aura pas été au préalable.
S’agissant plus spécifiquement de l’Iran, il est probable que ses intérêts sont mieux servis à court terme par le blocage institutionnel et politique actuel, car cela renforce la position du Hezbollah. La dégradation progressive de la situation pourrait néanmoins faire entrer le pays dans une phase de très forte polarisation néfaste à plus long terme aux intérêts du Hezbollah et de l’Iran.
v. Des acteurs libanais qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas débloquer la situation ?
Les responsables libanais souhaitent-ils vraiment qu’un Président soit élu ? Un haut responsable français, qui a effectué de nombreuses navettes à Beyrouth et dans les capitales régionales, n’a pas caché à la mission d’information ses doutes en la matière. Le moment de vertige causé initialement par la vacance présidentielle n’aurait guère duré. De nombreux acteurs auraient en effet très vite perçu tout l’intérêt qu’ils peuvent trouver aux nouvelles règles du jeu.
L’unanimité étant considérée comme nécessaire au Conseil des ministres à partir du moment où les prérogatives du Président de la République lui ont été transférées, chaque groupe peut désormais négocier sur chaque dossier. Le vide au sommet de l’Etat élargit donc les possibilités de troc politique. On dit parfois qu’il n’y a plus un Président au Liban, mais vingt-quatre, soit autant que les membres du Conseil des ministres – vingt-quatre présidents incapables de s’entendre et de prendre une décision.
Ensuite, bien que la prééminence du Président de la République au sein des institutions libanaises ait été amoindrie depuis les accords de Taëf, l'absence de chef de l'Etat ne peut que renforcer les marges de manœuvre de différents acteurs. Ayant maintenant les coudées plus franches, ils n’ont objectivement aucun intérêt personnel à ce qu’un nouveau Président soit élu.
c. Une difficulté majeure pour les équilibres institutionnels et communautaires du pays
Par ses répercussions négatives, l’impasse actuelle tend à montrer à quel point le Président de la République demeure essentiel au Liban. Le vide au sommet de l’Etat nuit au bon fonctionnement des institutions et affaiblit la communauté chrétienne.
i. Des institutions déséquilibrées et affaiblies en l’absence de Président
Les accords de Taëf ont significativement amoindri la prééminence du chef de l’Etat et limité ses capacités d’arbitrage et de régulation (7). Il demeure toutefois une figure institutionnelle de premier plan, chargée d’un rôle fédérateur sur la scène intérieure, et un interlocuteur indispensable sur le plan international. Conformément à l’article 49 de la Constitution, il est « le symbole de l’unité de la Patrie ». Le même article le charge de veiller au « respect de la Constitution et à la sauvegarde de l’indépendance du Liban, de son unité et de l’intégrité de son territoire ».
Le Président de la République est aussi la clef de voûte des institutions. Le vide au sommet de l’Etat paralyse le Conseil des ministres, dont on a rappelé qu’il ne se prononce plus qu’à l’unanimité en cas de vacance présidentielle, ainsi que la Chambre des députés. Celle-ci se transforme en effet, pour l’essentiel, en collège électoral au détriment de son activité législative normale (8).
ii. Une question qui devrait être prioritaire pour les chrétiens libanais
L’impasse présidentielle concerne bien sûr l’ensemble de la population libanaise, mais elle revêt une importance particulière pour les chrétiens en tant que communauté.
Plus le vide se prolonge au sommet de l’Etat, plus les Libanais tendent à s’habituer aux nouvelles règles du jeu qui s’appliquent de facto, c’est-à-dire à l’idée que le pays est susceptible de fonctionner comme si l’on pouvait se passer de la communauté maronite, à laquelle l’exercice de la fonction présidentielle est attribué. C’est une remise en cause insidieuse des équilibres agréés dans le cadre des accords de Taëf et des garanties accordées aux chrétiens libanais.
D’autres responsabilités leur sont confiées au sein de l’Etat, en particulier dans l’armée, mais la fonction de Président de la République est naturellement dotée d’une importance très particulière et très symbolique. Même si le « maronitisme » politique n’a plus cours depuis la fin de la guerre civile (9), il faut souligner que le Liban est le seul pays de la région où le chef de l’Etat est chrétien.
Plusieurs interlocuteurs de la mission ont vivement regretté que les principaux responsables politiques de la communauté maronite ne reprennent pas davantage l’initiative pour préserver les institutions conçues pour protéger leur communauté. Cela commencerait par s’entendre sur un candidat à l’élection présidentielle.
2. Une République sans chef d’Etat, mais aussi sans Gouvernement et Parlement qui fonctionnent
Le blocage des institutions ne se limite pas à l'absence de Président de la République, depuis maintenant plus de deux ans. Le fonctionnement du Conseil des ministres et celui de la Chambre des députés sont également très affectés. L’ensemble des capacités de prise de décision politique et d’arbitrage se trouve donc en panne.
a. Un Gouvernement largement paralysé
La formation de l'actuel gouvernement d'entente nationale, début 2014, avait permis un déblocage des institutions, alors paralysées depuis un an. Le travail gouvernemental et parlementaire avait pu reprendre. Aujourd’hui, même si ce Gouvernement est toujours en place, la notion d'entente nationale n'est plus qu'un lointain souvenir.
Tout d’abord, les tensions et les désaccords politiques se sont multipliés, provoquant des crispations et des blocages à répétition au sein du pouvoir exécutif. La crise des nominations sécuritaires en a été une illustration particulièrement longue et douloureuse au cours de l’année 2015. La question de l'éventuelle accession du général Roukoz, gendre de Michel Aoun, au poste de commandant en chef de l'armée en remplacement du général Kahwaji, a exacerbé les divisions pendant des mois. Le général Roukoz a finalement été atteint par la limite d'âge et a dû partir à la retraite, tandis que le général Kahwaji a été reconduit dans ses fonctions une nouvelle fois.
Ensuite, le Conseil des ministres souffre d'un profond désaccord sur son mode de fonctionnement, s’agissant en particulier de la fixation de l'ordre du jour et de la procédure décisionnelle. Si l’on s’en tenait à la lettre de l'article 65 de la Constitution, les décisions devraient être prises par consensus ou, si cela s'avère impossible, par vote à la majorité simple des ministres présents, exception faite des seules questions dites « fondamentales » qui nécessitent une majorité des deux tiers des membres du Gouvernement (10). En réalité, la discussion sur la procédure de décision à suivre en cas de vacance de la fonction présidentielle a souvent été plus centrale que le contenu des décisions elles-mêmes. Les Aounistes, le Hezbollah et leurs alliés du 8 mars exigent que toute décision soit prise à l'unanimité en l'absence de Président et menacent, à défaut, de boycotter le Conseil des ministres.
Malgré les efforts constants du Premier ministre, M. Tammam Salam, pour maintenir une certaine continuité du pouvoir exécutif, le Gouvernement se trouve aujourd'hui dans un état semi-comateux. Il a du mal à se réunir et plus encore à prendre des décisions. Le Conseil des ministres exceptionnel qui s'est tenu fin décembre 2015, pour n'aborder que le dossier en souffrance des déchets, était ainsi le premier depuis plus de trois mois. Lorsqu’ils se réunissent, les ministres ne parviennent généralement à s’entendre que sur les sujets d’une urgence particulière et souvent sur la base d'un consensus négatif, reposant sur la perpétuation du statu quo.
La survie du Gouvernement ne tient plus qu’à quelques fils assez ténus. S’il reste en place, c’est en grande partie grâce à l’action de Tammam Salam, malgré ses menaces de démission. Par ailleurs, chacun est conscient qu’il s’agit de la dernière institution politique encore en vie, même si son activité est des plus réduites. Si le Gouvernement finissait par s’effondrer, le Liban basculerait alors dans un vide institutionnel complet.
b. Un Parlement entré en léthargie profonde
Le blocage institutionnel se manifeste sous des formes multiples à la Chambre des députés : le gel presque complet du travail législatif ; le non-respect du calendrier électoral depuis 2013, la Chambre ayant déjà prorogé son propre mandat à deux reprises ; l’absence de loi électorale consensuelle qui permettrait d’organiser un nouveau scrutin.
- Comme le Conseil des ministres, le Parlement a été contaminé par la vacance présidentielle, bien que ce soit par un autre biais. La Chambre des députés ne parvenant pas à élire un nouveau Président de la République, elle ne légifère quasiment plus, sur la base d’une interprétation de la Constitution qui ne fait pourtant pas l’unanimité – elle est notamment contestée par le Président de la Chambre, Nabih Berri, et par le Président du Conseil, Tammam Salam. Conformément à l’article 75 de la Constitution, « la Chambre réunie pour élire le Président de la République constitue un collège électoral et non une Assemblée délibérante. Elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l’élection du Chef de l’Etat ». Cette disposition est interprétée comme une interdiction complète de légiférer en cas de vacance présidentielle. Un certain nombre de responsables politiques, en particulier chrétiens, s’opposent à une activité législative normale par crainte que cela ne s’accompagne d’une banalisation et d’une prolongation du vide présidentiel.
Une « séance parlementaire » extraordinaire, dite « de nécessité », a néanmoins pu se tenir les 12 et 13 novembre 2015, avec le boycott du seul parti chrétien des Kataëb, pour adopter une série de lois indispensables en matière économique et financière. Il s’agissait pour l’essentiel d’approuver des prêts internationaux qui risquaient sinon d'être annulés, notamment des financements de la Banque mondiale, et d’adopter des textes financiers urgents ainsi que plusieurs projets de loi relatifs à la lutte contre le blanchiment d'argent, le terrorisme et l'évasion fiscale.
Cette première séance plénière depuis plus d’un an n’a pu avoir lieu qu’avec l’engagement d’inscrire à l’ordre du jour de toute séance ultérieure, se tenant sur le même fondement de l’« état de nécessité législative », un projet de réforme de la loi électorale. Cette condition n’ayant pas été remplie, M. Berri a dû renoncer mi-avril à convoquer une nouvelle séance législative.
- La paralysie se manifeste ensuite par le report, à deux reprises, des élections législatives qui auraient dû avoir lieu en juin 2013. Peu de temps avant, la Chambre des députés a prorogé une première fois son propre mandat de dix-sept mois aux motifs que les partis n’étaient pas parvenus à s’entendre sur une loi électorale, que la situation sécuritaire ne permettait pas d’organiser le scrutin dans plusieurs régions et que l’aggravation des tensions politiques et confessionnelles menaçait le pays. En novembre 2014, la Chambre a de nouveau prorogé son mandat, cette fois jusqu’en mai 2017. Il n’y a donc pas eu d’élections législatives depuis 2009, alors que le mandat parlementaire n’est que de quatre ans. Cette situation ne peut qu’affecter la légitimité de la Chambre des députés. Michel Aoun, on l’a dit, lui dénie maintenant le droit d’élire un Président.
Ce n’est pas la première fois que les élections législatives sont ainsi reportées. La Chambre élue en 1972 est restée en fonction pendant toutes les années de la guerre civile, jusqu’aux élections de 1992, mais les circonstances ne sont guère comparables. La tenue des élections municipales sans incident sécuritaire majeur, au mois de mai dernier, montre qu’un scrutin peut être organisé dans des conditions acceptables. Il faut aussi rappeler que les élections législatives de 2005 ont pu avoir lieu en dépit d’un climat de très vives tensions après le retrait syrien.
- Les désaccords politiques sur la loi électorale, qui concernent tant le mode de scrutin que la taille des circonscriptions, contribuent au blocage. Les travaux engagés en 2012-2013 n’ont pas abouti. Dix-sept textes, mêlant souvent scrutin majoritaire et scrutin proportionnel, à des degrés divers, ont circulé sans qu’un accord se dégage à cette époque. Les travaux viennent toutefois de reprendre en commission.
Les controverses sur la loi électorale
La loi en vigueur, dite « de 1960 », mais en réalité modifiée légèrement à la suite de l’accord de Doha de 2008, repose sur le principe du scrutin majoritaire plurinominal de liste et sur un découpage du territoire en 26 circonscriptions, correspondant aux « cazas » (les sous-préfectures). Les forces politiques chrétiennes l’ont contestée au motif qu’elle rendrait l’élection d’un grand nombre de députés chrétiens dépendante des suffrages sunnites ou chiites, alors que les voix chrétiennes n’auraient pas d’influence décisive sur l’élection des députés musulmans. La loi de 1960 est ainsi accusée de ne pas respecter la parité islamo-chrétienne prévue par les accords de Taëf.
Les partis chrétiens du 14 mars ont d’abord proposé, en 2012, une proposition de loi électorale portant à 50 le nombre des circonscriptions, afin d’empêcher la « dilution » du vote chrétien. Les quatre « pôles » chrétiens, du 8 comme du 14 mars, se sont ensuite mis d’accord sur une proposition de loi dite « orthodoxe » qui prévoit l’élection par chaque groupe confessionnel de ses propres députés, et d’eux seuls, dans le cadre d’un scrutin proportionnel à circonscription unique. Cette unanimité a volé en éclat du fait des critiques formulées par d’influentes personnalités de la communauté chrétienne, du Courant du futur et des druzes, qui dénonçaient notamment une remise en cause du modèle libanais de coexistence et un risque d’aggravation des tensions communautaires.
Bien que le débat se soit en grande partie focalisé sur le mode d’élection des députés chrétiens, d’autres considérations ne sont pas étrangères au blocage. A l’approche de l’échéance électorale de 2013, le Hezbollah et les Aounistes ont manifesté leur refus que le scrutin soit organisé conformément à la loi de 1960 remise au goût du jour par l’accord de Doha, au motif que cet accord n’aurait concerné que les élections de 2009. On estimait alors, à tort ou à raison, que la loi de 1960 conduirait à la défaite du 8 mars si les alliances de 2009 étaient reconduites. Un projet de loi soutenu par le Hezbollah et les Aounistes prévoyait l’élection des 128 députés selon le système proportionnel. Ce texte a été rejeté par le Courant du Futur, qui risquait de perdre son quasi-monopole de fait sur les sièges sunnites compte tenu de l’érosion supposée de sa base électorale au sein de sa propre communauté.
c. En conséquence, un processus décisionnel en panne
La rareté et le caractère souvent peu conclusif des Conseils des ministres, conjugués à la fréquence encore plus faible des réunions plénières du Parlement, ne permettent pas de produire les textes législatifs et réglementaires, les arbitrages et les nominations dont les pouvoirs publics auraient besoin pour fonctionner.
La « crise des ordures » qui s'est déclenchée en juillet 2015, avec la fermeture de la décharge de Naamé, qui accueillait les déchets de Beyrouth et du Mont-Liban, illustre l’ampleur des difficultés auxquelles le Liban est ainsi confronté. Cette décharge a fermé sans qu'aucune solution de remplacement n’ait été mise en place par le Gouvernement. Des centaines de milliers de tonnes de déchets se sont alors accumulées hors de tout contrôle. Malgré les conséquences sanitaires et environnementales, ainsi qu'une forte mobilisation populaire, il a fallu attendre le mois de mars dernier pour qu’une solution effective, bien que temporaire, soit adoptée en Conseil des ministres.
De même, l'aide internationale peine à être mise en œuvre. Sans la séance législative exceptionnelle de novembre 2015, plusieurs centaines de millions d'euros risquaient d'être définitivement perdus. Des projets aussi structurants que l'exploitation des ressources offshore en hydrocarbures sont également bloqués. Alors que le ministère de l'énergie avait présenté un calendrier laissant espérer que les premiers forages pourraient commencer en 2015, le cadre juridique reste incomplet, faute d’adoption de deux décrets par le Conseil des ministres (11).
Il faut également souligner que de nombreux postes de direction restent vacants dans la fonction publique. Outre le manque d’arbitrage et l’absence de textes nécessaires à son action, l’administration est ainsi directement contaminée par le blocage des institutions politiques.
B. MALGRÉ UNE ACCALMIE PRÉCAIRE, DES RISQUES TOUJOURS TRÈS ÉLEVÉS SUR LE PLAN SÉCURITAIRE
La crise en Syrie s’est rapidement accompagnée de graves répercussions sécuritaires au Liban – des incidents dans la zone frontalière ; des affrontements intercommunautaires entre alaouites et sunnites dans la ville de Tripoli ; une série d'attentats visant notamment la communauté chiite ; des infiltrations de groupes djihadistes venus de Syrie.
Le Liban connaît une relative accalmie depuis 2015, alors que les menaces sécuritaires avaient jusque-là connu une très inquiétante montée en gamme. Pour autant, le pays n'est pas immunisé contre des risques majeurs, comme l'a montré l'attentat revendiqué par Daech en novembre 2015 dans la banlieue Sud de Beyrouth. Des groupes djihadistes restent installés sur le territoire libanais et la situation demeure explosive dans les camps palestiniens. Le Sud-Liban, patrouillé par la FINUL au Sud du fleuve Litani, constitue un autre point de préoccupation.
1. Ersal et Bekaa-Nord : un front qui se stabilise
La problématique djihadiste n'est pas nouvelle au Liban, mais elle a pris une dimension sans précédent du fait des débordements de la crise syrienne. Des éléments de Jabhat al-Nosra et de Daech se sont notamment infiltrés par Ersal et la Bekaa-Nord pour conduire des actions d'ampleur sur le territoire libanais.
a. Des infiltrations de groupes djihadistes depuis la Syrie
Une grande partie des tensions se concentrent au Nord-Est du Liban, en face du Qalamoun. Des attaques directes de groupes djihadistes ont notamment conduit à la prise temporaire de la ville d'Ersal par des éléments de Jabhat al-Nosra et de Daech au mois d'août 2014. Une vingtaine de soldats ont été tués, tandis qu'une trentaine de policiers et militaires libanais étaient enlevés par les djihadistes. A ce jour, quatre membres des forces de sécurité ont été exécutés et neuf restent entre les mains de Daech.
La poussée djihadiste de 2014 a été contenue, mais la situation reste instable le long de la frontière Est du Liban, en particulier autour de la ville d’Ersal. Des djihadistes restent implantés dans cette région. Il faut également signaler des affrontements sporadiques avec l'armée ou le Hezbollah dans la Bekaa, en particulier vers Ras Baalbek, et des tentatives de groupes armés agissant depuis le territoire syrien de s’emparer des hauteurs contrôlant l’accès au Liban.
Selon plusieurs interlocuteurs de la mission, les incursions de combattants djihadistes ont notamment été causées par les actions des forces du régime de Damas et du Hezbollah de l'autre côté de la frontière libano-syrienne. Le tournant est intervenu en 2013-2014 avec les batailles de Qusayr et de Yabroud, qui ont contraint des groupes djihadistes syriens à refluer vers le Qalamoun et la zone d’Ersal. Cela contribue à remettre en cause la thèse avancée par le Hezbollah pour justifier son intervention militaire en Syrie. Le Hezbollah dit se battre pour cautériser la frontière, au motif qu’il vaudrait mieux lutter contre les djihadistes du côté syrien plutôt qu’au Liban.
b. Une pression désormais contenue, mais des infiltrations et des « poches » djihadistes persistent
La situation, très critique en 2014, paraît aujourd'hui relativement plus calme sur ce front. Alors que l'armée libanaise avait été débordée à Ersal, la pression djihadiste est désormais contenue à l'Est et le Nord semble stabilisé. Des succès ont également été enregistrés dans la Bekaa. L'armée libanaise parvient à faire face, tandis que le Hezbollah conduit des actions dans la Bekaa, majoritairement chiite, jusqu'à Ersal. Cette présence juxtaposée parvient plus ou moins à contrôler les infiltrations. Elles se poursuivraient néanmoins.
Par ailleurs, si les forces armées libanaises ont renforcé leur dispositif dans la zone frontalière, elles n'ont pas les moyens de venir à bout des poches djihadistes implantées à Ersal, sur la frontière ou dans le Qalamoun (12). A Ersal, la tactique de l'armée a consisté à se positionner sur les hauteurs et à essayer d'appliquer un cloisonnement entre la ville et des renforts qui pourraient venir de Syrie. Des djihadistes restent donc implantés sur le territoire libanais, en particulier au Nord-Est. Selon des responsables sécuritaires rencontrés à Beyrouth, les combattants seraient toutefois moins nombreux qu’en 2014 dans cette région – ils auraient été plusieurs milliers.
La présence de Daech, bien qu'elle soit avérée sur le territoire libanais, serait résiduelle par rapport à celle de Jabhat al-Nosra. Ce groupe dispose de filières libanaises, en particulier à Tripoli, dans les camps palestiniens et dans la Bekaa. Une des principales craintes des autorités libanaises concerne le développement de ces filières et l'effet d'entraînement qui peut en résulter au sein des groupes djihadistes libanais. Non contents d’avoir établi une présence au Liban, Daech et Jabhat al-Nosra chercheraient à accroître leurs liens avec des groupes extrémistes sunnites déjà implantés au Liban. Il faut également souligner que Jabhat al-Nosra et Daech, en conflit en Syrie, ont longtemps évité de s’affronter au Liban et ont même pu s'y coordonner. Leur tentative de s'emparer d'Ersal en 2014 l'a montré. Des tensions sont néanmoins apparues entre ces groupes à Ersal.
2. D'autres foyers de tensions où les risques sécuritaires demeurent élevés
Le Liban se caractérise par une « géographie de la violence » contrastée, la menace se présentant sous forme de « poches » distinctes. La situation reste en particulier précaire à Tripoli et dans les camps palestiniens. Le risque d’une nouvelle poussée djihadiste, à travers le Akkar ou sous la forme d’une nouvelle série d’actions terroristes, est également pris très au sérieux.
a. Tripoli : un précaire retour au calme
La ville de Tripoli a connu de très fortes tensions intercommunautaires, marquées par plusieurs « rounds » d’affrontements entre quartiers sunnites et alaouites à partir de 2012.
Le calme est revenu depuis que l’armée est entrée dans Bab el-Tebbaneh en 2014, reprenant le contrôle de la vieille ville aux salafistes à l’issue de violents combats. L’arrestation du cheikh Hoblos en 2015 aurait fini de stabiliser la situation. Ce cheikh salafiste, impliqué avec ses partisans, dont des Syriens, dans les combats de la fin 2014 contre les forces armées, avait appelé à un soulèvement sunnite.
La population approuverait majoritairement l’intervention de l’armée, mais les facteurs socio-économiques à l’origine des tensions n’ont pas disparu. L’audience des groupes radicaux serait croissante auprès de la jeunesse sunnite de Tripoli. En l’absence d’action des autorités en faveur du développement économique et social, au-delà de la réponse sécuritaire qui s’imposait, le terreau de la radicalisation reste entier.
b. Des risques de percée à travers le Akkar ou de reprise d’actions terroristes majeures : vers une nouvelle poussée djihadiste au Liban ?
Sur la défensive, voire en reflux sur le théâtre syrien, Daech et Jabhat al-Nosra pourraient reprendre une tactique de guérilla urbaine ou d'actions terroristes dans des régions libanaises favorables.
Jusqu’à présent, les craintes de jonction entre les djihadistes d’Ersal et du Nord et d’une nouvelle poussée massive vers le Liban depuis le Qalamoun ne se sont pas matérialisées. Selon des éléments communiqués à la mission d'information, les autorités libanaises redouteraient toutefois que les djihadistes parviennent à ouvrir un couloir à travers le Akkar, entre Wadi Khaled et la Méditerranée.
Les groupes djihadistes auraient également les moyens d’organiser de nouvelles actions terroristes d’ampleur sur le territoire libanais. Les campagnes d'attentats, qui ne sont pas un phénomène nouveau au Liban, avaient repris entre juillet 2013 et janvier 2015. Les attaques visaient en particulier la communauté chiite – dix attentats ont été commis dans des zones chiites de la Bekaa-Nord et dans la banlieue Sud de Beyrouth –, le Hezbollah – cinq attaques de convois ont eu lieu dans des zones sunnites depuis 2013 –, et les intérêts iraniens au Liban – 30 morts et 220 blessés dans des attaques commises en 2013 et 2014.
Une accalmie s’est produite à partir de début 2015, les tensions se réduisant d'un cran avec la fin des attentats à répétition. Une politique anti-terroriste, reposant notamment sur des « plans de sécurité » déployés d’abord à Tripoli puis dans la Bekaa, a pu être mise en place. Des responsables sécuritaires rencontrés à Beyrouth par la mission d'information ont souligné que de nombreuses arrestations et saisies d’armes ont eu lieu et que de multiples cellules ont pu être démantelées. Malgré des divergences anciennes, il y aurait une meilleure coordination des services de renseignement de l’armée, des Forces de sécurité intérieure et de la Sûreté générale.
En dépit du renforcement du dispositif sécuritaire, les djihadistes conservent la capacité de mener des actions d'ampleur. Un double attentat suicide a ainsi été revendiqué par Daech dans un quartier mixte de la banlieue Sud de Beyrouth, Bourj al-Brajneh, le 12 novembre dernier. Le directeur général des Forces de sécurité intérieure avait souligné devant la mission, quelques semaines plus tôt à Beyrouth, que des informations sérieuses laissaient penser que Daech et Jabhat al-Nosra projetaient de nouveaux attentats au Liban, en particulier dans des quartiers chiites.
Si le Liban ne fait pas partie des objectifs immédiats de Daech, ce groupe chercherait néanmoins à exercer des représailles contre l’intervention du Hezbollah en Syrie et à faire monter les tensions confessionnelles afin de déstabiliser le pays et de diviser les Libanais. L’attentat du 12 novembre dernier a ainsi eu lieu dans un quartier chiite contigu d’un camp palestinien majoritairement sunnite. Daech a prétendu que les kamikazes étaient palestiniens pour susciter des affrontements entre les populations chiites et palestiniennes qui sont mêlées dans cette zone, partageant les mêmes magasins et les mêmes marchés. Cette tentative a d’ailleurs failli réussir, des chiites ayant commencé à s’en prendre à des Palestiniens dans la rue, mais les débordements ont vite été contrôlés.
c. Une situation fragile dans les camps palestiniens
Avec la région d’Ersal dans la Bekaa et celle du Akkar au Nord de Tripoli, le camp palestinien d’Aïn El-Héloué fait partie des trois principales régions à risque au niveau sécuritaire. Mais les tensions sont également vives dans d’autres camps. Les groupes palestiniens qui les contrôlent ne parviennent pas à enrayer la radicalisation, même si ses manifestations restent contenues à ce stade.
i. Une forte poussée djihadiste
Comme M. Nicolas Dot-Pouillard l'a rappelé devant la mission, les camps palestiniens se trouvent au cœur des préoccupations sécuritaires depuis le milieu des années 2000 en raison de l'implantation de groupes salafistes djihadistes. Ces derniers ne sont pas composés seulement de Palestiniens, mais aussi de Syriens et de Libanais qui viennent s'installer dans les camps pour y constituer des cellules armées. En 2007, des affrontements avaient déjà opposé l'armée libanaise et le groupe djihadiste Fatah al-Islam dans le camp de Nahr el-Bared, près de Tripoli.
La crise syrienne a constitué un terreau favorable pour les groupes salafistes djihadistes, en particulier dans le camp d'Aïn El-Héloué, qui fait l’objet d’une inquiétude particulière de la part des services de sécurité. Des salafistes djihadistes s'y attaquent régulièrement à des membres du Fatah. Des réseaux sont aussi implantés dans d’autres régions du pays, mais ce camp constituerait leur principal foyer. Il a été rapporté à la mission que les activistes y étaient fin 2015 au nombre d’un millier, dont des Syriens et des Palestiniens arrivés du camp de Yarmouk dans la banlieue de Damas. Ils disposeraient de capacités importantes en armement et explosifs.
LES CAMPS PALESTINIENS AU LIBAN
Source : International Crisis Group, « Nurturing Instability : Lebanon Palestinian’s Refugee camps », Middle East Report n° 84, février 2009.
Des djihadistes ont rallié Daech ces derniers mois, mais la base de cette organisation terroriste, relativement récente, resterait limitée dans les camps du Liban, même si des Palestiniens faisaient partie de la cellule à l'origine de l’attentat de Bourj al-Brajneh. Jabhat al-Nosra dispose aussi de cellules dans les camps palestiniens. Par ailleurs, ce sont les Brigades Abdullah Azzam, implantées à Aïn El-Héloué et composées de Palestiniens, de Syriens et de Yéménites, qui étaient à l'origine de la vague d'attentats de 2013. Des partisans libanais du cheikh salafiste Ahmad al-Assir, récemment arrêté par les autorités, sont présents dans le même camp.
Ces différents groupes considèrent les camps palestiniens comme des refuges. Ils ne cherchent pas à affronter l'armée libanaise, qui n'entre d'ailleurs pas dans les camps, conformément à un vieil accord de 1969, mais essaie de contrôler les entrées et les sorties. Les djihadistes ciblent les groupes palestiniens, tels que le Fatah, afin de parvenir à s'implanter durablement dans certains quartiers. Des militants venus de Syrie viendraient s'y réfugier quelques mois et y préparer des opérations ou des attentats.
La menace sécuritaire qui règne dans les camps palestiniens est en grande partie liée à une situation sociale dégradée, qui constitue un terreau fertile pour le développement du salafisme djihadiste. La situation des camps est très difficile dans tous les domaines. L'accès aux soins, à l'eau et à l'électricité y est encore plus problématique que dans le reste du pays. Le radicalisme, présent de longue date mais croissant, s'explique notamment par le fait que les Palestiniens ne sont pas intégrés au Liban. Les camps, bien qu’ils soient enclavés dans le tissu urbain, constituent des sortes de ghettos. La situation s'aggrave aussi en raison de la baisse des crédits de l'UNRWA, qui provoque d'ailleurs des manifestations plus ou moins violentes (13).
ii. Une situation certes contenue mais précaire
Face à la montée en puissance des groupes salafistes djihadistes, une réponse inter-palestinienne, mais aussi palestino-libanaise, se développe. M. Dot-Pouillard a expliqué devant la mission d'information comment de nouvelles forces de sécurité, une coordination sécuritaire renforcée et un dialogue politique se mettent en place afin d’essayer de maîtriser la situation (14).
- Les factions politiques palestiniennes (15) feraient preuve d’une volonté commune de dépasser leurs divisions pour apporter une réponse coordonnée à la montée du salafisme djihadiste dans les camps. Cette convergence de vues a trouvé une traduction concrète en février 2015 avec la constitution d’une force de sécurité commune palestinienne. D’abord mise en place dans les camps du Sud-Liban, elle commence à apparaître en banlieue de Beyrouth. M. Dot-Pouillard a néanmoins souligné que cette réponse inter-palestinienne reste précaire et que son efficacité est relative. Elle dépend notamment du dialogue entre le Fatah et le Hamas, qui est sinusoïdal, et de l’évolution de la situation dans les Territoires palestiniens. Un autre obstacle est la division interne du Fatah, souvent passée sous silence malgré des combats entre membres du Fatah à l’intérieur des camps du Liban.
- A la différence des années 1970-1980 et de 2007, une réelle coordination prend forme entre Palestiniens et Libanais. Les affrontements de Nahr el-Bared en 2007 ont constitué une tragédie aussi bien pour les Palestiniens que pour les Libanais – l’armée y a perdu de nombreux soldats. Une coordination s’effectue entre les factions palestiniennes, les services de renseignement libanais, les Forces de sécurité intérieure et la Sûreté générale, en charge des étrangers et des frontières. Il y aurait un véritable partage d’informations et une coopération pratique, notamment au bénéfice de la force de police palestinienne qui se met en place.
- Il existe aussi un dialogue avec les forces politiques libanaises, du 8 mars – beaucoup de camps étant d'ailleurs installés dans des mairies tenues par le Hezbollah – comme du 14 mars. Un climat de confiance s’instaurerait, notamment depuis une lettre de 2008 par laquelle l’Autorité palestinienne déclarait que les Palestiniens ne prendraient désormais plus parti au Liban, reconnaissant qu’une erreur avait été commise pendant la guerre civile. Le Fatah, implanté dans les camps, reste l’interlocuteur privilégié, même si les Libanais parlent à tout le monde.
3. Sud-Liban, Golan : la crainte d’un réveil des fronts calmes
Le Sud-Liban fait aujourd'hui figure d'îlot de stabilité au Liban et au plan régional. La situation est néanmoins précaire et la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies reste très imparfaite.
a. L'intérêt de toutes les parties pour le maintien de la stabilité au Sud-Liban, garantie par la FINUL
Le Sud-Liban est désormais une zone calme sur le plan sécuritaire, ce qui peut sembler paradoxal au regard de l'histoire récente. Cette région a en effet constitué un foyer majeur de conflit au Liban depuis la fin de la guerre civile. Les opérations militaires israéliennes « Justice rendue » de 1993 et « Raisins de la colère » de 1996 s'y sont déroulées. Le conflit de 2006 y a pris naissance, avec la capture de soldats israéliens par le Hezbollah, même si les bombardements israéliens ont ensuite touché presque tout le pays.
Il y a manifestement une même volonté du côté du Hezbollah et d'Israël de ne pas s'engager dans un nouveau conflit au Sud-Liban. Des incidents suivis de représailles s'y déroulent sporadiquement, le long de la « ligne bleue » qui sert de démarcation, mais dans la limite de « règles » tacites qui évitent l'escalade. De nombreux interlocuteurs ont souligné que le Hezbollah a plutôt intérêt au maintien de la stabilité interne du Liban, afin de ne pas se trouver engagé sur plusieurs fronts. Le mouvement chiite est en effet confronté au coût de son engagement en Syrie, notamment en pertes humaines. Dans le contexte régional actuel, Israël ne souhaiterait pas non plus de confrontation, malgré les inquiétudes alimentées par la montée en puissance du Hezbollah et l’hypothèse d’une éventuelle frappe préemptive israélienne (16).
La FINUL, Force intérimaire des Nations Unies au Liban, joue aussi un rôle crucial dans le maintien de la stabilité au Sud-Liban. La FINUL a été établie en 1978 par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour confirmer le retrait des troupes israéliennes du Sud-Liban, rétablir la paix et la sécurité et aider le gouvernement libanais à réinstaurer son autorité effective dans la région (17). Conformément à la résolution 1701 du Conseil de sécurité, adoptée après la crise de 2006, la FINUL est également chargée d'appuyer les forces armées libanaises dans leur déploiement dans tout le Sud et de fournir une assistance aux populations civiles.
Par ses patrouilles et les missions d'observation qui lui sont confiées, ses coopérations civilo-militaires au bénéfice des populations locales, sa contribution au marquage de la « ligne bleue » (18) et l'organisation de réunions tripartites régulières avec des représentants de l'armée libanaise et des forces de défense israéliennes pour évoquer les problèmes de sécurité et d'application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, la FINUL contribue à créer un « non-événement » qui passe presque inaperçu alors qu'il est essentiel : le maintien du calme dans cette partie du Liban.
b. Des risques d'infiltrations djihadistes sans doute limités, malgré des inquiétudes liées à la situation du Golan
A la différence d'autres zones, les risques de déstabilisation par des groupes djihadistes paraissent limités au Sud-Liban. Le Hezbollah est présent en force dans cette partie du pays à majorité chiite, à partir de Saïda jusqu'à la zone de Chebaa (19). Le fait que le Sud soit très homogène et très contrôlé par le Hezbollah (20) préserve d'une certaine manière cette région des agissements djihadistes.
Cela en fait néanmoins un objectif de choix. Daech chercherait notamment à atteindre le Hezbollah dans son « sanctuaire » du Sud-Liban et il a été rapporté à la mission d'information que les forces armées libanaises et le Hezbollah craindraient des infiltrations djihadistes depuis le Golan. Les Israéliens estimeraient aussi qu'un nouveau front s'est ouvert sur le Golan, où des groupes menaçant non seulement le régime syrien mais aussi Israël ont commencé à construire des infrastructures. Les Israéliens ont mené des frappes à la frontière avec le Liban, à Quneitra, et adressé le message qu'ils ne laisseront passer aucun groupe armé. La situation est complexe, car le Hezbollah accuse, pour sa part, Israël d'utiliser contre lui certains groupes armés, dont Jabhat al-Nosra.
c. Une application limitée de la résolution 1701 et de graves violations de la cessation des hostilités
La résolution 1701 du Conseil de sécurité n'est respectée que sur une base minimaliste : l'espace aérien du Liban est violé presque quotidiennement par des drones et des avions israéliens ; la partie Nord de Ghajar demeure occupée par Israël et la question des fermes de Chebaa reste sans solution ; le Hezbollah maintient une présence certes discrète, mais armée ; la perspective d'une substitution des forces armées libanaises à la FINUL s'est éloignée du fait du redéploiement d'une grande partie des effectifs vers la frontière syrienne et des zones de tension à l'intérieur du pays, seules deux brigades restant au Sud du fleuve Litani.
De graves violations de l'accord de cessation des hostilités continuent à se produire, rappelant périodiquement à quel point la situation demeure volatile, bien que le Sud-Liban soit plus stable que le reste du pays. Le 4 janvier 2016, le Hezbollah a ainsi revendiqué une attaque contre une patrouille israélienne dans la zone contestée des fermes de Chebaa. Cela faisait apparemment suite à la mort de Samir Kantar, un cadre du Hezbollah, quelques jours plus tôt près de Damas, dans un raid aérien attribué à Israël. L'attaque du Hezbollah a ensuite donné lieu à des tirs de représailles de la part des forces israéliennes. Un an plus tôt, au mois de janvier 2015, un grave incident provoqué par le Hezbollah dans le secteur des fermes de Chebaa avait été présenté comme une réponse à un raid israélien sur Quneitra quelques jours auparavant.
C. UNE PRÉSENCE MASSIVE ET PROLONGÉE DE RÉFUGIÉS
Cinq ans après le début de la crise syrienne, le nombre des réfugiés officiellement enregistrés par les Nations Unies au Liban s'élève à près d’1,5 million : 1,1 million de réfugiés syriens et environ 400 000 réfugiés palestiniens, dont plus de 45 000 seraient arrivés de Syrie depuis 2011. Une partie des réfugiés syriens n’étant pas enregistrés par le HCR, les autorités libanaises estiment que leur nombre s’approcherait en réalité de 1,5 million.
La mission a pu constater lors de son déplacement au Liban, en septembre 2015, que la question des réfugiés syriens constituait le premier sujet de préoccupation de la plupart de ses interlocuteurs, qui l’abordaient d’ailleurs spontanément. Tous ont estimé qu’un seuil de saturation avait été franchi, y voyant souvent le principal défi pour la stabilité du pays.
Bien que la présence des réfugiés syriens occupe une place prépondérante dans le débat public, cela ne doit pas conduire à éclipser la situation des réfugiés palestiniens, également très difficile et problématique. Les deux sujets entrent d’ailleurs en résonance, car l’approche de la question des réfugiés syriens est très marquée par la mémoire traumatique de la présence palestinienne au Liban.
1. Un accueil généreux des réfugiés syriens qui s’accompagne aujourd’hui de multiples défis
Bien qu’il ne soit pas partie à la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés (21), et ne soit donc pas tenu de l’appliquer, le Liban a généreusement accueilli sur son territoire un très grand nombre de Syriens en fuite. Un peu plus de 23 % d’entre eux ont ainsi trouvé refuge au Liban, certes moins qu’en Turquie (qui accueille environ 55 % des réfugiés syriens), mais bien plus que dans les autres pays d’accueil de la région, la Jordanie (13,8 %), l’Irak (5,3 %), l’Egypte (2,7 %) et les pays d’Afrique du Nord (0,6 %).
La durée de la crise syrienne, en cours depuis plus de cinq ans, s’accompagne d’une montée des périls qui a conduit à remettre partiellement en cause cette politique d’accueil. La situation humanitaire des réfugiés s’est dégradée et la charge pesant sur le Liban s’est considérablement accrue, notamment parce que l’aide internationale reste insuffisante devant l’ampleur des besoins. Un chiffre peut donner une première mesure des défis. Avec l’arrivée d’1,5 million de réfugiés syriens, la population du pays a augmenté de plus de 30 % en cinq ans.
a. Une situation humanitaire très dégradée
Les Libanais ont su faire preuve d’une réelle générosité dans leur accueil d’un nombre aussi important de réfugiés syriens. Les « communautés hôtes », selon le terme consacré dans le jargon humanitaire, se sont efforcées de répondre aux besoins des réfugiés en leur offrant un accès aux services publics de base, alors que c’est un défi pour la population libanaise elle-même (22). L’augmentation des besoins, l’épuisement des ressources, l’insuffisance de l’aide internationale et la saturation des services publics ont toutefois conduit à une dégradation de la situation humanitaire.
i. Des réfugiés syriens en situation de paupérisation et de marginalisation croissante
Malgré l’accueil généreux des Libanais, les efforts des donateurs internationaux et l’action des acteurs humanitaires présents sur le terrain, les réfugiés venus de Syrie se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité économique et sociale. En témoigne l’augmentation des taux de pauvreté et d’endettement, conjuguée à des difficultés d’accès à l’emploi, des conditions de logement de plus en plus précaires et des possibilités de scolarisation encore très limitées pour les enfants.
- En 2015, environ 70 % des réfugiés syriens vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 49 % en 2014. Plus de 50 % d’entre eux, se trouvant sous le seuil de 2,4 dollars par jour, ne parviendraient pas à couvrir leurs besoins vitaux.
- Un point de non-retour paraît avoir été atteint dans la mesure où les réfugiés s’enfoncent dans le cycle de la dette pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires, tels que la nourriture, le logement et les médicaments.
Selon une étude récente, 90 % des réfugiés syriens sont désormais lourdement endettés. En mars 2016, la dette moyenne par personne s’élevait à 950 dollars, contre 842 dollars en 2015. Avec la poursuite de la crise en Syrie, une grande majorité des réfugiés a épuisé ses économies.
Beaucoup sont entièrement tributaires de l’aide internationale, qui tend à se réduire au fil du temps, en particulier celle du Programme alimentaire mondial (PAM). Entre 2014 et 2015, la part des réfugiés syriens dépendant de l’aide alimentaire comme principale ressource est pourtant passée de 14 à 54 %.
- Il faut également souligner que de nombreux réfugiés se trouvent dans une situation de vulnérabilité qui risque de les faire basculer à court terme dans la pauvreté, notamment en raison d’un accès limité au marché du travail. Ceux qui ont un emploi travaillent majoritairement dans les services et les secteurs traditionnellement occupés par les travailleurs syriens, l’agriculture et la construction. Ils n’ont en général accès qu’à des emplois temporaires, dans l’économie informelle, leur procurant un revenu mensuel inférieur à 300 dollars par mois, soit nettement moins que le salaire minimum – 450 dollars. Beaucoup sont en situation irrégulière, faute de pouvoir payer les 200 dollars requis pour renouveler les titres de séjour (23), et n’ont donc pas légalement accès à l’emploi.
- En raison de leur paupérisation et de leur précarisation croissante, de nombreux réfugiés sont contraints de recourir à des stratégies d’ajustement dangereuses. Ils réduisent notamment leurs dépenses d’alimentation et se tournent vers des solutions plus précaires de logement. A cela s’ajoute le risque de voir les parents retirer les enfants des écoles pour les faire travailler ou mendier.
- Par manque de logements abordables et en raison de l’épuisement de leurs ressources financières, les réfugiés doivent survivre dans des conditions de plus en plus précaires. Beaucoup habitent dans des garages, des bâtiments dont la construction n’est pas achevée, des lieux de travail et des abris collectifs. On estime que 57 % vivent dans des conditions insalubres et que 27 % n’ont pas accès à l’eau potable. Le souvenir de l’expérience palestinienne a conduit les autorités libanaises à refuser dès le début que des camps formels soient créés avec l’aide des agences humanitaires, à la différence de la Jordanie, bien que celle-ci ait eu le même réflexe à l’origine.
Des campements non officiels, moins bien équipés et manquant en particulier de services de base tels que l’accès à l’eau et des systèmes sanitaires, ont néanmoins vu le jour. Il s’agit en réalité de petits bidonvilles. Comme la mission a pu le constater près de Zahlé, les réfugiés doivent pourtant acquitter un loyer assez élevé au propriétaire du terrain. Souvent situés sur des terres qui étaient auparavant réservées à l’accueil des travailleurs agricoles syriens, les campements informels seraient répartis entre 3 000 localités différentes, principalement dans la région de Baalbek-Hermel et celle de la Bekaa (65 %), ainsi qu’au Nord-Liban et dans le Akkar (30 %).
Le nombre des campements informels serait en forte augmentation, en particulier dans la Bekaa. Au total, les Nations Unies estiment que 30 % des réfugiés syriens vivent dans les aires urbaines des quatre principales villes du pays, Beyrouth, Tripoli, Saïda et Tyr, 50 % dans les autres villes et villages du Liban, et 18 % dans les campements informels.
- Dans le domaine de l’éducation, il faut saluer les efforts déployés par les autorités libanaises pour scolariser un nombre croissant d’enfants réfugiés. Environ 200 000 réfugiés syriens d’âge scolaire seraient accueillis dans le système éducatif officiel en 2015-2016, sur un total estimé à 460 000 enfants. Ils n’étaient que 40 000, soit 13,5 % du total, à être scolarisés en 2012-2013. Outre des possibilités d’accueil dans les mêmes classes que les élèves libanais, le matin, de nombreuses écoles ont ouvert des classes destinées aux enfants syriens l’après-midi. Une difficulté particulière est qu’ils n’ont pas suivi le même programme que leurs camarades libanais et qu’ils ne parlent généralement que l’arabe, alors que des matières sont enseignées en français ou en anglais au Liban.
Il faut aussi noter que les réfugiés syriens, venant surtout de régions relativement pauvres et rurales de leur pays (24), sont en général moins éduqués que la moyenne de la population syrienne et surtout que celle de la population libanaise. En 2014, seuls 8 % avaient reçu une éducation secondaire et 5,3 % une éducation supérieure. Il s’agit par ailleurs d’une population jeune, avec une proportion élevée d’enfants âgés de zéro à quatre ans.
Source : HCR et Banque mondiale, « The Welfare of Syrian Refugees, Evidence from Jordan and Lebanon », 2016.
L’éducation est évidemment un enjeu essentiel pour éviter que le conflit syrien ne se traduise par une « génération perdue », avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer pour l’avenir de la Syrie et pour celui du Liban, que ce soit en termes de développement ou de sécurité.
ii. La question des départs vers l’Europe
La dégradation des conditions de vie des réfugiés a conduit à des départs vers l’Europe.
Selon plusieurs témoignages reçus par la mission en 2015, les ferrys en partance de Tripoli vers la Turquie, dernière étape avant les côtes européennes, étaient bondés de ressortissants syriens. Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure il s’agissait de personnes ayant préalablement trouvé refuge au Liban ou au contraire n’ayant fait qu’emprunter des filières traversant ce pays au départ de la Syrie. Il semblerait que les Syriens réfugiés dans un premier temps sur le territoire libanais n’aient représenté qu’une petite minorité.
Des départs seraient toutefois avérés. Ils s’expliqueraient principalement par le manque de ressources, les difficultés de logement, l’absence d’accès à l’éducation pour les enfants et les faibles perspectives de retour en Syrie, la crise s’y prolongeant. Un nombre croissant de Palestiniens et de Libanais partiraient également vers l’Europe, faute de perspectives au Liban.
Deux facteurs limiteraient les départs des réfugiés syriens du Liban. Tout d’abord, on l’a dit, leurs ressources financières s’épuisent et leur niveau d’endettement est souvent déjà élevé, ce qui réduit les possibilités de financement d’un départ vers l’Europe. Ensuite, les autorités turques ont imposé une obligation de visa aux ressortissants syriens depuis le début de l’année 2016. On estimait en mars dernier que les flux du Liban vers la Turquie s’étaient quasiment interrompus.
b. Une charge désormais majeure pour le Liban
La présence de 1,1 ou 1,5 million de réfugiés syriens, selon les estimations, représente une charge supplémentaire importante sur des infrastructures et des services publics déjà largement défaillants au Liban, notamment en matière d’électricité, d’eau et de gestion des déchets. Les effets sont également majeurs sur l’économie et le marché du travail, ainsi que sur la situation budgétaire du pays.
i. Une pression supplémentaire sur des infrastructures et des services publics déjà en difficulté avant 2011
La présence des réfugiés syriens n’explique pas l’état de délabrement des infrastructures, même si un discours tendant à attribuer les difficultés du pays aux réfugiés se répand. La charge supplémentaire n’en est pas moins réelle.
S’agissant des infrastructures, la demande en eau aurait augmenté de 28 % depuis 2011. La production de déchets solides aurait doublé dans certaines parties du pays, conduisant à la contamination de ressources en eau et à la propagation de maladies hydriques. En ce qui concerne l’électricité, l’augmentation de la demande liée à la présence des réfugiés syriens a été estimée à 251 MW fin 2014 – pour des capacités de production installées de seulement 2 019 MW en 2013.
Dans le domaine de la santé, l’afflux des réfugiés s’est accompagné de besoins supplémentaires se traduisant par des pénuries en personnel, des tensions supplémentaires sur les ressources financières des hôpitaux et une accumulation des impayés du ministère de la santé publique. Par ailleurs, les coûts de santé auraient sensiblement augmenté. Les « communautés hôtes » rencontreraient, en conséquence, davantage de difficultés pour accéder à des soins de qualité (25). En termes sanitaires, on observe une flambée des maladies transmissibles, comme la rougeole, l’apparition de maladies qui n’étaient pas présentes au Liban jusque-là, telles que la leishmaniose, et l’augmentation des risques d’épidémies de maladies d’origine hydrique.
Dans le domaine de l’éducation, l’accueil d’une partie des réfugiés syriens d’âge scolaire se traduit par un accroissement des dépenses budgétaires, malgré l’aide internationale. La surcharge du secteur public s’accompagne aussi d’une baisse de la qualité de l’enseignement. Dans le même temps, tous les enfants syriens ne peuvent pas bénéficier d’une scolarisation formelle, on l’a dit.
Enfin, bien que les réfugiés syriens soient présents sur l’ensemble du territoire libanais, leur concentration dans la Bekaa (35 %) et le Nord-Liban (35 %), régions historiquement défavorisées et sous-équipées, accentue les pressions sur les ressources disponibles et accroît les tensions qui peuvent en résulter localement. La carte ci-dessous présente la répartition territoriale des réfugiés syriens enregistrés par le HCR.
Source : HCR, situation au 31 mars 2016
Une étude plus détaillée montre que les 251 localités les plus vulnérables du Liban abritent à la fois la quasi-totalité des réfugiés et les deux tiers des Libanais les plus défavorisés.
Source : ONU, Bureau de coordination des affaires humanitaires
ii. Des effets incertains sur le marché du travail
On estimait en 2014 que la moitié des réfugiés syriens en âge de travailler étaient économiquement actifs, ayant un emploi ou en recherchant un. Selon la Banque mondiale, la population active du Liban aurait ainsi augmenté de 50 % (26). La majorité des réfugiés syriens sont peu qualifiés et ceux qui ont un emploi travaillent principalement dans la construction, l’agriculture ou les services à la personne, où ils occupent des emplois informels.
Les effets restent difficiles à évaluer. Les entrepreneurs libanais bénéficient clairement de la disponibilité d’une main d’œuvre meilleur marché. En revanche, la Banque mondiale estime qu’il est difficile de savoir dans quelle mesure les réfugiés syriens entrent réellement en concurrence avec des travailleurs libanais. En effet, les Syriens étaient déjà très présents avant 2011 dans la population active peu qualifiée au Liban, en compagnie d’autres nationalités telles que les Bangladais, les Ethiopiens et les Philippins. Les Libanais occupant peu ce type d’emplois, il est probable que c’est plutôt la population peu qualifiée d’origine étrangère qui subit un effet d’éviction. La perception de la situation est cependant assez différente dans la population libanaise, ce qui contribue à alimenter les tensions et parfois une montée du racisme à l’encontre des réfugiés syriens.
iii. Un impact budgétaire significatif
La Banque mondiale a estimé à 1,1 milliard de dollars la hausse des dépenses budgétaires dues aux répercussions du conflit syrien fin 2014, principalement en raison de l’augmentation de la demande de services publics, du fait de la présence des réfugiés. Le surcoût budgétaire en matière de santé, d’éducation et de protection sociale aurait été compris entre 310 et 340 millions de dollars pour la période 2012-2014 (27), hors besoins satisfaits au moyen de l’aide internationale. Le coût en termes d’infrastructures – eau et gestion des déchets, électricité, transports – était évalué à 590 millions d’euros.
c. Une aide internationale qui atteint des niveaux records et accorde une place croissante au développement, mais reste limitée au regard des besoins
Le Liban a généreusement ouvert sa porte aux réfugiés syriens, en s’efforçant de répondre aux besoins malgré les difficultés du pays. Dans le domaine éducatif, par exemple, les efforts pour accueillir un nombre croissant d’enfants nécessitent de « pousser les murs ». On ne peut attendre d’aucun pays qu’il réponde seul à des défis d’une telle ampleur.
L’aide internationale dont bénéficie le Liban atteint des montants records. En 2015, le Liban a reçu 1,3 milliard de dollars au titre du plan de gestion des répercussions de la crise syrienne. Au total, 3,4 milliards de dollars auraient été alloués au Liban depuis 2013.
Les besoins de financement étaient toutefois évalués à 1,87 milliard de dollars pour 2015, ce qui signifie un taux de couverture inférieur à 60 %. Le Programme alimentaire mondial (PAM), confronté à une grave crise financière, a été contraint de réduire son assistance aux réfugiés syriens présents au Liban. Déjà passé de 27 dollars à 19 dollars par personne et par mois en janvier 2015, le montant de l’aide alimentaire du PAM a été ramené à 13,5 dollars de juillet à septembre 2015, avant de remonter à 21,6 dollars, dans la limite de cinq bénéficiaires par famille.
La conférence organisée à Londres les 3 et 4 février 2016 a permis de remobiliser les donateurs internationaux, qui se sont engagés à contribuer à hauteur de 11 milliards de dollars pour le financement de la réponse à l’ensemble de la crise syrienne. Ces engagements restent toutefois à mettre en œuvre.
S’agissant du Liban, le plan de réponse adopté conjointement par le Gouvernement et les Nations Unies s’élève à 2,48 milliards de dollars pour 2016. Il vise à assurer une aide humanitaire et une protection à 2,8 millions de personnes vulnérables, comprenant non seulement les réfugiés syriens et palestiniens, mais aussi la partie la plus pauvre de la population libanaise, et à investir dans les services, l’économie et les institutions, afin d’aider le pays à supporter le choc. Au-delà de la réponse humanitaire, de court terme, des investissements sont en effet nécessaires pour stabiliser la situation et éviter un recul en termes de développement. Cette évolution de l’aide internationale est donc particulièrement bienvenue.
d. Une inflexion des mesures concernant les réfugiés syriens
Le franchissement du seuil symbolique d’un million de réfugiés enregistrés par le HCR, en 2014, s’est accompagné d’un durcissement des mesures adoptées à leur égard, en matière de conditions d’entrée sur le territoire comme en matière de droit au séjour. Dans le même temps, le nombre des réfugiés enregistrés s’est stabilisé. Des mesures devant permettre d’améliorer leur situation ont certes été esquissées par les autorités libanaises en février dernier, lors de la conférence de Londres précitée, mais elles restent à mettre en œuvre.
i. Un sentiment de saturation, s’accompagnant d’une dénonciation des risques d’« implantation » durable des réfugiés
La présence prolongée d’un grand nombre de réfugiés syriens se traduit inévitablement par des tensions avec les populations locales, en dépit de liens historiques de proximité entre Syriens et Libanais – échanges commerciaux intenses, migrations de travailleurs agricoles syriens (28)…
Les tensions résultent notamment de la montée d’un sentiment de concurrence avec les réfugiés, chez les Libanais les plus pauvres, pour l’accès à l’eau et à l’électricité, aux soins, à l’éducation et aux aides sociales, mais aussi au marché du travail. Le franchissement du cap symbolique d’un million de réfugiés en 2014 s’est accompagné de la perception qu’un seuil de saturation avait été atteint.
De fait, la présence d’un nombre aussi important de réfugiés se heurte aux problèmes structurels du Liban, qui avait déjà des difficultés avant 2011 à fournir des emplois, une éducation de qualité et des services publics de base à sa propre population. La question de l’impact économique et social se double de préoccupations sécuritaires. Certaines municipalités ont établi des couvre-feux pour les populations syriennes et l’instauration récente d’une obligation de visa traduit la volonté du gouvernement libanais de contrôler les entrées et sorties.
A cela s’ajoute la crainte des répercussions sur les équilibres communautaires du pays, les réfugiés venus de Syrie étant généralement considérés comme étant essentiellement sunnites, ce qui est effectivement probable. La question est particulièrement sensible dans un pays où le partage du pouvoir et des responsabilités s’organise sur une base confessionnelle. Des responsables politiques libanais dénoncent ainsi la perspective – très théorique – d’une naturalisation des réfugiés syriens, qui viserait en fait à modifier les réalités politiques du Liban.
Dans un tel contexte, la prise en charge des réfugiés devient un sujet encore plus complexe. Les Syriens ne sont d’ailleurs pas considérés par les autorités libanaises comme des « réfugiés » au sens de la convention de Genève, à laquelle le Liban n’est pas partie, mais comme de simples « déplacés ». Ce terme a naturellement un sens très différent, l’accent étant mis en particulier sur le caractère provisoire de l’accueil. La question du retour des Syriens occupe d’ailleurs une place croissante dans le débat public. Gebran Bassil, le ministre des affaires étrangères, déclare régulièrement qu’ils doivent rentrer dès que possible en Syrie, dénonçant les risques d’une « implantation » au Liban (29). Ce discours s’accompagne de soupçons et parfois même d’accusations très claires à l’égard de l’aide internationale, dont le but consisterait à fixer les réfugiés sur le sol libanais, pour les empêcher d’affluer en Europe (30).
Il y a une vraie difficulté. D’une part, la perspective de l’intégration économique et sociale des réfugiés est rejetée au motif qu’elle favoriserait leur « implantation ». Un récent rapport du Secrétaire général des Nations Unies appelant à des politiques destinées à encourager l’intégration des réfugiés, de manière générale et sans viser le Liban en particulier, a ainsi provoqué un vif émoi dans la classe politique libanaise. D’autre part, il est difficile de ne pas penser que la vulnérabilité croissante des réfugiés expose davantage le Liban à des risques de déstabilisation dans différents domaines. Sur le plan sécuritaire, bien que l’on n’en soit pas là, la précarisation, le déclassement social et l’absence de perspectives peuvent constituer un terreau propice à la radicalisation d’une minorité, parfois agissante.
ii. Un durcissement des conditions d’entrée et de séjour, s’accompagnant d’une stabilisation du nombre de réfugiés enregistrés
Le sentiment général, comme la mission d’information a pu le constater à Beyrouth en septembre 2015, est que le pays ne peut plus accueillir davantage de réfugiés. Les autorités libanaises ont donc adopté un ensemble de mesures plus restrictives, d’abord à l’égard des Palestiniens venus de Syrie, puis de tous les réfugiés syriens.
Tout d’abord, les ressortissants syriens sont soumis à des obligations nouvelles de visa depuis le début de l’année 2015. La possibilité d’entrer sur le territoire libanais pour un motif de protection – en tant que réfugié – est devenue pratiquement impossible. Elle est en effet limitée à des circonstances humanitaires exceptionnelles (par exemple, pour des personnes handicapées ou en cas de réinstallation prévue par le HCR).
Le HCR a également dû suspendre l’enregistrement de nouveaux réfugiés depuis mai 2015, sur instruction du gouvernement, officiellement dans l’attente d’une nouvelle procédure.
Enfin, le renouvellement ou la régularisation des titres de séjour des ressortissants syriens font l’objet de conditions plus strictes. Outre le paiement de 200 dollars par personne de plus de 15 ans, il faut produire une attestation de logement et un engagement écrit de ne pas travailler. Les Syriens non enregistrés par le HCR doivent en outre être « sponsorisés » par un ressortissant libanais, ce qui impliquerait souvent une rétribution financière.
Si la pratique de la « porte ouverte » à l’égard des réfugiés syriens n’est donc plus qu’un souvenir, il faut souligner que le gouvernement libanais a maintenu jusqu’à présent sa politique de non-expulsion des réfugiés, qu’ils soient en règle ou non.
Ceux qui sont dépourvus de titre de séjour valable limitent toutefois leurs déplacements, afin d’éviter les risques d’arrestation, ce qui réduit aussi les possibilités d’accéder à un emploi et accroît la précarité. Sans résidence en règle, il est également impossible d’enregistrer les naissances, les décès ou les mariages, ce qui pose des problèmes d’état-civil. Un nombre très élevé d’enfants seraient non enregistrés, ce qui soulève notamment des préoccupations quant à la reconnaissance ultérieure de leur nationalité syrienne. Sur 60 000 enfants nés de réfugiés syriens, près de 70 % n’auraient pas de certificats de naissance délivrés par les autorités libanaises.
Le nombre des réfugiés syriens enregistrés s’est stabilisé en 2015, principalement en raison du durcissement des conditions d’admission sur le territoire et de l’arrêt de l’enregistrement par le HCR, à la demande du gouvernement. Leur nombre s’est même légèrement réduit compte tenu des vérifications réalisées par les Nations Unies, du retour de certains réfugiés en Syrie et de départs vers des pays tiers.
Le graphique ci-après retrace l’évolution du nombre des réfugiés syriens enregistrés au Liban. Au 31 mars 2016, ils étaient 1 048 275.
Source : Nations Unies
iii. Vers une facilitation de l’accès au travail et aux titres de séjour ?
Une inflexion plus favorable aux réfugiés syriens s’est esquissée en février 2016 à l’occasion de la conférence de Londres précitée. Le gouvernement libanais s’est en effet engagé à faciliter leur accès au travail, dans des secteurs où ils ne seraient pas en concurrence avec des Libanais, et à faciliter le renouvellement des titres de séjour.
Cette évolution paraît souhaitable. Comme les réfugiés syriens ne repartiront manifestement pas dans l’immédiat, du fait de la crise qui persiste dans leur pays d’origine, il importe de rendre leur situation plus tenable au Liban, ne serait-ce que pour éviter de reproduire le contre-exemple du traitement réservé aux réfugiés palestiniens – pas d’accès au travail, constitution d’enclaves – et ses traductions politiques et sécuritaires dont la stabilité du Liban a souffert.
Les engagements pris par le gouvernement libanais sont clairement conditionnés à la montée en puissance de l’aide internationale. Surtout, la perspective d’une plus grande intégration économique et sociale des réfugiés syriens représente un véritable changement de paradigme, qui doit beaucoup aux suggestions des bailleurs internationaux mais se heurte à de fortes réticences au Liban, pour les raisons présentées plus haut.
2. La question des réfugiés palestiniens
L’attention que nécessite la situation des très nombreux réfugiés syriens présents au Liban ne doit pas conduire à laisser de côté le sort des réfugiés palestiniens. L’impasse de la question israélo-palestinienne et l’apparition d’urgences supplémentaires dans la région, comme la lutte contre Daech, ne doivent pas en faire des oubliés de l’Histoire.
On assiste aujourd’hui à une conjonction d’évolutions particulièrement inquiétantes : une vulnérabilité économique et sociale de plus en plus importante chez les réfugiés palestiniens ; une baisse des aides de l’UNRWA, chargé de leur porter assistance (31) ; un accès toujours très réduit au marché du travail ; un chômage massif des jeunes ; une situation sécuritaire dégradée, bien qu’elle demeure contenue ; un large désintérêt de la classe politique.
a. La situation très préoccupante des réfugiés palestiniens au Liban
Fin 2014, un peu plus de 493 000 réfugiés palestiniens étaient officiellement enregistrés au Liban. Compte tenu des départs, on estime qu’entre 260 000 et 280 000 d’entre eux y résident (32). Depuis 2011, une deuxième catégorie de réfugiés palestiniens est présente sur le territoire du Liban : environ 45 000 personnes venues de Syrie, dont la vulnérabilité est encore plus marquée.
i. Une population paupérisée et marginalisée
Les réfugiés palestiniens restent dans une situation extrêmement difficile au Liban. On estime que les deux tiers d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté. La plupart dépend essentiellement de l’aide qui leur est apportée par l’UNRWA.
Les difficultés s’aggravent dans de nombreux domaines, en particulier les possibilités de mobilité, interne ou internationale, et d’accès à un logement décent – et a fortiori à la propriété. Si la situation ne s’améliore pas, bien au contraire, c’est que les réfugiés palestiniens restent marginalisés socialement, politiquement et économiquement. Ils sont notamment très largement exclus du marché du travail. Une loi votée en 2010 dans ce domaine reste à mettre en œuvre. Même si 70 secteurs sont censés être ouverts aux Palestiniens, l’accès à l’emploi demeure très difficile dans les faits et 36 professions leur sont toujours inaccessibles.
Les Palestiniens continuent à faire l’objet d’un rejet dans une partie de la population libanaise, pour qui les malheurs du Liban seraient historiquement liés à leur présence – ce qui correspond à une vision réductrice de la guerre civile. Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné que les réfugiés palestiniens, vivant dans des sortes de ghettos, ne sont pas intégrés au Liban, à la différence de la Jordanie. M. Nicolas Dot-Pouillard a souligné que s’il existe un brassage de populations en banlieue Sud de Beyrouth, dans le camp de Chatila en particulier, où les populations pauvres chiites, kurdes de Syrie et irakiennes côtoient quotidiennement les Palestiniens, ce brassage social ne concerne que les plus pauvres (33).
La reconstruction toujours incomplète du camp de Nahr el-Bared, commencée en 2008 après sa destruction dans les combats entre le groupe Fatah al-Islam et l’armée libanaise, offre un exemple marquant du blocage de la situation et de l’absence de perspectives.
Cette impasse pousserait un nombre croissant de réfugiés palestiniens à tenter de quitter le Liban. M. Dot-Pouillard a rapporté que les départs clandestins vers l’Europe, depuis Tripoli au Nord ou depuis Tyr au Sud, se multiplient depuis des années. Bien que la mission d’information ne dispose pas de chiffres précis, ces départs auraient connu une hausse, de nombreux Palestiniens ayant tenté de s’insérer dans le flux des réfugiés syriens vers les côtes européennes.
ii. Les réfugiés palestiniens venus de Syrie : une population encore plus vulnérable
Les réfugiés palestiniens ayant quitté la Syrie pour le Liban connaissent des difficultés encore plus graves. On estime que 110 000 des 560 000 réfugiés palestiniens enregistrés en Syrie avant 2011 ont quitté ce pays, essentiellement pour le Liban (45 000) et la Jordanie (18 000), mais aussi en nombre croissant (environ 50 000) pour des destinations tierces telles que la Turquie et l’Europe.
Plongés dans des situations de pauvreté et de précarité extrêmes, les Palestiniens venus de Syrie sont tributaires des communautés palestiniennes du Liban et de l’assistance de l’UNRWA. On estime que 98 % d’entre eux sont entièrement dépendants de l’aide financière de l’UNRWA. Leur taux de pauvreté dépasserait 90 %, et moins de 60 % des enfants seraient scolarisés. Les Palestiniens venus de Syrie se heurtent en particulier à des difficultés de logement en raison du niveau prohibitif des loyers.
Leur vulnérabilité est également liée à des problématiques de protection. Leur entrée est devenue en principe impossible au Liban depuis mai 2014 – avant même l’extension de l’obligation de visa (34). Comme tous les réfugiés syriens, ceux d’origine palestinienne se heurtent à de très importantes difficultés de régularisation de leur séjour et d’enregistrement auprès de l’état-civil, en raison du durcissement général de la réglementation. Il y aurait un nombre croissant d’enfants sans statut légal, parce que dépourvus d’actes de naissance.
b. Des difficultés aggravées par la crise financière structurelle de l’UNRWA
Les réfugiés palestiniens dépendant très largement de l’UNRWA, sa contribution à la stabilité du Liban est majeure. Elle est pourtant menacée par une crise financière structurelle qui pousse à réduire les aides.
i. Des difficultés chroniques de financement conduisant à une réduction des aides
L’UNRWA dépend presque exclusivement de contributions volontaires pour financer son budget général et ses appels à projet. Son sous-financement structurel ne résulte pas d’une diminution des contributions, mais de l’augmentation des besoins, notamment dans le contexte de la crise syrienne. Les financements ne parviennent pas à suivre l’augmentation des dépenses que l’Office doit prendre en charge.
Courant 2015, l’UNRWA enregistrait ainsi un déficit de plus de 100 millions de dollars au titre de son budget général (35). Ce déficit a finalement pu être comblé avant la fin de l’année, grâce à la mobilisation de dons exceptionnels, et la rentrée des classes 2015-2016, un temps menacée, a eu lieu. Néanmoins, d’importantes mesures d’austérité ont dû être adoptées, reposant sur une réduction des frais de fonctionnement mais aussi de certaines aides aux réfugiés palestiniens. Et le problème chronique de financement n’est pas réglé. En mai 2016, le déficit était estimé à 81 millions de dollars.
Ce contexte financier très difficile a un impact direct sur l’activité de l’UNRWA au Liban. Les difficultés budgétaires conduisent de manière générale à réduire les aides et à les concentrer sur moins de bénéficiaires. En 2015, il avait notamment fallu suspendre l’aide financière versée aux Palestiniens venus de Syrie pour le paiement des loyers. En 2016, l’UNRWA doit de nouveau réduire son soutien aux réfugiés palestiniens. L’Office a dû modifier son aide pour le financement des frais d’hospitalisation, en mettant en place un système de partage des coûts.
De telles mesures alimentent les craintes pour l’avenir. Dans l’ensemble de la région, les dépenses moyennes par réfugié palestinien sont déjà passées de 200 dollars en 1975 à environ 110 dollars. Au-delà des contributions exceptionnelles qui permettent de combler en cours d’exercice le déficit structurel, l’UNRWA aurait besoin de financements plus prévisibles et plus durables, reposant sur des engagements pluriannuels (36). Plus de 65 ans après la création de l’UNRWA, la mission estime qu’il serait temps de passer d’une logique d’urgence à un soutien de long terme et renforcé. C’est une nécessité particulière au Liban, où l’UNRWA joue un important rôle de stabilisateur par son aide aux réfugiés palestiniens.
ii. Des risques de dégradation de la situation dans les camps palestiniens
Les mesures annoncées par l’UNRWA, notamment la révision de sa politique en matière d’hospitalisation, ont déclenché au début de l’année de graves tensions dans la plupart des camps palestiniens, en particulier celui d’Aïn El-Héloué (37). Des manifestations ont eu tendance à dégénérer, conduisant à la fermeture de certaines installations de l’UNRWA, dont les opérations ont dû être interrompues lors de grèves générales sporadiques.
Ces incidents ne montrent pas seulement le degré de dépendance des réfugiés palestiniens à l’égard de l’UNRWA et les troubles dont pourrait s’accompagner une réduction encore plus marquée de son assistance. Au-delà, la perception d’une disparition progressive de l’UNRWA s’installe chez les Palestiniens, qui craignent d’être abandonnés dans une situation sans issue pour eux.
On peut s’inquiéter en particulier des effets potentiels sur la jeunesse palestinienne. Nombreuse, désœuvrée et s’estimant sans perspective au Liban, elle est déjà exposée à une radicalisation qui est entretenue par des mouvements extrémistes au sein des camps et par un fossé grandissant avec les figures traditionnelles de l’autorité.
Malgré des flambées récurrentes de violence, on peut estimer que la situation reste encore globalement sous contrôle dans les camps grâce au rôle joué par les factions palestiniennes. La situation est néanmoins explosive (38). Les coupes budgétaires de l’UNRWA risquent de poser un problème majeur en aggravant les difficultés socio-économiques et le sentiment d’impasse.
D. UNE SITUATION ÉCONOMIQUE, FINANCIÈRE ET SOCIALE QUI CONTINUE À SE DÉGRADER
Le déclenchement de la crise syrienne s’est traduit au Liban par une dégradation de la plupart des indicateurs. Si l’économie a malgré tout continué à fonctionner dans un premier temps, la conjoncture est aujourd’hui sensiblement plus morose. La croissance s'approchant désormais de zéro, un nouveau palier a été franchi.
Dans le même temps, les principales difficultés structurelles demeurent, en particulier un niveau de chômage et un taux de pauvreté élevés, ainsi que des infrastructures et des services publics de base défaillants.
Il en résulte un fort malaise social, dont témoigne le mouvement populaire de l’été dernier. Jusqu’à présent, la principale traduction reste néanmoins une expatriation de masse.
1. Alors que l’économie libanaise était déjà très affectée depuis 2011, la conjoncture est aujourd’hui sensiblement plus morose
L’année 2011 a marqué une véritable rupture. La croissance du PIB a été divisée au moins par quatre. Si le Liban a très vite beaucoup souffert de la crise syrienne, la situation est encore plus difficile depuis 2015.
a. L’impact de la crise syrienne : malgré des répercussions économiques majeures, le Liban a tenu le choc jusqu’à présent
Entre 2007 et 2010, l'économie libanaise avait enregistré une croissance moyenne du PIB supérieure à 9 %, à contre-courant des turbulences de l'économie mondiale. Le Liban était alors porté par la reconstruction consécutive à la guerre de l'été 2006. Cette dynamique s’est subitement brisée en 2011. Le taux de croissance a chuté à 0,9 % et les flux touristiques et financiers en provenance du Golfe ont diminué à la fois sensiblement et brutalement. Malgré une remontée en 2012, la croissance n’a pas dépassé 2 % en moyenne entre 2011 et 2014.
Ce décrochage s’explique principalement par l'impact de la crise en Syrie et, à un degré moindre, par celui de la chute du gouvernement de Saad Hariri au début de l’année 2011 – au profit d’un gouvernement dirigé par le 8 mars, favorable à l'axe irano-syrien.
i. Les répercussions économiques de la crise syrienne
Selon la Banque mondiale, la crise en Syrie se traduisait à la fin de l’année 2014 par des pertes économiques cumulées de 7,5 milliards de dollars pour le Liban, principalement en raison de l’insécurité et des incertitudes qui affectent les décisions des investisseurs et des consommateurs.
Les effets sur les échanges commerciaux sont plus nuancés. Ils se sont significativement réduits dans un premier temps, notamment en ce qui concerne les produits alimentaires et les biens de consommation. Outre le fait que la Syrie est un partenaire commercial, une partie importante des exportations libanaises transite par ce pays. Si certains exportateurs libanais ont souffert d’une réduction de la demande sur le marché syrien, d’autres acteurs auraient en revanche commencé à y exporter compte tenu de la baisse de la production syrienne. Les entreprises libanaises se sont progressivement adaptées au choc, voire ont trouvé, pour certaines d’entre elles, des moyens d’en tirer avantage (39).
Les mauvaises performances de l’économie libanaise depuis 2011 s’expliquent aussi par sa forte dépendance aux secteurs de l’immobilier et du tourisme, eux-mêmes très sensibles aux chocs sécuritaires et politiques. Tout d’abord, le tourisme n'est plus que l'ombre de lui-même. Si la situation n'est pas comparable à celle de l'Egypte après la révolution de 2011 ou à celle de la Tunisie, le nombre de touristes a tout de même été divisé par près de deux entre 2010 et 2013, passant de 2,2 millions à 1,3 million. Les touristes du Golfe ont notamment été dissuadés de se rendre au Liban. Ensuite, l'immobilier se trouve dans un état stationnaire. Tous les indicateurs sont en recul : le nombre des nouveaux permis de construire, la superficie qu'ils couvrent, le montant des transactions ou encore les livraisons de ciment.
Dans un premier temps, l’afflux de réfugiés syriens a pu s’accompagner d’effets positifs sur le plan économique, notamment du fait de l’augmentation de la demande. Elle a partiellement compensé la baisse de la consommation privée, mais la grande masse des réfugiés est de plus en plus appauvrie et endettée à mesure que leur présence se prolonge sur le territoire libanais. Si une partie des réfugiés syriens peut constituer une main d’œuvre bon marché pour certains secteurs de l’économie libanaise, comme l’agriculture et le bâtiment, il en résulte des effets d’éviction sur le marché du travail. Par ailleurs, on l’a dit également, la présence massive de réfugiés fait peser une charge importante sur les services publics de base, déjà très déficients avant 2011 – eau, électricité, système de santé, éducation, réseau routier…
Les mauvaises performances économiques ont réduit les recettes publiques, tandis que les dépenses augmentaient, notamment du fait de la charge supplémentaire des réfugiés. Le coût budgétaire du conflit syrien a été évalué par la Banque mondiale à 2,6 milliards de dollars à la fin de l’année 2014 – 1,5 milliard de dollars de rentrées fiscales en moins et 1,1 milliard de dollars de dépenses supplémentaires. Les moindres recettes fiscales, la réduction de la croissance du PIB et l’augmentation des primes de risque en raison du conflit syrien ont fait repartir à la hausse le ratio dette/PIB dès 2012.
ii. Les facteurs de résilience
Si la crise syrienne a fortement ralenti l’économie libanaise, celle-ci ne s’est pas effondrée pour autant. Le Liban a toujours fait preuve d’une forte résilience économique. C’est probablement le pays qui se reconstruit le plus vite après un conflit, qu’il s'agisse de la guerre civile de 1975-1990 ou, dans des proportions moindres, de la guerre de 2006. L’économie libanaise présente aussi de remarquables capacités de résistance à la dégradation de son environnement immédiat.
L’habitude des acteurs économiques libanais aux chocs sécuritaires et politiques peut être un facteur général d’explication. Depuis la fin de la guerre civile, le pays a subi plusieurs chocs qui ont affecté l’économie de manière significative. On peut citer l’intervention militaire israélienne de 1996, les vives inquiétudes suscitées par la montée de la dette publique en lien avec la reconstruction du pays, l’assassinat de Rafic Hariri en février 2005, puis le conflit de l’été 2006 avec Israël. Bien que les répercussions aient été sévères, le cadre macro-économique ne s’est pas effondré.
Plusieurs facteurs plus spécifiques de résilience aident le Liban à traverser les périodes d’adversité dans de meilleures conditions que d’autres pays.
- Son capital humain est relativement élevé par rapport aux pays de la région ou d’un niveau similaire de développement. Le rapport 2013 de la Banque mondiale sur le développement humain classait le Liban à la 65e place, sur 187 pays. Le Liban se distingue notamment par la qualité de l’éducation, surtout grâce à un niveau élevé de dépenses privées.
- A cela s’ajoutent l’importance de la diaspora et sa confiance dans le système, comme le montre le maintien de flux financiers positifs vers le Liban. Les remises de fonds représentent plus de 17 % du PIB. Cette source importante et stable de financement a notamment pour effet de soutenir la balance des paiements et les finances publiques. Une partie des besoins de financement externe sont couverts par les dépôts bancaires des Libanais expatriés. Les remises de fonds sont aussi une des clefs de la croissance de l’activité bancaire et elles contribuent à maintenir à flot le secteur immobilier.
- Le Liban peut compter sur le soutien de la communauté internationale quand il affronte des circonstances particulièrement critiques. Les conférences de Paris I, II et III (2001, 2002 et 2007) ont ainsi aidé le pays à tenir le choc en mobilisant une aide financière importante. Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné que la communauté internationale viendrait très probablement au secours du Liban dans l’hypothèse où une crise financière majeure l’affecterait.
- En dépit d’un environnement complexe, le secteur privé est très dynamique au Liban. La tradition marchande et l’ouverture internationale remontent au moins à l’époque des Phéniciens. La valorisation de l’entreprenariat et du rôle du marché appartient à la culture libanaise. Fait notable, les acteurs économiques se projettent déjà dans l’après-guerre en Syrie, alors qu’une issue est encore loin de se dessiner.
- Le secteur bancaire reste solide et attractif. Véritable colonne vertébrale de l’activité économique, il est à la fois très développé, rentable et bien supervisé par la Banque du Liban. Selon des éléments transmis par la Direction générale du Trésor, le secteur bancaire est à la fois suffisamment capitalisé, avec un ratio moyen de solvabilité de 14 % fin 2014, et suffisamment liquide – le ratio prêts/dépôts étant de 39 % à la même période. Même si elle diminue tendanciellement, la rentabilité du secteur bancaire peut être considérée comme satisfaisante. Enfin, la qualité des actifs bancaires s’est sensiblement améliorée. Le montant des créances douteuses a été ramené de plus de 10 % des prêts bruts avant la crise de l’année 2008 à un peu plus de 4 %, grâce aux prescriptions de la Banque du Liban et à la diffusion des « bonnes pratiques ».
b. Une croissance qui tend désormais vers zéro
Malgré ces facteurs de résilience, la situation économique du Liban s’est sensiblement dégradée en 2015. Pour la première fois depuis le déclenchement de la crise en Syrie, le Liban a connu une année quasiment « blanche ». Le taux de croissance a été nul ou presque nul, alors qu’il était encore de 2,5 % en 2013. L'atonie des secteurs clefs de l'économie libanaise obère toute perspective de rebond à court terme.
Selon des éléments communiqués par la Direction générale du Trésor, le secteur touristique a connu une certaine reprise en 2015, mais cela n’a pas permis de compenser le marasme croissant du secteur immobilier et le ralentissement progressif de l’activité bancaire. La situation des comptes publics et l’absence de toute visibilité sur l’évolution du contexte interne comme sur celle de l’environnement régional ont par ailleurs affecté négativement les décisions d’investissement.
- Le secteur du tourisme, qui avait touché un « point bas » en 2014, a connu une reprise relative, qui ne compense pas les pertes enregistrées au cours des années précédentes. Le nombre de touristes a augmenté de 12 % en 2015 et le coefficient d’occupation des hôtels (4 et 5 étoiles) à Beyrouth est passé de 52 % à 56 %.
- La situation du secteur immobilier reste atone, sinon inquiétante. Le nombre et la valeur des transactions immobilières ont diminué d’un peu plus de 10 %, tandis que le nombre des nouveaux permis de construire et leur superficie connaissaient une évolution similaire.
- Par ailleurs, l'activité et la rentabilité du système bancaire ont tendance à s'essouffler. La croissance des dépôts bancaires des résidents a été ramenée de 6,5 % à 5,1 % d’octobre 2014 à octobre 2015, et celle des dépôts des non-résidents de 12,6 % à 4,4 %. La croissance des prêts au secteur privé est passée de 8,5 % à 6,1 %, ce qui témoigne aussi du ralentissement de l'activité bancaire.
c. Des déficits « jumeaux » significatifs et une dette publique, déjà massive, qui repart à la hausse
La baisse du prix du baril de pétrole représente un « ballon d’oxygène » significatif pour le Liban. Elle permet de réduire dans des proportions importantes le montant des importations d’hydrocarbures et celui des transferts budgétaires de l’Etat à Electricité du Liban (EdL). L’évolution du prix du pétrole était donc de nature à réduire quasi-mécaniquement les « déficits jumeaux ». Ils ont pour autant connu une augmentation sensible en 2015.
- Estimé à 8,9 % en 2015, le déficit public est reparti à la hausse, alors qu’il avait diminué facialement en 2014 – une partie des recettes qui auraient dû être transférées aux municipalités ne l'ont pas été et les arriérés de paiement de l'Etat ont significativement augmenté.
Dans ce contexte, la dette publique reprend sa trajectoire ascendante, alors qu'elle avait pu être ramenée de 185 % à 130 % du PIB entre 2006 et 2012 grâce à une forte croissance. La dette publique a augmenté de presque 6 points entre 2014 et 2015 et pourrait avoisiner 143 % du PIB en 2016.
Le montant des intérêts payés au titre de la dette est passé de 30 % à 33 % des dépenses publiques. Ces dernières connaissent donc une très forte rigidité et les marges d'investissement se réduisent (40). Le service de la dette, les dépenses de personnel et les transferts à EdL absorbent en effet l’essentiel des recettes.
S'agissant du Liban, un tel niveau de dette publique n’est pas nécessairement inquiétant en soi. Ce pays se situe depuis déjà longtemps au-delà du niveau jugé insoutenable, selon les critères habituels du FMI, sans avoir jamais été coupé des marchés financiers. Cela témoigne de la confiance dont le Liban continue à bénéficier. Il faut également souligner que les banques domestiques sont les premiers détenteurs de la dette publique, sous forme de bons du Trésor émis par le ministère des finances ou de certificats de dépôt de la Banque centrale. Selon la Banque mondiale, les institutions financières domestiques et la Banque du Liban détiendraient 80 % de la dette publique.
Cette situation peut être interprétée comme un gage de stabilité, mais elle crée aussi un risque d'éviction au détriment du secteur privé, le système bancaire contribuant davantage au financement de l'Etat qu'à celui de l'économie. Plus le temps passe, par ailleurs, plus un couplage s'instaure entre le risque souverain et le risque de contrepartie bancaire. L'exposition brute des banques commerciales au risque souverain oscille entre 35 % et 40 % de leur actif brut. Leur exposition souveraine est plus de quatre fois supérieure à leurs fonds propres. Elle était proche de 130 % du PIB à la fin de l'année 2014. Une défaillance, même limitée, de l'Etat ne manquerait pas d'avoir un impact direct et immédiat. Le risque systémique paraît donc important.
- S'agissant des comptes extérieurs, le déficit de la balance commerciale a été ramené de 17,2 milliards de dollars en 2014 à 15,1 milliards en 2015, tandis que le déficit de la balance courante s'est stabilisé, autour de 12 milliards de dollars. En revanche, la balance des paiements s'est sensiblement dégradée. Son déficit a plus que doublé en 2015, passant de 1,41 milliard de dollars à 3,35 milliards (41). Toutes les agences de notation ont placé le Liban sous « perspective négative » au cours de l'année 2015 et le spread associé au CDS à 5 ans est orienté à la hausse.
Le déficit courant libanais, qui n'est pas né de la crise syrienne, est structurellement lié à l'écart entre une production domestique limitée et les besoins de consommation caractéristiques d'une population croissante et d'un niveau de vie relativement élevé (11 000 dollars par habitant – et bien davantage dans la région de Beyrouth). L'année 2011 a toutefois marqué une rupture. Le solde courant est passé de -6 milliards de dollars en 2011 à environ -13 milliards de dollars en 2014 et 2015.
La baisse du prix du baril de pétrole a permis d'enrayer temporairement cette dégradation des comptes extérieurs, les hydrocarbures représentant près du quart des importations libanaises, mais l'évolution à venir de la balance des paiements mérite une attention particulière. Il ne faut pas exclure a priori que le contexte politique et sécuritaire finisse par peser sur les transferts de la diaspora – 17 % du PIB, soit l'un des ratios les plus élevés au monde – et sur les investissements directs étrangers – 6 % du PIB en 2015 –, deux flux qui sont indispensables à la stabilité financière du Liban.
La situation n'en reste pas moins gérable à ce stade. La parité entre la livre libanaise et le dollar n'a été ni fragilisée ni attaquée. Le taux de « dollarisation » des dépôts bancaires a plutôt diminué en 2015. Selon les chiffres publiés par la Banque du Liban, il est passé de 65,71 % à 64,88 % entre fin décembre 2014 et fin décembre 2015. Les avoirs extérieurs de la Banque du Liban, calculés en termes bruts et hors réserves en or, s'établissaient à environ 37 milliards de dollars à la fin de l'année 2015, soit un peu plus de 15 mois d'importations de biens et de services. Ce montant peut être considéré comme confortable, bien qu'il ait diminué pour la première fois depuis longtemps.
2. Des défis structurels qui demeurent sans réponse
Les difficultés économiques, budgétaires et financières qui viennent d'être présentées se doublent de problèmes structurels de chômage de masse, de persistance de la pauvreté et de défaillance des services publics de base, qui handicapent lourdement le Liban et demeurent sans réponse. De même, l'opportunité que représentent l'exploration et l'exploitation des ressources offshore en hydrocarbures n'a toujours pas pu être saisie au Liban, à la différence de ses voisins.
a. Le poids des conflits, de la gouvernance confessionnelle et de la paralysie institutionnelle et politique
Dans un récent « Diagnostic systématique du pays », la Banque mondiale estime que deux contraintes seraient principalement à l'origine des difficultés du Liban à remédier à ses problèmes structurels : d'une part, les conflits et la violence, dont les répercussions de la crise en Syrie constituent le dernier exemple en date ; d'autre part, la gouvernance à caractère confessionnel (42).
Ces contraintes ont un impact très lourd : la guerre civile de 1975-1990 a réduit de moitié la taille de l'économie et dévasté les infrastructures ; le conflit de 2006 avec Israël a provoqué des dégâts directs de 2,8 milliards de dollars ; le conflit syrien aurait coûté 7,5 milliards de dollars en pertes de production et creusé le déficit budgétaire de 2,6 milliards de dollars entre 2012 et 2014. Par ailleurs, le coût économique de la « gouvernance confessionnelle » est estimé à 9 % du PIB chaque année.
Sur ce dernier point, plusieurs phénomènes se conjuguent. D'abord, le rapport précité de la Banque mondiale met l'accent sur l'accaparement des ressources par les élites confessionnelles, en soulignant que les activités illégales restent impunies lorsque leurs auteurs peuvent se prévaloir de liens confessionnels ou politiques, ce qui favorise la mise en coupe réglée de l'économie, le népotisme, la corruption et le contournement des lois. Ensuite, l'Etat a été miné de l'intérieur au nom des intérêts et des équilibres communautaires, systématiquement préférés à une gouvernance efficace. Le principal enjeu étant de trouver un consensus et de négocier un partage des ressources entre les groupes confessionnels, il n'y a pas de véritable politique économique, hormis celle qui est mise en œuvre par la Banque du Liban (43), ni de politiques sociale et de développement significatives.
A cela s'ajoute la paralysie institutionnelle et politique actuelle, qui ne permet pas de définir et de mettre en œuvre de véritables politiques publiques. Comme le soulignait en 2015 le FMI, à l’issue de ses consultations bilatérales annuelles, cela empêche de mener des réformes nécessaires pour contenir la dégradation des finances publiques et pour remédier à celle, continue, des infrastructures du pays, en particulier dans le secteur de l’électricité.
D'autres contraintes, largement répandues au plan international, viennent s'imbriquer dans ces difficultés qui pèsent plus spécifiquement sur le Liban : l'instabilité macro-économique ; un environnement des affaires difficile ; des investissements insuffisants dans les infrastructures ; des formations et des compétences mal adaptées aux besoins du marché du travail ; des institutions et un cadre réglementaire faibles.
Si l'on peut parler d'imbrication, c'est que les conflits et la gouvernance confessionnelle renforcent directement ces contraintes et rendent aussi plus difficiles les politiques qui permettraient de les atténuer. La gouvernance confessionnelle a notamment des conséquences négatives directes en matière d'éducation, d'infrastructures et de climat des affaires, tout en faisant obstacle à des politiques publiques conçues et mises en œuvre dans l'intérêt général.
b. Un développement trop peu inclusif
Depuis la fin de la guerre civile, le Liban peine à générer une croissance et un développement suffisamment partagés. Le taux de chômage reste élevé, de même que l'incidence de la pauvreté. Les disparités géographiques demeurent également très prononcées.
i. Des créations d'emploi insuffisantes
Le taux de chômage était évalué à 11 % en 2011. Bien qu'aucune donnée ne soit disponible depuis cette date, la situation s’est probablement dégradée de manière sensible du fait de la crise syrienne. Selon les autorités libanaises, le taux de chômage aurait doublé depuis 2011 et un tiers des jeunes serait affecté.
Hors impact de la crise en Syrie, le niveau élevé du chômage reflète surtout des créations d'emploi insuffisantes. De 2005 à 2009, le Liban n'a créé qu'un emploi pour six nouveaux entrants sur le marché du travail. Le marché immobilier, le secteur de la construction, la finance et le tourisme, qui sont les principaux moteurs de l'activité économique, créent en effet peu d'emplois ou des emplois peu qualifiés qui attirent surtout une main d'œuvre étrangère. De 1997 à 2009, alors que le taux de croissance du PIB s'élevait en moyenne à 4,4 % par an, l'emploi n'a ainsi augmenté que de 1,1 % par an.
Source : Banque mondiale
Le dysfonctionnement du marché du travail a des conséquences profondes sur le tissu social et démographique du pays. L’activité économique ne créant pas d’emplois permettant de répondre aux besoins de la population, de nombreux Libanais sont poussés à l’expatriation, en particulier des jeunes diplômés. Les travailleurs qualifiés se tournent souvent vers l'étranger, notamment les pays du Golfe, tandis que les emplois non qualifiés au Liban sont surtout occupés par des étrangers.
ii. Un niveau de pauvreté qui ne se réduit pas
Selon la Banque mondiale, l’incidence de la pauvreté est restée élevée et globalement inchangée depuis la fin de la guerre civile (44). La part de la population vivant sous le seuil d’extrême pauvreté oscille entre 7,5 % et 10 %, tandis que près de 30 % des Libanais continuent à vivre sous le seuil national de pauvreté. Même la croissance très élevée des années 2007-2010 n’y a rien changé. Aujourd’hui, avec les répercussions du conflit syrien, en particulier l’afflux massif de réfugiés, il est probable que la situation se soit assez significativement dégradée. Selon le FMI, le taux de pauvreté serait passé de 28 à 32 % de la population depuis 2014.
Bien que la majorité de la population pauvre vive dans des zones urbaines – le taux d’urbanisation est de 88 % au Liban –, la pauvreté est particulièrement aiguë dans les zones rurales et les foyers agricoles. Plus de 20 % de ces foyers vivent sous le seuil d’extrême pauvreté. La taille très réduite des propriétés agricoles en serait l’explication principale : 90 % des fermes correspondent à une superficie comprise entre 0,1 et 4 hectares, la moyenne étant inférieure à 1,5 hectare.
Au-delà de ce que ces indicateurs permettent d’appréhender des conditions de vie, une partie plus importante encore de la population libanaise souffre des « dimensions non monétaires » de la pauvreté, c’est-à-dire de niveaux insuffisants d’éducation, de santé et d’accès aux infrastructures de base. Bien que le Liban fasse partie des pays à revenu intermédiaire supérieur, avec 10 030 dollars courants par habitant ou 17 590 dollars en parité de pouvoir d’achat en 2014, la faiblesse des institutions ne permet pas de fournir des services publics d’une qualité suffisante. Seule une partie de la population a les moyens de compenser grâce à la consommation de biens et services privés.
iii. Des infrastructures et des services publics largement défaillants
La faiblesse des infrastructures libanaises est particulièrement prononcée en matière d’électricité, d’eau, de gestion des déchets et de transports. Il en est de même pour d’autres services publics tels que l’éducation et la santé.
Comment en est-on arrivé là ? Les infrastructures ont souffert des destructions causées par les conflits successifs, en particulier la guerre civile de 1975-1990 et la guerre de 2006 avec Israël. Mais les logiques confessionnelles font également obstacle à la définition et à la mise en œuvre d'une stratégie rationnelle de développement, qui devrait notamment porter sur la remise à niveau des infrastructures. L'allocation des ressources et des investissements publics, dont on a dit à quel point ils étaient limités, reste guidée par la prise en compte de quotas confessionnels et par des considérations de géographie électorale, plus que par la réalité des besoins. Le tableau ci-dessous en témoigne.
Source : Banque mondiale, « Lebanon : Promoting Poverty Reduction and Shared Prosperity, A Systematic Country Diagnostic », juin 2015.
Le Liban n’a pourtant pas manqué de financements extérieurs. Lors de son audition, M. Charbel Nahas a estimé que 170 milliards de dollars ont été transférés dans ce pays entre 1993 et 2014, soit à peu près l’ensemble du plan Marshall de l’après-guerre. Pour M. Nahas, l’essentiel a servi à financer le déficit de la balance commerciale, le reste demeurant dans le système financier libanais.
La distribution de l’électricité offre l’une des illustrations les plus parlantes de l’état des infrastructures au Liban. Les pannes de courant seraient en moyenne de 2 à 4 heures par jour à Beyrouth, de 11 heures au Mont-Liban et de 17 heures dans la Bekaa. Les particuliers et les entreprises se tournent donc massivement vers des générateurs privés, avec un différentiel de prix allant jusqu’à trois, ce qui conduit à multiplier les factures. Le secteur de l’électricité souffre de multiples difficultés, en particulier une gouvernance défaillante, des problèmes de maintenance et un manque d’investissement dans de nouvelles capacités. Alors que le pic de consommation était estimé en 2013 à 3 195 MW, les capacités de production installées se limitaient à 2 019 MW, soit 63 % des besoins (45).
Le secteur de l’électricité est pourtant largement subventionné. En 2013, les transferts à Electricité du Liban (EdL) représentaient 4,5 % du PIB. Les tarifs sont en effet restés inchangés depuis 1996, époque où le prix du baril de pétrole était d’environ 23 dollars. A cela s’ajoutent les effets des pertes techniques du réseau de distribution, estimées à 15 %, et des « pertes non techniques » – connexions illégales ou factures impayées –, qui seraient de 30 %.
Une solution rationnelle consisterait à renforcer l’offre avant de réviser les tarifs. Il ne devrait guère en résulter de problèmes majeurs au plan social, car l’augmentation des capacités de production d’EdL permettrait à ses clients de réduire le recours aux coûteux générateurs privés. La facture totale pourrait ainsi se réduire. On se heurte toutefois à de nombreuses difficultés : des crédits avaient certes été prévus dans le cadre de la conférence de « Paris III », mais ils ont été annulés faute d’avoir été utilisés ; le lobby des générateurs s’appuie sur de puissants relais politiques ; une loi sur les partenariats public-privé, depuis longtemps en préparation, n’a toujours pas été adoptée en Conseil des ministres et encore moins au Parlement.
Dans le domaine de l’eau, le Liban est loin d’être le pays le plus défavorisé de la région. Compte tenu de sa pluviométrie, de ses montagnes enneigées l’hiver et du nombre de sources et de cours d’eau, il est d’ailleurs surnommé le « château d’eau » du Moyen-Orient. Mais ce potentiel hydrique reste insuffisamment exploité. Les capacités de stockage sont très faibles (46), les réseaux d’eau sont largement déficients et le secteur agricole absorbe l’essentiel de la consommation. L’eau n’est distribuée que de manière intermittente et sa qualité discutable conduit la majorité de la population à se tourner vers d’autres solutions que le réseau de distribution public – achat d’eau en bouteille, recours à des camions citernes, installation de réservoirs, forages privés ou puits artésiens, utilisation de bornes fontaines ou d’eau de source.
En ce qui concerne la qualité du réseau routier, le Liban n’est classé qu’au 120e rang par le Forum économique mondial, sur un total de 144 pays étudiés. Le réseau est certes assez développé, mais globalement déficient. Seuls 15 % des routes seraient en bon état, contre 60 % en Jordanie (47). La mauvaise qualité des transports ne freine pas seulement le développement du secteur privé, mais réduit aussi les possibilités d’accès aux régions les moins développées du pays.
Le système éducatif se caractérise par une forte segmentation et des performances inégales selon le type d’écoles. Le secteur public, bien que gratuit, ne scolarise que 31 % des élèves, le reste se tournant vers des écoles privées mais gratuites, subventionnées par l’Etat et souvent à caractère confessionnel (13 %), vers d’autres écoles privées (53 %) ou vers celles de l’UNRWA, destinées aux réfugiés palestiniens. La préférence pour le secteur privé est clairement liée à la faible qualité des écoles publiques et le système scolaire tend à reproduire les inégalités sociales. Les populations défavorisées fréquentent les écoles publiques, moins performantes, alors que les plus riches scolarisent leurs enfants dans des écoles privées de meilleure qualité.
Dans le domaine de la santé, la situation s’est nettement améliorée depuis la fin de la guerre civile et les résultats sont meilleurs au Liban que dans les autres pays de la région (48). Il existe néanmoins d’importantes disparités régionales, notamment en défaveur de la Bekaa et du Nord-Liban. Les inégalités en termes d’accès et de qualité des soins sont également très prononcées en fonction du revenu. Le système de santé libanais est à deux vitesses, avec un secteur privé prédominant (49) et généralement de meilleure qualité. Seule la moitié des Libanais dispose d’une couverture sociale, publique (pour les fonctionnaires et les militaires) ou privée. Les dépenses privées représentent 74,5 % des dépenses totales de santé et les paiements directement à la charge des patients s’élèvent à 37,4 % du total (50).
iv. D’importantes disparités régionales
Le niveau des inégalités géographiques témoigne aussi du caractère insuffisamment inclusif du développement au Liban. Les écarts restent très prononcés en matière d’activité économique, de taux de chômage, de pauvreté et de qualité des services publics et des infrastructures.
En termes de revenu par habitant et de pauvreté, trois groupes de régions se dessinent. D’abord, Beyrouth, où le revenu est supérieur de 56 % à la moyenne nationale et où le taux de pauvreté est limité à 6 %. Ensuite, deux régions intermédiaires : le Mont-Liban (revenu supérieur de 10 % à la moyenne et taux de pauvreté égal à 20 %) et Nabatiyeh (revenu plus élevé de 4 % et taux de pauvreté de 20 %). Enfin, trois régions en difficulté : la Bekaa (revenu inférieur de 10 % à la moyenne et taux de pauvreté de 29 %), le Sud-Liban (revenu inférieur de 20 % et taux de pauvreté de 42 %) et le Nord (revenu inférieur de 32 % et taux de pauvreté de 53 %). On estime que 38 % de la population pauvre du pays est concentrée dans le Nord – et même 46 % de ceux qui vivent sous le seuil d’extrême pauvreté.
Le taux de participation au marché du travail est également plus faible dans le Nord, et dans une moindre mesure au Sud-Liban et à Nabatiyeh. Il n’était que de 38 % dans le Nord au début des années 2010, contre 48 % en moyenne sur l’ensemble du territoire. C’est en revanche au Sud-Liban et à Nabatiyeh que le chômage était le plus élevé, avec respectivement des taux de 19 % et 17 %, contre 11 % en moyenne.
Ces écarts peuvent en partie s’expliquer par les disparités régionales en matière d’infrastructures et de services publics, qui n’affectent pas seulement les conditions de vie mais aussi le développement économique. Le Nord et la Bekaa étaient déjà les régions les moins bien desservies avant le déclenchement de la crise syrienne. Le fait que les réfugiés syriens y soient majoritairement concentrés n’a pu qu’accentuer les déséquilibres.
En matière d’activité économique, le Liban se caractérise par un fort contraste entre l’agglomération de Beyrouth et les zones périphériques. La différence la plus significative concerne la répartition des entreprises de plus de 20 salariés. Cette économie, orientée vers le marché national et sous-régional, est presque exclusivement concentrée entre Beyrouth et Jounieh. En dehors de cette zone, les entreprises sont de très petite taille et uniquement tournées vers le marché local. En termes de structure de production, l’économie de l’agglomération beyrouthine est plus complexe et plus orientée vers les services, en particulier les services financiers et ceux aux entreprises. La banlieue de Beyrouth accueille aussi un secteur industriel relativement puissant. Les régions périphériques telles que la Bekaa et le Sud-Liban se distinguent par des niveaux d’emploi agricole élevés et par un secteur de la construction plus important que la moyenne – ce sont naturellement des activités typiques d’une économie peu développée, recourant à une main d’œuvre faiblement qualifiée.
c. Les ressources offshore en hydrocarbures : une opportunité économique et financière majeure qui reste inexploitée
Les difficultés structurelles du Liban à répondre à ses défis en matière de développement trouvent une illustration particulière dans le blocage de l’exploitation de ses ressources en hydrocarbures.
Plusieurs études récentes, réalisées par des sociétés britanniques, françaises et américaines à partir de données géologiques et sismiques, ont montré que le Liban dispose probablement d'importantes réserves en gaz et en pétrole. Selon les estimations disponibles, les ressources gazières pourraient être comprises entre 12 000 milliards et 25 000 milliards de pieds cubes techniquement récupérables (51), tandis que celles en pétrole pourraient aller de 440 millions à 675 millions de barils.
Les compagnies retenues à l'issue de la phase de préqualification, lancée début 2013, font partie des leaders du secteur (Chevron et Exxon Mobil, Total, Royal Dutch Shell, Eni, Petrobras ou encore Statoil), ce qui témoigne de l'intérêt suscité par la prospection dans les eaux libanaises. Ce dossier reste néanmoins bloqué depuis lors.
i. Un potentiel de développement considérable pour le Liban
Selon certaines estimations, la valeur des réserves en gaz, si elles étaient avérées, pourrait dépasser 160 milliards de dollars, tandis que celle des réserves en pétrole s'élèverait à environ 90 milliards de dollars. Leur exploitation changerait donc la donne économique et financière actuelle au Liban. Il est vrai que l'exploration et le développement des gisements ne permettraient pas de générer immédiatement des revenus supplémentaires, mais il devrait tout de même en résulter rapidement des créations d'emploi et davantage de croissance.
A terme, les bénéfices potentiels seraient multiples. Outre l'augmentation du PIB, les recettes engrangées – redevance d'exploitation, prélèvement d’une part des revenus de production et impôt sur les sociétés – permettraient d'améliorer significativement la situation des finances publiques. Des marges budgétaires pourraient être dégagées pour remettre à niveau les infrastructures du pays. En devenant un pays producteur de gaz, le Liban pourrait aussi alimenter ses propres centrales électriques, ce qui réduirait ses importations.
Enfin, l'exploitation d'importantes ressources en hydrocarbures pourrait constituer un facteur de stabilité pour le pays, à l'image de la rente géopolitique dont bénéficient les pays du Golfe. On peut penser que les investissements réalisés par des compagnies pétrolières étrangères conduiraient un certain nombre de pays de premier plan à s'intéresser davantage au Liban et à s'investir dans sa stabilité.
L'exploitation des ressources en hydrocarbures pourrait néanmoins s’accompagner de défis majeurs. Il existe de nombreux exemples de pays touchés par la « malédiction des ressources naturelles » ou syndrome hollandais (« dutch disease ») qui se traduit, outre une corrélation empirique entre les dotations en ressources naturelles, en particulier le pétrole, et une plus faible croissance, par une aggravation des déséquilibres économiques, des tensions autour de la captation et de la redistribution de la rente, une déstabilisation des institutions et des risques accrus de conflits. Seuls les pays dotés d'une bonne gouvernance ont réellement tiré parti de telles ressources. Tel qu'il existe aujourd'hui, c'est-à-dire à défaut d'un sursaut collectif que l'on ne voit guère se dessiner, le Liban semble malheureusement assez exposé.
ii. Un dossier au point mort
Malgré les bénéfices potentiels, l'exploration et l'exploitation des ressources en hydrocarbures du Liban continuent à se heurter à plusieurs obstacles.
La procédure d'appel d'offres pour la première attribution de licences d'exploration reste bloquée depuis 2013, deux décrets essentiels n'ayant toujours pas pu être adoptés (52). Le terrain est pourtant en passe d'être occupé une fois pour toutes par Israël, dont le gisement de Tamar est entré en production au mois d'avril 2013, et par Chypre qui est à la fois en phase d'exploration et de développement (53). Par ailleurs, les soumissionnaires potentiels commenceraient à faire preuve de lassitude, voire de scepticisme.
Le blocage chronique, et désormais presque complet, des institutions libanaises est une explication. Les décrets nécessaires seraient prêts, mais n'auraient pas pu être inscrits à l'ordre du jour du Conseil des ministres. Il est néanmoins probable qu'il y ait des divergences sur les arbitrages à rendre, comme toujours au Liban pour le partage des ressources au niveau communautaire.
Un contentieux sur la délimitation de la zone économique exclusive (ZEE), qui s'accompagne de droits souverains pour l'exploitation du sous-sol, s'ajoute à ces difficultés. Des tracés différents ont en effet été retenus en 2011 par le Liban et par Israël dans la délimitation unilatérale de leurs ZEE respectives.
Source : Sibylle Rizk, « Les dessous du nouveau litige frontalier entre le Liban et Israël », Le Commerce du Levant, août 2011.
Le règlement du différend est compliqué par le fait que le Liban et Israël n'entretiennent pas de relations diplomatiques. Il n’y aurait ainsi que des échanges indirects sur le sujet, via des responsables américains. Il faut aussi relever qu'Israël n'est pas partie à la convention de Montego Bay et que le Liban ne reconnaît pas l'Etat d'Israël, ce qui fait obstacle à un recours au Tribunal international du droit de la mer, à la Cour internationale de justice ou à un arbitrage.
La zone contestée ne représenterait toutefois qu'environ 874 km2 sur un total d'environ 22 000 km2 pour la totalité de la ZEE libanaise. Comme plusieurs interlocuteurs de la mission l’ont souligné, l'exploration et le développement des gisements offshore pourraient tout à fait commencer dès à présent, en dehors de la zone litigieuse.
3. Les principales traductions du malaise social
Le manque de perspectives économiques et sociales, conjugué au blocage du développement et à la paralysie générale du pays, continue à pousser une partie importante de la population à émigrer, en particulier les jeunes diplômés. Le mouvement de protestation populaire qui s’est cristallisé à l'été 2015, en réaction à la « crise des déchets », a également témoigné d’un important malaise social. Comme les manifestations de 2011, au moment des « printemps arabes », ce mouvement est toutefois resté sans lendemain. La principale traduction du malaise social reste donc les départs à l’étranger.
a. Des flux d'émigration qui restent significatifs
La présence d’un grand nombre d’expatriés sur tous les continents n'a rien d'un phénomène nouveau au Liban, puisque des flux importants ont commencé dès le milieu du XIXe siècle. Ils restent aujourd'hui significatifs à la fois dans l'absolu et en comparaison d’autres pays de la région. Le taux d'émigration était estimé à 15 % en 2010, contre un peu plus de 10 % au Maroc et environ 5 % en Tunisie et en Egypte.
Ces flux se traduisent au Liban par un creux dans la pyramide des âges chez les 18-45 ans, qui partent pour étudier ou travailler à l’étranger. Une partie des forces vives est donc absente du pays. S’il existe des effets positifs, notamment via les transferts de fonds, la « fuite des cerveaux » est réelle compte tenu du profil des expatriés.
i. Une importante « fuite des cerveaux »
On estime qu'environ 44 % des Libanais ayant bénéficié d'une éducation supérieure émigrent, principalement en raison du manque d'emplois bien payés au Liban et des opportunités à l'étranger, notamment dans les pays du Golfe. A titre de comparaison, le taux d'émigration de cette catégorie de la population serait d’un peu moins de 20 % au Maroc, d'un peu plus de 10 % en Tunisie et de moins de 5 % en Egypte (54).
Il n'y a guère de raisons de penser que ces départs soient compensés par les flux entrants de travailleurs étrangers et par les réfugiés, ces derniers étant généralement peu qualifiés. L'accès des étrangers au marché du travail est d’ailleurs limité dans certains secteurs, notamment les plus qualifiés.
ii. Un soutien massif à l’économie libanaise grâce aux remises de fonds
Si l'on peut difficilement considérer la « fuite des cerveaux » comme un phénomène positif, aussi bien en tant que symptôme qu'en termes de répercussions économiques, les remises de fonds des expatriés apportent un soutien significatif au pays.
- Il faut d'abord souligner l'ampleur et la fréquence de ces transferts.
Ils représentent près de 17 % du PIB, contre environ 8 % en Egypte, 7 % au Maroc, et un peu plus de 5 % en Tunisie. Les flux annuels par migrant s'élèvent à peu près à 8 000 dollars depuis les pays arabes, à 9 000 dollars depuis l'Afrique et à 4 000 dollars en provenance des Etats-Unis et depuis l'Europe.
Environ un quart des émigrants transfèrent régulièrement de l'argent dans leur pays d'origine. Le taux d'envoi régulier d'argent est de 96 % pour ceux dont le conjoint et les enfants sont restés au Liban et de 44 % pour ceux qui y ont leurs parents. Bien que les remises de fonds soient moins élevées pour ceux qui ont quitté le pays il y a plusieurs décennies, les flux restent substantiels. Trente ans après leur départ, environ 15 % des Libanais continuent à envoyer de l'argent régulièrement ou de temps en temps.
- Les remises de fonds de la diaspora contribuent à maintenir à flot l'économie libanaise et tout particulièrement, on l'a dit, le secteur bancaire. Selon la Banque mondiale, le climat général au Liban et le niveau élevé de corruption empêchent toutefois d'exploiter pleinement le potentiel d'investissement des expatriés, souvent assez prospères et très attachés à leur pays.
Il faut également souligner la forte utilisation des transferts de fonds pour des dépenses d'éducation et de santé, ce qui contribue à soutenir le développement humain et à renforcer la qualification des générations suivantes. Environ 39 % des ménages bénéficiant de remises de fonds de l'étranger en dépendent partiellement ou totalement pour leurs dépenses d'enseignement primaire et la proportion s'élève à 46 % pour l'enseignement supérieur. D'une certaine manière, la logique de l'émigration s'auto-entretient, puisque les Libanais passés par l'enseignement supérieur quittent davantage leur pays. La contribution aux dépenses de santé est également significative. On estime que 24 % des ménages bénéficiant de remises de fonds en dépendent pour leurs frais de médicaments.
b. Des mouvements de protestation populaire jusque-là limités
L’expatriation d’un grand nombre de Libanais, en particulier des jeunes et des travailleurs qualifiés, témoigne incontestablement d’un profond malaise dans la société. En revanche, les difficultés et le sentiment d’impasse qui poussent à quitter le pays ne se sont traduits jusqu’à présent que par des mouvements protestataires limités. Ni en 2011, dans le sillage des « printemps arabes », ni à l’été 2015 en pleine « crise des déchets », le « système » n’a vraiment paru en danger. Pour reprendre une terminologie héritée d’Albert Hirschmann, la « défection » (« exit ») l’emporte sur la « prise de parole » (« voice ») (55).
i. 2011 : pas de « printemps arabe » au Liban
Malgré des appels à manifester pour « faire tomber le régime confessionnel et ses symboles » et pour instaurer « une véritable représentation politique », la mobilisation qui a vu le jour début 2011, à Beyrouth et dans les principales villes du pays, n’a eu ni l’ampleur des soulèvements populaires tunisiens et égyptiens, ni celle des manifestations de masse organisées en 2005 pour exiger la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri et réclamer le départ des troupes syriennes.
Plusieurs explications ont été avancées : les clivages communautaires qui divisent la population et limitent les capacités de mobilisation ; le sentiment que rien ne peut changer à cause de l’emprise du système confessionnel et de ses représentants, capables de faire bloc pour empêcher toute remise en cause de leur pouvoir ; la nature du « régime » libanais, qui ne s’incarne pas dans un despote, à l’image de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Egypte ou de Kadhafi en Libye, et ne prend pas non plus la forme d’un autoritarisme sécuritaire comparable à celui de nombreux pays arabes, mais s’apparente plutôt à une sorte d’hydre molle à multiples têtes.
ii. 2015 : une « crise des déchets » sans lendemain
Le mouvement de protestation qui s’est cristallisé lors de la « crise des déchets », à l’été 2015, a marqué une mobilisation sans précédent de la société civile, dans une perspective transconfessionnelle, transpartisane et « transcourants » – dont la mission ne dissimule pas qu’elle lui semblait prometteuse à ce titre.
Ce mouvement est issu d’un sentiment de « ras-le-bol » général, certes déclenché par l’incapacité des pouvoirs publics à gérer le problème des déchets, mais aussi nourri par les coupures d’électricité, les problèmes d’approvisionnement en eau, l’absence de couverture sociale pour une grande partie de la population et l’ampleur de la corruption. Malgré un écho médiatique important, les manifestations n’auraient pourtant pas rassemblé plus de 20 000 ou 50 000 personnes, selon des estimations divergentes, et le mouvement a fini par s’essouffler.
Les différents collectifs se sont divisés, sur l’élargissement immédiat ou non du mouvement à des revendications plus politiques, comme la « refondation » de la République réclamée par le collectif « Nous voulons des comptes », ou encore sur la question de savoir s’il fallait associer ou non la personne du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à la dénonciation des dirigeants politiques libanais (56). La classe politique, après s’être déclarée en symbiose avec les aspirations populaires, a fait bloc. Les affrontements avec la police ont également dégradé l’image des manifestations et le facteur confessionnel est entré en jeu, notamment avec les controverses sur la question des « infiltrés » (57). Comme l’a souligné Mme Leila Seurat devant la mission d’information (58), le mouvement a voulu sortir de la logique confessionnelle, mais il s’est finalement écrasé sur le mur du communautarisme politique.
II. QUELS SCÉNARIOS D'ÉVOLUTION POUR LE LIBAN ?
Depuis le déclenchement de la crise syrienne, le Liban est confronté à une montée des périls extrêmement préoccupante. Si le pays tient bon, il est difficile de ne pas se demander pour combien de temps encore. On pourrait certes penser qu’il existe une sorte de « miracle libanais » par rapport au reste de la région, à feu et à sang, mais ce constat doit être nuancé immédiatement : tous les éléments d’un basculement dans une crise ouverte paraissent réunis.
Le pays est-il donc au bord du gouffre ? Comme le soulignait M. Patrice Paoli (59), on ne sait pas au Liban où se trouve le bord... Des prévisions restent utiles afin d’orienter l’action, mais il faut souligner d’emblée la modestie dont tout exercice de prospective doit s’accompagner dans un pays dont la situation est si volatile et entremêle tant de variables.
Qui aurait ainsi parié, au commencement des travaux de cette mission d’information, que l’on assisterait aux inflexions suivantes : le déclenchement de la crise des déchets à l’été 2015, alors que l’on considérait généralement la société libanaise comme amorphe et tétanisée par la crise syrienne ; le retournement de la situation militaire en Syrie depuis le début de l’intervention russe, en septembre dernier ; la formation du « ticket » Hariri-Frangié en vue de l’élection présidentielle et ensuite le rapprochement entre Samir Geagea et Michel Aoun, pourtant ennemis jurés depuis la guerre civile ; plus récemment encore, le net durcissement de la politique saoudienne au Liban ?
Sous cette réserve méthodologique, la mission s’est interrogée dans un premier temps sur la capacité de résilience interne du Liban, qui paraît bien réelle, mais progressivement remise en cause à mesure que la crise syrienne se prolonge. Une réflexion s’est ensuite engagée sur les chocs extérieurs supplémentaires qui pourraient toucher le pays, outre les répercussions actuelles de la crise en Syrie. Il a semblé possible d’en déduire trois scénarios principaux pour l’évolution à court et moyen termes du Liban.
La mission a poursuivi son questionnement dans une perspective de plus long terme, en se plaçant sous l’angle d’une éventuelle sortie du système confessionnel. Prônée depuis la création du pays et même consacrée par la Constitution, la déconfessionnalisation reste au moins théoriquement à l’ordre du jour, et souhaitable sur le plan des principes, mais elle paraît peu probable, voire très risquée dans les circonstances actuelles.
A. SUR LE PLAN INTERNE, UNE RÉELLE CAPACITÉ DE RÉSILIENCE, MAIS JUSQU'OÙ ?
Le terme de « résilience » est probablement celui qui est revenu le plus souvent au cours des auditions menées à Paris. Ce terme aurait d’ailleurs pu être inventé pour le Liban, tant il s’impose comme une évidence pour décrire ce pays. N’est-il pas parvenu à renaître après la guerre civile qui l’a déchiré pendant près de quinze ans, puis à se relever des conflits ultérieurs, en particulier la guerre de 2006 avec Israël ?
Aujourd’hui, le Liban affronte une multitude de crises, décrites dans la première partie du présent rapport. Leur conjonction pourrait suffire à emporter bien d’autres pays, et pourtant le Liban tient bon. De puissantes forces de résilience continuent en effet à jouer. Du fait du degré d’usure de plusieurs « cordes de rappel » essentielles, des scénarios de rupture ne sont pourtant pas à exclure.
1. De puissants facteurs de résilience peuvent continuer à empêcher le Liban de basculer, pourvu qu'il n'y ait pas de choc supplémentaire
Il serait erroné de qualifier de statu quo la situation du Liban. Elle se dégrade en effet progressivement, et le pays donne l’impression de glisser peu à peu vers un abîme dont on ne connaît pas précisément la nature et la position. La chute est néanmoins freinée par d’importantes forces de résilience.
a. Des peurs qui servent de cordes de rappel
i. Le spectre de la guerre civile
Les Libanais et leurs responsables politico-communautaires restent profondément marqués par l'expérience de la guerre civile, même si sa mémoire est en grande partie occultée. Personne n'a envie de replonger dans une telle spirale destructrice, à l'origine d’au moins 150 000 morts et de dizaines de milliers de blessés. Le souvenir est d'ailleurs ravivé par la guerre en Syrie et son cortège de massacres et de destructions de l'autre côté de la frontière. D'une certaine manière, bien que les circonstances soient différentes, le Liban est déjà passé par la phase de destruction que connaissent aujourd'hui la Syrie et l'Irak.
Le risque de nouveaux affrontements généralisés est donc limité par la volonté de l'ensemble des acteurs d’éviter de replonger dans une telle situation. Le dialogue entre les leaders communautaires s'est développé, à la fois dans le cadre du dialogue national conduit sous l'égide du Président du Parlement, Nabih Berri, et dans des cadres bilatéraux. La classe politique conserve et développe des capacités de dialogue et de transaction. Sur les sujets vitaux, comme la lutte contre le terrorisme, on constate que les responsables libanais finissent par prendre les mesures qui s'imposent, en surmontant leurs différends, même s’ils attendent souvent d’être au bord du gouffre avant de s’y résoudre.
Le fait que d'anciens chefs de guerre soient devenus les principaux leaders de leurs communautés respectives, à la place des notables traditionnels, contribue sans doute au consensus en faveur du « plus jamais ça ». Comme l'a souligné un interlocuteur de la mission, ceux qui ont l'expérience de la guerre et du sacrifice ont en général une conscience aiguë des risques d'engrenages et de basculement dans la violence.
ii. Le déséquilibre manifeste des forces en présence joue un rôle dissuasif
La présence d'un acteur incontestablement plus fort que les autres du point de vue de ses capacités militaires, le Hezbollah, exerce un rôle dissuasif sur les parties qui pourraient être tentées de remettre en cause les équilibres actuels.
Le Hezbollah est militairement sans équivalent au Liban par son niveau d'organisation, ses réseaux de commandement-transmissions, ses capacités de renseignement et la qualité de ses effectifs. Selon des responsables sécuritaires entendus par la mission, les membres de la branche militaire permanente du Hezbollah sont estimés à 15 000 hommes, bien équipés, expérimentés et parfaitement entraînés. Les milices supplétives et les forces de réserve comprendraient aussi de très bons combattants. Malgré des pertes humaines, qui pourraient atteindre environ 1 500 hommes, les capacités du Hezbollah se sont renforcées depuis son engagement en Syrie. Déjà efficace en matière de guérilla, comme il l’a montré en 2006 contre Israël, le Hezbollah s'est encore aguerri en Syrie et a perfectionné son savoir-faire.
En face, ni les chrétiens, ni les sunnites libanais n'ont de capacités militaires équivalentes, même si l'on a rapporté à la mission une tendance à la reconstitution de milices au Liban. Historiquement, la communauté sunnite était dépourvue de véritable tradition militaire et a plutôt cherché à s'appuyer sur d'autres forces que les siennes propres pendant la guerre civile. Plus près de nous, les affrontements de mai 2008 ont tourné en quelques heures en faveur du Hezbollah, après la décision du gouvernement Siniora de fermer son réseau de communication privé.
L'armée libanaise, quant à elle, reste mal équipée bien qu’elle ait nettement progressé (60). Surtout, elle n'a pas été conçue dans la perspective d'un éventuel affrontement avec le Hezbollah. Compte tenu de sa composition multiconfessionnelle, elle se scinderait à nouveau si elle avait à s'engager dans un conflit intercommunautaire. Réticente à aller à l'encontre des intérêts des principales communautés du pays, ou à en donner l'impression, elle ne s'engage que dans des causes « sûres », faisant l'objet d'un consensus.
iii. Dans une certaine mesure, la peur du djihadisme fait l'union
La menace djihadiste est au cœur des préoccupations au Liban, surtout depuis la prise temporaire d'Ersal mi-2014. Cette menace fédère la quasi-totalité de la classe politique et une grande majorité de la population.
Tout le monde a peur, ce qui tend à stabiliser la situation interne en réduisant le niveau des contradictions. Pour Mme Aurélie Daher (61), non seulement la crise en Syrie n'aurait pas réellement affaibli le Hezbollah, mais surtout sa perception aurait beaucoup changé au sein de la population libanaise. Celle-ci préférerait largement s'abriter sous le parapluie du Hezbollah, quoi qu'elle pense par ailleurs de ce mouvement.
Les chrétiens libanais, toutes orientations politiques confondues, redoutent de subir le même sort que leurs coreligionnaires irakiens et syriens. Selon la presse libanaise, le patriarche maronite Bechara Raï aurait déclaré à l'automne 2014 : « les chrétiens savent que sans le Hezbollah, l'Etat islamique serait arrivé jusqu'à Jounieh ». Les chrétiens déjà proches du Hezbollah, autour de Michel Aoun, n'ont donc aucune raison de changer de position, et beaucoup auraient évolué du côté des Forces libanaises, qui participent au 14 mars.
Du côté de la communauté chiite, on rapporte que la décision du Hezbollah d'intervenir en Syrie en appui au régime ne faisait pas à l'origine l'unanimité. Le nombre croissant de morts dans un autre pays musulman, et non contre Israël qui est la « cause » du point de vue du Hezbollah, aurait par ailleurs suscité une grogne montante. La situation paraît néanmoins avoir changé. Selon un sondage réalisé à l'été 2015, 78,7 % des chiites interrogés soutenaient l'intervention du Hezbollah en Syrie et 79,9 % d'entre eux estimaient que son action leur permettait de se sentir davantage en sécurité. Dans un pays où l'armée n'est pas en mesure d'assurer à elle seule la sécurité, le Hezbollah apparaîtrait en effet comme le seul acteur capable de défendre la communauté et la nation. Selon Mme Daher, les chiites n'estimeraient pas que l'intervention du Hezbollah en Syrie est à l'origine des attentats commis contre eux au Liban. Ils se pensent haïs par les djihadistes pour ce qu'ils sont et non en raison de l'intervention en Syrie – en Irak, les Yézidis ont effectivement été massacrés alors qu'ils n'avaient pas pris les armes. Il est possible que les attentats aient plutôt ressoudé la communauté chiite autour du Hezbollah.
Du côté de la communauté sunnite, les vues resteraient tout de même plus contrastées. Une partie des sunnites estimeraient que l'engagement du Hezbollah en Syrie a importé la menace djihadiste au Liban, dans une logique de représailles contre les chiites. De nombreux responsables sunnites, en revanche, seraient désormais moins insensibles à l'idée que l'engagement du Hezbollah sur le sol syrien a fini par créer une sorte de « cordon sanitaire » protégeant le Liban. Selon plusieurs interlocuteurs de la mission, même les plus farouches opposants du Hezbollah accepteraient aujourd'hui, au moins tacitement, la thèse qui le présente comme le « premier rempart contre le takfirisme ». Si tous ne vont pas jusqu'à l'affirmer publiquement, l'idée serait désormais répandue. Si l'armée tient, de fait, c'est aussi grâce à la zone tampon constituée par le Hezbollah.
b. Des tensions politico-confessionnelles certes avivées par la crise en Syrie, mais jusqu'à présent contenues
Bien que la menace djihadiste soit omniprésente dans les esprits, à juste titre, le risque de conflagration confessionnelle pourrait constituer une menace plus grave encore pour l'existence du Liban. Ces tensions ne datent pas de 2011. Elles avaient déjà considérablement augmenté au plan régional après l'intervention américaine de 2003 en Irak et l'explosion consécutive de ce pays. Le niveau des tensions entre sunnites et chiites a néanmoins franchi un palier supplémentaire en raison de la crise syrienne. Le Liban est au cœur de cette très forte tension régionale. Elle reste néanmoins contenue dans ce pays grâce à la modération des principaux responsables politiques et religieux, unis dans une crainte commune de voir le Liban s'embraser comme ses voisins.
i. Une montée dangereuse des tensions communautaires
De multiples évolutions peuvent contribuer à expliquer l’aggravation des tensions politico-confessionnelles au Liban depuis 2011 : les actions menées par les groupes djihadistes, la montée en puissance du Hezbollah et son engagement en Syrie, ainsi qu’une tendance préoccupante à la radicalisation au sein de la communauté sunnite.
- Selon des responsables sécuritaires rencontrés par la mission, on assisterait à un repli communautaire et à un réarmement de milices chrétiennes, druzes et chiites en réaction aux incursions djihadistes.
- Du côté sunnite, la montée du ressentiment et des craintes s'explique en particulier par le constat que le Hezbollah n’a fait que se renforcer depuis sa demi-victoire de 2006 contre Israël et par l’idée qu’il cherche à marginaliser les autres communautés. L'aide apportée par l'Iran au fil des années a contribué à cette montée en puissance, notamment au plan militaire. L'engagement du Hezbollah en Syrie, en violation de la politique officielle de distanciation, a également suscité de vives tensions internes. Le virulent discours anti-takfiriste et anti-saoudien du Hezbollah n'apaise pas davantage la situation. Enfin, on l’a dit, son intervention en Syrie est souvent perçue comme étant à l’origine des attentats commis sur le sol libanais.
- Outre une logique de représailles, ces attentats s’expliquent probablement aussi par la volonté des groupes djihadistes d’aviver directement les tensions confessionnelles pour déstabiliser le Liban, comme ils l'ont fait en Irak au milieu des années 2000. L'attentat commis en 2006 contre la mosquée d'or de Samarra, lieu saint chiite, avait causé des milliers de morts et déclenché un cycle fatal de représailles. Le double attentat de Bourj al-Brajneh dans la banlieue Sud de Beyrouth en novembre dernier, contre une mosquée chiite, visait sans doute le même objectif (62).
- Si la poussée salafiste-djihadiste au Liban est en partie liée aux mouvements syro-irakiens – Al-Qaida et Daech –, il existe aussi de longue date une tendance inquiétante à la radicalisation au sein de la jeunesse libanaise, notamment à Tripoli. La situation économique et sociale contribue à pousser des jeunes vers les groupes extrémistes. L'affaiblissement du leadership de la communauté sunnite a également été mis en exergue par plusieurs interlocuteurs de la mission. La phase de « dépression » traversée par cette communauté est souvent résumée, sans doute un peu hâtivement, à l'absence prolongée de Saad Hariri depuis la chute de son gouvernement en 2011, malgré quelques retours ponctuels au Liban. Les sunnites libanais se sentiraient abandonnés, alors que le Hezbollah continue à monter en puissance. Dans le même temps, d'autres acteurs s'affirment sur la scène sunnite, en particulier les salafistes, qui ont gagné en influence dans des villes telles que Tripoli et Saïda. Ils ne sont néanmoins pas parvenus à mobiliser largement et encore moins à remplacer le leadership sunnite modéré (63). Un courant sunnite davantage tenté par la surenchère et par la victimisation s'est également développé, notamment à Tripoli.
ii. Des responsables qui prônent la modération
Les armes et les tensions confessionnelles sont là, mais on peut considérer que les modérés restent au pouvoir. Par ailleurs, le gouvernement rassemble les principales factions, exception faite des Forces libanaises de Samir Geagea, et représente les grandes communautés du pays. Surtout, les responsables politiques et religieux, unis par la crainte d'un dérapage qui ferait basculer le Liban, multiplient les appels au calme.
Du côté sunnite, le Courant du Futur s'est engagé clairement en faveur de la modération et du soutien aux institutions, notamment l'armée, malgré la tentation de la radicalisation dans une partie de sa base. La poursuite d'un dialogue officiel entre le Hezbollah et le Courant du Futur conduit aussi à apaiser les tensions entre les bases respectives de ces deux mouvements, même si ce dialogue n'a pas produit jusqu'à présent de résultats visibles sur les blocages politiques et institutionnels. Le nouveau mufti sunnite, cheikh Deriane, tient également des propos responsables, comme la mission a pu le constater elle-même en le rencontrant à Beyrouth. Plusieurs interlocuteurs ont souligné qu'il s'agissait d'un homme modéré et partisan du rapprochement, avec en outre du charisme. L’enjeu est notamment d'assurer le contrôle de Dar al-Fatwa sur les écoles et les mosquées. Mais il faut aussi rappeler que des cheikhs radicaux, tels que Ahmad Al-Assir (de Saida) et Khaled Hoblos (de Tripoli), ont fini par être arrêtés en 2015.
L’attitude généralement modératrice des principaux responsables libanais à l’égard des tensions confessionnelles a trouvé une illustration marquante en février dernier, lorsque des partisans du Hezbollah ont manifesté en réaction à une émission de télévision qui tournait en dérision Hassan Nasrallah, bloquant des routes au Sud de Beyrouth et dans l'Est du Liban. Le Président, chiite, du Parlement et le chef, sunnite, du Courant du Futur ont alors publié une déclaration conjointe appelant les dirigeants politiques à lutter contre les tentatives d’exacerbation des tensions sectaires et Hassan Nasrallah a demandé à ses partisans d'éviter de descendre dans la rue.
Lui-même, malgré des discours virulents contre le « takfirisme » et la monarchie saoudienne, qui n'apaisent pas les tensions, engage publiquement ceux qui le suivent à ne pas verser dans la confrontation entre sunnites et chiites. Le vice-président du Conseil supérieur chiite, que la mission a rencontré à Beyrouth, se trouve dans une même position modératrice que son homologue sunnite, cheikh Deriane, le chef de Dar al-Fatwa.
iii. Les tensions et les divisions n'excluent pas une certaine cohésion
Malgré les tensions, le Liban se caractérise – et se distingue encore dans la région – par la préservation d’une culture du vivre-ensemble et du respect mutuel entre chrétiens et musulmans, à Beyrouth comme dans les petits villages. On se connaît et on a l'habitude de se côtoyer. C'est une force de résilience importante, même si elle n'a nullement empêché le déclenchement de la guerre civile dans les années 1970.
La prégnance, la multiplicité et la complexité des divisions internes sont un des aspects les plus frappants du Liban pour l'observateur extérieur. Il existe néanmoins une cohésion par rapport à l'étranger, le Liban étant en quelque sorte constitué de « poupées russes », selon un interlocuteur de la mission. S'il existe des conflits de type clanique à l'intérieur des communautés ainsi que des conflits intercommunautaires, on peut aussi s'entendre sur des causes qui paraissent importantes.
Surtout, les divergences et les tensions internes ne sont pas exclusives d'un sentiment d'appartenance au Liban. Ses traductions très concrètes restent limitées, mais ce sentiment est sans doute plus fort que jamais compte tenu de la déstabilisation profonde de la région. Même le Hezbollah affirme régulièrement que le Liban est sa « patrie définitive ». Sa libanité se trouve toutefois nuancée, aux yeux de beaucoup, par son intervention en Syrie et son lien avec l’Iran.
c. Des faiblesses qui sont aussi des forces
L'affaiblissement de l'Etat se poursuit en raison de la crise institutionnelle et politique, avec toutes les conséquences qui ont été présentées par la mission. Cette situation ne permet pas de répondre aux maux structurels qui minent le Liban de l'intérieur, en particulier sur le plan économique et social. Jusqu'à un certain point, toutefois, le Liban est un pays capable de tenir sans institutions qui fonctionnent.
i. Des mécanismes informels de solidarité
Le degré de corruption très élevé qui persiste au Liban, de l’aveu de tous, et la puissance du clientélisme politique sont évidemment des dysfonctionnements graves. Dans le contexte libanais, ces dysfonctionnements assurent néanmoins diverses formes de redistribution. Le partage savant des ressources publiques et des attributions de marché, notamment en matière de construction, est un facteur bloquant, mais cela permet de fluidifier les relations communautaires et d'apaiser les tensions.
Il arrive aussi que des responsables locaux, fortunés, utilisent leur cassette personnelle pour financer des projets. Il a d'ailleurs été souligné devant la mission d’information que des personnalités, des familles ou des fondations sunnites richement dotées pourraient utilement se montrer plus actives dans le Nord du pays pour contribuer au développement économique et social, et ainsi aider à lutter contre le terreau de la radicalisation.
Enfin, tous les arrangements restent possibles au niveau local, y compris ceux qui paraissent les plus baroques au regard de la situation nationale. Les récentes élections municipales ont encore montré la grande diversité des attelages et des combinaisons envisageables. Bien souvent, ce sont des logiques de préservation des intérêts et de pragmatisme, plutôt que de confrontation, qui l'emportent localement.
ii. Des acteurs qui ont pris le relais de l'Etat
Les Libanais ont pris l'habitude de ne pas attendre beaucoup de leurs institutions, ce qui relativise quelque peu l’impact des défaillances en matière d'infrastructures et de services publics.
D'autres acteurs ont pris le relais depuis la guerre civile, en particulier dans le secteur associatif. Les capacités de l’Etat n’ayant pas été rétablies, de nombreux services, tels que l’électricité, la santé et l’éducation, sont en grande partie assurés par le secteur privé. C’est évidemment un facteur positif, même si les prestations ne sont pas fournies aux mêmes conditions financières, ni avec les mêmes moyens de contrôle que si les besoins étaient couverts par le secteur public. Certains acteurs ont par ailleurs une coloration confessionnelle marquée. L’Etat a beaucoup privatisé par défaut, en raison de son absence ou de ses carences.
Les municipalités jouent aussi un rôle de premier plan sur le terrain, bien que beaucoup d'entre elles se heurtent à des problèmes de moyens. Elles sont notamment en première ligne sur la question des réfugiés, en l'absence de politique d’accueil impulsée par l'Etat au niveau national. Dans le contexte du blocage institutionnel actuel, l'échelon local est le dernier qui fonctionne encore et assure une certaine continuité. Il était donc très important que les élections municipales prévues au mois de mai puissent se tenir, en dépit des craintes de report qui avaient vu le jour.
2. Pour autant, des scénarios de rupture ne doivent pas être exclus
D’importantes forces de résilience continuent à freiner le glissement progressif du pays et à le maintenir à l’écart du gouffre. Plusieurs « cordes de rappel » essentielles présentent néanmoins un degré d’usure préoccupant pour le maintien de la stabilité sécuritaire et financière du Liban.
a. La capacité des forces de sécurité à faire face à un choc d'une intensité supérieure est en question
i. Une résilience sécuritaire réelle, mais jusqu'où ?
Comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de la mission, on aurait pu penser que la situation sécuritaire se dégraderait bien davantage et beaucoup plus vite. Le Liban est en effet un pays très vulnérable : l'Etat est faible, en particulier les forces de sécurité, les tensions confessionnelles sont élevées et les principales factions ont pris des partis différents dans la crise en Syrie. Même s'il y a eu de nombreux départs de feu depuis 2011, ils ont toujours fini par être circonscrits et le pays ne s'est pas embrasé. Les forces de sécurité libanaises, notamment l'armée, ont tenu bon jusqu'à présent.
D'abord, les forces armées libanaises peuvent se prévaloir d'un certain nombre de succès. Le général Delort-Laval a mis l’accent sur leur « fighting spirit », qui les distingue dans la région, en particulier par rapport aux forces armées et de sécurité syriennes ou irakiennes (64). L’armée libanaise fait preuve d’un grand courage, notamment chez les officiers et les forces spéciales, et se bat déjà très bien malgré ses problèmes capacitaires. L’armée compte de nombreux blessés et tués dans les combats contre les djihadistes et des soldats sont toujours entre les mains de Daech.
Autre facteur essentiel de la résilience sécuritaire du pays, une logique d'union nationale a prévalu entre le 8 mars et le 14 mars sur la question de la lutte anti-terroriste. Il était notamment important que Saad Hariri apporte son soutien à la lutte contre l'extrémisme sunnite, en particulier à Tripoli. La coopération entre les services de renseignement du pays, traditionnellement divisés, serait aujourd’hui d'un niveau inédit. Ces services conservent néanmoins des affiliations différentes et tout problème de taille entre le 8 et le 14 mars aurait nécessairement des conséquences.
Surtout, on peut se demander dans quelle mesure l'armée libanaise pourrait résister à une menace sécuritaire d'une plus grande intensité qu'aujourd'hui, compte tenu de son degré d’usure. Si l'armée a finalement encaissé le choc en 2014, elle a d'abord été débordée par la poussée des djihadistes à Ersal. Elle est aujourd’hui en mesure de stabiliser la situation, mais sans arriver à éradiquer une menace qui ne serait pourtant pas d'un niveau très élevé selon certains responsables sécuritaires.
ii. Des faiblesses structurelles préoccupantes
L’efficacité de l'armée et des forces de sécurité intérieure pourrait atteindre une limite en cas de choc sécuritaire plus intense, en particulier une nouvelle poussée djihadiste. Les forces armées et de sécurité sont en effet sollicitées au maximum de leurs possibilités et leur cohésion interne reste fragile.
- Les forces armées libanaises (FAL) sont déployées à la limite de leurs capacités. Elles sont déjà très mobilisées pour contenir les effets de la crise syrienne. Des unités, on l'a dit, ont dû être retirées du Sud-Liban où l’on s’en remet de plus en plus à la FINUL. Des forces supplémentaires ont ainsi été redéployées le long de la frontière syro-libanaise, traditionnellement très poreuse. L'armée participe également à des opérations de contre-terrorisme et de maintien de l'ordre à l'intérieur des frontières, notamment à Tripoli, à Ersal et à Saïda. Le tempo serait difficilement soutenable pour les unités les plus sollicitées.
Après quinze ans de guerre civile, puis quinze ans d'occupation syrienne, les FAL reviennent de très loin. Elles sont montées en puissance, grâce à un important soutien international, notamment français, mais leurs capacités restent limitées. Les effectifs sont d’environ 70 000 hommes, répartis en unités de niveau variable. L'armée peut compter sur des forces spéciales professionnalisées, capables d'intervenir avec efficacité et rassemblant entre 3 000 et 4 000 hommes. Le reste progresse, mais n'est pas encore pleinement opérationnel. Selon un interlocuteur de la mission, les FAL peuvent globalement être assimilées à une « super gendarmerie », employée comme force intérieure.
Les forces de sécurité intérieure (FSI) proprement dites se heurtent aussi à un problème de capacités. Elles comptent environ 27 000 hommes, alors qu'il en faudrait 45 000 dans le contexte actuel selon leur directeur général, que la mission a pu rencontrer à Beyrouth en septembre 2015.
- Si les FAL sont sur-employées, il faut également souligner qu’elles disposent de moyens très faibles. La composante maritime reste symbolique, avec seulement quelques patrouilleurs, de même que la composante aérienne, dotée de quelques hélicoptères, mais pas d’avions. Pour l’essentiel, les FAL sont composées de forces terrestres : outre trois régiments de forces spéciales, constitués de nombreux chrétiens et demeurant le fer de lance de l’armée, les FAL comptent six régiments d’intervention et douze brigades très mal équipées. Un problème particulier concerne les équipements, anciens et vieillissants. Les FAL souffrent de graves déficits en capacités critiques, notamment en matière de renseignement électronique, de protection des combattants, de feux précis ou encore de forces navales. Les FAL ont produit en 2013 un plan de développement des capacités sur cinq ans. Ce document stratégique, sans précédent dans un pays dépourvu de Livre blanc et de lois de programmation militaire, reflète un sentiment d'urgence devant la montée des tensions sécuritaires internes et externes.
- La nature multiconfessionnelle de l'armée est réelle, même si elle compte une majorité de musulmans dans la troupe et une proportion plus importante de chrétiens chez les officiers que dans l’ensemble de la population (65). Les FAL, généralement considérées comme la seule institution nationale du pays, sont l’armée de tous les Libanais. Elles bénéficient d’un très fort soutien populaire. Le général Delort-Laval a rappelé que les meilleurs chanteurs se regroupent chaque année pour un tube en l’honneur de l’armée, que l’on trouve sur l’autoroute des portraits géants du commandant en chef et que des milliers de personnes venaient acclamer les convois de troupes et saluer les convois mortuaires pendant les combats de 2007 à Nahr el-Bahred. Selon un récent sondage, les forces armées libanaises seraient soutenues par 85 % des Libanais.
La composition des FAL est un atout, mais il en résulte aussi des difficultés lorsqu’elles doivent intervenir dans des zones homogènes de population, car leur image d’impartialité confessionnelle peut en souffrir. Il est plus simple pour les FAL de s’interposer entre des communautés, comme elles le font à Tripoli, que d’intervenir plus directement contre des groupes sunnites, par exemple à Ersal. Le principal péril serait que l'armée se scinde à nouveau, comme à l'époque de la guerre civile. Parmi les incertitudes actuelles, on observe des défections chez les sunnites, moins à l’aise depuis les engagements contre des membres de leur communauté. La complémentarité des opérations avec celles du Hezbollah est également un sujet très compliqué, dont on ne parle pas, sinon pour nier l’existence d’une coopération.
Il y a aujourd’hui la perception, dans une partie de la population sunnite, d'une collusion entre les forces armées libanaises et le Hezbollah. Le ressentiment est également alimenté par l’idée que les efforts sont concentrés contre des groupes sunnites, à Saïda, Tripoli ou Ersal, alors que le Hezbollah conserve sa liberté d'aller et venir à travers la frontière pour mener ses propres opérations en Syrie. La mission n'est pas en mesure d'évaluer précisément la prégnance de ce ressentiment. On peut toutefois penser qu’il est atténué par le consensus entre le 8 et le 14 mars sur la priorité donnée à la lutte anti-terroriste et par la généralisation, chez les sunnites comme les chiites et les chrétiens, des craintes liées à la montée en puissance des groupes djihadistes.
b. Des interrogations sur la stabilité du système bancaire et financier libanais
La dette publique libanaise, on l’a dit, est massivement détenue par les banques domestiques, qui sont elles-mêmes dépendantes de l’augmentation des dépôts bancaires, en particulier ceux des expatriés et des non-résidents. Le système tient parce que les banques continuent à acheter la dette et que les dépôts, dont 65 % sont libellés en dollars, augmentent encore à un rythme voisin de 9 % par an.
S’apparentant à une « chaîne de Ponzi », un tel système est vulnérable. Tant que les banques continuent à souscrire, tout tient, mais cela suppose le maintien de la confiance. Par ailleurs, comme il n’est plus possible de distinguer le risque souverain et le risque de contrepartie bancaire, compte tenu de l’exposition des banques, tout le système s’effondrerait si l’Etat et la Banque du Liban ne parvenaient plus à placer leurs obligations et certificats de dépôts respectifs, ou se trouvaient en défaut sur une partie d’entre eux. Les conséquences économiques seraient désastreuses. Le secteur bancaire est non seulement l’un des principaux poumons du pays, mais aussi le dernier secteur d’activité qui n’est pas affecté par la crise.
Le système qui vient d’être brièvement décrit peut naturellement tenir très longtemps. Comme l’a rappelé le Professeur Henry Laurens (66), il existe même une théorie selon laquelle plus on est endetté, plus on se maintient à flot, car personne n’a intérêt à votre chute. Il faut souligner que le Liban n’est pas aujourd’hui en situation de crise financière. Fin avril 2016, par exemple, le ministère des finances a annoncé la clôture d’une émission d’eurobonds d’un milliard de dollars, destinée à financer des obligations arrivant à échéance. Le volume de la demande de souscription aurait atteint environ 130 % du montant souhaité. La question de la stabilité du système mérite néanmoins une attention particulière. Le risque est certes limité par plusieurs facteurs de résilience, mais les vulnérabilités n’en sont pas moins réelles.
i. Des facteurs importants de stabilité
La diaspora, dont on a rappelé le rôle dans le financement du Liban, connaît bien la situation politique et sécuritaire du pays. Elle témoigne d’une grande confiance à l’égard du secteur bancaire, qui est suffisamment capitalisé, liquide et rentable. Selon des éléments communiqués par la direction générale du Trésor, la situation des banques libanaises peut être considérée comme globalement saine et solide. Le secteur bancaire est d’ailleurs resté imperméable à la crise financière de 2008.
La confiance s’explique en particulier par le crédit dont jouit la Banque du Liban (BdL), qui exerce une surveillance attentive et renforcée du secteur bancaire sous la conduite de son Gouverneur, M. Riad Salamé. La compétence et le sens de l’Etat de M. Salamé, que la mission a pu rencontrer à Beyrouth, ont été salués par de nombreux interlocuteurs. Selon M. Patrice Paoli, ancien ambassadeur de France au Liban, il est l’un des seuls acteurs à introduire de la raison et un sens de l’intérêt général dans le système libanais. Sous sa conduite, la BdL est parvenue à maintenir très durablement l’arrimage de la livre libanaise au dollar et à renforcer substantiellement les règles prudentielles.
Autre facteur de résilience, on peut penser que les principaux soutiens du Liban se porteraient à la rescousse du pays s’il venait à traverser des turbulences graves sur le plan financier. Trois conférences internationales ont ainsi été organisées à Paris au cours des années 2000 pour mobiliser une aide significative. Le maintien de la stabilité du Liban fait l’objet d’un consensus qui s’est renforcé depuis le déclenchement de la crise syrienne, notamment dans le cadre d’un Groupe international de soutien (GIS) créé à l’initiative de la France. La conviction qu’il existe un tel « parapluie international » pourrait toutefois jouer un rôle négatif en procurant un sentiment exagéré de sécurité.
La capacité du Liban à continuer à attirer des flux financiers aussi substantiels dépend à la fois des taux d’intérêt élevés que l’Etat et la Banque du Liban peuvent offrir, mais aussi de la solidité du système bancaire. Des incertitudes existent sur ces deux points.
S’agissant de la possibilité de servir durablement des taux d’intérêt suffisamment élevés pour être attractifs, il faut d’abord rappeler que la situation des finances publiques s’est de nouveau détériorée depuis le déclenchement de la crise syrienne. Le déficit augmente et la dette publique, déjà très importante, repart à la hausse. On peut aussi s’interroger sur le bilan de la Banque du Liban. Elle encaisse des recettes grâce à son portefeuille de bons du Trésor, mais elle rémunère les certificats de dépôt, à des conditions plus attractives que le marché.
Le bon fonctionnement du système dépend aussi du maintien de la confiance à l’égard du Liban et de son système bancaire.
Le système fonctionne car tout le monde y a intérêt, l’Etat comme les banques, mais personne ne pourrait plus répondre de rien en cas de choc interne ou externe grave, à l’image de la guerre civile ou du conflit avec Israël en 2006. Tout peut changer très vite et très fortement au Liban. La guerre de 2006 n’ayant duré « que » 40 jours, le système a pu être géré en évitant un effondrement. Mais que se passerait-il en cas d’affrontement entre Israël et le Hezbollah sur l’ensemble du territoire et non seulement au Sud-Liban ?
D’autres causes de préoccupation, plus immédiates, sont récemment apparues à l’horizon.
- Une première inquiétude est liée au durcissement de la politique saoudienne à l’égard du Liban (67). La crainte d’une expulsion massive des ressortissants libanais implantés dans le Golfe s’est répandue au début de l’année. L’impact sur la stabilité financière et économique du Liban serait dévastateur. Pour l’essentiel, les sept milliards de dollars de remises de fonds annuelles vers le Liban proviennent en effet de deux régions : le Golfe et l’Afrique.
- Le renforcement de la législation américaine contre le financement du Hezbollah a introduit une autre inconnue dans l’équation. Le Congrès américain a adopté en décembre 2015 une loi frappant de sanctions les institutions financières ou bancaires traitant avec le Hezbollah ou des personnes qui lui sont affiliées. Des mesures d’application de la loi ont été adoptées en avril aux Etats-Unis.
L’exemple de la Lebanese-Canadian Bank mérite d’être rappelé. Cette banque a dû être retirée du marché en 2011 – au moyen d’une fusion – à la suite de déclarations des autorités américaines selon lesquelles elle abritait des opérations de blanchiment. Une autre difficulté majeure serait que les banques étrangères cessent leurs opérations avec les banques libanaises afin d’atténuer leurs propres risques au regard de la loi américaine. Cela conduirait à isoler le secteur bancaire libanais du reste du monde.
Malgré un certain nombre de remous sur la scène intérieure, la BdL a adopté des mesures destinées à garantir l’application de la loi américaine au Liban, via un mécanisme de fermeture de comptes. Des contestations ont vu le jour au motif que cela reviendrait à participer à la politique américaine d’étranglement financier du Hezbollah, mais la nécessité de protéger le secteur bancaire paraît s’imposer, à l’instigation de la BdL.
- Un troisième facteur d’inquiétude résulte de la non-conformité du Liban avec les standards internationaux en matière de transparence et d’échanges effectifs de renseignements dans le domaine fiscal. A la suite de l’affaire dite des « Panama Papers », la presse française et libanaise s’est fait l’écho de rumeurs selon lesquelles le Liban serait menacé d’être inscrit sur une nouvelle liste noire d’Etats et territoires non coopératifs, censée être établie prochainement. Serait notamment en cause le fait que le Liban ne pratique pas l’échange automatique d’informations.
Le Parlement a certes adopté en novembre dernier trois projets de loi visant à renforcer le cadre en vigueur, notamment en permettant l’échange d’informations fiscales sur demande en cas de soupçons sérieux d’évasion fiscale, mais le pays reste en-deçà des standards internationaux. Du reste, le statut du Liban est depuis longtemps en débat au sein du GAFI et de l’OCDE. Les décisions sont naturellement difficiles au regard de la vulnérabilité du Liban et de l’importance du secteur bancaire pour sa stabilité.
Il est très positif que le Liban vienne d’annoncer son engagement à appliquer l’échange automatique d’informations fiscales à partir de septembre 2018. Des évolutions législatives seront toutefois nécessaires, ce qui risque de s’avérer assez délicat dans le contexte de blocage politique et institutionnel du pays.
B. LES PRINCIPAUX FACTEURS EXTÉRIEURS D'ÉVOLUTION
En dépit des inquiétudes liées à l’usure de plusieurs « cordes de rappel » essentielles, c'est plutôt l'immobilisme qui semble prévaloir sur la scène intérieure, à ce stade. Sur le plan extérieur, en revanche, les facteurs supplémentaires de rupture ne manquent pas. Le durcissement de la politique saoudienne à l'égard du Liban pourrait être de nature à renforcer les risques de déstabilisation. Ensuite, bien que la crise syrienne paraisse bloquée de manière durable, son évolution pourrait avoir d’importantes répercussions sur la situation du Liban. Enfin, l’hypothèse d'une nouvelle intervention militaire israélienne contre le Hezbollah n'est pas à exclure totalement.
1. Le virage de la politique saoudienne à l’égard du Liban
Jusqu'au début de l’année, le Liban bénéficiait d'une sorte d'accord tacite entre Saoudiens et Iraniens pour préserver le pays des risques de déstabilisation liés à leur confrontation à l’échelle régionale, par intermédiaires locaux interposés. On avait pu le constater début 2014 lors de la formation du gouvernement de Tammam Salam, qui s'imposait comme une nécessité devant la montée des périls. La mise en place de l'actuel gouvernement d'entente n'avait pas fait l'objet d'un veto des deux parrains régionaux, voire avait été encouragée par eux.
Cette politique pourrait être remise en cause par les mesures très dures qui ont été récemment adoptées par l’Arabie saoudite. Les décisions prises – interruption de l'initiative franco-saoudienne DONAS au profit des forces armées libanaises ou encore restrictions de voyage pour les ressortissants saoudiens – témoignent d’une forte crispation à l’égard des autorités libanaises et ont été largement interprétées comme visant à pousser les relais traditionnels de Riyad à s’opposer davantage à l’influence croissante du Hezbollah sur le pays. A ce stade, néanmoins, l’inflexion de la politique saoudienne se traduit surtout dans les faits par une nouvelle phase de désengagement.
a. Un revirement sans doute profond et durable
Parfois résumées à un brutal accès de colère, les décisions qui ont été prises à Riyad s'inscrivent dans le cadre d’une évolution probablement assez structurelle de la relation particulière qu’entretenait jusque-là l'Arabie saoudite avec le Liban.
i. Une volonté de contrer l'influence iranienne, y compris au Liban ?
Au-delà de l’actuel pic de tension avec l’Iran (68), la politique régionale de l’Arabie saoudite a connu une inflexion notable depuis que le roi Salmane est monté sur le trône. Cette inflexion a d’abord concerné le Yémen, où les Saoudiens ont engagé une intervention militaire en mars 2015, mais pourrait désormais s’étendre, dans une certaine mesure, au Liban.
Riyad a décidé de contrer ce qui est perçu comme une tentative d'encerclement de la péninsule par l’Iran. Les Saoudiens voient en effet sa main dans tous les conflits régionaux, en Irak, en Syrie ou au Yémen. Leur angoisse est de se trouver pris en tenaille entre des pays proches de l'Iran et mal intentionnés à l’égard du Royaume. Les déclarations de M. Velayati, le conseiller diplomatique du Guide suprême, selon qui l'Iran contrôlerait désormais quatre capitales arabes, Bagdad, Damas, Beyrouth et Sanaa, ont particulièrement alerté les Saoudiens.
S’agissant du Liban, leur conviction est que le pays est de plus en plus tenu par le Hezbollah et ses alliés, y compris s’agissant de l’armée, dans certains domaines et postes clefs. L’image d’une mainmise iranienne via le Hezbollah est entretenue par plusieurs événements récents, en particulier le fait que le Liban se soit abstenu sur la résolution de la Ligue arabe dénonçant le sac des emprises diplomatiques saoudiennes en Iran. Il s’en est suivi une campagne de presse sur la nécessité de ne pas se bercer d’illusions à l’égard du Liban, qui ne serait plus le même pays qu’autrefois.
Le Hezbollah et l’Iran
Le Hezbollah a vu le jour au début des années 1980, dans le double contexte de la lutte contre Israël, alors présent militairement au Liban, et de la révolution islamique iranienne. Le Hezbollah est aujourd’hui considéré comme la seule milice à ne pas avoir désarmé – même si beaucoup conservent encore des armes au Liban. Sa composante civile, qui est le Hezbollah proprement dit, a été créée afin de servir de tampon et de « vitrine politique » pour la branche militaire, la « Résistance islamique libanaise » (RIL) (69).
Le Hezbollah a été l’un des premiers succès de la République islamique d’Iran sur le plan régional et un véritable « game changer ». Le Hezbollah et le Liban restent fondamentaux pour Téhéran, dont ils constituent le véritable « cœur de cible » dans la région. Si la Syrie est si importante pour les Iraniens, c’est en particulier parce que ce pays représente un point de passage vers le Liban. Sans la charnière syrienne, l’Iran se heurterait à d’importantes difficultés pour continuer à apporter son appui au Hezbollah dans de nombreux domaines.
Pour certains interlocuteurs de la mission, le Hezbollah est l’émanation de l’Iran au Liban, où Hassan Nasrallah serait le représentant de la République islamique. L’Iran n’interviendrait pas sur certains sujets, relevant d’une gestion strictement libanaise, mais garderait la haute main sur tout ce qui touche à sa propre sécurité. La question de l’autonomie de décision du Hezbollah a néanmoins fait l’objet d’évaluations différentes. Pour certains, Téhéran ne serait pas très impliqué dans la gestion quotidienne du Liban, qui ne l’intéresserait pas en tant que telle, à la différence des questions régionales. Pour d’autres, presque tout dans les affaires intérieures du Liban concernerait désormais l’Iran, ce qui signifie que le Hezbollah n’aurait pas de véritable autonomie. Les Iraniens devraient toutefois faire attention à ménager le Hezbollah, très utile en Syrie, et seraient donc obligés d’être à l’écoute.
La question de la « libanisation » du Hezbollah, c’est-à-dire sa transformation en acteur spécifiquement libanais, reste ouverte. Outre la connexion très forte qui continue à exister avec Téhéran, le Hezbollah a su tisser des liens puissants avec la communauté chiite libanaise par son aide aux victimes civiles des conflits avec Israël, par ses réalisations sociales au profit de la population et par une activation de la corde identitaire. Comme l’a souligné Mme Aurélie Daher, son action a suscité un renouveau de l’identité chiite libanaise (70). Le Hezbollah a alimenté une fierté chiite et offert à cette communauté, jusque-là marginalisée, la première place sur la scène interne. Il faut également rappeler que le Hezbollah a participé aux élections législatives pour la première fois en 1992, puis au gouvernement à partir de 2005, après le retrait syrien. Le Hezbollah forme aujourd’hui le cœur de la coalition du 8 mars. Il s’est ainsi intégré à la scène politique. L’Iran lui sous-traite en grande partie sa propre intervention en Syrie, ce qui démontre la puissance des liens de dépendance, mais plusieurs interlocuteurs ont souligné que le Hezbollah intervient aussi pour des raisons qui lui sont propres. Il aurait en effet une vision très protectrice de sa communauté.
Du point de vue saoudien, le Hezbollah serait certes constitué de Libanais, mais donnerait la priorité à la politique régionale de l’Iran. Les Saoudiens estimeraient que la chute de Bachar al-Assad entraînerait la rupture du lien ombilical entre l’Iran et le Hezbollah, lequel deviendrait alors plus libanais. Il se rendrait compte qu’il a intérêt à négocier son désarmement, alors qu’il aurait aujourd’hui l’impression de jouer la puissance montante, avec l’Iran, et donc de ne pas avoir besoin de faire des compromis. Tout cela changerait avec la chute d’Assad.
ii. Une évolution de la relation particulière que les Saoudiens entretenaient jusque-là avec le Liban
Les récentes décisions des autorités saoudiennes traduisent a minima une banalisation de l’image et de l’importance du Liban. M. Bertrand Besancenot, ambassadeur de France en Arabie saoudite, a notamment souligné devant la mission que la jeune génération, dont fait partie le prince Mohamed ben Salman, vice-prince héritier et ministre de la défense, n’a pas la même vision affective du Liban que les anciens dirigeants du Royaume.
Aux yeux de l’ancienne génération, le Liban était un pays à part. Pour les Saoudiens qui l’ont connu dans les années 1960, il s’agissait d’une sorte de poumon social et culturel, un pays ayant un pied au Moyen-Orient et un autre en Occident. Les Saoudiens se considéraient traditionnellement comme les protecteurs des sunnites libanais, tout en ayant de bonnes relations avec d’autres acteurs. La jeune génération, en revanche, ne considèrerait plus le Liban comme étant à protéger particulièrement et ne connaîtrait pas vraiment ce pays. On va désormais se distraire à Dubaï plutôt qu’au Liban, où il est d’ailleurs déconseillé de se rendre quand on est saoudien. La génération du vice-prince héritier n’aurait donc pas d’affection particulière pour le Liban, qui représenterait un pays étranger, d’où une vraie cassure générationnelle. Si nous avons obtenu le contrat DONAS, c’est parce que le roi Abdallah était à l’époque sur le trône ; ce serait aujourd’hui impossible.
Dans la région, la priorité des autorités saoudiennes ne va plus au Liban, mais à l’Iran, au Yémen, à la Syrie ou à l’Irak. Le Liban serait vu comme réussissant par miracle à ne pas être emporté par la tourmente syrienne et comme capable de continuer à s’en sortir tout seul. Il n’y aurait donc pas de sentiment d’urgence à l’égard de la situation libanaise. Ce pays reste un sujet de préoccupation, sous l’angle des ambitions iraniennes dans la région, mais l’intérêt est moindre qu’avant.
Une autre évolution clef pourrait être liée à la personne de Saad Hariri. Son père, Rafic Hariri, qui avait fait fortune en Arabie saoudite, était un proche du roi Fahd. Il passait pour être moins en cour auprès du roi Abdallah, tout en restant considéré comme une sorte de représentant au Liban. Aux yeux des Saoudiens, Saad Hariri ne présenterait pas les mêmes qualités de leadership et ne serait pas jugé aussi efficace. Il reste néanmoins la première référence des sunnites au Liban. Les Saoudiens apprécient d’autres dirigeants, tels que l’ancien Premier ministre Fouad Siniora ou Tammam Salam, l’actuel Premier ministre, mais ces derniers ne représentent pas leur communauté de la même manière.
b. Un potentiel déstabilisateur encore difficile à évaluer
L’inflexion de la politique saoudienne au Liban ne peut qu'avoir des répercussions négatives. L’impact précis reste toutefois à évaluer. Il sera naturellement très différent s’il s’agit surtout d’une nouvelle phase de désengagement ou, au contraire, d’une politique plus offensive. Une des principales interrogations consiste à savoir jusqu'où Riyad pourrait aller dans la deuxième hypothèse.
i. Les mesures déjà mises en œuvre
- Les autorités saoudiennes ont officiellement annoncé au mois de février dernier l’interruption du programme DONAS de trois milliards de dollars au bénéfice de l’armée libanaise, et celle d’une aide d’urgence bilatérale d’un montant d’un milliard de dollars. Cette dernière aide, destinée à l’armée et aux forces de sécurité intérieure, avait été annoncée en août 2014 pour aider à endiguer la menace djihadiste qui était montée en puissance, notamment à Ersal. Le DONAS, lui aussi mis en place en 2014, consistait à fournir à l’armée libanaise des matériels français et des formations grâce à un financement saoudien.
Une seule livraison, de missiles Milan et des postes de tir associés, a eu lieu dans le cadre du DONAS. Ce programme était manifestement enlisé depuis le changement dynastique en Arabie saoudite, mais les raisons du blocage et le sort réel du contrat étaient jusque-là peu clairs. Plusieurs interprétations avaient été présentées à la mission, sous forme d'hypothèses. Les difficultés observées correspondaient-elles à une simple reprise en main du dispositif par les nouvelles équipes dirigeantes saoudiennes, à des interrogations sur les intermédiaires, à des difficultés budgétaires liées à la baisse du prix du pétrole ou à une nouvelle phase de désintérêt pour le Liban ?
En réalité, les Saoudiens craignaient qu’une partie des armes destinées à l’armée ne finissent entre les mains du Hezbollah. Des garanties avaient été demandées dès l’origine, mais celles qui ont été données n’ont pas été jugées suffisantes. Les Saoudiens sont donc revenus vers la France et le contrat a été rééchelonné. Finalement, Riyad a décidé de faire jouer la clause du contrat permettant de ne pas livrer les armes au Liban mais en Arabie saoudite, au cas où les garanties ne seraient pas jugées satisfaisantes in fine.
L’interruption de ce programme, ainsi que celle du « milliard d’urgence », fragilisent les forces de sécurité. Le DONAS, plus important soutien dans toute l’histoire de l’armée libanaise, avait suscité d’importantes attentes, comme la mission a pu le constater à Beyrouth au mois de septembre 2015.
- A cela s’ajoute la demande faite par Riyad, le 23 février dernier, à ses ressortissants de ne plus se rendre au Liban, pour des motifs de sécurité, et de quitter le pays pour ceux qui s’y trouvent déjà. Des mesures similaires ont été prises par d’autres pays du Conseil de coopération du Golfe – Emirats arabes unis, Koweït, Bahreïn et Qatar – qui ont déconseillé à leurs ressortissants de se rendre au Liban.
- La pression est montée d’un cran supplémentaire en mars dernier lorsque le Conseil de coopération du Golfe et ensuite la Ligue arabe ont décidé de classer le Hezbollah, dont il faut rappeler qu’il participe au gouvernement libanais, comme organisation terroriste.
- On peut également citer la décision de la chaîne satellitaire saoudienne Al-Arabiya de fermer ses bureaux à Beyrouth, début avril, et la décision de l’opérateur satellitaire égyptien NileSat, l’un des plus importants du monde arabe, de cesser la diffusion de la chaîne du Hezbollah, al-Manar.
ii. Les inquiétudes pour l'avenir
Le durcissement de la politique saoudienne est à l’origine de vives inquiétudes au Liban. La pression et les tensions qui en résultent constituent déjà un risque. Surtout, d’éventuelles mesures supplémentaires pourraient avoir de graves conséquences en matière économique et sur le plan politique.
Des rumeurs d’expulsions massives de ressortissants libanais résidant dans le Golfe, notamment chiites, et de gel des transferts de fonds depuis l’Arabie saoudite ont circulé, bien qu’elles aient été démenties. Ces rumeurs ont été alimentées par un certain nombre d’éléments. Les autorités saoudiennes ont annoncé avoir pris des sanctions contre plusieurs hommes d’affaires libanais soupçonnés d’être liés au Hezbollah. Un quotidien koweïtien a également rapporté que plus d’un millier de Libanais et de Syriens résidant au Koweït seraient privés de leurs titres de séjour en raison de liens avec le Hezbollah. Le Bahreïn a annoncé mi-mars avoir expulsé des Libanais pour appartenance ou soutien à ce mouvement.
L’une des principales inquiétudes est de nature économique, pour plusieurs motifs : l’importance de la diaspora dans le Golfe – il y aurait un demi-million de Libanais y résidant, dont 300 000 en Arabie saoudite – et l’ampleur de ses transferts financiers, qui constituent un des piliers du système bancaire libanais (71) ; les avoirs placés au Liban ; les exportations agricoles vers le Golfe. Cette région représentant un poumon économique pour le Liban, le choc négatif serait conséquent. Or, on l’a vu, l’économie est déjà en situation de grande faiblesse depuis 2015, avec une croissance tendant vers zéro.
Sur le plan politique, le durcissement des positions de Riyad a des répercussions. Saad Hariri se trouve dans une position difficile entre, d’une part, les exigences saoudiennes de fermeté à l’égard du Hezbollah et, d’autre part, son dialogue avec ce mouvement et son alliance avec Sleiman Frangié, allié du Hezbollah, en vue d’accéder à la présidence du Conseil (72). Les Kataëb venaient aussi d’engager un dialogue avec le Hezbollah. Saad Hariri affronte désormais une remise en cause ouverte de ses positions en provenance de son propre camp. Le député de Tripoli Khaled Daher accuse le Hezbollah d’être un parti criminel et terroriste, d’autres députés sunnites saluent publiquement la décision de suspendre l’aide aux forces armées, tandis que le ministre démissionnaire Achraf Rifi a dit du Premier ministre Tammam Salam qu’il n’est certes pas de connivence avec le Hezbollah mais qu’il incapable de faire le poids face à lui (73).
Au-delà de l’affaiblissement des alliés de l’Arabie saoudite au Liban, les décisions de Riyad contribuent à approfondir le clivage politico-confessionnel. Si l’intention des dirigeants saoudiens consiste à faire pression sur leurs partisans pour qu’ils se montrent moins conciliants envers le Hezbollah, en vue de contrer son influence et celle de l’Iran, se pose alors la question de savoir si le gouvernement actuel peut tenir. Déjà en grande difficulté, il associe le 8 mars et le 14 mars dans une logique d’entente nationale. Ce gouvernement ne risquerait-il pas de tomber si la pression saoudienne augmentait significativement ? Du fait de la vacance présidentielle et de la paralysie du Parlement, il n’y aurait alors plus d’institutions politiques en état de fonctionner, même a minima. Autre question, que deviendraient le consensus national sur la lutte anti-djihadiste et la coopération actuelle entre les services de renseignement et de sécurité, dont on a évoqué les affiliations politiques et confessionnelles différentes ? Enfin, qu’adviendrait-il du dialogue national et des dialogues bilatéraux qui jouent un rôle important pour contenir la montée des tensions confessionnelles ?
2. L’avenir du Liban dépendra étroitement de l’évolution de la crise syrienne
L’évolution de la situation en Syrie sera un autre élément déterminant pour le Liban. Les destinées de ces deux pays avaient paru se dissocier davantage, dans le sens d’une plus grande autonomie libanaise, à partir du retrait des forces d’occupation syriennes en 2005, puis avec l’affaiblissement du régime de Damas depuis 2011. Une nouvelle imbrication a néanmoins vu le jour progressivement du fait des répercussions considérables de la crise syrienne sur le Liban. Quant à l’avenir, la plupart des hypothèses que l’on peut formuler pour l’évolution de la Syrie se traduiraient par d’importantes conséquences de l’autre côté de la frontière.
a. La crise en Syrie : des incertitudes qui laissent le champ ouvert à trois scénarios principaux
En Syrie, le nouveau retournement de situation qui vient de se produire depuis le début de l’intervention russe, en septembre 2015, ne permet pas de lever les incertitudes. Alors que le régime paraissait jusque-là très en difficulté sur le terrain, sa position s’est considérablement renforcée grâce au soutien militaire direct de la Russie, que l’annonce d’un retrait partiel, mi-mars, ne semble pas avoir amoindri. Toutefois, il n’est pas certain que l’on puisse dégager de cette tendance une prévision fiable quant à l’issue de la crise.
Le conflit syrien ayant déjà connu de nombreux et profonds bouleversements, un nouveau changement d’équilibre n’est pas à exclure, notamment si les soutiens de l’opposition renforçaient significativement leur aide militaire. Ensuite, il semble loin d’être acquis que l’état des forces combattantes du régime, qui passent pour être exsangues, lui permette de reprendre militairement le contrôle de l’ensemble du pays, malgré le soutien russe et celui des milices chiites venues à son secours du Liban, d’Iran, d’Irak, d’Afghanistan et du Pakistan. Enfin, un processus de négociations reste en cours, au moins sur le papier, de même que la relative cessation des hostilités annoncée au mois de février dernier.
Il est néanmoins possible d’esquisser plusieurs scénarios d’évolution. La crise syrienne pourrait s’achever soit par une solution politique, ce que la France espère, soit par la victoire d’un camp sur les autres – le régime, les djihadistes ou l’insurrection dite « modérée », les Kurdes syriens formant une quatrième partie dont l’objectif est différent, puisqu’il consiste à établir une région autonome au Nord et non à prendre le contrôle de l’ensemble de la Syrie. Mais la crise peut également se poursuivre pour une durée indéterminée, avec le risque d’une désintégration complète du pays à terme.
b. Pour chaque scénario relatif à la Syrie, des répercussions importantes au Liban
Il convient d’examiner chacun de ces scénarios sous l’angle de ses conséquences potentielles au Liban, puis sous celui de sa probabilité.
i. Le règlement politique de la crise en Syrie, peu probable à ce stade, aurait des effets stabilisateurs sur le Liban s’il n’était pas jugé déséquilibré
Par définition, une solution négociée en Syrie devrait conduire à la fin des combats, du moins entre le régime et l’insurrection non-djihadiste, et favoriser l’éradication de Daech. Cela s’accompagnerait de nombreux effets positifs sur le Liban. La menace sécuritaire importée de l’autre côté de la frontière se réduirait probablement, d’autant qu’il serait possible de concentrer toutes les forces sur la lutte contre Daech et les autres organisations djihadistes en Syrie. Une partie significative des réfugiés retourneraient dans leur pays d’origine à mesure de l’amélioration de la situation économique et sécuritaire. La reconstruction de la Syrie, dont le coût a été estimé à 180 milliards de dollars sur dix ans par la Banque mondiale, se ferait en grande partie depuis le Liban et avec des acteurs économiques libanais. La fin de la crise contribuerait aussi à un apaisement des tensions confessionnelles et politiques au Liban. Enfin, un accord en Syrie qui reposerait sur une sorte de conciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite pourrait favoriser le déblocage de la situation institutionnelle libanaise.
Des effets déstabilisateurs sont néanmoins susceptibles de se produire. Le retour au Liban des nombreux combattants du Hezbollah déployés en Syrie pourrait affecter les équilibres internes. Certains interlocuteurs de la mission n’ont pas exclu que le Hezbollah saisisse cette occasion pour consolider sa mainmise sur les institutions libanaises en tentant un coup de force qui pourrait entraîner une escalade de la violence. Ce scénario n’est pas le plus probable (74), mais il pourrait gagner en crédibilité si la résolution de la crise en Syrie s’accompagnait d’un amoindrissement de l’influence iranienne, à la suite d’un accord entre grandes puissances, notamment la Russie, qui ne tiendrait pas suffisamment compte des intérêts de l’Iran. On peut déjà constater que l’influence russe auprès du régime de Damas et sur le dossier syrien en général s’est considérablement accrue depuis l’intervention militaire de septembre dernier, alors que le poids de l’Iran était jusque-là prédominant. La Russie et l’Iran n’étant que des alliés de circonstance, avec des objectifs et des intérêts différents en Syrie à terme, on voit mal pourquoi les Russes voudraient faire un cadeau aux Iraniens en cherchant à préserver leur influence dans la Syrie de demain. Un accord jugé défavorable à l’Iran, parrain et soutien du Hezbollah, pourrait conduire ce dernier à vouloir sécuriser ses propres positions au Liban.
Ces scénarios doivent être pris en compte, mais leur probabilité paraît limitée compte tenu des faibles chances d’un règlement politique de la crise syrienne dans l’immédiat.
Des discussions inter-syriennes ont certes repris à la faveur de la cessation des hostilités instaurée en février dernier sous l’impulsion déterminante des Etats-Unis et de la Russie, mais les deux cycles de négociations qui se sont déroulés à Genève n’ont débouché sur aucun résultat. Les positions restent en effet très éloignées : malgré sa situation de faiblesse sur le terrain, l’opposition « modérée » continue à demander la mise en place d’une autorité de transition, dotée des pleins pouvoirs exécutifs, et le départ immédiat de Bachar al-Assad ; le régime, de son côté, n’est ouvert qu’à la participation de quelques opposants à un gouvernement élargi, sous l’égide du président Assad. Par ailleurs, les conditions qui ont permis la reprise des négociations ne sont plus réunies : la cessation des hostilités est remise en cause par la recrudescence des violences depuis le mois d’avril, en dépit de trêves locales et temporaires ; ensuite, l’amélioration de la situation humanitaire n’est plus guère qu’un souvenir.
La voie paraissait pourtant tracée par la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 18 décembre 2015 : d’abord la mise en place d’une nouvelle gouvernance « inclusive », puis l’adoption d’une nouvelle Constitution par les Syriens et enfin la tenue d’élections libres et régulières. D’importantes zones de flou demeurent toutefois sur des points majeurs, notamment la nature et les compétences du nouveau gouvernement transitoire, le sort d’Assad et la composition du corps électoral, élargi ou non aux réfugiés hors de Syrie. Si ces ambiguïtés ont permis de lancer le processus actuel de négociations, il reste difficile de clarifier la plupart des questions pendantes sans faire échouer dans le même temps ces négociations.
ii. La victoire militaire de l’un des camps syriens, scénario lui aussi peu probable à ce stade, se traduirait par une instabilité accrue au Liban
La remise en cause de la cessation des hostilités, depuis le mois d’avril, ne s’est pas traduite par une reprise complète des affrontements sur tous les fronts antérieurs. Ce scénario pourrait néanmoins se concrétiser compte tenu du blocage des négociations. Une issue envisageable serait alors la victoire de l’une des parties syriennes au conflit. Dans toutes les hypothèses, la stabilité du Liban serait très probablement affectée.
La chute du régime syrien, sous les coups des djihadistes ou de l’insurrection dite « modérée », affaiblirait considérablement les partis du 8 mars, pro-syrien, en particulier le Hezbollah. La scène politique libanaise en serait déstabilisée et l’on pourrait également assister à une radicalisation d’une partie des chiites et des chrétiens en réaction à la menace djihadiste ou à la crainte d’une mainmise sunnite sur le Liban. Une reconstitution accélérée des milices serait à anticiper. Le Hezbollah serait très affaibli par la perte de sa carte syrienne et par la rupture de ses lignes d’approvisionnement directes avec l’Iran. Afin de consolider ses positions, le Hezbollah pourrait être tenté par l’hypothèse du coup de force précédemment décrite.
Une victoire des djihadistes en Syrie mettrait en danger l’intégrité territoriale du Liban – c’est un objectif déclaré de ces groupes. Pour les raisons que la mission d’information a précédemment exposées (75), l’armée libanaise éprouverait sans doute les plus grandes difficultés à contenir une poussée djihadiste de plus grande ampleur que celle de la mi-2014 et à garder le contrôle des frontières. Il en résulterait une forte dégradation sécuritaire, voire une nouvelle guerre au Liban, accompagnée d’un effondrement économique. Par ailleurs, la victoire des djihadistes en Syrie conduirait probablement à un nouvel afflux de réfugiés, notamment des chrétiens, des alaouites et des chiites.
En cas de victoire du camp Assad, un retour à la normale paraît exclu en Syrie. Il est probable qu’une grande partie de la communauté sunnite ne rentrerait pas dans le rang si le dictateur restait au pouvoir, surtout après les crimes qui ont été commis. Sans un nouveau pacte politique et social, largement accepté, le terreau favorable à la radicalisation et à l’expansion djihadiste en Syrie et dans les pays voisins demeurerait, ainsi qu’un certain niveau d’insurrection. On peut aussi penser qu’au moins une partie des réfugiés syriens, très majoritairement sunnites, ne rentreraient pas chez eux.
En cas de victoire militaire de son allié syrien, le Hezbollah serait nécessairement renforcé et aurait désormais les mains libres. Une première question est de savoir ce qu’il ferait au Liban de ses dividendes acquis sur le front syrien. L’hypothèse d’un coup de force, on l’a dit, n’est pas la plus probable même si elle n’est pas à écarter. Mme Aurélie Daher a estimé que le Hezbollah avait déjà la main sur tous les leviers qui l’intéressaient. En revanche, on entendrait dire dans les couloirs du Hezbollah que cela pourrait être l’occasion de mettre définitivement hors-jeu les chrétiens libanais protestataires, au profit des alliés du mouvement chiite (76).
D’autres interlocuteurs ont évoqué le risque que les sunnites libanais cherchent à mobiliser des forces dans la perspective d’une action du Hezbollah ou d’un affrontement avec ce mouvement, suggérant qu’il pourrait s’agir des réfugiés syriens. Ces derniers auraient une expérience des armes, pour avoir fait leur service militaire en Syrie, et ne porteraient pas nécessairement le Hezbollah dans leur cœur après avoir été chassés de leur pays. Il existe des précédents de déstabilisation du Liban à la suite de la mobilisation et de la militarisation d’une partie des réfugiés présents sur son sol – en l’occurrence les Palestiniens.
Ensuite, on ne peut pas exclure qu’un régime syrien victorieux cherche à reprendre la main au Liban ou simplement à y renforcer ses alliés, par exemple en menant une nouvelle campagne d’assassinats politiques contre ses opposants libanais les plus farouches. Ce ne serait malheureusement pas la première fois dans l’histoire du pays.
Autre hypothèse, une victoire du régime syrien pourrait conduire à une action militaire préemptive d’Israël contre le Hezbollah, parce que la menace que ce mouvement représente se serait alors considérablement renforcée (77).
- Ces scénarios ne doivent pas être exclus, mais l’hypothèse d’une victoire militaire de l’un des camps syriens, après déjà cinq années de conflit, reste peu probable à ce stade.
Le régime est militairement très affaibli, car il ne parvient plus à mobiliser des effectifs suffisants dans son vivier naturel et dépend de plus en plus des milices chiites déployées sur son sol, ainsi que du soutien aérien et des forces spéciales de la Russie. En langage contre-insurrectionnel, de telles forces peuvent « nettoyer » le terrain, mais pas le « tenir » durablement.
Quant à l’opposition « non-djihadiste », elle se trouve aujourd’hui dans une situation de grande faiblesse militaire et l’on peut s’interroger sur sa capacité à renverser une nouvelle fois la balance grâce à un soutien éventuellement accru de ses principaux parrains régionaux, certains pays du Golfe et la Turquie. Une intervention militaire directe, à l’image de ce que fait aujourd’hui la Russie, paraît très peu probable sans parapluie américain. Malgré une rhétorique parfois chaude, une telle intervention est d’ailleurs officiellement écartée si cette condition n’est pas remplie. Ensuite, la livraison d’armements plus sophistiqués, tels que des « manpads », qui pourraient contribuer à changer la donne militaire, dépend probablement de la levée du véto américain.
Daech, enfin, est désormais soumis à de fortes pressions. Cette organisation terroriste est loin d’être éradiquée en Syrie ou en Irak, mais la reprise de Palmyre en mars dernier, avec l’aide des forces aériennes et des forces spéciales russes, ainsi que des milices chiites, témoigne de son recul. L’hypothèse d’une chute de Damas entre ses mains, un temps évoquée, n’est plus d’actualité.
iii. L’absence de règlement du conflit syrien : potentiellement peu de répercussions supplémentaires au Liban dans l’immédiat et des effets plus ambigus à terme
La probabilité relativement faible des scénarios précédents – soit un règlement politique du conflit en Syrie, soit la victoire militaire de l’un des camps sur les autres – conduit à envisager que la crise syrienne se poursuive pour une durée indéterminée. Plusieurs hypothèses sont alors envisageables : une reprise générale des combats ; un scénario intermédiaire se caractérisant par la poursuite d’une désescalade relative, combinée à un processus de négociations qui n’aboutit pas, comme c’est aujourd’hui le cas ; un autre scénario intermédiaire qui verrait la crise en Syrie se transformer plus nettement en « conflit gelé », à l’image de la Géorgie, de l’Abkhazie ou de l’Ukraine.
- La poursuite des combats s’accompagnerait probablement du maintien de la situation actuelle au Liban, c’est-à-dire une stabilité dégradée. Ce scénario est le plus probable pour les six à douze mois à venir. Les menaces décrites dans la première partie du présent rapport continueraient à peser, mais les forces de résilience du Liban permettraient sans doute de maintenir un contrôle relatif et de limiter le glissement du pays vers l’abîme. L’évolution du Liban serait alors principalement déterminée par des facteurs endogènes.
- Des combats d’une intensité réduite en Syrie pourraient, néanmoins, s’accompagner d’une certaine réduction de la pression sur le Liban voisin. S’il était possible de limiter significativement le conflit, d’améliorer la situation humanitaire et de préserver un processus de négociations entre les parties, comme ce fut le cas transitoirement au début de l’année, le Liban pourrait bénéficier d’une fraction des effets positifs liés à un règlement du conflit syrien : un début de reconstruction dans certaines parties de la Syrie, ce qui serait bénéfique pour l’économie libanaise, une atténuation de la menace sécuritaire, voire le retour volontaire d’une partie des réfugiés dans des zones qu’ils jugeraient relativement sûres.
- L’hypothèse d’un conflit « gelé » de manière durable n’est pas la plus vraisemblable, car de nombreuses forces paraissent devoir s’y opposer. Les belligérants n’ont manifestement pas abandonné une logique de victoire militaire, en particulier le régime. On peut aussi se demander dans quelle mesure les parties régionales pourraient s’accommoder d’un véritable gel des positions. Certains pays du Golfe accepteraient-ils le maintien d’Assad, même dans une « petite Syrie » ? Les Turcs accepteraient-ils la consolidation et l’unification du Kurdistan syrien ?
Une sorte de « conflit gelé » pourrait néanmoins convenir aux Américains jusqu’à la prochaine élection présidentielle, puisque cela permettrait d’afficher un succès relatif en matière de politique étrangère (réduction des violences en Syrie, amélioration de la situation humanitaire, processus de négociations en cours même s’il n’aboutit pas pour le moment). Il pourrait en être de même pour les Russes dont les principaux objectifs ont été atteints (empêcher le régime syrien de s’effondrer, le mettre en position de force dans la perspective d’une négociation, s’imposer comme un partenaire des Américains dans une crise internationale majeure, afin de rompre avec l’isolement provoqué par la crise ukrainienne, et ainsi reconstituer le duopole russo-américain du temps de la guerre froide).
- A plus long terme, la stabilité du Liban risque d’être mise à mal par l’approfondissement, probablement définitif, de la division territoriale de la Syrie.
Pour de nombreux interlocuteurs de la mission, la Syrie d’hier ne reverra jamais le jour. Il y a désormais une profonde division de facto du pays entre une « Syrie utile » sécurisée par le régime et que l’on pourrait qualifier d’Alaouistan, un Kurdistan quasiment autonomisé, un Druzistan qui essaie de se tenir à l’écart du conflit et un Sunnistan aux mains de groupes insurgés plus ou moins « modérés » ou djihadistes. Bien que la cohésion et la viabilité de ce dernier ensemble puissent faire l’objet d’un certain nombre d’interrogations, compte tenu de la nature très composite des groupes qui le dominent actuellement, rien ne semble devoir arrêter cette nouvelle territorialisation de la Syrie si la crise se poursuit.
En ce qui concerne le Liban, une première question consiste à savoir si ce phénomène de division s’arrêterait à la frontière, le Liban étant lui-même très composite. Il pourrait en résulter des pressions supplémentaires sur la frontière et la coexistence du pays, mais l’effet de domino ne sera pas automatique. En revanche, le « Sunnistan » syrien resterait probablement un havre pour les djihadistes et un trou noir attisant les tensions confessionnelles et politiques sur le plan régional. De puissants facteurs de déstabilisation du Liban continueraient donc d’exister.
Les risques sont susceptibles d’être atténués par une éventuelle fédéralisation des nouvelles entités syriennes, car cela permettrait de restaurer un certain degré d’unité et peut-être de pacifier la situation à la frontière. La réalisation d’un tel scénario dépend toutefois de plusieurs éléments difficilement prévisibles : l’évolution générale de la situation militaire en Syrie ; la stabilité des zones de contrôle actuelles, qui ne seront pas nécessairement maîtrisables dans la durée, viables économiquement et gouvernables ; la volonté des acteurs concernés de constituer une fédération, ce qui est loin d’être établi à l’heure actuelle.
3. Le scénario d'un nouveau conflit avec Israël
Autre inquiétude, le statu quo relatif qui prévaut au Liban pourrait être brisé par un nouveau conflit avec Israël. La plupart des interlocuteurs interrogés sur ce sujet par la mission ont estimé que l'hypothèse était peu probable à ce stade, mais qu'elle ne pouvait pas être exclue compte tenu de la montée en puissance du Hezbollah et de l'histoire du Liban, très marquée par les conflits avec Israël.
a. La montée en puissance militaire du Hezbollah
Avec l'Iran, le Hezbollah libanais est considéré en Israël comme la principale menace pesant sur le pays et il existe un consensus sur le renforcement de ce mouvement depuis le début du conflit syrien. Selon M. Joseph Bahout (78), le Hezbollah serait monté en puissance sur le plan militaire au point de devenir la plus importante force conventionnelle dans la région, après Israël. Si le Hezbollah peut être affaibli par ses pertes humaines dans le conflit syrien, ses capacités tactiques se sont développées et les Israéliens redoutent un renforcement de son arsenal militaire. Le transfert d'armes avancées ou chimiques au Hezbollah est une ligne rouge affichée par Israël, conduisant à des frappes en Syrie, désormais publiquement reconnues.
Les Israéliens considèrent que leur pays est désormais menacé par un arsenal de 100 000 missiles et roquettes de courte et moyenne portées, d'un rayon d'action de 300 km et d’une bien plus grande précision. Une menace directe pèserait ainsi sur plus de la moitié de la population, soit quatre millions d'habitants, ainsi que sur les infrastructures essentielles – notamment les industries pétrochimiques, les centrales électriques les plus importantes et quatre des plus grands hôpitaux.
b. L'hypothèse de frappes préemptives israéliennes
Après la conclusion d’un accord sur le programme nucléaire iranien qui devrait avoir pour conséquence de renforcer les moyens financiers dont dispose Téhéran pour mener sa politique régionale, du fait de la levée des sanctions, il n'est pas impossible de penser que la seule manière pour Israël de vivre avec un Hezbollah devenu aussi puissant serait de mener des frappes préventives contre lui. Si les Israéliens considèrent qu'un nouveau conflit est de toute manière inévitable à terme, compte tenu de l’hostilité radicale du Hezbollah et des doutes sur sa transformation en simple parti politique libanais, ce scénario n’est pas invraisemblable, bien qu'Israël démente avoir une telle intention.
Selon M. Joseph Bahout, le moment pourrait ne pas être très éloigné, car le Hezbollah souffre en Syrie et ses troupes d'élite sont actuellement présentes sur d'autres théâtres d'opérations. Une intervention israélienne pourrait toutefois n’être déclenchée qu’à une étape ultérieure, et plus hypothétique, dans le cas d'un règlement du conflit syrien qui serait favorable aux intérêts de l’Iran et se traduirait par un retour au Liban du contingent envoyé en Syrie par le Hezbollah.
Une nouvelle intervention militaire israélienne pourrait avoir des conséquences particulièrement dévastatrices pour le Liban. Selon certains analystes, les destructions pourraient être bien supérieures à celles du conflit de 2006, déjà considérables, se rapprochant plutôt du sort réservé à Gaza, dans une logique d'éradication du Hezbollah, de punition collective et de dissuasion.
c. Le Hezbollah n'a pas d'intérêt à déclencher une nouvelle crise avec Israël tant que le conflit syrien n'est pas réglé
Du côté du Hezbollah, sans préjuger de la question des intentions profondes de ce mouvement, tous les interlocuteurs de la mission ont considéré qu’il ne souhaiterait pas un nouveau conflit avec Israël dans les circonstances actuelles. Trop occupé militairement en Syrie, il n'aurait pas intérêt à ouvrir un nouveau front et serait désireux de stabilité au Liban.
De récents discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, paraissent en témoigner. S'ils sont empreints de graves menaces, en particulier celle d'une attaque contre des industries chimiques en Israël, la rhétorique est surtout dissuasive. Il s'agit de montrer que le Hezbollah s'est préparé à une riposte foudroyante et dévastatrice pour les civils en cas d'attaque israélienne.
d. L'éventualité d'un déclenchement accidentel
La situation précaire qui prévaut le long de la « ligne bleue » (79) ou du côté du Golan conduit à ne pas écarter une dernière hypothèse. Une erreur de calcul reste possible, comme en 2006, et un accrochage de niveau tactique pourrait dégénérer en conflit avec Israël.
C. TROIS SCÉNARIOS D'ÉVOLUTION POUR LE LIBAN
Du rapprochement entre les évolutions internes ou externes potentielles que le rapporteur a présentées, on peut déduire trois scénarios principaux.
1. La poursuite de la tendance actuelle, se caractérisant par une lente dégradation de la situation interne, mais sans aggravation majeure qui conduirait à un effondrement du Liban ou à un conflit ouvert : ce scénario est le plus probable pour les six à douze mois qui viennent.
Compte tenu de la fatigue de certaines forces de résilience essentielles, le maintien d'une stabilité toujours plus dégradée risque néanmoins d'être de plus en plus difficile dans la durée. Le Liban basculerait alors vers le scénario n°2.
2. Une rupture des équilibres, soit par usure des cordes de rappel internes, soit en raison d'un choc supplémentaire, endogène ou d'origine externe : la mission considère que ces hypothèses, si elles ne sont pas les plus probables à ce stade, ne sont nullement à exclure.
Plusieurs types de chocs peuvent être envisagés :
- un effondrement du gouvernement, à la suite d'une exacerbation des tensions entre le 8 et le 14 mars, qui résulterait elle-même de l'aggravation de la confrontation entre l'Arabie saoudite et l'Iran ou d'un durcissement supplémentaire de la politique saoudienne à l'égard du Liban ;
- un coup de force du Hezbollah, dans une sorte de répétition du 7 mai 2008, si ce mouvement sentait sa position menacée ou, au contraire, dans un accès d'hybris lié à une éventuelle victoire du régime de Damas ou au règlement de la crise syrienne dans un sens favorable aux intérêts de l'Iran ;
- une nouvelle intervention militaire israélienne contre le Hezbollah, afin de casser sa montée en puissance, ou à la suite d'un incident conduisant à un engrenage.
3. Une sortie de crise au moins partielle, grâce à un sursaut de la classe politique libanaise, à une embellie des relations entre l'Iran et l'Arabie saoudite ou à un règlement de la crise syrienne : dans l'immédiat, ces trois hypothèses font partie des moins probables.
Les deux premiers types de sortie de la crise institutionnelle et politique (par le haut en interne ou par le biais des soutiens régionaux) permettraient de relancer les institutions et d'apporter, sans doute, une partie des réponses nécessaires devant la montée des périls à l’intérieur du pays.
Toutefois, la stabilisation du Liban serait incomplète sans un règlement de la crise syrienne qui conduirait à alléger la pression (menace sécuritaire importée, situation économique dégradée et présence massive de réfugiés), tout en contribuant à apaiser les tensions politico-confessionnelles internes.
D. A PLUS LONG TERME, DES PERSPECTIVES LIMITÉES POUR UNE SORTIE DU SYSTÈME CONFESSIONNEL
Dès lors que la mission a choisi de travailler sur les scénarios d’évolution du Liban, la question d’un éventuel dépassement du système confessionnel, qui répartit les responsabilités politiques et administratives entre les principales communautés du pays, s’est naturellement posée.
Bien que ce système soit en général considéré comme faisant partie d’une sorte d’essence du Liban, la question de son dépassement est théoriquement inscrite à l’ordre du jour depuis la création du pays. La Constitution adoptée en 1926 présentait déjà le confessionnalisme politique comme une nécessité transitoire, puis les accords de Taëf ont explicitement appelé à une sortie progressive. Aujourd’hui, chacun peut constater les dysfonctionnements dont le confessionnalisme s’accompagne, notamment son incapacité à assurer une régulation efficace.
Il serait difficile de ne pas accueillir favorablement une évolution qui ferait sortir le pays de ce système. Une telle évolution, souhaitable dans l’intérêt du Liban et des Libanais, paraît néanmoins peu vraisemblable au regard de l’emprise exercée par le confessionnalisme, de l’absence de forces politiques soutenant ce qui s’apparenterait à une véritable « révolution culturelle », mais aussi des circonstances actuelles. La nécessité de préserver la stabilité du Liban paraît en effet assez peu compatible, à ce stade, avec l’engagement d’un processus de révision en profondeur des institutions et de leur fonctionnement.
1. Un système profondément ancré dans l’histoire et les réalités socio-culturelles
Le communautarisme libanais revêt plusieurs formes dont la combinaison peut expliquer l’emprise et la persistance de ce phénomène. Il s’agit d’abord d’un mode d’organisation politico-administratif qui a été mis en place dès le XIXe siècle et qui a perduré grâce à son rôle de « plus petit dénominateur commun » dans un paysage politique et une société durablement divisés. Mais c’est également un système socio-culturel. La force du communautarisme tient à ce qu’il n’est pas seulement entré en vigueur dans les textes, mais aussi dans les esprits.
a. Un mode d’organisation politique et administratif qui plonge ses racines dans l’histoire contemporaine du Liban
Contrairement à une idée répandue, le Liban n’est pas passé sous la coupe de puissantes forces communautaires à la suite de la guerre civile de 1975-1990. La répartition du pouvoir et des charges publiques entre les principales communautés confessionnelles a vu le jour dès qu’une entité libanaise est apparue au milieu du XIXe siècle, dans les décombres d’un empire ottoman déjà finissant et bientôt complètement dépecé. C’est une réalité politico-administrative qui structure le Liban depuis le début de son existence.
i. L’introduction du confessionnalisme politique dès l’apparition d’une entité libanaise sur la carte régionale
Le confessionnalisme politique a été instillé au Liban dès les années 1840, lorsque le Liban a été divisé en deux préfectures, l’une maronite et l’autre druze, après de premiers massacres intercommunautaires et sous une pression étrangère. Comme l’a souligné M. Georges Corm devant la mission d’information (80), cette période marque la première tentative de politisation et d’instrumentalisation des communautés libanaises par des puissances étrangères, en l’occurrence les Français et Britanniques, les premiers soutenant les maronites et les seconds s’appuyant sur les druzes.
Mais c’est en 1861, après de nouveaux troubles intercommunautaires et l’envoi d’une flotte française au Liban pour rassurer la population maronite, que le confessionnalisme est véritablement consacré au Liban en tant que base des institutions. Un conseil représentatif des communautés religieuses de la Montagne est appelé à siéger aux côtés d’un gouverneur, qui doit être un sujet ottoman chrétien, et d’un conseil des consuls des puissances européennes – France, Royaume-Uni, Prusse, Autriche-Hongrie, Russie. Si ce régime dit de la « Mutassarrifiya » voit le début d’une représentation politique au Liban, celle-ci est organisée sur une base confessionnelle, proportionnellement au poids de chaque communauté.
ii. Une réalité confortée sous le mandat français
Lorsque le pays se dote en 1926 d’une Constitution, inspirée des institutions françaises de la IIIe République, l’Assemblée représentative continue à être modelée sur la base d’une répartition communautaire. Depuis cette époque, la loi électorale accorde les sièges de députés aux différentes communautés, selon un système reflétant le seul recensement jamais réalisé au Liban, celui de 1922 (81). Comme il y avait à l’époque six chrétiens pour cinq musulmans, la formule 6/5 est restée en vigueur jusqu’à la fin de la guerre civile.
La répartition confessionnelle du pouvoir a été consacrée par l’article 95 de la Constitution de 1926, en vigueur jusqu’aux accords de Taëf. Même si ce n’est officiellement qu’à titre provisoire, « dans une intention de justice et de concorde », « les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère ». L’institutionnalisation du communautarisme s’est poursuivie avec deux arrêtés de 1936 et de 1938, du haut-commissaire français au Liban, par lesquels la notion de communauté historique a été définie.
Le confessionnalisme politique libanais repose également sur une tradition qui attribue le poste de Président de la République à un chrétien maronite, celui de Premier ministre – en réalité, de Président du Conseil des ministres – à un musulman sunnite, et celui de Président de la Chambre des députés à un musulman chiite. Comme le note M. Georges Corm (82), ce n’est pourtant qu’après l’indépendance et le « Pacte national » de 1943 que la répartition communautaire des plus hautes fonctions politiques s’est fixée de manière rigide. Sous le mandat, trois des six premiers Présidents de la République étaient certes chrétiens, mais pas maronites. On compte ainsi deux Présidents grecs orthodoxes et un Président protestant. De même, les premiers chefs du Gouvernement n’étaient pas sunnites, mais maronites, et la présidence du Parlement n’était pas attribuée à une seule communauté sous le mandat français.
Dans la fonction publique, les emplois sont répartis en vertu de coutumes qui peuvent donner lieu à des tensions entre communautés, alors que le nouvel article 95 de la Constitution prévoit que seuls les postes de première catégorie doivent être soumis à une répartition communautaire. M. Georges Corm, ancien ministre des finances, a précisé devant la mission que l’attribution des fonctions s’est figée jusqu’aux huissiers des ministères. L’article 12 de la Constitution, qui consacre théoriquement l’égale admissibilité des citoyens libanais à tous les emplois publics « sans autre motif de préférence que leur mérite et leur compétence », reste lettre morte. Dans un ouvrage consacré au système communautaire libanais et à ses perspectives de dépassement (83), M. Mounir Corm a rapporté l’échec d’un projet d’Ecole nationale d’administration (ENA) libanaise, qui devait permettre de recruter par concours quelques hauts fonctionnaires.
iii. Un système pérennisé malgré la lettre des accords de Taëf
A l’issue de la guerre civile, les accords de Taëf ont appelé à une sortie progressive du confessionnalisme, mais ce projet n’a pas été mis en œuvre. Dans les faits, l’application des accords a conduit à réviser les équilibres des institutions tout en consacrant la logique confessionnelle. A la place de la formule 6/5 antérieure, une représentation égale des chrétiens et des musulmans a été instituée au Parlement, proportionnellement entre leurs différentes communautés. Par ailleurs, l’essentiel des prérogatives jusque-là détenues par le Président de la République, maronite, a été confié au Conseil des ministres, ce qui a renforcé le rôle du Premier ministre, sunnite. Dans le même temps, l’influence du Président de la Chambre des députés s’est trouvée accrue.
b. Un « plus petit dénominateur commun » finalement durable en l’absence de projet national
Le système confessionnel ne devait être institutionnalisé au Liban, on l'a vu, qu'à titre provisoire et les accords de Taëf ont même prévu son dépassement progressif. Comment expliquer qu’il n’en ait rien été ? Selon Mme Carla Eddé, chef du département d'histoire et de relations internationales à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, le confessionnalisme politique s’est maintenu par défaut, en l'absence de projet politique fédérateur (84). Il demeure jusqu’à ce jour le « plus petit dénominateur commun ».
i. Deux rêves distincts à la création du Liban
Comme l’a souligné Mme Eddé lors de son audition, il existait deux visions profondément divergentes lors de la proclamation de l’Etat du « Grand Liban » par la France, en 1920 (85). La communauté sunnite libanaise est longtemps restée nationaliste arabe et pro-syrienne. Son rêve théorique était la fusion avec la Syrie, le Liban étant perçu comme une création imposée par la France, dont il avait fallu s’accommoder. Cette vision entrait naturellement en conflit avec celle des Libanistes, qui souhaitaient au contraire une émancipation dans le cadre d’un Liban séparé et indépendant, avec la protection de la France.
ii. Le « Pacte national » ou la tentative de concilier deux identités
Une esquisse de projet commun a vu le jour en 1943, avec le « Pacte national » conclu entre Riad El-Solh et Béchara El-Khoury, respectivement premier Président du Conseil (sunnite) et premier Président de la République (maronite) du Liban indépendant. Reposant sur ce que Georges Naccache a qualifié de « double négation » (86), le contenu de ce projet reste toutefois difficile à cerner de manière positive. Les chrétiens libanais renonçaient à une protection étrangère, tandis que les musulmans abandonnaient leur désir de rattachement à une entité arabe plus large.
La déclaration ministérielle du gouvernement de Riad El-Solh a défini ce projet dans les termes suivants, en octobre 1943 : « Le Liban est un pays à visage arabe qui puise ce qu’il y a de bon et d’utile dans la civilisation occidentale ». Il s’agissait ainsi d’allier des identités distinctes. Si le Liban a adopté officiellement la langue arabe et participé au conflit israélo-palestinien, il a notamment préservé les établissements français d’enseignement et l’apprentissage de certaines matières dans notre langue. Malgré la reconnaissance du « visage arabe » du Liban, les chrétiens restaient libres de continuer à regarder vers la France et l’Occident. Quant aux musulmans, il leur était en somme demandé d’accepter l’Etat libanais et son pluralisme. On se plaisait alors à décrire le Liban comme un « carrefour » entre l’Occident et le monde arabo-musulman.
Cette tentative de dépassement a fini par imploser en période de fortes tensions entre les deux identités politiques qu’il s’agissait de concilier. Une « petite guerre civile » a d’abord éclaté en 1958 entre les partisans de l’Union avec l’Egypte nassérienne et ceux du pacte de Bagdad, formé autour des Etats-Unis, ce qui a conduit à une intervention des Marines américains. En 1969, les Libanais se sont ensuite divisés entre les partisans de la résistance palestinienne et ceux qui ne voulaient pas la voir utiliser le territoire libanais. A cela s’est ajoutée une crise politique dont l’origine était une demande de plus grande participation politique pour les musulmans (87). On sait comment le pays a fini par exploser complètement dans les années 1970.
iii. Toujours deux visions concurrentes du Liban
Des projets différents ayant continué à s’affronter à la fin de la guerre civile, le confessionnalisme est resté le seul dénominateur commun jusqu’à aujourd’hui. Le projet porté par Rafic Hariri consistait à reconstruire le Liban dans la perspective d’une paix israélo-arabe que l’on croyait proche et dans le cadre d’une alliance avec les pays occidentaux et le camp arabe dit « modéré ». L’autre grand projet politique, celui du Hezbollah, consiste à défendre la légalité de la « résistance » à Israël, y compris par les armes, dans une perspective pro-iranienne et hostile à une paix israélo-arabe. L’antagonisme des projets s’est réaffirmé avec le très profond clivage politique qui a vu le jour en 2005 entre les coalitions dites du « 8 mars » et du « 14 mars » autour de l’assassinat de Rafic Hariri et de la question du départ des forces syriennes d’occupation. Ce clivage continue aujourd’hui à opposer deux visions du Liban, de ses alliances régionales et de la question des armes conservées par le Hezbollah.
c. Une emprise qui est également culturelle et sociale
Outre son ancrage historique et sa fonction de « plus petit dénominateur commun » dans un pays qui reste très divisé, le confessionnalisme est renforcé par une puissante emprise sur la société.
Selon une expression très évocatrice de Georges Corm, le citoyen libanais est enserré dans une « camisole communautaire » tout au long de sa vie quotidienne (88). Le communautarisme n’est pas seulement un système politico-administratif hérité du passé, mais aussi un système socio-culturel, entretenu par de puissants « appareils communautaires » qui se positionnent en intermédiaires obligés entre les citoyens libanais et l’Etat. On observe en général une conjonction entre un appareil politique, des médias et des moyens d’information et de propagande à la disposition de la communauté, des services sociaux variés et un appareil paramilitaire assurant des missions de sécurité et de renseignement (89).
Sur le plan éducatif, les institutions religieuses des communautés sont à l’origine de nombreuses écoles et universités. Dans le secteur de la santé, elles ont également fondé de nombreuses organisations caritatives et des hôpitaux modernes. Les services publics mis en place par l’Etat n’occupent qu’une place assez secondaire dans ces deux domaines. Quant aux grands médias, liés aux principaux responsables ou pôles communautaires du Liban, leur affiliation ne constitue guère un mystère compte tenu des orientations qu’ils suivent et affichent.
Autre aspect essentiel, les communautés religieuses sont compétentes pour tous les actes relevant du statut personnel, en particulier les mariages, les divorces et les successions. Comme dans d’autres pays de la région, le statut personnel est de nature religieuse, mais le Liban ne dispose pas d’un code unifié ou harmonisé en la matière. Chaque communauté dispose de son propre statut personnel, appliqué par des tribunaux confessionnels et protégé par l’article 9 de la Constitution (90). Bien que l’arrêté précité de 1936 ait permis l’institution d’une communauté de droit commun, dissociée des statuts personnels religieux, celle-ci n’a jamais vu le jour. Jusqu’à présent, aucune tentative d’instauration d’un statut personnel civil et facultatif n’a abouti. De nombreux Libanais se rendent ainsi à Chypre pour échapper aux contraintes religieuses en contractant un mariage civil, ensuite reconnu au Liban.
Comme l’a souligné M. Karim Emile Bitar lors de son audition (91), une « dose minimale de jacobinisme » a manqué au Liban, c’est-à-dire une volonté de créer une nation et de construire un Etat plus fort que les intérêts catégoriels et privés. Alors que l’œuvre intégratrice de la Troisième République a favorisé l’émergence de citoyens en France et renforcé la cohésion nationale, on s’est arrêté en chemin au Liban, où l’on a « réifié et essentialisé les communautés ».
Pour autant, il convient de ne pas se méprendre sur la nature des communautés libanaises, ni sur l’ampleur de la segmentation de la société. Après avoir relevé que les analystes occidentaux considèrent souvent les communautés confessionnelles du Liban « avec une sorte de regard d’ethnologue, comme s’il s’agissait d’espèces différentes les unes des autres », M. Bitar a souligné au contraire tout ce qu’elles ont en partage : non seulement la même langue, mais aussi dans une très large mesure la même culture, la même musique, la même nourriture et les mêmes traditions. A l’exception des Kurdes, peu nombreux, et des Arméniens, qui représenteraient 4 % de la population, les Libanais sont également issus d’un même groupe ethnolinguistique.
2. Un dépassement souhaitable du confessionnalisme, dans l'intérêt du Liban et des Libanais
Si le « modèle libanais » est parfois cité en exemple pour d’autres pays de la région, notamment dans la perspective d’une hypothétique reconstruction de la Syrie, ses dysfonctionnements paraissent de loin l’emporter sur ses vertus supposées. Il ouvre le Liban aux influences extérieures et l’expose aux répercussions des tensions et des crises régionales, favorise les antagonismes et les blocages internes, tout en poussant le pays à demeurer une démocratie incomplète et un Etat faible.
a. Des aspects positifs : la coexistence et une société relativement libre et ouverte
Si le confessionnalisme est le plus souvent perçu instinctivement de manière négative en France, République laïque, le « modèle libanais » peut apparaître comme une sorte de miracle au Proche et Moyen-Orient, face au déchaînement des tensions et de la violence dans les pays voisins.
De fait, les chrétiens et les musulmans, mais aussi les sunnites et les chiites, vivent au Liban ensemble et sans s’affronter, à quelques heures de vol de pays où l’on peut être décapité au nom d’une religion ou subir des pratiques génocidaires. A la différence de tant d’autres peuples de la région, les Libanais ne sont pas non plus soumis à l’autoritarisme d’une république sécuritaire ou d’une monarchie plus ou moins fortement teintée de religion et de répression.
Le confessionnalisme politique a bien quelque chose de démocratique, car il a été mis en place pour organiser la coexistence et la participation de tous. Bien qu’il ne soit pas équivalent au principe de pluralisme, il conduit à accepter l’existence d’autres acteurs que ceux de son propre groupe et à rechercher un accord avec eux. C’est tout le sens du partage confessionnel du pouvoir et des postes de responsabilité.
Ensuite, les Libanais vivent dans une société relativement libre et ouverte. Il règne un climat qui a longtemps fait du pays une sorte de « poumon » dans la région, attirant notamment des hommes politiques, des intellectuels, des journalistes et des artistes du monde arabe. A l’échelle régionale, le Liban, en particulier Beyrouth, compte un grand nombre de maisons d’édition, d’organes de presse et de médias audiovisuels, d’universités, de centres de recherche ou encore d’associations. Il est néanmoins vrai que la liberté dont on peut jouir dans ce pays n’est pas garantie et protégée par un Etat de droit, mais résulte plutôt de l’absence de l’Etat autoritaire et centralisateur que l’on trouve ailleurs dans la région. En ce sens, il s’agit plus d’une « licence », variable et parfois dangereuse pour la sécurité physique de qui en fait usage, que d’une authentique liberté.
b. Le confessionnalisme favorise les antagonismes et les blocages internes, tout en exposant le Liban aux répercussions des crises régionales
Malgré les aspects positifs que l’on vient de rappeler, le confessionnalisme n’a pas produit que des moments de stabilité au Liban, mais aussi des blocages et des tensions d’une grande violence.
Comme la grille de lecture communautaire prévaut très largement, les questions et les différends de nature politique tendent à se doubler d’une coloration confessionnelle marquée et à se transformer en sujets de discorde insolubles entre groupes politico-communautaires. De telles rivalités ne favorisent naturellement pas la recherche de l’intérêt général. Toute évolution potentielle tend à être considérée sous l’angle de l’avantage ou du désavantage pour la communauté, ce qui contribue à bloquer la prise de décision.
Ensuite, le confessionnalisme politique ouvre la porte aux influences extérieures. Comme partout, des groupes en situation de rivalité sur le plan interne cherchent presque naturellement des soutiens extérieurs. On observait déjà une clientélisation des communautés libanaises au milieu du XIXe siècle, dans le contexte du déclin de l’empire ottoman. Les communautés libanaises sont souvent devenues liées, voire inféodées, à des puissances étrangères leur promettant une protection et des soutiens de natures diverses, hier la France et le Royaume-Uni, plus récemment la Syrie et Israël, pendant la guerre civile, et aujourd’hui principalement l’Iran et l’Arabie saoudite.
Bien qu’un tel phénomène de clientélisation ne soit pas propre au Liban, le pluralisme libanais reproduit d’une manière particulièrement frappante les divisions régionales et internationales. Cela conduit à la transposition des tensions et des conflits extérieurs sur la scène nationale, comme ce fut le cas en 1958 dans l’affaire nassérienne (92), puis pendant la guerre civile et désormais depuis le déclenchement de la crise syrienne. La situation est aujourd’hui particulièrement inquiétante du fait de l’aggravation de l’antagonisme entre ce que l’on appelle au Liban les « axes régionaux » – d’un côté le « triangle chiite » constitué par l’Iran, la Syrie et le Hezbollah ; de l’autre un axe dominé par les monarchies sunnites du Golfe et proche des Etats-Unis. Le Liban est de facto pris dans cette « guerre des axes », malgré l’engagement souscrit par les factions libanaises, dans le cadre de la « déclaration de Baabda », de « se tenir à l’écart de la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux ».
La dépendance à l’étranger est à la fois subie et recherchée par les groupes politico-communautaires libanais. Elle est à l’origine de ressources supplémentaires à mobiliser dans le cadre des rivalités internes, tout en étant instrumentalisée pour justifier les blocages. La situation politique et institutionnelle actuelle est très révélatrice à cet égard. On se réfugie volontiers derrière l’idée que rien ne peut se régler au Liban sans résolution des tensions extérieures et l’on rejette la responsabilité sur ses rivaux en les accusant d’être étroitement soumis aux instructions de leurs « parrains » régionaux. Le blocage institutionnel serait donc principalement dû à ces derniers… Toute la perversion du système consiste à rechercher l’intervention des puissances extérieures pour ensuite la dénoncer comme une ingérence.
c. Le confessionnalisme pousse le Liban à demeurer une démocratie incomplète et un Etat faible
Outre ces différents maux, il faut souligner que le confessionnalisme ne permet pas à la démocratie et à l’Etat de se déployer pleinement au Liban.
i. Une démocratie incomplète et des institutions bloquées
Il s’agit d’un pays démocratique, certes, surtout si l’on compare le système politique libanais à la plupart des régimes voisins. Mais c’est une démocratie où le clientélisme reste très puissant, où la grille de lecture communautaire empêche la diffusion d’une véritable culture citoyenne, où le patrimonialisme politique demeure très présent et où le centre du pouvoir ne réside pas dans les institutions de l’Etat, mais entre les mains des principaux leaders communautaires.
Tout d’abord, le système confessionnel a permis aux élites politiques traditionnelles et désormais aux anciens chefs des milices de la guerre civile de développer une forte capacité de mobilisation sur des bases clientélistes et communautaires, ce qui pénalise évidemment des mouvements aconfessionnels ou transversaux (93). La répartition des postes, le système électoral et les nombreux services rendus par les responsables communautaires, en l’absence d’institutions et de services publics solides, ne peuvent que favoriser des relations de clientélisme électoral.
Une autre difficulté majeure provient du fait qu’un système fonctionnant sur la base du consensus entre les principales communautés confessionnelles, comme c’est aujourd’hui le cas au Liban, n’accorde en réalité qu’une faible importance à l’expression de la volonté de la majorité, telle qu’elle est issue des urnes. C’est avant tout un accord entre les principaux leaders communautaires qui est préféré. Dans ces conditions, les partis et les candidats ne développent guère de programmes électoraux.
Par ailleurs, M. Karim Emile Bitar a mis l’accent sur la persistance d’une « conception patrimoniale du pouvoir », qui pousse à considérer qu’un siège de député détenu depuis des générations par un membre d’une famille appartient à cette famille ; si quelques personnalités issues des classes moyennes sont parvenues à accéder à des postes de responsabilité, où elles ont fait leurs preuves, une « assise familiale, féodale ou militaire » resterait en général essentielle pour s’imposer (94). La compétition électorale et l’ouverture du système politique s’en trouvent de fait limitées.
Outre la question des personnes, Mme Carla Eddé a estimé que si les notables traditionnels restent mis en avant, ils ne constitueraient plus qu’une façade, sauf exceptions, les véritables leaders étant aujourd’hui les chefs des milices des années 1980 (95). La guerre civile n’a pas fait qu’exacerber les tensions entre les communautés et en leur sein : elle a aussi conduit à l’émergence d’un nouveau personnel politique.
Surtout, on peut considérer que la réalité du pouvoir ne réside pas dans les institutions officielles du pays, mais entre les mains des appareils communautaires. Lors de son audition, M. Charbel Nahas a ainsi estimé que le Liban se trouve entre les mains d’un groupe fermé d’une demi-douzaine de chefs communautaires qui se seraient cooptés en s’arrogeant collectivement une légitimité absolue et exclusive pour représenter leurs communautés et gérer entre eux le pays, sous couvert d’une « table du dialogue » (96). L’opposition de l’un de ces responsables suffirait à bloquer une décision, par exemple la tenue des élections ou la publication des comptes. M. Nahas a souligné qu’une telle structure de fait, constituée en dehors des institutions officielles, n’a même pas le mérite de servir de système d’arbitrage, ses membres n’étant pas parvenus à s’entendre sur des modalités opérationnelles d’exercice du pouvoir, lesquelles pourraient notamment reposer sur la définition de seuils de véto.
Dans un article publié en 2012, M. Karam Karam dresse une liste éloquente des réformes structurelles que les élites communautaires dominantes auraient bloquées depuis la fin de la guerre civile en unissant leurs forces pour « protéger les bases qui assurent leur contrôle sur tous les aspects de la vie politique, sociale et économique du pays » (97), citant en particulier la réforme du système électoral, la décentralisation, la justice transitionnelle et le sort des disparus de guerre, le système fiscal ou encore le système de santé et d’éducation. Dans sa forme actuelle, le confessionnalisme libanais ne permet plus d’exercer une régulation, mais seulement de préserver le système lui-même, c’est-à-dire une forme de statu quo.
La situation actuelle de blocage politique et institutionnel, décrite dans la première partie de ce rapport, est donc en grande partie de nature structurelle. Comme l’a notamment montré M. Ahmad Beydoun (98), le système communautaire issu des accords de Taëf est dysfonctionnel dans la mesure où il est dépourvu d’un « arbitrage intérieur des différends politiques ». Pour M. Beydoun, si le déficit d’arbitrage du système libanais actuel est longtemps resté « camouflé » par la tutelle exercée par la Syrie, jusqu’en 2005, et dans une certaine mesure par l’influence que pouvait aussi exercer l’Arabie saoudite, il serait aujourd’hui manifeste que le régime de Taëf n’était en réalité capable de fonctionner que grâce à des régulateurs extérieurs (99).
Le Liban ne demeure pas seulement une démocratie incomplète et bloquée en raison du confessionnalisme ; c’est aussi un Etat faible, même s’il n’est pas « failli » au sens où le sont désormais d’autres Etats de la région, tels que la Syrie et l’Irak.
S’il existe une administration publique, des forces armées et des forces de sécurité intérieure, l’Etat n’a pas le monopole de la « violence légitime » telle qu’on peut l’entendre par référence aux travaux de Max Weber. Il reste en effet des milices armées sur le territoire libanais, en particulier le Hezbollah et des organisations palestiniennes. L’Etat ne contrôle pas davantage ses frontières, notamment celle avec la Syrie. S’agissant de la frontière avec Israël, c’est une force des Nations Unies, la FINUL, qui est chargée de veiller au respect de la cessation des hostilités depuis la guerre de 2006 et d’aider le gouvernement à rétablir son autorité effective au Sud.
La faiblesse de l’Etat libanais se mesure aussi à ses difficultés à fournir des services de base à l’ensemble de la population. La « crise des déchets » qui s’est cristallisée à l’été 2015 n’en est qu’une illustration parmi d’autres (100). Les atermoiements du Conseil des ministres, durablement incapable de s’entendre sur une solution, sont révélateurs des difficultés des institutions à gérer le pays du fait des blocages confessionnels. La crise des déchets ne concernait qu’en apparence un sujet peu explosif. En réalité, toute question de répartition des ressources s’accompagne au Liban de tensions communautaires aigües.
De même, la logique confessionnelle nuit à la bonne marche de l’administration, des services de sécurité et de la justice, car la répartition communautaire des postes mine la cohérence au sommet, tend à écarteler les services et réduit les possibilités d’arbitrage. Sur le plan économique et social, la logique des quoteparts communautaires n’est guère favorable à une politique nationale de développement et de mise à niveau des services publics dans l’intérêt général.
3. Un dépassement néanmoins peu probable dans l’immédiat
Au regard du bilan qui vient d'être établi, il est difficile de ne pas souhaiter au Liban et aux Libanais de sortir du système confessionnel. Cela paraît une nécessité pour extraire le pays des crises régionales et pour permettre une refondation de l’Etat. Comme le soulignait Ghassan Tueni, dans un article célèbre qui préconisait une telle évolution, la sortie du confessionnalisme nécessiterait de « repenser » profondément le Liban : il faudrait une véritable « révolution culturelle » pour donner tout son sens à la notion de citoyenneté (101).
Une telle révolution risque de se heurter à de nombreux obstacles, que l’on peut résumer ainsi : le confessionnalisme n’est-il pas consubstantiel au Liban ? Par quoi remplacer le régime actuel ? Quelles seraient les forces disponibles pour pousser à une telle évolution et la mettre en œuvre ? Enfin, dans les circonstances internes et régionales actuelles, le moment est-il favorable ?
a. Le confessionnalisme est-il voué à être éternel ?
Il existe un discours, ancien et puissant, qui présente le système confessionnel comme étant consubstantiel au Liban, et donc indépassable. A l’appui de cette thèse, on invoque généralement l’histoire du pays et ses coutumes, le fait qu’il serait avant tout constitué de « minorités confessionnelles associées » (selon la formule de Michel Chiha) et non d’une nation, la nécessité du confessionnalisme pour sauvegarder les droits des minorités, la prégnance de l’« Asabiyya », cet esprit de corps décrit par Ibn Khaldoun, ou encore la géographie – le relief libanais serait propice à la constitution de « zones refuges » et au repli sur soi (102). Le réalisme conduirait donc à maintenir le Liban tel qu’il est et non tel qu’on peut idéalement le rêver.
Ce raisonnement revient toutefois à enfermer le pays dans un exceptionnalisme libanais – ou plus généralement arabe, dans le cas de l’« Asabiyya » – qui fait peu de cas du volontarisme politique et de la capacité des peuples à regarder en face la réalité de leur situation. Bien que le confessionnalisme structure en profondeur le Liban, il est permis de douter qu'il corresponde à une « nature » définitive. L'histoire même du Liban semble s'inscrire en faux contre ce discours essentialiste, même si les leçons que l’on peut essayer d’en tirer sont à double tranchant.
Il faut rappeler que l’application du confessionnalisme politique était conçue comme « transitoire » en 1926 lorsque la Constitution libanaise a été adoptée, puis qu’elle a été officiellement maintenue durant une simple « période intérimaire » à compter de la révision constitutionnelle de 1990. Dans sa déclaration ministérielle d’octobre 1943, le gouvernement de Riad el-Solh prenait déjà l’engagement d’abolir le confessionnalisme.
Si la sortie de ce système n’entre pas dans la catégorie des évolutions impensables ou impensées, puisqu’elle est prévue depuis l’origine au Liban, l’absence de mise en œuvre d’un tel projet conduit à s’interroger. Est-ce réellement praticable ou au contraire utopique ? S’il n’y a pas lieu de décréter a priori que le confessionnalisme est voué à être éternel au Liban, de nombreuses raisons poussent à penser que son dépassement pourrait demeurer encore longtemps un projet de long terme.
b. Par quoi remplacer le système actuel ?
A bien des égards, une sortie du confessionnalisme s’apparenterait à un saut dans l’inconnu. Si les accords de Taëf sont largement considérés comme intouchables au sein de la classe politique libanaise, les raisons sont nombreuses. Elles ne se limitent pas au traumatisme de la guerre civile, dont le déclenchement s'était accompagné d'une contestation de la « formule libanaise », jugée trop favorable aux maronites. Il est probable qu'une remise à plat des institutions conduirait aujourd'hui à de profondes et durables dissensions communautaires, car il n’existe pas de projet constitutionnel alternatif qui ferait l’objet d’un consensus.
Tout d’abord, quel type de réforme faudrait-il engager ? S’agirait-il simplement, si l’on peut dire, de mettre un terme à la répartition confessionnelle des trois présidences et des sièges de députés ? Ou bien cela signifierait-il un nouvel agencement des institutions ? Ne faudrait-il pas aussi modifier le système électoral ? Pour ses tenants, le scrutin proportionnel pourrait en effet permettre de casser la segmentation de la représentation politique. On sait néanmoins à quel point la loi électorale est en soi une cause de profondes divisions au Liban.
Ensuite, pourrait-on supprimer d’emblée le confessionnalisme politique, ou bien faudrait-il au contraire procéder de manière progressive ? Autre question essentielle, faudrait-il mener une déconfessionnalisation uniquement politique, sans toucher au système des statuts personnels propres à chaque communauté, ou bien ne conviendrait-il pas d’aller plus loin afin de limiter l’influence des centres de pouvoir communautaires sur la société ?
Les enjeux sont si considérables qu'il est difficile d'évaluer dans quelle mesure la remise en cause des équilibres communautaires pourrait déboucher in fine sur un accord pacifique. Les difficultés pour adopter et mettre en œuvre une solution à la « simple » crise des déchets incitent à faire preuve d'un optimisme très mesuré quant aux capacités de changement de la classe politique libanaise.
Afin de limiter les tensions et les risques, ne serait-il pas préférable de se borner à une stricte application des accords de Taëf ? Comme on l’a l'indiqué brièvement, ces accords prévoyaient une sortie progressive du confessionnalisme politique « suivant un plan par étapes ». D'un point de vue théorique, cette solution aurait le double mérite de suivre une approche graduelle et d’avoir déjà fait l'objet d'un accord entre les principales factions libanaises, ce qui pourrait limiter le champ des dissensions. Il s'agit néanmoins d'une vue de l'esprit. Tout d'abord, si cette partie des accords de Taëf n'a pas été appliquée, c'est qu'une large coalition d'intérêts s'y est opposée. Ensuite, les principes adoptés à Taëf puis retranscrits dans la Constitution restent volontairement assez peu précis.
L'article 95 de la Constitution charge la Chambre des députés de « prendre les dispositions adéquates en vue d'assurer la suppression du confessionnalisme politique, suivant un plan par étapes », lequel n'est pas davantage explicité. Les « moyens de supprimer le confessionnalisme » ne sont pas définis, cette question étant renvoyée à un « comité national », censé l'étudier et faire des propositions à la Chambre des députés. Il est prévu que ce comité, constitué et présidé par le Président de la République, soit composé des deux autres Présidents, celui de la Chambre et celui du Conseil des ministres, ainsi que de « personnalités politiques, intellectuelles et sociales ». Le comité national n'a bien sûr pas été mis en place.
Dans sa rédaction issue des accords de Taëf, la Constitution fixe deux principes généraux pour la réforme : conformément à l’article 22, la Chambre des députés devra être élue « sur une base nationale et non confessionnelle », dont les modalités restent à déterminer par une nouvelle loi électorale, tandis qu'un Sénat serait chargé de représenter « toutes les familles spirituelles ». Ni sa composition ni ses attributions ne sont définies. Ces dernières « seront limitées aux questions nationales d'intérêt majeur », sans qu'elles soient plus précisément énumérées.
c. Quelles forces disponibles pour porter un changement d’une telle ampleur ?
Il reste aussi à voir quels pourraient être les acteurs du changement. Seule la société civile paraît vraiment déterminée à œuvrer pour la sortie du confessionnalisme, mais il est douteux qu'elle dispose des moyens nécessaires pour faire avancer significativement ce projet. Aucune partie influente ne paraît donc susceptible de se mobiliser.
- Comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de la mission d'information, les principales factions libanaises ne sont pas favorables à la sortie du confessionnalisme, ce qui peut se comprendre dans la mesure où elles en tirent une partie majeure de leur force. Pour l’ancien ministre Charbel Nahas, il reste donc à faire émerger une force nouvelle qui contesterait la « prétention des chefs communautaires, en tant que groupe, à une représentation absolue et exclusive du peuple » et incarnerait la partie de la population qui refuse d’être cataloguée comme appartenant à une communauté (103).
- Les acteurs régionaux et internationaux ont aussi une préférence marquée pour le maintien du statu quo institutionnel, au nom de la stabilité du Liban.
- Qu'en est-il de la population libanaise ? Serait-elle plus déterminée que la classe politique à faire sauter le verrou des accords de Taëf et à forcer les réticences communautaires ? Existe-t-il une décommunautarisation des esprits qui serait en marche, mais dont on ne percevrait pas encore les traductions ?
On peut penser – ou espérer – que de nombreux Libanais pourraient être favorables en principe à un système déconfessionnalisé, mais on relèvera aussi que les appels à manifester pour « faire tomber le régime confessionnel » et instaurer une « véritable représentation politique » n’ont guère été mobilisateurs en 2011.
Les élections municipales qui viennent de se tenir au mois de mai (104) témoignent d’une tendance à la contestation des forces politico-communautaires dominantes, au profit de listes issues de la société civile, des leaderships locaux traditionnels ou de figures politiques dissidentes, telles que M. Achraf Rifi, ministre démissionnaire et en rupture avec la ligne majoritaire, plus consensuelle, du Courant du Futur (105). Le désenchantement a toutefois prévalu, comme le montre l’ampleur de l’abstention. A l’instar de la crise des déchets de l’été dernier, il n’y a pas eu de véritable débouché. La défiance est sans doute très répandue, mais le « système » continue à tenir.
Surtout, plusieurs interlocuteurs de la mission ont mis l'accent sur le sentiment de peur qui règnerait aujourd'hui de manière généralisée au sein des principales communautés, ce qui ne pousse pas à la remise en cause d'un système élaboré pour leur offrir des garanties.
Du côté des chrétiens, M. Joseph Maïla a estimé que beaucoup se demandent s’il n’est pas préférable de s’accrocher aux garanties qui restent après Taëf, dans un contexte où leurs coreligionnaires ont disparu en Irak et subissent le même sort en Syrie (106). Les uns s’inquiètent de la montée en puissance de l’Iran et du Hezbollah, les autres du radicalisme sunnite (107).
Les chiites libanais seraient très alarmés, eux aussi, de la montée en puissance de ce dernier phénomène et seraient également très conscients d’être minoritaires partout dans la région, sauf au Liban où il n’existe pas de majorité communautaire – et bien sûr en Iran.
Enfin, la communauté sunnite libanaise serait en proie à un profond malaise. Se sentant dominée dans une région où elle est pourtant majoritaire numériquement, elle craindrait de ne plus compter pour rien au Liban, comme c’est déjà le cas en Irak et en Syrie.
- Dans ces conditions, on peut penser que seule la « société civile » pourrait être un acteur du changement. Mais en a-t-elle les moyens ? L'échec de ses appels en 2011, puis celui des collectifs formés lors de la crise des déchets en 2015 ont montré, en particulier, que les factions communautaires sont capables de faire bloc pour défendre leurs intérêts communs, c'est-à-dire la pérennité du « système ».
La société civile est certes dynamique et multiforme au Liban, mais sa capacité à mobiliser reste limitée. M. Maïla a estimé que son efficacité était très faible, car la population reste fortement segmentée. La société civile dispose aussi de moyens réduits. Elle peut s’exprimer grâce à la presse écrite, à des blogs, à des colloques et à des « mini-manifestations », mais elle ne peut pas s’appuyer sur les médias audiovisuels, pris dans des logiques communautaires. Selon M. Maïla, la société civile ne peut pas non plus s’exprimer jusqu’au bout sous peine de s’exposer à des risques.
Si la société civile peut sembler trop faible pour porter seule un mouvement de déconfessionnalisation du Liban, il convient pour autant de ne pas sous-estimer son rôle. Elle constitue un ferment de changement à terme, par le travail qu'elle peut réaliser, lentement mais en profondeur.
d. Des circonstances peu favorables
Outre les obstacles qui viennent d'être présentés, il est permis de se demander si la situation interne et celle de la région se prêtent à une sortie du confessionnalisme.
Lors de son audition, M. Joseph Maïla a souligné que la question de savoir si le système libanais peut continuer sans changement n’est pas aujourd’hui un sujet dominant au Liban, tant il y a d’autres questions brûlantes. L'essentiel de l'attention se porte sur la situation régionale. Sur le plan interne, le Liban doit avant tout surmonter les répercussions de la crise en Syrie et relancer ses institutions.
Si le moment est sans doute mal choisi, c’est aussi parce que le système confessionnel reste un « plus petit dénominateur commun » probablement indispensable à l’heure des affirmations identitaires au plan régional. C’est une garantie minimale pour tous les groupes, et pas seulement les chrétiens. Comme M. Georges Corm l’a souligné devant la mission, il serait difficile pour le Liban de devenir seul « une oasis de démocratie citoyenne » alors que la région est « enflammée par la logique communautaire ».
Enfin, l’engagement d’un processus de sortie du confessionnalisme s’accompagnerait d’un regain de tensions au Liban et de risques supplémentaires dont il serait sans aucun doute préférable de faire l’économie à l’heure actuelle. M. Antoine Sfeir a ainsi jugé que l’heure n’était pas à réviser les institutions et leurs équilibres, mais plutôt à les sanctuariser pour « réduire le feu » (108).
A terme, néanmoins, il est probable que le Liban ne pourra pas éviter de s’engager dans une sortie partielle ou complète de son système confessionnel s'il veut essayer de remédier à ses dysfonctionnements et à ses blocages structurels, tout en se donnant plus de chances de s’extraire des tensions et des crises régionales dans lesquelles il se trouve systématiquement plongé.
e. Dans ces conditions, que faire ?
Dans l’immédiat, des formes d’action restent possibles – et même indispensables.
Sans se faire d’illusions sur la capacité de la société civile à susciter le changement à court terme, ni imaginer qu’elle pourrait constituer un substitut au politique, il faut la soutenir afin que l’on puisse entendre au Liban une voix alternative, qui dit « non » au confessionnalisme en tant que système politique, administratif et social.
Par ailleurs, la faiblesse de l’Etat et la puissance des forces communautaires s’alimentent réciproquement. Il faudrait donc œuvrer pour le renforcement de l’Etat en consolidant les institutions, en tenant les élections au lieu de les repousser sous divers prétextes, et en luttant contre la corruption et le clientélisme.
III. QUEL RÔLE POUR LA FRANCE ?
Face à la montée des menaces pesant sur la sécurité et la stabilité du Liban, la France a un devoir d’action. Compte tenu des liens qui nous unissent et de ce que représente le Liban, nous devons amplifier les efforts pour soutenir ce pays.
A. LA FRANCE EST ATTENDUE AU LIBAN
Notre pays, qui a joué un rôle considérable dans l’histoire du Liban, doit rester engagé à ses côtés. Des liens étroits demeurent, créant une solidarité concrète qui a résisté à l’épreuve du temps. Le modèle que ce pays incarne dans la région conduit également à en faire une priorité de notre action.
1. Une histoire et une proximité qui obligent
a. Une part éminente dans la construction du Liban et une place qui reste de premier plan
La France a puissamment contribué à la création du Liban tel qu’il existe aujourd’hui. L’Etat du Grand-Liban a été proclamé le 1er septembre 1920 par le général Gouraud du haut des marches de la résidence des Pins, désormais résidence de notre ambassadeur. Toutefois, la présence française ne se résume pas à la période du mandat, confié en avril 1920 par la Société des Nations pour conduire le Liban à l’indépendance, finalement acceptée en 1943. On peut notamment rappeler que la « protection des Chrétiens d’Orient » avait été accordée à la France en 1535 par Soliman le Magnifique. Mais c’est surtout au milieu du XIXe siècle qu’une étroite relation a pris corps : le Mont-Liban échange alors avec les « Soyeux » de Lyon ; les missionnaires essaiment, fondant des hôpitaux et des écoles ; la France envoie un corps expéditionnaire en 1860 après de graves troubles communautaires. La présence française a laissé un souvenir nettement plus positif que dans d’autres pays à l’époque coloniale. On continue à se tourner vers la France, qui demeure une référence pour beaucoup.
Ce rôle historique crée une forme de responsabilité, du côté français, et des attentes qui restent fortes chez les Libanais. Pour nombre d’entre eux, la France a le devoir de se tenir aux côtés du Liban et des Libanais. Chez les chrétiens maronites, en particulier, la France est traditionnellement qualifiée de « tendre mère »… Notre pays conserve ainsi une place et un rang à part, parfois même une certaine prééminence symbolique, bien que d’autres acteurs soient désormais très présents.
En 1958, par exemple, ce ne sont plus des troupes françaises qui débarquent à Beyrouth, mais des « Marines » américains (109), et les Etats-Unis sont aujourd’hui le premier pourvoyeur d’aide militaire au Liban, devant le Royaume-Uni et la France. Pendant la guerre civile de 1975-1990, Israël et la Syrie sont intervenus militairement, Israël ne se retirant du Sud-Liban qu’en 2000 et la Syrie conservant des forces d’occupation jusqu’en 2005. A la fin de la guerre civile, c’est en Arabie saoudite que les accords de Taëf sont conclus ; en 2008, c’est à Doha, au Qatar, qu’un accord est trouvé entre les principales factions libanaises pour résoudre une crise politique et institutionnelle grave. De nos jours, l’Arabie saoudite et l’Iran sont devenus les « parrains » naturels des sunnites et des chiites libanais. La mission a pu constater à Beyrouth que c’est surtout vers eux que les Libanais se tournent dans l’attente que le blocage politique actuel puisse être dépassé par l’entremise de puissances extérieures.
La scène libanaise s’est largement ouverte à d’autres que nous. Il faut aussi reconnaître que la France est moins considérée qu’hier, sur le plan régional, comme faisant partie des principaux acteurs diplomatiques. Ce sont généralement les Américains, les Russes, les Iraniens ou encore les Saoudiens qui sont perçus comme les principaux acteurs, susceptibles d’influer sur les grandes évolutions en cours. Ancienne puissance mandataire, la France peut également constituer une cible privilégiée dans le discours politique. Le régime syrien a régulièrement joué sur la fibre anti-française et anticoloniale, l’opposition à la politique étrangère de la France étant couplée à des références aux années 1930 et 1940 (110).
Ces constats appellent nécessairement à la modestie. Au Liban, la France continue toutefois à faire partie des pays qui comptent, aux côtés des Etats-Unis, de l’Iran et de l’Arabie saoudite. Notre influence et nos capacités d’action y sont plus substantielles que dans le reste de la région. La France peut en effet capitaliser sur plusieurs spécificités qui constituent une sorte de « marque de fabrique » :
- la très forte continuité historique dans laquelle notre action s’inscrit au Liban et la place singulière que la France continue à occuper dans le cœur et l’esprit de nombreux Libanais ;
- le fait que nous n’avons pas d’agenda caché, ni de positions ou d’avantages à monnayer en échange de contreparties sur d’autres dossiers, mais au contraire une politique fondée sur des principes clairs et constants, à laquelle la mission ne peut que souscrire : la défense de la stabilité du Liban, de sa sécurité, de son unité, ainsi que de son indépendance et de sa souveraineté ;
- notre capacité à entretenir un dialogue régulier et de haut niveau avec tous les acteurs influents, aussi bien sur le plan régional, notamment avec l’Iran et l’Arabie saoudite, que sur la scène intérieure, la France parlant à tous les acteurs politiques représentés au Parlement, y compris le Hezbollah ;
- un engagement jamais démenti aux côtés des Libanais, en particulier aux heures les plus difficiles de leur histoire, à la différence d’autres acteurs plus récemment apparus sur la scène locale, qui ont certes fait la preuve qu’ils étaient capables de s’engager, ponctuellement, mais sans véritable continuité dans leur action ni vision stratégique au service du pays et de l’ensemble de la population.
b. Des liens étroits, traduisant une réelle proximité
La présence française a laissé des liens très denses, qui ont continué à s’étoffer depuis l’indépendance du Liban. L’existence de ces liens économiques, culturels, linguistiques et surtout humains très étroits fait du Liban un pays particulièrement proche, dont nous ne pouvons en aucune manière nous désintéresser.
La communauté française au Liban compte environ 24 000 ressortissants immatriculés, dont 80 % de franco-libanais. La communauté libanaise en France est estimée à environ 210 000 personnes (111). Surtout, des liens se sont tissés avec toutes les composantes de la société libanaise, au-delà de la seule communauté maronite ou plus généralement des chrétiens. La France est sortie depuis longtemps de l’image d’Epinal d’une relation qui serait centrée sur un segment unique de la population.
Comme l’a souligné le Pr Henry Laurens lors de son audition, nous sommes parvenus en particulier à nous rapprocher de la communauté sunnite libanaise, pour laquelle la France signifiait schématiquement le mandat et donc les chrétiens : les relations tissées entre Jacques Chirac et Rafic Hariri ont ouvert à la France la « carte sunnite », alors que cette communauté gardait plutôt ses distances. Pour M. Laurens, la France a mené « une sorte d’OPA » sur les sunnites, réalisant ainsi un gain important, puis le lien a été maintenu par les successeurs du Président Chirac. De même, les chiites libanais se sont rapprochés de la France, cette fois via la francophonie, en Afrique noire où cette communauté est scolarisée dans le réseau français.
ii. Une francophonie dynamique
La francophonie reste la manifestation la plus visible des liens tissés et maintenus au fil du temps. Les appréciations divergent sur son état de santé. Pour certains, la francophonie est en recul par rapport à l’anglais, de plus en plus présent dans l’environnement économique, les médias et l’éducation, où la coexistence avec le français est croissante. La francophonie reste néanmoins très vivante au Liban, où elle bénéficie d’un environnement favorable.
En témoigne notamment le succès du salon du livre francophone de Beyrouth, qui attire chaque année 70 000 visiteurs. Il s’agit du troisième salon francophone le plus important au monde, après ceux de Paris et de Montréal. La presse francophone est également très vivante, avec de nombreux titres, ce qui n’est pas le cas en revanche, de la télévision, hormis la chaîne Télé-Liban. Le cinéma français est en progression, bien qu’il reste assez peu diffusé, y compris dans les quartiers les plus francophones de Beyrouth.
Le cinéma au Liban
L’offre de films se répartit schématiquement en quatre groupes : les grandes productions américaines, réalisant l’essentiel des entrées ; les films d’animation, également très populaires ; les films libanais et égyptiens grand public ; des films d’auteurs présents dans un circuit parallèle ou programmés dans le cadre de festivals. En 2013, 180 des 205 films diffusés étaient américains. L’année 2014 a été une très bonne année pour le cinéma français au Liban avec 28 films sortis, représentant 235 000 entrées, contre seulement 15 films et 46 000 entrées en 2013.
La francophonie conserve aussi une place de choix dans le système éducatif et universitaire du Liban. Malgré un recul tendanciel des filières francophones, on estime que 56 % des élèves libanais sont scolarisés dans les établissements bilingues français-arabe (112).
iii. Une présence significative sur le plan culturel, éducatif et audiovisuel
Le Liban continue à faire l’objet d’un important investissement de la France en matière d’action culturelle, d’éducation et d’audiovisuel extérieur, avec des résultats qui méritent d’être soulignés.
Notre dispositif culturel est étoffé : il peut s’appuyer sur 44 agents, dont 39 expatriés (113), et neuf implantations de l’Institut français, réparties sur l’ensemble du territoire – Baalbek, Beyrouth, Deir El Qamar, Jounieh, Nabatieh, Saida, Tripoli, Tyr et Zahlé –, où plus de 5 000 personnes apprennent la langue française. Les manifestations culturelles qui y sont organisées attirent plus de 150 000 spectateurs par an. L’Institut culturel joue également un rôle important pour favoriser les échanges humains avec la France, en aidant la mobilité.
Il faut aussi rappeler que l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) a été relocalisé de Damas à Beyrouth. Cet institut est un fleuron de la recherche en sciences humaines et en archéologie au plan régional. S’agissant du débat d’idées, le fonds d’Alembert – de l’Institut français – apporte régulièrement son soutien à des projets. Une semaine de colloques et de conférences a ainsi été organisée par l’IFPO, en octobre 2015, pour le quarantième anniversaire du déclenchement de la guerre civile libanaise.
S’il n’y a pas eu véritablement de grandes réalisations culturelles emblématiques ces dernières années, avec un fort impact populaire, différents projets bénéficient toutefois d’une visibilité certaine. Sur la scène culturelle, des directeurs d’institutions françaises prestigieuses sont invités au Liban, notamment Olivier Py, du festival d’Avignon, en 2015. A la veille de ses soixante ans, le festival international de Baalbek a par ailleurs été mis à l’honneur par celui des Arts lyriques d’Aix-en-Provence.
Le dispositif d'enseignement français au Liban est exceptionnel à plus d'un titre. Avec l'Espagne, le Maroc et Madagascar, il s'agit d'un des quatre « réseaux dans le réseau ». Il compte en effet 41 établissements homologués par l'Education nationale, dont 6 sont conventionnés. C’est également le dispositif d’enseignement français qui scolarise le plus grand nombre d'élèves, du préélémentaire à la terminale : environ 55 000 au Liban, dont 87 % de nationalité libanaise.
Dans le domaine universitaire, l’Ecole supérieure des affaires (ESA) de Beyrouth s’est affirmée comme un pôle d’excellence à l’échelle régionale. Cet établissement d’enseignement supérieur franco-libanais, créé en 1996 sur la base d’un accord intergouvernemental, est dédié à la formation des cadres et dirigeants du Liban et du Moyen-Orient. Le Liban compte aussi une importante antenne du CNAM, modernisée avec le soutien de l’Agence française de développement (AFD), qui travaille à l’élargissement de sa palette de formations professionnelles et à la mise en place d’un Institut libanais du pétrole.
L’audiovisuel extérieur français a une présence notable au Liban, malgré la concurrence panarabe – le groupe MBC dominant largement le monde arabe en termes d’audience – et la présence des médias anglo-saxons, dont l’audience est sensiblement équivalente à celle des chaînes françaises. Des mesures précises sont néanmoins difficiles à réaliser au Liban dans le contexte de la rediffusion, par des opérateurs privés, de toutes les chaînes françaises. Cette rediffusion « pirate » reste paradoxalement l’un des meilleurs soutiens à la francophonie.
TV5Monde apporte, dans ce cadre, un complément et une diversité qui peuvent être très appréciés des Libanais, malgré la suppression de sa diffusion via le Canal 9 hertzien, très coûteux pour la chaîne, peu suivi et vieillissant, courant 2014.
France 24 est présente au Liban en anglais, français et arabe. Le choix de diffuser en anglais pourrait sembler quelque peu étonnant dans un pays francophone tel que le Liban s’il n’y avait pas la volonté de favoriser la plus grande accessibilité possible des contenus, notamment pour faire pièce aux messages véhiculés par d’autres chaînes. France 24 est un outil directement utile pour notre rayonnement, mais aussi pour la promotion d’une autre vision du monde. Cette chaîne est en effet perçue comme crédible et neutre politiquement, ce qui est précieux dans un environnement de chaînes libanaises et régionales arabes au service d’intérêts politiques spécifiques, qui leur procurent des financements. La notoriété de France 24 en français et en arabe est aussi bonne que celle de la BBC et dépasse celle de CNN.
France 24 au Liban
France 24 bénéficie d’une diffusion en clair en accès libre (« free to air ») dans ses trois langues grâce aux satellites Arabsat et Nilesat, tout en étant diffusée par la plupart des câblodistributeurs de quartier et par Cablevision.
La chaîne a également noué des partenariats pour la reprise de ses programmes. A la faveur d’un accord de coopération signé à l’automne 2012, à l’occasion d’une visite officielle du Premier ministre libanais, a ainsi été signé un accord de reprise partielle des contenus en arabe par Télé Liban, qui a très récemment fait savoir un intérêt marqué pour élargir de telles reprises à des émissions en français.
France 24 a par ailleurs développé une émission hebdomadaire de 52 minutes en langue française, « Code 24 », en partenariat avec la chaîne arabe privée Future TV, qui est la quatrième du pays en termes d’audience. Cette émission est constituée de reportages de France 24 couvrant l’actualité internationale, avec des plateaux réalisés par les journalistes de Future TV.
RFI a conclu des accords avec des radios locales, la loi libanaise ne lui permettant pas d’avoir une licence de diffusion en son nom propre. La radio MCD, en langue arabe uniquement, est diffusée grâce à un partenariat avec la radio privée libanaise PAX et sur 7 fréquences en FM du Nord au Sud du Liban. L’audience de MCD resterait toutefois assez modeste, notamment en raison du recul général des radios dans la région, supplantées par les podcasts et l’information numérique.
iv. Une coopération décentralisée ralentie par la crise syrienne, mais toujours active
Les coopérations entre les collectivités locales françaises et libanaises sont anciennes. Elles se sont d’abord développées sous la forme de coopérations humanitaires, au lendemain de la guerre civile, avant de prendre une tournure à la fois plus économique et plus complète en termes d’actions engagées. Cette coopération s’est maintenue malgré les différentes crises politiques et sécuritaires que le Liban a connues. On compte aujourd’hui une vingtaine de partenariats actifs. Les coopérations, très variées, concernent en particulier la ville durable, la gestion de l’eau et des déchets, le patrimoine et la culture.
Les coopérations avec les collectivités libanaises
Parmi les réalisations les plus emblématiques, on peut notamment citer des partenariats :
- entre Paris et Beyrouth pour la réhabilitation de la « Maison jaune », située sur l’ancienne ligne de démarcation de la guerre civile ;
- entre Marseille et Beyrouth pour la formation en sécurité incendie ;
- entre Marseille et Tripoli pour l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication au service de la mise en valeur du patrimoine ;
- entre le Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur et la fédération des municipalités de Jezzine pour la mise en valeur d’un parc naturel ;
- entre la communauté de communes des Aspres/SYDETOM 66 avec la fédération de Joumeh Akkar pour la mise en place d’un service de traitement des déchets solides.
Une liste des coopérations décentralisées avec le Liban figure en annexe du présent rapport.
On constate une stagnation depuis le début de la crise syrienne, en raison de ses répercussions sur le Liban. Les partenaires des collectivités françaises peuvent se trouver dans une zone difficile, comme le Nord de la plaine de la Bekaa – Aix-en-Provence a ainsi noué un partenariat avec la fédération de Baalbek. Si la crise syrienne ralentit, de fait, la coopération décentralisée franco-libanaise, il n’en demeure pas moins une volonté réelle des collectivités investies au Liban de préserver leurs liens avec ce pays et leurs partenaires.
Afin de relancer et d'approfondir la coopération décentralisée entre la France et le Liban, la Délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales, qui relève du ministère des affaires étrangères et du développement international, et le comité des maires libanais ont décidé en février dernier de mettre en place un fonds d'appui, assorti d'un appel à projets pour 2016-2018. Ce dispositif est destiné au renforcement des capacités de maîtrise d’ouvrage des collectivités locales libanaises ou de leurs groupements. Les thématiques retenues sont les suivantes : la gestion des services des collectivités locales ; le développement économique ; la jeunesse et la formation professionnelle des jeunes ; la culture et le patrimoine ; la gestion des déchets.
Source : Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales, ministère des affaires étrangères et du développement international
v. Une relation économique dense
Le Liban est depuis longtemps un partenaire économique privilégié pour la France, à la fois en raison de son marché intérieur, mais aussi parce que ce pays offre une plateforme de développement pour nos entreprises dans la région.
La France se maintient parmi les tout premiers partenaires commerciaux du Liban. Nos exportations ont doublé en dix ans – principalement des produits pétroliers raffinés (près de 40 %), de l’agro-alimentaire (10 %), des produits chimiques, parfums et cosmétiques (7,3 %), ainsi que des produits pharmaceutiques (7,1 %). Bien qu’elles soient en baisse depuis 2013, les exportations françaises ont atteint près d’un milliard d’euros en 2015, contre 54 millions d’euros d’importations – agro-alimentaire (16 %), textiles, habillement, cuir et chaussures (11 %), équipements électriques et ménagers (9 %). Le Liban représente notre onzième excédent commercial dans le monde et le premier au sein de la région.
Notre part de marché au Liban, d’environ 8 % sur les dix dernières années, est très supérieure à celle que nous enregistrons dans l’ensemble de la zone – environ 2 %. Avec 6,12 % de parts de marché en 2015, la France reste le quatrième fournisseur du Liban, après la Chine (12,6 %), l’Italie (7,37 %) et les Etats-Unis (6,23 %), mais devant l’Allemagne (5,56 %), ce qui n’est pas si fréquent. Il faut souligner l’importante implication des PME, qui représentent plus des deux tiers de nos entreprises exportatrices au Liban. L’augmentation régulière du nombre d’entreprises françaises exportant au Liban – plus de 4 500 en 2013 – traduit le dynamisme de la relation bilatérale.
La France fait également partie des premiers investisseurs au Liban. Le stock d’investissements directs était de 503 millions d’euros en 2014, en hausse depuis 2011 – il était alors d’environ 300 millions d’euros. Les investissements sont essentiellement concentrés dans l’immobilier (un tiers du stock), l’industrie manufacturière (20 %) et les services financiers (13 %). On compte une centaine d’entreprises françaises au Liban, employant 5 000 personnes dans des secteurs variés : agro-alimentaire, télécoms, ingénierie, services financiers, luxe, distribution (notamment Carrefour et Monoprix), Total (avec de nombreuses stations-services). Pour beaucoup d’entreprises, Beyrouth sert de plateforme pour rayonner au plan régional.
Il faut également souligner l’importance du stock des investissements libanais en France. Il s’élevait à 2,4 milliards d’euros fin 2014. Près d’un tiers des investissements en provenance du Moyen-Orient vers la France est ainsi originaire du Liban. Les principaux secteurs concernés sont le transport maritime, notamment avec la CMA-CGM, entreprise française à capitaux libanais, les banques (BLOM Bank, Audi, Banque Libano-française) et l’immobilier.
2. Le Liban : un intérêt stratégique pour la France
Le Liban est un pays proche, nécessairement important pour la France eu égard à la densité des liens qui viennent d’être rappelés. Mais c’est aussi un modèle à préserver dans une région de plus en plus défigurée par les haines identitaires et ravagée par la guerre. Sur le plan politique, le Liban doit donc constituer une priorité.
a. Un marqueur clef de notre influence
Nous avons, en tant que Français, un devoir d'initiative au Liban. Ce pays représente un point d'entrée majeur et une plateforme pour notre rayonnement dans la région. C'est aussi, depuis toujours, une « vitrine » essentielle de notre présence et de notre action.
Si la France ne tenait pas son rôle au Liban, tout le monde penserait qu'elle s'en désintéresse et qu'elle n'a plus les moyens de défendre l’essentiel. Et si ce pays cessait d'exister sous sa forme actuelle, ce serait une perte considérable pour la France dans la région et dans le monde entier. Il n'est guère de pays où nous jouons davantage notre crédibilité qu'au Liban.
Malgré toutes ses difficultés, le Liban demeure un exemple de coexistence entre les communautés – de « convivialité » selon l’expression libanaise consacrée –, un « pays-message » à protéger dans un environnement en proie à une montée préoccupante des tensions confessionnelles et dévasté par les conflits.
C'est d'abord un pays singulier au regard de la place qu'y occupent les chrétiens, en voie de disparition dans l'ensemble de la région. Il n'y a pas d'autre pays dans le monde arabe où ils sont traités sur un pied d'égalité. Le Liban est aussi un exemple de coexistence relativement apaisée entre sunnites et chiites, à une époque où les tensions intercommunautaires atteignent un niveau sans précédent. Enfin, le Liban est une démocratie, bien qu'imparfaite et largement bloquée, ainsi qu'une société libre et ouverte (114).
Ce modèle est en péril. S'il existe bien d'autres zones très vulnérables, le Liban est confronté à une conjonction de menaces qui paraît sans équivalent : il est à la fois directement menacé par les répercussions du conflit syrien, par des tensions toujours très vives entre le Hezbollah et Israël, susceptibles de conduire à un nouveau conflit, par des crispations confessionnelles en hausse et par l'exacerbation de la rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite.
Le basculement du Liban dans une crise ouverte ou son engloutissement complet dans la crise syrienne, hypothèses qui ne sont pas entièrement théoriques, ne représenterait pas seulement une catastrophe pour un peuple ami. Ce serait également une immense perte sur le plan régional, celle d'un espoir de coexistence pacifique et de conciliation des intérêts.
B. DES MOYENS VARIABLES, MAIS À MOBILISER PLEINEMENT AU SERVICE DU LIBAN
Face à ces menaces, les capacités d’action de la France au Liban font l’objet de mythes contradictoires : pour les uns, la France aurait perdu toute influence réelle dans ce pays et ne chercherait plus qu’à sauver de plus en plus difficilement les apparences ; d’autres nourrissent des attentes parfois hors de portée, espérant par exemple de la France qu’elle lance une grande initiative permettant de surmonter les divisions historiques du camp chrétien.
La réalité paraît beaucoup plus nuancée :
- la France n’a certes pas les moyens de traiter, à elle seule, les principales menaces pesant sur la stabilité du Liban, qu’il s’agisse de la crise syrienne, des tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran ou du blocage politique et institutionnel interne du pays, mais elle doit poursuivre ses meilleurs efforts pour favoriser des solutions et plaider la cause du Liban sur le plan multilatéral ;
- sur le plan bilatéral, la France peut aider significativement le Liban à tenir le choc à court terme et à moyen terme en amplifiant son soutien humanitaire, sa coopération en matière de défense et de sécurité, ainsi que son aide au développement ;
- à plus long terme, le renforcement des liens patiemment noués grâce à nos actions de coopération peut non seulement permettre de consolider notre influence au Liban, mais aussi d’aider ce pays à préserver le pluralisme qui fait son identité et à évoluer vers davantage de stabilité interne.
1. Malgré des capacités plus restreintes que dans d’autres domaines d’action, un rôle à jouer pour traiter le mal à la racine
Pays ami et disposant d’une influence réelle, la France doit rester à l’initiative pour aider à mettre le Liban à l’abri des tensions régionales et à relancer ses propres institutions, sans être pour autant en position d’arbitrage sur les principaux sujets : le règlement de la crise syrienne ; le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite dans l’intérêt du Liban ; le dénouement de la crise institutionnelle interne.
Si la France doit continuer à se mobiliser, c’est aussi parce que le Liban a perdu son importance prioritaire pour les principaux acteurs régionaux et internationaux. A la différence de la crise de 2007-2008, personne, hormis la France, ne s’en soucie vraiment aujourd’hui. Pour beaucoup, il y a manifestement d’autres urgences et le prétendu « miracle libanais » sert de prétexte pour laisser de côté ce pays pourtant très menacé. Les Libanais comptent notamment sur nous pour mobiliser en leur faveur.
a. Rester engagé pour le règlement de la crise syrienne
Malgré l’échec de tous les efforts pour amorcer une solution politique en Syrie, depuis le communiqué de Genève de 2012, un travail spécifique doit se poursuivre pour tenter de rétablir la cessation des hostilités décidée à la fin du mois février dernier, d’améliorer la situation humanitaire sur le terrain et de relancer des négociations. Tant que la crise syrienne ne sera pas réglée, ou du moins apaisée significativement, le Liban continuera probablement à subir des infiltrations djihadistes sur son territoire, son économie désormais à l’arrêt aura peu de chances de repartir et les réfugiés syriens risquent de ne pas pouvoir retourner chez eux.
Bien qu’elle soit depuis l’origine un des pays les plus actifs sur le dossier syrien, la France n’a qu’une influence limitée sur le processus en cours, essentiellement cogéré par Washington et Moscou. Plus que notre position longtemps peu flexible sur une issue à la crise, c’est surtout une volonté russo-américaine de préserver une sorte de « duopole » qui semble en cause. Les Russes souhaitent y gagner une reconnaissance de leur rôle international et s’imposer comme un partenaire des Américains dans une crise majeure, ce qui n’ouvre guère de place à des tiers dans le tête-à-tête, tandis que les Etats-Unis ne font pas preuve d’un comportement très différent de celui qu’ils adoptent traditionnellement sur la question israélo-palestinienne, où nos initiatives ne paraissent guère les bienvenues.
b. Poursuivre le contact avec les Iraniens et les Saoudiens
Compte tenu de son dialogue avec l’Iran et l’Arabie saoudite et de son poids à leurs yeux, la France a un rôle de facilitateur à jouer dans l’intérêt du Liban. Il faudra, en effet, un « nihil obstat » de ces deux puissances régionales pour qu’un Président soit élu.
i. Un poids à utiliser auprès de Riyad et de Téhéran
La France a un rôle à jouer auprès des Saoudiens, du fait de la proximité qui s’est renforcée avec eux depuis leur prise de distance à l’égard des Etats-Unis. Nous sommes bien placés pour faire passer des messages. La France est également écoutée en Iran. En considération de son statut de membre du Conseil de sécurité, de ses liens avec les pays du Golfe et l’Egypte, mais aussi de la position exigeante qu’elle a adoptée dans la négociation sur le programme nucléaire iranien, la France représente un pôle d’influence aux yeux de Téhéran.
ii. Des efforts jusque-là infructueux
Malgré plusieurs missions conduites par des émissaires français à Téhéran et à Riyad, nos tentatives sont restées vaines pour le moment. Le contexte n’est guère favorable : ni les Iraniens ni les Saoudiens n’éprouvent manifestement un sentiment d’urgence à l’égard du dossier libanais, alors que la situation s’effrite pourtant ; l’exacerbation des tensions entre les deux capitales n’offre pas un climat propice à un règlement de la crise libanaise ; Iraniens et Saoudiens sont engagés dans un jeu régional qui dépend avant tout d’eux-mêmes et sur lequel les acteurs extérieurs n’ont pas véritablement de prise ; enfin, comme l’avait annoncé le Guide suprême pendant la négociation de l’accord nucléaire, l’Iran n’a pas infléchi sa politique régionale, qui n’est d’ailleurs pas entre les mains du Président Rohani et de son gouvernement, mais entre celles des acteurs sécuritaires du régime.
Selon des responsables français rencontrés par la mission, les Iraniens continuent à se tenir à l’écart de la crise institutionnelle et politique. Ils répondraient qu’il s’agit d’une affaire libanaise et qu’il faut donc s’adresser au Hezbollah. Ils nous opposeraient également la division des chrétiens, estimant qu’il reviendrait à la France d’y remédier. Un interlocuteur de la mission a par ailleurs souligné que « l’on ne s’obéit pas sur un claquement de doigts dans le triangle Iran-Hezbollah-Aoun ; il ne suffirait pas, par exemple, que l’Iran dise que ce serait une bonne chose de soutenir M. Frangié pour que le Hezbollah suive et que M. Aoun se retire ». Enfin, on l’a dit, il est probable que les dossiers syrien et libanais restent liés pour Téhéran comme pour Riyad (115).
L’Arabie saoudite, pour sa part, se trouve de nouveau dans une phase de désengagement à l’égard du dossier libanais (116) et ne paraîtrait pas souhaiter se mobiliser de manière visible pour l’élection d’un président chrétien. A ce stade, les Saoudiens ne seraient donc pas proactifs sur ce dossier, mais auraient néanmoins des « lignes rouges ». Michel Aoun ferait ainsi l’objet d’un véto, même si cela n’a jamais été confirmé officiellement – il y a d’ailleurs, à l’heure actuelle, des spéculations au Liban sur une éventuelle évolution des dirigeants saoudiens sur ce point.
iii. Continuer à faire passer des messages
Cela ne signifie pas qu’il faut interrompre les démarches à l’égard de Téhéran et de Riyad, bien au contraire. Il faut continuer à mettre l’accent sur la nécessité d’un règlement de la crise institutionnelle, afin de préserver la stabilité du pays, ce qui ne peut qu’être dans l’intérêt des deux parties, et convaincre l’Iran et l’Arabie saoudite de laisser le Liban à l’écart de leur lutte d’influence. Il faut également continuer à insister auprès des Saoudiens sur la nécessité de leur aide au Liban, y compris si leur objectif est de contrebalancer l’influence du Hezbollah et de l’Iran derrière lui. Un désengagement ne peut que laisser davantage le champ libre à ces acteurs.
c. Faciliter le dénouement de la crise institutionnelle au Liban
i. Un rôle de facilitateur à jouer
Ayant un dialogue avec l’ensemble des partis politiques représentés au Parlement, la France peut être utile pour faire passer des messages et rapprocher les points de vue, sans ingérence. Là aussi, le bon positionnement paraît être celui du facilitateur. Conformément à la ligne qu’elle a adoptée, la France n’a pas à avoir de candidat, de favori ou de véto pour l’élection présidentielle ; elle travaillera avec celui que les Libanais auront retenu.
Les messages à l’adresse des responsables politiques du pays sont connus : la paralysie institutionnelle met en danger le Liban ; la résolution de la crise interne n’a pas à être tributaire du règlement du conflit syrien, car des marges existent au sein du Liban et il y a urgence ; il serait sans doute utile de négocier un accord global, permettant de remédier à la vacance présidentielle, de remettre en marche le Gouvernement et le Parlement, et de tenir les élections législatives, déjà reportées à deux reprises.
ii. Vers des initiatives nouvelles ?
Est-il possible d’aller plus loin en prenant d’autres initiatives ? Sans trancher sur ce sujet, la mission souhaite présenter les observations suivantes.
- Faudrait-il réunir les principales parties libanaises en France, comme nous l’avions fait en 2007 à La Celle-Saint-Cloud ? Une nouvelle réunion de ce type pourrait sans doute présenter l’avantage d’une certaine solennité, mais il faut souligner que les acteurs politiques libanais se parlent déjà à Beyrouth. On a notamment mentionné dans ce rapport le « dialogue national » mis en place par le Président du Parlement, Nabih Berri, et l’existence de plusieurs dialogues bilatéraux, qui servent surtout d’amortisseurs aux tensions.
- Une autre piste de réflexion consisterait à créer des incitations positives à la négociation d’un accord interlibanais. Faudrait-il ainsi engager les travaux préparatoires d’une nouvelle conférence internationale des donateurs, une sorte de « Paris IV », qui se réunirait lorsque le Liban aura élu son Président et relancé ses institutions ? Compte tenu de l’aide financière internationale disponible qui reste bloquée, ou qui a même été annulée en raison de la paralysie institutionnelle, il n’est pas acquis qu’il suffirait de renforcer par ce biais l’attractivité d’un accord interlibanais.
2. Mobiliser nos moyens pour aider directement le Liban à tenir le choc
Si la France n’a pas de prise immédiate sur les principales causes d’instabilité, elle peut se mobiliser pour aider le Liban à faire face concrètement aux difficultés qui sont les siennes, en particulier la présence massive et prolongée de réfugiés sur son territoire, la menace sécuritaire et les défis en termes de développement. Bien que le Liban ait déjà surmonté d’autres crises internes et externes graves, il a aujourd’hui besoin d’un fort soutien extérieur.
Le renforcement de notre aide serait non seulement directement utile, mais pourrait aussi permettre de montrer la voie sur le plan international. Il faut d’ailleurs rappeler que la France est à l’origine de la création du Groupe international de soutien (GIS) au Liban, autour de trois objectifs clefs : l’aide humanitaire ; le renforcement de l’armée et des forces de sécurité ; l’appui économique.
a. Une coopération de défense et de sécurité essentielle
La France apporte un soutien direct à la sécurité du Liban sous plusieurs formes : une coopération bilatérale, qui doit être renforcée dans le contexte de l’interruption du programme trilatéral DONAS ; une contribution majeure à la FINUL en termes d’effectifs ; une coopération de sécurité intérieure importante, dont la mission regrette la réduction des crédits.
i. Un soutien bilatéral aux forces armées libanaises qui est à renforcer après l’interruption du DONAS
Le contrat DONAS, financé par l’Arabie saoudite à hauteur de 3 milliards de dollars, devait contribuer à l’équipement des forces armées libanaises (FAL) par la fourniture de matériels français et de formations. Cette initiative triangulaire avait été annoncée en décembre 2013 par les autorités saoudiennes. Le contrat franco-saoudien a été signé le 4 novembre 2014 et la convention tripartite d’exécution le 31 décembre suivant.
Le projet d’équipement et de formation proposé par la France a été élaboré à partir du plan quinquennal de 2013 pour le développement des capacités des FAL. Le DONAS devait permettre de les doter en capacités opérationnelles nouvelles, notamment : des systèmes d’information, de commandement, de contrôle, de conduite des opérations et de communication ; des moyens de surveillance aérienne et maritime ; des navires de type patrouilleurs ; des hélicoptères multi-missions (transport, surveillance, sauvetage) ; des véhicules blindés ; de l’armement collectif ; divers équipements du combattant (117). La France s’engageait ainsi dans une coopération structurante à long terme aux côtés du Liban.
Le DONAS, qui n’a donné lieu qu’à une seule livraison, le 20 avril 2015 – de 48 missiles antichar MILAN et des postes de tir associés – a officiellement été interrompu par les autorités saoudiennes en février dernier, pour des raisons qui leur appartiennent (118). Il semblerait que les Saoudiens souhaitent désormais poursuivre l’exécution du contrat pour leur propre compte. A ce stade, il ne paraît pas totalement exclu qu’une porte reste ouverte pour un éventuel transfert, à terme, d’une partie des équipements vers le Liban, si les autorités saoudiennes en décidaient ainsi. Dans l’immédiat, la priorité va néanmoins au renforcement de l’aide bilatérale française.
En prenant en compte la coopération opérationnelle – dans le cadre des détachements d’instruction opérationnelle (DIO), qui viennent au Liban pour transmettre un savoir-faire spécifique –, le montant de l’aide bilatérale française aux FAL s’élève à environ 2 millions d’euros annuels. Sur le plan des équipements, hormis la livraison précitée dans le cadre du DONAS, rien n’a été fourni depuis la cession gratuite, à l’été 2014, de matériel de maintenance du système HOT de la Gazelle présente sur la base de Rayak dans la Bekaa, pour un montant de 440 000 euros. La France a néanmoins décidé en 2015 d’un renforcement significatif de sa coopération opérationnelle, avec 14 DIO contre 5 l’année précédente.
La mission soutient un renforcement significatif de l’aide apportée aux FAL, compte tenu des menaces sécuritaires pesant sur le Liban et de l’action courageuse que ces forces mènent pour y répondre. Il conviendrait a minima d’amplifier notre contribution au renforcement du niveau opérationnel des FAL au moyen de DIO bénéficiant aux régiments des forces spéciales et aux régiments d’intervention, en complément des formations dispensées par les Américains et les Britanniques, et de poursuivre les efforts de formation en France, de la formation initiale jusqu’au niveau Ecole de guerre. En 2015, 32 officiers et sous-officiers des FAL ont été accueillis en France.
A titre de comparaison, il paraît utile de souligner l’effort consenti par d’autres partenaires des FAL, les deux principaux étant les Américains et les Britanniques.
Les Etats-Unis ont annoncé, à la fin de l’année 2015, le doublement de leur aide militaire au profit du Liban. Washington envisage ainsi d’investir 150 millions de dollars, notamment pour la fourniture d’avions légers d’attaque au sol, d’hélicoptères de transport et de drones d’observation, et afin d’assurer la présence de détachements permanents pour l’entraînement des FAL. En dix ans, les Américains ont consacré plus d’1,4 milliard de dollars à l’aide destinée aux FAL et aux FSI. La Grande-Bretagne s’est engagée dans un projet structurant de protection des frontières Est du Liban. Ce projet repose sur un investissement de cinq millions de dollars par an depuis cinq ans, et comprend : la fourniture de tours d’observation équipées de caméras de surveillance ; la création, l’entraînement et l’équipement de quatre régiments de gardes-frontières ; la présence de détachements permanents au Liban. Les Italiens, avec l’appui de leur important contingent au sein de la FINUL, renforcent aussi leur coopération militaire. Les Turcs, les Chinois, les Russes et les Allemands apportent également un soutien aux FAL.
ii. La participation française à la FINUL
La France assure une présence au sein de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) depuis sa création en 1978. Nos effectifs sont aujourd’hui d’environ 850 hommes sur un total d’environ 10 500, ce qui représente le plus gros contingent français sous casque bleu.
La contribution de la FINUL à la stabilité du Sud-Liban est, on l’a vu, d’autant plus essentielle que les tensions entre le Hezbollah et Israël restent vives (119). Il est par ailleurs utile que la FINUL conserve une importante ossature occidentale, qui est un gage de sa crédibilité.
La France n’a pas vocation à maintenir des effectifs militaires sur le territoire libanais pour une durée indéfinie. Notre outil de défense est par ailleurs très sollicité, tant sur le front des opérations extérieures que désormais sur le territoire national. Si la question du nombre n’a pas à être sacralisée, la mission soutient néanmoins le maintien d’un engagement fort de la France au sein de la FINUL.
iii. La coopération en matière de sécurité intérieure et de protection civile
La France entretient une coopération technique dense et une coopération opérationnelle qui est jugée exemplaire avec ses principaux partenaires libanais en matière de sécurité intérieure et de sécurité civile – les FSI (27 000 hommes), la Sûreté générale (5 500 hommes) et la Défense civile (530 professionnels et 2 500 volontaires).
La coopération technique, qui représentait 86 actions en 2014 et 93 en 2015, porte prioritairement sur la lutte contre le terrorisme, la police judiciaire, l’appui à la formation et à la francophonie, la gestion démocratique des foules, la sûreté aéroportuaire et la sécurité civile.
La coopération opérationnelle repose sur un très haut niveau de confiance avec les partenaires libanais. En 2015, 115 notes ont été adressées aux services centraux, dont 65 dans le domaine du terrorisme, des renseignements ont été apportés dans 60 enquêtes, tandis que 40 entreprises françaises ont bénéficié d’un appui à l’exportation et d’analyses sur la situation sécuritaire. Une coopération technique et opérationnelle de haut niveau a été établie avec le Département de l’information des FSI, ce qui vaut de substantiels retours en matière de sécurité intérieure.
La mission regrette que les crédits prévus pour ces actions essentielles de coopération soient en forte baisse – elle est de 30,4 % en 2016. Sur ce point, il a été signalé que le programme européen SSP (« Security and Stabilization Project ») s’est achevé fin 2015 et que le plan destiné à lui succéder ne sera pas mis en œuvre avant la fin 2016.
On peut également souligner que si cette coopération est encadrée par un accord de sécurité intérieure, signé à Paris en 2010 et ratifié en 2014 par la France, il n’a pas encore été ratifié par le Liban, le Hezbollah y faisant obstacle.
b. Le renforcement nécessaire de notre aide humanitaire
Les principaux défis liés à l’accueil d’environ 1,5 million de réfugiés syriens sur le territoire du Liban ont été présentés : une situation humanitaire de plus en plus difficile ; un poids supplémentaire sur des services publics de base et des infrastructures déjà en grande difficulté avant 2011, comme sur les finances publiques et sur l’économie ; des tensions, localement, avec les « communautés hôtes » ; une poussée d’inquiétudes de nature existentielle et des appels au retour des réfugiés dans leur pays d’origine (120). On voit mal comment le Liban pourrait faire face dans la durée sans un soutien accru de la communauté internationale.
La France contribue à aider le Liban, avec des montants financiers qui sont significatifs au regard des moyens disponibles, mais limités tant par rapport à l’ampleur des besoins – 2,48 milliards de dollars ont été demandés pour 2016 dans le cadre de l’appel conjoint des autorités libanaises, des Nations Unies et des partenaires humanitaires – que de l’aide fournie par d’autres partenaires. En décembre 2015, la France avait dégagé au total 55 millions d’euros pour aider le Liban face aux conséquences de la crise syrienne, et 71 millions d’euros en mars dernier. Lors de son déplacement au Liban des 16 et 17 avril, le Président de la République a annoncé 100 millions d’euros supplémentaires sur trois ans, dont 50 millions d’euros dès cette année.
Au 31 mai 2016, la France avait accordé une protection internationale à un peu plus de 10 000 Syriens ayant fui leur pays (121), sur un total d’environ 4,8 millions de réfugiés syriens. En mars dernier, environ 2 900 visas au titre de l’asile avaient été délivrés à des ressortissants syriens ou à des Palestiniens de Syrie se présentant aux autorités diplomatiques ou consulaires françaises dans un premier pays d’accueil, dont 1 333 depuis le Liban. Outre l’accueil au titre de la protection, un total d’environ 27 500 visas a été délivré depuis 2013 à des ressortissants syriens. Lors de son déplacement à Beyrouth, le Président de la République a annoncé l’accueil en France, sur 2016-2017, de 3 000 réfugiés syriens supplémentaires en provenance du Liban au titre de la réinstallation, dont la moitié en 2016.
Un renforcement plus grand de notre aide au Liban pourrait être l’occasion de faire passer plusieurs messages qui semblent nécessaires, notamment sur l’utilité de faciliter l’accès des réfugiés syriens au travail et à des titres de séjour, pour les raisons présentées supra (122), tout en tenant compte des angoisses suscitées par la question d’une éventuelle « implantation » au Liban, c’est-à-dire en insistant sur le principe du retour en Syrie, lorsque les conditions le permettront. C’est ce que souhaitent les réfugiés, comme la mission a pu le constater en se rendant dans un camp informel près de Zahlé. Par ailleurs, si les efforts considérables qui ont été engagés par les autorités libanaises pour scolariser les enfants syriens doivent être salués, ils méritent également d’être renforcés, avec l’aide internationale. C’est un défi majeur pour l’avenir.
Si l’urgence est en grande partie humanitaire, la question du développement est également essentielle afin d’aider les communautés hôtes et les Libanais les plus vulnérables, eux aussi très affectés par la crise syrienne. C’est d’ailleurs une nécessité pour l’acceptabilité de l’accueil des réfugiés. Outre les répercussions de la crise syrienne, les difficultés structurelles qui touchent les infrastructures et les services publics de base au Liban appellent aussi une réponse en termes de développement. Enfin, le développement économique et social est particulièrement indispensable pour assécher un terreau propice à la radicalisation et aux tensions confessionnelles sur certaines parties du territoire libanais, en particulier au Nord.
i. Un soutien bloqué du fait de la crise institutionnelle
L’Agence française de développement (AFD) est présente au Liban depuis 1989. Elle a conclu 27 accords de coopération, représentant des montants cumulés de plus d’un milliard d’euros. Malgré sa forte présence au Liban, l’AFD est pénalisée par la paralysie institutionnelle du pays, à l’instar d’autres bailleurs. Plusieurs projets sont actuellement bloqués et il faut souligner qu’un prêt de 45 millions d’euros, destiné à l’enseignement scolaire, a dû être annulé en juin 2015.
L’AFD est notamment dans l’attente de signaux positifs quant à la ratification de plusieurs concours par le Parlement libanais – un prêt de 30 millions d’euros destiné au financement d’investissements des entreprises dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, ainsi qu’un prêt de 21 millions d’euros pour la construction d’un nouveau bâtiment du CNAM Liban.
Un prêt de 70 millions d’euros pour l’assainissement des eaux usées du caza de Kesrouan (construction de deux stations de traitement et des réseaux de collecte afférents) est également bloqué, dans l’attente de l’adoption d’un code de l’eau.
Un prêt de 45 millions d’euros pour l’amélioration des conditions d’accueil et d’enseignement dans les écoles publiques, qui aurait permis la construction de 15 à 18 établissements, assorti d’une subvention de 1,5 million d’euros pour des actions de renforcement des capacités et de formation continue des enseignants, a été annulé en juin 2015.
Près de 200 millions d’euros avaient déjà dû être annulés sur les prêts accordés au titre de la conférence de « Paris III » de 2007, en l’absence de mise en œuvre des réformes prévues dans le domaine des télécoms et de l’électricité.
A ce stade, la levée des blocages institutionnels conditionne très largement l’efficacité de notre appui au Liban dans le domaine du développement. Les engagements de l’AFD pour l’année 2015 ne s’élèvent ainsi qu’à 3,3 millions d’euros, sur un total de 1,2 milliard d’euros dans l’ensemble de la région Méditerranée-Moyen-Orient (Arménie, Azerbaïdjan, Egypte, Géorgie, Jordanie, Liban, Maroc, Territoires palestiniens, Tunisie et Turquie).
ii. Diversifier les modalités d’action et les partenaires de l’AFD
Dans la situation actuelle de paralysie des institutions, la diversification des modalités d’intervention de l’AFD devient une nécessité pour continuer à aider le Liban. Il convient d’accroître la collaboration engagée avec d’autres acteurs du développement, notamment des organisations à but non lucratif et des ONG.
Comme l’ont souligné les responsables de l’AFD entendus par la mission, il serait certes préférable d’essayer de réduire les carences de l’Etat au lieu de contourner ce dernier, même pour favoriser le développement du pays. Il faut néanmoins tenir compte du blocage actuel et du fait qu’il est possible de s’appuyer sur des acteurs qui se positionnent en prestataires et partenaires de l’Etat en inscrivant leur action dans le cadre des politiques définies par lui ou en concertation avec les collectivités locales.
Une question sensible reste de savoir si l’on peut soutenir le secteur privé confessionnel. Plusieurs conditions, qui paraissent effectivement nécessaires, ont été évoquées devant la mission : la préservation d’un espace de mixité par les acteurs soutenus, le non-renforcement des logiques de redevabilité de la part des bénéficiaires des services, le fait que les interventions sont réalisées dans le cadre d’un dialogue avec les autorités publiques et la vérification que l’AFD ne risque pas de se trouver « marquée » de manière confessionnelle.
3. A plus long terme, une présence à consolider, dans l’intérêt de la France comme du Liban
Les outils mobilisables pour conforter notre présence et consolider les liens avec la société libanaise sont bien sûr utiles pour préserver notre influence dans un pays aussi stratégique que le Liban.
Sans chercher à soutenir un camp en particulier et en évitant absolument de donner l’impression de recruter des « agents de la France », ce sont aussi des moyens de contribuer au maintien de la pluralité qui définit le Liban, pays ouvert à l’Occident et au monde arabe conformément au Pacte national de 1943. Cette contribution paraît d’autant plus importante au moment où les tensions confessionnelles et les conflits identitaires s’enflamment dans la région et viennent miner le Liban de l’intérieur.
Nos coopérations peuvent aussi aider le pays à évoluer vers une plus grande stabilité sur le plan économique et social, à se doter d’une gouvernance répondant aux aspirations majoritaires de la population, à renforcer un esprit de citoyenneté souvent mis à mal par les pesanteurs du système confessionnel et à demeurer une société libre et ouverte.
Dans cette perspective de consolidation de notre influence, de la pluralité constitutive du Liban et de sa stabilité de long terme, la mission souhaite mettre un accent particulier sur trois priorités : la francophonie, la société civile et la relation économique bilatérale.
a. Le renforcement de la francophonie
La mission considère que la consolidation et l’élargissement de la francophonie doivent être traités comme des objectifs stratégiques.
La francophonie est l’un de nos atouts les plus précieux au Liban pour préserver notre influence. Le Liban est aussi une plateforme pour le développement de la francophonie ailleurs dans le monde, en particulier dans le reste de la région. Dans de nombreux pays, on trouve désormais peu de Français pour « faire la francophonie », en raison du nombre très restreint d’expatriés que les crédits disponibles permettent d’envoyer à l’étranger au titre de la coopération culturelle. On peut en revanche compter, bien souvent, sur les Libanais. Notre engagement pour la francophonie au Liban est donc aussi un moyen de la faire rayonner ailleurs dans le monde.
Un pacte linguistique a été signé, le 23 octobre 2010, lors du Sommet de la francophonie à Montreux, entre l’ancien Président libanais, M. Michel Sleiman, et M. Abdou Diouf, alors Secrétaire général de l’OIF. Ce pacte prévoit la mise en œuvre d’un plan d’action visant à renforcer l’usage du français suivant trois axes : l’enseignement, la culture et l’environnement francophone. En appui à ce pacte linguistique, la France a mobilisé en 2011 un Fonds de solidarité prioritaire (FSP) d’un million d’euros, qui a été clôturé le 30 juin 2016. La mission souligne la nécessité de se doter des moyens d’assurer la suite de ce FSP.
Par ailleurs, plusieurs difficultés alarmantes ont été identifiées à l’occasion des travaux de la mission, en particulier dans le domaine de l’enseignement. Elles nécessitent manifestement l’engagement de mesures correctrices.
- Bien que les filières francophones demeurent majoritaires au Liban, on constate une baisse préoccupante de la part des élèves qui y sont inscrits. Elle est passée d’environ 66 % à 56 % depuis 13 ans, avec un recul accéléré lors des deux dernières années scolaires. Sans préjuger de la question du décalage entre les épreuves d’examen des filières francophones et les compétences des élèves, il convient de renforcer l’attractivité de ces filières. Un moyen utile, parmi d’autres, consiste à développer le label CELF (Certification des enseignants en langue française). Ce label de qualité concerne, à ce stade, 43 établissements et 33 000 élèves.
- Une étude menée en mai 2015 par le ministère libanais de l’éducation et de l’enseignement supérieur, avec le soutien de l’ambassade de France au Liban, de l’Institut français et de l’Organisation internationale de la Francophonie, a montré le niveau préoccupant de français des élèves du brevet dans les écoles libanaises, publiques comme privées, malgré 1 710 heures de français dispensées en neuf ans de scolarité (123). Il en ressort en particulier la nécessité de revoir les programmes scolaires et les méthodes d’enseignement.
- Si les Libanais sont attirés par notre dispositif d’enseignement français au niveau des petites et moyennes sections, on enregistre ensuite un décrochage chez les adolescents et les jeunes adultes, davantage tournés vers le système anglo-saxon, ce phénomène pouvant notamment s’expliquer par une présence anglo-saxonne très développée dans la culture, le cinéma et les médias. La mission soutient donc, en appelant à leur amplification, les efforts engagés par le poste diplomatique pour faire voir une image plus contemporaine et plus dynamique de la France. Afin que notre langue ne soit pas perçue comme une simple langue de culture, ou d’élite, mais comme une langue professionnelle en complément de l’arabe et de l’anglais, les formations professionnelles en français méritent aussi d’être renforcées.
- Le décrochage est net en particulier au sein des universités. De nombreux étudiants d’universités anglophones du Liban sont paradoxalement francophones et issus de l’enseignement français. On estime que 32 % des effectifs nationaux suivent des cours dans les filières universitaires francophones au Liban. L’Université américaine de Beyrouth (AUB) attire en particulier beaucoup d’élèves issus du réseau français. C’est un élément positif pour la qualité de la « marque » française au Liban, mais regrettable du point de vue d’un « retour sur investissement ».
- Le taux d’attractivité de l’enseignement supérieur en France est également plus faible pour les bacheliers du réseau français au Liban (14 %) que dans le reste du monde (en moyenne 53 %). Les bacheliers libanais s’orientent d’abord vers les universités américaines présentes sur place, qui sont globalement réputées et permettent de maintenir les étudiants auprès de leur famille jusqu’à bac +3 ou 4, ou bien vers les Etats-Unis et le Canada.
- En dehors du champ éducatif, le FSP « Appui à la restructuration de la presse francophone au Liban », qui porte sur l'accompagnement de la transition numérique, est essentiel pour plusieurs titres de la presse écrite, l'Orient-Le Jour, le Commerce du Levant et Magazine Hebdo. La consolidation de leur existence et, au-delà, leur avenir dépendent en partie de la transition numérique, que l’expertise française doit permettre d’accompagner.
b. Soutenir la société civile libanaise
Les organisations de la société civile libanaise doivent être soutenues à plus d’un titre.
- Le mouvement pour les droits civils, l’abolition du confessionnalisme ou le mariage civil constitue l’un des principaux facteurs de changement, mais souffre d’un état de faiblesse qui limite ses capacités de mobilisation.
Les initiatives les plus crédibles et les plus porteuses au regard des valeurs qui sous-tendent notre politique étrangère méritent d’être soutenues, notamment en matière de promotion et de défense des droits de l’homme ou d’égalité hommes-femmes. Des actions sont déjà engagées dans différents cadres, par exemple dans celui du programme SafirLab de l’Institut français. Son édition 2016 est destinée à une vingtaine de « porteurs de projets » issus du monde arabe (Algérie, Egypte, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Tunisie, Territoires palestiniens et Yémen), qui bénéficieront d’un accompagnement personnalisé et de rencontres professionnelles dans le cadre d’une séance de quelques jours en France au mois de novembre prochain. Compte tenu de l’importance stratégique du Liban, la mission estime qu’une place renforcée devrait être accordée à ce pays dans nos programmes.
- La société civile libanaise est également très active en matière de développement. La faiblesse de l’Etat l’a conduite, on l’a souligné, à prendre en charge la fourniture d’un certain nombre de services de base à la population. L’Agence française de développement travaille, par exemple, avec l’ONG Arcenciel sur des opérations de gestion des déchets dans plusieurs municipalités. En raison des blocages institutionnels du Liban et de leurs conséquences directes pour l’efficacité de notre aide au développement, exposées supra, la diversification des partenaires est une nécessité. La société civile est un appui qu’il convient d’utiliser davantage dans le contexte libanais.
- L’afflux des réfugiés syriens a encore renforcé la place du champ associatif dans la couverture des besoins de base. L’action des associations locales a constitué un soutien précieux pour les municipalités, en première ligne face à la crise humanitaire. Des crédits délégués au titre du fonds PISCCA (Projets innovants pour la société civile et les coalitions d’acteurs), qui a remplacé l’ancien Fonds social de développement, sont ainsi utilisés au Liban pour soutenir des ONG venant en aide aux communautés libanaises vulnérables et aux réfugiés syriens, dans la perspective de renforcer à moyen terme le tissu associatif. Le Centre de crise du ministère des affaires étrangères finance aussi des initiatives humanitaires, notamment l’association Amel, pour un projet de financement de clinique mobile. Là aussi, la mission estime que ces actions méritent d’être amplifiées.
c. Développer la relation économique bilatérale
i. Renforcer l’appui aux entreprises françaises
Les efforts engagés pour développer la présence des entreprises françaises sur le marché libanais, dans le cadre de la diplomatie économique, doivent être poursuivis et renforcés.
Nos exportations ont en effet diminué en 2015 pour la troisième année consécutive, tandis que notre part de marché recule également – nous sommes même le seul pays majeur de l’OCDE dont la part de marché ait baissé significativement au Liban depuis deux ans. Outre la conjoncture, désormais atone, il semble que la perception de la situation sécuritaire pèse sur la mobilisation des entreprises françaises, qui limitent ou suspendent leurs déplacements, alors que les problèmes de sécurité ne concernent ni Beyrouth ni l’ensemble du territoire libanais.
Des efforts supplémentaires pourraient être réalisés pour accompagner et soutenir davantage nos entreprises, mais aussi pour identifier et mobiliser celles intéressées à prospecter le marché libanais et à y opérer, en France et dans les manifestations commerciales couvrant l’ensemble de la région.
ii. Un potentiel de développement important dans le domaine des infrastructures, sous réserve de la mise en œuvre de projets structurants par les autorités libanaises
Notre capacité à répondre aux besoins du Liban en termes de développement des infrastructures dépendra en grande partie du déblocage de sa gouvernance et du lancement de projets structurants.
Le principal grand projet intéressant nos entreprises est l’appel d’offres portant sur l’exploration et l’exploitation de gisements de gaz et de pétrole offshore. Total et GDF sont déjà pré-qualifiés, mais les incertitudes liées à l’élaboration du cadre juridique ne permettent pas d’avancer sur ce dossier à l’heure actuelle (124).
Outre les hydrocarbures, les marchés potentiels sont nombreux pour les entreprises françaises grâce à leur savoir-faire reconnu. On peut citer en particulier :
- l’énergie, avec la construction de nouvelles centrales de production électrique et l’entretien du parc existant ;
- les transports, domaine dans lequel un appel d’offre a notamment été lancé pour une étude de faisabilité relative à la mise en place d’un système de transport ferroviaire entre Beyrouth et Tripoli – l’entreprise française Egis ayant remporté le contrat ;
- la filière de l’eau, dans laquelle des entreprises françaises sont déjà présentes (Suez et Véolia pour l’adduction d’eau potable et l’assainissement, de nombreux cabinets d’ingénierie-conseil, ou encore Vinci pour le génie civil de barrages), mais où les besoins à couvrir demeurent importants.
iii. Des coopérations qui peuvent être engagées avec des acteurs libanais en pays tiers
Déjà significatif, le rôle du Liban comme plateforme pour nos entreprises pourrait certainement être renforcé. Ce pays constitue une porte d’entrée pour l’Afrique et le Moyen-Orient, où les réseaux d’affaires libanais sont très présents. La mission tient donc à souligner l’intérêt d’une réflexion qui a été engagée par le conseil économique de notre ambassade sur les possibilités de coopération avec des entreprises libanaises en pays tiers.
Du fait de la présence de la diaspora, mais aussi d’un dynamisme économique tout simplement très poussé, les milieux d’affaires libanais s’engagent souvent dans des marchés considérés comme « sensibles » voire risqués, mais très prometteurs à terme sur le plan économique, où nos entreprises rencontrent pour leur part des difficultés de pénétration. Des entreprises libanaises se sont ainsi ménagé une place importante en Afrique, par exemple au Ghana, au Soudan ou en Côte d’Ivoire, et au Moyen-Orient, en particulier en Irak, au Kurdistan et en Syrie.
Si certains terrains ne sont peut-être pas mûrs pour nos acteurs économiques, en particulier au Moyen-Orient, pour des raisons sécuritaires, des coopérations peuvent utilement être engagées en Afrique avec les milieux d’affaires libanais. La mission souhaite encourager des travaux qui ont été lancés en la matière avec le soutien du bureau de Business France au Liban et la section « Liban » des Conseillers du commerce extérieur, dans deux domaines – le secteur du BTP et les coopérations sur le terrain africain. Ce sont des pistes qui semblent, en effet, prometteuses pour nos entreprises.
Au terme de ses travaux, la mission souhaite alerter sur l’accumulation des périls au Liban, sur tous les fronts. Ce pays est confronté à un blocage presque complet de ses institutions, malgré les efforts déployés par le Président du Conseil des ministres, M. Tammam Salam, et par le Président de la Chambre des députés, M. Nabih Berri, à des menaces sécuritaires qui restent graves et multiples, malgré une relative accalmie depuis 2015, à la présence massive de réfugiés syriens, à l’origine de nombreux défis, et à une situation économique et sociale très dégradée.
Le Liban tient bon, malgré tout. Il conserve en particulier deux points d’ancrage essentiels : ses forces armées et sa Banque centrale, qui garantissent le maintien d’un minimum d’Etat et de stabilité. Le consensus sur la politique de lutte contre le terrorisme est un autre garde-fou indispensable. Mais il n’y a pas de « miracle libanais » : la situation continue à s’effriter progressivement, alors que tous les éléments d’une crise majeure pourraient être déjà réunis. La résilience du Liban ne doit donc pas être surestimée et, surtout, elle ne doit pas servir de prétexte à l’inaction.
La plupart des acteurs internationaux ont aujourd’hui d’autres priorités ou ne mesurent peut-être pas nécessairement toute la gravité de la situation. Le Liban a pourtant besoin d’un soutien accru : il faut aider l’armée et les forces de sécurité en leur fournissant les équipements et les formations nécessaires ; la stabilité financière du pays doit être garantie ; il faut veiller à ce que les engagements pris pour aider le Liban à accueillir les réfugiés syriens soient mis en œuvre ; le pays doit être préservé des tensions et des crises régionales, en particulier la confrontation par procuration qui oppose l’Arabie saoudite et l’Iran.
Sur tous ces volets, la France a un rôle éminent à jouer pour mobiliser les soutiens internationaux et pour montrer le chemin, en continuant à renforcer concrètement son propre appui. Dans le prolongement des annonces qui ont été faites par le Président de la République lors de son déplacement à Beyrouth, en avril dernier, notre pays doit rester présent et actif aux côtés du Liban, sans ingérence. Ce pays doit rester une priorité stratégique pour la France dans la région.
Le Liban a également besoin d’un sursaut national, ne serait-ce que pour faciliter les soutiens extérieurs. A ce jour, près d’une centaine de millions d’euros d’aide française reste en attente à cause du blocage du Parlement et du Gouvernement. Il revient au Liban de faire en sorte que ses amis puissent l’aider de manière effective. Après deux ans de vide au sommet de l’Etat, la priorité est d’élire un Président de la République et de permettre au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif de retrouver un fonctionnement normal. C’est aux Libanais de définir les termes du compromis, sans attendre un hypothétique règlement de la crise syrienne ou un apaisement des relations entre Riyad et Téhéran. Il n’y a pas de meilleure garantie pour la sécurité et la stabilité du pays qu’une relance des institutions. Le Liban a certes besoin d’un soutien international solide, mais aussi de pouvoir compter en parallèle sur ses propres forces.
La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 22 juin 2016.
Mme la présidente Elisabeth Guigou. Nous examinons le rapport de la mission d’information sur le Liban, dont Benoît Hamon est le rapporteur et Axel Poniatowski le président.
M. Axel Poniatowski, président de la mission d’information. Nous vous présentons ce rapport sur le Liban après plus d’un an de travail, plus d’une trentaine d’auditions à Paris et un déplacement à Beyrouth en septembre dernier. J’ai eu l’honneur de présider cette mission, dont Benoît Hamon est le rapporteur. Jean-Jacques Guillet et Jean-René Marsac ont également été des membres très assidus aux auditions que nous avons menées.
Avec ce rapport, nous souhaitons faire passer un message d’alerte sur la situation du Liban. Nous appelons à continuer à faire de ce pays une priorité stratégique pour la France et à renforcer notre mobilisation pour soutenir concrètement les Libanais. La France est attendue au Liban. Nous devons être au rendez-vous pour aider un pays qui constitue plus que jamais un modèle dans une région de plus en plus détruite par la guerre et minée par les tensions confessionnelles.
Benoît Hamon vous présentera les scénarios d’évolution auxquels nous avons réfléchi et reviendra sur l’action de la France. Je voudrais faire quelques remarques sur la situation du Liban, en commençant par replacer le pays dans son contexte régional.
L’environnement immédiat est évidemment très défavorable pour la stabilité du Liban : les frontières sont remises en cause ; la lutte d’influence entre l’Iran et l’Arabie saoudite s’aggrave ; les tensions entre sunnites et chiites montent en flèche.
Tout d’abord, et c’est une lapalissade, le Moyen-Orient issu de la Première Guerre mondiale ne reverra jamais le jour. Trois zones nouvelles se dessinent, au mépris des frontières internationalement reconnues.
Un « Sunnistan » voit le jour, des faubourgs de Damas et d’Alep à ceux de Bagdad. Une sorte de « Chiistan » émerge aussi, de Banias en Syrie à la région afghane d’Hérat, en traversant le Liban, l’Irak et l’Iran. Enfin, un Kurdistan est en voie de consolidation en Irak depuis longtemps, mais aussi en Syrie. Il est difficile, à ce stade, de savoir si ce Kurdistan peut aller de l’autonomie à l’indépendance et si les entités kurdes peuvent fusionner ou non à terme. Il y a en tout cas sur la carte une réalité kurde nouvelle, dont il va bien falloir tenir compte.
Que devient le Liban dans ce redécoupage de la carte régionale ? Ce pays pourrait être l’exception qui confirme la règle. La partition de la Syrie avance à grands pas de l’autre côté de la frontière, mais on n’observe pas la même tendance au Liban. D’abord, toutes les communautés libanaises sont affaiblies et ont peur. Elles redoutent un redémarrage de la guerre civile qui avait causé tant de morts et de dévastation de 1975 à 1990. Une autre particularité du Liban est qu’aucun groupe n’est majoritaire. Même s’il n’y a pas eu de recensement depuis 1922, on estime qu’il y a environ un tiers de chiites, un tiers de sunnites et un tiers de chrétiens.
Après ce constat de fractionnement, j’en viens à une deuxième grande tendance au plan régional : la lutte d’influence entre l’Iran et l’Arabie saoudite continue à gagner du terrain. Les tensions se sont considérablement aggravées entre ces deux pays et les relations diplomatiques ont même été rompues.
Jusqu’à présent, la confrontation entre Riyad et Téhéran se fait par procuration, en particulier en Syrie et au Yémen. L’Iran et l’Arabie saoudite s’entendent, plus ou moins, pour ne pas étendre au Liban le champ de leur confrontation. Il est vrai, néanmoins, que la scène politique libanaise est structurée selon un clivage entre pro-iraniens et pro-syriens, d’une part, avec le bloc du 8 mars, et pro-saoudiens et pro-occidentaux, d’autre part, à travers le bloc du 14 mars.
La politique régionale de l’Arabie saoudite a changé depuis l’avènement du Roi Salmane. Les Saoudiens sont très préoccupés par l’influence croissante de l’Iran. Je rappelle ce qu’a déclaré le Dr Velayati, le conseiller diplomatique du Guide suprême : l’Iran contrôle désormais quatre capitales arabes, Bagdad, Damas, Sanaa et Beyrouth. Pour les Saoudiens aussi, le Liban est aujourd’hui sous l’emprise du Hezbollah et de l’Iran.
Dans ces conditions, les Saoudiens ont officiellement interrompu le contrat tripartite DONAS avec la France et le Liban. Il s’agissait de fournir à l’armée libanaise des équipements français et des formations, pour un total de 3 milliards de dollars. Une seule livraison de matériels a eu lieu, à savoir 48 missiles anti-char et les postes de tir associés.
Les Saoudiens ont pris d’autres mesures. Ils ont en particulier interdit à leurs ressortissants de se rendre au Liban et demandé à ceux qui s’y trouvent de quitter le pays. Ils poussent aussi leur principal relais au Liban, Saad Hariri, à adopter une position plus dure à l’égard du Hezbollah. Cette attitude saoudienne a alimenté un début de psychose au Liban ces derniers mois. Que se passerait-il, en effet, si l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe expulsaient le demi-million de Libanais qui résident dans le Golfe ? Cette diaspora est à l’origine de remises de fonds massives qui soutiennent l’économie libanaise, en particulier son secteur bancaire.
Dans ce contexte régional de guerres et de tensions, le Liban pourrait presque faire figure d’îlot de stabilité. Mais c’est une impression trompeuse. Sous une apparence de statu quo, la situation s’effrite progressivement et les difficultés se multiplient sur tous les fronts à l’intérieur du pays.
Sur le plan institutionnel et politique, le blocage est presque complet. Le Liban n’a plus d’institutions en état de fonctionner vraiment.
D’abord, le pays n’a plus de chef de l’Etat depuis maintenant plus de deux ans. Le Hezbollah, les Aounistes et d’autres composantes du 8 mars boycottent l’élection, qui ne peut donc pas se tenir. Elle ne se réglera pas au terme d’une compétition électorale entre plusieurs candidats, mais à l’issue d’un accord préalable sur un nom. Cet accord n’existe pas aujourd’hui. L’Iran et le Hezbollah soutiennent le général Aoun, mais celui-ci fait l’objet d’un véto saoudien.
Ensuite, le Parlement est paralysé. Tant qu’un Président n’est pas élu, la Chambre des députés considère qu’elle ne peut pas légiférer. Il y aura demain une 41e convocation pour élire un nouveau Président de la République, mais le quorum des deux tiers ne sera probablement pas réuni.
Le Gouvernement est lui aussi très largement bloqué. En l’absence de Président, les décisions du Conseil des ministres doivent se prendre à l’unanimité.
Sur le plan sécuritaire, le Liban est confronté à des menaces multiples, malgré une relative accalmie depuis l’année dernière.
La ville d’Ersal avait été prise temporairement par les djihadistes en 2014, puis libérée. La situation paraît relativement sous contrôle, malgré la présence de groupes combattants sur le territoire libanais, près de la frontière syrienne. Les campagnes d’attentats se sont également calmées, même si un nouvel attentat a été commis en novembre dernier dans la banlieue Sud de Beyrouth.
Le front syrien et celui du terrorisme ne sont pas les seules sources de préoccupations graves sur le plan sécuritaire. Les tensions restent très vives entre le Hezbollah et Israël. Malgré une rhétorique très chaude, le Hezbollah n’a probablement pas intérêt à ouvrir un nouveau front avec Israël, car il est trop occupé en Syrie. Les Israéliens démentent toute velléité d’intervention, mais la montée en puissance militaire du Hezbollah les préoccupe, bien sûr.
L’accueil massif et prolongé de réfugiés syriens est un autre défi majeur pour le Liban. Il y aurait près de 1,5 million de réfugiés syriens sur le territoire libanais, ce qui représente un accroissement de 30 % de la population. Le sentiment général est celui d’une saturation du pays. Les autorités libanaises ont d’ailleurs adopté des mesures plus restrictives. Les Syriens, y compris les réfugiés, doivent désormais demander un visa.
La situation humanitaire se dégrade, tandis que la charge sur les services publics de base et les infrastructures du Liban ne fait qu’augmenter. La question du « retour » des Syriens est ainsi devenue un thème dominant. Dans une large mesure, la situation actuelle est regardée à la lumière de l’expérience palestinienne, qui a laissé un traumatisme fort dans le pays. Les réfugiés syriens étant majoritairement sunnites, beaucoup craignent un bouleversement des équilibres confessionnels. En attendant, il faut parvenir à les prendre en charge, notamment sur le plan de l’éducation. C’est évidemment très difficile, malgré la solidarité remarquable que nous avons pu constater de la part des Libanais.
Le conflit syrien s’accompagne aussi de répercussions économiques majeures au Liban. Le taux de croissance a fini par plonger de 9 % à presque 0 %. Dans le même temps, le déficit budgétaire augmente et la dette repart à la hausse. On devrait être aux environs de 140 % du PIB cette année.
La pauvreté et le chômage augmentent aussi, alors qu’ils étaient déjà très élevés. Par ailleurs, les infrastructures et les services publics continuent à se dégrader. Les problèmes sont notamment majeurs en ce qui concerne l’électricité – il n’y a que 3 ou 4 heures de courant par jour dans certaines parties du pays. Les problèmes sont également très aigus en ce qui concerne l’eau et la gestion des déchets.
Enfin, les Libanais continuent à émigrer massivement, en particulier les jeunes diplômés. La diaspora est certes à l’origine de transferts de fonds essentiels pour le Liban, mais la fuite des cerveaux est bien réelle.
Voilà les observations dont je voulais vous faire part sur l’état du pays, en préambule.
M. Benoît Hamon, rapporteur de la mission d’information. On évoque souvent la capacité de résilience du Liban. Il y a en effet quelque chose qui tient du miracle. Comme le soulignait un ancien ambassadeur de France que nous avons rencontré, le Liban est au bord du gouffre, mais on ne sait pas dans ce pays où se trouve le bord… C’est un sentiment que nous avons eu tout au long de cette mission. Le Liban fait preuve d’une capacité de résilience exceptionnelle à des situations pour le moins inconfortables, dont l’accumulation aurait entraîné n’importe quel autre pays dans la chute : le nombre de réfugiés, une croissance désormais à peu près nulle, une situation sécuritaire très problématique et une paralysie complète sur le plan institutionnel. Il n’y a plus de Président de la République, le Gouvernement fonctionne au consensus et le Parlement ne se réunit plus.
Beaucoup a changé depuis le début de nos travaux. D’abord, la société civile a fait irruption dans le jeu à plusieurs reprises, à commencer par la crise des déchets. Même si la mobilisation n’a pas eu l’impact ou le débouché que les organisateurs espéraient, c’est un vrai événement car le mouvement était trans-partisan et multiconfessionnel. Il portait d’ailleurs une critique du système clientéliste et confessionnel du Liban. Cette mobilisation s’est aussi traduite lors des élections municipales, dont les résultats témoignent d’une contestation du système plus forte qu’auparavant. Cela n’a pas empêché les factions libanaises de s’entendre entre elles de manière très pragmatique, dans des configurations qui n’ont pas grand-chose à voir avec les grandes coalitions nationales – celles du 8 mars et du 14 mars.
Une deuxième évolution majeure est le retournement de la situation en Syrie, avec l’intervention militaire de la Russie. Quelles seront les conséquences sur le Liban ? Le rapport examine trois scenarii de manière détaillée. En cas de statu quo en Syrie, il n’y a pas de raison que la situation change au Liban, sauf d’autres facteurs endogènes. Saoudiens et Iraniens s’équilibrent aujourd’hui dans leur influence sur le Liban. La situation pourrait changer, en revanche, en cas de victoire d’un camp syrien sur les autres. La victoire du régime ragaillardirait le Hezbollah au Liban. Dans l’hypothèse d’un règlement politique du conflit, les conséquences pourraient être beaucoup plus positives, en particulier grâce à la participation des entreprises libanaises à la reconstruction de la Syrie et grâce au retour des réfugiés syriens dans leur pays. Cela apporterait de l’air au Liban.
Sur le plan politique, des rapprochements inattendus ont eu lieu. Quand nous nous sommes rendus à Beyrouth en septembre dernier, le blocage était complet. Tout le monde se neutralisait. Michel Aoun était soutenu par le Hezbollah dans sa candidature à l’élection présidentielle, tandis que Samir Geagea l’était par le Courant du Futur.
Je ne sais pas si tous les appels étaient sincères, mais nous avons constaté une attente à l’égard de la France dans ce domaine. Il y a un attachement profond à notre pays et je pense que les Libanais nous attendent en effet, notamment chez les élites. Mais je crois qu’ils sont également assez lucides sur notre capacité à débloquer la situation. Sur le plan financier, nos interventions sont également assez modestes. Elles ne sont pas de nature à renverser la table.
Ce qui a bougé sur le plan politique, c’est que Saad Hariri et Sleiman Frangié ont proposé de constituer un « ticket », le premier pour la Présidence du Conseil des ministres, le second pour celle de la République. Le rapprochement entre Michel Aoun et Samir Geagea, jusque-là deux adversaires irréductibles, est également un fait nouveau. La situation institutionnelle ne s’est pas débloquée pour autant, mais ce sont des évolutions notables, au moins au sein du camp chrétien.
L’autre fait majeur de l’année qui s’est écoulée depuis que nous avons commencé nos travaux, c’est le virage de la position saoudienne. Le contrat DONAS devait être décisif pour les forces armées libanaises sur le plan capacitaire. La France, l’Arabie saoudite et le Liban étaient liés par un contrat de trois milliards de dollars pour équiper l’armée libanaise avec du matériel français. Le contrat avait commencé à être mis en œuvre avec la livraison de missiles Milan, c’est-à-dire pour une part assez peu significative, puis ce contrat a été remis en cause. C’est donc le renforcement des capacités de l’armée libanaise, notamment pour faire face à des incursions djihadistes, qui est aussi remis en cause.
D’autres mesures de rétorsion ont été prises, notamment sur le plan audiovisuel et par des messages adressés aux ressortissants saoudiens. L’Arabie saoudite a regretté que le Liban se soit abstenu sur le vote de la résolution adoptée par la Ligue arabe après le sac des emprises diplomatiques saoudiennes en Iran. L’Arabie saoudite y a vu l’influence de l’Iran et du Hezbollah.
Le durcissement s’est aussi engagé dans un contexte qui a un peu changé en Arabie saoudite. La nouvelle génération, celle du vice-prince héritier et ministre de la défense, n’a pas le même attachement affectif au Liban que les générations antérieures. Saad Hariri, le principal leader sunnite libanais, n’a pas non plus la même relation que son père avec les responsables saoudiens actuels. Il est considéré comme plus faible et le leadership sunnite libanais n’est plus aussi reconnu qu’auparavant, en tout cas en Arabie saoudite. Ce n’est pas non plus sans traduction au plan intérieur. On constate une certaine radicalisation de la jeunesse libanaise sunnite, par exemple à Tripoli, en lien ou non avec des groupes tels que Daech et Al-Qaida. C’est un vrai sujet d’inquiétude.
J’ajoute que les réfugiés syriens sont très majoritairement sunnites, ce qui bouleverse les équilibres démographiques. Jusqu’à présent, on estimait qu’il y avait environ un tiers de chiites, un tiers de sunnites et un tiers de chrétiens.
Le rapport aborde les facteurs de résilience du Liban, mais aussi plusieurs hypothèses de rupture, en particulier la capacité des forces armées à faire face à de nouvelles incursions djihadistes si nous ne les armons pas mieux. L’armée, qui est l’institution la plus respectée du pays, avec la Banque centrale, dispose de troupes d’élite de 3 000 ou 4 000 hommes dont le courage et les capacités opérationnelles sont reconnues, mais elle est déjà très mobilisée. Le fait que l’accord avec l’Arabie saoudite ait été remis en cause pose problème.
Le rapport évoque aussi la question du système bancaire libanais. Il est stable jusqu’à présent, mais on peut penser qu’il repose sur une sorte de système de Ponzi. Pour simplifier, c’est l’augmentation des dépôts qui permet de préserver la rentabilité. Les dépôts continuent à augmenter, notamment grâce à la confiance de la très nombreuse diaspora libanaise, mais il y a un point d’interrogation. Nous en avons beaucoup discuté avec nos interlocuteurs. Si le système bancaire devait faire défaut, ce serait potentiellement un facteur de rupture, d’autant que la croissance tend désormais vers zéro et que les tensions sociales et communautaires sont très élevées.
S’agissant des facteurs extérieurs, il y a notamment l’évolution de la politique saoudienne que j’ai présentée.
Nous nous sommes également interrogés sur la pérennité du système confessionnel, dont les accords de Taëf avaient prévu, en 1989, une sortie par étapes. Vu d’Occident et d’une démocratie laïque telle que la nôtre, un tel système confessionnel paraît curieux, d’autant qu’il concerne aussi l’administration. Quand ce système est bloqué, comme aujourd’hui, la question de sa pérennité peut être légitime.
Nos conclusions sont pourtant que si le système confessionnel est loin d’être parfait, il assure en partie la stabilité du pays. Chacun trouve un intérêt à ce que le système fonctionne parce qu’il procure des emplois, des rentes et diverses formes de soutien. C’est aujourd’hui un élément de la résilience du Liban, alors que les institutions ne fonctionnent plus. Le système confessionnel explique la faiblesse de l’Etat, mais dès lors que l’Etat s’efface parce que les institutions ne fonctionnent pas, il se substitue largement à lui sur le plan social, économique et culturel. Peut-on passer un jour à un système non-confessionnel ? Il y a des aspirations au sein de la société civile libanaise, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Même si les accords de Taëf le prévoient, ce serait surtout un saut dans l’inconnu et une prise de risque. Une réflexion et un travail existent néanmoins dans la société civile libanaise, ce qui montre qu’il s’agit d’une vraie démocratie vivante.
Qu’en est-il de la France au Liban ? Je l’ai dit, nous sommes attendus mais les Libanais sont lucides, comme les Français sur place.
Quels sont les points positifs ? La francophonie est dynamique, mais elle est en recul. On le mesure notamment à la baisse de la part des élèves scolarisés dans des cursus bilingues franco-arabes, en dépit de l’organisation d’événements qui valorisent la langue française et auxquels les Libanais sont attachés, en particulier dans le domaine de la littérature et du cinéma. Des efforts doivent aussi être accomplis sur la charnière entre l’enseignement scolaire et le supérieur. Nos interlocuteurs en sont conscients : nous ne capitalisons pas assez sur notre force et nos acquis. Les jeunes Libanais scolarisés en français privilégient ensuite des filières et des universités anglo-saxonnes. Nous avons toutefois une excellente école à Beyrouth, l’Ecole supérieure des affaires, inaugurée en 1996 par Jacques Chirac et Rafic Hariri. Un travail remarquable y est fait.
Sur le plan économique, nos parts de marché sont importantes mais en déclin ces dernières années. Les investissements libanais en France sont également notables, comme ceux de la France au Liban, mais il faut rester vigilant.
Notre coopération militaire reste insuffisante. Nous contribuons à hauteur de deux millions d’euros par an, alors que les Britanniques investissent cinq millions de dollars par an dans la protection des frontières libanaises et que les Américains consacrent aujourd’hui 150 millions de dollars par an au Liban, le total de leur aide étant supérieur à un milliard de dollars sur dix ans.
En matière de coopération humanitaire et d’aide au développement, il y a un investissement de la France. Nous avions mobilisé en tout 55 millions d’euros fin 2015 pour aider le Liban à faire face aux conséquences de la crise syrienne et le Président de la République a décidé d’augmenter notre engagement de 100 millions d’euros sur trois ans. Mais ces contributions restent insuffisantes pour financer les grands programmes des Nations Unies. Nous avons donc un questionnement sur le niveau de contribution des acteurs occidentaux, en particulier celui de la France.
L’Agence française de développement a des programmes au Liban, mais ils sont bloqués en raison du vide institutionnel. Il y a eu des annulations de crédits et un gel de certains programmes, par défaut de décisions au niveau institutionnel du côté libanais.
Il existe de vraies perspectives de coopération pour nos entreprises dans au moins quatre domaines. Les gisements de gaz offshore peuvent offrir un véritable potentiel de développement économique, pour lequel des entreprises françaises sont déjà en piste. Mais encore faudrait-il que le Liban se mette à explorer et à exploiter ses propres ressources. Il y a aussi de vraies perspectives en matière d’adduction et d’assainissement d’eau, de transports, notamment ferroviaires, et d’énergie, avec la construction de nouvelles centrales et l’entretien du parc existant. Les perspectives de développement sont donc importantes, mais il faudrait que les politiques mises en œuvre au Liban se hissent à la hauteur des besoins du pays.
Il existe aussi des possibilités de coopération très intéressantes pour nos entreprises sur des territoires où les Libanais ont joué un rôle de défricheurs, notamment en Afrique. L’environnement sécuritaire est parfois trop sensible pour que des acteurs français s’installent, mais on peut explorer de vraies perspectives de coopération dans certains pays où la diaspora libanaise est implantée.
Mme la présidente Elisabeth Guigou. Merci beaucoup pour ce travail considérable. Votre rapport contient notamment un éclairage supplémentaire sur ce que nous savions déjà des relations entre les pays de la région et des jeux des uns et des autres, mais aussi une analyse extrêmement fine de la situation intérieure du Liban, si difficile à décrypter. Les développements sur le confessionnalisme montrent que ce système a déjà beaucoup duré et qu’il durera sans doute encore longtemps. Vos analyses sur la résilience du Liban et ses causes sont également passionnantes. S’agissant des relations avec la France, il y a à la fois une attente et un appel au Liban, mais aussi des réticences profondes à l’égard des engagements étrangers.
(Mme Odile Saugues remplace Mme Elisabeth Guigou à la présidence).
M. Jean-René Marsac. Merci au président et au rapporteur pour le travail réalisé, en particulier pour la qualité des auditions que nous avons pu avoir. Je crois que ce rapport nous apprend beaucoup.
S’agissant des réfugiés, il est absolument nécessaire de soutenir le Liban et de renforcer notre aide. Nous avons pu mesurer ce que cela représente concrètement en visitant un campement informel. C’est une donnée essentielle de la situation et elle risque malheureusement d’être durable.
Je suis, moi aussi, très sensible à la question de la situation économique et financière, sur laquelle Axel Poniatowski a beaucoup insisté au cours des auditions. La Banque centrale, qui est la seule institution contribuant vraiment à tenir le pays, bénéficie d’une grande confiance, mais le système est très fragile et il faut anticiper. Les difficultés de l’AFD pour mettre en œuvre un certain nombre de programmes méritent aussi une attention particulière et nécessitent des modalités d’intervention nouvelles.
Benoît Hamon a évoqué la situation de la francophonie. Il faut sans doute s’accrocher davantage à la formation professionnelle. C’est un sujet qui est développé également dans d’autres rapports de notre commission. Même si le français recule dans le milieu des affaires au Liban, ce pays reste une plateforme pour la francophonie au Moyen-Orient. Les entrepreneurs libanais occupent aussi une place importante en Afrique. Un renforcement des coopérations franco-libanaises serait, en effet, utile dans ce domaine.
M. Jean-Jacques Guillet. Je souhaite également remercier le président et le rapporteur pour la manière dont s’est déroulée la mission. Elle aurait d’ailleurs pu se poursuivre. A la limite, nous pourrions avoir une mission permanente sur le Liban. Comme l’a souligné l’un de nos interlocuteurs, Henry Laurens, si vous pensez avoir compris le Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué. La question libanaise doit être abordée avec beaucoup d’humilité tant les paramètres sont nombreux.
Le Liban est entouré de problèmes : celui de la Syrie, qui est ancien, et celui d’Israël, à la fois au Sud et en ce qui concerne l’exploitation des champs gaziers offshore, car la délimitation des zones économiques exclusives n’est pas tout à fait claire. Cela oblige à passer par les Américains, faute de contact direct entre Libanais et Israéliens, du moins officiellement. Il y a aussi des problèmes endogènes bien connus, comme le système confessionnel. Je suis convaincu que le Liban ne peut pas exister sans ce système confessionnel, même s’il est à l’origine de difficultés. La population se mélange de plus en plus, mais les mariages entre Libanais de confessions différentes ont lieu à Chypre parce qu’ils sont impossibles au Liban. Il faut également souligner que le système confessionnel va au-delà de la division entre chrétiens, chiites et sunnites.
Comme le rappelle aussi le rapport, le Liban est quand même une démocratie, la seule démocratie arabe existante. Elle est d’un genre particulier, mais comme le sont toutes les démocraties, après tout. L’existence d’un blocage institutionnel prouve qu’il y a des institutions, même si elles ne fonctionnent pas. Les élections municipales se sont déroulées dans de bonnes conditions, avec parfois un succès des familles traditionnelles, parfois un échec, et surtout avec des alliances très diverses – entre le parti du général Aoun et les Forces libanaises contre les Kataëb ou avec eux, mais aussi parfois entre presque toutes les forces politiques, comme à Beyrouth, sous l’égide de Saad Hariri, dont la liste n’a pourtant remporté qu’une victoire sur le fil. A Tripoli, la liste « officielle » a été battue. Le Liban est donc une vraie démocratie.
Je persiste à penser que ce pays est un atout considérable pour la France, même si notre langue et notre influence sont en recul. La plupart des dirigeants libanais viennent à Paris lorsqu’ils veulent se rencontrer discrètement et ce n’est pas par hasard. Sur le plan économique, le rapporteur a eu raison d’insister sur l’existence d’une diaspora libanaise importante en Afrique, principalement chiite. Ses réseaux peuvent être utilisés par nos entreprises qui ne s’engagent pas facilement dans certains pays.
M. Philippe Baumel. Selon certaines estimations, il y aurait plus de deux millions de réfugiés au Liban. La question s’est récemment posée de l’éventuelle naturalisation de certains d’entre eux, avec toutes les polémiques que cela nourrit dans différentes communautés libanaises. L’intégration des réfugiés pourra-t-elle aller jusqu’à la naturalisation éventuelle d’une partie d’entre eux ?
Vous avez évoqué le virage saoudien qui laisse, d’une certaine façon, davantage de place à l’Iran au Liban. Avez-vous des informations sur les investissements des Libanais à Téhéran ? Y a-t-il un choix délibéré d’investir dans ce pays pour tisser une toile politique et économique ?
S’agissant des formations universitaires, comment renforcer les liens ? Au-delà de l’Ecole supérieure des affaires que vous évoquiez, dans quels secteurs faut-il agir ?
M. Jacques Myard. Après ce qui vient d’être dit, il serait superfétatoire d’ajouter des félicitations supplémentaires pour ce travail.
Quel le Liban soit un pays en ébullition, ce n’est pas nouveau et cela devrait durer encore un certain temps. C’est une démocratie clanique, qui fonctionne dans beaucoup de domaines. Mais il faut regarder la situation en face. Le déblocage n’aura pas lieu au Liban, mais en Iran et en Arabie saoudite. Nous avons un rôle à jouer car nous avons renoué des relations quasiment normales avec Téhéran et nous avons de bonnes relations avec Riyad, pour les raisons que l’on connaît. Le rôle de la France est d’approcher ces deux capitales pour dire avec une certaine fermeté qu’il y a un moment où il faut trouver des solutions.
Pour autant, je ne suis pas certain que le Hezbollah soit totalement inféodé à Téhéran. Il a sa marge de manœuvre et nous avons intérêt à mieux parler avec lui. Il y a eu un raté important avec le Hezbollah lors de la dernière visite du Président de la République. Il a d’ailleurs parlé essentiellement des réfugiés et très peu du Liban lui-même, ce dont les Libanais ont été très déçus.
Il faut utiliser le Liban pour reprendre pied au Proche et au Moyen-Orient. C’est là qu’on doit mettre le paquet, sur le plan diplomatique, sur celui de la formation des élites et, comme vous l’avez très bien souligné, sur le plan économique. C’est le seul point d’ancrage qui nous reste après l’impasse politique totale qui a été faite sur la Syrie et ailleurs dans la région. C’est par le Liban que nous devons reconquérir des positions. Nous y avons des atouts et des amis. La dernière fois que je suis allé au Liban, on nous accusait d’avoir trahi ce pays.
M. François Loncle. Une question très brève, après avoir félicité à mon tour nos deux collègues pour leur travail tout à fait exceptionnel. Concernant les défections entre l’enseignement secondaire et le supérieur, nous avons des outils, notamment Campus France. Pourquoi cette fuite vers les États-Unis et le Canada, malgré l’intérêt pour la France et la francophonie ?
M. François Rochebloine. Personne ne croyait, effectivement, au rapprochement entre ces deux frères ennemis que sont Samir Geagea et le général Michel Aoun. Je rappelle aussi que le général Aoun était opposé aux accords de Taëf. Malgré ce rapprochement, il y a de nouveau un blocage. Vous avez dit qu’il était inéluctable, mais quelle est son origine ? Est-ce toujours le courant de Saad Hariri, qui n’a pas la même influence que son père et qui a même, je crois, des problèmes financiers ?
Il faut accueillir le million et demi de réfugiés syriens, mais il faut aussi scolariser les enfants. Certains subissent une influence sunnite qui pose quelques problèmes dans les établissements scolaires. Un évêque libanais m’a dit la semaine dernière qu’ils traitent les enseignants d’hérétiques.
S’agissant de la francophonie, je rejoins ce qui a été dit. Notre présence est en recul. Il est inquiétant que des étudiants libanais qui auparavant se rendaient en France se tournent désormais vers les Etats-Unis, qui viennent d’ailleurs les chercher au Liban.
M. Michel Vauzelle. La question du Liban est vitale pour la France. Si ce pays venait à se dissoudre d’une manière ou d’une autre, dans les années qui viennent, ce serait une catastrophe pour nous. Nous perdrions une relation humaine, culturelle et morale unique avec un peuple du Proche-Orient.
Cette dissolution peut effectivement menacer, avec la présence de 1,5 million de réfugiés syriens et celle des Palestiniens, tandis que les jeunes, souvent les plus brillants, quittent le pays pour rejoindre la diaspora, notamment dans des pays anglo-saxons. Pensez-vous que le sentiment national est assez fort au Liban pour dépasser la très grave crise actuelle ? Il y a une puissance politique, que je voudrais vous entendre citer, qui empêche l’élection présidentielle. Les Libanais considèrent que c’est un grand affaiblissement qui ne devrait pas se perpétuer. Le cadre vide du portrait présidentiel dans les lieux publics est tout un symbole.
L’armée libanaise est très utile et très respectée pour son action, mais ne faut-il pas craindre sa fragilité en cas d’aggravation de la crise et compte tenu de la puissance militaire du Hezbollah, qui est peut-être d’ailleurs la seule au Liban ? Si l’armée se confessionnalisait, ce serait un facteur déterminant de dissolution pour le Liban. Et cela aurait un impact sur la présence des chrétiens en Orient. Le système libanais, même s’il est très discutable d’un point de vue laïque, préserve une présence chrétienne au sein même des institutions libanaises, ce qui est unique dans toute la région.
M. Alain Marsaud. Député d’une circonscription dont le Liban est un des principaux pays, je dois dire que j’ai beaucoup appris à la lecture de ce rapport.
Nous avons un passé important au Liban et notre engagement nous a d’ailleurs coûté très cher. De 1980 à 1990, nous avons voulu jouer un rôle très important dans ce pays historiquement et réellement ami. M. Assad père a toujours souhaité que nous déguerpissions et que nous ne puissions pas entretenir les relations privilégiées que nous voulions. Il nous l’a fait payer très cher par des assassinats et des attentats multiples, qui nous ont coûté quelques centaines de morts. Il faut s’en souvenir. Espérons que ce passé soit révolu, mais cela crée entre le Liban et nous les liens du sang. Je pense en particulier à tous nos militaires morts sur place.
Autre élément important, il y a une présence très forte de la communauté française, en général franco-libanaise. Elle tient une partie de la politique et de l’économie. C’est une communauté brillante et souvent tentée par le départ, malheureusement peu souvent vers la France, car il y a un fort tropisme américain et canadien. Il faut se battre et faire comprendre à nos compatriotes que les liens entre nous doivent les amener à regarder davantage vers la France
Je n’ai pas compris ce qui s’est passé quand l’Arabie saoudite a proposé d’équiper l’armée libanaise, avec un contrat bénéficiant à l’industrie française. Tout semblait bien parti. Les ministres de la défense et des affaires étrangères nous ont dit, ici-même, que le contrat était fait. J’avais l’impression qu’il y avait des réticences, mais le ministre de la défense nous a redit au début de l’année que tout était réglé. Ce n’est pas le cas. On peut comprendre qu’il y ait des réticences à livrer des armes au motif que le Hezbollah pourrait éventuellement en profiter. J’étais avec le Premier ministre en Arabie saoudite quand ce sujet a été évoqué et j’ai l’impression que les responsables saoudiens nous ont pris pour des imbéciles en essayant de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. J’ai le sentiment que leur décision est ferme et définitive, ce qui signifie que nous n’armerons pas l’armée libanaise. Elle restera donc abandonnée à elle-même, à moins que d’autres pays ne se substituent à nous. Nul ne sait quelles pourraient être les évolutions, en particulier à cause de l’Etat islamique, même s’il y a au Liban le Hezbollah qui, dieu merci, est capable de défendre ce pays.
Saad Hariri est le patron de l’entreprise Saudi Oger. Peut-être par suspicion à l’égard des Libanais, l’Arabie saoudite a suspendu ses paiements à cette entreprise. J’ai plus de 450 familles françaises en quelque sorte prises en otage en Arabie saoudite, car elles n’ont plus d’argent, même pour financer la scolarité de leurs enfants et pour se nourrir. Elles sont suspendues au bon-vouloir de Saad Hariri et surtout, sans doute, des autorités saoudiennes. J’ai demandé à m’entretenir avec Saad Hariri à la fin du ramadan à Beyrouth pour voir ce qu’il est possible de faire pour ces familles. Elles se trouvent dans un grand dénuement.
M. Axel Poniatowski. Cette réunion étant ouverte à la presse, nous ne pouvons malheureusement pas dire tout ce que nous souhaiterions, ni tout ce que nous savons, en particulier sur le DONAS. Ce contrat ne me semble pas perdu, à ce stade, pour tout le monde.
Nous nous sommes demandés tout au long de cette mission pourquoi les Libanais ne trouvent pas une solution pour débloquer la situation institutionnelle. La non-élection du Président de la République bloque tout, y compris le fonctionnement du Gouvernement et certaines décisions qui sont dans l’intérêt évident du Liban, comme le démarrage de la prospection offshore. Les Israéliens ont commencé la prospection et l’exploitation dans la partie adjacente, alors que les gisements sont communs. Dans de nombreux domaines, on est dans une situation absurde. Le blocage est pourtant le fait de personnes intelligentes, qui adoptent des positions contraires à l’intérêt de leur pays.
Pourquoi l’accord entre Samir Geagea et Michel Aoun ne débloque-t-il pas la situation ? La partie sunnite y étant opposée, cet accord bloque tout autant la situation qu’avant. Il faut la présence des deux tiers des députés pour élire le Président.
Le système confessionnel est la marque du Liban. Le blocage actuel profite aux grandes familles, qu’elles soient sunnites, chiites ou maronites. Leur pouvoir est actuellement le seul qui existe dans un système qui reste extrêmement clientéliste. Ces grandes figures perdraient en influence si la situation institutionnelle se débloquait.
Par ailleurs, cette situation ne pourra évoluer que lorsque l’Arabie saoudite et l’Iran en auront décidé ensemble. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Nous avons souvent entendu dire que l’élection présidentielle est l’affaire des chrétiens maronites puisque le poste de Président de la République leur revient. Ils n’auraient donc qu’à se mettre d’accord entre eux, ce qui débloquerait la situation. Mais les députés chrétiens ne sont pas élus que par des chrétiens et il y a des coalitions chrétiens-sunnites et chrétiens-chiites. Compte tenu du système électoral, la communauté chrétienne est obligée de s’appuyer sur les autres pour assurer sa propre pérennité.
M. Michel Terrot. Parmi les Libanais qui quittent leur pays, les plus nombreux sont des chrétiens. Par ailleurs, vous l’avez souligné, il y a eu un afflux considérable de réfugiés syriens sunnites. Cela ne va-t-il pas poser un problème à terme pour l’équilibre confessionnel sur lequel est fondé le système institutionnel ?
M. Jean-Claude Guibal. Bravo pour ces présentations tout à fait passionnantes. Par rapport à la population vivant à l’intérieur du pays, que représente la diaspora libanaise ? Joue-t-elle un rôle politique sur les orientations prises ? Par ailleurs, pouvez-vous expliquer pourquoi Israël, qui suivait auparavant de très près ce qui se passe au Liban, ne bouge pas aujourd’hui et ne semble pas avoir l’intention de le faire ?
M. Thierry Mariani. Vous dites que la plupart des réfugiés syriens au Liban sont sunnites. Pourquoi n’est-ce pas plus équilibré ? Quel effet pourra avoir au Liban l’évolution de la situation en Syrie, où le régime de Bachar al-Assad semble prendre le dessus ? Par ailleurs, certains collègues ont paru surpris de ce que vous avez dit sur le recul de la francophonie et le départ d’élèves francophones. Représentant des Français d’Asie, je constate dans ma circonscription que près de la moitié des Français qui ont obtenu une mention bien ou très bien au bac dans certains établissements partent ailleurs. Il faut ouvrir les yeux. Je redis, comme je l’ai déjà fait précédemment, qu’il serait utile d’auditionner le directeur de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.
M. Benoît Hamon. La position du Hezbollah pourrait évoluer selon l’issue de la crise syrienne. Son action militaire complète aujourd’hui celle des forces armées libanaises, en tout cas pour combattre les incursions djihadistes. D’une certaine manière, l’action de la milice chiite sert aussi les intérêts du Liban. Il paraît inenvisageable à ce stade que l’armée combatte le Hezbollah, ne serait-ce que parce que cela provoquerait des désertions. L’armée est multiconfessionnelle. Elle est plutôt dominée au niveau des officiers par des éléments chrétiens, tandis que la troupe est plutôt à dominante musulmane. Si le Hezbollah devait combattre un jour les forces armées libanaises, celles-ci ne feraient plus l’objet d’un consensus national et il y aurait probablement une division.
Le poids du Hezbollah au Liban est le principal sujet de préoccupation des Saoudiens et des Israéliens. Ces derniers regardent avec beaucoup de vigilance l’influence du Hezbollah, sinon parfois de nervosité, compte tenu de son niveau d’armement et des capacités nouvelles liées à son intervention en Syrie. Si le conflit syrien basculait en faveur du régime d’Assad, les effectifs du Hezbollah reviendraient au Liban après avoir été renforcés sur le plan capacitaire et en termes d’expérience, même si le mouvement chiite subit de lourdes pertes. On estime à 1 500 le nombre de ses morts en Syrie. Il y a régulièrement des rapatriements de corps et des cérémonies funéraires au Liban. Il existe d’ailleurs un débat au sein de la communauté chiite libanaise sur le prix payé dans le conflit syrien. Les troupes du Hezbollah, qui sont expérimentées et aguerries, ont joué un rôle important.
Parmi les points d’interrogation, on peut se demander quelle serait la réaction de la communauté sunnite si le régime l’emporte en Syrie et que les effectifs du Hezbollah qui y sont déployés reviennent. Historiquement, la communauté sunnite n’a pas de milices très armées, mais on observe déjà une tendance au réarmement de milices non-chiites, notamment chrétiennes. Les différents scenarii évoqués dans le rapport sont ouverts : il est bien difficile aujourd’hui d’élaborer une hypothèse dominante. Il y a surtout de vraies interrogations. Une question qui se pose est de savoir quelle serait l’attitude d’Israël. Par anticipation, les Israéliens pourraient être tentés de priver le Hezbollah d’un certain nombre de capacités. Il pourrait y avoir une intervention : on l’a déjà vu. Par ailleurs, Israël a des « lignes rouges » que tout le monde connaît bien sur place.
On peut être préoccupé par le retour sur investissement dans l’enseignement supérieur, car nous faisons un investissement considérable dans le scolaire. Mais on ne va pas faire semblant de découvrir la mondialisation ! L’enseignement supérieur est un marché. Les formations supérieures en anglais sont séduisantes parce qu’elles offrent davantage de débouchés sur le plan professionnel que celles en français aux yeux des Libanais. Il n’est pas interdit d’être intelligent et de proposer des formations bilingues. Cela se fait de plus en plus, en français et en anglais ou en français et en espagnol, pour que les étudiants étrangers puissent tirer le meilleur parti de l’excellence des filières de l’enseignement supérieur français et qu’ils puissent être embauchés dans des pays ou sur des marchés où l’anglais est absolument indispensable. C’est un point sur lequel il faudra sans doute que nous renforcions notre offre. S’agissant du Liban, on peut mieux faire. Les acteurs français y travaillent et l’on se positionne déjà mieux qu’auparavant. C’est à mes yeux un point positif.
S’agissant de la diaspora, tout dépend qui l’on considère comme en faisant partie. L’émigration libanaise est ancienne. Il y a des communautés d’origine libanaise depuis le XIXe siècle dans certains pays. La diaspora est au moins aussi importante que la population vivant au Liban et elle pourrait comprendre plus de 13 millions de personnes. Comme nous l’expliquons dans le rapport, les Libanais de la diaspora restent souvent très attachés à leur pays d’origine et leurs transferts monétaires sont indispensables à la santé économique du pays et à la stabilité de son système bancaire. L’influence politique de la diaspora me paraît plus incertaine.
Ce qui m’a beaucoup frappé pendant cette mission, c’est que l’on retrouve les mêmes grandes figures politiques que dans ma jeunesse, à l’époque de la guerre civile. Avec Michel Aoun, Samir Geagea, les Frangié, les Gemayel, Walid Joumblatt et Nabih Berri, ce sont les anciens grands chefs de guerre ou leurs héritiers qui occupent la scène politique. Nous avons eu le grand privilège de les rencontrer. C’est probablement la principale corde de rappel : tous ces acteurs ont vécu la guerre et son spectre les conduit à s’entendre sur « jusqu’où ne pas aller trop loin », si je puis dire. Cela fonctionne assez bien. Leur rôle est absolument décisif, malgré quelques échecs aux élections municipales.
On peut considérer que la France a un rôle à jouer à l’égard de l’Arabie saoudite et de l’Iran, eu égard à ses relations avec eux. Mais le niveau de tension est vraiment très fort et ces deux pays se neutralisent. On a le sentiment que le Liban est plutôt gelé, alors qu’il y a déjà d’autres zones de confrontation ailleurs. Les Saoudiens et les Iraniens ne veulent pas aller trop loin sur ce terrain-là au Liban, mais de ce fait rien ne bouge. Il nous a semblé que la capacité de la France à faire évoluer la situation est relativement ténue.
Je n’ai peut-être pas répondu à toutes les questions, mais il y a beaucoup de choses dans le rapport et nous devons maintenant en venir à l’Amérique latine.
La commission autorise la publication du rapport d’information à l’unanimité.
PRÉSENTATION DU LIBAN (125)
1. Données générales
Nom officiel : République libanaise
Nature du régime : République parlementaire
Chef de l’Etat : La présidence de la République est vacante depuis l’arrivée à échéance du mandat de Michel Sleiman le 25 mai 2014.
Président du Conseil des Ministres : M. Tammam Salam (depuis le 15 février 2014)
Président du Parlement : M. Nabih Berry (depuis 1992)
Données géographiques :
Superficie : 10 452 km2
Capitale : Beyrouth
Villes principales : Tripoli, Saïda, Tyr, Zahlé
Langue officielle : arabe (depuis 1943)
Langues courantes : arabe libanais, français, anglais
Monnaie : livre libanaise (1 USD = 1504,5 LL)
Fête nationale : fête de l’Indépendance, 22 novembre
Données démographiques :
Population (évaluation en l’absence de recensement depuis 1932) : 3,9 millions dont 465 000 réfugiés palestiniens enregistrés par l’UNRWA
1,18 million de réfugiés syriens comptabilisés par le HCR et 50 000 Palestiniens de Syrie comptabilisés par l’UNRWA
Indice synthétique de fécondité : 2,1
Taux d'alphabétisation : 88,5 %
Religions (les pourcentages sont des évaluations) : 18 communautés confessionnelles sont reconnues notamment musulmans chiites (31%), sunnites (22%), druzes (5%), chrétiens maronites (23%), grecs-orthodoxes et catholiques (13%) et Arméniens (3%)
Indice de développement humain : 0,791
2. Géographie
Situé au centre du golfe oriental de la Méditerranée, à 3 200 kilomètres de Paris, le Liban est un petit pays : sa largeur varie de 40 à 65 km pour une longueur de 215 km et une superficie totale de 10 452 km2. Le territoire libanais se compose de quatre axes parallèles orientés nord-sud : une plaine côtière où se trouvent la majorité des grandes villes (du Nord au Sud : Tripoli, Beyrouth, Saïda et Tyr) ; une chaîne montagneuse verte et peuplée qui borde la côte (le Mont Liban) ; une plaine inférieure fertile (la Bekaa, irriguée par l’Oronte et le Litani) et une seconde chaîne montagneuse aride (l’Anti-Liban). Le Liban dispose d’une frontière avec la Syrie au Nord et à l’Est (Anti-Liban), d’une frontière avec Israël au Sud. Il est bordé à l’Ouest par la mer Méditerranée sur 278 km.
3. Histoire
Après la disparition de l’Empire Ottoman, la France obtient un mandat de la Société des Nations sur les régions syriennes du Levant, divisées en cinq entités administratives dont l’une d’elles va former le Liban. Le 1er septembre 1920, le général Gouraud proclame la constitution de l’Etat du Grand Liban, placé sous l’autorité du haut-commissaire français. La République libanaise naît en 1926, année de l’adoption d’une Constitution et le pays proclame son indépendance le 22 novembre 1943. La même année, le « pacte national » organise la répartition des principales fonctions publiques entre les communautés chrétienne (Président de la République maronite) et musulmane (Premier ministre sunnite). Après les accords de Taëf de 1989, cette répartition concernera également les chiites (Président de l’Assemblée Nationale).
Une fois son indépendance acquise, le Liban subit une situation géopolitique régionale tendue (arrivée massive de réfugiés palestiniens après les guerres israélo-arabes de 1948 et 1967, rivalités interarabes, guerre froide). De 1975 à 1990, période de la guerre civile, une série de conflits où se mêlent des confrontations régionales et des luttes intérieures ensanglantent le pays. Les accords de Taëf (1989) mettent fin aux principales hostilités. Le 22 mai 1991 est signé entre le Liban et la Syrie un « accord de fraternité, de coopération et de coordination », qui prévoit notamment le maintien de la présence des troupes syriennes sur le territoire libanais. Israël se retire en 2000 du Sud Liban, qu’il occupait depuis 1978. La présence militaire syrienne (30.000 hommes) a pris fin en avril 2005, dans le contexte de fortes pressions internes (« révolution du Cèdre » contre la présence syrienne après l’assassinat, le 14 février 2005, du Premier ministre Rafic Hariri) et externes (résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations Unies de septembre 2004).
4. Politique intérieure
La crise syrienne a exacerbé la polarisation de la scène politique libanaise entre les partis du « 8 mars », favorables au régime syrien, ceux du « 14 mars », opposés à ce régime, et un pôle « centriste », comprenant notamment le chef druze Walid Joumblatt et l’ancien président Michel Sleimane. Les chrétiens sont divisés entre les partisans du Général Aoun, au sein du 8 mars et les « souverainistes » du 14 mars (Samir Geagea, Amine Gemayel notamment). Afin de préserver le Liban des retombées de la crise syrienne, qui divise profondément les Libanais, toutes les formations politiques ont souscrit le 11 juin 2012, à l’initiative du président Sleimane, à la Déclaration de Baabda, qui rappelle l’attachement de tous les partis à la stabilité du pays et à son unité, ainsi que la nécessité du soutien à l’armée libanaise. La déclaration de Baabda a également consacré la « politique de dissociation » vis-à-vis de la crise syrienne, défendue en particulier par le président de la République Michel Sleimane dans le but de préserver la stabilité du Liban.
Le cabinet de Tammam Salam a été formé le 15 février 2014, après plus de dix mois de blocage politique consécutif à la chute du gouvernement de Najib Mikati en mars 2013, et à l’issue de longues négociations entre les différents partis libanais. L’option d’un gouvernement d’entente a prévalu, avec une répartition des 24 portefeuilles en trois tiers : 8 ministres du 14 mars, 8 ministres du 8 mars et 8 ministres « centristes » désignés par le président de la République. Ce gouvernement, qui ne devait théoriquement rester en place que jusqu’au 25 mai 2014, a vu son existence prolongée, faute d’élection d’un nouveau président.
Le mandat de Michel Sleiman est en effet arrivé à échéance le 25 mai 2014 sans que les députés soient parvenus à élire un successeur, malgré plus de 35 sessions convoquées à cette fin au parlement depuis avril 2014. Hormis lors la première séance électorale, à l’occasion de laquelle Samir Geagea, pour le 14 mars, et Henry Helou, pour les centristes, se sont portés candidats, le quorum jugé nécessaire à la tenue du scrutin (présence de deux tiers des députés) n’a pu être atteint. Depuis l’expiration du mandat de Michel Sleimane, la présidence est vacante et les pouvoirs du président ont été transférés au gouvernement, conformément aux dispositions de la constitution libanaise.
Au blocage du scrutin présidentiel s’ajoute le report, à deux reprises depuis 2013, des élections législatives. Alors que celles-ci devaient avoir lieu le 20 juin 2013, le Parlement libanais a décidé le 31 mai 2013 de proroger son mandat de dix-sept mois, en excipant de l'incapacité des partis politiques à s'accorder sur une loi électorale et de la situation sécuritaire inquiétante dans plusieurs régions, liée aux répercussions de la guerre en Syrie. Face au risque de vide institutionnel lié au renouvellement de l’Assemblée, en l’absence de président, le mandat du parlement a été de nouveau prorogé, le 5 novembre 2014, jusqu’en mai 2017.
INDICATEURS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 (e) | |
Population (M hab.) |
3,85 |
3,99 |
4,08 |
4,14 |
4,19 |
4,25 |
4,34 |
4,38 |
4,43 |
4,47 |
4,51 |
4,55 |
PIB (mds$) |
21 |
21,3 |
21,8 |
24,6 |
28,8 |
35,1 |
38 |
40,1 |
44,1 |
47,6 |
49,9 |
51,2 |
PIB / Habitant ($) |
5 455 |
5 338 |
5 343 |
5 942 |
6 874 |
8 259 |
8 756 |
9 155 |
9 955 |
10 649 |
11 064 |
11 253 |
Evolution du PIB |
5,1% |
2,7% |
1,6% |
9,4% |
9,1% |
10,3% |
8% |
0,9% |
2,8% |
2,5% |
1% |
1% 126 |
Taux d’inflation moyen |
1,7% |
-0,7% |
5,6% |
4,1% |
10,8% |
1,2% |
4% |
5% |
6,6% |
4,8% |
1,9% |
-3,8% |
Solde public / PIB |
-9,9% |
-8,7% |
-10,7% |
-11% |
-10% |
-8,2% |
-7,6% |
-5,9% |
-8,4% |
-8,7% |
-6% |
-8,9% |
Dette publique127 / PIB |
171,2% |
180,7% |
185,2% |
171% |
163,1% |
145,6% |
138,4% |
133,9% |
130,8% |
133,4% |
133,3% |
139,1% |
Int. dette pub. / Dépenses |
38,1% |
34% |
35,6% |
35,6% |
33% |
33,9% |
34,8% |
32,2% |
27,1% |
27,9% |
30% |
33% |
Solde courant (mds$) |
-3,33 |
-2,93 |
-1,58 |
-1,78 |
-3,21 |
-4,41 |
-7,86 |
-6,06 |
-10,72 |
-12,73 |
-13,4 |
-12,8 |
Solde courant / PIB |
-15,9% |
-13,7% |
-7,3% |
-7,2% |
-11,1% |
-12,5% |
-20,7% |
-15,1% |
-24,3% |
-26,7% |
-26,9% |
-25% |
Bal. paiements (mds$) |
-0,7 |
-0,04 |
1,47 |
-0,53 |
6,7 |
8,18 |
2,64 |
1,8 |
0,63 |
1,73 |
3,41 |
-0,6 |
Avoirs bruts en devises BdL128 (mds$) |
9,58 |
9,61 |
11,4 |
11,5 |
18,6 |
27,2 |
29,8 |
31,6 |
32,2 |
33,9 |
37,3 |
36,7 |
Avoirs bruts en devises BdL3 / Mois d’imp. de b. et s. |
7,7 |
6,9 |
6,6 |
4,9 |
7,9 |
11,2 |
11,4 |
11,9 |
11,6 |
12,9 |
15,3 |
15,3 |
Flux d’inv. direct (mds$) |
1,07 |
1,91 |
1,8 |
2,53 |
3,35 |
3,68 |
3,79 |
2,73 |
2,92 |
1,74 |
2,73 |
3,01 |
FDI / PIB |
5% |
8,88% |
8,02% |
10,1% |
11,1% |
10,6% |
10% |
6,8% |
6,6% |
3,7% |
5,4% |
5,9% |
Sources : FMI – Direction générale du Trésor (Service Economique pour le Moyen-Orient).
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 | |
Commerce extérieur129 : | |||||||||||||
Exportations françaises (M€) |
823 |
643 |
645 |
613 |
713 |
1 007 |
1 205 |
925 |
1 126 |
1 377 |
1 283 |
1 114 |
998 |
Importations françaises (M€) |
24,8 |
29,9 |
32,4 |
34,2 |
45,5 |
35,3 |
30 |
33,5 |
40,8 |
38,4 |
38 |
49 |
54 |
Solde bilatéral (M€) |
799 |
613 |
613 |
579 |
667 |
972 |
1 175 |
892 |
1 086 |
1 339 |
1 245 |
1 065 |
944 |
Taux de couverture (%) |
3 327 |
2 152 |
1 989 |
1 789 |
1 565 |
2 855 |
4 016 |
2 759 |
2 791 |
3 586 |
3 376 |
2 321 |
1 848 |
Nombre d’entreprises exportatrices |
4 834 |
4 756 |
4 378 |
4 092 |
4 064 |
4 086 |
4 305 |
4 812 |
4 772 |
4 831 |
4 595 |
4 558 |
4 479 |
Parts de marché (%)130 : | |||||||||||||
Pays OCDE, dont : | |||||||||||||
France |
8,14% |
7,78% |
8,45% |
8,10% |
7,48% |
8,28% |
9,69% |
6,66% |
7,53% |
7,24% |
8,60% |
6,22% |
6,12% |
Allemagne |
8,08% |
7,76% |
7,04% |
7,02% |
6,35% |
6,37% |
7,63% |
7,01% |
5,69% |
5,65% |
5,12% |
6,13% |
5,56% |
Italie |
9,41% |
9,90% |
10,45% |
7,56% |
8,98% |
6,89% |
7,57% |
7,78% |
9,34% |
8,61% |
8,62% |
8,04% |
7,37% |
Royaume-Uni |
4,40% |
4,10% |
3,46% |
4,33% |
3,81% |
2,83% |
3,01% |
2,93% |
2,60% |
2,44% |
3,71% |
2,62% |
3,14% |
Etats-Unis |
6,03% |
5,90% |
5,87% |
11,05% |
9,66% |
11,49% |
10,91% |
10,68% |
9,94% |
11,16% |
5,18% |
5,99% |
6,23% |
Japon |
3,75% |
3,72% |
3,29% |
3,03% |
3,34% |
3,84% |
4,13% |
3,46% |
2,01% |
1,71% |
1,39% |
1,75% |
2,41% |
« New comers », dont : | |||||||||||||
Chine |
7,40% |
7,64% |
7,86% |
8,00% |
8,62% |
8,62% |
8,87% |
9,12% |
8,10% |
8,33% |
12,45% |
12,12% |
12,6% |
Inde |
1,18% |
1,21% |
1,49% |
1,25% |
1,49% |
1,37% |
1,96% |
1,65% |
1,77% |
1,64% |
1,41% |
1,98% |
1,58% |
Turquie |
3,27% |
2,75% |
2,14% |
2,74% |
3,43% |
4,33% |
4,03% |
3,81% |
4,19% |
4,54% |
4,10% |
3,44% |
3,94% |
Corée du Sud |
1,10% |
1,10% |
1,21% |
1,41% |
1,22% |
1,48% |
2,04% |
1,65% |
1,31% |
1,44% |
1,89% |
1,34% |
1,41% |
Investissement direct (M€)131 : | |||||||||||||
- Stock d'investissements français au Liban |
390 |
290 |
202 |
235 |
66 |
147 |
233 |
295 |
309 |
366 |
356 |
503 |
n.d. |
- Stock d'investissements libanais en France |
309 |
1 070 |
1 663 |
1 609 |
2 036 |
2 075 |
1 088 |
2 082 |
2 156 |
2 246 |
2 471 |
2 395 |
n.d. |
TABLEAU DES COOPÉRATIONS DÉCENTRALISÉES
Collectivités territoriales |
Pays |
Partenaires |
Projet |
Type |
Thématique |
Statut |
Convention/ Lancement |
Aix-en-Provence |
Liban |
Baalbeck |
Aix, Baalbeck et le Réseau de Villes Historiques et Archéologiques : l’opérationnel au service d’une réflexion partagée. |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2003 / 2003 |
Cholet |
Liban |
Village d'Araya |
Promotion de l'offre culturelle et touristique du village d'Araya 2010-2015 |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2010 / 2010 |
Communauté d'agglomération du Pays de Montbéliard |
Liban |
Communauté de Communes de la Bekaa Centrale |
Accompagnement de la Communauté de Communes de la Bekaa Centrale dans la conception de son service public local de gestion des déchets solides |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2009 / 2009 |
Communauté de communes Vallée de l'Hérault |
Liban |
Fédération de municipalités du Haut Jord Bhamdoun |
Appui à l'élaboration du Plan stratégique de développement local de la Fédération de municipalités du haut Jord Bhamdoun |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2012 / 2012 |
Communauté de communes Vallée de l'Hérault |
Liban |
Fédération de municipalité de Baalbeck |
Appui à l'élaboration du Plan stratégique de développement local de la Fédération de municipalités de Baalbeck |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2012 / 2012 |
Communauté de communes Vallée de l'Hérault |
Liban |
Fédération de municipalités de Baalbeck |
Accompagner l’élaboration des plans stratégiques de développement local dans les Fédérations de municipalités de Baalbeck et du Haut Jord Bhamboun par le développement de l’ingénierie territoriale |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2012 / 2012 |
Conseil général de l'Aude |
Liban |
Municipalité de Jbail |
Mise en place d’un modèle de gestion touristique durable à travers les plans de gestion des sites patrimoniaux et l’appropriation par les communautés de leur patrimoine |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
En cours |
2013 / 2013 |
Conseil général de l'Aude |
Liban |
Municipalité de Zgharta Ehden |
Structuration d’une destination de tourisme durable à Zgharta Ehden à partir des patrimoines naturels, culturels et des ressources locales |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En sommeil |
2012 / 2012 |
Conseil général de l'Oise |
Liban |
Zahlé |
Economie, entreprises, agriculture |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2000 / 2000 |
Conseil général de l'Oise |
Liban |
Zahlé |
Réhabilitation du souk de Zahlé |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2008 / 2008 |
Conseil général de l'Oise |
Liban |
Zahlé |
Festival de théâtre jeunes |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
En cours |
2004 / 2004 |
Conseil général de l'Oise |
Liban |
Ainata |
Développement et Aménagement urbain, formation des fonctionnaires municipaux, mise en place d'outils de gestion |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
Terminé |
2007 / 2007 |
Conseil général de l'Oise |
Liban |
Ainata |
Coopération décentralisée pour la réhabilitation du souk de la commune |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2008 / 2008 |
Conseil général de Vendée |
Liban |
Marjayoun |
Action sociale, santé publique, sécurité civile |
Autre action |
Education, Social et Recherche |
Terminé |
2002 / 2002 |
Conseil général des Yvelines |
Liban |
Fédération des municipalités du Kesrouan-Ftouh |
Promotion de la randonnée dans la vallée Wadi-el-Salib |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2009 / 2009 |
Conseil général des Yvelines |
Liban |
Fédération des municipalités du Kesrouan-Ftouh |
Chantier jeunes de solidarité internationale |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
Terminé |
2009 / 2009 |
Conseil général du territoire de Belfort |
Liban |
Municipalité de Kab Elias |
Appui du Conseil général du Territoire de Belfort à la municipalité de Kab Elias dans la constitution d’une unité de sécurité civile, police municipale, transports et traitement des déchets |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2005 / 2005 |
Conseil général du territoire de Belfort |
Liban |
Municipalité de Kab Elias |
Echanges institutionnels dans le domaine de l'environnement |
Coopération décentralisée |
Environnement, Climat et Energie |
Terminé |
2005 / 2005 |
Conseil général du territoire de Belfort |
Liban |
Kab Elias |
Sécurité civile |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
Terminé |
2005 / 2005 |
Conseil général du territoire de Belfort |
Liban |
Kab Elias |
Appui à la constitution d'un centre culturel et social |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
Terminé |
2005 / 2005 |
Conseil général du territoire de Belfort |
Liban |
Kab Elias |
Intégration des jeunes dans l'action internationale, contribuer à l’aménagement d'une place publique |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
Terminé |
2005 / 2005 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
Région de Tyr |
Développement local |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En sommeil |
2002 / 2002 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
Fédération de communes de Jezzine |
Approche territoriale intégrée et exploration sur le concept de préfiguration d'une structure de type |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
Terminé |
2008 / 2008 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
Bkassine |
Développement du plan de gestion forestière de la forêt |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
Terminé |
2008 / 2008 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
Beyrouth |
Solidarité numérique et action culturelle |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
Terminé |
2002 / 2002 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
Beyrouth |
Opération "Un bateau pour le Liban" |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
Terminé |
2002 / 2002 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
Ville de Beyrouth |
Appui au Fonctionnement et au développement de la capacité d’assistance technique de la Commission Méditerranée de Cités et Gouvernements Locaux Unis |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
Terminé |
2007 / 2007 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
Ville de Beyrouth |
CULTURE TIC : dans les domaines des médiathèques, de la vie scolaire et de la création artistique |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
Terminé |
2002 / 2002 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
20 Municipalités du Liban Sud |
Coopération scientifique |
Autre action |
Education, Social et Recherche |
En cours |
2002 / 2002 |
Conseil régional de Provence Alpes-Côte d'Azur |
Liban |
Union des municipalités de Tyr |
DIGITALCOOP Culture en Méditerranée |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
Terminé |
2012 / 2012 |
Conseil régional de Rhône-Alpes |
Liban |
Fédérations de communes de Fayha et de Koura |
Formation professionnelle de jeunes apprentis |
Coopération décentralisée |
Education, Social et Recherche |
En cours |
2008 / 2008 |
Conseil régional de Rhône-Alpes |
Liban |
Fédérations de communes de Fayha et de Koura |
Eau, aménagement du territoire, environnement et développement socio-économique |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2005 / 2005 |
Conseil régional d'Ile-de-France |
Liban |
Fédération des Municipalités du Haut Metn |
Elaboration d'une Charte de Territoire Durable pour la région du Haut Metn |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
1999 / 1999 |
Conseil régional d'Ile-de-France |
Liban |
Ville de Beyrouth |
Réhabilitation du Bois des Pins |
Coopération décentralisée |
Environnement, Climat et Energie |
Terminé |
1992 / 1992 |
Conseil régional d'Ile-de-France |
Liban |
Ville de Beyrouth |
Elaboration d'une politique municipale d'aménagement des espaces publics de Beyrouth |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2009 / 2009 |
Conseil régional d'Ile-de-France |
Liban |
Ville de Beyrouth |
Lire et écrire dans les espaces publics au Liban |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
En cours |
2011 / 2011 |
Conseil régional d'Ile-de-France |
Liban |
Ville de Beyrouth |
Favoriser l'accès des jeunes de Beyrouth aux TIC |
Coopération décentralisée |
Education, Social et Recherche |
En cours |
2011 / 2011 |
Conseil régional d'Ile-de-France |
Liban |
Ville de Beyrouth |
Développement du réseau de surveillance de la qualité de l’air à Beyrouth |
Coopération décentralisée |
Environnement, Climat et Energie |
En cours |
2008 / 2008 |
Conseil régional d'Ile-de-France |
Liban |
Ville de Beyrouth |
"Graines d’espérance" : Insertion socioprofessionnelle de jeunes par le renforcement de filières de formation professionnelle et technique |
Coopération décentralisée |
Education, Social et Recherche |
En cours |
2011 / 2011 |
Eybens |
Liban |
Brital |
Mise en place d'un projet socio culturel par la ville de Brital - Renforcement du Bureau Municipal de Développement Local |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2002 / 2002 |
Eybens |
Liban |
Brital |
Appui aux municipalités et développement local Formation des élus et techniciens municipaux, mise en place d'outils de gestion |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2003 / 2003 |
Eybens |
Liban |
Brital |
Développement des activités socioculturelles à Brital |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
En cours |
2002 / 2002 |
Gignac |
Liban |
Municipalité de Jbeil Byblos |
Appui au développement touristique et culturel local |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2013 / 2013 |
Grand Lyon |
Liban |
Tripoli |
Projet d'élaboration d'une politique culturelle à visée touristique |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2008 / 2008 |
Grand Lyon |
Liban |
Tripoli |
Appui au service public de l'eau |
Coopération décentralisée |
Environnement, Climat et Energie |
En sommeil |
1999 / 1999 |
Grand Lyon |
Liban |
Tripoli |
Appui à la structuration d’une politique culturelle à visée touristique pour la ville de Tripoli (LIBAN) |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
En cours |
2010 / 2010 |
Grand Lyon |
Liban |
Divers partenaires |
Accompagnement à la réflexion sur la décentralisation dans le cadre d’un programme concerté de coopération décentralisée franco-libanaise. |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2010 / 2010 |
Lyon |
Liban |
Saïda |
Charte d'amitié |
Coopération décentralisée |
Non renseignée |
En sommeil |
1999 / 1999 |
Lyon |
Liban |
Deir El Qamar |
Action sociale, santé publique, sécurité civile |
Autre action |
Education, Social et Recherche |
Terminé |
2003 / 2003 |
Lyon |
Liban |
Deir El Qamar |
Echanges sur les pratiques en matière de gestion urbaine et culturelle |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En sommeil |
1998 / 1998 |
Lyon |
Liban |
Beyrouth |
Développement et Aménagement urbain, formation des fonctionnaires municipaux, mise en place d'outils de gestion |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2003 / 2003 |
Marseille |
Liban |
Beyrouth |
Sécurité et Incendies |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
Terminé |
1994 / 1994 |
Marseille |
Liban |
Beyrouth |
Réhabilitation urbaine |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
Terminé |
1994 / 2003 |
Marseille |
Liban |
Beyrouth |
Echanges culturels |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
Terminé |
1994 / 1994 |
Marseille |
Liban |
Beyrouth |
Digitalcoop Marseille Med Coopération culturelle, multimédia et nouvelles technologies |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
En cours |
1994 / 1994 |
Marseille |
Liban |
Ville de Beyrouth |
Appui au Fonctionnement et au développement de la capacité d’assistance technique de la Commission Méditerranée de Cités et Gouvernements Locaux Unis |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2007 / 2007 |
Marseille |
Liban |
Ville de Beyrouth |
Renforcement des capacités des pompiers de Beyrouth |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
1994 / 1994 |
Marseille |
Liban |
Communauté urbaine Al Fayhaa |
Soutien à la gouvernance locale et au développement touristique durable sur le territoire de la Communauté Urbaine Al Fayhaa au Liban |
Autre action |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2011 / 2011 |
Marseille |
Liban |
Communauté urbaine Al Fayhaa |
Projets d'aménagement côtiers Euro-méditerranéens |
Autre action |
Economie durable |
En cours |
2007 / 2007 |
Marseille |
Liban |
Tripoli El Mina |
Stratégie de développement de ville |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2005 / 2005 |
Neuilly sur Seine |
Liban |
Jbeil |
Formations universitaires et formations professionnelles |
Coopération décentralisée |
Education, Social et Recherche |
Terminé |
2000 / 2000 |
Odos |
Liban |
Caza de Sour/ ADR |
Le Toit Familial Libanais |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
2012 / 2012 |
Ormesson sur Marne |
Liban |
Roum |
Appui au développement local de Roum |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
1985 / 1985 |
Paris |
Liban |
Beyrouth |
Beyrouth capitale du livre : tentative d'épuisement d'un auteur |
Autre action |
Culture et Patrimoine |
Terminé |
2010 / 2010 |
Paris |
Liban |
Beyrouth |
Ecriture de la Terre |
Autre action |
Culture et Patrimoine |
En cours |
2011 / 2011 |
Paris |
Liban |
Beyrouth |
Participation au programme concerté Liban |
Coopération décentralisée |
Politique, humanitaire et coopération transfrontalière |
En cours |
2011 / 2011 |
Paris |
Liban |
Beyrouth |
Réhabilitation de la Maison jaune en équipement culturel (Beit Beirut) |
Coopération décentralisée |
Culture et Patrimoine |
En cours |
1993 / 1993 |
Perpignan |
Liban |
Tyr |
Développement urbain |
Coopération décentralisée |
Economie durable |
En cours |
1997 / 1997 |
SIAAP (Service Public de l'Assainissement francilien) |
Liban |
Fédérations d'Iqlim el Touffah, de Jezzine et du Mont Rihan |
Assainissement et protection de la ressource en eau dans trois Fédérations du Sud Liban |
Coopération décentralisée |
Environnement, Climat et Energie |
Terminé |
2010 / 2010 |
SIAAP (Service Public de l'Assainissement francilien) |
Liban |
Le réseau de municipalités et fédérations de Municipalités membres de Cités et Gouvernements Locaux Unis représenté par le Comité des Maires Libanais |
Appui au renforcement des capacités des municipalités libanaises et du dialogue avec les autorités nationales dans le domaine de l’assainissement |
Coopération décentralisée |
Environnement, Climat et Energie |
En cours |
2013 / 2013 |
SIAAP (Service Public de l'Assainissement francilien) |
Liban |
Le réseau de municipalités et fédérations de Municipalités membres de Cités et Gouvernements Locaux Unis représenté par le Comité des Maires Libanais |
Assistance Technique auprès du Bureau CGLU/BTVL et de Représentation du SIAAP au Moyen-Orient basée à Beyrouth. |
Autre action |
Environnement, Climat et Energie |
En cours |
/ 2013 |
Versailles |
Liban |
Marjayoune |
Création d'une bibliothèque dans la commune de Marjeyoune |
Coopération décentralisée |
Education, Social et Recherche |
Terminé |
2003 / 2003 |
Source : Délégation à l’Action extérieure des collectivités territoriales (ministère des affaires étrangères et du développement international)
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET DES VISITES EFFECTUÉES
1) A Paris
– M. Xavier Chatel, sous-directeur Egypte-Levant au ministère des affaires étrangères et du développement international, accompagné de Mme Catherine Le Thomas, rédactrice Liban (Mercredi 1er avril 2015) ;
– M. Karim Emile Bitar, directeur de recherche à l’IRIS (Mercredi 8 avril 2015) ;
– M. Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris (Mercredi 15 avril 2015) ;
– M. Georges Corm, ancien ministre des finances, professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (Mercredi 6 mai 2015) ;
– M. Joseph Maïla, ancien directeur de la prospective au ministère des affaires étrangères et du développement international, professeur de sociologie politique et de relations internationales à l’ESSEC (Mercredi 13 mai 2015) ;
– M. Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie, conseiller au Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) au ministère des affaires étrangères et du développement international (Mercredi 20 mai 2015) ;
– M. Jean-Marc Bellot, directeur adjoint du département Méditerranée et Moyen-Orient à l’Agence française de développement (AFD), accompagné de M. Benoît Mauduit, coordonnateur régional Liban, de M. Olivier Ray, responsable de la cellule « Crises et conflits », et de Mme Zolika Bouabdallah, chargée des relations parlementaires (Mercredi 27 mai 2015) ;
– M. le général de division Hugues Delort-Laval, officier général chargé des relations internationales militaires à l'Etat-major des armées (EMA), M. le général de brigade aérienne Jean-Marie Clament, chef du service des questions régionales à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) au ministère de la défense, M. l’ingénieur général Jean-Christophe Cardamone, chargé du développement international Proche et Moyen-Orient à la Direction générale de l'armement (DGA) (Mercredi 3 juin 2015) ;
– Mme Sandrine Gaudin, chef du service des affaires bilatérales et de l’internationalisation des entreprises à la direction générale du Trésor, accompagnée de M. Pierre Besson, adjoint au chef du bureau « BILAT 1 », en charge du portefeuille Egypte-Levant (Mercredi 10 juin 2015) ;
– M. Joseph Bahout, « Visiting Research Scholar » à la Fondation Carnegie (Washington) (Mercredi 17 juin 2015) ;
– M. Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure (Mercredi 24 juin 2015) ;
– M. Stéphane Attali, directeur général de l’Ecole supérieure des affaires (ESA) de Beyrouth, accompagné de Mme Véronique Etienne-Martin, directeur des affaires publiques et de la valorisation à la Chambre de commerce et d'industrie de la région Paris Île-de-France (Mercredi 1er juillet 2015) ;
– M. Jean-François Girault, directeur Afrique du Nord Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international (Mercredi 8 juillet 2015) ;
– M. Jacques de Lajugie, chef du service économique pour le Proche et le Moyen-Orient, direction générale du Trésor (Mardi 21 juillet 2015) ;
– M. Emmanuel Bonne, conseiller Afrique du Nord, Moyen-Orient et Nations unies à la Présidence de la République (132) (Mercredi 22 juillet 2015) ;
– Mme Anne-Marie Descôtes, directrice générale de la mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des affaires étrangères et du développement international, accompagnée de M. Pierre Lanapats, directeur adjoint de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche, et de Mme Carine Borel, rédactrice à la mission des échanges culturels et de l’audiovisuel extérieur (Mercredi 9 septembre 2015) ;
– M. Patrice Paoli, directeur du centre de crise du ministère des affaires étrangères et du développement international, ancien ambassadeur de France au Liban (Mercredi 30 septembre 2015) ;
– M. Didier Chabert, sous-directeur du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international (Mercredi 4 novembre 2015) ;
– M. Paul Zajac, directeur adjoint du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) au ministère des affaires étrangères et du développement international, et Mme Brigitte Curmi, chargée de mission Proche et Moyen-Orient (Mercredi 18 novembre 2015) ;
– Mme Leila Seurat, chercheuse associée au CERI-Sciences Po (Mercredi 2 décembre 2015) ;
– M. Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient (Mercredi 9 décembre 2015) ;
– M. Jean-Louis Falconi, directeur des affaires internationales, stratégiques et technologiques au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), accompagné de M. le colonel Hubert Cottereau, sous-directeur des affaires internationales, et de M. Pierre le Goff, chargé de mission Afrique du Nord et Moyen-Orient (Mardi 15 décembre 2015) ;
– M. Nicolas Dot-Pouillard, chercheur au sein du programme Wafaw (« When Authoritarianism fails in the Arab World », European Research Council), chercheur associé à l'Institut français du Proche-Orient (IFPO) de Beyrouth (Mercredi 16 décembre 2015) ;
– Mme Carla Eddé, chef du département d'histoire et de relations internationales à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth (Mercredi 13 janvier 2016) ;
– M. Henry Laurens, professeur au Collège de France, chaire d’histoire contemporaine du monde arabe (Mercredi 20 janvier 2016) ;
– M. David Cvach, conseiller Afrique du Nord et Moyen-Orient à la Présidence de la République (Mercredi 3 février 2016) ;
– M. Bernard Rougier, professeur à l’Université Paris III (Mercredi 10 février 2016) ;
– Mme Aurélie Daher, chercheuse en sciences politiques (Mercredi 17 février 2016) ;
– Son Exc. M. Bertrand Besancenot, ambassadeur de France en Arabie saoudite (Mercredi 17 février 2016) ;
– M. Charbel Nahas, ancien ministre, consultant (Mercredi 2 mars 2016) ;
2) A l’occasion du déplacement au Liban de MM. Axel Poniatowski, Benoît Hamon, Jean-Jacques Guillet et Jean-René Marsac
Lundi 21 septembre 2015 :
– Son Exc. M. Emmanuel Bonne, ambassadeur de France au Liban ;
– M. Nabih Berri, président de la Chambre des députés ;
– M. Tammam Salam, président du Conseil des ministres ;
– Réception de la communauté française au Liban ;
– M. le général Michel Grintchenko, chef d’état-major de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) et représentant national français, accompagné de MM. les colonels Laurent Hasard et Rodolphe Hardy, chefs de corps descendant et montant de la Force Commander Reserve (FCR) ;
– Dîner de cadrage : Son Exc. M. Emmanuel Bonne, ambassadeur de France au Liban ; Mme Cécile Longé, consule générale, M. Arnaud Pescheux, premier conseiller, M. le colonel Henri Herrou, chef de la mission de défense, M. le commissaire Raphaël Juge, attaché de sécurité intérieure, M. Thierry Dufour, deuxième conseiller, M. Jacques de Lajugie, chef du service économique régional, M. Henri Castorès, directeur de Business France, M. Lionel Cafferini, directeur de l’Agence française de développement (AFD), M. Eric Louche, conseiller de coopération et d’action culturelle, directeur de l’Institut français, M. Jean-Christophe Augé, chef du service de presse, Mme Sabrina Aubert, conseillère politique, Mme Clémence Mayol, conseillère politique ;
Mardi 22 septembre 2015 :
– M. le général Ibrahim Basbous, directeur général des Forces de sécurité intérieure (FSI) ;
– M. Fouad Siniora, ancien président du Conseil des ministres, chef du bloc parlementaire du Courant du Futur ;
– Cheikh Abdellatif Deriane, Mufti de la République libanaise ;
– Cheikh Abdel Amir Kabalan, vice-président du Conseil supérieur chiite ;
– M. Abdellatif Zein, président de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des députés ;
– M. Mohammed Raad, président du bloc parlementaire du Hezbollah ;
– M. le général Maroun Hitti, chef de la planification des Forces armées libanaises (FAL) ;
– M. Walid Joumblatt, président du Parti socialiste progressiste (PSP) ;
– Dîner avec des représentants des milieux économiques : M. Stéphane Attali, directeur général de l’Ecole supérieure des affaires, M. Christian Besse, directeur général de Bancassurances, M. Nabil Fawaz, président-directeur général de SOCODILE HOLDING SAL, M. Claude Rufin, directeur général d’EMIRATES LEBANON BANK, M. Gaby Tamer, président de la chambre de commerce franco-libanaise, M. Fouad Zmokhol, président du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprises libanais (RDCL) ;
Mercredi 23 septembre 2015 :
– Visite d’un camp informel de réfugiés syriens à Bar Elias (Bekaa) ;
– Sa Béatitude Bechara Boutros Raï, Patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient ;
– M. Samir Geagea, président du Comité exécutif des Forces libanaises ;
– M. Michel Aoun, député et président du bloc parlementaire du Courant patriotique libre (CPL) ;
– M. Samy Gemayel, député et président du parti des Kataëb ;
– M. Wadih Al-Asmar, secrétaire général du Centre libanais des droits humains et membre du collectif « Vous puez » ;
– Dîner en présence de : Mme Nayla de Freige, directrice générale de l’Orient-Le Jour, présidente du festival international de Baalbek, Mme May Chidiac, journaliste, présidente de May Chidiac Foundation Media Institute, Mme Hind Darwish, directrice de l’Orient littéraire, éditrice, M. Samir Frangieh, écrivain, M. Charif Majdalani, écrivain, et M. Youssef Tomeh, architecte.
Jeudi 24 septembre 2015 :
– Mme Mireille Girard, représentante du HCR au Liban, et M. Matthias Schmale, directeur de l’UNRWA au Liban ;
– M. Riad Salameh, Gouverneur de la Banque centrale du Liban ;
– Visite de l’Ecole supérieure des affaires (ESA), suivie d’un déjeuner avec des représentants des milieux économiques.
1 () La mission a pu rencontrer au Liban les principaux responsables institutionnels, politiques, sécuritaires, économiques, humanitaires et religieux du pays, l’équipe diplomatique française en poste à Beyrouth, ainsi que de nombreuses personnalités de tous horizons. A Paris, elle a pu s’entretenir avec les principaux responsables du dossier libanais à la Présidence de la République et au sein des ministères des affaires étrangères, de la défense et de l’économie, des universitaires, des chercheurs et des intellectuels. La mission tient à remercier chaleureusement tous ses interlocuteurs. Une liste des personnes rencontrées figure en annexe du présent rapport.
2 () A la date d’adoption du présent rapport.
3 () Avec les Forces libanaises de Samir Geagea, les Kataëb (Phalanges), désormais conduites par Samy Gemayel, et le Courant des Marada, dirigé par Sleiman Frangié.
4 () Le Parlement libanais est de facto monocaméral. Les accords de Taëf (1989) devaient déboucher en principe sur la mise en place d’un Sénat dans le cadre d’une déconfessionnalisation progressive du système politique, mais cette évolution n’a jamais vu le jour (cf. p.113).
5 () Cf. p.103. La Chambre des députés compte une moitié de députés chrétiens et une autre moitié de députés musulmans, sunnites, chiites, druzes et alaouites.
6 () Audition du 17 février 2016.
7 () On relèvera en particulier que le pouvoir exécutif n’est plus confié au Président de la République, jusque–là chargé de l’exercer « avec l’assistance des ministres » (article 17 ancien de la Constitution), mais au Conseil des ministres en tant qu’organe collégial. De même, alors que l’article 18 de la Constitution partageait l’initiative des lois entre le Président de la République et la Chambre des députés jusqu’en 1990, cette prérogative revient désormais au Conseil des ministres et à la Chambre. Si le Président est toujours chargé de négocier les traités, il ne peut plus les ratifier qu’avec l’accord du Conseil des ministres.
8 () Cf. ultra.
9 () C’est-à-dire la prééminence de cette communauté en dépit du partage confessionnel des institutions.
10 () Aux termes de l'article 65, « Les questions suivantes sont considérées comme fondamentales : la révision de la Constitution, la proclamation de l’état d’urgence et sa levée, la guerre et la paix, la mobilisation générale, les accords et traités internationaux, le budget général de l’Etat, les programmes de développement globaux et à long terme, la nomination des fonctionnaires de la première catégorie ou équivalent, la révision des circonscriptions administratives, la dissolution de la Chambre des députés, la loi électorale, la loi sur la nationalité, les lois concernant le statut personnel et la révocation des ministres ».
11 () Cf. pp. 65-66.
12 () Les défis, notamment capacitaires, de l’armée libanaise sont présentés pp. 80-81.
13 () Voir également pp. 49-51.
14 () Audition du 16 décembre 2015.
15 () Fatah, Front populaire de libération de la Palestine, Alliance des forces palestiniennes, qui regroupe les pro-régime syrien, Hamas ou encore Mouvement du Djihad islamique, pro-iranien.
16 () Cf. pp. 98-99.
17 () La FINUL compte environ 11 000 hommes, provenant d'une quarantaine de pays contributeurs. Elle se caractérise par une importante ossature occidentale – Italie, Espagne et France, dont le contingent est d'environ 850 hommes – mais aussi par une forte présence de pays asiatiques.
18 () La « ligne bleue » n’est pas une frontière, mais une ligne de démarcation entre Libanais et Israéliens. Elle est marquée au sol par des barils peints en bleu là où les parties sont parvenues à s'entendre sur un point donné.
19 () Même s'il existe aussi de nombreux villages chrétiens et quelques villages sunnites.
20 () Si le Hezbollah entretient dans la zone d'opération de la FINUL une présence armée, elle se veut la moins visible possible – des checkpoints réapparaissant la nuit – et n'est pas hostile à la FINUL.
21 () Comme la plupart des pays de la région. Seuls l’Egypte, l’lran, Israël et la Turquie sont parties à la convention de Genève.
22 () Sur ce point, voir pp. 61-63.
23 () Sur ce point, cf. infra.
24 () La majorité des réfugiés syriens enregistrés au Liban vient des gouvernorats du Nord du pays : Homs (21,4 %), Alep (20,5 %) et Damas-Campagne (14,1 %).
25 () Banque mondiale, «Lebanon : Promoting Poverty Reduction and Shared Prosperity, A Systematic Country Diagnostic », 15 juin 2015.
26 () Source : Banque mondiale, « Lebanon Economic Monitor, The Great Capture », printemps 2015.
27 () Source : Banque mondiale, « Economic and Social Impact Assessment of the Syrian Conflict », septembre 2013.
28 () On estime qu’il y avait déjà plusieurs centaines de milliers de Syriens au Liban avant 2011.
29 () A l’image des Palestiniens à une autre époque.
30 () Voir notamment : Sylviane Zehil, « Gebran Bassil à l’OLJ : la communauté internationale s’emploie à résoudre ses problèmes à nos dépens », L’Orient-le-Jour, 29 mars 2016.
31 () L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), créé en décembre 1949 par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, joue un rôle essentiel pour soutenir les réfugiés palestiniens dans l’ensemble de la région. L’UNRWA scolarise notamment plus de 500 000 enfants dans 700 écoles en Jordanie, au Liban, dans les Territoires occupés et en Syrie. Outre l’éducation, l’UNRWA finance des programmes de santé, des services sociaux et des projets d’assainissement d’eau. Son programme de protection fournit aux réfugiés palestiniens les plus pauvres une allocation en espèce, en cours de remplacement par des bons d’achat électroniques, et une aide alimentaire.
32 () Les départs sont difficiles à estimer. Un projet de recensement existe, mais la comptabilisation des réfugiés reste un enjeu politique très sensible au Liban.
33 () Audition du 16 décembre 2015.
34 () Cf. p. 45.
35 () Son budget global est d’environ 1,2 milliard de dollars.
36 () Le mandat de l’UNRWA, initialement conçu comme temporaire, est périodiquement renouvelé par l’Assemblée générale des Nations Unies.
37 () Selon l’UNRWA, environ 55 % des réfugiés palestiniens enregistrés au Liban vivent dans l’un des douze camps officiels, le reste habitant à proximité ou dans d’autres lieux de forte concentration de la population palestinienne. Trois camps ont été détruits pendant la guerre civile et un autre évacué plus récemment. L’UNRWA n’administre pas les camps palestiniens, notamment au plan sécuritaire, mais y conduit différents programmes.
38 () Cf. pp. 30-33.
39 () Banque mondiale, « Lebanon : Promoting Poverty Reduction and Shared Prosperity, A Systematic Country Diagnostic », 15 juin 2015.
40 () Selon la Banque mondiale, l’investissement public s’était déjà réduit de 6,3 à 1,4 % du PIB entre 1997 et 2011.
41 () Selon la méthodologie utilisée par la Banque du Liban. D’après celle du FMI, la balance des paiements est passée de +3,41 milliards de dollars à -0,6 milliard de dollars entre 2014 et 2015.
42 () Banque mondiale, « Lebanon : Promoting Poverty Reduction and Shared Prosperity, A Systematic Country Diagnostic », juin 2015.
43 () La mission a pu rencontrer à Beyrouth son Gouverneur, M. Riad Salamé, qui a notamment présenté la politique de prêts à taux peu élevés mise en place à destination des banques afin de stimuler l’économie (à hauteur d’1,4 milliard de dollars en 2013, puis d’un milliard en 2014 comme en 2015). Un nouveau « stimulus package » d’un milliard de dollars a été annoncé pour 2016. Des incitations spécifiques (bonifications de prêts ou « circulaire 331 », qui garantit 75 % des fonds investis) ont été créées en faveur des PME, de l’innovation et de l’habitat vert. M. Salamé a souligné que la BdL a dû recourir à de tels outils, peu conventionnels pour une banque centrale, en l’absence de politique économique conduite par le gouvernement.
44 () Alors qu’elle s’était auparavant réduite rapidement et significativement.
45 () Source : Banque mondiale, « Economic and Social Impact Assessment of the Syrian Conflict », septembre 2013.
46 () Le Liban ne stocke que 6 % de ses réserves totales, alors que la moyenne est de 85 % dans l’ensemble des pays de la région.
47 () Source : Banque mondiale.
48 () L’espérance de vie s’élève à 81,5 ans, contre 69 ans en moyenne dans la région Afrique du Nord Moyen-Orient. Le taux de mortalité infantile est passé de 27,4 à 8 décès pour 1 000 naissances entre 1990 et 2012.
49 () 84 % des lits d’hôpitaux sont ainsi gérés par le secteur privé, à but lucratif ou non-lucratif.
50 () Source : Banque mondiale, « Lebanon Economic Monitor, The Great Capture », printemps 2015.
51 () Source : Crédit Libanais, Economic Research Unit, « Oil and Gas Sector ; A New Economic Pillar For Lebanon », janvier 2015.
52 () Un décret définissant les coordonnées de dix blocs de concession et autre précisant les modalités du contrat d'exploration et de production.
53 () Source : éléments communiqués par la Direction générale du Trésor.
54 () Source : Banque mondiale, « Lebanon : Promoting Poverty Reduction and Shared Prosperity, A Systematic Country Diagnostic », juin 2015.
55 () Albert O. Hirschmann, « Exit, Voice and Loyalty, Responses to Decline in Firms, Organizations, and States », Harvard University Presse, 1970.
56 () Cf. notamment Nicolas Dot-Pouillard, « Une révolution des ordures au Liban ? », Orient XXI, 2 septembre 2015.
57 () Pour certains, le mouvement Amal aurait téléguidé des jeunes issus de quartiers populaires pour faire dégénérer les manifestations.
58 () Audition du 2 décembre 2015.
59 () Ancien ambassadeur de France au Liban (audition du 30 septembre 2015).
60 () Cf. ci-après, pp. 80-81.
61 () Audition du 17 février 2016.
62 () Cf. p. 30.
63 () Voir notamment : Mario Abou Zeid, « Ten Years after Hariri's Death, Are Lebanon Sunnis Still Leaderless ? », Carnegie Middle East Center, 13 février 2015.
64 () Audition du 3 juin 2015.
65 () Les forces armées libanaises compteraient 40 % de sunnites, 30 % de chrétiens et 30 % de chiites.
66 () Audition du 20 janvier 2016.
67 () Cf. pp. 85-91.
68 () L'aggravation des tensions entre l'Arabie saoudite et l'Iran a commencé avec l'incident qui s'est déroulé à la Mecque à la fin de l'année 2015, puis s’est cristallisée début janvier avec l’exécution du cheikh Nimr Baqer Amin Al Nimr, opposant à la monarchie et symbole de la cause chiite depuis les mouvements de contestation de 2011 dans la province orientale du Royaume. Il s’est ensuite produit une attaque des représentations diplomatiques saoudiennes en Iran et une rupture des relations entre les deux pays.
69 () La branche armée du Hezbollah figure sur la liste européenne des organisations terroristes.
70 () Audition du 17 février 2015.
71 () Cf. pp. 67-68 et p. 82.
72 () Cf. p. 17.
73 () Nicolas Dot-Pouillard, « Guerre au Hezbollah, le pari incertain de l’Arabie saoudite », Middle East Eyes, 9 mars 2016.
74 () Cf. p. 20.
75 () Cf. pp. 80-81.
76 () Audition du 17 février 2016.
77 () Ce scénario fait l’objet de développements plus nourris pp. 98-99.
78 () Audition du 17 juin 2015.
79 () Cf. pp. 33-35.
80 () Audition du 6 mai 2015.
81 () Des chiffres datant de 1932 sont souvent cités, mais ils ne sont qu’une projection à partir des résultats de 1922.
82 () Georges Corm, « Le Liban contemporain, Histoire et société », La Découverte, 2012.
83 () Mounir Corm, « Pour une troisième République libanaise », L’Harmattan, 2012.
84 () Audition du 13 janvier 2016.
85 () La France est investie en 1920 par la Société des Nations d'un « mandat pour la Syrie et le Liban ». Le Grand-Liban rassemble le Mont-Liban, Beyrouth, la Bekaa, le Akkar au Nord, le littoral et le Jabal Amel au Sud.
86 () Dans un éditorial publié en 1949 dans le journal « L’Orient ».
87 () Une version quasi-officielle de la guerre civile attribue son déclenchement à la cause palestinienne en passant sous silence d’autres raisons, notamment la remise en cause du « maronitisme politique ». Malgré le partage du pouvoir et des postes, les chrétiens maronites détenaient en effet une influence prépondérante dans les affaires politiques.
88 () Georges Corm, « Les déterminants des conflits libanais et les modes d’apaisement », in Déterminants des conflits et nouvelles formes de prévention, sous la direction de Jean-Pierre Vettovaglia, Bruylant, 2013.
89 () Ahmad Beydoun, « La dépendance de l’étranger de groupes communautaires libanais, modalités et cheminements », communication dans le cadre de la table ronde « Migrations et mouvements sociaux dans le Monde arabe », organisée par le Collège de France et la Fondation Moulay Hicham en juin 2011.
90 () « La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l'Etat respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu'il ne soit pas porté atteinte à l'ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu'elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ».
91 () Audition du 8 avril 2015.
92 () Cf. supra, p. 104.
93 () Comme l’a notamment montré M. Karam Karam (cf : « Confessionnalisme, partis, violence politique et (in)sécurité », CETRI, 2010).
94 () Audition du 8 avril 2015.
95 () Audition du 13 janvier 2016.
96 () Audition du 2 mars 2016.
97 () Karam Karam, « le fragile équilibre au Liban : tensions intérieures et pressions extérieures », Med.2012, Institut européen de la Méditerranée, 2012.
98 () « Communautarisme et démocratie », Les Cahiers de l’Orient, n° 94, printemps 2009.
99 () Il s’agirait aujourd’hui de l’Iran et de l’Arabie saoudite si leur confrontation régionale ne les empêchait pas d’exercer conjointement une fonction de régulation au Liban.
100 () Cf. p. 26.
101 () Ghassan Tueni, « Pour un nouveau pacte national », supplément « Réinventer le Liban », L’Orient-Le-Jour, mars 2008.
102 () Ces thèses sont notamment reprises par Michel Touma (« Le système confessionnel au Liban, entre réalité historique et projet chimérique », Les Cahiers de l’Orient, n° 112, automne 2013).
103 () M. Nahas soulignant lui-même auprès de la mission à quel point il est dérangeant d’être traité par des responsables étrangers en tant que membre d’une communauté libanaise particulière.
104 () Il s’agit du premier scrutin organisé depuis 2010, en raison du report des élections législatives. Le « test » politique a néanmoins une valeur limitée, la dimension locale étant très forte.
105 () On pourra relever que la liste soutenue par M. Rifi l’a nettement emporté à Tripoli sur celle appuyée par le Courant du Futur. A Beyrouth, la liste parrainée par M. Hariri a certes remporté tous les sièges, mais la participation a été très faible (20 %) et la liste « citoyenne » Beyrouth Madinati, non-confessionnelle et non-partisane, a obtenu 40 % des voix selon le décompte final. Du côté chiite, on observe une certaine contestation du tandem Hezbollah-Amal. Des listes dissidentes ont réalisé des percées dans plusieurs localités et des indépendants ont cette fois mené compagne jusqu’au bout dans le Sud.
106 () Audition du 13 mai 2015.
107 () D’où, schématiquement, la division des responsables politiques chrétiens entre le 14 mars, emmené par le Courant du Futur, sunnite, et le 8 mars, où domine le Hezbollah chiite. Les premiers considèrent que l’intérêt des chrétiens est de se tenir du côté du monde sunnite, majoritaire, tandis que les seconds privilégient une « alliance des minorités ».
108 () Audition du 9 décembre 2015.
109 () Cf. p. 104.
110 () M. Nicolas Dot-Pouillard a ainsi rapporté à la mission que la télévision syrienne a diffusé en 2013 une vidéo dans laquelle un officier jetait un drapeau de la révolution syrienne en s’exclamant : « je mets à terre le drapeau du mandat français » (le drapeau adopté par la révolution syrienne étant l’ancien drapeau, datant du mandat).
111 () Source : ministère des affaires étrangères et du développement international.
112 () Cf. infra.
113 () L’Institut français emploie par ailleurs plus de 90 agents locaux (professeurs, médiathécaires…) rémunérés sur son budget.
114 () Cf. pp. 107-111.
115 () Cf. p. 20.
116 () Cf. pp. 85-91.
117 () Source : éléments communiqués par l’Etat-major des armées.
118 () Cf. p. 89.
119 () Cf. pp. 33-35 et 98-99.
120 () Cf. pp. 35-47.
121 () Au total, 10 146 Syriens étaient alors protégés en France, y compris les mineurs accompagnants et les Palestiniens nés en Syrie (source : Office français de protection des réfugiés et apatrides).
122 () Cf. pp. 45-47.
123 () Cette étude s’appuie sur un test mené sur 2 915 élèves de troisième, section francophone, répartis dans 126 écoles publiques et privées du pays.
124 () Cf. pp. 65-66.
125 () Extrait de la « fiche pays » mise en ligne par le ministère des affaires étrangères et du développement international.
126 Ou plus probablement 0,5 % (source : service économique régional).
127 Dette interne et externe de l’Etat.
128 Hors avoirs en or.
129 Source: Direction générale des douanes.
130 Source: FMI (Direction of Trade Statistics).
131 Source : Banque de France.
132 () Ambassadeur de France au Liban à partir d’août 2015.