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4301

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur les enjeux industriels et technologiques du renouvellement des deux composantes de la dissuasion

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Jean-Jacques BRIDEY et Jacques LAMBLIN,

Députés.

——

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information sur les enjeux industriels et technologiques du renouvellement des deux composantes de la dissuasion est composée de :

– MM. Jean-Jacques Bridey et Jacques Lamblin, rapporteurs ;

– MM. Jean-Jacques Candelier, Nicolas Dhuicq, Mme Geneviève Fioraso, MM. Francis Hillmeyer, Philippe Meunier, et Mme Marie Récalde, membres.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : POURQUOI RENOUVELER LES MOYENS DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE ? 11

I. CONSERVER LA PUISSANCE, PROTÉGER LA NATION 11

A. LA DISSUASION PARTICIPE DE LA GRANDEUR DE LA FRANCE 11

1. L’héritage dissuasif 11

2. La dissuasion aujourd’hui 13

B. LA DISSUASION DOIT S’ADAPTER AUX MENACES 14

1. L’évolution du contexte 14

a. La prolifération 14

b. Les systèmes de défense 16

2. Les enjeux opérationnels 16

II. CONTRIBUER À LA COMPÉTITIVITÉ, RELANCER « LA LOCOMOTIVE » 19

A. LA DISSUASION IRRIGUE LA BASE INDUSTRIELLE ET TECHNOLOGIQUE DE DÉFENSE 19

1. Le rôle structurant de la dissuasion 19

2. La dissuasion est créatrice d’activité 21

B. LA DISSUASION REJAILLIT SUR LE MONDE CIVIL 24

1. Le développement d’applications civiles 24

2. L’émergence de leaders mondiaux et la constitution d’écosystèmes performants 25

DEUXIÈME PARTIE : COMMENT ÊTRE EN MESURE DE RENOUVELER LES MOYENS DE LA DISSUASION DURANT SOIXANTE ANS ? 27

I. PRENDRE CONSCIENCE DES DÉFIS 27

A. LA DISPARITION DU TISSU INDUSTRIEL 27

1. La sécurité d’approvisionnement 27

2. L’évolution non maîtrisée du capital 28

3. Le maintien d’une activité défense 30

B. LA PERTE DE COMPÉTENCES 30

1. Des compétences critiques par nature 30

2. Une forte inquiétude sur les métiers techniques 31

3. Les savoir-faire non techniques 32

II. PRÉSERVER, CONFORTER 32

A. CARTOGRAPHIER LE MONDE DE LA DISSUASION 32

1. Le tissu industriel 32

2. Les compétences humaines 33

B. ASSURER UNE ACTIVITÉ CONTINUE 34

1. Augmenter les programmes d’études amont 35

2. Conforter la dualité entre le civil et le militaire 37

a. La dualité dans le domaine balistique 37

b. La dualité dans le domaine de la propulsion nucléaire 38

3. Privilégier la démarche incrémentale 38

4. Soutenir l’export 39

C. PROTÉGER LES ENTREPRISES 40

1. Renforcer le régime juridique des investissements étrangers 40

2. Conforter le rôle de l’APE et de Bpifrance 40

3. Créer un fonds d’investissement « défense » 43

D. MAÎTRISER LA TECHNOLOGIE 43

1. Approfondir le programme « simulation » 43

2. Soutenir la recherche 46

a. Les dotations budgétaires des organismes de recherche 46

b. Le maintien du crédit impôt-recherche 47

E. FORMER 48

1. Revaloriser les métiers de l’industrie 48

2. Poursuivre la relance de l’apprentissage 49

3. Soutenir les initiatives des acteurs industriels 50

4. Anticiper 51

CONCLUSION 53

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 55

A. AXE 1 : CARTOGRAPHIER LE MONDE DE LA DISSUASION 55

B. AXE 2 : ASSURER UNE ACTIVITÉ CONTINUE 55

C. AXE 3 : PROTÉGER LES ENTREPRISES 55

D. AXE 4 : MAÎTRISER LA TECHNOLOGIE 56

E. AXE 5 : FORMER 56

F. AXE 6 : DONNER DE LA VISIBILITÉ 56

TRAVAUX DE LA COMMISSION 57

ANNEXE : ENTRETIENS ET DÉPLACEMENTS DE LA MISSION D’INFORMATION 77

INTRODUCTION

L’objet du présent rapport d’information est d’une importance fondamentale. Il s’agit de garantir que la France figurera toujours à l’avenir parmi les grandes puissances mondiales, et sera toujours à même de défendre les intérêts vitaux de la Nation.

Les moyens de la dissuasion nucléaire française devront en effet être renouvelés au cours des prochaines années. L’enjeu, pour notre pays, est de s’assurer que quels que soient les besoins, quelles que soient les menaces, quels que soient les choix qui seront faits, nos capacités technologiques et industrielles seront au rendez-vous entre 2030 et 2080.

C’est dans ce contexte que vos rapporteurs ont été chargés d’une mission d’information sur les enjeux technologiques et industriels du renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire. Il ne s’agit pas de s’interroger sur la pertinence de la dissuasion, ni d’empiéter sur les compétences du président de la République, ni, enfin, de remettre en cause l’existence de deux composantes, confirmée par le dernier Livre blanc et la dernière loi de programmation militaire (LPM).

La doctrine d’emploi de la force nucléaire est connue, et a été rappelée par le président de la République lors de son discours sur la dissuasion, prononcé le 19 février 2015 sur la base aérienne 125 d’Istres. Elle se fonde sur cinq piliers : être en mesure d’infliger des dommages inacceptables à l’ennemi, respecter un principe de stricte suffisance, assurer la permanence, préserver les intérêts vitaux de la Nation, garantir l’indépendance du pays.

Mais l’efficacité de notre dissuasion suppose au préalable d’assurer la crédibilité de la force nucléaire, qui repose sur un ensemble constitué par la volonté du président de la République d’y recourir, la performance du système dissuasif et, enfin, l’excellence de l’outil industriel et des technologies employées.

Et c’est avant tout la crédibilité technique et industrielle qui garantit la crédibilité opérationnelle, car il existe un lien fondamental entre la capacité technologique et industrielle et la réalisation de la mission.

L’intérêt de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale pour la dissuasion nucléaire n’est pas nouveau. De janvier à mai 2014, sa présidente, Mme Patricia Adam, avait ainsi organisé un cycle d’auditions consacré à la dissuasion. Cet exercice, qui avait été l’occasion pour de très nombreux acteurs aux points de vue différents de s’exprimer devant les parlementaires, avait été amplement salué. Par la suite, Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Philippe Vitel avaient consacré à la dissuasion une partie de leur rapport sur le contrôle de l’exécution des crédits de la Défense pour l’exercice 2013 (1). Chaque année, enfin, la commission de la Défense émet un avis sur le budget de la dissuasion dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.

Au cours de cette législature, les parlementaires ont par ailleurs été amenés à voter des dispositions engageant des actions de renouvellement des composantes. Ainsi la LPM indique que la période 2014-2019 sera « marquée à la fois par la poursuite de la modernisation des deux composantes de la dissuasion et par la préparation de leur renouvellement ». Ceci concerne par exemple, s’agissant de la composante océanique, la livraison l’an dernier du missile M51.2 avec sa tête nucléaire océanique, la poursuite du programme d’adaptation des SNLE NG au missile M51, le lancement des travaux d’élaboration du SNLE de troisième génération et du M51.3. S’agissant de la composante aéroportée, les autorités politiques devront engager, au cours de la prochaine législature, les actions relatives à l’élaboration du successeur du missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A), et décider du format du successeur du Rafale.

Un renouvellement d’ensemble est donc déjà en marche.

La France a fait le choix de l’indépendance et de l’autonomie pour la constitution de ses forces de dissuasion. Les acteurs de la dissuasion interviennent ainsi sur l’ensemble de la chaîne : conception, production, mise en œuvre, entretien, modernisation et démantèlement. Cette maîtrise d’ensemble, qui place le pays au même niveau technique que les États-Unis, est l’une des conditions du maintien des compétences nécessaires à l’effectivité de notre dissuasion, et il faut la préserver.

Au terme des auditions, le constat de vos rapporteurs est rassurant : la situation est sous contrôle, et il y a toutes les raisons d’être confiant quant à la capacité de la France à conserver son indépendance. Toutefois, certains points de vigilance ont été soulignés par l’ensemble des personnes auditionnées, qu’il s’agisse des autorités militaires, de chercheurs, d’industriels ou de la Direction générale de l’armement (DGA) et de la Direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique (CEA-DAM).

En premier lieu, il est indispensable de veiller à la robustesse du tissu industriel français de la dissuasion.

En second lieu, et c’est là le principal, la permanence de notre dissuasion repose avant tout sur des femmes et hommes, nucléaristes, qui depuis près de soixante ans permettent à la France de conserver un niveau d’excellence, et d’assurer au président de la République les moyens de préserver les intérêts vitaux de la Nation. Ces femmes et ces hommes disposent de compétences rares, de haut niveau, et il convient de tout faire pour continuer de les maîtriser.

C’est là tout l’enjeu du présent rapport.

Sa première partie est consacrée aux raisons qui amènent aujourd’hui la France à engager le renouvellement des composantes de sa dissuasion. Il ne sera ici question que très rapidement des raisons politiques et stratégiques car, cela a été dit, ce n’est pas l’objet de la présente mission. Force est néanmoins de constater que l’évolution du contexte stratégique entraîne de nouvelles menaces, et de nouveaux besoins opérationnels, qui supposent la maîtrise de technologies et de procédés industriels nouveaux. Ainsi, une modernisation et une adaptation des moyens de la dissuasion s’imposent, en plus des évolutions déjà rendues nécessaires par leur obsolescence. De plus, la dissuasion contribue à l’amélioration de la compétitivité de la France, et joue un rôle de « locomotive » industrielle en suscitant le développement d’applications dans le domaine civil.

La seconde partie du rapport, quant à elle, traite des moyens d’assurer le renouvellement des composantes de la dissuasion, c’est-à-dire tant la conception des futurs moyens que leur entretien au cours des prochaines décennies. En somme, il s’agit de s’assurer que la dissuasion française demeurera indépendante jusqu’en 2080. Les risques sont connus : la disparition du tissu industriel, ou du moins son amenuisement, et la perte de compétences humaines. Il est nécessaire d’anticiper dès à présent, afin d’améliorer la connaissance du monde de la dissuasion, d’assurer une activité continue aux entreprises de la dissuasion, de les protéger contre les tentatives d’acquisition par des puissances étrangères, alliées ou non, de maîtriser les technologies de demain et de former les femmes et les hommes de la dissuasion. Il s’agit de questions essentielles, auxquelles d’ailleurs la Fondation pour la recherche stratégique a consacré une étude, principalement centrée sur la composante océanique. Le premier volet de cette étude, dédié au SNLE, a été publié en septembre 2016 (2).

Durant près de neuf mois, vos rapporteurs ont mené une vingtaine d’auditions, se sont rendus sur la base de l’Île Longue, dans les locaux d’Airbus Safran Launchers aux Mureaux et en Aquitaine, sur les sites de la direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique à Valduc et autour de Bordeaux. Ils ont ainsi rencontré la plupart des acteurs de la dissuasion et ont été marqués par leur plein engagement au service de leur pays. Avant toute chose, il convient donc de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui, dans un laboratoire, un bureau d’études, sur une chaîne industrielle, dans un sous-marin ou aux commandes d’un avion de combat, ont participé depuis près de soixante ans à la constitution de la force de dissuasion française. C’est leur investissement qui permet aujourd’hui à la France de ne dépendre d’aucune puissance étrangère pour la constitution des différentes composantes de la dissuasion nucléaire. Il est indispensable de faire perdurer cette indépendance, pendant les décennies à venir.

PREMIÈRE PARTIE : POURQUOI RENOUVELER LES MOYENS DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE ?

I. CONSERVER LA PUISSANCE, PROTÉGER LA NATION

A. LA DISSUASION PARTICIPE DE LA GRANDEUR DE LA FRANCE

La dissuasion nucléaire est un outil politique avant d’être un outil militaire. Elle constitue la garantie ultime de la souveraineté de notre pays et de sa liberté d’action. Loin d’être sclérosée dans ses concepts et dans ses capacités, elle a été continuellement adaptée aux réalités géostratégiques, technologiques et économiques. Elle reste l’une des cinq grandes fonctions stratégiques rappelées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.

1. L’héritage dissuasif

L’histoire de la dissuasion nucléaire française se lit à la lumière des évolutions du contexte international, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et de l’avancée des travaux scientifiques, depuis les années Trente, dans le domaine de l’énergie nucléaire. Dès 1942, les États-Unis cherchent à s’assurer le monopole de l’arme nucléaire en déployant des moyens financiers et humains considérables (3). Les trois premières bombes nucléaires sont fabriquées dès 1944. Le monopole américain est rapidement concurrencé par l’Union soviétique qui se dote de la bombe atomique cinq années plus tard. Le Royaume-Uni engage quant à lui un premier programme d’armement nucléaire en 1952.

La question de développer le nucléaire civil et militaire se pose également aux Français dès la Libération. Avant de faire l’objet d’un véritable débat, traversant la plupart des milieux de la société française, le programme nucléaire militaire a longtemps été tenu secret. En 1945, le général de Gaulle, alors président du Gouvernement provisoire de la République française, signe l’ordonnance créant le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) (4), organisme national de recherche sur le nucléaire. Ce dernier, administré par l’un des prix Nobel français et sympathisant communiste, le scientifique Frédéric Joliot-Curie, s’oppose toutefois à l’utilisation de l’énergie atomique dans le domaine militaire. Les premiers travaux du CEA s’articulent ainsi autour de la pile nucléaire. Cependant le programme nucléaire militaire est lancé dans le plus grand secret par le président du Conseil, Pierre Mendès-France, en décembre 1954. À la fin des années cinquante, deux centres d’études sont ouverts :

– le premier est implanté à Bruyères-le-Châtel en 1955 ;

– le second est créé en 1957 à Valduc, à des fins de fabrication d’engins opérationnels.

La décision d’un premier essai nucléaire est prise en toute discrétion le 11 avril 1958, par le président du Conseil, M. Félix Gaillard (5). La même année, la direction des applications militaires (DAM) est créée au sein du CEA.

Le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 marque un tournant dans la mise en place de la force nucléaire militaire française en accélérant et en amplifiant le programme, justifié par « la nécessité de disposer des armes les plus puissantes de l’époque, à moins bien entendu, que les autres cessent d’en posséder » (6). Par là même, il rompt avec les pratiques confidentielles de la IVRépublique concernant le nucléaire militaire et soumet les lois de programme de 1960-1964 et 1965-1970 au vote du Parlement. Les débats dans l’Hémicycle sont vifs, et le Gouvernement doit engager à trois reprises sa responsabilité. Dans le même temps, la première bombe nucléaire française, « Gerboise bleue », explose le 13 février 1960 dans le Sahara.

Ainsi, l’arme nucléaire devient un moyen politique de rétorsion et un instrument de dissuasion qui constitue la garantie de l’indépendance stratégique et de la liberté d’action de la France dans le contexte de la Guerre froide – « la position du faible entre les forts» (7). Perçue comme « l’assurance-vie de la Nation » (8), la dissuasion nucléaire se compose à l’époque :

– des forces nucléaires stratégiques, exclusivement anti-cités (9) et qui comprennent des volets aéroportés, depuis 1964, sous-marin et terrestre, développés en 1971 ;

– des forces nucléaires tactiques, qui comprennent une composante terrestre, l’artillerie nucléaire tactique (ANT) et une composante aéroportée, les forces aériennes tactiques (FATAC).

Toutefois, comme le souligne l’étude de la Fondation pour la recherche stratégique précitée, « ce n’est cependant que dans les années 1980 que la France disposera d’une dissuasion pleinement « adulte », avec une capacité de frappe massive composée de deux SNLE à la mer dotés de missiles à têtes multiples M4, complétés par les 18 missiles du plateau d’Albion ».

Depuis les années quatre-vingt-dix, la dissuasion nucléaire en France a été réduite à sa « juste suffisance », ce qui se traduit notamment par la suppression de la composante terrestre entre 1993 et 1996 et l’abandon des forces tactiques. Le retrait du programme Hadès, remplaçant le missile nucléaire préstratégique Pluton, et l’arrêt définitif des essais nucléaires (10), annoncé le 20 janvier 1996 par le président de la République, M. Jacques Chirac, y contribuent. Entre 1996 et 1998, les installations nucléaires du plateau d’Albion sont démantelées et le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), dont la France est signataire, entre en vigueur. En outre, la France démantèle ses installations militaires de production de matière fissile.

Au-delà de ces modifications, l’effort de rationalisation de la force de dissuasion nucléaire française affecte également les forces stratégiques océanique et aérienne, en tenant compte de leur modernisation nécessaire afin d’assurer une posture crédible. L’arsenal nucléaire français a presque été divisé par deux, passant de 540 têtes en 1991 à moins de 300 têtes actuellement (11).

2. La dissuasion aujourd’hui

« C’est ce principe de stricte suffisance qui fonde aussi l’organisation de notre force de dissuasion. » Celle-ci se traduit évidemment par une réduction du volume des forces françaises (12), mais également par une réduction des budgets alloués à la dissuasion. Comme le souligne le chercheur M. Bruno Tertrais dans une note (13), « la France consacrait environ 1 % de son PIB à la dissuasion nucléaire en 1967, et 0,4 % en moyenne jusqu’à la fin des années 1980 (0,47 % en 1990). Aujourd’hui, seulement 0,17 %. C’est quasiment un minimum historique ». Cette réduction de la part du PIB français à la dissuasion, qui se constate aussi en valeur, se décline évidemment également dans les schémas industriels. En somme, la stricte suffisance n’est pas seulement conceptuelle, elle est aussi budgétaire et industrielle.

Aujourd’hui, la dissuasion française repose sur deux composantes, l’une océanique, l’autre aéroportée. Nos collègues Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Philippe Vitel ont présenté de manière très détaillée l’état capacitaire des forces nucléaires françaises dans le rapport sur le contrôle de l’exécution des crédits de la défense pour l’exercice 2013 précité.

La composante aéroportée de la dissuasion française – les forces aériennes stratégiques (FAS) – s’articule autour de trois bases aériennes à vocation nucléaire à Istres, Avord et Saint-Dizier, un escadron de Rafale, un escadron de Mirage 2000N et un escadron de Boeing C-135. Les FAS comprennent près de 1 370 personnes, effectifs en diminution constante au cours des dernières années.

Quant à la composante océanique – la force océanique stratégique (FOST) –, dont l’objet est de garantir la frappe en second, elle repose sur près de 3 900 personnes permettant d’armer six équipages de SNLE et dix équipages de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA). En période « normale », les SNLE effectuent six à sept patrouilles par an au titre de la permanence à la mer. Celles-ci durent en moyenne 70 jours mais peuvent être portées à un maximum de 90 jours en cas de besoin. La France compte quatre SNLE : Le Terrible, Le Vigilant, Le Triomphant et Le Téméraire. Concernant les systèmes d’armes, les développements relatifs au missile M51.2 puis les études relatives au missile M51.3 doivent permettre le maintien des capacités de la FOST face aux défenses antimissiles les plus élaborées, et devront aboutir à la conception du successeur du missile balistique d’ici le milieu des années 2020.

Depuis 1978, le président de la République peut aussi s’appuyer, en cas de besoin, sur la force aéronavale nucléaire (FANu), une composante non permanente. La FANu ne dispose pas de moyens dédiés (aéronefs, pilotes, etc.) mais est articulée autour du porte-avions à bord duquel l’embarquement de l’arme nucléaire constituerait, le cas échéant, un message politique fort. Les Rafale F3 de l’aéronautique navale sont ainsi en mesure de mettre en œuvre le missile ASMP-A qui équipe les FAS.

Les moyens nucléaires français et leur crédibilité placent notre pays parmi les grandes puissances mondiales, permettent au chef de l’État de conserver sa liberté d’action sur la scène internationale, et d’être en mesure d’engager les actions nécessaires à la protection des intérêts de la Nation, faisant de notre pays l’un de ceux dont « l’influence et la responsabilité se situent justement à l’échelle planétaire » selon les mots du président de la République à Istres.

En somme, comme le rappelait lors d’un entretien avec les rapporteurs le général de brigade aérienne Bruno Maigret, chef de la division « forces nucléaires » de l’état-major des armées, c’est bien la dissuasion qui « permet à la France de demeurer une puissance politique, économique, technique et militaire »

B. LA DISSUASION DOIT S’ADAPTER AUX MENACES

1. L’évolution du contexte

a. La prolifération

Pour certains, la prolifération nucléaire est un phénomène contenu, qui ne constituerait pas une menace. S’il est vrai que les termes du débat ont évolué – la prolifération représentait une menace plus importante il y a une dizaine d’années – il n’en demeure pas moins que les puissances nucléaires existantes ont tendance à renforcer leur armement, ou à le consolider, tandis que les puissances émergentes tendent à être davantage en mesure qu’auparavant d’enclencher une frappe nucléaire.

Comme le rappelait M. Bruno Tertrais lors de son audition devant la commission, le contexte stratégique est marqué par la montée de ce qu’il a appelé le « nationalisme nucléaire », à savoir « des politiques marquées à la fois par un nationalisme exacerbé, le refus du statu quo régional avec un désir d’influence et, parfois, une volonté de révision des frontières, et une expansion des capacités nucléaires ».

Ainsi, à la question de savoir si le monde serait moins nucléaire dans trente ans, l’amiral Bernard Rogel, alors chef d’état-major de la marine (14), répondait à vos rapporteurs d’un mot : « non ! ». Le général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, ne disait pas autre chose en indiquant que le monde serait « durablement nucléaire [et que] le temps de la dissuasion n’est pas dépassé », reprenant ainsi les propos du président de la République, à Istres le 19 février 2015 : « le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé. Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la garde. » Les différentes tentatives de la communauté internationale d’endiguer la prolifération n’ont ainsi pour l’heure pas pleinement porté leurs fruits, malgré d’importantes réductions des stocks d’armes (15).

Dans leur rapport d’information précité consacré au contrôle de l’exécution des crédits de la Défense pour l’exercice 2013, Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Philippe Vitel faisaient ainsi le constat de « puissances nucléaires qui ne désarment pas, [et d’]un « club nucléaire » qui s’élargit ».

De manière plus détaillée, on constate ainsi que l’Inde a procédé à son premier tir d’essai depuis un SNLE, même si sa composante océanique n’apparaît pas encore opérationnelle. De son côté, la Chine augmente le nombre de ses missiles longue portée, et est sur le point de disposer d’une véritable composante sous-marine grâce aux bâtiments sous-marins de la classe Jin. La Russie, quant à elle, opère un retour en force tant sur la composante aéroportée que sur la composante océanique, avec une reprise des patrouilles régulières de SNLE. Enfin, les capacités de la Corée du Nord s’accroissent, et un premier essai de lancement de missile depuis la mer semble avoir été réalisé le 24 août 2016 (16), tandis que l’Iran se trouverait au seuil du cercle des puissances nucléaires.

Nos alliés partagent pleinement notre analyse de l’évolution du contexte stratégique, comme l’ont confirmé à vos rapporteurs les représentants du ministère de la Défense britannique.

Le contexte géopolitique a par ailleurs évolué puisque le nombre de pays que l’on souhaite pouvoir dissuader a changé ; ainsi à la Russie s’est ajoutée la Chine. Cela génère des contraintes techniques : une rentrée atmosphérique à longue portée est plus traumatisante qu’à moyenne portée. On a besoin de têtes très précises, surtout que la doctrine concentre aujourd’hui les frappes potentielles sur les centres de pouvoirs.

b. Les systèmes de défense

De l’avis des différents observateurs, les systèmes de défense russes S300 et S400 sont très déployés sur la surface du globe. De nombreuses puissances, dont la Russie et la Chine, ont aussi fortement renforcé et modernisé leurs systèmes de défense anti-missile balistique (DAMB). Cela remet en cause l’idée selon laquelle les systèmes d’armes auront moins besoin de percer les défenses, et impose en revanche de réaliser de nouvelles études pour améliorer la pénétration.

S’agissant de nos propres capacités de défense, et en particulier de l’alerte avancée, le système SPIRALE, réalisé par Airbus sous maîtrise d’ouvrage de la DGA, mettait en œuvre deux micro-satellites de la filière Myriade. Ces satellites collectaient dans l’infrarouge des images de fonds terrestres. L’expérimentation est aujourd’hui terminée. Le Centre national d’études spatiales (CNES) a travaillé de son côté sur les détecteurs infrarouges. Les recherches ont été suspendues à la suite de la décision du ministère de la Défense de ne pas poursuivre les travaux sur l’alerte avancée et la DAMB. Si la décision de relancer le projet était décidée, il faudrait quatre à cinq ans pour développer un système, avec un effort budgétaire conséquent. Dans le cas de SPIRALE, deux satellites étaient mobilisés. Pour un système opérationnel couvrant toute la planète, il faudrait normalement trois satellites. Néanmoins, il suffirait de placer un tel système au-dessus des États qui menaceraient potentiellement notre pays.

2. Les enjeux opérationnels

L’efficacité du concept de dissuasion repose sur la garantie que les vecteurs et les têtes seront capables de pénétrer les défenses adverses. Il y a là un enjeu militaire et industriel essentiel, qui implique de travailler en permanence à la modernisation des forces pour mettre en œuvre des moyens de plus en plus sophistiqués. Or, on l’a vu, l’évolution du contexte géostratégique impose de mener un travail approfondi de modernisation de la force, au-delà du simple traitement de l’obsolescence. De plus, il est nécessaire d’anticiper les menaces de demain, exercice périlleux s’il en est, tant la dissuasion s’inscrit dans le temps long. À titre d’exemple, s’agissant de la composante océanique, après la signature du premier contrat pour mener les études de conception du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE-3G) à la fin de l’année 2016, le premier sous-marin sera produit en 2033, le dernier à l’horizon 2050, pour un retrait dans les années 2080. Plusieurs décennies s’écoulent entre le lancement d’une première étude et le retrait d’un matériel. Comme le faisait remarquer à vos rapporteurs le général Bruno Maigret précité, « d’une certaine manière, on pourrait considérer que les poilus réfléchissaient déjà au retrait du Mirage IV ».

Dans ce contexte, il est de la responsabilité des acteurs industriels d’anticiper pour permettre aux autorités politiques de ne pas devoir faire un choix contraint par des limites technologiques ou industrielles : le critère de conception de la force de dissuasion doit naturellement demeurer un critère stratégique.

S’agissant de la composante aéroportée, qui a fait l’objet d’une modernisation d’ampleur entamée en 2009 et qui a vu la mise en service du missile ASMP-A, elle dispose du potentiel nécessaire pour demeurer pleinement opérationnelle jusqu’à l’horizon 2035 (17). Des réflexions ont été lancées en vue de préparer le renouvellement du vecteur et du porteur à cet horizon.

Concernant le vecteur, les travaux pour mettre au point le successeur de l’actuel missile ont d’ores et déjà commencé. On peut identifier trois enjeux de performance : la pénétration, qui combine la détectabilité et la vulnérabilité (18); la portée, qui touche au vecteur et au porteur ; la précision, essentielle pour la composante aéroportée de la dissuasion. Des études sont menées avec la DGA pour identifier la meilleure option entre l’hypervélocité et la furtivité, au regard de l’état de la menace et des moyens dont disposent de potentiels ennemis.

L’amélioration des capacités de pénétration est intimement liée à la vitesse, d’autant que la furtivité semble de plus en plus complexe à garantir en raison de l’amélioration des dispositifs de défense antimissiles (radars de plus en plus performants, radars passifs, infrarouge). Les autres puissances nucléaires, au premier rang desquelles les États-Unis, la Chine et la Russie, travaillent sur l’hypervélocité, c’est-à-dire des vitesses de l’ordre de Mach 6 ou Mach 7, ce qui rend le missile difficilement interceptable par les défenses ennemies.

En France, l’ONERA et MBDA ont élaboré deux pistes pour le successeur de l’ASMP-A (ASN4G) : un missile à statoréacteur issu du PEA Camosis, et un missile à super statoréacteur (19) hypervéloce issu du PEA Prométhée. Le système retenu devra être suffisamment fiable et adaptable pour assurer pendant plusieurs décennies la pénétration des défenses adverses, alors que, comme on l’a vu, des progrès réguliers sont faits dans le domaine de la défense anti-missile. Il est donc essentiel également de moderniser les contre-mesures.

Un travail de recherche technologique devra par ailleurs être mené avec les industriels sur la résistance des matériaux et les propulseurs.

Le choix du futur porteur est donc tout aussi fondamental, et la décision devra être prise au plus tard en 2022. La question est celle du type d’aéronef qui sera retenu : un avion d’arme de type Rafale, un gros porteur ou un drone. Si un gros porteur était retenu, cela supposerait des développements très significatifs et un changement majeur de l’organisation de l’armée de l’air ainsi que de son format. Un drone ne paraît par ailleurs pas un projet mature pour l’heure et l’on pourrait se demander si cela pourrait être le cas un jour.

S’agissant de la composante océanique, qui devra être renouvelée à l’horizon 2030-2035, le schéma général est connu : le sous-marin sera de dimensions similaires au modèle actuel et l’approche incrémentale est privilégiée. Ainsi, les travaux concernant le SNLE-3G(20) ont démarré, et des avant-projets sont esquissés par les industriels, en étroite coordination avec l’état-major des armées, la DGA et le CEA-DAM. Des décisions ont été prises et il a été acté que le nouveau SNLE embarquera à sa mise en service prévue au début des années 2030 le missile M51.3.

Par ailleurs, d’un point de vue technologique, la problématique est d’améliorer l’invulnérabilité des SNLE, c’est-à-dire principalement leur discrétion acoustique ainsi que leurs capacités de détection par sonar, puisque l’extrême discrétion est ce qui fonde la quasi-invulnérabilité des SNLE de la FOST. Les progrès doivent donc être effectués en matière de discrétion acoustique – en réduisant au maximum tous les bruits signalant la présence des SNLE – comme non acoustique. Par exemple, le SNLE 3G devrait comporter un certain nombre d’équipements lui permettant de maîtriser et de réduire ses rejets, par stockage ou transformation. De même, Thales Underwater Systems travaille à l’amélioration de la performance du sonar. À moyen terme, les antennes de flanc à large bande constituent un enjeu majeur. Au-delà, car l’invulnérabilité n’est pas prévenue par le seul positionnement en grande profondeur, et il est essentiel de maîtriser les technologies de détection magnétique en faible profondeur ou de détection par le biais d’ultra-basses fréquences.

Enfin, pour anticiper les enjeux stratégiques et militaires de demain, comme les ruptures technologiques, il est indispensable de disposer de renseignements fiables sur les forces et faiblesses des ennemis potentiels. C’est tout le rôle des acteurs du monde du renseignement. Le monde spatial contribue notamment aux activités d’observation et de surveillance, et le CNES et le ministère de la Défense doivent continuer à travailler sur des points spécifiques : observation de nuit ou avec de très fines résolutions, renseignement d’origine électromagnétique pour connaître les caractéristiques techniques des défenses adverses afin d’adapter les têtes nucléaires, communications protégées.

II. CONTRIBUER À LA COMPÉTITIVITÉ, RELANCER « LA LOCOMOTIVE »

A. LA DISSUASION IRRIGUE LA BASE INDUSTRIELLE ET TECHNOLOGIQUE DE DÉFENSE

1. Le rôle structurant de la dissuasion

Devant la commission, le général Denis Mercier, alors chef d’état-major de l’armée de l’air, indiquait que « la mission nucléaire « tire vers le haut » l’armée de l’air mais aussi les technologies de notre pays. Cette mission possède des degrés d’exigence très forts en termes de permanence, de réactivité et de préparation opérationnelle (…) et a permis de développer de nombreuses compétences qui irriguent la base industrielle de technologie et de défense de notre pays ».

Au terme de leurs auditions, vos rapporteurs ont constaté que la dissuasion a permis de réellement structurer des pans entiers de l’industrie française. En fait, le soutien des donneurs d’ordres étatiques et industriels dans le temps permet d’entretenir des filières technologiques, de créer les conditions d’une innovation pérenne et de constituer une pépinière de talents.

Ainsi par exemple de l’industrie de construction navale. Certes, la construction du socle industriel s’inscrit dans le temps long, et DCNS célébrera ainsi dans quelques années son quadricentenaire puisque les premiers arsenaux ont été bâtis en 1631. Toutefois, comme l’a souligné M. Hervé Guillou, président-directeur général de DCNS lors de son audition, c’est bien la dissuasion qui a transformé DCN, passant d’un arsenal vieillissant à une entreprise de haute technologie, moteur de croissance, à l’origine de 7 000 emplois directs et indirects et 3 000 emplois induits pour le seul vecteur sous-marin en phase de renouvellement. Cette transition a suivi plusieurs étapes, mais trouve son origine dans la constitution de l’organisation Cœlacanthe, qui pilote depuis le 21 juin 1962, sous la responsabilité du DGA, les programmes majeurs constituant la composante océanique de la dissuasion. De cette initiative sont issus le détachement des arsenaux du ministère de la Défense, la création de l’Île Longue, la nucléarisation du site de Cherbourg, la modernisation du site de Ruelle et le centre d’études de Toulon, autour du missile balistique.

Plus largement, de la dissuasion découle la structuration de l’industrie navale, et le développement de son niveau d’excellence tant l’impose la construction de l’outil nucléaire. La dissuasion nucléaire a ainsi conduit les acteurs industriels à être toujours plus performants, et à maîtriser des technologies complexes, sur les matériaux acoustiques ou encore la métallurgie et l’élasticité des aciers. Un SNLE est ainsi l’un des objets les plus complexes que l’homme ait jamais réalisé. Il nécessite plus de douze millions heures de travail et l’utilisation d’un million de pièces. Il abrite une centrale nucléaire, un centre spatial, une petite ville capable de vivre en autarcie complète pendant dix semaines, le tout de manière discrète et dans un cylindre de 150 mètres de long et 14 mètres de diamètre.

De la même manière, le développement de l’industrie spatiale française est intimement lié à la dissuasion, et la dualité entre les missiles balistiques et les lanceurs spatiaux est évidente. Comme l’indiquait ainsi à vos rapporteurs M. Jean-Yves Le Gall, président du CNES, « Ariane est un missile et un missile est Ariane ».

Aujourd’hui, si la France dispose d’une filière de calcul à haute performance, c’est bien grâce à la dissuasion. Le lancement du programme Simulation en 1996 a imposé au CEA de se doter de capacités de calcul inédites. Après avoir élaboré un calculateur ayant vocation à servir la DAM, le CEA a dès 2003 été à l’initiative de la réalisation du technopôle européen de compétences en simulation numérique haute performance Ter@tec, chargée de promouvoir l’ensemble de la chaîne de valeur du calcul de haute performance (HPC) et de positionner la France parmi les leaders mondiaux en ce domaine. Le technopôle se compose de deux parties :

– une infrastructure de calcul – le très grand centre de calcul du CEA – construite en 2010, qui comprend la machine Curie, fournie par Bull en 2011, calculateur de classe pétaflopique (2 pétaflops) destiné aux besoins de la recherche académique, et le calculateur Cobalt, destiné essentiellement aux besoins de l’industrie et hébergé au centre de calcul recherche et technologie (CCRT) du CEA ;

– un campus accueillant des entreprises et des laboratoires mixtes industrie-recherche, parmi lesquels trois laboratoires communs avec le CEA.

Les réussites des technologies Bull ont permis à Atos de s’inscrire dans le cadre d’une compétition mondiale avec les grands constructeurs américains et asiatiques, et de gagner régulièrement des parts de marché depuis 2005. Ainsi, le supercalculateur Tera 100, co-développé avec le CEA-DAM en 2010 et premier supercalculateur petaflopique en Europe alors, a permis à Atos de vendre plusieurs dizaines de machines Bull de ce type à des entreprises et des organismes de recherche, en Europe et en Asie, pour des applications variées comme le plus grand calculateur scientifique d’Amérique latine, le calculateur du climat en Allemagne, le calculateur de l’Université de Dresde ou encore le calculateur pour la fusion dans le cadre de l’approche élargie liée à un projet ITER au Japon. L’usine de production industrielle de Bull à Angers connaît ainsi un fort développement, tandis qu’Atos peut étendre ses offres de simulation numérique à tous les grands appels d’offres industriels et s’afficher comme un industriel incontournable du calcul à haute performance parmi les trois leaders mondiaux de la course à l’exascale (milliard de milliards de calculs par seconde). En somme, parti de quasiment rien, Atos représente maintenant 10 % du marché mondial, et ce grâce à la dissuasion, et la France dispose d’une filière industrielle structurée en matière de calcul de haute performance.

Mais au-delà, c’est l’ensemble de la base industrielle et technologique de défense qui bénéficie de la dissuasion. Comme le soulignait M. Bruno Tertrais lors de son audition devant la commission de la Défense, le 28 janvier 2014, « du point de vue des performances techniques et humaines, les exigences du nucléaire – en termes de fiabilité, de sécurité et de performance – tirent vers le haut l’ensemble de notre appareil de défense ».

2. La dissuasion est créatrice d’activité

Les programmes nucléaires génèrent de l’activité économique et sont créateurs d’emplois. On estime ainsi qu’un euro investi dans la dissuasion nucléaire engendre vingt euros dans l’économie. Elle est pourvoyeuse d’innovations, génératrice d’exportations, et a un fort impact en termes d’emplois industriels. D’après M. Patrick Boissier, alors président de DCNS, lors de son audition devant la commission de la Défense le 16 avril 2014, « les investissements consentis pour la dissuasion sont un moteur de croissance et une locomotive technologique pour toute l’industrie française ».

En premier lieu, ce sont évidemment les entreprises maîtresses d’œuvre de la dissuasion qui bénéficient des programmes de la dissuasion. L’étude de la Fondation pour la recherche stratégique précitée a ainsi montré que dans le cas de DCNS, l’entreprise tirait parti non seulement des programmes de construction des SNLE, mais également des autres moyens et équipements de type conventionnel nécessaires à la mise en œuvre de la FOST (SNA, frégates de lutte anti sous-marine, torpilles), ainsi que d’une partie de la composante aérienne de la dissuasion embarquée sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. L’étude évalue ainsi à un milliard d’euros la part du chiffre d’affaires annuel dépendant de l’adaptation des trois SNLE-NG au missile M51, des activités de maintien en condition opérationnelle (MCO) des SNLE et des missiles mer-sol-balistique-stratégique (MSBS), la construction et l’entretien des SNA Barracuda, l’entretien et la modernisation du porte-avions Charles-de-Gaulle et les études amont en vue du SNLE-3G. Ce supplément d’activités est par ailleurs réparti sur l’ensemble du territoire, les sites de DCNS de Cherbourg, Brest, Nantes-Indret, Toulon-Ollioules et Ruelle, en Charente, étant particulièrement concernés. De la même manière, les sites industriels d’AREVA TA à Saclay, Cadarache et Aix-en-Provence, comme certains sites d’Airbus Safran Launchers sont fortement dépendants des activités liées à la composante océanique de la dissuasion.

L’activité dissuasion de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers est fortement créatrice d’emplois, puisqu’en période de non-renouvellement des SNLE, elle génère près de 10 000 emplois directs et indirects en France par an, et près de 13 000 par an durant vingt ans en période de renouvellement. Par ailleurs, 90 % de la valeur ajoutée est créée en France.

 

Activité annuelle moyenne 2011-2015 : hors renouvellement

Activité annuelle moyenne lors des 20 années de renouvellement

Effectifs directs et indirects en France

9 848

12 979

Effectifs induits

2 759

4 261

Emplois directs, indirects et induits en France

12 607

17 240

Source : Fondation pour la recherche stratégique (21).

De la même manière, M. Bernard Bigot, alors administrateur général du CEA, soulignait devant la commission le 27 mai 2014 que l’activité du CEA/DAM, exercée par 4 500 emplois directs, génère près de 17 000 emplois industriels sur le territoire national.

En deuxième lieu, la dissuasion bénéficie à une multitude d’entreprises réparties sur tout le territoire. Ainsi, l’étude de la FRS a noté, à propos de DCNS, que 99 % du volume des commandes pour l’activité Dissuasion/SNLE sont adressés à des fournisseurs localisés en France.

Source : Fondation pour la recherche stratégique.

Le renouvellement des moyens de la dissuasion constitue par ailleurs un marché de taille pour les entreprises nationales. À titre d’exemple, au Royaume-Uni, le renouvellement représente à lui seul un marché d’un montant de près de 70 milliards de livres sterling sur les vingt prochaines années, le marché du démantèlement des matériels existants représentant un marché de trois milliards de livres sterling.

En troisième lieu, l’excellence technique, inhérente à la maîtrise de la dissuasion nucléaire, constitue par ailleurs un facteur d’attractivité pour la France. La réussite des acteurs français – Dassault Aviation et DCNS notamment – à l’export, est fondée sur la maîtrise des technologies et des processus industriels de la dissuasion. Le choix par les autorités australiennes de retenir le groupe DCNS pour la construction de douze sous-marins s’explique notamment par son statut de maître d’œuvre du programme SNLE. Le succès de DCNS en Australie confirme d’ailleurs cette image à l’international, qui lui avait permis d’obtenir d’autres marchés au Chili, en Malaisie, en Inde ou au Brésil. Alors que l’export représente par ailleurs 50 % de la production navale française, le haut niveau de la dissuasion crédibilise l’offre française. D’une certaine manière, même les sous-marins de la classe Scorpène profitent des acquis de DCNS dans les SNLE. De même, l’exigence d’excellence imposée par la dissuasion a permis à Thales de devenir leader mondial en matière de sonar, et de contribuer ainsi aux succès de l’industrie française à l’export.

B. LA DISSUASION REJAILLIT SUR LE MONDE CIVIL

1. Le développement d’applications civiles

L’impact de la dissuasion nucléaire sur le développement d’applications civiles n’est plus à démontrer. La dynamique d’innovation consubstantielle à la dissuasion rejaillit pleinement dans des domaines très divers. En somme, les programmes nucléaires sont générateurs d’externalités positives pour l’ensemble de l’économie française.

Dès la fin des années 1950, les recherches et les premières applications relevant du militaire nucléaire ont irrigué le secteur civil en contribuant au développement de la filière électronucléaire française : combustibles, réacteurs, traitement des déchets, notamment.

Les exemples de retombées industrielles des développements technologiques réalisés pour la dissuasion sont nombreux : métallurgie, acoustique, matériaux amortissants, système de réfrigération, contribution de la propulsion nucléaire au développement de l’industrie nucléaire française, développement de la filière SOI (silicium sur isolant), référence mondiale pour la fabrication de circuits intégrés, à très grandes vitesses et énergétiquement efficaces. De même, la conception du Mirage IV a permis aux industriels français de maîtriser le vol en supersonique, tandis que les hublots des avions de ligne s’appuient sur la technologie de son cockpit. Les pompes à hélices ont quant à elles été utilisées sur des paquebots pour diminuer l’impact acoustique de la navigation sur les baleines. Dans le secteur médical, l’échographie découle de la technique des sonars.

Les matériaux composites carbone/carbone développés pour la réalisation de cols de tuyère présentant une très bonne tenue à l’ablation en présence de gaz de combustion à haute pression – quelques centaines de bar – et très haute température – plus de 3 000°C – ont été ensuite adaptés pour les applications de freinage. Par la suite, des composites carbone/céramique ont été développés pour les volets de tuyère du moteur M88-2 équipant le Rafale, le divergent du moteur Vinci destiné au deuxième étage d’Ariane 6 ou des protections thermiques de véhicules spatiaux tels que le démonstrateur IXV piloté par l’Agence spatiale européenne. Des composites céramique/céramique destinés à remplacer les alliages métalliques réfractaires utilisés jusqu’à présent pour la réalisation des turboréacteurs sont également issus de ces recherches.

Les exemples sont légion et, bien sûr, ce sont les technologies développées avec les missiles intercontinentaux qui ont contribué au développement de la filière spatiale et des fusées Ariane.

À long terme, il est difficile de mesurer avec précision l’ensemble des effets, d’une part car ils s’amoindrissent au fil des années, d’autre part car ils se dissipent et que leur trace est difficile à appréhender. Mais l’impact de la dissuasion est prégnant sur deux points : l’émergence de leaders mondiaux et la constitution d’écosystèmes pérennes qui dépassent le seul champ militaire.

2. L’émergence de leaders mondiaux et la constitution d’écosystèmes performants

Vos rapporteurs ont déjà eu l’occasion de souligner que les maîtres d’œuvre ont acquis une position à l’international en raison de la structuration de leur activité par la dissuasion. Mais au-delà, le développement d’applications militaires pour les programmes de dissuasion a permis à des entreprises d’occuper une place de leader mondial, car c’est bien l’ensemble de l’industrie française qui tire bénéfice de l’excellence de la dissuasion. Ainsi, la conception et la maîtrise des systèmes de navigation inertielle ont amené Sagem, devenu Safran, à occuper la première place mondiale en la matière. De la même manière, c’est bien l’investissement dans la dissuasion qui a permis de faire de Thales le champion mondial des sonars.

Aujourd’hui, la capacité de l’entreprise française Sodern à remporter le marché lancé par ONE-WEB pour la fourniture de 1 800 viseurs d’étoiles découle de la dissuasion, et des exigences qui l’ont amenée à maîtriser une technologie d’une extrême complexité. Le contrat entraîne la création d’une nouvelle ligne d’assemblage dédiée et de 57 emplois très qualifiés pendant trois ans.

Par capillarité, d’autres activités bénéficient de la dissuasion, comme les accélérateurs de particules permettant des contrôles non destructifs pour le nucléaire civil, comme l’imagerie de colis de déchets radioactifs par rayonnement X, la simulation électromagnétique, l’électronique de puissance industrielle et scientifique (amplificateurs radiofréquences) informatique industrielle, grâce aux calculateurs développés par le CEA.

Vos rapporteurs ont souligné plus haut combien la dissuasion avait permis à la filière de calcul de haute performance de se structurer, et avait par extension abouti à la création d’un véritable écosystème dans le domaine du calcul. Le programme Simulation, dont c’est le vingtième anniversaire cette année, a également permis l’éclosion de la « Route des lasers » autour du laser mégajoule implanté sur le site du CESTA en Aquitaine. La conception de l’équipement de pointe que constitue le laser mégajoule (LMJ), outil majeur du programme de simulation des essais nucléaires, ouvre en effet des perspectives multiples, notamment pour la recherche en astrophysique ou encore, à terme, dans le domaine de la production d’énergie par fusion. Le LMJ lui-même a favorisé la naissance d’un écosystème avec notamment la création du pôle de compétitivité « Route des lasers », la création de l’Institut lasers et plasmas (ILP) (22) et l’implantation de plus de cinquante sociétés spécialisées dans le domaine de l’optique ou de la santé.

*

* *

Les raisons de renouveler les moyens de la dissuasion sont multiples. Bien sûr, il s’agit avant tout de traiter l’obsolescence, et d’adapter les forces nucléaires aux nouvelles menaces, en fonction de critères stratégiques déterminés par les autorités militaires, et en particulier par le président de la République, chef des armées et seul à même de décider en matière nucléaire. Ce renouvellement stratégique nécessite donc d’imaginer, de concevoir et de maîtriser de nouvelles technologies, et ensuite de les industrialiser. Mais au-delà, le renouvellement des moyens de la dissuasion a également un intérêt économique et industriel, la dissuasion contribuant à la compétitivité de l’économie française, et contribuant à l’émergence de champions technologiques et industriels.

Toutefois, une fois ce constat formulé, il s’agit de s’interroger sur les moyens d’opérer ce renouvellement, c’est-à-dire de s’assurer que la France soit en mesure de conserver une dissuasion pleinement indépendante au cours des prochaines décennies.

DEUXIÈME PARTIE : COMMENT ÊTRE EN MESURE DE RENOUVELER LES MOYENS DE LA DISSUASION DURANT SOIXANTE ANS ?

I. PRENDRE CONSCIENCE DES DÉFIS

A. LA DISPARITION DU TISSU INDUSTRIEL

La France dispose d’entreprises de niveau mondial, de toutes tailles, dont les sites sont répartis sur l’ensemble du territoire. Mais la juste suffisance de l’outil industriel rend encore plus important le devoir de vigilance quant à son maintien car nombre d’entreprises, souvent des PME, sont en difficulté sur plusieurs points : sécurité d’approvisionnement, robustesse financière, permanence de l’activité défense, maintien des compétences.

1. La sécurité d’approvisionnement

L’enjeu de la sécurité d’approvisionnement revêt plusieurs aspects. D’abord, il s’agit de s’assurer que les différents acteurs intervenant dans les programmes nucléaires puissent être en mesure de s’approvisionner auprès de leurs fournisseurs. Or, le maintien de la sécurisation d’approvisionnement est devenu de plus en plus complexe en raison d’une modification en profondeur de la base équipementière, tant du fait des modifications capitalistiques que des réorganisations internes.

En effet, comme le soulignait devant vos rapporteurs Mme Hélène Masson, responsable du pôle « Industrie et défense » de la Fondation pour la recherche stratégique, « s’agissant de la construction d’un SNLE, les commandes sont limitées en volume, le tempo est variable et discontinu ». Ces contraintes s’appliquent en fait à tous les matériels de la dissuasion, et contribuent à fragiliser les fournisseurs, qui ne peuvent que peu compter sur la continuité des flux pour survivre. Or, pour nombre de systèmes ou d’équipement, le maître d’œuvre ne dispose que d’un fournisseur français, seul dépositaire du savoir-faire technique. Il y a en ce cas un vrai risque de tarissement. Ainsi, alors que l’électronique embarquée est d’autant plus nécessaire pour améliorer la précision et la pénétration des défenses, il faudra être vigilant sur le devenir de Soitec ou de ST Microelectronics pour le maintien d’une filière nationale de composants électroniques.

Il est ainsi essentiel de se montrer en permanence attentif face au risque de dérapage. Comme le souligne l’étude de la FRS précitée, « l’assurance sur la qualité et la continuité de l’approvisionnement est ici un impératif. Elle impose pour les systèmes, équipements et composants critiques, un approvisionnement en France, afin d’éviter toute situation de dépendance vis-à-vis de fournisseurs étrangers (européens et a fortiori américains, avec les risques de contrôle export étranger liés, notamment ITAR (23)). »

Ensuite, la sécurité d’approvisionnement en matériaux constitue évidemment un enjeu crucial pour les grands acteurs industriels de la dissuasion, maîtres d’œuvre comme pour les sous-traitants.

Vos rapporteurs se limiteront ici à quelques exemples, pour des raisons évidentes de confidentialité. Le cas du tritium est notable : 50 % du stock est perdu tous les douze ans en raison de sa désintégration en hélium ; l’objectif est de parvenir à en reproduire à un horizon de dix ans.

S’agissant du plutonium, sur lequel aucune inquiétude n’existe puisque l’on parvient à le recycler sans érosion du stock, l’enjeu se situe ici plutôt sur la modernisation des installations de recyclage de la direction des applications militaires à Valduc, que l’Autorité de sûreté nucléaire préconise de moderniser.

Dans le champ de la propulsion nucléaire, il est nécessaire de disposer d’uranium faiblement enrichi, ce qui suppose, d’une part, de disposer d’uranium libre d’emploi et, d’autre part, d’être capable de le produire à un taux d’isotopie U235 (24) de type commercial (environ 5 %). Concernant la disponibilité de l’uranium, il faut donc identifier des mines libres d’emploi pour l’extraction, ou engager des actions de recyclage. L’enrichissement de l’uranium quant à lui, actuellement effectué par Urenco, entreprise européenne disposant notamment de sites en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, pourrait conduire à réfléchir à la construction d’une filière nationale.

Enfin, s’agissant des têtes, la DAM dispose jusqu’en 2025 d’un stock suffisant pour les matériaux de l’enveloppe pour la rentrée atmosphérique. Il y a notamment une problématique sur la fibre de carbone, pour laquelle une filière étrangère existe. Plusieurs solutions pourraient être envisagées : constitution d’une filière nationale ou identification d’une filière d’approvisionnement à l’étranger à l’abri de tout embargo.

2. L’évolution non maîtrisée du capital

La structure du capital des entreprises du monde de la dissuasion est très variable. Certaines sont cotées en Bourse, avec un actionnariat diffus ou concentré, tandis que d’autres appartiennent toujours au secteur public.

Au fil des années, on constate un intérêt grandissant des puissances étrangères, maîtrisant l’arme nucléaire ou désirant s’en doter, pour les entreprises du tissu industriel français. Il est indispensable de surveiller l’évolution du capital de celles qui échappent parfois à l’attention tant des acteurs publics que des grands acteurs industriels, en raison de leur taille ou de la spécificité de leur activité. Parfois, même des entreprises de taille intermédiaire (ETI) peuvent être menacées, ou, selon les termes de l’étude de la Fondation pour la recherche stratégique précitée, « balloté[e]s au gré des opérations de fusions-acquisitions intervenues au cours de la dernière décennie, tombant pour certains d’entre eux sous bannière étrangère ».

Ainsi, vos rapporteurs rappellent que l’ensemble du segment moteur diesel est dominé par les entreprises allemandes, notamment MAN, laquelle a repris 100 % du capital du dernier producteur français SEMT Pielstick en 2006 (via la reprise des parts de MTU Friedrichshafen GmbH). Deux ans plus tard, en 2008, l’entreprise Moteurs Baudoin, dernier spécialiste français des moteurs Diesel rapides pour la marine, était quant à elle reprise par le groupe chinois Weichai Power, partenaire du diéséliste MAN.

Industeel et Thermodyn : deux exemples malheureux

– Aciers à haute résistance : reprise d’Industeel par ArcelorMittal

Premier fournisseur européen de tôles d’acier allié ou inoxydable, Industeel est une des rares entreprises au niveau mondial à produire des aciers spéciaux offrant des caractéristiques chimiques nécessaires pour résister aux plus hautes pressions. Depuis 2006 et l’OPA de Mittal Steel Company sur Arcelor, le site est désormais consolidé au sein du groupe n° 1 mondial de la sidérurgie ArcelorMittal (CA 2014 de 72 Mds€, dont 5,7 % en France), détenu à hauteur de 39,4 % de son capital par la Famille Mittal. Industeel produit notamment les aciers à haute résistance destinés à la construction des coques de sous-marins sous maîtrise d’œuvre DCNS.

– Turbines à vapeur : Thermodyn repris par GE Oil & Gas

Spécialiste reconnu dans la conception et la fabrication des turbomachines, l’établissement du Creusot conçoit et produit des compresseurs centrifuges de petite à moyenne pression et des turbines à vapeur à action jusqu’à 50 MW. Thermodyn est le fournisseur historique de DCNS en turbines à vapeur (TAV) pour la propulsion et l’alimentation électrique qui équipent aujourd’hui les SNLE mais également les SNA. Il est l’unique acteur en France sur ce segment. Issue de Schneider et de Creusot-Loire, puis de Framatome, Thermodyn appartient depuis juillet 2000 au groupe américain General Electric (GE), intégré à la branche Oil & Gas.

Marché de niche, le segment des TAV voit intervenir aux côtés de GE une poignée de fournisseurs à travers le monde, principalement américains et britanniques, donc en situation d’exposer le maître d’œuvre français au contrôle export étranger.

Le rachat récent d’Alstom par GE, en supprimant une seconde source potentielle d’approvisionnement (activité TAV UK d’Alstom), renforce encore la position monopolistique du groupe américain et avec elle la situation de dépendance de DCNS vis-à-vis de son fournisseur.

Source : Fondation pour la recherche stratégique.

De la même manière, nombre d’entreprises tendent à devenir de plus en plus multinationales, et il est indispensable de conserver les activités en matière de dissuasion isolées des autres. Le suivi des entreprises fragiles d’un point de vue capitalistique est par ailleurs assuré par la DGA.

3. Le maintien d’une activité défense

La diversification des activités d’une entreprise peut entraîner une réduction de la part de son activité « défense », et de l’importance de celle-ci au sein du chiffre d’affaires. Il y a peu de risques de voir les grands acteurs délaisser leur activité défense, tant en raison de l’existence d’un contrat moral avec l’État que de l’intérêt des programmes associés, même si l’arrêt potentiel de l’activité d’une entreprise comme ST Microelectronics n’a récemment plus constitué qu’une simple hypothèse théorique. De la même manière, les risques sont faibles de voir les très petites entreprises abandonner la branche dissuasion de leurs activités, car c’est elle qui finance la recherche technologique, et donc leur chiffre d’affaires futur. En revanche, de telles assurances ne peuvent être faites s’agissant d’entreprises de taille moyenne.

Il est donc essentiel d’aider les PME et les ETI à comprendre les enjeux de la dissuasion et les exigences de maintenir les compétences en la matière. À ce propos, il a été indiqué à vos rapporteurs durant les auditions que, s’agissant d’un grand groupe, l’enjeu était de « d’une part, de rapatrier les compétences sur le territoire national et, d’autre part, d’identifier les industriels compétents pour « reconstituer » une base industrielle ».

B. LA PERTE DE COMPÉTENCES

1. Des compétences critiques par nature

Le monde de la dissuasion fait appel à des compétences spécifiques, qui répondent à des critères de criticité particuliers. Elles sont « longues à acquérir, rapides à perdre et impossible à récupérer », selon les mots de M. Patrick Boissier, alors président de DCNS, devant la commission. Par ailleurs, ces savoir-faire sont partagés par un faible nombre de personnes – de l’ordre de deux ou trois techniciens dans certains cas. De l’aveu de la plupart des acteurs rencontrés par vos rapporteurs, la vulnérabilité à court terme de la dissuasion française, ce sont les ressources humaines.

Il est donc indispensable d’identifier les compétences les plus critiques afin d’être toujours en mesure de les maîtriser. C’est d’ailleurs l’engagement qui figure dans le rapport annexé de la loi de programmation militaire 2014-2019 (25), qui indique que « d’ici à 2025, la pérennisation de la dissuasion française sera conduite dans le respect du principe de stricte suffisance, et le maintien des savoir-faire techniques et industriels sera assuré ».

DCNS a également indiqué à vos rapporteurs avoir identifié, dans le cadre d’une revue générale des compétences, plusieurs compétences dites orphelines, c’est-à-dire employées pour un seul type de projet. S’agissant ainsi de la construction des sous-marins, on identifie trente compétences rares, dont douze orphelines (navigation inertielle, sûreté nucléaire des armes, sûretés réciproques des armes, pyrotechnie, furtivité par l’invulnérabilité, transmission de l’acte de commandement, etc.). Au niveau de l’ensemble de l’activité du groupe, 400 compétences spécifiques ont été identifiées.

LES COMPÉTENCES SPÉCIFIQUES CHEZ DCNS

Source : Fondation pour la recherche stratégique.

2. Une forte inquiétude sur les métiers techniques

De l’avis de toutes les personnes auditionnées, les difficultés sont criantes s’agissant des métiers technologiques et techniques : « on ne sait plus souder en France ! » n’a eu-t-on de cesse de répéter à vos rapporteurs. Des problèmes similaires existent pour de nombreux métiers techniques, souvent de compagnonnage, comme les tourneurs, les câbleurs ou les charpentiers de marine.

Cette pénurie s’explique notamment par la concomitance entre la raréfaction de la ressource et l’augmentation de la demande. Au-delà du seul monde de la dissuasion, c’est d’ailleurs l’ensemble des acteurs industriels qui peinent à recruter des techniciens qualifiés et les entreprises de la dissuasion doivent également subir la concurrence des entreprises civiles, en raison de l’extension des programmes nucléaires civils qui demandent parfois des compétences similaires, et plus largement de l’ensemble des secteurs industriels.

Cette préoccupation est partagée par nos alliés, les autorités britanniques estimant ainsi que près de 30 000 nucléaristes de plus devront être recrutés d’ici 2020 en raison de l’augmentation drastique des besoins de mains d’œuvre liée au renouvellement des programmes de dissuasion nucléaire et au lancement du projet Hinckley Point C d’installation de deux nouveaux réacteurs EPR sur le site de la centrale nucléaire d’Hinckley Point.

En revanche, s’agissant des ingénieurs, le niveau de formation est plutôt satisfaisant et il n’y a pas de réel problème de recrutement, même si certains industriels ont souligné qu’une attention particulière devrait être accordée dans les domaines critiques de l’hydrodynamique et de l’aérodynamique, le domaine de la pénétration et celui du guidage/navigation.

3. Les savoir-faire non techniques

Enfin, vos rapporteurs tiennent à souligner l’importance de conserver la maîtrise de métiers que l’on pourrait qualifier de non techniques ou de non technologiques. Comme le soulignait ainsi devant vos rapporteurs M. Hervé Guillou, président de DCNS, le phasage de l’industrialisation, l’approvisionnement des pièces en temps et en heure font appel à des compétences rares et essentielles en matière de coordination et de planification de projet. Elles doivent aussi être préservées.

Le maintien de la posture opérationnelle repose aussi sur une organisation des cycles de maintenance, la collecte des données, l’anticipation des pannes, la programmation des périodes de grand carénage, c’est-à-dire un ensemble de compétences parfois invisibles mais tout aussi indispensables.

II. PRÉSERVER, CONFORTER

A. CARTOGRAPHIER LE MONDE DE LA DISSUASION

La première action à engager en vue d’assurer la capacité de notre pays à assurer le renouvellement et l’entretien des moyens de la force nucléaire est de mieux connaître le monde de la dissuasion. Bien sûr, vos rapporteurs l’ont souligné, ce travail est déjà mené, et la puissance publique, via la direction générale de l’armement ou la direction des applications militaires du CEA, comme les acteurs industriels, ont une bonne connaissance tant du tissu industriel que des compétences critiques. Il s’agit donc avant tout de poursuivre cette cartographie, afin de l’affiner. Le pilotage de la chaîne de sous-traitance est complexe, mais essentiel pour être en mesure de suivre son évolution et d’identifier les risques potentiels sur le maintien de l’indépendance de la dissuasion française.

1. Le tissu industriel

À l’heure actuelle, le travail de cartographie est mené de manière transversale par la DGA, qui s’appuie notamment sur le réseau des maîtres d’œuvre ou des financeurs comme Bpifrance. D’autres acteurs, au sein du ministère de l’Économie par exemple, opèrent également ce suivi. Toutefois, il semblerait que la vision globale du tissu industriel soit imparfaite. Par ailleurs, les industriels de rang 1 ont tous développé des outils de veille de la chaîne de sous-traitance. Ces initiatives sont évidemment toutes à saluer, et permettent, mises bout à bout, de limiter les risques de perte de compétence comme d’indépendance. Comme l’a souligné M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, « l’attention sur le tissu industriel français est permanente ». La DGA joue d’ailleurs d’ores et déjà le rôle de veilleur, en s’assurant, via différentes feuilles de routes (« sous-marins », « têtes nucléaires » « missiles »), du maintien de la base industrielle et technologique de défense et de la bonne dualité avec des programmes purement civils au travers d’une feuille de route « missiles balistiques/lanceurs spatiaux civils ».

Néanmoins, au terme de leurs auditions, vos rapporteurs considèrent qu’il serait utile de mettre en place un réel système concentré de veille sur les acteurs de la dissuasion et les capacités critiques, fondé sur l’accumulation de données transmises par l’ensemble des industriels. En toute logique, et afin de garantir la protection des données économiques des acteurs économiques, un tel dispositif pourrait être placé sous la responsabilité de la DGA. Une telle cartographie permettrait un pilotage encore plus fin de la chaîne de sous-traitance, qui constitue un élément essentiel du maintien de l’indépendance de la filière dissuasion nationale.

En effet, de l’aveu même des industriels, il est pour l’heure difficile de suivre l’ensemble des acteurs de la chaîne de sous-traitance en raison de leur nombre, et encore plus complexe d’anticiper les situations difficiles auxquels certains doivent subitement faire face. Ainsi agirait-on le plus souvent après la survenance d’une difficulté.

2. Les compétences humaines

S’agissant du suivi des compétences humaines, la plupart des grands acteurs industriels a développé des outils en interne. Ainsi par exemple d’AREVA TA, qui opère un suivi du maintien des compétences ingénierie en matière de propulsion nucléaire dans le cadre d’un comité spécifique, prochainement directement rattaché au conseil d’administration. A également été mis en place un plan de garantie des compétences (PGC) centré sur les spécificités de la propulsion nucléaire afin de former le socle des spécialistes nécessaires pour la conduite des programmes de propulsion nucléaire à l’horizon 2025. AREVA TA a également mené un travail de cartographie des compétences, qui a permis d’identifier onze métiers critiques de l’ingénierie, communs au marché des réacteurs de recherche et à la propulsion nucléaire. De même, les équipes dirigeantes de Thales ont indiqué à vos rapporteurs qu’une revue des compétences critiques était réalisée chaque année, et transmise à la DGA.

De manière plus large, les acteurs industriels opèrent un suivi par filière.

S’agissant de la filière navale, la création de Campus naval France en octobre 2012, sous l’égide du GICAN et avec le soutien de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie a pour objet de valoriser et développer des parcours de formations en adéquation avec les besoins des entreprises du secteur, après avoir identifié les métiers critiques. De même, le comité stratégique de la filière aéronautique a établi au cours de l’année 2015 une feuille de route intitulée « réponses aux difficultés d’emploi dans les métiers de production en tension dans l’aéronautique ». Cette démarche a permis d’une part d’identifier avec précision les métiers en tensions – mécanicien, chaudronnier, câbleur, soudeur, etc. – et d’engager des initiatives de coordonner celles qui avaient déjà été lancées.

Si ces initiatives sont évidemment à saluer, vos rapporteurs estiment que dans le cadre du système concentré de veille qu’ils préconisent d’établir sous la responsabilité de la DGA, soit mis en place un comité stratégique sur les compétences nucléaires. Une telle initiative a été lancée par le ministère de la Défense britannique, afin d’identifier les compétences nécessaires à l’industrie nucléaire civile et militaire.

B. ASSURER UNE ACTIVITÉ CONTINUE

Comme le soulignait ainsi le chef d’état-major des armées devant la commission, le 6 mai 2014, « la dissuasion nucléaire est une histoire qui ne supporte ni les à-coups, ni les arrêts ». Pour maintenir l’outil industriel, il faut, selon M. Marwan Lahoud, directeur général délégué à la stratégie et au marketing du groupe Airbus, que le phasage programmatique tienne non seulement compte des besoins de remplacement évidemment, mais aussi du maintien de l’outil industriel, dont la performance contribue à la crédibilité. En effet, pour garantir la crédibilité opérationnelle, il est indispensable de garantir la crédibilité technique et industrielle. Afin de maintenir les compétences, il est ainsi nécessaire de conserver un flux d’activités suffisant. Tout arrêt de programme entraîne un résultat connu d’avance : une perte de savoir-faire. De plus, les personnels sont fidèles à l’entreprise car ils sont animés par la passion de leur métier, mais celle-ci est maintenue par l’enchaînement des projets et des études.

Le contre-exemple britannique

Le Royaume-Uni constitue de ce point de vue un contre-exemple, et se trouve aujourd’hui en situation de dépendance à l’égard des États-Unis dans plusieurs domaines comme la propulsion nucléaire ou les systèmes de navigation. La rupture de continuité entre la conception des sous-marins de la classe Vanguard et celle des Astute a ainsi duré onze ans, mettant en très grandes difficultés BAE Systems et toute sa chaîne de fournisseurs, avec des conséquences majeures en termes de coûts et de délais. Comme l’ont indiqué à vos rapporteurs des responsables du ministère de la Défense britannique, l’étalement dans le temps des programmes de construction de sous-marins a conduit à une perte de compétences et à une dégradation des capacités et des compétences de la chaîne de sous-traitance. Le passage d’une phase de conception à une phase de production des sous-marins de la classe Dreadnought est ainsi très brutal.

1. Augmenter les programmes d’études amont

En l’absence d’étude ou de programme de construction, il est très difficile pour une entreprise de maintenir les compétences en son sein. Comme le souligne l’étude précitée de la Fondation pour la recherche stratégique à propos du SNLE : « les études d’une nouvelle génération de sous-marins nucléaires intervenant tous les quinze ans au mieux, toute la difficulté est d’éviter de voir les équipes se disperser et les compétences s’étioler, voire se perdre définitivement (en interne comme chez les fournisseurs clés) pendant cette discontinuité entre programmes ». D’une part, les personnels n’ont plus de prise pour s’exercer et, d’autre part, il est difficile de maintenir leur intérêt pour une activité suspendue.

Au cours de leurs auditions, les rapporteurs se sont vus confirmer que pour l’heure, les carnets de commandes étaient pleins, et qu’il n’y avait pas d’inquiétude à court terme quant au maintien des compétences. La situation pourrait néanmoins se tendre à moyen terme sur certains segments d’activité.

S’agissant de la composante océanique, le lancement du programme Barracuda a limité le risque de rupture dans les compétences, la notification des contrats d’études du futur moyen océanique de dissuasion depuis cinq ans a permis également de les maintenir à un niveau juste suffisant pour concevoir un nouveau SNLE. Par ailleurs, plusieurs programmes ont d’ores et déjà été lancés. Ainsi, les crédits inscrits en lois de finances initiales pour 2015 et pour 2016 (26) permettent la poursuite de l’adaptation d’un SNLE au missile M51, le développement du M51.3, la mise en service de la tête nucléaire océanique, le lancement des travaux de conception du SNLE de troisième génération et la modernisation des systèmes de transmissions nucléaires comme des infrastructures de l’Île Longue.

Toutefois, dans le cas spécifique des chaufferies nucléaires, vos rapporteurs estiment que le lancement d’une étude de successeur du porte-avions Charles-de-Gaulle permettrait de pérenniser les compétences de conception juste suffisantes pour le soutien en service de toutes les chaufferies nucléaires. En effet, si jusqu’à présent AREVA TA a toujours pu se reposer sur plusieurs programmes en parallèle, permettant de toujours occuper les équipes, l’espacement des commandes, lié notamment à la plus grande durée de vie des matériels, tend à remettre en cause cette continuité. Il y a donc un risque de perte de compétences forte si rien n’est lancé dans les années 2030-2035. À ce sujet, la construction d’un nouveau bâtiment après 2030 et une étude sur la réalisation d’un nouveau porte-avions seraient tout à fait salutaires pour AREVA TA.

Dans le domaine des lanceurs, des décisions majeures ont été prises ces dernières années avec le développement d’Ariane 6 à l’initiative de la France dans le cadre de l’Agence spatiale européenne, et avec la constitution d’ASL pour rendre Ariane 6 plus compétitive.

S’agissant de la composante aéroportée, le standard F3R du Rafale sera opérationnel en 2018 et un tout premier travail a déjà été engagé sur le standard F4 tandis que la modernisation du Mirage 2000 est lancée, de même que celle de l’ATL 2. De plus, les contrats d’export vers le Qatar et l’Inde nécessitent, dans ce dernier cas, un important travail sur les standards qui maintient les équipes à l’œuvre. Mais après 2018, le travail sur le F3R s’arrête, de même que celui sur l’ATL 2. Il y aura donc « un trou » qu’il faudrait combler, par exemple par l’engagement de crédits pour le développement du standard F4 dans la prochaine loi de programmation militaire.

Dans le domaine des missiles de la composante aéroportée, certains acteurs suggèrent de lancer deux PEA successifs, le premier sur cinq ans pour prouver la faisabilité de l’hypersonique via des démonstrateurs technologiques, puis le second afin de réaliser un prototype pour démontrer la faisabilité technique et la soutenabilité industrielle. Un tel enchaînement permettrait de maintenir les compétences au sein de MBDA, pour laquelle le nucléaire ne représente que 5 % de l’activité en phase de PEA, contre 20 % en phase de développement et de production.

Enfin, vos rapporteurs tiennent à rappeler que les PEA stimulent la recherche technologique menée par les industriels, qui investissent eux-mêmes très fortement et sont ainsi encouragés à investir davantage. Un groupe comme Thales consacre ainsi 20 % de son chiffre d’affaires à la recherche technologique et au développement.

Dans ce contexte, vos rapporteurs émettent le vœu que dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire, l’enveloppe budgétaire consacrée aux programmes d’études amont soit portée à un milliard d’euros. Une telle évolution serait cohérente avec l’augmentation des crédits de la défense, en vue d’atteindre 2 % du PIB conformément aux engagements réaffirmés lors du Sommet de l’OTAN à Varsovie, en juillet 2016.

2. Conforter la dualité entre le civil et le militaire

La dualité des activités entre le civil et le militaire, c’est-à-dire le fait que les travaux menés dans le domaine nucléaire permettent le développement d’activités civiles, ce dernier contribuant en retour à l’amélioration des technologies militaires, constitue un moyen idéal pour maintenir les compétences. En effet, les équipes sont amenées à travailler sur les différents types de programmes recourant à des technologies similaires et des processus industriels proches, ce qui facilite l’entretien des compétences. L’alternance de programmes civils et de programmes militaires permet de plus de conserver l’attrait des personnels, et d’approfondir les connaissances et la recherche technologique.

Par ailleurs, il y a une véritable complémentarité entre les deux domaines car, d’une certaine façon, le militaire est plus en pointe dans la recherche technologique, très avancée, tandis que le civil est plus avancé en matière de rationalisation des processus de production. En somme, le militaire permet d’atteindre l’excellence dans le civil, qui permet de réduire les coûts de production des moyens militaires.

Vos rapporteurs souhaitent illustrer la notion de dualité au travers de deux exemples concrets : dans le domaine balistique tout d’abord, avec l’évidente dualité entre Ariane et le missile balistique ; dans le domaine de la propulsion nucléaire ensuite.

a. La dualité dans le domaine balistique

Historiquement, le développement des technologies balistiques a soutenu le développement du secteur spatial. Les deux programmes Ariane et missile MSBS ont été développés en parallèle. Un missile balistique, d’un poids de 50 tonnes, peut-être ainsi être comparé à un mini-lanceur, les lanceurs pesant 800 tonnes. En somme « un missile balistique est un lanceur qui sait nager » selon les mots de M. Alain Charmeau, président d’Airbus Safran Launchers.

Le premier lanceur français, Diamant, a ainsi directement bénéficié des apports des recherches sur les SSBS et MSBS, assurant à la France un rôle central dans le développement subséquent d’un lanceur européen. Comme le rappelle l’étude de la Fondation pour la recherche stratégique, le développement des propulseurs d’appoint à poudre pour le lanceur Ariane 3, puis les versions Ariane 4 et 5, a « suscité l’émergence d’une véritable synergie entre le programme spatial européen et le programme balistique dans le domaine de la propulsion. En effet, si les propulseurs d’appoint ont initialement fait appel aux technologies de propulsion balistique, l’augmentation de leur taille et de leur diamètre en font actuellement des éléments déterminants de développements technologiques pour les moteurs de grand diamètre, contribuant à créer de nouveaux outils industriels et à élever les normes qualitatives autant dans le secteur spatial que dans le secteur balistique ».

D’autre part, en termes d’expertise industrielle, chaque tir d’Ariane 5 – six lancements par an, 74 succès de suite – permet un retour d’expérience pour le secteur balistique, et contribue à la crédibilisation de la force de dissuasion française. Cette tendance se renforcera d’ailleurs avec le développement d’Ariane 6. Selon l’étude, « l’ensemble du secteur de la propulsion bénéficie donc d’une intense fertilisation croisée, alors que l’importance de la demande du secteur spatial (propergol, enveloppes et structures) assure la pérennité de la filière dans la durée », et permet par exemple de réduire les coûts pour le secteur militaire, pour les poudres notamment. Cet exemple est reproductible totalement ou partiellement à d’autres domaines tels que la séparation d’étages, le pilotage et la navigation, les protections thermiques ou encore la télémétrie, les logiciels ou la simulation.

Plus largement, le même bureau d’études développait Ariane et le M51 tandis que les équipes en charge du M51 au sein du groupe Safran travaillaient sur les systèmes de guidage et le développement des centrales inertielles d’Ariane 6. Ainsi, alors que, selon les mots de M. Marwan Lahoud, « la vraie dualité, c’est les équipes », la création d’Airbus Safran Launchers renforcera ces synergies, favorisant l’exploitation d’outils industriels communs et l’évolution des personnels entre le secteur spatial et le domaine militaire.

b. La dualité dans le domaine de la propulsion nucléaire

Pour assurer sa mission, AREVA TA mise sur un modèle dual, seul moyen d’assurer la pérennité des compétences en matière de propulsion nucléaire et de les maintenir à un niveau d’excellence. À ce sujet, le développement du nucléaire civil (réacteur de recherche Jules Horowitz – RJH – sur le site de Cadarache, réacteurs de recherche, SMR – réacteurs de taille intermédiaire) est donc indispensable. C’est pour cette raison qu’aux yeux de vos rapporteurs, il est fondamental d’anticiper dès à présent la suite du RJH.

Par ailleurs, la dualité a également des effets en matière de progrès technologiques, puisque la recherche sur les petits réacteurs électrogènes modulaires (SMR) augure du développement d’une capacité à bâtir de petits réacteurs pour la propulsion nucléaire.

3. Privilégier la démarche incrémentale

L’approche incrémentale pour les systèmes d’armes s’inscrit dans le cadre d’une volonté d’économiser les coûts – on procède par étape et on lisse ainsi l’engagement financier de l’État – fondée sur la recherche de l’optimisation technologique – on évolue dans un cadre contraint. Par ailleurs, elle permet de maintenir une continuité d’activité au sein des bureaux d’études et stimule les équipes. Enfin, en travaillant à l’amélioration d’un système existant, on garantit également davantage la crédibilité des moyens de la dissuasion qu’en développant un système inédit.

S’agissant par exemple du missile balistique M51, pour l’élaboration duquel on procède par incréments, cette approche permet de disposer d’une nouvelle technologie de missile tous les dix ans. C’est ainsi qu’après la mise en service opérationnelle du M51.2 en 2016, l’entrée en service du missile M51.3 est programmée pour 2025, tandis qu’une décision devra être prise avant la fin de la décennie sur l’architecture du futur M51.4. Il est d’ores et déjà certain que l’environnement extérieur du missile est figé jusqu’en 2080, puisque le tube du SNLE 3G sera de même dimension qu’actuellement. De plus, si les besoins opérationnels conduisent à une amélioration des performances du missile (par exemple la portée et la pénétration), cela ne pourra se faire que grâce à des évolutions technologiques respectant ces contraintes établies.

L’approche incrémentale est la plus pertinente d’un point stratégique et technologique, car elle permet de s’adapter assez aisément à l’évolution des menaces ou des défenses. Ainsi, s’agissant par exemple des têtes, on pourrait mener un travail d’amélioration à la marge, avec une possibilité de changer simplement l’enveloppe pour ajouter des options supplémentaires.

4. Soutenir l’export

« L’export est essentiel car sans export, la base industrielle et technologique de défense française disparaît. » Les propos de M. Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation, lors d’un entretien avec vos rapporteurs, sont sans appel. Bien sûr, l’entreprise Dassault Aviation est particulièrement concernée par la question de l’exportation, mais un groupe comme DCNS se trouve dans la même situation. L’enjeu est de trouver un équilibre entre la production à destination de la France et l’export.

Par ailleurs, en cas d’étalement des programmes dans le temps, ou de « trou » dans les programmes nationaux, les contrats exports permettent de maintenir une activité à tous les échelons de la chaîne industrielle, des bureaux d’études des grands groupes à l’unité de production d’une petite entreprise de sous-traitance. C’est ainsi que « grâce à l’export, on a redonné le sourire aux sous-traitants » selon M. Trappier.

Les succès de l’industrie à l’export durant le présent quinquennat – qu’il s’agisse des exportations de Rafale comme du choix par les autorités australiennes de retenir DCNS (27) – sont à saluer, et doivent en partie être mis au crédit de l’engagement du ministre de la Défense. Cette dynamique devra être poursuivie.

C. PROTÉGER LES ENTREPRISES

1. Renforcer le régime juridique des investissements étrangers

Les relations financières entre la France et l’étranger sont libres conformément aux dispositions de l’article L. 151-1 du code monétaire et financier. Toutefois, conformément aux dispositions de l’article L.151-3 du même code, sont soumis à autorisation préalable du ministre de l’Économie les investissements en France qui participent à l’exercice de l’autorité publique ou relèvent des activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ou des activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives. Les dispositions du code monétaire et financier permettent ainsi au ministre chargé de l’économie de fixer des règles spécifiques pour empêcher la prise de contrôle d’une entreprise traitant de sujets sensibles. Il est également possible, si l’entreprise constitue un acteur particulièrement sensible, de procéder à un investissement direct dans l’entreprise, via la Banque publique d’investissement (Bpifrance).

Si la législation française présente quelques garanties, elle demeure bien lâche au regard des prérogatives du Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS), qui permet in fine au pouvoir exécutif américain d’interdire toute prise de participation étrangère au sein d’une entreprise américaine, dès lors que les intérêts nationaux sont en jeu.

En l’état actuel, le droit européen ne permettrait pas de renforcer la législation française sur le modèle américain, même si des exceptions pourraient être consenties au regard des spécificités du domaine de la défense, et de la dissuasion en particulier. Vos rapporteurs considèrent néanmoins qu’une action de sensibilisation des autorités européennes devrait être engagée en ce sens.

2. Conforter le rôle de l’APE et de Bpifrance

La puissance publique dispose, via l’Agence des participations de l’État (APE) et la Bpifrance, de deux outils importants dans le dispositif industriel de la dissuasion.

S’agissant de l’APE, dont la doctrine d’investissement a été revue il y a deux ans, elle a notamment pour mission d’assurer à l’État des intérêts patrimoniaux dans des entreprises qui contribuent à la souveraineté. L’APE procède à des investissements de long terme, d’un montant important, afin d’occuper une place d’actionnaire majoritaire ou dominant. En tant qu’actionnaire, elle joue un rôle dans la plupart des entreprises qui contribuent à la dissuasion française. Ainsi, l’APE sera actionnaire de manière directe d’AREVA TA, permettant à l’État d’être actionnaire majoritaire de l’entreprise, et de mettre un terme à une situation d’incertitude liée à la double volonté du CEA et de DCNS de se voir rattacher l’entreprise. L’APE est également actionnaire indirecte d’Airbus Safran Launchers, via ses participations dans Airbus et Safran. Elle détient de manière directe, et indirecte via Thales, des parts au sein de DCNS, et uniquement de manière indirecte de MBDA via Airbus. La présence de l’APE au sein de ces entreprises, via l’actionnariat ou les conventions, permet à l’État de dissuader les tentatives d’évolution du capital qui mettraient en cause la souveraineté et l’indépendance de la dissuasion. Par ailleurs, dans certains cas, l’APE participe à la définition des orientations stratégiques des entreprises, grâce à la détention d’un siège d’administrateur au sein du conseil d’administration.

L’Agence doit par ailleurs accorder une attention particulière aux entreprises familiales, en cas de disparition de la personne physique actionnaire principal. Dans le monde de la dissuasion, un tel cas de figure pourrait se présenter pour l’entreprise Dassault Aviation, dont l’actionnaire majoritaire est le Groupe industriel Marcel Dassault (GIMD). Pour l’heure, une série de conventions a été établie permettant à l’État, en cas d’évolution du capital, « d’assurer la défense de ses intérêts essentiels en cas d’évolution du contrôle de cette entreprise stratégique, du fait notamment de sa contribution à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire ». Ces conventions prévoient notamment d’octroyer à l’État un droit de préemption en cas de cession d’actions par GIMD entraînant sa perte de contrôle sur Dassault Aviation, c’est-à-dire si GIMD devait franchir à la baisse le seuil de 40 % du capital de Dassault Aviation. À l’avenir, il conviendrait de s’assurer de la mise en place d’un nouveau cadre prévoyant les mêmes garanties.

Le rôle de l’APE est essentiel pour assurer un pilotage fin des entreprises de la dissuasion et doit en ce sens être conforté. Il pourrait néanmoins être utile d’inciter l’APE à prendre plus régulièrement des parts bloquantes dans des entreprises, ou d’intervenir y compris dans le cas d’une entreprise de taille plus réduite, comme cela aurait pu être le cas pour Thermodyn. Il existe en effet des conventions protégeant les intérêts de l’État, mais qui ne peuvent être aussi engageantes que la détention du capital.

De plus, elle n’intervient que sur les grands groupes.

S’agissant en effet des entreprises de taille intermédiaire et des petites et moyennes entreprises, l’APE n’exerce pas de veille industrielle sur l’ensemble de la filière industrielle liée à la dissuasion. Cette mission de veille est davantage de la responsabilité de la DGA et de la Direction générale des entreprises (DGE). Les outils publics sont néanmoins limités en cas de menaces sur le capital de ces entreprises. Bien sûr, Bpifrance est un instrument important de la politique industrielle française, comme l’a montré son intervention auprès de ST Microelectronics (28). Toutefois, elle ne peut jouer qu’un rôle limité pour la plupart des entreprises de la dissuasion. En effet, Bpifrance procède, contrairement à l’APE, à des investissements de court terme, dans des PME ou des ETI, mais jamais dans l’optique de devenir actionnaire majoritaire. Par ailleurs, lorsque Bpifrance intervient en fonds propres, c’est afin de participer à une augmentation de capital avant tout, ce qui n’est pas adapté aux entreprises de la dissuasion pouvant être en situation délicate.

Il conviendrait peut-être de revoir à l’avenir les conditions d’intervention de Bpifrance, afin d’en faire un moyen de soutenir les entreprises du monde de la dissuasion n’entrant pas dans le champ d’intervention de l’APE.

L’évolution du capital d’areva ta

– L’activité d’AREVA TA

La Société technique pour l’énergie atomique (Technicatome), dont AREVA TA est la dénomination commerciale, a été créée en 1972 par voie de transfert des activités de conception et construction des chaufferies nucléaires embarquées, jusqu’alors conduites par le département de construction des piles du CEA, et s’est vu transférer en 1974 les activités du département de propulsion nucléaire du CEA.

Dans le domaine de la défense, AREVA TA exerce notamment la maîtrise d’ouvrage déléguée de la fabrication des chaufferies nucléaires de propulsion navale ainsi que celle des matières nucléaires destinées, directement ou indirectement, à ces chaufferies ; AREVA TA intervient, à ce titre, au sein de l’INBS-PN1 implantée à Cadarache.

Dans le domaine civil, AREVA TA intervient en tant que maître d’œuvre du réacteur Jules-Horowitz (RJH) en construction à Cadarache et fournisseur du bloc réacteur.

– L’historique de l’actionnariat

Le capital de Technicatome était initialement détenu à 90 % par le CEA et 10 % par EDF. La création en 1983 de la société CEA-Industrie a conduit au transfert à cette holding des 90 % détenus par le CEA. En 1993, il a été décidé par les pouvoirs publics d’élargir l’actionnariat de Technicatome et de faire entrer à son capital DCN-International et Framatome.

En conséquence de la création d’AREVA en septembre 2001, les participations de CEA-Industrie et de Framatome sont à présent détenues par AREVA SA qui détient aujourd’hui 83,56 % d’AREVA TA. Le reste du capital est réparti entre DCN-I (9,9 %) et EDF Environnement développement (10 %).

– L’évolution envisagée de l’actionnariat

Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a été saisi au mois de novembre 2015 pour traiter du devenir d’AREVA TA. Dans son rapport émis fin 2015, il préconise d’engager le rééquilibrage de l’actionnariat d’AREVA TA, en renforçant le rôle de l’État tout en maintenant des acteurs industriels français au capital, aussi bien au sein du capital d’AREVA TA que dans sa gouvernance.

Ainsi, l’Agence des participations de l’État devrait détenir, au nom de l’État, la majorité du capital d’AREVA TA, le solde étant détenu par DCNS et le CEA à parité (20 % environ chacun) et par EDF (environ 10 %). AREVA TA restera une société anonyme à conseil d’administration et sera régie conformément aux dispositions de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participations publiques.

Le conseil d’administration d’AREVA TA sera composé de douze membres (au lieu de quinze actuellement) : six proposés par l’État, quatre élus par le personnel, un représentant de DCNS et un représentant du CEA, aux termes d’un pacte que les futurs acquéreurs doivent conclure. Dans ce cadre, certaines décisions, notamment celles intervenant dans le domaine de la défense, devraient être soumises à une procédure d’adoption spécifique comportant des règles de majorité renforcées, l’APE disposant in fine d’une voix prépondérante.

Le conseil d’administration s’appuiera sur les travaux de comités ad hoc (comité de la stratégie et des compétences propulsion nucléaire, comité des offres, comité d’audit, comité des nominations et des rémunérations).

L’APE joue ainsi un rôle essentiel pour la préservation de l’indépendance des moyens de la dissuasion française. La refonte de la gouvernance apparaît pertinente, même si vos rapporteurs s’interrogent sur le changement de statut du comité de la stratégie et des compétences propulsion nucléaire (CSC) (29), qui se substitue au comité stratégique de défense mis en place en 2010 pour veiller au maintien des compétences de la propulsion nucléaire. Dans sa nouvelle mouture, ce comité sera une simple émanation du conseil d’administration, et il ne faudrait pas que son indépendance s’en trouve affaiblie. Par ailleurs, vos rapporteurs préconisent que l’État propose la nomination d’un membre du CEA, notamment de la direction des applications militaires, en plus de l’unique représentant du CEA actionnaire. Une telle solution pourrait permettre de conforter la place du CEA au sein de la nouvelle gouvernance d’AREVA TA, alors qu’il assure, au travers des marchés passés à AREVA TA par la DAM, plus de 80 % du chiffre d’affaires de la société, et qu’il exerce des responsabilités régaliennes dans le domaine de la dissuasion.

3. Créer un fonds d’investissement « défense »

Par ailleurs, vos rapporteurs soutiennent pleinement l’initiative portée par M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, visant à la création d’un fonds d’investissement centré sur les activités de défense, annoncée le 24 novembre dernier. La création d’un tel fonds avait été évoquée par M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, lors de son audition le 24 octobre 2016 devant la commission des Affaires étrangères et des forces armées du Sénat. Il indiquait ainsi que « de plus en plus de sociétés d’autres continents tentent de s’emparer de certaines de nos PME « pépites » et nous n’avons pas d’outil pour les défendre. D’où la réflexion sur la création d’un fonds de défense pour investir dans le capital de certaines de ces PME. Pour cela, quelques millions d’euros seraient suffisants dans un premier temps, avant une montée en puissance [car] beaucoup de groupes chinois et surtout américains viennent convoiter les pépites françaises, attirés par le modèle d’innovation français ».

Les modalités exactes d’un tel fonds, notamment son montant, restent à préciser mais vos rapporteurs soutiennent pleinement cette initiative.

D. MAÎTRISER LA TECHNOLOGIE

1. Approfondir le programme « simulation »

Lancé en 1996, parallèlement au processus d’arrêt définitif des essais nucléaires, le programme Simulation, dont le vingtième anniversaire est célébré cette année, est un franc succès concernant la maîtrise des délais (30), des coûts, et la performance des outils développés au service de la pérennisation de la dissuasion nucléaire française.

Le programme Simulation est né à la suite du projet « préparation à une limitation des essais nucléaires (PALEN) ». Lancé dès 1991 par la direction des applications militaires du CEA, le projet PALEN sera largement redimensionné au bénéfice de simulation en raison de la signature de la France du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) en 1996.

Dès lors, le cœur du programme Simulation a évolué autour de trois volets :

– la physique des armes, permettant de dégager les grandes équations mathématiques nécessaires à la modélisation du déclenchement d’une arme nucléaire ;

– la simulation numérique qui permet de développer de codes de calcul intervenant dans la résolution des équations précédemment évoquées ;

– la validation expérimentale ou « par partie », reposant sur la réalisation d’expériences spécifiques en laboratoire et la lecture des résultats à la lumière des données collectées lors des anciens essais nucléaires.

La simulation s’appuie encore aujourd’hui sur deux installations fondamentales :

– l’accélérateur à induction de radiographie pour l’imagerie X (AIRIX), en service entre 1999 et 2012, et qui a été remplacé en 2014 par l’installation Epure (31), implantée à Valduc. Cette dernière sera pleinement opérationnelle à l’horizon 2022 ;

– le laser mégajoule, en service depuis 2014, qui est l’unique outil de validation expérimentale des phénomènes physiques intervenant lors l’explosion nucléaire.

Afin de garantir la sûreté et la fiabilité des armes nucléaires, la DAM, en partenariat avec l’entreprise française Bull/Atos (32), a développé avec succès des supercalculateurs dès le début des années 2000. Trois générations de l’outil de calcul TERA (33) se sont ainsi succédé depuis lors et une nouvelle génération, TERA 1 000, est en préparation.

À plus long terme, le programme Simulation répond à un besoin en formation et en certification de la nouvelle génération d’experts « post-essais nucléaires », amenée à garantir la performance de l’arme atomique. Le programme constitue également un important levier à destination des industries françaises dans le domaine des supercalculateurs, de l’optique et des lasers, comme vos rapporteurs l’ont déjà exposé.

Indispensable pour démontrer la performance et l’auto-sûreté des têtes nucléaires nouvelles, la simulation fait parfois l’objet de remarques quant à son ampleur, de rares voix s’interrogeant sur la possibilité de le ralentir en vue de réduire le coût de la dissuasion. Le chef d’état-major des armées avait reconnu devant la commission que le maintien à ce niveau du programme de simulation impose des choix et des renoncements, qui ne sont pas figés : « selon les avancées technologiques, selon le calendrier, ils pourront être modifiés ». Vos rapporteurs en sont convaincus, l’approfondissement du programme Simulation constitue bien le moyen le plus absolu de conforter la crédibilité de la force nucléaire, et doit faire l’objet d’un financement à la hauteur des enjeux. Ainsi par exemple du renouvellement des calculateurs, qui doit être opéré tous les cinq ans en raison de l’obsolescence des composants électroniques et de l’accroissement nécessaire de la puissance des calculs pour augmenter la précision. Il faudrait augmenter la puissance de calcul d’un facteur 100 d’ici 2021, ce qui nécessite un important effort financier.

Par ailleurs, dans le cadre du traité global de défense franco-britannique signé à Londres – les accords de Lancaster House – le président de la République française et le Premier ministre britannique ont signé le 2 novembre 2010 un traité relatif au partage d’installations radiographiques et hydrodynamiques. La coopération franco-britannique est pour l’heure un succès, qui permet par ailleurs aux deux pays de partager le fardeau. Vos rapporteurs appellent par ailleurs de leurs vœux un approfondissement de la coopération bilatérale dans le cadre du programme Simulation, afin d’envisager l’accès des Britanniques à l’infrastructure du laser mégajoule.

La coopération franco-britannique

Dans le cadre du traité global de Défense franco-britannique signé à Londres, le président de la République française et le Premier ministre britannique ont signé le 2 novembre 2010 un traité relatif au partage d’installations radiographiques et hydrodynamiques. Les deux pays ont décidé de partager deux installations de physique expérimentale, ce qui se traduit par la construction et l’exploitation commune de l’installation radiographique et hydrodynamique Epure, sur le centre CEA de Valduc. Cela se traduit également par une installation pour des développements technologiques communs (diagnostics, machines radiographiques du futur) au sein du Technology Development Centrer, sur le centre de l’Atomic Weapons Etablishment à Aldermaston (Royaume-Uni).

Cette collaboration permettra à chacun des deux pays de garantir la fiabilité et la pérennité de sa dissuasion nucléaire, sans réaliser d’essai nucléaire, conformément aux engagements internationaux pris par la France et le Royaume-Uni.

Source : CEA-DAM.

2. Soutenir la recherche

Les efforts en recherche et technologie doivent être soutenus pour les capacités de nos forces et pour la compétitivité de nos industriels. Il s’agit d’une préconisation de bon sens, et vos rapporteurs souhaitent simplement souligner deux points d’attention.

a. Les dotations budgétaires des organismes de recherche

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs ont reçu les équipes dirigeantes de l’ONERA et du CNES, dont la contribution à la dissuasion française est considérable.

Ainsi, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales contribue notamment à l’amélioration des technologies de missile, grâce à ses souffleries permettant de réaliser des simulations à d’importantes vitesses, et qui ont aussi contribué à la plupart de programmes aérospatiaux. Au-delà des missiles MBDA, y ont notamment été soumis à des campagnes d’essais le Concorde, le Mercure, l’A380, le Falcon ou encore la séparation de l’Exocet sous Rafale et l’A400M. Ces souffleries (34) permettent de réaliser des tests à des vitesses de Mach 0,1 à Mach 20. S’agissant ainsi de la composante aéroportée, l’ONERA, agissant en co-contractant de MBDA, a été à l’origine des travaux sur le statoréacteur, qui a permis l’élaboration de l’ASMP et de l’ASMP-A. Aujourd’hui, il travaille à l’amélioration des performances actuelles du missile et à la préparation des générations suivantes. S’agissant de la composante océanique, le rôle de l’ONERA est d’apporter une expertise à la DGA dans des domaines où l’Office est le seul acteur capable, à part l’industriel, de le faire. C’est notamment le cas de la propulsion solide, des études sur la compatibilité électromagnétique, le foudroiement, le pilotage et le guidage. Par ailleurs, l’ONERA effectue une veille et dispose d’une expertise sur l’environnement atmosphérique et radiatif rencontré par la composante balistique. Enfin, l’ONERA a été sollicité pour des études sur le comportement hydrodynamique, qui a fait l’objet d’une récente convention établie avec DCNS dans le cadre de l’élaboration du futur sous-marin

À l’occasion du 70e anniversaire de l’ONERA, le délégué général pour l’armement rappelait que, « en soixante-dix ans, l’ONERA a toujours participé à notre conquête d’indépendance stratégique. C’est le fer de lance de la recherche aéronautique et spatiale. Nous sommes fiers de disposer d’un tel outil (…) un outil stratégique et de souveraineté qu’il faut conforter ». Notre collègue Mme Isabelle Bruneau avait consacré une large partie de son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2016 à la situation de l’ONERA (35), pointant une baisse des ressources continues depuis des années. De ce point de vue, il convient de rappeler que les effectifs de l’ONERA ont diminué de près de mille personnes entre 1990 et 2016. Si vos rapporteurs ont pleinement conscience des contraintes budgétaires existantes, et sont au fait qu’une augmentation des crédits budgétaires de l’ONERA pourrait entraîner une réduction des montants dédiés aux études amont, il est indispensable, dans le cadre de l’augmentation de l’effort budgétaire en faveur de la défense, de donner à l’ONERA les moyens de remplir sa mission. Comme l’a rappelé à vos rapporteurs M. Bruno Sainjon, président de l’ONERA, l’investissement dans l’ONERA concerne avant tout la « matière grise » ce qui représente des sommes bien plus faibles que la réalisation d’essais.

Chargé de proposer au Gouvernement et de mettre en œuvre la politique spatiale de la France en Europe, le CNES est quant à lui à la fois une agence de programmes et un centre technique dont l’activité s’inscrit depuis plusieurs années dans un cadre multinational, notamment en partenariat privilégié avec l’action menée par l’Agence spatiale européenne (ESA), où il représente la France. Les effectifs du CNES sont stables autour de 2 450 collaborateurs. En matière de défense, le CNES joue un rôle dans de nombreux domaines comme l’observation optique – analyse des objectifs potentiels, préparation des missions, cartographie – renseignement d’origine électromagnétique, satellites de communications, alerte avancée, utilisation de satellites océanographiques et météorologiques. Si la stabilisation des ressources budgétaires du CNES témoigne d’une certaine priorité accordée par le Gouvernement au secteur spatial, il convient de rappeler que le CNES avait dû subir des réductions budgétaires importantes en 2014 (70,3 millions d’euros), ce qui avait déstabilisé l’établissement. Or, il est indispensable de conforter les programmes décidés et les missions en exploitation, et de préserver les crédits affectés à la préparation de l’avenir comme le lanceur Ariane 6.

De manière globale toutefois, l’ONERA comme le CNES ne disposent pas des moyens leur permettant d’aligner leurs grilles de salaires sur celles des acteurs privés traditionnels, et encore moins d’entreprises mondiales du secteur numérique (les GAFAs (36)), ce qui constitue un frein au recrutement.

b. Le maintien du crédit impôt-recherche

Créé en 1983, le crédit d’impôt recherche (CIR) a connu une réforme majeure en 2008 et a été utilement mobilisé dans le cadre des plans de relance de 2008 et 2009. Il a par ailleurs été étendu, par la loi de finances pour 2013, à certaines PME. Défini par l’article 244 quater B du code général des impôts, le CIR est une mesure générique de soutien aux activités de recherche et développement (R&D) des entreprises, sans restriction de secteur ou de taille. Les entreprises qui engagent des dépenses de recherche fondamentale et de développement expérimental peuvent bénéficier du CIR en les déduisant de leur impôt sous certaines conditions. Le taux du CIR varie selon le montant des investissements.

Le crédit d’impôt recherche, outil majeur du soutien à la recherche privée, fait régulièrement l’objet de vives contestations concernant son efficacité au regard de son coût de 5,3 milliards d’euros, encore en augmentation pour 2016. En septembre 2013, la Cour des comptes avait d’ailleurs remis un rapport consacré au CIR, estimant que son efficacité au regard de son objectif principal d’augmentation de la dépense de R&D des entreprises était difficile à établir, et que l’évolution de cette dépense n’était pas à ce jour en proportion de l’avantage fiscal accordé. Elle soulignait également que la gestion du CIR était lourde, tant pour les services fiscaux que pour les entreprises, et que les services de l’État n’étaient pas en mesure d’effectuer des contrôles efficaces.

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs ont néanmoins été interpellés quant à la nécessité absolue de maintenir le CIR, qui constitue un outil essentiel pour permettre aux entreprises françaises de concurrencer les entreprises américaines. En effet, ces dernières ne souffrent pas des mêmes contraintes. Selon les mots de M. Petitcolin, président-directeur général de Safran, « le marché domestique est dix fois plus important et les aides sont cent fois plus importantes ; sans appui de l’État, les acteurs français sont voués à disparaître ». Ainsi, pour une entreprise comme Safran, le CIR représente 170 millions d’euros, sur un résultat de 2,4 milliards d’euros et un chiffre d’affaires de 17 milliards. S’agissant des seules activités « défense », le CIR représente la moitié du résultat.

Si vos rapporteurs sont évidemment attentifs à la bonne utilisation des deniers publics, le CIR est un instrument efficace de la politique fiscale française, qui doit être préservé.

E. FORMER

1. Revaloriser les métiers de l’industrie

S’agissant des ingénieurs, le secteur de la défense continue d’attirer les jeunes diplômés. Les grandes entreprises bénéficient d’une bonne image auprès des jeunes, et possèdent en général une organisation très régionalisée qui les séduit.

En revanche, les métiers techniques souffrent d’une image fortement dégradée. Combien d’exemples d’élèves détournés des formations techniques au motif que « l’usine, c’est pour les mauvais élèves » ? Souvent, les métiers industriels sont ainsi assimilés à des métiers pénibles, exercés dans des conditions difficiles et sombres, à la chaîne ou dans des mines. C’est contre ce que vos rapporteurs qualifient de « syndrome Germinal » qu’il convient de lutter.

Il est indispensable de revaloriser les métiers de l’industrie, en insistant tant sur l’excellence des formations que sur l’exigence technique attendue, la contribution à la relance de l’économie française et l’assurance d’obtenir un emploi, donnant généralement lieu à une rémunération tout à fait satisfaisante.

La revalorisation des métiers de l’industrie concerne également les formations afférentes. Ainsi, l’apprentissage souffre encore d’une image dégradée, alors même qu’il constitue une voie de formation adaptée, et garantissant quasiment à coup sûr l’obtention d’un emploi.

2. Poursuivre la relance de l’apprentissage

L’ensemble des acteurs auditionnés par vos rapporteurs a souligné les avantages de l’alternance et de l’apprentissage pour identifier les futurs employés et améliorer la qualité des recrutements.

Les industriels ont ainsi massivement recours à ces deux modes de recrutement et, selon le GIFAS, le recours aux contrats en alternance a fortement augmenté au cours des cinq dernières années dans le secteur aéronautique, passant de 4 000 en 2010 à 6 000 en 2015.

C’est pourquoi vos rapporteurs incitent à la poursuite des initiatives en faveur de la relance de l’apprentissage. Au niveau national, le Gouvernement a engagé un plan de relance de l’apprentissage dès 2013, en vue d’atteindre le nombre de 500 000 apprentis en 2017. Cet objectif risque de ne pas être satisfait. C’est pourquoi le Gouvernement a annoncé de nouvelles mesures en avril 2016, afin d’améliorer la rémunération des jeunes en apprentissage et de lutter contre les effets de seuils liés à des critères d’âge. L’État prendra donc à sa charge une augmentation des minima salariaux légaux des jeunes de 16 à 20 ans à compter du 1er janvier 2017, le coût supplémentaire pour les employeurs étant entièrement compensé par l’État, grâce à une enveloppe budgétaire de 80 millions d’euros inscrite en projet de loi de finances pour 2017. Auparavant, des mesures avaient été prises dans le cadre du plan d’urgence pour l’emploi, afin de diversifier l’offre de formations proposées en apprentissage et mieux adapter le contenu des formations aux besoins des entreprises. Ces mesures vont dans le bon sens mais doivent être confortées, notamment grâce à un important effort financier. Par ailleurs, il convient d’être beaucoup plus ambitieux en se fixant des cibles plus élevées. Ainsi, le Royaume-Uni a annoncé le doublement de la dotation budgétaire allouée à l’apprentissage entre 2010 et 2020, de 1,5 à 3 milliards de livres sterling, dans l’objectif de former trois millions d’apprentis sur le territoire.

Au-delà des initiatives nationales, le développement de l’apprentissage repose aussi sur les actions régionales. Ainsi, la région Pays de la Loire a mis en place plusieurs mesures – aide régionale au premier apprenti de 1 000 euros, mise en place d’un réseau d’ambassadeurs, Pass permis de 400 euros, aide régionale de 500 euros à la professionnalisation des maîtres d’apprentissage – qui ont conduit à une augmentation des inscriptions dans plusieurs secteurs, et notamment l’inversion de la baisse dans certains secteurs depuis trois ans (bâtiment, électricité et électronique, industrie, structures métalliques). De telles initiatives doivent être encouragées, et articulées avec les initiatives des acteurs privés. Ainsi, par exemple, le GICAN anime un atelier « compétences » réunissant ses entreprises adhérentes, qui travaille à l’élaboration de formations pour la filière – création d’un BTS construction navale ; création d’une licence professionnelle « Métiers des industries navales et maritimes » en apprentissage issue des deux licences professionnelles existantes.

3. Soutenir les initiatives des acteurs industriels

Pour remédier aux difficultés de recrutement auxquelles ils font face, les acteurs industriels lancent leurs propres initiatives. Elles doivent être encouragées, notamment par les collectivités territoriales qui peuvent mettre à disposition des locaux, des moyens matériels ou des outils de communications, même si vos rapporteurs ne peuvent que regretter que faute de pouvoir compter sur l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur, les industriels doivent parfois s’y substituer.

Ces initiatives ne sont pas nouvelles. Ainsi, le lycée Airbus de Toulouse a été créé il y a près de 70 ans. Il forme chaque année près de 370 jeunes à quatre métiers du secteur aéronautique, par le biais de bacs professionnels : technicien chaudronnerie industrielle ; technicien d’usinage, aéronautique options avionique, aéronautique ou structure. Les formations se déroulent sous statut scolaire les deux premières années puis en apprentissage la dernière année.

Au-delà, l’exemple le plus emblématique est Aérocampus, créé le 14 avril 2013 sur le site de Latresne en remplacement du centre de formation aéronautique de la direction générale de l’armement Aquitaine. Aérocampus est une association, qui regroupe l’ensemble des acteurs de la filière aéronautique : des entreprises industrielles comme Thales, Dassault Aviation ou Safran, des grandes écoles comme l’École nationale de l’aviation civile ou l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace-Supaero, des universités et des organismes de formation. Plusieurs formations sont délivrées, du bac professionnel au master, afin d’accueillir tous les publics à tous les niveaux, et de répondre aux besoins des acteurs industriels et remédier aux problèmes de formation des techniciens. Deux formations initiales, l’une par voie scolaire, l’autre par voie d’apprentissage, sont ainsi proposées en maintenance aéronautique, de même que des formations professionnelles continues techniques et non techniques, ou des actions de formations à destination des demandeurs d’emploi. Le nombre d’étudiants ne cesse de croître, de 93 en 2011 à 285 en 2016, tandis que la proximité des acteurs industriels aboutit à des taux de recrutement élevés.

Prenant exemple sur Aérocampus, la filière navale mène actuellement une réflexion pour créer un « Naval campus », réparti sur plusieurs sites en Bretagne et en Normandie. Une convention a été signée en ce sens entre Aérocampus et DCNS en septembre 2016.

Le groupe Safran a également participé à la constitution d’un nouveau centre de formation 4.0 baptisé « plateforme de formation à la mécanique industrielle de demain » qui ouvrira ses portes en 2018 sur le site de la Faculté des métiers de l’Essonne (FDME), et dont la première pierre a été posée à Bondoufle le 10 novembre 2016 par le Premier ministre. Comme l’indique le communiqué de presse de Safran, « ce projet a été lancé à l’initiative des industries mécaniques d’Île-de-France (Safran, Fives ainsi que de nombreuses PME) dont les processus de production se digitalisent progressivement et qui doivent, dans le même temps, recruter un nombre important de techniciens et opérateurs pour renouveler leurs effectifs et assurer le développement de leur production. » Ce centre de formation aux métiers de la production mécanique de demain prendra la forme d’un simulateur de « l’usine du futur » et proposera de former des alternants (250 à 300 alternants répartis sur trois années de formation) et des salariés en formation continue (300 personnes en formations continues ponctuelles par an) aux nouvelles méthodes de production utilisant des machines en réseau, des objets connectés, de la fabrication additive, de la réalité augmentée, des robots collaboratifs ou encore des tablettes. Comme le déclarait M. Philippe Petitcolin, président-directeur général de Safran, « le secteur aéronautique recrute en effet sur notre territoire et a besoin d’opérateurs et de techniciens, possédant des compétences spécifiques. Chez Safran par exemple, ce besoin s’élève à plusieurs centaines de personnes par an d’ici à 2020. En parallèle, l’Usine du futur se développe rapidement et nécessite que les salariés renouvellent leurs savoir-faire pour s’approprier les nouveaux moyens de production qu’elle introduit. Il était donc urgent de mettre en place une plateforme de formation dédiée à la mécanique industrielle de demain ».

D’autres initiatives régionales comme « Compétences 2020 » en Pays de la Loire ou « Aérodiag’ » à Toulouse, ont permis de former des demandeurs d’emploi aux métiers de l’aéronautique, recrutés par la suite en contrats temporaires.

Au Royaume-Uni, les autorités ont décidé de la création d’une école spécialisée dans les métiers nucléaires (National College for Nuclear), qui accueillera ses premiers étudiants en 2017, avec pour objectif de former 7 000 personnes d’ici 2020. Une telle initiative – une école nucléaire – ne paraît pas adaptée au modèle universitaire français, mais il est indispensable de réfléchir à une adaptation des formations proposées par l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur, qui ne permettent pas pour l’heure de répondre aux besoins industriels s’agissant des métiers techniques.

Concernant la formation des ingénieurs, jugée satisfaisante, elle semblerait devoir être améliorée sur quelques points, comme le développement de l’approche qualité/fiabilité sur des questions très concrètes – collage, vissage, soudage, connectique – et la gestion de projet à l’international.

4. Anticiper

Enfin, il est indispensable d’anticiper les besoins de demain afin de constituer dès à présent des formations adaptées. Les exigences des métiers de la dissuasion sont si élevées qu’il est indispensable de disposer de personnels extrêmement qualifiés et, on l’a dit, les compétences à maîtriser sont longues à acquérir. Quels seront les métiers de demain ? S’il est difficile de les identifier avec précision, ils devront notamment répondre aux menaces qui surgiront. Pour l’ensemble des moyens de la dissuasion, la question de la cybersécurité, qui n’était pas au cœur du rapport, est ainsi essentielle pour garantir la crédibilité et la sécurité de la dissuasion. On peut de même imaginer que l’invulnérabilité des sous-marins sera de plus en plus complexe à assurer en raison de l’amélioration des moyens de détection acoustique ou l’apparition de nouvelles vulnérabilités magnétiques et électriques. Lancer une revue prospective des compétences critiques à long terme est nécessaire.

CONCLUSION

Le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire nécessitera un effort budgétaire conséquent. Alors que l’État consacre environ 3,5 milliards d’euros par an à la dissuasion, ce montant devrait être porté à près de six milliards d’euros (37) à l’horizon 2025.

Cette hausse appelle plusieurs commentaires.

Premièrement, elle s’inscrit dans le cadre de l’augmentation des dépenses budgétaires en faveur de la défense, en vue d’atteindre les « deux pourcent ». Cette augmentation devra tenir compte de cinq impératifs :

– assurer la soutenabilité de l’effort de défense dans le budget de la Nation ;

– mettre à niveau l’ensemble des infrastructures de la défense ;

– adapter nos capacités aux missions de nos armées, en commençant par la résorption des « réductions temporaires de capacités » ;

– augmenter les crédits des études amont ;

– financer, enfin, le renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire.

Pour ce faire, vos rapporteurs estiment qu’il conviendrait de réfléchir à l’instauration d’une programmation militaire non plus quinquennale, mais décennale.

Deuxièmement, la montée en puissance de la dépense nucléaire pourrait être l’occasion pour certains de remettre en cause le consensus général en faveur de la dissuasion en France.

Vos rapporteurs en sont convaincus, la France ne doit pas se priver de la dissuasion et se doit de maintenir ses deux composantes. C’est à ce prix, notamment, qu’elle maintiendra sa position de grande puissance, et que les acteurs industriels français continueront à générer de la croissance et de l’emploi. L’objet du présent rapport n’était d’ailleurs pas de s’interroger sur la pertinence de la dissuasion nucléaire.

Le retour probable d’un débat sur celle-ci montre néanmoins qu’au-delà des enjeux technologiques et industriels, il est essentiel de travailler aussi à la diffusion d’une culture nucléaire.

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS

A. AXE 1 : CARTOGRAPHIER LE MONDE DE LA DISSUASION

– mettre en place un système centralisé de veille sur les acteurs de la dissuasion et les capacités critiques, fondé sur l’accumulation de données transmises par l’ensemble des industriels, et placé sous la responsabilité de la DGA ;

– intégrer à ce système un comité stratégique sur les compétences nucléaires.

B. AXE 2 : ASSURER UNE ACTIVITÉ CONTINUE

– porter l’enveloppe budgétaire consacrée aux programmes d’études amont à un milliard d’euros dès la prochaine loi de programmation militaire ;

– conforter la dualité entre le civil et le militaire ;

– privilégier la démarche incrémentale pour le développement des systèmes d’armes ;

– soutenir massivement l’export.

C. AXE 3 : PROTÉGER LES ENTREPRISES

– entreprendre des actions de sensibilisation des autorités européennes afin de renforcer la législation relative aux investissements étrangers, sur le modèle américain ;

– conforter l’Agence des participations de l’État et Bpifrance :

Ø inciter l’APE à prendre plus régulièrement des parts bloquantes dans des entreprises, et à intervenir y compris dans le cas d’une entreprise de taille plus réduite que sa pratique actuelle l’amène à faire ;

Ø préciser les conditions d’intervention de Bpifrance, afin d’en faire un moyen de soutenir les entreprises du monde de la dissuasion n’entrant pas dans le champ d’intervention de l’APE.

– créer un fonds d’investissement « défense ».

D. AXE 4 : MAÎTRISER LA TECHNOLOGIE

– approfondir le programme Simulation, et envisager l’accès des Britanniques à l’infrastructure du laser mégajoule ;

– sanctuariser les dotations budgétaires au bénéfice de l’ONERA et du CNES ;

– préserver le crédit d’impôt recherche.

E. AXE 5 : FORMER

– revaloriser les métiers de l’industrie afin de sortir du « syndrome Germinal » ;

– poursuivre la relance de l’apprentissage ;

– soutenir les initiatives des acteurs industriels ;

– lancer une revue prospective des compétences critiques à long terme afin d’anticiper les compétences de demain.

F. AXE 6 : DONNER DE LA VISIBILITÉ

– envisager la mise en place d’une programmation décennale plutôt que quinquennale.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information sur les enjeux industriels et technologiques du renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire au cours de sa réunion du mercredi 14 décembre 2016.

Mme la présidente Patricia Adam. Chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour entendre les conclusions de nos collègues Jean-Jacques Bridey et Jacques Lamblin, co-rapporteurs d’une mission d’information sur les enjeux technologiques et industriels du renouvellement des deux composantes de la dissuasion. Avant de vous laisser la parole, je rappelle que la commission avait organisé en 2014 un cycle d’auditions consacré à la dissuasion. Nous poursuivons donc le travail, alors que des décisions d’importance devront être prises dans les années à venir.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. Le sujet qui nous occupe aujourd’hui est d’une importance vitale. Il s’agit de garantir que la France figurera toujours à l’avenir parmi les grandes puissances mondiales, et sera toujours à même de défendre les intérêts vitaux de la Nation. Les moyens de la dissuasion nucléaire française devront en effet être renouvelés au cours des prochaines années. L’enjeu, pour notre pays, est de s’assurer que quels que soient les besoins, quelles que soient les menaces, quels que soient les choix qui seront faits, nos capacités technologiques et industrielles seront au rendez-vous entre 2030 et 2080.

C’est donc dans ce contexte que nous avons été chargés d’une mission d’information sur les enjeux technologiques et industriels du renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire. Il ne s’agit donc pas ici de s’interroger sur la pertinence de la dissuasion, ni d’empiéter sur les compétences du président de la République, ni, enfin, de remettre en cause l’existence de deux composantes, confirmée par le dernier Livre blanc et la dernière loi de programmation militaire et par le président de la République lors de son discours sur la dissuasion, prononcé le 19 février 2015 sur la base aérienne d’Istres.

L’efficacité de notre dissuasion suppose au préalable d’assurer la crédibilité de la force nucléaire, qui repose sur un ensemble constitué par la volonté du président de la République d’y recourir, la performance du système dissuasif et, enfin, l’excellence de l’outil industriel et des technologies employées. C’est bien avant tout la crédibilité technique et industrielle qui garantit la crédibilité opérationnelle, car il existe un lien fondamental entre la capacité technologique et industrielle et la réalisation de la mission.

L’intérêt de notre commission pour la dissuasion nucléaire n’est pas nouveau.

Vous l’avez rappelé, Madame la présidente, de janvier à mai 2014, vous aviez organisé un cycle d’auditions consacré à la dissuasion qui avait été un réel succès. Chaque année, notre commission émet aussi un avis sur le budget de la dissuasion dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Au cours de cette législature, nous avons par ailleurs été amenés à voter des dispositions engageant des actions de renouvellement des composantes. Ainsi la loi de programmation militaire indique que la période 2014-2019 sera « marquée à la fois par la poursuite de la modernisation des deux composantes de la dissuasion et par la préparation de leur renouvellement ». Ceci concerne par exemple, s’agissant de la composante océanique, la livraison l’an dernier du missile M51.2 avec sa tête nucléaire océanique, la poursuite du programme d’adaptation des SNLE NG au missile M51, le lancement des travaux d’élaboration du SNLE de troisième génération et du missile M51.3. S’agissant de la composante aéroportée, les autorités politiques devront engager, au cours de la prochaine législature, les actions relatives à l’élaboration du successeur de l’ASMP-A, et décider du format du successeur du Rafale.

Un renouvellement d’ensemble est donc déjà en marche !

La France a fait le choix de l’indépendance et de l’autonomie pour la constitution de ses forces de dissuasion. Les acteurs de la dissuasion interviennent ainsi sur l’ensemble de la chaîne : conception, production, mise en œuvre, entretien, modernisation et démantèlement. Cette maîtrise d’ensemble, qui nous place au même niveau technique que les États-Unis, est l’une des conditions du maintien des compétences nécessaires à l’effectivité de notre dissuasion, et c’est celle-ci qu’il faut préserver.

Au terme de nos auditions, notre constat est sans appel : les choses sont sous contrôle, et nous pouvons être confiants quant à la capacité de la France à conserver son indépendance. Toutefois, certains points de vigilance ont été soulignés par l’ensemble des personnes auditionnées, qu’il s’agisse des autorités militaires, de chercheurs, d’industriels ou de la Direction générale de l’armement (DGA) et de la Direction des applications militaires du commissariat à l’énergie atomique (DAM).

En premier lieu, il est indispensable de veiller à la robustesse du tissu industriel français de la dissuasion.

En second lieu, et c’est là le principal, la permanence de notre dissuasion repose avant tout sur des femmes et hommes, nucléaristes, qui depuis près de soixante ans nous permettent de conserver un niveau d’excellence, et d’assurer au président de la République les moyens de préserver les intérêts vitaux de la Nation. Ces femmes et ces hommes disposent de compétences rares, de haut niveau, et il convient de tout faire pour continuer de les maîtriser.

Avant de revenir en détail sur ces deux sujets, nous avons tout d’abord souhaité rappeler pourquoi il nous faut renouveler les composantes.

Comme nous l’avons dit précédemment, il ne s’agit pas de questionner la pertinence de la dissuasion. Chacun le sait ici, le choix français de la dissuasion repose initialement sur un triple constat : la perte de l’influence de la France, les limites de l’autonomie de notre défense, les doutes sur l’engagement américain dans la défense à long terme de l’Europe. Ce sont ces constats qui ont amené le général de Gaulle à faire le choix de la bombe. Aujourd’hui, certaines voix s’élèvent en faveur du retrait de l’arme nucléaire. Cette position, que nous respectons, n’est pas la nôtre.

Alors pourquoi ?

Renouveler les moyens de la dissuasion, c’est d’abord assurer la place de la France sur la scène internationale. La dissuasion nucléaire est un outil politique avant d’être un outil militaire. Elle constitue la garantie ultime de la souveraineté de notre pays et de sa liberté d’action. Comme nous l’indiquait lors d’un entretien le général Bruno Maigret, chef de la division « forces nucléaires » de l’état-major des armées, c’est bien la dissuasion qui « permet à la France de demeurer une puissance politique, économique, technique et militaire ».

Mais s’il convient de renouveler les moyens de la dissuasion, c’est surtout parce que le monde dans lequel nous vivons demeure dangereux, et nucléaire et que la crise de la prolifération n’est pas contenue. Ainsi, à la question de savoir si le monde serait moins nucléaire dans trente ans, l’amiral Bernard Rogel, alors chef d’état-major de la marine, nous répondait d’un mot : « non ! ». Le général André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, ne disait pas le contraire en indiquant que le monde serait « durablement nucléaire [et que] le temps de la dissuasion n’est pas dépassé » : ce sont les propos du président de la République à Istres.

De manière plus précise, on constate ainsi que l’Inde a procédé à son premier tir d’essai depuis un SNLE, même si sa composante océanique n’apparaît pas encore opérationnelle. De son côté, la Chine augmente le nombre de ses missiles à longue portée, et est sur le point de disposer d’une véritable composante sous-marine grâce aux bâtiments de la classe Jin. La Russie, quant à elle, opère un retour en force de sa composante aéroportée et surtout en matière océanique, avec une reprise des patrouilles régulières de ses SNLE. Enfin, les capacités de la Corée du Nord s’accroissent, et un premier essai de lancement de missile depuis la mer semble avoir été réalisé le 24 août 2016, tandis que l’Iran se trouverait au seuil du cercle des puissances nucléaires. Le monde demeure donc nucléaire, et c’est la première raison pour la France de maintenir sa dissuasion, tout en poursuivant son engagement en faveur du désarmement. Le statut de puissance nucléaire de la France crédibilise par ailleurs son engagement en faveur de ce désarmement.

Si le monde évolue, les menaces comme les défis également. En somme, il faut aussi renouveler les moyens de la dissuasion pour répondre aux enjeux opérationnels, en anticipant le plus finement possible l’état des menaces dans des décennies. Le calendrier nous porte jusqu’à 2080 ! Comme le faisait remarquer le général Bruno Maigret, « d’une certaine manière, on pourrait considérer que les poilus réfléchissaient déjà au retrait du Mirage IV ».

S’agissant de la composante océanique, à l’échéance 2030, la force océanique stratégique (FOST) ne devrait pas connaître de saut technologique comparable à celui ayant conduit à la conception des sous-marins de classe Le Triomphant. Le sous-marin nucléaire de troisième génération (SNLE 3G) et ses missiles devraient présenter des caractéristiques dimensionnelles semblables à la génération actuellement en service. L’extrême discrétion est ce qui fonde la quasi-invulnérabilité des SNLE de la FOST. Aussi faut-il l’améliorer en permanence, en tenant compte des évolutions technologiques qui permettraient de détecter les SNLE en mission : détection acoustique, développement de patrouilles de drones, apparition de nouvelles vulnérabilités magnétiques et électriques ainsi que la cybersécurité.

S’agissant de la composante aéroportée, les dernières LPM ont permis de renouveler les moyens jusqu’à l’horizon 2035. Des réflexions ont été lancées en vue de préparer le renouvellement du vecteur à cet horizon, et celui du porteur à plus long terme. Concernant le vecteur, deux projets ont trait au successeur de l’ASMP-A : l’un se focalise sur l’amélioration de sa furtivité, l’autre sur sa vitesse, dans le but d’atteindre l’hypervélocité afin de rendre le missile difficilement interceptable par les défenses ennemies.

En effet, les défenses anti-missiles ont également évolué, notamment en Russie voire en Chine, tandis que des systèmes russes S300 et S400 sont déployés largement à la surface du globe. Ce retour des défenses anti-missiles remet en cause l’idée selon laquelle les systèmes d’armes auraient moins besoin de pénétrer les défenses, et impose de nouveaux développements technologiques. Une nouvelle fois, il ne nous appartient de nous prononcer ici sur les technologies qui nous paraissent les plus adaptées. Nous n’en avons ni les compétences, ni la légitimité, et cette responsabilité revient aux autorités militaires et au président de la République. En revanche, le renouvellement des moyens de la dissuasion doit tenir compte de l’évolution des besoins opérationnels.

Enfin, renouveler les moyens de la dissuasion, c’est contribuer à la compétitivité française. La dissuasion impose la maîtrise de technologies de pointe et la constitution d’une industrie d’excellence, créatrice d’emplois et dont les applications rejaillissent dans le domaine civil.

Le rôle structurant de la dissuasion française pour la constitution d’industries de pointe est connu de tous. Ce constat s’applique bien évidemment au passé, car toute la construction navale et une bonne partie de l’industrie aéronautique et spatiale tirent de la dissuasion leur excellence. Il s’applique également du présent et de l’avenir. La dissuasion nucléaire a imposé aux acteurs industriels d’être toujours plus performants, et ainsi de maîtriser des technologies complexes. Les industriels du secteur naval le répètent souvent : un SNLE nécessite plus de douze millions d’heures de travail et un million de pièces. Il abrite une centrale nucléaire, un centre spatial, une petite ville capable de vivre en autarcie complète pendant dix semaines, le tout de manière discrète et dans un cylindre de 150 mètres de long et quatorze mètres de diamètre.

Autre exemple : aujourd’hui, la capacité de l’entreprise française Sodern à remporter le marché lancé par One-Web pour la fourniture de 1 800 viseurs d’étoiles découle de la dissuasion, et des exigences qui ont amené Sodern à maîtriser une technologie d’une extrême complexité.

De même, les besoins de calcul du CEA-DAM dans le cadre du programme de simulation ont permis la structuration d’une véritable filière industrielle du calcul française. Aujourd’hui, ATOS-Bull peut s’afficher comme un industriel incontournable du calcul à haute performance et figure parmi les trois leaders mondiaux de la course à l’exascale – milliard de milliards de calculs par seconde.

Vous le voyez bien, la dissuasion structure ainsi des filières d’excellence, et joue également le rôle de locomotive de la croissance française. On estime ainsi souvent qu’un euro investi dans la dissuasion nucléaire génère vingt euros dans l’économie.

L’activité dissuasion de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers est fortement créatrice d’emplois, puisqu’en période de non-renouvellement des SNLE, elle engendre près de 10 000 emplois directs et indirects en France par an, et près de 13 000 par an durant vingt ans en période de renouvellement.

Plus largement, la dissuasion bénéficie à une multitude d’entreprises réparties sur l’ensemble du territoire. Ainsi, une étude de la Fondation pour la recherche stratégique a noté, à propos de DCNS, que 99 % du volume des commandes pour l’activité dissuasion/SNLE sont adressés à des fournisseurs localisés en France, répartis sur 80 départements.

Enfin, la maîtrise technique intrinsèque à la maîtrise de la dissuasion nucléaire constitue par ailleurs un facteur d’attractivité pour la France. La réussite des acteurs français à l’export – Dassault Aviation et DCNS notamment – est fondée sur la maîtrise des technologies et des processus industriels de la dissuasion.

Au-delà, l’impact de la dissuasion nucléaire sur le développement d’applications civiles n’est plus à démontrer. Chacun ici pourrait citer des exemples : la technologie de l’échographie issue des sonars, les hublots d’avions de lignes issus des cockpits du Mirage IV, le développement de la filière SOI (silicium sur isolant), etc.

Ce constat était vrai hier, et il le sera toujours demain. Nous avons déjà évoqué le rôle des super calculateurs, mais nous pourrions également mentionner le Laser mégajoule implanté sur le site du CESTA en Aquitaine. Outil majeur du programme de simulation des essais nucléaires, il ouvre des perspectives multiples, notamment pour la recherche en astrophysique ou encore, à terme, dans le domaine de la production d’énergie par fusion. Le LMJ lui-même a favorisé la naissance d’un écosystème avec notamment la création du pôle de compétitivité « Route des lasers », la création de l’Institut « Lasers et Plasmas » et l’implantation de plus de cinquante sociétés spécialisées dans le domaine de l’optique ou de la santé. Ceci démontre toute la pertinence du programme « Simulation », dont nous célébrons d’ailleurs cette année le vingtième anniversaire.

M. Jacques Lamblin, co-rapporteur. Avant toute chose, j’aimerais remercier l’ensemble des personnes que nous avons rencontrées au cours des travaux de cette mission. Les responsables militaires comme les grands dirigeants d’entreprises ont fait preuve d’une très grande disponibilité, ce qui témoigne combien cette œuvre commune, la dissuasion, constitue un enjeu considérable pour ces hommes et ces femmes.

Comme l’a indiqué Jean-Jacques Bridey, les raisons de renouveler les moyens de la dissuasion sont ainsi multiples. S’il s’agit avant tout de traiter l’obsolescence, et d’adapter les forces nucléaires aux nouvelles menaces, le renouvellement des moyens de la dissuasion a également un intérêt économique et industriel, la dissuasion contribuant à la compétitivité de l’économie française, ainsi qu’à l’émergence de champions technologiques et industriels. S’il est difficile de quantifier les bénéfices économiques qui seront tirés du renouvellement de nos composantes, il est indéniable qu’ils seront importants, et dépasseront à long terme le coût budgétaire du renouvellement. Il y a donc aussi un intérêt économique évident à maintenir la dissuasion et à en renouveler les moyens.

Alors comment garantir que nous aurons les compétences technologiques et industrielles pour renouveler nos moyens de dissuasion dans les décennies à venir ?

Vous en conviendrez, il s’agit d’une question ambitieuse... Mais comme souvent, l’enjeu est au fond assez simple : il faut s’assurer du maintien sur notre territoire des compétences, ce qui implique une attention sur trois enjeux. Premier enjeu : assurer la sécurité d’approvisionnement ; deuxième enjeu : maintenir le tissu industriel français en portant une attention particulière à la chaîne de sous-traitance ; troisième enjeu : conserver les compétences techniques humaines, et identifier celles qui devront être maîtrisées demain.

S’agissant d’abord de la sécurité d’approvisionnement, elle concerne avant tout les matériaux de la dissuasion. Si la situation n’est pour l’heure pas inquiétante, il faudra au cours des prochaines années renouveler notre stock sur certains métaux et terres rares. L’exemple du tritium, qui n’est ni un métal ni une terre rare, est à ce titre intéressant. Sa demi-vie étant de douze années, la moitié de notre stock aura disparu dans douze ans. Il y également un enjeu sur la production d’uranium faiblement enrichi ou sur les stocks d’autres matériaux de l’enveloppe des têtes pour la rentrée atmosphérique. Si la situation est maîtrisée, notamment en raison de la vigilance permanente de la DGA, de la DAM et des industriels, il existe un léger risque lorsque la France est mono-sourcée. On peut penser à l’uranium extrait au Niger par exemple. Il faut donc opérer un suivi de la situation des mines libres d’emploi, dans le cadre de l’approvisionnement en matériaux nécessaires à la propulsion nucléaire par exemple, miser sur le recyclage, voire envisager la constitution de filières nationales en cas de doute sur la pérennité d’une source d’approvisionnement. La sécurité d’approvisionnement concerne également les composants, notamment électroniques, à l’heure où l’électronique embarquée est encore plus nécessaire pour améliorer la précision, et la pénétration des défenses. Il est légitime de craindre la disparition de la filière d’approvisionnement nationale en cas d’abandon par une entreprise comme ST Microelectronics ou Soitec de leur activité défense par exemple. C’est précisément ce type de menace qui nous amène au second enjeu : la vigilance à exercer sur les entreprises de la dissuasion, et en particulier la chaîne de sous-traitance.

La France dispose d’entreprises de niveau mondial, de toutes tailles, dont les sites sont répartis sur l’ensemble du territoire. Chacun connaît ici le rôle joué par DCNS, AREVA TA, Dassault Aviation, Airbus Safran Launchers, Thales ou MBDA. Mais derrière elles, on compte une myriade d’entreprises de taille intermédiaire ou de petites et moyennes entreprises dont l’importance est vitale pour le maintien de l’indépendance de notre dissuasion. Or, comme l’ont rappelé plusieurs acteurs industriels lors des auditions : la stricte suffisance n’est pas seulement conceptuelle ; l’outil industriel est aussi juste suffisant, et doit être préservé, protégé. Trois risques principaux pèsent sur les entreprises.

Le premier risque, c’est tout simplement l’abandon de l’activité défense. Dans certains cas en effet, la diversification des activités d’une entreprise peut entraîner une réduction de la part de son activité défense, et de l’importance de celle-ci au sein du chiffre d’affaires, au point de la voir abandonnée.

Le deuxième risque, c’est l’évolution non maîtrisée du capital. Au fil des années, on constate un intérêt grandissant des puissances étrangères pour les entreprises du tissu industriel français. On pense immédiatement aux acteurs chinois bien sûr, mais ne sous-estimons pas l’appétit américain. Parfois, des entreprises de taille intermédiaire peuvent être menacées. Deux exemples récents doivent nous faire réagir : la reprise par ArcelorMittal d’Industeel, spécialisé dans les aciers à haute résistance, utiles pour les coques des sous-marins ; et la reprise par General Electrics de Thermodyn, fournisseur historique de DCNS en turbines à vapeur pour la propulsion et l’alimentation électrique qui équipent aujourd’hui les SNLE et les SNA. Dans certains cas, des conventions ont été signées pour protéger l’État, mais comment garantir qu’elles seront toujours protectrices dans des années, ni même qu’elles existeront ? Comment être sûr que les entreprises elles-mêmes subsisteront ?

Troisième risque, enfin, la perte de compétences, intimement liée à la question des ressources humaines sur laquelle nous reviendrons dans un instant.

Face à ces risques, l’État n’est évidemment pas démuni. Mais nous pourrions « aller plus loin » pour protéger le tissu industriel français.

Première réponse, il est indispensable de cartographier les entreprises de la dissuasion afin d’être en mesure de suivre leur évolution et d’identifier les risques potentiels sur le maintien de l’indépendance de la dissuasion française. À l’heure actuelle, le travail de cartographie est mené de manière transversale par la DGA. De plus, les grands industriels ont tous développé des outils de veille de leur propre chaîne de sous-traitance. Comme l’a souligné M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, « l’attention sur le tissu industriel français est permanente ». La DGA s’assure, via différentes feuilles de routes – « sous-marins », « têtes nucléaires » « missiles », etc. –, du maintien de la base industrielle et technologique de défense. Toutefois, au travers des différents entretiens que nous avons menés, il semblerait que la vision globale du tissu industriel soit imparfaite. Il serait donc utile de mettre en place un réel système concentré de veille, alimenté par les données transmises par l’ensemble des industriels. En toute logique, un tel dispositif pourrait être placé sous la responsabilité de la DGA avec un objectif d’exhaustivité et de mise à jour permanente.

Deuxième réponse, il est indispensable de mener une réflexion sur le régime juridique des investissements étrangers en France. Sont déjà soumis à autorisation préalable du ministre de l’Économie les investissements en France qui relèvent notamment des activités de nature à porter atteinte aux intérêts de la défense nationale. Cet outil juridique, connu sous le nom de « législation IEF », permet concrètement de fixer des règles spécifiques pour empêcher la prise de contrôle d’une entreprise traitant de sujets sensibles, voire de procéder à un investissement direct dans l’entreprise. Si la législation française présente quelques garanties, elle demeure bien lâche au regard des prérogatives du Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS), qui permet d’interdire toute prise de participation étrangère au sein d’une entreprise américaine, dès lors que les intérêts nationaux sont en jeu. En l’état actuel, il faut le savoir, le droit européen ne permettrait pas de renforcer la législation française sur le modèle américain. Nous pensons donc qu’une action de sensibilisation des autorités européennes devrait être engagée en ce sens au moins pour le secteur de la défense nationale.

Troisième réponse, il convient de préciser et de conforter le rôle de l’Agence des participations de l’État et de Bpifrance. La puissance publique dispose en effet, via l’APE et la Bpifrance, de deux outils importants dans le dispositif industriel de la dissuasion. L’APE détient ainsi, de manière directe ou indirecte, des parts dans ASL, MBDA, DCNS, Thales, Airbus, Safran et AREVA TA, et a signé une convention avec le Groupe industriel Marcel Dassault (GIMD) pour protéger les intérêts de l’État en cas d’évolution du contrôle de cette entreprise. Mais l’APE intervient rarement, et procède à des investissements de long terme, d’un montant important, afin d’occuper une place d’actionnaire majoritaire ou tout au moins dominant. Il pourrait être utile d’inciter l’APE à prendre plus régulièrement des parts bloquantes dans des entreprises, ou d’intervenir y compris dans le cas d’une entreprise de taille plus petite, comme Thermodyn. Quant à elle, Bpifrance procède à des investissements de court terme, dans des PME ou des ETI, mais jamais dans l’optique de devenir actionnaire majoritaire ; ce n’est pas son rôle. Par ailleurs, lorsque Bpifrance intervient en fonds propres, c’est avant tout afin de participer à une augmentation de capital, ce qui n’est pas toujours adapté aux entreprises de la dissuasion pouvant être en situation délicate. Il conviendrait donc peut-être de revoir à l’avenir les conditions d’intervention de Bpifrance, afin d’en faire un moyen de soutenir les entreprises du monde de la dissuasion n’entrant pas dans le champ d’intervention de l’APE.

Quatrième réponse, nous soutenons pleinement la proposition formulée par le ministre de la Défense, la semaine passée, de créer un fonds d’investissement centré sur les activités de défense. Les modalités précises de fonctionnement d’un tel fonds restent évidemment à préciser, mais cette initiative nous semble pertinente, notamment pour investir dans le capital de certaines de ces PME, y compris pour aider ces entreprises à se développer.

Enfin, nous en venons à ce qui constitue pour nous le cœur des enjeux technologiques et industriels : le maintien des compétences humaines.

Les compétences nécessaires à la réalisation des programmes de dissuasion supposent une technicité forte, et sont difficiles à acquérir. Ceci s’explique notamment par le poids de l’expérience pour la maîtrise de savoir-faire techniques, partagés par un faible nombre de personnes. Il est donc indispensable d’identifier les compétences les plus critiques afin d’être toujours en mesure de les maîtriser car il s’agit de compétences, retenez la formule, « longues à acquérir, rapides à perdre et impossible à récupérer ». Le cas britannique, sur lequel nous pourrons revenir si vous le souhaitez, est à ce titre particulièrement éclairant.

S’agissant tout d’abord des ingénieurs, si chacun reconnaît la qualité de la formation, le principal défi consiste à les attirer vers le monde de la défense. De manière générale, les grands groupes parviennent à les attirer. Les structures de recherche, comme l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) ou le Centre national d’études spatiales (CNES), ont parfois plus de difficultés car elles ne peuvent s’aligner sur les salaires proposés par les acteurs privés. Certains domaines demeurent par ailleurs moins maîtrisés comme l’hydrodynamique et l’aérodynamique, les domaines de la pénétration et du guidage/navigation. De plus, la formation initiale pourrait être améliorée sur quelques points comme l’approche qualité/fiabilité sur des questions très concrètes – collage, vissage, soudage, connectique – ou la gestion de projet à l’international.

Les difficultés de recrutement sont en revanche criantes, et c’est là l’un des problèmes les plus importants, s’agissant des métiers technologiques et techniques. Combien de fois avons-nous entendu que l’« on ne sait plus souder en France » ? Des problèmes similaires existent pour les tourneurs, les câbleurs, les charpentiers de marine ou d’autres métiers de compagnonnage. Au-delà des lacunes de formation, les acteurs industriels de la dissuasion doivent également faire face à la concurrence d’autres secteurs industriels.

Enfin, ne doivent pas être négligés les métiers dits non techniques, qui contribuent au maintien de la posture opérationnelle : par exemple, le phasage de l’industrialisation, l’approvisionnement des pièces en temps et en heure ou l’organisation des périodes de grand carénage font appel à des compétences en matière de coordination et de planification de projet. Cette remarque nous a été faite par les dirigeants de DCNS.

Alors, comment garantir le maintien des compétences ?

D’abord, il convient d’identifier les compétences les plus critiques, ou celles dites orphelines, c’est-à-dire qui dépendent uniquement des programmes de dissuasion pour être entretenues.

Les industriels mènent évidemment leurs propres actions en interne. Ainsi, le suivi du maintien des compétences ingénierie en matière de propulsion nucléaire fait l’objet d’un comité spécifique au sein d’AREVA TA, où onze métiers « orphelins » sont recensés, qui a également mené un travail de cartographie des compétences. DCNS nous a présenté un système de suivi similaire, et tous les acteurs industriels de rang 1 se prêtent à cet exercice. Plus largement, le Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), via Campus Naval France, comme le Comité stratégique de la filière aéronautique, ont mis en place une série d’actions pour identifier les compétences critiques, valoriser les métiers de leurs industries et recruter des jeunes ou former des demandeurs d’emploi.

Par ailleurs, afin de pallier les manques de formation, les acteurs industriels ont développé leurs propres initiatives. Le lycée Airbus à Toulouse bien sûr, ou la récente « plateforme de formation à la mécanique industrielle de demain » lancée par Safran vont dans ce sens. De même, suivant le remarquable exemple d’Aérocampus, qui regroupe sur le site de Latresne des formations allant du bac pro au master pour remédier aux problèmes de formation des techniciens, une réflexion est actuellement en cours pour créer un « Naval campus », implanté sur plusieurs sites en Normandie et en Bretagne. Ces initiatives sont toutes à saluer, et doivent recevoir le soutien public, même si l’on peut regretter qu’elles viennent se substituer à l’Éducation nationale, défaillante en la matière. Ce constat est un argument de plus incitant à poursuivre les efforts engagés par le plan de relance de l’apprentissage, et de mettre un terme à la dépréciation des métiers industriels. Combien d’exemples avons-nous d’enseignants, ou de parents, détournant les élèves de formations techniques au motif que « l’usine, c’est pour les mauvais élèves » ?

Enfin, le maintien des compétences techniques comme la robustesse du tissu industriel reposent sur une exigence : la continuité des plans de charges, et le bon enchaînement entre les études et les phases de production.

Comme le soulignait le chef d’état-major des armées devant notre commission, le 6 mai 2014, « la dissuasion nucléaire est une histoire qui ne supporte ni les à-coups, ni les arrêts ». Pour maintenir l’outil industriel, il faut que le phasage programmatique tienne non seulement compte des besoins de remplacement évidemment, mais aussi du maintien de l’outil industriel et des compétences humaines, dont les performances contribuent à la crédibilité. En l’absence d’étude ou de programme de construction, il est très difficile pour une entreprise de maintenir les compétences en son sein.

Plusieurs programmes ont d’ores et déjà été engagés, nous l’avons dit en introduction. À plus long terme, il faudrait sûrement lancer une étude amont du successeur du porte-avions Charles-de-Gaulle, qui permettrait de pérenniser les compétences de conception juste suffisantes pour le soutien en service de toutes les chaufferies nucléaires. D’autres études pourraient être initiées comme par exemple, pour la composante aéroportée, sur le développement du standard F4 du Rafale.

La continuité des plans de charge est essentielle car la relance d’une activité est une phase délicate : quand on relance, il faut réembaucher, remonter la production et augmenter les cadences d’assemblage. Quatre types d’actions peuvent être engagés pour ce faire :

– conforter la dualité entre le civil et le militaire. L’exemple des missiles balistiques et des lanceurs Ariane est bien connu, mais cela vaut également pour la propulsion nucléaire et les réacteurs de recherche ;

– soutenir pleinement l’export, qui permet de soulager les équipes et les entreprises en cas de réduction de la demande nationale ;

– lancer les programmes d’études amont pour mobiliser les équipes en phase de trou de production ;

– continuer de privilégier la démarche incrémentale pour les systèmes d’armes, qui permet de maintenir en haleine les équipes, toujours contraintes d’améliorer les technologies existantes dans une architecture prédéfinie.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. En guise de conclusion, nous rappellerons que le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire nécessitera un effort budgétaire conséquent au cours des prochaines années, sur lequel la prochaine commission de la Défense devra travailler. Cette hausse appelle plusieurs commentaires.

Premièrement, elle s’inscrit dans le cadre de l’augmentation des dépenses budgétaires en faveur de la défense, en vue d’atteindre les « deux pourcent ». Cette augmentation devra tenir compte de cinq impératifs, que j’avais d’ailleurs soulignés dans le cadre de mon rapport budgétaire sur le programme 146 de la mission « Défense » : assurer la soutenabilité de l’effort de défense dans le budget de la Nation, mettre à niveau l’ensemble des infrastructures de la défense, adapter nos capacités aux missions de nos armées, en commençant par la résorption des « réductions temporaires de capacités », augmenter les crédits des études amont, financer le renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire. Pour ce faire, nous pensons qu’il conviendrait de réfléchir à l’instauration d’une programmation militaire non plus quinquennale, mais décennale pour améliorer la visibilité sur les plans de charges des industriels et les études lancées par la DGA.

Deuxièmement, la montée en puissance de la dépense nucléaire pourrait être l’occasion pour certains de remettre en cause le consensus général en faveur de la dissuasion en France. Nous en sommes convaincus, la France ne doit pas se priver de la dissuasion et se doit de maintenir ses deux composantes. C’est à ce prix, notamment, qu’elle maintiendra sa position de grande puissance, et que les acteurs industriels français continueront à générer de la croissance et de l’emploi. Le retour probable d’un débat sur la pertinence de la dissuasion nucléaire montre néanmoins qu’au-delà des enjeux technologiques et industriels, il est essentiel de travailler, aussi, à la diffusion d’une culture nucléaire au sein de la population comme des classes dirigeantes et décisionnaires.

Comme je le disais en introduction, la situation est pour l’heure maîtrisée, il nous faut tout faire pour qu’elle le soit encore dans soixante ans. Il en va de la sécurité de notre Nation.

Enfin, nous aimerions remercier les autres membres de la commission qui nous ont accompagnés durant ces mois de travail, et en particulier Marie Récalde, Geneviève Fioraso et Philippe Meunier.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci pour ce travail de qualité et merci également aux collègues qui ont participé à vos travaux.

M. Philippe Vitel. Je tiens tout d’abord à féliciter nos rapporteurs pour ce rapport très intéressant. Je souhaiterais leur poser deux questions. La première a trait aux accords de Lancaster House de 2010. Ceux-ci prévoyaient un partenariat entre les puissances nucléaires ouest-européennes – le Royaume-Uni et la France – pour « modéliser la performance des têtes nucléaires et des équipements associés, afin d’en assurer la viabilité, la sécurité et la sûreté à long terme ». Il était prévu de mettre en place une installation commune à Valduc en France, qui s’appuyait sur un centre de développement technologique commun situé à Aldermaston au Royaume-Uni. Où en est-on dans la mise en œuvre de cette décision ? Par ailleurs, pourriez-vous nous précisez, si vous l’avez évalué, le surcoût généré par les propositions dont vous avez fait état, notamment sur la durée du prochain quinquennat ?

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. Nous nous sommes rendus à Valduc. Côté français, le programme avance. Les Britanniques, quant à eux, sont en train de mettre en place leurs locaux. Le calendrier suit donc son cours. Nous sommes opérationnels côté français, et le programme d’ensemble devrait fonctionner à l’horizon 2020. À notre sens, il faut poursuivre cette coopération avec le Royaume-Uni, voire l’élargir à d’autres domaines, même s’il ne nous revient pas de prendre une telle décision. Comme le disait l’une des personnes auditionnées, on trouve à l’entrée du site de Valduc un porte-drapeau avec trois emplacements : à ce stade, il n’y a que deux drapeaux ; peut-être y a-t-il de la place pour un troisième partenaire qui serait intéressé par nos travaux sur la simulation ? Je rappelle que nous sommes pionniers et que nous conservons une avance dans ce domaine, y compris par rapport aux Américains. D’après les informations qui nous ont été communiquées, ceux-ci pourraient être intéressés par les travaux menés à Valduc.

M. Jacques Lamblin, co-rapporteur. Nous avons reçu les représentants du ministère de la Défense britannique et l’idée d’étendre notre partenariat est sans doute à creuser car ce qui existe aujourd’hui est fécond et efficace. Par ailleurs, une telle coopération permet de « partager le fardeau ». À titre strictement personnel, je pense qu’on peut imaginer l’extension d’un tel partenariat au regard, par exemple, des perspectives offertes par le laser mégajoule (LMJ). Élément majeur de la simulation, le LMJ est non seulement très impressionnant mais surtout extrêmement prometteur tant dans le domaine militaire que dans le domaine civil avec par exemple la maîtrise de la fusion nucléaire à des fins de production énergétique.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. Nous consacrons aujourd’hui 3,5 milliards d’euros par an à la dissuasion. Selon les hypothèses, il faudrait passer à au moins six milliards d’euros par an à partir de 2020. Mais tout dépend de ce que l’on met dans ce budget. Nous préconisons par exemple de porter à un milliard d’euros le budget « études amont » qui se situe actuellement autour de 730 millions d’euros.

M. Philippe Vitel. Sur quelle durée cet effort devra-t-il être consenti ? S’agira-t-il d’une augmentation brutale, en 2020, ou d’une augmentation progressive ?

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. L’effort portera sur une période de dix ou quinze ans. Pour le reste, tout dépendra des choix qui seront déterminés dès 2017 et de l’issue de nos débats budgétaires. La dissuasion n’est qu’un sujet parmi d’autres – résorption des ruptures capacitaires, modernisation des infrastructures par exemple. Il s’agira d’effectuer des choix dans le cadre de la nouvelle loi de programmation militaire.

M. Jacques Lamblin, co-rapporteur. Les anticipations que nous pouvons faire en matière budgétaire font état d’un objectif à six milliards d’euros avec une montée en puissance progressive pour arriver à ce montant à l’horizon 2025 ; il n’y aura pas d’augmentation brutale de 3,5 milliards d’euros à six milliards d’euros le 1er janvier 2020. Au-delà du coût, il me semble que lorsque la décision de faire de la France une puissance nucléaire a été prise, personne n’imaginait les conséquences industrielles et économiques qui en découleraient, avec un nombre d’industries majeures qui sont « filles » de la dissuasion et qui participent à la richesse nationale. Le fait de suivre la marche du progrès est certes un pari coûteux au départ, mais dont les retombées vont bien au-delà de la seule défense nationale. Ceux qui se sont engagés dans cette voie il y a soixante ans ont sans doute rendu un grand service économique et industriel à la France, alors qu’ils ne l’imaginaient même pas puisque le choix effectué à l’époque l’était uniquement pour des raisons sécuritaires et stratégiques.

M. Yves Fromion. Ce rapport est extrêmement intéressant et il méritera d’être lu avec attention. Vous avez évoqué les deux composantes de notre force nucléaire mais en réalité il y en a trois, avec la composante aéronavale qui est hybride et ne peut être assimilée ni à la composante aérienne, ni à la composante océanique…

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. Nous évoquons les deux composantes permanentes. La composante aéronavale ne l’est pas.

M. Yves Fromion. Justement, la question de sa permanence mérite d’être évoquée ! Elle ne l’est pas car nous ne disposons que d’un seul porte-avions, ce qui pose un problème de continuité, également lié à la question du positionnement du porte-avions qui doit être portée de sa cible potentielle…

M. Philippe Vitel. Tout à fait d’accord.

M. Yves Fromion. … Se pose également la question de la réalisation concrète d’un raid nucléaire à partir du porte-avions. Quand on constate le degré de complexité d’une telle opération menée à partir de la terre par les forces aériennes stratégiques et les moyens considérables qui doivent être mis en œuvre, on peut s’interroger sur l’opportunité de maintenir cette composante hybride à l’avenir, d’autant qu’elle impose des contraintes très lourdes. En effet, un porte-avions qui embarque l’arme nucléaire est un bâtiment conçu et construit spécialement pour cela, avec notamment des problèmes de réduction des capacités de transport pour les munitions conventionnelles en particulier, ce qui réduit les capacités de frappe des avions de chasse.

Ce sont des sujets qu’on ne peut ignorer et cela amène à réfléchir à une question que j’ai déjà évoquée au sein de cette commission : quid de la perspective de disposer, dans un délai relativement court, de missiles mer-sol dotés des capacités d’emport et de l’allonge nécessaires pour avoir, depuis la mer, une capacité de frappe susceptible de remplacer la composante nucléaire aéronavale actuellement présente sur le porte-avions ? Compte tenu des contraintes qui existent et des perspectives d’avenir au niveau industriel, nous devons aborder ce débat. On m’opposera peut-être le fait qu’il ne nous revient pas à nous, parlementaires, de prendre une telle décision, qu’elle relève de l’exécutif, mais j’estime que c’est notre rôle d’avoir une réflexion à ce sujet.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. Je souscris à ces réflexions mais en l’espèce, elles sont un peu hors sujet par rapport au champ de la mission d’information qui concerne les enjeux technologiques et industriels du renouvellement des deux composantes. Nous avons abordé certains des sujets évoqués par notre collègue Yves Fromion. Nous nous prononçons ainsi pour le lancement assez rapide d’une étude sur le prochain porte-avions. Si aucune décision, et elle sera politique, n’est prise, AREVA TA aura beaucoup de difficultés en termes d’études et de plan de charge car ses équipes n’auront plus de réacteurs et de chaufferies nucléaires à concevoir. Celles des SNLE sont presque achevées et un trou dans le plan de charge est donc à craindre à l’horizon 2030-2035. Nous évoquons également le remplacement du Rafale à l’horizon 2035-2040. S’agira-t-il d’un gros porteur, d’un drone, d’un avion de type Rafale ? Il ne nous appartient pas de prendre les décisions en la matière, mais nous devons être conscients du fait que nous ne pourrons pas les reporter sans mettre en difficulté la pérennité des bureaux d’études concernés. Des études sont actuellement menées dans différents domaines – la furtivité, l’hypervélocité par exemple. Ce n’est pas à nous qu’il revient de trancher entre un vecteur plus furtif que véloce ou l’inverse, mais il faut alimenter les bureaux de recherche et les industriels afin qu’ils soient prêts à développer aussi bien le porteur que le missile, lorsque la décision politique sera prise...

Mme la présidente Patricia Adam. Bien sûr.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. … C’est le message que nous voulons faire passer. À ce stade nos bureaux d’études fonctionnent très bien et nos industriels ont des plans de charge qui les mettent hors de portée d’un éventuel affaiblissement. Mais nous devons continuer dans cette voie pour que, lorsque la décision politique sera prise, ces industriels soient aptes à répondre à la commande quels que soient les choix technologiques retenus.

M. Yves Fromion. Juste un mot pour dissiper toute ambiguïté sur mon propos. Il ne s’agit pas de remettre en cause le caractère nucléaire de la propulsion du futur porte-avions. Je m’interroge sur sa capacité d’emport d’une arme nucléaire.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. Un tel emport est une option possible, mais pas en permanence.

M. François de Rugy. Merci pour cet exposé. Vous avez répété à plusieurs reprises que nous n’aviez pas remis en cause la pertinence de la dissuasion nucléaire. Je le comprends puisque telle n’était pas la commande de départ. Mais manifestement, vous n’avez pas non plus étudié la pertinence du maintien de deux composantes. Il s’agit d’un débat récurrent, que nous avons également eu au sein de cette commission. Je me souviens de l’audition de l’ambassadeur du Royaume-Uni, pays qui a abandonné la composante aéroportée.

Au cours des différents entretiens que vous avez pu mener, que ce soit avec les autorités politiques, le ministère de la Défense, les états-majors, les industriels, quid de la réflexion prospective à cinq, dix ou quinze ans ? Vous avez évoqué plusieurs pays, très variés dans leur configuration : la Chine, la Russie, l’Inde – qui développe sa composante sous-marine –, qui sont des puissances nucléaires installées ; la Corée du Nord, qui essaie d’accéder à ce statut. Vous avez même évoqué l’Iran, « au seuil » du statut de puissance nucléaire, ce qui est inquiétant puisque théoriquement, un accord international prévoit que ce pays cesse toute recherche et tout investissement dans le domaine nucléaire militaire...

Vous avez évidemment bien fait de rappeler les évolutions du contexte stratégique, mais nous devons aussi nous attacher à la réflexion prospective, financière, qui nous ramène aux enjeux technologiques et industriels. Il y a un vrai enjeu pour le budget de la France, qui est seule en Europe à porter de tels investissements. Avez-vous eu des échanges, même connexes, à ce sujet ?

Par ailleurs, je me permets une petite remarque à la suite de ce que notre collègue Jacques Lamblin a déclaré. Vous avez affirmé en substance, si j’ai bien noté, qu’il est difficile de quantifier les bénéfices économiques de la dissuasion, mais que son intérêt économique est évident ! Il est un peu gênant d’avoir des raisonnements économiques de ce type. Que l’on soit un opposant ou un défenseur à la dissuasion nucléaire – du point de vue philosophique et éthique jusqu’à l’intérêt militaire et stratégique –, je crois qu’il ne faut pas trop s’engager dans ce domaine, sauf à disposer d’études concrètes et quantifiées sur les retombées économiques et notamment civiles. D’une manière générale les retombées civiles de technologies initialement militaires sont toujours sujettes à caution, et à plus forte raison en ce qui concerne une industrie aussi spécialisée que celle de la dissuasion.

Une dernière question sur le risque de source d’approvisionnement unique pour l’uranium. Vous avez évoqué le Niger, y a-t-il d’autres perspectives d’approvisionnement que ce pays ?

M. Jacques Lamblin, co-rapporteur. Je vais d’abord répondre aux questions de notre collègue Yves Fromion. Concernant les études sur la composante aéronavale, il me semble, de manière plus générale, que les programmes d’études amont – largement évoqués dans le rapport – sont importants car ils permettent à la fois le maintien du savoir-faire dans les bureaux d’études et le maintien du choix stratégique pour les autorités politiques. En même temps, on ne peut pas non plus avoir des programmes d’études amont pour « rester en forme » et soutenir artificiellement l’industrie. Il doit y avoir un échange permanent entre celui qui décide et celui qui sait faire. Notre proposition relative au lancement rapide d’une étude sur le nouveau – ou le second – porte-avions vise à conserver les savoir-faire pour permettre au politique de faire un choix assumé. Concernant l’emport de l’arme atomique par le porte-avions et son vecteur – moyen aérien ou missile – il s’agit d’un débat dont nous ne pouvions pas nous emparer dans le cadre de la mission d’information.

Je peux affirmer à notre collègue de Rugy que nous n’avons jamais entendu aucun de nos interlocuteurs remettre en cause l’intérêt de la composante aéroportée pour la simple raison, qui semble assez évidente, que la composante océanique constitue l’arme ultime, dont on espère que nous n’aurons jamais à nous servir. La composante aéroportée n’est évidemment pas conçue pour l’emploi mais l’ASMP-A, qui n’a pas la puissance des missiles de la FOST, permet de rendre les choses visibles, ce qui peut s’avérer plus dissuasif face à certains agresseurs. Cette dualité permet de répondre à des problèmes très différents.

M. Yves Fromion. L’ASMP-A constitue l’ultime avertissement.

M. Jacques Lamblin, co-rapporteur. Tout à fait. Il permet aussi de faire pression sur des puissances nucléaires de rang secondaire.

Quant à ma déclaration contestée – et peut-être contestable, j’en conviens – qui relève plus de l’intuition que du raisonnement, elle repose tout de même sur un minimum d’observations. De nombreuses entreprises impliquées dans le nucléaire, qu’il s’agisse de DCNS, d’Airbus ou encore de Safran ou Thales, sont leaders mondiaux dans leur domaine de compétences. Seraient-elles arrivées à ce niveau si, à un moment, elles n’avaient pas été impliquées dans la production d’instruments nécessaires à la dissuasion, avec les progrès technologiques nécessaires pour créer un outil de dissuasion efficace et crédible, et l’extrême soin dont il faut faire preuve en permanence dans ce domaine pour toujours être au sommet de la qualité et qui rejaillit sur le secteur civil ? La dissuasion tire vers le haut sur les plans technique et scientifique, et la production civile améliore la productivité et la compétitivité de la production des armes – pas seulement nucléaires d’ailleurs, pensons aux missiles conventionnels. On peut donc dire qu’il existe une symbiose entre le client nucléaire et le client civil, qui a permis à ces entreprises de croître, de prospérer et de devenir des fleurons de l’industrie mondiale dans les domaines qui sont les leurs. Certes, cela est difficile à quantifier, vous en conviendrez, mais si l’on met en regard ce résultat – dont on espère qu’il sera suivi d’autres résultats car il n’y a aucune raison que cette dynamique s’arrête – avec les investissements engagés, on constate que, outre la garantie de la sécurité de la Nation, on a développé un champ industriel considérable. On peut modifier la formule que j’ai utilisée, mais il n’est pas toujours aisé de développer une pensée en quelques mots seulement.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. S’agissant des deux composantes, nous ne nous sommes pas posé la question, comme ne le font pas les militaires que nous avons rencontrés. Aujourd’hui, notre dissuasion repose sur deux composantes. La suppression d’une composante ou la transformation de la force aéronavale nucléaire en force permanente relèvent de la décision du président de la République.

S’agissant des seuls enjeux technologiques et industriels, le renouvellement de la composante océanique est en cours. Les études ont été lancées pour les SNLE de troisième génération, et nous savons déjà que le futur sous-marin aura des dimensions similaires à celles des SNLE actuels. Dès lors, il y aura un travail à mener sur la furtivité, sur l’acoustique, sur d’autres domaines, afin de continuer à améliorer l’invulnérabilité, alors que nous figurons déjà parmi les meilleurs du monde en la matière. De la même manière, les missiles devront être embarqués dans des tubes de même taille qu’actuellement. Le travail se fait donc de manière incrémentale – en vue de l’élaboration d’un missile M51.4, voire d’un M51.5 – tant en matière de furtivité que de vélocité. Tout est possible puisque nous nous situons dans le champ des missiles balistiques.

De plus, il faudra se poser la question de la reprise des études sur l’alerte avancée. Deux programmes d’études amont (PEA) ont été engagés et leurs résultats n’ont pour l’heure pas été suivis de décisions politiques. La France doit-elle se doter d’une telle capacité ? Les industriels comme le CEA sont prêts ; des études existent, les programmes n’ont qu’à être relancés. Les enjeux sont considérables mais la décision politique n’est pas prise.

S’agissant de la composante aéroportée, les questions touchent aux futurs porteurs et vecteur. Concernant le porteur, s’agira-t-il d’un gros porteur ou d’un avion d’armes de type Rafale amélioré ? Même la question des drones est posée. Quant au missile, privilégie-t-on l’hypervélocité, ce qui suppose un missile beaucoup plus gros imposant de changer d’aéronef, ou la furtivité, auquel cas un avion comme le Rafale demeure adapté. Les industriels le disent, des études ont été menées, certains croient davantage à l’une des options, mais il revient aux autorités politiques de trancher : Rafale 4 ou 5, ou gros porteurs de type MRTT, solution à laquelle les Américains semblent penser. Les industriels travaillent et quand les décisions seront prises, ils affineront leur copie.

M. Christophe Guilloteau. Mon intervention prendra davantage la forme d’un commentaire que d’une question. D’abord, je souhaiterais remercier nos collègues, car il s’agit sans doute là de l’un des derniers rapports d’information de notre commission pour cette législature, et s’il fait débat, c’est aussi car c’est l’un des plus intéressants. Je tiens par ailleurs à dire que dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, le nucléaire est très présent, et le nucléaire militaire a été source d’avancées dans la filière civile, et facteur considérable de création d’emplois et d’innovation. On le doit à la vision du général de Gaulle de doter la France de l’arme nucléaire. Dans un monde si incertain, face à la Chine, l’Iran ou le Pakistan, dont nous connaissons les connexions, abandonner la posture nucléaire serait un renoncement militaire.

M. Jean-Yves Le Déaut. Peut-être l’avez-vous dit, mais je me permets de vous demander si vous avez pu mesurer notre dépendance à l’égard d’autres pays sur un certain nombre de « briques » constitutives de la dissuasion nucléaire ? Ce sujet est souvent abordé dans le domaine de l’informatique mais il y a d’autres champs dans lesquels nous sommes fragiles. Par ailleurs, en tant que membre de cette commission, j’avais été nommé rapporteur pour avis du programme « Environnement et prospective de la politique de défense ». Avez-vous pu, au cours de vos travaux, étudier la question de l’augmentation des dotations budgétaires de la recherche amont pour la modélisation et la simulation nucléaire ? Les autres puissances nucléaires font-elles les mêmes recherches ou font-elles le pari que la source de la dissuasion puisse être la même que celle qui a été conçue quand on faisait des essais dans l’atmosphère ?

M. Jacques Lamblin, co-rapporteur. S’agissant des briques de base, nous en avons parlé, il y a avant tout la question des matières premières. On pense au produit fissile et aux terres rares. En parallèle, il y a sans doute, dans les « briques » de base, le sujet de la filière des composants électroniques, qui pourrait poser un problème si STMicroelectronics ou Soitec arrêtaient leur activité défense. Mais au-delà, certaines entreprises majeures sont passées sous contrôle étranger. On pense à Alstom ou Thermodyn, dorénavant sous le contrôle de General Electrics, alors que leur rôle dans la production de turbines à vapeur est fondamental. Pour l’heure, des conventions existent pour garantir la continuité de la production sur le long terme. On a aussi évoqué le problème de la prise de contrôle d’Industeel par ArcelorMittal, dont la compétence est essentielle pour la production des matériaux nécessaires aux coques des sous-marins nucléaires. Les sites de production sont français, mais sous contrôle étranger.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. S’agissant de la recherche amont, qui se situe actuellement autour de 730 millions d’euros, nous préconisons de porter le montant de la dotation budgétaire à un milliard d’euros, car les besoins sont patents sur les plans de charge, sur l’hypervélocité ou la furtivité par exemple.

Mme la présidente Patricia Adam. S’agissant du maintien des compétences, je pense que le plan de charge d’AREVA TA doit attirer notre attention.

M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur. C’est tout à fait juste. Nous avons d’ailleurs consacré une page de notre rapport à l’évolution de la gouvernance d’AREVA TA.

Mme la présidente Patricia Adam. Très bien. Cela me semblait devoir être mentionné au cours de cette audition publique.

*

* *

La commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur les enjeux technologiques et industriels du renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire en vue de sa publication.

ANNEXE :

ENTRETIENS ET DÉPLACEMENTS DE LA MISSION D’INFORMATION

(PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE)

1. Liste des personnes auditionnées et rencontrées

—  Commissariat à l’énergie atomique (CEA) – M. François Geleznikoff, directeur des applications militaires, et M. Jean-Pierre Vigouroux, chef du service des affaires publiques, chargé des relations avec le Parlement ;

—  M. le général Benoît Puga, chef de l’état-major particulier du président de la République, M. le capitaine de vaisseau François-Xavier Blin, adjoint au chef d’état-major particulier ;

—  M. André Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air, M. le général de corps d’armée Bernard Schuler, commandant des forces aériennes stratégiques (FAS), M. le colonel Pierre Gaudillière, conseiller au cabinet du chef d’état-major de l’armée de l’air, M. le lieutenant-colonel Nicolas André, assistant militaire et chef de cabinet du commandant des FAS ;

—  M. le général Bruno Maigret, chef de la division « Forces nucléaires » de l’état-major des armées ;

—  M. l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, M. le vice-amiral d’escadre Christophe Prazuck, directeur du personnel militaire de la marine, M. le capitaine de vaisseau François-Xavier Polderman, chargé des liaisons parlementaires au cabinet du chef d’état-major de la marine et M. le capitaine de vaisseau Jean-Marc Durandau ;

—  M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, et M. Jean-Baptiste Paing, conseiller technique ;

—  Mme Hélène Masson, maître de recherche, responsable du pôle Défense & Industries de la Fondation pour la recherche stratégique, et M. Bruno Tertrais, directeur adjoint, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique ;

—  MBDA – M. Antoine Bouvier, président-directeur général, M. l’amiral (2S) Xavier Païtard, conseiller défense et Mme Patricia Chollet, chargée de relations avec le Parlement ;

—  Agence des participations de l’État (APE) – M. Martin Vial, directeur général, commissaire aux participations de l’État, et M. Pierre Jeannin, chargé de participations « industrie » ;

—  AREVA TA – Mme Carolle Foissaud, président-directeur général, M. Didier Sauty, responsable affaires sensibles pour la défense, M. Jean Merveilleux du Vignaux, directeur financier, et M. Bernard Gauducheau, directeur nucléaire défense ;

—  Groupe Airbus Safran Launchers – M. Alain Charmeau, président-directeur général, M. Philippe Clar, directeur défense, et M. Hugo Richard, directeur des affaires publiques, France et Union européenne ;

—  Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) – M. Bruno Sainjon, président, et M. Jacques Lafaye, chargé de mission auprès du président ;

—  Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) – M. Patrick Boissier, président, M. Hugues d’Argentré, délégué général, et M. Hervé Croce, responsable des relations institutionnelles et des questions de défense ;

—  Thales – M. Pierre-Éric Pommellet, directeur général adjoint « systèmes de mission de défense », M. l’amiral (2S) Stéphane Verwaerde, et Mme Isabelle Caputo, directrice des relations parlementaires et politiques ;

—  DCNS – M. Hervé Guillou, président-directeur général, M. Fabien Menant, directeur des affaires publiques, secrétaire général adjoint,  Mme Carole Putman, adjoint au directeur des affaires publiques ;

—  M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, M. Jean-Claude Mallet, conseiller auprès du ministre, M. Christophe Salomon, conseiller pour les affaires industrielles, et Mme Christine Mounau-Guy, conseillère politique et parlementaire ;

—  SAFRAN – M. Philippe Petitcolin, directeur général, et M.  William Kurtz, conseiller militaire ;

—  Dassault Aviation – M. Éric Trappier, président-directeur général, et M. Bruno Giorgianni, directeur de cabinet et directeur des affaires publiques ;

—  Centre national d’études spatiales (CNES) – M. Jean-Yves Le Gall, président, M. le général Henry de Roquefeuil (2S), conseiller militaire du président, et M. Pierre Trefouret, directeur du cabinet du président ;

—  Ambassade du Royaume Uni en France et Ministère de la Défense du Royaume-Uni – M. Edward Ian Forber, directeur général nucléaire au ministère de la Défense britannique, M. Christopher Clapham, directeur général pour la politique nucléaire au ministère de la Défense britannique, M. Keri Harris, attaché naval à l’ambassade britannique à Paris, Mme Susan le Jeune d’Allegeershecque, chargée d’affaires à l’ambassade britannique à Paris, M. Mungo Woodifield, conseiller pour les affaires stratégiques à l’ambassade britannique à Paris ;

—  Airbus group – M. Marwan Lahoud, directeur général exécutif, chargé de la relation Défense, M. Philippe Coq, secrétaire général des Affaires publiques, M. Philippe Bottrie, directeur des affaires publiques France, et Mme Annick Perrimond-Dubreuil, directeur des relations avec le Parlement.

2. Déplacements

Ø Le 16 juin 2016, Airbus Safran Launchers, Les Mureaux :

– M. Philippe Clar, directeur des programmes défense ;

– M. Pierre Faucoup, directeur commercial des programmes défense ;

– M. Bertrand Pastré, conseiller militaire.

Ø Le 25 juillet 2016, à la base opérationnelle de l’Île Longue :

– Rencontre avec M. le vice-amiral d’Escadre Louis-Michel Guillaume, ALFOST, M. le capitaine de vaisseau Mickael Buhé, commandant de l’Île Longue, et M. le capitaine de vaisseau Alban Lapointe, commandant de SNLE.

Ø Le 2 novembre 2016, Valduc :

– Rencontre avec M. François Geleznikoff, directeur des applications militaires, M. Vincent Salvetti, directeur de programmes, M. Bruno Feigner, directeur de programmes, et M. François Bugaut, directeur du centre de Valduc.

Ø Les 16 et 17 novembre 2016, déplacement en Gironde :

●  Visite du Centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine (Cesta), site du CEA-DAM :

– M. François Geleznikoff, directeur des applications militaires ;

– M. Jean-Pierre Giannini, directeur du Cesta ;

– M. Philippe Berrisset, chef du laboratoire des environnements rayonnants ;

– M. Pierre Vivini, chef du projet laser mégajoule ;

– M. Jean Lajzerowicz, responsable de la communication du Cesta.

●  Visite des sites d’Airbus Safran Launchers :

– M. Gilles Fonblanc, Directeur des sites, de la sécurité, et du contrôle export ;

– M. Frédéric Fenot, Directeur des futurs programmes de défense ;

– Mme Annick Perrimond-Dubreuil, directeur des relations avec le Parlement ;

– M. Hugo Richard, directeur des affaires publiques, France et Union européenne.

1 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i2249.pdf.

2 () http://www.frstrategie.org/competences/defense-et-industries/doc/impact-economique-de-la-filiere-industrielle-composante-oceanique-de-la-dissuasion/.

3 () La conduite du projet Manhattan a nécessité la mobilisation de plus de 150 000 personnes et l’investissement d’au moins deux milliards de dollars entre 1942 et 1945.

4 () Désormais Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

5 () Membre du Parti Radical et président du Conseil du 6 novembre 1957 au 15 avril 1958.

6 () M. le général de Gaulle, président de la République française (19 avril 1963).

7 () Théorie de la dissuasion du faible au fort, par le général Pierre-Marie Gallois, dans Stratégie de l’âge nucléaire (1960) selon laquelle l’arme nucléaire engendre une nouvelle hiérarchie des puissances.

8 () Audition, ouverte à la presse, de M. le général Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées (mercredi 11 juillet 2012, compte-rendu n° 4).

9 () Qui vise les grands pôles de puissances économiques et démographiques des pays adverses en cas d’attaques des intérêts vitaux de la Nation.

10 () 210 essais nucléaires français ont été organisés entre 1960 et 1996.

11 () Discours sur la dissuasion nucléaire, M. François Hollande, président de la République française, déplacement auprès des forces aériennes stratégiques à Istres, 19 février 2015.

12 () Suppression de la composante sol/sol, décidée en 1996 (fermeture du plateau d’Albion et démantèlement des missiles de courte portée), réduction du volume de la FOST avec le passage de six à quatre SNLE et du volume des FAS avec le passage de trois à deux escadrons décidé en 2008, nombre total de têtes nucléaires inférieur à trois cents.

13 () Bruno Tertrais, « Budget nucléaire et « retombées » de la dissuasion », les notes de la FRS, n° 13/2015, juin 2015.

14 () L’amiral Rogel occupe les fonctions de chef d’état-major particulier du président de la République depuis le 13 juillet 2016.

15 () Les armes nucléaires sont l’objet d’un certain nombre d’instruments de contrôle au niveau mondial. Les plus importants sont le Traité sur la non-prolifération (TNP) et le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Les armes nucléaires sont également assujetties à des contrôles internationaux des exportations. Ces contrôles sont gérés par trois organismes : le comité Zangger, le Groupe des fournisseurs nucléaires et le Régime de contrôle de la technologie des missiles. Par ailleurs, des initiatives régionales et bilatérales ont été prises : le Traité sur la réduction et la limitation des armements stratégiques offensifs (Traité START I) de 1991 et le Traité sur de nouvelles réductions et limitations des armements stratégiques offensifs (Traité START II) par exemple.

16 () Daily press briefing, US Department of State, Washington DC, 24 août 2016; http://www.state.gov/r/pa/prs/dpb/2016/08/261239.htm

17 () Quelques chantiers restent toutefois à mener : le passage sur Rafale du dernier escadron de Mirage 2000 N, le remplacement indispensable des ravitailleurs Boeing C-135 par des MRTT, et la rénovation à mi-vie, avant 2025, de l’ASMP-A afin d’en traiter les obsolescences et de l’adapter aux dernières évolutions dans le domaine de la défense anti-missile.

18 () Compromis entre la vitesse, la furtivité, le domaine du vol et la manœuvrabilité en fin de parcours.

19 () La différence entre les deux est que dans le cas du superstatoréacteur, la vitesse de combustion à l’intérieur du moteur s’effectue à des niveaux supersoniques.

20 () Le programme SNLE 3G vise à remplacer les quatre SNLE type « Le Triomphant » au-delà de l’horizon 2030. Sous-marin à propulsion nucléaire, il est conçu pour pouvoir embarquer le missile M51.

21 () Emplois directs : effectifs internes de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers (production et hors production) liées à la composante océanique de la dissuasion ; emplois indirects : effectifs générés par les commandes de DCNS, AREVA TA et Airbus Safran Launchers au sein de la chaîne de fournisseurs et sous-traitants, du rang 1 au rang n ; emplois induits : effectifs générés par la consommation des seuls emplois indirects.

22 () Créé en 2003 à l’initiative du CEA, de l’Université Bordeaux 1, du CNRS et de l’École Polytechnique, l’ILP a pour vocation de promouvoir la recherche dans le domaine des plasmas denses et chauds et des lasers intenses.

23 () International Traffic in Arms Regulations, régime américain portant réglementation des biens militaires et spatiaux, dont leurs modalités d’exportation.

24 () Il existe trois isotopes naturels de l’uranium. L’uranium 238, qui constitue à lui seul 99,3 % de l’uranium naturel, possède la durée de vie est la plus longue : sa période est de 4,5 milliards d’années, soit à peu près l’âge de la Terre. Il est très peu radioactif. L’uranium 235, seul noyau fissile existant à l’état naturel, sert de combustible pour les réacteurs et d’explosif pour l’arme atomique. Cet isotope excessivement rare, présent à raison de 0,7 % dans l’uranium naturel est de ce fait un matériau éminemment stratégique et convoité. Sa période excessivement longue, 700 millions d’années, est toutefois 6,5 fois plus courte que celle de l’isotope 238. L’uranium 234, quasiment inexistant.

25 () Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

26 () Loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 et loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.

27 () À ce sujet, DCNS a signé en septembre le premier contrat opérationnel dans le cadre du programme SEA 1 000 de nouveaux sous-marins de la Royal Australian Navy.

28 () Le 16 novembre 2016, Bpifrance a acquis auprès du CEA 16 % du capital de FT1CI, soit indirectement 2,2 % du capital de STMicroelectronics NV.

29 () Composé de six membres du conseil : trois membres de l’État, le représentant du CEA, le représentant de DCNS et un représentant des salariés. Deux censeurs désignés par le CEA et DCNS assisteront aux travaux de ce comité. Sa présidence devrait être assurée par le représentant du CEA.

30 () Le président de la République, François Mitterrand, avait appelé de ses vœux à la réalisation d’une « simulation complète qui permettra la mise au point des armes dont nous aurons besoin à l’horizon 2010 », au Palais de l’Élysée, le 5 mai 1994.

31 () Dans le cadre du Traité de Défense franco-britannique Teutatès, signé à Londres le 2 novembre 2010 par le président de la République française, Nicolas Sarkozy, et le Premier ministre britannique, David Cameron.

32 () Désormais Atos.

33 () La simulation numérique implique la résolution d’équations avec des milliards d’inconnues. L’adaptation des supercalculateurs représente un gain de temps considérable puisque la puissance de calcul a été multiplié par près de 5 000 en quinze ans (TERA 1, TERA 10, TERA 100).

34 () Les trois grandes souffleries sont implantées au Fauga en Haute-Garonne et à Modane en Savoie

35 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2016/a3115-tII.asp#P374_42989

36 () Grandes entreprises du numérique. Acronyme formé par les initiales des groupes Google, Amazon, Facebook, Apple.

37 () En euros courants.


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