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N° 2760

 

N° 439

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2014 - 2015

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 12 mai 2015

 

le 12 mai 2015

RAPPORT

au nom de

L’OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

LES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES

Compte rendu de l’audition publique du 29 janvier 2015
et de la présentation des conclusions du 6 mai 2015

par

MM. Jean-Yves LE DÉAUT et Jean-Louis TOURAINE et Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députés,


Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Président de l'Office

 


Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Bruno SIDO,

Premier vice-président de l’Office

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Premier vice-président

M. Bruno SIDO, sénateur

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Christian NAMY, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Françoise GUÉGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

M. Jacques LAMBLIN

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Patrick ABATE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Marie-Christine BLANDIN

M. François COMMEINHES

M. Roland COURTEAU

Mme Dominique GILLOT

M. Alain HOUPERT

Mme Fabienne KELLER

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Gérard LONGUET

M. Jean-Pierre MASSERET

M. Pierre MÉDEVIELLE

M. Christian NAMY

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

___

Pages

PROPOS INTRODUCTIFS 9

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST 9

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociale de l’Assemblée nationale. 10

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de la femme 11

PREMIÈRE TABLE RONDE : JUSQU’OÙ L’ANALOGIE DES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES AVEC LES MÉDICAMENTS GÉNÉRIQUES ? 15

Présidence de M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l’OPECST 15

A. LE POINT DE VUE SCIENTIFIQUE SUR LES EFFETS DES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES 15

M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l’OPECST 15

M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé (HAS) 16

M. Didier Letourneur, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), directeur du laboratoire de recherche vasculaire translationnelle à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) 17

Mme Elisabeth Luporsi, docteur oncologue, Institut de cancérologie de Lorraine 18

Mme Sophie Dupont, professeur de médecine, neurologue 19

B. L’INSERTION DES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES DANS NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ 21

M. Benoît Vallet, directeur général de la santé (DGS), ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes 21

M. Alexandre Moreau, directeur par intérim des médicaments en oncologie, hématologie, immunologie et néphrologie, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) 22

Mme Camille Vleminckx, responsable du secrétariat scientifique du groupe de travail sur les médicaments biosimilaires du Comité des produits médicaux à usage humain (CHMP), Agence européenne du médicament 23

Mme Rima de Sahb, directrice « accès au marché » de MSD France, présidente du groupe de travail « biosimilaires » des entreprises du médicament (LEEM) 25

M. Didier Laloye, docteur en pharmacie, directeur général du laboratoire Hospira, représentant l’association des professionnels du médicament générique et du médicament biosimilaire (GEMME Biosimilaires) 26

M. François Chast, chef du service de pharmacie clinique à l’AP-HP, président honoraire de l’Académie nationale de pharmacie 27

Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens 28

C. DÉBAT 29

M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l’OPECST 29

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST 30

M. Alexandre Moreau, directeur par intérim des médicaments en oncologie, hématologie, immunologie et néphrologie, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) 31

M. Jean-Louis Prugnaud, pharmacien 31

Mme Camille Vleminckx, responsable du secrétariat scientifique du groupe de travail sur les médicaments biosimilaires du Comité des produits médicaux à usage humain (CHMP), Agence européenne du médicament 31

M. François Chast, chef du service de pharmacie clinique à l’AP-HP, président honoraire de l’Académie nationale de pharmacie 32

Mme Sophie Dupont, professeur de médecine, neurologue 32

M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé (HAS) 32

M. Philippe Brunet, néphrologue, président de la société francophone de dialyse (SFD) 33

Mme Elisabeth Luporsi, docteur oncologue, Institut de cancérologie de Lorraine 34

Mme Sophie Dumery, journaliste au Vidal 36

M. Martial Fraysse, président de l’Ordre régional des pharmaciens d’Ile-de-France 37

M. Benoît Vallet, directeur général de la santé (DGS), ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes 37

SECONDE TABLE RONDE : LES ENJEUX ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET JURIDIQUES DES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES 39

Présidence de M. Michel Berson, sénateur, membre de l’OPECST 39

A. LES ENJEUX ÉCONOMIQUES : FAUT-IL DÉVELOPPER LE MARCHÉ DES BIOSIMILAIRES ? 39

M. Michel Berson, sénateur, membre de l’OPECST 39

M. Thomas Wanecq, sous-directeur du système de financement de soins, direction de la sécurité sociale (DSS), ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes 40

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, responsable du département des produits de la santé, Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) 41

M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques, directeur du master économie et gestion de la santé, université de Paris 9-Dauphine 43

M. Gérard de Pouvourville, professeur de sciences économiques, directeur de l'institut de la santé, titulaire de la chaire ESSEC Santé 44

Mme Yvanie Caillé, directrice générale de l’association de patients Renaloo 46

B. LES ENJEUX JURIDIQUES : QUEL ENCADREMENT ? 47

M. Michel Berson, sénateur, membre de l’OPECST 47

Mme Nadine David, chef du bureau du médicament, direction générale de la santé (DGS), ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes 48

Mme Corinne Blachier-Poisson, directrice des affaires publiques et de l’accès au marché d’Amgen, co-présidente du groupe de travail du CSIS relatif au développement des biosimilaires 51

M. Benjamin Leperchey, sous-directeur des industries de santé et des biens de consommation, service de l’industrie de la direction générale des entreprises (DGE), ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique 52

M. Dominique Giorgi, président du Comité économique des produits de santé (CEPS) 54

M. Jérôme Peigné, professeur de droit, institut droit et santé, université de Paris 5 Descartes 56

C. CONCLUSION 58

M. Michel Berson, sénateur, membre de l’OPECST 58

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 6 MAI 2015 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE 59

PROPOS INTRODUCTIFS

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. Les médicaments biologiques, appelés également biomédicaments ou biothérapies, sont issus des biotechnologies. Ces techniques permettent d’élaborer des vaccins, des hormones, des virus transformés, des cellules ou des plantes modifiées. Dans la plupart des cas, les médicaments biologiques sont produits à partir de cellules vivantes en utilisant des technologies d’ADN recombinant. Beaucoup de médicaments biologiques, mais pas tous, sont fabriqués à l’aide de cellules génétiquement modifiées.

Dans le rapport « La place des biotechnologies en France et en Europe » que j’ai présenté à l’OPECST en janvier 2005, je parlais de « la médecine de demain ». Je calculais que, à cette date, 20 à 30 % des nouvelles molécules pharmaceutiques mises sur le marché étaient issues des biotechnologies. Exactement dix ans après, nous en sommes à 80 %. Pour toutes les spécialités médicales, les innovations récentes reposent dans la majorité des cas sur le développement de médicaments biologiques.

Ces approches thérapeutiques constituent un des fondements du concept de médecine personnalisée, pour lequel l’OPECST a réalisé en janvier 2014 un rapport intitulé « Les enjeux scientifiques, technologiques et éthiques de la médecine personnalisée », avec comme rapporteurs nos collègues députés Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte.

Les médicaments biologiques constituent des avancées majeures pour lutter contre des maladies chroniques graves ou invalidantes telles que le cancer, l’arthrite rhumatoïde, les maladies gastroentérologiques, les maladies hématologiques (du sang) ou auto-immunes (comme la sclérose en plaque), les déséquilibres thyroïdiens, les insuffisances rénales chroniques, le psoriasis, la maladie de Crohn ou encore le diabète.

L’insuline, les anticorps monoclonaux, l’érythropoïétine (EPO) – hormone qui augmente la production de globules rouges –, les hormones de croissance, les médicaments dérivés du sang et, last but not least, les vaccins recombinants sont, par exemple, des médicaments biologiques.

Au cours des cinq prochaines années, un grand nombre de brevets de médicaments biologiques, issus des biotechnologies, tombera dans le domaine public. D’ores et déjà, de nombreux laboratoires pharmaceutiques développent et mettent sur le marché des médicaments « biosimilaires », sur le même schéma que les génériques pour les médicaments chimiques. Les régimes d’assurance maladie attendent des économies substantielles de cette interchangeabilité. Or les médicaments biologiques diffèrent des médicaments chimiques car leur structure moléculaire, notamment quand il s’agit de protéines, est beaucoup plus complexe et, surtout, parce que leurs effets dépendent du processus de fabrication. Un médicament biosimilaire ne sera jamais une copie pure et parfaite de son médicament de référence.

L’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 donne la possibilité au pharmacien de substituer un médicament biosimilaire à un médicament biologique de référence, à la condition de respecter trois conditions principales : la substitution est réalisée en initiation de traitement ou afin de permettre la continuité d’un traitement déjà initié avec le même biosimilaire ; le médecin prescripteur n’a pas exclu la possibilité de cette substitution ; lorsqu’il délivre par substitution un biosimilaire, le pharmacien inscrit le nom du médicament qu’il a délivré sur l’ordonnance et informe le prescripteur de cette substitution.

Un décret d’application encore à venir doit préciser les modalités de la substitution et de la procédure de création d’une liste de référence (répertoire) des biosimilaires. Aucun autre pays européen n’a encore instauré de système de substitution de la prescription du médecin par le pharmacien. Certains pays même l’ont interdit. Tous les pays européens nous observent.

L’objectif de cette après-midi de travail consiste à discuter des modalités selon lesquelles un médicament biosimilaire pourra être amené à remplacer un médicament biologique de référence, avec les mêmes exigences en termes d’efficacité, de qualité et de sécurité. La clé du succès de l’acceptation par tous des médicaments biologiques et de leurs biosimilaires est la confiance : les médecins prescripteurs, les pharmaciens et les patients. Pour cela, il convient d’informer très amont ces trois catégories d’acteurs. Il importe, bien sûr, de s’assurer de leur adhésion à l’utilisation de ces nouvelles biothérapies.

Les médecins et pharmaciens seront-ils formés pour prendre des décisions souvent complexes, sans connaître les technologies qui ont présidé à la fabrication de ces biomédicaments ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociale de l’Assemblée nationale. Les médicaments biosimilaires présentent trois défis : sanitaire, social et économique (pour les industriels et les comptes sociaux). De tels médicaments, il faut toujours en être conscient, ne sont pas des génériques. Le malade biosimilaire n’est pas le malade générique. En initiation de traitement, un patient se fait délivrer un biosimilaire parce qu’il souffre d’une pathologie lourde avec laquelle il va devoir apprendre à vivre. Il faudra éviter le piège des génériques, qui n’ont pu se développer en France comme ils auraient dû, à l’image d’autres pays de niveau de vie équivalent dans l’Union européenne.

Car, avec les biosimilaires, on réussira ou on ne réussira pas : une prise de conscience du malade s’imposera. Faire porter au pharmacien la responsabilité du biosimilaire sera donc très compliqué. En fin de compte, c’est lui qui devra expliquer au patient comment il devra vivre avec sa maladie, en partenariat avec les autres acteurs de santé. Les incitations financières, qui ont permis le développement des génériques, ne sont pas adaptées aux biosimilaires. C’est pourquoi il ne faut pas se précipiter et prendre le temps de la confiance. En la matière, la décision doit être partagée entre tous les acteurs, autour du malade : la coresponsabilité doit s’imposer.

Les malades touchés par les maladies chroniques, on le sait, ont besoin de se rassembler dans des associations, pour échanger sur leur expérience et leur parcours. Aussi faudra-t-il veiller à informer les associations de patients. C’est pourquoi il est important de pouvoir les financer de manière indépendante, comme la loi de financement de la sécurité sociale l’a permis depuis 2013. Le contrôle récent de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), avec le retrait du marché de certains médicaments produits en Inde, loin d’affoler la population, a montré la solidité du système. Il vaut mieux être un peu excessif pour renvoyer une image de sécurité. Bref, la confiance de toute la chaîne sera indispensable, la France étant pionnière sur ce sujet.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de la femme. Il s’agit d’un sujet compliqué et important, déjà discuté à l’occasion des deux précédentes lois de financement de la sécurité sociale. À la suite du débat entamé lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, un groupe de travail spécifique du Comité stratégique de filière des industries et technologies de santé (CSF) s’est mis en place pour approfondir la réflexion sur un terrain nouveau qui reste à défricher, avec les précautions que cela exige et la nécessité de faire converger les différentes positions.

Il s’agit de déterminer les conditions d’utilisation des médicaments biologiques dont le brevet est tombé dans le domaine public. De tels médicaments représentent une grande avancée médicale. Leur émergence, à la fin des années soixante-dix, a permis de prendre en charge des besoins thérapeutiques qui, jusque-là, n’étaient pas couverts. Ils ont donc représenté un saut d’innovation significatif. Leur apparition a constitué une révolution pour la prise en charge thérapeutique de nombreux patients.

À l’échelle mondiale, on compte plus de 200 produits biologiques sur le marché, plusieurs centaines étant en cours d’élaboration. Le marché des médicaments biologiques devrait représenter plus de 175 milliards d’euros en 2015, soit 20 % du marché pharmaceutique total. En France, sur les dix médicaments les plus couteux utilisés à l’hôpital, sept sont des médicaments biologiques. Il s’agit donc d’un enjeu majeur d’un point de vue économique et pour les comptes sociaux.

Ces médicaments constituent un moteur puissant pour l’innovation pharmaceutique. Comment garantir leur accessibilité au plus grand nombre de patients, dans un contexte de prise en charge financière supportable pour la collectivité, un tel débat n’étant pas réservé au médicament biologique ? Il n’y a cependant pas de confusion à faire entre biosimilaires et médicaments génériques, les biosimilaires s’en distinguant sur plusieurs points, qu’il s’agisse de leur structure de fabrication, de la réglementation de leur développement ou de leur mise sur le marché. C’est ainsi que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des biosimilaires est octroyé sur la base d’une équivalence de résultats thérapeutiques, et non uniquement sur la base de la bioéquivalence, comme cela est le cas pour les médicaments chimiques génériques. En revanche, comme pour les génériques, l’exigence de sécurité et d’efficacité doit être la même.

La première table ronde devra permettre d’analyser davantage la manière dont on peut comparer ces deux catégories de médicaments. Au-delà, il faut clarifier les règles d’usage de ces médicaments. Comme ministre chargé de la santé, je dois tenir compte du fait que des biosimilaires sont aujourd’hui disponibles sur le marché, et déjà utilisés, voire interchangés, sans que des règles d’usage soient définies et respectées. Cette situation doit s’analyser au regard de trois enjeux : de santé publique (sécurité des patients), économiques (pour les industriels et les comptes sociaux) et industriels (produits à forte valeur ajoutée). Aussi, est-il apparu nécessaire de mettre en place un cadre spécifique, clair et lisible. Les objectifs recherchés sont de faciliter la mise à disposition des biosimilaires par les industriels et de développer leur utilisation par les prescripteurs et les patients, tout en garantissant cette utilisation en termes de sécurité.

C’est cela qui a amené le Gouvernement à poser, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, un cadre précis. La mesure adoptée ne vise absolument pas à assimiler les biosimilaires aux génériques : elle vise à créer un cadre propre, qui prenne en compte les spécificités de ces médicaments. Deux éléments principaux sont mis en avant : la mise en place d’une liste de référence des biosimilaires et le droit encadré pour les pharmaciens de substituer un médicament biologique par son biosimilaire.

Il s’agit premièrement d’encourager la promotion de la prescription des biosimilaires. Sur ce point, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est chargée d’élaborer une liste de référence des biosimilaires, distincte du répertoire des médicaments génériques. Cette liste de référence comportera notamment le nom des médicaments biologiques concernés, leur dosage, leur posologie et leur indication thérapeutique. Elle sera assortie de mise en garde ou de restriction d’utilisation. Elle permettra ainsi aux prescripteurs de connaître l’existence des similaires à un biomédicament de référence et pourra ainsi les inciter à prescrire des biosimilaires en toute sécurité.

Il s’agit ensuite – point qui suscite le plus de discussion – d’organiser le droit pour les pharmaciens de substituer un biosimilaire à un biomédicament. Sur ce sujet, le cadre de la substitution sera-t-il aussi large que pour les médicaments génériques ? Pourra-t-on, à tout moment du traitement, procéder à une substitution ? Le débat a permis de répondre par la négative. La substitution n’est effectivement autorisée qu’à l’initiation du traitement et de manière à garantir la continuité du traitement avec un même médicament. Un traitement commencé par un médicament biologique devra se poursuivre impérativement avec ce médicament, dans la mesure où il n’existe pas d’interchangeabilité entre les spécialités d’un même groupe. Cette garantie vise à répondre aux préoccupations de sécurité sanitaire pour les patients. Dès lors, le recours à un biosimilaire, en remplacement d’un médicament biologique, doit suivre les règles de la liste de référence. Ces règles protègent les patients contre les risques induits par le changement de molécule biologique.

Par ailleurs, comment peut se faire la prescription dans des conditions de confiance de l’ensemble de ceux qui sont amenés à intervenir auprès du patient et à faire partie de son parcours de soins – médecins, pharmaciens, autres professionnels de santé, associations de patients ? Une information des patients et des prescripteurs est prévue. L’enjeu est d’amener les prescripteurs à s’engager. Il ne s’agit pas de considérer, comme on l’a fait pour les génériques, qu’il reviendrait aux pharmaciens d’assumer seul sa responsabilité, un tel débat ayant déjà eu lieu à propos du générique. En début de processus, il convient d’amener le plus possible les médecins prescripteurs, notamment hospitaliers, dans la voie de la prescription initiale. La sécurité du dispositif sera assurée par une mention obligatoire du prescripteur sur l’ordonnance. Le médecin conservera la possibilité de s’opposer à la substitution pour des raisons particulières, tenant aux patients.

Cela dit, comment l’ensemble des acteurs pourront-ils être informés de la substitution ? Comment le prescripteur, le pharmacien, le patient, peuvent-ils savoir quelle a été la molécule initialement prescrite et qui ne doit pas être changée en cours de traitement ? Dans le cadre du groupe de travail du comité stratégique de filière (CSF), les industriels ont exprimé le souhait que la substitution soit conditionnée à un accès obligatoire du pharmacien et du prescripteur au dossier pharmaceutique. Ils ont également exprimé le souhait de rendre le dossier pharmaceutique obligatoire, avec une durée d’accès aux données au moins égale à la durée d’une longue prescription. Rendre obligatoire l’accès au dossier pharmaceutique pourrait s’avérer difficile au regard des exigences actuelles de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL).

Il nous a semblé néanmoins possible de satisfaire cette demande en conditionnant la substitution à l’existence d’un dossier pharmaceutique pour le patient couvrant toute la période de prescription. La mise en œuvre de la liste de référence des biosimilaires par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), ainsi que les modalités de substitution, seront fixées par un décret élaboré avec l’ensemble des parties concernées, décret qui sera publié prochainement. Mais sa publication ne constitue qu’une étape : les biosimilaires doivent aussi contribuer à la maîtrise des dépenses de santé. Plusieurs mesures viendront compléter ces dispositions en phase avec des préoccupations de sécurité sanitaire, qui sont considérées comme prioritaires.

Nous sommes face à des enjeux majeurs, industriels, économiques et, surtout, sanitaires – la sécurité sanitaire ne pouvant être sacrifiée sur quelque autel que ce soit. Nous disposons là d’éléments qui doivent nous permettre d’aller de l’avant et d’être des pionniers innovants, responsables et précautionneux. Ce faisant, en prenant le temps de la réflexion, nous pourrons aller de l’avant de manière encadrée, précise et concertée.

PREMIÈRE TABLE RONDE : JUSQU’OÙ L’ANALOGIE DES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES AVEC LES MÉDICAMENTS GÉNÉRIQUES ?

Présidence de M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l’OPECST

M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l’OPECST. L’objectif de cette première table ronde est de clarifier les idées sur ce que sont les médicaments biosimilaires d’un point de vue médical et scientifique. De par la complexité de leur structure moléculaire vivante, de par leur variabilité intrinsèque, de par leurs risques particuliers en matière d’immunogénicité, les médicaments biosimilaires ne peuvent être assimilés à des médicaments génériques. Ils n’en remplissent d’ailleurs pas la définition juridique. Les médicaments biosimilaires sont « similaires mais non identiques ». Leur autorisation de mise sur le marché (AMM) se rapproche plus d’une procédure simplifiée pour un nouveau médicament que de la procédure propre à un générique.

Se pose alors la question de savoir où mettre la barre pour s’assurer de l’équivalence, de la comparabilité d’un médicament biosimilaire, en termes d’efficacité, de qualité et de sécurité. Que faut-il faire pour s’assurer que les médicaments biosimilaires soient bien équivalents ? Quelles sont en particulier les études précliniques ou cliniques supplémentaires nécessaires ? Dans quelles conditions pouvons-nous, d’un point de vue médical, envisager l’interchangeabilité entre un médicament de référence et ses biosimilaires ? Nous savons déjà que deux médicaments biosimilaires d’un même médicament biologique de référence ne sont pas considérés comme biosimilaires entre eux. Nous savons aussi qu’il ne faut pas « jouer au ping-pong » avec les biosimilaires en les substituant de façon aveugle ou automatique. Faut-il permettre l’interchangeabilité uniquement pour les primo-patients ou l’étendre aux patients déjà traités ?

Une autre question se pose, celle de la dénomination des médicaments biosimilaires. Le droit européen laisse le choix entre le nom commercial inventé et le nom de la substance active accompagné du nom de la société ou de la marque déposée.

Les réponses à ces questions permettront de surmonter la méfiance naturelle des médecins prescripteurs, des pharmaciens et des patients envers ces nouveaux médicaments. Seule une large information assurera leur acceptabilité.

A. LE POINT DE VUE SCIENTIFIQUE SUR LES EFFETS DES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES

M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l’OPECST. Nous commencerons par entendre quatre grands témoins, qui nous donnerons un point de vue scientifique sur les effets des médicaments biosimilaires.

M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé (HAS). Les biosimilaires sont semblables à des produits de biotechnologies, alors que les génériques sont identiques à des produits chimiques. Je vais me focaliser sur le développement des biosimilaires et les conséquences en matière d’évaluation pour les autorisations de mise sur le marché (AMM), de remboursement et de prix. Si les biosimilaires sont différents des génériques, c’est parce que les produits de biotechnologies sont différents des produits chimiques. D’abord parce qu’ils sont beaucoup plus gros – un anticorps monoclonal est mille fois plus gros qu’une molécule d’aspirine. Ensuite, parce que leur structure est complexe, ce qui exige des processus de fabrication eux-mêmes complexes.

Les processus de fabrication chimique sont standardisés et reproductibles, alors que les processus de fabrication des biotechnologies, donc des biosimilaires, sont compliqués. Ils partent de cellules vivantes et nécessitent un processus de culture et de purification. L’activité d’un produit biologique – c’est une règle essentielle – est dépendante de son processus de fabrication, et pas uniquement de son principe actif. De la même façon, les effets secondaires, en particulier, s’agissant de protéines, leur immunogénicité, sont dépendants du processus de fabrication. Dans ma discipline, l’hématologie, une petite modification de l’érythropoïétine a entraîné, pour une de ces molécules, la synthèse d’anticorps devenant bloquants pour l’activité thérapeutique de la molécule.

Une telle situation entraîne des différences dans la façon de mener le développement d’une molécule. Pour un générique, les choses sont simples : il suffit de vérifier l’identité des procédés chimiques, puis de procéder à un essai de bioéquivalence, sans nécessité de faire d’études cliniques. Pour un biosimilaire, en revanche, il faut bien vérifier l’identité chimique, mais ensuite une étude préclinique sur des données in vivo et in vitro, qui vérifieront l’efficacité pharmacodynamique. Puis il faut procéder à des études cliniques, de la phase 1 jusqu’à la phase 3, soit un développement clinique presque comparable à celui d’un produit de référence (princeps).

En fonction de ces étapes de développement, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) est donnée. Elle peut être donnée dans toutes les indications du produit de référence à la condition que le mode d’action du produit soit le même. Dans l’exemple des anticorps monoclonaux, l’infliximab est utilisé dans différentes maladies auto-immunes ; à partir du moment où la bioéquivalence a été démontée pour le biosimilaire, on peut faire l’assimilation d’une indication aux autres indications. C’est une différence notable par rapport au médicament princeps. Pour l’infleximab, deux molécules ont été testées. La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) s’est appuyée sur une étude phase 1 dans une maladie et sur une seule étude phase 3 pour donner un avis sur les différentes indications en vue de la mise sur le marché.

En conclusion, il s’agit de médicaments similaires, pas de médicaments identiques. Leur processus de développement est donc plus complexe que pour les génériques ; il nécessite en particulier des études cliniques comparatives de l’efficacité de la toxicité et de l’immunogénicité.

M. Didier Letourneur, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), directeur du laboratoire de recherche vasculaire translationnelle à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). En tant que chimiste de formation, je vais tenter d’expliquer pourquoi un biosimilaire n’est pas un générique et quelles seraient les conséquences de la substitution. L’aspirine est une molécule classique, produite par synthèse chimique. Son poids est de 180 grammes, contre 150 000 grammes pour un anticorps – soit un facteur mille. La complexité d’un anticorps est plus de mille fois supérieure à celle d’un médicament chimique. La molécule d’aspirine est synthétisée chimiquement. Les méthodes analytiques, depuis une centaine d’années, nous permettent de bien définir sa constitution, sa pureté et l’addition d’autres éléments dans le médicament.

L’anticorps produit par les biotechnologies, produit par des cellules, va donner de petites variations dans les propriétés, dues à la complexité de ces molécules, variations qui ne sont pas totalement maîtrisées. Au final, l’anticorps a la propriété et l’efficacité thérapeutique. Mais sa composition ne saurait être identique d’un lot à l’autre, ou d’un procédé de fabrication à un autre. On ne peut donc pas le substituer. Impossible, par exemple, qu’une molécule produite à un endroit du monde puisse être produite de la même façon à un autre endroit du monde, par un autre procédé. On n’obtiendra pas la même molécule. Un biosimilaire n’est jamais équivalent à la molécule d’origine.

Autant on pourra démontrer l’efficacité d’un biosimilaire, autant on ne peut le substituer en cours de traitement. On utilise des biosimilaires pour traiter des pathologies lourdes, qui auront un impact majeur sur la santé du patient, voire sa survie. De tels traitements supposent l’utilisation de biotechnologies, pour produire de grosses molécules, qui déboucheront sur des traitements particuliers. Il ne s’agit pas des mêmes patients ni des mêmes prescripteurs. Il ne faut pas imaginer qu’on ira chercher son biosimilaire comme on va chercher son aspirine à la pharmacie. C’est toute la chaîne de prescription, dès le départ, avec les spécialistes des hôpitaux, qui permettra de traiter ces pathologies importantes. Dès le début, le choix de la molécule devra être défini, étant entendu qu’il est hors de question de changer de médicament en cours de traitement. À aucun moment de la chaîne, on ne pourra substituer et changer de traitement.

La petite variation d’un anticorps peut certes améliorer l’efficacité, en prolongeant, avec un mode d’administration plus efficace. Mais, si on change de molécule biologique, des effets indésirables peuvent apparaître, l’organisme répondant à ces composés biologiques. Encore une fois, nous sommes dans des pathologies lourdes, on ne va pas solliciter l’organisme avec des réponses différentes, au risque de perte d’efficacité. Il ne faut pas que, à un moment de la chaîne, des personnes, qui ne peuvent pas être formés à ces effets et aux conséquences sur le suivi du patient – on a parlé de dossier pharmaceutique –, puissent substituer une molécule par une autre, en cours de traitement et pendant l’évolution de la maladie. On peut substituer dès le départ, les études sont suffisamment rigoureuses, les enjeux économiques et industriels sont importants.

Pourquoi les biosimilaires posent-ils question ? Parce que les molécules sont complexes et qu’on ne sait pas suffisamment les caractériser. On ne dispose pas de suffisamment de connaissances, ni de moyens analytiques pour les caractériser. Émerge donc le besoin de développer ces méthodes analytiques d’évaluation. Des moyens doivent donc être mis en œuvre pour évaluer les méthodes analytiques de tels médicaments. La France entend être pionnière en matière de médecine du futur. Les biomédicaments en constituent, à n’en pas douter, une étape. On utilise des biomolécules pour des traitements. La médecine du futur sera encore plus complexe, complexité que la France doit maîtriser. Cela supposera des unités de bioproduction, ainsi que des unités de caractérisation. Plus on disposera de compétences dans ce domaine, plus on sera à même de faire face aux enjeux, aux risques, afin de de maîtriser toute la chaine.

Mme Elisabeth Luporsi, docteur oncologue, Institut de cancérologie de Lorraine. L’oncologie est une nouvelle médecine innovante, dite théranostique : un test, un médicament. Elle parvient à guérir des patientes atteintes d’un cancer du sein – grâce au trastuzumab – et à sélectionner les patientes à qui il faut administrer le traitement. C’est donc une thérapeutique ciblée, une médecine de précision. Une fois un tel médicament de référence développé, il devient très difficile de changer ses habitudes, pour le développement d’un nouveau médicament, alors qu’on sait que celui-là est efficace et qu’on veut le meilleur pour ses patients. En France, la relation entre le médecin et le patient reste extrêmement forte ; si le médecin n’y croit pas, la généralisation de la diffusion de ces médicaments en sera rendue plus difficile.

Un biosimilaire ne revendiquera pas automatiquement l’ensemble des indications d’un médicament princeps. Ces nouveaux médicaments issus des biotechnologies représentent 20 % de la dépense totale des médicaments dans le monde. Ils nécessitent des essais cliniques. La durée de développement d’un biosimilaire est de six à neuf ans, contre trois ans pour un générique. Il exige des essais de phase 1 et 3. L’essai de phase 3 se fera sur 500 patients, alors qu’il en avait fallu 10 000 pour le médicament princeps pour montrer son efficacité. La méthodologie de développement des biosimilaires est solide et doit être bien comprise par les médecins – ce qui n’est toujours pas le cas actuellement.

Le coût de développement d’un médicament biosimilaire varie entre 90 et 200 millions de dollars, montants très supérieurs à ceux d’un générique. Le dispositif de surveillance est essentiel, comme cela a été fait s’agissant des EPO et des facteurs de croissance, qui sont les biosimilaires actuellement disponibles. Personnellement, je prescris 70 % de biosimilaires d’EPO et de facteurs de croissance. Des observatoires multicentriques prospectifs ont été créés. Je coordonne pour la France l’essai international du trastuzumab biosimilaire, essai multicentrique européen.

Contrairement au générique, le laboratoire doit investir en mercatique (marketing), pour informer le médecin. L’EPO et les facteurs de croissance sont donnés en complément de la chimiothérapie, ils ont un effet sur les soins de support, mais pas thérapeutique. La difficulté provient des anticorps monoclonaux en développement, des biosimilaires desquels on attend qu’ils soient aussi efficaces que les médicaments de référence. Les biosimilaires sont un peu moins chers que les médicaments de référence, la quantité d’EPO et de facteurs de croissance fabriquée en France justifiant une diminution, même faible, de 20 % à 30 % des prix. Les oncologues ont du mal à comprendre.

Le malade disposera en ville de son biosimilaire. Lorsqu’il reviendra à l’hôpital, son médicament princeps lui sera administré, car il sera devenu moins cher que le biosimilaire. C’est une difficulté, et des règles devront être édictées. Il faut se féliciter que des laboratoires spécifiques existent pour les biosimilaires ; ils développent une méthodologie complexe, ils sont aussi utiles que les laboratoires de médicaments princeps. Cela permet, d’une part, de faire baisser le prix des médicaments princeps, et d’autre part, d’éviter les problèmes d’approvisionnement (accidents de production ou ruptures de stock des médicaments princeps).

L’intérêt des laboratoires est d’avoir un contrôle sur les recommandations émises sur leurs médicaments. Un observatoire d’EPO, mis en place, a montré que les médicaments princeps n’étaient pas prescris selon les recommandations qui devaient s’imposer à l’échelon européen et français. Les doses d’EPO, les seuils d’hémoglobine atteints étaient trop importants, entraînant des risques de thrombose et, surtout, un coût beaucoup plus important. On peut par ailleurs sélectionner les populations à risque qui n’utiliseraient pas de biosimilaire. L’intérêt est, en tout cas, d’aller dans la voie du biosimilaire, ce qui suppose une importante information des médecins.

M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l’OPECST. Madame le professeur Sophie Dupont, est-ce que l’expérience que vous avez des médicaments chimiques contre l’épilepsie peut aider la réflexion sur des modèles possibles pour les médicaments biosimilaires ?

Mme Sophie Dupont, professeur de médecine, neurologue. Les génériques des médicaments antiépileptiques se rapprocheront peut-être des biosimilaires en termes de demande de sécurité et de contrôle. L’épilepsie est une maladie chronique, fréquente, qui touche 500 000 patients en France. Deux tiers de ces patients sont bien équilibrés par un des traitements antiépileptiques possibles. Pour ces patients bien équilibrés, l’impact de la récidive d’une crise est catastrophique, tant sur le plan du pronostic vital – on sait que la survenue de crise convulsive généralisée est un facteur de risque de décès – que des points de vue fonctionnel, psychologique, social ou professionnel – perte par exemple du permis de conduire.

Les médicaments antiépileptiques utilisés sont particuliers. On les dits « à marche thérapeutique étroite », une très faible augmentation de posologie pouvant induire, de façon non prévisible, des effets secondaires indésirables ou graves pour les patients. Dans la balance entre le bénéfice et les risques en épileptologie, l’objectif est d’administrer les doses les plus faibles possibles, la plupart des patients étant équilibrés avec des taux et des doses très faibles de médicaments, donc des taux plasmatiques très bas.

Lors de l’arrivée des génériques en France, la ligue française contre l’épilepsie a demandé une étude réalisée par le CHU de Rennes auprès de 300 neurologues libéraux. Pour 70 % d’entre eux, il est apparu que les patients étaient plus inquiets, 30 % ayant eu des récidives ou des effets secondaires lors du passage au générique. La plupart des ligues américaines ou européennes ne recommandent pas la substitution. Y a-t-il réellement un risque de récidive lors du passage d’une molécule princeps à un générique ? Les données de la littérature sont très controversées. Une méta-analyse récente, regroupant différentes études, montrait que non. D’autres études, parues également dans des journaux internationaux de bonne qualité, mettent en avant un risque de récidive, un recours accru à l’hospitalisation et aux soins d’urgence, sans doute en raison, comme l’a mis en évidence l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), du fait d’un très fort risque anxiogène lié à la prise de ces médicaments génériques mal perçus par les patients épileptiques. Une étude récente de 2014 a montré que 41 % des patients substitués pour une molécule antiépileptique, la phénytoïne, avaient récidivé sous générique.

Y a-t-il plus d’effets secondaires liés aux génériques ? Là encore peu de réponses de la littérature. Une étude canadienne récente montre que, lorsqu’on substitue les patients épileptiques, on observera un retour, dans 20 % des cas, à la molécule princeps, sans forcément récidive de crise – contre seulement 2 % pour les hypolipémiants et les antidépresseurs.

Que peut-on préconiser ? Faut-il interdire, en applica tion du principe de précaution, les génériques, comme le préconisent certains pays, ainsi la Finlande, la Slovénie ou la Suède ? Si l’on autorise les génériques, des pistes de réflexion doivent être explorées pour le cas très particulier des médicaments antiépileptiques : promotion des autogénériques (qui sont finalement les mêmes médicaments) ; réduction des bornes de bioéquivalence, comme cela est pratiqué en Belgique ou au Danemark ; ou encore recours toujours au même générique en cas de substitution. Des études montrent très clairement que, si les génériques respectent la borne de bioéquivalence, ce n’est pas le cas des génériques entre eux pour les médicaments antiépileptiques : 20 % dépassent l’aire sous la courbe (AUC) et 40 % dépassent le Cmax.

En conclusion, la simple bioéquivalence, telle qu’elle est définie, ne suffit pas en matière de biosimilaires, tout comme pour les génériques antiépileptiques. Sans doute faut-il plus de données d’efficacité et de tolérance pour l’emploi de ces médicaments. C’est pourquoi, la mise en place d’un observatoire de surveillance de l’efficacité et de la tolérance de ces médicaments s’impose.

B. L’INSERTION DES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES DANS NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ

M. Benoît Vallet, directeur général de la santé (DGS), ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Mme la ministre a rappelé, dans sa présentation, les enjeux industriels, budgétaires et de santé publique du sujet. Pour ma part, je me positionnerai sur le sujet de la santé publique. L’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 a donné un cadre spécifique aux biosimilaires. Il met en avant la prescription des biosimilaires au travers d’une liste établie par l’agence française du médicament, et le droit pour les pharmaciens de substituer un médicament issu de la biotechnologie par un biosimilaire, à l’initiation d’un traitement, pour éviter une discontinuation dans l’utilisation du médicament. S’il y a analogie, il n’y a en effet pas superposition. Pour une indication donnée, il n’est pas certain que d’autres indications puissent être associées, le principe d’extrapolation pour un biosimilaire donné d’une indication aux autres étant une vraie question pour sa prise en charge. Cet article de loi a pour vocation d’être suivi de décrets d’application.

Un décret est en cours de rédaction par la direction générale de la santé, en concertation avec les parties prenantes. Il comprendra deux grands volets, sur la procédure d’élaboration de la liste de référence que dressera le directeur de l’agence française du médicament et sur les conditions de substitution de ces médicaments biologiques.

La création d’une liste de médicaments biosimilaires permettra d’informer les prescripteurs, qui pourront s’opposer à cette substitution, par une mention manuscrite sur l’ordonnance, pour des raisons particulières tenant au patient. Les conditions de substitution concernent au premier chef les pharmaciens. Sur ce sujet, trois questions sont en cours de discussion. La première est la place du dossier pharmaceutique, pour assurer la traçabilité. C’est ainsi que la substitution pourrait être conditionnée à l’existence du dossier pharmaceutique, le cas échéant à son ouverture. La deuxième est l’information du prescripteur « sans délai et par tous les moyens » par le pharmacien qui initierait la substitution par le biosimilaire, dans le cadre de bonnes pratiques de dispensation. La troisième est l’obligation de prescription en nom de marque. Je rappelle que la prescription en dénomination commune internationale (DCI) est une obligation depuis le 1er janvier 2015, avec quelques difficultés techniques que nous partageons avec la HAS. En matière de biosimilaires, il y aurait une mention facultative pour le nom de marque, compte tenu de leur caractère très spécifique. Pour éviter la rupture dans la continuité, il sera ainsi proposé que le nom de marque soit associé à la dénomination commune internationale (DCI).

Des mesures complémentaires sont envisagées pour garantir la traçabilité et la continuité du traitement. Un projet de décret sur le dossier pharmaceutique, qui a été validé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), est en cours d’examen au Conseil d’État ; il devrait permettre l’allongement de la durée de conservation des données sur ce type de prescriptions. Par ailleurs, un amendement au projet de loi (Assemblée nationale n° 2302) du 15 octobre 2014 relatif à la santé sera proposé sur le principe d’ouverture du dossier pharmaceutique, sauf opposition du patient, avec une certain caractère d’automaticité, pour faciliter la lutte contre les maladies iatrogènes et la traçabilité des molécules concernés. Dans le projet de loi relatif à la santé, une mesure concerne les logiciels d’aide à la prescription et à la décision, mentionnant la liste de référence des biosimilaires. Une circulaire relative à la dispensation des médicaments biologiques en établissement de santé est en cours de préparation. Des actions de formation sont enfin en cours de mise en œuvre avec les pharmaciens, les représentations syndicales et les médecins, les ordres et les sociétés savantes, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la Haute Autorité de santé (HAS). S’agissant de l’information des professionnels hospitaliers, une circulaire a été envisagée par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) à destination des présidents des commissions médicales d’établissements, qui ont en charge la qualité et la sécurité des soins, afin de les informer de la particularité de ces médicaments biologiques similaires.

Tels sont les éléments qui pourraient enrichir le décret d’application de la loi et les éléments d’information à destination des professionnels et des usagers.

M. Alexandre Moreau, directeur par intérim des médicaments en oncologie, hématologie, immunologie et néphrologie, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). La France et, plus généralement, l’Europe ont une longue expérience dans l’évaluation du rapport entre le bénéfice et les risques des médicaments biologiques depuis une trentaine d’années, avec l’arrivée des premières insulines et érythropoïétines en 1988, puis l’arrivée d’anticorps monoclonaux début 2000 en oncologie. L’ANSM est responsable de l’évaluation en France du rapport entre le bénéfice et les risques de ces médicaments et y participe à plusieurs niveaux, dans l’autorisation des essais cliniques qui impliquent les médicaments biologiques, mais aussi l’évaluation des autorisations de mise sur le marché (AMM) et le suivi des vigilances.

Il y a un maintenant quinze ans, un changement de formulation dans l’érythropoïétine a malheureusement conduit à l’apparition d’anticorps neutralisants chez les patients qui recevaient le traitement. En procédant à une nouvelle évaluation du médicament, on s’est aperçu qu’il était très difficile de « détricoter » l’histoire du patient, avec des patients pour qui on ne savait pas précisément les médicaments qu’ils avaient pris. Cet évènement a été l’un des évènements fondateurs de la vigilance des médicaments biologiques, permettant de renforcer la vigilance et la traçabilité, afin d’isoler le médicament responsable d’un effet secondaire donné. Au début des années 2000, le groupe de travail des médicaments biosimilaires, mis en place par l’Agence européenne du médicament, a élaboré les premières recommandations pour aider l’industrie à développer au mieux les produits.

Depuis, de nombreux biosimilaires sont apparus sur le marché. À l’heure actuelle, dix-neuf médicaments ont obtenu un avis favorable de la commission d’autorisation de mise sur le marché (Comité des produits médicaux à usage humain – CHMP). Une nouvelle génération de biosimilaires fait son apparition, à savoir des anticorps monoclonaux, plus complexes et plus difficiles à évaluer, de par la complexité de leurs molécules et leurs indications multiples. L’évaluation de la vigilance fait partie intégrante du rapport entre le bénéfice et les risques, dans le cadre des études menées par les firmes et des évaluations réalisées par les agences de santé en Europe. L’objectif est de porter la confiance en ces molécules, en montrant que de tels médicaments ne sont pas associés à plus d’effets indésirables que les médicaments de référence. C’est pour cela qu’ils sont astreints à un plan de gestion des risques (PGR), tout comme le médicament de référence lors de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Parfois, on demande aux firmes de participer à l’élaboration de registres, ou de donner aux prescripteurs ou aux patients du matériel éducationnel. La traçabilité est importante. Elle relève de la responsabilité à la fois du prescripteur, des agences de santé et du patient, qui reste au cœur du système.

En conclusion, les biosimilaires sont des médicaments comme tous les autres médicaments biologiques. Ils sont associés à des effets indésirables, comme les médicaments de référence. Nous devons être vigilants et nous servir de l’expérience du passé pour permettre la commercialisation de médicaments associés au meilleur rapport entre le bénéfice et les risques possible.

Mme Camille Vleminckx, responsable du secrétariat scientifique du groupe de travail sur les médicaments biosimilaires du Comité des produits médicaux à usage humain (CHMP), Agence européenne du médicament. Je souhaite rappeler les grands principes de l’évaluation des médicaments biosimilaires et les exigences auxquelles ils doivent répondre, afin d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM).

Au sein de l’Union européenne, nous bénéficions d’un cadre réglementaire robuste et bien établi, mis en place en 2004. Nous bénéficions également de nombreuses lignes directives ou recommandations, qui détailleront les exigences auxquelles les médicaments biosimilaires doivent satisfaire, ce qui facilite le développement de ce type de produits. Ces recommandations sont régulièrement mises à jour sur la base de l’expérience acquise, mais aussi des avancées scientifiques et technologiques.

Quels sont les grands principes sur lesquels se fonde la démonstration de la biosimilarité ? Ce sont les mêmes principes que l’on applique à tout médicament biologique lorsqu’on effectue un changement dans le processus de fabrication. Les substances biologiques ont une certaine variabilité intrinsèque. Elles sont sensibles aux procédés de fabrication. Avant d’autoriser un tel changement, il faut pouvoir s’assurer que la substance active produite avec la nouvelle méthode est comparable à la substance active produite avec l’ancienne méthode et qu’il n’y a pas d’impact sur l’efficacité et la sécurité du médicament.

Dans ce contexte, la substance active d’un produit biosimilaire est en fait une version de la substance active du produit de référence. En d’autres termes, c’est la même substance active, avec de petites différences, qui découlent non seulement de la nature complexe du produit, mais aussi des méthodes de production employées.

Ces différences n’ont cependant pas d’impact sur la sécurité et l’efficacité du produit. L’objectif du développement des biosimilaires est justement de mettre en évidence une similarité à trois niveaux : qualité, efficacité et sécurité.

En quoi consiste ce développement ? Il s’agit d’une évaluation approfondie de la comparabilité, qui se réalise étape par étape. Tout au long du programme, il est important d’utiliser des méthodes et de mettre en place des études suffisamment sensibles pour détecter les différences liées aux produits, donc limiter la variabilité qui se réduit à d’autres facteurs. Ce programme débute toujours par une évaluation et une comparaison approfondie des caractéristiques physicochimiques, mais aussi de l’activité biologique, ainsi que du profil d’impureté du médicament candidat par rapport au médicament de référence. C’est l’étape clé du développement.

Il convient également de rappeler que le dossier relatif à la qualité du produit biosimilaire est un dossier complet. Comme n’importe quel produit biologique, il doit répondre à toutes les exigences réglementaires et scientifiques dans ce domaine. En plus, les données que j’ai citées auparavant sont complémentaires dans ce dossier de qualité.

En termes de données non cliniques et cliniques, il est nécessaire de fournir des études comparatives. Le nombre et l’ampleur de ces études dépendront non seulement des résultats obtenus au cours des étapes précédentes du développement, mais aussi de la nature et la complexité du médicament de référence.

Il est également important de noter que le bénéfice clinique du médicament a déjà été établi pour le médicament de référence. L’objectif du développement du biosimilaire est de démontrer l’équivalence thérapeutique entre les deux traitements. On ne demande pas de rétablir l’efficacité, seulement de démontrer l’équivalence thérapeutique. Les études sont réalisées en conséquence ; il faut qu’elles soient suffisamment sensibles pour détecter les différences. En termes de données cliniques, il faut aussi couvrir la sécurité d’utilisation du médicament, ainsi que le pouvoir immunogénique de la molécule.

L’extrapolation n’est pas systématique. Elle nécessite toujours une justification, sur la base de données scientifiques : des considérations sur le mécanisme d’action, sur les mécanismes pathophysiologiques de la maladie, mais aussi le profil de sécurité et d’immunogénicité du produit dans les différentes pathologies. Dans certains cas, des études non cliniques et cliniques supplémentaires sont justifiées.

Pour conclure, le cadre réglementaire européen actuel est robuste. Il est axé sur la science et permet d’assurer la mise sur le marché de médicaments biosimilaires de même qualité, sécurité et efficacité que les médicaments de référence.

Mme Rima de Sahb, directrice « accès au marché » de MSD France, présidente du groupe de travail « biosimilaires » des entreprises du médicament (LEEM). Le groupe de travail du LEEM est constitué de laboratoires qui mettent à disposition des médicaments biologiques de référence, des médicaments biosimilaires ou les deux. Ce travail se fait dans la continuité du travail réalisé au sein du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Les objectifs de ce groupe de travail sont de trois ordres : s’assurer que la mise à disposition des biosimilaires respecte la sécurité des patients ; favoriser la filière industrielle ; favoriser l’efficience du système de santé et entraîner des économies.

Je ne reviendrai pas sur les spécificités de développement des biosimilaires et leur particularité par rapport aux génétiques. Je rappellerais simplement que la recommandation de l’ANSM de septembre 2013 précise que, après une première administration d’un biologique, il ne faut pas modifier le produit administré au patient, pour limiter les risques d’immunisation et assurer la traçabilité et le suivi de pharmacovigilance.

Le groupe de travail que nous constituons a formulé deux axes de recommandation. Il s’agit premièrement d’assurer une traçabilité du couple patient-traitement, deuxièmement de mettre en place une communication institutionnelle et impartiale auprès des professionnels de santé autour des biosimilaires.

La première recommandation concerne d’abord le statut du patient. Celui-ci démarre-t-il un traitement ? La réponse n’est pas simple, ainsi l’exemple des biosimilaires utilisés dans l’aide à la procréation, pour une femme qui a fait une première fécondation in vitro (FIV). En cas de deuxième FIV, le fait d’avoir eu un traitement en fait-elle une patiente « naïve » ou prétraitée ? Il faut donc bien définir ce qu’on entend par patient « naïf de traitement ». Le décret d’application de l’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 repose sur cette notion.

Il faut être informé du médicament que le patient a précisément reçu : le médicament biologique de référence ou un biosimilaire ? Auquel cas, de quel biosimilaire s’agit-il ? Des éléments complémentaires au décret d’application devraient alimenter l’information autour du traitement des patients. Qu’en sera-t-il des logiciels à la prescription et à la dispensation ? Si ces logiciels sont certifiés par la HAS, la question d’associer la DCI au nom de marque de manière obligatoire pour les biosimilaires n’est pas réglée. C’est un point qui devra être réglé par le décret.

Par ailleurs, si la prescription en nom de marque est rendue obligatoire pour les biosimilaires, comment la liste de l’ANSM sera-t-elle constituée ? C’est une question en suspens. Qu’en sera-t-il du dossier pharmaceutique, et notamment du projet de décret prolongeant sa durée ? Les patients traités par anticorps monoclonaux sont traités « à cheval » entre la ville et l’hôpital. Qu’en est-il de ce dossier pharmaceutique à l’hôpital et de la continuité de l’information entre l’hôpital et la ville ? Toutes ces questions ne nous semblent pas résolues aujourd’hui : nous en recommandons vivement le suivi, pour la mise en application des différentes mesures incitatives.

M. Didier Laloye, docteur en pharmacie, directeur général du laboratoire Hospira, représentant l’association des professionnels du médicament générique et du médicament biosimilaire (GEMME Biosimilaires). Les entreprises qui développent, fabriquent et commercialisent des médicaments biosimilaires dans différents pays permettent 400 millions de jours de traitement, sans aucun signal différent des médicaments d’origine. L’angle économique est très important, les biosimilaires étant destinés à permettre de réduire les dépenses en médicaments biologiques, afin de pouvoir financer les nouvelles innovations. Un seul chiffre : les trois médicaments principaux utilisés à l’hôpital, qui vont perdre leur brevet, représente aux alentours d’1 milliard d’euros de dépenses annuelles en France.

La lisibilité de la politique relative aux médicaments biosimilaires est aussi un point de première importance. Le développement de ces médicaments est long et coûteux. Il est donc important de mettre en œuvre une politique lisible et qui permette de se faire une idée précise sur la politique de prix, mais aussi sur la politique relative aux conditions d’utilisation de ces médicaments. On parle beaucoup des médicaments biosimilaires de façon générale. Dans les faits, les produits sont extrêmement différents et ne peuvent être traités de façon générale. Des mesures qui s’appliqueraient à l’ensemble des biosimilaires comme un tout nous paraissent peu envisageables.

Il apparaît donc important, pour chaque type de médicament, que les conditions d’utilisation de ces produits soient définies de façon spécifique par les agences (ANSM, HAS), et que l’on tienne compte de l’évolution des connaissances. Il y aura dans le monde énormément de produits disponibles, avec des études de suivi des médicaments. Certains pays ont décidé que l’utilisation des biosimilaires pourrait se faire en cours de traitement. Toutes les données scientifiques que nous aurons à notre disposition doivent donc nous permettre de faire évoluer les conditions d’utilisation de ces produits dans le temps, classe par classe.

Le point majeur est celui de la confiance. Sur ce sujet, nous nous félicitons d’entendre qu’il y aura beaucoup d’information des professionnels de santé et des patients. Il est en effet essentiel de disposer d’une information totalement indépendante, et ainsi d’éviter la cacophonie qu’on a pu connaître sur d’autres sujets assez proches.

Les médecins auront un rôle de premier ordre dans la création de la confiance auprès des patients. Nous avons fait des propositions en ce sens. Nous soutenons les mesures d’incitation positives à l’utilisation des biosimilaires, dans le cadre de l’hôpital : contrat de bon usage, liste en sus, ou encore prescriptions hospitalières qui sont délivrées en ville. De nombreux leviers permettent aujourd’hui de mettre en place un certain nombre d’incitations qui facilitent l’utilisation de ces produits et leur adoption, et qui vont créer la confiance.

M. François Chast, chef du service de pharmacie clinique à l’AP-HP, président honoraire de l’Académie nationale de pharmacie. On a l’impression que le débat qui nous est présenté est un débat sur une problématique nouvelle. En réalité, dans la pratique quotidienne, nous gérons ces médicaments depuis des décennies – une trentaine d’années, pour dire vrai. Que je sache, on ne s’est jamais interrogé sur l’érythropoïétine ou sur le facteur de croissance des granulocytes.

Nous avons procédé dans les hôpitaux, règle du jeu oblige, à des appels d’offres pour l’achat de ces médicaments au moindre coût. Au-delà de ces protéines thérapeutiques, il existe d’autres biosimilaires, comme les héparines, qui sont issues de milieux biologiques. Ce sont des produits biologiques hautement variables : personne dans cette salle n’est capable de donner la formule d’une héparine. Et pourtant, à l’hôpital comme en ville, des centaines de milliers de patients sont traités par héparines, sans qu’on se pose de questions sur la substitution ou la variabilité, ou sur les conséquences de cette variabilité sur les effets indésirables...

Il faut donc revenir à la réalité : il n’y aurait aucun débat sur les biosimilaires si l’on n’avait pas de problème d’argent. Aujourd’hui, toute la problématique de l’introduction des nouveaux médicaments ne peut se gérer que si l’on trouve des moyens d’équilibrer les comptes publics, en particulier sociaux. Pour cela, il faut gérer avec pragmatisme un certain nombre de questions. Ces médicaments, qui peuvent devenir des biosimilaires dans la demi-douzaine d’années qui vient, représentent, dans mon établissement – l’hôpital Cochin –, huit des douze premières dépenses. Huit des douze premiers médicaments consommés sont des anticorps monoclonaux, dont le premier d’entre eux verra son brevet tomber dans une quinzaine de jours.

À mon sens, la problématique des génériques est très voisine. Il n’y a probablement pas plus de différence entre un biosimilaire et son produit de référence que, au sein d’un produit de référence, entre deux lots de ce produit de référence. C’est la problématique de la variabilité biologique, de la même manière que l’on a évoqué tout à l’heure la variabilité des médicaments antiépileptiques ; on connait depuis soixante ans environ les conséquences d’une cristallographie différente sur la bioéquivalence de différentes formes diphényl-hydantoïne.

La question de l’interchangeabilité a été évoquée. Il faut aborder les questions qui se poseront sur le terrain. En ce moment même, il faut le savoir, on se dirige vers une décision d’interchangeabilité au sein des hôpitaux de Paris au sujet de l’infleximab. Il faut donc parler de droit de substitution large. Si le nom de marque vient de manière obligatoire derrière la DCI, on sera bloqué dans l’organisation et la bonne administration des soins dans les hôpitaux.

Il faut donc considérer les biosimilaires avec le même regard que celui porté sur les génériques, un regard qui doit être critique, comme on a su l’être, à juste titre, à l’égard des génériques. Il faut pouvoir évaluer les médicaments pour ce qu’ils se sont, non pour ce qu’ils devraient être. Il doit y avoir une évaluation objective, un suivi objectif. L’observatoire est un bon outil de travail pour cette évaluation au long court. Mais il faut être davantage ouvert à une interchangeabilité convenable de ces médicaments. Il faut aussi donner, à ces médicaments, un vrai statut qui puisse donner de l’espoir à l’introduction de médicaments innovants. Il faut trouver le bon équilibre entre l’intérêt des patients et des systèmes de santé, qui sont aujourd’hui un peu essoufflés.

Mme Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Je veux rappeler le contexte et insister sur les mots de confiance et de traçabilité. On a affaire à des personnes à la pathologie lourde, ce qui induit des spécificités. La définition du biosimilaire implique la notion de différence, un tel médicament étant différent du médicament biologique de référence, en raison de différences liées à la variabilité des matières premières et des procédés de fabrication.

La question de la confiance est donc essentielle, pour le prescripteur, le dispensateur et le patient. Je relève quelques exemples de titres publiés récemment dans Le Monde, L’Express, La Tribune, Les Echos ou autres : « Générique = même médicament : une tromperie », « Médicaments génériques : peut-on leur faire confiance ? », « Médicaments génériques : plus dangereux que les originaux », « Génériques : attention danger », « Les médicaments génériques suscitent toujours la méfiance », « Médicaments génériques : la grande arnaque », « Génériques, excipients : attention, prudence », « Santé : faites-vous encore confiance aux médicaments génériques ? ». Si l’on rate la question de la confiance, on n’avancera pas.

La question de la traçabilité est également essentielle. Le troisième alinéa de l’article L. 5125-23 du code de la santé publique dispose que le pharmacien peut substituer à cinq conditions. Premièrement, le médicament doit être du même groupe de référence. Or, dans la réalité, le biosimilaire peut ne pas avoir les mêmes indications que le biologique. Le pharmacien n’a pas toujours accès à la pathologie. Deuxièmement, l’initiation au traitement est un point à mieux définir. Troisièmement, l’absence d’exclusion par le prescripteur, qui est un point qui ne pose pas problème. Quatrièmement, le pharmacien doit informer le médecin, ce qui suppose que ce dernier soit bel et bien identifié sur l’ordonnance, or ce n’est pas toujours le cas, ainsi sur les ordonnances délivrées à l’hôpital à en-tête de plusieurs médecins. Cinquièmement, le dossier pharmaceutique, qui est maintenant totalement déployé dans les officines. Il commence à se développer à l’hôpital, nous atteignons 6 % des pharmacies hospitalières, avec de grosses différences régionales : 20 % en Loraine, 12-13 % en Languedoc, Midi-Pyrénées ou Aquitaine, mais rien dans certaines autres régions. Nous sommes donc encore dans la phase de déploiement.

Augmenter la durée d’indication dans le dossier pharmaceutique, de quatre mois à un ou trois ans en fonction de ce qui sera décidé, ne pose aucun problème. Cela dit, la loi dispose que le pharmacien d’officine « doit » alimenter le dossier pharmaceutique, alors qu’elle dispose que le pharmacien hospitalier « peut » l’alimenter. Il faudra donc insister pour que ce dernier le fasse. Il ne faut pas non plus oublier que 17 % des Français ne veulent pas de dossier pharmaceutique. Créer un dossier pharmaceutique à un patient qui prend un médicament biosimilaire comportera deux éléments difficiles à expliquer.

En conclusion, la substitution des médicaments biosimilaires sera possible, mais les pharmaciens ne les substitueront pas de la même manière que les médicaments génériques : ils seront beaucoup plus prudents. Le rôle des médecins prescripteurs et des pharmaciens hospitaliers sera essentiel en la matière.

C. DÉBAT

M. Jean-Louis Touraine, député, membre de l’OPECST. Je vous remercie tous de vos contributions. Nous avons identifié les points sur lesquels il faut se pencher. Certaines questions perdureront, même à l’issue de cette table ronde. Vous l’avez tous souligné : la notion de confiance sera déterminante. La question économique a été évoquée, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit la première. Le prix du médicament princeps ira en diminuant au fur et à mesure du développement des biosimilaires. Les différences tarifaires ne seront pas considérables. Le seul fait de l’existence des biosimilaires induira une diminution du prix des produits princeps.

Quid de l’avenir proche ? Nous en sommes à 20 % de produits biologiques, pourcentage qui ne cesse d’augmenter. La recherche sur les thérapeutiques issues des biotechnologies est beaucoup plus importante que celle sur les produits chimiques. Tout laisse donc à penser qu’on sera prochainement à 50 % de produits biologiques, étant entendu que le coût de fabrication des biosimilaires est bien plus important que celui des médicaments chimiques et de leurs génériques.

Actuellement, c’est principalement à l’hôpital que peuvent se poser les questions de substitution. Demain, le problème se posera en ville. Il faut avoir cette évolution à l’esprit, pour que les dispositifs qu’on mettra en place aujourd’hui soient aussi applicables aux prescriptions de ville.

Le problème n’est en effet pas nouveau. Il y a déjà cinquante ans que nous sommes amenés à substituer, par nécessité, des produits biologiques à d’autres. C’est ainsi que le sérum antilymphocyte a été mis sur le marché en 1966 pour traiter des malades transplantés d’organes. Dans l’intervalle, le produit s’est considérablement transformé à de multiples reprises. Au début il s’agissait d’un sérum de cheval, puis cela a été un sérum de lapin, préparé avec des antigènes très différents. Les produits ont été progressivement purifiés. Il n’empêche que, entre un lot et un autre, la disparité est considérable, en termes d’activité immuno-suppressive ou d’effets secondaires. Les produits sont donc très divers. Dès qu’un nouveau lot est produit, il faut pratiquement en faire la chaîne complète d’évaluation, d’efficacité, de toxicité et d’effets adverses. Mais, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous avons été confrontés à ces problèmes par nécessité, nous y sommes habitués.

Aujourd’hui, nous avons deux chances. D’une part, nous pouvons mettre en place un dispositif qui offrira des garanties, et le partager sur tout le territoire national. D’autre part, nos produits sont de plus en plus purifiés, de mieux en mieux définis. Le niveau de variabilité ira donc en diminuant. Les disparités des produits de demain seront moins grandes, ce sera plus contrôlable. Pour autant, nous sommes obligés de faire mieux que ce qu’on a fait ces dernières décennies, où il a fallu s’adapter. Hier, un nombre modeste de patients était touché ; aujourd’hui, c’est une grande partie de la thérapeutique qui l’est. Il faut donc parvenir à instaurer un cadre où chacun puisse, en priorité, assurer une garantie d’efficacité et de bonne sécurité.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. Dans l’histoire des médicaments qu’on a substitués, il faut se rappeler des problèmes rencontrés notamment avec les hormones de croissance. Ces problèmes sont apparus faute d’avoir pris en compte la totalité de la question. Certains ont rappelé que l’extrapolation n’est pas automatique, c’est une bonne chose. D’autres ont insisté sur l’équivalence en matière de sécurité. Vous savez tous comment fonctionne l’administration américaine de l’alimentation et des médicaments (Food and drug administration – FDA), comment elle autorise un laboratoire à fabriquer un produit. Comment est-on donc équipé en France pour disposer d’une certification qui garantisse la qualité d’un produit fabriqué en Inde, en Chine ou dans d’autres pays demain ? La France est-elle bien équipée d’une telle assurance sur la sécurité ? Le processus de certification est-il renforcé en raison de la complexité accrue du problème ?

M. Alexandre Moreau, directeur par intérim des médicaments en oncologie, hématologie, immunologie et néphrologie, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). L’évaluation des produits biosimilaires est une évaluation européenne. Les médicaments biologiques doivent passer par une voie européenne. Cela suppose qu’un pays
– voire deux – écrit un rapport d’évaluation sur la qualité, l’efficacité et la sécurité de ces médicaments biosimilaires et partage ses recommandations avec les autres États membres, qui peuvent ainsi participer à son évaluation, de manière à établir et publier une recommandation finale.

L’Agence européenne du médicament, en association avec les agences nationales, dispose d’un service d’inspection, qui permet de contrôler la bonne qualité des produits. En France, environ 200 personnes sont affectées à ces tâches d’inspection. Les agences des grands pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la France dirigent ces inspections. Cette décision d’inspection est réalisée au niveau national ou européen. En cas de doute dans les données fournies par les compagnies, nous demandons systématiquement une évaluation des données.

M. Jean-Louis Prugnaud, pharmacien. Il faut bien replacer les choses dans leur contexte. On a parlé des héparines. De tels produits ont été enregistrés comme des produits nouveaux, qui ne sont absolument pas des biosimilaires, même s’ils ont une efficacité du même type. Pourquoi ? Parce que le système d’enregistrement et le système protecteur mis en place à l’échelon européen ne sont pas les mêmes.

La question de la confiance est déterminante, confiance que doivent avoir le médecin prescripteur, les pharmaciens en charge de la substitution et les patients dans leur relation avec leur médecin. C’est une question fondamentale. C’est du reste une des recommandations régulièrement mises en avant, ainsi lors des ateliers de Giens en octobre 2014.

Autre problème essentiel : celui de la traçabilité. Sur ce sujet, nous avons besoin d’éclaircissements sur la constitution de la liste des biosimilaires. Il faut absolument que les pharmaciens et les médecins aient une connaissance précise des produits de biotechnologie disponibles sur le marché, mais aussi des biosimilaires.

On comprendra donc qu’une communication cohérente soit essentielle auprès des professionnels de santé, des patients et des pouvoirs publics. Il ne faut surtout pas rater cette communication, pour ne pas revivre les difficultés qu’on a connues pour les génériques.

Mme Camille Vleminckx, responsable du secrétariat scientifique du groupe de travail sur les médicaments biosimilaires du Comité des produits médicaux à usage humain (CHMP), Agence européenne du médicament. Je veux compléter le propos de M. Alexandre Moreau sur les inspections. L’agence européenne dispose d’une équipe qui coordonne les inspections à l’échelon de l’Union européenne. Nous avons également des accords internationaux avec différentes agences réglementaires qui ont les mêmes standards que l’agence européenne, ainsi la FDA. Nous collaborons donc en matière d’inspection.

M. François Chast, chef du service de pharmacie clinique à l’AP-HP, président honoraire de l’Académie nationale de pharmacie. Un bon outil pour installer la confiance, c’est de faire en sorte que les médicaments biosimilaires et princeps soient placés sur un même pied dans le système d’organisation de la prescription, de la distribution, de la dispensation et de l’administration du médicament. La confiance, on le sait, ne peut intervenir que pour des médicaments de même classe, avec le même nombre d’étoiles, en faisant une comparaison avec les références hôtelières. C’est cela qu’il faut viser.

M. Jean-Louis Touraine. C’est un point qui recoupe celui de la communication. Est-il vrai qu’en matière d’épilepsie, une partie de la différence entre les médicaments princeps et les génériques est due à un moindre effet bénéfique placebo des génériques ? Être conditionné à l’effet bénéfique d’un produit, on le sait, c’est disposer d’un avantage supplémentaire. Est-ce une idée en l’air ?

Mme Sophie Dupont, professeur de médecine, neurologue. Non, mais nous avons beaucoup de difficulté à la confirmer. On rejoint le sujet de la communication et de la relation entre le médecin et le patient, étant entendu qu’en matière d’épilepsie, l’anxiété est un facteur déclenchant de crise. Les patients doivent donc totalement adhérer à leur traitement. À votre question, on n’a pas de réponse. Une minime variation de concentration plasmatique peut suffire. Mais on ne peut exclure l’idée qu’une grande anxiété à l’idée de prendre une pilule bleue, conditionnée d’une certaine façon et qui a un nom bizarre peut suffire à créer une crise.

M. Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé (HAS). Je veux revenir sur la question de la confiance et sur la comparaison entre les biosimilaires et les génériques. Les prescripteurs ne sont pas les mêmes, les produits et les malades n’étant pas les mêmes. De quoi parlons-nous ? De maladies graves, chroniques, pour lesquelles la primo-prescription provient de spécialistes. Pour l’instant, les biosimilaires sur le marché sont les EPO (érythropoïétine) et les G-CFS (granulocyte – colony stimulating factor). Qui les prescrit ? Les néphrologues (pour les EPO), les cancérologues et les hématologues (EPO et G-CSF), pas les généralistes. Même observation pour les anticorps-monoclonaux (pour les maladies auto-immunes inflammatoires), qui sont délivrés par des gastro-entérologues et surtout des cancérologues, des spécialistes, donc.

Le problème de la confiance, c’est donc de convaincre les spécialistes que les biosimilaires donneront les mêmes résultats en termes d’efficacité, de toxicité et d’immunogénicité que les produits de référence. Il y a encore du chemin à faire… Pour les EPO et les G-CSF, on compte 10 % de biosimilaires. Aussi, la question essentielle sera de convaincre les prescripteurs. Comment ? En leur expliquant que les modalités de développement des biosimilaires sont finalement assez comparables aux modalités de développement des molécules de référence.

La question essentielle est sans doute celle de l’extrapolation. Soit un produit comme l’Herceptin, utilisé pour le traitement des cancers métastatiques du sein et le traitement adjuvant et néoadjuvant, en première ligne. Un biosimilaire développé pour un cancer du sein métastatique peut-il faire l’objet d’une extrapolation aux autres indications de l’Herceptin ? Avant d’extrapoler, il faut être bien sûr que la démonstration faite sur une maladie sera applicable aux autres maladies. Pour le reste, il faut convaincre les prescripteurs qu’un gros travail a été réalisé en amont en matière de chimie et de physique, qu’il y a eu des études in vitro et in vivo et une phase 1, ainsi qu’un essai de comparabilité de phase 3 – ce pourquoi les biosimilaires comparables aux génériques, pour lesquels il n’y a qu’un petit essai de bioéquivalence. Je ne partage pas l’avis de M. François Chast sur ce point. Tous ces tests tendent à démontrer que le produit biosimilaire est équivalent au produit de référence. Il faut ensuite faire en sorte que les études cliniques soient suffisamment convaincantes pour prescrire, comme Mme Elisabeth Luporsi le pense.

Comment convaincre les prescripteurs ? C’est toute la question. Une fois que les prescripteurs seront convaincus, ils pourront convaincre les patients et les pharmaciens.

M. Philippe Brunet, néphrologue, président de la société francophone de dialyse (SFD). Je souhaite apporter le regard d’un prescripteur néphrologue, car je représente également la société de néphrologie. S’agissant des agents stimulants de l’érythropoïétine, il existe un historique un peu lourd dans le domaine de la néphrologie, avec, en 2000, l’apparition, pour une molécule, d’anticorps antiérythropoïétine. L’apparition de ces anticorps est due à la modification du processus de fabrication du produit (présence d’albumine, plastique du piston des seringues). Les néphrologues sont donc très sensibles à l’impact des détails dans les processus de fabrication des médicaments. Une grande part de la confiance qu’ils peuvent avoir dans ces médicaments repose sur l’information qui leur sera apportée par les fabricants et les autorités sanitaires sur la sécurisation du processus de fabrication et les contrôles réalisés.

On sait que des modifications peuvent intervenir dans les processus de fabrication, au cours de l’évolution. Les prescripteurs souhaitent ardemment être tenus au courant des modifications qui peuvent intervenir dans les processus de fabrication des produits.

Sur le plan de l’évaluation, il a été beaucoup discuté des processus d’évaluation des molécules princeps et des biosimilaires. Les prescripteurs savent que les molécules princeps sont évaluées sur des dizaines de milliers de patients. Et nous savons aussi que les biosimilaires sont évalués sur des centaines de patients seulement. Or l’apparition d’anticorps survient chez un faible nombre de patients – quelques dizaines. Comment détecter le risque de développer des anticorps chez un aussi faible nombre de patients, avec des études sur des centaines de patients ? Lorsqu’on nous présente un biosimilaire, nous avons donc un doute, parce que nous savons qu’il a été développé avec un nombre de patients relativement faible.

Sur quoi va s’appuyer notre confiance ? Probablement pas sur ces études de développement, mais sur les garanties apportées sur le processus de fabrication, et aussi le processus de suivi, une fois le médicament commercialisé. Là encore, il y a de grosses difficultés. Lorsqu’on sait la durée de prescription chez un patient atteint d’insuffisance rénale, on imagine la complexité du dossier. Ce sont des patients qui sont suivis pendant des années, qui passent par les différentes situations d’insuffisance rénale chronique (avec de l’EPO prescrit), de dialysé (toujours avec de l’EPO) puis de transplanté (sans EPO). Quelques années plus tard, ils peuvent se retrouver en situation de dialyse, exigeant à nouveau de l’EPO. Autrement dit, le dossier pharmaceutique, s’il existe, va s’étendre sur des dizaines d’années. C’est pourquoi nous avons quelque doute sur la faisabilité de ce suivi.

Bref, le niveau maximum de confiance est la conséquence de l’information sur le processus de fabrication, les contrôles et la transparence de ce processus.

M. Jean-Louis Touraine. Dans les faits, c’est à la Haute Autorité de santé (HAS) que l’on confie la mission de garantir ce processus. A la confiance, il faudra ajouter une petite dose de « je ne sais quoi », qui sera de la communication pour permettre de changer les habitudes prises, pour pouvoir utiliser toute la gamme des biosimilaires.

Mme Elisabeth Luporsi, docteur oncologue, Institut de cancérologie de Lorraine. Mettre un biosimilaire en situation adjuvante ne nous intéresse pas. La méthodologie est suffisante et nous disposons d’autres médicaments en essais cliniques (en deuxième ligne). Nous sommes davantage intéressés par des essais avec des nouveaux médicaments en situation adjuvante, plus cher certes, mais avec un mécanisme d’action performant et séduisant pour les oncologues. L’oncologue aimerait une petite récompense pour le fait de changer ses habitudes, et par là-même de diminuer le coût du médicament. Pour l’oncologue, confronté à la situation d’une jeune femme de trente-quatre ans, avec trois enfants, il est important de se battre pour pouvoir accéder à des médicaments distribués seulement en autorisation temporaire d’utilisation (ATU), qui permettront de donner six mois supplémentaires d’existence. La France a été exceptionnelle pour le protocole temporaire de traitement (PTT) en situation adjuvante de l’Herceptin. Mais certains nouveaux médicaments restent difficiles d’accès pour des patients dont on sait qu’ils vont mourir dans quatre mois.

M. Jean-Yves Le Déaut. Quels sont les effets indésirables qui ont déjà été recensés ? Quelles problématiques pourraient éventuellement survenir ? Sur quoi concentrez-vous les contrôles pour que cela ne survienne pas ?

M. Alexandre Moreau. Dans la vie réelle, une fois qu’un médicament de référence a été associé à un effet indésirable, qu’il soit rare ou pas, il est évident qu’avec les cohortes incluses dans le développement des biosimilaires, il est impossible de détecter ces évènements qui sont plutôt rares. C’est la raison pour laquelle l’Agence européenne du médicament a publié des recommandations qui indiquent un nombre minimal de patients à inclure dans les études cliniques liées au développement des érythropoïétines biosimilaires. Ce nombre varie en fonction de la durée des études. Les patients inclus dans ces études et ceux qui reçoivent, dans la vraie vie, des médicaments biosimilaires sont aussi inclus dans certains registres, qui suivent tout particulièrement les graves évènements à risque, comme l’apparition des anticorps ou de cancers secondaires liés à l’administration de facteurs de croissance.

Cela dit, sur la question de la confiance, le développement de ces médicaments ne doit pas être associé à un développement au rabais. Les associer à des génériques, qui ne sont pas non plus des médicaments au rabais, est compliqué, dans la mesure où le développement des biosimilaires est presque assimilable à de la haute couture. Les règles liées au développement des génériques sont simples (bioéquivalence) et ont été rappelées. Pour les biosimilaires, des critères d’efficacité et de sécurité doivent être définis pour chaque spécialité. On ne peut en effet donner de règle générale pour le développement d’un biosimilaire.

La confiance arrivera en éduquant parfaitement à la fois les prescripteurs et les patients, et en leur expliquant la méthode qui a été employée pour définir le rapport entre le bénéfice et les risques de ces produits. Il convient de leur faire comprendre que ce dernier est modifiable avec le temps. Une firme ne demande pas du jour au lendemain une autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un biosimilaire. Nous bénéficions déjà de l’expérience du médicament de référence. Le plus souvent, l’Agence européenne du médicament aide les firmes à développer au mieux ces médicaments et leur offre les meilleures garanties de développement de leur produit. Elle offre également des garanties aux patients pour essayer de définir les meilleures marges d’équivalence possible pour démontrer la biosimilarité.

Il est donc important de montrer que ces médicaments sont développés au cas par cas, chaque spécialité étant associée à une ligne de développement particulière, définie d’un commun accord avec l’ensemble des pays qui participent à l’évaluation de ces produits en Europe.

M. Jean-Louis Touraine. Il faut en effet bien avoir à l’esprit cette grande disparité entre médicaments, qui va aller croissant. Les protéines, les critères d’efficacité et les risques potentiels sont distincts. Il est donc important de s’adapter à chaque cas particulier, pour chaque variété de biosimilaire. Cela induit une complexité supplémentaire et il est important de la garder à l’esprit.

Mme Sophie Dumery, journaliste au Vidal. Je souhaiterais revenir sur la pharmacovigilance. Vous avez souligné que les études de bioéquivalence comportaient une phase 1 et une phase 3, avec un recrutement de patients en nombre inférieur à ce qui pourrait rassurer les prescripteurs. On a tendance à considérer qu’après la mise sur le marché, la pharmacovigilance est indispensable. Une réunion tripartite récente des académies a bien montré qu’il n’était pas possible d’appréhender un médicament, en particulier ceux dont les effets indésirables sont rares et très divers, qui ne concernent qu’un petit groupe de personnes, sans une pharmaco-épidémiologie et une pharmacovigilance de très grande envergure, nécessitant une notification de la part de tous les acteurs du système de soin, y compris les patients. Dans le cas des biosimilaires, considérez-vous que vous pouvez vous comporter de la même manière que pour les produits synthétiques chimiques, où l’on admet de fait sur le terrain que c’est la pharmacovigilance qui révèlera les petits détails de prescriptions qui peuvent chagriner les prescripteurs autant que les patients ?

M. Jean-Louis Touraine. J’aurais tendance à vous répondre : encore plus pour ces produits biologiques, avec une pharmacovigilance sur un nombre important de patients, suivis pendant de nombreuses années, en ajoutant tous les moyens de vigilance, qu’il s’agisse des lanceurs d’alerte ou de la pharmacovigilance organisée. Nous avons parlé de l’immunogénicité, nous pouvons aussi mentionner certaines réactions rares de type allergique. On va de plus en plus se rendre compte que, avec ces protéines, certains contextes ou prédispositions génétiques peuvent induire des réactions différentes. Les observations devront se faire sur des milliers de patients si l’on veut identifier les effets rares.

M. Jean-Luc Harousseau. Tous les biosimilaires ne posent pas les mêmes problèmes. Il a été précédemment fait allusion à l’apparition d’anticorps dans les traitements par EPO. Ces traitements par EPO sont, chez l’insuffisant rénal, des traitements au long cours. Pour les traitements anticancéreux, il s’agira certainement de quelques semaines de traitement. La pharmacovigilance n’est pas la même pour un produit pris pendant toute la vie et un produit pris pendant une période très limitée de temps. Il n’empêche qu’une pharmacovigilance s’impose. Pour ce qui concerne les anticorps monoclonaux en cancérologie, on a plus vite une idée des effets secondaires que pour les produits pris pendant de très longue période.

Mme Camille Vleminckx. Il est nécessaire d’avoir un plan de gestion des risques (PGR), pour les produits biosimilaires comme pour les produits biologiques. Nous avons l’expérience de la sécurité d’utilisation du produit de référence. C’est sur cette expérience qu’on se fonde, le biosimilaire étant similaire en termes de caractéristiques, comme cela a été démontré au cours du programme de développement. On se fonde sur les risques potentiels et les risques qui ont déjà été identifiés pour le produit de référence, afin de mettre en place ce PGR. Cela inclut parfois des registres de patients. Mais on peut aussi prendre des mesures additionnelles de réduction des risques, comme des informations au patient, des questionnaires, etc.

M. Martial Fraysse, président de l’Ordre régional des pharmaciens d’Ile-de-France. Je souhaiterais intervenir en tant qu’éducateur thérapeutique du patient. Nous utilisons tous un même vocabulaire, qui n’est pas forcément celui des patients. Nous parlons de biosimilaire. Le biosimilaire est similaire en caractéristiques. Or, lorsqu’un patient va consulter sur Google, il apprendra que similaire se dit de choses qui peuvent d’une certaine façon être assimilées les unes aux autres, par exemple un produit détersif et ses produits similaires, qui est plus ou moins de même nature qu’une ou que d’autres entités comparables, ressemblantes. Si l’on veut avoir une confiance et une adhésion totale des patients et des professionnels de santé dans les biosimilaires, il faut bien qu’on soit tous d’accord sur les définitions et la capacité pédagogique que l’on peut tous avoir en matière d’information vers les patients.

Sans cette capacité pédagogique, qui pourra dédramatiser des informations qui peuvent être fausses ou détournées, on n’aura pas l’adhésion totale et la confiance que nos patients méritent tous. Sur les murs de mon officine, j’ai fait graver un remède contre le « mal caduc » (l’épilepsie), qui date du XVIIIsiècle : « Enchâssez une griffe de loup, un soir de pleine lune, dans une bague d’argent gravée avec… ». De manière incompréhensible, cela entraînait une adhésion totale du patient. L’adhésion est essentielle au niveau de la psychologie et des croyances, pour avoir ce que l’on n’appelait pas encore un effet placebo, mais qui entraînait un effet réel en termes d’efficacité du traitement administré. Il faut veiller, dans nos définitions, à l’homogénéité des discours, des mots, des paroles et de l’information.

M. Jean-Louis Touraine. C’est un vœu pieu, mais vous avez tout à fait raison. Vous avez entendu tout à l’heure les qualificatifs donnés aux génériques dans une presse qui n’est pas particulièrement people. J’espère que nous nous prémunirons de cela pour les biosimilaires. Avec une presse dont je me réjouis qu’elle soit libre, nous ne sommes pas à l’abri de caricatures sur les biosimilaires. Tout ne sera pas toujours concordant. Mais c’est un fait qu’un minium de cohérence serait un plus pour assurer la confiance.

M. Benoît Vallet, directeur général de la santé (DGS), ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Je suis en accord avec ce qu’a dit M. Jean-Luc Harousseau. Aujourd’hui, on donne des traitements et des anticorps monoclonaux, comme le MabThera, utilisé dans les lymphomes non-hodgkiniens, qui aura un jour des biosimilaires. Il pourra se passer dix ans avant qu’il soit réutilisé. Nous avons donc des traitements dans le cancer pour lesquels les récidives existent. Si le patient a le droit à l’oubli, par exemple pour contracter un emprunt bancaire, ce droit ne vaut pas en matière de traçabilité des médicaments. Cette traçabilité est essentielle, c’est pourquoi le sujet du dossier pharmaceutique est très important, on peut espérer une durée de conservation bien supérieure à trois ans.

Autre sujet important : l’imputabilité. Si l’on change de molécule, l’imputabilité pour l’effet indésirable observé est beaucoup plus compliquée. D’où l’importance de veiller à rester avec des molécules qui soient traçables et le plus possible identiques, et l’idée de cette prévention de l’interchangeabilité, que nous avons évoquée au cours de l’après-midi.

M. Jean-Louis Touraine. Nous en arrivons au terme de cette table ronde. Je vous remercie tous pour vos réflexions, qui nous ont permis d’identifier les points sur lesquels travailler et de répondre aux deux questions posées. La première portait sur l’analogie des biosimilaires avec les génériques du point de vue médico-scientifique. La réponse est claire : ce ne sont pas les mêmes médicaments, mais l’on peut s’inspirer des erreurs, échecs ou insuffisances de l’époque du développement initial des génériques pour faire mieux dans le développement des biosimilaires. C’est une expérience utile à méditer. La deuxième question portait sur l’insertion des biosimilaires dans notre système de santé. On voit bien comment ils peuvent prendre leur place petit à petit, place qui ne se développera pas sans un grand niveau de confiance des professionnels et des patients, sans la mise en place d’une garantie au stade de la production et du contrôle des biosimilaires, puis dans un suivi très prolongé, pour s’assurer de leur efficacité et de l’absence de dérives ou d’effets inopportuns. Nous aurons à travailler sur ce sujet neuf, appelé à avoir une amplitude beaucoup plus importante dans les années prochaines.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je voulais excuser Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, qui devait animer la seconde table ronde, mais qui intervient en ce moment-même en séance publique. Elle fait partie des parlementaires qui suivent plus particulièrement les problèmes de santé pour l’Office. Ce dernier effectue un travail en amont de la législation, des problèmes de santé jusqu’aux problèmes de l’énergie. Le champ est large. Nous essayons d’organiser la fabrique de la loi sur la base de consultation d’experts et d’avis quelquefois divergents. C’est le sénateur Michel Berson qui animera la seconde table ronde. Il a beaucoup travaillé à l’Office, en particulier sur l’innovation.

SECONDE TABLE RONDE : LES ENJEUX ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET JURIDIQUES DES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES

Présidence de M. Michel Berson, sénateur, membre de l’OPECST

A. LES ENJEUX ÉCONOMIQUES : FAUT-IL DÉVELOPPER LE MARCHÉ DES BIOSIMILAIRES ?

M. Michel Berson, sénateur, membre de l’OPECST. Nous traiterons, dans cette seconde table ronde, des enjeux économiques et sociaux, puis des enjeux juridiques, des médicaments biosimilaires.

En 2014, au niveau mondial, 200 médicaments biologiques sont disponibles sur le marché et 900 autres sont en développement. On s’attend à ce que, en 2020, le chiffre d’affaire mondial généré par les médicaments biologiques atteigne 20 à 25 milliards d’euros. En France, le marché des médicaments biosimilaires représentait jusqu’à présent quelques dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaire. Il pourrait atteindre plusieurs centaines millions d’euros dès 2016…

Le prix des médicaments biosimilaires est en général de 20 à 30 % moindre que celui des médicaments de référence. Le prix des médicaments de référence est également appelé à baisser, soit spontanément par le jeu de la concurrence, soit dans les négociations avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Quel est le modèle économique des médicaments biosimilaires pour les laboratoires pharmaceutiques qui les produisent ? Certains laboratoires se spécialisent dans la production de médicaments biosimilaires. Certains État émergents, comme la Chine, aident leurs laboratoires à produire des médicaments biosimilaires. Certains laboratoires producteurs de médicaments biologiques de référence se mettent aussi à produire des médicaments biosimilaires. Samsung et LG, les fabricants de produits électroniques sud-coréens bien connus, se sont associés avec des laboratoires pharmaceutiques pour produire des médicaments biosimilaires.

Comme pour les médicaments chimiques génériques, le développement des médicaments biosimilaires ne pourra se faire que par la création de mécanismes d’incitation – ou de sanctions –, tant à l’hôpital qu’en ville, pour les pharmaciens et les prescripteurs.

Monsieur Thomas Wanecq, vous êtes sous-directeur du système de financement de soins, au sein de la direction de la sécurité sociale (DSS), au ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Pouvez-vous nous présenter les enjeux économiques des médicaments biologiques et de leurs biosimilaires ?

M. Thomas Wanecq, sous-directeur du système de financement de soins, direction de la sécurité sociale (DSS), ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Pour la sécurité sociale, les médicaments biologiques sont, dans leur ensemble, un enjeu très important. D’une part parce qu’ils représentent un progrès thérapeutique essentiel dans la prise en charge de nombreuses pathologies. Ensuite parce que ces thérapies innovantes ont un coût, qui doit être supporté par la solidarité nationale. De ce point de vue, les biosimilaires sont une question cruciale.

En France, sur les dix médicaments les plus coûteux de la liste en sus, sept sont des médicaments biologiques. Les médicaments de la liste en sus font l’objet d’un remboursement intégral à l’hôpital en dehors des remboursements hospitaliers, car précisément leur coût ne permet pas leur prise en charge dans le cadre des tarifs hospitaliers. Ce sont en général des médicaments récents, innovants et coûteux. La possibilité de bénéficier de thérapies à des coûts plus faibles pour le traitement de ces pathologies, sans perte de chance pour le patient, est évidemment une perspective cruciale pour la sécurité sociale. En France, le choix est celui de l’accès le plus large possible des patients aux thérapies innovantes. Le sujet est donc considéré avec la plus grande attention, un certain nombre de brevets devant prochainement tomber dans le domaine public. La possibilité de bénéficier de la disponibilité des biosimilaires sera une réalité concrète dans les cinq prochaines années. Des produits phares sont concernés, que ce soit les anti-TNF ou les anticancéreux, pour des pathologies qui concernent un grand nombre de patients, qui concentrent beaucoup d’effort de la recherche pharmaceutique et sur lesquels beaucoup de perspectives de progrès thérapeutiques sont possibles.

Cela a été rappelé à plusieurs reprises, un médicament biosimilaire n’est pas un médicament générique. Il n’a pas l’identité de principe active qui existe entre un générique et un princeps pour les médicaments chimiques. Mais il existe une similarité. Dès lors qu’on a pu prouver cette similarité, l’efficacité du médicament est égale pour le traitement de la pathologie. Ce médicament pose des questions de santé publique sur lesquelles il faut être vigilant, mais il offre aussi des perspectives d’économies.

Lorsqu’un biosimilaire arrive pour les médicaments qui sont pris en charge en ville, il offre la possibilité d’une baisse des tarifs ou de médicaments moins chers. L’arrivée sur le marché des biosimilaires permettra donc d’abord une économie, notamment à l’hôpital, où il créera une pression à la baisse sur les prix. Encore faut-il que ces médicaments, qui représentent un coût de développement important, puissent exister sur le marché. L’enjeu est la conciliation entre un accès de ces médicaments au marché et la réalisation effective d’économies. Il n’y aurait aucun sens de favoriser l’accès des médicaments au marché sans bénéfice pour la protection sociale.

L’équilibre à trouver est essentiel. Comment inciter les acheteurs et les prescripteurs, notamment hospitaliers, à utiliser les biosimilaires ? Il s’agit aussi de favoriser l’accès au marché, en mettant en application le principe d’extrapolation, qui va de soi pour les médicaments chimiques, mais qui est une question plus délicate pour les médicaments biologiques. Certaines procédures sont à examiner avec attention, pour que cet enjeu ne soit pas un frein au développement effectif des biosimilaires.

Les conditions de la confiance et de la transparence sont essentielles. C’est un enjeu économique pour la sécurité sociale, dans la mesure où il s’agit de médicaments qui traitent de pathologies graves et de maladies chroniques importantes. Dans ce domaine, la confiance de l’ensemble des acteurs, des patients et des prescripteurs est essentielle. De ce point de vue, la transparence, l’information et la communication sont des enjeux cruciaux. Le développement des supports de communication et l’information des prescripteurs hospitaliers sont donc des sujets fondamentaux. Au-delà même des discussions qui ont pu avoir lieu sur les médicaments génériques, les débats sur les médicaments biosimilaires, pour des pathologies aussi lourdes et importantes, et compte tenu des investissements qu’ils représentent pour la solidarité nationale, ne peuvent être envisagés sans que cette transparence et cette information soient assurées.

M. Michel Berson. Des économies substantielles sont attendues de l’utilisation des médicaments biosimilaires. En France, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a inscrit l’objectif de 30 millions d’euros d’économies dès cette année. Certains prévoient entre 500 millions et 1 milliard d’euros d’économies annuelles à horizon 2020.

Madame Christelle Ratignier-Carbonneil, vous êtes responsable du département des produits de la santé à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Pouvez-vous confirmer ces chiffres ? Avez-vous un calendrier, des objectifs à nous préciser ?

Par ailleurs, quels mécanismes d’incitation ou de pénalisation sont envisagés pour favoriser l’utilisation des biosimilaires ? Un patient pourra-t-il refuser la prescription d’un biosimilaire ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, responsable du département des produits de la santé, Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). La raison d’être du biosimilaire, « son ADN », est économique. Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est pour essayer de trouver les déterminants à la promotion du biosimilaire. Cette promotion se fait dans le cadre d’un objectif économique permettant de dégager des marges de manœuvre pour un accès aux soins innovants.

Les biosimilaires existent depuis un certain nombre d’années, les premiers datant de 2006. Leur taux de pénétration en France est différent de celui de nos collègues européens. En France, le taux de pénétration des EPO est de 3 %, contre 35 % pour l’Allemagne, celui des facteurs de croissance est de 19 % en France, contre 52 % pour le Royaume-Uni, celui des hormones de croissance est de 11 % en France contre 2 % et 5 % respectivement pour le Royaume-Uni et l’Allemagne.

Si le sujet suscite tant de questions, c’est pour des raisons économiques. Nous commençons à développer des biosimilaires d’anticorps monoclonaux. L’enjeu est très important : les médicaments biologiques représentent 7 milliards d’euros – dont 2 milliards pour les anticorps monoclonaux. L’arrivée de biosimilaires peut changer la donne et engendrer un certain nombre d’économies.

Il faudra que l’on puisse répondre à un triple objectif économique : augmenter l’offre des biosimilaires sur le marché français ; développer un intérêt pour les industriels à développer des biosimilaires, processus qui est long et coûteux ; et augmenter la part de marché des biosimilaires. Avec les trois types de biosimilaires que nous avons aujourd’hui des marges de progression sont encore possibles, l’objectif final pour la collectivité étant la baisse du coût des traitements.

Un certain nombre d’outils peuvent être mis en œuvre, à commencer par la sensibilisation et l’accompagnement des prescripteurs, mais aussi des patients. Un prescripteur convaincu et convainquant, c’est un patient convaincu. L’importance de la confiance du prescripteur a été largement rappelée lors de la première table ronde. Des mécanismes incitatifs sont à développer, en termes de rémunération, par exemple. C’est ainsi que l’assurance maladie a développé, en milieu ambulatoire, des rémunérations sur objectifs de santé publique pour les professionnels de santé. On peut aussi imaginer des mécanismes d’intéressement pour les établissements de santé, à l’utilisation et à l’achat de biosimilaires, ou encore des mécanismes plus coercitifs sur le cadre réglementaire, les droits de substitution ou des obligations de prescription. Nous pouvons également avoir des objectifs tarifaires. Actuellement nous sommes aux alentours de 20 à 30 % d’économie par rapport aux produits de référence : peut-on aller plus loin ? Cela suppose un équilibre économique viable pour l’industriel et la promotion de biosimilaires. Bref, il faudra mettre en œuvre tout un panel d’outils, qu’il sera nécessaire de panacher et de différencier en fonction des champs thérapeutiques abordés.

M. Michel Berson. Monsieur Claude Le Pen, vous êtes professeur de sciences économiques, directeur du master économie et gestion de la santé à l’université de Paris 9-Dauphine. Monsieur le Professeur, que pouvez-vous nous dire sur les aspects économiques du développement des médicaments biosimilaires : concurrence mondiale, estimation des économies entraînées pour les organismes de sécurité sociale, meilleur accès aux soins et plus grande diffusion des médicaments biologiques, incitation ou frein à l’innovation, niveau d’activité des laboratoires pharmaceutiques français ?

M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques, directeur du master économie et gestion de la santé, université de Paris 9-Dauphine. Le biosimilaire est une affaire mondiale, c’est un fait indiscutable. Il se développe partout, sans que des politiques spécifiques soient nécessaires, parce que les systèmes de santé sont contraints à des choix budgétaires. Au passage, c’est un phénomène pour lequel la France n’est pas très bien placé : aucun biosimilaire n’est fabriqué par un industriel français. Autant dire que tous les biosimilaires seront des produits venus de laboratoires étrangers, importés en France. De manière plus générale, les capacités de bioproduction en France ne sont pas à la hauteur de ce qu’elles devraient être dans un pays technologiquement avancé, au marché pharmaceutique dynamique.

Nous n’avons pas le choix, le biosimilaire est une nécessité pour notre système. Il représente 7 milliards d’euros en prix fabricant hors taxe, somme qui se répartit équitablement entre l’hôpital et la ville. Tous les médicaments biologiques ne sont pas susceptibles d’avoir des biosimilaires. Leur brevet tombera dans le domaine public entre maintenant et 2019. La différence de prix sera de l’ordre de 25 à 30 %. À l’échéance de 2019, on devrait pouvoir faire entre 500 millions et 1 milliard d’euros d’économies sur un marché pharmaceutique de 25 milliards (un marché de prescription de 19 milliards et un marché de l’hôpital de 6 milliards). C’est absolument considérable et c’est une nécessité. Au moment où un certain nombre d’entre nous s’inquiètent de l’accès au marché de molécules très innovantes, le système de santé a besoin d’une respiration pour garantir aux Français un accès à l’innovation. Il faut une politique pour le soutenir.

Cela dit, une bonne intention ne donne pas une bonne politique, comme l’a montré le générique. Si la France est en retard sur le générique, si son développement a été plus long qu’ailleurs, si l’image du générique est celle que l’on sait, c’est parce que la politique publique en est en partie responsable. Il a fallu cinq ans pour s’apercevoir que le pharmacien était important, huit ans pour voir que le médecin comptait, plus de dix ans pour responsabiliser le patient. Une mesure administrative ne garantit aucunement une envolée du marché.

Est-on à l’abri de ces erreurs pour le biosimilaire ? Pas vraiment… L’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, qui transpose aux biosimilaires le dispositif de substitution officinal, en est une parfaite illustration. Il met en place un dispositif monstrueux, une usine à gaz réglementaire qui fonctionne à perte, avec vérification très difficile d’une primo-prescription, avec information du médecin prescripteur quasiment impossible à l’hôpital. En plus, le pharmacien n’est pas indemnisé, puisque la rémunération spécifique des génériques n’est pas prévue pour les biosimilaires. Si l’on veut tuer le biosimilaire, on ne s’y prendrait pas autrement. Mais j’ai cru comprendre que le pragmatisme prévaudrait dans l’application de la loi et que le décret ne serait une condition ni nécessaire, ni suffisante du succès des biosimilaires. Ni nécessaire parce que plusieurs pays, dont l’Allemagne, vont nous dépasser sans avoir de dispositif de cette nature, ni suffisante, car le danger serait de croire que, comme nous avons ce décret, il n’y aura plus rien à faire.

Je suis frappé par la très forte ignorance des cliniciens vis-à-vis de problèmes, pour nous, plutôt familiers. On pense que tout le monde possède notre niveau d’information. Mais il suffit de se rendre dans un colloque d’oncologie pour entendre leurs questions. Est-ce que ça marche ? Que faire quand il faudra que j’attende la reprise de la croissance de la tumeur sur mon patient ayant pris un biosimilaire, en l’absence de marqueur biologique pour savoir si j’ai une réponse rapide ou pas ? Qu’est-ce qui me garantit que ça va ? Quels sont ces essais, que je lis avec la même curiosité critique que pour les produits d’innovation ? Où sont les résultats ? Il ne faut pas sous-estimer la tâche immense d’information et d’éducation de l’ensemble des acteurs du monde de la santé, médecins et pharmaciens, sur ce sujet. On ne parviendra à la confiance du patient qu’avec celle des professionnels de santé, en premier lieu celle du prescripteur. Une vision administrative conduit à l’échec, alors qu’on ne peut pas se permettre d’échouer sur ce sujet, le marché pharmaceutique ayant besoin de ces produits.

M. Michel Berson. Je donne maintenant la parole à M. Gérard de Pouvourville, professeur de sciences économiques, directeur de l'institut de la santé, titulaire de la chaire ESSEC Santé. Êtes-vous d’accord avec ce que vient de dire votre collègue économiste, M. Claude Le Pen ?

M. Gérard de Pouvourville, professeur de sciences économiques, directeur de l'institut de la santé, titulaire de la chaire ESSEC Santé. Quelques éléments d’information complémentaires, étant entendu que je suis d’accord avec les propos qui viennent d’être tenus. Je pense en effet essentiel de rappeler que l’apparition des biosimilaires est un phénomène mondial sur un marché mondial. Il y a donc un vrai risque de myopie à considérer qu’on adoptera des solutions limitées à la France et que les sociétés ne feraient pas d’arbitrage par rapport à ces solutions et au marché français. Il faut donc être très vigilant sur ce point. Les sociétés qui fabriquent des biosimilaires sont des sociétés qui s’adressent au marché mondial. Elles pourraient être conduites à faire des arbitrages qui seraient défavorables à l’accès aux biosimilaires en France, s’il n’est pas assez porteur ou pas d’accès suffisamment facile.

En termes d’ampleur d’économies, il y a un effet baisse de prix du princeps qui jouera, qui se traduira, par exemple pour le Remicade, par une économie potentielle de 44 millions d’euros par an sur les cinq ans à venir, soit un peu moins que la dépense de Vidaza, de l’ordre de 52 millions d’euros, prescrit pour le traitement de certaines leucémies. En fonction des hypothèses que l’on peut faire sur la pénétration des biosimilaires de Remicade sur le marché, on peut envisager une économie de l’ordre de 70 millions d’euros avec une progression lente, et de 80 millions avec une progression maximale et une interchangeabilité acceptable, bien sûr cette question est critique. 80 millions d’euros, c’est le coût du Velcade, dans le traitement du myélome multiple.

Il y a donc un enjeu non seulement économique, mais aussi d’accès aux autres innovations. Dès lors où l’on continue en France à conserver une politique d’accès aux thérapies innovantes, quel que soit leur coût et leur ratio coût-efficacité, la seule façon que nous avons de gérer cette politique sous contrainte budgétaire est de faire des économies sur les autres produits. Il serait dramatique de ne pas parvenir à potentialiser ces économies.

La question des incitations nécessaires est en effet importante. Bien entendu, la définition qu’on donnera de l’interchangeabilité est cruciale. Si les médecins prescripteurs sont convaincus de l’équivalence des biosimilaires dans le traitement des patients, ils n’auront pas forcément besoin d’incitations économiques directes, contrairement aux pharmaciens, dont le mode de rémunération dépend en partie de la différence entre le prix d’acquisition et le prix de vente. Les incitations ne sont pas les mêmes pour les médicaments hospitaliers et les médicaments de ville. Il faudra donc avoir des politiques différentes, selon qu’il s’agit de médicaments hospitaliers, de médicaments à prescription initiale hospitalière (PIH) ou rétrocédés ou des médicaments de ville.

À l’hôpital, le mécanisme de la liste en sus fait qu’il n’y a pas d’incitation directe pour le médecin de prescrire moins cher, dans la mesure où les médicaments sont pris en charge à 100 % par l’assurance maladie. Il y a une incitation directe pour le pharmacien, à savoir la marge d’intéressement. Il existe aussi une incitation indirecte, dans la mesure où l’apparition des biosimilaires permettra à des médecins, dans le cadre des contrats de bon usage (CBU) et de l’extension des indications des protocoles temporaires de traitement (PTT) et des prescriptions hospitalières induites en ville, de pouvoir aménager des espaces de traitement pour une plus grand nombre de patients. On pourrait aller plus loin et mettre en place des incitations sous forme d’objectifs de prescription de biosimilaires.

Je ne souhaite pas aborder les incitations sur les produits de ville. Sur ce sujet, ce qui structurera les incitations requises a trait à l’interchangeabilité et au droit de substitution.

J’ai bon espoir. Ce qui est intéressant dans le modèle actuel, c’est que la focalisation sur les effets à long terme des biosimilaires est telle qu’on produira beaucoup de données qui, progressivement, permettront de rassurer les prescripteurs, les patients et les payeurs sur les différences en termes de sécurité et d’équivalence des produits. L’important est de s’assurer que cette observation en vie réelle soit mise en place rapidement et de manière structurée, de façon à rassurer tout le monde.

M. Michel Berson. Madame Yvanie Caillé, vous êtes la directrice générale de l’association Renaloo (maladies rénales). Nous avons entendu des scientifiques, des représentants du corps médical, des représentants des administrations, des économiques, mais il faut aussi que nous écoutions, que nous entendions la voix des patients. Vous avez, madame, la lourde tâche de représenter cette après-midi le point de vue des patients.

L’article L. 1111-4 du code de la santé dispose que : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne. » Estimez-vous être suffisamment informée sur les médicaments biosimilaires ? Quel est le niveau d’information souhaitable des patients à qui l’on prescrit ces médicaments ?

Les médicaments biosimilaires ont-ils pour vous une image de marque moins dégradée que celle qu’ont pu avoir les génériques il y a quelques années ? La baisse des prix induite par l’arrivée des médicaments biosimilaires entraîne-t-elle, selon vous, une plus grande diffusion des médicaments biologiques et, par là-même, des avancées technologiques qu’ils représentent ?

Mme Yvanie Caillé, directrice générale de l’association de patients Renaloo. Les biosimilaires traitent des patients qui souffrent de maladies graves et chroniques, c’est une spécificité qu’il est important de prendre en compte. Je prends l’exemple des érythropoïétines utilisées dans les maladies rénales, lorsque les reins ne produisent plus cette hormone. Avant l’arrivée des EPO au cours des années 1980, on avait recours à des transfusions pour permettre aux patients qui avaient une anémie très grave, qui étaient constamment épuisés, de retrouver une vie à peu près convenable en termes d’énergie et de fatigue.

Il existe aujourd’hui plusieurs types d’érythropoïétines en France, de durée courte (administrables trois fois par semaine) ou longue (avec un mode d’administration moins fréquent, d’une fois par quinzaine à une fois par mois), qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public. Que souhaite un malade ? D’abord la garantie qu’il n’aura rien à perdre à prendre un biosimilaire par rapport à un médicament princeps, ensuite un certain nombre d’éléments favorables, comme un environnement règlementaire, des garanties d’évaluation et de contrôle.

Les patients sont très conscients du poids économique de ces médicaments pour le système de santé ; ils peuvent parfaitement intégrer le fait que prendre des médicaments moins onéreux est dans l’intérêt du système de santé et donc des patients, est une incitation à la concurrence et contribue à faire baisser les prix. Quelle garantie de qualité en termes d’origine des matières premières ou de respect des bonnes pratiques de fabrication ? En 2007-2008, un problème sur des héparines fabriquées en Chine a occasionné le décès de 80 patients aux États-Unis. Ces héparines contaminées ont été diffusées dans une dizaine de pays au monde.

Les patients entendent le contexte de défiance que l’on connaît avec les génériques, tel qu’il est relayé par les médias. Le 23 janvier, la vente de plusieurs dizaines de génériques a été suspendue en Europe. Nous avons entendu que cela pouvait montrer le bon niveau d’évaluation et de contrôle existant. Mais pour les patients, c’est aussi un élément d’alerte, négatif vis-à-vis des génériques. On se souvient aussi de la crise de l’Eprex en septembre 2002 : 165 patients ont été concernés dans le monde. Il est important de rappeler ce que cela signifie pour les patients : apparition d’anticorps anti-EPO résistant à toutes les formes d’érythropoïétine, suspension du traitement, nouvelle dépendance aux transfusions avec tous les risques que cela peut comporter ; pour certains patients, greffe en urgence, permettant de retrouver un niveau de fabrication d’érythropoïétine normal.

L’interchangeabilité (switch) entre les molécules est à proscrire en raison du risque d’immunogénicité. Il paraît difficile d’en garantir l’absence dans les parcours de santé d’insuffisants rénaux pouvant s’étaler sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années. Aujourd’hui, lorsque les EPO ne sont pas des biosimilaires, les patients en connaissent très fréquemment, alors que le risque de production d’anticorps n’est pas neutre. Ces switchs peuvent avoir lieu dans l’intérêt des patients (permettre de se piquer soi-même à domicile avec une EPO lente et donc des injections moins fréquentes), mais ils peuvent aussi être liés à un changement de marché dans un centre de dialyse, qui se fait d’ailleurs sans information des patients.

L’information est un enjeu crucial. Je n’ai pas de solution. Il faut souligner la difficulté d’informer les patients et les médecins sur ces enjeux. Dans les maladies rénales, les néphrologues sont plutôt réticents à l’utilisation des biosimilaires. Il serait intéressant de connaître l’opinion des médecins sur ces thématiques. De fait, il est très difficile d’expliquer qu’on a affaire à un même médicament, similaire. La communication est loin d’être simple.

S’agissant de la substitution, on a vu la difficulté et les enjeux d’un dialogue entre le médecin, le pharmacien et le patient. Les messages sont complexes. Des érythropoïétines à durée lente arriveront dans le domaine public dans les années qui viennent. Elles feront probablement l’objet de biosimilaires. Actuellement, deux types d’EPO lentes existent, dont une est administrable sous forme de stylo injecteur (on ne voit pas l’aiguille), l’autre sous forme de seringue traditionnelle (on se fait une injection sous-cutanée). L’avis des patients est très partagé sur ces deux formes, certains préférant la seringue, d’autres le stylo. Il s’agit d’un élément de discussion important avec le prescripteur, les préférences des patients pouvant être prises en compte. Qu’en sera-t-il si la substitution par les biosimilaires est mise en place. Ces choix seront-ils préservés ? L’expérience des patients est importante à prendre en compte dans le débat.

B. LES ENJEUX JURIDIQUES : QUEL ENCADREMENT ?

M. Michel Berson, sénateur, membre de l’OPECST. Après avoir répondu à la question : faut-il développer le marché des médicaments biosimilaires ? – la réponse est oui –, encore faut-il savoir comment on peut encadrer ce marché. Ce sont les enjeux juridiques qu’il faut aborder maintenant. Comme l’a rappelé le président Jean-Yves Le Déaut en ouverture, l’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 rend possible pour le pharmacien la substitution d’un biosimilaire à un médicament biologique de référence. Pour le mettre en œuvre, deux décrets d’application sont en cours d’élaboration, l’un sur les modalités de la substitution, l’autre sur la procédure relative à l’élaboration d’une liste de référence des médicaments biosimilaires, avec comme modèle ce qui s’est fait pour les génériques. Un engagement avait été pris, dans le cadre du contrat de filière du Comité stratégique des industries de santé (CSIS), de ne pas statuer sur la substitution tant qu’un groupe de travail associant les parties prenantes n’aurait pas rendu son avis. À l’automne 2013, l’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 a pris les industriels de court. Le LEEM n’a pas voulu siéger au groupe de travail et n’y est revenu qu’en décembre 2014. On a perdu une année.

Il est vrai que les questions relatives à la mise en œuvre de l’article 47 sont nombreuses. Quel doit être le partage des tâches entre le médecin prescripteur et le pharmacien dans le choix de la délivrance de médicament de référence ou biosimilaire ? Face aux dangers inhérents aux biosimilaires (« similaires mais non identiques »), les médecins souhaitent conserver la maîtrise de la prescription. Qu’en est-il de la responsabilité du pharmacien en cas de la substitution puis de survenue d’effets indésirables ? Le fait que le pharmacien n’est pas obligé de substituer, associé au fait d’un risque encouru, ne fait-il pas craindre qu’il s’abstiendra de substituer ?

Si le pharmacien dispose de la possibilité de substituer, comment saura-t-il quel biosimilaire choisir ? Comment s’assurera-t-il qu’il s’agit bien d’une initiation de traitement ? Comment pourra-t-il suivre le patient si son dossier pharmaceutique n’est pas rempli ? Une durée d’archivage du dossier pharmaceutique de quatre ou six mois est-elle suffisante ? Comment le pharmacien s’assurera-t-il que le médecin prescripteur est d’accord ?

Madame Nadine David, vous êtes la deuxième représentante de la direction générale de la santé à vous exprimer cette après-midi, après votre directeur général. Vous assurez les fonctions de chef du bureau du médicament. À ce titre, vous coprésidez, avec Mme Corinne Blachier-Poisson, le groupe de travail du Comité stratégique des industries de santé (CSIS) relatif au développement des biosimilaires.

Où en sont les travaux d’élaboration des deux décrets de l’article 47 dont je viens de faire état ? Comment se passe la concertation avec les industriels ?

Mme Nadine David, chef du bureau du médicament, direction générale de la santé (DGS), ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. S’agissant de la concertation avec les industriels, nous avons mis en place le groupe du CSIS début 2014. Les industriels ont cessé d’y participer en mai 2014. Depuis, nous avons avancé sur le décret et je pense que nous allons reprendre les travaux de concertation.

S’agissant de l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, il s’agit d’un seul décret englobant la liste de référence et la substitution. S’agissant de la création par l’ANSM d’une liste de référence des groupes biologiques similaires, une fois que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) est octroyée, les biosimilaires sont identifiés par une décision du directeur général de l’agence en vue de leur inscription sur la liste de référence. Toute décision peut être assortie de recommandations et de mise en garde.

Il est important de noter que l’inscription n’est pas automatique après l’octroi de l’AMM, elle dépend d’une décision d’identification du directeur général de l’agence. En cas de biologique similaire qui soulèverait une question en termes d’interchangeabilité, il n’y aurait pas de décision d’identification, et donc pas d’inscription sur la liste de référence.

Cette liste de référence est fondamentale. Elle permettra d’informer les prescripteurs de l’existence des biosimilaires et les invitera à les prescrire. Par ailleurs, c’est elle qui permettra aux pharmaciens de pouvoir substituer un biosimilaire à la prescription des médicaments biologiques.

La deuxième disposition concerne les conditions de substitution par le pharmacien. Aujourd’hui, les biosimilaires sont sur le marché et sont parfois interchangés sans règles d’usage. Il nous a donc paru fondamental d’encadrer cette substitution. Car des changements multiples et fréquents entre produits de référence et similaires exposent à un risque élevé de réponse immunologique contre la molécule thérapeutique et peuvent induire une moindre efficacité et des effets indésirables. Comme il s’agit de pathologies lourdes et chroniques, cela peut conduire à une impasse thérapeutique. C’est pourquoi il est essentiel d’encadrer la substitution.

Le pharmacien est sécurisé dans sa substitution par la prescription médicale. En effet, la loi a précisé que, quand le prescripteur initie un traitement biologique, il est tenu de porter sur la prescription « en initiation de traitement ». Par cela même, le pharmacien saura donc qu’il pourra substituer. Lors du renouvellement du traitement, le prescripteur porte sur la prescription la mention « non substituable en continuité de traitement ». Le prescripteur peut à tout moment s’opposer, en primo-prescription, par le biais d’une motion manuscrite « non substituable », pour des raisons particulières ayant trait au patient. Le pharmacien est donc sécurisé par la prescription du médecin.

Lorsqu’il substitue, le pharmacien porte le nom du médicament délivré sur ordonnance. Comment assurer ensuite correctement la traçabilité du médicament, pour assurer la continuité du traitement ? L’outil majeur dont on peut se servir est le dossier pharmaceutique (DP). C’est l’outil adéquat, qui permettra d’assurer la traçabilité. Comme le DP n’a pas de caractère obligatoire, il est proposé dans le décret que la substitution d’un médicament biologique soit conditionnée à l’existence d’un DP pour le patient ou, le cas échéant, à son ouverture. Le DP devra être alimenté par le pharmacien pendant toute la période de la prescription. Les DP sont de plus en plus fréquent à l’hôpital, ce qui permettra d’assurer la continuité d’un traitement suivi à l’hôpital puis dispensé en ville. Bien évidemment, si le patient refuse l’ouverture d’un DP, le pharmacien ne substituera pas le traitement.

Comment le pharmacien informe-t-il le prescripteur ? Il informe « sans délai et par tous moyens dont il dispose ». Les conditions de cette information seront précisées dans un arrêté, plus facilement actualisable qu’un décret. L’outil idéal d’information du médecin par le pharmacien est la messagerie sécurisée entre professionnels de santé. Comme elle n’est pas déployée actuellement dans toute la France, on ne peut pas imposer ce moyen d’information. Une fois qu’elle sera généralisée, l’arrêté pourra préciser qu’il s’agira du mode d’information qui doit être utilisé.

Une troisième disposition vise à bien identifier le médicament biologique. La définition d’un médicament biologique est complexe. Certains médicaments n’ont pas de dénomination commune internationale (DCI) ou peuvent en avoir plusieurs. Les médicaments biologiques sont identifiés par leur DCI plus leur nom de marque. Les médecins ont l’obligation de prescrire en DCI, avec, de façon facultative, le nom de marque. Pour tous les médicaments biologiques, dans un souci de bonne identification du médicament, le prescripteur aura l’obligation de mentionner le nom de marque en plus de la DCI. Aujourd’hui, les prescripteurs mentionnent toujours le nom de marque pour les médicaments biologiques, ce qui laisse à penser que l’obligation ne sera pas difficile à suivre.

On a parlé des mesures complémentaires envisagées. Un projet de décret relatif au dossier pharmaceutique est en cours d’examen au Conseil d’État. Il prévoit que les données relatives au médicament biologique resteront accessibles pendant une durée de trois ans. Cela permettra de garantir au mieux la traçabilité et la continuité du traitement.

Il a également été mentionné qu’un amendement au projet de loi relatif à la santé, en cours d’examen, indiquera, dans les logiciels d’aide à la prescription, l’appartenance du médicament à la liste de référence des groupes biologiques similaires. Cela incitera les prescripteurs à choisir un produit dans cette liste.

Se pose également la question de l’utilité d’un référentiel des médicaments biologiques, qui pourrait être utile pour le prescripteur. À ce jour, ce référentiel n’existe pas. Mais nous réfléchissons à sa mise en place, pour l’intégrer à la base publique de médicaments, qui est consultée très fréquemment par les patients et professionnels de santé.

M. Michel Berson. Madame Corinne Blachier-Poisson, vous êtes la directrice des affaires publiques et de l’accès au marché d’Amgen. À ce titre vous coprésidez, avec Mme Nadine David, le groupe de travail du CSIS relatif au développement des biosimilaires.

Pouvez-vous nous donner le point de vue de l’industrie pharmaceutique sur les discussions en cours relative à la mise en œuvre de l’article 47 ?

Mme Corinne Blachier-Poisson, directrice des affaires publiques et de l’accès au marché d’Amgen, co-présidente du groupe de travail du CSIS relatif au développement des biosimilaires. Les travaux du CSIS se sont déroulés pendant six mois, ils ont été arrêtés à la demande du LEMM et n’ont d’ailleurs pas encore repris formellement. La porte est ouverte, mais nous n’avons pas encore repris nos travaux. Où nous sommes-nous donc arrêtés en mai 2014 ? Pour l’industrie, la loi est arrivée de manière précipitée, alors que nous étions censés démarrer à la rentrée 2013 et réfléchir à long terme sur le développement des biosimilaires. Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, il a été décidé par le ministère que le moyen de développer les biosimilaires devait passer par l’octroi du droit de substitution donné au pharmacien. Depuis le début, les industriels estiment qu’il existe une large panoplie pour développer les biosimilaires. Ils observent que seule la France a introduit ce principe de substitution à l’initiation, les autres pays européens n’ayant pas choisi cette voie. En parallèle à ce débat à la substitution, on pouvait aussi s’interroger sur les autres outils à mettre en place. Il est regrettable que l’article 47 ait obscurci la discussion sur les autres sujets.

J’en viens à l’article 47 lui-même. La discussion sur cet article s'est focalisée sur la substitution en officine de ville. Mais il créé le principe que la substitution ne doit se faire qu’à l’initiation, ce qui signifie qu’il s’agit d’une obligation à la fois pour l’hôpital et pour la ville. Cette obligation existe donc aussi pour les pharmaciens hospitaliers. C’est une recommandation que nous avions faite, pour s’assurer que les pharmacies hospitalières aient à tout moment les produits du répertoire, le médicament de référence ainsi que les biosimilaires, si l’on veut que les pharmacies hospitalières respectent aussi le principe institué par l’article 47. C’est une de nos demandes qui n’a pas été mise en œuvre par la direction générale de l’organisation des soins (DGOS) du ministère de la santé, qui prévoyait une circulaire précise sur les recommandations de respect.

S’agissant de la question de la ville, sujet largement débattu aujourd’hui, mais qui reste largement ouvert, qu’appelle-t-on un patient en initiation ? Ce point n’a pas été résolu par l’article de loi. C’est un point toujours très difficile à définir, qui reste ouvert. On peut prendre quelques exemples. Une patiente reprend un traitement contre la stérilité quelques années après. Ou alors, le cancer du sein devenant une maladie chronique, une patiente a eu un cancer du sein, elle a suivi une chimiothérapie, avec un G-CSF à courte durée d’action ; cinq ans plus tard, quand elle doit reprendre une chimiothérapie, quand son médecin envisage de lui prescrire un G-CSF qui a perdu son brevet et pour lequel existent plusieurs biosimilaires, cette patiente est-elle considérée comme en initiation ou en renouvellement ? La question reste ouverte. On entend que la réponse peut dépendre des classes de médicament ou des patients. C’est alors au médecin de décider. Mais on met alors le pharmacien en position délicate. Comment peut-il, en effet, s’assurer de l’information ? Comment s’assure-t-on qu’un patient est en initiation ou en continuité tout au long de sa vie et de son traitement, qui peut durer plusieurs années avec des phases d’interruption ? Cela renvoie à la question du dossier pharmaceutique. Ce qui est positif est que la direction générale de la santé (DGS) a bien intégré l’idée qu’il fallait un dossier pharmaceutique pour chaque patient à qui on va prescrire un biomédicament. Nous avons progressé sur ce point. Cela dit, les dossiers pharmaceutiques ne font pas l’exhaustivité des informations entre la ville et l’hôpital. Si la pharmacie de ville est déjà très en avance, on constate des taux de remplissage des dossiers à l’hôpital, qui sont très variables d’une région à l’autre et qui sont loin d’atteindre les 100 %.

Aujourd’hui, au moment où l’on prépare un décret de mise en place de la substitution, les conditions d’un dossier pharmaceutique exhaustif pour les patients qui circulent entre la ville et l’hôpital ne sont pas réunies. C’est un point qui reste majeur dans notre analyse de la situation et notre position sur l’article 47. Avant de mettre en œuvre la substitution à l’initiation, il faut un dossier pharmaceutique qui fonctionne pour tous les patients et qui circule entre la ville et l’hôpital. Or, d’après ce que nous entendons aujourd’hui, nous sommes loin d’une telle situation.

Il est très positif de constater que le ministère a évolué sur la liste des biomédicaments. Avant même de parler de médicament biosimilaire, un médicament biologique n’est pas simple à expliquer aux médecins. La définition repose sur des questions de production, que la majorité des médecins ne maîtrise pas, ce qui est tout à fait normal. Sur ce sujet, nous demandons l’établissement d’une liste des médicaments biologiques, établie par l’ANSM, qui doit être enrichie au cours du temps, ainsi que l’ouverture d’un dossier pharmaceutique dès qu’il y a prescription d’un biologique (qu’il soit biosimilaire ou non). Pour cela, il faut une liste des médicaments biologiques, qui n’existe ni en France, ni en Europe.

Avant de mettre en place ce dispositif qui va bouleverser les patients, qui va changer les relations entre un patient qui a une maladie grave et son médecin, il est absolument indispensable de prévoir un dispositif d’information. Bâtir un plan d’information auprès des patients et des professionnels de santé prend du temps. Ce serait mettre la charrue avant les bœufs que de publier ce décret avant que toutes ces conditions ne soient réunies et mises en œuvre.

M. Michel Berson. Après le point de vue de l’industrie, nous allons entendre celui de l’administration. Monsieur Benjamin Leperchey, vous êtes sous-directeur des industries de santé et des biens de consommation, au sein du service de l’industrie de la direction générale des entreprises (DGE), au ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique. À ce titre, vous assurez le secrétariat du Comité stratégique des industries de santé (CSIS). Quels sont les principes qui guident votre action ?

M. Benjamin Leperchey, sous-directeur des industries de santé et des biens de consommation, service de l’industrie de la direction générale des entreprises (DGE), ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique. L’objectif du ministère de l’économie est le développement économique sur le territoire national. Mes collègues des affaires sociales l’ont bien dit : la collectivité réalise des dépenses très importantes dans le domaine de la santé. Notre objectif n’est pas de défendre une industrie en tant que telle, mais de faire en sorte que la partie la plus importante de ces dépenses bénéficie à des économies locales. Ce peut être des fonctions support de laboratoires qui importent des produits. Ce peut être aussi de la recherche, du développement, des essais cliniques, voire de la production.

L’industrie pharmaceutique française est une grande industrie, comparée aux autres industries en France et comparées à ses homologues dans le monde. Mais c’est un fait que, en matière de produits biologiques, elle n’est pas à la hauteur de ce qu’on a pu connaître en matière de chimie. Il y a donc un enjeu de rattrapage pour l’industrie française. À ce titre, les biosimilaires ne sont pas une menace : ils sont plutôt une opportunité, pour les industries françaises, d’augmenter les capacités de production. C’est également bénéfique pour les patients. Le CSIS comporte un volet important sur le générique en France, qui tient à assurer la sécurité des produits et à rassurer les patients sur l’origine de ces produits. Il y a toujours une inquiétude sur le générique : où est-il fabriqué, qui le produit, est-ce qu’il est de même qualité, etc. ? Le fait qu’il soit produit en Europe, voire en France, est un facteur de réassurance assez important.

L’enjeu est donc dans la compétition internationale. Tous ces produits étant fabriqués par des grands groupes internationaux, l’objectif consiste à attirer autant que possible les activités sur le territoire. C’est un enjeu de compétitivité et d’attractivité. À ce titre, il ne faudrait pas que la France retombe dans son travers de surrégulation, qui est clairement un frein aux investissements, qui se développe indépendamment de la régulation. Une surrégulation pourrait donc amener l’effet inverse de celui recherché, à savoir le développement des biosimilaires. La France, il faut le savoir, est à la pointe sur la réglementation avec la substitution, ce pourquoi la situation est regardé d’assez près par tous les laboratoires. Si cela marche, nous aurons réussi quelque chose de novateur. Si ça ne marche pas, nous aurons perdu sur tous les tableaux : nous n’aurons pas promu les biosimilaires et nous aurons projeté une image moins intéressante que ce que nous aurions pu faire si nous nous étions inscrits dans une dynamique de marché naturel.

Encore une fois, ne surréglementons pas. Réglementons, oui, mais sur la sécurité et l’information, la puissance publique étant complètement dans son rôle sur les travaux qui découlent de l’article 47. Les industriels jouent le jeu des règles qu’on leur impose et sont de très bonne volonté pour le faire. C’est à la puissance publique de définir un cadre qui sécurise le dispositif. Au-delà de cela, il faut être assez prudent dans ce que l’on cherche à faire.

M. Michel Berson. Le prix des médicaments biologiques est en général plus élevé que celui des médicaments chimiques. Certains médicaments sont de vrais « blockbusters » de l’industrie pharmaceutique. Le Comité économique des produits de santé (CEPS) a déjà imposé des baisses de prix à certains médicaments biologiques de référence pour lesquels une alternative biosimilaire existe. Lorsque le prix d’un médicament est trop important pour être intégré dans un groupe homogène de séjour (GHS), la spécialité est alors inscrite sur la liste des médicaments facturables en sus des prestations d’hospitalisation. C’est le CEPS qui fixe alors les tarifs servant de base de l’assurance maladie à l’établissement de soins.

Monsieur Dominique Giorgi, vous êtes le président du CEPS. Pouvez-vous nous présenter le principe et la méthodologie avec lesquels vous construisez vos modèles de prix pour les médicaments biosimilaires, sachant que votre doctrine en la matière n’est pas encore établie ?

M. Dominique Giorgi, président du Comité économique des produits de santé (CEPS). Le Comité économique des produits de santé (CEPS) a pour métier de fixer les prix et les tarifs des produits de santé. Il veille à le faire en compatibilité avec un principe de stricte économie de prise en charge pour la collectivité.

S’agissant des médicaments biosimilaires, nous suivons une règle et trois principes, que nous essayons d’appliquer sur les marchés de la ville et de l’hôpital. Si la fixation du prix des médicaments est évidemment essentielle, l’économie résultera de la multiplication d’une baisse de prix par une progression des volumes de biosimilaires. C’est à cette double condition que la collectivité profitera de l’arrivée de ces produits.

La règle fixée par le code de la sécurité sociale est celle de la référence thérapeutique. Nous fixons le prix des médicaments équivalents en termes de valeur ajoutée thérapeutique, suivant un principe qui est celui de la nécessité pour ces produits de conduire à une économie dans le coût du traitement. Cette règle est suivie pour les médicaments génériques, dont la commission de la transparence de la HAS nous dit qu’ils n’ont pas d’amélioration de service médical rendu. Les médicaments biosimilaires vont exactement se situer dans cette définition : ils n’ont pas d’amélioration de service médical rendu par rapport aux biomédicaments de référence. Nous suivrons cette règle.

Les principes sont au nombre de trois. Le premier est un principe d’économie. La chute du brevet du biomédicament d’origine doit légitimement se traduire pour la collectivité par une économie dans la prise en charge du traitement. C’est ce qui passe pour toute chute de brevet, et il n’y a pas de raison qu’il n’en soit pas de même lorsqu’un biomédicament voit sa protection brevetaire arriver à échéance. Nous allons donc faire tout notre possible pour que la collectivité tire profit de cette échéance et fasse des économies.

Le deuxième principe, qui n’est pas contradictoire, mais qui doit être concilié avec celui d’économie, est celui de la viabilité de l’opération. Pour l’industriel qui met sur le marché un biosimilaire, la mise sur le marché doit être rentable et l’exploitation viable. Il nous faut donc trouver le point d’équilibre entre le rendement maximal de l’opération pour la sécurité sociale et la viabilité minimale pour l’industriel. C’est le jeu de la négociation qui nous amène à trouver ce point d’équilibre.

Le troisième principe que nous suivons est celui de la progressivité. Les taux de décote que nous appliquons au médicament générique, par exemple de 60 % par rapport au prix initial du princeps, ont été atteint de manière très progressive. Au début des années 2000, quand le marché des génériques émergeait, le taux de décote n’était que de 30 %, et ce n’est que progressivement que nous avons atteint ce taux de 60 %. Nous allons donc probablement commencer avec des taux de décote plus faible. Au fur et à mesure que les biosimilaires auront fait leur place, auront créé leur marché, nous pourrons être plus exigeants sur le taux de décote.

Deux marchés distincts supposent deux catégories de règles distinctes à appliquer. Le marché hospitalier se caractérise d’abord par la passation d’appels d’offres. L’acheteur hospitalier, le responsable de la pharmacie intérieure achète ce médicament. Le CEPS fixe un tarif de responsabilité, qui est un tarif maximal de prise en charge. Si le pharmacien hospitalier, par la négociation, parvient à obtenir un prix inférieur, la différence se répartit à égalité entre l’assurance maladie et l’hôpital. Pour que les médicaments soient traités à stricte égalité dans ce jeu d’appel d’offre, il faut que leurs prix soient égaux. Si nous appliquions un prix inférieur à un médicament biosimilaire, il serait défavorisé dans le cadre des appels d’offre, puisque le pharmacien hospitalier ne pourrait pas tirer autant du prix négocié.

Il nous faut donc fixer les tarifs de manière égale. C’est bien le principe que nous avons systématiquement appliqué pour les princeps et les génériques. Nous sommes plus exigeants, puisque nous allons partir d’un prix décoté pour les deux produits. Nous l’avons fait pour le Remicade (infleximab), dont le prix a été immédiatement réduit de 10 % au moment de la chute de brevet. Le tarif pour les biosimilaires a été fixé à 10 % de moins que le tarif initial de Remicade.

Lorsque la pharmacie hospitalière aura fait son travail, lorsque la concurrence aura joué, nous reviendrons relever les prix effectifs et nous pourrons baisser les tarifs officiels de ces produits d’ici un an à dix-huit mois.

Pour la ville, c’est beaucoup plus intuitif. Le mécanisme est identique à celui que nous appliquons pour les princeps et les génériques. Les décotes seront moindres à l’arrivée des produits sur le marché, du fait de la progressivité nécessaire et de la nécessité de se rendre compte si les décotes sont viables pour les entreprises. Nous commencerons par des décotes de l’ordre de 15 à 20 % pour les médicaments princeps, et de l’ordre de 25 à 35 % pour les biosimilaires, nous laissant ainsi une marge d’appréciation au cas par cas, en fonction de la nature du produit et du marché.

En conclusion, un prérequis à l’ensemble des économies que la collectivité est susceptible de tirer de l’arrivée de ces médicaments biosimilaires est que les prix soient adaptés et évoluent en fonction de l’arrivée des produits, mais aussi que les volumes se développent. C’est à cette double condition que des économies significatives pourront être réalisées. Je renvoie aux échanges précédents sur les conditions de prescription de ces produits.

M. Michel Berson. Enfin, nous allons entendre M. Jérôme Peigné, professeur à l’université Paris 5 Descartes et membre de l’Institut droit et santé. Vos recherches et vos enseignements, monsieur le professeur, portent notamment sur le droit des produits de santé. Quel est le regard du juriste sur l’introduction des médicaments biosimilaires dans notre système de santé ?

M. Jérôme Peigné, professeur de droit, institut droit et santé, université de Paris 5 Descartes. Vous avez évoqué la question de la responsabilité du pharmacien d’officine eu égard aux effets secondaires que pourraient représenter les médicaments biosimilaires. Il y a derrière cet argument une figure d’épouvantail que je voudrais tout de suite balayer. Le pharmacien d’officine est responsable en droit français, comme tout professionnel de santé, sur le fondement de la faute. Depuis que la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a posé ce principe, codifié dans l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, tous les professionnels de santé engagent leur responsabilité sur le fondement de la faute.

Le pharmacien peut-il commettre une faute lorsqu’il dispense un médicament biosimilaire ? On pourrait imaginer des substitutions illicites. Je n’y crois pas trop, compte tenu de la nature des produits. Je ne dis pas que ça ne se fait pas dans le monde du générique, le paracétamol ne faisant toujours pas partie du répertoire des génériques. Or le pharmacien ne peut substituer que ce qu’il y a dans le répertoire des génériques. Lorsqu’une ordonnance est libellée en nom de marque et que le pharmacien le substitue par un paracétamol générique, il commet une infraction. Je ne crois pas savoir que beaucoup d’industriels poursuivent les pharmaciens pour cela, et c’est tant mieux. C’est un problème propre au paracétamol qui mobilise d’autres enjeux et qui a été réglé.

Pour le biosimilaire, je vois mal les pharmaciens aller substituer en dehors de la liste de référence (répertoire des biosimilaires). Si l’on examine le projet de décret qui circule, il sera fait mention des indications des biosimilaires par rapport au biologique de référence, ce qui n’existe pas pour le répertoire des génériques. Sur le terrain contentieux de la responsabilité du pharmacien, sur ce terrain de la substitution, si un effet secondaire survenait, le pharmacien ne serait pas responsable de plein droit de ce défaut du produit, au plan de la responsabilité civile.

En droit français, la règle découle de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, transposé en 1998 par le législateur français. Elle a d’ailleurs été mal transposée une première fois. À l’origine, le législateur français avait considéré que les producteurs étaient responsables au même titre que les fournisseurs. La Cour de justice des communautés européennes nous a condamnés une première fois, puis une seconde fois.

Aujourd’hui, avec l’article 1386-7 du code civil, les choses sont claires. La responsabilité en matière de produits défectueux est une responsabilité qui pèse de plein droit sur les producteurs. C’est donc le fabricant du biosimilaire qui sera de plein droit responsable d’un effet secondaire lié à ce médicament. Ce n’est que si le producteur ne peut pas être identifié que le pharmacien (« fournisseur ») sera recherché. Il y a peu de risques que nous n’arrivions pas à identifier le fabricant. Dans les 99 % des cas, les choses seront réglées au titre de la responsabilité des produits défectueux, sous l’angle de la responsabilité du fabricant de biosimilaire. Le pharmacien ne sera donc pas responsable. Voyez l’abondant contentieux sur le vaccin contre l’hépatite B : on n’attaque jamais le pharmacien, mais directement le producteur. Donc, en matière de biosimilaires, il faut faire attention à ne pas trop faire peur au pharmacien. Sans prendre position sur l’opportunité de la substitution, je tenais à balayer certains arguments qui font figure d’épouvantail.

Il ne faut pas non plus surdéterminer l’opposition entre les pharmaciens et les médecins, ni oublier les patients et leurs associations. Nous avons affaire à des produits réservés à certains spécialistes (oncologie, hématologie…). Il s’agit de produits injectables. Nous sommes de plein champ dans le système de la gestion thérapeutique (disease management), concept que la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (« HPST ») a traduit autour de deux grands piliers : la coordination des soins et la coopération entre professionnels de santé, et l’éducation thérapeutique du patient. Dans ce deuxième pilier, un point particulier est constitué de l’aspect produit que l’on appelle les programmes d’apprentissage. Pour développer les biosimilaires, il faudra que, juridiquement, soit associé à un biosimilaire des programmes d’apprentissage, décidés soit par la Commission européenne, soit l’ANSM en France. Je rappelle que l’essentiel des AMM sont délivrées par la Commission européenne, après évaluation de l’agence européenne.

La question de la valeur des AMM sera déterminante. Est-ce que nous aurons un contentieux semblable à celui que nous avons connu pour les génériques, d’ailleurs réduit ? L’Agence européenne du médicament aura un rôle sécurisant fondamental. Tout dépendra de la validité des AMM. Les titulaires de bioprinceps vont-ils attaquer en annulation les AMM, comme ils sont tentés de le faire en matière de générique ? En matière de biosimilaires, la dimension qualité est importante, le dossier d’AMM est beaucoup moins allégé que pour les génériques, c’est la grande différence, avec des essais de phase 3, de bioéquivalence et de biosimilarité pharmaco-toxicologique et clinique. L’idée de contester la valeur de ces essais par les producteurs de bioprinceps peut émerger et éventuellement freiner le développement des biosimilaires. L’Agence européenne du médicament et la Commission européenne auront un rôle essentiel en la matière, en validant de très bonnes AMM, au regard de très bons dossiers, pour que la confiance de ces médicaments mis sur le marché auprès des prescripteurs et des dispensateurs soit assurée.

C. CONCLUSION

M. Michel Berson, sénateur, membre de l’OPECST. D’autres observations ?

Cette audition a pu utilement éclairer le débat juridique autour de l’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Concernant l’enjeu économique et social, fallait-il développer le marché des médicaments biosimilaires ? La réponse va de soi. Il convient bien sûr de développer ce marché, de le développer d’abord dans notre pays, qui a quelques retards. Je suis parlementaire de l’Essonne, dont Évry est la capitale des biotechnologies, il y a à peine un an, nous avons accueilli un premier laboratoire, BioProd. C’est une grande avancée, même s’il y a encore un long chemin à parcourir en comparaison de ce qui se fait dans d’autres pays. Les médicaments biologiques constituent un progrès immense, pour lutter contre certaines maladies graves et invalidantes. Parallèlement, les biosimilaires devraient suivre leur progression, pour des raisons économiques ; tout le monde connaît la situation de déséquilibre financier de notre système d’assurance maladie.

Par conséquent, il parait légitime de faire émerger des médicaments biosimilaires, pour contribuer à baisser le coût du traitement des maladies. En organisant cette audition, l’OPECST a joué pleinement son rôle de vigie scientifique du Parlement, en amont de la loi, pour l’adapter aux importants changements scientifiques et technologiques en cours. L’Office entend aussi être vigie scientifique en aval de la loi, pour l’évaluer et, le cas échéant, émettre des propositions de réorientation. Il a enfin la mission d’informer, tant les parlementaires, pour la prise de décision, que le grand public, où les marges de progrès sont très importantes. Fort des contributions d’aujourd’hui, nous pourrons publier prochainement un rapport.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 6 MAI 2015 PRÉSENTANT
LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE

M. Jean-Yves Le Déaut, président de l’OPECST. Nous faisons application aujourd’hui, pour l’audition publique tenue le 29 janvier 2015 sur les médicaments biosimilaires, de la procédure consistant à essayer d’en tirer des conclusions. À défaut d’accord unanime, ces conclusions seront publiées dans le rapport, assorties des remarques formulées par chacun.

Les sollicitations nombreuses à l’annonce de cette présentation de conclusions montrent qu’il s’agit d’un sujet très controversé sur lequel notre avis sera commenté. Il devrait avoir une influence sur la publication ou non d’un décret d’autorisation de l’utilisation en substitution des biosimilaires, qui inquiète aujourd’hui les médecins, les pharmaciens et les patients.

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice. Lorsque nous avons eu un débat similaire sur les conclusions de l’audition publique sur l’innovation, vous l’aviez positionné comme un rapport à voter ou à ne pas voter, et cela concernait aussi des amendements qui y étaient associés. Dans le débat d’aujourd’hui, s’agit-il seulement de soumettre au vote des conclusions des rapporteurs ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Il faut distinguer le cas des auditions publiques liées à une étude sur saisine, où l’on discute effectivement des suites à donner, du cas des auditions publiques d’actualité, où il est important que nous rediscutions du sujet pour lui donner un écho. Je cède sans plus tarder la parole aux deux rapporteurs, M. Jean-Louis Touraine et Mme Anne-Yvonne Le Dain.

M. Jean-Louis Touraine, député. Que sont les médicaments biosimilaires ? Je commencerai en disant qu’ils ne sont pas des médicaments génériques. Par rapport au médicament de référence (dit « princeps »), les médicaments génériques ont la même molécule, le même dosage, avec de très faibles possibilités de variation dans ce dosage et dans les excipients.

Apparus à la fin des années 1970, les médicaments biologiques, appelés également biomédicaments, sont issus des biotechnologies à partir de cellules vivantes. Quelque 80 % des nouveaux médicaments sont maintenant fabriqués avec ces technologies : anticorps monoclonaux, facteurs de croissance, insuline… Ces molécules ne peuvent cependant être reproduites exactement à l’identique avec une nouvelle chaîne de fabrication. Ces nouveaux médicaments représentent 20 % de la dépense totale des médicaments dans le monde ; ils devraient en représenter la majorité à terme. Le coût de développement (recherche et processus de production) et le prix d’un biomédicament sont beaucoup plus élevés que ceux d’un médicament chimique. En France, sur les dix médicaments les plus coûteux utilisés à l’hôpital, sept sont des biomédicaments. Il s’agit donc d’enjeux financiers très importants. Ils constituent des avancées majeures pour lutter contre des maladies chroniques graves ou invalidantes telles que certains cancers, les déséquilibres thyroïdiens, les insuffisances rénales, l’hématologie ou encore le diabète. Ces médicaments sont particulièrement utilisés dans la médecine personnalisée ou ciblée.

Au cours des cinq prochaines années, un grand nombre de brevets tombera dans le domaine public. Ainsi l’insuline antidiabétique Lantus, produite par le laboratoire Sanofi, est tombée hier dans le domaine public ; le laboratoire Lilly envisage la production d’un biosimilaire dans son usine alsacienne à partir de 2016. D’ores et déjà, de nombreux laboratoires pharmaceutiques développent et mettent sur le marché des médicaments biosimilaires, sur le même schéma que les génériques pour les médicaments chimiques. Il s’agit donc d’un enjeu majeur d’un point de vue économique et pour les comptes sociaux. Les régimes d’assurance maladie attendent des économies substantielles de cette interchangeabilité.

L’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2014 donne la possibilité au pharmacien de substituer un biosimilaire à un biomédicament de référence, à la condition de respecter trois conditions principales : la substitution est réalisée en initiation de traitement et de manière à garantir la continuité du traitement avec un même médicament ; le médecin prescripteur n’a pas exclu la substitution ; lorsqu’il substitue, le pharmacien inscrit le nom du médicament sur l’ordonnance et en informe le prescripteur. Un décret d’application encore à venir doit préciser les modalités de la substitution et de la procédure de création d’un répertoire des biosimilaires. Aucun autre pays européen n’a encore instauré de système de substitution de la prescription du médecin par le pharmacien. Certains pays même l’ont interdit. Tous nous observent.

L’objectif de l’audition publique était de discuter des modalités selon lesquelles un biosimilaire pourrait être amené à remplacer un biomédicament de référence, avec les mêmes exigences en termes d’efficacité, de qualité et de sécurité.

Table ronde n° 1 : Jusqu’où l’analogie des médicaments biosimilaires avec les génériques ?

– Le point de vue scientifique sur les effets des médicaments biosimilaires

Tous les intervenants sauf un (M. François Chast, pharmacien hospitalier) ont convenu que les biosimilaires ne peuvent être comparés aux médicaments génériques. Tous ont été d’accord pour dire qu’on ne peut pas interchanger les molécules sans précautions. Les biomédicaments sont prescrits exclusivement en hôpital, pour des pathologies lourdes ou chroniques, ce qui induit des spécificités.

Les biomédicaments diffèrent des médicaments chimiques car leur structure moléculaire est plus complexe et leur activité dépend non seulement de leur principe actif, mais aussi du processus de fabrication. Dotée d’une structure en trois dimensions, la molécule d’un anticorps monoclonal est mille fois plus grosse que celle de l’aspirine. Les biomédicaments sont issues de cellules vivantes, ils ont suivi un processus de culture et de purification. L’anticorps produit avec ces biotechnologies connaîtra de petites variations dans ses propriétés, dues à la complexité de ces molécules, variabilité qui n’est pas totalement maîtrisée. Il en est ainsi la capacité de fixation (affinité) sur le récepteur. Les effets secondaires, l’immunogénicité (capacité de l’organisme à agir contre le médicament) et la toxicité des biomédicaments dépendent du processus de fabrication.

Un biosimilaire ne sera jamais une copie pure et parfaite de son médicament de référence. C’est ainsi que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des biosimilaires est octroyée non seulement sur la base de la bioéquivalence, comme cela est le cas pour les médicaments chimiques génériques, mais aussi sur la base d’une équivalence de résultats thérapeutiques, avec la réalisation de nouvelles études précliniques et cliniques. Le médicament biosimilaire s’efforcera d’avoir la plus grande proximité avec le médicament de référence, il ne lui sera pas possible de proposer une amélioration. L’AMM ne peut être extrapolée aux autres indications du produit de référence qu’à la condition que le mode d’action du produit soit le même. Nous savons que deux biosimilaires d’un même biomédicament de référence ne sont pas considérés comme similaires entre eux.

L’analogie peut être faite avec les médicaments chimiques contre l’épilepsie, qui nécessitent un dosage extrêmement précis et pour lesquels on ne substitue pas par des génériques, ou alors toujours le même. Même si ce n’est pas exactement la même chose, on pourrait s’en inspirer. Une très faible augmentation de posologie d’un médicament chimique contre l’épilepsie peut induire, de façon non prévisible, des effets secondaires indésirables ou graves pour les patients. En Belgique et au Danemark, la règlementation impose une réduction des bornes de bioéquivalence pour les génériques de ces médicaments contre l’épilepsie. Le recours aux génériques est donc beaucoup plus encadré dans ce cas.

– L’insertion des médicaments biosimilaires dans notre système de santé

C’est l’Agence européenne du médicament, en lien en France avec l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui pilote le processus conduisant à l’AMM et qui organise la pharmacovigilance une fois que le médicament est distribué.

Il s’agit d’abord de vaincre les réticences à l’utilisation des médicaments biosimilaires, qui risquent de dépasser celles relatives à l’utilisation des médicaments génériques, par des actions de communication et d’explication appropriées. Avant de parler de substitution par le pharmacien, il convient de convaincre les médecins prescripteurs que les biosimilaires donneront sensiblement les mêmes résultats en termes d’efficacité, de toxicité et d’immunogénicité que les produits de référence. Comment les convaincre : garanties apportées au processus de fabrication, processus de contrôle, pharmacovigilance… ? Une fois les prescripteurs convaincus, ils pourront convaincre les patients et les pharmaciens.

Un médicament biologique peut être prescrit en ville, avec une distribution par les pharmacies d’officine. Il en est ainsi par exemple de l’insuline Lantus. L’audition publique a montré le besoin d’une circulaire de la direction générale de l’organisation des soins (DGOS) du ministère de la santé relative à la dispensation des médicaments biologiques en établissement de santé. L’article 47 de la LFSS pour 2014 a été clairement pensé pour les pharmaciens d’officine. Mais, tel qu’il est rédigé, il s’applique aussi aux pharmaciens hospitaliers. À l’origine, ceux-ci n’y étaient pas favorables, car cela les obligerait à disposer en stock de tous les biosimilaires d’un même médicament de référence. Pharmaciens d’officine et hospitaliers n’ont pas toujours la même analyse relative au risque de perte d’efficacité ou d’effets adverses. Cependant, le temps nous est compté, car un grand nombre de biomédicaments tombera dans le domaine public au cours des cinq prochaines années.

Que souhaite un malade ? D’abord la garantie qu’il n’aura rien à perdre à prendre un biosimilaire par rapport à un médicament de référence, ensuite un cadre règlementaire d’évaluation et de contrôle.

Table ronde n° 2 : Les enjeux économiques, sociaux et juridiques des médicaments biosimilaires

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. La deuxième table ronde a abordé les enjeux économiques, sociaux et juridiques des médicaments biosimilaires

– Les enjeux économiques et sociaux

Faut-il développer le marché des médicaments biosimilaires ? La réponse a été clairement oui. Nous sommes en présence d’un marché mondial : en 2014, 200 médicaments biologiques sont disponibles sur le marché et 900 autres sont en développement. On s’attend à ce que, en 2020, le chiffre d’affaire mondial généré par les médicaments biologiques atteigne 20 à 25 milliards d’euros. Certains État émergents, comme la Chine, aident leurs laboratoires à produire des médicaments biosimilaires. L’Inde et la Corée du Sud développent des capacités de production de biomédicaments, souvent en association avec des laboratoires pharmaceutiques américains ou européens.

En matière de biomédicaments, la filière pharmaceutique française n’est pas à la hauteur de ce qu’on a pu connaître en matière de chimie. Il y a donc un enjeu de rattrapage. Les biosimilaires ne constituent pas une menace pour les industries françaises ; ils représentent, au contraire, une opportunité pour augmenter les capacités de production. Il est également de l’intérêt du patient que la production se fasse en France, pour qu’elle soit plus facilement maîtrisée et contrôlable. Nous devons donc veiller à l’attractivité du territoire national, notamment en prenant soin de ne pas surréglementer et en s’attachant à apaiser les craintes par rapport à d’autres pays européens ou occidentaux.

Il ne faut pas se priver des biosimilaires. Leur existence diminue le risque de rupture d’approvisionnement dépendant d’un seul laboratoire dans le monde. Les économies réalisées devraient permettre de financer le recours à de nouveaux produits innovants. Le Comité économique des produits de santé (CEPS) applique un principe d’économie qui fait que l’introduction d’un biosimilaire doit s’accompagner d’une baisse de prix. Celle-ci est progressive dans le temps : 10 % immédiatement, avec un objectif de 30 % à terme – à comparer aux 60 % de réduction pour les médicaments génériques. Ces baisses doivent être conciliées avec la viabilité pour l’industriel, à savoir que l’opération doit être rentable, sinon il ne fournira pas le marché. L’équation est complexe, ces baisses doivent concerner équitablement les biosimilaires et leur médicament de référence. En France, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2015 a inscrit l’objectif de 30 millions d’euros d’économies dès cette année. Certains prévoient entre 500 millions et 1 milliard d’euros d’économies annuelles à horizon 2020.

– Les difficultés juridiques

La difficulté juridique ne provient pas de la crainte pour le pharmacien de substituer, au regard des risques pour la santé du patient. En effet, en France, la responsabilité n’est établie que sur le fondement de la faute, donc imputable au fabricant. La difficulté vient du fait que la loi n’est pas directement applicable et que les parties prenantes n’arrivent pas à s’entendre sur les modalités d’application.

Les entreprises du médicament (LEEM) ont suspendu, en mai 2014, après l’adoption de l’article 47 de la LFSS pour 2014, leur participation au groupe de travail du Comité stratégique des industries de santé (CSIS). Les industriels ont exprimé, en décembre 2014, leur désir de réintégrer le groupe de concertation, mais, à la date d’aujourd’hui, les discussions n’ont pas encore repris. Les modalités de réactivation du groupe de travail ne sont pas encore définies.

Le projet de décret qui circulait au moment de l’audition publique prévoit les conditions d’élaboration par l’ANSM du répertoire des biosimilaires. Il ne règle cependant pas plusieurs questions d’importance.

Comment un pharmacien, un praticien, s’assurera-t-il qu’il s’agit d’un primo-traitement ? On peut citer l’exemple d’une femme ayant déjà suivi un traitement contre la stérilité, ou celui d’un patient souffrant d’une maladie chronique sur plusieurs dizaines d’années. Une partie de la réponse réside dans le dossier pharmaceutique.

Il convient, en effet, de mettre en place une pharmacovigilance adaptée, avec l’élaboration de plans de gestion des risques. L’enjeu en est d’assurer la traçabilité du couple patient-traitement. Un deuxième décret en préparation prévoit que la substitution par le pharmacien serait conditionnée à l’inscription sur le dossier pharmaceutique du patient, voire à sa création s’il n’existait pas. La durée de conservation des informations serait étendue de quatre mois à trois ans. Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens estime à 17 % le pourcentage des patients qui refusent d’ouvrir un dossier pharmaceutique. Il conviendrait, en outre, de veiller à la bonne articulation entre la médecine de ville et l’hôpital, les hôpitaux étant encore très peu avancés dans le déploiement du dossier pharmaceutique.

Le projet de décret sur les biosimilaires prévoit l’information du médecin prescripteur « sans délai et par tous les moyens ». Or le système de messagerie électronique sécurisée entre les professionnels de santé est encore loin d’être opérationnel. Les conditions de cette information du prescripteur restent encore à préciser, le ministère de la santé annonce un arrêté en ce sens, mais sans préciser d’échéance.

Comme pour les médicaments génériques, des dispositifs d’incitation à l’utilisation des biosimilaires devraient être prévus dans un second temps, pour les pharmaciens (ville et hôpital) comme pour les médecins prescripteurs. Le ministère de la santé n’a pas encore précisé ses intentions en la matière.

Une autre question se pose, celle de la dénomination des biosimilaires. Le droit européen laisse le choix entre le nom commercial et le nom commercial accompagné de celui de la substance active (dénomination commune internationale – DCI). L’article 19 de la loi « Bertrand » du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé oblige la prescription en DCI depuis le 1er janvier 2015, avec la faculté d’inscrire le nom de marque. Le projet de décret sur les biosimilaires prévoit que le nom de marque soit obligatoirement mentionné à côté de la DCI dans la prescription de biomédicaments.

Enfin, les logiciels d’aide à la prescription et à la décision, qui sont certifiés par la Haute Autorité de santé (HAS) et qui sont en fonctionnement depuis le 1er janvier 2015, ne mentionnent actuellement pas l’existence des biosimilaires. Le Gouvernement a introduit, en avril dernier, une disposition comblant ce manque par amendement au projet de loi relatif à la santé (article 161-38 du code de la sécurité sociale), le texte est maintenant au Sénat.

Conclusions et recommandations

M. Jean-Yves Le Déaut. L’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est utile dans la mesure où il organise l’arrivée en France des biosimilaires. Mais, si l’on va trop vite et si l’on n’y prend pas garde, l’opinion publique risque de se retourner contre les biosimilaires – voire contre tous les biomédicaments. Avec de tels enjeux de santé, économiques et de développement industriel, il convient d’adopter une attitude publique responsable.

Il s’agit d’abord d’améliorer la connaissance scientifique sur ces biomédicaments. Cette industrie innovante est récente, elle est encore en phase de maturation. Le processus de fabrication à partir de cellules animales comprend des opérations complexes, comme la séparation, qui peut donner lieu à l’apparition de contaminants (virus). L’industrie pharmaceutique des médicaments biologiques n’a pas encore atteint un niveau de maturité qui permette d’assurer l’équivalence totale des effets des médicaments de référence et similaires. Les molécules de ces médicaments sont complexes (3D) et on ne dispose pas de suffisamment de connaissances, ni de méthodes analytiques pour les caractériser. Des moyens doivent donc être mis en œuvre pour développer l’évaluation des méthodes d’analyses de tels médicaments ; la difficulté est liée à la variabilité de la formule chimique et du processus de fabrication. Il s’agit d’un problème de connaissance scientifique, à savoir l’affinage de la connaissance de ce qui se passe lors de la production de ces médicaments.

En outre, le processus de production des biomédicaments (de référence ou similaires) devrait pouvoir être certifié. Cela pourrait passer par des mesures en amont, avant la soumission du dossier du médicament à l’agence du médicament, pour certifier les sites de bioproduction. Cette certification pourrait comprendre une description précise du processus de production, avec tous les paramètres correspondants : lieu de fabrication, opérations effectuées, température, matériaux utilisés, composition moléculaire des produits, emballage final, contrôles effectués, etc. Émerge alors l’idée de définir, au besoin par un programme de recherche approprié à lancer, les méthodes qui permettraient de certifier un tel processus de production, afin qu’il en résulte un biomédicament aux mêmes effets en termes de qualité, d’efficacité et de sécurité, afin de pouvoir vérifier que les médicaments produits sont parfaitement interchangeables, quelle que soit la chaîne de production ainsi certifiée. Nous nous plaçons délibérément dans une perspective de long terme.

Il reste également à réfléchir à l’organisme certificateur, soit au sein de l’Agence européenne du médicament, soit dans le réseau des agences nationales de santé, soit ailleurs par un organisme extérieur. La direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé du Conseil de l’Europe (plus connue sous le sigle EDQM), regroupant, à Strasbourg, quelque 260 agents de 25 nationalités différentes, pourrait jouer ce rôle. En application de la convention du Conseil de l’Europe de 1964 relative à l’élaboration d’une pharmacopée européenne, les 37 États signataires et l’Union européenne ont pris l’engagement de travailler à l’harmonisation de la qualité des médicaments. Les États membres apportent leur contribution aux travaux en mettant à disposition les compétences d’experts en sciences pharmaceutiques et les capacités analytiques des laboratoires nationaux de contrôle. La pharmacopée européenne a pour objectif d’élaborer des normes de qualité (monographies) pour les médicaments, de répondre rapidement aux nouveaux risques sanitaires et de veiller à ce que les méthodes analytiques décrites dans les monographies soient vérifiées expérimentalement et validées. Travaillant en lien étroit avec les agences européenne et nationales du médicament, l’EDQM a développé, depuis 1994, une procédure de certification de conformité aux monographies de la pharmacopée européenne. Cette procédure de certification vise à assurer un contrôle de la qualité des substances utilisées dans les médicaments et donc à certifier qu’elles sont conformes aux exigences de la législation pharmaceutique européenne. L’évaluation des dossiers qualité soumis par les fabricants est complétée par un programme d’inspection des sites de fabrication, principalement en Asie (Chine, Inde..). Enfin, l’EDQM coordonne le réseau européen des laboratoires officiels de contrôle des médicaments, mise en place en 1994 à la demande de l’Union européenne. Il est à noter que l’EDQM a déjà développé une expertise en matière de biomédicaments, avec son « programme de standardisation biologique » visant, en lien avec la Commission européenne, à établir des matériels biologiques de référence, à développer et valider de nouvelles méthodes d’analyse, ainsi qu’à valider des méthodes alternatives à l’expérimentation animale.

En outre, il convient d’introduire une nomenclature plus fine de ces biomédicaments, qui tienne compte des caractéristiques de production ; la dénomination en dénomination commune internationale (DCI) ne suffit pas. Une des possibilités serait de rajouter quatre lettres à la dénomination en DCI, pour caractériser le lieu de fabrication, le laboratoire et le processus de fabrication.

La clé du succès de l’acceptation par tous des médicaments biologiques et de leurs biosimilaires réside dans la confiance de tous les acteurs : les médecins prescripteurs, les pharmaciens et les patients. Cette confiance nécessite un effort important d’information et de formation. Le ministère de la santé réfléchit à l’établissement d’un référentiel des biomédicaments (de référence ou similaires), avec leurs indications et leurs précautions de traitement. En effet, cette idée pourrait être très utile pour tous les acteurs.

Pour toutes ces raisons, il convient donc de se poser la question de la date d’entrée en vigueur de l’article 47 de la LFSS pour 2014. Celle-ci dépendrait d’une évaluation par l’OPECST, ou par un autre organe compétent du Parlement, du degré de maturité de la maîtrise fine de la caractérisation des biomédicaments et de leurs similaires. L’OPECST entend ainsi être étroitement associé, par l’intermédiaire d’un groupe de travail constitué en son sein, à l’élaboration du décret d’application de l’article 47 de la LFSS pour 2014.

Je soumets ces conclusions à notre discussion.

Mme Catherine Procacia, sénateur. Les médicaments sont délivrés à l’hôpital et en pharmacie d’officine. Dans la relation de confiance avec leur médecin et leur pharmacien, les patients sont-ils informés de la délivrance d’un biomédicament ? Puisque les médicaments biologiques sont fondamentalement différents des médicaments chimiques, pourquoi leur applique-t-on les mêmes règles qu’aux médicaments génériques ?

M. Gérard Bapt, député. Je vous rappelle que, par rapport au projet de loi initial, la discussion de l’article 47 de la LFSS a sensiblement encadré la substitution par un médicament biosimilaire. Il résulte notamment de cette discussion que les médicaments biosimilaires sont recensés dans une « liste de référence », et non pas dans le « répertoire » des médicaments génériques.

M. Jean-Yves Le Déaut. On avait une médecine qui soignait sur la base de la chimie. La biotechnologie a profondément modifié cela. Dans certaines disciplines comme l’immunologie et la diabétologie, on a compris qu’on pouvait extraire des molécules chez les animaux. On a ensuite développé la capacité d’extraire les gènes de ces très grosses molécules. Ainsi a-t-on pu faire fabriquer de l’insuline par des bactéries, avec un processus de fermentation, de séparation et de contrôle dans le laboratoire qui a inventé le brevet. Il en est de même des facteurs de croissance ou de l’EPO. Avec le passage des brevets dans le domaine public, des dizaines de laboratoires vont pouvoir produire ces molécules. Il convient donc de mettre en place un système nouveau, le ministère en est conscient. Cependant, tout en étant favorable aux biosimilaires, pour des raisons de coût, je ne suis pas sûr que nous soyons allés au bout de la réflexion. Je vous propose que l’OPECST suive, en liaison avec le ministère et les autres parties prenantes, l’évolution de ce dossier, qui constitue une vraie révolution.

Mme Marie-Christine Blandin. J’ai noté qu’une des conditions de délivrance du biosimilaire est qu’il doit s’agir d’un primo-traitement, à savoir que le patient n’a encore jamais pris le médicament princeps. Quel est le problème ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Le problème est qu’on n’est jamais sûr que l’organisme ne fabriquera pas d’anticorps.

M. Jean-Louis Touraine. On peut prendre les exemples de l’anticorps monoclonal, de l’insuline, de l’hormone de croissance ou du sérum anti-lymphocytaire (utilisé comme antirejet dans une greffe). Ces molécules sont fabriquées in vivo à partir de lymphocytes humains injectés à des lapins ou des chevaux. Le sérum ainsi produit est recueilli puis purifié. Son efficacité et sa capacité de réaction varient en fonction de l’animal producteur et des conditions de préparation. Le traitement dure environ dix jours. Si, secondairement, le patient a besoin d’un second épisode de traitement, on ne peut utiliser le même sérum, car le patient a produit des anticorps. On est obligé de changer de molécule. Cela montre l’hétérogénéité, mais aussi l’immunogénicité. La capacité de développer des anticorps entraînera, soit un changement de molécule, soit, selon le patient, au contraire, le maintien d’une molécule contre laquelle il ne s’immunise pas. La décision est complexe, elle demande un encadrement qui, pour l’instant, n’est pas encore complètement au point.

M. Jean-Yves Le Déaut. Le domaine des vaccins posait, à l’origine, des problèmes identiques à celui des médicaments biosimilaires. Un vaccin est fabriqué chaque année dans un nombre relativement restreint de lieux de production qui sont régulièrement contrôlés. Nous avons réussi à organiser cette production. Nous aurons le même type de difficultés avec les biosimilaires produits dans deux pays notamment, l’Inde et la Chine. Les règles devront être mises en place au niveau international. C’est, en particulier, en ce sens que je propose un travail plus approfondi sur le décret de mise en œuvre du principe de substitution.

M. Gérard Bapt. Je me rappelle bien de la discussion que nous avions eue à l’Assemblée nationale à l’automne 2013, jugeant que la rédaction initiale de l’article 47 était inacceptable. J’avais même menacé de voter contre. Les biosimilaires ne sont pas des génériques. La variabilité des médicaments biologiques entraîne l’impossibilité de produire deux molécules aussi complexes identiques dans des chaînes de production différentes. C’est pour cela que l’article 47 limite la substitution aux primo-prescriptions. Il faudrait que les prescripteurs acquièrent une expérience de ces molécules pour valablement inscrire la mention « non substituable » sur l’ordonnance, sans influence de la visite médicale. Nous avions fait un gros effort pour la formulation de cet article. Pourquoi le LEEM est-il contre ?

Le CSIS avait prévu que cet article devait être préparé dans un groupe de travail dépendant des services du Premier ministre. Les entreprises du médicament (LEEM) jouent certainement la montre dans le processus de préparation de ce décret. Mme Anne-Yvonne Le Dain nous a rassurés en nous expliquant qu’il restait encore beaucoup à faire pour mener à bien la concertation.

Par ailleurs, j’ai noté que l’arrivée des biosimilaires allait induire une baisse de 10 à 30 % des prix des médicaments. Cette baisse concerne-t-elle seulement les biosimilaires ou touche-t-elle aussi les princeps ? Il me semblerait normal que le prix des princeps baisse aussi, une fois que le brevet est tombé dans le domaine public.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cette baisse, de 10 %, puis de 30 %, que nous a annoncée le président du Comité économique des produits de santé (CEPS), touchera autant les biosimilaires que les princeps.

M. Gérard Bapt. Vous avez noté qu’un certain nombre de génériques ont récemment été retirés du marché pour des raisons de qualité de production, en particulier en Inde. Qu’en sera-t-il pour les biosimilaires, qui sont produits dans des conditions beaucoup plus délicates ? Il semble que, dans une même chaîne de production, la variabilité de ces grosses molécules pourrait aller jusqu’à modifier leurs caractéristiques et altérer leurs propriétés.

Enfin, je ne sais pas si vous avez déjà pris contact avec le ministère, mais ce serait une première – par ailleurs extrêmement intéressante – si des parlementaires étaient associés à la rédaction d’un décret.

M. Jean-Yves Le Déaut. Ce ne serait pas une première. À la suite de notre rapport sur les freins réglementaires en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment, nous avons été associés à la rédaction du décret sur le Haut Conseil de la construction et de l’efficacité énergétique.

M. Gérard Bapt. Donc, ce n’est pas dans le domaine de la santé.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous aurions tout intérêt à insister pour que, chaque fois que l’Office a travaillé sur un sujet, il soit consulté sur la rédaction des textes techniques y afférents.

En l’occurrence, nous pourrions suggérer que, à côté des agences sanitaires, la direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé du Conseil de l’Europe (EDQM), qui travaille avec des groupes d’experts européens et mondiaux, et qui a réalisé une pharmacopée des médicaments chimiques, commence à travailler sur la qualité et le contrôle des biomédicaments. Le chantier est immense, car les biosimilaires sont déjà sur le marché ou sur le point de l’être.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. La vraie question est qu’il s’agit d’une course de vitesse : les médicaments biologiques tombent dans le domaine public, quelque 900 nouvelles molécules sont en cours de développement, les pays émergents améliorent leur technicité de jour en jour et montent en puissance. Les industriels français et européens sont un peu le pied sur le frein, mais ils ont envie d’accélérer. Le monde médical, le monde des pharmaciens et l’administration sont en état de stase. Nous vivons une phase de pause technique, financière, politique et administrative. La place de l’OPECST, en se saisissant de cette question, est d’essayer d’avancer sans se faire déborder en termes économiques, sans laisser faire n’importe quoi au motif que nous n’avons pas le choix. Les conclusions que nous envisageons nous replaceraient dans le système de décision.

M. Gérard Bapt. Des médicaments biologiques sont produits dans des pays non-européens, dans des pays comme les États-Unis où l’on sait que les contrôles sont sérieux. Certains génériques sont fabriqués sur les mêmes chaînes de production que les princeps… Pour les biomédicaments, l’industrie européenne ne risque-t-elle pas d’être concurrencée, et pas seulement dans les pays que vous venez de citer ?

M. Jean-Louis Touraine. Le laboratoire Lilly France va produire en Alsace le biosimilaire de l’insuline Lantus. La baisse de « seulement » 10 % ou 30 % du prix des biosimilaires par rapport au prix originel du princeps doit être vue comme une incitation à produire. Il s’agit d’une course de vitesse dans laquelle nous sommes pris entre deux impératifs contradictoires : d’un côté, les productions indienne et chinoise, de bon niveau mais pas avec le même niveau de contrôle, d’un autre côté, notre organisation, qui n’est pas encore prête. Vouloir tout de suite élaborer un décret à l’emporte-pièce, à la va-vite, nous fragiliserait, car, si demain notre chaîne de contrôle n’est pas bonne, nous risquons l’accident. L’expérience des génériques montre que, pour éviter ce risque, nous avons besoin de l’adhésion de tous, pharmaciens hospitaliers et d’officine, médecin hospitaliers et libéraux, y compris les associations de patients. Il faut que les textes fassent l’objet d’une concertation et qu’ils soient rassurants à cet égard. L’attitude des représentants du LEEM laisserait entendre qu’ils n’estiment pas avoir été suffisamment associés aux décisions. Il faut faire attention à ne pas laisser de côté ceux qui seront demain des acteurs importants du dispositif.

M. Daniel Raoul, sénateur. Combien y a-t-il de fabricants différents d’insuline actuellement ?

M. Jean-Louis Touraine. Il y a plusieurs sortes d’insuline : rapide, retard. Actuellement il n’y a qu’une insuline de chaque sorte, demain il y en aura plusieurs.

Mme Marie-Christine Blandin. Vous avez parlé de processus et de protocole, je souhaiterais ajouter le mot « qualification ».

M. Jean-Yves Le Déaut. Pour conclure, je suis d’accord avec l’introduction de la notion de qualification, telle qu’elle vient d’être proposée.

Je souhaiterais que l’on rajoute une conclusion, qui n’avait pas été suffisamment mise en évidence, et qui ressort de notre discussion ce jour, à savoir l’intérêt de développer l’industrie européenne, à partir du moment où l’on fabrique des biosimilaires, c’est-à-dire avec un soutien au développement des biotechnologies sur le territoire européen.

Je souhaiterais enfin que nous rappelions l’importance de la direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé du Conseil de l’Europe (EDQM) et que nous lui demandions de continuer à jouer ce rôle d’assurance de qualité des médicaments biosimilaires auprès des pays de l’Union européenne et, au-delà, du Conseil de l’Europe.

Je propose qu’un communiqué de presse accompagne la publication du compte rendu de notre discussion, dès que celui-ci aura pu être mis en ligne.

Je constate que l’Office a adopté à l’unanimité les conclusions ainsi modifiées suivantes :

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques :

– souhaite, avec des moyens appropriés visant à développer l’évaluation des méthodes analytiques et la caractérisation des médicaments biologiques, améliorer la connaissance scientifique de ces médicaments, dont l’industrie naissance n’a pas encore atteint un niveau de maturité qui permette d’assurer l’équivalence totale des effets des médicaments biologiques de référence et similaires en termes d’efficacité, de qualité et de sécurité ;

– demande d’instaurer une certification des processus de production des médicaments biologiques, en amont de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), afin d’aboutir à une qualification des sites de production ;

– rappelle, en la matière, le rôle de la direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé du Conseil de l’Europe (EDQM), regroupant à Strasbourg quelque 260 agents de 25 nationalités différentes ;

– estime nécessaire d’introduire une nomenclature plus fine de ces biomédicaments, par exemple en rajoutant quatre lettres à la dénomination commune internationale (DCI), pour caractériser le lieu de fabrication, le laboratoire et le processus de fabrication ;

– souligne l’importance stratégique de développer l’industrie européenne des biomédicaments, avec un soutien au développement des biotechnologies sur le territoire européen ;

– demande de conditionner la date d’entrée en vigueur de l’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2014 à l’évaluation par l’OPECST, ou un autre organe compétent du Parlement, du degré de maturité de la caractérisation des biomédicaments et de leurs similaires.


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