SOMMAIRE
Pages
Lettre de saisine DE L’OPECST 5
première partie : les usages de la biomasse 7
I. La biomasse : des usages appelés à jouer un rôle clef dans la transition énergétique 7
A. Ressources et usages de la biomasse 9
B. Un atout pour la transition énergétique 18
II. Un secteur dont le développement est confronté à des enjeux de mieux en mieux identifiés 22
A. Jusqu’à présent, un déficit de stratégie publique 24
B. Mettre en place les conditions d’un développement économique équilibré 26
C. Encourager la recherche scientifique et technologique 32
III. Une politique publique à inscrire dans le cadre d’une véritable stratégie de bioéconomie 40
A. Le concept de bioéconomie 40
B. Un concept émergent en France 47
IV. Conclusion de la premiere partie 51
VI. Liste des personnes auditionnées 55
VII. Examen par l’office de l’étude de faisabilité (26 mai 2015) 57
II. Première table ronde : Filières – État des lieux – Perspectives 67
III. Seconde table ronde : Stratégie pour la biomasse Stratégie de bioéconomie 83
VI. Documents illustrant les interventions de l’audition publique 107
En application de l’article 6 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, l’Office parlementaire a été saisi par la commission des affaires économiques du Sénat, le 17 avril 2014, d’une étude sur le thème « des usages de la biomasse et leur développement ». Cette étude est envisagée comme devant approfondir les enjeux suivants : « identification des priorités de recherche, impact environnemental et enjeu économique du secteur en termes d’indépendance énergétique, de croissance et d’emplois ».
Le 8 juillet 2014, M. Roland Courteau, sénateur, vice-président de l’OPECST, a été désigné rapporteur de cette étude.
En application de l’article 19 du règlement intérieur de l’Office parlementaire, toute étude de faisabilité, préalable au lancement des travaux en vue d’un rapport, a pour objet « d’établir un état des connaissances sur le sujet, de déterminer d’éventuels axes de recherche et d’apprécier les possibilités d’obtenir des résultats pertinents dans les délais requis, de déterminer les moyens nécessaires pour engager valablement un programme d’études ».
Dans le cas présent, l’étude de faisabilité, présentée le 26 mai 2015, constitue la base de la première partie du présent rapport incluant, en seconde partie, un compte rendu d’audition publique, et a été réalisée dans le contexte de la préparation puis de l’examen, à l’Assemblée nationale, du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont plusieurs dispositions visent à développer les usages de la biomasse-énergie.
PREMIÈRE PARTIE : LES USAGES DE LA BIOMASSE
I. LA BIOMASSE : DES USAGES APPELÉS À JOUER UN RÔLE CLEF DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
La biomasse est appelée à jouer un rôle important dans la transition énergétique, même si elle n’est pas toujours identifiée comme telle par le grand public, qui assimile généralement les énergies renouvelables aux seules énergies éolienne et solaire, c’est-à-dire aux énergies intermittentes.
La biomasse présente des caractéristiques intéressantes dans la perspective de cette transition. D’une part, elle constitue une énergie renouvelable dont la disponibilité est réputée permanente, contrairement à celle des énergies intermittentes. Cependant, cette caractéristique ne doit pas être exagérée car la quantité de biomasse disponible sur un territoire donné est plafonnée du fait d’un certain nombre de contraintes naturelles ou d’usage.
D’autre part, les ressources en biomasse sont susceptibles, à certaines conditions (pour la biomasse sèche : le bois, la paille...), d’être stockées.
Enfin, le recours à la biomasse-énergie est vu comme un facteur de réduction des émissions de gaz à effet de serre, quoique dans des proportions variables et controversées, en fonction de l’analyse du cycle de vie de chaque production énergétique.
L’étude de faisabilité a visé tout d’abord à recenser les enjeux aujourd’hui associés au développement de différents usages de la biomasse comme source d’énergie.
Elle a examiné, ensuite, l’opportunité d’inscrire la réflexion sur le développement des usages de la biomasse dans le cadre plus global du développement des produits biosourcés. En effet, les usages énergétiques de la biomasse ne sont pas complètement dissociables de ses autres usages, notamment la production de matériaux.
Il ressort des très nombreux travaux existants le caractère encore assez exploratoire en France d’un domaine d’activité qui, tout en faisant l’objet d’engagements, suscite des espérances à confirmer mais aussi des controverses.
Tenter de les concilier pourrait être un objectif en soi à l’heure où la France adopte un projet de loi sur la transition énergétique et accueille la conférence sur les changements climatiques. L’OPECST a souhaité participer pleinement à ce processus et votre rapporteur lui a recommandé d’organiser une audition publique consacrée aux contributions de la biomasse et à ses perspectives.
La biomasse n’est pas une source d’énergie nouvelle. Le bois est utilisé comme combustible depuis des millénaires. Jusqu’au dix-huitième siècle, il a constitué la seule source d’énergie calorifique, servant à produire le charbon de bois utilisé pour le chauffage des métaux, avant la généralisation de l’emploi de la houille.
À l’heure où des alternatives aux énergies fossiles sont recherchées, la biomasse est à nouveau considérée comme une source d’énergie d’avenir. Le développement de la recherche dans le domaine des biotechnologies permet d’envisager des usages nouveaux et diversifiés, bien loin du seul retour à une technologie ancienne.
Étant donné la diversité des ressources naturelles disponibles en France, le recours à la biomasse est un atout dans la transition énergétique : cet atout peut être mis à profit, à court terme, pour les filières déjà matures, et, à plus long terme, pour les filières émergentes.
A. RESSOURCES ET USAGES DE LA BIOMASSE
La biomasse est produite par les organismes vivants : plantes, animaux, insectes, micro-organismes.... Ses ressources sont très diverses, de même que ses usages, qui touchent à de nombreux secteurs économiques.
1. Les ressources issues de la biomasse
Il paraît utile d’énumérer rapidement les principales ressources offertes par la biomasse, à partir de la définition commune de cette notion.
a) La définition de la biomasse
La biomasse se caractérise par son origine vivante. Elle désigne l’ensemble de la matière organique végétale ou animale issue de la forêt, de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture, ainsi que des industries connexes, et la fraction biodégradable des déchets industriels ou ménagers.
La biomasse est, par conséquent, produite :
- soit directement dans la nature, dans le cas des végétaux et animaux ;
- soit indirectement, dans le cas des résidus issus de matière vivante, c’est à dire des déchets animaux et végétaux issus des activités humaines. Dans le cas des déchets, seule la fraction fermentescible de ces déchets est assimilée à de la biomasse.
Hydrocarbures et biomasse
Les hydrocarbures sont, eux aussi, issus de la biomasse accumulée et transformée dans le sous-sol mais ils ne sont pas considérés comme de la biomasse car leur usage n’est pas renouvelable, du moins à l’échelle de la vie humaine.
Leur combustion produit du CO2 supplémentaire, qui vient accroître la concentration de ce gaz dans l’atmosphère, tandis que la combustion de la biomasse ne fait que relâcher le CO2 préalablement assimilé par les plantes, lors de la photosynthèse.
On distingue par ailleurs la biomasse sèche (végétaux récoltés) de la biomasse humide (déchets, effluents d’élevage...), dont les usages diffèrent.
La biomasse est définie, en France, par l’article 19 de la loi n° 2009-967 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement :
« La biomasse est la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l'agriculture, y compris les substances végétales et animales issues de la terre et de la mer, de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers »
Cette définition s’inspire de celle donnée dans la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité1, qui constitue un référentiel pour la réglementation ultérieure.
Dans le cas des végétaux, la biomasse est issue de la photosynthèse, processus par lequel des composés organiques (glucides) sont synthétisés, grâce à l’énergie issue de la lumière du soleil, qui permet d’oxyder l’eau et de réduire le gaz carbonique2. La biomasse assure donc une fonction de stockage de l’énergie solaire. Le rendement énergétique de ce processus est toutefois faible, de l’ordre de 3 % à 6 % selon les plantes. Ces rendements sont minimes comparés à ceux de l’utilisation directe de l’énergie solaire (20 % à 30 %).
Le caractère renouvelable de la ressource biomasse suppose que la plante repousse après avoir été prélevée, c’est-à-dire que son stock soit géré de façon durable, sans décroître avec le temps, le stock de carbone demeurant, ainsi, au moins stable.
b) Les ressources mobilisables
Les principales ressources de la biomasse, mobilisables pour un usage énergétique, sont énumérées ci-après.
Il s’agit soit de ressources affectées à la production d’énergie, soit de coproduits et déchets issus d’autres activités, dont la filière énergétique permet ainsi la valorisation.
Il s’agit des plantes issues de cultures susceptibles de déboucher sur une production énergétique, notamment des plantes servant à produire les biocarburants de première génération :
- la betterave, la canne à sucre (riches en sucres), le blé, le maïs (riches en amidon), sont utilisés pour produire de l’éthanol (bioéthanol), qui est un alcool produit par fermentation, substituable à l’essence ;
- le colza, le tournesol, le soja, le palme, l’arachide sont employés pour produire de l’huile, qui permet d’obtenir des esters dont le biodiesel, substituable au gazole.
Pour une surface agricole donnée, ces cultures sont en concurrence avec les cultures alimentaires ; par ailleurs, elles nécessitent un apport spécifique d’eau – ce qui est un facteur parfois très limitant –, de produits phytosanitaires, et la consommation d’une certaine quantité d’énergie, d’origine souvent fossile.
Ces aspects doivent être pris en compte pour l’analyse du bilan de la production énergétique considérée.
(2) Les ressources halieutiques
Il s’agit notamment des algues, et des micro-algues, dont la productivité, en termes de matière sèche produite par hectare et par an, est bien supérieure à celle des plantes terrestres.
Les micro-algues font l’objet de recherches en vue de la production de biocarburants de troisième génération. Leur coût de production élevé demeure toutefois un obstacle.
La forêt couvre près de 30 % de la surface de la France métropolitaine. Elle croît régulièrement depuis un siècle. L’État possède 10 % de cette forêt (forêt domaniale), les collectivités locales 15 % et les propriétaires privés, qui sont au nombre de 3,5 millions, 75 %. La surface moyenne de la forêt privée est de 3,3 hectares.
La forêt joue un rôle de puits de carbone. Cette capacité de stockage, forte en phase de croissance, décroît ensuite au cours de la vie du végétal.
Chaque année, la forêt française produit 100 millions de m3 de bois, dont seulement 60 % sont récoltés.
La ressource forestière offre donc a priori un potentiel important quoique difficile à mobiliser.
Les taillis à courte rotation (TCR), de sept à neuf années, voire à très courte rotation (deux à quatre années), peuvent être consacrés à la production d’énergie.
(4) Les coproduits et résidus agricoles
Les coproduits, dérivés d’une autre activité agricole, sont donc complémentaires plutôt que concurrents des produits alimentaires. Ils ne nécessitent pas d’apports spécifiques en eau et produits phytosanitaires, en dehors des apports nécessaires à la culture principale.
Ces résidus sont des pailles issues de diverses cultures, ou encore des adventices (mauvaises herbes).
Un exemple connu d’usage de ces résidus est celui de la bagasse, qui est un résidu fibreux issu du broyage de la canne à sucre, utilisé notamment au Brésil et à la Réunion pour produire de l’électricité.
Le prélèvement de ces résidus n’est néanmoins pas neutre d’un point de vue environnemental. En effet, il empêche le retour au sol des composés organiques qui les constituent. Or ces composés organiques sont essentiels au maintien de la qualité et de la viabilité des sols.
De façon générale, un équilibre doit être trouvé entre le prélèvement de la biomasse et sa restitution aux sols.
L’usage énergétique du bois ne peut être considéré indépendamment de ses autres usages : bois d’œuvre (utilisé dans la construction), bois matériau (mobilier, papeterie), dans le cadre d’une politique de structuration de la filière bois.
Cette filière représente, au total, 425 000 emplois.
L’utilisation du bois comme matériau de construction doit être privilégiée car elle permet de stocker le carbone et de créer une valeur ajoutée supérieure à celle du bois-énergie.
La filière bois-énergie ne peut se structurer qu’autour d’une filière bois-matériau forte, permettant de minimiser les importations de déchets de bois, dont le bilan écologique est contestable.
En outre, ne peuvent être considérés comme constitutifs de biomasse les déchets (bois) qui auraient été traités par des produits chimiques toxiques.
Le bois-énergie est la première source d’énergie renouvelable en France.
(6) Les autres déchets fermentescibles
Divers déchets industriels et ménagers peuvent être utilisés, ainsi que les boues des stations d’épuration. Là aussi, des problèmes sanitaires peuvent se poser liés à la pollution de ces boues ou des déchets.
L’exploitation des ressources issues de la biomasse implique différentes filières industrielles, correspondant à autant de technologies de conversion de la biomasse : chaleur, électricité, biocarburants, biomatériaux…
a) Les usages de la biomasse au niveau mondial
La quantification des usages de la biomasse fait l’objet d’évaluations parfois contrastées. D’un point de vue qualitatif, on peut avec une certaine assurance indiquer qu’elle ne représente encore qu’une faible proportion des usages non alimentaires avec, toutefois, une place relative qui dépend du niveau de développement mais aussi de considérations locales.
Au niveau mondial, selon certaines estimations, la biomasse, c’est-à-dire ce qui est collecté de la production végétale, représente 5 GTep3.
Cette biomasse est utilisée de la façon suivante4 :
- 745 MTep (15 %) pour l’alimentation humaine ;
- 1 680 MTep (34 %) pour l’énergie (principalement le bois de chauffage) ;
- 1 633 MTep (33 %) de « pertes » essentiellement dues à l’alimentation animale (conversion en énergie métabolique) ;
- 1 000 MTep (20 %) employés par l’industrie (matériau…).
L’alimentation humaine est donc, quantitativement, une utilisation minoritaire de la biomasse, et même la moins importante si l’on ne compte pas les pertes animales.
b) Les usages non alimentaires de la biomasse
Les usages non alimentaires de la biomasse sont divers, faisant jusqu’à présent coexister des concepts et des dynamiques économiques étrangers les uns aux autres. Les paramètres affectant la compétitivité des différentes filières sont multiples.
Ces filières sont les suivantes : intrants agricoles, biomatériaux et bioproduits, biocarburants, production de chaleur et d’électricité.
Origines et usages : les filières de la biomasse non alimentaire
Amendements engrais organiques |
Biomatériaux Bioproduits |
Biocarburants |
Chaleur électricité | |
Biodéchets et effluents organiques (humides) |
Épandage et biofertilisants |
(néant) |
Biométhane carburant |
- méthanisation - incinération - gazéification |
Sous produits lignocellulosiques |
Mulching |
- pâte à papier - panneaux - bois reconstitués - polymères fibreux |
2ème génération (thermochimique ou enzymatique – 2020) |
- bois /paille énergie - réseaux de chaleur - cogénération |
Cultures agricoles conventionnelles |
Enfouissement |
- chimie du végétal - biopolymères et biocomposites |
1ère génération (EMHV – éthanol) |
(néant en principe) |
Forêts conventionnelles |
(néant sauf via les cendres) |
Filière bois -panneaux - papier |
2ème génération (sous-produits et rémanents) |
- bois énergie - réseaux de chaleur - cogénération (sous-produits et rémanents) |
Cultures à plantations « à cellulose » |
(néant sauf via les cendres et digestats) |
Filière panneaux - papier |
2ème génération |
- bois énergie - réseaux de chaleur - cogénération |
Source : rapport précité sur « Les usages non alimentaires de la biomasse »
La biomasse représente, en particulier, 10 % de la consommation d’énergie primaire de l’humanité.
c) Les technologies de la biomasse énergie
La biomasse est convertible en énergie par différents procédés : combustion, fermentation, procédé Fischer-Tropsch…
Le bois-énergie représente 80 % de la chaleur renouvelable. La production de chaleur constitue le débouché principal du bois-énergie, le bois étant utilisé sous diverses formes (bûche, briquette, plaquette, granulé).
Les ménages sont les principaux consommateurs de cette chaleur.
En 2012, 7,5 millions de ménages utilisaient un appareil de chauffage au bois, contre 6 millions en 2000. Malgré cette augmentation de l’utilisation du bois-énergie, la consommation de bois est demeurée stable, grâce à la mise sur le marché d’appareils de plus en plus efficients.
Les équipements de chauffage domestique au bois (poêle, foyer fermé, insert, cuisinière utilisée pour le chauffage, chaudière), lorsqu’ils répondent à un certain nombre de critères, correspondant à ceux du label « flamme verte », sont éligibles au crédit d’impôt développement durable, destiné à soutenir la modernisation du parc. Par ailleurs, un taux réduit de TVA (5,5 %) est également susceptible de s’appliquer, ainsi que d’autres aides (éco-prêt à taux zéro, Agence nationale de l’habitat, aides locales).
Le label « flamme verte »
Créé en 2000, le label « flamme verte » vise à susciter un renouvellement du parc d’équipements de chauffage au bois.
Les critères à remplir pour l’obtention de ce label sont les suivants :
- un rendement élevé : les appareils « flamme verte » doivent posséder un rendement d'au moins 70 % (alors que le rendement d’une cheminée ouverte classique est de l’ordre de 10 % à 15 %) ;
- peu d'émissions nocives pour l'environnement : les appareils « flamme verte » sont conçus de manière à rejeter moins de 0,3 % de CO dans les fumées de combustion (à 13 % d'O2) ;
- un indice de performance environnementale ambitieux intégrant les rejets de particules depuis le 1er janvier 2011 ;
- des appareils conformes aux normes de sécurité françaises et européennes.
Le label vise une amélioration continue : rendement, rejets de CO, diminution des poussières font l'objet d'une révision régulière dans le sens d'une protection toujours accrue de l'environnement.
Le principal inconvénient du bois-énergie est la pollution de l’air qu’il engendre, dans des proportions qui dépendent de la qualité et de l’humidité du bois employé. Divers labels de certification du bois permettent de contrôler le combustible.
Par ailleurs, le développement du bois-énergie doit tenir compte des autres usages du bois. En effet, la production de chaleur ne doit pas venir concurrencer des filières à plus haute valeur ajoutée (bois d’œuvre, bois matériau), comme c’est le cas aussi, ci-après, pour la production d’électricité.
(2) La production d’électricité
Le bois sous forme de granulés est utilisable dans les centrales électriques en remplacement de tout ou partie du charbon, sans nécessiter de modifications importantes, éventuellement en cogénération.
Un exemple, contesté, en est le projet de reconversion d’une unité de la centrale à charbon EON de Gardanne. Alors que le projet initial prévoyait l’importation, tout au long de la durée de vie du projet (vingt ans), de granulés, EON a, par la suite, prévu de faire cesser les importations au bout de dix ans, en 2025, au profit de biomasse d’origine locale. Il a également été choisi de s’orienter vers une importation de plaquettes forestières plutôt que de granulés, plus facilement substituables ensuite par de la ressource locale. Au démarrage de la centrale, deux tiers des plaquettes seront d’origine locale, le tiers restant étant importé principalement d’Europe et d’Amérique du Nord.
Outre les importations de bois, dont le bilan écologique est problématique, c’est la structuration de l’approvisionnement local en bois qui constitue un frein au développement de ce type de projet. L’acheminement de la ressource nécessite de lourds investissements. Les autres usagers du bois craignent la concurrence qu’ils devront subir pour l’accès à la ressource, la production forestière n’étant pas rapidement modulable en fonction des besoins.
La méthanisation est un processus de digestion anaérobie de la biomasse par des micro-organismes (400 à 500 espèces différentes), produisant du biogaz qui, après purification, est susceptible d’être injecté sur le réseau gazier, à condition d’être préalablement épuré, ou de produire de l’électricité.
La méthanisation produit également un digestat, susceptible, à certaines conditions relatives à son innocuité, d’être utilisé comme fertilisant.
Cette technologie, qui permet la valorisation de déchets et concourt donc à la mise en place d’une « économie circulaire », fait l’objet d’un soutien public dans le cadre du « plan Énergie Méthanisation Autonomie Azote » depuis 2013. L’objectif initial de ce plan était que la France compte 1 000 méthaniseurs à la ferme en 2020. En juillet 2014, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a annoncé vouloir accélérer la mise en œuvre de ce plan pour parvenir à lancer 1 500 projets de méthanisation en trois ans.
Il existe actuellement en France 410 sites de méthanisation, dont six permettant l’injection de biométhane dans le réseau de distribution gazier.
Le développement de la méthanisation en France reste embryonnaire, en comparaison de ce qu’il est en Allemagne, où près de 8 000 unités de méthanisation ont été installées en une décennie, dont 144 sont raccordées au réseau.
Toutefois, d’après les projections de l’ADEME, le réseau gazier français pourrait comporter 10 % de gaz renouvelable avant 2030 ; il serait produit par 1 400 installations avec injection dans le réseau. À terme, le biométhane pourrait représenter 40 % de la consommation actuelle de gaz naturel.
(4) La production de biocarburants
Les biocarburants sont produits à partir des sucres (par fermentation) ou des lipides (par « transestérification ») présents dans les plantes. Ils font l’objet de recherches en vue d’une deuxième et d’une troisième génération de biocarburants, pour le moment émergents.
Seuls les biocarburants de première génération ont atteint le stade industriel. La France a atteint un taux d’incorporation de 7 %, essentiellement grâce à sa production de biodiesel.
Les biocarburants représentent 3,1 % de la consommation mondiale d’énergie dans le secteur routier.
Il s’agit d’éthanol, à hauteur de 75 % de la consommation de biocarburants dans le monde (mais de seulement 15 % de la consommation en France). L’éthanol est produit à partir de la fermentation du sucre ou de l’amidon contenu dans la betterave, la canne à sucre et dans certaines céréales. Le bioéthanol est incorporable dans les moteurs à essence. À partir d’éthanol, on peut aussi produire de l’ETBE5.
Le biodiesel représente 25 % de la consommation de biocarburants dans le monde (85 % en France). Il est produit à partir d’huiles végétales (colza, soja, palme…) et est utilisable dans les moteurs diesel.
Les biocarburants de deuxième génération sont en phase de décollage industriel. Ils utilisent la biomasse lignocellulosique (bois, paille…), c’est-à-dire, contrairement aux biocarburants de première génération, une ressource qui n’entre pas en concurrence avec la production alimentaire.
La première unité commerciale de biocarburants de deuxième génération a démarré en Italie en 2013 (usine Beta Renewables de Crescentino).
Le développement de la deuxième génération est clef pour atteindre l’objectif communautaire de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports à l’horizon 2020, dans la mesure où le développement de la production des filières de première génération est aujourd’hui limité.
En France, selon certains diagnostics, aller au-delà du taux d’incorporation actuel de 7 % ferait courir des risques en termes de concurrence avec l’alimentaire et d’émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi il a été décidé, à la fin de l’année 2012, de limiter le taux d’incorporation des biocarburants de première génération à 7 %, seule l’émergence des biocarburants de deuxième génération étant, par conséquent, susceptible de permettre d’atteindre l’objectif de 10 %. Cette position permet de préserver les investissements réalisés.
Les biocarburants de deuxième génération sont produits à partir de divers procédés, évoqués ci-après (II).
Quant aux biocarburants de troisième génération, ils tirent parti de la biomasse algale, c’est-à-dire de micro-algues lipidiques ou d’autres algues, riches en cellulose, dont la productivité serait intéressante en raison de leur croissance rapide. La capacité d’un passage au stade industriel n’est pas démontrée pour le moment. Le bilan énergétique et le coût de cette production constituent des freins à son développement.
B. UN ATOUT POUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
La directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 sur les énergies renouvelables impose aux États membres de disposer dans leur bouquet de consommation énergétique d’au moins 20 % d’énergies renouvelables (EnR) à l'horizon 2020.
À l’échelle de la France, cet objectif est de 23 %, soit une production annuelle supplémentaire de 20 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep), par rapport à 2006, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie s’élevant à 13,7 % en 2012.
Le plan d'action national français prévoit que la biomasse doit fournir l’énergie nécessaire à la réalisation de plus de la moitié de cet objectif, ce qui permet de situer les enjeux liés à la mobilisation d’une ressource diversifiée et abondante, qui est un avantage comparatif indéniable du pays.
1. La place de la biomasse au sein des énergies renouvelables
La France est le deuxième producteur européen d’énergies renouvelables après l’Allemagne.
En 2012, la production primaire d’énergies renouvelables s’élève à 22,4 MTep, soit 16 % de la production d’énergie primaire totale (136,3 MTep). Les principales filières sont le bois-énergie (45 %), l’hydraulique (22 %), les biocarburants (11 %) et les pompes à chaleur (6 %).
Source : Chiffres clés des énergies renouvelables (2014)
La France dispose de la quatrième surface forestière d’Europe. Le bois énergie (10 Mtep) représente presque la moitié (45 %) de la production primaire d’énergies renouvelables (22,4 Mtep) et les biocarburants, 11 %.
La biomasse, toutes filières confondues, fournit les deux tiers de la production d’énergie renouvelable en France.
En 2012, 72 % de la consommation primaire de bois-énergie est utilisée pour le chauffage résidentiel individuel.
Source : Chiffres clés des énergies renouvelables (2014)
Source : Chiffres clés des énergies renouvelables (2014)
2. Des objectifs ambitieux de développement des productions biosourcées pour l’avenir
La biomasse est appelée à contribuer aux objectifs du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, qui sont les suivants :
- réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et les diviser par quatre à l’horizon 2050 (facteur 4) ;
- réduire la consommation d’énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à 2012 ;
- porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation énergétique finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % en 2030 ;
- réduire la part du nucléaire à 50% dans la production d’électricité à l’horizon 2025 ;
- réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à 2012 et porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % avant 2030.
L’objectif de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale à l’horizon 2030 – contre 13,7 % en 2012 – doit permettre d’atteindre les objectifs suivants :
- un objectif de 38 % de la chaleur consommée issue d’énergies renouvelables ;
- un objectif de 15 % de biocarburants ;
- et un objectif de 10 % de biogaz injecté dans le réseau gazier.
À plus court terme, pour réaliser la transition énergétique, le rôle de la biomasse est appelé à être encore plus important, puisque, d’après l’ADEME, l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale en 2020, issu du « Grenelle de l’environnement », repose pour moitié sur l’usage de la biomasse.
Ainsi, la bioénergie a vocation à représenter 15 % de la consommation d’énergie finale en 2030 et 26 % en 2050.
Pour y parvenir, l’exploitation de la forêt et des déchets bois doit être particulièrement mise à contribution.
La méthanisation des déchets agricoles doit être développée, grâce au financement de 1 500 projets, pour un montant estimé de 100 millions d’euros.
Le recyclage et la valorisation des déchets doivent, plus généralement, être encouragés au titre du développement de l’économie circulaire, processus particulièrement privilégié dans le projet de loi sur la transition énergétique.
Dans l’immédiat, l’accent est mis sur le développement de la chaleur renouvelable, notamment issue de la biomasse (bois, déchets agricoles, biogaz...) mais pas seulement (géothermie, énergie solaire...). Néanmoins, 80 % des projets financés par le fonds chaleur, en TEP, concernent la biomasse. L’objectif initial (70 %), fixé lors du Grenelle de l’environnement, a été, à cet égard, dépassé. 50 % du budget du fonds chaleur est alloué à des projets utilisant la biomasse.
Le montant du fonds chaleur, géré par l’ADEME, doit être doublé en trois ans. En complément des dotations existantes, une enveloppe de 400 millions d’euros est nécessaire pour aboutir à ce doublement des moyens du fonds en 2017.
Le développement de la biomasse énergie doit, par ailleurs, contribuer à la réalisation des objectifs de la transition énergétique en termes de créations d’emplois.
Le gouvernement estime que, dans les trois ans qui viennent, la « croissance verte » est susceptible de créer 100 000 emplois nouveaux. La filière bois pourrait notamment créer 60 000 emplois et la chimie verte ainsi que les biocarburants, 5 000 emplois (avant 2020).
II. UN SECTEUR DONT LE DÉVELOPPEMENT EST CONFRONTÉ À DES ENJEUX DE MIEUX EN MIEUX IDENTIFIÉS
Le développement des usages de la biomasse est identifié comme un enjeu économique, écologique et scientifique majeur dans le monde, depuis maintenant une dizaine d’années mais un peu plus récemment en France.
Plusieurs rapports (dont les références figurent en annexe) - l’OPECST a été particulièrement productif en ce domaine -, ont mis en évidence un certain nombre d’enjeux du développement des usages de la biomasse, dans ses principales composantes que sont le bois-énergie, la méthanisation et les biocarburants.
Doivent notamment être pris en considération les constats et conclusions de trois rapports récents, qui s’appuient eux-mêmes sur des travaux plus anciens :
- le rapport de mission sur « les usages non alimentaires de la biomasse »6, en date de septembre 2012, établi à la demande de trois ministères, qui a abouti à une trentaine de recommandations dont certaines sont générales – sur l’évaluation des processus de production, la gouvernance de la filière, les transitions énergétique et écologique – et d’autres sont spécifiques à certains secteurs – bois, biocarburants de première génération et de deuxième génération, méthanation, chimie du végétal. Ce rapport présente aussi l’intérêt d’analyser la stratégie allemande d’incitation au développement des usages de la biomasse que l’OPECST a abordé dans son rapport de décembre 2014 sur la transition énergétique en Allemagne.
- le rapport de la mission d’information sur la biomasse au service du développement durable7, présenté par M. François-Michel Lambert et Mme Sophie Rohfritsch, députés, en juin 2013, qui présente notamment l’intérêt de considérer la biomasse comme un ensemble cohérent plutôt que fractionné, dans le but d’appréhender la question des conflits d’usage. Ce rapport effectue un état des lieux de la filière et des options qui s’offrent aux pouvoirs publics, afin de définir une stratégie cohérente et ambitieuse.
- enfin, le rapport de mission de M. Jean-Yves Caullet8, député, sur les défis de la filière forêt-bois, dans la perspective de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt9, s’appuyant lui-même sur des travaux précédemment conduits et sur l’expérience des acteurs de la filière forêt-bois, identifie des objectifs stratégiques et des outils de politique publique à mettre en place pour lever les obstacles au développement de ce secteur en France.
S’il existe des dynamiques, encouragées par les pouvoirs publics, qui ont contribué au développement de la recherche sur les produits et procédés issus de la biologie, ces dynamiques n’ont pas conduit à l’élaboration d’une stratégie d’ensemble.
Sur ce point toutefois, le Sénat a souhaité prévoir dans le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte que l’État définisse et mette en œuvre une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse.
Il est utile de cerner les enjeux de la définition d’une telle stratégie.
Ils portent sur la gouvernance, le financement et la coordination des politiques publiques dans le domaine de biomasse.
Il s’agit de créer un cadre favorable à la mutualisation des initiatives, au partage de l’information et au déploiement de financements adaptés à la réalisation d’objectifs bien identifiés.
A. JUSQU’À PRÉSENT, UN DÉFICIT DE STRATÉGIE PUBLIQUE
Malgré des dynamiques encouragées par les pouvoirs publics, le constat de la mise en place d’une stratégie cohérente s’impose.
1. Des dynamiques encouragées par les pouvoirs publics
Plusieurs initiatives convergentes démontrent l’intérêt des pouvoirs publics pour la recherche dans le domaine des usages de la biomasse et du développement des biotechnologies.
D’une part, le programme d’investissements d’avenir, mis en œuvre par le Commissariat général à l’investissement, soutient plusieurs projets de recherche relevant de la bio-industrie :
- Des instituts d’excellence en énergie décarbonée : Institut National pour le Développement des Écotechnologies et des Énergies décarbonées (INDEED), Picardie Innovations Végétales, Enseignements et Recherches Technologiques PIVERT, Institut Français des Matériaux Agro-Sourcés (IFMAS) ;
- Un démonstrateur (Toulouse White Biotechnology) destiné à « élaborer les biotechnologies industrielles les plus innovantes afin de favoriser l'émergence d'une bioéconomie fondée sur l'utilisation du carbone renouvelable » ;
- Un institut Carnot (« 3 Bcar » pour Bioénergies, Biomolécules et Biomatériaux du CArbone Renouvelable).
L’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l’Institut français du pétrole Énergies nouvelles (IFPEN) ont mis en place un partenariat scientifique et technologique en vue de l’élaboration d’une stratégie commune de recherche et d’innovation en bioéconomie, qui sera portée plus largement par les deux alliances de recherche concernées, l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE) et l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi).
La biomasse et les biotechnologies sont, par ailleurs, présentes au titre de deux des trente-quatre plans pour une « nouvelle France industrielle » (dont le nombre a été récemment réduit à dix) : plans « Industries du bois » et « Chimie verte et biocarburants ».
2. Un manque de vision d’ensemble
Un premier impératif est de parvenir à un diagnostic partagé, grâce à la mise en commun de données aux plans national, européen et mondial.
En effet, il n’existe pas de système cohérent de production de données pour le secteur de la biomasse. Même au sein d’une filière donnée, par exemple la filière forêt et bois, on trouve des données de sources éparses, parfois redondantes ou contradictoires. Le caractère foisonnant et décentralisé des initiatives y contribue.
Des progrès ont été accomplis, avec, par exemple, la mise en place d’une interface permettant l’échange de données au niveau de France Agri Mer. Des améliorations sont toutefois nécessaires car, au-delà de la mise en commun des données existantes, la définition d’outils de production de données est également nécessaire.
C’est pourquoi le rapport précité sur les usages non alimentaires de la biomasse préconise l’organisation d’un véritable système d’information sur la biomasse. Ce système d’information pourrait s’appuyer sur un observatoire de la biomasse, qui associerait l’ensemble des parties prenantes, afin de parvenir à un diagnostic légitime partagé.
Ce type de dispositif pourrait, par la suite, être promu aux niveaux européen et international.
3. Un « modèle français » à définir
Ce manque de vision d’ensemble se traduit par une difficulté à mettre en place des stratégies d’utilisation de la ressource biomasse. Pour le rapport précité de la mission parlementaire sur la biomasse au service du développement durable, « [le développement de la biomasse énergie] ne prendra son sens que si la France définit sa voie, sa vision stratégique, son approche de la biomasse. »
La France doit élaborer une « doctrine de valorisation » de ses ressources, qui sont abondantes : « L’Allemagne a fait ses choix, notamment celui des cultures dédiées. Les options françaises ont été prises pour le biogaz avec le plan « énergie méthanisation autonomie azote » ; elles doivent l’être rapidement pour le bois-énergie et pour les biocarburants. »10
C’est donc notamment l’absence de vision stratégique pour les secteurs du bois-énergie et des biocarburants qui est dénoncée. Mais, ce déficit de structuration rejaillit plus généralement sur les choix de filières et, en particulier, des obstacles semblent limiter le développement de la mobilisation des déchets à teneur significative en biomasse.
L’obligation d’adopter un schéma régional biomasse a été soulignée dans le cours de la discussion du projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte afin d’insister sur l’urgence de muscler la politique publique nationale en faveur de la biomasse.
B. METTRE EN PLACE LES CONDITIONS D’UN DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ÉQUILIBRÉ
Le secteur de la biomasse est diversifié et susceptible de se développer dans de multiples directions, à partir d’une ressource limitée et objet de conflits d’usages.
Des arbitrages doivent donc être effectués, en vue d’un développement optimal, sur le plan économique, et harmonieux, sur les plans écologique et social, de ce secteur. Ces arbitrages sont l’objet de la bioéconomie, qui sera évoquée ci-après (III).
1. Le « sous-développement » de la filière bois
S’agissant de la filière bois, un constat unanime est que le développement du bois-énergie ne peut être dissocié de celui des autres usages du bois, dont il doit être complémentaire et non concurrent.
À défaut, le développement du bois-énergie risque d’entraîner des tensions sur l’approvisionnement en bois, et donc sur les prix. Bien qu’un peu plus de la moitié de l’accroissement de la forêt française soit récolté chaque année, des tensions sont en effet susceptibles de survenir dans les régions dont la forêt est la plus exploitée.
Ainsi, d’après des projections réalisées par ENGIE, des tensions sont prévisibles dans certaines régions avant 2018, si l’on prend en compte, d’une part, les projets dont le démarrage est envisagé après 2015 et, d’autre part, les flux potentiels à l’exportation vers la Suisse, l’Italie et la Belgique. Des projets de très grande envergure, tels que celui d’EON à Gardanne, constituent un obstacle à l’investissement dans les régions concernées, dans la mesure où des pressions sur la ressource et sur les prix sont prévisibles.
Le développement des usages énergétiques du bois nécessite donc, en premier lieu, une relance des industries du bois-matériau, seule à même de susciter durablement une valorisation du patrimoine forestier, dont de nombreux travaux ont constaté que le caractère morcelé constituait un obstacle à son exploitation rationnelle.
À défaut d’incitations à exploiter le bois des forêts françaises, le développement du bois énergie se traduirait par des importations de bois, dont les effets seraient regrettables, tant sur le déficit commercial que sur le bilan écologique de la filière.
En 2009, M. Jean Puech, ancien ministre de l’agriculture, constatait déjà la nécessité d’une relance globale de la filière bois et forêts, en ces termes : l’efficacité, jugeait-il, « passe par l’augmentation de l’exploitation de bois d’œuvre, porteur de bois d’énergie, et non l’inverse ; ne vouloir que du bois d’énergie serait comme « vouloir des pieds de porc sans se préoccuper des jambons ! »11. Il assortissait ce constat de propositions précises en vue d’organiser l’offre, l’objectif étant de parvenir à une structuration durable de la filière bois.
En effet, le dispositif d’incitations publiques est déséquilibré en faveur du bois-énergie, et, en particulier, du bois-électricité, alors que le développement de la filière bois-forêt doit promouvoir des usages « en cascade » du bois, cherchant à valoriser d’abord le bois-matériau, qui constitue la filière de transformation à plus forte valeur ajoutée, seule susceptible de susciter un développement durable de la filière bois française.
Le bois-matériau présente, par ailleurs, l’avantage d’assurer une séquestration durable du carbone. Pour la mission précitée sur les usages non alimentaires de la biomasse : « Il s’agit d’enrayer le processus de « sous-développement » de la filière forêt-bois française et de répondre aux défis auxquels l’expose le changement climatique ».
Le rapport précité de M. Jean-Yves Caullet, député, président de l’ONF, en date de juin 2013, formule des propositions en ce sens, préconisant notamment la mise en place d’outils réglementaires, fiscaux et financiers de nature à susciter de nouvelles dynamiques des secteur de la forêt et « des » filières bois, dont la diversité ne doit pas être occultée.
Ces questions étaient traitées dans le cadre de l’un des trente-quatre plans de la Nouvelle France industrielle (NFI), consacré aux industries du bois.
Avec ce plan il s’agissait de relancer la filière bois française en créant des conditions favorables à l’implantation sur le territoire national d’industries de transformation susceptibles de fournir des matériaux pour la construction, des biens de consommation et la production d’énergie dans le but de mettre fin à un paradoxe : la France est exportatrice de bois et importatrice de produits finis à plus forte valeur ajoutée, entraînant un déficit, pour la filière, de six milliards d’euros par an dans la balance commerciale12.
Ce plan répond aux critiques émises par les travaux précédemment mentionnés, en ce qu’il considère l’ensemble des étapes de transformation du bois, de l’amont à l’aval de la filière.
Il entend, notamment, tirer parti de la tendance à l’augmentation de la part du bois dans la construction pour parvenir à une meilleure mobilisation de la ressource nationale en bois.
Le comité stratégique de la filière bois a élaboré un contrat stratégique qui prévoit, par ailleurs, d’aider à la modernisation des activités de scierie, dont la vitalité est essentielle à la filière, et d’aider à la replantation, afin d’encourager une gestion dynamique par les propriétaires de leur patrimoine forestier. En effet, les mécanismes de subventionnement sont aujourd’hui complexes et assortis de longs délais de mise en œuvre, qui ont pour effet de décourager les propriétaires forestiers.
Enfin, la question de la gouvernance de la filière forêts et bois se pose, les énergéticiens déplorant d’être insuffisamment associés au dialogue qui s’est instauré entre les différents acteurs.
2. Les biocarburants de première génération remis en question
Quant aux biocarburants de première génération, les travaux existants appellent au maintien du niveau actuel de production, afin de ne pas pénaliser les investissements déjà effectués et de tirer parti de leur impact positif sur le solde commercial.
Il existe un consensus relatif sur le fait qu’il n’est pas souhaitable de produire davantage de biocarburants, à l’heure actuelle, en raison de leurs effets sur l’offre de terres disponibles pour les cultures alimentaires, et de leurs effets incertains sur les émissions de gaz à effet de serre (voir ci-après).
En tout cas, les orientations du gouvernement sont conformes à cette orientation puisque la France soutient, dans le cadre des débats européens, la fixation d’un plafond à 7 % pour l’incorporation de biocarburants de première génération, qui correspond au taux d’incorporation actuel des biocarburants en France. Si cette part devait, à l’avenir, progresser, ce serait grâce au développement des biocarburants dits avancés, c’est-à-dire ceux de deuxième génération.
À ce sujet, toutefois, il est intéressant de remarquer que le rapport de la mission sur les usages non alimentaires de la biomasse est plus favorable que celui de la mission parlementaire susmentionnée, considérant que de nombreux doutes affectent les jugements généralement portés sur les biocarburants de première génération.
D’après cette étude, en effet :
- il conviendrait de préciser la part, dans l’augmentation de la demande de certains types de cultures (palme, soja…), entre la demande alimentaire et la demande de biocarburants ;
- les émissions de gaz à effet de serre liées à la culture des biocarburants sont comparées à une référence obsolète, à savoir d’anciennes évaluations des émissions liées à l’utilisation de carburants fossiles, qui mériterait d’être actualisée par une analyse sur l’ensemble de leur cycle de vie ;
- la captation des sols résultant de la production de biocarburants devrait être comparée à d’autres formes de captation des sols, résultant de l’urbanisation, du développement des infrastructures ou encore du phénomène de surproduction alimentaire observable dans certaines parties du monde ;
- les coproduits valorisés, associés aux biocarburants, notamment la production de tourteaux pour l’alimentation animale, et leurs effets positifs notamment sur le déficit commercial, devraient être pris en compte dans les raisonnements tendant à évaluer la pertinence de la production de biocarburants.
En tout état de cause, il demeure préférable pour l’Europe de produire ses propres biocarburants plutôt que de les importer. Des contrôles appropriés de leur impact en termes fonciers et environnementaux peuvent ainsi être mis en œuvre alors qu’il est plus difficile de s’assurer de la traçabilité de biocarburants importés.
Enfin, les biocarburants de première génération sont intéressants en ce qu’ils peuvent constituer un tremplin vers des biocarburants de deuxième voire de troisième générations. Il est donc essentiel, a minima, de ne pas remettre en cause la profitabilité des investissements réalisés pour la première génération.
3. Les obstacles au développement de la méthanisation
Les enjeux du développement de la méthanisation sont également de mieux en mieux documentés.
a) Un modèle fondé sur le refus des cultures spécialisées
En novembre 2012, un rapport13 du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a fait le point sur les freins au développement de la méthanisation dans le secteur agricole.
Ce rapport définit la méthanisation comme « un procédé qui, à partir d’effluents d’élevage, auxquels on ajoute des déchets divers et variés, produit de l’électricité, de la chaleur, mais aussi des matières résiduelles au pouvoir fertilisant ».
Le refus de développer la méthanisation à partir de cultures spécialisées, sur le modèle de l’Allemagne, apparaît comme le principal frein au développement de ce secteur. En effet, en Allemagne, c’est la fixation d’un tarif d’achat très élevé de l’électricité produite à partir de biogaz qui a entraîné un développement massif de cultures énergétiques. Il faut noter toutefois que la remise en cause par la Commission européenne du modèle de soutien aux énergies renouvelables, jusqu’à présent mobilisé, fait naître quelques inconnues sur l’avenir de la filière.
En France, la méthanisation est développée à partir de déchets fermentescibles, dont le pouvoir méthanogène est très inférieur à celui de cultures spécialisées et dont la collecte peut être complexe et coûteuse.
Les rapporteurs de la mission d’information parlementaire sur la biomasse au service du développement durable sont défavorables à de telles cultures spécialisées, tant pour les biogaz que pour les biocarburants. La méthanisation est conçue, en France, comme répondant prioritairement à une problématique de valorisation des déchets, dans une logique d’économie circulaire, avant de pourvoir à des besoins énergétiques.
Le point de vue exprimé par le représentant de la FNSEA, lors de la table ronde14 organisée conjointement par les commissions du développement durable et des affaires économiques du Sénat, le 2 octobre 2013, mérite néanmoins d’être mentionné : « On évoque souvent les conflits d’usages des terres agricoles, entre productions alimentaires et énergétiques. Je pense qu’il faut recadrer le débat sur ce point. En région Lorraine, si l’on mettait 1 % de la surface agricole en culture dédiée pour alimenter à 25 % les méthaniseurs, on réaliserait quatre fois l’objectif fixé pour 2020. On parle bien ici de 1 % des terres agricoles, à comparer aux 30 % de gaspillage des produits alimentaires ».
Il est souligné, par ailleurs, que l’allocation de cultures spécialisées permettrait de garantir un certain niveau d’approvisionnement aux financeurs des projets, le défaut de ce type de garantie constituant actuellement un frein important. Il n’en demeure pas moins, comme le note le rapport précité des CGEDD et CGAAER, que « le problème des cultures énergétiques semble avoir un côté tabou en France ».
Pour accroître sa rentabilité, la filière française doit, dès lors, s’attacher à tirer parti des coproduits de l’électricité que sont la chaleur (cogénération) et le digestat, qui peut être réutilisé sous diverses formes (amendement, engrais organiques), à condition d’en contrôler la composition. Le biogaz peut, en outre, être injecté dans le réseau ou encore être employé comme biocarburant dans les transports.
Rappelons que le développement du biogaz est l’objet d’un soutien public dans le cadre du plan « Énergie Méthanisation Autonomie Azote » de mars 2013. Le gouvernement souhaite le lancement de 1 500 projets de méthanisation ainsi que le doublement du montant du fonds chaleur en trois ans.
Le rapport parlementaire précité considère que le Gouvernement a clairement exprimé les options françaises dans le domaine de la méthanisation, alors que sa stratégie est moins explicite s’agissant, d’une part, du bois-énergie, et, d’autre part, des biocarburants.
b) Des objectifs ambitieux compte tenu de multiples obstacles
Toutefois les difficultés demeurent et sont relatives à différents aspects :
- la pérennité de l’approvisionnement des unités ;
- la stabilité de leurs débouchés ;
- la complexité des tarifs de rachat ;
- les déséquilibres potentiels entre acteurs, au détriment des agriculteurs, notamment vis-à-vis des professionnels des déchets ou de l’énergie ;
- les modalités de valorisation de la chaleur coproduite ;
- le statut des digestats, qui en pénalise l’utilisation ;
- et, enfin, la complexité administrative des dossiers et démarches à accomplir en vue de la création d’une unité de méthanisation. En effet, quatre ans sont nécessaires pour monter un projet, dont deux ans et demi pour les autorisations administratives, contre seulement six mois de procédure en Allemagne et huit mois en Italie.
Sous ces angles, il apparaît fondamental d’envisager le choix implicite au projet du gouvernement de favoriser des unités de faible capacité répondant à une logique d’équilibre des exploitations agricoles plutôt que d’accéder directement à des unités de production plus conséquentes aux débouchés plus variés.
Au-delà de la production, les industriels du secteur souhaiteraient la mise en place d’un cadre incitatif au développement du biométhane carburant, actuellement soumis à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPCE) pour les bus, taxis et camions, et qui n’est pas reconnu au titre des obligations d’incorporation de biocarburant des distributeurs.
C. ENCOURAGER LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE
Il importe à un organisme tel que l’Office parlementaire d’examiner attentivement les perspectives que la recherche scientifique et technologique offre au secteur de la biomasse, afin de contribuer à la détermination des moyens et orientations à assigner à cette recherche au cours des prochaines années.
Ces perspectives sont de plusieurs ordres :
- d’une part, une meilleure connaissance du bilan écologique de chaque type d’usage de la biomasse est souhaitable ;
- d’autre part, il convient de développer des usages de « deuxième » et de « troisième » générations, n’entrant pas en concurrence avec le débouché alimentaire, qui est prioritaire ;
- enfin, en complément de ses usages énergétiques, la biomasse offre des perspectives intéressantes dans le domaine de la chimie.
Plusieurs aspects du bilan écologique des usages non alimentaires de la biomasse restent à éclaircir.
Les conséquences environnementales des biocarburants de première génération sont particulièrement sujettes à caution, et justifieraient des travaux de recherche approfondis, au niveau international, s’agissant notamment de leur bilan en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES).
A priori, l’usage de bioénergies est bénéfique du point de vue des émissions de gaz à effet de serre.
Cet usage met à profit le cycle du carbone, décrit dans le schéma ci-dessous.
Le cycle du carbone
Source : Paul Colonna (INRA)
Lecture du schéma : L’atmosphère contient 750 Gt de carbone, responsables de l’effet de serre. Ces 750 Gt sont alimentés, chaque année, par :
- Un flux provenant des organismes vivants terrestres qui, d’une part, respirent en émettant 60 Gt de carbone par an, et qui, d’autre part, grâce à la photosynthèse des plantes, absorbent 63 Gt de carbone par an (-3 Gt).
- Un flux provenant des océans, qui émettent 90 Gt et absorbent 92 Gt de carbone par an (-2 Gt).
Par conséquent, environ 5 Gt de carbone sont pompés de l’atmosphère chaque année. L’atmosphère est toutefois alimentée, par ailleurs, par deux flux de carbone d’un montant de 10 Gt, provenant :
- D’un flux de carbone fossile (+8 Gt)
- D’un flux lié au changement d’usage des sols (+2 Gt)
Le CO2 libéré dans l’atmosphère lors de l’usage de bioénergies n’est pas considéré comme contribuant à l’effet de serre, puisque ce carbone avait été prélevé auparavant par la plante, par photosynthèse, lors de sa phase de croissance.
Comme évoqué précédemment, c’est aussi le cas pour les énergies fossiles, puisque les hydrocarbures sont issus de la biomasse mais avec des échelles de temps qui ne correspondent pas à celle du développement industriel moderne de l’humanité.
b) Les effets controversés des biocarburants de première génération
S’agissant plus particulièrement des biocarburants, leur neutralité environnementale ne vaut évidemment que si la végétation est exploitée de manière durable, sans pollution ni déforestation, et sans tenir compte de la production d’énergie nécessaire à leur fabrication.
Plusieurs phénomènes sont, en effet, susceptibles de venir remettre en cause la neutralité supposée des différents usages de la biomasse sur l’environnement, avec des effets contrastés selon les filières, en fonction de l’impact des différentes étapes agricoles et industrielles de production puis de transformation et de transport des biocarburants.
D’après une étude publiée par l’ADEME15, sans tenir compte du changement d’affectation des sols (voir ci-après), l’ensemble des filières de biocarburants consommés en France présenteraient néanmoins, de fait, des bilans émissifs plus favorables que ceux des carburants fossiles.
La grande majorité des biocarburants permet de réduire de 50 % à 70 % les émissions de gaz à effet de serre. Les éthanols sous forme d’ETBE offrent les bilans les moins favorables (avec des réductions d’émissions situées entre 25 % et 50 %), tandis que la filière biodiesel permet des réductions plus conséquentes (60 % à 90 %).
Les analyses dite de cycle de vie, telles que celles précitées, ont pour objet de quantifier l’impact des différentes étapes de fabrication des biocarburants afin d’évaluer leur intérêt environnemental réel.
En effet, les cultures, leurs transports et leurs transformations sont énergivores et donc émettrices de CO2. Des pratiques agricoles ou forestières intensives, employant certains engrais et produits phytosanitaires, risquent de remettre en cause le bilan des bioénergies. Les engrais employés peuvent, en particulier, émettre du protoxyde d’azote, qui est un puissant gaz à effet de serre.
L’étude précitée de l’ADEME évalue les effets de l’usage de biocarburants sur les émissions, en comparaison avec l’usage de carburants fossiles, mais elle n’intègre pas les effets du point le plus controversé, qui est relatif au changement d’affectation des sols.
Dans tout sol, à l’exception de celui du désert, il existe une fraction organique (l’humus) qui se décompose très lentement. Comme l’indique le schéma ci-dessus sur le cycle du carbone, les sols contiennent, au niveau mondial, environ 1 580 Gt de carbone, soit deux fois plus que l’atmosphère. Par nature, le stock de carbone est en moyenne 1,6 fois plus élevé dans les sols à végétation permanente et sous forêt que dans les sols cultivés. Le changement d’affectation (prairie retournée, déforestation…) suscite une décomposition accélérée de ce carbone, provoquant des émissions, évaluées à environ 2 Gt par an.
Pour lutter contre l’intensification de l’effet de serre, il est indispensable de tenir compte de ce flux particulier d’émissions, tout en conservant à l’esprit que les cultures énergétiques, souvent mises en cause, ne sont que l’une des causes de la déforestation, la croissance démographique, le gaspillage ou le changement des habitudes alimentaires (vers des régimes moins carnés) en étant d’autres sources.
Le changement d’affectation des sols peut être direct ou indirect.
Le changement d’affectation des sols direct correspond à la conversion d’une surface, cultivée ou non, vers une culture qui sera destinée à la production de biocarburants (ex : forêt convertie pour la culture de biocarburants).
Le changement d’affection des sols indirect (CASI) est induit par le déplacement de cultures alimentaires vers d’autres surfaces, en raison de la concurrence avec les cultures énergétiques, qui entraînent une augmentation des besoins en surface cultivée et notamment un recul des forêts.
Les études disponibles sur les effets du changement d’affectation des sols sont nombreuses mais non consensuelles.
Les effets du changement d’affectation des sols indirect sont particulièrement mal connus. La mission sur les usages non alimentaires de la biomasse préconise un approfondissement et une internationalisation des travaux sur le changement d’affectation des sols indirect afin d’aboutir, si possible, à un constat relativement consensuel sur le plan scientifique, seul à même de répondre aux controverses qui, actuellement, freinent le développement des filières de biocarburants de première génération.
La mission recommande, plus largement, l’élaboration d’indicateurs permettant d’objectiver et de partager l’information, dans le cadre d’un « observatoire de la biomasse », afin de promouvoir, à terme, des usages hiérarchisés des ressources.
En dehors des biocarburants, d’autres technologies faisant usage de biomasse ont des effets environnementaux discutés, tant en termes d’émissions de gaz à effet de serre qu’à d’autres égards. Ces autres impacts environnementaux peuvent aussi être quantifiés dans le cadre d’analyses de cycle de vie.
Au stade de l’étude de faisabilité, nous avons mentionné simplement quelques exemples d’impacts écologiques susceptibles de découler d’un usage croissant des bioénergies, et qui mériteraient un examen approfondi sur le plan scientifique :
- la question de leurs effets sur la biodiversité se pose, notamment en liaison avec une intensification éventuelle de l’exploitation forestière ;
- leur impact sur les ressources en eau, en termes de quantités consommées et de pollution, doit également être pris en considération ;
- leurs effets sur la fertilité du sol doivent être examinés. En effet, la valorisation systématique des déchets de cultures affecte la composition des sols, en empêchant le retour vers ceux-ci de composés organiques nécessaires à la poursuite du cycle de production.
2. Les deuxième et troisième générations de biocarburants
La mission sur les usages non alimentaires de la biomasse préconise « d’accompagner le passage à la phase industrielle de production des biocarburants de deuxième génération en restant très ouvert quant au champ des possibles liés aux diverses technologies ». Cet accompagnement doit passer par une réflexion sur l’équilibre économique de ces filières, et sur les moyens d’accélérer la transition de la première vers la deuxième génération, sans remettre en cause l’intérêt des investissements déjà consentis en faveur de la première génération.
a) La deuxième génération de biocarburants
Les biocarburants de deuxième génération sont produits à partir de biomasse non alimentaire, selon plusieurs procédés faisant actuellement l’objet de recherches :
- un procédé de nature biochimique, qui produit de l’éthanol (projet Futurol en France). Cette voie consiste à transformer la cellulose, qui est un polymère de sucres (comme l’amidon) par hydrolyse, puis à transformer les sucres obtenus par fermentation en éthanol ;
- un procédé de nature thermochimique, en vue de la production de biométhane ou de biodiesel (projets BioTfuel, Syndiese, GAYA en France). Cette voie consiste à gazéifier les produits ligneux puis à transformer le gaz produit en carburant (liquide ou gazeux), grâce à l’emploi du procédé Fischer-Tropsch, découvert en 1923, qui permet de produire des hydrocarbures par catalyse à partir de monoxyde de carbone et d’hydrogène.
b) La troisième génération de biocarburants
Le démarrage de la troisième génération est lent. Il s’agit, pour le moment, d’une recherche très en amont d’un quelconque développement industriel.
- Le projet d’institut d’excellence dans les énergies décarbonées Greenstars, qui visait la mise au point de procédés de production de biocarburants et bioproduits à partir de micro-algues et qui avait été retenu dans le cadre des investissements d’avenir, n’a finalement pas vu le jour en raison du retrait des partenaires industriels.
- Ce type de production est néanmoins expérimenté en France dans le cadre du projet de bioraffinerie « Salinalgue », porté par une entreprise du groupe ENGIE. Dans ce cadre, des molécules à haute valeur ajoutée (Béta-carotène, Oméga 3…) seront également valorisées, ainsi que les protéines pour l’alimentation aquacole en substitution aux farines de poisson.
La production de produits à haute valeur ajoutée semble, pour le moment, plus adaptée à l’économie de la filière de troisième génération que celle de carburants, qui pourraient néanmoins trouver leur place en tant que coproduits. Des secteurs tels que la cosmétique pourraient bénéficier de ce type de développements.
Le développement de produits issus de la bioraffinerie ouvre, plus largement, la voie vers le développement d’une chimie biosourcée, dite aussi chimie du végétal ou chimie « verte ».
Le développement de la chimie renouvelable, dite aussi chimie « verte », est à examiner dans le contexte du secteur de la chimie, qui est actuellement en pleine évolution.
a) Les évolutions du secteur de la chimie
Les enjeux pour le secteur de la chimie sont à replacer dans le contexte qui découle du développement important, aux États-Unis d’Amérique, de l’exploitation de gisements non conventionnels d’hydrocarbures.
La « révolution » des gaz et pétrole dits de schiste a permis d’améliorer la compétitivité des entreprises nord-américaines du secteur de la pétrochimie. Comme l’a montré un rapport de l’Institut français des relations internationales (IFRI), la baisse du prix de l’énergie est un atout considérable pour l’industrie pétrochimique des États-Unis, actuellement en plein essor. L’éthane, gaz naturel contenu dans les gisements non conventionnels, est la matière première principalement utilisée par les industriels américains pour la fabrication d’éthylène, dont le prix a chuté de 55 % entre 2008 et 2012. Contrairement aux Américains, les industriels européens utilisent principalement le naphta, issu du raffinage du pétrole. Son prix, lié à celui du pétrole, a augmenté de 19 % entre 2008 et 2012.
Cet avantage dans le domaine de la pétrochimie se répercute, en aval, sur une grande partie de l’industrie manufacturière utilisatrice de plastiques et autres produits dérivés.
Par ailleurs, l’impact des produits dérivés de la pétrochimie sur l’environnement (par exemple dans le cas des sacs plastiques) et sur la santé (par exemple, dans le cas des biberons infantiles) est de plus en plus en question, ce qui créé un contexte favorable au développement de nouvelles molécules.
Des secteurs à très haute valeur ajoutée (pharmacie, cosmétique, compléments alimentaires…) manifestent un intérêt croissant pour des produits biosourcés, issus de la chimie du végétal. Celle-ci se révèle, dans ce cas précis, plus complémentaire que concurrente de la chimie traditionnelle.
Dans ce contexte, la chimie verte représente une opportunité, pour les industriels de la chimie en Europe, de recréer à leur profit un avantage de compétitivité.
D’après une étude citée dans le rapport de la mission sur les usages non alimentaires de la biomasse, à l’horizon 2025, la trajectoire tendancielle observée pourrait conduire à ce que 10 % à 20 % du carbone utilisé par l’industrie chimique mondiale soit d’origine végétale16 à l’horizon 2020.
Pour évaluer le potentiel de ce secteur, cette mission préconise le développement d’une expertise publique ou, à tout le moins indépendante, la plupart des estimations existantes provenant aujourd’hui des acteurs de la filière, qui sont directement intéressés à son développement. Une telle expertise permettrait notamment d’évaluer la pertinence des dispositifs de financement de la recherche existant tant au plan français qu’européen.
Le développement industriel de la chimie verte et des biocarburants dits avancés (de deuxième et troisième générations) est encouragé par l’État dans le cadre de l’un des trente-quatre plans de la Nouvelle France industrielle (ramenés au nombre de dix).
L’élargissement du champ des usages de la biomasse a fait naître le concept de bioéconomie, qui demeure émergent en France, alors qu’il fait depuis longtemps l’objet de stratégies publiques particulières dans d’autres pays.
Les douze principes de la chimie verte
1. La prévention de la pollution à la source en évitant la production de résidus.
2. L’économie d'atomes et d’étapes qui permet de réaliser, à moindre coût, l’incorporation de fonctionnalités dans les produits recherchés tout en limitant les problèmes de séparation et de purification.
3. La conception de synthèses moins dangereuses grâce à l’utilisation de conditions douces et la préparation de produits peu ou pas toxiques pour l’homme et l'environnement.
4. La conception de produits chimiques moins toxiques avec la mise au point de molécules plus sélectives et non toxiques impliquant des progrès dans les domaines de la formulation et de la vectorisation des principes actifs et des études toxicologiques à l’échelle cellulaire et au niveau de l’organisme.
5. La recherche d’alternatives aux solvants polluants et aux auxiliaires de synthèse.
6. La limitation des dépenses énergétiques avec la mise au point de nouveaux matériaux pour le stockage de l’énergie et la recherche de nouvelles sources d’énergie à faible teneur en carbone.
7. L'utilisation de ressources renouvelables à la place des produits fossiles. Les analyses économiques montrent que les produits issus de la biomasse représentent 5 % des ventes globales de produits chimiques et pourraient atteindre 10 % à 20 % en 2010. Plus de 75 % de l'industrie chimique globale aurait alors pour origine des ressources renouvelables.
8. La réduction du nombre de dérivés en minimisant l'utilisation de groupes protecteurs ou auxiliaires.
9. L’utilisation des procédés catalytiques de préférence aux procédés stœchiométriques avec la recherche de nouveaux réactifs plus efficaces et minimisant les risques en terme de manipulation et de toxicité. La modélisation des mécanismes par les méthodes de la chimie théorique doit permettre d’identifier les systèmes les plus efficaces à mettre en œuvre (incluant de nouveaux catalyseurs chimiques, enzymatiques et/ou microbiologiques).
10. La conception des produits en vue de leur dégradation finale dans des conditions naturelles ou forcées de manière à minimiser l’incidence sur l’environnement.
11. La mise au point des méthodologies d'analyses en temps réel pour prévenir la pollution, en contrôlant le suivi des réactions chimiques. Le maintien de la qualité de l'environnement implique une capacité à détecter et si possible à quantifier, la présence d'agents chimiques et biologiques réputés toxiques à l’état de traces (échantillonnage, traitement et séparation, détection, quantification).
12. Le développement d’une chimie fondamentalement plus sûre pour prévenir les accidents, explosions, incendies et émissions de composés dangereux.
Source: CNRS d’après Paul T. Anastas et John C. Warner, Green Chemistry: Theory and Practice, Oxford University Press, New York, 1998.
III. UNE POLITIQUE PUBLIQUE À INSCRIRE DANS LE CADRE D’UNE VÉRITABLE STRATÉGIE DE BIOÉCONOMIE
La notion de bioéconomie peine à émerger en France, où le secteur de la biomasse suscite pourtant un intérêt particulier des pouvoirs publics depuis une dizaine d’année.
Au plan international, la notion de bioéconomie, de plus en plus utilisée depuis quelques années, bien que renvoyant à une réalité ancienne, tend à promouvoir une approche globale de ce secteur multiforme.
Le concept de bioéconomie a été promu, en premier lieu, par des instances internationales (Union européenne, OCDE), avant d’être l’objet de stratégies nationales.
Le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en date de 2009, est l’un des premiers rapports publics à traiter de l’ensemble des activités économiques reposant sur les biotechnologies, en les regroupant sous le vocable de « bioéconomie ».
Par la suite, la Commission européenne a adopté cette terminologie en proposant une stratégie de bioéconomie pour l’Europe. Ce secteur figure, de fait, au nombre des priorités du programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’Union européenne pour la période 2014-2020.
a) Les travaux précurseurs de l’OCDE
Le concept de bioéconomie est entendu par l’OCDE17 de manière très large, comme se référant à « un ensemble d’activités économiques liées à l’innovation, au développement, à la production et à l’utilisation de produits et de procédés biologiques ».
Ces activités relèvent tant de l’agriculture que de l’industrie et du secteur de la santé :
- dans le domaine de la production dite primaire (agriculture, sylviculture et pêche), l’usage de biotechnologies est considéré comme devant permettre d’augmenter, à un horizon très proche, les rendements et de répondre à une demande toujours croissante de ressources ;
- dans l’industrie, la part des produits chimiques d’origine biologique devrait s’accroître rapidement, tandis que le secteur des biocarburants continuera de progresser, en substituant à l’amidon de nouvelles matières premières (canne à sucre, produits ligno-cellulosiques) ;
- dans le secteur de la santé, les connaissances biotechnologiques joueront un rôle dans le développement de tous les types de traitements, au point que « la distinction entre le secteur pharmaceutique et le secteur biotechnologique ne sera plus pertinente ».
Ainsi entendue, la bioéconomie pourrait représenter 2,7 % du PIB des pays de l’OCDE en 2030.
La croissance de ce secteur est liée à l’augmentation de la population et des revenus, à celle de la demande en énergie, associée à des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et, enfin, au vieillissement de la population, qui augmente le besoin de solutions thérapeutiques.
Pour tirer le meilleur parti possible de cette évolution, l’OCDE appelle les pouvoirs publics et les entreprises à mettre en place une politique spécifique ciblée pour encourager le développement de ce secteur.
b) Une priorité pour l’Union européenne
Le programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’Union européenne pour la période 2014-2020 (Horizon 2020) fait de la bioéconomie une priorité, en tant que deuxième défi sociétal.
Cinq objectifs sont assignés à ce secteur :
« 1 - Une agriculture et une foresterie durables ;
2 - Un secteur agroalimentaire durable et compétitif pour une alimentation sûre et saine ;
3 - Un potentiel des ressources vivantes aquatiques à valoriser ;
4 - Des bio-industries durables et compétitives ;
5 - Une recherche marine et maritime interdisciplinaire et intersectorielle. »
Au sens du programme Horizon 2020, l’objectif d’un développement de la bioéconomie consiste à assurer un approvisionnement suffisant en produits alimentaires et autres produits d’origine biologique qui soient sûrs, sains et de haute qualité.
Ce deuxième défi sociétal est doté de 3,8 milliards d’euros pour la période 2014-2020, dans le cadre d’un programme Horizon 2020 dont le financement s’élève, au total, à 77 milliards d’euros.
Le financement de la bioéconomie par l’Union européenne a plus que doublé par rapport à son niveau dans le septième programme-cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) pour la période 2007-2013.
Au montant précédemment évoqué, il faut ajouter ceux prévus au profit des biotechnologies, soit 500 millions d’euros, au titre des « technologies clefs génériques » (« key enabling technologies »), dans le cadre de la priorité à la « primauté industrielle » du même programme Horizon 2020.
Dans une communication18 en date du 13 février 2012, la Commission européenne précise la notion de bioéconomie, qu’elle entend comme un système économique utilisant les ressources biologiques, ainsi que les déchets comme intrants pour la fabrication de produits pour l’alimentation humaine et animale, la production industrielle et la production d’énergie.
La Commission considère que « la bioéconomie offre une possibilité unique d’aborder de façon globale des problèmes de société interdépendants comme la sécurité alimentaire, la raréfaction des ressources naturelles, la dépendance vis-à-vis des ressources fossiles et le changement climatique, tout en assurant une croissance économique durable ».
Les priorités du programme Horizon 2020 attestent la prise en compte par l’Union européenne de la bioéconomie comme l’un des défis majeurs du vingt-et-unième siècle.
De nombreux États ont adopté des stratégies nationales en faveur de la bioéconomie, en Europe (Allemagne, Royaume-Uni, pays scandinaves) et dans le reste du monde (États-Unis d’Amérique, Canada, Russie, Chine…).
Ces stratégies ont toutefois des portées très différentes, certaines approches ayant un champ d’application très vaste (par exemple aux États-Unis, où la stratégie vise les secteurs agricole, industriel et de la santé) tandis que d’autres approches sont plus restreintes (par exemple, au Royaume-Uni où la stratégie ne concerne que les bioénergies).
Les stratégies adoptées par les États-Unis d’Amérique et par l’Allemagne seront évoquées ci-après.
La France fait figure d’absente du « club » des pays disposant à ce jour de stratégies de bioéconomie, comme en témoigne une carte établie par le Conseil allemand de bioéconomie.
États disposant de stratégies de bioéconomie en 2014
Source : Bioökonomierat (Allemagne)
a) La stratégie des États-Unis d’Amérique
Dans un document publié le 26 avril 2012, la Maison Blanche a dévoilé un plan national de bioéconomie19, témoignant de la priorité accordée par l’administration du président Barack Obama à ce secteur.
La bioéconomie y est définie comme « l’activité économique alimentée par la recherche et l’innovation dans le domaine des sciences biologiques ». Comme dans l’étude de l’OCDE, cette notion est entendue au sens large puisqu’elle regroupe des activités agricoles, industrielles et de santé : « La bioéconomie des États-Unis est partout autour de nous : de nouveaux médicaments et méthodes de diagnostic pour améliorer la santé humaine, des cultures alimentaires à plus haut rendement, des biocarburants émergents pour réduire la dépendance au pétrole, des produits chimiques intermédiaires biosourcés, pour ne citer que quelques exemples ».
En 2009, un rapport du National Research Council20 avait déjà souligné l’intérêt potentiel de la recherche dans le domaine de la biologie et le bénéfice qu’il y aurait à intégrer davantage les apports de la biologie à d’autres domaines scientifiques, à savoir la physique, la chimie et l’informatique.
Le plan national américain est construit autour de cinq objectifs stratégiques.
Le premier objectif est de soutenir la recherche et le développement, notamment dans des secteurs émergents de la biologie (biologie synthétique21, protéomique22, bio-informatique23), de la santé, de l’énergie, de l’agriculture, de l’industrie biosourcée ou encore de la dépollution.
Le deuxième objectif est de favoriser le passage des innovations « du laboratoire de recherche au marché ». À ce titre, l’achat public est mentionné comme devant contribuer à la croissance du secteur de la bioéconomie. Les États-Unis, tout comme la France, disposent d’un instrument général de « facilitation » de la recherche avec un crédit d’impôt recherche, fondé sur des principes différents (la part incrémentale en a été préservée) et de dimension relative plus modeste.
Par ailleurs, à l’inverse de la situation prévalant en France jusqu’à présent, les États-Unis ont mis en place un « Production Tax Credit », qui favorise les investissements dans les premières unités d’industrialisation de la recherche et développement consacrées aux énergies renouvelables. Cette structuration du soutien public à l’innovation semble pouvoir produire des effets efficaces. Elle oriente une inflexion de la doctrine communautaire sur les conséquences à tirer du droit de la concurrence européen en matière de politique d’innovation.
Le troisième objectif de cette stratégie est d’adapter la réglementation pour stimuler la croissance de la bioéconomie, tout en protégeant l’environnement et la santé.
Le quatrième objectif est d’adapter l’enseignement et la formation afin de mieux répondre à la demande des employeurs de pouvoir disposer de salariés formés dans les différents domaines de la bioéconomie.
Enfin, le dernier objectif poursuivi par l’administration américaine est de développer les partenariats entre gouvernement, universités et entreprises, afin d’encourager l’innovation, en amont de sa commercialisation.
Le plan américain est donc, avant tout, une stratégie de développement de la compétitivité des entreprises américaines, afin de leur permettre de tirer le meilleur parti possible du développement du secteur des biotechnologies dont le potentiel de croissance est très élevé.
En 2014 le ministère fédéral allemand de l’alimentation et de l’agriculture a publié une Stratégie nationale de bioéconomie24 qui porte sur le potentiel des ressources renouvelables et des procédés biotechnologiques pour l’alimentation, l’industrie et l’énergie.
Cette stratégie s’inscrit dans le cadre du « tournant énergétique » (Energiewende) pris par l’Allemagne en 2011, lorsqu’il a été décidé, après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon, d’abandonner rapidement la production d’électricité d’origine nucléaire, tout en maintenant des objectifs ambitieux de réduction des gaz à effet de serre, grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables.
La stratégie nationale en faveur de la bioéconomie, énoncée en 2013, vient compléter la stratégie nationale de recherche « Bioéconomie 2030 »25, publiée par le ministère fédéral de l’éducation et de la recherche en 2011.
D’ores et déjà, l’Allemagne a donc publié deux plans nationaux en faveur de la bioéconomie.
La bioéconomie est ici considérée comme affectant, de façon transversale, divers autres domaines de politiques publiques : l’industrie, la politique énergétique, les politiques de l’agriculture, de la forêt et de la pêche, les politiques climatique et environnementale et, enfin, la politique de recherche et de développement.
D’après la stratégie allemande, la bioéconomie doit contribuer à sécuriser l’approvisionnement alimentaire mondial et à réduire la dépendance aux matières premières d’origine fossile. Elle doit également contribuer à l’intégrité du climat, à une utilisation durable des ressources renouvelables, tout en permettant la sauvegarde de la biodiversité et de la fertilité des sols.
Ces exigences font émerger des conflits d’objectifs, qui doivent être résolus dans un cadre de politique publique cohérent, permettant d’éviter une approche sectorielle, par trop fragmentée, des différentes problématiques.
À cette fin, un groupe de travail interministériel sur la bioéconomie est créé. Sa tâche est de favoriser les échanges d’information, de coordonner les politiques des différents départements ministériels et de renforcer les liens entre le Conseil de bioéconomie26, créé en 2009, et divers autres comités mis en place par le gouvernement fédéral sur des sujets en relation avec la bioéconomie.
Les autres actions transversales prévues par la stratégie allemande de bioéconomie concernent, d’une part, l’information et le dialogue au sein de la société, et, d’autre part, la formation professionnelle et l’apprentissage.
Les domaines d’action thématiques de cette stratégie sont relatifs :
- à la production et à l’approvisionnement durable en ressources renouvelables ;
- à la réduction des délais de mise sur le marché des applications issues des produits et procédés innovants ;
- à l’optimisation de l’usage des produits issus de la biomasse : développement des usages « en cascade », recyclage, développement des bioraffineries permettant d’utiliser la biomasse comme source d’énergie et pour la production de matériaux ;
- aux conflits d’usage des sols ;
- au contexte international, qui nécessite la reconnaissance de normes susceptibles de garantir que le développement des usages de la biomasse est conforme à certains principes d’ordre social et environnemental.
Le champ d’action et les orientations de la stratégie allemande sont donc très vastes. Comme celle des États-Unis, la stratégie allemande évoque l’apport des biotechnologies à l’industrie pharmaceutique.
Elle se concentre, toutefois, plus particulièrement, sur les secteurs susceptibles d’engendrer des conflits d’usage de la ressource, qui nécessitent la mise en place d’un cadre de politique publique adapté.
B. UN CONCEPT ÉMERGENT EN FRANCE
En France, le rapport parlementaire précité des députés François-Michel Lambert et Sophie Rohfritsch, en date de juin 2013, considère la biomasse en tant qu’ensemble cohérent, et non sous-secteur par sous-secteur. Il se situe, ce faisant, dans la logique de la bioéconomie, même si ce terme n’est pas employé.
Le rapport précité de la mission sur les usages non alimentaires de la biomasse, en date de septembre 2012, consacre, quant à lui, explicitement, des développements à la notion de bioéconomie.
1. La pertinence du concept de bioéconomie
Le concept de bioéconomie doit permettre, d’une part, d’avancer dans la réflexion sur la hiérarchisation des différents usages des ressources issues de la biomasse, dont la disponibilité est par nature limitée.
Ce concept doit, par ailleurs, permettre de dépasser la question du partage de la ressource, pour envisager les moyens de produire mieux et davantage, de façon durable.
a) Une réflexion sur la hiérarchisation des usages de la biomasse
Née de la substitution de procédés de production biosourcés à ceux utilisant les ressources fossiles, la bioéconomie suppose une analyse des conditions de la concurrence entre divers usages de la ressource biomasse.
À cet effet, le rapport précité de la mission sur les usages non alimentaires de la biomasse préconise l’élaboration d’outils d’analyse, permettant de procéder à des arbitrages optimaux. Cette démarche rejoint celle de la stratégie allemande de bioéconomie, évoquée plus haut.
La mission identifie deux axes d’arbitrage économique qui constituent « la structure fondamentale du paradigme émergent de la bioéconomie ». Ces deux axes sont relatifs, d’une part, à « une consolidation économique durable des investissements consentis », et, d’autre part, aux « externalités générées par ces usages » (voir encadré ci-dessous).
Biomasse et bioéconomie : « Les arbitrages à venir (…) sur les usages concurrents de la biomasse, pour répondre aux objectifs publics vitaux que sont la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique, et la préservation des biens communs environnementaux (disponibilité et fertilité des sols, biodiversité, ressources hydriques, équilibres climatiques), devront : - D’une part, rechercher une consolidation économique durable (en terme de productions et d’emplois, ainsi que de développement, d’aménagement et de cohésion des territoires), des investissements consentis pour la valorisation des ressources biologiques accessibles ; - D’autre part, intégrer dans la formation des prix et dans le calibrage des instruments d’incitation, des mécanismes régulateurs représentatifs des externalités positives ou négatives générées par ces usages, spécialement quant aux effets sur la productivité des sols et sur l’atténuation du changement climatique. Ces deux axes d’arbitrage économique constituent la structure fondamentale du paradigme émergent de la bioéconomie. » Source : rapport précité de la mission sur les usages non alimentaires de la biomasse (septembre 2012) |
Ce rapport met en évidence l’absence de vision d’ensemble du secteur de la bioéconomie. Or une telle vision est aujourd’hui nécessaire, afin de structurer un secteur émergent et foisonnant. La cohérence et l’efficacité des investissements en dépendent.
Aujourd’hui, les questions ne sont pas traitées de façon globale mais secteur par secteur.
Le manque de cohérence de l’action publique se manifeste, par exemple, s’agissant de la filière forêt-bois, par le fait que la valeur du puits forestier notifié à la Convention climat pour 2013-2020 n’est pas cohérente avec la mobilisation de biomasse forestière prévue pour la même période par les objectifs du plan national de développement des énergies renouvelables (2009-2020).
L’approche économique globale du secteur de la biomasse est très complexe car elle fait intervenir de nombreux marchés dont les échelles et les règles du jeu sont différentes et dont les équilibres économiques sont souvent incertains, notamment à moyen et long termes : marchés alimentaires, marchés énergétiques, marchés de l’industrie chimique… Il n’est qu’à mentionner l’incertitude sur l’évolution des prix du pétrole à moyen et long terme, qui conditionne le positionnement concurrentiel des produits issus de la biomasse, et fait peser une incertitude sur les modèles économiques de la filière.
La bioéconomie est donc complexe car multifactorielle. Elle requiert l’élaboration d’indicateurs et de modèles économiques susceptibles d’apporter une aide à la décision.
b) Une réflexion sur les moyens de produire mieux et davantage
La bioéconomie ne doit pas se limiter à l’analyse des conflits d’usage.
Le rapport précité sur les usages non alimentaires de la biomasse souligne également la nécessité « de produire mieux et davantage, en préservant la fertilité des sols, de réduire les gaspillages partout dans le monde, d’instaurer une exigence générale de sobriété dans les comportements ».
La réflexion sur la hiérarchisation des usages ne doit pas constituer la seule réponse aux questions posées par la bioéconomie. Cette réflexion doit aussi porter sur les moyens de produire mieux et davantage, et de consommer moins en réduisant les gaspillages et en promouvant la sobriété.
Enfin, la bioéconomie naît aussi de la dynamique des biotechnologies. Cet aspect constitue l’axe prioritaire de la stratégie des États-Unis.
La dynamique des biotechnologies s’est, en particulier, accélérée en raison des effets critiqués des molécules de la chimie pétro-sourcée, qui a entraîné la recherche de substituts, afin d’étendre la gamme des molécules disponibles. Le développement des outils de biotechnologies constitue une question distincte de celle de l’utilisation des ressources. Ainsi, par exemple, le Danemark a vu naître deux des plus grandes sociétés mondiales de biotechnologies (Novozymes et Genencor), alors que ce pays ne dispose pas de grandes surfaces forestières ou agricoles.
2. Une priorité de la stratégie nationale de recherche
La bioéconomie cherche des réponses à cinq défis, mis en évidence par la stratégie européenne :
- répondre à des besoins alimentaires croissants, c’est-à-dire garantir la sécurité alimentaire ;
- réduire la dépendance aux ressources non renouvelables (fossiles) ;
- exploiter durablement les ressources renouvelables (d’origine biologique) ;
- limiter la concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre pour lutter contre les changements climatiques ;
- élargir la gamme des molécules chimiques disponibles pour une fonction donnée ;
Pour la France, le développement de la bioéconomie permettrait, en outre, de participer à trois objectifs de politique économique :
- réduire le déficit commercial ;
- tendre vers une indépendance énergétique accrue ;
- participer à un objectif de ré-industrialisation.
La biomasse est évoquée, au titre de l’engagement dans la transition énergétique, dans l’Agenda stratégique « France Europe 2020 », présenté en mai 2013.
Enfin, la bioéconomie doit figurer, de façon explicite, comme priorité de la Stratégie nationale de recherche, élaborée au titre de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et la recherche, et dont l’Office parlementaire est chargé d’évaluer la mise en œuvre (article L.111-6 du code de la recherche).
Cette mention de la bioéconomie au titre de la Stratégie nationale de recherche pourrait préfigurer l’élaboration d’une stratégie nationale en faveur de la bioéconomie afin d’élaborer la vision d’ensemble et les outils favorables à un développement cohérent de ce secteur en France.
IV. CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
De nombreux travaux ont procédé à un examen détaillé de la situation du secteur de la biomasse, tant du côté de la ressource, c’est-à-dire de l’offre, que de ceux de leur transformation et de leurs utilisations pour ce qui est de la demande.
Ils ont abouti à la formulation de multiples recommandations, qu’il est presque impossible de recenser en totalité mais dont les principales ont été mentionnées ci-dessus.
Ces travaux méritent probablement d’être actualisés, eu égard à l’évolution rapide du secteur et à un besoin de synthèse qui permettrait de mettre en œuvre la stratégie nationale pour la biomasse ; ils mériteraient, en outre, d’être complétés par un examen des principales questions aujourd’hui posées à la recherche scientifique et technologique.
Lors de l’examen par le Sénat du projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, la définition d’une stratégie nationale a été souhaitée.
Plutôt que de traiter de l’ensemble des usages et des problématiques propres aux différentes composantes de la biomasse, qui sont multiples et répondent à des objectifs très variés – quoi de commun, en effet, entre l’utilisation du colza aux fins de produire des biocarburants et la valorisation des biodéchets dans le cadre des combustibles solides de récupération ? – la contribution de l’Office parlementaire pourrait être d’organiser une audition publique en sollicitant les parties prenantes (industriels, fournisseurs de biomasse, concepteurs des politiques publiques, usagers et groupes impliqués) dans le cadre de l’élaboration de la stratégie nationale et de la Conférence sur les changements climatiques de Paris (COP21), afin de comprendre les éléments des divers intérêts en jeu.
I. RAPPORTS DE L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
« Les freins réglementaires à l’innovation en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment : le besoin d’une thérapie de choc » (n° 2113 Assemblée nationale et n° 709 Sénat du 9 juillet 2014) de M. Jean-Yves Le Déaut, député et M. Marcel Deneux, sénateur.
« Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques » (n° 1713 Assemblée nationale et n° 293 Sénat du 16 janvier 2014) de M. Denis Baupin, député, et Mme Fabienne Keller, sénateur.
« La transition énergétique à l’aune de l’innovation et de la décentralisation » (n° 1352 Assemblée nationale et n° 838 Sénat du 11 septembre 2013) de M. Bruno Sido, sénateur, et de M. Jean-Yves Le Déaut, député.
« Les enjeux de la biologie de synthèse » (n° 4354 Assemblée nationale et n° 378 Sénat du 15 février 2012) de Mme Geneviève Fioraso, députée.
« La définition et les implications du concept de voiture propre » (n° 2757 Assemblée nationale et n° 125 Sénat du 13 décembre 2005) de M. Christian Cabal et M. Claude Gatignol, députés.
« La place des biotechnologies en France et en Europe » (n° 2046 Assemblée nationale et n° 158 Sénat du 26 janvier 2005) de M. Jean-Yves Le Déaut, député.
« Les conséquences des modes d’appropriation du vivant » (n° 1487 Assemblée nationale et n° 235 Sénat du 3 mars 2004 ) de M. Alain Claeys, député.
« Les perspectives de développement des productions agricoles à usage non alimentaire » (n° 3345 Assemblée nationale et n° 223 Sénat du 19 février 1997) de M. Robert Galley, député.
II. AUTRES TRAVAUX EN FRANCE
« Coûts et rentabilité des énergies renouvelables en France métropolitaine. Éolien terrestre, biomasse, solaire photovoltaïque. », Commission de régulation de l’énergie (avril 2014).
« Biocarburants : préserver le présent pour préparer l’avenir » (n° 213 Sénat du 10 décembre 2013) de Mme Bernadette Bourzai, sénatrice, au nom de la commission des affaires européennes.
Tables rondes conjointes de la commission du développement durable et de la commission des affaires économiques du Sénat : « Conditions de la réalisation du potentiel de la biomasse-énergie en France » et « Biogaz et méthanisation comme ressource économique et substitut au gaz », Sénat, comptes rendus de la commission du développement durable (2 octobre 2013).
« Bois et forêts de France – Nouveaux défis », rapport au Premier ministre de M. Jean-Yves Caullet, député, président du conseil d’administration de l’ONF (juin 2013).
« La biomasse au service du développement durable », rapport d’information de M. François-Michel Lambert et Mme Sophie Rohfritsch, députés, au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Assemblée nationale, n° 1169 du 19 juin 2013.
« Freins au développement de la méthanisation dans le secteur agricole », rapport du CGEDD et du CGAAER, établi par M. Pierre Roussel, Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et M. François Roussel, Inspecteur général de l’agriculture (novembre 2012).
« La valorisation de la forêt française », avis du Conseil économique, social et environnemental, présenté par Mme Marie de L’Estoile, au nom de la section de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation (octobre 2012).
« Les usages non alimentaires de la biomasse », rapport établi par Mme Sylvie Alexandre, MM. Jean Gault, André-Jean Guérin, Etienne Lefebvre, Mme Catherine de Menthière, MM. Pierre Rathouis, Pierre-Henri Texier, Henri-Luc Thibault, Xavier Toussaint, Ingénieurs généraux des Ponts, des Eaux et des Forêts et Christophe Attali, Ingénieur général des Mines, à la demande du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt et du ministère du redressement productif (septembre 2012).
« Regards sur la politique des forêts en France », Rapport du WWF, par Mme Emmanuelle Neyroumande et M. Daniel Vallauri (2011).
« Mise en valeur de la forêt française et développement de la filière bois », rapport remis à M. le Président de la République par M. Jean Puech, ancien ministre (avril 2009).
« De l’urgence de réinvestir la forêt. Une gestion de la forêt française en contradiction avec les objectifs du Grenelle de l’Environnement », rapport de professionnels de la filière bois27 (juin 2010).
« Mutations économiques dans le domaine de la chimie », Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (juin 2010)
« Analyses de Cycle de Vie appliquées aux biocarburants de première génération consommés en France », Rapport final, étude réalisée pour le compte de l’Agence de l’environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME), du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de la Mer, du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, et de France Agrimer par BIO Intelligence Service (février 2010).
III. SOURCES EUROPÉENNES ET ÉTRANGÈRES
A. Sources transnationales
« L’innovation au service d’une croissance durable : une bioéconomie pour l’Europe », communication de la Commission européenne du 13 février 2012, COM(2012) 60 final.
« The European bioeconomy in 2030. Delivering sustainable growth by addressing the Grand societal challenges », European technology Platforms (2012).
« La bioéconomie à l’horizon 2030. Quel programme d’action ? », Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), (2009).
« En route to the knowledge-based bio-economy », actes de la conférence tenue à Cologne (Allemagne) le 30 mai 2007, dans le cadre de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne.
B. Sources nationales
Allemagne
« National Policy Strategy on Bioeconomy », Federal Ministry of Food and Agriculture (2014).
« National Research Strategy, Bioeconomy 2030 », Federal Ministry of Education and Research (2011).
États-Unis d’Amérique
« National bioeconomy blueprint », White House, Washington (avril 2012).
« A new biology for the 21st century », National Research Council (2009).
Royaume-Uni
« UK Bioenergy Strategy », Department for transport, Department of energy and climate change, department for environment, food and rural affairs (avril 2012)
VI. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Mercredi 11 juin 2014
- Conseil général de l’environnement et du développement durable
Mme Sylvie Alexandre,
M. Jean Gault,
M. André-Jean Guérin, membre du CESE,
M. Étienne Lefebvre,
Ingénieurs généraux des ponts, des eaux et des forêts
- France nature environnement
Mme Julie Marsaud, coordinatrice du réseau forêt
M. Antoine Pépin, référent « Agrocarburants »
- IFP Énergies nouvelles
M. Jean-Luc Duplan, expert biomasse
Jeudi 19 juin 2014
- INRA
M. Paul Colonna, Directeur scientifique adjoint Alimentation, nutrition, bioéconomie, Directeur de l’Institut Carnot 3bcar (bioénergies, biomolécules et biomatériaux du carbone renouvelable)
- Syndicat des énergies renouvelables
M. Jean-Louis Bal, président
Mme Sabrina Fuseliez, responsable du département bioénergies
Lundi 8 décembre 2014
- ADEME
M. Rémi Chabrillat, directeur Productions et énergies durables
M. Jean-Christophe Pouet, chef du service Bioressources
Lundi 15 décembre 2014
- Office franco-allemand pour les énergies renouvelables
M. Thibaut Chapron, spécialiste biomasse
- GDF SUEZ
M. Damien Carval, directeur Intégration à la direction Recherche et technologie de GDF SUEZ
M. Anthony Mazzenga, délégué Stratégie à GrDF
M. François-Xavier Dugripon, directeur des Achats énergie de COFELY
M. Olivier Guerrini, chef de projet Bioénergies à la direction Recherche et technologie de GDF SUEZ
M. Etienne Giron, délégué aux affaires réglementaires à la direction des relations institutionnelles, GDF SUEZ
- Office national des forêts
M. Bernard Gambin, conseiller spécial du président
- Bois Énergie France
M. Pierre de Montlivault, directeur de Bois Énergie France, directeur des nouvelles offres énergétiques de Dalkia
VII. EXAMEN PAR L’OFFICE DE L’ÉTUDE DE FAISABILITÉ (26 MAI 2015)
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. – La biomasse est une source d’énergie renouvelable, et, à ce titre, c’est une composante importante de la transition énergétique. C’est aussi un matériau de base pour la chimie verte. Mais notre collègue Roland Courteau va nous expliquer comment il voit cette question qui a été soulevée par la commission des affaires économiques du Sénat.
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. – Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des affaires économiques du Sénat a saisi l’OPECST pour que celui-ci expertise les opportunités offertes par le développement des utilisations non alimentaires de la biomasse en se situant dans la perspective de la transition énergétique.
Cette perspective reste pleinement d’actualité puisque le projet de loi en cours de discussion et qui va bientôt arriver au terme de son parcours parlementaire met l’accent sur la contribution de la biomasse aux objectifs de cet important texte.
Je dirais même que cette perspective est renforcée par la tenue à Paris de la Conférence internationale sur les changements climatiques (COP21) en décembre 2015.
L’étude de faisabilité que je vous présente aujourd’hui se situe dans ce contexte mais elle s’inscrit également dans l’esprit de notre règlement intérieur qui veut que cette étude préalable présente un état des connaissances sur le sujet, qu’elle détermine d’éventuels axes de recherche, qu’elle apprécie les possibilités d’obtenir des résultats dans les délais imposés et qu’elle détermine les moyens nécessaires pour engager valablement un programme d’études.
Je vais essayer de répondre à ces exigences.
Sur l’état des connaissances sur le sujet, je dirais que nous sommes devant un foisonnement d’études, de rapports, d’initiatives, qui illustrent le progrès rapide des connaissances et des pratiques mais aussi, dans une certaine mesure, pour certaines des questions posées par le développement de la valorisation de la biomasse, la dimension encore expérimentale d’un domaine où nous nous situons encore dans une phase d’apprentissage.
Le périmètre de la biomasse n’est pas tout à fait stabilisé comme le montrent les difficultés à tracer des frontières entre les déchets et ce qui est, de toute évidence, de la biomasse. De même, des incertitudes considérables pèsent sur les évolutions scientifiques et technologiques qui permettraient de convertir des ressources biologiques théoriques en ressources biologiques mobilisables pour satisfaire les différents besoins non alimentaires. Tel est le cas des biocarburants, en particulier de ceux de deuxième et de troisième générations. Par ailleurs, nous avons aussi des interrogations sur l’étendue de la ressource, qui peut varier en fonction des modèles d’agriculture envisagés.
De plus, les utilisations de la biomasse sont susceptibles d’évoluer en fonction des progrès que la recherche, le développement et l’innovation permettront d’effectuer. Aujourd’hui, nous envisageons principalement des utilisations énergétiques, sous des angles d’ailleurs différenciés, avec la production d’énergie, d’un côté, et, de l’autre, la promotion de techniques plus sobres, que ce soit dans le bâtiment ou dans différents matériaux d’usage plus ou moins quotidien. Demain, nous pourrions voir augmenter le nombre des produits biosourcés sans que l’inventaire des possibles soit aujourd’hui réalisable. Le potentiel de mobilisation de la biomasse est donc considérable. Mais, du potentiel à la mobilisation effective, il y a un pas immense.
Et nous ne disposons pas réellement de guides très assurés pour comprendre les déterminants du franchissement de ce pas.
Nous devons nous attacher à mieux les cerner en fonction des enjeux de toutes natures que nous pouvons imaginer.
La saisine de la commission des affaires économiques du Sénat les a mentionnés dans toutes leurs dimensions.
Enjeux écologiques, bien sûr, avec la question de la contribution de la valorisation non alimentaire de la biomasse aux objectifs de la transition énergétique dans le respect d’autres considérations écologiques (biodiversité, intégrité des sols, disponibilité de l’eau), et de contraintes aussi importantes que la couverture des besoins alimentaires. Nous sommes là face à la question cruciale des conflits d’usages.
Enjeux économiques et d’emploi qui posent le problème de l’existence de modèles économiques viables pour valoriser les ressources sans omettre le problème de la prise en considération des coûts associés à l’inaction si l’on devait faire l’impasse sur des ressources économes en émission de gaz à effet de serre. Nous sommes là confrontés à la difficulté d’évaluer les coûts économiques comme d’effectuer des choix économiques, scientifiques et technologiques qui dépendent de la détermination des objectifs sociaux.
Enjeux d’indépendance stratégique aussi compte tenu de l’origine géographique des approvisionnements énergétiques qui, en plus de peser sur la balance commerciale, rendent dépendant de zones où de possibles conflits peuvent compromettre le bon fonctionnement de la vie économique.
Tous ces enjeux soulèvent des questions fondamentales dont plusieurs paradigmes, impossibles à unifier et difficiles à combiner, ne permettant pas l’élaboration des synthèses nécessaires pour guider l’action.
Bref, nous avons devant nous des difficultés analytiques majeures et, en conséquence, à ce jour, un déficit de synthèses.
Je vais vous en donner deux illustrations :
- certains paramètres peuvent à peu près être appréhendés dans des termes marchands (le prix de l’énergie fossile, avec difficulté toutefois), d’autres sont à construire car ils sont essentiellement non marchands (le coût pour la santé humaine de la pollution de l’air sur lequel se penche le Sénat ou encore le coût d’opportunité de l’inaction) ;
- par ailleurs, les échelles de temps et de territoire sont très variées, ce qui pose un problème aigu de choix d’autant que les différentes parties prenantes peuvent ne pas partager les mêmes préférences, les industriels, par exemple, privilégiant le temps court, les pouvoirs publics étant plus partagés comme le montre le dossier des biocarburants.
Il est illusoire, sans doute, d’espérer réconcilier toutes ces questions avant d’agir. Et, de fait, nous n’avons pas attendu. Vous savez que, dans le cadre de la transition énergétique, la contribution de la valorisation de la biomasse aux objectifs fixés (23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale en 2020 et 32 % en 2030) doit atteindre le seuil de 50 %.
Cet objectif implique une véritable stratégie, qui fait défaut aujourd’hui, mais constitue également un élément à part entière d’une stratégie plus globale de développement des biens et services biosourcés qui, elle-même, reste à définir.
Le Sénat a appelé à la définition d’une telle stratégie dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique et cette stratégie dépassera certainement le champ strictement énergétique.
Ce processus va prendre un certain temps et il va devoir répondre à des questions qui ne sont peut-être pas toutes envisagées à ce stade.
Il va falloir dessiner le « système biomasse » souhaitable, notamment en fonction des différents enseignements que nous pourrons tirer des analyses de cycle de vie des productions correspondantes, ce qui impliquera sans doute des choix de combinaisons de filières mais aussi des choix de pilotage scientifique.
Il va également falloir assurer la cohérence entre les objectifs et les moyens, ce qui, très certainement, supposera des choix d’interventions réglementaire et économique nouveaux une fois que seront mieux cernées les contraintes d’action à respecter dans les environnements variables.
Ces considérations me conduisent à apporter une réponse aux exigences d’une étude de faisabilité présentée à l’OPECST.
Dans l’étude écrite, je recense les travaux disponibles qui comportent des connaissances appréciables ; mais vous sentez bien qu’il y a encore beaucoup à faire pour élaborer une stratégie vraiment charpentée qui devra mettre à jour une doctrine d’action autour de choix de priorités tenant compte des bilans carbone des différentes ressources et du couple ambitions-contraintes, notamment économiques, des filières. Il faudra également déterminer les instruments de la stratégie et, par exemple, parvenir à mieux couvrir l’ensemble de la chaîne de l’innovation, ce qui suppose sans doute de rénover nos outils aujourd’hui probablement trop centrés sur la recherche et développement d’amont, et insuffisamment préoccupés des outils d’industrialisation, essentiels dans un domaine où il s’agit de disposer d’outils industriels adaptés.
Je pense que l’OPECST devra suivre le chantier qui est ouvert et favoriser son bon déroulement. En revanche, j’estime que nous ne pouvons nous substituer aux entités qui définiront la stratégie nationale biomasse.
Dans cet esprit, je vous suggère que l’Office marque son implication dans un chantier, qui doit pouvoir bénéficier de contributions quelque peu plurielles, en organisant prochainement une audition publique, qui est un de nos savoir-faire reconnus. À sa suite, je vous présenterai un rapport qui pourrait comporter, outre la recension des débats, quelques informations complémentaires sur les éléments les plus pertinents tirés du constat des meilleures pratiques observables.
Je vous remercie.
M. Jean Yves Le Déaut. – Je remercie le sénateur Courteau. Je partage sa recommandation de procéder à une audition publique. Nous devons trouver une date. Je crois que vous suggérez la date du 25 juin au matin qui me semble judicieuse. Je souhaiterais que l’audition publique soit étendue à la chimie verte. Je relève que la chimie verte pourrait modifier assez profondément la perception qu’on tend à avoir de cette branche. La chimie biosourcée a un intérêt majeur en termes de biodégradabilité. Bien entendu, nous devons nous attendre à ce que les conflits d’usage soient assez largement évoqués. Ce sera aussi l’occasion de faire le point sur les perspectives scientifiques des biocarburants de deuxième et de troisième générations. Sont-ils des projets lointains ou existe-t-il déjà des réalisations tangibles ?
M. Gérard Longuet, sénateur. – Je me réjouis de la proposition du rapporteur d’organiser une audition publique sur les potentiels de la biomasse. Il est important qu’elle soit l’occasion d’entendre des intervenants dotés d’une réelle indépendance. Nous sommes face à un thème très fort sur le plan politique et il faut avancer sur ce sujet avec plus de sérénité. Les oppositions sont lourdes, frontales, dans un contexte de très grande complexité des chaînes de production. Une forme de solidarité doit intervenir entre les acteurs mais elle n’est pas facile à susciter. Sur le plan industriel, les filières peuvent être fragilisées par des évolutions qui créent de l’instabilité fiscale et, sur le plan agricole, les équilibres sont fragiles. Je n’évoque que d’un mot le rôle de la logistique pour souligner la très forte dépendance du système envers les ports. Bref, nous devons envisager ce qu’on appelle un système complexe qui voit parfois arriver des invités surprises comme certaines palmes indonésiennes. L’audition publique devra mettre en évidence les conflits multiples qui devront apparaître clairement. Par ailleurs, il apparaît que le contexte est d’emblée mondial. À titre d’anecdote, je citerai les effets de l’abandon de la papeterie aux États-Unis dont une des suites a été l’amplification des exportations des matières premières devenues disponibles vers l’Europe et, en particulier, vers la France.
M. Roland Courteau. – Je voudrais ajouter une considération qui porte sur la notion de bioéconomie. Bien sûr, nous allons devoir définir une stratégie nationale pour la biomasse mais il ne faut pas oublier que ce n’est qu’un élément d’un projet plus vaste qui est de développer la bioéconomie. Il y en a plusieurs approches mais on peut résumer le concept en indiquant qu’il s’agit de la seule possibilité d’assurer la sécurité alimentaire en faisant face à un ensemble de besoins économiques courants. L’OCDE estime que, en 2030, ses activités pourraient représenter près de 3 % du PIB mondial. L’Allemagne a déjà publié deux plans de développement de la bioéconomie et les États-Unis ont une stratégie nationale en ce domaine. La France n’a pas encore formalisé ses objectifs qui peuvent concerner beaucoup de domaines, parmi lesquels la chimie et la santé.
M. Jean-Yves Le Déaut. – Oui cela justifie pleinement d’inclure ces aspects dans l’audition publique. Il sera bon d’associer largement les membres de l’OPECST à cette réunion le 25 juin prochain.
Compte tenu des conclusions de l’étude de faisabilité présentée, l’Office décide, à l’unanimité, de ne pas donner à la question des diverses utilisations de la biomasse de suite autre que l’organisation d’une audition publique dans les meilleurs délais suivie du compte rendu de cette audition assortie de conclusions.
SECONDE PARTIE : AUDITION PUBLIQUE SUR « LA STRATÉGIE POUR LA BIOMASSE EN FRANCE : UN PAS VERS LA BIOÉCONOMIE ? » DU 25 JUIN 2015
Le présent compte rendu intègre des éléments (graphiques, photographies, références à des articles scientifiques) provenant des présentations projetées sur écran par les intervenants au cours des tables rondes.
La vidéo de l’audition, ouverte à la presse, du 25 juin 2015 est disponible sur le site internet du Sénat, à l’adresse :
http://videos.senat.fr/video/videos/2015/video29148.html
25 juin 2015
De 9 heures à 12 h 30
Au Palais de Luxembourg – Salle Médicis
Propos introductifs : M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur
9 heures Première table ronde : Filières – État des lieux – Perspectives
M. Christophe Rupp-Dahlem, président, Association de la chimie du végétal (ACDV)
M. Arnaud Chaperon, directeur Prospective de la branche énergies nouvelles, Total
M. Léon Duvivier, directeur technologies, direction recherche et technologies, ENGIE
M. Jean Sacreste, directeur de Veolia en Lituanie, et président de Vilnius Energia
Mme Sabrina Fuseliez, responsable du département bioénergies, syndicat des énergies renouvelables
M. Jean-Luc Duplan, expert biomasse pour l’énergie et la chimie, IFP Énergies nouvelles
M. Herman Höfte, directeur adjoint de l’unité « Institut Jean-Pierre Bourgin » - Unité mixte de recherches INRA/AgroParisTech/CNRS – Centre INRA de Versailles-Grignon, INRA
M. Daniel Perron, directeur de la prospective, Office national des forêts (ONF)
10 h 30 Seconde table ronde : Stratégie pour la biomasse – Stratégie de bioéconomie
Mme Jertta de Mazières, conseillère agricole, ambassade de Finlande et délégation permanente de la Finlande auprès de l’OCDE
M. Claude Roy, président du club des bioéconomistes, membre du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux
M. André-Jean Guérin, conseiller, Conseil économique, social et environnemental (CESE)
M. Jean-David Abel, vice-président, France Nature Environnement (FNE)
M. Hubert Boizard, ingénieur de recherches (ER), chargé de mission, centre INRA de Lille
M. Jean-Christophe Pouet, chef du service bioressources, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)
M. Pierre Angot, sous-directeur de la chimie des matériaux et des éco-industries, direction générale des entreprises, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique
M. Julien Dugué, chargé de mission bioéconomie-bioproduits, ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt
M. Julien Fosse, chef du bureau de l’agriculture, de l’industrie et des infrastructures énergétiques, commissariat général au développement durable
Conclusion
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Mesdames et Messieurs, bonjour, et merci à tous de votre présence à cette audition publique consacrée à la biomasse. Je salue également mon collègue sénateur, M. René-Paul Savary.
La présente audition doit être située dans le contexte de ce que l’on présente comme un nouveau paradigme du développement économique : la bioéconomie.
Je ne doute pas que nous pourrons, ensemble, objectiver certaines questions posées par la mobilisation de la biomasse pour des usages non alimentaires.
La première table ronde donnera la parole aux acteurs des filières les plus concernées par la biomasse. Nous entendrons donc, dans un premier temps, des intervenants se situant par leur activité en amont de l’utilisation de la biomasse, avec les matières premières, et, en aval, au stade de la production.
Ils aborderont le sujet dans sa dimension économique mais aussi scientifique et technologique. La diversité des filières représentées annonce d’emblée la question centrale des conflits d’usage mais elle démontre aussi, de façon plus positive, la transversalité et le potentiel qu’offre la biomasse en termes de nouveaux produits et de nouvelles façons de produire.
Après cet état des lieux, la seconde table ronde adoptera une vision prospective. Elle nous éclairera sur la façon dont les pouvoirs publics répondent aux difficultés que pose la formalisation d’une politique publique de la biomasse et, plus largement, de la bioéconomie.
Je remercie donc l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, son premier vice-président, le sénateur Bruno Sido, et son président, le député Jean-Yves Le Déaut, de leur confiance. J’adresse également mes remerciements au président de la commission des affaires économiques du Sénat, M. Daniel Raoul, qui avait bien perçu les enjeux de la question dont nous allons débattre, en ne doutant pas que son successeur, M. Jean-Claude Lenoir, saura perpétuer cet intérêt.
Dès à présent, j’ouvre notre première table ronde. Elle permettra d’établir un état des lieux des principales filières concernées par la biomasse, en tenant compte des perspectives de production mais aussi des voies de recherche scientifique et technique susceptibles de modifier notre perception des opportunités des différents usages de la biomasse.
Je suis persuadé que nous empièterons déjà sur le thème de notre seconde table ronde, en recueillant des recommandations sur le type de cadre que les pouvoirs publics devraient instituer pour favoriser un développement équilibré des nouveaux usages de la biomasse.
Nous savons que la biomasse est l’objet de conflits d’usages que certains d’entre vous doivent expérimenter au sein même de leur entreprise. Il sera intéressant de savoir selon quelles voies chacun d’entre vous forge sa propre stratégie. Vous êtes, en effet, confrontés à un système complexe aux équilibres multiples.
L’OPECST s’intéresse particulièrement à l’innovation. Quelles en sont les perspectives ? Quel est l’état de la recherche en amont ? Quels sont les maillons de la chaîne d’innovation qui se renforcent, ceux qu’il faut consolider ? Vos entreprises, ou celles que vous fédérez, connaissent-elles des succès, des avancées ? Les dépôts de brevets en témoignent-ils ? La France peut-elle se prévaloir d’une avance technologique ? Voilà quelques-unes des nombreuses questions que nous pouvons nous poser.
II. PREMIÈRE TABLE RONDE : FILIÈRES – ÉTAT DES LIEUX – PERSPECTIVES
M. Christophe Rupp-Dahlem, président de l’association Chimie du végétal (ACDV). - Je suis en charge de l’innovation au sein du groupe Roquette pour les produits biosourcés. J’interviens ici en tant que président de l’association Chimie du végétal, qui réunit les différents acteurs industriels de ce domaine en France. Nous regroupons une cinquantaine de représentants de sociétés appartenant à toutes les filières (céréales, huile, cellulose, algues…), ainsi que les principaux acteurs de la chimie en France (Arkema, BASF, Chimex, Total, Solvay…). En effet, de très nombreuses industries utilisent des produits chimiques issus de l’amont pour créer des substances que l’on retrouve dans les peintures, les matières plastiques, les pièces pour automobile, l’emballage, les cosmétiques, les détergents, la construction. La chimie utilise environ 10 % de ressources issues de la biomasse pour ses approvisionnements, 90 % provenant encore de bases fossiles. L’objectif est de doubler le volume de produits biosourcés à horizon 2020, et le secteur est en pleine croissance.
Nous accueillons également des sociétés qui se trouvent en contact direct avec le consommateur, comme Michelin ou des distributeurs, des sociétés d’ingénierie, des sociétés financières, des entreprises émergentes spécialisées dans les biotechnologies… Nous représentons donc tous les acteurs et pôles de compétitivité impliqués dans l’utilisation de la biomasse dans la fabrication industrielle de produits et matériaux : le pôle IAR (Industries & Agro-Ressources), Axelera, Xylofutur, Fibres-Energivie, Matikem, Pass…
Notre objectif n’est pas de labelliser ou de développer des projets d’innovation – ce qui est le rôle des pôles de compétitivité ou des Instituts pour la Transition Énergétique (ITE) – mais d’accompagner les projets, au niveau français ou européen, et de créer un environnement favorable à l’émergence de projets industriels, sources d’affaires et d’emplois en France.
Nous agissons à trois niveaux.
Le premier est celui de la communication, par le biais de notre site ou de congrès. Nous organisons ainsi, tous les deux ans, un congrès sur la chimie et les matériaux regroupant six cents personnes venues de France et d’Europe. La dernière édition, qui s’est tenue à Lille, a accueilli 30 % d’étrangers.
Nous menons également une action sur la réglementation. Nous sommes en charge du groupe sur les normes à l’AFNOR (Association Française de Normalisation), et nous représentons la France au sein du CEN (Comité Européen de Normalisation) pour les normes sur les produits biosourcés (TC 411).
Enfin, nous travaillons sur les orientations possibles de la réglementation afin que l’utilisation de la biomasse dans les produits chimiques soit de plus en plus importante.
Notre association, créée en 2015, comprend l’Union des Industries Chimiques (UIC), la Fédération des Industries des Peintures, Encres, Couleurs, Colles et Adhésifs (FIPEC), et ELIPSO, le syndicat des entreprises de l’emballage plastique et souple.
La bioéconomie consiste en l’utilisation des ressources de la biosphère. Ses trois piliers sont l’alimentaire, l’industrie et l’énergie. Elle constitue un concept global qui recherche un équilibre et une complémentarité des usages. La biomasse peut ainsi être utilisée à différentes fins complémentaires et la synergie entre les usages crée la résilience de la bioéconomie.
La filière du biosourcé utilise donc la biomasse pour la transformer en produits et matériaux, et en recycler ou composter une partie. Se crée ainsi un cercle vertueux permettant d’organiser le système en boucle.
Il existe mille définitions de la bioéconomie, politiques ou techniques. Elle consiste, selon nous, en la production durable, à partir de la biomasse, de produits pour les marchés alimentaire, de la nutrition animale, industriels et de l’énergie.
La bioéconomie en général représente aujourd’hui, selon Nova Institut, 300 milliards d’euros et 1,8 million d’emplois en France. Ces chiffres comprennent l’agriculture, la pêche, les bioénergies, la chimie du végétal. La bioéconomie pèse donc un poids considérable : elle représente, en France et en Europe, près de 10 % des emplois.
La part de la chimie du végétal dans cette économie est estimée autour de 10 milliards d’euros de chiffres d’affaires.
L’ADEME a réalisé, en 2012, une étude sur l’ensemble de la filière, qui regroupait alors 23 000 emplois directs. L’objectif est de doubler, avant 2020, l’utilisation de matières premières issues de la biomasse et de doubler également le nombre d’emplois créés.
La France possède des atouts indéniables dans le secteur du fait de ses richesses agricoles, de ses grandes entreprises de transformation et de chimie – nous sommes, en effet, le deuxième pays européen au niveau de la chimie. Les pôles de compétitivité, l’INRA, le CNRS et les ITE (Instituts pour la Transition Énergétique) sont également des atouts pour le pays.
J’aborderai la question de l’utilisation de la biomasse en termes de surfaces agricoles. 1,4 milliard d’hectares sont cultivés dans le monde, et la chimie du végétal représente 6 millions d’hectares. L’impact de cette activité sur les surfaces arables est donc marginal puisqu’il représente moins de 1 % des terres. L’objectif de doublement des surfaces nous situerait donc autour de 2 % des surfaces agricoles.
Les terres cultivables mais actuellement non utilisées dans le monde, au Brésil ou en Europe de l’Est notamment, représentent 1,6 milliard d’hectares. Il existe donc un réservoir pour le développement de la bioéconomie. À titre d’exemple, la production de bioplastiques n’utilise aujourd’hui que 0,1 % des terres agricoles, ce qui est négligeable. Nous pouvons parler d’équilibre puisqu’il n’existe pas de conflit entre les différentes utilisations des surfaces agricoles.
L’utilisation de la biomasse nécessite plusieurs étapes :
- La première est celle de la bioraffinerie, qui s’effectue sur toutes les bases : bois, résidus, céréales, pommes de terre… On extrait puis sépare les différents composés : cellulose, fibre, amidon, sucres, protéines, huiles, lignines.
- La seconde étape est la conversion, c’est-à-dire la transformation de ces composés en nouveaux produits, destinés aux consommateurs.
Deux notions sont déterminantes dans le schéma de la bioraffinerie : le système de cascade et la dimension circulaire. Le système de cascade consiste à valoriser au mieux les produits issus des bioraffineries. La circularité consiste à fermer la boucle du processus, en compostant ou en recyclant les déchets. Enfin, l’énergie sert à clore le cycle de cette efficacité systémique.
Prenons pour exemple la bioraffinerie sur une base de céréales, comme le blé et le maïs. Il existe deux tiers d’amidon dans les grains, qui serviront à fabriquer des matériaux, et un tiers de protéines, utilisable dans des applications alimentaires et pour la nutrition animale. L’augmentation de la production de maïs fera donc croître, de facto, l’utilisation de ces deux ressources.
La chimie du végétal ne constitue plus une simple opportunité mais une pleine réalité, et de nombreux produits sont aujourd’hui biosourcés : pièces automobiles et murs transparents anti-bruit, par exemple.
M. Arnaud Chaperon, directeur prospective de la branche énergies nouvelles, Total. - Je présenterai les biotechnologies sur base de sucre, un domaine dans lequel Total travaille depuis plusieurs années.
Il s’agit de transformer du sucre par fermentation à partir de levures génétiquement modifiées, afin de fabriquer, dans des réacteurs fermés, une gamme très large de bioproduits allant des biocarburants à la biochimie, sur la base du carbone et de l’hydrogène. Cette technologie est développée en recherche et développement entre la Silicon Valley et la France.
La société américaine Amyris, dont nous sommes actionnaires, possède, au Brésil, une usine qui fabrique la molécule farnésène, une base servant à fabriquer toute une gamme de produits : biosolvants, biolubrifiants… La production atteint plusieurs millions de litres mais la baisse des coûts prend plus de temps que nous ne l’avions prévu. Or elle est nécessaire pour pouvoir produire de manière économique sans aucune subvention. Les coûts de production tiennent pour 60 % au coût du sucre, passé de 20 dollars à 12 dollars par livre ; baisse toutefois insuffisante pour conquérir un marché de masse. Nous travaillons par conséquent sur des marchés beaucoup plus ciblés, des niches comme les cosmétiques, usuellement à base de squalane (huile de foie de requin) à quoi nous substituons nos produits glucosourcés, ou les produits de base pour l’industrie des parfums. Ces produits fonctionnent très bien mais nous devons désormais entrer dans un cercle beaucoup plus vertueux, en baissant nos coûts pour proposer des produits de masse.
Nous avons encore besoin de plus de recherche pour abaisser les coûts et réaliser notre objectif d’entrer, d’abord, sur le marché des lubrifiants puis sur celui des biojets, qui ouvre des perspectives beaucoup plus importantes en termes de volumes.
Un vol Paris-Toulouse se fait déjà, depuis octobre 2014, avec 10 % de Farnésène dans l’un de ses réacteurs. Le produit, validé par tous les organismes internationaux de certification, fonctionne très bien. Nous pensons pouvoir gagner un facteur deux, voire trois, pour atteindre le stade économique sans aucune subvention sur le marché des biocarburants – biodiésels ou biojets. Trois à cinq ans de travail nous sont encore vraisemblablement nécessaires pour ce changement d’échelle.
Les biotechnologies fonctionnent également très bien sur les sucres cellulosiques. Notre usine brésilienne traite du sucre alimentaire issu de la canne à sucre mais nous étudions la possibilité d’obtenir le même produit à partir de sucre cellulosique, par déconstruction de la matière végétale, en particulier des déchets issus du bois. Nous participons ainsi au projet Futurol, avec des partenaires comme l’INRA, l’IFPEN ou Tereos. Le projet est de déconstruire la cellulose sur base enzymatique pour fabriquer de l’éthanol cellulosique. Aux États-Unis d’Amérique, nous travaillons avec une société émergente, Renmatix, qui a choisi une autre méthode : séparer l’albumine de la partie sucre du végétal. Nous en sommes, là aussi, au stade de la recherche et développement. L’objectif est de produire du sucre cellulosique à des prix plus compétitifs que le sucre alimentaire, soit moins de 10 centimes de dollar par livre.
M. Léon Duvivier, directeur technologies à la direction recherche et technologies, ENGIE. - ENGIE est un groupe fortement impliqué dans la transition énergétique, qui poursuit trois grands objectifs.
- Nous pensons, tout d’abord, que, pour réussir la transition énergétique, il faut augmenter les volumes de bois récoltés en France ainsi que toute autre biomasse valorisable. Cette évolution est, en effet, essentielle pour l’approvisionnement des réseaux de chaleur et pour les filières de demain.
- Notre second objectif est de développer le biométhane pour la mobilité. Selon l’ADEME, cette solution contribue largement à la réduction de la pollution atmosphérique, en particulier dans les villes.
- Enfin, nous voulons devenir le fer de lance de la production de biométhane par gazéification.
Le biométhane produit par la méthanisation biologique utilise les déchets organiques, alimentaires ou agricoles, tandis que la technique par gazéification ou méthanation utilise la biomasse sèche : bois, paille, ou résidus de ressources similaires.
Le développement de cette technologie en Europe est encore limité et se trouve au stade de la recherche et développement. Il existe trois démonstrateurs en Europe, dont le démonstrateur Gaya, largement soutenu par l’ADEME, situé dans la région de Lyon. Chacun développe des procédés totalement différents.
La recherche que nous avons entreprise nous a déjà permis de déposer huit brevets. Nous pensons qu’il est important de mettre en place un système de support au développement de ces technologies vers des installations industrielles. Une opportunité de développer un nouveau secteur de production industrielle s’offre, en effet, à la France. L’objectif de Gaya est d’amener le biométhane à des coûts de production très inférieurs à ceux que l’on rencontre à l’heure actuelle, entre 60 euros et 80 euros par mégawattheure. C’est plus que le gaz naturel mais les conclusions auxquelles nous parvenons nous permettent d’affirmer que la rentabilité sera obtenue pour des installations de 10 à 20 mégawatts. Développées par un secteur industriel bien défini, elles permettront de faire appel à la ressource locale. Or il est essentiel de définir une économie locale pour éviter les frais de transport et les émissions de CO2.
Notre objectif est de bénéficier du financement approprié afin de passer d’une échelle de démonstrateurs et de pilotes à une première filière industrielle. Nous pourrons ainsi développer des technologies permettant de réduire les coûts de production.
Les résultats du pilote Gaya devraient être disponibles vers 2019, ce qui permettra ensuite un développement de la filière.
M. Jean Sacreste, directeur de Veolia en Lituanie et président de Vilnius Energia. - Veolia est un acteur majeur dans les secteurs de l’eau, du service à l’énergie et des déchets. La biomasse se situe au croisement de toutes les problématiques auxquelles nous sommes confrontés, en matière d’économie circulaire, de transition énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique. J’essaierai de montrer en quoi la biomasse peut constituer une réponse très positive à ce type d’activités.
Nous intervenons sur deux filières assez différentes :
- dans la deuxième partie du traitement de la bioéconomie, c’est-à-dire lorsque la biomasse est devenue un déchet qui doit être valorisé ;
- en première intention, lorsque la biomasse est utilisée directement à des fins énergétiques.
C’est sur la valorisation des déchets que nous avons poussé l’innovation technologique le plus loin. Cette filière regroupe :
- l’énergie issue de bois déchet ;
- les usines d’incinération d’ordures ménagères. Je rappelle, à ce propos, que 50 % des ordures ménagères sont considérées comme renouvelables : il s’agit d’une biomasse, en grande partie alimentaire ;
- le biogaz, essentiellement du méthane, beaucoup plus nocif en termes d’effet de serre que le CO2 ; nous traitons aujourd’hui environ 175 millions de mètres cubes de biogaz ;
- la méthanisation.
La filière déchets mériterait d’être clairement identifiée et considérée comme un élément de réponse important dans le traitement ultime de la filière biomasse. Le traitement des déchets, à des fins énergétiques ou par recyclage, assure le bouclage de l’économie circulaire de la biomasse.
La seconde voie est celle du bois considéré comme combustible. Ses caractéristiques sont extrêmement intéressantes et la France, pays forestier, a tout intérêt à développer cette piste. Le bois est une matière première renouvelable, stockable, c’est-à-dire non intermittente, et locale. L’intermittence est l’une des principales difficultés rencontrées dans le développement des énergies renouvelables, tant pour l’éolien que pour le solaire. Le caractère stockable de la biomasse lui permet, au contraire, de constituer une ligne de base de production de chaleur ou d’électricité.
Nous avons démarré notre activité en Lituanie en 2000, dans un pays qui ne possédait pas de valorisation énergétique de la biomasse. Aujourd’hui, la moitié des réseaux de chaleur lituaniens est assurée par la biomasse. Le pays a été confronté à la multiplication du prix du gaz par quatre entre 2005 et 2008. La filière s’est donc mobilisée pour convertir les installations existantes à la production d’énergie à partir de la biomasse forestière. Il s’agit d’un résidu de forêt qui est immédiatement valorisé, puis recyclé par réépandage des cendres sur le sol forestier, ce qui maintient la minéralisation de la ressource.
La valorisation énergétique peut être envisagée selon deux stratégies différentes.
La première repose sur la cogénération à haute efficacité, c’est-à-dire une production simultanée de chaleur et d’électricité. Ce choix suppose des installations centralisées représentant des volumes et des investissements importants.
La seconde option, qui devrait être fermement soutenue en France, consiste à créer des boucles locales de production de chaleur, associées à de petits réseaux alimentant quelques bâtiments, des quartiers, des bâtiments communaux… L’intérêt de cette voie est son rendement énergétique extrêmement élevé, puisqu’on ne produit que de la chaleur, et également le caractère limité des investissements nécessaires. Cette filière se heurte pourtant à un problème de financement dans la mesure où le prix du gaz carbonique est très bas, aux alentours de sept euros la tonne. De ce fait, la filière de la valorisation énergétique n’est pas compétitive.
Par ailleurs, le système européen d’échanges se limite à vingt mégawatts de puissance. Il n’existe pas d’incitation sur de petites installations inférieures à cette puissance. Nous plaidons, par conséquent, pour une diminution des seuils de prise en compte du CO2 dans les installations thermiques.
J’insisterai, enfin, sur la notion de boucle courte. En matière industrielle, il est intéressant de traiter le maximum de déchets issus du processus industriel in situ. Je prendrai l’exemple de Diageo en Ecosse, où nous avons installé, pour un fabriquant de spiritueux, une cogénération de biomasse, qui permet de traiter tous les résidus biomasse de l’usine. De ce fait, 98 % de la vapeur nécessaire à l’usine est produite à partir de résidus. 80 % de l’électricité provient également de cette source et le procédé a permis d’économiser 56 000 tonnes de CO2.
Toutes les solutions privilégiant les boucles courtes, dans le domaine municipal ou industriel, iront dans le sens du renouvelable, du local et de l’efficacité énergétique.
Mme Sabrina Fuseliez, responsable du département Bioénergie, Syndicat des énergies renouvelables. - Le Syndicat des énergies renouvelables, qui repose sur une équipe d’une vingtaine de personnes, regroupe environ quatre cents membres, couvrant toutes les filières des énergies renouvelables. Il s’organise autour de trois départements principaux : l’éolien, le solaire et la biomasse. Dans le domaine de la biomasse, nous représentons l’ensemble de la filière, du producteur aux énergéticiens, en passant par les cabinets d’étude ou d’avocats.
Le département Bioénergies comprend deux personnes qui s’occupent respectivement du chauffage au bois domestique et des bioénergies : bois énergie, biogaz, biocarburants… Notre champ d’action est celui de toutes les énergies concernées : électricité, gaz, carburant.
En soutenant les énergies renouvelables, nous avons pour objectif d’augmenter l’autonomie énergétique de la France, de limiter les gaz à effet de serre, de valoriser les ressources locales, de créer des emplois. L’enjeu est également de trouver des compléments de revenus pour les acteurs de la filière.
Nous évoluons dans le contexte du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Ce projet comprend deux points particulièrement importants : l’évolution des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables (ENR) électriques. Ce point concerne surtout le biogaz, moins le bois, exploité surtout pour produire de la chaleur ; la programmation pluriannuelle de l’énergie doit, par ailleurs, être fixée en janvier 2016 et concernera toutes les filières, avec des trajectoires et des enveloppes financières affectées.
De nombreuses actions et orientations politiques vont soutenir plus ou moins notre filière : la loi d’avenir pour l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt, le Programme d’action national sur le bois, le Comité de stratégie filière bois, les lois de finances. Citons également les travaux du Comité national du biogaz, lancés par la ministre de l’écologie au printemps 2015, un appel d’offres Biomasse 2015 et différents appels à projets sur les méthaniseurs.
Certains éléments ne sont, en revanche, guère favorables au développement des bioénergies : la baisse des prix du CO2 et des énergies fossiles, qui affecte la compétitivité des ENR, la baisse globale des budgets, et, enfin, toute une série de textes en cours de préparation qui créent un manque de visibilité et freinent les prises de décision.
Nous nous sommes fixé un objectif de 23 % d’énergies renouvelables pour 2020. Actuellement, nous nous situons autour de 14 %, et les dernières projections indiquent un taux d’ENR d’environ 17 % en 2020. Il faut donc augmenter la part de toutes les ENR.
Le projet de loi en cours de discussion pose l’objectif de 32 % d’énergies renouvelables en 2030, avec 40 % pour la production d’électricité, 38% pour la consommation finale de chaleur, soit un enjeu très fort pour le bois, 15 % dans la consommation finale des carburants et 10 % dans la consommation de gaz.
La fixation de ce dernier objectif, pour le gaz, permettra une évolution forte de la filière, qui ne s’était pas vu assigner d’objectifs jusqu’à présent.
Ces objectifs sont à mettre en relation avec les objectifs de réduction de la consommation énergétique de 50 %.
La biomasse constitue aujourd’hui la première énergie renouvelable, dont elle représente 65 %. Le bois énergie compte pour 45 %, les biocarburants pour 11 %, les déchets ménagers pour 7 %, le biogaz pour 2 %.
En 2020, elle représentera 58 % des énergies renouvelables, dont 83 % de chaleur renouvelable et 90 % d’énergie renouvelable dans les transports.
Les bioénergies représentent une part très importante des énergies renouvelables, 9 % de notre consommation d’énergie sur les 14 % revenant à l’ensemble des énergies renouvelables.
Le bois énergie représente 45 % de la production actuelle d’ENR. La France possède la troisième forêt d’Europe en surface, soit 30 % de son territoire. La ressource peut toutefois être difficile à mobiliser du fait de son caractère morcelé avec 3,5 millions de propriétaires. On compte actuellement 100 millions de mètres cubes d’accroissement naturel par an alors que la moitié seulement du domaine est utilisée. Nous avons là un défi à relever.
Les perspectives sont les suivantes. Pour le chauffage au bois domestique, l’objectif est de passer de 5,75 millions de logements équipés en 2006 à 9 millions en 2020, tout en conservant la même consommation de bois (7,4 millions de Tep en 2020). Le renouvellement des appareils permettra d’améliorer les performances de chauffage. Nous travaillons sur ce sujet avec l’ADEME qui a créé le label « Flamme verte ».
Dans le domaine du chauffage pour le secteur collectif tertiaire et industriel, on constate un ralentissement des installations. Ce fait s’explique aisément : les installations les plus faciles à mettre en œuvre ont déjà été réalisées ; les autres sont plus complexes. Par ailleurs, le contexte n’est pas favorable à la compétitivité de nos installations.
Concernant la cogénération, c’est-à-dire l’utilisation du bois pour produire de l’électricité et de la chaleur, on observe un net ralentissement par rapport aux prévisions. Les choix politiques actuels ne sont pas forcément en faveur de cette option.
Nous attendons beaucoup de l’AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt) DYNAMIC Bois, mis en place par l’ADEME.
Dans la filière biogaz, on dénombre cinq cents sites en fonctionnement dont douze sites d’injection – il en existe plus de huit mille en Allemagne. Un potentiel énorme existe cependant : le biogaz sera à 90 % d’origine agricole et la France est la première puissance agricole d’Europe.
La filière des biocarburants tend à stabiliser ses productions en fonction des plafonnements qui lui sont imposés : on attend donc beaucoup des objectifs futurs d’incorporation. Les filières françaises sont parmi les premières à avoir développé le schéma de développement des biocarburants dans des conditions durables. Ce secteur représente plus de trente mille emplois, trente unités industrielles, deux milliards d’euros d’investissements. On attend beaucoup de ces biocarburants pour le secteur des transports en raison des externalités positives de cette filière.
M. Jean-Luc Duplan, expert biomasse pour l’énergie et la chimie, IFP Énergies nouvelles (IFPEN). - L’IFP Énergies nouvelles est un établissement public à caractère industriel et commercial qui place l’excellence scientifique au cœur de ses préoccupations mais qui a toujours conduit ses recherches avec un objectif industriel.
Historiquement, l’IFPEN a travaillé du laboratoire au démonstrateur, excellant sur la scène internationale académique tout en développant des filières industrielles, comme Technip ou Axens, en tête dans son secteur. L’IFPEN et ses filiales ont créé des centaines d’emplois ces dernières années ; son chiffre d’affaires avoisine le milliard d’euros. Il est le seul établissement public de recherche à s’autofinancer à hauteur de 50 % grâce à ce modèle.
Nous entendons passer du carbone fossile au carbone végétal, tout en maintenant cette volonté de créer des filières industrielles économiquement viables. Le projet est de codévelopper, avec des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), une contribution à des filières éco-industrielles et de contribuer à l’émergence de nouvelles filières. La France a été à la pointe du développement des biocarburants de première génération grâce à une collaboration entre le monde agricole et le monde pétrolier.
L’IFPEN est propriétaire de la technologie qui produit plus de 50 % du biodiesel français et un peu moins de 10 % du biodiesel mondial.
L’objectif est désormais d’utiliser une matière première non alimentaire, la lignocellulose, pour développer de nouveaux carburants et des produits chimiques biosourcés. L’IFPEN copilote actuellement le plan Nouvelles ressources qui succède au plan industriel Biocarburants-Chimie verte.
Pour plusieurs années encore, ce sont le pétrole et les produits fossiles qui seront à l’origine de nos carburants et de nos intermédiaires pétrochimiques. On fabrique, à partir de produits pétrosourcés, des complexes pétrochimiques, des grands intermédiaires puis des produits finis utilisés dans la vie courante.
Pour construire le même processus à partir du carbone végétal, l’IFPEN en adopte deux approches.
La première consiste à introduire progressivement du carbone végétal dans les filières existantes. On fabrique à partir de la biomasse des molécules plateformes, par exemple de grands intermédiaires comme l’éthylène ou le propylène ; puis on utilise la filière industrielle existante pour y introduire de plus en plus de carbone végétal de façon économique.
Une seconde approche, plus complexe, consiste à créer de nouvelles molécules, biosourcées, pour des usages actuels ou nouveaux. De nombreuses contraintes réglementaires, d’ouverture de marchés et d’acceptabilité sociale se présentent alors. Cette voie est toutefois possible et nous y travaillons également.
La bioéconomie, pour les biocarburants et la chimie biosourcée, passe, d’abord, par le remplacement des grands intermédiaires pétrochimiques. Il s’agit d’introduire la chimie biosourcée en intégration avec les biocarburants comme on le fait dans une raffinerie pétrolière. Cette mise en œuvre nécessite des coûts de production acceptables, proches de ceux des produits fossiles. Parfois, le fait de combiner les deux sources permet d’accéder à certains marchés.
L’empreinte environnementale d’un produit biosourcé doit, enfin, être moindre que celle d’un produit fossile. Or, il arrive que le contraire se produise.
Cette empreinte varie en fonction des filières utilisées. Ainsi, lorsque l’on utilise du lignite pour apporter l’énergie nécessaire à la distillation, on augmente le bilan CO2. Il faut donc veiller à limiter ces effets.
On peut également fabriquer à partir de biomasse cellulosique (bois ou paille) des produits destinés au transport.
Ainsi, le projet BioTfuel que nous menons avec Total et d’autres acteurs a pour objectif de fabriquer du biogazole et du biokérosène, des carburants de synthèse issus de la biomasse.
Le projet Futurol vise, pour sa part, à fabriquer du bioéthanol de deuxième génération à partir de cellulose du bois et de la paille.
Le procédé Atol permet de produire du bio-éthylène sans recourir à des produits fossiles. Il est déjà disponible et notre filiale Axens fabrique de l’éthylène pour des matières plastiques.
Enfin, la fabrication de butadiène biosourcé est développée par l’IFPEN et Axens en association avec Michelin, très intéressé par ce produit. Le projet est cofinancé par l’ADEME. Nous avons l’espoir qu’une part significative de nos pneumatiques soit fabriquée, demain, à partir de produits biosourcés.
Certains procédés, développés avec succès sur du carbone fossile, peuvent l’être également sur du carbone végétal. C’est le cas de l’Alphabutol, par exemple, développé par Yves Chauvin, qui a reçu le Prix Nobel en 2005. On le voit, il n’existe pas d’antinomie entre l’excellence scientifique et le développement industriel.
L’IFPEN a bon espoir de construire, dans les années à venir, des filières industrielles et technologiques à partir de l’innovation sur du carbone végétal. Ce développement répondra au besoin des consommateurs mais aussi des acteurs de l’industrie chimique. Il passe par une offre technologique sur les grands intermédiaires sur laquelle l’IFPEN travaille énormément. La moitié de son activité est, en effet, consacrée aux nouvelles technologies de l’énergie hors fossile. La moitié des brevets que nous déposons concerne ce domaine et l’IFPEN a été classé parmi les cent entreprises les plus innovantes au niveau mondial.
En France, nous avons des champions des technologies de développement pour faire du carburant et de la chimie ; notre monde agricole demeure très performant. En combinant astucieusement des décisions publiques, une bonne organisation du monde agricole et des développeurs technologiques, nous pouvons donc espérer, sans aucun doute, développer demain une nouvelle bioéconomie française.
M. Hermann Höfte, directeur adjoint de l’unité « Institut Jean-Pierre Bourgin », unité mixte de recherche INRA/AgroParisTech/CNRS, centre INRA de Versailles-Grignon, INRA. - Je vais vous présenter les recherches de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur le développement de nouvelles cultures de la biomasse.
La production de biomasse repose sur un bouquet de ressources : le bois, la betterave, la paille et les cultures intermédiaires ainsi que des cultures spécifiques au niveau local.
Parmi ces cultures spécifiques, on trouve des taillis à courte rotation mais aussi des graminées pérennes, ou C4, c’est-à-dire offrant un degré de photosynthèse très élevé même dans des situations de stress hydrique. Ce type de culture est très indiqué pour produire de la biomasse de façon efficace et durable.
Le haut rendement des graminées pérennes permet de limiter les surfaces agricoles utilisées. En outre, d’un point de vue environnemental, ces cultures nécessitent très peu d’intrants et produisent de ce fait très peu de gaz à effet de serre. Elles demandent très peu d’intervention. Enfin, comme ce sont des plantes à rhizomes, elles réduisent l’érosion et sont adaptées aux terres marginales.
Le dernier volet du processus consiste à adapter ces cultures à un usage industriel. Ainsi, le miscanthus est récolté au printemps. Il possède donc une faible teneur en eau, ce qui le rend intéressant pour la combustion.
Le système de rhizomes de cette graminée lui permet de stocker de l’azote pendant l’hiver qu’elle récupérera ensuite pendant la période de croissance. Sa culture nécessite, par conséquent, très peu d’apport d’azote, ce qui est intéressant en matière de durabilité.
La culture de miscanthus est encore marginale en France, avec trois mille cinq cents hectares cultivés.
Certains freins à son développement existent encore. Seul un clone est actuellement cultivé et son coût d’implantation demeure assez élevé car il s’agit d’un hybride stérile qui doit être propagé par ses rhizomes.
La domestication de l’espèce constitue donc un enjeu : le miscanthus est une espèce sauvage que nous devons adapter aux besoins industriels même si ses propriétés sont déjà considérables.
Les cibles d’améliorations concernent essentiellement le système de reproduction du miscanthus afin qu’il puisse se multiplier par les graines. La question de son caractère invasif est, en revanche, maîtrisée.
Il importe également d’élargir la base génétique. En effet, nous ne pouvons implanter un seul clone dans la nature. Cela poserait des problèmes au niveau phytosanitaire. Il est également souhaitable de mélanger les espèces-variétés dans un même champ pour améliorer la biodiversité.
Nous avons également défini des cibles d’architecture et d’anatomie, comme l’augmentation de la densité tissulaire afin d’élever les rendements.
Enfin, on peut jouer sur l’amélioration de la plante pour faciliter l’extraction de sucre de la cellulose. Des avancées récentes ont permis de modifier la lignine en ce sens. On peut également travailler sur la teneur en cendres pour améliorer la combustion de la plante.
M. Daniel Perron, directeur de la prospective, Office national des forêts (ONF). - Je vais vous parler de la biomasse vue sous l’angle de l’Office national des forêts (ONF).
L’espace forestier français représente seize millions d’hectares, soit 30 % du territoire. L’ONF gère 25 % de cet espace.
Un membre du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) disait que « la filière bois n’ [était] pas clairement définie ». Or, nous sommes face à un enjeu de solidarité qui est très fort au sein de la filière. L’ONF produit du bois mais il ne peut exister d’économie de filière sans une certaine solidarité des maillons. Cette question pose déjà le problème de la gestion de la biomasse en général.
On estime que la filière économique représente cinquante milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et quatre cent mille emplois, soit le double de la filière automobile. Pour certaines régions, comme le Grand Est, elle constitue une ressource économique fondamentale. Il existe onze mille communes forestières qui vivent du bois.
Le morcellement très fort de l’espace forestier privé peut poser problème. La filière réunit l’ONF et mille sept cent quarante-quatre scieurs (en 2010). Ajoutons que 35 % du sciage en France provient de bois importé : il existe un réel problème d’adéquation entre les besoins de sciage et la ressource disponible en France.
La filière bois est également confrontée au problème de l’acceptabilité sociétale des coupes. La vision de la forêt tend à se patrimonialiser et il est de plus en plus difficile de couper du bois. Il faut donc faire comprendre au public et aux autorités que la gestion d’une forêt consiste à couper et à replanter. Rien n’est plus naturel.
L’ONF, établissement public industriel et commercial, a été créé en 1964. Il gère les dix millions d’hectares de forêts et espaces boisés des personnes publiques, et assure 40 % de la production nationale de bois d’œuvre. L’intégralité de la production de l’ONF est valorisée en « programme européen des forêts certifiées (PEFC) », ce qui est un gage de durabilité.
L’ONF poursuit trois missions d’intérêt général : la défense de la forêt contre les incendies (DFCI), la protection des dunes et la gestion des forêts dans les départements d’outre-mer (DOM). La Guyane accueille la plus grande forêt française. L’Office comprend 9 300 agents, et offre un maillage territorial parfaitement intégré à la forêt.
Dans notre gestion de la biomasse, nous rencontrons la problématique de la temporalité. L’économiste allemand Martin Faustmann expliquait que l’on ne devait pas calculer la valeur de peuplement non encore exploitable à partir de la valeur marchande du bois présent actuellement sur les surfaces mais avec la valeur des usages probables de ces bois parvenus à l’âge de l’exploitabilité. Or il est bien difficile d’estimer la valeur d’un chêne planté aujourd’hui et exploité dans cent cinquante ans. Les coûts, en revanche, sont précisément calculables. Nous rencontrerons en particulier, dans un avenir plus ou moins proche, une problématique de biomasse singulière : celles des forêts de « restauration des terrains en montagne » (RTM). Elles sont désormais âgées de plus d’un siècle et doivent être régénérées ce qui implique un coût élevé étant donné la nature des terrains. Ce bois coûtera donc beaucoup plus cher à exploiter qu’à vendre et nous serons confrontés à une problématique économique très forte.
Or cette biomasse est essentielle pour la montagne puisqu’elle fixe les sols et abrite la faune.
Se pose également le problème de l’adaptation de la forêt au réchauffement climatique. Les cartes de l’INRA révèlent, en effet, un fort accroissement du pin maritime et du chêne sessile. L’ONF doit donc réfléchir aux essences qu’il replante et à sa révision de la foresterie.
Le choix des essences constitue également un enjeu industriel et technologique : ainsi, la demande de l’aval porte principalement sur les résineux.
L’enjeu carbone devient également extrêmement important : il fera l’objet des débats de la COP21 prochainement.
La forêt constitue une biomasse stratégique pour « l’économie du nouveau monde », pour reprendre les termes de Mme Corinne Lepage dans son récent rapport à Mme la ministre Ségolène Royal.
Quatre problématiques s’imposent au sein d’une problématique plus large qui est celle de la biodiversité. L’équilibre entre la faune et la flore doit, en effet, être préservé, et nous devons gérer la faune, particulièrement le grand gibier, au sein des forêts.
Les quatre grands domaines concernés par la ressource bois sont les suivants :
- la production de bois massif concerne le BTP, la marine, l’ameublement, la tonnellerie… Le matériau bois est à la fois millénaire et très technique, comme en témoigne le pavillon français réalisé à Milan pour l’exposition universelle qui est réalisé en bois ;
- la fibre de bois est également utilisée pour les meubles, la marine ou encore le papier. Par ailleurs, la toute nouvelle industrie de l’imprimerie 3D utilise le filament bois ;
- la chimie verte et la pharmacie constituent également des usages de la biomasse forestière ;
- enfin, 45 % des énergies renouvelables proviennent du bois. La ressource est chère mais crée une « économie grise » et permet la pratique de l’affouage.
Les opportunités pour la filière sont les suivantes :
- l’existence d’un diagnostic partagé avec la création d’un comité stratégique de filière, en décembre 2014, qui représente une avancée considérable ;
- la diversification des usages et des matériaux qui crée un « mix énergétique » ;
- l’horizon carbone. M. Claude Roy a écrit un très bon article sur la rotation forestière ; une problématique que l’ONF essaie de gérer au mieux.
Je termine en indiquant que pendant les huit minutes de mon intervention, mille deux cent quatre-vingt-seize mètres cubes de bois ont été produits.
M. Roland Courteau. - Je remercie tous les intervenants, dont les propos ont permis de cerner les tendances sur le sujet et, par conséquent, de mesurer ce qu’il faudrait entreprendre pour atteindre nos objectifs.
M. Gérard Longuet, sénateur. - Je vous remercie pour cette initiative. Je suis très intéressé par la problématique du bois et de la biomasse, comme sénateur lorrain et comme partenaire du CEA dans le projet de Bure-Saudron. Le CEA est, en effet, le Commissariat à l’énergie atomique mais aussi aux énergies alternatives.
Je voudrais attirer l’attention des intervenants et, en particulier, de la représentante du syndicat des Énergies renouvelables, sur une conviction forte. Les énergies renouvelables sont prometteuses dès lors qu’elles se fixent d’atteindre un équilibre économique dans un environnement parfaitement instable – ce qui est complexe. En effet, la production d’énergie repose sur des investissements lourds dont l’amortissement suppose des périodes longues. Or, nous rencontrons, dans l’exploitation de la biomasse, des problèmes de mobilisation de la ressource et de stabilité des approvisionnements en quantité, en qualité et en prix. Nous rencontrons des blocages tels que les investissements sont soit de nature expérimentale et scientifique, soutenus par le contribuable, soit des opérations de proximité comme les réseaux de chaleur locaux. Je ne suis pas certain que ces systèmes soient pertinents dans un environnement instable ; on le voit avec le prix des énergies fossiles.
Le développement de la biomasse doit être analysé dans un contexte mondial qui offre de forts contrastes. En particulier, le foncier est très cher en Europe de l’Ouest, moins cher en France mais cette différence va s’amenuiser, augmentant par là-même le coût de la biomasse. Quant à la biomasse restante, non mobilisée, elle est très difficilement accessible. Le savoir-faire français peut toutefois s’exprimer dans d’autres régions du monde où l’accès à la biomasse est plus simple et la densité de population plus faible.
Nous savons réaliser des démonstrations en France mais il faut ensuite passer à des réalisations en grandeur nature. Or, dans toute expérimentation, la phase industrielle est ce que l’on appelle « la traversée de la vallée de la mort ». Pour mobiliser des fonds de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros, il faut apporter aux investisseurs les gages d’une certaine crédibilité. Or, entre le laboratoire et l’industrie, il existe des projets très chers qui dépassent l’échelle du laboratoire sans constituer pour autant des projets économiquement viables. Nous ne savons pas traverser la vallée précitée dans une économie qui peine à mobiliser les fonds publics, d’autant que les principales applications de ces projets ne sont pas destinées à la France mais à des régions où l’énergie est coûteuse, la densité de population faible et l’accès à la biomasse simple : en un mot, le contraire exact de la France.
De plus, l’acceptabilité sociale de l’exploitation de la biomasse n’est pas établie. Nous devons construire une vision mondiale de la bioéconomie car ce que nous allons construire nous le réussirons plutôt ailleurs que dans notre pays où, bien entendu, il faut saisir toutes les opportunités.
III. SECONDE TABLE RONDE : STRATÉGIE POUR LA BIOMASSE STRATÉGIE DE BIOÉCONOMIE
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Notre seconde table ronde est consacrée à la définition d’une stratégie pour la biomasse dans un contexte où la France doit également adopter une stratégie de bioéconomie.
Nous pouvons attendre de nos échanges des informations sur les processus en cours et sur les articulations principales de ces stratégies, qui nous permettront de progresser dans l’action publique.
Il importe de prendre en compte le contexte peu favorable dans lequel nous nous trouvons, avec une matière première agricole qui risque de connaître de vives tensions du fait de la montée des besoins alimentaires. Les pénuries, plus ou moins localisées, constituent un risque majeur de la confrontation entre les changements biosphériques et les dynamiques démographiques.
D’un autre côté, force est de constater que le renchérissement du carbone n’intervient pas avec la spontanéité que certaines analyses nous annonçaient.
Nous savons qu’il existe des externalités dont les coûts ont toutes les chances d’augmenter. En outre, depuis le rapport Stern, nous connaissons le coût très élevé de l’inaction.
La stratégie pour la bioéconomie soulève à mon sens les questions suivantes :
- Quels concepts et préférences s’offrent-ils à nous, et quelles peuvent être les critères de nos choix ?
- Quel équilibre trouver entre reconfiguration des incitations de marché et action volontariste pour l’innovation ?
- Quelle coordination internationale faut-il mettre en place afin d’éviter l’inaction, c’est-à-dire le moins-disant écologique ?
Ce sont toutes ces questions que nous devons envisager.
Mme Jertta de Mazières, conseillère agricole, ambassade de Finlande et délégation permanente de la Finlande auprès de l’OCDE. - Je vais vous présenter la stratégie de la Finlande en matière de bioéconomie.
La bioéconomie constitue, en Finlande, une priorité pour l’ensemble de la société. Ainsi, notre nouveau gouvernement consacre trois pages, assez fouillées, à ce sujet dans son programme stratégique global qui en compte trente-six.
Cet intérêt pour la bioéconomie s’explique en partie par le contexte. En effet, les deux grands secteurs économiques finlandais que sont l’industrie forestière classique, tournée notamment vers le papier, et la téléphonie mobile, sont actuellement en difficulté. En revanche, le savoir-faire du pays en matière d’exploitation forestière est connu et l’acceptabilité sociale de la gestion de la forêt est bien assise. La conjugaison de ce savoir-faire avec notre expertise dans le secteur du « high tech » amène tout naturellement le pays à se tourner vers la bioéconomie.
Le développement de ce secteur présenterait en outre l’avantage de redynamiser les zones rurales, tout en créant de l’emploi et de la croissance. Le terme de bioéconomie qui combine les notions de croissance économique et de développement durable est d’ailleurs perçu comme très positif en Finlande.
Le Gouvernement espère créer, avec sa stratégie de développement de la bioéconomie, cinq mille nouveaux emplois, ce qui constitue un volume important pour la Finlande.
La bioéconomie reposerait sur une combinaison des industries du bois, de la chimie, de l’énergie, de la construction, des technologies agro-alimentaires et de la santé ; la moitié de la bioéconomie finlandaise concernerait le secteur forestier ce qui veut dire que tout ne repose pas sur la forêt.
Le territoire est en effet recouvert à 80 % de forêts et l’industrie du secteur est à la fois pionnière et habituée à travailler de façon durable sur les plans économique, social et écologique. En outre, les chiffres de la croissance annuelle des forêts finlandaises et de l’industrie du bois montrent qu’il existe encore des marges d’exploitation.
La stratégie bioéconomique de la Finlande a été adoptée, il y a un an, après un processus d’élaboration de deux ans associant tous les acteurs. Elle repose sur quatre piliers principaux :
- garantir un environnement compétitif ;
- trouver de nouvelles opportunités commerciales ;
- renforcer le savoir-faire ;
- garantir la durabilité et la disponibilité de la biomasse.
Cette stratégie est le fruit d’une réflexion associant l’ensemble de la société, au-delà du monde politique et de l’industrie. L’objectif était que les citoyens puissent comprendre la démarche mais aussi y adhérer. Plusieurs ministères et des groupes de travail ont travaillé ensemble, des réunions régionales et sectorielles ont été organisées, le grand public a pu donner son avis sur des projets.
Nous avons identifié les chaînes de valeur suivantes : la valorisation du bois, la chimie, l’énergie, la nourriture, la construction, les services écosystémiques. L’ensemble est lié au second grand secteur industriel du pays : les « technologies propres ».
En Finlande, un tiers de la chimie est biosourcé, ce qui constitue une proportion conséquente si je me réfère au chiffre de 10 % mentionné tout à l’heure ; la bioéconomie de la santé est également très dynamique.
La stratégie mise en œuvre depuis un an est portée par trois ministères. Il est à noter que le nouveau gouvernement a confié les ministères chargés de l’agriculture et de l’environnement à la même personne. Or, la priorité de ce ministre est la bioéconomie, et son double ministère lui permettra d’associer pleinement les deux domaines. Le ministère de l’économie intervient, lui aussi, pour une part très importante, dans le développement de cette stratégie. Nous avons mis en place un programme pour les exportations et plusieurs actions ont déjà été conduites en ce sens.
Des projets pilotes ont également été mis en place dans les régions et nous avons organisé une compétition internationale de la bioraffinerie qui a rencontré un franc succès.
Par ailleurs, la Finlande a défini ses priorités concernant la politique européenne dans le secteur de la bioéconomie.
Enfin, un plan de communication, un inventaire des ressources de la biomasse et une surveillance des freins au développement du secteur complètent ce dispositif.
De nombreuses actions concrètes ont donc été mises en œuvre depuis un an et ce n’est que le début du processus.
Les priorités finlandaises au niveau européen sont les suivantes :
- construire une vision partagée au niveau européen concernant la compétitivité et la croissance, pour créer un environnement prévisible ;
- améliorer l’information des consommateurs sur les produits biosourcés ;
- financer la recherche et le développement : investissements, projets pilotes, démonstrations… ;
- assurer l’acceptabilité de l’utilisation de la biomasse.
Toutes les informations sur la stratégie de la Finlande en matière de bioéconomie sont consultables sur le site bioeconomy.fi.
M. Claude Roy, président du Club des bioéconomistes, membre du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. -Je voudrais mettre en avant neuf points stratégiques qui me semblent importants dans une réflexion sur la stratégie future de la bioéconomie.
Mais, il me faut, avant tout, rappeler que nous allons parler d’économie des produits renouvelables, de ceux issus de la photosynthèse, c'est-à-dire d’un système aussi vieux que notre civilisation.
Ainsi en va-t-il du bois, comme outil, comme matériau et comme combustible. Ainsi, les productions alimentaires représentent en France l’équivalent de quarante millions de tonnes d’équivalent pétrole d’énergie fournies à nos organismes. Et, de la même manière, on peut citer, par exemple, les textiles naturels qui constituent toujours une base solide de la bioéconomie traditionnelle ou encore le caoutchouc qui fonde toujours près de la moitié de l’industrie des pneumatiques… Personne enfin ne se doute, je pense, que la première matière plastique qui fut produite et utilisée dans le monde était faite à partir de fibres de bois : c’est le celluloïd, celui des balles de ping-pong ! Et j’en oublie tant d’autres, des murs en torchis et colombages, toujours debout, à tous les parfums et colorants naturels, ou du savon des égyptiens aux colles biosourcées des plus grands ébénistes classiques que nous connaissons tous, etc. En un mot, cette bioéconomie a fondé la civilisation humaine pendant cinq mille ans, avec l’eau, le vent et la traction animale... elle-même nourrie aux « biocarburants fourragers » !
Puis l’ère de la bioéconomie s’est effacée dès le xixe siècle, dans nos pays développés du moins, avec les révolutions industrielles qui virent l’apparition et la diffusion massive du charbon et du pétrole. Deux siècles plus tard, malgré la toute-puissance visible de l’économie des hydrocarbures, la bioéconomie renaît pourtant face à des enjeux critiques nouveaux annoncés à l’horizon du siècle : une population qui passera d’un milliard d’individus au xixe siècle à dix milliards sous peu ; des ressources fossiles planétaires en voie de raréfaction ; des changements climatiques menaçants… Nous sommes donc contraints d’inventer de nouvelles ressources, de nouvelles méthodes et de nouveaux comportements.
Cette bioéconomie millénaire s’appuie traditionnellement, pour environ les deux tiers, sur le bois et ses ressources, pour un tiers sur l’agriculture et l’agroalimentaire et pour 10 % enfin sur la valorisation de déchets d’origine organique. Et c’est bien l’agriculture et la filière bois qui ont permis d’ailleurs de faire puissamment redécoller la bioéconomie dans les années 1980-2000 avec, en particulier, les biocarburants et les plans bois énergie successifs.
La forêt, dont la part dans la bioéconomie est ainsi incontournable (filières du bois d’œuvre, du bois de trituration, papier, panneaux, et du bois énergie), doit être productive, exploitée, gérée. Elle n’est pas un sanctuaire.
Considérons maintenant les neuf points stratégiques évoqués précédemment :
1) Le climat
L’enjeu majeur de la bioéconomie est climatique. Des études importantes ont été récemment réalisées, en vue de la préparation de la COP21, sur la relation entre l’agriculture, la forêt et le climat. On constate que l’agriculture et la forêt ne sont pas un problème mais qu’elles constituent, au contraire, une solution majeure face aux défis climatiques auxquels nous sommes confrontés. Le développement de la bioéconomoie par l’absorption du carbone et la substitution des usages de carbone fossile, représente ainsi probablement la moitié de la résorption possible du CO2 avant 2040 ou 2050.
2) Les matériaux
Le bois représente 10 % à 15 % des matériaux de construction, 20 % des emballages, 90 % des matériaux d’impression et de transfert d’information. La bioéconomie joue ici un double rôle : la séquestration du carbone, d’abord, et la substitution d’usage de produits d’origine fossile. Le domaine des matériaux ne doit donc surtout pas être négligé, même s’il constitue le secteur le plus traditionnel de la bioéconomie. L’évolution y est d’ailleurs permanente : ainsi, le marché des panneaux a pris des positions fondamentalement nouvelles dans tout le secteur de la construction, en complément ou en substitut du marché traditionnel des sciages.
3) Les énergies
Il s’agit du domaine dans lequel l’urgence est la plus grande : on parle de quarante ans de réserves prouvées de pétrole et de gaz encore disponibles. S’il existe, d’un côté, l’électricité et la chaleur qui peuvent être aisément assurées par des sources solaires, les carburants liquides et gazeux, dont nous avons encore besoin pendant cinquante ans, n’ont guère aujourd’hui quant à eux de substituts accessibles, sinon la biomasse On ne sait pas fabriquer de carburant liquide ou de molécules chimiques avec de l’électricité. Pour les transports de demain, il faut ainsi en passer par la photosynthèse, et donc par la bioéconomie, avec toutes les limites et toute la prudence qui s’imposent. Il faut, bien entendu, travailler sur la seconde génération de carburants cellulosiques pour pallier les risques de concurrence d’usages avec l’alimentation. Mais, surtout, il ne convient pas de sacrifier ou de pénaliser la première génération de biocarburants. Ce serait une grave erreur. La première génération de biocarburants, éthanol et biodiésel, constitue en effet une assise fondamentale, y compris pour la deuxième génération, et elle est la seule qui puisse fournir des coproduits alimentaires.
4) Les externalités
Je centrerai l’éclairage des externalités sur la question de l’emploi même si elles peuvent aussi concerner le carbone, les risques.... On crée, en effet, un nouvel emploi en bioéconomie pour mille mètres cube par an de biomasse exploitée. La perspective serait donc de deux cent mille à trois cent mille emplois supplémentaires créés à l’horizon 2040-2050. Le gain n’est pas miraculeux, certes, mais il est loin d’être négligeable. Il s’agit, en outre, d’emplois de territoire, localisés, de circuits courts, et donc d’économie circulaire.
Les économies d’importation constituent d’autres externalités sensibles. Ainsi, la bioéconomie française permet au pays d’éviter, chaque année, l’importation de 2,5 milliards d’euros de pétrole et l’équivalent de cent pétroliers Erika.
Reste la question de la feuille de route. La bioéconomie représente environ 5 % de parts de marché des approvisionnements de notre économie (énergie, matériaux, chimie). Les feuilles de route qui sont implicitement mises en avant – Pacte Énergie-climat, transition énergétique… – fixent un objectif de 10 % pour 2030. Et, si l’on considère le facteur 4 présenté par le président Jacques Chirac à Johannesburg, l’objectif est de parvenir à 20 % de bioéconomie avant 2040-2050. Les Nord-américains, quant à eux, ambitionnent une proportion de 50 % avant 2050 – avec, toutefois, des approximations quelque peu douteuses sur les ressources et sur l’équilibre des marchés alimentaires.
Nous ne parviendrons donc jamais à remplacer le pétrole à 100 %. Au-delà de 20 % à 25 % de substitution, nous risquerions de mettre l’alimentation mondiale en danger.
5) La synergie
La biomasse recouvre six types de ressources et neuf types de marchés différents. Si l’on n’est pas attentif à la concurrence inévitable entre ces secteurs, on risque, par exemple, de défavoriser l’alimentation en développant à l’excès les biocarburants ou de pénaliser la construction bois en favorisant trop le bois énergie, etc. Je récuse ces facilités, mais ces questions « inconvenantes » circulent partout. Les polémiques fusent déjà à cet égard, et ces questions ne sont malheureusement pas débattues avec compétence et sans idéologie… Toutes les professions concernées – agricole, forestière, déchets – doivent donc travailler ensemble sur la synergie des approvisionnements entre filières, sur des complémentarités gagnant-gagnant dans la mobilisation des ressources, notamment en termes d’emploi.
6) Le renouvellement des ressources
Cette question se pose notamment dans le domaine forestier. La meilleure façon de mobiliser la ressource forestière est aujourd’hui de reboiser. Il faut le dire. Cette action est notamment indispensable pour reconstituer la ressource résineuse créée après la guerre par le Fonds forestier national. Le reboisement et l’exploitation forestière sont donc impératifs. Nous devons absolument faire passer ces idées dans l’opinion publique, de façon volontariste.
7) Les emcellulplois de la bioéconomie
Les filières traditionnelles de l’agriculture et des industries agro-alimentaires (IAA) représentent quatre cent mille emplois ; les filières traditionnelles directes du bois et de la fibre, deux cent mille emplois. Depuis les années 1980, c’est-à-dire depuis la renaissance de la nouvelle bioéconomie, celle du biocarburant, de la chimie du végétal, des néomatériaux et du plan Bois-énergie , soixante-dix mille emplois supplémentaires ont été créés, portés par deux mille entreprises nouvelles qui représentent environ quatorze milliards d’euros par an de chiffre d’affaires. Les 5 % de parts de marché de la bioéconomie sont donc extrêmement dynamiques.
8) La place de la France
Du point de vue qualitatif, mais aussi quantitatif, on peut estimer que la France se situe parmi les cinq premiers pays au monde en matière de bioéconomie – après l’Allemagne, les États-Unis d’Amérique, la Chine et le Brésil. Il s’agit, dans cette appréciation, de potentiel, de puissance, d’intelligence, d’organisation, de synergies et de mobilisation des filières.
9) L’information et l’éducation
La plus grande difficulté à laquelle nous soyons confrontés est celle de l’information, de l’éducation et de la compréhension par l’opinion et les médias de ces sujets très complexes et systémiques. Le Club des bio-économistes constitue, en réponse à cette difficulté, un outil d’information, d’éducation et de publication, à destination notamment des élus qui sont un relais indispensable de notre action vers les territoires.
Enfin, le principal message que nous souhaitons faire passer est le suivant : pour répondre aux besoins d’une population croissante, le monde devra produire plus mais nous devrons d’abord produire efficacement, sobrement et de manière diversifiée.
M. André-Jean Guérin, conseiller, Conseil économique, social et environnemental (CESE). - J’interviens moins en qualité de membre du Conseil économique, social et environnemental que comme ancien participant à la mission confiée par plusieurs ministres aux conseils généraux de l’environnement, de l’agriculture et de l’industrie sur les usages non alimentaires de la biomasse.
Je tâcherai d’apporter quelques éléments complémentaires au débat, notamment des éclairages sur la bioéconomie à l’échelle mondiale. Ce domaine s’articule, en effet, à plusieurs sujets qui, tous, possèdent une dimension internationale.
Comme l’a rappelé M. Claude Roy, l’économie a été fondée pendant des millénaires sur les productions agricoles et forestières et leurs transformations. Aujourd’hui encore, si l’on mesure la biomasse collectée par l’humanité en la convertissant en équivalent énergétique, on constate que ce volume est de cinq mille millions de tonnes d’équivalent pétrole. Cette biomasse est principalement utilisée pour l’énergie, que ce soit, directement, pour le chauffage, par exemple, ou, indirectement, à travers les animaux de trait qui consomment de l’herbe pour se nourrir et déployer leur force.
La seconde destination de cette énergie collectée dans la biomasse réside malheureusement dans les pertes qui représentent, en effet, mille six cents millions de tonnes d’équivalent pétrole de biomasse dispersés chaque année en chaleur (celle des animaux et des filières d’utilisation). Cette dispersion est équivalente à celle de l’utilisation énergétique.
La troisième destination de cette biomasse est l’industrie, pour mille millions de tonnes d’équivalent pétrole.
Reste enfin l’essentiel : l’alimentation humaine, qui représente sept cent cinquante millions de tonnes d’équivalent pétrole.
On notera que ces bilans sont plus facilement réalisables au niveau mondial qu’à l’échelle d’un pays, pour lequel il faut prendre en compte dans le calcul l’importation et l’exportation de matières premières.
L’utilisation de la biomasse est liée à de grands enjeux, pour la plupart internationaux.
La production brute de biomasse est estimée à quatre-vingts milliards de tonnes d’équivalent pétrole, dont l’humanité exploite entre 5 % et 10 %. C’est pourquoi on spécule sur la possibilité d’en exploiter plus, dans un contexte d’accroissement de la population mondiale et de nécessité d’améliorer l’alimentation en quantité et en qualité pour une part non négligeable de l’humanité. Nous passerons, peut-être, de sept à dix milliards d’individus avant la fin du siècle et il sera presque nécessaire de doubler la production agricole actuelle.
Le climat constitue un autre enjeu essentiel, avec une variété de facteurs à considérer. En effet, la production de biomasse capture du CO2, le principal gaz à effet de serre ; elle permet la substitution à des matériaux qui proviennent des énergies fossiles et finissent par se dégrader en CO2 ajouté ; enfin, la biomasse peut entraîner du stockage dans le cas d’une production longue comme celle des arbres, par exemple, ou par le moyen d’un stockage dans le sol.
C’est tout l’enjeu du défi présenté par M. Stéphane Le Foll au printemps 2015 : augmenter de 4 ‰ par an, dans l’agriculture comme dans l’exploitation forestière, le stockage dans les sols. Il existe, en effet, deux mille gigatonnes de carbone stockées dans le sol et, si l’on suit l’augmentation préconisée, c’est la totalité du CO2 émis annuellement par l’humanité qui sera absorbée par ce stockage au sol. Les enjeux sont donc cruciaux.
Les méta-études qui recensent les études de scénarios sur l’utilisation de la biomasse débouchent sur des fourchettes extrêmement larges entre ce qui pourrait être utilisé en supplément, en dehors de l’alimentation, et ce qui est utilisé aujourd’hui par l’humanité, c’est-à-dire quasiment rien. Certaines études laissent même entendre que l’on pourrait développer une exploitation de la biomasse qui couvre la totalité des besoins énergétiques de l’humanité avant 2050 – même en cas de besoins accrus, comme le projette l’Agence internationale de l’énergie, à vingt- trois gigatonnes d’équivalent pétrole.
Les principales conclusions du rapport que j’ai mentionné au début de mon intervention faisaient ressortir que, si la question de la hiérarchisation des usages est importante, elle ne doit pas relever, pour autant, de l’impératif catégorique. L’alimentation est évidemment prioritaire mais il existe des marges énormes au sein même du secteur puisque 30 % à 40 % de la disponibilité alimentaire par individu, au plan mondial, est perdu ou gaspillé. La seule division de ces pertes par deux permettrait de mieux nourrir l’ensemble de la population qui naîtra au cours du siècle.
De très grandes incertitudes pèsent sur les possibilités d’utiliser plus et mieux la biomasse. Il est nécessaire de créer un observatoire de recherche internationale, de façon à resserrer cette marge d’incertitude, à mieux comprendre les limites, à mieux cerner ce qui doit être protégé en matière d’environnement et d’écosystème et, en même temps, à mieux apprécier ce qui peut être exploité de façon efficace.
Il faut avoir à l’esprit que, lorsque l’exploitation porte sur une biomasse fortement structurée, il est préférable de conserver cette structure, et le stockage de CO2 qu’elle représente – par exemple, pour le bois, dans la construction ou les meubles. Ensuite, on peut utiliser les molécules pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des molécules complexes. Enfin, seulement, la biomasse sera utilisée pour l’énergie – et en dernier usage, pour l’électricité, la forme énergétique la moins valorisante pour la biomasse.
M. Jean-David Abel, vice-président, France Nature Environnement (FNE). - France Nature Environnement est favorable, depuis longtemps, à un usage rationnel de la biomasse sous diverses formes et pour des usages divers. Nous estimons, en effet, que cette activité fait partie d’un mélange énergétique nouveau, que nous appelons de nos vœux, mais participe aussi d’un modèle économique que nous souhaitons faire évoluer vers une plus grande circularité.
Pour autant, nous souhaitons une gestion rationnelle de la biomasse, qui fasse véritablement appel à la science, et ne se positionne pas en fonction de signaux économiques à court terme, comme on le constate aujourd’hui dans certaines filières.
Des opportunités considérables apparaissent et des recherches très importantes sont menées. Toutefois, ces évolutions interviennent dans un contexte mouvant sur le plan de l’accès aux ressources, de la fluctuation des prix, de l’accroissement des besoins mondiaux. On ne considère peut-être pas assez les risques d’impact majeurs, directs et indirects, liés à ces usages nouveaux.
L’usage des sols, dont on nous dit qu’il peut être rationalisé et augmenté dans sa productivité, s’avère beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. La hiérarchisation entre l’alimentaire et le reste demeure une question complexe, en France comme au niveau européen ou mondial.
Par ailleurs, la durabilité et la soutenabilité de ces filières, c’est-à-dire la prise en compte de la capacité réelle de renouvellement des ressources, sont insuffisamment considérées. C’est ainsi que différentes voies sont prises parallèlement, et en concurrence les unes avec les autres, sans réflexion sur le renouvellement de la biomasse. Je ne suis pas sûr que tant de terres restent disponibles à l’exploitation.
Par ailleurs, certaines pistes prometteuses s’inscrivent dans des perspectives de développement économique qui n’intègrent pas suffisamment, selon nous, un modèle de sobriété, plaçant l’efficacité au cœur de l’économie. Il faut établir des bilans énergétiques et des bilans environnementaux de l’exploitation de la biomasse.
Je prendrai quelques exemples représentatifs de l’état et des perspectives de la bioéconomie.
Le premier est celui de la centrale de Gardanne, qui possède un rendement très faible, et dont l’approvisionnement se monte à un million de tonnes de bois par an. La moitié provient de forêts situées dans un rayon de quatre cents kilomètres, l’autre moitié, du Canada ou des États-Unis d’Amérique. On mesure le degré de soutenabilité de ce genre de projet et son impact sur des projets moyens ou régionaux bien plus rentables, du point de vue économique comme environnemental. La forêt doit être dédiée, dans l’ordre, au bois d’œuvre, au bois d’industrie, puis seulement à l’énergie, à partir de sous-produits.
Le second exemple est celui de la Ferme des mille vaches, dans laquelle le lait devient un sous-produit, le premier produit, la bouse, étant destiné à la production d’électricité. Le modèle est, là encore, bâti à court terme, avec des tarifs de rachat qui entraînent des projets non soutenables. Il est conçu sans lien au sol dans l’alimentation des animaux et dans l’usage des digestats ; il est, enfin, déstructurant pour les filières locales et non soutenable dans la durée.
Quant aux agrocarburants, qui sont de natures très diverses, ils devraient faire l’objet d’un bilan énergétique et d’un bilan carbone. Les perspectives de développement de ces produits, au niveau local comme au niveau mondial, impliquent des enjeux considérables sur l’usage des sols. La première question en jeu est celle de la concurrence avec un usage alimentaire mais il faut aussi prendre en compte le problème du stockage du carbone. En effet, de nombreux territoires sont retournés pour accueillir des plantes qui, elles-mêmes, sont consommatrices d’intrants et productrices de gaz à effet de serre. Le modèle est donc problématique. À l’échelle mondiale, les Européens et les Américains changent l’affectation des sols sur leur territoire pour produire des sources d’agrocarburants et importer leurs produits agroalimentaires du Brésil, de l’Amérique latine en général ou de l’Indonésie. C’est ainsi que des aires naturelles, des forêts par exemple, passent en usage agricole intensif, avec des impacts très importants sur le stockage de carbone ou la pollution de l’oxygène, mais aussi, et j’insiste fortement sur ce point, en termes de biodiversité. Nous sommes l’espèce qui, au niveau mondial, absorbe 90 % ou 92 % de la biomasse globale des espèces (compte tenu de la biomasse associée des élevages, notamment). Il est donc très important que l’ensemble de la biosphère ne soit pas consacré à l’humanité seule et permette la vie et l’évolution d’autres espèces.
Par ailleurs, de nombreuses prospectives ne prennent pas assez en compte, à notre sens, les enjeux climatiques, à la fois du point de vue des conditions de production des ressources mais aussi de leurs allocations diverses. Une approche globale de ces questions est nécessaire.
Il est impératif de construire un cadre de référence fondé sur des données scientifiques, établi de façon pluraliste. J’ai appris tout à l’heure la création d’un comité stratégique de filière : ce type d’espace doit permettre d’échanger sur ces questions.
Ce cadre doit ensuite être intégré à des actions politiques au niveau européen. En effet, au niveau industriel comme dans la gestion des ressources, l’ensemble des acteurs doit bénéficier de repères à long terme pour pouvoir se positionner et construire des outils et des politiques durables.
Nous avons besoin, enfin, de mettre en place une réelle valorisation du carbone, sans quoi, l’ensemble des éléments et conjectures évoqués ici risquent de rester lettre morte.
M. Hubert Boizard, directeur de recherches, unité de recherches INRA « Agroressources et impacts environnementaux (Agroimpact) », centre INRA de Lille. - Mon exposé portera principalement sur les conditions d’une mobilisation durable de la ressource. Il s’appuie sur dix ans de recherches menées par sept ou huit équipes de l’INRA sur le carbone renouvelable.
Le travail de l’INRA s’est clairement placé dans le cadre d’une ressource locale. Nous pensons, en effet, que la bioraffinerie doit être alimentée par une ressource locale, loin du « schéma de Rotterdam » ; dans ce contexte, le plus important est la recherche d’un nouvel optimum, pour lequel quatre facteurs importants se dégagent :
- le premier est celui de la production élevée par unité de sol. Elle peut être atteinte par les coproduits, comme la paille en complément du grain, ou par des cultures spécifiques. La productivité visée pour les biocarburants est de quatre à six tonnes d’équivalent pétrole à l’hectare ;
- le deuxième aspect est celui des impacts environnementaux positifs, que ce soit à l’échelle globale en termes de bilan de gaz à effet de serre, ou au niveau des impacts locaux ;
- il convient également d’exploiter une biomasse adaptée à chaque usage et bien insérée dans les systèmes de production. Différents projets, comme Futurol ou les investissements d’avenir, ont permis de réunir les agronomes et les acteurs de la transformation pour travailler sur cette question clé ;
- enfin, la bioéconomie doit créer de la valeur ajoutée, pour l’agriculture, pour la filière et sur le territoire. Ce critère sera déterminant dans les choix du futur.
J’illustrerai mon propos à partir du projet Futurol. Nous avons travaillé sur la question de la ressource pendant sept ans dans le cadre de ce projet, avec une approche multidisciplinaire réunissant des généticiens, des agronomes, des spécialistes de l’environnement, mais aussi des sciences sociales, avec des économistes. Le projet réunissait une équipe INRA et une équipe IFPEN et comportait deux champs d’application : la Bourgogne et la Picardie. L’objectif était d’acquérir des connaissances sur les cultures dédiées et de mettre en place des démarches permettant d’implanter des bassins de façon durable.
Ces travaux, qui combinent des modèles agronomiques et économiques, donnent la tendance de ce qui est possible dans le cadre d’implantations d’unités.
Au niveau économique, le prix des ressources et la concurrence entre filières apparaissent comme des facteurs majeurs de décision. On voit ainsi que, en Bourgogne, le bois apparaît comme une ressource importante puis est soumis à une concurrence très forte entre filières. Puis apparaît une ressource incontournable : la paille, comme coproduit. Arrivent ensuite des plantes pérennes, que ce soit le taillis en forêt ou le miscanthus.
Au niveau environnemental, les critères de durabilité pour les nouvelles unités de biocarburants sont extrêmement sélectifs, puisque ces unités doivent réduire de 60 % avant 2018 les émissions de gaz à effet de serre. Nous constatons que ces seuils sont facilement atteints lorsque l’on utilise beaucoup de coproduits comme la paille ou une source comme le miscanthus, à la fois productif et peu consommateur d’azote. Il faut garder à l’esprit que l’azote de synthèse pèse extrêmement lourd dans les bilans énergétiques.
Quant aux cultures annuelles spécifiques, elles satisfont aux critères sous certaines conditions.
Nous avons également développé une approche sur le consentement à produire et l’insertion territoriale de ces cultures spécifiques. Les enquêtes auprès des agriculteurs révèlent l’existence d’un potentiel, dans des zones moins productives, parfois éloignées des habitations. L’étude démontre qu’un approvisionnement multiressources est nécessaire, ce qui n’était pas jusqu’alors dans les habitudes de l’industrie. Les modèles agronomiques permettent de simuler l’évolution sur le long terme de la paille – même si la question du stockage demeure. Est apparu également l’intérêt des cultures pérennes, que nous souhaitons promouvoir, et des cultures spécifiques annuelles.
Des contraintes doivent être levées et des leviers mis en œuvre sur plusieurs points :
- le premier obstacle est le contexte économique, avec les fortes fluctuations du prix de l’énergie et du sucre. Il importe donc d’établir des contractualisations à long terme, ce qui est difficile ;
- se pose également le problème de la réglementation et de l’incitation. Si l’on veut aller plus loin dans la bioraffinerie, il faudra donner une assurance aux acteurs de ces filières en termes de subvention ou de soutien de prix, par exemple ;
- enfin, la multifonctionnalité des cultures spécifiques constitue un levier intéressant. Toute culture s’inscrit dans un territoire. Les zones de haute culture sont en butte au problème des nitrates. Ce sont habituellement les zones tampons que constituent les forêts qui permettent de réduire cette pollution aux nitrates. Or les cultures spécifiques de plantes énergétiques pérennes peuvent jouer le même rôle. Beaucoup de pistes sont donc à explorer sur la multifonctionnalité. Il est très important de se placer en amont du développement des bioraffineries pour essayer d’imaginer de bons modèles.
M. Jean-Christophe Pouet, chef du service bioressources, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), direction productions et énergies durables. - Je vais procéder à une comparaison entre les mécanismes de soutien selon les secteurs de la bioéconomie qui montrera qu’il existe un dégradé selon les secteurs.
Ce que l’on entend par bioéconomie est l’ensemble des activités liées à l’utilisation de la biomasse : agricole, forestière, résiduelle, animale. La bioéconomie doit s’appuyer sur une stratégie scientifique, technologique, économique, pour passer de l’exploitation des ressources fossiles à une économie fondée sur les ressources de la biomasse.
Je parlerai de la bioénergie et des produits biosourcés.
Rappelons tout d’abord que l’enjeu est d’assurer la sécurité alimentaire de nos concitoyens, d’utiliser durablement une ressource renouvelable, de maintenir et de créer de l’activité économique sur notre territoire.
Des stratégies ont été définies, par l’OCDE ou la Commission européenne. Au niveau national, on relève, dans la stratégie de la recherche, un volet « bioéconomie » ; la bioéconomie au service des transitions énergétique et écologique fait partie des quinze programmes prioritaires ; enfin, une réflexion est en cours sur une stratégie interministérielle de la bioéconomie.
Dans ce contexte, L’ADEME a lancé des appels à projets sur différents sujets : l’atténuation du changement climatique, les déchets organiques et le retour au sol, la valorisation des bioressources…
1) La bioénergie
La bioénergie est le domaine le plus connu de la bioéconomie : il concerne la chaleur chez le particulier ainsi que pour les réseaux de chaleur, le tertiaire, les industries.
S’y ajoutent la méthanisation (pour produire du biogaz et l’intégrer dans le réseau, ou pour le valoriser sur place), la cogénération, ou production de chaleur et d’électricité par la biomasse, et, enfin, les biocarburants.
Ces filières, bien connues, sont dotées d’objectifs européens et nationaux, de lois, et nous sommes en cours d’élaboration à la fois de la programmation pluriannuelle de l’énergie, d’outils comme la fiscalité ou la réglementation, et d’un observatoire. Tous ces éléments permettent d’exercer un pilotage politique des différents secteurs de la bioéconomie.
Les mécanismes de soutien sont nombreux et diversifiés : crédit d’impôt, subvention du fonds chaleur, tarifs d’achat de l’électricité, TVA réduite pour les réseaux de chaleur, réduction de taxe générale sur les activités polluantes, pour les biocarburants, qui s’éteint cette année… Il existe aussi des réglementations, notamment dans le bâtiment, des labels, de l’innovation et de la recherche et développement.
La difficulté pour le développement de ces secteurs est actuellement le prix des énergies fossiles, très bas, et de la tonne de CO2 qui, lui, n’est jamais remonté.
2) Les matériaux biosourcés
Moins connus que la bioénergie et moins soutenus, ces matériaux recouvrent aussi bien des plastiques, des isolants, des peintures, des pièces de mécanique, des cosmétiques… Il existe de nombreuses filières – papier-carton, textile, amidon, sucre, fibres végétales… – qui constituent de véritables marchés.
Toutefois, en l’absence d’objectifs définis, tant au niveau européen que national, ces secteurs ne sont soutenus que par l’innovation et les industriels eux-mêmes. Ces derniers doivent trouver des marchés de niche ou consentir des efforts importants pour offrir des produits comparables à ceux qui ne sont pas biosourcés.
Grâce à des études prospectives, menées en partenariat avec les industriels, on connaît l’utilisation de ces matériaux. Ainsi, la moitié de l’amidon produit en France sert pour l’alimentation, 30 % pour la chimie (dont 80 % pour des additifs papier, le reste pour la cosmétique, les résines ou d’autres débouchés). Toutefois, aucun tableau de bord ne nous permet de suivre précisément le développement de ces débouchés.
On peut imaginer des mesures de soutien : informatives, organisationnelles, économiques, réglementaires… De telles mesures ont été prises en Malaisie, au Japon, en Finlande, en Allemagne. Nous devrions, au moins, travailler sur des mesures informatives, dont le coût n’est pas très élevé et qui relèvent avant tout d’une volonté politique. Les industriels, quant à eux, sont prêts à s’engager sur la mise en place de labels.
M. Pierre Angot, sous-directeur de la chimie, des matériaux et des éco-industries, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, direction générale des entreprises. - Comme l’a rappelé M. Claude Roy, la bioéconomie a existé de tout temps. Au ministère de l’économie et de l’industrie, nous inscrivons la bioéconomie dans le cadre général de l’économie durable, donc de la gestion efficace des ressources, y compris les ressources naturelles que sont l’eau, le vent, les marais… Le recyclage constitue également un élément important. Dans les plans industriels agrégés en solution par le ministre, M. Emmanuel Macron, on trouve une solution « Nouvelles ressources » qui recouvre chimie verte, biocarburant et recyclage des matériaux.
Nous cherchons à encourager cette activité par un soutien à l’innovation. Elle nécessite également un environnement qui lui permette de se développer. Mais l’objectif, à terme, est de voir se développer des industries autonomes qui s’inscrivent dans une compétitivité saine. Ce concept est un peu ardu puisqu’il existe des faits hors marché, ce qui pose problème. Le ministère peut faire le pari que, dans un délai déterminé, le contexte sera favorable au développement d’un secteur, et donc financer l’innovation, mais aussi pousser à l’investissement. C’est pourquoi un outil comme la Trajectoire Environnement 2030 est très important pour les biocarburants car il donne une visibilité aux investisseurs.
Je soulignerai également que la bioéconomie n’est pas tout : certaines solutions naturelles peuvent être coûteuses et relayées de façon opportune par la chimie de synthèse – ce fut le cas notamment pour un anticancéreux efficace, mais présent en faible quantité dans la nature, le Taxol.
En termes de bilan, on constate que des centaines de millions d’euros ont été dépensés pour réaliser des plateformes de démonstration et des instituts d’excellence, à travers des projets d’investissements d’avenir ; il importe désormais d’aller vers des réalisations industrielles. La tâche est difficile car les montants en jeu sont beaucoup plus conséquents, et les limites européennes plus sévères, mais c’est la direction vers laquelle nous voulons tendre, et les plans industriels ont cette vocation.
M. Julien Dugué, chargé de mission bioéconomie-bioproduits, ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. - Je représente la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises au sein du ministère de l’agriculture. Cette direction coordonne, depuis un an environ, une réflexion interministérielle sur l’élaboration d’une stratégie française de bioéconomie, avec le ministère de l’économie de l’industrie et du numérique, celui de l’écologie, celui de la recherche et celui du logement.
Je m’intéresserai à la question des politiques publiques dans la bioéconomie. Pourquoi tendre vers l’élaboration d’un document formalisé décrivant une stratégie pour la bioéconomie ?
Tout d’abord, nous avons jugé pertinent de rassembler certains outils de politique publique. Des visions stratégiques ont, en effet, déjà été construites en France, notamment sur les bioénergies, et il nous a semblé intéressant de les unifier et de prendre en compte des chaînes de valeur qui ne sont pas toujours traitées à leur juste mesure, comme, par exemple, les produits biosourcés.
Il est également indispensable de construire une vision commune, pour répondre à des questions transversales qui appellent des réponses communes, comme celles, par exemple, des conflits d’usage de la biomasse. C’est aussi l’occasion de créer des dynamiques nouvelles autour de partenariats innovants, entre des mondes qui n’ont pas nécessairement l’habitude de dialoguer.
Nous devons également construire une vision en phase avec notre réalité économique et territoriale qui nous servira à mieux dialoguer avec nos partenaires européens. La France est, de fait, une puissance européenne de la bioéconomie mais elle a besoin de formaliser sa vision pour parler un langage commun avec ses partenaires européens.
Depuis quelques mois, le groupe de travail interministériel s’est employé à affiner une vision française de la bioéconomie et à en proposer une définition. Nous avons également pu définir les objectifs à assigner à la bioéconomie : ce grand secteur doit apporter une contribution décisive à la société de l’après-pétrole tout en assurant sa fonction alimentaire. Nous avons, par ailleurs, procédé à un inventaire des actions existantes. Enfin, nous avons identifié une série de problématiques qui nous permettront de dialoguer avec les parties prenantes :
- comment orienter la ressource de façon pertinente et performante vers les chaînes de valorisation ?
- comment créer une bioéconomie ancrée dans les territoires ?
- comment orienter la stratégie de recherche et de développement sur ces questions ?
- comment amener ces produits vers le marché ?
- comment dialoguer avec la société sur la bioéconomie ?
La présente rencontre constitue une belle occasion de commencer à parler de ces questions.
M. Julien Fosse, chef du bureau de l’agriculture, de l’industrie et des infrastructures énergétiques, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. - Je présenterai les grandes orientations que le ministère de l’écologie souhaite porter dans le cadre de la stratégie interministérielle en faveur de la bioéconomie.
Il est indispensable de renforcer les efforts publics en faveur de la bioéconomie, qui constitue un élément clé de la croissance verte : le maintien du modèle économique actuel causerait des dommages irréversibles à l’environnement et remettrait en cause les éléments indispensables à la croissance économique et au bien-être de tous.
Plusieurs enjeux stratégiques doivent être conciliés :
- la sécurité alimentaire, qui doit être mise en lien avec l’artificialisation des terrains agricoles, dans un contexte d’accroissement de la population ;
- l’enjeu climatique, lié à celui de la qualité de l’air ;
- l’usage de l’eau, d’un point de vue quantitatif, en contexte de réchauffement climatique, mais aussi qualitatif ;
- la préservation de la biodiversité et des paysages ;
- l’emploi et la croissance sur l’ensemble des territoires.
Pour concilier ces enjeux, la stratégie interministérielle sera centrée sur le caractère renouvelable des ressources. Les analyses de durabilité et de cycle de vie doivent donc être étendues à l’ensemble des produits de la bioéconomie.
Cette stratégie doit également se nourrir des expériences locales, pour s’adapter au mieux aux particularités des territoires. Les Agenda 21 locaux, les projets territoriaux de développement durable, les territoires à énergie positive développent des initiatives qui peuvent être portées au niveau de la stratégie interministérielle. La loi de transition énergétique pour une croissance verte prévoit la création de schémas régionaux de biomasse, qui viseront à identifier les gisements de bioressources au niveau local et seront annexés aux schémas régionaux climat-énergie.
La stratégie interministérielle doit également répondre aux exigences de la démocratie environnementale. Ainsi, la question de la compétition des usages est une vraie question et interpelle aujourd’hui la société civile. De même, un cadre de régulation de l’usage des biotechnologies doit, d’ores et déjà, être prévu et construit par toutes les parties prenantes.
Le Président de la République a souligné la nécessité de démocratiser le dialogue environnemental. Plusieurs outils ont été identifiés par la commission relative à la démocratisation du dialogue environnemental, présidée par le sénateur Alain Richard. Le ministère de l’écologie restera très attentif à la participation de toutes les parties prenantes – acteurs économiques, représentants des territoires, associations de consommateurs et de protection de l’environnement – à l’élaboration de cette stratégie.
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Merci à tous. Je souligne que, dans le projet de loi de transition énergétique, un article vise à mettre en place une stratégie de développement de la biomasse. Il est le résultat de plusieurs amendements déposés par M. Denis Baupin à l’Assemblée nationale, et par M. Charles Revet au Sénat, amendements que j’avais soutenus en séance plénière.
M. Denis Baupin, député. - Merci à tous les orateurs pour ces interventions extrêmement riches. Je voudrais signaler que deux articles concernent, dans la loi de transition énergétique, des planifications relatives à la biomasse :
- le premier est l’article 48 ter, qui prévoit une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse. Je rappelle à ce propos, alors que les sénateurs peuvent encore amender le projet de loi, que ce serait l’occasion de poser des jalons chronologiques pour l’élaboration de la stratégie nationale. En effet, aucune date butoir n’a été fixée et il faudrait éviter que cette volonté reste lettre morte ;
- le second article est le 57 ter, qui prévoit l’élaboration de schémas régionaux sur la biomasse, cette fois assortie d’un délai, puisque ces schémas doivent être publiés au plus tard dix-huit mois après la promulgation de la loi. Ces schémas seront élaborés par le préfet de région et le conseil régional. Un décret précisera leur articulation avec la loi nationale. C’est nécessaire afin de concilier les choix des diverses régions.
Je souhaiterais ajouter une remarque sur la question du carbone. M. Jean-David Abel a évoqué la nécessité de lui donner un prix, une question qui est actuellement débattue dans le cadre de la préparation de la COP21. Je suis, pour ma part, défenseur d’un concept complémentaire, porté notamment par le Brésil, qui est de donner une valeur à la diminution du dioxyde de carbone. Ce principe pourrait participer à la valorisation économique des filières dont nous avons parlé.
Enfin, M. André-Jean Guérin a indiqué que, en augmentant de 4 ‰ la capacité de captation du CO2 par les sols, nous pourrions absorber nos gaz à effet de serre. Quelles seraient les mesures permettant de parvenir à ce résultat impressionnant ?
M. René-Paul Savary, sénateur. - J’interviendrai, non comme sénateur, mais en tant que président de la Fondation du site Paris-Reims, qui, depuis vingt ans, soutient le développement des agro-ressources, conduisant à la création du pôle IAR et à cet espace situé à Pomacle qui accueille des projets et développements extraordinaires, notamment autour d’ARD.
Des étapes ont été franchies. Ainsi, la question de la rivalité alimentaire-non alimentaire ne devrait plus se poser, au vu des pourcentages de terres concernées. De même, le principe de précaution est désormais complété par le principe d’innovation. Il me semble par conséquent possible de trouver de justes équilibres.
Ce qui pose problème, en revanche, c’est le changement des règles au fil des années, notamment sur la fiscalité ou le taux d’incorporation. Le risque est de casser des chaînes d’investissement et d’avenir portées par le secteur privé. Je pense aux futures générations de biocarburants. L’élaboration d’une stratégie interministérielle constitue à ce titre une bonne démarche.
Par ailleurs, une fois que les procédés ont été découverts et mis au point, leur développement bute régulièrement sur des problèmes de financement. Il arrive trop souvent que les pilotes soient réalisés en France, et les développements industriels, créateurs d’emploi, à l’étranger. Nous devons, comme d’autres pays, développer des soutiens publics en appui aux investissements des nouvelles entreprises.
Je me réjouis de constater que nous sommes entrés dans une logique de coconstruction sur ces sujets ; demeure cependant un problème financier pour parvenir à des créations d’emplois et de valeur ajoutée.
M. André-Jean Guérin. - Je souscris pleinement aux propos de M. René-Paul Savary sur Pomacle, qui constitue un modèle de combinaison entre travail de recherche et développement industriel.
Le chiffre de 4 ‰ évoqué par M. Stéphane Le Foll symbolise, sous forme de slogan volontariste, les ambitions de contribution du secteur agricole à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il s’appuie sur les travaux de l’INRA menés depuis quinze ans, dont une recension de 2002 donne les principaux éléments.
Le schéma est simple. Le stock de carbone dans les sols est évalué, au niveau mondial, à 2 000 gigatonnes environ. Une part de 4 ‰ de cette masse correspond à 8 gigatonnes de carbone, soit 32 gigatonnes de CO2.
Les moyens pour parvenir à ce résultat sont en revanche beaucoup plus complexes. L’équivalence posée relève avant tout du modèle et indique une orientation à développer ; elle vise également à affirmer les possibilités de l’agriculture en termes de réduction des gaz à effets de serre, en recourant à des principes d’agro-écologie ou d’agriculture et arboriculture couplées. Bien sûr, on peut voir cela comme un simple report mais, en soi, c’est intéressant.
Pour plus de précisions, vous pourrez vous reporter à l’intervention du ministre de l’agriculture, le 17 mars 2015 à Montpellier, lors de la conférence scientifique internationale « Agriculture intelligente face au climat ».
M. Claude Roy. - Lors du sommet de La Haye, précédant le sommet de Kyoto, les États-Unis d’Amérique avaient fait une proposition de ce type, visant à faire absorber par les sols les émissions de gaz à effet de serre ; cette proposition avait été rejetée par l’Europe.
M. Hubert Boizard. - Rappelons que, du point de vue de l’agronome, la priorité est déjà de ne pas réduire les surfaces qui stockent le carbone, comme les prairies et les forêts. C’est le contenu du projet de directive européenne sur les sols. En revanche, pour des terres arables, au taux de carbone naturellement plus faible, mon propos est quelque peu contradictoire avec ce qui a été dit. En effet, utiliser la paille pour fabriquer de l’éthanol revient à puiser sur les réserves de stockage. Notre objectif est d’atteindre un équilibre en termes de carbone, non de stockage. C’est un choix.
Toutefois, depuis quelques années le système des cultures de couverture après la récolte, dites intermédiaires, est désormais obligatoire. Or ces cultures contribuent de façon significative au stockage du carbone. Des équilibres sont donc à trouver entre deux voies : stocker ou transformer.
M. Daniel Perron. - Pour revenir sur la nécessité de gérer la forêt, évoquée par MM. René-Paul Savary et Claude Roy, je souligne que cette gestion nécessite des moyens. Or l’ADEME préconise de passer de 48 % à 75 % de prélèvement sur l’accroissement naturel en 2030. La bioénergie ne pourra se développer en aval sans accroissement de la production de biomasse initiale. Le ministère de l’économie ne doit l’oublier ni pour la forêt publique ni pour la forêt privée.
M. Jean-Christophe Pouet. - La lutte contre le gaspillage alimentaire constitue un autre axe important de la bioéconomie qui permettra de dégager des surfaces agricoles.
M. André-Jean Guérin. - Réaffirmons également qu’il n’y a aura pas de développement de la bioéconomie sans un renchérissement du prix de l’accès aux carburants et aux combustibles fossiles.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. - L’Office est fidèle à son principe d’auditions publiques, transparentes et contradictoires, des différents acteurs d’un domaine afin de recueillir et de transmettre des messages au niveau législatif. Nous travaillons en amont de la législation, essayons de participer à la fabrique de la loi, puis contrôlons, en aval, les autorités et agences dépositaires de pouvoirs régaliens.
Je félicite le sénateur Roland Courteau pour cette audition dont il a eu l’initiative. Nous avons mené beaucoup d’auditions sur l’énergie et produit des rapports importants : celui des députés Claude Birraux et Christian Bataille sur la stratégie nationale de recherche en énergie, celui du député Denis Baupin et du sénateur Fabienne Keller sur les nouvelles mobilités. Le premier rapport de l’Assemblée nationale sur les énergies renouvelables, en 2001, vient également de l’Office – je l’avais cosigné avec M. Claude Birraux). Or ce rapport appelait de ses vœux un plan « Terre Énergie ». Dans le premier rapport sur l’effet de serre que j’ai cosigné, lorsque je présidais la mission d’information sur le sujet, il y a une dizaine d’années, j’indiquais que, sur les 38 000 gigatonnes de carbone stockées dans les océans, celles rejetées dans l’atmosphère du fait des activités humaines pouvaient être compensées à l’aide de la biomasse et des sols.
L’approche choisie pour cette audition est pertinente car la biomasse constitue une source évidente d’énergies renouvelables. Son utilisation soulève de vraies questions : la collecte, le transport, l’énergie utilisée pour la conversion et le raffinage, les rejets liés à l’utilisation d’intrants, le convoyage des produits énergétiques jusqu’à leur injection dans le réseau. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur le sujet qui constitue l’un des points importants du rapport de la Commission de l’Innovation 2025, et sera discuté au Conseil stratégique de la Recherche.
Cette approche du développement durable sous l’angle de la bioéconomie est indispensable pour vérifier que trois principes de l’équilibre d’une production sont respectés :
- l’équilibre énergétique, pour produire plus d’énergie qu’on n’en consomme ;
- l’équilibre climatique, pour produire moins de gaz à effet de serre que la biomasse n’en élimine sur son site de renouvellement ;
- l’équilibre économique, l’activité devant être viable à terme, indépendamment des subventions initiales. Les aides fiscales ou prix administrés de rachat sont nécessaires pour soutenir la phase d’innovation mais les mécanismes de marché doivent être de mise dans la phase industrielle.
Je l’ai dit à propos du projet Futurol : l’État a largement financé la recherche fondamentale puis la recherche et développement ; si l’industrialisation se fait à Singapour, il sera perdant.
Toutes ces analyses se déclinent de façon spécifique pour chacun des schémas d’utilisation de la biomasse, qui se trouvent à des stades de maturité différents. Ainsi, la méthanisation par confinement dans un bioréacteur consomme peu d’énergie additionnelle mais impose de gérer les fuites de méthane ; à l’inverse, les biocarburants de première génération nécessitent un apport d’énergie important pour la transformation, moins important quand on utilise la canne à sucre. J’ai toujours été favorable à la biomasse de première génération car elle a permis de préparer les suivantes. Les carburants de deuxième génération, obtenus par voie thermolytique ou enzymatique, utilisent des colonnes de distillation qui relèvent, pour les émissions de CO2, de la problématique des équipements industriels lourds. Enfin, les carburants de troisième génération, qui seront obtenus à partir de micro-algues, font l’objet de diverses recherches, notamment pour accroître la croissance de l’algue par une meilleure exposition.
Des conflits d’intérêts entre les diverses utilisations de la biomasse se présenteront forcément et il importe d’y réfléchir.
Les projets préindustriels sont indispensables pour configurer les dispositifs techniques mais il faut désormais réfléchir à la stratégie industrielle. Il s’agit de mettre en évidence les avantages comparatifs qui permettront de trouver une fenêtre de viabilité rendant ces projets ambitieux et compétitifs face à une concurrence internationale pressante.
La bioéconomie n’est donc pas une discipline académique. Elle doit constituer un instrument d’appui à l’innovation, pour mieux cibler les efforts d’investissement et renforcer la compétitivité de notre pays ainsi que sa capacité à créer des emplois.
Je partage totalement ce qui a été dit sur les phases d’industrialisation manquées alors que nous étions en tête au niveau de la recherche puis du développement.
Au nom de l’Office, je remercie à nouveau le sénateur Roland Courteau, et je vous remercie car vous aidez le Parlement à définir sa stratégie.
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, vous nous avez beaucoup apporté sur ce sujet que nous considérons comme majeur. Nous disposons désormais d’une matière très riche pour produire notre rapport. Je remercie tous les participants à cette audition publique, en particulier les intervenants, qui, à partir de points de vue divers, ont apporté, chacun, un éclairage singulier et utile à la mission de l’OPECST.
Le chantier reste considérable mais les initiatives conduites par les différentes filières, les contraintes auxquelles elles se heurtent, les efforts qu’elles produisent nous donnent beaucoup d’informations sur les points de complexité qu’il nous faudra dépasser.
Les processus en cours visant à élaborer une stratégie de la bioéconomie s’inscrivent dans le contexte que nous avons abordé au cours de la première table ronde de développement spontané mais aussi d’hésitations face à des préférences collectives encore insuffisamment stabilisées.
J’espère que cette audition publique conduira à une action publique plus sûre d’elle-même s’appuyant sur une connaissance actualisée des attentes des parties intéressées.
Ce qui différencie aujourd’hui la stratégie pour la biomasse, c’est l’ampleur des mobilisations alternatives envisagées. Un consensus existe, me semble-t-il, sur les tensions que peut produire l’exploitation de la biomasse mais aussi sur les outils permettant de tracer la ligne directrice d’une nécessaire régulation. Il nous faut rapidement conduire des évaluations complexes en cycles de vie mais aussi intégrer les dimensions socio-économiques sans lesquelles nous risquons des accidents industriels.
Comme souvent, j’ai la certitude que les agriculteurs français sauront relever un défi qui présente également pour eux de très grandes opportunités. Il appartient aux pouvoirs publics de leur offrir un modèle viable et stable – et le plus écologiquement soutenable sera le meilleur. Il faudra en assurer toute la cohérence, un point que la politique agricole commune devra mieux prendre en compte.
Nous devons également offrir des perspectives aux industriels même si les conditions actuelles ne sont pas des plus favorables. Il ne faut pas négliger les opportunités que leur offrent des stratégies de différenciation et d’anticipation. L’histoire montre que, même face à des risques surgissant avec force, rien n’est irréversible pour peu que la diplomatie écologique joue son rôle.
Nous devons donc nous situer dans une perspective de progrès, laquelle doit faire l’objet d’une reconquête politique. À cet égard, nous devons valoriser la recherche et le développement sur le territoire national. Je ne méconnais pas l’ampleur des questions que pose cette ambition.
Je crois qu’il est temps, maintenant, de démontrer par l’action ce que doit être l’utilisation prioritaire de la biomasse.
Je vous remercie.
VI. DOCUMENTS ILLUSTRANT LES INTERVENTIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE
Diapositives illustrant la présentation de M. Christophe Rupp-Dahlem, président de l’Association de la Chimie du Végétal (ADCV)
Diapositives illustrant la présentation de Mme Sabrina Fuseliez, responsable du département bioénergies du
Syndicat des énergies renouvelables
Diapositives illustrant la présentation de
M. Jean-Luc Duplan, expert biomasse pour l’énergie et la chimie, IFP Énergies nouvelles
Diapositives illustrant la présentation de M. Hermann Höfte, directeur adjoint de l’unité « Institut Jean-Pierre Bourgin », unité mixte de recherche INRA/AgroParisTech/CNRS, centre INRA de Versailles-Grignon, INRA
Diapositives illustrant la présentation de M. Daniel Perron, directeur de la prospective, Office national des forêts (ONF)
Diapositives illustrant la présentation de Mme Jertta de Mazières, conseillère agricole, ambassade de Finlande et délégation permanente de la Finlande auprès de l’OCDE
Diapositives illustrant la présentation de M. Claude Roy, président du club des bioéconomistes, membre du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux
Diapositives illustrant la présentation de M. Hubert Boizard, directeur de recherches, unité de recherches INRA « Agroressources et impacts environnementaux (AgroImpact), centre INRA de Lille
Diapositives illustrant la présentation de M. Jean-Christophe Pouet, chef du service bioressources, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), direction productions et énergies durables
Diapositives illustrant la présentation de M. Pierre Angot, sous-directeur de la chimie des matériaux et des éco-industries, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, direction générale des entreprises
VII. SYNTHÈSE DE L’AUDITION PUBLIQUE
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a étudié, à de nombreuses reprises, les conditions d’une mobilisation plus forte de la biomasse aux fins de couvrir des besoins plus diversifiés que ceux de l’alimentation humaine.
La liste, ci-dessous, des rapports consacrés à ce thème illustre ainsi tant l’importance accordée par l’OPECST à cette thématique que la variété des questions qu’elle conduit à envisager :
- « Construire une société nouvelle, améliorer notre compétitivité grâce à la recherche environnementale » (n° 2626 AN et n° 333 Sénat du 11 mars 2015) de M. Jean-Yves Le Déaut et Mme Anne-Yvonne Le Dain, députés, et M. Bruno Sido, sénateur ;
- « Les freins réglementaires à l’innovation en matière d’économies d’énergie dans le bâtiment : le besoin d’une thérapie de choc » (n° 2113 AN et n° 709 Sénat du 9 juillet 2014) de M. Jean-Yves Le Déaut, député, et M. Marcel Deneux, sénateur ;
- « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques » (n° 1713 AN et n° 293 Sénat du 16 janvier 2014) de M. Denis Baupin, député et Mme Fabienne Keller, sénateur ;
- « La transition énergétique à l’aune de l’innovation et de la décentralisation » (n° 1352 AN et n° 838 Sénat du 11 septembre 2013) de M. Bruno Sido, sénateur, et de M. Jean-Yves Le Déaut, député ;
- « Les enjeux de la biologie de synthèse » (n° 4354 AN et n° 378 Sénat du 15 février 2012) de Mme Geneviève Fioraso, député ;
- « La définition et les implications du concept de voiture propre » (n° 2757 AN et n° 125 Sénat du 13 décembre 2005) de M. Christian Cabal et M. Claude Gatignol, députés ;
- « La place des biotechnologies en France et en Europe » (n° 2046 AN et n° 158 Sénat du 26 janvier 2005) de M. Jean-Yves Le Déaut, député ;
- « Les conséquences des modes d’appropriation du vivant » (n° 1487 AN et n° 235 Sénat du 3 mars 2004) de M. Alain Claeys, député ;
- « Les perspectives de développement des productions agricoles à usage non alimentaire » (n° 3345 AN et n° 223 Sénat du 19 février 1997) de M. Robert Galley, député.
Par ailleurs, tout récemment, dans le cadre de sa présidence de l’European Parliamentary Technology Assessment (EPTA), et célébrant le trentième anniversaire du premier rapport de l’OPECST, une audition publique a été consacrée toute la journée du 24 septembre 2015, à la question de la contribution de l’innovation à la résolution des problèmes liés aux changements climatiques. Parmi les nombreuses questions abordées, nombre d’entre elles ont porté, de près ou de loin, sur la biomasse et son exploitation vues comme solutions aux défis climatiques.
Par-là, l’Office a été un explorateur attentif et précurseur d’un mouvement qui, au-delà des enjeux directs d’une meilleure mobilisation de la biomasse, doit, selon de nombreuses approches désormais bien explorées de par le monde, contribuer à la naissance d’un mode de développement plus global : la bioéconomie.
L’audition publique tenue au Sénat le 25 juin 2015 a été l’occasion de réunir et de permettre l’expression des expériences et des points de vue des parties prenantes à cette avancée. La France a décidé de la préparer avec l’adoption de la loi sur la transition énergétique pour une croissance verte d’août 2015 en prévoyant, à l’initiative du Sénat, l’élaboration parallèle d’une stratégie pour la biomasse s’inscrivant dans la perspective de la bioéconomie.
Quelques grandes conclusions peuvent être tirées de cette audition publique :
• la biomasse présente des potentiels très diversifiés qui permettent d’envisager sa contribution à une série d’objectifs particulièrement sensibles dans de très nombreux domaines (environnement, économie, social, géopolitique…) ;
• pour que la mobilisation de la biomasse soit efficace et qu’elle s’inscrive pleinement dans les principes de la bioéconomie, des conditions doivent être réunies et supposent une intervention publique. Des réponses devront être apportées aux questions résultant d’une série de problématiques après certains compléments d’analyse et dans le cadre d’une grande concertation.
1. L’audition publique a dégagé un large consensus sur de très fortes justifications au développement de l’exploitation de la biomasse à des fins non alimentaires
La biomasse a d’abord pour elle l’avantage majeur d’être une ressource renouvelable. Dans un contexte où l’exploitation des matières premières fossiles n’a plus qu’une durée de vie limitée – entre quarante et cinquante années selon les estimations – la disponibilité de ressources théoriquement reproductibles sans fin et pouvant offrir la matière première de produits substituables à ceux de l’économie fossile confère une valeur essentielle à la biomasse. Elle mérite, par conséquent, d’être au centre de la transition énergétique mais aussi de la transition vers la construction d’une économie au-delà du pétrole.
La croissance économique future, son rythme et sa pérennité, dépendent directement de l’accès à des ressources renouvelables.
À cet égard, la diversité de filières exploitant aujourd’hui la biomasse confirme ses différents potentiels.
La mobilisation énergétique est, de loin, primordiale mais l’utilisation de la biomasse concerne neuf types de filières différentes, parmi lesquelles celles des matériaux ou des produits chimiques avec une chimie verte s’élevant à 10 % de l’ensemble de la branche. La prégnance des matériaux biosourcés est, d’ores et déjà, élevée dans les emballages mais aussi dans le bâtiment (ouate de cellulose et isolants) ou dans les transports (roues, matériaux composites pour véhicules…). Par conséquent, la perspective d’un renforcement du rôle de la biomasse s’étend à un horizon plus large que celui de l’énergie.
Pour la chimie, l’objectif pour 2020 est de doubler l’utilisation de matières premières issues de la biomasse. La France dispose d’une industrie chimique puissante, la deuxième en Europe, ce qui, compte tenu de l’importance de cette branche dans l’économie de la biomasse, doit être pleinement pris en compte.
Quant à l’énergie, des études présentées lors de l’audition estiment crédible que la totalité des besoins énergétiques de l’humanité puissent être couverts par la biomasse avant l’année 2050 même dans un scénario d’augmentation des besoins énergétiques à 23 Gtep.
La contribution de la biomasse à la résorption des risques associés aux changements climatiques n’a pas manqué d’être mentionnée. Elle revêt plusieurs dimensions, selon que l’énergie issue de la biomasse dégage moins de gaz à effet de serre (GES) lors de son utilisation ou encore que l’ensemble de l’économie de la biomasse recèle une capacité d’absorption du CO2 permettant de limiter l’ampleur des émissions atmosphériques de gaz à effet de serre.
De plus, au « renouvelable » s’ajoute le « recyclable », c’est à dire l’instauration d’un cercle d’utilisation-stockage du carbone.
La France est dotée de ressources agricoles et forestières considérables et d’une tradition agronomique et sylvicole particulièrement précieuse, atouts soulignés par tous les intervenants.
Enfin, la France possède une infrastructure de recherche et développement diversifiée couvrant les matières premières, comme illustré par les présentations de l’INRA, mais aussi toutes les étapes de raffinage et de production de bioproduits. En ce sens, le projet Futurol de déconstruction de la cellulose sur base enzymatique est emblématique d’une recherche axée sur les biocarburants de deuxième génération.
D’autres champs de recherche visant à obtenir des nouveaux produits substituables aux grands intermédiaires pétrochimiques ont également été cités (projet BioTfuel ou procédé Atol dans l’énergie, fabrication de butadiène biosourcé pour l’industrie de l’équipement automobile…). Tous ambitionnent de substituer du carbone végétal au carbone fossile. Plusieurs atouts faciliteraient cette évolution : l’existence de pôles de compétitivité très dynamiques, comme le pôle Industries et Agro-ressources (IAR) en Champagne, une recherche coopérative soutenue et de grands établissements de recherche susceptibles de fournir une base industrielle diversifiée dans les secteurs d’intérêt pour la biomasse.
Aux retombées environnementales positives produites par l’exploitation de la biomasse s’ajoutent des effets économiques favorables avec la substitution d’une ressource domestique à des importations, une production énergétique plus riche en emplois et, du fait d’une indépendance énergétique accrue, l’instauration d’un cadre macroéconomique plus stable et moins soumis aux chocs pétroliers chroniques que depuis les années 1970.
2. En dépit de solides atouts, toute stratégie visant à diversifier les utilisations de la biomasse doit surmonter nombre de problèmes
a) Les tensions sur la biomasse dépendront étroitement de l’atteinte des objectifs de sobriété énergétique
Même si la chimie du végétal offre des perspectives dynamiques, l’augmentation du volume des productions biosourcées, dans un avenir prévisible, et, par conséquent, les tensions sur la ressource, sont plus étroitement liées à la demande énergétique.
Or, de ce point de vue, il existe une réelle marge d’incertitude liée aux conditions dans lesquelles la contribution programmée de la biomasse aux nouveaux équilibres énergétiques devra intervenir.
Le bouquet énergétique posé comme objectif dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (loi n° 2015-992 du 17 août 2015) suppose une forte mobilisation de la biomasse par rapport à la trajectoire tendancielle.
La part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie devra nettement augmenter pour atteindre 23 % en 2020 et 32 % en 2030 selon une déclinaison différenciée par segment : 40 % pour la production d’électricité, 38 % pour la consommation finale de chaleur, 15 % pour la consommation finale de carburant et 10 % pour la consommation finale de gaz.
À l’horizon de 2030, il s’agit d’aller au-delà du doublement de la part des énergies renouvelables, qui est actuellement de l’ordre de 14 %. Déjà l’objectif pour 2020 suppose un changement de trajectoire puisque les projections tendancielles établissent que la contribution des énergies renouvelables ne serait que de 17 % et non de 23 % à cette échéance.
La biomasse représente actuellement près des deux tiers des énergies renouvelables (le bois représentant 45 % de ces énergies) ; sa contribution au renforcement de la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique devrait atteindre la moitié du supplément escompté.
Pour certains segments énergétiques, en particulier la fourniture de chaleur et de gaz, les objectifs visés représentent des efforts particulièrement conséquents. Il en va de même pour les carburants.
Ces objectifs doivent toutefois s’inscrire dans un contexte de réduction très forte de la consommation finale d’énergie. Même si le calendrier détaillé de la réduction de la consommation finale d’énergie n’est pas encore connu, deux grandes étapes le sont : 2030, avec l’objectif d’un recul de la consommation de 20 % par rapport à 2012 ; 2050, où cet objectif atteint 50 %.
La consommation énergétique finale s’élevait, en 2012, à 166,3 Mtep. Les engagements de diminution de la consommation énergétique finale ramèneraient celle-ci à environ 83,2 Mtep en 2050 dont 26,6 Mtep provenant d’énergies renouvelables (à comparer avec 37 Mtep provenant de renouvelables en 2020) dans l’hypothèse d’un maintien de la part prise par les énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie de 2030 à 2050.
Compte tenu de ces données d’ensemble, il apparaît que, même si la biomasse énergie devait être davantage sollicitée, elle le serait dans des proportions compatibles avec l’état théorique de la ressource en France.
Dans ce contexte, il importe de souligner l’existence du consensus général, exprimé lors de l’audition publique, sur la nécessité de mieux convertir le potentiel de ressources en une réalité productive pour atteindre certains objectifs sectoriels de moyen terme.
Cet impératif a été particulièrement illustré par la situation de la forêt française dont l’amélioration de la gestion est particulièrement nécessaire pour relever au mieux le défi de la substitution des produits fossiles par la biomasse.
Enfin, comme la sobriété énergétique demande des efforts d’investissements très conséquents, il ne faudrait pas écarter, si la consommation énergétique ne se réduisait pas autant que prévu, une tension plus forte sur la biomasse, à objectif inchangé d’accroissement de la part des énergies renouvelables dans la demande d’énergie.
Tous les intervenants ont rappelé que le renforcement du rôle énergétique de la biomasse et la sobriété énergétique vont de pair.
b) La création d’un cadre économique propre au développement de la biomasse
(1) Surmonter l’obstacle de la compétitivité-coût des produits biosourcés
La viabilité de l’économie biosourcée repose sur des logiques économiques qui n’apparaissent pas stabilisées.
Les coûts de mobilisation de la biomasse dans le domaine énergétique varient selon les estimations entre 53 euros par mégawattheure, pour certains usages, à près de 260 euros pour d’autres. L’électricité nucléaire implique des coûts controversés mais qu’on situe autour de 50 euros. Pour les centrales thermiques, l’estimation oscille entre 70 euros et 100 euros. En bref, en l’état des marchés, et alors que l’ensemble des coûts n’a probablement pas été pris en considération, la biomasse est peu compétitive.
L’écart de prix avec les autres énergies tient à plusieurs facteurs qui gagneraient à être mieux cernés. Parmi ceux-ci, les prix relatifs des matières premières exercent une forte influence dans un monde où le prix du carbone non végétal n’intègre sans doute pas toutes les externalités. De plus, ses perspectives sont très incertaines en raison de la révolution énergétique en cours. Incidemment, on ne tient peut-être pas assez compte des effets que pourrait exercer la transition énergétique elle-même sur le prix du carbone fossile. En particulier, le scénario de croissance sobre de la transition énergétique française, à supposer qu’il soit suivi par un nombre appréciable de pays, pourrait s’accompagner d’un prix des énergies fossiles durablement bas, et donc difficilement compatible avec le calendrier de la durabilité énergétique.
En raison de la situation actuelle, seule une politique volontariste durable pourrait permettre de maintenir et développer la bioénergie.
En toute hypothèse, comme les intervenants de l’audition publique l’ont tous indiqué, un prix du carbone fossile suffisamment élevé, mais aussi des progrès de productivité à chaque étape de la chaîne de production de la biomasse, représentent des variables essentielles pour la viabilité d’une stratégie de biomasse ambitieuse.
(2) Opérer des choix industriels
La stratégie de recours accru à la biomasse se trouve confrontée à des choix industriels complexes.
Les risques industriels de la biomasse sont importants.
Le développement des productions suppose des infrastructures spécifiques et, bien sûr, des investissements qui représentent un risque économique et financier. Or, il importe de convertir les efforts conséquents réalisés dans la recherche en amont et la constitution de plateformes de démonstration – qui ont coûté « des centaines de millions d’euros », selon un intervenant de l’audition publique – en des outils de production implantés sur le territoire national. Ce problème, toujours évoqué comme étant l’une des faiblesses structurelles du système d’innovation français, est particulièrement aigu s’agissant de productions soumises à d’amples aléas, comme c’est le cas pour la biomasse.
On peut mentionner sur ce point l’existence, aux États-Unis d’Amérique, du « crédit d’impôt énergies renouvelables » qui permit de soutenir grâce à des fonds publics les infrastructures industrielles nécessaires pendant une période adaptée. Mais la législation européenne, ainsi que certaines considérations d’équité paraissent rendre difficile une imitation pure et simple de ce mécanisme en Europe. Des adaptations pourraient être recherchées afin de concilier les principes de la concurrence et des considérations d’équité au service de l’investissement en faveur du biosourcé.
Le lien entre les infrastructures économiques et la maximisation des objectifs qui justifient le développement des produits biosourcés a été largement illustré lors de l’audition publique.
Entre un modèle extrêmement productif reposant sur des importations et un maillage du territoire, sur le modèle de l’économie circulaire, au moyen de bioraffineries locales, un choix doit être effectué. Il en va de même en ce qui concerne les installations de méthanisation, dont la dimension peut considérablement varier. En bref, entre économies d’échelles et circuits courts, les effets de l’exploitation de la biomasse diffèrent sur tous les points les plus déterminants (effets environnementaux, sociaux, économiques...).
Un investissement soutenu dans la recherche s’impose.
Lors de l’audition publique, plusieurs exemples de voies innovantes ont été évoqués qui concernent tous les stades des processus de fabrication des produits biosourcés (biocarburants avancés pour les transports routiers ou aériens, chimie du végétal, appareils de chauffage, biométhanation à partir de matières sèches…). Les recherches entreprises ont pour objet de supprimer des verrous technologiques mais aussi de réduire les coûts des filières de produits biosourcés afin d’en améliorer la viabilité économique. Elles produisent déjà des résultats mais les exemples évoqués, qui sont les plus significatifs, semblent ne devoir être pleinement industrialisables qu’à moyen terme – l’horizon de 2020 a été cité plusieurs fois – tandis que, pour d’autres technologies, leur horizon de disponibilité n’est pas identifiable.
Un effort de recherche et développement persévérant s’impose pour la biomasse quels qu’en soient les usages puisque, aussi bien, le développement des usages non alimentaires de celle-ci dépend des progrès de productivité réalisés sur l’ensemble de la ressource.
(3) Résoudre au mieux les conflits d’usage
La question des conflits d’usage est au cœur des débats relatifs à l’extension des utilisations de la biomasse.
Même si ce point est essentiel, il ne se ramène pas seulement à celui de la concurrence entre les fonctions alimentaires de la biomasse et ses autres utilisations.
Un consensus existe pour consacrer une hiérarchie des usages de la biomasse reconnaissant la nécessaire primauté de ses apports alimentaires.
L’essor d’autres usages dépend donc de cette contrainte qui est susceptible de varier selon des conditions très diverses – évolution des rendements, état des équilibres entre offre et demande alimentaires, progrès technologiques permettant d’associer mieux tous les usages de la plante…–, mais qui devrait aller en se renforçant. Selon les scénarios, principalement déterminés, du côté de la demande, par les évolutions démographiques et socio-économiques, l’offre alimentaire devrait croître de 70 % à 100 % avant l’année 2050 pour satisfaire la demande additionnelle.
Cette performance suppose la réduction des gaspillages et la modification des régimes alimentaires dans le sens d’une limitation de la consommation carnée, une augmentation des productions du couple surfaces-rendements. Or, le réalisme de ces objectifs est débattu, que ce soit pour des raisons techniques – l’équilibre des usages des sols, le plafonnement des performances productives, les effets des changements climatiques… – ou pour des motifs socio-économiques – le modèle d’agriculture adapté aux trajectoires du développement, l’attractivité économique de l’agriculture pour les investisseurs, l’acceptation de certains risques technologiques…
En toute hypothèse, la contrainte de rareté n’est pas une perspective négligeable, même pour des pays autosuffisants puisque les équilibres alimentaires mondiaux peuvent dépendre des capacités exportatrices de ces pays. Cette éventualité peut peser sur la disponibilité de la matière première agricole pour des usages non alimentaires dans un contexte où priorité devra être donnée à la satisfaction des besoins alimentaires.
Dans cette perspective, un axe majeur de la recherche sur le végétal doit consister à limiter le plus possible les effets d’éviction des matières premières alimentaires que pourraient entraîner les autres usages de la biomasse, impératif qu’illustre particulièrement la recherche sur les biocarburants avancés.
Parmi les très nombreuses questions abordées lors de l’audition publique, cinq semblent présenter des enjeux particulièrement importants :
• Le conflit entre filières utilisatrices de la même biomasse (typiquement celui entre le bois-énergie et le bois-matériau) ainsi que le conflit entre les filières productrices d’un même produit à partir de sources biosourcées différentes (chaleur générée par le bois ou par les déchets) ; si la complémentarité des usages est une voie de conciliation de ces conflits, une analyse rigoureuse s’impose pour définir les utilisations les plus créatrices de valeur.
• Les contributions respectives de la biomasse en termes de limitation des émissions de gaz à effet de serre et d’absorption de ceux-ci dont les contours varient selon la source d’alimentation des filières de la biomasse.
• Sans se polariser sur le dilemme entre exploitation du bois et conservation des forêts sur pied qui, moyennant un ajustement temporel, peut être surmonté – il varie, en outre, selon la destination finale du bois coupé entre énergie et substitution à des matériaux fossiles –, on peut mentionner les effets du remaniement des sols que peut impliquer la mobilisation de la matière première. Sachant que le stock de carbone séquestré dans les sols est évalué au niveau mondial à 2 000 gigatonnes et qu’un accroissement de quatre pour mille de la capacité de stockage des sols permettrait d’absorber l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre. À l’inverse, une diminution de cette capacité, outre ses effets sur la fertilité des sols et la biodiversité, aurait un impact désastreux. En toute hypothèse, cette question justifie tant le projet de recherche qui lui est consacré sous l’égide de l’INRA que l’adoption de pratiques prudentes de remaniement des sols dans le cadre de l’exploitation de leur potentiel de biomasse.
• Les effets de la biomasse sur la biodiversité dans la mesure où une intensification de l’utilisation de la ressource pourrait se traduire par la diffusion de monocultures ou de cultures spécialisées éventuellement peu propices à la diversité des œkoumènes nécessaires à la préservation de la biodiversité. Cette interrogation a été clairement énoncée par M. Daniel Perron de l’ONF à propos de la gestion de la ressource forestière qui offre un milieu majeur, quoique différencié, de la biodiversité végétale et animale, en plus des autres fonctions systémiques des forêts.
• La question de la fin de vie des matériaux, de plus en plus soumis à des obligations de recyclage, peut être rendue plus complexe par le développement de matériaux biosourcés, d’autant que leurs volumes n’atteindront pas immédiatement la taille critique nécessaire à leur valorisation spécifique alors que leur identification est incertaine.
Cet ensemble d’opportunités et de contraintes doivent être incorporées dans la stratégie de biomasse en cours d’élaboration.
En dehors des différents points évoqués ci-dessus, il convient également de rappeler le consensus dégagé lors de l’audition publique autour de la référence à un principe de hiérarchie entre les usages de la biomasse. Sa déclinaison pratique reste largement à inventer. Elle suppose, dans certains cas, des progrès de la connaissance incluant des bilans globaux socio-économique et environnementaux (sur la base d’analyses solides de cycle de vie). En effet, la contribution de la biomasse à la résorption des émissions de CO2 n’est pas toujours facilement déterminable et elle n’est, à ce jour, pas entièrement déterminée. Les bilans diffèrent selon les ressources envisagées et selon leurs modalités de mobilisation. En toute hypothèse, le renouvellement effectif de la biomasse est une condition des équilibres dont elle ouvre la perspective en matière d’émissions de gaz à effet de serre.
Ce travail d’instruction approfondi est d’autant plus nécessaire que le développement des filières de la biomasse suppose la formulation d’objectifs et de cadres d’actions offrant le plus de stabilité possible.
(4) S’inscrire dans le temps et l’espace
Pour améliorer la prise de décisions des différents acteurs, il importe de définir l’horizon temporel de l’utilisation de la biomasse, dont l’extension s’inscrit dans une perspective longue.
Cette dimension doit être pleinement prise en compte pour clarifier les anticipations des décideurs et investisseurs. Elle implique, en premier lieu, la construction d’une prospective fine de la biomasse (une prospective mondiale avait été réalisée en 2010 sous l’égide de l’INRA dans le cadre d’un atelier de réflexion prospective dit « VegA ») et, en second lieu, d’adopter un calendrier d’action publique aussi précis et stable que possible.
À cet égard, certains horizons mériteraient d’être davantage cernés. Il a été mentionné que la logique des objectifs énergétiques du pays passait, en théorie, par une sollicitation maximale de la biomasse à l’échéance 2020 suivie d’une décrue à mesure des progrès réalisés dans le domaine de l’efficacité énergétique. Il n’est pas certain que ces perspectives soient tout à fait adaptées à l’engagement des investissements nécessaires. Incidemment, il faut s’interroger sur la portée d’une définition d’objectifs de production pouvant apparaître limitatifs puisque, aussi bien, les forces du marché pourraient, à l’avenir, impliquer un recours plus massif qu’escompté à des énergies se substituant aux sources fossiles.
À l’horizon temporel, il faut ajouter un horizon spatial.
La biomasse est, en soi, liée aux sols et aux territoires puisque sa viabilité économique, sociale et environnementale dépend souvent d’une logique de circuits courts. Or, celle-ci est susceptible de se trouver concurrencée par une logique alternative de massification des projets, qui, forte des économies d’échelle qu’elle favorise, peut altérer le fonctionnement et l’organisation économique de filières plus respectueuses d’une biomasse soutenable. C’est le « schéma de Rotterdam » évoqué lors de l’audition. Il ne faut pas se cacher que la réunion de conditions permettant de préserver une organisation spatialement cohérente de l’exploitation de la biomasse n’est pas une entreprise aisée. La réflexion sur les externalités nettes apportées par les différentes structures de production est, en ce sens, également une nécessité.
La dimension spatiale implique aussi une coordination entre États, au minimum dans l’espace européen. Actuellement, les préférences collectives des États de l’Union européenne semblent marquées par une grande hétérogénéité avec, en particulier, des visions différentes des modèles d’exploitation de la biomasse susceptibles de produire les effets les plus favorables. Chaque État pondère différemment les différents objectifs d’une stratégie de biomasse même si les pays européens s’engagent isolément dans cette voie. Certes, dans certains secteurs, en particulier les biocarburants, des coordinations s’appliquent. Mais elles n’empêchent pas la coexistence de choix aux implications hétéroclites dont les contradictions doivent être surmontées dans un effort de création entre Européens d’un consensus sur les bonnes pratiques.
(5) Favoriser l’acceptation, voire l’adhésion, sociale
L’intensification de la mobilisation de la biomasse et le développement de la bioéconomie appellent la mise en œuvre d’un cadre d’échanges avec la société permettant un dialogue constructif.
La mobilisation renforcée de la biomasse et l’avènement d’un cadre de bioéconomie représentent des processus volontaristes qui supposent des changements de toutes sortes pouvant affecter des comportements marqués par l’habitude, des calculs économiques traditionnels, des représentations symboliques variées. Face à ces changements, contraintes et incitations ne suffisent pas ; il faut leur adjoindre la conviction.
Par ailleurs, la montée en puissance de l’exploitation de la biomasse à des fins autres que l’alimentation peut intégrer des évolutions scientifiques et technologiques plus ou moins en rupture.
Il faut également prendre garde de ne négliger ni les conflits d’usage ni l’ensemble des questions en suspens que l’exploitation de la biomasse rendra sans doute plus tangibles à mesure qu’elle se répandra. Par conséquent, une forme de concertation au long cours doit être recommandée.
Dans une certaine mesure, l’audition publique tenue par l’Office a constitué une première occasion, saluée comme telle par l’ensemble des participants, de dialogue entre les diverses parties prenantes intéressées par la définition de stratégies de biomasse et de bioéconomie.
Une fois le temps de la définition stratégique interministérielle passé, il conviendra que les projets formés par le Gouvernement soient clairement présentés et discutés, non seulement auprès des acteurs immédiats (par exemple, les porteurs de projets dans l’application des mécanismes réservés à la promotion des produits biosourcés) mais aussi auprès des autres acteurs directement opérationnels, au premier rang desquels figurent les collectivités territoriales.
VIII. EXAMEN PAR L’OFFICE, LE 24 NOVEMBRE 2015, DES CONCLUSIONS RELATIVES À L’AUDITION PUBLIQUE DU 25 JUIN 2015.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. – Le sénateur Roland Courteau va nous présenter ses conclusions sur l’audition publique du 25 juin dernier « La stratégie pour la biomasse en France, un pas vers la bioéconomie ? ». La commission des affaires économiques du Sénat avait saisi l’Office de cette question. L’OPECST a abordé les questions liées à la biomasse dans plusieurs rapports mais M. Roland Courteau a choisi un angle d’approche original en situant son travail sous le chapeau de la bioéconomie, approche globale qui permet d’éviter les écueils résultant d’approches trop partielles souvent retenues lorsqu’on aborde l’utilisation de la biomasse. Le débat sur les conflits d’usage des ressources agricoles illustre l’inconvénient de telles approches, avec leurs erreurs de raisonnement et les obstacles qui en résultent pour le développement d’usages, qui, appuyés sur des solutions adaptées, sont porteurs d’espérances, à condition de pouvoir prendre en compte l’ensemble de leurs effets, y compris indirects. La bioéconomie est justement la science de l’utilisation parfaitement ajustée de la biomasse devant permettre de maximiser ses apports potentiels. J’ai moi-même participé à cette audition publique et j’ai pu constater l’excellent niveau des intervenants sur ce sujet. Sans plus tarder, je laisse la parole au sénateur Roland Courteau en lui demandant de se limiter à l’essentiel compte tenu de la densité de notre programme du jour.
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. – Merci, Monsieur le Président. Cette présentation des conclusions de l’audition publique du 25 juin intervient à quelques jours de la COP21 et vous savez, bien sûr, que la biomasse est vue comme l’une des réponses aux problèmes liés aux changements climatiques. L’exploitation de la biomasse n’est pas une option, c’est une nécessité si l’on considère un avenir où les énergies fossiles auront disparu.
Quels sont les différents potentiels de la biomasse ? L’énergie, la production de matériaux de construction, la chimie verte, parmi d’autres filières. En France, le développement de la biomasse est conforté par des ressources naturelles abondantes, forestières et agricoles, mais aussi par l’existence d’infrastructures solides de recherche et développement et, enfin, par une base industrielle propice à la production de produits biosourcés. C’est une chance car la biomasse porte des promesses économiques majeures, indépendance énergétique, créations d’emplois…, sans compter ses bénéfices pour l’environnement planétaire.
Si notre pays possède des atouts, l’audition publique a, également, permis de cerner les obstacles à surmonter pour mobiliser les potentiels de la biomasse et, ainsi, de dessiner les contours d’une stratégie gagnante pour la biomasse.
En premier lieu, il apparaît que la biomasse devrait être la première mobilisée pour parvenir à un renforcement de la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de l’avenir. Il s’agit de la faire passer de 14 % aujourd’hui à 23 % en 2020 et 32 % en 2030. Cela implique un changement de braquet important par rapport à la tendance actuelle de croissance des énergies renouvelables mais, surtout, ces objectifs vont nécessiter un renforcement très sensible de l’efficacité énergétique. Sans celui-ci, les conflits d’usage que peut susciter la mobilisation de la biomasse à des fins énergétiques créeraient des tensions difficilement surmontables.
Il faut aussi déplorer que les prix actuels des énergies fossiles ne favorisent pas une évolution dynamique des produits biosourcés en substitution de produits issus des matières premières fossiles. Force est de constater que les coûts des produits de la biomasse excèdent ceux des produits incorporant des matières premières fossiles et l’écart ne cesse d’augmenter à mesure que les prix des énergies fossiles chutent. Un prix du carbone fossile élevé et unique changerait la donne. Pour les court et moyen termes, le développement de la biomasse passe par une politique volontariste. Il faut noter que, à long terme, le scenario se modifiera sans doute. Avec la forte probabilité d’une raréfaction des produits fossiles, leurs prix devraient augmenter. Dès lors, le jeu du marché incitera spontanément à recourir, peut-être massivement, à la biomasse mais au terme d’une période intermédiaire plus ou moins longue. Il faut avoir ces paradoxes temporels à l’esprit avec, à court et moyen termes, la nécessité d’une politique publique très active pour développer les usages non alimentaires de la biomasse et, à long terme, la perspective d’un essor spontané des différentes utilisations de la biomasse qui pourrait exacerber les conflits d’usage et conduire à d’autres régulations.
Quant aux conflits d’usage, il y a lieu de les considérer avec attention. Ils concernent l’alimentation mais aussi bien d’autres points. Je mentionne, par exemple, les conflits entre filières utilisant la même ressource, comme dans l’alternative entre le bois de feu et le bois pour les matériaux. De même, je veux souligner une question importante : celle des sols. Ces derniers sont à la fois des puits de carbone et des porteurs de récoltes. Sur ce point, je signale l’existence d’un projet de recherche, lancé par le ministère de l’agriculture, sur la capacité des sols à absorber les gaz à effet de serre. L’objectif est de recenser et de mettre en pratique tous les moyens pour augmenter la capacité de piégeage du carbone par les sols. C’est le « programme 4 ‰ ». En effet, une telle augmentation pourrait permettre l’absorption par les sols de la totalité des émissions de CO2. Cette voie avait été proposée par les États-Unis d’Amérique lors de la Conférence de La Haye, a-t-il été rappelé lors de l’audition publique. Davantage de matière organique dans les sols, ce serait ainsi plus de fertilité, une meilleure rétention d’eau, précieuse dans un contexte à venir de sécheresses sévères, et moins de CO2 dans l’atmosphère.
En toute hypothèse, les conflits d’usage invitent à établir des hiérarchies et, pour cela, nous devons approfondir les bilans d’usage. Hormis la prééminence de l’alimentation, il nous faut rechercher les voies de mobilisation de la biomasse les plus porteuses d’effets économiques favorables mais aussi les plus efficaces d’un point de vue écologique.
Dans ce contexte, l’effort de recherche et développement doit être soutenu : biocarburants avancés, projet Futurol de déconstruction de la cellulose sur base enzymatique, recherches sur la biométhanation… La recherche semble guidée par l’objectif de réduire les coûts d’exploitation de la biomasse ; elle doit aussi se préoccuper de réduire l’intensité des conflits d’usage.
Par ailleurs, un choix économique devra être effectué entre des unités de production très industrielles, sur le « modèle de Rotterdam », et une logique relevant plutôt de l’économie circulaire. Il importe également de conforter la robustesse des filières, ce qui implique de veiller à la disponibilité des matières premières, à commencer par les ressources forestières. La gestion de la forêt française doit être améliorée.
Il convient aussi d’assurer la valorisation des investissements d’amont, ceux de la recherche, de sorte qu’elle donne lieu, en aval, à des productions sur le territoire national. Je rappelle que, en ce sens, aux États-Unis d’Amérique, un crédit d’impôt a facilité l’investissement dans des unités de production propres aux énergies renouvelables. Enfin, pour conclure, il faut insister sur l’importance du dialogue avec les parties prenantes. C’est important pour régler les conflits d’usage mais aussi pour mieux ancrer le consentement à payer des contributeurs sollicités pour financer la diversification des usages de la biomasse. C’est important aussi pour dégager l’horizon des investisseurs dont, notamment, la sécurité fiscale doit être mieux garantie. C’est également souhaitable pour que, entre producteurs de matières premières et transformateurs, s’instaure un partage équitable de la valeur ajoutée.
S’agissant de l’échelon européen, il s’occupe beaucoup de discipliner les soutiens publics des États dans un sens qui n’est pas toujours approprié aux enjeux. Tout comme il manque une Europe de l’énergie, il manque une Europe de la biomasse. Enfin, l’échelon local compte beaucoup et la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte n’a pas manqué de le prendre en compte. Reste à lui donner toute sa force.
Pour conclure, nous pouvons proposer une réflexion prospective sur la bonne stratégie pour la biomasse en projetant deux scénarios opposés : celui de l’échec et celui du succès.
Le scénario de l’échec voit les conflits d’usage déboucher sur un rejet de la biomasse ; la recherche ralentit ; les investissements ne se font pas du fait d’un couple risque-rendement défavorable ou parce qu’ils sont frappés d’obsolescence ; les parties prenantes n’adhèrent pas au projet de développement de la biomasse, soit que le consentement à payer s’étiole, soit que les soutiens publics en amont ne débouchent pas sur des productions en France.
À l’opposé, dans le scénario gagnant, les contraintes de disponibilité sont levées dans un contexte où les différentes utilisations de la biomasse sont bien hiérarchisées. Elles apparaissent plus complémentaires que rivales. Les critères économiques et écologiques se rejoignent et l’exploitation de la biomasse trouve un cadre économique favorable qui en valorise pleinement les externalités actuelles et futures. La recherche est soutenue et remporte des succès valorisés sur le territoire national. L’adhésion des parties prenantes est confortée par les bénéfices économiques et écologiques des productions biosourcées sur fond de bonne information sur les enjeux et potentiels qu’elles recèlent.
Mes chers collègues, j’espère que nos travaux pourront donner un élan à la stratégie gagnante de la biomasse. Il faut le souhaiter car nous ne disposons pas de beaucoup d’autres solutions.
M. Jean-Yves Le Déaut. – Merci, cher collègue. Nous allons passer au débat.
Mme Catherine Procaccia, sénateur. – Je souhaiterais obtenir quelques précisions sur le « projet 4 ‰ » de piégeage du carbone par les sols. De quoi s’agit-il exactement ? Quelle serait l’ampleur de ses effets sur l’absorption des gaz à effet de serre ?
M. Roland Courteau. – Il s’agit d’augmenter de quatre grammes pour mille grammes déjà stockés dans les sols leur capacité de piégeage du CO2. Cette augmentation permettrait d’absorber la totalité des émissions actuelles.
À l’inverse, comme le sol contient du carbone sous forme de matière organique, lorsque cette matière est exposée à l’oxygène de l’atmosphère, le carbone se lie à lui pour former du CO2. Ce phénomène est accéléré par certaines pratiques agricoles.
Depuis l’avènement de l’agriculture, les capacités d’absorption des sols ont été réduites de quatre cent cinquante-six milliards de tonnes de carbone. Les stocks de carbone piégés dans les sols ont diminué depuis les années 1960 du fait de l’intensification de l’agriculture et du retournement des prairies. Il est possible de renverser ce processus en adoptant des pratiques agricoles adaptées : moindre travail des sols, amélioration des apports de matières organiques (paille, fumier, compost…). Les prairies et le reboisement permettent également d’élever le stockage du carbone et d’augmenter la biomasse. Il reste d’énormes quantités de carbone stockées dans les sols. Les estimations tournent autour de deux mille gigatonnes de carbone dans les sols. Il faut y prendre garde et explorer les moyens d’augmenter ce stock.
M. Bruno Sido, premier vice-président de l’OPECST. – Il faut prendre ces chiffres avec une certaine prudence. On sait désormais que l’écosystème de la forêt amazonienne semble saturé et qu’il serait même producteur net de CO2, ce qui n’est pas l’image qu’on en avait il y encore quelques années. Les conflits d’usage sont une réalité et il sera difficile de les dépasser. La voie des cultures spécifiques, pour stocker le carbone et exploiter la biomasse, paraît réserver des perspectives par leurs rendements élevés, avec les herbes à éléphants, par exemple. Elles permettent d’éviter les conflits qu’on rencontre avec des matières premières à usage alimentaire comme le colza ou la betterave mobilisés pour les biocarburants. Je pense qu’il faudrait approfondir le concept d’Europe de la biomasse afin de déterminer ce que l’échelon européen pourrait vraiment apporter.
M. Roland Courteau. – Je crois qu’il serait souhaitable que nous prolongions l’analyse des bilans et des perspectives des différentes fonctionnalités des sols relativement à leurs différentes contributions aux émissions de gaz à effet de serre par une ou deux auditions. Le programme d’étude du ministère de l’agriculture en lien avec l’INRA me semble devoir être suivi.
M. Bruno Sido. – Je voudrais apporter une précision technique. Pour les terres céréalières, le taux d’humus dans les sols ne baisse pas alors qu’on ne leur applique plus le régime d’assolement. Il est exact que, lorsqu’on retourne une pâture, des dégagements de carbone se produisent, ce qui provoque une diminution de la matière organique des sols. Mais, après, le taux d’humus se stabilise. Par ailleurs, il faut bien voir que lorsqu’on paille le sol, des transmissions importantes de matière organique se produisent. Ainsi, il faut considérer ces phénomènes dans toute leur complexité.
M. Roland Courteau. – Cette complexité invite à réunir davantage d’éléments d’appréciation pour affiner nos connaissances. À propos des conflits d’usage, il faut considérer quelques données. On oppose souvent à l’essor de la chimie verte la rareté des sols. Or, la chimie verte mobilise environ six millions d’hectares dans le monde sur 1,4 milliard d’hectares cultivés. Cela nous invite à relativiser certaines appréhensions d’autant que les terres cultivables non utilisées recouvrent 1,6 milliard d’hectares. Par ailleurs, il est bien vrai que certaines plantes peuvent offrir des rendements élevés. Parmi celles-ci, des graminées, le miscanthus, par exemple, présentent un fort rendement, permettant par-là d’épargner des surfaces cultivables.
Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice. – Je souscris à l’idée qu’il faudrait approfondir nos connaissances des sols. Le rapporteur a mentionné les questions posées par les traitements mécaniques et leurs effets en termes de bilan de CO2. Il faut aussi considérer les phénomènes chimiques. Le travail des sols, quand il est excessif, aboutit à une disparition des organismes vivants qu’on y trouve et réduit, par-là, le potentiel de stockage de carbone. Il existe un choix à effectuer entre la vocation des sols à piéger le carbone et leur mobilisation pour produire une biomasse appelée à être convertie en énergie par sa combustion ou des processus de fermentation. Ceux-ci libèrent le carbone un temps stocké lors de la pousse. En somme, l’utilisation de la biomasse ne fait alors qu’opérer un report des émissions de gaz à effet de serre. Dans ces conditions, comme le suggère le rapporteur, il serait intéressant de mobiliser des experts pour cerner la dynamique globale du système. Ce qu’on souhaite c’est, en effet, d’avoir suffisamment d’énergie et de continuer à bénéficier d’un environnement viable. Il faut trouver le bon équilibre.
Mme Delphine Bataille, sénatrice. – L’état des lieux et les lignes directrices d’une stratégie pour la biomasse apparaissent clairement. Ma première question porte sur la dimension européenne. J’ai bien compris qu’une stratégie européenne plus positive manque encore. Par ailleurs, je relève l’exemple donné par les États-Unis d’Amérique pour susciter le passage de la recherche à une industrialisation de la production des produits biosourcés dans le domaine énergétique. Y a-t-il des exemples de crédit d’impôt analogue en Europe ou dans le monde ? Par ailleurs, sait-on si, à l’occasion de la COP21, la France va porter un message fort sur le scenario gagnant de la biomasse ?
M. Roland Courteau. – Je partage les observations de Mme Marie-Christine Blandin sur l’importance de compléter notre information sur les dynamiques des sols. Le miscanthus, que j’ai mentionné, offre un grand avantage, celui de ne pas nécessiter d’apports extérieurs pour sa croissance, tout en présentant un rendement élevé en biomasse, même dans des conditions hydriques très difficiles.
Par ailleurs, comme Mme Delphine Bataille l’a bien remarqué, les États-Unis d’Amérique ont eu le pragmatisme de cibler leurs soutiens publics non seulement sur l’amont mais aussi sur les phases industrielles. On pourrait utilement s’en inspirer en France. Je n’ai pas connaissance d’instruments de cette sorte en Europe.
Mme Marie-Yvonne Le Dain, députée. – Je remercie le rapporteur pour ce travail. Je souscris à la suggestion d’approfondir les questions posées par les usages des sols, notamment sur la dynamique des organismes vivants, c’est-à-dire le végétal, l’animal, le mycorhizien, soit les champignons et mousses, à la fois dans les sols et à leur surface. La pédologie a eu son heure de gloire mais, comme la physiologie des plantes ou, plus généralement, la physiologie, elle a été un peu délaissée faute de concepts. Mais, aujourd’hui, les pédologues travaillent beaucoup sur la question des transferts dans les sols, sur l’azote, le carbone, les phosphores, qui affectent la structuration des sols, leur porosité. Ces caractéristiques ont, bien entendu, des effets sur la rétention de l’eau, sur l’accès aux nutriments pour les végétaux, et, par conséquent, sur la vitalité de la biomasse. C’est un grand chantier scientifique qui est en train de s’ouvrir et qui ne concerne pas seulement la France ou l’Europe mais représente des enjeux mondiaux. Ce serait tout à fait justifié de suivre ce chantier de près. J’ajoute, pour conclure, que les sols ont des épaisseurs variées et sont sensibles à une grande diversité de paramètres. Il faut suivre comment la science s’empare de ce sujet.
M. Roland Courteau. – Monsieur le Président, les débats confirment l’intérêt que j’avais exprimé d’un complément de mes travaux, en particulier pour étudier les questions posées par la pédologie à travers quelques auditions.
M. Jean-Yves Le Déaut. – Pour conclure, je félicite le rapporteur pour ce rapport qui tire bien les conclusions de l’audition publique sur la biomasse. La biomasse représente les deux-tiers des énergies renouvelables. C’est important. Les débats de cet après-midi montrent un intérêt pour certains sujets comme la question des dynamiques des matières organiques dans les sols et en surface, l’intérêt de la biomasse statique dans la captation du carbone, l’état de la ressource en France et les conflits d’usage, la recherche, en particulier sur la biométhanation, c’est à dire l’utilisation du CO2 à travers des procédés organiques.
Nous disposons, avec les conclusions de l’audition publique du 25 juin 2015 que je vais vous proposer d’adopter, d’une base solide pour explorer l’ensemble de ces sujets. Nous pourrions réaliser quelques investigations complémentaires et organiser quelques tables rondes pour traiter à fond ces questions. Monsieur le rapporteur, si l’un des membres de l’Office le souhaitait accepteriez-vous pour ce faire, comme l’Office en a adopté la règle, de travailler en binôme ?
M. Roland Courteau. – Bien entendu, Monsieur le Président.
M. Jean-Yves Le Déaut. – Je mets donc aux voix les conclusions de l’audition publique du 25 juin 2015. Elles sont adoptées à l’unanimité. Par ailleurs, je vous propose de conduire quelques travaux dans le sens indiqué. Je constate votre accord unanime. Merci à nouveau, Monsieur le rapporteur.
1 La définition de la biomasse figurant dans ladite directive est la suivante : « la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l'agriculture (comprenant les substances végétales et animales), de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et municipaux ».
2 Il faut six molécules de dioxyde de carbone et six molécules d'eau pour synthétiser une molécule de glucose, relâchant six molécules de dioxygène, grâce à l'énergie lumineuse soit : 6 CO2 + 6 H2O + énergie lumineuse → C6H12O6 (glucose) + 6 O2
3 Tonne d’équivalent pétrole
4 Source : Rapport de mission établi à la demande des ministères chargés de l’écologie, de l’agriculture et du redressement productif « Les usages non alimentaires de la biomasse, tome 1 » (septembre 2012).
5 Éthyl-tertio-butyl-éther (ETBE) obtenu à partir de l'éthanol par réaction avec l'isobutène d'origine pétrolière.
6 Rapport de mission : « Les usages non alimentaires de la biomasse », établi par Mme Sylvie Alexandre, MM. Jean Gault, André-Jean Guérin, Etienne Lefebvre, Mme Catherine de Menthière, MM. Pierre Rathouis, Pierre-Henri Texier, Henri-Luc Thibault, Xavier Toussaint, Ingénieurs généraux des Ponts, des Eaux et des Forêts et M. Christophe Attali, Ingénieur général des Mines, à la demande du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, du Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt et du Ministère du redressement productif (septembre 2012).
7 Rapport d’information n° 1169 du 19 juin 2013, déposé par la mission d’information sur la biomasse au service du développement durable, au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, présenté par M. François-Michel Lambert et Mme Sophie Rohfritsch, députés.
8 « Bois & Forêts de France. Nouveaux défis. », Rapport de M. Jean-Yves Caullet, député, parlementaire en mission auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (juin 2013).
9 Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
10 Rapport précité de la mission d’information sur la biomasse au service du développement durable.
11 « Mise en valeur de la forêt française et développement de la filière bois », mission confiée à M. Jean Puech, ancien ministre, rapport remis, le 6 avril 2009, à M. Nicolas Sarkozy, Président de la République.
12 Ce paradoxe est particulièrement analysé dans un rapport de la Commission des Finances du Sénat (n° 382, 2014-2015). Ce rapport intitulé « Faire de la filière forêt-bois un atout pour la France », évoque ainsi un « modèle économique de pays en développement ».
13 « Freins au développement de la méthanisation dans le secteur agricole », rapport du CGEDD et du CGAAER, établi par M. Pierre Roussel, Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et M. François Roussel, Inspecteur général de l’agriculture, novembre 2012.
14 Tables rondes conjointes de la commission du développement durable et de la commission des affaires économiques du Sénat : « Conditions de la réalisation du potentiel de la biomasse-énergie en France » et « Biogaz et méthanisation comme ressource économique et substitut au gaz », Sénat, comptes rendus de la commission du développement durable, 2 octobre 2013.
15 Analyses de cycle de vie appliquées aux biocarburants de première génération consommés en France, rapport final (février 2010), étude réalisée pour le compte de l’ADEME, du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, du ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche, et de France Agrimer par BIO Intelligence Service.
16 Étude PIPAME (Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques) – A. T. Kearney sur les mutations économiques dans le domaine de la chimie (2010).
17 « La bioéconomie à l’horizon 2030. Quel programme d’action ? », 2009, Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
18 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « L’innovation au service d’une croissance durable : une bioéconomie pour l’Europe » (13 février 2012).
19 « National bioeconomy blueprint », White House, Washington, avril 2012.
20 « A new biology for the 21st century », National Research Council, 2009.
21 Combinaison de la biologie et de l’ingénierie afin de concevoir et de synthétiser des nouveaux systèmes et fonctions biologiques, la biologie de synthèse a fait l’objet d’un rapport de l’Office parlementaire, cité en annexe à la présente étude, en date de février 2012.
22 Étude de l’ensemble des protéines d’une cellule.
23 Outils informatiques pour l’analyse des données biologiques.
24 « National policy strategy on bioeconomy », Federal Ministry of food and agriculture (mars 2014).
25 « National research strategy. Bioeconomy 2030 », Federal ministry of education and research (2011).
26 Mis en place en 2009, le Conseil de bioéconomie est une autorité indépendante placée auprès du gouvernement allemand, notamment du ministère fédéral de l’alimentation et de l’agriculture et du ministère fédéral de l’éducation et de la recherche.
27 GIE Semences forestières améliorées, Syndicat national des pépiniéristes forestiers (SNPF), Union nationale des entrepreneurs du paysage (UNEP), Fédération Entrepreneurs des territoires, Fédération nationale du bois (FNB).