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N
° 411

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 novembre 2012

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI, tendant à prévenir le surendettement (n° 221),

PAR M. Jean-Christophe LAGARDE,

Député.

——

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 221.

INTRODUCTION 5

I.— UN DÉBAT RÉCURRENT QUI DOIT ENFIN ABOUTIR 9

1. Les exemples étrangers 9

2. De nombreuses initiatives parlementaires 11

3. La création d’un comité de préfiguration a acté le principe de la création d’un répertoire 12

II.— LA PROPOSITION DE LOI ENTEND SE DÉMARQUER ET ALLER PLUS LOIN QUE LE RAPPORT DE PRÉFIGURATION 15

1. Dépasser le mythe du surendettement passif 15

2. Le choix d’un identifiant autre que le NIR 16

3. Une information plus détaillée 17

III.— L’URGENCE À SE DOTER D’UN OUTIL COMPLÉMENTAIRE EN PÉRIODE DE CRISE ÉCONOMIQUE 19

1. Il faut davantage de visibilité lors de l’octroi d’un crédit 19

2. Le statu quo à la française favorise le développement de fichiers et d’organisations propriétaires cloisonnées 20

3. La création d’un répertoire national des crédits apporterait davantage de concurrence et une meilleure allocation du crédit 21

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

I.— DISCUSSION GÉNÉRALE 23

II.— EXAMEN DES ARTICLES 35

Article 1er (article L. 311-10-2 [nouveau] du code de la consommation) : Obligation pour le prêteur d’examiner la solvabilité de l’emprunteur 35

Article 2 (article L. 313-6-1 [nouveau] du code monétaire et financier) : Création d’un répertoire national des crédits aux particuliers 36

TABLEAU COMPARATIF 43

MESDAMES, MESSIEURS,

Le combat contre le surendettement est pour moi un engagement primordial et constant, c’est pourquoi j’ai déposé à cet effet cette nouvelle proposition de loi.

L’observation des données présentées pour le deuxième trimestre 2012 par le baromètre du surendettement, réalisé par la Banque de France, montre que le surendettement connaît une forte augmentation dans notre pays. Ainsi, de juillet 2007 à juin 2012, le nombre de dossiers déposés auprès des secrétariats des commissions de surendettement s’est élevé en moyenne à 210 340 dossiers par an. La présentation lissée de ces chiffres ne permet toutefois pas de prendre pleinement conscience de l’accentuation du phénomène de surendettement. En réalité, le nombre de dossiers déposés devant les commissions de surendettement est passé d’un rythme annuel de 180 000 en 2004 à 200 000 en 2009, pour atteindre 232 000 en 2011.

Certes la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a, notamment, instauré un encadrement des crédits renouvelables, modernisé le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), rendu sa consultation obligatoire avant l’octroi d’un crédit à la consommation et introduit différentes mesures visant à mieux informer les consommateurs et responsabiliser les prêteurs. Pour autant, le constat dressé par la Cour des Comptes selon lequel « la politique de lutte contre le surendettement est déséquilibrée, le dispositif légal visant davantage à traiter la situation individuelle des surendettés qu’à prévenir le surendettement » (1) demeure largement pertinent.

Ce constat d’un défaut de prévention en matière de surendettement est d’autant plus regrettable que l’article 49 de la loi précitée prévoyait l’élaboration d’un rapport de préfiguration d’un registre national des crédits aux particuliers.

Dix-huit mois après la publication de ce rapport à la fois complet et détaillé, la création d’un répertoire des crédits aux particuliers, couramment baptisé « fichier positif » par opposition aux « fichiers négatifs » qui, comme le FICP, ne recensent que les incidents de paiement, est au point mort. Cette inertie s’explique par certaines options préconisées par le rapport, sans doute sous la pression des banques, qui obèrent la faisabilité et l’efficacité du fichier.

Que la création d’un répertoire des crédits ne permette pas, à elle seule, de régler la question du surendettement, l’auteur de cette proposition de loi en est persuadé. Mais qu’un outil complémentaire, très répandu chez nos voisins au point que la France se retrouve très isolée dans son refus et qui a fait l’objet d’initiatives émanant de plusieurs familles politiques, soit écarté en raison de l’opposition traditionnelle de quelques-uns n’est pas acceptable. On peut raisonnablement penser que le répertoire des crédits éviterait l’emballement des dettes des quelque 60 000 personnes par an qui s’engagent dans une série d’achats compulsifs et permettrait d’arrêter l’aggravation de la situation de milliers d’autres. On sait que l’encours de dette des personnes arrivant devant les commissions de surendettement dans notre pays est beaucoup plus élevé, près du double, que chez nos voisins.

Les précédents débats parlementaires, je pense tout particulièrement au récent plaidoyer de Jean Dionis du Séjour, ont permis de lever les principales objections qui étaient présentées à l’encontre de la création d’un répertoire national des crédits.

La création d’un répertoire des crédits recueille, en outre, l’assentiment d’un grand nombre d’acteurs de la vie sociale. C’est bien entendu le cas de l’association CRESUS qui pratique l’accueil et l’écoute de dizaines de milliers personnes en situation d’endettement et de surendettement et assure le suivi des procédures ; c’est aussi le cas de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), du Secours Populaire, mais également de l’ensemble du secteur du commerce, grande distribution et petit commerce réunis. À noter également que le 107ème Congrès des notaires de France s’est lui aussi prononcé en faveur de la création d’un fichier positif en matière d’endettement. J’ajoute que le candidat François Hollande lui-même s’était montré très sensible à cette question. Il avait en effet indiqué le 27 février 2012, sur TF1, en réponse à M. Jean-Louis Kiehl, président de la fédération des associations CRESUS au sujet d’un fichier national des crédits, je cite : « Nous aurons à mettre en place ce mécanisme dans le respect du droit des personnes ». Enfin les associations de consommateurs sont très divisées en leur sein sur cette question. Il est toutefois symptomatique de souligner que les adhérents intervenant au sein des commissions de surendettement, donc au plus près de la réalité du terrain, sont majoritairement en faveur d’un répertoire des crédits.

C’est bien à cette réalité de terrain, d’ailleurs illustrée (signe des temps ?) par une importante production littéraire et cinématographique(2), qu’entend répondre cette proposition de loi qui vise à prévenir le surendettement en introduisant davantage de transparence et de rationalité dans l’octroi des crédits aux particuliers.

I.— UN DÉBAT RÉCURRENT QUI DOIT ENFIN ABOUTIR

La gestion de l’information est un élément déterminant de la politique d’octroi de crédits. Aussi, pour faire face à l’asymétrie de l’information entre le prêteur et l’emprunteur ont été mis en place, dans un grand nombre de pays, des bureaux de crédit ou des centrales de crédits qui regroupent les informations fournies par les abonnés, dans les systèmes privés, ou les établissements de crédits, dans les systèmes publics gérés par la banque centrale, et restituent des données consolidées sur un emprunteur donné. Selon la CNIL (3), les bureaux de crédit sont présents dans plus de soixante pays dans le monde.

La création de centrales de crédit est donc tout sauf une idée neuve en Europe et leur fonctionnement n’a pas révélé de dysfonctionnements portant atteinte à la vie privée ou aux libertés publiques. Il n’existe pas pour autant de modèle unique de ces centrales ou répertoires, certains pays disposant d’ailleurs de plusieurs dispositifs de cette nature.

Votre rapporteur tient, en outre, à souligner que le statu quo et le combat de retardement mené par certains établissements bancaires ont pour corollaire la constitution de fichiers propriétaires au sein de chacun des réseaux bancaires. Ces fichiers ne peuvent être régulièrement contrôlés par la CNIL, ce qui ne favorise ni la transparence, ni la concurrence, ni le respect des libertés individuelles. La constitution de ce répertoire qui complète efficacement le service public dédié à la prévention du surendettement, ouvert à l’ensemble des acteurs concernés et accompagné des garanties précitées, est davantage conforme à nos valeurs.

1. Les exemples étrangers

Il convient tout d’abord de rappeler qu’en Europe, les pays n'ayant pas adopté ce système sont peu nombreux : aux côtés de la France, on peut seulement citer le Danemark, la Finlande, le Luxembourg, la Norvège et la Grèce.

Le système allemand est le plus ancien d’Europe ; l’origine de la Schutzgemeinschaft für allgemeine kreditsicherung (SCHUFA) découle, en effet, de la volonté des entreprises de distribution de l’électricité dont la Berlin Municipal Electric Company (BEWAG), et de diverses entreprises de vente à crédit, de s’assurer de la solvabilité de leurs clients durant la période de croissance économique des années 1920 à 1928. Après plusieurs modifications de ses statuts, la SCHUFA est désormais organisée sous forme de société anonyme ; elle emploie 752 salariés et gère 479 millions de données émanant de 66,2 millions de citoyens.

Plusieurs centrales ont ensuite été créées durant les années 1960 concomitamment avec l’essor du crédit à la consommation : c’est le cas en Autriche (4) (1964), aux Pays-Bas (5) (1965) et en Irlande (6) (1965). Avec le développement d’offres de gestion par des sociétés américaines d’évaluation du crédit comme Equifax, Experian ou TransUnion, de nombreuses autres centrales ont vu le jour dans les années 1980-90, notamment en Grande-Bretagne (1986), en Italie (1988), au Portugal (1991) ou en Espagne (1994).

Le modèle dominant à l’échelon international est celui du bureau de crédit tel qu’il est apparu aux États-Unis dès le début du XXème siècle. Il s’agit de sociétés privées qui collectent des données sur les emprunts contractés par les particuliers et leurs habitudes de paiement de factures afin de fournir aux établissements de crédits et aux entreprises qui vendent à tempérament des informations, sur la solvabilité de leurs clients potentiels et les risques qu’ils encourent.

En Europe, la plupart des centrales de crédit sont gérées par des sociétés privées, soit directement, soit en partenariat avec le secteur bancaire. Le cas de la Belgique est intéressant à plus d’un titre : il s’agit, en effet, d’un exemple de gestion publique à l’image de ce qui figure dans le texte de la présente proposition et il est de création relativement récente.

Dans un premier temps, la Belgique a suivi l’exemple français en créant un fichier négatif (7) semblable au FICP géré par la Banque de France. Elle a ensuite fait montre de davantage d’audace en instaurant une centrale des crédits aux particuliers (8) dont la gestion a été confiée à la Banque nationale de Belgique. Le dispositif prévoit la consultation obligatoire de la centrale avant tout octroi de crédit par un prêteur qui peut être aussi bien une banque, un assureur, les sociétés autorisées à pratiquer des ventes à tempérament ainsi que les émetteurs de cartes de crédit.

En l’absence de statistiques disponibles sur l’évolution du surendettement en Belgique à la suite de la création de la centrale des crédits aux particuliers, les enseignements à tirer des chiffres sur les évolutions du marché du crédit sont délicats. Il semble toutefois possible de considérer que la centrale a permis d’augmenter de quelques points le pourcentage de la population ayant accès au crédit. Les statistiques de la centrale des crédits indiquent également que le pourcentage de contrats défaillants était de 4,1 % en décembre 2011 contre 5,4 % un an auparavant. De même le nombre de nouveaux contrats défaillants auprès des établissements de crédit a enregistré une décrue de 2,2 % (9) entre 2010 et 2011.

2. De nombreuses initiatives parlementaires

C’est lors des débats ayant conduit à l’adoption de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, dite « loi Neiertz » que la question de la mise en place d’une centrale des crédits fut abordée pour la première fois.

Il est parfaitement logique que la question du surendettement transcende les clivages partisans tant elle préoccupe l’ensemble des élus confrontés dans leurs circonscriptions à la détresse de personnes ne pouvant plus faire face à leurs engagements financiers.

Depuis bientôt dix ans, de nombreuses initiatives parlementaires(10) émanant des différents groupes parlementaires ont été prises afin de mettre en place un répertoire national des crédits. Les centristes ont toutefois été très souvent les précurseurs en la matière. En effet, dès 2003, lors de l’examen du projet de loi instaurant une procédure de rétablissement personnel, le groupe UDF à l’Assemblée nationale proposait la création d’un répertoire national des crédits. De même, le groupe UDF avait inscrit à l’ordre du jour deux propositions de loi en ce sens discutées en 2005 et 2006. Des amendements ont également été présentés à ce sujet par le groupe parlementaire centriste à l’occasion des discussions du projet de loi sur la réforme du crédit à la consommation.

Plus récemment la discussion en première lecture du projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs a été l’occasion d’un nouveau débat sur ce sujet à la suite du dépôt de l’amendement n° 406 présenté par plusieurs députés du groupe Nouveau Centre. Cet amendement, porté par votre rapporteur, a été rejeté lors de la deuxième séance du mardi 4 octobre 2011. Il en a été de même au Sénat avec l’amendement n° 170 déposé par Mme Valérie Létard et les membres du Groupe de l'Union Centriste et Républicaine.

Ce sort réservé aux diverses initiatives centristes est d’autant plus regrettable que le débat à l’Assemblée nationale du projet de loi réformant le crédit à la consommation avait permis une avancée marquante vers la création d’un répertoire.

3. La création d’un comité de préfiguration a acté le principe de la création d’un répertoire

Une étape supplémentaire a été franchie à l’occasion de l’examen du projet de loi portant réforme du crédit à la consommation (loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010) avec l’adoption d’un amendement déposé par le Gouvernement et visant à la création d’une instance de préfiguration du fichier positif chargée de déposer un rapport dans un délai de douze mois. Il s’agissait d’un compromis initié par le Président Patrick Ollier permettant le retrait des amendements de la commission des Lois saisie pour avis, de M. Jean Dionis du Séjour et de M. Jean Gaubert. Selon les propos même de la ministre, le principe de la création du fichier était acté (11).

L’article 49 de la loi est ainsi rédigé :

« La création d'un registre national des crédits aux particuliers, placé sous la responsabilité de la Banque de France, fait l'objet d'un rapport remis au Gouvernement et au Parlement, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, élaboré par un comité chargé de préfigurer cette création et dont la composition est fixée par décret. »

« Ce rapport précise les conditions dans lesquelles des données à caractère personnel, complémentaires de celles figurant dans le fichier mentionné à l'article L. 333-4 du code de la consommation et susceptibles de constituer des indicateurs de l'état d'endettement des personnes physiques ayant contracté des crédits à des fins non professionnelles, peuvent être inscrites au sein de ce fichier pour prévenir le surendettement et assurer une meilleure information des prêteurs sur la solvabilité des emprunteurs, dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »

Le rapport a été rédigé par le Comité de préfiguration du registre national des crédits aux particuliers, groupe de travail ad hoc constitué en juillet 2010 dans la foulée du vote de la loi réformant le crédit à la consommation. Les 12 membres de ce comité, présidé par le président du comité consultatif du secteur financier (CCSF) Emmanuel Constans, comprenaient des parlementaires, des représentants du ministère de l'Économie, de la Banque de France, de la CNIL, du secteur de la distribution, des établissements de crédit et des associations de consommateurs.

Le rapport étudie successivement les différentes hypothèses concernant l’identification des personnes enregistrées, la nature des informations inscrites dans le registre, les conditions d’accès des établissements de crédit et d’autres instances, la traçabilité et la conservation des données, l’exercice des droits d’information, d’accès et de rectification par les consommateurs, les coûts et la tarification, les modalités de déclaration et de consultation des informations ou encore les modalités et les délais de mise en place du registre. Ce travail, intéressant à bien des égards, est malheureusement très marqué par l’opposition des représentants du secteur bancaire à toute avancée en ce domaine. La présente proposition de loi entend donc se démarquer de ce rapport pour obtenir enfin un résultat tangible.

II.— LA PROPOSITION DE LOI ENTEND SE DÉMARQUER ET ALLER PLUS LOIN QUE LE RAPPORT DE PRÉFIGURATION

Votre rapporteur souhaite tout d’abord revenir, pour y mettre un terme, sur la prétendue prépondérance du surendettement passif sur le surendettement actif qui est un argument traditionnellement mis en avant par les opposants au répertoire des crédits. Sachant que la principale pierre d’achoppement à la création du répertoire des crédits est l’utilisation du NIR comme identifiant, votre rapporteur propose une option différente et plus directement opérationnelle, même si ce choix relèvera du domaine réglementaire, donc du gouvernement.

1. Dépasser le mythe du surendettement passif

Il s’agit de la distinction entre le « surendettement actif » qui correspondrait à un recours imprudent au crédit, pour lequel le fichier positif serait utile mais qui est jugé comme étant très minoritaire parmi les dossiers déposés (25 % de 230 000 dossiers c'est près de 400 000 familles par an soit 4 millions en dix ans), et le « surendettement passif » jugé très majoritaire (75 %), qui découlerait des différents « accidents de la vie » que sont les problèmes de santé, la perte d’un emploi ou le divorce, pour lequel le fichier positif serait sans intérêt puisque la difficulté survient au cours de l’exécution des contrats et non lors de la souscription. Cette critique rejoint celle, très largement mise en avant par les banques, selon laquelle il n’y a pas de problème au moment de l’octroi du crédit puisqu’elles disposent d’éléments et d’outils statistiques performants.

Cette distinction est présentée dans les enquêtes typologiques triennales de la Banque de France (12) sur le profil des surendettés ayant déposé des dossiers à ses guichets et sur les mesures de traitement qui leur ont été appliquées. Elle a été remise en cause par la Cour des Comptes dans son rapport de 2010.

Dans ce rapport, la Cour des Comptes consacre un développement à la lutte contre le surendettement des particuliers (13). Elle souligne notamment que « les chiffres fournis par la Banque de France, comme l’examen des dossiers par les rapporteurs de la Cour ne confirment ni la pertinence de cette distinction entre deux natures de surendettement ni le ratio de 75 % contre 25 %, qui résulte de statistiques mal renseignées. »

Plusieurs arguments sont avancés par la Cour à l’appui de sa démonstration. Tout d’abord le fait qu’une majorité de dossiers présentent des situations où des « accidents de la vie », plus ou moins prévisibles, se cumulent avec des comportements de consommation imprudents (nombreuses cartes de crédit renouvelable, par exemple) qui rendaient le surendettement inévitable au moindre « accident ».

Une étude réalisée par l’association CRESUS sur les 47 000 dossiers qu’elle a eu à connaître en 2010-2011 montre, quant à elle, que les ménages surendettés sont liés par plus de huit crédits dans 78 % des cas. Il est évident que le nombre de crédits à la consommation souscrits par les particuliers, qu’ils soient amortissables ou pis encore renouvelables, est l’élément structurant du surendettement qui peut survenir à la moindre difficulté. On peut parler dans de tels cas de surendetté potentiel.

Le rapport de la Cour des Comptes dénonce également le caractère « attrape tout » de la catégorie « surendettement passif ». D’une part, la notion « d’accidents de la vie » est librement interprétée par les secrétariats des commissions, ainsi la perte d’emploi pour un salarié en contrat à durée déterminée sans qualification ou un départ à la retraite sont classés dans la catégorie « passif », et, d’autre part, il suffit souvent d’être divorcé, fût-ce depuis 20 ans, pour être classé dans la catégorie « divorce : passif », ce qui doit à l’évidence être nuancé selon les situations personnelles.

Votre rapporteur partage l’opinion de la Cour selon laquelle la notion de « surendettement passif » accrédite l’idée que le surendettement relève d’une sorte de fatalité et que cette analyse fait peu de cas de la responsabilité individuelle, d’une part, et de la responsabilité des établissements de crédit et des distributeurs, d’autre part. On peut d’ailleurs relever à cet égard que les crédits à la consommation constituent des produits beaucoup plus rémunérateurs que le crédit immobilier et qu’à l’issue des procédures de recouvrement, le pourcentage de créances non remboursées est assez faible. Dès lors, le risque encouru par les banques et leurs filiales spécialisées est minime, ce qui explique la légèreté des contrôles lors de la souscription et l’attachement à la notion de surendettement passif qui les dégage de toute responsabilité. En revanche, il permet aux établissements de crédits de pratiquer des taux élevés pour ceux qui remboursent leur prêt sous de mauvais prétextes.

2. Le choix d’un identifiant autre que le NIR

Le respect de la vie privée et la protection des libertés individuelles sont des valeurs fondamentales de notre démocratie. L’essor de l’informatique et des technologies issues du numérique s’accompagne de procédés pouvant porter atteinte de manière toujours plus insidieuse aux données à caractère personnel.

La création d’un répertoire des crédits aux particuliers doit bien entendu s’entourer de toutes les précautions juridiques et techniques permettant de respecter les principes posés par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

L’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 précitée dispose notamment que les données à caractère personnel « sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités » et qu’elles sont « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ». Il s’agit des concepts de finalité et de proportionnalité qui sont à la base de l’examen d’un dispositif par la CNIL.

C’est dans ce contexte que se place la question du recours au NIR qui est le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP). Il est vrai que la CNIL a pour position constante de limiter son utilisation au domaine social conformément au principe de cantonnement des fichiers et qu’elle entend plus généralement limiter son usage le plus possible car il contient des données personnelles. Le rapport de préfiguration préconisait d’utiliser le NIR comme identifiant tout en adoptant des mesures de protection spécifique, à savoir des procédures de hachage et de cryptage.

Le rapport du comité de préfiguration a été publié le 2 août 2011 et soumis à consultation jusqu'au 15 septembre par le ministre de l'économie M. François Baroin. La veille du terme de cette consultation, soit le 14 septembre 2011, la CNIL a fait connaître ses réserves à la création d’un tel fichier dans un courrier signé le dernier jour du mandat de son Président M. Alex Türk.

Votre rapporteur souhaite éviter cet écueil et pense, et c’est là un de ses points de discordance avec le rapport de préfiguration, que l’on peut tout à fait utiliser un fichier déjà existant, le fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Ce fichier recense les comptes de toute nature (bancaires, postaux, d’épargne) détenus par une personne ou une société et permet de fournir aux personnes habilitées des informations sur ces comptes. Ce choix permet de désamorcer les critiques de la CNIL. En outre, le FICOBA peut être utilisé très directement pour recenser les différents crédits sans avoir à modifier les systèmes informatiques des banques et sans mettre en place une procédure complexe de double hachage comme pour sécuriser le NIR. Il est de plus, immédiatement opérationnel alors que le recours au NIR imposerait un délai de 6 à 7 ans pour que le fichier soir réellement opérationnel, raison pour laquelle des lobbys tels que ceux animés par la BNP ou le Crédit Agricole, le préfèrent. Le choix en reviendra au pouvoir réglementaire, mais je souligne qu’il s’agit d’une solution directement opérationnelle à un coût moindre pour les banques.

3. Une information plus détaillée

Selon les préconisations du rapport de préfiguration, la restitution des données aux établissements de crédit lors de la consultation du répertoire doit s’effectuer sur une base agrégée et non détaillée ligne de crédit par ligne de crédit. Votre rapporteur regrette néanmoins que l’évaluation de la solvabilité soit ainsi réduite à son minimum, puisque le fichier positif ne mentionnera ni les mensualités ni aucune information sur la durée de chaque type de crédit (amortissable, immobilier, rachat de crédit). Il convient de donner une information plus détaillée tout en conservant un maximum de simplicité de consultation.

L’ancienneté des données conservées, limitée toutefois à quelques mois, doit permettre de suivre l’évolution récente de la situation de la personne concernée. D’une manière générale, l’enregistrement des informations relatives aux crédits ne doit pas permettre d’identifier l’établissement prêteur. En ce qui concerne les crédits renouvelables dont on sait l’importance dans le processus de surendettement, l’enregistrement portera sur le plafond de l’autorisation consenti et l’activité ou l’inactivité du crédit.

III.— L’URGENCE À SE DOTER D’UN OUTIL COMPLÉMENTAIRE EN PÉRIODE DE CRISE ÉCONOMIQUE

Il convient de souligner qu’en dépit des alertes régulièrement lancées à l’encontre du développement du « malendettement » que ce soit, en son temps, par le Médiateur de la République ou les associations qui comme CRESUS travaillent sur le terrain, la situation du surendettement ne fait que s'aggraver dans notre pays. Il apparaît donc légitime d’utiliser tous les outils pour prévenir ces situations bien souvent dramatiques dans lesquelles se retrouvent chaque année plus de 230 000 de nos concitoyens, chiffre qui ne peut hélas qu’augmenter en période de crise économique.

Il est essentiel et urgent de co-responsabiliser les établissements de crédits et de leur donner les moyens d’évaluer la solvabilité des emprunteurs.

1. Il faut davantage de visibilité lors de l’octroi d’un crédit

Dans le cadre nouveau de la responsabilisation des organismes prêteurs que propose l’article 1er de la proposition de loi, votre rapporteur estime qu’il convient, en contrepartie, de leur donner les moyens de s’informer de la situation d’endettement personnelle des emprunteurs. Ils ont aujourd’hui à leur disposition le fichier des incidents de paiement (FICP) mais son actualisation est bien trop longue pour permettre une vision précise et réelle de la situation de l’emprunteur au moment de la demande. Et en tout état de cause, lorsqu’un demandeur d’emprunt est inscrit à ce fichier, il est souvent déjà trop tard.

Comme le notait le sénateur Joël Bourdin (14) dans son rapport d’information consacré à l’accès des ménages au crédit en France, « la capacité du secteur bancaire à exercer sa fonction de réduction d’ignorance est un enjeu important », or, ajoutait-il, « en France le secteur bancaire n’est pas mis dans les meilleures conditions pour accomplir cette mission. L’absence de fichier positif est ici en cause. »

De la même manière Me Yves Delecraz s’exprimant lors du 107ème Congrès des notaires de France (15) ne pouvait que constater qu’« en ne maîtrisant pas, au moment de la demande de crédit, l’endettement actuel du consommateur qu’il a en face de lui, comment le professionnel peut-il faire preuve de responsabilité en refusant un crédit pour éviter, demain, une situation de mal-endettement, et après-demain, une situation de surendettement ? »

La proposition de loi vise à introduire une plus grande visibilité des établissements prêteurs au moment de l’octroi d’un crédit à la consommation, que celui-ci soit amortissable ou renouvelable. L’augmentation de la pluri-bancarité rend plus délicate l’évaluation de la solvabilité des emprunteurs et si les banques disposent de fichiers propres (maison mère + filiales), elles ne connaissent pas toujours l’existence et le nombre de crédits souscrits par ailleurs par leurs clients.

Tout est dit sur une situation absurde qui ne peut que déboucher sur des situations compliquées voire dramatiques ; il est plus que temps d’introduire davantage de rationalité dans l’allocation des crédits à la consommation et de responsabiliser enfin les établissements de crédit. Quant à la proportionnalité d’un fichier de 25 millions de personnes au regard de l’objectif poursuivi, il convient de mettre en avant le nombre de personnes en cours de désendettement (de l’ordre de 750 000) ou en situation de malendettement, soit au total près d’1,5 million de personnes. La proportion semble donc très raisonnable.

Les intervenants au sein des commissions de surendettement le savent bien, toutes les personnes ne disposent pas des mêmes capacités à gérer leur budget et à évaluer leurs charges sur le moyen terme, ni même à comprendre la situation économique et sociale dans laquelle elles se trouvent (15% d'illettrés en France). On sait également que des personnes peuvent avoir la tentation de s’endetter pour maintenir artificiellement leur niveau de vie après changement de situation professionnelle ou familiale. Ainsi, selon M. Jean-Louis Kiehl, président de la fédération des associations CRESUS, « dans 58% des dossiers, le différentiel entre la déclaration de l’emprunteur au moment de la souscription des derniers prêts ayant conduit au surendettement s’établit à plus de 700 euros marquant les limites du système reposant en France exclusivement sur la déclaration sur l’honneur ou encore sur la fameuse fiche de dialogue remplie à quatre mains. »

2. Le statu quo à la française favorise le développement de fichiers et d’organisations propriétaires cloisonnées

Tous les établissements de crédit disposent de systèmes de traitement de données à caractère personnel visant à évaluer la solvabilité de l’emprunteur, c'est-à-dire permettant d’analyser le risque statistique de défaut de remboursement attaché à chaque demande de crédit.

Certes, ces fichiers et autres outils de « scoring » sont, depuis la réforme de 2004, soumis à un contrôle a priori de la CNIL qui veille notamment à ce que ces traitements ne sont pas susceptibles d’exclure une personne du bénéfice d’un contrat de crédit là ou aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit une telle exclusion.

Mais la question de la transparence se pose avec encore plus d’acuité dans le cadre du fonctionnement de ces fichiers qui, pour d’évidentes raisons matérielles, ne peuvent faire l’objet d’un suivi aussi attentif de la part de la CNIL. Votre rapporteur souligne les risques potentiels pour les libertés publiques que génère un tel système de fichiers consolidés à l’échelon de chaque groupe bancaire.

Le « Fichier positif » est aussi un moyen supplémentaire pour améliorer la mobilité bancaire puisque celle-ci n’est viable que si l’ensemble des banques disposent du même niveau d’information. Les fichiers propriétaires favorisent le phénomène de clientèle captive.

3. La création d’un répertoire national des crédits apporterait davantage de concurrence et une meilleure allocation du crédit

Ainsi que le relève la CNIL (16), « le fichier positif donne certainement un avantage au nouvel entrant, en favorisant la concurrence entre les établissements de crédit, ce qui peut expliquer la frilosité de la majorité des établissements de la place. Les établissements présents de longue date exercent de fait un « monopole » sur les données de leurs clients. »

Il est clair que les établissements de crédit qui occupent une position dominante en matière de crédit à la consommation, c’est le cas en France de BNP Paribas et du Crédit Agricole, ont naturellement tendance à voir dans la création d’un répertoire des crédits aux particuliers une opportunité à moindres coûts pour les nouveaux entrants sur le marché, lesquels, c’est le cas notamment de la Banque Postale, y seraient davantage favorable. Cette ouverture à la concurrence paraît tout à fait saine dans la mesure où est prohibée la prospection commerciale. Il s’agit simplement d’introduire davantage de transparence sur un marché actuellement cloisonné entre un petit nombre d’établissements.

On sait, par ailleurs, que plus de 40 % de la population adulte est de facto absente du marché du crédit et qu’une meilleure connaissance de leur situation pourrait permettre une distribution plus large et plus sécurisée du crédit. Les prêteurs pourraient ainsi accepter de prendre un risque avec un client automatiquement exclu par des critères reposant sur des statistiques générales (les scoring). Il est souhaitable de démocratiser l’accès au crédit dans notre pays qui présente, il faut le rappeler, un taux d’épargne des ménages parmi les plus élevé d’Europe, de l’ordre de 16 %.

Ensuite, et c’est loin d’être un élément négligeable, la création d’un répertoire national des crédits permettra de faire bénéficier de cette faculté un grand nombre de nos compatriotes actuellement exclus du crédit par les procédures de credit scoring. On estime que 40 % de la population n’a pas accès au crédit à la consommation en France alors que cette proportion est deux fois moins moindre dans les pays comparables. La raison en est le recours au credit scoring pour estimer la solvabilité de clients sollicitant un premier crédit. En effet en l’absence d’antécédents sur lesquels se baser, les banques fondent leur réponse sur des éléments statistiques relatifs aux caractéristiques du demandeur (âge, profession, salaire, situation familiale). Cette méthode d’évaluation ne tient compte que de critères chiffrés qui peuvent exclure d’office un emprunteur pourtant solvable, mais faisant partie d’un type de demandeur à fort taux de risque. Le crédit scoring résume tout le dossier de crédit à des chiffres, un projet n’est pas jugé de manière pragmatique, individualisé et peut être rejeté sans que le demandeur puisse le défendre utilement.

Enfin, l’absence de contrôle suffisant au moment de la souscription d’un crédit, et les défauts qu’elle suscite, ont bien entendu un coût (solde impayé et coûts de traitement des dossiers) que les banques répercutent sur les taux d’emprunt proposés aux consommateurs. Là encore, la création d’un répertoire des crédits peut être bénéfique. À terme en effet, la diminution des cas de surendettement et du taux de risque devrait conduire à une diminution des taux de crédit ; ainsi serait enclenché un cercle vertueux sur ce marché. Il est aussi essentiel de garder en tête le coût social du surendettement pour la société (recours au FSE, FSL, CCAS, etc.) qui n'est jamais estimé et difficilement estimable mais qui a un poids non négligeable tout comme le coût humain (divorces, dépressions, etc.).

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.— DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du 14 novembre 2012, la commission a examiné la proposition de loi tendant à prévenir le surendettement (n° 221) sur le rapport de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. le président François Brottes. Le problème du surendettement, qui concerne malheureusement bon nombre de nos concitoyens, a déjà été abordé à maintes reprises par notre commission, notamment dans le cadre de la LME et du projet de loi Lefebvre.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. En effet, monsieur le président. J’avais d’ailleurs promis en janvier 2012, après le rejet d’une proposition de loi identique dont j’étais l’auteur, que nous remettrions l’ouvrage sur le métier. J’espère avoir plus de succès aujourd’hui, car le problème demeure entier, encore aggravé par la crise économique.

Mme Christine Lagarde, alors ministre de l’économie, l’avait reconnu, non sans difficulté : il n’y a plus lieu de débattre de l’opportunité d’un répertoire des crédits pour prévenir les risques de surendettement et il convient désormais de travailler aux modalités concrètes de mise en œuvre du dispositif. Le candidat François Hollande s’était d’ailleurs montré très sensible à cette question, indiquant le 27 février 2012 sur TF1 en réponse à M. Jean-Louis Kiehl, président de la fédération des associations CRESUS : « Nous aurons à mettre en place ce mécanisme dans le respect du droit des personnes. » C’est ce que je vous propose de faire aujourd’hui.

Je souhaite tout d’abord rappeler un certain nombre d’éléments nécessaires à la compréhension du texte que je propose, plusieurs idées fausses circulant sur le sujet, comme j’ai pu m’en rendre compte à quatre reprises au moins depuis dix ans. Je ne vous assommerai pas de chiffres ni de statistiques puisque vous les connaissez, et que vous connaissez surtout la réalité dont témoignent nos concitoyens dans vos permanences. J’indiquerai simplement que le nombre de dossiers déposés chaque année auprès des commissions de surendettement est passé de 180 000 en 2004 à 232 000 en 2011. De 2010 à 2011, l’augmentation est de 6,6 % ! L’urgence se fait pressante, malgré plusieurs dispositions adoptées par la Banque de France, dont le développement de la procédure de rétablissement personnel et le recours à des systèmes d’enregistrement des dossiers qui en éliminent un certain nombre. Il est donc temps de relancer le processus en s’appuyant sur le rapport du comité de préfiguration – dont certains choix sont néanmoins discutables – ainsi que sur l’expérience quotidienne des associations et des travailleurs sociaux dont je salue le travail remarquable, en particulier l’association CRESUS, qui soutient notre initiative.

La création d’un fichier positif des crédits aux particuliers poursuit deux objectifs : le principal est la prévention du surendettement ; le second, également essentiel, est l’accès d’un plus grand nombre de personnes à un crédit raisonné.

Assurément, le fichier positif n’est pas le remède miracle qui permettrait de faire disparaître le fléau du surendettement. Il s’agit plus modestement d’un outil supplémentaire offrant une meilleure visibilité de l’endettement d’un particulier qui souhaite souscrire un crédit. Les statistiques de la Banque de France montrent en effet que les personnes ayant recours aux commissions de surendettement ont très souvent de nombreux crédits à la consommation en cours, amortissables ou renouvelables. Une étude de l’association CRESUS le confirme : dans 78 % des 47 000 dossiers qu’elle a eu à connaître en 2010-2011, les ménages surendettés sont liés par plus de huit crédits dits revolving – contre quatre en moyenne à l’époque, il y a sept ans, où nous débattions pour la première fois de ce sujet dans l’hémicycle. Et l’on nous invite encore à attendre !

M. le président François Brottes. Depuis, nous avons décidé à l’unanimité la création d’un comité, à titre de repli…

M. le rapporteur. Oui : le repli le plus consternant dont j’aie été témoin au cours de ma vie parlementaire ! Ce comité a travaillé fort longtemps, pour aboutir à des conclusions dont certaines me paraissent discutables – mais j’y reviendrai.

Il est manifestement nécessaire de responsabiliser davantage les établissements de crédit au moment où ils décident d’octroyer ou non un prêt à la consommation. On considère aujourd’hui que seul l’emprunteur est responsable de l’emprunt, alors qu’il faut à mes yeux « coresponsabiliser » celui qui délivre le crédit : il y a deux acteurs, il doit donc y avoir deux responsables. À cette fin, il faut permettre à l’établissement de crédit de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, ce qu’il ne peut actuellement faire qu’à partir d’outils statistiques. Il s’agit là d’une mesure de bon sens, dont je sais que nous sommes nombreux à l’approuver sur tous les bancs de l’Assemblée. Pourquoi donc ce blocage ? Comment expliquer l’isolement français en Europe ? Tous nos partenaires européens, à l’exception du Danemark et de la Finlande, disposent en effet d’un fichier positif. Il s’agit toutefois le plus souvent, à la différence de celui que je propose, de fichiers privés, qui n’ont pas pour seul objectif de prévenir le surendettement.

Pour expliquer le retard français, j’en viens aux objections qui ont été opposées au fichier positif par ses contempteurs, au premier rang desquels la BNP, qui dispose de Cetelem, et le Crédit agricole, propriétaire de Sofinco. Ces banques luttent depuis très longtemps contre la création d’un fichier unique parce qu’elles disposent déjà, grâce à leur réseau clientèle, d’informations sur leurs clients et craignent que les nouveaux entrants n’aient accès à des informations avantageuses du point de vue commercial. Elles s’accommodent pourtant de ce fichier dans tous les autres États où il existe et où elles sont implantées, car il favorise la concurrence.

Ces objections recouvrent trois thèmes. Tout d’abord, la distinction entre le surendettement actif et le surendettement passif. Le fichier positif serait utile dans le premier cas – un recours imprudent au crédit, qui correspond au profil des « compulsifs » – mais celui-ci resterait très minoritaire puisqu’il ne représenterait que 25 % des dossiers. Dans le second cas, à savoir le surendettement passif, jugé très majoritaire – 75 % des dossiers – et qui découlerait des « accidents de la vie » que sont les problèmes de santé, la perte d’un emploi, un divorce ou un décès, le fichier positif serait sans intérêt puisque la difficulté survient au cours de l’exécution des contrats et non lors de la souscription. On retrouve ici l’argument, souvent avancé par les banques, selon lequel il n’y a pas de problème au moment de l’octroi du crédit puisqu’elles disposent d’éléments et d’outils de scoring – d’appréciation statistique – performants. Nous savons tous que c’est faux. Notre propre expérience, celle des personnes que nous avons reçues dans nos circonscriptions nous montrent que le credit scoring ne permet pas d’apprécier la situation individuelle de l’emprunteur potentiel. C’est à ce travail d’appréciation que le texte vise à obliger les organismes de crédit.

Par ailleurs, cette objection se heurte à une double critique. D’une part, la Cour des Comptes a estimé dans son rapport de 2010 que la distinction établie par la Banque de France entre l’endettement actif et l’endettement passif n’était pas opérante : dans une majorité de cas, des « accidents de la vie », plus ou moins prévisibles, se cumulent avec des comportements de consommation imprudents – de nombreuses cartes de crédit renouvelable, par exemple – qui ont rendu le surendettement inévitable. En outre, bien souvent, en cas d’accident de la vie, l’emprunteur utilise le crédit revolving pour maintenir artificiellement son niveau de vie antérieur parce qu’il espère que ses difficultés ne seront que momentanées, alors qu’il ne fait ainsi que les aggraver.

En outre, n’oublions pas que le crédit à la consommation constitue pour les banques un produit beaucoup plus rémunérateur que le crédit immobilier, qui est davantage un produit d’appel, et qu’à l’issue des procédures de recouvrement le pourcentage de créances non remboursées est assez faible. Dès lors, le risque encouru par les banques et leurs filiales spécialisées est minime, ce qui explique la légèreté des contrôles lors de la souscription et l’attachement à la notion de surendettement passif qui les dégage de toute responsabilité.

Le second type d’objection évoque les atteintes aux libertés individuelles et les risques de dérives mercantiles. Il s’agit, d’une part, des réserves de la CNIL sur l’utilisation du numéro de sécurité sociale – NIR – préconisée par le rapport et, d’autre part, des risques d’utilisation dévoyée du fichier à des fins de prospection commerciale ou d’extension à d’autres données dont les charges locatives ou les dépenses contraintes – énergie, télécommunications.

À mon sens, ces risques sont absents du texte, que le temps a permis d’améliorer. Même si ce point relève du Gouvernement puisqu’il est d’ordre réglementaire, j’estime pour ma part, contrairement au rapport de préfiguration, que l’identifiant ne devrait pas être le NIR. Pourquoi, en effet, utiliser ce numéro, doté d’une fonction spécifique, dans le domaine bancaire alors que le FICOBA, le Fichier national des comptes bancaires et assimilés, existe déjà ? Ce fichier recense les comptes de toute nature – bancaires, postaux, d’épargne – détenus par une personne ou une société et permet de fournir des informations sur ces comptes à ceux qui sont habilités à les recevoir. Il serait immédiatement utilisable alors que le NIR ne serait opérationnel qu’au bout de six ou sept ans, puisque le stock ne serait pas pris en compte. Voilà qui explique sans doute la préférence de la BNP et du Crédit agricole pour le numéro de sécurité sociale ! En outre, contrairement au NIR, le FICOBA n’aurait pas besoin d’être sécurisé par une procédure complexe de double hachage. Ce choix permettrait enfin de désamorcer les critiques de la CNIL, qui craignait un mélange des genres.

Quant aux risques de détournement de l’usage du fichier positif, auxquels j’ai toujours été sensible, le texte apporte de nombreuses garanties, tirées du rapport de préfiguration. La centralisation des données serait confiée à la Banque de France, ce qui constitue un gage d’indépendance et de sécurité ; pour protéger les libertés publiques, la consultation des données aurait lieu sous une forme agrégée, et dans l’unique but d’examiner la solvabilité du souscripteur ; seraient enfin passibles de sanctions pénales la remise à un tiers d’une copie des informations ainsi que la demande de données par des personnes non autorisées à consulter le fichier. La demande de consultation ne pourrait émaner que du demandeur : l’organisme de crédit ne serait pas autorisé à la formuler de sa propre initiative et il pourrait la conserver non pas sous forme informatique, mais seulement en version papier afin de prouver le cas échéant devant un tribunal qu’il a bien vérifié la solvabilité de l’emprunteur.

On nous objecte enfin l’inapplicabilité du dispositif ainsi que son coût et sa lourdeur, disproportionnés au regard des résultats escomptés. Ces objections touchant au principe de proportionnalité, les plus sérieuses sans doute, méritent l’attention du Parlement. Toutefois, si l’on pouvait s’interroger il y a quinze ans sur la faisabilité d’un fichier appelé à recenser 25 millions de personnes et 100 millions de lignes enregistrées, les progrès techniques ont résolu le problème. J’ajoute qu’il ne s’agit absolument pas d’un prototype, puisque de nombreux fichiers positifs, reposant sur des architectures diverses, sont déjà opérationnels et que le texte prévoit que le fichier pourra l’être en dix-huit mois, conformément aux indications livrées par le gouverneur de la Banque de France – qui n’en était par ailleurs pas demandeur.

Le rapport de préfiguration estime le coût de constitution et de fonctionnement du fichier à quelques dizaines de millions d’euros pour la Banque de France et bien davantage pour les banques, en comptant la reprise du stock : 500 à 800 millions pour la constitution et jusqu’à 75 millions pour le fonctionnement. Ces montants apparaissent largement surestimés, surtout si l’on décide, comme je le propose, de recourir au FICOBA plutôt qu’au NIR. Il s’agit en tout état de cause d’un investissement social dont le coût serait largement amorti par la facturation des consultations. En effet, les banques qui voudraient consulter le fichier devront payer la Banque de France qui aura fait le travail pour elles. Enfin, la rationalisation de la distribution du crédit bénéficierait aux banques, surtout pour les plus petits crédits : la consultation du dossier – plutôt que le suivi de la personne – suffirait à réduire le coût de traitement du dossier, qui est proportionnellement élevé dans ces cas, et même proche du taux usuraire pour un emprunt de 1 500 euros.

Sur le dernier point – la proportionnalité du dispositif aux objectifs poursuivis –, rappelons que malgré les alertes du Médiateur de la République sur le développement du « malendettement », la publication de nombreux rapports alarmants et plusieurs avancées législatives – procédure de rétablissement personnel, encadrement du crédit renouvelable, information des consommateurs –, le surendettement n’a fait qu’empirer. Il semble donc légitime de tout faire pour le prévenir. Dussions-nous recenser 25 millions de lignes dont la plupart ne seraient pas utilisées, nous devons tenter de mettre fin au drame social et au ravage économique qui touche chaque année plus de 230 000 de nos concitoyens et leurs familles. Nous pouvons espérer résoudre les problèmes de 60 000 d’entre eux – les « compulsifs » – et limiter, dans le même nombre de cas, l’aggravation du surendettement dont ils sont victimes à la suite de tel ou tel événement de la vie. Le nouvel outil permettra de développer la prévention de ce fléau et d’alléger d’autant la charge des commissions de surendettement.

En outre, le statu quo s’accompagne de la constitution, au sein de chaque réseau bancaire, de fichiers propriétaires qui ne peuvent être régulièrement contrôlés par la CNIL, ce qui ne favorise ni la transparence ni la concurrence. Je ne peux faire état ici des informations qui s’échangent sur nombre de ces réseaux, ce qui constitue une atteinte aux libertés publiques qui ne peut être poursuivie faute de contrôle. Peut-être le ferai-je en séance publique, protégé par l’immunité parlementaire. La constitution d’un fichier public, ouvert sur demande de l’emprunteur potentiel à tous les acteurs concernés et accompagné des garanties précitées, me semble plus conforme aux valeurs républicaines. C’est également un moyen supplémentaire de développer la mobilité bancaire, qui suppose que toutes les banques disposent du même niveau d’information.

Enfin, et ce n’est pas négligeable, la création d’un répertoire national des crédits ouvrira l’accès au crédit à nombre de nos compatriotes qui en sont actuellement exclus par les procédures de credit scoring. Jacques Chirac, alors Président de la République, l’avait dit à la télévision : en France, 40 % de la population n’a pas accès au crédit à la consommation alors que cette proportion est deux fois moins moindre dans les pays comparables. Il s’agit souvent des plus modestes, qui ne sont pas pour autant insolvables. Mais pour répondre à une première demande de crédit, en l’absence d’antécédents, les banques se fondent sur des éléments statistiques relatifs aux caractéristiques du demandeur – âge, profession, salaire, situation familiale. Ainsi propose-t-on à un consommateur qui n’a jamais utilisé la ligne de crédit qu’on lui a offerte de récompenser sa fidélité et sa capacité à rembourser par un nouveau crédit plus élevé, sans avoir jamais vérifié sa solvabilité ! Cette méthode d’évaluation ne tient compte que de critères chiffrés qui peuvent exclure d’office un emprunteur solvable, mais faisant partie d’une catégorie de demandeurs à taux de risque élevé. Le credit scoring réduit tout le dossier à des chiffres au lieu de l’évaluer de manière pragmatique, de sorte qu’un très bon projet peut être rejeté sans que le demandeur ait la possibilité d’argumenter. Vous n’êtes pas dans la bonne case, vous n’êtes pas dans la bonne catégorie socio-professionnelle, vous n’êtes pas dans la bonne région ou dans la bonne tranche d’âge ? Vous n’aurez pas droit au crédit à la consommation, même si vous êtes solvable !

Je vous propose donc, mes chers collègues, d’arrêter le principe de la création d’un Répertoire national des crédits aux particuliers qui viendra soutenir les ménages en difficulté, ce qui est plus urgent que jamais en période de crise économique. Les précédents débats ayant révélé des points d’accord et des sujets de désaccord, je précise que le rapporteur et auteur du texte que je suis est tout à fait ouvert aux amendements qui viendraient en discussion en séance.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour cette excellente présentation. Le diagnostic que vous avez posé doit être partagé par tous les membres de notre Commission.

M. Daniel Fasquelle. Je remercie M. Lagarde et le groupe UDI pour leurs trois propositions de loi, en particulier celle-ci, même si nous ne porterons pas sur elle le même jugement que sur la précédente.

Rapporteur du projet de loi Lefebvre, j’ai changé d’avis sur le fichier positif, auquel j’étais à l’origine plutôt favorable. En effet, les inconvénients de ce dispositif me semblent l’emporter sur ses avantages. Je ne suis pas seul à le dire : les associations de consommateurs sont nombreuses à nous mettre en garde.

Tout d’abord, on peut douter de l’efficacité du dispositif dans la mesure où le surendettement est le plus souvent la conséquence d’un accident de la vie – perte d’emploi, séparation, décès du conjoint. Le fichier positif ne permettra jamais d’anticiper sur ces situations-là. Les cas dans lesquels il pourrait présenter un réel intérêt sont finalement marginaux. Les exemples étrangers sont à cet égard intéressants. En Belgique, pays qui a mis en place un fichier positif, le surendettement a augmenté de 10% entre 2006 et 2010, contre 16% en France. Il n’y a donc pas de lien évident entre l’existence d’un fichier positif et le phénomène du surendettement.

Par ailleurs, si le fichier n’est mis à jour qu’une fois par mois, par exemple, il sera inefficace pour lutter contre les cas de surendettement liés à l’utilisation du crédit renouvelable. Le dispositif n’est donc pas adapté à toutes les formes de crédit qui se développent aujourd’hui.

Les inconvénients du fichier positif sont en revanche connus. Il s’agit d’abord des atteintes potentielles aux libertés publiques, qui ont conduit La CNIL et les associations de consommateurs à tirer la sonnette d’alarme. Il y a aussi le risque de démarchage par les banques à partir du fichier positif. On nous dit que cet inconvénient peut être limité, mais le nombre de Français fichés passerait tout de même de 220 000 à 25 millions ! Or plus on multiplie les fichiers, plus les risques de circulation de ceux-ci – et donc de dérives – sont importants. Je ne suis pas si sûr, monsieur le rapporteur, que la création d’un fichier légal permette de supprimer les fichiers illégaux. Nous risquons au contraire d’avoir à la fois le fichier officiel et les fichiers illégaux…

J’attire également votre attention sur le coût du dispositif, qui n’est pas neutre à l’heure où nous devons être particulièrement attentifs à nos finances publiques. Il est évalué à 15 à 20 millions pour la seule Banque de France, les coûts de fonctionnement pour les banques s’élevant pour leur part à 30 à 35 millions. Les contribuables et les consommateurs financeraient ainsi un fichier dont l’efficacité reste à démontrer.

Si le diagnostic posé est le bon, il existe d’autres moyens pour lutter contre le surendettement. Les associations de consommateurs ont proposé des pistes : étudions-les. Je rappelle que la loi du 1er juillet 2010, dite loi Lagarde, a instauré un certain nombre de dispositifs, qui n’ont concrètement été mis en place qu’en 2011. Il convient avant tout de tirer le bilan de cette loi et de voir comment elle peut être améliorée. Je le répète, il existe des pistes plus efficaces que le fichier positif pour lutter contre le problème du surendettement.

M. Yves Blein. Nous convenons aisément qu’il faut traiter le problème du surendettement, mais nous ne voterons pas ce texte. Non seulement le dispositif proposé – celui du fichier positif – mérite d’être précisé et sécurisé, mais il doit être enchâssé dans un dispositif législatif plus complet. M. Ayrault, alors président du groupe socialiste, avait déposé sous la législature précédente une proposition de loi qui traitait des délais de rétractation des emprunteurs, de l’encadrement des opérations de rachat de crédit, ou encore de la création des actions de groupe. La philosophie du groupe SRC n’a pas varié : la question du surendettement appelle un traitement d’ensemble. C’est du reste la démarche qu’avait initiée Mme Lagarde avec la loi du 1er juillet 2010.

Les chiffres que vous avez rappelés traduisent l’ampleur du problème. Vous avez notamment cité ceux de l’association CRESUS, qui bénéficie de la reconnaissance de l’UFC : 78% des dossiers de surendettement comportent entre huit et vingt crédits ; la moyenne est de dix dettes par dossier, dont six dettes bancaires.

Les avis sur le fichier positif restent cependant partagés. CRESUS y est plutôt favorable. J’ai interrogé hier le président du Secours catholique, qui m’a également fait part de son intérêt. Ces associations insistent néanmoins sur la nécessité d’accompagner les consommateurs. C’est dire que le fichier ne règle pas tout. Pour d’autres, comme le Crédit social des fonctionnaires (CSF), il ne réglera même rien – l’exemple belge en atteste. L’idée fait d’ailleurs débat au sein même de votre famille politique, monsieur le rapporteur, puisque la proposition de loi défendue au Sénat par Mme Dini préconise non pas la création d’un fichier unique, mais la déliaison, dans les cartes délivrées par les organismes de crédit, de ce qui concerne le crédit lui-même et des offres promotionnelles liées à des produits. Cette proposition de loi vise aussi à laisser à l’emprunteur la charge d’apporter la preuve qu’il est solvable en produisant ses trois derniers relevés bancaires.

Le sujet doit à l’évidence être traité, mais il mérite d’être approfondi. Il faut lever les incertitudes relatives au fichier lui-même, à son coût et à la prise en charge de celui-ci, ou encore aux risques d’utilisation à des fins commerciales. Cela doit faire l’objet d’une réflexion globale et d’une concertation plus vaste. La Conférence de lutte contre la pauvreté nous en offrira l’occasion d’ici à la fin de l’année, puisque le surendettement y sera abordé. Nous souhaitons que soient traitées toutes les questions qui y sont liées, notamment celles des actions de groupe, de la jurisprudence sur les contrats commerciaux et de son extension à l’ensemble des contrats et celle de l’accompagnement des ménages.

Mme Michèle Bonneton. Le nombre croissant de ménages en situation de surendettement est certes lié à la crise, mais il est aussi – et surtout – le signe de l’emballement d’un système économique financiarisé et dérégulé, qui fait miroiter une vie meilleure à travers la consommation.

Face à ce fléau, le principe d’une responsabilisation partagée entre emprunteur et prêteur est louable. L’idée de créer un fichier doit cependant inciter à la plus grande prudence. Même si celui-ci est géré par la Banque de France, il y a toujours des possibilités de piratage et d’atteinte aux libertés publiques. On peut également s’interroger sur l’efficacité du dispositif proposé, puisque les établissements de crédit n’auraient accès aux informations que pour un temps limité, et uniquement dans l’hypothèse où l’emprunteur potentiel les y aurait explicitement autorisés. Il est évident que les emprunteurs à fort taux de risque ne donneront pas cette autorisation. Dès lors, ne serait-il pas préférable de demander aux emprunteurs potentiels une simple déclaration sur l’honneur ? Ce fichier ne serait en outre d’aucune utilité pour prévenir les cas de surendettement liés aux accidents de la vie. Il serait sans doute plus utile de mieux encadrer le crédit renouvelable.

La mesure proposée semble donc insuffisante pour traiter le problème du surendettement, qui requiert une « mise à plat » des possibilités offertes aux établissements de microcrédit en matière de produits proposés, de publicité et d’information aux consommateurs, ainsi qu’une réflexion globale sur le rôle du mirage de la consommation dans notre société. Le groupe Écologiste n’est donc pas favorable à ce texte.

M. Franck Reynier. Je voudrais d’abord saluer, au nom du groupe UDI, l’engagement constant de Jean-Christophe Lagarde sur ce dossier. Il l’a lui-même rappelé, c’est la quatrième ou cinquième fois qu’il présente ce texte. Notre groupe insiste sur la nécessité de prendre des mesures face aux situations de détresse auxquelles conduit le surendettement – nous en connaissons hélas tous dans nos circonscriptions. Il y a là un fléau auquel nous nous devons d’apporter des solutions.

La méthode proposée est efficace. Elle consiste à protéger l’emprunteur et à le responsabiliser afin qu’il ne retombe pas dans le surendettement. Je respecte bien sûr les positions qui ont été exprimées par nos collègues, mais je crains qu’à trop attendre, on ne finisse par en arriver à une multiplication de ces situations. Pour sa part, le groupe UDI est attaché à ce qui lui paraît constituer une juste mesure. Face à l’urgence sociale et aux dégâts constatés, je vous invite donc à adopter cette proposition de loi.

Mme Frédérique Massat. J’étais présente dans l’hémicycle lors de la discussion de votre précédente proposition de loi sur le surendettement en janvier dernier, monsieur le rapporteur. Nous avions voté contre, et nous n’allons pas non plus voter le présent texte – non que nous soyons opposés au fichier positif, mais en raison d’un certain nombre d’insuffisances et surtout de l’absence d’un dispositif d’ensemble. À notre sens, la loi Lagarde est insuffisante ; c’est pourquoi nous avions déposé des amendements sur le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, dont M. Fasquelle était le rapporteur. Le fichier positif peut être intéressant pour lutter contre le surendettement, mais il doit s’accompagner d’autres dispositifs.

Par ailleurs, nous nous inquiétons toujours quant à la protection des informations nominatives. Nous avions d’ailleurs proposé que ce soit l’emprunteur qui ait accès au fichier, afin de parer à tout risque de diffusion de ces informations.

Il nous paraîtrait donc plus approprié que ce texte constitue l’une des pierres de l’édifice législatif qui sera présenté dans quelques semaines.

M. le président François Brottes. Je prends acte de la démonstration qui vient d’être apportée par notre débat. Je le disais à l’instant au rapporteur, sa position a beaucoup évolué par rapport à celle qu’avait défendue M. Dionis du Séjour au début de l’année : nos positions se rapprochent. Le texte que présentera Benoît Hamon devrait comporter cette disposition – ce qui nous permettra d’y retravailler. Je n’ose vous demander de retirer votre proposition de loi, mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque (sourires), car si la mesure proposée doit s’inscrire dans un ensemble plus vaste, je reconnais que telle n’est pas la vocation d’une proposition de loi. Je regrette de devoir voter contre ; mais pour l’heure, nous ne pouvons faire autrement.

M. le rapporteur. Au risque de vous décevoir, je suis inlassable, et je serai présent lors de la discussion du projet de loi annoncé par M. Hamon. Qu’il me soit en tout cas permis de remercier l’Assemblée d’avoir si souvent rejeté ce texte : cela m’a permis de le perfectionner !

Je ne crois pas que la mesure soit surdimensionnée par rapport au problème. Il ne faut pas comparer les 220 000 entrées dans le surendettement et le stock de 1 200 000 familles surendettées, soit au moins 3 à 4 millions de personnes concernées, monsieur Fasquelle. Au vu de ces chiffres, il ne me semble pas surdimensionné de « ficher » 25 millions de personnes.

En ce qui concerne les accidents de la vie, la Cour des comptes conteste formellement votre argument.

J’en viens aux exemples étrangers. On ne peut pas dire que l’augmentation du surendettement en Belgique et en France, entre 2006 et 2010, soient comparables s’agissant de masses considérables. Par ailleurs, l’encours de dette des personnes surendettées est deux fois moins important dans le reste de l’Europe – autour de 20 000 euros – qu’en France, où il avoisine les 40 000 euros. Le fichier positif permet donc sinon d’éviter le surendettement, au moins de limiter les dérapages, et donc de faciliter le redressement de la famille.

Je le redis, le texte ne présente aucun risque d’atteinte aux libertés publiques. Il prend en compte les observations qui ont pu être formulées sur nos précédentes propositions de loi, notamment par la CNIL –celle-ci ne l’a d’ailleurs pas contesté lors de ma dernière audition, puisqu’elle s’est bornée à poser la question du surdimensionnement. Savoir si ce fichier est ou non surdimensionné est un problème d’appréciation politique, en aucun cas de libertés publiques. Cessez donc d’invoquer cet argument qui n’est plus de mise !

S’agissant du coût, il reviendra aux banques de payer, mais elles y auront avantage, puisque cela leur permettra aussi de faire des économies. Les 35 millions que vous évoquez correspondent à l’utilisation du NIR, alors que j’ai suggéré celle du FICOBA ; mais c’est le Gouvernement qui tranchera. Permettez-moi aussi de rappeler que le surendettement a un coût pour la société : pour le contribuable, à travers les procédures de redressement que nous sommes contraints d’assumer et les services sociaux, et pour le consommateur, à travers les taux pratiqués par les établissements bancaires, qui tiennent compte d’un risque de défaillance plus élevé que s’ils disposaient d’une bonne information sur l’emprunteur.

Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir reconnu que l’objet de cette proposition de loi n’était pas de tout régler. Les conditions de rétractation, l’action de groupe, l’information, l’encadrement et la jurisprudence sont certes utiles, monsieur Blein. Mais en quoi cela nous empêche t-il d’avancer sur le fichier positif, avant de le faire sur le reste ?

La position des associations a évolué au cours des six ou sept dernières années, et plutôt dans un sens favorable à la création d’un fichier positif. Je récuse en tout cas l’argument qui consiste à dire que l’amélioration du fichier négatif devrait permettre d’éviter les situations de surendettement : cela revient à attendre que survienne un accident de la route pour pouvoir le prévenir. Ce raisonnement est donc irrecevable.

Ce que propose Mme Dini – délier les avantages fidélité du crédit – est parfaitement justifié, même si cela ne figure pas dans ma propre proposition. En revanche, je suis en désaccord avec elle sur la présentation des trois derniers relevés de compte, qui me paraît particulièrement intrusive et attentatoire aux libertés publiques. N’importe quel guichetier d’une banque pourrait en effet savoir dans le moindre détail ce que j’ai fait dans les trois derniers mois : c’est totalement inadmissible.

Il n’existe aucun risque de piratage sur un fichier de la Banque de France, madame Bonneton. Par ailleurs, je n’ai pas bien compris votre propos : vous dites que si un emprunteur ne veut pas autoriser l’établissement de crédit à accéder à ses informations nominatives parce qu’il est déjà en situation de fragilité, il ne le fera pas ; mais s’il ne donne pas cette autorisation, il n’obtiendra pas son crédit, ce qui lui évitera de se retrouver en situation de surendettement. Vous démontrez ainsi l’efficience du dispositif.

Vous proposez de lui substituer une simple déclaration sur l’honneur. Mais l’élu de Seine Saint-Denis que je suis et les autres élus des quartiers populaires le savent, 15% des habitants de notre pays sont illettrés. Beaucoup de gens sont ainsi incapables d’évaluer leur situation d’endettement. J’ai rencontré ce matin des employés de la Banque de France qui assurent l’accueil des personnes surendettées : l’essentiel du temps qu’ils consacrent à ces personnes passe à leur expliquer dans quelle situation elles se sont mises. La déclaration sur l’honneur suppose que les capacités de jugement sur ces questions soient identiques chez tous les individus, ce qui n’est pas le cas. Cette mesure serait donc socialement inéquitable.

Je remercie M. Reynier de son soutien, dont je ne doutais pas.

Vous dites que la mesure proposée est insuffisante et qu’elle devrait s’accompagner d’autres dispositifs, madame Massat. Rien ne vous empêche d’agir.

Je note cependant avec satisfaction, monsieur le président, que vous êtes mobilisé sur cette question depuis plusieurs années, et que vous avez été sensible à un certain nombre d’arguments. J’espère simplement que lorsque le projet de loi de M. Hamon viendra en discussion, la majorité fera preuve d’ouverture à l’égard des propositions de notre groupe. Il serait bon que le point d’équilibre qu’il s’agit de trouver fasse l’objet d’un accord au-delà de la seule majorité. N’oublions pas qu’il faut dix-huit mois pour mettre le fichier en place, mais que cette durée pourrait aller jusqu’à six ou sept ans si l’on se trompait d’identifiant.

Il ne faut pas que le fichier puisse être « capé » par un taux maximal d’endettement – 30% d’endettement, ce n’est pas la même chose à 3000 euros et à 6000 euros par mois.

Il faut responsabiliser les prêteurs ; or il n’est pas sûr qu’ils ne cherchent pas à échapper à cette responsabilité. Bref, il y a un travail politique et social commun à mener. Ce sera, si j’ai bien compris, à l’initiative du Gouvernement. Je le regrette, mais encore une fois, j’espère que la majorité sera ouverte à nos arguments.

Il faudra enfin savoir résister aux lobbies. Je pense bien sûr au lobby bancaire, mais aussi au lobby de Bercy. Je comprends que celui-ci nous explique que pour soutenir la consommation, il faut éviter de freiner le crédit à la consommation. Mais comment parler de crédit ou de consommation durable si c’est au prix de 230 000 surendettements par an ? Envoyer des gens « dans le mur » pour soutenir 0,4 point de croissance, c’est se moquer du monde !

M. le président François Brottes. Je rappelle que le Gouvernement a pris l’engagement de déposer un projet de loi sur ces questions au premier trimestre de l’année prochaine.

Par ailleurs, je dois à la vérité de dire que la présidente de la CNIL, que j’ai rencontrée la semaine dernière, m’a confirmé que l’essentiel des hésitations de la Commission portait sur le dimensionnement du fichier, et non sur son principe.

II.— EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

(article L. 311-10-2 [nouveau] du code de la consommation) 

Obligation pour le prêteur d’examiner la solvabilité de l’emprunteur

Article 1er

(Article L. 311-10-2 [nouveau] du code de la consommation)

Obligation pour le prêteur d’examiner la solvabilité de l’emprunteur

Les établissements de crédit qui n'examinent pas attentivement la solvabilité de leurs clients ont une large part de responsabilité dans le surendettement ce ceux-ci.

Aussi votre rapporteur considère qu’il est opportun de responsabiliser les établissements de crédit. Comme l’Assemblée nationale en avait exprimé le souhait en adoptant lors des débats sur la loi du 1er août 2003 de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, un amendement exactement identique à l’article 1er de la présente proposition de loi, et supprimé par le Sénat, il faut que le juge puisse refuser d'ordonner des procédures de recouvrement forcé à l'encontre d'un emprunteur si le prêteur n'a pas contrôlé la solvabilité de son client avant d'accorder son prêt.

L’article 1er de la présente proposition de loi crée un article L. 311-10-2 nouveau dans le code de la consommation, complétant ainsi la section consacrée aux explications fournies à l’emprunteur et à l’évaluation de sa solvabilité, au sein du chapitre consacré au crédit à la consommation, seul concerné par ce dispositif. Il s’agit d’appliquer à l’égard des particuliers la notion de « soutien abusif » dégagée par la jurisprudence dans le cadre des rapports entre les banques et les entreprises.

Conformément à ce nouvel article, le prêteur qui a accordé un crédit sans s'être préalablement informé de la situation de solvabilité de l'emprunteur, et notamment de sa situation d'endettement global et de ses revenus, ne peut exercer de procédure de recouvrement à l'encontre de l'emprunteur défaillant, ou de toute personne physique ou morale s'étant portée caution.

Certes la procédure encadrant la conclusion du contrat de crédit a été renforcée par la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation. L’article L. 311-13 dispose en effet que le contrat accepté par l'emprunteur ne devient parfait qu'à la double condition que ledit emprunteur n'ait pas usé de sa faculté de rétractation et que le prêteur ait fait connaître à l'emprunteur sa décision d'accorder le crédit, dans un délai de sept jours. Il faut toutefois aller plus loin dans la responsabilisation du prêteur, c’est l’objet de ce nouvel article.

Ces dispositions ne s'appliquent pas en cas de fraude, c’est à dire si l'emprunteur a, en connaissance de cause, fait des fausses déclarations ou remis des documents inexacts en vue d'obtenir un crédit.

Le dispositif de cet article est incitatif : il n'empêche pas les établissements de crédits de prendre les risques commerciaux qu'ils jugent opportuns et dont ils savent calculer le coût, mais tend à les responsabiliser en les incitant à s'assurer de la solvabilité de leur client, l'institution du répertoire prévu par l'article 2 de la proposition devant par ailleurs leur en donner les moyens.

*

* *

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2

(article L. 313-6-1 [nouveau] du code monétaire et financier) 

Création d’un répertoire national des crédits aux particuliers

Pour examiner la solvabilité des personnes qui demandent des prêts, les établissements de crédits ont besoin d'informations fiables. Ils peuvent certes les recueillir auprès de la personne qui sollicite un emprunt, au besoin en lui faisant signer une déclaration sur l'honneur. Toutefois, certains emprunteurs, de bonne foi ou non, omettent de leur déclarer certaines formes de prêts. Aussi les établissements de crédit utilisent-ils quatre procédés de sélection de leurs clients : le FICP, les répertoires d'encours de crédits internes, les répertoires commerciaux et le credit scoring.

Si l’établissement de crédit compte déjà le demandeur de prêt parmi ses clients, il dispose sur lui d'informations précises. À ce titre, les grandes banques commerciales ont un avantage sur les établissements de crédit spécialisé : elles peuvent recouper diverses informations (gestion du compte courant, encours de crédit immobilier etc.) pour cerner mieux la solvabilité de leurs clients. Cet avantage est renforcé depuis que la CNIL autorise plusieurs établissements de crédits appartenant à un même groupe et partageant éventuellement le même réseau commercial à mutualiser les informations qu'ils détiennent sur leurs clients respectifs. Lors de sa séance du 16 novembre 2006, elle a autorisé l’instauration d’échanges d’informations entre les sociétés CETELEM et COFINOGA, afin de lutter contre les tentatives d’obtentions irrégulières de crédit, ainsi que de prévenir des impayés dans le cadre des ouvertures de comptes. Ces autorisations font suite à celles délivrées le 8 septembre 2005 aux sociétés Finaref et Sofinco, toutes deux filiales du groupe Crédit agricole, qui avaient consacré la possibilité de partager des informations à des fins de prévention des impayés au sein d’un groupe bancaire. Dans les deux cas, les échanges d’informations bénéficient indirectement aux filiales spécialisées dans le crédit à la consommation détenues à 100 % par l’un des acteurs de l’échange, ainsi qu’aux établissements bancaires et financiers leur ayant confié la gestion de leurs crédits à la consommation. 

La CNIL a retenu cinq éléments pour autoriser ces échanges :

– la légitimité de la finalité consistant à prévenir la fraude et les impayés ;

– le caractère ponctuel de l’échange d’informations entre les bénéficiaires de l’échange qui ne crée pas de base centralisée et ne permet pas un enrichissement des fichiers clients respectifs ;

– le caractère limité de l’échange qui intervient uniquement entre des sociétés spécialisées dans le crédit à la consommation et soumises au secret bancaire ;

– l’existence d’une communauté de risque financier, se traduisant dans le dernier cas d’espèce par l’exercice d’un contrôle effectif de la société CETELEM sur la société COFINOGA ;

– l’autorisation explicite du client de partager des informations couvertes par le secret bancaire par le biais d’une clause particulière de l’offre de crédit, insérée dans la zone de signature, précisant les finalités et les bénéficiaires de l’échange.

Le credit scoring, un procédé informatique permettant d’évaluer le risque d’insolvabilité d'un client potentiel, a les mêmes conséquences. Il repose sur une formule de calcul des capacités d'endettement des particuliers, prenant en compte le degré de fiabilité des informations qu’ils fournissent. L’évaluation du risque d'insolvabilité détermine ensuite le taux d'intérêt qui permet de couvrir le risque. Si ce taux est supérieur au taux d’usure, le prêt est refusé. Ainsi, le taux des intérêts destinés à couvrir le risque d'impayé représente 0,5 à 3,5 %, s’établissant en moyenne à 1,5 %. De même, quand le montant total des intérêts est inférieur aux frais fixes, le prêt n'est généralement pas accordé.

Ce système, qui exclut, sur des critères souvent discriminants (âge, département de résidence, profession, etc), 40 % de nos concitoyens de l’accès au crédit à la consommation ne suffit pas à prévenir un nombre important d'incidents de paiement.

L’idée d'une centrale « positive », a quant à elle fait ses preuves dans la plupart des pays d'Europe. Seuls trois pays, la Grèce, le Danemark et la Finlande ne comptent qu’un fichier négatif, privé. Onze autres États ont mis en œuvre des fichiers positifs et négatifs, privés dans neuf cas sur onze. Certains sont gérés par des sociétés commerciales qui vendent leurs bases de données, comme c'est notamment le cas en Grande-Bretagne. Dans d'autres cas, il peut s'agir aussi d'associations interprofessionnelles, dont les membres mutualisent leurs informations.

L’expérience belge, la plus récente, est particulièrement intéressante. La loi du 10 août 2001 vise à prévenir le surendettement en obligeant les prêteurs à consulter une centrale « positive », sous peine de sanction. La centrale belge est exhaustive : elle recense, pour tous les crédits des particuliers, leur montant, leur durée, la périodicité et le montant des remboursements et les remboursements anticipés. Elle s’avère simple d'usage : les données y sont inscrites dans les deux jours qui suivent la signature du contrat et consultables sur des sites internet ou extranet sécurisés. La consultation des fichiers « négatif » et « positif » étant payante (0,50 euro), le système belge génère 4 millions d'euros de recettes par an, ce qui suffit à couvrir ses besoins de fonctionnement. Bien entendu, le fonctionnement du fichier préserve la vie privée de ceux qui y sont inscrits : les informations nominatives y sont réduites au minimum nécessaire, et le fonctionnement du fichier positif est surveillé par un conseil d'accompagnement de sept membres.

L’article 2 de la présente proposition de loi tend à instaurer un répertoire recensant, pour chaque particulier, l’ensemble de ses crédits en cours, afin d’améliorer la prévention du surendettement. Il insère à cette fin une nouvelle sous-section au code monétaire et financier, après celle consacrée au « fichier national recensant les incidents de paiement caractérisés liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels » (FICP), créé par la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989.

Le premier alinéa du nouvel article L. 313-6-1 (alinéa 4) instaure un répertoire dont le fonctionnement serait comparable à celui du FICP, mais qui recenserait tous les crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels.

Le champ de ce répertoire est donc plus large que celui du crédit à la consommation, puisqu’en vertu de l’article L. 313-1 du code monétaire et financier, constitue une opération de crédit « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement, ou une garantie. Sont assimilés à des opérations de crédit le crédit-bail, et, de manière générale, toute opération de location assortie d'une option d'achat ».

Ce répertoire est confié à la Banque de France, ce qui est un élément essentiel du dispositif, afin de ne pas laisser le champ libre aux marchands d’informations : un répertoire public aura de grandes chances d’éviter le développement de fichiers privés, notamment en occupant le marché et en décourageant ainsi les initiatives privées, qui offriraient moins de garanties, alors que des demandes en ce sens sont régulièrement présentées à la CNIL.

Le répertoire serait soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment à son chapitre V relatif aux obligations incombant aux responsables de traitement et aux droits des personnes à l’égard des traitements de données à caractère personnel. C’est le gage de nombreuses garanties, d’autant que la CNIL dispose d’importants pouvoirs de contrôle et de sanction renforcés depuis 2004. L’essentiel des objections formulées à l’encontre de la centrale de crédit, relatives à la protection de la vie privée et des données personnelles, est ainsi sans objet. En outre, les infractions aux dispositions de ladite loi sont prévues et réprimées par les articles 226-16 à 226-24 du code pénal, qui les punit de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

Conformément au deuxième alinéa du nouvel article L. 313-6-1 (alinéa 5), les établissements de crédits seraient tenus de déclarer à la Banque de France les principales caractéristiques des crédits accordés à chaque emprunteur, et notamment le montant, le taux effectif global et l'échéancier de remboursement, ainsi que chaque modification des conditions de ce crédit.

Seules à alimenter ce fichier, les banques, banques mutualistes, coopératives, caisses d’épargne et de prévoyance, caisses de crédit municipal, sociétés financières habilitées à effectuer des opérations de banques ont seules à pouvoir le consulter : la liste est volontairement limitée, afin d’exclure, comme c’est le cas en Allemagne, une ouverture du fichier non seulement aux établissements de crédits et assimilés, mais également aux entreprises de vente à distance, aux opérateurs de télécommunications (mobiles et fixes) et aux sociétés de fourniture d’énergie (électricité, gaz, etc.). Il est hors de question d’admettre une acception large de la notion « d’intérêt légitime » qui est naturellement source de dérives.

L’alinéa  6 fixe une limite à la conservation de ces données, celle de la durée d’exécution du contrat.

En vertu de l’alinéa 7, la Banque de France est seule habilitée à centraliser ces informations, comme elle est déjà seule à le faire pour les incidents de paiement, ce qui est une mesure de protection importante, appropriée à la sensibilité de ces données.

De plus, il est rappelé que les établissements de crédit et les services financiers visés ne peuvent consulter ce fichier à d’autres fins que l’examen de la solvabilité du souscripteur. À cette fin, la Banque de France devra consolider les données déclarées par eux avant de leur en permettre la consultation, afin d’éviter toute utilisation commerciale du fichier positif.

La dernière phrase de cet alinéa précise, en complément, que ces établissements ne peuvent en aucun cas conserver les informations ainsi obtenues dans un fichier automatisé, et pourront donc seulement se ménager la preuve de la consultation du fichier afin de pouvoir en fournir la preuve en cas de contentieux.

L’alinéa 8 délie la Banque de France du secret professionnel pour lui permettre de diffuser les données nominatives du nouveau répertoire national des crédits aux établissements précités. Garantie essentielle, cette diffusion ne pourra se faire sans l’accord écrit préalable du souscripteur.

L’alinéa 9 institue le principe de nouvelles infractions pénales en cas de remise à un tiers d’une copie des informations contenues dans le répertoire, la demande de remise de ces données ainsi que l’accès au registre par des personnes non autorisées. Les sanctions à l’encontre de ces infractions sont renvoyées à un décret en Conseil d’Etat.

L’alinéa 10 renvoie à un arrêté du ministre des finances la fixation des modalités de collecte, d’enregistrement, de conservation et de consultation de ces données. Ce règlement ne peut être pris qu’après avis de la CNIL et du comité consultatif du secteur financier (CCSF).

L’alinéa 11 confère à l’institut d’émission des départements d’outre-mer, en liaison avec la Banque de France, les attributions dévolues à celle-ci par le présent article.

Dans le but d’amortir les investissements consentis pour la mise en place du répertoire, l’alinéa 12 prévoit la facturation des consultations du répertoire à la charge des utilisateurs que sont les établissements de crédit. La tarification des consultations est renvoyée à un décret en Conseil d’Etat.

L’alinéa 13 prévoit un délai de 18 mois pour la mise en œuvre du répertoire. Il s’agit d’un délai raisonnable compte tenu du travail effectué par le comité de préfiguration qui doit servir pour la rédaction du cahier des charges du futur appel d’offres. A titre d’illustration, la centrale belge a été mise en place 22 mois après le vote de la loi de 2001.

Enfin, le dernier alinéa prévoit que les conditions d’application de cet article seront déterminées par décret en Conseil d’État.

Au vu des avantages décisifs que la constitution d’un tel répertoire apporterait pour la prévention du surendettement, et des garanties appropriées en ce qui concerne la protection de la vie privée, votre rapporteur vous invite à marquer clairement l’engagement de l’Assemblée nationale sur cette question cruciale, cette proposition pouvant naturellement être améliorée au fil de la navette parlementaire.

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* *

La Commission rejette l’article 2.

En conséquence du rejet de tous ses articles, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

*

* *

La Commission rejette la proposition de loi n° 221. En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

TABLEAU COMPARATIF

___

Dispositions en vigueur

___

Texte de la proposition de loi

___

Texte adopté par la Commission

___

 

Proposition de loi tendant à
prévenir le surendettement

 

Code de la consommation

Livre III : Endettement

Titre Ier : Crédit

Chapitre Ier : Crédit à la consommation

Section 4 : Explications fournies à l'emprunteur et évaluation de sa solvabilité

Art. L311-10. – Lorsque la con-clusion d'une opération mentionnée à l'article L. 311-2 donne droit, ou peut donner droit, à titre gratuit, immédiatement ou à terme, à une prime en nature de produits ou biens, la valeur de cette prime ne peut être supérieure à un seuil fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie.

Article 1er

Après l’article L. 311-10-1 du code de la consommation, il est inséré un article L. 311-10-2 ainsi rédigé :

Article 1er

(Rejeté)

 
 

« Art. L. 311-10-2. – Le prêteur qui a accordé un crédit sans s’être préalablement informé de la situation de solvabilité de l’emprunteur, et notam-ment de sa situation d’endettement global et de ses revenus, ne peut exercer de procédure de recouvrement à l’encontre de l’emprunteur défaillant, ou de toute personne physique ou morale s’étant portée caution, sauf si l’emprunteur a, en connaissance de cause, fait des fausses déclarations ou remis des documents inexacts en vue d’obtenir un crédit. »

 

Code monétaire et financier

Livre III : Les services

Titre Ier : Les opérations de banques et les services de paiement

Chapitre III : Crédits

Section 1 : Dispositions générales

Sous-section 3 : Fichier des incidents de paiement caractérisés

Article 2

Article 2

Art. L. 313-6. – Les règles relati-ves au fichier des incidents de paiement caractérisés sont fixées par les articles L. 333-4 et L. 333-5 du code de la con-sommation, ci-après reproduits : (…)

Après l’article L. 313-6 du code monétaire et financier, il est inséré une sous-section 4 ainsi rédigée :

(Rejeté)

 

« Sous-section 4

 
 

« Répertoire national des crédits aux particuliers pour des besoins non professionnels

 
 

« Art. L. 313-6-1. – Il est institué un répertoire national recensant les crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels. Ce fichier est géré par la Banque de France. Il est soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

 
 

« Les établissements de crédit visés par le livre V du présent code ainsi que les services financiers de La Poste sont tenus de déclarer à la Banque de France les principales caractéristiques des crédits accordés à chaque emprunteur, et notamment le montant, le taux effectif global et l’échéancier de remboursement. Les établissements prêteurs transmettent à la Banque de France les modifications des conditions du crédit.

 
 

« L’inscription est conservée pendant toute la durée d’exécution du contrat.

 
 

« La Banque de France est seule habilitée à centraliser les informations visées au premier alinéa. Les établissements de crédit et les services financiers susvisés ne peuvent consulter ce fichier à d’autres fins que l’examen de la solvabilité du souscripteur. Ils ne peuvent en aucun cas conserver les informations ainsi obtenues dans un fichier automatisé.

 
 

« La Banque de France est déliée du secret professionnel pour la diffusion, aux établissements de crédit et aux services financiers susvisés, des informations nominatives contenues dans le fichier à la demande de ceux-ci avec l’accord écrit préalable du souscripteur.

 
 

« La remise à un tiers d’une copie des informations contenues dans le registre ainsi que la demande de remises de données contenues dans le registre ou l’accès à ce dernier par des personnes non autorisées à le consulter sont passibles de sanctions pénales précisées par décret en Conseil d’État.

 
 

« Un arrêté du ministre des finances, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et du comité visé à l’article L. 614-1, fixe notamment les modalités de collecte, d’enregistrement, de conservation et de consultation de ces informations.

 
 

« Dans les départements d’outre-mer, l’institut d’émission des départements d’outre-mer exerce, en liaison avec la Banque de France, les attributions dévolues à celle-ci par le présent article.

 
 

« Le coût de création et de consultation de ce répertoire est réparti entre les utilisateurs de ce dernier selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État.

 
 

« Ce registre national des crédits aux particuliers entre en vigueur dans un délai maximum de dix-huit mois après la promulgation de la loi n°          du                   tendant à prévenir le surendettement.

 
 

« Des décrets en Conseil d’État déterminent les conditions d’application de cet article. »

 
© Assemblée nationale

1 () Rapport public 2010, « La lutte contre le surendettement des particuliers : une politique publique incomplète et insuffisamment pilotée », pages 462 à 494.

2 () « D’autres vies que la mienne », Emmanuel Carrère, éditions P.O.L, 2009 ; « Toutes nos envies » de Philippe Lioret et « Une vie meilleure » de Cédric Kahn (2011).

3 () Rapport de synthèse du groupe de travail présidé par M. Philippe Nogrix sur « les problèmes posés par les fichiers regroupant des informations sur la situation financière des individus au regard de la loi du 6 janvier 1978 », 2005.

4 () KSV (Kreditsschutzverband).

5 () BKR (Bureau Kredit Registratie).

6 () ICB (Irish credit bureau).

7 () Loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation.

8 () Loi du 10 août 2001relative à la Centrale des crédits aux particuliers.

9 () Chiffres clés disponibles sur le site de la Banque Nationale de Belgique, décembre 2011.

10 () Proposition de loi n°1071 de M. Jacques Masdeu-Arus, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 septembre 2003.

Proposition de loi n°1897 relative à la suppression du crédit revolving, à l’encadrement des crédits à la consommation et à la protection des consommateurs par l’action de groupe, déposée par l’ensemble des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 septembre 2009.

Proposition de loi n°3760, du groupe socialiste, relative à la lutte contre le surendettement, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2007.

11 () « Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Puisque j’ai répondu à la question de M. Diard, je veux aussi répondre à celle de M. Brottes.

« Vous m’interrogez sur le délai et sur un point fondamental : sera-t-il nécessaire de revenir débattre d’un texte législatif mettant en place le répertoire ?

« À mon sens, le principe de sa création est acté. L’instance de préfiguration va commencer à travailler dans les plus brefs délais. Elle va devoir prendre attache avec la CNIL dont la consultation s’imposera à propos du répertoire (2ème séance du mercredi 9 avril 2010). »

12 () Voir les enquêtes 2001, 2004, 2007 et 2010 sur le site de la Banque de France.

13 () Cour des Comptes, rapport public annuel 2010, février 2010, «La lutte contre le surendettement des particuliers : une politique publique incomplète et insuffisamment pilotée »,  pages 465-487.

14 () op. cité, page 139.

15 () 107ème Congrès des notaires de France, Cannes du 5 au 8 juin 2011, « Le financement, les moyens de ses projets, la maîtrise des risques », page 30.

16 () op. cité, page 19.