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N
° 727

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 février 2013

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie portant sur la coopération policière,

PAR M. Jean-Pierre DUFAU

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros :

Sénat : 497, 646, 647 et T.A. 126 (2010-2011).

Assemblée nationale : 103.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. UN ACCORD QUI RÉPOND À DES PRÉOCCUPATIONS DIFFÉRENTES DE SES SIGNATAIRES 7

A. Les enjeux de sécurité intérieure pour la France 7

1. De nombreux accords de coopération policière en vigueur 7

2. La stratégie régionale de sécurité intérieure 7

3. Les enjeux de la coopération avec la Serbie pour la sécurité intérieure 7

4. La coopération de sécurité déjà mise en œuvre avec la Serbie 8

5. L’intérêt de formaliser et de développer cette coopération à travers un engagement international 9

B. Pour la Serbie, un élément d’insertion dans la communauté internationale 9

1. La fragile stabilisation politique et économique de la Serbie 9

2. Un accord qui prend place dans la récente intensification des relations entre la France et la Serbie 10

3. Un accord qui s’inscrit aussi dans le processus de rapprochement avec l’Union européenne 11

4. Un accord qui s’insère dans une politique serbe active en matière de coopération de sécurité 12

II. LES STIPULATIONS DE L’ACCORD : UNE COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE, MAIS AVEC DE SOLIDES GARDE-FOUS 13

A. Les domaines de coopération 13

B. Les formes et procédures de la coopération envisagée 13

C. Les garanties de droit prévues 14

1. Les clauses restrictives 15

2. La protection des données personnelles 15

D. Les dispositions finales 16

EXAMEN EN COMMISSION 19

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ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 21

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis le début des années 2000, la France met en œuvre une stratégie régionale de sécurité intérieure spécifique pour les Balkans occidentaux, ce qui l’a conduite d’ores et déjà à établir à Zagreb un pôle régional de lutte contre la criminalité organisée et, s’agissant de la Serbie en particulier, à doter notre ambassade à Belgrade d’un service de sécurité intérieure et à développer une coopération policière. Ces décisions répondaient au constat du développement de différentes formes de trafics et d’activités criminelles en provenance de la région et affectant l’ensemble de l’Europe – même si l’analyse des statistiques de la délinquance en France montre qu’il convient de ne pas exagérer ce problème.

La Serbie, pour sa part, est engagée depuis 2000 (chute du régime Milosević après la guerre du Kosovo) dans un processus de stabilisation, de démocratisation et de rapprochement avec les pays européens aussi bien qu’avec l’Union européenne, à laquelle elle a posé sa candidature.

L’accord qu’il vous est demandé de ratifier s’inscrit clairement dans ce processus et a d’ailleurs été souhaité en premier lieu par la partie serbe. Mais au-delà des enjeux politiques généraux, il devrait permettre d’intensifier la coopération qui existe déjà entre nos deux pays en matière de sécurité intérieure, tout en la plaçant dans un cadre juridique qui comporte des garanties aussi bien pour leurs intérêts politiques essentiels que pour les droits fondamentaux des personnes, notamment en matière de protection des données à caractère personnel. Les stipulations de l’accord établissent en effet un équilibre entre la recherche d’une coopération efficace et le maintien de garde-fous solides préservant un principe auquel nous devons être attachés : une véritable coopération policière ne peut et ne doit se développer qu’avec des partenaires dont les standards de droit et de pratiques sont comparables aux nôtres.

I. UN ACCORD QUI RÉPOND À DES PRÉOCCUPATIONS DIFFÉRENTES DE SES SIGNATAIRES

Les motivations des deux parties au présent accord se rejoignent sans être pleinement symétriques. Du point de vue français, les enjeux de réintégration de la Serbie dans le jeu international et plus particulièrement européen sont certes présents, mais il convient surtout de relever les enjeux concrets de sécurité intérieure. Pour la Serbie, outre le développement d’une coopération technique, il s’agit avant tout de se réinsérer dans la communauté internationale et d’aller vers l’intégration européenne.

A. LES ENJEUX DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE POUR LA FRANCE

Pour notre pays, cet accord s’inscrit tout d’abord dans une stratégie de sécurité intérieure.

1. De nombreux accords de coopération policière en vigueur

La France a conclu à ce jour trente-sept accords de coopération à vocation générale dans le domaine de la sécurité intérieure, sans même décompter les accords plus spécifiques (lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, projets particuliers, etc.), ceux de coopération transfrontalière en matière policière, ou encore les arrangements administratifs. La plupart de ces accords prévoient la possibilité de transferts de données à caractère personnel et la réalisation d’opérations coordonnées. Le présent accord ne présente donc pas une grande originalité, mais s’inscrit dans notre stratégie de sécurité intérieure vis-à-vis des Balkans.

2. La stratégie régionale de sécurité intérieure

La France met en œuvre une stratégie régionale de sécurité intérieure propre aux Balkans occidentaux, compte tenu du passage de divers trafics par cette région et du développement local d’organisations et d’activités criminelles qui affectent l’ensemble de l’Europe. Notre pays développe en conséquence une coopération technique bilatérale avec les pays de la zone et a conclu des accords de coopération en matière de sécurité intérieure avec plusieurs d’entre eux. En 2004, un pôle régional de lutte contre la criminalité organisée originaire d’Europe du sud-est a été installé dans notre ambassade à Zagreb.

3. Les enjeux de la coopération avec la Serbie pour la sécurité intérieure

En termes strictement statistiques, d’après les éléments transmis par le ministère des affaires étrangères, la criminalité et la délinquance dues à des ressortissants serbes sur le territoire français restent limitées : en 2011, dans la base nationale du système de traitement des infractions constatées (STIC), les mis en cause de cette nationalité, au nombre de 615, représentaient 0,08 % du total des mis en cause répertoriés par les services de la police nationale, soit 0,29 % du total des mis en cause étrangers. Ce sont essentiellement des vols et des infractions à la législation relative aux stupéfiants qui leur étaient imputés, plus de la moitié de ces affaires étant concentrées à Paris, dans sa banlieue et dans quelques départements de l’est de la France.

Cependant, il apparaît, d’après les données recueillies dans plusieurs pays européens, que des réseaux serbes se sont développés dans diverses activités : les trafics internationaux de stupéfiants, notamment leur acheminement d’Amérique latine vers l’Europe, et parfois leur production locale de stupéfiants (cannabis et drogues de synthèse pour l’essentiel) ; le trafic de véhicules volés ; la traite des êtres humains ; le trafic d’armes au profit du grand banditisme, des stocks importants ayant été récupérés suite aux guerres dans l’ex-Yougoslavie ; enfin, la délinquance d’appropriation, essentiellement imputable aux réseaux relevant de la délinquance itinérante (cambriolages, vols avec violences, etc.).

4. La coopération de sécurité déjà mise en œuvre avec la Serbie

Une coopération technique est déjà en place avec la Serbie dans le domaine de la sécurité intérieure, sous l’égide de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères. En 2002, un service de sécurité intérieure a été ouvert à l’ambassade de France à Belgrade ; il compte actuellement un fonctionnaire du corps de conception et de direction de la police nationale et un agent recruté localement (pour des missions de secrétariat et de traduction). Du point de vue budgétaire, cette coopération, initialement modeste, a connu un essor significatif jusqu’en 2010, avec une enveloppe atteignant environ 133 000 euros, avant de subir un fléchissement dans le contexte budgétaire national : l’enveloppe annuelle a été ramenée à environ 86 000 euros en 2011 et 73 000 euros en 2012). La contribution serbe est pour sa part stabilisée à environ 20 000 euros en 2011 et 2012.

Globalement, la coopération de sécurité intérieure entre la France et la Serbie reste toutefois d’envergure plus modeste que celle d’autres pays européens, tels que la Suède, l’Allemagne et l’Autriche, que ce soit par le biais de financement bilatéraux ou communautaire.

Cette coopération avec la Serbie a pris plusieurs formes jusqu’à présent : visites d’étude et missions de formation visant à favoriser les échanges opérationnels, notamment dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée et le grand banditisme ; actions de formation en matière d’interventions spécialisées (gestion de prises d’otages, interventions dans les trains et tunnels, escorte de personnalités, etc.) ; visites d’étude et missions de formation dans le domaine de la protection et de la sécurité civiles (gestion des risques naturels et technologiques, sauvetage, etc.) ; stages linguistiques (pour préserver un vivier de francophones dans les forces serbes) ; actions de formation des cadres…

5. L’intérêt de formaliser et de développer cette coopération à travers un engagement international

La coopération franco-serbe dans le domaine de la sécurité intérieure a préexisté au présent accord, a fortiori à sa ratification dont nous débattons. On pourrait dans ces conditions s’interroger sur l’utilité de formaliser cette coopération dans le cadre d’un engagement international.

Mais outre les enjeux politiques qui s’y attachent – la refondation et la normalisation des relations avec la Serbie après une période d’isolement de celle-ci –, la passation d’un accord en bonne et due forme apporte aussi des plus à une coopération de cette nature : un cadre qui fait ressortir nettement les droits et obligations de chaque partie ; des principes qui orientent la coopération ; une plus grande sécurité juridique ; la possibilité d’envisager certains types d’échanges qui sont impossibles sans base de droit, notamment, comme on y reviendra, la transmission de données à caractère personnel.

B. POUR LA SERBIE, UN ÉLÉMENT D’INSERTION DANS LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

1. La fragile stabilisation politique et économique de la Serbie

La Serbie connaît une certaine stabilisation après la chute du régime Milosević (octobre 2000) et plusieurs années de tensions.

Les dernières élections qui se sont tenues en mai 2012 ont certes suscité quelques inquiétudes, avec la victoire du « Parti progressiste de Serbie » (SNS) aux législatives et celle, inattendue, de son candidat Tomislav Nikolić aux présidentielles, contre le président sortant et pro-européen Boris Tadić. Le nouveau président a toutefois souhaité rassurer immédiatement sur la continuité de la politique de la Serbie en déclarant que l’option européenne serait maintenue et en imputant sa victoire non à l’engagement européen de son prédécesseur, mais à sa politique économique. Le SNS se veut un parti de droite « classique », éloigné des options nationalistes qui ont été celles de ses dirigeants.

La Serbie a par ailleurs normalisé ses relations avec la plupart de ses voisins au cours des dernières années, même si des questions restent en suspens, notamment sur les problématiques liées aux réfugiés et aux frontières. La question de l’indépendance du Kosovo reste naturellement la plus difficile, la Serbie continuant à le considérer comme une province serbe. La Cour internationale de justice ayant jugé que la déclaration d’indépendance du Kosovo était conforme au droit international, la Serbie a cependant accepté l’ouverture d’un processus de dialogue technique entre Belgrade et Pristina qui a débuté en mars 2011 sous l’égide de l’Union européenne et a déjà débouché sur plusieurs accords dont certains commencent à être appliqués, par exemple sur le contrôle de la frontière commune. Ce dialogue s’est récemment élevé au plus haut niveau politique avec une rencontre entre les présidents des deux pays le 6 février 2013, après le vote par le parlement serbe d’une résolution donnant mandat pour la poursuite de ce processus.

La situation économique, dans un contexte général européen morose, reste néanmoins difficile : un taux de chômage de 23 % (2011), une croissance économique en berne, une inflation significative (11 % en 2011), de forts déficits budgétaire et plus encore commercial (ce dernier ayant représenté près de 18 % du PIB en 2010). Pour y remédier, le pays coopère avec les grandes institutions financières internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale, Banque européenne d’investissement et Banque européenne pour la reconstruction et le développement).

2. Un accord qui prend place dans la récente intensification des relations entre la France et la Serbie

La France avait avec l’ancienne Yougoslavie des relations normales d’amitié et de nombreux traités avaient été passés. La scission de la Yougoslavie, les guerres qui l’ont accompagnée et le rôle joué par la Serbie dans celles-ci ont entraîné une éclipse dans les relations bilatérales dans les années 1990. Les relations diplomatiques n’ont été rétablies entre la France et la « République fédérale de Yougoslavie », réduite alors à la Serbie et au Monténégro (1), qu’en novembre 2000. En 2003, a été conclu entre la France et la Serbie-et-Monténégro un accord « relatif à la succession en matière de traités bilatéraux conclus entre la France et la république socialiste fédérative de Yougoslavie », assurant la continuité des engagements internationaux préexistants. 

Depuis lors, les liens politiques se sont resserrés, avec notamment des rencontres des chefs d’État (le président Tadić est notamment venu en France en octobre 2008 et mai 2009).

C’est à l’initiative de la partie serbe que le présent accord a été négocié, à partir d’une proposition faite en octobre 2005, puis signé en 2009.

Plus récemment, un accord de partenariat stratégique et de coopération a été conclu le 8 avril 2011 entre les deux pays. Ce texte, dans lequel la France apporte son soutien à l’intégration européenne de la Serbie, mentionne divers domaines de coopération, dont la sécurité intérieure visée à son article 14, lequel fait référence au présent accord. Cet article 14 stipule en effet que les deux pays « coopèrent dans la lutte contre les différentes formes de criminalité organisée, y compris à travers l’accord de sécurité intérieure [c’est-à-dire le présent accord], avec pour objectifs de renforcer la coopération opérationnelle entre les deux pays notamment contre les différents trafics dans les Balkans (…) [et d’accompagner la] Serbie dans sa réforme de la formation des personnels, de la coopération interservices, de la professionnalisation de ses unités d’intervention, de la protection des données personnelles, afin de se mettre en conformité avec les normes européennes dans ces domaines et de faciliter son intégration ultérieure dans les systèmes d'échanges d'informations ». 

3. Un accord qui s’inscrit aussi dans le processus de rapprochement avec l’Union européenne

La Serbie s’est engagée depuis 2008 dans la démarche d’intégration européenne et a mené nombre des réformes requises dans ce cadre.

Les relations entre l’Union européenne et la Serbie sont régies par un accord de stabilisation et d’association signé en 2008 et dont le processus de ratification a été engagé en juin 2010. En France, la loi de ratification a été promulguée le 2 décembre 2011. Dans l’attente de la fin de ce processus de ratification – mené à bien dans une large majorité des États-membres –, un accord intérimaire de libre-échange est en vigueur.

La Serbie s’est portée candidate à l’Union européenne le 22 décembre 2009 et dispose du statut de candidat depuis mars 2012. Elle bénéficie de fonds de pré-adhésion – pour environ 200 millions d’euros en 2011. L’ouverture rapide des négociations d’adhésion est un enjeu politique majeur pour la Serbie en 2013.

Le présent accord s’inscrit aussi dans ce processus d’intégration européenne en ce sens que certaines de ses stipulations devraient, de fait, encourager la Serbie à se rapprocher des standards juridiques européens sur certains points sensibles. Il en est ainsi, en particulier, sur la question des échanges d’informations à caractère personnel, strictement encadrés par l’article 11 du présent accord.

Pour que de tels échanges, évidemment essentiels pour l’efficacité d’un accord de coopération policière, soient possibles (du moins dans le sens France=>Serbie), la partie française a clairement exprimé à la partie serbe, durant les négociations, qu’elle devait mettre en place une législation nationale ad hoc. La Serbie a adopté le 23 octobre 2008 une loi relative à la protection des données à caractère personnel. Cette loi, premier cadre juridique établi par le législateur serbe en la matière, a notamment étendu les attributions du « Commissariat pour les informations d’intérêt public » (créé en 2004) à la protection des données à caractère personnel, ce qui a conduit cette instance à adopter le nouveau nom de « Commissariat pour les informations d’intérêt public et la protection des données personnelles » ; d’après les informations communiquées par le ministère des affaires étrangères, cet organisme ferait preuve d’une réelle indépendance, dénonçant de manière régulière le manque de coopération ou de transparence des administrations, voire l’attitude ambiguë des autorités gouvernementales sur certains dossiers, et n’hésitant pas à saisir la Cour constitutionnelle de textes dont il conteste la licéité. Cet activisme aurait crédibilisé l’organisme qui, en 2011, a reçu plus de 50 000 requêtes (tout citoyen serbe pouvant le saisir pour faire respecter ses droits ou obtenir communication des informations détenues sur son compte), a examiné la conformité de 119 traitements de données à caractère personnel soumis à autorisation préalable et a conduit 159 inspections de tels traitements. La Serbie a également signé et ratifié, en 2008, le Protocole du Conseil de l’Europe concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontaliers de données du 8 novembre 2001 (STE 181), additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981 (STE 108).

Or, ces progrès dans la protection des données à caractère personnel s’inscrivent parallèlement dans le processus d’intégration européenne de la Serbie, dans la mesure où ce type de règles fait partie de l’acquis communautaire et où l’article 81 de l’accord précité de stabilisation et d’association Europe-Serbie de 2008 stipule clairement que la Serbie doit harmoniser sa législation en la matière avec cet acquis.

4. Un accord qui s’insère dans une politique serbe active en matière de coopération de sécurité

Il est enfin à noter que le présent accord n’est pas le premier ni le seul accord de coopération policière passé par la Serbie. Ce pays a déjà conclu des accords de cette nature avec une vingtaine de pays. La coopération semble notamment rester importante avec la Russie, allié traditionnel. Des contacts ponctuels ont également été établis avec les Etats-Unis, notamment pour la lutte contre les trafics internationaux de stupéfiants, avec notamment des actions de formation. Quatre pays européens sont par ailleurs des partenaires importants de la Serbie en la matière : l’Allemagne, l’Italie, la Norvège et la Suède – ces pays réalisent des projets à l’aide de financements européens, mais mobilisent également des subsides nationaux conséquents, procèdent régulièrement à des cessions de matériels au profit des services locaux et ont déployé sur place des personnels (agents de liaison, attachés de sécurité intérieure). Enfin, une coopération policière régionale croissante et diversifiée se développe entre les États des Balkans, qui ont ainsi mis en place un Centre de coopération policière pour l’Europe du sud-est (SELEC) (2).

II. LES STIPULATIONS DE L’ACCORD : UNE COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE, MAIS AVEC DE SOLIDES GARDE-FOUS

Les stipulations de l’accord visent à concilier deux exigences : se donner les moyens juridiques d’une coopération policière qui soit efficace, opérationnelle ; mais conserver des garde-fous permettant de refuser ponctuellement certaines demandes, que ce soit pour des raisons de droit ou d’opportunité.

A. LES DOMAINES DE COOPÉRATION

L’article 1er de l’accord définit son objet : « promouvoir la coopération bilatérale policière (…) dans le domaine de la prévention et de la détection des actes criminels, en particulier à travers des échanges d’informations, ainsi que par des contacts réguliers entre les services compétents ».

L’article 2 énumère les domaines de coopération : criminalité organisée, terrorisme, traite des êtres humains, immigration illégale, pédo-pornographie, cybercriminalité, trafic de stupéfiants, trafic d’armes, trafic d’objets d’art, faux et contrefaçons, infractions à caractère économique et financier, corruption et trafic de véhicules volés. Il est cependant précisé que la coopération peut être étendue à d’autres domaines par accord des parties. Selon le ministère des affaires étrangères, il est d’usage dans les accords de coopération policière signés par la France de mentionner une liste non-exhaustive de domaines de coopération, afin notamment de marquer l’existence d’une « grammaire » commune de coopération, en fixant les concepts utilisés conjointement et en veillant à l’emploi d’une terminologie cohérente avec les grandes conventions internationales conclues dans les domaines considérés.

B. LES FORMES ET PROCÉDURES DE LA COOPÉRATION ENVISAGÉE

L’article 3 de l’accord définit quatre formes de coopération possible, qui sont ensuite détaillées aux articles 4, 5, 6 et:

– l’échange d’informations, sous réserve de restrictions relatives aux informations à caractère personnel qui sont exposées à l’article 11 (voir infra) ;

– la coordination d’opérations de protection des témoins et autres participants à la procédure pénale (3), ainsi que la mise en œuvre de programmes conjoints de prévention de la criminalité ;

– la constitution d’équipes mixtes, la situation des policiers expatriés dans ce cadre étant précisée – ils n’exerceront pas de prérogatives de puissance publique, seront placés sous le commandement d’agents du pays d’accueil et seront soumis à la réglementation de celui-ci notamment pour le port d’armes, mais pas pour les conditions de travail ni la responsabilité disciplinaire ;

– la formation, à travers l’organisation de stages, de séminaires ou d’exercices conjoints, l’échange d’experts, etc.

Par ailleurs, l’article 10 prévoit une autre forme de coopération : l’envoi d’officiers de liaison.

Enfin, l’article 13, même s’il vise à évaluer et approfondir la coopération mise en œuvre en vertu des stipulations mentionnées ci-dessus, a aussi pour objet de prévoir une forme de coopération : il mentionne l’organisation régulière de réunions d’experts pour dresser le bilan de la coopération. D’après l’administration, les participants à ce type de réunions ont vocation à être d’un niveau élevé (normalement, présence des directeurs généraux des forces de sécurité participant à la coopération bilatérale), même si une déclinaison à un échelon opératif ou tactique est envisageable. La procédure de ratification du présent accord n’étant pas achevée, l’organisation de ce type de réunion (dans un format ou un autre) a été jugée prématurée. Les contacts de haut niveau se poursuivent donc dans l’intervalle sur une base ad hoc, la dernière visite de haut niveau ayant été celle du ministre de l’intérieur serbe en France en octobre 2011.

Plus généralement, on constate que les formes de coopération visées par le présent accord reprennent celles de la coopération bilatérale déjà en vigueur, mais vont aussi au-delà : si, comme on l’a vu supra, cette coopération est déjà active en matière d’actions de formation et d’échange d’informations générales (à caractère non-personnel) et de bonnes pratiques policières, en revanche, les échanges de données à caractère personnel restent pour l’heure difficiles – on y reviendra –, tandis que la réalisation d’opérations coordonnées ou la création d’équipes mixtes n’ont pas été envisagées jusqu’à présent. Au demeurant, même avec ses plus proches voisins, la France n’en est qu’aux prémices de coopérations de cette nature, qui sont notamment prévues dans le cadre du « traité de Prüm » passé entre sept États européens (4).

C. LES GARANTIES DE DROIT PRÉVUES

Plusieurs stipulations de l’accord établissent des garde-fous permettant une mise en œuvre contrôlée.

Tout d’abord, l’article 7 définit les conditions de règlement des dommages causés potentiellement par des agents expatriés dans le cadre de l’accord : leur pays d’origine devra prendre en charge l’indemnisation de ces dommages, conformément à la législation du pays d’accueil et avec substitution de ce dernier dans la procédure judiciaire.

Pour sa part, l’article 9 a notamment pour objet de fixer les modalités de prise en charge des frais de coopération, chaque partie prenant a priori en charge ses frais propres. Par ailleurs, cet article encadre les modalités de présentation des demandes d’informations et de coordination qui seront exprimées : sauf urgence, elles devront être écrites et motivées.

1. Les clauses restrictives

L’article 9 comprend enfin des clauses restrictives.

D’une part, il écarte du champ de l’accord les demandes qui relèveraient de la compétence de l’autorité judiciaire. Ce type de clause est commun dans les accords de sécurité intérieure signés par la France, notamment lorsque des différences nationales importantes existent en matière de procédure pénale et d’articulation entre autorité judiciaire et services de police. Le système français se caractérise en effet par une subordination de principe des officiers et agents de police judiciaire à l’autorité des magistrats du parquet et une autonomie encadrée de leurs activités d’enquête, que ne connaissent pas un grand nombre de nos partenaires. Le rappel des compétences de l’autorité judiciaire dans les accords de coopération policière vise en conséquence à éviter que nos partenaires ne méconnaissent les spécificités de l’organisation de la police judiciaire française.

D’autre part, le quatrième paragraphe de cet article comporte une clause qui figure systématiquement dans les accords de coopération policière signés par la France : la possibilité de refuser toute demande (d’informations, de coopération) dont la partie destinataire considérerait qu’« en vertu de sa législation nationale une réponse favorable porterait atteinte aux droits fondamentaux de la personne, aux règles d’organisation et de fonctionnement de l’autorité judiciaire, à la souveraineté et à la sécurité de l’État, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de son État ». Il n’est en outre pas prévu d’obligation de motiver le refus opposé dans ces conditions. De ce fait et au regard de la rédaction très large des raisons de refus indiquées, qui invoquent notamment les « intérêts essentiels » des parties, il s’agit bien là d’un garde-fou discrétionnaire permettant de faire prévaloir des préoccupations politiques.

2. La protection des données personnelles

L’article 11 de l’accord est consacré à la protection des données à caractère personnel, dont l’échange est certes autorisé, mais sous de strictes conditions : respect des législations nationales des parties et de leurs engagements internationaux ; utilisation desdites données pour les seuls besoins définis dans le cadre de la demande qui en a été faite et aux conditions fixées par la partie qui les fournit ; obligation de rendre compte de cette utilisation ; garanties de protection et de confidentialité de même niveau par la partie bénéficiaire que par la partie d’origine des données ; droit d’accès des personnes concernées ; destruction des données transmises au terme de leur utilisation, etc.

D’après les éléments transmis par le ministère des affaires étrangères, pour le moment, seuls sont réalisés sans difficulté les transferts de données personnelles à destination des services français, tant dans le cadre de la coopération policière que dans celui de l’entraide judiciaire en matière pénale.

En revanche, les transmissions au profit des services serbes ne sont de facto réalisées que dans le cadre de l’entraide judiciaire en matière pénale. En effet, d’éventuels transferts d’informations au titre de la coopération policière administrative devraient s’inscrire dans le cadre restrictif prévu par l’article 12 de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Selon cette loi, « le responsable d’un traitement [fichier informatisé] ne peut transférer des données à caractère personnel vers un État n’appartenant pas à la Communauté européenne que si cet État assure un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes à l’égard du traitement dont ces données font l’objet ou peuvent faire l’objet ». Et il ne peut être fait exception à cette règle que dans certains cas, notamment lorsque des transferts de données sont nécessaires « à la sauvegarde de la vie » de la personne concernée, « à la sauvegarde de l’intérêt public », « au respect d’obligations permettant d’assurer la constatation, l’exercice ou la défense d’un droit en justice », ou bien encore (dans le cas de données issues d’un fichier de police) par décret en Conseil d’État pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. La complexité de ces dispositions décourage de fait les transferts de données personnelles vers des États extra-communautaires.

Pour autant, comme on l’a indiqué dans la partie I du présent rapport, dans le cadre de son alignement sur les standards européens auquel le présent accord participe, la Serbie a adopté en 2008 une loi relative à la protection des données à caractère personnel et a institué une autorité administrative indépendante en la matière. À terme, les transferts de telles données vers la Serbie devraient donc devenir plus aisés, d’autant que le pays a vocation à rejoindre l’Union européenne.

D. LES DISPOSITIONS FINALES

Enfin, le texte de l’accord se conclut par de classiques dispositions finales, comprenant notamment la désignation des autorités compétentes pour sa mise en œuvre – en l’espèce les ministres de l’intérieur des deux pays (article 12) –, la possibilité de l’amender (article 14), le règlement des différends – par négociation des parties (article 15) – et l’entrée en vigueur (article 16).

L’accord est conclu pour trois ans, mais est renouvelable par tacite reconduction. Il doit entrer en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la réception de la dernière notification de l’accomplissement des procédures internes de ratification. La République de Serbie a ratifié l’accord par une loi du 23 mars 2010 et son ministère des affaires étrangères a donc notifié le 6 avril 2010 à l’ambassade de France à Belgrade l’achèvement des procédures internes propres à la partie serbe. Le vote du présent projet de loi par l’Assemblée nationale, après le Sénat qui l’a adopté le 18 juillet 2012, ouvrira donc la voie à une entrée en vigueur rapide de l’accord.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Pierre Dufau, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie portant sur la coopération policière (n° 103) , au cours de sa séance du mercredi 13 février 2013.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. François Scellier. Cet accord a été signé il y a presque trois ans, c'est-à-dire que nous arrivons à l’échéance de la reconduction tacite de l’accord. Les dispositions sont-elles déjà en partie mises en œuvre ou l’application est-elle suspendue à l’achèvement de la procédure de ratification ?

M. Philippe Cochet. Nous avons l’habitude d’examiner ce type de rapports, mais ils sont toujours importants et celui-ci particulièrement. Nous savons en effet que le trafic d’armes prospère dans certaines de nos banlieues. Il faut à cet égard féliciter les forces de l’ordre qui conduisent des opérations difficiles pour y mettre un terme. Des armes lourdes, notamment en provenance de Serbie, circulent de manière considérable. L’accord prévoit-il un volet sur ces armes de guerre ?

Mme Chantal Guittet. Il existe aussi un problème de trafic de médicaments et de cartes bancaires. Je crois savoir qu’un pôle structuré existe à Belgrade sur l’analyse de la criminalité. Ce pôle sera-t-il renforcé et ces deux types de trafics sont-ils couverts par l’accord ?

M. André Schneider. Il existe encore bien d’autres trafics, notamment de tissus humains. Il me semble qu’il est vraiment temps de ratifier cet accord pour le mettre en pratique et être en mesure de répondre aux dangers.

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Concernant l’applicabilité du contenu de l’accord, j’indique dans le rapport que la ratification est nécessaire pour en faire entrer en vigueur l’ensemble des dispositions, mais qu’une coopération policière existe déjà avec la Serbie. Le Sénat a déjà voté l’accord et après le vote de l’Assemblée nationale, il deviendra opposable.

Concernant les trafics, je ne peux que donner raison aux divers intervenants. Ce sujet sera traité dans le cadre des négociations d’adhésion à l’Union européenne, mais il s’agit d’apporter déjà des améliorations avec cet accord. L’article 2 en prévoit le champ d’application : le crime organisé ; le terrorisme et son financement ; la traite des êtres humains et l’immigration illégale ; la pornographie infantile et l’exploitation sexuelle des enfants ; la cybercriminalité ; le trafic de stupéfiants ; le trafic d’armes et de tous matériels nucléaires, radioactifs, biologiques, chimiques ; le trafic de biens culturels volés ; la falsification des moyens de paiement ; les vols de voiture, etc. Cet article répond donc aux questions qui ont été posées sur le champ de la coopération. Encore faudra-t-il toutefois que l’on identifie et localise ces flux illégaux. Je rappelle que ces pratiques criminelles ont été très loin et qu’il existe notamment de fortes présomptions qu’un trafic d’organes ait eu cours au Kosovo.

M. André Schneider. Ce point a encore été évoqué le mois dernier au Conseil de l’Europe.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 103).

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie portant sur la coopération policière, signé à Paris le 18 novembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 103).

© Assemblée nationale

1 () Lequel a proclamé son indépendance, se séparant définitivement de la Serbie, en 2006.

2 () Le Southeast European Law Enforcement Center a été créé par la Convention de Bucarest du 9 décembre 2009 ; c’est une véritable organisation internationale (une personnalité juridique de droit international lui étant octroyée) réunissant les pays de la zone, qui institutionnalise les mécanismes de coopération policière.

3 () À l’exclusion des personnes mises en cause : les négociateurs de l’accord ont considéré que la protection des auteurs d’infractions relevait à titre principal du fonctionnement des autorités judiciaires des deux pays ; elle a donc prioritairement vocation à s’inscrire dans le cadre de l’entraide judiciaire en matière pénale.

4 () Traité du 27 mai 2005 entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d’Autriche relatif à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale.