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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 septembre 2014
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE POUR L’EXAMEN DU PROJET DE LOI, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 2188)
TOME III
AUDITIONS
PAR Mme Ericka BAREIGTS, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Sabine BUIS, M. Denis BAUPIN et M. Philippe PLISSON
Députés
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Voir le numéro : 2188.
La Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est composée de M. François Brottes, président ; MM. Julien Aubert, Jean-Yves Caullet, Bertrand Pancher, Mme Béatrice Santais, vice-présidents ; MM. Patrice Carvalho, Daniel Fasquelle, Joël Giraud, Mme Catherine Troallic, secrétaires ; Mmes Ericka Bareigts, Marie-Noëlle Battistel, Sabine Buis, MM. Denis Baupin et Philippe Plisson, rapporteurs ; MM. Damien Abad, Bernard Accoyer, Mme Sylviane Alaux, M. Christian Bataille, Mmes Catherine Beaubatie, Chantal Berthelot, MM. Philippe Bies, Yves Blein, Jean-Luc Bleunven, Christophe Borgel, Christophe Bouillon, Jean-Paul Chanteguet, André Chassaigne, Jean-Michel Clément, Gilbert Collard, Jean-Jacques Cottel, Charles de Courson, Pascal Deguilhem, Mmes Françoise Dubois, Cécile Duflot, MM. Nicolas Dupont-Aignan, Yves Fromion, Mme Geneviève Gaillard, MM. Claude de Ganay, Guy Geoffroy, Jean-Pierre Georges, Jean-Jacques Guillet, Michel Heinrich, Antoine Herth, Patrick Hetzel, Guénhaël Huet, Jacques Kossowski, Jacques Krabal, Mme Bernadette Laclais, MM. Jean Launay, Jean-Luc Laurent, Alain Leboeuf, Mme Anne-Yvonne Le Dain, MM. Jean-Yves Le Déaut, Serge Letchimy, Victorin Lurel, Hervé Mariton, Patrice Martin-Lalande, Mme Frédérique Massat, M. Rémi Pauvros, Mmes Josette Pons, Émilienne Poumirol, MM. Patrice Prat, Franck Reynier, Mme Sophie Rohfritsch, MM. Martial Saddier, Michel Sordi, Éric Straumann, Lionel Tardy, Jean-Marie Tetart, Stéphane Travert, Jean-Paul Tuaiva et Mme Clotilde Valter.
SOMMAIRE
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Pages
1. Audition, ouverte à la presse, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte 5
2. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Jean Gaubert, médiateur de l’énergie, accompagné de M. Stéphane Mialot, M. Frédéric Blanc, juriste à l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir, M. Dominique Marmier, président de Famille rurales, accompagnées de Mme Nadia Ziane 31
3. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, Mme Laure Hézard et M. Jean Jouzel, rapporteurs 53
4. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME 63
5. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables et de M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité 73
6. Audition ouverte à la presse de M. Pierre Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire et de M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). 83
7. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). 98
8. Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. 111
9. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Guillaume de Bodard, président de la Commission environnement et développement durable de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), M. Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). 121
10. Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la DG énergie de la Commission européenne. 140
11. Présentation, ouverte à la presse, commune avec la Commission des affaires économiques, du rapport d’information sur l’adaptation du droit de l’énergie aux outre-mer (Mme Ericka Bareigts et M. Daniel Fasquelle, rapporteurs) 150
12. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Jean-Jack Queyranne, président de la commission « Développement durable, environnement » de l’Association des régions de France (ARF), Mme Frédérique Massat, députée, présidente de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), M. Philippe Angotti, représentant de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), M. Martial Saddier, député, représentant de l’Association des maires de France (AMF), M. Jean Révéreault, représentant de l’Association des communautés de France (AdCF), M. Bruno Sido, sénateur, secrétaire général de l’Assemblée des départements de France (ADF), Mme Hélène Geoffroy, députée, vice-présidente de la communauté urbaine du Grand Lyon, en charge de l’énergie, et M. Christophe Porquier, représentant de l’ARF. 164
13. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail (CGT) et M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports de la CGT, M. Dominique Olivier, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), accompagné de M. François Delatronchette, et M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral de Force ouvrière (FO) 181
14. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de avec la participation de M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Mme Marie Castelli, secrétaire générale de AVERE France, M. Jean-Christophe Béziat, directeur des relations institutionnelles pour l’Innovation, l’environnement et la mobilité de Renault et M. Adamo Screnci, vice-président exécutif de McPhy Energy 204
15. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Matthieu Orphelin, conseiller spécial et porte-parole sur la transition énergétique de la Fondation Nicolas Hulot, Mme Maryse Arditi, responsable énergie de France nature environnement (FNE), Mme Lorelei Limousin, chargée de mission transports de Réseau Action Climat, M. Marc Jedliczka de CLER-Réseau pour la transition énergétique, et M. Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire de Greenpeace 220
16. Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet, président-directeur général de GDF-Suez 245
17. Audition, ouverte à la presse, de M. Henri Proglio, président-directeur général d’Électricité de France (EDF) 258
18. Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Maillard, président de RTE, et de M. Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz 274
19. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Philippe Monloubou, président du directoire d’ERDF ; de Mme Sandra Lagumina, directeur général de GrDF ; de Mme Denise Saint-Pé, seconde vice-présidente déléguée de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) ; de M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’Association nationale des régies de services publics des organismes constitués par les collectivités locales ou avec leur participation (ANROC) ; et de M. Sylvain Waserman, directeur général de Réseau Gaz Distribution Services (GDS) et vice-président du syndicat professionnel des entreprises gazières non nationalisées (SPEGNN) 290
1. Audition, ouverte à la presse, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte
(Séance du mardi 9 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Nous accueillons aujourd’hui Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui vient nous présenter le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Nous avions posé cette date dans l’agenda de Mme la ministre avant même que la décision de créer une commission spéciale ne soit prise. Il semblait logique que la Commission des affaires économiques et la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire puissent auditionner ensemble Mme la ministre. C’est pourquoi cette audition réunit à la fois les deux commissions permanentes et la Commission spéciale.
Je remercie Mme Ségolène Royal d’être à nos côtés et de prendre le temps de répondre largement aux questions qui seront posées. La Commission spéciale, que j’ai l’honneur de présider, a été installée ; les rapporteurs ont été désignés. L’opposition a regretté de ne pas avoir de rapporteurs, et, pour en avoir éprouvé de similaires lorsque j’étais dans l’opposition, je peux comprendre ces regrets. Le bureau est installé. Monsieur Chassaigne, nous avons nommé un secrétaire du groupe GDR qui, je l’espère, sera de temps en temps avec nous, si je puis me permettre cette remarque.
Avant de vous laisser le soin de faire une présentation du texte, madame la ministre, je vais donner la parole à M. Jean-Paul Chanteguet, le président de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
M. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. Je remercie Mme la ministre de sa présence et je me réjouis de la mise en place de la commission spéciale pour un texte dont personne ne pourra contester la transversalité. En votre nom à tous, je félicite François Brottes, le président de cette Commission spéciale. Le format est tout à fait original – deux commissions et une commission spéciale – mais l’affluence montre l’intérêt que vous portez à ce sujet et à ce projet de loi.
M. le président François Brottes. Madame la ministre, vous êtes la bienvenue pour nous présenter ce texte tant attendu.
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, monsieur le président de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureuse de vous présenter le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, qui a été transmis à votre assemblée le 30 juillet dernier.
La présente audition marque le début de l'examen et de la discussion parlementaires, par votre Commission spéciale puis en séance publique, d'un texte très attendu et qui ouvre un nouveau chapitre de l'histoire énergétique de notre pays, tout en apportant – et c’est mon souci principal – des réponses concrètes en matière de création d’emplois sur les territoires dont vous êtes les élus et que vous pouvez engager avec détermination dans la croissance verte.
J'attends beaucoup de vos travaux et de nos débats pour éclairer les enjeux et enrichir le texte qui vous est soumis mais aussi pour que le pays tout entier soit encouragé à se mettre en mouvement et réussisse cette mutation énergétique qui n'est pas une contrainte mais une chance à saisir.
C’est une chance de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de contribuer activement à la lutte contre le dérèglement climatique. C’est une chance de mieux assurer notre indépendance et notre souveraineté énergétiques en préparant l'après pétrole et en réduisant le coût d'importations qui grèvent lourdement notre balance commerciale. C’est une chance de stimuler l'innovation pour laquelle nous ne manquons pas de talents, d'améliorer la compétitivité de nos entreprises et de développer des filières d'avenir taillées pour la compétition internationale et capables d’y conquérir de nouveaux marchés. C’est une chance de créer des emplois non délocalisables, d'alléger la facture énergétique des ménages qui y gagneront du pouvoir d'achat, et de mieux protéger la santé publique.
Je vous le dis comme je le pense : la croissance verte dans laquelle ce projet de loi vise à engager la France est le levier de sortie de crise le plus efficace et le plus rapide si toutes les forces vives du pays – citoyens, entreprises, territoires – se mobilisent ensemble, notamment pour déclencher rapidement des commandes dans les métiers des travaux publics et du bâtiment.
À plusieurs reprises depuis un siècle, les grands choix énergétiques de la France ont été les moteurs de sa modernisation qu'ont scandés quelques grandes lois fondatrices. Ce fut le cas en 1919 pour réparer les ravages de la première guerre mondiale, avec la loi sur l'énergie hydraulique, cette houille blanche comme on disait alors, qui reste aujourd'hui encore la première de nos énergies renouvelables.
Ce fut le cas à la Libération quand le pays était à reconstruire au sortir de la deuxième guerre mondiale : le Conseil national de la Résistance avait fait de l'énergie la clef d'un nouveau développement économique et du rétablissement de notre souveraineté nationale. Les lois de 1946 en prirent les moyens, dans le contexte de l'époque, en créant de puissantes entreprises nationales pour le charbon, le gaz et l'électricité.
Plus tard, quand le premier choc pétrolier révéla la vulnérabilité découlant de notre dépendance aux énergies fossiles, la France lança un programme nucléaire d'une rapidité et d'une ampleur inégalées dans le monde mais sans que, cette fois-là, le Parlement ne soit appelé à se prononcer.
Si différentes que soient les circonstances du temps présent, les opportunités qu'elles offrent et les choix qu'elles appellent, une chose est sûre : le volontarisme énergétique est nécessaire pour que la France redéfinisse, avec vous qui représentez la souveraineté nationale, son nouveau modèle énergétique.
Durant les dernières décennies, le Parlement a souvent légiféré sur les questions d'énergie – votre président a d’ailleurs été à l’origine de nombreux textes – et il a de plus en plus intégré, au-delà de ces constantes que sont la sécurisation de nos approvisionnements et la couverture de nos besoins, la dimension environnementale qui en est désormais indissociable en même temps qu'elle représente un formidable gisement d'activités nouvelles et d'emplois durables.
Permettez-moi, avant de vous présenter les grands axes de ce texte, de saluer le travail de tous mes prédécesseurs, quelle que soit leur sensibilité politique, car je crois qu’il s’agit d’un travail au long cours.
Je tiens à souligner que le projet dont vous êtes saisis s'est très directement inspiré de nombreuses expériences réussies dont les territoires ont pris l'initiative et que la loi va permettre, par les simplifications et les moyens opérationnels qu'elle met en place, d'étendre à tout le pays. Vous qui êtes des élus de terrain, vous savez que les territoires sont souvent en avance sur les modèles nationaux. Je me suis inspirée de ces réalisations d’avant-garde en les intégrant dans le projet de loi afin de permettre leur généralisation.
Ce texte est aussi l'aboutissement d'un dialogue renforcé avec tous les acteurs de la mutation énergétique et de la croissance verte : les associations, les entreprises, les scientifiques, les élus locaux et régionaux, les organismes consultatifs et, bien évidemment, les parlementaires qui ont déjà effectué de nombreux travaux.
Je suis très attachée à l'établissement de diagnostics partagés et à une démarche de co-construction de la loi qui permet de confronter et de rapprocher les points de vue, qui privilégie, sans gommer les différences d'approche et dans le respect de chacun, ce qui permet de fédérer, de coopérer, de se mettre ensemble en mouvement au service de nos concitoyens.
Le projet de loi a également intégré des recommandations du Conseil national de la transition écologique concernant, par exemple, la part des véhicules propres dans le parc automobile de l'État et de ses établissements publics, et a fixé un objectif intermédiaire d'efficacité énergétique en 2030. Puis, après mon audition par le Conseil économique, social et environnemental, j’ai ajouté l’objectif de division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre en 2050, le fameux « facteur 4 » recommandé par Jean Jouzel, et j’ai renforcé la lutte contre la précarité énergétique.
Cinq mois de travail intense avec toutes les parties prenantes ont nourri le texte dont vous êtes saisis. Au terme d’une assemblée générale qui a duré plus de dix heures, le Conseil d'État a validé beaucoup des innovations conceptuelles et pratiques de ce projet.
Nous en arrivons à l’étape la plus importante : le moment où la représentation populaire va s’exprimer et se saisir de ce texte. La co-construction étant vitale, je serai vigilante et attentive à toutes les améliorations que vous pourrez apporter à ce dispositif législatif et à ce nouveau modèle énergétique.
Je n'évoquerai que brièvement les principaux axes du texte qui vous est soumis, m’en tenant aux grands principes, puisque nous aurons l'occasion de les détailler à la faveur de l'examen des amendements.
Le premier axe fixe un cap, une ambition de long terme et des objectifs intermédiaires qui donnent un horizon stable pour agir dès maintenant. Premièrement, il s’agit de réduire de moitié notre consommation d'énergie à l'horizon 2050 par rapport à 2012, de baisser la consommation d'énergies fossiles de 30 % et de porter le rythme annuel de baisse de l'intensité à 2,5 % d'ici à 2030. Deuxièmement, nous voulons réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 et les diviser par quatre en 2050 par rapport à 1990. Troisièmement, nous prévoyons de rééquilibrer et de diversifier notre modèle énergétique en portant la part des énergies renouvelables au tiers de l'énergie produite en 2030 et en fixant la part du nucléaire à 50 % à l'horizon 2025.
Le deuxième axe porte sur l’efficacité énergétique dans tous les secteurs, en particulier celui du bâtiment. Le grand chantier de la rénovation énergétique des bâtiments est source de créations d'emplois dans un secteur fragilisé et de pouvoir d'achat pour les ménages : dans un logement bien isolé, les factures baissent. Il s’attache aussi à la promotion des bâtiments à énergie positive ou à l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments chaque fois que d'importants travaux de transformation sont réalisés. Il traite également du développement des transports propres – véhicules individuels et transports collectifs électriques ou hybrides rechargeables –, du déploiement sur tout le territoire des bornes de recharge, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans la grande distribution, du développement du covoiturage, etc.
Dans ce domaine de l’efficacité énergétique, nous abordons le développement de territoires « zéro déchets » et l'économie circulaire, avec l’écoconception des produits et la transformation des déchets en matières premières afin d’économiser les ressources en général et l'énergie en particulier. Le texte généralise l'interdiction de la discrimination à l'encontre des matières issues du recyclage et fixe un objectif de réduction de 50 % des quantités de déchets mis en décharge à l'horizon 2025.
Troisième axe : la montée en puissance des énergies renouvelables, terrestres et maritimes dans l'Hexagone ainsi que dans les Outre-mer où elles permettent une autonomie énergétique adaptée à l'insularité et à la situation des zones non interconnectées.
Toutes les ressources de nos territoires – l’hydraulique, l’éolien, le solaire, la biomasse, la géothermie ou les énergies marines – doivent être valorisées pour réaliser à court terme 200 territoires à énergie positive et 1 500 méthaniseurs en milieu rural, afin de développer des filières industrielles innovantes et compétitives et de mobiliser tous les territoires dans le cadre des contrats locaux de la transition énergétique.
Cela suppose une simplification des procédures, un encouragement du financement participatif, une rénovation du cadre législatif de l’hydroélectricité grâce à la création de sociétés d'économie mixte qui permettront de mieux associer les collectivités territoriales à la gestion des concessions et de renforcer le contrôle public sur ce patrimoine commun des Français. Enfin, il est nécessaire de moderniser le soutien financier au développement des énergies renouvelables afin d'accélérer le mouvement et de changer d'échelle.
Quatrième axe : le texte permet au Parlement de jouer pleinement son rôle en matière de définition et de conduite de notre politique énergétique. Il renforce la transparence et l'information des citoyens sur les coûts et les tarifs de l'énergie ainsi que sur la sûreté nucléaire ; il met en place les conditions d'une nouvelle citoyenneté énergétique ; il prévoit le déploiement des compteurs intelligents ; il va fournir aux citoyens de nouveaux outils de connaissance, de maîtrise et de pilotage de leurs consommations énergétique.
Ce texte définit aussi un mix énergétique équilibré et met en place les moyens de l’atteindre. Il crée de nouveaux instruments de planification à l'échelle nationale et locale : stratégie bas carbone, programmation pluriannuelle de l'énergie.
Enfin, il reconnaît la spécificité et le potentiel des Outre-mer qui sont autant d'atouts pour que les territoires ultramarins deviennent des précurseurs de la transition énergétique et puissent innover grâce aux habilitations données par le projet de loi. C'est là une dimension importante du changement de modèle dont la croissance verte est le moteur : pour les Outre-mer, il ne s'agit plus de rattraper mais, au contraire, d’anticiper et même de devancer cette transition énergétique.
Le projet de loi qui vous est soumis comporte plusieurs innovations que nous examinerons en détail : la consécration, pour la première fois dans notre droit positif ainsi que l'a validé le Conseil d'État, des notions de croissance verte, de territoires à énergie positive et d'économie circulaire ; la possibilité d’expérimentations dans les domaines des boucles locales, de la production décentralisée d'énergie ou de l'autoconsommation.
Ce texte comporte donc bien des mesures qui sont des leviers d'innovation technologique, de dynamisation de notre tissu industriel et de création d'emplois non délocalisables qui impliquent une montée en qualification et des plans de formation professionnelle. Il assure aussi la compétitivité des entreprises électro-intensives. Il est facteur de solidarité avec le remplacement des tarifs sociaux par un chèque énergie plus efficace, plus juste et bénéficiant à toutes les sources d'énergie.
Au lieu de contraindre ou d’accabler par des normes supplémentaires, il fait le choix d'entraîner et de mobiliser, de donner à chaque acteur potentiel de la croissance verte les moyens de s’impliquer et de coopérer avec d’autres.
Il est accompagné de moyens financiers adaptés et accessibles à tous : le crédit d'impôt transition énergétique – 30 % du montant des travaux jusqu'à 8 000 euros pour une personne seule et 16 000 euros pour un couple – dont la création vous sera soumise dans le cadre du projet de loi de finances ; la relance des prêts à taux zéro – 100 000 prêts devraient être octroyés – dès lors que les banques ont été déchargées, par un décret que j’ai signé récemment, de leur rôle de contrôle technique qui en limitait l'octroi ; les prêts « transition énergétique et croissance verte » de la Caisse des dépôts pour financer les projets des collectivités territoriales à un taux très avantageux, remboursables sur vingt à quarante ans et qui pourront atteindre jusqu'à 5 millions d'euros de travaux par opération sans autofinancement initial ; des interventions de la Banque publique d’investissement et de la Banque européenne d'investissement ; dans le cadre des contrats de plan État-régions, le financement par l'État du volet mobilité multimodale puisque le Gouvernement s’est engagé à débloquer 950 millions d'euros par an sur la période 2015-2020, ce qui permettra avec le cofinancement des régions, un total de travaux de 3 milliards d'euros pour nos entreprises de travaux publics.
Certaines de ces dispositions viennent d'être mises en place dans le cadre des plans d'action que j'ai lancés pour accélérer dès maintenant le tournant vers la croissance verte. D'autres sont en cours de finalisation dans le cadre de la Conférence bancaire et financière : le mécanisme de tiers financement ; la création d'un Fonds de financement de la transition énergétique, doté de 1,5 milliard d'euros, pour soutenir notamment la conversion des véhicules polluants ainsi que le développement de la méthanisation, de la chaleur renouvelable, de l'économie circulaire et des travaux d’isolation sur les bâtiments à énergie positive.
Toutes ces décisions visent à lever les freins et à libérer des initiatives économiques pour atteindre les objectifs que fixera la loi.
Je voudrais, pour conclure, souligner deux points essentiels. Le texte que vous allez examiner fait le choix de ne pas opposer les énergies les unes aux autres mais il organise leur complémentarité dans la perspective dynamique d'un nouvel équilibre énergétique qui comprend des objectifs à court, moyen et long termes. C'est ainsi, je le crois, que nous pourrons engager le pays dans cette mutation irréversible. C’est le moment de le faire avec détermination car les esprits et les mentalités ont beaucoup évolué.
La France a les moyens d’être exemplaire sur le plan de l’efficacité énergétique et, de ce fait, de reprendre son avenir en main. Cette politique par la preuve est prête à se développer à l'échelle du pays et dans chacun des territoires dont vous êtes les élus. D’ailleurs, certains territoires sont déjà engagés dans cette transition énergétique et ont déjà réalisé beaucoup de choses.
Quelles que soient les différences de nos mix énergétiques au niveau européen, qui résultent de l'histoire particulière de chaque pays, nous devons être une force d'entraînement en investissant dans l'efficacité énergétique, dans la constitution de filières d'excellence bas carbone, dans les réseaux intelligents, dans le stockage de l'énergie, dans l'électro-mobilité, dans les biocarburants de deuxième génération, dans les villes « zéro déchets », etc. Le champ d’innovation et d’action est aussi vaste que passionnant.
La France peut se doter de la législation la plus avancée en Europe car, à ce jour, la seule à intégrer toutes les dimensions de la transition énergétique et de la croissance verte. Elle sera ainsi mieux à même d'assumer les responsabilités internationales qui lui incombent en tant que pays hôte de la conférence Paris Climat 2015.
Dans les territoires dont vous êtes les élus, vous pouvez observer que le mouvement est lancé. Il mobilise de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire. Les entreprises, quelle que soit leur taille, attendent que le Parlement donne le coup d’envoi de cette transition énergétique qui donnera du travail. À vous, mesdames et messieurs les députés, de donner le signal, de fixer le cadre et d’enrichir le projet de loi que j’ai le plaisir de vous présenter pour déployer des actions concrètes au bénéfice de tous les Français. Dans vos circonscriptions, vous pouvez être à l’avant-garde de ce mouvement et devenir rapidement créateurs des emplois d’aujourd’hui et de demain.
J'ai travaillé avec beaucoup d'entre vous pour la préparation de ce texte et je vous remercie de votre engagement. Je suis et je resterai à votre écoute, convaincue que nous pouvons encore améliorer ce projet de loi et faire en sorte que sa discussion donne lieu à un beau débat de société qui dépasse les clivages politiques, à la fois dans le cadre de votre Commission et en séance publique.
Je souhaite qu'à l'issue de vos travaux nous puissions avoir la fierté de l'œuvre législative accomplie et la conviction d'avoir donné au pays une avance majeure, les moyens de relever les défis énergétiques, écologiques et de santé publique et de créer les emplois d'aujourd'hui et de demain.
M. le président François Brottes. Merci, madame la ministre, pour la concision et la force de ce propos liminaire. Une fois que les représentants des groupes et les rapporteurs se seront exprimés, je donnerai la parole aux inscrits qui sont, pour l’instant, au nombre de quarante et un.
M. Christophe Bouillon. Tout d’abord, je souhaite féliciter l’ensemble des architectes de ce projet de loi relatif à la transition énergétique, en commençant par les collègues qui nous ont précédés et sous l’égide desquels ce projet de loi a été initié.
Je souhaite aussi saluer les parties prenantes qui se sont investies dans le débat national sur la transition énergétique : les entreprises, les collectivités, les associations et les parlementaires mais aussi les citoyens qui se sont saisis du débat, notamment dans les régions.
Votre volonté et votre détermination viennent de loin, d’une époque où les architectes n’étaient pas légion. Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui est l’un de ceux qui marqueront, à coup sûr, la législature : ambitieux mais réaliste, il fera de la France l’un des pays les plus engagés dans la voie de la transition énergétique pour une croissance verte. Il fait rimer protection de l’environnement et développement de l’emploi non délocalisable. Il permet de lutter à la fois contre le réchauffement climatique et la précarité énergétique ; il préservera notre planète comme le pouvoir d’achat des Français ; il est bon pour l’environnement, pour l’emploi et le porte-monnaie.
Sa présentation intervient dans le contexte particulier que vous avez rappelé : la France est actuellement trop dépendante des énergies fossiles qui représentent 70 % de notre consommation finale, ce qui engendre un déficit de notre facture énergétique de 70 milliards d’euros, imputable pour les trois quarts aux produits pétroliers. Fortement importatrice, la France ne maîtrise ni l’évolution des prix ni la sécurité d’approvisionnement. Les énergies fossiles rejettent massivement les gaz à effet de serre et, par ailleurs, les ressources fossiles ne sont pas infinies.
La France s’est donné des objectifs très ambitieux en matière de réduction de ces émissions de gaz à effet de serre, et elle a pris des engagements aux niveaux européen et international. Le Président de la République a également pris des engagements forts lors des conférences environnementales de 2013 et 2014 dans les domaines de la rénovation thermique, des énergies renouvelables et des transports, qui ont été rappelés par le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. L’an prochain, la conférence sur le climat aura lieu à Paris, ce qui permettra à la France, souhaitons-le, d’être exemplaire en la matière.
Avec ce texte qui fixe des objectifs et des mesures clefs, la France souhaite devenir un pays d’excellence environnementale et énergétique. Il s’agit d’économiser l’énergie, de favoriser la sobriété et l’efficacité, de diversifier les sources d’approvisionnement et les modes de production d’électricité, d’associer les citoyens, les entreprises et les territoires, de faire une large place à la recherche et à l’innovation, d’assurer la transparence et l’information de tous, notamment sur le coût de l’énergie, et de développer la recherche dans les réseaux intelligents, le stockage et l’hydrogène. Ce sont autant de leviers essentiels sur lesquels la France peut s’appuyer pour atteindre ses objectifs.
Madame la ministre, je voudrais recueillir votre opinion sur deux sujets qui me tiennent particulièrement à cœur : le mécanisme de tiers financement et l’économie circulaire.
Le mécanisme de tiers financement étant un formidable levier pour la rénovation énergétique des bâtiments, que pensez-vous de la possibilité de création de sociétés d’économie mixte, permettant d’associer plusieurs collectivités locales autour de ces objectifs ? Le cas échéant, souhaiteriez-vous que leur gouvernance permette un équilibre géographique dans la répartition des financements, afin de ne pas laisser de côté le monde rural et périurbain s’agissant de la rénovation thermique ?
Quant à l’économie circulaire, sa définition dans la loi représente une véritable avancée, de même que la réaffirmation du principe de traitement des déchets au plus près de leur lieu de production est une très bonne chose. Avec ces dispositions nous rejoignons des pays comme l’Allemagne, le Japon ou la Chine qui ont déjà adopté des lois-cadres sur l’économie circulaire. Le projet de loi traite essentiellement de la question des déchets. Aussi, madame la ministre, souhaitais-je avoir votre vision du développement de l’économie de fonctionnalité qui est a prouvé, notamment par le biais des services de location de vélos ou de véhicules électriques, toute son attractivité.
M. Julien Aubert. Madame la ministre, vous nous présentez enfin ce texte sur la transition énergétique sur lequel ont travaillé plusieurs de vos prédécesseurs, qui a été intitulé de diverses manières et fait l’objet de plusieurs versions. En introduction, au nom du groupe UMP, je voudrais signaler que la longueur de sa préparation contraste avec les mauvaises conditions dans lesquelles le Parlement va l’examiner : procédure accélérée, délais très courts pour effectuer les auditions en Commission spéciale. Comme nous attendions ce texte depuis plusieurs mois, nous n’en étions plus à une semaine près car il faut prendre le temps d’en discuter sereinement.
Vous affichez votre souhait d’une démarche de co-construction, ce que je comprends. Nous avons deux possibilités : un débat politicien clanique opposant la droite à la gauche qui s’achèvera par la victoire politique d’une majorité sur une minorité et par un texte qui sera le reflet de vos équilibres internes mais ne répondra pas à l’intérêt du pays ; la volonté de trouver un consensus dans l’intérêt de la France et des Français.
Pour vous prendre au mot, madame la ministre, l’UMP a sérieusement préparé ce texte. Notre groupe a longuement travaillé dans le cadre d’un autre débat sur la transition énergétique qui a réuni, pendant près de six mois, une centaine de participants venus de tous les secteurs économiques, des associations, des think tanks, pour arriver à un corpus idéologique qui vous est transmis sous la forme d’une synthèse d’une cinquantaine de pages où sont formulées une dizaine de propositions.
Si vous souhaitez le consensus, nous avons trouvé dans votre texte des points de rapprochement, ce dont nous nous réjouissons, mais aussi des lacunes et des divergences. Je souhaitais appeler votre attention sur quelques-unes de nos propositions qui vise à dégager une véritable stratégie énergétique alors que ce texte embrasse beaucoup de choses puisqu’il prévoit aussi bien le pourcentage d’énergie nucléaire dans la production énergétique en France que l’instauration d’amendes pour le retrait des filtres à particules.
Premièrement, nous proposons d’inclure dans la loi un objectif contraignant : zéro charbon dans cinq ans, c'est-à-dire interdire le recours à l’énergie rouge, la plus polluante avant 2020. Le mot hydrocarbure apparaît trop peu dans ce texte, madame la ministre. Quel est votre avis sur cet objectif ?
Notre deuxième proposition porte sur un point majeur de désaccord : la capacité nucléaire de la France. Vous faites une erreur magistrale en voulant limiter la capacité nucléaire de la France, comme le démontre l’exemple allemand. En optant pour les énergies vertes et la limitation du nucléaire, l’Allemagne a obtenu l’inverse de l’effet recherché, c'est-à-dire une augmentation des émissions de CO2. Par conséquent, nous proposons d’acter la stabilité du potentiel de nos filières d’exportation d’énergie nucléaire, afin de conserver un atout majeur dans la mondialisation : la capacité de la France d’exporter son savoir-faire.
Troisièmement, nous voulons dépasser la guerre du schiste, en distinguant gaz de schiste et pétrole de schiste pour faire de ce dernier une énergie de transition potentielle. Le Parlement peut décider d’exploiter le pétrole de schiste avec des moyens respectant l’environnement et d’en reverser intégralement le revenu à un fonds pour les énergies vertes, de manière à financer la transition énergétique.
Quatrièmement, dans l’habitat où la consommation d’énergies fossiles reste importante, l’idée serait de coupler les mécanismes d’incitation fiscale – un bonus énergétique sur la taxe foncière – avec un système crédible et neutre de diagnostic énergétique – un service public labellisé et rattaché au ministère des finances, par exemple – de manière à simplifier le choix des citoyens et à alléger le contrôle fiscal.
Cinquièmement, nous proposons de réorganiser en la simplifiant la gouvernance publique de la transition énergétique en créant un Commissariat à la transition énergétique rattaché au Premier ministre et en désignant, dans chaque département, un sous-préfet qui serait l’interlocuteur du secteur.
Outre ces cinq propositions, nous vous soumettons une question portant sur le financement des mesures, grand absent de ce texte : comment allez-vous lever des fonds pour financer cette transition énergétique ?
M. Bertrand Pancher. Madame la ministre, vous avez beaucoup de chance que les parlementaires du groupe UDI ne s’en tiennent pas à une position politicienne et ne décident pas de rejeter ce texte en bloc tant ils sont en colère depuis des mois face à l’absence de politique environnementale du Gouvernement.
Tous les piliers de l’économie verte ont été minutieusement sapés au cours des dernières années. Dans le secteur de l’habitat, grand consommateur d’énergie, seulement 160 000 logements anciens sont en cours de rénovation alors que le Président de la République, avec le soutien de toutes les grandes organisations environnementales, s’était engagé sur un chiffre d’au moins 500 000 par an. Dans le domaine des transports, nous ne construisons pratiquement plus aucune infrastructure nouvelle et les appels à projet sont repoussés faute de financement. Quant aux énergies renouvelables, elles ont longtemps suscité des débats animés dans cette salle mais nous constatons peu de construction d’éoliennes et un retard de tous les projets. Ne parlons pas du photovoltaïque qui se résume à néant.
Pourquoi avez-vous fait cela alors que tous les acteurs du Grenelle de l’environnement vous tendaient sur un plateau les méthodes de mise en œuvre des stratégies en matière d’économie verte ? Il est vrai que vous commencez à vous rendre compte de l’intérêt de soutenir certaines démarches – le plan logement qui est engagé n’est pas dénué de bon sens – mais que de retard ! Dans le domaine des transports, vos positions sont incompréhensibles, madame la ministre, plus que celles du Gouvernement. À défaut de pouvoir tenir le pourcentage de 23 % d’énergies renouvelables en 2020, vous vous engagez sur de grands objectifs pour 2030, 2040 ou 2050. C’est bien, mais nous souhaitions déjà savoir comment nous pouvions atteindre nos objectifs de court terme.
Notre colère est aussi due aux conditions d’examen de ce texte. Nous n’avons jamais vu cela ! Il est urgent d’examiner ce texte, prétendez-vous, alors que le Président de la République l’annonçait il y a déjà plus de deux ans. Nous devions analyser ce projet et vous nous présentez, dans le courant du mois d’août, un texte dont les versions ont continuellement changé. Nous n’aurons même pas le temps d’auditionner toutes les organisations environnementales. L’une d’elles vient de me soumettre plein d’idées intéressantes qu’elle n’a pas le temps de présenter sous forme d’amendement. Nous n’en avons pas le temps non plus puisque nous devons examiner le projet dans quelques jours.
Nous allons quand même travailler sérieusement sur ce texte qui contient des propositions intelligentes, issues notamment de la société civile. Avait-on besoin d’une nouvelle loi ? Pourquoi pas. Nous ferons part de nos réflexions dans le courant des débats sur certains domaines et sur des objectifs d’autant plus généreux qu’ils sont fixés à long terme. Les objectifs en matière de rénovation thermique sont certes intéressants, mais que de yo-yo sur le plan fiscal, sans parler d’être sûrs d’obtenir les moyens promis. Nous avons été tellement échaudés, madame la ministre ! Nous reviendrons aussi sur les objectifs intéressants concernant l’économie circulaire et sur les dangers des énergies renouvelables.
Je vous soumets quatre questions. Est-il possible de tenir les objectifs intermédiaires ? Comment avoir des garanties de pérennité financière ? Quels sont les objectifs en termes de fiscalité carbone ? Mes amis d’outre-mer ici présents m’en voudraient de ne pas parler la contribution au service public de l'électricité, et des mécanismes prévus pour les DOM-TOM.
Mme Cécile Duflot. Pour le groupe écologiste, l’examen de cette loi est un moment très important. Dans notre pays, les questions d’énergie ont trop longtemps été privatisées alors qu’elles supposent des choix démocratiques, ce qui nous a fait prendre du retard. Grâce aux débats conduits par vos prédécesseurs, dont Delphine Batho ici présente que je salue, l’opinion a pu prendre conscience de cet enjeu de la transition énergétique.
Nous serons attentifs au travail sur ce texte, tout en étant les premiers soutiens d’une loi innovante et marquant la volonté d’organiser cette transition énergétique dans notre pays. Si l’énergie est une richesse, elle est aussi pour tous nos concitoyens un bien de première nécessité dont le coût s’accroît avec la raréfaction des ressources. La précarité énergétique touche de plus en plus de ménages français : d’une part, il est difficile d’évaluer le nombre de personnes qui ne vivent pas dans le confort qu’ils pourraient souhaiter du fait du coût de l’énergie ; d’autre part, se pose la question des transports, de l’éloignement des lieux de travail et de domicile.
L’accès de tous à l’énergie dans des conditions socialement et économiquement acceptables représente un élément décisif de notre analyse du projet de loi, qui va bien au-delà de la seule dimension environnementale même si celle-ci est essentielle. Comme en témoigne le rapport de M. Jouzel sur les conséquences du dérèglement climatique sur l’ensemble du territoire français, madame la ministre, cette question de la préservation des ressources naturelles, de l’adaptation aux dérèglements et de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre est absolument centrale.
Certaines dispositions comme le chèque énergie et les alternatives en matière de transport sont très intéressantes, mais je voudrais rappeler les positions du groupe écologiste sur les grandes questions énergétiques. Alors que la France était pionnière dans le domaine de l’énergie solaire dans les années 1970, il a été décidé, sans débat, d’abandonner ce développement pour faire le choix exclusif du nucléaire.
Votre projet de loi prévoit de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’énergie électrique mais nous devons aller plus loin et opter de manière résolue en faveur des énergies de l’avenir : les énergies renouvelables. Les écologistes plaident pour la sortie du nucléaire qui s’imposera de toute façon en raison d’une raréfaction de la ressource et du renchérissement du coût d’exploitation des centrales. Nous voulons anticiper pour que la France ne prenne pas de retard dans le développement des énergies renouvelables. C’est pourquoi, au-delà du projet de loi auquel nous accorderons toute notre attention, l’investissement en France et en Europe nous apparaît comme un enjeu décisif.
Madame la ministre, vous pourrez compter sur l’énergie, l’enthousiasme et la détermination du groupe écologiste pour que ce projet de loi porte une ambition collective et démocratique : conduire notre pays vers l’avenir.
M. le président François Brottes. Permettez-moi d’avoir une petite pensée pour l’hydraulique qui a aussi donné lieu à de grands chantiers durant les années 1970.
M. Joël Giraud. Madame la ministre, j’ai également apprécié ces neuf mois de débat au sein du Conseil national de la transition écologique, créé en août 2013. Ce travail entre des gens aux positions parfois antagonistes a pu engendrer des débats douloureux et polémiques, mais la participation des acteurs socioprofessionnels et des corps intermédiaires peut permettre d’aboutir à un projet de loi efficace et pragmatique.
Le groupe RRDP approuve les grandes lignes du projet de loi sur le nucléaire et la décarbonation de l’énergie ainsi que l’adoption de mesures concrètes pour faire face aux changements climatiques et à la réduction de la facture énergétique. Mais si tous ces objectifs chiffrés sont ambitieux, volontaristes et nécessaires, notre expérience nous incite à faire preuve d’une certaine méfiance s’agissant des horizons de long, moyen et même de court terme.
Comment allons-nous surveiller concrètement les évolutions et comment pourrons-nous ajuster les mesures pour se rapprocher des trajectoires prévues ? Nous devons améliorer le texte sur ce point et travailler, par exemple, sur la collecte des données.
D’autres sujets méritent des précisions et des améliorations. Nous sommes heureux de l’inscription dans la loi du concept de territoires à énergie positive et nous voulons encourager toutes les initiatives en ce sens. Cependant, les mesures prévues nous semblent insuffisantes pour se traduire par un grand succès sur le terrain.
La rénovation des bâtiments en vue d’économiser l’énergie suppose des moyens colossaux alors que les contraintes financières devraient nous inciter à un peu de prudence. Cela étant, l’enjeu est d’importance, notamment en ce qui concerne les logements sociaux et l’immobilier de loisir qui sont de magnifiques passoires énergétiques dont les locataires s’appauvrissent car l’énergie ne fait pas partie de l’assiette de calcul de l’allocation personnalisée au logement.
S’agissant des réseaux de chaleur et du code minier pour la géothermie, des ajustements sont nécessaires si nous décidons d’accélérer le mouvement. Nous vous proposerons également des amendements visant à améliorer la situation de la sûreté nucléaire et de la micro-hydroélectricité ou encore sur les fournisseurs d’électricité coopératifs. Partisans d’une réelle décentralisation, nous souhaitons aussi que le texte soit amélioré pour accompagner le mouvement de réforme territoriale, du moins tel que nous le concevons. Nos débats nous donnerons également l’occasion d’approfondir de nombreux sujets qui sont absents ou peu évoqués : l’aménagement urbain, le transport, l’agriculture.
Permettez-moi de dire un mot sur la sobriété énergétique, un enjeu important. Certaines collectivités, de tous bords politiques, tentent des expériences intéressantes en créant des opérateurs qui permettent de réduire leur facture énergétique ou en décidant, par exemple, d’éteindre l’éclairage la nuit. Il serait bon de les encourager dans cette voie par le biais de la dotation globale de fonctionnement. Après tout, une part de la DGF ne dépend-elle pas des aménités positives apportées à la nation par les parcs nationaux ? Cette mesure créée par la loi de 2006 produit de grands bénéfices et nous pourrions nous en inspirer pour les aménités positives offertes par les collectivités territoriales dans ces domaines.
Pour conclure, madame la ministre, nous sommes très satisfaits de nombreux points de ce projet de loi et vous pouvez compter sur nous pour le faire évoluer dans le bon sens.
M. Patrice Carvalho. Tout d'abord, je veux saluer ce projet de loi et les intentions qu'il affiche. Il s'agit, nous dit-on, de construire un nouveau modèle énergétique plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif, avec l’objectif d’assurer une croissance capable de lutter contre le réchauffement climatique, de combattre le chômage et de réduire la facture énergétique de notre pays. Cette ambition est soutenue par des mesures concrètes. Très bien.
Plutôt que d’énumérer nos points d'accord, je vais vous faire part de nos interrogations et de nos doutes. Sous le précédent quinquennat, nous avons connu le Grenelle de l'environnement qui, aux dires de celui qui occupait vos fonctions à l’époque, devait être une révolution copernicienne. Tout cela n'a pas été inutile et a notamment contribué à une prise de conscience mais la montagne a tout de même accouché d'une souris. Je ne voudrais pas, madame la ministre, que votre texte connaisse un sort similaire.
Depuis deux ans, le Président de la République présente ce projet de loi comme l’un des plus importants du quinquennat. C'est sans doute vrai puisqu’il a déjà épuisé trois ministres de l'écologie en vingt-quatre mois. Pour l'heure, je m’en tiens à quelques aspects qui m'interrogent. L'objectif est volontariste : créer 100 000 emplois en trois ans grâce à l'établissement d'une croissance qui lutte contre le réchauffement climatique, combat le chômage et réduit la fracture énergétique.
Où se trouvent donc ces réserves d'emplois ? Dans la filière des énergies renouvelables, répondez-vous. Celles-ci doivent prendre le relais du nucléaire dont la part dans le mix énergétique doit passer de 75 % à 50 % d'ici à 2025, conformément à l'engagement de François Hollande et à ses promesses aux écologistes.
Ces intentions sont illusoires comme le démontrent les premières expériences de développement des énergies renouvelables et l'exemple de l’Allemagne où la fermeture des centrales nucléaires et la fragilité et l’imprévisibilité des énergies renouvelables ont conduit à rouvrir des centrales à charbon. Le nucléaire représente 220 000 emplois. Qu'en faisons-nous, si l'activité décroît ?
Autre grand gisement d’emplois : le bâtiment où 500 000 rénovations lourdes sont prévues tous les ans d'ici à 2017. Ce plan est souhaitable mais très ambitieux car les objectifs fixés ne sont jamais atteints. Le débat parlementaire sera l'occasion d'évoquer le financement de ce vaste chantier.
Le texte législatif entend aussi préparer la reconversion verte de l'industrie automobile française grâce à la voiture électrique, ce qui complète les trente-quatre plans annoncés par Arnaud Montebourg et qui dessine la nouvelle France industrielle. Que vont devenir à présent ces intentions ? Tout cela est fort louable mais il ne sert à rien d'aligner les promesses si l'on ne voit pas comment les réaliser.
Une volonté politique forte sera nécessaire pour adapter notre appareil productif à la transition écologique et pour affronter des lobbies autrement plus puissants que celui auquel le Gouvernement a cédé concernant l’écotaxe. Cela ne passera pas par les 41 milliards d’euros offerts au patronat sans contrepartie notamment écologique – le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et pacte de responsabilité – mais, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques, par 16 milliards d’euros d'investissements annuels à consentir par l'État et les entreprises.
Enfin, citons les grands absents de ce projet de loi : les alternatives au « tout routier » que sont le fret ferroviaire et les voies d'eau, le développement des transports publics, l'agriculture, la fiscalité écologique.
Madame la ministre, nous sommes ouverts au débat mais nous pensons qu'une transition écologique réussie passe par un autre mode de développement économique que celui auquel le Gouvernement Valls 2 s'est résolument converti.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Ce texte ambitieux vise à réduire nos émissions de gaz à effet de serre et notre consommation finale d’énergie fossile d’ici à 2050, et à développer la production d’énergies renouvelables tout en réduisant la part du nucléaire. Le titre Ier actualise les objectifs assignés à la politique énergétique nationale, notamment quant à l’ambition de voir émerger une énergie sobre, compétitive et riche en emplois ; il donne une nouvelle impulsion à notre politique énergétique, dans la continuité de la loi de 2005. L’article 23 vise un sujet majeur, l’intégration des énergies renouvelables dans le marché de l’électricité. Nous aurons l’occasion, madame la ministre, d’apporter des réponses aux questions que pose ce changement de modèle, qu’il s’agisse des mécanismes à mettre en place ou de la manière d’associer les petits acteurs.
Je tiens aussi à souligner les avancées permises par l’article 27, qui encourage le financement participatif des projets d’énergie renouvelable par les habitants et les collectivités. De fait, l’adhésion de la population est indispensable à l’atteinte des objectifs en la matière.
Enfin, vous connaissez mon intérêt pour la première des énergies renouvelables, l’hydraulique. Je compte sur les débats parlementaires et sur nos échanges avec votre cabinet pour enrichir le texte en ce domaine. J’espère notamment que les préconisations du rapport que j’ai présenté avec M. Straumann pourront être retenues. L’hydroélectricité n’est pas sans lien avec le coût de l’électricité, lequel dépendra aussi des choix faits dans le cadre du renouvellement des concessions. Le prix de l’électricité est un enjeu, non seulement pour les particuliers, mais aussi pour la compétitivité des électro-intensifs et pour l’avenir de notre industrie. Je sais, madame la ministre, que vous aurez à cœur de vous pencher sur cette question.
Mme Sabine Buis, rapporteure pour les titres II et IV. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir insisté sur la valeur ajoutée que peut apporter la discussion parlementaire. J’ai l’honneur d’être rapporteure de deux titres du texte, à commencer par celui relatif à la rénovation des bâtiments, sujet qui, au-delà des objectifs fixés en matière de transition énergétique, est très attendu par les nombreux Français qui subissent la précarité énergétique comme la précarité professionnelle. De ce point de vue, je vous félicite d’avoir changé le titre du projet de loi afin d’y inclure une référence à la croissance verte : créatrice d’emplois, celle-ci désigne aussi, n’en déplaise à certains, un nouveau modèle de développement.
N’oublions pas, toutefois, que la précarité ne touche pas seulement nos concitoyens des zones urbaines, mais aussi ceux des zones rurales, dont je me fais l’écho en tant que députée de l’Ardèche. Sur ce point, le texte peut aller plus loin, notamment en approfondissant la notion de guichet unique de la rénovation, qui permet un accompagnement par les professionnels. Pourquoi ne pas imaginer une aide fiscale sur un bouquet de travaux plutôt que sur une action isolée ? Pourquoi, également, ne pas relancer la notion de service public régional de l’efficacité énergétique, qui avait été un temps envisagée ? Enfin, à travers le tiers financement et les dérogations au monopole bancaire, les régions peuvent apporter un réel soutien aux ménages en situation de précarité énergétique.
M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI. Permettez-moi, madame la ministre, d’exprimer toute ma satisfaction de voir arriver ce grand débat, dont on peut d’ailleurs espérer qu’il définisse une transition, non seulement énergétique, mais aussi écologique. Je me félicite également que notre demande pressante quant à la création d’une commission spéciale ait été acceptée : un texte comme celui-ci mérite en effet la mobilisation transversale de nos commissions. À plusieurs reprises, vous avez souligné que les parlementaires pourront l’enrichir ; pour ma part, j’ai créé un groupe de travail au sein du Conseil national de la transition énergétique, le CNTE, où je suis l’un des représentants de l’Assemblée nationale. Ce travail préalable me permettra de vous faire des propositions, notamment sur le titre III, qu’il s’agisse du transport des marchandises, du transport fluvial, du covoiturage ou du schéma de transport et de déplacement durable pour les territoires ruraux, lesquels doivent avoir les mêmes chances et les mêmes droits que les métropoles. Je vous remercie par avance de l’accueil favorable que vous réserverez à ces propositions, afin de relever ensemble le pari d’un nouveau mode de développement.
M. le président François Brottes. La commission des affaires économiques a demandé à Mme Bareigts, à qui je vais donner la parole, et à M. Fasquelle, un rapport sur l’énergie dans les territoires d’outre-mer, qui montre que ceux-ci doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. Je salue, madame la ministre, votre vision stratégique pour les territoires d’outre-mer, dont les élus entendent faire valoir des atouts qui, d’ailleurs, peuvent apporter des solutions au problème de l’emploi.
La situation est assez contradictoire, puisque ces territoires demeurent très carbonés en dépit de fortes potentialités en termes d’énergie renouvelable. Il convient donc d’identifier les obstacles en ce domaine, afin de les lever pour mener à bien la transition énergétique et développer la croissance verte en outre-mer. J’en mentionnerai quelques-uns, à commencer par la gouvernance, que nous souhaitons partagée et locale. Par ailleurs, les appels d’offres gagneraient à être mieux adaptés aux stratégies, aux besoins et aux capacités du terrain. Il faut aussi se pencher sur les moyens liés aux stratégies de maîtrise de consommation d’énergie. Enfin, un choix stratégique devra être fait entre les énergies renouvelables intermittentes et les énergies renouvelables garanties. Nous espérons donc que le travail collectif qui va s’engager permettra de mener à bien cette grande ambition de la transition énergétique dans les outre-mer.
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Le titre consacré à la gouvernance signe d’ores et déjà le retour des pouvoirs publics dans la politique de l’énergie, aux niveaux national et territorial. Les budgets carbone sont un signal important, en amont de la COP – « conference of the parties » – de 2015 à Paris, de la volonté française d’encadrer les émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, la question de la valeur tutélaire du carbone méritera sans doute d’être précisée.
L’autre outil national est bien entendu la programmation pluriannuelle de l’énergie ; elle remplacera les programmations actuelles, non coordonnées, et prendra en compte les objectifs de maîtrise de l’énergie. Nous aurons l’occasion de débattre des relations entre ces outils, de leurs calendriers, de la façon d’y associer le Parlement et de la concertation menée en amont. Le débat sur la transition énergétique a en effet montré que de nombreux acteurs pouvaient apporter des contributions importantes.
Sur la gouvernance du mix électrique, autre sujet très attendu, le texte organise aussi un salutaire retour de l’État stratège ; en ce domaine, la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire a adopté un certain nombre de recommandations dont nous pourrons nous inspirer.
Vous avez salué, madame la ministre, les nombreuses initiatives des territoires, auxquels ce projet de loi pourra donner une impulsion supplémentaire afin de permettre aux régions d’être réellement chefs de file et aux intercommunalités de devenir des autorités organisatrices.
Le dernier sujet, et pas le moindre, est la précarité énergétique, avec cette innovation qu’est le chèque énergie : largement attendu, il mérite des clarifications aussi bien au regard de son financement que de son utilisation, que ce soit pour payer les factures ou même les réduire.
M. le président François Brottes. Nous en venons aux orateurs inscrits, que j’invite à la concision.
M. Bernard Accoyer. Nous ne pouvons que déplorer le recours à la procédure accélérée sur ce texte auquel chacun aurait aimé apporter sa contribution. Sur la forme encore, le fait que les six rapporteurs soient tous membres de la majorité témoigne d’un esprit partisan peu constructif.
Diminuer la consommation des énergies fossiles, la part du nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre, voilà trois objectifs qu’il me semble pour le moins ambitieux de poursuivre de front : le texte aurait sans doute gagné à fixer une priorité. Enfin, nous devrions tirer les leçons de l’échec allemand quant à la sortie du nucléaire, sortie dont le coût est aujourd’hui estimé à 1 000 milliards d’euros. À toutes ces questions s’ajoutent celles que pose l’actualité, qu’il s’agisse de l’approvisionnement en gaz de l’Europe ou des incertitudes sur l’évolution du cours du pétrole. À cet égard, le texte aurait mérité un éclairage actualisé et un temps d’examen plus long.
Mme Frédérique Massat. Quid du déploiement des bornes de recharge électrique ? Pour atteindre l’objectif de les porter à 7 millions en 2030, il faudra mettre les bouchées doubles puisque notre pays n’en compte aujourd’hui que 10 000. Quelle sera l’articulation entre les collectivités, l’opérateur national et le nécessaire maillage territorial afin de combler les nombreux déséquilibres ?
Les zones de montagnes sont des gisements d’énergie renouvelable : au-delà des grandes concessions hydrauliques, on peut aussi penser à la petite hydroélectricité, sans oublier l’énergie solaire et la méthanisation.
On parle souvent des réseaux intelligents, mais il faut aussi veiller à l’état des réseaux de distribution, qui sont parfois dégradés.
Enfin, la péréquation tarifaire doit être impérativement préservée.
M. Daniel Fasquelle. Je déplore les couacs et l’absence de pilotage sur ce projet de loi qui est peut-être le grand texte du quinquennat. Comme l’a reconnu un membre de la majorité, la montagne a accouché d’une souris ; surtout, ce texte est dangereux parce qu’il est flou : une transition mal pilotée et mal pensée accroîtra forcément le coût de l’énergie pour les particuliers comme pour les entreprises. En quoi, madame la ministre, la transition française sera-t-elle mieux pilotée que l’allemande ? On peut nourrir les plus grands doutes sur ce point.
Enfin, avez-vous une idée du coût de votre texte, démantèlement des centrales nucléaires et recours aux énergies non renouvelables inclus ? Comment financer les différentes mesures ? Serez-vous à l’écoute de l’opposition, notamment des propositions que j’ai formulées avec Julien Aubert dans le cadre du débat sur la transition énergétique ?
M. André Chassaigne. L’objectif de diviser par deux notre consommation d’énergie finale est contestable au regard de notre dynamisme démographique et du droit à l’énergie pour tous. La France devrait, selon les prévisions, compter 70 millions d’habitants en 2050, contre 65 millions aujourd’hui : ce facteur a-t-il été pris en compte ? S’il ne l’a pas été, l’objectif suppose que chaque habitant consommera en réalité 54 % d’énergie en moins. De plus, comment envisager le redressement de notre industrie avec une diminution massive de la consommation énergétique ? Faut-il voir dans les objectifs du texte le signe d’un grand pessimisme quant à la possibilité de ce redressement ?
Par ailleurs, quelles sont les filières professionnelles à même de réaliser l’isolation des bâtiments, secteur le plus consommateur en énergie ? Quels sont les financements prévus pour les travaux ? Le Président de la République a annoncé la rénovation de 500 000 logements par an ; or il n’y en a eu que 160 000 en 2013.
M. Jacques Alain Bénisti. Vous n’avez toujours pas répondu, madame la ministre, à la question que nous vous avions posée, en commission du développement durable, sur la fermeture de Fessenheim et d’autres centrales, afin de réduire la part du nucléaire de 75 % à 50 % dans la production électrique à l’horizon 2025. En tout état de cause, vous ne vous êtes toujours pas donné les moyens juridiques d’atteindre cet objectif.
Dans le texte – certes remanié – que vous nous présentez, vous vous contentez de plafonner à un peu plus de 60 gigawatts notre capacité nucléaire ; or ce chiffre, comme vous le savez, correspond à la capacité actuellement installée en France. Ce sont ainsi plusieurs milliers d’emplois qui sont menacés, alors que vous annoncez vouloir les développer.
Mme Édith Gueugneau. Je salue ce texte ambitieux, qui valorisera les ressources de nos territoires. Sur la diversification du mix énergétique, les collectivités sont en première ligne. Maire d’une station thermale de Bourgogne disposant d’un potentiel de très basse énergie en géothermie, j’aimerais savoir comment on peut accompagner les collectivités dans le développement des projets de pompe à chaleur, afin de récupérer les calories des eaux usées. Plus généralement, l’objectif est de créer des réseaux de chaleur et d’accroître l’efficacité énergétique à travers l’utilisation de techniques innovantes. De ce point de vue, quels pourraient être les accompagnements en matière d’ingénierie ?
M. Charles de Courson. Le texte fixe l’objectif de ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % aujourd’hui à 50 % en 2025 – dans l’article 1er –, et de plafonner à 63,2 gigawatts la capacité de production nucléaire – dans l’article 55 –, soit le niveau existant. Comment concilier ces objectifs avec la progression de l’intensité énergétique de 2,5 % par an ?
D’autre part, à combien s’élève le coût du plafonnement à 63,2 gigawatts, et celui du raccordement au réseau de l’EPR de Flamanville en 2016 ?
Enfin, quelles sont les sanctions prévues en cas de non-respect du plafonnement ?
M. Jean-Yves Le Déaut. La rénovation des bâtiments est en panne à cause de freins réglementaires : l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, vient de publier un rapport à ce sujet. Ne peut-on aller plus loin dans la gestion active de l’énergie ? Peut-être faudrait-il aussi simplifier le système des aides, au nombre de 17 au niveau national et de 243 au niveau local.
La réglementation thermique 2012 est un progrès, mais le système de calcul est une boîte noire qu’il faudrait peut-être rendre transparente.
N’y a-t-il pas, dans l’évaluation de la performance énergétique, un mélange des genres entre la recherche, le conseil, l’expertise et le contrôle ?
Vous avez fait le choix de stimuler l’innovation ; or, en matière de recherche, le bâtiment fait figure de parent pauvre en France : quelles sont les pistes en ce domaine ?
Enfin, la performance énergétique est appréciée au regard de l’énergie primaire : ne devrait-elle pas l’être aussi en fonction de l’émission de CO2 et de la part d’énergies renouvelables dans les projets ?
M. Charles-Ange Ginesy. C’est à juste titre que vous présentez l’économie circulaire comme l’un des piliers en matière d’innovation ; de fait, elle doit rendre plus efficace l’utilisation des ressources et diminuer l’impact sur l’environnement. Les objectifs fixés par le texte sont de réduire la production de déchets de 7 % par habitant et de porter le taux de recyclage à 70 % pour le secteur du bâtiment ; mais rien n’est dit sur les moyens d’atteindre ces objectifs.
L’industrie doit également participer à la transition énergétique en développant des produits qui prennent en compte le recyclage et organisent sa fin de vie ; mais je m’inquiète de ne pas voir davantage de mesures volontaristes et créatrices d’un appareil productif adapté.
Je conclurai en citant le Premier ministre : « La filière nucléaire est plus que jamais une grande filière d’avenir. » Or le projet de loi vise à baisser à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Mme Catherine Troallic. Je vous remercie, madame la ministre, de votre engagement fort en faveur de la transition énergétique ; s’il est une énergie à ne pas économiser, c’est bien celle des élus, des décideurs, des entrepreneurs, des associations et de toute la société civile. C’est collectivement que nous réussirons.
Beaucoup de territoires sont d’ores et déjà engagés dans la transition énergétique : c’est le cas en Haute-Normandie, que ce soit avec l’appel à projets « Énergies », le développement de l’éolien offshore, la rénovation thermique des bâtiments et habitations, le chèque énergie ou la voiture électrique.
Aujourd’hui, l’État entend impulser une nouvelle dynamique que je tiens à saluer. Dans ce cadre, comment voyez-vous votre action et votre collaboration avec les collectivités, à commencer par les régions, afin d’obtenir un effet démultiplicateur, notamment au regard des actions déjà engagées ?
M. Dino Cinieri. Cet été, EDF a été pointé du doigt pour avoir signé un accord avec une filiale de l’énergéticien américain Cheniere, en vue d’importer du gaz, dont une partie sera issu des roches de schiste. Cette annonce a fortement inquiété vos alliés écologistes. De fait, le gaz non conventionnel représente environ 30 % de la production totale aux États-Unis. Pour les opposants au gaz de schiste en France, EDF – dont l’État détient 87 % du capital – délocaliserait ainsi les éventuelles conséquences environnementales de l’exploitation de cette ressource.
Dans les années à venir, ce sont près de 30 % des importations françaises de gaz naturel qui proviendront de pays exploitant le gaz de schiste. Compte tenu de l’interdiction d’exploiter celui-ci sur son territoire, il est peu probable que la France puisse renoncer à ces sources d’approvisionnement. La seule alternative serait de se tourner vers la Russie, ce qui n’est pas compatible avec la nécessaire sécurisation des approvisionnements. Bref, ne pensez-vous pas que la France importera, qu’elle le veuille ou non, une quantité non négligeable de gaz de schiste via ses fournisseurs traditionnels ?
Enfin, la position du Gouvernement sur la fracturation hydraulique a-t-elle évolué ?
M. Yannick Favennec. Aujourd’hui, 4 500 éoliennes – dont 75 dans mon département de la Mayenne – sont bloquées par l’armée. Si celle-ci décide d’étendre les zones d’exclusion militaire, l’installation d’éoliennes serait compromise sur près de 60 % du territoire. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause les impératifs de sécurité aérienne, mais ces contraintes, si elles augmentent, compromettront nos objectifs en matière d’énergie renouvelable et mettront en péril l’économie liée au développement durable. Ce sont 9 milliards d’euros d’investissements privés qui sont en souffrance. L’armée doit-elle prendre autant de place ? Que comptez-vous faire pour qu’elle ne bloque pas autant de projets sur notre territoire ?
M. le président François Brottes. Un dialogue pourrait s’engager, sur ce point, entre notre commission spéciale et la commission de la défense, notamment à travers ceux qui appartiennent à l’une et l’autre.
Mme la ministre. Jean-Yves Le Drian, avec qui j’ai évoqué le sujet, est prêt à lever certaines interdictions, au cas par cas après examen des projets.
M. Yannick Favennec. Merci, madame la ministre.
Mme Béatrice Santais. Ce texte traduit une ambition sans précédent dans le domaine de l’énergie. Il est beaucoup question, dans le titre IV, des énergies renouvelables électriques. Peut-être faut-il se pencher plus avant sur la production de chaleur : je pense en particulier au solaire thermique, énergie simple qui permet, le soir, d’économiser la consommation d’électricité grâce à la chaleur emmagasinée durant la journée. Il s’agit aussi, détail non négligeable, d’une filière exportatrice. Les collectivités, vous l’avez rappelé, développent de beaux projets en matière d’énergies renouvelables : c’est le cas, justement, avec le solaire thermique. Nous pourrions donc nous en inspirer davantage.
M. Alain Leboeuf. On peut se féliciter de l’objectif d’installer 1 500 méthaniseurs en milieu rural : ils seront notamment une source de bioGNV – gaz naturel pour véhicules. Cependant, si l’on compte de plus en plus de bus roulant au GNV en ville, ce n’est pas le cas des bus intercités, encore équipés de moteurs diesel alors que le GNV pourrait avoir un véritable intérêt pour eux, notamment pour les transports scolaires en milieu rural. Les constructeurs sont très attentistes : ils ne se lanceront dans la fabrication de tels véhicules que s’ils entrevoient un marché à travers des incitations fortes. Quelle est votre position sur le transport intercités ? Envisagez-vous des actions pour le promouvoir ?
M. Hervé Pellois. Lors du colloque du 1er juillet dernier consacré à la biomasse, vous avez annoncé des mesures pour inciter les collectivités, les entreprises, les exploitants agricoles et les particuliers à investir dans les projets de méthanisation. Largement développés dans les pays du Nord, notamment en Allemagne, ces projets souffrent en France de deux freins majeurs. Le premier est administratif, avec la lenteur d’examen des dossiers. L’expérimentation de l’autorisation unique en matière d’installation classée commence-t-elle à porter ses fruits ?
Le second frein est la fiscalité, inadaptée à la faible rentabilité des investissements pour ces installations si sophistiquées. Que comptez-vous faire pour lever ces deux obstacles et encourager la filière ?
M. Jean-Pierre Gorges. Ce projet de loi a été préparé avant l’été ; depuis, deux événements ont eu lieu. Le premier est la publication du rapport de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, d’après lequel le reste à vivre de la ressource uranium sur la terre s’établit à 130 ans pour la troisième génération de réacteurs, mais à 7 000 ans pour la quatrième. Ce chiffre est un élément clé de ce rapport de M. Baupin, que Mme Duflot n’a donc pas dû lire.
Le second événement est la nomination du Gouvernement Valls 2. Son virage libéral peut étonner mais, pour ma part, je n’ai pas été moins étonné par les propos du Premier ministre selon lesquels le nucléaire est une filière stratégique.
Ces deux éléments majeurs ont-ils été pris en compte dans le texte que vous nous présentez ?
Mme Anne-Yvonne Le Dain. La France a la chance d’être l’un des rares pays au monde, avec les États-Unis et la Russie, à connaître tous les climats : l’atlantique, le tempéré, le méditerranéen, le montagnard, le continental, le tropical voire le boréal. Est-il envisageable d’ajuster notre réglementation et nos systèmes d’aides en fonction de ces spécificités ? Cela aiderait notre industrie à fabriquer des technologies et des objets que l’on pourrait vendre dans le monde entier.
M. Patrick Hetzel. Dans ma circonscription, un forage de géothermie a provoqué un sinistre important. Les murs d’une cinquantaine de maisons sont en train de se fissurer dans la commune de Lochwiller. Je tiens d’ailleurs à souligner l’efficacité des services de l’État en cette occasion : la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), le préfet de région et vos propres services, madame la ministre.
Toutefois, si l’on veut développer la géothermie, il est essentiel de la sécuriser davantage au plan juridique comme au plan financier car, même si les sinistres sont heureusement très rares, le risque zéro n’existe pas. Pour l’heure, le seul référent juridique est le code minier : je vous laisse imaginer l’embarras des particuliers qui ont effectué un forage peu profond sur leur terrain… Il faudra y revenir car le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, ne traite pas le problème.
M. Jean-Yves Caullet. Comment faire de la performance énergétique des bâtiments un enjeu, non seulement en termes de coûts de fonctionnement, mais aussi de patrimoine ?
Comment assurer à des coûts raisonnables la disponibilité des compétences techniques, administratives et financières nécessaires au succès de la transition énergétique sur l’ensemble du territoire ?
Enfin, ne pourrait-on affecter l’aide au logement à la rénovation, pour en faire un moyen d’éradiquer les passoires énergétiques dans le locatif privé ?
Le titre V du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que nous allons voter dans deux jours, prévoit la création d’un fonds stratégique. Une clé de répartition des crédits carbone en faveur de ce fonds ne favoriserait-elle pas la mobilisation de la ressource forestière, nécessaire au vu de l’enjeu de la biomasse dans la transition énergétique ?
M. Claude de Ganay. L’article 55 du projet de loi plafonne la capacité de production nucléaire à son niveau actuel, soit 63,2 gigawatts. S’attaquer de la sorte au nucléaire est une erreur. Si les énergies renouvelables sont une formidable opportunité pour la France, elles demeureront complémentaires des sources régulières d’énergie électrique. Il est donc illusoire de penser que nous parviendrons, en l’état actuel de nos capacités de stockage, à nous passer du développement du nucléaire, outil au service de la transition énergétique et de notre indépendance énergétique depuis des décennies. Atteindre le plafond visé signifie purement et simplement la fermeture d’une vingtaine de réacteurs de 900 mégawatts, avec à la clé la destruction de 40 000 emplois directs. La question n’est plus de savoir si vous infléchirez cette décision : il s’agit de nous faire connaître les réacteurs d’ores et déjà condamnés. Au nom des salariés d’EDF, des prestataires et des bassins d’emplois concernés, je vous remercie de nous apporter les informations les plus précises sur ce point.
M. Lionel Tardy. Madame la ministre, envisagez-vous toujours une seule lecture de ce projet dans chaque chambre ? Étant donné l’ampleur du texte et la portée des questions posées, cela semble peu acceptable. Par ailleurs, comment s’articuleront l’article 10 du projet, relatif à l’installation des points de charge des véhicules électriques, et la loi facilitant le déploiement d'un réseau d'infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l'espace public adoptée le 4 août dernier ? Enfin, quelle place sera donnée aux réseaux électriques intelligents ? En l’état, la seule référence qu’y fait le texte est, en son article 59, d’autoriser le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances des mesures de déploiement expérimental assez floues. Sur un plan général, il est indispensable de lier fortement transition énergétique, efficience économique et simplification administrative, et le texte devra aussi être examiné sous cet angle.
Mme Françoise Dubois. Je salue les mesures du titre II visant à combattre la précarité énergétique qui touche 4 millions de familles en France. Il était important, aussi, que l’exigence d’exemplarité énergétique figure dans le texte. Je me félicite de l’entrée en vigueur, le 1er septembre, du crédit d’impôt pour la transition énergétique que vous avez décidé. Cependant, en supprimant le critère du bouquet de travaux, le nouveau dispositif met fin à l’obligation de procéder à des travaux complémentaires renforçant l’efficacité des travaux entrepris sur le plan énergétique. L’objectif, remarquable, est d’élargir l’accès à ce crédit d’impôt, par ailleurs très attractif. Mais ne risque-on pas de voir les ménages repousser les gros travaux, nécessairement plus coûteux – les réfections de toiture par exemple – pour privilégier des travaux plus modestes qui n’auront pas le même impact en termes d’efficacité énergétique ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que le texte oblige par ailleurs à renforcer significativement les performances énergétiques et environnementales à chaque fois que des travaux importants sont réalisés dans un bâtiment.
M. Michel Heinrich. Le texte prévoit de réduire de 7 % en dix ans la quantité de déchets produits par habitant ; cet objectif ne me semble pas très ambitieux. Le crédit d’impôt prévu pour la rénovation thermique est une bonne chose et constituera certainement une incitation à agir. En revanche, l’obligation faite à tout propriétaire de procéder à des travaux de rénovation thermique quand il entreprend, par exemple, des travaux sur une façade ne risque-t-elle pas d’empêcher des propriétaires d’entretenir le bâti, et même de dissuader certains de le faire ? Enfin, il est regrettable que le texte ne dise rien du potentiel que représente la biomasse.
M. Michel Lesage. En matière de gouvernance, le projet propose de mobiliser les territoires. Ils sont en effet au cœur de la réussite de la transition énergétique, à la fois parce que les services publics territoriaux sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas et parce que les territoires sont les lieux essentiels de mise en cohérence des politiques publiques du logement, de transport, d’habitat et d’aménagement du territoire, qui ont toutes un fort impact en matière énergétique. Pouvez-vous préciser comment s’articuleront les objectifs nationaux et les indispensables approches transversales, qu’elles soient régionales ou intercommunales, les intercommunalités devenant de fait les autorités organisatrices de l’énergie ?
M. Franck Reynier. Nous partageons nombre des objectifs fixés dans ce texte, mais plusieurs inquiétudes demeurent. En premier lieu, tant pour le bâtiment que pour les transports, l’efficacité énergétique demandera de fortes incitations ; eu égard à l’état des finances publiques, aurez-vous des moyens suffisants à consacrer à ce grand projet ? D’autre part, il est bon de faire évoluer le mix énergétique pour favoriser des énergies plus vertes, mais cela a un coût élevé. Considérant les difficultés que connaissent un grand nombre de nos concitoyens, on ne peut qu’être préoccupé par l’impact qu’auront les mesures annoncées sur le pouvoir d’achat. Quel est votre avis à ce sujet ?
Mme Geneviève Gaillard. Un des axes du projet est le renforcement de la sécurité nucléaire. Le texte confirme également la réduction de la part de l’énergie nucléaire dans la production d’électricité et je m’en félicite. Cependant, on parle d’allonger jusqu’à soixante ans la durée de vie de certaines centrales, ce qui ne manque pas d’inquiéter car on sait la corrélation entre l’occurrence d’incidents et l’âge des réacteurs. Si cette décision était confirmée, comment nous rassureriez-vous sur la sûreté des installations ? Ce choix pourrait d’autre part avoir un impact sur notre capacité à démanteler les réacteurs. Alors que nous avons su vendre des usines et des centrales clés en main, nous risquerions de rater le coche de l’excellence en matière de démantèlement. Quel est votre avis sur ces sujets ?
Mme Sophie Rohfritsch. Je m’étonne de ne trouver mot dans le texte des négociations européennes relatives au marché de l’énergie. Avez-vous évoqué ce sujet au cours du dernier Conseil européen ? En particulier, un accord stable est-il envisagé avec nos partenaires allemands, avec lesquels nous devons absolument être en phase en cette matière ? J’observe aussi la faible transversalité du projet en matière diplomatique. Qu’en sera-t-il de la sécurisation de nos approvisionnements en gaz russe si nous continuons à nous opposer frontalement à la Russie, notamment si nous l’empêchons de réaliser le nouveau gazoduc Sud ?
Enfin, le texte est relativement creux pour ce qui concerne les nouvelles méthodes et les nouveaux critères de fixation des tarifs de l’électricité. Vous projetez de les revoir, mais il n’y a pas d’avancée à ce sujet, ce qui est très pénalisant pour EDF. Est tout aussi pénalisant le fait d’ignorer comment seront financées les extensions de réseaux nécessaires au développement des énergies renouvelables puisque l’on ignore quel sera le contour exact de la réforme territoriale.
M. le président François Brottes. Je rappelle que nous nous prononcerons cette semaine sur la création d’une commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité.
M. Jean-Louis Bricout. L’article 60 instaure un chèque énergie. Est-il prévu de moduler son montant en fonction de la géographie ? Il n’échappe à personne que le climat diffère selon que l’on se trouve en Picardie ou en Provence et que cela a une incidence sur le montant des charges énergétiques.
Pour lutter contre la précarité énergétique, je propose d’introduire dans le texte la notion d’ « insécurité économique », cette insécurité provoquée par les bailleurs indélicats qui mettent sur le marché des logements qui sont autant de passoires thermiques. Ce faisant, ils plongent les populations les plus fragiles dans la précarité et suscitent aussi des dépenses pour l’État et pour les collectivités territoriales par la mobilisation de dispositifs de soutien tels que le fonds de solidarité pour le logement ou l’aide personnalisée au logement. La disposition consisterait à encadrer les charges fixes constituées par le loyer et les charges énergétiques en se donnant la possibilité de faire évoluer les loyers des logements énergivores sur la base du diagnostic de performance énergétique (DPE). Lorsque j’ai avancé cette proposition au cours du débat sur la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, il m’a été répondu que l’idée était bonne mais que son application se heurtait au fait que le DPE, bien qu’obligatoire lors de la signature du bail, n’était pas opposable. Une évolution est-elle envisageable ?
M. Guillaume Chevrollier. Vous faites de la rénovation thermique des bâtiments une priorité méritée. C’est aussi un moyen de soutenir le secteur du bâtiment et ses artisans, qui en ont bien besoin, vous l’avez souligné. Mais je tiens à vous faire part de deux remarques souvent entendues dans ma circonscription. La première est que l’Agence nationale de l’habitat est incapable de faire face à l’afflux de dossiers qui lui arrivent, et que leur traitement va prendre des mois. La seconde, c’est que les normes, dans le domaine de la rénovation thermique, sont devenues trop contraignantes et qu’elles ont souvent des effets pervers. Ainsi, la réglementation thermique 2012 encourage le chauffage au gaz et réduit la place des solutions électriques et renouvelables ; cela provoquera un surcroît d’émissions de CO2 à l’avenir. De plus, ces normes incitent peu à l’innovation. Les artisans du bâtiment demandent que cette réglementation soit modifiée et souhaitent être associés à sa définition ou, au minimum, consultés.
Mme Martine Lignières-Cassou. Les collectivités territoriales et notamment les intercommunalités sont appelées à jouer un rôle important dans le pilotage de la transition énergétique. Je puis témoigner que, jusqu’à présent, les collectivités ne disposaient pas des éléments leur permettant de mesurer la consommation énergétique sur leur territoire. Les discussions à ce sujet, notamment avec ERDF, étaient très compliquées. Ainsi, la communauté d’agglomérations que je présidais avait été appelée à participer au financement du renforcement d’un poste source, sans que nous puissions mesurer l’impact, direct et indirect, de notre action. Le projet permettra-t-il aux collectivités territoriales et aux EPCI en particulier de piloter pleinement la transition énergétique, d’être véritablement partie prenante à la définition de la stratégie souhaitable et d’obtenir d’ERDF les éléments qui leur permettront de mesurer l’impact des actions entreprises ?
M. Damien Abad. La dimension européenne de la transition énergétique est la grande oubliée du projet. Le mot « Europe » n’apparaît que deux fois dans le texte – et encore sous forme d’une pétition de principe, à l’article 53 –, alors que le Président de la République a dit vouloir la création d’une communauté européenne de l’énergie. Préfèrerez-vous le modèle allemand, le modèle espagnol ou le modèle anglais ?
Mme Annick Le Loch. Les îles du Ponant, dont l’île de Sein, font partie des zones insulaires non interconnectées (ZNI) au réseau électrique métropolitain. Elles sont alimentées par des groupes électrogènes dont le fonctionnement est assuré par des centaines de milliers de litres de fuel, et le coût supplémentaire induit est assumé par la collectivité nationale par le biais de la « contribution au service public de l’électricité ». Les élus et des porteurs de projets aspirent à développer la production d’énergies renouvelables disponibles sur le site. Seriez-vous disposée à lever des verrous réglementaires pour favoriser cette production ? N’y a-t-il pas lieu, par exemple, de rehausser le plafond qui fixe à 30 % de la puissance globale injectée dans le réseau la part des énergies intermittentes dans les ZNI ?
M. Jean-Pierre Vigier. La transition énergétique exige des mesures mûrement réfléchies, cohérentes et compatibles entre elles. Or vous reprenez dans ce texte fourni un projet élaboré par vos deux prédécesseurs ; la vision d’ensemble est floue, et les Français auront le sentiment d’éparpiller leurs efforts. Si l’objectif de réduire de 40 % les émissions de CO2 d’ici à 2030 est louable, il entraîne de fortes contraintes pour les usagers et pour les entreprises. Que faire, dans ce contexte, pour éviter que les efforts engagés par l’Europe et notamment par la France pour limiter le changement climatique ne soient réduits à néant par l’industrie des pays émergents ?
M. Jean-Pierre Le Roch. Vous avez fixé pour objectif l’installation de 1 500 méthaniseurs mais une fiscalité inappropriée peut faire obstacle à ce projet en freinant les investissements ; quelles mesures proposerez-vous à ce sujet ? Par ailleurs, comment accompagner la formation pour assurer la sécurité optimale du fonctionnement de ces appareils ? Enfin, reverrez-vous les critères des appels d’offres pour permettre que des projets de centrales solaires ou de parcs photovoltaïques aboutissent au nord de la Loire ?
M. François-Michel Lambert. Il y a bien davantage dans l’économie circulaire que le recyclage, puisqu’il s’agit de passer d’une société du gaspillage des ressources notamment énergétiques à un développement durable. Ma question, qui porte sur le seul volet « énergie » de la réflexion relative à l’économie circulaire, concerne l’énergie fatale, c’est-à-dire l’énergie résiduelle produite au cours du processus industriel mais non utilisée. EDF l’estime à 140 TWh par an, soit 30 % de la consommation d’électricité dans l’industrie. Or, de nombreux exemples d’écologie industrielle et territoriale, en France et surtout en Europe du Nord, montrent la possibilité de gains énergétiques formidables en ce domaine. L’exploitation du potentiel de l’énergie fatale est insuffisante dans notre pays ; comment la France rattrapera-t-elle son retard sur ses voisins ? Allons-nous nous lancer dans une démarche d’écologie industrielle, au sujet de laquelle les études britanniques indiquent que chaque million d’euros investi rapporte 16 millions d’euros aux entreprises et aux territoires ?
M. Éric Straumann. Le fait que la fermeture de la centrale de Fessenheim ne figure pas dans le texte signale-t-il qu’elle poursuivra son activité au-delà de 2017 ?
M. Bruno Nestor Azerot. Votre projet de transition énergétique est une grande opportunité pour ce quinquennat. Outremer, en Martinique en particulier – où nous avons eu le plaisir et l'honneur de vous accueillir la semaine dernière – on ne peut parler de transition énergétique mais bien de création ou de révolution énergétique. Nous sommes dépendants à 97 % de l'énergie électrique issue du fuel. Or, nous avons le soleil, la mer et les volcans. Notre objectif est donc de développer dans les vingt années à venir les énergies renouvelables pour mixer notre approvisionnement énergétique. Notre priorité, vous le savez, ce sont les énergies marines renouvelables avec l'éolien offshore, l'hydrolien avec le projet NEMO de Bellefontaine – et rapidement, je le souhaite, de Sainte-Marie –, la géothermie et le solaire.
Nous souhaitons, madame la ministre, que vous nous souteniez dans l'élaboration d'un « plan bleu » pour la Martinique car, au-delà de la transition énergétique, c'est tout le développement de nos îles qui est en question, et leur avenir. Je vois dans votre projet de loi l'opportunité pour la Martinique de retrouver une industrie qu'elle a perdue, des emplois dont elle a grandement besoin, des activités économiques de services liés, et des formations d'excellence pour nos jeunes.
L'Outremer, qui donne sa vocation mondiale à la France et à l'Europe, n'a pas vocation à rester dans les rebuts de l'Histoire et de la mondialisation. Je salue donc votre ambition forte, madame la ministre, et je soutiendrai bien sûr ce projet.
Mme Michèle Bonneton. Le texte met l’accent sur le développement des véhicules propres et en particulier sur les véhicules électriques. C’est une avancée intéressante, mais cela ne suffira pas à résoudre tous les problèmes de déplacement et de pollution de l’air, ne serait-ce que parce que les véhicules électriques supposent des batteries et que leur fabrication demande une certaine consommation d’énergie électrique. Dans quel texte alors envisager un « plan vélo », un plan de développement de transports collectifs et un plan de transport de marchandises par voie d’eau ?
D’autre part, l’armée n’est pas seule à faire obstacle aux projets d’éoliennes : il en va de même des services météorologiques. Peut-on imaginer la levée de ce blocage ?
Mme la ministre. Cela vient d’être fait.
M. Yves Daniel. L’un des objectifs affirmés dans ce projet destiné à favoriser la transition énergétique est de protéger la santé publique. Cela se conçoit fort bien. Je me dois cependant de vous alerter sur les nuisances provoquées par les ondes émises par les éoliennes, néfastes pour la santé des animaux comme pour celle des êtres humains. En sera-t-il tenu compte dans l’évaluation des projets ? Nous manquons pour l’instant d’évaluations scientifiques de ces risques ; pourtant, des éleveurs de ma circonscription sont en grande difficulté de ce fait, subissant des coûts importants qui ne sont pas pris en charge par les constructeurs bien que la loi les y oblige. Il faut prendre garde aussi aux impacts négatifs de la production des énergies renouvelables.
M. Martial Saddier. Ce texte doit être l’occasion de renforcer le rôle des territoires. Je me félicite à ce sujet que l’article 45 maintienne les tarifs de cession aux entreprises locales de distribution (ELD) et que les articles 56 à 58 prévoient des expérimentations concernant la régionalisation. Je m’inquiète cependant de l’évolution des tarifs de rachat de la production d’énergies renouvelables par les ELD ; cette question doit être clarifiée.
En ma qualité d’ancien président du Conseil national de l’air, je salue le volet du projet consacré à la qualité de l’air avec le plan de réduction des émissions et le retour des APPA que nous avions mis en place. Je regrette en revanche l’absence de mesures encourageant à changer les chauffages domestiques peu performants ; il faut pourtant lier économies d’énergie et efficacité énergétique.
M. Dominique Potier. Le développement de l’économie circulaire impose l’adoption de réglementations internationales nouvelles qui éviteront que nos déchets ne nous reviennent sous forme manufacturée après avoir fait le tour de la planète. Ces réglementations doivent être définies matériau par matériau ; ces chantiers n’ont pas encore été ouverts par l’Europe et le texte pourrait être l’occasion de poser quelques jalons.
En matière d’isolation thermique, le retour des entreprises et des centres de recherche tiendra pour beaucoup à la continuité des politiques publiques menées. Les politiques précédemment conduites ont connu des à-coups, ont souvent été fractionnées, sont reparties sur d’autres bases… Pour que l’appareil de recherche et développement se mette en branle, la permanence est indispensable : c’est elle qui sécurise la conversion des entreprises à ces nouveaux métiers.
M. Laurent Furst. L’Union européenne a supprimé il y a peu les ampoules à filament et les industriels se sont reconvertis dans la fabrication d’ampoules halogènes, lesquelles font maintenant l’objet de débats. Or 7 000 emplois sont en jeu de ce fait en Europe, dont quelque 2 000 en France. Quelle est la position du Gouvernement sur ces équipements qui ont permis de réduire la consommation d’énergie ?
M. le président François Brottes. La liste des orateurs étant épuisée, la parole est à Mme la ministre.
Mme la ministre. J’ai apprécié la qualité de ces échanges. L’extrême technicité de certaines des questions posées appelle une expertise supplémentaire avant qu’une réponse précise leur soit apportée. Sur un plan général, j’ai été frappée par la tonalité très positive de notre dialogue. Je remercie ceux d’entre vous qui ont dit leur soutien et leur adhésion à ce texte, fruit d’un travail considérable que je suis heureuse de vous présenter. Vos contributions, sur tous les bancs, témoignent d’un engagement réel pour trouver les meilleures solutions, propres à entraîner nos concitoyens à adopter les nouveaux comportements qui leur permettront de réduire leur facture énergétique, et à créer des emplois.
Vos interventions ont montré à la fois une vision stratégique partagée sur les choix structurants de notre modèle énergétique et certaines divergences. Des questions ont ainsi porté sur la cohérence globale du texte, sur la part réservée au nucléaire, sur les échéances stratégiques fixées dans le texte – tant en matière de pourcentages que de calendrier – et sur la place réservée aux questions européennes. Je me réjouis des fortes convergences exprimées sur la nécessité d’être opérationnels au plus vite car, souvent, nos concitoyens sont en avance sur le temps parlementaire ; vous ne l’ignorez pas, vous qui aidez à la réalisation de projets de rénovation thermique ou de production d’énergies renouvelables.
L’ancienne parlementaire que je suis comprend les questions relatives au choix de la procédure d’urgence pour l’examen de ce texte. Permettez-moi toutefois de rappeler que le temps de parole n’a pas été limité ; vous aurez donc le temps de vous exprimer et pendant les travaux de votre commission, au cours desquels je serai bien sûr constamment présente, et lors du débat en séance publique. Le temps imparti au débat sera donc de qualité et très dense. La discussion qui s’achève a d’ailleurs montré qu’il n’est pas besoin de s’éterniser pour mettre l’accent sur des sujets opérationnels, à propos desquels je m’engage à vous apporter des réponses précises et argumentées.
J’observe aussi que l’appréciation de l’urgence n’est pas la même pour nous, qui avons le temps de débattre, pour nos concitoyens qui souffrent du chômage et pour les petites entreprises du bâtiment qui attendent des commandes. J’ai donc eu le souci de trouver le juste équilibre permettant de concilier la qualité du débat parlementaire et la nécessité d’apporter le plus vite possible à nos entreprises – celles du secteur du bâtiment, celles de la filière des énergies renouvelables et celles qui veulent innover – des réponses opérationnelles. Elles nous en sauront gré. Vos questions le prouvent, qu’elles portent sur les méthaniseurs ; sur les ZNI ; sur la nécessité d’une action très rapide outremer, où le coût de l’énergie est considérable et où des opportunités majeures existent d’apporter des solutions en termes de formation professionnelle et d’emploi à une jeunesse pour moitié inactive ; sur la rénovation thermique et sur la manière dont le crédit d’impôt permettra aux citoyens de passer rapidement des commandes aux entreprises du secteur du bâtiment ; sur la formation professionnelle, que les entreprises du bâtiment sont en train de définir ; sur la place faite aux communautés de communes ; sur l’accès, crucial, aux renseignements sur tous ces sujets, nécessité qui nous poussera à installer des plateformes d’information.
De vos contributions, auxquelles je répondrai précisément soit par écrit, soit lors de l’examen des articles, soit après une expertise complémentaire pour certaines des questions abordées, je retiens votre souci de pragmatisme et d’efficacité. Je suis persuadée que le débat parlementaire, à partir de questions dont je n’avais pas obligatoirement perçu tous les aspects ou de sujets qu’il faudra préciser, donnera une marge de manœuvre suffisante pour permettre aux collectivités territoriales de se mettre en mouvement. Je ne voudrais donc pas que le choix de la procédure d’urgence soit mal interprété : il ne s’agit pas, et le dialogue que nous venons d’avoir le prouve, de bâcler le débat mais de répondre à l’urgence et aux attentes des territoires, qui sont souvent en avance sur le législateur.
Si la dimension européenne de la question ne relève pas de dispositions législatives, vos questions à ce sujet sont tout à fait fondées et je vous informerai des échéances européennes à venir. Je vous dirai aussi comment, en dépit de modèles énergétiques très divers, nous avons essayé de faire converger les approches des États membres de manière à respecter les engagements pris au niveau planétaire pour lutter contre le réchauffement climatique, réduire la précarité énergétique et renforcer l’indépendance énergétique, chaque pays ayant à ce sujet un même objectif. Je vous dirai encore comment nous parviendrons peut-être à un échange de stratégies et à la construction de filières d’investissement communes dans ce qui sera la prochaine révolution énergétique, celle du transport propre et du stockage de l’énergie. Le jour où l’on saura stocker l’énergie – et la recherche progresse assez vite – on aura également résolu la question du coût de l’utilisation des énergies renouvelables.
Voilà qui m’amène à traiter de la cohérence du texte, sur laquelle M. de Courson, notamment, s’est interrogé, évoquant le coût du plafonnement de notre capacité nucléaire. Cette cohérence existe : elle tient à la montée en puissance des énergies renouvelables, à la recherche de la performance énergétique, aux économies d’énergie et à la complémentarité voulue avec l’économie circulaire. Nous devons parvenir à faire de nos territoires des territoires dits « zéro déchet », où tous les déchets non éliminés doivent être considérés comme de nouvelles matières premières. En Allemagne, 70 % des déchets du bâtiment sont recyclés dans la construction. Parce que, en France, le taux est très bas, j’ai décidé de permettre la valorisation de ces déchets en les catégorisant comme matières premières, ce qui renforcera la productivité de la filière du bâtiment. Des évolutions considérables sont donc possibles, en s’inspirant des meilleures pratiques de chaque pays, pour réduire de manière draconienne le volume de déchets – dont l’élimination ou le traitement coûte fort cher –, en les intégrant, en qualité de matières premières, au cycle de production. Cela implique aussi une autre consommation. Cette vision globale de l’énergie emporte et une cohérence et une ambition.
Mais il faudra, bien sûr, plusieurs années pour l’atteindre. Dans un premier temps, j’ai comme vous, monsieur Heinrich, jugé que viser une réduction de 7 % en dix ans de la production de déchet par habitant était bien peu. C’était oublier que cette production augmente de manière exponentielle ; parvenir à la stabiliser est donc un effort considérable en soi, la réduire de 7 % est un effort plus important encore. J’étudierai la question dans le détail, car je suis convaincue que le volume de certains déchets – cartons, emballages, bouteilles d’eau en plastique par exemple – peut être réduit bien davantage et réintégré dans le cycle de production. Cela vaut aussi pour les déchets putrescibles et pour ce qui concerne le gaspillage alimentaire : d’évidence, on peut tirer de ces déchets-là beaucoup plus de compost, et les utiliser à grande échelle dans les méthaniseurs. Cela suppose la montée en puissance de projets individuels dans des territoires à énergie positive, dans le cadre de contrats locaux de transition énergétique. Ces contrats permettront de mobiliser les ressources de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, les moyens définis dans le projet et les co-financements des collectivités territoriales et du système bancaire, notamment ceux de la Banque publique d'investissement.
Vos interventions ont rendu perceptible une adhésion globale à l’idée que la transition énergétique est réalisable et à portée de main.
J’ai entendu les divergences qui se sont exprimées à propos du nucléaire. Après avoir écouté attentivement toutes les sensibilités et toutes les parties prenantes, j’ai le sentiment d’être parvenue à un équilibre et je vous propose un choix raisonné. Il souligne la place très importante du nucléaire – qui, en nous permettant d’accomplir la transition énergétique sans devoir, contrairement à nos voisins allemands, recourir au charbon, nous apporte une sécurité énergétique – tout en incluant dans l’appréciation du coût de cette filière celui du traitement des déchets ultimes, pour le comparer valablement au coût des énergies renouvelables, dont la performance économique s’améliorera à mesure qu’elles monteront en puissance.
Nous sommes à un moment charnière. Nous devons adopter les bonnes stratégies, cruciales pour l’avenir du pays ; opter pour le « tout ou rien » serait une erreur très coûteuse, à terme, pour la nation. En plafonnant la capacité de production nucléaire du pays, nous choisissons la sécurité. Par ce choix volontariste, nous nous donnons aussi les moyens de faire monter en puissance les énergies renouvelables et de ce fait d’en réduire le coût, et aussi de motiver l’investissement dans le stockage de l’énergie, élément clef. Le troisième pilier du dispositif, c’est la lutte contre le gaspillage énergétique, le choix de la sobriété et de la performance énergétique pour les bâtiments, un domaine dans lequel la France doit être à la pointe des compétences. Aussi, je souhaite que tous les nouveaux permis de construire des bâtiments publics et des logements sociaux concernent des bâtiments à énergie positive. Si certains réussissent à produire au moins autant d’énergie qu’ils en consomment, pourquoi n’en irait-il pas de même pour tous ? Michel-Ange le disait : le progrès est dans la contrainte – une contrainte qui doit, bien sûr, être intelligente. Il ne s’agit pas de fixer des normes incompréhensibles mais de tracer les contours de ce qui deviendra irréversible, non seulement parce que ce sera la norme juridique mais parce que tous les citoyens du pays auront compris qu’ils ont intérêt à s’engager dans cette voie.
Voilà ce qui fait de ce formidable chantier un champ d’innovation et de créativité. C’est aussi un instrument pour ceux qui souffrent de la précarité énergétique ; pour notre pays qui paye cher ses importations d’énergie ; pour les citoyens qui ne comprennent pas toujours le montant des factures qui leur sont adressées et qui veulent en réduire le coût pour gagner du pouvoir d’achat ; pour nos entreprises enfin, qu’elles soient traditionnelles ou innovantes et qui, chaque jour, apportent la preuve que la technologie française en matière de transition énergétique fait partie des meilleures au monde. (Applaudissements)
M. le président François Brottes. Je vous remercie, madame la ministre, pour la pédagogie et le pragmatisme dont vous avez fait preuve dans le projet et au cours du débat. Selon la volonté de la ministre, qui est aussi la mienne, ce texte sera conçu comme une co-construction. J’invite donc ceux de mes collègues qui ont des idées d’amendements à les communiquer dès maintenant à nos rapporteurs.
2. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Jean Gaubert, médiateur de l’énergie, accompagné de M. Stéphane Mialot, M. Frédéric Blanc, juriste à l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir, M. Dominique Marmier, président de Famille rurales, accompagnées de Mme Nadia Ziane
(Séance du mercredi 10 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Les cinq rapporteurs du projet de loi devant mener parallèlement leurs propres auditions, ils ne pourront pas assister à toutes les réunions de notre commission. Mme Sabine Buis, qui participe à un forum sur l’économie circulaire, m’a ainsi demandé de l’excuser.
Nous recevons aujourd’hui les représentants des organismes en principe les plus proches de ceux qui sont parfois les oubliés des politiques de l’énergie : les consommateurs. À cet égard, l’Assemblée nationale vient de voter en séance publique la création d’une commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité. Depuis des années, les décisions de justice vont à l’encontre de l’intérêt des consommateurs. Il nous est donc apparu utile de mener une réflexion à ce sujet. La commission d’enquête, qui sera installée à la fin du mois, devrait être présidée par M. Daniel Fasquelle et rapportée par Mme Clotilde Valter.
Mais je vous donne maintenant la parole, messieurs, pour nous exposer votre point de vue sur le projet de loi.
M. Dominique Marmier, président de Familles rurales. L’association que je préside est un mouvement de défense des consommateurs et des familles rurales.
M. le président François Brottes. Ce n’est pas qu’un mouvement consumériste : vous menez aussi des actions sociales dans le milieu rural, ce que tout le monde ne sait pas forcément et ce qui vous distingue d’autres associations.
M. Dominique Marmier. Nous sommes, en effet, des acteurs des territoires ruraux et nous offrons des activités et des services pour tous les âges. Cela étant, la consommation fait partie de notre champ, et c’est à ce titre que nous sommes invités aujourd’hui.
La ruralité, qui représente 80 % du territoire, est bien souvent la grande oubliée des politiques publiques. Nous essayons de faire entendre sa voix auprès des décideurs.
La transition énergétique est une démarche excellente dont nous pensons qu’elle doit être globale. Il faut prendre en compte toutes les formes d’énergie : l’électricité, le fioul, mais aussi la biomasse qui, en milieu rural, peut être un facteur de croissance important. Surtout, aucune famille ne doit être oubliée. Les politiques n’intègrent pas toujours les spécificités du milieu rural, ce qui entraîne par la suite de grandes difficultés.
J’évoquerai donc les dispositions du projet de loi qui ont particulièrement retenu notre attention.
Premièrement, nous nous réjouissons de l’instauration d’un chèque énergie. Les familles rurales n’ont pas accès au gaz de ville et n’ont pas toujours de chauffage électrique, si bien que la forme d’énergie principale est le fioul et qu’elles se trouvent exclues des dispositifs d’aide prévus pour le gaz et l’électricité. Le nouveau dispositif sera un facteur d’égalité entre les familles et entre les territoires.
Deuxièmement, nous prenons note des mesures relatives à l’isolation thermique. L’énergie la moins chère, c’est bien sûr celle que l’on ne consomme pas ! Un gros effort reste à réaliser en ce qui concerne les logements dits « passoires ». Le crédit d’impôt accordé pour les investissements dans ce domaine a son importance, mais beaucoup de familles ne sont pas propriétaires de leur logement et celles qui sont dans une situation de précarité n’ont, de toute façon, pas la possibilité d’investir dans l’isolation.
Troisièmement, notre mouvement s’intéresse beaucoup, en dépit de son caractère souvent trop abstrait, à la notion d’économie circulaire. Il nous semble important de consommer et de valoriser les produits de façon différente et plus intelligente, tout en réduisant la production de déchets.
Certains points du projet de loi appellent néanmoins notre vigilance.
Ainsi, la modulation de la tarification des déchets, qui est en soi une bonne chose, devra prendre en compte la composition des familles. Les familles nombreuses ne doivent pas se trouver pénalisées.
Nous nous interrogeons aussi sur l’obligation de réaliser une isolation par l’extérieur à l’occasion d’un ravalement de façade. L’idée est peut-être séduisante, mais toutes les familles auront-elles les moyens, en milieu rural, d’investir dans une isolation extérieure dont le coût est quatre fois plus élevé qu’une simple rénovation ? Une telle obligation serait-elle acceptable d’un point de vue juridique ? Ne pourrait-on plutôt imaginer un crédit d’impôt modulé en fonction, non seulement de l’investissement, mais aussi du gain énergétique obtenu ?
Nous souhaitons aussi la création d’un label permettant de guider les consommateurs dans le choix d’un professionnel. Il est beaucoup question d’isolation, d’énergies renouvelables produites par panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques, biomasse et autres, mais l’information est très peu lisible. Un label décerné aux entreprises fournissant une information et des installations de qualité permettrait aux familles de mieux s’y retrouver.
Enfin, nous préconisons la consécration d’un droit opposable à l’énergie et la mise en place d’un service minimum de l’électricité. Aujourd’hui, les familles en grande précarité sont exposées à des coupures, particulièrement dures à supporter en hiver.
M. Frédéric Blanc, juriste à l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir. L’UFC-Que Choisir salue les objectifs fixés au titre Ier du projet de loi. Ce sont des objectifs ambitieux qui vont au-delà de ceux fixés au plan européen.
Pourtant, dès que l’on entre dans le corps du texte et que l’on recherche les mesures concrètes, on constate de nombreuses lacunes. Quant aux dispositions proposées, elles paraissent parfois contre-productives.
De plus, les mécanismes du projet de loi dépendent beaucoup de l’argent public. On renvoie au projet de loi de finances pour 2015, là où il aurait sans doute fallu rechercher d’autres sources de financement.
Enfin, le texte manque cruellement de mesures protégeant le consommateur.
Le premier pilier du projet de loi est l’efficacité énergétique. Le texte fait de l’efficacité passive du bâti une priorité. Tout en l’approuvant, nous émettons des réserves sur les moyens envisagés pour atteindre l’objectif. Comme Familles rurales, nous regrettons que les aides publiques ne soient pas proportionnelles à la performance énergétique réellement obtenue. On a porté le crédit d’impôt à 30 % quel que soit le produit, même pour des équipements que l’on devrait de toute façon remplacer. Cela ne permet pas de s’assurer de l’amélioration effective de la performance du logement rénové. Par ailleurs, aucun mécanisme n’existe pour inciter les bailleurs, qui ne sont pas directement concernés par la consommation d’énergie du logement loué, à réaliser des travaux. Nous aimerions voir le projet de loi amélioré sur ce point.
Pour nous, j’y insiste, seuls des mécanismes favorisant une responsabilité quant à la performance énergétique réelle après la réalisation des travaux permettront d’atteindre les objectifs en matière d’efficacité passive. Dans un rapport récent, d’ailleurs, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) invite à sortir du calcul théorique de l’énergie primaire et à se fonder sur la mesure de la performance et sur les usages, de manière à garantir la responsabilité directe des artisans – via le label RGE (reconnu garant de l’environnement), semble-t-il – en matière de performance constatée, indépendamment de toute malfaçon ou désordre matériel. Un mécanisme d’assurance couvrirait cette responsabilité spécifique, de manière à structurer le marché : en garantissant l’effectivité des économies d’énergie et en assurant la solvabilité du consommateur, ce mécanisme sécuriserait le financement privé qui se tournerait alors vers ce type de dépense. Les assureurs seront contraints de prévoir des audits avant et après les travaux, puisqu’il leur faudra distinguer ce qui relève de l’usage abusif et ce qui relève de la performance énergétique défectueuse. Nous souhaitons que ce dispositif, le seul, selon nous, qui permette d’atteindre les objectifs fixés, soit inscrit dans la loi.
L’efficacité énergétique a un autre aspect, actif celui-là, qui concerne les moyens donnés au consommateur pour maîtriser sa consommation. Il faut, en particulier, que le compteur Linky lui délivre, en temps réel, une information sur sa consommation, en kilowattheures et en euros, et nous souhaitons que cela soit inscrit dans la loi. Pour que l’information soit consultable à tout moment, il conviendra que le compteur soit, dans tous les cas, installé sur le lieu de vie. En identifiant le prix du kilowattheure et en localisant les consommations inutiles, le consommateur pourra ainsi adapter et améliorer ses usages.
Nous pensons aussi qu’il faut contraindre les fournisseurs à délivrer une fiche standardisée sur les écogestes essentiels permettant de réduire la consommation. Les études montrent que l’on peut faire jusqu’à 12 % d’économies d’énergie grâce à une meilleure utilisation des appareils.
Les réseaux de distribution constituent le deuxième pilier de la transition énergétique.
Dans le texte, la question est abordée à travers les mécanismes de rémunération du TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité). Or l’investissement est aujourd’hui insuffisant. Il est, en outre, principalement curatif et non préventif. La ligne fixée pour la période 2009-2012 n’a pas été respectée : le sous-investissement représente plus de 1,3 milliard d’euros. Les temps de coupure sont en augmentation. Les consommateurs paient très cher les investissements non réalisés : on a surrémunéré le capital d’ERDF (Électricité réseau distribution France) sans prendre en compte le régime concessif et on a permis la captation de provisions pour renouvellement.
M. le président François Brottes. Précisons que le TURPE représente la rémunération de tous les coûts relatifs aux réseaux et à leur usage – transport et distribution. Il est compris dans le prix de l’électricité acquitté par le consommateur.
M. Frédéric Blanc. Le problème est que cette rémunération devrait permettre au gestionnaire d’investir, ce qui n’est pas le cas : on surrémunère le gestionnaire et l’investissement n’a pas lieu ! ERDF est plongé dans une logique financière du fait de son intégration à 100 % à EDF, producteur coté en bourse agissant dans un secteur concurrentiel et ne partageant pas du tout la logique patrimoniale dans laquelle sa filiale devrait s’inscrire pour intégrer de manière neutre les énergies renouvelables, pour assurer un réseau décentralisé, bref, pour répondre aux enjeux de la transition énergétique.
Il faut sortir ERDF de cette logique financière. Il ne sert à rien de prévoir, comme le fait le texte, d’augmenter le TURPE en validant un mécanisme de surrémunération, pourtant sanctionné par le Conseil d’État en novembre 2012, et en ajoutant une marge aux profits d’ERDF alors que l’investissement n’est déjà pas fait aujourd’hui ! En plus d’être inefficaces, ces dispositions renforcent les distorsions de concurrence sur les marchés annexes où EDF se place, puisque les dividendes remontent à la trésorerie centralisée de la maison mère.
En un mot, une meilleure séparation des deux entités est nécessaire pour assurer un investissement à la hauteur de l’enjeu.
Un problème de libre concurrence se pose également pour le véhicule électrique, auquel le projet de loi réserve un traitement avantageux. Il est notamment prévu de rendre obligatoire le déploiement d’importantes infrastructures à l’horizon 2030 alors même que des incertitudes demeurent sur ces technologies. On ignore encore si le véhicule le plus performant pour le consommateur du point de vue écologique et économique fonctionnera à l’hydrogène, au GNV (gaz naturel véhicule) ou à l’électricité. Trancher la question dans ce projet de loi nous semble aventureux, risque de créer un surcoût à terme et n’assure pas la neutralité technologique nécessaire pour choisir la meilleure technologie au meilleur prix et à l’impact écologique le plus réduit. Si nous voulons éviter de mauvaises surprises par la suite, mieux vaut que la loi reste neutre !
Enfin, le consommateur doit prendre sa part dans la transition énergétique. Pour que celui-ci soit à même de relever ce défi, il faut installer un climat de confiance, le protéger. Or les nouvelles aides vont accroître encore les problèmes liés aux démarchages à domicile pour l’installation de panneaux photovoltaïques, les travaux de rénovation énergétique, etc. Souvent, le consommateur qui a souscrit un crédit affecté à de nouveaux équipements se retrouve avec des installations défectueuses, voire partiellement réalisées seulement, tout en devant continuer à effectuer ses remboursements. Puisque c’est la banque qui accrédite les démarcheurs et que les sociétés d’installation disparaissent aussi vite qu’elles se créent, laissant le consommateur sans recours, nous proposons d’instaurer un mécanisme qui rendrait la banque directement responsable du bon déroulement des travaux et qui lui ferait obligation de vérifier les compétences des professionnels et la régularité de leurs pratiques commerciales.
M. Jean Gaubert, médiateur de l’énergie. Le médiateur de l’énergie, dont la compétence s’étend en premier lieu aux énergies de réseau – électricité et gaz –, n’a évidemment pas vocation à porter un jugement sur la totalité du projet de loi. Il occupe néanmoins un bon poste d’observation.
Je salue, tout d’abord, la création du chèque énergie. Mon prédécesseur et moi-même avons toujours soutenu cette mesure, considérant que les tarifs sociaux existants sont inopérants. Il n’en reste pas moins que le chèque énergie risque, lui aussi, d’être inefficace s’il repose sur les mêmes bases financières. À la fin de 2013, les tarifs sociaux concernaient 1,6 million de foyers et 2,4 millions de contrats, alors que l’on estime à 4 millions le nombre de foyers qui devraient en bénéficier. Le rapprochement des fichiers étant une question très difficile, nous sommes en situation d’échec dans ce domaine.
Par ailleurs, les foyers bénéficient, au titre de ces tarifs, de 94 euros en moyenne quand la contribution au service public de l’électricité (CSPE) leur en retire 150, et l’augmentation des tarifs depuis 2010 représente au bas mot 130 à 140 euros. Bref, on a limité les effets de la hausse mais on n’a aucunement soulagé le budget des ménages. Si l’on veut créer le chèque énergie et l’élargir à tous les consommateurs, il faudra trouver au moins un milliard d’euros. Malgré le « notamment » pudique qui figure dans le projet de loi, il est douteux, vous en conviendrez, que le budget de l’État puisse abonder cette somme. Il faudra trouver d’autres financements, y compris sur les autres énergies : ce qui serait grave, ce serait d’étendre le chèque énergie à toutes sortes d’usages et de n’en faire supporter le coût qu’aux consommateurs d’électricité !
M. le président François Brottes. J’espère que vous nous ferez des propositions sur l’assiette de ce financement.
M. Jean Gaubert. Il faut assurément l’élargir. Comme vous le savez, les personnes utilisant le chauffage électrique sont souvent locataires. Les propriétaires leur ont installé des « grille-pains », moins onéreux. En milieu rural, notamment, ce type d’installation permet aux offices HLM de respecter les prix plafonds. Statistiquement, alors que la CSPE augmente tous les ans, ce sont de plus en plus les personnes les plus pauvres qui la paient.
Alors que l’on estime le coût du chèque énergie à 200 millions d’euros par an, la CSPE représente, elle, 6 milliards, dont 3,8 milliards pour les énergies renouvelables et 2 milliards pour les systèmes électriques insulaires – c’est-à-dire la péréquation appliquée aux îles et aux départements d’outre-mer. Le montant de 3,8 milliards doit être rapporté aux engagements déjà pris au titre des énergies renouvelables et dont l’estimation varie entre 70 milliards – selon la direction générale de l’énergie et du climat – et 110 milliards d’euros. Ces engagements ne sont pas couverts, alors que les contrats sont passés pour des périodes allant jusqu’à vingt-cinq ans. Le système a été mis en place en 2004 et l’on peut prédire son éclatement si l’on continue de faire reposer la CSPE sur une assiette aussi restreinte.
Notons au passage que certains énergéticiens ont bien tiré leur épingle du jeu et supportent des coûts qui n’ont rien à voir avec les montants de la CSPE. Le gaz, par exemple, n’est soumis qu’à une contribution destinée à la méthanisation et à une contribution au tarif social de solidarité qui représente 4 millions d’euros. Même chose pour le fioul, qui alimente un fonds destiné à financer les biocarburants.
Après le rapport que Jean Launay, ici présent, et Michel Diefenbacher consacrèrent en 2010 à la gouvernance de la CSPE, un rapport sur l’avenir de cette contribution semble nécessaire. Je suis évidemment favorable au financement des énergies renouvelables, mais je pense qu’il faudrait mieux ajuster certaines primes. Il y a des situations, vous le savez bien, qui sont très favorables. Jamais les démarcheurs n’utilisent l’argument de la démarche citoyenne pour vendre leurs panneaux photovoltaïques : ce qu’ils mettent en avant, c’est le gain d’argent !
Le deuxième sujet que je souhaite aborder a trait à la fois à ce projet de loi et à un autre texte, également en cours d’examen, habilitant le Gouvernement à transposer par voie d’ordonnance la directive européenne sur la médiation. Cette directive faisant obligation à chaque État de couvrir par la médiation l’ensemble des secteurs de la consommation d’ici à juillet 2015, il vous appartiendra de choisir entre l’élargissement des compétences des médiateurs existants et la création de nouveaux médiateurs. Nous pensons, pour notre part, que nous pourrions couvrir l’ensemble des secteurs énergétiques et traiter des litiges et des « arnaques » liés à la transition énergétique, qui, comme l’a dit M. Frédéric Blanc, sapent la confiance des consommateurs.
Je pense en particulier aux labels qui n’en sont pas, à commencer par le label « EDF Bleu ciel », octroyé sur simple déclaration et moyennant le paiement d’une certaine somme : dans de nombreux cas, l’entreprise disparaît tout simplement après avoir effectué quelques démarchages rapides. Commençons donc par responsabiliser ceux qui attribuent les labels !
Concernant maintenant la gouvernance d’ERDF, comme M. Blanc, j’observe que l’argent que le consommateur verse pour être servi par des réseaux théoriquement en excellent état ne va pas toujours auxdits réseaux. À cet égard, on doit s’interroger sur la différence de statut entre RTE (Réseau de transport d’électricité) et ERDF, pourtant tous deux filiales d’EDF.
Tout d’abord, le président de RTE est nommé en conseil des ministres, celui d’ERDF par le président-directeur général d’EDF. De plus, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) définit avec RTE la trajectoire d’investissement de l’entreprise et contrôle son exécution. Lorsqu’elle estime que RTE a réalisé des marges injustifiées, elle peut décider de les redistribuer. En mai dernier, elle a ainsi ordonné le reversement de 160 millions pour moitié aux consommateurs et pour moitié aux industries électro-intensives. En revanche, si la CRE peut approuver la trajectoire d’investissement d’ERDF, elle n’a aucun pouvoir sur sa réalisation. C’est ainsi que l’entreprise, en faisant des économies sur des investissements pourtant nécessaires, arrive à faire remonter du cash à EDF. Il conviendrait donc, je crois, d’aligner la gouvernance d’ERDF sur celle de RTE.
Nous souhaiterions également que le Parlement intervienne sur le délai de régularisation des factures, qui est aujourd’hui de deux ans alors que la loi oblige les opérateurs à réaliser un relevé complet tous les ans. La situation juridique étant contradictoire, il arrive que des abonnés reçoivent une demande de régularisation portant sur deux ans et n’arrivent pas à payer les montants demandés. Ayant à traiter de tels dossiers, nous répondons qu’il est anormal qu’aucune régularisation n’ait eu lieu au bout d’un an, à moins que le distributeur puisse justifier de l’impossibilité de relever le compteur en raison de l’opposition du consommateur – ce qui est souvent le cas.
Je voudrais aussi indiquer que l’imprécision du statut juridique des colonnes montantes pourrait coûter très cher dans les prochaines années. Installées par le promoteur mais pas toujours entretenues par ERDF, ces colonnes sont souvent dégradées et dangereuses et donnent lieu à des litiges – sachant que, légalement, le réseau s’arrête au disjoncteur du particulier, celui-ci se trouvant toujours après la colonne montante. Un plan à dix ans pour régler le problème serait le bienvenu. Rappelons que GDF se désintéressait du remplacement des canalisations en fonte grise jusqu’à ce que survienne l’explosion de Mulhouse…
Enfin, je crois que la rénovation thermique ne se fera pas seulement par des incitations. Dans les zones où le secteur du logement est sous tension, beaucoup de propriétaires bailleurs n’engageront jamais de tels travaux. Il faudra donc passer à une forme de coercition, par exemple en obligeant le propriétaire à prendre en charge une partie de la consommation du locataire s’il n’a pas réalisé la rénovation thermique dans un certain délai. L’enjeu sociétal est là au moins aussi important que celui de la mise en conformité aux normes de sécurité des ascenseurs, à laquelle les copropriétaires se sont pliés.
M. le président François Brottes. Je constate que les représentants de la confédération CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), que nous avions également conviés à cette table ronde, sont absents et ne nous ont pas transmis d’excuses.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Que pensez-vous, monsieur le médiateur de l’énergie, du régime de complément de rémunération que le titre V propose comme alternative aux tarifs de rachat ? La convergence des prix de marché des énergies renouvelables est-elle, selon vous, une nécessité de court terme ou de moyen terme eu égard au degré de maturité des filières ?
Selon vos observations, les manquements des exploitations de production d’électricité renouvelable à leurs obligations contractuelles sont-ils nombreux, et quelles formes prennent-ils ?
L’idée d’une entrée des collectivités locales dans le capital de ces sociétés et d’un financement participatif par les habitants vous semble-t-elle bonne ? Quels problèmes pourrait-elle poser ?
M. Denis Baupin, rapporteur. Je remercie les participants pour leur franchise de ton.
Ne pensez-vous pas, monsieur le médiateur de l’énergie, que l’essentiel des coûts de la CSPE relatifs aux énergies renouvelables sont dus à quelques bulles qui ont pu se former par le passé ? Ne nous dirigeons-nous pas progressivement vers une situation plus vertueuse ?
S’agissant du chèque énergie – dont le financement est, en effet, une question cruciale –, pensez-vous qu’il soit pertinent de prévoir l’utilisation du dispositif pour aider les ménages à acheter des appareils électroménagers moins énergivores ? Le remplacement d’un vieux réfrigérateur, par exemple, permet de réduire très sensiblement la consommation.
En matière de conseil aux consommateurs et d’accompagnement de ceux qui souhaitent investir dans des travaux, le dispositif que vous préconisez pour les banques, monsieur Blanc, me semble un peu compliqué. À l’échelle territoriale, quelles recommandations formuleriez-vous pour que les services publics apportent une sorte de garantie aux conseils apportés à nos concitoyens ?
La question de l’alignement des statuts d’ERDF sur ceux de RTE mérite largement d’être posée, monsieur le médiateur. À cet égard, estimez-vous souhaitable que les collectivités territoriales, propriétaires d’une bonne partie du réseau, participent à la gouvernance d’ERDF ? Que pensez-vous de l’idée de la création d’un comité qui représenterait les collectivités territoriales au sein de la CRE et qui assurerait le suivi des investissements ?
On sait que le compteur Linky devra délivrer des services obligatoires au consommateur, tandis que d’autres services seront facturés ? Quelle devrait être, selon vous, la liste des services obligatoires ?
M. Jean-Yves Le Déaut. Les intervenants rejoignent certaines conclusions que nous avons formulées dans une étude récente de l’OPECST.
En particulier, l’aide publique doit être proportionnelle à la performance énergétique réelle, qu’il est donc nécessaire de mesurer.
Il faut également favoriser l’efficacité énergétique active en délivrant au consommateur une information en temps réel et instaurer un label pour guider les familles.
Par ailleurs, notre rapport s’interroge sur les possibilités de financement de cet énorme marché dans les quinze prochaines années.
Ne pensez-vous pas que l’on devrait instaurer une obligation de gérer les intermittences d’occupation et la variabilité des usages ?
Il est question, à l’article 4, de bâtiments à énergie positive. En la matière, doit-on créer un label en s’inspirant de ceux qui existent déjà dans d’autres pays ?
Par ailleurs, la réglementation thermique 2012 ne se fonde que sur l’énergie primaire. Ne conviendrait-il pas de fixer aussi un plafond d’émissions de CO2 et une part minimale d’énergies renouvelables ? Les aides doivent-elles être conditionnées à un plan global de rénovation ? Dans ce cas, il serait sans doute pertinent de constituer un réseau de conseillers en rénovation, comme l’Allemagne l’a fait en s’appuyant sur les architectes, les cabinets d’expertise et d’ingénierie et les artisans.
En matière de financement, ne pourrait-on avancer les frais de la rénovation en prévoyant le remboursement du principal à l’occasion de toute mutation juridique du bien ? Tout le monde y gagnerait : le locataire, dont la facture énergétique baisserait, et le propriétaire, dont la valeur du bien augmenterait.
Enfin, comme M. Blanc l’a suggéré, ne conviendrait-il pas d’introduire obligatoirement une allégation de performance dans le contrat de prestation d’efficacité énergétique ?
M. André Chassaigne. Que pensez-vous du dispositif instaurant un fournisseur de dernier recours, qui résoudrait la question grave des personnes qui n’ont pas ou plus d’accès à l’énergie ? Il devrait être inscrit dans la loi que le droit à l’énergie doit être garanti par un service public.
On a souvent affirmé, lors des lois Grenelle, que le financement des travaux d’isolation des bâtiments serait assuré par les économies d’énergie subséquentes – en sept ans, disait-on même, ces économies couvriront le coût. Depuis, a-t-on réalisé des études à ce sujet ? Des précisions seraient utiles, car de très nombreux logements sont encore de véritables « passoires ».
S’agissant du chèque énergie, j’aimerais savoir, monsieur Marmier, si l’on dispose d’évaluations sur le coût moyen de la facture énergétique en milieu rural. La moyenne nationale, quant à elle, s’élève à 3 200 euros par ménage, dont 1 800 euros pour le logement et 1 400 euros pour les transports. Ces coûts pèsent lourdement sur la vie quotidienne des gens !
M. Daniel Fasquelle. Les travaux de la future commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité s’articuleront avec les discussions sur le présent texte. La question est de déterminer la réalité des coûts et de savoir qui les supporte.
Ce n’est pas en instaurant une tarification artificielle, déconnectée des réalités ou qui ne prendrait en compte qu’une partie des coûts, comme l’a suggéré Mme Ségolène Royal, que l’on va régler la question de la précarité énergétique et de l’accès des Français à l’énergie. Pour ma part, je suis partisan de la vérité des coûts, ce qui n’empêche nullement que l’on mette en place parallèlement un système qui permette de lutter véritablement contre les difficultés des ménages.
Le dispositif proposé ici est peu compréhensible. On fait appel un peu au consommateur, un peu au contribuable, tout en donnant l’illusion aux Français qu’in fine c’est le Gouvernement ou le Président de la République qui fixe le prix de l’électricité et du gaz. Rappelons tout de même qu’il s’agit de produits vendus sur un marché. Leur prix ne peut être fixé de façon déconnectée des réalités !
M. le président François Brottes. Vous faites là la critique d’un système que vous avez vous-même cautionné.
M. Daniel Fasquelle. Et que la majorité actuelle a repris, subissant, elle aussi, les annulations du Conseil d’État.
M. le président François Brottes. C’est exact.
M. Daniel Fasquelle. Vous auriez pu tenir compte de notre expérience pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Errare humanum est, perseverare diabolicum !
Quoi qu’il en soit, la réflexion sur les tarifs sociaux ou les aides directes que l’on peut accorder aux ménages pour alléger leur facture doit être liée à celle sur l’isolation thermique et sur la baisse de la consommation d’énergie. Comme vous, je constate sur le terrain que les personnes les plus exposées à la précarité énergétique – souvent des familles avec enfants qui vivent dans des locaux très mal isolés – sont celles qui ont le moins de moyens et celles qui ont le plus de mal à avoir accès aux aides. À l’inverse, ce sont ceux qui en ont le moins besoin qui accèdent le plus facilement aux dispositifs. Je crains que le projet de loi n’accentue cette tendance, puisqu’il faudra avoir la capacité d’investir un minimum d’argent pour pouvoir bénéficier des aides.
Bref, je crois qu’il faut accepter la réalité des prix et faire jouer la concurrence tout en installant un système efficace d’aide aux Français qui en ont le plus besoin.
Il faut également faire un effort en matière de formation, les professionnels étant souvent insuffisamment formés.
Nous devons, par ailleurs, veiller à l’articulation entre l’action nationale et l’action locale. La région Nord-Pas-de-Calais, par exemple, fait de l’entrée dans la troisième révolution industrielle une priorité et met en place des politiques en ce sens. Il faudra que les politiques nationales s’harmonisent avec ces initiatives régionales.
Enfin, vos remarques sur le compteur Linky ouvrent la question de la mise en place des réseaux intelligents, de l’amélioration de leur pilotage et de l’accès de tous à ce pilotage.
M. le président François Brottes. La réhabilitation thermique des bâtiments répond à trois objectifs. Le premier, qui est un objectif général d’économie d’énergie qui profitera à la nation et à la planète, concerne les riches comme les pauvres, sans discrimination aucune. Du reste, ceux qui gaspillent ne sont pas forcément les pauvres. Le deuxième objectif vise à relancer la réhabilitation dans le bâtiment, car elle bénéficiera à des métiers de proximité non délocalisables. Le troisième est de chercher à sortir de la précarité ceux qui y sont plongés. Ces objectifs ne s’opposent pas forcément les uns aux autres.
J’ai vécu l’examen notamment de la loi NOME et de plusieurs Grenelle de l’environnement : plus la loi fige les dispositifs – c’est un travers de toutes les majorités –, moins elle est réactive aux décisions de justice. C’est la raison pour laquelle la prochaine loi devra se contenter de fixer un cadre, afin de permettre au pouvoir réglementaire de s’adapter à d’éventuelles décisions de justice.
M. Jean Launay. Les trois interventions ont eu pour points communs le chèque énergie, la CSPE et le statut d’ERDF. Ces convergences pourront utilement nous guider dans la rédaction d’amendements visant à améliorer le texte qui nous est proposé.
M. le médiateur a bien voulu rappeler que Michel Diefenbacher et moi-même avons rendu, en septembre 2010, un rapport sur la CSPE pour la commission des finances : il portait sur les effets du dispositif sur les comptes d’EDF – c’était l’époque de la bulle photovoltaïque – ainsi que sur le calibrage des aides fiscales en faveur du développement durable. Assurer le respect des engagements européens de la France est un objectif qui fait bien partie intégrante du texte relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
En 2012, la Cour des comptes a qualifié la CSPE d’impôt déguisé : en prévoyant la création d’un comité de gestion, le projet de loi apporte une réponse insuffisante, car elle vise plus la forme que le fond. Or, le fond du problème, c’est que la CSPE est un impôt injuste…
M. le président François Brottes. Ce n’est pas un impôt.
M. Jean Launay. C’est une imposition de toute nature, dont l’acceptation sociale est fragile. Le représentant de Familles rurales ne me contredira pas : en cas de hausse du prix de l’électricité, les familles qui se chauffent avec ce qui a été qualifié de « grille-pain » ont plutôt tendance à restreindre le chauffage, avec toutes les conséquences que ces restrictions ont en termes de santé et de salubrité des logements.
Pour apporter une réponse sociale efficace, il faut traiter la question posée par la CSPE en termes économiques, c’est-à-dire, comme le médiateur l’a suggéré, élargir son assiette à toutes les énergies de chauffage, ce qui permettra d’accroître, pour le consommateur, à la fois la lisibilité de cette taxe et celle de l’action publique.
M. Pascal Deguilhem. Monsieur Marnier, les départements ruraux connaissent un très fort pourcentage de propriétaires occupants impécunieux. Dans ce contexte, le crédit d’impôt ne peut pas répondre à la question de la réhabilitation et de la mise aux normes énergétiques. Dans mon département, plus de 72 % des propriétaires sont occupants, et une grande partie d’entre eux sont en très grande précarité – il s’agit notamment de ménages ou de personnes âgées aux faibles revenus. En dehors des caisses de retraite, quels organismes pourraient abonder les dispositifs ?
Par ailleurs, le projet de loi nous offre l’occasion de résoudre les problèmes, notamment de légalité, soulevés par le démarchage en matière de panneaux photovoltaïques, de pompes à chaleur ou de portes et fenêtres. Je m’adresse plus précisément à M. le médiateur et au représentant de l’UFC-Que Choisir ? : quels dispositifs inscrire dans le texte pour remédier à cette situation intolérable ?
M. Charles de Courson. Ne conviendrait-il pas de rendre étanche ERDF en lui donnant un statut autonome, détaché des producteurs et des distributeurs d’électricité, et en inscrivant dans la loi que ses bénéfices ne pourront être distribués en dehors de l’entreprise ? Actuellement, en raison de la politique conduite par un État prédateur, les prélèvements sur les bénéfices entraînent une augmentation des tarifs de l’électricité. Les bénéfices devraient, au contraire, être réinvestis ou entraîner une baisse de la partie du tarif attachée à ERDF. De plus, son dirigeant, comme c’est le cas des autres dirigeants d’EDF, devrait être nommé en conseil des ministres, ce qui permettrait d’assurer l’indépendance d’ERDF et d’éviter les détournements des tarifs fixés.
Par ailleurs, il se dit que si les objectifs fixés en termes d’énergies renouvelables (EnR) sont atteints, la CSPE représentera bientôt quelque 10 % de la facture totale d’électricité. A-t-on les chiffres exacts de l’évolution de la part EnR de la CSPE – la part des autres sujétions financées par la taxe devant rester à peu près stable ? Cette évolution sera-t-elle supportable ou ne conviendrait-il pas de mettre à contribution les autres énergies ? Pourquoi, en effet, une partie du financement des EnR n’est-il pas supporté par les énergies carbonées – le gaz, pour ne pas le nommer ? On peut d’autant moins continuer de faire supporter à la CSPE 100 % du surcoût engendré par les EnR, que celles-ci ne sont pas destinées à se substituer uniquement à l’électricité mais à toutes les énergies non renouvelables.
M. le président François Brottes. L’élargissement de l’assiette de la CSPE répond aux vœux de tous ceux qui se sont exprimés sur le sujet.
M. Christophe Bouillon. Quelle part représente, dans le budget des ménages, la dépense énergétique et quelle est son évolution sur les dernières années ?
Les associations que vous représentez conseillent et accompagnent souvent les familles, notamment en matière de surendettement. Quelles actions menez-vous auprès d’elles pour modifier leurs comportements en matière de consommation d’énergie ? Des bailleurs se plaignent parfois de la difficulté qu’ils rencontrent à faire respecter des niveaux raisonnables de température.
La précarité énergétique n’a pas uniquement pour cause la faiblesse des revenus : elle peut relever des bâtiments eux-mêmes. En zone périurbaine ou rurale, il n’est pas rare que des personnes isolées, parfois âgées, vivent dans une maison qui est une véritable passoire énergétique. Ne relevant pas toujours des minima sociaux, ces personnes rencontrent des difficultés pour bénéficier d’une aide financière leur permettant d’isoler dans sa globalité leur logement. Comment résoudre ce problème, alors que nous venons d’adopter la loi sur le vieillissement, qui vise à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées ?
Enfin, des régions ont déjà mis en place le chèque énergie : avez-vous des retours d’expérience ?
Mme Sylviane Alaux. Vous avez évoqué les arnaques aux économies d’énergie dont les consommateurs sont trop souvent victimes. Il ne saurait en être autrement puisque, pour la majorité d’entre eux, la transition énergétique, c’est de l’hébreu ! Il faudrait trouver, ensemble, le moyen à la fois de vulgariser ce concept et d’éduquer les consommateurs aux économies d’énergie.
Alors que des régions ont déjà mené une politique de formation des professionnels concernés, il reste, je le répète, à expliquer aux consommateurs la finalité des efforts à consentir pour réussir la transition énergétique.
Quel est, selon vous, le meilleur moyen de leur faire toucher du doigt les exigences en la matière ?
M. Michel Lesage. La précarité énergétique résulte de plusieurs facteurs : faiblesse des revenus, mauvaise qualité thermique des logements, coût de l’énergie.
La question du droit d’accès à l’énergie pour tous rejoint, dans le cadre du droit au logement pour tous, celle du droit d’accès à l’eau pour tous, sur laquelle je travaille dans le cadre d’une proposition de loi qui vise à créer une allocation de solidarité eau. Celle-ci tiendrait compte, non seulement des revenus et de la composition de la famille, mais également des modalités de financement. M. le médiateur de l’énergie a appelé notre attention sur le fait que ce sont les autres usagers qui financent les actions de solidarité : quelles modalités de financement permettraient de faire appel à la solidarité nationale ?
Quant au chèque énergie, ne pourrait-il pas aider à financer l’acquisition de matériels peu consommateurs d’énergie ?
Par ailleurs, comment repérer et accompagner les populations en situation de précarité énergétique ? Les collectivités locales, qui sont au cœur des problématiques énergétiques, doivent être impliquées dans ce repérage et les actions de sensibilisation aux économies – modification des comportements, réalisation de travaux.
De plus, comment intégrer la performance énergétique dans les critères de décence que doit remplir tout logement destiné à la location ?
Enfin, ne conviendrait-il pas d’inscrire dans la loi un fournisseur d’électricité de dernier recours ?
Mme Anne-Yvonne Le Dain. En dehors des îles, la relation aux territoires en matière énergétique est la même quelles que soient les régions, alors que la France est un des rares pays au monde à connaître une très grande variété climatique. Ne serait-il pas souhaitable d’adapter la loi aux conditions climatiques et de le faire en liaison avec les collectivités territoriales ? Le climat continental de la Lorraine n’est ni le climat méditerranéen de Montpellier, ni le climat océanique de la Bretagne, ni le climat tempéré de la région parisienne. Les factures d’énergie de nos concitoyens sont donc différentes en fonction de la région où ils résident. Ne serait-il pas possible, en relation avec les collectivités territoriales, de faire de la différenciation climatique une opportunité à saisir à la fois pour les consommateurs, les opérateurs, voire les constructeurs ?
M. le président François Brottes. Vous me rappelez avec émotion l’instauration du bonus-malus énergétique, que le Conseil constitutionnel a censuré. Il prenait en compte notamment la composition de la famille et la zone géographique, l’idée étant d’instaurer un droit théorique à énergie différent en fonction de ces deux critères objectifs. J’ai essuyé des critiques, y compris de la part du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui m’accusait de vouloir mettre fin à l’égalité de traitement en matière de tarifs, alors que l’égalité d’accès, comme l’égalité des chances, implique, au contraire, de prendre en considération les différences objectives, et ce en accord avec le texte même de la Constitution.
Du reste, si le Conseil constitutionnel a censuré la mesure, ce n’est pas sur le fond, mais au nom de l’égalité de traitement entre les différents types de consommateurs : en effet, la mesure s’appliquait aux particuliers et non aux entreprises. Il est donc tout à fait possible de travailler de nouveau la question.
M. Stéphane Travert. Il est vrai, monsieur Marmier, que le monde rural est touché par la précarité énergétique.
Vous avez évoqué la création de labels de qualité à destination des professionnels, ce qui permettrait aux usagers de faire les bons choix, s’agissant notamment de l’entreprise. Or ces labels existent déjà : je citerai Qualibois ou Qualibat. Plutôt que d’inventer d’autres dispositifs, ne serait-il pas préférable d’améliorer les critères d’attribution de ces labels ?
Je vous renvoie, enfin, au chèque éco-énergie qui a été mis en place par la région Basse-Normandie en 2010. Son succès auprès de nos concitoyens a été tel que nous avons renouvelé le dispositif cette année, et que nous le ferons sans doute pour les prochaines années.
M. le président François Brottes. Familles rurales a évoqué la tarification incitative en matière de déchets, qui pénalise les familles nombreuses. Cette question rejoint celle de la responsabilisation. Lorsqu’une collectivité met en place une tarification incitative au poids ou au volume, ceux qui y contribuent le plus sont évidemment ceux qui produisent le plus de déchets. Comment conjuguer la responsabilisation et la volonté de ne pas pénaliser les familles nombreuses ? Les collectivités territoriales sont confrontées à ce problème, d’autant que l’eau ou les déchets sont des budgets propres qui ne peuvent pas être pris en compte dans le cadre du quotient familial.
UFC-Que Choisir a soulevé la question des nouveaux compteurs, notamment leur caractère intrusif, qui pose un problème d’ordre éthique, puisqu’ils permettent de savoir, par exemple, quand les occupants d’un logement sont chez eux. Ces compteurs ont un autre côté agaçant : ils servent surtout les intérêts du gestionnaire des réseaux et assez peu ceux des consommateurs. Le Gouvernement, après en avoir discuté avec ERDF et la CRE, a certes amélioré le texte mais les avancées sont encore insuffisantes. Le compteur devrait afficher la consommation non pas en kilowattheure mais en euros, une information plus parlante pour le consommateur. On nous rétorque qu’une telle exigence impliquerait de revoir les appels d’offre. C’est un prétexte. Les compteurs Linky offrent la possibilité d’une interface avec les consommateurs, qui doit être de droit et non payante. Elle devrait être obligatoire au moins pour ceux qui bénéficient du chèque énergie ou du tarif social de l’électricité, afin de les aider à mieux consommer. Il est important d’entendre les consommateurs sur le sujet. En effet, soit on est favorable à Linky parce qu’on est convaincu qu’il s’agit d’un outil utile, et on règle les problèmes éthiques avec la CNIL ; soit on fait de l’accès aux données une question prioritaire et on ne parle plus de Linky.
Il en est de même de l’obligation, pourtant inscrite dans la loi, d’installer des compteurs individuels dans les copropriétés. Or ils sont loin d’être installés partout, alors que la technologie, y compris pour le chauffage collectif, le permet pour un coût modeste. Quel est votre avis ? Il convient, à mes yeux, d’aller plus loin en la matière que le projet de loi. C’est en permettant aux consommateurs de mieux comprendre leur comportement qu’on les incitera à le modifier.
Je tiens également à évoquer, dans le cadre du texte, l’autoconsommation, qui est la capacité de produire, pour la consommer, sa propre énergie grâce à l’installation, chez soi, notamment d’une éolienne ou de panneaux photovoltaïques. La part autoconsommée, si elle devient massive, devra-t-elle faire l’objet d’une contribution au TURPE ? En effet, les autoconsommateurs auront toujours besoin du réseau en complément. Serait-il normal qu’ils ne paient qu’une faible contribution au réseau alors que celui-ci est le même pour tous ? La question se pose également pour la contribution aux réseaux d’acheminement d’eau pour les propriétaires de résidences secondaires : comme le réseau est amorti par la consommation, ce sont ceux qui consomment le plus qui paient la plus grande part de l’amortissement du réseau.
Le problème demeurera marginal tant que l’autoconsommation sera, elle aussi, marginale, mais pour le cas où elle se développerait, il faut d’ores et déjà veiller à ne pas trop resserrer l’assiette de ceux qui paient les frais fixes de gestion des réseaux, pour éviter que la facture ne finisse par devenir insupportable – c’est déjà tout le problème de la CSPE !
Je soutiens, par ailleurs, l’idée de rendre possible le financement à 100 % de la réhabilitation thermique des logements par un tiers investisseur, qui récupérerait la mise de capital et les frais financiers, avec l’accord du propriétaire, lors de la mutation du bien – sa vente ou sa transmission. Un tel dispositif n’entraînerait aucune spoliation puisque le bien aura été valorisé par les travaux et que l’occupant aura joui, sans avoir avancé l’argent, du confort engendré par la réhabilitation thermique – le dispositif pourrait également couvrir des travaux en matière d’accessibilité. Je me refuse à employer le mot « viager », qui a une très mauvaise connotation. Je travaille très sérieusement à faire aboutir ce projet, qui pourrait permettre à des propriétaires pauvres de réaliser des travaux qu’ils n’ont pas les moyens de financer, que ce soit en complétant les subventions auxquelles ils peuvent prétendre ou en signant un prêt. Quel est votre avis sur le sujet ?
Je suis de ceux qui pensent que la gouvernance d’ERDF doit être partagée avec les collectivités territoriales qui sont propriétaires des réseaux. La situation actuelle donne lieu à des négociations entre ERDF et les collectivités qui font perdre un temps précieux – le compteur Linky est un bon exemple –, d’autant que la maison mère ne joue pas toujours le jeu en matière d’investissement. Qui plus est, le démantèlement des réseaux risque de susciter des débats, avec le risque de fin de péréquation. Pour sauvegarder durablement le système, il faut impliquer les collectivités territoriales dans la gouvernance d’ERDF, en créant un organisme au sein duquel elles auraient le droit non seulement de s’exprimer mais également de voter. L’idée commence à faire son chemin : il est temps de la mettre en œuvre.
Enfin, la loi portant sur la transition vers un système énergétique sobre, dite loi Brottes, a instauré la trêve hivernale. D’aucuns s’étaient alors inquiétés des abus que cette mesure pouvait engendrer. Monsieur le médiateur, les statistiques dont vous disposez sur la première année de mise en application de la mesure confirment-elles de possibles effets d’aubaine pour les consommateurs ?
M. Jean Gaubert. Madame Battistel, la CSPE est, comme un partenariat public-privé, un crédit dont on connaîtrait exactement à l’avance la facture. On peut toujours espérer qu’elle baisse, si les installations produisent moins que ce qui a été prévu. Il n’en reste pas moins que la dépense sera lourde. Pour le Fonds chaleur, un autre système a été mis en place : la subvention d’État. La CSPE, elle, est un chèque – encore un – tiré sur l’avenir.
Contrairement, bien sûr, aux opérateurs concernés, je suis favorable à l’élargissement de l’assiette de la CSPE. L’objectif n’est-il pas de ne plus avoir à recourir aux énergies carbonées ? Dans ces conditions, pourquoi la principale énergie carbonée n’abonde-t-elle pas le fonds qui finance l’alternative ? Les taxes supportées par le gaz, qui remplissent des fonctions analogues à celles de la CSPE, sont bien moins élevées ! Il serait plus logique de créer un fonds général destiné à financer l’ensemble des actions menées en matière de transition énergétique. Bravo à MM. Mestrallet et de Margerie, qui ont défendu l’idée qu’il appartient à chaque type d’énergie de payer son énergie renouvelable. Le gaz participe à hauteur de 4 millions d’euros quand l’électricité débourse 3,8 milliards ! Quant au pétrole, il n’est concerné que par les biocarburants. Tous ceux qui appellent à une refondation de la CSPE ont raison. Cela permettra d’aider à passer une période qui s’annonce très difficile.
Il convient également de se poser la question de la nature des projets financés par la CSPE. J’ai assisté au mois de juin, à Paris, à un colloque de l’Union française de l’électricité (UFE), qui portait notamment sur l’éolien offshore. Tous les opérateurs sont convenus qu’il est illusoire d’espérer en diminuer le prix de revient, qui devrait continuer de tourner autour de 200 euros le mégawatt, en raison de la situation des fonds marins français, qui n’a rien à voir avec celle de fonds de la Mer du Nord, qui ont été pris, à tort, pour modèle. Au nord de l’Allemagne et à l’ouest du Danemark, les fonds marins sont réguliers et font moins de quarante mètres de profondeur – ils sont le plus souvent à quinze mètres. Il n’en est pas de même de la baie de Saint-Brieuc. Comme il a fallu prévoir l’installation des éoliennes suffisamment loin pour qu’on ne puisse pas les voir des côtes, on a rapidement rencontré des fonds atteignant soixante-dix mètres. Le choix s’est arrêté sur des fonds de quarante mètres, ce qui augmente le coût de l’installation.
La baie de Saint-Brieuc est, de plus, caractérisée par de forts mouvements de vase – de l’ordre d’un mètre – à chaque marée, dont les supports devront subir la pression pendant six heures, quatre fois par jour, dans les deux sens. Inquiet, l’attributaire de l’appel d’offre a proposé de ne pas recourir à des jackets, c’est-à-dire des trépieds, mais à des embases en béton de trente-cinq mètres de diamètre, ce que les marins pêcheurs ont refusé. Le projet aboutira-t-il ? Rien n’est moins sûr, d’autant que l’importance du marnage nécessitera, pour poser les câbles le plus en profondeur possible, de s’attaquer à la roche. La maturité en matière d’éoliennes offshore se fera donc attendre puisqu’il y aura autant de prototypes que de nouveaux projets. L’éolien flottant est sans doute une technologie plus facile à maîtriser : qu’adviendra-t-il, toutefois, en cas de creux de dix mètres ?
On ne peut pas éluder la question des coûts. Prétendre qu’il ne faut pas regarder à la dépense lorsqu’il s’agit de développer les énergies renouvelables n’est plus acceptable, car cela a conduit à surpayer des installations. Une éolienne rapporte 150 000 euros net par an, de quoi vivre aisément sans travailler si vous convainquez une banque de subventionner votre investissement. Les consommateurs qui sont à l’autre bout de la chaîne comptent, eux !
Comment, par ailleurs, parler de convergence avec le marché alors que celui évolue quotidiennement ? Le prix de l’électricité était « baissier » jusqu’à la décision prise par les Belges d’arrêter trois centrales nucléaires ; maintenant, il est « haussier ». Une énergie qui subit de manière permanente le contrecoup de décisions répondant à d’autres nécessités que des enjeux économiques ne peut obéir à la seule loi du marché. En réalité, le prix de vente de l’électricité ne dépend pas du prix de revient mais de la loi de l’offre et de la demande.
M. le président François Brottes. D’autant que notre réseau est connecté au réseau européen.
M. Jean Gaubert. Lorsque j’étais député, j’affirmais déjà que la loi du marché n’a pas de sens dès lors que très peu d’opérateurs ayant tous les mêmes intérêts peuvent facilement manipuler ce marché. Croyez-moi, si j’avais été le seul producteur de cochon en France, je me serais arrangé pour organiser une pénurie et le vendre très cher ! Ce qui m’incite à dire que le monopole privé est peut-être pire que le monopole public.
Le respect des obligations en matière d’énergies renouvelables pose le problème de la sécurisation des relations commerciales entre les consommateurs et les entreprises : c’est pourquoi je suis favorable à une véritable labellisation qui implique des contrôles. Faute de quoi, des personnes peu scrupuleuses continueront d’utiliser l’image favorable d’une grande entreprise pour arnaquer les consommateurs.
Je suis également favorable à la participation des habitants à la gouvernance d’ERDF : je vous rappelle toutefois qu’en tant qu’élus, vous êtes les représentants des habitants. C’est pourquoi je reste dubitatif sur la création de comités Théodule, qui risquent de justifier l’abstention aux élections puisque les décisions seront prises dans le cadre de ces comités.
Oui, monsieur Baupin, il faut encore remettre de l’ordre dans la CSPE, s’agissant notamment des coûts, qui doivent être resserrés au profit de tous.
S’agissant des chèques énergie, je suis favorable à ce qu’ils puissent servir à compléter le plan de financement d’une opération. Attention toutefois à ne pas provoquer une hausse des prix des appareils électroménagers s’il devient possible d’en acheter avec le chèque énergie. On a, en effet, observé que, généralement, les crédits d’impôts renchérissent les produits qui en bénéficient : la solvabilisation d’un plus grand nombre de consommateurs sur un marché qui ne s’y est pas préparé est une véritable aubaine ! De plus, le crédit d’impôt coûte cher aux finances publiques.
J’ai entendu les propositions concernant la gouvernance d’ERDF : a minima, elle doit être calquée sur celle de RTE. À titre personnel, je pense que la France est désormais mûre pour créer deux sociétés de réseaux complètement indépendantes de la maison mère. Il s’agirait de sociétés publiques avec une participation des collectivités locales qui pourraient se substituer aux 15 % d’actionnariat privé actuels. Il n’est pas souhaitable, en revanche, que les collectivités territoriales deviennent majoritaires. L’État doit garder une responsabilité forte pour garantir le fonctionnement du réseau et la cohérence du système, voire pour lui donner de nouvelles orientations en cas de besoin.
Comme l’a souligné le président Brottes, aujourd’hui, Linky rend d’abord service à l’opérateur, qui connaîtra désormais en temps réel la consommation de ses clients et ne sera plus obligé de dépêcher des agents pour relever leurs compteurs : c’est d’ailleurs une partie des économies ainsi réalisées qui financent Linky. Quid, en revanche, du service aux consommateurs ? Certes, il leur sera proposé d’acheter des boîtiers déportés, mais seules les classes moyennes seront tentées de le faire et non les ménages en situation de précarité, alors que ce sont eux qui en auraient le plus besoin. Le gouvernement britannique ne s’est pas posé autant de questions : il a imposé aux opérateurs, et donc également à la filiale britannique d’EDF – EDF Energy plc –, d’installer dans les logements des boîtiers qui affichent la consommation instantanée en kilowattheures et en livres. C’est la seule façon d’inciter les consommateurs, qui voient leur argent filer en temps réel, à réaliser des économies d’énergie. Si le Parlement impose une telle mesure, je l’applaudirai !
M. le président François Brottes. Vous avez raison : en matière d’économies d’énergie, la pédagogie repose sur le temps réel.
M. Jean Gaubert. Monsieur Le Déaut, c’est vrai, l’utilisation intermittente des réseaux soulève un débat de nature civique. Les Français sont habitués à ce que les opérateurs fournissent l’électricité autant qu’ils en ont besoin et au moment où ils le souhaitent. Sont-ils prêts à s’adapter à des systèmes qui les conduiraient à gérer partiellement leur vie en fonction de la disponibilité du courant ? Je l’ignore. Une expérience de ce type se déroule en Bretagne. Si elle donne des résultats, il faut savoir que seuls quelques milliers de volontaires y participent sur 1,5 à 2 millions d’abonnés. Le débat mérite d’être lancé. Il a existé, par le passé, des incitations : heures creuses, heures pleines, pointe mobile, etc. Elles sont en voie de disparition. En revanche, les discours incitant les occupants à ne chauffer leur logement qu’en leur présence étaient contre-productifs puisqu’ils ne faisaient qu’élever encore les pointes de consommation, le matin et le soir.
S’agissant de l’éducation aux économies d’énergie, je rappelle qu’il existe déjà des agences locales de l’énergie dont le rôle est de conseiller les consommateurs. Il est vrai toutefois que, comme je l’ai dit à M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME, trop souvent, ces agences attendent de manière statique la venue du consommateur qui se sent concerné et qui n’est pas nécessairement celui qui a le plus de besoins en la matière. C’est pourquoi
– c’est le président du syndicat départemental d’énergie qui parle – les Côtes-d’Armor ont décidé l’achat d’un camion d’exposition qui se positionnera à l’entrée des marchés et des foires pour aller au-devant des consommateurs.
M. le président François Brottes. Lorsque, sous la législature précédente, la télévision est passée de l’analogique au numérique, le porte-à-porte et une forte présence sur les marchés ont assuré en quelques semaines la réussite de l’opération. Le déploiement de moyens de proximité et une communication reposant sur un schéma simple permettent de soulever des montagnes. Les opérateurs n’ont donc pas à arguer de l’ampleur de la tâche à réaliser pour refuser d’aller au-devant des consommateurs en matière de transition énergétique.
M. Jean Gaubert. Aller à la rencontre des consommateurs sur les marchés ou dans les foires est d’autant plus utile que la désinformation y a libre cours, notamment en matière de pompes à chaleur, qui doivent être absolument installées par un artisan qualifié, faute de quoi l’acheteur risque d’avoir de mauvaises surprises.
Monsieur Chassaigne, aux termes de la loi, un fournisseur ne peut pas refuser un contrat, mais, généralement, il ne montre aucune hâte quand un client potentiel a vu son contrat annulé par un autre fournisseur. C’est pourquoi nous devons poser la question du fournisseur de dernier recours. Et lorsqu’il n’y a pas de concurrence entre entreprises locales de distribution (ELD), il faut éviter de couper complètement le courant électrique à un particulier. En revanche, on peut réduire la puissance dont il disposera.
Sachant qu’en matière d’isolation, le retour sur investissement n’est jamais assuré, je suis favorable, comme vous, monsieur le président, à un système de portage, dont on peut éventuellement allonger la durée.
Monsieur Fasquelle, si l’on peut mesurer la réalité des coûts, celle des prix est plus fluctuante, puisqu’elle est soumise à la spéculation. À cet égard, bien que le médiateur de l’énergie n’ait pas à commenter la politique du Gouvernement, j’approuve la décision de la ministre. Le signal prix est l’invention la plus injuste qu’on ait trouvée en matière d’énergie. Un de mes amis ne renoncera pas à chauffer sa piscine à l’électricité, même si les tarifs augmentent, alors que beaucoup de gens ont cessé de se chauffer bien avant la hausse du prix de l’énergie. Les bailleurs sociaux ou les agents immobiliers vous le confirmeront : ils voient beaucoup d’appartements dans lesquels le chauffage n’a pas servi depuis longtemps, ce qui est désastreux pour la santé des familles comme pour l’état du logement.
Lors de la création de la CSPE, en 2005, la majorité a subi des pressions qui n’auraient sans doute pas épargné la majorité actuelle. Ma position à ce sujet rejoint celle de Jean Launay.
J’ai évoqué le problème du démarchage, également soulevé par Pascal Deguilhem. Permettez-moi, à l’appui de notre souhait de voir nos compétences élargies, de vous inviter à débroussailler la jungle des garanties : certaines des entreprises qui installent du matériel permettant des économies d’énergie ou qui posent des installations photovoltaïques, bien qu’elles interviennent sur une toiture, ne possèdent pas de garantie décennale, ce qui ne laisse aucun recours aux consommateurs si l’entreprise vient à disparaître. C’est un point que le texte devra préciser.
M. le président François Brottes. La situation est moins grave quand il n’y a pas d’intégration au bâti.
M. Jean Gaubert. Pour autant, il y a souvent des dégâts sur le bâti. En cas d’intégration au bâti, la garantie décennale joue forcément, et la justice condamnerait, en cas de procès, l’entreprise qui ne l’aurait pas souscrite. Mais, je le répète, le problème est insoluble dans le cas où l’entreprise disparaît. Ce sera un point à considérer au regard des labels.
La dépense énergétique varie considérablement d’une famille l’autre, d’une région à l’autre. En outre, la consommation d’électricité confond tous les usages, dans lesquels la part du chauffage a tendance à diminuer. La consommation globale augmente sous l’effet de la domotique. Les plaques à induction, par exemple, sont énergivores. En outre, on ne les utilise qu’en période de pointe. Le problème est que, chaque fois qu’on cherche à colmater une brèche, on en ouvre une autre.
Je ne connaissais pas l’existence du chèque énergie régional, mais je me réjouis d’une telle initiative.
M. Travert a cité de bons labels, qui, cependant, ne portent pas sur tous les aspects de l’énergie renouvelable.
Les mesures favorisant l’autoconsommation peuvent séduire, mais je crains qu’à force d’exonérer certaines personnes pour les inciter à investir, on ne rende la facture des autres insupportable. En tant que gestionnaire d’un service de distribution d’eau, je me suis battu contre la baisse des abonnements, dont l’effet est bien connu : les résidents autochtones paient les investissements qu’impose la construction des résidences secondaires.
M. Denis Baupin, rapporteur. Certes, mais à la différence des résidents secondaires, l’autoconsommateur a mis la main à la poche !
M. Jean Gaubert. Raisonnons par analogie. J’avais fait installer chez moi un forage d’eau, dont je me servais constamment ; pourtant, lorsqu’il tombait en panne, j’étais bien content de pouvoir utiliser le réseau. Si je n’avais pas payé l’abonnement, qui aurait financé l’installation des six cents mètres de canalisation nécessaires à mon raccordement, sinon les habitants des immeubles collectifs situés dans le bourg voisin ? C’est l’abonnement, et non la consommation, qui doit supporter l’investissement, sachant que l’exonération de chaque foyer fait mécaniquement augmenter la part des autres.
Enfin, nous avons reçu les chiffres concernant la trêve hivernale. On a procédé l’an dernier à 194 007 interruptions de fourniture. En outre, sur 88 000 résiliations de contrat, 73 000 ont été précédées d’une interruption, et l’on a procédé à 159 000 réductions de puissance. On a donc effectué en tout 360 000 opérations entre le 1er novembre et la fin du printemps, alors que, durant les années précédentes, le total annuel atteignait 580 000. On peut donc considérer qu’il n’y a eu ni dérapage ni effet d’aubaine. L’augmentation du nombre d’impayés est vraisemblablement due à l’augmentation de la précarité plus qu’à la mauvaise volonté des abonnés. Vous retrouverez ces informations, ainsi que d’autres, sur le site de la médiation.
(M. Jean Gaubert quitte la réunion.)
M. Dominique Marmier. Il faut que les économies d’énergie concernent de manière égale toute la population. Or, en matière de consommation, d’approvisionnement et de prix, les ruraux ont moins de choix que les citadins. Faute d’être raccordés au gaz de ville, ils ne peuvent opter que pour deux énergies onéreuses : l’électricité et le fioul. En outre, il fait plus froid à la campagne que dans les agglomérations. Je suis agriculteur dans le Haut-Doubs, non loin de Mouthe, où l’on enregistre les températures les plus basses de France. Quand le thermomètre tombe à moins quarante, le coût du chauffage s’envole.
Parce qu’elles sont sur le terrain, les associations comme la nôtre ont toute leur place pour sensibiliser les populations, notamment précaires, aux économies d’énergie, ce qui suppose prévention, conseil et vulgarisation. La société doit nous aider à transmettre une information qui permet de consommer mieux ou de consommer moins.
Ma communauté de communes a installé des bacs dont la taille – petite, moyenne ou grande – est proportionnée à celle de chaque famille, qui dispose du même nombre de ramassages. Les bacs sont pourvus d’une puce, ce qui permet de compter le nombre de ramassages et de facturer les dépassements éventuels. Le système sensibilise les consommateurs au volume des déchets sans défavoriser les familles nombreuses.
Nous sommes très favorables à l’autoconsommation, particulièrement dans l’espace rural, mais, puisqu’on ne peut se passer des réseaux, leur mise en place et leur entretien doivent être financés par les abonnements.
Je regrette que, faute d’une information claire, on confonde souvent les panneaux solaires thermiques et photovoltaïques. Plus simples à mettre en place et à utiliser, les premiers équipent 70 % des maisons suisses et allemandes, et permettent des économies réelles.
La méthanisation est un formidable moyen de traiter la biomasse et les lisiers des bovins, mais pourquoi faut-il cinq ans en France – contre six mois en Allemagne – pour installer une usine de méthanisation ? Je ne sais pas où sont les freins, mais il faut les supprimer.
M. le président François Brottes. En Allemagne, certains agriculteurs sont de moins en moins agriculteurs et de plus en plus méthaniseurs.
M. Dominique Marmier. La France pourrait s’intéresser à cette évolution, qui présente un intérêt économique.
Mme Nadia Ziane, responsable du pôle « représentation et défense des familles et des territoires ». Puisqu’on constate des dérives dans l’utilisation de certains labels, pourquoi ne pas instaurer un label unique, sous l’égide du médiateur national de l’énergie ? Son cahier des charges pourrait être examiné par le Conseil national de la consommation.
Nous souhaitons, nous aussi, que les responsabilités du médiateur soient étendues à l’ensemble du secteur, ce qui lui éviterait de devoir se déclarer incompétent sur certains contentieux. Il existe beaucoup de bons artisans en milieu rural, mais les consommateurs entendent parler de tant de litiges, notamment sur les pompes à chaleur ou les panneaux solaires, qu’ils hésitent à engager des travaux.
M. Stéphane Mialot, directeur des services de la médiation nationale de l’énergie. Le trop grand nombre de labels, qui crée une certaine confusion dans l’esprit des consommateurs, empêche de contrôler les travaux effectués par les professionnels. Nous contribuerons volontiers à la création d’un label unique, en veillant à ne pas prendre la place d’autres acteurs, tels que l’ADEME.
Mme Nadia Ziane. Il serait intéressant de créer un label unique, sur le modèle du label bien connu AB (agriculture biologique). On sanctionnerait ainsi les constructeurs qui ne jouent pas le jeu. Il faut aussi étudier la proposition de l’UFC.
Au reste, notre association n’est pas attentiste. Certaines fédérations ont mis en place un système d’achats groupés, qui permet d’assurer la gratuité de la livraison pour les commandes de fioul inférieures à 1 000 litres. L’achat de quelques centaines de litres coûte si cher aux familles, qu’elles préfèrent parfois s’équiper de chauffages d’appoint qui ne tiédissent l’air que dans un rayon de deux mètres.
Le titre VIII de la loi pourrait accueillir une proposition que nous avions déjà formulée auprès du ministère du logement, et qui concerne l’encadrement juridique de l’échange de services. J’ai traité le dossier d’une personne âgée contrainte de refuser la demande d’une famille qui proposait de rénover sa grange pour s’installer. Ce type d’échange n’est pas possible actuellement. Dans le cas des jeunes filles au pair, on établit un contrat de travail aux termes duquel le montant du salaire est équivalent au loyer. Puisque le projet de loi réaffirme des principes participatifs, pourquoi ne pas créer un dispositif qui favoriserait, par le biais de l’échange, les liens entre générations ? Des cas comme ceux que je viens de citer sont fréquents en milieu rural.
M. le président François Brottes. N’hésitez pas à nous envoyer vos propositions.
Mme Nadia Ziane. Pour l’heure, les consommateurs ne savent pas distinguer un fournisseur d’un distributeur, ni un prix de marché d’un tarif réglementé. L’installation des compteurs Linky est une excellente opportunité pour lancer une campagne d’information. Nous sommes prêts à envoyer sur le terrain des bénévoles qui accompagneront les installateurs, pour faire œuvre de pédagogie. Nous sommes favorables à l’affichage déporté sans frais, s’il précise à la fois les kilowattheures et les euros, ce qui est extrêmement instructif. Chacun pourra constater que sa consommation d’énergie reste élevée la nuit, s’il néglige de débrancher les appareils en veille ou les chargeurs des portables.
M. Frédéric Blanc. Nous souhaitons que Linky affiche en temps réel le montant de la consommation en kilowattheures et en euros sur le lieu de vie. Il doit aussi permettre que la consommation réelle soit facturée tous les deux mois, voire tous les mois, et non une fois par an. La législation devra évoluer sur ce point. Enfin, à la signature du contrat, les fournisseurs devront remettre au consommateur une fiche sur les écogestes.
Plusieurs d’entre vous se sont interrogés sur les problèmes de financement, se demandant si l’on parviendra à réaliser les économies d’énergie escomptées et à sensibiliser le consommateur. Celui-ci n’a pas à être informé sur l’énergie primaire, purement théorique, puisqu’elle se calcule à partir d’un ensoleillement naturel moyen et en fonction de besoins évalués de manière arbitraire. En revanche, un arrêté pourrait imposer que tout devis relatif à des travaux mentionne les économies d’énergie qu’ils permettront de réaliser, exprimées en kilowattheures ou en euros. La mention de la performance énergétique théorique ne sert à rien, sinon à créer de mauvaises surprises.
La réflexion doit porter non seulement sur la conception du produit mais sur son installation, c’est-à-dire sur le résultat global des travaux. Actuellement, le label RGE, le seul qui existe en matière d’éco-conditionnalité, est utilisé par des artisans qui travaillent dans des domaines spécifiques, comme l’électricité ou le bois. Si l’on renonce à cette vision corpocentrée, on offrira au consommateur une information plus complète et l’on sécurisera le label.
Il faut aussi proportionner les aides aux performances réelles en matière d’économie d’énergie, voire autoriser le consommateur à cumuler ces aides pour des travaux de facteur 4. Celui-ci devrait au moins pouvoir bénéficier à la fois de l’écoprêt et du crédit d’impôt développement durable (CIDD) pour réaliser des travaux qui atteignent un niveau de performance élevé, ce qui incitera les ménages les plus modestes, qui vivent dans des passoires thermiques, à isoler leur logement.
Nous sommes également favorables à tout dispositif d’hypothèque ou de viager qui ciblerait les ménages précaires. En revanche, celui-ci ne doit pas être généralisé, car on ne possède aucune certitude sur le moment où les travaux seront remboursés, la mutation pouvant intervenir bien après l’octroi du prêt. Par ailleurs, il faut vérifier qu’un consommateur possède une voie de recours quand les travaux n’ont pas permis une économie d’énergie réelle.
M. le président François Brottes. En somme, vous souhaitez un cadrage de la prescription et un suivi des travaux.
M. Frédéric Blanc. Oui, dans le but d’instaurer une obligation de résultat en matière de performance énergétique. L’octroi des aides pourrait être conditionné à la précision, sur les devis, des économies escomptées, mais il serait difficile d’imposer à tous les professionnels de s’engager sur la performance énergétique réelle. Autre solution, les aides pourraient être proportionnées aux économies réelles. Le système gagnerait en efficacité : on éviterait que l’argent public ne favorise des produits qui n’améliorent pas réellement la performance énergétique.
Rendre l’assurance obligatoire sécurisera le financement privé. Pour l’heure, en effet, les banques, qui se méfient, ne commercialisent pas l’écoprêt et, le label ne validant pas la réalisation technique des travaux, les consommateurs doutent de la réalité de la performance énergétique. Tant qu’on ne créera pas de mécanisme de responsabilité, on ne structurera pas le marché et l’on n’incitera pas les assureurs à effectuer un audit avant et après installation, seul moyen de distinguer l’usage abusif des appareils et la performance énergétique défectueuse.
M. le président François Brottes. Nous devons tenir compte de deux phénomènes.
Les économies ne sont pas linéaires : il faut parfois doubler l’investissement pour réaliser seulement 5 % d’économies supplémentaires. Dans ce cas, mieux vaut réduire ses objectifs, et se contenter d’une économie déjà substantielle rapportée à un investissement raisonnable.
D’autre part, la mesure de la performance dépend en partie du comportement de l’occupant, qui comporte parfois un « effet rebond ». On ne peut pas reprocher à quelqu’un qui a réalisé des travaux pour économiser l’énergie de se montrer moins regardant quand il a envie de pousser un peu le chauffage.
M. Frédéric Blanc. J’ai indiqué le moyen de distinguer l’usage abusif – ce que vous appelez l’effet rebond – d’une mauvaise performance de l’installation. Une obligation de suivi des travaux et d’entretien, comme cela existe en Suède, permet d’optimiser la situation. Pour ce faire, on peut utiliser des capteurs et des abaques.
M. le président François Brottes. Combien coûte ce suivi et qui le paie ?
M. Frédéric Blanc. On peut espérer que le marché de la concurrence se structurera autour de ces nouvelles obligations. Il proposera des prix concurrentiels, qui éviteront aux consommateurs de mauvaises surprises. L’objectif d’un label est moins de discriminer certains produits que de réaliser une performance énergétique.
M. le président François Brottes. Nous avons été vaccinés par le diagnostic de performance énergétique (DPE), qui, concrètement, n’a rien apporté.
M. Frédéric Blanc. Le DPE est établi en fonction de l’énergie primaire et non de la consommation du ménage, lequel ne bénéficie d’aucun accompagnement. Il ne peut pas constituer une solution parce qu’il se fonde sur le théorique. Seuls des mécanismes de droit privé permettront de dépasser ce cap, bien qu’un financement public structuré en vue des objectifs définis puisse apporter une aide intéressante. Faute d’instaurer ces mécanismes, on créera des freins à l’innovation, des distorsions de concurrence et l’on fera augmenter les coûts sans gagner en efficacité.
M. le président François Brottes. N’hésitez pas à formaliser vos propositions par écrit.
M. Frédéric Blanc. L’obligation de résultats, garantie par une assurance, structurera le marché. Afin de sécuriser le risque, l’assureur réalisera un audit avant et après travaux, pour vérifier que la réalisation est conforme aux objectifs initiaux. Cette solution semble la seule susceptible de garantir une performance réelle.
M. le président François Brottes. Je ne suis pas sûr que ce soit si simple.
M. Frédéric Blanc. En soi, le mécanisme est simple.
Le code de l’énergie prévoit que le service public informe le consommateur sur la rénovation thermique des logements. On peut aller plus loin en prévoyant que l’information portera non sur l’existence des aides mais sur leur octroi effectif. Le service public déterminera lui-même si les travaux prévus permettront d’atteindre les objectifs. Son regard averti servira de contre-expertise au consommateur.
La mesure résoudra une autre difficulté, que signale le rapport de l’OPECST : l’obligation pour le consommateur de déposer un dossier afin d’obtenir chacune des aides disponibles.
Nous sommes favorables à la séparation patrimoniale d’EDF et d’ERDF. La gouvernance devra se réorganiser avec les collectivités locales à un échelon qui permettra de dégager de la compétence et du temps. Pour l’heure, il est impossible de gérer la concession de l’électricité au niveau communal, et il n’existe aucune cohérence entre les collectivités locales en ce qui concerne le réseau de distribution.
Reste à savoir si ces dispositions permettront aux collectivités d’assurer leur nouvelle tâche. À l’instar du médiateur national de l’énergie, nous prônons une mise en place d’un plan d’investissement qui sera contrôlé par la CRE, comme cela existe en matière de transport. La séparation patrimoniale assurerait, en outre, la neutralité et le bon investissement du réseau, qui sont la pierre angulaire de la transition énergétique.
Dernière proposition, nous souhaitons que les banques soient davantage responsables de l’organisme qu’elles accréditent pour démarcher le consommateur.
M. le président François Brottes. Je vous remercie de vos contributions, dont nous essaierons de faire bon usage.
3. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, Mme Laure Hézard et M. Jean Jouzel, rapporteurs
(Séance du jeudi 11 septembre 2014)
M. François Brottes, président de la commission spéciale. J’ai le plaisir d’accueillir le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui œuvre depuis son entrée en fonctions au pluralisme des travaux de cette institution méconnue qui alimente régulièrement la commission par ses rapports de remarquable qualité. Il est accompagné des rapporteurs du Conseil sur le projet de loi.
M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental. Le Conseil économique, social et environnemental est très sensible à votre invitation qui illustre les relations qu’entretiennent nos deux institutions. Il se félicite en outre des modifications apportées au texte suite à notre rencontre avec la ministre.
Nous sommes tous témoins des déchirements et des tensions qui caractérisent notre société. Je dis volontiers que les causes rassemblent et que les intérêts déchirent.
Le CESE souhaite contribuer à réduire la très préoccupante fracture entre le monde politique et la société civile. Cette dernière a su, au sein du CESE, dépasser les clivages puisque le rapport, auquel ont pris part des organisations très différentes – patronales, environnementalistes, salariales –, a été adopté avec 169 voix pour et 14 abstentions. Ce vote témoigne de la capacité à faire bouger les lignes. La société a besoin d’être apaisée et mobilisée. Pour y parvenir, ce texte qui conditionne l’avenir des générations futures demande de l’enthousiasme dans la vision qu’il propose et de la clarté dans ses objectifs.
Très tôt, le CESE s’est intéressé à l’énergie. Il a ainsi publié plusieurs documents : dès mars 2013, un rapport sur l’efficacité énergétique, puis un rapport sur la transition énergétique dans les transports et enfin un rapport sur la transition énergétique dans la programmation 2020-2050, avant l’avis sur le projet de loi.
Tous les membres du Conseil ont regretté l’absence de débat à l’occasion des élections européennes sur la croissance et l’énergie. Une réflexion à l’échelle européenne s’impose d’autant plus que la Commission européenne travaille à une écologisation du semestre européen et que la présidence italienne entend faire de l’énergie un secteur économique plus sûr et plus efficace.
L’énergie n’est plus seulement un moyen. L’indépendance énergétique et la compétitivité des entreprises sont des objectifs incontournables. Sans maîtrise du coût de l’énergie, les industries énergivores auront disparu dans quinze ans en Europe.
Nous insistons sur la nécessité d’une cohérence européenne, mais la cohérence doit aussi être recherchée avec les collectivités territoriales et plus encore avec la loi de finances pour asseoir la crédibilité de vos objectifs.
Je laisse la parole aux rapporteurs pour qu’ils soulignent les avancées obtenues de la part de la ministre, les attentes non satisfaites, ainsi que les interrogations qui demeurent.
M. Jean Jouzel, rapporteur du CESE. La question énergétique comprend de multiples sujets : la balance commerciale, la compétitivité, le coût de l’énergie, l’indépendance énergétique, la géostratégie, la précarité énergétique, le nucléaire.
Indépendamment de la question du réchauffement climatique, un débat sur l’énergie est nécessaire en France. Au nom de la communauté scientifique, j’ai remis un rapport sur les scénarios climatiques en France qui rappelle que notre pays n’échappera pas au réchauffement climatique. Si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement, si le développement reste fondé sur les combustibles fossiles, la température augmentera de trois à quatre degrés d’ici la fin du siècle. À l’inverse, si nous souhaitons maintenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés – objectif de la convention sur les changements climatiques –, les émissions de gaz à effet de serre doivent être divisées par deux. La France et l’Europe se sont engagées en faveur d’un effort supplémentaire, avec une division par quatre de ces émissions – communément appelée le facteur 4.
La réaffirmation dans le projet de loi de l’objectif du facteur 4 est un motif de satisfaction. Pour que cet objectif ne reste pas un vœu pieux, il est indispensable de rétablir un prix incitatif du carbone, dont l’application ne peut être qu’européenne. La ministre a indiqué lors de son audition que la dimension européenne ne relevait pas de ce projet de loi. Je l’admets volontiers, mais je rappelle que la politique européenne de l’énergie doit être cohérente avec la politique climatique – l’organisation de la nouvelle Commission européenne reflète cette idée. Il faut construire une Europe forte, solidaire et ambitieuse. La politique de l’énergie ne peut se limiter à des échanges d’électricité en période de pénurie alors que les négociations sur le climat sont conduites par l’Europe. Nous suggérons que le projet de loi rappelle l’objectif pour l’Europe de 20 % d’énergies primaires à l’horizon 2020 ainsi qu’un objectif d’efficacité énergétique à l’horizon 2030.
Autre volet important : la recherche et l’innovation, qui sont une source de création d’emplois. Selon le CESE, la loi devrait contenir des engagements financiers en leur faveur et privilégier deux axes de recherche : le stockage de l’énergie et les réseaux intelligents.
Mme Laurence Hézard, rapporteure du CESE. Ce projet de loi est perçu par les membres du CESE comme une impulsion susceptible de mobiliser tous les acteurs du pays, sous réserve que le financement des mesures proposées soit précisé. Cela suppose ensuite de pouvoir mettre en lumière les résultats obtenus et de les partager afin de convaincre les citoyens de l’intérêt de la démarche et de l’efficacité des mesures.
Si la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre fait consensus, d’autres sujets font apparaître des clivages, que le CESE est parvenu à dépasser en mettant de côté les approches dogmatiques pour poser des jalons sur le chemin de la transition énergétique.
Il nous semble important de hiérarchiser les objectifs – qui trop embrasse mal étreint – et de distinguer entre ceux qui peuvent être réalisés à court terme et ceux qui nécessitent un travail plus approfondi et plus collectif pour une prise de décision éclairée.
Le CESE salue la priorité donnée à deux secteurs, qui sont les plus consommateurs en énergie et dont les effets sur l’environnement sont considérables : le bâtiment et les transports. S’agissant du premier, la notion de performance énergétique du bâtiment semble une référence intéressante, permettant de mobiliser tous les acteurs depuis la maîtrise d’ouvrage jusqu’aux occupants en passant par la maîtrise d’œuvre. Mais cette notion doit encore être précisée pour créer une dynamique. Ce chantier peut, en outre, avoir un impact important en termes d’emploi et de formation, à condition de s’inscrire dans la durée. Les mesures envisagées pour le neuf semblent accessibles. En revanche, pour la rénovation, le pari est plus difficile. La question du financement reste posée : comment inciter les propriétaires à réaliser les travaux nécessaires, malgré l’absence de retour sur investissement ?
Nous portons une attention particulière à la précarité énergétique. La notion d’accès à l’énergie est reprise dans le texte. Si le chèque énergie apporte une réponse pour le paiement de l’énergie consommée, il ne résout pas les problèmes des personnes en difficulté. Mais c’est un autre sujet.
Nous apprécions la place qui est accordée au secteur des transports dans le projet de loi. Pour autant, nous ne croyons pas à la solution du tout-électrique. C’est une voie intéressante, mais le travail d’évaluation du coût complet doit être poursuivi pour s’assurer qu’elle offre une solution durable. Nous avons, en outre, été surpris de constater que certains véhicules – inférieurs à 3,5 tonnes – ne sont pas reconnus alors que des solutions existent – gaz naturel, hybride. Les collectivités territoriales et les services de l’État doivent également participer à la recherche de solutions économes en énergie et de faible impact environnemental.
Nous sommes unanimement favorables à l’abandon des biocarburants de première génération tout en soulignant la nécessité de suivre attentivement le développement de la deuxième génération. Il est important que la France se positionne sur ce marché d’avenir.
L’approche que nous recommandons d’adopter consiste à proposer une solution adaptée à chaque mode de transport et selon la localisation.
Pour les énergies renouvelables, le dispositif proposé pour améliorer la transparence et la lisibilité du fonctionnement de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) est une très bonne chose. Nous plaidons également pour une évolution des dispositifs de soutien et de régulation des énergies renouvelables. J’insiste enfin sur la simplification des procédures, y compris pour la construction des réseaux de transport d’électricité.
Quant au nucléaire, les mesures ayant trait au renforcement du rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire ou à la transparence de l’exploitation des centrales existantes sont très consensuelles. Il importe, sans perturber l’exploitation actuelle, de réfléchir aux scénarios énergétiques de demain et à la place donnée aux différentes énergies. Ces travaux doivent faire apparaître les coûts complets pour éclairer les décisions et faire comprendre à chacun les conséquences des différents scénarios, y compris l’impact sur la facture payée par le consommateur. Ce point nous paraît important pour dépasser les approches parfois trop généralistes et éloignées de la vie du consommateur.
Nous avons été sensibles à la volonté de simplifier le dispositif et d’en améliorer le pilotage, mais celle-ci ne transparaît pas dans le projet de loi. Le texte crée de nouvelles instances sans clarifier le devenir des instances existantes. De même, pour être pertinente, la programmation pluriannuelle doit concerner toutes les énergies. Or, le projet de loi ne précise pas si elle porte sur le secteur pétrolier. Enfin, toute strate supplémentaire dans le pilotage décourage les acteurs et nuit à l’efficacité.
Le pilotage doit s’exercer à court, moyen et long terme, avec des rendez-vous pour mesurer de manière partagée l’efficacité des mesures prises et pour, éventuellement, les corriger ou décider d’autres actions à mener. La qualité du pilotage est essentielle pour créer un climat de confiance et responsabiliser chacun. A cet égard, la réforme territoriale doit rechercher le juste équilibre entre les décisions de niveau national et les marges de manœuvre pour les autres niveaux.
M. Jean-Paul Delevoye. Deux sujets ont donné lieu à désaccords : la réduction de la part du nucléaire, d’une part, et l’objectif trop ambitieux de réduction de la consommation d’énergie, d’autre part. Nous n’avons pas abordé les problèmes spécifiques aux outre-mer.
M. Jean Jouzel. L’avis du CESE comporte un chapitre consacré à l’outre-mer et aux autres zones non interconnectées (ZNI). L’objectif pour ces territoires réside dans l’autonomie énergétique et dans un fort développement des énergies renouvelables. L’outre-mer fait figure de laboratoire pour l’avenir. C’est la raison pour laquelle il faut veiller à ne pas limiter la perspective d’autonomie énergétique par des verrous réglementaires. En outre, les transferts de compétences dans ce domaine doivent s’accompagner des moyens humains et financiers adaptés. Enfin, la réforme de la CSPE ne doit en aucun cas remettre en cause la solidarité nationale.
Mme Laurence Hézard. Nous soulignons combien il est important de donner aux territoires d’outre-mer un pouvoir de décision pour soutenir des projets adaptés au contexte local, ce que permet le texte.
Dès lors que ces territoires constituent un laboratoire, il serait intéressant que les retours d’expérience soient partagés afin de faire progresser les travaux sur les énergies renouvelables.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Avez-vous travaillé sur l’élargissement de l’assiette de la CSPE, à propos de laquelle vous réclamez plus de transparence ?
Pouvez-vous préciser les inquiétudes que vous avez relevées sur le renouvellement des concessions hydroélectriques ?
M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI du projet de loi. Vous regrettez que les véhicules utilisant le gaz ou le GPL ne soient pas reconnus comme des véhicules propres. Mais, compte tenu de l’objectif de diminution des émissions, ne serait-il pas préférable de faire un effort en faveur des transports en commun qui sont peu pris en compte dans le projet de loi ?
Je suis comme vous favorable à l’abandon des agrocarburants. Le projet de loi est clair sur la deuxième génération de biocarburants et sur la nécessité de protéger l’agriculture.
Je partage votre souci d’enrichir la partie consacrée aux transports. La ministre ayant fait part de son ouverture, quelles sont vos propositions en la matière ?
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. J’ai entendu avec plaisir vos propos sur le nucléaire. Le pragmatisme et la transparence que vous appelez de vos vœux rejoignent les conclusions du rapport de la commission d’enquête dont j’étais chargé. Je partage votre souhait d’informer les consommateurs sur la facture quelle que soit la stratégie choisie.
Quant à la programmation pluriannuelle de l’énergie, il est impensable que le pétrole ne soit pas pris en compte dans un document dont tout l’intérêt tient à ce qu’il s’intéresse, en plus des énergies de réseaux, aux énergies fossiles et à leurs émissions.
Le texte est muet sur l’utilisation de la valeur tutélaire du carbone dont il acte le principe : s’agit-il d’un outil pour la fiscalité, d’un indicateur sur les marchés carbone, ou d’un élément d’évaluation de la pertinence des politiques menées ?
L’avis du CESE donne la priorité au fait régional, mais avez-vous débattu de la coordination entre régions et intercommunalités et de la répartition des compétences ?
Sur le chèque énergie, le texte comporte des avancées importantes, mais la question de son financement et celle de son utilisation restent en suspens. Il semble qu’il servira à payer les factures et à financer les travaux de rénovation thermique. Peut-on imaginer de l’étendre à l’achat d’appareils électroménagers plus performants, dont les effets sur la facture énergétique des ménages se feraient sentir rapidement ?
Dans le domaine des transitions professionnelles, la proposition d’un plan de programmation de l’emploi et des compétences paraît très intéressante. A-t-elle été élaborée de manière consensuelle avec les partenaires sociaux ?
Enfin, je souhaite, comme le CESE, voir la recherche orientée prioritairement vers le stockage et les réseaux intelligents.
Mme Sabine Buis, rapporteure sur les titres II et IV du projet de loi. Pouvez-vous préciser les raisons qui ont conduit le CESE à suggérer de permettre aux collectivités de faire du tiers financement afin d’encourager les travaux de rénovation des bâtiments ?
Vous proposez également d’accélérer la mise en place d’un guichet unique de rénovation de l’habitat. Quelle forme peut-il prendre ? Quel est l’échelon approprié compte tenu du rôle de la proximité dans la décision ?
Quel est votre avis sur la définition de l’économie circulaire que propose le projet de loi ? Peut-on envisager d’étendre la responsabilité élargie du producteur (REP) à d’autres filières ou produits ? L’avis du CESE ne fait jamais référence au remploi préférant le terme de recyclage. Est-ce un choix volontaire ?
Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Peut-on, selon vous, faire de la CSPE un outil réorienté vers la dynamique verte ?
Les transferts de compétence, aujourd’hui limités à la Guadeloupe et la Martinique, peuvent-ils être opérés pour les autres ZNI ?
La programmation pluriannuelle de l’énergie peut-elle être un nouveau moyen de gouvernance pour les ZNI ?
Vous déplorez l’absence de traduction dans le projet de loi de la volonté de simplification affichée. Pouvez-vous préciser ?
Je considère que la notion de laboratoire qui est accolée à l’outre-mer doit être écartée car elle risque de donner lieu à de mauvaises interprétations et de favoriser des dérives des politiques publiques. Les territoires d’outre-mer doivent être des territoires avant-gardistes, porteurs d’une approche globale de gouvernance et de dynamique vertes, qui seraient une source d’inspiration pour le territoire national et d’innovation pour notre industrie.
M. Jean Launay. Sur la CSPE, vous accueillez favorablement la création du comité de gestion. De même, vous dites que l’électricité ne peut pas porter seule le financement des énergies renouvelables tandis que l’avis du CESE évoque la possibilité d’envisager des financements complémentaires. Que pensez-vous de l’idée d’élargir la CSPE à toutes les énergies, à tout le moins aux énergies de chauffage ? J’espère convaincre mes collègues que l’évolution de la CSPE vers une contribution à l’énergie est souhaitable. Elle permettrait de financer le chèque énergie et de rendre le système plus lisible et plus équitable.
M. Bernard Accoyer. Le président l’a rappelé, deux points ont suscité des inquiétudes : la baisse de la part du nucléaire dans le mix énergétique ainsi que la surestimation manifeste de la diminution de la consommation d’énergie. Il faut être réaliste lorsque l’on est en responsabilité !
Au vu des réalités et de l’actualité, je m’interroge sur la sécurité de l’approvisionnement en pétrole et en gaz compte tenu de la situation internationale, sur la capacité à sauvegarder le pouvoir d’achat et la compétitivité compte tenu du coût de l’énergie ainsi que sur la réalité cruelle de l’état des finances publiques, qui laisse une marge de manœuvre financière nulle alors que ce texte encourage des dépenses nouvelles et renchérit le coût de l’énergie.
J’aimerais connaître l’opinion du CESE sur plusieurs points : le programme de fermeture des réacteurs, la recherche sur les réacteurs de quatrième génération, le refus d’appliquer la loi sur la recherche d’hydrocarbures non conventionnels, la surévaluation de l’apport des énergies renouvelables ou encore la menace que fait peser ce texte sur la pérennité de la filière automobile.
M. Bertrand Pancher. Les conditions de la saisine et du travail du CESE ont suscité des réactions très vives. Monsieur le président, êtes-vous satisfaits de votre travail et des conditions dans lesquelles il a été mené ? L’êtes-vous également de la manière dont les recommandations du CESE ont été prises en compte ?
Les plus dangereux ne sont hélas pas les climatosceptiques, mais ceux qui, tout en reconnaissant le changement climatique, considèrent que le problème se règlera de lui-même et que la crise impose de reporter la recherche d’une solution.
Sur le prix du carbone, le texte comporte des avancées mais les mécanismes de réorientation sont-ils suffisants ?
L’équilibre général du texte repose à la fois sur des économies d’énergie importantes et sur une diminution de la part du nucléaire que viendrait compenser la montée en puissance des énergies renouvelables. Comment atteindre cet équilibre alors que l’objectif pour les énergies renouvelables apparaît peu réaliste ?
En résumé, ce texte est sympathique mais peu crédible.
Mme Cécile Duflot. Vous émettez des réserves sur les mesures concernant les véhicules. Que proposez-vous pour les améliorer ?
M. Michel Lesage. Afin de mobiliser les acteurs sur le territoire, comment clarifier les compétences des collectivités territoriales et les articuler avec l’implication forte de l’État, garant de la cohérence nationale et du modèle centralisé de production électrique ?
Comment améliorer la sensibilisation des acteurs au premier rang desquels les citoyens ?
Vous avez insisté sur l’importance de la recherche et de l’innovation. Comment associer et mobiliser les différents acteurs dans ce domaine ?
Vous avez souligné les limites du chèque énergie. Quel autre dispositif peut-on imaginer pour garantir un accès à l’énergie pour tous ?
M. Julien Aubert. Parallèlement aux créations d’emplois liées à la transition énergétique que vous mettez en avant, avez-vous évalué les conséquences pour l’emploi de la réduction de la part du nucléaire et les destructions d’emploi inévitables ?
Vous réaffirmez votre attachement au facteur 4, mais le projet de loi est-il à la hauteur de cet effort exceptionnel, d’autant qu’il entend copier le modèle allemand qui a provoqué une hausse des émissions ?
M. Jean-Jacques Cottel. L’économie circulaire exige, selon vous, une démarche de long terme et une impulsion politique. Comment mettre en place un politique industrielle du recyclage et comment adapter l’appareil productif ?
Quel est votre avis sur le plan de méthanisation inscrit dans le projet de loi ? Comment développer ce procédé en milieu rural ?
Mme Sophie Rohfritsch. L’avis du CESE insiste sur l’efficacité énergétique, mais ne rappelle pas les travaux de plusieurs pôles de compétitivité sur ce sujet qui permettraient de faire valoir de nouvelles normes au niveau européen, auxquelles les corps de métiers ont déjà été formés. Je regrette que le cadre européen de l’énergie ne trouve pas sa place dans ce texte. Il ne suffit pas de décréter l’efficacité énergétique. Il faut constater les résultats de ces pôles, les consacrer et les porter au niveau européen pour être les pionniers d’un nouveau système normatif.
M. Serge Letchimy. On ne peut pas parler de transferts de compétences s’agissant de la Guadeloupe et de la Martinique. En réalité, il s’agit de leur confier un pouvoir législatif et réglementaire pendant cinq ans. Un véritable transfert de compétences est-il, selon vous, possible ?
Je partage le point de vue de la rapporteure sur la notion de laboratoire. Pour faire de l’outre-mer un laboratoire, il faut adjoindre à la possibilité pour ces territoires de faire la loi et le règlement, la possibilité de mener une politique industrielle et de mettre en place une gouvernance locale de l’ingénierie.
Avez-vous mené une réflexion sur l’interconnexion des ZNI avec la géographie transfrontalière ? Les exemples de dynamique d’interconnexion sont nombreux : pour le gaz avec Trinité-et-Tobago, pour la géothermie avec la Dominique, pour la biomasse avec le Brésil. Cette interconnexion, coûteuse, suppose de donner à ces zones une liberté en matière de coopération économique régionale, notamment pour la mutualisation des déchets potentiellement transformables en énergie. L’Europe finance le transfert de déchets de La Réunion vers la Paris qui n’a aucun sens.
La transition énergétique est une chance pour l’outre-mer mais elle passe par l’adoption d’un nouveau modèle de développement économique. L’énergie est un bon vecteur pour accompagner ces territoires sur la voie de l’autonomie économique.
M. Daniel Fasquelle. Avez-vous conduit une réflexion sur le coût pour les particuliers de l’énergie ? Comment définir des tarifs au sein d’un marché européen de l’énergie alors que le Conseil d’État a remis en cause à plusieurs reprises les tarifs décidés par le gouvernement ?
Contrairement au souhait que vous exprimez dans votre rapport de voir l’État, les citoyens et les territoires agir ensemble, je crains que l’État ne se donne avec ce projet de loi les moyens d’imposer aux autres des éoliennes en mer, sans considérer l’impact environnemental de ses décisions et leurs conséquences pour l’économie touristique. Le médiateur de l’énergie l’a rappelé lors de son audition : le coût d’une éolienne en mer restera supérieur à son rendement, ce qui n’est pas le cas des éoliennes terrestres, dont on peut espérer qu’elles deviendront rentables un jour. Ce surcoût sera supporté par le consommateur ou le contribuable. Avez-vous étudié la nécessité d’un accord des habitants qui auront à subir l’implantation des champs d’éolienne en mer ?
M. le président François Brottes. Il ne vous reste plus, monsieur le président, madame et monsieur les rapporteurs, à répondre à toutes ces questions avec toute la concision possible…
M. Jean-Paul Delevoye. Les délais de saisine ont été brefs, mais le CESE travaille depuis longtemps sur la transition énergétique, si bien que les nombreux documents produits ont permis de répondre dans un temps très court.
En outre, tant le Gouvernement que le Parlement ont pris l’habitude de présenter au CESE leurs projets en amont, pour nous permettre d’amorcer la réflexion. Enfin, il existe des procédures d’urgence, auxquelles nous n’avons pas eu recours, mais qui permettent de rendre un avis en moins d’un mois.
Par ailleurs, nous réfléchissons à la forme que pourrait prendre un droit de suite sur l’avis que nous avons rendu.
M. Jean Jouzel. Monsieur Baupin, nous souhaitons en effet affecter une partie des quotas de carbone à la recherche et l’innovation.
S’agissant du rôle des régions, nous avons repris les recommandations des rapports précédents, notamment le rapport sur la transition énergétique 2020-2050, sans approfondir cette question. L’État doit rester le garant de la cohérence nationale de la politique climat-énergie et de ses déclinaisons fiscales tandis que les régions ont la responsabilité de la cohérence sur le territoire de la transition énergétique, sans toutefois négliger le rôle des intercommunalités.
Sur l’économie circulaire, M. Yves Legrain a présenté un avis très riche. J’en conviens, le projet de loi est trop limité aux déchets et au recyclage, alors que le réemploi est une mission importante. Nous souhaiterions une approche plus globale.
S’agissant des DOM-TOM, le terme de laboratoire provient du titre du rapport de Patrick Ganelon : « Les énergies renouvelables outre-mer : laboratoire pour notre avenir » qui contient de nombreuses propositions. Mais l’outre-mer est plus qu’un laboratoire, car les objectifs en matière d’énergies renouvelables sont très ambitieux : 50 % pour La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, et 30 % pour Mayotte.
Quant au facteur 4, la loi est très ambitieuse mais elle est cohérente. Du rapport des experts sur la transition énergétique, il ressort que, dans tous les scénarios, le respect du facteur 4 et la réduction de la part du nucléaire aboutissent mécaniquement à une division par deux de la consommation énergétique. Cette diminution, qui est davantage une conséquence qu’un objectif, figurait déjà dans la loi de programme de 2005 fixant les orientations de la politique énergétique.
Il est vrai que l’Allemagne peinera à atteindre les objectifs 2020. Pour réussir à atteindre le facteur 4, notre pays aura besoin de beaucoup de recherche et d’innovation. Il serait très regrettable que, dans dix ans, certains problèmes – l’intermittence, le développement du solaire – aient trouvé des solutions et que nous n’en soyons pas partie prenante, ce qui ne sera pas les cas de l’Allemagne. Le rapport du GIEC indique que la moitié de l’énergie pourrait être produite par les renouvelables. Il ne faut pas passer à côté de cette révolution en marche. Le projet de loi s’inscrit dans le long terme en affichant des objectifs ambitieux et difficiles.
Face aux climatosceptiques, nous devons rappeler l’urgence à agir. J’espère que l’objectif du facteur 4 ne sera pas remis en cause par votre Assemblée. La France se doit en effet d’être exemplaire dans la perspective de la conférence climat de 2015.
Mme Laurence Hézard. Le CESE considère que la priorité doit être donnée à la transparence et à la compréhension du fonctionnement de la CSPE ainsi qu’à un système de contrôle. Cela permettrait de savoir comment chaque énergie supporte les externalités. À partir de ces travaux, il sera possible d’imaginer une évolution du système ou un autre système. Envisager des solutions consistant à élargir l’existant ne permettra en aucun cas de clarifier le coût et les impacts de chaque énergie, ni de faire des choix pertinents pour le mix énergétique. Nous devons d’abord connaître les externalités supportées par chaque type d’énergie.
M. le président François Brottes. Que se passe t-il dans le cas de l’hydrogène, pour lequel l’électricité et le gaz sont tous deux concernés ?
Mme Laurence Hézard. Je me garderai de vous répondre, car mon avis ne serait pas le reflet de la position de l’ensemble des conseillers.
Le CESE s’est interrogé sur l’opportunité d’évoquer les concessions hydroélectriques dans le projet de loi. Mais les inquiétudes portaient principalement sur la notion de société d’économie mixte, et, dans une moindre mesure, sur la gestion de l’eau. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’un travail doit être mené avec les différents partenaires pour définir un projet partagé et clarifier les objectifs poursuivis.
Dans le domaine des transports, le CESE recommande aussi de travailler sur l’urbanisme, l’organisation territoriale et les comportements – les jeunes ont une relation différente à la voiture dont témoigne l’essor du covoiturage et de l’autopartage.
Pour la filière automobile, il faut veiller à la cohérence entre les dispositifs réglementaires et les incitations fiscales pour encourager la recherche et la conception des véhicules de demain avec l’objectif d’une diminution de la consommation de carburant au kilomètre et de baisse des émissions de gaz et de particules. Quant aux propositions concrètes que nous pourrions formuler, le récent rapport sur la transition énergétique dans les transports en comporte certainement.
Le texte est très elliptique sur le dialogue social car ce n’est pas l’objet. S’agissant de la transition professionnelle, la proposition d’un programme de prévision des emplois et des compétences a été adoptée à l’unanimité, sans aucune réticence.
M. Jean-Paul Delevoye. Elle constitue même un engagement très fort. Elle traduit l’inquiétude, au-delà des difficultés budgétaires, de voir l’absence de compétence professionnelle entraver la transition énergétique. Pour y répondre, il faut mettre en place une filière professionnelle garantissant des compétences à la hauteur des enjeux. Il y a un risque que la qualité ne soit pas au rendez-vous.
Mme Laurence Hézard. Nous sommes attachés à la cohérence d’ensemble. Pour mener à bien la transformation d’un certain nombre d’emplois dans les différents secteurs, le dispositif doit mobiliser tout le monde et avancer pas à pas.
Quant à la balance des emplois dans le domaine du nucléaire, nous préconisons un travail méthodique sur les différents scénarios de mix énergétique qui comporte évidemment un volet emploi et formation. Le CESE ne s’est pas exprimé sur les conséquences de la diminution de la part du nucléaire sur l’emploi, car la transition énergétique donnera lieu à une recomposition des compétences.
Les échanges au sein du CESE ont beaucoup porté sur le traitement de la précarité et l’aide aux personnes en difficulté tout en admettant que ce sujet ne relève pas de ce projet de loi. Un autre travail doit être engagé au plus près du terrain avec les différents acteurs. Malheureusement, les personnes en difficulté résident souvent dans des habitats énergivores. Le chèque énergie répond à une partie du problème mais l’effort doit porter sur l’amont pour réduire la facture plutôt que d’augmenter le chèque énergie.
L’idée d’un guichet unique, qui soit au plus proche du lieu de la rénovation, a été un point fort de nos échanges.
M. Jean-Paul Delevoye. Nous allons revoir l’ensemble des questions posées et vous adresser une contribution écrite pour y répondre de manière exhaustive.
M. le président François Brottes. Certains promettent et ne tiennent jamais, mais je sais que dans votre cas, cette crainte n’est pas fondée.
M. Jean-Paul Delevoye. La simplification est une question essentielle à nos yeux. Les textes dans ce domaine fixent des objectifs dont l’application s’avère parfois très difficile tant pour les professionnels que pour les collectivités territoriales. C’est le cas des zones de développement de l’éolien terrestre. Sur certains territoires, les promoteurs font les promesses les plus folles aux communes et les élus ne maîtrisent plus l’organisation de leur territoire. Dans ce domaine, le droit précède le politique. Le pouvoir appartient au juge qui décide d’accorder ou pas le permis. Je souhaite que vous réfléchissiez à la gestion des contentieux et au moyen de garantir que l’organisation du territoire reste à la main des élus. Parfois, la gestion des contentieux l’emporte sur la gestion des potentiels.
M. le président François Brottes. Je vous remercie pour votre contribution. Vos réponses complémentaires seront les bienvenues pour éclairer la suite de nos travaux.
(Séance du jeudi 11 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Nous accueillons M. Bruno Léchevin, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui va nous donner son avis sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et sur la place réservée à l’agence dans ce texte.
Bruno Léchevin, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, c’est un honneur pour moi d'être devant vous ce matin, en tant que président de l'ADEME, ce bel outil au service des politiques publiques en matière d'énergie et d'environnement.
La moitié des quelque 1 000 salariés de l’Agence travaille en région, ce qui démontre son aptitude à articuler une pensée globale avec une action territoriale. Nous sommes l'établissement public au service de la transition énergétique et écologique. Par nos actions de recherches et d’innovation, de conseil, de communication, de soutiens techniques et financiers, nous accompagnons l'ensemble des acteurs – collectivités, entreprises, particuliers – vers des modes de consommation et de production plus durables.
Par nature, nous sommes donc tout particulièrement concernés par la réussite de la transition énergétique et par ce projet de loi. Depuis le lancement du débat national sur la transition énergétique, nous avons eu l'occasion d'interagir régulièrement avec le ministère et les autres parties prenantes. Nous sommes donc pleinement impliqués dans ce texte dont nous soutenons les ambitions dans les domaines qui nous concernent. Après vous avoir exposé notre vision du projet, des avancées qu’il permet et des perspectives qu’il ouvre, je répondrai volontiers à vos questions.
Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie vous ayant présenté le contexte et les motivations de ce projet de loi mardi soir, je me contenterai de vous en souligner les lignes de force, telles que nous les percevons.
L'objectif est de placer notre société sur une trajectoire permettant de diviser par quatre nos émissions de gaz à effet en 2050, ce qui implique une diminution de 50 % de la consommation d'énergie et le déploiement massif des énergies renouvelables dans les territoires. Cet objectif ambitieux correspond aux préconisations de l'ADEME dans les scénarios prospectifs qu’elle a effectués pendant de longs mois, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Maîtriser sa consommation, c'est préserver l'environnement, mais c'est aussi avoir prise sur sa facture : l’économique, le social et l’environnemental sont liés. Au-delà de ses objectifs de long terme, le projet de loi vise à stimuler dès à présent les acteurs sur le terrain : il s'inspire des territoires, les conforte dans leurs démarches et généralise les bonnes pratiques. Comme nous le constatons tous les jours au travers des actions que nous menons, la transition énergétique ne se fait et ne se fera pas sans la mobilisation des territoires. Le débat national et ses déclinaisons régionales ont prouvé que la transition énergétique est déjà en marche dans les régions ; l’enjeu de ce texte est de l'accélérer, de la soutenir et de la généraliser. Il s’agit de créer les conditions d'une dynamique de son appropriation à tous les niveaux de la société, en saisissant toutes les opportunités technologiques mais aussi en essayant d’engager les actions nécessaires pour faire évoluer les comportements.
Les principes d'action et les objectifs sont posés. Leur mise en œuvre nécessitera une grande mobilisation, tant dans l'écriture des textes réglementaires qui en découlent que dans les actions d'animation et d'accompagnement sur le terrain. Ce projet de loi est un élément central de la transition énergétique, mais il doit s'accompagner d'un plan d'action et de mobilisation et être complété par d'autres textes législatifs, tels que ceux relatifs à la décentralisation et le projet de loi de finances.
La fiscalité environnementale devra être l'un des leviers de la transition énergétique. Il faudra montrer qu’elle n'est pas une couche supplémentaire d’impôts mais qu'elle peut, si elle est redistribuée vers les ménages et les entreprises, se substituer à une part de la fiscalité qui pèse sur le travail et pénalise donc l'emploi. Elle permet également de réduire nos importations d'énergies fossiles, améliorant ainsi la balance commerciale de notre pays. Ce chantier alliant technicité et pédagogie fera prendre conscience à tous que la fiscalité écologique peut être synonyme de double dividende, écologique et économique.
Le droit à l'expérimentation est l’une des lignes de force, l’un des éléments centraux du texte. Ce projet de loi devrait donner de nouveaux droits à l'expérimentation, qu’il s’agisse d’urbanisme, de mobilité, de production ou consommation d'énergie, de modulation des droits de mutations, afin de soutenir l'innovation dans les territoires plutôt que de chercher à imposer dès à présent des mesures nationales. L’état d’esprit reste le même : stimuler et permettre plutôt que d’imposer ; évaluer avant de généraliser.
Les mesures envisagées pour faire évoluer nos modèles de gouvernance sont également essentielles. Il faut en effet revoir ces modèles, de manière à assurer une participation plus équilibrée de toutes les parties prenantes, notamment les collectivités, tant dans notre système énergétique que dans le développement de l'économie circulaire. La construction d'une société plus sobre et moins énergivore n'est envisageable que si la transition énergétique s'appuie sur cet objet social que sont les territoires, au premier rang desquels les régions. L'échelon territorial constitue le maillon élémentaire de cohérence fonctionnelle et opérationnelle. C'est à ce niveau que les différentes politiques d'urbanisme, d'environnement, de transport et de logement se conjuguent et entrent en interaction avec les préoccupations de santé, de qualité de vie, de culture, d'emplois et d'attractivité permettant de véritables approches transversales dans une logique de développement durable.
Pour poursuivre ces propos liminaires, ouvrons quelques perspectives. Au-delà des objectifs ambitieux mais nécessaires annoncés à l'heure où le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous alerte une fois de plus sur l'évolution du changement climatique, il s'agira également de mettre en place des dispositifs de pilotage et d'évaluation permettant de suivre l'avancement de la transition énergétique voire de la réorienter en fonction des évolutions de contexte, des étapes, du chemin parcouru ou des difficultés rencontrées.
L'objectif de 50 % de réduction de la consommation d'énergie d'ici 2050 devra également être intégré dans toute la chaîne, depuis les missions des opérateurs de régulation et de distribution de l'énergie jusqu'au renforcement sur le terrain des plans climat-énergie territoriaux (PCET), l'outil qui aide les territoires à devenir des territoires à énergie positive, partisans de la croissance verte.
Permettre à chaque territoire d'agir, c'est également lui donner les moyens de connaître sa situation, notamment en matière de consommation énergétique. La création d’un véritable service public de la donnée énergétique, capable d'alimenter les décideurs aux différentes échelons de territoire, est nécessaire à la réussite de ce changement de modèle. Pour le chantier de la rénovation des bâtiments, nous aurions également intérêt à disposer réellement du service public de la performance énergétique de l'habitat prévu par la loi Brottes, car il permettrait d'organiser l'accompagnement de nos concitoyens dans ce domaine. Point n’est besoin d’insister sur l’urgence de ce chantier et je pourrai revenir sur les dispositifs qui commencent à se mettre en place dans le cadre des plateformes territoriales.
En ce qui concerne le financement de la transition énergétique, les principaux leviers ne seront pas forcément du ressort de cette loi : certaines mesures relèvent de la loi de finances tandis que d'autres, non législatives, doivent être débattues à la suite de la Conférence bancaire et financière pour le financement de la transition énergétique qui s’est tenue en juin dernier. Néanmoins, nous souhaitons que cette loi de programmation permette de tester des financements innovants. Si les possibilités de déroger au monopole bancaire ou de faire appel à un fonds de garantie ne suscitent pas l'adhésion de tous, en particulier celle des banques, nous ne pouvons en rester là : l'argent qualifié de disponible par les banques devra être effectivement mobilisé au service de la transition énergétique.
Rappelons que le coût de la transition énergétique – environ 25 milliards d’euros par an – n'est, en terme d'investissements, qu'à peine supérieur à celui de la « non-transition énergétique » car la consommation induit de très lourds investissements dans la production. Cet apparent surcoût de la transition énergétique – d'environ 5 milliards d’euros par an en moyenne – doit être considéré au regard des bénéfices induits : développement de l'emploi local pour rénover plutôt que d'aggraver notre déficit commercial en payant du pétrole ; dommages évités. Ne pas s’engager dans la transition énergétique coûterait quelque 150 milliards d’euros annuels à la France en 2050, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Enfin, répétons que la transition énergétique, un projet de société, ne peut se faire sans prise en compte de la question sociale. À cet égard, la création du chèque énergie participe au bouclier énergétique voulu par tous les membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Il faut désormais réfléchir à son contenu, à sa mise en place et à son mode de financement, compte tenu de l’état des finances publiques. Ce chèque doit permettre l’accès à l’énergie de tous les consommateurs, quel que soit leur mode de chauffage. Quel est le meilleur vecteur de financement ? Est-ce la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? La question se pose au moment où nous voulons construire cette société plus sobre mais aussi plus équitable, chère au président Brottes.
Outre ces dispositifs à caractère transversal, le projet contient des mesures sectorielles relatives à l'efficacité énergétique et au développement des énergies renouvelables, comme celles qui visent à favoriser l'accélération de la rénovation et la mobilisation de la biomasse ou à mieux protéger la qualité de l'air. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions sur tous ces points.
M. le président François Brottes. Monsieur Léchevin, je rappelle que vous avez été délégué général du Médiateur national de l’énergie et que vous avez fait un passage à la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Vous aurez le droit de vous écarter du sujet et, n’étant tenu à aucun devoir de réserve, de dire exactement ce que vous pensez.
Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Actuellement, les politiques nationales ne sont pas appliquées dans les zones non interconnectées (ZNI) – c'est-à-dire qui ne sont pas reliées au réseau électrique de la métropole – comme les outre-mer. Le fonds chaleur est l’un de ces nombreux dispositifs créés au niveau national qui ne sont absolument pas pertinents sur les territoires d’outre-mer. Qu’entendez-vous faire pour que les choses évoluent dans ce domaine ?
S’agissant du droit à l’expérimentation, pensez-vous qu’il doit être le même pour tous ou s’appliquer de manière différenciée dans les ZNI et dans l’Hexagone, sachant que certains territoires font l’objet de lois d’habilitation ?
Mme Sabine Buis, rapporteure sur le titre II et le titre IV du projet de loi. Alors qu’il est souvent question du coût de la transition énergétique, je vous remercie, monsieur Léchevin, d’avoir dit ce qu’il nous en coûterait de ne pas nous engager dans cette voie.
Comme ma collègue, je voulais revenir sur le droit à l’expérimentation car je pense aussi qu’il faut stimuler et permettre plutôt que d’imposer. Puisque, par définition, l’expérimentation laisse la place à des initiatives différentes, pouvons-nous en donner une définition générale ?
Vous avez mentionné un service public de la donnée énergétique ou de la performance énergétique de l’habitat et avancé l’idée d’une plateforme territoriale qui pose la question de la gouvernance. Que signifie pour vous la notion de territoire ? Quelle est son échelle ? Quel type de gouvernance envisagez-vous ?
M. le président François Brottes. Sur la notion de droit à l’expérimentation, je vous invite à regarder son aspect constitutionnel. N’hésitez pas à interroger le Conseil constitutionnel, car M. Léchevin ne sait pas forcément ce que peut la loi en cette matière.
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Le titre VIII du projet de loi contient quelques pistes d’expérimentation très encadrées. Si nous voulons que les territoires puissent prendre des initiatives sans être entravés par des règles à vocation nationale mais inadaptées à leur cas, il est important qu’ils puissent mener des expérimentations.
Une version antérieure du projet de loi prévoyait la mise en place d’un service public de l’efficacité énergétique au niveau régional auquel l’ADEME était particulièrement favorable. Comment imaginez-vous ce dispositif ? Comment envisagez-vous ses relations avec l’ADEME et avec les territoires ?
Le financement du chèque énergie repose presque totalement sur la contribution des consommateurs d’électricité et de gaz alors qu’il bénéficierait à tous les précaires énergétiques, y compris ceux qui se chauffent au moyen d’énergies fossiles. Quelle est votre réflexion dans ce domaine ? Pensez-vous qu’il serait pertinent d’étendre l’utilisation du chèque énergie à l’achat de matériels électroménagers plus performants en matière de consommation énergétique ?
Le service public de la donnée énergétique que vous évoquez n’est pas inscrit dans le texte, même si l’un des articles prévoit un meilleur accès aux données. Pensez-vous qu’il faudrait renforcer le texte pour le rendre plus lisible et avez-vous des suggestions en la matière ?
La ministre nous a indiqué que le montant du fonds chaleur serait doublé dans les trois ans à venir. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le rythme de cette augmentation ?
Si vous rêviez tout haut à la manière dont l’ADEME pourrait, dans le cadre de ce projet de loi, voir ses compétences élargies pour permettre de mieux mettre en œuvre la transition énergétique, que proposeriez-vous d’ajouter dans ce texte ?
M. Philippe Plisson, rapporteur sur le titre III et le titre VI du projet de loi. L’ADEME est déjà un acteur prépondérant de l’évolution nécessaire de notre mode de consommation. Nous avons convenu, y compris Mme la ministre, qu’il est nécessaire d’enrichir le titre VI sur les transports, en particulier par des mesures sur la mobilité dans les territoires ruraux. Sans aller jusqu’à rêver, avez-vous des propositions concrètes que nous pourrions introduire dans le texte, dans un délai extrêmement restreint ?
M. Damien Abad. La manière dont nous allons définir le chèque énergie aura un effet sur son rôle. Que préconisez-vous ?
Le texte prévoit quelque 80 milliards d’euros d’engagements pour financer la transition énergétique par du crédit puisqu’il n’y a pas de ligne budgétaire. Avez-vous des propositions plus cadrées ?
L’un de nos collègues envisageait l’élargissement des compétences de l’ADEME. Avec quel budget ? Avant de repenser les missions, il faudrait peut-être parler des moyens de l’agence.
M. Jean-Yves Le Déaut. Le modèle de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d’énergie sur lequel a travaillé l’ADEME a été élaboré il y a deux ans, au début de cette discussion. Pensez-vous que nous allons atteindre les objectifs de 2020 ? Sinon, que faudrait-il faire pour accélérer la réussite des plans que vous avez développés ?
Comment est mesurée la performance énergétique, sachant que nos objectifs sont exprimés en énergie primaire, en réduction de gaz à effet de serre et en baisse de consommation ? Ne faut-il pas fixer d’autres objectifs ? La réglementation thermique 2012 n’en a pas prévu parce que nous nous faisions la guerre, entre partisans du gaz ou de l’électricité. Ne faut-il pas prévoir d’autres critères tels que les énergies primaires, les émissions de CO2, et la part en énergies renouvelables ?
Vos objectifs seront atteignables si nous faisons un gros effort dans le secteur du bâtiment mais la rénovation est en panne, notamment en raison de la jungle des aides. Signalons que l’aide au produit peut avoir des effets négatifs : les prix de certains produits augmentent et deviennent plus élevés qu’en Allemagne ou en Belgique. Ne faut-il pas privilégier les aides à des plans globaux de rénovation, organisées par territoires ?
Tous les produits sont certifiés et évalués par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Ne pensez-vous pas que cet organisme mélange les genres : recherche, évaluation, conseil, expertise, contrôle ? Nous devrions aborder ce sujet d’actualité.
Les allégations de performance ne devraient-elles pas figurer dans tous les contrats de prestations d’efficacité énergétique, notamment si se développent des plateformes de conseil à la rénovation au niveau régional ?
M. Julien Aubert. Monsieur Léchevin, vous avez insisté sur la nécessité de nous doter de dispositifs de pilotage et d’évaluation et de réfléchir au modèle de gouvernance. À l’UMP, nous plaidons pour la création d’un commissariat à la transition énergétique, rattaché au Premier ministre, qui permettrait notamment de concilier le respect d’objectifs nationaux votés par le Parlement et la nécessaire liberté des collectivités territoriales. Celles-ci conduisent des plans de développement d’énergie verte sans parfois se soucier des objectifs fixés par le législateur. Un tel commissariat pourrait aussi jouer un rôle dans l’information du grand public et l’octroi d’autorisations de nouvelles installations. Qu’en pensez-vous, sachant que cette création aurait des conséquences sur votre agence ?
La complexité de la fiscalité est telle que nos concitoyens craignent un contrôle fiscal une fois les travaux réalisés, ce qui freine la rénovation des logements. Ne pensez-vous pas que le service public de la performance énergétique devrait d’abord proposer des diagnostics gratuits ouvrant immédiatement droit à un aménagement fiscal, et ne pas seulement mesurer la performance des bâtiments ?
Mme Cécile Duflot. Ma première question portera sur le tiers financement qui rencontre, dites-vous, certaines difficultés. Quelle proposition estimez-vous la plus pertinente pour le développement de ce tiers financement ? L’application du monopole bancaire ne me semble pas une bonne solution – cela ne vous surprendra pas – mais je voulais avoir votre avis, eu égard aux discussions qui ont eu lieu notamment dans le cadre de la Conférence bancaire.
Pensez-vous qu’il est possible de diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050 sans nuire à la qualité de la vie ?
Quel premier bilan tirez-vous de la création du guichet unique de la rénovation thermique et de l’efficacité énergétique ? À ma connaissance, le traitement des dossiers se heurte à des difficultés, ce qui est à la fois une très bonne et une mauvaise nouvelle : le dispositif fonctionne et nombre de nos concitoyens veulent effectuer des travaux de rénovation thermique mais, en cas d’embolie du système, ils n’y parviendront pas. Quels sont les moyens affectés ou nécessaires au fonctionnement de ce guichet unique ?
M. Bertrand Pancher. Les observateurs et parlementaires jugeront ce projet de loi sur deux points précis : la crédibilité des objectifs ; la corrélation entre les objectifs et les moyens.
Quant à l’ADEME, elle va être sollicitée sur deux volets particuliers : les économies d’énergie via les appels à projets « territoires à énergie positive » et les énergies renouvelables. Notons que la moitié des objectifs fixés dans ce domaine concernent la chaleur renouvelable, ce qui suppose une forte augmentation du fonds spécialisé de l’ADEME. Nous ne pouvons qu’approuver la décision de doubler la dotation de ce fonds chaleur, qui va passer de 200 millions d’euros à 400 millions d’euros.
Votre budget s’élève actuellement à 470 millions d’euros : 200 millions pour le fonds chaleur, 130 millions pour les déchets, le reste pour l’air, les transports et le bâtiment. Il n’est abondé que par la taxe générale sur les activités polluantes sur les déchets (TGAP) et n’est pas du tout alimenté par la fiscalité des produits énergétiques.
À quelques jours de la présentation du budget, personne ne croira que vous ignorez à quelle sauce vous allez être mangé. Je souhaiterais donc savoir très précisément comment vous ferez passer le fonds chaleur de 200 à 400 millions d’euros tout en finançant les appels à projets « territoires à énergie positive », dans le cadre de cette évolution budgétaire. Si vous n’y parvenez pas, cette loi sera accusée de se résumer à des objectifs ambitieux mais inatteignables.
Mme Sophie Rohfritsch. L’accès aux données est essentiel pour que les collectivités locales puissent établir de manière assez fine des politiques envers les différents publics ciblés. Pourquoi serait-ce à l’ADEME de les collecter ou de les gérer puisque certains opérateurs tels que ERDF ou EDF en disposent déjà et peuvent les mettre à disposition de ceux qui en ont besoin, en premier lieu les collectivités, dans le respect des règles de confidentialité en vigueur ? Il n’est pas nécessaire d’avoir un intermédiaire de plus.
M. le président François Brottes. Monsieur Léchevin, votre expérience passée m’incite à vous poser une question à laquelle vous n’êtes pas obligé de répondre. Avec Jean Gaubert, nous avons évoqué hier un éventuel élargissement du périmètre des compétences du Médiateur national de l’énergie, notamment en cas de conflit sur les installations des énergies renouvelables. Qu’en pensez-vous ?
M. Bruno Léchevin. Il semble utile et de bon goût de s’interroger sur l’évolution des missions du Médiateur national de l’énergie, sur sa transformation éventuelle en un Médiateur national de la transition énergétique. Jusqu’où doit-on aller ? Le Médiateur s’est installé au fil des ans dans le paysage énergétique français où il occupe un rôle central. Mais la donne et les approches ont changé, une complexité et des difficultés nouvelles apparaissent : incité à devenir un acteur de la transition énergétique, le consommateur devient parfois un producteur d’énergie et il est confronté aux problèmes de raccordements, de financement, etc. Qu’une instance publique puisse traiter tous les litiges qui apparaissent dans le cadre de cette transition énergétique, cela mérite réflexion. C’est au Parlement d’en décider, de fixer son cadre et ses limites.
Si je ne veux pas éluder les questions sur le budget de l’ADEME, je ne peux y apporter que les réponses que je connais. À ce jour et dans des circonstances pourtant extrêmement difficiles pour les finances publiques, le budget de l’ADEME est consolidé au même niveau que celui de cette année : 590 millions d’euros d’autorisations d’engagement. C’est une bonne nouvelle mais comment pourrait-il en être autrement au regard de la dynamique voulue par ce projet de loi ? Comme faire de l’ADEME l’opérateur essentiel du développement des politiques publiques liées à la transition énergétique si cela ne se traduit pas dans ses moyens financiers ?
Cependant, il a aussi été décidé un doublement du fonds chaleur, comme vous l’avez relevé. Comment est-ce conciliable avec un simple maintien des autorisations d’engagement ? Indépendamment du budget affecté à l’ADEME, il existe un fonds spécial de la transition énergétique, évoqué par la ministre à plusieurs reprises, qui est doté de 1,5 milliard d’euros. Une partie de ces moyens va financer des appels à projets et des dossiers suivis par l’ADEME, notamment dans le cadre du fonds chaleur. La dotation de ce dernier – environ 200 millions d’euros – devrait doubler en trois ans : 70 millions d’euros en 2015, 130 millions d’euros en 2016 et 200 millions en 2017.
C’est fondamental puisque, comme vous l’avez souligné, la conversion à la chaleur renouvelable est l’un des éléments essentiels nous permettant d’atteindre les objectifs de la transition énergétique. Le fonds chaleur a démontré toute son efficacité puisque sa contribution à la production d’énergie s’élève actuellement à 1,3 million de tonnes équivalent pétrole (TEP). Avec le doublement de sa dotation, nous pourrons atteindre les 4,5 millions de TEP qui sont tout à fait nécessaires au rééquilibrage du mix énergétique et donc au développement des énergies renouvelables, y compris dans le domaine de la chaleur.
À ce stade et en ces temps « maastrichtiens », je ne peux vous dire comment sera financé ce fonds spécial. Une commission de l’inspection générale a travaillé sur le sujet et elle va rendre ses conclusions ainsi que des propositions qui enrichiront le débat parlementaire. Une partie de cette enveloppe sera consacrée aux appels à projets « zéro gaspillage, zéro déchet » et « territoires à énergie positive » de l’ADEME.
Pour ce qui est des transports, on ne peut pas dire qu’ils fassent l’objet des plus grands développements du projet de loi. Nous avons du mal à trouver les politiques publiques innovantes qui nous permettront de réussir la transition énergétique dans ce secteur. Au-delà des opportunités technologiques – voiture propre, mobilité douce, développement des bornes de recharge –, il faut faire évoluer les comportements. La société va vers plus de services, on assiste au développement du covoiturage et de l’autopartage. Ce processus n’en est qu’à ses débuts et ne traduit pas les aspirations d’une seule génération. Grâce aux outils de communication disponibles, il est possible de le généraliser et d’offrir aux gens des services qui les aideront à se déplacer autrement. Il faut aussi inventer d’autres modèles, y compris dans l’urbanisme : la mobilité – et les émissions de gaz à effet de serre afférents – est liée à la densité des territoires, à la manière de lier l’urbain, le périurbain et le rural, etc.
Les scénarios de l’ADEME font une place importante au gaz que l’on aime surtout quand il est renouvelable. Le biogaz, l’un des éléments du rééquilibrage du mix énergétique et de la diminution des émissions de gaz à effet de serre, peut notamment être utilisé dans les transports collectifs en milieu rural.
Quant au service public de la rénovation énergétique dans le bâtiment, sa mission est de conseiller les consommateurs, qu’ils soient propriétaires ou locataires, et de les accompagner à toutes les étapes, du diagnostic énergétique à la mise en œuvre des travaux d’amélioration des performances de leur logement. Ce service public de l’efficacité énergétique devra s’appuyer sur les plateformes territoriales de la rénovation énergétique que nous mettons progressivement en place avec les régions depuis l’an dernier : nous devrions atteindre et même dépasser notre objectif de 50 créations cette année, sachant qu’il en faudrait au moins 400 pour couvrir le pays. Elles seront chapeautées et accompagnées par le service public régional de l’efficacité énergétique. Fondées sur des expériences et des acquis divers, ces plateformes fonctionnent selon des modalités différentes qu’il faudra expertiser avant de les généraliser.
S’agissant des expérimentations, qui ont suscité plusieurs questions, il nous faut être subtils, intelligents et pertinents pour parvenir à les faire entrer dans le cadre : elles doivent être encadrées, à durée déterminée, et évaluées avant d’être généralisées. Peut-être ce nouveau modèle de société implique-t-il de faire évoluer la Constitution ? Nos valeurs fondamentales peuvent être enrichies sans être reniées ni dévoyées. Il faut gagner les esprits pour que ce travail soit initié, sans forcément être aussi ambitieux qu’on pourrait l’imaginer.
Les expérimentations doivent tenir compte des réalités et des spécificités, donc ne pas être verrouillées au niveau national : la climatologie des DOM n’est pas celle de la métropole. La loi doit fixer les conditions dans lesquelles les expérimentations vont se dérouler, en fixer les limites, le cadre, la durée.
Le fonds chaleur doit être envisagé sous cet angle et il faut rappeler que son plus gros dossier, d’un montant de 20 millions d’euros, porte sur un projet de climatisation à partir de l’eau de mer : le SWAC (sea water air conditioning) de La Réunion. À ce jour, le fonds chaleur a autant investi dans les DOM qu’en métropole, ce qui prouve que cette spécificité est prise en compte. Peut-être faut-il aller plus loin ? Vous êtes en contact avec nos équipes, notamment avec notre direction des DOM, pour le faire.
La création du chèque énergie me réjouit : c’est un combat de plusieurs années dans divers métiers et une conviction personnelle. Il ne doit pas seulement figurer dans le texte mais être financé dans la durée. Cela étant, la précarité énergétique doit aussi être traitée par l’amélioration de l’habitat : l’Agence nationale de l'habitat (ANAH) a enfin trouvé une dynamique positive et son budget devrait être consolidé. Tout citoyen doit pouvoir devenir acteur de la transition énergétique, notamment en rénovant son habitat, mais l’urgence sociale est de s’occuper des factures d’énergie, notamment de chauffage. Les dispositifs sociaux ne sont pas à la hauteur des enjeux : le chèque énergie devrait fournir une aide moyenne de 250 euros minimum pour les 4 millions de précaires concernés, ce qui représente un montant global d’un milliard d’euros. Si l’on veut en faire un vrai bouclier énergétique, il faudra y mettre les moyens mais, compte tenu de l’état des finances publiques, qui doit payer ? Ce ne peut être que la collectivité, mais doit-elle le faire via le seul consommateur d’électricité ou via tous les consommateurs d’énergie ? Il faut donc revoir la CSPE et poser la question de son élargissement.
Lors de son prochain colloque, l’Observatoire de la précarité énergétique, piloté par l’ADEME, va publier des travaux sur la précarité énergétique, redéfinie en fonction d’une série de critères et non plus par l’unique paramètre habituellement retenu : le fait que 10 % du budget de la personne ou du foyer est dépensé en factures d’énergie. La précarité énergétique ne concerne pas le seul logement, mais s’étend à la mobilité et à la santé. Elle ne toucherait donc pas 4 millions de personnes comme l’indiquent les données de 2006, mais près de 20 % de la population.
Il faut donc traiter ce problème et ne pas avoir peur du financement. J’espère que nous n’aurons pas de mauvaise surprise et que la mesure inscrite dans la loi se traduira dans les faits. Cela étant, même si le dispositif créé est à la hauteur des enjeux, doté des financements adéquats, des moyens de trouver les gens et de les aider, il faudra beaucoup de temps, au moins dix-huit mois. Si l’on ne s’y met pas rapidement, il ne fonctionnera ni pour l’hiver prochain ni même pour le suivant.
Le chèque énergie pourrait être utilisé, voire abondé, pour l’achat d’un appareil électroménager plus performant. Il permettrait alors de traiter l’urgence sociale tout en participant à la réduction de la consommation d’énergie.
M. le président François Brottes. À condition que ceux qui vendent ces produits n’en profitent pas pour augmenter les prix !
M. Bruno Léchevin. C’est toute la question des effets pervers des mesures adoptées.
La rénovation des bâtiments représente aussi un enjeu considérable, dont dépend la réalisation de nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de baisse de consommation. La situation n’est pas florissante, mais elle devrait s’améliorer grâce à la dynamique initiée depuis un an et aux mesures fiscales annoncées cet été. Il faut simplifier la jungle des aides. Les dispositions et les outils existent, à commencer par les plateformes territoriales de la rénovation énergétique et le service public de l’efficacité énergétique que j’ai déjà cités.
Ce chantier de longue haleine nous engage pour dix, vingt, voire trente ans : l’objectif est d’arriver à 500 000 logements rénovés en 2017. Il y a une volonté politique et un engagement de tous les acteurs, dont l’ADEME qui en a fait l’une de ses priorités et qui agit avec ses partenaires, les collectivités territoriales et les autres opérateurs de l’État.
Madame Duflot, nous avons fait une étude sur les modes de vie, résumée en huit pages que je vais vous envoyer. Elle démontre que la transition énergétique – et la baisse de la consommation d’énergie qui y est associée – doit se faire sans dégrader les modes de vie. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment mobiliser une société en lui promettant une dégradation de son mode de vie et en la plaçant dans une perspective de décroissance ? Ce n’est pas envisageable. La transition énergétique n’a de sens que si elle est désirable, et nous devons la rendre telle grâce à nos préconisations.
Nous sommes optimistes parce que nos scénarios n’intègrent pas le bénéfice d’éventuelles ruptures technologiques et retiennent des rythmes de croissance tout à fait réalistes. Si nous parvenons à mobiliser nos concitoyens et à rendre cette transition énergétique désirable, souhaitable et réalisable, nous démontrerons qu’il est possible de construire une société différente qui crée de l’emploi parce qu’innovante et inventive. Une croissance économique plus forte n’implique pas forcément une augmentation de la consommation d’énergie : au cours des dernières années, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont enregistré une croissance – faible, certes, en raison de la crise économique – tout en abaissant leur consommation d’énergie, ce qui montre une absence de corrélation entre ces deux paramètres.
M. le président François Brottes. Il nous faut une croissance des économies d’énergie si l’on veut entrer dans ce schéma.
M. Bruno Léchevin. Évidemment. Outre un complément écrit à mes réponses, je vous ferai parvenir notre sympathique publication de huit pages sur les modes de vie, dont on peut discuter avec ses voisins et avec ses concitoyens sur le territoire.
Mme Cécile Duflot. Votre document est-il en ligne sur le site de l’ADEME ?
Bruno Léchevin. Bien sûr, de même que l’étude développée qui fait quatre-vingts pages.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Les mesures incitatives, aussi brillantes et efficaces soient-elles, vont-elles suffire ? Ne faudrait-il pas les compléter par des dispositions réglementaires, voire coercitives ? L’incitation n’est perceptible qu’à ceux qui ont les moyens d’y répondre, alors que le coercitif et le réglementaire s’imposent à tous, y compris aux personnes morales.
M. Bruno Léchevin. Le réglementaire est utile ; l’incitatif est stimulant ; la conjugaison des deux permet d’atteindre le bon équilibre. Si la transition énergétique est un beau projet de société, on ne peut le réaliser par une approche coercitive et punitive. En revanche, au vu des limites de l’incitation, il faudra garder une approche réglementaire voire coercitive dans certains domaines.
À M. Denis Baupin, qui m’a demandé d’imaginer un possible élargissement des compétences de l’ADEME, je répondrai que je suis le moins bien placé pour le faire : il vous revient d’en décider. Ce que je sais, c’est qu’on attend beaucoup de l’ADEME et qu’on lui demandera d’en faire davantage avec un budget égal. Comme l’ensemble des opérateurs d’État, l’agence doit faire des efforts de productivité, apprendre à travailler mieux, plus simplement et plus rapidement sans dévoyer la qualité. Je mobilise l’ensemble des collaborateurs sur ces thématiques et je leur explique tous les jours qu’il vaut mieux être dans une structure qui risque d’être dépassée par les commandes que dans une entreprise qui s’interroge sur sa survie.
Le pays a besoin de l’ADEME et celle-ci doit être à ce rendez-vous. À nous de répondre au défi qui nous est lancé en fluidifiant nos manières d’intervenir. Tous les collaborateurs de l’ADEME sont dans cette dynamique. Que faudrait-il donner de plus ou de mieux à l’agence ? Il faut la consolider et la conforter en termes de moyens, de ressources et d’exigences pour qu’elle puisse être au service de la transition énergétique, avec les collectivités territoriales, nos concitoyens et les entreprises.
M. le président François Brottes. Monsieur Léchevin, je vous remercie.
5. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables et de M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité
(Séance du jeudi 11 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs, de votre venue. Vous avez le mérite de contribuer au débat sur la transition énergétique par des propositions et simulations concrètes, sans adopter d’attitude défensive en face de projets nouveaux, mais en allant au contraire, au fil du temps, jusqu’à mettre vos propres propositions en question. Ce n’est pas si courant et cela mérite d’être relevé.
M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE). Notre syndicat professionnel regroupe tous les acteurs du secteur électrique – producteurs, gestionnaires de réseaux, fournisseurs –, et l’ensemble des filières électriques – énergies renouvelables, hydraulique, nucléaire et thermique. Il dispose ainsi d’une vue d’ensemble sur le secteur électrique et sur les diverses composantes du mix énergétique.
L’Union française de l’électricité a participé activement aux nombreux travaux de concertation qui ont entouré l’élaboration de ce texte. Elle poursuivra, soyez-en assurés, cette démarche positive et constructive durant les débats parlementaires. Au nom de l’ensemble de la filière, je voudrais plaider aujourd’hui devant vous en faveur d’une transition énergétique responsable, pragmatique, financièrement soutenable et contribuant à la compétitivité de la France. Tel est le sens de nos propositions d’amélioration du projet de loi.
Elles sont articulées autour des trois grands axes thématiques que sont la stratégie bas carbone, l’efficience économique et la sécurité du système électrique.
La stratégie bas carbone, axe central de la transition énergétique, doit être renforcée. Rappelons que, dans le monde, 40 % des gaz à effet de serre proviennent de l’électricité. Or la France a un atout de poids dans ce domaine puisqu’elle dispose d’un parc de production électrique décarboné à 90 %, grâce à sa production d’énergies renouvelables et d’énergie nucléaire. Des industries leaders dans leur domaine soutiennent cette production.
Ainsi, la France est le deuxième producteur d’hydroélectricité de l’Union européenne avec une filière d’excellence intégrant équipementiers et producteurs : EDF, GDF-Suez, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), d’autres acteurs de la petite hydroélectricité. Un effort important est également fourni dans le domaine de la recherche et développement. À la veille de la conférence climatique de Paris fin 2015, dite COP 21, notre pays doit renforcer cet atout climatique qui constitue un symbole fort.
Sur ce volet « bas carbone », le projet de loi définit de bonnes orientations, mais doit être plus cohérent et plus ciblé sur les énergies les plus carbonées. Car, s’il fixe un objectif ambitieux et contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 40 % d’ici à 2030, cet objectif est placé sur le même plan que les moyens pour l’atteindre, à savoir l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables ou encore la baisse des consommations fossiles. Ces moyens sont nécessaires dans une stratégie bas carbone, mais ils doivent être déterminés et hiérarchisés pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de dioxyde de carbone, qui demeure l’objectif prioritaire.
De même, il est utile d’instaurer une programmation pluriannuelle des énergies, car elle permettra d’identifier de substituer, là où c’est possible, à des usages carbonés des usages décarbonés reposant sur l’électricité produite par les énergies renouvelables. Mais le pétrole, responsable à 60 % des émissions de dioxyde de carbone, n’est pas complètement intégré dans cet outil de planification. La programmation envisagée fond ainsi les dispositifs qui existent déjà pour le gaz, l’électricité et la chaleur, mais ne crée pas de manière suffisamment évidente d’instrument spécifique pour le suivi de la consommation de pétrole et de fioul, celui-ci étant la troisième énergie de chauffage des Français, devant l’électricité. Aussi l’UFE formule-t-elle des propositions pour que la stratégie bas carbone dépasse concrètement le stade de la volonté affichée.
Quant à l’efficience économique, elle doit être au cœur des mesures proposées pour la transition énergétique. Dans un contexte de crise, les marges de manœuvre de l’État sont limitées, tandis que le pouvoir d’achat des Français doit être préservé. Même s’il ne fait aucun doute que nos concitoyens soutiennent la démarche de transition énergétique, il est aussi certain qu’ils seront très attentifs à la façon dont ce projet collectif sera géré économiquement, à son impact tant que sur les dépenses publiques que sur le pouvoir d’achat. Or il faudra des financements considérables, de sorte que l’effort doit porter de manière prioritaire sur la meilleure affectation possible des ressources.
L’UFE salue donc l’effort de ciblage proposé par le projet de loi, qui vise en particulier à saisir les chances de la rénovation pour améliorer l’efficience énergétique. Mais il est nécessaire d’aller plus loin pour éviter de s’éparpiller. Il convient de cibler les logements les plus énergivores, communément désignés comme des passoires thermiques, mais aussi les énergies de chauffage les plus carbonées, tel le fioul. Toutes les actions qui permettent de faire le plus d’économies sur la facture de chauffage n’étant pas aussi efficaces les unes que les autres, il faut rechercher l’effet de levier maximal.
En matière de précarité énergétique, le chèque énergie a le mérité de viser toutes les énergies. Mais elles ne sont pas traitées sur un pied d’égalité, puisque son financement est assuré par une taxe sur le gaz et sur l’électricité, mais qu’aucune taxe n’est prévue sur le fioul. Je vous livre donc un paradoxe : si ce point n’était pas corrigé, l’électricité et le gaz subventionneraient le fioul…
Enfin, le projet de loi doit prendre davantage en considération la sécurité d’approvisionnement du système électrique et la solidarité énergétique entre les territoires. Non seulement l’électricité ne se stocke pas et l’équilibre entre l’offre et la demande doit être assuré à tout moment, mais la production et la consommation d’électricité sont réparties de manière différente d’une région à l’autre. Certaines sont importatrices, d’autres sont exportatrices. Ainsi, la Bretagne affiche une consommation plus de cinq fois supérieure à sa production, tandis que la Haute-Normandie produit deux fois plus qu’elle ne consomme. C’est en compensant ces différences et en mutualisant les potentiels de production à l’échelle nationale, voire européenne, que la sécurité d’alimentation électrique du consommateur sera assurée.
Aussi faut-il veiller à ce que la décentralisation des compétences en matière d’énergie n’affecte pas de manière négative la cohérence de l’ensemble. Elle constitue une évolution majeure par rapport à la construction historique du système électrique, mais doit s’inscrire dans une cohérence nationale et européenne qui respecte le principe de solidarité entre les territoires. C’est pourquoi l’UFE considère comme légitime le renforcement des compétences énergétiques des collectivités territoriales, mais juge indispensable de coordonner la politique énergétique prescrite au niveau local avec celle prescrite à des mailles territoriales plus larges, voire au niveau national grâce à la nouvelle programmation pluriannuelle.
Aux yeux de l’UFE, les expérimentations prévues dans le projet de loi pourront certainement faire naître des solutions innovantes et prometteuses, mais un dispositif d’évaluation devra précéder leur éventuelle généralisation, afin de s’assurer de leur pertinence économique et climatique, mais aussi du bénéfice qu’elles apportent au consommateur.
Il est important d’aborder tous ensemble la transition énergétique, sans parti pris, avec pragmatisme et de façon responsable tant sur le plan économique que technique. L’UFE peut seulement regretter qu’à l’heure où de nombreux pays européens font le choix de la transition énergétique et alors que nos décisions en matière de mix énergétique auront certainement des conséquences sur nos voisins, le projet de loi ne fasse pas référence à la nécessité de développer une vision européenne coordonnée afin d’assurer la sécurité d’alimentation électrique. L’Europe de l’énergie souhaitée par le président de la République constitue un défi majeur, qui mérite d’être mentionné dans ce projet de loi.
M. le président François Brottes. Je voudrais attirer votre attention sur la distinction qui existe entre les mesures relevant du domaine réglementaire et les dispositions qui appartiennent au domaine de la loi. Pour celles qui relèvent de ce domaine, le droit constitutionnel fait en outre respecter la qualité de la loi en imposant un cadre qui trace des limites strictes aux dispositions expérimentales ou à faible portée normative. Il faut en tenir compte quand vous avancez des propositions.
M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Le Syndicat des énergies renouvelables est la seule organisation à rassembler la totalité des filières, géothermique, hydraulique, solaire, éolienne et maritime, mais aussi la filière qui exploite l’énergie de la biomasse grâce à la méthanisation. Il compte près de quatre cents membres, dont 80 % de petites et moyennes entreprises et d’entreprises de taille intermédiaire œuvrant dans le domaine des énergies renouvelables. Il s’emploie activement à développer le marché national, départements d’outremer y compris, ainsi qu’à structurer la filière industrielle et à l’accompagner à l’export. Il salarie directement vingt personnes.
Notre vision d’ensemble du secteur nous permet, forts de l’expérience des différentes filières, de proposer des mesures transversales. Les rapports récents de l’Agence internationale de l’énergie comme de l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) ont montré que ces dernières se développent partout hors d’Europe, car elles s’imposent comme des solutions crédibles d’un point de vue technique et économique. En 2013, ce sont ainsi 300 gigawattheures tous les deux jours qui ont été installés à ce titre, soit l’équivalent d’un EPR (réacteur pressurisé européen). Alors que les coûts baissent, 250 milliards d’euros d’investissement restent investis chaque année dans ces secteurs, accroissant toujours plus rapidement la puissance installée. Car la révolution actuelle de l’énergie n’est pas le gaz de schiste, mais le développement des énergies renouvelables.
Les entreprises françaises sont déjà dans la compétition, mais elles doivent gagner de nouvelles parts de marché. Pour ce faire, il faut un marché domestique crédible, tel que le présent projet de loi en porte l’ambition.
Le SER salue l’ambition neuve qu’il porte pour ses filières. L’horizon de 2030 n’est pas si lointain et nous approuvons les dispositions qui prévoient un pilotage de l’évolution du marché énergétique.
Nous souscrivons à l’ambition d’atteindre la part de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie d’ici à 2030. Réaliste, raisonné et responsable, cet objectif concourt largement à permettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui doivent diminuer de 40 %. Il est compatible avec les engagements européens que nous prenons dans le cadre du paquet énergie climat. Il est réalisable au regard de nos gisements disponibles, qu’il s’agisse du vent, du soleil ou des ressources marines. Il est raisonné, car le rythme prévu permet une bonne intégration aux réseaux, en particulier électriques, sans y faire naître de risque systémique. Car, pour décarboner au maximum nos consommations, le projet de loi doit pousser les consommateurs à des transferts d’usage vers l’électricité.
Du point de vue de la compétitivité économique, les énergies renouvelables soutiennent très bien la comparaison avec les énergies classiques anciennes, l’énergie hydraulique ou l’éolien produisant actuellement à 85 euros du mégawattheure. Le présent projet de loi prévoit que les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables évoluent vers un système fonctionnant sur la base d’un complément de rémunération, comme nous y engage la Commission européenne à travers sa réforme de l’encadrement des aides d’État. Sur ce point, dans la lignée de la position qu’il a défendue au cours des consultations menées au printemps par la direction générale de l’énergie et du climat, le SER propose un amendement visant à garantir une transition vers de nouveaux mécanismes qui soit progressive et assure suffisamment de visibilité aux investisseurs à l’horizon 2020.
Cet été, le SER a en effet analysé le projet de loi avec ses adhérents et élaboré des propositions. Elles sont libellées sous forme d’amendement, parce que ce format vous est familier, mais nous n’entendons certes pas nous substituer au législateur. Ainsi, le Syndicat est également favorable aux dispositions relatives au contrôle des installations. Mais il propose de bien faire encadrer ces contrôles par l’autorité administrative.
A nos yeux, la simplification du cadre réglementaire constitue aussi un chapitre important du projet de loi. Le développement des installations de production à partir d’énergies renouvelables est beaucoup trop long, puisqu’il prend de sept à huit ans. Conformément aux annonces de la ministre, le présent projet de loi doit permettre de diviser par deux le temps de développement des projets. Cette nécessité s’inscrit dans la ligne du choc de simplification appelé de ses vœux par le président de la République.
Depuis le printemps 2013, plusieurs dispositions ont été mises en œuvre pour faciliter le développement d’énergie renouvelables, en particulier pour les filières éolienne, hydraulique et biogaz. Mais il faut généraliser et compléter ces premières mesures, telles que l’autorisation unique ou le certificat de projet prévus par la loi du 16 avril 2013, dite loi Brottes. Le SER formule ainsi de nombreuses propositions de simplification visant à unifier les procédures, à supprimer les doublons et à sécuriser les projets en encadrant les contentieux. Par exemple, il lui semble que sont trop nombreux les niveaux de juridiction à se prononcer en matière d’éolien terrestre. Nous proposons aussi de simplifier la vie des projets géothermiques ou des projets de réseaux de chaleur. Je souligne que cette simplification s’opérerait à niveau constant de protection environnementale.
Le lancement d’initiatives territoriales recueille notre complet assentiment. Il semble de bonne méthode de passer par l’expérimentation, que ce soit dans le domaine des réseaux intelligents ou de la mobilité durable. Je voudrais néanmoins m’attarder sur les régions et collectivités d’outre-mer, qui étaient à la pointe des expérimentations dans les années 1990, mais où des règles techniques concernant le réseau électrique ont coupé cet élan, empêchant le développement de nouvelles capacités d’énergie renouvelable. Cette situation n’est pas acceptable, car ces territoires bénéficient de gisements extrêmement important et que la seule solution de remplacement serait le tout- pétrole, agrémenté d’un peu de charbon. Il est urgent de faire bénéficier ces territoires d’expérimentations à grande échelle, dans le secteur du stockage par exemple. Ils peuvent devenir le laboratoire de technologies nouvelles, qu’ils pourraient même exporter par la suite.
La mobilisation de la biomasse forestière est également un enjeu de territoire fondamental, car la chaleur renouvelable issue de la biomasse, plus encore que la géothermie, fournira une contribution décisive pour atteindre les objectifs fixés. Il convient donc d’éviter les usages concurrents dans le domaine du bâtiment ou de la construction.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Vous avez évoqué, monsieur Bal, la mise en place d’un système de soutien par complément de rémunération. Selon quelles modalités devrait-il, selon vous, mis en place, et qui en serait le gestionnaire ? Par ailleurs, comment les producteurs d’énergie renouvelables, et surtout les plus petits d’entre eux, vont-ils vendre leur électricité sur le marché : directement ou en passant par un agrégateur d’offre ? Est-ce le bon moment pour franchir cette étape ?
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Je partage vos préoccupations sur le chèque énergie et sur la place faite aux énergies fossiles dans la future programmation pluriannuelle des énergies.
La sécurité d’approvisionnement est loin d’aller de soi, comme le montre l’exemple de la Belgique, où l’approvisionnement électrique est menacé pour l’hiver prochain. J’y vois une incitation à diversifier notre mix énergétique. Lorsqu’une technologie est prépondérante, et qu’elle connaît des difficultés, la sécurité d’approvisionnement s’avère en effet plus fragile. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire l’indique régulièrement. La commission d’enquête sur le coût du nucléaire, dont je faisais partie, a mis cette diversification nécessaire au nombre de ses préconisations. La dépendance énergétique ne sera réduite qu’à ce prix.
Dans le domaine de la distribution d’énergie, la France occupe une position très spécifique, puisque la gestion du réseau est intégrée à la structure d’un fournisseur. Une autonomie plus grande de la distribution ne serait-elle pas souhaitable ? Les collectivités territoriales ne peuvent-elles jouer un rôle plus important dans ce secteur ?
Vous avez également évoqué le coût du renouvelable et la nécessaire simplification réglementaire. La loi Brottes a en effet permis de réaliser un premier petit pas dans le domaine de l’éolien. Au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE), nous avons eu l’occasion de débattre du surcoût inhérent aux délais de lancement des projets. L’idée y fait l’unanimité qu’il faudrait ramener de sept à quatre ans le délai de construction d’une éolienne, comme c’est le cas dans le reste de l’Europe.
Monsieur Bal, comment imaginez-vous les consultations qui entoureront le passage d’un régime de soutien à l’autre, et le pilotage du processus lui-même ? Comment les relations entre producteurs et pouvoirs publics peuvent-elles se structurer de façon durable en ce domaine ? Au CNTE, mais aussi dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), un soutien s’exprime en faveur d’une certaine flexibilité, qui fasse fond sur l’expérience des différentes filières.
Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Monsieur Bal, je partage pleinement votre analyse sur la situation dans les départements d’outremer, où un blocage est en effet à déplorer, parce que le volume de raccordement y est limité à 30 % de la puissance instantanée sur le réseau. Cela freine le développement des énergies renouvelables.
Mme Frédérique Massat. Le président Brottes a évoqué les limites formelles aux améliorations législatives, mais je citerais également l’article 40, qui impose aux parlementaires eux-mêmes de ne pas déposer d’amendement qui diminuerait les recettes fiscales ou aggraverait les charges publiques.
Ne vous semble-t-il pas que les modalités de raccordement au réseau des producteurs d’énergies renouvelables pourrait faire l’objet d’une concertation accrue ?
Enfin, quelles sont vos propositions en matière de classement des cours d’eau ? Que proposez-vous pour faciliter le raccordement des énergies renouvelables au réseau public ?
M. Julien Aubert. Comment envisagez-vous pour l’avenir la coordination des stratégies locales, régionales et nationales d’approvisionnement en énergie ? Nous avons proposé que soit institué un commissariat à la transition énergétique qui serait directement rattaché aux services du Premier ministre.
Pensez-vous que la loi devrait fixer une trajectoire plus contraignante de réduction des énergies fossiles, par exemple une sortie pure et simple du charbon ?
S’il faut dépasser le débat sur le partage entre le nucléaire et les énergies renouvelables dans le mix énergétique, ne devrait-on pas s’orienter vers la définition d’un équilibre, au sein des énergies renouvelables, entre l’énergie thermique et l’énergie électrique ? Cela ne serait bien sûr pas sans conséquence financière, en particulier à travers le calcul de la contribution au service public de l’électricité.
M. Bertrand Pancher. Monsieur Durdilly, le problème de l’utilisation des ressources se pose en effet avec une acuité particulière en temps de crise, nous incitant en effet à clairement hiérarchiser nos objectifs. J’examinerai les propositions d’amendements que vous nous soumettez. Mais avez-vous réfléchi aussi à un élargissement de la contribution au service public de l’électricité ?
Monsieur Bal, la France a décroché dans le domaine des énergies renouvelables, puisqu’elles doivent s’établir à 23 % de la consommation énergétique de 2020, mais n’en constitueront que 17 % si nous poursuivons au rythme actuel. Défendez-vous des amendements qui, tout en favorisant un atterrissage en douceur pour les entreprises qui devront quitter l’actuel système de soutien, garantissent la réalisation de l’objectif de 30 % fixé pour 2030 ? Nous avons de même évoqué avec le président de l’ADEME l’évolution du fonds qui finance les pompes à chaleur.
Mme Cécile Duflot. Monsieur Bal, vous avez évoqué le financement des sociétés de projets pour les énergies renouvelables. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire peuvent-elles entrer au capital de ces sociétés ?
M. Damien Abad. Je regrette que la dimension européenne ait été un peu négligée dans notre approche, comme je l’ai dit à la ministre lorsque nous l’avons entendue. Disposez-vous de données comparatives ? Par ailleurs, quel est votre avis sur le gaz de schiste ?
M. Jean Launay. L’association UFC-Que choisir nous a interrogés hier sur la séparation entre EDF et ERDF, en proposant que cette dernière entreprise soit contrôlée sur le modèle de Réseau de transport d’électricité (RTE) : qu’en pensez-vous ? Comme mon collègue Bertrand Pancher, je m’interroge également sur un possible élargissement de la contribution au service public de l’électricité à d’autres sources d’énergie. La CSPE conserverait son nom, mais le E final serait la première lettre du mot « énergie », et non plus celle du mot « électricité ».
M. le président François Brottes. Trouver le sigle n’est certes pas le plus difficile…
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Comment calculez-vous la durée d’amortissement d’une installation d’énergie renouvelable ? Il est important de pouvoir évaluer dès le départ le coût financer, mais aussi le coût carbone, de telles installations.
M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs les présidents, d’avoir mentionné l’apport d’une proposition de loi qui a visé à faciliter l’installation d’éoliennes terrestres et le raccordement d’éoliennes off-shore. Des progrès restent cependant à faire.
Incluez-vous les barrages au nombre des installations productrices d’énergies renouvelables pour lesquelles les modalités de recours doivent être rationalisées ? L’autoconsommation se développe, ce qui est, de l’aveu unanime, souhaitable, sauf lorsqu’il s’agit de groupes électrogènes. Cela étant, ne faudrait-il pas envisager de la faire contribuer à l’utilisation du réseau public d’électricité ? Les auto-consommateurs tiennent en effet à rester rattaché à un réseau et devraient à ce titre être assujetti au tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE). Ne pas le faire aurait, me semble-t-il, un effet pervers. Cela vaut d’ailleurs aussi pour les réseaux d’eau. Les associations de consommateur disent ne pas être opposés au paiement d’un abonnement.
Vous avez abordé la question du stockage des énergies renouvelables et de l’intermittence. Une meilleure gestion du flux permettrait-elle d’économiser sur les investissements dans le réseau, prévu pour des pics d’activité qui seraient amenés à disparaître ? Quel est le modèle économique viable pour le juste partage entre augmentation du stockage et réduction de l’intermittence ?
Je crains que nous n’ayons abordé la question des énergies de manière trop fragmentée jusqu’à présent, établissant des distinctions entre l’éolien terrestre et maritime ou entre l’énergie hydraulique fluviale et maritime. Comment réussissez-vous à mener une approche fine de chaque segment concerné ?
M. Robert Durdilly. Si vous le voulez bien, nous répondrons tour à tour à chacune des questions. À propos du complément de rémunération, l’Union française de l’électricité était attentive à ce qu’un mécanisme de soutien soutenable soit mis en place, et qu’il intègre les producteurs d’énergie renouvelable. L’obligation d’achat a ses vertus. Elle a permis d’obtenir les résultats actuels, mais le complément de rémunération créera moins de distorsions.
Un problème peut apparaître pour les petits producteurs qui n’ont pas les moyens de commercialiser seuls leur électricité. Ils devront passer par un agrégateur d’offres. Il serait envisageable qu’un agrégateur de dernier recours existe pour ceux qui n’en ont pas trouvé d’autre.
M. le président François Brottes. Une sorte de service public de l’agrégation, mais de l’agrégation d’électricité… (Sourires.)
M. Jean-Louis Bal. Au sujet du complément de rémunération, nous avons déjà publié un avis dans le cadre de la consultation organisée au printemps par la Direction générale de l’énergie et du climat. Nous sommes en faveur d’un complément de rémunération qui serait déterminé en fin de période : un prix cible serait défini en début de période, et le complément serait calculé à la fin, en se fondant sur l’écart constaté avec le prix du marché.
Cette formule a le mérite d’initier les producteurs au fonctionnement du marché, mais aussi de garantir une certaine visibilité aux investisseurs. L’autre formule d’une prime ex ante aurait au contraire pour défaut de susciter une certaine frilosité et un surcroît de précaution qui surenchérirait au total l’électricité produite.
Quant à la vente de l’électricité sur le marché, les petits producteurs peinent déjà, en particulier dans l’hydroélectricité, à écouler leur offre. Des start-up se développent pour agréger l’offre des différents producteurs. C’est un nouveau métier qui apparaît. Mais il est difficile de prédire quels seront les tarifs appliqués aux producteurs d’énergie renouvelable devant recourir à leur service.
M. Robert Durdilly. Monsieur Baupin, la sécurité d’approvisionnement est en effet corrélée à la diversité du mix énergétique. La transition énergétique pose précisément le problème du pilotage de son évolution.
Jusqu’où aller dans la séparation juridique entre distributeur et producteur d’électricité ? Les exigences européennes sont moins pressantes dans le domaine de la distribution que dans celui du transport de l’électricité. Au-delà de la question juridique, il faut s’interroger sur les contours d’une distribution envisagée comme fonction indépendante et sur les mécanismes de contrôle dont disposerait un régulateur dans ce schéma.
Quant à la simplification proposée par le projet de loi, nous la soutenons, en particulier lorsqu’elle vise à raccourcir les délais de recours contre les nouvelles installations d’énergies renouvelables.
M. Jean-Louis Bal. Monsieur Baupin, je pense que notre transition énergétique pourrait s’inspirer de l’exemple allemand, qui a permis, au moins au début, aux producteurs bénéficiant de l’obligation d’achat de passer à leur guise vers le système du complément de rémunération.
Or, contrairement aux attentes, ils ont été très nombreux à opter en faveur de ce dernier. Dans l’Allemagne d’aujourd’hui, le soutien aux énergies renouvelables prend la forme d’un complément de rémunération pour la plus grande partie des producteurs, voire pour 80 % d’entre eux dans le domaine de l’énergie éolienne. Au demeurant, ils n’optent pas définitivement pour le complément de rémunération, puisque l’option leur est offerte chaque mois de revenir au bénéfice de l’obligation d’achat. Ainsi, les producteurs d’énergies renouvelables ne craignent pas la confrontation avec les mécanismes du marché.
Le problème de l’agrégation de l’offre se pose également sur le marché allemand. Les premières années, une prime de management est versée. S’élevant à deux ou trois euros par mégawattheure, elle est censée couvrir le coût de l’intégration.
Du cas allemand, nous retenons, dans nos recommandations, qu’il serait d’offrir aux producteurs, durant une certaine période, la possibilité d’opter pour un système de soutien ou pour un autre.
M. Jean-Louis Bal. Madame Bareigts, le seuil de 30 % en puissance instantanée est fixé de manière empirique. Sur un petit système électrique comme celui de Mayotte, des problèmes peuvent déjà apparaître en-deçà. Dans la métropole, il peut être au contraire dépassé sans difficulté majeure. Cela n’a donc guère de sens de fixer le seuil au même niveau partout. En Guyane, à La Réunion, les ressources hydrauliques stockables qui sont disponibles permettraient de le relever.
Nous avons donc proposé, il y a un an, une adaptation du seuil et la prise en compte des énergies renouvelables susceptibles de stockage. Pour seule réponse, le lancement prochain d’un appel d’offres est annoncé pour développer l’installation photovoltaïque dans les départements d’outremer. Mais aucun dispositif tarifaire n’est encore évoqué.
M. Robert Durdilly. La question du risque d’approvisionnement se pose en effet avec d’autant plus d’acuité que la maille est plus petite. La probabilité de défaillance liée à une production intermittente est régie par des règles héritées de l’histoire, mais qui méritent d’être revues aujourd’hui avec les producteurs d’énergies renouvelables.
Madame Massat, vous nous interrogez sur l’efficacité énergétique des réseaux. Elle est imposée par une directive européenne dont la transposition permettra de préciser les modalités. Quant à l’efficacité énergétique en aval, elle restera de la responsabilité des producteurs.
L’apparition des énergies renouvelables pose le problème de leur intégration dans les réseaux. Censées être vertueuses, elles pourraient paradoxalement ne pas l’être tant si elles supposent un développement accru des réseaux. À mesure de leur montée en puissance, cette question gagnera en acuité, mais les mécanismes d’effacement du réseau électrique pourraient offrir un début de solution.
M. Jean-Louis Bal. Le classement des cours d’eau doit être guidé par le respect de l’environnement. Mais il faut aussi éviter de figer la situation sans tenir compte des progrès technologiques de la production hydraulique. Aussi suis-je en faveur d’une révision quinquennale du classement.
Quant à l’intégration des producteurs d’énergies renouvelables au réseau électrique, j’estime que la mutualisation de l’offre gagnerait à se renforcer, car je préfère parler de variabilité plutôt que d’intermittence de la production. Les schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables fournissent un outil pour améliorer la coordination et la maîtrise des volumes mis sur le réseau. Les coûts inhérents à un raccordement au réseau devraient au reste être partagés avec le gestionnaire de ce dernier.
M. Robert Durdilly. Monsieur Aubert, il est vrai qu’il faut veiller à ce que les différents niveaux territoriaux définissent des approches énergétiques qui s’emboîtent, même si nous n’avons pas proposé de partage précis des responsabilités. Certains territoires sont excédentaires en énergie. Comment s’assurer qu’ils définiront des prescriptions, par un exemple un taux d’équipement en installations d’énergie renouvelable, cohérentes avec les orientations nationales ? Comment garantir l’affectation optimale des ressources ? Ceux qui prennent les décisions ne sont pas toujours ceux qui en supporteront le coût, puisque le soutien financier aux énergies renouvelables restera national.
Quant au fioul, nous pensons en effet qu’il faut réduire davantage sa consommation. Mais le problème principal de la transition énergétique, pour le fioul comme pour les autres énergies anciennes, est de trouver le moyen d’inciter à s’en détourner pour passer aux énergies renouvelables. Au-delà des objectifs chiffrés, le transfert d’usage constitue donc un enjeu crucial.
M. Jean-Louis Bal. Or, si le projet de loi consacre l’ambition d’atteindre la part de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie d’ici à 2030, il ne fournit pas de répartition pour l’usage de ces énergies. Le dossier de presse paru en même temps que le projet de loi était cependant plus explicite, en indiquant que la part des énergies renouvelables représenterait 40 % de l’électricité produite, 38 % de la chaleur consommée et 15 % des carburants utilisés.
L’effort à réaliser sur la chaleur est considérable, puisque les énergies renouvelables n’y représente que 11 % de la consommation aujourd’hui. Cet effort reposera principalement sur la biomasse, mais s’appuiera aussi sur la géothermie. Une répartition stricte entre les trois types d’application de l’énergie reste cependant difficile.
M. Robert Durdilly. À M. Pancher, je voudrais répondre que nous n’avons pas de réflexion particulière sur la contribution au service public de l’électricité, mais que nous déplorons avec lui que le pétrole ne soit pas mis à contribution.
M. Jean-Louis Bal. M. Pancher mentionnait également un décrochage dans le rythme auquel nous poursuivons nos objectifs de développement des énergies renouvelables. Ce phénomène n’est pas dû tant au tarif d’achat qu’à l’encadrement réglementaire, qui s’avère trop lourd. Il pourra être résorbé si le nouveau mécanisme de soutien donne une visibilité suffisante aux investisseurs.
Madame Duflot, nous sommes tous à fait ouverts à la possibilité non seulement pour les entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, mais même pour des particuliers ou pour des sociétés d’économie mixte, de participer au capital des sociétés de projet qui développent des énergies renouvelables. Mais il ne faut pas ériger d’obligation en ce domaine.
M. Robert Durdilly. Au niveau européen, nous travaillons avec les industriels allemands, dont les points de vue ne sont pas éloignés des nôtres. Nous réfléchissons au moyen d’intégrer éventuellement aux mécanismes de capacité nationaux les capacités présentes à la frontière.
Quant au gaz de schiste, j’estime qu’il peut offrir le moyen d’importer moins de pétrole. Quels que soient les choix finalement retenus, l’innovation doit être protégée et nous sommes favorables à la recherche.
M. Jean-Louis Bal. Madame Le Dain, vous nous avez interrogé sur la manière de calculer les amortissements dans le domaine des énergies renouvelables. Les paramètres à prendre en compte sont la durée de vie des installations, la durée des contrats qui les régissent et la durée des financements accordés par les banques aux sociétés de projet. Puisqu’il s’agit de technologies relativement neuves, nous restons prudents.
Dans l’éolien, l’obligation d’achat court sur quinze ans, mais une rénovation assez lourde intervient au terme de cette période, puisqu’il faut changer les pièces en mouvement. Dans le domaine du photovoltaïque, où les pièces ne sont pas en mouvement, une même installation peut durer vingt ans, et même au-delà.
Quant au coût carbone de ces installations, je dirais que l’énergie nécessaire à la fabrication d’une éolienne est produite par cette même éolienne dans les six premiers mois d’activité. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le coût carbone des équipements photovoltaïques met, quant à lui, un à trois ans à être compensé.
Monsieur le président, je souligne à nouveau combien il est nécessaire que les délais de recours et les niveaux de juridiction soient similaires pour l’ensemble des installations d’énergie renouvelable. Une procédure unique pour chacune des filières est également souhaitable. Quant à l’autoconsommation, nous trouverions normal qu’elle contribue à l’acheminement, ce qui suppose cependant un nouveau mode de calcul du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité.
Le stockage pourrait être une réponse à l’intermittence, ou plutôt à la variabilité, pour reprendre la terminologie internationale. Mais le développement du réseau devrait lui-même faire baisser le besoin de stockage. Le taux de pénétration des énergies variables s’établit à seulement 5 % en moyenne annuelle sur le réseau métropolitain. Or il pourrait augmenter jusqu’à 45 %. Je renvoie sur ce point aux études de l’Agence internationale de l’énergie sur la flexibilité des systèmes de production électrique. Quant à la segmentation entre les diverses énergies renouvelables, notre syndicat s’enrichit justement de cette diversité.
M. Robert Durdilly. Le réseau électrique non seulement apporte de l’énergie, mais garantit une sécurité d’approvisionnement. Cette fonction doit être rémunérée comme telle, grâce à un nouveau calcul du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité.
M. le président François Brottes. Messieurs les présidents, nous vous remercions.
6. Audition ouverte à la presse de M. Pierre Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire et de M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
(Séance du jeudi 11 septembre 2014)
M. le président François Brottes. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) que vous présidez, monsieur Chevet, est un modèle d’indépendance et d’exigence dans le monde, ce qui justifie le surnom « Toujours plus » que vous donnent certains. Quant à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), il œuvre non seulement auprès des centrales nucléaires mais dans tous les domaines où existe un risque d’irradiation – soins dentaires, radiographie, etc. De récents événements ont d’ailleurs malheureusement montré la nécessité de renforcer le contrôle à cet égard.
M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Je dirai quelques mots sur le contexte français en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection en France, avant d’en venir aux dispositions législatives qu’il nous paraîtrait utile d’adopter. Jacques Repussard évoquera ensuite le fonctionnement du système de contrôle exercé conjointement par l’ASN et par l’expert technique que constitue l’IRSN.
En matière de sûreté et de radioprotection, nous sommes confrontés aujourd’hui, et sans doute pour les cinq à dix années à venir, à des enjeux sans précédent. Parmi ces enjeux, la prolongation éventuelle de la durée de vie des centrales nucléaires, la mise en service de l’EPR de Flamanville et, bien entendu, les suites de l’accident de Fukushima, puisque les actions immédiatement engagées se prolongeront, on le sait, pendant les dix prochaines années. Je ne parle pas de la réévaluation de sûreté des autres installations que les réacteurs nucléaires, c’est-à-dire les installations du cycle du combustible et celles du Commissariat à l’énergie atomique, qui nécessitera un énorme travail au cours des toutes prochaines années. L’ASN et l’IRSN doivent également faire face – vous y avez fait allusion – aux questions de radioprotection dans le domaine médical, en radiothérapie ou lors d’examens diagnostiques plus classiques, pour lesquels les enjeux liés à la dosimétrie sont cruciaux et nécessitent une vigilance sans relâche.
À l’exception de Fukushima, tous ces enjeux pouvaient être anticipés et l’ont globalement été, pour une raison simple : le parc nucléaire arrive à une étape clé, celle de ses quarante ans. En effet, les centrales ont été dimensionnées à l’origine pour une durée forfaitaire de fonctionnement de quarante ans environ. Parallèlement, la génération qui a accompagné le déploiement du parc nucléaire français il y a trente ou quarante ans arrive au terme de sa vie professionnelle. Un problème matériel, celui de l’obsolescence des centrales, se double donc d’un problème de renouvellement des compétences. Cela vaut du parc de production d’électricité nucléaire comme des autres installations, notamment les installations de recherche qui ont précédé et préparé la montée en puissance du parc, mais aussi toutes les installations du cycle. Ces questions se posent pour l’ensemble de la chaîne industrielle nucléaire et les enjeux sont considérables.
Pour y faire face, deux conditions doivent être réunies. Premièrement, l’existence d’un exploitant – EDF – en état de marche, ce qui renvoie à la nécessité de renouveler les compétences et de disposer de la capacité financière d’investir dans des moyens de production comme dans la sûreté. Deuxièmement, l’existence d’une autorité de contrôle – IRSN inclus – elle aussi en état de marche.
Dans ce contexte, la loi de transition énergétique – et d’autres lois peut-être – offre l’occasion de passer à une étape ultérieure en matière de sûreté et de radioprotection.
S’agissant des moyens du contrôle – qui ne concernent sans doute pas principalement la loi de transition énergétique –, nous avons été amenés à nous exprimer, conjointement avec l’IRSN, à propos de nos besoins au cours des prochaines années. En résumé, alors que nous sommes actuellement mille à contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection en France, il faudrait selon notre estimation, que nous avons rendu publique comme il se doit, deux cents personnes de plus au cours des années à venir. Au terme des arbitrages budgétaires rendus cette année en vue du prochain triennal, l’ASN a obtenu – à ce stade de la discussion – 30 postes supplémentaires et l’IRSN a préservé ses moyens. Ce résultat nous paraît le meilleur possible compte tenu du type de financement en vigueur, issu avant tout du budget de l’État, et des contraintes budgétaires actuelles. Mais il reste assez éloigné du chiffre que je viens d’indiquer. Nous avons toujours souligné la nécessité, qui devient aujourd’hui une urgence, de réfléchir à une réforme du financement, en particulier d’envisager un système fondé sur des taxes payées directement par de gros exploitants nucléaires, sous le contrôle du Parlement. Ce système, à l’œuvre aux États-Unis, permet notamment une modulation du contrôle directement proportionnelle, donc ajustable, aux besoins. Nous savons gré au Gouvernement de ses propositions budgétaires, mais elles illustrent les limites du dispositif actuel de financement du contrôle. La réforme que nous appelons de nos vœux pourrait trouver sa place dans la loi de transition énergétique mais aussi dans la loi de finances.
En ce qui concerne la loi de transition énergétique proprement dite, nous avons élaboré des dispositions qu’il nous paraîtrait souhaitable d’y inclure pour l’améliorer.
Il s’agit d’abord de mieux informer le public. Dans cette perspective, la disposition tendant à ouvrir aux étrangers l’accès aux commissions locales d’information (CLI) proches des frontières nous semble tout à fait bienvenue. Actuellement, ils y sont au mieux invités, alors qu’ils devraient avoir le droit et le devoir de s’y exprimer. Ces structures sont d’ailleurs plutôt reconnues en Europe comme un bon outil de concertation avec le public. En revanche, je l’ai déjà dit publiquement, certaines décisions hors norme de l’ASN – réévaluations de sûreté des réacteurs tous les dix ans, réévaluation des quarante ans en particulier – mériteraient davantage que le dispositif prévu par la loi, c’est-à-dire qu’une consultation de trois semaines sur Internet.
Enfin, la loi fait de la transparence une obligation, mais comment en organiser le contrôle ? Ne pourrait-on le confier plus explicitement au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, qui serait chargé de faire rapport public à partir d’un rapport que lui transmettrait l’ASN elle-même chaque année ?
Deuxième thème essentiel : mieux encadrer le démantèlement. À cet égard, le projet de loi s’efforce de traduire l’idée internationale du « démantèlement immédiat ». L’expression est malheureuse car tout démantèlement demande nécessairement du temps. L’idée est en fait que le plan de démantèlement soit préparé très vite, pendant que les personnes compétentes sont encore là. Si on laisse s’écouler dix ans entre l’arrêt d’une installation et le moment où le plan est prêt, il est probable que toutes les personnes compétentes, celles qui ont connu l’installation, voire qui l’ont construite, seront parties dans l’intervalle. La loi introduit ainsi une disposition tendant à limiter le délai qui sépare l’arrêt de l’installation du dépôt par les exploitants du dossier de démantèlement – qu’il reste ensuite à instruire. Cette mesure essentielle est, je le répète, en phase avec les orientations internationales.
Le troisième thème figure dans la loi par l’intermédiaire de l’ordonnance : il s’agit des capacités de sanction dont dispose l’ASN. Entre l’arme lourde – le pouvoir d’arrêter une installation de notre propre chef si la sûreté y est manifestement compromise – et les armes quotidiennes – procès-verbaux, mises en demeure –, nous n’avons guère de moyens intermédiaires, notamment lorsqu’il s’agit de remédier à des écarts mineurs mais qui se prolongent plusieurs années, parfois jusqu’à vingt ans. Nous avons donc proposé un système d’amende journalière que les exploitants devraient verser tant que la situation n’est pas revenue à la normale.
Un aspect, peu connu sans doute, doit absolument être abordé dans cette loi ou dans une autre : la protection des sources radioactives contre les actes de malveillance. Ces sources se trouvent dans de nombreux endroits, dans les installations nucléaires de base, naturellement, mais aussi sur des chantiers plus classiques. Elles permettent par exemple de réaliser des clichés des tuyauteries pour vérifier une soudure. Ce problème est aujourd’hui orphelin de tout encadrement : on ne peut ni demander aux exploitants d’agir ni contrôler ce qu’ils font. Puisqu’il est prévu de confier le contrôle à l’ASN, nous avons lancé depuis deux ou trois ans, sans mandat, un ensemble d’investigations pour étudier la situation et il nous a semblé indispensable de disposer rapidement d’un cadre pour intervenir formellement et imposer des mesures. Cette question est d’ailleurs jugée importante à l’international.
Enfin, notre système sinon unique, du moins original qui allie un expert technique, l’IRSN, et une autorité administrative indépendante chargée de prendre les décisions, l’ASN, nous paraît efficace. Il a l’avantage de décharger l’expert qui rend son avis du poids de la décision. Cela favorise la sûreté nucléaire comme la transparence, sachant que l’avis de l’IRSN est systématiquement rendu public, de même que la décision de l’ASN. De cette appréciation, il convient de tirer toutes les conséquences, d’une part en rendant encore plus transparents et précoces les avis de l’IRSN, d’autre part en améliorant et en clarifiant le pilotage stratégique par l’ASN de l’ensemble de la chaîne de contrôle, y compris les travaux de l’IRSN. Il s’agit bien d’assurer un pilotage, et non de donner un avis sur les avis de l’IRSN, qui relèvent de sa seule responsabilité ; la nôtre consiste à prendre des décisions.
M. le président François Brottes. Et si d’aventure le rapport de l’IRSN ne vous satisfaisait pas, sur quelle contre-expertise pouvez-vous vous appuyer ?
M. Jacques Repussard, président de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). La question est légitime. Il existe auprès de l’ASN des groupes permanents d’experts, composés d’experts individuels chevronnés qui examinent notre rapport sur les sujets majeurs, nous entendent, recueillent les observations de l’exploitant. Et, souvent, un consensus se dégage, qui s’étend aux exploitants eux-mêmes, sur ce qu’il faudrait faire, compte non tenu des questions de délais et de financement qui nous échappent. Le système est d’autant plus solide qu’il inclut ainsi une possibilité d’analyse critique du travail de l’expert institutionnel. Nos experts savent qu’ils devront rendre compte de leurs travaux quant au fond.
En ce qui concerne le projet de loi, j’indiquerai d’abord celles de ses dispositions qui me paraissent de nature à renforcer la sûreté nucléaire, ensuite celles qui pourraient être améliorées par le débat à venir avec le Gouvernement et le Parlement.
Parmi les très nombreux sujets dont traite la loi et qui n’ont pas tous, loin de là, à voir avec la sûreté nucléaire, deux innovations en particulier devraient la renforcer – un objectif que nous poursuivons en tant qu’institution, mais qui préoccupe également tous nos concitoyens, ce qui laisse espérer un consensus politique national analogue à celui de 2006 sur la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
Premièrement, le pilotage de la ressource énergétique en général est confié à l’État, et à travers lui à la nation, ainsi investis d’une mission claire obéissant à des règles précises. En matière de nucléaire, il est particulièrement bienvenu de susciter ainsi un débat sur les besoins du pays à long terme, car les choix dans ce domaine demandent du temps, des discussions, une planification : c’est sur une décennie au moins que s’éprouvent les décisions en matière d’investissement ou de changement de mode de production. On l’a vu au cours des dernières années, l’absence de planification et de mécanisme de surveillance par le Parlement a fait obstacle à la prise de décision ou entraîné des choix industriels contestés, ce qui n’est pas propice à la sûreté nucléaire.
Le texte de loi recourt à des formules fortes qui renvoient à la notion de vigilance de la nation. Car la sûreté nucléaire, c’est aussi la nation elle-même qui en est comptable. Ainsi, la catastrophe de Tchernobyl était inscrite d’avance dans la déliquescence de l’Union soviétique, dans la séparation complète entre le système et le plan de production et dans la manière de gérer les équipes au sein des centrales. En associant la nation à la réflexion sur l’énergie par l’intermédiaire de la démocratie locale et régionale, notamment des CLI, on incite chacun à s’interroger sur la sûreté nucléaire, ce qui est en soi bienvenu.
En matière de sûreté nucléaire, nous faisons en réalité un pari, longtemps occulté au niveau politique, sur le bénéfice global de l’énergie nucléaire, qui suppose l’absence d’accident. Il s’agit d’un pari parce que le risque zéro n’existe pas. Nous devons le gagner en tant que nation : aussi longtemps que nous aurons des installations nucléaires et que nous utiliserons les technologies que nous connaissons aujourd’hui, il s’agit pour les exploitants, comme pour les contrôleurs que nous sommes, d’éviter un accident qui neutraliserait tous les gains économiques procurés par l’énergie nucléaire. L’enjeu est majeur.
Ce qui nous amène au second volet particulièrement bienvenu du projet de loi, qui porte sur le filet de sécurité qu’est le système français de sûreté nucléaire. Celui-ci a été élaboré par la loi de 2006, qui fonde la sûreté nucléaire sur trois piliers. Le premier est l’exploitant, que cette loi désigne sans ambiguïté comme le responsable pénal de la sûreté nucléaire de ses installations. Le projet actuel a le grand intérêt de mieux codifier la phase de démantèlement, désormais toute proche pour une partie des installations. Le deuxième pilier est la police administrative, à propos duquel le texte propose des améliorations qui nous paraissent opportunes car, même si elles ne sont pas de notre ressort, elles rendent notre travail d’expertise plus utile. Je ne les détaille pas, puisque Pierre-Franck Chevet les a exposées.
La question des moyens est extrêmement sensible. Je sais moi aussi gré au Gouvernement de ses arbitrages budgétaires, qui nous sont favorables compte tenu du contexte et du mécanisme de financement actuels. Ainsi, la baisse planifiée de la subvention versée à l’IRSN sera compensée par une hausse, dans des proportions presque équivalentes, de la contribution déjà acquittée par les exploitants. On va ainsi atteindre le plafond autorisé par la loi de finances qui a instauré ce dispositif il y a quelques années, ce qui doit nous inciter encore davantage à réfléchir à l’avenir de ce mode de financement. Nos moyens sont préservés, ce qui est préférable au projet initial du ministère des finances mais ne suffit pas à nos besoins : il faudra donc faire des choix, peut-être revoir le rythme de progression sur certains sujets ; nous ferons avec ce que nous aurons. Mais l’essentiel est préservé. En outre, pour la première fois, le Gouvernement a considéré cette année – contrairement à 2013, année catastrophique pour nous du point de vue budgétaire – que c’était le budget de l’IRSN tout entier qu’il fallait sauvegarder au nom de la sûreté nucléaire, et non simplement la part qui finance l’appui à l’ASN. Car la recherche menée à l’IRSN, c’est l’expertise de demain : nous l’avons fait valoir l’année dernière et, cette fois, nous avons été entendus. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
La vigilance de la société est le troisième pilier de la sûreté nucléaire. Elle est ici abordée explicitement à propos des CLI, ce qui constitue un progrès.
À ces trois piliers, il faut à mes yeux en ajouter un quatrième : la science. Il figure partout dans les documents internationaux ; la nouvelle directive européenne sur la sûreté nucléaire, qu’il nous faudra transposer, le mentionne sans ambiguïté. En d’autres termes, la sûreté nucléaire ne peut être absolue, mais elle dépend de l’état de l’art et c’est compte tenu de celui-ci que la police administrative se prononce. Voilà pourquoi elle a besoin d’une expertise.
Malheureusement, dans le corpus législatif actuel, ce quatrième pilier n’est qu’implicite. La loi de 2006 disposait simplement que l’ASN est consultée par le Gouvernement sur la part de la subvention de l’État à l’IRSN correspondant à la mission d’appui technique de l’institut à l’ASN. C’est tout à fait insuffisant pour nous doter d’une assise juridique. L’ASN est une autorité administrative indépendante alors que l’IRSN est un établissement public de l’État. L’application des règles générales qui en découlent entrave au niveau institutionnel un dialogue pourtant satisfaisant au quotidien. Par exemple, le président de l’ASN ne peut siéger avec voix délibérative au conseil d’administration de l’IRSN. Il faut remédier à cette situation.
La première lacune qui nous est apparue dans le texte est d’ailleurs la surprenante absence de mention des missions de l’IRSN. Celui-ci ne tient pourtant aujourd’hui qu’à un fil puisque, de la loi de 2001 qui l’a créé et qui a été abrogée, ne reste qu’un cavalier qui mentionne la création de l’Institut et astreint ses agents au secret professionnel lorsqu’ils ont accès à des données confidentielles. C’est d’autant plus paradoxal que le code de la défense, le code du travail ou le code de la santé publique contiennent des dispositions relatives à l’IRSN, qui concernent par exemple la sécurité nucléaire ou la comptabilité des matières nucléaires. Nous travaillons d’ailleurs avec le cabinet de la ministre de la santé, dans le cadre de la loi de santé publique en préparation, à une modification du code de la santé publique en vue d’habiliter l’IRSN à accéder aux données médicales des patients, car l’argument a pu être utilisé par certains directeurs d’hôpital pour nous empêcher d’enquêter dans son établissement. Bref, il nous semblerait utile – comme à l’ASN, d’ailleurs – que la loi récapitule dans un bref article, destiné à la partie législative du code de l’environnement, les missions essentielles de l’Institut et le système dual de contrôle en vigueur, afin de les graver dans le marbre.
Des missions de l’IRSN découle naturellement la nécessaire transparence de ses travaux. Aujourd’hui, c’est du seul bon vouloir du président de l’ASN que dépend la publication de certains avis de l’IRSN, les autres n’étant publiés que tardivement ou ne l’étant pas du tout. Nous pouvons en discuter entre nous, mais cette situation n’est en tout cas pas idéale. Mieux vaudrait préciser dans la loi que les avis de l’IRSN sont des documents publics auxquels les décisions de l’ASN doivent faire formellement référence – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, de sorte que les citoyens ne savent pas sur quoi se fonde la décision.
S’agissant enfin de l’interface entre les deux organes, je répète que le président de l’ASN n’a qu’une voix consultative au conseil d’administration de l’IRSN, alors que l’ASN devrait être associée au pilotage stratégique de l’appui technique et aux grands choix opérés en conseil d’administration. Rappelons également la nécessité de veiller à la continuité entre les deux institutions lors des arbitrages budgétaires.
Nous avons soumis au ministère de l’écologie – un peu tard, hélas – ces différentes dispositions que nous appelons de nos vœux. Elles n’ont malheureusement pas été retenues par Mme Royal, non parce qu’elles n’étaient pas pertinentes mais au motif qu’il ne fallait pas surcharger le volet nucléaire de la loi. Nous comprenons cet argument, mais nous regrettons que nos propositions, qui étaient prêtes, aient été laissées de côté après une première étude par l’administration du ministère et les cabinets ministériels et une validation à ce niveau. Nous aimerions étudier avec le Gouvernement et le Parlement le moyen de les réintroduire soit dans le texte, soit, pour éviter d’alourdir celui-ci, dans l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.
M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI. J’entends vos demandes, messieurs, et je n’ai rien contre l’inscription dans la loi des missions de vos organismes. Mais je doute qu’il soit possible de réintroduire dans le texte des dispositions que le Gouvernement a déjà étudiées et écartées.
J’aimerais avoir votre avis sur les demandes d’amendements que les représentants d’EDF m’ont communiquées.
L’article 31 dispose en son alinéa 9 qu’en cas d’accident, l’exploitant organise une visite de l’installation. EDF aimerait que la visite soit limitée dans le temps : la commission locale d’information nucléaire viendrait sur le site à un moment précis et pour une durée déterminée.
Aux termes de l’article 32, alinéa 12, l’exploitant n’est plus autorisé à faire fonctionner l’installation après un arrêt. EDF souhaite que la phrase soit supprimée au motif que c’est de fait le cas, de sorte que la précision serait inutile. Ces dispositions ayant été établies à la suite d’une discussion entre l’ASN, l’IRSN et le Gouvernement, j’aimerais avoir l’avis des deux premières puisque j’ai déjà demandé le sien au troisième.
S’agissant de l’article 32, alinéa 14 – « l’exploitant adresse, sans tarder et au plus tard deux ans après la déclaration mentionnée à l’article L. 593-26 », etc. –, EDF juge trop court le délai de deux ans, notamment au motif que quatre ans sont nécessaires à l’étude d’impact sur la faune et la flore.
L’article 33, alinéa 3, habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour doter l’ASN du pouvoir de prononcer des astreintes. EDF souhaiterait que leur montant soit le même que pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), afin d’éviter qu’il n’atteigne des niveaux pharaoniques.
Enfin, la requalification des matières en déchets radioactifs par l’autorité administrative, prévue à l’article 34, alinéa 4, pose problème à EDF, surtout à La Hague où elle risque d’empêcher certains déchets de devenir un jour des combustibles de quatrième génération.
Qu’en pensez-vous ?
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Mes questions font suite à la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, qui avait pour but de préparer le débat sur la loi de transition énergétique.
Monsieur Chevet, la production d’électricité en France se caractérise par une quasi-monotechnologie puisqu’elle est issue à 80 % du nucléaire. Diriez-vous que la diversification de la production d’électricité renforcerait la sûreté en réduisant notre dépendance et le risque d’incidents génériques, que vous jugez élevé et qui pourrait engendrer un conflit entre notre besoin de sûreté et notre nécessaire approvisionnement ?
Alors que la durée de vie des centrales approche les quarante ans, la loi devrait selon vous prévoir une « concertation renforcée » sur l’éventuelle prolongation de chaque réacteur – ce sont vos termes, que nous avons également utilisés dans les conclusions du rapport de la commission d’enquête. Quelle forme cette concertation pourrait-elle prendre ? Une enquête publique ? Un débat public ?
M. Plisson a fait état de l’avis d’EDF sur les sanctions. J’ai cru comprendre qu’à vos yeux celles-ci devaient être dissuasives pour être efficaces. Dans cette perspective, sachant que l’arrêt d’un réacteur coûte un million d’euros par jour environ, une astreinte qui ne dépasserait pas 1 % de ce montant ne semble pas avoir grand sens. Le texte vous paraît-il suffisamment clair sur ce point ?
En matière de transparence, les dispositions du texte relatives aux CLI sont bienvenues. Ne faudrait-il pas toutefois que les lettres de suite que s’échangent l’ASN et les exploitants après un incident nucléaire, par exemple à partir du niveau 1, soient transmises à leurs membres ?
Aujourd’hui, l’ASN présente son rapport annuel devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; c’est un aspect parmi tant d’autres des travaux du Parlement. L’OPECST ne devrait-il pas émettre régulièrement un avis sur le rapport de l’ASN et sur le niveau de sûreté en général ? Vous avez dit devant la commission d’enquête que la sûreté nucléaire du pays pourrait être notée 12 à 13 sur 20. Ce n’est guère rassurant. Peut-être le Parlement devrait-il se saisir de cette question afin d’améliorer la situation.
Vous avez souligné à de nombreuses reprises que l’ASN n’était pas compétente en matière de sécurité des installations. Ne serait-il pas plus cohérent que la loi inclue cet aspect dans vos référentiels de sûreté ?
Vous avez également indiqué maintes fois que le niveau de sous-traitance atteint dans les centrales françaises nuisait à la sûreté. Plus les sous-traitants sont nombreux, en effet, plus ils risquent de ne pas être assez formés. Le texte devrait-il, selon vous, mieux encadrer le recours à la sous-traitance ?
La loi devait initialement inclure un article sur Cigéo, le projet de Centre industriel de stockage géologique. Il n’est pas impossible que nous en reparlions lors du débat parlementaire. Selon vous, ce projet est-il suffisamment mûr pour qu’une décision soit prise ?
Enfin, étant donné la complexité technique et juridique du sujet, il pourrait nous être utile de prendre connaissance des propositions que vous avez préparées – même si notre président nous a rappelé ce matin qu’il n’appréciait guère les amendements prérédigés.
M. le président François Brottes. Je parlais de la rédaction : des propositions précises sont bienvenues, mais c’est aux parlementaires de rédiger les amendements. Outre les problèmes de recevabilité au titre de l’article 40 et de distinction entre les domaines législatif et réglementaire, il faut éviter les méprises : il arrive que ceux qui nous envoient leurs propositions aient l’impression de ne pas être entendus parce que nous ne les avons pas reprises sous forme d’amendement. Je ne dis rien d’autre, et je dis cela depuis près de vingt ans !
J’aimerais avoir votre avis, messieurs, sur l’une des préconisations de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire : que les sous-traitants, notamment salariés, soient toujours suivis par le même médecin du travail.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Je ne répéterai pas inutilement les propos de mes collègues rapporteurs. Monsieur Chevet, le dispositif actuel de financement du contrôle atteint selon vous ses limites et vous nous demandez par conséquent de réfléchir à un mode de financement reposant sur les gros exploitants.
Monsieur Repussard, vous souhaitez que les relations entre l’ASN et l’IRSN soient clarifiées. Nous avons bien noté ces problèmes et nous nous efforcerons d’y remédier.
M. Pierre-Franck Chevet. Je vais tenter de répondre aux questions des rapporteurs.
Un point de méthode, tout d’abord. En rédigeant nos propositions – que nous sommes tout disposés à vous transmettre –, ou plutôt en les corédigeant, notamment avec le ministère chargé de la sûreté nucléaire, nous n’avons pas manqué de consulter les exploitants. Nous avions donc déjà à l’esprit une partie des questions relayées par M. Plisson.
La visite de la CLI que la loi oblige les exploitants à accueillir en cas d’accident ne doit avoir lieu ni « à chaud », car il peut être nécessaire de gérer l’urgence, ni trop longtemps après l’événement, car il faut que les membres de la CLI puissent observer quelque chose. Je n’ai aucune objection de principe à ce que cette visite intervienne à un moment déterminé, mais il ne faudrait pas que cette mesure revienne de fait à l’interdire.
Sur le délai de deux ans, l’idée est de donner corps à la stratégie du démantèlement dit immédiat. Il n’est pas souhaitable de mettre l’installation sous cocon, c’est-à-dire de la réduire, de limiter les gestes au minimum nécessaire à la sûreté, puis de la refaire démarrer trois ou quatre ans plus tard, quelle qu’en soit la cause. Pour des raisons de sûreté, il faut éviter de prolonger les états intermédiaires, qui ne sont pas très faciles à maîtriser. Voilà pourquoi il était nécessaire de fixer le terme de la mise sous cocon et le moment d’une nouvelle décision. Tel est le sens du délai de deux ans, par lequel la loi désigne en réalité un ordre de grandeur. Il faut bien deux ans pour préparer un bon dossier de démantèlement avec un exploitant motivé.
Les amendes applicables aux exploitants des ICPE sont de 1 500 euros. Il est permis de mettre en doute l’effet dissuasif d’une amende journalière de 1 500 euros quand on sait que le fait d’empêcher un redémarrage de tranche, ce que nous faisons régulièrement et parfois très longuement – sans qu’EDF ne vienne s’en plaindre, d’ailleurs – coûte un million d’euros par jour. Les astreintes étant abordées dans le cadre de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, leur montant n’est pas encore fixé, ce qui explique les inquiétudes d’EDF. La sanction doit être proportionnée aux enjeux de sûreté et aux capacités financières de l’exploitant, au vu des enjeux économiques sous-jacents. En d’autres termes, il n’est pas question de mettre en péril par des procédures très coûteuses une petite installation où l’écart constaté est mineur. Le chiffrage précis – dont je n’ai pas d’idée a priori – devra être établi dans des textes subséquents, encadrés le cas échéant par la loi.
Certaines des matières radioactives qu’il est question de requalifier en déchets pourraient théoriquement être utilisées, mais lorsque c’est à échéance de cinquante ou soixante ans, à condition de mener des recherches approfondies et sous réserve que celles-ci portent leurs fruits, il devient légitime d’envisager leur requalification – quitte à en revoir l’utilisation à la lumière de recherches ultérieures : il n’est pas obligatoire d’opter pour la version la plus dure du traitement. Nous n’avons pas hésité à procéder ainsi dans les cas où la question s’est déjà posée. Quoi qu’il en soit, l’on ne saurait se dispenser de certaines obligations de sûreté au motif que ces matières sont réutilisables, ce dont nous ne pouvons être certains. La disposition prévue paraît donc tout à fait utile.
En ce qui concerne la monotechnologie, le fait que le parc français ait été standardisé est à mes yeux propice à la sûreté. Certes, le risque d’incidents génériques est plus élevé mais les chances de les traiter correctement sont proportionnellement encore plus grandes. Sans citer personne, des pays qui ont une production beaucoup plus disparate ont plus de mal à gérer les incidents. Le caractère avantageux de notre système est subordonné à notre stricte vigilance. De fait, nous appliquons de manière particulièrement rigoureuse l’échelle de gravité des incidents, de sorte que le nombre d’incidents par réacteur est significativement supérieur en France, parce que nous tenons à la transparence et parce que cela permet d’alimenter plus efficacement la mécanique technique de retour d’expérience. L’exploitant joue lui aussi le jeu de la vigilance car il en a compris l’intérêt, notamment industriel. Certes, nous sommes parfois passés assez près d’une difficulté ; je songe au couvercle de cuve de la centrale du Bugey il y a une vingtaine d’années. Toutefois, globalement, cette caractéristique reste un avantage.
J’en viens à la nécessité d’une concertation renforcée à propos des quarante ans. La consultation en cours ne concerne que le projet de prescription qui fait suite à la dernière visite décennale, très en amont de la procédure. Il faudra attendre la future consultation sur le rapport d’examen lui-même. Devra-t-elle prendre la forme d’une enquête publique, d’un débat public, d’une consultation renforcée ou améliorée sur Internet ? Je ne suis pas spécialiste de ces questions ; vous serez juges du moyen le plus adapté. Quoi qu’il en soit, la consultation devra porter sur le dossier proposé par EDF dans le cadre du réexamen de sûreté des quarante ans.
Il me semblait que les lettres de suite étaient publiques, donc transmises aux CLI. Si tel n’est pas le cas, nous ne voyons aucun inconvénient à les publier, qu’elles fassent suite à un incident ou à une inspection.
En ce qui concerne les propositions d’amélioration du rapport que nous présentons chaque année au Parlement en application de la loi de 2006, le fait que l’OPECST rende un avis ne me poserait aucun problème. Évitons simplement d’entretenir la confusion : il ne s’agit pas de doubler une autorité, instance décisionnelle, d’une super-autorité qui prendrait d’autres décisions. Pour que l’avis de l’OPECST apporte une plus-value, il faut qu’il se démarque. Si nous nous trompons, il faut le dire : nous sommes ouverts et habitués à la critique. Mais l’avis devrait porter, plutôt que sur les décisions individuelles, sur les priorités et les orientations que nous définissons, le cas échéant à propos d’un sujet particulier – sous-traitance, facteur humain, etc. Dans ce cas, l’audition par l’OPECST devrait, au-delà de notre rapport annuel, intégrer les apports des exploitants, qui pourraient être appelés à rendre des comptes, et du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, entre autres. Cela permettrait de faire le point sur le fonctionnement global du système.
Il est exact qu’en matière de sécurité, la situation française est particulière : 95 % de mes homologues sont également chargés de la sécurité des installations et de leur protection contre des actes de malveillance. L’orientation actuelle consiste à resserrer nos liens avec les autorités de défense, plus précisément avec le Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité. Le fait que certains membres de cette institution soient issus de l’ASN facilite d’ailleurs le dialogue. La sécurité des sources représente une autre manière d’aborder le sujet : il ne serait pas difficile de progresser sur ce sujet délaissé. En revanche, je ne suis pas certain que la solution que vous proposez soit facile à mettre en œuvre, monsieur le rapporteur. Je vais y réfléchir.
Les pouvoirs de l’inspection sont actuellement limités aux installations nucléaires elles-mêmes, à l’exclusion des services centraux des grands exploitants, qui jouent pourtant un rôle essentiel en matière de sécurité : ce sont eux, par exemple, qui préparent certains gros dossiers. Il serait donc très utile de pouvoir évaluer leur travail sur place et sur pièces. Il en va de même des sous-traitants : nous pouvons contrôler leur action de terrain dans les installations, mais non sa conception ni sa préparation, qui ont lieu ailleurs. D’où la disposition contenue dans le c) du 1° du I de l’article 33, qui tend à étendre le contrôle « aux activités participant aux dispositions techniques ou d’organisation […] exercées par l’exploitant nucléaire, ses fournisseurs, prestataires ou sous-traitants, y compris hors des installations nucléaires de base ».
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Permet-elle de limiter le nombre de niveaux de sous-traitance ainsi que vous le proposiez ?
M. Pierre-Franck Chevet. Je n’ai pas formulé cette préconisation.
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. L’ASN n’a-t-elle pas proposé dans un rapport de le limiter à trois ?
M. Pierre-Franck Chevet. Je ne le pense pas. Peut-être s’agissait-il de mes prédécesseurs. C’est à vérifier. Quoi qu’il en soit, le nombre de niveaux de sous-traitance doit assurément être maîtrisé et adapté à la tâche qu’il s’agit d’accomplir. Il doit donc être réduit pour que l’intervention soit efficace. Toutefois, la sous-traitance permet aussi d’accéder à des ressources techniquement rares qui sont un gage de qualité. Nous devons donc nous montrer très vigilants sur ces questions.
M. le président François Brottes. Il faut éviter la sous-traitance en cascade, mais il ne s’agit pas de se priver des savoir-faire qui existent.
M. Pierre-Franck Chevet. C’est l’exploitant – EDF – qui a proposé le chiffre de trois. Pour ma part, je ne saurais donner de limite. Il faut pouvoir accéder à la ressource là où elle se trouve ; cela implique d’aller assez loin dans certains cas.
M. le président François Brottes. Même s’il convient de faire preuve de mesure, une limite chiffrée risque de nous empêcher de recourir à un sous-traitant dont le savoir-faire serait unique. Ne nous rendons pas à cette extrémité. Tel n’était d’ailleurs pas le propos du rapporteur.
M. Pierre-Franck Chevet. Enfin, Cigéo est-il mûr ? Pour le déterminer, deux aspects nous semblent particulièrement importants. Il s’agit d’abord, du point de vue technique, de l’inventaire : qu’y met-on ? La réponse à cette question, posée par le public, est essentielle à la sûreté car elle engage la capacité de résistance ou l’adéquation du stockage. Il faut donc que l’inventaire proposé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, soit suffisamment large, compte tenu des politiques actuelles, pour que nous n’ayons pas de mauvaises surprises plus tard. Car on peut imaginer des changements de politique. Sans retraitement, ce ne seront plus des verres que l’on fera descendre, mais des combustibles usés, ce qui modifie le dimensionnement du stockage. Il nous paraît donc essentiel de nous assurer à tout moment, en développant le futur stockage, que l’on pourra réutiliser le même lieu si l’on change d’option : il ne faudrait pas gâcher l’espace pour une solution donnée et se priver ainsi de toute autre possibilité dans l’hypothèse où l’orientation politique viendrait à changer. Il s’agit en somme d’une forme de réversibilité.
La réversibilité du stockage est précisément le second aspect qui nous semble essentiel. Sur ce point, issu du débat public, le Parlement s’était donné rendez-vous à lui-même dans la loi de 2006 en prévoyant une nouvelle loi sur la réversibilité. De fait, cette notion très complexe mérite un débat parlementaire. Elle recouvre à la fois la possibilité de récupérer les colis enfouis et l’adaptabilité aux changements de politique publique, donc au type d’objets que l’on stocke.
M. le président François Brottes. Nous l’avons vu lors de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, chacun fait varier l’acception du mot selon ses intérêts.
M. Pierre-Franck Chevet. On parle d’une montée en puissance industrielle progressive, d’une phase pilote. Ces notions également issues du débat public peuvent elles aussi s’entendre de bien des manières et il serait bon de les définir précisément, notamment en vue de ce qui constitue – sous réserve des décisions politiques – la prochaine étape : une demande d’autorisation de création au sens de la loi de 2006. Pour l’instant, la loi ne contient aucun de ces éléments.
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. En somme, ce n’est pas complètement mûr.
M. Pierre-Franck Chevet. Je le répète, il n’y a pas d’éléments ni sur l’inventaire ni sur la réversibilité.
Nous avons retrouvé nos fermes engagements sur le nombre de niveaux de sous-traitance : dans notre rapport sur les suites de l’accident de Fukushima, nous avons écrit que « la proposition d’EDF, d’Areva et du CEA de limiter à trois le niveau de sous-traitance est intéressante et mérite d’être étudiée ». En tout cas, nous ne sommes pas compétents pour fixer le nombre, mais nous pensons que cette suggestion ne va pas dans le mauvais sens.
Nous avons rédigé des propositions que nous pouvons vous transmettre.
Je n’ai pas d’avis sur la question de la médecine du travail ; je crois comprendre que vous souhaiteriez qu’elle agisse par site ou par lieu.
M. le président François Brottes. Non, par personne. Les sous-traitants qui travaillent dans différentes centrales sont vus par les médecins du travail en fonction du site sur lequel ils se trouvent au moment de leur visite. Nous pensons qu’il est préférable que le salarié soit suivi par le même médecin du travail.
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Ces salariés ne sont pas tous sous-traitants que du nucléaire. Chaque personne devrait avoir le même référent quelles que soient ses expositions à différentes sources de pollution.
M. Pierre-Franck Chevet. Je n’ai pas d’expertise sur le sujet. Cette idée rejoint la mise en place des passeports dosimétriques et se révèle donc cohérente avec d’autres dispositifs.
M. Jacques Repussard. La diversification est liée à la réduction de la part du nucléaire dans notre pays. L’IRSN, dans un avis formulé dans le cadre du débat sur la transition énergétique, a affirmé que la réduction de la part du nucléaire dans notre production énergétique était potentiellement bénéfique pour la sûreté nucléaire, à condition que l’on préserve des marges de production.
Il importe de mettre en place une procédure pour la réutilisation des matières ; dans cette optique, l’IRSN a rendu un avis à l’ASN sur les problèmes radiologiques de ces matières. L’Institut y exprimait ses craintes, car même l’invention d’une technologie de transmutation n’éviterait pas les dangers radiologiques auxquels seraient exposés les travailleurs dans les usines. L’IRSN soutient la création d’un mécanisme de qualification de déchet des matières qui n’ont pas vocation à redevenir exploitables.
L’IRSN joue le rôle d’appui technique des autorités de sécurité dans les domaines civil et militaire. Le code de la défense recèle des dispositions complexes qui forment un maquis réglementaire complexe. Vouloir le remettre en cause dans le cadre de ce projet de loi que le Gouvernement souhaite voir adopté rapidement me semble une gageure.
Les aspects de sécurité qui conduisent à des déficits de sûreté sont de mieux en mieux traités grâce au dialogue trilatéral, et il n’est pas nécessaire d’élaborer des mesures législatives en la matière. La surveillance des matières, leur comptabilité, les engagements internationaux de la France pour leur transport, leur stockage et la sécurité des installations constituent une chaîne, dont la sûreté n’est qu’un élément.
Si l’ASN demandait l’avis de l’IRSN sur le lancement d’une autorisation d’installation pour Cigéo, l’Institut manquerait d’éléments pour lui apporter une réponse. Au-delà des questions de dimensionnement, nous sommes favorables au déploiement d’une phase intermédiaire, qui nous permettrait d’émettre un avis documenté. Nos équipes de recherche ont développé une installation expérimentale dans le laboratoire de Bure, indispensable pour s’engager définitivement dans le stockage d’un inventaire, dont la définition reste aujourd’hui un peu floue.
Nous devons poursuivre le dialogue avec le Gouvernement pour faire évoluer le projet de loi sur ce sujet qui peut faire l’objet d’un consensus politique.
Nous pourrons bien entendu vous communiquer les projets de texte à la rédaction desquels nous avons participé.
M. le président François Brottes. Si les radars protègent les sites nucléaires, l’installation d’éoliennes à proximité de ces centrales pose-t-elle un problème ? C’est une question de thèse universitaire que je ne vous pose pas, mais qui existe du fait des périmètres de protection.
M. Julien Aubert. J’ai compris du texte que tant qu’EDF ne fermerait de centrale, on ne pourrait pas procéder à de nouveaux investissements, le commissaire du Gouvernement veillant au respect de la trajectoire de la programmation pluriannuelle.
La capacité nucléaire installée est plafonnée à 63,2 gigawatts, et l’article 32 du projet de loi dispose qu’une centrale mise sous cocon s’arrête définitivement au bout de deux ans. L’ASN et l’IRSN considèrent-ils qu’une centrale arrêtée mais non démantelée reste intégrée dans le calcul de la capacité nucléaire ? Le démantèlement doit-il avoir débuté pour qu’elle sorte du calcul du plafond ? En d’autres termes, existe-t-il une marge de souplesse ? Cette question est importante, car l’effet de seuil possède des répercussions sur la manière dont l’exploitant – qui pèse plus du tiers de la production – peut envisager son plan de déploiement.
L’exploitant nucléaire doit rencontrer un commissaire du Gouvernement dès qu’il dépasse le seuil autorisé. Comment l’ASN voit son rôle dans le champ de la sécurité, alors que le parc nucléaire pourrait subir un effet de substitution – la mise en route du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville entraînerait le démantèlement d’une centrale ? Une telle situation pourrait faire passer la sécurité au second plan, car l’effet mécanique primerait sur le paramètre du vieillissement des centrales.
La diminution de la capacité nucléaire de la France sera-t-elle suivie d’une baisse des effectifs de l’ASN et de l’IRSN ?
M. Jean-Yves Caullet. Monsieur le président, j’ai été frappé de l’importance que vous accordez à la disponibilité de la compétence, c’est-à-dire au fait générationnel qui implique que les agents ayant installé le système quittent la carrière. Comment envisagez-vous de capitaliser les savoirs et les compétences pour assurer le tuilage ? L’ingénierie publique ayant beaucoup évolué en 40 ans, de quels formation, statut et compétences seront dotés les futurs employés ? Quelle est votre réflexion, au regard notamment de la question de la sûreté ?
La maîtrise des techniques de démantèlement vous paraît-elle un enjeu industriel stratégique pour la France, qui pourrait exporter ses compétences dans l’ensemble de la filière ?
Les perturbations climatiques peuvent faire craindre des périodes de sécheresse et d’étiage prolongées dans les prochaines décennies : prenez-vous en compte cette dimension dans la sûreté des installations telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui ?
Mme Cécile Duflot. M. Jean Jouzel vient de remettre un rapport à Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur la déclinaison territoriale des effets du dérèglement climatique en France ; il montre une hausse importante des températures, notamment en été et dans le sud du pays : ces éléments sont-ils pris en compte ?
Les écologistes estiment que le projet de loi souffre d’une insuffisance majeure liée à l’absence de moment particulier d’évaluation des centrales nucléaires de 40 ans. J’ai entendu avec intérêt, monsieur Chevet, vos déclarations sur la non-automaticité possible de ce passage à 40 ans, y compris pour des raisons budgétaires d’amortissement. Comment pourrait-on reconnaître ce moment de prolongation en termes d’évaluation financière, de sécurité et de sûreté ?
Comment peut-on arrêter une position sur Cigéo alors que l’évaluation financière oscille du simple au double ?
Mme Frédérique Massat. Je souhaitais vous interroger sur les conditions de travail des agents des entreprises de sous-traitance, car on a constaté une différence de situation entre eux et ceux qui opèrent chez l’exploitant. Doit-on prévoir une disposition dans la loi à ce sujet ?
Le démantèlement entraînera des reconversions qui posent la question de la formation. La loi doit-elle contenir un dispositif touchant à ce domaine ?
Le texte actuel reprend un certain nombre de mesures de la directive sur la sûreté nucléaire transposée en juin dernier, mais en laisse de côté plusieurs. Quelles sont celles qu’il conviendrait d’intégrer ?
M. Pierre-Franck Chevet. Après son arrêt, une centrale reste soumise au régime de son décret d’autorisation, qui lui fixe une puissance maximale, nonobstant les autres autorisations administratives de l’énergie qui pourraient entrer en ligne de compte ; tant qu’un nouveau texte n’a pas été pris, la centrale ne sort pas du cadre. À la suite de l’arrêt, un dossier de démantèlement est constitué, et l’État mène une instruction d’une durée de deux ou trois ans. Un nouveau texte, qui ne fait plus référence à la puissance électrique fournie, organise le démantèlement.
M. Julien Aubert. Le projet de loi dispose que l’arrêt est réputé définitif au bout de deux ans. Passé ce délai, il existe donc un risque de coupure même si le décret subsiste.
M. Pierre-Franck Chevet. De toute façon, un redémarrage éventuel de la centrale se trouve conditionné à une procédure complète, ce qui annule tout effet au décret ; dans ce contexte, la centrale sort du calcul de la capacité de production.
M. Julien Aubert. Cette sortie aurait donc lieu au bout de deux ans ?
M. Pierre-Franck Chevet. Oui, sauf si le démantèlement a été anticipé et se trouve prévu par le décret.
Les arrêts et les mises en route de centrales doivent, du point de vue de la sûreté, faire l’objet d’une planification ; en effet, les décisions prises dans l’urgence sont, en la matière, loin d’être souhaitables, et les acteurs doivent pouvoir anticiper ces mouvements.
Nous constatons l’émergence d’enjeux sans précédent pour les cinq à dix ans qui viennent, et il convient de prendre cette dimension en compte lorsque l’on pose la question des moyens de l’autorité de contrôle. Ces défis relèvent de la prolongation ou non de la durée de vie des centrales – sujet qui ne sera tranché que dans plusieurs années, si bien que l’arrêt éventuel ne se produira pas avant longtemps – et des suites de l’accident de Fukushima qui induisent des charges supplémentaires jusqu’au moins le début de la prochaine décennie. Au-delà de cette période, il est possible – selon les décisions de politique énergétique qui seront prises – que les charges diminuent et que les effectifs suivent le mouvement. C’est dans ce contexte que nous souhaitons une réforme du financement, afin d’établir un lien direct entre les besoins entre les moyens et éviter les décalages que le budget de l’État ne sait que très partiellement gérer.
La question du renouvellement des compétences et du maintien de l’expertise chez les exploitants se pose également pour les autorités de contrôle. Bon nombre d’agents viennent des écoles d’ingénieurs ou de l’université, et la connaissance scientifique nécessaire ne se réduit pas à celle liée au nucléaire. Les enseignements généraux conviennent bien pour la formation de ces salariés, les entreprises assurant l’enseignement des connaissances nécessaires à la filière. L’ASN et l’IRSN dispensent également des formations spécifiques. Nous évaluons les actions menées dans les sites et nous jugeons des résultats, les entreprises devant remplir des obligations de qualification pour leurs salariés. Nous avons relevé certains dysfonctionnements, notamment à Bugey où le personnel de contrôle de la maintenance exercée par EDF s’avérait insuffisamment expérimenté. Ce problème devra être vite réglé – EDF en est conscient –, car se profile la perspective éventuelle d’un grand carénage qui accroîtra les travaux de maintenance.
Le démantèlement présente un enjeu de sûreté majeur, ce qu’attestent les procédures prévues par la loi qui sont de même nature que celles de création d’une installation nucléaire. Le découpage d’éléments qui ont été radioactifs et la gestion de déchets sont en effet dangereux pour les personnes. La difficulté industrielle ne s’avère pas, en revanche, immense, même si on doit affiner certains procédés.
Nous essayons d’intégrer les éléments liés au changement climatique, et nous effectuons des réévaluations de sûreté tous les dix ans ; au cours de cette opération, nous modifions les aléas externes comme les prévisions climatiques. Nous nous concentrons sur les tendances lourdes à cinquante ans, plus visibles que celles de court terme. Cette préoccupation est particulièrement présente pour un projet comme celui de l’EPR dont la durée de vie est estimée à soixante ans. Les centrales actuelles situées sur des cours d’eau ont rencontré des problèmes de refroidissement en cas d’été chaud ; or les étés le seront de plus en plus et dureront plus longtemps. De même, dans les réévaluations conduites à la suite de l’accident de Fukushima, nous avons revu à la hausse les aléas externes importants, comme les tsunamis.
Le rendez-vous des quarante ans est hors-norme en termes de sûreté. La procédure actuellement retenue consiste en une consultation, par internet, sur notre projet de décision. Il serait intéressant d’organiser une consultation, non seulement sur le projet de décision finale, mais également, en amont, sur le dossier soumis par l’exploitant.
La transposition de la directive européenne sur la sûreté nucléaire, intervenue au début de l’été, présente une disposition complètement nouvelle qui prévoit d’effectuer des stress-tests thématiques tous les six ans – nous en avons réalisé un sur les suites de l’accident de Fukushima et avons souhaité reconduire cet exercice. Nous choisirons un sujet pertinent tous les six ans et comparerons les pratiques dans le domaine retenu. J’ignore si la sanctuarisation de ce rendez-vous relève de la loi.
M. Jacques Repussard. L’agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE a mis en place un groupe de travail – auquel l’IRSN participe – sur la prise en compte des aléas climatiques dans le monde. Des phénomènes redoutables peuvent se produire, pas forcément du fait du changement climatique, et ils n’ont pas tous été pris en compte lors de la conception des installations. L’IRSN a lancé un projet d’étude probabiliste de sûreté intégrant ces événements climatiques ; cette démarche de recherche s’avère nécessaire car l’industrie nucléaire n’incorpore pas ces chiffres pour les fusions de cœurs de réacteurs.
L’IRSN a créé une université interne permettant de cadrer les carrières des personnels et de conserver l’expertise des agents partant à la retraite ; il y consacre des moyens et il a également pris l’initiative, avec ses homologues allemand, tchèque et lituanien de fonder un institut de formation pour les cadres de sûreté nucléaire – l’European Nuclear Safety Training and Tutoring Institute (ENSTTI) –, cofinancé par l’Union européenne. La directive prévoit également des modes de coopération et des audits croisés entre les autorités et les organismes techniques d’appui ; il convient d’ailleurs que la mutualisation des ressources progresse. Cette directive aura peu de traduction législative, mais elle devrait avoir des effets bénéfiques dans les pays européens, qui cherchent à éviter tout accident.
Les incertitudes financières entourant Cigéo perdureront jusqu’au dernier moment et ne peuvent donc constituer un argument justifiant l’absence de décision. Les devis dépendront des choix qui seront effectués : il est donc logique que la fourchette financière s’avère importante, même s’il faut la réduire, non pas par une discussion économique mais par une démarche scientifique et technique conduisant à préciser les contours du centre industriel de stockage géologique. Nous n’en connaîtrons le coût qu’une fois cette opération achevée.
7. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
(Séance du jeudi 11 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Chers collègues, nous recevons à présent un interlocuteur situé au cœur de la transition énergétique puisqu’il est chargé du contrôle et de la régulation du secteur, tout en veillant à ce que la concurrence ne soit pas faussée. Votre rôle de président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), monsieur Philippe de Ladoucette, s’avère donc très important et résulte des missions que vous a confiées le Parlement. Je tiens à saluer Mme Catherine Edwige, devenue commissaire de la CRE à la suite de la recomposition de cette instance que nous avons impulsée pour mieux prendre en compte les zones non interconnectées.
Notre commission spéciale a déjà évoqué l’action de la CRE et il est apparu qu’elle ne jouait pas toujours suffisamment son rôle dans certains domaines.
M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie. La CRE a cherché à éclairer le débat sur la transition énergétique, notamment en fournissant des éléments d'information et des propositions dans ses domaines de compétence et d'expertise que sont les prix et les coûts de l'énergie – à travers ses rapports sur les coûts des fournisseurs historiques –, la surveillance des marchés, la contribution au service public de l’électricité (CSPE), les réseaux électriques intelligents et les énergies renouvelables. Néanmoins, elle a été peu sollicitée par le Gouvernement dans le cadre de l’élaboration du projet de loi sur la transition énergétique, et elle a davantage été invitée aux débats organisés par les collectivités territoriales, ce qui peut sembler paradoxal.
M. le président François Brottes. La CRE était-elle présente dans les tables rondes du débat sur l’énergie ?
M. Philippe de Ladoucette. Non.
M. le président François Brottes. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vous a-t-il entendu ?
M. Philippe de Ladoucette. Pas davantage.
La CRE n'est pas une instance de décision en matière d’énergies renouvelables ; elle donne simplement un avis sur les arrêtés relatifs au tarif de l'obligation d'achat, pris par les ministres. Sur la base des conditions générales fixées par le ministre de l'énergie, la CRE rédige un projet de cahier des charges – arrêté par le ministre – pour les appels d’offres, répond aux questions des candidats, analyse et classe les offres reçues, et donne enfin un avis sur le choix des candidats, qui relève lui aussi de la responsabilité ministérielle.
Depuis 2011, la CRE a instruit sept appels d'offres : deux au titre des installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatts, deux pour celles de 100 à 250 kilowatts, deux au titre des éoliennes en mer, et une pour les éoliennes avec stockage dans les DOM et en Corse ; cela représente au total une puissance de 5 100 mégawatts, soit deux fois plus qu’au cours des neuf années précédentes. La CRE a d’ailleurs reçu plus de 4 500 dossiers.
L'évolution des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, prévue par les articles 23, 24 et 25 du projet de loi, concorde avec les préconisations que la CRE avait déjà exprimées à plusieurs reprises, notamment lors de la dernière consultation publique organisée par le ministre. Sont ainsi inscrits dans le texte l'introduction d'un mécanisme de soutien du type « prix de marché plus prime » – qui constitue le complément de rémunération –, un recours accru aux appels d'offres et le renforcement des sanctions en cas d'infraction ou de manquement aux clauses d'un contrat d'achat ou d'un cahier des charges.
Le projet de loi ne contient en revanche aucun dispositif de prise en compte de l'autoconsommation.
La définition retenue pour le calcul du complément de rémunération abandonne la logique de la référence aux coûts évités et aux externalités des moyens de production – qui s’avèrent difficiles à objectiver – et se limite à un critère lié au niveau de rémunération du producteur. La CRE est favorable à ces nouvelles définitions qui permettent de clarifier le cadre de ses missions. Toutefois, en l'état actuel, le texte ne précise pas si ce calcul sera réalisé ex post ou ex ante ; or ces deux modalités présentent des implications très différentes pour l'efficacité des dispositions de soutien et pour le contrôle et la maîtrise des charges de service public. La CRE considère que la prime ex ante devrait être écartée, en ce qu'elle fait porter des risques supplémentaires sur les porteurs de projet et conduit donc à un renchérissement considérable le coût des énergies renouvelables pour un bénéfice sur les marchés très limité. La commission lui préfère donc une prime ex post qui permet d'obtenir les mêmes effets sur les marchés sans ces inconvénients. L'importance des enjeux qu'emporte cette précision sur la forme du complément de rémunération justifierait qu'elle figure dans le projet de loi.
Du fait du grand nombre de contrats d'obligation d'achat détenus par EDF Énergies Nouvelles – filiale à 100 % du groupe EDF –, il apparaît pertinent que l'acheteur unique prévu par le projet de loi ne soit plus EDF Obligation d'achat. La CRE estime que RTE présente les conditions d'indépendance requises et que la gestion du dispositif lui permettrait d'avoir accès à des informations sur la production et d'améliorer ses modèles de prévision.
Le recours plus systématique aux appels d'offres répond aux nouvelles lignes directrices de la Commission européenne, publiées en avril 2014, concernant les aides d'État à la protection de l'environnement et à l'énergie pour la période comprise entre 2014 et 2020. La CRE s'est exprimée à diverses reprises sur les avantages de ce dispositif pour les filières les plus concurrentielles et a insisté sur le besoin d’accorder une part importante au prix dans la sélection des candidats. Depuis 2011, elle a pu observer une diminution de 25 % du prix moyen pondéré des projets lauréats des appels d'offres photovoltaïques pour les petites installations – de 217 euros par mégawattheure à 162 euros. Le dernier appel d'offres a fait ressortir un prix de l'ordre de 150 euros, qu’il faut comparer au coût moyen de 480 euros pour les installations bénéficiant de l'obligation d'achat. La CRE a également suggéré de recourir aux appels d'offres pour la filière éolienne terrestre, où la concurrence entre les acteurs est forte. L'appel d'offres permet aussi de contrôler le développement des filières, en déterminant ex ante le volume total des nouvelles installations, et de définir la localisation des installations pour favoriser un développement régionalisé.
La CRE s'est exprimée à diverses reprises sur la nécessité de contrôles et de sanctions effectifs face aux cas de dérives frauduleuses qu'elle a pu identifier dans le cadre de ses missions de gestion de la CSPE – par exemple, sur la qualification de l'intégration au bâti pour le photovoltaïque. Les modalités de contrôle des installations, compte tenu des conséquences sur le niveau des charges de service public dans un contexte de renforcement de la surveillance de la gestion de la CSPE, mériteraient d'être stabilisées par voie réglementaire.
S’agissant des zones non interconnectées (ZNI), j'avais écrit en octobre 2013 au Premier ministre pour l'alerter de la nécessité de disposer d'un outil de planification des investissements dans les moyens de production d'électricité ou de maîtrise de la demande d'électricité, afin d'améliorer la gouvernance dans les DOM et de clarifier le rôle et les missions confiées à la CRE dans le cadre de la péréquation tarifaire. Nous nous réjouissons que les DOM, la Corse et Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficient désormais de leur propre programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), définie à l'article 49 du projet de loi. Ce nouvel outil permettra de disposer d'une vision intégrant le développement concomitant de la production renouvelable, du stockage et des actions de maîtrise de la demande en électricité.
La définition d'une enveloppe quinquennale de moyens publics alloués à la réalisation de l'objectif de mix énergétique devrait par ailleurs permettre une maîtrise de l'augmentation des charges de service public ou, a minima, une meilleure visibilité sur leur évolution.
Le projet de loi ne dit rien du partage entre les régions de Guadeloupe et de Martinique et la CSPE sur la prise en charge des surcoûts résultant de dispositifs spécifiques à un territoire, adoptés dans le cadre des habilitations. Ce silence peut poser un problème.
Le sujet ayant trait à la gouvernance de la CSPE est lié aux dispositions relatives aux énergies renouvelables et aux ZNI qui ont une incidence sur le niveau des charges couvertes. La CRE exerce les missions prévues par le code de l'énergie ; ainsi, elle propose au ministre chargé de l'énergie, avant le 15 octobre de chaque année, le montant des charges à retenir pour l'année suivante et celui de la contribution unitaire permettant de les couvrir. Pour ce faire, elle étudie les déclarations de charges prévisionnelles et constatées qui lui sont transmises par 140 acteurs différents. D’importantes opérations de contrôle sont effectuées en cette occasion sur l'ensemble des données déclarées, qui représentent, pour la métropole continentale, 25 millions d'informations recouvrant 30 types de contrat et plus de 100 conditions tarifaires différentes. La CRE a développé des systèmes d’information pour effectuer cette tâche. Elle supervise les opérations de recouvrement et valide les demandes d'exonération de la CSPE, en lien avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui représentent plusieurs milliers de déclarations. Ces exonérations, applicables aux gros consommateurs industriels, sont chaque année plus nombreuses. Elle émet également un avis sur les décisions ayant des conséquences sur les charges de service public, à savoir les nouveaux projets d'investissement dans les ZNI et les tarifs d'obligations d'achat.
La CSPE représente aujourd'hui 6,2 milliards d’euros de charges au titre de l'année 2014, résultant du soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération – pour 4,2 milliards d’euros qui se divisent en 2,1 milliards pour le photovoltaïque, soit 34 % des charges totales, et 855 millions pour l'éolien, soit 14 % de celles-ci –, de la péréquation tarifaire dans les ZNI – représentant 1,7 milliard d’euros – et de la mise en œuvre de dispositifs sociaux, soit 350 millions d’euros et 5,6 % des charges.
En 2014, la CSPE représente 13 % de la facture d'un client ; toutefois, elle reste fixée à un niveau inférieur à ce qu'il devrait être pour couvrir la totalité des charges, ce qui occasionne un important déficit de compensation pour EDF.
La CRE accueille favorablement la création d'un comité de gestion de la CSPE ayant pour vocation de favoriser la maîtrise des charges. Le fait de soumettre à un organe comprenant des parlementaires une évaluation du coût des charges liées aux appels d'offres – qui peuvent engager la CSPE pour 20 ans, pour des montants parfois considérables, comme les deux appels d’offres sur l’éolien en mer qui représentent 1,75 milliard d’euros par an pendant 20 ans – est logique compte tenu de la nature fiscale de ce prélèvement. Certaines des missions confiées à ce comité recoupent le travail que la CRE effectue déjà, notamment s'agissant des avis sur les décisions susceptibles d'affecter le niveau des charges et la publication de scénarios prospectifs. En mai 2011, j’avais présenté une simulation de la CSPE à l’horizon de 2020 : nous avions sous-estimé la progression de la CSPE car nous n’avions pas anticipé la baisse du prix de marché de gros. Dans le cadre de notre rapport sur le fonctionnement des marchés de détail de l'électricité et du gaz, nous avons publié depuis janvier 2013 des scénarios prospectifs et avons émis de nombreux avis sur la rentabilité des installations bénéficiant d'un dispositif de soutien, soit à l'occasion de la publication de nouveaux arrêtés tarifaires, soit lors de notre première analyse des coûts et de la rentabilité des filières d’énergies renouvelables, publiée en avril 2014. La mise à jour semestrielle des scénarios prospectifs d'évolution des charges pourrait être réalisée par la CRE, qui est l’organisme disposant de l'expertise et des données nécessaires.
Le Conseil d'État a récemment transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur la CSPE, qui porte sur le caractère insuffisamment précis de la définition de ses modalités de recouvrement par le législateur. La CRE a été saisie de 47 000 demandes de remboursement de la CSPE fondée sur ce moyen et sur celui de l'illégalité du tarif éolien de 2008. Elle n'a évidemment pas les moyens de faire face au recouvrement et au contentieux de la CSPE, qui n'a d’ailleurs aucun lien avec la régulation et qui devrait relever de l'administration fiscale.
La CRE suit les appels d’offres sur les énergies renouvelables, activité chronophage imposée par le législateur national, mais qui ne correspond pas au rôle de régulateur de la commission ; d’ailleurs, aucune directive européenne n’impose que cette tâche soit assumée par une autorité administrative indépendante de régulation. Cette situation pose à la CRE des problèmes de moyens. L’administration fiscale pourrait être chargée de cette mission et de celle liée à la CSPE.
Concernant les électro-intensifs, la CRE se félicite du principe de l'inclusion de dispositions sur ces consommateurs à l'article 43 du projet de loi, qu’elle a d'une certaine façon anticipée dans sa délibération du 7 mai 2014. Pour qu'un tel dispositif puisse être efficacement mis en vigueur, deux éléments importants doivent être pris en compte : tout d’abord, des échanges avec la Commission européenne – et avec l'Allemagne et les Pays Bas qui ont adopté des mesures comparables – concernant le principe, le niveau et les justifications de l'abattement sont souhaitables, afin que les pays de l’Union européenne (UE) aient une approche harmonisée des mesures concernant leurs industries électro-intensives et ne se livrent pas à une concurrence tarifaire en la matière ; ensuite, il est très important que la loi ne se contente pas de renvoyer à une approche technique et économique pour fonder le calcul de l'abattement. Elle doit en effet définir d'autres critères pour le justifier, en délimitant les catégories concernées et en fixant les modalités de calcul voire son montant. En l’état actuel du texte, la CRE n’aura pas les compétences techniques et économiques pour faire face au dispositif créé par la loi.
Le droit à l'expérimentation locale permettra d'offrir au gestionnaire de réseau de distribution un service de flexibilité locale. L'article 58 du projet de loi introduit un droit à l'expérimentation des boucles locales, afin de fédérer au sein d'une association un ensemble de consommateurs et de producteurs, et de gérer les flux d'électricité en corrélant consommation et production à la maille locale ; cela doit se traduire, d'après le texte, par une convention conclue avec le gestionnaire de réseau et dont les modalités financières et techniques doivent être soumises à l'approbation de la CRE. Celle-ci est évidemment favorable à ce que des acteurs puissent s'associer localement pour innover, mais nous nous interrogeons sur ce qui pourrait être soumis à l'approbation du régulateur. En outre, ce dispositif aurait pour effet d'imposer des modalités particulièrement contraignantes ; ainsi, une collectivité devra regrouper les acteurs en association, l'avis conforme du gestionnaire de réseau sera nécessaire, l'association constituée ne pourra pas pouvoir évoluer au fil du temps alors que de nouveaux acteurs pourraient souhaiter la rejoindre, et les modalités techniques et financières devront faire l'objet d'une approbation du régulateur avant toute mise en œuvre. Ce système nous semble un peu lourd et complexe.
L'article 59 du projet de loi introduit un droit à un déploiement expérimental d'un ensemble de solutions de réseaux électriques intelligents dans une zone géographique, permettant au Gouvernement de prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour mener à bien cette expérience. Sans attendre la publication d'une ordonnance pour accompagner ce déploiement expérimental, la CRE a déjà identifié des évolutions législatives qu'il conviendrait d’adopter dès maintenant. Dans sa délibération du 12 juin 2014 portant recommandations sur le développement des réseaux électriques intelligents en basse tension, elle propose trois modifications de la loi touchant à la qualification juridique de l'activité de recharge du véhicule électrique, à la prise en compte par le code de l'énergie des installations de stockage d'électricité et à la création d'un nouveau chapitre dans le code de l'énergie sur la modulation à la hausse de la consommation, en complément de l'effacement
L’article 47 du projet de loi dispose que « la CRE peut faire contrôler aux frais des entreprises les informations qu'elle recueille dans le cadre de ses missions ». Ces dispositions sont essentielles pour la CRE dans le contexte budgétaire actuel très contraint – la CRE ne dispose plus en effet que de ressources très limitées pour financer des audits sur les 50 milliards d’euros de facture d'énergie qu'elle fixe ou qu’elle contrôle –, car elles lui permettraient de transférer la charge de ces contrôles aux entreprises concernées. Il serait utile de préciser que ces contrôles sont effectués, comme dans les dispositions actuellement applicables à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), « par un organisme indépendant qu'elle choisit ». Concrètement, les auditeurs seront choisis par la CRE dans une procédure de marché public et payés par l'opérateur concerné via une délégation de paiement. Nous parlons là d’une somme n’excédant pas un million d’euros.
M. le président François Brottes. Nous avons auditionné hier M. Jean Gaubert, médiateur de l’énergie, qui nous a affirmé être disponible pour faciliter des négociations sur les installations de gestion des énergies renouvelables chez les particuliers. Avez-vous un avis sur cette question ?
Nous avons longuement évoqué la gouvernance d’ERDF, et il apparaît qu’il serait opportun que la CRE dispose des mêmes pouvoirs sur ERDF que ceux qu’elle possède sur réseau de transport d’électricité (RTE) en matière de planification et d’investissements. Quel est votre sentiment sur ce sujet des réseaux ?
L’infrastructure raccordant les boucles locales, ou les autoconsommateurs et les autoproducteurs, doit-elle être en partie financée par ceux qui n’utilisent pas l’énergie du réseau, mais qui peuvent en avoir besoin à tout moment ? Le prix de cette sécurité équivaut-il à un tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) ? Le texte évoque l’autoconsommation, mais ne définit pas le périmètre des modalités d’accès et de financement.
Nous sommes nombreux à penser que le consommateur ne se retrouve pas dans le compteur Linky, car il ne dispose pas d’information en temps réel sur son niveau de consommation, qui pourrait l’aider à la moduler. La CRE pense que le marché résoudra la question grâce aux offres d’interface proposées par les opérateurs ; ainsi, ceux qui peuvent payer le feront et ceux rencontrant des difficultés financières pour acquitter leurs factures ne bénéficieront jamais de ce service. Que penserez-vous d’une disposition législative exigeant l’accessibilité gratuite de tous – et en priorité des plus démunis – à cette information ?
Ce thème rejoint celui de l’élargissement de l’assiette de financement de la CSPE, rendu nécessaire par l’augmentation de celle-ci : pourquoi seule l’électricité financerait l’émergence des énergies renouvelables alors que l’on peut produire du gaz à partir de l’électricité ?
S’agissant de l’effacement, je suis déçu que la volonté du législateur – exprimée dans la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes – de favoriser les mégawatts non consommés se soit traduite par une rémunération de ceux qui ne vendent pas les kilowatts qu’ils espéraient vendre. Ce détournement de la lettre et de l’esprit de la loi nous conduira à la retravailler. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
RTE a annoncé hier des chiffres faisant état de tensions à venir concernant la consommation. Votre analyse corrobore-t-elle cette approche ou prenez-vous les simulations de RTE pour argent comptant ?
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Monsieur le Président Ladoucette, dans votre introduction, vous avez évoqué le complément de rémunération : le transfert d’une partie du risque de marché sur les producteurs d’énergie renouvelable aura probablement un impact sur leurs coûts de production et par conséquent, sur la CSPE. Car pour vendre leur électricité sur le marché, ces producteurs devront probablement avoir recours à des agrégateurs, ce qui risque de leur coûter cher. À quelle alternative pourraient-ils recourir ? Devrait-on prévoir un mécanisme de transition à l’allemande ? Les producteurs auraient alors la liberté de choisir entre le régime des tarifs d’achat et le régime du complément de rémunération. Des allers-retours trop fréquents entre ces deux voies poseraient-ils des difficultés ?
S’agissant des options de prime, vous avez évoqué votre préférence, qui rejoint celle du Syndicat des énergies renouvelables.
En ce qui concerne l’élargissement de la base de la CSPE, la hausse prévue est inéluctable si l’on ne modifie pas le système.
Eu égard aux sanctions, quels volumes et quelles formes de manquements aux obligations figurant dans les contrats des producteurs avez-vous pu observer ?
Enfin, de nombreux électro-intensifs seront en grande difficulté en fin d’année 2015. Comment faire pour permettre l’accès à l’énergie électrique la plus compétitive – et en particulier à l’hydraulique historique ? Quels seraient pour vous les critères les plus pertinents pour identifier les entreprises bénéficiaires : le procédé de production, l’électro-intensivité, le marché, la valorisation d’effacement ou la saisonnalité ?
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Comme l’a évoqué le Président Brottes, les compétences de la CRE pourraient être étendues au contrôle du respect par ERDF de sa trajectoire d’investissement, comme c’est déjà le cas pour RTE. Et vous écriviez dans votre rapport d’activité de 2008 qu’il vous paraîtrait indispensable que les dividendes que ERDF reverse à EDF respectent les équilibres financiers d’ERDF afin de maintenir un niveau de capitalisation compatible avec un fonctionnement indépendant. Le moins qu’on puisse dire aujourd’hui, c’est que l’impossibilité pour ERDF de s’endetter en raison même de l’endettement considérable de son entreprise-mère EDF, ne contribue pas à en faire une entreprise fonctionnant de façon indépendante, ni à garantir un niveau de qualité d’entretien des réseaux attendu par les consommateurs. Ne serait-il pas temps de doter ERDF d’un statut similaire à celui de RTE ?
S’agissant des énergies renouvelables, vous avez évoqué la notion d’acheteur unique et indiqué que RTE pourrait jouer ce rôle plutôt qu’EDF. Mais faut-il vraiment un acheteur unique ? Le rachat d’électricité produite à l’aide d’énergies renouvelables ne pourrait-il pas être ouvert à la concurrence ? L’intervention de différents acteurs permettrait de faire baisser le prix globalement payé par la collectivité.
Je n’ai pas compris si vous jugiez pertinent l’article 50 du projet de loi, qui porte sur la CSPE. Sachant que la CRE exécute d’ores déjà l’ensemble des dispositions qui y figurent, en quoi l’ajout d’un dispositif supplémentaire consolidera-t-il la CSPE ? Cela vous paraît-il utile ou superfétatoire ?
Enfin, vous n’avez pas abordé le chèque-énergie : le projet de loi prévoit qu’il sera « notamment » financé grâce à la CSPE et une contribution sur le gaz. Ce matin, le président de l’ADEME nous expliquait l’ampleur des besoins de financement qu’il représente : tout porte à croire que ce « notamment » pourrait être très insuffisant, à moins d’augmenter ces deux contributions au risque d’entraîner un effet pervers, dans la mesure où les consommateurs d’électricité et de gaz se retrouveraient seuls à payer pour l’ensemble des publics précaires – y compris lorsqu’ils se chauffent au fioul ! Quelle est l’analyse de la CRE à ce sujet ?
Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. S’agissant des modalités d’évaluation des projets proposés pour les zones non interconnectées, la réflexion que nous avons menée nous a conduits à constater que les projets finalement retenus sont tout à la fois les plus lourds et ceux qui dont l’impact environnemental pour nos territoires n’est pas le meilleur. Devrions-nous retenir d’autres critères d’évaluation, qui fassent notamment une plus grande part à l’environnemental et au social ? L’instauration d’une programmation pluriannuelle de l’énergie ne nous permettra-t-elle pas d’améliorer l’évaluation de ces projets et par conséquent de diminuer le coût de ceux qui seront pris en charge au titre de la CSPE ?
Vous avez évoqué l’impact des lois d’habilitation sur la CSPE. Selon nous, ces lois contribuent à la transition énergétique dans la mesure où elles permettent une meilleure adaptation des projets ainsi qu’une meilleure maîtrise de la consommation énergétique des bâtiments sur les territoires. Nous estimons devoir intégrer ces lois d’habilitation dans une logique de PPE ; et au-delà du strict aspect budgétaire, la PPE s’inscrit dans une démarche politique en ce qu’elle est capable d’entraîner une approche de cogestion et de cofinancement. Du coup, elle pourrait devenir un moyen pour vous de modifier demain l’approche d’évaluation des projets et peut-être d’infléchir leur impact financier sur la CSPE.
M. Philippe de Ladoucette. Mme Battistel a évoqué le problème des petits producteurs d’énergie renouvelable qui vendraient leur électricité sur le marché : nous pensons qu’il faut réserver ce mécanisme aux grosses installations capables de se positionner sur le marché et que les petits producteurs doivent rester préservés de ces dispositifs.
Nous n’avons pas réfléchi à l’idée d’une transition à l’allemande, mais cela fait effectivement partie des réflexions possibles.
La CRE n’a pris aucune position sur la question de l’élargissement de la base de la CSPE. Notez que je n’exprime ici aucune position personnelle mais uniquement celles qui sont délibérées par le collège de la commission. Sachez toutefois que si vous élargissez cette base au gaz, cela aura une incidence certaine sur son prix, en tout cas pas négligeable.
La réflexion relative aux électro-intensifs relève de la politique industrielle et non de la politique énergétique. En matière de politique énergétique, nous ne disposons pas aujourd’hui de marges de manœuvre suffisantes pour pouvoir accorder des avantages aux entreprises électro-intensives sans avoir à le justifier auprès de la Commission de Bruxelles. Si nous l’avons fait, c’est que nous avons suivi le modèle allemand. Or celui-ci a été longuement discuté avec la Commission. Qui plus est, le régulateur allemand n’est pas soumis aux mêmes contraintes que le régulateur français : ainsi, il n’y a pas de péréquation en Allemagne, ce qui facilite les choses. Si nous accordons des avantages aux électro-intensifs sans en avoir discuté avec la Commission, nous serons immanquablement rattrapés par la Direction de la concurrence.
S’agissant des sanctions, je n’ai pas bien compris votre question, Madame Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V. Avez-vous recensé de nombreux manquements aux obligations des contrats conclus par les exploitations de production d’électricité renouvelable, sachant que le projet de loi instaure de nouvelles sanctions à leur encontre ?
M. Philippe de Ladoucette. Je n’ai cité tout à l’heure que l’exemple des toitures. Nos contrôles sont aléatoires : nous n’avons pas les moyens d’en effectuer sur l’ensemble du territoire. Cette question mériterait toutefois d’être regardée de plus près. Car si nos contrôles restent insuffisants, ceux que nous avons effectués nous ont permis de constater des dérapages. De ce point de vue, l’instauration de sanctions pourrait contribuer à la maîtrise de l’évolution de la CSPE.
Monsieur Baupin, vous avez cité le rapport d’activité de la CRE de 2009 et non celui de 2008 : nous avons effectivement un peu levé le pied sur ce sujet horriblement conflictuel pour nos partenaires : les collectivités locales, ERDF, la maison-mère et son actionnaire principal qu’est l’État.
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII. Vous êtes donc influençable !
M. Philippe de Ladoucette. Nous sommes indépendants, mais dans une certaine mesure…
Un autre élément entrerait en jeu si nous devions exercer la responsabilité d’approuver les programmes d’investissement d’ERDF. Lorsque nous le faisons pour RTE, l’approbation est annuelle, conformément à la loi française, mais triannuelle et décennale au titre du droit européen. Sur quelle base se fondera-t-on pour considérer que ERDF doit investir dans telle zone plutôt que dans une autre alors que notre structure est localisée à Paris ? Quelle légitimité le régulateur aurait-il pour entrer dans de tels détails ? Le cas de RTE est différent car il développe de très grands programmes. Par conséquent, si le principe est séduisant, son application poserait très rapidement un problème de faisabilité. Je conçois difficilement un dialogue entre les collectivités locales, la FNCCR, la CRE, ERDF et son actionnaire sur ce sujet. On pourrait imaginer de s’accorder sur une enveloppe globale sans entrer dans le détail, pour peu que l’on s’y tienne une fois celle-ci affichée. Mais nous n’avons pas les moyens d’entrer dans le détail des investissements locaux, car nous ne sommes pas décentralisés.
Le régulateur allemand, qui a aujourd’hui la responsabilité d’approuver les investissements de l’ensemble des gestionnaires de réseau, dispose pour cette seule tâche de 100 personnes, tandis que nous n’en avons que 125 pour tout faire !
Une approbation globale des investissements d’ERDF est envisageable, mais cette solution ne répondra pas totalement à la préoccupation des collectivités locales qui souhaitent que les investissements prévus dans tel ou tel département soient effectivement réalisés.
Quant à accorder à ERDF un statut similaire à celui de RTE, c’est là une question d’indépendance globale qui dépasse celle de l’approbation des seuls programmes d’investissement. La CRE publiant des rapports relatifs aux codes de bonne conduite et à l’indépendance, elle ne peut qu’être favorable au renforcement d’ERDF.
M. le Président François Brottes. Vous êtes donc d’accord sans être d’accord.
M. Philippe de Ladoucette. Je suis d’accord sur le principe, mais sa mise en application ne me paraît pas techniquement faisable.
M. le Président François Brottes. Voulez-vous dire que vous n’avez pas les moyens de l’appliquer ? Pour RTE, comment faites-vous ?
M. Philippe de Ladoucette. Ce n’est pas pareil. Nous ne sommes pas dans des ruisseaux comme dans le cas d’ERDF.
M. le Président François Brottes. Mais ce sont les ruisseaux qui font les grandes rivières…
M. Philippe de Ladoucette. S’agissant de RTE, ce sont des éléments très lourds que nous examinons, mais nous n’entrons pas dans tous les détails : si RTE a un projet d’investissement d’un montant donné et qu’il décide d’investir moins, il devra nous expliquer pourquoi.
M. le Président François Brottes. Autrement dit, vous pourriez le faire mais vous n’en avez pas les moyens.
M. Philippe de Ladoucette. Cela pose un problème de légitimité vis-à-vis des collectivités locales.
M. le Président François Brottes. Mais la loi pourrait organiser les choses…
M. Philippe de Ladoucette. Certes.
M. le Président François Brottes. La question de la légitimité de votre intervention aux yeux des collectivités locales peut être soulevée, dans la mesure où celles-ci sont effectivement propriétaires des réseaux. Nous savons bien, pour en avoir débattu, qu’il est plus facile d’obtenir de l’argent pour enterrer des lignes que pour assurer la maintenance des transformateurs du réseau de distribution. C’est le cas dans ma commune où un transformateur a pris feu alors que l’enterrement de l’ensemble des réseaux a pu être financé ! Je persiste à penser qu’il vaut mieux réserver la priorité à la sécurité. Reste que l’organisation de la gestion des investissements sur les réseaux de distribution est défaillante, malgré l’application du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité. C’est tout de même vous qui déterminez le niveau auquel doit être rémunéré le réseau de distribution ! Vous ne pouvez fixer le montant sans vous assurer la bonne exécution des investissements réalisés sur ce réseau…
M. Philippe de Ladoucette. Nous pouvons contrôler si un investissement de 3 milliards d’euros a été réalisé tel que prévu au départ, mais nous n’avons pas les moyens de vérifier si, parmi ces 3 milliards, le gestionnaire de réseau a bien investi les 200 millions prévus à un tel endroit, tel que l’espérait la collectivité locale concernée. Ce n’est pas faisable pour un organisme comme le nôtre.
M. le Président François Brottes. Bref, c’est comme pour les campagnes électorales : vous contrôlez le montant global mais vous ne regardez pas comment cela a été dépensé !
M. Philippe de Ladoucette. Pour RTE, si. Pour ERDF, ce n’est pas possible.
M. le Président François Brottes. Nous insistons, car le sujet est important.
Mme Frédérique Massat. La séparation d’EDF et ERDF et leur indépendance patrimoniale permettent déjà de réduire le degré de porosité entre les deux structures et donc de garantir une certaine visibilité sur les investissements du réseau de distribution. À ce titre, la CRE a son rôle à jouer en matière de contrôle. Cela est nécessaire pour que nous puissions nous assurer que les opérations prévues sur le réseau y sont bien réalisées. Surtout lorsque l’on sait les investissements que cela suppose – sans même parler des réseaux communicants ni des smart grids.
M. le Président François Brottes. Nous aurons forcément ce débat dans le cadre de l’examen du projet de loi.
M. Philippe de Ladoucette. S’agissant de la pertinence de l’article 50 du projet de loi, organiser la présence de parlementaires au sein du comité de gestion de la CSPE peut être une garantie supplémentaire en terme de contrôle ; mais pour le reste, cela n’apportera rien. Peut-être cela nous donnera-t-il du boulot en plus, mais ce n’est pas ce comité qui fera le travail que nous faisons déjà. Ou alors, nous allons le lui repasser, et avec grand plaisir… Mais je ne crois pas qu’il le fera. L’intérêt de l’article 50 tient à ce qu’il introduit la présence de parlementaire dans la mécanique, qui permettra de légitimer les évolutions de la CSPE.
La CRE n’a effectué aucune analyse du chèque-énergie.
Faut-il un acheteur unique ou plusieurs acheteurs ? Le problème en multipliant les acheteurs uniques, c’est que vous multipliez aussi les frais de gestion de la CSPE. Cette multiplication pourrait avoir des vertus, mais il faudrait faire une analyse des coûts et bénéfices de cette option avant de la retenir. C’est là une question à laquelle je n’ai pas de réponse définitive. Cela étant, nous gérons aujourd’hui 300 000 contrats. Les répartir sur plusieurs acheteurs aura incontestablement un impact.
Eu égard à l’évaluation des projets portant sur les ZNI, vous estimez, Madame Bareigts, que nous ne retenons pas toujours les projets les plus intéressants pour les territoires concernés car nous prenons essentiellement en compte un critère de prix et non des critères sociaux ou environnementaux : c’est effectivement ainsi que nous procédons. Car dès lors que l’on tient compte de critères très subjectifs, on se heurte à un problème d’évaluation et de réalisation, même si la loi définit leurs fondements. Sur quelle base objective allons-nous juger de la valeur environnementale ou sociale d’un projet ? Qui nous fournira une expertise ? Je m’exprime ici sans filet, car nous n’avons pas abordé ce sujet au sein de la CRE. Si jamais la loi le prévoit, nous verrons comment faire ; mais cela pose problème.
Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. J’entends bien que les critères social et environnemental sont subjectifs et qu’ils seraient donc difficiles à évaluer pour la CRE. Mais dès lors que la PPE deviendrait un document de programmation budgétaire et politique, ne pourrait-elle constituer l’élément de référence pour l’évaluation des projets présentés à la CRE ?
M. Philippe de Ladoucette. En effet : la réponse est oui.
J’en reviens aux questions du président Brottes.
J’ai indiqué tout à l’heure que nous n’avions pas d’avis sur l’élargissement de la CSPE. Mais si vous l’élargissez au gaz, je répète que cela augmentera son prix de façon non négligeable.
Je n’ai pas d’avis a priori sur les préconisations du médiateur visant à faciliter l’installation de systèmes de production d’énergie renouvelable chez les particuliers.
M. le président François Brottes. Ma question portait sur la médiation des conflits.
M. Philippe de Ladoucette. À mon avis, le médiateur le fait déjà.
M. le président François Brottes. Non, mais il souhaiterait s’en charger.
M. Philippe de Ladoucette. Ce serait très bien.
En ce qui concerne l’autoconsommation et les boucles locales, on ne peut à la fois vouloir bénéficier d’une assurance sans la payer. À moins de vivre en autarcie totale, quiconque est relié au réseau de distribution ou de transport doit à l’évidence payer le TURPE : quel que soit l’usage qu’un particulier fait du réseau, l’investissement est le même.
S’agissant de Linky, la ministre de l’écologie a fait une annonce, lors d’une conférence de presse récente, concernant l’information des consommateurs en temps réel.
M. le président François Brottes. Vous aurez compris que le Parlement souhaite parfois aller plus loin que le Gouvernement…
M. Philippe de Ladoucette. Nous avons déjà averti le Gouvernement que l’on frôlait l’atteinte au droit de la concurrence. La France a fait le choix d’accorder un monopole au distributeur – jusqu’au compteur mais pas au-delà.
M. le président François Brottes. Ce que nous souhaitons, c’est que le consommateur sache qu’il est en train de dépenser pendant que son compteur tourne, quel que soit son fournisseur. Le compteur de votre voiture vous indique à quelle vitesse vous roulez et quelle quantité d’essence vous consommez : cela ne met nullement en cause le droit de la concurrence ! Si le compteur est intelligent, qu’il le soit pour tout le monde : pas seulement pour les roues de la voiture, mais aussi pour le conducteur…
M. Philippe de Ladoucette. Je ne saurais vous répondre.
Pour ce qui est des tensions à craindre sur le niveau de consommation en hiver, nous en discutons, mais nous considérons que RTE est une entreprise sérieuse et nous prenons en considération ses propos.
J’ignore où l’on en est concernant l’effacement. J’ai perdu la trace du dossier il y a un certain temps. Une fois que nous avons exprimé notre avis et que le dossier a été transmis au Conseil supérieur de l’énergie, il n’a plus été de notre ressort mais de celui du Gouvernement.
M. le président François Brottes. Cela nous permet de voir comment les lois que nous votons s’appliquent ou pas : on peut donc les effacer…
M. Philippe de Ladoucette. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons rien effacé du tout : nous avons fait notre travail – en trois mois –, envoyé le dossier au Gouvernement, et nous ne l’avons plus revu…
M. Julien Aubert. Vous avez évoqué l’élargissement de l’assiette de la CSPE. L’autre lame du ciseau consisterait à mieux contrôler la croissance des énergies renouvelables. Le médiateur de l’énergie nous a indiqué que l’engagement en faveur des énergies renouvelables s’élèverait à 80 milliards d’euros, chiffre qui ne correspond pas à une valeur actualisée nette mais à l’addition de plusieurs éléments. Avez-vous un chiffre convergent ?
Que pensez-vous du dispositif du complément de rémunération prévu par le projet de loi ? Aura-t-il un impact sur ces engagements ? Si oui, de quelle ampleur ?
Enfin, je voudrais indiquer au Président Brottes qu’il existe un autre moyen de développer le compteur intelligent, grâce aux applications des smartphones. En effet, certaines entreprises permettent au citoyen, moyennant quelques euros, de couper à distance son radiateur ou sa télévision et de contrôler sa consommation d’énergie depuis son téléphone mobile. Par conséquent, si l’utilisation de Linky pose des problèmes juridiques, le législateur pourra adopter des dispositifs encourageant les Français à se doter de ce type d’applications.
Mme Cécile Duflot. Les questions que je souhaitais poser sur ERDF ont largement été évoquées. Une dépêche AFP a fait état de la baisse des moyens de la CRE. Faut-il en déduire que des menaces réelles pèsent sur la capacité de votre commission à assumer l’ensemble de ses missions ?
M. Jean Launay. En septembre 2010, j’ai commis avec Michel Diefenbacher un rapport sur les enjeux et les perspectives de la CSPE. C’est l’important déficit de compensation à EDF qui fut à l’époque à l’origine de la demande de rapport de la commission des finances. Même si la bulle photovoltaïque qui causa ce déficit s’est beaucoup réduite, celui-ci demeure. Il convient donc de trouver des solutions. L’élargissement de la base de la contribution ne serait-il pas le moyen adéquat pour mettre les citoyens en situation d’égalité au regard des modes d’énergie auxquels ils ont recours pour se chauffer ? Voilà qui pourrait partiellement répondre à la question prioritaire de constitutionnalité actuellement en cours de traitement, qui porte sur les conditions précises de son encaissement. Dès lors que l’on renforce l’égalité des citoyens devant les bases en appliquant un taux unique – quitte à entraîner une augmentation du prix du gaz –, la portée de la QPC pourrait s’en trouver atténuée. Vous avez également avancé l’idée que l’encaissement de la CSPE devrait relever des impôts, confirmant par là qu’il s’agit bien d’une imposition de toute nature, comme je l’ai indiqué dans le débat d’hier. Cela dit, le reversement et la centralisation de la CSPE s’opèrent via la Caisse des dépôts et consignations : cela vous paraît-il à ce point inopérant pour souhaiter un retour à un encaissement par l’administration compétente ? Je ne pense pas qu’il soit opportun, au moment où l’on veut atténuer le poids de la dépense publique, de re-centraliser le recouvrement des taxes affectées comme certains le préconisent, y compris au Haut conseil des prélèvements obligatoires. Notre État reste très jacobin et souhaite procéder à de nombreuses rebudgétisations. Mais en l’occurrence, je crois qu’on améliorerait la lisibilité du système en élargissant la base de la CSPE.
M. le président François Brottes. Je suis troublé par la notion d’imposition de toute nature dans la mesure où la CSPE ne relève pas du budget de l’État.
M. Philippe de Ladoucette. Les engagements en faveur des énergies renouvelables et la péréquation seront effectivement de l’ordre de 80 milliards d’euros au cours des dix prochaines années. Mais il convient d’y ajouter 35 milliards d’euros au profit de la production offshore.
J’ignore quel est l’impact du complément de rémunération sur la CSPE.
M. le président François Brottes. Pourriez-vous nous fournir une réponse écrite à cette question dans les jours qui viennent ?
M. Philippe de Ladoucette. J’essaierai.
Pour répondre à la question de Mme Duflot sur la baisse des moyens de la CRE, je tiens à rappeler que de tous les régulateurs de l’énergie des dix plus grands pays européens, la commission de régulation de l’énergie est la plus petite en termes d’effectifs. Les Anglais emploient 700 personnes, les Roumains 307, les Allemands 285, les Hongrois 235. Nous n’en employons que 125. Nous sommes également le régulateur le moins bien doté en termes de budget. Nous ne disposons donc pas des mêmes moyens que nos homologues européens. Les « arbitrages » opérés à un moment donné au ministère du redressement productif nous ont conduits à une diminution du nombre d’emplois de l’ordre de 4 % contre 2 % pour le reste de l’administration des finances. J’ai d’ailleurs écrit au Premier ministre à ce sujet pour lui indiquer que dans de telles conditions, nous serions amenés à abandonner certaines de nos responsabilités ou à les exercer de façon très dégradée. Je songe en particulier aux appels d’offres : si ces arbitrages devaient être confirmés, nous ne mettrions plus deux ou trois mois pour les traiter, mais six à neuf mois. Depuis 2009, le législateur nous a accordé sa confiance en nous confiant de plus en plus de responsabilités – et nous en exerçons beaucoup. Mais jamais nos moyens n’ont suivi : ils ont au contraire diminué, tant en termes de capacités d’étude que d’emplois. Les arbitrages opérés nous ramènent à notre situation d’emploi de 2005, soit dix ans en arrière. Il est possible que les décisions que j’évoque ne soient pas définitives. Mais voilà où nous en sommes aujourd’hui.
S’agissant de l’élargissement de la base de la CSPE, la CRE n’a pas pris position officiellement. Mais s’il fallait l’élargir, il faudrait inclure le fioul.
Enfin, en ce qui concerne le rôle de la Caisse des dépôts et de l’administration, ce n’est pas elle mais bien la CRE qui a reçu 47 000 demandes de remboursement. Or notre commission est incapable de gérer une telle situation. Ne serait-ce que pour le stockage du courrier, il nous a fallu louer des locaux à l’extérieur ! Il est donc inconcevable que la CRE puisse assurer la gestion d’un tel dossier, dans l’hypothèse où il faudrait rembourser les demandeurs. À moins de la transformer en administration pure et simple, et qu’elle ne fasse plus que cela.
M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur le Président.
8. Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.
(Séance du jeudi 11 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Monsieur le directeur général, la Caisse des dépôts et consignations est une de ces grandes maisons familiales nationales auxquelles nous sommes tous attachés ; elle existe depuis fort longtemps et est, rappelons-le, placée sous le contrôle du Parlement. La CDC a abordé la question de la transition énergétique depuis plusieurs années déjà, dans les domaines des transports, de la réhabilitation thermique et des réseaux intelligents. Elle s’occupe désormais aussi des maisons de service public. Enfin, elle est concernée dans le projet de loi qui nous est soumis, qui crée un fonds pour les collectivités territoriales qui joueront un rôle décentralisé, et en prévoit des soutiens aux particuliers en matière de réhabilitation thermique des logements. « Il n’y a qu’à demander à la Caisse des dépôts » : cette phrase est fréquemment prononcée à l’Assemblée nationale mais aussi au Gouvernement, me dit-on. M. Pierre-René Lemas est donc une des personnes les plus sollicitées de notre pays…
M. Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Je vous remercie, monsieur le président.
Comme vous le souligniez, la Caisse des dépôts et consignations est présente dans la vie publique depuis 1816. Elle ne manie pas de deniers publics au sens de produit de l’impôt ; elle travaille avec le produit de l’épargne des Français. Nous sommes donc contributeur et contribuable, et non utilisateur de l’argent public au sens de la loi de finances.
Entre autres missions, qui ont été réactualisées en 2001, le législateur a expressément confié à la Caisse celle du développement durable. Cela est assez cohérent puisque celle-ci a pour mission générale, avec l’argent issu de l’épargne des Français et des dépôts des professions réglementées, d’engager des capitaux sur une durée longue pour financer des investissements dont les revenus sont différés dans le temps. Cela explique pourquoi, depuis de nombreuses années, la Caisse est très présente dans l’accompagnement des politiques publiques menées en faveur de la transition énergétique.
Si je ne suis arrivé à ce poste que depuis trois mois, la Caisse des dépôts réfléchit depuis un an et demi à ses projets et a retenu la transition énergétique parmi ses orientations stratégiques. J’ai pour ma part proposé d’aller au-delà et de faire de la transition écologique et énergétique l’un des grands thèmes fédérateurs d’avenir du groupe – de même que la Caisse fut pendant de nombreuses années le grand outil de l’aménagement du territoire, depuis les chemins de fer jusqu’à la reconstruction de l’après-guerre, de l’après-guerre jusqu’aux grands projets d’aménagement du territoire de l’époque de Paul Delouvrier et de Robert Lion, et enfin avec les programmes de renouvellement urbain. C’est ce que j’ai exposé devant les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat.
La transition énergétique concerne d’ores et déjà plusieurs compartiments de la Caisse : celle-ci intervient en tant que prêteur via son fonds d’épargne, en tant qu’investisseur en fonds propres, en tant qu’opérateur, et depuis quelques années, en tant que mandataire du PIA. Je vous présenterai son action dans ce secteur, ce qui relativisera le lieu commun que vous évoquiez, selon lequel notre organisme serait une grande caisse permettant de financer de nombreux projets. Nous pouvons certes faire beaucoup de choses, mais avec un bilan contraint.
Premier domaine dans lequel notre groupe contribue à la transition énergétique : la rénovation énergétique des logements sociaux et des bâtiments publics.
S’agissant du logement, le dispositif de l’éco-prêt-logement social (éco-PLS) constitue depuis sa création en 2009 le prêt au taux le plus bas de l’ensemble de la gamme de prêts de la Caisse des dépôts et consignations, à 0,5 %. Entre 2009 et 2013, environ 40 000 logements ont été réhabilités et en 2012-2013, 1,3 milliard d’euros ont été engagés pour rénover 108 000 logements sociaux. L’objectif que nous ont fixé les pouvoirs publics est de parvenir à un rythme de 70 000 logements rénovés par an dans les prochaines années. À ce titre, la Société nationale immobilière (SNI), filiale de la Caisse des dépôts et consignations, intervient pour rénover des logements en tant qu’opérateur, à hauteur de 8 100 logements sociaux rénovés l’an dernier, et 6 000 logements sociaux ou intermédiaires mis en chantier aux meilleurs standards énergétiques.
Pour ce qui est des bâtiments publics, il a été décidé l’an dernier d’ouvrir au sein du fonds d’épargne de la caisse une enveloppe globale de 20 milliards d’euros d’aide aux collectivités locales sous forme de prêts à taux préférentiel. Parmi ces 20 milliards, une enveloppe particulière de 5 milliards de prêts sur fonds d’épargne à taux préférentiels appelés prêts de « croissance verte » est destinée à financer les projets de nouveaux bâtiments à énergie positive. Le taux de ces prêts est très bonifié, correspondant au taux du livret A plus 0,75 %. Ce taux est donc intéressant, malgré la baisse des taux d’intérêt. Ce dispositif permettra de contribuer au programme Bâtiments publics qui constitue l’un des axes du projet de loi. Nous avons aussi créé un opérateur particulier, Exterimmo, petite filiale capitalisée à hauteur de 25 millions d’euros, qui commence ses premières opérations et intervient notamment sur les bâtiments publics. L’idée consiste à mettre à disposition des collectivités locales un ensemblier qui prenne en charge la globalité de la réhabilitation, de la conception à la réalisation des travaux en passant par leur financement.
Deuxième domaine d’intervention : la transition écologique et énergétique dans les territoires.
La Caisse des dépôts et consignations investit tout d’abord dans les énergies renouvelables, soit dans des PME soit dans des entités liées aux collectivités locales – entreprises locales de distribution ou entreprises publiques locales. Concrètement, nous investissons par une entrée minoritaire au capital de sociétés de projet. Cela représente environ 140 millions d’euros pour 2011-2013, notre priorité étant l’investissement dans les projets en faveur de la biomasse et de la géothermie, comme nous le demandent les collectivités locales. Nous sommes également présents dans la Compagnie nationale du Rhône, dont le capital est majoritairement public. La Caisse des dépôts en détient 33 % et les collectivités locales près de 17 %, tandis que GDF-Suez n’en détient que 49,97 %. Cette entreprise publique dynamique produit 25 % de l’hydroélectricité du pays et dispose d’une capacité installée de 3 000 mégawatts. Au-delà des travaux qu’elle réalise sur le Rhône, la CNR développe des projets éoliens et solaires dans toute la France.
Nous contribuons également au développement des éco-quartiers, soit par le biais de prêts dédiés sur les fonds d’épargne, soit par le biais du PIA. Pour l’heure, nos programmes ont permis d’accompagner des démonstrateurs dans dix-neuf éco-cités. Près de 300 millions d’euros de PIA ont été engagés, permettant de générer un montant global d’investissement de l’ordre de 3 milliards d’euros. Ces actions visent à réduire la consommation énergétique, à développer les réseaux intelligents et à assurer la qualité des espaces publics en y intégrant les technologies de l’information et de la communication.
De leur côté, les filiales du groupe – la SCET et Egis – accompagnent les collectivités locales dans leur politique de rénovation énergétique.
Enfin, la politique globale de la Caisse des dépôts et consignations vis-à-vis des territoires a intégré à toutes ses actions les enjeux du développement durable et de la transition énergétique. Mais le projet de loi, une fois qu’il aura été adopté par le Parlement, permettra de renforcer cette dynamique.
Troisième domaine d’intervention : le financement des infrastructures de transport et de mobilité durables.
Notre groupe finance sur fonds d’épargne presque toutes les infrastructures de transport, et en particulier de transport durable. Depuis de nombreuses années, nous avons accompagné la construction de la quasi-totalité des lignes à grande vitesse ainsi que les projets de transports fluviaux et de transports collectifs urbains. Les projets d’infrastructures durables sont désormais éligibles à l’enveloppe de 5 milliards d’euros de prêts « croissance verte » que j’évoquais tout à l’heure.
Enfin, la filiale Transdev, dont nous partageons l’actionnariat avec le groupe Veolia, est un acteur majeur auquel nous avons demandé de mettre l’accent sur l’impact en carbone des transports et auquel nous avons assigné un objectif de réduction de la dépendance à l’automobile.
Dernier domaine d’intervention : le soutien aux entreprises de la transition énergétique. Concrètement, nous soutenons la filière « transition écologique et énergétique » et développons un programme de financement des projets d’efficacité énergétique dans les entreprises industrielles. Nous recourons pour ce faire à deux canaux, à commencer par BPI France qui, en 2013, a apporté 900 millions d’euros à des opérations de financement et d’investissement en direction d’entreprises de TEE : il s’agit à la fois d’entreprises de conception et de production de produits et de services verts, et d’entreprises utilisant ces produits et services. L’encours de prêts de la BPI s’élève aujourd’hui à 2,5 milliards d’euros.
Nous avons assigné à la BPI, filiale de l’État et de la Caisse des dépôts, l’objectif de doubler les prêts aux projets de production d’énergie renouvelable, de mettre l’accent sur les aides à l’innovation et de soutenir les projets structurants de la filière. La BPI travaille également à la restructuration de la filière bois, à laquelle tout le monde réfléchit depuis de nombreuses années. Nous avons créé cette année un Fonds bois II, doté de 40 millions d’euros.
Parallèlement à la contribution de la BPI, nous avons institué le programme dit 5E pour financer l’efficacité énergétique des entreprises : ce programme de co-investissement de 30 millions d’euros en fonds propres permet de financer les projets d’efficacité énergétique des entreprises – principalement industrielles ou énergivores. Notre objectif consiste à pallier la carence des financements bancaires pour ce type d’équipements. Ce programme reste expérimental : il a été testé en 2013-2014 sur un site industriel pilote de Solvay à La Rochelle. Nous verrons s’il nous est possible de le développer sur d’autres sites en partenariat avec les entreprises.
Tels étaient les éléments que je voulais vous présenter quant à l’action globale de la Caisse des dépôts et consignations. Je souhaitais ainsi vous montrer que nous agissons dans presque tous les domaines du développement durable mais que, dans le même temps, nous avons besoin d’une vision cohérente – qui est celle sur laquelle vous travaillez.
J’en viens à présent au projet de loi proprement dit, dont je salue l’ambition. J’apellerai votre attention sur cinq points.
J’évoquerai en premier lieu les territoires à énergie positive, visés à l’article 1er. Nous avons réfléchi en amont au principe de reconnaissance des collectivités locales comme acteurs de la transition énergétique, dans une logique de territoires à énergie positive. Nous comptons pour notre part être un partenaire actif de ces projets, aux côtés des collectivités locales, de l’ADEME et des opérateurs, en leur apportant notre expertise. Nous estimons devoir intervenir de façon systémique et multiple afin d’accélérer la transition écologique et énergétique globale. Nous souhaiterions pouvoir, avec les collectivités locales qui le souhaitent, présenter des démonstrateurs en grandeur réelle sur des territoires variés. Cela nécessitera une organisation adaptée aux territoires, en lien avec les collectivités locales. En outre, cela prendra du temps car il nous faudra inventer un nouvel outil d’aménagement énergétique du territoire sur le modèle de ce qui a été inventé il y a vingt-cinq ans en matière d’aménagement urbain.
Les articles 4 et 6 ont trait aux économies d’énergie dans le secteur du bâtiment et à la rénovation thermique du patrimoine bâti. Nous souscrivons complètement au principe, énoncé à l’article 4, d’exemplarité pour tous les nouveaux bâtiments publics. Notre idée serait donc de consacrer la moitié de l’enveloppe de 5 milliards d’euros de prêts « croissance verte » évoqués précédemment, à la rénovation thermique des bâtiments publics et privés et à la construction de bâtiments publics à énergie positive. L’une de nos pistes de réflexion, une fois que nous aurons consommé cette enveloppe, consisterait à instaurer des mécanismes de déplafonnement.
Les sociétés de tiers-financement avaient été définies dans la loi ALUR ; elles devraient connaître une nouvelle avancée avec l’article 6 du projet de loi. Nous avons jusqu’ici été présents au capital de la première et unique société d’économie mixte ayant pour objet d’appliquer ce mécanisme en faveur des travaux d’efficacité énergétique : créée par la région Île-de-France, cette SEM porte le nom d’Énergie Posit’IF. Nous allons analyser les expérimentations que nous sommes en train de mener et sommes disposés à en mener d’autres avec les partenaires locaux qui le souhaitent – la meilleure manière d’avancer étant de mesurer les difficultés au fur et à mesure qu’on fera les choses. Mais ce que nous montre cette expérimentation francilienne, c’est que ce dispositif pose un problème de sécurité juridique et financière et qu’il nous faudra inventer des mécanismes de collaboration avec les réseaux bancaires. Nous ne pourrons en effet être à la fois une banque et un partenaire de banques.
Le titre III comporte beaucoup de dispositions pertinentes sur les transports propres. La CDC est déjà très présente dans le domaine des véhicules électriques et des bornes de recharge, en particulier via sa filiale Egis ; elle soutient également la politique de développement de ces véhicules, et investit, avec EDF, Renault et la CNR, dans le groupement pour l’itinérance des recharges électriques de véhicules, le GIREVE. Cela devrait permettre d’accompagner les dispositions prévues dans le projet de loi. Dans le cadre du PIA, la CDC s’engage aussi dans les programmes de déploiement de bornes de recharge au sein des éco-cités. À ce stade, le projet de loi n’évoque ni les transports publics ni le report modal – qui ne sont pas sans lien avec la transition énergétique –, pour lesquels notre filiale Transdev se mobilise.
Quatrième thème : le développement des énergies renouvelables. Le projet de loi, sur ce point, propose un doublement de la production à l’horizon 2030, dans le cadre, précise l’article 49, d’une programmation pluriannuelle de l’énergie couvrant deux périodes successives de cinq ans. Cette disposition donnera de la visibilité, condition essentielle pour les investisseurs. D’autre part, le « complément de rémunération » représente une évolution sensible du système de soutien aux énergies renouvelables – ce que tous les acteurs ne semblent pas encore avoir mesuré –, notamment en ce qu’il accroît le risque pour les porteurs de projet. La CDC s’impliquera dans ce dispositif, à un niveau qui, toutefois, dépendra du développement de la filière issue de la loi.
L’article 28, quant à lui, tend à regrouper des concessions hydroélectriques en des concessions uniques à ouvrages multiples, à l’échelle des grandes vallées, sur le modèle de la CNR, dont les ouvrages ont été construits entre 1948 et 1986. Une date d’échéance commune est donc fixée à l’échelle de ces vallées. Or, à ce stade, le texte ne prévoit aucune disposition particulière pour la CNR : c’est là un paradoxe car, pour assurer la pérennité du modèle qu’elle représente, il serait logique de prolonger la durée de sa concession. Les élus de la région Rhône-Alpes, M. Mestrallet et moi-même avons déjà alerté sur ce point, qui mériterait sans doute une disposition législative complémentaire. Dans le cas contraire, la CNR aurait la satisfaction morale de constituer un modèle pour les nouvelles entreprises, tout en voyant la durée de sa concession limitée à 59 ans en moyenne, contre 75 pour ces dernières…
Mme Battistel connaît bien le sujet des « SEM Hydro ». Dans cette réflexion, la Caisse a été un acteur en amont, avant mon arrivée à sa tête. L’article 29, tel qu’il est rédigé, nous semble correspondre à un juste équilibre.
La CDC s’engagera, selon le vœu du législateur – et sous le contrôle bienveillant du Parlement –, dans l’accompagnement de certains dispositifs ; aujourd’hui, elle assure d’ailleurs la gestion du CSPE : la loi définit son rôle pour le chèque énergie et le complément de rémunération. J’appelle votre attention sur le point suivant : la Caisse assurera le financement des dispositifs dont nous parlons, sans contribuer à leur trésorerie dans l’hypothèse où ils seraient déséquilibrés, fût-ce temporairement. L’équilibre d’ensemble exige en effet que la Caisse ne s’engage que dans la limite des fonds qu’elle gère. Il faut le préciser car la commission de surveillance, dont je sais qu’elle veille sur ce point, sera appelée à se prononcer sur la mise en œuvre des dispositifs après publication des décrets d’application.
Ce projet de loi traduit une formidable ambition pour le pays, et la Caisse des dépôts – qui n’est pas une institution financière mais une institution publique d’intérêt général chargée de missions bancaires – s’y engagera auprès des territoires.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. Je vous interrogerai plus particulièrement sur le titre V, que j’ai la charge de rapporter.
Quelle analyse faites-vous de l’ouverture aux collectivités territoriales du capital des exploitations de production d’énergie renouvelable ? Un recours aux banques publiques d’investissement régionales, qui disposent d’une réelle expertise en matière de financement vert, est-il envisageable ? Plus généralement, quelle pourrait être la place de la CDC ou des BPI dans le soutien aux projets citoyens d’investissement participatif dans la production d’énergies renouvelables ?
S’agissant du complément de rémunération, les petits producteurs d’électricité risquent d’avoir plus de difficultés à obtenir des prêts bancaires substantiels pour leurs investissements de départ. La CDC a-t-elle réfléchi à un accompagnement en ce domaine, afin de garantir la concrétisation des projets ?
Le projet de loi envisage la création de SEM pour l’hydraulique, dans le cadre du renouvellement des concessions. La Caisse sera-t-elle en mesure de s’engager avec les collectivités, dans une ou plusieurs SEM – selon les périmètres d’attribution –, au regard des nombreux autres engagements qu’elle se voit confier par le texte ?
Pour ce qui est de la CNR, rien n’est aujourd’hui arrêté. La concession regroupant dix-huit ouvrages construits au fil des années, la date de l’échéance n’est pas la même que pour le futures concessions. J’ai évoqué le problème avec la directrice générale du groupe, Mme Ayrault. Nous examinerons ce point avec attention.
M. le président François Brottes. Légiférer sur des cas particuliers pourrait exposer à un risque d’inconstitutionnalité : il faudra y veiller.
Mme Sabine Buis, rapporteure pour les titres II et IV. Merci, monsieur le directeur général, d’avoir rappelé – car cela semblait avoir échappé à certains – que la Caisse, acteur public garant de l’intérêt général, regarde le développement durable comme l’une de ses priorités, et qu’à ce titre elle peut y recentrer des financements.
De l’avis de plusieurs personnes déjà auditionnées, il n’est pas besoin de dispositifs nouveaux : le problème est plutôt que, parmi ceux qui existent, certains fonctionnent mieux que d’autres. Avez-vous identifié des freins ici ou là ? Si oui, comment y remédier ?
Les sociétés de tiers-financement peuvent combler les carences du secteur bancaire ; toutefois, vous avez laissé entendre qu’elles posent de nombreux problèmes. Quelle est la position de la Caisse sur ce point ? Avez-vous identifié d’autres problèmes que l’insécurité juridique et financière ? Avez-vous des pistes pour les résoudre ?
Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. La Caisse des dépôts a-t-elle une approche de droit commun pour ces territoires non interconnectés que sont les outre-mer ?
Pour la rénovation des logements et l’adaptation thermique, la Caisse a-t-elle des modalités d’intervention particulières ? Fondez-vous vos décisions sur des bilans thermiques, par exemple ? Disposez-vous de programmes spécifiques ?
Êtes-vous susceptible d’accompagner davantage les territoires dans les grands projets de transition énergétique – par exemple de géothermie, de barrage ou d’utilisation de la biomasse –, dont les coûts de sortie peuvent être très différents ?
M. Christophe Bouillon. Avez-vous une idée du coût de la transition énergétique, et de la part qu’y prendra globalement la CDC à travers ses différents outils ? La Caisse agira-t-elle comme un véritable levier financier ou sa part restera-t-elle relativement faible, ce qui supposera de trouver d’autres moyens de financement ?
M. Julien Aubert. Les prêts pour la croissance verte ouverts par la Caisse représentent, avez-vous dit, une enveloppe de 5 milliards d’euros ; reste que le périmètre du financement apparaît encore un peu flou. Quel effort supplémentaire ce projet de loi représente-t-il pour la CDC ?
Quel jugement la Caisse, en tant qu’actionnaire de la CNR, porte-t-elle sur la demande des électro-intensifs d’obtenir un régime spécifique d’accès à l’hydroélectricité, au même titre qu’au nucléaire ?
Enfin, j’ai cru percevoir une pointe d’inquiétude dans votre évocation du chèque énergie et de la trésorerie des projets, en cas de déséquilibre financier. De fait, le chiffrage n’est pas clair et il a donné lieu à des échanges politiques. Avez-vous une idée des risques financiers que le texte représenterait pour vous, ou de la couverture assurantielle qu’il suppose ?
Mme Cécile Duflot. Ma question concerne le tiers-financement, dont il est question dans l’article 6. La Caisse, comme vous l’avez rappelé, a participé à des projets bénéficiant de financements innovants, d’abord pour la réhabilitation de bâtiments. Si le tiers-financement est nécessaire, rappelons-le, c’est parce que le système bancaire ne s’engage pas. La rédaction actuelle du texte, limitative, ne risque-t-elle pas de bloquer le développement des projets, voire d’empêcher une expérimentation telle que la SEM francilienne ?
M. Jean-Yves Caullet. Ma première question concerne les modalités de financement des travaux d’économies d’énergie dans les bâtiments, notamment privés. Le tiers-financement repose largement sur l’idée que les économies d’énergie permettent de financer les travaux ; or il y a parfois un écart entre les économies supposées et la marge nécessaire pour investir. On peut alors faire jouer l’effet patrimonial de l’investissement, sachant que l’isolation d’un bâtiment lui confère de la valeur. Cela s’apparente en quelque sorte à ce qui se fait en matière de viager : si l’on utilise la rente ou le bouquet d’un viager pour effectuer des travaux, il va de soi que la valeur du bien s’en trouve augmentée. La Caisse relance un peu cette idée. N’y a-t-il pas matière, lors de la cession du bien, à récupérer la part complémentaire du financement non financée par les économies d’énergie dégagées ?
Les communes ont parfois des difficultés à trouver des investissements pour mobiliser le bois des forêts publiques : selon le schéma traditionnel, c’est le produit des coupes qui doit permettre le financement ; mais pour mobiliser du bois, il faut d’abord investir : la recette n’est engrangée que plus tard. La Caisse, dans ces conditions, pourrait-elle financer ces investissements, pour se faire rembourser une fois la recette perçue ?
M. le président François Brottes. J’avais moi-même évoqué auprès de votre prédécesseur, monsieur le directeur général, l’idée de récupérer le capital investi au moment de la mutation : c’est une possibilité pour un portage de long terme – moyennant quelques frais financiers –, mais le problème est que l’on ne connaît pas forcément l’échéance de la mutation, laquelle peut au demeurant intervenir pour d’autres raisons que le décès. La spoliation est par ailleurs peu probable puisque le bien, quelles que soient les fluctuations du marché, aura pris de la valeur. L’avantage serait d’offrir une solution aux propriétaires modestes, qui profiteraient de surcroît du confort apporté par la rénovation. Cela aurait un effet de levier considérable en termes de croissance verte, d’autant que l’investisseur pourrait être assujetti à une prescription intelligente, à un suivi des travaux par exemple, afin d’éviter de faire n’importe quoi. L’idée, assez iconoclaste à l’origine, commence à faire consensus ; on peut donc s’attendre à ce qu’elle débouche sur des propositions « musclées »…
M. Pierre-René Lemas. Par définition, on ne connaîtra le surcroît d’engagements financiers pour la Caisse qu’une fois le texte voté. L’enveloppe de 20 milliards dont je parlais a été ouverte en juillet 2013, et celle de 5 milliards dévolue à la croissance verte est plus récente encore. Il s’agit bien de moyens nouveaux dégagés sur les fonds d’épargne. Je n’ai pas fait l’addition des coûts exposés par l’ensemble des filiales de la Caisse contribuant au financement de la transition énergétique : ils sont très hétérogènes, et la nature des instruments n’est pas la même. L’une des vertus de la loi sera de regrouper ces outils au service des axes définis par le législateur. Beaucoup de projets étant au stade expérimental, il est difficile d’en tirer des enseignements à l’heure qu’il est et de dire avec certitude ce qui marche mieux, et ce qui marche moins bien.
Notre filiale Exterimmo, dévolue aux opérations de rénovation thermique des bâtiments publics, me semble un outil prometteur : elle négocie avec les partenaires et réalise le montage financier et juridique, afin de livrer un produit clé en main à la collectivité, pour qui elle est donc l’opérateur unique. Pour de telles opérations, les collectivités font souvent preuve d’une frilosité légitime, au regard de la capacité des partenaires à les accompagner dans la durée : il s’agit en effet de récupérer, à terme, des économies générées par des investissements immédiats. Les banques y sont souvent réticentes ; l’intervention de la Caisse permet donc d’assurer un climat de confiance. Sur le papier, et au vu de l’unique expérience réalisée à ce jour, les choses fonctionnent ; mais il n’existe pas, je le répète, de réel bilan à ce stade.
J’ai demandé à CDC Climat une évaluation des flux financiers liés au changement climatique. Ce travail, que je tiens à votre disposition, est en cours ; ses résultats, qui doivent recevoir une validation scientifique – et que je vous soumets donc avec les réserves d’usage –, font apparaître que les investissements climatiques se seraient montés en France, depuis deux ans, à quelque 20 milliards d’euros, pour des besoins qui atteindraient environ le double. Dans ce cadre, la capacité d’intervention de la Caisse me semble importante. Un prêt sur quarante ans à un taux de 0,75 %, par exemple, est assurément de nature à générer des effets de levier, autrement plus qu’un prêt ordinaire. Ceux-ci peuvent aussi être induits par l’apport de fonds propres – de la CDC, d’une de ses filiales ou de la BEI le cas échéant – susceptibles de mobiliser des investisseurs privés, lesquels se déterminent en fonction du taux de rentabilité interne (TRI), mais aussi des garanties offertes par le projet : la Caisse, de ce point de vue, représente un tiers de confiance crédible – et je veux croire qu’elle le restera toujours.
Ces deux types de levier permettent la création de multiples outils ; à vrai dire, j’ai même tendance à penser que nous en avons presque trop depuis quelques années. Regrouper nos filiales permettrait une meilleure lisibilité – et des économies d’échelle, bien entendu –, même si je rends hommage aux équipes qui y travaillent depuis longtemps.
Sur le tiers-financement, beaucoup de choses ont été dites. J’ai même entendu que la CDC désapprouverait le financement des travaux par les SEM des collectivités. C’est tout le contraire : nous y sommes résolument favorables et de ce point de vue, le projet de loi nous convient tout à fait – il pourrait même aller plus loin. Depuis 2010, et de façon accrue en 2012, la Caisse mène une réflexion sur le tiers-financement. Celui-ci, il est vrai, soulève des questions difficiles qui, on l’a rappelé lors de la Conférence bancaire et financière de la transition énergétique, tiennent à la sécurité juridique et financière. Une SEM, par exemple, peut-elle être financeur ? Non, ou en tout cas pas directement, répond le Conseil d’État. Si un outil joue à la fois un rôle de conseil et de financeur, quelle est sa nature juridique ? S’il est financier, il doit être reconnu comme tel, au sens bancaire du terme. À moins d’imaginer un statut nouveau, on passerait donc un temps infini à créer des « sortes de » banques.
Par souci d’opérationnalité, nous penchons pour des établissements ensembliers qui soient concepteurs, conseils et maîtres d’ouvrage, et qui eux-mêmes noueraient des liens contractuels avec les banques afin d’apporter un service global aux collectivités. Le dispositif du tiers-financement ne va pas de soi, mais je pense que c’est la bonne voie. Sa première vertu est celle du guichet unique ; la seconde est de constituer un lieu qui réunit ingénierie publique, administrative, juridique et financière, autrement dit une réponse d’ensemblier, ce qui rejoint ce qui fait la vocation même de la Caisse depuis la nuit des temps. Un tel système présente aussi un avantage pour les acteurs financiers, qui ont tout intérêt à travailler directement avec la Caisse plutôt qu’avec des sociétés de services, des collectivités ou des porteurs de projet.
De ce point de vue, le projet de loi nous semble aller dans la bonne voie, même s’il faudra peut-être aller plus loin le moment venu. La situation est un peu comparable à celle du microcrédit, qui requiert un opérateur spécialisé, un tiers de confiance qui soit ensemblier et des opérateurs de marché qui se trouvent ainsi rassurés. C’est dans cet esprit que nous avons créé Exterimmo, et que nous sommes prêts à participer à des SEM locales.
Le projet de loi nous semble tout à fait pertinent sur les « SEM Hydro », dans lesquels la Caisse jouera tout son rôle, en intervenant au cas par cas ; le seul fait d’évoquer une participation publique nous a d’ailleurs fait comprendre, de façon subliminale, qu’elle serait amplement sollicitée… Si les acteurs le souhaitent, elle interviendra aussi pour l’ingénierie en amont. En tout état de cause, compte tenu de la procédure législative, nous sommes dans des calendriers longs.
Reste le problème, réel, des petits producteurs : il faudra y apporter des éléments de réponse. J’ai d’ores et déjà demandé à la Banque publique d’investissement de réfléchir à des systèmes de garantie ; d’ici au vote du projet de loi, il y aura sans doute des pistes en ce sens. C’est là une nécessité pour ouvrir pleinement le marché aux petits producteurs.
Je n’ai pas d’inquiétude particulière sur la trésorerie, monsieur Aubert : j’appelle seulement l’attention sur le fait que le dispositif, dans son organisation, ne doit pas comporter de risque à cet égard. Jusqu’à présent les choses fonctionnent bien : il n’y a pas de raison que cela change.
Aujourd’hui, madame Bareigts, c’est le droit commun qui s’applique dans les outre-mer. Ayant travaillé pendant plusieurs années au ministère qui leur est dédié, je connais cependant les dispositifs pertinents qui peuvent s’y appliquer. Dans cet esprit, j’ai demandé à la direction des fonds d’épargne de mener des analyses sur la situation thermique propre aux outre-mer ; la prise en compte de leur spécificité relève, pour ainsi dire, de la réglementation interne des fonds d’épargne : elle est nécessaire pour ne pas être en porte-à-faux, notamment quant à l’évaluation de la déperdition énergétique – qui peut être très coûteuse dès lors qu’il s’agit de climatisation. Le bilan thermique ne peut être calqué sur celui de l’Hexagone, quand bien même le résultat moyen final est souvent le même.
S’agissant des sociétés d’économie mixte et des sociétés d’exploitation, nos deux grands domaines d’intervention sont la biomasse et la géothermie. La Caisse a ainsi accompagné la communauté urbaine de Metz dans la modernisation d’un outil dédié à la géothermie, afin d’utiliser la biomasse pour le chauffage urbain, dont le coût s’est ainsi vu réduit. Bien sûr, comme le suggérait M. Caullet, la gestion des coûts se fait dans la durée : c’est précisément le sens de l’intervention de la Caisse, même si elle ne saurait agir seule.
Nous venons par ailleurs d’annoncer la création d’un fonds viager, baptisé « Certivia ». Le marché du viager est quasi inexistant en France ; cela tient à des raisons économiques et financières, mais aussi psychologiques puisque le terme intervient au décès : il y a un petit côté Balzac, avec ces termes de droit romain – le « bouquet », la « rente » – qui fleurent bon le XIXe siècle… Ce à quoi s’ajoute le problème des héritiers : lorsqu’on a peu de revenus, mais que l’on a un bien, on est d’autant plus attaché à le transmettre à ses enfants ou petits-enfants. L’idée, en l’occurrence, est de vendre le bien à un panel d’investisseurs de confiance, parmi lesquels la Caisse des dépôts, acteur public reconnu, en contrepartie de quoi le vendeur perçoit le bouquet et la rente tout en n’étant plus assujetti, détail non négligeable, à la fiscalité afférente à la propriété. La population visée est potentiellement très nombreuse, et le système est également assorti de garanties : le conjoint survivant bénéficiera de la même rente, et en cas de départ en maison de retraite, cette rente se verra même majorée. L’engagement de la Caisse se justifie par la logique sociale du dispositif, mis en œuvre, pour l’heure, à titre expérimental en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Île-de-France.
À terme, le fonds, qui n’a évidemment pas vocation à gérer indéfiniment ces biens, les revendra. Dans le viager classique, le vendeur peut réaliser des travaux pour rendre le bien habitable – encore se limite-t-il le plus souvent au minimum. Mais si des acquéreurs publics réalisent eux-mêmes ces travaux – avec notamment une rénovation thermique – avant la remise sur le marché, ils auront créé de la valeur qui se répercutera sur le prix de vente final ; de sorte que l’on peut en effet imaginer de récupérer le produit de cette valeur au moment de la cession du bien. L’obstacle psychologique, pour un tel dispositif, est de même nature que celui du viager classique ; les vendeurs doivent donc bénéficier de garanties afin de ne pas éprouver un sentiment de dépossession. La Caisse est disposée à travailler dans cette direction.
En plus de ces garanties et de cette confiance, il est bien légitime que les personnes âgées veuillent transmettre le bien à leurs descendants. Dans cette optique, le contrat-type de notre fonds viager comporte une clause selon laquelle le vendeur a la possibilité de désigner un acquéreur privilégié au moment du décès. Reste qu’au-delà de son aspect juridique, le sujet est bien entendu affectif et psychologique ; et dans ce domaine, « l’affect » a probablement autant d’importance que le rendement à moyen terme de l’actif immobilier…
M. le président François Brottes. Merci, monsieur le directeur général, de nous avoir montré à quel point la Caisse est mobilisée dans la transition énergétique et la croissance verte.
9. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Guillaume de Bodard, président de la Commission environnement et développement durable de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), M. Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), M. Michel Guilbaud, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).
(Séance du mardi 16 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Nous poursuivons nos auditions en accueillant les représentants des opérateurs économiques et industriels directement concernés par le problème de l’énergie. Je relève que certaines organisations, parce qu’elles rassemblent à la fois des marchands et des acheteurs, sont vouées à une sorte de schizophrénie, ce qui explique qu’elles aient parfois du mal à exprimer une position consensuelle.
M. Michel Guilbaud, directeur général du MEDEF. Il me semble que cette schizophrénie s’efface quand il s’agit de chercher la bonne voie pour l’économie française.
Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est un texte majeur, que nous abordons de manière résolument positive, car nous assumons, sur le plan industriel et économique, la nécessité de la transition. Celle-ci est attendue tant par nos concitoyens que par les entreprises, pour lesquelles elle constituera un facteur de développement et d’investissement. Lors de son université d’été, le MEDEF l’a d’ailleurs intégrée à la liste des grands défis que l’économie française devra relever à l’horizon de 2020.
Ces dernières années, le paysage mondial de l’énergie, facteur clé de compétitivité, de croissance et d’emploi, a été bouleversé. On a vu apparaître de nouveaux enjeux, comme l’efficacité énergétique, les villes durables, la mobilité dans un monde aux ressources limitées ou l’adaptation au changement climatique. Nous assistons en même temps à la transition énergétique allemande, à la révolution énergétique aux États-Unis et à l’exploration et à l’exploitation des gaz et huiles non conventionnels. Ces évolutions modifient profondément le scénario énergétique et industriel des grandes puissances.
La France a longtemps bénéficié d’une relative indépendance énergétique et d’un prix de l’énergie particulièrement compétitif, mais cet avantage relatif tend à se réduire pour les industriels. Les politiques énergétiques de nos partenaires, notamment de l’Allemagne, intègrent un volet de protection de l’industrie. Les Allemands ont pris des mesures qui ont réduit de 20 % le prix effectif de l’électricité pour ses industriels fortement consommateurs, rapporté à celui que paient leurs homologues français. L’écart pourrait atteindre 25 % en 2014.
Le moment est venu pour la France de partager une vision positive de l’énergie, qui lui permettra d’aller vers une économie durablement compétitive. Le projet de loi est une opportunité de diversifier notre mix énergétique en développant les énergies renouvelables, ce qui améliorera notre efficacité énergétique et sécurisera notre approvisionnement.
La France possède des atouts, au premier rang desquels figurent ses champions de l’énergie : producteurs, fournisseurs, acteurs de l’efficacité énergétique, opérateurs de réseaux, industries consommatrices, fournisseurs de solutions dans l’industrie, le bâtiment et les transports. Le MEDEF est garant de leur capacité de dialoguer ensemble afin de trouver des solutions.
Nous souhaitons que le projet de loi permette aux entreprises d’exprimer leur dynamisme et leur créativité dans tous les domaines de la recherche et de l’innovation, et de s’appuyer sur leur expertise. La transition doit s’appuyer sur le patrimoine que constituent le réseau électrique et son parc nucléaire et hydroélectrique faiblement émetteur de gaz à effet de serre (GES), le réseau de gaz, les infrastructures d’approvisionnement et de production de produits pétroliers, le patrimoine des collectivités et les ressources réparties sur le territoire.
La transition, qui engagera des dizaines de milliards d’euros d’investissement, doit s’inscrire dans la durée. Pour réussir le changement, il faut le préparer, en prévoyant une allocation optimale des moyens en fonction de nos marges de manœuvre financières, budgétaires et surtout économiques, puisqu’on ignore ce que sera notre taux de croissance dans les prochaines années. Certaines actions en matière de transition énergétique – par exemple les gains d’efficacité – nécessitent de la croissance économique, que d’autres permettront de doper.
Le débat sur la transition énergétique, dans lequel le MEDEF s’est fortement impliqué, a été long et difficile, mais les échanges passionnés, parfois clivants, ont toujours été respectueux.
Nous nous félicitons que le projet de loi ait retenu plusieurs de nos priorités.
Il était essentiel de reconnaître la compétitivité comme un objectif structurant de la transition énergétique. Les objectifs généraux mentionnent la mobilisation de toutes les filières industrielles et pas seulement celles de la croissance verte. L’essentiel est non de développer une filière verte, mais de verdir l’ensemble de l’économie, ce qui suppose d’étudier la manière dont chaque filière industrielle peut contribuer à la transition écologique et énergétique.
Cette insistance sur la compétitivité, qui n’était même pas mentionnée dans les premiers travaux, est un sujet de satisfaction pour le MEDEF. Nous saluons le travail accompli par le groupe compétitivité coprésidé par Denis Baupin, rapporteur du texte, et le dialogue très constructif qu’il a mené avec un représentant des entreprises.
Nous nous réjouissons, en deuxième lieu, que le texte ait l’ambition de conforter l’excellente position de la France en matière de lutte contre le changement climatique. Les entreprises souhaitent s’impliquer dans la préparation de la conférence Paris Climat COP21, qui se tiendra à Paris en décembre 2015.
Nous nous félicitons que des objectifs soient annoncés avec suffisamment d’avance pour offrir une visibilité aux acteurs économiques.
Nous apprécions le pragmatisme dont témoignent l’introduction d’un nouvel outil de programmation des investissements énergétiques et l’examen périodique, au vu de la situation économique, de l’atteinte des objectifs. Ces mesures sont précieuses, car nous travaillons sur le long terme dans un contexte incertain.
La mise en avant du rôle de l’efficacité énergétique dans le bâtiment est un autre acquis du texte, qui mise sur l’efficacité passive pour accélérer l’effort de rénovation. Il faudra compléter cette avancée en favorisant aussi l’efficacité active.
Le texte rapproche heureusement les mécanismes de financement des énergies renouvelables (EnR) d’une logique de marché, ce qui améliorera le rapport coût/efficacité, même si cette évolution n’exclut pas un soutien mutualisé aux EnR.
Le texte simplifie à bon escient les procédures en matière d’énergies renouvelables et d’infrastructures. Il affirme enfin le rôle majeur de la recherche et de l’innovation dans la politique énergétique.
En dépit de ces avancées, les entreprises conservent des attentes fortes et des sujets de préoccupation.
Tout d’abord, le texte met la compétitivité au rang des principes, sans la décliner sur le plan opérationnel. Le mot devrait figurer dans les objectifs du projet ainsi que dans l’intitulé du titre I. D’autre part, l’article 1er pourrait mentionner, à côté des objectifs énergétiques et climatiques – réduction des émissions, efficacité énergétique –, des objectifs liés à la compétitivité, comme celui de fournir de l’énergie à des prix en rapport avec la concurrence internationale.
Au titre VII, les articles 43 et 44, qui traitent des électro-intensifs, portent essentiellement sur le tarif de réseau. Dès lors que nos concurrents utilisent d’autres atouts, il faut compléter ces mesures, notamment par des dispositions sur les gazo-intensifs.
Au titre VIII, l’article 49 porte sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui comprend quatre volets : sécurité d’approvisionnement, efficacité énergétique, EnR, réseaux. Il faut en ajouter un autre : la préservation de la compétitivité des prix de l’énergie pour les consommateurs, particulièrement les entreprises exposées à la concurrence internationale. On doit construire un véritable outil de pilotage économique qui s’appuie sur des scénarios robustes, si l’on veut garantir la cohérence des objectifs et des trajectoires avec la conjoncture économique, les ressources mobilisables et le contexte européen et international. Ce pilotage permettra de choisir les meilleures solutions en fonction de leur rapport coût efficacité. Nous formulerons des propositions en ce sens.
D’autre part, si nous prenons acte des objectifs énergétiques et climatiques fixés par l’article 1er, nous regrettons que leur multiplicité rende le pilotage complexe et la visibilité incertaine. Le texte met sur le même plan des objectifs réels, comme la baisse des émissions de GES – qui devrait être au cœur du dispositif –, et des objectifs de moyens, comme la composition du mix énergétique ou la baisse de la consommation. La réduction des émissions doit être conditionnée en 2015 par un accord climatique international contraignant. Nous appuierons les efforts de notre pays en ce sens, sachant qu’une action française et européenne qui ne serait pas suivie par les autres puissances ferait courir un risque important à nos entreprises.
Troisièmement, l’efficacité énergétique doit être encouragée dans une approche globale. Dans le titre II, il faut inclure à l’article 5 des technologies d’efficacité énergétique actives, comme le pilotage des consommations et le numérique, ainsi que la dimension humaine du pilotage.
Quatrièmement, il faut compléter les dispositions relatives à la gouvernance. Au titre VIII, on doit élargir l’importance que l’article 53 accorde à la recherche et développement (R&D), et lever l’interdiction de la recherche et de l’exploration de toutes les formes d’énergie, en particulier des ressources énergétiques non conventionnelles. Une dynamique d’innovation n’est pas incompatible avec le respect du principe de précaution.
Au titre VIII, l’article 56 doit encourager la dynamique des territoires à énergie positive, tout en respectant le principe de la solidarité nationale. Le système électrique s’est construit dans une cohérence nationale fondée sur la mutualisation, garante de l’équilibre du système. Veillons à ce que les initiatives locales ne remettent pas cette organisation en cause.
De manière générale, les instances qui seront mises en place, notamment par voie réglementaire, devront donner leur place aux entreprises.
Cinquièmement, l’étude d’impact doit être renforcée sur le plan économique. Elle doit évaluer l’effet des mesures sur le prix de l’énergie, donc sur l’activité des consommateurs d’énergie, sur leur compétitivité intra- et extra-européenne, sur les enjeux industriels et sur l’emploi.
M. Guillaume de Bodard, président de la commission environnement et développement durable de la CGPME. La CGPME est une organisation patronale interprofessionnelle qui représente les TPE et les PME, c’est-à-dire des entreprises qui emploient moins de 250 salariés. Celles-ci sont essentiellement familiales et patrimoniales. La France compte 3 millions d’entreprises, dont 5 000 emploient plus de 250 salariés et 2,8 millions moins de 9 salariés.
Comme le MEDEF, la CGPME a participé activement aux débats difficiles mais fructueux qui ont permis d’établir une synthèse des propositions. Le projet de loi, qui en reprend la plupart, est un texte équilibré dans lequel les parties peuvent se retrouver, pourvu que les objectifs soient réalisables et leur coût économique acceptable.
Nous éprouvons toutefois quelques regrets. Les TPE-PME, sans lesquelles on ne peut réussir la transition énergétique, apparaissent trop peu dans le projet de loi.
Celui-ci se concentre sur l’efficacité passive, alors qu’il existe en France beaucoup d’innovations en matière d’efficacité active, par exemple grâce aux réseaux intelligents (smart grids).
Le projet de loi traite de l’économie circulaire, alors que la Conférence environnementale de l’automne 2013 n’avait pas conclu à la nécessité de prendre de dispositions législatives dans ce domaine.
La formation, sujet consensuel, dont l’urgence est reconnue par tous, n’apparaît pas assez dans le texte. Nous avions observé le même travers en 2007 dans le Grenelle de l’environnement.
Le projet de loi prévoit de multiples recours aux ordonnances sur des sujets très importants, ce qui risque de priver les entreprises d’une vision précise.
Nous souhaitons que le texte respecte certains principes. Il doit dessiner une trajectoire claire afin de porter la transition énergétique dans toutes ses composantes : efficacité énergétique, mix énergétique équilibré, grâce au développement des EnR, financements adaptés, réseaux de distribution, développement de la R&D comme de la formation. Nous sommes très attachés à ce que les objectifs soient réalistes et non idéologiques, de même que nous tenons à l’indépendance énergétique, à la stabilité des prix et à la garantie de la compétitivité des entreprises, en particulier des TPE et des PME. Ces éléments constitutifs d’une trajectoire claire et définie sont arrivés tardivement dans le débat, alors qu’il faut fixer des orientations stratégiques, qui doivent s’inscrire dans une politique européenne de l’énergie. Enfin, nous regrettons que de nombreux objectifs du texte ne semblent guère réalistes.
Le deuxième principe auquel nous sommes attachés est la compétitivité. Les entreprises françaises disposent d’un avantage concurrentiel important par rapport à leurs voisins européens et internationaux : le prix de l’énergie. Le sujet est stratégique pour les TPE-PME, dont les marges ont baissé de 20 % à 30 % en France entre 2000 et 2011, tandis qu’elles progressaient de 7 % en Allemagne pendant la même période. Dans notre pays, 63 000 entreprises déposent le bilan chaque année. Nombreuses sont celles qui connaissent la précarité énergétique, par exemple dans le secteur de la logistique des transports ou de l’hôtellerie. Il faut donner aux entreprises une visibilité à long terme, se doter des outils nécessaires pour mesurer les conséquences de la transition énergétique et retenir l’innovation comme un axe prioritaire de cette transition et de son financement.
Le troisième principe est d’agir sur la demande, en favorisant l’efficacité énergétique plus que la sobriété, qui risquerait d’entraîner une croissance zéro, voire une décroissance. Si nous ne croyons guère à la possibilité de diviser par deux la consommation finale, objectif qui n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact sérieuse, une meilleure efficacité énergétique permettrait de réduire la consommation en conservant le niveau de confort actuel.
J’en viens à quelques points du projet de loi. La CGPME est globalement favorable au titre II, notamment aux dispositions qui permettent les travaux de rénovation aux moments-clés de la vie du bâtiment, à condition qu’elles soient bien encadrées. Deux questions nous préoccupent toutefois.
La première est la cohabitation de deux réglementations. Le Grenelle 2 oblige les entreprises à réduire de 38 % leur consommation énergétique avant 2020 dans le tertiaire existant, ce qui pose des difficultés majeures de mise en œuvre. Pourtant, le décret d’application de cette mesure n’est toujours pas disponible. On pourrait profiter du projet de loi pour supprimer cette disposition et permettre le déploiement du dispositif d’étude préalable.
La seconde question concerne l’étude de faisabilité, qui devrait jouer un rôle incitatif sans créer d’obligation aux chefs d’entreprise.
Le transport a fait d’énormes progrès en termes de réduction des GES, mais, dans ce secteur, les marges des entreprises sont faibles. Au lieu de privilégier le tout-électrique, comme le fait le projet de loi, la CGPME propose de favoriser également d’autres technologies, comme les biocarburants ou l’hydrogène. Le texte oblige les grandes entreprises de la distribution à mettre en place un programme d’action pour réduire l’émission de GES, mais à quoi bon stigmatiser une profession qui risque de reporter ses obligations sur les entreprises sous-traitantes, notamment les transporteurs ?
Nous ne croyons pas que, dès 2020, on puisse réduire de 30 % par rapport à 2010 la quantité de déchets non dangereux non inertes admis en installation de stockage. La CGPME propose d’établir des seuils annuels permettant d’anticiper la progression et d’ajuster les objectifs. Elle rappelle qu’il est important de poursuivre la lutte contre les sites illégaux de tri et de traitement des déchets, nos entreprises ne pouvant pas lutter contre des concurrents qui s’affranchissent de toute contrainte. Il faut aussi rappeler que le développement du recyclage est conditionné par l’existence de débouchés et d’un marché aval pour les matières issues des déchets. Dans le cadre des filières de responsabilité élargie du producteur (REP), qui instaurent la proximité dans la gestion des déchets, les cahiers des charges des éco-organismes doivent mettre en place des incitations proportionnées à la poursuite d’un intérêt général. Mais le principe de proximité ne doit pas faire oublier les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans certains cas, il n’est ni possible ni rentable d’obliger les entreprises à retraiter des déchets sur le territoire français.
Enfin, le projet de loi reprend assez fidèlement les débats sur les EnR, qui se sont tenus au sein du groupe de travail. La CGPME propose de développer l’ensemble des EnR et non pas simplement le photovoltaïque. Il est favorable au développement industriel et territorialisé des filières EnR pour les TPE-PME, à l’instauration d’un cadre ne déstabilisant pas la filière – évitons de reproduire l’épisode malheureux du moratoire photovoltaïque – et à la simplification de la réglementation et des démarches administratives obligatoires pour la mise en œuvre des projets d’EnR. Le projet de loi semble avoir bien repris ces propositions.
M. le président François Brottes. Il ne nous a pas échappé que vous proposiez d’amender non seulement le projet de loi, mais la législation en vigueur.
M. Emmanuel Rodriguez, membre du comité directeur de l’UNIDEN. Les membres de l’UNIDEN consomment plus de 70 % de l’énergie industrielle, qu’il s’agisse d’électricité ou de gaz. Ils sont réunis sur plus de 700 sites industriels en France, emploient plus de 300 000 personnes et composent un tissu économique complexe souvent très localisé. Présents dans l’agroalimentaire, l’automobile, la chimie, les ciments et les chaux, l’électronique, les métaux, le papier et le verre, ils savent que la maîtrise des coûts énergétiques est un facteur essentiel de compétitivité en France, en Europe et dans le monde.
L’objectif de l’industrie à forte consommation d’énergie (energy intensive), où l’énergie représente 10 % à 25 % du prix du produit, est de réduire non le prix du mégawattheure, mais celui de l’énergie en euro par tonne de produits finis. Pour cela, il faut non seulement accéder à une énergie compétitive, mais être efficace énergétiquement. En l’absence de rupture technologique, l’industrie parvient, par des progrès lents et réguliers, à gagner en efficacité. Un rapport récent du Conseil économique pour le développement durable montre que la quantité d’énergie dépensée par tonne de produits finis baisse de manière progressive et significative. Entre 2001 et 2012, elle a diminué de 21 % dans la chimie et de 10 % dans la sidérurgie.
L’industrie française dispose des meilleures technologies et les met en œuvre partout où c’est possible. Reste que les projets mobilisent d’importants moyens financiers. En outre, plus une installation est efficace, plus l’amélioration marginale est chère, rapportée à l’économie d’énergie qu’elle génère. C’est pourquoi, surtout en période de crise économique, il faut soutenir l’amélioration de l’efficacité énergétique.
Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) évalue à 35 %, en France, la réduction de l’émission de GES entre 1990 et 2012. Ce résultat est imputable à certaines améliorations, mais aussi à la désindustrialisation. Or, quand la production quitte notre pays, qui recherche l’efficacité énergétique et utilise une énergie peu carbonée, c’est pour s’effectuer ailleurs dans des conditions écologiques moins favorables. Le maintien d’une activité industrielle en France permet de conserver sur le territoire un volume de R&D qui aide à réaliser des progrès continus ou à préparer une rupture technologique.
Il faut mettre l’accent sur l’énergie industrielle, qui est consommée principalement en base et permet une certaine flexibilité. Parce qu’elle évite la production d’électricité destinée à compenser la fluctuation des énergies renouvelables, elle joue un rôle positif en termes d’émission de GES.
Dès lors que la promotion de l’industrie française permet l’amélioration de l’intensité énergétique, le maintien de la R&D sur le territoire et la consommation en base et de manière flexible, elle contribue à lutter contre le réchauffement climatique. La réduction des émissions de gaz carbonique doit être pensée à l’échelle mondiale. Restaurer la compétitivité des industries à forte consommation énergétique répond à la fois à une obligation économique et à un impératif écologique.
Depuis 2003, nous répétons, chiffres à l’appui, qu’il faut améliorer le coût complet de l’électricité en France. L’Amérique du Nord se tourne vers le gaz de schiste et prolonge la durée de vie de ses centrales jusqu’à soixante ans. En Russie, les industriels paient le gaz à prix coûtant et perçoivent des subventions pour décentraliser la production. Les pays du golfe Persique optent pour un offshoring de la rente pétrogazière et tentent de développer des industries en aval. Dans tous ces grands pays industriels, l’énergie – qu’il s’agisse de l’électricité ou du gaz – est près de deux fois moins chère qu’en Europe.
Plus près de nous, les écarts de coût se développent entre les pays. Par rapport à leurs rivaux allemands, les grands consommateurs français sont défavorisés de près de 30 % sur tous les postes de leur facture d’électricité. L’an prochain, les Allemands se fourniront à 6 euros de moins que nous par mégawattheure, tout en bénéficiant d’une exonération sur le transport. Nous nous félicitons cependant qu’un premier pas ait été fait en France afin de faire baisser le coût du transport pour les électro-intensifs et que le projet de loi pérennise cette mesure. Même si nous concevons quelques inquiétudes sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE), les taxes se situent au même niveau en France et en Allemagne. En ce qui concerne la gestion de la demande, autrement dit de l’interruptibilité, les mesures prévues vont dans le bon sens, bien qu’elles soient trop peu nombreuses et trop peu efficaces : on parle de quelques centaines de mégawatts en France, mais de quelques milliers en Allemagne. En outre, l’Allemagne répercute dans le prix de l’électricité dont bénéficient ses entreprises la compensation de l’émission de gaz carbonique, que la France affecte à la rénovation de l’habitat.
Quand on additionne chacun de ces éléments, un électro-intensif allemand peut coûter une trentaine d’euros par MWh quand il est impossible pour un électro-intensif français de coûter moins de 40 euros par MWh. On constate donc un écart supérieur à 30 %. Outre l’Allemagne, l’Espagne se révèle beaucoup plus compétitive que la France ; or il s’agit des deux pays avec lesquels nous partageons les plus longues frontières. De nombreux progrès ont été réalisés, de nouvelles idées ont été avancées – l’interruptibilité, la réduction des transports –, mais nous devons faire plus et plus vite.
En ce qui concerne le gaz naturel, si le Nord de la France paye un prix comparable à celui des pays du Nord-Ouest de l’Europe, il faut savoir que le Sud de la France paie 4 euros plus cher. Il existe une véritable ligne de démarcation : une entreprise qui se trouve du mauvais côté de la frontière gazière française paie 20 % plus cher que sa voisine installée du bon côté. Cette situation coûte globalement plus de 100 millions d’euros aux gazo-intensifs. Or, dans le Sud de la France, se trouvent des entreprises relevant de différents secteurs sensibles : chimie, pétrochimie, sidérurgie, métallurgie, des raffineries également…
Aussi, pour que cette transition énergétique soit une transition pour une industrie compétitive sur le long terme, nous proposons des mesures simples, concrètes et réalistes, déjà appliquées dans d’autres pays.
Pour ce qui concerne l’électricité, notre première proposition consiste à permettre aux industriels électro-intensifs d’investir dans des capacités de production électrique, nucléaire ou hydraulique – la réouverture des concessions hydrauliques est prévue par la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité), mais reste un enjeu important pour les collectivités, l’État et les industriels.
La deuxième proposition vise à élargir le champ d’application du rabais sur les prix du transport électrique. Nous nous félicitons que le texte reprenne cette idée qu’il vise à pérenniser dans un cadre légal fort.
Troisièmement, nous voulons rémunérer les effacements industriels à leur vraie valeur, car ils rendent un double service : économique pour le réseau et environnemental grâce à la limitation d’émissions de dioxyde de carbone qu’ils permettent. Mais il faut aller plus loin et plus vite que la loi NOME. En effet, la France, qui connaît des pointes de consommation électrique démentielles, est le pays dont l’intensité thermique est la plus grande : l’hiver, quand les gens allument leur chauffage électrique, la consommation explose. Cette aberration constitue un surcoût notable pour l’ensemble du système. Les industriels sont donc susceptibles d’apporter un vrai service en en diminuant l’impact.
Ensuite, il faut veiller à ce que les industriels ne soient pas affectés par le développement des énergies renouvelables – intermittentes – qui ont leur intérêt et leur valeur propres, mais qui ne permettent en aucun cas de faire tourner une usine. Les moyens de production renouvelables, éoliens ou photovoltaïques, et dont la CSPE tient forcément compte, ne doivent pas être répercutés sur les entreprises qui ne bénéficient pas de cette électricité-là.
Enfin, en ce qui concerne l’évolution de la fiscalité de l’énergie, nous devons prendre en considération la sauvegarde de l’industrie et des emplois. La redéfinition de la CSPE dans le cadre de l’application des nouvelles règles européennes sur la taxation pourrait conduire à une contribution beaucoup plus importante des industriels, représentant un surcoût éventuel de plusieurs centaines de millions d’euros.
Tout le monde connaît la révolution du gaz de schiste en Amérique du Nord. Je vous invite à lire le rapport de l’Institut Montaigne, que les uns jugeront trop audacieux, les autres trop timide, mais qui a le mérite de poser les bonnes questions. Avant de décider s’il faut exploiter ou non le gaz de schiste, encore faut-il savoir si nous en avons. N’étant pas géologue, je ne suis pas à même de répondre. Reste que, dans le secteur de l’industrie chimique et pétrochimique, des investissements majeurs sont réalisés aux États-Unis, et pas en Europe. La compétitivité à court terme de certaines industries chimiques et pétrochimiques en France et en Europe est remise en question par l’arrivée, en Amérique du Nord, de toutes ces nouvelles unités grâce à un gaz très peu cher.
Pour les industriels du Sud de la France, la situation liée au différentiel Nord-Sud est insupportable. Le statut de gazo-intensif adopté par le Parlement – il s’agit d’une mesure que nous saluons – donne aux industriels concernés accès à la capacité Nord-Sud à un prix préférentiel. Toutefois, même pour les gazo-intensifs, le problème n’est résolu qu’à moitié : ils n’ont accès qu’à 50 % des besoins et on ne peut faire tourner une usine à 50 % de ses capacités.
Nous avons quatre demandes assez claires concernant le gaz. Nous proposons d’abord que tous les sites gazo-intensifs du Sud de la France soient rattachés à la zone Nord pour qu’ils aient accès à un prix normal. Cette mesure est techniquement facile à mettre en œuvre.
Ensuite, nous souhaitons l’application de mesures permettant de réduire le coût complet de l’accès au gaz. Il s’agirait de redistribuer le fruit des enchères Nord-Sud en faveur des gazo-intensifs. Le prix de transport du gaz pourrait ainsi être réduit : le transport en gaz est moins important en proportion du coût complet que le transport en électricité. On pourrait également aller plus loin dans l’exonération de taxes et de contributions.
Troisième mesure : nous souhaitons le développement de l’effacement de la consommation du gaz. Le principe de tarifs interruptibles existait déjà du temps de la défunte Compagnie française du méthane (CFM). Nous pourrions mettre en place, pour le gaz, un tel dispositif qui a du sens d’un point de vue économique. Nous verrons cet hiver si, du fait de la crise ukraino-russe, des problèmes d’approvisionnement rendaient nécessaires de tels effacements industriels.
Enfin, nous souhaitons le lancement d’une réflexion de fond sur l’accès des industriels gazo-intensifs à des contrats d’approvisionnement à long terme compétitifs au niveau international, l’échelle européenne n’ayant plus guère de sens aujourd’hui. C’est la seule solution à même de faire baisser le prix par rapport à l’Amérique du Nord. Nous en mesurerons l’impact au cours des deux ou trois prochaines années, quand toutes les nouvelles installations chimiques et pétrochimiques auront démarré en Louisiane et au Texas.
Nous avons préparé sept propositions d’amendements simples, concrètes, et qui prévoient des dispositions déjà appliquées par ailleurs.
Pour qu’une transition énergétique soit vraiment créatrice de valeur, il faut promouvoir l’industrie en France, meilleur moyen de lutter efficacement contre le changement climatique.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Que pensez-vous du nouveau mécanisme de soutien au développement des énergies renouvelables, le complément de rémunération visant à inciter à la vente de la production sur le marché et par conséquent à stabiliser la CSPE ? Quelles devraient être, selon vous, les modalités – ex ante, ex post ? – de ce versement ?
Que pensez-vous de la possibilité donnée aux collectivités d’entrer dans le capital de sociétés anonymes dont l’objet social est la production d’EnR, disposition qui devrait mobiliser davantage d’acteurs autour de projets locaux ?
Comment valoriser davantage l’effacement industriel, mais aussi la saisonnalité au regard des services rendus notamment pendant les périodes de pointe ?
Le texte ouvre de nouvelles possibilités, comme la création de sociétés d’économie mixte dont l’objet est d’exploiter des contrats de concessions hydroélectriques. Qu’en pensez-vous et quel est, selon vous, le degré le plus pertinent de la participation publique ?
M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI du projet de loi. Une de vos préoccupations, du reste respectable, est la notion de compétitivité dont vous déplorez qu’elle n’apparaisse pas suffisamment dans le projet de loi. Il faut certes en tenir compte, mais je rappelle que l’objectif premier du texte est la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans un souci de santé publique.
Le titre III, dont j’ai la responsabilité, vise avant tout à limiter, à encadrer les déplacements. Deux propositions, en la matière, nous serons sûrement faites par voie d’amendement. Il s’agit d’abord de la mise en place de plans de déplacements des employés par les entreprises de plus de 50 salariés, entreprises qui seraient donc acteurs et contributeurs du plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La seconde proposition vise à développer le télétravail et le travail nomade, toujours dans la perspective de limiter voire d’éviter les déplacements. Êtes-vous prêts à reprendre ces objectifs à votre compte ?
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Avez-vous un avis sur l’éventuelle intégration de la composante carbone des importations dans l’évaluation du budget carbone prévu par le texte ? Si elle n’était pas prise en compte, en effet, les entreprises pourraient y voir une incitation à délocaliser leurs activités.
Le projet de loi prévoit de fixer une valeur tutélaire du carbone. Cette disposition est-elle utile à vos yeux en tant qu’indicateur pour les politiques publiques ?
Les parlementaires semblent s’accorder sur la nécessité de dispositifs permettant aux industriels énergo-intensifs de rester sur le territoire indépendamment des variations des prix de l’énergie. Néanmoins, il faut veiller à éviter que ces dispositifs n’incitent pas à rechercher l’efficacité énergétique. Avez-vous des suggestions en la matière ?
Enfin, c’est un article plutôt bref qui aborde les transitions professionnelles alors même qu’un long travail a été réalisé et a abouti à un consensus de l’ensemble des partenaires sociaux, repris dans l’avis du Conseil économique, social et environnemental, qui préconise la mise en place d’un plan de programmation de l’emploi et des compétences. Êtes-vous favorables à l’insertion dans le texte d’un tel dispositif ?
M. le président François Brottes. Il semblerait que l’Allemagne soit susceptible d’être sanctionnée par la Commission européenne à propos de la réduction prévue de l’émission de gaz à effet de serre. De quelles informations disposez-vous en la matière ?
M. Emmanuel Rodriguez. En ce qui concerne l’Allemagne, et pour ce qui est de l’énergie, le prix en question est un prix de marché et ne peut donc être l’objet de contestation. Quant aux taxes, la nouvelle loi allemande a été votée fin août, début septembre et a reçu un nihil obstat de la Commission européenne ; il n’y aura donc pas de recours sur le sujet. La compensation des coûts de dioxyde de carbone indirect, elle, est de droit européen puisque c’est la Commission qui l’a instaurée. Enfin, un aménagement est certainement en cours sur certaines règles de transport. Mais je ne m’étendrai pas sur ces sujets horriblement techniques. La modalité changera certainement, mais l’impact sera le même. La volonté politique allemande est d’ailleurs de trouver le moyen d’obtenir l’impact recherché. De ce point de vue, le différentiel de compétitivité entre la France et l’Allemagne est durable, de même qu’entre la France et l’Espagne. Au début des années 2000, en France, les tarifs de l’énergie, encore en bonne partie régulés, étaient moins élevés qu’ailleurs et notamment qu’en Allemagne. Dès 2003, nous avons averti que le marché tel qu’il était défini n’était pas viable. Nous n’avons pas été entendus immédiatement. Or, aujourd’hui, la courbe est inversée de façon durable.
Pour ce qui est de la problématique contracyclique, on note en France une forte consommation de gaz et d’électricité en hiver. Une bonne partie de la solution résiderait dans l’établissement d’un vrai transport horo-saisonnalisé qui favoriserait significativement ceux qui coûtent le moins cher au réseau. Or le dimensionnement du réseau n’est pas fonction de la moyenne, mais bien du pic de consommation, les gens qui consomment réellement en base étant donc ceux qui coûtent le moins cher au réseau.
L’UNIDEN n’a jamais pris position sur l’accès à la ressource hydrologique – ressource collective – même si certaines sociétés membres de l’UNIDEN ont beaucoup travaillé sur le sujet à l’occasion de l’élaboration de la première mouture du texte. En revanche, en matière d’optimisation des ressources existantes de la collectivité, une solution commune et de long terme aurait du sens.
En ce qui concerne l’effacement de la consommation des industriels électro-intensifs, les systèmes électriques nous semblent suffisamment bien adaptés pour cette opération, de même que pour le gaz. Les réponses doivent être proportionnées à l’urgence, le dispatching permettant une capacité de réaction instantanée – et rendant par là le plus grand service au réseau. L’accès au système de réserve primaire ou secondaire est possible pour certains industriels dans plusieurs pays en Europe, mais très compliqué en France, même s’il n’est pas impossible technologiquement. L’électricité ne se stocke pas ; il faut donc qu’à tout instant le gestionnaire de réseau – et c’est la principale mission de Réseau de transport d’électricité (RTE) – maintienne l’équilibre sur le réseau en niveau de tension et en fréquence. La réponse à un creux de tension peut prendre un certain temps, alors qu’il faut une réponse instantanée à une perte en fréquence. RTE agit grâce à un système de réserve : la réserve primaire permet de répondre à une perte de fréquence et la réserve secondaire à un creux de tension. Pour cela, les producteurs contribuent et les consommateurs le peuvent également. Un producteur, lorsqu’il contribue à la réserve primaire ou secondaire, est rémunéré 150 000 euros par MW et par an. Un industriel qui participe au mécanisme d’effacement perçoit dix à quinze fois moins. On doit pouvoir trouver une solution intermédiaire.
J’évoquais, dans mon propos liminaire, le récent rapport du Conseil économique pour le développement durable qui rappelle que, pendant les douze dernières années, l’intensité énergétique de l’industrie, à savoir la consommation de MWh par tonne de produits finis, a baissé de 20 % pour la chimie et de 10 % pour la sidérurgie. Nous sommes convaincus de la nécessité d’un progrès continu. Nous nous trouvons dans une configuration asymptotique : l’effort marginal économique étant disproportionné par rapport au gain d’efficacité, nous devons être soutenus, à un moment de crise, pour investir plus. Nous pouvons en tout cas nous réjouir de la capacité de l’industrie française à rester efficace d’un point de vue énergétique, ce qui lui permet de survivre malgré des prix élevés. Mais si, aujourd’hui, nous pouvons poursuivre notre activité sans interruption, nous ne pouvons pas réinvestir à cause d’une énergie trop chère par rapport à celle de nos concurrents.
J’en viens, pour finir, à la taxe carbone. Nous importons des produits de pays qui n’ont pas de coûts CO2. L’instauration d’une taxe aux frontières ne semble pas conforme aux règles du commerce international. Aussi avons-nous le sentiment que l’Europe s’est tirée une balle dans le pied : elle veut entrer dans une logique vertueuse, mais celle-ci la pénalise puisque la mise en place d’un garde-fou serait contraire aux règles du commerce international.
M. Guillaume de Bodard. Nous sommes favorables à la rémunération des EnR à condition de les développer dans leur ensemble et pas uniquement dans le secteur photovoltaïque, de conserver un cadre stable, ne déstabilisant pas les filières, et de simplifier la réglementation. Nous souhaitons également que la CSPE n’augmente pas trop.
Nous sommes, par ailleurs, favorables aux plans de déplacements des employés des entreprises de plus de cinquante salariés, à condition qu’ils soient fondés sur le volontariat.
Sur l’accompagnement des transitions professionnelles, je renvoie – même s’ils méritent d’être approfondis – aux travaux réalisés sur la formation en lien avec les branches concernées.
Quant au télétravail, en tant que chef d’entreprise, je n’y suis pas du tout hostile, d’autant que quelque 20 % de mes employés travaillent de cette façon. Notons au passage que le télétravail ne concerne pas seulement des employés habitant la ville où se situe leur entreprise.
M. Michel Guilbaud. Nous sommes tout à fait favorables au mécanisme de soutien aux énergies renouvelables, qui se rapproche de la logique économique tout en prévoyant un complément de rémunération. En effet, grande est la préoccupation des entreprises sur la croissance non maîtrisée de la CSPE au cours des années écoulées. On en revient à une logique économique, mais qui, malgré tout, incite au développement réaliste des EnR sans créer de bulle qui défavorise les filières industrielles françaises. Aussi ce véritable mécanisme d’incitation devrait-il susciter un développement réel assurant à terme la viabilité économique des EnR. Je ne saurai répondre en revanche à la question de savoir s’il vaut mieux prévoir des modalités de versement ex ante ou ex post ; le projet de loi comporte en effet des dispositions assez générales dont nous ne connaissons pas les modalités d’application éventuellement prévues.
Ensuite, monsieur Plisson, nous ne prétendons pas que la compétitivité doive constituer le but primordial et unique du projet de loi. Néanmoins, il nous semble que la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas le seul objectif du texte qui prévoit d’ores et déjà de renforcer l’indépendance énergétique et de lutter contre le réchauffement climatique. Et il est bien question de compétitivité. Il s’agit pour nous d’équilibrer ces objectifs, mais ensuite de disposer d’un outil de pilotage afin de traduire cette compétitivité en actions concrètes.
Monsieur Baupin, il paraît nécessaire d’inclure la composante carbone des importations. Nous souhaitons que la lutte contre les fuites de carbone figure dans le texte. Selon le niveau de contrainte que nous allons nous fixer, le risque existe réellement d’une délocalisation d’activités et d’investissements.
La valeur tutélaire du carbone est, quant à elle, une question très complexe selon qu’on l’appréhende du point de vue des ménages, des industriels, de ceux qui se trouvent en concurrence, des électriciens, des équipementiers. Nous sommes en tout cas tout à fait prêts à travailler sur le sujet avec les pouvoirs publics.
M. Julien Aubert. La conjonction de vos trois interventions permet des convergences d’analyse. Compte tenu du fait que le débat sur la transition énergétique n’avait pas donné toute sa place au secteur privé, nous aurions aimé que soient organisées des auditions plus longues pour discuter plus à fond. Vous avez en effet relevé plusieurs défaillances du projet de loi : le tout-électrique, l’absence de référence aux hydrocarbures non conventionnels, le trop grand nombre d’objectifs, l’absence de dispositions relatives à l’efficacité énergétique active – autant de points qui, pour les députés du groupe UMP, méritent de figurer dans le texte.
Ma première question porte sur la compétitivité. Vous évoquez, au sujet des énergo-intensifs, le cas allemand ; seulement, outre-Rhin, c’est le contribuable qui finance les énergies vertes. Vous appelez de vos vœux la poursuite d’un objectif de compétitivité et souhaitez dans le même temps un bas coût de l’énergie pour le consommateur. Est-ce compatible dès lors que le texte vise à augmenter la proportion d’énergies vertes financées par la CSPE ? Peut-on réduire le coût de l’énergie pour les entreprises et garder un prix de l’énergie bas pour le contribuable ? Il va bien falloir que quelqu’un finance ces nouvelles énergies – et j’en profite pour vous demander votre opinion sur l’élargissement de l’assiette de la CSPE.
Au cours du débat sur la transition énergétique, nous avons retenu l’idée que la compétitivité devait s’apprécier comme la réduction du coût de la tonne de CO2 évitée. En d’autres termes, il s’agit de remplir au moindre coût les objectifs que nous nous fixons en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Cette mesure de la compétitivité – c’est-à-dire de l’efficience budgétaire et économique par rapport à un objectif environnemental – correspond-elle à votre propre définition ?
Enfin, M. de Bodard a critiqué l’expression d’« économie circulaire ». Le projet de loi évoque par ailleurs la « croissance verte ». Quelle est votre opinion à ce sujet, vous qui représentez les entreprises françaises ? Distinguez-vous croissance verte et économie circulaire ? Et pourquoi estimez-vous que l’économie circulaire n’a pas sa place dans ce texte ? Il est vrai que cette expression, que certains cherchent à imposer dans le débat public, est de plus en plus souvent reprise.
M. Jean-Luc Laurent. J’ai été très frappé par votre convergence – qui ne m’étonne pas – quant à l’idée que la compétitivité énergétique doit être au service de la compétitivité des entreprises. Vous avez déploré la perte de ce qui fut un avantage comparatif de la France vis-à-vis d’autres pays européens, notamment de l’Allemagne, qui, on le sait, mène une politique industrielle particulièrement attractive, qu’il s’agisse des avantages économiques ou des subventions, qu’elles soient déguisées ou non. J’aimerais que vous reveniez sur ce point de façon très concrète : quelles sont vos suggestions pour nous permettre de reconquérir un avantage comparatif ? Depuis la publication du rapport Gallois, nous savons l’importance de la dimension énergétique dans la compétitivité des entreprises.
Le représentant de l’UNIDEN a rappelé que le coût de l’énergie était d’abord constitué d’un coût de production, mais aussi d’un coût de transport et de coûts liés à la fiscalité – notamment à la CSPE. Quelles pistes proposez-vous pour élargir l’assiette de la fiscalité afin qu’elle repose moins sur l’électricité ? Dans le domaine du transport, suggérez-vous que nous nous alignions sur d’autres pays européens, dont l’Allemagne ?
Enfin, l’UNIDEN est attentive à la cogénération industrielle : j’aimerais que vous développiez ce point.
M. Bernard Accoyer. Julien Aubert a mis le doigt sur la question essentielle que le Gouvernement a découverte il y a peu : la compétitivité de l’économie française.
Ce texte vise à diminuer la part du nucléaire et les émissions de gaz à effet de serre, à augmenter la part des énergies renouvelables, mais sans tenir compte des incertitudes qui pèsent sur nos approvisionnements en gaz et sur le coût du gaz, même si nous sommes moins exposés que d’autres pays, et sans se préoccuper de la situation instable au Moyen-Orient.
Nous avons vu que le coût de l’énergie constituait déjà un problème pour la France et, en particulier, pour les industriels électro-intensifs. Nous avons vu qu’un certain nombre de contraintes supplémentaires, qui allaient renchérir les coûts de production et menacer l’équilibre de nos grands opérateurs, étaient en préparation – d’aucuns souhaitant même en rajouter. Quel est l’avenir des industriels électro-intensifs et de l’industrie française, non seulement face à ces perspectives, mais encore à la lumière de ce texte ?
M. Jean-Yves Caullet. Je tiens à souligner l’engagement des représentants des entreprises dans la transition énergétique, non seulement comme consommateurs – l’énergie est un élément essentiel de la production –, mais également en vue d’apporter des solutions, notamment dans le domaine du logement, qui demeure un enjeu important en termes de croissance.
Comment les entreprises considèrent-elles l’enjeu du biogaz et de la biomasse, qui n’est pas mis suffisamment en valeur à ce stade du projet de loi, la logistique nécessaire à sa mobilisation étant difficile à imaginer ? Alors que l’électricité se présente sous une forme qui permet une régulation fine de sa distribution par les consommateurs, la biomasse et le biogaz reposent sur des logistiques bien plus lourdes puisqu’il faut travailler sur la matière première avant de pouvoir réguler la distribution – je pense notamment à la reconcentration des déchets méthanisables, qui posent de nombreux problèmes de transport.
Comment abordez-vous ces enjeux qui me paraissent porteurs en termes de production de gaz renouvelable ?
M. Patrick Hetzel. Au regard de la compétitivité des entreprises, quel serait selon vous, en 2030, le mix énergétique optimal ?
Quelle sera la part du PIB national que la croissance verte – concept protéiforme –sera susceptible de représenter à l’horizon de 2030 ?
L’étude d’impact accompagnant le texte est assez sommaire en ce qui concerne le nombre d’emplois susceptibles d’être créés par la transition énergétique. S’ils existent, quels sont à vos yeux les potentiels en matière de création d’emplois ?
Mme Frédérique Massat. Monsieur Guilbaud, vous avez souligné que le texte doit aller plus loin sur la question des électro-intensifs : quelles sont vos propositions en la matière ?
Monsieur Rodriguez, pouvez-vous préciser ce que vous entendez par une rémunération à sa juste valeur de l’effacement ?
Monsieur de Bodard, vous considérez que les réseaux intelligents ne sont pas suffisamment développés. Alors que l’article 59 du projet de loi introduit un droit à un déploiement expérimental de réseaux électriques intelligents, quelles sont vos propositions en la matière ?
La loi fixe déjà des objectifs ambitieux, susceptibles de créer de l’emploi, notamment l’implantation de 7 millions de bornes de recharge à l’horizon 2030. Quelles sont vos perspectives de développement ?
Les dispositifs prévus dans le projet de loi – une aide fiscale de 30 % du montant des travaux accordée aux ménages qui s’engagent dans une rénovation énergétique, la relance de l’éco-prêt à taux zéro et le chèque énergie – vous paraissent-ils suffisants ? Doivent-ils être améliorés ?
La loi prévoit plusieurs mesures pour développer l’implantation des EnR sur le territoire national : simplification des procédures administratives pour réduire les coûts et limiter les délais, appel à manifestation d’intérêt, adaptation des aides financières aux énergies électriques renouvelables ou appels d’offres. Avez-vous des propositions à faire pour compléter cet arsenal ou émettez-vous des doutes sur certains de ces dispositifs ?
Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur Guilbaud, je suis étonnée que vous n’ayez pas repris dans vos propos liminaires l’intégralité de ceux que vous aviez tenus lors de la conférence de presse qui avait suivi l’adoption du texte en conseil des ministres : vous aviez alors critiqué l’absence de toute évaluation chiffrée des efforts financiers à fournir pour atteindre les objectifs fixés par le texte. Alors même que M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, a, depuis, confirmé que la transition énergétique sera avant tout l’affaire du privé, sans que celui-ci en connaisse le montant, avez-vous pu vous rapprocher du secteur bancaire – je rappelle qu’une conférence bancaire et financière pour la transition énergétique s’est tenue après la conférence environnementale ? De quelles pistes disposez-vous pour étudier la faisabilité financière du texte ? Vous auriez intérêt à rappeler que la transition énergétique risque de coûter très cher : c’est le moment de le faire.
M. Jean-Louis Bricout. Comme le projet de loi aborde la question de l’économie circulaire, je souhaite évoquer les stratégies industrielles en matière de conception et de positionnement du produit, stratégies qui restent à développer.
Deux logiques s’affrontent. La première, qui recouvre une triste réalité, comme nous le prouvent les dégâts industriels qu’elle provoque, privilégie la production à moindre coût à l’étranger : cette logique, accélérée par l’obsolescence programmée, encourage la consommation puisque le produit est jeté dès qu’il tombe en panne. La seconde, qui est plus vertueuse, mise sur la qualité du produit, sa réparation et son recyclage. Si la consommation est moindre, la planète s’y retrouve, ainsi que l’économie, puisque cette logique valorise la filière de la réparation, qui est non délocalisable, et privilégie la production made in France.
Le pacte de responsabilité vise à conforter vos taux de marge pour innover plus et concevoir mieux, voire autrement. Vous engouffrerez-vous dans cette nouvelle logique de production plus vertueuse ? Attendez-vous du Gouvernement qu’il vous accompagne, grâce à ce texte, dans une logique de production plus intelligente et plus vertueuse pour l’environnement ?
M. Michel Guilbaud. Le concept de compétitivité, pourtant bien accepté de tous aujourd’hui, demeure, comme le concept de croissance, un peu abstrait aux yeux de chacun. La compétitivité, qui est la capacité d’être présent sur les marchés européens et mondiaux dans des conditions de concurrence équitable, afin de vendre à des prix alors qualifiés de « compétitifs », est constituée de différents facteurs, qu’on ne peut isoler : l’énergie, le coût du travail, la fiscalité, la valeur de l’euro pour les exportations hors zone euro. S’agissant de nos exportations à l’intérieur de cette zone, d’autres facteurs que la valeur de l’euro jouent évidemment pour expliquer notre manque de compétitivité et le fait que nous perdions régulièrement des parts de marchés.
Les entreprises françaises ont le taux de marge le plus faible d’Europe. La différence est phénoménale par rapport à l’Allemagne : 28 % d’excédent brut d’exploitation ramené à la valeur ajoutée pour la France contre 40 % pour l’Allemagne. L’énergie est un des éléments de la compétitivité : certes, son prix n’explique pas tout, mais il peut devenir très vite un facteur aggravant.
En matière de transition énergétique, les entreprises ne demandent pas de mesure de soutien particulière, exception faite des industries électro-intensives et gazo-intensives, que la plupart des pays du monde traitent de manière spécifique. Le fait que la part de l’intrant énergétique soit majeure dans la valeur ajoutée d’un secteur – d’une moyenne de 14 % dans l’industrie, elle passe à 50 % dans la plasturgie et la chimie – justifie des mesures ciblées.
S’agissant de l’ensemble des entreprises, nous demandons simplement que la transition énergétique prenne en compte le facteur économique. Si nous ne contestons pas les objectifs – lutter contre le changement climatique, préserver les approvisionnements énergétiques –, il faut absolument que, pour réussir la transition, la loi fixe un critère de compétitivité économique. Il est a minima nécessaire de prendre en compte le facteur énergétique dans la compétitivité des entreprises. Si nous avons déploré que l’impact économique n’ait pas été évalué – nous l’avions souligné lors de l’adoption du texte en conseil des ministres –, le projet de loi nous paraît en revanche relativement pragmatique puisqu’il prévoit une programmation pluriannuelle et crée des outils permettant d’adapter les grands objectifs à l’évolution, notamment, de la croissance – il serait toutefois souhaitable que le texte soit encore plus précis sur ce point.
Alors que, d’un côté, l’énergie apparaît comme un facteur parmi d’autres de l’économie – une loi n’est pas là pour déterminer le fonctionnement des différents éléments qui constituent le marché –, de l’autre, elle exige une programmation à long terme des investissements dans le cadre d’une régulation des réseaux : le marché de l’énergie n’est donc pas totalement libre. C’est pourquoi personne ne saurait évaluer le mix énergétique optimal à l’horizon 2030. Aussi aurait-il été souhaitable, dans le cadre du débat national, de prévoir plusieurs scénarios, établis en fonction de la part laissée dans le mix énergétique à chaque type d’énergie – nucléaire, énergies renouvelables, gaz, pétrole, etc.
Nous sommes favorables, je le répète, au pragmatisme du texte qui prévoit de conduire la politique énergétique de la France dans le cadre d’une stratégie bas carbone sur quinze ans revue tous les cinq ans et d’une programmation pluriannuelle de l’énergie. Les opérateurs de l’énergie que vous avez auditionnés ont pu vous apporter des réponses plus précises en la matière. Les consommateurs que nous sommes espèrent que le prix de l’énergie évoluera au mieux de l’économie.
Nous reconnaissons bien volontiers, d’ailleurs, que certaines catégories justifient des mesures spécifiques de soutien : d’un côté du spectre, les ménages en précarité énergétique, de l’autre, les industries électro-intensives. Quant à la masse des consommateurs, ils devront bénéficier d’un prix maîtrisé.
Chacun s’accorde à reconnaître que la transition énergétique aura un coût, puisqu’elle nécessitera d’énormes investissements. Il en sera ainsi du nucléaire, qui sera plus cher demain qu’aujourd’hui, et des autres formes d’énergie, qui subiront toutes des aléas entraînant sans aucun doute leur surenchérissement. On ne peut que souhaiter la mise en place de dispositifs de pilotage du mix énergétique qui soient les meilleurs possible.
Quant au coût des industries électro-intensives, il faut prendre en compte non seulement le transport, mais également la CSPE et les taxes qui, d’une manière générale, sont payées par les opérateurs, ainsi que les mécanismes d’effacement.
S’agissant du nombre d’emplois ou du taux de PIB liés à la croissance verte, nous nous refusons à donner des chiffres. Non que nous refusions le concept de croissance verte, mais, de même que le numérique s’est traduit par de nouveaux business models, de même la transition énergétique se traduira par le verdissement de toute l’économie. Toutes les filières industrielles devront diminuer leur émission de gaz à effet de serre. On ne saurait donc réduire la filière verte aux entreprises qui aideront les autres à s’équiper en dispositifs moins énergivores, puisque toutes les technologies devront être mises au service de la croissance verte. C’est pourquoi, s’agissant notamment du nombre d’emplois qui seront créés par la transition énergétique, nous contestons généralement les chiffres qui sont avancés : faute d’une définition précise de la croissance verte, nous ignorons comment ils ont pu être établis.
M. le président François Brottes. Vous avez évoqué le numérique : il est très énergivore, ce que nous n’avions pas prévu.
M. Michel Guilbaud. S’agissant des aides fiscales à la réalisation de travaux de rénovation thermique, l’expérience montre que, en l’absence de mécanisme d’accompagnement, les ménages n’engagent pas d’investissements aussi lourds. Nous soutenons le titre II relatif à la rénovation thermique, en précisant que les dispositifs d’efficacité énergétique envisagés doivent être plus incitatifs qu’obligatoires pour être adaptables aux spécificités des entreprises du tertiaire ou des ménages. Nous sommes favorables à tous les dispositifs d’efficacité énergétique actifs, et non seulement passifs.
Nous soutenons également les nouveaux mécanismes de rémunération des énergies renouvelables et la simplification administrative, en sachant que tout dépendra, en la matière, de la rédaction des textes d’application.
M. Guillaume de Bodard. Si la CGPME n’a aucune opposition de principe à la création du chèque énergie, il est à ses yeux impensable que les entreprises en soient la source de financement.
Je ne saurais formuler aucune prévision à l’horizon 2030, mais je sais ce qu’il ne faudra pas faire : nous retrouver avec un coût de l’énergie supérieur à celui de nos concurrents, faute d’avoir réfléchi, pour des raisons idéologiques, aux sources d’énergie employées demain par tous les autres pays. Le coût de l’énergie est à l’heure actuelle acceptable par les TPE et les PME : la pire des choses serait que ce ne soit plus le cas en 2030.
Si nous sommes opposés au titre IV du texte, consacré à l’économie circulaire, c’est que le sujet nous paraît distinct de celui de la transition énergétique, d’autant que, au sein de la conférence environnementale, qui a pris la suite du Grenelle de l’environnement, le consensus s’était établi pour juger inutile l’adoption de dispositions législatives relatives à l’économie circulaire. En effet, les débats avaient permis de constater que la France est très performante dans ce domaine – de grands groupes comme de nombreuses PME sont très efficaces dans la récupération des déchets et leur recyclage –, sans compter qu’une nouvelle loi risquerait de créer des contraintes supplémentaires. En termes d’éco-conception, M. Peugeot a rappelé l’objectif de recycler les véhicules à hauteur de 95 % d’ici à quelques années. Toutes les industries ont réalisé des progrès considérables en la matière. On redécouvre la réparation, notamment dans le secteur automobile : c’est une question de bon sens. Une loi est-elle nécessaire pour rappeler qu’il faut réparer les produits ? Nous sommes donc surpris de voir apparaître dans le texte, sans concertation, des dispositions relatives à l’économie circulaire.
M. Emmanuel Rodriguez. S’agissant de la compétitivité des industries utilisatrices d’énergie, j’ai souligné qu’on parlait d’euro par tonne. Si l’énergie représente 20 % du coût de production d’un industriel et 10 % de celui de son concurrent, il suffit à celui-ci, pour mettre à genoux le premier, de baisser son prix de 10 %, puisque cela ne l’empêchera pas de continuer à gagner de l’argent. La compétitivité, vous le voyez, c’est quelque chose de très concret !
La plupart des grands groupes industriels comparent tous les mois les coûts de production usine par usine, avant de prendre leurs décisions en matière d’allocation, d’investissement, de maintenance ou de développement. Telle est la réalité de l’efficience économique qu’aucune loi ne saurait modifier. C’est pourquoi le législateur doit veiller à ce que les dispositions qu’il adopte n’aient pas pour conséquence de peser à plus ou moins long terme sur l’investissement ou de favoriser les délocalisations. Les meilleurs pays industriels sont ceux qui se battent pour que leur industrie puisse jouer de ses avantages compétitifs pour mettre ses concurrents à terre. Cette logique manque de charme : elle n’en est pas moins celle de l’économie.
M. le président François Brottes. La comparaison des coûts de production ne prenant pas en compte la fiscalité, la part de l’énergie s’en trouve augmentée.
M. Emmanuel Rodriguez. Les grands groupes ne prennent pas en compte la fiscalité sur le résultat des sociétés : en revanche, ils y incorporent la fiscalité liée à la production – taxe foncière, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
L’équivalent allemand de la CSPE, l’Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), s’élève à 62 euros par mégawattheure, contre près de 21 euros pour la CSPE. Si le citoyen allemand a adhéré au dispositif, c’est que celui-ci a permis d’aider les petites exploitations agricoles, auxquelles les Allemands sont très attachés, ainsi que le Mittelstand, c’est-à-dire les entreprises moyennes, dont le nombre est important en Allemagne. Le dispositif est aujourd’hui moins bien accepté, non seulement en raison de son coût, mais aussi parce que des sociétés qui s’étaient développées rapidement dans le photovoltaïque ou l’éolien ont fini par mettre la clef sous la porte. Les emplois créés ont disparu. Les Allemands sont des gens pragmatiques.
Il appartiendra à la majorité politique qui a été élue de faire adhérer les Français à toute hausse des tarifs de l’électricité liée à celle de la CSPE.
Pour que les industries électro-intensives françaises rejoignent leurs concurrentes allemandes, elles ne devront plus payer que 10 % du transport. Aujourd’hui, on n’évoque qu’une exonération de 50 % pour une soixantaine de sites, dont le texte envisage d’augmenter le nombre. La différence avec l’Allemagne reste donc considérable.
En matière d’effacement, 9 euros par mégawattheure reviennent à une rémunération à 100 000 euros du mégawatt par an pour un effacement quasi instantané. Il est donc possible de passer d’une rémunération de 20 000 à 100 000 euros par mégawatt et par an, selon qu’il s’agit d’un effacement en J−1 – la veille pour le lendemain – ou d’un effacement quasi instantané – c’est RTE qui décide alors d’arrêter une partie de la production. Des programmations intermédiaires entre le J−1 et l’instantané sont possibles. Il faut savoir que certains pays européens sont au-delà des 150 000 euros par mégawatt et par an.
En matière de mix énergétique, il faut avoir les moyens de ses ambitions, qu’il s’agisse des investissements – durée de vie des centrales existantes, renouvellement des centrales hydrauliques – ou de la part des énergies renouvelables et de celle des effacements. Les effacements industriels font partie du mix énergétique, qu’on le veuille ou non. Nous ne parviendrons à un mix énergétique équilibré et peu onéreux que si nous réussissons à classer et à privilégier les différents moyens de production dans une logique conciliant la diminution de l’impact du CO2 et un coût d’investissement raisonnable. Telle est la méthode pour établir le meilleur mix énergétique. Pour les industries électro-intensives, l’effacement est un moyen à la fois très efficace et peu onéreux, qui ne demande aucun investissement.
M. le président François Brottes. Il exige toutefois en amont, sur le plan du process, un immense travail pour déterminer ce qui peut être arrêté et ce qui ne peut pas l’être.
M. Emmanuel Rodriguez. Je parlais en termes de coût d’investissement et non de process. L’effacement permet de réaliser, en termes d’investissement, une économie très importante.
La biomasse est un sujet majeur pour l’UNIDEN, au sein de laquelle les industries de papiers sont représentées par la COPACEL – Union française des industries des cartons, papiers et celluloses –, qui s’inscrit dans une logique de biomasse naturelle et non de biomasse forcée – il n’y aurait en effet aucun intérêt à importer des copeaux de bois du Canada pour produire de l’électricité dans le Sud de la France, le coût CO2 de la démarche étant prohibitif.
Je ne saurais répondre sur la question du biogaz en France. Ce que je sais, c’est que le principal problème posé par cette énergie est le raccordement de la source de biogaz au réseau, qui nécessite des autorisations de droit de passage des tuyaux. Pour une utilisation industrielle du biogaz, il faudra donc faciliter son acheminement, ce qui impliquera de fournir d’immenses efforts en termes de simplification administrative. Or l’expérience m’a appris qu’il faut dix ans pour installer quelques kilomètres de tuyaux.
S’agissant des cogénérations industrielles, un arrêté a permis de pérenniser les installations existantes supérieures à douze mégawatts. Un de nos amendements vise à ne pas limiter le temps de fonctionnement des installations afin de leur assurer un rendement maximal en termes de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, puisque c’est un mode de production très efficace.
M. le président François Brottes. Je ne saurais trop le répéter : une loi ne doit pas être trop précise, sous peine de ne pas pouvoir répondre à l’évolution de la situation. S’agissant de la cogénération, nous avons frôlé la catastrophe en l’absence de support législatif permettant de pérenniser les installations : pour l’éviter, il a fallu présenter un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable.
Le projet de loi sur la transition énergétique devra fournir avant tout un cadre, afin de permettre aux textes réglementaires de s’adapter aux évolutions.
M. Emmanuel Rodriguez. S’agissant de l’économie circulaire, je tiens à rappeler que l’acier est indéfiniment recyclable et que les métaux précieux sont recyclés au maximum. Il en est de même du papier et de certains plastiques. Les secteurs déjà très performants doivent être distingués des autres.
Il faut qu’EDF et GDF s’attellent à la tâche de la simplification administrative, s’agissant notamment des certificats d’économie d’énergie, dont le coût administratif est bien trop élevé. Ces deux entreprises ne peuvent avoir que de bonnes idées en la matière : sinon, ce serait désespérant !
M. le président François Brottes. Je vous remercie, messieurs.
10. Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la DG énergie de la Commission européenne.
(Séance du mercredi 17 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Je remercie Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la direction générale Énergie de la Commission européenne, de sa présence parmi nous.
On déplore souvent que le cadre général de l’Europe ne concerne, pour l’énergie, que deux ou trois sujets : les interconnexions dans le secteur de l’électricité, le stockage et le transport du gaz, chaque pays construisant son mix dans son coin, alors que nous sommes réellement interdépendants et que cette interdépendance appellerait une plus grande cohérence. Par ailleurs, la directive sur l’énergie et le climat est parfois contredite par des directives sectorielles. Le fait de développer la concurrence entre opérateurs incite plus à la consommation qu’à la sobriété, à l’efficacité ou à l’émergence des énergies renouvelables.
Il existe en France un monopole du transport du gaz et de l’électricité, reconnu et admis par l’Europe, et c’est de bons sens : imagine-t-on deux ou trois réseaux parallèles de lignes à très haute tension ? Nous avons également, depuis 1946, un monopole de la distribution d’électricité et de gaz, ce qui n’est pas forcément le cas d’autres pays. Quant à la perspective de la mise en concurrence des concessions d’hydroélectricité, elle a tendance à nous agacer. La France possède en la matière un potentiel sans égal, qui justifie, dans le cadre d’un mix électrique où domine le nucléaire, une approche singulière. La variété des modes de production entre les pays ne rend pas souhaitable d’imposer un modèle unique.
Le présent projet de loi sur la transition énergétique a vocation, bien sûr, à être eurocompatible : c’est la règle du jeu lorsque nous légiférons. Il comporte d’ailleurs quelques éléments de transposition. Quel regard, madame Houtman, portez-vous sur ce texte ? Quel est, surtout, l’état d’esprit de la nouvelle Commission européenne et de ses services ? J’ai rencontré il y a quelques années, au cours d’une délégation conduite par mon prédécesseur, le patron de la DG Énergie : celui-ci avait admis, avec beaucoup de franchise, que l’ouverture à la concurrence n’avait pas donné les résultats attendus en termes de prix, et que ses présupposés étaient sans doute erronés.
Mme Anne Houtman, directrice des affaires générales à la direction générale Énergie de la Commission européenne. Il faut féliciter la France pour ce projet de loi, que M. Ristori, directeur général de la DG Énergie, qui aurait souhaité pouvoir venir s’exprimer devant vous, a qualifié d’avant-gardiste. C’est un projet ambitieux, par ses objectifs chiffrés comme par l’ampleur des mesures proposées. Avec ce projet, le gouvernement français montre qu’il soutient les objectifs européens proposés par la Commission pour 2030 en matière de changement climatique, d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique.
Il serait souhaitable que le gouvernement français le présente à ses partenaires dans le cadre des différents forums européens. Un tel état d’esprit contribuerait à une plus grande compréhension entre les États membres, à une plus grande coopération, au moment où tout le monde souhaite une politique énergétique européenne plus cohérente, et où le nouveau président élu de la Commission européenne, M. Juncker, a présenté l’énergie comme une priorité, avançant l’idée d’une Union européenne de l’énergie.
Ce projet de loi comporte des objectifs chiffrés en ligne avec ceux de la Commission européenne, ainsi que de nombreuses mesures. Il faudra naturellement le financer dans le cadre d’une politique durable des finances publiques, ce qui suppose de privilégier, plutôt que les avantages fiscaux et les subventions, les prêts à taux très modéré, rendus possibles par le taux directeur, très bas, de la BCE ainsi qu’aux nouveaux prêts de cette dernière aux banques.
Afin d’atteindre les objectifs en matière d’énergies renouvelables, le gouvernement français devra trouver des solutions non seulement financières, mais aussi technologiques, qui offrent le meilleur rapport coût-efficacité, et veiller au respect des nouvelles règles édictées au mois de mai en matière d’aides d’État à l’énergie.
Il conviendrait également qu’il envisage des solutions alternatives en matière d’énergies renouvelables, notamment via des interconnexions avec les pays voisins, en particulier l’Espagne. La Commission a publié en novembre dernier un document définissant des orientations en vue du recours à des mécanismes de coopération pour les énergies renouvelables, qui pourraient s’avérer utiles. Elle considère que les interconnexions sont l’un des moyens les plus efficaces pour unifier le marché européen, le rendre plus compétitif dans l’intérêt des consommateurs et accroître la sécurité des approvisionnements.
Ces interconnexions permettraient à la France d’accéder aux énergies renouvelables à des prix plus bas. Dans la stratégie présentée au printemps, la Commission a proposé un objectif d’interconnexion de 15 %, dans la ligne de celui de 10 % adopté à Barcelone en 2002. L’Espagne et le Portugal sont fortement attachés à cet objectif, car ces pays constituent actuellement une « île » énergétique. En annexe du même document, la Commission a présenté deux projets d’interconnexion, l’un pour le gaz, l’autre pour l’électricité, entre la France et l’Espagne. Mes collègues de la DG Énergie ont pris l’initiative d’organiser cet été des rencontres de haut niveau avec les gestionnaires de réseau.
La Commission se félicite des dispositions prévues par le projet de loi français en matière d’hydroélectricité. Nous veillerons à ce qu’elles soient suivies d’effets.
Par ailleurs, la Commission a été très heureuse de voir que le Conseil européen du mois de juin entendait parvenir, d’ici à sa réunion d’octobre, à un accord sur les objectifs pour 2030, en ligne avec nos objectifs climatiques pour 2050. Le but final est de parvenir à une position forte et unie de l’Europe en vue d’un accord à la Conférence Paris Climat 2015, dite COP 21, en décembre 2015. Nous comptons sur le soutien actif de la France pour convaincre ses partenaires européens, dont certains, telle la Pologne, sont encore réticents. Nous y travaillons dans le cadre de réunions de sherpas. Il faut que nos objectifs soient approuvés le plus tôt possible, notamment en vue du sommet organisé par M. Ban Ki Moon, secrétaire général des Nations unies, en septembre.
Au-delà des aspects climatiques, nous devons poursuivre nos efforts pour que l’accord du Conseil européen d’octobre comporte des objectifs ambitieux sur l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique. Les objectifs proposés par la Commission pour 2030 sont les suivants : moins 40 % de CO2, 27 % d’énergies renouvelables, 30 % d’efficacité énergétique en plus. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement français a inscrit dans son projet de loi des objectifs aussi ambitieux, voire plus ambitieux encore dans le cas des renouvelables.
Nous avons relevé en particulier le volontarisme de la France quant au développement de la chaleur renouvelable. L’idée de concentrer les efforts sur la rénovation thermique des bâtiments est conforme à l’analyse de la Commission, qui considère qu’il s’agit probablement du secteur le plus porteur.
M. le président François Brottes. Nous sommes très sensibles à votre attention aux concessions hydrauliques. Vous nous direz comment cela se passe dans les autres pays, tous exemplaires dans ce domaine, bien évidemment…
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Nous avons entendu avec une grande satisfaction que vous considériez notre projet de loi comme ambitieux. Quel regard portez-vous sur la réforme du soutien au développement des énergies renouvelables, à savoir sur le complément de rémunération ? J’ai cru comprendre qu’une action sur les prêts, donc sur l’investissement, vous paraissait la plus pertinente. Par ailleurs, quelles contraintes nous opposera demain la Commission européenne sur les mécanismes d’obligation d’achat ?
Vous vous réjouissez des possibilités ouvertes par le texte en matière d’hydroélectricité. Laquelle retient le plus votre attention ? La Commission entend-elle que le système électrique français repose sur un équilibre particulier, voire unique, eu égard à sa capacité de stockage hydraulique, et que la France a besoin d’une hydroélectricité forte pour développer les renouvelables, énergies intermittentes qui requièrent en tant que telles d’importantes capacités de stockage ? Ne devons-nous pas sécuriser ce dispositif, dès lors que sa déstabilisation nous empêcherait d’atteindre nos objectifs ambitieux ?
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Le projet de loi prévoit la création de budgets carbone : la France se fixe ainsi, pour une période de quinze ans, avec des possibilités de révision tous les cinq ans, un niveau maximum d’émissions, réparties entre les différentes activités. Cela vous paraît-il pertinent pour atteindre les objectifs européens ? Ce dispositif inclut par ailleurs une valeur « tutélaire » du carbone : est-ce, selon vous, un objectif intéressant ?
Les marchés spot de l’électricité fixant des prix bas, toute nouvelle installation de production électrique est non rentable. Cela ne contribue pas à sécuriser la production pendant la pointe ou à développer des cycles combinés gaz. La Commission européenne prévoit-elle de mettre la question du marché de l’électricité de nouveau sur la table ?
Quelle est la doctrine de la Commission concernant les aides d’État aux centrales nucléaires ? Il semblerait que, de l’autre côté de la Manche, des aides considérables soient envisagées pour la construction de nouveaux réacteurs…
M. le président François Brottes. Vous poserez la même question sur l’éolien, j’imagine.
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. La doctrine sur l’éolien est connue. Les énergies renouvelables étant les énergies de l’avenir, il est normal que nous les soutenions.
S’agissant de la maîtrise énergétique, quel contrôle la Commission exerce-t-elle sur les déclarations des États, leur sincérité ? Des écarts peuvent exister entre ce qui est envoyé à la Commission et la réalité.
Enfin, comme l’a rappelé le président Brottes, la situation de notre pays est particulière. Nous avons une entreprise intégrée, EDF, avec des filiales chargées du transport et de la distribution. Quelle est la doctrine de la Commission sur cette situation atypique ? Une telle filialisation est de nature à faire obstacle à des investissements pertinents, les distributeurs pouvant être davantage soucieux des intérêts de la maison mère que des besoins de distribution.
Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Outre-mer, nous sommes des femmes et des hommes non interconnectés. Du fait de notre situation insulaire, nous devons nous suffire à nous-mêmes, et identifier les ressources, les stratégies, les gouvernances qui nous permettent de porter la transition énergétique. Quel est votre point de vue sur la situation de ces zones non interconnectées (ZNI) ? Bien qu’elle ne soit pas une île, la Guyane en fait également partie, car elle aussi se suffit à elle-même. Nos zones présentent des coûts d’approvisionnement importants, de même que des coûts liés à une énergie très carbonée, avec le fioul, et connaissent des retards de structuration, de filières, de réseaux. L’Europe a adopté pour ces régions ultrapériphériques (RUP) des approches spécifiques, sous forme d’aides. Celles-ci seront-elles confirmées ?
Enfin, comme Denis Baupin, je pense qu’il faut évaluer les efforts consentis pour atteindre les objectifs. Ces derniers sont très hauts, et les moyens, comme la gouvernance, encore un peu timides sur certains territoires.
M. Julien Aubert. Ma première question a trait au dispositif allemand d’aides aux entreprises énergo-intensives. Est-il dans le collimateur de la Commission européenne ? Dans la mesure où nous réfléchissons à un dispositif semblable, il serait bon de savoir s’il existe un risque juridique.
Dans le nouveau « paquet énergie climat », le seul objectif contraignant est désormais l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Celui en matière d’énergies vertes semble en revanche avoir disparu. Comme il est présent dans le projet de loi, je souhaiterais savoir s’il fait encore partie des contraintes prévues au plan européen pour les États membres.
Par ailleurs, étant donné que certains défendent l’idée de modifier le statut d’Électricité Réseau Distribution France (ERDF), le projet de mise en concurrence de la distribution est-il encore d’actualité ?
Le projet du Gouvernement limite la capacité nucléaire de la France à ce qu’elle est aujourd’hui. Or cette capacité résulte de l’activité d’un seul opérateur. Comme de nouvelles capacités ne pourront être créées que si des centrales sont fermées, cela signifie que, si un nouvel acteur souhaitait entrer sur le marché français, il devrait demander à son concurrent, EDF, de fermer une centrale. Je doute qu’EDF soit enchantée par la perspective de supporter le coût d’une indemnisation tout en ouvrant la porte à un concurrent. Y a-t-il, au plan juridique, un risque de voir cette confirmation du monopole d’EDF geler la situation de la production française ?
M. Jean-Yves Caullet. Nous avons reçu hier des représentants des dirigeants d’entreprise, qui nous ont alertés sur l’importance de l’interconnexion pour leur compétitivité. Pensez-vous que la progression de l’interconnexion puisse être l’une des prémices à l’harmonisation des conditions de mise à disposition de l’énergie, qui serait, comme l’harmonisation fiscale et sociale, un objectif à long terme de l’Europe ?
Notre projet de loi est assez ambitieux en matière d’habitat. Connaissez-vous des exemples de politiques réussies, dont nous pourrions nous inspirer ? Je sais que la Grande-Bretagne a lancé il y a quelques années des tiers financements ; cela fonctionne-t-il ?
Nous estimons à 60 % les besoins énergétiques pouvant être assurés à terme par la biomasse. Dans la biomasse, il y a la forêt. Paradoxalement, le renouvellement de la ressource forestière n’est pas assuré, du fait que l’exportation de bois non transformé ne fait l’objet, en Europe, d’aucune politique particulière. L’Europe perd ainsi l’écoproduit de ses bois et la valeur ajoutée de la transformation. Ne vous paraîtrait-il pas utile, quand cette matière première est exportée sans transformation, qu’elle acquitte aux frontières de l’Europe une cotisation modique permettant sa reconstitution ? Certains pays tiers ont, avec la brutalité qui les caractérise parfois, interdit l’exportation de bois non transformé. La forêt est une source d’énergie, une source de matériaux renouvelables. L’Europe s’est faite sur un matériau, l’acier, et une énergie, le charbon : il serait juste qu’elle continue dans le domaine forestier.
M. Christophe Premat. La Commission européenne a publié en juillet 2014 un document sur la question des déchets et l’économie circulaire, abordée au titre IV du projet de loi. Le plan déchets 2014-2025 décline plusieurs modalités pour favoriser l’économie circulaire. Pensez-vous que le titre IV du projet soit suffisant pour respecter ce plan ? En Europe du Nord, la combustion des déchets et la consignation des bouteilles sont bien plus avancées.
Le même plan fait référence à une initiative « Emplois verts » en vue de favoriser l’émergence de PME dans le secteur de la transition énergétique. Pensez-vous que le projet de loi soit pertinent à cet égard ?
M. le président François Brottes. Que pensez-vous également, madame la directrice, de la magnifique réussite du marché du carbone au sein de l’Union européenne, si je peux me permettre de poser cette question perfide ? (Sourires.)
Mme Anne Houtman. Tout le monde reconnaît que l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est le dysfonctionnement du marché du carbone. Le prix ne fournit pas une incitation suffisante pour que les investissements aient lieu là où ils permettraient d’atteindre les objectifs climatiques. C’est aussi pour cette raison que la Commission a mis sur la table, en même temps que des objectifs d’émission de gaz à effet de serre, une proposition pour établir à partir de 2020 une réserve de marché. Avant cette date, nous avons tenté de différer une partie des droits, mais cela n’a pas pleinement résolu le problème. Pour la période après 2020, nous espérons que ce mécanisme de réserve de marché permettra des corrections quand le marché est défaillant.
Cela renvoie à la question de la cohérence des objectifs entre eux. Nous avons travaillé à des modèles permettant que la poursuite des objectifs quant aux renouvelables et à l’efficacité énergétique ne mette pas à mal le système d’échanges de droits d’émission.
Le complément de rémunération entre dans le cadre des aides d’État aux énergies renouvelables. Rappelons les principes généraux qui s’appliquent à toutes les aides d’État. Tout d’abord, il faut que l’État démontre que le marché ne conduit pas aux objectifs souhaités et que son intervention financière est par conséquent indispensable. Ensuite, cette intervention ne doit jamais aller au-delà du nécessaire : elle doit être proportionnée et ne pas dépasser la différence entre les coûts réels et les coûts de marché. L’existence de surcompensations par le passé est l’une des raisons pour lesquelles les prix de l’énergie ont fortement augmenté : les systèmes de taxes, contributions et aides mis en place ont été trop coûteux. En outre, au fur et à mesure que les technologies deviennent meilleur marché, il convient d’ajuster les subventions.
Je ne pense pas qu’il y ait de problème s’agissant des obligations d’achat. Je m’en assurerai.
S’agissant de l’hydroélectricité, nous sommes conscients que c’est à la fois une façon de produire de l’électricité – elle représente 40 % de l’électricité renouvelable en France : c’est le taux européen le plus élevé – et un moyen de stockage permettant de résoudre le problème de l’intermittence des énergies renouvelables. Un État membre peut toujours imposer des obligations de service public aux opérateurs. L’ouverture de la gestion des concessions d’hydroélectricité n’empêche pas l’État d’imposer aux gestionnaires, quels qu’ils soient, des contraintes dans le sens des objectifs politiques en matière de stockage ou de renouvelables.
M. le président François Brottes. Contraindre coûte parfois très cher. Celui à qui on fait obligation le fait payer.
Mme Anne Houtman. De ce point de vue, l’opérateur historique est dans la même situation que les autres. Il existe peut-être des opérateurs capables de gérer une centrale à un coût meilleur pour la collectivité que celui d’EDF. L’ouverture à la concurrence ne vise pas à empêcher EDF d’être gestionnaire mais de donner la possibilité à d’autres, s’ils sont meilleurs, d’assurer cette gestion. Si, lors d’un appel d’offres, EDF est le meilleur offrant, c’est cette société qui sera retenue, dans la plus parfaite légalité européenne.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Pouvez-vous nous donner un exemple de pays européen ayant mis en place une concurrence telle que vous la demandez ? Il s’agit de la question de la réciprocité.
Mme Anne Houtman. Je m’en informerai, mais il ne s’agit justement pas de réciprocité : la réciprocité est le contraire même de la logique du marché intérieur et du droit européen. Le fait qu’un autre État membre se trouve en infraction ne rend pas moins grave celle éventuellement commise par la France. Le gouvernement français, en 2002 ou 2003, avait pris des engagements, assortis d’un calendrier ; sur cette base, nous avons retiré la procédure d’infraction, mais ces engagements n’ont jamais été tenus. Les nouvelles règles sur les concessions permettent de respecter l’intérêt général dans les États membres. Michel Barnier a tenu à s’en assurer.
M. le président François Brottes. Les modèles sont différents. L’obligation de mise en concurrence ne s’impose pas, je crois, en Allemagne, qui a un autre régime juridique que nous. Les voies de contournement sont nombreuses.
Je note que des engagements ont été pris en 2003. J’avais pourtant cru comprendre qu’il n’y en avait pas eu…
Mme Anne Houtman. Pour le carbone, il existe deux marchés, dont l’un est soumis au système d’échanges de quotas. Dans ce système, les droits sont mis aux enchères, ce qui est incompatible avec une fixation de limites au niveau européen.
Tout le monde à la Commission européenne reconnaît que le marché de l’électricité fonctionne mal, et ce parce qu’il n’est pas encore vraiment intégré et que les outils de la coopération entre États fait défaut. C’est ce que nous essayons d’améliorer dans les forums dédiés à ces questions. La carte européenne des prix de l’électricité montre des différences énormes, qui n’existeraient pas si un véritable marché intérieur de l’électricité fonctionnait. Un opérateur rationnel constatant qu’il peut vendre plus cher dans un État voisin devrait être incité par là-même à financer des interconnexions. Cette question des interconnexions est intimement liée à celle du marché intérieur.
Il n’existe pas de règles spécifiques concernant les aides au nucléaire. Je suppose que M. le rapporteur fait référence au dossier Hinkley Point. Nous avons ouvert une procédure, pour permettre à toutes les parties de nous présenter leurs observations. Le dossier est complexe : il s’agit d’examiner le mécanisme de compensation prévu, qui se situe à la croisée de deux systèmes que nous connaissons, et de vérifier les conditions qu’offrirait le marché pour des prêts dans ce genre d’investissements à très long terme. Nous ne sommes pas encore parvenus à une position définitive.
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Le nucléaire n’est donc pas bon marché ?
Mme Anne Houtman. Les nouvelles centrales ne sont pas bon marché, en effet, et il existe en outre de nombreuses incertitudes sur l’avenir. En élaborant la feuille de route pour 2050, nous avons bien vu combien il est difficile de faire des hypothèses sur le prix des énergies à long terme.
M. le président François Brottes. Je me suis toujours demandé comment l’Europe pouvait prétendre réguler la production d’énergie alors que nous sommes si dépendants du pétrole et du gaz extérieurs. Si les marchés du pétrole et du gaz étaient régulés, cela se saurait. Il y a là, me semble-t-il, une forme de naïveté.
Mme Anne Houtman. Ce n’est pas vraiment le cas. Dans les prix de l’électricité et du gaz, il faut distinguer le prix de la production et les autres prix : utilisation des réseaux, distribution, taxes et contributions. Nous avons publié, au mois de janvier, une étude sur les coûts et les prix de l’énergie : la différence de coûts n’a pas tant pour origine les coûts de gros que les coûts de détail. Ce sont surtout les coûts d’accès au réseau, les coûts de commercialisation, ainsi que les taxes et contributions qui ont fait monter les prix. Nous ne régulons pas les coûts de gros, sur lesquels nous avons en effet peu de prise dans la mesure où nous dépendons de pays exportateurs, mais nous pouvons diminuer les autres prix.
Cela m’amène à la question centrale du signal de prix. D’un côté, nous voulons l’efficacité énergétique, laquelle pourrait être obtenue par un prix élevé, mais, de l’autre, nous voulons comprimer les prix pour que les consommateurs et l’industrie ne souffrent pas. Tout ce qui peut l’être doit être comprimé, notamment par une plus grande efficacité du transport, de la distribution, de la commercialisation, des subventions. Mais nous prenons aussi des mesures d’efficacité énergétique, telles que la promotion de l’écoconception, afin d’obliger les opérateurs à retirer du marché les produits les moins efficaces, et de l’étiquetage, pour permettre aux consommateurs de choisir des produits en tenant compte non seulement du prix d’achat mais aussi de l’efficacité énergétique. Les industriels sont beaucoup plus sensibles à cette donnée : en Europe, ils ont accompli de grands progrès en matière d’efficacité énergétique, alors que le consommateur individuel a encore tendance à choisir en fonction du seul prix d’achat. On se moque souvent de la Commission quand elle demande de retirer des aspirateurs du marché, mais nous avons besoin de telles mesures, car le consommateur n’a pas toujours une vision à suffisamment long terme.
La directive sur l’efficacité énergétique prévoit que les États membres soumettent à la Commission des plans assez détaillés, dans lesquels ils avancent leurs estimations des gains potentiels de chaque mesure. Nous vérifions si les États sont sur la bonne trajectoire pour atteindre les objectifs. En matière d’efficacité énergétique, ces objectifs ne sont pas contraignants, contrairement aux objectifs de renouvelables de la directive ; il ne peut donc y avoir de procédure d’infraction. Il s’agit d’un processus de nature politique. Malheureusement, on sait que, souvent, les États ne respectent pas leurs engagements. Le rôle de la Commission est de les leur rappeler et de tenter de les convaincre ; elle n’a pas d’autres armes.
La séparation de la production, du transport et de la distribution d’énergie est une obligation aux termes du troisième « paquet énergie ». Cela s’applique d’ailleurs à d’autres opérateurs, notamment à l’opérateur du gaz russe. Cela a été très controversé. Nous sommes actuellement au stade du dialogue avec les États membres. Des procédures d’infraction pourraient être lancées si mes collègues considéraient que le troisième paquet n’est pas respecté.
L’outre-mer, et en particulier les régions ultrapériphériques, bénéficient, en raison des handicaps liés à leur isolement, de financements et d’avantages prévus par la législation européenne. La Commission étant consciente des coûts supplémentaires occasionnés par l’isolement, elle encourage, quand c’est possible, les interconnexions, et, quand c’est impossible, elle autorise des compensations, soutenues par des budgets européens spécifiques.
S’agissant des aides allemandes aux entreprises électro-intensives, je pense qu’il y a une procédure en cours ; je le vérifierai.
Le renouvelable n’a pas disparu : nous avons proposé un objectif de 27 % contraignant au niveau européen. La différence avec la période précédente, c’est que l’objectif n’est pas contraignant au niveau des États membres. Il s’agit d’un système d’indicateurs et de gouvernance sur la base duquel la Commission entrera en dialogue avec chaque État pour les encourager à contribuer. Nous verrons, au Conseil européen, si les États sont unanimes sur cet objectif de 27 %. Ils doivent se montrer cohérents.
M. Julien Aubert. Dans ces négociations avec les États, l’effort demandé sera-t-il pondéré en fonction du niveau des émissions ? Considérerez-vous qu’un pays comme la France, qui dégage déjà beaucoup moins de gaz à effets de serre que d’autres, peut se voir demander moins d’efforts ?
Mme Anne Houtman. Nous avons demandé par le passé aux États membres quelle était leur offre, en fonction de leur potentiel. Certains ont un potentiel supérieur, mais le critère n’est pas le niveau d’émission de CO2.
M. Julien Aubert. On ne récompense pas les plus vertueux !
Mme Anne Houtman. L’objectif du projet de loi français est supérieur à celui proposé par la Commission, mais la France ne fait pas partie des premiers États membres au regard du renouvelable, notamment parce qu’elle atteint ses objectifs en matière de CO2 grâce au nucléaire.
M. le président François Brottes. La France pourrait-elle vendre à d’autres pays des droits à polluer ?
Mme Anne Houtman. Le système d’échanges ETS est destiné à le permettre, mais pour le carbone, non pour les énergies renouvelables. Une possibilité pour atteindre des objectifs ambitieux en termes de consommation de renouvelables serait d’en acheter moins cher, par exemple à l’Espagne, qui a des surcapacités dans le domaine. Toute la logique des interconnexions est de permettre d’atteindre les objectifs en matière de renouvelables, avec le meilleur rapport coût-bénéfice.
Une limitation de la capacité du nucléaire, dans un contexte de monopole de la production, est de nature à créer des doutes sur la compatibilité avec le marché intérieur, puisque cela peut représenter, au moins à court terme, un obstacle pour les nouveaux entrants. Le principe du traité, c’est que les États membres ont une compétence exclusive sur le choix de leur bouquet énergétique. Ainsi, les Allemands ont librement choisi de supprimer à terme le nucléaire. Nous aurions cependant souhaité qu’ils se concertent avec leurs partenaires, et, dans le cadre du semestre européen, nous le leur avons dit. À plus long terme, toutefois, la question ne se pose pas, car des centrales vont devenir obsolètes, ce qui créera des opportunités pour de nouveaux entrants.
M. Julien Aubert. Pourrez-vous nous fournir des éléments complémentaires d’analyse par écrit ?
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Si vous regrettez, madame, que l’Allemagne ne se soit pas concertée avec ses voisins sur la suppression du nucléaire, j’imagine que vous regrettez aussi que la France ne l’ait pas fait avant de décider de rester à un tel niveau de nucléaire ?
Mme Anne Houtman. Comme je l’ai dit au tout début de mon intervention, il serait souhaitable que la France communique avec ses partenaires européens sur son projet de loi. Pour qu’il y ait une politique européenne plus cohérente, une véritable Union européenne de l’énergie, il faut que les États acceptent de collaborer. L’interdépendance est évidente ; elle permettrait de faire baisser les prix et rendrait possible une solidarité en cas de problèmes. La crise ukrainienne a rendu cruciale cette question de la solidarité. Pour certains États membres, c’est absolument vital, en raison de leur dépendance. Nous avons obtenu des droits de passage entre la Slovaquie et l’Ukraine, nous avons pris des mesures de stockage d’urgence… Les interconnexions ont joué un rôle important.
M. le président François Brottes. Le choix du nucléaire en France, monsieur le rapporteur, a été décidé quelque peu avant l’adoption des directives européennes en matière d’énergie, alors que la décision allemande est intervenue après…
La France est la seule République à avoir créé l’ARENH (Sourires), l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui impose à l’opérateur unique de partager avec les autres opérateurs. C’est le moyen qu’a imaginé notre pays pour qu’il existe une concurrence dans ce domaine.
Mme Anne Houtman. Une meilleure interconnexion, monsieur Caullet, devrait conduire à une plus grande convergence des prix. Ceux qui peuvent produire à meilleur marché devraient pouvoir exporter, ce qui ferait baisser les prix dans les autres États.
Je me renseignerai sur des exemples de politiques réussies en matière d’habitat, mais je ne risque pas trop de me tromper en disant que les pays nordiques en font partie.
Sur la question de la biomasse et des forêts, j’utilise mon joker. Pourquoi le prix du renouvellement de la ressource ne se trouve-t-il pas déjà inclus dans le prix de vente ? L’exploitant d’une forêt devrait logiquement considérer qu’une partie de sa structure de coûts a vocation à être consacrée au renouvellement de la ressource. Si ce n’est pas le cas, si le marché ne fonctionne pas bien, il est toujours possible de prévoir des obligations de service public. Rien, dans le droit européen, n’empêche un État membre d’imposer aux exploitants de forêt une obligation de renouvellement.
M. Jean-Yves Caullet. Cela existe déjà : dans la plupart des pays européens, l’exploitation ne doit pas conduire à la déforestation. Simplement, nous nous comportons, au plan européen, comme un pays en voie de développement qui vend sa ressource, sans transformation, sans valeur ajoutée, en perdant l’écoproduit. Si nous étions producteurs de pétrole, nous nous poserions la question de savoir s’il n’est pas plus pertinent de raffiner et de consommer le pétrole chez nous plutôt que de le vendre dans l’hémisphère sud.
Mme Anne Houtman. J’avais cru comprendre que votre question portait sur la compatibilité d’une contribution au renouvellement avec le droit européen, mais vous parlez de politique industrielle.
J’utilise un second joker sur la question de l’économie circulaire, car je n’ai pas analysé le texte assez en détail pour savoir si les mesures sont suffisantes. Elles me semblent à première vue en ligne avec la politique européenne, et je ne prévois donc pas de difficulté.
M. le président François Brottes. Merci, madame la directrice, d’avoir éclairé nos débats sur le texte français relatif à la transition énergétique.
11. Présentation, ouverte à la presse, commune avec la Commission des affaires économiques, du rapport d’information sur l’adaptation du droit de l’énergie aux outre-mer (Mme Ericka Bareigts et M. Daniel Fasquelle, rapporteurs)
(Séance du mercredi 17 septembre 2014)
M. le président François Brottes. La commission des affaires économiques a été à l’origine de la désignation, au sein du collège composant la Commission de régulation de l’énergie (CRE), d’un membre nommé « en raison de sa connaissance et de son expérience des zones non interconnectées ». Elle estimait que ces territoires n’étaient pas assez pris en compte, et je m’en étais ouvert à l’époque au ministre des outre-mer, M. Victorin Lurel. Plus récemment, Mme George Pau-Langevin, actuellement en charge de ce département ministériel, m’a fait part de sa détresse devant l’inadaptation des dispositifs existants pour réguler les mix énergétiques dans les zones non interconnectées (ZNI). Je remercie en conséquence Mme Éricka Bareigts et M. Daniel Fasquelle de s’être penchés sur ce délicat sujet.
Je salue la présence parmi nous du président de la délégation de l’Assemblée nationale aux outre-mer, M. Jean-Claude Fruteau. Au nom de cette délégation, M. Serge Letchimy a présenté la semaine dernière un rapport d’information sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour information au nom de la commission des affaires économiques, et rapporteure de la commission spéciale pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Les élus des territoires ultramarins que nous avons rencontrés lors de nos visites considèrent que les procédures selon lesquelles l’État mène sa politique énergétique nationale sur l’ensemble du territoire ne sont pas adaptées aux spécificités des outre-mer. Les producteurs d’énergies renouvelables seraient notamment exclus de fait des appels d’offre pilotés par la CRE, alors même que les projets proposés sont soutenus au niveau local et constituent des enjeux économiques, sociaux et environnementaux pour les territoires concernés.
Pour mener notre mission à bien, nous avons décidé de repartir de zéro pour explorer un terrain qui n’avait finalement jamais fait l’objet d’investigations objectives et approfondies. Les discussions sur le sujet demeurent en effet généralement superficielles et s’appuient sur deux idées préconçues : la péréquation tarifaire pour les outre-mer coûterait cher, et les outre-mer devraient constituer des laboratoires accueillant des expérimentations par filière.
Nous nous sommes d’abord interrogés sur le mix énergétique des outre-mer et sur ses spécificités, pour savoir vers quel équilibre il était souhaitable de tendre. Nous avons aussi choisi une approche économique, en abordant notamment la question de la péréquation tarifaire pour les ZNI, et nous avons réfléchi aux meilleures solutions susceptibles de permettre l’adéquation entre les objectifs de politique énergétique locale et les financements.
Nos travaux ont débuté à Paris le 11 juin dernier, mais c’est en nous rendant, au mois de juillet, en Guyane, à la Martinique, en Guadeloupe, à Mayotte et à La Réunion que nous avons pu comprendre les enjeux de ce dossier. Sur ces territoires, même si elle est aujourd’hui au point mort, la transition énergétique est une nécessité. Nous vous ferons des propositions pour faire sauter quelques-uns des verrous que nous avons identifiés.
M. Daniel Fasquelle, rapporteur pour information au nom de la commission des affaires économiques. Je tiens à rendre hommage à Mme Éricka Bareigts, qui a accompli l’essentiel du travail sur ce rapport d’information.
Trois facteurs concourent à faire des outre-mer un territoire privilégié de la transition énergétique.
Les spécificités de l’approvisionnement de ces territoires en énergie constituent un premier facteur. En effet, cet approvisionnement n’est ni sécurisé ni garanti à tous les citoyens.
Tous les territoires d’outre-mer comptent plus de 80 % d'énergies fossiles dans leur mix énergétique primaire – les deux cas les plus extrêmes étant la Guyane avec 82 % d’énergies fossiles, et Mayotte avec 99 %. Contrairement à la France métropolitaine, où le nucléaire représente 75 % du mix électrique, les produits pétroliers et le charbon constituent en outre-mer la principale source de production d'électricité. Cette situation fragilise ces territoires en les rendant dépendants d'un approvisionnement extérieur, et en les exposant à une hausse du prix des produits pétroliers.
Les outre-mer font également face à une qualité dégradée de l’alimentation électrique, liée à des contraintes physiques spécifiques mais aussi à un réseau moins dense qu’en métropole. Le temps moyen de coupure annuel en témoigne : entre 2008 et 2013, il était d’environ quatre-vingts minutes en métropole, contre deux cent cinquante à La Réunion, trois cent vingt en Guyane, cinq cent cinquante en Guadeloupe et sept cents à la Martinique. En matière de qualité de l'électricité, il existe un fossé entre les outre-mer et l’Hexagone. La mission d'information en a d'ailleurs fait l'expérience directe, puisque la Martinique a connu un black-out le jour même de notre arrivée à Fort-de-France.
La situation est particulièrement grave dans les communes de l'intérieur de la Guyane, car 80 000 citoyens français habitant le long des deux fleuves frontaliers ne peuvent pas être raccordés au réseau. Les habitants des bourgs-centres sont alimentés en électricité par des micro-centrales thermiques incapables de répondre à des demandes trop fortes, ce qui rend impossible le développement d’une activité économique sur place et l’acquisition par les ménages d’équipements de confort standard. Le fonctionnement de ces micro-centrales assuré par EDF coûte très cher. Quant aux habitants des « écarts », groupements d'habitations dispersés le long des deux fleuves frontaliers, ils doivent prendre en charge eux-mêmes la production d'électricité en achetant à des prix élevés des groupes électrogènes et le carburant nécessaire. La situation, déjà critique, devrait s'aggraver dans les prochaines années sous l'effet d'une croissance démographique annuelle de l'ordre de 10 %. Près de 250 000 de nos concitoyens risquent d’ici à quelques années d’être privés d’un accès normal à l’électricité.
Un deuxième facteur justifie l'importance de la transition énergétique dans les outre-mer : le mix électrique de ces départements et régions est très carboné, malgré des gisements renouvelables importants et des acteurs locaux dynamiques La production électrique dans les outre-mer est fortement émettrice de gaz à effet de serre en raison du poids des produits pétroliers et du charbon. En 2011, les émissions de CO2 issues de la production électrique étaient de 90 grammes de CO2 par kilowattheure en France métropolitaine et, en moyenne, de 340 grammes en Europe. Si, en Guyane, ces émissions se situent légèrement au-dessus de cette moyenne, à 360 grammes/KWh grâce au fonctionnement du barrage de Petit-Saut, elles la dépassent très largement dans les autres territoires : 670 grammes à la Martinique, 680 à Mayotte, 750 à La Réunion, et 800 en Guadeloupe. Dans ces deux derniers territoires, la production à base de charbon explique ces chiffres très élevés.
Pourtant, les gisements d'énergies renouvelables représentent un potentiel important et diversifié. Toutes les filières sont présentes : hydroélectricité, éolien, photovoltaïque, géothermie, biomasse. Plusieurs filières d'avenir pourraient également trouver un terrain de développement privilégié dans les outre-mer, comme le sea water air conditioning (SWAC) à La Réunion. Leur développement repose sur l'implantation d'acteurs spécialisés et dynamiques, qui pourraient exporter leurs procédés sur des territoires aux caractéristiques similaires. Les territoires insulaires tropicaux d’Asie du Sud-Est ou de la Caraïbe représentent un marché porteur de plusieurs centaines de millions de consommateurs.
Mme Ericka Bareigts, rapporteure. Un troisième facteur justifie que les outre-mer soient le territoire privilégié de la transition énergétique : sans réorientation du mix énergétique, le coût du système est amené à croître.
En raison des conditions d’approvisionnement, et parce que la production est assurée majoritairement par des centrales thermiques au charbon et au fioul, le mix électrique en outre-mer est très onéreux. Les coûts de production d’Électricité de Mayotte (EDM) sont huit fois plus élevés que ceux d’EDF. Le tarif réglementé de vente à Mayotte s’élève à 43 euros le mégawattheure alors, que le coût de production d’EDM est de 347 euros. De tels surcoûts ne peuvent évidemment être supportés par les seules populations. Ils justifient la mise en place d’une péréquation tarifaire. Il ne faut surtout pas oublier que ce dispositif existe sur l’ensemble du territoire français et qu’il ne bénéficie pas aux seuls Ultramarins. L’identification de la dépense de péréquation des ZNI dans une comptabilité séparée explique peut-être la croyance répandue que l’outre-mer profite seule du dispositif.
La péréquation prend toutefois une importance particulière pour l’outre-mer. D’abord parce que les différences de coûts s’expliquent aussi par le retard des politiques d’électrification de nos territoires. Depuis 1936, époque à laquelle nous n’étions que des colonies françaises, les collectivités métropolitaines ont bénéficié des concours financiers du fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACE) pour construire le réseau de distribution performant qui existe aujourd’hui. Ensuite, la « vie chère » est une réalité des outre-mer qui rend nécessaire la péréquation. Enfin, elle est favorable à l’activité économique locale confrontée à une concurrence des territoires voisins.
La péréquation n’est évidemment pas sans effet sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Certains propos laissent penser que l’explosion des montants annuels de CSPE pesant sur les consommateurs s’expliquerait par l’influence de la péréquation qui pousserait l’outre-mer à la surconsommation. Nous avons voulu mettre ces assertions à l’épreuve des faits, et nous avons constaté que les consommateurs d’outre-mer étaient les plus sobres de France. Alors que l’habitant de l’Hexagone consomme en moyenne 6,84 mégawattheures, celui de Martinique en consomme 3,63, celui de Guadeloupe 4,27. Évidemment, ces chiffres s’expliquent aussi par le fait que nous n’avons pas d’hiver. Il n’en demeure pas moins que la surconsommation supposée des Ultramarins est un mythe.
Dans ces conditions, comment expliquer la progression de la CSPE ? Deux éléments ont joué un rôle. La « bulle photovoltaïque » de 2010, avec des tarifs d’achat très élevés pour l’électricité de la filière, a été à l’origine d’un parc pléthorique générant aujourd’hui une dépense très importante. Si l’on n’en tenait pas compte, l’augmentation de la CSPE resterait très raisonnable. La dérive de la CSPE s’explique par ailleurs par la hausse du coût de production des centrales EDF, notamment des centrales thermiques, dans une période de reprise des investissements. Trois centrales thermiques sont entrées ou entreront en service entre 2012 et 2014 : Port Est à La Réunion, Bellefontaine à la Martinique, et Pointe-Jarry en Guadeloupe. La filialisation progressive de l’activité de production d’EDF SEI – SEI pour systèmes énergétiques insulaires – a entraîné un recul de la production qu’elle assure en propre alors même que ses coûts de production augmentaient dans les ZNI de 8,3 % en 2013, mais de 18 % en 2014. Le modèle mis en place sur nos territoires est donc en cause. Il nous faut sortir de ce système qui est loin d’être vertueux.
Pour dépasser ces contraintes, nous devons évoluer vers un nouveau modèle énergétique. À l’enjeu de sécurité d’approvisionnement et de sécurité énergétique pour l’outre-mer s’ajoute l’enjeu environnemental. Le développement de nouvelles sources de production locales permettrait de diversifier l’approvisionnement. Les outre-mer ne peuvent continuer à présenter un bilan carbone de leur production électrique aussi dégradé.
Le développement des énergies renouvelables ne nécessitera qu’un investissement relativement faible, et il contribuera à réaliser des économies de CSPE en diminuant le coût moyen de l’électricité outre-mer. En raison du coût de production élevé des centrales thermiques classiques, toutes les énergies renouvelables sont déjà parvenues à la « parité réseau ». Pendant une période transitoire, il faudra cependant financer à la fois les centrales thermiques classiques, les nouveaux investissements, et le coût de la transition, ce qui sera évidemment assez lourd.
Nous sommes aujourd’hui au point mort parce que la politique énergétique dans les outre-mer est victime de dispositifs nationaux inadaptés ou inappliqués, et de prises de décisions lointaines.
Il est inadmissible de constater que des citoyens français n’ont pas accès à l’électricité sur leur propre territoire ou qu’ils doivent pour cela acheter eux-mêmes le fioul et les groupes électrogènes nécessaires, comme dans les « écarts » de Guyane déjà évoqués. Les communes de Guyane sont aujourd’hui livrées à elles-mêmes face à l’immense tâche de l’électrification de l’intérieur de la région sans disposer des moyens financiers d’assumer une telle charge. Le dispositif FACÉ permet seulement d’entretenir les lignes existantes mais pas de tisser un réseau qui n’existe pas en Guyane. L’enveloppe FACÉ reçue par la Guyane en 2014 n’est de toute façon que de 1,3 million d’euros sur un total national de 370 millions, alors que les problèmes de ce territoire sont immenses. Nous ne pouvons pas laisser plus de 200 000 Français hors du droit commun électrique.
M. Daniel Fasquelle, rapporteur. L’inadaptation des dispositifs nationaux et le caractère trop lointain des décisions concernent aussi les énergies renouvelables (ENR).
Alors qu’aucune éolienne n'a été raccordée au réseau depuis 2010, le taux de croissance du photovoltaïque est nul dans les outre-mer en 2014, et aucun appel d'offres n’a été remporté par un projet ultramarin depuis 2012.
Cette situation s'explique par un cumul d’obstacles. Les nouvelles installations se voient tout d’abord appliquer le « seuil des 30 % ». Lorsque les ENR intermittentes représentent plus de 30 % de l'énergie instantanée sur le réseau, le gestionnaire de réseau peut les déconnecter. Une telle règle les empêche de trouver un financement auprès des banques faute de recettes prévisibles et suffisantes. Ensuite, jusqu'à l'adoption de la loi du 15 avril 2013, dite « loi Brottes », le développement de l'éolien était impossible en zone littorale, ce qui concernait la quasi-totalité de la surface de tous les territoires. De nombreuses incertitudes persistent malheureusement, notamment concernant la définition des espaces proches du rivage. S’il ne faut pas bloquer le développement de l’éolien, il faut toutefois rester très prudent, car les paysages constituent l’attrait touristique de ces territoires…
M. le président François Brottes. Vous évoquiez une disposition Brottes-Batho !
M. Daniel Fasquelle, rapporteur. Par ailleurs, l'application des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables engendre des coûts de raccordement très élevés à la charge des producteurs en raison de la faiblesse des réseaux locaux. En Guadeloupe, la quote-part régionale s’élèverait à 213 000 euros par mégawattheure installé alors qu’en métropole ce coût s’élève à zéro euro en Alsace et à 70 000 euros en Midi-Pyrénées. Ce coût serait de 600 000 euros pour les projets biomasse de l’Est guyanais, ce qui signifie qu’ils ne verront jamais le jour.
Enfin, les outre-mer n'ont pas accès à certaines subventions qui ne sont pas adaptées au contexte local. Les directions régionales de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) sont dans l’obligation de renvoyer leurs crédits au titre du Fonds chaleur, faute de trouver suffisamment de projets concernés. Le doublement des crédits du Fonds chaleur prévu dans le projet de loi suscite en conséquence de larges inquiétudes outre-mer, car il diminuera mécaniquement les subventions allouées à d'autres postes.
L'addition de ces contraintes est à l’origine de surcoûts considérables, qui expliquent que les porteurs de projet ne puissent pas être compétitifs dans les appels d'offre et que les tarifs d'achat soient souvent insuffisants pour couvrir le coût des projets en outre-mer.
Dans la très grande majorité des cas, la seule solution est de se reporter sur le système du gré à gré, dans lequel les porteurs de projet négocient un contrat d'achat de leur électricité avec EDF. Mais ce système interdit tout subventionnement car les installations doivent être rentables pour avoir le droit à un contrat. Le seul critère évalué est celui du coût moyen de production, qui doit être inférieur à celui d'une installation thermique traditionnelle. Malheureusement il importe peu qu’au final un projet ait des retombées largement positives pour un territoire.
Les transcriptions tardives de dispositifs nationaux freinent aussi le développement des énergies renouvelables outre-mer. Bien que la valeur des certificats d'économie d'énergie (CEE) soit doublée en outre-mer, ces territoires occupent la dernière place dans le classement des régions françaises en termes de volume de CEE délivrés. Cette situation s'explique par l'absence de gisements d'accès aisé, comme le changement de chaudières, mais surtout par le manque d’acteurs. Le seul acteur nécessairement présent localement est EDF, et ses obligations sont fixées à la maille nationale. Lorsqu’il n’existe aucun acteur correspondant au seuil national, comme à Mayotte, aucun certificat d’économie d’énergie ne peut être délivré.
Les dispositifs fiscaux d'aide à la rénovation thermique des bâtiments sont souvent adaptés avec retard. Les Ultramarins sont les seuls Français à ne pas pouvoir bénéficier de la prime exceptionnelle d'aide à la rénovation énergétique. Les critères de travaux permettant de bénéficier du crédit d’impôt développement durable ne sont toujours pas adaptés aux outre-mer. Seuls onze éco-prêts à taux zéro ont été attribués depuis 2009 outre-mer, alors que 32 000 l’ont été en métropole pour la seule année 2013.
La réglementation thermique acoustique aération (RTAA) des bâtiments spécifiques aux outre-mer est unanimement critiquée car elle repose sur des obligations de moyens et non de résultats. L'élaboration d'une nouvelle réglementation sur le modèle de la RT 2012 n'est pas envisagée avant 2017-2018.
De même, les outre-mer n'ont pas encore de diagnostic de performance énergétique (DPE). Seules la Martinique et la Guadeloupe ont mis en place des DPE dans le cadre de l’habilitation législative dont elles bénéficient en matière d’énergie.
Mme Ericka Bareigts, rapporteure. Le problème de fond demeure l’inexistence d’une politique énergétique des outre-mer.
Si les acteurs locaux sont extrêmement investis et s’approprient pleinement leurs compétences – comme les régions chargées du pilotage des documents de planification –, ils ne décident pas vraiment de la politique énergétique. La programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité (PPI) est par exemple élaborée par l’État sur la base de bilans prévisionnels de l’offre et de la demande présentés par EDF SEI. Les territoires n’ont pas suffisamment la main pour développer des stratégies de politiques énergétiques locales.
Une nouvelle donne est donc indispensable et nous faisons plusieurs propositions en ce sens.
Afin de faire évoluer la gouvernance de l’énergie et de rendre du pouvoir aux acteurs locaux, il faut prévoir une élaboration partagée entre l’État et les régions de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).
Il est également indispensable d’assurer une meilleure transparence. Les populations des zones non interconnectées ne disposent pas, par exemple, des données chiffrées disponibles dans l’Hexagone, relatives à l’évolution en temps réel du mix électrique
Pour tenter de résoudre le problème de la Guyane, nous suggérons de dédier une enveloppe spécifique à l’électrification des communes de ce territoire dans le cadre des subventions attribuées par le FACÉ.
Afin de soutenir les énergies renouvelables, nous proposons de décentraliser la fixation des tarifs d’achat et le lancement des appels d’offres, ce qui s’inscrit dans le cadre de la PPE.
Avec le même objectif, un plan de développement de la biomasse devrait être développé.
Pour gérer l’intermittence de la production des ENR, un volet spécifique au stockage de l’électricité est indispensable. Les appels d’offres devront privilégier le stockage avec restitution aux heures de pointe plutôt que la substitution à la production de base.
Enfin, si nous voulons dynamiser le marché des certificats d'économie d'énergie dans les outre-mer, les obligations doivent être fixées par territoire et correspondre à la maille locale.
M. le président François Brottes. Vous avez pu disposer de quarante et une minutes pour présenter votre rapport, ce qui est assez exceptionnel…
Je vous félicite pour la qualité de votre travail. J’indique également que nous sommes à la fois dans le cadre de la commission spéciale sur la transition énergétique et de la commission des affaires économiques. Les membres de cette dernière seront amenés à voter tout à l’heure sur l’autorisation de publication du rapport.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure pour les titres Ier et V du projet de loi. Je salue à mon tour l’excellent travail des rapporteurs, notamment celui d’Ericka Bareigts, comme l’a souligné Daniel Fasquelle.
Je me réjouis de l’intérêt porté aujourd’hui à une situation qui perdure depuis trop longtemps, qui crée des différences de traitement entre les citoyens français et qui nécessite une prise en compte urgente.
Les éléments précis contenus dans ce rapport constituent un précieux apport dans le cadre de nos réflexions sur la loi de transition énergétique. Nous serons très attentifs à vos propositions, madame et monsieur les rapporteurs, pour poser des mécanismes d’adaptation des règles et trouver enfin des solutions efficaces à une situation préoccupante.
M. Denis Baupin, rapporteur pour les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. La proposition de loi « Brottes-Batho » ayant été rappelée, je voudrais poser une première question sur l’éolien et la loi littoral.
Certains parlementaires se sont battus pour que nous puissions avancer sur ces sujets. Le rapport fait état d’incertitudes juridiques qui freineraient le développement des éoliennes. Il est certes nécessaire de préserver les paysages. La question ne fait pas débat et est inscrite dans la loi. Mais il serait peut-être nécessaire d’apporter, dans la loi de transition énergétique, certaines précisions concernant la proximité du littoral, pour lever ces incertitudes juridiques et lancer le projet. Faute de quoi, cela ruinerait l’effort fait en faveur de l’éolien dans la proposition de loi.
J’en viens à ma deuxième question. Je me réjouis de la proposition que vous faites concernant le seuil de 30 % d’énergies variables renouvelables dans le réseau électrique et que cette disposition puisse être adaptée territoire par territoire. Cela ne concerne pas que les DOM-TOM, mais l’ensemble des ZNI. La situation de la Corse est aussi une question importante, même si, aujourd’hui, on est très largement en dessous des 30 %. Cependant, si l’on veut éviter le développement du fuel pour la production d’électricité en Corse, il faut pouvoir donner des perspectives.
Je citerai également l’Île de-Sein, qui est plus petite, mais qui fait aujourd’hui l’objet d’une bagarre intéressante, du point de vue conceptuel, entre EDF et des promoteurs d’alternatives, lesquels peuvent être intéressés par ce dépassement du seuil de 30 %.
M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer. À la demande de notre collègue Serge Letchimy, la délégation aux outre-mer a souhaité participer à ce débat.
Je tiens à souligner l’importance du travail mené par nos deux rapporteurs. Il faut un traitement particulier dans ce domaine. Ericka Bareigts l’a fort bien résumé, nous sommes dans une situation de dépendance extrême par rapport à l’approvisionnement extérieur et nous sommes soumis à des conditions réglementaires qui ne sont pas adaptées à la situation de La Réunion et des outre-mer en général.
Ajoutons à cela des à-coups dans les décisions prises par le passé, notamment ces dix dernières années, qui n’ont pas facilité les choses dans le domaine du développement des énergies renouvelables en outre-mer. Il y a un vrai problème, et je me félicite que nous puissions l’exposer à l’occasion de ce texte, si important pour la nation tout entière.
M. Victorin Lurel. Je tiens également à féliciter nos deux collègues pour cet excellent rapport. C’est, à ma connaissance, le premier qui permette d’éclaircir un certain nombre de points qui, jusqu’à présent, restaient opaques, je dirais même ésotériques, pour nos concitoyens, y compris pour les élus. Je me réjouis donc de sa publication. Je n’ai pas eu le temps de le lire entièrement, mais ce que j’en ai entendu est édifiant.
Je m’associe également aux propos du président Brottes. C’est à sa demande, en effet, que la Commission de régulation de l’énergie a pu accueillir un représentant des ZNI en la personne de Mme Edwige, originaire de la Martinique et spécialiste reconnue en raison de sa très longue expérience dans ce domaine. Pour ma part, je demanderai, lors de l’examen du projet de loi, qu’il y ait un représentant des outre-mer au sein du comité de gestion de la CRE, car nous souhaitons qu’il y ait un représentant des ZNI dans les instances de direction, là où se prennent les décisions. Cela ne figure pas dans le rapport, mais je m’en suis ouvert à Mme la ministre pour la sensibiliser à cette question.
La CRE soutient le développement de certains projets innovants, comme ceux du Galion en Martinique, qui fait de la cogénération bagasse-bois. Mais elle refuse de prendre en charge le surcoût du projet de l’île Marie-Galante, en Guadeloupe, alors que nous sommes en deçà des coûts de production nationaux et qu’il s’agit du même projet de centrale bagasse-bois, avec du bois importé du Brésil. Ce n’est pas une simple question d’arithmétique, mais une philosophie, une certaine vision des choses. Aujourd’hui, ce projet est en panne. Toutefois, Albioma a fait des propositions pour tenir ces coûts.
Par ailleurs, j’estime que la péréquation est menacée. La configuration du périmètre industriel d’EDF, avec le passage entre EDF SEI (systèmes énergétiques insulaires) et EDF PEI (production énergétique insulaire), et une évolution forte en faveur des contrats de gré à gré, me paraît dangereuse. C’est, selon moi, une astuce permettant d’éviter l’application de la loi au plan national, et d’échapper à la péréquation et à la solidarité nationale. Le rapport l’indique clairement, c’est déjà le cas pour l’est guyanais où – j’ai beaucoup de mal à le comprendre – on laisse de lourds investissements à la charge des petites communes. Les communes du littoral guyanais, quant à elles, bénéficient de la péréquation nationale, contrairement à l’Ouest guyanais et à l’arrière-pays amazonien. Il y a là, manifestement, un problème de répartition des charges et d’égalité entre citoyens français. Il faut avoir une ambition nationale, un impératif national à l’égard de l’Ouest guyanais et faire jouer pleinement la péréquation en faveur de l’arrière-pays.
J’en viens à l’extension territoriale de la péréquation. Le rapport ne fait pas état de ce problème, que le président Brottes connaît bien, et sur lequel on ne peut pas faire l’impasse. À Wallis-et-Futuna, les 12 000 Français les plus éloignés de la métropole paient l’électricité six fois plus cher que le coût national. L’argument opposé est que c’est leur statut…
Le général de Gaulle avait pris des engagements sur la gratuité de la santé devant le roi d’Uvea, le Lavelua. C’est un bon exemple de la diversité de la République. Il y a, à Wallis-et- Futuna, trois rois traditionnels dont les fonctions ont été reconnues par le statut de 1961. Aujourd’hui, la gratuité ne joue plus pour les prothèses dentaires ni pour les lunettes. Voilà pourquoi les gens les plus édentés de France vivent à Wallis et Futuna ! Et pourtant, c’est là que l’on trouve les plus grands patriotes, qui ont une tradition d’engagement dans le service national. On leur dit que les choses ont changé, que la santé gratuite, c’est terminé, et qu’en raison de leur statut, ils ne peuvent pas bénéficier de la péréquation nationale. Wallis-et-Futuna compte 12 000 habitants : ce n’est pas cela qui va ruiner la France ! Nous avons le devoir moral de tout faire pour que ces citoyens puissent bénéficier de la péréquation nationale. Faute de quoi, il conviendrait d’accorder une subvention à ce petit territoire, qui compte dix-neuf élus, afin de baisser le coût de l’électricité. Lorsque j’étais au Gouvernement, j’ai pris des mesures dans ce sens, mais elles sont insuffisantes. Il faut poursuivre ce travail.
En ce qui concerne le pilotage de la politique énergétique, je souscris pleinement à toutes les propositions qui ont été évoquées. Il convient de mieux intégrer, mieux contrôler, voire mieux maîtriser la stratégie décidée par EDF et EDF SEI. Aujourd’hui, EDF PEI procède à une contractualisation hors contrôle. J’avoue avoir du mal à comprendre, car nous avons tous assisté, impuissants, à l’intégration et à la filialisation d’EDF Energies Nouvelles de M. Mouratoglou. Sachez que la région Guadeloupe, que j’ai l’honneur de présider, a demandé une habilitation, en vertu de l’article 73 de la Constitution. Nous faisons ce que l’on appelle des lois et des décrets de région, publiés au Journal officiel de la République française. J’ai ainsi publié 29 lois d’origine régionale, qui ont contribué à baisser les prélèvements sur la CSPE. Dans le projet de loi sur la transition énergétique, un alinéa précise que, désormais, ces lois et ces décrets devront se faire à budget constant et que leur application ne devra être en aucun cas imputée sur la CSPE.
Je rappelle à nos collègues qu’une habilitation, c’est « tout bénéfice » pour l’État, qui cède une compétence sans donner aucune ressource. Or rien que pour la maîtrise de l’énergie et la réglementation thermique des constructions, que demandent toute la Caraïbe, la République d’Haïti, le Venezuela, nous avons adapté aux pays tropicaux une législation faite pour les pays tempérés et nous avons dépensé près de 5 millions d’euros. La Martinique a fait de même, en apportant des améliorations. Nous avons ainsi contribué à baisser les prélèvements sur la CSPE. Eh bien, aujourd’hui, on nous demande de nous débrouiller, mais à budget constant ! Il faudrait pour le moins faire l’inventaire et le bilan chiffré de ce que nous avons fait. C’est une atteinte manifeste portée aux habilitations. J’ai donc déposé un amendement visant à supprimer cette disposition. Car si elle devait être appliquée, ce serait un coup sévère porté à la décentralisation et à l’autonomie régionale.
Enfin, le schéma régional climat air énergie (SRCAE) n’est pas prescriptif, mais déclaratif. Il faut l’intégrer dans la PPE, je souscris totalement à cette proposition, mais aussi dans les schémas d’aménagement régionaux (SAR), qui sont, eux, prescriptifs et normatifs. Nous aurions alors quelque pouvoir de contrôle.
Auparavant, c’était EDF qui recevait les propositions, notamment en matière photovoltaïque. C’était EDF qui, seule, classait les projets par ordre d’arrivée et d’importance et qui décidait souverainement, pour ne pas dire en toute opacité, du choix des bénéficiaires. EDF avait alors deux filiales, Tenesol, devenue Sunzil, laquelle est également une filiale du groupe Total, et EDF Energies Nouvelles de M. Mouratoglou. Depuis, EDF a absorbé totalement, pour des sommes folles, EDF Energies Nouvelles. C’étaient presque uniquement les projets de ces deux sociétés, quelle que soit la date de dépôt, qui étaient priorisés. J’ai dû demander, dans le cadre des lois d’habilitation que, désormais, les projets soient déposés au niveau de la région et que le choix entre l’habilitation et le système traditionnel de décision relève d’une commission mixte. Il y a là un problème de gouvernance et de pilotage qu’il faut clarifier dans le projet de loi.
Enfin, j’aimerais savoir ce qu’il en est des tarifs d’électricité, s’agissant notamment des tarifs bleus, pour les personnes en situation de précarité énergétique. À ce titre, la loi Brottes est une avancée importante.
M. le président François Brottes. Me féliciter ne vous autorise pas à dépasser votre temps de parole… (Sourires.)
M. Victorin Lurel. Nous devons atteindre un certain degré d’autonomie d’ici à 2020 – 50 % pour les outre-mer en général, un peu moins pour Mayotte – et l’autonomie totale en 2050. Contrairement au Grenelle, le rapport ne contient pas d’objectifs chiffrés pour l’outre-mer, alors qu’ils y figurent pour l’Hexagone. Il y a donc des améliorations à apporter. Cela étant, c’est un excellent rapport. Je l’étudierai de manière plus approfondie et je déposerai éventuellement des amendements.
M. le président François Brottes. J’ai toujours eu quelques difficultés à canaliser le temps de parole de Victorin Lurel. J’avoue cette faiblesse ! Et j’ai un peu le même problème avec Dino Cinieri, à qui je vais donner la parole…
J’indique que, dans quelques minutes, nous devons commencer une table ronde avec des représentants de l’ensemble des collectivités territoriales de notre pays, et que je suis encore saisi de cinq demandes de prise de parole… J’appelle donc chacun à la concision.
M. Dino Cinieri. Chers collègues, je veux d’abord, à mon tour, vous féliciter pour la qualité de votre rapport et la clarté de votre présentation.
L’outre-mer a plus que jamais besoin de stabilité, de visibilité et surtout de la pérennité des dispositifs.
Vous l’avez dit, depuis plusieurs années, de nombreuses filières renouvelables sont à l’arrêt. Avec la loi Grenelle, la France s’est fixé un objectif ambitieux pour les collectivités d’outre-mer : l’autonomie énergétique par le biais de la maîtrise des consommations et du recours aux énergies renouvelables à hauteur de 50 % de l’approvisionnement énergétique à l’horizon 2020.
Effectivement, les freins au développement de ces filières dans les territoires ultramarins n’ont toujours pas été levés, en particulier l’arrêté technique qui interdit l’injection en puissance de plus de 30 % d’électricité variable sur les réseaux non interconnectés. Cet arrêté condamne la poursuite du développement des énergies renouvelables électriques variables et sans stockage.
Le projet de loi de Mme Royal est-il, selon les spécialistes que vous avez auditionnés, suffisant pour relancer ces filières, et en particulier le solaire photovoltaïque ?
En matière d’investissement, pensez-vous qu’il sera possible de redonner confiance aux contribuables, suite aux déceptions engendrées par le raté du dispositif de défiscalisation dit « Girardin industriel solaire » ?
Mme Delphine Batho. Je voudrais à mon tour féliciter les rapporteurs et souligner à quel point la transition énergétique dans les territoires d’outre-mer est un sujet crucial. Vous avez parfaitement expliqué l’urgence qu’il y avait à prendre cette situation à bras-le-corps et à y apporter des réponses.
Je voulais aussi souligner la chance que représente pour nous le développement des énergies renouvelables et du stockage. Je pense notamment à un certain nombre de produits made in France, qui seront ensuite exportables dans des territoires ayant les mêmes caractéristiques, notamment climatiques.
Dans ce rapport, nombre de remarques me paraissent très pertinentes. Elles rejoignent d’ailleurs les réflexions issues du salon Energ’îles, initiative appuyée par le réseau Pure Avenir. Les régions d’outre-mer, qui s’étaient réunies au moment du débat national sur la transition énergétique, y avaient alors remarquablement contribué. J’en vois le prolongement dans ce rapport, qui constitue une base solide pour faire des propositions.
Ensuite, les questions posées sur la gouvernance et sur l’articulation des décisions nationales avec des spécificités territoriales sont, en fin de compte, assez comparables aux questions posées par les régions, y compris en métropole, concernant la mise en œuvre et le pilotage de la transition énergétique. Cela étant, il faut apporter des réponses adaptées en termes de gouvernance.
Je voudrais poser plusieurs questions.
La première porte sur l’éolien. Votre rapport soulève le problème posé par la notion d’« espaces proches du rivage », inscrite dans la loi et dont la définition est assez floue. Il y a aussi la question de l’augmentation des tarifs de rachat de l’éolien. Quel diagnostic faites-vous puisque cela n’a pas conduit, plus d’un an après, au redémarrage de l’éolien dans les territoires d’outre-mer ?
Je n’ai pas lu le rapport en détail, mais, concernant la question du solaire thermique, des appels d’offres spécifiques aux territoires d’outre-mer avaient été évoqués, voire annoncés. Où en est-on ?
Enfin, je crois qu’il faut faire sauter la règle des 30 %, en tenant compte, bien sûr, des caractéristiques de chaque territoire. La problématique rejoint ce qu’a dit Victorin Lurel sur la question de la gouvernance, de l’influence et du pouvoir de décision, s’agissant notamment d’EDF. Il y a aussi des enjeux stratégiques concernant la géothermie profonde : je pense notamment à la centrale de Bouillante. Ericka Bareigts a indiqué tout à l’heure que la transition énergétique nécessitait un certain nombre d’investissements. Cela vaut à l’échelle nationale. On peut donc dire que les points communs sont notables. Mais on a outre-mer un concentré de la situation nationale, avec, de surcroît, la possibilité de faire des territoires d’expérimentation, dans la mesure où les énergies renouvelables peuvent y être plus compétitives que les énergies fossiles utilisées actuellement.
Mme Frédérique Massat. Je souhaiterais interroger les auteurs du rapport sur le Fonds d’amortissement des charges d’électrification. À ce titre, nous avons eu des soucis dans certaines zones de montagne, notamment lors de la transformation du FACÉ en compte d’affectation spéciale (CAS). Les élus semblent avoir un peu perdu la main sur la façon dont étaient affectées les sommes issues de ce fonds dont, je le rappelle, EDF est l’un des contributeurs.
Aujourd’hui, vous déplorez à juste titre l’évolution du rôle joué par ce fonds, qui avait été créé, à l’origine, pour favoriser l’électrification des zones peu denses et en difficulté. Il visait à l’extension du réseau, pas uniquement à sa réparation. Aujourd’hui, le FACÉ n’est pas remis en cause, mais sa gouvernance semble être à revoir, afin qu’il puisse jouer son véritable rôle, car il est inadmissible que les écarts ne soient pas intégrés dans le périmètre de la concession. Les populations d’un territoire doivent toutes avoir accès au réseau.
J’en viens aux schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables et aux schémas régionaux climat air énergie dont le caractère non prescriptif pose généralement problème. Je m’étonne qu’EDF, qui a contribué à leur élaboration, ne les prenne pas en compte, s’agissant notamment des schémas de raccordement au réseau. Les schémas déterminés par les élus ne servent donc à rien. Ils doivent être prescriptifs, sinon, il faut les supprimer !
Mme Brigitte Allain. Je voudrais d’abord remercier nos collègues pour ce rapport, que je n’ai malheureusement pas eu le temps d’examiner dans le détail.
J’ai assisté, la semaine dernière, à la réunion de la délégation aux outre-mer. Le rapport pointe le problème du fameux blocage des 30 %, que nous devons, selon moi, supprimer du texte de loi. Il pointe aussi les questions d’accompagnement de financement et de rééquilibrage qui, comme l’a dit Victorin Lurel, restent peut-être l’héritage d’un passé colonial dont nous devons sortir. Il faut arrêter ce gâchis écologique et économique pour permettre le développement territorial et la création d’emplois grâce à la capacité de ces territoires à produire leur propre énergie, en soutenant les acteurs et en encourageant la valorisation des ressources naturelles locales. Elles sont importantes dans la plupart de ces territoires : l’eau, la biomasse, le soleil, le vent. Ces ressources sont citées dans le rapport, ainsi que les spécificités de certains territoires, qui ont besoin d’être soutenus dans cette démarche pour aller vers une quasi autonomie de la production d’énergie.
Par ailleurs, la question de la gestion des déchets n’est pas traitée. Dans un grand nombre de territoires, le coût est important et le bilan carbone négatif. L’énergie est produite à partir d’énergies fossiles importées, d’où un coût énergétique important au niveau du transport, et les déchets sont traités loin des territoires où ils sont produits. Or nous savons aujourd’hui que ce coût économique et écologique pourrait, au contraire, devenir un produit pour peu que l’on valorise les déchets au niveau local. Il y a là un potentiel énergétique important, car le tri et le traitement des déchets permettraient de produire non seulement des composts, mais aussi des engrais, du gaz, donc de produire de l’électricité et d’utiliser la chaleur à bon escient. Allons-nous passer à côté de cette question qui me paraît essentielle, aujourd’hui, pour les territoires d’outre-mer ?
Mme Annick Le Loch. Je souhaite féliciter nos deux rapporteurs, et en particulier Ericka Bareigts, qui a présenté de façon très pédagogique les problématiques des outre-mer. Cela étant, elles sont les mêmes sur les îles plus proches de la métropole. Je pense à l’île de Sein, mais aussi à Ouessant et Molène, qui sont également des ZNI. Toutes les problématiques soulevées, à savoir les freins réglementaires, mais aussi les bilans carbone désastreux, la CSPE, élevée dans ces secteurs, sont les mêmes sur les îles finistériennes, mais aussi, je le répète, sur toutes celles qui sont proches de la métropole.
Nous allons, à partir des solutions proposées dans le rapport, pouvoir mener des expérimentations, pourquoi pas sur ces îles où, jusqu’à présent, les énergies renouvelables (ENR) n’ont absolument pas été développées.
Mme Ericka Bareigts, rapporteure. Madame Allain, nous abordons la valorisation des déchets à travers la question de la biomasse. Ensuite, il faudra apporter dans la loi des éléments plus importants.
Madame Batho, il y a, certes, des similitudes entre les régions de l’Hexagone et les ZNI. Mais la grande différence, c’est que nous sommes des ZNI, et cela change tout ! Il faut, garder cela en tête, car cela modifie totalement l’approche que l’on peut avoir.
Enfin, pour répondre à Victorin Lurel, la réglementation de droit commun sur les tarifs sociaux s’applique aujourd’hui dans les ZNI.
J’en viens à une question qui nous a beaucoup intéressés, celle de la gouvernance. Cela me permettra peut-être de répondre en même temps sur la question des SRCAE et du FACÉ. Nos propositions visent à intégrer les documents de politique régionale qui ne s’imposent aujourd’hui à personne. Le SRCAE est bien fait, avec beaucoup d’énergie et d’intelligence, dans les territoires, mais ce n’est pas lui qui détermine les investissements dans ces mêmes territoires. C’est donc un travail qui n’est pas inutile, mais qui ne brise pas le cercle vicieux dans lequel nous nous trouvons.
L’idée est d’intégrer ou de faire disparaître le SRCAE au profit d’une approche globale qui s’impose juridiquement, partagée entre l’état et la région, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Celle-ci deviendra ainsi l’outil de gouvernance politique, concernant l’opportunité des projets. Du coup, cela permettra à la CRE de se référer, dans son évaluation de celle-ci, à ce qui aura été arrêté dans le cadre de la PPE par l’état et la région. Une annexe ou un document budgétaire donneront, de surcroît, une meilleure visibilité sur les investissements à réaliser dans les cinq, dix ou quinze ans. Ce document s’imposera à la CRE, bien sûr, mais aussi à EDF SEI et à tous les opérateurs qui voudront, demain, proposer des projets dans le cadre des politiques publiques territoriales de transition énergétique.
J’insiste sur ce point, car il s’agit d’un outil qui changera le cours des choses à l’approche de la transition énergétique dans les territoires. Elle se fera avec l’État et les régions, et les documents s’imposeront à ceux qui, jusqu’à présent, n’étaient pas soumis à des règles – je pense, entre autres, à EDF.
M. Daniel Fasquelle, rapporteur. Les éoliennes ont fait l’objet de plusieurs questions.
L’impossibilité de construire des éoliennes dans des espaces proches du rivage est une notion imprécise et parfois difficile à appliquer localement. Cela étant, il y a déjà une jurisprudence relativement abondante. Supprimer cette réserve me semblerait extrêmement dangereux. Nous aurions alors un développement totalement incontrôlé des éoliennes tout au long du littoral et nous risquerions d’abîmer des paysages exceptionnels. Si la loi Brottes n’a pas permis le développement des éoliennes dans les territoires ultramarins, il y a beaucoup d’autres raisons pour maintenir cette limite des espaces proches du rivage. Je pense notamment au coût du raccordement, qui est un véritable obstacle.
J’en viens à la règle des 30 %. Il faut maintenir une limite, mais sans doute l’adapter aux territoires, dans les PPE territoriales. C’est l’une des propositions du rapport.
Il y a aussi l’accès à certaines aides ou à certaines subventions, qui est difficile dans les territoires ultramarins.
Enfin, il y a les appels d’offres, qui sont mal ficelés. Je vous donne un exemple. On sait qu’un appel d’offres a été lancé à La Réunion et que deux entreprises nationales ont été retenues, évinçant des acteurs locaux qui n’étaient peut-être pas, il est vrai, en capacité de se mettre sur les rangs. Le résultat est que deux entreprises ont été retenues, mais qu’elles n’ont pas encore déposé de projet concret. Il y a tout un travail à faire sur la façon dont sont élaborés et lancés les appels d’offres, afin de laisser une place aux acteurs locaux.
Je conclurai en indiquant qu’il y a onze propositions dans le rapport. C’est un nombre relativement élevé, et elles permettront, si elles sont transformées en amendements et adoptées, de faire évoluer les choses. Il faut adapter les dispositifs nationaux et laisser plus de liberté à ces territoires pour tenir compte de leurs réelles spécificités. C’est de cette façon que nous pourrons faire émerger un modèle original. Il ne faut pas chercher à dupliquer ou à adapter aux territoires ultramarins ce qui a été pensé pour la métropole. Il faut aussi qu’ils puissent porter leurs propres projets, leurs propres modèles, qu’ils pourront ensuite exporter. Le made in France, c’est peut-être aussi cela. Il y a là de véritables chances et des solutions à trouver pour nos concitoyens. Ce peut-être aussi une nouvelle filière à construire dans certains de ces territoires, et donc une source d’emplois, en plus de la nécessaire préservation de l’environnement.
M. le président François Brottes. Je remercie les deux rapporteurs et tous ceux qui ont collaboré à ce rapport.
J’ai compris, en les écoutant, que les membres de la commission des affaires économiques ne s’opposaient pas à la publication de cet excellent rapport (Assentiment.). Chers collègues, je vous remercie.
12. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Jean-Jack Queyranne, président de la commission « Développement durable, environnement » de l’Association des régions de France (ARF), Mme Frédérique Massat, députée, présidente de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM), M. Philippe Angotti, représentant de l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), M. Martial Saddier, député, représentant de l’Association des maires de France (AMF), M. Jean Révéreault, représentant de l’Association des communautés de France (AdCF), M. Bruno Sido, sénateur, secrétaire général de l’Assemblée des départements de France (ADF), Mme Hélène Geoffroy, députée, vice-présidente de la communauté urbaine du Grand Lyon, en charge de l’énergie, et M. Christophe Porquier, représentant de l’ARF.
(Séance du mercredi 17 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Cette table ronde s’annonce comme un grand moment, puisque j’ai souhaité que l’ensemble des organisations représentatives des collectivités locales de notre pays nous fassent part ensemble de leurs différents points de vue sur la transition énergétique. L’Association des maires des grandes villes de France n’ayant pas répondu à notre invitation, j’en déduis qu’ils n’ont rien à dire sur la transition énergétique...
M. Jean-Jack Queyranne, président de la commission « Développement durable, environnement » de l’Association des régions de France (ARF). Les régions se sont fortement impliquées dans les débats préparatoires au projet de loi sur la transition énergétique ; au total, ce sont plus de huit cent cinquante débats qui ont été organisés, mobilisant plus de cent soixante-dix mille personnes. Cela témoigne des attentes fortes et de la mobilisation citoyenne que suscite ce projet.
Les régions et les collectivités territoriales sont vouées à être les chevilles ouvrières de la transition énergétique. Il ne faut pas perdre de vue que, si quatre cents décrets d’application ont été nécessaires à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, au-delà de cette formidable machinerie administrative, l’essentiel reste ce qui s’accomplit sur le terrain.
J’en viens au fond du projet de loi. Nous en partageons évidemment les objectifs. Nous sommes favorables à l’idée qu’un article additionnel vienne compléter le titre II, consacré à la rénovation énergétique des bâtiments, pour préciser les objectifs à atteindre en matière de rénovation industrielle. Il s’agit d’un grand chantier pour lequel les régions seront très mobilisées, notamment sur le front de la formation, initiale et continue.
En ce qui concerne l’article 6, relatif au tiers financement, la récente conférence financière et bancaire consacrée au sujet n’a pas beaucoup fait avancer les choses. Or des régions comme l’Île-de-France ou la Picardie ont déjà mis sur pied des instruments de tiers financement, et il est essentiel que ces interventions puissent être consolidées. On évoque le monopole bancaire : il ne s’agit pourtant nullement de faire concurrence aux banques mais d’inscrire ces dispositifs dans la loi au titre du droit à l’expérimentation.
Il nous paraît également important d’inscrire dans la loi la mise en place d’un « carnet de vie » des logements. Il pourrait dans un premier temps s’appliquer aux logements neufs, dont toutes les données seraient collectées sur une carte à puce. Je ne doute pas que les services fiscaux de Bercy verraient d’un bon œil une telle initiative.
M. le président François Brottes. Reste à voir ce qu’en pensera la Commission nationale de l’informatique et des libertés…
M. Jean-Jack Queyranne. Nous souhaitons aussi que soit inscrite dans la loi la notion de service public régional de l’efficacité énergétique. En effet, depuis la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM », du 27 janvier 2014, les régions sont désormais chefs de file en matière de climat et d’énergie, et la réussite de la rénovation énergétique dépend en grande partie de la capacité qu’elles auront d’informer, de conseiller et d’accompagner les personnes qui entreprendront des travaux de rénovation dans leurs logements. Ce service public doit s’appuyer sur les quelque quatre cents plateformes déployées au niveau intercommunal par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), au travers des contrats de plan. Je vous renvoie ici à l’expérience menée par l’Agence nationale de l’habitat, particulièrement éclairante.
Enfin, les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) doivent être pris en compte dans les documents d’urbanisme afin d’éviter toute incompatibilité.
Pour ce qui concerne le titre III, il nous paraît important, en matière de transports propres, que les plans de déplacements urbains garantissent la compatibilité entre les outils de planification territoriale pour la qualité de l’air, évoqués à l’article 18, et les SRCAE.
L’économie circulaire, qui fait l’objet du titre IV, est un grand enjeu pour nos régions. Certaines d’entre elles sont d’ores et déjà mobilisées et très en avance – je pense à l’Aquitaine. Ce n’est certes pas à la loi de tout écrire, mais l’on peut regretter que le projet de loi ne traite que des déchets, car l’économie circulaire ne concerne pas que les déchets. Cela étant, les régions – à l’exception de l’Île-de-France où s’applique un régime particulier – jusqu’à présent en charge des seuls déchets dangereux, auront bientôt, aux termes de la future loi sur les compétences des collectivités territoriales, la responsabilité de l’ensemble des déchets.
En matière d’énergies renouvelables, nous pensons qu’il faut moduler les tarifs d’achat. Nous proposons pour cela d’établir ces tarifs en fonction de zones définies par leur degré d’ensoleillement : pour des questions de rentabilité, on ne peut en effet appliquer en Lorraine les mêmes tarifs de rachat du photovoltaïque qu’en région PACA. Nous proposons également d’octroyer un bonus de 10 % aux opérations publiques et un bonus de 20 % aux opérations citoyennes.
Je constate que le projet de loi a su s’inspirer de l’excellent rapport de Marie-Noëlle Battistel sur l’hydroélectricité et a en retenu la formule des barycentres. Je connais votre attachement, monsieur le président, au devenir de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), bel exemple de société d’économie mixte, et je ne doute pas que, malgré Bruxelles, le Conseil constitutionnel et tous les épouvantails que l’on agite pour ne pas avancer, votre agilité législative permettra de surmonter les obstacles en la matière.
J’insiste enfin sur la dimension citoyenne de la transition énergétique. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau modèle énergétique, voué à se substituer à l’ancien modèle centralisé. Notre politique énergétique a connu deux grandes époques, celles de l’hydroélectricité, dont le symbole pourrait être le barrage de Génissiat, premier barrage construit sur le Rhône à la Libération, et celle du nucléaire dont le développement s’est accéléré avec le premier choc pétrolier. Nous entrons aujourd’hui dans une ère où la production d’énergie sera de plus en plus décentralisée. Qu’il s’agisse de la méthanisation ou d’autres formes de projets territoriaux, le développement des énergies renouvelables implique une nouvelle organisation qui, tout en continuant de s’appuyer sur les grands réseaux nationaux et internationaux, fasse la part belle à la participation citoyenne.
M. Bruno Sido, secrétaire général de l’Assemblée des départements de France (ADF). Le projet de loi ne parle pas, ou peu, des départements. Est-ce à dire qu’ils ne constituent pas un échelon pertinent dans la mise en œuvre de la politique énergétique, ou leur disparition est-elle d’ores et déjà programmée ? Quoi qu’il en soit, cette loi s’inscrit dans la suite logique des lois « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 », dont j’ai été le rapporteur au Sénat. J’ajoute que, invité au titre de mes fonctions au sein de l’ADF, je m’exprimerai également en tant que président de l’Office parlementaire pour l’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
L’ADF regrette la décision du Gouvernement de recourir à la procédure accélérée. Elle déplore surtout, je l’ai dit, que le projet de loi anticipe clairement la disparition des départements. Elle s’étonne enfin d’un paradoxe majeur : alors que les objectifs fixés sont très ambitieux, ce qui nécessite de mobiliser tous les acteurs, le Gouvernement fait le choix de se passer du concours des conseils généraux, alors même qu’ils jouent un rôle très important dans la mise en place des plans climat-énergie territoriaux (PCET). Plus globalement, à l’exception des départements qui comptent une métropole, le conseil général reste un acteur incontournable pour relayer et renforcer l’impact des politiques nationales.
Les conseils généraux jouent un rôle majeur dans quatre domaines. L’action sociale, qui est leur cœur de métier, représente la moitié de leurs dépenses de fonctionnement. En matière de prévention de la précarité énergétique, ils gèrent les aides financières liées au Fonds de solidarité pour le logement, qui permettent de réduire la facture des ménages aux ressources modestes.
Les conseils généraux sont également nombreux à financer des espaces info-énergie pour la promotion des énergies renouvelables. Beaucoup gèrent aussi des aides à la pierre et interviennent donc dans le domaine du logement. C’est pourquoi l’ADF propose de retenir l’échelon départemental comme maillon d’information et de mutualisation des moyens entre tous les acteurs publics de la transition énergétique. Il s’agirait d’être en mesure d’accueillir le public mais surtout de le renseigner et de monter avec les demandeurs les dossiers d’aide, que les financements relèvent de l’État, de l’ADEME, des conseils régionaux ou des conseils généraux.
Plus largement, les conseils généraux disposent d’une vraie capacité d’ingénierie, qu’ils peuvent mettre au service des autres collectivités, comme les communes, qui en sont dépourvues et sont souvent démunies pour assurer les maîtrises d’ouvrage depuis le désengagement de l’État de ses missions d’assistance technique. L’appel à projet concernant les méthaniseurs prévu par le projet de loi pour le monde rural pourrait ainsi mobiliser les conseils généraux au côté des communes.
Les conseils généraux sont enfin impliqués dans les actions de rénovation thermique. En équipant de panneaux solaires ou de chaufferies bois leurs collèges, ils soutiennent le développement des énergies renouvelables et s’inscrivent dans le cadre de la politique voulue par le Gouvernement.
Si la construction de nouveaux bâtiments publics doit, comme le propose l’article 4, être l’occasion d’atteindre le label BEPOS – bâtiment à énergie positive –, la réglementation ne doit pas alourdir les charges des conseils généraux. Je pense notamment aux obligations thermiques auxquelles sont soumis les bâtiments tertiaires par la loi « Grenelle 2 » : les décrets d’application ne sont fort heureusement pas sortis, mais l’impact d’une telle mesure se chiffrerait, toutes collectivités confondues à plus de 50 milliards d’euros.
Les conseils généraux peuvent, cela étant, contribuer à renforcer l’impact de cette loi, pour peu que le Parlement veille à mieux intégrer cet échelon-clef parmi les acteurs publics concernés.
Je vous renverrai, en conclusion, à deux rapports d’information produits par l’OPECST. Le titre du premier, rédigé par le député Jean-Yves Le Déaut et le sénateur Marcel Deneux parle de lui-même : « Les freins réglementaires à l’innovation en matière d'économies d’énergie dans le bâtiment : le besoin d'une thérapie de choc ». Ses auteurs posent notamment la question du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).
Le second, que j’ai coécrit il y a quelques années avec les députés Christian Bataille et Claude Birraux, se penchait sur la transition énergétique et le temps nécessaire pour diminuer la part du nucléaire dans notre production d’électricité. Nos conclusions étaient qu’il était irréaliste de vouloir aller trop vite et que ramener la part du nucléaire à 50 % d’ici à 2025 était un objectif excessivement ambitieux. L’OPECST plaidait donc pour une trajectoire raisonnée, prévoyant d’atteindre cet objectif à la fin du siècle. Une telle diminution correspond en effet à une réduction de l’ordre de 20 à 25 gigawatts de notre production d’énergie nucléaire, soit l’équivalent d’un jour de consommation d’électricité par semaine !
Mme Hélène Geoffroy, vice-présidente de la communauté urbaine du Grand Lyon, en charge de l’énergie. Nous émettons également un avis plutôt positif sur ce texte de loi. J’insisterai en premier lieu sur la question de la gouvernance, sujet important pour les communautés urbaines, qui sont au cœur de tous les projets d’aménagement urbain, de transports, de réseaux de chaleur et de rénovation des bâtiments.
La réalisation de nos plans d’urbanisme implique l’élaboration de schémas directeurs pour l’énergie, puisque nous disposons désormais de cette compétence ; il est donc important que nos collectivités soient associées à l’élaboration des SRCAE. Le renforcement de la planification énergétique implique également une meilleure cohérence entre les plans locaux d’urbanisme (PLU), les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les programmes prévisionnels énergétiques. Cela signifie également – ce qui n’apparaît pas clairement dans le projet de loi – que les communautés urbaines, qui connaissent bien les programmes d’investissement, soient associées aux discussions entre l’État et les distributeurs sur la programmation pluriannuelle et qu’elles puissent avoir leur mot à dire sur les investissements et la fixation des tarifs.
Depuis la loi sur les métropoles, celles-ci ainsi que les communautés urbaines sont désormais autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE). Cette notion a pourtant disparu du projet de loi ; nous pensons utile de l’y réintroduire, dans la mesure où elle assoirait notre légitimité dans le domaine de l’énergie. J’ajoute qu’il y a débat sur la répartition des rôles entre syndicats et collectivités en matière de distribution d’électricité, et qu’il faut évidemment donner le temps à chacun de trouver sa place.
En second lieu, le projet de loi aborde peu la question de la distribution d’énergie. Nous insistons sur le nécessaire équilibre qui doit présider aux relations entre l’autorité concédante et le concessionnaire en matière de distribution d’électricité. Sans remettre en cause ni la position d’ERDF ni les mécanismes de péréquation qui assurent des tarifs équivalents sur l’ensemble du territoire, les communautés urbaines ont besoin de transparence et doivent avoir accès aux données leur permettant d’établir leurs schémas énergétiques.
Les tarifs d’achat de l’électricité renouvelable manquent de lisibilité, alors que tous les acteurs de terrain conviennent que cette lisibilité est essentielle pour permettre l’émergence de projets innovants et efficaces.
Par ailleurs nous souhaiterions savoir ce qu’il en est du fonds de garantie annoncé avant l’été ainsi que des prêts à taux faible pouvant être consentis aux investisseurs.
Enfin, nous restons attentifs à l’impact budgétaire de certaines mesures. Je pense notamment à la rénovation thermique des bâtiments. Conscients que les collectivités se doivent d’être exemplaires, nous approuvons sa prise en compte dans les PLU et les SCOT, mais la réalisation de bâtiments à énergie positive ne saurait se traduire par un report de charges sur les collectivités.
Nous saluons la création d’un comité de gestion de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), mais j’insiste une nouvelle fois sur les transferts de données entre opérateurs, autorités concédantes et collectivités, dont il est question à l’article 51. Les collectivités en ont besoin pour piloter leur politique énergétique et mieux planifier, par exemple, la gestion des chèques énergie, grâce à une meilleure connaissance des populations bénéficiaires.
L’article 5 instaure l’obligation d’améliorer significativement la performance énergétique chaque fois que des travaux importants sont réalisés. Il nous est annoncé un décret en Conseil d’État. Les collectivités souhaiteraient pouvoir être associées à son élaboration.
M. Jean Révéreault, représentant l’Association des communautés de France (AdCF). C’est une gageure que de tenter de dire en un temps aussi court tout ce que doit nous inspirer cette grande loi, a fortiori dans le contexte législatif mouvant et incertain des différents textes de lois, votés ou à venir, voués à redéfinir les différents niveaux de l’administration territoriale. Les communautés de France plaident quoi qu’il en soit pour un approfondissement de la décentralisation, qui donne corps aux évolutions récentes et à celles que portera la loi sur la nouvelle organisation des compétences.
Il y a dans ce projet de loi plusieurs points qui conviennent aux intercommunalités. Il est très important à nos yeux qu’il y ait une réelle articulation entre notre action et les SRCAE, via les plateformes locales.
Je m’émeus qu’en matière de financement, domaine le plus symbolique de l’émancipation des niveaux infra-étatiques, on en soit encore à opposer le monopole bancaire à des initiatives qui peuvent partir de la base. Il faut faire cesser cela, car le tiers financement est le plus bel outil qui existe pour attacher les citoyens à l’action locale et les mobiliser.
Nous avons relevé des incohérences dans le chaînage des documents de planification et de programmation, et l’AdCF pense que vos juristes doivent clairement faire apparaître l’articulation logique entre SRCAE, SCOT et PCET, sans qu’un niveau de collectivités soit sous la dépendance d’un autre, sans non plus céder à la tentation de la recentralisation, dont le projet de loi n’est pas tout à fait exempt – qu’en est-il par exemple du plan de protection de l’atmosphère ?
Président d’une communauté de communes, je suis également à la tête du Service public des déchets en Charente, syndicat mixte départemental qui gère collecte et traitement ; je me félicite donc que le titre IV du projet de loi soit consacré à l’économie circulaire. Il définit une politique nationale ambitieuse en matière de déchets, en proposant en particulier une véritable révolution des modes de traitement, qui vise à diminuer de 50 % le stockage des déchets. Il est essentiel que cette mutation se fasse dans le respect des collectivités. Le compte n’y est pas aujourd’hui et il est temps que la responsabilité élargie du producteur devienne une réalité. Sur les 8 milliards d’euros que coûte aux collectivités locales le traitement des ordures ménagères, 1,5 milliard sont supportés par les ménages alors qu’ils devraient être financés par l’écocontribution assumée par les producteurs. J’attire également votre attention sur la survie du service public des déchets, que vous serez amenés à examiner lors de l’examen du projet de loi de finances. La TVA sur la collecte des déchets ménagers est passée de 5,5 % à 7 %, puis à 10 %, ce qui est une aberration pour un service public de première nécessité, auquel les citoyens ne peuvent déroger. Il est tout aussi anormal d’ailleurs que cet effort leur soit demandé dans le cadre de l’économie circulaire, pour des déchets qui iront alimenter l’industrie pour la fabrication de produits recyclés.
La loi, en établissant une définition adaptée de la responsabilité élargie des producteurs et en veillant à établir une fiscalité appropriée, doit veiller à protéger l’équilibre budgétaire des collectivités. Par ailleurs, il faut rendre à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sa vertu pédagogique et son rôle originels : faire financer par les mauvais élèves de l’écologie des politiques vertueuses.
Il y a sans doute aussi à débattre de l’articulation entre collectivités.
Pour toutes les communautés de communes, il y a un besoin important d’aller en amont de la loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République, s’agissant de certaines compétences qui ne sont pas aujourd’hui clairement définies, ce qui complique la vie des élus dans l’exercice de leur mandat. Je ne parle pas seulement des effets de taille, mais également de la cohérence des politiques relatives à la transition énergétique.
Le temps me manque pour vous faire part de notre position sur la coordination des actions relevant de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations et plus globalement sur la politique de l’eau, notamment l’hydroélectricité.
Sur tous ces sujets, l’AdCF vous transmettra ses propositions avant la date limite de dépôt des amendements.
Mme Frédérique Massat, présidente de l’Association nationale des élus de montagne (ANEM). Notre association a pour spécificité de reposer sur un zonage géographique défini par la loi, la montagne, mais également de regrouper plusieurs niveaux de collectivités – douze régions, quarante-huit départements, 6 249 communes, 596 intercommunalités. À cet égard, permettez-moi de me réjouir de la présence à cette table de plusieurs élus de la montagne, qu’il s’agisse du président de la région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, de vous-même, monsieur le président Brottes, ou encore de Martial Saddier, élu de Haute-Savoie et ancien président de l’ANEM. Nous avons réussi à tisser notre toile à travers les associations et voyez quel impact que nous pouvons avoir !
La montagne est un gisement d’énergies renouvelables, même si elles ne sont pas toutes présentes dans les mêmes proportions. Ses territoires sont le château d’eau de la France, l’énergie solaire y est très développée, les ressources liées à la forêt dans de moindres proportions, tandis que l’éolien reste difficile à implanter.
L’énergie hydraulique étant la première des énergies renouvelables dans notre pays, les territoires de montagne revendiquent, à juste titre, me semble-t-il, qu’une participation financière vienne accompagner leurs apports. Ils préservent en effet le bon état des eaux, notamment les nappes phréatiques, et contribuent à l’entretien des barrages. La question se pose d’autant plus que les élus de la montagne ne s’interdisent d’envisager de nouvelles installations, notamment des retenues.
L’avenir de l’hydroélectricité – à cet égard, je salue le travail de Marie-Noëlle Battistel, qui est également une élue de montagne –, au-delà de sa part prépondérante dans le mix énergétique, peut aussi s’envisager à travers l’amélioration des équipements, le développement de nouvelles ressources, et la petite hydroélectricité, très présente dans les zones de montagne.
S’agissant du renouvellement des concessions hydro-électriques, l’association des élus de la montagne, comme beaucoup d’autres associations d’élus, tente d’adopter une position de consensus.
M. le président François Brottes. Comme sur la CNR !
Mme Frédérique Massat. Elle ne souhaite pas entrer pas dans le débat sur l’ouverture des concessions ou le recours aux sociétés d’économie mixte (SEM). Elle considère comme une excellente chose le regroupement par vallée de l’exploitation des concessions hydrauliques. Les élus de la montagne réclament toutefois fortement d’être associés à la rédaction éventuelle des cahiers des charges. Quel que soit le scénario retenu, ils demandent qu’il y ait un retour sur investissement au niveau local. Ils n’envisagent pas que l’exploitation des retenues, qui a un impact sur ces territoires, ne s’accompagne pas d’engagements à soutenir des projets de développement, à maintenir de l’emploi et à faire vivre les populations.
En matière de SEM, nous n’avons pas de religion mais, si cette solution l’emporte, nous souhaitons que tous les niveaux de collectivités puissent être associés, même si nous avons bien conscience que toutes les communes, en particulier les plus petites, n’auront pas la capacité de participer, compte tenu du niveau des investissements demandés.
S’agissant de la petite hydroélectricité, nous sommes confrontés au problème du classement des cours d’eau, qui fait l’objet d’un traitement différent selon les territoires. Lors de la discussion du projet de loi, nous défendrons des amendements visant à instaurer une obligation de révision périodique du classement des cours d’eau, notamment lors de la mise à jour du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux.
Concernant le titre II relatif à la rénovation des bâtiments, le texte prévoit essentiellement des mesures en matière d’isolation des immeubles, que nous partageons totalement, mais laisse ouverte la question des modalités du renouvellement du parc des appareils de chauffage domestique. Certaines zones du territoire étant soumises à des températures plus basses, en particulier les zones de montagne, nous considérons qu’il faudrait les faire bénéficier d’incitations particulières, à l’instar du bonus-malus de la loi Brottes. Je pense que des amendements seront déposés en ce sens pour assurer l’égalité entre tous les citoyens.
En matière de transports, nous regrettons que le projet de loi ne comporte aucune disposition favorisant le report modal de la route vers le rail, notamment pour les marchandises. C’est une dimension importante à prendre en compte dans une vision globale du changement climatique. Plusieurs articles auraient pu y être consacrés.
En matière de simplification des procédures, objet du titre VII, nous insistons sur la nécessité d’un apaisement, car la multiplication des recours contre-productifs gèle les projets liés aux énergies renouvelables.
M. le président François Brottes. Même pour les barrages ?
Mme Frédérique Massat. Pour tous les projets, monsieur le président !
En l’état actuel du texte, les tiers peuvent exercer un recours dans un délai d’un an dans le cadre de la procédure de délivrance d’une autorisation d’installation de production. Il nous paraîtrait souhaitable de reconsidérer ce délai pour l’aligner sur le délai de deux mois habituellement retenu pour les décisions administratives.
En matière d’appels d’offres, il est clair que certains ne sont pas adaptés aux territoires de montagne – inadéquation dont souffrent aussi les collectivités d’outre-mer, comme nous avons pu le voir. Il conviendrait dès lors d’assouplir certains critères selon une logique de zonage afin de permettre aux collectivités de montagne de mieux y répondre.
Nous défendrons également des amendements visant à assurer la présence d’un élu de la montagne au sein du comité de gestion de la contribution au service public de l'électricité. Il nous semble important de pouvoir nous aussi nous exprimer sur ces questions.
Par ailleurs, nous émettons des réserves sur l’application de l’obligation d’élaborer des PCAET aux EPCI de plus de 20 000 habitants. Les zones de montagne comptent de petites communes qui auront des difficultés à participer à la mise en place de ces dispositifs.
Je terminerai par les réseaux de distribution, que nous évoquions lors de notre débat sur l’outre-mer. Les mêmes problématiques s’appliquent aux territoires de montagne, où leur installation et leur entretien impliquent aussi des surcoûts. Il conviendrait d’établir un fléchage beaucoup plus pertinent des moyens du Fonds d’amortissement des charges d’électrification et de revoir sa gouvernance, dans la perspective d’un maintien de la péréquation tarifaire dont la disparition aurait de lourdes conséquences pour nos territoires.
M. le président François Brottes. Nous allons clore ce tour de table avec Martial Saddier, qui n’est pas là pour témoigner de la survivance du cumul des mandats dans notre pays (Sourires), mais pour exprimer la position de l’Association des maires de France.
M. Martial Saddier, représentant de l’Association des maires de France (AMF). Je me suis efforcé d’avoir des modèles dans toutes les familles politiques, et vous en faites partie, monsieur le président. (Sourires.)
Tout d’abord, je vous demande de bien vouloir excuser notre président, Jacques Pélissard, qui m’a demandé de le représenter pour vous transmettre les propositions et les remarques de l’AMF, dictées par les principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés : ancrage territorial des politiques énergétiques, subsidiarité et péréquation tarifaire nationale, recherche de leviers financiers et techniques pour accompagner et soutenir les actions des collectivités territoriales, expérimentation – à cet égard, nous nous félicitons que le texte ouvre son champ, comme la Constitution le lui permet.
Nous prenons acte de l’identification de la région en tant que force organisatrice globale, tout comme de la reconnaissance du rôle essentiel du bloc local dans la réalisation concrète de la transition énergétique.
Nous avons toutefois des inquiétudes au sujet du caractère inflationniste de certaines mesures dont la complexité pourrait aboutir à des superpositions, à l’extension du champ du recours contentieux et à une augmentation des coûts qui pèsent sur les collectivités territoriales.
Nous invitons, par ailleurs, députés et sénateurs à être attentifs à la responsabilité pénale des élus en matière de qualité de l’air. Il ne faudrait pas que l’État se défausse sur les maires ou les présidents d’intercommunalité en leur laissant assumer la charge de réaliser les objectifs.
Comme d’autres l’ont relevé avant moi, les moyens financiers suscitent également des inquiétudes. Le bouclage financier du projet de loi n’est pas assuré à l’heure où nous parlons, et nous redoutons les incidences que cela pourrait avoir sur le bloc local.
Nous nous préoccupons des effets directs ou indirects de certains dispositifs sur la vie des habitants et des habitantes des collectivités territoriales que nous représentons au même titre que les élus. Je pense notamment à l’interdiction faite aux véhicules les plus polluants de circuler, sachant que ceux qui les utilisent ne le font pas par plaisir mais parce qu’ils n’ont pas le choix. Je déplore l’absence totale de mesures d’accompagnement pour le renouvellement de ce parc comme pour le renouvellement des équipements de chauffage défectueux, qu’il s’agisse des cheminées ouvertes, des chaudières au fioul ou à gaz.
La présidente de l’ANEM a souligné l’absence de mesures consacrées au transport des marchandises, je n’y reviens pas.
Enfin, il me semble utile de rappeler que si tous les territoires sont favorables aux énergies renouvelables, toutes les énergies renouvelables ne sont pas forcément adaptées à tous les territoires. Ainsi, la géothermie profonde est peu compatible avec la présence de réserves importantes d’eau potable. Des précautions s’imposent selon les spécificités de chaque territoire.
J’en viens au détail du texte.
S’agissant de l’article 3, nous sommes défavorables à ce que la loi permette de passer outre les autorisations d’urbanisme délivrées par les collectivités territoriales, communes ou intercommunalités, si la compétence est déléguée.
Nous redoutons que les dispositions des articles 4 et 5, pour des raisons de forme, n’aboutissent par leur superposition à une complexification et à un alourdissement des coûts.
À l’article 9, l’objectif d’inscrire dans la loi une proportion obligatoire de véhicules propres dans les flottes des collectivités publiques est louable, mais il se heurte à plusieurs objections. Tout d’abord, nombre d’entre elles se sont déjà engagées dans le renouvellement de leur parc. Ensuite, il n’est pas sûr qu’il appartienne au législateur d’imposer un tel pourcentage. Enfin, d’un point de vue technique, certains véhicules n’ont pas d’équivalent parmi les véhicules propres.
Concernant la pollution de l’air, si nous prenons acte du retour dans la loi des plans de protection de l’atmosphère, qui avaient été supprimés, nous estimons qu’il y a lieu de clarifier les responsabilités pénales en la matière. L’article 18 appelle, quant à lui, des clarifications, compte tenu des risques de superposition de procédures administratives extrêmement lourdes.
S’agissant des déchets, la volonté d’inscrire dans la loi un pourcentage est une fois de plus louable. Je salue d’ailleurs l’honnêteté de Mme la ministre, qui a reconnu lors de son audition que les objectifs fixés par la loi étaient extrêmement ambitieux et ne seraient pas forcément atteints dans les délais. La vertu pédagogique risque de se heurter à la réalité des faits : financement et moyens posent problème et la filière industrielle pourrait elle-même ne pas être prête. Or, un écart avec les objectifs affichés est toujours délicat en termes de crédibilité. Nous craignons que les élus locaux en soient tenus responsables.
Une mesure en particulier nous inquiète très fortement : l’article 21 prévoit de donner aux éco-organismes la possibilité de sanctionner la gestion des déchets d’une collectivité, ce qui nous paraît tout simplement inacceptable du point de vue tant du bon fonctionnement de ce service que du respect de l’autonomie des collectivités territoriales.
S’agissant de la question cruciale du financement des énergies renouvelables, nous pensons, je le répète, que le texte n’est pas abouti mais nous faisons confiance à la représentation nationale pour apporter les compléments nécessaires.
Si, aux articles 26 et 27, nous saluons la possibilité offerte au bloc local de participer au capital des sociétés anonymes, nous souhaitons que le décret prévu ne réserve pas aux plus grandes des collectivités territoriales, c’est-à-dire aux régions, la possibilité de participer au capital des sociétés d’économie mixte.
M. le président François Brottes. Pas d’OPA hostile !
M. Martial Saddier. Nous rejoignons la présidente de l’ANEM pour dire qu’il est impératif que le bloc local soit représenté dans le comité de gestion de la CSPE.
Enfin, à l’article 56, nous souhaiterions que soit précisé que les actions menées par les EPCI peuvent donner lieu à la délivrance de certificats d’économie d’énergie, comme le prévoit la loi Grenelle.
M. le président François Brottes. Je précise, avant de donner la parole à mes collègues pour poser des questions, que si M. Queyranne n’a pas évoqué l’outre-mer, c’est que nous avons consacré une réunion ce matin même à la présentation du rapport d’information sur l’adaptation du droit de l’énergie aux outre-mer.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V du projet de loi. Concernant l’ouverture des possibilités données aux collectivités d’entrer au capital des sociétés anonymes de production d’énergies renouvelables, quel regard portent les collectivités que vous représentez ? Quelle gouvernance les collectivités sont-elles à même de mettre en œuvre pour soutenir les exploitations de production d’énergies renouvelables ? Quelle solution retenir entre partenariat actionnarial et financement participatif pour ces projets dont l’objectif premier est bien de susciter l’adhésion des citoyens ?
L’Association des régions de France préconise dans ses amendements que les collectivités puissent bénéficier automatiquement des tarifs d’achat proposés par voie d’appels d’offres. À quels freins sont liées les difficultés qu’elles rencontrent pour y répondre ?
Monsieur Queyranne, je connais votre attachement sans faille à la Compagnie nationale du Rhône, vous connaissez le mien pour la filière hydraulique française dans son ensemble. Que pensez-vous de la possibilité donnée aux collectivités d’être partenaires, aux côtés de l’État, des SEM ? À quel niveau minimum doit, selon vous, se situer la part publique pour être pertinente ? La prolongation des concessions fondées sur le calcul barycentrique vous semble-t-il préférable ?
S’agissant de la petite hydro-électricité, madame Massat, j’ai bien pris note de votre souhait d’une révision régulière du classement des cours d’eau. Je le partage totalement. Les différences entre départements sont parfois très fortes. Par exemple, dans les territoires dotés de schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), les cours d’eau ont pu être analysés beaucoup plus finement. Il faut étudier la possibilité de réviser ces classements au regard de l’évolution de la technique comme de la modification des milieux.
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Je regrette tout d’abord que le président de l’OPESCT ait choisi de n’évoquer que deux rapports, alors qu’il aurait pu citer le rapport sur la mobilité sobre dont je suis l’auteur, adopté, lui, à l’unanimité, à la différence de l’un des deux rapports qu’il a cités, plus tendancieux… (Sourires.)
S’agissant du service public de l’efficacité énergétique, il nous paraît important d’avancer. Les parlementaires, du fait de l’article 40 de la Constitution, n’ont pas la possibilité de déposer des amendements visant à créer des services publics. L’idée qui doit nous guider est-elle bien celle d’une coordination au niveau régional d’un service public se déclinant dans les territoires ?
Le projet de loi ne prévoit que la prise en compte des gisements d’énergies renouvelables. Ne pensez-vous qu’il devrait favoriser une articulation plus forte entre les schémas régionaux et la réalisation des programmations pluriannuelles de l’énergie ?
Etes-vous d’accord sur le fait qu’il devrait également favoriser la compatibilité entre schémas régionaux et PCAET, avec une déclinaison au plus près des territoires ?
Depuis l’ouverture des travaux de la commission spéciale, nous avons un débat sur la distribution d’électricité. Nous pensons qu’il pourrait être pertinent de revoir ses liens avec la production. Par ailleurs, nous estimons qu’il serait bon que les collectivités, en l’occurrence les AOD, soient parties prenantes du conseil d’administration d’ERDF et qu’un travail soit mené sur la coordination des investissements. Cela vous paraît-il pertinent ?
Enfin, dernière question : considérez-vous que l’article consacré aux données est suffisant ? Si non, quelles seraient vos préconisations pour aller plus loin, tout en préservant l’anonymat des personnes, cela va de soi ?
Je retiens la remarque très pertinente qui a été faite à propos du chèque énergie. Il serait en effet intéressant d’établir un lien avec l’accompagnement territorial des politiques de précarité, aspect qui n’est pas pris en compte dans le projet de loi.
Mme Sabine Buis, rapporteure sur les titres II et IV du projet de loi. Tout d’abord, je note que chacun parmi vous s’accorde à dire que, malgré les contraintes, les collectivités territoriales ont toute leur place dans le chantier énorme qu’est la transition énergétique. Cela mérite d’être souligné, me semble-t-il.
S’agissant de la rénovation des bâtiments, j’ai bien pris note de la proposition de M. Queyranne d’ajouter avant l’article 3 un article additionnel fixant des objectifs.
À propos des bâtiments publics, les élus que vous êtes ont posé la question de l’exemplarité des collectivités. Certes, elle se pose mais des contraintes financières s’imposent à nous, principe de réalité qu’il ne faut pas esquiver. Il est important de se dire qu’il existe un autre type d’exemplarité, celle de l’action publique, qui met en jeu sa crédibilité même, sujet sur lequel nous sommes attendus au plus haut point à l’heure actuelle. Au-delà du chantier de la rénovation énergétique, il y a cet autre chantier qu’il faut garder à l’esprit. Cela dit, maintenir l’objectif pour les bâtiments publics est important, même s’il représente des contraintes pour les collectivités.
À Martial Saddier, je répondrai que la loi ne propose nullement de passer outre les documents d’urbanisme. Bien au contraire, elle prévoit qu’ils apportent des précisions et portent des ambitions.
Autre question importante : celle des logements, qu’il s’agisse des copropriétés, des logements particuliers ou des logements isolés. Des pistes ont été avancées et j’aimerais que nous les explorions de manière plus approfondie : le carnet de vie, le tiers financement, l’apport du service public régional de l’efficacité énergétique. Pourriez-vous, monsieur Queyranne – puisque c’est principalement vous qui les avez évoquées –, nous expliquer en quoi elles pourraient nous permettre d’aller plus loin dans notre ambition et de mieux réaliser nos objectifs ?
Je terminerai par la notion d’économie circulaire, qu’il ne faut pas négliger. Pour beaucoup d’entre vous, se limiter à la gestion des déchets est trop restrictif, et je vous rejoins. Avez-vous à proposer une autre définition de l’économie circulaire que celle posée dans le projet de loi ? S’agissant des filières de responsabilité élargie du producteur, certains se sont posé la question de savoir s’il fallait les élargir. Je considère que si nous réussissons à imposer ce que chacun est en mesure de faire, ce serait déjà une bonne chose.
M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI du projet de loi. Monsieur Queyranne, vous évoquez la planification des déplacements urbains ; je propose pour ma part d’y ajouter un plan de mobilité rurale, qui viendrait compléter les SCOT : il s’agirait de coordonner l’ensemble des plans de déplacement – des entreprises, des établissements scolaires, de l’administration… – en prenant en considération tous les types de transports, y compris le covoiturage, le transport fluvial, etc. Ces plans seraient établis et gérés par l’intercommunalité quand elle coïncide avec le périmètre du SCOT, ou à défaut par le syndicat mixte de SCOT. La région, à son tour, coordonnerait l’ensemble de ces plans et construirait un plan de mobilité propre et durable.
Quant au parc de véhicules propres, la loi impose certes un minimum de 20 % pour les collectivités territoriales, mais sans fixer de calendrier : cela ne me paraît donc pas choquant.
Faut-il proposer la mise en place de plans de déplacement pour les agents des collectivités territoriales, comme ce sera le cas pour les entreprises ? C’est une question qui reste posée.
M. le président François Brottes. Je ne suis pas favorable à un droit de veto des régions sur les plans de déplacement. Nous en reparlerons.
M. Jean-Yves Le Déaut. Plusieurs rapports de l’OPECST ont été rendus pour préparer cette loi. L’une des personnes que nous avons auditionnées nous a déclaré : « Pouvons-nous nous contenter, dans un pays où il manque un million de logements et où il faudrait rénover 800 000 logements chaque année, de changements à la marge ? Il faut jeter des pavés dans la mare, et pour cela il faut une volonté politique forte, capable de mettre au pas une administration vivant de la complexification réglementaire. » Ce dangereux gauchiste, c’est Yves Farge, ancien directeur de la recherche et du développement du groupe Péchiney, ancien président du comité consultatif du Centre scientifique et technique du bâtiment, membre de l’Académie des technologies. Aujourd’hui, c’est la centralisation, et non la décentralisation, qui freine globalement la rénovation thermique du bâtiment.
L’idée d’un article additionnel qui fixe des objectifs me paraît judicieuse.
S’agissant du service public régional, il me semble que le niveau régional est le plus pertinent, la région jouant alors un rôle de coordination des différentes collectivités territoriales. Pour l’indispensable simplification des aides, comme pour la mise en place du « carnet de vie » des bâtiments, l’échelon régional n’est-il pas le plus pertinent ? Toute rénovation ne devrait-elle pas passer par un audit, et ne devrait-on pas disposer, comme en Allemagne ou en Suède, de conseillers à la rénovation, labellisés et coordonnés ?
Le droit à l’expérimentation me paraît crucial. Il a déjà beaucoup été question de tiers financement ; il existe, dans le code de la consommation, un prêt viager hypothécaire : ne pourrait-on pas l’élargir pour permettre des travaux de rénovation ?
Ne faudrait-il pas rendre obligatoire la prise en compte, dans les appels d’offres pour des équipements énergétiques, de la maintenance, et d’une façon générale du coût du projet tout au long de sa vie ? Aujourd’hui, on ne compte souvent que le coût de l’équipement à l’achat, mais cela peut finir par revenir très cher aux collectivités territoriales.
Enfin, l’idée de certificats d’économie d’énergie me paraît très judicieuse. Les collectivités territoriales ont un rôle très important à jouer dans ce domaine.
M. Jean-Louis Bricout. Élu d’un territoire rural, je vois beaucoup de marchands de sommeil qui profitent de la fragilité de nos concitoyens pour louer des logements qui sont de véritables passoires énergétiques. Aujourd’hui, un maire peut intervenir pour obliger les propriétaires à réaliser des travaux pour améliorer la sécurité ou la salubrité, mais pas pour améliorer la performance énergétique, même dans des cas extrêmes – je parle de logements classés G. Que pensez-vous de l’idée d’inscrire dans la loi la notion d’insécurité économique ? Que pensez-vous d’une obligation de travaux, pour que les familles sortent d’un tel niveau de précarité énergétique, et pour lutter contre ces bailleurs indélicats ?
Quant au chèque énergie, j’ai déposé un amendement qui propose de prendre en considération la situation géographique, mais aussi l’altitude, en se fondant sur la norme BBC (bâtiment basse consommation).
M. le président François Brottes. Eh oui, les besoins en énergie ne sont pas les mêmes selon l’endroit où l’on habite, je le confirme, et je vois que cette notion de bon sens est maintenant admise ! (Sourires.)
Mme Audrey Linkenheld. J’ai été rapporteure de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), et les débats que nous avons eu alors convergent très largement avec ceux que j’entends aujourd’hui. M. Philippe Bies, rapporteur pour avis, a les mêmes souvenirs que moi : nous avions parlé de hiérarchie des normes en matière de planification territoriale, des prescriptions environnementales ou écologiques que l’on pouvait inscrire dans le règlement d’un PLU – une première avancée importante a été réalisée par la loi ALUR –, des sociétés de tiers financement, et surtout d’habitat indigne et de copropriétés dégradées.
Je pourrais en particulier rappeler que j’avais vainement plaidé, auprès de la précédente ministre du logement, pour l’actualisation du décret de 2002 qui définit ce qu’est un logement décent, et en particulier pour l’intégration de la performance énergétique des logements dans ce décret. Nous avions d’ailleurs, en désespoir de cause, obtenu la remise d’un rapport au Parlement sur ce sujet ; il devrait nous être remis très prochainement, me semble-t-il, et il pourrait utilement éclairer nos débats d’aujourd’hui.
M. Jean Launay. Le Gouvernement envisage la prolongation des concessions hydroélectriques de la Dordogne et du Rhône. En revanche, il est question de soumettre à la concurrence la production d’hydroélectricité dans la vallée du Lot et de la Truyère. Or il faut rappeler qu’une convention plutôt innovante de soutien des étiages a été passée pour cette vallée avec EDF, dès 1989, et qu’elle doit durer jusqu’à la fin des concessions : l’importance de ce soutien pour la qualité des eaux, le tourisme, l’agriculture… est prouvée. Quel est l’avis de l’ANEM sur la prolongation des concessions avec EDF ? Quelle est votre position à propos de la redevance sur le chiffre d’affaires de la production électrique et de sa répartition ?
M. Jean-Jack Queyranne. Madame Battistel, l’administration s’est toujours montrée très réservée à l’idée d’autoriser les collectivités territoriales à entrer dans des sociétés anonymes, et aujourd’hui, ce n’est possible que de façon très limitée. Le projet de loi constitue donc une avancée, qui est due à la réussite de projets européens. Nous allons vers une gestion de l’énergie de plus en plus décentralisée : il est donc logique que les collectivités territoriales interviennent. S’agissant de la gouvernance, nous ne sommes pas dans le cas d’une société d’économie mixte, la collectivité locale sera donc minoritaire, et elle ne détiendra donc pas la présidence.
Nous proposons un bonus de 10 % sur les tarifs d’achat quand c’est la collectivité publique qui mène le projet – souvent, ce sont des projets plus difficiles – et de 20 % quand il y a une participation citoyenne. Il faut vérifier si cela est possible juridiquement.
En matière de concessions hydroélectriques, l’idée de remettre en jeu les concessions pour une vallée tout entière, et non plus ouvrage par ouvrage, tout en associant toutes les collectivités territoriales qui le souhaitent, me paraît une grande avancée : aménager une vallée, ce n’est pas seulement produire de l’électricité, c’est aussi aménager tout un territoire.
La Compagnie nationale du Rhône est une création législative qui a très bien réussi. Sa mission n’est pas terminée. La méthode du barycentre est l’une des formules envisagées, et elle permet de justifier la prolongation des concessions d’une quinzaine d’années.
Monsieur Baupin, invoquer un risque au titre de l’article 40 pour s’opposer à la création d’un service public régional de l’efficacité énergétique me paraît exagéré.
Mme Barbara Pompili. C’est pourtant à prévoir !
M. Jean-Jack Queyranne. Il s’agit ici d’établir un service public local.
M. le président François Brottes. L’article 40 concerne toutes les dépenses publiques.
M. Jean-Jack Queyranne. Il me semble qu’il est invoqué pour les seules dépenses de l’État ; sinon, nous ne pourrions plus rien faire !
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII du projet de loi. Nous sommes bien d’accord, mais…
M. Jean-Jack Queyranne. Si c’est le cas, alors l’article 40 devient une façon commode de déposséder le Parlement de ses pouvoirs.
Ce service public est en tout cas un sujet très important ; il se développe notamment à travers les plateformes de la rénovation énergétique, dont nous pensons qu’elles sont très efficaces pour mobiliser les propriétaires mais aussi tout le tissu économique. Ces plateformes doivent se déployer notamment au niveau des intercommunalités, comme le soulignait M. Révéreault : c’est là que la partie se gagnera.
Monsieur Plisson, aujourd’hui, les régions établissent des schémas régionaux des services de transport ; ces schémas n’ont pas vocation à s’arrêter aux limites des villes, ils doivent concerner les territoires ruraux. J’espère que le législateur confiera un jour aux régions les transports qui relèvent aujourd’hui des départements, mais c’est un autre débat.
M. Christophe Porquier, représentant l’ARF. J’ajoute qu’il ne faut pas imaginer le service public régional de l’efficacité énergétique comme une nouvelle administration, avec de nouveaux fonctionnaires et de nouvelles charges ; ce que nous voulons, c’est construire un instrument de coordination des politiques publiques. L’essentiel de la rénovation de logements sera fait au niveau des communautés de communes, mais il faudra établir un plan de formation des artisans, il faudra échanger avec les organisations professionnelles et les chambres de métiers... Pour aider à l’industrialisation des pratiques, pour mettre en œuvre un plan de formation, pour établir une cohérence entre les différentes pratiques locales, c’est bien l’échelon régional qui est pertinent.
Les besoins sont importants, et des outils comme le carnet de vie des bâtiments ou le tiers financement peuvent permettre d’y répondre. Un propriétaire qui s’est déjà endetté autant qu’il le pouvait pour acheter son logement ne pourra plus emprunter auprès des banques pour réaliser des travaux d’amélioration énergétique ; il est donc condamné à continuer de payer du gaz, du fioul ou de l’électricité, et il contribue à la dette énergétique de notre pays – qui est au total, je le rappelle, de 70 milliards d’euros. Aidons-le par un système de tiers financement à réaliser des travaux : cet argent sera utilement employé.
Enfin, monsieur Baupin, je crois que la question des énergies renouvelables doit également aussi être traitée à l’échelon de la région. Les objectifs nationaux, la programmation nationale que vous évoquez ne sont pas suffisants, notamment pour la biomasse, le bois et la méthanisation. L’adéquation entre les projets et la ressource ne peut pas être programmée au niveau national : là encore, c’est l’échelon régional qui est pertinent. Les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) sont très importants.
M. le président François Brottes. J’estime pour ma part qu’il faut une cohérence nationale : sur la biomasse, par exemple, il faut à la fois une approche régionale et une régulation nationale.
Mme Hélène Geoffroy. S’agissant de la participation au capital de sociétés anonymes, nous y sommes plutôt favorables. Jean-Jack Queyranne a répondu sur l’article 26 du projet de loi. L’article 27 permet aux sociétés de production d’énergie renouvelable d’ouvrir leur capital aux collectivités et aux citoyens ; nous souhaiterions que cette possibilité soit ouverte à tous.
S’agissant des différents schémas et plans, qui doivent être cohérents, nous préférons l’instauration d’une collaboration entre les différents collectivités à l’établissement d’une hiérarchie. Les communautés urbaines interviennent fortement en matière d’urbanisme et d’énergie, et nous souhaitons donc être bien présents sur ces questions : la question de la gouvernance nous apparaît donc essentielle.
S’agissant de la question des données, nous voulons insister sur la transparence des relations entre concessionnaire et concédant, qui passe par la communication des données. Le projet de loi renvoie aujourd’hui à un décret : nous souhaitons être associés à l’élaboration de celui-ci, et à tout le moins qu’il précise que la communication des données se fait gratuitement, et à une échelle qui permette un pilotage suffisamment fin pour atteindre nos buts en matière de maîtrise de la demande et d’efficacité énergétique.
Nous souhaiterions également que l’article 51 mentionne les autorités concédantes.
M. Jean Révéreault. Les propos très justes de M. Plisson sur les transports s’appliquent aussi parfaitement à la question de l’énergie.
Les intercommunalités jouent un rôle important en matière de transport, d’urbanisme, de développement économique, d’énergie : il serait judicieux que la loi leur donne compétence pour organiser la distribution – c’est la bonne échelle. Notre organisation est centenaire : l’AdCF souhaite qu’elle évolue. Évidemment, le débat serait animé.
M. le président François Brottes. Mais, dans ce cas, comment serait gérée la péréquation ?
M. Jean Révéreault. On pourrait tout à fait gérer autrement la péréquation. Pourquoi s’interdire de réformer ?
M. le président François Brottes. S’il n’y a plus de péréquation nationale, il n’y a plus de tarif unique de l’électricité non plus !
M. Jean Révéreault. Je ne peux pas répondre à de telles questions en une minute ou deux ! Je dis qu’il faut oser bousculer nos habitudes, même si je peux comprendre vos réticences.
M. le président François Brottes. Vous êtes là pour ouvrir le débat, mais je souligne que c’est là un très vaste sujet. On ne peut pas lancer de telles provocations sans mesurer tous les effets qu’aurait une telle mesure !
Vous pouvez nous soumettre des propositions. Le débat aura lieu en séance.
M. Jean Révéreault. Il est temps de donner plus de force à l’action intercommunale, et le statut d’autorité organisatrice de la distribution d’énergie le permettrait. Bien sûr, il y a aurait des conséquences.
M. Martial Saddier. Madame Battistel, l’AMF est pour sa part extrêmement favorable à la participation des collectivités territoriales aux sociétés anonymes ; nous étions même favorables à la première version du texte, qui prévoyait une obligation.
Monsieur Baupin, nous sommes également favorables à la compatibilité des plans et des schémas – encore faut-il que la procédure prévoit que tous les acteurs soient bien associés à leur élaboration.
Madame Buis, sur les dérogations aux documents d’urbanisme, vous avez compris que c’est le renvoi à un décret en Conseil d’État qui nous inquiète : nous comptons sur vous pour essayer d’obtenir les grandes lignes de ce décret.
Monsieur Plisson, la ruralité ne doit évidemment pas être exclue des plans de mobilité. Mais nous nous inquiétons de la multiplication et de la superposition des plans et des schémas, pour des raisons de coût, de complexité administrative, de risques contentieux...
Mais cohérence ne veut pas dire tutelle d’une collectivité sur l’autre.
M. le président François Brottes. M. Sido a dû partir et vous prie de l’en excuser. Il me charge aussi de vous dire qu’il partage mon point de vue sur la péréquation.
Mme Frédérique Massat. Je partage moi aussi vos exigences en matière de péréquation.
Monsieur Launay, l’ANEM soutient la prolongation de la concession hydroélectrique de la vallée du Lot et de la Truyère : des investissements importants doivent être réalisés maintenant, et les enjeux sont importants.
Madame Battistel, je suis heureuse que vous partagiez notre point de vue sur la révision périodique du classement des cours d’eau. Il serait sans doute bon de l’inscrire dans la loi.
Monsieur Bricout, la modulation du chèque énergie que vous proposez paraît en effet judicieuse.
M. le président François Brottes. Merci de vos réponses claires et lapidaires.
13. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de M. Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail (CGT) et M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports de la CGT, M. Dominique Olivier, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), accompagné de M. François Delatronchette, et M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral de Force ouvrière (FO)
(Séance du mercredi 17 septembre 2014)
Mme Béatrice Santais, présidente. Notre commission spéciale reçoit aujourd’hui des représentants des syndicats, qui vont exposer tour à tour leur position sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.
M. Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Bien que la CFDT approuve les grands objectifs définis dans le projet de loi relatif à la transition énergétique, je voudrais formuler quelques réserves et remarques.
Il nous semble que la recherche d’un « prix compétitif de l’énergie » va à l’encontre de la philosophie du signal-prix, qui tend à dissuader la consommation. Si le projet de loi pose en principe l’économie circulaire, cette référence au prix compétitif est dénuée de sens, puisque le but est précisément de se passer du recours à l’énergie.
Par ailleurs, plutôt qu’un « accès de tous à l’énergie », il vaudrait mieux évoquer un « accès aux services requérant de l’énergie ». Il ne faut pas se borner à viser l’optimisation des ressources et de l’énergie, mais englober cet objectif dans une approche plus large incluant le transport et la mobilité durable, notamment pour définir les territoires à énergie positive.
La CFDT approuve et soutient les objectifs ambitieux du projet de loi, notamment la division par quatre des gaz à effet de serre d’ici à 2050, ainsi que la division par deux des consommations finales d’énergie. Mais il manque, à ses yeux, un objectif intermédiaire de réduction de la consommation pour 2030. Nous souhaiterions également que la loi précise que la sobriété passe avant l’efficacité énergétique, alors que le projet de loi prend le chemin inverse. Enfin, la question des informations stratégiques à protéger dans le champ de l’énergie et de la mobilité n’est pas traitée. Certaines sociétés pourraient faire main basse sur des informations commerciales ou des données de géolocalisation, et il ne faudrait pas que, demain, le consommateur soit contraint de passer par elles, comme il est aujourd’hui obligé de passer par Booking.com pour réserver une chambre d’hôtel. C’est la puissance publique – par le biais d’une agence, par exemple – qui doit garder la mainmise sur ces données : ceux qui en ont besoin y auront accès, mais elles ne seront pas monnayées.
En matière de rénovation thermique, nous sommes plutôt favorables aux mesures envisagées, notamment celles qui visent à lever les freins en matière de règles d’urbanisme pour des obligations de travaux motivées et limitées. Il manque toutefois un cadrage des guichets uniques pour les candidats à la rénovation thermique des bâtiments. Nous avons aujourd’hui des espaces Info-énergie et des structures décentralisées de l’ADEME : que vont-ils devenir ?
Le tiers financement doit également être facilité, afin que les collectivités territoriales puissent nouer des partenariats avec les établissements bancaires. Cela exigerait une dérogation, limitée et ponctuelle, au code monétaire et financier.
En ce qui concerne le transport et la mobilité durable, nous critiquons la priorité donnée aux véhicules électriques et hybrides rechargeables, dont l’usage ne devrait pas être généralisé. Le chiffrage des bornes de recharge est au demeurant fantaisiste, car elles coûteront sans doute plus cher. Il faut d’ailleurs préciser ce que sont des véhicules propres. Nous donnons la priorité à la motorisation au gaz renouvelable, issu de la biomasse, qui permettrait d’éviter l’usage de gasoil très polluant et émetteur de particules fines. Certaines innovations, comme l’Hybrid Air de Peugeot, sont déjà assez performantes.
Les transports par câble, tel le téléphérique urbain, sont quasi inexistants en France. Ils représentent pourtant un fort potentiel : quatre-vingts pays en sont déjà équipés.
Quant au soutien aux énergies renouvelables (EnR), la modulation du tarif d’achat en fonction d’un prix de marché et d’un complément de rémunération est une formule qui nous convient. Mieux vaut en effet encourager l’investissement que la rente, car un tarif d’achat garanti n’est rien d’autre qu’une rente sur vingt ans.
Nous estimons que les citoyens et les collectifs citoyens doivent pouvoir participer à des sociétés de projet d’EnR, sans que cela soit une simple option.
Au sujet des concessions hydrauliques, il faut éviter la politique de l’autruche et répondre aux exigences de l’Union européenne. Le système proposé présente cependant des faiblesses. Certes, il sécurise l’emploi et le statut des salariés des ouvrages. Mais le sort des services généraux resterait incertain, car ils ne seraient pas intégrés aux sociétés d’économie mixte (SEM), mais ne pourraient travailler pour l’opérateur historique. Enfin, le système intégré de l’hydroélectricité serait affaibli, puisque la production et le réseau seraient nettement séparés. Mieux vaut ouvrir une large concertation et surseoir à ce qui est envisagé.
Au-delà des chiffres invoqués comme des totems, la CFDT défend une réduction de la part d’électricité provenant du nucléaire, mais elle la chiffre à 60 % en 2030. Bien sûr, certaines centrales devront fermer, mais il convient de réfléchir à la manière de s’y préparer. En l’état, le dialogue social ne permet pas de répondre aux questions posées. La transition professionnelle doit être envisagée. Les personnels non statutaires, sous-traitants et prestataires, sont les plus menacés. Les offres de mobilité peuvent apporter des solutions aux personnels statutaires, mais elles peuvent aussi entraîner des problèmes humains et familiaux.
Parmi les points que le projet de loi ne fait qu’effleurer, je citerai l’information des populations. Il ne définit pas les conditions d’une prolongation au-delà de quarante ans de la durée de vie d’une centrale : doit-elle faire l’objet d’une simple information des populations ou d’une concertation enrichie ? Comme la convention d’Aarhus doit-elle s’appliquer en pareil cas ? Loin des préoccupations idéologiques, il faut mener un débat de qualité avec nos concitoyens, pour faire reculer les refus de principe au profit d’une approche plus pragmatique.
Au sujet de la gouvernance, nous approuvons particulièrement la définition d’une stratégie bas carbone avec des budgets carbone sectoriels, de même que la programmation pluriannuelle de l’énergie. Tout cela doit être mis en cohérence avec la déclinaison territoriale prévue dans les schémas régionaux climat, air, énergie (SRCAE). Le volet de l’emploi, des compétences et de la transition professionnelle fait cependant défaut à tous ces instruments de planification. Nous ferons dès demain des propositions écrites à ce sujet.
D’autre part, si le secteur des transports se voit allouer un budget carbone en baisse, comment cette évolution sera-t-elle accompagnée sur le plan social ? La grande distribution est ciblée, alors que d’autres secteurs – auxquels chacun pense – ne le sont pas, tel celui des transports.
M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral de Force ouvrière (FO). Le projet de loi sur la transition énergétique, fût-il rebaptisé « pour la croissance verte », reprend plusieurs points qui n’avaient pas fait consensus lors du débat national sur la transition énergétique : la réduction de 50 % de la consommation d’énergie en 2050 et la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2025. Force ouvrière réaffirme son opposition à ces deux points.
Pour FO, il est indispensable, en matière d’énergie, de partir d’abord des besoins des citoyens et de se situer dans une volonté de développement économique, et notamment industriel, de notre pays. L’objectif de réduction de 50 % de consommation d’énergie, que nombre d’experts estiment d’ailleurs irréalisable, va à l’encontre de ces objectifs et suppose à nos yeux un abandon de toute ambition industrielle et une logique de décroissance.
FO soutient la poursuite des efforts en matière d’efficacité énergétique dès lors qu’elle est fondée sur des incitations. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes opposés aux obligations de travaux prévues par ce texte, qui sont à nos yeux contre-productives. En outre, l’importance des moyens financiers qui doivent être mobilisés dans un contexte de réduction budgétaire, ajouté au fait que le texte n’institue aucune garantie de performance des travaux – elle est pourtant à nos yeux une des conditions de la réussite –, nous fait sérieusement douter de la réalisation des objectifs ambitieux prévus par ce texte.
S’agissant des mix énergétique et électrique, FO rappelle que, pour elle, le mix énergétique optimal doit articuler des impératifs de coût pour les ménages et les entreprises, la sécurité d’approvisionnement pour notre pays, la sûreté des installations – aspect qui, pour le nucléaire, est assuré par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) –, ainsi que la maîtrise des émissions directes ou indirectes de dioxyde de carbone, du nombre des emplois et du niveau des garanties collectives.
FO constate que le projet de loi cible particulièrement l’électricité d’origine nucléaire et laisse très largement de côté le pétrole et le gaz. De ce point de vue, il s’agit plus d’une loi sur l’électricité que d’une loi sur l’énergie. Elle apparaît, en bien des points, calquée sur la politique énergétique menée outre-Rhin, dont l’échec est pourtant aujourd’hui patent.
C’est pourquoi Force ouvrière tient à souligner l’aspect idéologique de ces dispositions, d’autant plus incompréhensibles qu’elles frappent un secteur industriel dans lequel la France est le leader mondial et qui emploie 220 000 salariés. Pour FO, le nucléaire est une industrie d’avenir.
En outre, plusieurs dispositions concernant le nucléaire paraissent inconstitutionnelles : celles plafonnant la part du nucléaire dans le mix électrique ou celles imposant à la seule EDF l’élaboration d’un plan stratégique soumis au contrôle du gouvernement. Il est d’ailleurs singulier de constater que les contraintes ne pèsent que sur l’opérateur énergétique public, mais que les entreprises privées en sont totalement exclues. Nous sommes donc opposés à ces dispositions, et nous en demandons le retrait.
FO s’étonne également que la représentation nationale soit amenée à se prononcer sans que les aspects financiers du texte ne soient documentés. Il n’y a en particulier aucune indication sur l’impact que l’augmentation de la part des énergies renouvelables prônée par ce texte aurait sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) que payent les usagers, pas plus que sur le coût complet des énergies intermittentes, notamment les coûts de réseau. Il n’y a pas non plus d’indications sur l’indemnité, dont le principe est reconnu dans l’étude d’impact, qui devrait être versée à EDF si le texte devait être promulgué en l’état s’agissant du plafonnement du nucléaire.
En réalité, le projet de loi occulte l’échec des politiques de déréglementation et de concurrence mises en œuvre au plan européen sur l’électricité et sur le gaz, avec l’appui des gouvernements français successifs. Il va même plus loin, puisqu’il prévoit des dispositions organisant la mise en concurrence des concessions hydro-électriques. Pourtant, la récente directive européenne sur les concessions permet de maintenir des droits exclusifs au profit des services d’intérêt économique général. Or, en raison du rôle qu’elle joue en matière d’équilibrage des réseaux, l’hydraulique permet de fonder de tels droits exclusifs. Nous demandons donc le retrait des articles sur l’hydraulique : le Gouvernement a ici l’occasion de faire preuve de volontarisme en tournant enfin le dos aux déréglementations.
Quant au volet social du texte, force est de constater qu’il est quasi inexistant. La communication ministérielle affirme que l’efficacité énergétique devrait créer plusieurs milliers d’emplois. Mais ces emplois, dont le nombre dépendra de conditions que nous avons déjà précisées, sont pour nous indépendants du mix énergétique ou électrique choisi.
S’agissant des emplois dans l’électricité, nous tenons à souligner que notre Confédération n’oppose pas les énergies les unes aux autres, encore moins les salariés qui y travaillent. Nous défendons avec la même détermination les salariés de Photowatt, de Total, de GDF Suez, d’Areva, d’EDF et tous ceux qui vont travailler dans la filière de l’efficacité énergétique. Il n’en est pas moins vrai que les salariés du nucléaire se sentent aujourd’hui injustement mis en cause. Pourtant, le Comité stratégique de filière nucléaire prévoit que, d’ici à 2020, 100 000 postes devront faire l’objet de remplacements. Que deviennent ces prévisions avec ce projet de loi ? Aucune indication n’est donnée.
La question de l’emploi se double d’une question de plus en plus prégnante sur les garanties collectives des salariés du secteur, en particulier ceux qui sont soumis au statut du personnel des industries électriques et gazières. En effet, au mépris des textes existants, les exploitants d’éoliennes de plus de 8 mégawatts n’appliquent pas le statut : ils créent des sociétés de projet et sous-traitent l’ensemble de leurs activités. C’est là une fraude à la loi et un dumping social d’autant plus intolérable dans un contexte où l’on souhaite développer les EnR. Le périmètre du statut résultant de la loi et du décret, nous demandons que l’État en garantisse effectivement l’application.
C’est d’autant plus indispensable que l’un des opérateurs historiques, GDF Suez, cherche aussi à se débarrasser des personnels bénéficiant du statut de la maison-mère. Plusieurs parlementaires de la majorité et de l’opposition ont d’ailleurs saisi la ministre de cette question, et nous sommes dans l’attente de sa réponse. Pour éviter toute interprétation, nous demandons donc une modification de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, qui, en 2010, a réécrit le périmètre du statut.
Enfin, nous approuvons la création d’un chèque énergie pour les usagers modestes, quel que soit le mode de chauffage choisi, mais nous n’avons cependant pas bien compris le mode de financement de cet outil.
Présidence de M. François Brottes, président de la commission spéciale.
M. Alexandre Grillat, secrétaire national de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Comme vous le savez, la CFE-CGC s’est pleinement investie dans les débats depuis deux ans. Elle est donc, dans la branche des industries électrique et gazière, satisfaite de pouvoir vous livrer son point de vue sur le projet de loi relatif à la transition énergétique.
Nous partageons deux grands objectifs de cette loi : la lutte contre le réchauffement climatique et le combat pour la croissance et l’emploi. Ces deux piliers sont indispensables pour préserver le modèle social européen et offrir un avenir acceptable aux générations futures.
Les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montrent qu’il est urgent de développer une véritable stratégie mondiale bas carbone. Cette loi doit donc permettre d’inscrire pleinement la France dans un leadership mondial positif. Car nous sommes convaincus que la lutte contre les conséquences du réchauffement climatique et la croissance ne sont pas incompatibles. Nous nous inscrivons clairement dans la perspective de la Conférence Paris Climat (COP 21) de décembre 2015, mais aussi dans une perspective de long terme.
Nous soutenons donc pleinement l’ambition de cette loi en matière de facteur 4. Mais cela ne saurait rester un vœu pieux et doit absolument s’inscrire dans une politique européenne forte et cohérente. La nouvelle organisation de la Commission européenne semble aller dans le bon sens, puisque les portefeuilles de l’énergie et de l’action climatique seraient confiés à un seul et même commissaire. Nous allons donc devoir être plus présents sur la scène européenne.
L’urgence climatique nous commande d’aller vite, nous devons donc être à la fois ambitieux et réalistes. Au plan industriel, nous avons à la fois des leaders mondiaux et des start-up : il faut s’appuyer sur eux, non seulement pour qu’ils se développent, mais aussi pour qu’ils continuent à investir en France et à croire en notre pays. C’est l’un des paradoxes de cette loi. Nous sommes dans une économie mondialisée, le réchauffement climatique est mondial, mais c’est l’avenir de la France que nous devons écrire, ce sont les emplois d’aujourd’hui que nous devons défendre, ce sont les emplois de demain qu’il faut préparer.
À la lecture du projet de loi, nous éprouvons quelques regrets. Le principal porte sur la faiblesse du volet social et professionnel. Le projet de loi n’emporte aucun marqueur social, pourtant élément indispensable à la mobilisation des salariés. La CFE-CGC a souhaité voir l’élargissement de la branche professionnelle des industries électriques et gazières à tous les acteurs de la transition énergétique. Cette ambition sociale, à laquelle nous sommes attachés, est l’occasion d’offrir à tous les salariés un horizon social unifié.
Ce marqueur social permettra de préparer les indispensables transitions professionnelles et d’emporter l’adhésion des salariés, et plus globalement des Français. La transition énergétique doit être incarnée, palpable. Nos concitoyens, qui sont tous concernés dans leur famille par le chômage de masse, s’investiront d’autant plus pour changer de mode de vie et de consommation énergétique, s’ils voient dans cette mutation un espoir en matière de travail.
Mais, pour créer de l’emploi durable, le projet doit permettre la construction de filières pérennes. Nous sommes convaincus que les dispositions en faveur de l’efficacité énergétique passive – par l’isolation des bâtiments – ou active – par le pilotage des usages – créent rapidement des emplois, à condition que leur modèle économique repose sur une équation durable, soutenable par le consommateur et le contribuable. Nous plaidons donc en faveur d’un véritable signal prix pour l’énergie et d’un prix incitatif du carbone pour permettre les investissements et le transfert des usages vers des technologies moins émettrices.
Dans ce contexte, nous contestons formellement les propositions d’évolution de la construction tarifaire de l’électricité prévues à l’article 41. Comme le dit Marcel Boiteux, « les tarifs sont là pour dire les coûts, comme les horloges sont faites pour dire l’heure ». C’est la condition sine qua non pour permettre l’investissement dans le secteur électrique. Il est donc inacceptable, pour la CFE-CGC, de renoncer au principe de couverture des coûts. Introduire une variable aussi aléatoire que le prix de marché est pour nous un non-sens économique.
Tout le monde connaît les importantes distorsions qui affectent le prix de marché, en France et plus encore en Europe, en raison des dispositifs publics de soutien aux énergies renouvelables. On a même vu apparaître des prix de marché négatifs ! A contrario, les périodes anticycloniques de nuit peuvent conduire à une explosion des prix. À cela s’ajoutent les incertitudes sur le productible nucléaire belge et les alertes de Réseau de transport d’électricité (RTE) à propos des difficultés d’approvisionnement qui pourraient survenir cet hiver et des mises sous cocon des sites combinés à gaz pour des raisons économiques. Une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité vient d’être lancée. Nous vous proposons d’attendre ses conclusions avant d’engager toute réforme tarifaire.
Nous regrettons d’ailleurs nous aussi qu’une loi aussi fondamentale soit aussi électro-centrée : plus de 60 % de ses articles sont consacrés à l’électricité, et le pétrole, qui représente pourtant 50 % des consommations, en est quasi absent. Quelques esprits mal intentionnés pourraient y voir une loi anti-EDF. Nous sommes de ceux qui disent qu’EDF est au contraire une des solutions françaises pour réussir le pari d’une transition énergétique cohérente, responsable et pragmatique.
C’est pourquoi nous ne pouvons être favorables au volet hydroélectrique de la loi, alors même que les conséquences du réchauffement climatique à l’horizon 2020-2025 vont imposer aux ouvrages hydrauliques de nouvelles contraintes, voire de nouvelles missions de service public : protection contre les crues, limitation de la sécheresse. Nous rejetons donc la privatisation rampante – décidée au nom d’obscures promesses bruxelloises – d’outils stratégiques qui seront encore plus indispensables demain. L’urgence climatique et la Charte de l’environnement inscrite dans la Constitution nous fournissent tous les éléments pour proposer une autre alternative à la concurrence pure et dure.
Il nous semble d’ailleurs que cette loi devrait être l’occasion de renforcer la charte de 2004 sur la base du choix d’un modèle de société bas carbone.
Nous soutenons la stratégie bas carbone proposée, mais tous les objectifs doivent être en cohérence. Nous soutenons tout autant la programmation pluriannuelle de l’énergie qui en découle. Mais elle devra être en cohérence avec tous les dispositifs territoriaux, des SCRAE aux conférences NOME, entre autorités concédantes et autorités gestionnaires des réseaux de distribution. Pour être efficace, la programmation pluriannuelle de l’énergie devra pouvoir être déclinée sur les territoires et être chiffrée.
Par ailleurs, la stratégie bas carbone doit absolument intégrer toutes les composantes du mix énergétique, ainsi que ses indispensables adaptations aux évolutions climatiques. Elle doit intégrer la politique de transport et de mobilité du pays et tenir compte de l’ensemble des énergies.
Il nous semble donc prématuré de fixer une trajectoire pour la production nucléaire, qu’il s’agisse d’une limitation à 50 % ou d’un plafonnement à 63,2 gigawatts, en l’absence de définition du point de départ de notre stratégie bas carbone, qui permettrait de mesurer les valeurs de référence. Un volet géostratégique nous paraît tout aussi indispensable pour préparer l’avenir.
Afin de mettre en œuvre cette stratégie, nous sommes favorables à une priorisation des politiques publiques visant à l’efficacité énergétique en fonction du coût de la tonne de carbone évitée. Il faut donc prioriser les actions d’efficacité énergétique. Mais cette politique sera sans effet si elle n’est pas totalement connectée à la politique du logement et de l’urbanisme. Le coût de la tonne de dioxyde de carbone évitée ou, mieux, de notre empreinte carbone globale doit aussi guider notre politique de développement des énergies renouvelables. De même qu’il faut donner un coût au dioxyde de carbone, il faut déterminer qui finance le coût de l’intermittence de certaines EnR, et privilégier celles qui produisent en continu.
Nous sommes également favorables à une remise à plat de la CSPE et à tous les dispositifs qui favoriseront la transparence vis-à-vis de nos concitoyens, que ce soit à propos des coûts, des impositions de toute nature ou de l’application de la TVA. Il en va de la gouvernance démocratique du système énergétique.
L’évolution de la gouvernance du système énergétique est indispensable pour permettre l’adhésion des salariés, et plus globalement de tous les Français, pour bâtir en toute confiance un socle commun. Nous devons mettre le service public au cœur de la transition énergétique et aller vers un modèle plus participatif dans le secteur de l’énergie, y compris pour mobiliser l’épargne des Français vers la transition énergétique.
Sans confiance, il n’y aura pas de mobilisation ni d’élan créatif, alors que cette loi devrait voir refleurir le génie français.
M. le président François Brottes. Nous n’avons pas eu de nouvelles de M. Denis Lavat, secrétaire fédéral adjoint de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), qui avait pourtant accepté notre invitation.
Mme Marie-Claire Cailletaud, secrétaire fédérale de la Confédération générale du travail (CGT). Depuis plusieurs années, la CGT s’est engagée dans ce débat qui concerne les salariés, l’emploi, les activités productives et, bien sûr, tous les citoyens. Aussi, nous déplorons que le Gouvernement ait eu recours à la procédure législative accélérée, qui ampute le nécessaire débat démocratique sur un sujet portant des enjeux de société essentiels pour les décennies à venir.
La CGT considère que le projet de loi relatif à la « transition énergétique » n’en porte que le nom. En effet, il n’embrasse pas l’ensemble des questions énergétiques dans une dynamique de réponse aux besoins des populations, dans le contexte inédit et urgent de la limitation drastique de nos émissions de gaz à effet de serre. Le projet de loi traite essentiellement la question de l’électricité, et ce, de manière partielle. Pétrole, charbon et gaz sont absents, en dehors de la volonté globale affichée de la diminution des ressources fossiles.
La CGT estime que ce projet de loi est très en deçà des ambitions exprimées dans la synthèse des débats qui ont mobilisé de nombreux acteurs pendant plus de six mois.
Elle conteste deux objectifs principaux du projet. Le premier concerne l’objectif de diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050. Cette perspective est incohérente avec la démographie dynamique de la France, avec le redressement souhaitable de notre industrie et avec la satisfaction des besoins sociaux. Les baisses de consommation observées ces dernières années ne sont que l’expression des conséquences qu’ont sur l’activité la crise et la disparition de l’industrie dans les territoires.
Pour la CGT, la responsabilité historique devant laquelle nous sommes placés impose un objectif très ambitieux : nous devons contribuer à réduire de 40 % en 2030 les émissions de gaz à effet de serre en Europe. Pour y parvenir, la France dispose de plusieurs leviers à utiliser au mieux en fonction des atouts dont elle dispose et des moyens matériels qu’elle peut et doit mobiliser. Rien n’oblige à miser de façon aussi massive sur la baisse de la consommation, même si l’efficacité énergétique est une composante de la baisse des émissions de gaz à effet de serre.
Plusieurs raisons fondent notre conception. D’abord, le redressement de notre industrie, condition primordiale au redressement du pays, suppose un accroissement de nos capacités de production. Compte tenu de l’intégration des dispositifs d’efficacité énergétique dans les process industriels, une baisse massive de la consommation énergétique ne peut être obtenue que par la poursuite de la désindustrialisation du pays.
Ensuite, les délocalisations conduisent à faire fabriquer à l’extérieur les produits que nous devons ensuite importer. Les émissions de gaz à effet de serre correspondantes sont le plus souvent bien plus fortes, compte tenu de la production énergétique des pays concernés. Il s’avère donc pertinent pour la planète et ses peuples de contrecarrer les délocalisations, voire de favoriser les relocalisations.
En outre, selon les meilleures prévisions, la population française devrait passer de 65 millions d’habitants aujourd’hui à 70 millions en 2050. Cette réalité a été clairement sous-estimée dans la cible d’une division par deux de la consommation. En effet, cela supposerait que chaque habitant consommerait 54 % d’énergie en moins.
Est également sous-estimé le transfert d’usage, c’est-à-dire le changement des sources d’énergie utilisées, pour satisfaire un besoin déterminé, alors qu’il peut apporter une contribution importante à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est la raison pour laquelle la CGT a fortement insisté lors de la conférence environnementale de 2012 pour que la dimension des transports soit incluse dans la loi.
Par ailleurs, les nouvelles technologies très consommatrices d’électricité se développent fortement. Enfin, l’accent mis dans le projet de loi sur le développement du véhicule électrique va dans le sens d’un transfert d’usage dans l’utilisation du véhicule individuel vers une source d’énergie peu émettrice de gaz à effet de serre, l’électricité.
Pour toutes ces raisons, la CGT estime que la part de l’électricité va croître dans le bouquet énergétique.
À côté de l’objectif de réduction de 40 % en 2030 des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen et de la division par deux de la consommation d’énergie en France, le projet de loi fixe des objectifs quantifiés quant à la part du nucléaire et celle de la consommation d’énergie fossile, et promeut enfin le développement des EnR.
Le second point contesté par la CGT a trait à la diminution du nucléaire. Pour la CGT, ces objectifs sectoriels sont difficilement conciliables et peuvent conduire à des surcoûts, voire à des impasses. Quand on considère la place centrale de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, on ne peut réduire de façon automatique la part du nucléaire sans expliciter les moyens de produire les 50 % restants. Or le projet de loi est muet sur ce point.
Cela s’explique par deux raisons essentielles qu’il faut savoir lire en filigrane. D’une part, le coût du soutien direct aux EnR est en passe de devenir insoutenable. C’est l’essence du projet de réforme du dispositif d’obligation d’achat, que la CGT a demandé de longue date. C’est aussi pour cette raison que le projet propose la mise en place d’un comité de la CSPE, pour surveiller la montée en charge de cette contribution qui pèse sur les consommateurs. D’autre part, l’adaptation des réseaux au développement des EnR, en électricité comme en gaz, se heurte à des besoins d’investissements, et n’est pas sans poser problème à la sécurité du système énergétique. Cette réalité appelle, pour la CGT, à favoriser et à soutenir la recherche afin de lever les obstacles de tous ordres au développement massif des EnR.
La CGT remarque également que la composante thermique classique, gaz et charbon principalement, n’est pas évoquée dans le projet de loi. Or les pays qui ont fortement développé les énergies renouvelables disposent de capacités thermiques importantes, contrairement à la France. La baisse de 30 % des consommations d’énergies fossiles annoncée en 2030 exclut a priori un recours massif au thermique dans la production d’électricité. Les chiffres avancés semblent donc difficiles à concilier. De plus, la manière dont ils ont été choisis n’est pas non plus explicitée.
Plutôt qu’un plafonnement a priori du parc nucléaire, la CGT estime judicieux un processus d’évolution du bouquet énergétique au fur et à mesure de la maturité des technologies sous le triple aspect social, environnemental et économique. Les choix opérés ont des conséquences dans ces trois domaines.
La hausse des tarifs consécutive à des décisions incohérentes aura des conséquences non seulement sur les usagers, notamment par la hausse des factures, mais également sur l’industrie. Or chacun sait que l’accès à une énergie fiable à un coût abordable constitue un facteur majeur de localisation industrielle, et que cela ne concerne pas seulement les énergo-intensifs.
La France fournit un mix énergétique à un prix moyen inférieur à celui de ses voisins européens. Le prix de l’électricité fournie aux particuliers est en Allemagne de 80 % supérieur à celui pratiqué en France. L’énergie entre en moyenne pour plus de 8 % dans le budget des ménages, ce taux étant cependant plus important pour les ménages modestes. Les taxes qui frappent l’énergie sont lourdes. Pour la CGT, le maintien de choix énergétiques assurant une énergie accessible à tous doit rester une priorité.
Concernant l’efficacité énergétique, la question des transports – premier secteur émetteur de gaz à effet de serre et consommant un quart de l’énergie – n’est évoquée qu’au travers du développement du véhicule électrique. Quant aux questions qui fâchent, elles ne sont pas abordées : le fret ferroviaire ; les fermetures de lignes secondaires ; l’autorisation de circulation des camions de 44 tonnes ; la sous-tarification des transports – maritime, routier, marchandises – ; la multimodalité ; l’urbanisme, qui devrait créer les conditions pour que les salariés n’aient pas à habiter loin de leur lieu du travail en raison du coût des logements ; l’appareil productif manquant pour produire ou recycler, qui conduit à importer la majorité des produits de consommation, sans compter le dioxyde de carbone importé.
Depuis deux ans, la CGT insiste pour que la question des transports soit partie intégrante de la transition énergétique. Comment expliquer que le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre soit évacué de la réflexion ? Cela signifie-t-il que la diminution de nos émissions n’est en réalité qu’un objectif secondaire ? À cet égard, il est inacceptable que la table ronde sur les transports organisée lors de la conférence environnementale de la mi-novembre doive se tenir après le vote de la loi de transition énergétique. C’est d’autant plus ahurissant que cette réunion a été précisément organisée pour réfléchir aux impacts des transports sur l’émission des gaz à effet de serre.
La CGT souhaite formuler plusieurs remarques complémentaires. En ce qui concerne l’isolation des bâtiments, le projet de loi ne répond pas à deux importantes questions. Quelle filière professionnelle voulons-nous ? Celle de la construction a perdu 70 000 emplois en deux ans et emploie 200 000 salariés détachés, payés 600 euros par mois. Quels financements seront disponibles ? On annonce que 500 000 logements seront isolés chaque année, mais cela nécessite de mobiliser entre 10 et 15 milliards d’euros par an. L’obligation d’isolation des bâtiments induite par le projet de loi va poser de sérieux problèmes si les financements adéquats ne sont pas prévus. Même les plus beaux prêts à taux zéro ou les crédits d’impôt ne permettront pas aux propriétaires d’isoler leur maison. En pleine période d’austérité, alors que le « précaire énergétique » type est un propriétaire, vivant dans le monde rural, âgé, et qui se chauffe au fioul, qui peut croire qu’il pourra dégager 250 euros par mètre carré pour financer ces travaux d’isolation qui n’auront un retour sur investissement qu’au bout de vingt ou trente ans ?
Concernant le secteur énergétique, la CGT réaffirme sa totale opposition à l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques au travers de SEM. Le projet de loi n’apporte aucune précision quant au périmètre retenu pour l’application de la méthode des barycentres, qui regroupe les concessions au regard d’un critère d’équilibre économique. Par ailleurs, le modèle de SEM retenu fait la part belle aux opérateurs, celle des collectivités territoriales et des personnes, entreprises ou organismes publics, pouvant se limiter à 34 %.
En l’état, ce projet s’avère être la privatisation pure et simple de la production hydroélectrique nationale par le biais du renouvellement par mise en concurrence. Il ne comporte aucune référence au devenir des salariés concernés, et les questions sociales en sont absentes. L’enjeu que va représenter dans les années à venir la gestion d’une ressource essentielle, l’eau, n’est pas davantage abordé.
Des aides consacrées à la précarité énergétique prendraient la forme d’un chèque énergie. Si ce dispositif peut offrir l’avantage de couvrir plusieurs modes de production, tels le fioul et le bois, les montants et conditions d’attribution ne sont pas explicités, non plus que l’assiette précise de la contribution. De même, le devenir des mesures des mécanismes sociaux actuels n’est pas clair.
Des dispositifs variés sont instaurés pour permettre l’efficacité énergétique ou le développement de certaines énergies renouvelables. Le risque est grand de créer une fois de plus des bulles spéculatives pour des entreprises privées, comme sur le marché de l’effacement ou des capacités. In fine, ce sont les entreprises publiques et l’usager qui en paieront le prix, d’autant plus que les mesures annoncées sont incompatibles avec les politiques d’austérité menées.
La question de l’économie circulaire est abordée par le petit bout de la lorgnette, à savoir celui des déchets. La CGT porte une autre ambition, celle de l’éco-conception qui prend en compte les impacts environnementaux dès la conception du produit et tout au long de son cycle de vie : matières premières, fabrication, logistique, distribution, usage, recyclage, déchets. De surcroît, la question particulière du tri des déchets est trop souvent réduite à l’économie sociale et solidaire, et à des emplois de réinsertion. La CGT est favorable à toutes mesures visant à l’effectivité du droit au travail pour tous et à l’emploi de qualité. À ce titre, elle estime que les emplois dits d’insertion doivent constituer une étape dans un parcours professionnel et ne peuvent se cantonner à des secteurs précis.
Enfin, le projet de loi développe l’idée de territoires à énergie positive. La CGT établit un corollaire entre ce projet et ceux visant la réorganisation institutionnelle de la République et de l’action publique dans les territoires. Cette conception de territoires à énergie positive risque de créer des inégalités entre les territoires disposant de moyens de production et ceux qui en sont dépourvus. La mise en place de diverses formes de société permettant de régionaliser la production ou la distribution, s’appuyant sur l’aspiration légitime des citoyens à participer aux décisions ou sur la nécessité pour les collectivités locales de trouver des sources de financement nouvelles, risque de porter un coup fatal au service public national. Ce processus porte en germe la fin du système de péréquation tarifaire, de l’égalité de traitement, des solidarités entre régions. Vous l’aurez compris, cette partie du projet de loi nous préoccupe au plus haut point. La CGT en conteste le principe.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titre Ier et V du projet de loi. Je souhaite vous interroger sur les seuls titres du projet de loi dont je suis rapporteure, ayant au demeurant déjà échangé avec vous, à l’occasion des auditions qu’Éric Straumann et moi-même avons conduites pour préparer notre rapport sur les concessions hydro-électriques.
Ce projet de loi se veut une loi-cadre qui sera complétée, pour ses modalités, par des décrets et ordonnances lui permettant de s’adapter à l’évolution de l’économie.
Vous avez assez peu parlé des mécanismes de soutien à la production d’énergies renouvelables. Que pensez-vous du complément de rémunération et de ses modalités de calcul ?
En 2010, Jean-Louis Borloo a décidé le principe de la mise en concurrence pour le renouvellement de toute concession hydro-électrique touchant à sa fin. Depuis, la réflexion a progressé. La solution des SEM est désormais ouverte, même si elle n’a pas vocation à se généraliser, mais vous l’avez tous critiquée. Quel devrait être, selon vous, le capital public minimal pour que ces SEM puissent correctement gérer leur production et avoir une capacité d’investissement suffisante ? Les opérateurs historiques pourraient-ils mettre leurs agents à disposition de ces sociétés de projet ? Il en va de la préservation du système EDF.
Que pensez-vous d’une prolongation de la durée des concessions, ou de leur renouvellement sur la base de la méthode des barycentres, ou d’un renouvellement encadré par une conditionnalité ? Comment définir en ce cas la vallée pertinente ? Autrefois, les concessions étaient accordées ouvrage par ouvrage, la cohérence de la chaîne étant au contraire privilégiée aujourd’hui.
Mme Éricka Bareigts, rapporteure pour information au nom de la commission des affaires économiques, et rapporteure de la commission spéciale pour le titre VII et le chapitre IV du titre VIII du projet de loi. Je voudrais entendre votre point de vue sur les zones non interconnectées (ZNI), telles qu’il en existe par exemple en outre-mer. Elles se trouvent dans une situation particulière et sont organisées selon un modèle différent, dont l’évolution constitue un enjeu important pour l’avenir.
M. Philippe Plisson, rapporteur pour les titres III et VI du projet de loi. Je ne pourrai répondre à toutes vos questions, mais je dois rappeler que les objectifs de la loi, en matière de réduction de la production nucléaire, sont déjà actés. Monsieur Olivier, nous avions déjà échangé sur la question des transports. Le biogaz doit être mis au nombre des carburants durables, et il le sera. Sans conteste, il faut également enrichir la politique des transports en commun.
Dans le secteur du nucléaire, quel jugement portez-vous sur le statut des travailleurs sous-traitants ?
M. Denis Baupin, rapporteur pour le titre VIII du projet de loi. Je ne répondrai pas non plus à l’ensemble de vos interpellations, mais j’observe que l’exercice auquel nous nous livrons favorise une approche qui tourne parfois à la caricature, alors que nos échanges sont généralement guidés par la recherche d’un consensus. Précisons seulement qu’il ne s’agit pas d’une loi anti-EDF. Comme rapporteur de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, j’ai d’ailleurs pris position pour que l’entreprise soit reconnue comme un acteur majeur de la transition énergétique.
Étant rapporteur sur le titre du projet de loi consacré à la gouvernance, je voudrais vous demander comment vous jugez le retour des pouvoirs publics dans la politique de l’énergie, à travers la programmation pluriannuelle de l’énergie, la définition de budgets carbone ou le meilleur pilotage d’EDF par l’État.
Dans l’avis rendu sur le projet de loi, le Conseil économique, social et environnemental recommande de mettre en place un plan de programmation de l’emploi et des compétences. Qu’en pensez-vous ?
Quel type de financement faut-il imaginer pour que le chèque énergie puisse secourir les plus précaires ?
Par ailleurs, pensez-vous que l’assiette de la CSPE devrait être élargie à d’autres énergies que l’électricité ?
En alimentant les caisses d’ERDF (Électricité réseau distribution France), le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) ne finit-il pas par soutenir le cours de Bourse de son actionnaire EDF ? Ce n’est pas pour cela que les Français ont payé le TURPE, mais pour avoir des réseaux performants. Ne devrait-on pas plafonner la remontée des dividendes qui s’opère d’ERDF vers EDF ? Les territoires, notamment les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, qui sont les propriétaires des réseaux, ne pourraient-elles être associées à la définition de sa politique d’investissement ?
Il est envisagé de prolonger au-delà de quarante années la durée de vie des centrales nucléaires. Quelles seraient, selon vous, les procédures pour permettre à la population de prendre position sur une telle prolongation ?
Enfin, la question des sous-traitants du nucléaire, qu’avait mise en lumière la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, est très préoccupante. La loi ne devrait-elle pas leur assurer une meilleure protection ?
M. Julien Aubert. Je vous remercie, madame et messieurs, pour la clarté de vos exposés. Par vos remarques concrètes, vous avez pointé les défauts majeurs de ce texte, centré sur l’électricité et essentiellement sur le nucléaire. Ce projet de loi part du postulat que la croissance verte conduit automatiquement à la création d’emplois et que la reproduction du modèle allemand aura forcément un effet positif sur notre économie. C’est à se demander si l’objectif poursuivi est de sortir du nucléaire ou de lutter contre l’émission de gaz à effet de serre.
Seriez-vous favorable à ce que la loi précise que les décisions prises en matière de transition énergétique doivent être évaluées à l’aune du coût de la tonne de CO2 évité et à ce que le critère d’efficacité budgétaire des moyens alloués à la lutte contre le réchauffement climatique serve d’étalon pour déterminer les grands choix à opérer en matière de transition énergétique ?
Pensez-vous que nous devrions ouvrir un débat, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi sur la transition énergétique, sur les hydrocarbures non conventionnels ? Et si, par hasard, le pétrole de schiste devait être exploité, que pensez-vous de la proposition, formulée par l’UMP, tendant à ce que les ressources de l’État tirées de cette exploitation servent à financer la transition énergétique et le développement des énergies vertes afin d’alléger la facture qui pèse aujourd’hui principalement sur le nucléaire et sur le contribuable ?
Je ne saurais dire si ce projet de loi est anti-EDF. Mais quel effet le texte aura-t-il selon vous sur cette entreprise? Le projet de loi la renationalise-t-il dans la mesure où sa stratégie d’investissement sera fortement encadrée ? D’autre part, le Médiateur de l’énergie a proposé que le mode de nomination du président d’ERDF soit désormais inspiré de celui du président de RTE, directement nommé en Conseil des ministres : cela constituerait une évolution importante de l’entreprise EDF dont ERDF représente la moitié des effectifs. Qu’en pensez-vous ?
Enfin, disposez-vous d’éléments juridiques relatifs aux droits exclusifs liés aux services d’intérêt général, tels que définis par le droit européen ? En effet, le texte renvoie au décret le soin de déterminer les secteurs stratégiques, alors qu’il pourrait être utile qu’il en soit décidé par le législateur.
M. Christophe Bouillon. Comme mes collègues, j’ai entendu des propos tranchés mais clairs. Ce texte semble ne pas trouver grâce aux yeux de certains d’entre vous. Pourtant, ce qui fonde cette loi, c’est à la fois la lutte contre le réchauffement climatique, l’objectif d’indépendance énergétique, l’enjeu du pouvoir d’achat et celui de la compétitivité. Ne pas agir en la matière ne serait bénéfique ni pour le temps présent ni aux générations futures. Rester les bras croisés empêcherait la France de tenir ses engagements.
S’agissant de l’emploi, le sentiment domine que les objectifs de rénovation de bâtiments publics fixés dans le projet de loi entraîneront la création de nombreux postes. En outre, lorsqu’un territoire s’apprête à accueillir un projet d’installation d’un système de production d’énergie renouvelable, on sait assez précisément combien d’emplois vont y être créés. En tant qu’élu normand, j’ai pu constater la dynamique que suscitaient les projets d’installation d’éoliennes offshore. Pour autant, le maintien de la capacité nucléaire nécessite des besoins d’emploi de remplacement qu’EDF et Areva ont souvent évoqués lors de leurs auditions à l’Assemblée nationale. Se pose aussi la question des transitions d’emploi devant accompagner le démantèlement de certaines centrales. C’est pourquoi la notion de croissance verte est présente dans l’intitulé de ce texte.
Que pensez-vous des notions d’efficacité et de sobriété énergétique ? Quelle autre trajectoire énergétique imagineriez-vous pour permettre à la France de tenir ses engagements internationaux – enjeu nécessaire face à l’urgence climatique ?
M. Charles de Courson. Êtes-vous favorables à l’extension de l’assiette de la CSPE à l’ensemble des énergies – gaz, charbon et pétrole ? Et à une réforme de la fiscalité de l’énergie, les énergies renouvelables n’étant pas taxées, contrairement aux énergies non renouvelables ? Êtes-vous favorables au plafonnement de la puissance globale des réacteurs nucléaires à 63,2 gigawatts comme le prévoit le texte ? Comment ce plafond pourrait-il être réparti entre les différents producteurs, puisqu’il y en a parfois plusieurs ?
M. le président François Brottes. Il n’y en a qu’un en France !
M. Charles de Courson. EDF n’est pas le seul propriétaire des centrales de Chooz et de Fessenheim. Si cette dernière ferme, il faudra indemniser ses trois opérateurs suisses et son opérateur allemand. Comment s’y prendra-t-on ?
M. le président François Brottes. La centrale n’a cependant qu’un seul exploitant.
M. Charles de Courson. Êtes-vous favorables à l’autonomisation juridique d’ERDF ? Enfin, ce texte vous paraît-il cohérent avec la nécessité d’instituer une politique européenne de l’énergie ?
Mme Cécile Duflot. Quels outils de transparence privilégieriez-vous pour assurer la protection des salariés sous-traitants de l’industrie nucléaire ?
Mme Cailletaud a émis des réserves quant au programme de rénovation thermique et énergétique, alors qu’il recoupe la politique de lutte contre la précarité énergétique. Selon chacun d’entre vous, quels objectifs chiffrés vous semblerait-il réaliste et normal d’afficher en ce domaine ? Que pensez-vous du fait de rendre obligatoires les travaux de rénovation ? Quels moyens faudrait-il allouer à cette fin ?
M. Chorin a évoqué la question de la gouvernance des projets d’énergie renouvelable – notamment le fait d’y associer des collectivités locales ou des structures d’économie sociale et solidaire.
Enfin, des remarques ont été formulées sur le sens même du projet de loi. Du point de vue du groupe écologiste, la transition écologique est une absolue nécessité pour notre pays. On peut débattre des termes de la loi et des moyens auxquels recourir, mais pas de cette nécessité. Cela suppose évidemment une mutation de tous les secteurs de l’emploi, puisqu’il ne s’agit pas seulement de créer des emplois verts, mais bien de réaliser une mutation culturelle – y compris en termes de choix de matériaux et donc de formation des salariés dans le secteur de la construction. Dans des versions antérieures du projet de loi, il était explicitement proposé d’impliquer les comités d’entreprise, et donc les salariés, afin qu’ils prennent mieux en compte l’impact de la transition écologique et énergétique dans leur entreprise. Y seriez-vous favorables ? Comment formaliser une telle implication ?
M. Jean Launay. Vous avez tous trouvé peu ou prou que ce texte était trop centré sur l’électricité et avez tous évoqué la CSPE. Nous sommes plusieurs à penser que l’élargissement de son assiette à toutes les énergies constituerait un progrès. Cela pourrait apporter des résultats visibles pour nos concitoyens : tout d’abord, la compensation à l’opérateur EDF de l’obligation d’achat serait plus rapide ; ensuite, le financement du chèque énergie serait élargi ; enfin, dès lors que l’on reporte une partie de la CSPE sur les utilisateurs de chauffage au fioul et au propane, on pourrait faire diminuer le prix des factures d’électricité. Si les avis de chacun d’entre vous convergeaient sur ce sujet, cela nous aiderait dans le débat.
M. Michel Sordi. Si je ne crois pas qu’on puisse parler de loi anti-EDF, ce texte comprend bien un volet anti-nucléaire. Or EDF produit 80 % de son électricité à l’aide du nucléaire…
Il me paraît déraisonnable d’arrêter la centrale de Fessenheim, située dans ma circonscription, compte tenu des fonds qui y ont été investis pour réaliser les travaux de l’après-Fukushima et des 2 000 emplois directs et indirects qu’implique le fonctionnement de la centrale. Nous ne disposons aujourd’hui d’aucun chiffrage du coût de cet arrêt : nous allons donc décider d’en écrêter la production les yeux bandés.
Enfin, nous avons évoqué au cours de ces auditions les réacteurs de quatrième génération. Je regrette que, en 1997, Mme Voynet ait arrêté les programmes de recherche Superphénix. Pour l’avenir, de tels programmes doivent être amplifiés afin de préparer la transition énergétique. Je suis convaincu que le nucléaire a toute sa place dans ce processus.
M. Dominique Olivier. S’agissant des concessions, le schéma envisagé ne répond pas à tous les problèmes posés. Même si la méthode des barycentres protège de nombreux ouvrages, une telle protection ne serait pas définitive, puisque des opérateurs européens sont prêts à « acheter » des vallées entières. Quant à la taille adéquate des SEM, à la limite, si l’on créait une grosse SEM englobant toutes les vallées, cela permettrait d’associer l’opérateur historique, un investisseur public et les collectivités territoriales dans lesquelles sont implantés les ouvrages concernés. Cette solution n’est cependant pas en discussion. Si l’on abandonne ce qui est envisagé aujourd’hui, c’est parce que c’est insatisfaisant pour les métiers de l’ingénierie et de la recherche. On ouvre seulement une concertation afin de rechercher une solution optimale.
En ce qui concerne les zones non interconnectées et l’outre-mer, nous les considérons comme une omission flagrante du projet de loi. On semble dire aux territoires concernés qu’ils doivent faire pour le mieux et qu’ils bénéficieront peut-être de quelques mesures dérogatoires. Or les besoins de ces territoires sont considérables et ont des incidences sociales importantes. Face à ces besoins, le potentiel en EnR est considérable. Il est donc aberrant de brûler du gasoil ou du pétrole pour produire de l’électricité dans des territoires où la mer, le soleil et le vent ne manquent pas. Le projet de loi pèche par manque de soutien à ces territoires.
La question des sous-traitants et des prestataires du nucléaire représente effectivement une difficulté. Dès que seront annoncés l’arrêt d’une centrale et la préparation de son démantèlement, les gens concernés disparaîtront, car ils seront soucieux de se recycler sans tarder. Mais, lorsqu’ils rencontreront des difficultés de reconversion, ils ne pourront pas faire valoir qu’ils ont été victimes de la fermeture d’une centrale. Nous n’avons donc pas de réponse évidente à vous fournir sur le sujet. Chaque fois que des contraintes s’imposeront à des secteurs donnés – qu’il s’agisse de budgets carbone, de décisions de fermeture de centrales ou de baisse de la production pétrolière –, il faudra assurer un traitement de proximité de ces personnels et préparer leur reconversion professionnelle. Il faudra donc prévoir des lieux d’accueil appropriés, sachant que les maisons de l’emploi sont très hétérogènes et qu’elles ne couvrent pas tout le territoire.
Nous sommes favorables à la participation des collectivités territoriales et des citoyens à la gouvernance. La proposition de Mme Duflot consistant à y ajouter les salariés est intéressante. L’économie sociale et solidaire peut dans ce cas constituer une solution possible. Le statut de coopérative en est une autre, de même que la prise de participations au capital d’une société anonyme de production d’énergie renouvelable. La participation de ces acteurs est de nature à faire baisser les tensions lorsque des projets importants sont prévus.
Nous revendiquons depuis plusieurs années déjà que l’assiette de la CSPE englobe l’énergie dans son ensemble et non la seule électricité. Cela permet en effet de répartir la charge de cette contribution de manière plus équitable. De plus, de nombreuses sources d’énergie ont aujourd’hui des équivalents. Il est possible que cet élargissement complique le mode de gestion de cette contribution, mais certains spécialistes savent résoudre ce type de problèmes.
Nous sommes sceptiques à l’égard de la notion de tonne de carbone évité, car elle ne permettrait de prendre en compte qu’une partie de la question, alors que les gains d’efficacité énergétique produisent d’autres effets – notamment sanitaires et sur le plan de la sécurité. Enfin, la tonne de carbone ne valant plus rien aujourd’hui, il conviendrait d’abord d’en fixer le prix plancher – au niveau français ou européen – et de viser à atteindre en 2030 la valeur tutélaire de 100 euros la tonne.
En l’état actuel des connaissances et des modes d’extraction, il ne nous paraît pas souhaitable de développer l’exploitation des gaz de schiste. Cela étant, nous sommes par principe favorables à la production de connaissances et au développement de la recherche. Cela vaut non seulement pour les gaz de schiste, mais aussi pour la totalité du sous-sol, minéraux inclus. À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas un dixième du potentiel de nos sous-sols. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pourrait retrouver là une activité utile. Ce développement de la recherche doit être le fait d’entités publiques afin que, si l’on trouve quelque chose, seule la puissance publique puisse vendre ces données.
Nous sommes plutôt favorables à un accroissement de l’autonomie d’ERDF, mais avec des réserves : pour nous, l’objectif serait surtout de faire en sorte que sa capacité d’investissement soit restaurée. Il ressort selon nous de certaines de ses dispositions que le projet de loi vise à mieux intégrer les coûts d’investissement, notamment dans le TURPE ou dans le coût de l’électricité, en remplaçant les tarifs réglementés par une notion beaucoup plus économique que comptable.
Nous sommes également plutôt favorables au plafonnement de la puissance nucléaire, point de départ si l’on souhaite faire baisser la part de l’électricité d’origine nucléaire. Cela correspond à une position ancienne de la CFDT qui, depuis 40 ans, est contre le tout nucléaire. Cette énergie a cependant encore une utilité, pour peu que ses conditions de sécurité et de sûreté soient garanties au mieux. En cela, les progrès de l’ASN sont encourageants. Nous disposons d’ailleurs sans doute de la meilleure autorité de sûreté au monde. Il nous faut poursuivre dans cette voie pour sécuriser nos installations. C’est pourquoi j’ai posé la question du dépassement des quarante ans et ai évoqué la nécessité d’appliquer une procédure de gouvernance citoyenne – la référence en la matière étant pour nous la convention d’Aarhus.
M. François Delatronchette (CFDT). Je souhaiterais compléter les propos de mon collègue en évoquant la question des transports : pour la CFDT, les transports publics doivent contribuer à la transition énergétique et à la mobilité durable. Nous regrettons donc fortement que seule la voiture électrique soit mentionnée dans le projet de loi. Il convient de favoriser le développement de moyens de transport publics innovants à la fois pour les voyageurs, dont tout le monde parle, et pour les marchandises, souvent oubliées dans le débat. Pour les voyageurs, il convient de développer les transports en commun en site propre.
M. le président François Brottes. Pardonnez-moi de vous interrompre. Il n’est plus temps de se lancer dans un propos liminaire. Pourriez-vous simplement répondre aux questions qui ont été posées sur les transports ? Je vous laisse un temps de réflexion et cède la parole au représentant de FO.
M. Jacky Chorin. On nous assure que ce texte n’est pas une loi anti-EDF. En tout cas, ce n’est pas une loi pro-EDF. On y vise en effet le nucléaire, l’hydraulique et, à présent, la distribution : nous assistons donc à un quasi-démantèlement de l’entreprise. Ensuite, on nous dit qu’il ne s’agit pas d’une loi électrique. Or les trois quarts des questions qui nous ont été posées portent sur l’électricité.
M. Baupin a demandé si ce texte reprenait le pouvoir sur l’énergie : pour cela, encore faudrait-il cesser de mettre en concurrence l’électricité et le gaz. En fait, le texte ne traite que du nucléaire. Mais, comme il ne fait pas confiance aux pouvoirs publics, actuels ou futurs, il tente d’installer une usine à gaz pour contraindre l’entreprise à appliquer des décisions dont il subodore qu’elles ne seront pas exécutées. C’est du jamais vu ! Ce n’est ni sur Total ni sur GDF Suez que l’on fait peser des contraintes de gouvernance, mais sur EDF, entreprise dont l’État détient 85 % du capital. Peut-être y a-t-il un problème interne au sein de l’État qui m’échappe. Mais la réponse apportée par le projet de loi est baroque. Si un problème de pouvoir se pose, il est possible le régler. Notre syndicat a des propositions à formuler en la matière : considérant la mise en concurrence de l’électricité et du gaz comme un échec, nous pouvons vous proposer des amendements afin d’en revenir à un service public national qui avait fait les preuves de son efficacité.
S’agissant du gaz de schiste, nous avons participé aux travaux réalisés par Jean-Claude Lenoir et Christian Bataille dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Il va de soi que nous sommes, comme tout le monde ici, attachés à la protection de l’environnement. Cela ne doit cependant pas empêcher que la recherche se poursuive. Tous les opérateurs énergéticiens français – publics, parapublics et privés – sont aujourd’hui en train d’investir dans le gaz de schiste. Un tel décalage nous interroge.
Nous sommes tout à fait opposés à l’autonomisation d’ERDF, nouvelle tentative pour casser le groupe EDF. Le prétexte retenu pour prendre une telle mesure est que le niveau d’investissement de la filiale ne serait pas atteint. Or je rappelle que l’État est tout de même propriétaire d’EDF, qu’il siège donc dans les conseils de surveillance ainsi qu’au conseil d’administration de l’entreprise. C’est pourquoi il me semble que l’on veut une fois de plus porter atteinte à celle-ci. Si le niveau d’investissement d’ERDF est insuffisant, que l’on utilise les moyens à disposition pour faire appliquer la règle. Mais d’en tirer comme conséquence qu’il faudrait casser en permanence un opérateur public qui, au demeurant, jouit d’une bonne image auprès des Français, cela est ressenti par ses personnels comme une forme d’acharnement.
S’agissant de Fessenheim, le plafonnement de la capacité nucléaire signifierait que, dès lors que l’on mettrait sur le réseau Flamanville III, il faudrait arrêter deux centrales équivalentes. Subissant actuellement le pacte de responsabilité, nous pouvons vous dire tout le mal que nous en pensons. La proposition qui nous est faite consiste à arrêter une centrale qui marche. Une indemnité est mentionnée dans l’étude d’impact du projet de loi, mais on n’en connaît pas le montant : nous trouvons cela irresponsable ! On peut certes fixer des objectifs de politique énergétique, mais, en arrêtant une centrale qui marche, on démoralise complètement les personnels. Cela revient à leur faire comprendre que, quels que soient les efforts qu’ils accomplissent, il faudra arrêter la centrale dans laquelle ils travaillent pour la seule raison qu’on a décidé, à un moment donné, qu’il fallait le faire. De plus, l’étude d’impact renvoie à EDF le soin de décider quelle centrale fermer sous prétexte que c’est elle qui a la capacité d’apprécier la situation et qui a la connaissance intime du mécanisme. Ce n’était donc pas la peine de dire qu’il fallait fermer Fessenheim.
En ce qui concerne l’emploi, 100 000 des 220 000 salariés du nucléaire doivent être remplacés d’ici à 2020. Quelles conséquences le projet de loi tire-t-il des 100 000 embauches nouvelles qui devront être effectuées ? Un problème se pose par ailleurs dans le secteur éolien, où le statut n’est pas appliqué et où règne aujourd’hui le dumping social. Quant aux embauches dans ce secteur, elles ne sont pas à la hauteur des destructions d’emplois qui pourraient se produire dans le nucléaire si, d’aventure, on fermait plusieurs centrales.
Enfin, je retiens que certains élus souhaiteraient une note sur l’hydraulique : je maintiens que la directive sur les concessions qui a été négociée au Parlement européen, puis votée par les gouvernements des États membres, permet de maintenir des droits exclusifs dans ce secteur. Je vous fournirai également une note sur le périmètre du statut.
M. Alexandre Grillat. S’agissant des énergies renouvelables, il faut selon nous –ainsi que la Suède l’a décidé dans le cadre de sa stratégie bas carbone – privilégier les EnR thermiques que sont les réseaux de chaleur renouvelables, la méthanisation et le biogaz. Ce sont en effet des EnR continues et locales. Le développement des EnR électriques en substitution du nucléaire et non en substitution des énergies fossiles est un non-sens au vu de l’objectif de réduction des émissions de CO2. De plus, ces EnR-là présentent l’inconvénient d’être intermittentes, ce qui induit des coûts importants pour le réseau.
Nous sommes favorables à l’évolution des mécanismes de soutien aux ENR et à une exposition progressive des ENR des filières technologiques matures aux prix de marché, afin d’obtenir une neutralité régulatoire sur l’ensemble des technologies de production d’électricité et d’éviter les distorsions ayant conduit à une déstructuration du marché électrique européen.
Quant au processus d’appels d’offres qui a été développé pour les EnR produites par des éoliennes offshore, il permet de soutenir des filières industrielles et par conséquent de disposer d’un complément de tarif qui soit lié au développement de filières réellement françaises. Et le dispositif de complément de prix ne doit pas s’appliquer ex ante, mais plutôt ex post.
Les dispositions des articles 28 et 29 sur l’hydraulique ne nous paraissent pas parfaitement cohérentes avec les objectifs de la loi. S’il s’agit de satisfaire à une obligation de mise en concurrence, cela fait plusieurs années que l’on hésite sur le sujet. L’organisation nationale de l’hydraulique est le fruit de l’histoire de l’organisation du système électrique français. Quant à l’organisation par vallées, elle ne répond pas aux enjeux de sûreté du système électrique. Comme l’a souligné mon collègue de la CFDT, l’ingénierie et la recherche en matière hydraulique, qui permettent à la France de jouir d’un leadership mondial, ont une dimension nationale. Nous sommes donc favorables à toute disposition qui permettrait de préserver l’organisation nationale de l’hydroélectricité, qui correspond à l’organisation actuelle.
Nous sommes favorables à la prolongation des concessions hydrauliques, en échange d’une relance immédiate des investissements qui sont créateurs d’emplois dans les territoires.
Nous soutenons aussi l’idée de créer une SEM nationale autour des groupements d’intérêt économique (GIE) regroupant EDF et GDF Suez. Cela contribuera à préserver la filière et les emplois. Les propositions qui ont été formulées par M. Straumann et Mme Battistel mériteraient d’être étudiées afin de répondre à l’enjeu des conséquences du réchauffement climatique sur la réalité du parc hydraulique français. Lorsqu’il y aura davantage de sécheresses, on se heurtera à des problèmes de tenue des barrages et de conflits d’usage de l’eau – problèmes dont on n’a pas tenu compte dans la réflexion sur l’avenir des concessions hydrauliques et qui relèvent de la dimension de service public environnemental de ces installations, voire des services d’intérêt économique général (SIEG).
En ce qui concerne ERDF, nous sommes convaincus que les réseaux de distribution d’électricité et de gaz sont au cœur de la mise en œuvre d’une transition énergétique qui soit économiquement et techniquement pertinente. Qu’il s’agisse de l’intégration rationnelle des EnR dans les territoires ou de la gestion active de la demande, nous soutiendrons toute disposition en matière de gouvernance qui permettra de conforter l’organisation nationale de la distribution telle que nous la connaissons aujourd’hui et de renforcer le dialogue avec les collectivités locales.
On peut effectivement élargir l’assiette de la CSPE à l’ensemble des énergies, mais il conviendrait aussi d’optimiser les charges pesant sur le service public, au premier rang desquelles figurent les subventions aux EnR et aux ZNI. En outre, la CSPE finance aujourd’hui le tarif de première nécessité (TPN). Si ce tarif disparaît au profit du chèque énergie, il conviendra de s’interroger sur le financement de ce dernier qui concernera toutes les énergies et ne devra donc pas être financé exclusivement par les consommateurs d’électricité et de gaz. Il serait paradoxal et incohérent avec la stratégie dite du « bas carbone » que les consommateurs d’énergie peu carbonée financent le chèque énergie des énergies fossiles.
Avant de se poser la question de l’utilisation de la rente supposée des gaz de schiste, il conviendrait de s’interroger sur la réalité du potentiel français : à quel coût peut-on exploiter ces gaz et quelle technologie permettrait de le faire dans le respect de l’environnement ?
Enfin, concernant la gouvernance, cette loi est effectivement électro-centrée. La programmation pluriannuelle de l’énergie vise essentiellement l’électricité et le gaz et ne comprend aucun dispositif de pilotage dans le domaine pétrolier. Le plafonnement et le projet stratégique ne concernent qu’EDF et pas Total.
La transition énergétique doit être l’occasion d’instaurer un modèle de gouvernance de la transition et des opérateurs qui soit plus participatif, et qui associe plus fortement les citoyens – non seulement par le biais du financement citoyen des projets EnR mais aussi des opérateurs. Nous proposons de faire évoluer la gouvernance d’EDF afin de sortir de la logique boursière et de remettre le service public au cœur de la gouvernance de la transition énergétique, condition indispensable du succès de cette transition.
Mme Marie-Claire Cailletaud. Personne ne conteste qu’il est important d’opérer la transition énergétique. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut faire n’importe quoi. Or ce texte n’opère pas une transition énergétique, mais, au mieux, une transition électrique. Si la transition énergétique consiste à faire en sorte de répondre aux besoins des populations en France, en Europe et hors du continent dans le cadre contraint du réchauffement climatique, alors il convient d’observer de quels leviers on dispose pour agir. L’un des premiers leviers est celui de l’efficacité énergétique – qui n’est pas du rationnement. En France, les secteurs les plus consommateurs d’énergie et ceux qui émettent le plus de CO2 sont les transports et le logement. Or, s’il n’est pas question des transports dans le projet de loi, on y évoque le logement. En l’occurrence, il s’agit moins de fixer des objectifs chiffrés de logements à rénover que de créer une filière professionnelle et de mobiliser les financements nécessaires. Cela permettra de créer de l’emploi, de promouvoir l’efficacité énergétique et de rééquilibrer notre balance commerciale – déficitaire en raison de l’importation du pétrole et du gaz. Mais ne nous contentons pas d’instaurer une obligation légale d’isolation alors que l’on sait que les gens n’auront pas les moyens de la respecter. Si nous voulons vraiment diminuer notre consommation d’énergie, c’est à notre mode de développement qu’il faut nous attaquer, en commençant par l’urbanisme. Si les salariés sont obligés d’aller habiter à deux heures de leur lieu de travail, c’est en raison de la cherté des logements. Il convient aussi de réfléchir à l’économie circulaire et à la relocalisation des moyens de production. Je constate par ailleurs une incohérence entre les objectifs du projet de loi : la manière dont on mettra en application les engagements du Président de la République ne sont pas explicités, mais il faut quand même les appliquer, pour la seule raison qu’il les a pris !
En ce qui concerne les concessions, je rappelle que l’hydraulique est un moyen de produire de l’électricité peu chère sans émettre de CO2 et de maintenir facilement l’équilibre entre production et consommation. C’est grâce à l’hydroélectricité que l’on a pu redémarrer les centrales en 2008 et que l’on peut évacuer les énergies fatales provenant d’Allemagne. Pensez-vous que, une fois que les barrages auront été cédés à des concessionnaires privés, il sera possible de faire la même chose ? C’est là une question d’intérêt général. Je sais bien que des négociations ont eu lieu à Bruxelles concernant le dépassement par la France de la règle des 3 % de déficit et que nous avons dû céder quelque chose en échange, dont les concessions hydrauliques faisaient partie. Mais cela n’est pas sérieux.
S’agissant des ZNI, il importe de conserver une égalité entre les territoires et de ne pas favoriser l’autonomie régionale.
La sous-traitance dans le nucléaire est une question qui nous tient particulièrement à cœur et sur laquelle la CGT se bat depuis des années. Nous proposons d’une part de ré-internaliser les activités du secteur, pour en finir avec les aberrations techniques, économiques et sociales auxquelles nous sommes parvenus, et, d’autre part, que tous les travailleurs du secteur disposent du même niveau de garanties collectives.
Nous ne sommes pas d’accord avec M. Baupin lorsqu’il affirme que l’amélioration du pilotage d’EDF suppose un retour de l’État dans la politique énergétique, car celle-ci ne concerne pas que l’électricité. Si l’État veut vraiment piloter la politique énergétique, qu’il gère aussi Total et GDF Suez. Nous proposons pour notre part la constitution d’un pôle public de l’énergie, et non seulement de l’électricité. Bien que l’État détienne 85 % d’EDF, ses administrateurs ne jouent pas leur rôle : il se comporte comme le pire des actionnaires, se contentant d’essayer de faire remonter des dividendes ou d’utiliser ses participations pour rentrer au capital d’autres entreprises. Ainsi, il a récemment vendu des parts de GDF Suez afin d’entrer au capital Alstom. Ce n’est pas une bonne manière de mener une politique industrielle ! Nous proposons donc la création d’un pôle public de l’énergie en lien avec l’Agence européenne de l’énergie afin de mettre en cohérence les grands choix des différents États membres, en particulier en ce qui concerne la recherche, les réseaux, les contrats d’approvisionnement et les émissions de CO2.
S’agissant de la CSPE, nous prônons le développement des EnR en filières industrielles : ce qui veut dire que l’on ferait de la recherche en amont, que l’on porterait les technologies à maturité, puis qu’on les incorporerait au bouquet énergétique, plutôt que d’instaurer des tarifs de rachat créateurs de bulles spéculatives. En l’état actuel de la situation, la moins mauvaise des solutions consiste effectivement à étendre la CSPE à toutes les formes d’énergie.
La recherche revêt à nos yeux une très grande importance dans le domaine énergétique. Or on n’en fait pas assez en France, car elle est mal financée et mal organisée, notamment en raison d’un manque d’articulation entre la recherche fondamentale et la recherche technique. La recherche concerne non seulement les EnR, mais aussi le stockage de l’électricité et la quatrième génération de centrales – qui devra obligatoirement être envisagée si l’on pense, comme nous, que la filière nucléaire a de l’avenir.
En ce qui concerne le plafonnement du nucléaire, nous jugeons insensé de fixer des quotas : il nous faut avancer au fur et à mesure des évolutions technologiques, en nous appuyant sur les trois piliers économique, social et environnemental.
Quant à l’élargissement des accords de la branche des industries électriques et gazières à d’autres salariés, nous y sommes favorables, mais commençons par appliquer la loi NOME qui prévoit que tous les salariés contribuant à la production, au transport ou à la distribution d’électricité peuvent bénéficier du statut.
S’agissant de la prolongation jusqu’à quarante ans de la durée de vie des centrales, je fais confiance à l’ASN qui joue bien son rôle. Nous luttons d’ailleurs sur le plan syndical pour que l’Autorité et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) disposent de davantage de moyens, car l’État est en train de diminuer ses budgets. C’est à l’État de définir sa politique énergétique, et aux entreprises productrices de respecter ce cadre. Nous nous sommes dotés d’une autorité de sûreté capable de dire si l’on peut prolonger la durée de vie des centrales au regard de critères économiques et de sécurité.
En ce qui concerne ERDF, nous sommes très attachés au maintien d’une entreprise verticalement intégrée qui a fait ses preuves dans les domaines de la production, des transports et de la distribution. Il est vrai que, aujourd’hui, les liens se distendent. Mais l’on n’évoque nullement dans cette loi les dégâts qu’ont produits sur le secteur les politiques de déréglementation et de mise en concurrence. Celles-ci génèrent pourtant des gaspillages. Pour diminuer nos émissions de CO2 et faire des économies, il conviendrait donc d’y remettre de l’ordre. Il n’est pas question pour nous d’ouvrir le capital d’ERDF ou de changer de modèle. En revanche, il serait logique que les collectivités territoriales aient leur mot à dire sur les stratégies des entreprises. Nous sommes donc favorables à une évolution de la gouvernance de sorte que ces collectivités puissent entrer dans les conseils d’administration et de surveillance de ces entreprises, et qu’elles puissent y faire entendre leur voix. Elles sont en effet concernées au premier chef par toutes les questions liées aux réseaux.
Nous sommes opposés à l’exploitation des gaz de schiste à l’aide des technologies actuelles qui posent un problème environnemental. Toutefois, il faut absolument promouvoir la recherche afin de mieux connaître nos sous-sols. Et, s’il s’avère intéressant d’exploiter les gaz de schiste, il conviendra aussi de mener les recherches nécessaires pour que cette exploitation s’opère dans des conditions acceptables du point de vue environnemental et social. Nous nous trouverions, autrement, dans la situation assez hypocrite où l’on importerait du gaz, mais où l’on n’utiliserait surtout pas celui que l’on a sous les pieds.
M. Jacky Chorin. Je souhaiterais ajouter, en réponse à Mme Battistel, que nous souhaitons qu’il soit possible de bénéficier de droits exclusifs, mais, en tout état de cause, la prolongation de la durée des concessions hydroélectriques serait un élément positif.
M. François Delatronchette. Les transports publics doivent contribuer à la transition énergétique et à la mobilité durable. Il convient de favoriser le développement des moyens de transport publics innovants. Pour les voyageurs, il faut développer les transports en commun, l’intermodalité, prendre en compte les territoires urbains mais aussi les territoires ruraux où l’on trouve peu d’alternatives à la route, et développer une offre d’information multimodale et des services de mobilité s’appuyant sur des réseaux intelligents. Pour les marchandises, il conviendrait de définir un plan d’action concret pour favoriser la multimodalité – fluviale et ferroviaire notamment –, développer le transport combiné et le wagon isolé, définir une politique tarifaire spécifique et coresponsable, et développer la logistique urbaine en l’intégrant aux plans de déplacements urbains.
Les déplacements entre le domicile et le travail peuvent contribuer à la transition énergétique. Les plans de déplacements d’entreprise constituant un objectif intéressant, nous regrettons que le projet de loi les mentionne sans les rendre obligatoires. Ils devraient le devenir dans les entreprises de cinquante salariés et plus, comme en Belgique. Nous souhaiterions également qu’ils fassent l’objet d’un dialogue social avec les syndicats.
Enfin, nous préconisons d’assurer la santé de la population et des salariés des transports en garantissant une bonne qualité de l’air. Les salariés des transports sont encore plus exposés à la pollution que le reste de la population, car ils le sont toute la journée. Ainsi, dans le métro, la norme, aberrante, permet une exposition aux particules PM10 cent fois supérieure à celle applicable au reste de la population. Nous souhaiterions que la tutelle oblige les entreprises de transport dont elle est chargée à mettre fin à cette anomalie, en particulier dans les tunnels, le métro et les aéroports, ainsi qu’aux péages autoroutiers.
M. Dominique Launay, secrétaire général de l’Union interfédérale des transports de la CGT. Le transport est le premier émetteur de gaz à effet de serre. Or l’objectif de la transition énergétique consiste à diminuer ces émissions. Il est donc regrettable que le premier secteur qui en produit ne soit pas abordé dans le projet de loi. Ce secteur est un important consommateur d’énergies fossiles, et en particulier de pétrole. Or, depuis le Grenelle de l’environnement, le report modal sur le rail et le fluvial – modes alternatifs à la route – n’a pas été opéré. Les parts modales du fer et du fluvial ont même baissé depuis l’adoption de la loi.
Il est donc nécessaire de promouvoir la multimodalité et le juste coût du transport. Le transport de marchandises est tellement sous-évalué, tant sur le mode routier que sur mer, qu’il n’est plus un frein aux délocalisations ni aux trafics parasites. Nous en avons vu quelques exemples dernièrement en France dans le transport de produits alimentaires. Il est nécessaire d’assurer un rééquilibrage des modes. Or, pour garantir un juste coût du transport qui permette un rééquilibrage, il est nécessaire d’assurer le financement d’infrastructures nouvelles pour développer les modes alternatifs – ferré et fluvial – et la régénération des réseaux. Cette dernière doit d’ailleurs aussi concerner les réseaux routiers secondaires, aujourd’hui en très mauvais état. En effet, dans une logique multimodale, nous avons besoin de tous les modes de transport. S’il convient de rééquilibrer les modes entre eux, c’est non seulement pour des raisons environnementales, mais aussi pour permettre la relocalisation des productions industrielles et donc favoriser l’économie circulaire.
Il convient également de renforcer la maîtrise et le financement publics des infrastructures. Les partenariats public-privé et les concessions vont à l’encontre du développement économique et de l’aménagement du territoire, et créent des déséquilibres entre les territoires.
Nous proposons de développer les transports collectifs publics, quels que soient les modes. Or, là encore, le manque de ressources financières de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) remet en cause de nombreux projets de transport urbain et de développement de modes alternatifs. Il aurait fallu que ce volet essentiel soit traité dans le projet de loi : nous le porterons lors de la table ronde qui sera prochainement organisée dans le cadre de la conférence environnementale, mais les risques sont grands qu’il ne soit pas intégré au texte qui nous occupe aujourd’hui.
Nous insistons aussi pour que le transport ferroviaire et fluvial de marchandises et le cabotage maritime soient déclarés d’intérêt général. Nous demandons que soit promu le concept de wagon isolé, sans lequel aucun report modal sur le mode ferré ne sera possible. Cela nécessite des infrastructures ainsi que la modernisation et la rénovation des réseaux secondaires. Certaines entreprises plaident en faveur de la rénovation et du maintien du réseau capillaire afin d’éviter la désertification de certains territoires.
Enfin, cessons de créer des besoins de transport. L’urbanisme anarchique et le développement de zones commerciales et de zones logistiques déconnectées des voies navigables ou ferrées incitent encore davantage à recourir aux camions. L’évolution induite par les nouvelles lois territoriales, notamment le développement des grandes métropoles, créent de nouveaux besoins de transport tout en déplaçant les habitants hors de régions qui se désertifient. L’Auvergne en est un exemple particulier. Dans les territoires désertifiés, il ne sera plus possible d’accéder aux transports, si ce n’est par la route. Dans le même temps, les salariés habitent sur de nouveaux territoires de plus en plus éloignés de leurs lieux de travail et de vie.
Nous nous trouvons donc confrontés à des enjeux d’urbanisation, de développement économique et d’aménagement du territoire. Il aurait été souhaitable que l’on puisse en débattre dans le cadre de ce projet de loi, pour ne pas continuer à recourir à la route. Nous voyons aujourd’hui arriver des 44 tonnes et certains évoquent même des 60 tonnes : voilà qui va à contre-courant de la notion de report modal et des enjeux environnementaux auxquels nous sommes confrontés.
M. le président François Brottes. Madame, messieurs, je vous remercie.
14. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation de avec la participation de M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Mme Marie Castelli, secrétaire générale de AVERE France, M. Jean-Christophe Béziat, directeur des relations institutionnelles pour l’Innovation, l’environnement et la mobilité de Renault et M. Adamo Screnci, vice-président exécutif de McPhy Energy
(Séance du mercredi 17 septembre 2014)
M. le président François Brottes. Nous souhaitons nous intéresser à des sujets nouveaux, parfois mal connus ou inaboutis. Le stockage s’apparente à un puits sans fond d’innovation attendue, faute de modèle économique. Pour résoudre le problème de l’intermittence des énergies renouvelables, peut-on imaginer une solution industrielle de stockage ? Le projet de loi ne fait qu’effleurer cette question. Il accorde, en revanche, une grande place au véhicule électrique, ce qui lui vaut de nombreux reproches. Au moins a-t-il le mérite de traduire la volonté de développer cette filière. Un autre texte a été voté récemment pour assurer le déploiement de bornes de recharge rapide en vue de rassurer les consommateurs. Las ! elles n’ont rien de vertueux, car elles utilisent de l’énergie sans tenir compte de sa disponibilité – mais il est difficile d’expliquer au client qu’il ne peut recharger sa voiture que la nuit.
Nous sommes désireux de connaître votre point de vue sur le projet de loi, particulièrement sur les thèmes du stockage de l’électricité et du véhicule électrique.
M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Un premier élément à prendre en compte est que le développement des énergies renouvelables, qui n’offrent pas de garantie de production face à la demande, doit nécessairement s’accompagner de capacités de stockage. Or le développement de telles capacités est freiné par l’absence de modèle économique.
Le CEA a récemment démontré que l’autoconsommation pour une installation de panneaux photovoltaïques située en Corse peut passer de 30 % sans stockage à 65 % avec une capacité raisonnable de stockage. La représentation nationale et les acteurs du secteur des énergies renouvelables doivent prendre conscience que la maturité des progrès technologiques autorise un couplage étroit entre stockage et production intermittente.
Un deuxième élément est que le stockage exige une intelligence de gestion. Les mêmes travaux montrent qu’il est possible de multiplier par trois la durée de vie d’une batterie en adaptant ses cycles de charge et décharge aux besoins. Il n’est ainsi pas judicieux de recharger systématiquement en totalité sa batterie si l’on peut se contenter de la moitié de sa capacité. La gestion de la batterie rend celle-ci plus performante. Il faut donc accompagner le développement des technologies de stockage d’une aide à la décision reposant sur une connaissance des usages.
Troisième élément, les progrès technologiques sont très importants. Le prix d’une batterie a été divisé par deux depuis 2010. De même, pour les piles à combustible, sont actuellement mis au point des matériaux susceptibles de se substituer à certains matériaux rares et coûteux qui entrent dans leur composition.
La loi devrait insister davantage sur la volonté de l’État de s’appuyer sur une recherche de qualité qui mériterait toutefois d’être mieux coordonnée. De multiples pistes sont ouvertes aujourd’hui ; cette ouverture doit être préservée, mais il faut être capable de concentrer les moyens sur les opportunités qui se présentent, en particulier en renforçant le poids de la recherche technologique.
Mme Marie Castelli, secrétaire générale d’AVERE France. AVERE France est l’association professionnelle nationale pour le développement de la mobilité électrique. Cette fédération représentative de l’écosystème de la mobilité électrique rassemble les constructeurs automobiles, les constructeurs d’infrastructures de recharge, les installateurs, les pourvoyeurs de service, les entreprises utilisatrices et les collectivités territoriales impliquées dans le développement de la mobilité électrique.
Nous nous félicitons de ce texte qui comporte des mesures de soutien à la filière. Face aux critiques sur la place accordée au véhicule électrique, il convient de rappeler que le soutien à ce secteur, constant depuis 2009, a permis le développement d’une filière industrielle et d’un savoir-faire français – pour preuve, le nombre d’adhérents de l’AVERE est passé de 40 il y a cinq ans à 130 aujourd’hui. Cette filière, qui est pourvoyeuse d’emplois, s’inscrit parfaitement dans l’objectif d’une croissance verte affiché par le projet de loi.
Il faut également souligner le savoir-faire de la France dans la production d’électricité décarbonée. Le choix de l’électrique est donc pertinent sur le plan à la fois économique et environnemental.
À l’argument d’un marché du véhicule électrique balbutiant, on peut opposer que celui-ci connaît un dynamisme inégalé aujourd’hui dans l’automobile. Depuis la commercialisation des premiers véhicules en 2010, le marché a connu une croissance exponentielle chaque année, le nombre de véhicules immatriculés passant de 980 en 2011 à 13 954 en 2013. Ces chiffres paraissent marginaux par rapport aux deux millions de véhicules vendus, mais ils traduisent un dynamisme encourageant pour une révolution technologique. Les volumes de vente sont vingt fois supérieurs sur les premières années à ceux de la technologie hybride. Le marché des infrastructures connaît un développement similaire : le maillage territorial progresse, que ce soit pour les bornes publiques ou privées. Ces dernières constituent un enjeu fondamental puisque 90 % de la recharge a lieu à domicile ou sur le lieu de travail. Nous nous félicitons que cette question soit abordée par le projet de loi.
Quelques remarques sur le projet de loi. Parmi les mesures relatives à la mobilité électrique, la prime à la conversion d’un véhicule diesel en véhicule électrique, qui reste à concrétiser dans la loi de finances, nous intéresse particulièrement. Malgré la baisse du coût des batteries, les véhicules électriques, faute de volumes de production suffisants, restent chers. Si le bonus écologique est vital, la prime supplémentaire est bienvenue pour faciliter un accès élargi de la population à ces véhicules.
Deux bémols toutefois s’agissant des critères géographique et de revenus qui s’appliqueraient à cette prime. Le premier ne doit pas être limité aux centres-villes pollués, car les plus nombreux à y circuler sont des périurbains. Pour le second, je tire une sonnette d’alarme : même avec une aide globale de 10 000 euros, les véhicules électriques neufs restent inaccessibles aux faibles revenus. Le critère de revenus doit permettre de s’adresser aux personnes susceptibles d’acheter des véhicules neufs, sinon la prime n’aura pas l’effet de levier escompté.
S’agissant du câblage dans les immeubles, le projet de loi étend l’obligation de précâblage dans le neuf aux bâtiments à usage industriel et tertiaire, bâtiments publics et ensembles commerciaux. Il est essentiel de faciliter l’installation des infrastructures dans ces lieux de recharge. Seul bémol, l’article L. 111-5-2 du code de la construction et de l’habitation, qui prévoit une obligation de précâblage pour tous les immeubles dont le permis de construire a été déposé avant le 1er juillet 2012, est réécrit sans mentionner ces immeubles. Il me semble qu’il y a là un vide juridique qui doit sans doute être comblé.
En outre, la notion de câblage doit être suffisamment précise pour être contraignante pour les promoteurs immobiliers. Il semble que ces derniers interprètent a minima cette notion pour respecter l’obligation à moindre coût.
Dernier bémol sur cet article 10, les dates d’application nous semblent lointaines
– 1er janvier 2016 pour les ensembles commerciaux et de cinéma, 1er janvier 2017 pour les parkings d’habitation. Le marché est à un moment charnière, il ne faudrait pas que le soufflé retombe. Nous plaidons plutôt pour une mise en œuvre à la mi-2015, sinon les mesures risquent d’arriver trop tard.
Il ressort d’une étude réalisée avec Ipsos sur la perception de la mobilité électrique par les Français que les véhicules électriques bénéficient d’une image positive sur le plan écologique. En revanche, il y a une véritable méconnaissance du coût, des modalités de recharge et des dispositifs d’incitation. Une campagne de communication et de pédagogie serait nécessaire pour accompagner le développement de la mobilité électrique en France.
Enfin, certains véhicules sont oubliés dans le projet de loi : les véhicules légers de petite taille – deux-roues, tricycles, quadricycles. C’est regrettable quand on connaît la part que prennent à la pollution les deux-roues dans les centres urbains. Il pourrait être intéressant d’étendre les primes envisagées à ce type de véhicules.
M. le président François Brottes. Chacun reconnaît que le véhicule électrique s’adresse davantage aux rurbains.
Quant au câblage des immeubles, j’avais déposé des amendements sur le projet de loi ALUR pour donner aux maires la possibilité de contrôler le respect de l’obligation, mais ils ont été repoussés par la ministre. On le sait, sans contrôle, la norme peine à s’appliquer.
M. Jean-Christophe Béziat, directeur des relations institutionnelles pour l’innovation, l’environnement et la mobilité de Renault. Le secteur automobile, et Renault en particulier, est très impliqué dans trois enjeux environnementaux majeurs : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la qualité de l’air en milieu urbain et l’épuisement des ressources.
La stratégie véhicule électrique de Renault, lancée en 2008, répond aux deux premières préoccupations. Mais j’aborderai également la question des ressources, car Renault développe de nombreuses activités dans le domaine de l’économie circulaire qui fait l’objet du titre IV du projet de loi.
Renault a mis en place une stratégie de déploiement massif du véhicule électrique, qui se traduit par la commercialisation d’une gamme complète de véhicules et à des coûts d’achat accessibles, comparables à ceux des véhicules thermiques.
Le véhicule électrique, qui garantit l’absence de gaz d’échappement lors du roulage, apporte une réponse aux préoccupations en matière d’émissions et de qualité de l’air. Sur ce dernier point, nous avons mené, avec un laboratoire spécialisé dans la modélisation de la qualité de l’air, une étude sur la ville de Rome qui montre qu’avec 20 % de véhicules électriques dans le parc roulant du centre-ville, on diminue les émissions polluantes de 20 à 40 %.
Le véhicule électrique, c’est avant tout le plaisir de la conduite – considéré comme honteux de nos jours. Nous pouvons démontrer que celui-ci n’est pas antinomique de la vertu environnementale.
Le marché du véhicule électrique progresse partout dans le monde. La croissance des ventes de véhicules électriques est même beaucoup plus rapide que celle des véhicules hybrides au démarrage de cette technologie, il y a quinze ans.
Renault a commercialisé 45 000 véhicules. L’alliance avec son partenaire Nissan est leader mondial avec environ 180 000 véhicules vendus. En France, Zoe, véhicule produit à Flins, est également leader avec 50 % de parts de marché.
Le véhicule électrique est aussi une façon de repenser la mobilité des personnes et des biens, et de réinventer des interfaces avec d’autres systèmes de mobilité urbains. Renault a annoncé la semaine dernière un partenariat avec Bolloré pour participer au service d’autopartage développé par celui-ci.
Mme Castelli a rappelé le rôle déterminant des pouvoirs publics pour le développement des véhicules électriques. J’insiste sur la nécessité d’inscrire les politiques publiques dans la durée pour en percevoir les effets.
S’agissant des mesures du titre III, l’intégration de véhicules électriques dans les flottes de l’État et des collectivités territoriales est très importante, car elle renforce la familiarisation du public avec ces véhicules. Ces derniers ne sont plus une bizarrerie dans le paysage quotidien, mais une alternative crédible.
Les mesures en matière de droit à la prise contribuent à lever le verrou de l’accès à l’infrastructure de charge. La difficulté d’installation d’une borne dans un parking d’immeuble d’habitation a pour conséquence que 90 % des clients résident en habitat individuel, ce qui va à l’encontre de l’objectif d’une diffusion de masse et d’un accès pour tous.
Mais, après le décret de juin 2011, les corrections et compléments apportés dans la loi ALUR puis dans ce projet de loi risquent d’aboutir à un empilement de mesures complexes qui demandera un travail de pédagogie en direction notamment du secteur du bâtiment.
M. le président François Brottes. Pouvez-vous préciser les mesures que vous visez ?
M. Jean-Christophe Béziat. Les mesures se sont succédé, les unes s’adressant aux particuliers – le décret de 2011 –, d’autres visant la construction d’immeubles neufs – habitation et bureaux, d’abord, bâtiments à usage industriel et commercial ensuite – avant les ultimes compléments du titre III de ce projet. Ces mesures sont parfaitement vertueuses mais compliquées.
M. le président François Brottes. Il faudrait faire un guide d’implantation des bornes électriques…
M. Jean-Christophe Béziat. L’abondement du bonus écologique sous condition de mise au rebut d’un véhicule ancien contribuera aussi au développement de la mobilité électrique et au renouvellement du parc. Nous soulignons néanmoins la complexité des critères additionnels géographiques ou de ressources qui figurent dans le projet de loi.
Un autre aspect important pour le développement des véhicules électriques n’est malheureusement pas abordé : les aides à l’usage, telles que la tarification préférentielle pour le stationnement ou les péages ou encore l’accès à certaines voies réservées.
Le véhicule électrique, lorsqu’il est en charge, peut constituer un élément régulateur du réseau électrique, vis-à-vis de la production intermittente notamment. On peut également remployer les batteries issues de véhicules électriques en fin de vie pour les utiliser en stationnaire. Renault et Bouygues ont signé un partenariat qui vise à démontrer la faisabilité du remploi de batteries pour stocker l’énergie produite par un bâtiment à partir du photovoltaïque et réguler l’énergie du bâtiment. On parle de smart building. Une expérimentation doit démarrer prochainement au siège de Bouygues à Saint-Quentin-en-Yvelines. Le développement de ces technologies nécessitera des efforts de recherche et développement (R&D) ainsi qu’un travail sur le cadre réglementaire.
Le crédit d’impôt pour l’installation de la borne de recharge à domicile est une mesure incitative très positive.
Un mot sur le titre IV pour conclure, car Renault est très impliqué dans l’économie circulaire depuis 1949, avec l’usine de Choisy-le-Roi qui rénove des pièces et des organes mécaniques afin de proposer des pièces d’occasion moins chères. Par ailleurs, nous sommes associés avec Suez dans Indra, l’un des acteurs majeurs de la déconstruction automobile – 400 sites et 300 000 véhicules hors d’usage valorisés, soit un quart du gisement français. Nous mettons en place des boucles de récupération de matières premières issues de la déconstruction. Nous sommes en pointe dans l’incorporation de matériaux recyclés dans nos véhicules neufs. Sur un véhicule Captur, 30 % de la masse est constituée de matériaux recyclés.
S’agissant du développement de l’économie circulaire, nous attirons l’attention sur plusieurs points : le cadre réglementaire ne doit pas venir freiner le développement de cette économie ; la mise en œuvre du principe de proximité ne doit pas être une source de rigidité ; les modes de calcul du taux de recyclage doivent être standardisés au niveau international ; il est indispensable de lutter contre les filières illégales de traitement des véhicules hors d’usage et de décourager leur exportation, car ils constituent une ressource.
M. Adamo Screnci, vice-président exécutif de McPhy Energy. La société McPhy Energy est née de la rencontre d’une innovation technologique issue de dix ans de recherche au CNRS et de plusieurs années de collaboration avec le CEA, et de l’idée que la valorisation des importantes quantités d’énergie gaspillées pourrait bien devenir un marché porteur. Son objet est donc de fabriquer des équipements pour valoriser l’énergie dite fatale, malheureusement considérée comme un déchet. Notre offre repose sur une technologie innovante de stockage sous forme solide de l’hydrogène couplée à la production décentralisée d’hydrogène sur site à partir d’électrolyse.
McPhy a franchi de nombreuses étapes depuis sa création : incubation, prototypes, recherche de fonds à travers le crédit d’impôt recherche – très bénéfique – et des fonds de capital-risque, développement de projets participatifs à l’étranger – Japon, Italie, Allemagne et États-Unis – et bientôt en France, jusqu’à notre récente introduction en bourse en mars 2014, qui a été un succès. La technologie de l’hydrogène suscite un intérêt dont profitent notre technologie de stockage et le couplage des deux. Cet intérêt est manifesté à la fois par les investisseurs, grâce auxquels nous avons levé 57 millions d’euros, par les industriels étrangers, comme Enel, E.ON et Iwatani, qui ont investi dans des prototypes, et par le public, comme en témoigne le succès de notre introduction en bourse.
Aujourd’hui, nous avons deux filiales, l’une en Allemagne et l’autre en Italie, et trois sont en cours de création.
Nous avons identifié trois marchés prioritaires. Le premier est celui de la mobilité à hydrogène décarboné. De nos jours, 95 % de l’hydrogène est carboné. Produit principalement à partir du gaz naturel ou des hydrocarbures, il représente 800 millions de tonnes de CO2. La production d’un kilo d’hydrogène génère dix kilos de CO2, auxquels il faut ajouter le CO2 émis pour le transport, soit au total environ 15 kilos de CO2. Avec un kilo d’hydrogène, on parcourt 100 kilomètres, avec une émission de 150 grammes de CO2 au kilomètre. En résumé, l’hydrogène actuel ne résout rien, ce qui explique en partie les difficultés des véhicules à hydrogène. Or l’hydrogène décarboné est possible.
Deuxième marché important, l’hydrogène comme vecteur dans le power to gas, autrement dit le stockage d’énergie. Nous avons convaincu quelques industriels français de s’y intéresser.
Le troisième marché est celui de l’hydrogène industriel. On produit aujourd’hui dans le monde 60 millions de tonnes d’hydrogène, qui génèrent 800 millions de tonnes de CO2. Si l’on en produisait un peu moins, ce serait toujours ça de gagné en CO2, et même en indépendance énergétique.
Je retiens de nombreux éléments positifs dans le projet de loi sur la transition énergétique, des signes d’ouverture et de changement. Je cite pêle-mêle : « consommer mieux et moins » – si la première économie, c’est l’énergie non consommée, on peut aussi essayer d’utiliser l’énergie qui est produite mais non employée ; « produire autrement, localement », telle est bien notre idée ; « favoriser le développement des énergies renouvelables », chacun sait que le stockage en est indissociable ; enfin, « améliorer l’air, notre environnement, la qualité de la vie », c’est notre ADN.
Pour parvenir à ces objectifs, l’hydrogène peut jouer un rôle ; il n’est pas la solution mais il est un outil complémentaire. Le véhicule à hydrogène est aussi un véhicule électrique – avec une plus grande autonomie, une autre architecture, moins de batteries – qui répond à un autre besoin. Avec un véhicule électrique standard, il est difficile de faire Paris-Lyon ; avec un véhicule à hydrogène, on peut parcourir 600 kilomètres en ayant fait, en trois minutes, un plein qui coûte 50 euros. Nous en avons un en Allemagne, que nous utilisons tous les jours.
L’hydrogène est plus un vecteur d’énergie qu’une énergie. Il permet de faire le lien entre différentes sources d’énergie, c’est là sa force. Il rend possible le dialogue entre les réseaux d’électricité, de gaz et de pétrole ainsi que l’intégration des énergies renouvelables et du nucléaire fatal, la mobilité décarbonée et la réduction de l’empreinte carbone du gaz naturel. En cela, il est intéressant pour l’indépendance énergétique.
Une fois posé les grands principes, il faut passer aux propositions concrètes ; permettez-moi d’en faire quelques-unes.
La première serait de déployer une infrastructure hydrogène pour la mobilité. Je ne parle pas de sept millions de bornes. À court terme, c’est-à-dire en 2015, cela signifie une dizaine de stations afin de lancer la mobilité à hydrogène avec des flottes captives ; dans cinq ans, une centaine de stations, pour atteindre un niveau équivalent à ce qui existe en Allemagne, au Japon ou en Californie ; à long terme, l’objectif est d’atteindre 10 % des 12 000 stations essence actuelles.
Deuxième suggestion, un bonus de 3 euros par kilo pourrait être consenti pour l’hydrogène décarboné. Aujourd’hui, compte tenu des coûts, nous réussissons à produire de l’hydrogène pour la mobilité autour de 13 euros le kilo, soit 3 euros de trop pour être compétitif par rapport au diesel. Ces 3 euros pourraient être financés par un bonus pour un hydrogène vert. Trois euros, c’est aussi 3 centimes au kilomètre, ce qui correspond au coût admis dans différentes études de l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique due aux transports. On peut rendre compétitif l’hydrogène pour la mobilité tout en réduisant la pollution.
Troisième proposition, aider au financement de 50 mégawatts de power to gas qui permet de récupérer les excédents d’électricité, de les transformer en hydrogène et de les injecter dans le réseau de gaz naturel, avec un coût de rachat du mégawattheure de 200 euros. Aujourd’hui, le biogaz est racheté autour de 130 euros le mégawattheure et le gaz naturel vaut 30 euros ; nos installations sont à l’équilibre à 250 euros. Pourquoi 200 euros ? Si on analyse toutes les technologies permettant de stocker de l’électricité – à l’exception des STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), très efficaces et amorties mais dont les capacités d’installation sont épuisées –, c’est la technologie la moins chère pour valoriser de l’électricité. Le coût ne semble pas très élevé pour résoudre le problème de stockage et de valorisation de l’électricité produite par les énergies renouvelables.
À partir de ces 50 mégawatts, le développement serait progressif jusqu’en 2050 puisque, selon les études de l’ADEME, reprises dans le projet de loi, à cette date, il y aura entre 25 et 30 térawattheures d’électricité inutilisable. Cette électricité pourra être récupérée avec le power to gas.
À court terme, il est important que les pouvoirs publics consolident une filière naissante animée par de petits acteurs. Nous avons démontré la technologie – que nous vendons à l’étranger –, des compétences et des capacités à gérer ce développement en toute sécurité. À long terme, il s’agit de sécuriser les grands industriels. McPhy atteint ses limites : pour des installations qui coûtent des dizaines, voire des centaines de millions d’euros, l’association avec de gros acteurs de l’énergie français est indispensable. Les grands industriels doivent prendre le relais pour permettre le déploiement national, avec la mise en place de projets locaux, créateurs d’emplois, avant d’aller à l’international.
M. le président François Brottes. Il ressort des travaux que je mène avec ERDF et RTE que le surcoût de la gestion des énergies intermittentes peut être évalué entre 600 et 700 millions d’euros chaque année. Le stockage permettrait d’éviter ces dépenses.
M. Philippe Plisson, rapporteur sur les titres III et VI. Le véhicule électrique est, en effet, au cœur de ce projet de loi. Après avoir entendu beaucoup de reproches, je suis heureux d’entendre des appréciations positives sur ce point.
Êtes-vous satisfaits du projet d’installation des sept millions de bornes ? La localisation de ces bornes, qui suppose une collaboration avec les entreprises et les immeubles, constitue une contrainte supplémentaire pour le développement de ce mode de déplacement.
Une question adressée aux constructeurs revient fréquemment : pourquoi n’avoir pas prévu des prises standard pour la recharge ?
L’autonomie limitée des véhicules électriques reste un problème. On me dit que les Fluence du parc de l’Assemblée nationale hésitent à aller jusqu’à Orly de peur de ne pas pouvoir revenir.
Pourquoi Renault a-t-il abandonné la stratégie initiale consistant à changer de batterie dans les stations-service, qui semblait plus adaptée aux usages actuels ?
Le véhicule électrique est-il condamné à rester un véhicule urbain ou peut-on espérer un développement grand public sur l’ensemble du territoire ?
Nous sommes hésitants sur l’idée de réserver des places de parking aux véhicules électriques, car elle semble contredire le pari du développement du véhicule électrique.
Est-il vrai qu’un concurrent japonais s’apprête à sortir l’an prochain un véhicule à hydrogène grand public, qui risquerait de faire beaucoup de mal aux véhicules électriques de Renault ?
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure sur les titres Ier et V. À quelle échéance pensez-vous commercialiser des véhicules électriques qui s’autofinanceront sur les économies de carburant ? Est-ce illusoire de l’envisager ?
Le véhicule électrique ne répond pas à tous les besoins, notamment pour les véhicules techniques, obligeant à développer d’autres types de véhicule économes en énergie. Pourra-t-on à terme disposer de tous les types de véhicules électriques – notamment les véhicules utilisés en montagne ?
Quel est le prix d’achat d’un véhicule à hydrogène non carboné ?
Mme Éricka Bareigts, rapporteure sur le titre VII et le chapitre IV du titre VIII. Menez-vous une réflexion particulière sur le modèle économique du stockage dans les zones non interconnectées (ZNI) compte tenu de leurs contraintes spécifiques ?
Peut-on envisager d’intégrer dans les réseaux des outils de stockage afin de gérer, voire lisser, la pointe de consommation électrique dans ces territoires ?
M. Denis Baupin, rapporteur sur les chapitres Ier à III du titre VIII. Le coût des infrastructures ainsi que les risques pour l’équilibre des réseaux sont régulièrement avancés pour retarder la mise en place des énergies renouvelables. Pourtant, on envisage aujourd’hui l’installation de sept millions de bornes de recharge. Pour quelle raison ce qui vaut pour les unes ne vaut pas pour les autres ? Existe-t-il une étude d’impact sur ce déploiement massif ?
En matière de stockage, des solutions technologiques existent – STEP, power to gas – et d’autres seront développées grâce à la recherche, mais la question du modèle économique reste entière. Comment rémunérer ceux qui développent et mettent en place des moyens de stockage ?
En matière de passage de l’électricité au gaz, quels sont les taux de perte induits par les transformations subies ? Je crois à cette technologie et je constate la passion qui anime ceux qui travaillent sur l’hydrogène, mais je m’interroge sur les applications dans la réalité.
J’ai commis, avec Fabienne Keller, un rapport sur le véhicule écologique et sur la diversité de l’offre en la matière. Le projet de loi reste très marqué par l’électricité alors qu’il est difficile de prévoir dans quel domaine auront lieu les percées technologiques. Il y aurait sans doute intérêt à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Faut-il construire toutes les voitures sur le même modèle, avec quatre sièges, même pour une utilisation par une seule personne ? Il faut peut-être revoir le modèle de la voiture à tout faire et repenser le lien à l’automobile.
La Twizy de Renault, malgré ses défauts, est un bel exemple d’innovation. Les petits véhicules peuvent répondre aux besoins de moindre consommation de carburant et d’espace, au regard notamment du stationnement et des embouteillages. Penser la mobilité au XXIe siècle, c’est sans doute concevoir des véhicules adaptés aux besoins. Ces véhicules répondent aussi au problème du pouvoir d’achat, en particulier pour les rurbains dont les droits à la mobilité – accès aux services publics, à l’emploi – diminuent à cause du coût de la mobilité. C’est dans ces territoires que le vote d’extrême droite progresse, car les citoyens se sentent isolés et rejetés.
Pour m’être heurté, en tant que maire-adjoint, à l’incapacité à penser l’automobile autrement, il me semble que nous sommes à un moment propice à une plus grande audace de la part des constructeurs. Je proposerai, à titre personnel, des amendements pour inciter les pouvoirs publics à soutenir les innovations en la matière.
M. Jean-Paul Chanteguet. Madame Castelli, la prime à la conversion existe déjà : d’un montant initial de