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Amendements  sur le projet ou la proposition


N
° 2498

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 janvier 2015.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE (1) CHARGÉE D’EXAMINER, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, LE PROJET DE LOI (N° 2447) pour la croissance et l’activité.

TOME I

EXAMEN DES ARTICLES

Volume 1

Titre Ier

PAR M. Richard FERRAND,

Rapporteur général

et

MM. Christophe CASTANER, Laurent GRANDGUILLAUME,
Denys ROBILIARD, Gilles SAVARY, Alain TOURRET,
Stéphane TRAVERT, Mmes Cécile UNTERMAIER et Clotilde VALTER,

Rapporteurs thématiques

——

La commission spéciale est composée de :

M. François Brottes, président ; Mme Corinne Erhel, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Christophe Sirugue, M. Francis Vercamer, vice-présidents ; Mme Michèle Bonneton, M. Marc Dolez, Mme Véronique Louwagie, Mme Elisabeth Pochon, secrétaires ; M. Richard Ferrand, rapporteur général ; M. Christophe Castaner, M. Laurent Grandguillaume, M. Denys Robiliard, M. Gilles Savary, M. Alain Tourret, M. Stéphane Travert, Mme Cécile Untermaier, Mme Clotilde Valter, rapporteurs ; M. Julien Aubert, M. Luc Belot, Mme Karine Berger, M. Yves Blein, M. Marcel Bonnot, Mme Brigitte Bourguignon, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Colette Capdevielle, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Gérard Cherpion, M. Alain Chrétien, M. Jean-Louis Costes, Mme Françoise Dumas, Mme Sophie Errante, M. Daniel Fasquelle, Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Bernard Gérard, M. Jean-Patrick Gille, M. Joël Giraud, M. Philippe Gosselin, M. Jean Grellier, M. Michel Heinrich, M. Patrick Hetzel, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, M. Sébastien Huyghe, Mme Bernadette Laclais, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Dominique Lefebvre, M. Arnaud Leroy, Mme Audrey Linkenheld, M. Gilles Lurton, Mme Sandrine Mazetier, Mme Martine Pinville, Mme Monique Rabin, M. Jean-Louis Roumegas, M. Martial Saddier, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, M. Philippe Vigier, M. Philippe Vitel, M. Jean-Luc Warsmann, M. Éric Woerth, M. Michel Zumkeller.

SOMMAIRE

___

Pages

LES PRINCIPALES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE 13

INTRODUCTION 25

I. LEVER LES FREINS À L’ACTIVITÉ POUR CRÉER DES EMPLOIS 26

A. ACCROÎTRE LA MOBILITÉ, EN PARTICULIER DES JEUNES, UN FACTEUR D’INSERTION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL 26

1. Ouverture à l’initiative privée du transport par autocar 26

2. L’externalisation des épreuves théoriques du permis de conduire permettra de réduire les délais d’attente 27

B. RÉNOVATION DU CADRE JURIDIQUE QUI FACILITERA L’ACCÈS DES FRANÇAIS AUX PROFESSIONS RÉGLEMENTÉES 28

1. Une liberté d’installation régulée de certaines professions réglementées ouvrira de nouvelles possibilités aux jeunes diplômés. 28

2. Simplification de l’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire 30

3. Un « corridor tarifaire » permettant de rapprocher les tarifs des coûts 31

4. Création de structures communes pour un exercice pluridisciplinaire 34

5. Extension de la territorialité du monopole de postulation de l’avocat à l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort d’une même cour d’appel 34

6. La création d’un statut d’avocat en entreprise pose plus de questions qu’elle n’en résout et doit être supprimée 35

C. RENFORCER L’ATTRACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DU TERRITOIRE, EN ÉLARGISSANT LES OUVERTURES COMMERCIALES DOMINICALES 36

1. Répondre aux attentes des Français qui souhaitent pouvoir avoir accès à plus de commerces le dimanche 36

2. Favoriser le tourisme international 38

D. DYNAMISER LES PARTICIPATIONS PUBLIQUES AFIN DE DÉVELOPPER L’OUTIL INDUSTRIEL ET LES PERSPECTIVES D’EMPLOI 38

1. L’adoption d’une stratégie claire et globale au titre de l’État actionnaire 38

2. L’ouverture du capital de certaines sociétés doit permettre de développer l’outil industriel, d’élargir les perspectives d’emploi et de faire naître un leader européen 40

3. Le transfert au secteur privé des sociétés concessionnaires Aéroports de Lyon et Aéroports de la Côte d’Azur 41

II. MIEUX RÉGULER L’ACTIVITÉ ET PROTÉGER LES DROITS DES SALARIÉS 42

A. DE NOUVEAUX DROITS POUR DES SALARIÉS MIEUX PROTÉGÉS 42

1. De nouveaux droits pour les salariés travaillant le dimanche : négociations, volontariat et compensations salariales 42

a. La priorité accordée à la négociation sociale 42

b. La protection du volontariat 43

c. Des contreparties fixées par la loi dans certaines situations spécifiques 43

2. Une inspection du travail plus efficace 44

3. Le renforcement de la lutte contre la prestation de service internationale illégale 45

4. La création d’un véritable statut du défenseur syndical au sein de la justice prud’homale. 46

B. L’APPROFONDISSEMENT ET L'EXTENSION DU RÔLE DES AUTORITÉS DE RÉGULATION 47

1. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires voit ses compétences étendues au transport routier 47

2. Les compétences de l’Autorité de la concurrence sont sensiblement étendues 47

a. Avis en matière de documents d’urbanisme et avis en matière de tarifs pour les professions réglementées 47

b. Le renforcement de l’injonction structurelle 48

C. LA RÉNOVATION DE LA PARTICIPATION DES SALARIÉS, UN GAGE DE LEUR IMPLICATION DANS LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES 50

1. L’actionnariat salarié contribue à l’établissement d’un socle d’actionnaires stable et durable 50

2. L’élargissement et la simplification de l’épargne salariale sont souhaitables à tous égards 52

3. Un encadrement renforcé des retraites chapeau 54

III. MODERNISER ET SIMPLIFIER LES PROCÉDURES 56

A. LA SIMPLIFICATION DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT ET DE L’URBANISME 56

1. Droit de l’environnement : la modernisation et la simplification de ces droits passent par exemple par le développement des autorisations dites uniques 56

a. L’extension de l’expérimentation de l’autorisation unique aux projets présentant un intérêt majeur pour l’activité économique 56

b. La pérennisation des dispositifs d’autorisation unique ICPE et IOTA 57

c. L’extension à la région Île-de-France de l’expérimentation du certificat de projet 58

2. Droit de l’urbanisme : l’accélération des procédures doit permettre de participer à l’effort national de construction 59

a. Accélérer l’instruction et la délivrance de l’autorisation des projets de construction et d’aménagement 59

b. Modifier les règles relatives à l’évaluation environnementale des projets 60

c. Moderniser et clarifier les modalités de participation, de concertation, de consultation et d’information du public 60

d. Accroître la sécurité des porteurs de projets 60

B. SIMPLIFIER LES OBLIGATIONS DES ENTREPRISES, UN IMPÉRATIF 61

1. Mise en place d’un identifiant électronique unique, sécurisé et authentifié pour toutes les entreprises d’ici fin 2016 61

2. Allégement des obligations comptables des très petites entreprises pendant leur période d’inactivité 62

C. SAUVEGARDER ET PÉRENNISER L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ET L’EMPLOI 64

1. La spécialisation de certains tribunaux de commerce 64

2. Une intervention améliorée des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires 65

3. L’instauration de mécanismes de conversion de créance et de cession forcée en cas de procédure de redressement judiciaire 67

D. MODERNISER LE DROIT DU TRAVAIL 68

1. La réforme de la justice prud’homale 68

2. Adapter les peines relatives au délit d’entrave 70

AUDITION DU MINISTRE 71

EXAMEN EN COMMISSION 107

EXAMEN DES ARTICLES 111

TITRE 1ER – LIBÉRER L’ACTIVITÉ 111

Chapitre 1er – Mobilité 111

Article premier (art. L. 2131-1, L. 2131-2, L. 2132-1, L. 2132-4, L. 2132-5, L. 2132-7, L. 2132-8, L. 2135-1, L. 2135-2, L. 2135-3, L. 2135-7, L. 2135-13, L. 2331-1 et L. 2341-1 du code des transports) : Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) 111

Après l’article 1er 126

Article 2 (art. L. 3111-17 à L. 3111-25 [nouveaux] du code des transports) : Transport public routier de personnes : libéralisation des services de transport par autocar 129

Article 3 (art. L. 1221-3, L. 3111-1, L. 3111-2, L. 3111-3, L. 3421-2, L. 3451-2, L. 3452-5-1, L. 3452-6, L. 3452-7, L. 3452-8, L. 3521-5 et L. 3551-5 du code des transports) : Transport par autocar : dispositions de coordination 156

Article 3 bis : [nouveau] Habilitation à légiférer par ordonnance pour permettre la réalisation du projet « Charles-de-Gaulle Express » 159

Article 3 ter : [nouveau] Rapport de l’ADEME sur l’impact du transport par autocar sur l’environnement 164

Article 3 quater : [nouveau] Rapport du Gouvernement sur l’impact du développement du transport par autocar sur l’industrie automobile 166

Après l’article 3 168

Article 4 : Gares routières de voyageurs : habilitation à légiférer par ordonnance 170

Après l’article 4 178

Article 5 (art. L. 122-7 à L. 122-21 [nouveaux] du code de la voirie routière) : Compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières en matière de péages autoroutiers et de marchés passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes 183

Après l’article 5 195

Article 5 bis : [nouveau] Rapport du Gouvernement sur l’opportunité d’une tarification des péages autoroutiers en fonction du nombre de passagers 199

Article 6 (art. L. 122-4 et L. 122-4-2 du code de la voirie routière) : Compétences de l’ARAFER dans le secteur autoroutier : dispositions de coordination 201

Article 6 bis [nouveau] : Société du Grand Paris : ratification de l’ordonnance n° 2014-690 du 26 juin 2014 203

Article 7 : Modalités d’entrée en vigueur des articles premier, 2, 3, 5 et 6 205

Article 8 (art. L. 3120-2, L. 3121-3, L. 3121-5 et L. 3121-11 du code des transports, art. 230-19 du code de procédure pénale, art. L. 311-3 du code de la sécurité sociale et loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014) : Stationnement des voitures de transport avec chauffeur (VTC) aux abords des gares et des aéroports 206

Article 8 bis [nouveau] (art. L. 212-1 du code des assurances) : Renforcement des obligations du Bureau central de tarification 210

Article 8 ter [nouveau] (art. L. 212-4 et L. 213-6 du code de la route) : Extension des sanctions pénales réprimant l’enseignement de la conduite ou la formation des examinateurs sans autorisation administrative 212

Article 8 quater [nouveau] (art. L. 213-1 et L. 213-5 du code de la route) : Suppression de la commission départementale de la sécurité routière 213

Article 8 quinquies [nouveau] (art. L. 213-2 du code de la route) : Possibilité de conclure un contrat à distance avec une auto-école 215

Article 8 sexies [nouveau] (art. L. 213-3 du code de la route) : Suppression de la condition d’ancienneté du permis de conduire des exploitants d’un établissement de conduite 216

Article 8 septies : [nouveau] Rapport sur la faisabilité de l’instauration d’une filière française de déconstruction des navires 217

Article 9 (art. L. 221-3 à L. 221-8 [nouveaux] du code de la route) : Externalisation de l’épreuve théorique du permis de conduire et l’épreuve pratique de certains permis poids lourds 219

Après l’article 9 250

Article 9 bis [nouveau] (article L. 213-4-1[nouveau] du code de la route) : Prise en compte du nombre de candidats évalués en première et seconde présentation à l’épreuve pratique du permis B pour l’attribution des places d’examen 252

Après l’article 9 255

Article 9 ter : [nouveau] Rapport sur l’opportunité de proposer le passage du « code de la route » lors de la journée défense citoyenne 262

Chapitre II – Commerce 265

Article 10 (art. L. 752-5-1 [nouveau] du code de commerce) : Consultation de l’Autorité de la concurrence sur les documents d’urbanisme 265

Article 10 bis : [nouveau] (article L. 752-6 du code de commerce) Aménagement des critères de délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale 281

Article 10 ter : [nouveau] (article L. 425-4 du code de l’urbanisme) Autorisation de la cession et de la transmission des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale 283

Article 11 : (article L. 752-26 du code de commerce) Injonction structurelle 286

Après l’article 11 312

Article 11 bis (nouveau) (art. L. 917-6 [nouveau] et L. 927-4 [nouveau] du code de commerce) : Codification de dispositions relatives à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon 318

Après l’article 11 318

Article 11 ter [nouveau] (art. L. 423-6 du code de la consommation) : Modalités de versement des sommes reçues à la suite d’une action de groupe 323

Après l’article 11 324

Article 11 quater [nouveau] (art. L. 425-4 du code de l’urbanisme) : Simplification de la procédure de demande d’un nouveau permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale en cas de modification substantielle du projet 328

Article 11 quinquies [nouveau] (art. 121 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012) : Renouvellement des accords dérogatoires relatifs aux délais de paiement dans certains secteurs économiques 329

Après l’article 11 330

TITRE 1ER – LIBÉRER L’ACTIVITÉ 333

Chapitre III – Conditions d’exercice des professions juridiques réglementées 333

Article 12 (titre IV bis : [nouveau] du livre IV, art. L. 444-1 à L. 444-5 [nouveaux], L. 462-1, L. 462-4, L. 464-1, L. 663-2, L. 663-3 et L. 743-13 du code de commerce ; art. L. 113-3 du code de la consommation ; art. 1er de la loi du 29 mars 1944) Rénovation des modalités de détermination de certains tarifs réglementés 333

Après l’article 12 399

Article 13 (art. 1er, 5, 8, 8-1, 10 et 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; art. L. 141-1 du code de la consommation) : Modifications des règles de postulation et d’établissement des bureaux secondaires des avocats 400

Article 13 bis [nouveau] (art. L. 462-10 [nouveau] du code de commerce) : Assouplissement des conditions d’installation des officiers publics et/ou ministériels 448

Article 14 (art. 2, 4, 10 et 68 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat) : Conséquences de l’assouplissement des conditions d’installation des notaires prévu à l’article 13 bis et instauration d’une limite d’âge 484

Après l’article 14 499

Article 15 (art. 3, art. 4 [nouveau] et art. 4 bis [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945) : Conséquences de l’assouplissement des conditions d’installation des huissiers de justice prévu à l’article 13 bis ; modification du périmètre territorial d’exercice de leurs compétences ; instauration d’une limite d’âge 500

Article 16 (art. 1-1, 1-1-1 [nouveau], 1-1-2 [nouveau], 1-2, 1-3, 2, 3 et 12 de l’ordonnance du 26 juin 1816 ; art. 56 de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000) : Conséquences de l’assouplissement des conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires prévu à l’article 13 bis ; modification des règles d’établissement de leurs bureaux annexes ; instauration d’une limite d’âge 523

Article 16 bis [nouveau] (art. L. 741-1 du code de commerce) : Instauration d’une limite d’âge pour l’exercice de la profession de greffier des tribunaux de commerce 534

Article 17 [supprimé] (art. L. 462-10 [nouveau] du code de commerce) : Assouplissement des conditions d’installation des officiers publics et/ou ministériels 536

Article 17 bis [nouveau] (art. L. 462-11 [nouveau] du code de commerce ; art. 3 de l’ordonnance du 10 septembre 1817) : Assouplissement des conditions d’installation des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation 537

Article 18 (art. 1er ter de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ; art. 3 ter de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ; art. 3 de l’ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 ; art. L. 743-12-1 du code de commerce) : Développement de l’exercice des professions de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier des tribunaux de commerce en qualité de salarié 544

Après l’article 18 551

Article 19 (art. L. 123-6 du code de commerce ; art. L. 411-1 du code de la propriété intellectuelle) : Facilitation de l’accès du public aux données du registre national du commerce et des sociétés 554

Article 20 (art. L. 811-5 et L. 812-3 du code de commerce) : Création d’une profession de commissaire de justice, aménagements des voies d’accès aux professions d’administrateur et de mandataires judiciaires ainsi que de greffier des tribunaux de commerce 563

Article 20 bis [nouveau] (art. 22 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945) : Clarification du domaines des activités pouvant être réalisées à titre accessoire par les experts-comptables 594

Article 20 ter [nouveau] (art. 1er bis AA [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ; art. 1er bis de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ; art. 1er bis [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 ; art. 7, 8 et 87 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; art. L. 811-7 et L. 812-5 du code de commerce ; art. L. 1242-2 et L. 1251-6 du code du travail) : Diversification des formes juridiques possibles pour l’exercice des professions d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, d’administrateur et de mandataire judiciaires 604

Après l’article 20 ter 610

Article 21 : Habilitation à moderniser les conditions d’exercice des professions du droit et du chiffre 612

Chapitre IV – Dispositions relatives au capital des sociétés 641

Avant l’article 22 641

Article 22 (art. 3, 5, 5-1, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 31-1, 31-2 et 34 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ; art. L. 5125-7 du code de la santé publique) : Simplification des conditions de création et de constitution des sociétés d’exercice libéral et des sociétés de participations financières de professions libérales 641

Article 22 bis [nouveau] (art. 13, 13-1 [nouveau] et 22 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977) : Simplification des conditions de création et de constitution des sociétés d’architecte 651

Chapitre V – Urbanisme 653

Article 23 (art. L. 101-1 du code de la construction et de l’habitation) : Données sur la mobilité dans le parc social 653

Article 23 bis [nouveau] (art. L. 301-3, L. 301-5-1 et L. 301-5-2 du code de la construction et de l’habitation et art. L. 3641-5, L. 5217-2 et L. 5219-1 du code général des collectivités territoriales) : Délégation des aides en faveur du logement intermédiaire et de la location-accession 655

Article 23 ter [nouveau] (art. L. 254-1, L. 302-1, L. 302-16, L. 302-1, L. 421-1 et L. 422-2 du code de la construction et de l’habitation) : Harmonisation du zonage relatif au logement intermédiaire 658

Article 23 quater [nouveau] (art. L. 421-1, L. 422-2, L. 422-3 du code de la construction et de l’habitation) : Objet social des filiales des organismes HLM dédiées au logement intermédiaire 663

Article 23 quinquies [nouveau] (art. L. 421-1, L. 422-2, L. 422-3 du code de la construction et de l’habitation) : Conseil d’administration des filiales des organismes HLM dédiées au logement intermédiaire 667

Article 23 sexies : [nouveau] Ratification de l’ordonnance du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire 673

Article 24 (art. L. 123-1-11, L. 123-13-2, L. 123-13-3, L. 128-3 et L. 127-2 [nouveau] du code de l’urbanisme) : Majoration des droits à construire pour le logement intermédiaire 676

Après l’article 24 687

Article 25 (art. 3-2, 8-1, 11-2, 15, 24, 25-3 et 25-8 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989) : Clarification des règles relatives aux rapports entre bailleurs et locataires 691

Après l’article 25 703

Article 25 bis [nouveau] (article L. 133-8 du code de la construction et de l’habitation) : Obligation d’incinération des déchets infestés par la mérule 704

Article 25 ter [nouveau] (art. L. 201-5 du code de la construction et de l’habitation) : Habitat participatif 705

Article 25 quater [nouveau] (art. L. 261-10-1 du code de la construction et de l’habitation) : Garantie financière des opérations de vente en l’état futur d’achèvement 706

Après l’article 25 quater 706

Article 25 quinquies [nouveau] (art. 25-1 A de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et art. L. 741-2 du code de la construction et de l’habitation) : Obligation d’assermentation des agents chargés de l’inspection des logements insalubres 711

Après l’article 25 quinquies 712

Article 25 sexies [nouveau] :Habilitation à légiférer par ordonnance pour créer un bail réel solidaire 715

Lors de sa réunion constitutive du 16 décembre 2014, la Commission spéciale a désigné M. Richard Ferrand rapporteur général ainsi que huit rapporteurs thématiques selon la répartition suivante :

– M. Gilles Savary, rapporteur thématique pour les chapitres I, II et IV du titre Ier, c’est-à-dire les dispositions relatives à la mobilité et à l’urbanisme ;

– Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique pour les chapitres III et IV du titre Ier, c’est-à-dire les dispositions relatives aux professions règlementées ;

– M. Christophe Castaner, rapporteur thématique pour le chapitre Ier du titre II, c’est-à-dire les dispositions relatives à l’investissement et à l’innovation ;

– Mme Clotilde Valter, rapporteure thématique pour les chapitres II et III du titre II, c’est-à-dire les dispositions relatives aux entreprises à participation publique et à l’industrie ;

– M. Laurent Grandguillaume, rapporteur thématique pour le chapitre IV du titre II, c’est-à-dire les dispositions relatives à la simplification ;

– M. Alain Tourret, rapporteur thématique pour le chapitre V du titre II, c’est-à-dire les dispositions relatives aux tribunaux de commerce et aux procédures collectives ;

– M. Stéphane Travert, rapporteur thématique pour le chapitre 1er du titre III, c’est-à-dire les dispositions relatives aux exceptions au repos dominical et en soirée ;

– M. Denys Robiliard, rapporteur thématique pour le chapitre II du titre III, c’est-à-dire les autres dispositions relatives au droit du travail.

Le rapporteur général a, en outre, pris en charge les dispositions du titre IV, c’est-à-dire les dispositions finales du projet de loi.

LES PRINCIPALES MODIFICATIONS
ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPECIALE

Au cours des dix-neuf réunions qu’elle a tenues du lundi 12 au dimanche 18 janvier 2015, la Commission spéciale a examiné 1 741 amendements et en a adopté 495, insérant ainsi 103 articles additionnels.

Les principales modifications apportées par la Commission sont les suivantes :

Titre I : Libérer l’activité

– à l’article 1er, un amendement des rapporteurs étendant le dispositif de sanctions administratives applicable dans le domaine ferroviaire au secteur du transport par autocar et au secteur autoroutier ;

– à l’article 2, deux amendements des rapporteurs, le premier définissant la procédure de déclaration préalable pour l’ouverture de liaisons non conventionnées par autocar, avec droit d’objection pour les autorités organisatrices de transport en cas d’atteinte substantielle à l’équilibre économique d’un service public, le second créant, au bénéfice de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), une obligation de transmission de données et d’informations par les entreprises de transport de personnes par autocar ;

– après l’article 3, un amendement du Gouvernement habilitant celui-ci à légiférer par ordonnance pour permettre la réalisation de la liaison ferroviaire « Charles-de-Gaulle Express » (article 3 bis) ;

– à l’article 5, un amendement de M. Pancher prévoyant une consultation de l’ARAFER dans le cadre de la révision annuelle des tarifs des péages autoroutiers ;

– après l’article 6, un amendement du Gouvernement prévoyant la ratification de l’ordonnance du 26 juin 2014 relative à la participation de la Société du Grand Paris à certains projets du réseau des transports en Ile-de-France (article 6 bis) ;

– à l’article 9, trois amendements des rapporteurs, le premier visant à éviter tout conflit d’intérêts entre formateurs et organisateurs ou examinateurs des épreuves du permis de conduire, le deuxième permettant à tout élève conducteur d’entrer dans un dispositif de conduite supervisée (avec un accompagnateur) dès la validation de sa formation initiale par l’enseignant de conduite jusqu’à sa présentation à l’épreuve pratique, le troisième rendant obligatoire la publication, au moins une fois par an, par les auto-écoles des taux de réussite des candidats qu’ils présentent aux examens théoriques d’une part et aux examens pratiques du permis de conduire rapportés au volume moyen d’heures de conduite réalisé par les candidats d’autre part, pour chaque catégorie de véhicules, ainsi qu’un amendement du président Brottes, rendant possible l’organisation de la préparation et le passage de l’épreuve théorique du permis de conduire, en dehors du temps scolaire, dans les locaux des lycées et établissements régionaux d’enseignement adaptés ;

– après l’article 9, un amendement du président Brottes, prévoyant que la répartition des place d’examen au permis de conduire prenne en compte le nombre de candidats évalués en première et seconde présentation à l’épreuve pratique du permis B par chaque auto-école (article 9 bis) ;

– à l’article 10, un amendement des rapporteurs supprimant la faculté de l’Autorité de la concurrence de se saisir d’office des documents d’urbanisme ;

– après l’article 10, deux amendements du Gouvernement, le premier aménageant les critères de délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale (article 10 bis) ; le second autorisant la cession et la transmission des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (article 10 ter) ;

– à l’article 11, deux amendements des rapporteurs, le premier garantissant, à un stade précoce de la procédure d’injonction structurelle, la bonne information des entreprises sur les faits justifiant les préoccupations de l’Autorité de la concurrence, en prévoyant que celle-ci transmet à l’entreprise son estimation de la part de marché et du niveau de prix ou de marges qui justifie ces préoccupations ; le second précisant de manière expresse que les cessions d’actifs que l’Autorité de la concurrence peut enjoindre à une entreprise au terme de la procédure peuvent concerner des terrains, qu’ils soient ou non bâtis ;

– après l’article 11, trois amendements, le premier du président Brottes prévoyant qu’une demande de permis de construire modificatif valant autorisation d’exploitation commerciale puisse être déposée en cas de modification substantielle du projet (article 11 quater) ; les deux autres identiques de MM. Gérard et Saddier, autorisant le renouvellement des accords interprofessionnels propres à certains secteurs et dérogeant aux plafonds législatifs relatifs aux délais de paiement interentreprises (article 11 quinquies) ;

– à l’article 12, un amendement des rapporteurs tendant à ce que, dans un objectif de justice sociale et de prévisibilité, des tarifs fixes soient maintenus pour certaines prestations de montant faible ou moyen, correspondant aux actes liés à la vie courante, sans remettre en cause le principe selon lequel, au-delà d’un certain montant, des tarifs pourront varier dans le cadre d’un « corridor » dont l’amplitude a été réduite à un sixième en-dessous et au-dessus d’un tarif de référence ;

– à l’article 13, un amendement des rapporteurs limitant les activités pour lesquelles les avocats pourraient postuler auprès de l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel au sein duquel ils ont établi leur résidence professionnelle ;

– après l’article 13, un amendement des rapporteurs procédant à une réécriture globale du dispositif initialement prévu à l’article 17, en ce qui concerne l’assouplissement de l’installation des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires (article 13 bis)  ;

– à l’article 14, un amendement des rapporteurs instaurant une limite d’âge à 70 ans pour les notaires ;

– à l’article 15, un amendement des rapporteurs instaurant une limite d’âge à 70 ans pour les huissiers de justice ;

– à l’article 16, un amendement des rapporteurs instaurant une limite d’âge à 70 ans pour les commissaires-priseurs judiciaires ;

– après l’article 16, un amendement des rapporteurs instaurant une limite d’âge à 70 ans pour les greffiers des tribunaux de commerce (article 16 bis) ;

– après l’article 17, un amendement des rapporteurs visant à étendre et à adapter à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation l’assouplissement des conditions d’installation des autres officiers ministériels (article 17 bis) ;

– à l’article 18, un amendement des rapporteurs instaurant une règle du « un pour quatre » pour l’exercice, en tant que salarié, des professions de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier des tribunaux de commerce, et interdisant les clauses de non-concurrence dans les contrats de travail des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires salariés ;

– à l’article 19, un amendement du Gouvernement substituant à l’habilitation demandée les mesures relatives à l’accès du public aux données du registre national du commerce et des sociétés ;

– après l’article 20, deux amendements, le premier du Gouvernement et le second des rapporteurs, substituant à l’habilitation demandée les dispositions relatives aux prestations autorisées aux experts comptables à titre accessoire d’une part (article 20 bis), celles permettant le recours à toute forme juridique pour l’exercice des professions juridiques d’autre part (article 20 ter) ;

– à l’article 21, un amendement des rapporteurs supprimant l’habilitation sollicitée pour créer, par voie d’ordonnance, la profession d’avocat en entreprise ;

– à l’article 22, un amendement des rapporteurs substituant à l’habilitation demandée les mesures relatives à la création et à la constitution des sociétés d’exercice libéral et des sociétés de participation financières de profession libérale ;

– après l’article 23, un amendement du Gouvernement permettant de déléguer les aides en faveurs du logement intermédiaire aux collectivités territoriales déjà délégataires des aides à la pierre (article 23 bis), ainsi que trois amendements des rapporteurs, le premier supprimant la condition de zonage prévue par l’ordonnance du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire (article 23 ter), le deuxième modifiant l’objet social des filiales créées par les organismes HLM pour gérer des logements intermédiaires (article 23 quater), el troisième ratifiant l’ordonnance précitée (article 23 sexies) ;

– à l’article 25, un amendement du Gouvernement, sous-amendé par Mme Mazetier, substituant à l’habilitation demandée les mesures modifiant la loi ALUR concernant notamment la colocation et la prorogation des baux dans le cadre des ventes à la découpe et des congés pour vente ;

– après l’article 25, un amendement du Gouvernement demandant une habilitation à légiférer par ordonnance pour créer un nouveau contrat de bail de longue durée (article 25 sexies).

Titre II : Investir

– aux articles 26 et 28, deux amendements des rapporteurs associant le Conseil national de la transition écologique à l’élaboration des ordonnances visant à moderniser le droit de l’environnement afin de le rendre plus simple, plus cohérent et plus efficace ;

– après l’article 33, un amendement de Mme Erhel créant une obligation d’équipement en fibre optique des maisons individuelles neuves et des lotissements neufs (article 33 bis) ; deux amendements du président Brottes définissant l’itinérance métropolitaine et les conditions dans lesquelles celle-ci peut être mise en œuvre (articles 33 ter et 33 quinquies) ; un amendement de M. Caullet clarifiant la répartition des rôles entre le Gouvernement et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et au Gouvernement, afin de hiérarchiser ces objectifs et de clarifier la répartition des rôles entre le régulateur et le Gouvernement (article 33 quater) ; un amendement du président Brottes prévoyant une adaptation par décret au secteur de la publicité numérique des dispositions de la loi Sapin renforçant la transparence (article 33 septies) ;

– à l’article 34, un amendement des rapporteurs visant à avancer l’entrée en vigueur de ses dispositions au 1er janvier 2015 ;

– après l’article 35, un amendement des rapporteurs ramenant de dix à sept ans la période pendant laquelle une PME ne doit pas pratiquer de remboursement de ses apports pour le bénéfice du dispositif ISF-PME (article 35 bis) ; un amendement de M. Caullet autorisant le mécénat d’entreprise en faveur des structures œuvrant pour un groupe restreint de personnes (article 35 ter) ; un amendement de M. Leroy permettant de créer un fonds professionnel spécialisé sous la forme d’une société en commandite simple, baptisée société en libre partenariat (article 35 quater) ;

– avant l’article 36, quatre amendements des rapporteurs, le premier portant la représentation minimale des salariés aux deux tiers des sièges des conseils de surveillance des fonds communs de placement d’entreprise (FCPE)(article 35 quinquies), le deuxième supprimant la contribution spécifique pesant sur les abondements des employeurs aux plans d’épargne retraite collectif (PERCO)(article 35 octies), le troisième introduisant un taux réduit du forfait social pour les versements des salariés au titre de la participation et de l’intéressement des employeurs aux PERCO, si ces sommes sont affectées au financement des PME et des entreprises de taille intermédiaire (article 35 nonies), le quatrième prévoyant le versement par défaut de l’intéressement sur les PERCO (article 35 decies) ;

– après l’article 36, un amendement de M. Fromantin visant à relancer l’obligation de négocier des accords de participation au niveau des branches (article 36 bis) ;

– après l’article 37, un amendement des rapporteurs facilitant la modification des plans d’épargne interentreprises (article 37 bis) ;

– après l’article 39, un amendement des rapporteurs rendant obligatoire l’avis du Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié (COPIESAS) sur tout projet de loi ou d’ordonnance prévoyant un déblocage exceptionnel de l’épargne salariale (article 39 quater) ;

– avant l’article 43, trois amendements des rapporteurs substituant à l’habilitation demandée les mesures complétant et corrigeant les dispositions de l’ordonnance du 20 août 2014 afin de la mettre en cohérence avec les dispositions du code général des impôts, du code de commerce et de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public (article 43 A), précisant les règles applicables aux participations des collectivités territoriales au capital des sociétés commerciales en veillant à garantir la protection des intérêts publics (articles 43 B et 43 C) ;

– après l’article 43, deux amendements des rapporteurs renforçant le contrôle à la fois du Parlement et de la Commission des participations et des transferts en cas de privatisation d’une société, en abaissant de moitié les seuils de déclenchement de leurs interventions respectives (articles 43 bis et 43 ter) ;

– à l’article 48, un amendement des rapporteurs réaffirmant la détention majoritairement publique du capital du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies et la nécessité d’une autorisation législative pour transférer la majorité du capital au secteur privé, permettant l’entrée au capital de la Banque publique d’investissement (BPI) et prévoyant la possibilité pour l’État d’instituer une action spécifique en cas de privatisation ;

– à l’article 49, un amendement des rapporteurs renforçant les prérogatives du Parlement pour les opérations de transfert au secteur privé de participations majoritaires détenues par l’État au capital de sociétés concessionnaires d’aéroports et d’autoroutes, en les soumettant de manière systématique à l’autorisation préalable du législateur, indépendamment de critères de chiffres d’affaires ou de salariés ; cet amendement permet également d’inscrire dans la loi le principe de l’autorisation préalable par le ministre chargé des transports de telles opérations, de faire figurer dans le cahier des charges de l’appel d’offres les obligations pesant sur le futur concessionnaire relatives à la préservation des intérêts essentiels de la nation en matière de transport aérien et d’exiger des candidats une expérience de la gestion aéroportuaire ;

– à l’article 50, un amendement des rapporteurs rétablissant une procédure de cession de titres réservés aux salariés, adhérents d’un plan d’épargne entreprise, en cas de privatisation d’une entreprise publique ;

– à l’article 52, un amendement des rapporteurs encadrant la détention par des actionnaires bénéficiaires de droits de vote double durant la dérogation temporaire à l’obligation de déposer un projet d’offre publique en application du code monétaire et financier ;

– après l’article 53, un amendement des rapporteurs habilitant les agents de la DGCCRF à contrôler le respect des délais de paiement par les entreprises publiques et à la possibilité de prononcer à l’égard de ces mêmes entreprises une amende administrative (article 53 ter) ;

– à l’article 54, un amendement des rapporteurs améliorant la rédaction de l’article afin de mieux garantir l’indépendance de l’Autorité de sûreté nucléaire dans le cadre de ses activités internationales ;

– après l’article 54, deux amendements, le premier de M. Caresche visant à favoriser le développement des biocarburants produits à partir de matières premières d’origine animale (article 54 bis), le second de Mme Laclais permettant la mise en place d’un dispositif ciblé pour les sites industriels électro-intensifs (article 54 quater) ;

– après l’article 55, un amendement des rapporteurs protégeant la résidence principale affectée à un usage non professionnel par la suppression de la déclaration obligatoire devant notaire (article 55 ter) ;

– après l’article 56, deux amendements identiques des rapporteurs et de M. Huyghe introduisant, une nouvelle procédure amiable de recouvrement des petites créances (article 56 bis) ;

– après l’article 58, trois amendements, le premier du Gouvernement, permettant le déplacement du siège social d’une SARL sur l’ensemble du territoire national (article 58 bis), le deuxième de Mme Berger prévoyant une obligation de transmettre à l’assemblée générale d’une société anonyme, au moins une fois tous les cinq ans, des informations concernant la variété des profils professionnels parmi les membres des conseils d’administration et des conseils de surveillance des sociétés (article 58 ter), le troisième de Mme Laclais ouvrant aux sociétés la possibilité d’obtenir la non-publicité de leurs comptes annuels (article 58 quater) ;

– après l’article 59, quatre amendements du Gouvernement, améliorant les règles en matière de contrôle des concentrations (article 59 bis), renforçant les pouvoirs d’enquête de l’Autorité de la concurrence (article 59 ter), autorisant celle-ci à rejeter une saisine contentieuse lorsque les pratiques invoquées sont de dimension locale et susceptibles, à ce titre, d’être traitées par le ministère de l’économie (article 59 quater) et améliorant la procédure transactionnelle et la procédure de clémence devant l’Autorité de la concurrence (article 59 quinquies) ;

– après l’article 61, un amendement du Gouvernement habilitant celui-ci à légiférer par ordonnance pour faciliter le développement de la facturation électronique entre les entreprises (article 61 bis) ;

– à l’article 62, un amendement des rapporteurs soumettant la décision sur l’installation de dispositifs publicitaires dérogatoires à l’approbation du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale (IPCI) compétent ;

– à l’article 64, un amendement des rapporteurs précisant le contenu des rapports annuels demandés aux organismes et entreprises gestionnaires de retraites chapeau, en y incluant les montants minimal et maximal de rentes servies, ainsi que le nombre de bénéficiaires potentiels ;

– après l’article 64, un amendement des rapporteurs conditionnant le bénéfice des retraites chapeau des mandataires sociaux dirigeants aux performances de l’entreprise (article 64 bis), ainsi que six amendements du rapporteur général, introduisant une définition du secret des affaires dans le code de commerce (article 64 ter), permettant aux entreprises d’opposer les dispositions du droit international et communautaire pour s’opposer à des demandes d’informations manifestement abusives dans le cadre de procédures ouvertes à l’étranger (article 64 quater), précisant les éléments d’une protection civile du secret des affaires dans une procédure contentieuse (article 64 quinquies), permettant de demander un procès à huis clos en invoquant le secret des affaires (article 65 sexies), sauvegardant le droit pour un journaliste de présenter pour sa défense, dans le cadre d’un procès pour diffamation, d’éléments provenant d’une violation du secret des affaires (article 65 septies) et adaptant la loi du 26 juillet 1968 dite « loi de blocage » (article 65 octies) ;

– à l’article 66, trois amendements des rapporteurs, le premier prévoyant que les procédures collectives concernant une entreprise ayant des établissements situés dans les ressorts de plusieurs tribunaux de commerce ou cours d’appel relèveront de la compétence des tribunaux de commerce spécialisés uniquement si l’entreprise concernée dépasse des seuils en nombre de salariés et en chiffres d’affaires fixés par décret en Conseil d’État, le second précisant que, lorsqu’une procédure collective est ouverte devant un tribunal de commerce spécialisé à l’égard de la société-mère d’un groupe d’entreprises, ce tribunal est également compétent pour les connaître des procédures ouvertes ultérieurement à l’égard de ses filiales, le troisième créant une procédure de transmission immédiate à la juridiction compétente des dossiers relevant d’un tribunal de commerce spécialisé dont aurait été saisi un tribunal de commerce non spécialisé ;

– à l’article 69, un amendement des rapporteurs substituant à l’habilitation demandée des dispositions relatives à la désignation obligatoire d’un second administrateur judiciaire et d’un second mandataire judiciaire dans les procédures collectives remplissant certaines conditions ;

– après l’article 69, un amendement des rapporteurs substituant à l’habilitation demandée des dispositions autorisant et organisant l’exercice salarié des activités d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire (article 69 bis) ;

– avant l’article 70, un amendement des rapporteurs facilitant la désignation facultative d’un second administrateur judiciaire ou d’un second mandataire judiciaire, pour les procédures ne remplissant pas les conditions imposant une co-désignation visées par l’article 69 (article 70 A) ;

– à l’article 70, deux amendements des rapporteurs, le premier prévoyant que le tribunal peut imposer une « cession forcée » ou une « dilution forcée » lorsque l’augmentation de capital constitue « une solution » pour éviter la cessation d’activité d’une entreprise d’au moins 150 salariés, et non pas seulement lorsqu’elle apparaît comme « la seule solution », le second introduisant un délai de trois après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire, afin de laisser aux actionnaires de l’entreprise concernée un délai pour proposer leur propre plan, à l’issue duquel la procédure de « cession forcée » ou de « dilution forcée » pourrait être décidée ;

– après l’article 70, un amendement des rapporteurs permettant d’éviter qu’un débiteur puisse être sanctionné pour ne pas avoir demandé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans les 45 jours suivant la cessation des paiements, lorsque cette omission résulte d’une simple négligence de sa part (article 70 bis), ainsi qu’un amendement du Gouvernement habilitant celui-ci à réformer les règles applicables au gage de meubles et au gage des stocks par la voie d’ordonnance (article 70 ter).

Titre III : Travailler

– à l’article 71, un amendement de M. Tourret prévoyant une consultation de l’EPCI, lorsque celui-ci existe, préalablement à la prise d’un arrêté préfectoral autorisant l’ouverture dérogatoire d’un établissement pour des motifs d’intérêt du public ou pour assurer le fonctionnement normal de l’établissement ;

– à l’article 75, deux amendements des rapporteurs, le premier confiant au président de l’EPCI l’initiative de la demande de délimitation ou de modification d’une zone touristique ou d’une zone commerciale lorsque le périmètre de cette zone excède le territoire d’une seule commune, le second visant à encadrer le délai d’instruction par le préfet de région de telles demandes ;

– à l’article 76, trois amendements des rapporteurs, le premier prévoyant que dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, la mise en place du travail dominical peut intervenir sur le fondement d’une proposition de l’employeur approuvée par les deux tiers des salariés concernés, le deuxième précisant que l’accord collectif conclu pour recourir au travail dominical doit obligatoirement comporter des contreparties d’ordre salarial et, enfin, le troisième précisant que l’accord collectif doit également comporter des mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés privés de repos dominical ;

– à l’article 77, un amendement des rapporteurs garantissant la réversibilité du choix du salarié, en prévoyant que l’accord collectif doit déterminer les modalités de prise en compte d’un éventuel changement d’avis du salarié qui travaille le dimanche ;

– à l’article 78, un amendement des rapporteurs unifiant le régime applicable aux commerces alimentaires situés dans une zone touristique internationale (ZTI) ou dans l’emprise d’une gare, en prévoyant que dès lors que ces commerces souhaitent ouvrir au-delà de 13h00, le régime applicable pour toute la journée du dimanche est celui qui est la plus favorable aux salariés ;

– à l’article 79, deux amendements, le premier des rapporteurs précisant que le dispositif applicable aux commerces des gares situées en zone touristique internationale (ZTI), en zone touristique (ZT) ou en zone commerciale (ZC) est celui applicable dans ces zones, le second de M. Cherpion, prévoyant que l’arrêté ministériel autorisant les commerces situés dans l’emprise d’une gare située hors d’une zone dérogatoire à ouvrir le dimanche est précédé d’une consultation des employeurs et des salariés des commerces concernés ;

– à l’article 80, un amendement des rapporteurs proposant le maintien à douze du nombre des dimanches du maire, tout en revenant à une complète latitude des maires quant au nombre de dimanches fixés, de zéro à douze, sous réserve d’une consultation du conseil municipal et, dès lors que le nombre de dimanches fixés excède sept, de l’EPCI ;

– après l’article 80, un amendement des rapporteurs, visant à prévoir l’exigence du volontariat du salarié pour les commerces bénéficiant des « dimanches du maire » (article 80 bis) ;

– à l’article 81, sept amendements, le premier de Mme Coutelle prévoyant que le moyen de transport que l’employeur doit mettre à disposition du salarié travaillant en soirée pour lui permettre de regagner son domicile est bien pris en charge par l’employeur ; les trois suivants des rapporteurs précisant que l’accord collectif devra fixer les modalités de prise en compte de l’évolution de la situation personnelle des salariés travaillant en soirée, celles d’un éventuel changement d’avis du salarié, ainsi que les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle des salariés travaillant en soirée ; le cinquième de M. Caullet prévoyant que seront également fixées les contreparties mises en œuvre par l’employeur pour compenser les charges induites par la garde d’enfants en soirée ; le sixième des rapporteurs prévoyant que les salariées enceintes peuvent, à leur demande, ne pas travailler en soirée et ,enfin, le septième rendant applicables aux travailleurs en soirée les dispositions protectrices qui concernent les travailleurs de nuit, en matière de surveillance médicale, de protection du refus du salarié et d’aménagement des conditions de retour au travail de jour ;

– à l’article 83, quatre amendements des rapporteurs, le premier supprimant la référence au devoir de réserve des conseillers prud’hommes, le deuxième encadrant le droit de grève des conseillers prud’hommes, le troisième limitant les cas de renvoi du bureau de conciliation et d’orientation vers le juge départiteur et le quatrième maintenant la procédure de conciliation devant le conseil de prud’hommes en cas d’échec de la convention de procédure participative ;

– à l’article 96, un amendement de M. Caullet ajoutant à la liste de manquements graves en matière de détachement justifiant une suspension de la prestation de services, le manquement au repos quotidien de onze heures consécutives minimum et le manquement au repos hebdomadaire ;

– après l’article 97, deux amendements des rapporteurs, le premier encadrant la location transfrontalière dans le domaine du transport fluvial de marchandises en interdisant la location transfrontalière de bateau avec équipage (article 97 bis), le second obligeant les partenaires d’un contrat de transport, de matérialiser par écrit le contrat de transport de marchandises par voie fluviale (article 97 ter) ;

– à l’article 98, un amendement des rapporteurs prévoyant qu’en cas d’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) dans le cadre d’un document unilatéral, le périmètre d’application des critères d’ordre de licenciement ne peut être inférieur à celui de chaque zone d’emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emploi ;

– à l’article 100, un amendement des rapporteurs précisant que les salariés concernés par un licenciement économique qui expriment un intérêt pour les postes situés en dehors du territoire national bénéficient de l’obligation de reclassement dans les mêmes conditions que pour les offres nationales ;

– à l’article 101, un amendement des rapporteurs supprimant l’alinéa 3 de cet article, afin de ne pas réduire l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur objet d’une procédure collective au périmètre de la seule entreprise ;

– à l’article 102, un amendement des rapporteurs précisant qu’en cas d’annulation de la décision d’homologation du PSE par l’autorité administrative pour défaut de motivation, la seconde décision motivée de l’administration doit être prise dans un délai de quinze jours ;

– après l’article 102, un amendement des rapporteurs prévoyant l’application des mesures de l’article 102 aux entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire (article 102 bis).

Titre IV : Dispositions finales

– après l’article 105, un amendement du Gouvernement étendant à Mayotte le dispositif des adultes-relais (article 105 bis).

Enfin, la Commission a changé le titre du projet de loi, qui devient « projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ».

INTRODUCTION

Le contexte économique actuel et la situation de l’emploi nous conduisent à trouver des solutions pragmatiques afin de lever les blocages qui contraignent l’activité française, entravent l’initiative, et obèrent la confiance.

Ce projet de loi propose un ensemble cohérent de mesures concrètes. De sa réussite dépend la capacité de notre pays à prouver qu’il sait se réformer en faveur d’une économie dynamique, tout en portant de nouvelles avancées sociales. La France doit promouvoir l’égalité des chances économiques et la mobilité sociale, en particulier des jeunes.

Premier objectif de ce projet de loi : relancer l’activité. Cela passe notamment par l’ouverture à l’initiative privée du transport par autocar, par le désengorgement et la réduction du prix du permis de conduire, véritable passeport pour l’embauche des jeunes.

Il comporte une réforme emblématique : la liberté d’installation régulée de certaines professions réglementées du droit, qui ouvrira notamment de nouvelles possibilités aux jeunes diplômés. D’une manière plus large, il modernise le cadre juridique de ces professions afin de les aérer et de les adapter à la donne contemporaine.

Tout en réaffirmant la règle du repos dominical, il créera de l’activité par la mise en place des zones touristiques internationales (ZTI) et l’ouverture de dimanches supplémentaire là où c’est utile.

Deuxième objectif transversal de ce projet de loi : donner plus de droits aux salariés et mieux réguler l’activité économique. Il s’agit de faire en sorte par exemple que les salariés travaillant le dimanche dans un commerce de détail le feront volontairement et seront couverts par un accord collectif, ce qui constitue une avancée sociale considérable.

Pour sécuriser la situation des salariés, il convient de créer un véritable statut du défenseur syndical et de lutter contre la prestation de service internationale illégale

Il importe également de rénover la participation des salariés, gage de leur implication dans le développement de leur entreprise. L’élargissement de l’épargne salariale représente à ce titre une véritable nécessité.

Troisième objectif transversal de ce projet de loi : simplifier et moderniser les législations et réglementations en vigueur. Cet effort doit permettre de faciliter l’activité de l’ensemble des acteurs économiques sans jamais remettre en question le niveau de protection juridique et environnementale. Cette modernisation passe aussi par la réforme de la justice prud’homale, réforme attendue de longue date pour permettre de raccourcir les délais de jugement.

I. LEVER LES FREINS À L’ACTIVITÉ POUR CRÉER DES EMPLOIS

L’objectif premier de ce projet de loi est de libérer l’activité en France afin de faciliter la vie des jeunes, de ceux qui ne sont pas dans l’emploi et de ceux qui voudraient investir. Des rigidités se sont en effet installées dans certains secteurs et perdurent depuis des décennies sans que l'intérêt général ne les justifie plus. Elles sont mal comprises par nos concitoyens et doivent disparaître. Ce projet de loi propose donc des mesures très concrètes qui vont permettre de faciliter rapidement la vie quotidienne des Français.

A. ACCROÎTRE LA MOBILITÉ, EN PARTICULIER DES JEUNES, UN FACTEUR D’INSERTION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

1. Ouverture à l’initiative privée du transport par autocar

Aujourd'hui, les services réguliers de transport collectif sont organisés par les pouvoirs publics et exécutés par des entreprises disposant d’une licence de transport intérieur. Les transports internationaux font figure d’exception car ils peuvent être librement assurés par des autocaristes privés – sous réserve de plusieurs contraintes s’agissant du cabotage.

Les articles 2 et 3 du projet de loi ouvrent en conséquence à l’initiative privée l’organisation de lignes de transports collectifs réguliers non urbains par autocar.

Ces articles vont permettre d’offrir une alternative au train aux voyageurs intéressés par un prix plus faible des voyages moyennant un temps de transport parfois allongé. Cela concerne en particulier les plus jeunes et les retraités, deux catégories de la population qui disposent d’un pouvoir d’achat inférieur à la moyenne des Français.

Mais cela crée également une alternative à la route sur des liaisons qui n'existent pas aujourd’hui ou qui sont extrêmement mal desservies – un passage obligé par Paris pour aller de Rennes à Rouen… outre le resserrement du maillage territorial, cette mesure aura donc un impact environnemental positif puisqu’elle diminuera l’incitation à recourir à la voiture individuelle.

La France se caractérise en effet à la fois par une forte mobilité de la population au regard de son PIB et par un recours élevé à la voiture individuelle en comparaison à nos voisins européens.

D’après le ministère de l'économie, l'ouverture des lignes d'autocar entre régions pourrait concerner cinq millions de passagers par an et redonner un gain de 800 millions d'euros de pouvoir d'achat par an aux usagers.

Cette mesure suscite toutefois un certain nombre d'inquiétudes qui méritent que l'on y réponde.

D’aucuns mettent en avant que le développement du transport par autocar remet en cause les trains express régionaux (TER) dans lesquels les régions ont beaucoup investi et auxquels les Français sont très attachés. Les éléments dont le rapporteur général dispose à ce stade montrent que cette peur doit être relativisée car cette mesure ouvre une possibilité de mobilité accrue pour les Français. À cet égard, les exemples étrangers montrent bien que le développement des transports collectifs tend à accroître la mobilité globale de la population. S’il peut y avoir localement un détournement d’une partie du trafic, c’est bien un effet de création globale de mobilité qui est attendu.

Par ailleurs, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) encadrera l'ouverture à la concurrence dans le secteur. Ainsi, l'ARAFER sera le garant de la protection de l’équilibre économique des services publics de transport. Le rapporteur thématique, M. Gilles Savary, conjointement avec le rapporteur général, a précisé la procédure relative à la demande d’ouverture de services réguliers non urbains de transport routier de personnes. Cette nouvelle procédure est équilibrée, elle protège les lignes de services publics sans brider à l’excès l’initiative privée.

2. L’externalisation des épreuves théoriques du permis de conduire permettra de réduire les délais d’attente

Actuellement, l’organisation des épreuves du permis de conduire est assurée par les préfectures et la fonction d’examinateur est remplie par les inspecteurs du permis de conduite et de la sécurité routière, qui sont des agents publics.

L’article 9 du projet de loi prévoit que l’organisation de certaines épreuves du permis de conduire pourra désormais être assurée soit par l'autorité administrative soit par des organismes agréés. Les épreuves concernées sont uniquement l'épreuve théorique et l'épreuve pratique des diplômes professionnels pour la catégorie de véhicule du groupe lourd.

Cette mesure doit permettre de concentrer l'activité des inspecteurs publics afin de réduire les délais de présentation de l'épreuve pratique. Pour maintenir le niveau de conduite lors de périodes d'attentes qui peuvent s'élever jusqu'à cinq mois, en particulier dans la région Ile-de-France, les candidats sont amenés à prendre davantage de leçons, ce qui renchérit de manière substantielle le coût du permis. Plus d'un million de candidats présentent le permis B chaque année. L’article 9 permettra de libérer 170 000 places d'examen au permis B supplémentaires et fera économiser environ 200 euros par personne par mois d'économie. Ces 200 euros représentent le « prix de l'échec » pour les 40 % de candidats qui échouent lors de la première présentation à l'examen du permis de conduire : des sommes parfois inabordables pour les jeunes et les plus modestes

Cet article est essentiel pour accroître la mobilité sociale et professionnelle des jeunes car le papier rose est un passeport pour l'embauche, la détention du permis de conduire étant un critère d’embauche pour 65 % des employeurs (2). Il donne à la jeunesse l’un des moyens de choisir son destin.

Il s'agit bien avec cette mesure de contribuer à rétablir d'avantage d'égalité des chances économiques.

B. RÉNOVATION DU CADRE JURIDIQUE QUI FACILITERA L’ACCÈS DES FRANÇAIS AUX PROFESSIONS RÉGLEMENTÉES

1. Une liberté d’installation régulée de certaines professions réglementées ouvrira de nouvelles possibilités aux jeunes diplômés.

La liberté d’installation de plusieurs des professions réglementées du droit (3) est l’un des axes forts de ce projet de loi car elle répond à l’impérieuse nécessité de la promotion de l'égalité des chances : simplifier les conditions d'installation pour les professionnels du droit, c'est permettre à chacun selon son mérite, d'accéder à l’exercice de ces professions.

Un élément important est la démographie de ces professions. La liberté d'installation va favoriser l'installation de jeunes et de femmes. En effet, les statistiques sont éloquentes en matière d'égalité homme-femme dans la profession : 70 % des notaires titulaires d’office sont des hommes, 80 % des salariés sont des femmes. Pour les officiers publics et ministériels, l'âge moyen se situe entre 49 et 53 ans. La liberté d'installation régulée doit véritablement apporter une ouverture, et « aérer » l’accès à cette profession.

S’il est bien un sujet à propos duquel on puisse affirmer que réformer ce n’est pas casser, mais régénérer, c’est bien celui de la liberté d’installation régulée.

De fait, la forme de cogestion dans laquelle le système de régulation est tombé n'a pas atteint les objectifs attendus.

Le système existant repose en effet trop largement sur une gestion autonome du nombre d’offices par les professionnels et sur la cooptation. Les officiers publics et ministériels sont nommés par arrêté du ministre de la justice, garde des Sceaux, soit sur présentation d’un successeur par le professionnel titulaire de l’office – très large majorité des cas – soit à l’issue d’un concours dans le cas d’un office créé ou laissé vacant.

Les contraintes qui pèsent sur l'offre et l'augmentation du nombre de titulaires conduisent, comme le rapporteur général l'avait déjà fait remarqué dans un précédent rapport (4) et que le récent rapport de nos collègues Cécile Untermaier et Philippe Houillon a également pointé (5), à recourir de plus en plus au salariat des jeunes.

Il ne s'agit pas ici de nier l'intérêt du salariat mais seulement d'observer « qu'il dessert objectivement la volonté d'entreprendre et de s'installer de jeunes, ou de salariés aguerris, qui ont par ailleurs la formation, la compétence et l'expérience » (6).

Il convient donc d’instaurer une liberté d’installation.

Celle-ci doit toutefois être régulée. En effet, une liberté d’installation complète aurait pu être de nature à déséquilibrer le maillage territorial au bénéfice de concentrations sur les villes centres ou chefs-lieux au détriment des autres territoires.

Or cette réforme vise d’autre part à promouvoir l'égalité des territoires : l'objectif est bien d'homogénéiser l'accès au notariat en particulier mais également aux professions d'huissiers de justice et de commissaires-priseurs judiciaires pour les Français sur tout le territoire. Il s'agit d'une mesure d'égalité et d'accès au droit. La répartition territoriale de ces professions est en effet hétérogène aujourd'hui : un notaire pour 4 500 habitants dans le département de l'Aveyron contre un notaire pour 17 000 habitants dans le département de la Seine-Saint-Denis. Cette mesure est donc de nature à assurer une présence de proximité et une offre de services juridiques plus en adéquation avec les besoins de la population et des territoires.

Pour ne pas causer de préjudice aux titulaires déjà installés, l'article 17 prévoit une augmentation progressive des installations en fonction d'une carte répertoriant les territoires selon le nombre d'offices déjà présents et leurs besoins en nouveaux offices. Cette carte sera établie et proposée par l'Autorité de la concurrence aux ministres de la justice et de l'économie. La titularisation pourra être refusée si elle concerne une zone où l'implantation d'offices supplémentaires risquerait « de porter atteinte à la continuité de l'exploitation des offices déjà installés » ou de « compromettre le service rendu ». Lorsque le titulaire d'un office estimera qu'une nouvelle installation porte atteinte à la valeur patrimoniale de son office, il pourra en solliciter l'indemnisation de la part du nouveau titulaire dans un délai de six ans.

Dans un souci de clarification et de simplification du dispositif de libéralisation de l’installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires qui est proposé par le Gouvernement, le rapporteur général et la rapporteure thématique Cécile Untermaier ont toutefois proposé à la commission spéciale qui l’a accepté, un amendement portant réécriture globale du dispositif. Il s’agit d’établir une distinction plus claire, entre les zones où l’implantation d’offices ou l’association au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services, et celles où elles seraient de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu. Pour une meilleure compréhension de la réforme, les rapporteurs ont inscrit cette réécriture à l’article 13 bis du présent projet de loi.

Les rapporteurs ont, d’autre part, proposé par amendement d’étendre à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation l’ouverture des conditions d’installation prévue pour les autres officiers ministériels.

Le nombre d’offices ministériels d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation est en effet resté fixé à soixante depuis 1817 – et ce, malgré la suppression du numerus clausus par un décret du 23 avril 2009 qui a permis au garde des Sceaux de créer davantage d’offices. Or jusqu’à présent, cette faculté n’a pas été utilisée par le ministre de la Justice.

2. Simplification de l’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire

Le nombre d’administrateurs judiciaires et de mandataires judiciaires est resté stable sur la période 2007-2013 alors même que leur activité a fortement crû en raison de la crise économique qui frappe notre pays. Ce faible nombre s’explique notamment par l’absence de sessions régulières d’examen d’accès au stage (7).

Certes, les fonctions de mandataires judiciaires et d’administrateurs judiciaires ne sont plus de droit réservées aux professionnels inscrits sur la liste établie à cet effet par une commission nationale puisque le tribunal peut, après avis du procureur de la République, désigner d’autres personnes remplissant certaines conditions et justifiant d’une expérience ou d’une qualification particulière au regard de la nature de l’affaire.

Pourtant, cette possibilité reste très largement théorique et du domaine de l’exception. Il continue donc d’exister un monopole territorial de fait au profit des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.

Pour permettre un meilleur accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, le projet de loi prévoit à l’article 20 une habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures permettant de diversifier et d’aménager les voies d’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire.

Le Gouvernement a jugé préférable – ce que salue les rapporteurs – de ne pas recourir à l’habilitation mais d’inscrire directement dans ce projet de loi une nouvelle voie d’accès universitaire à ces professions spécialisées dans la sauvegarde, le redressement et la liquidation d’entreprises en difficulté en prévoyant la mise en place d’un nouveau diplôme. Ce nouveau « diplôme d’études supérieures spécialisées en administration et liquidation d’entreprises en difficulté » sera de niveau master. L’obtention de ce diplôme permettra d’être inscrit sur les listes d’accès aux fonctions d’administrateur ou de mandataire judiciaire, sans qu’il soit nécessaire de passer préalablement l’examen d’aptitude.

En outre, s’agissant des autres voies d’accès à ces deux professions, la possibilité de dispense, totale ou partielle, des obligations de stage et de passage de l’examen d’aptitude est renforcée. À cette fin, ces dispositions instaurent une dispense de droit, lorsque sont remplies des conditions de compétence et d’expérience professionnelle fixées par décret en Conseil d’État.

3. Un « corridor tarifaire » permettant de rapprocher les tarifs des coûts

Les tarifs des prestations de certaines professions juridiques font l’objet d’une réglementation par l’État. Cette dernière se justifie pleinement dans la mesure où elle contribue à la réalisation d’objectifs d’intérêt général qui ne seraient pas atteint sur un marché concurrentiel, et elle permet d’assurer la fourniture de services juridiques d’une qualité comparable aux Français, et ce, sur l’ensemble du territoire.

Ces barèmes ont été fixés à des niveaux élevés et souvent de manière proportionnelle à la valeur mentionnée dans l’acte. Dans le cas des tarifs proportionnels, la contrepartie financière demandée à l’usager n’est pas nécessairement liée à la complexité du dossier. Certes, ce mode de tarification poursuit un but d’intérêt général de péréquation, les recettes générées par les transactions importantes compensant les pertes occasionnées par les petites transactions ou par les activités gratuites de conseil.

Le problème réside dans le fait que les valeurs figurant dans les actes à partir desquels les tarifs sont calculés ont connu une croissance beaucoup plus rapide, que les coûts supportés par les professionnels.

Ainsi, comme l’a montré le récent rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) sur les professions réglementées, entre 2000 et 2012 la vente d’un appartement parisien de 60m² a généré des émoluments proportionnels pour un notaire qui sont passés de 1 715 euros à 4 569 euros, soit une hausse du tarif de 159 %. La hausse n’a pas été aussi vertigineuse en province, mais elle est tout de même estimée à 77 % (8).

La péréquation s’établit donc à un niveau élevé à l’avantage clair du professionnel. Pour reprendre l’exemple des notaires, l’IGF estime que l’équilibre financier est atteint pour un acte de transaction immobilière de 50 000 euros alors que le montant moyen d’une telle transaction atteint aujourd'hui les 235 000 euros.

L'article 12 prévoit donc un nouvel encadrement des tarifs réglementés de certaines professions du droit (9). Ces tarifs seront calculés au regard des coûts réels et au profit d'une rémunération raisonnable définie sur la base de critères objectifs. Ils seront déterminés dans un intervalle entre un seuil minimum et un plafond maximal fixé conjointement par le ministre de la justice et le ministre de l'économie. Ils prendront par ailleurs en compte une péréquation des tarifs applicables aux différentes prestations rendues. Ainsi, les tarifs des transactions portant sur des biens immobiliers d’une valeur importante seront fixés proportionnellement à la valeur du bien.

Cet article prévoit également une révision périodique des barèmes tarifaires, ce qui est rarement le cas aujourd'hui en pratique. Cela permettra d’éviter qu’une déconnexion s’installe entre les tarifs et les coûts.

Ce rebasage complet permettra d’une part de redonner du pouvoir d'achat aux Français et d’autre part d’encourager ces professions à rechercher des gains de productivité et une meilleure efficience.

La nouveauté singulière que constitue la mise en place d’un tel dispositif a conduit les rapporteurs à une intense réflexion afin de le rendre juste et équilibré. Ainsi, sur leurs propositions, la commission a amendé ce corridor afin qu’en dessous d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État, les tarifs soient fixes. En effet, un tarif fixe est plus adapté pour les actes de la vie courante et d’une exécution peu complexe. Ensuite, au-delà du seuil précité, les tarifs pourront varier dans la limite d’un tiers au-dessus et en dessous d’un tarif de référence. Enfin, l’amendement adopté par la commission spéciale précise que les remises consenties par les professionnels sont fixes lorsque le tarif est proportionnel à la valeur du bien ou droit faisant l’objet d’un acte.

Toutefois, il ressort que ce mécanisme complexe appelle de nouvelles modifications que les rapporteurs proposeront en séance publique afin de le rendre économiquement pertinent et juridiquement viable.

De surcroît, il est apparu utile que la révision des tarifs soit accompagnée de deux autres mesures pour former un ensemble complet :

– Instauration d’un système de péréquation nationale

Les rapporteurs ont estimé nécessaire d’établir un mécanisme de péréquation nationale permettant le financement des actes réalisés à perte par les petits offices, conformément à la proposition formulée dans le rapport de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées (10). En pratique, la possibilité individuelle de compenser la réalisation d’actes à perte par des actes plus rémunérateurs dépend beaucoup de la demande adressée aux professionnels et, par conséquent, des caractéristiques socio-économiques de la localité. Ainsi, dans le cas particulier du notariat, tous les professionnels ne peuvent prétendre tirer de l’authentification des actes de vente immobilière la même rémunération, suivant qu’ils se trouvent dans une zone urbaine ou rurale par exemple.

Les sommes provenant d’un écrêtement des tarifs proportionnels applicables aux transactions sur des biens ou droits immobiliers d’une valeur supérieure à un certain seuil permettront également d’alimenter un fonds qui, géré par les professions du droit concernées, pourra notamment financer l’aide juridictionnelle et les dispositifs d’accès au droit comme les maisons de la justice et du droit auxquelles l’article 17 du projet de loi propose de confier des permanences.

À l’évidence, les modalités précises de cette péréquation restent à préciser par voie réglementaire et appellent à être complétées par une loi de finances.

– Amélioration de la transparence des tarifs

Les rapporteurs ont en outre souhaité instaurer une obligation de transparence en vertu de laquelle les commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires seraient tenus d’afficher les tarifs dans leur lieu d’exercice et sur leur site Internet.

En effet, le dispositif de « corridor tarifaire » ne sera pleinement profitable aux usagers du droit que si ces derniers peuvent avoir connaissance, de façon simple des tarifs pratiqués par les différents professionnels proposant la prestation recherchée.

D’une manière générale, cette mesure est de nature à restaurer la confiance des Français dans les prestations fournies par les officiers publics et ministériels. Elle doit permettre donner plus de transparence alors que la dissymétrie dans les relations contractuelles prévaut trop souvent, au détriment des citoyens

Deux amendements allant dans ce sens ont été proposés à la commission spéciale, qui les a adoptés.

4. Création de structures communes pour un exercice pluridisciplinaire

Le 3° de l’article 21 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures permettant de constituer des structures d’exercice interprofessionnelles associant des professions juridiques entre elles et des professions juridique et du chiffre.

Le rapporteur général est tout à fait favorable au renforcement de l’interprofessionnalité qui permettra de créer des structures entre professionnels du droit et du chiffre couvrant l’ensemble des besoins des clientèles des entreprises en particulier, ce qui facilitera leurs démarches.

Toutefois la commission a adopté un amendement important des rapporteurs visant à ce que seuls les experts comptables dont le capital n’est pas ouvert aux tiers puissent participer à ces structures.

5. Extension de la territorialité du monopole de postulation de l’avocat à l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort d’une même cour d’appel

Les avocats exercent aujourd’hui leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions ainsi que devant les organismes juridictionnels et disciplinaires (11).

Toutefois, ils exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance (TGI) dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle. Un avocat ne peut pas accomplir seul les actes de procédure au nom de son client dans un autre TGI que celui de son barreau de rattachement ; le client doit donc être représenté également par un deuxième avocat postulant au TGI, ce qui entraine un renchérissement du coût de la procédure et une incompréhension certaine du fonctionnement de la justice à l’heure du numérique

L'article 13 corrige ce qui ressemble aujourd’hui à une anomalie historique en étendant la territorialité du monopole de postulation des avocats à l’ensemble des TGI du ressort d’une même cour d’appel. Il s’agit d’une mesure de modernisation bienvenue, qui permettra de diminuer le coût d’une procédure pour un client – particulier ou entreprise – et aux avocats d’assurer une prestation complète.

Dans un souci constant de maintenir un maillage territorial serré, le dispositif prévu par le texte initial a été complété, sur proposition des rapporteurs, par les conditions qui figuraient dans les barreaux où l’expérimentation de la multipostulation a été menée et qui ont donné pleine et entière satisfaction. Elles supposent de maintenir quatre type d’activités pour lesquelles la postulation auprès du TGI dans le ressort duquel les avocats ont établi leur résidence professionnelle est maintenue :

– en matière de procédures de saisie immobilière ;

– en matière de procédures de partage et de licitation ;

– au titre de l’aide juridictionnelle ;

– dans les affaires où ils ne sont pas avocats plaidants.

6. La création d’un statut d’avocat en entreprise pose plus de questions qu’elle n’en résout et doit être supprimée

Le projet de loi propose de créer, en habilitant le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires par ordonnance, la profession d’avocat en entreprise. Cette proposition vise à répondre à un réel problème qui est celui de l’absence de protection de la confidentialité des avis et communication des juristes d’entreprise français.

Elle pose néanmoins de nombreuses questions comme l’a relevé récemment un rapport de la commission des Lois (12), car les deux professions sont très différentes. En particulier, l’exercice de la profession de juriste :

– « Implique un lien de subordination, inhérent au contrat de travail ;

– N’implique pas le respect de textes déontologique ou disciplinaire autre que celui émanant de son employeur ; (…)

– Ne permet pas de plaider devant les juridictions où le ministère d’avocat est obligatoire, mais seulement devant celles où la représentation par avocat est facultative » (13).

Comme le rapporteur général a eu l’occasion de l’écrire dans un précédent rapport, il semble qu’une meilleure solution soit d’« étudier la possibilité d’accorder la confidentialité aux échanges et communications entre les juristes d’entreprise et leurs employeurs (14) » en s’inspirant du dispositif belge. Dans une loi du 1er mars 2000, la Belgique a en effet consacré le caractère autonome de la profession de juriste d’entreprise et reconnu la confidentialité des avis juridiques émis par ces juristes dans le cadre de leur activité de conseil juridique et au bénéfice de leur employeur. Cette réflexion ne semble pour autant pas encore mûre à l’heure actuelle.

C. RENFORCER L’ATTRACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DU TERRITOIRE, EN ÉLARGISSANT LES OUVERTURES COMMERCIALES DOMINICALES

Libérer l’activité conduit aussi à réviser la législation encadrant le travail dominical. Elle est d’abord excessivement complexe et compliquée, fruit de l’accumulation de strates réglementaires successives, et aboutit à des inégalités de situation entre salariés, entre entreprises et entre territoires. Elle est également parfois excessivement rigide et empêche la création d’activité supplémentaire et le développement des territoires. Elle est enfin inadaptée aux nouvelles réalités économiques que constituent, entre autres, le développement d’un tourisme commercial international et l’explosion récente du commerce électronique face auxquelles le législateur ne peut rester sans réponse.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a décidé de porter une réforme ambitieuse du travail dominical, qui s’inscrit dans la continuité du rapport de M. Jean-Paul Bailly (15) commandé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Ambitieuse car elle doit permettre de répondre aux attentes des Français qui souhaitent pouvoir avoir accès à plus de commerces le dimanche ; mais ambitieuse également car, comme nous le verrons, elle prévoit de nouveaux droits pour les salariés choisissant le travail dominical qui pourrait leur être proposé.

1. Répondre aux attentes des Français qui souhaitent pouvoir avoir accès à plus de commerces le dimanche

Commerces du secteur alimentaire, zones touristiques, périmètres d’usage de consommation exceptionnelle, dérogations sectorielles (fleuristes, bricolage, ameublement…), décisions préfectorales, dimanches du maire… Le travail dominical est aujourd’hui une réalité pour beaucoup de Français : 28 % des salariés déclarent travailler le dimanche, dont près de la moitié de manière habituelle. Ils le font néanmoins dans une situation caractérisée par l’incohérence, l’illisibilité et l’instabilité des normes et des pratiques.

Cette complexité se traduit par une conflictualité importante, en particulier en Ile-de-France où se concentrent les difficultés, notamment depuis la loi Mallié dont l’un des nombreux défauts fut d’accorder une prime aux comportements illégaux en régularisant a posteriori les ouvertures dominicales irrégulières. Ce qui a provoqué des distorsions de concurrence injustifiables.

Ce cadre est aujourd’hui incapable d’accueillir les attentes des Français, très claires, en ce domaine : comme le souligne le rapport Bailly, « les dernières enquêtes montrent que les Français sont favorables à l’ouverture des commerces le dimanche, au niveau national et encore plus en Ile-de-France. Ces chiffres témoignent d’une forte évolution au cours des dernières années » (16). Ainsi, selon un sondage IFOP d’octobre 2013, 69 % des Français et 82 % des franciliens sont favorables à l’ouverture des commerces le dimanche.

Cette attente des Français correspond également à une ardente nécessité pour le commerce de détail qui est de plus en plus soumis à la concurrence du commerce électronique (qui, par définition, ne s’arrête pas le dimanche) et qui doit donc, pour survivre, cultiver sa différence, à savoir le professionnalisme, la qualité, le service, la convivialité mais aussi la proximité. Comme le souligne le rapport Bailly, « pour faire face à cette concurrence accrue, les commerçants traditionnels doivent se préparer progressivement et tendanciellement à avoir des heures d’ouverture plus larges » (17).

Cette orientation rejoint d’ailleurs une évolution également structurelle de la place des commerces dans les espaces urbains : l’essor des grandes surfaces alimentaires ralentit tandis que le poids des commerces de proximité de centre-ville remonte. Accompagner cette évolution est donc nécessaire (18).

Comme le souligne l’étude d’impact, « le projet de réforme vise à apporter bon sens, cohérence, simplification, lisibilité et stabilité ». Il prévoit d’abord la transformation des PUCE en zones commerciales et revient sur le critère d’antériorité de l’usage de consommation dominicale pour le remplacer par celui d’une offre commerciale et d’une demande potentielle particulièrement importantes. Il s’agit là de critères clairs, objectifs qui permettront un dialogue transparent.

Le texte envisage également d’augmenter le nombre de « dimanches du maire » de cinq à douze, cinq étant alors, dans le texte du Gouvernement, de droit pour les commerçants. Le constat fait par le rapport Bailly est clair : les cinq dimanches actuels ne permettent pas « de couvrir toutes les périodes de forte consommation qui ne sont pas les mêmes dans tous les secteurs- : rentrée des classes, soldes saisonnières, vacances d’été, évènement local particulier, fête des mères, fête des pères, Saint-Valentin… » (19). Le Gouvernement a, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, suivi les préconisations du rapport Bailly.

La commission a approfondi la proposition du Gouvernement et a apporté, sur proposition des rapporteurs, des modifications importantes au dispositif proposé. Elle a d’abord supprimé les cinq dimanches de droit accordées aux commerçants : il reviendra bien à la commune d’autoriser, en fonction des réalités de terrain, l’ouverture des commerces à hauteur de douze dimanches par an. Ceci va dans le sens de la philosophie générale qui caractérise ce texte : donner plus de libertés sans contraindre.

Elle a par ailleurs prévu qu’un débat serait organisé de droit au sein du conseil municipal, et que l’avis de l’EPCI devrait être recueilli au-delà de l’ouverture de cinq dimanche, garantissant ainsi plus de transparence dans la prise de décision et un dialogue territorial.

2. Favoriser le tourisme international

Un autre aspect de la facilitation du travail dominical dans les commerces portée par ce projet de loi, est la création des zones touristiques internationales (ZTI). Cette proposition part du constat partagé que beaucoup de touristes étrangers font du shopping une des étapes de leur voyage en France.

Or, le rapport Bailly fait le constat que la France n’est « pas suffisamment parvenue à faire de sa capitale un pôle d’attractivité commerciale » (20). Le Gouvernement souhaite aujourd’hui remédier à cette situation en permettant aux commerces situés dans les ZTI nouvellement créées de donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel, et à leur permettre une ouverture en soirée. Sont ainsi visées les zones de rayonnement international et disposant d’une offre commerciale particulièrement importante et attractive pour les touristes, à l’instar de zones comme les Champs-Élysées et le Boulevard Haussmann à Paris, ou encore la Riviera à Nice.

Compte tenu de la nature même de ces zones qui sont d’intérêt national sur le plan touristique et économique attirent une proportion importante voire prédominante de touristes étrangers, les ZTI seront délimitées par les ministres en charge du travail, du tourisme et du commerce, après avis du maire et du président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ainsi que des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés,

Il s’agit, par la mise en place de cette nouvelle catégorie de zones, de créer et de capter de la valeur là où la demande étrangère ne trouvait pas suffisamment de débouchés, au détriment de l’économie française.

D. DYNAMISER LES PARTICIPATIONS PUBLIQUES AFIN DE DÉVELOPPER L’OUTIL INDUSTRIEL ET LES PERSPECTIVES D’EMPLOI

Faciliter l’activité passe également par un examen précis des participations publiques, afin de garantir l’utilisation efficiente de l’argent public.

1. L’adoption d’une stratégie claire et globale au titre de l’État actionnaire

Selon le ministre en charge de l’économie, de l’industrie et du numérique, « le portefeuille des participations de l’État doit être mis au service de la croissance et de l’activité » (21). L’État doit se comporter en investisseur avisé doté d’une vision stratégique au service des politiques publiques, économiques et sociales.

Une nouvelle doctrine visant à moderniser l’État actionnaire a été présentée en Conseil des ministres le 2 août 2013, à travers une gestion active des participations publiques. La communication des ministres compétents indique que « l’État pourra envisager de réduire les niveaux historiques de participation publique dans certaines entreprises, dès lors que le niveau de contrôle ou d’influence de l’État actionnaire n’en serait pas significativement affecté » (22). Il s’agit de concilier le souci de contribuer au réinvestissement dans des secteurs d’avenir et la préservation des droits et du contrôle de l’État.

Cette doctrine a été appliquée rapidement, le montant de cessions réalisées entre janvier 2013 et avril 2014 a rapporté 3,3 milliards d’euros. En avril 2014, la valeur des participations publiques s’élevait à 110 milliards d’euros, dont 84,7 milliards d’euros pour les entreprises cotées (23). Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit un produit de cessions de l’ordre de 5 milliards d’euros (24).

Conformément à la loi organique relative aux lois de finances (25) précisée à l’article 48 de la loi de finances pour 2006, les recettes dégagées par les cessions de participations publiques sont affectées soit à l’investissement dans de nouvelles acquisitions soit au désendettement public.

La logique de gestion dynamique des participations de l’État poursuit quatre objectifs, exposés explicitement en janvier 2014 (26) :

– s’assurer d’un niveau de contrôle suffisant dans des entreprises à capitaux publics stratégiques intervenant dans des secteurs particulièrement sensibles en matière de souveraineté ;

– s’assurer de l’existence d’opérateurs résilients pour pourvoir aux besoins fondamentaux du pays ;

– accompagner le développement et la consolidation d’entreprises, en particulier dans des secteurs et des filières déterminantes pour la croissance économique nationale et européenne ;

– intervenir ponctuellement, dans le respect des règles européennes, dans des opérations de sauvetage d’entreprises dont la défaillance présenterait des conséquences systémiques.

L’intervention de l’État actionnaire « doit être dimensionnée, en cible, de telle manière que le rendement stratégique de l’euro public investi soit le plus élevé possible, grâce à une adéquation entre le niveau de participation au capital, les droits de gouvernance et les objectifs poursuivis » (27). Cette nouvelle doctrine de l’État actionnaire conduit à procéder à un réexamen des différentes participations publiques afin de répondre aux exigences visées.

2. L’ouverture du capital de certaines sociétés doit permettre de développer l’outil industriel, d’élargir les perspectives d’emploi et de faire naître un leader européen

Le secteur de l’armement terrestre fait l’objet d’une concurrence internationale accrue, concomitante d’une compression des budgets publics européens d’armement. La société française Nexter Systems et la société allemande Krauss-Maffei Wegmann (KMW) ont conclu un accord de rapprochement en juillet 2014 pour former le leader européen de l’armement terrestre.

Ces deux groupes bénéficient d’une gamme élargie de produits, de compétences et de savoir-faire complémentaires. Ce type de rapprochement s’inscrit dans l’objectif de consolidation européenne portée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.

L’objet de cette opération est de garantir la compétitivité internationale de la nouvelle structure, afin de développer son activité économique et de sauvegarder voire élargir les perspectives d’emplois à moyen terme.

L’article 47 du présent projet de loi vise donc à autoriser la réalisation de cette opération. Une nouvelle structure serait créée, détenue à parts égales par l’État français et par la famille Wegmann (détentrice de KMW). Il convient cependant en premier lieu d’autoriser le transfert au secteur privé de la majorité du capital.

Cette démarche s’inscrit dans un cadre régulé, le Gouvernement s’engage à instituer une action spécifique conformément à l’article 44 du présent projet de loi, dont les droits attachés sont de nature à protéger les intérêts essentiels du pays. Par ailleurs, les fonctionnaires, militaires et ouvriers sous décret en fonction seront maintenus à leur demande dans leur position statutaire.

3. Le transfert au secteur privé des sociétés concessionnaires Aéroports de Lyon et Aéroports de la Côte d’Azur

En vertu du décret du 24 août 2005 (28), la propriété des aéroports de Lyon-Saint Exupéry, Lyon-Bron, Nice-Côte d’Azur et Cannes-Mandelieu appartient à l’État.

Auparavant exploités exclusivement par les chambres de commerce et d’industrie (CCI), la loi du 20 avril 2005 (29) a permis de concéder la gestion de ces aéroports à des sociétés, dont le capital initial était détenu entièrement par des personnes publiques. La modernisation du cadre juridique de gestion de ces aéroports a été motivée par la nécessité de permettre aux concessionnaires de trouver un meilleur accès au financement de leurs opérations d’investissement.

Ainsi, ces sociétés de droit privé sont depuis détenues de la façon suivante : 60 % par l’État, 25 % par la CCI et 15 % par les collectivités territoriales (5 % respectivement par la région, 5 % par le département et 5 % par la communauté urbaine ou d’agglomération).

Cependant, les outils juridiques à la disposition de l’État, propriétaire de ces aéroports, apparaissent aujourd’hui suffisants pour garantir une évolution raisonnable des tarifs, un niveau satisfaisant d’investissements et une qualité de service élevée. Les contrats de concession entre l’État et la société concessionnaire font l’objet d’un cahier des charges strict (30), détaillant l’ensemble des obligations de service public aéroportuaire. La Direction générale de l’aviation civile est chargée d’approuver le tarif des redevances aéronautiques applicables dans les différents aéroports. Enfin, l’État peut conclure avec la société concessionnaire un contrat de régulation économique, définissant des objectifs chiffrés de qualité de service, de réalisation d’investissements et d’évolution tarifaire maximale.

L’objet de l’article 49 du présent projet de loi est par conséquent d’autoriser le transfert au secteur privé de la majorité du capital des sociétés concessionnaires Aéroports de la Côte d’Azur et Aéroports de Lyon. Il s’agit d’obtenir une participation publique en adéquation avec les objectifs poursuivis par l’État. Celui-ci peut exercer une maîtrise optimale de la gestion de ces aéroports, par le biais de son rôle de concédant et de régulateur, sans nécessairement détenir la majorité du capital des sociétés concessionnaires.

Le rapporteur général est en accord avec cette évolution capitalistique au sein des sociétés concessionnaires d’aéroports régionaux, à condition qu’elle préserve les intérêts essentiels de la Nation en matière de transports aériens. Ainsi, la commission spéciale a adopté sur proposition des rapporteurs un amendement soumettant de manière systématique à l’autorisation préalable du Parlement les opérations de transfert au secteur privé de participations majoritaires détenues par l’État au capital de sociétés concessionnaires d’aéroports et d’autoroutes.

II. MIEUX RÉGULER L’ACTIVITÉ ET PROTÉGER LES DROITS DES SALARIÉS

Deuxième objectif transversal de ce projet de loi : donner plus de droits aux salariés et mieux réguler l’activité économique en renforçant le rôle des autorités administratives indépendantes.

A. DE NOUVEAUX DROITS POUR DES SALARIÉS MIEUX PROTÉGÉS

1. De nouveaux droits pour les salariés travaillant le dimanche : négociations, volontariat et compensations salariales

On l’a vu, le projet de loi propose un élargissement des dérogations à l’interdiction du travail dominical pour répondre aux attentes des Français et conforter l’attrait touristique de la France. Cette proposition est néanmoins très fortement encadrée et apporte de nouvelles garanties pour les salariées en termes de négociation, de contreparties et de volontariat.

a. La priorité accordée à la négociation sociale

La principale innovation du dispositif proposé par le Gouvernement est, en cohérence avec la ligne politique définie depuis 2012, à savoir la priorité accordée à la négociation entre les partenaires sociaux. Cette méthode de travail, qui a déjà permis les avancées que constituent les lois sur la sécurisation de l’emploi et sur la réforme de la formation professionnelle, est étendue au travail dominical dans les commerces.

Désormais, dans les zones commerciales, les zones touristiques et les futures zones touristiques internationales, seules les entreprises couvertes par un accord collectif (qu’il soit au niveau de l’établissement, de l’entreprise, de la branche ou du territoire) pourront ouvrir le dimanche. L’accord collectif conclu, quel que soit son niveau, devra fixer les contreparties accordées aux salariés privés de repos dominical, en particulier salarial, ainsi que les engagements pris en termes d’emplois ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées.

Il s’agit là d’un changement radical par rapport à la situation existante, en particulier dans les zones touristiques, et dont il convient de souligner la portée. La conviction du Gouvernement, entièrement partagée par le rapporteur général, est que rien ne vaut la négociation collective pour fixer des mesures compensatoires adaptées à chaque établissement, entreprise, secteur d’activité ou territoire spécifique, là où la fixation par la loi de mécanismes de compensation se révélerait impraticable dans certains secteurs ou insuffisants dans d’autres.

Cette nouvelle obligation va néanmoins être parfois difficile à mettre en œuvre pour les petites entreprises actuellement situées dans les zones touristiques qui ne disposent pas matériellement d’une représentation des salariés leur permettant de négocier un accord d’entreprise ou d’établissement.

Sur proposition des rapporteurs, la commission a donc souhaité introduire une certaine souplesse pour les petites entreprises dépourvues de délégués syndicaux, en permettant que les modalités de recours au travail dominical soient organisées sur proposition de l’employeur approuvée à la majorité des deux tiers des salariés concernés par la privation du repos dominical.

b. La protection du volontariat

Deuxième axe fort de renforcement des droits des salariés, la généralisation de la procédure de protection du volontariat du salarié amené à travailler le dimanche qui s’applique aujourd’hui uniquement aux dérogations individuelles accordées par le préfet et aux commerces situés en PUCE. Cette procédure sera désormais applicable autant à ces dérogations individuelles qu’aux dérogations applicables aux commerces situés dans les zones touristiques internationales, les zones touristiques ou les zones commerciales.

L’encadrement sera donc le suivant : en premier lieu, il n’est pas possible de priver un salarié de repos dominical en l’absence d’un accord écrit de celui-ci à son employeur. La protection du volontariat du salarié repose ensuite également sur le respect de l’éventuel refus de travailler le dimanche : ainsi, un tel refus ne peut être pris en considération par l’employeur pour refuser d’embaucher un salarié, pas plus qu’une quelconque mesure discriminatoire dans le cadre de l’exécution du contrat de travail ne saurait être prise à l’encontre du salarié refusant de travailler le dimanche. Enfin, un tel refus ne constitue ni une faute ni un motif de licenciement. La protection des femmes enceintes sera quant à elle accrue avec la possibilité de révoquer le consentement sans délai.

Il s’agit là encore d’une avancée considérable pour les droits des salariés, avancée que la commission spéciale, à l’initiative de son rapporteur thématique, a voulu encore renforcer en prévoyant que cette protection nouvelle du volontariat serait étendue aux « dimanches du maire ».

c. Des contreparties fixées par la loi dans certaines situations spécifiques

S’agissant des contreparties, le choix du Gouvernement est donc de laisser le soin à la négociation collective de les fixer, avec cette incitation extrêmement forte que si la négociation n’aboutit pas, l’entreprise ne pourra avoir recours au travail dominical. Les nombreux exemples de négociation aboutie dont l’on dispose montrent que les organisations syndicales savent mettre à profit ces négociations pour obtenir des employeurs des compensations larges au-delà des seules salariales.

Pour certaines dérogations néanmoins, le choix a été fait de conserver dans la loi un plancher. Pour les dimanches du maire d’abord, le droit existant prévoit que chaque salarié privé à ce titre de repos dominical se voit accorder une rémunération au moins égale au double de la rémunération normale ainsi qu’un repos compensateur équivalent au temps. Compte tenu de l‘augmentation du nombre potentiel de dimanches concernés, cette garantie est évidemment maintenue.

Par ailleurs, la commission spéciale a examiné un amendement des rapporteurs prévoyant des garanties supplémentaires pour les salariés de certains commerces alimentaires ouverts de droit le dimanche matin : en raison de difficultés juridiques, cet amendement n’a pu être adopté mais le gouvernement s’est engagé à apporter une réponse en séance sur ce point majeur.

2. Une inspection du travail plus efficace

Le Gouvernement a entrepris depuis deux ans une profonde modernisation de l’inspection du travail avec la conviction profonde qu’une inspection plus efficace est indispensable à la fois pour garantir les droits des salariés face à des employeurs s’affranchissant des règles du code du travail mais aussi pour garantir une concurrence loyale et non faussée entre les entreprises.

Cette modernisation s’est d’abord traduite, grâce au décret du 20 mars 2014, par une profonde réorganisation des différents échelons du système d’inspection du travail, du niveau de la section au niveau national. Cette nouvelle organisation territoriale est entrée en vigueur en septembre dernier.

Des dispositions législatives étaient par ailleurs nécessaires s’agissant des prérogatives d’intervention et de sanction des agents et de l’administration du travail. Initialement intégrées au projet de loi relatif à la formation professionnelle, ces dispositions, bien qu’adoptées par l’Assemblée nationale, en avaient par la suite été retirées afin d’assurer une adoption rapide de ce texte essentiel. Redéposées sous la forme d’une proposition de loi, ces mesures avaient été adoptées par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Toutefois, malgré son inscription à l’ordre du jour, cette proposition de loi n’avait, finalement, pas pu être examinée en séance publique.

L’article 85 du projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances les dispositions législatives nécessaires à l’extension des moyens de l’inspection du travail.

Le rapporteur général s’interroge sur la pertinence du recours à l’article 38 de la Constitution sur ce sujet alors que des textes existent déjà et que la représentation nationale a eu l’occasion à deux reprises (sur le projet de loi Formation professionnelle et sur la proposition de loi dédiée) de se prononcer sur ces questions.

3. Le renforcement de la lutte contre la prestation de service internationale illégale

La lutte contre le détachement illégal ou abusif de travailleurs étrangers constitue l’un des axes de travail fort du Gouvernement et de notre majorité. Des avancées considérables ont été apportées par la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 issue d’une proposition de loi portée par le groupe socialiste, radical et citoyen de l’Assemblée nationale.

Cette loi a considérablement renforcé les moyens à la disposition des agents en charge de la lutte contre le travail illégal et les fraudes aux prestations de services internationales. Elle a instauré de nouvelles sanctions administratives tant à l’égard de l’employeur recourant à du détachement qu’à l’égard du donneur d’ordre en cas, notamment, de non-respect de l’obligation de dépôt d’une déclaration de détachement en France.

Elle a également mis en place de nouveaux cas de responsabilité solidaire de la chaîne de sous-traitance, par exemple en cas de non-paiement du salaire au minimum légal ou conventionnel ou en cas d’hébergement de salariés dans des conditions indignes.

Elle ouvre aux officiers de police judiciaire, dans les affaires les plus graves de travail illégal, des techniques d’enquêtes applicables à la délinquance et la criminalité organisée (mises sur écoute en enquête préliminaire, captation d'image dans un lieu privé sur commission rogatoire).

Pour autant, il est nécessaire d’aller plus loin : le nombre de détachements déclarés en France ne cesse d’augmenter, de même que les fraudes qui sont au demeurant de plus en plus complexes et massives. Il est donc utile de renforcer les moyens répressifs dont disposent les services de contrôle. Surtout, il est indispensable d’améliorer le temps de réponse de l’État face à des situations qui appellent avant tout une réactivité importante.

Dans cette perspective, l’article 95 du projet de loi propose d’augmenter nettement le niveau des sanctions administratives en matière de détachement de travailleurs salariés dans le cadre d’une prestation de services transnationale en portant le montant maximal de la sanction administrative de 10 000 à 150 000 euros.

L’article 96 permet quant à lui à l’autorité administrative compétente d’enjoindre à un prestataire de services étranger de suspendre son activité, pour une durée maximale d’un mois, lorsqu’il est constaté par un agent de contrôle de l’inspection du travail des infractions d’une particulière gravité concernant, par exemple, le non-respect manifeste du salaire minimal légal, le large dépassement des limites de durée maximale du travail ou encore l’hébergement collectif indigne des travailleurs salariés.

Enfin, l’article 97 met en place la généralisation de la carte d’identité professionnelle du bâtiment afin d’assurer l’identification de chaque salarié présent sur un chantier de BTP et de faciliter les contrôles des services d’Inspection comme cela a pu être mis en place dans plusieurs États européens, comme le Luxembourg ou la Finlande. Il vise in fine à s’assurer de la déclaration de ce salarié par l’employeur en vue de prévenir le travail illégal et la non déclaration des détachements transnationaux à l’Inspection du travail.

4. La création d’un véritable statut du défenseur syndical au sein de la justice prud’homale.

Autre avancée significative au bénéfice des salariés, la création, dans le cadre de la réforme de la justice prud’homale, du statut de défenseur syndical, légitime et ancienne revendication des organisations syndicales.

Au gré des procédures engagées devant le conseil de prud’hommes, le salarié a en effet la possibilité de se faire assister par des délégués des organisations syndicales, et c’est le choix que font 15 % des salariés ayant recours à une assistance juridique.

Mais il n’existe aujourd’hui aucune règle sur les conditions de recrutement, de formation ou de travail de ces délégués syndicaux. Le code du travail prévoit seulement qu’ils peuvent bénéficier de dix heures par mois d’autorisation d’absences, absences non rémunérées. Les défenseurs syndicaux ne bénéficient donc pas du statut de salariés protégés et exercent cette fonction bénévolement.

L’article 83 du projet de loi refonde complètement le statut de défenseur syndical dont les missions sont désormais clairement définies par la loi. Par ailleurs, le projet de loi modifie le statut des dix heures consacrées par les défenseurs syndicaux à l’assistance et à la représentation aux prud’hommes, puisqu’elles seront désormais rémunérées par l’employeur qui sera lui-même remboursé par l’État.

Concernant la formation, il est prévu que le défenseur syndical bénéficie d’autorisations d’absence rémunérées par l’employeur, dans la limite de deux semaines par période de quatre ans. Ces absences seraient admises au titre de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle.

B. L’APPROFONDISSEMENT ET L'EXTENSION DU RÔLE DES AUTORITÉS DE RÉGULATION

Plusieurs autorités indépendantes sont dotées par ce projet de loi de nouvelles compétences qui leur permettront de mieux réguler certaines activités économiques au profit des consommateurs, des contribuables et des voyageurs.

1. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires voit ses compétences étendues au transport routier

La création à l’article 1er d'un régulateur intermodal, l’ARAFER, garant de l'intérêt des usagers et du contribuable rencontre l'unanimité des personnes auditionnées par le rapporteur général et le rapporteur thématique en charge du chapitre mobilité, Gilles Savary. Cet article met en œuvre une préconisation émise par l’Autorité de la concurrence à plusieurs reprises (31).

À l’article 5, le projet de loi confère un nouveau rôle à l'ARAFER dans le domaine des tarifs de péage en lui donnant une compétence consultative sur les avenants aux cahiers des charges de concession ayant une incidence sur les tarifs. Cette mesure est fortement attendue par les automobilistes. La Cour des comptes a mis en lumières les rentes abusives des sociétés exploitant les autoroutes au vu de l'inflation des tarifs de péages depuis la privatisation. L'étude d'impact estime que le gain annuel de pouvoir d'achat grâce à la moindre hausse des tarifs des péages autoroutiers serait de l'ordre de 100 à 200 millions d'euros.

2. Les compétences de l’Autorité de la concurrence sont sensiblement étendues

a. Avis en matière de documents d’urbanisme et avis en matière de tarifs pour les professions réglementées

L’article 10 du projet de loi donne une nouvelle compétence à l’Autorité de la concurrence en permettant au ministère chargé de l’économie ou aux préfets de la consulter sur les grands documents d’urbanisme afin de vérifier qu’ils assurent les conditions d’une concurrence équitable. Cela devrait permettre de supprimer des règles anticoncurrentielles non justifiées, d’encourager les entreprises existantes à réaliser des gains de productivité, de favoriser la création de nouveaux projets commerciaux.

L’article 12 du projet de loi permet, en outre, à l’Autorité de la concurrence de pouvoir éclairer le Gouvernement sur la fixation et la révision des tarifs réglementés.

b. Le renforcement de l’injonction structurelle

L'injonction structurelle est un terme extrêmement technique qui recouvre pourtant une réalité très concrète pour les Français, en particulier pour les habitants de Paris.

Le pouvoir d’imposer des injonctions structurelles dans le secteur du commerce a été confié à l’Autorité de la concurrence par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008. Mais cette possibilité a été subordonnée à des conditions si strictes qu’elle n’a jamais été appliquée en pratique.

Il faut en effet que trois conditions soient réunies pour ce faire. En premier lieu, on doit constater une position dominante dans une zone de chalandise donnée ; en deuxième lieu, il faut qu’il y ait « abus » de cette position dominante, qu’il s’agisse d’un abus d’exploitation ou d’un abus d’éviction ; enfin, troisième condition mais non des moindres, il faut que le comportement abusif de l’opérateur persiste en dépit d’une condamnation de la part de l’Autorité de la concurrence, ce qui ne se vérifie jamais.

Or, le manque de concurrence sur le secteur du commerce de détail a été identifié à de nombreuses reprises au cours des dernières années, tant par l’Autorité de la concurrence que par la Banque centrale européenne (BCE) (32). Le manque de concurrence entre de gros opérateurs privés peut apparaître comme un sujet loin des préoccupations des Français, pourtant, il se traduit par un impact significatif sur les prix à la consommation.

La situation du commerce alimentaire à Paris fournit un excellent exemple de l'apport que pourrait représenter l'injonction structurelle renforcée pour les consommateurs parisiens :

« Certains marchés présentent un niveau de concentration tel, qu’il constitue, en soi, un obstacle à la concurrence. Le verrouillage de la concurrence sur ces marchés locaux est un outre renforcé par les phénomènes de rareté du foncier commercial, de faiblesse intrinsèque de la demande locale rapportée aux coûts fixes d’installation et de barrières contractuelles empêchant, lorsqu’ils le souhaitent, la sortie des magasins indépendants de leur réseau d’origine. Ces situations sont difficilement réversibles, sauf à pouvoir agir directement sur la structure du marché et la répartition des magasins.

C’est la situation du commerce alimentaire à Paris, analysée dans le cadre d’un avis rendu début 2012 par l’Autorité de la concurrence, qui a en premier mis en lumière la nécessité d’un tel pouvoir d’injonction structurelle. Avec 60 % de parts de marché en moyenne à Paris et plus de 80 % dans onze zones de chalandise, le groupe Casino était en mesure de pratiquer durablement des prix supérieurs à la moyenne nationale (+ 13,39 % selon UFC-Que Choisir, 2011) et à ceux de ces concurrents également établis à Paris (écarts de prix de 5 à 12 %). (33»

Le présent projet de loi s’inspire donc de l’article 10 de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique en outre-mer qui prévoit un dispositif d’injonction structurelle renforcée.

L’article 10 de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique en outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer

« Art. L. 752-27 du code de commerce. Dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, en cas d'existence d'une position dominante, détenue par une entreprise ou un groupe d'entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail, qui soulève des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés, que l'entreprise ou le groupe d'entreprises pratique, en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné, l'Autorité de la concurrence peut, eu égard aux contraintes particulières de ces territoires découlant notamment de leurs caractéristiques géographiques et économiques, faire connaître ses préoccupations de concurrence à l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause, qui peut dans un délai de deux mois lui proposer des engagements dans les conditions prévues pour ceux de l'article L. 464-2.

Si l'entreprise ou le groupe d'entreprises ne propose pas d'engagements ou si les engagements proposés ne lui paraissent pas de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence, l'Autorité de la concurrence peut, par une décision motivée prise après réception des observations de l'entreprise ou du groupe d'entreprises concernés et à l'issue d'une séance devant le collège, leur enjoindre de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé qui ne peut excéder deux mois, tous accords et tous actes par lesquels s'est constituée la puissance économique qui permet les pratiques constatées en matière de prix ou de marges. Elle peut, dans les mêmes conditions, leur enjoindre de procéder à la cession d'actifs si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective. L'Autorité de la concurrence peut sanctionner l'inexécution de ces injonctions dans les conditions prévues à l'article L. 464-2.

Dans le cadre des procédures définies aux deux premiers alinéas du présent article, l'Autorité de la concurrence peut demander communication de toute information dans les conditions prévues aux articles L. 450-3, L. 450-7 et L. 450-8 et entendre tout tiers intéressé. »

L'injonction structurelle permet d'enjoindre aux opérateurs détenant plus de 50 % d'un marché, dans le commerce de détail, de céder une partie de leurs activités si cette cession est le seul moyen de garantir une concurrence effective.

Cela va permettre de redonner concrètement du pouvoir d'achat aux Français en diminuant une situation de rente. Les hypothèses, fournies par l’étude d’impact, évoquent un gain de 180 millions d’euros pour les consommateurs des zones potentiellement concernées.

C. LA RÉNOVATION DE LA PARTICIPATION DES SALARIÉS, UN GAGE DE LEUR IMPLICATION DANS LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES

1. L’actionnariat salarié contribue à l’établissement d’un socle d’actionnaires stable et durable

Le Gouvernement souhaite insuffler une nouvelle dynamique en faveur de l’actionnariat salarié, afin d’associer plus largement les salariés au destin de leur entreprise. Cette démarche a pour objet de porter une vision rénovée de l’entreprise, où salariés et employeurs partagent également un intérêt capitalistique commun.

L’article 34 du présent projet de loi consacre une véritable transformation de l’approche juridique et fiscale de l’attribution gratuite d’actions. Il s’agit d’accroître sensiblement l’attractivité de ce type de dispositifs de participation. L’attribution gratuite d’actions a le mérite pour l’entreprise de constituer un socle d’actionnaires pérenne et stable. Les salariés ou mandataires sociaux, attributaires de ces actions, sont directement associés à la marche et à la réussite de l’entreprise.

L’objet de cet article est donc de faciliter l’attribution gratuite d’actions, à travers un certain nombre d’assouplissements notables :

– le bénéfice de l’abattement pour durée de détention prévue pour les plus-values mobilières sera applicable à l’ensemble des gains, résultant de l’attribution ou du gain résultant de la cession ultérieure de l’action ;

– la contribution salariale spécifique de 10 % due par le salarié l’année de cession des titres est supprimée ;

– la contribution patronale est abaissée de 30 à 20 %, l’exigibilité est reportée à la date d’acquisition du titre ;

– un régime spécifique est prévu pour les petites et moyennes entreprises qui n’ont procédé à aucune distribution de dividendes, elles bénéficieront d’un abattement de contribution patronale à hauteur d’un plafond annuel de la sécurité sociale par salarié ;

– la durée minimale cumulée (durée d’acquisition et durée de conservation des titres) est réduite de quatre à deux ans ;

– la possibilité de dépasser les plafonds d’octroi d’actions par salarié en cas d’attribution gratuite d’action à l’ensemble du personnel, lorsque celle-ci porte sur moins de 10 % du capital social ou 15 % pour les sociétés non cotées.

Cet effort de simplification et d’attractivité en faveur du régime d’attribution gratuite d’actions aura un impact potentiellement puissant, avec 350 000 entreprises visées.

L’article 35 vise à accroître l’attractivité du régime des bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE), conformément à l’engagement pris par le Président de la République lors de sa visite de la Silicon Valley le 12 février 2014 (34) Il s’agit de « favoriser l’esprit d’initiative » en adoptant un régime juridique plus souple (35). Les BSPCE sont des bons, émis par des sociétés par actions, qui donnent droit aux bénéficiaires de souscrire, au cours d’une période donnée, des actions dont le prix a été fixé au moment de l’attribution du bon. Il s’agit d’un mécanisme de participation particulièrement incitatif, qui peut correspondre à la situation spécifique des jeunes entreprises innovantes, dites « start-up ». L’attribution de BSPCE permet d’une part d’attirer les talents par le biais d’une importante plus-value potentielle, d’autre part de les fidéliser à l’entreprise et de les intéresser à son succès. Ce type de titres constitue un élément puissant de l’attractivité économique de la France, notamment dans les secteurs à fort potentiel tels que le numérique.

Actuellement, les BSPCE sont soumis à un régime juridique qui exclut une grande partie des jeunes entreprises innovantes, celles dont la création procède de transferts d’activités nouvelles (36).

Le projet de loi a donc pour objet d’élargir le champ d’application des BSPCE.

Les sociétés éligibles au BSPCE pourront attribuer des bons aux membres du personnel salarié et aux dirigeants des filiales détenues au moins à 75 % du capital ou des droits de vote, si ces filiales remplissent elles-mêmes les conditions pour être éligibles au dispositif BSPCE.

Les jeunes entreprises, issues d’un transfert d’une nouvelle activité, pourront désormais bénéficier du dispositif BSPCE, à la condition que l’ensemble des sociétés issues de l’opération de concentration, de restructuration ou de la reprise d’activités répondent aux conditions prévues par le dispositif BSPCE.

Le rapporteur général salue ces deux articles qui sont de nature à favoriser l’implication des salariés dans le développement de leurs entreprises. L’actionnariat salarié, étendu à l’ensemble du personnel salarié des entreprises, mérite d’être encouragé.

2. L’élargissement et la simplification de l’épargne salariale sont souhaitables à tous égards

En 2012, 55,8 % des salariés du secteur marchand non agricole, soit 8,7 millions de salariés ont eu accès à au moins un dispositif de participation, d’intéressement ou d’épargne salariale. Ces dispositifs sont nettement plus répandus dans les grandes entreprises et dans certains secteurs d’activité (énergie, activités financières, assurances et raffinage), 87 % des salariés ayant accès à au moins l’un de ces dispositifs sont employés au sein d’entreprises de plus de 50 salariés (37). Ce constat partagé a fait naître un consensus, celui de simplifier et d’élargir au plus grand nombre de salariés des dispositifs d’épargne salariale.

Dans cette optique, le Premier ministre a installé le Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié (COPIESAS) le 20 juin 2014, afin de travailler à une réforme ambitieuse de l’épargne salariale.

Les enjeux de la réforme de l’épargne salariale sont multiples, notamment accroître le champ de l’épargne salariale, mobiliser de manière plus active et efficace les fonds versés et garantir un système fiscal et social cohérent.

Le présent projet de loi souhaite s’inspirer d’une part des travaux rendus par le COPIESAS le 26 novembre 2014 et d’autre part des négociations entre partenaires sociaux ouvertes sur le sujet au début du mois de décembre 2014, qui pourront utilement enrichir le texte gouvernemental au cours de la discussion parlementaire.

Il prévoit diverses mesures de simplification et d’élargissement de l’accès à l’épargne salariale. Ainsi, l’article 36 procède à une harmonisation des dispositions relatives aux délais de versement des primes d’intéressement et de participation et aux intérêts de retard. Les sommes dues au titre de l’intéressement et de la participation devront désormais être versées aux salariés avant le dernier jour du cinquième mois suivant l’exercice de calcul au titre duquel les droits sont nés.

Les intérêts de retard commencent à courir à partir du premier jour du sixième mois, à un taux fixé à 1,33 fois le taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées. Ces mesures de clarification et d’harmonisation sont de nature à rendre les dispositifs concernés plus lisibles tant pour les employeurs que pour les salariés.

L’article 38 prévoit également une mesure d’harmonisation, qui consiste à calquer le régime de mise en place du plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO) sur les règles applicables au titre de l’intéressement, de la participation et des plans d’épargne entreprise.

Ces dispositifs peuvent être introduits dans une entreprise à l’initiative des organisations syndicales, du comité d’entreprise ou à la majorité des deux tiers du personnel (38).

Cette dernière possibilité n’est actuellement pas prévue dans le cadre des PERCO. Cette situation est insatisfaisante dans la mesure où elle pénalise les salariés des petites entreprises, qui ne disposent ni d’un délégué syndical ni d’un comité d’entreprise. Il convient d’aligner le régime des PERCO sur celui des autres dispositifs afin de permettre aux salariés des petites entreprises de choisir d’en bénéficier.

Dans un souci d’harmonisation et d’élargissement du dispositif PERCO, l’article 39 vise à aligner les quotas de jours transférables vers un PERCO selon qu’ils proviennent d’un compte épargne-temps ou non.

En effet, les droits inscrits sur un compte épargne-temps sont exonérés d’impôts sur le revenu et de cotisations sociales patronales et salariales, dans la limite d’un plafond de dix jours par an. Cependant, en l’absence de compte épargne-temps dans l’entreprise, le salarié ne bénéficie de cette possibilité de versements qu’à hauteur de cinq jours par an. Cette différence de plafond de versement apparaît illégitime, elle défavorise en outre les salariés des petites entreprises par rapport à ceux des grandes entreprises. L’étude d’impact annexée indique à cet égard que 70 % des salariés de grandes entreprises (plus de 1 000 salariés) bénéficient d’un compte épargne-temps, contre seulement 33 % des salariés des entreprises de moins de 500 salariés. Le présent article a donc pour objet d’aligner le plafond de versement à la hausse sur celui prévu pour les salariés disposant d’un compte épargne-temps, soit dix jours.

Cette harmonisation à la hausse constitue une véritable mesure de justice sociale, de nature à favoriser l’utilisation et les versements vers des PERCO.

Les dispositifs de participation et d’intéressement facilitent l’implication des salariés et incitent au dialogue social. L’article 40 du présent projet de loi tire les conséquences de ce constat, puisqu’il tend à valoriser l’expression de la volonté des salariés. Ainsi, l’article L. 3312-5 du code du travail prévoit que les accords d’intéressement sont conclus pour une durée de trois ans, renouvelables par tacite reconduction. Actuellement, seul le chef d’entreprise ou son représentant, le délégué syndical, le salarié mandaté ou la majorité des membres salariés du comité d’entreprise sont habilités à demander la renégociation de l’accord dans les trois mois précédant la date d’échéance de celui-ci. La majorité des deux tiers du personnel est habilitée à conclure l’accord d’intéressement mais pas à en demander la renégociation. Cette inégalité d’habilitation par rapport aux autres personnes compétentes pour conclure l’accord d’intéressement nuit au rôle participatif des salariés.

L’article a pour objet d’harmoniser la demande de renégociation sur le régime de la conclusion des accords d’intéressement, afin de rendre pleinement compétents la majorité des deux tiers de personnel pour une demande de renégociation de l’accord.

Le rapporteur général se félicite de ces mesures de simplification et d’élargissement de l’épargne salariale. Il s’agit de dispositions utiles qui ont pour objet de rendre plus attractifs des mécanismes bénéficiant directement aux salariés. La discussion parlementaire devrait opportunément pouvoir enrichir ce texte afin de réformer plus amplement l’épargne salariale dans un sens de justice sociale et de renforcement des droits des salariés.

À ce titre, la commission spéciale a adopté deux amendements essentiels. Un premier amendement, soumis par le Gouvernement, a introduit une réduction du taux du forfait social à 8 % dans les entreprises de moins de cinquante salariés signant un premier accord d’épargne salariale. Cette disposition, de nature à favoriser le développement de l’épargne salariale dans les TPE et les PME, a été sous-amendée par les rapporteurs afin d’en porter la durée d’application de trois à six ans à compter de la date d’effet de l’accord.

À l’initiative des rapporteurs, le second amendement a instauré un taux réduit de forfait social à 16 % acquitté par les salariés et les entreprises, lors du placement et de l’abondement des sommes issues de l’épargne salariale sur les PERCO investis en titres de PME-ETI. Cet amendement vise à mieux orienter l’épargne salariale vers le financement de l’économie.

3. Un encadrement renforcé des retraites chapeau

L’article 64 du projet de loi prévoit la remise annuelle d’un rapport à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et aux services statistiques des ministères chargés de la sécurité sociale et de la mutualité par les organismes débiteurs de rentes versées au titre des régimes de retraites dites chapeau. Ce rapport doit permettre d’améliorer le suivi de ces régimes de retraites dits « sur-complémentaires », à travers des informations concernant le montant des engagements souscrits, le nombre de rentes servies et leurs montants moyens et médians.

Le rapporteur général ne peut que saluer cette volonté du Gouvernement d’accroître la transparence de régimes de retraites, qui suscitent régulièrement l’incompréhension de la majorité de nos concitoyens (39). Les ministres en charge de l’économie, de l’industrie et du numérique et des finances ont confié en novembre dernier à l’Inspection générale des finances (IGF) et à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) une mission d’évaluation de ces dispositifs de retraites notamment en faveur des mandataires sociaux. Il s’agit de réformer un système dont la légitimité est fortement contestée, lorsqu’il sert des rentes considérables à des dirigeants ou des mandataires sociaux de grandes sociétés (40), sans commune mesure avec la performance économique de ces dernières.

Il convient cependant de souligner le caractère composite de ces régimes de retraites, le rapport du Gouvernement au Parlement sur la situation des régimes relevant de l’article L. 137-11 du code de la sécurité sociale relevait en effet en 2010 que la pension moyenne s’élevait à 3 875 euros par an et par bénéficiaire. L’encadrement des rentes élevées ne doit pas pénaliser les salariés qui disposent de rentes raisonnables et justifiées.

Dans un souci dissuasif, la fiscalité de ces régimes de retraite a été progressivement alourdie tant à l’égard des créanciers que des débiteurs des rentes. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 relève la contribution additionnelle exceptionnelle à la charge de l’employeur de 30 à 45 % pour les rentes excédant huit fois le plafond annuel de la sécurité sociale, soit 304 320 euros au 1er janvier 2015. Un code de bonne conduite a été adopté en octobre 2008 par la profession, à l’initiative de l’Association française des entreprises privées (AFEP) et du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), qui comporte des recommandations en matière de régimes de retraite supplémentaires des dirigeants mandataires sociaux de sociétés cotées. Un Haut comité du gouvernement d’entreprise a été créé à l’occasion de la révision en juin 2013 de ce code de bonne conduite. Il est chargé du suivi de l’application de ces recommandations.

Les règles d’encadrement des retraites chapeau servies aux mandataires sociaux se révèlent toutefois insuffisantes, la remise du rapport IGF-IGAS sur le sujet fin 2014 a permis d’envisager de nouvelles avancées en la matière. La commission spéciale a adopté un amendement à l’initiative des rapporteurs prévoyant que les retraites chapeau bénéficiant aux dirigeants mandataires seront dorénavant subordonnées aux performances du bénéficiaire, appréciées au regard de celles de l’entreprise.

III. MODERNISER ET SIMPLIFIER LES PROCÉDURES

Le troisième objectif transversal de ce projet de loi consiste à moderniser et simplifier les procédures administratives. Cela s’inscrit dans le cadre du choc de simplification annoncé par le Président de la République le 28 mars 2013. Le Gouvernement a d’ores et déjà dévoilé le 17 juillet 2013 deux cents mesures de simplification concernant la vie quotidienne des Français, des chefs d’entreprise, des élus et des fonctionnaires (41). Deux lois de simplification de la vie des entreprises ont été adoptées en janvier (42) et décembre 2014 (43), participant d’une « formidable révolution silencieuse » (44) selon les mots du Premier ministre.

Cet effort de simplification doit permettre de faciliter la vie des citoyens et l’activité de l’ensemble des acteurs économiques (entreprises, personnes publiques, salariés, etc.), sans jamais remettre en question le niveau de protection juridique et environnementale.

A. LA SIMPLIFICATION DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT ET DE L’URBANISME

1. Droit de l’environnement : la modernisation et la simplification de ces droits passent par exemple par le développement des autorisations dites uniques

a. L’extension de l’expérimentation de l’autorisation unique aux projets présentant un intérêt majeur pour l’activité économique

Dans le cadre du Comité interministériel de modernisation de l’action publique (CIMAP), le Gouvernement s’est engagé à expérimenter la simplification de certaines procédures administratives. Parallèlement, les états généraux de la modernisation du droit de l’environnement ont conclu à la nécessité de simplifier les procédures du code de l’environnement tout en maintenant un niveau identique de protection de l’environnement. L’idée d’une expérimentation visant à fusionner les procédures environnementales applicables à un même projet a été avancée par plusieurs préfets et retenue par la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises (45).

Ces expérimentations ont pour objet de simplifier et de réduire les délais de procédures environnementales, visant des objectifs partiellement redondants. Une unification des procédures devrait permettre d’une part, de remédier à une complexité tant pour les porteurs de projets que pour les services de l’État et d’autre part de garantir les objectifs de protection de l’environnement.

L’ordonnance du 20 mars 2014 (46) prévoit l’expérimentation de deux autorisations uniques concernant les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) :

– pour les éoliennes et les installations de méthanisation : fusion au sein d’une même autorisation délivrée par le préfet de département de l’autorisation ICPE, du permis de construire, éventuellement de l’autorisation de défrichement, de la dérogation « espèces protégées » et de l’autorisation au titre du code de l’énergie (expérimentation en Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Picardie, Nord-Pas-de-Calais, Midi-Pyrénées, Bretagne et Basse-Normandie) ;

– pour les autres installations classées soumises à autorisation : fusion de l’autorisation ICPE, éventuellement de l’autorisation de défrichement et de la dérogation « espèces protégées » (expérimentation en Champagne-Ardenne et en Franche-Comté).

Il s’agit de rationaliser les procédures afin de garantir la cohérence du dispositif. Cette dispersion des procédures peut en effet être néfaste aux objectifs de protection de l’environnement en cas de décisions contradictoires, par exemple l’autorisation d’un défrichement pour une ICPE jamais autorisée. Par ailleurs, l’enquête publique et les consultations porteront de manière cohérente sur l’ensemble du projet permettant ainsi d’associer plus efficacement l’ensemble des parties prenantes à la décision.

L’objet de l’article 26 du projet est d’étendre à toutes les régions, l’expérimentation de la seconde autorisation unique pour les projets présentant « un intérêt majeur pour l’activité économique ».

b. La pérennisation des dispositifs d’autorisation unique ICPE et IOTA

L’ordonnance du 12 juin 2014 (47) procède à l’expérimentation en Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon d’une autorisation unique pour les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumis à l’autorisation au titre de la loi sur l’eau (48). Cette autorisation unique, délivrée par le préfet de département, regroupe l’ensemble des décisions de l’État relevant :

– du code de l’environnement : autorisation au titre de la loi sur l’eau, au titre des législations des réserves naturelles nationales et des sites classés, dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces et habitats protégés ;

– et du code forestier : autorisation de défrichement.

L’article 26 du projet de loi sollicite l’habilitation du Gouvernement à généraliser par ordonnance et de manière pérenne ces autorisations uniques dites ICPE et IOTA, sur la base de l’évaluation des expérimentations en cours. La généralisation et la pérennisation de cette approche intégrée des procédures faciliteront la préservation de l’environnement et la réalisation des projets concernés.

c. L’extension à la région Île-de-France de l’expérimentation du certificat de projet

L’expérimentation du certificat de projet est prévue par l’ordonnance du 20 mars 2014 (49), il vise à donner une plus grande visibilité aux porteurs de projets sur les procédures et les règles auxquelles leurs projets vont être soumis et sur les délais d’instruction.

Les porteurs de projets ont dorénavant la faculté de demander au préfet de département un certificat de projet, dans lequel :

– il indique les procédures applicables au projet ;

– il s’engage sur les délais d’instruction pour les décisions qui relèvent de sa compétence.

La délivrance du certificat de projet a pour effet de figer les règles de droit applicables au projet pendant une durée de dix-huit mois, prorogeable pour six mois. L’objet de cette expérimentation est d’accroître la sécurité juridique des porteurs de projets, garante de la confiance dans le système juridique national. En cas de dépassement des délais ou de mentions erronées, la responsabilité de l’État pourra être engagée s’il est démontré que le porteur de projet a subi un préjudice.

Cette expérimentation se déroule sur le territoire des régions Aquitaine, Bretagne, Champagne-Ardenne ou Franche-Comté. Elle incite également les services de l’État à travailler en « mode projet », afin de présenter aux porteurs de projets un interlocuteur unique.

L’article 27 du projet de loi vise à étendre à la région Île-de-France l’expérimentation d’un certificat de projet pour les projets de création ou d’extension de locaux ou d’installations, qui présentent « un intérêt majeur pour l’activité économique ».

Cet élargissement de l’expérimentation du certificat de projet représenterait un renforcement de l’attractivité du territoire francilien. La stabilité des règles de droit constitue un facteur essentiel de facilitation et de développement de l’activité économique.

2. Droit de l’urbanisme : l’accélération des procédures doit permettre de participer à l’effort national de construction

Dans le cadre du plan de relance du logement, le Premier ministre a confié au préfet Jean-Pierre Duport une mission afin de simplifier et raccourcir les procédures d’obtention des permis de construire.

En vertu de l’article 28 du projet de loi, le Gouvernement sollicite l’habilitation du Parlement à prendre par voie d’ordonnance des mesures de simplification et de facilitation des projets de construction. Sur proposition des rapporteurs et dans un souci de transparence, la commission spéciale a prévu par amendement que le Conseil national de la transition écologique serait associé à l’élaboration de ces ordonnances. À cette fin, le Conseil pourrait mettre en place une formation spécialisée pour assurer le suivi des travaux et la préparation des avis, mis à disposition du public.

a. Accélérer l’instruction et la délivrance de l’autorisation des projets de construction et d’aménagement

L’objectif fixé par le Président de la République est de parvenir à un objectif de délivrance des autorisations d’urbanisme dans un délai de cinq mois maximum, à compter du dépôt d’un dossier de demande complet.

L’accélération et la levée des blocages dans le secteur du logement passent notamment par une meilleure articulation entre les différentes procédures administratives, en particulier entre les autorisations d’urbanisme (permis de construire par exemple) et les formalités opposables aux projets d’aménagement et de construction. La coordination de ces procédures permettrait par exemple l’organisation d’une enquête publique unique au titre de plusieurs autorisations, soit un gain de temps et d’argent.

Un aménagement des pouvoirs du juge administratif, lorsqu’il statue sur un recours contre une autorisation d’urbanisme ou le refus d’une telle autorisation, pourrait également être envisagé afin d’accélérer les procédures contentieuses.

La mission menée par le préfet Duport réfléchit par ailleurs à autoriser le représentant de l’État à se substituer à l’autorité compétente, en cas d’annulation d’un refus d’autorisation d’urbanisme. Cette mesure serait instituée afin de lutter contre les manœuvres dilatoires tendant à retarder les décisions sur les dossiers déposés.

Enfin, le projet de loi prévoit la suppression de la procédure d’autorisation des unités touristiques nouvelles prévue par l’article L. 145-11 du code de l’urbanisme. Cette procédure apparaît désormais trop lourde, complexe et redondante par rapport aux autres procédures applicables de permis de construire, permis d’aménager ou de planification urbaine.

b. Modifier les règles relatives à l’évaluation environnementale des projets

Cet article 28 s’inscrit dans le cadre du travail des missions confiées à M. Jacques Vernier pour la modernisation du droit de l’environnement et à M. Jean-Pierre Duport pour l’accélération des projets de construction. Il s’agit de contribuer à l’impératif de simplification législative, tout en améliorant la conformité du droit interne au droit de l’Union européenne en matière environnementale. Cela se traduira notamment par un meilleur ciblage des études d’impact vers les projets ayant le plus d’effets sur l’environnement. L’articulation entre l’évaluation environnementale et les études d’impact sera améliorée afin de viser une saisine unique. Ces mesures de simplification doivent garantir un respect accru du droit de l’environnement et l’atteinte de l’objectif gouvernemental de mise en chantier de 500 000 logements par an.

c. Moderniser et clarifier les modalités de participation, de concertation, de consultation et d’information du public

L’objet de l’article 28 est également d’achever la vaste réforme de la participation du public aux décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Il s’agit de simplifier et d’améliorer l’efficacité des dispositifs en vigueur dans le respect des principes constitutionnels (50) et internationaux (51).

Il convient de mieux proportionner et adapter les procédures de participation du public aux projets concernés. La participation effective des citoyens peut en outre être améliorée par l’utilisation accrue de consultations ou de forums par voie électronique.

d. Accroître la sécurité des porteurs de projets

La sécurité juridique des porteurs de projets représente un facteur de confiance, favorable à l’investissement et à l’effort national de construction.

L’article 28 du projet de loi vise à accélérer le règlement des litiges et à aménager les compétences et les pouvoirs du juge, afin de sécuriser les porteurs de projets face au risque d’annulation.

L’article 29 du projet de loi prévoit l’adoption de l’une des mesures phares du rapport Labetoulle (52). Il s’agit de recentrer l’action en démolition prévue à l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme aux cas où elle apparaît strictement indispensable. En droit de l’urbanisme, l’autorisation de construire est un acte exécutoire. Cependant, les recours engagés contre cet acte ont dans les faits un caractère suspensif, dans la mesure où les acteurs sont paralysés par le risque d’une éventuelle démolition. Le rapport Labetoulle préconise de circonscrire l’action en démolition suite à l’annulation d’un permis de construire aux zones à risque ou particulièrement sensibles d’un point de vue patrimonial, culturel ou environnemental.

Ce recentrage aurait l’avantage de sécuriser les porteurs de projets, tout en garantissant aux différentes procédures leur pleine pertinence. Le permis de construire est d’ores et déjà susceptible d’un référé suspension en cas de contestation. Il convient d’inciter à utiliser cette voie de recours préventive et plus efficace tant du point de vue des requérants que des porteurs de projets. L’action en démolition, qui intervient par définition a posteriori, serait réservée aux constructions situées dans des zones limitativement définies.

La commission spéciale a cherché à clarifier la formulation de cet article en adoptant un amendement de rédaction globale, prévoyant que le délai d’engagement d’une action en démolition serait désormais réduit à six mois, à l’exception des zones fragiles et sensibles pour lesquelles le délai actuel de deux ans serait maintenu. Pour autant, il n’est pas certain que l’introduction de ses dispositions soit de nature à répondre aux enjeux identifiés par le rapport Labetoulle, puisque le problème vient de la menace de démolir, et non du délai dans lequel l’action en démolition pouvait s’exercer. Il conviendra donc d’étudier à nouveau cette mesure en séance publique.

B. SIMPLIFIER LES OBLIGATIONS DES ENTREPRISES, UN IMPÉRATIF

1. Mise en place d’un identifiant électronique unique, sécurisé et authentifié pour toutes les entreprises d’ici fin 2016

Le 8 janvier 2014, le Gouvernement instituait le Conseil de la simplification pour les entreprises, placé auprès du Premier ministre (53). Ce conseil est chargé de proposer des axes prioritaires de simplification et de trouver des solutions innovantes en matière législative, réglementaire ou administrative. Ce conseil s’inscrit parfaitement dans la philosophie de facilitation et de modernisation du présent projet de loi.

Ainsi, l’article 60 du projet de loi reprend la 35ème des 50 nouvelles mesures élaborées par celui-ci et présentées le 30 octobre 2014 (54). Il s’agit de créer une « carte d’identité électronique » à la disposition des entreprises dans le courant de l’année 2016.

Cet identifiant électronique sera unique et sécurisé, par exemple sous la forme d’une messagerie. Il permettra de couvrir les interactions des entreprises avec l’ensemble de leurs parties prenantes, en donnant valeur juridique à la saisie et l’envoi des documents transmis par voie sécurisée. Cela doit faciliter la dématérialisation des démarches administratives des entreprises, dans l’esprit de la 36ème mesure de simplification annoncée le 30 octobre 2014, qui prévoit la généralisation des formulaires administratifs (anciennement CERFA) sous format numérique d’ici début 2016.

Cette mesure de simplification poursuit directement trois objectifs :

– la réduction des coûts à la charge des entreprises (« impôt papier ») ;

– la célérité des échanges entre les entreprises et l’ensemble de leurs interlocuteurs ;

– la sécurité des transactions.

L’Union européenne incite les États membres à accroître l’utilisation des moyens électroniques de communication. Ainsi, selon la Commission européenne, la passation électronique des marchés publics offrirait un potentiel d’économies pour les acteurs concernés estimé à 100 milliards d’euros par an à l’échelle de l’Union européenne (55).

À travers cette disposition, le projet de loi participe à cette stratégie numérique européenne, gage d’efficience.

2. Allégement des obligations comptables des très petites entreprises pendant leur période d’inactivité

La 34ème proposition des 50 mesures de simplification, présentées le 30 octobre 2014, préconise un Allégement des obligations comptables des micro-entreprises qui n’ont pas d’activité économique. L’article 55 du projet de loi a pour objet de transcrire au niveau législatif cette proposition. Il vise les micro-entreprises, définies à l’article L. 123-16-1 du code de commerce, comme les commerçants, personnes physiques ou personnes morales, pour lesquels, au titre du dernier exercice comptable clos et sur une base annuelle, deux des trois seuils suivants ne sont pas dépassés (56) :

– un total de bilan de 350 000 euros ;

– un chiffre d’affaires net de 700 000 euros ;

– un nombre moyen de 10 salariés employés au cours de l’exercice.

L’objet de l’article est d’alléger les obligations comptables des micro-entreprises dites « en sommeil ». Lorsqu’une entreprise est sans activité, elle doit demander une inscription modificative au registre du commerce et des sociétés (RCS), dans le délai d’un mois suivant la cessation de son activité. Cette situation de cessation totale d’activité temporaire est inscrite au RCS avec le maintien de l’immatriculation pour une période maximale de deux ans (57).

Actuellement, les micro-entreprises restent soumises aux obligations comptables prévues à l’article L. 123-12 du code de commerce. Elles doivent établir annuellement à la clôture de l’exercice un bilan et un compte de résultat (58).

Le dispositif de cet article du projet de loi s’applique aux micro-entreprises, qui n’emploient aucun salarié. Les personnes physiques pourront ne pas établir de bilan et de compte de résultat, après une inscription modificative de cessation totale d’activité temporaire au RCS, accompagnée d’une déclaration sur l’honneur. Les personnes morales pourront établir un bilan abrégé et un compte de résultat abrégé, sous les mêmes conditions que celles applicables aux personnes physiques.

L’étude d’impact du projet de loi souligne le nombre important d’entreprises potentiellement concernées. Actuellement, on dénombre 43 498 micro-entreprises déclarées en sommeil auprès du RCS.

Cette mesure constitue un allégement encadré des obligations comptables des entreprises, limité aux micro-entreprises qui n’emploient aucun salarié et sont en cessation totale d’activité temporaire.

Il s’agit de trouver un équilibre entre la souplesse de gestion et la sécurité des tiers. Les obligations comptables doivent être sauvegardées, lorsqu’elles sont pleinement justifiées. L’attractivité de notre système économique ne saurait résister à la permanence de lourdeurs administratives illégitimes.

C’est le sens de la réflexion du Conseil de la simplification pour les entreprises d’examiner de manière systématique la pertinence des différentes réglementations.

C. SAUVEGARDER ET PÉRENNISER L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ET L’EMPLOI

1. La spécialisation de certains tribunaux de commerce

Le droit des entreprises en difficulté doit s’inscrire dans la démarche globale de pérennisation de l’activité des entreprises. Elles représentent des entités économiques, sources d’emplois et de richesses pour l’ensemble de la collectivité. À ce titre, leur survie est essentielle d’un point de vue économique et social. La complexification du droit des affaires et l’internationalisation de l’économie rendent nécessaires une modernisation de certaines procédures relevant des tribunaux de commerce.

Ainsi, les articles 65 à 68 du projet de loi ont pour ambition de moderniser la justice commerciale, en instituant une spécialisation de certains tribunaux de commerce en matière de prévention et d’exécution des procédures relatives aux entreprises en difficulté (59).

Cette spécialisation aura le mérite de centraliser certaines procédures au sein d’un seul tribunal de commerce, favorisant ainsi une meilleure administration de la justice. La compétence du tribunal de commerce désigné est dite exclusive.

La compétence des tribunaux de commerce spécialisés concernera principalement les grandes entreprises, correspondant aux enjeux les plus complexes et ayant le plus d’impact potentiel sur la réalité économique et sociale des territoires. Cette compétence exclusive d’un tribunal de commerce est soumise d’une part au dépassement de deux seuils, fixés par décret. L’étude d’impact associée au présent projet de loi indique les seuils envisagés par le Gouvernement :

– nombre de salariés au moins égal à 150 ;

– chiffre d’affaires au moins égal à 20 millions d’euros.

D’autre part, le tribunal de commerce spécialisé sera compétent lorsque le litige concernera une entreprise disposant d’établissements dans plusieurs ressorts de tribunaux de commerce ou de cours d’appel. Un amendement des rapporteurs a été adopté par la commission spéciale afin de préciser l’articulation de ces dispositions. Il prévoit que les procédures collectives concernant une entreprise ayant des établissements situés dans les ressorts de plusieurs tribunaux de commerce ou cours d’appel relèveront de la compétence des tribunaux de commerce spécialisés uniquement si l’entreprise concernée dépasse des seuils en nombre de salariés et en chiffres d’affaires fixés par décret en Conseil d’État. Cette solution est de nature à préserver l’esprit du projet de loi initial, qui vise à confier les procédures d’établissements d’une certaine taille à des tribunaux de commerce spécialisés.

L’étude d’impact précise par ailleurs que l’on dénombrait en 2013, 185 redressements et liquidations judiciaires d’entreprises dont l’effectif était d’au moins 100 salariés.

Les procédures concernant ces grandes entreprises revêtent systématiquement des enjeux essentiels en termes d’emplois à préserver et à sauvegarder mais aussi en termes de protection de savoir-faire et de l’outil industriel.

L’article 66 du projet de loi prévoit également la compétence de ces tribunaux de commerce spécialisés pour les procédures d’insolvabilité dans les litiges transfrontaliers tant au sein de l’Union européenne ou lorsqu’ils impliquent un État tiers.

La spécialisation du tribunal de commerce revêt divers avantages. Les juges compétents au sein de ces tribunaux de commerce spécialisés acquerront plus facilement et plus rapidement une technicité rare. La forte concentration géographique de procédures concernant les grandes entreprises facilitera l’adoption de jurisprudences plus homogènes et plus prévisibles.

Le rapporteur général salue la spécialisation de tribunaux de commerce visant à faciliter la poursuite d’activité de grandes entreprises en difficulté. Ces situations complexes nécessitent l’adoption d’une approche intégrée et spécialisée, préservant au maximum les chances de poursuite de l’activité économique et de sauvegarde des emplois. Cette idée d’une spécialisation des tribunaux de commerce notamment en matière de contentieux relatif aux défaillances des entreprises est ancienne, en témoigne les conclusions de la commission de réforme des tribunaux de commerce, présidée par M. Robert Badinter en 1981. De même, en 1998 la commission d’enquête sur l’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce relevait la nécessité d’une spécialisation des tribunaux de commerce en matière d’entreprises en difficulté (60).

2. Une intervention améliorée des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires

L’article 69 du projet de loi vise à améliorer le rôle et l’intervention des administrateurs et mandataires judiciaires. Le Gouvernement sollicite l’habilitation du Parlement à prendre par voie d’ordonnance des mesures définissant les conditions et les modalités de désignation obligatoire d’un second administrateur judiciaire ou mandataire judiciaire lors de procédures relatives au droit des entreprises en difficulté. Un amendement des rapporteurs, adopté par la commission spéciale, a substitué à cette habilitation des dispositions d’application directe.

En matière de sauvegarde et de redressement judiciaire, le tribunal désigne un mandataire judiciaire, qui agit au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, ainsi qu’un administrateur judiciaire, qui est chargé de surveiller ou d’assister le chef d’entreprise dans sa gestion de l’entreprise.

En matière de liquidation judiciaire, le tribunal désigne un mandataire judiciaire en qualité de liquidateur.

L’objet de l’article 69 est de remédier à des situations où les dossiers économiques les plus complexes ne sont pas traités dans des conditions pleinement satisfaisantes. Il existe en France plus de 55 000 jugements d’ouverture de procédures collectives, moins d’une centaine de cas concernent des entreprises de taille intermédiaire ou des grandes entreprises. Cependant, ces procédures sont à la fois les plus techniques et à fort enjeu en raison du nombre de salariés concernés.

Il convient de s’assurer que les professionnels intervenant dans le cadre de ces procédures collectives disposent de moyens techniques et humains suffisants pour traiter ces dossiers. Ainsi, le Gouvernement souhaite prévoir des cas de figure où la désignation d’un second administrateur judiciaire ou d’un second mandataire judiciaire est obligatoire.

Le déclenchement de cette procédure de désignation sera soumis à des conditions, définies par décret en Conseil d’État, relatives au nombre de salariés, au chiffre d’affaires, au nombre d’établissements secondaires ou de filiales en difficulté et à l’appartenance à un groupe en difficulté.

Par ailleurs, le second administrateur ou mandataire judiciaire devra remplir des conditions d’expérience et de moyens, précisées par décret en Conseil d’État, afin de pouvoir être désigné.

Cette mesure a pour objet de garantir une expertise certaine lors de procédures collectives particulièrement techniques et périlleuses. Il s’agit de s’assurer du niveau de compétences élevé de l’un des mandataires ou administrateurs judiciaires, afin d’accroître la probabilité de survie des entreprises en difficulté. Le traitement de ces dossiers complexes pourrait être amélioré et accéléré, favorisant ainsi l’efficacité de ces procédures tout en restaurant la confiance de l’ensemble des parties prenantes.

Le rapporteur général se félicite de la volonté du Gouvernement de moderniser et d’améliorer l’efficacité des procédures applicables aux entreprises en difficulté.

3. L’instauration de mécanismes de conversion de créance et de cession forcée en cas de procédure de redressement judiciaire

L’article 70 du projet de loi instaure un dispositif destiné à prévenir la disparition d’une société d’au moins 150 salariés qui serait « de nature à causer un trouble grave à l’économie et au bassin d’emploi et si la modification du capital apparaît comme la seule solution permettant d’éviter ce trouble et permettre la poursuite de l’activité ».

Pour ce faire, le présent article prévoit lors d’un plan de redressement la faculté laissée au tribunal de procéder à :

– la dilution forcée : la désignation d’un mandataire chargé de voter l’augmentation de capital en lieu et place du ou des associés ou actionnaires ayant refusé la modification du capital ;

– ou la cession forcée : le tribunal ordonne la cession de tout ou partie des parts sociales détenues par les associés ou actionnaires majoritaires s’opposant à la modification de capital.

Cet article fait de la poursuite de l’activité économique de l’entreprise l’objectif premier de la procédure de redressement. Il s’agit d’un renversement de perspective, inspiré de droits étrangers (61) et de l’analyse économique du droit (62). Le rééquilibrage des droits entre les actionnaires et les créanciers des entreprises aurait pour effet de contribuer à la survie des entreprises en difficulté.

Cela s’inscrit dans une nouvelle tendance générale du droit des affaires, comme l’illustre la loi n° 2013-672 de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013, qui a accordé de nouveaux droits aux créanciers des établissements de crédits et réduit ceux des actionnaires. Cela résulte également d’une claire volonté du Gouvernement illustrée par la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle (63), qui crée une nouvelle procédure afin de prévenir la fermeture des sites industriels rentables.

Le dispositif prévu par le projet de loi offre un nouvel outil pour surmonter les blocages au sein des grandes entreprises, en cas de refus ou d’impossibilité des actionnaires en place d’assurer le financement de l’entreprise. Cette mesure témoigne du souci du Gouvernement à préserver l’activité économique et à sauvegarder l’emploi. Il s’agit d’un véritable dispositif de régulation économique, contraire à toute forme de libéralisme sans loi, destiné à protéger le savoir-faire.

L’encadrement de ce nouveau dispositif est très strict eu égard à l’atteinte au droit de propriété des actionnaires. Le Conseil d’État a d’ailleurs considéré dans son avis que les précautions prises dans ce dispositif étaient de nature à assurer sa constitutionnalité tant du point de vue de la cession forcée que de la dilution forcée. L’impérieuse nécessité de sauver l’entreprise constitue à cet égard un objectif d’intérêt général.

Le rapporteur général approuve sans réserve cette initiative gouvernementale marquante, qui a pour but de sauvegarder des emplois et de pérenniser une activité économique. Ce rééquilibrage entre les droits des actionnaires et ceux des créanciers apparaît nécessaire dans les cas extrêmes de blocage. Cette nouvelle solution alternative contenue dans le dispositif du présent article semble à ce titre pleinement légitime.

D. MODERNISER LE DROIT DU TRAVAIL

1. La réforme de la justice prud’homale

Le projet de loi porte une très importante réforme de la justice prud’homale, probablement la plus conséquente depuis la loi du 18 janvier 1979. Cette réforme est l’aboutissement d’un long travail de concertation et met en œuvre de nombreuses recommandations du rapport de M. Alain Lacabarats, président de chambre à la Cour de cassation, remis à la Garde des Sceaux le 16 juillet 2014 (64).

Réforme d’envergure donc, mais qui ne remet pas en cause les principes fondamentaux de cette juridiction particulière : son caractère paritaire est réaffirmé par le projet de loi tandis que l’alternative radicale qui aurait consisté à introduire l’échevinage est écartée. Les rapporteurs ainsi que la commission, dans son ensemble, ont l’occasion de rappeler leur attachement au travail des juges prud’homaux qui, sans être des magistrats professionnels, sont amenés à trancher des litiges juridiquement compliqués et humainement difficiles.

La lucidité impose néanmoins de porter un regard critique sur la situation actuelle des conseils de prud’hommes. Le rapport Lacabarats énumère les difficultés qu’il convient de pallier :

– la réduction des délais de traitement des affaires : le délai moyen de traitement est de 15,9 mois (2,5 mois devant le bureau de conciliation, 15 mois devant le bureau de jugement, 29,7 mois en moyenne en cas de recours au juge départiteur) ;

– la réforme de la phase de conciliation, qui est défaillante : seuls 6 % des litiges trouvent une entente à ce stade de la procédure.

– le renforcement des moyens matériels et humains : les conseils de prud’hommes manquent de magistrats professionnels (greffiers et juges départiteurs notamment).

– la limitation des taux élevés d’appel des décisions des conseils de prud’hommes, en renforçant notamment les connaissances et compétences juridiques des conseillers prud’hommes.

Les premières victimes de cette situation sont les parties prenantes : les salariés eux-mêmes, mais aussi les employeurs, qui doivent souvent attendre plusieurs années avant que leur litige soit définitivement tranché.

Comme le souligne l’étude d’impact, « outre les actions à engager en matière de formation des conseillers prud’hommes, en matière de déontologie et de discipline, la nécessité d’accélérer, de simplifier et de rationaliser les procédures et le fonctionnement des prud'hommes est cruciale. »

Le projet de loi a donc pour objectif de renforcer les règles statutaires et la procédure disciplinaire des conseillers prud’hommes : les obligations déontologiques sont ainsi renforcées et la procédure disciplinaire qui leur est applicable est réformée, une instance ad hoc, la commission nationale de discipline étant créée.

Il est par ailleurs prévu de rendre obligatoire la formation initiale. L’étude d’impact précise que l’instauration d’une formation initiale obligatoire doit « permettre aux conseillers prud’hommes nouvellement désignés d’appréhender au mieux les enjeux socio-économiques des dossiers, la technique juridique et les règles déontologiques ». Elle cherche aussi à encourager « une homogénéisation des pratiques ».

La rationalisation de la procédure prud’homale constitue le cœur de la réforme et a pour objectif prioritaire un raccourcissement des délais de jugement. Il est d’abord proposé de transformer le bureau de conciliation en « bureau de conciliation et d’orientation » (BCO). En complément de sa mission traditionnelle consistant à rechercher la conciliation entre les parties, le BCO sera chargé d’orienter les litiges plus rapidement vers une formation de jugement restreinte ou vers le juge départiteur, en cas d’accord des parties.

De plus Est créée une nouvelle procédure de jugement en format restreint, qui réunira seulement un conseiller employeur et un conseiller salarié. Enfin, en cas d’échec de la conciliation, sera désormais permis, sous certaines conditions, le renvoi d’office d’une affaire devant le juge départiteur, c’est-à-dire sans passer par le bureau de jugement.

Ces modifications profondes de la procédure ont suscité certaines inquiétudes et interrogations et la commission spéciale, à l’initiative de son rapporteur thématique, a souhaité en modifier certains aspects, sans perdre de vue l’objectif principal, la réduction des délais de jugement.

2. Adapter les peines relatives au délit d’entrave

L’article 85 du projet de loi autorise le Gouvernement à réviser « la nature et le montant des peines et des sanctions applicables en cas d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel ».

L’objectif ici est de mettre un œuvre un engagement du Président de la République lors de son discours devant le Conseil stratégique de l’activité le 20 octobre 2014. En effet, comme le précise l’étude d’impact, les peines d’emprisonnement actuellement applicables en la matière « revêtent un caractère dissuasif pour les investisseurs étrangers » ; leur suppression aurait donc l’avantage de contribuer au « renforcement de l’attractivité du territoire ».

Le rapporteur général partage pleinement cet objectif : en l’état, ces dispositions font figure d’épouvantail à l’égard des investisseurs étrangers, alors même qu’en pratique, les condamnations à des peines d’emprisonnement sont rarissimes. Le dispositif doit donc être réformé, tout en conservant un caractère fortement dissuasif : l’ensemble des partenaires sociaux entendus par le rapporteur général ont insisté sur l’utilité que pouvait parfois représenter le risque d’une sanction forte dans le fonctionnement fluide des relations sociales au sein de l’entreprise.

Reste la question de la méthode : sur ce point, comme sur bien d’autres, il n’apparait pas envisageable que la représentation nationale ne débatte pas concrètement des nouvelles dispositions, et il semble donc indispensable d’intégrer dans le texte les dispositions législatives réglementant le délit d’entrave.

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AUDITION DU MINISTRE

La Commission entend, le mardi 16 décembre 2014 à 17 heures 30, M. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique, sur le projet de loi pour la croissance et l’activité (n° 2447).

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, nous avons le plaisir de vous accueillir à cette première réunion de notre commission spéciale pour vous entendre sur le projet de loi pour la croissance et l’activité. Ce texte, qui combine envergure et quotidienneté, est très attendu par l’opinion, les formations politiques et les députés ; après le temps du Gouvernement et du Conseil d’État, voici venu celui du Parlement.

Cette séance nous tiendra lieu de discussion générale du projet de loi. À l’issue de votre propos liminaire, le rapporteur général – garant de la cohérence de nos travaux – prendra la parole au nom des huit rapporteurs thématiques. Après l’intervention des orateurs des groupes, vous pourrez apporter une première série de réponses, avant que d’autres membres de la Commission ne vous posent leurs questions.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique. Je suis heureux que le temps du Parlement commence. Alors qu’avant même d’être finalisé, ce texte faisait déjà l’objet de nombre d’interprétations, je voudrais ici en rappeler l’esprit, la philosophie d’ensemble et le cheminement. La cohérence de cette loi tient à sa volonté d’ouvrir des opportunités dans différents secteurs d’activité. Les équilibres juridiques, économiques et sociologiques étant ce qu’ils sont, redonner des droits à certains peut certes en inquiéter d’autres. Mais cette loi n’interdit rien ; en déverrouillant toutes les sphères économiques possibles, elle cherche à offrir des chances et des droits réels à chacun de nos concitoyens.

L’urgence de ce texte est dictée par l’urgence de notre situation économique et sociale : étant donné le niveau du chômage et l’anémie de plusieurs secteurs d’activité, il n’est plus possible de maintenir le statu quo ni de temporiser. Ce texte cherche, de manière concrète et pragmatique, à agir sur tous les leviers disponibles pour recréer de l’activité. Il ne s’agit ni d’une loi de petites choses – car l’économie est ainsi faite qu’il faut toucher à différents domaines pour prétendre à l’efficacité – ni d’un big bang qui viendrait déstabiliser un secteur ou une profession en revenant de manière inutile sur des situations acquises ou des équilibres existants. Pour y avoir longuement réfléchi, je ne crois pas à la grande réforme qui débloquerait l’économie française ; aussi ce texte cherche-t-il à déverrouiller le strict nécessaire. Sans prétendre résoudre du jour au lendemain tous les problèmes de l’économie française, il vise à redonner des perspectives et à recréer des sphères d’activité partout où cela est possible.

Cette loi se construit autour de trois axes : libérer et ouvrir, investir et innover, travailler. Il faut d’abord libérer l’accès à certains emplois et à certains secteurs, car la première égalité à restaurer est celle des chances économiques. Pour favoriser la mobilité sur le territoire et créer une nouvelle sphère d’activité, le texte propose d’ouvrir et de développer le secteur du transport par autocar, qui fait aujourd’hui l’objet de multiples autorisations préalables. Deux faits résument la situation : dans notre pays, la mobilité repose à 83 % sur des véhicules particuliers et à 17 % sur les transports collectifs ; seulement 110 000 voyageurs par an prennent l’autocar en France, contre 8 millions en Allemagne et 30 millions au Royaume-Uni. La qualité du réseau SNCF n’y est pas étrangère, mais la fermeture du secteur compte également pour beaucoup dans cette réalité. Il est problématique de ne pouvoir compter que sur le train ou le véhicule particulier pour effectuer certains trajets – par exemple Nantes-Bordeaux ou Bordeaux-Lyon. Ouvrir l’exploitation de lignes d’autocars sur le territoire national permettra d’encourager la mobilité et de la rendre plus égalitaire, mais aussi de créer des opportunités pour l’activité ; la mobilisation, ces derniers jours, des acteurs économiques du secteur montre combien ils attendent ce signal. Alors que le transport routier de marchandises souffre d’un problème de surcapacité, organiser la reconversion des chauffeurs de poids lourds en chauffeurs d’autobus constituerait une réponse concrète pour lutter contre le chômage. L’intérêt public sera pleinement pris en compte : s’agissant des lignes infrarégionales, l’autorité organisatrice des transports (AOT) pourra interdire les lignes d’autocars qui feraient concurrence aux services publics de transport, après un avis conforme de la nouvelle Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), aux compétences élargies.

Favoriser la mobilité, c’est aussi faciliter l’obtention du permis de conduire – actuellement l’un des freins à la mobilité sur notre territoire, qui pénalise principalement les jeunes. En application des annonces faites par Bernard Cazeneuve l’été dernier, la réforme prévoit de recentrer les examinateurs sur le passage du permis B en confiant à des opérateurs agréés la surveillance de l’épreuve théorique et des épreuves pratiques de certains permis poids lourds. Cela permettra de réduire les délais d’attente, rendant le passage du permis plus rapide et moins cher. Au-delà de ce premier élément concret, le projet de loi mérite d’être enrichi par le débat parlementaire, car le coût – en moyenne 1 500 euros pour le permis normal et 1 100 pour la conduite accompagnée – et les délais actuels, très variables sur le territoire mais trop longs pour les jeunes comme pour tous ceux qui veulent accéder à un emploi, doivent nous conduire à nous montrer encore plus ambitieux sur cet élément clé de la mobilité.

Ouvrir, c’est également favoriser la concurrence et mieux réguler les situations de monopole. Dans le secteur de la grande distribution, le texte propose de donner à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’injonction structurelle. Cette mesure – décidée pour l’outre-mer il y a quelque dix-huit mois – permettra à l’Autorité d’enjoindre aux opérateurs qui détiennent plus de 50 % du marché dans le commerce de détail et qui abusent de leur position dominante en pratiquant des prix qui ne se justifient pas par la situation géographique, de céder des surfaces commerciales. Le projet de loi confie également à la nouvelle ARAFER la régulation des concessions autoroutières. En effet, l’évolution des tarifs des péages depuis la privatisation, constatée tant par l’Autorité de la concurrence que par la Cour des comptes, justifie de renforcer la transparence et la pression sur ces opérateurs. Plusieurs travaux parlementaires, en particulier celui conduit sous l’autorité de Jean-Paul Chanteguet, proposent des pistes qui devraient permettre d’enrichir le texte sur ce point. Le débat devra notamment déterminer le domaine de compétences exact de l’ARAFER et le degré optimal de régulation des sociétés autoroutières. En tout état de cause, il faudra remettre à plat les contrats de concession, donner à l’ARAFER un pouvoir accru pour en maîtriser la profitabilité et créer des clauses de partage du profit beaucoup plus dynamiques pour l’État. Les voies possibles – baisse de tarifs, réversion ou travaux supplémentaires – devront être creusées lors du débat.

La loi entend également moderniser les professions du droit. Ce travail, que nous avons conduit avec Christiane Taubira, a été enrichi par la contribution de Richard Ferrand, mandaté par le Premier ministre, et par le rapport que Cécile Untermaier et Philippe Houillon rendront demain, à l’issue de la mission d’information qu’ils ont conduite sur les professions juridiques réglementées au nom de la Commission des lois. Il ne s’agit pas de casser ce qui fonctionne, et les fondamentaux de ces métiers seront préservés. Ainsi, le texte ne supprime aucune profession, maintient l’exclusivité de leurs missions, n’abolit aucune règle déontologique, ne réforme pas les ordres et n’envisage aucune baisse du niveau de qualification. La situation actuelle en matière d’accès, de tarifs et d’équilibre démographique de plusieurs professions doit néanmoins être aménagée. Aujourd’hui, 85 % des administrateurs judiciaires ont plus de 50 ans ; 70 % des notaires titulaires sont des hommes ; 80 % des notaires salariés, dont les revenus sont en moyenne cinq fois moins élevés, sont des femmes. Dès lors, la modernisation des sept professions du droit concernées nous apparaît comme une nécessité du point de vue de la justice et de l’efficacité économique.

Aux termes du projet de loi, les professions réglementées du droit pourront ouvrir leur capital à d’autres professionnels du même secteur ou de secteurs complémentaires, comme les professions du chiffre, les experts comptables ne pouvant obtenir plus de 33 % des droits de vote au sein d’une même structure. L’enjeu de cette réforme est d’aider les professionnels à se moderniser en partageant les coûts des investissements nécessaires, sans nier la spécificité des métiers ni des règles déontologiques. Pour faciliter l’accès à ces professions, le Gouvernement souhaite instaurer une liberté d’installation régulée. Le texte ne supprime aucune profession ni ne remet en cause leurs monopoles – ceux qui le souhaitent pourront ainsi continuer à vendre leurs structures en transmettant leur clientèle –, mais ouvre une deuxième possibilité : celle de s’installer en partant de zéro, sans clientèle, dans les zones où une autorité indépendante aura identifié des carences. Dans les autres zones, où l’implantation d’offices supplémentaires pourrait porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices déjà installés ou compromettre la qualité du service rendu, l’installation pourra être refusée par la garde des Sceaux. Cette liberté d’installation régulée ne modifie donc en rien l’exigence en matière d’études et de stages, ni l’honorabilité des professionnels. Enfin, prenant appui sur un rapport de l’Autorité de la concurrence, nous passerons en revue les tarifs réglementés de six professions – notaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers, commissaires-priseurs, administrateurs et mandataires judiciaires – afin de les orienter vers les coûts réels et de promouvoir une juste rémunération. Les mécanismes de péréquation seront maintenus dans les cas où ils se justifient ; les tarifs réglementés seront plafonnés, ce qui fera baisser les prix, mais un plancher sera également instauré. Les dispositifs spécifiques par profession pourront être abordés au cours de la discussion parlementaire.

Le deuxième pilier de ce texte, c’est investir et innover. Une philosophie de l’accès plus ouvert au capital doit permettre de renouer avec l’actionnariat salarié et l’épargne salariale. Il s’agit d’associer le plus largement possible les salariés au capital, au-delà des premiers cercles de dirigeants, et de mieux récompenser le risque, tout en étant intransigeant sur la rente. Le projet de loi propose trois mesures qui font système. Pour inciter les entreprises à distribuer des actions aux salariés performants, il simplifie le dispositif de taxation des attributions gratuites d’actions (AGA) en unifiant le régime fiscal des gains d’acquisition et de cession, ce qui implique d’adapter le régime social salarial. La contribution patronale sur les AGA sera alignée sur le régime de droit commun du forfait social applicable aux autres compléments de rémunération. Cette mesure apparaît importante tant pour les PME que pour certains de nos grands groupes aujourd’hui sortis des standards de compétitivité. Enfin, le projet de loi vise également à réformer les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE). En effet, beaucoup d’entreprises de la Silicon Valley abritent des Français – innovateurs et cadres performants – qui ne trouvent pas dans nos start-up de conditions de rémunération comparables. Pour inciter ces talents à rester dans notre pays, nous proposons de permettre aux start-up d’attribuer des BSPCE sur leurs propres titres à tous leurs salariés, y compris ceux de leurs filiales. C’est là un dispositif plus attractif et plus simple que celui actuellement en vigueur. Nous pourrons sans doute aller plus loin encore pour ce qui concerne les business angels ; les dispositions votées dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, portées par Mme Bernadette Laclais, ont permis de commencer à simplifier les formalités auxquelles ils sont soumis, mais il faut conforter davantage cet écosystème. Cela permettra de renforcer notre attractivité et de développer l’innovation et la créativité, qui doivent devenir l’un des moteurs de notre économie.

En même temps, le projet de loi prévoit une disposition technique sur les retraites chapeaux. Marisol Touraine, Michel Sapin et moi-même avons demandé un rapport sur ce sujet ; le travail, conduit par M. Jean-Michel Charpin et un de ses collègues de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), est en cours et pourra associer tous les parlementaires qui le souhaitent. Notons dès à présent que la réforme ne vise pas les mécanismes de retraite supplémentaire de droit commun dont bénéficient des millions de Français, mais le système de rente perpétuelle que s’aménagent certains cadres dirigeants et mandataires sociaux ; injustifiable aux yeux des salariés, ce salaire différé devrait être traité comme tel.

Au-delà de ces mécanismes, c’est l’épargne salariale – le meilleur moyen d’associer l’ensemble des salariés au capital – que nous souhaitons renforcer. Les travaux du Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié (COPIESAS), conduits sous la supervision de Christophe Castaner, sont aujourd’hui en discussion entre les partenaires sociaux. Le rapport, remis au Gouvernement le 26 novembre dernier, propose de remédier aux inégalités entre salariés, qui en voient huit sur dix bénéficier de l’épargne salariale dans les grandes entreprises, contre un sur dix dans les plus petites. Il semble important d’élargir et de simplifier ces mécanismes. Ensuite, sans oublier les contraintes qui pèsent sur les finances publiques, il nous faut trouver les moyens de restaurer l’attractivité au regard de ces dispositifs du forfait social, nous montrer plus incitatifs pour les PME et créer des mécanismes adaptés pour les investissements responsables. Le rapport du COPIESAS propose plusieurs pistes pour y parvenir.

L’État pourra céder certains de ses actifs afin de mettre en œuvre une stratégie de désendettement – quelque 4 milliards d’euros au titre du projet de loi de finances pour 2015 – et de réinvestissement. Ces deux objectifs doivent être réalisés à parité : l’État doit disposer de marges de manœuvre pour sauver des grands groupes en situation difficile – à l’instar de ce qui a été fait pour Alsthom ou PSA – et pour investir dans les projets prioritaires, tels que la transition énergétique ou les infrastructures publiques. Aussi le texte propose-t-il de mieux accompagner les projets industriels d’entreprises publiques et en particulier d’autoriser le Gouvernement à mettre en œuvre le rapprochement, annoncé le 1er juillet 2014 et porté par Jean-Yves Le Drian, entre l’entreprise française Nexter et l’allemande KMW, qui permettra de créer un leader européen de l’armement terrestre. Ce volet de la loi prévoit également l’ouverture du capital de certaines entreprises publiques, notamment celui des aéroports de Nice et de Lyon, qui permettra à l’État de dégager des ressources financières pour les usages évoqués.

Le texte vise également à développer le logement, en particulier intermédiaire, et à favoriser l’investissement grâce à la simplification et à l’accélération des procédures, afin d’en augmenter la rentabilité. Ce développement, essentiel dans les zones tendues, est aujourd’hui entravé par des difficultés techniques liées à la réglementation, que cette loi propose de simplifier, et par les problèmes génériques que rencontre le secteur du logement : délais de délivrance des avis et accords périphériques au droit des sols trop long, complexité des régimes d’autorisation, volume trop important des études environnementales à produire. Les mesures pour y remédier, dont certaines ont été annoncées par le Premier ministre l’été dernier et préparées par Sylvia Pinel et Thierry Mandon, figureront dans le texte ou seront prises par ordonnances. Il s’agit notamment de permettre aux organismes HLM de construire, d’acquérir et de gérer des logements intermédiaires par le biais d’un mandat de gestion confié à une filiale. Les communes pourront délimiter, au sein de leurs documents d’urbanisme, des secteurs à l’intérieur desquels la réalisation des logements intermédiaires pourra bénéficier d’une majoration de constructibilité.

Au-delà des dispositions relatives au logement, la loi permettra de sécuriser des opérations d’importance majeure en étendant les expérimentations d’autorisation unique et de certificat de projet actuellement en cours, en particulier aux grands projets économiques de la région Île-de-France. Il s’agit notamment de permettre l’instruction coordonnée et la délivrance en un seul acte de l’ensemble des autorisations relevant de l’État et applicables à un projet industriel ou agricole. Cette mesure permettra d’accélérer les procédures et de déclencher non seulement les investissements, mais les travaux concrets qu’attendent beaucoup de secteurs. Le certificat de projet constitue, quant à lui, une réponse-garantie délivrée en deux mois par le préfet de département, qui permet aux acteurs économiques de bénéficier, pour une opération donnée, d’un interlocuteur unique, d’un engagement de l’administration sur les procédures nécessaires et sur ses délais d’instruction, et d’une sécurité juridique grâce à une cristallisation, sauf exceptions, du droit applicable pendant dix-huit mois à partir de la date de délivrance du certificat. Cet ensemble de dispositifs donnera plus de visibilité et de certitude aux acteurs économiques, permettant d’accélérer la réalisation des grands projets et de contribuer ainsi au retour de la croissance. La mission confiée par le Premier ministre à M. Jean-Pierre Duport aboutira à des propositions plus poussées sur toutes ces questions ; aussi le projet de loi prévoit-il la possibilité d’améliorer et de compléter ses dispositions par voie d’ordonnances.

Enfin, nous proposons de réformer les procédures collectives, élément important pour la vitalité de notre économie et le volontarisme que nous voulons y insuffler. Aujourd’hui, je le constate toutes les semaines, de nombreuses procédures de redressement judiciaire révèlent que des entreprises en difficulté sont liquidées, vidées de leurs actifs, et leurs emplois détruits parce que les actionnaires n’ont pas la possibilité – ou la volonté – de financer leur sauvetage. Contrairement à l’Allemagne, notre droit consacre actuellement la primauté absolue de l’actionnariat, au nom de la protection du droit de propriété, même lorsque celle-ci conduit à la disparition de l’entreprise et de ses emplois, et à une atteinte aux droits des créanciers. C’est ce principe que nous proposons de revisiter : lorsque les dirigeants et les actionnaires ne pourront plus sauver leur entreprise, vouée de manière certaine à la liquidation, le tribunal pourra, en dernier recours, permettre à des créanciers ou à de nouveaux investisseurs d’en prendre le contrôle contre l’avis des actionnaires. En contrepartie, ils devront mettre en place et financer un plan offrant une nouvelle chance à l’entreprise pour maintenir l’activité et le plus d’emplois possible.

Travailler est le dernier pilier du projet de loi. Nous devons adopter une approche pragmatique du travail – valeur importante et nécessité vitale pour de nombreux Français. Alors que depuis trente ans, notre pays n’a pas connu de baisse massive et durable du chômage, l’amélioration de certains éléments du droit et du fonctionnement du marché du travail permettra de stimuler l’activité, de renforcer la sécurité des salariés et d’augmenter le nombre d’emplois. C’est l’objectif que poursuit la réforme relative au travail du dimanche. Considérée tantôt comme insuffisante, tantôt comme régressive, cette mesure cristallise bien des inquiétudes ; le texte cherche pourtant un équilibre pragmatique qui permettra de créer des emplois assortis de toutes les garanties nécessaires pour avancer sur la voie du progrès et de la justice.

Il s’agit avant tout de donner plus de liberté aux élus locaux, le maire pouvant octroyer douze – et non plus cinq – dimanches ouvrés dans l’année, cinq devant l’être de manière obligatoire. Cette mesure a suscité des réactions dans certaines zones où elle n’apparaît pas comme une nécessité ; mais en laissant aux élus locaux le soin de l’adapter à leur territoire, ce texte a voulu adopter une philosophie pragmatique et renoncer à tout réglementer depuis Paris. En revanche, pour les zones touristiques internationales à fort potentiel d’activité, il est de l’intérêt national d’ouvrir les commerces le dimanche et en soirée, car on est certain que cela générera un surcroît d’activité. Cette disposition concerne quelques zones touristiques dans Paris et en province, et une vingtaine de gares à forte activité que la SNCF a elle-même identifiées, la mesure représentant potentiellement mille emplois directs et mille emplois indirects. Pour ces zones, le projet de loi prévoit que l’exécutif reprenne la main pour en définir les contours après concertation avec les collectivités concernées. Un dernier élément conditionnera cependant la possibilité d’y ouvrir un commerce le dimanche et en soirée, un élément de progrès et de justice trop souvent oublié : le principe de la compensation que ce texte propose de fixer dans la loi. D’ores et déjà, 30 % des Français travaillent de manière occasionnelle ou régulière le dimanche, dans plus de 600 zones touristiques, sans garantie légale d’être compensés. Des compensations sont pratiquées là où des accords ont été trouvés mais, à la différence des zones commerciales, il n’existe pas d’obligation en ce sens. Le texte propose de simplifier la règle et d’en accroître l’ambition en posant que le principe de la compensation doit être toujours défini dans un accord de branche, d’entreprise ou de territoire, aucune ouverture dominicale ne pouvant se faire sans l’existence d’un tel accord. Le projet de loi prévoit un délai de trois ans pour permettre aux commerces aujourd’hui ouverts de s’adapter à la nouvelle disposition. Cette mesure, qui affirme la confiance dans le dialogue social, fait de ce texte un vecteur de progrès, générateur d’activité.

Cette loi porte également réforme de la justice prud’homale pour rendre celle-ci plus simple, plus rapide, plus prévisible et plus efficace. Aujourd’hui, les délais sont trop longs, atteignant vingt-sept mois en moyenne en cas de départage, la conciliation trop rare puisqu’elle ne concerne que 6 % des décisions, et les décisions trop fragiles : 71 % des dossiers frappés d’appel sont infirmés, soit beaucoup plus que la moyenne nationale des autres contentieux. Le texte propose de rendre obligatoire et d’améliorer la formation initiale et continue des conseillers prud’homaux, et de renforcer leurs obligations déontologiques. Il prévoit également de raccourcir considérablement les délais et de mieux encadrer la phase de conciliation, le bureau de jugement en formation restreinte devant statuer sous trois mois. Par ailleurs, la procédure pourra être notablement accélérée par le passage direct de la phase de conciliation à la formation de jugement présidée par un juge professionnel. Le regroupement des contentieux sera mis en œuvre lorsqu’il est de l’intérêt d’une bonne justice que des litiges pendants devant plusieurs conseils des prud’hommes situés dans le ressort d’une même cour d’appel soient jugés ensemble. Tous ces dispositifs permettront de resserrer les délais, mais il reste possible d’améliorer le texte en renforçant les justifications au moment de la conciliation et en donnant plus de visibilité à toutes les parties dès le début de la procédure prud’homale.

Nous devons également procéder à d’autres améliorations, en particulier en sécurisant les plans sociaux grâce au travail conduit par François Rebsamen. En effet, la loi de sécurisation de l’emploi avait mis en place une procédure de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) négocié, enserré dans des délais nécessaires à un aboutissement rapide ; pour respecter l’esprit de cette disposition, l’annulation de la décision de l’administration pour insuffisance de motivation n’entraînera plus l’invalidation du PSE et donc le versement d’une indemnité à la charge de l’employeur. Il est logique et conforme à l’intérêt de l’employeur et des salariés de ne pas faire porter les conséquences d’une erreur de l’administration à l’entreprise et de ne pas retarder inutilement le déroulement de la procédure. Les autres éléments qui viennent clarifier la loi de 2013 ont été préparés par François Rebsamen et ses équipes, et concertés avec les partenaires sociaux avant d’être proposés dans ce texte.

Le texte comporte des mesures de lutte contre la prestation de service internationale illégale de sorte à protéger les travailleurs, en particulier les moins qualifiés, et les petits employeurs des secteurs les plus soumis à cette concurrence déloyale. Le contrôle des entreprises sera renforcé. Aujourd’hui, en France, le nombre de travailleurs détachés non déclarés dans le secteur du bâtiment est supérieur à 50 % de leurs 210 000 homologues déclarés ; cela conduit à la perte de marchés et d’emplois, à l’instabilité et à la tension sociale et politique sur nos territoires. Le projet de loi propose d’aggraver la sanction administrative en cas de défaut de déclaration de détachement et de refuser des comportements inacceptables : le non-respect du salaire minimum légal, le dépassement des limites de durée maximale de travail, l’hébergement indigne des travailleurs salariés par l’employeur sont autant de manquements qui permettront à l’autorité administrative compétente d’enjoindre à un ou plusieurs employeurs établis à l’étranger et détachant des salariés de cesser leur activité.

Fruit d’un travail collégial de l’ensemble du Gouvernement, ce texte s’appuie sur beaucoup de travaux menés durant les derniers mois, voire les dernières années, dont ceux pilotés par des parlementaires. Les divers qualificatifs appliqués à ce projet de loi, le plus souvent sans doute par défaut de lecture, apparaissent paradoxaux : il ne saurait être à la fois un texte inexistant et fourre-tout, une révolution civilisationnelle et presque rien. Il constitue plutôt un élément de progrès – le plus concret et cohérent possible – qui cherche à déverrouiller notre économie à un moment où les Français attendent que nous soyons pragmatiques. Ce texte a vocation à être enrichi et je souhaite que le débat parlementaire lui donne encore plus de souffle en s’attachant, partout où c’est possible, à en renforcer l’efficacité pour simplifier l’accès de nos concitoyens à certaines professions et à la mobilité, améliorer et faciliter leur vie, et stimuler la création d’activité sur notre territoire.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, certains collègues craignent que notre commission ne manque de temps pour examiner ce texte avant son passage en séance le 26 janvier. Peut-être pourriez-vous en toucher deux mots à votre collègue chargé des relations avec le Parlement.

Je tiens à remercier le rapporteur général pour avoir synthétisé les questions des rapporteurs thématiques en une seule intervention afin de laisser à l’ensemble des députés qui le souhaitent le temps de s’exprimer.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le premier objectif de ce projet de loi est de développer l’activité en France afin de faciliter la vie aux jeunes, aux personnes privées d’emploi et à ceux qui voudraient investir. Cette volonté d’assouplir des rigidités, de simplifier les procédures et de créer des accès nouveaux à des professions ou à la mobilité passe par des mesures concrètes, par exemple en matière de transport par autocar. Le texte comporte également une réforme emblématique : la liberté d’installation régulée de certaines professions réglementées, qui ouvrira de nouvelles possibilités aux jeunes diplômés, mais aussi à des salariés aguerris. Faciliter l’activité, c’est aussi, tout en réaffirmant la règle du repos dominical, répondre à la demande des Français qui souhaitent profiter de plus de commerces ouverts le dimanche et permettre aux nombreux touristes qui viennent dans notre pays d’avoir accès à des magasins qui représentent l’excellence française. Enfin, un examen précis des participations publiques garantira l’utilisation efficace de l’argent public, et l’ouverture du capital de certaines sociétés permettra de développer l’outil industriel, d’élargir les perspectives d’emploi et d’encourager l’activité économique.

Ce texte se donne comme deuxième objectif transversal d’offrir plus de droits aux salariés et de mieux réguler l’activité économique en renforçant le rôle des autorités administratives indépendantes. Pour sécuriser la situation des salariés, il fait en sorte qu’à terme, tous ceux qui travaillent le dimanche dans un commerce de détail le fassent volontairement et en étant couverts par un accord collectif prévoyant de justes compensations. Il modernise également l’inspection du travail afin que les droits des salariés soient mieux protégés, crée un véritable statut du défenseur syndical au sein de la justice prud’homale et renforce la lutte contre la prestation de service internationale illégale. Plusieurs autorités indépendantes sont dotées de nouvelles compétences qui leur permettront de mieux réguler certaines activités économiques. Rénover la participation des salariés est un gage de leur implication dans le développement de leur entreprise puisque l’actionnariat salarié contribue à l’établissement d’un socle de financement stable et durable. L’élargissement et la simplification de l’épargne salariale sont souhaitables à tous égards.

Enfin, le troisième objectif transversal poursuivi par ce projet de loi est de simplifier et de moderniser les législations et réglementations en vigueur, cet effort devant permettre de faciliter l’activité de l’ensemble des acteurs économiques – entreprises, personnes publiques et salariés. En matière de droit de l’urbanisme et de l’environnement, cela passe par le développement des autorisations uniques ou l’allégement des obligations comptables des très petites entreprises (TPE) pendant leur période d’inactivité. Les tribunaux de commerce doivent pouvoir traiter de manière plus efficace et plus rapide les dossiers les plus complexes, présentant des enjeux économiques et sociaux de premier ordre. La modernisation passe aussi par la réforme de la justice prud’homale, attendue par tous les acteurs du système, l’objectif étant de raccourcir les délais de jugement.

L’économie étant par définition partout, ce projet de loi porte une vaste ambition et touche de nombreux secteurs. Monsieur le ministre, le Parlement entend exercer pleinement ses compétences et enrichir ce texte que vous portez. C’est pourquoi, au nom de mes collègues rapporteurs thématiques – Gilles Savary, Cécile Untermaier, Christophe Castaner, Clotilde Valter, Laurent Grandguillaume, Stéphane Travert et Denys Robiliard –, je souhaite d’ores et déjà vous interroger sur quelques points précis.

Le chapitre Ier du titre Ier du projet de loi prévoit d’étendre les compétences du régulateur ferroviaire qu’est l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) au transport public routier interurbain de voyageurs et au secteur autoroutier. L’ARAF deviendra ainsi l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER. Actuellement, l’ARAF dispose de l’autonomie financière, et ses ressources sont précisées dans le code des transports. Elles proviennent d’un droit fixe dû par les entreprises ferroviaires en proportion du montant des redevances d’utilisation du réseau ferré national, qu’elles versent à Réseau ferré de France (RFF) dans la limite de cinq millièmes de ce montant. L’ARAF perçoit également, le cas échéant, des rémunérations pour services rendus. Á ce stade, le projet de loi ne prévoit aucune disposition concernant l’évolution des recettes de l’ARAFER au regard des nouvelles compétences que vous envisagez. Aussi, nous souhaiterions savoir si des amendements gouvernementaux sont prévus en ce sens, et si, le cas échéant, vous seriez favorable à ce que le droit fixe évoqué précédemment soit étendu, selon des modalités de calcul à déterminer, aux nouveaux bénéficiaires de la régulation de cette autorité, à savoir les entreprises de transport public routier interurbain de personnes et les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

L’article 21 du projet de loi, ensuite, prévoit d’habiliter le Gouvernement à créer par voie d’ordonnance la profession d’avocat en entreprise. Cette ordonnance devrait fixer les conditions dans lesquelles les personnes titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) ou celles exerçant les fonctions de juriste d’entreprise depuis au moins cinq ans pourraient être salariées par une entreprise afin de lui délivrer des prestations juridiques couvertes par le secret professionnel lié à la qualité d’avocat. Sans déflorer le rapport que rendront Mme Untermayer et M. Houillon, leurs conclusions et les miennes seront proches sur ce point : le statut des avocats, qui doivent exercer leurs fonctions en toute indépendance, est manifestement incompatible avec celui de salarié, subordonné à un employeur, qui se trouve aussi être son client. Par ailleurs, la pertinence économique d’une telle proposition ne saute pas aux yeux.

Il est vrai que, dans le contexte de concurrence économique internationale, il est très gênant que les juristes d’entreprise français ne puissent protéger par le secret leurs prestations juridiques. Ne pensez-vous pas qu’au lieu de créer une énième profession juridique, hybride et réglementée, il serait préférable de garantir par la loi le secret des correspondances des juristes d’entreprise ?

S’agissant de l’épargne salariale, les organisations représentatives des salariés et des employeurs sont en train de négocier pour arrêter une position commune sur l’association des salariés à la performance et à la création de valeur au sein de l’entreprise. Un accord se traduirait par des mesures reprenant pour partie celles issues des travaux du COPIESAS. Sous quelle forme et jusqu’à quel point comptez-vous intégrer les propositions issues de cette délibération, si elles étaient adoptées, conformément à la feuille de route de la grande conférence sociale ?

Pour une plus large diffusion des dispositifs d’association des salariés à la performance de l’entreprise, les partenaires sociaux souhaitent qu’en soit revu le cadre fiscal et social. En effet, l’alourdissement continu des charges sur l’épargne salariale peut avoir un effet dissuasif, et de nombreux partenaires sociaux demandent que le taux du forfait social soit ramené à 8 %. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

À l’article 28, partant du constat que les grands projets industriels et urbanistiques souffrent de délais de réalisation trop longs, vous sollicitez de l’Assemblée une habilitation pour mettre en œuvre, par voie d’ordonnance, les recommandations du préfet Jean-Pierre Duport. Pensez-vous que l’administration sera en mesure de faire face aux exigences posées par le permis environnemental unique, l’engagement d’une réponse sous deux mois, le certificat de projet, ou encore d’améliorer la procédure d’instruction des projets touristiques en montagne ?

La spécialisation des tribunaux de commerce, par ailleurs, ne risque-t-elle pas de fragiliser le maillage territorial qu’assure la présence de ces juridictions, et peut-on être assuré, pour garantir ce maillage, de la présence pérenne d’un tribunal de commerce par ressort de cour d’appel ?

De même, le Gouvernement envisage-t-il d’amender le projet dans le but de créer un statut juridique unique de l’entrepreneur individuel, statut qui est attendu ?

En ce qui concerne les contreparties pour les salariés privés de repos dominical, le projet de loi présente des avancées majeures puisqu’il procède à une quasi-généralisation de l’obligation de conclusion d’un accord collectif fixant ces contreparties, et propose des mesures visant à protéger le volontariat du salarié. Toutefois, il ne fixe pas de plancher pour la rémunération du travail le dimanche. Ne pourrait-on envisager de fixer un tel plancher dans la loi, le cas échéant en proposant d’en exonérer certains petits établissements indépendants, mais sans exclure les établissements franchisés dépendant d’autres entités ?

Le projet de loi propose de porter les dimanches dits « des maires » à douze, potentiellement, dont cinq pour lesquels l’ouverture serait de droit. Ce nombre peut paraître adapté à Paris et dans quelques autres grandes villes, mais il est sans doute excessif sur la plus grande partie du territoire, où les modes de vie sont différents, et les besoins et les demandes de la population moins importants. En cette phase de décentralisation, une évolution sur ce point ne serait-elle pas opportune, accordant davantage d’initiative et de compétences aux élus locaux en charge du développement économique – présidents de communautés de communes, présidents de métropoles ou maires?

Le projet prévoit encore d’habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance pour doter l’inspection du travail de nouveaux pouvoirs. Or le Parlement a longuement débattu de cette question à l’occasion du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, puis lors de l’adoption par la commission des affaires sociales d’une proposition de loi reprenant pour l’essentiel les termes de l’article 20 du projet de loi de Michel Sapin. Dès lors, nous pourrions peut-être discuter, à la faveur du présent projet, des pouvoirs de l’inspection de façon à ce que la réforme engagée par Michel Sapin puisse entrer rapidement en vigueur. Ce serait une manière d’optimiser le travail législatif.

Enfin, vous proposez une réforme de la procédure prud’homale visant notamment à accélérer les délais. Une partie de la réforme repose sur un recours plus rapide aux juges départiteurs. Ne prend-on pas le risque d’affaiblir un des piliers de cette juridiction, à savoir que l’on y est jugé par ses pairs ? Par ailleurs, est-on certain que la Chancellerie aura les moyens de créer les postes de juges départiteurs nécessaires pour atteindre l’objectif du projet de loi ?

M. Jean-Yves Caullet. Ce texte nous propose de relever un défi dans une France où, selon certains, il ne serait possible de progresser que de ruptures en grands soirs, de destructions de droits en constitutions de barricades. Je considère, moi, qu’il est possible de moderniser des dispositifs dans le sens à la fois de l’activité et de la garantie des droits. Il est possible également de simplifier les procédures sans renoncer à la sécurité juridique, ce qui semble souvent contradictoire. Vous nous proposez, monsieur le ministre, un texte de nature à redonner confiance dans notre capacité à évoluer, et à présenter tant à l’intérieur qu’à l’extérieur l’image d’un pays qui sait se prendre en main, qui sait à la fois protéger et s’ouvrir sur l’avenir. Nous devons relever ce défi ensemble.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous avez bien voulu, monsieur le président, transmettre au ministre l’inquiétude de la Commission quant au temps qui nous est imparti pour débattre, et je vous en remercie. Je sais que le rapporteur général est sous contrainte, mais, en nous annonçant cet après-midi à 14h50 le programme des auditions de la journée de demain, il ne facilite pas notre présence. Je le remercie d’avoir programmé cette journée, mais que l’on ne reproche pas ensuite à l’opposition de ne pas avoir assisté aux auditions, car nous avons une circonstance atténuante.

Votre présentation, monsieur le ministre, était très instructive. Vous avez évoqué l’anémie de l’économie française – constat que nous partageons –, puis vous nous avez invités au pragmatisme ; mais le niveau de détail dans lequel vous êtes entré aussitôt après indique suffisamment que votre projet de loi ne présente pas de réforme d’ampleur.

Si j’en crois les plus récents commentaires de certains organismes publics, redonner du souffle à l’économie française impliquerait d’adopter un grand projet fiscal, projet que, depuis l’annonce de Jean-Marc Ayrault, nous attendons toujours. Cela impliquerait également de conduire une action sur le coût du travail – ce que nous ne voyons pas non plus dans votre projet –, de revenir sur le financement de la protection sociale, en particulier pour les retraites, et d’engager des réformes de structure de la puissance publique. Aucun de ces quatre éléments ne figure dans votre projet ; là où il n’y a pas de réforme d’ampleur, il ne saurait pas davantage y avoir de résultats conséquents. Cela dit, nous pouvons faire nôtre le pragmatisme auquel vous nous invitez, et nous serons certainement amenés à soutenir, ponctuellement, certaines mesures de bon sens.

Vous regrettez que votre texte fasse l’objet d’interprétations paradoxales, mais c’est parce qu’il supporte plusieurs niveaux de lecture.

Il comporte, tout d’abord, des mesures d’une portée extrêmement différente, qui vont de la restructuration de professions entières et la correction d’erreurs matérielles dans la loi sur les taxis de 2014. Nous pouvons donc nous demander à quel niveau d’intervention il se situe.

Peuvent ensuite faire l’objet de plusieurs niveaux de lecture, ses intentions. S’agit-il d’une volonté de simplifier ou bien de venir à résipiscence sur certaines mesures votées par votre gouvernement il y a quelques mois, dont vous vous êtes rendu compte qu’elles n’étaient pas opérantes ? S’agit-il d’une volonté de pragmatisme ou bien d’une soumission aux impératifs de Bruxelles, avec qui vous auriez négocié un peu de déficit budgétaire supplémentaire contre un peu de dérégulation des professions réglementées, que Bruxelles n’aime pas ? S’agit-il d’une ouverture de l’accès à certaines professions ou bien plutôt d’une forme de déstructuration mortelle pour certains territoires et pour la ruralité ? S’agit-il de liberté supplémentaire ou, au contraire, de contraintes supplémentaires, notamment dans le domaine du travail dominical ?

Enfin, en dépit de la qualité de l’étude d’impact, la partie sur les professions réglementées ne fait pas mention des conséquences pour les territoires, non plus que celle sur le travail dominical s’agissant de la vie des salariés.

Si vous avez reçu ces critiques, c’est que votre texte n’est pas clair sur ses intentions ni sur sa portée. C’est pourquoi, sauf exception, nous le combattrons.

M. Michel Zumkeller. Le groupe UDI partage le constat qu’il faut lever les blocages de notre société, mais ce texte n’aborde pas les sujets les plus importants : temps de travail, code du travail, pouvoir d’achat. Par ailleurs, les mesures concernant les professions réglementées nous laissent perplexes. Nous ne sommes pas persuadés que vos propositions conduiront à une amélioration. Ne risquent-elles pas, au contraire, de détruire des systèmes qui fonctionnent ? Ces professions, telle celle de notaire, ont un tarif, certes, mais elles font aussi des choses gratuitement ; si nous changeons le tarif, le risque est que ces choses gratuites deviennent payantes, et le système finalement globalement plus cher.

Nous avons auditionné ce matin quatre jeunes futurs notaires. J’ai commencé par leur demander combien d’entre eux étaient fils de notaire. C’était le cas d’un sur quatre ; on est loin des chiffres que vous avancez. Ils ont soulevé le très important sujet de la formation. Les écoles de formation sont financées par le notariat, et cela lui coûte 4 millions d’euros chaque année. Ne craignez-vous pas que les notaires se désengagent de la formation, de sorte que ce sera la société qui payera ? Les coûts de votre réforme sont peut-être beaucoup plus importants que vous ne l’imaginez.

Le groupe UDI aborde le débat sans hostilité mais non sans une certaine perplexité. Nous souhaitons faire des propositions, travailler à enrichir le texte pour parvenir à débloquer notre société.

Mme Michèle Bonneton. Ce texte, annoncé depuis plusieurs mois, couvre des thèmes très variés. Vous nous proposez de libérer l’activité, de favoriser l’investissement ou encore de soutenir le travail ; chacun ici s’accordera sur l’importance de ces objectifs. Toutefois, les moyens proposés et la vision de l’économie et de la société qui sous-tendent ces mesures suscitent l’interrogation du groupe écologiste.

Le recours, à des dizaines de reprises, à la procédure des ordonnances, parfois pour revenir sur les équilibres de textes ayant fait l’objet de longs débats parlementaires pendant cette législature, et tout juste promulgués, nous laisse un goût amer.

Dans le cadre du pacte de responsabilité, le gouvernement a lancé plusieurs vagues de simplification en ayant recours aux ordonnances. Nous avons exprimé hier, lors de la discussion du texte issu de la CMP sur le dernier projet de loi de simplification, nos réserves sur cette méthode. Trop souvent, simplification rime avec libéralisation, avec pour conséquence un recul social et moins de moyens pour les services publics, qui sont le patrimoine de tous les Français et contribuent à la stabilité sociale et juridique de notre pays, protégeant les plus faibles, ceux qui n’ont pas les moyens de recourir à une assistance privée.

Par ailleurs, quel type d’activités s’agit-il de développer ? Constitueront-elles, pour la France, un moteur d’activité à la fois socialement, environnementalement et économiquement responsable et durable ? Les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous alertent de façon de plus en plus pressante : le dérèglement climatique ne cesse de s’accélérer. Où sont, dans ce texte, les éléments mettant l’accent sur cette problématique ? La prospérité, dans les décennies à venir, reposera sur des activités compatibles avec la lutte contre le changement climatique. C’est d’un changement de modèle dans la durée dont nous avons besoin. L’empilement des mesures proposées est au mieux, à ce stade, un aménagement de l’existant.

Certaines mesures vont dans le bon sens, telles que le contrôle des sociétés autoroutières, la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’État détient des participations, l’encouragement à l’innovation, le soutien aux jeunes créateurs d’entreprise, la simplification de l’accès au très haut débit dans les immeubles en copropriété.

D’autres sont plus problématiques. Ainsi, la réforme des professions réglementées risque d’aboutir à une concentration et à une désertification en milieu rural ainsi que dans les quartiers les moins riches, et donc de fragiliser le maillage territorial. La mise en concurrence du rail et de la route pour les liaisons interurbaines, alors même qu’est discutée au Parlement la loi sur la transition énergétique, est troublante. La simplification des procédures d’urbanisme par voie d’ordonnance nous inquiète également, ainsi que la démolition de bâtiments en infraction dans certaines zones seulement. Par ailleurs, nous sommes perplexes devant la remise en cause de pans entiers des équilibres de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), remise en cause dont l’objectif est essentiellement de soutenir les promoteurs immobiliers. Sans parler de l’extension du travail le dimanche – je rappelle que les petits commerçant dans leur grande majorité sont contre, ainsi que certains grands groupes – ni de la levée de certains garde-fous de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, de la modification de l’inspection du travail par ordonnance, de la privatisation d’aéroports rentables.

Vous l’aurez compris, pour les écologistes, il manque à ce texte des dimensions entières pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, et le débat parlementaire devra le faire évoluer en profondeur si vous souhaitez redonner de l’optimisme aux Français.

J’en viens à nos questions. Vous envisagez une réforme des professions réglementées, domaine dans lequel un maillage territorial est indispensable. N’existe-t-il pas un risque que les mesures proposées conduisent à une concentration excessive du secteur, avec pour conséquence la disparition de ces professionnels en milieu rural et dans les quartiers les moins favorisés ? Comment éliminer ce risque ?

Ensuite, la loi met en concurrence le rail avec la route pour les liaisons interurbaines. Quelles mesures d’accompagnement du rail entendez-vous prendre pour que celui-ci soit le transport de l’avenir ?

À l’article 26, vous proposez une procédure unique pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Quelle organisation envisagez-vous de mettre en place afin d’assurer une instruction qui permette une étude et un rendu différenciés dans les divers domaines concernés : eau, air, sols, biodiversité, sécurité des personnes, santé publique ?

Enfin, des parties significatives de la loi ALUR sont remises en cause, en matière de rapports entre locataires et bailleurs, par exemple. Il est difficilement acceptable qu’une loi dont l’équilibre résulte d’un débat parlementaire fructueux de huit mois, et qui a été votée par l’ensemble de la gauche, soit aujourd’hui remise en question par des ordonnances. S’il est intéressant d’encourager le logement intermédiaire, cela ne doit pas nuire au logement social, aux offices HLM et autres bailleurs sociaux. Que prévoyez-vous pour que le logement social ne soit pas délaissé au profit des logements intermédiaires ?

M. Alain Tourret. Entre l’économie administrée et l’économie de la créativité, il faut choisir, et vous avez choisi, monsieur le ministre. En économie aussi, il est possible d’être de gauche et novateur ; je crois l’avoir montré avec mes vingt propositions pour moderniser la fonction publique. Pour être novateur, il faut dresser un état des lieux, un état des blocages et des thromboses qui conduisent notre économie à l’embolie. Jacques Attali, avec son intelligence rayonnante, a répondu en son temps à la demande d’un ancien Président de la République ; ses propositions ne furent que peu suivies d’effet, et la société continua de démontrer son incapacité à se réformer.

Il est vrai que la tâche est difficile, car la France a oublié son souffle révolutionnaire pour assurer la pérennité des charges et des offices, un peu comme la France de l’Ancien Régime. Or des trésors de créativité ne demandent qu’à émerger. Il suffit de se rappeler que « small is beautiful ». On ne peut qu’être séduit par la créativité des start-up et des auto-entreprises. Chaque fois qu’un entrepreneur est un créateur, il faut l’aider, tant son pari peut paraître fou et risqué. Cet entrepreneur peut appartenir au secteur privé ou, et ce serait une nouveauté, à la fonction publique.

L’économie du risque est à l’opposé de l’économie administrée. Votre mérite, monsieur le ministre, sera d’avoir déclaré la guerre au système qui s’appuie sur les corporatismes, sur la complexité, sur la complication. Votre mérite sera d’avoir compris que le travail peut être épanouissant, que la valeur travail est de gauche. En son temps, M. Sarkozy a commis un hold-up en soutenant qu’il fallait travailler plus pour gagner plus, misant sur le souhait du travailleur de gagner plus pour améliorer son pouvoir d’achat. Il est temps de se rappeler qu’il vaut mieux travailler que ne pas travailler, que le travail est épanouissant, équilibrant, et pas simplement une source de pénibilité comme on veut nous le faire croire. Cette loi est portée par la gauche, par le radicalisme, car c’est une loi d’équilibre, une loi qui libère, qui n’interdit rien. J’espère que vos amis ne tailleront pas en pièces un texte de transparence et de simplification.

Permettez-moi quelques observations. Pour les professions réglementées, la libre installation doit être le principe, car elle assure la méritocratie républicaine. S’agissant des avocats, vous avez trouvé un juste équilibre sur la postulation, mais il ne faudra pas retenir l’avocat en entreprise, car être avocat c’est être libre, c’est ne pas dépendre d’un chef d’entreprise ni d’un seul client. Je sais que vous nous écouterez sur ce point.

S’agissant des tribunaux de commerce, vous proposez la création de tribunaux spécialisés. Il faudra le faire mais, à mon sens, à raison d’un tribunal par cour d’appel.

Vos propositions pour les entreprises en difficulté, avec des cessions d’actions ou d’obligations, sont courageuses, pour ne pas dire révolutionnaires. Elles s’attaquent au droit de propriété, mais le Conseil d’État reconnaît qu’elles sont conformes à l’intérêt général.

Enfin, en ce qui concerne les ouvertures du dimanche, il ne s’agit pas de passer de cinq à sept, ce qui serait une forme de libertinage, mais de faire confiance aux élus. Le chiffre de douze que vous proposez me semble parfait. Le tourisme est notre principale source de rentrées et de devises, et l’on ne voudrait pas le favoriser ? Ce serait incompréhensible !

Le texte a vocation à s’enrichir, mais à condition que les amendements renforcent sa modernité et prennent en considération la situation des individus. Avec cette loi, nous abordons un nouvel humanisme, un nouveau contrat social, une majorité d’idées. Vous avez bien compris, monsieur le ministre, que je ne mégotterai pas mon appui, tant je suis persuadé que l’économie ne reprendra son souffle qu’en faisant preuve d’audace, encore et toujours !

Mme Jacqueline Fraysse. Je commencerai par une remarque de méthode. La fixation du commencement des débats en séance au 26 janvier ne permet pas à notre commission de travailler dans de bonnes conditions. Je réitère donc notre observation de ce matin : il nous semble nécessaire de reculer la date d’examen en séance pour que la commission dispose de deux semaines de travail.

Sur le fond, j’entends souvent dire que ce texte est « fourre-tout ». Nous pensons, au contraire, que c’est un projet de loi structuré et parfaitement cohérent. Cohérent, parce qu’il répond aux injonctions de réformes structurelles libérales réclamées par Bruxelles, avec pour seuls maîtres mots : libéraliser et privatiser. Cohérent, parce qu’il s’inscrit directement dans votre ligne politique toujours plus dure pour nos concitoyens, appelés à accepter des reculs sociaux majeurs. C’est une ligne que nous avons combattue dans le cadre du projet de loi transposant l’accord national interprofessionnel (ANI) relatif à la sécurisation de l’emploi, mais aussi lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale et de la loi de finances, une ligne fondée sur l’austérité budgétaire qui n’a donné, à ce jour, aucun résultat positif, au contraire.

Ce projet de loi est également structuré, parce que vous vous attaquez à des pans entiers de notre économie, pour la libéraliser, la privatiser ; au bout du bout, c’est notre modèle de société que vous mettez en cause. Quelques exemples suffiront à illustrer mon propos : la privatisation d’aéroports parfaitement rentables, qui prive l’État d’instruments d’aménagement et de développement du territoire pour offrir une rente de situation à des investisseurs privés, comme la droite l’a fait hier avec les autoroutes ; la libéralisation du transport en autocar, pour mieux le mettre en concurrence avec le train et justifier ainsi la privatisation à marche forcée des transports publics ; l’extension du travail dominical et de nuit, qui remet en cause la protection des salariés inscrite dans le code du travail, en l’espèce celle des salariés les plus vulnérables, notamment les femmes et les détenteurs de contrat précaire. Vous parlez de volontariat : c’est bien méconnaître la situation de ces salariés, à qui on dit qu’ils doivent être volontaires !

Vous prétendez également vouloir libérer les professions réglementées du droit et de la santé. Ces professionnels – nous les avons reçus – ne sont pas du tout hostiles à des évolutions en vue de se moderniser, mais vos propositions ne sont pas de l’ordre de la modernisation ; elles relèvent plutôt d’une hyper-concurrence entre ces professionnels, qui se retournera contre nos concitoyens. Si vous pensez qu’il y a des excès en matière de rémunération, il faut les corriger, mais cela ne justifie pas les mesures que vous proposez.

Vous vous attaquez, et ce n’est pas un hasard, au droit du travail, ainsi qu’aux instances de contrôle et aux juridictions du travail. Par ailleurs, beaucoup de dispositions feront l’objet d’ordonnances, nous privant ainsi d’un débat démocratique nécessaire.

Ce projet de loi n’est gouverné que par un seul principe : la marchandisation de la société, conduisant à son profond remodelage. Il s’agit de considérer les Français comme des sujets flexibles ou de simples consommateurs, et non plus d’abord comme des citoyens actifs, y compris le dimanche, et des travailleurs rémunérés correctement parce qu’ils apportent des compétences indispensables à la création de richesses.

Ce texte, non seulement ne peut répondre aux grands défis de notre temps – les études d’impact, quand elles existent, sont d’ailleurs loin d’être convaincantes –, mais il est extrêmement préoccupant pour l’organisation de notre société et son avenir. Il faudrait qu’il évolue fondamentalement, dans sa philosophie comme dans ses dispositions concrètes, pour que nous le votions.

Je poserai une seule question : quelles mesures envisagez-vous pour que l’encouragement de la construction de logements intermédiaires ne conduise pas à diminuer celle de logements sociaux, dont tant de nos concitoyens ont besoin compte tenu du montant des loyers ?

M. le ministre. Monsieur le rapporteur général, la mise en place de l’ARAFER aura lieu à la fin de l’année 2015. Il conviendra donc de prévoir les moyens dans la loi de finances pour 2016. Elle sera un régulateur de taille modeste. Des redéploiements au sein des administrations sont envisageables, puisqu’aujourd’hui c’est la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) qui est en charge du suivi des contrats de concession. Tout dépend de l’étendue des missions que nous déciderons in fine de confier à l’ARAFER. Si lui étaient confiées des missions comparables à celles de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), à savoir la vérification de l’équilibre des contrats et leur rentabilité, il faudrait alors prévoir des moyens en conséquence.

En ce qui concerne l’avocat en entreprise, je suis sensible aux arguments qui ont été avancés ; je comprends, notamment, le problème de la compatibilité avec la liberté de l’avocat. La question est celle du secret des informations, la Cour de justice de l’Union européenne ne reconnaissant pas le droit au secret des juristes. Il faut donc, pour assurer le secret, imposer une déontologie, surveillée par un ordre disciplinaire, et faire en sorte que cette déontologie permette l’indépendance. Aujourd’hui, plus d’une dizaine d’entreprises du CAC 40 ont choisi d’employer des avocats d’entreprise étrangers. La situation est donc problématique.

Je n’en fais toutefois pas un point dur. Nous pourrons essayer, dans le débat, de trouver une limite qui corresponde aux besoins des grands groupes internationaux ayant recours à ces professionnels étrangers, soit en définissant le statut tout en en limitant l’objet, ce qui permettra de rassurer certains avocats qui pensent que l’avocat en entreprise se substituera à eux, soit, si nous n’y parvenons pas, en traitant le problème de la confidentialité pour ces grands groupes. Pour ma part, je ne pense pas qu’en lui-même le salariat empêche l’indépendance et le respect de la déontologie ; certaines professions maintiennent une indépendance déontologique tout en étant sous régime de salariat.

Sur l’épargne salariale, M. le rapporteur général l’a rappelé, une discussion est en cours entre les partenaires sociaux sur la base du rapport du COPIESAS. Plusieurs propositions intéressantes devraient aboutir, parmi lesquelles la prime de partage du profit – débattue dans le cadre du PLFSS –, la modulation à la baisse du forfait social, en particulier pour les premiers contrats dans les PME, le fléchage par défaut de l’intéressement dans les plans d’épargne d’entreprise ou l’alignement des modalités techniques de l’intéressement et de la participation.

Comment rendre l’épargne salariale plus attractive ? Le taux du forfait social est passé de 8 à 20 %, et il n’est guère envisageable de le ramener à son niveau initial ; de nos travaux, du rapport du COPIESAS et des négociations entre les partenaires sociaux, il ressort que la modulation doit être proportionnée aux objectifs poursuivis afin d’éviter les risques juridiques. On peut revoir le taux légèrement à la baisse ou cibler le dispositif vers les premiers contrats ou vers des produits qui financent davantage l’économie : investissements dans les PME ou dans les projets sociaux responsables, par exemple. Le cadre des finances publiques est contraint mais, sur de tels sujets, nous devons avoir une approche dynamique : en favorisant l’accès à cet outil, on accroîtra aussi la base taxable. Je suis donc ouvert à un geste fort en ce domaine.

La réforme des tribunaux consulaires et le maillage territorial seront traités dans le cadre du projet sur la justice du XXIe siècle défendu par Christiane Taubira : je veux lever toute ambiguïté sur ce point. Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui ne supprime aucune juridiction : il tend seulement à créer neuf juridictions spécialisées pour les 150 affaires par an qui sont les plus importantes. Pour certaines restructurations lourdes, le fait que plusieurs tribunaux soient saisis, parfois le même jour, et rendent des décisions différentes est un facteur de déstabilisation – je pense, par exemple, à une affaire touchant à la nutrition animale, il y a quelques mois.

Pour ce qui concerne les entrepreneurs individuels, je suis favorable à un enrichissement du texte sur la base d’un consensus interministériel qui conviendrait aux professionnels. Laurent Grandguillaume a effectué un travail sur ce sujet et les parties prenantes attendent des résultats concrets, en particulier sur la simplification, conformément à l’engagement du Président de la République il y a quelques mois. La suggestion de M. Alain Tourret d’ouvrir le régime aux fonctionnaires – par exemple à des chercheurs – doit être regardée de près, notamment au regard des facilités accordées à ces derniers de quitter leur statut ou de l’aménager. Cette proposition est, en tout cas, conforme à l’esprit du projet de loi.

La question de la compensation pour le travail le dimanche est particulièrement sensible. Nous avions initialement envisagé le doublement des salaires dans les entreprises de plus de vingt salariés, mais ce mécanisme posait des problèmes d’effets de seuil, alors même que nous cherchons à y remédier par ailleurs. De plus, les enseignes s’arrangent toujours pour contourner le dispositif et rester en deçà des vingt salariés, y compris dans les grands magasins avec les corners. Il se trouve aussi que de nombreux commerces de centre-ville ne sont pas en mesure de doubler les salaires en cas d’activité dominicale, si bien que le risque est de fragiliser ces commerces par rapport aux grandes enseignes. Les accords de branche dans les professions accoutumées au travail le dimanche montrent d’ailleurs que la rémunération moyenne, pour ce travail, s’établit à 1,3 fois le salaire de base. Aussi avons-nous choisi de ne pas fixer de seuil, mais de renvoyer à des accords de branche et de territoire, accords auxquels sera conditionnée l’ouverture dominicale. De fait, l’hétérogénéité des situations rend difficile l’établissement d’un critère de compensation univoque.

Quant au nombre de dimanches décidés par les maires, nous proposons de passer de cinq à douze, dont cinq obligatoires : le rapport Bailly en préconisait sept à la main du maire et cinq sur décision des associations de commerçants, ce qui était, à nos yeux, susceptible de générer des tensions. La question se pose néanmoins du partage de la décision entre les maires et les présidents des intercommunalités.

Le Gouvernement a souhaité mettre en œuvre une réforme globale de l’inspection du travail, contenant deux volets : la mise en place, dès le 1er janvier 2015, d’une organisation plus collégiale qui permettra de mieux lutter contre la concurrence déloyale et le travail illégal ; l’efficience des sanctions, avec davantage de procédures administratives et moins de procédures pénales. À ce sujet, un projet de loi a été défendu par Michel Sapin et adopté par votre assemblée ; nous proposons de le reprendre par voie d’ordonnance, les partenaires sociaux ayant émis le souhait d’engager des discussions sur le sujet.

Quant aux procédures prud’homales, l’objectif est de réduire les délais et de donner davantage de lisibilité, en aucun cas de remettre en question le caractère paritaire de l’institution : en témoigne le rôle central accordé aux bureaux de conciliation et de jugement. La conciliation pourrait d’ailleurs faire l’objet de contraintes renforcées ; quant à la formation restreinte du bureau de jugement – un plus un –, c’est une novation qui permettra d’accélérer la procédure lorsque les parties le souhaitent ; dès lors le juge départiteur et ses assesseurs prud’homaux pourront être saisis à titre seulement complémentaire. Le texte repose néanmoins sur le pari que l’efficacité des bureaux de conciliation et de jugement permettra de limiter la saisine du juge départiteur et l’obstruction dilatoire.

Je remercie M. Jean-Yves Caullet pour son encouragement au pragmatisme. M. Jean-Frédéric Poisson, pour sa part, a prétendu que le texte ne contenait pas de réforme d’ampleur. Je récuse cette idée avec force. Le texte ne contient rien, nous objecte-t-on, sur le coût du travail, les retraites ou la puissance publique ; mais, que je sache, il ne s’agit pas d’une déclaration de politique générale : ces sujets sont traités par le crédit d’impôt sur la compétitivité et l’emploi (CICE) et le pacte de responsabilité, la réforme des retraite et les 50 milliards d’économies réalisées loi de finances après loi de finances. On se fait donc plaisir avec de tels arguments. Les juridictions prud’homales et les professions réglementées n’ont jamais été réformées depuis plusieurs décennies pour les premières et depuis certaines ordonnances royales pour les secondes : si la présente réforme, comme d’autres que nous présentons en matière économique, ne sont pas des réformes d’ampleur, que n’ont-elles été engagées plus tôt ? Beaucoup ont échoué à le faire.

On a invoqué des impératifs bruxellois. Je ne défends aucune des présentes mesures pour complaire à qui que ce soit, mais parce qu’elles sont bonnes pour l’économie française, dont nous voyons bien qu’elle n’est pas en situation de force. L’idée d’un troc « pétrole contre nourriture » – en l’espèce, laxisme budgétaire contre réformes structurelles – avec Bruxelles n’a guère de sens au regard des traités. Il existe, sur le plan budgétaire, des procédures spécifiques qui interdisent ce genre d’approche. En prenant notre destin en main et en renforçant notre économie, nous devenons cependant plus crédibles à l’égard de nos partenaires ; nous pouvons nous montrer plus exigeants, demander davantage d’investissements et réorienter la politique européenne. Se recroqueviller sur soi et refuser les réformes n’est pas la meilleure façon de demander à l’Allemagne d’évoluer et à Bruxelles d’être plus ambitieux. Le projet de loi, en nous renforçant, a vocation à enrichir ce débat.

Nous ajouterons tous les éléments utiles en matière d’étude d’impact. De fait, nous devons, bien entendu, éviter tout effet négatif pour les territoires ou la vie des salariés. La liberté d’installation des notaires, par exemple, ne déstabilisera pas le maillage territorial puisqu’elle ne s’appliquera pas dans les zones saturées mais seulement dans celles où le manque est objectivement identifié. Bref, la réforme proposée est bien plutôt une réponse aux déserts territoriaux. La vie des salariés est également prise en compte, puisque le texte prévoit un dispositif de compensation qui n’existe pas aujourd’hui.

Je remercie le groupe UDI de sa volonté d’enrichir le texte. Pour ce qui concerne les tarifs des notaires, nous proposons en premier lieu un mécanisme d’appréciation des coûts réels, ce qui est normal pour tout secteur d’activité. Les systèmes de péréquation existants seront préservés, beaucoup d’actes étant tarifés en dessous de leur coût réel, notamment dans les territoires ruraux, et d’autres très au-dessus. Sauf à considérer que les notaires ont mis en place un dispositif caché pour assurer un équilibre entre les offices du boulevard Saint-Germain et ceux de la Lozère, les mécanismes de péréquation gagneront à la transparence ; d’où l’idée d’un corridor tarifaire, incluant un plafond et un plancher.

L’université forme beaucoup de notaires, et des dispositifs d’indemnisation sont prévus par le texte ; ils ne devraient cependant pas être nécessaires puisque l’équilibre de la profession sera préservé. En 2009, les notaires français s’étaient engagés à créer plusieurs centaines de postes ; ils ne l’ont pas fait. Il y a aujourd’hui, je le rappelle, 600 offices de moins qu’en 1980. La liberté d’installation est donc à la fois compatible avec la sécurité juridique, le maillage territorial et l’équilibre de la profession.

S’agissant des transports, la multimodalité est devenue la règle dans tous les pays. Je doute néanmoins que le texte conduise les usagers à se détourner massivement du train au profit des autocars : ceux qui en ont les moyens continueront de prendre le train ; les autres, le développement du covoiturage l’atteste, aspirent à se déplacer à moindres frais. L’ouverture du secteur des autocars leur donnera de nouvelles opportunités, y compris sur des trajets non couverts par le rail. Cela permettra également, sur les territoires, d’arbitrer entre le maintien d’une ligne de chemin de fer non rentable et l’autocar. C’est pourquoi nous avons proposé que l’autorité de régulation puisse se prononcer pour les transports infrarégionaux, quitte à refuser une ligne d’autocar quand la région a décidé d’investir dans le train ; à l’inverse, elle pourra aussi décider d’en ouvrir ou d’en compenser certaines. Moyennant cette régulation, le potentiel d’activité en ce domaine me semble important ; et si l’autocar doit se substituer à un autre mode de transport, ce sera bien plutôt au covoiturage qu’au train.

Aucune obligation ne sera levée s’agissant des installations classées : c’est la manière d’exercer ces obligations qui sera facilitée, afin de limiter les dépenses.

Quant aux relations entre locataires et bailleurs, le régime de la fin d’occupation de logements doit être clarifié dans certains cas particuliers, pour protéger les locataires. Afin de développer la mixité sociale, nous avons décidé de lever certains verrous. Dans beaucoup de zones tendues, le marché de logements intermédiaires est inexistant et le marché libre inaccessible pour beaucoup de ménages dont les ressources dépassent largement les plafonds d’éligibilité au logement social. Les investissements dans le logement social seront maintenus : la philosophie du texte est seulement d’améliorer la mobilité au sein de ce parc en développant le logement intermédiaire.

La simplification n’est pas forcément la dérégulation, au contraire : à chaque fois que l’on a simplifié, on a trouvé de nouveaux instruments de régulation.

Je remercie M. Alain Tourret d’être un avocat plus talentueux que je ne l’ai été du projet que je porte. Il a compris mon ouverture d’esprit sur les avocats d’entreprise ; quant à l’entreprenariat individuel dans la fonction publique, c’est une idée intéressante à verser au débat.

Plusieurs orateurs, parmi lesquels Mme Jacqueline Fraysse, ont évoqué les ordonnances. Il en existe de différentes sortes. La plupart de celles qui ont trait aux professions juridiques peuvent être intégrées telles quelles dans le texte : c’est d’ailleurs la solution que je proposerai – nous les avions seulement retranchées du projet de loi présenté au Conseil d’État pour raccourcir les délais. Le Parlement doit donner une direction, même si certaines de ces ordonnances nécessitent encore une concertation ; d’où l’habilitation sollicitée sur le permis de construire et l’aménagement, l’autorisation unique pour les installations classées, la carte d’identité virtuelle et l’inspection du travail. D’autres ordonnances, enfin, sont des transpositions de directives européennes, pour la communication à haut débit, les concessions et les commandes publiques. Certaines dispositions étant purement rédactionnelles, l’habilitation n’a d’autre but que d’alléger vos travaux dans le contexte des délais réduits que vous avez évoqué – je transmettrai d’ailleurs votre message à mon collègue chargé des relations avec le Parlement. Parmi les dispositions rédactionnelles, on peut citer la recodification suite à la création de l’ARAFER ou la recodification de l’ordonnance relative aux participations de l’État.

Le logement intermédiaire, madame Fraysse, s’inscrira dans les programmes de logements sociaux, à hauteur de 25 %, conformément au dispositif expérimental mis en œuvre avec la Caisse des dépôts et consignations. Tournant le dos au pragmatisme, vous avez attaqué ce texte avec une certaine violence, en utilisant des arguments déjà bien connus. J’espère que l’examen du texte sur le travail dominical vous convaincra qu’il n’y a pas de recul social, surtout au vu des compensations prévues, dont certains salariés sont aujourd’hui privés. Si le recul d’une civilisation s’apprécie au nombre de dimanches travaillés, à l’ouverture d’aéroports de proximité ou des transports par autocar, alors notre civilisation tient à peu de choses. Mais je ne partage évidemment pas ce point de vue. Quant à l’« hyperconcurrence » dont pâtiraient les professions réglementées, je m’étonne de vous voir embrasser, dans une alliance baroque, la cause d’un nouveau genre de prolétariat ; mais le débat permettra sans doute d’aller plus loin. J’ai, pour ma part, reçu beaucoup de jeunes salariés de ces professions ; nous n’avons pas fait les réformes qu’ils ne demandaient pas, mais beaucoup d’entre eux soutiennent celles que nous vous présentons. Les Français attendent qu’on les traite comme des citoyens capables de choisir leur vie et leur modèle de société, sans qu’on leur impose des vues du XXe, sinon du XIXe siècle.

M. Philippe Houillon. Je me félicite, monsieur le ministre, de votre intervention auprès de votre collègue en charge des relations avec le Parlement, puisque vous partagez notre constat sur les conditions d’examen du texte : je ne doute pas que vous nous apportiez bientôt une bonne nouvelle en cette période de Noël…

Je me réjouis aussi que vous soyez disposé à abandonner les mesures visant les avocats en entreprise. Je m’étonne, en revanche, que ce ne soit pas la garde des Sceaux qui défende un texte sur les professions réglementées, qu’elle connaît mieux que vous de par sa fonction même.

Pour les notaires, le numerus clausus fera désormais place à la liberté d’installation : celle-ci devient la règle, et le refus ponctuel l’exception. C’est tellement vrai, d’ailleurs, qu’un système d’indemnisation est prévu : quel serait le sens de cette disposition, si vous ne craigniez pas la paupérisation de certains professionnels et la menace d’inconstitutionnalité ? Au reste, comment parler de liberté pour les professionnels nouvellement installés s’ils doivent, le cas échéant, indemniser ceux qui sont déjà installés ?

Vous souhaitez, par ailleurs, créer des commissaires de justice alors que les professions concernées sont pour deux d’entre elles exercées par des officiers ministériels et pas la troisième. Comment entendez-vous procéder ? Allez-vous supprimer deux offices ministériels ou en créer un troisième ?

Enfin, si je comprends bien, c’est le client qui se mettra d’accord avec le professionnel pour convenir d’un tarif compris dans le corridor. Quid des huissiers de justice ? Ils se mettront d’accord sur un tarif avec leur client, le créancier ; mais ce tarif sera-t-il alors imposé au débiteur, puisque c’est lui qui paie ? Des éclaircissements seraient pour le moins souhaitables sur certains aspects techniques.

Chacun est d’accord pour s’adapter, mais le risque, de toute évidence, est la paupérisation de ces professions. Les avocats sont au nombre de 60 000 ; leur revenu médian s’établit à 3 000 euros par mois, ce qui signifie que 30 000 d’entre eux gagnent moins. Ce n’est pas forcément bon pour le consommateur non plus.

M. Yves Blein. Merci, monsieur le ministre, d’avoir recontextualisé le projet de loi dans l’ensemble du quinquennat : votre texte est une brique supplémentaire pour moderniser l’économie française.

Comme vous nous y avez invités, je me propose d’enrichir le texte, par exemple sur le permis de conduire : une consolidation du cadre légal applicable aux auto-écoles sociales est-elle envisageable ? Ces établissements effectuent un travail remarquable pour permettre aux plus démunis d’obtenir le permis de conduire, souvent indispensable pour trouver un emploi.

Dans un tout autre domaine, la réglementation relative aux séismes grève les investissements de nombreuses entreprises : ne pourrait-on allonger la procédure dans le temps ? Je pense notamment aux entreprises du secteur de la chimie et de la pétrochimie. Dans une première version du texte, vous envisagiez d’ailleurs des mesures les concernant.

Enfin, peut-on imaginer des dispositions en faveur du secteur de l’économie sociale, dont les entreprises ont parfois besoin, elles aussi, de simplification ?

M. Gilles Lurton. Vous nous avez toujours indiqué, monsieur le ministre, que le projet de loi serait élaboré en concertation avec les professions réglementées. Or cette concertation n’a pas eu lieu : pourquoi, sinon, 30 000 personnes auraient-elles manifesté la semaine dernière dans les rues de Paris ? L’un des principaux représentants d’une organisation syndicale déclarait, il y a peu, que vous l’aviez à peine rencontré ; j’ai moi-même reçu une délégation d’avocats qui m’ont fait valoir que votre texte était contraire aux principes qui régissent leur profession : il dérégulerait les prestations du droit au bénéfice des tenants de la marchandisation et au détriment des justiciables et des usagers. Outre que la profession du droit est, par son caractère libéral, largement ouverte à la concurrence, il importe, rappellent ces avocats, de maintenir le maillage des 164 barreaux de France afin d’éviter des déserts judiciaires – et qui dit désert judiciaire dit encore, bien entendu, disparition de tribunaux.

L’inquiétude a aussi gagné les notaires, qui exercent une profession régalienne d’authentification des actes aujourd’hui dématérialisés, conservés sur le long terme, leur assurant ainsi une sécurité juridique optimale. Cette profession garantit souvent des recettes qu’elle est seule habilitée à percevoir, parmi lesquelles des recettes fiscales pour le compte de l’État.

Le temps qui nous est imparti pour examiner ce projet de loi est extrêmement court : comment pourrons-nous organiser la concertation avec l’ensemble de ces professions avant le 26 janvier, date prévue pour l’examen en séance ?

M. Arnaud Leroy. Parmi les mesures susceptibles d’enrichir encore le texte, celles qui touchent au capital-risque me tiennent tout particulièrement à cœur. La France, vous le savez, possède un savoir-faire dans ce secteur susceptible de protéger nos industries et de créer des emplois. Votre projet prévoit déjà des mesures en ce sens ; mais seriez-vous ouvert à des dispositions qui donneraient aux capitaux-risqueurs français les mêmes armes que leurs concurrents anglo-saxons ou luxembourgeois ?

Je fais mienne l’angoisse suscitée par la création du statut d’avocat en entreprise. Dix sociétés du Cac40, c’est peu au regard du territoire français, et nous devons être conscients de la différence entre un barreau comme celui de Paris, qui compte sur la scène internationale, et ceux de province.

Ce texte pourrait aussi être l’occasion de proposer des avancées sur la croissance verte et les éco-ETI (entreprises de taille intermédiaire). Seriez-vous ouvert à des amendements en ce domaine ?

M. Julien Aubert. L’article 26 du projet de loi, relatif à la généralisation d’expérimentations d’autorisation unique, est similaire à d’autres mesures votées dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique. J’ai cru y voir une redondance, mais me suis aperçu que vous entendiez en réalité toucher à l’ordonnance du 20 mars 2014 en généralisant le dispositif à tous les types d’installations – y compris les usines et les centres de déchets. Or l’étude d’impact ne contient aucune analyse des effets environnementaux d’une telle généralisation. Se pose aussi la question de la cohérence entre les textes qui nous sont soumis, parfois dans des délais restreints.

Pourquoi l’ouverture de capital des professions réglementées créerait-elle de l’emploi ou de l’activité ? Fragiliser ces professions par rapport à des acteurs internationaux – cabinets anglo-saxons ou banques – est-il un facteur de progrès ? Le sens économique de cette mesure m’échappe toujours.

M. Jean-Louis Roumegas. Je veux soulever un problème de vocabulaire, qui recèle un problème de fond. Avec ce projet de loi, vous entendez faire renouer la France avec une croissance durable ; or, pour nous, la durabilité est un modèle qui protège non seulement les ressources naturelles, mais aussi les hommes et les femmes. Votre projet de loi ignore la préoccupation environnementale, en contradiction avec les engagements pris, notamment, lors de la Conférence environnementale. L’article 28 tend ainsi à autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour accélérer l’instruction et la délivrance de l’autorisation des projets de construction et d’aménagement en matière d’urbanisme. Quelles garanties aurons-nous que les motifs économiques ne primeront pas sur les enjeux environnementaux ?

De même, comment garantir, dans ce cadre, la participation des populations à l’élaboration des projets, conformément à la Convention d’Aarhus, que la France a signée ?

Dans un contexte de raréfaction des deniers publics, on voit aussi émerger beaucoup de projets inutiles ou surdimensionnés, qui font l’objet de contestations parfois violentes. Or les contentieux pourraient se multiplier en cas de procédures accélérées. Les Français sont sensibles à la dégradation de l’environnement, à son impact sur leur santé et celle de leurs enfants, ainsi qu’aux coûts induits pour la sécurité sociale. Bref, le moins-disant social et environnemental n’est pas compatible avec le mot « durable ».

Mme Corinne Erhel. Monsieur le ministre, vous avez souvent souligné votre volonté de favoriser les innovateurs et les créateurs, ce que j’approuve. Cela implique de remettre en cause les modèles existants et de porter une attention particulière à la transition, notamment à la gestion des compétences des salariés.

Par-delà les points forts du projet de loi que sont l’épargne salariale et l’actionnariat salarié, dans quelle dynamique se place le texte en matière de financement des jeunes pousses et des entreprises innovantes? Je salue les récentes avancées relatives au capital-investissement d’entreprise et aux investissements des grands groupes dans les jeunes pousses : comment le texte peut-il accélérer et amplifier leur financement, notamment en phase de post-amorçage et de développement – une des carences de notre système ? Nous devons faire grandir nos entreprises, notamment dans le domaine du numérique.

Vous prévoyez également d’ouvrir le capital d’entreprises publiques en vue de dégager des ressources financières destinées à la fois au désendettement et au réinvestissement. Vous avez évoqué la transition énergétique, mais on peut songer à d’autres secteurs, comme les nouvelles technologies et le numérique. Pouvez-vous nous préciser l’ambition stratégique de l’État en la matière ?

Je tiens, enfin, à souligner l’importance de l’innovation ouverte. Quel cadre légal adopter pour l’encourager davantage encore ? C’est une des clés de la croissance et de l’activité.

Mme Véronique Louwagie. Les professions réglementées sont inquiètes des conséquences du texte sur les territoires en matière de répartition et d’équilibre. Il ne faudrait pas qu’à la désertification médicale, qui frappe déjà certaines zones, s’ajoute une désertification juridique qui détruirait le maillage du territoire assuré aujourd’hui par les notaires et les huissiers.

Pour répondre à cette inquiétude, vous avez avancé une liberté d’installation régulée dans les zones lacunaires. Qu’en sera-t-il des conséquences du texte sur les engagements financiers que les professionnels ont pris pour acquérir leur charge ou leur office ? Vous avez, en effet, souligné que, si le projet de loi prévoit bien un système d’indemnisation, celui-ci n’aurait pas à être mis en œuvre. Oui ou non, envisagez-vous d’indemniser les professionnels titulaires de charges dont la valeur serait affectée par le projet de loi, à l’instar de ce qui avait été prévu pour les avoués ?

S’agissant du travail dominical, il existe aujourd’hui deux logiques : d’une part, des dérogations de plein droit, permanentes et sans contrepartie pour les salariés, qui concernent les commerces du secteur alimentaire ou de presse, les fleuristes et les commerces de détail situés en zone touristique ; d’autre part, des dérogations temporaires, qui exigent une autorisation administrative préalable et donnent lieu à des contreparties. Vous avez présenté comme un progrès les contreparties qui seront offertes aux salariés travaillant le dimanche. Or le projet de loi paraît surtout prévoir une mosaïque de situations, accompagnées de dispositifs très différents : repos compensateur a minima, rémunération doublée, absence totale de contrepartie minimale… Ne craignez-vous pas une éventuelle censure du Conseil constitutionnel pour rupture d’égalité entre les salariés travaillant le dimanche, certains étant payés le double et d’autres non, ce qui réduirait considérablement l’intérêt suscité par l’annonce de la compensation salariale que vous avez évoquée ?

Mme Monique Rabin. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir rappelé la cohérence globale du texte. Ce faisant, vous avez démontré le bien-fondé de celui-ci et souligné la manière choisie pour supprimer les blocages dont souffre le pays.

Des secteurs méritent toutefois toute notre vigilance et doivent être protégés. Je pense notamment à l’article 48 du texte, qui concerne le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies : si je comprends bien la logique qui consiste à améliorer l’efficacité des interventions de l’État dans divers organismes, je m’inquiète des conséquences de la modification des prises de participations publiques sur la préservation de la gratuité du don du sang ou le refus de marchandisation des produits sanguins, d’autant que l’étude d’impact n’évoque pas ce sujet. Une précision s’impose, monsieur le ministre.

M. le président François Brottes. Je pense ne pas me tromper en déclarant que nous sommes tous, ici, attachés au principe français de la gratuité du don du sang.

M. Jean-Louis Costes. Tous les députés présents partagent avec vous, monsieur le ministre,  les objectifs de croissance et de soutien à l’activité. Malheureusement votre texte se contente de viser quelques professions et secteurs, voire de désigner quelques boucs émissaires. L’absence de concertation les braque.

Le débat se cristallisera sur quelques mesures, comme celle relative au nombre de dimanches où les magasins pourront ouvrir : je ne pense pas que cette mesure suffira, à elle seule, à relancer la croissance et l’activité.

J’ai entendu votre réponse à M. Jean-Frédéric Poisson : sans faire une déclaration de politique générale, vous auriez pu inscrire dans le texte les principes essentiels permettant de relancer la croissance. Vous avez évoqué l’inspection du travail : pourquoi ne pas avoir inscrit dans le texte des dispositifs relatifs à la réforme du code du travail, à la baisse des charges des entreprises ou à la réforme de la fiscalité ?

Ce texte, qui est réducteur, aura pour conséquence de crisper des secteurs entiers d’activité sans pour autant supprimer les freins à la croissance. Ne soyez pas surpris par ses résultats : ils ne seront pas à la hauteur de vos attentes.

M. Gilles Savary. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre propos liminaire, qui a permis de donner un sens général à ce projet de loi : lever la marotte française de l’idéologie des moyens. Trop souvent, nous nous interdisons de viser des objectifs évidents, tels que la recherche d’emploi ou l’amélioration du pouvoir d’achat, parce que nous considérons que tel moyen est de droite et tel autre de gauche, et que le théâtre politique français interdit d’utiliser le moyen du camp d’en face. Le pragmatisme sur lequel repose votre texte nous donne beaucoup d’espoir. La France a besoin d’une loi anti-conservatrice.

Je ne partage pas, toutefois, votre point de vue relatif au financement de la future ARAFER : je vois mal comment celle-ci serait financée par le monde ferroviaire sans l’être par ses concurrents routiers. Aujourd’hui, l’ARAF est financée par un droit fixe prélevé sur le trafic ferroviaire : comment l’ARAFER ne le serait-elle pas également par le transport routier libéralisé ? Nous vous proposerons des amendements en ce sens, qu’il conviendra d’examiner avec discernement. Il ne s’agit pas de renvoyer le financement de l’ARAFER à une loi de finances et à des subventions publiques, c’est-à-dire, in fine, au contribuable.

S’il est bon de placer les autoroutes sous régulateur, il conviendrait toutefois de se monter plus audacieux s’agissant de l’architecture des contrats autoroutiers, qui sont très longs – l’un d’eux court jusqu’en 2079 ! Nous ne serons plus là pour le gérer. De tels contrats font fi de toutes les conjonctures. Pourquoi ne pas introduire un dispositif de renégociation permanente en vue d’éviter des excès de fortune via des contrats dont la validité va de soixante à quatre-vingts ans ? Ces excès sont insupportables, car ils engendrent des profits « déraisonnables », comme dirait le législateur européen, sur le domaine public de l’État. Il faudrait envisager, plutôt que le Grand Soir, une réforme de ces contrats longs.

M. Philippe Gosselin. S’agissant de la forme, le manque de concertation a déjà été évoqué. Quant à la Chancellerie, elle me paraît absente de la réforme des professions réglementées. La question du délai d’examen du texte a également été posée. Que faut-il, par ailleurs, penser du côté fourre-tout des 106 articles du projet de loi ? Pudiquement, le rapporteur général a évoqué des sujets transversaux : c’est le moins qu’on puisse dire. Le renvoi à des ordonnances a été, lui aussi, dénoncé, car c’est une forme de dessaisissement du Parlement. Enfin, en dépit de la nomination de huit rapporteurs thématiques, je regrette l’absence d’élus ultramarins au sein de la commission spéciale.

Sur le fond, nous voulons absolument éviter qu’après les déserts médicaux ne surgissent des déserts juridiques, sans compter de possibles déserts pharmaceutiques – nous examinerons la question dans le cadre du projet de loi relatif à la santé publique. Ne prenons pas le risque de déstabiliser les professions de notaire ou d’huissier : ces derniers rendent de grands services à la population, sous la forme, parfois, du bénévolat, voire de l’apostolat.

Le texte prend également le risque de s’attaquer à la propriété privée sans une « juste et préalable indemnisation », comme le prévoit la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. N’avez-vous pas en mémoire certaines décisions du Conseil constitutionnel liées aux lois de nationalisation du début de l’ère Mitterrand ? Il faudra revenir sur ces points de manière sérieuse et approfondie.

Quant à la libéralisation du travail le dimanche, elle aggravera les difficultés des commerces des centres-villes, qui ont déjà bien du mal à survivre. Une nouvelle loi n’est pas nécessaire pour briser la résistance des élus de Paris, puisque c’est elle que vise essentiellement cette disposition du texte. La loi Mallié a déjà réglé le problème pour les zones touristiques, en instaurant un équilibre satisfaisant.

Vous avez évoqué la simplification : je ne la vois pas dans la création de nouvelles autorités administratives indépendantes, alors qu’il aurait été possible d’adosser de nouvelles compétences à des autorités déjà existantes. Multiplier les organes multipliera les personnels, les responsabilités et donc les indemnités des uns et des autres, ce qui ne va pas dans le sens de réelles économies.

Le titre est évidemment alléchant : « projet de loi pour la croissance et l’activité ». Qui pourrait refuser la lutte contre les blocages ? Je crains toutefois qu’il ne s’agisse davantage d’un texte de circonstance que d’un texte de croissance, d’un prétexte, pour tout dire.

Mme Bernadette Laclais. Vous ne serez pas surpris que j’évoque devant vous les réseaux d’investisseurs providentiels – business angels en anglais –, de trop nombreuses contraintes pesant encore sur ces sociétés d’investissement. Il s’agit évidemment d’éviter tout effet d’aubaine tout en favorisant ces investisseurs accompagnateurs de proximité qui investissent dans des entreprises innovantes à fort potentiel. Confirmez-vous être ouvert à toute nouvelle discussion sur le sujet ? Si le projet de loi de finances rectificative pour 2014 a déjà permis de supprimer bien des contraintes, d’autres pourraient encore être levées en vue de dynamiser les territoires qui en ont bien besoin.

Il faut également prendre en considération la diversité des territoires, notamment des territoires de montagne. De nombreux collègues ont déjà fait part de leurs inquiétudes relatives à leur maillage. Les critères devront prendre en compte le fait, par exemple, qu’une grande station de sport d’hiver n’est pas qu’un territoire isolé ayant seulement des activités saisonnières.

Je vous remercie, enfin, pour votre confiance dans les élus. Les centres-villes sont fragiles. Les élus doivent souvent faire preuve d’une grande détermination pour soutenir l’activité commerciale. Il ne faut prendre aucun risque en la matière. C’est pourquoi il serait bon de prévoir, pour l’ouverture des magasins le dimanche, un double effet de cliquet qui consisterait, en sus de l’accord de l’agglomération, à accorder au maire de la ville centre un droit de véto. En effet, les centres commerciaux sont le plus souvent situés dans les zones périphériques des agglomérations. Cette double autorisation ne remettrait pas en cause la compétence économique de l’agglomération.

M. Michel Heinrich. Le conseil d’administration de Villes de France, qui a succédé à la Fédération des villes moyennes, s’est réuni la semaine dernière à l’Assemblée nationale. Les élus de toutes sensibilités ont exprimé leurs inquiétudes, s’agissant notamment de l’aménagement du territoire. Les professions réglementées participent très largement par leurs activités à l’économie de ces villes où elles créent de nombreux emplois. Or la postulation étendue du tribunal de grande instance au ressort de la cour d’appel risque de conduire à terme à une concentration des avocats au siège de la cour d’appel ou dans les villes universitaires, au détriment des villes dites moyennes. La libre installation des notaires a également été évoquée : elle risque de conduire à l’effet inverse de celui que vous recherchez, comme l’ont montré les pays qui s’y sont essayés.

Par ailleurs, la possibilité d’ouvrir les commerces douze dimanches inquiète les commerçants des centres-villes, dont la situation est fragile. Le rapporteur général vous a posé une question relative au passage du dimanche du maire au dimanche du président de l’EPCI : qu’en sera-t-il exactement ?

Enfin, l’Autorité de la concurrence pourra se saisir d’office en matière d’urbanisme commercial pour les questions relevant du schéma de cohérence territoriale (SCOT), du plan local d’urbanisme (PLU) et du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) : quid alors de la libre administration des collectivités territoriales ?

M. Christophe Castaner. Il ne faut pas oublier que certains sujets du texte, notamment l’épargne salariale, dont M. le ministre a indiqué qu’elle faisait actuellement l’objet de négociations, relèvent par nature du dialogue social. En conserver l’état d’esprit me paraît très important.

Si l’ouverture des commerces le dimanche peut avoir un effet économique majeur dans certaines zones, et donc bénéficier à l’emploi, peut-être faudrait-il également s’intéresser à ces salariés qui doivent travailler cinquante-deux dimanches par an du fait du caractère alimentaire de la plupart des petites et moyennes surfaces. Ne conviendrait-il pas de faire évoluer la réglementation qui les régit ? Cette ouverture, en effet, n’est pas créatrice de richesses : les courses sont faites tout au long de la semaine. Ne pourrions-nous pas veiller à ce que la nouvelle réglementation s’applique à l’ensemble des petites et moyennes surfaces alimentaires supérieures à 1 000 mètres carrés ? Cela nous permettrait de faire passer un message politique fort de défense des commerces de proximité auprès de ces salariés qui peuvent avoir envie, eux aussi, de se libérer des dimanches.

M. Francis Vercamer. Monsieur le ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises la simplification. Or, alors que celle-ci repose tout d’abord sur une bonne compréhension du cap suivi par le Gouvernement, le texte que vous nous présentez ne donne pas l’exemple en matière de coordination et de cohérence.

C’est ainsi que le Gouvernement, il y a deux semaines, a fait adopter par le Parlement un texte l’autorisant à modifier par voie d’ordonnance le mode de désignation des conseillers prud’hommes. Or le présent texte prévoit une autre réforme des prud’hommes. Le moins qu’on puisse dire est que la réforme à la découpe n’offre pas un cap clair.

Deuxième exemple : l’Assemblée nationale a travaillé en commission sur un texte relatif à la réforme de l’inspection du travail, dont l’examen en séance publique a été ajourné. Votre texte arrive : les dispositions qu’il prévoit remplacent-elles ou complètent-elles celles du précédent texte ? Que deviendra celui-ci ? Nous n’avons aucune information à ce sujet.

Si l’on ajoute à ce manque de clarté le recours à la procédure accélérée après deux ans et demi de pouvoir, et le souhait de recourir aux ordonnances – sur lequel, il est vrai, vous semblez être revenu –, il ne faut pas s’étonner de l’inquiétude de nombreux professionnels quant à leur avenir.

S’agissant des propositions relatives au travail du dimanche, je tiens à souligner la volte-face politique des membres du Gouvernement. Je me rappelle notamment les propos de M. Christian Eckert, porte-parole du groupe socialiste, qui pourfendaient dans l’hémicycle le travail le dimanche lors de l’examen de la loi Mallié : comme Mme Marisol Touraine ou M. Alain Vidalies, il a fait sa mutation politique, ce dont je me réjouis fort.

Me confirmez-vous que c’est l’élu local qui décidera du périmètre de l’ouverture des magasins le dimanche et des conditions dans lesquelles elle s’effectuera ? Cet élu sera-t-il bien l’élu de l’agglomération ? Quelle sera la part du maire dans la décision ?

Le salarié travaillera-t-il bien sur la base du volontariat ?

Enfin, vous n’avez pas évoqué les zones transfrontalières. Je suis élu dans une circonscription voisine d’une Belgique qui travaille le dimanche : de nombreux salariés français passent la frontière. Comment le texte prend-il en considération leur situation ? Des négociations se déroulent-elles au plan européen pour harmoniser les dispositions relatives au travail le dimanche ?

M. le président François Brottes. Je vous invite à prendre connaissance de l’évolution des ventes en ligne depuis le débat sur la loi Mallié.

Mme Colette Capdevielle. Le projet de loi ne parle pas des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Or ces avocats ont le statut d’officiers ministériels : seriez-vous favorable, monsieur le ministre, à la suppression des charges d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, sachant qu’ils sont soixante en France, tout en maintenant un barreau spécialisé et en organisant un concours d’accès ?

L’article 13 du projet de loi prévoit la suppression du contrôle a priori de l’ouverture des cabinets secondaires d’avocat : avez-vous mesuré les risques réels de cette suppression en termes d’activité effective de ces cabinets d’avocats et de fraude fiscale ? Je pense notamment au risque d’ouverture de cabinets fictifs en zone touristique.

Enfin, s’agissant de la simplification de la procédure devant les prud’hommes, la première phase de conciliation, chacun le sait, le plus souvent, n’aboutit pas, ce qui, comme vous l’avez souligné, fait perdre plusieurs mois. Ne serait-il pas plus simple de supprimer cette première phase, sachant que, si elle doit avoir lieu, la conciliation se fera dès la phase de jugement sur le fond ? Par ailleurs, en facilitant le recours au juge départiteur, le texte ne risque-t-il pas, d’une part, d’attenter au principe de la parité prud’homale, voire de la prud’homie, et, d’autre part, compte tenu de la pénurie de magistrats du siège, d’aboutir au renvoi des affaires ?

M. Philippe Vitel. L’article 47 de cette caverne d’Ali Baba ou de cette hotte du Père Noël qu’est le projet de loi autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital de l’entreprise publique française d’armement Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) et de ses filiales – Nexter –, avec pour objectif la création d’une nouvelle structure appartenant à parts égales à la France et la famille Wegmann, propriétaire de l’entreprise allemande KMW. Le dessein est vertueux : créer une grosse entreprise européenne générant 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires, qui pourrait concurrencer Rheinmetall, qui pèse 1,5 milliard, sans toutefois menacer BAE Systems, qui pèse 3,5 milliards, ou General Dynamics, qui pèse plus de 6 milliards d’euros.

Or ce projet ne fait pas l’unanimité en Allemagne : votre homologue, M. Sigmar Gabriel, est réticent, parce que l’Allemagne pratique une politique restrictive en matière d’exportation d’armement, laquelle peut freiner nos propres capacités à l’export. La nouvelle organisation privera la France de son libre-arbitre.

De plus, cette entreprise aura son siège aux Pays-Bas et sera de droit néerlandais. Les syndicats s’inquiètent d’un choix, peut-être guidé par un souci d’optimisation fiscale et par la volonté de contourner les choix politiques d’attribution des marchés, mais qui risque surtout d’affaiblir la démocratie sociale à l’intérieur de l’entreprise.

Quels éclaircissements, monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter sur tous ces points ?

Mme Françoise Dumas. Supprimer des freins à l’activité, redonner des chances, recréer des droits réels ou simplifier les règles : voilà autant d’objectifs autour desquels nous pouvons tous nous retrouver. Si la croissance est principalement générée par l’activité économique des entreprises, une part non négligeable, bien que moindre, est le fruit de l’activité des quelque 1,3 million d’associations françaises en activité. Le récent rapport de la commission d’enquête parlementaire chargée d’étudier les difficultés du monde associatif, dont j’ai été rapporteure, estime à 3,2 % du PIB le poids du secteur associatif. Depuis 2006, son poids économique croît en moyenne de 2,5 % par an, à savoir plus vite que le PIB. Les associations sont donc un formidable levier de croissance et d’activité : elles ont besoin de peu pour faire beaucoup. Elles ont donc toute leur place dans ce texte.

J’ai entendu votre ouverture aux évolutions que le débat parlementaire pourrait apporter au projet de loi, et je m’en réjouis. Il pourrait être l’occasion de lever certains freins à l’activité du monde associatif, par exemple, en autorisant les associations à dégager des excédents de trésorerie raisonnables afin de consolider leurs fonds propres pour réaliser des investissements ; en modernisant le cadre global de l’appel à la générosité du public, qui ne faiblit pas, et en l’adaptant aux nouvelles technologies et à l’économie d’aujourd’hui – les dons en nature ou par SMS sont une pratique courante à l’étranger ; ou encore en adaptant aux PME le cadre fiscal du mécénat.

Comment les associations pourraient-elles profiter de la simplification et de la croissance économique que nous appelons tous de nos vœux ?

Mme Chantal Guittet. Votre pragmatisme, monsieur le ministre, doit s’appliquer aux entreprises qui forment la structure de notre économie, à savoir aux 90 % de TPE et de PME qui, trop souvent, ne parviennent pas à obtenir des fonds, du fait que les banques ne font pas leur travail – je vous invite à le vérifier dans ma circonscription.

Les lignes d’autocar, quant à elles, ne traverseront pas les communes rurales, insuffisamment rentables. Le texte ne réglera donc pas le problème du maillage du territoire en termes de transports.

Vous avez évoqué les travailleurs détachés : Gilles Savary, Richard Ferrand et moi-même avons œuvré à l’adoption d’une proposition de loi sur le sujet, très attendue par les secteurs du bâtiment et de l’agroalimentaire. Or ses décrets d’application ne sont toujours pas sortis. Avant d’ajouter de nouvelles dispositions sur le sujet, ne conviendrait-il pas déjà de faire appliquer celles qui ont été adoptées ? L’inspection du travail joue un rôle fondamental dans notre texte. Il est dommage de perdre autant de temps en revenant sans cesse sur les mêmes sujets dans des textes successifs. La carte professionnelle que vous prévoyez, nous l’avions déjà étudiée : elle ne fera, à mon sens, qu’ajouter de nouveaux blocages.

S’agissant, enfin, du travail du dimanche, je ne pense pas que ce soit appartenir au XIXe siècle de penser qu’on peut faire autre chose le dimanche que de consommer, d’autant que les associations culturelles et sportives profitent de ce jour-là pour créer de l’activité et de la valeur. Permettre l’ouverture des magasins un nombre supplémentaire de dimanches ne créera ni emplois ni activité. J’assume ma position, même si elle peut paraître rétrograde aux yeux de certains.

M. le rapporteur général. Je tiens à dire à ceux de nos collègues qui ont évoqué l’absence ou l’insuffisance de concertation avec les professions réglementées ou la crainte que le texte ne casse ce qui fonctionne ou ne crée des déserts, qu’il faut remettre les choses à l’endroit. Comment peut-on affirmer que le texte n’a fait l’objet d’aucune concertation, alors qu’une mission de la commission des lois a procédé à de nombreuses auditions et que j’ai moi-même eu l’occasion de recevoir l’ensemble ou presque des professions concernées ? Je vous rappelle également que c’est le Conseil supérieur du notariat qui demande la création de 300 charges et de 1 000 postes, il est vrai, assortie d’un délai raisonnable. Du reste, les déserts existent déjà : sinon, comment expliquer qu’il y ait un notaire pour 4 500 habitants dans l’Aveyron et un pour 17 000 en Seine-Saint-Denis ? Le territoire est donc insuffisamment aménagé. Vouloir améliorer le maillage ne revient pas à le détruire.

N’utilisons pas le ressort de la peur ! Personne ne souhaite recommencer l’expérience de la liberté d’installation des médecins, qui a conduit à la création parallèle de zones surdenses et de déserts médicaux. Forts de cette expérience, les rédacteurs du texte proposent l’inverse, à l’instar du rapport que j’ai remis sur les professions réglementées du droit et de la santé.

S’agissant de la postulation, je tiens à rappeler que le barreau de Paris représente à lui seul 40 % des avocats. Dans un premier temps, le barreau de Paris était favorable à une déterritorialisation de la postulation au plan national. Une solution médiane a été trouvée. Quant à la création de la profession unique de commissaire de justice, je vous rappelle que ce sont les huissiers qui soutiennent avec une grande vigueur cette proposition : ne disons pas que les professionnels concernés n’ont pas été consultés, même s’il est vrai que les mandataires judiciaires, d’une part, et les commissaires-priseurs judiciaires ou les huissiers, d’autre part, sont des professions distinctes.

Ne faisons pas peur non plus aux pharmaciens, qui demandent une plus grande souplesse dans leur capacité de mobilité. C’est ce que la loi relative à la santé publique leur proposera, sans chercher à les affaiblir.

Je ne crois pas qu’il soit d’utilité publique d’aborder ces sujets complexes en agitant des peurs ou en évoquant des risques que l’adoption du texte ne saurait vérifier. Ne nous enlisons pas dans de fausses querelles ou dans de fausses peurs.

M. le ministre. Pour répondre à M. Philippe Houillon, je tiens à souligner que le texte est soutenu par le gouvernement en son entier ; le Premier ministre a eu l’occasion de le rappeler. Les prérogatives de la garde des Sceaux sont respectées. Elle disposera seule du droit d’opposition à l’installation et recueillera l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui aura établi une cartographie. Je le répète : il ne s’agira que d’un avis, il n’y a aucune ambiguïté en la matière.

La question de l’indemnisation a également été soulevée : après expertise juridique, il nous a semblé nécessaire d’ouvrir ce principe dans la loi, même si, d’après notre analyse, il ne sera pas automatiquement activé. Un décret de 1971 prévoit une indemnisation pour les notaires et un décret de 1975 pour les huissiers : ils n’ont jamais été utilisés. Pourquoi ? Alors qu’il appartient à l’heure actuelle à la Commission de localisation des offices de notaires (CLON) d’ouvrir, insuffisamment à nos yeux, de nouveaux offices, ce ne sont pas toujours les territoires les plus dépourvus de notaires qui bénéficient de ces ouvertures. Or il n’y a jamais eu de recours en indemnisation des professionnels concernés.

Il nous faut trouver un équilibre permettant de préserver la stabilité de la profession, ce qui, de facto, rendra sans objet toute requête des professionnels. À cette fin, il ne convient plus de laisser aux seuls professionnels le soin de gérer les installations dans le cadre de la CLON, cette consanguinité ayant conduit ces dernières années à un comportement de fermeture. La régulation des installations doit reposer sur une base objective. À partir du moment où sera autorisée la libre installation dans des zones où des besoins ont été identifiés, aucun professionnel ne sera lésé. Et quand bien même certains le seraient, il leur faudra, compte tenu des jurisprudences constantes du Conseil constitutionnel, établir l’existence du préjudice et identifier son montant. De plus, les dispositions du texte ne sauraient être comparées à celles qui ont abouti à la disparition de la profession d’avoué. Si nous avions décidé de supprimer le monopole de l’acte authentique, vraisemblablement, nous aurions dû verser des indemnisations. Tel n’est pas le cas aujourd’hui, compte tenu des éléments de régulation apportés dans le texte.

En aucun cas la liberté d’installation ne s’exercera dans des zones où le besoin est satisfait.

S’agissant de la profession unique de commissaire de justice, aucune profession ne sera supprimée. La loi permet un rapprochement progressif et il conviendra, soit par ordonnance, soit dans le cadre du débat parlementaire, auquel va ma préférence, de prévoir un rapprochement progressif des professions concernées, qui garderont, dans un premier temps, leur spécificité déontologique et dont on devra, par la suite, rationaliser la formation. Il existe déjà à l’heure actuelle une grande proximité dans leur formation initiale, et parfois complémentaire. Il s’agit d’organiser la transition en vue d’offrir le choix, sur le terrain, entre un plus grand nombre de professionnels. Alors que les mandataires judiciaires n’ont pas, à proprement parler, l’exclusivité de certains actes, qu’ils l’aient de fait sur le terrain, notamment dans les contacts avec le tribunal de commerce, pose des problèmes, parfois de conflits d’intérêts. Augmenter le nombre des professionnels concernés par ces procédures me paraît donc souhaitable : il faut toutefois procéder à cette augmentation au rythme adéquat, en conservant les spécificités déontologiques nécessaires durant le temps de la transition.

Enfin, il n’est objectivement pas raisonnable d’évoquer une paupérisation de ces professions, compte tenu des critères prévus et du caractère régulé de la liberté d’installation. Leur situation ne saurait être comparable à celle des avocats. Le texte vise seulement à donner la possibilité à des notaires de créer des offices. Les notaires salariés pourront le rester ; il en est de même des notaires associés. Le caractère objectif de la régulation et la garantie finale de la garde des Sceaux interdiront toute déstabilisation massive de la profession.

Monsieur Blein, le Gouvernement est très intéressé par vos propositions relatives aux auto-écoles sociales, qui permettront d’enrichir le texte. Il en est de même des éléments de simplification que vous avez évoqués et de la question de l’économie sociale et solidaire. Étant pragmatique, je suis preneur de tous les dispositifs qui peuvent aider au développement de l’activité dans ce secteur. Ce texte a pour objectif de déverrouiller l’économie : ce secteur fait bien partie de l’économie et participe à la création d’emplois, le plus souvent, du reste, au bénéfice des plus jeunes.

Monsieur Lurton, j’ignore qui vous avez reçu, mais, comme vient de le rappeler le rapporteur général, la concertation a bien eu lieu. Des réunions tripartites se sont tenues entre tous les professionnels, la garde des Sceaux et moi-même, place Vendôme. Nos cabinets ont également travaillé de manière tripartite avec ces professionnels autant qu’il a été nécessaire, et je les ai revus en bilatéral chaque fois qu’ils me l’ont demandé. Je me suis rendu auprès d’eux, y compris après la présentation du texte mercredi dernier : j’ai rencontré les huissiers le mercredi soir et les avocats le vendredi.

Invoquer le manque de concertation n’est donc pas un bon argument. Que certains refusent tout changement, parce que le changement ne doit concerner que les autres, n’exprime qu’un point de blocage. C’est simplement un refus du changement, l’expression totalement légitime d’un conservatisme qui a trouvé, si j’en crois l’actualité du jour, des relais décidés à poursuivre une concertation extraparlementaire.

Il ne sert à rien d’agiter les peurs au sujet des avocats. Deux réformes sont en voie d’être menées sur ce point. Pour ce qui est de l’avocat en entreprise, je veux que l’on puisse faire preuve de pragmatisme. Quant à la postulation territoriale, elle a vocation à disparaître, dans la mesure où la valeur ajoutée de cet acte justifie peu les frais auxquels il donne lieu. D’ailleurs, quand la numérisation de la transmission sera complètement mise en œuvre, la postulation territoriale n’aura plus qu’à disparaître totalement, du moins à ne plus subsister qu’au niveau de la Cour d’appel, puisque tel est le choix que nous avons fait. Une telle mesure nous paraît être en totale cohérence avec la réforme ayant conduit à supprimer les avoués. Aujourd’hui, qui peut comprendre que, dans un dossier de divorce entre Annecy et Chambéry, il soit nécessaire de faire intervenir un avocat postulant pour déposer une deuxième fois le même dossier ?

Je regrette, comme Mme la garde des Sceaux, que nous n’ayons jamais obtenu les chiffres sur cette question. Les petits barreaux sont nombreux à nous dire qu’il y a là un élément de déstabilisation économique pour la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), mais aucun n’a pu nous préciser ce que représentait la postulation en termes de revenus. Le problème est soulevé au moment même où il est demandé aux avocats d’être davantage présents, notamment avec l’aide juridictionnelle. Je vous invite à faire en sorte de recueillir, avant le débat parlementaire, des éléments d’information sur cette question des revenus – mais je ne doute pas que Mme Cécile Untermaier se soit employée à les obtenir dans le cadre de son rapport.

Peut-être convient-il de procéder à la suppression de la postulation territoriale selon des modalités particulières, en commençant par la faire disparaître pour les particuliers par exemple, tout en la conservant pour certains professionnels, tels les assurances ou les banques, qui représentent une part importante du chiffre d’affaires pour certains petits barreaux. En tout état de cause, nous avons besoin d’éléments d’information chiffrés. Je n’admettrai pas que l’on vienne me reprocher une absence de concertation, car il y a eu une concertation constante à tous les niveaux : les professionnels concernés ont été reçus à de nombreuses reprises par le Gouvernement, les cabinets ministériels et les parlementaires – je pense notamment aux députés Richard Ferrand, Cécile Untermaier et Philippe Houillon.

Pour ce qui est du capital-risque, monsieur Leroy, je pense effectivement qu’il s’agit d’une bonne idée, et nous sommes tout à fait disposés à enrichir le texte sur ce point. J’ai déjà répondu à la question de l’avocat en entreprise et, pour ce qui est de la croissance verte, nous devrons pouvoir rajouter les éléments qui s’y rapportent.

M. Julien Aubert a évoqué les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Sur ce point, je m’assurerai de la cohérence et de la synergie du texte relatif à la transition énergétique et de celui que nous évoquons aujourd’hui. Il s’agit de généraliser l’autorisation unique pour les projets majeurs, c’est-à-dire ce que l’ordonnance de mars 2014, relative aux éoliennes et installations classées, permettait de faire. Si une étude d’impact n’est pas jointe au présent texte, c’est qu’il n’y en a pas d’autre que celle réalisée antérieurement, qui prévoyait la généralisation. Ce qui est prévu, c’est d’unifier en une seule étude tous les aspects environnementaux, avec un gain d’intégration de tous les enjeux permettant un meilleur contrôle administratif. Tous les aspects de la réforme ne sont pas réglés, c’est pourquoi il est proposé que l’ordonnance soit soumise à la concertation et qu’un délai de respiration soit instauré, afin de prendre en compte tous les éléments de concertation et les amendements qui pourront en résulter. Quoi qu’il en soit, je prends acte de votre souci de cohérence – vous obtiendrez sur ce point des éléments d’information complémentaires. Selon les principes que le législateur aura définis, il faudra pouvoir travailler à cette ordonnance, qui fera l’objet d’une étude d’impact spécifique avant d’être soumise à ratification.

Le délai final de la procédure serait de dix mois, mais une procédure plus bornée est la garantie d’un meilleur débat démocratique. J’en profite pour souligner que notre volonté de raccourcir les délais, d’aboutir à des procédures rationalisées, de regrouper les actes, n’entre nullement en contradiction avec la volonté d’une concertation démocratique où le citoyen a toute sa place : nous cherchons simplement à rationaliser les délais, afin que la procrastination ne constitue plus jamais la seule réponse apportée à toute forme de projet, contrairement à ce qui arrive parfois aujourd’hui.

Pour ce qui est de l’ouverture du capital des professions réglementées, c’est dans la situation actuelle que les petits cabinets vivent dans la menace de se faire manger par les grands, qui ont les moyens de se développer. Ce qu’offre le texte, c’est la possibilité pour un professionnel d’ouvrir son capital à d’autres professionnels. Personne ne sera jamais obligé de le faire, en particulier à des financiers ; il ne s’agit que d’ouvrir son capital aux professionnels de son choix : jeunes confrontés à des problèmes d’accès à certaines structures faute de posséder le capital suffisant, qui pourraient ainsi monter progressivement dans la structure capitalistique ; autres professionnels du droit ou du chiffre, avec une limitation des droits de vote entre droit et chiffre à 33 %. Pourquoi, sur un territoire donné, un notaire devrait-il être empêché de se rapprocher d’un avocat, voire d’un huissier, afin de procéder à une mutualisation des frais et de parvenir à une modernisation plus rapide du matériel utilisé ? Il semble, au contraire, tout à fait souhaitable de permettre à des professionnels indépendants, qui garderont leur propre déontologie, de partager des coûts fixes avec d’autres professionnels du droit et du chiffre en vue d’apporter une meilleure offre au client et de dégager une rentabilité supérieure. Les plus petits cabinets trouveront là, me semble-t-il, une occasion de s’organiser pour mieux résister à la concurrence des structures plus importantes.

Pour ce qui est de la durabilité de la croissance qu’est susceptible de permettre ce texte, les affirmations de M. Jean-Louis Roumegas me semblent excessives : à aucun moment, nous ne supprimons des procédures de type environnemental ou relatives à la démocratie participative. Au contraire, il est proposé que les mesures d’autorisation administrative puissent être regroupées, simplifiées et synchronisées afin d’éviter que certains projets ne se trouvent freinés par l’accumulation de délais. C’est là justement l’un des facteurs s’opposant au bon fonctionnement de notre démocratie participative : la participation des citoyens intervient parfois trop tard, quand l’avancement de tel ou tel projet a déjà conduit certains acteurs à engager des coûts ou quand la réalisation d’un projet s’est faite de façon trop déconnectée du point d’arrivée en raison de la perte de temps engendrée par la multiplication des autorisations à obtenir. Mieux vaut organiser de vrais débats, à un rythme défini par avance et avec des procédures administratives resserrées. Nous nous efforçons toujours de faire prévaloir la même philosophie : quand l’administration peut être plus efficace, c’est l’ensemble de nos concitoyens qui en bénéficie – sans parler de l’administration elle-même –, et en aucun cas il n’est à redouter un moins-disant social ou environnemental. J’ajoute que, dans le mandat qui a été confié par le Premier ministre au préfet Duport, la place du débat public a été pleinement prise en compte et devra être intégrée à la réflexion à mener.

Pour répondre à Mme Corinne Erhel, je suis tout à fait favorable à l’amélioration du texte au sujet des start-up. Tout ce qui relève des attributions gratuites d’actions, des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise ou encore des sociétés d’investissement de business angels (SIBA) est important pour la croissance des entreprises. Si, grâce à certaines mesures de simplification, on peut aller encore plus loin que les mesures très concrètes du texte que sont le soutien à la French Tech, les labellisations et l’accompagnement constant de ces écosystèmes essentiels pour notre économie et nos territoires, j’y suis totalement favorable. Il en est de même pour l’innovation ouverte, qui me paraît de nature à encourager les start-up et les PME à aller plus loin, notamment grâce à des dispositifs de garantie ou d’aide.

Quant à la stratégie de l’État actionnaire, la doctrine en ce domaine a été présentée au début de l’année 2014 : ce projet de loi en traduit la double volonté de renouveler le cadre juridique, en proposant de ratifier l’ordonnance de modernisation qui permet à l’État d’aller plus vite, et de mieux s’organiser de manière très concrète, avec l’autorisation d’opérations spécifiques. Notre volonté est de pouvoir faire preuve d’une plus grande mobilité, c’est-à-dire de pouvoir redéployer du capital sur d’autres priorités – j’en ai cité quelques-unes, mais je pense que le débat sera l’occasion d’en définir d’autres. Je suis ainsi très ouvert à ce que l’on rationalise la politique de l’État actionnaire en matière énergétique, dans le numérique, dans la transition énergétique et dans le secteur industriel, afin de mieux utiliser le capital ; il y a là un vrai débat économique et politique.

Pour ce qui est des questions posées par Mme Véronique Louwagie, je ne reviendrai pas sur l’indemnisation, à laquelle j’ai déjà répondu. Quant au travail du dimanche, les dérogations évoquées concernent principalement le droit existant : ce que nous proposons, c’est de simplifier le régime grâce à un mécanisme d’accord, au niveau du territoire, de la branche ou de l’entreprise, comme condition de définition de l’ouverture nouvelle et des mécanismes de compensation.

Mme Monique Rabin a soulevé une question importante au sujet du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), une entreprise qui est l’un des fleurons français du secteur très sensible de la transfusion sanguine et de la recherche scientifique dans ce domaine, et qui entretient des relations privilégiées avec l’Établissement français du sang (EFS). Il ne s’agit en aucun cas de remettre en question le fonctionnement de cet écosystème. Peut-être le projet de loi n’est-il pas suffisamment clair sur ce point mais, en tout état de cause, il a uniquement pour objet d’inscrire le LFB dans le droit commun des participations publiques en ouvrant la possibilité à d’autres acteurs publics que l’État d’en être actionnaires – en particulier d’autoriser la Banque publique d’investissement (BPI) à le faire. En effet, notre volonté est d’aider le LFB dans son développement – je pense notamment à l’une de ses filiales, extrêmement compétitive, dédiée aux biotechnologies et basée aux États-Unis. Peut-être conviendra-il de modifier la rédaction du texte sur ce point afin que nos intentions apparaissent plus clairement.

Je conteste l’affirmation de M. Jean-Louis Costes selon laquelle certains secteurs d’activité joueraient le rôle de boucs émissaires : je n’ai jamais stigmatisé une profession et, en tout état de cause, ce n’est pas parce que l’on propose de réformer une profession qu’on la foule aux pieds – un tel principe paralyserait toute idée de réforme. Je suis catégorique : on ne saurait reprocher à cette réforme de prendre les notaires comme boucs émissaires.

Pour ce qui est des baisses de charges et de fiscalité, même si la politique économique ne se réduit pas à cela, je souligne qu’aucun gouvernement n’a porté, au cours des trente dernières années, un programme aussi ambitieux de baisse des charges visant à restaurer les marges des entreprises en faveur de l’investissement et de l’emploi, qui plus est dans un contexte de finances publiques dont on connaît les contraintes. Je m’étonne donc d’entendre des réflexions du genre de celles qui ont été faites, ce qui m’amène à m’interroger sur l’existence d’un problème plus vaste de compréhension de l’action aujourd’hui menée par le gouvernement.

En ce qui concerne l’ARAFER, j’entends votre point de vue, monsieur Savary, et je ne suis pas en désaccord sur les modalités de financement, au sujet desquelles j’ai apporté une précision calendaire. Je pense que les moyens supplémentaires devront et pourront être limités. Quant à votre question implicite, consistant à savoir si des taxations affectées – à tout le moins, l’idée d’un secteur finançant sa régulation – sont envisageables, elle devra être posée dans le cadre du débat.

Par ailleurs, je pense que donner un maximum de pouvoir à cette autorité de régulation est un élément important pour une meilleure régulation des contrats – sur ce point, j’ai établi une comparaison avec la CRE. On peut aller beaucoup plus loin que ce que le texte prévoit, en donnant la possibilité à l’ARAFER, sur la base de taux de rentabilité cible définis par les contrats, de réguler les aspects économiques de ces contrats, par exemple à travers des clauses de partage de profits à intervalles réguliers, sans que les équilibres contractuels se trouvent pour autant remis en cause et sans qu’il soit question de nationalisations.

Pour répondre à M. Philippe Gosselin, nous ne créons aucunement de nouvelles autorités. En ce qui concerne les concessions autoroutières, nous étendons les compétences d’une autorité existante, l’ARAFER. Pour ce qui est des professions réglementées, nous proposons de créer un collège de l’Autorité de la concurrence qui établira une cartographie et aura vocation à se substituer à de nombreuses commissions existantes, lesquelles disparaîtront puisque leur travail de cogestion des professions concernées ne repose pas sur une base objective – la garde des Sceaux et ses services continuant à jouer le rôle de garant in fine. Il s’agit donc plutôt d’une extension de la compétence d’une autorité existante et d’une rationalisation du paysage, plutôt que de la création d’une nouvelle autorité.

En ce qui concerne les ordonnances, je crois avoir répondu en disant que celles concernant les professions du droit peuvent être intégrées dans le texte. Certaines ordonnances se justifient lorsqu’elles ont pour objet de transcrire des dispositions européennes ou lorsqu’elles nécessitent une concertation avec les professionnels. Le recours aux ordonnances ne me paraît donc pas excessif.

Pour ce qui est des centres-villes, le texte a justement la préoccupation de donner plus de responsabilités aux élus locaux. De ce point de vue, il ne faut pas confondre les zones touristiques internationales (ZTI), qui ne concernent que certaines villes, dont Paris, et le reste de la France, où nous proposons de laisser la main aux décideurs politiques locaux qui joueront le rôle de régulateurs de l’ouverture dominicale. Dans ce domaine, une bonne régulation doit se faire sur le terrain. Les principes mêmes de la compensation prévus par le texte, qui renvoient à des accords de branche, d’entreprise ou de territoire, constituent la garantie d’une meilleure préservation des centres-villes : si nous avions des objectifs trop ambitieux – tels le doublement – en termes de compensation par la loi, les centres-villes seraient les premiers à être sacrifiés.

Enfin, pour ce qui est de l’absence d’élus ultramarins, je n’ai pas vocation à me substituer au président de cette commission. Je me bornerai à dire que, dans le cadre de la préparation de ce texte, j’ai constamment associé tous les élus ultramarins aux concertations qui ont eu lieu, car dans notre république, l’intérêt général est défendu par tous les députés.

M. le président François Brottes. Je rappelle que ce sont les présidents de groupe qui fournissent les noms des députés ayant fait acte de candidature au sein de leur propre groupe pour être membres de cette commission – le président de la commission est désigné par ses pairs comme ils l’ont été eux-mêmes, et n’a aucunement le pouvoir de présélectionner certains députés. Peut-être y a-t-il eu un problème au niveau des dépôts de candidature, cela reste à vérifier. En tout état de cause, il n’y a rien d’intentionnel dans aucun groupe.

M. Philippe Gosselin. Je n’ai jamais dit que c’était intentionnel, monsieur le président – et en tant qu’élus de la nation, nous n’en avons jamais douté. Cependant, l’équilibre géographique des territoires peut aussi avoir son importance.

M. le ministre. Je serai très vigilant à ce que l’intérêt des outre-mer soit pris en compte, et à ce que notre texte soit enrichi sur ce point par des éléments utiles à chaque fois que cela sera possible.

M. le président François Brottes. J’ajoute que nous avons voté, en début de législature, un texte contre la vie chère en outre-mer, qui peut, dans une certaine mesure, être vu comme la loi « croissance » des territoires d’outre-mer, dont la configuration économique n’est pas tout à fait celle de la métropole. Avec ce texte instaurant des régulations spécifiques et d’autres types de partenariat que ceux existant déjà, les ultramarins nous ont, en quelque sorte, devancés, ce qui fait qu’ils ont peut-être considéré que ce texte avait déjà répondu à un certain nombre de leurs attentes.

M. le ministre. À titre d’exemple, l’injonction structurelle de notre texte n’est autre qu’une extension du dispositif figurant dans la loi relative aux outre-mer. D’une manière générale, chaque territoire doit être envisagé dans ses spécificités propres, et nous devons trouver le bon levier pour chaque situation, ce qui implique de renvoyer à des accords de territoire à chaque fois que cela est possible, plutôt que d’élaborer une loi trop compliquée et assortie de codicilles : donner de la respiration à l’organisation territoriale me paraît relever d’une philosophie correspondant pleinement à l’objectif de simplification que nous partageons tous.

Nous sommes tout à fait disposés, madame Laclais, à intégrer au texte tout dispositif permettant d’aller plus loin dans le soutien aux business angels. Par ailleurs, les maires et les EPCI ont vocation à jouer un rôle essentiel dans la définition des ouvertures dominicales, sauf dans les zones touristiques internationales ; il ne saurait y avoir d’ouvertures supplémentaires sans accord d’entreprise, de branche ou de territoire. Exiger une nouvelle autorisation de la commune en ce qui concerne les zones touristiques représenterait, me semble-t-il, un facteur supplémentaire de complexité – étant précisé que l’élu conserve, en tout état de cause, la prérogative de proposer une ouverture le dimanche.

Mme Chantal Guittet. Il y a bien cinq ouvertures obligatoires ?

M. le ministre. Le texte permet effectivement aux maires d’autoriser le travail dominical, dans les commerces dont il choisit le positionnement, douze dimanches dans l’année, dont cinq de droit.

Monsieur Heinrich, je pense avoir répondu à vos inquiétudes relatives à la profession d’avocat en évoquant la postulation territoriale. Pour ce qui est de la libre installation, elle se fera dans les zones situées sous la moyenne, mais pas dans celles où il y a déjà suffisamment de notaires : elle ne sera donc pas un facteur de concentration ou de création de déserts notariaux ; idem pour les huissiers. En ce qui concerne l’ouverture des commerces le dimanche, l’initiative revient aujourd’hui aux maires et aux présidents d’EPCI pour les zones touristiques, et les communes concernées se verront demander leur avis avant que la décision ne soit prise s’agissant des zones touristiques internationales.

Enfin, vous soulevez la question importante du rôle de l’Autorité de la concurrence. Il s’agit simplement, dans le cadre du contrôle de légalité, d’un avis pouvant être demandé par le préfet ou par l’Autorité autosaisie sur les textes d’urbanisme mentionnés. J’insiste sur le fait que ce n’est qu’un avis destiné à éclairer le contrôle de légalité, dont l’existence se justifie par le caractère extraordinairement malthusien de certains textes d’urbanisme, qui ne permettent l’ouverture d’aucun nouveau commerce. Plutôt que de rouvrir le dossier bien connu des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) et de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC), récemment traité par la loi, il a semblé préférable de mettre en œuvre un examen plus approfondi des documents d’urbanisme dans le strict respect de la libre administration des collectivités territoriales.

Monsieur Castaner, vous avez souligné l’importance du dialogue social, ce à quoi je souscris pleinement, notamment pour ce qui est des travaux du COPIESAS, qui nous permettront certainement d’améliorer notre texte. Vous avez également mentionné la compensation pour les commerces alimentaires, actuellement ouverts de droit jusqu’à 13 heures. Dans le cas général, la compensation n’est pas prévue par le texte, et elle n’est d’ailleurs pas souhaitée par les professionnels, souvent couverts par des accords de branche existant depuis très longtemps – car il est dans les gènes de ces professions, notamment les commerces de bouche, de travailler le dimanche – et prévoyant des compensations salariales de l’ordre de 1,2 ou 1,3. Étendre la compensation pourrait faire courir un risque économique à certaines entreprises. En tout état de cause, nous avons décidé de ne pas rouvrir ce dossier concernant des commerces très spécifiques. Peut-être jugerez-vous opportun, dans un objectif de simplification, de tout ramener à un accord de branche, d’entreprise ou de territoire, mais je précise que nous n’avons pas concerté sur ce point. Il a seulement donné lieu à des discussions avec Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, et l’ensemble des professionnels concernés, qui ont tous déclaré préférer en rester au statu quo.

M. Francis Vercamer a fait au texte le reproche d’un manque de cohérence, ce que je ne peux accepter. Ce qui est proposé avec la réforme du conseiller prud’homal n’est qu’un élément de représentation et de simplification : la suppression des élections constitue une réforme de structure complémentaire. Sur l’inspection du travail, c’est le même texte qui servira de base à la concertation.

Pour ce qui est du travail du dimanche, je n’ai pas d’élément de réponse au sujet des aspects transfrontaliers. La diversité des situations évoquée par M. Francis Vercamer me conforte dans l’idée qu’il faut donner plus de flexibilité aux territoires : en effet, une commune frontalière peut avoir, contrairement à des communes situées en d’autres points du territoire, un intérêt à passer de cinq à douze dimanches d’ouverture. J’y vois un exemple concret du besoin de respiration territoriale pour ce qui est de l’ouverture le dimanche, et de notre volonté de donner le maximum de latitude aux élus locaux, hormis dans les zones touristiques internationales, dont le périmètre est toutefois extrêmement réduit.

Vous avez raison, madame Capdevielle, d’évoquer la question des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dont le projet de loi ne fait pas mention, mais au sujet de laquelle le rapport de Mme Cécile Untermaier apporte des éléments de réflexion. Il me semble que cette commission doit se saisir de la question et s’interroger sur les voies et moyens de moderniser cette profession de manière méritocratique, conformément à l’objectif poursuivi par l’ensemble des réformes que nous entendons mener au moyen de ce projet de loi. Il est important de le faire en préservant la qualité des avis rendus et, sur ce point, je reste ouvert à vos suggestions.

Pour ce qui est des bureaux secondaires, je pense qu’il faut prévoir une simple déclaration avec contrôle a posteriori du bureau local sur la réalité de l’activité, afin d’éviter les avocats hors sol. Il est important de faciliter l’installation de ces bureaux afin de prendre en compte le maillage territorial, ce qui passe par une inscription dans le texte.

Deux voies sont envisageables pour la réforme des prud’hommes. La première consiste à croire en la phase de conciliation et à lui donner le plus de substance possible, en accroissant les conditions de motivation et en déjudiciarisant cette phase autant que faire se peut, afin d’éviter que ce qui est dit durant la conciliation puisse être retenu contre les parties ultérieurement. Cette façon de procéder – celle que nous avons choisie, sans peut-être aller suffisamment loin – est fondée sur le paritarisme, puisque le bureau de conciliation est une structure paritaire. La deuxième consiste à supprimer la phase de conciliation et équivaut à un constat d’échec, puisque ce faisant, on renonce à un principe se trouvant au cœur même de la justice prud’homale. Elle entraîne une confrontation à une logique de moyens, car on s’oriente alors beaucoup plus vite vers le juge départiteur, ce qui implique de recourir à des juges professionnels – je n’irai pas jusqu’à parler d’échevinage, mais chacun aura compris ce que je veux dire.

Je suis très favorable à ce que nous ayons des discussions techniques approfondies sur cette question pour déterminer quelle solution est préférable en termes d’efficacité mais aussi de philosophie, afin de préserver le principe de paritarisme et de limiter les contraintes et incidences sur les finances publiques. On peut toujours se faire plaisir en instaurant des délais courts dans les textes de loi, mais cela ne sert à rien si l’on ne crée pas ensuite les postes de magistrats permettant de les respecter. Je partage vos aspirations et suis bien conscient des limites du texte, qui n’y répond qu’imparfaitement mais, en tout état de cause, nous aurons à choisir entre ces deux solutions inspirées de deux philosophies distinctes.

Pour ce qui est du sujet important qu’est le sort de Nexter, je veux d’abord dire, monsieur Vitel, que ce n’est pas une privatisation qui est envisagée, mais une ouverture de capital en vue d’un rapprochement avec l’entreprise allemande KMW. Nous avons choisi d’inscrire cette opération dans le texte qui vous est soumis pour mettre fin à un mouvement circulaire qui se poursuit depuis plusieurs mois : faute de dispositif légal adapté, les Allemands nous reprochent de ne pas être en situation d’avancer ; quant à notre entreprise française, elle ne parvient pas, à elle seule, à faire progresser les négociations. Je suis parfaitement conscient des réticences de mon homologue allemand, Sigmar Gabriel, au sujet des exportations d’armes, et des discussions politiques et techniques sont en cours entre nos pays respectifs afin de trouver des réponses. Si, aujourd’hui, les Allemands ne changent pas leur attitude de repli, même en deçà des textes des accords Debré-Schmidt, nous aurions un problème non seulement pour le rapprochement entre Nexter et KMW, mais aussi pour certaines activités d’EADS.

Au-delà des sensibilités politiques, chacun est parfaitement conscient de la nécessité de trouver une sortie par le haut, et l’ouverture de capital qui est proposée est l’une des conditions nécessaires pour cela. Enfin, les syndicats verront leurs préoccupations parfaitement prises en compte : comme c’est souvent le cas lors de telles opérations de rapprochement, on crée une holding – la plupart du temps basée aux Pays-Bas pour des raisons de gouvernance ; c’est ce qui a été fait notamment pour EADS et pour l’alliance Renault-Nissan. Cela dit, les structures opérationnelles ne seront en aucun cas vidées de leur contenu, et nous devons d’ailleurs attendre de voir comment les opérations se déroulent : en l’état actuel, nous sommes très loin de disposer d’une solution réglant l’ensemble du problème. Notre première préoccupation doit être de permettre l’ouverture du capital, de mettre en place une vraie négociation, actuellement très loin d’aboutir, sur nos valeurs communes, ainsi qu’une discussion sur les accords Debré-Schmidt – purger cette question est pour nous une condition essentielle à la poursuite du processus de rapprochement.

Madame Dumas, vous avez évoqué les associations, un sujet important, comme je l’ai dit dans le cadre de l’examen de la loi relative à l’économie sociale et solidaire. Sur ce point, notre texte peut et doit être enrichi, car les associations représentent un levier d’activité participant pleinement à l’activité et à la croissance du pays ; elles sont souvent aussi, et de plus en plus fréquemment, un élément de transition dans la carrière des salariés. Il convient donc de déverrouiller les accès aux associations, et je suis tout à fait favorable à ce que l’on puisse enrichir le texte de dispositions sur ce point.

Madame Guittet, j’ai pris note de votre scepticisme et de vos interrogations. Pour ce qui est des lignes d’autocar, j’ai envie de vous donner ce simple conseil : ne vous compliquez pas la vie ! Il n’y a pas à craindre que l’on réduise le service public des lignes d’autocar, puisqu’il n’existe pas à l’heure actuelle – sauf dans le cadre de certains groupements mis en place par des collectivités locales. Ce que nous proposons, c’est simplement d’ouvrir ce secteur. Il y aura des lignes rentables – ce qui est une bonne chose, car l’exploitation d’une affaire rentable, c’est le principe même de l’économie –, qui vont permettre de créer de l’activité, donc de l’emploi, dans le secteur marchand. Les lignes ne seront pas rentables partout et, là où elles ne le seront pas, la question se posera de savoir s’il est opportun de les créer tout de même au moyen de subventions publiques. De même, quand les investissements nécessaires n’auront pas été réalisés, il faudra se demander s’il n’est pas plus judicieux pour la collectivité et l’argent public d’aider à la création d’une ligne d’autocar plutôt qu’à celle d’une ligne de train. En tout état de cause, nous protégerons d’une concurrence sauvage des autocars les lignes de train ayant bénéficié d’investissements compensés – c’est l’objet de l’avis préalable de l’Autorité de régulation pour l’ouverture infrarégionale. Pour le reste, de grâce, laissons respirer l’activité en permettant l’émergence de nouveaux modes de transport et de nouvelles formes d’activité !

Pour ce qui est des travailleurs détachés, nous sommes tout à fait d’accord. Sur ce point, les dispositions du texte sont celles que vous aviez déjà travaillées et qui n’avaient pas pu être intégrées aux précédents textes : on reprend quasiment mot pour mot ce qui se trouvait dans votre rapport, en renforçant les conditions de sanction. La carte dans le BTP, préparée par François Rebsamen et annoncée par le Premier ministre, répond à une demande forte du secteur du bâtiment. Les plus grandes entreprises de travaux publics sont réticentes en raison des contraintes qu’un tel dispositif entraîne au niveau européen, mais il s’agit là d’un élément de régulation fortement souhaité. Pour ce qui est des décrets d’application, je n’étais pas informé du problème que vous soulevez, mais je vais me renseigner.

En ce qui concerne le travail dominical, là encore, n’ayez pas peur des libertés que nous proposons d’introduire. Cette loi n’obligera pas les maires à ouvrir douze dimanches par an, ni les commerces à ouvrir tous les dimanches, pas plus qu’elle n’enchaînera les Français à des chariots de supermarché : ce n’est pas le projet de société que nous soutenons. Notre texte donne l’opportunité aux maires d’ouvrir jusqu’à douze dimanches par an, à des salariés de travailler le dimanche en bénéficiant d’une compensation, et aux Français, qui consomment déjà le dimanche, de le faire encore plus s’ils le souhaitent. La société du choix, c’est aussi la société de l’émancipation, et c’est le projet de société que nous devons porter.

Je pense avoir répondu à toutes les questions qui m’ont été posées, monsieur le président.

M. le président François Brottes. À l’issue de trois heures quarante d’audition, vous avez effectivement répondu à toutes les questions avec une grande minutie, monsieur le ministre, et je vous en remercie. Notre commission spéciale se réunira à nouveau le 12 janvier prochain. Entre-temps, le rapporteur général et l’ensemble des rapporteurs thématiques inviteront nos collègues à des auditions portant sur différents thèmes.

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EXAMEN EN COMMISSION

Lors de ses 19 réunions du lundi 12 au dimanche 18 janvier 2015, la Commission spéciale a examiné, sur le rapport de M. Richard Ferrand, le projet de loi pour la croissance et l’activité (n°2447).

M. le président François Brottes. Chers collègues, cette commission spéciale commence ses travaux dans un contexte dramatique pour notre pays et pour le monde. Lors de la journée de deuil, la semaine dernière, l’Assemblée nationale réunie autour du président Claude Bartolone a rendu hommage aux victimes des attentats.

Je vous présente mes vœux de bonne année en souhaitant que les travaux de cette commission – dont les sujets, relatifs à la vie quotidienne, intéressent l’ensemble de nos concitoyens – se montrent à la hauteur des enjeux, au terme d’un débat responsable et serein. Le chantier est considérable ; aussi, afin de traiter l’ensemble des articles du texte, nous faudra-t-il doser nos échanges sans toutefois escamoter les confrontations. Je souhaite la bienvenue à M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique ; lors de l’examen du projet de loi en séance, ses collègues seront éventuellement présents à ses côtés, mais c’est lui seul qui accompagnera l’intégralité de nos travaux en commission – qui, rappelons-le, seront retransmis en direct par la chaîne de l’Assemblée nationale. Enfin, je salue le travail réalisé par le rapporteur général et les rapporteurs thématiques qui ont mené, depuis l’installation de la Commission, plus de 80 auditions.

Sur les 1 758 amendements déclarés recevables, 38 émanent du Gouvernement, 408 – dont les deux tiers sont rédactionnels – des rapporteurs, 195 du groupe SRC, 625 du groupe UMP, 165 du groupe UDI, 164 du groupe écologiste, 93 du groupe RRDP et 70 du groupe GDR. Il y a 791 amendements sur le titre I, 532 sur le titre II, 428 sur le titre III, et 7 amendements sur le titre IV et le titre du projet de loi. Les deux tiers des amendements n’ont été déposés qu’une fois. On dénombre 237 amendements de suppression d’article – qui généralement ne justifient pas d’un long exposé –, et seuls quatre articles du projet de loi ne font l’objet d’aucun amendement.

Pour organiser au mieux nos débats, les services ont déplacé une centaine d’amendements portant articles additionnels afin de regrouper ceux qui abordent des sujets voisins, de les mettre à l’endroit du texte le plus logique et de les affecter au rapporteur thématique le plus pertinent. Ainsi, les amendements qui concernent les autoroutes ont été placés après l’article 5 – sauf les deux qui prévoient la dénonciation des concessions, mis avant cet article. Les amendements touchant de près ou de loin à des problèmes de consommateurs – y compris aux relations avec les banques – se trouvent après l’article 11. Ceux qui se rapportent au financement des entreprises et visent à modifier le code général des impôts sont placés après l’article 35. Ceux qui concernent le financement des entreprises et modifient d’autres textes, après l’article 40. Les amendements relatifs à l’épargne salariale qui tendent à modifier le code de la sécurité sociale ou le code monétaire et financier sont positionnés avant l’article 36. Ceux qui touchent à l’organisation des entreprises se trouvent après l’article 58, et ceux qui se rapportent davantage à la vie des entreprises, après l’article 64. Les amendements concernant le dialogue social dans l’entreprise et la problématique Florange ont été placés après l’article 91 – dont les deux relatifs aux seuils sociaux que M. Jean-Charles Taugourdeau avait un peu audacieusement placés avant l’article 1er. Enfin, ceux qui touchent aux autres domaines sociaux tels que le temps de travail ou la formation sont mis après l’article 94.

J’ai appliqué la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel selon laquelle une demande d’habilitation à légiférer par ordonnances ne peut émaner que du Gouvernement. J’ai donc déclaré irrecevables une vingtaine d’amendements qui soit procédaient à l’extension d’une des habilitations demandées, soit en créaient de nouvelles, alors que bien souvent leurs auteurs dénonçaient par ailleurs le nombre trop élevé d’habilitations dans le projet de loi.

Enfin, j’ai saisi le président de la commission des finances de 71 amendements qui me semblaient soulever des questions de recevabilité financière. Le président Gilles Carrez – dont j’ai, comme à l’accoutumée, scrupuleusement suivi l’avis – a jugé irrecevables 41 d’entre eux : les SPE863 de M. Pancher, SPE523 de M. Bricout, SPE770 de M. Huet, SPE1113 et SPE1107 de M. Huyghe, SPE148, SPE329 et SPE161 de M. Houillon, SPE345 de M. Hetzel, SPE182 de M. Houillon, SPE812, SPE815 et SPE828 de M. Huet, SPE678 de M. Saddier, SPE371 et SPE373 de M. Hetzel, SPE1482 M. Decool, SPE492 de M. Tetart, SPE864 de M. Leroy, SPE409 de M. Hetzel, SPE765 de Mme Le Dain, SPE1094 du Rapporteur général, SPE1227 de Mme Berger, SPE809 de M. Hetzel, SPE475 de M. Taugourdeau, SPE736 de M. Caullet, SPE1222 de M. Letchimy, SPE1244, SPE1357 et SPE1429 de M. Fromantin, SPE1030 de M. Fromantin, SPE1075 de M. Fromantin, SPE535 de M. Bonnot, SPE132 de M. Cherpion, SPE467 de M. Hetzel, SPE575 de M. Vercamer, SPE948 de Mme Fraysse, SPE995 de M. Blein, SPE1681 de M. Brottes, SPE1328 et SPE1329 de M. Lambert.

L’audition du ministre – qui a duré plus de quatre heures et où aucune question n’avait été empêchée ou laissée sans réponse – a servi de discussion générale. Par conséquent, après les interventions de ceux de nos collègues qui ont demandé la parole, nous aborderons directement la discussion des amendements.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je tiens à remercier M. le ministre de s’être engagé à participer à l’ensemble des débats. Monsieur le président, plusieurs représentants des groupes vous ont appelé à émettre une protestation quant au temps très limité dont nous disposons pour examiner le texte ; visiblement, notre demande n’a pas réellement été prise en compte !

M. Marc Dolez. Cinq des six groupes de notre assemblée avaient officiellement demandé d’échelonner nos travaux sur deux semaines au moins, afin d’éviter les cadences infernales ; le groupe GDR déplore que ce souhait n’ait pas été pris en considération. Ne pas permettre au Parlement de travailler dans des conditions raisonnables dénote un manque de respect pour notre institution.

Si je me félicite de la participation de M. Emmanuel Macron à l’intégralité de nos travaux, je regrette que le Gouvernement n’ait pas autorisé d’autres ministres à le rejoindre, alors que c’est sur la base du texte qui sera adopté en commission que les débats s’engageront dans l’hémicycle. Il est en particulier dommage que madame la garde des Sceaux ne soit pas présente lors du débat sur la réforme des professions juridiques réglementées.

Enfin, monsieur le président, pour faciliter le dépôt des amendements dans le cadre de l’article 88, il serait préférable de ne pas attendre la fin de nos débats pour mettre en ligne le texte du projet de loi, mais de le faire au fur et à mesure. En effet, le délai entre la fin des travaux de commission et la date retenue pour déposer les amendements est particulièrement restreint.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il serait intéressant de pouvoir nous servir du dispositif ELIASSE qui permet de suivre les débats sur iPad – solution pratique et moderne.

M. le président François Brottes. Je salue votre modernité, mais ne peux pour l’heure vous garantir, à défaut d’ELIASSE, que l’accès à une liasse ! (Sourires.)

J’ai bien entendu transmis vos préoccupations au Gouvernement, en précisant que nos travaux, au vu du nombre d’amendements éligibles au débat, risquaient de ne pas aboutir avant la fin de la semaine. Pour autant, ne comptez pas sur moi pour court-circuiter nos débats en commission au prétexte de cette échéance ; tous les amendements – dont très peu sont identiques – doivent pouvoir être discutés. Mais il faut aussi, au nom du respect du travail parlementaire, permettre à tous ceux qui le souhaitent de déposer des amendements en vue de la séance. Ne perdons donc pas de temps à nous dire qu’il en manque et avançons !

M. Emmanuel Macron garantit la cohérence du projet de loi au niveau gouvernemental. Si d’autres ministres avaient défilé en commission, on aurait pu reprocher au texte de juxtaposer plusieurs projets distincts. En tout état de cause, le débat en séance permettra d’apporter des compléments sur différentes thématiques.

Monsieur Marc Dolez, mettre le texte en ligne au fur et à mesure me paraît risqué car il s’agirait d’une version provisoire appelée à changer. Ainsi, par exemple, le titre de la loi – qui ouvre toute publication – sera étudié en dernier. Il faudra donc attendre 24 à 48 heures après la fin de nos travaux en commission pour retrouver le texte intégral en ligne.

M. Patrick Hetzel. La semaine dernière, le Gouvernement a déposé une centaine d’amendements dont la moitié a ensuite été retirée. Pourquoi ces retraits ? Le fait qu’il reste encore une petite cinquantaine d’amendements gouvernementaux montre au demeurant que le texte nous a été présenté avec une certaine précipitation.

M. Jean-Louis Roumegas. Le groupe écologiste est également en profond désaccord avec la méthode employée. Aujourd’hui encore, des amendements ont été déposés par le Gouvernement ; il est impossible de travailler sérieusement dans ces conditions, tant en commission que dans l’hémicycle où, en cinquante heures, il nous faudra réformer le code des transports, le code du logement, le droit de l’environnement et les professions réglementées ! Dans ce contexte, les auditions et le débat avec la société ne peuvent pas non plus se dérouler sereinement et les professionnels concernés par le texte que j’ai pu rencontrer dénoncent tous l’absence du dialogue. Pourtant le projet de loi porte sur des questions fondamentales ; loin de se réduire à de petites réformes, il vient bousculer des équilibres profonds qui avaient été âprement négociés dans le passé. Cette loi fait penser à un éléphant dans un magasin de porcelaine ; dans les conditions actuelles, je m’inquiète du résultat de nos débats.

M. Marc Dolez. Si nos travaux se terminent le 18 janvier au soir et que le Gouvernement maintient le début du débat en hémicycle le 26 janvier, nous ne disposerons que de 24 à 36 heures entre la mise en ligne du texte et le dépôt des amendements – conditions de travail déplorables ! Retarder de huit jours le débat en séance permettrait de régler le problème sans toucher au calendrier des travaux en commission.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Je présente à toutes et à tous mes meilleurs vœux pour l’année qui commence et pour l’aventure qui nous réunit. Je remercie le président de la Commission, le rapporteur général et les rapporteurs thématiques pour le travail qu’ils ont réalisé – notamment durant la période de fêtes – et qui a d’ores et déjà permis d’enrichir et d’améliorer le texte.

Monsieur Jean-Louis Roumegas, la concertation avec les différentes professions a été conduite par le Gouvernement – notamment par Mme Christiane Taubira et moi-même –, mais également par plusieurs parlementaires tels que M. Richard Ferrand dans le cadre de son rapport et Mme Cécile Untermaier dans le cadre de la mission parlementaire qu’elle avait présidée. Vice-présidée par M. Philippe Houillon, cette mission – qui avait réuni plusieurs députés – a permis de longuement auditionner les professionnels concernés. Ces travaux collectifs fournissent une base pour un débat constructif.

La Commission en vient à l’examen des articles.

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EXAMEN DES ARTICLES

TITRE 1ER
LIBÉRER L’ACTIVITÉ

Chapitre 1er
Mobilité

Article premier
(art. L. 2131-1, L. 2131-2, L. 2132-1, L. 2132-4, L. 2132-5, L. 2132-7, L. 2132-8,
L. 2135-1, L. 2135-2, L. 2135-3, L. 2135-7, L. 2135-13, L. 2331-1 et L. 2341-1
du code des transports)

Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER)

I. L’ÉTAT DU DROIT

L’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) a été créée en application de la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports. L’ARAF constitue l’« organisme de contrôle » indépendant des gestionnaires d’infrastructure, des organismes de tarification, des organismes de répartition et des candidats, sur le plan organisationnel, juridique et décisionnel, prévu par l’article 30 de la directive 2001/14/CE du 26 février 2011 concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité.

Conformément à cette directive, l’ARAF peut être saisie par toute personne ou entité habilitée à candidater pour l’attribution de capacités de l’infrastructure ferroviaire, lorsque cette personne ou entité estime faire l’objet d’un traitement inéquitable, d’une discrimination ou d’un autre préjudice par un gestionnaire d’infrastructure ou une entreprise ferroviaire.

La loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire a considérablement renforcé le rôle de l’ARAF et étendu son champ de compétence, a modifié la composition du collège de l’Autorité et a créé une commission des sanctions distincte du collège.

A.  LES COMPÉTENCES ET LES POUVOIRS DE L’ARAF

L’ARAF assure une mission générale d’observation des conditions d’accès au réseau ferroviaire et s’assure de la cohérence des dispositions économiques, contractuelles et techniques mises en œuvre par les gestionnaires d’infrastructure et les entreprises ferroviaires avec leurs contraintes propres. Elle peut, après avoir procédé aux consultations appropriées, faire toute recommandation relative au fonctionnement du secteur, à l’égard du Gouvernement comme des acteurs du secteur (article L. 2131-3 du code des transports). L’action de l’ARAF consiste essentiellement à veiller à ce que les différentes entreprises ferroviaires accèdent, de manière équitable et non discriminatoire, au réseau ferroviaire, aux gares, aux infrastructures de service et aux prestations associées (article L. 2131-4).

L’ARAF émet des avis sur les dispositions régissant le fonctionnement du secteur ferroviaire. Ces avis portent notamment sur :

– les projets de textes réglementaires relatifs à l’accès au réseau ferroviaire, à la conception, la réalisation et l’utilisation des infrastructures et des matériels de transport ferroviaire (article L. 2133-8) ;

– le document de référence du réseau (DRR), qui rassemble l’ensemble des « règles du jeu » économiques, techniques et administratives pour l’accès aux différents réseaux (article L. 2133-6) ;

– les redevances d’infrastructure (péages) acquittées par les entreprises ferroviaires pour utiliser le réseau ferroviaire ; ces redevances ne peuvent entrer en vigueur qu’après un avis conforme de l’ARAF au regard des principes et des règles de tarification tels qu’ils résultent notamment de la législation (article L. 2133-5) ;

– la nomination ou la cessation anticipée des fonctions du directeur du service gestionnaire des trafics et des circulations qui, actuellement au sein de la SNCF, assure ces fonctions pour le compte de RFF (article L. 2133-9).

L’ARAF est chargée du règlement des différends qui peuvent apparaître à l’occasion de l’exercice du droit d’accès au réseau et aux prestations associées, notamment entre les entreprises ferroviaires et les gestionnaires d’infrastructure (article L. 2134-2). L’ARAF doit également émettre un avis sur les décisions de l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) qui seraient jugées discriminatoires par un acteur (article L. 2134-1).

Pour lui permettre d’assurer ses missions pleinement, l’ARAF dispose de larges pouvoirs, octroyés par la loi :

– des pouvoirs d’investigation étendus, notamment en matière d’accès aux comptes ; à cet effet, les agents assermentés de l’Autorité peuvent recueillir des informations, procéder à des enquêtes, des contrôles et des saisies et constater par procès-verbal des infractions entrant dans le champ d’application des compétences de l’Autorité ;

– un pouvoir réglementaire supplétif (article L. 2131-7) permettant de préciser les dispositions régissant les conditions de raccordement au réseau ferroviaire, les conditions techniques et administratives d’accès au réseau et de son utilisation, les conditions d’accès aux services présentant un caractère de fonctionnalités essentielles et leurs conditions d’utilisation, les périmètres de chacune des activités comptablement séparées au sein de l’opérateur historique, les règles d’imputation comptable qui leur sont appliquées et les principes déterminant les relations financières entre ces activités ;

– des pouvoirs de sanction des manquements constatés, soit à l’occasion d’une saisine, soit à sa propre initiative.

L’ARAF établit chaque année un rapport d’activité, comportant des recommandations, qui est adressé au Gouvernement et au Parlement (article L. 2131-2)

B.  LES INSTANCES DE L’ARAF

1.  Le collège

Le collège de l’ARAF exerce toutes les attributions de l’Autorité, sauf le pouvoir de sanction. Il est composé de sept membres, dont un président et deux vice-présidents, nommés par décret. Le président et les deux vice-présidents exercent leurs fonctions à plein temps. Les deux vice-présidents sont choisis respectivement par le président de l’Assemblée nationale et par le président du Sénat.

Ces sept membres sont choisis « en raison de leurs compétences économiques [au moins un membre], juridiques [au moins un membre] ou techniques dans le domaine ferroviaire, ou pour leur expertise en matière de concurrence, notamment dans le domaine des industries de réseau » (articles L. 2132-1 et L. 2132-7 du code des transports). Leur mandat de six ans est non renouvelable, ce qui constitue une garantie d’indépendance, d’autant qu’il n’est pas révocable. D’autres garanties d’indépendance et d’impartialité résultent de l’article L. 2132-8 relatif aux incompatibilités applicables aux membres du collège, qui leur interdit notamment la détention, directe ou indirecte, d’intérêts dans le secteur ferroviaire.

2.  La commission des sanctions

Créée par la loi du 4 août 2014 précitée, la commission des sanctions est composée de trois magistrats (article L. 2132-8-2), dont le mandat est de six ans et qui ne peuvent pas être également membres du collège. Cette commission peut prononcer des sanctions administratives pour sanctionner les manquements qu’elle constate de la part d’un gestionnaire d’infrastructure, d’une entreprise ferroviaire ou de la SNCF. La procédure et la liste des sanctions sont définies aux articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du code des transports. Les dispositions créant la commission des sanctions sont entrées en vigueur au 1er janvier 2015.

C.  UNE COOPÉRATION AVEC L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE ET LES JURIDICTIONS

Les articles L. 2135-13 à L. 2135-17 prévoient que l’ARAF saisit l’Autorité de la concurrence des pratiques anticoncurrentielles dont elle a connaissance dans le secteur ferroviaire, communique à cette Autorité toute saisine entrant dans le champ des compétences de celle-ci, et peut consulter l’Autorité de la concurrence sur toute question relative au secteur ferroviaire. L’ARAF peut elle-même être consultée par les juridictions sur les affaires dont elles sont saisies et qui relèvent de sa compétence. L’ARAF saisit le procureur de la République lorsqu’elle a connaissance de faits de nature à justifier de poursuites pénales.

D.  LES RESSOURCES DE L’ARAF

L’ARAF dispose de l’autonomie financière. Elle perçoit le produit d’un « droit fixe » institué par l’article L. 2132-13 du code des transports, ainsi que, le cas échéant, des « rémunérations pour services rendus » (article L. 2132-12). Le « droit fixe » qui constitue sa recette spécifique est dû par les entreprises ferroviaires. Le montant de ce droit est fixé par les ministres chargés des transports et du budget, en proportion du montant des redevances que les entreprises ferroviaires versent à Réseau Ferré de France pour l’usage du réseau ferroviaire (péages). Le produit de ce droit affecté à l’ARAF, ainsi que le nombre d’emplois constituant les services de l’Autorité, sont plafonnés par les lois de finances. Pour 2012 et 2013, le plafond était fixé à 11 millions d’euros, l’excédent étant versé à l’État. Au 31 décembre 2013, les services de l’Autorité comptaient 36 agents.

En 2010, année de création de l’Autorité, celle-ci a perçu des ressources correspondant à une année d’exercice plein, alors qu’elle n’a réellement commencé à fonctionner que pendant les derniers mois. Il en est résulté un résultat excédentaire d’environ 9 millions d’euros fin 2010. Depuis lors, la montée en charge progressive de l’Autorité a réduit le résultat annuel, qui reste toutefois largement positif. L’ARAF disposait ainsi en 2013 d’un fonds de roulement d’environ 22,4 millions d’euros. Par conséquent, le droit fixe perçu sur les entreprises ferroviaires n’a pas été affecté à l’ARAF en 2014, sur proposition de l’Autorité elle-même.

II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

Il est proposé de transformer l’ARAF en « Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) », en étendant le champ d’activité de ce régulateur à deux nouveaux secteurs : les « services réguliers non urbains de transport routier de personnes » et les autoroutes.

L’article premier du projet de loi prévoit l’habilitation du Gouvernement à procéder, par voie d’ordonnance, au changement de dénomination du régulateur dans l’ensemble des textes en vigueur, et comporte diverses mesures de coordination pour intégrer cette extension du champ d’action dans les articles du code des transports relatifs :

– au rapport annuel d’activité de l’Autorité : le rapport annuel prévu à l’article L. 2131-2 ne portera plus désormais que sur le volet « ferroviaire » de son activité ;

– aux compétences des membres du collège (modification des articles L. 2132-1 et L. 2132-7) ;

– aux incompatibilités entre le mandat de ces membres et l’exercice d’activité ou la détention d’intérêts dans le secteur d’activité ainsi étendu (modification des articles L. 2132-5 et L. 2132-8) ;

– aux catégories d’entreprises soumises au contrôle de l’Autorité, pour y inclure les entreprises de transport public routier de personnes et les sociétés concessionnaires d’autoroutes (modification des articles L. 2135-2 et L. 2135-3) ;

– et aux cas dans lesquels il appartient à l’Autorité de saisir l’Autorité de la concurrence, ainsi que les affaires sur lesquelles celle-ci peut être consultée par l’ARAFER (modification de l’article L. 2135-13).

Il convient de noter :

– que les nouvelles compétences de l’Autorité en ce qui concerne le transport par autocars sont intégrées à l’article 2 du projet de loi, qui crée les articles L. 3111-17 à L. 3111-25 du code des transports conférant à la nouvelle ARAFER un pouvoir consultatif, un pouvoir de décision (par avis conforme), des pouvoirs d’investigation et l’obligation de présentation d’un rapport annuel portant sur les services de transport routier de personnes librement organisés ;

– que l’article 4 du projet de loi, relatif au régime juridique des gares routières de voyageurs, prévoit de conférer à l’ARAFER une compétence de réglementation et de contrôle en la matière ;

– que c’est par l’article 5 du projet de loi (et dans le code de la voirie routière) que sont introduites les dispositions relatives à la régulation, par l’ARAFER, des péages autoroutiers et des marchés passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le rapporteur thématique souscrit à la démarche d’extension de la compétence du régulateur au-delà du seul mode ferroviaire, considérant qu’il est légitime qu’un régulateur « multimodal » soit créé dans le domaine des transports et que cette extension de compétence implique une reconnaissance de la qualité du travail de l’actuelle ARAF.

Il relève cependant que le projet de loi n’assortit pas cet accroissement, considérable, de l’activité de l’Autorité, d’une diversification correspondante des moyens de celle-ci. Or il est indispensable, d’une part, de faire contribuer les entreprises de transport routier de personnes et les entreprises concessionnaires d’autoroutes au financement de leur régulateur comme le font les entreprises ferroviaires, et, d’autre part, de donner à l’ARAFER les moyens de remplir effectivement ses nouvelles missions.

IV. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

La commission spéciale a adopté un amendement demandant au Gouvernement de présenter, deux ans après la promulgation de la loi, un rapport évaluant l’opportunité d’élargir le champ de compétence de l’ARAFER en y incluant le transport fluvial.

Elle a également adopté, s’agissant du fonctionnement de l’ARAFER, un amendement organisant l’exercice des fonctions de président du collège en cas de vacance ou d’empêchement, et un amendement des rapporteurs étendant aux nouveaux secteurs régulés le dispositif existant de sanctions administratives que l’ARAF peut prononcer.

*

* *

La Commission est saisie de l’amendement SPE862 de M. Bertrand Pancher.

M. Michel Zumkeller. En juin dernier, lors de l’examen du projet de loi portant réforme ferroviaire, les pouvoirs de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) ont été considérablement renforcés – mesure que nous avons saluée. Nous sommes heureux de constater que le champ de compétences de cet organisme, désormais dénommé Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), sera élargi aux infrastructures de transport terrestre, mais souhaitons également y ajouter l’activité de régulation fluviale.

M. le ministre. Le projet de loi franchit déjà une étape importante en matière d’intermodalité en étendant les compétences de l’ARAF au transport routier ; il nous paraît plus prudent de nous y limiter dans un premier temps, mais le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Eu égard à l’inflexion actuellement donnée aux politiques de transport – restées excessivement modales pendant de nombreuses décennies –, la mesure nous semble aller dans le bon sens. Avis favorable.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Également favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement SPE1263 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Cet amendement s’intéresse à l’État en tant qu’autorité organisatrice de transports (AOT) et aux trains d’équilibre du territoire (TET), difficiles à financer, dont les perspectives sont actuellement évaluées dans le cadre d’une mission confiée à notre collègue M. Philippe Duron, député du Calvados. Nous proposons que le règlement européen « Obligations de service public » (OSP) entré en vigueur le 3 décembre 2009, qui s’applique à toutes les AOT, soit mis à profit pour permettre à l’État de mener des expérimentations en confiant l’exploitation des lignes TET à toute entreprise ferroviaire détentrice d’une licence ferroviaire en France. Le niveau de dysfonctionnement sur ces lignes atteint actuellement des sommets : sur celle que je prends toutes les semaines, les trains de nuit n’arrivent que le lendemain soir ; le confort et l’innovation laissent également à désirer. Si l’on n’agit pas, on risque à terme de voir ce service ferroviaire longue distance abandonné par manque de voyageurs.

M. le président François Brottes. Je fais miens les arguments de M. Joël Giraud.

M. le ministre. Les débats sur la réforme ferroviaire ont montré qu’il s’agissait d’un sujet sensible. La date d’ouverture de ce secteur à la concurrence fait l’objet de négociations au niveau communautaire ; dans le projet de quatrième « paquet ferroviaire », elle est fixée à 2019. Vous proposez d’anticiper, mais le Gouvernement préfère, à ce stade, privilégier la stabilité du cadre juridique national. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Si j’adhère intellectuellement à cette idée depuis plusieurs années, je considère que les conditions pour la traduire dans les faits ne sont pas réunies. D’une part, M. Philippe Duron travaille actuellement sur le sujet et élargit son spectre d’investigation et d’étude – et donc de préconisation – aux trains express régionaux (TER) dont le cadre sera renouvelé. D’autre part, nous nous apprêtons à engager une négociation sociale de grande importance au sein du groupe SNCF et de la filière ferroviaire ; cette première convention collective s’inscrit clairement dans l’ouverture à la concurrence mais il est inutile d’en perturber la mise en œuvre par des décisions hâtives.

M. le rapporteur général. Même avis.

M. Joël Giraud. Je maintiens toutefois mon amendement. Alors que l’ouverture à la concurrence est prévue pour 2019 et que la mission Duron doit rendre ses préconisations dans le courant de l’année 2015, les contrats des TET s’arrêtent en 2016. Anticiper au travers d’une expérimentation éclairerait le débat.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel SPE41 rectifié du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

La Commission étudie ensuite les amendements identiques SPE220 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE303 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP ne se lasse pas de constater la rapidité et la profondeur de la conversion de la gauche française à la pratique des ordonnances. Ce texte le confirme à nouveau : dix-sept articles prévoient jusqu’à cinquante-six ordonnances, portant sur trente dispositions génériques dont certaines importantes. De surcroît, monsieur le ministre, vous avez déclaré que certaines ordonnances étaient d’ores et déjà prêtes – et pourraient, par conséquent, être soumises au débat parlementaire. C’est pourquoi le groupe UMP dépose une protestation de principe à chaque fois qu’il rencontre le mot « ordonnance » dans le texte.

Par ailleurs, l’étude d’impact note que l’on décidera, le moment venu, de la manière de financer la nouvelle instance prévue à l’article 1er. Faut-il nous attendre – comme le texte entre parenthèses semble suggérer – à une taxe supplémentaire ?

M. Patrick Hetzel. Le recours aux ordonnances – prévu dans beaucoup d’articles de ce texte très large – prive le législateur de la possibilité de débattre. Vos déclarations, monsieur le ministre, comme les échanges avec les professions réglementées, montrent que la plupart de ces ordonnances sont déjà prêtes. Serait-il possible d’en avoir connaissance afin éventuellement de retirer certains amendements si nous sommes rassurés par les projets du Gouvernement ?

M. le président François Brottes. Je comprends l’émoi de M. Jean-Frédéric Poisson, qui a appartenu à une majorité qui n’a jamais eu recours à la technique des ordonnances…

M. le ministre. Avis défavorable. Au fil du texte et de nos discussions, l’on tâchera d’expliciter les dispositions autant que possible. Beaucoup d’éléments constitutifs de l’ARAFER seront précisés dans la discussion sur les articles à venir ; en l’espèce, il s’agit d’une ordonnance à visée rédactionnelle, qui cherche à assurer la cohérence entre les nouvelles compétences de cette autorité intermodale et le positionnement des dispositions qui la concernent dans le code des transports. Cette ordonnance technique n’est pas encore prête et ne peut être inscrite dans le texte à ce stade ; il n’y a donc aucune confiscation d’information.

M. le rapporteur général. Nous avons veillé à ce que tout ce qui pouvait être soumis à notre examen – en commission ou en séance – le soit. Au fil des débats, on constatera que beaucoup de dispositions initialement envisagées sous forme d’ordonnance figureront finalement dans le texte.

M. Hervé Mariton. Je suis d’autant plus favorable à l’extension des compétences de l’ARAF au secteur routier que j’avais moi-même formulé une proposition similaire il y a quelques années. Parce qu’il amène à aborder beaucoup de questions concrètes, ce projet de loi rencontre nécessairement l’actualité de l’action publique dans ces domaines ; les débats en commission peuvent-ils servir à faire le point sur ces sujets ? Ainsi, l’Autorité de la concurrence a récemment formulé une critique sévère des projets de décrets d’application de la loi portant réforme ferroviaire, interrogeant notamment le rôle de l’ARAF. Aborder la question de l’extension des compétences de cette instance devrait conduire le Gouvernement à répondre aux critiques de l’Autorité – et peut-être à celles à venir du Conseil d’État.

M. Olivier Faure. Monsieur Jean-Frédéric Poisson, vous appartenez à une formation politique qui prévoyait il y a peu de temps encore de gouverner pendant six mois par ordonnances, l’ancien président de l’UMP justifiant cette intention par la rapidité qu’offre ce procédé... Essayons donc de débattre sereinement de ces questions !

M. Jean-Frédéric Poisson. Page 6 de l’étude d’impact, on peut lire : « Les adaptations financières nécessitées par cette réforme (ressources budgétaires, taxes, redevances, etc.) seront étudiées dans le cadre d’un prochain projet de loi de finances. » Monsieur le ministre, envisagez-vous des taxes nouvelles pour financer l’ARAFER ?

M. Jean-Louis Roumegas. Il faut distinguer les ordonnances ayant une portée purement technique de celles qui modifient en profondeur le droit – notamment celui de l’environnement ; le groupe écologiste les appréciera donc de manière nuancée, en fonction de leur contenu. Mais afin de lever les ambiguïtés, le Gouvernement devrait préciser à chaque fois ses intentions.

M. le président François Brottes. En effet, le texte des ordonnances doit être fourni très rapidement pour que l’on mesure la portée de l’habilitation que l’on donne au Gouvernement.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques SPE866 de M. Bertrand Pancher et SPE1286 de M. Joël Giraud.

M. Michel Zumkeller. L’alinéa 2 de l’article 1er permet de prendre plusieurs mesures par ordonnances, en particulier en matière d’extension des compétences. Il serait intéressant et constructif que l’ARAFER émette un avis sur ces ordonnances.

M. Joël Giraud. Il est indispensable que l’ARAFER puisse formuler des observations sur les conditions d’exercice de ses nouvelles missions. Son avis éclairera le législateur.

M. le ministre. Mon avis est plutôt défavorable. Il s’agit, je l’ai dit, d’une ordonnance rédactionnelle, qui cherche à mettre en cohérence les nouvelles dispositions avec le code des transports dont il faudra changer la structure très rapidement après le vote de la loi. En l’absence de toute disposition de fond, il me paraît inutile que l’ARAFER donne son avis.

Je reviendrai lors d’un amendement suivant sur le financement de l’ARAFER par le biais d’une éventuelle taxe.

M. le rapporteur général. Avis également défavorable. Il s’agit de mettre en place des coordinations dans les différents codes concernés ; la consultation de l’ARAFER en amont paraît donc en effet inutile.

La Commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel SPE42 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Puis elle est saisie de l’amendement SPE1308 de M. François-Michel Lambert.

M. Jean-Louis Roumegas. Si nous sommes favorables à l’article 1er qui étend les compétences de l’ARAF au secteur routier interurbain, c’est dans un esprit d’intermodalité et de complémentarité – non de concurrence – entre différents moyens de transport. Notre amendement vise à assurer que les sociétés d’autoroute et les entreprises de transport public routier contribuent au financement de l’ARAFER. Cela nous paraît logique.

M. le ministre. Sur le fond, l’amendement semble légitime ; il serait normal que l’ARAFER soit financée par l’ensemble des secteurs qu’elle régule et non uniquement par le ferroviaire. Néanmoins, pour assurer la cohérence du budget de l’État en tenant compte des engagements pris par ailleurs, ce débat complexe doit plutôt être mené dans le cadre du projet de loi de finances. Les nouvelles compétences de l’ARAFER entrant en vigueur six mois après l’adoption de la loi, nous avons le temps d’aborder ces questions. J’invite donc les auteurs à retirer leur amendement ; à défaut, le Gouvernement y sera défavorable.

M. Jean-Louis Roumegas. Je le maintiens.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Monsieur Jean-Louis Roumegas, nous pensons comme vous qu’il n’est pas envisageable, alors que l’on ouvre le champ de compétences de l’ARAF, que celle-ci soit financée par le seul secteur ferroviaire – c’est-à-dire par un prélèvement sur la SNCF qui assure 99 % du trafic. Un droit fixe a été instauré par la loi pour que le ressortissant ferroviaire alimente l’ARAF sans passer par le budget de l’État ; il faut en envisager l’extension aux entreprises de transport routier de voyageurs et aux entreprises autoroutières. Reste à déterminer comment répartir équitablement cette cotisation entre l’ensemble des acteurs. C’est pourquoi nous avons déposé l’amendement SPE1673, auquel nous espérons que M. le ministre ne sera pas totalement opposé.

M. Jean-Louis Roumegas. Monsieur le ministre, le principe que nous proposons d’inscrire dans la loi implique, bien entendu, de modifier le prochain projet de loi de finances, mais il serait bon de le faire figurer dans le texte. Cette mesure de justice va dans le même sens que celle que propose notre rapporteur. Nos deux amendements ne me semblent pas contradictoires, mais complémentaires ; vous devez donc soit rejeter, soit soutenir les deux à la fois.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Monsieur Jean-Louis Roumegas, nos amendements seraient redondants si vous n’aviez pas oublié de faire contribuer les sociétés d’autoroute. L’amendement SPE1673 me semble donc plus complet, dans la mesure où la loi propose de confier la régulation du secteur autoroutier à l’ARAFER. Vous devriez retirer votre amendement pour vous ranger au mien.

La Commission rejette l’amendement SPE1308.

Elle aborde l’amendement SPE1269 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Afin de tirer les conséquences de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, cet amendement propose d’éviter la discontinuité dans l’autorité de la présidence de l’ARAFER en prévoyant qu’en cas d’empêchement les fonctions du président soient provisoirement exercées par le vice-président le plus anciennement nommé.

M. le ministre. Favorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Favorable également.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement SPE1673 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Nous proposons qu’à compter du 1er janvier 2016 un droit fixe dû par les entreprises de transport public routier de personnes et par les concessionnaires d’autoroute alimente le budget de l’ARAFER.

M. le ministre. Je partage votre avis : les missions nouvelles de l’ARAFER exigent que son financement ne soit plus assuré uniquement par le secteur ferroviaire. Mais la cohérence du débat budgétaire justifie de reporter cette discussion à l’examen du projet de loi de finances initial pour 2016 qui interviendra alors que les nouvelles compétences de l’ARAFER ne seront pas encore entrées en vigueur. Ma position est donc la même sur cet amendement que sur celui qui a été défendu par M. Jean-Louis Roumegas : j’en suggère le retrait.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Bercy pensait pouvoir se satisfaire de la situation actuelle : prélèvement d’un droit fixe sur le ferroviaire et ajustement éventuel par le budget de l’État. Une telle organisation créerait pourtant une insécurité pour l’autorité régulatrice et une pression inutile sur le budget de l’État. Il serait illégitime et contraire au principe d’équité et d’égalité qu’un seul des ressortissants de ce régulateur en assure le fonctionnement. Seul un empêchement rédhibitoire pourrait nous amener à revoir notre position.

M. le rapporteur général. Avis favorable.

M. Hervé Mariton. Le ministre devrait s’opposer plus fermement à cet amendement qui, s’il était adopté, impliquerait l’instauration d’un nouvel impôt – mesure contraire aux engagements pris par l’exécutif.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, quels arguments vous permettent de considérer que financer l’ARAFER par un prélèvement supplémentaire sur le secteur économique ne s’oppose pas à l’engagement pris par le Président de la République devant les Français il y a quelques semaines ?

M. le président François Brottes. Vous êtes donc d’accord pour que seul le secteur ferroviaire alimente le budget de cette instance ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Non : je demande comment le Gouvernement entend financer ses nouvelles activités sinon en instaurant un nouveau prélèvement, contrairement à ses engagements.

M. Gilles Carrez. Si la mesure doit déboucher sur un impôt supplémentaire – quitte à l’appeler droit fixe –, mieux vaut encore la placer ici que dans la loi de finances pour 2016.

M. Jean-Yves Caullet. Il s’agit de répartir une contribution et non d’en créer une nouvelle. On ne peut pas non plus préjuger que le montant global en serait augmenté.

M. Jean-Louis Roumegas. Si cet amendement est adopté, le Gouvernement ne fait pas nécessairement une bonne affaire. En effet, nous posions un principe général dont les modalités pouvaient ensuite être largement discutées d’ici la loi de finances ; au contraire, M. Gilles Savary propose une disposition plus précise qui laisse moins de place au débat. Néanmoins, nous soutiendrons son amendement, par souci de cohérence.

M. le ministre. Je réitère mon invitation à retirer cet amendement, pour des raisons déjà évoquées. La formulation actuelle des contrats permettrait aux concessionnaires d’autoroute de répercuter ce droit fixe ; il serait plus cohérent et plus protecteur de clore le débat sur ce secteur d’activité avant d’envisager le principe d’un droit fixe. Monsieur Jean-Frédéric Poisson, le Gouvernement entend bien tenir les engagements présidentiels : comme l’a rappelé M. Jean-Yves Caullet, il ne s’agirait que de reventiler des prélèvements existants entre différents acteurs pour que tous les secteurs soient mis à contribution. Mais compte tenu de la complexité technique du sujet et du débat en cours avec les sociétés concessionnaires d’autoroute, je suggère d’attendre la discussion budgétaire.

M. Jean-Paul Chanteguet. Monsieur le ministre, vous suggérez donc de reporter la décision au débat sur la loi de finances pour 2016 afin d’attendre la fin des discussions avec les sociétés concessionnaires d’autoroute ?

M. Hervé Mariton. L’exposé sommaire mentionne un accroissement des ressources financières de l’ARAF ; l’amendement ne propose donc pas une reventilation, mais bien une augmentation de la dépense publique via une augmentation d’impôts. Pouvez-vous éclairer les membres de la Commission sur ce point ?

M. Olivier Faure. Des discussions, vous l’avez dit, sont en cours avec les concessionnaires autoroutiers : c’est un argument que nous avons déjà entendu, notamment lors de la discussion du projet de loi de finances. Nous sommes prêts à suivre le Gouvernement, et l’intérêt de tous est que ces discussions aboutissent pour permettre au contribuable de retrouver son argent, sans déstabiliser des entreprises qui sont utiles au pays. Encore faudrait-il que nous n’entendions pas, semaine après semaine, que les négociations sont en cours – nous avions même adopté, dans la loi de finances rectificative, le principe d’un débat au Parlement avant le 31 décembre 2014 !

D’ici à la séance publique, le Gouvernement pourra-t-il nous dire où en sont les discussions avec les sociétés d’autoroutes, afin de permettre à chacun de se déterminer ?

M. le ministre. Le Premier ministre a écrit au président Jean-Paul Chanteguet, le 31 décembre dernier.

M. Gilles Carrez. C’est assez tardif !

M. le ministre. Des négociations ont eu lieu entre le Gouvernement et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, pour apporter une solution aux problèmes soulevés par l’Autorité de la concurrence et par la Cour des comptes, mais aussi pour répondre au rapport parlementaire remis au Premier ministre quelques semaines plus tôt.

Le souhait du Premier ministre est qu’une discussion avec les parlementaires ait lieu avant toute décision, sur la base des accords tels qu’ils sont en train d’être formalisés, et qu’il soit possible d’amender le texte en prenant en considération l’ensemble du travail mené sur ce sujet. Nous nous en tenons à ce calendrier. Mais nous aurons du mal à y parvenir avant la discussion en séance publique.

J’appelle également votre attention sur le fait que l’économie des contrats existants permet aux sociétés d’autoroutes de répercuter un prélèvement sur l’usager. Si j’adhère à l’esprit de ces amendements, je suis donc réservé sur l’inscription, dans la loi, d’un droit fixe, du moins tant que le cadre juridique n’a pas été revu.

Je renouvelle ma demande de retrait de cet amendement.

M. Jean-Yves Caullet. Si j’ai bien compris, la volonté du Gouvernement est bien que l’ensemble de ceux qui seront concernés par la future ARAFER contribuent à son budget, afin d’éviter toute distorsion. Les sociétés d’autoroutes seront donc, d’une façon ou d’une autre, incluses. Dès lors que le Gouvernement s’y engage, l’argument de la difficulté de calendrier me semble recevable.

M. le ministre. C’est tout à fait cela.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Une immense compassion pour les sociétés d’autoroutes s’est exprimée ; mais, après avoir mis le nez dans ce dossier avec M. Jean-Paul Chanteguet, je suis en mesure de vous affirmer que le droit fixe ne leur ferait guère de mal.

Il s’agit en fait, vous l’avez compris, d’étendre une cotisation à deux secteurs nouveaux. Faire croire aux Français que c’est là une augmentation d’impôts serait de la mauvaise polémique politicienne : on augmente la cotisation au budget d’un organe de gouvernance !

M. Hervé Mariton. Vous parlez vous-même d’accroissement des ressources !

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. C’est une cotisation, et non un impôt général, vous le comprenez très bien.

J’accepte de retirer l’amendement pour attendre la suite des travaux sur le sujet. Mais je souligne que nous sommes tous d’accord aujourd’hui pour étendre les compétences de l’ARAF, et j’ajoute que la nouvelle Autorité sera beaucoup plus sollicitée qu’elle ne l’était sur les questions ferroviaires : d’une certaine façon, l’ARAF est un prototype, puisque c’est un outil de régulation de la concurrence dans un domaine où il y a peu de concurrence. Avec les cars, il y aura au contraire beaucoup de travail. La question de son budget reviendra donc très vite.

M. le rapporteur général. Il est nécessaire de régler la question des ressources de l’ARAFER de façon équitable. Le Gouvernement ayant pris l’engagement de répondre en séance publique aux questions posées, nous en prenons bonne note, et nous retirons l’amendement.

L’amendement SPE1673 est retiré.

La Commission adopte les amendements rédactionnels du rapporteur général et des rapporteurs thématiques SPE504, SPE43, SPE44 et SPE505.

Elle se saisit ensuite de l’amendement SPE493 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

M. le rapporteur général. Cet amendement vise à combler un manque en étendant le dispositif des sanctions administratives appliqué dans le domaine ferroviaire aux autres secteurs régulés : il ne peut pas y avoir de régulation sans système de sanction.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE45 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Elle adopte l’article 1er ainsi modifié.

*

* *

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement SPE1333 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Cet amendement vise à associer les usagers des transports aux orientations et décisions de l’ARAFER. Cela permettrait de connaître leur avis, d’entendre leurs demandes... Souvent, l’absence de représentation des usagers et donc de concertation avec eux conduit à des malentendus, voire à des dysfonctionnements.

M. le ministre. Le Gouvernement est évidemment favorable à la consultation des associations de consommateurs et d’usagers. Elles sont aujourd’hui associées aux réflexions des pouvoirs publics, et elles continueront de l’être, le Gouvernement s’y engage.

En revanche, nous ne sommes pas favorables à une remise en cause des équilibres du collège de l’ARAFER tels qu’ils apparaissent dans le projet de loi ; en particulier, nous ne souhaitons pas augmenter sa taille. Avis défavorable.

Mme Michèle Bonneton. De quelle façon les associations seront-elles consultées ?

M. le ministre. Elles le sont d’ores et déjà régulièrement par le ministère des transports, dans le cadre de comités ad hoc. Les orientations politiques de l’ARAFER seront discutées de cette façon : le ministère des transports s’est engagé à ce que les orientations données à l’ARAFER y soient débattues.

Mme Michèle Bonneton. Il me semble que ce n’est pas tout à fait la même chose que d’être directement associé à l’ARAFER !

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je suis également défavorable à l’amendement. Il faut bien comprendre ce qu’est un régulateur : en France, nous n’avons pas l’habitude de ce type d’autorités indépendantes, quasiment judiciaires – l’ARAFER disposera d’une chambre de règlement des différends et d’une commission des sanctions, composée de magistrats. Le conseil d’administration de SNCF Mobilités comprend des usagers, mais l’ARAFER n’est pas un conseil d’administration. Ce n’est pas non plus une instance socio-professionnelle consultative, à la différence du Conseil national des transports, qui comporte également des usagers. Le futur Haut Comité du transport ferroviaire les accueillera également.

Les usagers pourront être entendus par l’ARAFER, ou demander à l’être. Mais, au plan institutionnel, on ne peut pas envisager que des organisations de consommateurs appartiennent à une telle instance, qui a besoin de neutralité et de recul. C’est une révolution de notre mode de gouvernance : on passe du règne de la connivence et du conflit d’intérêts, y compris au cœur de l’État, à un plus grand contrôle par des autorités indépendantes – dont on constate déjà l’efficacité, par exemple lorsqu’elles font des remarques sur la gestion des autoroutes, puisque c’est bien l’Autorité de la concurrence qui a ouvert le débat sur le sujet.

M. Hervé Mariton. Je partage entièrement l’avis de notre collègue Gilles Savary, mais je ne comprends pas les propos du ministre : il a parlé, je crois, d’orientations données à l’ARAFER.

M. le ministre. Vous avez raison, il faut parler d’orientations politiques générales, et non d’orientations données à l’ARAFER.

M. le président François Brottes. La loi peut se permettre de donner des orientations et des objectifs aux autorités indépendantes.

La Commission rejette l’amendement SPE1333.

Elle se saisit alors de l’amendement SPE1334 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Cet amendement tend à assurer l’indépendance des membres de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières face aux pressions, toujours possibles, des groupes d’intérêts. Des suspicions pourraient naître si un ancien membre de l’ARAFER exerçait une activité professionnelle en relation avec les compétences de l’Autorité.

M. le ministre. Avis défavorable. Je suis sensible à votre souci de garantir l’indépendance des membres du collège. Toutefois, l’article L. 2132-8 du code des transports prévoit d’ores et déjà une période de viduité de trois ans. Cette durée nous paraît convenable au regard des règles habituelles en la matière : dix ans, ce serait excessif.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Même avis. La durée de trois ans est généralement admise dans l’Union européenne pour éviter le conflit d’intérêts et le favoritisme. Une durée de dix ans serait exorbitante : on ne peut pas condamner ainsi la vie professionnelle de quelqu’un – nous nous interdirions, en pratique, de recruter des gens compétents.

M. Julien Aubert. C’est vrai. J’ai été rapporteur de la commission de déontologie de la fonction publique : les règles d’interdiction professionnelle posent déjà de sérieux problèmes. Avec une limite de dix ans, plus aucun professionnel compétent n’acceptera de mettre les pieds à l’Autorité de régulation ! Il faut prêter attention à la question des conflits d’intérêts, mais sans bloquer les carrières. Ne prenons pas de mesures contreproductives.

L’amendement SPE1334 est retiré.

La Commission se saisit alors de l’amendement SPE1270 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Il s’agit d’un amendement d’appel – qui ne pourra pas être adopté en l’état, puisque je m’aperçois avec embarras qu’il comporte une énorme faute d’orthographe...

En matière d’information sur les possibilités de transport, le cas de la France est singulier : alors que la Deutsche Bahn, que Trenitalia, que les CFF suisses informent les usagers sur tous les modes de transport disponibles, afin de faciliter la mobilité, nous ne disposons d’aucun site de ce genre : « voyages-sncf.com » est, au sens de la loi, une agence de voyages, qui ne propose aucune information sur les offres des concurrents de la SNCF. On n’y dispose pas, par exemple, des horaires des trains de nuit entre Paris et l’Italie, ou des trains entre Marseille et Milan, qui sont exploités par d’autres que la SNCF. Pour se renseigner sur un voyage en France, la meilleure solution, c’est d’aller sur le site de la Deutsche Bahn !

Cet amendement vise donc à la mise en place d’une plateforme ouverte. La situation française est aberrante : notre système est phagocyté par des intérêts privés, au point qu’il indique souvent à l’usager l’itinéraire le plus long, de façon à le faire payer le plus cher possible – drôle de façon de lui dire merci.

M. le ministre. Le Gouvernement est favorable au développement de l’open data, pour les raisons que vous avez évoquées, et aussi pour favoriser le développement de l’utilisation en ligne de ces données.

Néanmoins, il nous faut nous montrer prudents. Dans le cadre de la préparation du projet de loi sur le numérique, des travaux sont en cours, notamment sur les conséquences d’une telle mesure pour la SNCF. Pour essayer d’ores et déjà d’avancer dans votre sens, je vous propose de rectifier votre amendement en ajoutant, à l’alinéa 3, le mot « conventionnés » après les mots « l’ensemble des modes de transport public de voyageurs ». Ce serait un début.

M. le président François Brottes. Si je puis me permettre, il serait sans doute plus facile – dans la mesure où il présente des problèmes de rédaction – que l’amendement soit retiré pour être réécrit, puis déposé à nouveau en vue de la séance publique.

M. Joël Giraud. Je me réjouis de la prise en considération par le Gouvernement de cette particularité française qui entrave largement la mobilité. Je me conformerai à vos conseils, monsieur le président.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je soutiens la proposition de notre collègue Joël Giraud. L’open data existe maintenant dans le domaine des taxis ; il est temps de faire la même chose pour le secteur ferroviaire, au vu de la masse de données dont la SNCF dispose et qui pourraient améliorer la situation des usagers. Sur la méthode, je me range à l’avis de M. le ministre.

L’amendement SPE1270 est retiré.

L’amendement SPE1271 de M. Joël Giraud est également retiré.

Article 2
(art. L. 3111-17 à L. 3111-25 [nouveaux] du code des transports)

Transport public routier de personnes : libéralisation des services de transport par autocar

I. L’ÉTAT DU DROIT

A.  LA RÉGLEMENTATION APPLICABLE À TOUS LES SERVICES D’AUTOCAR

Les entreprises de transport régulier par autocar sont soumises à une réglementation spécifique en matière de matériel roulant, de sécurité, de vitesses autorisées, de droits des voyageurs et de droit du travail. Ces règles sont, pour la plupart, issues de directives et règlements de l’Union européenne (65).

L’arrêté du 2 juillet 1982 relatif au transport en commun de personnes définit les autocars comme des véhicules à moteurs conçus et aménagés pour le transport en commun de personnes principalement assises. Ils se distinguent des autobus, conçus et aménagés pour être exploités principalement en agglomération avec des arrêts fréquents.

L’article L. 3411-1 du code des transports conditionne l’exercice des activités de transport routier de personnes à la détention d’une licence communautaire (ou d’une licence de transport intérieur pour les véhicules de moins de 10 passagers), établie au nom de l’entreprise et incessible. Les conditions de délivrance de ces licences par les préfets de région sont définies par le décret n° 85-891 du 16 août 1985 (contrôle du respect des exigences d’établissement, d’honorabilité professionnelle, de capacité financière et de capacité professionnelle).

Le code de la route impose diverses limitations de vitesse aux véhicules de transport en commun de personnes (90 km/h hors agglomération, 100 km/h sur les autoroutes et voies rapides à certaines conditions, 70 km/h pour les autobus et autocars avec passagers debout).

Les droits des voyageurs découlent notamment du règlement (UE) n° 181/2011 du 16 février 2011 concernant les droits des passagers dans le transport par autobus et autocar, et de ses mesures d’application adoptées dans le cadre de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports. Cette réglementation impose notamment :

– pour tous les services : la non-discrimination en fonction de la nationalité (conditions contractuelles et tarifaires), le traitement
non-discriminatoire des personnes handicapées et à mobilité réduite, le droit à l’information, et des mécanismes de traitement des plaintes ;

– pour les services « longue distance », définis comme les trajets de plus de 250 kilomètres : la fourniture d’une aide appropriée en cas d’annulation ou de retard de plus de 90 minutes pour un voyage de plus de trois heures, des garanties de remboursement, de réacheminement ou d’indemnisation en cas de surréservation, d’annulation ou de retard au départ, une assistance spécifique gratuite pour les personnes handicapées dans les stations et à bord des autocars…

Enfin, en matière sociale, les autocaristes sont soumis à un ensemble de règles concernant notamment la durée du travail, l’amplitude des journées de travail, les durées de conduite maximales et les repos des conducteurs.

B.  LA RÉGLEMENTATION APPLICABLE AUX SERVICES DE TRANSPORT INTERRÉGIONAUX PAR AUTOCAR

1.  La situation avant 2011

Jusqu’en 2011, les seuls services interrégionaux de transport par autocar qu’il était possible d’exploiter en France étaient des services conventionnés par les autorités organisatrices de transport (AOT). Il pouvait s’agir :

– de liaisons interrégionales mises en place par des régions ou des départements en application des articles L. 3111-1 et L. 3111-2 du code des transports,

– de liaisons organisées en substitution de trains TER desservant des régions limitrophes (par convention passée entre les deux régions concernées, en application de l’article L. 2121-6 du code des transports),

– ou de lignes interrégionales dites « d’intérêt national », en application de l’article L. 3111-3, pour lesquelles l’État autorité organisatrice concluait des délégations au bénéfice d’autres AOT ; à ce jour, seules trois lignes d’intérêt national existent (deux liaisons entre la Picardie et l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et une liaison entre Paris et l’aéroport de Beauvais).

2.  L’introduction du cabotage routier

La possibilité d’exploiter, sur le territoire français, des services interrégionaux non conventionnés de transport par autocar n’a été introduite que dans le cadre du cabotage sur lignes internationales routières :

Le règlement (CE) n° 1073/2009 du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché international des services de transport par autocars et autobus a opéré l’ouverture au cabotage du marché européen du transport routier régulier de voyageurs. L’article 2 de ce règlement définit le cabotage comme « la prise en charge et la dépose de voyageurs dans un même État membre au cours d’un service régulier international (…) pour autant que ladite prise en charge et dépose ne constitue pas l’objet principal du service. »

Pour l’application de ce règlement, la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports (article 38) dispose que « l’État peut autoriser, pour une durée déterminée, les entreprises de transport public routier de personnes à assurer des dessertes intérieures régulières d’intérêt national, à l’occasion d’un service régulier de transport routier international de voyageurs, à condition que l’objet principal de ce service soit le transport de voyageurs entre des arrêts situés dans des États différents. L’État peut limiter ou, le cas échéant, interdire ces dessertes intérieures si la condition précitée n’est pas remplie ou si leur existence compromet l’équilibre économique d’un contrat de service public de transport de personnes. Il peut être saisi à cette fin par une collectivité intéressée. » Cette disposition a été codifiée à l’article L. 3421-2 du code des transports : c’est elle qui ouvre depuis 2011 la possibilité d’effectuer des transports de personnes par autocar entre deux points du territoire national dans le cadre d’un service international régulier.

Les services de cabotage sont autorisés en deux étapes : tout d’abord, les services internationaux dont ils sont l’accessoire doivent obtenir une autorisation préalable (dont la durée maximale est de 5 ans) de l’État d’établissement, qui relaye la demande aux autres États membres desservis ou traversés (ceux-ci ayant un délai de deux mois pour donner leur accord ou émettre un refus motivé). La procédure aboutit à la délivrance d’une licence communautaire et d’une autorisation de transport régulier international de voyageurs, sans lesquelles il n’est pas possible pour le transporteur de demander une autorisation de cabotage national selon la procédure définie par l’article L. 3421-2. La durée de l’autorisation de cabotage national ne peut d’ailleurs pas être plus longue que celle restant à courir pour l’autorisation de transport international à laquelle elle se rattache.

Le cabotage est ainsi autorisé sous réserve que l’objet principal du service soit un transport international entre différents États membres de l’UE, et sous réserve que l’existence de dessertes régulières intérieures ainsi opérées ne compromette pas l’équilibre économique d’un contrat de service public de transport de personnes. Dans ce cadre, les dessertes infrarégionales sont interdites.

On peut noter que le droit communautaire a, comme pour le transport routier, libéralisé les transports ferroviaires internationaux de voyageurs avec possibilité de cabotage, mais que le régime du cabotage ferroviaire est très différent des règles applicables au cabotage routier : les liaisons ferroviaires infrarégionales sont permises ; l’opérateur n’est pas soumis à un dispositif d’autorisation administrative spécifique à la liaison nationale ; et l’analyse de l’impact économique est effectuée non pas par les services de l’État mais par une autorité de régulation indépendantes : l’ARAF.

3.  Les conditions et modalités de délivrance des autorisations de cabotage routier

Elles sont définies par le décret n° 2010-1388 du 12 novembre 2010 :

a.  Les conditions cumulatives à remplir

– la desserte intérieure doit emprunter le même itinéraire et les mêmes points d’arrêt que ceux du service international auquel elle se rattache ;

– entre deux arrêts quelconques du territoire national desservis par ce service, le nombre de voyageurs sur la desserte intérieure doit être inférieur à 50 % du nombre total de voyageurs transportés par ce service entre ces deux points (cette proportion étant appréciée sur un an) ;

– le chiffre d’affaires annuel de l’ensemble des dessertes intérieures doit être inférieur à 50 % du chiffre d’affaires provenant du service de transport réalisé sur le territoire national ;

– la desserte intérieure ne compromet pas l’équilibre d’un contrat de service public de transport (routier ou ferroviaire) ;

– chaque desserte doit concerner au moins deux régions (interdiction d’effectuer plusieurs arrêts dans une même région) ; il convient de noter que cette condition ne figure pas dans le règlement européen de 2009, ce qui pose la question de sa conformité au droit communautaire, et pose problème en regard de la nouvelle taille des régions.

b.  La procédure d’autorisation

Un transporteur qui veut exploiter des dessertes intérieures en cabotage adresse sa demande à la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) du ministère des transports. Ces services dressent la liste des AOT régionales et départementales concernées par les dessertes souhaitées, et adressent une demande d’avis à chacune de ces AOT sur l’impact de ces dessertes sur les services existants ou en projet relevant de leurs compétences. D’autre part, ces services examinent l’impact que pourraient avoir ces dessertes sur les lignes ferroviaires d’équilibre du territoire (Intercités), dont l’État est l’AOT.

Les AOT régionales et départementales concernées (y compris, en
Île-de-France, le STIF) ont deux mois, à compter de leur saisine, pour émettre un avis motivé sur l’impact éventuel des dessertes envisagées sur l’équilibre économique de leurs contrats de service public existants ou en projet. L’absence de réponse de leur part vaut avis favorable.

L’État dispose d’un délai global de trois mois pour délivrer ou refuser l’autorisation demandée.

Dans son avis n° 14-A-05 du 27 février 2014 relatif au fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier par autocar, l’Autorité de la concurrence indique que la mise en œuvre du contrôle opéré dans le cadre de la procédure d’autorisation des dessertes intérieures de cabotage génère « des critiques unanimes de la part des acteurs concernés », liées notamment aux délais d’instruction des demandes d’autorisation internationale puis nationale, (les délais fixés par les textes étant en pratique fréquemment dépassés) et aux modalités d’analyse du critère de l’atteinte à l’équilibre économique des transports conventionnés.

II.  LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

A.  LES OBJECTIFS POURSUIVIS

L’objet de la réforme proposée est de permettre à des entreprises de pouvoir, de leur propre initiative, assurer des dessertes entre villes françaises, tout en donnant une priorité aux services de transport actuellement organisés par les pouvoirs publics dans le cadre de contrats de service public.

L’ouverture du marché des lignes nationales hors du cadre du cabotage vise, d’une part, à augmenter la part modale des transports collectifs par rapport à celle des véhicules individuels sur la route, et, d’autre part, à contribuer à une véritable complémentarité entre l’offre privée et les services publics existants en renforçant la mobilité :

– sur les grands axes nationaux déjà desservis par le rail mais sur lesquels une offre alternative de transport moins onéreuse que le TGV (même si le temps de parcours sera nettement plus long) correspond à un réel besoin ;

– entre des villes actuellement peu ou mal desservies par le rail ;

– des classes moyennes et des classes moins favorisées, notamment des jeunes et des personnes âgées ;

– par une diversification des horaires de transport proposés, notamment par un développement du transport de nuit.

B.  LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le périmètre de l’ouverture du marché est l’ensemble des liaisons interurbaines, c’est-à-dire l’ensemble des liaisons nationales à l’exception de celles situées à l’intérieur d’un périmètre de transport urbain (nouvel article L. 3111-17 du code des transports).

Le dispositif proposé consiste à permettre à toute entreprise de transport routier de personnes inscrite au registre national des transports d’ouvrir, sans autorisation, un service régulier interurbain. Les détenteurs d’une licence communautaire pourront, dans le cadre du cabotage, opérer les mêmes liaisons que les détenteurs d’une licence nationale et selon les mêmes modalités que ceux-ci (sous réserve, donc, que ces liaisons nationales restent accessoires par rapport au service international).

Un régime d’opposition - à l’initiative des AOT - viendra limiter cette liberté mais avec comme unique motif la préservation de l’équilibre économique d’un contrat de service public conclu par lesdites AOT et qui pourrait être affecté par une concurrence frontale de services privés. L’étude d’impact accompagnant le projet de loi indique que les entreprises ayant conclu de telles conventions avec des AOT ne seront affectées que si une AOT décide de ne pas faire usage de son droit d’opposition, et que, si elle le fait, il lui appartiendra, conformément aux clauses du contrat, d’indemniser les entreprises (compensation).

Les interdictions correspondantes seront prononcées après avis conforme d’une autorité indépendante, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER – voir l’article premier du projet de loi), avec un recours contentieux possible devant le juge administratif.

Ce régime est similaire à celui du cabotage ferroviaire, l’ARAF menant d’ores et déjà des tests économiques d’atteinte à l’équilibre d’un service public dans ce cadre.

Afin de prendre en compte la spécificité de l’Île-de-France, au sein de laquelle la notion de « service de transport interurbain » n’est pas pertinente du fait de l’absence de périmètres de transport urbain, il est proposé de fixer par décret un seuil kilométrique au-delà duquel les liaisons seront ouvertes à la concurrence (nouvel article L. 3111-19 du code des transports). L’étude d’impact qui accompagne le projet de loi précise que cette distance pourrait être de 50 kilomètres.

Le périmètre de protection des services publics de transport assurés - directement ou par délégation - par les différentes AOT est limité aux dessertes infrarégionales (II du nouvel article L. 3111-17).

La procédure envisagée est la suivante (nouveaux articles L. 3111-17 et L. 3111-18) :

– une entreprise ouvre une ligne de transport régulier non urbain ;

– s’il s’agit d’une liaison infrarégionale sur laquelle une AOT assure déjà un service de transport régulier de personnes sans correspondance, cette AOT peut décider d’interdire ou de limiter le service proposé par l’entreprise au motif que celui-ci porte « une atteinte substantielle à l’équilibre du service public » ;

– la décision d’interdiction ou de limitation nécessite l’avis conforme de l’ARAFER et est rendue publique ;

– l’entreprise ou les AOT concernées peuvent saisir l’ARAFER – qui peut également se saisir de sa propre initiative – afin qu’elle se prononce sur les conditions dans lesquelles un service privé infrarégional peut être assuré sans porter une atteinte substantielle au service public ; dans ce cas, l’ARAFER dispose d’un délai de quatre mois pour se prononcer ; la saisine comme ses propositions sont rendues publiques.

L’ARAFER établira chaque année un rapport sur les services de transport public routier de personnes librement organisés, pouvant comporter des recommandations, adressé au Gouvernement et au Parlement, et rendu public (nouvel article L. 3111-21).

Les nouveaux articles L. 3111-22 et L. 3111-23 disposent que le contrôle de l’ARAFER à l’égard des entreprises du secteur s’exerce selon les mêmes modalités que le contrôle que l’ARAF exerce actuellement dans le secteur ferroviaire et qui sont définies par les articles L. 2135-1 à L. 2135-17 du code des transports (larges pouvoirs d’investigation, compétence de la commission des sanctions de l’Autorité pour prononcer des sanctions administratives, sanctions pénales lorsqu’il est fait obstacle aux investigations des agents de l’Autorité, possibilité de saisir l’Autorité de la concurrence…).

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le rapporteur thématique considère comme indispensable et urgente l’ouverture à la concurrence des liaisons par autocar sur le territoire national, compte tenu du fait que cette concurrence existe déjà dans les autres pays européens, et que l’objectif poursuivi est conforme aux exigences du développement durable : le développement du transport collectif routier va permettre un moindre usage de la voiture, et va répondre à des besoins de mobilité actuellement insatisfaits, notamment dans les zones dépourvues de liaisons ferroviaires. Cette libéralisation ne doit pas se faire au détriment des transports de service public existants, et les autorités organisatrices de transport doivent conserver le droit d’organiser des transports de service public là où l’initiative privée fera défaut.

Cependant, le rapporteur thématique a souhaité améliorer le dispositif de l’article 2 en ce qui concerne la procédure déclarative que devront respecter les entreprises de transport par autocar.

IV. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

À l’initiative des rapporteurs, la commission spéciale a adopté un amendement définissant la procédure déclarative pour l’ouverture de lignes d’autocars (nouveaux articles L. 3111-17 et L. 3111-18) :

Tout d’abord, baser sur un critère territorial (« infrarégional ») la définition du périmètre des services publics à préserver n’est plus pertinent, compte tenu des différences considérables de taille des régions dans la nouvelle carte des régions métropolitaines adoptée par le Parlement en décembre 2014. Le rapporteur thématique a proposé d’introduire un critère kilométrique, pour que la définition du périmètre des services publics pour lesquels il sera possible d’objecter à la création d’une ligne privée soit équitable entre les régions.

Toute entreprise souhaitant exploiter un service d’autocar sur une liaison d’une distance supérieure à 100 kilomètres pourra désormais le faire, sans aucune formalité préalable à accomplir.

Toute entreprise souhaitant exploiter un service d’autocar sur une distance inférieure ou égale à 100 kilomètres devra, en revanche, en faire la déclaration préalable. Le Rapporteur thématique avait initialement proposé que cette déclaration soit faite aux services du ministère des Transports (comme c’est actuellement le cas pour le cabotage), mais à la demande du Gouvernement il a été décidé que la déclaration serait adressée à l’ARAFER. Dès réception d’une telle déclaration, l’ARAFER devra en informer toutes les autorités organisatrices de transport dont le périmètre géographique est desservi ou traversé par le service déclaré. Ensuite, plusieurs cas de figure sont prévus :

1° Si, sur le trajet concerné, il existe déjà une ou plusieurs lignes d’autocars d’initiative privée non conventionnées, l’entreprise déclarante peut commencer à exploiter son service dès que sa déclaration est publiée ;

2° Si la liaison desservie par le service déclaré fait déjà l’objet d’un service public de transport conventionné organisé par une autorité organisatrice de transport (AOT), cette AOT a le droit de faire objection à l’ouverture de la ligne au titre de la préservation de l’équilibre économique du service public affecté, si elle estime qu’il y a « atteinte substantielle » à cet équilibre :

a) Si l’AOT décide d’interdire, ou de limiter (par exemple en modifiant le nombre d’arrêts sur la nouvelle ligne), le service déclaré par l’entreprise, elle ne peut le faire qu’avec un avis conforme de l’ARAFER. Pour cela, elle dispose de six semaines (à partir de la publication de la déclaration) pour saisir l’Autorité, en motivant sa saisine, et l’ARAFER a un délai de deux mois – qui peut être porté à trois mois si l’Autorité le demande en le motivant – pour se prononcer :

• Si l’ARAFER émet un avis favorable à l’interdiction ou à la limitation du service, l’AOT prend sa décision d’interdiction ou de limitation, en la publiant dans la semaine qui suit. S’il s’agit d’une interdiction, l’entreprise doit renoncer à commercialiser son service ; s’il s’agit d’une limitation, l’entreprise peut commercialiser son service à l’issue de ce délai d’une semaine, en se conformant à la limitation définie par l’AOT et l’ARAFER ;

• Si l’ARAFER ne donne pas son accord, l’AOT ne peut pas interdire ni limiter le service, et la commercialisation peut débuter ;

• Si l’ARAFER n’émet pas d’avis, l’AOT décide seule.

b) Si aucune AOT ne soulève d’objection, l’entreprise peut commencer à exploiter son service dès que le délai de six semaines permettant aux AOT de saisir l’ARAFER est écoulé.

Les saisines de l’ARAFER par les AOT et les avis de l’ARAFER sont motivés et publiés. Le pouvoir réglementaire définira les modalités d’application de l’ensemble de ces dispositions.

3° La spécificité de l’Île-de-France sera prise en compte comme le propose l’article 5 dans sa rédaction présentée par le projet de loi.

À l’initiative des rapporteurs, la commission spéciale a également adopté un amendement renforçant les pouvoirs de l’ARAFER en matière de recueil de données, afin de créer l’obligation, pour les entreprises assurant des services de transport par autocar, que ces services soient conventionnés ou non, les informations nécessaires à l’exercice de sa mission de régulation. Le manquement à cette obligation fait encourir les mêmes sanctions administratives que celles que l’ARAFER peut prononcer dans le secteur ferroviaire (nouvel article L. 3111-21-1).

La commission spéciale a ensuite adopté un amendement visant à ajouter, parmi les objectifs fixés à l’ARAFER par le projet de loi, le développement de l’intermodalité, notamment avec les modes de déplacement « doux » (nouvel article L. 3111-20).

Elle a enfin adopté plusieurs amendements rédactionnels.

*

* *

La Commission se saisit d’abord de l’amendement SPE1046 de M. André Chassaigne.

Mme Jacqueline Fraysse. Nous proposons de supprimer cet article 2. En effet, nous sommes opposés à l’amplification de la concurrence entre la route et le rail. La croissance du transport par la route que promeut le projet de loi est parfaitement contradictoire avec la défense, urgente et indispensable, de l’environnement, et en particulier avec la diminution de nos émissions de gaz à effet de serre.

De plus, ces dispositions vont accentuer la politique de délaissement du transport ferroviaire qui se met en place au détriment de l’intérêt général comme de l’intérêt des usagers : le transport par la route est moins sûr que le transport ferroviaire.

Il est exact que les tarifs des trains sont trop élevés pour beaucoup de nos concitoyens. Mais on peut s’étonner qu’aucune réflexion ne soit conduite pour les abaisser, ou à tout le moins pour les moduler dans certains cas.

M. le ministre. Je ne répèterai pas ici ce que j’ai dit lors de nos premiers échanges, mais je tiens à répondre aux arguments qui viennent d’être avancés.

L’idée que la route concurrence le rail est fausse, et c’est, historiquement, une erreur française : il y a plutôt une complémentarité des différents moyens de transport, et il faut donc plutôt organiser l’intermodalité. C’est l’une des faiblesses de notre organisation. Le transport par car ne se substituera que de façon très marginale, voire pas du tout, au transport ferroviaire : il se substituera à la voiture individuelle ou au covoiturage, et il permettra à certains, qui ne le pouvaient plus du tout, de se déplacer. In fine, le bilan carbone de ce développement du transport par car ne sera donc pas forcément mauvais.

Dans certains cas, le train, même subventionné, est devenu très peu rentable : lorsque l’on fait rouler, de façon plus souple qu’un train, un autocar, même à demi plein, le bilan carbone est meilleur que lorsqu’on fait rouler de manière régulière un train vide.

L’autocar se substituera aussi, je l’ai dit, à la voiture individuelle et au covoiturage, qui se développe massivement dans notre pays. Ce sera donc une façon d’industrialiser le covoiturage... Le bilan carbone du transport par car sera également meilleur que celui du covoiturage.

Enfin, nous offrons la possibilité à certains de nos concitoyens, qui ne peuvent pas du tout se déplacer aujourd’hui, de le faire. Je serais étonné, madame la députée, que vous préfériez un meilleur bilan carbone à l’impossibilité de déplacement pour les moins favorisés : c’est donc là, je crois, un bon point pour cette réforme.

Nous créons enfin un nouveau secteur d’activité, et donc des emplois.

L’avis du Gouvernement est défavorable.

M. le rapporteur général. Avis défavorable également. Supprimer cet article, ce serait refuser d’apporter des réponses aux problèmes de mobilité qui se posent aujourd’hui. Vos arguments, tant sur la concurrence que sur le bilan carbone, ne sont pas exacts, madame Jacqueline Fraysse. Loin de délaisser le train, nous voulons promouvoir un mode de transport complémentaire ; c’est une façon de renforcer l’offre, alors que la demande de mobilité augmente.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Vous contestez radicalement, madame Jacqueline Fraysse, la décision d’ouvrir un nouveau mode de transport, alors que la position de ferroviaire a été terriblement dégradée par notre volonté, jusqu’ici, de favoriser un seul mode de transport. Si nous n’avons pas de trains dans nos aéroports, c’est parce que nous avons été corporatistes ! Le fret ferroviaire s’écroule en France, par exemple pour desservir le port du Havre. L’Allemagne, à l’inverse, a toujours voulu être intermodale.

Le secteur ferroviaire aujourd’hui, c’est 13 milliards d’euros de subventions, 44 milliards d’euros de dettes ! Depuis dix ans que des politiques de transfert modal sont menées au niveau européen, notre répartition modale n’a pas bougé d’un iota. En revanche, la route a énormément progressé au plan environnemental, notamment grâce aux normes européennes : aujourd’hui, ses performances sont comparables à celles du train. Faut-il rappeler que 40 % des kilomètres parcourus en TER le sont sur des trains diesel ? L’autocar souffre la comparaison, et il est même plus vertueux.

Le train est très sûr, c’est vrai, à condition que nous remettions très vite notre réseau à niveau : n’oublions pas les heures noires que nous avons vécues. Mais le car est également très sûr, en tout cas beaucoup plus sûr que le covoiturage : les chauffeurs sont des professionnels et des règles sociales strictes s’appliquent, sur les temps de pause par exemple.

Nos présidents de région sont tous très attachés au chemin de fer, mais ils ont subrepticement amené jusqu’à 23 % la part des liaisons TER assurée par autocar. Le train coûte cher. Les budgets publics ne le supportent plus. Quant aux voyageurs qui utilisent le TER, ils le trouvent déjà trop cher, alors qu’ils ne payent que 28 % du coût réel.

Nous proposons donc simplement l’ouverture d’un mode de transport moins cher, pour des gens qui ne peuvent presque plus se déplacer, essentiellement sur de longues distances. Il faut simplement veiller à protéger les lignes du service public, ce qui est prévu par le projet de loi.

M. Jean-Yves Caullet. Le train transporte, vite et loin, des voyageurs nombreux. Mais, élu d’un territoire où les lignes de train sont peu nombreuses, je peux témoigner que la seule alternative aujourd’hui, c’est souvent la voiture individuelle. Le projet de loi nous offre l’ouverture d’un nouveau secteur, de façon régulée, afin d’éviter les concurrences mortifères. Il s’agit de créer du transport collectif, meilleur à tous points de vue que le transport individuel. Ces lignes pourraient, il faut le souligner, servir à rabattre des voyageurs vers d’autres modes de transport : la complémentarité est réelle.

M. Jean-Louis Roumegas. Le groupe écologiste n’a pas déposé d’amendement de suppression de cet article. Les risques qui viennent d’être soulignés nous paraissent toutefois bien réels : l’ouverture du secteur du fret a détruit le fret ferroviaire. Nous estimons donc qu’un encadrement strict de ces ouvertures de lignes de car doit être prévu, afin que la concurrence ne détruise pas le service public ferroviaire. Ces nouvelles lignes doivent notamment, à notre sens, proposer un service qui n’existe pas.

Vous mettez en avant l’idée que le car permettra à des publics nouveaux de se déplacer – les jeunes, les étudiants par exemple. Mais nous ne pouvons pas nous dispenser d’une réflexion sur les tarifs de la SNCF, qui viennent encore d’augmenter ! Pourquoi ne pas essayer de développer une offre tarifaire adaptée ? Diriger les plus défavorisés vers des solutions low cost n’est pas l’idéal : passer la nuit dans le car alors qu’il existe un TGV ne me paraît pas idéal. Nous déplorons profondément le développement d’un service public à deux vitesses.

Nous déciderons de notre vote à la fin du débat.

Mme Michèle Bonneton. J’approuve les propos de Jean-Louis Roumegas : l’ouverture du secteur du transport par car se justifie si elle permet de diminuer le nombre de trajets en voiture individuelle ; mais elle ne doit pas conduire à supprimer des lignes locales de train. Sur ces dernières, il y a, c’est vrai, beaucoup d’efforts à faire. Mais ces nouvelles dispositions ne doivent pas leur donner le coup de grâce : ce serait dramatique pour notre pays et pour la transition énergétique.

Mme Jacqueline Fraysse. J’écoute ces réponses avec beaucoup d’intérêt. Je maintiens l’amendement pour le moment.

L’amendement SPE1046 est rejeté.

La Commission examine ensuite les amendements SPE1322 de M. François-Michel Lambert et SPE1533 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

M. Denis Baupin. Le groupe écologiste ne considère pas l’autocar comme un mode de déplacement forcément anti-écologique : tout dépend des conditions dans lesquelles il est utilisé. La gouvernance du dispositif est donc essentielle.

Nous proposons de modifier le projet de loi pour ne pas laisser l’initiative entièrement au privé et mettre plutôt en place une organisation complémentaire des transports publics existants, notamment ferroviaires, donc une ouverture pilotée et régulée.

Il faut, cela a été dit, une cohérence entre train et car, celui-ci rabattant notamment les voyageurs sur les lignes de train. C’est un élément que nous mentionnons parmi les arguments qui doivent faire accepter, ou non, l’ouverture d’une ligne de car par l’autorité de régulation. Nous pensons également qu’il ne faut pas confier au privé les seules lignes rentables : il nous paraîtrait donc plus cohérent d’organiser l’ouverture du secteur du transport par autocar sous la forme de délégations de service public, afin d’attribuer aux entreprises à la fois des lignes rentables et des lignes moins rentables. Cela nous paraîtrait plus propre à assurer le maillage du territoire que l’ouverture d’une grande concurrence sur quelques itinéraires rentables – c’est l’un des risques de la rédaction actuelle du projet de loi.

Nous souhaitons également que les véhicules qui seront mis en service soient très performants d’un point de vue écologique. Ce doit être l’une des conditions de l’autorisation d’ouverture de ligne nouvelle. Il vaut mieux, c’est vrai, un car rempli qu’un train vide ; mais il vaut mieux un car peu polluant qu’un car diesel ancien.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Il est clair, monsieur Denis Baupin, que le texte doit proposer une gouvernance, notamment pour l’agrément des lignes, ou à tout le moins prévoir les modalités de leur déclaration.

La rédaction initiale prévoyait que les autorités organisatrices de transports pouvaient saisir l’ARAFER chaque fois qu’une nouvelle ligne risquait de porter une « atteinte essentielle » à l’économie d’une ligne de service public. Les autorités organisatrices concernées, je le souligne, sont nombreuses : régions, mais aussi départements pour les transports par bus interurbain... Nous proposons donc, par l’amendement SPE1533, un mode de déclaration d’ouverture rapide, simple, et propre à sécuriser le service public existant.

Ce projet de loi nous oblige à renverser entièrement nos perspectives intellectuelles : nous continuons aujourd’hui de privilégier le train à tout autre mode de transport, même lorsqu’il est extrêmement déficitaire. Notre sentiment est que, au regard de la conjoncture budgétaire, l’initiative publique trouverait intérêt à n’intervenir qu’en cas de défaillance de l’initiative privée. Oui, l’ouverture du transport par car provoquera des recompositions dans l’offre de transport ; mais cela permettra sans doute d’aller vers un optimum pour l’usager, avec des lignes de service public conventionnées, qui permettront de compenser des manques, avec des services privés parfois. Pour aller de Bordeaux à Lyon, aujourd’hui, il faut prendre l’avion : en train, il faut près de huit heures... Si une ligne privée d’autocar se crée et emprunte l’A89, dite « autoroute des présidents », qui est vide, cela ne pourra qu’améliorer la qualité de service, même si la réduction du temps de trajet n’est pas considérable.

Nous proposons de substituer au périmètre infrarégional prévu par le projet de loi – la taille des futures régions étant très variable, nous risquerions d’aboutir à des inégalités de traitement – un seuil de 100 kilomètres. Selon notre proposition, en deçà de cette distance, les nouvelles lignes font l’objet d’une déclaration auprès de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) du ministère de l’énergie et du développement durable, préalablement à leur ouverture. L’État informe alors l’ensemble des autorités organisatrices de transports concernées. Si celles-ci disposent d’une ligne de service public sur le parcours, elles peuvent saisir l’ARAFER, sous six semaines ; l’ARAFER étudie si l’atteinte substantielle est réelle et rend un avis conforme sous deux mois, ou trois si le dossier est complexe.

Laisser cette décision aux autorités organisatrices n’est pas raisonnable, car certains peuvent être hostiles au car par idéologie, et on aboutirait à des lignes en confettis...

Il ne s’agit pas, monsieur Denis Baupin, d’ouvrir des services conventionnés ; le système envisagé n’est pas celui de la délégation de service public. Il s’agit d’ouvrir un marché. Les autorités organisatrices continuent de pouvoir développer les services conventionnés de leur choix – bus ou train – et peuvent tout aussi bien choisir de ne pas en ouvrir, si l’initiative privée suffit à assurer, à des tarifs convenables, les liaisons nécessaires. Nous regardons seulement si les lignes privées nouvelles portent atteinte au service public existant.

Nous sommes défavorables, vous l’avez compris, à l’amendement SPE1322.

M. le ministre. Je commence par répondre aux arguments développés par M. Denis Baupin, dans cet amendement et d’autres qui lui sont liés.

La philosophie de l’amendement SPE1322 est celle d’une économie administrée. Ce n’est pas l’esprit du texte, même si certaines préoccupations nous sont communes et peuvent être prises en considération, notamment grâce à l’amendement SPE1533.

La limitation à un réseau préalablement défini par l’ARAFER ne nous paraît pas réaliste : notre territoire est vaste, et un tel schéma prédéfini deviendrait rapidement obsolète. Cela entrerait de surcroît en contradiction avec la philosophie du projet de loi. Il nous semble préférable d’essayer de corriger les dommages que l’ouverture de certaines lignes pourrait occasionner plutôt que de limiter les ouvertures en amont.

Quant à l’extension du régime de protection des services publics à toutes les liaisons, infra- et inter-régionales, il me semble qu’elle serait également excessive : nous nous condamnerions à ne changer la situation qu’à la marge. Le seuil kilométrique proposé par les rapporteurs nous paraît donc plus adapté, en tout cas nuirait moins au développement de cette activité que nous voulons créer.

Sur l’interdiction de certaines lignes par les autorités organisatrices pour des motifs non économiques – pour des raisons environnementales, de cohérence intermodale, d’égalité des territoires – je veux dire que l’offre d’autocar ne doit être encadrée a priori que si elle a des conséquences négatives pour un service public existant. C’est également ce que proposent les rapporteurs. La multiplication des critères serait source de complexité et nuirait à l’objectivité des décisions. C’est ce qui me gêne dans votre amendement, monsieur Denis Baupin, à vrai dire : la multiplication des contraintes a priori stériliserait le dispositif proposé.

Le développement d’une mobilité citoyenne respectueuse de l’environnement est une priorité du Gouvernement ; nous investissons d’ailleurs, dans le cadre des plans industriels, pour favoriser la recherche et développement, afin que les constructeurs proposent des autocars moins polluants. Je m’engage à aller plus loin encore dans cette direction.

De façon cohérente, la volonté du Gouvernement, je le répète, est bien de substituer du transport collectif à du transport individuel. Malgré l’excellence de notre système ferroviaire, la France est en retard sur ce point : la part cumulée des transports par train et autocar est de 15 % en France, contre 20 % en Espagne et près de 17 % en Italie. C’est dû au taux de remplissage décevant, hors TGV, de nos trains, et au faible développement des autocars. Le bilan carbone de ceux-ci, je le souligne aussi, n’est pas significativement différent de celui des TER notamment. Il serait donc illogique de prévoir une possible interdiction de cars sur la base d’un critère à l’aune duquel leur utilisation est plutôt positive, en particulier par rapport à l’automobile.

Il nous paraît pleinement justifié, monsieur Denis Baupin, de préciser que l’atteinte doit être substantielle ; il n’y a pas lieu de prohiber les initiatives privées dont l’impact sur le service public serait mineur, ce qui signalerait plutôt une bonne complémentarité entre public et privé. Les conséquences doivent être appréciées, à notre sens, dans leur globalité, et non pour la seule ligne concernée. Les contrats passés par les régions avec la SNCF couvrent de nombreuses lignes entre lesquelles il existe une péréquation. Sur ces deux points, l’amendement SPE1322 nous apparaît excessif.

S’agissant de l’avis de l’ARAFER, il nous semble, contrairement à vous, que l’avis conforme est un point essentiel, garant de la cohérence et de la sécurité juridique de la réforme. Il permettra l’harmonisation des pratiques régionales, et garantira donc l’égalité des territoires. Les régions et les autocars pourront aussi, sur la base de cet avis, éventuellement agir en justice.

Vous souhaitez un régime déclaratif en toutes circonstances. Je suis sensible à votre souci de clarté et de transparence, mais il ne faut pas multiplier les sources de complexité. Il nous paraît préférable de limiter le régime déclaratif au strict nécessaire. La solution proposée par l’amendement SPE1533, qui est de limiter ces déclarations aux liaisons courtes, nous paraît préférable.

Sur l’ouverture des données des sociétés d’autocars, qui rejoint une discussion que nous venons d’avoir, je redis que le Gouvernement est favorable au développement de l’accès libre aux données numériques. Le projet de loi sur le numérique engagera sur ce point des réformes substantielles ; Mme Axelle Lemaire et M. Thierry Mandon feront une large présentation de ce texte, qui fait l’objet d’une vaste concertation, dès cette semaine. Sur le thème précis des données numériques dans le secteur du transport, M. Alain Vidalies a confié un travail à M. Francis Jutand, membre du Conseil national du numérique. Ses conclusions sont attendues à la fin du mois de janvier et nourriront ledit projet de loi. Il nous paraît préférable, pour prendre des mesures, d’attendre d’avoir toutes les cartes en main. Mais la volonté du Gouvernement est bien de favoriser la plus grande ouverture possible des données, donc la transparence et in fine les usagers.

Les normes environnementales, enfin, doivent évidemment être respectées. Il nous paraît néanmoins difficile de faire apparaître ce point dans la loi : les normes d’émission sont harmonisées à l’échelle européenne ; nous risquerions de créer de l’insécurité juridique. Tout nouveau véhicule immatriculé – ce qui sera le cas des nouvelles flottes d’autocars qui vont se constituer – sera de toute façon obligatoirement conforme aux normes les plus récentes.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable à l’amendement SPE1322, même si nous comprenons certaines de vos préoccupations, auxquelles il nous semble que répond l’amendement qu’a présenté M. Gilles Savary.

La proposition de seuil kilométrique paraît effectivement permettre de mieux prendre en considération la réalité des services publics et de garantir la cohérence territoriale. Elle est très pertinente du point de vue de la concurrence potentielle entre le chemin de fer et la route. Le seuil de 100 kilomètres est d’ailleurs proche de ce qui se fait chez nos voisins, l’Allemagne en particulier ayant retenu comme seuil un trajet de moins d’une heure. Un seuil trop élevé briderait l’efficacité de la réforme et alourdirait la charge de travail de l’ARAFER, qui en serait moins efficace.

Cet amendement nous paraît aussi propre à améliorer le régime de déclaration. Je proposerai tout à l’heure, pour tenir compte sur un point précis des amendements SPE1317 de M. François-Michel Lambert et SPE920 de M. Philippe Vigier, un sous-amendement technique. Il nous paraît en tout cas judicieux de concentrer le régime déclaratif sur les liaisons courtes, ce qui correspond au périmètre des analyses d’impact de l’ARAFER.

Enfin, pour les nouvelles liaisons, il nous semble préférable que la déclaration soit faite directement à l’ARAFER. C’est un ajustement minime.

C’est pourquoi j’émets un avis favorable à l’amendement SPE1533.

M. le président François Brottes. Je regrette que l’on évoque peu, dans nos débats, le développement du covoiturage, et le succès phénoménal de Blablacar, par exemple.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. L’intérêt du seuil kilométrique est de permettre, sur une ligne de bus longue, de protéger le cabotage. Les régions pourront donc faire valoir l’existence d’une ligne de moins de 100 kilomètres qui pourrait être mise en danger par l’ouverture d’une ligne longue de 300 kilomètres. On pourra empêcher l’ouverture d’une ligne de car si tel ou tel point est déjà desservi, par un bus ou un train.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’ai précisé lors de la discussion générale que le groupe UMP s’opposerait à ce projet de loi, sans pour autant s’interdire d’en approuver certaines dispositions. Nous nous apprêtons, si les amendements ne le modifient pas de façon substantielle, à voter cet article : nous sommes favorables à l’ouverture du transport par car, qu’il vienne en substitution ou en complément du transport par train. Nous sommes aussi favorables à une régulation.

J’aimerais être certain que votre projet de loi tient compte de la situation spécifique de l’Île-de-France. Plusieurs élus franciliens dans cette salle connaissent les particularités franciliennes. L’expertise a-t-elle été conduite à son terme sur ce sujet ?

Plusieurs amendements font référence à des autorités organisatrices de transports. Mais j’appelle votre attention sur le fait que les transports à la demande, par exemple, ne sont pas codifiés. Or, certaines agglomérations ou communautés de communes se sont dotées de compétences dans le domaine du transport, et elles peuvent parfaitement passer avec des opérateurs privés de toutes sortes des conventions pour déployer, par exemple, des systèmes de transport à la demande qui entrent dans le champ défini ici, celui de « services réguliers non urbains ». Le projet de loi laisse de côté, je crois, le cas des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui ne sont pas encore autorités organisatrices de transports et qui, en Île-de-France par exemple, sont en relation tant avec le conseil régional qu’avec le Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF). Il n’est pas possible de laisser perdurer ce vide juridique, mais, si nous décidons de légiférer, il faudra veiller à maintenir toute la souplesse nécessaire et à laisser toute sa place à l’expérimentation.

M. Jean-Louis Bricout. En matière de mobilité, l’information numérique sur les transports joue un rôle essentiel. Il faudrait pouvoir l’intégrer dans l’un ou l’autre des amendements.

M. le président François Brottes. Monsieur Denis Baupin, je vous donnerai la parole en dernier, ce qui vous permettra de réagir aux propos du ministre mais aussi d’indiquer si vous retirez votre amendement au profit de celui du rapporteur.

M. Gilles Lurton. Si j’approuve l’amendement du rapporteur qui vise à mettre en place un régime déclaratif, je trouve que le seuil de 100 kilomètres est trop bas : compte tenu des propos entendus lors des auditions, je m’attendais plutôt à 150 ou 200 kilomètres.

M. Denis Baupin. Rassurez-vous, monsieur le président, je suis très favorable au covoiturage, et encore plus aux autocars bien remplis. Pour avoir mené à Paris une politique en faveur des autobus et du covoiturage, je pense que nous pouvons trouver un terrain d’entente. En revanche, je ne suis pas d’accord avec le ministre quand il explique que notre amendement plaide pour une forme d’économie administrée – ce qui, de sa part, ne ressemble pas à un compliment… En l’occurrence, nous défendons un service public des transports, orientation que nous n’avons pas intérêt à dénigrer.

Puisque les actuels usagers du train utiliseront aussi les futurs autocars, il faut une politique coordonnée en matière de tarification, d’information et d’horaires de correspondance, quels que soient les acteurs. C’est ce que font les autorités organisatrices, tel le STIF qui, en Île-de-France, est même passé à un tarif unique sur tout le territoire régional. La coordination entre ces différents modes de transport est essentielle, notamment pour les usagers, et nous aurions tort de penser que le libre marché apportera une réponse optimale.

Si le Gouvernement souhaite répondre aux besoins de mobilité tout en réduisant les impacts environnementaux des transports, il est contreproductif de refuser d’intégrer ce critère parmi ceux qui seront pris en compte par l’autorité de régulation. Il ne s’agit pas de considérer a priori que l’autocar sera est plus polluant que le rail. Pour ma part, je pense que cela dépend des conditions dans lesquelles on l’utilise. Et, inversement, si l’on pense que l’autocar est moins polluant dans tous les cas, pourquoi refuser de retenir ce critère ? De même, si le Gouvernement cherche à promouvoir les véhicules moins polluants, comme vous le prétendez, monsieur le ministre, pourquoi ne pas profiter de ce dispositif pour demander aux compagnies d’en utiliser ? Il serait pertinent d’imposer cette condition alors que nous sommes en train d’adopter la loi sur la transition énergétique et que nous nous préparons à accueillir la conférence sur le climat.

Monsieur le rapporteur, il ne nous avait pas échappé qu’il ne s’agit pas de délégation de service public, et c’est même ce qui nous incite à vouloir modifier la logique : il nous paraît pertinent de retenir celle qui prévaut pour les autorités organisatrices de transports (AOT), mais à l’échelle nationale. En l’absence d’AOT au niveau national, qui va organiser un dispositif cohérent avec celui du transport par rail ? Il faudrait une autorité organisatrice de transports intérieurs pour l’ensemble du territoire national. Peut-être pourra-t-on en créer une dans le cadre d’une nouvelle loi d’orientation pour les transports intérieurs ? Quoi qu’il en soit, ce genre d’autorité fait défaut à l’heure actuelle.

Nous maintenons cet amendement. Si nous voulons que le système d’autocars puisse répondre aux besoins de mobilité de nos concitoyens et aux enjeux de cohérence écologique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut qu’il soit plus organisé. L’amendement du rapporteur n’est pas satisfaisant car, passé le seuil des 100 kilomètres, il n’y a plus aucune régulation.

M. le président François Brottes. Si j’ai bien compris, le ministre suggérait au rapporteur de prendre en compte les remarques de nos collègues François-Michel Lambert et Philippe Vigier et de donner le rôle de régulateur à l’ARAFER. Monsieur le rapporteur, intégrez-vous ces suggestions dans votre amendement ?

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je n’y vois aucun inconvénient. Si l’État ne veut pas recevoir les déclarations lui-même, elles seront adressées à l’ARAFER qui a une vision globale et intermodale avec le ferroviaire. À cet égard, la parole du ministre a beaucoup plus d’autorité que la mienne.

Monsieur Jean-Frédéric Poisson, le seuil des 100 kilomètres peut être discuté et, en Île-de-France, il sera fixé par décret après avis de l’ARAFER. Refusant d’opposer le rail à la route, nous nous situons dans une approche de mobilité globale et intermodale. En Île-de-France, voulons-nous que des cars aillent directement de la grande périphérie aux aéroports ou aux gares sans passer par Paris ? Telle est la question.

Nous voulons améliorer les transports en comblant notre grand retard sur ces questions. Comment on y parvenir avec le plus de souplesse possible ? Un amendement à venir propose que ces nouvelles liaisons par car s’inscrivent résolument dans une approche intermodale, que les gares routières soient connectées aux gares maritimes, aux gares ferroviaires et aux aéroports. Nous voulons offrir un bouquet de mobilités aux usagers, sans chercher à protéger absolument un train qu’ils ne prennent pas au détriment d’un car qu’ils pourraient prendre. Le texte prévoit donc un régime un peu particulier pour l’Île-de-France.

En toute logique, monsieur Denis Baupin, vous auriez dû voter pour l’amendement de Mme Jacqueline Fraysse. Si nous accédons à votre demande de délégations de service public alors qu’elles ne sont interdites à aucune collectivité territoriale ou AOT, nous ne changeons pas de système : aucune ligne ne sera créée par un entrepreneur routier. C’est l’aboutissement de votre détour technique. Or nous voulons permettre à des entreprises d’ouvrir des lignes de cars dont nous verrons bien comment elles s’articuleront avec les lignes de service public. Il ne sera jamais interdit à une AOT de poursuivre l’exploitation de lignes de service public de cars ou de trains, ou même d’en créer de nouvelles. Quoi qu’il en soit, j’accepte la proposition du Gouvernement.

La Commission rejette l’amendement SPE1322.

M. le président François Brottes. L’amendement SPE1533 est modifié comme suit, à la demande du Gouvernement et avec l’accord du rapporteur thématique : à l’alinéa 3, les mots « autorité administrative de l’État » sont remplacés par les mots « Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières ».

La Commission adopte l’amendement SPE1533 ainsi rectifié.

En conséquence, les amendements SPE1047, SPE1311, SPE1307, SPE1310, SPE1323, SPE868, SPE1274, SPE271, SPE869, SPE1276, SPE872, SPE1278, SPE1277, SPE1313, SPE1314, SPE875, SPE1295, SPE876, SPE1048, SPE1049, SPE1315, SPE1275, SPE1050, SPE270, SPE1268, SPE920, SPE1317, SPE1316, SPE47, SPE1282, SPE1281, SPE1280, SPE69, SPE48, SPE1279, SPE923, SPE1283, SPE1284 tombent.

M. le ministre. Pour être complet, je souhaitais apporter une réponse complémentaire sur l’Île-de-France. Selon la philosophie de l’amendement des rapporteurs, l’ARAFER donnera son avis à partir d’un certain seuil kilométrique fixé par décret. Les modalités de régulation sont donc prévues et le STIF reste le seul opérateur des mobilités, conformément à la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Compte tenu de la cohérence d’ensemble du dispositif, le STIF restera l’AOT compétente : le texte actuel ne propose pas de constituer une AOT spécifique de la même façon que la loi sur les métropoles avait décidé que le STIF occuperait cette fonction.

M. Jean-Frédéric Poisson. En Île-de-France, il y a d’autres EPCI que la métropole de Paris. Celle-ci n’épuisera l’intégralité de la compétence en matière de transports ni sur le territoire régional ni sur le sien, en particulier quand il s’agit de transports ne dépendant pas du STIF. En dehors des transports scolaires et périurbains réguliers, le STIF n’a plus d’autre compétence que celle de décider de conduire tel ou tel projet. À ce moment-là, les EPCI qui ne sont pas AOT pourront prendre le relais pour déployer des systèmes alternatifs ou complémentaires. Je voudrais cependant être sûr que cette mécanique ne sera pas handicapée ou remise en cause par le présent texte.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE49 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

La Commission est saisie de l’amendement SPE1318 de M. François-Michel Lambert.

M. Denis Baupin. Les usagers des différents modes de transport sont les mêmes, et ils ont besoin d’informations coordonnées. Si nous voulons que nos concitoyens privilégient les transports collectifs, nous devons faire en sorte qu’ils aient accès à des informations fiables et cohérentes, qu’ils sachent à quoi s’en tenir en matière de mobilité quel que soit le mode de transport utilisé. Tel est l’objet de cet amendement.

M. le ministre. Monsieur Denis Baupin, je partage votre souci du service public tout en constatant qu’il ne s’étend pas à la totalité des transports et du territoire. Il faut lui trouver sa juste place.

Quant à cet amendement, il relève de la même philosophie que celui proposé par M. Joël Giraud sur la SNCF. Le Gouvernement est favorable au développement du partage d’informations en ligne mais considère que cette disposition doit être envisagée dans le cadre de la loi sur le numérique. Je vous propose deux solutions : retirer votre amendement pour que votre préoccupation soit prise en compte dans le cadre d’une ambition plus large sur le partage des données en ligne, c’est-à-dire dans le projet de loi sur le numérique ; le modifier pour remplacer les entreprises mentionnées au 1) de l’article L. 3111-17 par les « entreprises de transports publics de voyageurs conventionnées », ce qui en réduit le champ mais sécurise le dispositif.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement est extrêmement intéressant, mais il ne peut être dissocié de celui de notre collègue Joël Giraud. Je suggère donc que cette proposition soit, elle aussi, examinée lors du rendez-vous promis par le Gouvernement sur l’open data dans les transports. Le Gouvernement doit s’engager sur un projet de données ouvertes généralisé à tous les modes de transport : il serait paradoxal de l’exiger des autocaristes, à bon escient, et de le refuser pour la SNCF, qui est le plus gros producteur et détenteur de données des transports terrestres en France.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, êtes-vous sensible aux appels à la clarté du rapporteur ?

M. le ministre. J’y suis pleinement sensible. Parlant sous votre contrôle, monsieur le président, je propose de prendre le même engagement que précédemment pour l’amendement de M. Joël Giraud : sous-amender en séance et avoir une approche plus large dans le cadre du projet de loi sur le numérique, afin d’aller au-delà des transports conventionnés.

M. le président François Brottes. J’imagine, monsieur Denis Baupin, que vous retirez votre amendement ?

M. Denis Baupin. Non, mais je suis d’accord pour le modifier dans le sens proposé par le ministre. S’il propose de le sous-amender, c’est donc qu’il envisage de l’approuver, ce dont je le remercie… Ce qui sera acquis en commission permettra de faire avancer le débat en séance. Si nécessaire, il pourra toujours être amendé et complété en séance par le Gouvernement ou d’autres.

M. le président François Brottes. Il me semble que le rapporteur avait une objection de forme…

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. De fond ! Monsieur Denis Baupin, vous proposiez que les autocaristes mettent leurs données à disposition. Or, si j’ai bien compris, vous êtes maintenant d’accord pour ne le demander qu’aux entreprises d’autocars conventionnées. Pour ma part, je pense que la mesure doit s’appliquer aussi aux entreprises privées et à la SNCF. Pourquoi les entreprises conventionnées par les régions ou les départements devraient-elles fournir leurs données tandis que les futures lignes privées en seraient dispensées ? Je ne comprends pas votre position et, très amicalement, je me demande si vous mesurez bien la portée très restrictive de la proposition du ministre.

M. le président François Brottes. Je crains que le rapporteur n’ait raison.

M. Hervé Mariton. C’est l’occasion de reprendre le débat un peu avorté de tout à l’heure. Le rapporteur a absolument raison : le ministre invoque pudiquement la sécurité juridique, mais s’agit-il de cela ou de la protection des intérêts commerciaux de la SNCF ? Il faut ouvrir l’accès à l’ensemble des données et je ne vois pas ce qui pourrait y faire obstacle au nom de la sécurité juridique, qu’il y ait convention ou non, qu’il s’agisse du transport par autocar ou par train. On peut comprendre que la SNCF ne le souhaite pas pour ses activités concurrentielles, mais cela ne correspond pas nécessairement à l’intérêt général dont nous sommes garants.

M. le président François Brottes. Monsieur Denis Baupin, ce débat vous a-t-il convaincu de la nécessité d’approfondir le débat en séance pour n’oublier personne dans le dispositif ?

M. Denis Baupin. Oui, mais je note les différences d’appréciation très importantes entre le rapporteur et le ministre sur la politique d’open data.

M. le président François Brottes. Ce n’était pas ma question…

M. Denis Baupin. C’est important néanmoins car, comme le disait quelqu’un que vous connaissez bien, « quand il y a un flou, c’est qu’il y a un loup »... En renvoyant les questions à plus tard, on court le risque qu’elles ne soient pas tranchées dans le sens prévu par le rapporteur au moment où il attire notre attention. Je vais retirer mon amendement, mais en espérant qu’elles le seront en faveur des usagers, c’est-à-dire que l’obligation de communiquer les données concernera l’ensemble des acteurs du transport et de la mobilité.

L’amendement SPE1318 est retiré.

M. le président François Brottes. Certes, les débats doivent avancer le plus loin possible en commission mais, si nous risquons de ne pas être exhaustifs, il vaut mieux les reporter à la discussion en séance, qui n’est pas très éloignée. Monsieur le ministre, vous avez été interpellé. Peut-être souhaitez-vous répondre ?

M. le ministre. Soyez rassuré, monsieur Denis Baupin : il n’y pas ni flou, ni « loup », ni divergence entre le rapporteur et moi-même. Je partage sa préoccupation et je souhaite que nous mettions à profit les jours qui viennent pour présenter en séance les propositions les plus ambitieuses possible.

Monsieur Hervé Mariton, l’argument de sécurité juridique est valable pour les acteurs privés comme pour la SNCF, et les questions d’intérêt patrimonial se posent pour les uns comme pour les autres. Nos services doivent donc réaliser une véritable expertise. Ouvrir de manière excessive les données publiques pourrait conduire à une forme d’expropriation, alors que les investissements effectués justifieraient des indemnisations. À ce stade, c’est ce que nous voulons éviter.

Dans le domaine du transport ferroviaire de voyageurs, nombre de compétiteurs européens – en particulier la Deutsche Bahn – mettent en ligne beaucoup plus d’informations que la SNCF, comme l’a souligné M. Joël Giraud. Ma conviction personnelle est qu’il faut aller dans cette direction. Qu’il s’agisse du transport par autocar ou par train, je pense, comme le rapporteur Gilles Savary, que le développement de l’information en ligne permet d’accroître le service à l’usager et l’innovation dans le secteur. J’y suis favorable. Je n’ai pas de pudeur en la matière mais je pense qu’il faut prendre quelques précautions techniques. J’espère que nous pourrons lever les doutes dans le laps de temps qui nous sépare de la séance. En tout cas, je m’engage à apporter toutes les réponses utiles venant de mes services, de ceux de Mme Ségolène Royal ou de M. Alain Vidalies et des opérateurs concernés, afin que les propositions soient les plus ambitieuses possible.

M. Joël Giraud. Je voudrais souligner l’intérêt de la position du ministre. La SNCF, comme tous les opérateurs ferroviaires, déclare des horaires à l’Union internationale des chemins de fer. Dans ce système, certains comme la Deutsche Bahn jouent le jeu de la mobilité sur leur territoire de manière intelligente, tandis que d’autres, comme la SNCF, ne le font pas. Il en sera de même pour les futures lignes d’autocars. Une personne se rendant d’un point A à un point B doit savoir quels modes de transport sont à sa disposition, donc avoir accès à l’ensemble des données. Il faut retravailler ces amendements afin d’aboutir à un système ouvert où les informations ne relèveront pas du « confidentiel défense »…

M. Jean-Louis Bricout. Il serait bon de préciser aussi dans la loi que les données fournies par les opérateurs mentionnent si le trajet est accessible aux personnes en situation de handicap qui veulent emprunter différents types de transport.

M. le président François Brottes. La question de l’accessibilité est posée par les amendements qui suivent. Le rapporteur a bien compris qu’il devait travailler avec M. Denis Baupin et M. Joël Giraud sur les amendements qui viendront en séance.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements SPE1319 et SPE1320 de M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Le ministre et le rapporteur ont longuement parlé de rendre accessible la mobilité à ceux qui n’ont pas les moyens de se déplacer par le rail ou par la voiture. Encore faut-il que cet objectif soit atteint et que la politique tarifaire n’exclue pas toute une partie de la population.

L’amendement SPE1319 vise à ce que la politique tarifaire soit définie avec l’autorité régulatrice, qu’elle prévoie un quota minimum de billets à tarif largement inférieur à celui du transport ferroviaire et qu’elle favorise les personnes à mobilité réduite. Sur ce dernier point, j’adhère aux propos de notre collègue Jean-Louis Bricout.

Dans le cas, très hypothétique, où cet amendement ne serait pas adopté, notre amendement SPE1320 constitue une solution de repli, ne comportant pas de quota minimum de billets à tarif réduit.

M. le président François Brottes. Je me permets d’observer que les parlementaires n’ont pas forcément à voter des dispositions qui relèvent du décret… Pour modifier un chiffre qui figure une loi, il faut trouver, vous le savez très bien car vous êtes un parlementaire aguerri, un nouveau véhicule législatif, ce qui peut prendre trois ans !

M. le ministre. L’administration des prix prévue par le présent amendement entre en contradiction avec le principe d’ouverture du marché défendu par le projet de loi. En outre, elle soulève des difficultés juridiques car elle contraint le principe constitutionnel de liberté d’entreprendre, qui impose notamment que les restrictions tarifaires soient proportionnées à l’objectif poursuivi, ce qui ne paraît pas être le cas.

Il existe déjà des règles exigeantes en matière d’accessibilité, un principe de traitement non discriminatoire et, pour les trajets de longue distance, une assistance spécifique incluant la gratuité du transport pour les accompagnants nécessaires.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable à ces deux amendements. Je suis cependant sensible à la préoccupation – également exprimée par M. Jean-Louis Bricout – de mieux prendre en compte l’accessibilité. Peut-être devrait-on imposer, au minimum, la transparence des informations fournies aux usagers, afin que ceux en situation de handicap ne soient pas victimes de l’intermodalité à venir. Notre discussion, en tout cas, me conduit à vous inviter à travailler collectivement à améliorer le dispositif dans le sens de la transparence plutôt que dans celui de la modulation tarifaire.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Monsieur Denis Baupin, nous devons absolument réussir à nous placer en dehors du cadre du transport conventionné. Nous n’avons pas à contrôler les prix : les gens choisiront en fonction des prix et des services proposés. Vous avez raison d’être attaché au service public des transports, dont le rôle, défini dans un cahier des charges, est de répondre à des exigences spécifiques. Les départements et les régions disposeront encore de la faculté de créer des lignes de service public, en arguant du fait que le privé n’assure pas cette mission. C’est tout le sens du service public dans une économie de liberté, depuis la Révolution française. Il n’est pas plus question de fixer les prix des transports privés que celui des restaurants privés. En revanche, on fixe celui des cantines. Ces nouvelles lignes offriront de nouveaux services, dont certains seront utiles et d’autres non ; certains vivront et d’autres mourront.

S’agissant des personnes à mobilité réduite, les directives européennes qui encadrent les droits des passagers constituent des prescriptions pour l’ensemble des acteurs, qu’ils soient publics ou privés. La loi française peut les renforcer, mais nous ne pouvons pas ouvrir des services de bus hors norme, que ce soit en matière de motorisation ou d’accueil de publics fragiles. Avis défavorable.

M. Denis Baupin. Je n’ai toujours pas compris quelle était l’autorité organisatrice pour des liaisons comme Bordeaux-Lyon… Pour l’heure, il n’y en a pas, ni, par conséquent, de possibilité de délégation de service public. L’argument du rapporteur n’est valable que pour des trajets qui se situent à l’intérieur des régions et des départements, en vertu de dispositifs existants.

J’ai bien compris la logique sous-jacente, mais nous n’y adhérons pas : nous défendons une logique de transports collectifs de service public. Nous avons un problème de désaccord et non d’incompréhension. Nous craignons notamment que ces services d’autocars ne remplissent pas les objectifs de mobilité que nous voulons leur assigner, notamment en ce qui concerne la sobriété énergétique et l’accessibilité aux personnes les plus en difficulté – sans pour autant, je le répète, être opposés aux autocars.

S’agissant de l’argumentaire du ministre, je peux comprendre que la question de la proportionnalité des restrictions tarifaires aux objectifs poursuivis puisse être évoquée pour le premier amendement mais pas pour le second. Je maintiens donc ces amendements.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Monsieur Denis Baupin, vous n’avez pas de chance car il existe de nombreuses AOT sur la liaison
Bordeaux-Lyon : l’État pourrait faire un chemin de fer de qualité en investissant des milliards d’euros ; les régions Limousin et Auvergne, ainsi que les départements traversés, peuvent agir. Des services publics de bus ou de trains pourraient couvrir tout le trajet mais le service public est défaillant. Qui en sort gagnant ? Le covoiturage et les compagnies aériennes low cost. Le Bordelais que je suis, pour aller à Lyon, prend l’avion.

M. le ministre. Monsieur Denis Baupin, soyez pleinement rassuré : il existe une AOT qui s’appelle l’État ; la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) peut signer une délégation de service public pour l’ouverture d’une ligne.

La Commission rejette successivement les amendements SPE1319 et SPE1320.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE50 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Puis elle en vient à l’amendement SPE1321 de M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Cet amendement aurait pu aussi être défendu par M. Alexis Bachelay ou M. Philippe Goujon puisque nous y avons travaillé ensemble, en qualité de membres du Club des parlementaires pour le vélo. À la faveur de la création de services de transports publics supplémentaires, nous souhaitons que soit pensée l’intermodalité entre les autocars et les modes de déplacement doux. Nous présenterons d’autres amendements concernant les gares.

M. le président François Brottes. Comptez-vous le vélo électrique dans les modes de déplacement doux ?

M. Denis Baupin. Les vélos à assistance électrique – qui ne sont pas des scooters – peuvent être considérés comme tels.

M. le président François Brottes. Comme il y a des débats sur la puissance, je me permets de poser la question au spécialiste que vous êtes…

M. Denis Baupin. Je suis pour les vélos à assistance électrique, à condition que l’alimentation se fasse à partir d’énergies renouvelables.

M. le ministre. Le Gouvernement est favorable à une bonne prise en compte de l’utilisation du vélo, en particulier en lien avec les gares routières dont il sera question à l’article 4. Je n’ai pas d’opposition de fond à cet amendement, mais je suggère de le retirer pour le représenter à cet endroit du texte.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Nous devons penser à l’intermodalité en permanence, et dans tous les domaines de la mobilité. Je m’en remets à la sagesse de la Commission.

M. Jean-Yves Caullet. Il faut aussi prendre en compte cette problématique dans l’open data, pour qu’il n’y ait pas d’interruption dans un trajet qui commence par un transport compatible avec le vélo.

M. le président François Brottes. M. Denis Baupin ne pourra pas rattacher cet amendement à l’article où vous lui avez donné rendez-vous. Pour que cet amendement soit adopté, il vaut mieux qu’il soit soumis au vote maintenant, à charge pour le Gouvernement de le déplacer en séance.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels SPE51 et SPE52 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Elle en vient ensuite à l’amendement SPE497 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement vise à faciliter le travail de l’ARAFER en lui donnant une base juridique pour procéder à des expertises et recueillir des données. Il s’agit de faire en sorte qu’elle puisse disposer de toutes les informations nécessaires pour que le secteur des services réguliers non urbains de transport routier de personnes soit le plus transparent possible. Elle pourra ainsi élaborer des analyses et nous informer via ses rapports réguliers.

M. le ministre. Avis favorable. Il s’agit d’un pouvoir classique des régulateurs, dont dispose notamment l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

La Commission adopte l’amendement.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements SPE926 de M. Bertrand Pancher et SPE1272 de M. Joël Giraud.

M. Michel Zumkeller. Nous souhaitons que les sanctions applicables dans le domaine ferroviaire le soient également dans le domaine routier, nouvelle activité de l’ARAFER.

M. Joël Giraud. Mon amendement va dans le même sens mais il me semble satisfait par l’amendement SPE497, qui dispose que : « Les manquements à ces dispositions sont sanctionnés dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre V du titre III du livre 1er de la deuxième partie. »

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je pense que ces amendements sont en effet satisfaits par l’amendement SPE497 que nous venons d’adopter.

Les amendements SPE926 et SPE1272 sont retirés.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels SPE70, SPE53 et SPE54 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Puis elle adopte l’article 2 ainsi modifié.

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Article 3
(art. L. 1221-3, L. 3111-1, L. 3111-2, L. 3111-3, L. 3421-2, L. 3451-2, L. 3452-5-1, L. 3452-6,
L. 3452-7, L. 3452-8, L. 3521-5 et L. 3551-5 du code des transports)

Transport par autocar : dispositions de coordination

I. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

L’article 3 du projet de loi tire les conséquences des nouvelles dispositions prévues à l’article 2 en procédant à divers ajustements du code des transports :

1° L’article L. 1221-3 du code des transports pose en principe général, pour les modalités d’exécution des services de transport public de personnes, que cette exécution est assurée soit en régie par une personne publique sous forme d’un service public industriel et commercial, soit par une entreprise avec laquelle la personne publique (l’autorité organisatrice) a passé une convention à cet effet. Toutefois, ce principe ne fait pas obstacle à ce que des dessertes intérieures régulières soient assurées par des entreprises de transport ferroviaire ou routier de voyageurs dans le cadre de services de transport international, dans certaines conditions (fixées par l’article L. 2121-12 pour le transport ferroviaire et par l’article L. 3421-2 pour le transport routier) : c’est l’hypothèse du « cabotage ».

L’article 3 du projet de loi, pour assurer la coordination avec la création de l’article L. 3111-17 par l’article 2, prévoit que le principe de l’article L. 1221-3 ne fait pas obstacle à l’organisation libre de services routiers réguliers non urbains, si les conditions posées par l’article L. 3111-17 sont respectées.

De la même manière, une référence est introduite à cet article L. 3111-17 nouveau dans les articles L. 3111-1, L. 3111-2 et L. 3111-3 qui régissent l’organisation des transports publics collectifs, respectivement par les départements, les régions et les entreprises délégataires.

2° L’introduction du nouvel article L. 3111-17 amène à modifier l’article relatif au cabotage routier (article L. 3421-2) : puisqu’il sera désormais possible pour les entreprises établies en France d’assurer des dessertes régulières sur le territoire national sans que ces dessertes s’inscrivent dans une liaison internationale, cette disposition régissant le cabotage ne sera plus applicable qu’aux entreprises non établies en France, et l’État devra (et non plus « pourra ») les y autoriser, tout en gardant la possibilité de les interdire si l’objet principal du service n’est pas un transport entre des arrêts situés dans des États différents.

3° La mise en œuvre du nouvel article L. 3111-17 sera assortie, par la modification apportée à l’article L. 3452-6, des mêmes sanctions pénales que le non-respect des conditions d’exercice du cabotage routier ou que l’utilisation d’une autorisation ou licence de transport suspendue ou périmée : un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

4° Enfin, les modalités d’application en outre-mer de l’article 2 du projet de loi sont précisées, en cohérence avec les modalités générales d’application de la partie du code des transports relative au transport routier (non-applicabilité à Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin).

II. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

À l’initiative des rapporteurs, la commission spéciale a adopté un amendement visant à mettre en cohérence le dispositif de sanctions pénales et administratives applicables aux services de transport régulier par autocar avec les sanctions applicables aux services occasionnels de transport routier de personnes et aux services de transport de marchandises. Il sera ainsi possible :

1° pour les agents chargés du contrôle des conditions d’exercice des professions de transport, d’immobiliser les autocars en infraction avec les interdictions et limitations décidées par les AOT ;

2° pour le juge, de prononcer les peines suivantes :

a) Une amende de 15 000 euros et un an d’emprisonnement pour les entreprises non établies en France qui, dans le cadre du nouveau régime, effectueraient des opérations de cabotage sans en avoir obtenu l’autorisation conformément au droit communautaire,

b) En complément des sanctions pénales prévues par l’article 3 du projet de loi, l’interdiction pour le professionnel d’exercer des opérations de transport pendant une durée limitée,

c) Une amende de 15 000 euros pour les entreprises non établies en France qui, dans le cadre du nouveau régime, effectueraient des opérations de cabotage sans respecter le principe du caractère accessoire de ce cabotage,

3° Une responsabilité pénale de l’entreprise qui, pour assurer une desserte par autocar, recourt à un sous-traitant qui n’est pas autorisé à exercer la profession de transporteur.

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La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE55 des rapporteurs.

Puis elle examine l’amendement SPE1461 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Il s’agit d’un amendement de coordination qui vise à mettre en cohérence le dispositif pénal et administratif de sanctions applicables aux services réguliers par autocar avec celui des autres services de transport routier libéralisés.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 ainsi modifié.

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Article 3 bis [nouveau]
Habilitation à légiférer par ordonnance pour permettre la réalisation du projet « Charles-de-Gaulle Express »

Aujourd’hui la desserte ferroviaire de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle depuis Paris (gare de l’Est) est assurée par le RER B. Ce n’est pas une desserte rapide, elle présente des problèmes de sécurité pour les voyageurs, et elle n’offre pas des conditions de confort et de régularité suffisantes. La desserte routière par l’autoroute A1 est fortement saturée.

La loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a prévu qu’un décret en Conseil d’État définirait « les modalités d’établissement par l’État d’une liaison ferroviaire express directe dédiée au transport des voyageurs entre l’aéroport de Roissy – Charles-de-Gaulle et Paris. » Il est également prévu que le projet soit réalisé sous la forme d’une délégation de service public. Ces dispositions sont codifiées dans le code des transports (article L. 2111-3).

Le projet « CDG Express » a fait l’objet d’un débat public en 2003 et d’une déclaration d’utilité publique le 19 décembre 2008.

Dans le cadre de la procédure d’attribution de la concession de la liaison CDG Express, un groupement conduit par Vinci a été désigné en 2009 concessionnaire pressenti pour réaliser ce projet. Le contexte, notamment économique et financier, et la complexité technique du projet n’ont toutefois pas permis de mener à bien l’opération dans un délai raisonnable et dans les conditions initialement envisagées par la procédure. Les négociations avec le groupement ont donc été arrêtées fin 2011.

Après cet échec de la procédure de mise en concession, Réseau Ferré de France (RFF) et Aéroports de Paris (ADP) ont mené des études juridiques et économiques examinant les conditions de relance du projet. Ces études, remises à l’État mi-2013, ont mis en avant plusieurs scénarios de relance. Un accord interministériel est intervenu en décembre 2013. Dans le nouveau schéma, il est prévu de réaliser ce projet selon un montage autre qu’une concession, en confiant à une société dédiée, constituée par RFF et ADP avec la participation éventuelle d’un tiers investisseur, la conception, la construction, le financement, la maintenance et le renouvellement de la ligne CDG Express.

Une disposition législative est nécessaire pour modifier l’article L. 2111-3 du code des transports qui prévoit la réalisation du projet dans le cadre d’une délégation de service public, et pour définir la mission de l’entité dédiée et les modalités de réalisation de l’infrastructure.

Le présent article additionnel a été adopté par la commission spéciale à l’initiative du Gouvernement et avec un avis favorable des rapporteurs, afin de procéder à ces modifications législatives par voie d’ordonnance.

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La Commission examine l’amendement SPE1683 du Gouvernement.

M. le ministre. Il s’agit de donner au Gouvernement une habilitation à légiférer par ordonnance pour toute mesure permettant la réalisation du projet « Charles-de-Gaulle Express » (CDG Express). C’est un projet déterminant pour améliorer les conditions d’accès à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle et soutenir le développement économique durable de notre pays, tout particulièrement de la région d’Île-de-France.

Suite à l’abandon de la procédure de concession de CDG Express engagée en 2006, le projet est désormais relancé sous la forme d’un nouveau montage. Dans son avis du 1er octobre 2014, le Conseil d’État a confirmé la faisabilité juridique dudit montage, sous réserve d’une disposition législative modifiant les règles applicables pour confier directement à une société dédiée, filiale commune de SNCF Réseau et de la société anonyme Aéroports de Paris, la mission de réaliser l’infrastructure.

Cette disposition législative devant être compatible avec les règles du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, elle doit au préalable recueillir un avis favorable de la Commission européenne. Compte tenu des délais contraints, en cas notamment d’une candidature à l’organisation des Jeux olympiques ou d’une exposition universelle, une habilitation à légiférer par ordonnance permettra d’adopter plus rapidement, dès l’obtention de l’avis de la Commission européenne, l’ordonnance qui mettra en œuvre ces modalités de réalisation. En tout état de cause, le Parlement sera amené, lors de l’examen du projet de loi de ratification, à valider le montage de ladite ordonnance. Tel est l’objet de l’amendement du Gouvernement.

M. le président François Brottes. Je rappelle qu’une ordonnance implique deux rendez-vous avec le Parlement : pour l’habilitation et pour la ratification.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis enthousiaste !

M. Denis Baupin. Il est totalement « dingue », si je puis me permettre, qu’on découvre au détour d’un amendement du Gouvernement une demande d’habilitation à légiférer par ordonnance sur un projet tel que celui-là, dont on n’a même pas le détail !

Monsieur Christophe Caresche, ma réaction ne doit pas vous surprendre car vous connaissez ma position sur CDG Express. Depuis des années, au sein du Conseil de Paris, nous sommes en désaccord profond sur le sujet : on va utiliser des sillons de service public pour créer des liaisons express entre l’aéroport et la ville, alors qu’il existe une ligne de RER et que l’argent public devrait servir à développer d’autres services.

Les échecs successifs de ce projet tiennent au fait qu’il a été fondé sur des hypothèses totalement fantaisistes, notamment en ce qui concerne la croissance du transport aérien et ses conséquences. Il va mobiliser de l’argent public alors qu’il s’agit d’un transport pour privilégiés, dont rien ne prouve au demeurant qu’il sera rentable. D’un côté, on propose des autocars à ceux qui n’ont pas les moyens d’utiliser les transports publics – j’y suis plutôt favorable – ; de l’autre, on crée un transport pour privilégiés en utilisant des sillons qui devraient être réservés au service public.

Au-delà de mon désaccord sur le fond, je trouve la méthode assez stupéfiante. Le projet de candidature aux Jeux olympiques ne me paraît pas particulièrement consensuel ; celui d’une exposition universelle l’est davantage, mais une telle manifestation ne durerait que quelques semaines. Le projet me paraît donc totalement déraisonnable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout d’abord, je suis surpris que notre collègue évoque le caractère inopiné de ce projet qui était en débat avant même celui du Grand Paris. Dans un premier temps, il a été intégré dans le dispositif avant d’en être écarté parce qu’il y avait des problèmes de temporalité.

Ensuite, je pense que l’on aurait tort de considérer que le RER peut assurer la liaison entre l’aéroport Charles-de-Gaulle et Paris – tous ceux qui ont fait l’expérience peuvent témoigner que ce n’est pas le cas – notamment parce qu’il y a trois terminaux à Roissy.

Enfin, nous devons régler le problème du lien direct entre les aéroports et le cœur de la capitale. Dans le cadre du Grand Paris Express, il est prévu de prolonger la ligne de métro 14 vers Villejuif et Orly. Pour Roissy, deuxième aéroport européen, il faut envisager des dispositifs spécifiques. L’ordonnance répond au besoin d’aller vite, au moins pour enclencher le dispositif.

M. Jean-Yves Caullet. Je n’ai pas le privilège d’être un élu de la région d’Île-de-France, mais je me préoccupe de la desserte des aéroports internationaux, car ils intéressent aussi les provinciaux. Il est question d’une habilitation pour agir et permettre la réalisation d’une infrastructure ferroviaire, ce qui ne cadre pas avec ce que j’ai entendu sur l’utilisation des sillons existants. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer qu’il s’agit bien de la réalisation d’une infrastructure nouvelle ?

M. Jean-Louis Costes. Je voulais simplement dire que, pour notre part, nous sommes favorables à cet amendement.

M. le ministre. Les analyses effectuées ont toujours confirmé que le réseau occupera en partie des sillons existants, même si je ne peux pas vous donner le pourcentage et le kilométrage précis. Je vais essayer de vous apporter cette réponse dans les meilleurs délais.

Monsieur Denis Baupin, je reconnais votre constance car vous défendez la même position depuis sept ans. Qu’il s’agisse d’une ordonnance ou d’une loi, je crains par conséquent que votre point de vue ne soit identique... Le recours à l’ordonnance ne relève pas de l’improvisation : il vise seulement à compresser les délais sans purger les débats car, comme l’a rappelé le président, cette ordonnance devra de toute façon être ratifiée par le Parlement – et, en cas de désaccord, elle fera l’objet d’un vote négatif.

M. Denis Baupin. Certains des territoires traversés, notamment la Seine-Saint-Denis, ont un important déficit de transports collectifs. Leurs habitants verront passer de nouveaux trains qui ne s’arrêteront pas chez eux car ils seront destinés à desservir les aéroports. Le message qui leur est adressé est déplorable !

Quant à la question de M. Jean-Yves Caullet, elle me paraît tout à fait pertinente. Dans sa rédaction actuelle, le texte fait état de la réalisation d’une infrastructure ferroviaire, non d’une liaison qui utiliserait les infrastructures existantes. Or je ne vois pas comment on pourrait construire une nouvelle infrastructure sur l’ensemble du trajet, notamment dans Paris, et la réponse du ministre laisse penser qu’il s’agit d’utiliser les infrastructures existantes. Va-t-on créer de nouveaux rails jusqu’à la gare de l’Est ?

M. le ministre. Comme je le disais en réponse à M. Caullet, il est évident que ces tracés utiliseront pour partie des sillons existants. Le pourcentage dépendra du tracé définitif qui, à ma connaissance, n’est pas arrêté. Nous sommes en train de rassembler les éléments qui permettront de vous apporter des précisions.

Pour vous faire part de ma science récente en la matière puisque je viens de recevoir l’information, il y aura huit kilomètres de voies nouvelles à Mitry-Claye entre le RER B et l’aéroport, quatre nouveaux ponts, un tunnel sous les pistes et des aménagements de quais à la gare de l’Est et à Magenta. Cela relève d’une déclaration publique (DUP) de 2008 et ne revêt donc aucun caractère nouveau ; j’aurais d’ailleurs dû le savoir et être à même de vous répondre immédiatement.

Vous avez, par ailleurs, exprimé votre inquiétude au regard des financements publics. Il n’y a pas de concours public prévu : les 760 millions d’euros seront financés autrement, l’État étant concédant et la RATP, la SNCF, Aéroports de Paris, etc., étant partenaires. Tout cela est connu également. Il n’y aura donc pas d’argent public ajouté pour cette opération, sauf si l’on décidait que les usagers devaient utiliser gratuitement cette infrastructure...

M. Denis Baupin. Qu’il me soit permis de faire part de ma surprise : à ma connaissance, la RATP, la SNCF et Aéroports de Paris ne sont pas des entités totalement privées ! Et lorsqu’il y aura utilisation de voies ferroviaires existantes, ce sera bien un manque à gagner ou une disponibilité moindre des actifs publics. Enfin, s’il n’y a vraiment rien de nouveau, pourquoi déposer un amendement visant à recourir à la procédure de l’ordonnance ? La vérité, c’est que les dispositifs mis en place jusqu’à présent ont tous échoué parce que la rentabilité n’est pas au rendez-vous, et c’est bien pourquoi le privé s’est retiré du dispositif. Il faudra, à un moment ou à un autre, éponger le déficit avec de l’argent public, comme pour Orlyval.

M. Christophe Caresche. À ma connaissance, le plan « CDG Express » n’est pas nouveau et a déjà été validé par la majorité du conseil régional. Il s’agit maintenant d’assurer sa réalisation et, pour cela, il faut que l’État ait la possibilité de concéder cette infrastructure. Je ne vois donc pas de raison de ne pas voter l’amendement.

La Commission adopte l’amendement SPE1683.

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Article 3 ter [nouveau]
Rapport de l’ADEME sur l’impact du transport par autocar
sur l’environnement

Le présent article additionnel a été adopté par la commission spéciale à l’initiative de MM. Jean-Frédéric Poisson et Patrick Hetzel, après avis favorable du Gouvernement et des rapporteurs : il propose que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) établisse, dans un délai d’un an après la promulgation de la loi, un rapport sur l’impact du développement du transport par autocar sur l’environnement, notamment en termes de bilan carbone. Ce rapport sera rendu public, et présenté devant les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

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La Commission examine les amendements identiques SPE221de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE304 de M. Patrick Hetzel.

Mme Véronique Louwagie. Il est important d’évaluer toutes les conséquences sur l’environnement du développement du transport interurbain par autocar, que nous avons décidé tout à l’heure. Or, il ressort de l’étude d’impact que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) n’a même pas été consultée. C’est pourquoi nous proposons qu’un rapport lui soit demandé sur ce sujet, à rendre public dans un délai d’un an après la promulgation de la loi. Ce serait cohérent, me semble-t-il, avec la loi sur la transition énergétique et l’intérêt affiché par le Gouvernement pour ces questions.

M. Patrick Hetzel. Je note avec intérêt, monsieur le ministre, que vous avez commandé aujourd’hui des études d’évaluation de la présente loi à des organismes indépendants, alors même que nous en commençons seulement l’examen. J’aurais donc peine à comprendre que vous refusiez nos amendements.

M. le ministre. Il ne s’agit pas, monsieur Patrick Hetzel, d’une annonce faite aujourd’hui. C’est au cours de la période de suspension des travaux parlementaires que j’avais, en complément de l’étude d’impact, demandé une évaluation à France Stratégie, nouveau nom du Commissariat général à la stratégie et à la prospective rattaché au Premier ministre, lequel a désigné une commission temporaire d’évaluation composée d’experts indépendants ; ce sont l’installation et la composition de cette commission qui viennent d’être rendues publiques. J’ai, par ailleurs, demandé à plusieurs groupes d’experts connus sur la place de Paris d’apporter tous éléments paraissant nécessaires et utiles au débat.

Les deux amendements rejoignent notre propre sensibilité aux conséquences environnementales du projet. Nous avions refusé ceux, déposés par M. Denis Baupin, qui tendaient à intégrer dans l’avis de l’ARAFER des critères environnementaux, car cela aurait eu pour effet de compliquer et de ralentir les choses. En revanche, le Gouvernement est favorable à votre demande de rapport.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Enfoncer une porte ouverte ne fait pas mal à l’épaule… (Sourires). Il existe au sein de l’ADEME un département « mobilité et transports », qui produit régulièrement des rapports dont l’intérêt spécifique vient de leur caractère intermodal. À défaut d’être vraiment utiles, donc, ces amendements me sont plutôt sympathiques, et je ne m’opposerai pas à leur adoption.

Mme Véronique Louwagie. Je constate une divergence de points de vue entre le Gouvernement et le rapporteur, et fais observer que le bilan carbone est quelque chose qui se mesure. Ce que nous demandons à connaître, c’est l’impact des évolutions prévues – car il y en aura bien un, sauf à considérer que vous ne croyez pas vous-mêmes au développement du transport par autocar.

M. Jean-Louis Roumegas. Ces amendements mettent en évidence les carences de l’étude d’impact en ce qui concerne le report modal : rien n’y est dit, contrairement à ce qu’affirme le ministre, sur les taux de fréquentation, le covoiturage ou les transports régionaux. Les résultats ne risquent d’être connus que lorsque le mal sera fait

M. le président François Brottes. Sachant que certaines études d’impact confinent à la science-fiction, il faut aussi s’en méfier…

La Commission adopte les amendements SPE221 et SPE304.

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Article 3 quater [nouveau]
Rapport du Gouvernement sur l’impact du développement du transport par autocar sur l’industrie automobile

La commission spéciale a adopté un amendement de M. Jean-Frédéric Poisson proposant que le Gouvernement présente au Parlement, dans un délai d’un an après la promulgation de la loi, sur l’impact du développement du transport par autocar sur les industriels et constructeurs automobiles français. Ce rapport devra établir notamment les conséquences en termes d’emploi dans la filière automobile.

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La Commission examine l’amendement SPE222 de M. Jean-Frédéric Poisson

M. Gilles Lurton. L’étude d’impact s’illustre par sa pauvreté : elle évoque les conséquences du projet pour les particuliers, pour les entreprises, pour les administrations, mais pas pour les industriels et constructeurs automobiles français. Nous demandons, pour combler cette lacune, que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur le sujet, notamment sur l’emploi dans la filière.

M. le président François Brottes. Il est vrai que ce ne serait pas inutile.

M. le ministre. On peut faire dire n’importe quoi aux études d’impact ; je serais prêt à recruter dès demain quelqu’un susceptible d’en réaliser une qui soit fiable sur les conséquences de la création d’un nouveau secteur d’activité !

Les études d’impact les plus fiables sont les comparaisons. Il ressort des études faites en Allemagne et en Espagne sur les transports collectifs que la complémentarité entre le train et le car est réelle et que l’effet de substitution portera plutôt sur le véhicule individuel ou le covoiturage. Je mentirais si je prétendais que ces études sont scientifiquement irréfutables, mais j’ignore qui pourrait produire des données et des modèles qui le soient, s’agissant de changements à attendre dans le comportement des acteurs économiques. Si nous attendions, pour agir, de lever toutes les incertitudes sur tous les sujets, nous nous condamnerions à l’immobilisme. Prévoir des rapports d’évaluation a posteriori, des clauses de rendez-vous réguliers, me paraît une meilleure formule que multiplier les études d’impact.

Si votre préoccupation environnementale me semble fondée, je suis plutôt défavorable, quoique mollement, à l’amendement, car l’impact sur la filière automobile sera sans doute très relatif.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Comme le démontre l’exposé sommaire lui-même, on voit mal quel éclairage nouveau un tel rapport pourrait apporter. Je suis donc tout aussi « mollement » défavorable à l’amendement que le ministre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Comme le disait le physicien Niels Bohr, la prédiction est chose difficile, surtout lorsqu’elle porte sur le futur. (Sourires.) Il ne s’agit cependant pas, en l’espèce, de mirer des boules de cristal, mais de réaliser une étude d’impact a posteriori, un an après la mise en œuvre de la décision que nous avons prise en adoptant les articles 2 et 3. Les grandes entreprises ne manquent tout de même pas de prospectivistes, de stratèges qui tentent d’avoir une image de l’avenir, et si les contours en sont parfois incertains, il est intéressant d’en débattre. J’ai bien retenu, monsieur le ministre, que votre opposition à l’amendement était assortie d’un adverbe, et vous invite à changer celui-ci en négation, ce qui nous permettra de progresser.

La Commission adopte l’amendement SPE222.

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Après l’article 3

La Commission examine l’amendement SPE498 de M. Jean-Marie Tetart.

M. Jean-Marie Tetart. Nous avons reconnu dès le début l’intérêt du recours au bus pour les longues distances ainsi que pour les déplacements quotidiens entre zones urbaines et rurales, mais, pour cet aspect, le succès ne sera au rendez-vous que si les bus circulent correctement aux moments de congestion du trafic. Six expériences de voies réservées aux transports en commun, taxis, véhicules propres ou en covoiturage, ont déjà été menées, mais il faut dépasser le stade de l’expérimentation, et c’est pourquoi je demande que soit réalisé, dans un délai d’un an, un rapport sur la mise en œuvre de ce type de solution, qui a fait ses preuves dans un certain nombre d’agglomérations comme, par exemple, Madrid.

M. le ministre. L’esprit de facilité consisterait à consentir à toute demande de rapport en considérant que ce sera une façon peu coûteuse d’être consensuel… Mon état d’esprit est plutôt d’être consensuel sur l’accessoire et de rester ferme sur le fond : la multiplication des rapports tous azimuts provoquerait la thrombose des administrations !

Le Gouvernement est favorable à la création de voies de circulation dédiées pour certaines catégories d’usagers lorsque cela est bénéfique à la communauté. L’État est déjà en négociation avec la Ville de Paris et le STIF pour dégager sept voies d’ici 2020, et la desserte des aéroports selon ce principe sera assurée dès 2015. Mieux vaut, cependant, avoir ce débat avec les interlocuteurs concernés, notamment les concessionnaires d’autoroutes, et l’inscrire dans la loi le cas échéant, que de commander un énième rapport. Comme vous pouvez le constater, je ne suis pas fondamentalement opposé à votre amendement, et un refus serait quelque peu ridicule.

M. le président François Brottes. Il me semble me souvenir que dans la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), la question est traitée à l’échelon territorial, qui paraît plus pertinent que l’échelon national.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. L’amendement est pertinent : il s’agit d’une des solutions-clés pour éviter la congestion de l’accès aux
centres-villes. J’observe cependant que le même rapport a été demandé à l’article 14 quater dont notre assemblée a enrichi le projet de loi sur la transition énergétique, actuellement transmis au Sénat : « Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’opportunité de réserver, sur les autoroutes et les routes nationales comportant au moins trois voies et traversant ou menant vers une métropole, une de ces voies aux transports en commun, aux taxis, à l’autopartage et au covoiturage lorsque le véhicule est occupé par au moins trois personnes. Le rapport évalue notamment l’impact qu’une telle mesure est susceptible de produire en termes de décongestion de ces routes selon les heures de la journée. »

Je souhaite donc le retrait de l’amendement, car il est inutile d’avoir deux rapports sur le même sujet.

M. Jean-Marie Tetart. Soit, mais j’insiste pour que des instructions précises, homogènes et volontaristes soient données dans les services déconcentrés afin d’éviter que certains ne se cantonnent dans des attitudes timorées.

M. Denis Baupin. Le ministre a dit qu’il préférait l’action aux rapports, je l’invite donc à se prononcer favorablement, tout à l’heure, sur notre amendement SPE1335 qui vise à promouvoir ce dispositif dans le cadre de la négociation avec les concessionnaires les autoroutes.

L’amendement SPE498 est retiré.

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Article 4
Gares routières de voyageurs : habilitation à légiférer par ordonnance

I. L’ÉTAT DU DROIT

A.  DÉFINITION ET PRINCIPES D’ORGANISATION DES GARES ROUTIÈRES

Les gares routières de voyageurs sont des infrastructures d’accueil et de correspondances pour les voyageurs empruntant des services de transports collectifs routiers. Une gare routière peut être soit exclusivement consacrée au transport par autobus ou autocar, soit intégrée dans un « pôle multimodal » – ou pôle d’échange – où plusieurs modes de transport sont accessibles (routier, ferroviaire, métro, vélo…).

Les gares routières font l’objet d’un cadre réglementaire ancien, jamais codifié. L’ordonnance n° 45-2497 du 24 octobre 1945 prévoit que « constitue une gare routière de voyageurs toute installation dont l’objet est de faciliter au public l’usage des services de transports publics automobiles routiers de voyageurs desservant une localité, en liaison éventuelle avec les autres modes de transports. Elle peut être utilisée, en outre, pour le service de messageries ou le service postal. »

S’agissant des droits et obligations liés à l’accès des différents transporteurs à ces installations, l’ordonnance distingue entre gares routières « publiques » et « privées » : « Une gare routière de voyageurs est dite publique lorsque toute entreprise de transports publics de voyageurs desservant la localité a le droit de l’utiliser. Toute gare routière de voyageurs qui n’est pas publique au sens [de l’alinéa précédent] est dite privée. » Entre notamment dans la catégorie des gares privées une gare créée par un transporteur ou un groupement de transporteurs « et réservée en principe aux services qu’assurent cet entrepreneur ou ce groupement : elle ne perd pas ce caractère si le créateur de la gare consent à la mettre à la disposition d’autres transporteurs. Les gares privées sont soumises au régime de l’autorisation », cette autorisation étant délivrée par le ministre chargé des transports.

L’ordonnance impose aux transporteurs une obligation d’usage des gares publiques, du moins pour les transporteurs locaux et urbains, dans les conditions précisées par le cahier des charges de chaque gare. Ce cahier des charges détermine, en application de l’article 17 de l’ordonnance, des taux de taxes maximum perceptibles sur les usagers de la gare (transporteurs, entreprises et public). L’usage d’une gare peut également donner lieu à la perception de redevances. Un régime de police des gares routières est prévu, et confié au préfet, qui peut cependant en déléguer l’exercice au maire.

B.  AUTORITÉS COMPÉTENTES

Depuis la loi d’orientation des transports intérieurs (loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 dite « LOTI »), les gares routières sont une composante du service public des transports (article L. 1211-4 du code des transports). Les autorités compétentes peuvent être :

– pour les lignes urbaines : les communes, leurs groupements et les syndicats mixtes de transport (article L. 1231-1 du code des transports) ;

– les départements, pour les dessertes relevant de leur compétence : services scolaires ou interurbains (article L. 3111-1) ;

– les régions pour les dessertes routières ou ferroviaires de niveau régional (article L. 3111-2) ;

– l’État pour les lignes d’intérêt national (article L. 3111-3).

Les autorités compétentes sont libres de choisir le mode de gestion de ces gares. En pratique, ce sont souvent des départements, des communes ou des groupements de communes, compétents pour la création et l’entretien de ces gares, qui en délèguent la gestion ou concèdent des droits sur elles. Selon une étude réalisée par la FNTV, en 2012, 45 % des gares routières appartenaient à des autorités organisatrices urbaines, 34 % à des départements, et les 21 % restants regroupent plusieurs cas de figure (domaine public dévolu à la SNCF, régie, société d’économie mixte…).

II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

Le projet de loi propose d’habiliter le Gouvernement à procéder, par voie d’ordonnance, dans les six mois suivant la promulgation de la loi, à une modernisation du régime juridique des gares routières, en modifiant les règles issues de l’ordonnance de 1945 et des textes ultérieurs, et en confiant à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (créée par l’article premier du projet de loi) une compétence d’édiction des règles d’accès à ces gares, de contrôle de ces règles, et de règlement des différends portant sur cet accès. Le champ de l’habilitation proposée comprend également la codification de l’ordonnance de 1945.

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le Gouvernement fait valoir, à l’appui de sa demande d’habilitation, que le cadre réglementaire applicable aux gares routières est obsolète et que le développement souhaité du transport par autocar exige, pour être effectif, un développement correspondant du réseau de gares routières. Il rejoint ainsi l’appréciation formulée par l’Autorité de la concurrence dans son avis précité du 27 février 2014.

Le rapporteur thématique adhère à ce double constat, ainsi qu’à la proposition de confier à l’ARAFER une compétence de régulation de l’accès à ces gares, afin de garantir de bonnes conditions de concurrence entre les entreprises exploitant des autocars, notamment en assurant aux différentes entreprises proposant des services de transport par autocars la possibilité effective d’informer les usagers, à l’intérieur de la gare, sur les horaires et tarifs de ces services.

Cependant, pour éviter que l’ARAFER soit « juge et partie », il est impératif que les règles relatives à l’accès des autocaristes aux gares routières soient définies par l’État et non par l’Autorité, qui doit être seulement chargée d’en contrôler le respect.

D’autre part, si le rapporteur thématique n’est pas opposé à une habilitation à procéder par voie d’ordonnance pour modifier l’ordonnance de 1945, il souhaite que des principes soient posés par la loi : un principe de
non-discrimination pour l’accès aux gares, des principes relatifs à la fixation des péages, et une obligation de séparation comptable pour les gares dont la gestion est déléguée par une AOT à une entreprise.

Troisièmement, le rapporteur thématique considère que, sur les territoires dans lesquels le nombre de gares routières est clairement insuffisant (voire inexistant), à défaut de pouvoir contraindre les collectivités territoriales à en créer, il serait utile de conférer aux régions une compétence de chef de file en la matière, en complétant les dispositions introduites par la loi « MAPTAM » du 27 janvier 2014 qui ont chargé les régions d’être chefs de file en matière d’intermodalité et de complémentarité des modes de transports. La région
d’Île-de-France est dotée d’un schéma directeur des gares routières, instrument qui pourrait utilement être généralisé. Lors des auditions qu’il a menées, il a été signalé au rapporteur thématique qu’un certain nombre de gares routières sont laissées « à l’abandon », notamment lorsque l’autorité responsable de leur gestion n’est pas clairement identifiée.

Enfin, le rapporteur thématique souhaite attirer l’attention de ses collègues et du Gouvernement sur la nécessité, pour développer concrètement l’intermodalité, de rendre obligatoire la création de gares routières à proximité immédiate des principaux aéroports et des grandes gares ferroviaires. Il s’interroge sur les possibilités juridiques d’amener les exploitants d’aéroports, d’une part, et la SNCF d’autre part, à consacrer une partie de leur domaine foncier à cette création.

IV. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

La commission spéciale a adopté l’article 4 habilitant le Gouvernement à élaborer un nouveau régime juridique pour les gares routières de voyageurs, en apportant les dispositions complémentaires suivantes :

– l’ordonnance prévue par cet article sera prise après consultation de l’ARAFER ;

– l’ARAFER ne disposera pas du pouvoir d’édicter les règles relatives à l’accès aux gares, mais de la compétence pour préciser ces règles et du pouvoir de prononcer des sanctions ;

– l’ordonnance comportera des dispositions de nature à favoriser l’intermodalité, notamment pour que l’accès des cyclistes à ces gares soit garanti ; il reviendra à l’ARAFER de veiller à l’application de ces dispositions ;

– l’ordonnance définira également les règles applicables au transport de vélos dans les autocars.

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La Commission examine l’amendement SPE1435 de M. Jean-Louis Roumegas, tendant à supprimer l’article.

Mme Michèle Bonneton. Cet article qui a trait aux gares routières aborde des sujets importants, aussi bien pour les usagers que pour les communes, les EPCI ou les finances publiques, comme l’aménagement, l’exploitation par des personnes de droit public ou privé, l’accès à ces gares, les règles applicables en matière de police, etc. Or, le Gouvernement propose de légiférer par voie d’ordonnance, ce qui revient à court-circuiter la représentation nationale, et donc, in fine, la voix des usagers et des citoyens. En conséquence, nous demandons la suppression de l’article.

M. le ministre. La réforme du cadre juridique applicable aux gares routières est indispensable pour tirer toutes les conséquences du développement attendu des transports collectifs routiers. L’article 4 détaille l’objet de l’habilitation demandée par le Gouvernement, qui a commencé le recensement des gares routières afin d’identifier l’ensemble des situations, lesquelles sont très variées, notamment en ce qui concerne l’articulation des compétences. Ce sont ces éléments techniques qui nous conduisent à recourir à la procédure d’habilitation, mais l’ordonnance, une fois prise, fera l’objet d’une ratification en toute transparence.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Il s’agit, comme toujours lorsqu’il s’agit de gares, d’une question très compliquée, qui n’a même pas pu être réglée en intramodal à l’occasion de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, et qui l’est encore plus en intermodal. Il faudra faire vite afin d’éviter que des files d’autocar ne transforment chaussées et trottoirs en gares routières informelles.

Je comprends les objections de Mme Michèle Bonneton et son souci de transparence. Il existe aujourd’hui quelques gares routières privées, dont il faut ménager l’accès sans pour autant décourager les investisseurs d’en construire de nouvelles. Il faut surtout veiller à ce que Réseau ferré de France (RFF) et la SNCF ne vendent pas leurs actifs dans des conditions qui empêcheraient de construire une gare routière au voisinage d’une gare ferroviaire de façon à favoriser l’intermodalité. Il faut aussi prendre en compte la desserte des aéroports, presque totalement ignorés par la SNCF qui n’a pas compris que les autres modes de transport pouvaient être complémentaires plutôt que concurrents du rail.

Comme vous, madame Michèle Bonneton, j’ai peu de goût pour les ordonnances, mais il faut que le Gouvernement travaille très vite, sans quoi la multiplication des cars créera des problèmes urbains insolubles. C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas votre amendement de suppression.

Mme Michèle Bonneton. J’entends bien ces bonnes intentions, mais de graves questions demeurent, parmi lesquelles celle du devenir des actifs de RFF et de la SNCF. Nous avons vu tout à l’heure que les accès aux aéroports, par exemple, pourraient coûter cher et être réservés aux plus riches. Vous nous dites, monsieur le ministre, que des travaux de recensement sont en cours, mais cela illustre la précipitation dans laquelle le projet de loi a été élaboré et présenté au Parlement. Vous faites valoir également que l’ordonnance sera ratifiée en toute transparence, mais nous ne pourrons pas la modifier.

M. le président François Brottes. Il est toujours possible, néanmoins, de refuser de la ratifier.

M. Jean-Frédéric Poisson. En parlant des ventes d’actifs, le rapporteur avait-il à l’esprit l’article 49 et les aéroports de Nice et de Lyon ?

La Commission rejette l’amendement SPE1435.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1327 de M. François-Michel Lambert

M. Denis Baupin. S’il s’agit de simplifier les choses, inscrivons-les directement dans la loi : le Gouvernement pourra ainsi nous dire dès maintenant de quelle façon il souhaite que l’ARAFER gère les gares routières.

M. le président François Brottes. La question relève davantage du décret que de la loi.

M. le ministre. Nous ne pouvons inscrire dans la loi tous les éléments susceptibles de couvrir l’ensemble des situations, ni préempter tel ou tel mode de régulation. Comme l’a souligné le rapporteur, il faut travailler au plus vite et encadrer le travail relatif aux gares routières et à la compétence de l’ARAFER, mais il n’est matériellement pas possible de l’inscrire aujourd’hui dans le projet de loi en discussion.

La Commission rejette l’amendement SPE1327.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1267 de M. Joël Giraud

M. Joël Giraud. L’Autorité de la concurrence elle-même a souligné l’infinie variété des gares routières. Si l’on rédige une ordonnance sur le modèle de celle de 1945, nombre d’entre elles risquent de se trouver hors champ : je pense notamment aux parkings-relais qui se trouvent aux limites des agglomérations, et qui peuvent être très utiles en tant que haltes routières, sans pour autant constituer des gares routières au sens classique. Je propose que, lorsqu’une gare routière se trouve « orpheline » d’autorité de rattachement, les autorités organisatrices de la mobilité reçoivent compétence pour la création, l’aménagement et l’exploitation des gares routières de voyageurs.

M. le ministre. Dans l’attente d’un état des lieux précis, il n’apparaît pas opportun de choisir a priori une solution en termes d’organisation, mais vous avez l’engagement du Gouvernement qu’il n’y aura pas de gare « orpheline ».

L’amendement SPE1267 est retiré.

La Commission examine ensuite les amendements identiques SPE931 de M. Bertrand Pancher et SPE1285 de M. Joël Giraud.

M. Michel Zumkeller. Dans la logique de l’amendement précédent, nous souhaitons que l’ARAFER puisse émettre un avis sur les ordonnances qui vont déterminer ses nouvelles compétences en matière de gares routières.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission adopte ces amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE56 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

La Commission examine l’amendement SPE1301 de M. Jacques Krabal.

M. Joël Giraud. Il s’agit de modifier la rédaction de l’alinéa 2 de façon que l’usage du vélo soit pris en compte.

M. le ministre. Le Gouvernement y est favorable, mais préfère les amendements SPE1300 du même auteur et SPE1324 de M. Baupin.

L’amendement SPE1301 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1324 de M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Je suis heureux de défendre un amendement auquel le ministre s’est d’ores et déjà dit favorable.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Elle adopte également l’amendement SPE1300 de M. Jacques Krabal.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1299 de M. Jacques Krabal.

M. Joël Giraud. Il s’agit préciser le champ de l’habilitation prévue à cet article pour tenir compte de l’intermodalité avec les modes de déplacement doux.

M. le ministre. Avis favorable.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1273 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Il s’agit de préciser que l’ordonnance donnera à l’ARAFER le pouvoir de préciser les règles d’accès aux gares plutôt que celui d’édicter elle-même ces règles.

M. le ministre. Avis favorable.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel SPE57 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques.

Elle examine ensuite l’amendement SPE935 de M. Bertrand Pancher.

M. Michel Zumkeller. Cet amendement précise les missions de l’ARAFER en matière de gares routières de voyageurs. Il permet à l’ARAFER de prononcer des sanctions en cas de non-respect des règles d’accès à ces gares.

M. le ministre. Avis favorable.

Suivant l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements SPE1325 de M. Denis Baupin et SPE1302 de M. Jacques Krabal.

M. Denis Baupin. Cet amendement, dans le droit fil du précédent, confie à l’ARAFER la responsabilité de la mise en œuvre de l’accessibilité des gares aux cyclistes.

M. Joël Giraud. Il s’agit d’inclure cet élément dans le champ de l’habilitation.

M. le ministre. Le Gouvernement est favorable à l’esprit de ces amendements presque identiques, mais préfère le second, car il semble difficile de confier à l’ARAFER, comme le propose M. Denis Baupin, une compétence en matière de sécurité de l’accessibilité, dans la mesure où elle ne dispose pas du réseau d’enquêteurs locaux qui serait nécessaire.

L’amendement SPE1325 est retiré.

Suivant l’avis du rapporteur, l’amendement SPE1302 est adopté.

La Commission examine ensuite les amendements identiques SPE1303 de M. Jacques Krabal et SPE1326 de M. Denis Baupin.

M. Joël Giraud. Il s’agit d’encourager la pratique du vélo en prévoyant des aménagements simplifiant son stationnement.

M. Denis Baupin. Cet amendement est à peu près identique à celui que nous avons adopté pour les gares ferroviaires.

M. le ministre. Comme je l’ai dit précédemment, nous ne souhaitons pas surcharger l’ARAFER de nouvelles responsabilités, mais je ne voudrais pas créer de distorsion entre gares routières et gares ferroviaires. Le point soulevé par M. Denis Baupin me plonge donc dans le doute…

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Les gares routières ne sont pas décisives en la matière, car le train a un emport bien supérieur. Il me semble qu’un amendement plus complet serait nécessaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je crains que cela ne soit du domaine réglementaire.

M. Denis Baupin. L’argument selon lequel on peut plus facilement transporter un vélo dans un train que dans un car conduit précisément à aménager davantage encore les gares routières que les gares ferroviaires. Nous avions travaillé avec l’ancien ministre des transports, M. Frédéric Cuvillier, dans le cadre de la réforme ferroviaire, à un amendement visant à prévoir, en coordination avec les collectivités territoriales, des équipements d’accueil des vélos aux alentours dans les gares. C’est le même état d’esprit qui nous anime pour les gares routières : si l’on veut que les gens qui n’ont pas de voiture puissent prendre le car, il faut qu’ils soient sûrs de pouvoir déposer leur vélo à la gare routière en toute sécurité. C’est l’une des conditions d’une vraie complémentarité intermodale.

M. le président François Brottes. J’adhère à votre argumentation, monsieur Denis Baupin.

M. le ministre. Je suis sensible au problème soulevé. Il faudra trouver une rédaction qui permette de le régler de façon proportionnée.

M. le président François Brottes. Peut-on l’espérer d’ici l’examen du texte en séance publique ?

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je donne acte à M. Denis Baupin de ses arguments très convaincants, et reconnais que certains aspects des choses m’avaient échappé. Il serait regrettable de multiplier les investissements coûteux à quelques centaines de mètres d’intervalle, alors que nous souhaitons créer des gares routières à proximité immédiate avec les gares ferroviaires. C’est sur les sites intermodaux qu’il faudrait agir : aux Pays-Bas, par exemple, le système est intermodal partout. Je puis donc accepter l’amendement, mais je pense que sa rédaction mériterait d’être affinée.

M. Jean-Marie Tetart. Je ne conçois pas que l’on puisse encourager des liaisons par bus sans prévoir d’équipements pour parquer les vélos ; quant à la quantité, elle dépend du trafic, et il faut donc prévoir quelque chose d’évolutif. Ensuite, il restera à établir des plans de déplacements urbains déclinant toutes les possibilités de connexion entre tous les modes de transport, y compris entre le vélo et le bus.

M. le président François Brottes. Je constate que chacun est tombé d’accord, mais je suggérerai, au risque de sortir de ma fonction, le retrait de l’amendement, qui entre trop dans le détail, et le dépôt d’un nouvel amendement, plus concis, en séance, puisque le ministre a pris l’engagement d’y réserver un accueil favorable.

M. Denis Baupin. Nous y travaillerons.

Les amendements SPE1303 ET SPE1326 sont retirés.

La Commission adopte l’article 4 ainsi modifié.

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Après l’article 4

La Commission examine les amendements identiques SPE938 de M. Philippe Vigier et SPE1266 de M. Joël Giraud.

M. Jean-Christophe Fromantin. L’amendement SPE938 vise à enrichir les schémas régionaux de l’intermodalité, en intégrant les nouvelles gares routières de voyageurs dans la définition des politiques de mobilité. Cette modification des schémas régionaux permettrait d’améliorer la complémentarité entre les modes de transport, de développer les services non urbains et d’accompagner le développement du transport en autocar, ce qui est conforme à la logique de ce projet de loi.

M. Joël Giraud. L’amendement SPE1266 est rigoureusement identique : le but est de nous mettre en conformité avec la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM).

M. le ministre. Un recensement précis des gares routières est prévu dans le cadre de la refonte de l’ordonnance de 1945. Ces infrastructures peuvent tout aussi bien être publiques que privées, leur propriétaire n’est pas toujours bien identifié et peut, dans certains cas, être distinct du gestionnaire. Qui plus est, l’articulation actuelle des compétences entre l’État, la région, le département, la ville et les acteurs privés est loin d’être évidente. Le Gouvernement juge plus opportun de renvoyer l’intégration éventuelle des gares routières aux schémas régionaux d’intermodalité à ladite ordonnance plutôt que de préjuger d’une solution qui risquerait d’aggraver la complexité de l’actuelle organisation, en contradiction avec l’objectif, partagé, de rationalisation et de simplification. Je souhaite donc le retrait de ces amendements.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Compte tenu de l’extrême complexité du sujet, je suggérerai également le retrait de ces amendements. Cela étant, j’aurais aimé que le projet de loi fît mention de l’intermodalité, ainsi que des gares maritimes, des gares ferroviaires de voyageurs et des aéroports.

Il est parfois difficile, dans le cas des gares routières, d’identifier l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM) ; quant aux gares SNCF, elles relèvent à la fois de l’EPCI, qui a la maîtrise de l’urbanisme et gère les abords de la gare, et de la région pour ce qui arrive à quai. Dans la mesure où la loi sur les métropoles confère aux régions une compétence de coordination entre le privé, le public et les différentes autorités administratrices de transport (AOT), il me paraîtrait judicieux d’intégrer dans un schéma régional de l’intermodalité, une vision prospective négociée avec l’ensemble des acteurs. Nous pourrions, d’ici à la séance, rédiger un amendement orientant l’ordonnance dans ce sens.

Les amendements SPE938 et SPE1266 sont retirés.

La Commission en vient à l’examen de l’amendement SPE943 de M. Philippe Vigier.

M. Michel Zumkeller. Cet amendement a pour but de renforcer la compétitivité du rail régional. Les régions, si elles financent le matériel et les services en matière de transport ferroviaire, ne peuvent en revanche choisir leurs opérateurs. C’est d’autant plus incohérent que cette situation a entraîné une très nette augmentation des coûts entre 2002 et 2012. Permettre aux régions de choisir leurs opérateurs entraînerait très certainement une baisse des coûts ainsi qu’une amélioration du service proposé à la population, dans un mouvement gagnant-gagnant.

M. le ministre. L’ouverture à la concurrence dans le transport ferroviaire des passagers nationaux nécessite une réflexion approfondie, déjà engagée avec la réforme ferroviaire. Des travaux communautaires sont par ailleurs en cours dans le cadre du quatrième paquet ferroviaire. Le Gouvernement estime qu’il ne faut pas préjuger du résultat de ces travaux, dans l’attente duquel il est préférable de privilégier la stabilité du cadre juridique national. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis défavorable. Certes, si l’on ne veut pas qu’il se produise la même chose que pour le fret, littéralement sinistré dans notre pays car son ouverture n’avait pas été préparée, les régions auraient intérêt à ouvrir les TER à d’autres opérateurs avant d’y être acculées. Cela étant, il est pour l’heure ou trop tôt ou trop tard : les régions vont se renouveler en décembre, et elles ont d’autres chats à fouetter.

Par ailleurs, les régions, si elles le souhaitaient réellement, pourraient déjà ouvrir le transport ferroviaire : la Cour de Justice de l’Union européenne leur donnerait raison contre l’État. Le règlement européen 1370/2007, d’application directe, dispose en effet que, hormis pendant les phases de transition, la règle générale est l’appel d’offres. Les régions ne sont donc pas tout à fait sincères en prétendant le contraire, et je leur suggère d’attendre les conclusions de la mission Duron.

M. Jean-Louis Bricout. J’avais présenté un amendement proposant de favoriser l’installation de gares routières à proximité des péages afin de favoriser l’intermodalité entre la voiture particulière et le bus, mais il a été refusé. J’aurais néanmoins souhaité connaître l’opinion du ministre sur le sujet.

M. le ministre. Ces questions, comme tout ce qui concerne l’intermodalité, seront intégrées dans la nouvelle rédaction de l’article 4.

M. Michel Zumkeller. Je reste perplexe devant les arguments du ministre, qui semble d’accord avec notre idée mais nous renvoie à un rapport, et devant ceux du rapporteur thématique, selon qui c’est la justice qui tranchera en notre faveur – ce qui prendra évidemment des années. Ce texte est censé déverrouiller l’économie française : ou bien la mesure que nous proposons va dans ce sens, et il faut l’appliquer ; ou bien ce n’est pas le cas, et elle ne doit pas être mise en œuvre.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. La procédure judiciaire n’est pas suspensive : si vous voulez ouvrir les TER à la concurrence en Alsace, n’hésitez pas !

M. Michel Zumkeller. À ceci près que, malgré nos souhaits, le territoire de Belfort restera rattaché à la région Bourgogne-Franche-Comté…

La Commission rejette l’amendement SPE943.

Puis elle examine l’amendement SPE1330 de M. François-Michel Lambert.

M. Jean-Louis Roumegas. Plusieurs rapports de la Cour des comptes ont pointé les conditions extrêmement désavantageuses dans lesquelles le gouvernement Villepin avait concédé le réseau autoroutier à des sociétés privées, à un prix très en deçà de leur valeur, et les conséquences désastreuses qui en ont découlé pour les finances publiques et les usagers. Il convient donc de dénoncer ces concessions ; nous proposons donc que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de trois mois, un plan de dénonciation, qui évalue le montant précis de cette dénonciation et expose les modalités de transfert de la propriété du réseau autoroutier à un établissement public à caractère industriel et commercial.

M. le ministre. Nous reviendrons sur ce sujet dans l’article 5. Le Gouvernement partage l’idée que les actuels contrats de concession des autoroutes ne sont pas satisfaisants et il entend remédier à cette situation. C’est dans cette optique que plusieurs réunions ont eu lieu avec Mme Ségolène Royal et les sociétés concessionnaires, pour déterminer les voies et moyens d’un accord. Dans une lettre du 31 décembre 2014 adressée à M. Jean-Paul Chanteguet et rendue publique, le Premier ministre a détaillé les principaux axes de la réflexion en cours, souhaitant y associer les parlementaires avant que ne soient prises des mesures définitives. Je m’engage à y revenir lors de la discussion du texte en séance publique, mais il me paraît inopportun aujourd’hui d’inscrire dans la loi la dénonciation des contrats de concession des autoroutes en vue d’en confier l’exploitation à un EPIC. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Dans cette affaire, où 40 milliards d’euros sont en jeu, il importe de ne pas se précipiter et d’éviter toute improvisation qui pourrait, demain, se traduire par des contentieux coûtant fort cher au contribuable – et que ceux-là même qui nous pressent d’agir ne manqueraient pas de nous reprocher. Évitons les oukases et les échéances précipitées. Le Premier ministre a souhaité que nous précisions nos propres préconisations, qui consistent à envisager une résiliation des contrats à la date de leur échéance, c’est-à-dire chaque année au mois de décembre. Cela me paraît sage, et Jean-Paul Chanteguet – à qui je tiens ici à rendre hommage – veillera scrupuleusement à ce que l’intérêt général soit préservé en particulier sur deux points essentiels : la maîtrise des tarifs et le partage de la rente lorsque celle-ci s’avère excessive.

Nous ne sommes pas responsables de la situation actuelle, héritage d’une personnalité tout à fait respectable, mais plus brillante à l’ONU que dans le domaine des contrats de concession… Nous avons face à nous des sociétés puissantes et organisées, mais nous sommes dans un État de droit, qui nous protège tous et dans lequel on ne peut rompre un contrat de façon unilatérale. Reste qu’il nous faut entièrement revoir l’architecture des concessions longues : même si elles n’ont pas toujours été mal négociées à l’origine, il s’est produit beaucoup de choses depuis et l’on ne saurait s’en tenir à des règles du jeu qui remontent à cinquante, voire soixante-dix ans. Cela pose du reste la question du bien-fondé même du véhicule juridique de la concession : si c’est pour dix ans, cela peut convenir, mais si c’est pour quarante ans, cela peut devenir usuraire. Un travail de fond s’impose.

M. Jean-Louis Roumegas. Nous ne proposons pas de dénoncer les contrats autoroutiers dans les trois mois qui viennent mais seulement de demander au Gouvernement de nous soumettre un plan témoignant de sa volonté de faire avancer le dossier et de mettre un terme à ces concessions dans leur forme actuelle.

La Commission rejette l’amendement SPE1330.

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Article 5
(art. L. 122-7 à L. 122-21 [nouveaux] du code de la voirie routière)

Compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières en matière de péages autoroutiers et de marchés passés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes

I. L’ÉTAT DU DROIT

A.  LES CONCESSIONS AUTOROUTIÈRES

Le réseau autoroutier français se compose de 2 603 kilomètres d’autoroutes non concédées et de 9 048 kilomètres d’autoroutes concédées (auxquels s’ajoutent des concessions portant sur des ouvrages isolés à péages : viaducs et tunnels). En 1973, les autoroutes non concédées représentaient moins de 1 000 km et les autoroutes concédées, environ 1 500 km ; en 1993, elles représentaient respectivement 2 000 km et 6 000 km.

Le réseau autoroutier est donc très largement fondé sur le principe de la concession pour la construction et l’exploitation des autoroutes, sur la base de l’article L. 122-4 du code de la voirie routière et de l’ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics.

La concession autoroutière est un contrat de délégation de service public par lequel l’État, autorité concédante, confie pour une durée définie (35 ans à l’origine) et sur la base d’un cahier des charges, à un opérateur économique – le concessionnaire – la construction, l’entretien, l’exploitation d’une infrastructure ou d’un ouvrage d’art, en contrepartie de la perception d’un droit d’utilisation de cette infrastructure (le péage) acquitté par les usagers.

Les 2 603 kilomètres d’autoroutes non concédées sont gérés directement par l’État, les usagers y accèdent sans payer de péage, et leur entretien est assuré par l’État. Il s’agit des autoroutes urbaines (par exemple le périphérique parisien) et de quelques autoroutes interurbaines.

En application de la loi du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes, l’État avait concédé la construction et l’exploitation des autoroutes à des sociétés d’économie mixte (SEM). Entre 1956 et 1964, sept SEM concessionnaires d’autoroute, au capital majoritairement détenu par l’État, se sont ainsi constituées : la société de l’autoroute Estérel-Côte d’Azur-Alpes (ESCOTA), la société Autoroutes du sud de la France (ASF), la société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), la société des Autoroutes Paris-Normandie (SAPN), la société des Autoroutes du nord et de l’est de la France (SANEF), la société du tunnel routier sous le Mont-Blanc (STMB) et la société française du tunnel routier de Fréjus (SFTRF). Seules les deux dernières sont encore aujourd’hui sous le contrôle de l’État. Quant à la société concessionnaire COFIROUTE (Compagnie financière et industrielle des autoroutes), elle a toujours été une société privée.

Dans le cadre juridique de la loi de 1955, les tarifs des péages étaient fixés par le Gouvernement, les services de l’État étaient les maîtres d’œuvre des travaux de construction, et les emprunts des SEM concessionnaires étaient programmés dans le budget de l’État.

À partir de 2001, l’État a fait le choix d’un désengagement partiel du système autoroutier pour laisser place à davantage de capitaux privés. Puis, en 2005, le Gouvernement a pris la décision de privatiser les sociétés concessionnaires. L’État a cédé en 2006, pour environ 14,8 milliards d’euros, l’ensemble de ses participations dans les six principales sociétés concessionnaires d’autoroutes.

L’État demeure en revanche propriétaire des infrastructures autoroutières, puisque la totalité des routes ouvertes à la circulation automobile relève du domaine public.

Les concessions autoroutières se caractérisent par des durées d’exécution très longues : les échéances des six principales concessions, conclues avant 2000, sont comprises entre 2027 et 2033, en application de l’ordonnance n° 2001-273 du 28 mars 2001 réformant le régime d’exploitation de certaines sociétés concessionnaires d’autoroutes, compte non tenu du récent Plan de relance autoroutier qui prévoit un prolongement des concessions.

Le plan de relance autoroutier

Le plan de relance autoroutier récemment validé par la Commission européenne constitue un programme d’investissements de 3,271 milliards d’euros que se sont engagées à mettre en œuvre sur près de onze ans les six sociétés concessionnaires « historiques » (dont les contrats ont été conclus avant 2000 : APRR et sa filiale AREA, ASF et sa filiale ESCOTA, SANEF et sa filiale SAPN) et la société COFIROUTE. En contrepartie, la durée de leurs concessions respectives est allongée – cet allongement allant de 2 ans pour la SANEF à 4 ans et deux mois pour ESCOTA – et le périmètre concédé est élargi (plus du tiers des travaux concernent des sections ou des ouvrages qui seront ensuite mis en concession).

Le secteur des concessions autoroutières est oligopolistique, concentré autour d’un nombre très limité de grandes entreprises, en raison, d’une part, du montant considérable des capitaux nécessaires pour réaliser et entretenir les autoroutes, et d’autre part, du rachat des six SEM concessionnaires privatisées par trois groupes : Vinci, Eiffage et Albertis.

B.  LA FIXATION DES TARIFS DES PÉAGES AUTOROUTIERS

L’usage des autoroutes est en principe gratuit (article L. 122-4 du code de la voirie routière). Toutefois, un péage peut être institué, par décret en Conseil d’État, dans deux cas :

– pour « assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l’exploitation, à l’entretien, à l’aménagement ou à l’extension de l’infrastructure »,

– en cas de délégation du service public autoroutier, le péage « couvre également la rémunération et l’amortissement des capitaux investis par le délégataire ».

Le droit des sociétés concessionnaires à percevoir des péages en contrepartie des missions qui leur sont confiées constitue le fondement des contrats de concession. Le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers pose les règles suivantes :

1° Les tarifs de péages autoroutiers sont fixés chaque année par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, dans les conditions définies par le cahier des charges annexé à chaque contrat de concession.

2° Chaque société soumet ces tarifs, préalablement à leur entrée en vigueur, aux ministres chargés de l’économie et de l’équipement, qui ont la responsabilité de contrôler le respect, par ces tarifs, des dispositions contractuelles. En cas de non-respect des dispositions contractuelles, ils peuvent mettre en demeure la société de modifier ses tarifs, et, si la société ne le fait pas, fixer les tarifs par arrêté conjoint en mettant en œuvre lesdites dispositions.

3° En l’absence de contrat de plan, c’est le cahier des charges de la société concessionnaire qui définit les règles de fixation des tarifs, notamment les modalités de calcul du tarif kilométrique moyen servant de base aux tarifs des péages et qui tient compte « de la structure du réseau, des charges d’exploitation et des charges financières de la société », ainsi que les possibilités de modulation de ce tarif moyen. Dans cette hypothèse, il y a deux cas de figure :

– lorsque le cahier des charges définit une règle d’évolution des tarifs, ceux-ci sont publiés par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et de l’équipement ;

– dans le silence du cahier des charges en ce qui concerne la règle d’évolution des tarifs, les tarifs sont également fixés par arrêté conjoint des deux ministres, la société ayant droit à une hausse minimale correspondant à 70 % de l’inflation (évolution des prix à la consommation, hors tabac, constatée depuis la fixation des tarifs l’année précédente) ; cette hausse minimale doit couvrir les charges normales des sociétés concessionnaires.

4° Lorsqu’un contrat de plan est conclu entre l’État et une société concessionnaire – pour une durée maximale de cinq ans renouvelable – c’est ce contrat qui fixe la règle d’évolution des péages. Ces contrats permettent de financer des investissements complémentaires en contrepartie d’une évolution complémentaire de la règle tarifaire. Chaque contrat de plan quinquennal s’accompagne d’un avenant à la convention de concession initiale, approuvé par décret en Conseil d’État.

Pour les sociétés concessionnaires, les hausses des tarifs résultent ainsi, d’une part, d’un principe de revalorisation des tarifs à un niveau au moins égal à 70 % de l’inflation pour assurer l’équilibre économique de la concession, et d’autre part, d’un complément négocié périodiquement entre l’État et chaque société en contrepartie de la réalisation d’aménagements et d’ouvrages complémentaires non prévus dans le contrat de concession.

En pratique, l’ensemble des sociétés concessionnaires ont signé un contrat de plan avec l’État. C’est donc la loi tarifaire définie par celui-ci qui s’applique aujourd’hui et non les dispositions du décret de 1995. Les premiers contrats de plan ont été conclus avant la privatisation de 2006, puisqu’ils portaient sur la période 1995-1999. Deux autres séries de contrats de plan ont été conclues depuis la privatisation. Deux nouveaux contrats de plan ont été signés en 2014 (avec APPR et AERA), et d’autres contrats devraient être signés en 2015.

Selon l’Autorité de la concurrence (66), grâce aux contrats de plan, ces entreprises bénéficient d’une hausse annuelle garantie plus avantageuse (80 ou 85 % de l’inflation), à laquelle s’ajoute une hausse supplémentaire correspondant à la compensation des nouveaux investissements mis à la charge des sociétés par le concédant dans le cadre de ces contrats. Par exemple, dans le contrat de plan 2014-2018 signé par l’État et APRR, la loi tarifaire s’établit à 85 % de l’inflation + 0,37 %.

En 2012, les revenus nets des péages enregistrés par les concessionnaires se sont élevés à 8,45 milliards d’euros. La Cour des comptes a relevé, dans son rapport de juillet 2013 sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires, que les tarifs des péages ont augmenté beaucoup plus vite que l’inflation depuis 2004.

C.  LES MARCHÉS DE TRAVAUX, FOURNITURES ET SERVICES PASSÉS PAR LES CONCESSIONNAIRES D’AUTOROUTES

Le rythme de construction de nouvelles autoroutes s’est progressivement ralenti, il ne représente plus qu’une centaine de kilomètres par an en moyenne ces dernières années. En revanche, les concessionnaires procèdent à des travaux d’élargissement d’autoroutes existantes, d’agrandissement des aires de stationnement, de modernisation et de mise aux normes en matière d’environnement et de sécurité…

Les sociétés concessionnaires sont soumises à trois séries d’obligations en ce qui concerne leurs marchés de travaux, de fournitures et de services :

– l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics (ainsi que son décret d’application n° 2005-1742 du 30 décembre 2005), applicable aux sociétés concessionnaires publiques : les sociétés du tunnel du Mont-Blanc et du tunnel du Fréjus ;

– le chapitre 3 du titre II du décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 relatif aux contrats de concession de travaux publics et portant diverses dispositions en matière de commande publique, qui s’applique à l’ensemble des sociétés concessionnaires privées ;

– des dispositions contractuelles dérogatoires au décret de 2010.

L’ordonnance du 6 juin 2005 pose des obligations de publicité et de mise en concurrence des marchés de travaux, fournitures et services au-delà de certains seuils. Le décret du 26 avril 2010 impose le même type d’obligations, pour les marchés de travaux d’un montant égal ou supérieur à 4,845 millions d’euros HT ; il est applicable à COFIROUTE et aux concessionnaires les plus récents. Les dispositions contractuelles dérogatoires, qui figurent également dans un décret (67), bénéficient aux six plus grands concessionnaires, posent des obligations applicables aux marchés de travaux d’un montant supérieur à 2 millions d’euros HT et aux marchés de fournitures et de services d’un montant supérieur ou égal à 240 000 euros HT.

Le décret du 26 mars 1993 (68) avait institué au sein de chaque société d’économie mixte concessionnaire d’autoroute une commission d’appel d’offres, devenue en 2001 « commission consultative des marchés du concessionnaire » (CCMC). Lors de la privatisation, le principe de ces commissions a été intégré dans le cahier des charges annexé aux concessions.

Une Commission nationale des marchés des sociétés concessionnaires d’autoroutes et d’ouvrages d’art (CNM) a été créée par le décret n° 2004-86 du 26 janvier 2004. La CNM est chargée du contrôle des marchés des six sociétés privatisées et des deux sociétés publiques ; elle contrôle la composition et le fonctionnement des CCMC, les règles définies par celles-ci pour la passation et l’exécution des marchés, et le respect des règles qui leur sont applicables.

II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

Le constat d’une défaillance de la régulation par l’État des sociétés concessionnaires a été fait notamment par la Cour des comptes dans son rapport du 24 juillet 2013 et par l’Autorité de la concurrence dans son avis du
17 septembre 2014. Le Gouvernement a pris en compte plusieurs recommandations de ces deux autorités, et propose d’améliorer l’ensemble de la régulation du secteur autoroutier concédé, tant en ce qui concerne les modalités de fixation des tarifs de péage que le contrôle du respect des obligations de publicité et de mise en concurrence applicables aux concessionnaires lorsqu’ils passent des marchés. L’objectif général est de renforcer le positionnement de l’État face aux sociétés concessionnaires d’autoroutes.

A.  UNE RÉGULATION DE LA FIXATION DES TARIFS DES PÉAGES

Dans son rapport précité, la Cour des comptes a constaté deux insuffisances structurelles de la régulation par l’État des sociétés concessionnaires, qu’a rappelées l’Autorité de la concurrence dans son avis : un déséquilibre des forces entre les services de l’administration d’État et les groupes puissants dont font partie ces sociétés, et l’influence de ces groupes sur les prises de décision. L’Autorité de la concurrence a préconisé qu’une autorité indépendante soit chargée de contribuer à protéger les intérêts de l’État concédant et des usagers en participant à la régulation du secteur.

L’article 5 du projet de loi prévoit que l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières créée par l’article premier sera associée à la négociation des contrats : elle sera consultée sur les projets de modification des contrats de concession et sur les projets de contrat de plan, dès lors qu’ils auront une incidence sur les tarifs de péage (nouvel article L. 122-8 du code de la voirie routière). Son avis sera rendu public, sous réserve du secret des affaires.

L’étude d’impact qui accompagne le projet de loi précise que cet avis portera notamment sur le champ des dépenses qui, relevant des obligations ordinaires du concessionnaire, ne doivent pas être couvertes par une augmentation des tarifs ; il portera aussi sur le taux de rentabilité interne et sur les impacts sur les usagers.

B.  UNE RÉGULATION DES MARCHÉS

Comme pour la régulation des tarifs de péages, le dispositif de régulation concurrentielle actuelle des marchés a montré ses limites. Les pouvoirs de la CNM sont très limités par rapport à ceux des régulateurs dans les autres secteurs, et les règles de mise en concurrence applicables lors de la passation des marchés apparaissent très insuffisantes.

L’article 5 du projet de loi propose :

1° d’inscrire dans la loi, de manière uniforme pour toutes les concessions, le principe de l’assujettissement des concessionnaires privés à des règles de publicité et de mise en concurrence :

Ces règles ne seront ainsi plus fixées de manière contractuelle
– c’est-à-dire négociée – mais de manière unilatérale par le pouvoir législatif et réglementaire. Elles seront étendues à COFIROUTE. Les sociétés publiques resteront en revanche soumises à l’ordonnance du 6 juin 2005.

2° d’instaurer un dispositif spécifique pour les concessions attribuées après mise en concurrence :

Les concessions qui ont été attribuées après 2001 – il en existe huit, gérant chacune une section d’autoroute « isolée » – ont été attribuées à l’issue d’une procédure de publicité et de mise en concurrence européenne. Compte tenu de l’existence de cette mise en concurrence, le projet de loi propose qu’une obligation issue de l’ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics ne leur soit pas applicable :

L’article 15 de cette ordonnance dispose que le pouvoir adjudicateur - en l’occurrence l’État – peut imposer à un concessionnaire « de sous-traiter à des tiers un pourcentage au moins égal à 30 % de la valeur globale des travaux faisant l’objet de la concession ». Les « tiers » sont des entreprises qui ne font pas partie du groupement concessionnaire et qui ne sont pas des « entreprises liées » à celui-ci. Selon la définition de l’article 12 de l’ordonnance, on entend par « entreprise liée » : « toute entreprise sur laquelle le concessionnaire peut exercer, directement ou indirectement, une influence dominante, toute entreprise qui peut exercer une influence dominante sur le concessionnaire, ou toute entreprise qui, comme le concessionnaire, est soumise à l’influence dominante d’une autre entreprise du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent ». Dans le cas des concessions autoroutières, ces dispositions sont rendues nécessaires par les liens organiques existants entre les sociétés concessionnaires et les trois grands groupes du BTP auxquels elles sont rattachées : elles visent à assurer qu’au moins 30 % des marchés de travaux conclus par les sociétés concessionnaires seront passés avec des entreprises extérieures à ces groupes.

3° de donner compétence à l’ARAFER pour contrôler le respect, par les concessionnaires, de leurs obligations en matière de passation de marchés (nouvel article L. 122-11 du code de la voirie routière) :

Les concessionnaires devront informer l’ARAFER préalablement à l’attribution de ces marchés (nouvel article L. 122-13). L’Autorité pourra procéder à des expertises, mener des études, recueillir des données et mener toutes les actions d’information nécessaires dans ce secteur (nouvel article L. 122-17), et y exercer les mêmes pouvoirs de contrôle et d’enquête que ceux dont dispose actuellement l’ARAF dans le secteur ferroviaire (nouveaux articles L. 122-19 à L. 122-21). Elle établira chaque année un rapport sur les marchés passés et sur les travaux réalisés pour l’exécution de ces marchés (nouvel article L. 122-17).

III. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

La commission spéciale a adopté les amendements rédactionnels des rapporteurs, ainsi qu’un amendement prévoyant que l’ARAFER sera consultée dans le cadre de la révision annuelle des tarifs de péages ; sous réserve du secret des affaires, cet avis sera rendu public (nouvel article L. 122-8-1).

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* *

La Commission est saisie de l’amendement SPE1309 de Mme Eva Sas.

M. Jean-Louis Roumegas. Nous proposons de soumettre à l’approbation du Parlement la conclusion des éventuels nouveaux contrats de concession d’autoroute. Si cela avait été le cas en 2006, peut-être les députés auraient-ils tiré la sonnette d’alarme.

M. le ministre. Tout en estimant que la mesure proposée n’est pas adaptée en termes d’équilibre institutionnel et de partage des responsabilités, le Gouvernement souscrit pleinement à l’objectif de cet amendement, qui est d’accroître la transparence des procédures et de mieux associer les élus de la Nation à la définition de la politique autoroutière.

Plusieurs dispositions du présent projet de loi, dont l’extension des compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), modifient en profondeur la régulation de ce secteur et nous aurons collectivement l’occasion de parfaire ce dispositif lors de nos débats en séance publique. Un groupe de travail doit se réunir prochainement autour du Premier ministre pour discuter des premiers résultats de la démarche engagée, et je tiens à mon tour à souligner ici la qualité des travaux initiés par M. Jean-Paul Chanteguet. En attendant, je souhaite le retrait de cet amendement, pour l’heure inopportun.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Si, en 2006, les contrats autoroutiers avaient été soumis au Parlement, il est évident que la majorité aurait suivi M. Dominique de Villepin, d’abord parce qu’elle n’avait pas la visibilité que nous avons aujourd’hui sur leur rentabilité et qu’elle ignorait que les sociétés autoroutières auraient recours à l’emprunt plutôt qu’à l’autofinancement afin d’augmenter leurs dividendes.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas accroître le contrôle parlementaire. Le Premier ministre semble l’avoir entendu et, pour avoir participé à la mission d’information sur les autoroutes, qui ne s’est pas montrée particulièrement amène avec les autoroutiers, je fais confiance à Jean-Paul Chanteguet pour continuer à défendre avec pugnacité des solutions équilibrées, qui préserveront l’intérêt général et éviteront que la rupture des contrats tourne au fiasco, comme ce fut le cas pour l’écotaxe. Avis défavorable.

M. Arnaud Leroy. J’ai présidé une commission d’enquête sur les conditions de privatisation de la SNCM – toujours sous le gouvernement Villepin –, dont les conclusions ont montré qu’elle s’était faite en l’absence de toute discussion et de tout contrôle parlementaire. Contrairement à Gilles Savary, je pense que, s’ils en avaient eu l’occasion, les parlementaires n’auraient pas manqué de s’interroger sur les conditions de privatisation des autoroutes. Sans soutenir l’amendement de Jean-Louis Roumegas, j’attire donc votre attention sur l’importance du contrôle parlementaire. Ce n’est pas un sujet anodin – nous en avons discuté à l’occasion de la cession de parts d’entreprises publiques, notamment pour le financement des 20 % d’Alstom.

M. Jean-Louis Roumegas. Les majorités soutiennent en général leurs gouvernements, mais j’ai la faiblesse de croire que les parlementaires se réservent malgré tout le droit d’amender les textes qui leur sont proposés, qu’ils exercent leur mission de contrôle et qu’ils ne se contentent pas de voter la loi sans exercer leur esprit critique, aujourd’hui comme à l’époque de M. Dominique de Villepin. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi les concertations qu’annonce le ministre hypothéqueraient le principe simple que nous défendons et qui consiste à soumettre les contrats de concession à l’approbation du Parlement.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Ce n’est pas le principe qui est en cause, mais ses modalités d’application. Pour avoir siégé au sein de la mission d’information sur les autoroutes ou avoir eu à connaître, dans le cadre de la communauté urbaine de Bordeaux, des contrats d’eau ou d’électricité, je sais d’expérience que nos assemblées ne sont pas capables d’analyser les clauses les plus subtiles des contrats de service public, qui représentent des masses de papier énormes. Je ne suis pas opposé au fait que l’on nous soumette ces contrats, mais la création d’une autorité indépendante nous permettra de mieux les déchiffrer et nous prémunira contre d’éventuelles connivences entre les grands corps de l’État. Ce sera une avancée considérable de ce projet de loi.

La Commission rejette l’amendement SPE1309.

Elle en vient ensuite à l’amendement SPE1288 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Nous proposons que l’ARAFER soit consultée non seulement sur les nouveaux projets de délégation, mais également sur la mise en œuvre des dispositions contractuelles existantes. Nous souhaitons par ailleurs que sa compétence d’avis soit élargie aux projets de dispositions réglementaires ayant une incidence sur la détermination des péages. Cela nous semble indispensable dans un pays comme le nôtre, qui manque d’une forte tradition en matière de délégation de service public.

M. le ministre. Je suis en parfait accord, sur l’esprit comme sur le fond, avec l’amendement de M. Joël Giraud. J’en diverge néanmoins sur la méthode. Je demande donc son retrait, tout en m’engageant à accepter en séance un amendement accordant à l’ARAFER un droit de regard sur l’équilibre économique global des contrats de DSP.

L’amendement SPE1288 est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE58 des rapporteurs.

Puis elle examine l’amendement SPE947 de M. Bertrand Pancher.

M. Philippe Vigier. Nous proposons que l’ARAFER, à laquelle le projet de loi confie de nouvelles compétences, soit également consultée sur la révision annuelle des tarifs de péage.

M. le ministre. Si je ne suis pas en désaccord sur le fond avec cet amendement, je préférerais que les dispositions qu’il propose soient intégrées dans un amendement plus général que nous examinerions en séance publique. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Prenons ce que nous avons à prendre aujourd’hui, quitte à apporter des modifications en séance. Mon avis est donc plutôt favorable.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Comme Gilles Savary, je pense qu’il nous faut d’ores et déjà marquer notre approbation. Avis favorable.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP votera cet amendement.

La Commission adopte l’amendement SPE947.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels SPE74 et SPE500 des rapporteurs.

Elle en vient ensuite à l’amendement SPE949 de M. Bertrand Pancher.

M. Philippe Vigier. Le projet de loi confère à l’ARAFER une mission de contrôle de l’exercice d’une concurrence effective et loyale lors de la passation des marchés de travaux, de fournitures et de services du réseau autoroutier concédé. Or nous avons créé, voilà quelques années, une Commission nationale des marchés des sociétés concessionnaires d’autoroutes ou d’ouvrages d’art, qui n’exerce à l’heure actuelle son pouvoir de contrôle qu’a posteriori mais à laquelle il aurait été plus cohérent de conférer de nouvelles compétences.

M. le ministre. Notre réforme entend mettre un terme à la séparation entre la commission nationale des marchés – qui n’a pas la personnalité juridique et n’est pas indépendante – et l’ARAFER, et permettre à cette dernière d’intégrer les marchés de travaux à son analyse et à sa régulation d’ensemble.

Le fait que le régulateur soit indépendant ne le disqualifie nullement pour exercer une telle mission. Au contraire, c’est une garantie supplémentaire contre d’éventuels conflits d’intérêts. L’octroi à l’ARAFER d’une compétence de régulation des marchés de travaux autoroutiers est donc un choix de bonne administration. C’est aussi la condition pour qu’elle puisse examiner l’équilibre économique des contrats dans leur globalité, ce qui inclut les tarifs mais aussi l’ensemble des travaux. Nous souhaitons donc étendre les compétences de l’ARAFER selon des modalités que nous aurons à déterminer d’ici la discussion du texte en séance. La priver de la capacité de réguler les marchés de travaux ne me paraît pas une bonne idée. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Le rôle d’un régulateur n’est pas de s’occuper des marchés publics. Cela étant, on souffre dans cette affaire de trop de « consanguinité » entre l’appareil d’État et les instances dirigeantes des sociétés d’autoroutes. Ayant constaté par moi-même l’impuissance proprement pathétique de la commission de contrôle des marchés autoroutiers, je pense, tout en partageant l’analyse organique et institutionnelle de Philippe Vigier, que la mise en place d’une instance indépendante qui jouerait un rôle de « chambre de décontamination » ne peut pas faire de mal. Si nous voulons plus de transparence, il faut confier à l’ARAFER le contrôle des marchés de travaux. Avis défavorable.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le tableau que vient de dresser notre collègue Gilles Savary a le mérite d’être clair… Ne serait-ce pas plutôt à l’Autorité de la concurrence – dont ce projet de loi accroît par ailleurs les compétences – de contrôler ces marchés de travaux puisqu’elle est habilitée à examiner toute situation de concurrence, et ce, même si l’on ne se trouve pas nécessairement dans une logique de marché public lorsqu’un entrepreneur autoroutier sollicite un fournisseur ?

M. Jean-Paul Chanteguet. Les explications du ministre m’ont paru convaincantes. Doit-on en déduire que la Commission nationale des marchés des sociétés concessionnaires d’autoroutes et d’ouvrages d’art sera supprimée ?

M. Philippe Vigier. J’allais poser exactement la même question…

M. le ministre. Je remercie le rapporteur thématique de la franchise de ses propos qui plaident en faveur des aménagements proposés par le texte.

S’il est toujours loisible de demander son avis à l’Autorité de la concurrence, cette dernière n’est pas forcément compétente dès lors qu’il s’agit d’apprécier l’utilité des travaux. Or cette évaluation participe d’une appréhension globale de l’économie des contrats, et il est donc pertinent qu’un même régulateur ait en charge l’ensemble des questions. Je plaide donc pour que le contrôle de la passation des marchés de travaux demeure de la compétence de l’ARAFER, étant entendu que nous proposons en effet de supprimer la Commission nationale des marchés.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous venons, en adoptant le précédent amendement défendu par Philippe Vigier, d’élargir les compétences de l’ARAFER en matière de péages. Il serait incohérent de les amputer dans la foulée pour ce qui touche les marchés de travaux. Avis défavorable.

M. Philippe Vigier. Dès lors que la Commission nationale des marchés est supprimée, la cohérence est rétablie et nous sommes satisfaits. Restera néanmoins à se pencher sur la dualité qui existe entre les sociétés d’autoroute qui construisent et qui gèrent, et celles qui ne font que gérer.

L’amendement SPE949 est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements SPE1289 et SPE1294 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Dans la mesure où le projet de loi prévoit de confier à l’ARAFER la mission de veiller à l’exercice d’une concurrence effective et loyale lors de la passation des marchés, l’amendement SPE1289 a pour objet de répartir de manière cohérente, en fonction du rôle et des compétences respectives de l’État et de l’autorité de régulation, la responsabilité du contrôle.

L’amendement SPE1294 est le premier d’une série d’amendements de repli clarifiant pour chaque alinéa de l’article 5 ce qui est de la compétence de chacun.

M. le ministre. Avis défavorable. L’octroi à l’ARAFER d’une compétence de régulation des marchés de travaux autoroutiers est un choix de bonne administration.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Même avis. Il ne me paraît pas justifié, en tout cas pour l’heure, de réécrire entièrement cette partie du projet de loi pour y distinguer ce qui relève de l’État ou de l’ARAFER.

L’amendement SPE1289 est retiré.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le ministre a insisté sur le fait que l’ARAFER serait amenée à se prononcer sur la pertinence et l’utilité des travaux. Ce n’est pas ce qui est écrit dans l’article 5, qui propose d’ajouter au code de la voirie routière un article L. 122-16, aux termes duquel « l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières veille à l’exercice d’une concurrence effective et loyale lors de la passation des marchés définis à l’article L. 122-15 ». Il n’est donc question ni de la pertinence des marchés ni de l’utilité des travaux, ce qui justifierait sans doute quelques précisions lors de la discussion en séance publique.

M. le ministre. On pourra, lors de la discussion en séance, clarifier les rôles entre l’État et le régulateur, et apporter les précisions demandées par M. Jean-Frédéric Poisson. Ce qui, du coup, devrait donner satisfaction à M. Joël Giraud.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Le sujet mérite en effet que l’on s’y penche d’ici la discussion en séance.

M. le président François Brottes. Ce qui plaide pour que nous ayons un peu de temps entre la discussion du texte en commission et son examen en séance publique.

L’amendement SPE1294 est retiré.

Les amendements SPE1293, SPE1292, SPE1291 et SPE1290 de M. Joël Giraud sont retirés.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels SPE59, SPE62, SPE60, SPE61, SPE63 et SPE73 des rapporteurs.

Puis elle adopte l’article 5 ainsi modifié.

Après l’article 5

La Commission est saisie de l’amendement SPE731 de M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. Il s’agit de revenir sur le dispositif de plafonnement de la déductibilité des charges financières dont bénéficient les sociétés d’autoroute par exception au régime général, selon lequel, lorsque leur montant dépasse les 3 millions d’euros, les charges financières nettes ne sont pas intégralement déductibles du résultat soumis à l’impôt sur les sociétés, mais seulement pour 75 % de leur montant.

M. le ministre. Les contrats comprennent des clauses qui prévoient qu’en cas de changement des règles fiscales, les sociétés concessionnaires peuvent exiger des compensations. L’adoption du présent amendement risquerait donc de se traduire par une hausse du tarif des péages, ce qui est en contradiction avec les objectifs du projet de loi.

Par ailleurs, des mesures fiscales visant spécifiquement les sociétés d’autoroute soulèvent des questions juridiques.

Enfin le Gouvernement a clairement indiqué qu’il aurait avec les sociétés d’autoroute un dialogue franc et vigoureux. Souhaitant faire bouger les lignes et modifier l’équilibre des contrats existants, Mme Ségolène Royal et moi-même insistons dans cette perspective sur la nécessité d’éviter toute répercussion sur les tarifs. Il me paraît malvenu à ce stade, et alors que des négociations sont en cours, d’adopter un tel amendement. Je demande donc son retrait.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Le modèle économique des autoroutes est simple : toutes les charges sont répercutées sur les usagers, et tous les bénéfices sur les actionnaires… Cela plaide évidemment en faveur d’une résiliation ou, à tout le moins, d’une révision profonde des contrats. Mais tant que celle-ci n’est pas acquise, il n’est pas pertinent de prendre des mesures qui pèseraient sur les usagers. Attendons les conclusions de la mission Chanteguet II…

M. Jean-Yves Caullet. Je retire donc cet amendement tout en soulignant l’urgence qu’il y a à réformer ces contrats proprement exorbitants.

L’amendement SPE731 est retiré.

La Commission en vient à l’examen des amendements identiques SPE1262 de M. Joël Giraud et SP1331 de M. Jean-Louis Roumeguas.

Mme Michèle Bonneton. Nous proposons de relever la taxe due par les concessionnaires d’autoroute de 7,32 euros pour mille kilomètres parcourus à 9,20 euros, ceci afin de pallier les difficultés financières de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui a pour charge de financer les grands projets d’infrastructures multimodales et la mobilité durable en France. L’AFITF a en effet été lourdement pénalisée par l’abandon de l’écotaxe, que nous préférons appeler « taxe poids lourds ».

M. le ministre. Avis défavorable. J’indique toutefois que le Gouvernement s’engage à proposer des solutions permettant d’accroître la contribution des sociétés concessionnaires d’autoroute au financement des infrastructures sans que cette augmentation ne se répercute sur les usagers.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Même avis. Une telle mesure serait indolore pour les sociétés d’autoroute mais douloureuse pour les usagers.

Mme Michèle Bonneton. Moins d’un centime pour dix kilomètres…

L’amendement SPE1262 est retiré.

La Commission rejette l’amendement SPE1331.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements SPE1332 de M. Denis Baupin et SPE985 de M. Philippe Vigier.

Mme Michèle Bonneton. Il s’agit d’encourager le développement des véhicules propres et l’augmentation du taux de remplissage des véhicules en modulant le prix des péages en fonction de ces deux critères.

M. Philippe Vigier. Nous souhaitons, dans le même esprit, « verdir » ce projet de loi et demandons, dans cette perspective, un rapport sur l’opportunité de mettre en place des tarifications incitatives, puisqu’il ne nous est pas possible de le proposer directement sans nous voir opposer l’article 40.

Les États-Unis ont mis en place le système des High Occupancy Toll (HOT) lanes et des High Occupancy Vehicles (HOV) lanes, qui associe voies réservées aux véhicules à occupation multiple et modulation des tarifs en fonction du taux de remplissage. Nous pourrions nous inspirer de cet exemple pour développer le covoiturage sur le réseau autoroutier.

M. le ministre. Les amendements sont satisfaits par des obligations communautaires qui, toutefois, ne s’appliquent qu’aux nouvelles concessions. La question reste donc posée pour les concessions existantes, et le Gouvernement s’engage à y répondre dans le cadre de la négociation que le Premier ministre souhaite voir aboutir dans les prochains jours. Aussi je vous suggère de retirer ces amendements, dont les objectifs seront repris par d’autres que nous présenterons en séance.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Même avis, pour des raisons un peu différentes. Les tarifs de péage financent, au centime près, l’entretien des infrastructures ; aux termes du droit européen, les émissions polluantes sont visées, fort logiquement du reste, par les taxes sur les carburants : plus une voiture consomme, plus elle paie. La différenciation proposée soulève donc une difficulté juridique dans la mesure où ces émissions sont déjà taxées par un prélèvement à la pompe.

Mme Michèle Bonneton. Une telle différenciation va dans le sens du projet de loi relatif à la transition énergétique, que nous avons adopté à une large majorité ; elle pourrait aussi, du reste, constituer une mesure de soutien pour le covoiturage. Je maintiens donc mon amendement.

M. Philippe Vigier. Il s’agit en effet d’une mesure d’incitation en faveur du covoiturage ; elle ne saurait d’autre part se heurter à l’article 40, puisqu’elle consiste seulement dans la remise d’un rapport, sur lequel pourraient s’appuyer l’ensemble des pays européens : ne reportons pas au lendemain ce que nous pouvons voter dès aujourd’hui.

M. le président François Brottes. Selon votre logique, les bus remplis de passagers devraient être exonérés de péage…

M. le rapporteur général. Qui plus est, il faudrait contrôler, de visu, le nombre de passagers présents au sein des véhicules à chaque barrière de péage. Cette opération quasi policière soulève des questions qui dépassent le seul aspect technique.

M. Jean-Yves Caullet. L’intérêt principal du covoiturage est la division des frais de voyage, péages compris : une tarification différenciée n’aurait qu’un effet négligeable. Le contrôle se heurterait par ailleurs à des difficultés considérables : comment faire la différence, par exemple, entre un véhicule destiné au covoiturage et celui d’un père de famille qui transporte ses enfants ? Ce serait presque un retour à l’octroi de l’Ancien Régime, avec les embouteillages qu’il provoquait… Mieux vaut se fier à la vertu d’un système qui permet l’utilisation collective de véhicules individuels ; si, comme le disait Henry David Thoreau, « la loi n’a jamais rendu les hommes plus justes d’une once », on voit mal comment une taxe pourrait le faire…

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Le covoiturage, déjà sous franchise fiscale – il ne paie même pas la TVA –, est un redoutable concurrent des transports collectifs, ce qui au demeurant ne remet pas en cause sa vertu.

On peut étudier la possibilité, y compris juridique, d’une tarification différenciée sur les autoroutes, mais méfions-nous des fausses évidences : la voiture individuelle, ne l’oublions pas, est tout de même bien moins vertueuse que le bus, en termes d’accidentologie, de congestion du trafic ou d’usure des infrastructures.

M. Philippe Vigier. Notre collègue Gilles Savary a raison de souligner le risque de concurrence entre le covoiturage et les transports collectifs, mais, dans certaines zones privées de transports en commun, le covoiturage est la seule alternative. On peut alors dire qu’il est une bonne solution. Son intérêt est par ailleurs de regrouper le plus de passagers possible à bord d’un même véhicule, au bénéfice de l’environnement : peu importe qui sont ces passagers, monsieur Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Louis Roumegas. Certains donnent le sentiment d’attaquer le covoiturage.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Pas du tout !

M. Jean-Louis Roumegas. Celui-ci, rappelons-le, reste pour beaucoup une pratique ponctuelle, qui permet à d’autres de laisser leur propre véhicule au garage. D’autre part, l’économie collaborative correspond à une évolution incontournable de la société ; certes, le covoiturage échappe à la fiscalité et n’alimente pas les profits des multinationales – encore que l’on pourrait discuter de la situation de « Blablacar » –, mais il ne fait pas concurrence aux transports en commun, que l’on soutiendrait plus efficacement en rendant leurs prix plus attractifs.

M. le président François Brottes. Certains véhicules, paraît-il, font plusieurs fois le trajet Paris-Bruxelles dans la journée en covoiturage ; mais il s’agit certainement d’exceptions…

La Commission rejette successivement les amendements SPE1332 et SPE985.

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* *

Article 5 bis [nouveau]
Rapport du Gouvernement sur l’opportunité d’une tarification des péages autoroutiers en fonction du nombre de passagers

La commission spéciale a adopté un amendement de M. Philippe Vigier créant cet article additionnel et qui demande au Gouvernement de présenter au Parlement, dans un délai de deux ans après la promulgation de la loi, un rapport évaluant l’opportunité de pratiquer une tarification des péages autoroutiers proportionnelle au nombre de passagers présents dans un véhicule.

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La Commission se saisit, en discussion commune, des amendements SPE1335 de M. Denis Baupin et SPE983 de M. Philippe Vigier.

M. Jean-Louis Roumegas. L’amendement SPE1335 ne pose aucune des difficultés opposées au précédent : il s’agit de réserver l’une des voies autoroutières aux abords ou au sein des agglomérations, pour peu qu’elles soient au nombre de trois au moins, à la circulation des transports en commun, des taxis, des véhicules dédiés à l’auto-partage ou au covoiturage. Dans les pays où une telle mesure a été mise en œuvre, elle a fortement encouragé ces modes de transport plus propres. Monsieur le ministre nous incitait à agir plutôt qu’à solliciter des rapports : nous avons là une occasion de le faire.

M. Michel Zumkeller. Notre amendement SPE983 poursuit les mêmes objectifs que le SPE985, dont le vote est intervenu un peu rapidement. Il s’agit d’encourager des pratiques vertueuses pour le développement durable à travers une tarification différenciée selon le nombre de personnes à bord : cela mérite, me semble-t-il, que notre commission y réfléchisse à deux fois. Aussi bien ne proposons-nous qu’un rapport, lequel permettrait d’étudier comment d’autres pays ont mis une telle disposition en œuvre ; peut-être l’ont-ils fait de manière très naturelle, sans avoir eu besoin de mettre un agent à chaque péage.

M. le ministre. Je pourrais me borner à demander le retrait de ces amendements pour les mêmes motifs que les précédents, même si je souscris à l’objectif de chercher les moyens de développer le covoiturage et la circulation de véhicules propres sur les autoroutes ; quoi qu’il en soit, ces amendements me semblent prématurés et juridiquement fragiles au vu des différences qu’ils établiraient entre les contrats, s’agissant notamment de la règle des trois voies. Je serais donc plus ouvert à une étude, non seulement sur l’équilibre économique de telles dispositions, mais aussi sur leurs assises juridiques.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je ferai une différence entre les deux amendements. Le SPE1335 porterait atteinte aux contrats de concession avant même leur renégociation, et la disposition qu’il contient fait l’objet d’un article dans le projet de loi sur la transition énergétique. Je suggère donc son retrait, malgré mon adhésion sur le fond.

Quant au SPE983, il ne me paraît pas inopportun d’étudier les possibilités de moduler, au bénéfice de certains véhicules, les péages autoroutiers dans les prochains contrats. L’avis est donc plutôt favorable.

M. Jean-Frédéric Poisson. Quoique j’appartienne à une commission où l’on incite le Parlement à produire lui-même des rapports, je partage l’avis du rapporteur thématique. Nous voterons donc l’amendement de nos amis de l’UDI.

M. le président François Brottes. L’expertise de la commission à laquelle vous appartenez, monsieur Jean-Frédéric Poisson, suffit aux sujets qu’elle traite ; ce n’est pas le cas pour le sujet dont nous parlons.

Mme Michèle Bonneton. L’amendement SPE1335 n’imposerait aux sociétés autoroutières que des contraintes mineures, puisque les péages sont rares près des métropoles.

M. le président François Brottes. Mais les tronçons sans péage peuvent très bien être sous concession : l’exemple de la métropole grenobloise le montre.

Mme Michèle Bonneton. Certes, mais dans la métropole grenobloise, justement, ce sont des deniers publics qui ont financé la construction d’une troisième voie.

M. le président François Brottes. Il s’agissait en l’occurrence non d’une troisième voie, mais d’une voie d’urgence : nous ne sommes donc pas dans le cas visé par l’amendement.

La Commission rejette l’amendement SPE1335

Puis elle adopte l’amendement SPE983.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’un des principaux travaux de Jean-Luc Warsmann, lorsqu’il présidait la commission des lois, avait été de recodifier certains textes afin d’y supprimer des dizaines, sinon des centaines de dispositions jamais appliquées, qui tendaient à la remise de rapports…

M. le président François Brottes. Vous avez naguère fréquenté, cher collègue, une autre commission, qui n’a de cesse de recenser les rapports demandés au Gouvernement. Nous ne parlons pas ici des rapports annuels, mais des rapports ponctuels, « one shot », sur des sujets où l’expertise peut être nécessaire pour débloquer une situation. Or le grand ménage – passez-moi l’expression – prétendument à droit constant de notre collègue Jean-Luc Warsmann ne se limitait pas aux rapports annuels…

Article 6
(art. L. 122-4 et L. 122-4-2 du code de la voirie routière)

Compétences de l’ARAFER dans le secteur autoroutier : dispositions de coordination

I. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

L’article 6 du projet de loi tire les conséquences de l’attribution, par l’article 5, de compétences à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières en matière de régulation des péages autoroutiers et des marchés du réseau autoroutier concédé, pour que la consultation de l’ARAFER soit un préalable obligatoire à l’adoption de plusieurs décrets prévus par l’article L. 122-4 de la voirie routière.

Devront ainsi faire l’objet d’un avis de l’ARAFER préalablement à leur adoption :

– tout décret en Conseil d’État instituant un péage pour l’usage d’une autoroute (article L. 122-4, deuxième alinéa) ;

– tout décret en Conseil d’État relatif aux conditions d’application des dispositions relatives à l’allongement de la durée des concessions, aux concours que peuvent apporter à titre exceptionnel les collectivités publiques, et à l’intégration dans le champ de la concession d’ouvrages et aménagements non prévus dans le cahier des charges initial (article L. 122-4, quatrième alinéa)

– tout décret en Conseil d’État approuvant une convention de délégation ou un cahier des charges annexé à une telle convention, lorsque l’article L. 122-8 (créé par l’article 5 du projet de loi) est applicable, c’est-à-dire en cas de modification ayant une incidence sur les tarifs des péages (article L. 122-4, cinquième alinéa).

II. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

Outre les amendements rédactionnels des rapporteurs, la commission spéciale a adopté un amendement créant pour les concessionnaires d’autoroutes une obligation annuelle d’information de l’ARAFER.

L’article L. 122-4-2 du code de la voirie routière dispose que chaque concessionnaire doit communiquer chaque année aux collectivités territoriales qui participent au financement de l’autoroute qui lui est concédée, un rapport « comportant les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l’exécution de la délégation de service public, une analyse de la qualité du service ainsi que les conditions d’exécution du service public ». L’amendement adopté complète l’article L. 122-4-2 pour que ce rapport annuel soit également communiqué à l’ARAFER, y compris lorsqu’aucune collectivité locale ne participe au financement de l’autoroute concernée.

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La Commission adopte, avec l’assentiment du Gouvernement, l’amendement rédactionnel SPE64 des rapporteurs.

Puis elle examine l’amendement SPE65 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Il est nécessaire que les conventions de délégation et cahiers des charges soient approuvés par décret, l’expression « le cas échéant » s’appliquant aux cas où l’ARAFER doit être consultée en application de l’article L. 122-13, c’est-à-dire seulement sur les actes ayant une incidence sur les tarifs de péage.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE65.

Elle en vient à l’amendement SPE1287 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Chaque année, les délégataires d’une autoroute communiquent aux collectivités territoriales qui participent à son financement un rapport sur les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à cette délégation. Au vu du rôle que nous allons confier à l’ARAFER, je propose que ce rapport lui soit également transmis, et qu’il soit même directement produit à son bénéfice si aucune collectivité ne participe au financement.

M. le ministre. Cet amendement, dont je partage les intentions, me semble satisfait par les articles précédemment votés s’agissant du droit d’accès de l’ARAFER aux comptes des sociétés et aux informations pertinentes, des sanctions administratives en cas de manquement des sociétés concessionnaires aux obligations d’information et, enfin, de la possibilité, pour l’ARAFER, d’organiser la transmission régulière d’informations sur la base de décisions-cadres. Dès lors, la transmission d’un rapport qui a pour objet le suivi des investissements directs des collectivités paraît superfétatoire. Néanmoins, j’émets un avis de sagesse.

M. le rapporteur général. L’amendement paraît en effet redondant par rapport aux dispositions précédemment votées. Avis de sagesse également.

M. Joël Giraud. Ce rapport n’est pas toujours produit si aucune collectivité ne participe au financement. Mon amendement me semble donc utile pour assurer un contrôle systématique des délégations autoroutières.

La Commission adopte l’amendement SPE1287.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP votera l’article 6.

La Commission adopte l’article 6 ainsi modifié.

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Article 6 bis [nouveau]
Société du Grand Paris : ratification de l’ordonnance n° 2014-690
du 26 juin 2014

Le présent article additionnel a été adopté par la commission spéciale à l’initiative du Gouvernement et avec un avis favorable des rapporteurs, afin de ratifier l’ordonnance n° 2014-690 du 26 juin 2014.

L’ordonnance n° 2014-690 du 26 juin 2014 relative à la participation de la Société du Grand Paris à certains projets du réseau des transports en Île-de-France a été prise sur le fondement de l’article 8 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises. Elle permet à la Société du Grand Paris (SGP) :

– d’une part, de financer des projets de création, d’extension, d’amélioration ou de modernisation d’infrastructures de métro et de RER en correspondance avec les nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express ;

– d’autre part, d’être désignée par le syndicat des transports
d’Île-de-France (STIF) comme maître d’ouvrage de projets d’infrastructure de métro en correspondance avec ces mêmes lignes.

À cette fin, l’ordonnance modifie l’article 7 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, et introduit dans cette loi deux articles 20-1 et 20-2.

Permettre à la SGP de contribuer au financement de travaux d’amélioration et de développement du réseau de transport existant (notamment le prolongement de la ligne E du RER, et des lignes 11 et 14 du métro) est indispensable pour assurer la cohérence d’ensemble des chantiers inscrits, d’une part, dans le projet de nouveau réseau de transport du Grand Paris (les quatre nouvelles lignes de métro du « Grand Paris Express ») et, d’autre part, dans le plan de mobilisation pour les transports en commun en Île-de-France.

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La Commission examine l’amendement SPE1635 du Gouvernement.

M. le ministre. L’amendement a pour objet la ratification de l’ordonnance du 26 juin 2014 relative la participation de la société du Grand Paris (SGP) à certains projets du réseau des transports en Île-de-France. Les annonces faites en mars 2013, puis l’accélération du calendrier de réalisation le 9 juillet 2014, réaffirmée lors du comité interministériel du 13 octobre dernier, confirment l’engagement du Gouvernement dans la réalisation du Grand Paris Express et le plan de mobilisation pour les transports.

L’article 8 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises a permis à ce dernier de prendre les mesures correspondantes par voie d’ordonnance. Sur ce fondement, l’ordonnance ayant pour objet d’étendre les missions de la SGP lui permet de financer des projets de création, d’extension, d’amélioration ou de modernisation d’infrastructures de métro et de RER en correspondance avec les nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express, ou d’être désignée par le Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) comme maître d’ouvrage de ces projets d’infrastructure.

L’ordonnance permet également au STIF de confier à la SGP des missions complémentaires ou connexes.

Le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 26 juin 2014 a été examiné par le Conseil d’État le 14 octobre dernier, puis délibéré en Conseil des ministres le 29 octobre ; il a été enregistré à la présidence de l’Assemblée le même jour, soit avant l’expiration du délai de cinq mois à compter de la publication de l’ordonnance prévu par l’article 23 de la loi 2014-1.

Le Gouvernement souhaite que cette ratification intervienne dans le cadre du texte dont nous discutons, dans la mesure où le projet du Nouveau Grand Paris est un vecteur de croissance pour la région Île-de-France et, partant, pour l’ensemble du pays.

Suivant l’avis favorable du rapporteur thématique, la Commission adopte l’amendement SPE1635.

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Article 7
Modalités d’entrée en vigueur des articles premier, 2, 3, 5 et 6

À l’exception des dispositions d’habilitation déjà incluses dans les articles premier et 4, les modalités d’entrée en vigueur des articles premier à 6 du projet de loi seront les suivantes :

1° Les mesures qui ne nécessitent pas d’intervention de la future ARAFER entreront en vigueur dès la promulgation de la loi, en particulier les dispositions de coordination de l’article 3 ;

2° L’ensemble des dispositions relatives aux modifications du régime de l’ARAF, et celles dont la mise en œuvre est conditionnée par l’installation et l’activité de la future ARAFER, n’entreront en vigueur que six mois après la promulgation.

La commission spéciale a adopté cet article avec les modifications rédactionnelles proposées par les rapporteurs.

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La Commission adopte successivement, après avis favorable du Gouvernement, les amendements rédactionnels SPE66, SPE67, SPE502 et SPE68 des rapporteurs.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP votera l’article 7.

La Commission adopte l’article 7 ainsi modifié.

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Article 8
(art. L. 3120-2, L. 3121-3, L. 3121-5 et L. 3121-11 du code des transports, art. 230-19 du code de procédure pénale, art. L. 311-3 du code de la sécurité sociale et loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014)

Stationnement des voitures de transport avec chauffeur (VTC) aux abords des gares et des aéroports

I. L’ÉTAT DU DROIT

Deux textes récents ont modifié le régime juridique des véhicules de transport avec chauffeur (VTC), notamment en ce qui concerne leur stationnement près des gares et des aéroports :

La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a introduit dans le code du tourisme l’interdiction, pour les conducteurs de VTC, de stationner à l’abord des gares et aéroports, à moins que le conducteur ne puisse justifier d’une réservation préalable. Dans le cas où une réservation préalable existe, il ne leur est possible de stationner dans ou aux abords des gares et aérogares que pendant une heure avant la prise en charge du client (durée fixée par le décret n° 2014-371 du 26 mars 2014).

La loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur a introduit de nouvelles règles encadrant l’activité des VTC, et a codifié leur régime juridique dans le code des transports. Ainsi, l’article L. 3120-2 créé par cette loi dispose que le conducteur d’un VTC ne peut pas stationner sur la voie publique à l’abord des gares et des aérogares ou dans l’enceinte de celles-ci « au-delà d’une durée, fixée par décret, précédant la prise en charge de clients, sauf s’il justifie d’une réservation préalable ou d’un contrat avec le client final. » La durée maximale fixée par décret est toujours celle fixée par le décret du 26 mars 2014, soit une heure.

II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

La fixation d’une durée maximale d’une heure pour le stationnement des VTC près des gares et aéroports avant la prise en charge de clients qui ont effectué une réservation préalable a pour effet escompté d’améliorer la gestion des flux de circulation dans ces zones souvent encombrées. Or, la formulation de l’article L. 3120-2 issue de la loi du 1er octobre 2014 ôte à cette limitation une bonne part de sa portée puisqu’elle donne la possibilité à un VTC de stationner plus d’une heure dans ces zones si le conducteur peut justifier d’une réservation préalable ou d’un contrat avec le client final (avec un hôtel par exemple).

L’article 8 du projet de loi propose donc de modifier l’article L. 3120-2 pour qu’il soit clairement établi que seuls les VTC ayant une réservation préalable peuvent stationner dans ces zones, et que même dans ce cas ils ne peuvent y stationner plus d’une heure.

III. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

La commission spéciale a adopté un amendement du Gouvernement procédant à plusieurs corrections rédactionnelles et modifications pour coordination dans le dispositif de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014.

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La Commission est saisie de trois amendements identiques, SPE223 de M. Jean-Frédéric Poisson, SPE305 de M. Patrick Hetzel et SPE1008 de M. Yannick Favennec, tendant à la suppression de l’article.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cet article, très court, tend à modifier des dispositions adoptées tout récemment sur la réglementation relative aux voitures de transport avec chauffeur (VTC) et son articulation avec la profession des taxis, dispositions qui elles-mêmes en modifiaient d’autres adoptées quelques mois plus tôt : tous ces changements, intervenus en moins de six mois, ne sont assurément pas de nature à stabiliser une profession qui connaît des turbulences.

Nous pouvons comprendre que le Gouvernement cherche à mettre un peu d’ordre, mais la succession de décisions contradictoires à des intervalles si brefs atteste, pour le moins, d’une certaine impréparation. Elle nous conduit en tout cas à légiférer à angle droit chaque trimestre : cela n’est respectueux ni des professions concernées ni, quoi qu’on en dise, du Parlement lui-même. Nous attendons d’ailleurs avec impatience le prochain trimestre, au cours duquel nous aurons certainement à défaire les dispositions qui nous sont aujourd’hui soumises. Cela nous permettra, une fois encore, de défendre les mêmes arguments.

M. Patrick Hetzel. L’article 8 témoigne en effet, de la part du Gouvernement, d’une impréparation également relevée par Pierre Joxe et Cécile Duflot. Des personnalités éminentes de la majorité se montrent donc très circonspectes sur les dispositions dont nous débattons, et ce n’est pas l’exposé des motifs du projet de loi qui est de nature à nous éclairer sur leur justification.

M. Philippe Vigier. J’ajoute que, si l’on interdit aux VTC de stationner à proximité des gares et des aéroports, ils devront repartir : où est la justification écologique ? La durée fixée par la réglementation actuelle paraît cohérente. Notre amendement s’inscrit donc dans les objectifs du projet de loi relatif à la transition énergétique.

M. le ministre. L’article 8 corrige en fait une erreur de la loi du 1er octobre 2014 – d’origine parlementaire, rappelons-le –, qui aboutissait à autoriser les VTC enchaînant les réservations à stationner en permanence dans les gares et les aéroports même s’ils n’ont pas de clients. C’est pourquoi il vous est proposé de fixer par décret une durée maximale d’attente pour chaque réservation de VTC tout en excluant les taxis de cette disposition, indispensable pour réguler le stationnement dans ces lieux encombrés. Elle correspond à une demande des professionnels du secteur, et n’a donc rien de contradictoire avec les précédentes dispositions. Elle n’aura pas non plus d’effets négatifs sur la pollution. Avis défavorable aux amendements.

M. le président François Brottes. De plus, monsieur Philippe Vigier, certains chauffeurs laissent tourner le moteur de leur véhicule pendant qu’ils stationnent.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Le VTC, devenu invasif, reste un objet juridique non identifié. La question s’est donc posée de savoir s’il fallait, ou supprimer les taxis, ou ménager un espace pour les uns et les autres en différenciant la nature des prestations. Les taxis jouissent du monopole de la maraude et d’un droit de stationnement sur la voie publique, si bien que leur disparition aurait transformé celle-ci en une véritable jungle. Les VTC, eux, fonctionnent selon un système de réservation. Après l’invalidation, par le Conseil d’État, d’une disposition qui les obligeait à revenir à leur base entre chaque course, il fut décidé de les autoriser à stationner dans les gares et les aéroports pour une durée limitée à une heure, à la condition expresse qu’ils soient réservés ou liés par contrat avec un client qui peut être, par exemple, un établissement hôtelier : c’était déjà une concession à l’irrédentisme des taxis. Or on s’est aperçu que des VTC pouvaient stationner sans avoir de clients, en justifiant seulement de l’existence d’un contrat. C’est à cette situation que l’article 8 entend remédier. Avis défavorable aux amendements.

La Commission rejette les amendements SPE223, SPE305 et SPE1008.

Elle passe à l’amendement SPE1625 du Gouvernement.

M. le ministre. L’amendement apporte plusieurs corrections techniques à la loi n° 2014-1104 relative aux taxis et aux VTC. Il tend à réintroduire dans le code des transports l’article L. 3121-3 qui, relatif aux cessions d’anciennes autorisations de stationnement (ADS) par les personnes morales, avait été supprimé par erreur ; à corriger une imprécision dans la procédure d’attribution de ces autorisations, la priorité donnée aux conducteurs de taxis – salariés ou locataires – étant évaluée à la date de délivrance et non d’inscription sur la liste d’attente ; à supprimer la liste des autorités pouvant délivrer des ADS, cette liste étant incomplète et fixée par voie réglementaire aux termes de l’article R. 3121-4 du code des transports ; à insérer dans la bonne section du même code – la section « Exploitant » – l’article relatif aux modes d’exploitation des taxis ; enfin, à mettre en cohérence le code de procédure pénale et le code de la sécurité sociale avec la loi n° 2014-1104.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis favorable à cet amendement de remise en ordre.

Mme Michèle Bonneton. En fait de remise en ordre, cet amendement me paraît particulièrement obscur – je ne suis d’ailleurs pas la seule à le penser. Il est un peu désolant que nous n’ayons pas eu le temps de l’étudier.

M. le président François Brottes. Le ministre s’est cependant efforcé de l’expliquer en détail.

La Commission adopte l’amendement SPE1625.

Elle rejette ensuite, suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique et du Gouvernement, l’amendement SPE1010 de M. Yannick Favennec.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements SPE1012 et SPE1014 de M. Yannick Favennec.

M. Michel Zumkeller. Ces amendements sont défendus, de même que le SPE1025.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Ils sont satisfaits.

M. Michel Zumkeller. Je les retire.

Les amendements SPE1012 et SPE1014 sont retirés.

La Commission passe à l’amendement SPE1025 de M. Yannick Favennec.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement est lui aussi satisfait.

M. Michel Zumkeller. Je le retire également.

L’amendement SPE1025 est retiré.

La Commission rejette, suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique et du Gouvernement, deux amendements, SPE1021 et SPE1022 de M. Yannick Favennec, présentés en discussion commune.

M. Jean-Frédéric Poisson. Compte tenu de l’obscurité de l’amendement SPE1625, le groupe UMP ne votera pas l’article 8.

M. le président François Brottes. Votre amendement de suppression laissait en effet présager un vote négatif… (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. On voit que vous n’êtes pas un néophyte, monsieur le président ! (Sourires.)

La Commission adopte l’article 8 ainsi modifié.

Article 8 bis [nouveau]
(art. L. 212-1 du code des assurances)

Renforcement des obligations du Bureau central de tarification

Cet article, introduit à l’initiative du président François Brottes, après avis favorable des rapporteurs et avis de sagesse du Gouvernement, introduit une obligation pour le Bureau central de tarification automobile de fixer le montant de la prime applicable à toute personne s’étant vue refuser un contrat d’assurance automobile.

Aux termes de l’article L. 212-1 du code des assurances, toute personne assujettie à l’obligation d’assurance qui, ayant sollicité la souscription d’un contrat auprès d’une entreprise d’assurance couvrant en France les risques de responsabilité civile résultant de l’emploi de véhicules terrestres à moteur, se voit opposer un refus, peut saisir le bureau central de tarification.

Ce dernier a pour rôle exclusif de fixer le montant de la prime moyennant laquelle l’entreprise d’assurance intéressée est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé. Il peut éventuellement déterminer le montant d’une franchise qui reste à la charge de l’assuré.

Or le Bureau central de tarification a cessé de fonctionner de façon depuis plusieurs mois. La commission spéciale a donc considéré que l’adoption de cet article devrait inciter le Gouvernement à le reconstituer dans les meilleurs délais pour qu’il puisse exercer sa mission.

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La Commission examine l’amendement SPE1614 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. Beaucoup de jeunes se voient refuser un contrat d’assurance automobile, les assureurs considérant, au vu des statistiques, qu’ils constituent une population à risques. Un système d’assurance en derniers recours existe, mais il est géré par une autorité administrative indépendante devenue une coquille vide, car ses membres ont refusé de se soumettre aux obligations de transparence afférentes à leur patrimoine – ce n’est d’ailleurs pas la seule autorité où le problème s’est posé. Mon amendement SPE1614 charge donc l’exécutif de statuer sur les demandes adressées au Bureau central de tarification afin de rendre la loi applicable.

M. le ministre. Le Gouvernement a pris acte de la situation que vous venez de décrire. Aux termes de l’amendement, le Bureau central de tarification automobile serait tenu de statuer sur les demandes qui lui sont adressées. Bien que cette disposition ne paraisse pas totalement indispensable, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Commission.

M. le rapporteur général. Cet amendement, d’une dimension tout à la fois archéologique et contemporaine, semble apporter une solution. Avis favorable.

M. le président François Brottes. Mon amendement constitue en tout cas un rappel à la loi. Le Gouvernement aurait pu me répondre qu’il remettra ladite autorité administrative en état de fonctionnement dès demain, mais, si j’ai bien compris, ce sera plutôt pour après-demain…

La Commission adopte l’amendement SPE1614.

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Article 8 ter [nouveau]
(art. L. 212-4 et L. 213-6 du code de la route)

Extension des sanctions pénales réprimant l’enseignement de la conduite ou la formation des examinateurs sans autorisation administrative

La loi n° 2007 297 du 5 mars 2007 a créé un double régime d’autorisation administrative pour renforcer l’encadrement des stages de sensibilisation à la sécurité routière : d’une part une autorisation d’animer (articles L. 212-1 et L. 212-2 du code de la route) et d’autre part un agrément pour l’établissement organisant ces stages (article L. 213-1). Ces autorisations nouvelles ont été insérées dans les chapitres et articles du code de la route relatifs à l’enseignement, à titre onéreux de la conduite et de la sécurité routière (agrément des écoles de conduite et autorisation d’enseigner la conduite).

Toutefois, les dispositions pénales (articles L. 212 4 et L. 213 6) réprimant l’exercice de l’enseignement de la conduite ou l’exploitation d’un établissement d’enseignement de la conduite ou de formation des moniteurs sans autorisation administrative, n’ont pas été étendues à ces deux nouvelles autorisations créées en 2007.

Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement et après avis favorable des rapporteurs, a pour objet de réparer cet oubli et de permettre ainsi de sanctionner l’organisation ou l’animation de stages de sensibilisation à la sécurité routière en dehors du cadre prévu par le législateur.

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La Commission en vient à l’amendement SPE1650 du Gouvernement.

M. le ministre. L’amendement prévoit des sanctions en cas d’exercice illégal des professions d’animateur ou d’organisateur de stages de sensibilisation à la sécurité routière ; il répare ce faisant un oubli de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Lesdites sanctions sont les mêmes que celles applicables à l’exercice illégal de la profession d’enseignant de la conduite ou de l’activité d’auto-école, à savoir 15 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement.

Suivant l’avis favorable du rapporteur thématique, la Commission adopte l’amendement SPE1650.

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Article 8 quater [nouveau]
(art. L. 213-1 et L. 213-5 du code de la route)

Suppression de la commission départementale de la sécurité routière

Le présent article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable des rapporteurs, a pour objet de supprimer l’obligation de consulter une commission administrative pour les décisions de délivrance et de suspension des agréments des établissements mentionnés à l’article L. 213-1 du code de la route : école de conduite, centres de formation de moniteurs et centres de stages de sensibilisation à la sécurité routière (CSSR). Il répond à un double objectif : assurer le respect du droit communautaire et réduire les délais d’instruction des demandes, et donc les coûts supportés par les demandeurs.

Cette commission est la commission départementale de la sécurité routière (CDSR), dont la composition et les attributions sont précisées par les articles R. 411 10 à R. 411 12 du code de la route. Présidée par le préfet, elle comprend des représentants des services de l’État, des élus départementaux, des élus communaux, des représentants des organisations professionnelles et des représentants d’associations d’usagers. En pratique, lorsqu’elle examine en section spécialisée les demandes d’agréments des établissements définis à l’article L. 213-1, la CDSR comprend le plus souvent uniquement des représentants de l’État et des représentants des professionnels.

La présence de professionnels dans une instance chargée de rendre un avis sur la demande d’ouverture d’un concurrent potentiel est en effet susceptible de présenter un risque d’incompatibilité avec le droit communautaire, plus précisément l’article 14 de la directive 2006/123 dite « services », qui interdit l’intervention directe ou indirecte d’opérateurs concurrents y compris au sein d’organes consultatifs, dans le cadre du processus décisionnel aboutissant à l’octroi d’une autorisation pour l’exercice d’une activité de services.

Une modification de la composition de la CDSR aurait été possible par voie réglementaire pour en exclure les représentants des professionnels, mais l’obligation de la consulter aurait alors été dépourvue de sens.

D’autre part, l’obligation de consulter et de réunir physiquement la CDSR ainsi recomposée aurait eu pour conséquence un allongement des délais d’instruction par les préfectures des demandes d’agrément. Or ces délais génèrent des coûts élevés pour le demandeur : en effet, il doit investir pour demander l’agrément (notamment parce qu’il doit justifier de la propriété ou de la location à son nom du local et des véhicules d’enseignement) mais il ne peut évidemment commencer son activité avant d’avoir obtenu l’agrément, sous peine de commettre un délit.

Les conditions d’agrément des écoles de conduites et CSSR sont objectives : toute personne remplissant les conditions d’honorabilité et de capacité professionnelle, justifiant de la conformité des moyens (local, véhicules...) et de la qualification des personnels doit se voir accorder l’agrément. La CDSR se borne à constater la conformité ou non du dossier examiné par le service instructeur. La suppression de sa consultation préalable n’aura donc pas de conséquences sur les conditions d’instruction des demandes.

Cet article ne remet pas en cause le maintien d’une concertation étroite et de qualité avec les représentants des professionnels de l’enseignement de la conduite et de la sécurité routière. Au plan national, c’est le conseil supérieur de l’éducation routière qui est le cadre naturel de ce dialogue permanent. Dans les territoires, un travail a été engagé par le Gouvernement pour créer une instance territoriale de pilotage et de concertation dans le domaine de l’éducation routière et du permis de conduire, associant l’ensemble des acteurs concernés.

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La Commission examine l’amendement SPE1651 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement tend à supprimer l’obligation de consulter une commission administrative pour les décisions relatives aux agréments des auto-écoles et des centres de stage de sensibilisation à la sécurité routière. Outre des représentants de l’administration, cette instance comprend essentiellement des représentants des professionnels : s’il est légitime de les associer aux décisions publiques, il ne paraît pas opportun de leur demander de se prononcer sur l’arrivée de nouveaux entrants dans le cadre de décisions individuelles. Un tel schéma, qui ouvre la possibilité de conflits d’intérêts, ne favorise pas la concurrence et contrevient au droit européen. Nous proposons donc de le corriger.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Il s’agit d’éviter que certains membres de la commission visée soient à la fois juges et parties. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1651.

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Article 8 quinquies [nouveau]
(art. L. 213-2 du code de la route)

Possibilité de conclure un contrat à distance avec une auto-école

Le présent article additionnel, adopté à l’initiative du président François Brottes après avis favorable du Gouvernement et des rapporteurs, a pour objet de prévoir explicitement la possibilité de conclure un contrat en ligne entre les auto-écoles et les élèves, dans le respect des règles protectrices des consommateurs (délai de rétractation de 14 jours notamment).

En effet, l’article L. 213-2 du code de la route impose à ce jour la signature d’un « contrat écrit entre le candidat et l’établissement ». La modification proposée propose que celui-ci puisse « être conclu dans l’établissement ou à distance, dans le respect des dispositions de la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de la consommation ».

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La Commission examine l’amendement SPE1005 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. Pour le coup, monsieur le rapporteur général, cet amendement sort de l’archéologie et s’inscrit résolument dans la contemporanéité, puisqu’il tend, dans un esprit de modernisation, à permettre la conclusion de contrats en ligne entre les auto-écoles et les élèves.

M. le ministre. Avis favorable.

M. le rapporteur général. Avis très favorable.

M. Jean-Frédéric Poisson. Une telle disposition relève d’un décret : il serait donc préférable que le ministre prenne un engagement sur le sujet.

M. le président François Brottes. La loi précise que le contrat visé doit être écrit : il est donc nécessaire de la modifier.

La Commission adopte l’amendement SPE1005.

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Article 8 sexies [nouveau]
(art. L. 213-3 du code de la route)

Suppression de la condition d’ancienneté du permis de conduire des exploitants d’un établissement de conduite

L’article L. 213-3 du code de la route définit les conditions auxquelles l’exploitant d’une école de conduite doit satisfaire pour obtenir l’agrément délivré par l’autorité administrative.

L’article 6 de la loi n° 2011-12 du 5 janvier 2011 a supprimé, parmi ces conditions, l’obligation d’expérience professionnelle, qui conduisait à exiger d’un exploitant d’école de conduite une qualification et une expérience professionnelle (de trois puis de deux ans) en tant qu’enseignant de la conduite. En effet cette exigence était susceptible d’être contraire à la directive 2006/123 dite « services ».

Le présent article, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable des rapporteurs, supprime par coordination la condition d’ancienneté du permis de conduire figurant aux 3° de l’article L. 213-3, qui est devenue sans objet depuis 2011 et qui n’avait jamais fait l’objet de précision règlementaire.

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Elle examine ensuite l’amendement SPE1652 du Gouvernement.

M. le ministre. L’amendement consiste à supprimer l’obligation d’ancienneté de détention du permis de conduire pour les gérants d’auto-école ; ce faisant, il complète la loi du 5 janvier 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne, loi qui avait supprimé l’obligation, pour ces professionnels, d’avoir exercé la profession d’enseignant, distinguant ainsi entre des compétences sans rapport l’une avec l’autre. Une telle distinction, opérée en application du droit communautaire mais relevant au fond du bon sens, est d’ailleurs courante au sein des professions dites réglementées, qu’il s’agisse des taxis, des VTC ou des organisateurs des épreuves du permis de conduire.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis favorable à cet amendement réparant un oubli de coordination avec la loi du 5 janvier 2011.

La Commission adopte l’amendement SPE1652.

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Article 8 septies [nouveau]
Rapport sur la faisabilité de l’instauration d’une filière française de déconstruction des navires

Cet article additionnel, adopté à l’initiative de M. François-Michel Lambert et plusieurs de ses collègues du groupe Écologiste après avis favorable du Gouvernement et des rapporteurs, vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement, dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, une étude de faisabilité portant sur la création d’une filière française de déconstruction des navires.

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La Commission se saisit de l’amendement SPE1336 de M. François-Michel Lambert.

Mme Michèle Bonneton. La France possède un grand domaine maritime, de nombreux ports et un incontestable savoir-faire technique en matière de navires. Aussi notre amendement vise-t-il à favoriser l’émergence d’une filière nationale de déconstruction des navires : on se souvient que cette activité avait été délocalisée en Inde dans des conditions sociétales et environnementales difficiles, et qu’un autre navire avait même été purement et simplement envoyé par le fond. Une telle filière d’excellence en soutiendrait de surcroît de nombreuses autres, dans une logique d’économie circulaire que le Président de la République appelle de ses vœux.

M. le ministre. En vertu du dernier argument mis en exergue par Mme Michèle Bonneton, j’émets un avis favorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cette filière est en train d’émerger dans ma région ; au-delà de cette considération personnelle, l’amendement me semble d’une utilité avérée, et j’y suis donc favorable.

M. Arnaud Leroy. Ayant passé dix ans dans le secteur, je crois avoir un avis informé sur la question, et cet avis est plutôt réservé. Pour commencer, un groupe français à capitaux privés s’est effectivement lancé dans cette activité : nous verrons donc si elle est ou non viable économiquement.

D’autre part, l’émergence d’une telle filière correspond à un engagement pris par le Gouvernement précédent dans le cadre du Grenelle de la mer. Depuis, la France a signé la Convention de Hong-Kong, pour laquelle elle avait joué un rôle moteur ; on s’est alors rendu compte qu’une filière nationale n’avait pas de sens, quand bien même on peut souscrire à l’idée d’une économie circulaire. Ce qui fait sens, c’est une réflexion sur les activités de décontamination des produits lourds et dangereux en Europe ; mais le présent amendement, bien que louable dans ses intentions, est périlleux au plan économique et industriel.

M. le président François Brottes. L’amendement prévoit « une étude de faisabilité ».

M. Arnaud Leroy. Peut-être pourrait-on y réfléchir plus avant d’ici à l’examen en séance. Le secrétariat général de la mer a beaucoup travaillé sur le sujet, l’épisode du démantèlement du Clemenceau ayant traumatisé l’armée et les corps civils concernés. Ses travaux ont tous conclu à l’impossibilité d’une telle filière. Un groupe privé, comme je le rappelais, a décidé de se spécialiser dans cette activité à Bassens, et d’autres ports le font pour des petits navires de pêche ou de plaisance. Une étude de faisabilité viendrait court-circuiter ces initiatives.

Mme Michèle Bonneton. L’amendement préconise « une étude de faisabilité portant sur la création d’une filière française de déconstruction des navires », non la création directe d’une telle filière.

La Commission adopte l’amendement SPE1336.

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Article 9
(art. L. 221-3 à L. 221-8 [nouveaux] du code de la route)

Externalisation de l’épreuve théorique du permis de conduire
et l’épreuve pratique de certains permis poids lourds

Le présent article propose d’externaliser l’épreuve théorique du permis de conduire ainsi que les épreuves pratiques des diplômes professionnels du « groupe lourd », à des organismes et des examinateurs agréés présentant des garanties d’impartialité, de compétence et d’honorabilité alors que ce rôle est actuellement dévolu aux inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière.

Compte tenu des très longs délais d’attente pour le passage du permis de conduire de catégorie B (véhicule de moins de dix places), l’objectif de la réforme est de libérer une partie du temps de travail des inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière pour le réaffecter principalement à l’examen pratique de ce permis de conduire.

I. LA SITUATION ACTUELLE

L’examen du permis de conduire est le premier examen de France tant dans les chiffres (3,3 millions d’examens passés chaque année dont 1,325 million d’examens du permis de conduire de catégorie B pour environ 800 000 candidats) que dans les faits, en tant qu’élément clé de la vie sociale et économique. Or, l’organisation actuelle du permis de conduire, exclusivement confiée à l’État, est problématique s’agissant du permis de catégorie B car les délais d’attente sont très longs et les coûts sont élevés alors que les pertes de chance d’obtenir un emploi sont croissantes.

C.  L’ÉTAT DU DROIT : LE PERMIS DE CONDUIRE RELÈVE DU SERVICE PUBLIC DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Les règles relatives à la délivrance du permis de conduire sont prévues au chapitre Ier du titre II du livre II du code de la route. L’organisation des épreuves est définie dans la partie réglementaire de ce chapitre, aux articles R. 221-1, D. 221-3 et D. 221-3-1 du même code. Elle est précisée par l’arrêté du 20 avril 2012 fixant les conditions d’établissement, de délivrance et de validité du permis de conduire.

Ainsi, le permis de conduire est délivré à tout candidat, satisfaisant les conditions d’âge, qui a réussi l’épreuve théorique générale (ETG) et l’épreuve pratique en circulation, par le préfet du département de sa résidence ou par le préfet du département dans lequel ces épreuves ont été subies. Une visite médicale peut au demeurant être exigée dans les conditions prévues par les articles R. 226-1 à R. 226-4 du code de la route. Ces deux examens, théoriques et pratiques, sont exigés pour tout permis de conduire actuellement en vigueur en fonction de la catégorie de véhicules, à l’exception de la catégorie AM (cyclomoteurs).

TABLEAU N° 1 : TYPES DE PERMIS DE CONDUIRE ACTUELLEMENT EXIGÉS EN FONCTION
DE LA CATÉGORIE DES VÉHICULES

Type de véhicule

Permis nécessaire

Informations complémentaires

Cyclomoteur :

cyclomoteur d’une cylindrée maximale de 50 cm3, ou d’une puissance maximale de 4 kW et qui ne dépasse pas 45 km/h de vitesse (catégories L1e pour les 2 roues et L2e pour les 3 roues)

Brevet de sécurité routière (BSR), option "cyclo", c’est-à-dire la catégorie AM comportant la mention additionnelle 108 du permis

Ou toute autre catégorie du permis de conduire

Avoir au moins 14 ans

Moto légère :

motocyclette avec ou sans side-car, d’une cylindrée maximale de 125 cm3 et d’une puissance de 11 kW maximum

Permis A1

Permis A2

Permis A

Permis B obtenu depuis au moins 2 ans à condition d’avoir suivi une formation de 7 heures

 

Moto (avec ou sans side-car) de 125 à 600 cm3 maximum

Permis A2

Avoir au moins 18 ans

Moto d’une autre cylindrée ou puissance (avec ou sans side-car)

Permis A

Avoir au moins 24 ans. La catégorie A peut s’obtenir par formation (7 heures) après 2 ans de détention de la catégorie A2

Tricycle (puissance du tricycle 15 kW ou moins)

Permis A1

Permis A2

Permis A

Permis B obtenu depuis au moins 2 ans à condition d’avoir suivi une formation de 7 heures

Si la puissance du tricycle est supérieure à 15 kW, il faut être âgé d’au moins 24 ans et avoir le permis A.

La catégorie A peut s’obtenir par formation (7 heures) après 2 ans de détention de la catégorie A2. Dans ce cas, la conduite d’un tricycle de plus de 15 kW est possible à partir de 21 ans.

Quadricycle lourd à moteur (catégorie L7e)

Permis B1 et au moins 16 ans,

Permis B et au moins 18 ans

 

Véhicule de moins de 10 places si le poids du véhicule n’excède pas 3,5 tonnes, attelé éventuellement d’une remorque dont le poids est inférieur ou égal à 750 kg

Permis B

Avoir au moins 18 ans

Véhicule de moins de 10 places si le véhicule est attelé d’une remorque de plus de 750 kg et moins de 3,5 tonnes

Permis BE

Avoir au moins 18 ans.

La somme des PTAC autorisée est supérieure à 4,25 tonnes.

Poids lourd de plus de 3,5 tonnes

Permis C

Avoir au moins 21 ans

Poids lourd + remorque supérieure à 750 kg poids total autorisé en charge (PTAC) autorisé : + de 3,5 tonnes)

Permis CE

Avoir au moins 21 ans

Poids lourd avec un PTAC compris entre 3,5 et 7,5 tonnes

Permis C1

Avoir au moins 18 ans

Poids lourd avec PTAC entre 3,5 et 7,5 tonnes + remorque de plus de 750 kg

Permis C1E

Avoir au moins 18 ans

Voiture avec une remorque de + de 3 500 kg de PTAC

Permis C1E

Avoir au moins 18 ans

Véhicule de plus de 9 places

Permis D

Avoir au moins 24 ans

Véhicule de plus de 9 places + remorque supérieure à 750 kg

Permis DE

Avoir au moins 24 ans

Véhicule de 16 places maximum + conducteur, de 8 mètres de long maximum

Permis D1

Avoir au moins 21 ans véhicule de 16 places maximum + conducteur, de 8 mètres de long maximum avec remorque de + 750 kg

Véhicule de 16 places maximum + conducteur, de 8 mètres de long maximum avec remorque de + 750 kg

Permis D1E

Avoir au moins 21 ans

L’examen du permis de conduire, qui inclut une épreuve théorique générale (« le code ») et une ou plusieurs épreuves pratiques, est gratuit pour tous les candidats.

L’organisation des épreuves du permis de conduire est assurée par les préfectures. Le permis est délivré sur l’avis favorable d’un inspecteur du permis de conduire et de la sécurité routière (IPCSR) ou d’experts agréés par arrêté ministériel, sous l’autorité hiérarchique d’un délégué au permis de conduire et à la sécurité routière (DPCSR).

Les IPCSR sont des fonctionnaires de catégorie B, recrutés par concours ouvert aux candidats âgés d’au moins 23 ans possédant le permis B depuis au moins trois ans, titulaires du baccalauréat ou d’un diplôme reconnu équivalent. Le certificat de fin d’études secondaires délivré aux candidats ajournés au bac ouvre également l’accès au concours.

Les lauréats reçoivent une formation d’au moins six mois à l’Institut national de sécurité routière et de recherches (INSERR) implanté à Nevers, dont trois mois sur le terrain, comprenant des stages pratiques « moto », « administration » (droit, gestion des personnels, fonctionnement du service des examens, accidents...), « politique de sécurité routière » (actions réglementation, enseignement), « informatique », « rédaction administrative » (rapports, synthèses...), « apprentissage de la fonction d’examinateur », procédure d’évaluation des épreuves, relationnel avec les candidats et les moniteurs, déontologie. Ils bénéficient, au cours de leur carrière, de stages de formation continue.

Les missions des inspecteurs sont les suivantes : faire passer les examens du permis de conduire toutes catégories ; contrôler la qualité de la formation dispensée par les écoles de conduite ; participer aux jurys de certains examens (titres professionnels poids lourds, d’enseignants de conduite, de conducteurs de taxi, etc.) ; effectuer des missions de formation (tutorat des IPCSR stagiaires, etc.).

En 2014, l’on décompte 1 300 IPCSR répartis dans 700 centres de formation de conduite faisant passer des examens théoriques et pratiques. Les inspecteurs consacrent plus des deux tiers de leur temps à faire passer les différents examens (code, permis voiture, moto, poids lourd principalement), le tiers restant étant consacré à des actions de prévention routière, de contrôle ou de formation.

Les délégués du permis de conduire et de sécurité routière (DPCSR) sont des fonctionnaires de catégorie A qui encadrent l’activité des IPCSR et des experts agréés pour la délivrance du permis de conduire. À ce titre, ils veillent notamment au bon fonctionnement des centres d’examen du permis de conduire et à la qualité des expertises ; ils peuvent assurer en tant que de besoin les missions dévolues aux IPCSR et participent à la conception et à la coordination des actions de communication et d’animation relatives à la sécurité routière (promotion de la conduite accompagnée, campagnes nationales sur le port de la ceinture de sécurité, plans de prévention des risques routiers…).

Depuis le décret n° 2013-1243 du 23 décembre 2013 (69), les IPCSR et les DPCSR sont placés sous l’autorité du ministre de l’Intérieur en charge de la sécurité et de l’éducation routières alors qu’ils étaient jusqu’alors placés sous celle du ministre chargé des Transports.

D.  LES DIFFICULTÉS CROISSANTES RENCONTRÉES PAR LES CANDIDATS AU PERMIS DE CONDUIRE DE CATÉGORIE B

Il existe un diagnostic partagé selon lequel la formation et l’organisation de l’examen du permis de conduire de catégorie B posent des difficultés croissantes aux candidats en termes de délais d’attente et de coût qui contribuent à la perte d’une chance d’obtenir un emploi.

Comme le montrent les nombreux rapports réalisés sur le sujet depuis 2005 (70), ces difficultés ne sont pas nouvelles mais ne cessent de s’accroître et constituent aujourd’hui un frein important à la mobilité et à l’emploi puisque la détention du permis de conduire constitue un critère de recrutement pour 65 % des employeurs selon l’étude d’impact du présent projet de loi.

4.  La nature des difficultés liées à l’organisation du permis de conduire

L’ensemble des difficultés rencontrées par les candidats à l’examen du permis de conduire sont de trois ordres :

– le délai d’attente moyen en France entre deux présentations à l’examen est de 98 jours en 2013 (contre 86 jours en 2012), soit plus du double de la moyenne européenne, établie à 45 jours. Les délais varient en outre considérablement d’une région à l’autre (plus de 5 mois en Ile de France contre moins d’un mois dans le Limousin), voire au sein d’un même département (90 jours à Rouen contre 21 jours à Dieppe en Seine-Maritime). Le délai médian en France au 1er juillet 2014 était de 73 jours. Or, le taux de réussite est seulement de 60 % à l’examen pratique (70 % à l’épreuve théorique), si bien que 40 % des candidats doivent de nouveau attendre pour repasser l’épreuve ;

– le coût de la formation en vue de l’obtention du permis de conduire est élevé par rapport au pouvoir d’achat des jeunes et des familles, et ne cesse de progresser : le coût d’un forfait de 20 heures proposé par les établissements d’enseignement de la conduite automobile (EBCA) varie entre 800 et 1 600 euros (40 à 80 euros de l’heure) mais il faut en moyenne 35 heures de cours de conduite pour être formé correctement et l’heure supplémentaire varie de 50 à 80 euros. Ainsi, le coût moyen de la formation en France est de 1 600 euros et se situe dans la moyenne européenne. Toutefois, dans certains pays, le coût est moins élevé et le taux de réussite des candidats est meilleur ou équivalent, comme en Autriche (1 500 euros ; 85 % de réussite aux deux épreuves organisées par l’État), en Allemagne (1 500 euros ; 71 % de réussite aux deux épreuves organisées par des opérateurs privés), et dans une moindre mesure au Royaume-Uni (1 200 euros ; 85 % de réussite à l’épreuve théorique organisée par un organisme privé et 45 % à l’épreuve pratique organisée par une agence de l’État) (71) ;

– l’efficacité de la formation préalable au passage de l’examen du permis de conduire est limitée au regard du taux d’accidentalité chez les jeunes : en 2013, il y a eu 3 250 tués sur les routes dont 50 % d’automobilistes et 20 % d’usagers de deux roues motorisées. Or, les 18-24 ans représentent 21 % de la mortalité routière contre seulement 9 % de la population et près d’un quart des accidents mortels concernent des titulaires du permis depuis moins de trois ans. Selon la délégation interministérielle à la sécurité routière, les jeunes conducteurs ayant opté pour l’apprentissage anticipé de la conduite (« conduite accompagnée ») améliore sensiblement le taux de réussite à l’examen (73 % de réussite en moyenne) et réduit fortement le taux d’accidentalité. Elle ne concerne pourtant que 25 % des candidats actuellement.

5.  Les causes des difficultés liées à l’organisation du permis de conduire

Les causes des difficultés rencontrées par les jeunes pour le passage du permis de conduire sont nombreuses et peuvent être résumées ainsi :

– l’allongement des délais d’attente s’explique par plusieurs facteurs : en premier lieu, la suspension du service national décidé en 1996 et devenue effective en 2001 a eu pour conséquence d’augmenter le nombre de candidats au permis auprès des EBCA ; en deuxième lieu, la diminution du nombre et de la disponibilité des IPCSR du fait de l’élargissement de leurs missions a contribué à l’engorgement de l’examen ; en troisième lieu, l’allongement de l’épreuve pratique (passant de 22 à 35 minutes) à la suite de la transposition de la directive européenne sur le permis de conduire (72) a conduit à la réduction du nombre de places d’examen journalier ; en dernier lieu, l’évolution démographique a eu un impact significatif, en raison de l’augmentation du nombre de personnes âgées de 18 ans, surtout entre 2004 et 2007 et depuis 2013, en particulier dans les grandes agglomérations ;

– l’accroissement du coût de la formation au permis de conduire résulte principalement de l’allongement des délais entre deux passages de l’examen pratique qui oblige les candidats à racheter des heures de conduite et qui leur prend du temps (un mois de délai représente 200 euros). Il s’explique également, dans une moindre mesure, par le comportement de certains EBCA qui n’hésitent pas à présenter des candidats en première présentation alors qu’ils ne sont pas prêts au détriment de ceux qui ont déjà subi un échec, et ce pour des raisons économiques. Ce type de comportement était d’ailleurs encouragé par la circulaire n° 2006-3 du 13 janvier 2006 régissant la répartition des places d’examen attribuées aux EBCA, qui a été modifiée par le présent Gouvernement pour prendre en compte, depuis le 22 octobre 2014, les premières mais également les deuxièmes présentations à l’épreuve pratique pour le calcul de la répartition des places d’examen notamment (73).

Ces différentes causes montrent qu’il convient désormais d’engager une réforme d’envergure pour diviser par deux le délai de passage entre deux examens afin de réduire le coût de la formation au permis B et d’améliorer les chances des jeunes travailleurs de se déplacer en voiture pour obtenir un emploi.

II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

La réforme proposée par le présent article s’inscrit dans le plan annoncé par le ministre de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, le 13 juin 2014, pour rendre le permis de conduire plus accessible, plus moderne et plus transparent, dont certaines mesures ont déjà été mises en œuvre par voie réglementaire (74).

Au titre de la réduction des délais, le Gouvernement a d’abord mobilisé, depuis le 1er juillet 2014, des réservistes de la gendarmerie et de la police nationale (74 personnes) et, à compter du 1er janvier 2015, environ 200 agents publics des préfectures, pour décharger les inspecteurs de la surveillance de l’épreuve théorique qui ne nécessite pas le niveau de qualification qui est le leur. Ces mesures destinées à être temporaires ne devraient plus être nécessaires à compter du 1er juillet 2015, date à laquelle le présent article devrait être entré en vigueur. Le temps aujourd’hui consacré à cette mission représente l’équivalent de 142 000 places d’examen B supplémentaires.

Le Gouvernement a également réduit, depuis le 1er août 2014, la durée de l’épreuve pratique du permis B de 35 à 32 minutes par la suppression d’étapes inutiles. Cet ajustement, sans remettre en cause le niveau d’exigence, permet désormais le passage de 13 examens par jour au lieu de 12, ce qui représente sur une année 110 000 places d’examen B supplémentaires. D’après les renseignements transmis au rapporteur thématique par les professionnels du secteur, cette dernière mesure a d’ores et déjà permis de réduire de 4 jours le délai médian de passage entre deux examens de 73 à 69 jours entre juillet et octobre 2014.

L’objectif visé par le présent article est de poursuivre cette démarche de manière pérenne pour ramener les délais d’attente de 98 jours à 45 jours d’ici 2016, en concentrant le travail des IPCSR sur l’examen pratique du permis B, qui correspond au cœur de leur mission de service public. Pour ce faire, le présent article propose de les décharger d’une partie de leurs missions en créant une nouvelle profession réglementée, celle d’organisateur de certaines épreuves du permis de conduire.

A.  RECENTRER L’ACTIVITÉ DES IPCSR SUR L’ÉPREUVE PRATIQUE DU PERMIS B ET RÉDUIRE AINSI LES DÉLAIS

L’organisation et la surveillance de l’examen théorique général et de l’organisation des épreuves pratiques des diplômes professionnels des conducteurs de véhicules des catégories poids-lourds par d’autres opérateurs que les IPCSR à partir de l’été 2015 devraient libérer près de 20 % de leur temps de travail.

Selon l’étude d’impact du projet de loi, à l’issue de la réforme, 88 % du temps consacré par les inspecteurs aux examens sera concentré sur le permis B contre 66 % aujourd’hui (voir les graphiques ci-après).

RÉPARTITION DU TEMPS CONSACRÉ AUX EXAMENS AUJOURD’HUI

épartition du temps consacré aux examens

Ce recentrage de l’activité des inspecteurs sur l’épreuve pratique du permis B correspondrait, en année pleine, à 170 000 places d’examen supplémentaires (142 000 places au titre de l’examen théorique général et 28 000 places au titre des examens pratiques des diplômes professionnels).

Si on ajoute les mesures prises durant l’été 2014 pour réduire la durée de l’épreuve pratique de l’examen B de 3 minutes et permettre ainsi aux inspecteurs de réaliser 13 examens au lieu de 12 par jour, la réforme globale devrait dégager l’équivalent de 280 000 places d’examens soit l’équivalent de 115 emplois d’inspecteurs.

Cette réforme devrait donc permettre de réduire de moitié les délais de passage de l’examen pratique du permis B pour atteindre un délai moyen de 45 jours en 2016 sur l’ensemble du territoire sans remettre en cause la qualité et le niveau d’examen exigés pour être titulaire du permis B.

Elle devrait également améliorer la situation des jeunes à la recherche d’un emploi qui ont besoin de passer, dans les meilleurs délais, leur permis de conduire, pour se déplacer sur le territoire, en particulier dans les zones rurales.

Elle permet de réduire le coût associé à l’organisation cet examen, puisque d’après les évaluations du Gouvernement, un mois de délai en moins correspond à une économie d’environ 200 euros par candidat.

Enfin, elle pourrait accroître les chances de réussite à l’examen car l’allongement des délais réduit la pratique de conduite des candidats pourtant nécessaire à l’acquisition des réflexes en circulation.

B.  CRÉER UNE NOUVELLE PROFESSION RÉGLEMENTÉE CHARGÉE D’ORGANISER CERTAINES ÉPREUVES DU PERMIS DE CONDUIRE

Le présent article prévoit les conditions dans lesquelles l’examen théorique général et toute épreuve pratique des diplômes professionnels en vue de l’obtention du permis de conduire d’une catégorie de véhicule du groupe lourd pourront être organisés par des opérateurs agréés.

En conséquence, seule l’organisation de l’examen du code de la route serait effectivement externalisée à des entreprises du secteur privé agréées par l’État tandis que la présence des IPCSR ne serait plus requise pour le passage des épreuves pratiques des diplômes professionnels en vue de l’obtention du permis de conduire d’une catégorie de véhicule du groupe lourd.

Le I du présent article modifie le chapitre Ier du titre II du livre II du code de la route, actuellement désigné sous les termes « Délivrance et catégorie » pour y intégrer les règles relatives à la « vérification d’aptitude » des personnes agréées pour organiser ces épreuves du permis de conduire (alinéa 1).

Le II du présent article introduit, après l’article L. 221-2 du code de la route, numérotés L. 221-3 à L. 221-8, six nouveaux articles au sein de ce chapitre (alinéas 2 à 12).

L’article L. 221-3 pose le principe selon lequel « toute épreuve théorique du permis de conduire et toute épreuve pratique des diplômes professionnels en vue de l’obtention du permis de conduire d’une catégorie de véhicule du groupe lourd » peut être assurée soit « par l’autorité administrative » soit « par des personnes agréées à cette fin par cette dernière ». Le dernier alinéa de cet article précise que les frais pouvant être perçus par les organisateurs agréés auprès des candidats sont réglementés par décret après avis de l’Autorité de la concurrence.

Cet article permet donc de confier à des opérateurs, qui seraient agréés par la préfecture, l’organisation de deux types d’examen :

– l’« épreuve théorique générale », autrement dit l’épreuve du code de la route, quel que soit le permis que souhaite obtenir le candidat (alinéa 4) : cela représente un potentiel d’activité important puisque l’on décompte environ 800 000 nouveaux candidats chaque année pour le seul permis B. Selon les informations transmises par le ministère de l’Intérieur, les frais de passage de l’examen théorique général ne devraient pas dépasser 30 euros par candidat, ce qui permet d’évaluer la valeur de ce nouveau marché à plus de 2,4 millions d’euros par an. Les opérateurs susceptibles d’être intéressés par cette nouvelle activité seront donc des entreprises privées, dont certaines se sont déjà manifestées auprès du ministère de l’Intérieur comme Dekra, La Poste ou d’autres grands groupes. Ces opérateurs devront alors investir dans les équipements nécessaires au passage de cet examen (salle, ordinateurs individuels…).

Selon le ministère de l’Intérieur, les frais d’inscription qui seront dus par les candidats aux organismes agréés devraient se substituer aux frais de présentation aujourd’hui facturés par les auto-écoles pour la préparation du dossier et la recherche d’une place d’examen. Selon le ministère, « Cet engagement des auto-écoles permet de garantir un coût nul de cette évolution pour l’usager. Il bénéficiera d’un service modernisé (passage de l’examen sur ordinateur individuel) à un prix uniforme » (75). En tout état de cause, ces tarifs seront réglementés et soumis à l’avis de l’Autorité de la concurrence.

– la ou les épreuves pratiques des « diplômes professionnels en vue de l’obtention du permis de conduire d’une catégorie de véhicule du groupe lourd » (alinéa 5) : cette catégorie de véhicules n’est pas définie par la loi mais certains actes réglementaires y font référence comme l’article 1er de l’arrêté du 23 avril 2012 fixant les modalités pratiques de l’examen du permis de conduire des catégories BE, C1, C1E, C, CE, D1, D1E, D et DE (voir le tableau n° 1).

Seule est concernée l’organisation des épreuves pratiques en vue de l’obtention de « diplômes professionnels » délivrés par l’Éducation nationale à 1 800 élèves environ par an, à l’exclusion des « titres professionnels » délivrés par le ministère de l’emploi dans le cadre de la formation professionnelle, c’est-à-dire :

– le CAP « Conducteur routier marchandise » (76) ;

– le CAP « Conducteur livreur de marchandises » (77) ;

– le CAP « Déménageur sur véhicule utilitaire léger » (78) ;

– le baccalauréat professionnel « Conducteur transport routier marchandises » (79).

Selon le ministère de l’Intérieur, l’alinéa 5 du présent article n’a donc pas pour objet d’externaliser au secteur privé l’organisation des épreuves pratiques de tous les permis de la catégorie des véhicules lourds. Il vise simplement à supprimer l’obligation de présence d’un IPCSR lors des examens pratiques des diplômes professionnels en vue de l’obtention d’un permis de cette catégorie de véhicules lorsqu’ils sont organisés par l’Éducation nationale, sans aucune délégation au secteur privé.

L’article L. 221-4 précise que l’organisme agréé d’une épreuve du permis de conduire devra présenter des garanties d’honorabilité, de capacité à organiser l’épreuve, d’impartialité et d’indépendance à l’égard des personnes délivrant ou commercialisation des prestations d’enseignement de la conduite. Il devra par ailleurs s’assurer que les examinateurs auxquels il recourt présentent les garanties prévues à l’article L. 221-6, c’est-à-dire des garanties de compétence, d’impartialité et d’honorabilité.

Le contenu de ces garanties sera précisé par voie règlementaire. Toutefois, l’on peut supposer que les organismes agréés comme les examinateurs auxquels ils auront recours, devront présenter les mêmes garanties – ou des garanties de même nature – que les IPCSR en termes d’impartialité, de compétences et d’honorabilité.

Or, sur le plan de l’impartialité, le décret n° 2013-422 du 22 mai 2013 portant statut particulier du corps des inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière (80) précise que leurs missions sont incompatibles avec l’activité d’enseignement de la conduite ou d’exploitant d’établissement d’enseignement de la conduite ou de formation de moniteurs et qu’ils ne peuvent être affectés dans un département où ils ont exercé une telle activité depuis moins de trois ans. Ils doivent en outre déclarer à l’autorité compétente la profession du conjoint, du partenaire d’un pacte civil de solidarité, des ascendants et des descendants au premier degré et des collatéraux au deuxième degré si cette profession se rattache à celle d’enseignant de la conduite ou d’exploitant d’établissement d’enseignement de la conduite ou de formation de moniteurs.

Sur le plan de l’honorabilité, ce décret ajoute que les inspecteurs ne doivent pas avoir fait l’objet d’une inscription sur le fichier national des permis de conduire au titre des décisions de restriction de validité, de suspension, d’annulation, d’interdiction de délivrance de permis de conduire ou de changement de catégorie du permis de conduire prononcées en application des dispositions du code de la route.

Sur le plan des compétences, ce décret est également exigeant car, pour faire passer les épreuves pratiques des catégories autres que les catégories A et B, les inspecteurs reçus au concours doivent :

– être titulaires du permis de conduire des catégories BE, C, D et CE ;

– avoir été examinateurs qualifiés pour les épreuves de conduite des catégories A et B pendant au moins trois ans ou être titulaires depuis cinq ans au moins du permis de conduire dans la catégorie évaluée ;

– avoir achevé une formation professionnelle et obtenu une qualification initiale spécifique délivrée dans les conditions prévues par arrêté conjoint des ministres chargés des transports, de la sécurité et de l’éducation routières.

Toutefois, à ce stade, le présent article propose simplement de supprimer la présence des IPCSR aux épreuves pratiques organisées par l’Éducation nationale dans le cadre des diplômes professionnels en vue de l’obtention d’un permis de conduire d’un véhicule du groupe lourd. Si d’aventure le projet de loi venait à être modifié sur ce point pour externaliser au secteur privé certaines épreuves pratiques du permis de conduire, il conviendrait alors de veiller à ce que les examinateurs agréés présentent les mêmes compétences que les IPCSR.

L’article L. 221-5 instaure un cahier des charges défini par l’autorité administrative qui s’imposera à tout organisateur agréé, à charge pour l’autorité administrative d’en contrôler l’application. À cette fin, l’organisateur agréé devra permettre à l’autorité administrative d’accéder au local où seront organisées les épreuves – à savoir l’examen théorique général – afin qu’elle puisse vérifier que le cahier des charges est respecté.

L’article L. 221-7 instaure un dispositif de sanctions à double étage en cas de violation des dispositions prévues aux articles L. 221-4 à L. 221-6 par les organisateurs agréés et les examinateurs auxquels ils auront recours et prévoit la fin de l’agrément en cas de cessation définitive de l’activité des organisateurs.

Le I de l’article L. 221-7 prévoit que l’agrément peut être suspendu pendant une durée de six mois par l’autorité administrative, après avoir mis l’intéressé en mesure de présenter ses observations.

Le II du même article précise qu’en cas de méconnaissance grave ou répétée de l’une de ces obligations, l’autorité administrative peut mettre fin à l’agrément, après avoir mis l’intéressé en mesure de présenter ses observations.

Le III prévoit qu’en cas de cessation définitive de l’activité d’organisation d’une épreuve du permis de conduire, il est mis fin à l’agrément. Il s’agirait d’une conséquence automatique de la cessation définitive de l’activité.

Enfin, l’article L. 221-8 renvoie à un décret en Conseil d’État les modalités d’application des articles L. 221-3 à L. 221-7 créés par le présent article.

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le rapporteur thématique souscrit à la philosophie et au contenu de la réforme proposée par le Gouvernement qui vise à réduire de moitié le délai d’attente entre deux présentations à l’examen pratique du permis B tout en maintenant le principe selon lequel le permis de conduire doit rester sous l’égide du service public gratuit.

Il considère que les mesures d’urgence prises par le ministre de l’Intérieur depuis le 13 juin 2004 couplées aux mesures présentées dans le présent article devraient permettre d’atteindre l’objectif fixé par le Gouvernement.

Il estime néanmoins que des mesures complémentaires doivent être adoptées pour réduire le coût de la formation à la conduite, responsabiliser les établissements de conduite, favoriser la concurrence entre ces établissements, renforcer la sécurité routière et surtout écouler dans les meilleurs délais le stock des candidats en attente de l’examen.

IV. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

Outre l’adoption de cinq amendements de précision et de nature rédactionnelle, la Commission a adopté quatre amendements importants visant à améliorer les conditions dans lesquelles les candidats au permis B pourront se présenter à l’examen théorique et pratique.

En premier lieu, à l’initiative des rapporteurs, la Commission spéciale a adopté, après avis favorable du Gouvernement, un amendement interdisant aux organisateurs agréés des épreuves du permis de conduire et aux examinateurs auxquels ils font appel d’exercer par ailleurs une activité d’enseignement de la conduite et de la sécurité routière ou d’exploiter un établissement d’enseignement de la conduite ou de formation des enseignants de conduite. Cet amendement de bon sens permet d’éviter tout conflit d’intérêts entre formateurs et organisateurs ou examinateurs des épreuves du permis de conduire.

En deuxième lieu, à l’initiative des rapporteurs, la Commission a adopté, après un avis de sagesse du Gouvernement, un amendement visant à permettre à tout candidat au permis de conduire de catégorie B de pouvoir s’exercer à la conduite, en présence d’un accompagnateur titulaire d’un permis de conduire de catégorie B depuis au moins cinq ans, dès la validation de sa formation initiale par l’enseignant de conduite jusqu’à sa présentation à l’épreuve pratique du permis B.

Actuellement, le dispositif de « conduite supervisée » est prévu par l’article R. 211-5-1 du code de la route et l’article 11 de l’arrêté du 22 décembre 2009 modifié par celui du 31 octobre 2014 qui permettent à tout candidat ayant échoué une première fois au permis de conduire de s’engager, par contrat, à accéder à une période d’apprentissage en conduite supervisée d’une durée minimale de 90 jours et sous réserve de parcourir 1 000 km pendant cette période avant de pouvoir se représenter à l’examen pratique du permis de catégorie B.

L’amendement adopté par la Commission spéciale vise à élargir ce dispositif à tout candidat dont la formation initiale aura été validée par l’enseignant de conduite qu’il ait ou non déjà été présenté à l’examen pratique et à le simplifier en supprimant toute condition de délai ou de distance afin de ne pas allonger artificiellement le délai entre la validation de la formation initiale et la présentation du candidat à l’épreuve pratique du permis B, dont l’opportunité dépendra d’un rendez-vous pédagogique avec l’enseignant de l’auto-école.

La conduite supervisée, reposant sur une base volontaire du candidat, lui permettra d’améliorer son niveau de conduite gratuitement pendant le délai d’attente entre la fin de sa formation initiale et sa présentation à l’épreuve pratique du permis de conduire (98 jours en moyenne en France en 2013) ou entre deux présentations à l’épreuve pratique du permis de conduire.

Cet amendement répond donc à un triple défi : abaisser le coût de la formation à la conduite, améliorer la sécurité routière en réduisant le taux d’accidentalité des jeunes conducteurs, mieux formés et accroître le taux de réussite à l’épreuve pratique du permis B (de 59 % seulement actuellement).

En troisième lieu, à l’initiative des rapporteurs, la Commission spéciale a adopté un amendement visant à rendre obligatoire la publication par les auto-écoles (privées ou associatives) des taux de réussite des candidats qu’ils présentent aux examens théoriques d’une part et aux examens pratiques du permis de conduire rapportés au volume moyen d’heures réalisé par les candidats d’autre part, pour chaque catégorie de véhicules, au moins une fois par an.

La fréquence et les modalités de publication de ces taux de réussite seront précisées par arrêté du ministre de l’Intérieur mais pourraient se traduire par un affichage dans les locaux et/ou sur le site internet de chaque auto-école, voire sur le site du ministère de l’Intérieur.

Cet amendement favorisera la concurrence entre les auto-écoles sur une base objective conduisant à améliorer la qualité du service rendu et/ou à une baisse des tarifs pratiqués au bénéfice des candidats, et surtout à les dissuader de retenir des candidats.

En quatrième et dernier lieu, la Commission a adopté un amendement présenté par le président François Brottes, après avis favorable des rapporteurs et du Gouvernement, qui rend possible l’organisation de la préparation et le passage de l’épreuve théorique du permis de conduire, en dehors du temps scolaire, dans les locaux des lycées et établissements régionaux d’enseignement adaptés, au bénéfice des élèves qui le souhaitent. Cet amendement complète utilement l’article L. 312-13 du code de l’éducation qui prévoit déjà que : « L’enseignement du code de la route est obligatoire et est inclus dans les programmes d’enseignement des premier et second degrés. »

Conformément à l’article L. 214-6-2 du code de l’éducation, l’organisation et le passage de l’épreuve du code de la route dans les établissements scolaires pourront être confiés à des entreprises ou des organismes de formation conventionnés par le représentant de la région ou de la collectivité territoriale de Corse, celui de l’établissement et la personne physique ou morale qui désire organiser ces activités. La convention précisera notamment les obligations pesant sur l’organisateur en ce qui concerne l’application des règles de sécurité, la prise en charge des responsabilités et de la réparation des dommages éventuels ainsi que les conditions financières de l’utilisation des locaux et équipements dans le respect du code général de la propriété des personnes publiques.

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La Commission examine l’amendement SPE851 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. Mon amendement tend à assurer une répartition des inspecteurs du permis de conduire en fonction du nombre d’habitants âgés de moins de trente ans dans chaque département. Cette donnée démographique étant sujette à des évolutions, une régulation paraît nécessaire. D’aucuns m’objecteront que la disposition est d’ordre réglementaire, mais, jusqu’à présent, elle n’a pu être mise en œuvre par cette voie.

M. le ministre. Avis de sagesse.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis de sagesse également. Cela me semble en effet relever du domaine réglementaire.

M. Jean-Christophe Fromantin. À l’occasion des travaux que j’ai menés sur le permis de conduire, j’ai pu constater que celui-ci est d’autant plus nécessaire que les territoires sont peu denses et dépourvus de transports collectifs. Le critère de proportionnalité ici envisagé ne correspond donc pas tout à fait aux besoins réels. Ce n’est pas aussi simple que cela…

M. Jean-Frédéric Poisson. La mesure me semble clairement relever du décret, non seulement en raison des difficultés soulevées par Jean-Christophe Fromantin, mais aussi parce qu’elle vise les modalités d’affectation des inspecteurs du permis de conduire.

La commission des lois pratique la chasse aux rapports, mais aussi aux adverbes. Le mot « notamment », à cet égard, pose problème : ou le nombre d’habitants est le critère, ou il ne l’est pas.

Si chacun peut partager l’objectif de l’amendement – ne serait-ce qu’en raison des délais d’accès à l’examen dans certaines zones –, le véhicule choisi ne nous paraît pas être le bon.

M. le président François Brottes. Je suis tout aussi réservé que vous sur les vertus de l’adverbe « notamment », mais le critère démographique ne saurait être le seul. N’étant pas un élu francilien, j’ai sans doute une approche différente. Si quelque 400 000 emplois restent non pourvus, c’est aussi parce qu’ils peuvent exiger, pour les jeunes, de se déplacer au-delà du périmètre de l’agglomération ou du département : le problème se pose bien entendu avec une acuité accrue dans les zones dépourvues de transports en commun mais, même là où ils existent, le lieu de travail n’est pas forcément situé à proximité de la ligne de desserte… Je ne souscris donc pas à votre argument, monsieur Fromantin. Je suis en revanche sensible aux remarques sur la forme et, tenu à l’exemplarité en cette matière, je retire l’amendement à ce stade.

L’amendement SPE851 est retiré.

La Commission adopte successivement, avec l’assentiment du Gouvernement, l’amendement de précision SPE1496 et l’amendement de simplification rédactionnelle SPE1004 des rapporteurs.

Elle examine alors en discussion commune les amendements SPE998 et SPE1003 de M. Jean-Christophe Fromantin.

M. Jean-Christophe Fromantin. La question du permis de conduire est un serpent de mer depuis des années. Malgré le rapport Lebrun en 2008, la réforme de 2009 et les dispositions adoptées récemment pour tenter d’en assouplir les conditions d’obtention, on continue à se heurter au même problème de saturation du nombre de places. On n’en compte aujourd’hui qu’un million environ contre trois à quatre millions de candidats. Le temps d’attente de ces derniers est donc de trois à six mois et dépasse souvent les six mois lorsqu’ils passent le permis pour la deuxième fois. Cette situation a des conséquences rédhibitoires sur le coût du permis, tant pour les jeunes que pour les habitants des zones rurales, des métropoles et des villes moyennes. La situation devient surréaliste pour un examen devenu indispensable à toute personne cherchant un emploi : le permis est devenu le diplôme le plus recherché !

La seule solution pour sortir de cette ornière consisterait à faire évoluer les modalités de passage de l’épreuve pratique du permis B : c’est essentiellement elle qui fait l’objet de cette énorme saturation. Or il est malheureusement impossible au Gouvernement d’augmenter de manière significative le nombre d’inspecteurs. C’est pourquoi nous proposons dans l’amendement SPE998 de recourir à des organismes certificateurs. Régi par une norme européenne, l’examen est aujourd’hui organisé dans beaucoup de pays d’Europe par des organismes privés ou par des agences sans que cela ne pose le moindre problème. Il est temps que la France se modernise en ce domaine et sache sortir des limites du service public. On pourrait ainsi inciter les inspecteurs à se recentrer sur les autres missions qui leur sont assignées : l’information, la prévention et le contrôle des auto-écoles. En confiant l’examen du permis à des organismes certificateurs sous contrôle des inspecteurs, comme on le fait dans le cadre du contrôle technique automobile, on soulagerait le corps des inspecteurs et l’on offrirait à tous les Français des conditions équitables et raisonnables de passage du permis de conduire.

M. le Président François Brottes. Sans modifier la répartition de ces inspecteurs dans le pays, si j’ai bien compris. Qu’en est-il de votre amendement SPE1003 ?

M. Jean-Christophe Fromantin. C’est un amendement de repli prévoyant que le Gouvernement nous remettra un rapport sur la question. Il serait préférable d’adopter l’amendement SPE998, compte tenu de l’acuité du problème. Ce projet de loi nous est présenté comme devant simplifier la vie des Français. Or, la mesure que nous proposons aurait un effet direct sur le quotidien de centaines de milliers d’entre eux.

Cet amendement ne consiste pas à privatiser la délivrance du permis de conduire mais à confier à des organismes certificateurs placés sous le contrôle des inspecteurs de l’État le passage de l’examen pratique du permis B. Puisque l’on accepte cette privatisation pour le passage de l’examen théorique ainsi que pour le passage du permis poids lourds, je ne vois pas au nom de quelle doctrine on la refuserait pour l’épreuve pratique du permis B – alors que c’est précisément là que le problème est le plus aigu. Ce serait manquer de courage que de contourner la question. Aujourd’hui, des centaines de milliers de Français conduisent sans permis et 85 000 Français par an vont le passer à l’étranger. Qui plus est, les chiffres de l’insécurité routière sont alarmants. On aurait donc avantage à faire preuve de consensus, de courage et d’audace en ce domaine, afin de réformer un système qui doit l’être depuis des années.

M. le ministre. Le Gouvernement partage le constat, cruel il est vrai, de M. Jean-Christophe Fromantin. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, le système dans lequel nous vivons aujourd’hui n’est pas satisfaisant : il pénalise les plus jeunes et en particulier ceux qui ont besoin du permis de conduire pour trouver un emploi. Il est donc nécessaire d’adopter la réforme la plus ambitieuse possible.

Néanmoins, l’externalisation proposée aurait des conséquences sociales importantes à tous égards : elles ont été débattues avec le ministre de l’intérieur lorsque ces propositions ont été examinées à l’Assemblée nationale, le 27 novembre dernier. Elles traduiraient une défiance à l’égard des inspecteurs du permis de conduire, sans garantie de résultat immédiat.

La réforme engagée par le Gouvernement vise à recentrer l’activité des inspecteurs du permis de conduire sur le cœur de leurs missions de service public – le passage de l’épreuve pratique du permis B – en leur dégageant le temps qu’ils consacraient jusqu’ici à faire passer, d’une part, l’examen théorique, qui ne requiert pas un niveau de compétences aussi élevé que le leur, et d’autre part, les épreuves pratiques du permis poids lourds en vue de l’obtention d’un diplôme professionnel. La mission des inspecteurs sera ainsi recentrée sur le passage du permis B. Ces premières mesures, qui figurent dans le projet de loi et qui avaient été annoncées par M. Bernard Cazeneuve il y a quelques mois, permettraient de libérer 280 000 places d’examen en un an. Nous sommes conscients que cela reste insuffisant, mais ce n’est qu’un début. Nous souhaitons pouvoir continuer à améliorer le dispositif dont nous débattons ce soir sans toutefois aller jusqu’à l’externalisation que vous proposez, car elle pourrait avoir des effets contre-productifs.

C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable à ces deux amendements, tout en ayant la volonté de poursuivre la discussion et de préparer d’ici à l’examen du texte en séance publique des amendements permettant d’aller plus loin dans la réforme que nous proposons afin de répondre au problème soulevé.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Notre collègue a bien analysé la question qui se pose depuis de nombreuses années. Le Gouvernement a essentiellement pris le parti de réduire les délais d’obtention du permis de conduire, surtout en cas de deuxième présentation à l’examen. Ces délais excessifs obligeant à reprendre des heures de cours supplémentaires très coûteuses, leur raccourcissement devrait faire économiser aux candidats entre 200 et 600 euros. Avant que l’on n’adopte des premières mesures l’an dernier, la moyenne d’attente était de 98 jours en France. L’objectif de la réforme est de ramener ce délai à 45 jours. Les mesures prises l’an dernier ont déjà permis de libérer 110 000 places tout en préservant la qualité du permis de conduire français – examen qui reste gratuit même si des frais de présentation sont exigés par les écoles de conduite. Nous tenons à ce que cet examen reste un service public gratuit.

La réforme a instauré un examen pratique de trente-deux minutes au lieu de trente-cinq, ce qui a permis de passer de douze à treize candidats examinés par jour par inspecteur et de dégager ainsi 110 000 places par an. L’objectif étant d’aller plus loin, nous avons choisi de ne pas externaliser au secteur privé l’épreuve pratique. Nous confions à l’éducation nationale l’épreuve pratique pour les poids lourds car c’est elle qui forme à la conduite de tels véhicules. Et nous externalisons à des organismes agréés toutes les épreuves du code de la route de tous les permis.

Si l’on retenait votre proposition pour le permis B, il faudrait que l’on trouve le moyen de rémunérer les inspecteurs du secteur privé, ce qui entraînerait un surcoût supplémentaire dont on ignore aujourd’hui le montant. Notre souci est de diminuer le coût d’accès au permis. Les parlementaires ont d’ailleurs jugé le projet de loi imparfait dans la mesure où il ne visait que les flux de l’examen et non les stratégies de rétention des candidats adoptées par les écoles de conduite. Des amendements ont donc été déposés par le président Brottes et par moi-même afin d’éviter que des candidats ne soient contraints par leur auto-école de prendre des heures supplémentaires de conduite.

M. Philippe Vigier. Il est vrai que des dispositions ont été prises, mais elles ne permettront pas de résorber l’encombrement actuel, même si les amendements du président François Brottes contribuent à fluidifier les mouvements. Le temps moyen d’attente étant de quarante-cinq jours dans l’Union européenne, on ne peut se satisfaire de mesures réduisant de quatre jours le délai d’attente en France qui est de quatre-vingt-dix-huit jours. Ce d’autant que, chaque fois qu’un candidat échoue, il repart pour un cycle dont le coût moyen est de 200 euros par mois.

À l’heure actuelle, le contrôle des cars de transport scolaire est assuré par des garages habilités et contrôlés régulièrement par la DREAL. Confier l’examen des candidats au permis poids lourds à des organismes privés sous le contrôle de l’État nous permettra de garantir la qualité de l’examen.

La France en fait toujours plus que l’Europe : la directive européenne prévoit une durée d’épreuve pratique de 25 minutes alors que nous étions à 35. Nous l’avons ramenée à 32 minutes et nous devons la réduire encore pour résorber ce goulot d’étranglement. Afin de permettre aux nombreux candidats de payer moins cher et d’accéder au permis de conduire dans les meilleures conditions, nous proposons de confier l’épreuve pratique du permis B à des organismes habilités. Le dispositif sera ainsi parfaitement sécurisé puisqu’en cas d’insatisfaction, la puissance publique pourra retirer l’habilitation accordée.

Enfin, je ne suis pas d’accord avec vous sur les effets de la tarification des inspecteurs du secteur privé : je suis persuadé que l’on y gagnera au niveau de l’économie générale du système. Ces organismes seront rémunérés avec toutes les économies que l’on fera réaliser aux élèves aujourd’hui contraints de subir des tarifs rédhibitoires.

M. Guénhaël Huet. Je souhaiterais également apporter mon soutien à l’amendement de notre collègue Jean-Christophe Fromantin. Depuis le temps que l’on évoque ce sujet, aucune mesure efficace n’a été prise. Les arguments de notre rapporteur thématique Gilles Savary sont certes justes : on ne peut nier que des améliorations aient été apportées, mais on est très loin du compte. Je trouve dommage de s’arrêter au milieu du gué alors que la proposition de Jean-Christophe Fromantin permet de régler beaucoup plus rapidement un problème qui se pose depuis très longtemps, tout en maintenant le contrôle de la puissance publique. Il ne s’agit pas de privatiser le système, mais de l’assouplir et de le simplifier, dans l’esprit du projet de loi. Ce texte est souvent jugé compliqué : voilà une mesure qui parlerait beaucoup à l’opinion publique. Il faut donc la soutenir.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je confirme les propos de Guénhaël Huet : nous soutiendrons les amendements de notre collègue Fromantin et du groupe UDI, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, ce n’est pas sur le constat que nous sommes divisés mais sur les solutions à adopter pour régler le problème qui a été exposé. Une partie importante de votre projet de loi, monsieur le ministre, vise à fluidifier, à déréglementer et à déréguler. Je ne vois donc pas en quoi l’externalisation ou la privatisation ici proposée constituerait une marque de défiance à l’égard d’un corps d’inspection qui n’est certes pas mauvais mais qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour répondre aux besoins auxquels il est confronté. Nous ne voulons donc nullement faire preuve de défiance mais au contraire apporter notre soutien à une profession qui manque d’effectifs.

Ensuite, on peut lire à la page 49 de l’étude d’impact que vous souhaitez recourir au secteur privé pour l’organisation de l’épreuve théorique : pourquoi cela ne serait-il pas tout aussi justifié pour l’organisation de l’épreuve pratique ? Dans les deux cas, il est bien question de sécurité, de performance, d’acquisition de connaissances et de savoir-faire routiers. Cette différence de traitement s’explique donc relativement mal. Nous reviendrons plus loin sur la question de la déréglementation des professions réglementées. Mais je ne comprends pas très bien en l’occurrence que vous créiez une profession réglementée supplémentaire alors que vous vous apprêtez à en déréglementer d’autres.

Pour toutes ces raisons, nous croyons nécessaire que des solutions concrètes et pratiques soient apportées. C’est pourquoi, même si les dispositions prises par le Gouvernement vont dans le sens d’un désengorgement, le coup de pouce qu’apportent les deux amendements de nos collègues serait le bienvenu. Le groupe UMP votera donc en leur faveur.

M. Arnaud Leroy. Je suis assez sensible à l’objet du premier amendement. Nous avons fait de la jeunesse un enjeu majeur de ce quinquennat ; or c’est elle la première à être affectée par les problèmes de délai et de coût d’accès au permis de conduire. Compte tenu des chiffres qui ont été avancés, serait-il possible, monsieur le ministre, d’adopter une mesure transitoire d’une durée de deux ans afin de permettre à un maximum de candidats de passer leur permis de conduire pendant cette période ? J’entends bien que l’externalisation des épreuves du permis de conduire aurait des conséquences sociales. Mais nous sommes face à une situation d’urgence et nous ne parviendrons pas à résorber la file d’attente en libérant quelques dizaines de milliers de places. N’oublions pas que nous sommes face à un boom générationnel.

Mme Élisabeth Pochon. Nous avons, il y a peu, examiné en séance publique les propositions de Jean-Christophe Fromantin. Dans ma circonscription du 93, le délai d’attente se situe bien au-delà des quatre-vingt-dix jours, ce qui pose effectivement un problème particulier à la jeunesse. Si nous avons rejeté la proposition de loi de notre collègue, c’est qu’elle tendait selon nous à une privatisation qui ne disait pas son nom. Peut-être ce texte aurait-il apporté de la fluidité, mais il aurait créé des disparités : si l’on confiait l’inspection des épreuves pratiques du permis B au secteur privé, rien ne dit qu’il ne faudrait pas payer plus cher pour aller plus vite et que la vitesse de passage ne pourrait pas varier en fonction des moyens dépensés. Par ailleurs, les associations de sécurité routière considèrent que nous disposons d’excellents inspecteurs du permis de conduire et qu’il convient de sécuriser l’apprentissage tout en garantissant une certaine harmonisation sur notre territoire.

Le Gouvernement a formulé des propositions : attendons d’en observer les premières conséquences. Souvenons-nous aussi que naguère, le service militaire permettait aux jeunes de passer leur permis de façon à la fois peu onéreuse et rapide. La quasi-généralisation du service civique pourrait donc offrir d’autres perspectives de ce type.

Bref, il ne nous semble pas opportun de privatiser le dispositif actuel, ce qui risquerait de créer une disparité entre les candidats.

M. Jean-Yves Caullet. Si l’on peut recourir à des organismes agréés pour l’épreuve théorique mais non pour l’épreuve pratique, c’est pour une raison évidente : il est beaucoup plus simple d’assurer un contrôle a posteriori et général de l’épreuve théorique puisqu’il s’agit d’examens formalisés.

Le texte apporte des avancées très attendues ; cela étant, alors qu’une grande partie de la jeunesse joue à des jeux virtuels, et que l’on sait former des pilotes à piloter des Boeing sur des simulateurs, je m’étonne que l’on n’ait pas encore réussi à en faire autant pour l’apprentissage de la conduite et l’organisation des épreuves, de leur début à tout le moins. Il n’y a aucune raison que l’on ne puisse procéder ainsi.

M. Jean-Christophe Fromantin. Rappelons que la norme du permis de conduire est très encadrée par le droit européen. Par conséquent, dès lors que l’on recourt à un organisme certificateur dont les inspecteurs sont formés selon la norme européenne, on ne saurait mettre en doute la qualité de l’examen. Et pour ce qui est du coût, les organismes certificateurs que nous avons entendus – dont les plus grands sont des leaders mondiaux, tels que Bureau Veritas en France – nous ont indiqué qu’en trois mois, ils sauraient mettre en place le dispositif au prix d’une heure de conduite. Et je vous invite à examiner le coût supplémentaire inhérent à la carence du nombre d’inspecteurs : il représente entre 7 et 20 heures supplémentaires de cours pour combler les délais d’attente. Donc, quand même on arriverait à créer 280 000 places, il reste que 1,5 million de candidats n’auraient pas de place chaque année. C’est pourquoi cette petite réforme, comme les précédentes, ne corrigera la situation qu’à la marge sans résoudre le problème.

Vous parlez par ailleurs d’équité : or la meilleure équité que l’on puisse offrir consiste à faire en sorte que, comme cela se fait aujourd’hui en matière de contrôle technique automobile par exemple, n’importe qui n’importe où en France puisse passer son examen dans les vingt-quatre heures.

J’observe au travers de plusieurs amendements, et c’est une bonne chose, que vous cherchez à assouplir l’ensemble des procédures qui régissent les travaux et l’installation des auto-écoles. On peut imaginer que ces mesures – que nous soutiendrons – permettront de diminuer le coût du permis de conduire ; mais, du coup, elles auront pour effet d’accroître le flux des candidats, alors que vous n’envisagez pas d’augmenter substantiellement le nombre d’inspecteurs. Lorsque j’ai auditionné le secrétaire général de la préfecture de Seine-Saint-Denis, il m’a indiqué que la réduction de 35 à 32 minutes de la durée de l’épreuve pratique n’aurait aucun effet. Bref, on se fait plaisir en adoptant de telles dispositions mais l’on ne résoudra pas le problème que pose le passage de cette épreuve. Quant aux inspecteurs, que j’ai également auditionnés, ils nous ont demandé d’avoir de l’ambition pour leur métier. Ils ont d’autres ambitions que de faire passer un examen : ils exercent des missions de prévention et de contrôle. Or, si vous assouplissez les règles applicables aux auto-écoles, leur mission de contrôle prendra une importance accrue.

Bref, sans un geste fort et audacieux en ce domaine, on en restera à une demi-réforme qui ne résoudra pas la difficulté de centaines de milliers de Français à passer leur permis de conduire.

M. Philippe Vigier. Comme l’a expliqué Jean-Christophe Fromantin, il ne s’agit pas de faire une demi-réforme, mais de répondre à de l’attente forte de nos concitoyens. Et une fois de plus, nous sommes très en retard sur les autres pays de l’Union européenne. Notre collègue de Seine-Saint-Denis parlait tout à l’heure d’équité : or, il est vrai que de nombreux jeunes de la région parisienne viennent jusque dans ma circonscription, située à 150 kilomètres de Paris, pour passer leur permis de conduire. Le contrôle des auto-écoles est à cet égard un aspect essentiel.

D’autre part, la semaine dernière, le délégué interministériel à la sécurité routière nous a indiqué que les mesures prises l’an dernier par le Gouvernement, visant à faire appel, dans les préfectures, à quelques bénévoles pour faire passer des examens, avaient coûté 450 000 euros.

Non seulement les mesures proposées ne permettront pas de désengorger les flux mais le fait de ramener le délai d’attente à quarante-cinq jours coûtera à l’État une somme considérable. On ne peut se contenter d’une demi-réforme. La réforme est attendue et exige un contrôle strict des organismes qui seraient habilités à faire passer l’examen pratique de la conduite automobile dans le cadre du permis B.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Les conditions de l’examen et les capacités des examinateurs sont les seuls éléments à prendre en compte dans le débat. Deux options sont possibles : l’inspection de l’examen théorique peut rester un service public gratuit ou devenir un service commercial payant. Mais il convient de s’interroger, en amont, sur les pratiques de captation des candidats par les écoles de conduite : certaines proposent des forfaits de vingt heures sur lesquelles elles pratiquent le dumping – certains sites en ligne prétendent assurer pratiquement toute votre éducation à distance ! Puis, comme les candidats échouent à l’examen, ils se retrouvent contraints de prendre des heures supplémentaires de cours. C’est pourquoi nous vous proposons de nous intéresser à ces pratiques en amont et pas uniquement à l’examen. Lorsque nous avons auditionné les inspecteurs, ils nous ont indiqué qu’ils ne se heurtaient pas à un problème de capacités, mais à des difficultés structurelles dans l’attribution de places de permis de conduire. Ils ont également dénoncé les effets pervers des pratiques que je viens de citer.

Nous vous proposons donc plusieurs amendements, dont l’un tendant à généraliser le recours à la conduite supervisée, au terme de la formation initiale du candidat, qui pourrait être vingt heures de cours par exemple. Cela dissuadera les écoles de conduite de garder des candidats trop longtemps. Nous proposerons aussi de rendre publics les taux de réussite des écoles de conduite rapportée au volume moyen d’heures réalisées. Le Président François Brottes propose quant à lui des amendements tendant à faire évoluer la répartition des examinateurs en fonction du nombre de candidats en attente. Enfin, le décret ayant modifié les règles d’attribution des places d’examen vient juste d’entrer en vigueur. Ce faisceau de mesures, qui s’attaquent à plusieurs points de blocage, constitue une grande réforme et non un replâtrage secondaire que vous caricaturez parce que vous souhaitez basculer dans le privé. Je sais que des groupes de pression puissants, tels que Dekra, cherchent à conquérir ce marché. Mais la mise en application d’une telle réforme prendrait des mois. Elle suppose en effet de certifier des organismes et de former des examinateurs, alors que nous avons engagé une réforme depuis le mois de juin dernier qui commence à produire des résultats concrets et que nous complétons aujourd’hui par un texte ambitieux.

Nous avons pris le parti de la gratuité de l’examen, placé sous contrôle du service public. Si vous croyez aux vertus de la privatisation en ce domaine, nous en doutons. Nous souhaitons conserver les grands principes qui font la qualité de notre permis de conduire : indépendance des examinateurs, gratuité et neutralité vis-à-vis de tout intérêt commercial. Nous préférons réformer ce système plutôt que de basculer dans un système marchand s’agissant d’un bien essentiel. Certains collègues souhaiteraient d’ailleurs que l’ensemble de la formation à la conduite et la délivrance du permis soient pris en charge du début à la fin par l’éducation nationale, tant ce permis est considéré comme un bien essentiel à l’autonomie de la personne. Sans aller jusque-là, nous avons décidé de cette réforme et nous vous donnons une clause de rendez-vous afin d’en évaluer l’efficacité.

M. Jean-Yves Caullet. Monsieur le président, pourriez-vous nous accorder quelques minutes de suspension de séance ?

M. le président Brottes. Soit.

(Suspension des travaux)

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur, je me permets de reprendre à mon compte les arguments que vous avez formulés tout à l’heure. Vous considérez que l’amendement de notre collègue Jean-Christophe Fromantin est une offensive sans précédent contre l’indépendance, la neutralité et la gratuité du service public. Or, il y a quelques heures, évoquant les conditions d’attribution des marchés aux concessionnaires autoroutiers, vous avez fait état de comportements au sommet de l’État qui ne témoignaient pas d’un grand respect de l’indépendance, de la neutralité et de la gratuité du même service public. Il n’y a malheureusement plus de garanties à cet égard, force est de le reconnaître. Il n’y a donc de notre part aucune volonté d’affaiblir quelque service public que ce soit en soutenant l’amendement de notre collègue.

Tirant les conséquences d’une situation que vous avez, comme le ministre, parfaitement décrite, vous prenez des dispositions pour faciliter un accès plus rapide des jeunes à l’examen du permis de conduire. Malheureusement, tout nous porte à croire que ces examens ne pourront être organisés avec le succès espéré. Nous proposons donc une solution complémentaire qui, loin de remettre en cause le statut des inspecteurs et de les sortir de la fonction publique, permettra de les appuyer par des personnes ayant un statut distinct du leur et qu’il faudra effectivement former et agréer.

Enfin, vous nous objectez, monsieur le rapporteur thématique, que tout cela prendra du temps. Mais le projet de loi que vous soutenez prévoit plusieurs ordonnances, assorties de neuf délais de ratification différents, allant pour certaines jusqu’à dix-huit mois. Par conséquent, toutes les mesures dont nous débattons, quelles qu’elles soient, ne s’appliqueront qu’au bout d’un certain temps.

Pour toutes ces raisons, nous réitérons notre soutien sans faille à ces deux amendements.

M. le Président François Brottes. Vous conviendrez que le débat sur ces amendements a largement eu lieu et que chacun a pu exprimer son point de vue. Nous avons le devoir, à l’égard d’une génération tout entière, de booster le dispositif afin de redonner de l’autonomie aux jeunes et d’éviter que les candidats au permis de conduire ne subissent des temps d’attente trop longs et des tarifs rédhibitoires, surtout dans certaines régions. Non seulement le Gouvernement a déjà engagé une réforme significative, mais le projet de loi prévoit des modifications supplémentaires. D’ici à la séance publique, il dressera l’inventaire de ces dispositions nouvelles. Prenons-en acte. Personne ici, sur quelque banc que ce soit, n’est favorable à un statu quo qui interdit à toute une génération l’accès à la mobilité et à l’autonomie.

La Commission rejette les amendements SPE998 et SPE1003 de M. Jean-Christophe Fromantin.

Puis elle examine l’amendement SPE1497 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement tend à insérer dans le code de la route un article disposant que les activités d’organisateurs agréés et d’examinateurs des épreuves du permis de conduire sont incompatibles avec l’activité d’enseignement de la conduite et de la sécurité routière. Cette mesure de portée éthique vise à éviter tout conflit d’intérêts, compte tenu de l’ouverture au secteur privé de l’emploi d’examinateur de l’épreuve théorique.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1497.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel SPE1498 des rapporteurs.

La commission est saisie de l’amendement SPE1680 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. L’article L. 312-13 du code de l’éducation prévoit explicitement l’obligation pour l’éducation nationale, de l’enseignement primaire à l’enseignement secondaire, d’organiser et d’assurer la formation au code de la route. Or je crains que cette disposition n’ait pas été suffisamment rappelée par les gouvernements successifs. Par ailleurs, l’article L. 214-6-2 du même code autorise la conclusion de partenariats au sein de l’éducation nationale. Je propose donc de permettre la préparation et le déroulement de l’examen théorique du permis de conduire dans les locaux des lycées et les locaux d’enseignement adapté, dans le cadre d’un partenariat conclu entre l’éducation nationale et des experts.

Pour financer une telle mesure, l’amendement SPE1680 prévoit la possibilité de recourir à la contribution des entreprises d’assurance automobile à la prévention routière ; ce dispositif, instauré par M. François Fillon, doit être renouvelé l’an prochain.

Cet amendement ne bénéficiera pas à tous les jeunes puisque tous ne sont pas scolarisés au lycée. Mais d’autres circonstances pourraient également servir à cette fin, telles que les journées défense et citoyenneté. Je proposerai donc un amendement prévoyant la remise d’un rapport au Parlement sur le sujet, l’article 40 de la Constitution m’empêchant de créer une telle dépense nouvelle. Je crois d’ailleurs savoir que le ministère de la défense est favorable à cette proposition. D’autres lieux encore pourraient être utilisés de sorte que l’on couvre l’ensemble des publics.

Enfin, je tiens à souligner que mon amendement prévoit une possibilité et non une obligation, et que ces formations auraient lieu en dehors du temps scolaire.

M. le ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la commission.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis favorable.

M. Jean-Louis Bricout. Je m’associe à cet amendement. J’avais d’ailleurs moi-même proposé un amendement similaire, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40.

Outre le fait que nous avons le devoir de former la jeunesse à la sécurité routière, l’épreuve théorique du permis de conduire, préalable obligatoire avant de passer les épreuves de conduite, constitue pour les jeunes habitants des zones rurales un passeport pour l’emploi. Compte tenu du caractère onéreux de ce passeport, la mesure proposée par notre président constituera une avancée sociale certaine. On a en effet pu constater que le service national avait été facteur d’ascension sociale, en permettant à de nombreux jeunes de passer leur permis.

Enfin, l’apprentissage du code de la route présente un réel intérêt pédagogique. Les entrepreneurs que nous rencontrons lorsque nous visitons des entreprises nous parlent certes de la maîtrise des savoirs fondamentaux – lire, écrire, compter – mais aussi de celle du comportement. Or bien se comporter, c’est la première chose que l’on apprend dans le code de la route. Du point de vue de la méthode, on peut effectivement imaginer que l’enseignement de ce code soit dispensé dans des lycées ou dans d’autres lieux. Pour ce qui est du financement, on pourrait certes faire appel au fonds de prévention des assurances mentionné par le président Brottes mais aussi aux fonds européens pour la jeunesse. Enfin, les candidats pourraient passer l’épreuve théorique lors des journées défense et citoyenneté ou dans le cadre du service civique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je sens comme une antinomie, en tout cas une différence, entre l’organisation d’une profession réglementée visant à externaliser le passage de l’épreuve théorique du permis de conduire, et le renforcement du rôle de l’Éducation nationale dans ce même domaine. Cette dichotomie expliquerait-elle l’avis de sagesse donné par le Gouvernement ? Dans le cas contraire, quelles en sont les motivations, monsieur le ministre ?

M. Michel Zumkeller. Qui organisera les épreuves et dans quelles conditions ? Dans le même mouvement, vous privatisez cet examen tout en l’installant dans des locaux scolaires, ce qui crée beaucoup de confusion.

M. Joël Giraud. Je suis très favorable à l’adoption de votre amendement, monsieur le président, au point que je souhaiterais le sous-amender afin d’intégrer dans son champ les centres de formation des apprentis, qui relèvent également de la compétence des régions.

M. le président François Brottes. Monsieur Joël Giraud, mon amendement s’inscrit dans le cadre du code de l’Éducation nationale qui ne vise que les établissements d’enseignement placés dans le périmètre de l’Éducation nationale. Il faudrait reprendre le dispositif en le rattachant au code qui régit les établissements que vous évoquez.

L’article L.214-6-2 offre plusieurs possibilités dans le choix des opérateurs, mais il est évident que ceux-ci seront extérieurs à l’Éducation nationale et qu’ils interviendront dans le cadre de conventions. La loi ne peut aller plus loin dans la précision, sous peine d’empiéter sur le domaine réglementaire.

Mon amendement pose un cadre permettant l’organisation de l’épreuve théorique du permis de conduire dans l’enceinte de l’Éducation nationale, en dehors du temps consacré aux programmes, et sur le fondement d’un partenariat que le code prévoit. Quant à la dichotomie relevée par Jean-Frédéric Poisson, elle m’a échappé…

Mme Élisabeth Pochon. Je voulais ajouter les missions locales dans le champ de votre amendement, monsieur le président, mais la réponse que vous avez apportée à Joël Giraud vaut également pour ma demande.

Monsieur le ministre. Il n’y a pas de dichotomie, mais complémentarité entre le texte initial et l’amendement de monsieur le président ; en effet, le projet de loi prévoit un dispositif d’urgence consistant à décharger les inspecteurs de l’épreuve du code, qui requiert peu de qualifications – contrairement à l’évaluation de l’épreuve pratique qui exige des qualifications particulières, selon le droit de l’Union européenne. Or nous n’avons pas élargi le champ de la profession réglementée ; nous avons choisi de mettre en place des dispositifs agréés pour passer l’épreuve du code, et l’amendement de Monsieur le président étend cette possibilité à un autre public. Nos deux démarches s’avèrent donc bien complémentaires. Nous acceptons cet amendement, mais avec prudence – d’où mon avis de sagesse – afin que soient bien prises en compte les exigences élevées de la sécurité routière et les charges pesant déjà sur les épaules des enseignants, notamment en matière d’instruction civique.

M. Jean-Christophe Fromantin. Qui organisera les épreuves théoriques du permis de conduire dans les lycées ? Le personnel de l’Éducation nationale ? Les inspecteurs du permis de conduire ? Des organismes privés opérant dans les lycées publics ? Si ce sont des opérateurs privés, ne me dites pas, monsieur le ministre, que la privatisation vous gêne ! Si vous ouvrez la possibilité de passer ces épreuves gratuitement dans les lycées avec des inspecteurs, vous neutralisez le bénéfice de la mesure que vous avez proposée, qui visait à libérer du temps pour ces professionnels. Enfin, aucune norme européenne n’interdit de confier l’organisation des épreuves théoriques du permis de conduire à des organismes privés.

M. le président François Brottes. Vous revenez sur notre débat de tout à l’heure, chers collègues ! Vous avez parfaitement compris le sens de mon amendement : rendre possible l’organisation d’épreuves théoriques hors du temps d’enseignement et dans le cadre de conventions entre l’Éducation nationale et des opérateurs extérieurs que le ministère agréera.

M. Philippe Vigier. Si ce sont des inspecteurs qui évaluent ces épreuves théoriques dans les lycées, qui les paie ?

Mme Véronique Louwagie. Les lycées d’enseignement agricole seront-ils couverts par la disposition ?

M. François Brottes. Mon amendement ne couvre pas tous les établissements d’enseignement, mais seulement ceux relevant de l’Éducation nationale. Je prends donc votre remarque comme un encouragement, madame, et d’autres amendements pourront élargir le champ de celui-ci.

Pour ce qui est du financement, la convention faisant obligation aux assurances de contribuer à la prévention et à la sensibilisation au code de la route pourrait être utilisée pour financer ces épreuves. N’allez pas me reprocher de définir un cadre législatif après m’avoir fait la leçon en appelant à ne pas empiéter sur le domaine réglementaire !

M. Philippe Vigier. Hors le temps scolaire, et depuis les lois de décentralisation que vous avez initiées, ce sont les régions et non plus l’Éducation nationale qui gèrent les lycées, monsieur le président. Tout le monde le sait !

M. le président François Brottes. Il ne vous a pas échappé, monsieur Philippe Vigier, qu’il s’agirait de conventions avec le ministère de l’Éducation nationale et que l’enseignement du code de la route faisait partie des missions de l’État et non de celles des régions.

La Commission adopte l’amendement SPE1680.

Puis elle étudie l’amendement SPE224 de M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cet amendement vise à soumettre les examinateurs à des règles éthiques qui préviennent les conflits d’intérêts.

M. le ministre. Cet amendement est satisfait par le SPE1497 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. En effet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Non, car l’amendement SPE1497 visait les organisateurs des épreuves, alors que le mien traite des examinateurs.

M. le président François Brottes. Si ce n’est que les organisateurs s’occupent également des examinateurs…

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. L’amendement que nous avons adopté vise « les activités d’organisateurs agréés et d’examinateurs ».

M. Jean-Frédéric Poisson. Dont acte ; je retire mon amendement.

L’amendement SPE224 est retiré.

La Commission adopte l’amendement de précision SPE1499 des rapporteurs.

Puis elle examine l’amendement SPE1500 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Il s’agit là de la disposition la plus importante pour éviter les surcoûts de formation et fluidifier les candidatures au permis de conduire ; l’amendement SPE1500 vise à ce que tout élève conducteur, inscrit dans un établissement ou une association agréés pour suivre une formation à la conduite des véhicules, puisse, après la validation de sa formation initiale – que le règlement pourrait fixer à vingt heures –, accéder à une période d’apprentissage en conduite dite supervisée par un accompagnateur titulaire depuis au moins de cinq ans du permis.

Cet amendement répond à un triple objectif : abaisser le coût de formation de la conduite, améliorer la sécurité routière en réduisant le taux d’accidentalité
– la conduite accompagnée ayant pour vertu de l’abaisser considérablement – et accroître le taux de réussite au permis B, qui s’élève aujourd’hui à 60 %. Autrement dit, la formation serait moins chère, plus rapide et plus complète.

M. le ministre. Le présent amendement ne modifie pas les prérequis de la conduite supervisée, mais il supprime opportunément les seuils minimaux de trois mois et de 1 000 kilomètres parcourus avant de pouvoir passer le permis, afin de ne plus pénaliser l’élève, la décision de passer le permis devant relever de la responsabilité de l’auto-école. La conduite supervisée constituera donc bien un entraînement complémentaire de la formation avec moniteur. Toutefois, dans la mesure où le ministère de l’intérieur souhaite que certains détails soient améliorés en séance, le Gouvernement émettra un avis de sagesse sur cet amendement.

La Commission adopte l’amendement SPE1500.

Elle adopte alors l’amendement rédactionnel SPE1501 des rapporteurs.

Puis elle est saisie de l’amendement SPE1502 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement vise à moraliser la profession afin que les écoles de conduite cherchent à obtenir les meilleurs résultats dans les délais les plus brefs. Afin d’encourager ce mouvement vertueux, nous souhaitons que les résultats des écoles fassent l’objet d’un benchmarking et soient publiés et portés à la connaissance du grand public.

M. le ministre. Avis favorable.

M. Jean-Christophe Fromantin. L’idée semble bonne, mais plusieurs acteurs de la filière nous ont alertés sur le danger de voir les auto-écoles augmenter le nombre d’heures de cours pour s’assurer de bons résultats. Il s’agit donc d’une fausse bonne idée.

M. Joël Giraud. Il est nécessaire d’introduire cet amendement dans le texte, afin de limiter les heures supplémentaires de conduite onéreuses. La moralisation que monsieur le rapporteur thématique appelle de ses vœux s’avère nécessaire. J’ai déposé un amendement après l’article 9 qui prévoit une sanction en cas de refus par les auto-écoles de publier leurs résultats.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Monsieur Jean-Christophe Fromantin, la réussite de chaque auto-école sera évidemment évaluée par rapport au volume moyen d’heures suivies par les candidats. La clientèle pourra ainsi juger au vu des résultats et de la moyenne des heures de formation dispensées.

En outre, comme les auto-écoles devront, aux termes de l’amendement précédent, proposer aux candidats de la conduite accompagnée ou supervisée, et non des heures supplémentaires payantes, le coût pour le candidat sera réduit et le circuit de présentation de l’examen fluidifié.

M. le rapporteur général. Cet amendement permettra une transparence et une évaluation du rapport qualité-prix, afin que le consommateur émette un choix éclairé et que les dérives constatées dans la profession soient endiguées.

La Commission adopte l’amendement SPE1502.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP votera contre l’article 9.

La Commission adopte l’article 9 ainsi modifié.

M. Patrick Hetzel. J’aimerais revenir en préambule sur un point abordé par M. Marc Dolez hier et qui n’a rien d’un détail : nous souhaiterions accéder en ligne au projet de loi à mesure que ses articles sont votés, afin de pouvoir préparer nos amendements en vue de la séance. J’ai bien entendu votre réponse, monsieur le président, notamment votre argument sur le titre. Toutefois, renseignement pris, cette mise en ligne progressive du texte adopté existe au Sénat. Notre demande de bon sens – dans un contexte où, vous l’avez vous-même souligné, nous sommes appelés à travailler très avant dans la semaine – ne se heurte donc à aucun obstacle technique.

M. le président François Brottes. Je comprends le problème. Nous pouvons faire parvenir aux membres de la commission spéciale une version provisoire par e-mail, mais il ne faudra pas me reprocher ensuite son caractère non définitif ! Vous pourrez ainsi cibler certains passages, sans être toutefois en mesure de rédiger vos amendements avec toute la précision requise.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous venons d’apprendre que les rapporteurs avaient réécrit par voie d’amendements plusieurs articles, pour certains volumineux, en supprimant un ici, en déplaçant un là. Le procédé est tout à fait conforme à notre Règlement. Toutefois, le sujet n’a rien d’anodin puisqu’il s’agit des tarifs.

J’aimerais donc savoir si les rapporteurs, ou le Gouvernement d’ailleurs, a l’intention de rééditer l’expérience sur d’autres articles au cours de la discussion. En effet, comment pouvons-nous, sur des questions aussi complexes, formuler un point de vue pertinent dans des délais aussi restreints, a fortiori si les amendements et les discussions que nous avions préparés deviennent caducs ? En bouleversant de nouveau l’architecture du texte, on nous obligerait à refaire à la va-vite ce que nous avions élaboré de longue date. Il y va du respect du travail des commissaires de l’opposition.

M. le président François Brottes. Ces pratiques sont courantes, il ne faut pas y voir malice. J’y ai d’ailleurs, en mon temps, réagi à peu près comme vous. Mais, sur ce texte d’une grande diversité, il est inévitable que les rapporteurs, qui travaillent beaucoup dans des délais très brefs, soient appelés à intervenir quant au fond jusqu’au dernier moment. Je les laisse vous répondre sur leurs intentions pour la suite.

Précisons que le dépôt d’amendements par les rapporteurs au cours de la discussion ne rouvre pas les délais en commission, à la différence de ce qui se passe en séance.

M. Philippe Houillon. Mais il est possible de les sous-amender.

M. le président François Brottes. On peut toujours sous-amender, monsieur le député !

M. le rapporteur général. À la question de mon collègue, je répondrai tout simplement : le moins souvent possible ! La formule n’est peut-être pas très précise, mais le souhait est sincère.

M. le ministre. De mon côté, je comprends votre préoccupation, monsieur le député, et, si je ne puis souscrire un engagement ferme, le Gouvernement n’a nulle intention d’ajouter des éléments au texte par surprise dans les jours qui viennent. Ce sont d’ailleurs essentiellement les rapporteurs qui y travaillent.

M. Philippe Houillon. Monsieur le ministre, vous vous étiez engagé, lors de votre audition, à nous communiquer le texte des ordonnances, qui, nous disiez-vous, était écrit. Vous aviez même déclaré ne pas voir d’inconvénient à ce que nous le discutions ici.

D’autre part, vous avez reçu aujourd’hui l’avis de l’Autorité de la concurrence sur les tarifs et les professions réglementés, qui devrait, semble-t-il, être rendu public d’ici peu. Il serait bon que les membres de la commission spéciale en prennent connaissance, puisqu’il est au cœur du sujet.

M. le ministre. Ainsi que je m’y étais engagé, tous les textes qui peuvent être intégrés « en dur » le sont déjà ou le seront par voie d’amendements des rapporteurs ou du Gouvernement. S’agissant du regroupement des professions de l’exécution, ce ne sera pas possible car le texte n’est pas prêt, mais l’ordonnance pourra être précisée en tant que de besoin. Sur la plupart des autres sujets concernant les professions réglementées, mon engagement devrait être tenu ; nous verrons le détail article par article.

Quant à l’avis de l’Autorité de la concurrence, lequel vient de m’être transmis, les commissaires pourront y accéder en ligne dans les deux heures qui viennent.

*

* *

Après l’article 9

La Commission examine les amendements identiques SPE1261 de M. Joël Giraud et SPE1405 de M. Jean-Louis Roumegas.

M. Joël Giraud. Notre amendement tend à obliger les auto-écoles à afficher de manière claire et compréhensible le taux de réussite annuel à l’épreuve pratique du permis de conduire et le nombre moyen d’heures de conduite nécessaire à son obtention. Rappelons que le forfait de 20 heures est la formule la plus souvent proposée par les auto-écoles, alors que le nombre moyen d’heures nécessaire pour obtenir le permis est de 30 à 33 heures selon l’Institut national de la consommation. En d’autres termes, les candidats paient 10 à 13 heures de cours supplémentaires au prix fort alors qu’ils auraient pu souscrire à un forfait moins onéreux.

Cet amendement est un peu plus précis que celui des rapporteurs que nous avons adopté à l’article 9 : il précise les voies d’affichage, que le précédent renvoyait à un arrêté ministériel, et surtout les sanctions encourues par les contrevenants, pour que les citoyens candidats au permis de conduire bénéficient d’une meilleure considération.

M. Jean-Louis Roumegas. Notre amendement émane lui aussi des associations de consommateurs. Par rapport à celui que nous avons voté, il a effectivement le double avantage de rendre obligatoire l’affichage dans les vitrines des auto-écoles et de prévoir la sanction des manquements.

S’il faut améliorer l’offre en la matière, il convient également de veiller à la transparence et de lutter contre les mauvaises pratiques d’auto-écoles minoritaires, mais qui nuisent à la profession. Les consommateurs ont le droit de savoir ce que va vraiment leur coûter leur permis de conduire.

M. le président François Brottes. Une remarque en passant – n’en prenez pas ombrage : je le dis souvent, nous n’avons pas à préciser l’origine de nos amendements. Rien n’interdit aux députés de penser par eux-mêmes et avec leur groupe lorsqu’ils préparent des amendements, même s’ils œuvrent en concertation avec tel ou tel acteur de la vie publique ou économique du pays. Ne donnons pas l’impression que le travail parlementaire ne passe que par une boîte aux lettres.

M. Jean-Louis Roumegas. La seule impression que je voulais donner était celle de la transparence. À la différence d’autres députés, lorsque je reprends des amendements qui m’ont été soumis par des associations ou par des lobbies, je le dis. Trop souvent, on retrouve les mêmes amendements d’un groupe parlementaire à l’autre, comme par coïncidence : cela non plus n’est pas normal.

M. le ministre. Pour en revenir aux amendements, celui qui a été adopté hier intègre au code de la route les dispositions visées, tout en confiant au pouvoir réglementaire le soin d’en préciser les modalités. Il permet donc d’atteindre l’objectif poursuivi.

Faut-il créer un doublon dans le code de la consommation, ce qui permettrait à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de procéder à des contrôles ? Pour ma part, sans y voir d’inconvénient, je ne le crois pas utile. Si les amendements ne sont pas retirés, je m’en remettrai donc à la sagesse de la Commission spéciale.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je tiens à rassurer Jean-Louis Roumegas : en présence d’amendements identiques, les vieux barbus de la vie parlementaire se demandent immédiatement quel lobby est à la manœuvre. Vous avez eu, mon cher collègue, le mérite de l’expliciter ; il s’agit d’ailleurs en l’espèce d’un groupe tout à fait honorable.

Quant au fond, ces amendements ne posent aucun problème. Des deux éléments qui les distinguent du nôtre, le premier représente une moins-value, le second une amélioration. En effet, la mention des vitrines est gênante dès lors que toutes les auto-écoles n’en disposent pas ; certaines, qui vont devenir plus nombreuses, sont même entièrement numériques. En revanche, le fait de préciser la sanction est bienvenu.

Je propose donc aux auteurs des amendements de les retirer au profit d’un autre qu’ils déposeront en séance et qui tendra à inscrire dans le code de la route un dispositif de sanctions, afin de compléter notre propre amendement.

M. Jean-Louis Roumegas. Si le Gouvernement s’engage à ce que ce futur amendement soit intégré au texte de la commission spéciale, j’en suis d’accord.

M. le ministre. Je m’y engage volontiers puisque j’en approuve l’objectif.

Les amendements identiques SPE1261 et SPE1405 sont retirés.

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Article 9 bis [nouveau]
(article L. 213-4-1[nouveau] du code de la route)

Prise en compte du nombre de candidats évalués en première et seconde présentation à l’épreuve pratique du permis B
pour l’attribution des places d’examen

Le présent article additionnel a été adopté à l’initiative du président François Brottes, après avis de sagesse du Gouvernement et avis favorable des rapporteurs, pour préciser que la répartition des places d’examen au permis de conduire attribuées aux établissements d’enseignement de la conduite et de la sécurité routière créés depuis plus de six mois doit prendre en compte le critère du nombre de candidats évalués à l’épreuve pratique en première et seconde présentations.

Il convient de rappeler que l’attribution des places à l’examen est opérée par le service de répartition des places des préfectures, ou des directions départementales interministérielles et dépend du nombre d’élèves inscrits par l’auto-école, du taux de réussite de l’auto-école et du nombre d’inspecteurs disponibles. Les places n’étant pas nominatives, il appartient à l’établissement de répartir les places qui lui sont attribuées entre les candidats inscrits dans son établissement.

Or, l’attribution des places d’examen au permis B reposait, jusqu’au 1er octobre 2014, sur la circulaire n° 2006-3 du 13 janvier 2006 fondée sur le principe suivant : un élève reçu à la première présentation valait une place d’examen pour l’auto-école. À l’opposé, l’élève recalé qui devait de nouveau présenter l’examen ne générait pas de droit pour une nouvelle attribution de places.

Pour favoriser la présentation des candidats ayant échoué une première fois au permis de conduire et répondre à divers inconvénients posés par la circulaire du 13 janvier 2006, le ministre chargé de la sécurité routière, M. Bernard Cazeneuve, a adopté un arrêté fixant la méthode nationale d’attribution des places d’examen du permis de conduire (MNA), en date du 22 octobre 2014.

Cet arrêté prévoit que dorénavant le nombre d’examinés en première et en deuxième demande sera pris en compte afin de faciliter la présentation des candidats qui ont échoué une première fois.

Cet arrêté fixe également de nouveaux critères d’attribution de places pour les établissements qui se créent. Jusqu’alors, quatre places pratiques et quatre places théoriques étaient attribuées les deux premiers mois d’exploitation, le calcul s’appliquant à compter du 3ème mois au prorata des mois précédents. Désormais, aucune population de référence n’existant, quatre places d’examen à l’épreuve théorique générale et quatre places d’examen pratique sont attribuées dès le mois suivant l’obtention de l’agrément. En revanche, les cinq mois suivant la création de l’établissement, l’administration fixe, au vu de la demande motivée effectuée par l’établissement (capacité de formation et le nombre mensuel d’inscrits dans l’établissement) le nombre de places d’examen à attribuer mensuellement. À partir du septième mois d’exploitation, la méthode de calcul commune à l’ensemble des établissements s’applique au prorata de l’activité des six mois précédents. Ce nouveau dispositif permettra de prendre en compte l’activité réelle d’un établissement qui se crée en lui garantissant la possibilité de se développer avec les mêmes armes que les établissements "historiques".

L’amendement adopté par la Commission spéciale vise à inscrire clairement dans la loi que la répartition des places d’examen au permis de conduire attribuées aux établissements d’enseignement de la conduite et de la sécurité routière créés depuis plus de six mois doit prendre en compte le critère du nombre de candidats évalués à l’épreuve pratique en première et seconde présentations. Il pose également le principe selon lequel la MNA doit être fixée par arrêté du ministre chargé de la sécurité routière.

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La Commission en vient ensuite à l’amendement SPE1001 rectifié du président François Brottes.

M. le président François Brottes. La répartition des places d’examen dans les auto-écoles n’est pas liée au nombre d’élèves qui les fréquentent. De ce fait, en fonction de l’école où l’on s’est inscrit – et l’on n’a le droit de s’inscrire que dans une seule –, on peut attendre très longtemps avant de passer l’examen.

J’ai parfaitement conscience du fait que le ministère de l’intérieur a progressé sur ces questions, notamment afin de permettre aux nouvelles auto-écoles de disposer d’un certain nombre de places d’examen. Il a en particulier amélioré la méthode de répartition des places par un arrêté dont je n’ai d’ailleurs pas saisi toutes les subtilités.

Cela dit, le critère que je propose ici – le nombre de candidats évalués à l’épreuve pratique en première et seconde présentation –, outre qu’il a le mérite de la clarté, ne serait pas le seul : il appartient au ministère d’en faire usage dans le cadre des dispositions qu’il est en train d’adopter.

M. le ministre. Tous, nous souhaitons rendre le dispositif plus efficace. Nous en avons parlé hier : je n’y reviens pas.

Pour la répartition des places, le critère de l’examen est important, mais ce n’est pas le seul. En octobre dernier, le ministre de l’intérieur a effectivement amélioré par arrêté le dispositif au profit des entrants, ce qui relevait bien, pour l’essentiel, du pouvoir réglementaire. Au seul nombre d’inscrits, que vous aviez suggéré dans un premier temps, vous préférez ici, monsieur le président, le nombre de candidats évalués à l’épreuve pratique en première et seconde présentation. Ce qui me paraît améliorer de manière marginale le dispositif en vigueur.

Sagesse.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je suis en principe favorable à l’amendement.

Jusqu’à présent, l’affectation des places d’examen aux écoles de conduite a dépendu de la première présentation à l’examen et non de la seconde, ce qui a conduit les écoles à privilégier les nouveaux candidats, au détriment de ceux qui avaient déjà tenté leur chance et qu’elles faisaient attendre très longtemps. Parmi le faisceau de mesures en cours d’instauration, celle-ci devrait donc contribuer à fluidifier le dispositif, cette fois du côté des écoles de conduite et non pas seulement des examinateurs.

Le ministre pourrait-il nous apporter quelques précisions sur les dispositions gouvernementales concernant l’attribution des places aux nouvelles auto-écoles ? Jusqu’alors, c’était en quelque sorte le droit des anciens qui prévalait, au détriment des entrants.

M. le président François Brottes. C’est d’ailleurs parce que des mesures ont été prises concernant les nouvelles auto-écoles que j’ai visé dans mon amendement celles qui ont été créées depuis plus de six mois.

M. le ministre. Aux termes de l’arrêté du ministre de l’intérieur du 22 octobre 2014, « quatre places d’examen à l’épreuve théorique générale et quatre places d’examen pratique sont attribuées dès le mois suivant l’obtention de l’agrément », puis, « les cinq mois suivant la création de l’établissement, l’administration fixe, au vu de la demande motivée effectuée par l’établissement, comprenant notamment la capacité de formation et le nombre d’inscrits mensuel de l’établissement, le nombre de places d’examen à attribuer mensuellement ».

M. Patrick Hetzel. Le nombre de places est une source de préoccupation pour les auto-écoles récentes. Mais le critère du nombre d’inscrits, auquel l’amendement se référait dans sa première version, n’était-il pas plus pertinent ?

M. le président François Brottes. Si j’ai rectifié l’amendement, c’est au fil de mes discussions avec les pouvoirs publics et le Gouvernement, et dans l’espoir que des accords puissent être trouvés. On m’a objecté que le critère du nombre d’inscrits, qui prévalait avant la réforme de 2006, n’était pas révélateur du nombre de personnes effectivement en mesure de passer l’examen, ce qui ne favorisait pas le dynamisme et la qualité des auto-écoles. Voilà pourquoi je lui ai préféré un critère traduisant l’activité réelle de l’établissement et le niveau de la formation dispensée.

La Commission adopte l’amendement SPE1001 rectifié.

Après l’article 9

La Commission examine l’amendement SPE1000 de M. Jean-Christophe Fromantin.

M. Jean-Christophe Fromantin. Il s’agit de permettre à des organismes certificateurs de faire passer l’épreuve pratique du permis B. Nous espérons ainsi dénouer ce point de tension majeur du dispositif, qui mobilise plus de 65 % de nos 1 300 inspecteurs, sans nous contenter de gérer leur pénurie.

C’est un amendement de repli par rapport à celui que nous avons présenté hier et qui, nous objectait-on, retirerait aux inspecteurs leur monopole ainsi que la coordination du dispositif. En effet, nous proposons ici d’introduire un permis probatoire, valable deux ans et pouvant être délivré par un organisme certificateur à tout candidat ayant effectué ses 20 heures de conduite et satisfaisant à l’ensemble des conditions habituelles. Au bout de deux ans, le permis probatoire serait confirmé pour devenir un permis définitif si aucune infraction n’a été commise. Si en revanche son titulaire a commis une infraction, il doit repasser l’examen avec un inspecteur du permis de conduire et de la sécurité routière (IPCSR) qui validera ou invalidera le permis probatoire.

Le premier avantage de cette formule est de répondre directement au reproche, qui m’a été fait hier, de vouloir externaliser entièrement l’épreuve pratique du permis B – reproche que je peux entendre, même si on le fait bien pour l’épreuve pratique du permis poids lourds ou pour le code. Ici, l’épreuve n’est externalisée que sous couvert des inspecteurs et moyennant un double contrôle.

Ensuite, l’amendement facilite le passage d’un système à l’autre, ce qui répond à une autre objection du rapporteur thématique. Le permis probatoire pourrait ainsi être introduit dans les zones tendues, à la demande des services de l’État, de manière à garantir l’équité sur tout le territoire : chaque Français qui le souhaite pourrait passer son permis de conduire dès lors qu’il s’en sent capable après au moins 20 heures de cours. Le permis probatoire offre ainsi un moyen d’ajustement tout en satisfaisant à l’ensemble des conditions requises pour l’obtention du permis de conduire.

Troisièmement – nous en avons longuement parlé avec les professionnels et les associations –, le double contrôle assuré par un IPCSR en cas d’infraction constituerait un gage de sécurité supplémentaire, dans un contexte où les infractions découlent à 80 ou 90 % non d’erreurs techniques mais de problèmes de comportement.

En somme, cet aménagement de l’épreuve pratique contribue à fluidifier le dispositif, ce qui justifie de l’ajouter au faisceau de mesures proposées à cette fin par voie d’amendement, et il garantit une plus grande sécurité, le tout sans alourdir les coûts, en particulier pour l’État. En outre, il facilite l’information, la prévention et l’exercice par les inspecteurs de l’ensemble de leurs autres missions, dont le contrôle des auto-écoles – d’autant plus utile que le Gouvernement favorise, à juste titre, l’ouverture de nouveaux établissements.

Monsieur le ministre, ce projet de loi, très intéressant à certains égards, ne touchera la population que s’il compte des mesures de ce type. Quatre millions de candidats sont aujourd’hui en attente, pour un million de places d’examen ; on peut accroître ce dernier nombre, mais l’esprit du texte et les autres amendements ne suffiront pas à désengorger véritablement l’épreuve pratique du permis B.

M. le ministre. Nous l’avons constaté hier, nous avons tous l’ambition de résoudre cette difficulté, ce qui justifie d’enrichir le texte. Le faisceau d’amendements adoptés hier et aujourd’hui permet de progresser en ce sens. Sans doute peut-on faire encore un peu mieux pour remédier au problème de stocks que vous soulignez. Toutefois, votre amendement met le Gouvernement un peu mal à l’aise, monsieur le député.

Hier, la discussion a porté sur l’opportunité de privatiser ou d’externaliser le travail actuellement effectué par les inspecteurs, en permettant à des organismes agréés et dotés des qualifications requises de le faire à leur place, sous surveillance. Nous nous sommes heurtés à la difficulté suivante : s’il est urgent de résoudre le problème, il faut prendre le temps de former les nouveaux inspecteurs. Nous devons donc continuer de travailler à un dispositif d’urgence pour compléter dans les jours qui viennent les améliorations déjà apportées au système.

Le permis probatoire que vous proposez nous paraît présenter plusieurs inconvénients. D’abord du point de vue de la sécurité routière, puisqu’il permettrait à des conducteurs de circuler sans avoir fait la preuve de leur aptitude, ou du moins sans avoir satisfait à une exigence aussi élevée que les détenteurs du permis classique – même si vous prévoyez un dispositif de contrôle, relativement sévère en cas d’infraction. Ensuite, selon les analyses conduites par le ministère de l’intérieur, il ne serait pas compatible avec la directive 2006/126/CE relative au permis de conduire.

Pour ces raisons, avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Jean-Christophe Fromantin pose deux questions éminemment pertinentes. Premièrement, comment fluidifier le dispositif et faciliter le passage de l’examen, du point de vue des délais comme des coûts ? Les amendements que nous avons votés depuis hier devraient le permettre, mais il faudra évaluer leur impact. Deuxièmement, comment résoudre le problème du stock ?

C’est cette difficulté à laquelle il nous est ici proposé de remédier, mais par un permis bradé, délivré par l’autorité administrative ou les personnes que celle-ci a agréées, c’est-à-dire sans examen. Je me permets de vous inviter à la plus grande prudence sur ce point.

M. Jean-Christophe Fromantin. En réalité, le candidat passe l’examen, mais comme il n’est pas possible de faire délivrer un diplôme d’État par un organisme certificateur, celui-ci informe le préfet que l’examen a été passé et réussi dans les conditions requises, conformément à la norme européenne, et lui donne un avis favorable à la délivrance du permis de conduire, dont l’État reste chargé. Les services de l’État nous avaient mis en garde à ce sujet lors des auditions que nous avons conduites.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Si je comprends bien, on externalise l’examen mais ce ne sont pas ceux qui le font passer qui le valident.

M. Jean-Christophe Fromantin. Comme dans bien d’autres domaines, où l’État délègue des contrôles de sécurité ou d’autres types de certification à un organisme certificateur qui lui fait rapport.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Soit, mais je reste gêné que l’autorité chargée de délivrer le permis le fasse sans être directement responsable du passage de l’examen.

Surtout, le permis probatoire reste un sous-permis. Or je doute fort qu’il soit juridiquement possible de créer un permis subordonné à la réussite des mêmes épreuves mais n’ouvrant pas les mêmes droits que le permis classique. On ne pourrait pas créer un sous-bac en déléguant l’organisation des épreuves du baccalauréat à je ne sais quelle société privée ! À cet égard, le droit européen est très clair : le permis est d’un seul type, il ouvre les mêmes droits à tous, et ce n’est pas un permis à zéro point. Il convient donc de procéder à une vérification.

M. Philippe Vigier. En réalité, la situation est très simple. L’organisation du code ne va-t-elle pas être déléguée à un organisme privé, lequel n’est pas administrativement compétent pour déclarer qu’un candidat a satisfait aux exigences de l’examen ? Le dispositif que nous proposons pour l’épreuve pratique est rigoureusement similaire. Le permis est le même ; il ne s’agit pas d’un sous-permis, monsieur le rapporteur. Il est validé par l’organisme, mais, celui-ci ne pouvant apposer le tampon, c’est l’autorité administrative qui le délivrera.

C’est exactement de la même manière que des organismes certificateurs procèdent au contrôle des tachymètres à bord des autocars et des camions pour le compte de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), c’est-à-dire des services de l’État : après le passage du technicien, un document est signé et envoyé à la DREAL, puis à la préfecture, pour être transmis à l’autorité organisatrice de transport.

Le permis probatoire est d’autant moins un sous-permis qu’il ne soumet pas son détenteur à une moindre exigence, puisqu’il est retiré à la première incartade.

Enfin, notre amendement d’hier ayant été rejeté, c’est une mesure transitoire que nous proposons, à laquelle il faut bien en venir puisqu’elle seule permettra de décongestionner le système. Si vous ne saisissez pas l’occasion, vous serez faits échec et mat sur cette loi.

M. Jean-Yves Caullet. Nous avons débattu hier de l’éventualité de déléguer à une autorité privée l’organisation de l’épreuve pratique du permis de conduire ; après avoir clairement exprimé nos divergences, nous avons préféré que celle-ci demeure un service public gratuit.

Voilà que vous en revenez à cette possibilité de délégation en proposant en outre des modalités d’acquisition progressive de la totalité des points du permis. Je m’en tiens pour ma part à ce qu’a dit le ministre : continuons de réfléchir aux moyens de fluidifier le système, mais ne nous demandez pas d’accepter ce que nous avons refusé hier en lui ajoutant un élément qui ne relève pas du même débat et pourrait être étudié par ailleurs.

M. Christophe Caresche. Dans les limites de mes compétences, je trouve l’amendement intéressant. Peut-être mérite-t-il d’être précisé ; mais, en tout état de cause, on ne peut laisser le système dans cet état d’engorgement. Soyons donc pragmatiques. Une telle disposition transitoire a vocation à disparaître dès que le système revient à l’équilibre. Ne pourrait-on y réfléchir d’ici à la discussion en séance publique ?

M. Jean-Christophe Fromantin. En ce qui concerne la compatibilité avec les règles européennes, rappelons qu’en Europe, le système d’obtention du permis de conduire est public dans un tiers des pays, s’appuie dans un autre tiers sur des agences, parmi lesquelles la part d’acteurs privés varie, et repose entièrement sur des acteurs privés dans d’autres pays dont l’Allemagne. Pourquoi n’introduirions-nous pas une délégation de service public s’agissant de l’épreuve pratique alors qu’ailleurs une privatisation beaucoup plus poussée – parfaitement compatible, je vous l’assure, avec le droit européen –, n’entraîne aucune conséquence négative, notamment sur le nombre d’accidents ?

Monsieur le ministre, ce projet de loi vise non seulement à rationaliser, à simplifier, mais aussi à moderniser. S’agissant d’un problème considérable qui se pose depuis des années et que de petites mesures ne suffiront pas à résoudre, la voie est ouverte pour un engagement fort, moderne, nouveau, audacieux. J’espère que nous parviendrons à l’emprunter.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Le droit européen est neutre en la matière : il n’impose ni le recours au public ni le recours au privé pour dispenser les examens du permis de conduire. La question est de savoir pourquoi il conviendrait d’attribuer ces examens à des délégataires privés qui n’auraient pas la totale compétence d’examinateur puisqu’ils ne pourraient pas les valider eux-mêmes. Ces permis, une fois validés par l’autorité administrative, ne seraient que des sous-permis puisqu’ils n’accorderaient pas le même nombre de points que le permis classique, si bien que des jeunes de 18 ans auraient un permis complet après être passés devant des inspecteurs publics tandis que d’autres ne disposeraient que d’un simple permis probatoire, incomplets, parce qu’ils seraient passés devant un délégataire privé. L’objectif d’écouler les stocks ne saurait créer une telle inégalité. Comment choisirez-vous les jeunes qui passeront l’un ou l’autre de ces deux permis ?

Vous apportez une mauvaise réponse à une bonne question.

Je le répète : avis défavorable à l’amendement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous voterons cet amendement.

La Commission rejette l’amendement SP1000.

Puis elle examine l’amendement SPE1002 de M. Jean-Christophe Fromantin.

M. Jean-Christophe Fromantin. L’amendement SPE1002, qui est un amendement de repli, vise à demander au Gouvernement, dans un délai de deux ans, un rapport évaluant l’opportunité de modifier l’organisation du permis de conduire de la catégorie B.

Monsieur le rapporteur, il n’est pas question d’instaurer un sous-permis : les deux permis seraient passés dans le respect des normes européennes. Simplement, en vue de renforcer la sécurité routière, le dispositif prévoit la délivrance d’un permis probatoire, sans aucun point, pour une période de deux ans, avec un double contrôle en cas d’infraction.

M. le ministre. Je ne serais pas opposé à la rédaction d’un tel rapport, qui ne peut pas traiter l’urgence, si son objet était élargi et visait plus largement à régler le problème du stock.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Est-il bien raisonnable, chaque fois qu’un amendement a été rejeté, de demander au Gouvernement un rapport sur la mesure qu’il prévoyait ? C’est excessif, même si ces rapports flattent l’amour-propre de ceux qui les demandent.

Je m’en remets à la sagesse de la Commission spéciale.

Monsieur Jean-Christophe Fromantin, vous avez une grande science mais vous manquez d’expérience. Il m’est déjà arrivé de ne plus avoir que deux points sur mon permis de conduire : cela ne fait pas la même impression que d’en avoir douze ! Un permis probatoire à zéro point ne sera pas identique à un permis complet.

M. Julien Aubert. Plutôt que de demander un nouveau rapport au Gouvernement, ne serait-il pas possible d’expérimenter la disposition prévue dans l’amendement de Jean-Christophe Fromantin ? Telle est la solution de compromis que je propose.

M. Jean-Christophe Fromantin. À un rapport, j’aurais préféré l’adoption de l’amendement SPE1000.

Je regrette, monsieur le rapporteur thématique, que vous le preniez sur ce ton : je n’ai pas mis en cause votre compétence parce que vous aviez, dans un premier temps, mal lu mon amendement. J’ai corrigé votre analyse avec courtoisie et je vous demande de faire preuve, à mon égard, des mêmes dispositions.

Vous vous trompez sur le fond. D’ailleurs, cet amendement s’inspire d’une proposition de loi, co-signée par plus de 100 parlementaires de l’UMP et de l’UDI et défendue en séance publique, après avoir été travaillée plusieurs mois durant, avec l’aide d’administrateurs de l’Assemblée nationale et dans le cadre d’une quarantaine d’auditions. Le dispositif que je défends n’est le fruit ni de l’incompétence ni du hasard ni d’un travail bâclé. Vos propos sont désobligeants à l’encontre de tous ceux qui sont à l’origine du rapport sur lequel reposent mes amendements. Ils sont d’autant plus inconvenants au sein d’une commission qui s’efforce de dépasser les postures politiciennes pour se montrer constructive.

M. le président François Brottes. Il est important de nous écouter mutuellement. Aussi, cessons de nous apostropher afin de préserver la sérénité de nos débats.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Monsieur Jean-Christophe Fromantin, si vous avez été affecté par mes propos, je vous prie de bien vouloir m’en excuser.

Il ne me semble toutefois pas judicieux de multiplier les rapports, d’autant que vous venez vous-même de souligner avoir déjà fourni un travail très sérieux sur le sujet. Vous confirmez donc le caractère superflu d’un nouveau rapport.

Je vous rappelle, de surcroît, que je n’ai pas émis un avis défavorable à l’élaboration d’un tel rapport : je m’en suis remis à la sagesse de la Commission spéciale, ce qui n’est pas inconvenant.

M. Jean-Yves Caullet. Les termes du débat ont été bien posés dès hier. Si les solutions divergent, les analyses convergent : le ministre a lui-même admis qu’il est nécessaire de travailler d’ici à la séance publique à des solutions d’urgence dans les zones tendues.

C’est pourquoi je suis favorable à la rédaction d’un rapport spécifique sur le sujet, avec l’ambition que ce rapport se révélera inutile, le problème ayant été réglé avec sa remise.

Dans le doute, approfondissons le débat car nous ne saurions nous satisfaire du statu quo.

M. le ministre. La qualité du travail de M. Jean-Christophe Fromantin sur le sujet est pleinement reconnue tant par les commissaires spéciaux que par le Gouvernement, même si celui-ci n’est pas favorable à la création d’un permis probatoire.

Je prends l’engagement de travailler avec les commissaires qui le souhaitent pour rédiger, d’ici à la séance publique, un ou deux amendements complémentaires, permettant d’améliorer le dispositif en le rendant plus ambitieux.

M. Jean-Christophe Fromantin. Dans ces conditions, je retire mon amendement.

L’amendement SPE1002 est retiré.

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Article 9 ter [nouveau]
Rapport sur l’opportunité de proposer le passage du « code de la route »
lors de la journée défense citoyenne

Le présent article additionnel a été adopté, sur l’initiative du président François Brottes après avis favorable du Gouvernement et des rapporteurs, afin de demander au Gouvernement de produire un rapport sur les conditions dans lesquelles la passation de l’épreuve théorique du permis de conduire, le « code de la route », pourrait être proposée à tous les jeunes de seize à dix-huit ans lors de la journée défense et citoyenneté.

Cet article est le corollaire de l’amendement adopté à l’article 9 offrant la possibilité aux élèves de lycées de passer cet examen dans les locaux scolaires. En effet, cet article vise à ne pas de créer de discrimination envers les jeunes âgés de seize à dix-huit ans non scolarisés, en étudiant la possibilité de leur faire passer cet examen lors de la journée défense et citoyenneté.

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La Commission examine ensuite l’amendement SPE1681 de M. François Brottes.

M. le président François Brottes. La disposition initiale que je prévoyais ayant subi le couperet de l’article 40 de la Constitution, je me suis vu dans l’obligation de revoir à la baisse mes exigences et de demander au Gouvernement de remettre au Parlement, avant le 31 décembre 2015, un rapport sur les conditions dans lesquelles les jeunes de 16 à 18 ans pourraient passer l’examen du code de la route lors de la journée défense et citoyenneté (JDC), en y restant, par exemple, une heure de plus.

Toutefois, j’ai pour ambition de convaincre le Gouvernement, d’ici à la séance publique, de transformer cette demande de rapport en un dispositif concret.

Il est en effet nécessaire de favoriser le passage du code dans ces lieux où les jeunes sont réunis, que sont les lycées, les lycées agricoles ou les sites de la JDC.

Même si je comprends qu’il convient d’étudier les conditions de réalisation d’un tel dispositif, je compte bien que le Gouvernement étudie l’hypothèse de sa mise en œuvre d’ici à l’adoption définitive du texte.

Il s’agirait d’une simple possibilité, non d’une obligation, permettant de desserrer l’étau dans lequel se trouve à l’heure actuelle le passage du permis de conduire en dégageant des heures d’inspecteur pour le passage de l’épreuve pratique.

M. le ministre. Il s’agit effectivement d’un amendement de repli, puisque, comme vous l’avez souligné, la disposition initiale a subi le couperet de l’article 40. Je ne saurais donc vous offrir mieux à ce stade de l’examen du texte.

Il est vrai qu’une telle disposition est conforme à la volonté, que nous exprimons depuis hier, de faciliter le passage du permis de conduire. Nous continuerons de travailler sur le dispositif de droit commun. Peut-être les JDC pourront-elles offrir le cadre d’un dispositif complémentaire.

M. Fromantin ayant accepté de retirer sa demande de rapport, j’émets un avis favorable à la demande de celui-ci, qui participe de l’ensemble cohérent que nous nous efforçons de construire ensemble.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Si monsieur le ministre accepte un rapport supplémentaire, je le laisse faire.

Avis favorable.

M. Philippe Gosselin. Bien que n’ayant aucune opposition de principe à la demande d’un tel rapport, je tiens toutefois à émettre une remarque préalable relative à l’esprit de la JDC. En tant qu’officier de réserve, j’interviens régulièrement lors de ces journées qui, ne durant que huit heures, prévoient déjà des modules de défense, d’évaluation de la maîtrise de la langue française et de secourisme ainsi qu’une visite de site ou une rencontre avec des anciens combattants.

Ces huit heures étant déjà largement insuffisantes, je vois mal comment il serait possible d’y inscrire de surcroît l’examen du code la route, sauf si l’on envisage de passer à des JDC de deux ou trois jours, voire d’une semaine, ce qui serait une réforme d’une tout autre ampleur.

Par ailleurs, si les jeunes ciblés par l’amendement ne sont pas scolarisés, où auront-ils préalablement préparé l’examen ?

On finit par demander beaucoup à la défense dans le cadre de cette journée défense et citoyenneté, qui est de moins en moins axée sur la défense, ce qui n’est pas sans susciter des interrogations.

M. le président François Brottes. C’est bien la raison pour laquelle il convient d’étudier la faisabilité d’un tel dispositif, ce qui peut être fait avant douze mois.

Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de créer une dynamique favorable au passage du permis de conduire. Ce dispositif, qui pourrait être proposé à l’ensemble des jeunes gens et jeunes filles du pays, permettrait également d’accroître l’attractivité de la JDC.

M. Julien Aubert. Dans sa rédaction, l’amendement vise « tous les jeunes de 16 à 18 ans », alors que l’exposé des motifs ne cible que « les jeunes de 16 à 18 ans non scolarisés ». Si le rapport porte sur tous les jeunes, quid du régime normal dont le cadre demeure les auto-écoles ?

De plus, je ne comprends pas en quoi le dispositif permettrait de faire baisser le risque routier.

M. le président François Brottes. La seule rédaction qui importe est celle de l’amendement.

M. Jean-Louis Bricout. Cet amendement, qui est d’ordre pratique, s’inscrit dans la continuité de nos débats d’hier et conforte notre volonté de donner aux jeunes ce passeport pour l’emploi qu’est le permis de conduire. Il doit viser tous les jeunes, qui sont concernés par les modalités du passage de l’examen du code de la route après un apprentissage qui se ferait, de préférence, en milieu scolaire et dans tous les établissements qui reçoivent des jeunes.

La Commission adopte l’amendement SP1680.

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Chapitre II
Commerce

Article 10
(art. L. 752-5-1 [nouveau] du code de commerce)

Consultation de l’Autorité de la concurrence sur les documents d’urbanisme

V. L’ÉTAT DU DROIT

C.  L’URBANISME COMMERCIAL DANS LES DOCUMENTS D’URBANISME

Les règles régissant l’inclusion d’orientations et de prescriptions relatives à l’urbanisme commercial dans les documents d’urbanisme ont connu plusieurs évolutions au cours des dernières années.

● L’urbanisme commercial dans les schémas de cohérence territoriale

Créé par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, le schéma de cohérence territoriale (SCoT) est l’outil de planification et de mise en œuvre de la planification intercommunale, à l’échelle d’un large bassin de vie ou d’une aire urbaine. Il contient un document d’orientation et d’objectifs (DOO), qui définit les objectifs et les principes de la politique de l’urbanisme et de l’aménagement. Comme le rappelle l’étude d’impact, à l’heure actuelle, 220 SCoT couvrant environ un tiers du territoire national sont d’ores et déjà opposables, et 234 sont en cours d’élaboration, pour une surface équivalente.

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II », a créé un article L. 122-1-9 dans le code de l’urbanisme, prévoyant que le DOO précise les objectifs relatifs à l’équipement commercial et artisanal et aux localisations préférentielles des commerces (81). Ces objectifs incluent la revitalisation des centres-villes, la cohérence entre les équipements commerciaux, la desserte en transports, la maîtrise des flux de marchandises et la consommation économe de l’espace. Au sein du DOO, un document d’aménagement commercial délimite des zones d’aménagement commercial, dans lesquelles l’implantation d’équipements commerciaux peut être subordonnée au respect de conditions qu’il fixe et qui portent, notamment, sur la desserte par les transports collectifs, les conditions de stationnement et de livraison des marchandises, et le respect de normes environnementales.

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (82) a supprimé le document d’aménagement commercial et le zonage qu’il comportait, et modifié les orientations en matière d’équipement commercial et artisanal figurant dans les DOO, en y ajoutant notamment un objectif de maintien d’une offre commerciale diversifiée de proximité. En outre, elle a prévu que le DOO détermine les conditions d’implantation des équipements commerciaux qui, du fait de leur importance, sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur l’aménagement du territoire.

Enfin, la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a ouvert la possibilité d’inclure un document d’aménagement artisanal et commercial au sein du DOO, de manière facultative (83). Lorsqu’il existe, ce document détermine les conditions d’implantation des équipements commerciaux qui, du fait de leur importance, sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur l’aménagement du territoire et le développement durable. De plus, il localise les secteurs d’implantation périphérique et les centralités urbaines, et peut prévoir des conditions d’implantation des équipements commerciaux spécifiques aux secteurs qu’il identifie. Son annulation ne compromet pas les autres documents du SCoT.

● L’urbanisme commercial dans les plans locaux d’urbanisme

Dans les plans locaux d’urbanisme (PLU), l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme, introduit par la loi du 12 juillet 2010 précitée (84), précise que le règlement peut identifier et délimiter les quartiers, îlots et voies dans lesquels doit être préservée ou développée la diversité commerciale, notamment à travers les commerces de détail et de proximité, et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer cet objectif. Rappelons que, conformément à l’article L. 111-1-1 du même code, les PLU doivent être compatibles avec les SCoT.

● L’urbanisme commercial dans le schéma directeur de la région Île-de-France

L’article L. 141-1 du code de l’urbanisme prévoit que le schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), élaboré par la région en association avec l’État, détermine notamment la destination générale de différentes parties du territoire, les moyens de protection et de mise en valeur de l’environnement, la localisation des grandes infrastructures de transport et des grands équipements. De plus, il détermine la localisation préférentielle des activités industrielles, artisanales, agricoles, forestières et touristiques.

L’article L. 141-1 prévoit également que les SCoT et les PLU doivent être compatibles avec le SDRIF.

● Le développement des plans locaux d’urbanisme intercommunaux

La loi du 24 mars 2014 précitée tend à généraliser l’existence du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) à l’ensemble des intercommunalités (85), en prévoyant que les communautés de communes et les communautés d’agglomération existant à la date de publication de la loi, et qui ne sont pas compétentes en matière de plan local d’urbanisme, le deviennent le lendemain de l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la publication de ladite loi, c’est-à-dire le 27 mars 2017. Toutefois, 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population peuvent s’opposer par délibération à ce transfert de compétences.

Les communes membres d’une communauté peuvent également transférer de façon facultative la compétence en matière de PLU à leur communauté en dehors des échéances prévues par la loi, selon des conditions de transfert différentes.

Le PLUi est un plan local d’urbanisme de plein droit. Comme le PLU, son règlement peut donc identifier et délimiter les quartiers, îlots et voies dans lesquels doit être préservée ou développée la diversité commerciale, notamment à travers les commerces de détail et de proximité, et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer cet objectif. Il doit, en outre, couvrir obligatoirement l’ensemble du territoire de la communauté.

D.  LE RÔLE DE L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE EN MATIÈRE D’URBANISME COMMERCIAL

L’Autorité de la concurrence intervient d’ores et déjà sur des questions d’urbanisme commercial, sur saisine des autorités locales compétentes.

La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a introduit, à l’article L. 752-5 du code de commerce, une faculté de saisine par le maire du Conseil de la concurrence, renommé Autorité de la concurrence par l’ordonnance du 13 novembre 2008 (86), en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique de la part d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail (87). Cette saisine permet à l’Autorité de la concurrence de faire usage de son pouvoir d’injonction et d’imposer des sanctions pécuniaires en cas d’abus.

La loi du 24 mars 2014 précitée a élargi les cas de saisine de l’Autorité de la concurrence aux « points permanents de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique, organisés pour l’accès en automobile », plus communément appelés drives (88).

Enfin, la loi du 18 juin 2014 précitée a élargi cette faculté de saisine au président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et au président du syndicat mixte ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent pour établir un schéma de cohérence territoriale (89).

Prévus à l’article L. 464-2 du code de commerce, les pouvoirs d’injonction et de sanction de l’Autorité de la concurrence sont les suivants :

– l’Autorité peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé, ou imposer des conditions particulières. Elle peut également accepter des engagements proposés par les entreprises, de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence ;

– en outre, elle a le pouvoir d’infliger des sanctions pécuniaires applicables soit immédiatement, soit en cas d’inexécution des injonctions, soit en cas de non-respect des engagements qu’elle a acceptés.

VI. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

Le projet de loi insère un nouvel article L. 752-5-1 dans le code de commerce, afin de renforcer le pouvoir d’intervention de l’Autorité de la concurrence en matière d’urbanisme commercial. Celle-ci disposerait, non plus seulement d’un pouvoir de sanction en cas d’abus, conditionné à une saisine préalable, mais de la possibilité de rendre un avis sur l’ensemble des documents d’urbanisme contraignants. Sont concernés les projets de plans locaux d’urbanisme, de plans locaux d’urbanisme intercommunaux, de schémas de cohérence territoriale et du schéma de développement régional d’Île-de-France, ainsi que les projets portant révision ou modification de ceux-ci.

Deux voies sont prévues pour déclencher cette consultation :

– une saisine par le ministre chargé de l’économie ou par le préfet ;

– une saisine d’office de l’Autorité de la concurrence, sur proposition de son rapporteur général.

Les documents d’urbanisme font d’ores et déjà l’objet de plusieurs consultations, obligatoires ou facultatives. Afin que l’introduction de cette nouvelle consultation ne retarde pas leur adoption, tout en permettant la pleine prise en compte des conclusions de l’Autorité de la concurrence, le projet de loi prévoit que l’avis de l’Autorité doit être rendu, dans les deux cas, avant le lancement de l’enquête publique.

VII. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Cette possibilité de consultation élargie de l’Autorité de la concurrence permettra de mieux assurer la conformité des documents d’urbanisme aux règles en matière de concurrence. Le rapporteur thématique souhaite souligner tout l’intérêt qui s’attache à une telle consultation, qui permettra d’assurer en amont de l’entrée en vigueur des documents d’urbanisme le respect, par ceux-ci, du droit de la concurrence. La consultation de l’Autorité de la concurrence revêtira ainsi un caractère préventif, en deçà du contrôle de légalité exercé par le juge administratif à la demande du préfet.

VIII. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPECIALE

Outre deux amendements rédactionnels, la commission a adopté un amendement des co-rapporteurs, tendant à supprimer la faculté de l’Autorité de la concurrence de se saisir d’office des documents d’urbanisme.

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* *

La Commission examine les amendements identiques SPE225 de M. Jean-Frédéric Poisson, SPE307 de M. Patrick Hetzel, SPE746 de M. Jean-Christophe Fromantin et SPE1392 de Mme Brigitte Allain, visant à supprimer l’article 10. 

M. Jean-Frédéric Poisson. Le chapitre II nous permet d’aborder l’examen, aux articles 10 et 11, des dispositions qui concernent un des grands vainqueurs du projet de loi, à savoir l’Autorité de la concurrence.

Cette autorité se voit en effet dotée, aux articles 10 et 11, de compétences nouvelles. L’article 10 prévoit même un pouvoir d’auto-saisine sur les questions d’urbanisme. À l’article 11, cette même autorité, « en cas d’existence d’une position dominante », pourra « faire connaître ses préoccupations » – un mot assez peu juridique, j’y reviendrai – « de concurrence à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause » : elle pourrait leur « enjoindre […] de procéder à une cession d’actifs si cette cession est le seul moyen de garantir une concurrence effective ». Quelle serait la base de calcul ? Sans doute une moyenne arithmétique accompagnée d’appréciations.

Les compétences nouvelles que vous conférez à cet organisme indépendant sont à la fois abusives et peu conformes à l’esprit général du texte, qui vise à favoriser la souplesse de l’économie française. Je tiens dès à présent à noter que vous prévoyez également, s’agissant des professions réglementées, de doter l’Autorité de la concurrence de nouvelles compétences qui ne nous paraissent correspondre ni à ses missions actuelles ni même à l’esprit de la loi de 2009 qui a présidé à son organisation.

Par ailleurs, le fait que nous ne connaissions pas encore l’avis de cette même autorité sur ce projet de loi, alors que nous avons déjà commencé l’examen des amendements, ne peut que compliquer l’organisation de nos travaux.

Nous souhaitons, sinon supprimer les articles 10 et 11, du moins largement les amender en vue notamment d’assurer l’équilibre entre les autorités administratives et les acteurs économiques. Tel est l’objet des amendements que nous présentons aux articles 10 et 11.

Les amendements identiques de suppression de l’article 10 visent, quant à eux, plus particulièrement le fait que, comme le prévoit l’alinéa 2, « le rapporteur général peut proposer à l’Autorité de la concurrence de se saisir d’office », l’alinéa 3 précisant que « les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État ».

Alors même que d’autres articles du projet de loi tendent à assouplir ou à simplifier – ce qui est une intention louable, notamment les modalités de construction ou de développement des zones d’activités – je pense aux dispositifs expérimentaux prévus en région Champagne-Ardenne –, l’article 10 introduit au contraire un élément de complication et de perte de temps, d’autant que l’alinéa 2 ne prévoit aucun délai limitant le temps de réflexion de l’Autorité de la concurrence : on sait seulement qu’elle devra rendre son avis avant le début de l’enquête publique. Le décret d’application sera-t-il plus précis ? Quel sera son contenu, monsieur le ministre ?

Alors que les opérations d’urbanisme peuvent avoir un intérêt stratégique majeur pour les territoires, le risque de les voir ralentir de manière indéfinie ne nous permet pas d’envisager avec tranquillité les nouvelles compétences de l’Autorité de la concurrence en la matière.

Telle est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 10.

M. Patrick Hetzel. Même si l’avis de l’Autorité de la concurrence est consultatif, nous nous interrogeons également sur la constitutionnalité de l’article 10 au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Pouvez-vous nous donner l’avis du Conseil d’État sur cet article ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Les normes envahissent déjà l’ensemble des processus de décision des collectivités territoriales et des entreprises. Prévoir des avis supplémentaires n’est pas de nature à simplifier les prises de décision. Les responsables ont déjà, dans le cadre normatif actuel, tous les éléments pour décider : faisons-leur confiance.

De plus, sur quels critères l’Autorité de la concurrence se fondera-t-elle pour rendre ses avis ? Les situations, notamment de monopole, entre les territoires recouvrent des réalités très différentes. Un monopole peut en effet rendre service à la population dans un territoire souffrant de désertification. C’est pourquoi l’intervention de l’Autorité de la concurrence me laisse dubitatif. Les organismes qui doivent déjà se prononcer en matière d’urbanisme et les consultations que les responsables locaux doivent conduire pour lancer un plan local d’urbanisme (PLU) ou un schéma de cohérence territoriale (SCOT) sont suffisants.

C’est la raison pour laquelle je demande moi aussi la suppression de l’article 10.

Mme Brigitte Allain. Nous avons également déposé un amendement visant à supprimer l’article 10, lequel donne des compétences nouvelles à l’Autorité de la concurrence afin de faciliter la construction ou l’agrandissement de projets de grande distribution, alors même que de nombreux élus locaux ont eu le courage de limiter l’artificialisation excessive des sols, qui a des conséquences graves sur les plans humain et économique en termes notamment d’inondation.

Les nouvelles compétences de l’Autorité de la concurrence affaibliront les règles existantes en matière d’urbanisme, qui sont le fruit de longs débats parlementaires. Elles inciteront au bétonnage des meilleures terres arables, notamment en périphérie des villes, alors que la dernière conférence environnementale s’est fixé pour objectif : « zéro artificialisation nette des sols ».

Si l’objectif de l’article 10 est de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, la méthode d’introduire plus de concurrence entre les enseignes n’est pas la bonne, du fait que celles-ci mènent une guerre des prix dont les effets sont destructeurs tant pour les producteurs, notamment agriculteurs, que pour les commerces de centre-ville.

Ces effets destructeurs ont de plus un effet boumerang, puisqu’ils entraînent des fermetures toujours plus nombreuses d’enseignes, qui laissent derrière elles des friches commerciales bétonnées.

M. le ministre. L’article 10, tel qu’il est rédigé, donne la faculté de saisir l’Autorité de la concurrence : il n’instaure en aucun cas une procédure supplémentaire obligatoire. Il ne rend donc pas plus complexes l’élaboration des documents d’urbanisme ou leur modification.

Plutôt que de revenir sur la composition ou les règles de fonctionnement de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) ou des commissions départementales (CDAC), c’est-à-dire du dispositif d’urbanisme commercial qui a été récemment modifié, il est apparu, après audition de la CNAC et des CDAC, que la principale difficulté qui demeure, par-delà les choix effectués aux plans national ou local, est l’existence de documents d’urbanisme – SCOT ou PLU – excessivement malthusiens en termes d’activité économique. C’est pourquoi l’article 10 donne au préfet la possibilité de demander à l’Autorité de la concurrence un avis sur les textes d’urbanisme qui ne sera en aucun cas liant ou conforme, mais l’éclairera dans l’exercice de son contrôle de légalité.

La loi permet déjà au ministre de l’économie de saisir l’Autorité de la concurrence. Le texte offre cette même possibilité au préfet et prévoit que le rapporteur général de cette autorité pourra s’autosaisir. En aucun cas, je le répète, il ne crée une nouvelle formalité obligatoire.

Les critères de l’Autorité de la concurrence pour rendre son avis reposeront sur les fondements même de sa compétence, qui porte sur toute question relative à la concurrence, qu’il s’agisse des commerces de détail ou des grandes surfaces. L’abus de position dominante relève de sa compétence. Elle contrôle les concentrations et elle a déjà rendu deux avis, en 2010 et 2012, sur les zones de chalandise. Elle pourra donc rendre un éclairage sur la manière dont est prise en compte la réalité de la concurrence dans les documents d’urbanisme, qu’elle examinera au regard de ses missions propres à partir de sa connaissance économique du territoire.

L’objectif du texte n’est donc en aucun cas de rendre obligatoire l’avis de l’Autorité de la concurrence en la matière : il est purement facultatif et ne sera pas liant. Il ne saurait donc être bloquant en termes de délai.

Le Conseil d’État a rendu un avis favorable à ce dispositif complémentaire visant à éclairer le contrôle de légalité du préfet.

Enfin, monsieur Jean-Frédéric Poisson, l’avis que le Gouvernement a demandé en juin dernier à l’Autorité de la concurrence concerne uniquement les professions juridiques réglementées et non l’ensemble du texte. Elle l’a remis cet après-midi et il est en ligne sur son site. Je le découvrirai en même temps que vous ce soir.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Vous avez raison, mes chers collègues, d’ouvrir le débat : l’urbanisme commercial est tiraillé entre le principe de la liberté commerciale et son caractère urbanistique. L’urbanisme commercial ne saurait être réduit au simple critère concurrentiel : les élus locaux doivent conserver la possibilité d’aménager des équilibres territoriaux à travers un politique d’implantation commerciale. On ne saurait faire basculer l’urbanisme commercial ni dans le seul urbanisme, au mépris de la concurrence, ni dans la seule concurrence, au mépris des équilibres territoriaux. Les situations sont différentes selon les territoires. Une situation de monopole peut être heureuse dans des zones où aucune autre enseigne ne souhaite s’installer – je pense notamment aux petites communes ou aux petites préfectures. Il ne faudrait pas que l’Autorité de la concurrence émette des avis dogmatiques, reposant sur une analyse in vitro, en laboratoire, qui ignore la réalité du terrain.

Le texte propose un dispositif uniquement destiné à éclairer l’opinion du préfet et du ministre, qui, en tant que garants des grands équilibres, doivent pouvoir s’assurer, dans des cas litigieux, du degré d’exposition des documents d’urbanisme à d’éventuels contentieux, ne serait-ce que pour prévenir les élus locaux ou leur faire des observations. Je rappelle que, si les SCOT et les PLU sont approuvés par les élus locaux, le préfet a un droit d’observation et peut saisir la justice.

Il ne s’agira de plus que d’un avis simple, qui ne sera pas conforme : il n’engagera ni le préfet ni le ministre ni les collectivités territoriales. Cet avis sera une soupape de sécurité en cas de difficultés locales.

Je tiens toutefois à formuler une réserve, monsieur le ministre : il n’est pas question de faire basculer l’urbanisme commercial dans le seul droit de la concurrence et dans le libéralisme.

Avis défavorable aux amendements identiques de suppression.

M. Olivier Carré. L’article 10, en dépit de tout ce que j’ai pu entendre, ne s’inscrit pas dans une logique d’allégement des procédures. Le préfet souhaitera disposer de l’avis de l’Autorité de la concurrence dans les situations les plus délicates, qui dévorent déjà un temps considérable en termes de procédure. C’est d’autant plus regrettable que l’avis de l’Autorité de la concurrence devra être rendu, ce qui est naturel, avant le dépôt des dossiers, ce qui ne facilitera pas le dialogue au sein des collectivités qui approuvent les documents d’urbanisme.

De plus, la Commission européenne souhaite que les documents territoriaux ne soient plus que des documents à dominante urbanistique – je vous renvoie à l’examen de la loi de modernisation de l’économie dont les débats avaient longuement porté sur ce point. Je suis donc surpris que le Gouvernement français introduise l’Autorité de la concurrence dans la procédure, dans la mesure où cela donnera prétexte à des groupes, désireux de s’installer des certains territoires, de contester l’avis de l’Autorité de la concurrence. L’article 10 me semble donc fragiliser l’évolution actuelle qui vise à faire des documents d’urbanisme commercial des documents à dominante non pas concurrentielle mais urbanistique.

M. le président François Brottes. J’ai soutenu, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, un amendement visant à lier les permis de construire à un avis favorable de la CDAC.

Je suis ces questions depuis longtemps, notamment depuis l’examen de la loi de modernisation de l’économie : je tiens en effet à rappeler que le droit européen nous interdit de prendre comme prétexte le facteur de la concurrence pour décider d’une implantation commerciale : il nous interdit toute allusion, en matière de droit de l’urbanisme, à la concurrence, ou de choisir la nature des commerces ou les enseignes.

Lier les permis de construire à un avis favorable de la CDAC a donc permis de faire œuvre utile.

La question de la concurrence est majeure dans la mesure où les centrales d’achat se rassemblent et que certaines enseignes exercent, le plus souvent via des filiales, un monopole sur des territoires, ce qui n’est pas sans conséquence sur les fournisseurs, qui peuvent être exclus du marché, et sur les consommateurs, en matière de prix. Or nous ne savons pas régler ce problème de concurrence par la politique d’urbanisme.

La présente disposition n’enlève nullement aux élus locaux leur capacité de discuter, à travers les SCOT, de l’endroit où seront implantées les zones commerciales ainsi que leur surface. Mais seule l’Autorité de la concurrence – c’est son métier – peut constater les situations de monopole. Voilà pourquoi cette mesure a été introduite dans le texte.

Mme Audrey Linkenheld. Comme le rapporteur thématique, je pense qu’il faut trouver un équilibre entre l’aménagement du territoire et la concurrence, et qu’il ne faut pas faire entrer totalement la concurrence et le libéralisme dans l’aménagement du territoire.

J’ai bien compris que l’Autorité de la concurrence était là pour émettre un avis, mais j’aimerais avoir quelques garanties sur la manière dont le préfet en tiendra compte. En effet, même si l’avis n’est pas liant, il est rendu pour que le préfet le lise et en tienne compte. Je connais aussi des documents d’urbanisme dans lesquels on préfère créer des zones économiques que des zones de logement, car on a un peu moins peur des enseignes commerciales que de ceux qui pourraient occuper des logements sociaux. Comment le préfet répondra-t-il à des injonctions qui peuvent parfois paraître contradictoires entre la volonté du Gouvernement, d’une part, d’accompagner la construction de logements et, d’autre part, de lutter contre un certain malthusianisme ?

Pour avoir fait un petit tour de France en matière d’application de lois sur le logement, je sais que, s’ils sont toujours très volontaires, les préfets peuvent aussi se sentir parfois un peu démunis face aux multiples priorités qu’on leur demande de suivre en même temps. J’aimerais donc avoir quelques garanties sur la manière dont l’avis de l’Autorité de la concurrence sera traité afin d’être certaine que la concurrence ne prendra pas le pas sur l’aménagement du territoire et la construction de logements.

M. le président François Brottes. Je vous rappelle que Audrey Linkenheld était rapporteure de la loi ALUR.

Mme Michèle Bonneton. L’article 10 précise que l’Autorité de la concurrence peut se saisir d’office de ces projets, autrement dit s’autosaisir. Cela risque de faire prédominer la concurrence économique sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire.

Par ailleurs, les projets d’ouverture de grandes surfaces doivent s’intégrer dans un projet d’aménagement local. L’Autorité de la concurrence sera-t-elle suffisamment proche de ce qui se passe localement ?

On risque de se diriger vers la construction de davantage de grandes surfaces pour assurer une meilleure concurrence. Or cela demeure toujours un peu illusoire du fait des centrales d’achat.

L’implantation de grandes surfaces en périphérie des villes est par ailleurs très dommageable pour le commerce de centre-ville – on le constate dans toute la France. D’ailleurs, l’un des objectifs de la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises – loi que nous avons adoptée à une large majorité il y a quelques mois – était de favoriser le commerce en centre-ville, ce qui commence à se faire en réhabilitant les centres-villes. En conséquence, je vois là une légère contradiction entre le présent article et la loi que nous avons votée.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le ministre, vous avez indiqué qu’il n’y avait pas d’impact en termes de délais. Il n’empêche que la saisine de l’Autorité de la concurrence constitue une opération supplémentaire qui va nécessairement rallonger une procédure qui est déjà très longue et qui, le plus souvent, connaît des recours avec des durées très importantes.

Il est important de trouver un équilibre entre l’urbanisme et l’économie. Mais ne faut-il pas faire confiance aux élus ? Finalement, c’est l’autosaisine de l’Autorité de la concurrence qui pose problème. N’y a-t-il pas là une défiance à l’égard des élus ?

Il est de plus en plus question de décentralisation, de donner davantage de pouvoirs aux régions en matière économique. Or, avec cet article, on recentralise les pouvoirs : il y a là une incohérence.

L’étude d’impact fait état de consultations menées auprès de certaines enseignes – je m’étonne d’ailleurs que seules deux d’entre elles, Casino et Leclerc, soient nommées – mais ne mentionne pas leurs conclusions. Quels sont également les avis des fédérations professionnelles, comme le Conseil du commerce de France, l’Union professionnelle artisanale (UPA) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) ?

M. Bernard Gérard. Cet article m’interpelle. Nous sommes dans une période extrêmement difficile. Toutes les collectivités territoriales – régions, départements, intercommunalités – s’interrogent sur leur capacité d’investir. La seule possibilité consiste donc actuellement à se tourner vers le privé qui dispose sans doute de plus de marges de manœuvre et peut ainsi aider le secteur du bâtiment et des travaux publics qui, on le sait, est si menacé.

Monsieur le ministre, je suis donc pantois devant un article qui constitue un nouvel obstacle, qui va générer des contentieux, des interprétations, des difficultés de tous ordres. Mais où va-t-on ? Ce texte a la prétention de favoriser la croissance et l’emploi alors qu’il contient des dispositions qui vont exactement à l’encontre de ce que nous voulons faire. Voilà pourquoi il faut supprimer l’article 10.

M. Christophe Caresche. Il faut peut-être clarifier les objectifs de cet article.

Je suis élu d’un département, Paris, dans lequel l’Autorité de la concurrence a souligné, à plusieurs reprises, que les conditions de la concurrence en matière de grande distribution n’étaient pas satisfaisantes. Pour parler clairement, une enseigne y a nettement une position dominante. L’Autorité de la concurrence a néanmoins indiqué qu’elle n’avait pas le pouvoir de traiter ce problème.

Si l’article 10 vise précisément à réguler la concurrence au bénéfice des consommateurs afin d’éviter les situations dominantes qui se traduisent par des prix excessifs, alors il est tout à fait bienvenu.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, pensez-vous vraiment qu’on a la connaissance du territoire sous l’angle économique seulement à Paris ? Que vont devenir les études de marché ? Auront-elles toujours un sens ? Après tout, peut-être avez-vous l’intention de supprimer aussi les chambres de commerce et d’industrie. Au vu des professions que vous avez exercées, vous savez que l’éloignement n’est pas toujours pertinent pour juger de la validité d’un projet d’installation. Vous allez en outre allonger les délais d’installation pour tous ceux qui voudraient investir dans les circuits courts.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Si l’on ne peut être que défavorable à ces amendements de suppression, il faut tenir compte toutefois de certains points qui ont été mis en lumière.

Il ne faut pas voir cet article comme le signe d’une défiance à l’égard des élus locaux. Toutefois, il me paraît opportun d’envisager, à travers un amendement, de priver l’Autorité de la concurrence de la faculté de s’autosaisir. Les acteurs locaux pourraient être stressés de savoir que leur démarche peut être interrompue à tout moment par une autosaisine qui, le plus souvent, serait superfétatoire.

Audrey Linkenheld a indiqué que le seul prisme de la concurrence pourrait porter atteinte à la prise en compte d’enjeux de logement lorsque les documents d’urbanisme sont définis.

C’est pourquoi je propose de supprimer l’autosaisine de l’Autorité de la concurrence et de prévoir qu’une circulaire ou tout autre document puisse clarifier la position de cette instance afin que les enjeux de logement soient pris en compte, notamment par rapport à ceux de l’urbanisme commercial.

Nos débats viennent de se focaliser sur l’article 10, mais celui qui est vraiment important est le suivant. Il nous faut donc trouver un accord sur l’article 10 pour préserver dans son intégralité la pertinence de l’article 11.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Je vous confirme que le Gouvernement est défavorable aux amendements de suppression de l’article 10.

Tel qu’il est rédigé, cet article dispose que la saisine de l’Autorité de la concurrence est facultative. Son avis n’a pas vocation à être public, il ne porte pas grief, il ne fait pas partie d’une procédure et il n’intègre pas de test économique. À cet égard, il est donc conforme au droit économique. C’est pourquoi la saisine de cette instance est préalable à l’enquête publique et n’en fait pas partie. J’ajoute, comme cela a été indiqué par le rapporteur général, que cet avis est une faculté qui ne marque en rien une défiance à l’égard des territoires, puisqu’elle ne centralise aucune compétence ni aucun pouvoir.

Enfin, cette mesure n’ajoute pas de délai puisqu’elle se fait en temps masqué. Pour répondre aux préoccupations légitimes de Mme Michèle Bonneton, je précise qu’elle ne porte pas sur tel ou tel projet en particulier, mais sur l’ensemble des documents d’urbanisme visés par cet article.

Comme je suis sensible aux points soulevés par plusieurs d’entre vous et rappelés par M. Richard Ferrand, je souscris à l’esprit de sa remarque. Si son amendement vise à supprimer les deux phrases ou membres de phrase suivants : « Le rapporteur général peut proposer à l’Autorité de la concurrence de se saisir d’office de ces projets de documents ou de révision ou modification de ceux-ci. Dans les deux cas, consultation ou saisine d’office, » le Gouvernement émettra un avis favorable.

M. Gilles Lurton. Si je comprends bien, le ministre et M. Richard Ferrand sont d’accord pour supprimer la possibilité pour le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence de se saisir des projets d’urbanisme commercial. C’est la moindre des choses, car cela commençait à faire beaucoup !

Il n’empêche que le ministre chargé de l’économie et le préfet conserveront cette possibilité, ce qui constitue une très forte diminution des prérogatives des élus locaux. Étant donné la complexité de ces dossiers, j’imagine que les préfets ne se priveront pas de le faire dans la majorité des cas, ce qui pose une difficulté majeure aux élus locaux.

M. le président François Brottes. Certains élus locaux ne manqueront pas de le faire aussi !

M. Philippe Houillon. Pour gagner du temps, je vous signale que l’amendement SPE226 éviterait à notre rapporteur général d’en rédiger un puisqu’il tend aux mêmes fins.

M. le président François Brottes. Nous n’en sommes pas encore là ! Nous discutons pour le moment des amendements de suppression de l’article 10.

M. le rapporteur général. Pour ma part, je propose donc l’amendement SPE1912 qui supprime cette faculté d’autosaisine et qui sera discuté tout à l’heure.

Par ailleurs, je suggère qu’il soit précisé, par voie de circulaire ou tout autre document, qu’il conviendra que ces documents soient examinés sous la priorité gouvernementale du logement et pas seulement sous celle de la concurrence, s’agissant de foncier disponible dans les différents schémas locaux qui sont susvisés.

La Commission rejette les amendements SPE225, SPE307, SPE746 et SPE1392.

Elle examine les amendements identiques SPE226 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE308 de M. Patrick Hetzel, ainsi que l’amendement SPE1912 des rapporteurs.

M. Philippe Houillon. Je ne vois pas ce qui peut s’opposer à l’adoption de l’amendement SPE226 puisque c’est la même chose que ce que propose le rapporteur général.

M. le président François Brottes. Non !

M. Philippe Houillon. Nous ajoutons seulement que le président de l’établissement public de coopération intercommunal – EPCI –, ce qui est logique, et le maire peuvent consulter l’Autorité de la concurrence.

M. le ministre. Je suis défavorable à ces deux amendements et favorable à l’amendement SPE1912 du rapporteur général.

Il convient de limiter la capacité à saisir l’Autorité de la concurrence. Donner la possibilité à tout maire, tout président d’EPCI ou de SCOT – schéma de cohérence territoriale – de saisir l’Autorité de la concurrence, c’est s’exposer assez rapidement à une discussion sur ses moyens. M. Jean-Frédéric Poisson rappelait tout à l’heure, à juste titre, que nous lui donnons beaucoup de prérogatives. Nous avons pesé au trébuchet, avec le président de cette autorité, les moyens dont elle a besoin pour les exercer, mais, si plus de 36 000 élus ont la possibilité de la saisir, de nombreux blocages et contre blocages risquent d’apparaître et vous pouvez alors être sûrs, même si nous ne prévoyons pas que ces avis fassent grief, qu’ils seront communiqués, et que des jeux à triple bande auront lieu. Si un élu le souhaite, il peut conseiller à son préfet de demander que l’Autorité de la concurrence soit consultée.

M. le rapporteur général. Il est paradoxal de dire que l’accroissement des compétences de l’Autorité de la concurrence risquerait de ralentir un certain nombre de processus, tout en proposant un amendement qui renforce les capacités de saisine. C’est pourquoi je maintiens qu’il faut rejeter ces deux amendements identiques et que je suis favorable à l’amendement que je propose. (Sourires)

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur général, il n’y a aucune forme d’incohérence à considérer que l’Autorité de la concurrence ne peut, sans dommage pour les territoires, avoir la capacité de s’autosaisir sans délai, et à proposer que les élus locaux, qui sont les premiers concernés par les schémas d’urbanisme, puissent consulter cette autorité. Je pense que nous défendons tous ici les libertés des collectivités locales, et en disant cela, je m’adresse plus particulièrement à l’élu de l’Isère à qui la Dent de Crolles et le petit train de La Mure sont familiers.

Très franchement, prévoir que l’Autorité de la concurrence qui est loin de tout pourrait s’autosaisir…

M. le président François Brottes. Monsieur Jean-Frédéric Poisson, le rapporteur général a fait, pendant que vous n’étiez pas là, une proposition qui nuit quelque peu à l’argumentation que vous êtes en train de développer.

M. Jean-Frédéric Poisson. Si notre amendement a permis que la position de la majorité et du Gouvernement évolue, nous en sommes ravis et nous en prenons acte.

M Richard Ferrand, rapporteur général. À l’origine, on nous a expliqué que faire entrer, dans les règles du commerce, l’Autorité de la concurrence serait quelque chose de dilatoire qui ralentirait, priverait, mettrait les collectivités locales sous tutelle d’une autorité administrative qui déciderait in vitro – en employant cette expression, je ne fais que citer les bons auteurs. C’est pourquoi j’ai proposé que l’autosaisine soit supprimée et que l’on n’en rajoute pas sur la capacité à saisir. Car on ne peut pas à la fois dire que l’Autorité de la concurrence pourrait tout ralentir et multiplier le nombre de celles et de ceux qui pourraient la saisir.

Au nom de la cohérence, je demande à mes collègues de rejeter les deux amendements identiques et d’adopter mon amendement.

Les amendements identiques SPE226 et SPE308 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement SPE1912.

En conséquence, l’amendement SPE1165 devient sans objet.

La Commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE1174 des rapporteurs.

En conséquence, les amendements SPE953 et SPE1165 deviennent sans objet.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel SPE1164 des rapporteurs.

Elle adopte l’article 10 ainsi modifié.

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Article 10 bis [nouveau]
(article L. 752-6 du code de commerce)

Aménagement des critères de délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale

L’article L. 752-6 du code de commerce, tel que modifié à l’article 49 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, prévoit que la commission départementale d’aménagement commercial, pour délivrer une autorisation d’exploitation commerciale, prend en considération des critères de développement durable, en particulier :

– la qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l’emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l’imperméabilisation des sols et de la préservation de l’environnement ;

– l’insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l’utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales.

Il précise que ces critères s’appliquent aux bâtiments existants en cas d’extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 1 000 m2 ou devant le dépasser par la réalisation du projet.

Cet article additionnel tend à supprimer l’application de ces critères aux bâtiments existants en cas d’extension de la surface de vente d’un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 1 000 m2 ou devant le dépasser par la réalisation du projet. En effet, une interprétation extensive du droit existant pourrait conduire à exiger, à l’occasion de l’extension de la surface de vente d’un magasin appartenant à un ensemble commercial, que tous les bâtiments de cet ensemble soient adaptés aux exigences récemment introduites en matière de développement durable.

En raison des surfaces parfois considérables occupées par les ensembles commerciaux, une application maximaliste de ces dispositions entraînerait des travaux au coût prohibitif.

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La Commission examine l’amendement SPE1638 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement précise la législation actuelle. Une interprétation extensive de la loi peut laisser entendre que la moindre extension de surface de vente dans un ensemble commercial imposerait de revoir les performances énergétiques de tous les magasins de l’ensemble commercial, ce qui est rédhibitoire économiquement et poserait des problèmes d’application. Le présent amendement permet de limiter l’exigence de mise aux normes thermiques au seul bâtiment concerné par l’extension et non à l’ensemble commercial.

Suivant l’avis du rapporteur thématique, la Commission adopte l’amendement SPE1638.

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Article 10 ter [nouveau]
(article L. 425-4 du code de l’urbanisme)

Autorisation de la cession et de la transmission des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale

Cet article résulte de l’adoption d’un amendement présenté par le Gouvernement.

L’article L. 425-4 du code de l’urbanisme, tel que modifié par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, prévoit que les permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale sont incessibles et intransmissibles. Elle implique qu’une nouvelle demande complète soit déposée dès lors le bénéficiaire du permis change.

Cette disposition alourdit les démarches des demandeurs de ces permis de construire, alors qu’il est déjà possible de modifier le nom du bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme. La modification apportée par cet article additionnel vise donc à supprimer la disposition du code de l’urbanisme interdisant la cession et la transmission des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, afin de ne pas contraindre le nouveau porteur de projet à déposer un nouveau dossier de demande d’autorisation d’urbanisme.

Le transfert de l’autorisation d’urbanisme demeure conditionné à la délivrance d’un arrêté de transfert du maire.

De plus, en cas de modification substantielle du projet au sens de l’article L. 752-6 du code de commerce, l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme prévoit qu’une nouvelle demande de permis de construire soit systématiquement déposée.

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La Commission est saisie de l’amendement SPE1636 du Gouvernement.

M. le ministre. Il s’agit d’un amendement de simplification qui permet de mettre en cohérence le code de l’urbanisme avec le nouveau régime des autorisations d’exploitation commerciale (AEC) instauré par la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

Je rappelle que le régime antérieur prévoyait des autorisations d’urbanisme cessibles alors que les AEC ne l’étaient pas. Désormais, les permis de construire valent AEC et on aligne en conséquence le régime des AEC sur celui des permis de construire. La possibilité de modifier le nom du bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme constitue un élément de souplesse dans le montage des opérations, sachant par ailleurs que la décision d’urbanisme est de toute façon délivrée au regard de la conformité du projet aux règles opposables et non en considération de la qualité du demandeur.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Favorable.

Mme Audrey Linkenheld. Je n’ai rien contre la cessibilité des permis de construire, mais je me demande comment peut s’articuler la cessibilité des autorisations commerciales avec l’injonction structurelle prévue par le projet de loi. L’autorisation commerciale est délivrée à une enseigne en particulier. Il n’est donc pas indifférent que ce soit une enseigne ou une autre. La cessibilité d’une autorisation d’une enseigne à une autre peut avoir une conséquence qui serait, le cas échéant, contraire à la volonté du Gouvernement de permettre une injonction structurelle en cas de position dominante de telle ou telle enseigne.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, dans un tel cas peut-on faire appel à l’Autorité de la concurrence ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Si je comprends bien, l’amendement du Gouvernement modifie un dispositif qui a été adopté, avec l’accord du même Gouvernement, au mois de juin, c’est-à-dire il y a six mois.

On peut appeler cela une forme de résipiscence, de retour au bon sens, une manière de simplifier des dispositions qui sont devenues compliquées en raison de mesures que vous avez prises vous-même. Quelle que soit la réalité des choses, nous pourrons apporter à cet amendement de bons sens un soutien collectif.

Mme Audrey Linkenheld. Je ne veux pas répondre à la place du Gouvernement, mais il me semble que l’amendement en question ne vient pas corriger quelque chose que nous aurions voté.

Ce que nous avons voté – et le président n’y est pas pour rien –, c’est la concordance entre un permis de construire et une autorisation commerciale. Ce principe demeure. L’amendement du Gouvernement vise à corriger une mesure qui prévoyait que les autorisations d’urbanisme valant AEC soient incessibles.

La question qui se pose est celle de la cessibilité de ces autorisations.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, je parle sous votre contrôle en disant que, lorsqu’une enseigne évolue ou change une fois que le magasin a été ouvert, plus personne ne peut objecter quoi que ce soit. La vie des affaires continue.

Dans la précédente loi, nous avons marié la logique de la démarche commerciale et celle du permis de construire au moment de l’ouverture du magasin. Vous savez bien qu’ensuite, s’il n’y a pas un changement fondamental des ouvertures ou de la toiture, l’enseigne peut changer de nom sans que le maire puisse intervenir.

M. le ministre. L’amendement qui vient d’être voté est en effet un élément de correction, contrairement à l’amendement dont nous discutons et qui est une mesure de simplification et de mise en cohérence.

En l’espèce, il s’agit d’une situation où un promoteur comme une enseigne peut être propriétaire. Les enseignes ne couvrent pas l’ensemble du dispositif.

Ensuite, il peut s’agir d’un terrain qui n’est pas encore bâti – c’est même la plupart des cas. Le caractère nuisible ou le prix excessif n’est pas encore déterminé. Les dispositions dont nous discuterons à l’article 11 viennent compléter ce dispositif et non le contrer, puisque l’autorité peut demander la vente dans le cadre de l’injonction structurelle, mais il faut encore la permettre.

Je rappelle, comme le disait à l’instant le président François Brottes, qu’il peut y avoir, même si l’on a simplifié les dispositions d’urbanisme et d’urbanisme commercial pour regrouper les éléments, des situations où l’enseigne n’est pas propriétaire de l’emprise.

La Commission adopte l’amendement SPE1636.

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Article 11
(article L. 752-26 du code de commerce)

Injonction structurelle

I. L’ÉTAT DU DROIT

L’injonction structurelle permet d’agir directement sur la structure d’un marché, afin de rétablir des conditions de concurrence favorables aux consommateurs.

C’est un outil complémentaire de ceux classiquement utilisés pour faire respecter les principes d’une concurrence équitable, à savoir le contrôle des concentrations et la sanction des pratiques anticoncurrentielles. Le contrôle des concentrations permet d’éviter que ne se constitue une structure de marché défavorable à la concurrence ; il intervient a priori, mais ne permet de contrôler que des opérations excédant certains seuils ; il ne permet pas non plus d’empêcher les extensions d’établissements, qui peuvent pourtant être tout aussi défavorables à la concurrence. La sanction des pratiques anticoncurrentielles (abus de position dominante, entente) n’intervient, quant à elle, qu’a posteriori, en cas d’abus dûment constaté.

La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (90) a introduit un mécanisme d’injonction structurelle dans notre droit, à l’article L. 752-26 du code de commerce. Il s’applique, dans le secteur du commerce de détail, aux cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique de la part d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises, et se déroule en deux étapes :

– dans un premier temps, comme il est habituel, l’Autorité de la concurrence a le pouvoir de procéder, à des injonctions et de prononcer des sanctions pécuniaires, comme prévu à l’article L. 464-2 du code de commerce ;

– dans un second temps, si ces injonctions et ces sanctions n’ont pas permis de mettre fin à la situation visée, l’Autorité peut enjoindre à l’entreprise de modifier, compléter ou résilier les accords ou actes par lesquels s’est constituée la puissance économique ayant permis ces abus, voire lui enjoindre de procéder à une cession d’actifs.

L’Autorité de la concurrence a toutefois exprimé, à plusieurs reprises, son regret que cet outil soit d’un maniement difficile, et d’une portée insuffisante au regard des enjeux :

– s’agissant des situations auxquelles il s’applique, il paraît trop restrictif, dans la mesure où il ne vise que les cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou de dépendance économique de la part d’une entreprise. Il ne permet donc pas d’agir pour remédier aux situations où la structure du marché interdit à elle seule l’exercice d’une concurrence efficace ;

– de plus, l’intervention sur la structure du marché, par des résiliations de contrats ou des cessions d’actifs, n’est possible que dans le cas où les injonctions ou les sanctions pécuniaires imposées par l’Autorité de la concurrence n’auraient pas permis de mettre fin à la situation visée, ce qui demeure extrêmement rare.

L’Autorité de la concurrence a plus particulièrement déploré la faiblesse de cet outil dans un cas d’espèce, celui de la distribution alimentaire à Paris, dans son avis du 11 janvier 2012 (91). Constatant la position dominante d’un opérateur sur ce secteur, elle remarquait l’inefficacité des outils à sa disposition pour y remédier : le contrôle des concentrations s’y révélerait inefficace en raison des chiffres d’affaires modérés des magasins du secteur, qui tombent dans leur grande majorité en dessous du seuil de 15 millions d’euros au-delà duquel leur rachat par un opérateur d’envergure nationale doit lui être notifié, et un abaissement de ces seuils ne serait pas davantage utile, dans la mesure où il ne permettrait pas de couvrir les ouvertures de magasins ou les affiliations de magasins à un réseau.

L’Autorité remarquait également que l’introduction de « tests de concurrence », qui lui permettraient, par exemple, de refuser à un opérateur disposant déjà d’une part de marché importante, d’ouvrir un nouveau magasin ou d’étendre la surface d’un magasin existant, risquerait de ralentir l’ouverture de nouveaux points de vente par l’ensemble des opérateurs, sans permettre de remédier à la position dominante qui existe déjà.

Selon l’Autorité, la solution consisterait à lui permettre d’enjoindre des cessions d’actifs aux opérateurs dominants, selon une procédure plus efficace que celles prévues à l’actuel article L. 752-26 du code de commerce. L’avis de 2012 cite l’exemple de la Competition Commission au Royaume-Uni, qui dispose, depuis l’Enterprise Act de 2002, de la faculté d’imposer à une entreprise de procéder à des cessions d’activités ou d’avoirs à des concurrents, au terme d’une procédure contradictoire avec les parties concernées.

La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer a introduit, à l’article L. 752-27 du code de commerce, un dispositif tirant les leçons de ces expériences pour le cas des départements et régions d’outre-mer et des collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, des îles Wallis et Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon (92). Le présent projet d’article s’inspire largement de ce dispositif.

II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

Le I de l’article L. 752-26 tel que réécrit par le projet de loi (alinéas 2 et 3) substituerait deux critères cumulatifs aux notions d’exploitation abusive d’une position dominante et d’état de dépendance économique :

– l’existence d’une position dominante ;

– la détention par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une part de marché supérieure à 50 %, soulevant des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevées. Le niveau des prix et des marges s’apprécierait en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné.

Dans le cas où une entreprise ou un groupe d’entreprises cumulerait ces deux critères, l’Autorité de la concurrence pourrait faire lui connaître ses préoccupations en matière de concurrence. L’entreprise ou le groupe d’entreprises concerné pourrait lui proposer, sous deux mois, des engagements de nature à faire cesser les atteintes à la concurrence.

L’alinéa 3 de l’article 11 précise les modalités d’évaluation de la part de marché de l’entreprise ou du groupe d’entreprises dans le cadre de la procédure d’injonction structurelle : celle-ci serait calculée selon le chiffre d’affaires réalisé dans le secteur d’activité et sur la zone de chalandise concernés, ou selon les surfaces commerciales exploitées dans la zone de chalandise concernée.

Le II de l’article L. 752-26 (alinéa 4) tel que réécrit par le projet de loi prévoit que, dans le cas où l’entreprise ne présenterait pas d’engagements, ou dans celui où ses engagements ne paraîtraient pas être de nature à mettre un terme aux préoccupations soulevées, l’Autorité de la concurrence pourrait prononcer des injonctions à son encontre.

Il précise également les mesures que l’Autorité de la concurrence pourrait prescrire aux entreprises qui ne présenteraient pas d’engagements ou dont les engagements seraient jugés insuffisants. Ces mesures pourraient prendre deux formes :

– l’obligation de modifier, de compléter ou de résilier les accords et les actes par lesquels s’est constituée la puissance économique qui permet les pratiques constatées en matière de prix ou de marges ;

– l’obligation de procéder à une cession d’actifs, si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective.

Ces mesures devraient être accomplies dans un délai déterminé, qui ne pourrait excéder deux mois. L’Autorité de la concurrence disposerait de la possibilité de sanctionner leur inexécution par des sanctions pécuniaires, prévues à l’article L. 464-2 du code de commerce.

Rappelons que ces sanctions ne peuvent excéder, pour une entreprise, 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. En tout état de cause, elles doivent être proportionnées à la gravité des faits, à l’importance du dommage causé à l’économie, et à la situation de l’entreprise sanctionnée. Si l’entreprise ne conteste pas la réalité des griefs, le rapporteur général peut proposer à l’Autorité de la concurrence de prononcer la sanction en tenant compte de l’absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction est réduit de moitié.

En termes de procédure, l’injonction structurelle ne pourrait être prononcée que par une décision motivée prise après réception des observations de l’entreprise concernée, et à l’issue d’une séance devant le collège de l’Autorité. Le principe énoncé à l’article L. 463-1 du code de commerce, selon lequel « L’instruction et la procédure devant l’Autorité de la concurrence sont pleinement contradictoires », s’appliquerait bien évidemment à ce type de procédures.

Enfin, le III de l’article L. 752-26 tel que réécrit par le projet de loi (alinéa 5) prévoit que l’Autorité de la concurrence dispose de pouvoirs d’enquête étendus pour les procédures définies aux paragraphes I et II. Les agents de ses services d’instruction, ainsi que les fonctionnaires habilités à cet effet, pourraient procéder à des contrôles sur place et demander communication de toute information, au titre de l’article L. 450-3 du code de commerce, mais aussi accéder à tout document détenu par l’État, les autres collectivités publiques ou leurs établissements sans pouvoir se voir opposer le secret professionnel, comme le prévoit l’article L. 450-7 du même code. Les sanctions encourues par les personnes s’opposant à l’exercice des agents des services d’instruction de l’Autorité ont été considérablement durcies par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, qui les a fait passer de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (93).

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le secteur du commerce de détail connaît un degré de concentration particulièrement élevé en France. L’Autorité de la concurrence en avait elle-même fait l’analyse en 2010 (94), s’agissant de la distribution alimentaire : au premier semestre 2009, les six principaux groupes détenaient près de 85 % de parts de marché. La corrélation entre le degré de concentration des zones de chalandise et le niveau des prix aux consommateurs est, par ailleurs, bien documentée.

Le renforcement de la procédure d’injonction structurelle doit permettre de stimuler la concurrence dans le secteur du commerce de détail, mettant un terme à des niveaux de rente injustifiés et bénéficiant directement au consommateur, dans un contexte où le pouvoir d’achat est en berne.

Par l’instauration d’un dispositif de « riposte graduée » en plusieurs étapes, qui permet de recevoir des engagements de l’entreprise sans recourir d’emblée à des injonctions, puis à des sanctions, le projet de loi clarifie la procédure d’injonction structurelle et la rend plus efficace, tout en permettant de renforcer le dialogue avec les entreprises concernées.

Le rapporteur thématique souligne que l’adoption de cet article permettra de réaliser un engagement du Président de la République pendant sa campagne, qu’il formulait ainsi dans un entretien à la revue Concurrences en 2012 : « C’est le sens de ma proposition visant à doter l’Autorité de la concurrence, comme son homologue au Royaume-Uni, d’un véritable pouvoir d’injonction structurelle lui permettant, lorsque cela est nécessaire, de prononcer des cessions d’actifs et des résiliations de contrats, alors qu’aujourd’hui les conditions de mise en œuvre de ce pouvoir d’injonction sont telles qu’elle ne peut jamais être actionnée. À travers cette option, qui appellera d’importantes garanties procédurales, il s’agit de régler de manière ponctuelle des situations extrêmes de verrouillage de marché, comme il en existe par exemple outre-mer. » (95). La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer a transcrit cet engagement dans notre droit pour l’outre-mer, dans le cadre de la lutte contre la « vie chère ». Il convient à présent de transposer ce dispositif, avec les adaptations nécessaires, à l’ensemble du territoire.

Le rapporteur thématique estime toutefois que certaines améliorations pourraient être apportées au texte de cet article. Il a déposé deux amendements en ce sens. L’un propose que soit garantie, à un stade précoce de la procédure d’injonction structurelle, la bonne information des entreprises sur les faits justifiant les préoccupations de l’Autorité de la concurrence, en précisant que l’Autorité transmet à l’entreprise son estimation de la part de marché et du niveau de prix ou de marges qui justifie ces préoccupations. Le second vise à ce que la procédure d’injonction structurelle puisse être utilisée pour remédier aux pratiques d’entrave foncière, consistant à acheter des terrains dans une zone de chalandise à la seule fin d’y empêcher l’installation de concurrents. Dans ce but, il propose d’inscrire de manière expresse que les cessions d’actifs que l’Autorité peut enjoindre à une entreprise au terme de la procédure peuvent concerner des terrains, qu’ils soient ou non bâtis.

IV. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPECIALE

Outre des amendements rédactionnels et de précision, la commission a adopté deux amendements des co-rapporteurs, l’un précisant que l’Autorité de la concurrence transmet à l’entreprise son estimation de la part de marché et du niveau de prix ou de marges qui justifie ses préoccupations de concurrence, l’autre inscrivant de manière expresse que les cessions d’actifs que ladite autorité peut enjoindre à une entreprise au terme de la procédure peuvent concerner des terrains, qu’ils soient ou non bâtis.

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La Commission est saisie des amendements identiques SPE232 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE314 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’article L. 752-26 du code de commerce vise les abus de position dominante et confère à l’Autorité de la concurrence des pouvoirs un peu plus faibles que ceux prévus par l’article 11.

Vous nous demandez, monsieur le ministre, de nous prononcer sur un article qui traite de « préoccupations de concurrence ». C’est un terme psychologique assez peu adapté au fonctionnement des autorités administratives, la préoccupation pouvant changer du soir au matin en fonction de divers éléments.

Une entreprise qui, au fond, n’aurait fait que son métier, en déployant ses activités sur un territoire, en conquérant des marchés sans spolier quiconque, par son travail, par la qualité de ses produits, de son management et de sa force commerciale, se retrouverait dans une situation que l’Autorité de la concurrence considérerait comme dominante, au motif qu’elle détiendrait une part de marché « préoccupante ».

L’alinéa suivant précise que, dans ce cas, l’Autorité de la concurrence peut enjoindre l’entreprise ainsi désignée de céder une partie de ses participations, de son capital ou de ses actifs pour rétablir une forme d’équilibre, par ailleurs définie de manière extrêmement théorique, ce qui est la marque de ce Gouvernement, la référence au loyer moyen pratiqué sur un territoire relevant d’une logique statistique qui n’a aucun sens du point de vue des marchés.

Cet article est contraire à la liberté d’entreprendre, à laquelle nous sommes tous attachés. Nombre de grandes entreprises françaises, notamment dans le secteur de l’énergie ou des transports, pourraient être visées par cet article. J’en connais certaines qui répondent parfaitement aux caractéristiques décrites dans ces deux alinéas.

Je ne vois pas à quel titre il faudrait pénaliser encore une fois, non pas des entreprises qui prennent une position dominante en agissant à la limite de la légalité, mais des entreprises qui sont peu nombreuses sur leur territoire, notamment en milieu rural où il y a souvent un seul opérateur par secteur d’activité. L’Autorité de la concurrence sera-t-elle « préoccupée » par cette situation ? Vous avez une vision extrêmement technocratique, très parisienne – inside the Beltway, diraient les Américains – et déconnectée de la réalité économique de nos entreprises et de nos territoires.

Un peu plus tard, viendra en discussion un amendement visant à rétablir la notion d’abus de position dominante et à supprimer la notion de préoccupation, qui n’est en rien une notion juridique, car trop subjective. C’est une source de contentieux et cela ne permet pas de soutenir, contrairement au titre de votre projet de loi, la croissance et l’activité.

La formulation actuelle du code du commerce, en termes d’appréciation de la concurrence et d’intervention de l’Autorité, nous paraît satisfaire à l’ensemble des situations. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous proposons la suppression de cet article.

M. le président François Brottes. Je précise que le secteur de l’énergie a sa propre autorité de la concurrence, la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

M. Patrick Hetzel. L’article 11 est l’occasion de s’interroger sur la manière dont le Gouvernement a envisagé le concept même de concurrence. On observe une augmentation inquiétante des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence, d’autant que, derrière cela, il y a une vision réductrice de ce concept : pour vous, tout serait lié au nombre d’entreprises en place sur un marché. Avoir une vision où la concurrence serait uniquement mesurée à l’aune du nombre d’entreprises présentes sur le marché est une erreur majeure. Quand on regarde de près la manière dont l’Autorité de la concurrence a l’habitude de travailler, on s’aperçoit qu’elle commet trois erreurs. Puisque vous êtes un spécialiste en matière économique, j’aimerais, monsieur le ministre, vous entendre sur ces questions.

Premièrement, on évoque souvent la théorie du price maker. Cela revient à dire que les prix seraient déterminés par la rencontre entre les jugements de valeur des offreurs et ceux des demandeurs. Pour ma part, je considère que cette théorie peut être remise en cause. Ce n’est pas le député Patrick Hetzel qui le dit, c’est l’école économique autrichienne.

Deuxièmement, ce qui compte, s’agissant des prix, ce n’est pas seulement le nombre d’entreprises présentes sur le marché, c’est aussi l’efficacité productive de ces entreprises.

Troisièmement, la concurrence n’est pas une fin en soi. Elle ne peut être qu’un outil au service de l’économie, mais en réalité, elle n’est utile que parce qu’elle joue un rôle dans le processus d’allocation des facteurs de production.

Ce qui compte, enfin, c’est que les facteurs de production soient employés à satisfaire, aux yeux des consommateurs, les besoins les plus urgents. Or on ne peut pas dire cela ex ante, on ne peut le dire qu’ex post. L’intérêt de la concurrence, pour les consommateurs, c’est le fait que, dans une économie de marché non entravée, elle soit avant tout non entravée par les pouvoirs publics. Elle ne devrait donc pas être entravée par une autorité de la concurrence. L’existence même de ce type d’autorité me pose problème.

M. le ministre. Je voudrais d’abord rassurer M. Jean-Frédéric Poisson. Le texte précise que ce sont les magasins de commerce de détail qui sont concernés. Les autres secteurs ne sont pas visés par l’article.

S’agissant de la concurrence et de sa philosophie, monsieur Patrick Hetzel, je m’étonne que la majorité qui a créé l’Autorité de la concurrence soit aujourd’hui un tantinet émotive à l’idée qu’on lui donne les moyens de fonctionner…

Cela étant, je partage, pour partie, votre préoccupation en matière de concurrence. Je n’en fais pas une finalité et j’estime que l’Autorité de la concurrence ne doit pas avoir tout pouvoir. C’est bien l’esprit de l’article 11. La concurrence est le moyen de s’assurer que les acteurs économiques ne soient pas en situation de faire dysfonctionner un marché ou de capturer des marges de manière indue entre les différents acteurs productifs ou aux dépens du consommateur. Lorsqu’il s’agit de politique industrielle et de secteurs dits « exposés », vous avez raison, il faut avoir cette préoccupation.

Sans doute avons-nous trop souvent donné, par le passé, le primat à une politique de la concurrence dont le seul objectif était de réduire le pouvoir, la capacité, parfois même à faire les prix, de certains acteurs économiques. C’est l’erreur collective que nous avons commise, notamment au niveau européen. C’est en ce sens que nous travaillons depuis plusieurs années, et le Gouvernement porte cette voix dans les enceintes communautaires.

En l’espèce, il s’agit du secteur du commerce de détail, qui est très différent. Vous noterez, comme moi, qu’il n’est pas exposé à la concurrence. Il s’agit d’un secteur purement intérieur, dont la structuration est très particulière, un secteur où les fournisseurs comme les acheteurs sont multiples, et les distributeurs quelques-uns : c’est un oligopole. La capacité à faire le prix des commerçants de détail est donc importante.

Nous avons beaucoup d’enseignes en France. Les rapports qualitatifs de l’Autorité de la concurrence et de nos services font état d’une forme d’organisation régionale de ces enseignes, que nous avons vu s’organiser, même si elles sont nombreuses, pour éviter de se concurrencer entre elles sur des zones de chalandise. On a observé que les prix, sans que cela soit justifié par des conditions d’accès ou d’achat spécifiques, pouvaient parfois connaître des écarts de 15 à 20 %.

Je sais que cela contrarie certains distributeurs et certaines enseignes. J’en suis conscient et j’imagine, pour l’avoir vécu dans mon ministère, les appels énamourés ou effrayés que vous avez dû recevoir de nombre d’entre eux. Néanmoins, pour répondre à M. Jean-Frédéric Poisson, la rédaction de l’article 11 est exactement la même que celle de la loi Lurel...

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est précisément le problème !

M. le ministre. …qui a donné à l’Autorité de la concurrence le pouvoir d’injonction structurelle outre-mer. Or ce pouvoir d’injonction ne permet pas à l’Autorité de caractériser une infraction. C’est bien pourquoi le mot « abus » n’est pas employé. La notion figurant dans le code de commerce, le texte serait redondant. Il s’agit de s’appuyer sur un faisceau d’éléments, comme les prix et les marges tels que définis dans l’article. Le facteur principal n’est pas le nombre, mais la part de marché, critère retenu dans l’article, comme il l’avait été dans la loi Lurel. Les remèdes ne sont pas forcément la cession demandée par l’Autorité. L’entreprise peut aussi modifier ses pratiques.

L’article prévoit un contradictoire, durant lequel liberté est laissée à l’entreprise de revenir à une politique de prix ou de marges qui reviennent aux normes de marché. Aujourd’hui, lorsqu’il y a un écart de prix injustifié de 15 à 20 % entre deux zones de chalandise, si observation est faite à l’enseigne qui a une politique de prix abusive de revenir à une politique de prix plus normale, aucune injonction ne lui sera faite. Elle pourra porter des justifications dans le cadre du contradictoire. Il peut donc y avoir une part de marché élevée, sans qu’il y ait forcément abus caractérisé. L’objectif de ce texte est de corriger des situations où l’on pratique de manière injustifiée des marges ou des prix abusifs, alors qu’il n’y a objectivement pas de risque de politique industrielle.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable aux deux amendements.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Nous sommes à front renversé, car ces principes d’injonction structurelle, d’essence très libérale, nous viennent de pays anglo-saxons. Les États-Unis et la Grande-Bretagne les mettent en œuvre en cas de position dominante. Les Britanniques ont pris des positions très fortes pour réinstaurer la concurrence dans des endroits où s’étaient constitués des monopoles.

Le principe d’injonction structurelle, mis en place par la loi du 4 août 2008, a été introduit au motif d’abus de position dominante. Du coup, l’Autorité de la concurrence n’a jamais pu intervenir parce qu’elle n’a jamais pu se saisir d’un dossier en ayant la preuve a priori qu’il y avait abus de position dominante.

Aujourd’hui, il s’agit de revenir à une notion qui lui permette de se saisir d’un dossier, et donc, d’interpeller une entreprise qu’elle soupçonne d’abus de position dominante, de commencer à dialoguer avec elle dans une approche graduelle et contradictoire, de mettre en œuvre des mesures négociées, ou d’aller plus loin et, au bout de la procédure, de mettre en place l’injonction structurelle, c’est-à-dire lui demander de se séparer d’actifs.

La notion de préoccupation de concurrence existe bel et bien. C’est une notion juridique, introduite par le droit européen, qui figure dans le droit français à l’article L. 464-2 du code de commerce et qui permet à l’Autorité de la concurrence d’entrer dans un dossier.

Enfin, si l’Autorité de la concurrence a un comportement abusif, elle peut toujours être attaquée en justice. On peut former un recours contre ses décisions et ses injonctions éventuelles devant la juridiction administrative.

Mon seul souci, monsieur le ministre, est d’éviter l’excès de zèle, en particulier à l’égard des petites structures commerciales et des positions dominantes indubitables, dans des endroits où l’on ne peut pas faire autrement. Les exemples sont nombreux de villes ou de villages dans lesquels il y a une seule enseigne indéniablement en position dominante, parce qu’il n’y a pas de marché. Il conviendrait peut-être de préciser s’il s’agit ou non d’une zone de marché concurrentiel.

Je suis défavorable aux amendements.

M. le président François Brottes. Ce secteur, à l’inverse d’autres secteurs, est en quelque sorte régulé en amont puisqu’il faut une autorisation pour exercer. Par conséquent, toute comparaison avec des secteurs où il n’y a pas besoin d’autorisation pour exercer est, me semble-t-il, nulle et non avenue dans notre débat.

M. Olivier Carré. L’intention du Gouvernement me préoccupe moins que les modalités d’application. Ce qui me fait peur, c’est l’introduction de critères mathématiques, je pense aux 50 % de parts de marché d’une zone de chalandise qui n’est pas définie, qui sera à géométrie variable et sur laquelle il faudra se justifier. Tous ces éléments vont introduire une subjectivité que l’on va chercher à objectiver, ce qui est toujours extrêmement périlleux et source de contentieux. J’estime pour ma part que cela affaiblit le droit actuel et j’aimerais savoir en quoi, à vos yeux, monsieur le ministre, cela le renforce.

M. Daniel Fasquelle. Ce débat me rappelle celui que nous avons eu sur la loi Lurel. Nous avions fait savoir, à l’époque, notre réticence à l’égard de ce texte, et développé les mêmes arguments qu’aujourd’hui. On nous avait répondu que ces dispositions étaient exceptionnelles, qu’elles resteraient cantonnées à l’outre-mer et qu’il ne serait pas question de les appliquer en métropole, que c’était en raison de la spécificité des marchés outre-mer que l’on prévoyait ces dispositions nouvelles et les pouvoirs particuliers donnés à l’Autorité de la concurrence. J’aimerais savoir ce qui a évolué depuis le débat sur la loi Lurel pour que, tout à coup, ce qui devait être réservé à l’outre-mer en raison des spécificités de ses marchés s’applique en métropole.

Par ailleurs, monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des éléments sur l’efficacité du dispositif outre-mer ? Et, s’il n’a pas été efficace outre-mer, pourquoi le reproduire en métropole ?

Pour le reste, le texte est flou et sera difficile à appliquer. Il est donc dangereux. L’article 11 mentionne l’existence d’une position dominante et, quatre lignes plus loin, fait état d’une part de marché supérieure à 50 %. Est-on, au-delà de 50 %, automatiquement en situation de position dominante ou faut-il cumuler les deux critères ? Ce n’est pas clair.

Ensuite, on nous parle de marges et de prix « élevés », qu’il est difficile de définir car c’est très subjectif. Que ce soit avant ou après 2012, nous avons souvent eu des débats sur les marges, en particulier celles de la grande distribution. Ce sont des débats très complexes, et tous ceux qui se sont attaqués au problème ont eu beaucoup de mal à cerner la réalité, et donc, à définir les marges.

Ce qui m’inquiète, c’est que les marges vont être calculées par rapport au secteur économique concerné. Cela veut dire qu’on va traiter de la même façon les commerces et les marges en région parisienne et au fin fond du Cantal ou du Pas-de-Calais. On va prendre le même point de repère pour l’ensemble du territoire national, alors que les difficultés d’acheminement, le nombre de clients sur place et le périmètre géographique sont très différents, ce qui justifiait que nous ayons une réglementation à part pour l’outre-mer. Vouloir, en métropole, traiter de la même façon territoires urbains et ruraux n’a aucun sens. Cela me semble même très dangereux.

En 2008, nous avions prévu les injonctions structurelles pour mettre fin aux situations de position dominante ou de monopole, qui posent effectivement problème. Il y a deux leviers sur lesquels il faut jouer. Le premier, c’est l’urbanisme commercial. C’est en déverrouillant l’urbanisme commercial et en permettant à des concurrents de s’implanter que l’on tirera les prix vers le bas. Je crois dans la concurrence, mais faites en sorte qu’il y ait de nouveaux concurrents ! Pour ce qui concerne les injonctions structurelles, il faut redéfinir la notion de position dominante, mais pas comme vous le faites, dans un texte flou et extrêmement dangereux pour les acteurs économiques.

M. le président François Brottes. De nouveaux concurrents dans un espace limité et contraint, monsieur Daniel Fasquelle, vous conviendrez que l’exercice est un peu difficile !

M. Julien Aubert. Selon les territoires dont nous sommes issus, nous avons une perception différente du problème. Je crains que l’article 11 n’ait été pensé pour des zones essentiellement urbaines ou métropolitaines, et j’ai beaucoup de mal à en voir la réalité dans un territoire très rural, comme le mien.

S’agissant de la rétention de valeur ajoutée, le problème, pour moi, c’est que les distributeurs massacrent les producteurs en récupérant une grande partie de la valeur ajoutée.

Le problème de la concurrence ne se situe pas au niveau des grandes enseignes, il est entre les centres-villes ruraux et les grandes enseignes, avec l’impact délétère que cela peut avoir. Vous dites qu’il y a un problème de concurrence. Ce n’est pas ce que nous constatons. D’abord, les gens n’hésitent pas, en milieu rural, à faire 30 ou 40 kilomètres pour se rendre dans une autre zone de chalandise si c’est moins cher. Par ailleurs, pour des articles de détail, il est toujours possible, à l’heure de l’internet, de contourner un accord commercial qui aurait été conclu pour tenir des prix élevés, en ayant un accès direct à des produits moins chers.

Enfin, si cet article est voté en l’état, je crains l’explosion du nombre de contentieux, sans parler du critère quelque peu flou de la « zone de chalandise ». Il peut y avoir un problème dans certaines parties du territoire. Il est évident qu’il y a des zones très spécifiques, notamment lorsqu’on peut difficilement voyager, comme outre-mer ou en montagne, mais je resterais très prudent pour ce qui est de la formulation, parce que je crains que le dispositif ne s’applique pas partout en France.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, je comprends votre volonté de remettre les pendules à l’heure, s’agissant des consommateurs. Mais il y a un cas de figure auquel vous n’avez sans doute pas pensé, celui des circuits courts, qui ne sont pas réservés au maraîchage et aux produits bio.

Un fabricant de meubles ou d’outillage, par exemple, peut avoir envie de monter sa propre enseigne. Dès lors qu’il fait de la qualité, il peut fort bien devenir leader dans sa filière, mais pas dominant. C’est une mauvaise façon de voir un entrepreneur : parce qu’il est premier, il serait dominant, et parce qu’il est premier, il faudrait le ralentir. Toute filière a besoin d’une locomotive. Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai jamais constaté qu’il était efficace, dans une filière, de ralentir la locomotive pour que le wagon de queue roule à côté. C’est le déraillement assuré ! Vous voulez assister ceux qui sont dans la même filière et qui produisent moins bien. Je pense, au contraire, que la concurrence stimule, tandis que l’assistanat démotive. C’est le nivellement par le bas.

Dans une commune, une grande surface, propriétaire du terrain, décide de changer d’emplacement. Elle veut vendre son terrain à la ville, en imposant des conditions. Dans ce cas de figure, on a besoin de l’Autorité de la concurrence, qui a été créée précisément pour qu’il y ait de la concurrence. Or vous vous servez d’elle pour qu’il n’y en ait plus. Là est la différence entre vous et nous. Je me demande, monsieur le ministre, comment un jeune Français qui monterait une enseigne pourrait avoir l’ambition de devenir milliardaire ! (Sourires.)

M. le président François Brottes. Je ne suis pas sûr que vous ayez bien compris le sens du texte…

M. Philippe Houillon. Nous ne pouvons pas clore ce débat, monsieur le ministre, sans que vous nous donniez votre définition juridique de la préoccupation de concurrence. Si vous n’y parvenez pas, je crains que nous n’ayons quelque souci d’ordre constitutionnel.

Le rapporteur thématique apporte de l’eau à mon moulin, car l’économie générale de cet article aboutit, en cas de non-respect, à des sanctions. Et quand il y a sanction, il doit y avoir, même si nous ne sommes pas en matière de droit pénal, une incrimination précise parce que les incriminations et les sanctions sont de droit étroit. Cela veut dire, pour parler clair, que nous attendons une définition.

Quand vous dites, monsieur le rapporteur thématique, que l’article L. 464-2 traite déjà de « préoccupations », vous avez raison. Mais ce sont des préoccupations rattachées à des critères et à des actes de concurrence prohibés. Dans ce texte, les articles qui prohibent ces actes de concurrence sont expressément visés. Je le cite : « …de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées… ». Il y a bien, dans cet article, une référence aux préoccupations de concurrence, mais elle est, conformément aux exigences constitutionnelles, rattachée à des pratiques prohibées. Votre texte comporte seulement quelques références à un quantum et aboutit, si les différentes injonctions ne sont pas respectées, à une sanction. Il faut, monsieur le ministre, que vous précisiez juridiquement ce qu’est ce type de préoccupation non raccrochée à une définition de pratique prohibée définie par des articles, comme c’est le cas pour l’article L. 464-2.

M. Patrick Hetzel. Lorsque la question de l’injonction structurelle a été débattue lors de l’examen du projet de loi Lurel, nous étions plusieurs à demander si le texte se limitait à l’outre-mer ou s’il y avait une volonté d’extension. À l’époque, le Gouvernement avait clairement répondu que, s’agissant d’un contexte de marché très particulier, le texte serait limité à l’outre-mer.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur thématique, vous dites à juste titre que les autorités de la concurrence existent dans des pays à vision libérale. Par contre, que font ces pays ? Ils définissent le concept d’abus de position dominante. Mais vous voulez aller plus loin, et c’est le problème dont nous débattons. L’abus de position dominante est un concept que nous pouvons entendre, mais ce que vous dites aujourd’hui, c’est que dès lors qu’il y a 50 % de parts de marché et des pratiques de prix et de marges élevés, il y a l’injonction structurelle.

Or ce que disent les économistes, c’est qu’on peut se retrouver dans ces conditions sans qu’il y ait le moindre abus. Il est normal qu’il puisse y avoir des actions en cas d’abus. Mais, avec cet article, même s’il n’y a pas abus, la procédure pourra être enclenchée. Votre vision, monsieur le ministre, est très restrictive et vous allez freiner l’entrepreneuriat dans notre pays, ce qui va à l’inverse de vos déclarations.

La Commission rejette les amendements SPE232 et SPE314.

La Commission examine l’amendement SPE1260 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. L’article L. 752-26 du code de commerce permet le contrôle a posteriori, classique, d’un abus. Or les dispositions que vous nous proposez prévoient un contrôle a priori, en fonction de la notion de préoccupation concurrentielle dont nous avons parlé tout à l’heure.

Si nous voulons être efficaces, les dispositions de l’article L. 752-26 ne doivent pas être abrogées, faute de quoi nous nous priverions d’une arme qui, si elle n’a pas toujours été efficace, peut ordonner, en droit, la modification de contrats entre le commerce de détail et ses partenaires.

M. le ministre. La disposition proposée me paraît inutile, dans la mesure où le régime nouveau permet d’appréhender l’ensemble des cas. Il semble donc incohérent de laisser coexister deux procédures distinctes pour appréhender les mêmes situations économiques.

Avis défavorable.

M. Joël Giraud. Je ne suis pas totalement convaincu, mais je retire l’amendement.

L’amendement SPE1260 est retiré.

La Commission est saisie des amendements identiques SPE229 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE311 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je conteste l’argumentation du ministre qui laisse à penser qu’il n’y a pas sanction. Il s’agit bel et bien d’une sanction, qui peut être prise, qui plus est, en fonction d’éléments de pure appréciation, puisqu’il n’y a pas d’éléments objectifs dans la loi. Je le redis après mon collègue Philippe Houillon, nous sommes ici dans une démarche à caractère pénal, en dehors de toute référence objective. Donc, admettons qu’au sens large on puisse parler de sanction, en dehors de toute de constitution préalable d’une infraction comme de tout critère objectif puisqu’il s’agit de l’appréciation subjective d’une autorité indépendante, et en dehors de toute règle de droit puisque la notion d’abus ne figure pas dans le texte – nous avons bien compris pourquoi. J’ai presque envie de demander au ministre si ces deux alinéas visent particulièrement les entreprises de grande distribution. Bien entendu, il dira que non, mais tout le monde sait que la réponse est oui.

Nous voulons supprimer cet alinéa pour éviter de faire subir à des entreprises des sanctions sur la base d’éléments qui manquent totalement d’objectivité, étant entendu qu’elles s’exposeraient à ces sanctions après avoir atteint une position qui n’est pas répréhensible en tant que telle.

M. Arnaud Richard. Monsieur le ministre, nous avons légiféré, il y a quelques années, sur un sujet difficile pour l’outre-mer. Vous essayez d’appliquer le même principe à l’ensemble de la France. Soit. Pour autant, lorsqu’on lit sérieusement l’étude d’impact, on se rend compte que vous n’allez mettre en œuvre ce texte que pour le commerce alimentaire à Paris. S’agit-il de légiférer pour toute la France, alors que le problème se pose seulement pour le commerce alimentaire à Paris ?

M. le ministre. La philosophie de ce texte est de déverrouiller et de créer plus de concurrence. Nous voulons ouvrir la possibilité de réguler dans des situations, sans abus, de position dominante, qui conduisent à des pratiques excessives. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de start-up innovantes ni d’entreprises qui font face à la mondialisation, mais d’effets de rente qui se sont créés dans notre tissu économique, effets qui sont mauvais non seulement pour les consommateurs, mais aussi, parfois, pour les fournisseurs, c’est-à-dire pour les producteurs.

Cette situation constitue un quasi-monopole des distributeurs, qui peuvent alors pressurer les fournisseurs. C’est pourquoi nous ne visons pas seulement la pratique des prix, mais aussi celle des marges. Lorsqu’on n’a pas de prix excessifs, mais des marges anormalement supérieures et non justifiées par le prix du foncier, c’est qu’on pressure ses fournisseurs et qu’on peut le faire. Ce sont ces pratiques que nous visons.

Je tiens à vous rassurer, monsieur le député, les études d’impact ne peuvent pas être exhaustives. Celle dont vous parlez est déjà trop longue. Paris est visé, mais il y a d’autres cas qui, sans se situer outre-mer, n’en sont pas moins insulaires, je n’ai pas peur de le dire… On le tait trop souvent, y compris dans mes services. Donc, ces pratiques existent. Faudrait-il pour autant les taire ? Non.

Juridiquement, il s’agit d’une situation qui n’est pas un abus de position dominante, mais qui n’est pas non plus simplement caractérisée par le fait d’avoir plus de 50 % de parts de marché. Donc, le passage de 49 à 51 % ne suffit pas, puisque le texte fait référence au fait de pratiquer des prix ou des marges élevés par rapport à la moyenne.

Le raisonnement est juridiquement solide et le Conseil d’État a validé ce texte dans son intégralité, sans états d’âme.

M. Philippe Houillon. C’est bien dommage !

M. le ministre. Vous pouvez avoir les vôtres, certaines enseignes – je ne citerai pas de noms – peuvent légitimement avoir les leurs. Elles m’ont appelé, comme vous sans doute, pour m’en faire part. Ce dispositif a vocation à corriger et à prévenir.

Je récuse également le raisonnement consistant à dire que nous sommes dans un mécanisme quasi pénal assorti d’une sanction. L’entreprise peut proposer des engagements sur la base des analyses qui sont faites, et ce n’est qu’à l’issue d’un contradictoire que l’Autorité de la concurrence peut lui enjoindre de procéder à la cession d’actifs. Il ne s’agit en aucun cas d’une expropriation ou d’une amende.

J’émets un avis défavorable aux amendements.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je suis également défavorable aux amendements.

Si l’on regarde la carte de France de l’implantation du commerce de détail, il saute aux yeux qu’il existe une sorte de partage du territoire – je ne sais pas s’il y a des ententes, ce n’est pas à moi de le dire –, avec des positions notoirement dominantes.

Du fait de votre expérience locale, vous êtes nombreux à être au courant des stratégies d’entrave foncière. Certaines enseignes achètent du terrain alentour sans rien y construire, dans le seul but d’éviter que l’on vienne s’implanter à proximité. L’injonction structurelle permettrait une cession d’actifs, par exemple de terrains, pour éviter l’entrave foncière.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, votre idée est louable, mais vous ne savez pas vraiment comment les choses fonctionnent sur le terrain. Dès lors qu’on veut ralentir un distributeur, que ce soit de façon réglementaire, normative ou législative, c’est le producteur qui trinque. Votre procédure permettra peut-être à un petit commerçant de résister, mais vous finirez par tuer la production dans notre pays.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le président, le ministre a sous-entendu à deux reprises que nous nous faisions les porte-parole de telle ou telle enseigne ou de tel ou tel lobby. C’est inadmissible ! Nous sommes les députés de la nation et nous pouvons être en désaccord avec votre texte, monsieur le ministre, sans nous faire les porte-parole de qui que ce soit. Je n’ai reçu personne, je n’ai eu aucun coup de téléphone, et cela ne m’a pas empêché de développer mes arguments devant cette commission. C’est la même chose pour mes collègues.

J’en reviens à votre texte qui, en réalité, rétablit le contrôle des prix. En 1945, on avait mis en place, en France, le contrôle des prix. C’est grâce à l’ordonnance du 1er décembre 1986 que l’on a terrassé l’inflation en introduisant la liberté des prix dans notre pays. Votre texte, monsieur le ministre, est un formidable retour en arrière. Chassez le naturel, il revient au galop ! Pour notre part, nous disons non au contrôle des prix et oui à la concurrence.

M. Julien Aubert. Je ne suis pas un député assez important pour avoir été appelé par de grandes enseignes, que, du reste, je combats généralement sur le terrain. Je cherche plus à limiter les grandes surfaces commerciales qu’à les aider.

Cela étant, monsieur le ministre, je comprends ce que vous cherchez à accomplir. Et à la limite, pourquoi pas ? Mais j’ai l’impression qu’on est en train de fabriquer un filtre extrêmement large qui pourra s’appliquer à toutes sortes d’entreprises pour attraper un type de squale que vous avez en ligne de mire dans certaines zones. Votre dispositif est trop large, et du coup, il peut s’appliquer à n’importe quelle entreprise. À Carpentras, il y a un seul magasin de bricolage. En lisant votre texte, j’ai l’impression qu’il pourrait être concerné. Si vous voulez limiter ce dispositif à des zones ultra-urbaines ayant des caractéristiques très particulières, pourquoi ne pas faire un focus plus réduit, de façon à cibler plus précisément les établissements ?

En réalité, c’est l’Autorité de la concurrence qui va décider ce qui pose ou non des problèmes de concurrence. Il y a, certes, des éléments concrets et arithmétiques dans cet article, mais tout va reposer sur l’interprétation de l’Autorité de la concurrence, à laquelle on donne en quelque sorte un blanc-seing.

M. le président François Brottes. Pour répondre à Daniel Fasquelle – je suis plus habitué que d’autres à sa véhémence –, le ministre n’a jamais accusé personne d’avoir eu des contacts particuliers avec tel ou tel d’entre nous. Il a dit avoir lui-même rencontré les acteurs. Cela ne constitue pas, de mon point de vue, une mise en cause de quelque nature que ce soit.

La Commission rejette les amendements SPE229 et SPE311.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1176 des rapporteurs.

La Commission en vient aux amendements identiques SPE227 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE309 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Malgré les explications du ministre et du rapporteur thématique, nous persistons à penser que la formulation actuelle de l’alinéa 2 ne donne pas aux entreprises la sécurité juridique suffisante pour savoir à quel moment elles seraient susceptibles de subir les foudres de l’Autorité de la concurrence.

Nous essayons, par cet amendement, de remettre de l’objectivité dans un dispositif, qui, sans cela, mettra en situation d’insécurité à la fois les entreprises concernées, votre texte même, monsieur le ministre, et l’Autorité de la concurrence. Tout cela en douze lignes !

Pour cette raison, nous voulons réintroduire dans le texte la notion d’abus de position dominante afin que les entreprises concernées puissent se raccrocher à quelque chose qui ait un caractère d’objectivité, fût-il minime. Il n’y a rien de pire, pour une entreprise, que de ne pas savoir à quel régime elles sont soumises, ce qu’elles ont le droit de faire et à partir de quand elles peuvent courir un risque. Le boulot d’un chef d’entreprise – ce que j’ai été –, c’est de savoir où commence la zone à risque. Je pense que nous ferions œuvre d’utilité publique en mettant un peu d’objectivité dans cet alinéa.

M. le ministre. J’ai déjà répondu sur le fond : l’abus de position dominante et la situation de position dominante, qui se caractérisent par des prix ou des marges supérieurs à la moyenne et que nous visons dans le cadre de l’injonction structurelle, sont deux choses très différentes. Le distinguo entre les deux notions a été validé juridiquement par le Conseil d’État. D’autre part, l’entreprise en situation de position dominante ne se verra pas infliger d’amende ou de sanction : elle pourra proposer des engagements, qui feront l’objet d’un échange avec l’Autorité de la concurrence. Certes, la procédure pourra aboutir à une cession d’actifs contrainte, mais le produit de celle-ci en reviendra à l’entreprise. Le dispositif est donc le même que dans le cadre du contrôle des concentrations. Avis défavorable sur ces deux amendements, qui visent à assimiler l’injonction structurelle à des mécanismes déjà existants.

M. le rapporteur général. Les abus de position dominante sont déjà sanctionnés. L’objectif de l’injonction structurelle est autre : rétablir une concurrence qui fait défaut dans une zone de chalandise donnée sans que tel ou tel opérateur ait nécessairement commis une faute. Dans le secteur de la distribution alimentaire, les six principaux groupes détiennent une part de marché de 85 %. Il nous semble donc justifié de créer une procédure spécifique.

Au-delà de ces arguments, qui suffisent de notre point de vue pour rejeter les deux amendements, je relève un paradoxe : ceux à qui on reproche trop souvent de préférer l’économie administrée souhaitent rétablir une concurrence suffisante, tandis que ceux qui sont réputés libéraux se révèlent essentiellement conservateurs !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous faisons du droit, monsieur le rapporteur général !

M. le rapporteur général. Pour notre part, nous faisons non pas du droit, mais de la politique ! (Exclamations de plusieurs commissaires du groupe UMP) Telle est notre fonction, et nous l’exerçons avec dignité et fierté ! Vous l’aviez d’ailleurs compris. Mais si cela va sans dire, cela va encore mieux en le disant !

Lorsque la concurrence est de facto défaillante, les producteurs ne peuvent pas valoriser leur production, et les consommateurs ne retirent pas les bénéfices attendus de la concurrence. La mesure proposée – qui peut, certes, paraître à front renversé culturellement – est donc une mesure de progrès. Elle va permettre de faire cesser des situations de quasi-monopole qui lèsent tant les producteurs que les consommateurs. Certains invoquent le terrain et voudraient purement et simplement conserver l’existant. Cependant, nous venons tous du terrain, car nous sommes tous élus dans des circonscriptions, et nous sommes au fait de la réalité économique. Or nous savons très bien que le rétablissement d’une certaine concurrence serait bénéfique à la fois pour les producteurs et pour les consommateurs. Tout ce qui vise à entraver la mesure proposée me paraît donc contraire à l’intérêt général. Avis défavorable sur ces deux amendements.

M. Alain Tourret. À un moment donné, les grandes enseignes se sont réparti le territoire français : chacune s’est assuré la prééminence dans telle portion du territoire ou dans tel secteur, en invoquant une raison historique ou un accord local, voire en promettant de ne pas s’implanter sur tel marché étranger. Cela n’a pas été nécessairement un abus de position dominante : l’accord de partage a abouti à une situation de position dominante, qui a été acceptée dans les faits.

Dès lors, le problème est le suivant : quels pouvoirs attribuer à l’Autorité de la concurrence pour que les entreprises concernées renoncent à cette situation de position dominante, qui est en réalité un abus de position dominante qui ne dit pas son nom ? Une des solutions consiste, après avoir établi l’existence d’accord de partages entre les entreprises, à leur interdire tel contrat ou telle alliance, à charge pour elles de démontrer dans un délai fixé, le cas échéant sous astreinte, qu’elles ont renoncé à la situation en cause et contribué, par-là même, à rétablir un peu de concurrence, au profit du consommateur – toute position dominante étant par nature préjudiciable à ce dernier.

À partir de là se pose la question des sanctions. S’agissant de l’abus de position dominante, dans le cas où les injonctions de l’Autorité de la concurrence ne sont pas respectées, l’article L. 464-2 du code de commerce prévoit des sanctions extrêmement lourdes : jusqu’à 3 millions d’euros si le contrevenant n’est pas une entreprise et, pour une entreprise, jusqu’à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial le plus élevé réalisé au cours d’un exercice antérieur – ce qui peut faire plusieurs dizaines de milliards d’euros, même si l’Autorité de la concurrence n’est jamais allée jusque-là. Certains s’étonnent parfois du montant des sanctions infligées, mais il faut les rapporter aux maximums qui ont été fixés par le législateur.

Monsieur le ministre, vos services ont-ils étudié une carte sur la base de laquelle il serait possible d’intervenir ? D’autre part, dans le cas où les grandes enseignes refuseraient de se conformer aux injonctions, ont-ils évalué le montant des sanctions qui pourraient être prononcées par l’Autorité de la concurrence au profit de l’État ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Vous avez dit, monsieur le ministre, qu’il n’y aurait pas de sanction. Cependant, en cas de position dominante, une entreprise pourra être amenée à céder une partie de ses actifs. Or, lorsqu’une entreprise cherche à emprunter, le banquier ne la regarde pas du même œil si elle a moins d’actifs. Contraindre une entreprise à céder des actifs, c’est l’affaiblir ou la ralentir. Vous avez déclaré, monsieur le rapporteur général, que vous faisiez non pas du droit, mais de la politique. En tout cas, votre projet est tout sauf économique !

Chaque fois que l’on essaie de bloquer un distributeur, celui-ci garde de toute façon la même marge et c’est, au bout du compte, le producteur qui est perdant. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles une partie de la production a disparu dans notre pays. Ainsi, pour fabriquer des plats cuisinés, on a intérêt à utiliser des ailerons de poulet produits en Argentine plutôt qu’en France. Le patriotisme économique, que cherchait à promouvoir M. Arnaud Montebourg, a un coût : compte tenu des règles imposées aux entreprises par le code du travail et, partant, du coût du travail, acheter français revient de toute façon plus cher. En outre, si vous demandez aux distributeurs de vendre moins cher, vous allez certes favoriser le consommateur, mais celui-ci risque de perdre son emploi dans l’usine qui fournit les distributeurs !

M. Philippe Houillon. Monsieur le rapporteur général, les libéraux organisent l’exercice des libertés au moyen de la loi. Par ailleurs, vous venez de déclarer que le droit ne vous préoccupait guère. Je comprends mieux, dès lors, la teneur des articles qui suivent !

Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le ministre, qu’il n’y aura pas de sanction. Certes, il n’y aura pas d’amende pénale – le texte que nous examinons ne relève pas du droit pénal –, mais il y aura bien une sanction pécuniaire. La dernière phrase de l’alinéa 4 l’énonce d’ailleurs clairement : « L’Autorité de la concurrence peut sanctionner l’inexécution de ces injonctions dans les conditions prévues à l’article L. 464-2 du code de commerce », c’est-à-dire infliger des sanctions pécuniaires.

M. Jean-Yves Caullet. Il est toujours utile d’examiner la situation dans les pays voisins. Or, dans presque tous les pays d’Europe, à l’exception de deux ou trois d’entre eux, dont la France, le nombre de chaînes de grande distribution a été réduit à un ou deux. Nous risquons de connaître une évolution analogue : si nous laissons s’installer ce système de partage des territoires et que nous n’entretenons pas une forme d’émulation et de concurrence, chaque opérateur essaiera de croître et de grignoter du terrain au détriment de l’autre, et les concurrents disparaîtront un à un. Même si cela peut paraître paradoxal, la mesure proposée est vitale pour préserver une certaine diversité au sein des chaînes de grande distribution en France. Cette diversité existe encore, mais nous pourrions très bien la perdre si nous nous en tenons à une vision statique des choses. Je soutiens donc la mesure.

La Commission rejette les amendements SPE227 et SPE309.

Puis elle examine les amendements identiques SPE228 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE310 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’ai écouté avec attention les arguments du rapporteur général. Le principal défaut de l’alinéa 2 est – outre l’intention qu’il traduit – sa rédaction. Selon nous, cette rédaction devrait comporter davantage de critères objectifs afin d’éviter de donner à l’Autorité de la concurrence tout pouvoir pour apprécier les situations. Au vu de son amendement SPE1177 que nous allons examiner ensuite, le rapporteur général lui-même considère que les entreprises devraient être informées des faits qui leur sont reprochés. Cela prouve bien que l’article 11 manque infiniment de précision !

Monsieur le ministre, ainsi que l’a expliqué précédemment le rapporteur thématique, vous avez importé dans ce projet de loi la notion de « préoccupations de concurrence » qui figure à l’article L. 464-2 du code de commerce. Cependant, les « préoccupations » de l’Autorité de la concurrence visées à l’article L. 464-2 portent sur des faits prohibés qui font l’objet d’une définition stricte. Or, en l’espèce, le cadre est tout à fait différent, puisqu’il n’existe pas d’interdiction objective : aucun texte n’interdit à une entreprise de détenir plus de 50 % de parts de marché – dans un secteur qui n’est d’ailleurs pas défini par le texte – ni de pratiquer des marges élevées. C’est en cela que la rédaction de l’article 11 est fragile.

Je le répète : avec nos amendements successifs, nous voulons faire en sorte que les chefs d’entreprise connaissent les zones de risque. En remplaçant le terme « élevés » par « abusifs », nous apporterions une précision qui fait cruellement défaut à la rédaction actuelle.

M. Patrick Hetzel. Nous souhaiterions nous en tenir à l’abus de position dominante, comme dans d’autres pays. Pour votre part, vous voulez aller plus loin. En 2012, nous étions déjà très dubitatifs quant à la pertinence de l’injonction structurelle outre-mer ; nous avions avancé un certain nombre d’arguments à cet égard. Or nous ne disposons pas encore du recul nécessaire sur la mise en œuvre de cette mesure. Il nous paraît donc à tout le moins prématuré de suivre une telle logique.

M. le ministre. Le problème est le même que précédemment : si nous ajoutons le qualificatif « abusifs », nous tombons dans le registre de la sanction pécuniaire. Or telle n’est pas la philosophie que nous avons retenue. Le mécanisme que nous proposons est identique à celui qui figure à l’article L. 752-27 du code de commerce, introduit par la loi Lurel : l’Autorité de la concurrence examinera à la fois les parts de marché et les pratiques, et pourra faire part de ses préoccupations de concurrence ; ensuite, au regard des éventuels engagements proposés par les entreprises, elle pourra retirer ses observations ou les maintenir ; dans ce second cas sera engagée une procédure contradictoire, qui pourra aboutir à une cession d’actifs contrainte, mais dont le produit sera conservé par l’acteur économique. Je le répète : il n’y aura pas d’amende. Avis défavorable sur ces deux amendements.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Dans les cas visés par l’article 11, l’abus de position dominante n’est pas constitué. L’article n’introduit pas une infraction, mais décrit une procédure motivée et contradictoire, qui peut aboutir, après des échanges de données et une tentative de conciliation, à une injonction structurelle. Définir une nouvelle infraction serait non seulement plus sévère, mais réduirait aussi la capacité d’action de l’Autorité de la concurrence : actuellement, dans le cadre de la loi de 2008, celle-ci ne peut pas accuser une entreprise d’abus de position dominante sans avoir ouvert au préalable un dialogue avec elle ni instruit le dossier. Avis défavorable à ces deux amendements, qui visent à faire de l’obstruction.

La Commission rejette les amendements SPE228 et SPE310.

Puis elle est saisie de l’amendement SPE1177 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement vise à répondre à l’une des observations constantes de l’opposition : l’Autorité de la concurrence devra faire connaître, dès le début de la procédure, les éléments qui fondent ses « préoccupations de concurrence », notamment son estimation de la part de marché et du niveau des prix ou des marges.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1177, puis l’amendement rédactionnel SPE1175 des rapporteurs.

Puis elle examine les amendements identiques SPE230 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE312 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je regrette que le rapporteur thématique considère que nous faisons de l’obstruction, alors que nous essayons d’introduire un peu de rigueur et de précision dans ce texte. D’autant qu’il a lui-même déposé un amendement dans l’esprit de ceux que nous défendons. C’est aussi une forme d’obstruction, mais je le remercie de s’associer à notre démarche.

Selon les rapporteurs, dans le cas où un grand distributeur pratique l’entrave foncière – cela arrive parfois –, l’article 11 permettrait à l’Autorité de la concurrence de réduire cette entrave en le contraignant à céder des terrains. Or rien de tel n’est spécifié dans le texte. Donc, non seulement le texte est mal écrit et tend à conférer des pouvoirs abusifs à l’Autorité de la concurrence, mais il n’est pas suffisamment précis pour être efficace. La meilleure solution serait donc de supprimer l’alinéa 3.

M. Patrick Hetzel. Les approximations que contient ce projet de loi posent problème. Nous proposons de supprimer l’alinéa 3. Vous vous êtes d’ailleurs vous-même senti obligé de préciser la rédaction de cet alinéa, monsieur le président, ainsi que nous allons le voir avec votre amendement suivant.

M. Olivier Carré. L’article 752-27 du code de commerce fait référence à des territoires insulaires. En revanche, la zone de chalandise mentionnée à l’alinéa 3 n’est pas définie. Comment ces zones seront-elles délimitées ?

M. le ministre. Les zones de chalandise ont été définies par l’Autorité de la concurrence à plusieurs reprises. Nous nous appuyons sur une cartographie qui a été rendue publique et que nous allons vous faire parvenir.

Avis défavorable sur les deux amendements : sans la définition qui figure à l’alinéa 3, le mécanisme prévu par l’article 11 ne serait pas suffisamment robuste.

Quant à l’amendement déposé par le président François Brottes, il vise non pas à préciser les notions de part de marché ou de zone de chalandise, mais à rendre la procédure prévue à l’article 11 encore plus ambitieuse.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la Commission rejette les amendements SPE230 et SPE312.

M. Daniel Fasquelle. Vous avez affirmé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, qu’il n’était pas question de sanctions. Or l’article 11 renvoie à l’article L. 464-2 du code de commerce, lequel prévoit précisément des sanctions pécuniaires en cas de non-respect des engagements. D’autre part, le rapporteur thématique et vous-même nous avez expliqué que la procédure que vous proposez ne vise nullement à sanctionner des ententes ou des abus de position dominante. Mais l’article L. 464-2 s’applique aussi aux ententes et aux abus de position dominante.

Pour le reste, nous condamnons votre logique qui est celle – que vous le vouliez ou non – de l’économie administrée. À cet égard, votre démonstration ne m’a pas convaincu, monsieur le rapporteur général. Chacun est bien dans son rôle : partant du constat que les prix sont trop élevés, vous voulez instaurer un contrôle des prix. Pour notre part, nous avons une autre démarche : nous nous intéressons à la structure des marchés. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’interdiction des ententes. L’un d’entre vous a affirmé tout à l’heure qu’il y avait eu une entente entre les grands distributeurs. Si tel est le cas, identifions-la, puis condamnons-la.

Lorsqu’un dysfonctionnement du marché conduit à des abus, il convient de les sanctionner, mais en s’appuyant sur le droit commun. Et, si le droit commun ne suffit pas, il faut le faire évoluer comme nous l’avions fait. Cessez là encore de caricaturer notre position ! Nous avions souhaité qu’il y ait davantage de concurrence, car nous avions constaté, comme vous, des situations anormales : dans certains territoires, à la suite d’un certain nombre de concentrations, l’ensemble de la distribution est contrôlé par une seule enseigne, parfois sous différents noms.

Un moyen de mettre fin à ces situations est de lever le verrou foncier. Lorsque j’ai évoqué ce sujet tout à l’heure, le président François Brottes a souligné la difficulté d’attirer des concurrents supplémentaires dans certains territoires, mais le problème est plutôt le manque de terrains disponibles ou la pratique de certains opérateurs qui ont fait en sorte de contrôler le foncier. C’est un vrai sujet d’urbanisme commercial, et il faut se doter des outils pertinents.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. C’est bien ce que nous proposons !

M. Daniel Fasquelle. Non ! Le droit commun suffit ! Pour arriver à ce résultat, il n’est pas nécessaire de tordre le droit de la concurrence et d’imposer en métropole le « machin » que vous avez déjà mis en place outre-mer ! Certes, il faut revenir sur les concentrations là où c’est nécessaire, en obligeant le cas échéant certains opérateurs à céder des magasins, mais on peut parfaitement le faire en s’appuyant sur les règles relatives à l’abus de position dominante, quitte à en préciser la définition. Le biais que vous avez choisi, celui du contrôle des prix, en raisonnant à partir des zones de chalandise et des marges, déstabilise inutilement un droit de la concurrence déjà suffisamment complexe.

La Commission en vient à l’amendement SPE1615 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. Je me suis demandé à un moment, monsieur Daniel Fasquelle, si vous n’étiez pas rapporteur du texte ! Mais votre conclusion montre que tel n’est pas le cas. Par ailleurs, vous vous souvenez certainement que, six mois environ après le vote de la loi de modernisation de l’économie, votre majorité avait corrigé un certain nombre de ses dispositions, sous la pression du monde agricole, parce qu’elles allaient trop loin dans le sens de la dérégulation.

Quoi qu’il en soit, votre intervention m’amène à présenter mon amendement, qui soulève la question des centrales d’achat. Il y a deux aspects : la concurrence du point de vue des consommateurs, c’est-à-dire le nombre d’enseignes, et la concurrence du point de vue des fournisseurs. Or, dans certains territoires, il n’y a plus de concurrence possible du point de vue des fournisseurs : lorsqu’une centrale d’achat détient, avec toutes ses enseignes, le monopole sur un territoire donné, un fournisseur qui n’est pas référencé par cette centrale d’achat ne peut plus vendre ses produits sur ledit territoire. Outre la question du prix, celle du référencement par la centrale d’achat est donc déterminante.

Avec mon amendement, je propose que l’Autorité de la concurrence intègre cette dimension lorsqu’elle évalue la part de marché en préalable à une éventuelle injonction structurelle – la question se pose plutôt en amont qu’en aval. En tout cas, nous devons avoir une réflexion à ce sujet et le traiter. Le nombre de centrales d’achat, déjà limité, a encore diminué au cours de l’année 2014 : nous avons assisté à la fusion de deux d’entre elles. Telle est la logique des affaires, et je ne conteste pas l’intérêt que les acteurs économiques peuvent avoir à se rassembler. Toutefois, pour les fournisseurs qui souhaitent se faire référencer, le nombre de guichets s’en trouve réduit à la portion congrue. C’est donc un vrai problème. Jean-Charles Taugourdeau l’a d’ailleurs évoqué indirectement tout à l’heure, lorsqu’il a déclaré que ce sont finalement les producteurs qui paient les pots cassés.

Quel est votre point de vue à ce sujet, monsieur le ministre ? Le cas échéant, je suis prêt à retirer mon amendement, notamment si sa rédaction ne convient pas au regard de l’objectif que l’on cherche à atteindre. Mais il exprime une préoccupation légitime.

M. le ministre. Quant au fond, le Gouvernement partage le même objectif que vous, monsieur le président. Tout en se battant contre l’idée qu’ils se faisaient de l’article 11, plusieurs d’entre vous ont d’ailleurs souligné la nécessité d’aller plus loin que ce que nous proposons. Le véritable problème est en effet celui des grandes enseignes et de leur organisation, qui peut renforcer encore l’oligopole et pressurer les fournisseurs.

À ce stade, je ne suis pas en mesure de dire si l’amendement tel qu’il est rédigé répond en totalité au problème posé. Ayant été informé de la création de centrales d’achat communes, le Gouvernement a saisi l’Autorité de la concurrence et lui a demandé d’en étudier la mécanique. Le Sénat a fait de même. Dans la mesure où ces centrales d’achat ne sont pas des organisations capitalistiques, il est difficile de les contrôler de manière classique. Nous souhaitons observer comment les prix se forment en aval et évaluer les risques encourus. Je m’engage à communiquer le rapport de l’Autorité de la concurrence aux membres de la Commission et à discuter d’un amendement en séance publique, sur la base de celui que vous avez présenté, monsieur le président. Je suis prêt à enrichir le texte sur ce point autant que nécessaire.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je partage la même préoccupation que vous, monsieur le président : nous assistons à une très forte oligopolisation du marché par les centrales d’achat. Cependant, la rédaction de l’amendement me laisse dubitatif en ce qui concerne deux cas particuliers. Premièrement, comment séparer le bon grain de l’ivraie et motiver une intervention lorsqu’une même enseigne recourt à plusieurs centrales d’achat ou réseaux d’approvisionnement ? Deuxièmement, quel sera l’impact de cette mesure sur les organisations coopératives, dont la culture d’entreprise est particulière et qui possèdent certaines vertus ? Mon avis est donc réservé, et je m’en remets à la sagesse de la Commission.

L’amendement SPE1615 est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels SPE1179 et SPE1178 des rapporteurs.

Puis elle examine les amendements identiques SPE231 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE313 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. La constance est une vertu. Compte tenu des imprécisions que nous avons relevées dans le texte, du caractère abusif des pouvoirs qui sont conférés à l’Autorité de la concurrence et des risques qu’ils font courir aux entreprises, nous proposons de supprimer l’alinéa 4.

M. le ministre. La constance étant une vertu partagée, je ne peux que réaffirmer les arguments précédemment énoncés et émettre un avis défavorable à cet amendement.

La fin de l’alinéa 4 fait référence à l’article L. 464-2 du code de commerce, lequel prévoit bien des sanctions. Mais je précise que la sanction n’est en aucun cas le résultat de la procédure prévue à l’article 11 : elle n’est infligée in fine que dans le cas où les injonctions de l’Autorité de la concurrence ne sont pas exécutées.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la Commission rejette les amendements SPE231 et SPE313.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels SPE1181, SPE1182 et SPE1183 des rapporteurs, ainsi que leur amendement de précision SPE1186.

Elle en vient à l’amendement SPE1184 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement vise à préciser que les cessions d’actifs pourront concerner les terrains. Ainsi, l’Autorité de la concurrence pourra mettre fin aux entraves foncières pratiquées par certaines enseignes, qui figent le foncier autour d’elles afin d’empêcher que des concurrents ne s’installent. Et cela n’affaiblira pas l’entreprise concernée, monsieur Taugourdeau, puisqu’elle récupérera le produit de la cession.

M. le ministre. Avis favorable.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous considérez que nous sommes d’affreux conservateurs, alors même que vous prévoyez des dispositions indignes de notre temps, qui relèvent totalement de l’économie administrée. Le groupe UMP votera contre cet amendement très surprenant, et contre l’article 11.

La Commission adopte l’amendement SPE1184.

Puis elle adopte l’article 11 ainsi modifié.

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Après l’article 11

La Commission est saisie des amendements identiques SPE1259 de M. Joël Giraud et SPE1406 de M. Jean-Louis Roumegas.

M. Joël Giraud. Aux termes de mon amendement, les associations de consommateurs pourraient demander à l’Autorité de la concurrence communication de tous les éléments nécessaires à la détermination et au calcul du préjudice subi par les consommateurs. Cette disposition rendrait toute son efficacité à l’action des associations en matière de concurrence et de dédommagement des consommateurs, tout en écartant le risque d’une réparation excessive du préjudice. Les entreprises seraient en effet assurées d’échapper à une surévaluation trompeuse ou infondée du dommage.

M. Jean-Louis Roumegas. Même argumentation.

M. le ministre. Je comprends l’objectif poursuivi par les auteurs des deux amendements. Mais cette mesure nous paraît quelque peu disproportionnée et pourrait faire courir des risques à certaines enseignes. D’autre part, l’accès aux documents détenus par l’Autorité de la concurrence se fait par l’intermédiaire du juge, qui peut ordonner au défendeur ou à des tiers, y compris aux autorités publiques, la production d’éléments de preuve nécessaires. Le juge, au préalable, veille au respect du principe de proportionnalité, notamment à ce que cette divulgation ne porte pas atteinte à la mise en œuvre effective du droit de la concurrence et, en particulier, à ce qu’elle ne pénalise pas les programmes de clémence. La directive européenne du 26 novembre 2014, qui est en cours de transposition, précise les règles de divulgation en matière d’action en dommages et intérêts en droit national pour les infractions au droit de la concurrence. Elle prévoit notamment que les juridictions ne peuvent pas enjoindre la divulgation de certaines preuves relatives à une demande de clémence. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Joël Giraud. Je retire l’amendement en attendant que nous puissions examiner cette directive de plus près.

Les amendements SPE1259 et SPE1406 sont retirés.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements SPE1072 de M. Jean-Pierre Decool et SPE1078 de M. Hervé Féron.

M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement vise à lutter contre le gaspillage alimentaire. Celui-ci augmente d’année en année dans le monde : plus du tiers des aliments produits pour la consommation humaine sont gaspillés, perdus ou jetés entre le champ et l’assiette. Selon des sources différentes, les Français gaspilleraient entre 1,2 et 6 millions de tonnes de nourriture par an, soit 20 à 90 kilogrammes par personne. Alors que la précarité s’installe dans des proportions inquiétantes, certains produits frais sont dénaturés ou destinés à la méthanisation.

Or les mesures prises depuis quelques années ne semblent pas à la hauteur des enjeux. Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, il est nécessaire de mobiliser tous les acteurs de la chaîne. En particulier, il paraît naturel de mettre les professionnels de la grande distribution à contribution, une grande surface produisant à elle seule près de 200 tonnes de déchets par an. Dans la mesure où elles disposent d’une logistique et de stocks importants, les grandes surfaces peuvent pratiquer le don alimentaire plus facilement que les particuliers. Non seulement ce don s’inscrit dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, mais il apporte aussi une aide aux personnes les plus démunies, qui peuvent bénéficier des invendus via les associations caritatives. Néanmoins, cette démarche repose uniquement sur la bonne volonté des exploitants. Il conviendrait donc de modifier la législation en vigueur pour lui donner un caractère plus systématique, ainsi que l’a fait récemment le parlement wallon, en invitant les enseignes de plus de 1 000 mètres carrés à proposer leurs invendus consommables à une association caritative avant qu’ils ne partent vers une filière de valorisation ou d’élimination des déchets.

Afin de combattre la gabegie alimentaire, cet amendement prévoit que les grandes surfaces de plus de 1 000 mètres carrés s’engagent à mettre en place une convention d’organisation de la collecte sécurisée des denrées alimentaires invendues encore consommables au profit d’une ou plusieurs associations d’aide alimentaire. Certaines enseignes ont déjà fait la preuve de leur générosité. Et il n’est pas question de revenir sur la défiscalisation du don.

M. le président François Brottes. Nous avons examiné des amendements analogues lors du débat sur la transition énergétique et sur l’économie circulaire.

M. Arnaud Leroy. Nous devons traiter la question du gaspillage alimentaire de manière sérieuse. Nous l’avons évoquée au cours du débat sur la transition énergétique, mais nous pouvions discuter alors de l’opportunité de le faire dans ce cadre. Nous l’abordons à nouveau aujourd’hui à la faveur de discussions sur l’urbanisme commercial. L’idée est de fixer un seuil – 1 000 mètres carrés de surface commerciale – pour cibler un certain type de commerces. Le ministre de l’agriculture s’est attaqué au problème, mais nous devons aussi nous doter de moyens législatifs et réglementaires pour avancer. Telle est l’ambition de l’amendement SPE1078.

M. le président François Brottes. Lors de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique, les débats sur cette question avaient été très sérieux. Nous avions d’ailleurs reçu des contributions des associations caritatives concernées.

M. le ministre. Le Gouvernement partage l’objectif louable de ces deux amendements. Nous avons procédé à de premiers ajustements dans le cadre de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : cette préoccupation a été intégrée dans les critères d’appréciation des projets soumis à l’autorisation d’exploitation commerciale. Ainsi, le Gouvernement a souhaité introduire une dimension d’utilité sociale dans le droit de l’urbanisme commercial. D’autre part, le 15 octobre dernier, le Premier ministre a confié au député Guillaume Garot une mission sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous attendons les résultats de cette mission, et il nous paraît prématuré de légiférer dès maintenant sur ce point.

Surtout, les grandes et moyennes surfaces contribuent déjà à la lutte contre le gaspillage alimentaire sur la base du volontariat. Les associations caritatives le reconnaissent, et elles ne voudraient pas qu’une obligation de don imposée aux grandes et moyennes surfaces leur transfère la charge de trier, voire de jeter les denrées. Elles nous ont toutes saisis à ce propos. Il serait sans doute utile d’organiser une concertation avec ces associations afin de trouver les bonnes modalités pour répondre à l’objectif poursuivi. Avis défavorable sur les deux amendements.

M. le rapporteur général. Avis défavorable, pour les mêmes raisons. Ces deux amendements portent sur des enjeux très importants, auxquels nous sommes tous sensibles. Cependant, il nous paraît sage d’attendre que notre collègue Guillaume Garot rende ses conclusions, afin que nous puissions légiférer d’une manière globale, éclairée et efficace pour l’ensemble des partenaires concernés.

M. Jean-Pierre Decool. Nous aurons à nouveau l’occasion de débattre de cette question le 5 février prochain dans le cadre d’une « niche parlementaire » du groupe UMP. Nous examinerons alors la deuxième proposition de loi que j’ai déposée sur ce sujet et dont cet amendement s’inspire. Quant à l’amendement SPE1078, il ne me paraît guère satisfaisant : si nous obligeons les grandes surfaces à pratiquer le don, nous perdrons la défiscalisation. Or l’argent économisé grâce à la défiscalisation permet d’organiser la collecte des denrées. Pour ma part, je propose la mise en place d’une convention pour organiser et sécuriser la collecte. Il faut traiter cette question avec beaucoup de justesse, dans l’intérêt des associations caritatives.

M. Daniel Fasquelle. J’ai cosigné tant l’amendement que la proposition de loi de Jean-Pierre Decool. Il s’agit d’un sujet important dont nous débattons depuis déjà très longtemps. Face à la montée des difficultés dans notre pays, il est urgent de trouver une solution. À défaut, les associations ne seront plus en mesure d’aider les plus démunis. Vous le savez comme moi, mes chers collègues, car nous sommes tous en contact avec les Restos du Cœur, le Secours catholique ou le Secours populaire. Vous savez aussi que l’Union européenne a voulu se retirer du financement de l’aide alimentaire. Certes, nous avons obtenu un délai, mais ce n’est qu’un délai. Cessons donc de produire des rapports et de repousser sans cesse le moment de la décision ! Chers collègues de la majorité, ne biaisez pas sous prétexte qu’il s’agit d’une initiative de l’opposition ! Je souhaite que nous nous retrouvions tous autour de la proposition de loi de Jean-Pierre Decool, montrant ainsi que nous sommes capables de travailler ensemble sur un sujet aussi sensible et important. J’espère que, pour une fois, la majorité votera un texte présenté par l’opposition.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement SPE1072 est un bon compromis : il ne prévoit pas d’obligation pour les entreprises, mais leur demande de faire un diagnostic de la situation et d’écrire elles-mêmes les procédures qu’elles doivent mettre en place pour procéder à la distribution des denrées alimentaires invendues. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la difficulté soulevée par certaines associations. Les entreprises craignent, elles aussi, qu’on leur impose la contrainte de trier les denrées. Néanmoins, nous pourrions nous entendre dès maintenant pour adopter cet amendement, les conclusions de la mission confiée à Guillaume Garot pouvant être prises en compte dans le décret d’application.

M. Jean-Yves Caullet. Je partage la préoccupation exprimée par Jean-Pierre Decool et Arnaud Leroy, mais une injonction aussi générale peut créer des difficultés. Il risque de se passer la même chose que pour la gestion de certains déchets : pour se libérer de leur obligation, les grands groupes passeront une convention avec une structure nationale et ne voudront plus traiter avec les associations qui organisaient le circuit de distribution localement. Soyons prudents et attendons les conclusions du rapport. En voulant bien faire dès maintenant, nous risquons de manquer notre cible.

Mme Brigitte Bourguignon. J’ai créé plusieurs associations d’aide alimentaire dans le Pas-de-Calais. Je suis naturellement favorable à ce que nous allions plus loin dans notre législation, mais il me paraît souhaitable d’attendre les conclusions de la mission confiée à Guillaume Garot. D’autant que la question de l’aide alimentaire ne se réduit pas à celle de la distribution des invendus des grandes surfaces. D’ailleurs, la plupart d’entre elles, si ce n’est la totalité, ont déjà conclu des conventions avec une association nationale d’aide alimentaire, les Restos du Cœur, la Banque alimentaire ou Emmaüs. Il existe d’autres sources possibles. En particulier, il conviendrait de travailler davantage à la récupération, en amont, des productions alimentaires en excès. À cet égard, je me suis intéressée à la filière du poisson, mais ce travail peut être conduit dans de nombreuses autres filières.

M. Julien Aubert. Je soutiens l’amendement de Jean-Pierre Decool. Je ne suis pas certain que le risque évoqué par Jean-Yves Caullet soit réel : si l’on s’en tient à la lettre de l’amendement, c’est non pas l’enseigne, mais chaque magasin qui devra passer une convention, ce qui permet d’agir au niveau local.

Nous débattons régulièrement de la question de l’aide alimentaire. Convient-il d’attendre encore ? Si nous sommes tous d’accord sur le principe, nous pouvons procéder en deux étapes : adopter dès aujourd’hui l’amendement, puis prendre en compte les conclusions de la mission confiée à Guillaume Garot lors de la rédaction du décret d’application.

M. le président François Brottes. Sur un sujet tel que celui-ci, il serait dommage de rechercher le clivage politique. Le ministre a fait une proposition de méthode. Nous ne devons pas manquer notre coup, sachant que les acteurs concernés ne sont pas tous d’accord entre eux.

M. Jean-Pierre Decool. J’ai fait preuve de patience : j’ai déposé une première proposition de loi ; j’ai mené de nombreuses auditions, notamment pour entendre les associations ; j’ai participé à des collectes dans les grandes surfaces. Et ce n’est que le jour où j’ai posé une question d’actualité que le Gouvernement a mandaté une mission sur le sujet. Je n’accepte pas que l’on remette en cause une proposition au motif qu’elle émane de l’opposition. Je maintiens donc mon amendement, d’autant que je souhaite absolument maintenir la défiscalisation, dans l’intérêt des associations.

L’amendement SPE1078 est retiré.

La Commission rejette l’amendement SPE1072.

Puis elle en vient à l’amendement SPE1393 de Mme Brigitte Allain.

Mme Brigitte Allain. Cet amendement vise à interdire la construction de nouvelles grandes surfaces de plus de 1 000 mètres carrés sur des terres arables, dans des zones de chalandise dans lesquelles la concurrence est équilibrée. Plusieurs exemples récents de complexes géants illustrent l’échec de ces projets destructeurs, alors que les consommateurs plébiscitent les circuits courts et que les formes de vente à distance se multiplient et offrent une solution de remplacement à un modèle de grandes surfaces devenu obsolète. Une étude récente indique enfin que le nombre de locaux commerciaux inoccupés a crû de moitié ces deux dernières années.

M. le ministre. Je comprends votre préoccupation. Mais une interdiction de principe me semble excessive. L’article L. 752-6 du code de commerce prévoit déjà des critères d’autorisation qui intègrent les préoccupations d’aménagement du territoire et de développement durable. Les autorisations ne peuvent être délivrées que sur cette base.

En outre, pareille interdiction irait à l’encontre du principe constitutionnel de liberté d’entreprendre. Le contrôle économique a été supprimé ; l’instaurer de nouveau serait de nature à faire naître des incertitudes juridiques. Enfin, la législation a fait l’objet ces dernières années d’améliorations qui prennent en compte non seulement les intérêts économiques, mais aussi le développement durable. Elle permet désormais la régulation des situations visées par l’auteure de l’amendement, en ouvrant la possibilité de les régler au cas par cas.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis défavorable. Une interdiction totale, aveugle et définitive ne serait pas adaptée à la diversité des situations locales. Des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, auxquelles participent les chambres d’agriculture, se prononcent déjà sur les documents d’urbanisme.

M. le président François Brottes. Oui, il existe déjà des mécanismes de blocage.

M. Julien Aubert. Au risque de vous surprendre, je soutiendrai quant à moi cet amendement. Une massification des surfaces commerciales s’observe actuellement, tandis que les centres-villes meurent à petit feu. La procédure actuelle n’offre pas assez de garanties. Si une autorisation est refusée pour une surface importante, le projet est présenté de nouveau dans un format plus petit. Une fois accepté, il est suivi d’extensions répétées qui conduisent au même résultat. L’amendement aborde donc un vrai problème.

M. Philippe Gosselin. Il est vrai que le développement de grandes surfaces à la périphérie des villes est préoccupant, alors que le commerce de centre-ville souffre. Mais une interdiction générale et absolue serait contraire aux principes généraux de notre droit, mais aussi à la liberté d’entreprendre. La formulation retenue n’est pas la bonne.

Mme Brigitte Allain. Monsieur le ministre, le principe de la liberté d’entreprendre ne saurait faire échec à la réglementation de l’occupation des sols. Les textes actuels ne règlent pas du tout le problème. Des locaux se bâtissent juste à côté de locaux abandonnés ! Seriez-vous favorable à cet amendement si sa rédaction était moins radicale ?

M. le ministre. Nous pouvons travailler ensemble sur ce sujet. Si nous n’arrivons pas au constat partagé que le droit existant apporte les garanties nécessaires, il est même envisageable de travailler à une autre rédaction.

L’amendement SPE1393 est retiré.

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Article 11 bis (nouveau)
(art. L. 917-6 [nouveau] et L. 927-4 [nouveau] du code de commerce)

Codification de dispositions relatives à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon

Cet article additionnel vise, à l’initiative des rapporteurs, à déplacer les dispositions prévoyant la non-applicabilité de l’article L. 752-5-1 du code de commerce à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, figurant actuellement à l’article 105 du projet de loi, au sein du chapitre qui modifie cet article.

De plus, il codifie ces dispositions dans le code de commerce, qui comporte un livre consacré de façon spécifique à l’outre-mer.

Enfin, il supprime la mention de la non-applicabilité à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon de l’article L. 752-26 du code de commerce sur la procédure d’injonction structurelle, qui découle d’ores et déjà de l’existence d’une procédure d’injonction structurelle spécifique applicable dans ces collectivités, et figurant à l’article L. 752-7 du même code.

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La Commission adopte l’amendement SPE1204 des rapporteurs, reprenant les dispositions figurant à l’article 105 du projet de loi.

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Après l’article 11

La Commission examine, en discussion commune, les amendements SPE758 de M. Jean-Louis Roumegas et SPE1104 rectifié de M. Sébastien Huyghe.

M. Jean-Louis Roumegas. Mon amendement porte sur la réglementation des loteries commerciales, profondément modifiée par la loi sur la simplification de la vie des entreprises. Il semble indispensable de conserver une information des consommateurs leur permettant d’accéder au règlement de la loterie, afin de pouvoir juger de sa loyauté. Aussi est-il proposé de maintenir un dispositif allégé d’information, via la publication d’un règlement sur Internet. L’adresse internet du règlement serait publiée sur le bulletin de participation. Cette disposition de simple information ne serait contraire ni à la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005, ni à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

M. Sébastien Huyghe. La loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises a en effet tiré les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 juillet 2014 en supprimant, de façon inopinée, l’obligation pour l’organisateur d’une loterie d’en déposer le règlement auprès d’un officier ministériel, en l’occurrence un huissier. Or tout l’intérêt de cette obligation est de protéger le consommateur, dans la mesure où l’officier ministériel a pour charge de s’assurer de la régularité de la loterie. Il garantit non seulement la régularité du tirage au sort, mais aussi la loyauté de l’ensemble des opérations. Aussi cet amendement vise-t-il à un retour à la situation antérieure, où le consommateur était beaucoup mieux protégé.

M. le ministre. J’entends vos arguments et j’aurais été tenté de rendre un avis de sagesse, si je n’étais informé de ce que la directive nous contraint à cette suppression, qui n’a pas eu lieu par mégarde. L’approche maximaliste de la directive ne laisse pas d’autre choix. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis défavorable.

M. Philippe Gosselin. En France, l’État jouit du monopole des jeux. Si une loterie est organisée par une entreprise commerciale, l’intervention d’un officier ministériel permet de protéger cette prérogative. En outre, la législation antérieure était plus protectrice du consommateur.

M. Sébastien Huyghe. Je maintiens mon amendement, monsieur le ministre, même si je serais heureux de consulter l’analyse de vos services.

M. Jean-Louis Roumegas. Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur la différence qui sépare les deux amendements. Le mien vise seulement à garantir une information préalable du consommateur. Je partage certes la même préoccupation que mon collègue Sébastien Huyghe, mais je propose un amendement qui n’est pas en contradiction avec la directive européenne. Si nous pouvions néanmoins vérifier ce point d’ici la séance publique, je serais heureux de compter alors sur votre soutien.

M. le ministre. Dès demain, vous disposerez des éléments d’analyse de mes services. Si votre proposition est compatible avec le droit communautaire, vous aurez le soutien du Gouvernement.

L’amendement SPE758 est retiré.

La Commission rejette l’amendement SPE1104 rectifié.

Elle en vient à l’amendement SPE1249 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Cet amendement vise à lever le secret professionnel sur les procès-verbaux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en prévoyant qu’ils soient transmis aux associations de consommateurs, de telle sorte que puissent être diligentées des procédures en réparation du préjudice à l’intérêt collectif des consommateurs.

M. le ministre. La DGCCRF est en charge de la politique publique de protection et d’information des consommateurs. Depuis 2005, elle agit chaque année dans le cadre de directives nationales d’orientation, qui sont destinées à donner cohérence et visibilité à son action.

Certaines dispositions juridiques font obstacle à l’adoption de cet amendement. Les pratiques illicites les plus graves au regard du code de la consommation sont passibles de sanctions pénales. Or, en matière pénale, il appartient au procureur de la République de se prononcer sur l’opportunité de poursuites. En ce domaine, les investigations des agents de la DGCCRF sont conduites sous son autorité ; ils sont tenus au secret de l’enquête en vertu de l’article 11 du code de procédure pénale. Cela exclut toute communication publique des constations effectuées.

Ce principe ne saurait du reste être écarté sans mettre gravement en cause les droits du professionnel poursuivi. Dans nombre de cas, la levée du secret professionnel porterait également atteinte au secret des affaires. Enfin, la loi Hamon a introduit un régime de sanctions administratives pour certains manquements au code de la consommation, répondant me semble-t-il aux préoccupations qui vous animent, monsieur Joël Giraud. Mais seule la DGCCRF peut alors prononcer les amendes prévues.

L’amendement SPE1249 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1247 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. La Cour des comptes a attiré l’attention à plusieurs reprises sur les « cartes confuses » et demande encore une fois, dans son rapport annuel de février 2013, de « découpler les cartes de crédit des cartes de fidélité en magasin, de sorte qu’un crédit à la consommation ne soit plus contracté à l’insu du débiteur ». Il est en effet largement admis que le crédit renouvelable est l’une des causes du surendettement.

M. le ministre. Ce problème a déjà fait l’objet de nombreuses discussions, qui ont conduit à un changement radical de la situation et à un resserrement de la législation. En cas de distribution d’une carte de fidélité, aucun avantage promotionnel ne peut plus être lié au paiement à crédit de l’article convoité. Le paiement au comptant s’impose comme le paiement par défaut. Enfin, le programme de fidélité lui-même ne peut plus être obligatoirement lié à l’offre de crédit.

Plus personne ne peut donc aujourd’hui payer à crédit sans s’en rendre compte. Il semble que le bon niveau d’encadrement de ce type de pratiques soit désormais atteint. Aller plus loin serait disproportionné par rapport aux objectifs visés, voire défavorable aux consommateurs. Car les programmes de fidélité liés à des offres de paiement à crédit ont aussi permis l’émergence de petites enseignes, auxquelles le consommateur n’aurait sinon pas eu accès.

L’amendement SPE1247 est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement SPE1253 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. La loi Lagarde et la loi Hamon ont instauré pour l’assurance emprunteur une liberté de choix qu’il serait bon d’étendre au cautionnement bancaire des prêts immobiliers. Le cautionnement constitue un marché détenu à 95 % par les banques, qui imposent aux clients emprunteurs leur propre organisme de cautionnement. Cette pratique empêche les clients de tirer parti du grand écart tarifaire constaté entre les organismes, puisqu’il varie de 1 à 2,5. L’instauration d’une véritable concurrence et la réduction subséquente des marges permettraient de dégager 270 millions d’euros par an, soit un gain de pouvoir d’achat substantiel.

M. le ministre. La réglementation du cautionnement bancaire dépasse le champ du seul droit de la consommation. Je partage votre ambition sur le fond, mais je suis inquiet sur les aspects prudentiels de votre proposition ainsi qu’au sujet de l’économie du secteur. Mon collègue Michel Sapin n’a pu être consulté. Peut-être aurions-nous avantage à revoir la rédaction de cet amendement d’ici la séance publique.

L’amendement SPE1253 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1257 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Il s’agit de faciliter l’accès à la justice pour les particuliers. L’amendement vise à remédier à la situation actuelle, qui restreint les possibilités d’action des associations de consommateurs en termes d’assistance en justice de ces justiciables.

En effet, la première chambre civile de la Cour de Cassation, dans un arrêt du 21 février 2006, à travers une interprétation stricte et littérale du verbe « intervenir » de l’article L. 421-7 du code de la consommation, a condamné la pratique, jusque-là tolérée par les juges du fond, de l’assignation conjointe d’une association de consommateurs et d’un particulier. Il faut trouver une solution au problème créé par cette jurisprudence.

M. le ministre. Cet amendement ambitieux ne fait rien de moins que refondre le droit d’agir en justice des associations de consommateurs agréées, tel qu’il leur est déjà reconnu par l’article L. 421-1 du code de la consommation. Non content d’aménager leur droit à intervenir, il s’éloigne des règles générales du code de procédure civile en reconnaissant aux associations un droit général à réparation qui va bien au-delà de la possibilité d’exercer des droits reconnus à la partie civile. Son adoption peut être à l’origine d’incertitudes juridiques quant à la portée du droit à réparation. Le texte mérite sans doute d’être retravaillé avant la séance publique.

L’amendement SPE1257 est retiré.

La Commission en vient à l’amendement SPE1265 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Cet amendement tend à donner toute son effectivité à l’action en suppression des clauses illicites et à mettre fin au cadre limité de l’action dite préventive. Il est nécessaire d’indiquer que l’action prévue aux articles L. 421-2 et L. 421-6 du code de la consommation s’applique à l’ensemble des contrats, tant ceux qui sont en cours, même s’ils ne sont plus proposés au consommateur, que ceux qui lui sont nouvellement proposés.

M. le ministre. Votre amendement aurait pour effet de conférer à l’action que peuvent intenter les associations de consommateurs agréées en suppression de clauses abusives un pouvoir curatif et non plus seulement préventif. Cette proposition a le mérite d’aller dans le sens de la loi Hamon, qui prévoit déjà la possibilité de demander au juge la reconnaissance d’un effet erga omnes des décisions judiciaires condamnant des clauses illicites et les réputant non écrites, de sorte que ces décisions puissent également produire effet pour d’autres contrats en cours. Quant à votre amendement, pour une bonne régulation publique, il serait cependant nécessaire de modifier parallèlement, sans doute par le biais d’un sous-amendement, le droit reconnu à la DGCCRF d’agir en suppression des clauses abusives dans les contrats de consommation, car il est calqué sur le droit reconnu aux associations de consommateurs agréées. Permettez-moi de vous proposer que l’amendement soit retravaillé en ce sens pour la séance publique.

L’amendement SPE1265 est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement SPE1264 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. La jurisprudence actuelle ne permet pas aux associations de consommateurs d’obtenir réparation du préjudice à l’intérêt collectif dès lors qu’un agissement illicite a cessé. Or il est souvent difficile d’agir pendant que l’agissement a cours, par exemple avant la fin d’une campagne publicitaire, ce qui rend impossible toute action des associations agréées de consommateurs. Cette lacune me semble devoir être comblée.

M. le ministre. Comme l’un de vos amendements précédents, celui-ci reconnaît aux associations de consommateurs agréées un droit général à réparation de tout fait préjudiciable à l’intérêt collectif des consommateurs. Il va donc bien au-delà de la possibilité d’exercer les droits reconnus à la partie civile. En s’écartant des spécificités des règles applicables à l’action civile, telles qu’elles sont définies par le code de procédure civile, le présent amendement crée une insécurité juridique quant à la portée du droit à réparation qui serait ainsi reconnu.

L’amendement SPE1264 est retiré.

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Article 11 ter [nouveau]
(art. L. 423-6 du code de la consommation)

Modalités de versement des sommes reçues à la suite d’une action de groupe

Cet article résulte de l’adoption d’un amendement présenté par Mme Colette Capdevielle.

L’article L. 143-6 du code de la consommation, introduit par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, prévoit que toute somme reçue par les associations de défense des consommateurs à la suite d’une action de groupe au titre de l’indemnisation des consommateurs lésés est immédiatement versée en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations.

Par ailleurs, en application du décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de consommation, les avocats sont habilités à assister les associations de défense des consommateurs, sur autorisation du juge, dans la phase d’exécution du jugement.

Or l’article 240 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat prévoit que les fonds reçus par les avocats pour le compte de leurs clients sont déposés à un compte ouvert au nom de la caisse des règlements pécuniaires des avocats dans les écritures d’une banque ou de la caisse des dépôts et consignations.

Cet article additionnel tend donc à compléter l’article L. 423-6 du code de la consommation, afin de prévoir que les sommes reçues par une association de défense des consommateurs à la suite d’une action de groupe peuvent également être déposées sur un compte ouvert par un avocat auprès de la caisse des règlements pécuniaires des avocats dont il dépend.

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La Commission étudie l’amendement SPE803 de Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Le présent amendement concerne l’action de groupe créée par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. Un décret du 24 septembre 2014 habilite la profession d’avocat à assister l’association, sur autorisation du juge, dans la phase d’exécution du jugement sur la responsabilité. L’amendement tend à permettre, en ce cas, le dépôt des sommes reçues par les associations sur un compte de la caisse des règlements pécuniaires des avocats du barreau (CARPA).

M. le ministre. Cet amendement autorise le dépôt des sommes destinées à l’indemnisation des consommateurs lésés sur un compte de la CARPA, sans rendre ce dépôt obligatoire. Il s’agira d’une simple faculté, le dépôt sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations restant possible. Rappelons que les avocats ne peuvent recevoir ou manier de fonds en dehors de la CARPA. L’amendement n’est pas au demeurant contraire à l’esprit de la loi que vous évoquez. Gageons que ce geste favorable aux avocats sera bien accueilli par la profession et facilitera la compréhension d’autres dispositions prévues par le présent projet de loi.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis favorable. L’adoption de cet amendement serait un grand pas pour les clients des avocats.

M. Philippe Houillon. Il s’agit de réparer un oubli lors de la précédente réforme du code de la consommation. Cela va également dans le sens d’une meilleure mise en œuvre de l’aide juridictionnelle. Je soutiendrai l’amendement.

M. Philippe Gosselin. Oui, l’amendement permet de faire rentrer ces dépôts dans le droit commun de la CARPA, qui a fait la preuve de son efficacité. Quant au vœu du ministre, j’attends la suite de nos discussions pour savoir s’il sera exaucé.

L’amendement SPE803 est adopté à l’unanimité.

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Après l’article 11

La Commission examine ensuite l’amendement SPE1402 de M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. La loi bancaire n’a réalisé que des avancées insuffisantes en matière de lutte contre l’exclusion bancaire. Le service bancaire de base gratuit ne bénéficie qu’à 32 000 personnes, alors qu’il en concerne potentiellement cinq millions ; la procédure d’octroi est en effet lourde et mal connue. Ce service, non content d’être réservé aux personnes ayant exercé leur droit au compte, coûte en outre 40 euros par an en moyenne. Le présent amendement vise donc à établir un droit d’accès de tous aux moyens de paiement, plutôt que de multiplier les mesures correctrices.

M. le ministre. Les points soulevés sont justes, tout comme les chiffres qui sont mis en avant. Le droit au compte établi par la loi bancaire du 26 juillet 2013 était pourtant censé régler le problème de l’exclusion bancaire. Elle prévoit que la Banque de France désigne un établissement à la personne désirant exercer ce droit au compte.

L’amendement vise à généraliser le droit d’accès gratuit, en dehors de la procédure décrite par la loi de 2013. Même si je conviens que le nombre de nos concitoyens qui jouissent de ce droit au compte est insuffisant, j’estime que la généralisation du droit au compte est disproportionnée et serait délicate à articuler avec la procédure existante. Le dispositif actuel mérite cependant d’être amélioré.

M. Éric Alauzet. La procédure prévue par la loi bancaire oblige en effet nos concitoyens à passer par la Banque de France, seule la Banque postale offrant directement le service bancaire de base. Sur la foi de vos explications, j’accepte de retirer le présent amendement pour mieux poursuivre les travaux sur ce sujet.

L’amendement SPE1402 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1254 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation rend obligatoire l’engagement volontaire des banques en faveur de l’aide à la mobilité bancaire. Or, aujourd’hui, le client d’une banque qui transfère son compte se heurte à des difficultés, des chèques pouvant arriver sur des comptes clos, tandis qu’il se retrouve interdit bancaire. Aussi le présent amendement vise-t-il à ce que l’établissement gérant initialement le compte propose obligatoirement un service de redirection vers le nouveau compte de l’ensemble des opérations au crédit ou au débit qui se présenteraient sur le compte clôturé. Ce service serait effectif pour une durée de treize mois à compter de la date de clôture du compte, à l’instar du dispositif en vigueur aux Pays Bas et au Royaume-Uni.

J’ai vu dans ma circonscription, à la suite de la fermeture d’une agence bancaire, de vieilles dames tomber dans des situations ubuesques pour avoir voulu transférer leurs comptes vers d’autres établissements bancaires qui continuaient à assurer un service de proximité.

M. le ministre. La mobilité bancaire doit être favorisée. Il était bon d’inscrire dans la loi le service d’aide à la mobilité bancaire. Mais vous citez des exemples étrangers qui sont coûteux et peu concluants. En France, l’emploi plus répandu du chèque pose en outre un problème spécifique. Le Comité consultatif de la législation et de la réglementation financière se penche sur la question et devrait proposer des solutions concrètes au cours du premier trimestre 2015. Pensez-vous pouvoir attendre qu’il rende ses conclusions ?

L’amendement SPE1254 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1394 de Mme Brigitte Allain.

Mme Brigitte Allain. Cet amendement vise à rendre obligatoire l’intégration au bâti commercial des parcs de stationnement. Cette proposition, pendant commercial de la politique de densification du logement, a pour objectif de lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des terres, en favorisant l’installation de parkings au-dessus ou au-dessous du bâti commercial.

M. le ministre. Quoique je partage votre préoccupation, il ne me semble pas souhaitable d’édicter une prescription aussi générale et contraignante. L’article L. 111-6-1 du code de l’urbanisme prévoit déjà un plafond d’emprise au sol des parcs de stationnement, qui s’établit aux trois quarts de la surface affectée aux bâtiments commerciaux. Sur cette base, les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) refusent déjà les projets qui seraient trop consommateurs de terrain. L’adoption du présent amendement alourdirait enfin le coût de l’aménagement commercial, allant à l’encontre des objectifs poursuivis par ce texte.

Mme Brigitte Allain. Des parkings immenses voient pour le jour près des supermarchés ; ils ne sont jamais pleins. Peut-on chiffrer le coût de long terme du manque de terres arables indispensables pour produire notre alimentation ? L’imperméabilisation des sols est à l’origine d’inondations incontrôlées de plus en plus nombreuses.

Mme Audrey Linkenheld. Comme rapporteure de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), je rappelle que le ratio entre la surface commerciale et la surface de stationnement avoisinante a déjà été resserré en mars 2014, pour lutter contre l’artificialisation des sols.

M. le président François Brottes. Je voulais même obtenir des dérogations d’agrandissement pour garer les véhicules électriques, mais je n’ai pas eu gain de cause !

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la Commission rejette l’amendement SPE1394.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1409 de M. Jean-Louis Roumegas.

M. Jean-Louis Roumegas. Cet amendement vise à ce que les toitures des surfaces nouvellement bâties – notamment celles des grandes surfaces – intègrent soit un couvert végétal, soit des équipements de productions d’énergies renouvelables, l’un n’étant d’ailleurs pas exclusif de l’autre. Certaines grandes surfaces y ont déjà procédé spontanément, qu’il s’agisse des toits ou des aires de stationnement. Il nous paraît en tout cas judicieux de rendre la démarche plus systématique.

M. le ministre. Vous proposez une obligation absolue qui présente des risques. Elle conduirait en effet à une augmentation très significative des coûts de réalisation de projets commerciaux qu’elle rendrait vraisemblablement tributaires des tarifications d’ERDF pour le rachat de l’énergie ainsi produite. Elle conduirait aussi à dissuader, en certaines circonstances, la rénovation des bâtiments anciens – plus énergétivores.

Vous avez certes souligné l’existence d’un mouvement spontané là où l’opération en question s’avère rentable. Reste qu’il ne me semble pas qu’elle doive être rendue systématique. La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie et la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ont déjà fortement renforcé les objectifs de développement durable imposables aux projets soumis à autorisation d’exploitation commerciale, et les projets commerciaux de dernière génération sont en très fort progrès en la matière. C’est d’ailleurs sans doute ce que vous constatez vous-même.

Il me semble préférable d’adopter une approche au cas par cas plutôt que systématique. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Roumegas. Vous vous référez souvent à la loi ALUR. Aussi positive soit-elle, j’espère que vous êtes conscient qu’elle n’a pas tout résolu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur thématique, la commission rejette l’amendement SPE1409.

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Article 11 quater [nouveau]
(art. L. 425-4 du code de l’urbanisme)

Simplification de la procédure de demande d’un nouveau permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale en cas de modification substantielle du projet

Cet article résulte de l’adoption d’un amendement présenté par le président de la Commission spéciale.

L’article 39 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a modifié l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme afin de prévoir qu’une nouvelle demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale devait être déposée dès lors qu’un projet subit une modification substantielle au sens de l’article L. 752-15 du code de commerce.

Les modifications substantielles mentionnées audit article comprennent celles concernant les surfaces de vente, ainsi que celles modifiant les conséquences du projet sur l’aménagement du territoire, le développement durable ou la protection des consommateurs.

Cet article additionnel vise à alléger cette obligation en prévoyant, à l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme, qu’une demande de permis de construire modificatif valant autorisation d’exploitation commerciale puisse être déposée en cas de modification substantielle du projet.

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La commission examine l’amendement SPE989 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. Il s’agit, pour ainsi dire, d’un amendement de rattrapage. Un projet commercial peut en effet subir une modification substantielle sans que l’enveloppe du bâtiment, sa constitution, change fondamentalement. Or le texte prévoit que le dépôt d’un nouveau permis de construire est nécessaire même si l’enveloppe du bâtiment n’est pas modifiée. C’est pourquoi, dans un souci de simplification, je propose la possibilité d’obtenir un permis de construire modificatif qui permettra, dans le cas évoqué, d’éviter de recommencer toute la procédure.

M. le ministre. J’y suis favorable.

Suivant l’avis favorable du rapporteur thématique, la commission adopte l’amendement SPE989.

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Article 11 quinquies [nouveau]
(art. 121 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012)

Renouvellement des accords dérogatoires relatifs aux délais de paiement dans certains secteurs économiques

Cet article résulte de l’adoption de deux amendements identiques présentés par MM. Bernard Gérard et Martial Saddier.

L’article 21 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a introduit un plafonnement des délais de paiement à 45 jours fin de mois ou 60 jours nets à partir de la date d’émission de la facture. Il avait également prévu la possibilité de dérogations temporaires à cette règle, dans certains secteurs économiques. Ces dérogations, prévues par des accords interprofessionnels, devaient être motivées par des raisons économiques objectives et spécifiques aux secteurs concernés. Elles sont en général liées à la forte saisonnalité des ventes, qui implique des délais de paiement plus longs que ceux prévus par la loi.

L’article 121 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives a permis aux professionnels concernés de négocier de nouveaux accords dérogatoires d’une durée de 3 ans. Cinq secteurs en sont aujourd’hui dotés : jouets, articles de sport, horlogerie-bijouterie, cuir et matériels d’agro équipement.

Cet article additionnel vise à modifier l’article 121 de la loi du 22 mars 2012 précitée, afin d’autoriser, à leur expiration, le renouvellement de ces accords.

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La commission examine les amendements identiques SPE280 de M. Martial Saddier et SPE674 de M. Bernard Gérard.

M. Martial Saddier. Les délais de paiement sont au cœur de la performance économique d’une entreprise et, plus largement, de l’ensemble de la filière économique concernée. De plus, ils ont un impact direct sur la trésorerie des entreprises et donc sur l’activité économique. Avec plusieurs de nos collègues, j’ai obtenu que les délais de paiement, notamment dans les filières industrielles, soient réduits et mieux respectés. Depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’économie de 2008, une liste très restrictive d’activités saisonnières bénéficie d’une adaptation des délais de paiement ; c’est le cas de l’agroéquipement, du cuir, de l’horlogerie, du jouet et des équipements de sports d’hiver. Et puisque nous sommes en plein hiver, c’est dans ce dernier secteur que je prendrai un exemple des plus illustratifs : lorsque vous louez ou achetez une paire de skis pour les vacances de février, il est évident que le magasin de sport l’aura commandée six à dix mois auparavant. Il y a donc lieu d’adapter, pour ces activités saisonnières, le délai de paiement ; c’est l’objet du présent amendement qui vise à assurer une meilleure stabilité économique tout en fixant des limites pour éviter d’éventuels abus.

M. Bernard Gérard. J’ajouterai que j’ai le grand honneur de présider le groupe d’études « Textiles et industries de main-d’œuvre ». À ce titre, le comité de liaison des industries de main-d’œuvre m’a fait savoir que la disposition ici proposée était très importante pour ce secteur. Si Martial Saddier a pris l’exemple des équipements de sports d’hiver, il en va de même dans le secteur du jouet qui réalise 60 à 70 % de son activité pendant quelques semaines à Noël. Il faut absolument prendre en compte cette spécificité et donc voter cet amendement des plus raisonnables.

M. le président François Brottes. Je dirais que ce sont presque des arguments de bon sens.

M. le ministre. Je partage l’objectif poursuivi par ces deux amendements identiques. Il faut prendre en compte, en effet, la spécificité de certains secteurs. Il convient également de réduire les délais de paiement essentiels aux crédits interentreprises. Néanmoins, nous avons une légère objection d’ordre rédactionnel. Aussi, je vous propose, soit de sous-amender rapidement votre proposition, soit de retirer vos amendements afin que nous parvenions à une rédaction qui permette de préciser certains points – et ainsi, je m’y engage, le Gouvernement pourra émettre un avis favorable en séance publique.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je suis plutôt favorable aux deux amendements mais, si tout le monde s’accorde sur la méthode proposée par le ministre, je m’y rallie.

M. Martial Saddier. Peut-on connaître la teneur du sous-amendement que vous évoquez, monsieur le ministre ? Si les modifications que vous proposez sont marginales, autant voter ces amendements car « ce qui est pris est pris », si j’ose m’exprimer ainsi.

M. le ministre. Soit, je suis favorable au vote de ces amendements.

La commission adopte les amendements SPE280 et SPE674 à l’unanimité.

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Après l’article 11

La commission examine les amendements SPE1396 et SPE1375 de M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Les amendements SPE1396 et SPE1375 sont parents, l’un traitant des assurances et l’autre des banques. Je propose d’améliorer une loi chère au ministre du budget puisqu’il en a été l’initiateur, et qui concerne les comptes bancaires inactifs et les comptes d’assurance en déshérence. Cette loi oblige les banques et les compagnies d’assurance à interroger le répertoire national d’identification des personnes physiques. Néanmoins, il est vraisemblable que cette démarche n’est pas aussi efficace que nous l’espérions.

C’est pourquoi, afin d’améliorer la collecte d’informations, tant pour les ménages que pour l’État, ces deux amendements proposent d’inscrire dans la loi un délai dans lequel une banque, pour le premier, une compagnie d’assurance, pour le second, se doit de demander la déclaration de succession afin de connaître les coordonnées du bénéficiaire du contrat. Cette déclaration de succession permettra d’identifier les héritiers à contacter. Une telle disposition limiterait le nombre de contrats en déshérence et de comptes bancaires inactifs, ce qui serait profitable à la fois aux finances publiques – dans certains cas la recette pour l’État correspondra à 60 % des sommes concernées –, et à l’économie – un tel dispositif permettant de remettre de l’argent dans le circuit.

M. le ministre. Contrairement aux contrats d’assurance vie en déshérence, encadrés par la loi Eckert, il n’y a aucune obligation pour les établissements de crédit de rechercher les titulaires de comptes inactifs, mais uniquement une obligation d’informer ceux-ci et leurs ayants droit. Puisqu’il convient d’en mesurer l’impact, je souhaite intégrer votre proposition au travail auquel je vous invite sur l’accessibilité bancaire.

Si je considère votre proposition avec bienveillance, je ne vous cache pas que les services de Bercy y sont défavorables. Je vous suggère que nous y travaillions ensemble dans les jours qui viennent et vous invite donc à retirer votre amendement. Ma volonté est d’avancer avec vous.

M. Éric Alauzet. J’aimerais savoir pourquoi les services de Bercy ne sont pas favorables à la disposition que je propose et grâce à laquelle on connaîtra les héritiers, ce que ne permet pas le droit en vigueur. J’ajoute qu’il faut prendre en considération les comptes à l’étranger, notamment dans des pays à fiscalité privilégiée. Il existe dans certains pays, la Suisse notamment, un système d’assistance qui facilite la recherche de ces comptes en déshérence. Je retire mes amendements qui pourtant, j’y insiste, me paraissent importants au moment où nous sommes à la recherche d’argent public.

Les amendements SPE1396 et SPE1375 sont retirés.

La commission examine l’amendement SPE1066 de M. Yves Jégo.

M. Michel Zumkeller. Le présent amendement vise à protéger le consommateur et surtout à valoriser la production française – puisque nous sommes tous favorables aux produits qui bénéficient d’une appellation d’origine, d’une indication géographique ou qui ont fait l’objet d’un processus de certification attestant de leur origine française. Or il se trouve que certains producteurs peu scrupuleux qui ne bénéficient pas de telles garanties utilisent le drapeau tricolore pour leurrer le consommateur. Nous souhaitons donc que cette pratique soit interdite.

M. le ministre. La pratique que vous dénoncez me semble déjà tomber sous le coup de l’article L. 121-1 du code de la consommation qui prohibe les pratiques commerciales trompeuses reposant sur « des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur » le consommateur, notamment sur l’origine du produit. Depuis l’adoption de la loi Hamon, les pratiques commerciales trompeuses sont punies de deux années d’emprisonnement, 300 000 euros d’amende, avec la possibilité, pour le juge, de proportionner ce montant aux avantages tirés de la pratique illicite. Il ne me semble donc pas utile de prévoir une mesure d’interdiction déjà couverte par le droit en vigueur et qui, de surcroît, dépourvue de sanction, n’offrirait aucune garantie d’effectivité. À la lumière de ces éléments, je vous invite à retirer votre amendement.

M. Michel Zumkeller. Notre collègue Yves Jégo, premier signataire de l’amendement, a beaucoup travaillé sur le sujet dont il est un spécialiste – nous pouvons donc lui faire confiance. Or, selon lui, la pratique que nous dénonçons ici n’est pas interdite.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je mesure mal la portée d’un amendement satisfait par le droit en vigueur. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement SPE1066.

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TITRE 1ER
LIBÉRER L’ACTIVITÉ

Chapitre III
Conditions d’exercice des professions juridiques réglementées

Article 12
(titre IV bis [nouveau] du livre IV, art. L. 444-1 à L. 444-5 [nouveaux], L. 462-1, L. 462-4, L. 464-1, L. 663-2, L. 663-3 et L. 743-13 du code de commerce ; art. L. 113-3 du code de la consommation ; art. 1er de la loi du 29 mars 1944)

Rénovation des modalités de détermination de certains tarifs réglementés

En l’état du droit, les règles fixant les tarifs et autres éléments de rémunération des professions juridiques et judiciaires réglementées que sont les commissaires-priseurs judiciaires, les greffiers de tribunaux de commerce, les huissiers de justice, les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires et les notaires sont contenues dans des textes réglementaires nombreux et épars, sans qu’aucune norme de nature législative n’en fixe les principes directeurs.

Le tableau ci-dessous, extrait du récent rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, recense les différentes dispositions réglementaires applicables aux prestations de ces professions.

Profession

Texte(s) applicable (s)

Administrateur judiciaire

Décret n° 2006-1709 du 23 décembre 2006 pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises et portant diverses dispositions relatives aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires.

Articles R. 814-27 et R. 814-28 du code de commerce (principes généraux)

Articles R. 663-3 à R.663-7, R. 663-9 à 663-12 du code de commerce (tarifs suivant actes et procédures).

Commissaire-priseur judiciaire

Décret n° 2006-105 du 2 février 2006 modifiant le décret n° 85-382 du 29 mars 1985 fixant le tarif des commissaires-priseurs judiciaires.

Greffier des tribunaux de commerce

Décret n° 2007-812 du 10 mai 2007 relatif au tarif des greffiers des tribunaux de commerce et modifiant le code de commerce correspondant à la section III du chapitre III du titre IV du livre VII de la partie réglementaire du code de commerce (articles R. 743-140 à R. 743-157).

Huissier de justice

Décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale.

Mandataire judiciaire

Décret n° 2006-1709 du 23 décembre 2006 pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises et portant diverses dispositions relatives aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires.

Articles R. 814-27 et R. 814-28 du code de commerce (principes généraux)

Articles R. 663-18 à R. 663-20, R. 663-22 à R. 663-25, R. 663-26 renvoyant aux articles R. 663-1 et R. 663-30 du code de commerce.

Notaire

Décret n° 78-262 du 8 mars 1978 portant fixation du tarif des notaires.

Source : « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475, fait au nom de la commission des Lois, par Mme Cécile Untermaier et M. Philippe Houillon, députés, p. 83.

Pour remédier à l’opacité qui résulte de la dissémination, au sein de nombreux textes codifiés ou non, des règles applicables aux prestations des administrateurs et mandataires judiciaires ainsi qu’à celles des officiers publics et/ou ministériels, le 1° du I du présent article propose de leur consacrer un titre IV bis trouvant logiquement sa place au sein du livre IV du code de commerce qui est consacré à la liberté des prix. Sera ainsi introduit dans le code de commerce un article L. 444-1 [nouveau] prévoyant que ce titre IV bis regroupera les règles concernant « les tarifs réglementés applicables aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires ».

Il s’agit de regrouper les règles tarifaires applicables aux différentes professions juridiques réglementées dans le code de commerce, étant précisé que certaines d’entre elles dont déjà l’objet de tarifs pris sur le fondement dudit code.

Les modalités actuelles de fixation des tarifs des professions juridiques et judiciaires réglementées sont non seulement caractérisées par une dispersion normative qui les rend peu lisibles, mais aussi par leur extrême complexité.

Cette tarification repose en effet sur des éléments de nature très diverse et peut se composer, selon les professions, actes ou diligences, de manière cumulative ou non :

– de droits fixes et/ou proportionnels, exprimés ou non en taux de base ;

– d’émoluments proportionnels ou fixes (comme pour les notaires) ;

– d’émoluments forfaitaires ou variables (par exemple pour les mandataires judiciaires) ;

– d’une rémunération forfaitaire (comme pour les greffiers des tribunaux de commerce) ;

– d’une rémunération forfaitaire ou proportionnelle (par exemple, pour les commissaires-priseurs judiciaires) ;

– de frais de débours et/ou de dossier, voire de frais de déplacement (comme c’est le cas, par exemple, pour les huissiers de justice).

Le tableau ci-dessous, toujours extrait du rapport de la mission d’information précitée, illustre le « phénomène de sédimentation des tarifs réglementés » pointé par le rapporteur général (96), ainsi que l’extrême sophistication d’un système de tarification dont la lisibilité est aussi faible pour les usagers du droit que pour les professionnels du droit eux-mêmes.

Professions

Éléments tirés de tarification

Administrateurs judiciaires

– rémunération variable au titre des diligences relatives au diagnostic de la procédure ;

– droit proportionnel au titre de l’assistance, de la surveillance et de l’administration de la procédure ;

– rémunération forfaitaire pour l’élaboration du bilan économique ;

– rémunération spécifique pour les réunions des comités de créanciers ;

– droit proportionnel en cas de plan de cession.

Commissaires-priseurs judiciaires

– rémunération proportionnelle ou forfaitaire selon les cas ;

– remboursement des frais ;

– droit proportionnel dégressif pour chaque prisée et chaque article.

Greffiers de tribunal de commerce

– rémunération forfaitaire (droits fixes exprimés en taux de base) ;

– droits proportionnels pour les opérations d’inscription de privilège et de nantissement ;

– facturation des diligences de chaque transmission ;

– indemnité de déplacement.

Huissiers de justice

En principe, la rémunération des huissiers pour une procédure (signification) se compose d’une :

– une somme forfaitaire, exprimée cumulativement ou alternativement selon les cas, en droits fixes ou proportionnels, pour l’ensemble des travaux et diligences accomplis, ainsi que des frais supportés ;

– un droit d’engagement de poursuite ;

– un droit pour frais de gestion de dossier.

Lorsque les huissiers de justice sont autorisés à exercer des activités dont la rémunération est fixée par un tarif propre à une autre catégorie d’auxiliaires de justice ou d’officiers publics ou ministériels, la rémunération est arrêtée conformément aux règles dudit tarif.

Les huissiers perçoivent par ailleurs un droit proportionnel dégressif sur les sommes encaissées ou recouvrées au titre d’une créance ou en exécution d’une décision de justice.

Mandataires judiciaires

Émoluments au forfait ou variables selon les cas et droit fixe.

Notaires

– émoluments proportionnels (transactions immobilières)

ou

– émoluments fixes (contrats de mariage sans apport, donation entre époux) pour tous les actes et formalités prévus par la réglementation.

Source : « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475, op. cit, p. 76.

Face à cette très grande complexité, la récente mission d’information de la commission des Lois a appelé les pouvoirs publics « à remanier profondément les modalités de tarification des actes et diligences des professions juridiques réglementées » (97). Selon les rapporteurs de cette mission d’information, la refondation des tarifs des administrateurs ou mandataires judiciaires ainsi que des officiers publics et/ou ministériels « devrait obéir à trois principes directeurs : d’une part, refléter les coûts réels ; d’autre part, assurer la viabilité des offices et des études en leur permettant de dégager des marges bénéficiaires en rapport avec leurs charges et leur investissement, eu égard à la complexité de leur activité ; enfin, garantir l’accomplissement des missions de service public sur l’ensemble du territoire national » (98) .

La conservation d’un maillage territorial, l’égal accès au droit, la lisibilité et la qualité juridique sont des objectifs à prendre en compte à côté des principes directeurs énoncés par le premier alinéa de l’article L. 444-2 [nouveau] lorsqu’il prévoit que les tarifs réglementés applicables aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires devront prendre « en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs ».

La rapporteure thématique a pu constater, lors des travaux de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, que la plupart des observateurs, y compris parfois les professionnels concernés, s’accordent aujourd’hui à considérer que la tarification de certaines des prestations des professions du droit ne correspond plus à leurs conditions d’exercice, aux risques économiques qui s’y attachent ainsi qu’aux services rendus.

Comme l’ont révélé les rapports de l’Inspection générale des Finances (99), du rapporteur général (100) et de l’Autorité de la concurrence (101), les tarifs ne reflètent pas toujours les coûts réels d’un acte ou d’une procédure. Ils ne tiennent pas nécessairement compte du temps réellement exigé du professionnel pour établir un acte ni du coût de revient effectif de cet acte. D’une part, ils n’intègrent pas les gains de productivité, tels que ceux que peuvent permettre de dégager une organisation plus efficace des structures ou le déploiement de moyens informatiques ; d’autre part, ils ne prennent pas en considération l’évolution des charges, en particulier de celles qui peuvent résulter de l’inflation normative ou monétaire.

Par exemple, la rémunération perçue par un notaire pour l’établissement d’un acte de vente immobilière est assise sur la perception de droits proportionnels à la valeur du bien vendu et peut donc varier de manière très sensible en fonction de l’état du marché du logement ancien ou neuf. Cependant, le notaire ne verra pas forcément sa charge effective de travail augmenter ou diminuer : quelle que soit sa valeur, l’authentification d’une vente implique dans l’ensemble les mêmes vérifications ; elle donne lieu à l’établissement d’un acte dans des formes types, à la réalisation des mêmes mouvements de fonds et à un certain nombre de rendez-vous pour parvenir à sa signature.

À l’opacité des tarifs qui résulte de la complexité de leur structuration et de leur possible décorrélation du coût de revient effectif des actes qu’ils rémunèrent s’ajoute la confusion qui peut parfois être effectuée entre les éléments tarifaires eux-mêmes et les taxes publiques perçues à l’occasion de la réalisation d’un certain nombre d’actes.

Lors de son audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, M. Alain Bazot, président de l’UFC Que Choisir, a indiqué que les consommateurs se trouvaient peu souvent en mesure de déterminer, de manière prévisionnelle, le coût des prestations qu’ils sollicitent.

La rapporteure thématique souligne que l’opacité des tarifs représente aussi une contrainte pour les professionnels eux-mêmes. Lors de son audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, a indiqué que, des premiers échanges de ses services avec les professionnels concernés, il ressortait que la complexité des tarifs interdisait d’en posséder une connaissance toujours très précise. Le rapporteur général a lui aussi noté dans son étude que l’opacité des tarifs alourdissait le travail des professionnels du droit et les exposait à l’incompréhension – voire à la suspicion – de leurs clients, auxquels sont parfois présentées des factures difficilement lisibles.

La détermination de tarifs réglementés sur la base des coûts pertinents du service rendu doit répondre à des exigences d’intérêt général qui sont potentiellement contradictoires : d’une part, fixer des émoluments et des droits à un niveau acceptable pour le pouvoir d’achat des clients sur l’ensemble du territoire, et, d’autre part, assurer une rémunération suffisamment élevée afin de garantir le bon accomplissement des missions et la viabilité économique des structures, qu’elles soient soumises ou non à un coût d’investissement important résultant de l’acquisition récente d’une charge.

C’est pour cette raison que le second alinéa de l’article L. 444-2 [nouveau] prévoit qu’à titre dérogatoire, « peut être prévue une péréquation des tarifs applicables à l’ensemble des prestations servies » et que « cette péréquation peut notamment tenir à ce que les tarifs des transactions portant sur des biens immobiliers d’une valeur supérieure à un seuil [déterminé] soient fixés proportionnellement à la valeur du bien ».

Le second alinéa de l’article L. 444-2 [nouveau] répond ainsi au souci exprimé par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées (proposition n° 10). Celle-ci a ainsi jugé « fondé de maintenir le caractère proportionnel de certains éléments de tarification » (102).

En effet, d’après les quelques éléments d’expertise dont a pu disposer la mission d’information, les officiers publics et/ou ministériels réalisent des actes à perte dans des proportions variables. Par exemple, la proportion des actes non rémunérateurs atteindrait 70 % de l’ensemble des actes établis par les notaires, selon M. Jean Tarrade, ancien président du Conseil supérieur du notariat. Dans ces conditions, le caractère proportionnel de la tarification appliquée aux actes les plus rémunérateurs (par exemple, les ventes immobilières) peut permettre de compenser la réalisation d’actes pas ou peu rémunérateurs grâce à des marges substantielles, réalisées sur ceux dont la rémunération est assise sur la valeur de biens d’un montant élevé. Ce faisant, la proportionnalité contribue à organiser une sorte de « péréquation intra-office » de nature à garantir l’accomplissement de missions de service public et l’équilibre des offices ou des études.

Cette péréquation doit être assise sur les tarifs proportionnels applicables aux transactions portant non seulement sur les biens immobiliers, mais aussi sur les droits immobiliers, de façon à concerner les cessions à titre gratuit ou onéreux d’usufruit ou de nue-propriété. C’est la raison pour laquelle la commission a adopté, à l’initiative des rapporteurs, un amendement visant à préciser que des tarifs proportionnels pourront être fixés pour les transactions portant sur des biens « ou droits » immobiliers d’une valeur supérieure à un seuil fixé par arrêté conjoint des ministres de la Justice et de l’Économie.

Du point de vue des rapporteurs, la péréquation interne à chaque office ou étude entre les actes rémunérateurs et les actes réalisés à perte doit pouvoir se doubler, le cas échéant, d’une péréquation « inter-offices » de nature à améliorer la qualité du maillage territorial.

En effet, tous les professionnels ne peuvent prétendre tirer de l’authentification des actes de vente immobilière la même rémunération suivant qu’ils se trouvent dans une zone urbaine ou rurale, dans un secteur à l’économie florissante ou déclinante, dans les grandes métropoles ou dans les villes de taille moyenne ou petite.

Les rapporteurs ont suggéré par conséquent que la péréquation dont il est fait mention au second alinéa de l’article L. 444-2 [nouveau] prenne non seulement la forme d’une péréquation entre actes rémunérateurs et actes réalisés à perte au sein d’une même étude, mais aussi celle d’une péréquation nationale entre les études des officiers publics et/ou ministériels, qui pourrait notamment être assise sur les actes les plus rémunérateurs en matière de transactions immobilières. C’est le sens de la proposition n° 11 que la rapporteure thématique a formulée dans le rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées.

Lors de leur audition par cette mission d’information, plusieurs organisations syndicales représentatives des salariés ont proposé, en ce qui concerne le tarif des greffiers des tribunaux de commerce, des huissiers de justice ou des notaires, d’instituer un fonds de péréquation qui assure une redistribution au sein d’une même catégorie d’officiers publics et/ou ministériels. Cette redistribution pourrait être réalisée en tenant compte, par exemple, du chiffre d’affaires ou d’autres variables que pourrait désigner l’étude d’impact financier et juridique qu’exige la création d’un tel mécanisme. Une telle redistribution au bénéfice des petits offices ou des petites études, par exemple ceux et celles implantés dans les zones rurales, viserait à garantir l’accomplissement des missions de service public sur l’intégralité du territoire, indépendamment de la structure d’activité des officiers publics et/ou ministériels commandée par leur implantation.

C’est le sens de l’amendement des rapporteurs qu’a adopté la commission et qui précise que la péréquation dont il est fait état à l’article L. 444-2 [nouveau] « assure également une redistribution, au niveau national, des sommes perçues au titre de ces tarifs proportionnels, au bénéfice d’un fonds interprofessionnel destiné à financer notamment l’aide juridictionnelle et les maisons de justice et du droit ». Les sommes provenant d’un écrêtement des tarifs proportionnels applicables aux transactions sur des biens ou droits immobiliers d’une valeur supérieure à un certain seuil contribueraient à alimenter un fonds qui permettrait aussi de financer l’aide juridictionnelle et les dispositifs d’accès au droit comme les maisons de la justice et du droit. Seul un financement porté par l’ensemble des professions du droit pourra en effet permettre d’apporter une solution viable aux difficultés qui entourent le dispositif d’aide juridictionnelle. Les modalités de gestion seront fixées par décret.

Les modalités précises de la péréquation « intra-offices » et « inter-offices » seront définies par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 444-4 [nouveau] et pourront, le cas échéant, être complétées par des dispositions relevant d’une loi de finances.

Si les rapporteurs approuvent le principe, qui est posé par l’article L. 444-2 [nouveau] du code de commerce, d’une tarification transparente et corrélée au coût réel des prestations augmenté d’une marge raisonnable, ils ont en revanche émis des réserves sur l’étendue du dispositif dit de « corridor tarifaire » qui était proposé par la rédaction initiale de l’article L. 444-3 [nouveau].

Dans sa rédaction initiale, cet article prévoyait que « le tarif de chaque prestation [serait] arrêté conjointement, sous la forme d’une fourchette comportant un maximum et un minimum, par le ministre de la Justice et le ministre chargé de l’économie » et que « pour chaque prestation, le rapport entre le maximum et le minimum ne dépasse[rait] pas [le double d’] un ratio maximal fixé » par décret.

Les rapporteurs approuvent le fait que soit reconnue au ministre chargé de l’économie une compétence de principe, partagée avec le ministre de la Justice, pour l’établissement des tarifs réglementés applicables aux professions du droit.

En effet, si diverses soient-elles, les règles de fixation des tarifs applicables aux prestations des administrateurs et mandataires judiciaires ainsi qu’à celles des officiers publics et/ou ministériels ont aujourd’hui en commun de relever de la compétence du ministère de la Justice. Ces règles sont édictées dans des décrets signés par le garde des Sceaux, et contresignés, le cas échéant, par le ministre de l’Économie (notamment dans le cas des huissiers).

La compétence du ministre chargé de l’économie permettra de garantir une approche renouvelée de la fixation des tarifs applicables aux prestations des professionnels du droit.

Par ailleurs, la possibilité ouverte aux professionnels du droit de négocier leurs tarifs avec leurs clients, dans le cadre d’une fourchette comprenant un tarif « plafond » et un tarif « plancher », sera de nature à faciliter l’installation de jeunes professionnels du droit en leur permettant de proposer des tarifs concurrentiels, de développer ainsi leur clientèle et faire bénéficier les usagers du droit des gains de productivité dégagés par l’étude.

En revanche, les rapporteurs ont estimé que, s’il n’était pas réservé à certaines catégories d’actes, le dispositif de « corridor tarifaire » pouvait présenter des difficultés au regard des exigences de maillage territorial ainsi que d’égal accès aux prestations des professionnels concernés pour l’ensemble des usagers du droit.

Pour ce qui concerne les actes établis par les huissiers de justice dans le cadre de procédures judiciaires ou de procédures civiles d’exécution, les rapporteurs se sont interrogés sur l’opportunité de permettre à l’huissier de justice et au créancier qui est son client de négocier un tarif dont aura à s’acquitter non pas le créancier lui-même, mais le débiteur, tiers à la négociation.

C’est la raison pour laquelle la commission a adopté un amendement des rapporteurs tendant à réécrire l’article L. 444-3 [nouveau] de façon à ce que des tarifs fixes soient maintenus pour certaines catégories d’actes, sans remettre en cause le principe selon lequel des tarifs variant dans le cadre d’un « corridor » pourront être fixés pour d’autres catégories d’actes. Les différents actes qui se verront appliquer des tarifs fixes ou des tarifs variables devront être déterminés par décret en Conseil d’État.

En conséquence, le deuxième alinéa de l’article L. 444-3 [nouveau], dans la version qui en a été adoptée par la commission, prévoit que le tarif sera fixe « lorsque son montant est égal ou inférieur à un seuil fixé par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 444-4 [nouveau] ».

Les tarifs fixes concerneront les actes de la vie courante, liés notamment au droit des personnes et de la famille. On peut imaginer que ce tarif fixe s’appliquera par exemple aux actes des huissiers de justice accomplis dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une procédure civile d’exécution, ainsi qu’aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires liées aux prisées et aux ventes judiciaires de meubles.

Au-delà du seuil fixé par décret en Conseil d’État, les tarifs pourront varier dans la limite d’un sixième au-dessus et au-dessous d’un tarif de référence, en application du troisième alinéa du même article L. 444-3 [nouveau].

Les tarifs variables auront vocation à s’appliquer à des actes à caractère économique (transactions immobilières, par exemple). Ils permettront aux professionnels d’adapter les tarifs de certaines de leurs prestations à leurs structures de coûts.

Conformément au dernier alinéa de l’article L. 444-3 [nouveau], l’ensemble des tarifs, fixes, proportionnels comme variables, devront faire l’objet d’une révision « au moins tous les cinq ans ».

Sur proposition des rapporteurs, la commission a en effet décidé d’inscrire dans la loi le principe d’une révision quinquennale des tarifs plutôt que de laisser au décret en Conseil d’État mentionné à l’article L. 444-4 [nouveau] le soin de déterminer la périodicité selon laquelle seront arrêtés les tarifs applicables aux prestations des notaires, commissaires-priseurs judiciaires, huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs et mandataires judiciaires.

Le principe d’une révision quinquennale correspond :

– à la fois aux préconisations de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées (proposition n° 12, commune aux deux rapporteurs) ;

– et aux recommandations des représentants de l’Autorité de la concurrence qui, lors de leur audition par la rapporteure thématique le 7 janvier dernier, ont estimé qu’un rythme de révision quinquennal était pertinent.

Ce rythme de révision a également été suggéré par les représentants de certaines organisations syndicales représentatives des salariés des greffiers des tribunaux de commerce. Par parallélisme des formes avec les modalités de leur fixation, la révision des tarifs résulterait d’un arrêté des ministres de la Justice et de l’Économie. La procédure pourrait évidemment comporter, sous des formes à déterminer par décret, la consultation des professions concernées. L’Autorité de la concurrence pourrait également s’associer à l’élaboration des arrêtés de révision tarifaires, en publiant un avis, de sa propre initiative.

Ce dispositif de révision quinquennale permettra de rompre avec la situation actuelle, marquée par une grande irrégularité dans l’actualisation de ces tarifs. En témoigne le tableau ci-dessous qui, extrait du rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, fait état des dernières modifications des tarifs applicables aux prestations d’un certain nombre de professions du droit.

Profession

Date de la dernière révision des tarifs ou éléments de rémunération

administrateur judiciaire et mandataire judiciaire

Décret n° 2006-1709 du 23 décembre 2006.

avocat

Aucune depuis 1975 en ce qui concerne le tarif de postulation devant les tribunaux de grande instance.

commissaire-priseur judiciaire

Décret n° 2006-105 du 2 février 2006 modifiant le décret n° 85-382 du 29 mars 1985.

greffier des tribunaux de commerce

Pour l’essentiel, décret n° 2007-812 du 10 mai 2007.

Décret n° 2014-506 du 19 mai 2014 (103) (réduction de moitié des frais d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés et suppression du surcoût du K bis numérique).

huissier de justice

Décret n° 2014-673 du 25 juin 2014 (104) (tarif dégressif droit de recouvrement ou d’encaissement à la charge du débiteur et du créancier, rémunération libre, débours, droits et obligations de remise de fonds) ;

décret n° 2011-1470 du 8 novembre 2011 (105) (vérification des comptes de tutelle).

notaire

Décret n° 2011-188 du 17 février 2011 modifiant le décret n° 78-262 du 8 mars 1978 portant fixation du tarif des notaires (modification des séries de base, réévaluation de l’unité de valeur portée à 3,90 euros, tarification de nouveaux actes).

Source : « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475, fait au nom de la commission des Lois, par Mme Cécile Untermaier et M. Philippe Houillon, députés.

Comme on le constate, il apparaît qu’en dehors d’ajustements réalisés en opportunité, les tarifs et éléments de rémunération des officiers publics et/ou ministériels ainsi que des administrateurs et mandataires judiciaires connaissent peu de véritables adaptations ou toilettages, et la fréquence moyenne de révision est très inégale, toutes professions confondues.

Suivant l’analyse des rapports de l’Inspection générale des finances et du rapporteur général, cette situation s’explique par la procédure même de fixation des tarifs, laquelle donne lieu – en pratique – à des négociations ponctuelles, souvent motivées par les besoins circonstanciels de chacune de ses parties prenantes. Ainsi, l’Inspection générale des finances observe que « les réévaluations constituent un levier de négociation de l’administration vis-à-vis des professionnels, illustré par exemple par l’augmentation consentie aux notaires en 2011 au moment de la création de l’acte d’avocat, création à laquelle s’était opposé le notariat. Réciproquement, la fréquence et l’amplitude des actualisations traduisent le pouvoir de pression des professionnels sur leur tutelle » (106). De fait, beaucoup des mesures prises consistent en des modifications d’unités de valeur, de taux de base ou en la tarification de nouveaux actes sans nécessairement que ces changements obéissent à une logique d’ensemble.

Les rapporteurs ont en outre eu le souci d’apporter une réponse aux difficultés qu’un mécanisme de « corridor tarifaire » pouvait soulever au regard de l’obligation d’instrumenter à laquelle sont tenus individuellement les notaires.

Lors de son audition par la mission d’information sur les professions juridiques réglementées, M. Régis Poumeau de Lafforest, président du syndicat national des notaires (SNN), a soulevé la question de l’articulation d’un dispositif de « corridor tarifaire » avec l’obligation d’instrumenter qui pèse sur les notaires. L’article 3 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat dispose en effet que les notaires « sont tenus de prêter leur ministère lorsqu’ils en sont requis ». Comment les notaires pourront-ils être encore tenus d’instrumenter alors que, dans le même temps, ils pourront refuser le tarif souhaité par leur client dans le cadre d’une négociation tarifaire désormais possible ? L’obligation d’instrumenter étant individuelle, et non collective, un client pourrait très bien refuser de solliciter un autre notaire que celui initialement choisi et il pourrait exiger du notaire initialement sollicité qu’il établisse un acte au tarif souhaité (et potentiellement au tarif « plancher »), si une obligation d’instrumenter continuait de peser sur les notaires.

L’articulation entre le dispositif de « corridor tarifaire » et l’obligation d’instrumenter pourrait être moins problématique qu’il n’y paraît de prime abord si un client était informé des tarifs pratiqués par un notaire dans le cadre du « corridor tarifaire » avant qu’il ne le saisisse aux fins d’établissement d’un acte.

Autrement dit, l’information préalable d’un client sur les tarifs pratiqués par un notaire dans le cadre du « corridor tarifaire » permettrait à ce client de choisir son notaire en connaissance de cause. Pour autant, la profession ne pourra s’affranchir d’une réflexion partagée pour régler la question du différentiel entre les tarifs de deux notaires partis à la même opération de vente.

C’est la raison pour laquelle, à l’initiative des rapporteurs, la commission a complété le dispositif conçu par le Gouvernement pour instaurer une obligation de transparence en vertu de laquelle les commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires seraient tenus d’afficher les tarifs qu’ils pratiquent dans la fourchette autorisée.

La commission propose d’introduire dans le code de commerce un article L. 444-3-1 [nouveau] prévoyant que ces professionnels « affichent les tarifs qu’ils pratiquent, de manière visible et lisible, dans leur lieu d’exercice et sur leur site Internet ».

Une fois l’information des usagers du droit garantie en amont, les difficultés liées à l’articulation entre le dispositif du « corridor tarifaire » et l’obligation d’instrumenter du notaire en aval devraient s’atténuer.

Lors de leur audition par la rapporteure thématique, le 7 janvier 2015, les représentants de l’Autorité de la concurrence ont insisté sur la grande utilité qu’il y aurait à compléter le dispositif du « corridor tarifaire » par une telle obligation d’affichage. Ce dispositif ne sera en effet pleinement profitable aux usagers du droit que si ces derniers peuvent avoir connaissance, de façon simple, rapide et bien sûr gratuite, des différents tarifs pratiqués par les différents professionnels proposant la prestation recherchée.

Enfin, l’amendement précise que les remises consenties par les professionnels sont fixes lorsque le tarif est proportionnel à la valeur du bien ou droit faisant l’objet d’un acte. Cette règle est de nature à garantir une solution plus équitable entre l’ensemble des usagers du droit et à éviter que ne se développe une justice « à deux vitesses ».

Les principes directeurs qui devront guider la détermination des tarifs réglementés applicables aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires une fois énoncés par les articles L. 444-1 à L. 444-3 [nouveaux] du code de commerce, l’article L. 444-4 [nouveau] du même code renvoie à un décret en Conseil d’État le soin d’en préciser les modalités d’application.

Ce décret en Conseil d’État sera pris « après avis de l’Autorité de la Concurrence ».

L’adjonction de l’expertise de l’Autorité de la concurrence à la procédure de fixation des tarifs réglementés applicables aux professions du droit répond à la nécessité de rendre plus objectives les modalités actuelles de cette procédure.

Comme l’Inspection générale des finances (107) et comme le rapporteur général (108), la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées a constaté qu’on pouvait légitimement s’interroger sur la capacité des services du ministère de la Justice à disposer de tous les éléments pertinents afin d’établir un tarif à son juste niveau, dans la mesure où les informations utiles se trouvent d’abord aux mains des professions concernées.

Aussi la mission a-t-elle préconisé « un profond changement de la procédure de fixation des tarifs qui, tout en préservant la prérogative décisionnelle du ministre de la Justice, mobiliserait l’expertise de l’Autorité de la concurrence » (109). L’avis de l’Autorité de la concurrence prévu par l’article L. 444-4 [nouveau] satisfait ainsi la recommandation de la mission (proposition n° 12 du rapport).

Le choix de confier une compétence consultative à l’Autorité de la concurrence apparaît justifié à un double titre :

– d’une part, parce que cette autorité administrative indépendante présente toutes les garanties indispensables au bon accomplissement de cette tâche, en raison tant de son statut que de son fonctionnement ;

– d’autre part, parce que cette autorité est aujourd’hui compétente pour appréhender les questions relatives aux équilibres d’un secteur d’activité ainsi qu’à la liberté et à la transparence des prix.

L’article L. 410-2, alinéa 2, du code de commerce, prévoit d’ores et déjà que « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence ».

En outre, l’article L. 462-1 du code de commerce reconnaît à cette autorité le pouvoir de donner son avis sur toute question de concurrence, à la demande du Gouvernement.

À cette consultation facultative s’ajoute une consultation obligatoire, prévue par l’article L. 462-2 du même code, qui dispose que « l’Autorité est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : 1° de soumettre l’exercice d’une profession ou l’accès à un marché à des restrictions quantitatives ; 2° d’établir des droits exclusifs dans certaines zones ; 3° d’imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ».

L’Autorité de la concurrence a donc naturellement compétence pour examiner les conditions de fixation des tarifs applicables aux prestations des professions juridiques et judiciaires réglementées et pour émettre un avis sur le décret en Conseil d’État auquel il reviendra de préciser :

« – les modes d’évaluation des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable [dont il est fait mention à l’article L. 444-2 [nouveau]] ; »

« – les caractéristiques de la péréquation prévue au second alinéa de l’article L. 444-2 [nouveau] » ;

« – le seuil mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 444-3 [nouveau] et le tarif de référence mentionné au troisième alinéa du même article. »

Ce seuil est celui en-deçà duquel les tarifs seront fixes et au-delà duquel ils pourront varier autour d’un tarif de référence, dans la limite d’un sixième du montant de ce tarif.

Pour ce qui concerne les tarifs proportionnels, la commission a estimé utile de préciser, comme l’ont suggéré les rapporteurs, que, si les professionnels peuvent consentir des remises partielles fixes, c’est à la condition que leur montant soit le même pour tous leurs clients.

En effet, l’article L. 444-5 [nouveau] que la commission propose d’introduire dans le code de commerce prévoit que « le montant des remises octroyées par un professionnel est fixé pour un tarif fixé proportionnellement à la valeur du bien en application du deuxième alinéa de l’article L. 444-2 [nouveau] ».

Outre la compétence ponctuelle reconnue par l’article L. 444-4 [nouveau] à l’Autorité de la concurrence pour émettre un avis sur le décret en Conseil d’État qui déterminera les modalités concrètes de la méthode de fixation des tarifs réglementés, le présent article propose de conférer à cette autorité une compétence pérenne pour donner son avis sur les tarifs réglementés eux-mêmes.

Le 2° du I du présent article propose ainsi de compléter l’article L. 462-1 du code de commerce, relatif aux attributions de l’Autorité de la concurrence, pour indiquer qu’« à la demande du Gouvernement, [cette autorité] donne son avis sur les prix et tarifs réglementés mentionnés respectivement au deuxième alinéa de l’article L. 410-2 et à l’article L. 444-1 » et que « cet avis est rendu public ».

L’article L. 462-1 du code de commerce permet déjà au Gouvernement de solliciter l’Autorité de la concurrence sur toute question de concurrence. C’est d’ailleurs sur ce fondement que le 3 juin 2014, l’Autorité a été saisie par M. Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique, d’une demande d’avis sur « les différentes questions de concurrence soulevées par la fixation et la révision des tarifs de certaines professions juridiques : officiers publics et ministériels […], les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires » (110).

Il s’agirait d’ajouter aux possibilités de saisine actuelles de l’Autorité de la concurrence une consultation facultative, faite à l’initiative du Gouvernement et portant entre autres sur :

– les prix réglementés dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée, notamment en raison de situations de monopole – prix dont il est fait mention à l’article L. 410-2, alinéa 2, du code de commerce ;

– les tarifs réglementés applicables aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires – tarifs dont il sera fait état à l’article L. 444-1 [nouveau] du code de commerce.

L’avis rendu par l’Autorité de la concurrence sera un avis simple qui ne liera donc pas le Gouvernement. Celui-ci doit conserver la prérogative d’arrêter les tarifs des officiers publics et/ou ministériels ainsi que des éléments de rémunération des administrateurs et mandataires judiciaires. La détermination des tarifs constitue en effet un élément essentiel du pouvoir de tutelle et de régulation et les choix opérés en matière tarifaire ne sauraient se limiter à la prise en compte de considérations seulement économiques, car les tarifs sont des instruments de politique publique et conditionnent l’exercice de droits essentiels.

La mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées avait d’ailleurs préconisé que l’Autorité de la concurrence émette un avis simple sur les tarifs réglementés applicables aux prestations des professions du droit et qu’elle ait pour seule compétence de publier une proposition de tarifs sur la base de laquelle il appartiendrait au Gouvernement – et à lui seul – d’arrêter la tarification applicable.

Saisie à l’initiative du Gouvernement sur les tarifs réglementés applicables aux prestations des officiers publics et/ou ministériels et à celles des administrateurs et mandataires judiciaires, l’Autorité de la concurrence pourra aussi se saisir de ces questions de son propre chef. Le 3° du I du présent article propose en effet de reconnaître à cette autorité une capacité d’auto-saisine.

Le 3° du présent article propose à cette fin de compléter l’article L. 462-4 du code de commerce qui est relatif aux attributions de l’Autorité de la concurrence et qui dispose que celle-ci « peut prendre l’initiative de donner un avis sur toute question concernant la concurrence », que « cet avis est rendu public » et qu’« elle peut également recommander au ministre chargé de l’économie ou au ministre chargé du secteur concerné de mettre en œuvre les mesures nécessaires à l’amélioration du fonctionnement concurrentiel des marchés ».

Au rang des facultés d’auto-saisine de l’Autorité de la concurrence, le 3° du présent article propose d’ajouter l’émission « d’un avis sur les prix et tarifs réglementés mentionnés respectivement au deuxième alinéa de l’article L. 410-2 et à l’article L. 444-1 », à savoir : d’une part, les prix réglementés dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée, notamment en raison de situations de monopole, et, d’autre part, les tarifs réglementés applicables aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires.

L’Autorité de la concurrence pourrait ainsi prendre l’initiative d’intervenir dans le cadre des procédures de révision des tarifs réglementés, pour apporter une expertise qui manque aujourd’hui à ces procédures.

Si cet avis devait intervenir dans le cadre d’une procédure de révision des tarifs réglementés en question, il serait alors « rendu public au plus tard un mois avant la révision du prix ou du tarif en cause », ce qui suppose que non seulement la date de révision, mais aussi le projet de l’arrêté de révision soient communiqués à l’Autorité de la concurrence à la demande de celle-ci.

Cela suppose aussi que cette communication intervienne en temps utile. C’est la raison pour laquelle la commission a adopté, à l’initiative de Mme Michèle Bonneton et des membres du groupe écologiste, un amendement tendant à préciser que, lorsque l’Autorité de la concurrence en fait la demande, le projet et la date de révision des prix ou tarifs devront lui être communiqués au moins deux mois avant cette révision.

L’avis émis par l’Autorité de la concurrence dans le cadre d’une auto-saisine sera également un avis simple, qui ne liera pas le Gouvernement.

Dans l’hypothèse où l’Autorité de la concurrence émettrait un avis sur les tarifs à la demande du Gouvernement ou de sa propre initiative, la commission a jugé utile de préciser, sur proposition des rapporteurs, que celle-ci soit tenue de consulter des associations de défense des consommateurs agréées au niveau national pour ester en justice ainsi que des instances ordinales des officiers publics ou ministériels concernés ou du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.

Comme les rapporteurs, la commission a estimé que les associations de consommateurs et d’usagers du droit peuvent apporter un éclairage extrêmement utile dans le cadre des procédures d’élaboration et de révision des grilles tarifaires, comme l’ont encore récemment montré les auditions menées dans le cadre de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées.

Il convient donc de permettre à l’Autorité de la concurrence de les consulter lorsque celle-ci est amenée à émettre un avis sur les textes réglementaires fixant les tarifs, sur saisine gouvernementale ou sur auto-saisine.

Le bis du I du présent article procède à une coordination pour tirer les conséquences de l’ajout d’un alinéa à l’article L. 462-1 du code de commerce.

En cohérence avec le principe selon lequel les tarifs applicables aux prestations des administrateurs et mandataires judiciaires seront désormais régis par les nouveaux articles L. 444-1 et suivants du code de commerce et par le décret en Conseil d’État prévu par le nouvel article L. 444-4 du même code, le 4° du I du présent article supprime la mention des administrateurs et mandataires judiciaires à l’article L. 663-2 du code de commerce. Ce texte dispose en effet qu’« un décret en Conseil d’État fixe les modalités de rémunération des administrateurs judiciaires, des mandataires judiciaires, des commissaires à l’exécution du plan et des liquidateurs » et que « cette rémunération est exclusive de toute autre rémunération ou remboursement de frais au titre de la même procédure ou au titre d’une mission subséquente qui n’en serait que le prolongement à l’exception d’un mandat de justice confié au titre du troisième alinéa de l’article L. 643-9 » qui permet au tribunal de prononcer la clôture de la procédure de liquidation judiciaire en désignant un mandataire ayant pour mission de poursuivre les instances en cours et de répartir, le cas échéant, les sommes perçues à l’issue de celles-ci lorsque cette clôture n’apparaît pas pouvoir être prononcée pour extinction du passif.

Le bis du I du présent article procède à une coordination pour tirer les conséquences de ce que les tarifs applicables aux prestations des administrateurs et mandataires judiciaires seront désormais régis par les articles L. 444-1 et suivants du code de commerce. En effet, l’article L. 663-3 du même code dispose aujourd’hui en son premier alinéa que « lorsque le produit de la réalisation des actifs de l’entreprise ne permet pas au liquidateur ou au mandataire judiciaire d’obtenir, au titre de la rémunération qui lui est due en application des dispositions de l’article L. 663-2, une somme au moins égale à un seuil fixé par décret en Conseil d’État, le dossier est déclaré impécunieux par décision du tribunal, sur proposition du juge-commissaire et au vu des justificatifs présentés par le liquidateur ou le mandataire judiciaire ». La rémunération due au liquidateur ou au mandataire judiciaire n’étant plus prévue par l’article L. 663-2 mais par l’article L. 444-2 [nouveau] du code de commerce, il était nécessaire de modifier la rédaction du premier alinéa de l’article L. 663-3.

Le même souci de cohérence explique le 5° du I du présent article. Celui-ci procède à la suppression du renvoi à un décret en Conseil d’État figurant à l’article L. 743-13 du code de commerce qui dispose, en l’état, que « les émoluments des greffiers des tribunaux de commerce sont fixés par décret en Conseil d’État ». Dans la mesure où le présent article confie aux nouveaux articles L. 444-1 et suivants du code de commerce ainsi qu’au décret en Conseil d’État prévu par le nouvel article L. 444-4 du même code le soin de déterminer respectivement les principes directeurs des tarifs réglementés applicables aux prestations des greffiers des tribunaux de commerce et les modalités concrètes de fixation de ces tarifs, l’article L. 743-13 du code de commerce n’a plus à faire référence à un décret en Conseil d’État pour la fixation des émoluments de ces greffiers, mais uniquement aux dispositions du titre IV bis [nouveau] du livre IV dudit code de commerce.

Le II du présent article renforce la transparence des tarifs réglementés applicables aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires.

L’article L. 113-3 du code de la consommation prévoit, en son alinéa 1er, que « tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur les prix et les conditions particulières de la vente et de l’exécution des services, selon des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l’Économie, après consultation du Conseil national de la consommation ». Ce texte ajoute, en son alinéa 3, que ces dispositions s’appliquent « à toutes les activités visées au dernier alinéa de l’article L. 113-2 » du même code, autrement dit toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public.

À travers le complément qu’il suggère d’apporter à la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 113-3 du code de la consommation, le II du présent article propose d’étendre cette obligation d’information du consommateur sur les prix et les conditions particulières de l’exécution des services aux prestations des commissaires-priseurs judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et notaires, qui seront désormais régies par le titre IV bis du livre IV du code de commerce.

La rapporteure thématique estime qu’une telle mesure propre à réduire l’opacité du coût des prestations des professions juridiques et judiciaires réglementées est de nature à répondre aux observations faites par les associations d’usagers du droit devant la mission d’information de la commission des Lois et à renforcer le lien de confiance entre le client et le professionnel.

La rapporteure thématique a d’ailleurs pu constater, à l’occasion des travaux de cette mission, que certains professionnels du droit, comme l’Agence des nouveaux avocats (AGN Avocats), avaient d’ores et déjà entrepris d’afficher, en vitrine et sur leur site Internet, les prix de leur première consultation, et de délivrer à leurs clients des devis indiquant par écrit leurs honoraires forfaitaires pour les consultations suivantes. Initiées par des avocats, de telles pratiques pourraient tout aussi bien être mises en œuvre par des officiers publics et/ou ministériels et par des administrateurs et mandataires judiciaires.

Le III du présent article tire les conséquences de l’insertion, au sein du livre IV du code de commerce, du titre IV bis [nouveau].

En effet, les tarifs des professions réglementées qui relèveront désormais de ce titre IV bis sont aujourd’hui régis par l’article 1er de la loi du 29 mars 1944 relative aux tarifs des émoluments alloués aux officiers publics ou ministériels. Ce texte dispose que « tous droits ou émoluments au profit des officiers publics ou ministériels peuvent être créés par décret en Conseil d’État » et qu’« ils peuvent être, dans la même forme, modifiés ou supprimés, même s’ils ont fait l’objet de dispositions législatives ».

Dans la mesure où les principes directeurs de ces droits et émoluments seront désormais fixés aux nouveaux articles L. 444-1 et suivants du code de commerce et dans la mesure où la méthode de fixation de ces droits et émoluments sera désormais précisée par le décret en Conseil d’État prévu au nouvel article L. 444-4, il est cohérent de procéder à l’abrogation de l’article 1er de la loi du 29 mars 1944 précitée. Toutefois, afin de laisser au Gouvernement le temps d’édicter le décret en Conseil d’État qui déterminera les modalités concrètes de fixation des tarifs réglementés applicables aux prestations des professions du droit, il apparaît nécessaire de renvoyer à un décret le soin de déterminer la date d’abrogation de l’article 1er en question – celle-ci ne devant, en toute hypothèse, pas être postérieure à l’expiration du douzième mois suivant la publication de la présente loi.

Dans le même temps, afin de permettre aux ministres de la Justice et de l’Économie d’adopter des arrêtés de révision des prix et tarifs, dans le cadre du nouveau régime fixé par l’article L. 444-3 du code de commerce, avant l’abrogation de l’article 1er de la loi du 29 mars 1944, la commission a jugé nécessaire de préciser, sur proposition des rapporteurs, que les arrêtés prévus à l’article L. 444-3 peuvent être adoptés avant la date d’abrogation de l’article 1er précité. En effet, au vu du grand nombre de tarifs concernés, les services de l’État devront progressivement modifier les barèmes applicables à chaque profession. Ainsi, le maintien provisoire de l’ancienne base légale ne doit pas faire obstacle à l’édiction d’arrêtés tarifaires conformes aux nouveaux principes de tarification.

Le IV du présent article comporte des mesures de coordination pour permettre l’application à Wallis-et-Futuna d’un certain nombre de dispositions du code de commerce et du code de la consommation dans la rédaction qui résulte du présent article. Les nouveaux articles L. 444-1 à L. 444-4 du code de commerce et les modifications apportées aux articles L. 462-1, L. 462-4, L. 663-2 et L. 743-13 du même code, ainsi qu’à l’article L. 113-3 du code de la consommation seront ainsi applicables à cette collectivité d’outre-mer.

Les nouvelles dispositions du code de commerce seront en effet :

– applicables en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à La Réunion et à Mayotte, sans qu’il soit requis d’en faire mention expresse, ni de prévoir d’adaptations spécifiques (en application du principe d’identité législative) ;

– applicables à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les Terres australes et antarctiques françaises et l’île de Clipperton, sans qu’il soit requis d’en faire mention expresse, ni de prévoir d’adaptations spécifiques (ces collectivités sont soumises au principe de spécialité législative, mais les présentes dispositions sont applicables de plein droit, en vertu des statuts spécifiques à chacun de ces territoires) ;

– applicables à Wallis-et-Futuna (ce domaine relevant de la compétence de l’État), sous réserve d’en faire la mention expresse dans le projet, mais sans qu’il soit besoin de prévoir de mesure d’application ;

– non-applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française (ces questions relevant de la compétence exclusive des collectivités concernées).

Quant à l’article L.113-3 du code de la consommation, il est applicable dans tous les départements d’outre-mer, ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les Terres australes et antarctiques françaises et l’île de Clipperton (applicabilité de plein droit prévue dans les statuts). La nouvelle rédaction de cet article est donc applicable à ces territoires sans mention expresse.

L’article L.113-3 du code de la consommation n’est pas applicable à Wallis-et-Futuna et le législateur n’entend pas modifier cette situation. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, les matières concernées relèvent de la compétence exclusive de ces collectivités d’outre-mer en vertu de leurs statuts.

*

* *

M. Philippe Houillon. Nous sommes sur le point de vivre une situation inédite puisque, sauf erreur de ma part, le décret relatif à l’organisation du ministère de la justice donne à la garde des Sceaux compétence sur les sujets que nous allons examiner. Le fait que ce soit le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique qui les défende ici, c’est un peu comme si Mme Taubira présentait le budget à la place du secrétaire d’État chargé du budget ou du ministre des finances et des comptes publics. Voilà une situation curieuse !

Monsieur le président, nous souhaitons que Mme Taubira vienne s’exprimer devant la commission – nous pouvons pour cela attendre demain matin – sur des sujets qui relèvent de la compétence de ses services et qu’elle-même connaît très bien. C’est la moindre des choses. Si le texte confère au ministre de l’économie certaines compétences, pour l’instant il ne les a pas et elles sont du ressort de la ministre de la justice.

Si Mme Taubira ne venait pas et que vous cautionniez une telle absence, monsieur le président, ce serait une injure au Parlement, car je vous rappelle que la commission des Lois a créé une mission d’information sur les professions juridiques et judiciaires. Ladite mission a adopté son rapport à l’unanimité, et la commission des Lois a décidé de le publier également à l’unanimité moins deux abstentions. Or ce rapport préconise que certaines compétences restent l’apanage du garde des Sceaux. Il serait invraisemblable que la commission examine des dispositions qui concernent la garde des Sceaux sans qu’elle soit auditionnée.

Par ailleurs, et j’en termine, j’ai demandé au ministre, en début de séance, qu’il veuille bien nous communiquer le texte des ordonnances prévues par le projet ; or nous n’en disposons toujours pas malgré son engagement.

M. le président François Brottes. Vous n’étiez pas présent au début de nos travaux, monsieur Houillon, quand j’ai indiqué que M. Macron serait le seul membre du Gouvernement présent tout au long de l’examen du texte en commission, sachant que des membres de cabinets d’autres ministères que le sien l’assisteraient. Les différents ministres, dont la garde des Sceaux, seront présents lors de l’examen du projet de loi en séance publique. Vous êtes certes tout à fait fondé à désapprouver cette procédure mais elle vous a été précisée, j’y insiste, dès le début de nos travaux.

M. Jean-Louis Roumegas. La remarque de Philippe Houillon se justifie a fortiori en ce qui concerne les professions du droit. La garde des Sceaux n’est toutefois pas seule concernée. En effet, j’ignore, je le répète, si le ministre de l’économie est un « super-ministre », mais son projet touche à peu près à tous les codes. Seulement, il le fait de façon si rapide que je maintiens mon appréciation : nous avons l’impression d’un éléphant qui entre à cent kilomètres par heure dans un magasin de porcelaine. J’imagine, dans de telles conditions, qu’il y aura de la casse.

Au reste, si, d’accord en cela avec les intéressés, nous admettons tout à fait la nécessité de moderniser certaines professions du droit, la concertation n’a pas été suffisante malgré les déclarations en sens contraire de M. le ministre ce matin.

M. le ministre. Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit.

M. Jean-Louis Roumegas. Le Parlement n’a pas eu l’occasion d’organiser de tels échanges. Les représentants des professions concernées, que le ministre a traités d’« insatisfaits résiduels », contestent qu’il y ait eu une réelle concertation. Le Conseil national des barreaux, le Syndicat des avocats de France, l’Ordre des notaires ne sont pas des grincheux résiduels mais des organisations représentatives ; et si elles dénoncent la faiblesse de la concertation, elles doivent avoir de bonnes raisons.

Si nous abordons ce débat avec le souci de moderniser ces professions, encore faudrait-il prendre le temps d’y travailler sérieusement ; et si nous avons également le souci de maintenir une justice de proximité, la commercialisation des professions du droit ne peut être un objectif en soi.

L’accès au droit constitue pour nos concitoyens un autre enjeu dont hélas le texte ne traite nullement.

Au total, nous ne sommes pas conservateurs, nous ne pensons pas qu’il faille maintenir des dispositions qui datent de l’Ancien Régime. Nous n’en pensons pas moins que ce débat s’engage dans de mauvaises conditions, au risque, si nous allons aussi vite que vous le souhaitez, qu’il y ait, je le répète, de la « casse ».

M. Marc Dolez. J’ai déjà eu l’occasion hier, au début de nos travaux, de souligner combien notre groupe regrettait, déplorait la décision du Gouvernement de n’autoriser que M. le ministre de l’économie à venir devant la commission spéciale pour défendre le projet de loi. Nous vivons une situation surréaliste et inédite de la vie parlementaire : nous allons débattre des conditions d’exercice des professions juridiques réglementées sans leur ministre de tutelle – c’est incroyable. Puisque désormais, depuis la révision constitutionnelle de 2008, c’est le texte de la commission qui est examiné en séance, il est indispensable que nous puissions discuter avec la garde des Sceaux.

Je n’ignore pas que vous avez déclaré hier, monsieur le président, que le Gouvernement ne permettait pas à Mme la garde des Sceaux de venir devant la commission. Cela étant, il n’y a rien de honteux à changer d’avis et à écouter les parlementaires. Je vous demande donc, avec une certaine solennité, de transmettre au Gouvernement le souhait des représentants de plusieurs groupes de la commission. Nous pouvons même lever la séance en attendant la décision du Premier ministre.

M. le président François Brottes. Il ne m’échappe pas qu’il s’agit d’une démarche quelque peu dilatoire.

M. Marc Dolez. Pas du tout ! Ce n’est pas une manœuvre dilatoire que de demander la présence de la garde des Sceaux !

M. le président François Brottes. Si, dans la mesure où vous nous demandez d’attendre.

M. Jean-Yves Caullet. Au nom du groupe SRC, j’exprime, contrairement aux orateurs précédents, mon impatience d’aborder l’examen de cette partie du texte. Les professionnels du droit ont pu faire valoir leurs observations auprès de nombreux députés. Pour ma part, je les ai reçus à plusieurs reprises. Je souligne à cette occasion l’importance du travail du rapporteur général et de la rapporteure thématique qui ont conduit les auditions. Plusieurs amendements visent à en finir avec des situations insatisfaisantes par leur archaïsme, ce que les professionnels eux-mêmes, d’ailleurs, pour une bonne part, reconnaissent. Il nous appartient, en tant que législateurs, d’apporter des solutions et il se trouve que l’organisation des débats telle qu’elle est prévue est de nature à nous permettre d’avancer.

M. Philippe Vigier. Les propositions concernant les professions de santé ont été écartées et trouveront leur place dans le projet de loi sur la santé. Comme ce n’est pas le cas des dispositions relatives aux professions juridiques réglementées, maintenues dans le présent projet, je trouve regrettable l’absence de la garde des Sceaux. En dehors du groupe SRC, les autres groupes partagent le même sentiment ; il faut donc écouter l’opposition constructive mais aussi une partie de votre majorité.

M. Alain Tourret. Mon avis sera un peu différent. Nous avons procédé à de nombreuses auditions. Les cabinets des différents ministères concernés ont été très présents. Cette confrontation inhabituelle – grâce, notamment, au travail des rapporteurs – a permis de mieux comprendre les intérêts des uns et des autres.

Ensuite, puisqu’il faut une certaine unité devant la commission, un ministre a été choisi pour défendre l’ensemble du texte – et chacun peut reconnaître qu’il est très présent –, un ministre qui s’est sans nul doute pénétré des observations de ses collègues du Gouvernement.

Enfin, l’essentiel, d’un point de vue politique, se passera en séance publique où nous pourrons interroger l’ensemble des ministres concernés.

Aussi me félicité-je de cette juste répartition des rôles.

M. le président François Brottes. Chaque groupe qui l’a souhaité s’est exprimé sur la méthode. Par « dilatoire », monsieur Dolez, j’évoquais seulement le fait d’attendre. Je respecte le point de vue de chacun. Puisque nous avons clairement énoncé notre méthode, je vous propose d’entamer l’examen des amendements à l’article 12. Je rappelle que des membres du cabinet de la garde des Sceaux sont présents aux côtés du ministre de l’économie.

La Commission examine les amendements identiques SPE27 de M. Julien Aubert, SPE286 de M. Martial Saddier, SPE659 de M. Guénhaël Huet, SPE721 de M. Michel Heinrich, SPE799 de M. Jean-David Ciot, SPE877 de M. Michel Zumkeller, SPE1100 de M. Sébastien Huyghe ; SPE1141 de Mme Audrey Linkenheld et SPE1191 de M. Marc Dolez, tendant à supprimer l’article 12.

M. Julien Aubert. Nous avons une différence d’appréciation d’ordre philosophique sur ce que sont les professionnels du droit mentionnés à l’article 12 – avocats, huissiers de justice, notaires. L’activité des notaires, en particulier, est l’exemple type de celles que nous ne voulons pas libéraliser. En effet, de par leur statut, ils sont hors commerce – la spéculation en bourse leur est interdite –, ils ont une mission de service public et sont officiers publics. C’est pourquoi le présent amendement vise à supprimer l’article qui, dans cette perspective, n’a pas de raison d’être.

Ce que certains appellent archaïsme, je l’appelle service public ; or je crois au service public, je ne souhaite pas sa disparition. Les professionnels en question rendent un service qui dépasse la notion de commerce : les avocats permettent l’accès au droit, les notaires sécurisent les processus de transmission. La concurrence qui doit s’établir entre eux ne doit pas relever d’une logique de coûts mais de qualité de service. Si le « corridor tarifaire » prévu par le texte était adopté, une pression à la baisse s’exercera sur les tarifs qui aura des conséquences mécaniques sur les effectifs des offices. Huissiers de justice et notaires nous ont ainsi expliqué qu’une baisse de 20 % de leurs tarifs entraînerait une diminution de 50 % de leurs personnels. La suppression des petits cabinets qui en résulterait se fera de manière très concentrée dans les territoires les plus fragiles, à savoir les plus ruraux, accentuant de la sorte la fracture entre les villes et les campagnes.

Au-delà de l’impact économique de telles dispositions, notre position, j’y insiste, est avant tout philosophique. Elle est déterminée par la conception que nous avons des professionnels concernés : il ne s’agit pas d’épiciers, de vendeurs de voitures ; ils jouent un rôle social exorbitant du droit commun. Il faut donc maintenir leur spécificité.

M. Martial Saddier. Ce qui est choquant, ce n’est pas le débat sur les tarifs en lui-même, mais l’inscription des dispositions relatives aux tarifs des professions juridiques réglementées dans le code de commerce. L’établissement d’un testament n’est pas assimilable à l’achat d’une quelconque denrée alimentaire. Or c’est bien ce que prévoit l’article 12. Nous ne pouvons l’accepter. La France est reconnue dans le monde entier pour la qualité et la sécurité des actes juridiques qui y sont rédigés, qualité et sécurité liées à la spécificité de certaines professions, à commencer par celle des notaires. La banalisation de ces actes, à laquelle vous entendez procéder en les faisant relever de code du commerce, entraînera une baisse de leur qualité et de leur sécurité.

M. Guénhaël Huet. Le dispositif prévu à l’article 12 nous est présenté depuis plusieurs mois par le ministre de l’économie comme l’un des plus importants, des plus emblématiques du texte – on se demande un peu pourquoi. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, M. Montebourg, est allé jusqu’à déclarer, il y a quelques mois, qu’on allait redonner 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français grâce, notamment, à la tarification des professions juridiques réglementées, alors qu’on ne doit guère aller que deux ou trois fois, au cours d’une vie, chez un notaire, encore moins chez un huissier de justice. J’ai par conséquent du mal à comprendre, dans ces conditions, quel peut bien être le gain de pouvoir d’achat.

J’insiste, par ailleurs, sur le risque, pour un certain nombre de ces professions, notamment en milieu rural, d’être confrontées à de grandes difficultés. Les professionnels vous l’ont fait savoir, ils n’ont pas été entendus : leurs arguments, pourtant sérieux, fondés, ont été balayés d’un revers de la main, ce qui est regrettable.

Enfin, nos collègues Julien Aubert et Martial Saddier l’ont souligné, il est étonnant qu’on veuille inclure ces tarifs réglementés dans le code de commerce alors que les textes législatifs et réglementaires, le Conseil d’État, mais également les autorités européennes excluent explicitement de toute activité commerciale ou de toute nature commerciale les actes des professions juridiques réglementées – et en particulier ceux des notaires. Cette surprenante contradiction justifie la suppression pure et simple de l’article 12.

M. Michel Heinrich. Chacun sait que la France n’a pas été capable de respecter ses engagements budgétaires. Aussi ce texte a-t-il pour vocation principale d’envoyer un signe aux autorités européennes. Or quand on qualifie les métiers de notaire ou d’huissier de justice, d’activités commerciales, on est en parfaite contradiction avec les textes européens. Le caractère civil de l’activité des notaires et des huissiers de justice a été confirmé par le Conseil de l’Union européenne et par le Parlement européen dans le cadre de la directive « Services » de décembre 2006. Qui peut avancer ici que les notaires et les huissiers sont des commerçants ?

M. Jean-David Ciot. Les professions juridiques concernées par l’article 12 exercent une mission de service public qu’il faut assumer car elle présente l’avantage de sécuriser, on l’a dit, une grande partie des procédures judiciaires et juridiques. Il semble inconcevable de ne pas sauvegarder les missions de service public remplies en particulier par les huissiers de justice et les notaires. La disposition envisagée est d’autant moins justifiée, par ailleurs, qu’elle n’aboutira à aucune création d’emploi. Le service public n’est pas un commerce, aussi faut-il supprimer cet article purement et simplement.

M. Michel Zumkeller. Les députés du groupe UDI partagent les analyses qui viennent d’être présentées. Nous ne comprenons pas très bien la finalité de l’article 12. Le texte porte en effet sur la croissance et l’activité dont nous ne voyons pas comment elles vont pouvoir être stimulées par la disposition en question. Pire, nous avons vraiment l’impression que l’on va abîmer un secteur qui fonctionne, garant d’une certaine sécurité juridique, au point que les Français, si l’on en juge par le très faible nombre de recours, en sont satisfaits. Vous êtes sur le point de mettre un terme à un système que de nombreux pays tentent d’imiter.

On nous explique qu’il s’agit d’alléger les coûts des actes juridiques pour nos concitoyens. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler que ce qui coûte cher, dans ces actes, ce sont les taxes. Si vous voulez vraiment baisser le prix des actes juridiques pour augmenter le pouvoir d’achat des Français, diminuez donc les taxes.

Le « corridor tarifaire » que vous prévoyez conduira les notaires à appliquer les prix les plus bas. Or, actuellement, 70 % des actes des notaires ne sont pas facturés. Si ceux-ci se voient contraints de baisser leurs tarifs, ils factureront ces actes et, de ce fait, passer chez le notaire reviendra beaucoup plus cher.

M. Sébastien Huyghe. Je m’associe à ce qui a été dit sur l’incongruité de discuter des professions juridiques réglementées en l’absence de leur ministre de tutelle. Il a été répondu qu’une concertation aurait eu lieu. Or nous avons auditionné les représentants de ces professions qui tous nous ont déclaré, au contraire, qu’il n’y avait eu aucune concertation. Le seul fait qu’ils aient été reçus – sans qu’aucune conséquence n’ait été tirée de leurs remarques – ne constitue pas une concertation.

Au sein de la commission des Lois, une mission d’information a été constituée, présidée par notre rapporteure thématique, Cécile Untermaier, tandis que Philippe Houillon en était vice-président et corapporteur. Au cours des 42 auditions auxquelles la mission a procédé, 160 personnes ont été entendues. Le rapport qui en est résulté a été voté par l’unanimité de ses membres tandis que la commission des Lois en décidait la publication, également à l’unanimité. Or je suis très étonné, en examinant la liasse d’amendements, de n’en trouver aucun de la présidente-rapporteure de la mission qui reprenne les propositions émises par la mission. J’ai constaté, en consultant le site internet de l’Assemblée, qu’un amendement qu’elle avait déposé à l’article 12 a été retiré avant le début de nos travaux en commission. Or cet amendement aurait eu l’assentiment des membres de la mission, puisqu’il prévoyait de supprimer le « corridor tarifaire ».

Je propose la suppression de cet article car l’activité des professions juridiques réglementées est civile par nature et se situe donc hors commerce. On l’a évoqué : une profession semble particulièrement visée, celle de notaire. On peut d’ailleurs trouver sur internet la réponse de la porte-parole du parti socialiste aux vœux de Mme Cécile Duflot : Mme Juliette Méadel a déclaré que « ce texte n’enlève rien à personne à l’exception des notaires ». Ce qui m’étonne.

Le droit n’est pas une marchandise et, par conséquent, n’est pas soumis aux mêmes règles de concurrence que les activités marchandes concernées par les articles précédents. Ce caractère particulier de l’activité juridique est dû à notre système de droit continental qui est, certains orateurs l’ont souligné, très protecteur pour nos concitoyens. Il s’oppose au droit anglo-saxon qui fait du droit un marché soumis à la concurrence sans aucune régulation, ce qui lui ôte tout caractère protecteur. Ainsi, certains professionnels du droit, en France, ont la qualité d’officier ministériel ou bien d’officier public, ce qui signifie qu’ils sont dépositaires du sceau de l’État qui leur permet de conférer leur authenticité aux actes qu’ils rédigent et reçoivent. Ils participent ainsi au service public de sécurité juridique dû par l’État au titre de notre système juridique de droit continental.

Afin d’assurer l’égalité de nos concitoyens devant ce service public, il a été institué un tarif fixé par l’État, par l’intermédiaire du garde des Sceaux qui n’a jamais aussi bien porté son titre qu’à cette occasion. Ainsi, nos concitoyens, quel que soit l’endroit du territoire où ils se trouvent, sont assurés de payer le même tarif. Or, en mettant fin au tarif unique, vous supprimez une égalité entre nos concitoyens. En confiant à l’Autorité de la concurrence le soin de fixer une fourchette de tarifs, vous méconnaissez totalement la nature de ces activités juridiques et vous nous emmenez dans la voie de l’« anglo-saxonnisation » de notre droit, ce dont nous ne voulons absolument pas – cela au nom de l’intérêt général, au nom de la protection de nos concitoyens.

Mme Audrey Linkenheld. Je me suis penchée sur ces professions juridiques réglementées, même si je n’ai pas le plaisir de les connaître aussi bien que l’orateur précédent. J’ai reçu des notaires, des huissiers de justice, des mandataires et des administrateurs judiciaires de ma circonscription et alentour. J’ai ainsi pu mesurer la nécessité de moderniser certaines de ces professions et de partager plusieurs de leurs inquiétudes – du reste fort bien décrites dans les travaux de la mission d’information dont je tiens au passage à saluer la qualité.

En déposant cet amendement de suppression je souhaitais relayer une partie de ces inquiétudes. Toutefois, l’amendement SPE1885 y répond en grande partie. La solution que préconise son auteur préserve en effet le service public, l’accès au droit, permet de lutter contre la marchandisation, de jeter un rempart contre l’« anglo-saxonnisation » de notre droit que je ne souhaite pas davantage que Sébastien Huyghe. C’est pourquoi je retire l’amendement SPE1141 au profit de l’amendement SPE1885 des rapporteurs.

L’amendement SPE1141 est retiré.

M. Marc Dolez. Notre groupe a déposé un amendement de suppression pour des raisons de fond. Pour nous, le droit n’est pas une marchandise et nous sommes indéfectiblement attachés à notre système de droit continental. En outre, les tarifs applicables aux professions juridiques réglementées s’inscrivent dans le cadre d’une mission de service public.

L’article 12, qui met en place un « corridor tarifaire » permettant de faire varier une prestation identique entre un plancher et un plafond, porte atteinte au principe d’égalité. J’ajoute que cette nouvelle modalité de rémunération trouve sa raison d’être dans la notion avancée de coût pertinent. Nous pensons pour notre part que cette notion est subjective et dangereuse tant pour la qualité du service public que pour le niveau de l’emploi de ces professions.

M. le ministre. Avis défavorable.

Je répondrai d’abord sur la méthode, avant d’en venir au fond.

Le projet de loi est le fruit d’une concertation conduite dès l’origine par mon ministère et par celui de la justice, qui ont reçu de concert les représentants de toutes les professions concernées. Certes, concertation et accord ne sont pas synonymes, mais la discussion n’a jamais été interrompue, et j’ai l’espoir que les améliorations apportées au texte permettront d’aboutir à un équilibre satisfaisant. J’insiste sur le fait que le texte est le fruit d’un travail gouvernemental. C’est seulement pour des raisons d’organisation que je suis le seul à le défendre devant vous au nom du Gouvernement. J’informe la garde des Sceaux et j’échange avec elle.

Je m’étais engagé à ce qu’il intègre le plus possible d’ordonnances. Les mesures sur l’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire (AJMJ), l’incompatibilité d’exercice des experts comptables, les structures d’exercice pluridisciplinaires, les formes de société des professionnels du droit ou le capital des sociétés de participation financière des professions libérales (SPFPL) seront intégrés au texte grâce aux amendements du Gouvernement ou des rapporteurs – ce qui répond aux objections de M. Houillon. En revanche, les dispositions concernant le regroupement des professions – abordé à l’article 20, I et II – doivent faire l’objet d’un travail de plusieurs mois.

À entendre certains d’entre vous, l’article 12 poserait, sur le fond, un problème philosophique. Il compromettrait, selon M. Aubert, la qualité du service juridique et, selon MM. Saddier et Huet, la sécurité des actes et des professions. Ce serait le cas si nous avions décidé de revenir sur l’exclusivité des actes juridiques, comme l’opposition avait entrepris de le faire en 2010.

Le périmètre du projet de loi est moins étendu. Il n’englobe que des dispositions tarifaires, qui relèvent non de la discussion philosophique mais du code de commerce et du ministère de l’économie. En aucun cas, l’article 12 ne touche à la sécurité juridique ni au fondement des professions juridiques. Il propose seulement qu’on éclaire régulièrement l’approche des tarifs réglementés par les coûts réels. Cet examen pourra faire l’objet d’une discussion contradictoire avec les professionnels, conformément à la pratique constante de l’Autorité de la concurrence.

Dans un contexte économique qui a profondément changé, nous ne pouvons pas nous satisfaire de tarifs réglementés dont la base remonte, pour certains, à un décret de 1978. L’approche par le concret et par le réel s’imposant dans toute discussion, on comprendrait mal que seule la politique tarifaire des officiers publics ministériels ne puisse être éclairée par la réalité des coûts. Nos concitoyens ont tout à y gagner.

En outre, l’article ouvrira un corridor tarifaire, qui permet d’envisager une négociation ou des remises. Puisque certains d’entre vous craignent que cette disposition ne fragilise certains offices notariaux de province, notamment en zone rurale, je vous proposerai par amendement qu’elle ne s’applique pas aux actes de la vie courante. L’approche du corridor tarifaire manquerait, en effet, de pertinence en-dessous d’un certain seuil.

M. le rapporteur général. Avis défavorable aux amendements de suppression. Je rappelle notre attachement aux professions du droit, qui garantissent la sécurité des transactions et qu’il ne faut ni stigmatiser ni fragiliser. Certains parlementaires dénoncent, de manière surréaliste, une « anglo-saxonisation » de notre droit quand la discussion ne porte que sur les tarifs. D’autres prétendent que des dispositions concernant les professions du droit n’auraient rien à faire dans le code du commerce. Celui-ci fixe pourtant les honoraires des mandataires judiciaires, des administrateurs judiciaires et des greffiers des tribunaux de commerce, professions du droit éminemment respectables. Il faut croire que les représentants de certaines professions ont atteint un haut niveau dans l’art de la communication, puisqu’ils parviennent à faire entendre des arguments aussi peu fondés.

J’ai entendu dire que nous n’avions pas mené de concertation. Outre les consultations organisées par les ministères, j’ai moi-même procédé à des auditions pour rédiger mon rapport, comme l’ont fait M. Houillon et Mme Untermaier pour conduire leur mission d’information sur les professions juridiques réglementées. On aurait difficilement pu en organiser davantage. Des compromis ont été trouvés, mais on ne peut aller trop loin en matière de concessions sans prendre le risque d’enterrer le texte.

L’objectif de ce texte, précisément, est que les jeunes qui en ont la capacité puissent accéder aux professions encadrées, et que notre système gagne en simplicité comme en transparence. En outre, nous devons entrer dans une nouvelle logique. Les tarifs relatifs aux actes les plus courants seront fixes. Des rabais, des remises pour dire les choses simplement pourront être consentis, ce que l’on désigne par le terme de corridor tarifaire. Enfin, certains tarifs seront proportionnels. C’est du moins à ce à quoi tendent les amendements que nous vous proposerons, Mme Untermaier et moi-même. Permettez-moi de m’étonner que les mots de rabais ou de remise, qui n’ont rien d’outrageant concernant des métiers dont la pratique est précisément la négociation, puissent à ce point indigner certains de nos collègues.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous avons entendu beaucoup de gens, M. Houillon et moi-même, et, depuis que nous avons remis notre rapport, j’ai organisé une dizaine d’auditions supplémentaires. Nous avons travaillé tant avec la Chancellerie qu’avec le ministère de l’économie, ce qui nous permet de défendre une approche différente, voire modernisée, des dispositions dont nous allons débattre.

De manière unanime, la mission s’était déclarée défavorable au corridor tarifaire, considérant que le statut d’officier public ministériel s’accommode mal de la flexibilité d’un tarif. Depuis lors, le Conseil d’État s’est exprimé : il n’a pas indiqué dans son avis que cette flexibilité serait incompatible avec le statut d’officier public ou ministériel. De son côté, l’Autorité de la concurrence a rappelé que l’usage est de prévoir un tarif plafond, au-dessous duquel chacun peut en user à sa guise. La mesure n’est pas suffisante, au sens où, sans tarif plancher, elle risque d’alimenter le dumping, qui fragiliserait les plus faibles. Le Conseil d’État et l’Autorité de la concurrence nous permettent d’avancer vers un dispositif régulé, qui ménage toutefois une certaine flexibilité, car le coût des actes n’est pas nécessairement le même sur l’ensemble du territoire.

M. Daniel Fasquelle. Nous déplorons l’absence de la garde des Sceaux, puisque les questions dont nous débattons ont toujours dépendu, en France, du ministère de la justice. Les réponses qui ont été apportées hier, quand sa présence a été demandée par quatre groupes – de l’opposition comme de la majorité –, ne nous ont pas satisfaits.

Les professionnels se plaignent de l’absence de concertation. Certes, l’Autorité de la concurrence a été saisie par le précédent ministre de l’économie, mais le projet de loi a été écrit à la hâte avant qu’elle ait rendu son avis. Le texte stigmatise les professions du droit. Dès lors que vous parlez de rente – mot tabou dans notre pays –, ne vous étonnez pas qu’elles réagissent. Ceux qui travaillent ne sont pas des rentiers. Le Gouvernement devrait témoigner davantage de considération pour les professions de justice.

Les notaires installés dans les territoires ruraux ont protesté pendant des mois avant qu’il n’entende leur inquiétude. Le texte risque de fragiliser le modèle notarial français, admiré dans le monde entier et imité jusqu’en Chine. Si l’on déstabilise le service public de qualité que rendent les professions de justice, celui-ci ne sera plus assuré de manière égale sur le territoire national. Je vous engage donc à continuer à faire évoluer le texte, ce qui permettra peut-être de préserver le modèle français.

M. le ministre. Je vous appelle à un peu plus de rigueur, monsieur Fasquelle. Je n’ai jamais parlé de rente ni de rentier à propos des notaires ! Si j’ai utilisé le terme de rente, c’est à propos des surfaces commerciales et des grandes enseignes. Je respecte éminemment les professions du droit. C’est d’ailleurs pourquoi, contrairement à ce que préconisait votre groupe quand il était dans la majorité, le Gouvernement n’a pas voulu reconsidérer l’acte authentique. Évitons les approximations ou les mensonges, qui polluent la discussion.

Si l’avis de l’Autorité de la concurrence vous intéresse, je vous engage à le relire jusqu’au bout. Il risque de vous surprendre. C’est justement parce que nous souhaitons être à l’écoute du terrain que nous ne l’avons pas suivi dans sa totalité.

M. Gilles Lurton. J’ai assisté à un grand nombre d’auditions – il était impossible de les suivre toutes, car plusieurs d’entre elles se sont déroulées au même moment – et j’ai rencontré ceux qui exercent des professions réglementées dans ma circonscription. Ceux-ci ont le sentiment de n’avoir pas été écoutés.

Vous affirmez que nous ne pouvons pas nous satisfaire de tarifs déconnectés du coût réel. Je suis prêt à souscrire à cette observation, mais les actes dont le coût s’écarte le plus du réel sont les plus petits. Leur augmentation pèsera sur les classes les plus modestes.

Mme Véronique Louwagie. Je m’interroge sur l’insertion des dispositions de l’article 12 dans le code de commerce. Pour désigner le travail des professions réglementées, soumises à la tutelle de l’État en raison des missions qu’elles accomplissent, le texte parle de « prestations », comme si leur activité était de nature commerciale. Il serait plus rigoureux de parler d’« actes ».

La réalité des coûts me semble une notion très subjective. Dès lors qu’il n’existe aucune déclaration de succession identique, puisque les situations familiales, patrimoniales et fiscales sont toujours différentes, comment estimer le coût du service rendu sur un acte, sinon en fonction d’une moyenne ? J’ajoute que les coûts sont très différents d’un territoire et d’un secteur à l’autre, puisque les loyers varient considérablement, ainsi que les charges de personnels. Je suis donc très sceptique sur le calcul et les unités de compte que vous proposerez.

L’article parle d’une rémunération « raisonnable », mais comment définir ce terme ? Allez-vous fixer un montant par mois, par an, par région ? Quel est le contraire de « raisonnable » quand il s’agit d’une rémunération ? Est-ce « anormale », « illégitime » ?

Vous ne citez aucun élément concernant la périodicité de la révision. Celle-ci interviendra-t-elle tous les ans, tous les trois ans ou selon un autre critère ? Dans les territoires, certains petits actes ne sont pas rémunérés en fonction du temps passé chez le notaire, et il existe déjà une forme de péréquation entre les petits et les grands actes. Pourquoi remettre en cause cet équilibre, qui me semble juste ?

Je crains que ce texte, qui traduit le désir d’entrer dans une économie administrée, n’entraîne une désertification juridique, comme il existe une désertification médicale. Les clients n’accepteront pas de payer le prix réel des petits actes, qui augmentera, et refuseront d’aller chez le notaire, dont la vocation est d’apaiser les conflits. Un autre risque est que la différence de coût d’un territoire à l’autre n’induise une régionalisation des tarifs – à moins que vous ne préfériez vous en tenir à une moyenne, qui n’aurait aucun sens. Bref, je redoute qu’on aboutisse à un système nocif et complexe, qui entraînera des dysfonctionnements du service public.

Mme Audrey Linkenheld. Il n’y a pas lieu d’opposer, à l’intérieur de cette commission, ceux qui défendraient les professions juridiques et ceux qui les attaqueraient. Nos collègues de l’opposition ont rencontré les notaires, huissiers et mandataires de leurs circonscriptions. C’est aussi notre cas. Nous avons tous essayé de comprendre comment travaillent ces professions, de même que nous défendons tous le service public et l’accès au droit. Il n’y a donc pas lieu de caricaturer la position du Gouvernement ou des rapporteurs, qui vont formuler des propositions constructives, ni de dénoncer je ne sais quelle « anglo-saxonisation » de notre droit.

Les craintes, en partie apaisées, de la profession s’expliquent par un mode de concertation un peu particulier. Il nous reste à présenter des propositions concrètes, conciliant les intérêts de ceux qui travaillent dans les territoires et de ceux qui aimeraient s’y installer. On peut vouloir faire évoluer une profession sans la fragiliser.

M. Julien Aubert. J’ai entendu la position des rapporteurs, que je n’ai aucune envie de caricaturer, mais ce ne sont ni le Conseil d’État ni l’Autorité de la concurrence qui font la loi. Les enjeux réglementaires ou juridiques sont de seconde importance par rapport à une question politique qu’il nous revient de trancher.

Le ministre a évolué sur la question du corridor tarifaire, ce qui prouve qu’il est flexible. Il souhaite maintenir un tarif fixe pour les actes les plus simples, tandis que celui des actes les plus complexes serait négociable. Selon un article paru aujourd’hui dans Le Parisien, l’équilibre économique du notariat repose sur les actes importants, qui assurent la rentabilité de l’activité. Si l’on ampute cette marge, les offices les moins rentables disparaîtront, ce qui aura sur les territoires des conséquences difficiles à prévoir.

Je n’ai pas eu accès au rapport de l’Autorité de la concurrence, mais son président voudrait instaurer des tarifs plus attractifs et une émulation entre les notaires, ce qui réduira fatalement le nombre d’acteurs. Pourquoi supprimer des emplois dans un secteur qui fonctionne ?

Dès lors que des professionnels assurent un service public, il est normal que leurs tarifs soient fixes, comme l’est par exemple le prix du timbre. En tant qu’élu d’un territoire rural, je n’aime pas l’idée qu’on introduise de la concurrence dans un service public, et je m’étonne que le Parti socialiste y soit favorable. Il me semble dangereux, d’un point de vue philosophique, de s’aventurer dans cette direction et de traiter l’exercice du droit comme un commerce.

M. Sébastien Huyghe. Il ne s’agit pas, dans ce débat, de défendre une profession, comme certains le laissent entendre, mais de maintenir la qualité du service rendu à nos concitoyens par une profession. La majorité précédente n’a jamais modifié ni la qualité ni le périmètre de l’acte authentique, contrairement à ce que prétend le ministre. À l’époque, celui-ci n’appartenait pas à la sphère politique, alors qu’en ma qualité de président d’un groupe d’études sur les systèmes juridiques européens, j’ai observé la manière dont le Gouvernement veillait à protéger la qualité du service juridique rendu à nos concitoyens.

Par souci d’exactitude, je donne acte au ministre qu’il n’a jamais parlé de rente, mais la manière dont il aborde le texte est révélatrice. Du reste, le président de la République et certains de ses chevau-légers n’ont, eux, pas hésité à utiliser le terme.

Le ministre martèle qu’il faut ajuster les tarifs aux coûts réels. Mais comment déterminer le coût réel d’actes très nombreux, qui vont du plus simple au plus complexe ? Tous les jours, le Parlement fait évoluer le droit de l’immobilier, de la famille ou de l’entreprise, ce qui, en augmentant la difficulté de rédiger les actes, fait constamment varier leur coût réel. À supposer qu’on sache déterminer celui-ci, est-ce à l’État de déterminer le coefficient de marge, ce qui traduira une évolution vers une économie administrée ?

En assignant à l’Autorité de la concurrence le soin de fixer les tarifs, le ministre laisse entendre que la garde des Sceaux n’a pas fait son travail, plaçant ainsi une pierre dans son jardin. Il aurait donc été normal qu’elle soit parmi nous pour se défendre.

Cécile Untermaier nous assure que les représentants des professions ont été consultés, mais les conclusions adoptées à l’unanimité par les membres de la mission d’information et de la commission des lois ont été abandonnées en rase campagne. Nous étions défavorables à l’idée d’un corridor tarifaire. Cécile Untermaier a même rédigé un amendement dans ce sens, qu’elle a retiré avant le début de la réunion. Elle affirme à présent que le Conseil d’État s’est prononcé en faveur d’un corridor tarifaire. C’est inexact, puisqu’il envisage celui-ci comme une possibilité, non comme une obligation. Nous pouvions parfaitement poursuivre dans la direction souhaitée par la mission.

Enfin, je m’insurge contre les propos du rapporteur général qui évoque la possibilité qu’un officier ministériel propose des remises, des rabais. Pourquoi ne pas aller jusqu’à parler de ristourne, voire de promotions, puisque nous sommes en période de soldes ?

M. Philippe Vigier. En déclarant qu’il prenait la tête de la lutte contre la rente et le monopole, M. Montebourg avait commencé très fort. Dans ses vœux aux Français, le président de la République lui a emboité le pas en annonçant que le texte de loi allait libérer l’économie et mettre fin aux rentes. Avait-on besoin d’humilier les professions juridiques dans un moment où la cohésion nationale doit être au rendez-vous ?

Vous soulignez, monsieur le ministre, que l’article 12 ne traite que de nouveaux principes d’instauration et de fixation de tarifs réglementaires, mais comment les Français comprendront-ils ce qu’est une « rémunération raisonnable » pour une profession déterminée ? L’expression ouvre une boîte de Pandore, impossible à maîtriser entre l’inventaire des métiers et le calcul du coût réel des actes notariés, alors que la tarification des plus complexes diffère parfois bien peu de celle des plus simples. Puisque nul ne remet en cause la qualité du service juridique apporté aux Français, on peut considérer qu’il fonctionne. Il n’y a donc pas lieu de le remettre en cause. Il s’agissait au départ de réaliser 6 milliards d’euros d’économies, mais la somme annoncée semble être partie en fumée.

Sur quels critères mettrez-vous en place une tarification pertinente ? Si des modifications tarifaires interviennent dans le domaine de la santé, c’est parce qu’elles sont proposées par la Caisse nationale d’assurance maladie, au vu de certains éléments. Ce n’est pas le cas sur le sujet que nous étudions.

L’existence d’un corridor tarifaire m’inspire quelques doutes. On n’arrive pas chez un notaire en négociant ses tarifs. La force des officiers ministériels est d’apporter de la sécurité juridique sur tout le territoire à un prix unique – comme celui du timbre –, alors même que les coûts ne sont pas les mêmes dans toutes les études. Je conviens que certaines d’entre elles sont très rentables. Tant mieux ! Vous avez d’ailleurs déclaré, monsieur le ministre, que vous vous réjouiriez si de jeunes Français pouvaient devenir milliardaires. Quoi qu’il en soit, il sera très difficile d’établir une tarification en fonction de critères objectifs.

Nous ne sommes pas hostiles à la modernisation de la profession. Nous formulerons même des propositions en ce sens quand nous aborderons d’autres articles. Mais on ne peut pas tout mélanger. Alors que vous abordiez la question du point de vue du pouvoir d’achat, les critères que vous mettez en place seront facteurs d’inégalités. Leur seul effet sera d’entraîner une désertification juridique. Bientôt, il faudra proposer aux notaires des dotations, des primes à l’installation et des surfacturations d’actes, comme on en offre aux médecins pour maintenir leur présence dans certaines zones. Le projet de loi aura créé un espace juridique à deux vitesses.

Mme Michèle Bonneton. Le ministre et les rapporteurs nous ont rappelé les intentions qui ont présidé à la rédaction de l’article. Celles-ci sont bonnes, mais que se passera-t-il dans la réalité ? Les prix, semble-t-il, varieront du simple au double, ce qui est considérable. Tout acte sera précédé d’une négociation, qui ne bénéficiera qu’à ceux qui possèdent la force économique. Dans les zones rurales, où beaucoup d’actes ne rapportent rien, les notaires sont appréciés pour la sécurité juridique qu’ils apportent ou la qualité de leurs conseils, souvent gratuits. La proportionnalité de la tarification favorisera les études qui traitent les affaires importantes, au détriment des petites études rurales. On connaît les effets de la mise en concurrence : elle fait baisser moins les prix que la qualité, ce qui s’effectue toujours au détriment des usagers. Les plus modestes seront bientôt exposés à une plus grande insécurité juridique. C’est d’autant plus dommage que notre système notarial est apprécié, et que de nombreux pays cherchent à s’en inspirer. Enfin, nul ne sait comment le fond de péréquation sera mis en œuvre. Le moins qu’on puisse dire est que le texte ne va pas dans le sens de la simplification.

M. Philippe Gosselin. Par respect pour le Parlement et les professions juridiques, Mme Taubira aurait pu être présente ! Si Paris vaut bien une messe, la commission spéciale chargée d’étudier le projet de loi vaut bien quelques minutes de la garde des Sceaux.

M. le président François Brottes. Au moment où vous parlez, le conseil des ministres commence.

M. Philippe Gosselin. Ce n’était pas le cas à neuf heures. Je rappelle aussi que ce n’est pas contre l’ancienne, mais contre la nouvelle majorité, que toutes les professions juridiques ont défilé en décembre dernier. Certains membres de la majorité s’imaginent qu’il n’existe en France que de grosses études et des cabinets importants, qui brassent un grand nombre d’affaires. Ils méconnaissent la réalité de notre pays, en grande partie rural, où les professions juridiques garantissent l’égalité de l’accès au droit. Il ne faut pas compromettre cet équilibre en fragilisant les petites études.

La péréquation existe dans les faits, puisque la charge que représentent les petits actes est compensée par les bénéfices qu’apportent les plus importants. Pour les petites études, où officient les notaires de famille, qui prodiguent à l’occasion des conseils gratuits, vous organisez non le corridor tarifaire mais celui de la mort. Vous programmez en même temps la fin du droit continental, que les majorités précédentes avaient tenté de promouvoir. J’ai accompagné à cet effet des gardes des Sceaux précédents en Jordanie et au Liban. Qui tient le droit tient l’économie : en ouvrant la porte au droit anglo-saxon, vous affaiblissez le standard du droit européen et, partant, toute notre société.

M. Philippe Houillon. Je serai bref, puisque je soutiendrai sur cet article un amendement, qui recevra, je l’espère, un avis favorable du Gouvernement. Ma proposition va en effet dans le sens préconisé par le ministre, mais son article est une usine à gaz, alors que la rédaction que je propose est plus simple, c’est-à-dire plus moderne. À mes yeux, en effet, ce qui est moderne est simple, et ce qui est compliqué, archaïque.

Vous prenez un risque considérable, monsieur le ministre, en introduisant dans le droit la notion de « rémunération raisonnable ». Les avocats ne s’en plaindront pas, car vous allez ainsi engendrer un contentieux important. La notion de rémunération raisonnable affirmée dans la loi sera précisée par un décret qui en établira les critères, lesquels seront ensuite exportés vers d’autres secteurs. Je doute que ce risque ait été perçu par les auteurs de l’étude d’impact, particulièrement indigente.

L’article parle de péréquation, par dérogation à l’alinéa précédent, qui mentionne le coût pertinent et la rémunération raisonnable. Est-ce à dire que la péréquation se fondera sur un coût non pertinent et une rémunération déraisonnable ? Le corridor tarifaire entraînera un problème de lisibilité, puisque ces tarifs s’appliqueront essentiellement au secteur monopolistique de ces professions. Ainsi, plusieurs prix coexisteront sur le territoire national.

On verra aussi se poser des problèmes d’opposabilité, puisque le prix négocié par un créancier avec l’huissier sera acquitté in fine par le débiteur. Les problèmes sont tels que nos rapporteurs ont déjà rédigé deux amendements pour tenter de trouver une issue. Un premier amendement SPE1731 a été retiré, quant à l’amendement SPE1885, il semble encore plus complexe que le projet de loi.

Les professionnels ont tous regretté l’absence de concertation. La seule discussion qui ait eu lieu s’est tenue devant la mission d’information. Je ne suis pas sûr que nous nous honorions en acceptant que l’on revienne sur les conclusions de celle-ci pour ne pas déplaire au Gouvernement. De même, le Parlement ne se grandit pas en acceptant que la garde des Sceaux ne soit pas devant lui. Le Gouvernement a le droit de décider de nous envoyer tel ou tel ministre. Je n’adresse aucun reproche à M. Valls à ce sujet, mais le président de commission, le rapporteur général et les rapporteurs thématiques devraient exiger la présence de Mme Taubira à nos travaux.

M. le président François Brottes. Je vous rappelle que j’ai exigé que le Gouvernement soit présent tout au long de nos travaux, ce qui n’est pas toujours le cas en commission, tant s’en faut : il est fréquent que nous examinions des textes, y compris des projets de loi, sans que le Gouvernement soit présent.

M. Jean-Charles Taugourdeau. En quoi cet article est-il de nature à favoriser l’activité et la croissance ? J’ai plutôt l’impression qu’on est en train de vider les fonds de tiroirs – des tiroirs n’appartenant pas à l’État – au nom du citoyen consommateur, à qui vous voulez faire croire qu’il va vivre mieux en payant moins cher, et au nom d’une transparence qui vous conduit à considérer avec suspicion quiconque semble gagner de l’argent. Aujourd’hui, vos soupçons portent sur les notaires, pourtant aimés et respectés par les Français, qui les voient comme l’un des rares points de repère subsistant dans la société.

Quand l’Autorité de la concurrence affirme qu’un « gros » acte ne coûte pas plus cher qu’un « petit », il faut comprendre qu’un « petit » acte coûte aussi cher qu’un « gros » : il demande autant de temps à des employés qui ne sont pas payés moins cher – et je ne parle même pas des conseils dispensés gratuitement, notamment aux personnes âgées. La baisse des tarifs que vous espérez va donc, en réalité, entraîner des licenciements, ce qui ne va en rien favoriser l’activité.

L’activité des notaires est à la fois un service public et une production française qui, si elle a un coût, n’a pas de prix quand on pense aux cinq millions de chômeurs et de précaires que compte notre pays. Songeriez-vous, monsieur le ministre, à réguler les salaires des fonctionnaires en les payant au résultat dans l’intérêt du citoyen et du consommateur ? On peut se le demander. Quoi qu’il en soit, ce que vous voulez faire aux notaires ne relève pas de la régulation : cela revient seulement à suspecter une filière au-dessus de tout soupçon. En agissant de la sorte, il ne faudra pas vous étonner si, demain, les Chinois rachètent les études notariales. Quant à la transparence qui, dans la réalité, ne s’est appliquée qu’au patrimoine des parlementaires et des ministres, j’aimerais qu’elle concerne aussi l’Autorité de la concurrence, et je demande à ce que le montant des salaires de ses membres nous soit indiqué avant la fin de la semaine.

M. Patrick Hetzel. La rédaction de l’article 12 montre que le Gouvernement a une vision erronée de la réalité des professions juridiques, une vision très parisienne faisant abstraction de la grande diversité qui caractérise ces professions.

On observe dans ce texte un glissement dangereux consistant à assimiler les professions juridiques à des professions commerciales, ce qui est une erreur fondamentale. Jusqu’à présent, les professions libérales en général et les professions juridiques en particulier ont été considérées non seulement comme une spécificité, mais aussi comme une richesse pour la France. C’est une vision très anglo-saxonne des choses qui semble désormais vouloir s’imposer, dans la mesure où vous avez l’intention d’appliquer aux professions juridiques et libérales des normes issues du code du commerce.

Ce texte recèle en réalité un vrai paradoxe : alors que vous nous parlez d’ouverture, de libéralisation et de respiration du système, il semble que tout soit fait pour que l’on débouche en fait sur une conception administrée des choses : ce sont des kolkhozes juridiques que vous êtes en train de nous préparer !

Vous semblez méconnaître le fait qu’un certain nombre de professionnels du droit sont également très présents lorsqu’il s’agit de conseiller nos concitoyens – ce qu’ils font souvent à titre gratuit, notamment les notaires –, et que les actes de moindre importance ont souvent un coût supérieur à celui facturé. Vous nous dites être porteur d’une vision de gauche, monsieur le ministre, mais vous ne semblez pas avoir conscience du fait que les plus modestes vont payer les actes juridiques plus cher, ce qui est un comble.

Enfin, vous allez stimuler les contentieux en introduisant des formules subjectives – « rémunération raisonnable », « coûts pertinents du service public » – qui vont donner lieu à diverses interprétations, alors même que vous prétendez maintenir la sécurité juridique des actes. Cela, vous en conviendrez, est pour le moins paradoxal.

M. Guénhaël Huet. Sous couvert de réforme et de modernité, vous cherchez en fait à imposer des dispositions inspirées par l’idéologie et la démagogie. Pour des raisons qui m’échappent, vous voulez livrer à la vindicte populaire des professions juridiques soupçonnées par préjugé de gagner beaucoup d’argent, et stigmatisées à ce titre. Je veux souligner l’indigence de l’étude d’impact sur l’article 12. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, affirmait que ce projet de loi allait rendre 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français. Or on peut simplement lire à la page 69 de l’étude d’impact que « le chiffrage exact du gain de pouvoir d’achat dépendra de l’expertise des coûts qui sera réalisée dans le cadre de la définition par les autorités compétentes du nouveau dispositif ». La même étude d’impact indique par ailleurs que « s’agissant des professionnels concernés, ils bénéficieront d’un tarif fondé sur les coûts » : difficile d’être moins précis et, disons-le, plus irresponsable que cela !

Un notaire propriétaire d’une petite étude rurale me confiait avoir dégagé en 2014 un bénéfice de 8 800 euros. Âgé de 67 ans, il souhaitait mettre fin à son activité et vendre son étude, mais la personne qui s’était initialement déclarée intéressée – une femme salariée d’une étude et ayant l’intention de se mettre à son compte – a finalement manifesté de la réticence, considérant que les dispositions du projet de loi rendaient son projet trop risqué. Voilà comment un chef-lieu de canton du sud de la Manche et ses 2 200 habitants vont prochainement se trouver privés de notaire !

Monsieur le ministre, alors que votre prédécesseur passait son temps à se faire valoir devant les micros et les caméras, votre réputation d’homme sérieux et réfléchi nous avait fait espérer que vous infléchiriez certaines des dispositions de ce texte. Ne cédez pas à la démagogie et à l’idéologie en cherchant à nous faire voter un texte désastreux pour nombre de professions juridiques, notamment dans le milieu rural !

M. le président François Brottes. C’est bien l’un des intérêts de nos travaux que de nous permettre d’aller au-delà de la rumeur pour atteindre la réalité des choses.

M. Arnaud Leroy. J’ai une pensée pour M. Arnaud Montebourg qui, je le sais, suit nos débats avec intérêt, lui qui est à l’origine de la réforme proposée. Au sujet du pouvoir d’achat et de la croissance, au centre de ce texte, je veux souligner qu’il a été procédé à une vaste consultation depuis ses premières ébauches. Si j’ai cosigné, avec Audrey Linkenheld, un amendement de suppression de l’article 12, j’appelle tout de même notre collègue Gosselin à un peu de retenue. L’honneur du Parlement, c’est de ne pas faire huer la garde des Sceaux dans l’hémicycle, c’est de reconnaître que nous nous trouvons dans une situation dramatique qui exige de Mme Taubira qu’elle participe à toutes les réunions d’urgence décidées par le président de la République et le Premier ministre, et qui l’empêche d’être parmi nous ce matin.

Sur le fond, je commencerai par souligner que le timbre fiscal, élément important dans l’activité notariale, n’a pas vocation à augmenter en certains points du territoire. À ceux qui semblent tentés de prétendre que les territoires ruraux vont pâtir de la réforme, je rappellerai que notre rapporteure thématique, Cécile Untermaier, est élue d’une petite circonscription de Saône-et-Loire : il est difficile de croire qu’elle agit dans l’intérêt exclusif de la mégalopole parisienne. Par ailleurs, il ne me semble pas très sérieux de prétendre que l’on va créer des déserts juridiques, à l’image des déserts médicaux qui existent déjà. Si je ne nie pas qu’il y ait un problème d’aménagement du territoire et d’implantation des professions juridiques, comparer l’installation des professions juridiques réglementées à celle des médecins ne me semble pas être la bonne voie.

Chacun peut laisser libre cours à son imagination mais, en tant que député des Français établis hors de France, je peux vous dire que la réforme conséquente menée en matière notariale au Portugal, loin de bafouer la profession ou de conduire au licenciement de hordes de notaires ou d’employés, n’a eu, au contraire, que des conséquences positives.

J’appelle nos collègues de l’opposition à sortir de leur tranchée et à lever le nez des argumentaires qui leur ont été fournis par les notaires, et que je connais aussi bien qu’eux, tout comme je connais la campagne télévisée « Une vie sans notaires », mettant en scène une famille qui, rentrant de week-end, découvre que d’autres personnes se sont approprié sa maison. Que chacun garde le sens de la mesure : il ne s’agit que de faire évoluer des professions réglementées. Pour ma part, je me range aux amendements de compromis, en l’espèce à l’amendement SPE1885, ayant reçu des assurances sur les points qui me préoccupaient. C’est cela, avancer en politique.

M. Martial Saddier. Vous conviendrez que, quand des députés de quatre groupes parlementaires, y compris du groupe principal de la majorité, déposent des amendements de suppression d’un article de projet de loi, il semble bien qu’il y ait un problème de fond. Depuis deux ans et demi, la majorité s’attaque systématiquement à tout ce qui marche bien, tout ce qui nous est envié par le reste du monde. C’est ce que vous faites encore aujourd’hui, monsieur le ministre : en affaiblissant les professions juridiques, vous prenez le risque de mettre à mal la sécurité juridique des actes, notamment des actes notariés. Et même si vous affirmez que le maintien des actes authentiques constitue la garantie que ce ne sera pas le cas, permettez-nous de le craindre et d’alerter nos concitoyens sur ce point.

Par ailleurs, il est évident que ce projet de loi va se traduire par une accélération de la raréfaction des professions juridiques en certains points du territoire. Vous le dites vous-même au travers de l’article 17, qui prévoit expressément, pour pallier la désertification qui ne manquera pas de se produire, la mise en place d’une cartographie. Et si cela ne suffisait pas, il serait procédé à un appel à manifestation d’intérêt ; si celui-ci restait infructueux, une permanence pourrait être mise en place dans une maison de la justice et du droit. Dans ces conditions, comment voulez-vous que nous vous croyions quand vous affirmez que votre réforme aboutira à une répartition homogène des professions juridiques sur le territoire, à un accès libre et égal aux professions juridiques pour tous nos concitoyens, et au maintien de la sécurité juridique ?

M. Marc Dolez. Je veux d’abord dire très amicalement à notre rapporteure thématique que je suis surpris par la ligne de conduite qu’elle semble avoir décidé d’adopter. Notre commission des Lois a mis en place à l’automne une mission d’information sur les professions juridiques réglementées, qui a permis, au prix d’un travail considérable, d’entendre l’ensemble des professions concernées et de prendre note de leurs propositions. J’étais assez sceptique quant à l’utilité des travaux de cette mission, dans la mesure où celle-ci n’avait rendu ses conclusions que huit jours après l’adoption du projet de loi en conseil des ministres. Néanmoins, il m’a été expliqué que nous aurions l’occasion de faire valoir les conclusions de la mission dans le cadre du débat parlementaire et, sans doute un peu naïvement, je me suis laissé convaincre. Je me suis donc félicité de ce que Cécile Untermaier, qui avait présidé et corapporté la mission initiale, avait été nommée rapporteure thématique sur le texte, imaginant qu’elle allait pouvoir porter par voie d’amendement les conclusions et les propositions de la mission d’information, conformément au mandat qui lui avait confié par la commission des Lois. Or, pour des raisons que j’ignore, elle a décidé de s’affranchir de ce mandat, sur l’article 12 comme sur d’autres, ce que je regrette beaucoup. J’espère qu’elle reviendra sur sa décision, afin que la commission spéciale puisse tirer profit des travaux de la mission d’information : à quoi servirait, sinon, que le Parlement constitue des missions d’information ?

Au demeurant, je veux souligner que nous travaillons dans des conditions surréalistes. Mme la garde des Sceaux ne nous fait pas l’honneur de sa présence, alors que nous discutons de questions qui l’intéressent directement. Et personne ne nous fera croire qu’en séance publique, où l’on nous promet sa présence, elle adoptera, sur telle ou telle disposition, une position contraire ou même légèrement différente de celle exprimée en commission par le ministre de l’économie.

Nous allons maintenir notre amendement de suppression, considérant qu’introduire une part de négociation dans la tarification des actes équivaut à remettre en question l’équilibre du tarif qui, en l’état actuel, assure à tous un service public notarial dans le cadre duquel les dossiers les plus importants financent les plus petits, déficitaires, et permet aux notaires d’offrir à leurs clients les consultations gratuites qui font la fierté de leur profession.

M. le président François Brottes. Vérification faite, je vous confirme, mes chers collègues, que la garde des Sceaux n’est pas systématiquement présente en commission des Lois lorsque des textes législatifs sont débattus. En revanche, en tant que président de la commission des Affaires économiques, j’exige systématiquement la présence du Gouvernement, qui est effective aujourd’hui grâce au ministre de l’économie, que je remercie.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le ministre, si je reconnais que vous n’avez pas personnellement utilisé le terme de « rente », je confirme que le président de la République a parlé d’une loi qui va « libérer les énergies et casser les rentes » et que la majorité a, à plusieurs reprises, présenté ce texte comme étant de nature à mettre fin aux rentes – ainsi Philippe Doucet a-t-il déclaré, sur LCP, que la « loi Macron » était avant tout une loi « contre la rente ». J’ose espérer que vous réagirez aussi vivement qu’aujourd’hui quand, demain, des journalistes, le président de la République ou des membres de la majorité utiliseront ce mot pour qualifier les professions juridiques et judiciaires.

M. le ministre. Purgeons le débat sur ce point. Qualifier quelqu’un de rentier peut sembler insultant, c’est pourquoi je ne l’ai pas fait. Cela dit, le mot « rente » à une signification particulière en économie : il désigne la marge injustifiée au regard des risques pris et des investissements réalisés. Il est des rentes qui se justifient – on parle notamment de rente d’innovation – et d’autres qui se justifient moins. En tout état de cause, la rente n’est pas un crime, et ce n’est pas une insulte que de dire que ce texte s’attaque à des rentes sur le plan économique.

De votre côté, vous aurez à clarifier votre position en nous indiquant si vous entendez faire des notaires des entrepreneurs ou des postiers. Je considère, pour ma part, qu’il n’y a pas de rentiers, mais bel et bien des effets de rente, sur lesquels nous devons nous interroger.

M. le président François Brottes. Nous avons tous le plus grand respect pour les postiers, qui accomplissent au quotidien une importante mission de service public.

M. Éric Woerth. Effectivement, les postiers comme les notaires ont droit à notre respect. L’article 12 est à l’image du projet de loi tout entier : au mieux inutile, il recèle d’importants facteurs de fragilisation de la sécurité des actes juridiques – une sécurité constituant une spécificité française qui nous est enviée dans le monde entier. En quoi le fait de déréglementer partiellement la profession de notaire et les professions du droit peut-il servir la croissance ? J’ai, pour ma part, le sentiment que la réforme proposée ne saurait avoir qu’un impact extrêmement faible sur la croissance, et je déplore que l’on s’en tienne à évoquer des sujets anecdotiques à un moment où toutes les forces de la nation devraient être mobilisées pour relancer cette croissance.

En ce qui concerne la garde des Sceaux, la question n’est pas de savoir si elle devrait être là ou non, mais en quoi elle a participé à l’évolution de cette profession lors des discussions ayant eu lieu en amont. Je n’ai rien contre le fait que Bercy soit partout, mais encore faut-il que chaque ministère joue son rôle, et ce n’est certainement pas celui du ministère de l’économie que de fragiliser la sécurité juridique pour des raisons économiques peu évidentes. Les études notariales elles-mêmes sont actuellement fragilisées, et l’on en voit un peu partout en province procéder à des licenciements en raison de la conjugaison des crises économique et immobilière.

On n’a pas su prendre conscience du rôle joué par le notaire dans la société, et du fait que le secteur de l’activité notariale fait partie de ceux qui doivent échapper à la marchandisation – il est un peu paradoxal que cela soit dit par des libéraux, mais ce n’en est pas moins vrai. Certains éléments de souplesse existent déjà, notamment la possibilité de négocier les honoraires pour des actes très importants lorsque ceux-ci dépassent un certain seuil, mais ne perdons pas de vue que, dans le système actuel, les gros actes financent les petits, qui peuvent coûter très cher. Il serait très dangereux de remettre en cause ce système. Par ailleurs, n’oublions pas que le prix d’un acte est constitué d’une part de fiscalité, souvent plus importante que les honoraires eux-mêmes. Enfin, redisons qu’une partie du travail des notaires – celle relative aux conseils qu’ils peuvent donner à leurs clients – n’est pas rémunérée, ce qui participe encore de la sécurisation de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, nous estimons qu’il n’est pas justifié de s’en prendre aux notaires. Si d’autres professions du droit, qu’il a été envisagé un temps de réformer aussi, ont finalement été épargnées, les professions médicales sont visées par le projet de loi sur la santé publique, et d’autres encore par une loi de simplification. Tout cela donne l’impression que le Gouvernement n’avait d’autre ambition que de s’en prendre à certaines professions pour limiter la croissance, tandis qu’à l’inverse, on en laisse d’autres tranquilles, alors qu’elles pourraient être soumises davantage au marché. Si certaines professions ont été réglementées, c’était à l’origine pour une bonne raison ; reste à savoir si elle est toujours valable. En l’occurrence, s’agissant des notaires, je pense qu’elle l’est toujours.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’objet de l’article 12 est d’introduire des dispositions relatives à certains tarifs réglementés, et je ne pense pas qu’il soit opportun que notre discussion s’écarte de cette question. Nous devons faire preuve de méthode en évitant d’évoquer des sujets se rapportant à des articles que nous n’examinerons qu’ultérieurement, faute de quoi les choses risquent de devenir compliquées. Au sujet de la mission d’information, je voudrais rappeler que la commission des Lois a pris l’initiative de se saisir de ces sujets en juillet dernier pour réunir le plus d’informations possible : en vous référant au rapport, vous pourrez constater que toutes les professions ont souscrit à l’idée de faire bouger les choses.

La question des tarifs a été au cœur de nombreuses interventions et contestations, y compris dans les processus de représentation professionnelle ou ordinale. Je rappelle que la proposition n° 10 de notre mission d’information consistait à établir, pour les officiers publics ou ministériels ainsi que pour les administrateurs et mandataires judiciaires, une tarification transparente, tenant davantage compte du coût réel des prestations et assurant une péréquation entre les actes rémunérateurs et les actes réalisés, grâce au maintien d’un caractère proportionnel. On peut toujours discuter le dispositif législatif proposé par le Gouvernement, mais on ne saurait lui faire grief de s’intéresser à une question fondamentale.

Il est reproché au texte d’aboutir à une commercialisation de la profession de notaire, en raison de l’introduction dans le code de commerce d’un dispositif de tarifs réglementés. Le titre IV du livre IV du code de commerce est relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées, qui ne se limitent pas à l’activité commerciale : les règles de concurrence s’appliquent à tous les acteurs économiques, y compris les professions libérales. Le texte que nous examinons a pour objet d’introduire un titre IV bis intégrant les tarifications de certaines professions réglementées, juste avant un article relatif au dispositif de contrôle de la transparence, notamment à l’Autorité de la concurrence dont personne ne conteste qu’elle soit fondée à intervenir en dehors du champ commercial. Voir dans l’introduction de ce dispositif dans le code de commerce une commercialisation de la profession de notaire me paraît pour le moins excessif, d’autant que l’article 12 ne concerne pas seulement les notaires, mais aussi les commissaires-priseurs judiciaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les huissiers de justice et les administrateurs et mandataires judiciaires – des professions dont chacun sait qu’elles posent problème en termes de coût.

Pour ce qui est de l’argument relatif à la désertification, je vous invite encore à vous reporter aux auditions auxquelles nous avons procédé sous l’autorité de Cécile Untermaier et de Philippe Houillon, en particulier celles des personnes souhaitant entrer dans la profession de notaire et s’en trouvant empêchées – il y en aurait actuellement 1 500 – et celle du Conseil supérieur du notariat, dont les représentants ont reconnu que la profession n’avait pas su accueillir la nouvelle génération. À mon sens, ce texte peut justement lui donner les moyens d’un renouveau extraordinaire, notamment en ce qui concerne sa capacité d’implantation sur le territoire.

Enfin, je ne comprends pas l’argument selon lequel la modification du mode de calcul des tarifs aurait pour conséquence de mettre en péril la sécurité des actes juridiques. La qualification des notaires procède de leur statut, du code civil et du code de procédure civile, toutes choses auxquelles ce texte n’apporte aucun changement. À aucun moment, les ministres concernés – la garde des Sceaux, que nous avons auditionnée, mais aussi le ministre de l’économie, ici présent – n’ont contesté qu’il convenait de préserver les statuts. Contrairement à ce que l’on entend dire, ce texte ne contient aucun élément susceptible de remettre en cause les compétences des notaires, leur autorité, la validité des actes ou le caractère authentique de ce qu’ils font, qui vaut titre exécutoire.

Je suis d’accord pour que l’on s’interroge sur la solution proposée par le Gouvernement pour améliorer la transparence de la procédure de tarification – à mon sens, elle devrait être amendée –, comme sur tous les autres sujets abordés par le texte, notamment ceux relatifs aux principes fondamentaux de notre droit continental. Toutefois, ne perdons pas de vue le caractère pratique des solutions avancées, visant, en l’occurrence, à construire les tarifs de certaines professions réglementées dans des conditions plus transparentes, plus équilibrées et plus en rapport avec la réalité de la nature de la prestation. C’est pourquoi je considère qu’il faut non pas supprimer l’article 12, mais entrer dans le débat afin d’améliorer les dispositions introduites par le texte, dans le sens d’une modernisation de l’ensemble des professions concernées.

M. Bernard Gérard. Lorsqu’une personne recourt aux services d’un officier ministériel ou d’un avocat, le dossier qu’elle lui présente est, à ses yeux, le plus important du monde, parce que c’est le sien. C’est pourquoi nous tenons tellement à ce que l’article 12 ne fragilise pas nos concitoyens dans une période où ceux-ci ont déjà d’autres motifs d’inquiétude, avec les incertitudes qui pèsent sur les mairies, les départements, les régions, ou encore l’économie qui ne fonctionne pas correctement. Franchement, monsieur le ministre, ce n’était pas le moment idéal pour faire une réforme concernant des institutions aussi essentielles pour les Français que le sont les professions du droit, et qui risque, à nos yeux, de créer de graves inégalités. C’est le fait que cette réforme touche le fondement même de la mission confiée à la garde des Sceaux qui justifierait, pour nous, qu’elle soit aujourd’hui présente.

Tout à l’heure, notre collègue Arnaud Leroy a affirmé que des réformes semblables conduites à l’étranger – en l’occurrence au Portugal – avaient été des réussites. Or cela n’a pas été le cas partout : celle qui a été menée aux Pays-Bas a été une telle catastrophe que les Néerlandais cherchent à revenir dessus. Outre les problèmes de déontologie suscités par cette réforme, la qualité de ce que l’on appelle les « petits actes » – à tort, car il n’y a pas de « petits actes » quand ceux-ci ont trait à la vie des gens – s’est trouvée remise en cause.

Le principe de péréquation, qui veut que tout particulier, quelle que soit sa situation, sera toujours traité de la même manière chez un notaire, est fondamental. C’est pourquoi l’article 12 nous paraît aller en sens inverse du but recherché.

M. Jean-Yves Caullet. Comme l’a très bien dit notre collègue Le Bouillonnec, nous avons considérablement élargi le champ de notre débat, pour aboutir à une espèce de discussion générale allant bien au-delà des amendements de suppression de l’article 12. Une telle discussion n’est d’ailleurs pas inutile et, nonobstant quelques traits un peu forcés, on voit se profiler une réalité que personne ne peut nier : la situation actuelle n’est pas idéale. Plusieurs représentants du notariat que j’ai rencontrés m’ont indiqué qu’il existait bien un problème d’installation dans la profession, et que les engagements pris par celle-ci dans ce domaine n’avaient pas pu être tenus en raison de cette situation.

Si la péréquation exposée par Véronique Louwagie entre les actes à perte et les actes rémunérateurs est une réalité, force est de reconnaître qu’elle s’est sédimentée au fil du temps, et que pour que la péréquation s’effectue au sein d’une étude, il faut que la structure de celle-ci le permette : aujourd’hui, les remises totales consenties à certains clients importants ne bénéficient pas forcément aux clients de moindre importance. Le système actuel de tarification, s’il n’a pas que des vices, n’est cependant pas exempt de tout reproche.

J’ai constaté, dans la discussion qui vient d’avoir lieu, des convergences dont je me félicite. Ainsi a-t-on vu se révéler au sein de cette commission spéciale de très nombreux défenseurs du service public, qui ne manqueront pas de se manifester à nouveau à l’avenir, à chaque fois que cela sera nécessaire. Je ne connais personne dans cette salle qui souhaite porter atteinte de quelque manière que ce soit au système français, et je m’en félicite. De même, chacun de nous est persuadé que nous avons affaire à des professionnels compétents, respectables et agissant dans le cadre du droit ; dès lors, en tant que législateur, nous devons avoir avec eux un dialogue empreint de respect, sans nous sentir tenus à leur égard à une forme d’allégeance.

Élu d’une circonscription extrêmement rurale, je puis dire que la situation actuelle n’est pas idéale : déjà, les petites études sont fragilisées et confrontées à des difficultés de succession, et la mutualisation, qui impose des regroupements pouvant entraîner des difficultés d’accès au droit, est déjà une nécessité. Regardons en face la réalité, et essayons de trouver des solutions.

L’immobilisme n’est pas envisageable, mais bouger comporte évidemment des risques et des interrogations, et c’est tout le mérite de nos débats que de les faire ressortir pour y trouver des solutions. J’ai entendu parler d’économie administrée, de « kolkhozes » même, mais, en l’état actuel, les tarifs de ces professions sont réglementés ; au demeurant, les décrets que certains amendements proposent de prendre sont des actes administratifs de haut niveau. Enfin, la possibilité d’introduire une variation de tarifs en fonction des circonstances objectives ne signifie pas qu’il s’agisse d’une négociation au cas par cas, en fonction du client : à mon sens, il s’agit plutôt de la possibilité pour un officier ministériel d’afficher son intention d’appliquer tel tarif pour tel acte, quel que soit le client concerné. Pour conclure, je rappelle que le coût n’est pas le seul élément à prendre à compte : le délai et l’accès au service sont tout aussi essentiels et passent par une meilleure installation des notaires sur notre territoire. Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe SRC estime qu’il convient de rejeter les amendements de suppression de l’article 12 afin de passer à la discussion des amendements sur les alinéas de cet article.

Mme Monique Rabin. Sans être une spécialiste du droit, je voudrais, moi aussi, affirmer avec force que nous devons rejeter tous les amendements de suppression de l’article 12. Au fond, la longue discussion que nous venons d’avoir a pris un tour émotionnel, le sujet étant de savoir qui aime ou n’aime pas les notaires. Voilà qui est bien vain !

Comme d’autres, j’ai rencontré les notaires de ma circonscription et pris part à plusieurs auditions. J’avoue que ces contacts m’ont amenée à réfléchir, voire à douter. Toutefois, la lecture des excellents travaux de la mission présidée par Cécile Untermaier m’a définitivement convaincue que nous avions approfondi ce texte en reconnaissant la capacité des notaires de sécuriser juridiquement les actes qu’ils établissent. Je veux également insister sur la générosité dont font preuve certaines études, en particulier en milieu rural, qui procèdent par péréquation en traitant de la même manière les gros actes et ceux de moindre importance.

Je suis donc convaincue de la nécessité de voter contre les amendements de suppression de l’article 12, les aménagements proposés par notre rapporteure thématique étant tout à fait satisfaisants.

La Commission rejette les amendements identiques SPE27, SPE286, SPE659, SPE721, SPE799, SPE877, SPE1100, SPE1191 et SPE1234.

Elle examine ensuite l’amendement SPE267 de M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. La longue discussion que nous avons eue et le vote très serré qui a suivi montrent que ce texte n’est pas abouti. L’amendement SPE267 constitue pour vous une porte de sortie, monsieur le ministre – que vous nous saurez gré de vous offrir, j’espère. Il vise à ce que les dispositions relatives au tarif des actes dressés par les officiers publics ne relèvent pas du code de commerce, mais du code de procédure civile.

M. le ministre. Comme M. Le Bouillonnec l’a expliqué tout à l’heure, il est normal qu’il soit fait référence aux tarifs dans le code de commerce. On réinstaure ainsi un mécanisme structurant, étant précisé que la référence au code de commerce n’est pas une nouveauté pour certaines professions.

Pour ce qui est de la mécanique tarifaire, l’objectif de l’article 12 consiste à décrire de la manière la plus précise possible le mécanisme qui sera ensuite renvoyé à un décret puis à un arrêté, c’est-à-dire à réduire le caractère arbitraire de la tarification. Il est étonnant de s’entendre dire que le système figurant dans le texte est celui d’une économie administrée, alors même que le système actuel est basé sur le principe de tarifs réglementés, c’est-à-dire déterminés par l’administration, et que nous ne faisons que proposer d’introduire davantage de transparence. Quand j’ai plaisanté en faisant référence à l’entrepreneur et au postier – deux professions pour lesquelles j’ai un profond respect –, j’entendais souligner l’ambiguïté de ce dont nous discutons. Nous n’attaquons pas la nature des actes juridiques ni les missions de service public des professions visées par la réforme, mais nous essayons de définir des modalités de tarification plus adaptées, c’est-à-dire plus transparentes et correspondant davantage à la réalité.

Ce texte n’invente pas la notion de rémunération raisonnable ; elle existe dans la plupart des secteurs régulés. Elle permet d’appréhender le rapport entre le tarif et les coûts réels, les investissements réalisés et les risques pris, sans pour autant occulter la mission de service public. Les tarifs resteront réglementés mais seront éclairés par une approche par les coûts évalués par l’Autorité de la concurrence. J’ai toujours été prudent sur le gain de pouvoir d’achat. Les chiffres importants avancés par mon prédécesseur étaient fondés sur des notes documentées de mon ministère qui couvraient l’intégralité d’une réforme ambitieuse à horizon de dix ans. La rigueur, monsieur Huet, nous oblige à dire qu’il y aura un rétablissement du pouvoir d’achat sans pouvoir l’estimer ex ante. Je suis toutefois prêt à l’évaluer de manière régulière.

Le mécanisme tarifaire proposé me semble de nature à donner plus de transparence sans en faire un dogme, à prendre en compte la réalité et la complexité des missions et à appréhender les éléments de coût et la dimension économique de ces professions. Un professionnel peut être soumis à des tarifs réglementés et chargé d’une mission de service public pour partie ouverte à la concurrence. Sans méconnaître les limites de la comparaison, de la même manière que les postiers sont exposés, pour une part de leur activité, à la concurrence, la dimension entrepreneuriale du notariat doit être prise en compte. Vous vous êtes ému du caractère non fixe de certaines tarifications, mais ces tarifications existent déjà pour certaines catégories d’actes.

La mesure proposée a pour but d’enrichir le dispositif existant d’une révision éclairée par les avis de l’Autorité de la concurrence, qui sera actualisée au moins tous les cinq ans. Elle est un gage de plus grande efficacité économique sans pour autant renoncer à la mission de service public et à la qualité des actes. J’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Monsieur Saddier, votre préoccupation est en partie satisfaite par l’amendement SPE1885 qui vise à maintenir l’application de tarifs uniques et fixes pour les prestations des professionnels du droit qui relèvent des actes de la vie courante. D’autres amendements à venir instaurant un mécanisme de péréquation nationale et permettant de fixer des tarifs proportionnels pour les transactions sur les biens ou droits immobiliers d’une certaine valeur y apportent également des réponses.

L’esprit de la mission d’information souffle, malgré tout, sur ce projet de loi, et il a permis des évolutions intéressantes sur ce point.

M. Jean-Louis Roumegas. Cet amendement pose une question légitime mais la réponse qu’il y apporte n’est pas plus satisfaisante que celle proposée par le projet de loi. La proportionnalité n’est pas la meilleure solution. Plus que la péréquation entre actes de grande ou faible importance, c’est d’abord la péréquation entre les territoires, qui connaissent des transactions d’importance très variable, qui doit être opérée. Le groupe écologiste s’abstiendra sur cet amendement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous aimerions pouvoir prendre connaissance de l’amendement évoqué par la rapporteure thématique. Je sollicite, monsieur le président, une suspension de séance pour permettre aux commissaires aux Lois de participer au vote sur la désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature.

M. le président François Brottes. La commission des Affaires économiques s’est prononcée dans la matinée sur des nominations, ses membres siégeant dans la commission spéciale s’étant simplement éclipsés quelques instants.

M. Sébastien Huyghe. Vous ne pouvez pas aborder le sujet des professions réglementées sans les commissaires aux Lois.

M. le président François Brottes. D’autres que vous sont aussi légitimes pour en parler. Il n’y a pas de préséance qui vaille.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cet amendement présente un vice majeur en s’insérant dans le code de procédure civile, dont la vocation n’est en aucune manière de fixer les modalités de rémunération des professionnels du droit. Le renvoi prévu dans le projet de loi au code de commerce est bien plus pertinent.

L’amendement prouve bien la nécessité de revoir les tarifs. La solution qu’il propose, de remettre la compétence au garde des Sceaux, est tout aussi choquante que de ne rien faire. À l’issue de ses travaux, la mission d’information a conclu à la pertinence d’une intervention de l’Autorité de la concurrence, qui est l’objet de la proposition n° 12.

Quant à la péréquation, la mission a reconnu sa nécessité face aux disparités de situation. Ces disparités ont, en effet, des conséquences sur la capacité du justiciable à obtenir les services des professionnels du droit. La mission souhaite avancer sur ce sujet, même si la solution retenue par le projet de loi n’est pas exactement celle qu’elle avait envisagée.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement SPE 267.

(Suspension des travaux)

La Commission est saisie des amendements identiques SPE754 de M. Guénhaël Huet et SPE1109 de M. Sébastien Huyghe. 

M. Guénhaël Huet. Cet amendement propose, pour établir les tarifs des professions réglementées, d’autres critères que les « coûts pertinents » et la « rémunération raisonnable » introduits par le projet de loi, deux notions dont Véronique Louwagie a souligné le caractère subjectif. Il préfère mettre en avant l’équilibre économique des offices et l’accessibilité au service public de la justice, que le projet de loi risque de remettre en cause et qui sont des critères tout aussi recevables.

M. Sébastien Huyghe. Nous voulons replacer l’église au centre du village en rendant au garde des Sceaux la prérogative de fixer les tarifs, après consultation du ministre de l’économie et l’Autorité de la concurrence. Il faut rendre à César ce qui appartient à César, n’en déplaise à ceux qui se sont livrés à une critique à peine voilée de l’action du ministère de la justice dans ce domaine. L’amendement prévoit également une révision des tarifs dont la régularité a pu faire défaut par le passé.

M. le ministre. Je ne reviens pas sur les réponses que j’ai apportées sur l’amendement précédent.

La notion de rémunération raisonnable n’est pas une invention juridique. Elle n’enlève en rien l’église au milieu du village. Il est de la compétence du ministre de l’économie de cosigner les textes fixant les tarifs réglementés ; cette compétence semble même être de droit. Elle ne figure pas dans l’ordonnance de 1945 relative au statut du notariat, mais elle est inscrite dans de nombreux autres textes.

Le projet de loi n’obéit pas à une logique territoriale, mais à une mécanique de fixation des tarifs. La péréquation dans la tarification actuelle est certes une réalité, mais elle se caractérise par l’opacité. Il ne s’agit pas de nier que de nombreuses études délivrent des conseils gratuits – je leur ai toujours reconnu cet honneur et cette qualité. Néanmoins, on ne peut pas dire qu’il existe aujourd’hui un mécanisme de péréquation entre les offices ruraux qui multiplient les actes à perte et ceux des métropoles qui font davantage d’actes très rentables. Le système actuel n’est pas satisfaisant. L’article 12 introduit plus de transparence dans la formation des tarifs. Un élément intéressant a été introduit avec l’idée d’un fonds de péréquation. Elle constitue une vraie avancée en donnant de la substance à la péréquation. Le débat a permis de progresser sur ce point.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. J’émets un avis défavorable. Le tarif unique pour certains actes et le mécanisme de péréquation seront abordés dans des amendements à venir.

M. Sébastien Huyghe. Comment pouvez-vous dire que les tarifs des notaires sont opaques : ils sont sur la place publique ! Ils sont les mêmes pour tout le monde : 0,825 % hors taxes du prix de vente pour une transaction immobilière, par exemple.

Avec le fonds de péréquation, vous risquez d’aboutir au résultat inverse de l’objectif recherché : le conseil qui est aujourd’hui gratuit va devenir payant.

M. Guénhaël Huet. Le ministre n’a pas donné son avis sur les critères d’équilibre économique des offices et d’accès au service public.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La mission d’information elle-même a proposé l’instauration d’un mécanisme de péréquation nationale permettant le financement des actes réalisés à perte par de petits offices. Tout le débat porte sur les modalités.

Par ailleurs, il n’est pas question de jeter la suspicion sur la capacité de la Chancellerie à assumer ses prérogatives. Le garde des Sceaux et le ministre de l’économie conservent la capacité de fixer les tarifs, ce n’est qu’une affaire de processus.

Ce qui pose problème n’est pas tant la connaissance du tarif, puisqu’il est public, que son inadaptation faute d’instruments pour le construire. C’est ce qui explique qu’il n’a bougé, durant des décennies, que par à-coups, sous la pression. La pertinence du tarif est très difficile à appréhender en raison de la diversité des pratiques et des situations. Le dispositif proposé peut permettre de résoudre cette difficulté en mettant l’ingénierie requise au service de l’efficacité du tarif.

Mme Véronique Louwagie. Vous considérez que le mécanisme de fixation des tarifs n’est pas satisfaisant. Mais cette appréciation vaut-elle pour les clients, les notaires, les services de l’État ?

Les critères de fixation des tarifs s’appuieront sur une moyenne alors même que la situation est très différente selon que les offices sont situés en milieu rural ou urbain.

Quant à la péréquation, elle n’est pas lisible, dites-vous. Mais le Conseil supérieur du notariat dispose de statistiques sur les différents actes et les régions.

L’article 12 est supposé faire gagner du pouvoir d’achat aux Français. Sachant qu’un client fait appel à un notaire en moyenne tous les vingt ans, pour l’acquisition d’un bien d’une valeur de 150 000 euros, une baisse de 20 % des honoraires représenterait une économie de vingt euros par an. Je suis donc très sceptique sur l’argument du pouvoir d’achat.

M. Jean-Louis Bricout. D’une part, la tarification doit être revue. D’autre part, c’est presque une double péréquation qu’il faudrait instaurer : l’une entre les actes au sein des offices, l’autre sur les territoires, afin de rétablir l’équilibre entre offices ruraux et offices des grandes villes qui profitent d’un marché porteur.

M. Bernard Gérard. La réforme risque d’ouvrir immédiatement un droit à indemnisation au profit des offices existants, car ceux qui ont acheté une charge et se sont endettés sur la foi du chiffre d’affaires potentiel et des tarifs actuels voudront faire valoir leur préjudice.

Les procédures éventuelles auxquelles le texte nous expose ont-elles fait l’objet d’une étude d’impact ? Les risques et les montants des indemnisations potentielles ont-ils été évalués ? Selon moi, le risque est avéré, et nous n’avons pas besoin de cela dans la situation économique actuelle.

M. Daniel Fasquelle. Que dois-je répondre au jeune notaire qui a emprunté à 100 % pour s’installer quant aux conséquences du projet de loi sur l’équilibre financier de son entreprise ? On parle beaucoup de la transmission héréditaire des charges, mais il s’agit d’un phénomène marginal. Quel sera l’impact des nouveaux tarifs sur sa capacité à rembourser l’emprunt et à faire vivre sa famille ?

Mme Colette Capdevielle. Au-delà des consultations gratuites que prodiguent la plupart des professions juridiques réglementées, il est un domaine dans lequel le coût de l’acte notarié est rédhibitoire : la liquidation et le partage de la communauté après un divorce ou une séparation de corps. Bien souvent, les couples choisissent de liquider leurs biens avant la procédure pour s’épargner le coût d’un tel acte. Avec la longueur des procédures, ce coût constitue, pour les familles, un frein que nous devons lever.

M. Jean-Yves Caullet. Je ne comprends absolument pas l’argument de l’incertitude économique que ferait peser sur certaines études la variabilité des tarifs. L’amendement défendu par nos collègues de l’UMP prévoit lui-même une évolution des tarifs et une révision périodique. Par nature, la réglementation des tarifs crée une incertitude qui se retrouve dans l’ensemble des propositions émanant de tous les bancs.

M. le ministre. Il faut garder à ce texte sa juste proportion.

La révision tarifaire, opérée au moins tous les cinq ans sur la base d’une méthode transparente, n’est pas de nature à créer les désordres dont vous l’accusez. L’incertitude est inhérente à toute révision tarifaire. En l’espèce, nous donnons une base objective à la révision grâce à une approche par les coûts. Cela ne me paraît pas une révolution.

Une telle approche préserve l’unité d’un tarif au niveau national. Et la crainte exprimée par Véronique Louwagie au regard de la diversité des territoires vaut autant pour le présent que pour l’avenir puisque le tarif, qui s’applique aujourd’hui à des réalités différentes selon les études, est national.

Enfin, en matière d’accessibilité au droit, il n’y a rien à redouter de ce texte. Voudriez-vous inscrire dans la loi un principe de protection des professionnels sous prétexte qu’ils accomplissent une mission de service public dont le tarif est réglementé ? Dans ce cas, il faudrait pousser le raisonnement jusqu’au bout et considérer que ces professionnels n’ont plus à être aussi libéraux. Sinon, la loi leur apporterait une protection totalement dérogatoire au droit commun.

Les garanties apportées par ce texte, accrues par l’existence d’un fonds de péréquation à laquelle vous semblez adhérer, sont de nature à renforcer la viabilité des offices. La péréquation entre professionnels n’existe pas aujourd’hui. L’amélioration de la transparence dans l’élaboration des tarifs ne nuit pas nécessairement à cette viabilité et à l’accessibilité au service public.

La Commission rejette les amendements SPE754 et SPE 1109.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques SPE146 de M. Philippe Houillon et SPE326 de M. Patrick Hetzel ainsi que l’amendement SPE1195 de M. Marc Dolez. 

M. Philippe Houillon. Cet amendement tend à substituer à l’usine à gaz du projet de loi un dispositif simple.

Nous nous accordons sur trois points : les tarifs doivent être encadrés, la Chancellerie n’a pas démérité dans sa mission, les tarifs doivent être révisés périodiquement. Il est donc proposé de conserver le véhicule législatif actuel, la loi de 1944, et de reprendre la proposition de la mission d’information de grilles de tarifs uniques, arrêtées par la Chancellerie après consultation des professions concernées, et révisées tous les cinq ans. Cet amendement a le mérite de la simplicité et de l’efficacité.

Si votre texte était aussi limpide, équitable et juste que vous le prétendez, monsieur le ministre, pourquoi en discuterions-nous depuis trois heures ? C’est bien la preuve qu’il pose des problèmes de lisibilité et d’opposabilité auxquels vous n’apportez pas de réponse.

M. Marc Dolez. L’amendement SPE1195 prévoit une révision quinquennale des tarifs selon les modalités actuelles.

M. le ministre. Je suis défavorable à ces amendements qui s’en tiennent à la loi du 29 mars 1944 alors que le projet de loi propose une refonte des tarifs.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette successivement les amendements SPE146, SPE326 et SPE1195.

Elle en vient à l’amendement SPE668 de M. Guénhaël Huet. 

M. Guénhaël Huet. Il s’agit d’inclure dans la réforme de la tarification des professions juridiques réglementées les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation dans un souci d’équité.

M. le ministre. Sagesse.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette l’amendement SPE668.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements SPE35 de M. Julien Aubert et SPE878 à SPE881 de M. Michel Zumkeller. 

M. Julien Aubert. L’amendement SPE35 a pour objectif de fonder la fixation des tarifs sur des éléments tangibles. Il prévoit ainsi de substituer à la notion de « rémunération raisonnable » celle de « rémunération suffisante ». Il précise, en outre, que cette rémunération permet d’assurer l’indépendance et l’impartialité du professionnel et qu’elle tient compte de l’abondement des caisses de prévoyance et de retraite.

M. Michel Zumkeller. Les amendements SPE878 à SPE881 proposent de supprimer l’intervention de l’Autorité de la concurrence et de créer un organe, placé sous l’autorité des organisations professionnelles, compétent pour se prononcer sur la tarification. Ils tendent également à modifier les critères de définition des tarifs afin que ceux-ci prennent en compte la valeur exprimée dans l’acte et le coût de revient.

M. le ministre. Alors que vous nous reprochez de revenir à l’économie administrée, vous préférez la notion de rémunération suffisante qui promet des complications plus grandes encore. J’ajoute que la notion de rémunération raisonnable est connue en droit et existe déjà dans les secteurs régulés. Sauf à considérer que l’approche par les coûts même puisse menacer l’indépendance et l’impartialité des professionnels, il y aurait quelque chose de baroque à lier celles-ci à cette rémunération raisonnable : ce sont la déontologie et leurs ordres respectifs qui sont les garants de cette indépendance et de cette impartialité. Il me paraît donc malvenu d’introduire ces termes dans un projet de loi qui traite de la tarification. J’émets un avis défavorable à l’amendement SPE35, dont les précisions offrent moins de sécurité juridique.

Les autres amendements reviennent sur le rôle de l’Autorité de la concurrence : je ne peux pas y souscrire.

En revanche, je conçois que la consultation, à un moment donné, des professionnels contribuerait beaucoup à la clarté des débats de l’Autorité, sans pour autant que les tarifs réglementés soient fixés sous l’égide de ces derniers. Tout l’esprit du texte est de rendre transparente et objective la formation d’un tarif réglementé, donc de garantir plus encore la mission de service public à laquelle vous êtes tous attachés. Laisser les professionnels fixer eux-mêmes leurs tarifs réglementés n’est pas la plus belle idée que l’on puisse se faire du service public.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette successivement les amendements SPE35 et SPE878 à SPE881.

Elle en vient à l’amendement SPE316 de M. Patrick Hetzel. 

M. Patrick Hetzel. Dans le droit-fil des précédents, cet amendement tend à supprimer la référence aux « coûts pertinents du service rendu », car cette notion subjective est dangereuse pour la qualité du service public. Je vous mets en garde contre une formulation qui sera probablement un nid à contentieux.

M. le ministre. Le dispositif a vocation à compenser les coûts supportés par les professionnels au titre des services qu’ils rendent aux usagers, et à leur octroyer une rémunération raisonnable. La suppression de la mention en question pourrait aboutir à des tarifs insuffisants pour couvrir les charges, laissant les professionnels travailler à perte.

La loi de 1944 n’empêche pas le décret de laisser aux professionnels la possibilité de fixer des tarifs libres pour certains actes, et ainsi de ne pas se faire rémunérer pour leurs conseils.

Supprimer la notion de coûts pertinents du service rendu serait une erreur : il est légitime que le travail des professionnels soit justement rémunéré. Pour éviter toute appréciation subjective, le caractère raisonnable et les coûts pertinents seront définis sur la base de critères objectifs qui seront précisés par décret en Conseil d’État. L’architecture ainsi définie par la loi garantit le dispositif. J’ajoute qu’en supprimant la référence aux coûts, vous remettez en cause la viabilité de nombreux offices, dont plusieurs de vos collègues se sont inquiétés. J’émets donc un avis défavorable.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette l’amendement SPE316.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques SPE137 de M. Philippe Houillon et SPE315 de M. Patrick Hetzel. 

M. Philippe Houillon. Il s’agit de supprimer la référence à une « rémunération raisonnable » qui apparaît redondante avec la notion de « coûts pertinents », laquelle inclut nécessairement la première.

M. le ministre. Avis défavorable, car la rémunération raisonnable intègre une marge indispensable et diffère donc de la notion de coûts pertinents.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. La notion de rémunération raisonnable est couramment utilisée pour déterminer des tarifs réglementés.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cet alinéa soulève un problème. Si les tarifs incluent le coût et la marge, la mention de la rémunération raisonnable est redondante, comme l’a dit Philippe Houillon. Dans le cas contraire, la rédaction de l’alinéa est inappropriée.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tous les professionnels ont mis en avant leur responsabilité au regard de l’accès au droit et de l’accompagnement du justiciable. Ils ont revendiqué un exercice de leur activité tout en précaution et en attention. Je me félicite donc du maintien de la référence au caractère raisonnable, qui appartient au même registre et comporte une dimension déontologique à laquelle tous ceux que nous avons rencontrés sont attachés. Le terme de raisonnable traduit la réalité de ces professions et de ceux qui les exercent. Il ne s’agit pas seulement de rentabilité économique, même si les besoins économiques de ces professionnels doivent évidemment être pris en compte.

M. le président François Brottes. Le terme de rémunération raisonnable est bien connu des membres de la commission des Affaires économiques, car il est couramment utilisé dans le domaine de l’énergie, des télécommunications ou de la poste.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette les amendements SPE137 et SPE316.

Puis elle adopte les amendements rédactionnels SPE1729 et SPE1774 des rapporteurs.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1730 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. L’amendement vise à établir un mécanisme de péréquation nationale permettant le financement des actes réalisés à perte par les petits offices, conformément à la proposition n° 11 de la mission d’information.

Le fonds interprofessionnel qu’il alimenterait permettrait aussi de financer l’aide juridictionnelle et les dispositifs d’accès au droit, comme les maisons de la justice et du droit.

M. le ministre. Sagesse.

Mme Michèle Bonneton. Pouvez-vous préciser le fonctionnement et la nature de la péréquation ? Quels en seraient les contributeurs et les bénéficiaires ?

M. Philippe Houillon. Des précisions s’imposent. Ce fonds semblait avoir vocation à garantir la survie de certaines études dans des secteurs difficiles. Or l’amendement prévoit que ce fonds est destiné à financer l’aide juridictionnelle et les maisons de la justice et du droit. Que devient la mission première de ce fonds d’assurer le maintien du maillage territorial, nonobstant les maisons de justice qui sont une solution au rabais ?

M. Jean-Frédéric Poisson. À l’instar de Philippe Houillon, je m’interroge sur la réalité du soutien aux études qui connaissent des difficultés économiques.

Soucieux de rigueur juridique, je m’inquiète également de l’emploi de l’adverbe « notamment ». Sa présence laisse à penser que d’autres destinations que l’aide juridictionnelle et les maisons de la justice et du droit sont envisagées. Quelles sont-elles ? Vous devez aux études qui alimenteront le fonds la vérité sur son utilisation.

M. Gilles Lurton. Le caractère interprofessionnel du fonds pose question. Les études notariales en difficulté pourront-elles le solliciter ou l’aide juridictionnelle et les maisons de la justice et du droit seront-elles les uniques bénéficiaires ?

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement introduit une modification substantielle dans l’esprit du texte. Les prélèvements sur les honoraires qui devaient être affectés à la péréquation entre les notaires seront redistribués à d’autres fins.

Deux mots me gênent : « notamment » et « également », ce dernier laissant entendre que plusieurs missions sont dévolues à l’organisme chargé d’assurer la péréquation. Dans quelle proportion les fonds récoltés seront-ils redistribués au profit de ces missions ?

Nous assistons là à un « hold-up » sur la part des honoraires qui devait revenir à la profession notariale : elle financera des missions qui devraient être assurées par les services de l’État. La profession pourrait légitimement s’offusquer de cette manœuvre insidieuse au travers d’un amendement.

M. Julien Aubert. On peine à comprendre cet amendement. L’article 12 porte sur les tarifs de plusieurs professions réglementées tout comme, semble-t-il, la péréquation. Or, à la lecture de l’amendement, on croit comprendre que les notaires seraient concernés, à quoi s’ajoute l’interprétation incertaine du caractère interprofessionnel du fonds, dont on se demande s’il sera déployé au sein d’une même profession ou entre plusieurs. Enfin, la confusion est accrue par la destination des fonds envisagée : l’aide juridictionnelle, qui relève des avocats, et les maisons de la justice et du droit dont le spectre est plus large.

Quelles seront les professions mises à contribution, à quelle hauteur et dans quel but ?

Il ne faudrait pas que l’État, sous couvert de diminuer les tarifs, mette en place une taxe qui ne dit pas son nom pour faire financer par les professions réglementées des missions de service public – ce que dénoncent les avocats s’agissant de l’aide juridictionnelle.

Nous avons critiqué l’atteinte aux missions de service public que comportait la déréglementation de ces professions. D’un point de vue philosophique, il serait choquant que la déréglementation, niant la mission de contributeur au service public des professionnels, se double d’une taxation de ces derniers pour financer des missions que l’État ne veut plus assumer.

Il y a grand besoin de préciser à qui s’adresse cette péréquation.

M. Jean-Louis Roumegas. Cet amendement répond à l’objection sur l’inégalité territoriale mais il souligne aussi l’impréparation du texte du Gouvernement.

Il propose plus que la péréquation puisqu’il va jusqu’à abonder l’aide juridictionnelle, qui relève plutôt de la solidarité. Il me paraît justifié de ponctionner les excès de rémunération de certaines études pour soutenir les actes peu rentables de leurs collègues, mais aussi l’accès au droit.

J’approuve cet amendement dans son principe. J’attends néanmoins de connaître les modalités qui seront déterminées par décret.

Mme Audrey Linkenheld. Pour ma part, je souscris aux propos de notre collègue Roumegas. Je suis favorable à une péréquation à l’intérieur des professions réglementées et à la recherche de voies et de moyens qui permettront le financement de l’aide juridictionnelle.

Toutefois, il serait nécessaire d’indiquer dans l’amendement l’existence d’un seuil, qui pourra être déterminé par voie réglementaire, pour différencier l’utilisation de ces moyens : il n’est pas indifférent qu’ils financent majoritairement l’aide juridictionnelle ou la péréquation au sein des professions réglementées. Tel que rédigé, on ne sait pas exactement quelle est la priorité. Pour ma part, j’estime qu’il est prioritaire de régler la question de la péréquation au sein des professions réglementés, qui sont au cœur de nos débats du jour.

Est-il possible d’apporter cette précision pour s’assurer que les fonds iront en priorité aux professions qui en ont besoin, notamment dans les territoires ruraux mais aussi dans les nombreux territoires urbains qui ne sont pas riches et où les transactions sont peu nombreuses ou d’un faible montant ? J’aimerais que les rapporteurs nous apportent des garanties à ce sujet.

M. Sébastien Huyghe. Nous aurions pu être d’accord si les sommes prélevées étaient versées dans un fonds de péréquation, en quelque sorte un système de solidarité au sein d’une profession. Or si elles sortent de la profession pour alimenter d’autres fonds, elles portent un autre nom : ce sont des taxes. Créer de nouvelles taxes sur les actes authentiques serait en totale contradiction avec les annonces du président de la République lors de sa conférence de presse de novembre dernier, selon lesquelles il n’y aurait plus ni nouvelles taxes ni augmentation d’impôts d’ici à la fin du quinquennat. Après les 50 milliards d’euros d’impôts supplémentaires qui ont été prélevés durant la première moitié du quinquennat, vous mettez à mal la parole du président de la République à la faveur de ce texte. C’est déplorable !

M. Patrick Hetzel. Alors que le Gouvernement nous avait annoncé des mesures en faveur du pouvoir d’achat, ce texte fait le contraire en créant une nouvelle taxe – puisqu’il s’agit bien de cela. Encore une fois, l’écart est important entre les déclarations du Gouvernement à la presse et la réalité. Vous êtes ici rattrapés par les faits, par la patrouille.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cet amendement doit être replacé dans son contexte. L’alinéa 6 que nous venons d’adopter mentionne les tarifs « qui prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs. » Voilà pour le principe.

L’alinéa 7, crée le dispositif de péréquation qui tient compte des tarifs des transactions portant sur des biens immobiliers d’une valeur supérieure à un seuil. Cet alinéa 7 du projet de loi répond à une demande de tous nos interlocuteurs d’appliquer un barème unique à partir d’un certain montant de transaction. Il prend en compte un problème que tous, sans exception, ont posé : la rémunération et le tarif doivent être fonction de la valeur des patrimoines vendus et revendus, car il existe une grande différence entre la petite étude rurale ou de banlieue et la grande étude d’une métropole.

Les rapporteurs proposent que la péréquation alimente un fonds interprofessionnel qui financera notamment l’aide juridictionnelle. Les ordres d’avocat considèrent que la solidarité, via l’aide juridictionnelle, ne peut être qu’interprofessionnelle. Dans le cadre de la mission dont j’étais rapporteur, les avocats ont défendu l’idée que tout le monde devait y contribuer. Les organes représentatifs des notaires et des huissiers n’ont pas contesté le principe d’une participation à ce qui permet l’accès au droit. L’amendement apporte un élément supplémentaire en proposant la mise en œuvre d’une solidarité interprofessionnelle, et elle ne concerne d’ailleurs pas que les seuls notaires qui obsèdent tout le monde.

Dans la mission de préfiguration, nous préconisions la péréquation interprofessionnelle et celle-ci a été évoquée par les représentants syndicaux des personnels de toutes les professions concernées. L’idée est de ne pas faire peser sur une seule profession la solidarité qui permet aux justiciables d’accéder au droit grâce à l’aide juridictionnelle et aux maisons de justice et du droit qui font un travail de proximité. Lisez les conclusions de la mission : les syndicats ont défendu cette idée, même s’ils avaient des appréciations plus ou moins variées sur le périmètre de l’interprofession.

La péréquation est prévue dans la définition des tarifs et elle s’inscrit dans un cadre interprofessionnel. Le financement de l’aide juridictionnelle implique une solidarité des professionnels du droit, car il y a des inégalités entre ceux qui la pratiquent au quotidien et ceux qui n’y participent pas pour des raisons parfaitement acceptables. Ce dispositif est nécessaire et il me semble aller dans le sens des demandes formulées par les syndicats.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. C’est là l’amorce d’un dispositif de péréquation interprofessionnel, dont les caractéristiques seront précisées par décret en Conseil d’État, comme le prévoit l’alinéa 13 de l’article 12.

La Commission adopte l’amendement SPE1730.

Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement SPE1885 des rapporteurs, qui fait l’objet des sous-amendements SPE1896 à SPE1898 de M. Philippe Houillon, les amendements identiques SPE138 de M. Philippe Houillon et SPE317 de M. Patrick Hetzel, et les amendements identiques SPE139 de M. Philippe Houillon et SPE318 de M. Patrick Hetzel.

M. le rapporteur général. Le projet de loi intègre bien la notion de péréquation entre les actes : alors qu’elle était empirique, elle devient clairement consacrée par la loi. N’oublions pas non plus qu’une part d’environ 30 % de l’activité des professionnels visés n’est pas concernée par l’exclusivité qu’ils ont sur un certain nombre d’actes. Non seulement personne ne remet en cause les fondements de la péréquation interne aux études, mais elle est inscrite dans le projet.

Le présent amendement tend à fixer une règle qui me paraît synthétiser des points de vue qui nous ont collectivement éclairés. Deux alinéas du projet de loi peuvent être remplacés par les quatre qui vous sont proposés. Ils visent tout d’abord à prévoir qu’en dessous d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État, les tarifs sont fixes. Au-delà de ce seuil, on retrouve la notion de corridor tarifaire : les tarifs pourront varier dans la limite d’un sixième au-dessus et en-dessous d’un tarif de référence. Enfin, par souci de transparence, l’amendement tend à imposer aux professionnels du droit une obligation d’affichage des tarifs qu’ils pratiqueront, pour dissiper les doutes, difficultés et inquiétudes que pourraient soulever ce dispositif.

Nous aboutissons ainsi à un dispositif simple, arbitré par trois modes tarifaires, qui permet de proroger cette notion de péréquation interne à laquelle nous sommes tous attachés, tout en garantissant des tarifs fixes au bénéfice des professionnels comme des citoyens, et en introduisant cette notion de corridor au-delà d’un certain seuil.

M. Philippe Houillon. L’amendement du rapporteur est infiniment plus compliqué que le texte du projet de loi, ce qui n’est pas peu dire ! D’ailleurs, je n’ai toujours pas compris s’il y avait ou non deux péréquations. Tout cela est totalement confus.

Mon sous-amendement SPE1896 vise à réattribuer toute la compétence au ministre de la justice en supprimant l’intervention du ministre de l’économie. Nous avons déjà longuement évoqué la préservation du droit continental, mais je dois dire que cela fait froid dans le dos quand on voit qu’il est question de demander l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui parle de devis et de remises – pas encore de soldes mais cela ne saurait tarder. C’est dire à quel point ces professions vont basculer dans l’économie de marché. L’Autorité de la concurrence se mêle même de dire que le parquet peut imposer certaines choses au juge. Elle est partout ! C’est à se demander comment on a pu vivre sans elle jusqu’à présent. L’Autorité de la concurrence, c’est comme le téléphone portable !

Le sous-amendement SPE1897 mérite un mot d’explication. La négociation va intervenir entre le client et le professionnel. Il faut envisager les hypothèses où ce n’est pas le client qui paie. En cas d’intervention d’un huissier de justice, c’est le débiteur qui va payer les frais alors que l’accord va se faire en dehors de lui, ce qui pose un problème d’opposabilité. Le sous-amendement prévoit donc d’exclure cette possibilité en cas de procédure judiciaire ou de procédure civile d’exécution.

M. le rapporteur général. Avis défavorable au sous-amendement SPE1896. En revanche, le sous-amendement SPE1897 pourrait être utilement retenu : ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. J’y suis donc favorable. Quant au sous-amendement SPE1898, il me paraît sans objet et j’y suis défavorable.

M. le ministre. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, cet amendement permet de préserver le cœur de la réforme proposée par le Gouvernement : plus de clarté et d’objectivité dans la fixation des tarifs. Il permet de prendre en compte la préoccupation partagée sur la viabilité de cette réforme pour les petits offices. Je suis sensible au fait que, jusqu’à un certain seuil défini par décret, on ne puisse appliquer la formule du corridor, qui est moins importante que la réforme même de la formation des tarifs. Nous améliorons le texte en sécurisant les offices notariaux, en particulier les plus ruraux. J’émets donc un avis favorable à l’amendement ainsi qu’au sous-amendement SPE1897, et un avis défavorable aux deux autres sous-amendements.

M. Jean-Frédéric Poisson. D’abord, il est prudent et justifié d’inclure les procédures judiciaires ou les procédures civiles d’exécution dans notre discussion. Quoi qu’en dise notre rapporteur général, à la lecture de l’amendement, cela n’allait absolument pas de soi, et je le remercie d’avoir accepté notre contribution.

Ensuite, je suis certain que pour les trois-quarts des députés ici présents, restituer clairement ce que vous avez expliqué de la fixation des tarifs constituerait un défi. La réalité est complexe mais on n’est pas obligé de la transcrire dans des dispositifs encore plus compliqués !

Enfin, n’ayant pas eu l’occasion d’intervenir en temps voulu, je reviens sur la péréquation. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’amendement adopté précédemment. On nous affirme comme une espèce d’évidence que les professions du droit doivent participer au financement de l’aide juridictionnelle sans que ce soit démontré. Nous y reviendrons en séance parce que cela ne va pas de soi, même sur le plan constitutionnel. Vous n’avez pas le droit de procéder ainsi en ne nommant pas les choses par leur nom : en l’occurrence, il s’agit d’une taxe parafiscale, car une partie du fonds prélevé sur les professionnels ne va pas leur revenir. Je maintiens que l’amendement adopté précédemment repose sur un principe qui n’est pas fondé, et que sa rédaction n’est pas satisfaisante. Je regrette qu’il ait été adopté dans ces conditions.

La Commission rejette le sous-amendement SPE1896, adopte le sous-amendement SPE1897 et rejette le sous-amendement SPE1898.

Puis elle adopte l’amendement SPE1885 sous-amendé.

En conséquence, les amendements SPE138, SPE317, SPE139, SPE318 et SPE590 tombent, et les amendements identiques SPE281 de M. Martial Saddier, SPE653 de M. Guénhaël Huet et SPE1115 de M. Sébastien Huyghe, l’amendement SPE882 de M. Michel Zumkeller, les amendements identiques SPE140 de M. Philippe Houillon, SPE319 de M. Patrick Hetzel et SPE1148 de Mme Audrey Linkenheld n’ont plus d’objet.

La Commission examine l’amendement SPE320 de M. Patrick Hetzel et les amendements SPE583 de Mme Laure de La Raudière et SPE1132 de Mme Karine Berger. 

M. Patrick Hetzel. L’amendement SPE320 est défendu.

Mme Karine Berger. Mon amendement vise à faire sortir du dispositif du corridor tarifaire tout ce qui correspond aux ventes de biens meubles.

M. le ministre. L’aménagement proposé par le rapporteur général procède d’une autre logique et répond largement à la préoccupation des auteurs de ces amendements. Je suggère leur retrait, sinon j’émettrai un avis défavorable.

Mme Karine Berger. Si l’adoption de l’amendement du rapporteur général n’a pas fait pas tomber le mien, c’est parce qu’il n’y est pas précisé que les biens meubles sont exclus. Monsieur le ministre, si vous me confirmez qu’ils seront exclus du décret d’application, je retire mon amendement.

M. le ministre. Les amendements proposent que « les prisées et les ventes judiciaires de biens mobiliers » soient a priori exclues d’une tarification sous forme de corridor tarifaire. L’amendement des rapporteurs prévoit que le tarif soit fixe pour un certain nombre d’actes dont le montant est inférieur à un certain seuil : jusqu’à ce seuil, de fait, les prisées et les ventes judiciaires de biens mobiliers seront exclues. Je ne peux m’engager au-delà du seuil défini par le décret et je suggère que l’on rentre dans la même philosophie d’ensemble.

Mme Karine Berger. Je retire mon amendement SPE1132.

L’amendement SPE1132 est retiré.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette les amendements SPE320 et SPE583.

Les amendements identiques SPE141 de M. Philippe Houillon, SPE321 de M. Patrick Hetzel et SPE591 de M. Charles-Ange Ginesy n’ont plus d’objet.

La Commission examine l’amendement SPE1804 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le présent amendement vise à inscrire dans la loi le principe d’une révision quinquennale des tarifs, conformément à la proposition n° 12 de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Pour garder la possibilité de réviser les tarifs plus souvent, je propose de remplacer « tous les cinq ans » par « au moins tous les cinq ans ».

La Commission adopte l’amendement SPE1804 ainsi rectifié.

La Commission examine les amendements identiques SPE142 de M. Philippe Houillon et SPE322 de M. Patrick Hetzel.

M. Philippe Houillon. Cet amendement vise à supprimer l’avis obligatoire de l’Autorité de la concurrence prévu par le projet de loi. Les prestations juridiques doivent rester de la compétence exclusive du garde des Sceaux.

M. Patrick Hetzel. Mon amendement est identique.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, prenez-vous ces amendements comme une agression ?

M. le ministre. Pas du tout, mais je les trouve répétitifs. Pour ne pas reprendre des arguments que j’ai déjà développés ce matin, je me contenterai d’émettre un avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. Au cours des travaux de la mission, nous étions convenus de confier à l’Autorité de la concurrence le soin de publier une grille de tarifs.

La Commission rejette les amendements SPE142 et SPE322.

L’amendement SPE751 de M. Jean-Christophe Fromantin n’a plus d’objet.

Puis la Commission examine l’amendement SPE1732 des rapporteurs.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le présent amendement vise à faire participer les associations de consommateurs et d’usagers du droit à l’élaboration de l’avis public que l’Autorité de la concurrence pourra émettre, soit à la demande du Gouvernement, soit de sa propre initiative, à la fois sur les prix réglementés dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée, ou encore sur les tarifs réglementés applicables aux professions visées.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1732.

Puis elle en vient aux amendements identiques SPE143 de M. Philippe Houillon et SPE323 de M. Patrick Hetzel.

M. Philippe Houillon. Cet amendement conteste, une nouvelle fois, le rôle accordé à l’Autorité de la concurrence. On peut considérer qu’il est défendu.

M. Patrick Hetzel. C’est la même chose.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette les amendements SPE143 et SPE323.

Puis elle examine l’amendement SPE1733 du rapporteur général qui fait l’objet d’un sous-amendement SPE1865 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Ce sous-amendement propose que l’Autorité de la concurrence soit informée deux mois avant chaque révision de tarif.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je suis favorable à ce sous-amendement sous réserve qu’il soit inséré après le mot « celle-ci » et non pas après le mot « concurrence », pour ne pas faire disparaître l’idée que la communication se fait à la demande de l’Autorité de la concurrence.

Mme Michèle Bonneton. Je suis d’accord.

La Commission adopte le sous-amendement SPE1865 ainsi rectifié, puis elle adopte l’amendement SPE1733 sous-amendé.

En conséquence, l’amendement SPE761 de Mme Michèle Bonneton tombe.

La Commission adopte successivement les amendements de coordination SPE1734 et SPE1735, et l’amendement rédactionnel SPE1736 des rapporteurs.

Puis elle examine les amendements identiques SPE144 de M. Philippe Houillon et SPE324 de M. Patrick Hetzel. 

M. Philippe Houillon. L’amendement SPE144 propose de supprimer l’alinéa 21 qui est une nouvelle preuve de l’abandon de notre droit continental pour considérer le droit comme une marchandise. Cet alinéa prévoit en effet que le Conseil national de la consommation – CNC – sera consulté sur les modalités d’affichage et d’étiquetage des tarifs des prestations juridiques. À quoi bon ajouter des étages à cette usine à gaz ?

M. Patrick Hetzel. Les prestations juridiques sont traitées comme des marchandises alors que leur nature s’apparente davantage à un service public.

M. le ministre. En quoi le fait de consulter les représentants des usagers contrevient-il à l’idée de service public ? À raison, certains de vos collègues faisaient ce matin référence à La Poste et aux postiers, dont nous saluons la qualité du travail. Pour ma part, je préside le comité de suivi des travaux de La Poste où siège le comité des usagers. Dans l’amendement qui vient d’être adopté, nous avons ajouté d’une part les usagers, d’autre part, les professionnels. Il est tout à fait normal que cette consultation soit possible, car elle renforce à la fois la qualité et la transparence des mesures qui sont prises. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable.

M. Philippe Houillon. La réponse du ministre ne fait que renforcer ma conviction et montre que la présence de la garde des Sceaux serait utile.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La démarche qui consiste à solliciter l’avis des associations de consommateurs est essentielle à un moment où la chancellerie réfléchit sur la justice du XXIe siècle et se pose la question de la place du justiciable dans l’organisation des juridictions. Nos concitoyens sont des sujets de droit et des usagers des services publics offerts par les officiers ministériels et les auxiliaires de justice. Il est pertinent qu’ils participent à ces consultations. C’est un progrès qui chahute un peu toutes les professions et les corps de fonctionnaires. J’ajoute que le CNC est consulté pour avis et que la décision finale appartient aux autorités de l’État. Ouvrir le champ des avis et de la réflexion aux justiciables, aux citoyens, aux usagers du droit, c’est faire preuve de modernité.

M. Patrick Hetzel. On peut vouloir consulter les usagers et les bénéficiaires, mais pourquoi le faire par le biais du CNC ? Ce vecteur ne nous paraît pas adapté, car cela reviendrait à traiter les prestations de nature juridique comme des marchandises.

M. Jean-Frédéric Poisson. La constance est une belle vertu – même quand elle est gouvernementale et indépendamment de l’objet auquel elle s’applique –, et on ne peut pas vous reprocher de suivre jusqu’au bout votre raisonnement initial, qui consiste à dire que les services juridiques sont de même nature que les autres. Il est significatif que vous fassiez référence à La Poste, chargée d’apporter du courrier chez tous les usagers de France et de Navarre. Vous considérez donc qu’il n’y a pas de différence de nature entre ce service et des prestations juridiques. C’est bien là que réside, depuis le début, notre point de désaccord sur les professions réglementées. Dès lors, il ne peut y avoir de conciliation possible, sauf sur certaines modalités pratiques de ces articles. Vous considérez que l’accès des justiciables aux services que rendent les professions réglementées est de même nature que l’achat d’un paquet de bonbons, un timbre-poste ou un téléviseur.

Cette orientation étant assez peu compatible avec les idées d’une partie de la majorité gouvernementale, vous faites intervenir des autorités indépendantes et autres organismes publics, afin de chercher un équilibre et de compenser la baisse de la puissance de l’État liée à la marchandisation, à la libéralisation de ce genre de services. On voit bien que ce jeu d’équilibre ne relève pas d’une prise en compte de la complexité de la réalité, mais d’une vision conceptuelle, pour ne pas dire idéologique, des choses. Entre vous et nous, les différences sont inconciliables.

De notre point de vue, les services rendus au nom de la justice ou pour le compte des justiciables par les professions réglementées ne peuvent en aucune manière être assimilés aux autres services. Comme ils ne sont pas de même nature, ils ne peuvent être soumis ni à un régime concurrentiel, ni à la surveillance de l’Autorité de la concurrence, ni à l’avis du CNC.

M. le président François Brottes. Ce débat n’est pas sans me rappeler celui que nous avions eu en séance, lorsque Christian Estrosi était ministre de la Poste, sur la mise en concurrence des lettres recommandées, eu égard au rôle qu’elles jouent par rapport aux différentes juridictions.

M. Julien Aubert. D’habitude, c’est l’Europe qui nous pousse à la mise en concurrence ; dans le cas présent, nous nous tirons nous-mêmes une balle dans le pied ! Cet amendement révèle l’engrenage : les tarifs n’étant plus identiques, puisque vous voulez les faire évoluer dans un corridor, il devient nécessaire de les afficher. Votre approche induit des effets pervers. En modifiant un système de tarifs qui fonctionne, vous êtes amenés à entreprendre toute une série d’autres réformes et refontes. Vous avez fait une partie du chemin, mais en direction d’une normalisation totale. Nous sommes opposés à la philosophie de ce texte, mais nous constatons aussi qu’il y a une complexité inhérente à votre réforme.

M. Sébastien Huyghe. Cet affichage des tarifs est un peu ridicule. Alors qu’on nous a parlé de rabais, de remises et de ristournes – voire de soldes –, à quoi bon afficher un tarif ? Il suffira au professionnel d’afficher le tarif le plus élevé et de pratiquer ensuite remises et rabais à la tête du client, selon des critères difficiles à déterminer.

M. Jean-Yves Caullet. Nous parlons de publicité et de facilité d’accès à un tarif, via des affichages ou autres. Or il n’y a pas de règles sans contrôle. Si l’on ne peut pas contrôler ces modalités par des outils existants pour défendre les citoyens – en tant que consommateurs, certes, mais ce n’est pas infamant –, il va falloir inventer une autre usine à gaz : prévoir un service de contrôle, une autre autorité, etc. Ce n’est pas sain.

Quant à la modulation tarifaire, nous l’envisageons au regard des coûts réels et de la rémunération nécessaire du professionnel, et non pas comme une négociation de marchands de tapis, au cas par cas, client par client. Nous parlons de la modulation tarifaire d’un service public qui aboutit à un même tarif pour tout le monde ; vous parlez de négociation commerciale, tant il est vrai que l’on critique toujours chez les autres ce que l’on a dans son propre ADN.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le cœur du problème, c’est de considérer que ces services sont de même nature que les autres. Les dispositions concernant les tarifs ne sont pas codifiées ; inclure certains de ces éléments dans le code du commerce conduit à cette mécanique folle de consultation, comme pour tous les autres tarifs qui figurent dans ce code.

La Commission rejette les amendements SPE144 et SPE324.

Puis elle examine les amendements identiques SPE145 de M. Philippe Houillon et SPE325 de M. Patrick Hetzel. 

M. Philippe Houillon. Il s’agit de prévoir que les règles de publicité des tarifs ne seront pas contrôlées par le CNC, mais par le ministre de la justice.

M. Patrick Hetzel. Mon amendement est défendu.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette les amendements SPE145 et SPE325.

Puis elle adopte successivement l’amendement rédactionnel SPE1737 et l’amendement de précision SPE1775 des rapporteurs.

Elle examine ensuite l’amendement SPE650 de M. Guénhaël Huet. 

M. Guénhaël Huet. Je retire mon amendement, qui est satisfait.

L’amendement SPE650 est retiré.

La Commission adopte l’article 12 modifié.

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Après l’article 12

La Commission examine les amendements identiques SPE26 de M. Julien Aubert, SPE722 de M. Michel Heinrich, SPE1102 de M. Sébastien Huyghe et SPE1143 de Mme Audrey Linkenheld.

M. Julien Aubert. Je retire l’amendement SPE26, car il est satisfait.

Les amendements SPE26, SPE722, SPE1102 et SPE1143 sont retirés.

La Commission est saisie des amendements identiques SPE25 de M. Julien Aubert, SPE664 de M. Guénhaël Huet, SPE714 de M. Michel Heinrich, SPE1103 de M. Sébastien Huyghe et SPE1145 de Mme Audrey Linkenheld.

M. Julien Aubert. Cet amendement prévoit deux types de forfaits tarifaires selon la complexité de l’acte, en réponse à une demande des notaires.

M. Guénhaël Huet. Mon amendement est défendu.

M. Michel Heinrich. Le mien aussi.

M. Sébastien Huyghe. Vu la fort belle manière avec laquelle Julien Aubert a défendu son amendement, je considère aussi le mien comme défendu.

Mme Audrey Linkenheld. Pour ma part, je vais retirer mon amendement, considérant qu’il est satisfait par l’adoption de l’amendement SPE1885 des rapporteurs.

M. le ministre. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable.

Les amendements SPE25, SPE664, SPE714, SPE1103 et SPE1145 sont retirés.

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Article 13
(art. 1er, 5, 8, 8-1, 10 et 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; art. L. 141-1 du code de la consommation)

Modifications des règles de postulation et d’établissement des bureaux secondaires des avocats

I. L’EXTENSION DE LA TERRITORIALITÉ DE LA POSTULATION EN PREMIÈRE INSTANCE

L’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques pose, en son alinéa 1er, le principe selon lequel « les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires ».

Le deuxième alinéa de cet article 5 précise toutefois qu’« ils exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle, et devant la cour d’appel dont ce tribunal dépend, les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande instance et les cours d’appel ».

Ces activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande instance et les cours d’appel correspondent à la « postulation » que le doyen Gérard Cornu définit dans son Vocabulaire juridique comme « la mission consistant à accomplir au nom d’un plaideur les actes de la procédure, qui incombe, du seul fait qu’elle est constituée, à la personne investie d’un mandat de représentation en justice (…). Limitée aux actes ordinaires de la procédure, la postulation n’englobe pas de plus graves actes (désistement, acquiescement, transaction) qui ne sont pas compris, de plein droit, dans le pouvoir général du mandataire (…). Elle se distingue de la plaidoirie (…). Elle n’englobe pas la rédaction des conclusions ».

L’activité de postulation des avocats constitue, pour cette profession juridique largement ouverte et rémunérée sur la base d’honoraires libres, une « enclave » de réglementation puisqu’il s’agit, en application du deuxième alinéa de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971, d’un monopole géographique, hérité des avoués et assorti d’une tarification réglementée.

L’article 1er de la loi du 31 décembre 1971 ménage cependant un certain nombre de dérogations à cette compétence territoriale.

Le III de cet article 1er permet ainsi aux avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance situés dans le ressort de la cour d’appel de Paris (tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre) de postuler auprès de chacune de ces juridictions. En appel, ils peuvent postuler auprès de la cour d’appel de Paris (s’ils ont postulé en première instance devant les tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny ou Créteil) ou auprès de la cour d’appel de Versailles (s’ils ont postulé en première instance devant le tribunal de grande instance de Nanterre).

Toutefois, cette extension de la territorialité de la postulation au ressort de la cour d’appel de Paris ne concerne ni les procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation (111) ni les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué au titre de l’aide judiciaire ou dans des instances dans lesquelles l’avocat ne serait pas maître de l’affaire chargé également d’assurer la plaidoirie (112).

Cette extension de la territorialité de la postulation en région parisienne (ou « multipostulation ») est relativement ancienne et s’explique par le démembrement du tribunal de grande instance de Paris et la création des tribunaux de grande instance de Bobigny, Nanterre et Créteil.

Plus récemment, à la suite de la réforme de la carte judiciaire, la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées a également introduit un régime de « multipostulation » pour certains barreaux implantés dans le même département : entre Libourne et Bordeaux en Gironde, d’une part, entre Nîmes et Alès dans le Gard d’autre part (113).

Ainsi, les IV et V de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1971 prévoient respectivement que « les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Bordeaux et Libourne peuvent postuler devant chacune de ces juridictions » et que « les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Nîmes et Alès peuvent postuler devant chacune de ces juridictions ».

Le VI de ce même article 1er assortit l’extension de la territorialité de la postulation devant les tribunaux de grande instance de Bordeaux, Libourne, Nîmes et Alès des mêmes limites que celles prévus pour la « multipostulation » en région parisienne, notamment en matière de procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation.

Ce sont précisément les IV, V et VI de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1971 que le 1° du I du présent article propose d’abroger, dès lors que l’extension de la territorialité de la postulation aux seuls ressorts des tribunaux de grande instance de Bordeaux, Libourne, Nîmes et Alès – qui ne recouvrent pas l’intégralité des ressorts des cours d’appel de Bordeaux et Nîmes – serait contraire à l’extension de la territorialité de la postulation au ressort des cours d’appel qu’opère le 2° du I du présent article.

Le 2° du I du présent article procède en effet à une réécriture globale de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971 qui, dans sa rédaction actuelle, tout à la fois pose le principe selon lequel les avocats ont une compétence nationale pour l’exercice de leur ministère, notamment lorsqu’il s’agit de plaider, et tempère ce principe en limitant la compétence territoriale des avocats en matière de postulation au ressort du tribunal de grande instance où ils sont établis (en première instance) et au ressort de la cour d’appel dont ce tribunal de grande instance dépend (en appel).

La nouvelle rédaction de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971 reprendrait le principe actuel selon lequel « les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article précédent », c’est-à-dire à l’article 4 de la même loi, qui autorise les organisations syndicales régies par le code du travail ou de leurs représentants à exercer des activités en matière de représentation et d’assistance devant les juridictions sociales et paritaires et les organismes juridictionnels ou disciplinaires auxquels ils ont accès.

En revanche, cette nouvelle rédaction de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971 prévoirait désormais que les avocats « peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel au sein de laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel ».

Tirant les conséquences de la nouvelle rédaction de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971, le 6° du I du présent article procède à une coordination de façon à abroger la référence que fait aujourd’hui le 4° de l’article 53 de la même loi à l’autorisation de diligenter les actes de procédure qui est donnée par la cour d’appel aux avocats établis auprès d’un tribunal de grande instance de son ressort, lorsque le nombre des avocats inscrits au tableau et résidant dans le ressort d’un autre tribunal de grande instance du ressort de la même cour d’appel est jugé insuffisant pour l’expédition des affaires.

La « multipostulation » devant l’ensemble des tribunaux de grande instance situés dans le ressort d’une cour d’appel, qui existe depuis longtemps en région parisienne, serait ainsi généralisée à l’ensemble du territoire.

Lors de leur audition par la rapporteure thématique, le 6 janvier 2015, les bâtonniers des barreaux de Bordeaux, Libourne, Nîmes et Alès où existe d’ores et déjà un dispositif de « multipostulation », en application des IV et V de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1971, ont fait un bilan globalement positif de ce dispositif.

Ils ont toutefois souligné que les barreaux aux effectifs numériques les plus faibles s’étaient maintenus grâce aux exceptions à la « multipostulation » qui sont prévues par la loi pour les activités des avocats :

– en matière de procédures de saisie immobilière ;

– en matière de procédures de partage et de licitation ;

– au titre de l’aide juridictionnelle ;

– dans les affaires où ils ne sont pas avocats plaidants.

Pour ces quatre types d’activités, la postulation auprès du tribunal de grande instance dans le ressort duquel les avocats ont établi leur résidence professionnelle a été maintenue.

C’est ce qui a notamment permis de préserver le financement des ordres qui tirent en partie leurs ressources des caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) qui sont alimentées, entre autres, par les fonds provenant des ventes immobilières à l’issue des procédures de saisie.

La préservation des ressources des ordres a permis de pérenniser les activités de ces derniers, notamment les permanences assurées en matière pénale.

C’est la raison pour laquelle la commission a adopté un amendement des rapporteurs visant à limiter les activités pour lesquelles les avocats pourraient postuler auprès de l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel au sein duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et d’en exclure les quatre types d’activités susmentionnées.

Le 3° du I du présent article tire les conséquences de cette extension de la territorialité de la postulation au ressort des cours d’appel dans les hypothèses où les avocats n’exercent pas seuls, à titre individuel, mais dans le cadre d’une association (notamment une association d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle – AARPI), d’une société (société d’exercice libéral – SEL ; société civile professionnelle – SCP ; société en participation, etc.) ou d’un groupement d’intérêt économique (le cas échéant européen).

Dans sa rédaction actuelle, le second alinéa de l’article 8 de la loi du 31 décembre 1971 dispose que « l’association ou la société peut postuler auprès de chaque tribunal et de la cour d’appel dont chacun d’eux dépend, par le ministère d’un avocat inscrit au barreau établi près ce tribunal ».

En cohérence avec la généralisation de la « multipostulation » devant l’ensemble des tribunaux de grande instance d’une même cour d’appel, le projet de loi propose de réécrire ce second alinéa de façon à ce qu’il prévoie désormais que « l’association ou la société peut postuler auprès de l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel au sein de laquelle un de ses membres est établi et devant ladite cour d’appel, par le ministère d’un avocat inscrit au barreau établi près l’un de ces tribunaux ».

Par ailleurs, en cohérence avec les exceptions à la « multipostulation » introduites dans l’hypothèse où les avocats exerceraient à titre individuel, la commission a, sur proposition des rapporteurs, adopté un amendement limitant les activités pour lesquelles les avocats exerçant dans le cadre d’une association ou d’une société pourraient postuler auprès de l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel au sein duquel ils ont établi leur résidence professionnelle.

L’extension de la compétence de postulation devant tous les tribunaux de grande instance situés dans le ressort d’une même cour d’appel concrétise la proposition n° 22 du rapporteur général qui avait jugé cette solution comme étant « au mieux le point d’équilibre et le moins déraisonnable entre ce que permettent le RPVA, les réalités de la vie judiciaire, la protection du maillage territorial et le budget de la Chancellerie » (114).

Comme le rapporteur général, la mission d’information de la commission des Lois sur les professions réglementées s’est interrogée sur la possibilité d’instaurer une compétence nationale en matière de postulation et de supprimer ainsi toute territorialité pour l’exercice de cette compétence.

Il est vrai qu’à l’heure où la dématérialisation des procédures se développe et que les déplacements sur notre territoire sont plus aisés, des interrogations existent sur la pertinence de ce monopole géographique de postulation, renforcées par l’attribution aux avocats d’une compétence de postulation en appel depuis 2012.

Dans son rapport sur les professions du droit, la commission présidée par M. Jean-Michel Darrois regardait « comme un objectif à atteindre la suppression du monopole de la postulation territoriale des avocats » (115)

De son côté, l’Inspection générale des finances a indiqué dans son rapport sur les professions réglementées ne pas avoir « identifié de motif d’intérêt général qui justifie la territorialité de la compétence de postulation ». De son point de vue, le monopole géographique de la postulation rend plus complexe « la relation qui unit l’avocat à son client, ce dernier étant défendu par un professionnel différent selon le ressort géographique du tribunal de grande instance ou de la cour d’appel » et renchérit le coût des procédures, « sans qu’un surcroît de qualité lié à la postulation soit nécessairement identifiable ». Elle a par conséquent préconisé « soit [de] supprimer la compétence de postulation des avocats, soit [d’]étendre la compétence de postulation au niveau national » (116).

Lors de leur audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, tant M. Jean-Michel Darrois, avocat que M. Serge Guinchard, professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas et président de la Commission sur la répartition des contentieux constituée en 2007, ont estimé que le recours à un avocat tiers pour le seul exercice des compétences de postulation était difficilement compréhensible pour les clients.

Comme le rapporteur général, la mission d’information de la commission des Lois a néanmoins écarté l’idée d’octroyer aux avocats une compétence de postulation sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des obstacles techniques auxquels cette mesure se heurterait.

En effet, l’attribution d’une compétence nationale de postulation supposerait, pour être pleinement efficace, d’être assortie de nouvelles avancées dans la dématérialisation des échanges entre juridictions et auxiliaires de justice. Or, sur ce point, le projet Portalis, qui va être engagé par le ministère de la Justice en 2015 et qui doit conduire à la refonte du système d’information civil afin de permettre la dématérialisation des démarches et des procédures entre les juridictions, les citoyens et les auxiliaires de justice, ne sera complètement déployé que dans plusieurs mois.

Dans l’attente du perfectionnement et du complet déploiement des outils de dématérialisation, la mission d’information de la commission des Lois s’est interrogée sur la mise en œuvre concrète de la proposition reprise par les 1° à 3° du I du présent article, qui consiste à limiter l’extension de la territorialité de la postulation au ressort de la cour d’appel.

À première vue, cette solution présenterait des avantages. Elle offrirait, tout d’abord, une lisibilité accrue aux justiciables qui, dans le ressort d’une même cour d’appel, pourraient désormais recourir à un seul et même avocat pour la première instance et l’appel et ce, quel que soit le tribunal de grande instance devant lequel l’affaire est présentée. Elle pourrait sans doute être aussi une source d’économies puisque l’activité de postulation, assurée par un avocat tiers et que les clients ne connaissent pas nécessairement, ne leur serait plus facturée. Enfin, une telle réforme constituerait le prolongement logique des progrès de la dématérialisation des échanges entre barreaux et juridictions, d’une part, et de la suppression des avoués d’appel, d’autre part.

Néanmoins, il convient de s’assurer que tous les outils informatiques nécessaires à cet élargissement de la compétence territoriale seront opérationnels. Le déploiement, depuis 2004, du réseau privé virtuel des avocats (RPVA) a contribué à accomplir d’importants progrès en matière de dématérialisation des procédures. Toutefois, en l’état actuel, ce réseau, connecté avec le réseau privé virtuel de la justice (RPVJ), permet à un avocat de faire des actes de procédures devant le tribunal de grande instance dans lequel il a sa résidence professionnelle ainsi que dans la cour d’appel de son ressort mais non dans les tribunaux de grande instance voisins. Ainsi que l’ont fait observer les représentants de la Conférence des premiers présidents de cour d’appel entendus par la mission, la généralisation de la multipostulation dans une même cour d’appel supposerait donc des aménagements techniques.

Pour toutes ces raisons, la commission a décidé, suivant l’avis des rapporteurs, de différer l’entrée en vigueur du dispositif de multipostulation au premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi, de façon à ménager le temps nécessaire au déploiement du RPVA. Ce délai d’entrée en vigueur est prévu par le IV du présent article.

II. L’ASSOUPLISSEMENT DES RÈGLES D’ÉTABLISSEMENT DES BUREAUX SECONDAIRES

Même s’ils peuvent consulter librement sur tout le territoire, les avocats sont tenus, en application de l’article 165 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 de fixer leur cabinet, dans le ressort du tribunal de grande instance auprès duquel ils sont établis.

Toutefois, afin de ne pas entraver le développement des cabinets d’avocats, l’article 8-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit que « sans préjudice des dispositions de l’article 5 [qui limite la compétence de postulation au ressort du tribunal de grande instance de la résidence professionnelle en première instance et à celui de la cour d’appel de cette même résidence, en appel], l’avocat peut établir un ou plusieurs bureaux secondaires, après déclaration au conseil de l’ordre du barreau auquel il appartient ».

Cet article 8-1 ajoute que « lorsque le bureau secondaire est situé dans le ressort d’un barreau différent de celui où est établie sa résidence professionnelle, l’avocat doit en outre demander l’autorisation du conseil de l’ordre du barreau dans le ressort duquel il envisage d’établir un bureau secondaire ».

Dans cette dernière hypothèse, « le conseil de l’ordre statue dans les trois mois à compter de la réception de la demande. À défaut, l’autorisation est réputée accordée ». Par ailleurs, « l’autorisation ne peut être refusée que pour des motifs tirés des conditions d’exercice de la profession dans le bureau secondaire. Sans préjudice des sanctions disciplinaires pouvant être prononcées par le conseil de l’ordre du barreau auquel appartient l’avocat, elle ne peut être retirée que pour les mêmes motifs ».

Enfin, « dans tous les cas, l’avocat disposant d’un bureau secondaire doit y exercer une activité professionnelle effective sous peine de fermeture sur décision du conseil de l’ordre du barreau dans lequel il est situé ». Il doit en outre s’acquitter d’une cotisation au barreau d’accueil.

En d’autres termes, l’article 8-1 de la loi du 31 décembre 1971 soumet l’établissement d’un bureau secondaire :

– à un régime déclaratif lorsqu’il s’effectue dans le ressort du barreau où est établie la résidence professionnelle de l’avocat ;

– à un régime d’autorisation préalable lorsqu’il s’effectue dans le ressort d’un autre barreau que celui où l’avocat a sa résidence professionnelle.

Le nombre de bureaux secondaires ouverts dans le ressort des barreaux par des avocats non-inscrits à ces barreaux a augmenté de 56 % entre 2002 et 2012, passant de 699 à 1 088. En 2012, la moitié d’entre eux sont situés dans dix-huit barreaux, dont 16,7 % dans le ressort du barreau de Paris.

Certains avocats émettent des critiques à l’égard du régime d’autorisation préalable prévu pour l’établissement d’un bureau secondaire dans le ressort d’un barreau distinct de celui où l’avocat a sa résidence professionnelle.

La mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées a ainsi entendu des représentants de l’Agence des nouveaux avocats qui ont souligné le double inconvénient que représente, selon eux, ce régime d’autorisation. S’agissant du délai de trois mois, ils l’ont jugé difficilement compatible avec les décisions d’investissement nécessairement rapides qui entourent le développement d’une structure mais que freine l’incertitude sur la décision du barreau d’accueil. Quant au caractère préalable de l’autorisation, ils l’ont présenté comme allant « à rebours de l’entrepreneuriat » et révélateur d’une certaine défiance à l’égard du confrère issu d’un autre barreau.

Pour répondre à ces critiques, le 4° du I du présent article propose une réécriture globale de l’article 8-1 de la loi du 31 décembre 1971 qui :

– reprendrait la règle actuelle en vertu de laquelle « l’avocat disposant d’un bureau secondaire doit y exercer une activité professionnelle effective », faute de quoi, « le bureau peut être fermé sur décision du conseil de l’ordre du barreau dans lequel il est situé » ;

– mais substituerait à l’actuel régime d’autorisation préalable un régime déclaratif dans le cadre duquel « l’avocat [pourrait] établir un ou plusieurs bureaux secondaires, après déclaration au conseil de l’ordre du barreau auquel il appartient et celui dans le ressort duquel il envisage d’établir un bureau secondaire », sous préjudice, bien sûr, des limites liées à la territorialité de la compétence de postulation.

En cohérence avec la proposition n° 9 du rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, les rapporteurs ont émis d’importantes réserves sur la substitution d’un régime déclaratif à l’actuel régime d’autorisation préalable en matière d’établissement de bureaux secondaires dans le ressort de barreaux différents de celui où l’avocat a sa résidence professionnelle.

La jurisprudence qui se dégage des recours contre les refus d’autorisation des instances ordinales montre que le conseil de l’ordre n’est pas juge de l’opportunité de l’ouverture du bureau ; il ne peut fonder son refus sur l’examen de la viabilité économique du bureau ni sur l’inobservation par le demandeur de ses devoirs professionnels dans son barreau d’origine. En revanche, l’avocat doit exercer réellement son activité dans le bureau secondaire : il ne saurait s’agir d’une simple boîte aux lettres ou d’une domiciliation chez un autre professionnel.

Loin d’être anodin, le contrôle de l’ouverture des bureaux secondaires participe pleinement du contrôle que les conseils de l’ordre sont tenus d’assurer. Il est à cet égard révélateur que les articles 167 et 168 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat prévoient une diffusion de cette information au bâtonnier du barreau auquel appartient l’avocat mais également au procureur général.

La substitution d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation et la mise en œuvre d’un contrôle a posteriori, potentiellement plus aléatoire, fragiliseraient le rôle des instances ordinales dans le contrôle du respect de la déontologie par les professionnels intervenant dans leur ressort.

En revanche, sensibles aux observations faites sur le délai laissé au conseil de l’ordre du barreau dans lequel il est question d’ouvrir un bureau secondaire, les rapporteurs ont proposé de ramener de trois à un mois le délai laissé à celui-ci pour se prononcer.

À l’initiative des rapporteurs, la commission a donc adopté un amendement procédant à une réécriture du 4° du I présent article.

Le a) du 4° du I du présent article supprime le dispositif qui substituait un régime déclaratif à l’actuel régime d’autorisation préalable prévu pour l’établissement de bureaux secondaires dans le ressort d’un barreau distinct de celui où l’avocat a sa résidence professionnelle. En outre, il ramène de trois à un mois le délai dans lequel le conseil de l’ordre du barreau d’accueil doit se prononcer sur la demande d’établissement d’un bureau secondaire dans son ressort.

Issu d’un amendement des rapporteurs, le b) du 4° du I du présent article précise que les avocats devront satisfaire à leurs obligations professionnelles en matière d’aide judiciaire et de commission d’office non seulement au sein du barreau dans le ressort duquel est établie leur résidence professionnelle, mais aussi au sein du barreau dans le ressort duquel ils disposent d’un bureau secondaire. Cette mesure devrait permettre de s’assurer de l’effectivité de l’activité professionnelle des avocats au sein de leurs bureaux secondaires.

6.  La suppression du tarif de la postulation et la garantie de la transparence du coût des prestations des avocats

L’« enclave de réglementation » que représente la limitation territoriale de la compétence de postulation des avocats – dont la profession est, somme toute, peu réglementée par rapport à celles des officiers publics et/ou ministériels – se double d’une réglementation de la rémunération de l’activité de postulation.

Alors qu’habituellement, les honoraires des avocats sont libres et fixés en accord avec le client, la rémunération de la postulation devant les tribunaux de grande instance obéit à un tarif réglementé, hérité des avoués près ces mêmes tribunaux.

L’article 10, alinéa 1er, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose en effet que « la tarification de la postulation devant le tribunal de grande instance et des actes de procédure est régie par les dispositions sur la procédure civile ».

Le tarif de postulation était autrefois perçu par les avoués près les tribunaux de grande instance (117) ; il a été transféré aux avocats après l’intégration dans leur rang de cette profession.

Les conditions de sa perception procèdent encore aujourd’hui d’un régime organisé à titre transitoire. En effet, un décret du 25 août 1972 (118) prévoit qu’« à titre provisoire et jusqu’à la fixation d’un tarif de la postulation et des actes de procédure, les avocats percevront les émoluments, droits et remboursement de débours au taux et dans les conditions prévues, pour les affaires portées devant la juridiction civile, par les dispositions du titre Ier et de l’article 81 du décret du 2 avril 1960, en tant que ces dispositions sont compatibles avec celles du nouveau code de procédure civile ».

Conformément à ces dispositions toujours applicables, le tarif de la postulation repose sur un droit fixe de 5,49 euros, cumulé ou non suivant l’intérêt du litige ou l’objet de la procédure, à un droit proportionnel. Il comporte par ailleurs divers débours. Sauf disposition expresse concernant l’objet du litige, le droit proportionnel comporte des tranches prévues par l’article 4 du décret précité du 2 avril 1960 et qui dépendent du montant du litige :

– de 1 à 1 068 euros : 3 % ;

– de 1 068,01 à 2 135 euros : 2 % ;

– de 2 135,01 à 3 964 euros : 1 % ;

– de 3 964,01 à 9 147 euros : 0,5 % ;

– au-dessus de 9 147 euros : 0,25 %.

Dans ce cadre, le décret du 2 avril 1960 confère également au juge le pouvoir de décider, suivant l’intérêt du litige, l’objet de la procédure ou le déroulement de l’instance, une réduction du droit fixe ou du droit proportionnel pouvant aller jusqu’à la moitié de leur montant.

En l’état actuel du droit, il arrive de manière assez fréquente que des avocats établis hors du ressort d’un tribunal de grande instance recourent aux services d’un avocat postulant auprès de cette juridiction. La rétribution de ce « correspondant » repose en principe sur le versement des droits et débours prévus par le décret précité du 2 avril 1960, par l’avocat qui le mandate. Ces frais sont normalement facturés au client de ce dernier.

Toutefois, les avocats postulants peuvent aussi percevoir des honoraires libres s’ils ont accompli des diligences autres que la simple postulation. Applicable à l’origine aux avoués, le d de l’article 82 du décret du 2 avril 1960 autorise en l’occurrence « à titre exceptionnel, percevoir des honoraires particuliers lorsque, sur la demande expresse des parties, ils se sont chargés, indépendamment des travaux relatifs à l’élaboration et à la mise en œuvre de la procédure, de démarches nettement spécifiées ou de missions précises n’ayant rien d’incompatible avec la nature et la dignité de leur ministère. » Le texte précise que « cette rémunération particulière est réglée soit à l’amiable sous le contrôle de la chambre de discipline, soit judiciairement, s’il y a lieu, selon la procédure prévue par la loi n° 57-1420 du 31 décembre 1957 ».

Il résulte de cette combinaison entre un tarif et des honoraires libres une certaine opacité du coût de la postulation pour le justiciable.

De l’avis quasi-unanime des personnes entendues par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, le tarif de la postulation revêt aujourd’hui un caractère anachronique.

Tout d’abord, il est rarement appliqué par les avocats en raison de sa complexité. En effet, nombre de ces professionnels ne savent pas ou ne veulent pas établir d’états de frais par application du décret du 2 avril 1960.

Ensuite, le droit fixe et les droits proportionnels du tarif de postulation n’ont pas été actualisés depuis un décret du 21 août 1975 (119), de sorte qu’aujourd’hui la perception du tarif ne présente pas de réel intérêt pour l’avocat.

Enfin, l’obsolescence de ce tarif a été accentuée par la suppression du tarif de la postulation en appel. En effet, le décret n° 80-608 du 30 juillet 1980 qui fixait le tarif des avoués près les cours d’appel a été abrogé et le décret n° 2012-634 du 3 mai 2012 relatif à la fusion des professions d’avocat et d’avoué près les cours d’appel, pris en application de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant ses juridictions, ne comporte aucune précision permettant d’établir que les textes relatifs au tarif dont bénéficiaient les avoués près des cours d’appel s’appliquent à l’ensemble des avocats.

Pour toutes ces raisons, le 5° du I du présent article procède à la suppression du tarif de la postulation en première instance qui, désormais, sera rémunérée par des honoraires – ce qui concrétise la proposition n° 13 du rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées.

En effet, le 5° du I du présent article propose une nouvelle rédaction des quatre premiers alinéas de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971. Or, dans sa rédaction actuelle, le premier alinéa de cet article 10 prévoit une tarification de la postulation devant le tribunal de grande instance ainsi que des actes de procédure. Dans la rédaction qui en est proposée, ce premier alinéa prévoira que « les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client ». Ce faisant, les activités de postulation sont rangées parmi les activités (de consultation, d’assistance, de conseil, etc.) qui font l’objet d’honoraires libres et déterminés en accord avec le client.

Consciente des difficultés que la suppression du tarif de la postulation pourrait avoir au regard des règles de la procédure de saisie immobilière, la commission a adopté, à l’initiative de Mme Colette Capdevielle et de plusieurs de ses collègues, un amendement visant à préciser qu’en matière de saisies immobilières et de sûretés judiciaires, les droits et émoluments de l’avocat sont fixés sur la base d’un tarif déterminé selon des modalités prévues par décret.

Les conséquences de la suppression du tarif de la postulation sur les procédures de ventes judiciaires de meubles et d’immeubles doivent en effet être expertisées car, comme l’a indiqué M. Jean-Marie Burguburu, président du Conseil national des barreaux (CNB), devant la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, ce tarif peut présenter une certaine utilité lorsque des avocats sont amenés à intervenir dans de telles procédures.

La nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 satisfait le souci, exprimé par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, d’éviter que la suppression du tarif de la postulation ne se traduise par un renchérissement du coût de cette activité désormais rémunérée par des honoraires libres.

En effet, la mission d’information avait préconisé de prévoir, par la loi, que les diligences du postulant fassent l’objet de stipulations précises de façon à garantir une transparence des coûts à la charge du client. Et à cette fin, elle avait suggéré de généraliser le recours à des conventions d’honoraires.

C’est précisément cette généralisation qu’opère la nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971.

En l’état du droit, il n’y a guère qu’en matière de procédures de divorce que la conclusion de telles conventions soit imposée. En effet, l’alinéa 4 de l’article 10 précité dispose, dans sa rédaction actuelle, que « l’avocat est tenu de conclure avec son client une convention d’honoraires pour les procédures de divorce », que « des barèmes indicatifs des honoraires pratiqués par les avocats pour ces procédures, établis à partir des usages observés dans la profession, sont publiés par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice, pris après avis du Conseil national des barreaux » et que « ces barèmes sont révisés au moins tous les deux ans ».

La nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de l’article 10 propose d’étendre cette pratique. Désormais, « sauf en cas d’urgence ou de force majeure, ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat [sera tenu de conclure] par écrit avec son client une convention d’honoraires qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés ».

Suivant en cela les propositions faites par Mme Laure de La Raudière et MM. Alain Chrétien, Bernard Gérard et Patrick Hetzel, la commission a supprimé la référence à « l’évolution possible » des « diligences prévisibles ». La prestation de l’avocat étant un service juridique intellectuel dont l’évolution dépend en grande partie de l’aléa judiciaire, la commission a jugé redondante la mention, dans la convention d’honoraires, de l’« évolution possible » de diligences décrites comme « prévisibles » (et non « prévues »). Il convient de noter que les conventions d’honoraires initiales pourront être révisées en fonction de l’évolution du litige (appel, pourvoi en cassation, etc.).

De telles conventions auront vocation à être conclues dans le cadre des diverses activités des avocats, y compris en matière de postulation, et bien sûr aussi en matière de procédures de divorce… ce qui rend donc inutiles les dispositions de l’actuel alinéa 4 de l’article 10 précité, amenées à disparaître dans la nouvelle rédaction proposée par le 5° du I du présent article.

La nouvelle rédaction des alinéas 3 et 4 de l’article 10 reprend le contenu des actuels alinéas 2 et 3 du même article, à savoir :

– le principe selon lequel « les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci » ;

– l’interdiction des pactes « de quota litis » en vertu desquels les honoraires d’un avocat seraient fixés uniquement en fonction du résultat judiciaire.

Si la fixation d’honoraires, qui ne le serait qu’en fonction du résultat judiciaire, est interdite, la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d’un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu, est, en revanche, licite.

Afin de garantir la transparence des honoraires des avocats qui devront désormais faire l’objet de conventions, le II du présent article propose d’en confier le contrôle aux services compétents en matière de concurrence.

L’article L. 141-1 du code de la consommation prévoit en effet que sont recherchés et constatés, dans les conditions fixées par les articles L. 450-1, L. 450-3 à L. 450-4, L. 450-7 et L. 450-8 du code de commerce, les infractions ou manquements à un certain nombre de dispositions de différents textes, codifiés ou non, nationaux comme européens.

L’article L. 450-1 du code de commerce permet :

– aux agents habilités des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence d’enquêter sur l’application des dispositions législatives en matière de pratiques anticoncurrentielles et de concentration économique ;

– aux fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l’économie (à savoir les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF) de mener des investigations sur l’application de l’ensemble textes relatifs à la liberté des prix et de la concurrence.

À cette fin, les articles L. 450-3 à L. 450-4, L. 450-7 et L. 450-8 du code de commerce reconnaissent à ces agents des pouvoirs d’enquête étendus : visites des locaux professionnels, saisies de documents, accès aux logiciels et données informatiques, relevés d’identité, etc.

Le II du présent article vise à permettre à ces agents d’enquêter, avec tous ces pouvoirs, sur la conformité des conventions d’honoraires des avocats au regard des règles en matière de transparence des prix et en matière de concurrence. De tels contrôles permettraient ainsi d’éviter que ne se développent d’éventuelles ententes.

À cet effet, le II du présent article suggère d’ajouter à la liste des textes dont l’application peut être contrôlée par les agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF un 16° correspondant à la nouvelle rédaction du deuxième alinéa de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, c’est-à-dire celui qui, sauf en cas d’urgence ou de force majeure, ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, oblige l’avocat à conclure par écrit avec son client une convention d’honoraires.

La commission n’ignore pas qu’en application de l’article L. 450-4 du code de commerce, les agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF « ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu’à la saisie de documents et de tout support d’information que dans le cadre d’enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l’économie ou le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ».

La commission n’ignore pas non plus qu’en application du IV de l’article L. 141-1 du code de la consommation, « le secret professionnel ne peut être opposé aux agents agissant dans le cadre des pouvoirs qui leur sont conférés » par le même article. En conséquence, dans une affaire mettant en cause un professionnel de la vente et de l’installation d’antennes satellites et de matériel numérique qui avait communiqué à la DGCCRF des documents contractuels après avoir occulté diverses mentions, parmi lesquelles celles relatives aux coordonnées personnelles et bancaires des clients, démarcheurs et livreurs, la Cour de cassation, statuant en sa chambre criminelle, a jugé, le 24 février 2009, que « le secret professionnel comme la protection des libertés individuelles des clients ne peut être opposé aux enquêteurs, qui sont soumis à un devoir de discrétion et qui tiennent de la loi le pouvoir d’exiger la communication de documents de toute nature propres à l’accomplissement de leur mission » (120).

Néanmoins, s’agissant de contrôles effectués dans des cabinets d’avocats et portant sur le contenu de conventions d’honoraires où figurent des éléments relatifs à l’identité des clients des avocats ainsi qu’à la nature des diligences accomplies par les avocats, la commission a estimé que les contrôles opérés par les agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF devaient s’effectuer « dans le respect du secret professionnel mentionné à l’article 66-5 » de la loi du 31 décembre 1971. Ce texte prévoit en effet qu’« en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».

Il s’agit par ailleurs de garantir que les nouvelles compétences reconnues aux agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF ne remettront pas en cause les compétences des bâtonniers pour connaître de contestations portant sur le montant et/ou le mode de détermination des honoraires ainsi que sur leur recouvrement.

Le III du présent article procède à des coordinations pour rendre applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ainsi qu’à Wallis-et-Futuna les articles 1er, 5, 8, 8-1 et 10 de la loi du 31 décembre 1971, dans la nouvelle rédaction qu’en propose le projet de loi.

Dans la mesure où l’habilitation des agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF à rechercher, constater et sanctionner les manquements aux obligations en matière de convention d’honoraires constitue une loi de souveraineté, cette disposition est applicable de plein droit dans toutes les collectivités d’outre-mer, quel que soit leur statut, sans mention expresse. L’application outre-mer des nouvelles dispositions du III de l’article L. 141-1 du code de la consommation n’a donc pas besoin d’être explicitement prévue.

Pour ce qui concerne l’application des nouvelles dispositions de la loi du 31 décembre 1971, il convient de distinguer entre :

– les collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution (principe d’« identité législative ») où les lois et règlements sont applicables de plein droit sauf mention expresse d’inapplicabilité, ce qui est le cas actuellement pour Mayotte, en vertu de l’article 81 de la loi du 31 décembre 1971 précitée (ce que le projet de loi n’entend pas remettre en question) ;

– les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont les statuts prévoient l’application de plein droit des dispositions du droit national relatives à la profession d’avocat, sauf mention expresse d’inapplicabilité, ce qui est le cas actuellement pour Saint-Pierre-et-Miquelon, en vertu de l’article 81 de la loi du 31 décembre 1971 (ce sur quoi le projet de loi n’entend pas revenir) ;

– les collectivités d’outre-mer régies par les articles 72, 74, 76 et 77 de la Constitution, où les règles applicables à la profession d’avocat relèvent de la compétence de l’État avec mention expresse.

Pour ces dernières collectivités, l’article 81 de la loi du 31 décembre 1971 précitée prévoit une mention expresse d’applicabilité pour la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. C’est cette mention expresse que contient le III du présent article.

Enfin, les textes actuellement applicables aux avocats n’ont pas été étendus aux Terres australes et antarctiques françaises ni à l’île de Clipperton. Aussi, il n’est pas prévu que le présent article s’y applique.

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La Commission est saisie des amendements identiques SPE39 de M. Julien Aubert, SPE196 de M. Philippe Houillon et SPE336 de M. Patrick Hetzel.

M. Julien Aubert. Quelles que soient les qualités du ministre de l’économie, l’article 13 ne relève pas de son champ de compétences, et nous ne souhaitons pas que cela change. En l’absence de ses collègues, nous proposons de supprimer cet article.

M. Philippe Houillon. Monsieur le ministre, vous proposez de supprimer un monopole alors même que le Conseil d’État estime que l’étude d’impact est lacunaire et présente de graves insuffisances. Êtes-vous en mesure d’évaluer les conséquences chiffrées, pour ce secteur économique, de la suppression de la postulation au niveau du tribunal de grande instance – TGI – et de son extension au ressort de la cour d’appel ? Si oui, nous pourrons en débattre ; sinon, est-il responsable de prendre une telle décision sans examen ? Est-il urgent de le faire ?

Vous n’évoquez aucune indemnisation. Certes, vous affirmez qu’il ne s’agit pas de supprimer, mais d’étendre le monopole de la postulation au ressort de la cour d’appel ; cependant, cette réforme augmentera le nombre de professionnels dans un secteur donné. Il s’agit donc bien d’une mesure susceptible de porter atteinte à leur activité.

Elle risque surtout de fragiliser le maillage territorial : les petits barreaux – une centaine sur cent soixante – qui tirent leur justification même de leur rattachement à un tribunal – d’où l’expression « un barreau près le TGI de… » – disparaîtront petit à petit, ce qui entraînera des carences en matière d’assistance juridique et pénale. Cette conséquence mécanique n’a pas été évaluée.

Par ailleurs, comment procédera-t-on techniquement puisque le réseau privé virtuel des avocats – RPVA –, qui fonctionne entre un barreau et son TGI, ne fonctionne pas pour l’instant entre les TGI d’une même cour d’appel ? La seule solution serait de pallier ce problème dans le délai d’un an que vous proposez de respecter.

L’étude d’impact menée par le cabinet Ernst & Young à la demande du Conseil national des barreaux – CNB – montre que la suppression de la postulation correspondrait pour les professionnels concernés à une perte de 52 millions d’euros. Devant ces difficultés, et puisqu’il n’y a pas urgence à agir, prenons le temps de débattre des évolutions à imprimer à ce secteur. Supprimer ce monopole paraît d’autant plus inopportun que, interrogés par la mission d’information, les premiers présidents de cours d’appel ont témoigné des problèmes qu’a entraînés la suppression des avoués à la cour, appelant à la plus grande prudence dans la réforme de la postulation. En effet, ils préfèrent avoir affaire à quelques interlocuteurs fiables et connus qu’à un nombre incalculable d’intervenants. Alors qu’il s’exprimait lundi devant le Premier ministre et la garde des Sceaux, le premier président de la Cour de cassation a exprimé la même préoccupation s’agissant des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et a insisté sur la nécessité de disposer d’un barreau spécifique.

Serait-il possible que tous ces professionnels, qui connaissent intimement le fonctionnement de la justice, se trompent et que vous, monsieur le ministre, ayez raison ? Peut-on rayer toute une organisation d’un trait de plume et engager l’avenir d’un secteur économique sans étude d’impact, au seul prétexte que cela serait moderne ?

M. Patrick Hetzel. L’article 13 pose d’énormes problèmes. On peut comprendre – jusqu’à un certain point – son objectif économique, mais le Conseil d’État a souligné que ses dispositions remettaient en cause l’activité des avocats sans s’appuyer sur une étude d’impact. Le maillage territorial actuel assure à nos concitoyens une certaine proximité de la justice, alors que la réforme envisagée conduira à la suppression des petits barreaux. Ainsi, ma circonscription possède un barreau à Saverne ; si l’on étend le monopole de la postulation au ressort de la cour d’appel de Colmar, la commune ne comptera à terme plus d’avocats, ce qui obligera nos concitoyens à se déplacer ailleurs.

L’efficacité et la permanence du service rendu risquent également d’être affectées ; en effet, lorsqu’il faudra agir rapidement, l’éloignement des avocats du lieu où ils devront opérer posera problème. Vous ne prenez pas en compte la réalité de l’activité des professionnels de la justice sur le territoire national ; si vous poursuivez ce funeste dessein, nous perdrons en proximité, en accessibilité du droit et surtout en efficacité. Il eût été intéressant de connaître l’avis de la garde des Sceaux sur une réforme qui engage l’accès de nos concitoyens à leurs avocats.

M. le ministre. Monsieur Aubert, le projet de loi émane du Gouvernement et nous avons conduit les auditions avec la garde des Sceaux. Si nos services respectifs avaient eu connaissance des informations que vous mentionnez, l’étude d’impact aurait pu être plus nourrie. Or les représentants du barreau nous ont affirmé ne pas en disposer eux-mêmes. Le paradoxe est troublant : alors que cette réforme menacerait la survie même des barreaux, personne ne nous l’a indiqué ! Faut-il renoncer à réformer parce que les professionnels ne font pas remonter l’information ?

Cette réforme représente la suite logique de la suppression des avoués qui confère aux avocats la compétence pour postuler devant la cour d’appel. Monsieur Houillon, vos arguments sont d’une profonde hypocrisie, puisque la compétence des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation n’a rien à voir avec celle des avocats postulant devant un TGI. Est-ce un gage de la qualité de la justice que de soumettre nos concitoyens à une double tarification dans une affaire menée entre Chambéry et Annecy ? Vous évoquez de grands principes, alors qu’il s’agit d’améliorer la qualité de la justice rendue et de tirer les conséquences d’une réforme conduite il y a plusieurs années. Les avocats de TGI pourront postuler au niveau de la cour d’appel et vice versa ; on donnera donc aux avocats des compétences réciproques. Loin de menacer leur activité, la réforme de la postulation touche très peu à leurs droits, mais leur ouvre au contraire de nouvelles possibilités.

Pour calmer les angoisses qui subsistent, le Gouvernement est prêt à émettre un avis favorable sur les aménagements prévus par les rapporteurs, qui permettront de préserver les éléments les plus importants au niveau des TGI. Je n’accepte pas vos arguments de principe, qui sont pour partie fallacieux. Cette réforme, qui améliore le service rendu à nos concitoyens, est la conséquence logique de la modernisation de notre justice engagée depuis plusieurs années. Il ne s’agit en aucun cas de la suppression d’un monopole – il n’y a donc pas d’indemnisation à prévoir, conformément à l’avis du Conseil d’État –, mais d’une extension du monopole de la postulation du ressort du TGI à celui de la cour d’appel.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Notre mission d’information a largement abordé cette question, mais, depuis la fin de ses travaux, j’ai rencontré les bâtonniers des barreaux de Libourne, Nîmes, Alès et Bordeaux où se pratique déjà la multipostulation. Contre toute attente, ils ont dressé un bilan globalement positif du dispositif, constatant que le nombre des barreaux n’avait pas diminué, et ils nous ont encouragés à aller vers cette postulation élargie.

Partant, il m’a paru inutile et dilatoire de maintenir le principe d’une expérimentation dans une cour d’appel rurale et urbaine, conformément au projet initial. Les bâtonniers ont souligné à juste titre que le succès de l’extension de ce périmètre territorial de la postulation passait par le maintien de la postulation auprès du TGI dans le ressort duquel les avocats ont établi leur résidence professionnelle pour quatre types d’activité : les procédures de saisie immobilière, les procédures de partage et de licitation, l’aide juridictionnelle et les affaires où les avocats ne sont pas plaidants. Cet aménagement a permis de préserver le financement des ordres qui tirent en partie leurs ressources des caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats – CARPA –, alimentées entre autres par les fonds provenant des ventes immobilières à l’issue des procédures de saisie. Les activités des ordres – notamment les permanences en matière pénale – apparaissent également pérennisées.

C’est pourquoi nous considérons finalement qu’il faut porter cette réforme non avec réserve, mais avec ambition. Les barreaux doivent se mobiliser pour mettre en place les transmissions via le RPVA au niveau du territoire correspondant au ressort de la cour d’appel. C’est cela, aussi, la justice du XXIe siècle.

M. Jean-Louis Roumegas. Comme l’ensemble du projet de loi, cet article cherche à répondre à de vraies questions, mais avec trop de précipitation, les remèdes proposés risquant de se révéler pires que le mal. Accepter les amendements de suppression reviendrait pourtant à refuser le débat ; nous sommes au contraire prêts à entrer dans la complexité des choses avant de décider de la conduite à tenir.

En simplifiant l’ouverture des bureaux secondaires, nous courons le risque de voir se multiplier des bureaux fictifs, et il convient à cet égard d’entendre les inquiétudes de la profession. J’espère que les amendements annoncés par les rapporteurs seront retenus ; ces précautions nous paraissent nécessaires. L’organisation actuelle de la postulation n’est pas satisfaisante, et nous étions prêts à en accepter la réforme si l’on passait par une phase d’expérimentation que Mme la rapporteure thématique avait annoncée dans son rapport d’information. Je regrette qu’elle revienne sur cette sage décision ! En revanche, l’obligation d’établir des conventions d’honoraires apparaît comme une mesure de protection des usagers, souvent surpris par la facture. Nous approuverons donc d’emblée cette disposition.

M. Jean-Louis Costes. Madame la rapporteure thématique, nous n’avons visiblement pas rencontré les mêmes personnes ! Le CNB a clairement indiqué que la possibilité de plaider sans limitation territoriale accentuerait la fracture entre les zones urbaines et rurales, où les avocats représentent le seul point d’accès au droit. Je crains que l’on n’assiste dans ce domaine – comme dans celui de la santé – à une désertification. Cette réforme ne stimulera en rien l’activité – sauf peut-être à Paris ; elle passe donc à côté des objectifs de la loi. Elle renvoie enfin à la répartition des compétences territoriales – la cour d’appel de mon département est régulièrement menacée de suppression – et la garde des Sceaux aurait été la bienvenue dans cette discussion.

M. Marc Dolez. Le groupe GDR avait également déposé des amendements de suppression de l’article 13. Nous craignons en effet que l’extension du monopole de la postulation au ressort des cours d’appel n’ait des conséquences dommageables sur l’équilibre économique et numérique des barreaux situés dans les régions rurales. La remise en cause du maillage territorial prévu par la carte judiciaire en vigueur porterait atteinte à l’accès au droit de nos concitoyens.

Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas qualifier nos arguments de « fallacieux » alors que nous exprimons de réelles craintes quant à votre proposition. Vous avez reconnu qu’il n’y avait pas à ce jour d’analyse sérieuse des conséquences de cette réforme ; il n’est donc pas cohérent de balayer nos préoccupations d’un revers de main pour justifier votre suggestion. La mission d’information avait d’ailleurs unanimement exprimé les mêmes inquiétudes. À ce propos, madame la rapporteure thématique, je m’étonne de votre argumentation : sous prétexte d’avoir rencontré tel ou tel entre Noël et le Nouvel An, vous mettez de côté les recommandations de la mission d’information ! Les interlocuteurs que nous avons entendus depuis la fin de ses travaux nous ont au contraire confortés dans nos craintes. Puisqu’il n’y a pas urgence à légiférer sur cette question, la sagesse demanderait de prendre le temps de l’analyse, de manière à mesurer toutes les conséquences de cette disposition. J’appelle donc mes collègues à voter ces amendements de suppression.

M. Julien Aubert. Le qualificatif « fallacieux » – « qui cherche à tromper ou à nuire » – a peut-être dépassé les intentions du ministre. Nous cherchons simplement à défendre le principe de précaution ; partageant l’objectif de l’article – lutter contre la double tarification –, nous en contestons la méthode.

Ce n’est pas aux avocats de prouver que la réforme leur sera défavorable ; c’est au ministère de trouver les éléments permettant de réaliser une véritable étude d’impact. C’est à vous qu’incombe la charge de la preuve !

En élargissant le périmètre d’action des avocats, vous mettez ceux-ci en concurrence. Or, quel que soit le secteur, la concurrence conduit toujours, par les mécanismes de fusion et de concentration, à la disparition des acteurs les plus fragiles. Nous craignons donc une réduction du nombre de professionnels au bénéfice des plus gros, des plus puissants et des plus urbains d’entre eux. Madame la rapporteure thématique, j’ai participé à l’audition que vous avez évoquée ; vous avez omis de mentionner que les intervenants vous ont également interpellée sur la question des clients institutionnels. L’élargissement du périmètre d’action des avocats permettra aux cabinets urbains de capter cette clientèle qui préfère avoir affaire à un seul interlocuteur. Or la perte de ces clients peut provoquer la disparition de certains cabinets dont ils représentent une partie importante du portefeuille.

Différents types d’avocats – ou de notaires – font face à différents types de problèmes. Dans les grandes villes, cette mise en concurrence peut se faire de manière indolore, mais elle serait préjudiciable aux territoires ruraux. Ainsi en est-il du barreau de Carpentras, situé dans ma circonscription et un des plus vieux de France : alors que les réformes judiciaires successives – menées par la gauche comme par la droite – lui ont déjà ôté plusieurs compétences, notamment les assises, certains avocats ont préféré se relocaliser. En fermant leurs cabinets, ils ont fragilisé l’écosystème économique des communes dans lesquelles ils étaient installés. Nous craignons que cette réforme ne produise le même effet négatif. Mais, au-delà de la préoccupation économique, il s’agit de préserver l’accès au droit dans un esprit de service public. En effet, en cas de concentration des cabinets, le coût du déplacement empêchera une partie de la population de se rendre chez un avocat situé à vingt ou quarante kilomètres. Le texte a beau affirmer l’égalité des droits entre les citoyens, cette réforme – qui poursuit un objectif noble – risque d’entraîner une désertification juridique dans les territoires les plus faibles et de détériorer l’accès au droit des populations vulnérables. Avant de faire ce bond, il convient de réaliser une véritable étude d’impact sur l’organisation territoriale du droit.

Mme Bernadette Laclais. À côté de la cour d’appel de Chambéry, protégée par les accords de rattachement de la Savoie à la France de 1860, la région Rhône-Alpes – et demain Rhône-Alpes-Auvergne – compte plusieurs autres cours d’appel. Si certaines d’entre elles venaient à disparaître, chaque cour couvrirait alors des zones beaucoup plus larges. Or les territoires de montagne situés en fond de vallée sont difficiles d’accès ; on n’y compte pas les distances en kilomètres, mais en temps de parcours. En cas d’affaiblissement de la présence des avocats, les déplacements représenteraient donc une réelle difficulté pour les justiciables, à laquelle j’espère que vous pourrez apporter des réponses rassurantes.

M. Philippe Gosselin. Trois sujets inquiètent les avocats : le statut d’avocat d’entreprise, l’ouverture des capitaux et la postulation. S’agissant de cette dernière, la profession est acquise à l’idée de changement, et la proposition d’expérimentation – alliant prudence et ouverture – allait dans le bon sens. Mais, au-delà des barreaux évoqués par la rapporteure thématique – dont la situation est particulière –, les petits et très petits barreaux regroupant quelques dizaines d’avocats et situés en territoires ruraux risquent de pâtir de cette réforme. Dans l’ouest de la France, toutes étiquettes et sensibilités politiques confondues, l’inquiétude est grande quant au maillage territorial. Nous avons déjà subi une recomposition des TGI et de la carte judiciaire il y a quelque temps…

M. Alain Tourret. Réforme conduite par Mme Dati !

M. Philippe Gosselin. En effet, et je l’assume. Cette réforme a amené à des regroupements de barreaux, ce qui a permis à certains d’entre eux de gagner en importance ; mais, comme les avocats n’ont pas déménagé pour autant, cela a créé de vraies difficultés. La sagesse serait d’écouter l’alerte, de s’appuyer sur de vrais chiffres et de permettre l’expérimentation dont le refus conduira non vers un « corridor de la mort » – expression qui a été mal interprétée –, mais vers l’apparition de déserts juridiques. Ce n’est pas un hasard si, dans notre commission spéciale, tous les groupes politiques – y compris le groupe SRC – développent les mêmes arguments. Face à l’inquiétude unanime, pourquoi s’obstiner ?

Mme Colette Capdevielle. L’article 13 nous met face à un enjeu important : celui de l’accès au droit. Nous connaissons les effets dévastateurs de la réforme de la carte judiciaire pour nos territoires, notamment ceux qui sont défavorisés. La postulation des avocats a permis, depuis des décennies, le maintien des petits et moyens barreaux, et je crains que la réforme proposée ne fragilise davantage encore la justice du quotidien, notamment le droit de la famille qui constitue le plus gros des contentieux de nos TGI. En effet, sans qu’il soit véritablement évalué, le risque est grand de voir diminuer le nombre des avocats dans les petits barreaux au profit de la cour d’appel. Les craintes sont également vives quant aux obligations d’assistance et de conseil. Demain, les avocats qui installeront des cabinets secondaires n’assumeront pas plus qu’aujourd’hui les missions d’aide judiciaire, de commission d’office ou d’assistance des étrangers en rétention. La charge de la défense des plus démunis pèsera toujours sur les professionnels les moins favorisés.

Il faut enfin veiller à l’équilibre des CARPA, dont certaines apparaissent fragiles. Les inégalités sont grandes entre les cours d’appel – plus ou moins riches – et entre les territoires du ressort d’une même cour d’appel – plus ou moins favorisés. Dans certaines zones, l’aide juridictionnelle représente une charge lourde, déséquilibrant les ordres et donc les CARPA. J’ai considéré avec intérêt l’amendement des rapporteurs ; prévoir le maintien de la postulation en matière de saisies immobilières, de partage et de licitation semble positif, mais est-ce suffisant pour permettre à des barreaux moyens de subsister ? Je crains l’installation d’un accès au droit à deux vitesses ; ce ne sont pas les avocats, mais les justiciables qu’il faut rassurer !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il faut évidemment rejeter ces amendements qui tendent à supprimer l’article 13, quitte à revisiter les dispositions de la loi relatives à la postulation ou à l’installation des cabinets secondaires.

La difficulté, c’est que la profession est multiple : ainsi les avocats qui plaident – concernés par les mesures dont nous débattons – sont-ils de moins en moins nombreux. Mais le fait qu’une partie d’entre eux ne mettent plus la robe et ne soient plus confrontés aux problèmes de la proximité n’en rend pas moins nécessaire de protéger l’accès des justiciables à ceux qui continuent de le faire. La profession est divisée sur la question de la postulation ; le premier des barreaux considère ainsi que la réforme proposée constitue une mauvaise manière de régler de vrais problèmes.

Comme le montre notamment l’exemple de la région parisienne, la pratique de la multipostulation dans le ressort de la cour d’appel modifie le fonctionnement des barreaux. N’oublions pas les enjeux économiques : si, demain, l’aide juridictionnelle devient, pour un avocat, le seul moyen de subsister dans un tribunal, la profession fera face à de sérieuses difficultés.

Parce qu’elle devait nous permettre d’examiner avec précision toutes les questions, l’idée d’une expérimentation me paraissait pertinente. En effet, pas plus que l’Union nationale des CARPA – UNCA – ou les organismes de gestion fiscale des avocats, la profession n’est capable de distinguer ce qui, dans son économie, relève du travail de postulation et de l’activité de conseil. Rejetons donc les amendements de suppression et entrons dans le débat ; apporter des réponses pragmatiques à ces questions déjà anciennes représenterait un véritable progrès.

M. Michel Heinrich. Ce texte pose un vrai problème en matière d’aménagement du territoire. Conçu pour créer de l’emploi, il risque de fragiliser les petits barreaux des villes moyennes par l’inévitable concentration des avocats au siège de la cour d’appel ou dans les villes universitaires. À la récente réunion de l’assemblée générale des villes de France, tous les maires – quelle que soit leur sensibilité politique – évoquaient ces inquiétudes. Monsieur le ministre, lors de la discussion générale sur le projet de loi, vous sembliez reconnaître ces risques et aviez proposé quelques ouvertures ; j’y reviendrai à l’occasion d’un amendement que j’ai déposé.

M. Sébastien Huyghe. Nous ne sommes pas opposés a priori à la réforme de la postulation, mais nous ne disposons pas d’une étude d’impact qui nous permettrait d’en mesurer les conséquences. Nous aurions été favorables à l’expérimentation proposée par la mission d’information. Mais cette mesure que vous souhaitez imposer ne masque-t-elle pas une réforme de la carte judiciaire qui ne dit pas son nom ? En effet, appliquée d’autorité, elle risque de conduire à la disparition de certains petits barreaux, qui pourrait être suivie par celle des TGI dont ils dépendent. Si vous voulez refaire la carte judiciaire, assumez donc cette volonté comme nous l’avions fait. Mais ne vous cachez pas derrière une mesure mal calibrée pour imposer subrepticement la suppression de certains TGI.

M. Alain Tourret. Lorsque, en 1972, j’ai prêté serment devant le TGI de Caen, il comptait trente-cinq avocats ; quand je l’ai quitté, en 2012, ils étaient trois cent cinquante. Entre-temps, la profession s’est totalement modernisée : jadis uniquement tournée vers la plaidoirie, elle s’est ouverte au conseil, épousant le monde du droit, des affaires et de l’économie comme jamais auparavant. La postulation en représente l’aspect le plus ancien ; elle n’existe pas devant le tribunal d’instance, ni devant le juge aux affaires familiales, ni devant les tribunaux correctionnels, ni devant les cours d’assises, ni devant les conseils de prud’hommes, ni devant les tribunaux de commerce. S’attacher à cette relique du passé qui ne correspond plus à l’actualité de la profession revient à aborder la question par le petit bout de la lorgnette !

Lorsque, avec Mme Dati, vous avez fait la réforme judiciaire à la hache, avez-vous indemnisé les avocats dont les cabinets étaient situés dans le ressort des tribunaux d’instance que vous avez supprimés ?

Pour rapprocher le justiciable du lieu où l’on rend la justice, il faudrait avant tout transférer tous les dossiers du juge aux affaires familiales devant les tribunaux d’instance. Depuis la suppression des avoués près les cours d’appel, ce sont les avocats qui les remplacent, certains avoués étant eux-mêmes devenus avocats. La réforme de la postulation proposée dans cet article constitue donc la moins mauvaise des solutions.

Notre cabinet n’a jamais souhaité exercer la postulation, la procédure exigeant d’établir des droits fixes et variables, de solliciter le délégué du bâtonnier et le président du TGI, etc. Établir tous ces documents nous coûtait plus que ce que nous pouvions percevoir ! Voilà la réalité de la postulation. Je sais que certains confrères de province y sont attachés ; mais ceux qui représentent la modernité de la profession – et le barreau de Paris en particulier – estiment qu’il s’agit d’une réalité complètement dépassée. Certes, la réalité de la profession est variée, mais je suis persuadé que ce n’est pas en tirant la profession vers le bas que l’on convaincra les avocats de rester dans les territoires ruraux : c’est au contraire en leur permettant de se spécialiser pour remplacer les notaires dans le rôle de conseillers. Voilà les solutions qu’il faut privilégier pour les avocats du XXIe siècle !

M. Gilles Lurton. J’adhère aux propos de Sébastien Huyghe. Si la fin de la postulation fait disparaître des barreaux, les TGI correspondants suivront inéluctablement, ce qui entraînera des regroupements dans les grandes villes.

Monsieur le ministre, vous dites que cette mesure sert à lutter contre la double tarification ; l’objectif peut se défendre, le recours à un avocat postulant étant parfois mal perçu, notamment à cause de la facturation. Pourtant, quand un avocat doit plaider dans une autre ville que celle du ressort de son TGI, c’est son collègue postulant qui est responsable de l’affaire auprès du tribunal compétent, assurant notamment les mises en état nécessaires à l’avocat titulaire pour suivre le déroulement de l’affaire. La disparition de l’avocat postulant obligera l’avocat titulaire à se déplacer plus souvent dans des tribunaux situés ailleurs que dans la ville de son ressort, et cela entraînera des coûts plus importants.

J’ai assisté à l’audition où la rapporteure thématique a reçu les bâtonniers de Nîmes, Bordeaux et Alès, et je me souviens que ces derniers n’étaient pas unanimes. Ainsi, le bâtonnier d’Alès a, me semble-t-il, assuré que la fin de la postulation conduirait automatiquement à la disparition de son barreau.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Quelle est la pertinence de cet article dans une loi sur la croissance et l’activité ? Supprimer la postulation ne favorisera que les gros cabinets d’avocats ; cette mesure très parisienne conduira à l’isolement des citoyens ruraux qui verront disparaître des campagnes les avocats – après les médecins, et avant les huissiers et les notaires. De même, l’avocat en entreprise sera certainement inscrit au barreau correspondant au siège social ; les grandes entreprises étant généralement domiciliées à Paris, on retrouve le même biais. Monsieur le ministre, supprimer cet article constituerait un geste positif qui laisserait le temps à Mme la garde des Sceaux de préparer une réforme claire en coopération avec les avocats.

M. Denys Robiliard. La postulation passe aujourd’hui par un réseau privé virtuel, la clé électronique permettant à tous les avocats de France de s’identifier auprès de toutes nos juridictions. Par conséquent, la nécessité de se faire représenter auprès des juridictions a techniquement disparu, même s’il peut rester utile de disposer d’un correspondant local. Dans la réalité de l’exercice professionnel, c’est l’avocat qui conduit le dossier – le dominus litis – qui mène l’affaire du début jusqu’à la fin, le postulant ne servant, dans l’immense majorité des cas, que de « boîte aux lettres ».

Certains craignent que la disparition de la postulation n’entraîne l’apparition de déserts judiciaires, similaires aux déserts médicaux. Mais il y a une différence de taille : la profession d’avocat et plus généralement les juristes ne connaissent pas le numerus clausus. Les facultés de droit produisent chaque année des dizaines de milliers d’étudiants qui cherchent à s’employer, notamment en tant qu’avocats. Quand je me suis installé, en 1987, j’étais le vingt-neuvième avocat de mon barreau ; Blois en compte aujourd’hui plus de quatre-vingts. En 1991 est intervenue la fusion entre les métiers d’avocat et de conseil juridique, donnant lieu à une profession unifiée.

Je serai moins radical qu’Alain Tourret sur la question de la postulation : les notes des avocats qui traitent du droit des successions justifient l’effort d’établir l’état de frais !

Enfin, les cabinets secondaires posent la question du passager clandestin : on bénéficie du barreau local sans en supporter les charges. C’est un vrai problème qu’il nous faut traiter.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’étude d’impact ne dit rien des conséquences que les dispositions de l’article 13 auront sur la vie des territoires, alors qu’elles conduiront probablement à la réduction du nombre des barreaux et au regroupement des avocats, ce qui compliquera l’accès au droit pour nos concitoyens. Au-delà, et contrairement à l’esprit général du texte – j’y vois d’ailleurs un début de faiblesse –, cet article risque à terme d’entraîner une concentration des différentes professions du droit, pour des raisons économiques. La mutualisation des charges et les fusions seront par ailleurs facilitées par les dispositions de l’article 22. Monsieur le ministre, avez-vous des précisions à apporter à la commission spéciale sur ces deux points ?

M. Jean-Yves Caullet. Si l’accès au droit dans notre pays était soumis au maintien d’une disposition de ce type, le mal serait bien profond ! Quant à savoir si cet article sous-tend une réforme cachée, on se méfie le plus de ce qu’on a soi-même imaginé.

Cette réforme de la postulation crée la réciprocité des compétences. Ainsi – n’oublions pas que nous sommes au XXIe siècle ! –, un avocat d’un petit barreau reconnu comme un excellent spécialiste pourra se saisir d’affaires intéressantes et techniques dans l’ensemble du ressort de la cour d’appel. Voilà en quoi cette disposition peut stimuler la croissance, l’activité et l’aménagement du territoire. Certes – Julien Aubert et nos collègues Bernadette Laclais et Colette Capdevielle ont raison de le souligner –, la tendance au regroupement est réelle, mais non point fatale. Ne nous trompons donc pas de vote !

La Commission rejette les amendements SPE39, SPE196 et SPE336.

Elle examine ensuite les amendements identiques SPE147 de M. Philippe Houillon, SPE328 de M. Patrick Hetzel, SPE661 de Mme Colette Capdevielle, SPE691 de M. Guénhaël Huet, SPE883 de M. Michel Zumkeller et SPE1180 de M. Marc Dolez.

M. le ministre. Je suis défavorable à ces amendements. Je comprends que l’on ait des inquiétudes en ce qui concerne l’aménagement du territoire, mais la comparaison avec la profession médicale ne serait pertinente que si les avocats étaient soumis à un numerus clausus. Le vrai risque pour la profession n’est pas la désertification territoriale, mais la paupérisation en raison du trop grand nombre de professionnels par rapport à la matière existante. Parce qu’il crée la compétence réciproque entre les avocats du TGI et de la cour d’appel, le texte augmente au contraire leur capacité à agir et à innover.

Monsieur Poisson, j’entends les préoccupations relatives au regroupement des avocats ; mais c’est l’utilisation abusive d’une situation de concentration qui doit être combattue, et non la concentration elle-même, car le regroupement peut permettre aux professionnels d’innover davantage, d’investir et de mieux s’organiser pour rendre un service de meilleure qualité.

Enfin, monsieur Huyghe, on peut sans doute me faire beaucoup de reproches, mais non celui de dissimuler mes objectifs ! Ce texte ne cache aucune intention masquée.

M. le rapporteur général. Après avoir écouté attentivement tous les orateurs, je remarque que le seul argument utilisé pour défendre la postulation a été – malgré le grand nombre de professionnels du droit présents dans la salle – l’aménagement du territoire, et ses enjeux réels ou supposés. Personne n’a défendu son intérêt pour les citoyens, les clients ou la bonne administration de la justice : on ne parle que des recettes qui devraient rester sur tel ou tel territoire. L’argumentation des adversaires de cette réforme apparaît donc assez faible.

Chaque fois que nous nous apprêtons à réformer au service des citoyens, on nous annonce la désertification et l’apocalypse. N’agitons pas les peurs dans le seul dessein d’éviter tout changement. Il y a de plus quelque chose de cocasse à vouloir faire porter à ce projet de loi les péchés de la loi Dati ; et il n’y aura pas, cela a été dit, de loi « Dati bis ».

Je voudrais souligner que quatorze des vingt recommandations formulées par la mission d’information emmenée par Cécile Untermaier ont été intégrées à ce projet de loi, et que deux autres le seront sans doute si nos amendements sont adoptés : peu de rapports parlementaires sont aussi bien traités – j’en connais qui ne servent même pas à caler une armoire !

Imaginons que des citoyens désintéressés nous aient écoutés : ils se sont sans doute interrogés sur ce qu’était vraiment la postulation. Disons-leur que ce qui compte vraiment aujourd’hui, c’est la montée en puissance du RPVA, c’est-à-dire que l’on peut aujourd’hui transmettre beaucoup plus facilement des pièces d’un tribunal à l’autre. Cette réforme ne diminuera pas le nombre des avocats, comme plusieurs bâtonniers l’ont confirmé à Cécile Untermaier. Certains protestent parce que leur audition aurait eu lieu entre Noël et le Jour de l’An ! Mais elle a eu lieu la semaine dernière et était ouverte à tous, et Gilles Lurton y a d’ailleurs participé. Que ceux qui n’y étaient pas ne viennent pas se plaindre !

L’extension de la postulation au niveau du ressort de la cour d’appel est un moyen terme entre le projet originel de suppression de la territorialité de la postulation à l’échelle nationale – qui avait la faveur du barreau de Paris – et le statu quo. Le RPVA aura ainsi le temps de devenir pleinement opérationnel. La qualité de la justice ne se dégradera pas et les avocats pourront continuer d’avoir recours à des correspondants. Mais le tarif réglementé de la postulation est supprimé : les éventuels frais supplémentaires devront être facturés de façon transparente.

C’est donc une avancée économique pour le citoyen, sans dégradation de l’accès à la justice, sans risque d’appauvrissement numérique des barreaux. Elle permettra aussi une plus grande transparence. N’affaiblissons pas la portée de cet article.

M. Gilles Lurton. J’ai effectivement participé à cette audition – comme d’ailleurs à de nombreuses autres, y compris dans ma circonscription. Il me semble que les bâtonniers n’étaient pas si unanimes que vous voulez bien le dire.

Je crois aussi avoir démontré dans mon intervention quel était, sur le fond, le rôle d’un avocat postulant.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Oui, je le répète, il existe un risque pour le milieu rural.

La Commission rejette les amendements SPE147, SPE328, SPE661, SPE691, SPE883 et SPE1180.

Elle se saisit de l’amendement SPE764 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Comme nombre de nos collègues, nous estimons que la réforme proposée par le Gouvernement n’est pas aboutie. Certes, l’idée est intéressante, mais elle risque d’altérer le maillage territorial existant et de fragiliser davantage encore les barreaux dont l’activité est relativement faible. Or l’étude d’impact a été jugée lacunaire par le Conseil d’État lui-même.

Cette réforme n’est pas urgente : prenons des précautions. Nous proposons donc une expérimentation dans le ressort de deux cours d’appel, qui devraient être très différentes l’une de l’autre. Cela permettrait d’évaluer sérieusement les effets de la fin de la postulation. Nous reprenons là l’une des propositions formulées par la rapporteure thématique à l’issue de la mission d’information sur les professions juridiques réglementées.

M. le ministre. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà données, et parce qu’il me semble que les amendements qui seront proposés par les rapporteurs sont de nature à répondre à vos préoccupations.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. J’avais effectivement proposé cette expérimentation à l’issue de la mission. Je tire aujourd’hui les conséquences des contacts que j’ai eus avec les quatre bâtonniers des cours d’appel où la multipostulation est en place : ils m’ont clairement dit que cette expérimentation ne leur avait pas posé de problème.

Soyons modernes. Nous tenons tous à notre maillage territorial et aux barreaux, mais trouvons des moyens qui ne soient pas des artifices.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, que répondez-vous à ceux qui évoquent des risques de concentration ? Certaines grandes entreprises choisiraient sans doute d’employer des correspondants locaux au détriment des petits cabinets locaux. Une expérimentation permettrait d’évaluer des conséquences de la réforme.

M. Patrick Hetzel. Comme l’indique Michèle Bonneton, cet amendement est directement issu d’une proposition faite par la rapporteure thématique elle-même à l’issue d’une très récente mission d’information. Comment, madame la rapporteure thématique, justifiez-vous votre revirement soudain ?

Mme Michèle Bonneton. La modernité n’est pas un argument suffisant : toute époque a été moderne… Un risque de paupérisation semble reconnu par tous : comment le pallier ? Comment améliorer la condition des avocats et des barreaux ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il me semble quelque peu désolant de devoir répéter ce que j’ai déjà dit. Ce n’est pas de ma part un revirement. J’ai d’abord adopté une position prudente, mais je ne veux pas d’un dispositif dilatoire : j’ai, depuis la fin de la mission d’information, entendu des bâtonniers satisfaits de cette expérience d’extension de la postulation. Il me paraît donc légitime et honnête d’en tirer les conclusions et de faire l’économie d’une expérimentation : il faut réformer, agir, simplifier.

Les usagers portent sur la postulation, je le souligne, un regard pour le moins surpris.

Rien n’interdit à un avocat d’avoir recours à un correspondant, ce qui peut se révéler très utile ; mais, s’il souhaite se rendre dans un tribunal proche, il le pourra. C’est finalement une liberté nouvelle pour l’avocat.

M. Philippe Houillon. Permettez-moi un mouvement d’humeur. Cette mission d’information a siégé durant trois mois et auditionné 160 personnes ! Il a énormément été question de la postulation. Nous avons entendu les bâtonniers, les représentants des avocats, les premiers présidents de cours d’appel… Si votre revirement, madame la rapporteure thématique, est un simple effet du fait majoritaire, dites-le, ce sera plus clair. Sinon, je ne comprends pas que vous ayez changé d’avis après une seule audition de quatre bâtonniers ! Faites-nous la grâce de ne pas nous prendre pour des imbéciles.

M. le rapporteur général. Nous avons bénéficié du compte rendu d’expérience de plusieurs bâtonniers. De plus, le souhait d’une expérimentation aurait pu se comprendre si l’on s’en tenait à la version initiale du projet de loi. Or les amendements SPE1739 et SPE1741, que nous discuterons tout à l’heure, viendront modifier le texte : à la lumière des expériences menées, nous proposerons que quatre types d’activité – procédures de saisie immobilière, procédures de partage et de licitation, procédures au titre de l’aide juridictionnelle, affaires où les avocats ne sont pas plaidants – conservent le régime actuel. Le risque de diminution du nombre d’avocats dans certains barreaux sera ainsi limité.

Un autre amendement, SPE1745, fixe au 1er janvier 2016 l’entrée en vigueur de la réforme : il y aura ainsi un temps d’adaptation à cette nouvelle organisation, qui pourra être mise en place de façon sereine.

Dès lors, il n’est pas souhaitable de retarder une réforme dont des professionnels, comme Denys Robiliard, Alain Tourret ou Jean-Yves Le Bouillonnec, ont expliqué tout l’intérêt. Une expérimentation serait dilatoire et ne nous éclairerait pas plus que les éléments dont nous disposons déjà.

Mme Colette Capdevielle. Nous avons effectivement auditionné quatre barreaux, qui ne sont pas les plus riches. Nous avons également rencontré des bâtonniers inquiets pour le futur. Le délai que prévoient les amendements des rapporteurs pourrait être mis à profit pour mener une expérimentation. Nous apprenons que le CNB aurait mené une étude d’impact : pourrions-nous suspendre nos travaux pour en prendre connaissance ? Cela me paraît la moindre des choses. La mission d’information proposait très clairement une expérimentation, en citant notamment la situation économique de certains barreaux, ainsi que le déséquilibre entre les barreaux au sein de certaines cours d’appel. Bordeaux ou Nîmes ne comptent pas beaucoup de barreaux : leur expérience ne me semble donc pas permettre d’évaluer les conséquences pour d’autres cas qui peuvent différer fortement. Je souhaiterais donc que l’étude d’impact du CNB nous soit communiquée.

M. Jean-Frédéric Poisson. Notre groupe réitère sa surprise et son incompréhension, même si l’on peut comprendre que la rapporteure thématique puisse évoluer et changer d’avis avec le temps : son revirement en quelques jours est tout de même très soudain et ne me convainc pas.

Le groupe UMP votera en faveur de cet amendement.

M. Jean-Louis Roumegas. Vous parlez de manœuvre dilatoire, monsieur le rapporteur général, mais Colette Capdevielle a elle-même rappelé que notre rapporteure thématique avait défendu cette même proposition. Vos propos sont à l’évidence excessifs.

Plus généralement, j’ai du mal à comprendre votre précipitation. Vous voulez à toute force libéraliser et déréglementer, sans prendre le temps du débat, comme si l’on allait sauver l’économie par un coup de baguette magique. Vous chamboulez tout à la va-vite – professions réglementées, code des transports, code de l’environnement… On peut douter du bien-fondé d’une telle méthode. Ce n’est pas sérieux ; c’est même très gênant. Tout le monde veut réformer, mais il faut parfois accepter de perdre un peu de temps pour en gagner ensuite.

Mme Véronique Louwagie. Je suis très troublée par ce que nous voyons : suivant que les auditions se déroulent dans le cadre d’une mission d’information ou dans celui de la préparation de la discussion d’un projet de loi, on en arriverait à des conclusions tout à fait différentes ! Je m’inquiète de la crédibilité des auditions menées ici. C’est grave. Nous prenons des décisions qui auront des conséquences importantes, et nous travaillons à la légère. Nous ne donnons pas le meilleur de nous-mêmes, me semble-t-il.

M. le rapporteur général. Monsieur Roumegas, j’ai dit qu’une expérimentation serait dilatoire, mais je n’ai pas parlé de manœuvres, ce qui impliquerait une mauvaise foi que je ne vous prête pas. Respectons-nous les uns les autres.

Vous parlez de précipitation. Mais la Chancellerie travaille sur ce sujet depuis des mois !

M. Marc Dolez. La Chancellerie n’est pas là !

M. le rapporteur général. Le Gouvernement est représenté, ce qui n’est pas toujours le cas ! Mais, rassurez-vous, j’ai transmis tout à l’heure à Mme la garde des Sceaux l’affectueuse attente des commissaires, et je lui ai même indiqué qu’elle serait sans doute très bien accueillie en séance, puisque la frustration crée le désir.

Il n’y a donc nulle précipitation, puisque des travaux ont été menés. La multipostulation existe déjà, et depuis bien plus de deux ans, à la fois dans un ressort de cour d’appel à dominante urbaine – avec Paris, Bobigny, Nanterre et Créteil – et dans deux ressorts de cours d’appel à dominante rurale, avec Bordeaux et Libourne d’un côté, Nîmes et Alès de l’autre. Nous ne pouvons donc pas considérer que nous ne sommes pas éclairés. Forts des enseignements tirés des comptes rendus de ces expérimentations, nous proposons deux amendements que j’ai expliqués tout à l’heure.

Je maintiens donc qu’il serait dilatoire de mener de nouvelles expérimentations, alors que plusieurs ont déjà lieu sur des territoires très différents les uns des autres. Nous pouvons nous considérer comme suffisamment éclairés. Mon rapport indique notamment que, contrairement à l’intention première du Gouvernement, mieux vaut limiter à l’échelle de la cour d’appel la déterritorialisation du monopole de la postulation. C’est là un point d’équilibre satisfaisant. Mais ne lanternons pas davantage.

M. Marc Dolez. Je suis surpris d’entendre que nous serions complètement éclairés ! Tel n’était pas le sentiment de la mission d’information ni de ceux qu’elle a auditionnés. Le ministre lui-même ne l’a d’ailleurs pas prétendu, puisqu’il a reconnu qu’il n’y avait pas d’étude d’impact sur ce sujet. Une heure et demie plus tard, il n’y aurait plus de problème ? Ce n’est pas le cas. Votre argument d’autorité, monsieur le rapporteur général, ne convainc pas. Le groupe GDR va donc voter pour cet amendement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur général, la mission d’information n’a pas méconnu les expériences conduites dans les barreaux que vous avez mentionnés. Si la Chancellerie dispose de rapports sur ce sujet, nous aimerions les lire, mais je crois qu’ils n’existent pas même place Vendôme !

Il y a en réalité deux positions différentes : celle de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, qui a voté le rapport sérieux de nos collègues Houillon et Untermaier, fondé sur un large travail d’auditions de personnalités du monde juridique ; et celle de Bercy, qui a écrit le projet de loi. Nous nous étonnons fortement de la dissolution de la première position en quelques jours. C’est manifestement le fait majoritaire qui s’applique. C’est aussi une démonstration de la primauté accordée à l’avis du ministère de l’économie sur celui des professions réglementées.

En l’absence de rapport sur ces expérimentations, et puisque personne ne semble pouvoir rassurer la commission spéciale sur les effets probables de cette réforme, je souhaite à nouveau l’adoption de cet amendement.

M. le rapporteur général. Alès comptait quarante avocats avant qu’y soit instaurée la multipostulation ; aujourd’hui, il y en a toujours quarante, et des jeunes viennent s’installer. L’argument de l’appauvrissement numérique des barreaux ne peut donc être retenu.

S’agissant de la volatilité de la clientèle institutionnelle, les personnes que nous avons entendues nous ont toutes dit qu’elle était très difficile à anticiper. Au mois d’octobre, le président de la Conférence des bâtonniers et celui du CNB m’ont dit que leurs organisations ne disposaient d’aucun outil permettant d’évaluer les effets de la réforme de la postulation sur le chiffre d’affaires et l’emploi. Et voilà qu’aujourd’hui, à midi, un rapport tombe du camion, dont il faudrait prendre connaissance à la hâte ! Pourtant, en septembre, en octobre, en novembre, en décembre, ils n’avaient pas de documents à nous transmettre. Je répète donc que nous sommes suffisamment éclairés.

M. Jean-Yves Caullet. Au-delà du fond, la question du délai et de la capacité de la profession à s’organiser est fondamentale.

Je demande une suspension de séance.

(Suspension de séance)

M. Jean-Yves Caullet. Cette suspension a, je crois, été fructueuse.

Des expérimentations ont bien eu lieu, dans des territoires principalement urbains comme principalement ruraux, et il n’y a pas de demande de retour au statu quo ante. Mais une réforme de cette ampleur nécessite, c’est sûr, un temps d’adaptation : je préférerais donc qu’un délai soit prévu. La réforme pourrait entrer en vigueur un an après la date de promulgation de la loi, plutôt qu’à une date fixée à l’avance.

M. le ministre. J’ai bien noté la sensibilité de nombre d’entre vous sur ce sujet. S’agissant des questions de fond et de la viabilité des plus petits barreaux, les amendements des rapporteurs, et en particulier celui qui limite le champ de la réforme, me paraissent de nature à rassurer ceux qui s’inquiètent des conséquences de la loi. J’entends aussi que le délai que vous demandez – notamment Mme Capdevielle, avec son amendement SPE669 – a surtout pour objet d’assurer la viabilité des CARPA et donc d’organiser une mutualisation progressive. Je vous propose donc un compromis, qui m’est soufflé par M. Caullet : j’accepterai une rectification de l’amendement SPE1745 ayant pour objet de fixer l’entrée en vigueur de la réforme à un an après la promulgation de la loi. Cela permettra aux CARPA et à la profession en général de s’organiser.

M. le rapporteur général. Je remercie d’ores et déjà le ministre, qui nous annonce qu’il accueillera avec bienveillance les amendements à venir des rapporteurs.

Je répète que je suis défavorable à l’amendement SPE764. En revanche, le délai proposé me semble une bonne façon de calmer les inquiétudes qui se sont exprimées.

M. Jean-Louis Roumegas. Le débat aura donc permis de progresser, même modestement, et tout progrès est bon à prendre. Toutefois, si un délai est nécessaire, l’accorder n’empêche pas de mener des expérimentations.

Mme Colette Capdevielle. J’ai écouté Jean-Yves Caullet et le ministre avec grand intérêt. Notre débat a été riche et vous avez, monsieur le ministre, tenu compte de nos réflexions et de nos craintes. Le délai proposé me paraît une très bonne chose, car les CARPA ne sont pas prêtes.

M. Philippe Houillon. Il faut bien comprendre que ce sont des bouleversements considérables qui attendent toutes ces professions ; s’adapter et se réorganiser leur demandera du temps.

Le délai que vous proposez, compte tenu de la durée probable du débat parlementaire, reviendra probablement à une entrée en vigueur à la fin de l’année 2016. Nous défendrons également un amendement, qui est un amendement de repli, et qui vise à fixer l’entrée en vigueur de la réforme au 1er juillet 2017 : cela revient à donner six mois de plus, qui ne seraient sans doute pas six mois de trop. Mais cet amendement est subsidiaire : nous voterons, je le répète, l’amendement SPE764.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, quels éléments vous permettent de conclure que ces expérimentations sont satisfaisantes et qu’il convient de les généraliser ?

D’autre part, un délai d’un an après la promulgation de la loi ne risque-t-il pas de poser problème, dans la mesure où vous demandez aussi des habilitations pour prendre des ordonnances, avec d’autres délais encore ? Cela me paraît une source de grande complexité.

M. le ministre. Sur ce sujet, aucune ordonnance n’est prévue. Il n’y a donc pas de problème.

La Commission rejette l’amendement SPE764.

Elle se saisit ensuite de l’amendement SPE704 de M. Michel Heinrich.

M. Michel Heinrich. Cet amendement tend à maintenir le dispositif actuel de la postulation pour les affaires judiciaires relevant des secteurs professionnels et impliquant des personnes morales – ces affaires représentent une part importante du chiffre d’affaires de certains barreaux.

Monsieur le ministre, j’ai cru comprendre, lors de votre audition par la Commission, que vous étiez plutôt ouvert sur ce sujet.

M. le ministre. J’ai de la sympathie pour votre amendement, c’est vrai : il cherche à supprimer le surcoût entraîné par la postulation pour les ménages, tout en le maintenant pour les assureurs et les banquiers. Nous avons nous-même cherché une solution de ce type, mais, après expertise, nous nous sommes aperçus qu’il n’était pas possible, en droit, d’opérer une telle distinction. Les amendements des rapporteurs sont dans le même esprit, mais maintiennent la postulation pour certains types d’actes, ce qui, pour le coup, est possible.

Avis défavorable.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette l’amendement SPE704.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE1738 des rapporteurs.

Puis elle examine les amendements identiques SPE149 de M. Philippe Houillon et SPE330 de M. Patrick Hetzel.

M. Philippe Houillon. Il s’agit d’un amendement de repli, notre amendement initial ayant été déclaré irrecevable. Nous demandons un rapport du Gouvernement relatif à l’indemnisation des avocats subissant un préjudice anormal à la suite de la suppression du monopole territorial qui leur avait été octroyé. Un monopole est créé au niveau des cours d’appel, mais un autre monopole est bien supprimé.

M. le ministre. Avis défavorable. Le Gouvernement, comme le Conseil d’État, considère qu’il n’y a pas suppression d’un monopole, mais extension de son ressort géographique. De surcroît, comme il en a longuement été question, cette extension se pratique déjà dans différentes cours d’appel.

M. le rapporteur général. Avis défavorable, pour les mêmes raisons, et aussi pour un problème d’ordre rédactionnel : maintenant que nous sommes convenus que la réforme prendrait effet un an après la promulgation de la loi – même si l’amendement n’est pas encore voté –, ce rapport ne saurait être rendu six mois après cette promulgation. S’il était adopté, cet amendement serait inopérant.

M. Philippe Houillon. Je rectifie mon amendement en remplaçant « dans les six mois suivant la promulgation de la loi » par « dans les deux ans suivant la promulgation de la loi ».

La Commission rejette l’amendement SPE149 ainsi rectifié et l’amendement SPE330.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1739 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement vise à limiter les activités pour lesquelles les avocats pourraient postuler auprès de l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel au sein de laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle. En effet, lors de leur audition, le 6 janvier 2015, les bâtonniers des barreaux de Bordeaux, Libourne, Nîmes et Alès où existe d’ores et déjà un dispositif de multipostulation, en application de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ont dressé un bilan globalement positif de cette organisation.

Ils ont toutefois souligné que les barreaux aux effectifs numériques les plus faibles s’étaient maintenus grâce aux exceptions à la multipostulation qui sont prévues par la loi pour les activités suivantes des avocats : procédures de saisie immobilière ; procédures de partage et de licitation ; aide juridictionnelle ; affaires où ils ne sont pas avocats plaidants. Pour ces quatre types d’activités, la postulation auprès du tribunal de grande instance dans le ressort duquel les avocats ont établi leur résidence professionnelle a été maintenue.

Cela a notamment permis de préserver le financement des ordres qui tirent en partie leurs ressources des CARPA qui sont alimentées, entre autres, par les fonds provenant des ventes immobilières à l’issue des procédures de saisie. Grâce à la préservation des ressources des ordres, les activités des barreaux, notamment les permanences assurées en matière pénale, ont pu être pérennisées.

Cet amendement est un complément nécessaire de la réforme de la postulation.

M. le ministre. Comme je l’ai déjà dit, avis favorable.

M. Philippe Houillon. Je ne comprends pas exactement l’intérêt de conserver la postulation pour les affaires où les avocats ne sont pas plaidants. Pourriez-vous nous l’expliquer ?

Vous choisissez de laisser aux petits barreaux le poids de l’aide juridictionnelle, tout en amenant les affaires rentables au niveau de la cour d’appel : c’est un choix politique auquel je ne souscris pas.

Enfin, j’ai cru entendre que le Gouvernement n’était pas hostile à une extension du champ des exceptions : pourriez-vous, monsieur le ministre, nous le confirmer ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous avons repris les exceptions qui existent actuellement dans les ressorts de cours d’appel où la multipostulation se pratique.

La Commission adopte l’amendement SPE1739.

M. Philippe Houillon. Monsieur le ministre, je répète ma question : à quelles matières accepteriez-vous d’étendre le champ des exceptions ?

M. le ministre. Ayant porté une réforme plus ambitieuse que celle qui se dessine aujourd’hui, il me semble qu’il ne m’appartient pas de définir de quelle façon il faudrait réduire encore sa portée. J’appelais seulement l’attention de votre collègue sur la façon dont l’amendement que vous venez d’adopter me paraissait répondre à ses attentes.

M. Philippe Houillon. Vous n’êtes donc pas défavorable sur le principe.

M. le ministre. Je ne me prononce pas a priori. La charge de la proposition vous revient !

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1740 et l’amendement de cohérence SPE1741 des rapporteurs.

Elle se saisit ensuite de l’amendement SPE1202 de M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Cet amendement vise à conserver aux barreaux la possibilité de refuser l’installation d’un bureau secondaire dans leur ressort. Cela permettrait de préserver l’emploi dans les cabinets.

M. le ministre. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable, mais nous proposons un amendement qui permettra de maintenir un régime d’autorisation.

La Commission rejette l’amendement SPE1202.

Puis elle se saisit de l’amendement SPE1742 des rapporteurs, qui fait l’objet d’un sous-amendement, SPE1899, de M. Philippe Houillon.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement tend à supprimer le dispositif substituant un régime déclaratif à l’actuel régime d’autorisation préalable prévu pour l’établissement de bureaux secondaires dans le ressort d’un barreau distinct de celui où l’avocat a sa résidence professionnelle. D’autre part, il ramène de trois à un mois le délai dans lequel le conseil de l’ordre du barreau d’accueil doit se prononcer sur la demande d’établissement d’un bureau secondaire dans son ressort.

M. Philippe Houillon. Mon sous-amendement substitue un délai de six semaines au délai d’un mois prévu par l’amendement.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable au sous-amendement. Un délai d’un mois paraît suffisant.

Mme Colette Capdevielle. Le rétablissement du régime d’autorisation est une avancée. En revanche, un délai d’un mois me paraît convenir. Cela permet d’aller vite et c’est dans l’esprit de la loi.

M. Philippe Houillon. Six semaines, c’est du bon sens. Pensez aux demandes faites au mois d’août !

M. le ministre. Je veux rappeler que l’ambition première du Gouvernement était de simplifier ; c’est la raison pour laquelle nous proposions initialement de substituer, au régime d’autorisation en vigueur, un régime déclaratif. Mon collègue Thierry Mandon y tenait beaucoup, et à juste titre.

Aujourd’hui, l’excès de formalisme auquel vous souhaitez revenir contraint inutilement, je crois, la création et le développement de l’activité des avocats. Mais j’ai beaucoup écouté, et je m’aperçois que les difficultés sont grandes. J’entends aussi que ce n’est pas un sujet essentiel pour la croissance. Cette loi est une succession de petits pas qui vont dans la même direction : mais qu’il est dur de faire ces petits pas ! Ceux à qui on les demande protestent tant qu’il faut parfois les pousser ! Les personnes présentes pourront témoigner de ces obstacles lorsque d’autres réclameront de plus grands pas.

M. Philippe Houillon. Ce sont des pas de travers !

M. le ministre. Mais non ! C’est de la simplification. Vous parlez d’usine à gaz sur certains sujets, mais vous plaidez ici pour le formalisme.

Je constate qu’il existe au sein de la commission spéciale un consensus pour conserver plus de procédures qu’il n’en faudrait à nos yeux. Je suis mal à l’aise, mais je prends en considération la dynamique collective, et les observations des professionnels qui sont reflétées par les uns et les autres.

Le passage de trois à un mois a un sens. Faut-il revenir à six semaines ? On n’est plus, je crois, à deux semaines près.

J’approuve les dispositions de cet amendement qui imposent à l’avocat ouvrant un bureau secondaire de satisfaire à ses obligations en matière d’aide judiciaire et de commission d’office tant dans le ressort où est établie sa résidence professionnelle que dans celui où il dispose d’un bureau secondaire. Cela règle le problème, soulevé par M. Robiliard, d’éventuels « passagers clandestins ».

Sagesse.

La Commission rejette le sous-amendement SPE1899.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP votera l’amendement SPE1742.

La Commission adopte, à l’unanimité, l’amendement SPE1742.

En conséquence, les amendements SPE84 de M. Martial Saddier, SPE589 de M. François Vannson, SPE677 de Mme Colette Capdevielle, SPE695 de M. Guénhaël Huet, SPE1187 de M. Marc Dolez, SPE150 de M. Philippe Houillon, SPE331 de M. Patrick Hetzel, SPE1662 du Gouvernement et SPE886 de M. Michel Zumkeller deviennent sans objet.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques SPE85 de M. Martial Saddier et SPE680 de Mme Colette Capdevielle, et les amendements identiques SPE151 de M. Philippe Houillon et SPE332 de M. Patrick Hetzel.

M. Lionel Tardy. L’intervention des avocats dans le cadre de ventes judiciaires et de biens immeubles nécessite la création d’un tarif autonome. Un décret déterminera les modalités de mise en œuvre de ce tarif, sa nature et ses taux. L’amendement relaie l’une des recommandations de la mission d’information de la commission des Lois, relative aux professions juridiques réglementées.

Mme Colette Capdevielle. Il s’agit de maintenir, en matière de saisie immobilière et de sûretés judiciaires, un tarif dont les modalités seront déterminées par décret.

M. Philippe Houillon. Le rapporteur général le confirmera sans doute, des travaux sur le sujet sont sur le point d’aboutir à la Chancellerie. La mesure est d’importance, ne serait-ce que pour la rédaction des cahiers des charges.

M. Patrick Hetzel. Les professionnels nous ont confirmé qu’une discussion est engagée avec la Chancellerie : il est un peu étonnant que le Gouvernement n’en fasse pas état à ce stade. Quoi qu’il en soit, il ne faut évidemment pas faire table rase de ce qui a été convenu avec les professionnels.

M. le ministre. Avis favorable aux amendements SPE85 et SPE680.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Conscients des difficultés que pose la suppression du tarif de la postulation, nous nous sommes rapprochés de la direction des affaires civiles et du sceau à la Chancellerie, où il nous a été confirmé que des aménagements à la règle devaient être trouvés ; ils me semblent toutefois relever du domaine réglementaire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Dès lors que sont supprimés les honoraires relatifs à la postulation, la loi doit prévoir une rémunération spécifique.

M. Philippe Houillon. Si le tarif est supprimé dans la loi, c’est à celle-ci qu’il revient de préciser la dérogation.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis de sagesse sur l’amendement SPE151.

M. le rapporteur général. Je suggère de nous en tenir à la position du Gouvernement.

Les amendements SPE151 et SPE332 sont retirés.

La Commission adopte les amendements SPE85 et SPE680.

Elle en vient à l’amendement SPE483 de Mme Laure de La Raudière.

M. Bernard Gérard. La prestation d’un avocat est un service juridique intellectuel ; son évolution, par définition imprévisible, dépend en grande partie de l’aléa judiciaire. Exiger que la convention d’honoraires couvre à la fois les « diligences prévisibles » et leur « évolution possible » serait source de litige et de contestation entre l’avocat et son client. Je suggère donc de supprimer cette seconde expression.

M. le ministre. C’est précisément parce que des évolutions, parfois importantes, sont possibles que la convention d’honoraires doit les préciser : il y va de la transparence due à nos concitoyens, d’autant que l’information entre le justiciable et son avocat est souvent asymétrique. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable également, pour les mêmes raisons.

La Commission rejette l’amendement SPE483.

Puis elle se saisit des amendements identiques SPE333 de M. Patrick Hetzel et SPE1026 de M. Alain Chrétien.

M. Patrick Hetzel. L’amendement tend à supprimer, à la fin de l’alinéa 13, les mots : « et leur évolution possible », qui sont source d’ambiguïté dans la mesure où l’évolution du contentieux peut conduire l’avocat à rediscuter son offre avec le client.

M. Alain Chrétien. Le Gouvernement entend en quelque sorte institutionnaliser un devis ; mais celui-ci ayant valeur contractuelle, il pourra faire l’objet de contentieux entre l’avocat et le client, a fortiori si la définition reste floue.

M. le ministre. J’ai déjà répondu sur le fond. Il importe que la convention précise l’évolution possible des diligences pour des raisons de transparence, faute de quoi ladite convention pourrait être très lacunaire.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

M. Patrick Hetzel. Sur les sujets dont nous parlons, notre souci commun est d’assurer une bonne sécurité juridique ; or la rédaction envisagée accroît les risques de contentieux. J’ai du mal à saisir ce paradoxe.

M. Jean-Frédéric Poisson. Spécifier qu’une évolution est possible n’est guère satisfaisant. D’autre part, il y a fort à parier que les avocats, dont beaucoup travaillent sans l’aide d’un secrétariat, annexeront aux conventions des formulaires types énumérant les différentes hypothèses procédurales : quelle sera, alors, la valeur ajoutée dans la relation avec le client ?

M. Alain Chrétien. Une entreprise qui réalise des travaux dans une maison ne précise pas, sur son devis, que celui-ci pourra évoluer en fonction de telle ou telle autre tâche. Si de nouveaux travaux sont décidés, un nouveau devis est établi. Il en va de même avec un avocat : une convention est signée pour tel ou tel contentieux ; si la procédure se poursuit en appel ou si le client demande un complément d’information, une nouvelle convention est établie.

M. Bernard Gérard. Quelles sont les évolutions possibles, sinon les multiples voies de recours ? Il est un peu irréaliste de demander à un avocat d’intégrer autant d’éléments dans la convention.

M. Olivier Carré. Les « diligences prévisibles » incluent par définition les possibles : à moins d’écrire « les diligences prévues et leur évolution possible », les amendements me semblent donc tout à fait pertinents, sans parler des risques qu’ils permettent d’éviter.

M. Alain Tourret. Il faut faire simple. La liste des « évolutions possibles » pourrait faire tout un livre !

M. le ministre. Je suis sensible à l’argument de M. Carré : il serait sans doute préférable d’écrire « les diligences prévues ».

M. Olivier Carré. J’observais seulement que les mots : « et leur évolution possible » sont superfétatoires et que l’on peut donc les supprimer dans la version actuelle du texte, comme y tendent les amendements.

M. Jean-Yves Caullet. Il me semble opportun que la convention précise non seulement les diligences prévues, mais aussi que celles-ci peuvent évoluer, auquel cas le client en rediscute avec son avocat.

M. Jean-Frédéric Poisson. Entend-on renseigner le client sur toutes les évolutions possibles ou sur les évolutions envisageables au vu du cas, les autres évolutions faisant l’objet d’une nouvelle convention ? Dans la seconde hypothèse, on peut s’en tenir à la formule : « les diligences prévues », avec les conséquences qu’elles impliquent.

M. le ministre. Cette expression ne peut se suffire à elle-même, monsieur Poisson. Il faut écrire, soit : « les diligences prévues et leur évolution possible », soit : « les diligences prévisibles ». La seconde solution a l’avantage de correspondre aux amendements auxquels, éclairé par M. Carré et avalant mon chapeau, j’émets donc un avis favorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Éclairée par le débat, j’émets également un avis favorable.

M. Denys Robiliard. En aval, ce sont le bâtonnier et le Premier président de la cour d’appel qui sont saisis des contentieux relatifs aux honoraires. Ils connaissent les « diligences prévisibles » et pourront dire si les informations requises ont été données. Je souscris donc aux amendements.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je suggère d’écrire : « les diligences prévues à ce jour ». En tout état de cause, la disposition me semble de nature à distendre les relations entre l’avocat et son client.

La Commission adopte les amendements SPE333 et SPE1026.

La Commission examine l’amendement SPE1663 du Gouvernement.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Afin de lutter contre la paupérisation des avocats, en particulier les plus jeunes d’entre eux, l’amendement SPE1663 tend à leur autoriser l’exercice d’une autre activité. Néanmoins, après en avoir discuté avec les rapporteurs et, entre autres, M. Houillon, Mme Capdevielle et M. Robiliard, il m’est apparu que la rédaction n’est pas satisfaisante. Outre qu’elle peut laisser supposer un revirement du Gouvernement s’agissant des avocats en entreprise, elle n’est pas suffisamment sécurisée. De fait, ce sujet d’importance nécessite un débat plus substantiel, et le Gouvernement souhaite s’y pencher plus avant. Une liste existe, qui relève du niveau réglementaire : Mme la garde des Sceaux y travaillera. Quoi qu’il en soit, je retire l’amendement.

L’amendement SPE1663 est retiré.

La Commission adopte, avec l’assentiment du Gouvernement, l’amendement de coordination SPE1743 des rapporteurs.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques SPE152 de M. Philippe Houillon et SPE334 de M. Patrick Hetzel, et l’amendement SPE482 de Mme Laure de La Raudière.

M. Philippe Houillon. Nous proposons de supprimer les alinéas 16 et 17, qui donnent compétence à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour contrôler le respect des règles en matière d’honoraires. Les professions dont nous parlons ne sont évidemment pas familières de cette administration et, surtout, la disposition pose problème au regard du secret professionnel.

M. Joël Giraud. On s’habitue à tout !

M. Patrick Hetzel. J’ajoute que d’autres instances sont susceptibles de traiter ces questions au sein des professions concernées.

M. Sébastien Huyghe. L’amendement SPE482 est défendu.

M. le ministre. Le contrôle de la DGCCRF garantira l’effectivité de la protection économique que nous avons décidée. La DGCCRF, je le rappelle, a déjà compétence pour contrôler les tarifs ; le texte ne fait qu’étendre cette compétence aux conventions d’honoraires dont elle aura à apprécier l’équilibre, à l’exclusion bien entendu des éléments couverts par le secret professionnel, comme c’est déjà le cas pour d’autres professions visées par ce dernier. Avis défavorable aux trois amendements en discussion.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable également, d’autant que j’aurai à défendre un amendement qui protège le secret professionnel des avocats.

La Commission rejette les amendements SPE152 et SPE334, puis l’amendement SPE482.

Elle se saisit ensuite, en discussion commune, de l’amendement SPE1744 des rapporteurs et des amendements identiques SPE684 de Mme Colette Capdevielle, SPE698 de M. Guénhaël Huet et SPE1188 de M. Marc Dolez.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement, que je viens d’annoncer, tend à compléter l’alinéa 17 par les mots : «, sans que les recherches et constatations puissent porter atteinte au secret professionnel mentionné à l’article 66-5 de la même loi ; ». Il s’agit donc de préciser que le contrôle de la DGCCRF se limitera au seul constat de l’existence matérielle d’une convention. Nous sommes néanmoins ouverts à la discussion.

M. le ministre. Le contrôle de la DGCCRF, aujourd’hui, se limite au constat que vous venez de rappeler, et ne peut porter atteinte au secret professionnel couvrant les éléments du dossier d’un avocat. Par un arrêt du 24 février 2009, la Cour de cassation a jugé que « le secret professionnel comme la protection des libertés individuelles des clients ne peut être opposé aux enquêteurs, qui sont soumis à un devoir de discrétion et qui tiennent de la loi le pouvoir d’exiger la communication de documents de toute nature propres à l’accomplissement de leur mission ». Par conséquent, un équilibre existe déjà, s’agissant des contrôles par la DGCCRF de professionnels soumis au secret professionnel, qu’il s’agisse du démarchage à domicile, du crédit à la consommation ou des pratiques commerciales déloyales. On pourrait d’ailleurs, dans le même ordre d’idée, invoquer le secret bancaire : faudrait-il l’opposer aux agents de la DGCCRF ? Nul doute que vous ne feriez pas preuve de la même tendresse… Votre amendement marquerait un recul par rapport au droit existant et à la jurisprudence. Je rappelle de surcroît que les agents de cette administration sont eux-mêmes soumis à un devoir de discrétion. Avis défavorable, comme sur les autres amendements en discussion.

Mme Colette Capdevielle. L’amendement SPE684 a le même objet. Dans un arrêt du 16 mai 2013, la cour d’appel de Lyon rappelle que le droit de contrôle de l’administration ne peut porter ni sur l’identité des clients, ni sur la nature des prestations. Toute atteinte au secret professionnel de l’avocat relève du pénal : cela n’a rien à voir avec le secret bancaire.

M. Guénhaël Huet. L’amendement SPE698 est défendu.

M. Marc Dolez. L’amendement SPE1188 l’est aussi.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. J’ai une préférence pour mon amendement. Lorsqu’on entre dans le cabinet d’un avocat et qu’on lui demande une pièce, il faut, ce me semble, l’aval du bâtonnier. Dans son arrêt, la Cour de cassation ne parle pas des avocats, mais des professionnels de la santé et de l’installation d’antennes satellites.

M. le ministre. Le droit existant donne à la DGCCRF ce pouvoir de contrôle des tarifs : il ne s’agit que de l’étendre aux conventions d’honoraires. Ces amendements seraient donc un recul, qui ne me semble pas correspondre à l’esprit de nos discussions d’hier sur d’autres sujets. Ils ouvriraient en tout cas une brèche dans laquelle d’autres professions pourraient s’engouffrer, à commencer par les banquiers, qui réclament eux aussi l’inviolabilité du secret bancaire. Pour les fonctionnaires, toute atteinte au secret professionnel relève de sanctions pénales.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce sujet est un de ceux sur lesquels notre pays se doit de progresser. Le secret professionnel de l’avocat, absolu, relève de sa seule conscience puisque même son client ne peut l’en libérer ; au reste, même le nom de celui-ci est couvert par ce secret qui est donc d’une nature donc très différente, monsieur le ministre, de ceux que vous avez évoqués, susceptibles à bon droit d’être levés, dans certains cas, au nom de l’intérêt général. De nombreuses questions se posent, parmi lesquelles les perquisitions domiciliaires et la jurisprudence de la Cour de cassation, y compris celle que vous avez mentionnée, et que beaucoup de juristes estiment contestable. À ce problème, le législateur tente d’apporter des solutions qui, pour l’heure, ne me semblent pas satisfaisantes. Le code de procédure pénale, je le rappelle, prévoit qu’en cas de perquisition, on ne peut s’opposer à la présence du bâtonnier si l’avocat la réclame ; à telle enseigne que le juge d’instruction saisit le bâtonnier dans ce cas de figure. Certes, l’URSSAF peut effectuer des contrôles au sein d’un cabinet d’avocat, mais ceux-ci ne portent que sur la comptabilité. La convention d’honoraires, elle, comporte des éléments liés aux intérêts dont l’avocat a la charge.

Je ne vous fais pas reproche de vos propositions, car le problème est délicat : il concerne beaucoup d’avocats, qui réclament des avancées, et même le bâtonnier d’un grand barreau est personnellement concerné. Nous ne remettons nullement en question les prérogatives de la DGCCRF, mais elles ne peuvent excéder celles des autorités judiciaires ; d’où ces amendements, qui ne préjugent pas, d’ailleurs, des solutions qu’il faudra bien apporter un jour.

M. Philippe Houillon. Je souscris pleinement aux explications de Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous parlez de recul, monsieur le ministre ; mais, pour l’instant, il n’y a rien…

D’autre part, la DGCCRF ne saurait jouir de droits supérieurs à ceux prévus dans le cadre d’une procédure judiciaire protectrice du secret professionnel. Or la convention d’honoraires donne accès au nom du client et aux éléments de la procédure – et d’autant plus avec ce que l’on vient d’y intégrer. Je m’interroge même sur la constitutionnalité d’une telle mesure. Le secret de l’avocat est absolu et, en cas de perquisition de son cabinet, il faut au minimum la présence du bâtonnier.

Mme Colette Capdevielle. En l’état actuel du droit il n’y a aucun contrôle, et le bâtonnier est le seul à pouvoir arbitrer sur les conventions d’honoraires. En l’état du droit, l’atteinte au secret professionnel est une infraction : aux termes de l’article 226-13 du code pénal, « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». De toute évidence, la révélation des éléments contenus dans la convention d’honoraires pose donc problème.

M. le ministre. Je maintiens mon avis défavorable. Comme le montrent les analyses de M. Le Bouillonnec, aucune solution n’est pleinement satisfaisante. Aujourd’hui, la DGCCRF contrôle les conventions : ce fut encore le cas en 2014. Ces amendements marqueraient de facto un recul.

Les protections dont vous parlez, monsieur Houillon, sont parfaitement légitimes mais elles concernent les perquisitions. Nous ne parlons ici que d’une demande de pièces à un professionnel : cela n’a rien à voir.

Peut-être faut-il néanmoins réfléchir à une meilleure rédaction, qui ne soit pas un recul par rapport au droit existant et préserve le secret professionnel de l’avocat.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je suggère le retrait des amendements, pour en revoir la rédaction en fonction d’exigences effectivement incontournables. Elles sont d’ailleurs prises en compte par d’autres amendements à venir.

Mme Colette Capdevielle. Je ne vois pas quelle amélioration on peut apporter à la rédaction…

M. Jean-Frédéric Poisson. Tous ces amendements sont évidemment liés à l’alinéa 13 tel qu’il a été adopté : dès lors que la convention inclut des informations sur la procédure, le régime des contrôles que vous avez évoqués, monsieur le ministre, ne pourra plus s’appliquer.

Un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras »… Je suggère donc d’adopter l’un des amendements en discussion, à charge pour le Gouvernement de proposer, le cas échéant, une autre rédaction en séance.

M. le président François Brottes. J’ai assez souvent fait ce genre de préconisation lorsque j’étais dans l’opposition pour ne pas vous soupçonner ici de perfidie, monsieur Poisson… (Sourires.)

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Dès lors qu’une nouvelle obligation est créée, il faut pouvoir en contrôler l’effectivité. Après avoir entendu les uns et les autres, il apparaît néanmoins que le texte n’est sans doute pas satisfaisant. Le retrait des amendements à ce stade serait donc de bon aloi : évitons les oppositions stériles quand un consensus est possible, au bénéfice de l’intérêt général. Une nouvelle rédaction pourrait en effet garantir un parallélisme des formes entre les nouvelles obligations et les moyens de contrôle, étant entendu que le secret professionnel des avocats doit être préservé dans toute sa spécificité. L’affaire n’est pas mûre ; faisons preuve de sagesse et travaillons…

Mme Michèle Bonneton. Puis-je me permettre un conseil de méthode ? Nos amendements SPE774 et SPE768 portent sur le même sujet : peut-être pourrions-nous les associer à la présente discussion.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, madame Bonneton, de vous substituer à la présidence : si vous aviez été membre du bureau de la commission, je vous aurais volontiers cédé ma place… (Sourires.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je me suis efforcé d’analyser les conditions du contrôle par la DGCCRF à l’aune des conventions telles qu’elles seront établies. En l’espèce, ce contrôle pourra intervenir dans le cadre d’une saisine consécutive à une plainte.

Cependant, il existe une autorité qui, soumise au secret professionnel, jouit également d’un pouvoir disciplinaire : le bâtonnier. On pourrait donc imaginer, même si le sujet appelle de nouvelles concertations avec les barreaux, que la DGCCRF interroge directement le bâtonnier sur les conventions, lequel aura de toute façon à intervenir dans la procédure de contrôle et, le cas échéant, à user de son pouvoir disciplinaire – d’autant qu’il est lui-même tenu au secret professionnel.

Pour ne rien vous cacher, j’ai le sentiment que l’on ne cesse de différer la recherche d’une vraie solution au conflit entre l’exercice de l’action publique et la préservation du secret professionnel des avocats, élément consubstantiel des droits de la défense qu’il est essentiel de préserver. Notre pays n’est pas le seul à rester à la traîne, mais il est sans doute le plus mal préparé aux ajustements auxquels ne manquera pas de l’appeler, un jour ou l’autre, la Cour européenne des droits de l’homme.

M. Joël Giraud. Imaginons qu’un avocat ait été rémunéré par un client en numéraire sans faire de déclaration de soupçon et que TRACFIN débarque. S’il refuse de donner les informations au motif qu’elles sont couvertes par le secret professionnel, que se passe-t-il ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats – CARPA – ont reçu un hommage appuyé pour la qualité de leur contrôle et de leur gestion. La CARPA est un instrument de nature bancaire, tenu aux obligations légales attachées au processus bancaire et qui entre parfaitement dans le champ de compétences des instances de contrôle des transferts de fonds. Plusieurs dispositions législatives ont été introduites à ce sujet, dont certaines adoptées au cours de la mandature de 2002.

M. Jean-Yves Caullet. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il ne s’agit pas de porter atteinte au secret professionnel comme sur le fait qu’il doit y avoir, malgré tout, une possibilité de contrôle. Le problème est plus large et j’ai bien entendu la volonté du ministre de rediscuter cette question, éventuellement d’ici à la séance. Cela étant, compte tenu de la sensibilité du sujet et pour ne pas faire naître chez les avocats un soupçon qui n’aurait pas lieu d’être, je propose une rédaction plus souple de l’amendement SPE1774, qui consisterait à préciser : « dans le respect du secret professionnel mentionné à l’article 66-5 de la même loi ». Certes, cela ne dit pas comment on fait, mais cela permet de montrer aux avocats que nous sommes soucieux de leur secret professionnel ; en attendant de trouver une nouvelle rédaction d’ici à la séance avec le concours de M. le ministre.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je trouve que c’est une excellente solution.

M. le rapporteur général. La proposition de notre collègue me paraît sage.

M. le ministre. J’y suis favorable, cela retranscrit bien l’esprit de nos débats.

M. le président François Brottes. Si je comprends bien, madame la rapporteure, vous acceptez de rectifier l’amendement en substituant aux mots : « sans que les recherches et constatations puissent porter atteinte au » par : « dans le respect du », le reste sans changement.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Tout à fait.

La Commission adopte l’amendement SPE1744 ainsi rectifié.

En conséquence les amendements SPE684, SPE698 et SPE1188 tombent.

Ensuite la Commission se saisit des amendements SPE774 et SPE768 de Mme Michèle Bonneton.

M. le président François Brottes. Madame Bonneton, l’élégance pourrait vouloir que vous considériez que le sujet a été traité…

Mme Michèle Bonneton. Je pourrais éventuellement retirer l’amendement SPE774 en maintenant le SPE768…

M. le président François Brottes. L’amendement SPE774 est retiré.

Mme Michèle Bonneton. J’ai dit « éventuellement », monsieur le président !

M. le président François Brottes. Il serait pourtant souhaitable de ne pas écrire deux fois la même chose dans la loi.

Mme Michèle Bonneton. Ces deux amendements portent sur le secret absolu auquel sont soumis les avocats. Je défendrai plus particulièrement l’amendement SPE768 qui, dans l’esprit de ce qu’a suggéré notre collègue, propose d’ajouter deux alinéas à l’article L. 450-3 du code de la consommation, en spécifiant les règles applicables aux visites de cabinets ou de domiciles d’avocat avec des conditions particulières pour les locaux de l’ordre des avocats, les caisses de règlement pécuniaire des avocats et les locaux des bâtonniers, qui ne pourront être visités qu’en présence du président du tribunal de grande instance.

M. le président François Brottes. Puis-je en déduire que votre amendement SPE774 est devenu sans objet ?

M. le ministre. Soucieux de la sérénité de nos débats comme de celle des professionnels concernés, et compte tenu de l’amendement rectifié précédemment adopté, je suggère le retrait, sinon j’aurai un avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Même avis.

Mme Michèle Bonneton. Parfois, pour simplifier, il faut être précis : je maintiens l’amendement SPE768.

L’amendement SPE774 est retiré.

La Commission rejette l’amendement SPE768.

La Commission examine l’amendement SPE1745 des rapporteurs, en discussion commune avec les amendements SPE82, SPE671, SPE693, SPE79, SPE669, SPE692, SPE154 et SPE335.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit de différer l’entrée en vigueur du dispositif de multipostulation. Initialement, mon amendement prévoyant le 1er janvier 2016. Je le rectifie pour viser le premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi.

M. le ministre. Je suis d’accord avec cette rectification.

M. le président François Brottes. C’est ce dont nous avons débattu cet après-midi. M. Houillon aurait souhaité six mois de plus.

M. Philippe Houillon. Tout à fait, mais je n’ai pas obtenu de réponse à ce sujet et si cet amendement est adopté, le reste tombe. Six mois de plus, ce n’est pas un drame… Il s’agit d’opérations lourdes et serait un confort supplémentaire pour les professionnels.

M. le ministre. Le sujet a déjà été débattu ; je suis également sensible à ces questions de délai ; elles se poseront ailleurs et nous y reviendrons en séance. Ce point en tout cas a fait l’objet d’un compromis. J’ai entendu le raisonnement de M. Carré qui suggérait de remplacer le douzième mois par l’année, mais je n’irai pas plus loin !

La Commission adopte l’amendement SPE1745 ainsi rectifié.

En conséquence, les amendements SPE82, SPE671, SPE693, SPE79, SPE669, SPE692, SPE154 et SPE335 tombent.

M. Jean-Philippe Poisson. Le groupe UMP votera contre l’article 13.

Ensuite la Commission adopte l’article 13 modifié.

*

* *

Article 13 bis [nouveau]
(art. L. 462-10 [nouveau] du code de commerce)

Assouplissement des conditions d’installation
des officiers publics et/ou ministériels

Cet article résulte de l’adoption d’un amendement des rapporteurs proposant une réécriture globale des dispositions figurant à l’article 17 du projet de loi.

I. LE CONSTAT D’UN CERTAIN MALTHUSIANISME

Les officiers publics et/ou ministériels que sont les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires reçoivent de l’État, qui les nomme, délégation d’une mission de service public (121). La nécessité d’assurer la continuité de celui-ci justifie que la puissance publique veille à leur localisation.

Pour cette raison, les huissiers de justice exercent leurs activités réglementées à l’échelon départemental depuis le 1er janvier dernier (et jadis à l’échelon du tribunal de grande instance). Les notaires, comme les commissaires-priseurs judiciaires ont une compétence nationale mais ne peuvent procéder à l’exercice habituel de leur activité que dans l’office dans lequel ils sont établis.

Les pouvoirs publics, par le biais des parquets et du garde des Sceaux, exercent un contrôle étroit sur l’implantation des offices publics et/ou ministériels. C’est ainsi que les arrêtés de nomination mentionnent naturellement les offices dans lesquels les professionnels exerceront et ce, que ces derniers soient titulaires de l’office ou salariés.

Il en est de même pour les mouvements qui peuvent affecter les offices. Les créations et les suppressions sont faites par arrêté du garde des Sceaux (article 2-7 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971 pour les notaires ; article 1-1 de l’ordonnance du 26 juin 1816 pour les commissaires-priseurs judiciaires ; article 38 du décret n° 75-770 du 14 août 1975 pour les huissiers de justice).

Les créations et suppressions de bureaux annexes, qui permettent souvent de maintenir une présence lorsque la rentabilité d’un office à part entière n’est plus assurée, se font sous le contrôle du procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle est établi l’office (article 2-7 du décret n° 71-942 pour les notaires ; article 40 du décret n° 75-770 pour les huissiers ; article 12 de l’ordonnance du 26 juin 1816 pour les commissaires-priseurs judiciaires).

En outre, la localisation de ces bureaux annexes est contrainte puisqu’ils ne peuvent être créés que dans les limites de la compétence territoriale des huissiers de justice ou, pour les notaires et les commissaires-priseurs judiciaires, soit à l’intérieur du département, soit « à l’extérieur de ce département, dans un canton ou une commune limitrophe du canton où est établi l’office ».

Les transformations des bureaux annexes en offices donnent également lieu à un arrêté du garde des Sceaux, de même que les transferts d’offices qui, en tout état de cause, ne peuvent se faire que dans les limites du département (articles 37-5 et 38 du décret n° 75-770 pour les huissiers de justice ; articles 2-4 et 2-6 du décret n° 71-942 pour les notaires ; articles 1-1 et 1-2 de l’ordonnance du 26 juin 1816 pour les commissaires-priseurs judiciaires). Seuls les transferts dans une même commune peuvent se faire sans décision préalable de l’autorité judiciaire mais celle-ci doit en être « informée ».

Les représentants ordinaux, locaux et nationaux des professionnels concernés sont étroitement associés à toutes ces décisions puisqu’ils sont, sur chacun de ces mouvements, soit consultés, soit informés.

Ils sont, de même, fortement impliqués dans la gestion prévisionnelle des implantations des offices des deux professions les plus nombreuses, notaires et huissiers.

En effet, afin d’assurer l’adéquation du maillage territorial avec l’évolution des besoins du public et la situation économique et démographique des territoires, ont été instituées en 1986 deux commissions chargées de donner leur avis ou d’émettre des recommandations sur la localisation des offices des notaires, pour l’une, et des huissiers, pour l’autre : la commission de localisation des offices de notaires (CLON) et celle de localisation des offices d’huissiers de justice (CLHUJ).

Si les huissiers de justice et les notaires sont dotés depuis cette date d’un outil de gestion prévisionnelle de la localisation de leurs offices, à travers la CLON et la CLHUJ, tel n’est pas le cas des commissaires-priseurs judiciaires. Or, comme la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées l’a expliqué dans son rapport, il y aurait un grand intérêt à permettre une évolution de la carte de leur implantation en fonction de critères démographiques et de l’activité économique alors que cette carte porte encore la trace de son histoire, avec, par exemple, un grand nombre d’offices en Normandie, région dans laquelle se trouvaient de nombreuses villes de marchés.

La CLON et la CLUHJ fonctionnent selon des règles similaires, précisées dans les décrets n° 71-942 du 26 septembre 1971 pour la première et n° 75-770 du 14 août 1975 pour la seconde.

Ces commissions sont composées de huit membres, issus pour moitié de la profession, à savoir : le président de l’organe ordinal national (Conseil supérieur du notariat et Chambre nationale des huissiers de justice) ; deux notaires (ou huissiers) désignés par le garde des Sceaux après avis de l’organe ordinal national ; un clerc remplissant les conditions d’aptitude pour être désigné notaire (ou huissier) et désigné sur proposition de l’une des organisations syndicales de clercs les plus représentatives. Les trois autres membres sont : un magistrat du parquet, le directeur des Affaires civiles et du Sceau et le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). La présidence est assurée par un magistrat du siège de l’ordre judiciaire hors hiérarchie, qui a voix prépondérante en cas de partage des voix et qui apporte, ainsi que l’a indiqué la Chancellerie à la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, « la garantie de l’indépendance attachée au statut de la magistrature » et « une parfaite connaissance des activités juridiques et des conditions d’exercice (y compris du régime disciplinaire) de ces activités d’officiers publics et ministériels dans l’environnement judiciaire ».

Instituée auprès du garde des Sceaux, chacune de ces commissions est « chargée de donner son avis ou d’émettre des recommandations sur la localisation des offices […] en fonction des besoins du public et de la situation géographique, économique et démographique ».

Ces commissions ont donc une double compétence. D’une part, elles sont sollicitées par le garde des Sceaux pour donner un avis sur tout projet de création, de transfert ou de suppression d’un office, sur l’ouverture des bureaux annexes ou leur transformation en office distinct. Elles disposent de six mois pour donner leur avis qui, à défaut, est réputé favorable. Les textes prévoient également la consultation des ordres professionnels à l’échelon départemental et régional, qui disposent d’un délai de 45 jours pour se prononcer (à défaut, leur avis est réputé favorable), et celle des procureurs généraux, qui font remonter des informations locales concrètes et en temps réel sur la santé des offices et l’activité économique.

D’autre part, ces deux commissions établissent « des prévisions quinquennales » concernant le nombre de notaires (ou d’huissiers) et d’offices ainsi que leur localisation et adressent au garde des Sceaux des « recommandations » sur les opérations qui pourraient être réalisées au cours des cinq années à venir.

En ce qui concerne les notaires, les chambres locales et le Conseil supérieur du notariat rendent leur avis en tenant compte des travaux de la commission nationale et des commissions régionales « de l’adaptation structurelle », qui sont chargées d’établir des contrats visant à assurer un maillage rationnel de l’activité notariale sur l’ensemble du territoire. Établis pour le ressort de chaque cour d’appel, ces contrats d’adaptation structurelle prévoient, sur une durée de 5 ans (les derniers sont entrés en vigueur en 2011), les accueils à effectuer (ce terme désigne indifféremment l’association avec un notaire associé ou l’emploi d’un notaire salarié), les regroupements et les créations d’offices. Lorsqu’un contrat d’adaptation structurelle prévoit une ou plusieurs créations d’offices, il précise pour chaque création la commune concernée, plusieurs lieux de création alternatifs pouvant être proposés pour un même office.

La mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées a constaté que les procédures actuelles de créations, transformations et suppressions des offices et bureaux annexes ne contribuaient pas à l’ouverture des professions de notaire, d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire et qu’elles ne répondaient plus aux demandes d’installation des jeunes.

En effet, le nombre des offices de notaire, d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire est en baisse depuis plus d’une vingtaine d’années.

Comme expliqué dans le rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, si le nombre de notaires a augmenté, le nombre d’offices a baissé lentement mais presque continûment : entre 1990 et 2013, leur nombre a été ramené de 4 839 à 4 580, soit une baisse de 5,3 %. Entre 2005 et 2013, 225 offices ont été créés mais 156 supprimés. Exception faite du Rhône (+ 13 offices), les départements concentrant plus de 10 créations sur cette période sont tous situés en région parisienne (Paris + 14 ; Val-de-Marne + 14 ; Hauts-de-Seine + 13 ; Seine-Saint-Denis + 11). Les 156 suppressions correspondent soit à une suppression « sèche » soit à une fusion. D’après Mme Catherine Carely, présidente de la Chambre des notaires de Paris, ces regroupements ou suppressions interviennent « dans les secteurs ruraux en déclin » (122).

Comme pour les notaires, le nombre d’offices d’huissier de justice a baissé depuis 1990 – il est passé de 2 131 à 1 758 offices – mais dans une proportion nettement plus forte (17,5 %). Sur la période 2005-2013, la Chancellerie a recensé une seule création d’office en 2011, résultant d’une mésentente entre associés, mais 304 suppressions. Elle justifie cette évolution par la réforme de la carte judiciaire qui a eu pour effet le regroupement de nombreux offices et par l’absence de viabilité des offices supprimés.

La profession de commissaires-priseurs judiciaires compte beaucoup moins d’offices : 314 en 2013. Leur nombre a baissé de 6 % depuis 1990. Entre 2005 et 2013, 9 offices ont été créés, là encore résultant de mésententes entre associés, mais 13 ont été supprimés. Le nombre de commissaires-priseurs titulaires a également diminué, de l’ordre de 8,35 %, passant de 443 en 1990 à 406 en 2013.

Les rapports de l’Inspection générale des finances et du rapporteur général ont décrit le faible nombre de créations d’offices, l’« inélasticité de l’offre » pour reprendre l’expression de ce dernier, la concentration professionnelle ou encore certaines disparités géographiques d’implantation.

Plusieurs facteurs du malthusianisme qui caractérise les professions de notaire, d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire résident dans les procédures de régulation de l’installation de ces officiers publics et/ou ministériels :

– représentation trop importante des professions dans les instances chargées de planifier l’implantation des offices ;

– recueil de données très dépendant de la profession ;

– absence de saisine directe de la CLON et de la CLUHJ par les professionnels qui souhaiteraient créer un office ;

– absence de publicité des avis et recommandations de ces commissions.

Comme le notait le rapporteur général dans son rapport remis au ministre de l’Économie, « la régulation de ces professions, telle qu’assurée actuellement, s’assimile à une forme de cogestion qui n’atteint pas les objectifs de régulation attendus » (123).

Lors de son audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, le président de la CLON, M. Jean-Louis Gillet, a lui-même indiqué que les décisions de cette commission pouvaient laisser transparaître une forme d’« hygiène de la disparition ».

De fait, s’agissant des notaires, comme l’a rappelé l’Inspection générale de finances dans son rapport, les engagements pris par la profession, à la suite de la publication en 2008 du rapport de la commission présidée par M. Jacques Attali, d’augmenter de 20 % le nombre de professionnels à l’horizon 2012 (soit 10 500 notaires), en vue d’atteindre 12 000 notaires à l’horizon 2015, n’ont pas été tenus.

Or la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées a pu mesurer, notamment lors des auditions des associations et collectifs représentant les jeunes notaires, les attentes de ces jeunes professionnels dont le nombre a fortement augmenté depuis 10 ans (624 diplômés notaires en 2005, 1 298 en 2013).

C’est à ces attentes que le présent article entend répondre, en assouplissant les conditions d’installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires.

II. LE DISPOSITIF D’ASSOUPLISSEMENT DE L’INSTALLATION DES OFFICIERS PUBLICS ET/OU MINISTÉRIELS PROPOSÉ PAR LE GOUVERNEMENT À L’ARTICLE 17 DU PROJET DE LOI INITIAL.

A.  LA « CARTOGRAPHIE » DE L’IMPLANTATION DES OFFICES DE NOTAIRE, D’HUISSIER DE JUSTICE ET DE COMMISSAIRE-PRISEUR JUDICIAIRE

La version du projet de loi déposée sur le bureau de notre assemblée comportait un article 17 proposant de rénover la procédure de régulation de l’installation des officiers publics et/ou ministériels que sont les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires :

– en faisant de la localisation des zones d’implantation des offices une compétence partagée entre le ministre de la Justice et le ministre de l’Économie ;

– en associant l’Autorité de la concurrence à l’élaboration d’une cartographie identifiant des zones « libres » (au sens où l’installation y serait libre) et des zones « saturées » (au sens où l’installation pourrait y être refusée).

L’élaboration de cette cartographie constituerait, pour l’Autorité de la concurrence, une compétence nouvelle énoncée à l’article L. 462-10 [nouveau] du code de commerce.

Le choix de l’Autorité de la concurrence est cohérent avec les missions imparties à cet organe qui, à côté de ses missions contentieuse et administrative, détient une compétence consultative « sur toute question concernant la concurrence », conformément à l’article L. 462-1 du code de commerce. L’indépendance statutaire dont bénéficie cette instance – expressément qualifiée d’autorité administrative indépendante par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie – permettra d’apporter un regard neuf et de garantir une approche renouvelée sur la cartographie de l’implantation des officiers publics et ministériels.

Le rapporteur général avait d’ailleurs préconisé de confier la détermination du nombre d’offices et de postes à une instance indépendante, placée sous l’autorité du Premier ministre, comportant un nombre minoritaire de représentants de la profession et composée du président de l’Autorité de la concurrence, de personnalités qualifiées du monde judiciaire et de représentants des ministères de la Justice, de l’Économie et de la Réforme territoriale (124).

De son côté, la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées a recommandé de confier à l’Autorité de la concurrence le soin d’établir, pour chaque profession concernée, une carte des « zones carencées ».

Le premier alinéa du I de l’article 17 concrétisait dans une certaine mesure ces propositions en prévoyant que la cartographie proposée par l’Autorité de la concurrence déterminera « les zones où l’implantation d’offices est libre et celles où l’implantation d’offices supplémentaires serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu ».

À travers cette formule, il semble qu’il fallait comprendre que la carte proposée par l’Autorité de la concurrence identifierait :

– des zones « libres » dans lesquelles l’implantation d’offices supplémentaires ne serait pas de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu, et où l’implantation d’offices n’aurait donc pas à être encadrée ;

– des zones « saturées » dans lesquelles l’implantation d’offices supplémentaires serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu, et où l’implantation d’offices serait donc encadrée, le ministre de la Justice pouvant s’y opposer.

Pour ce qui concerne les zones « libres », aucune définition précise du critère de définition de ces zones n’était donnée au premier alinéa du I de l’article 17.

Le second alinéa du I de l’article 17 précisait seulement que la cartographie proposée par l’Autorité de la concurrence devait inclure une montée en charge progressive du nombre de zones où l’implantation d’offices serait libre, de manière à ne pas causer de préjudice anormal aux offices installés.

Cette disposition répondait au souci exprimé par le Conseil d’État, dans son avis sur le présent projet de loi, d’encadrer l’ouverture des conditions d’installation des officiers publics et/ou ministériels de telle façon qu’elle soit conforme « aux exigences combinées de l’égalité devant les charges publiques, imposée par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et de la garantie des droits, proclamée par l’article 16 de cette Déclaration ».

En effet, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, si l’article 13 de la Déclaration de 1789 n’interdit pas de faire supporter, pour un motif d’intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques (125).

Par ailleurs, le Conseil d’État a rappelé que « s’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l’article 16 de la Déclaration de 1789 si, sans motif d’intérêt général suffisant, il portait atteinte aux situations légalement acquises ou remettait en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations » (126).

Lors de son audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, avait déjà indiqué à la mission que, même sans supprimer le droit de présentation (127), l’institution d’une liberté d’installation pouvait donner lieu à indemnisation selon le rythme et l’intensité de la libéralisation opérée.

Pour ces motifs, le Conseil d’État a recommandé dans son avis sur le projet de loi de prévoir « un mécanisme permettant, dans chaque zone géographique, une augmentation progressive du nombre d’offices », ce qui éviterait selon lui de faire peser la charge d’une indemnisation sur l’État ou sur les professionnels nouvellement installés. C’est précisément l’objet du quatrième alinéa du I du présent article.

Le troisième alinéa du I de l’article 17 tempérait la liberté d’installation reconnue aux notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs en s’inspirant de la recommandation faite par l’Inspection générale des finances qui, dans son rapport sur les professions réglementées, avait préconisé d’instaurer une liberté d’installation régulée par une intervention minimale de la puissance publique qui serait limitée « à un pouvoir d’opposition (…) justifié par des motifs précis définis par la loi » (128).

En effet, dans les zones « saturées » où l’implantation d’offices supplémentaires serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu, ce troisième alinéa reconnaissait au ministre de la Justice le pouvoir de la refuser, après avis de l’Autorité de la concurrence.

Cet avis serait émis dans un délai de deux mois après le dépôt de la demande d’installation, et il serait rendu public afin de mettre le garde des Sceaux face à ses responsabilités.

La motivation de la décision du ministre de la Justice sera d’autant plus transparente que le quatrième et dernier alinéa du I de l’article 17 prévoyait que son refus devait être « motivé au regard, notamment, des caractéristiques du territoire et du niveau d’activité économique des professionnels concernés ».

Cette disposition étendait à la décision du garde des Sceaux sur une demande d’installation d’un office dans une zone « saturée » le principe du « silence vaut accord » qu’a généralisé la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens. Elle prévoyait en effet que « le silence gardé par le ministre [de la Justice] vaut décision d’acceptation de la demande à l’expiration des quatre mois suivant le dépôt de celle-ci ».

Si l’extension du principe « silence vaut accord » était louable dans un souci de simplification des relations entre l’administration et les citoyens, les rapporteurs ont néanmoins émis des réserves quant à son opportunité lorsqu’est en cause une demande de création d’un office ou de nomination en tant qu’officier public et/ou ministériel – fonction qui permet à son titulaire d’être délégataire d’une parcelle d’autorité publique et d’une mission d’intérêt général confinant à un service public du droit.

Alors que les deux derniers alinéas du I de l’article 17 concernaient les zones « saturées », le II de l’article 17 traitait des zones « carencées » pouvant apparaître au sein des zones « libres » et dans lesquelles l’implantation d’offices de notaire, d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire apparaîtrait insuffisante pour assurer une proximité de services satisfaisante.

Le premier alinéa de ce II proposait une définition de la notion de carence qui semble devoir s’entendre pour une catégorie d’offices publics et ministériels, d’un nombre d’offices insuffisant pour assurer une proximité de service satisfaisante dans une zone géographique donnée.

Lorsque le nombre d’installations spontanées était insuffisant, le ministre de la Justice procéderait à un « appel à manifestation d’intérêt en vue d’une titularisation dans un office ou de la création d’un bureau annexe par un officier titulaire » et ce, après avis de l’Autorité de la concurrence, dont les rapporteurs rappellent qu’elle aurait déjà été sollicitée pour identifier les carences.

Dans les « déserts juridiques » où l’appel à manifestation d’intérêt resterait infructueux, le second alinéa du II de l’article 17 permettait au ministre de la Justice de confier « la fourniture des services d’intérêt général en cause, selon le cas, à la chambre départementale des notaires, à la chambre départementale des huissiers de justice ou à la compagnie régionale des commissaires-priseurs judiciaires concernée ». Dans cette hypothèse, le garde des Sceaux devrait préciser « en fonction de l’insuffisance identifiée, le contenu et les modalités des services rendus. À cet effet, une permanence [pourrait] être mise en place dans une maison de la justice et du droit. La chambre départementale ou la compagnie régionale concernée réparti[rait], entre les officiers publics et ministériels de son ressort, les charges et sujétions résultant » de cette mesure.

B.  LE DISPOSITIF D’INDEMNISATION AU BÉNÉFICE DES OFFICES EXISTANTS

Afin d’entourer le dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des officiers publics et ministériels de garanties propres à le rendre conforme aux exigences d’égalité devant les charges publiques, de garantie des droits (et notamment du droit de propriété) qui sont respectivement posées par les articles 13, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Gouvernement a assorti ce dispositif d’un mécanisme d’indemnisation – en sus de la progressivité évoquée plus haut.

Le dispositif d’indemnisation proposé par le Gouvernement faisait peser la charge d’une éventuelle réparation du préjudice patrimonial que causerait la création de nouveaux offices aux offices antérieurement créés, sur les titulaires des nouveaux offices – et non sur l’État.

En effet, le III de l’article 17 inscrivait dans la loi les principes directeurs des mécanismes d’indemnisation qui sont prévus par les décrets n° 71-942 du 26 novembre 1971 (pour les notaires) et n° 75-770 du 14 août 1975 (pour les huissiers de justice) et par l’ordonnance du 26 juin 1816 (pour les commissaires-priseurs judiciaires) (129).

Ces décrets prévoient la possibilité d’une indemnisation due par le notaire, l’huissier de justice ou le commissaire-priseur judiciaire nommé dans un office créé à ceux de ses confrères qui subissent « un préjudice résultant de la création de cet office » (130). Évaluées et réparties à l’expiration de la sixième année civile suivant celle de son établissement, ces indemnités sont fixées à l’amiable ou, à défaut, par le garde des Sceaux après consultation de la CLON, de la CLUHJ ou de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires (131).

Le premier alinéa du III de l’article 17 s’inspirait très largement des dispositions des décrets et de l’ordonnance précités et prévoyait que « lorsque l’installation [ou, plus exactement, la création d’un office] porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office existant, son titulaire est dédommagé, à sa demande, par le ou les titulaires des nouveaux offices dont la création a causé cette perte [ou plus exactement ce préjudice] ».

Non sans entretenir une confusion entre la valeur de l’office et le droit de présentation qui est apparue en jurisprudence et qui a été pointée par une partie de la doctrine ainsi que par le rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées (132), le second alinéa du III de l’article 17 précisait que « la valeur patrimoniale de l’office s’entend[ait] de celle résultant des droits de présentation et d’indemnisation antérieurement à l’installation du nouvel office ».

Plutôt que de confier au garde des Sceaux le soin de trancher l’éventuel désaccord sur le montant ou la répartition de la réparation, comme c’est le cas dans les actuels dispositifs réglementaires concernant les notaires et les huissiers, le troisième alinéa du III de l’article 17 autorisait les parties à « saisir le juge de l’expropriation qui fixe le montant de l’indemnité dans les conditions définies par le livre III du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique », – la demande d’indemnisation devant être accompagnée d’une évaluation précise du préjudice et des pièces justificatives, en application du quatrième alinéa du III de l’article 17.

De la même façon que les décrets de 1971 et 1975 précités et l’ordonnance du 26 juin 1816 précisent que l’indemnisation des titulaires d’offices antérieurement créés doit avoir lieu à l’expiration de la sixième année civile suivant celle de la prestation de serment du titulaire de l’office nouvellement créé et qu’en cas de cessation des fonctions de ce dernier, elle est due par son successeur, de même, le cinquième et dernier alinéa du III de l’article 17 imposait :

– que la demande d’indemnisation soit introduite par les titulaires d’offices antérieurement créés dans un délai de six ans après l’installation du titulaire du nouvel office ;

– et qu’en cas de cessation des fonctions du titulaire d’un nouvel office avant l’expiration de ce délai, les indemnités soient versées par son successeur.

À la différence des dispositifs existants, le dernier alinéa du III de l’article 17 permettait au juge de l’expropriation de prévoir un étalement dans le temps du versement de l’indemnisation par le nouveau titulaire, dans la limite de dix ans.

La rapporteure thématique tient à préciser que de nombreux aménagements ont été apportés par le Gouvernement à l’article 17 du présent projet de loi (et repris par les rapporteurs au présent article) pour répondre aux observations formulées par le Conseil d’État dans l’avis qu’il a émis au sujet de l’ensemble du dispositif prévu aux articles 14, 15, 16 et 17.

Le principe d’une « augmentation progressive du nombre d’offices à créer et de personnes à nommer en qualité de notaire, d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire, de manière à ne pas causer de préjudice anormal aux offices installés » a été inscrit à l’article 17 et repris au présent article, de façon à ce que l’assouplissement des conditions d’installation des notaires, mais aussi des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires n’encoure plus le reproche selon lequel elle serait contraire au principe d’égalité devant les charges publiques.

C.  LES COMPÉTENCES NOUVELLES OCTROYÉES À L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Tirant les conséquences des compétences nouvelles que les I et II de l’article 17 reconnaissaient à l’Autorité de la concurrence en matière d’installation des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires, le IV de l’article 17 proposait de compléter la liste des attributions de l’Autorité de la concurrence qui sont décrites au chapitre II du titre VI du livre IV du code de commerce. Il s’agirait d’ajouter un nouvel article L. 462-10 à ce chapitre.

Le premier alinéa de cet article L. 462-10 reconnaissait à l’Autorité de la concurrence le pouvoir de rendre « un avis sur la liberté d’installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires au ministre de la Justice, qui en est le garant ».

Le deuxième alinéa de l’article L. 462-10 précité autorisait en outre l’Autorité de la concurrence à faire « toutes recommandations en vue d’améliorer l’accès aux offices publics et ministériels dans la perspective de renforcer la cohésion territoriale des prestations et de développer de façon progressive le nombre d’offices sur le territoire ».

Cette disposition illustre le souci du Gouvernement d’assouplir les conditions d’installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires sans porter atteinte au maillage territorial ni aux droits des titulaires des offices existants, qui seront préservés par une augmentation progressive du nombre d’offices sur le territoire.

Ce deuxième alinéa fixait la périodicité de ces recommandations, qui devront être rendues publiques tous les deux ans, en même temps que la cartographie dont elles seront assorties.

Du point de vue de la rapporteure thématique, il est essentiel, pour assurer à ce processus toute la transparence requise, que les recommandations de l’Autorité de la concurrence soient rendues publiques, à l’instar des avis émis par cette autorité administrative indépendante dans l’exercice de sa mission consultative.

La publicité de la carte des zones où l’installation est libre ou régulée est en effet décisive. Elle permettra aux professionnels d’examiner les possibilités d’installation qui s’offrent à eux. Cela représente pour eux un gain de temps car ils disposeront ainsi d’une vue d’ensemble sur les opportunités qui leur sont proposées.

Les troisième à cinquième alinéas de l’article L. 462-10 [nouveau] du code de commerce détaillaient la méthode d’élaboration de la cartographie de l’implantation des offices de notaires, d’huissiers de justice et de commissaires-priseurs judiciaires.

Assortie de « recommandations sur le rythme d’installation compatible avec une évolution progressive de la présence des professionnels sur le territoire concerné », la carte que l’Autorité de la concurrence aurait eu à proposer aux ministres de la Justice et de l’Économie devait identifier :

– « les zones géographiques où l’implantation des offices apparaît insuffisante pour assurer une proximité de services satisfaisante », notamment en vue de permettre au ministre de la Justice de procéder à un appel à manifestation d’intérêt ;

– « celles dans lesquelles l’implantation d’offices supplémentaires serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu ».

Ces zones géographiques devraient être définies de manière détaillée sur la base d’une analyse démographique de l’évolution prévisible du nombre de professionnels installés.

Le sixième et dernier alinéa de l’article L. 462-10 [nouveau] du code de commerce permettait au collège de l’Autorité de la concurrence de s’adjoindre deux personnalités qualifiées nommées par décret pour une durée de trois ans non renouvelable lorsqu’il délibère sur les conditions d’installation des officiers publics et/ou ministériels ainsi que sur la cartographie des implantations de leurs offices.

Le V de l’article 17 procédait à une coordination pour rendre ce nouvel article L. 462-10 du code de commerce applicable à Wallis-et-Futuna.

La rapporteure thématique estime que le regard neuf porté par une autorité administrative indépendante gardienne de l’exercice loyal des règles de la concurrence, sera l’occasion de réexaminer la pertinence des indicateurs actuellement retenus pour évaluer les besoins. Lors des travaux de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, il a ainsi été suggéré d’examiner la possibilité, passés certains seuils de chiffres d’affaires, de prévoir des associations (Mouvement jeune notariat, Syndicat national des notaires) ou le recrutement de notaires salariés (Association pour la Sauvegarde et la promotion du notariat). Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, a également jugé que les délais requis pour faire certains actes pouvaient constituer un indicateur.

III. LE DISPOSITIF D’ASSOUPLISSEMENT DE L’INSTALLATION DES OFFICIERS PUBLICS ET/OU MINISTÉRIELS PROPOSÉ PAR LES À L’ARTICLE 13 BIS DU PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR LA COMMISSION.

Les rapporteurs estiment que le dispositif proposé par le Gouvernement permet de concilier plusieurs impératifs : assouplir les conditions d’installation pour, notamment, faire une place aux jeunes diplômés ; garantir la transparence des décisions d’installation ; maintenir et améliorer le maillage territorial offert par ces professions ; préserver la viabilité économique des offices pour éviter toute dérive déontologique ; préserver la compétence du Gouvernement sur l’organisation de professions qui sont des acteurs primordiaux de l’accès au droit et de la sécurité juridique offerte à nos concitoyens.

Toutefois, les rapporteurs ont jugé que plusieurs aspects de ce dispositif peuvent être clarifiés, précisés et complétés.

Dans un souci de clarification et de simplification du dispositif d’assouplissement de l’installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires proposé par le Gouvernement, les rapporteurs ont proposé un amendement de réécriture globale du dispositif prévu à l’article 17 du projet de loi ainsi qu’un déplacement de ce dispositif au sein du projet de loi. C’est en effet de ce dispositif que dépend la bonne compréhension des articles 14, 15 et 16. Aussi a-t-il été proposé de le placer avant l’article 14, au sein d’un article 13 bis (nouveau).

Tout d’abord, sans que soit remise en cause l’architecture globale du dispositif proposé par le Gouvernement, il est apparu aux rapporteurs que celui-ci pouvait gagner en lisibilité et en simplicité :

– s’il était construit sur une distinction plus claire, y compris en termes d’ordonnancement des paragraphes, entre les zones où l’implantation d’offices ou l’association de notaires, d’huissiers de justice et de commissaires-priseurs judiciaires au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services, et celles où l’implantation d’offices supplémentaires de notaire, d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu.

– si la définition des zones où l’installation est libre apparaissait d’emblée au premier alinéa du I de l’article ;

– si les offices dont il était question à l’article 17 étaient bien explicitement présentés comme étant ceux des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires ;

– si la notion d’« installation » qui est susceptible d’être demandée au garde des Sceaux était clairement présentée comme devant s’entendre de la création d’un office ou de la nomination en qualité de notaire, d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire au sein d’un office existant ;

– si la notion d’« installation » qui est susceptible de donner lieu à indemnisation était clairement présentée comme devant s’entendre de la création d’un office ;

– s’il n’était pas implicitement suggéré à l’article L. 462-10 [nouveau] du code de commerce que l’Autorité de la concurrence devait identifier des zones carencées pour procéder à un « appel à candidature » dont on est ainsi invité à conclure qu’elle en a l’initiative… alors que c’était au ministre de la Justice que l’article 17 du projet de loi confiait le soin de procéder à un « appel à manifestation d’intérêt » ;

– si l’ensemble des dispositions relatives au contenu et à la procédure d’élaboration de la carte proposée par l’Autorité de la concurrence étaient regroupées au sein d’un article 13 bis du projet de loi, ce qui n’exclut pas que l’article L. 462-10 [nouveau] du code de commerce fasse référence à cette carte et renvoie à l’article 13 bis.

Ensuite, il a semblé aux rapporteurs que le dispositif suggéré par le Gouvernement pouvait être précisé sur un certain nombre de points :

– il est difficilement concevable d’organiser un mécanisme de « nomination tacite » comme le suggérait le dispositif proposé en prévoyant que le silence gardé par le ministre de la Justice vaudrait décision d’acceptation de la demande d’installation – c’est-à-dire de nomination ou de création d’un office ;

– il est utile de préciser que les ministres de la Justice et de l’Économie arrêteront conjointement la carte des zones proposée par l’Autorité de la concurrence ;

– il ne paraît pas pertinent d’entretenir la confusion, développée en jurisprudence et pointée par une partie de la doctrine (comme par le récent rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées) entre le droit de présentation et la valeur patrimoniale de l’office, tant celle-ci correspond surtout à la valeur du « fonds libéral d’exercice de la profession » – notion qu’a consacrée la Cour de cassation en 2000 (133) ;

– il paraît nécessaire de corriger une erreur de référence : dans sa rédaction initiale, l’article 17 renvoyait à un « livre III » du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique qui n’existe pas. Sans doute l’intention du Gouvernement était-elle de renvoyer les conditions de détermination, par le juge de l’expropriation, du montant de l’indemnité due par le titulaire du nouvel office dans les conditions définies par le chapitre III du titre Ier du code précité.

Enfin, les rapporteurs estiment que le dispositif proposé par le Gouvernement pouvait être enrichi :

– il est important que les zones où l’installation sera libre soient définies non seulement comme celles où le nombre d’offices doit être renforcé pour améliorer une proximité (géographique) de services, mais aussi comme celles où le nombre de notaires, d’huissiers de justice ou de commissaires-priseurs judiciaires titulaires au sein des offices existants doit être renforcé pour améliorer une offre de services ;

– dans un souci de préservation et d’amélioration du maillage territorial, et de garantie de l’accès au droit pour nos concitoyens, il est essentiel que la carte proposée par l’Autorité de la concurrence identifie précisément les secteurs dans lesquels des offices doivent être créés ou des officiers publics et/ou ministériels nommés pour renforcer la proximité et l’offre de services ;

– il est utile que, dans le cadre de la procédure d’élaboration de la carte précitée, l’Autorité de la concurrence puisse consulter des associations de consommateurs ou d’usagers du droit et qu’elle puisse être saisie par des « inventeurs de sites », c’est-à-dire par toutes les personnes qui répondraient aux conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance requises pour être nommées par le ministre de la Justice en qualité de notaire, d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire et qui auraient identifié des zones où la proximité et l’offre de services peuvent être renforcées.

À cet égard, la rapporteure thématique rappelle que, dès 1982, un « avant-projet préconisant une nouvelle voie d’accès à la profession » de notaire prévoyait que tout candidat diplômé notaire aurait eu la faculté de poser sa candidature à une création d’office dans un canton où, sur la base de critères objectifs à déterminer, il aurait préalablement démontré que la « densité notariale » était insuffisante (134).

La commission a approuvé l’ensemble des aménagements proposés par les rapporteurs, qui s’inscrivent dans la recherche d’un équilibre entre une plus grande souplesse d’installation et une amélioration du maillage territorial assuré par les officiers publics et ministériels.

Elle a même contribué à améliorer encore le dispositif envisagé.

IV. LES APPORTS DE LA COMMISSION AU DISPOSITIF PROPOSÉ PAR LES RAPPORTEURS À L’ARTICLE 13 BIS DU PROJET DE LOI.

À l’initiative de M. Philippe Houillon et de certains de ses collègues du groupe UMP, la commission a choisi de préciser que, dans le cadre de la procédure d’élaboration de la carte de l’implantation des offices et officiers publics et/ou ministériels, l’Autorité de la concurrence devait consulter non seulement les associations de défense des consommateurs agréées au niveau national pour ester en justice, mais aussi les instances ordinales des professions concernées. Il était admis qu’elles seraient consultées, mais il s’agit là d’une précision utile.

À l’initiative de Mme Michèle Bonneton et des membres du groupe Écologiste, la commission a également investi l’Autorité de la concurrence de la mission de faire des recommandations sur les moyens non seulement d’améliorer l’accès aux offices publics ou ministériels (comme le proposaient le Gouvernement et les rapporteurs), mais aussi de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux offices publics ou ministériels.

Ainsi amendé par les rapporteurs et par plusieurs membres de la commission, le dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des officiers publics et/ou ministériels s’organise de la façon suivante :

– le I du présent article pose le principe de la liberté d’installation des officiers publics et/ou ministériels dans les zones où soit l’implantation de nouveaux offices soit l’association d’officiers publics ou ministériels au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services ;

– ce même I regroupe l’ensemble des dispositions relatives à l’élaboration de la carte faisant apparaître ces zones – carte qui, arrêtée conjointement par les ministres de la Justice et de l’Économie, publiée et révisée tous les deux ans, est proposée par l’Autorité de la concurrence, après consultation d’associations de consommateurs et des instances ordinales des professions concernées, et qui est élaborée de façon à garantir à la fois une augmentation progressive du nombre d’offices à créer ou d’officiers publics et/ou ministériels à nommer et une préservation du maillage territorial (les zones devant être définies de manière détaillée au regard de critères économiques, sociaux, territoriaux, et notamment sur la base d’une analyse de l’évolution prévisible de la démographie des professionnels installés) ;

– le II du présent article définit le régime applicable aux zones où l’installation est libre : impossibilité pour le ministre de la Justice de refuser une demande de création d’office, renvoi à un décret pour préciser les conditions de nomination (notamment lorsque plusieurs candidats se présentent pour être nommés dans un même office), appel à manifestation d’intérêt en cas de créations d’offices ou d’associations d’offices en nombre insuffisant, mise en place d’une permanence assurée par les instances ordinales locales dans une maison de justice et du droit, en cas d’appel à manifestation d’intérêt infructueux ;

– le III du présent article définit le régime applicable aux zones où l’installation est régulée : possibilité pour le ministre de la Justice de refuser une demande de création susceptible de porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu, après avis public de l’Autorité de la concurrence ;

– le IV du présent article reprend, en apportant des précisions rédactionnelles, le dispositif d’indemnisation envisagé par le Gouvernement à l’article 17 du projet de loi ;

– le V du présent article introduit dans le code de commerce un article L. 462-10 [nouveau], comme le proposait le Gouvernement à l’article 17, de façon à compléter la liste des compétences de l’Autorité de la concurrence à qui il reviendra donc d’émettre un avis sur la liberté d’installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires et de formuler, tous les deux ans, des recommandations en vue d’augmenter de façon progressive leur nombre sur le territoire, en vue d’améliorer l’accès aux offices publics ou ministériels et en vue de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes à ces offices ;

– le VI du présent article rend l’article L. 462-10 [nouveau] applicable à Wallis-et-Futuna.

En effet, il n’est pas utile de prévoir une mesure d’adaptation pour les collectivités d’outre-mer régies par le principe d’« identité législative » en application de l’article 73 de la Constitution.

Dans les collectivités d’outre-mer régies par les articles 72, 74, 76 et 77 de la Constitution, les règles applicables aux officiers publics et ministériels diffèrent selon qu’elles relèvent de leur compétence exclusive ou de celle de l’État.

Les statuts de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon (135) prévoient l’application de plein droit des dispositions du droit national relatives aux officiers publics et ministériels. Aucune mesure d’adaptation ne doit être prévue.

En revanche, à Wallis-et-Futuna (136), dans les Terres australes et antarctiques françaises et à Clipperton (137), les règles applicables aux officiers publics et ministériels relèvent de la compétence de l’État mais aucune mention expresse d’applicabilité n’existe actuellement. Il est proposé d’y remédier seulement pour Wallis-et-Futuna (138).

En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, la réglementation des officiers publics et ministériels relève de la compétence exclusive des autorités locales (139) et de la Nouvelle-Calédonie (140). Le présent article ne s’y appliquera donc pas (141).

Il n’est dans l’intention ni des rapporteurs, ni du Gouvernement que le dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des officiers publics et/ou ministériels figurant au présent article remette en cause l’organisation des professions de notaire, d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Toutefois, des mesures devront être définies pour éviter les ruptures d’égalité que pourrait causer l’asymétrie entre le régime applicable en Alsace-Moselle et celui applicable dans le reste du territoire.

*

* *

La Commission examine l’amendement SPE1746 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Dans un souci de clarification et de simplification du dispositif d’assouplissement de l’installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires proposé par le Gouvernement, l’amendement SPE1746 propose une réécriture globale du dispositif prévu à l’article 17 du projet de loi ainsi qu’un déplacement de ce dispositif au sein du projet de loi. C’est en effet de ce dispositif que dépend la bonne compréhension des articles 14, 15 et 16 ; aussi est-il proposé de le placer avant l’article 14.

Tout d’abord, il apparaît aux rapporteurs que le dispositif suggéré par le Gouvernement pourrait gagner en lisibilité et en simplicité.

Premièrement, s’il était construit sur une distinction plus claire, y compris en termes d’ordonnancement des paragraphes, entre les zones où l’implantation d’offices ou l’association de notaires, d’huissiers de justice et de commissaires-priseurs judiciaires au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services, et celles où l’implantation d’offices supplémentaires de notaire, d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou à compromettre la qualité du service rendu ;

Deuxièmement, si la définition des zones où l’installation est libre apparaissait d’emblée au premier alinéa du I de l’article ;

Troisièmement, si l’ensemble des dispositions relatives au contenu et à la procédure d’élaboration de la carte proposée par l’Autorité de la concurrence étaient regroupées au sein d’un article 13 bis du projet de loi, ce qui n’exclut pas que le nouvel article L. 462-10 du code de commerce, fasse référence à cette carte et renvoie à l’article 13 bis.

Ensuite, le dispositif suggéré par le Gouvernement pourrait être précisé sur un certain nombre de points.

Premièrement, il est difficilement concevable d’organiser un mécanisme de « nomination tacite », comme le suggère le dispositif proposé en prévoyant que le silence gardé par le ministre de la justice vaut décision d’acceptation de la demande d’installation – c’est-à-dire de nomination ou de création d’un office.

Deuxièmement, il ne paraît pas pertinent d’entretenir la confusion, développée en jurisprudence et pointée par une partie de la doctrine, comme par le récent rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, entre le droit de présentation et la valeur patrimoniale de l’office, tant celle-ci correspond surtout à la valeur du fonds libéral d’exercice de la profession, notion consacrée par la Cour de cassation en 2000 dans son arrêt de la première chambre civile du 7 novembre 2000.

Enfin, les rapporteurs estiment que le dispositif proposé par le Gouvernement peut être enrichi.

Premièrement, il est important que les zones où l’installation sera libre soient définies non seulement comme celles où le nombre d’offices doit être renforcé pour améliorer une proximité, géographique, de services, mais aussi comme celles où le nombre de notaires, d’huissiers de justice ou de commissaires-priseurs judiciaires titulaires au sein des offices existants doit être renforcé pour améliorer une offre de services.

Deuxièmement, dans un souci de préservation et d’amélioration du maillage territorial, et de garantie de l’accès au droit pour nos concitoyens, il est essentiel que la carte proposée par l’Autorité de la concurrence identifie précisément les secteurs dans lesquels des offices doivent être créés ou des officiers publics et/ou ministériels nommés pour renforcer la proximité et l’offre de services.

Troisièmement, il est utile que, dans le cadre de la procédure d’élaboration de la carte des zones où l’implantation de notaires, de commissaires-priseurs ou d’huissiers de justice serait utile, l’Autorité de la concurrence puisse consulter des associations de consommateurs ou d’usagers du droit et qu’elle puisse être saisie par des inventeurs de sites, c’est-à-dire par toutes les personnes qui répondraient aux conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance requises pour être nommées par le ministre de la justice en qualité de notaire, d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire, et qui auraient identifié des zones où la proximité et l’offre de services pourraient être renforcées.

M. le président François Brottes. En termes de méthode, je devrais d’abord devoir appeler les sous-amendements avant d’ouvrir le débat…

M. Philippe Vigier. Permettez-moi d’intervenir dès maintenant, monsieur le président. Avec cet amendement, qui intervient juste après l’article 13, et qui vise à réécrire l’article 17 pour la bonne compréhension, je reprends vos propos, tous les amendements prévus à l’article 17 vont tomber puisque celui-ci est appelé à être supprimé ; autrement dit, le débat sera clos. Sur le principe, cela est assez répréhensible ; lorsque l’on a un débat, il faut aller au bout. Nos propositions sur l’article 12 ont montré que, au-delà de nos divergences, nous étions disposés à ouvrir ces professions. Vous nous proposez une solution, que je respecte, mais elle est totalement cadenassée et il nous est impossible de la modifier. Plus grave, nos soixante amendements à l’article 17 vont tomber. Je demande au moins cinq minutes de suspension de la réunion afin de réfléchir avec mon groupe.

M. le président François Brottes. Je vais, bien sûr, vous accorder cette suspension. Je constate cependant que certains groupes ont eu le temps de préparer des sous-amendements ; rien ne vous empêchait de faire de même. Si les rapporteurs avaient présenté cet amendement, effectivement très important, à la dernière minute, je comprendrais votre courroux, mais il a été mis en ligne il y a plusieurs jours. Philippe Houillon par exemple en a rédigé un certain nombre de sous-amendements. ; tous les groupes pouvaient faire de même.

M. Philippe Vigier. Merci de vouloir nous cantonner au rôle de sous-amendements, alors que chacun, opposition et majorité, appelle à ne pas dévaloriser le Parlement ! Il s’agit d’un texte important et d’un débat approfondi ; s’il n’y avait eu aucune proposition de l’opposition, je pourrais comprendre, mais tel n’est pas le cas. Au sein même de votre majorité, vous n’êtes pas d’accord sur tout. Reconnaissez que cet amendement après l’article 13 va tuer la discussion sur l’article 17. Ou alors, allez au bout de la logique et mettez-le à la fin de l’article 17.

M. le président François Brottes. Monsieur le président Vigier, un amendement et un sous-amendement ont à mes yeux autant de force et de vertu l’un que l’autre et l’on ne saurait voir dans l’un ou l’autre l’expression de quelque mépris que ce soit. J’ai effectivement connu des réécritures expressément destinées à faire tomber des amendements, mais ce n’est pas le cas ici : cet amendement traduit bel et bien la prise en compte d’un certain nombre d’éléments de fond, absents du texte du Gouvernement. Je vous prie donc de ne pas faire de procès aux rapporteurs en laissant entendre qu’ils auraient proposé cette rédaction dans le seul but de faire tomber vos amendements. On ne peut pas non plus leur reprocher d’avoir déposé son amendement au dernier moment, puisque plusieurs groupes ont pris le temps de déposer des sous-amendements. Je considère donc que l’honneur est sauf. Cela étant, je fais droit à votre demande de suspension.

(Suspension de la séance)

M. le président François Brottes. L’amendement SPE1746 des rapporteurs, je le rappelle, réécrit entièrement l’article 17 du projet de loi. Il a été déposé il y a quelques jours, si bien que tous les membres de la commission en ont eu connaissance et ont pu le sous-amender. Nous passons donc à l’examen des sous-amendements.

La Commission examine les sous-amendements SPE1918 de M. Michel Zumkeller, SPE1900 à SPE1908 de M. Philippe Houillon et SPE1864 de Mme Michèle Bonneton.

M. Michel Zumkeller. Il s’agit de supprimer le rôle de l’Autorité de la concurrence dans le dispositif proposé. Dans la mesure où l’objectif est de rendre non pas une décision mais un avis, il nous semble plus constructif de confier cette tâche à des organes compétents proches des professions concernées et de redonner au ministère de la justice le pouvoir de décision qui lui revient en la matière.

La Commission en vient aux sous-amendements.

M. Philippe Houillon. Pour aborder la question de la liberté d’installation, plusieurs méthodes sont possibles.

La première, simple et de bon sens, consiste à identifier les zones où existent des carences, à en établir la cartographie et à combler les manques. C’est la conclusion à laquelle la mission d’information de la commission des Lois est parvenue, et c’est l’objet de l’amendement SPE155 que je défendrai s’il ne tombe pas d’ici là. On ne parle pas, alors, de liberté d’installation : il s’agit d’ouvrir la profession seulement à concurrence de ce qui est nécessaire, faute de quoi on aboutit à une paupérisation et on manque le résultat escompté.

La deuxième méthode est celle du projet de loi : liberté d’installation partout, sauf là où ce n’est pas possible…

La troisième est celle de l’amendement des rapporteurs, beaucoup plus long que le mien. On pourrait la résumer ainsi : liberté d’installation aux endroits qui sont libres, cartographie de ces endroits, impossibilité pour le garde des Sceaux de refuser qu’on s’y installe sauf en cas de refus du même garde des Sceaux…

En d’autres termes, le ministre et la majorité tiennent absolument à inscrire dans la loi le principe de liberté d’installation. Dans la pratique, pourtant, l’amendement des rapporteurs ne garantit nullement ce principe, puisque l’on peut s’opposer à chaque installation. À la marge, il présente le risque que l’on aille au-delà du nécessaire, ce qui se traduirait par la paupérisation des professions.

Essayons donc de revenir au bon sens et d’abandonner les circuits d’usine à gaz auxquels vous nous avez habitués depuis le début de cette discussion. Si la carte révèle des carences, il faut bien entendu les combler en permettant à des jeunes de s’installer, mais il faut aussi s’en tenir à ce qui est nécessaire et réviser la carte périodiquement.

Si le dispositif présenté par les rapporteurs est « moins pire » que celui du projet de loi, il n’en est pas bon pour autant et je ne peux le soutenir.

M. le rapporteur général. On l’aura compris !

M. Philippe Houillon. Pour résumer, « c’est libre là où c’est libre, on ne peut pas refuser quand c’est libre, sauf quand on peut refuser »… Ce n’est pas une liberté d’installation, c’est une installation encadrée. Mais, comme vous tenez absolument à faire figurer la liberté d’installation, vous l’habillez par un amendement de trois pages. Un exploit en matière de simplification et d’intelligibilité des textes législatifs !

Le sous-amendement SPE1900 prévoit que la carte est établie par le seul ministre de la justice et non pas conjointement par les ministres de la justice et de l’économie.

Dans un texte où vous préconisez la consultation et l’intervention de multiples instances, accepteriez-vous que les professionnels concernés puissent tout de même dire leur mot sur la cartographie, à côté de cette Autorité de la concurrence qui est devenue, pour vous, le deus ex machina de tout le redressement de la France ? Tel est le sens des sous-amendements SPE1901 et SPE1904.

Je retire le sous-amendement SPE1903.

Il est proposé par le sous-amendement SPE1905 de supprimer la consultation des associations de défense des consommateurs, qui me semble un alourdissement inutile.

Le sous-amendement SPE1902 prévoit de faire passer de deux à cinq ans la périodicité de la révision de la cartographie. Le délai de deux ans est trop bref. Il faut que la procédure d’agrément se déroule, que des associations soient conclues, que l’on évalue les conséquences des installations. Un délai de cinq ans nous paraît mieux correspondre à la réalité du terrain.

Le sous-amendement SPE1906 tend à supprimer l’avis de l’Autorité de la concurrence dans la procédure de refus de création d’un office.

Le sous-amendement SPE1907 tend à supprimer le volet consacré à l’indemnisation. D’un côté, en effet, le Gouvernement met en avant le principe de liberté d’installation, censé favoriser les jeunes ; de l’autre, il demande à ces jeunes de payer une indemnité aux offices existants qui subiraient, le cas échéant, un préjudice du fait de leur installation. Comme si cela ne suffisait pas, on prévoit que l’action en indemnisation contre les nouveaux installés est possible pendant six ans – six ans durant lesquels ils auront cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête, ce qui ne manquera pas de grever leur dynamisme et leur développement professionnel !

Le Conseil d’État le dit expressément dans son avis – mais je sais, monsieur le ministre, que vous préférez vous appuyer sur ce qu’il ne dit pas, au motif que s’il n’en parle pas, ce doit être acceptable : l’indemnisation doit être assurée par l’État du fait de la loi, étant donné qu’il s’agit d’une mesure générale.

Enfin, quand il y a préjudice et indemnisation, l’amendement permet au juge de prévoir l’étalement sur dix ans du versement de l’indemnité. Ce n’est pas sérieux !

L’important est de permettre des créations là où existent des carences, auquel cas il n’y aura ni indemnisation ni paupérisation. J’ajoute que ma proposition est parfaitement intelligible, ce qui n’est pas forcément le cas du dispositif de l’amendement SP1746.

Le sous-amendement SPE1903 est retiré.

La commission examine le sous-amendement SPE1864 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Nous proposons que l’Autorité de la concurrence émette des recommandations afin de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux offices publics et ministériels.

Force est de constater que 85 % des associés sont des hommes, tandis que les salariés, qui ont des revenus beaucoup moins importants, sont à une très large majorité des femmes. Le législateur doit contribuer au rééquilibrage de cette situation anormale.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le sous-amendement SPE1918 voudrait perpétuer un système de cogestion de l’implantation des offices entre la Chancellerie et les ordres professionnels. Or, de l’aveu même des professionnels – en particulier du Conseil supérieur du notariat –, celui-ci n’a pas fonctionné et c’est la raison pour laquelle nous proposons un nouveau dispositif. L’introduction du regard de l’Autorité de la concurrence permettra l’établissement d’une culture partagée entre le ministère de l’économie et celui de la justice. Cela étant, l’Autorité ne rend qu’un avis : c’est le ministère de la justice, conjointement avec le ministre de l’économie, qui décide de la carte. Avis défavorable, car le nouveau dispositif doit être efficace.

Avis défavorable également au sous-amendement SPE1900, qui tend à reconnaître au ministère de la justice une compétence exclusive pour arrêter la carte des zones. La nouveauté du dispositif tient précisément au rôle qu’y jouera l’Autorité de la concurrence.

M. Philippe Houillon. Au ministre de l’économie, en l’occurrence…

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le ministre de l’économie, conjointement avec le ministre de la justice, valide ensuite la cartographie.

Avis défavorable au sous-amendement SPE1901. La consultation des instances ordinales des professions concernées pour établir la carte va de soi, mais il serait préférable de la mentionner à l’alinéa 5 de l’amendement, à côté de la consultation des associations de consommateurs, comme le propose le sous-amendement SPE1904. Je suis donc favorable à ce sous-amendement.

Avis défavorable au sous-amendement SPE1905, qui supprime la consultation des associations de défense des consommateurs.

Avis défavorable au sous-amendement SPE1902. Le rythme biennal de révision nous paraît à même de garantir la cohérence du maillage territorial. La carte est un élément puissant dans la réflexion qui précède le choix d’une installation. Elle doit être à jour : les évolutions peuvent être rapides et nous prévoyons une montée en charge progressive. L’Autorité de la concurrence, consultée sur ce point, n’a pas formulé d’objections à l’endroit d’un tel dispositif.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est guère étonnant.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable également aux sous-amendements SPE1906 et SPE1907. Ce dernier vise à supprimer l’ensemble du mécanisme d’indemnisation prévu par le dispositif de libéralisation de l’installation des officiers publics ou ministériels. Précisons tout de même que l’indemnisation du fait de la loi ne disparaît pas : un contentieux de cette nature pourra être introduit à tout moment.

M. Philippe Houillon. Contre l’État ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Bien sûr. On ne peut interdire une action contentieuse par la loi. En revanche, on peut très bien imaginer de porter au niveau de la loi un dispositif, déjà prévu par décret, qui permet à un notaire lésé par le comportement « agressif » d’un nouvel installé de réclamer une indemnité.

Avis défavorable au sous-amendement SPE1908, qui tend à supprimer l’ensemble des dispositions complétant la liste des compétences de l’Autorité de la concurrence pour lui en reconnaître une nouvelle en matière d’installation des officiers publics ou ministériels. Je l’ai déjà dit : il ne me semble pas illégitime que cette instance puisse émettre un avis sur la question. Elle dispose des critères de réflexion pour dessiner les cartes et identifier les secteurs ou l’installation de ces professionnels sera utile. Il serait très dommage de ne pas tirer profit de tels outils.

Avis défavorable enfin au sous-amendement SPE1864. Bien que le souci de l’égalité entre les hommes et les femmes ait toujours accompagné notre réflexion sur ces questions, il ne semble pas qu’il soit du rôle de l’Autorité de la concurrence de formuler des recommandations pour favoriser l’égal accès des hommes et des femmes aux offices publics et ministériels. Cet objectif est présent dans les dispositifs que nous mettons en place par ailleurs.

M. le ministre. Mme la rapporteure thématique a clairement montré comment la rédaction proposée à l’amendement SPE1746 améliore substantiellement le texte du Gouvernement en permettant de mieux réguler la liberté d’installation initialement proposée.

Nous sommes tous partisans de la simplicité dans la loi, monsieur Houillon. Mais alors, que les apôtres de la simplicité cessent de plaider à tout moment pour plus de complexité ! Entre le statu quo et la simplicité extrême, il existe une marge de manœuvre pour dessiner ce monde nouveau où l’on crée des libertés et des opportunités nouvelles tout en décidant de les réguler en fonction des craintes ou des incertitudes qui se font jour. L’amendement ajoute certes des subtilités au texte initial, mais j’y souscris car il répond à nombre des préoccupations que les professionnels ont fait valoir et que j’ai entendues comme vous.

Ainsi, aux termes de l’alinéa 11 : « Dans les zones où l’implantation d’offices supplémentaires (…) serait de nature à porter atteinte à la continuité de l’exploitation des offices existants ou de compromettre la qualité du service rendu, le ministre de la justice peut refuser une demande de création d’office ou de nomination en qualité de notaire. » Vous êtes, comme beaucoup de professionnels, attachés à cette garantie qui reste entre les mains du garde des Sceaux. Et tel est l’esprit de l’ensemble de cette réforme : nous créons les conditions d’une plus grande objectivité et d’une plus grande transparence qui favoriseront la méritocratie.

M. Jean-Frédéric Poisson. Rien de tout cela n’apparaît dans le texte.

M. le ministre. Avec les mêmes diplômes et la même expérience, les professionnels doivent pouvoir s’installer. Le texte représente à cet égard une avancée pour les jeunes. Mais cette ouverture est régulée afin de prendre en compte, selon des règles objectives, les intérêts des professionnels déjà en place. La rédaction étant préférable à celle du texte initial du Gouvernement, j’émets un avis favorable à l’amendement.

Avis défavorable, en revanche, au sous-amendement SPE1918, dont l’objet n’est pas tant d’introduire des professionnels compétents – le collège compétent au sein de l’Autorité de la concurrence en comportera – que de placer chaque organe compétent « sous l’autorité de l’ordre professionnel des professions concernées, qui en détermine la structure et le fonctionnement ». Il faut revenir au texte des rapporteurs : ce qui est demandé à l’Autorité de la concurrence, ce n’est pas d’exercer un pouvoir, mais de réaliser une cartographie objective distinguant les zones où existent objectivement des besoins – celles où il faut qu’il y ait liberté d’installation –, les zones où, en dépit de l’existence de besoins, une incertitude demeure quant aux conséquences pour les professionnels de nouvelles installations – auquel cas le veto du garde des Sceaux est possible –, et les zones où les besoins sont satisfaits. Si nous donnions la responsabilité de cette information objective à un organe placé sous l’autorité de l’ordre professionnel, nous nous éloignerions de notre objectif de transparence.

Même argument pour le sous-amendement SPE1900, qui voudrait que les zones soient « déterminées par une carte établie par le ministre la justice ». Je ne vois pas ce que cela pourrait apporter au dispositif. Du reste, votre exposé sommaire nous renvoie en creux à la demande que la précédente majorité avait faite en 2009 aux professionnels pour qu’ils créent des offices – sans succès, de l’aveu même du Conseil supérieur du notariat.

M. Sébastien Huyghe. On était en pleine crise !

M. le ministre. Le Conseil supérieur du notariat ne l’ignorait pas lorsqu’il a pris cet engagement. Lors de nos consultations, il s’est d’ailleurs engagé de nouveau à créer plusieurs milliers d’offices. Bref, on voit bien que cette méthode ne fonctionne pas. Le sous-amendement vise à revenir au système antérieur, alors que notre réforme ménage une ouverture régulée, en préservant les intérêts des officiers installés mais sans se résumer pour autant à un statu quo.

Je partage l’esprit du sous-amendement SPE1901, qui vise à associer les professionnels au processus. Nous avons eu des échanges avec l’ensemble des professions du droit, que nous respectons. Notre but à tous est de faire mieux pour nos concitoyens dans le respect des missions de ces professions. Je préférerais néanmoins, comme la rapporteure thématique, que la commission spéciale retienne le sous-amendement SPE1904, auquel je réserve mon avis favorable après avoir émis un avis défavorable aux sous-amendements SPE1901 et SPE1905.

Avis défavorable au sous-amendement SPE1902. Si l’on veut respecter la progressivité du dispositif et des changements, il est préférable d’actualiser la carte tous les deux ans et non tous les cinq ans. Plus cette information objective sera mise à jour régulièrement, plus on garantira la continuité de l’évolution, sans risque de découvrir une anomalie au bout de cinq ans. Il s’agit, j’y insiste, de cartographie et non de décision.

Le sous-amendement SPE1903, retiré depuis, procédait d’une certaine malice : la suppression de l’alinéa 4 aurait nui à la progressivité réclamée par le Conseil d’État lui-même !

Avis défavorable au sous-amendement SPE1906 pour les raisons exposées par la rapporteure.

Le sous-amendement SPE1907 tend à supprimer les dispositions relatives à la procédure d’indemnisation. Je suis sensible à vos remarques à ce sujet, monsieur Houillon. Permettez-moi néanmoins de rappeler les termes du décret du 26 novembre 1971, qui fixe le régime sous lequel nous vivons encore aujourd’hui : « Les indemnités qui peuvent être dues par le notaire nommé dans un office créé à ceux de ses confrères qui subissent un préjudice résultant de la création de cet office sont évaluées et réparties à l’expiration de la sixième année civile suivant celle de la prestation de serment dudit notaire ; si le notaire cesse d’exercer ses fonctions avant l’expiration de ce délai, les indemnités sont dues par son successeur. » Vos reproches sont très pertinents, mais ils s’adressent à ce texte que le dispositif proposé ne fait qu’inscrire dans la loi pour lui donner plus de stabilité et en préciser les conditions d’application.

M. Philippe Houillon. Il est tombé en désuétude.

M. le ministre. Vous aurez par ailleurs noté que le délai est le même.

L’alinéa 4 de l’article additionnel qui vous est proposé précise aussi que l’augmentation progressive du nombre d’offices à créer ne doit pas « causer de préjudice anormal aux offices existants ». Ce qui signifie, en creux, qu’il appartiendrait le cas échéant à l’État de couvrir ces préjudices anormaux. Pour le reste, nous restons dans les conditions du décret de 1971. Nous satisfaisons ainsi le Conseil d’État, qui demandait que soit prévu un régime d’indemnisation. En mentionnant deux fois la progressivité du processus, l’alinéa répond précisément aux réserves qu’il avait formulées.

Évitons d’agiter des peurs inutiles : cet amendement vient sécuriser le décret de 1971 qui, de l’aveu de tous ceux qui l’ont examiné précisément, présentait un certain flou.

Bref, en plus des règles objectives fixées à l’installation et des garanties offertes aux professionnels déjà installés, nous avons là une avancée dont nous devrions nous féliciter collectivement. Avis défavorable, donc, sur le sous-amendement SPE1907, ainsi que sur le sous-amendement SPE1908 pour les raisons mentionnées par la rapporteure.

Avis favorable, enfin, au sous-amendement SPE1864.

Mme Catherine Coutelle. Très bien !

M. le président François Brottes. Maintenez-vous votre avis défavorable sur ce dernier sous-amendement, madame la rapporteure thématique ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je le maintiens.

M. Patrick Hetzel. Une fois encore, nous devons dénoncer le risque de « désertification juridique ». En prévoyant la mise en place d’une permanence lorsque l’appel à manifestation d’intérêt est infructueux, le texte anticipe la situation d’insuffisance à laquelle le dispositif peut mener. Cet amendement est l’aveu même du déséquilibre que provoquera la modification des textes de 1971 !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il s’agit avant tout, soyons clairs, d’une opération d’affichage. Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, jusqu’à quel point vous êtes garant de l’unité du Gouvernement ? Sur quelles formulations précises Mme le garde des Sceaux vous a-t-elle donné son accord ?

M. le ministre. Je ne peux que répéter ce que j’ai déjà dit.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je crains de n’avoir pas bien compris…

Mais revenons-en à la place de cet amendement des rapporteurs, qui se substitue à un article 17 dont l’espérance de vie est désormais très réduite. Pour la Chancellerie comme pour tout étudiant en droit de première année, il est d’usage de poser les principes généraux avant d’entrer dans les cas d’espèce. Aussi trouvons-nous déplorable que cette substitution ne serve qu’à marquer la suprématie du ministre de l’économie dans les affaires judiciaires. Votre grille de lecture des professions réglementées est très préjudiciable pour ces professions mais aussi, à terme, pour les justiciables.

Quant à la liberté d’installation, il n’y en a pas. La liberté d’installation est certes mentionnée au premier alinéa de l’amendement, mais on indique ensuite que cette liberté dépend de l’établissement d’une carte, laquelle carte identifie des secteurs. Autrement dit, c’est une logique de poupées russes, ou plus exactement d’entonnoir, que nos commissions connaissent bien : au bout du compte, la possibilité de s’installer où l’on veut est extrêmement limitée. Ce que vous allez imposer par la loi est, dans une certaine mesure, bien plus contraignant que la pratique actuelle.

En quoi l’élaboration de la carte garantira-t-elle quelque installation que ce soit ? Est-il raisonnable d’inscrire cette garantie dans la loi ? Si personne ne répond aux appels à manifestation d’intérêt, la proximité que vous souhaitez ne sera nullement assurée !

Nous entendons, monsieur le ministre, votre lecture du décret de 1971 et la justification que vous faites de la notion de préjudice anormal figurant à l’alinéa 4 de l’amendement. En réalité, pourtant, vous obligez les jeunes qui s’installent à porter le poids d’une décision qui, in fine, sera prise par l’État : c’est en effet l’autorité publique qui détermine les lieux, qui donne les autorisations et qui décide de qui pourra ou ne pourra pas s’installer. Quoi que vous en disiez, la liberté d’installation n’existe pas : les candidats s’installeront là où on leur dira qu’ils le peuvent, pour autant que l’on ne change pas d’avis entre-temps, et vous leur faites assumer la part du préjudice éventuel que cela provoquera pour leurs confrères déjà installés. Assumez-le !

Sachant enfin qu’il faut plusieurs années avant qu’une étude ne trouve son régime de croisière, est-il raisonnable de prévoir une révision de la carte tous les deux ans, et ce pour établir des garanties que vous ne serez pas en mesure d’apporter ? Le délai ne sera évidemment pas tenu !

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas l’amendement des rapporteurs.

M. le rapporteur général. Il est lassant d’entendre répéter à l’infini des arguments qui procèdent d’une seule logique : « Pourvu que rien ne change ! »

M. Philippe Gosselin. Mais non !

M. le rapporteur général. Voilà maintenant sept heures que nous entendons des circonlocutions de toutes natures pour justifier les conservatismes de tous ordres !

En début d’argumentation, on nous ressert l’argument selon lequel le dispositif doit rester dans la logique des professionnels et de la Chancellerie. Or, avec tout le respect que l’on doit aux uns comme aux autres, on doit bien constater que cette cogestion n’a pas permis de prendre en compte des enjeux que l’ensemble des rapports produits sur le sujet ont révélés. C’est pourquoi la proposition d’autres approches paraît aujourd’hui utile à l’intérêt public.

On nous accuse ensuite de réaliser une opération d’affichage. Dans un même élan, on trouve la liberté d’installation scandaleuse et on soutient qu’elle n’est pas réelle. Il faut choisir ! En l’état, votre argumentation n’est pas crédible. Enfin, vous soutenez qu’une liberté d’installation régulée ne serait pas convenable du fait même de cette régulation. Bref, tout ce que vous vous évertuez à nous redire en revenant par la porte, par la fenêtre, par le vasistas, c’est : « Ne changez rien ! »

Pourtant, notre démarche est assez simple : partout où cela est utile et possible sans déséquilibrer ce qui existe, permettons à des jeunes diplômés de s’installer et de s’associer. Aujourd’hui, une culture malthusienne les en empêche. Notre intention politique, c’est que la jeunesse trouve des débouchés dans des métiers dont rien ne justifie plus qu’ils soient enserrés dans de telles règles.

M. Sébastien Huyghe. Ce n’est pas la réalité !

M. le rapporteur général. Mais si ! Tout le monde le sait !

Ce qui me choque, c’est le message électronique adressé par le président du Conseil supérieur du notariat, M. Vogel, un homme estimable, à l’ensemble des notaires. Y sont décrites les actions de lobbying à mener. Permettez-moi de vous en lire des morceaux choisis, en rappelant que c’est une personne détentrice de l’autorité publique qui écrit : « Je tiens à vous remercier très sincèrement pour les nombreuses actions de lobbying auprès des parlementaires, que vous avez su mener dans un délai très bref en période de fêtes de fin d’année. Et nous en constatons d’ailleurs l’impact positif. » Je ne sais à qui s’adressait cet hommage, mais chacun se reconnaîtra !

M. Vogel suggère ensuite que les notaires envoient une lettre à chacun de leurs clients pour expliquer toute l’horreur de ce projet de loi, qu’il représente la fin du droit et de la sécurité des actes juridiques, et tutti quanti…

M. Jean-Frédéric Poisson. L’orage solaire !

M. le rapporteur général. Même démarche auprès de chacun des maires de France, auxquels on suggère de mettre en délibération une motion toute prête, au cas où ils ne sauraient pas l’écrire !

M. Jean-Frédéric Poisson. Personne ne fait cela !

M. le rapporteur général. Cette manière de faire ne me paraît pas hausser le niveau auquel on voudrait que les discussions se situent. Aucune des autres professions concernées ne s’est aventurée sur ce terrain.

M. Philippe Gosselin. Les syndicats nous ont également contactés. La CGT notariat, par exemple…

Mme Audrey Linkenheld. Comme tous les représentants des salariés en pareil cas !

M. le rapporteur général. Nous avons des objectifs précis : desserrer les écrous qui, du fait d’une cogestion passive depuis des décennies empêchent des jeunes de s’installer ; créer des tarifs plus transparents ; permettre enfin que le coût de certains actes s’équilibre dans une économie plus favorable aux citoyens.

À cet égard, il nous semble que notre amendement regroupe et rédige mieux que le Gouvernement ne l’avait fait initialement ce que nous souhaitons mener à bien.

Nous sommes néanmoins très soucieux de préserver l’équilibre des structures existantes. Le but n’est pas d’instaurer une concurrence dévastatrice, mais de permettre aux uns et aux autres de s’installer. Vous aurez beau ergoter jusqu’au bout, l’enjeu que je viens d’énoncer n’en sera pas altéré pour autant.

Mme Catherine Coutelle. Selon l’étude d’impact, « la persistance d’inégalités fortes, en raison du statut, du sexe ou de l’âge, s’explique par des restrictions à l’installation » C’est ainsi que 71 % des notaires titulaires d’offices sont des hommes tandis que 80 % des salariés sont des femmes. Vous avez eu le mérite d’appeler notre attention sur cette inégalité, monsieur le ministre. La délégation aux droits des femmes a cherché à élaborer un amendement, sans succès jusqu’à présent, mais le sous-amendement SPE1864 de nos collègues écologistes retient notre attention. J’entends bien, madame la rapporteure thématique, que l’Autorité de la concurrence n’est peut-être pas l’instance la plus à même de formuler des recommandations dans ce domaine. Je lis néanmoins dans l’article additionnel proposé qu’« elle fait toutes recommandations en vue (…) d’augmenter de façon progressive le nombre d’offices sur le territoire ». Peut-être est-il possible d’introduire ici une autre recommandation sur l’égalité d’accès des femmes et des hommes.

Quoi qu’il en soit, je ne crois pas à l’effet mécanique des lois : il faut aussi émettre des recommandations. En l’état, je ne vois pas en quoi le dispositif mis en place est favorable à l’installation des femmes, madame la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous avons été confrontés à cette question tout au long de nos travaux sur les professions juridiques réglementées, notamment en ce qui concerne les métiers du notariat. Je souhaite évidemment que ce sous-amendement du groupe écologiste trouve sa place dans le texte, mais je ne crois pas qu’il s’insère très bien dans cette partie consacrée à l’Autorité de la concurrence.

M. Sébastien Huyghe. Je doute que l’on élève le débat en parlant de lobbying et en évoquant les arrière-cuisines, monsieur le rapporteur général. Qu’une profession qui se sent attaquée se défende et veuille expliquer aux parlementaires et aux élus locaux la réalité de l’activité en question, quoi de plus logique ? D’autres professions n’ont pas agi ainsi, à vous entendre, c’est peut-être qu’elles n’ont pas été attaquées à ce point. La porte-parole du parti socialiste indiquait récemment que la « loi Macron » ne fait que retirer des choses à la profession de notaire. Même la majorité reconnaît que cette profession est particulièrement visée par le texte !

J’en viens à l’amendement qui nous occupe, et j’y vois un véritable problème de culture, monsieur le ministre. Vous essayez d’appliquer une culture purement économique à une sphère qui relève de la culture juridique française et, plus largement, de la culture juridique de droit continental. S’agissant des professions juridiques réglementées, vous n’avez de cesse d’introduire des instruments et de saisir des autorités qui relèvent du droit économique pur : Autorité de la concurrence, DGCCRF, associations de consommateurs. Déjà à l’article 13, nous avons constaté que vous méconnaissez totalement le secret professionnel des avocats, qui est étranger à votre culture économique.

Si nous allons répétant que nous souhaitons la présence du garde des Sceaux, ce n’est pas pour vous désobliger, monsieur le ministre, ni pour mettre en doute vos compétences : le problème, en l’espèce, concerne vos attributions.

L’article proposé ici, un peu modifié par les rapporteurs, est une usine à gaz dont la seule utilité est de vous permettre de vous réclamer de la liberté d’installation, alors même que le Conseil constitutionnel vient de reconnaître, dans une décision du 21 novembre 2014, la constitutionnalité du droit de présentation.

M. le rapporteur général. Ce n’est pas ce que dit le Conseil !

M. Sébastien Huyghe. En outre, la liberté d’installation telle que vous la préconisez posera un problème d’égalité républicaine. Comment déterminerez-vous qui pourra s’installer et qui ne le pourra pas ? Aucun critère de choix n’est formulé dans le texte. S’agira-t-il de l’ordre d’arrivée des dossiers – sachant que, pour l’ouverture d’un office dans le septième arrondissement de Paris, ce sont cinquante dossiers qui vous parviendront le même jour ? C’est la porte ouverte à l’arbitraire. L’égalité républicaine et la reconnaissance du mérite dont vous nous parliez, monsieur le ministre, en sont absentes. Le seul moyen de faire valoir le mérite serait d’organiser un concours au terme duquel c’est le meilleur qui aura la possibilité de s’installer.

Enfin, vous tenez à réviser la cartographie d’implantation des offices tous les deux ans. Mais une fois que la première cartographie aura été établie et que des candidats à l’installation se seront fait connaître, il s’écoulera un an minimum entre le dépôt de leur dossier et leur installation proprement dite. Or, pour atteindre l’équilibre, un jeune a besoin d’être installé depuis au moins trois ans. Il vous sera donc impossible de tirer au bout de deux ans un bilan des nouvelles installations. C’est pourquoi il est proposé dans le sous-amendement SPE1902 que cette cartographie puisse être révisée tous les cinq ans.

Mme Audrey Linkenheld. L’amendement SPE1746 traduit notre volonté de faciliter l’installation des notaires diplômés – qu’ils souhaitent s’installer à leur compte ou devenir associés dans des offices. On recense aujourd’hui 8 000 notaires salariés, soit un nombre équivalent à celui des notaires installés. Une part importante de ces salariés aimerait pouvoir s’installer. Parallèlement, il me semble important de répondre à des préoccupations légitimes en matière de sécurité juridique, d’accès au droit et d’aménagement du territoire.

Monsieur Huyghe dénonçait tout à l’heure un risque d’arbitraire dans le choix des dossiers de candidature à l’installation qu’opérera le ministère de la justice. Mais aujourd’hui, lorsqu’un office notarial ouvre une place d’associé et que plusieurs candidats se présentent, selon quels critères l’associé est-il choisi ?

M. Sébastien Huyghe. C’est l’affectio societatis…

Mme Audrey Linkenheld. Tout à fait. Et qui garantit que ce choix n’est pas arbitraire ? J’ai pour ma part toute confiance dans la capacité de la Chancellerie à faire ce choix – d’autant qu’il est précisé dans l’amendement SPE1746 qu’il se fera en lien avec les ordres professionnels concernés.

Le ministre et les rapporteurs pourraient-ils nous préciser quels critères seront retenus pour l’établissement de cette cartographie ? L’amendement prévoit qu’il s’agira « notamment » de critères établis sur la base d’une analyse démographique. Je suis pour ma part élue d’un territoire densément peuplé, ce qui ne veut pas dire qu’il soit riche économiquement parlant. Dans quelle mesure la dimension sociale – particulièrement prégnante dans le Nord-Pas-de-Calais, M. Huyghe le sait bien – sera-t-elle prise en compte par l’Autorité de la concurrence ?

Enfin, ne pourrait-on prévoir un dispositif d’évaluation de la réforme, comprenant une analyse de l’évolution de la répartition des postes entre les hommes et les femmes et, le cas échéant, assortir cette évaluation de recommandations ?

M. Philippe Vigier. Alors que vous affirmiez au départ qu’il fallait tout moderniser et tout ouvrir, vous en êtes revenus à une liberté réduite aux zones désertées. C’est déjà une avancée.

Je note que le texte ne précise pas dans quel délai la première cartographie devra être élaborée.

S’agissant de la révision de cette carte, permettez-moi de faire un parallèle avec la désertification médicale : à l’heure actuelle, soit en janvier 2015, les agences régionales de santé, qui sont chargées de ce problème, travaillent sur la base des chiffres de 2012. La question n’est donc pas tant de réviser la cartographie des installations que de faire en sorte que l’Autorité de la concurrence dispose de données actualisées.

Lorsque l’on constate une carence dans une zone, c’est soit parce que les professionnels de la région ont empêché des concurrents de s’installer, soit parce que la situation économique y est difficile. Monsieur le ministre, disposez-vous d’une évaluation du nombre d’installations possibles ?

Et puisque vous avez évoqué la jeunesse, j’espère que vous accueillerez avec enthousiasme les amendements que nous vous proposons en sa faveur. L’un d’entre eux prévoit notamment que lorsqu’une seconde étude est créée, elle soit réservée à un jeune. Nous proposons également que la représentation par les clercs soit supprimée de sorte qu’elle soit assurée par les notaires : ce serait un sérieux bol d’oxygène.

En tout état de cause, je suis persuadé que le système d’entonnoir que vous souhaitez instaurer n’entraînera qu’un faible nombre de créations.

À ce propos, j’ai pris connaissance – et je le tiens à la disposition du rapporteur général – d’un document retraçant les ouvertures d’offices au cours des dernières années : alors qu’auraient été proposées à madame le garde des Sceaux cent créations d’offices notariés par an sur cinq ans, seulement vingt ont été créées. Avant de chercher à ouvrir de nouvelles études dans les « dents creuses », il aurait été utile en amont de connaître les raisons d’une différence aussi importante entre la demande exprimée par les professionnels par le biais du CSN et les créations autorisées par le garde des Sceaux.

M. Martial Saddier. Lorsque nous avons débattu ce matin de l’article 12, j’ai expressément dénoncé la définition prévue à l’article 17 ; la suite prouve à quel point nous avions raison… Lorsque, hier et avant-hier, nous avons fait la démonstration de l’insécurité juridique que vous allez provoquer en votant ce texte, vous avez été incapables de nous prouver le contraire. Et aujourd’hui encore, où nous débattons de la désertification des professions juridiques, vous vous retrouvez de nouveau dans la même incapacité. Pire, avec cette réécriture de l’article 17, vous apportez la confirmation que vous allez provoquer un vide juridique et remettre en cause un service de proximité, au détriment de nos concitoyens. Et vous aurez remarqué que là où le texte initial ne prévoyait qu’une simple possibilité, la rédaction de l’amendement SPE1746 rend l’ouverture des permanences au sein des maisons de la justice et du droit systématique. C’est donc bien que vous reconnaissez le risque de désertification qu’entraînera ce projet de loi, alors même que vous affichez la volonté louable et sincère de favoriser l’installation des jeunes.

Enfin, dans l’étude d’impact, l’administration a identifié les cantons, les établissements publics de coopération intercommunale et les départements dans lesquels un appel à manifestation d’intérêt sera nécessaire et dans lesquels une permanence est indispensable : monsieur le ministre, combien de territoires seront-ils concernés par la désertification des professions juridiques ?

M. Philippe Gosselin. Je salue tout d’abord la dextérité avec laquelle le rapporteur général et les rapporteurs thématiques passent d’un objectif à l’autre, de l’aménagement du territoire à la libre concurrence et vice-versa pour en venir à l’installation des jeunes… On finit par s’y perdre.

Sans revenir sur la question des déserts juridiques, permettez-moi de pointer avec un peu d’ironie le fait que les ordres professionnels aient été oubliés dans le dispositif – ils seront heureusement réintroduits grâce à nos sous-amendements – alors que la présence des associations de consommateurs, elles, est ardemment souhaitée et maintenue… Il n’est pourtant pas question de droit de la consommation ni de biens et services ordinaires.

Enfin, je m’interroge quant au recours, dans les déserts juridiques dont on présuppose déjà la formation, aux maisons de justice et du droit (MJD). Il y a deux ans, Mme la garde des Sceaux s’était engagée à appliquer un programme ambitieux de création de maisons de nouvelle génération. Or, il semblerait que ces maisons n’aient pas été créées. Quels moyens le ministère de la justice compte-t-il y consacrer ? Quelle sera la cartographie des prochaines implantations ? Une telle information nous permettrait de connaître la localisation de ce que le ministère considère comme des zones grises.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je ne vois pas en quoi les mesures proposées favoriseront la croissance et l’activité. Des offices notariaux fermeront, d’autres s’agrandiront peut-être ; quoi qu’il en soit, ce sera encore une fois les campagnes qui trinqueront…

M. Jean-Yves Caullet. Chers collègues, lorsque nous souhaitons encadrer un secteur, vous nous objectez la perfection du modèle de droit et l’activité libérale. Et lorsque nous voulons libérer les installations, vous brandissez le risque de menace économique ! Il y a bel et bien un problème économique qui se pose. C’est pourquoi je souhaiterais que la viabilité potentielle des installations figure clairement parmi les critères d’établissement de la cartographie des installations. Les déserts juridiques ne sont pas la conséquence d’un texte de loi qui n’existe pas encore…

M. Philippe Gosselin. Ils existent déjà !

M. Jean-Yves Caullet. Les élus ruraux savent bien que la cause tient à la non-viabilité économique et aucune réforme n’y changera rien.

M. Philippe Gosselin. Mais elle peut l’amplifier…

M. Jean-Yves Caullet. Il serait bon d’y faire référence pour apporter une solution.

Précisons que l’analyse démographique dont l’amendement des rapporteurs fait état concerne l’évolution du nombre de professionnels installés et non celle du nombre d’habitants sur le territoire. Enfin, monsieur Vigier, il n’est pas nécessaire que nous disposions dès le départ d’une cartographie exhaustive : il suffit de cibler les endroits où la situation est la plus flagrante afin d’engager la réforme au plus vite. Je suis par ailleurs surpris que vous souhaitiez porter à cinq ans le délai de révision de cette cartographie. Car dès lors que de nouvelles installations seront effectives, on aura intérêt à l’actualiser aussi rapidement que possible afin d’éviter que des offices ne continuent à s’installer dans les territoires où la couverture est redevenue satisfaisante.

La Commission rejette successivement les sous-amendements SPE1918, SPE1900, SPE1901 et 1905.

Elle adopte ensuite le sous-amendement SPE1904 et rejette successivement les sous-amendements SPE1902, SPE1906, SPE1907 et SPE1908.

M. le président François Brottes. Madame la rapporteure thématique, maintenez-vous votre avis défavorable au sous-amendement SPE1864, qui a recueilli l’avis favorable du Gouvernement ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je rends finalement un avis favorable.

La Commission adopte le sous-amendement SPE1864.

Puis elle adopte l’amendement SPE1746 sous-amendé.

L’amendement SPE749 de Mme Colette Capdevielle est retiré.

Les amendements identiques SPE155 de M. Philippe Houillon et SPE337 de M. Patrick Hetzel deviennent sans objet.

*

* *

Article 14
(art. 2, 4, 10 et 68 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat)

Conséquences de l’assouplissement des conditions d’installation
des notaires prévu à l’article 13 bis et instauration d’une limite d’âge

Le présent article complète le dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des notaires prévu à l’article 13 bis.

En l’état, l’article 2 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat dispose que les notaires « sont institués à vie ».

Selon les données démographiques du ministère de la Justice, au 1er janvier 2012 :

– 131 notaires étaient âgés de plus de 70 ans (soit 1,40 % du total) ;

– 1 624 notaires étaient âgés de plus de 60 ans et moins de 70 ans (soit 17,4 % du total).

Le maintien dans leurs fonctions de notaires ayant dépassé l’âge de 70 ans réduit les possibilités de reprises pour les candidats à la succession dans leurs offices. Aussi, en complément de la mesure visant à assouplir les conditions d’installation des notaires, la commission a adopté, à l’initiative des rapporteurs, un amendement visant à instaurer une limite d’âge, fixée à 70 ans, pour l’exercice des fonctions de notaire dans l’ensemble du territoire national.

L’instauration d’un âge limite répondant à un souci d’équité entre générations favorisera le renouvellement.

Issu de cet amendement, le 1° A du présent article modifie l’article 2 de la loi du 25 ventôse an XI pour remplacer l’« institution à vie » des notaires qui prévaut actuellement par une limite d’âge fixée à 70 ans pour l’exercice de leurs fonctions. Dans l’attente de la prestation de serment de leur successeur, les notaires ayant dépassé 70 ans pourront continuer à exercer provisoirement leurs fonctions, sur autorisation du ministre de la Justice, et pendant une durée maximale de six mois.

Par ailleurs, l’installation des notaires est aujourd’hui strictement encadrée. L’article 4 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat dispose en effet que « chaque notaire devra résider dans le lieu qui lui sera fixé par le Gouvernement », qu’« en cas de contravention, le notaire sera considéré comme démissionnaire » et qu’« en conséquence, le […] ministre de la Justice, après avoir pris l’avis du tribunal, pourra proposer au Gouvernement le remplacement ».

Il est vrai que les notaires sont des officiers publics et ministériels délégataires d’une mission d’intérêt général qui relève d’un service public du droit et qu’il est donc justifié que, dans un souci de garantie de la continuité de ce service public, la puissance publique veille à leur localisation.

Pour autant, comme expliqué au sujet de l’article 13 bis du présent projet de loi, les procédures actuelles de régulation de l’implantation des offices notariaux ne favorisent pas l’ouverture d’une profession qui est caractérisée par un relatif malthusianisme, comme en témoigne la baisse lente, mais continue, du nombre d’offices notariaux depuis 1990.

Pour remédier à ce malthusianisme, l’article 13 bis du présent projet de loi propose d’assouplir les conditions d’installation des notaires.

Le présent article en tire les conséquences pour la rédaction de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat.

Le 1° du I du présent article propose une nouvelle rédaction de l’article 4 de cette loi (cité plus haut).

Dans la rédaction qu’en proposait initialement le Gouvernement, le premier alinéa de cet article 4 posait le principe de la liberté totale d’installation des notaires, « toute personne répondant à des conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance [pouvant désormais être] titularisée par le ministre de la Justice en qualité de notaire dans le lieu d’établissement de son choix ».

Quoique présentée comme générale, cette liberté d’installation ne trouvera cependant sa pleine expression que dans les zones, identifiées par la carte mentionnée à l’article 13 bis du projet de loi, où l’implantation de nouveaux offices ou l’association de notaires au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services.

C’est la raison pour laquelle la commission a choisi de préciser, à l’initiative des rapporteurs, que la nomination en qualité de notaire ne peut être refusée par le ministre de la Justice dans les zones où l’implantation d’offices ou l’association de notaires au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services.

À défaut d’installations spontanées en nombre suffisant dans les zones où l’installation est libre, l’article 13 bis du présent projet de loi organise un appel à manifestation d’intérêt. C’est pourquoi le troisième alinéa de l’article 4 de la loi du 25 ventôse an XI, dans sa nouvelle rédaction, fait état de cet appel.

Dans les zones identifiées comme « saturées » par la carte mentionnée à l’article 13 bis du présent projet de loi, la liberté d’installation des notaires est régulée : le ministre de la Justice peut s’y opposer. Le caractère discrétionnaire de la nomination permet à l’administration d’examiner plus avant des demandes faites dans des secteurs dont la saturation est moins caractérisée. Aussi le deuxième alinéa de l’article 4 précité prévoit-il que la nomination en qualité de notaire peut toutefois être refusée dans les cas prévus à l’article 13 bis du présent projet de loi.

Le dernier alinéa de l’article 4 de la loi du 25 ventôse an XI renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les modalités d’application des nouvelles conditions d’installation des notaires.

En complément du dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des notaires et d’instauration d’une limite d’âge, le bis du présent article procède à la suppression du dispositif d’habilitation des clercs qui permet aux clercs assermentés de recevoir certains actes notariés en lieu et place du notaire – et ce, conformément à la proposition n° 6 du rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées et à la proposition n° 7 du rapport du rapporteur général sur les professions réglementées. Il s’agit là d’une mesure adoptée par la commission, à l’initiative des rapporteurs.

En effet, l’article 10 de la loi du 25 ventôse an XI permet à un notaire d’« habiliter un ou plusieurs de ses clercs assermentés à l’effet de donner lecture des actes et des lois et recueillir les signatures des parties ».

Le périmètre de cette habilitation est variable et laissé à l’appréciation du notaire ; elle est révocable à tout moment. Les clercs habilités doivent préalablement prêter serment par écrit et le notaire doit en informer le procureur de la République ainsi que la chambre des notaires.

Cette habilitation est toutefois interdite pour certains actes dont la solennité et l’importance justifient la présence du notaire, tels que les actes nécessitant la présence de deux notaires ou de deux témoins (réception des testaments authentiques, actes contenant révocation de testaments,…) ou un certain nombre d’autres actes liés aux personnes (consentement à mariage, reconnaissance d’enfants, consentement à l’adoption, donation entre vifs, contrat de mariage, modification du régime matrimonial). En outre, l’intervention du clerc habilité ne s’impose pas aux parties qui sont libres de demander l’intervention personnelle du notaire.

La création du clerc habilité a répondu à la nécessité pratique de permettre aux officiers publics et ministériels de se décharger de la réception de certains actes. Mais si cette institution « a très largement donné satisfaction », pour reprendre la formule employée par le représentant de la fédération générale des clercs et employés notaires FO devant la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, elle est aujourd’hui perçue comme un des obstacles à l’accès au plein exercice de la profession, les notaires titulaires pouvant, grâce à cette habilitation, démultiplier leur capacité à assurer la réception des actes.

La suppression de la faculté pour les notaires d’habiliter un ou plusieurs clercs de leur office apparaît comme l’un des moyens de lever un obstacle à la nomination de notaires. Lors de leur audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, les représentants du Mouvement Jeune notariat et du Syndicat national des notaires ont ainsi proposé la suppression de cette faculté.

Néanmoins, la suppression de ce dispositif d’habilitation ne doit pas préjudicier aux clercs qui sont aujourd’hui habilités et qui satisfont à des conditions de diplôme et/ou d’expérience particulièrement exigeantes. Comme l’a expliqué M. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique lors de son audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, la suppression de cette faculté d’habilitation suppose d’organiser « une cordée » entre le professionnel jusqu’ici habilité, le notaire salarié et le notaire associé.

La suppression de ce dispositif d’habilitation doit donc s’accompagner de mesures réglementaires permettant la validation des acquis de l’expérience (VAE). Il reviendra donc au Gouvernement d’aménager, par décret, une période transitoire permettant aux anciens clercs habilités d’accéder aux fonctions de notaire, notamment grâce à un dispositif de validation des acquis de l’expérience. Le Gouvernement pourrait s’inspirer de la proposition faite par la Chambre des notaires de Paris qui a suggéré de permettre aux collaborateurs diplômés notaires et habilités depuis au moins cinq ans au 1er janvier 2016 d’être intégrés dans l’office en qualité de notaire salarié avec l’accord de l’employeur ou d’un notaire acceptant d’accueillir le demandeur (142).

Afin de laisser au Gouvernement le temps suffisant pour édicter par voie réglementaire les mesures d’accompagnement nécessaires, le 1° bis du présent article fixe l’abrogation de l’article 10 de la loi du 25 ventôse an XI au premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la loi pour la croissance et l’activité. Ce délai correspond à celui retenu par le Gouvernement pour différer l’entrée en vigueur de certaines des dispositions des articles 14, 15 et 16 du projet de loi.

La commission a supprimé le 2° du I du présent article qui proposait d’abroger les articles 31 et 52 de la loi du 25 ventôse an XI.

L’article 31 de cette loi semblait avoir déjà été abrogé par l’article 30 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971 relatif aux créations, transferts et suppressions d’office de notaire, à la compétence d’instrumentation et à la résidence des notaires, à la garde et à la transmission des minutes et registres professionnels des notaires.

En effet, cet article 30 a abrogé l’article 26 du décret n° 58-1282 du 22 décembre 1958 portant application de l’ordonnance n° 58-1278 du 22 décembre 1958 et relatif aux auxiliaires de justice.

Cet article 26 donnait de l’article 31 de la loi du 25 ventôse an XI la rédaction suivante : « le nombre et la résidence des notaires sont fixés pour chaque ressort du tribunal d’instance par décret pris sur le rapport du garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le décret portant création, transfert ou suppression d’un office de notaire est pris après avis des tribunaux de grande instance, des chambres départementales et des conseils régionaux intéressés. Les suppressions d’office ne peuvent intervenir qu’à la suite du décès, de la démission ou de la destitution de leur titulaire ».

Il n’était pas davantage utile d’abroger l’article 52 de la loi du 25 ventôse an XI, qui fixe une limite d’âge à l’exercice de la profession de notaire en Alsace-Moselle. En effet, cet article 52 dispose que « les notaires des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont remplacés lorsqu’ils atteignent l’âge de soixante-dix ans » mais que, passée cette limite d’âge, « ils continuent d’exercer provisoirement leurs fonctions jusqu’au jour où leur successeur prête serment ».

Dans la mesure où le 1° A du présent article a étendu à l’ensemble du territoire national le régime de limite d’âge jusqu’ici cantonné à l’Alsace-Moselle, il n’y a pas lieu de supprimer l’article 52 précité.

Le 3° du I du présent article procède à un « toilettage » de l’article 68 de la loi du 25 ventôse an XI, qui régit les conditions d’application de cette loi en outre-mer.

Le a) du 3° du I du présent article propose de supprimer le premier alinéa de cet article 68 qui dispose aujourd’hui que « la présente loi est applicable aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon à l’exception de ses articles 2, 4 et 9 ». Il a ainsi pour effet de rendre la loi du 25 ventôse an XI entièrement applicable à Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, y compris son article 9 et ses articles 2 et 4 dans la nouvelle rédaction qu’en propose le présent article.

Cette application ne se fait cependant pas sans aménagements à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces adaptations sont prévues par le deuxième alinéa de l’article 68 de la loi du 25 ventôse an XI. C’est précisément cet alinéa que le b) du 3° du I du présent article propose de modifier pour y supprimer la référence à la « collectivité territoriale » de Mayotte, qui est un département d’outre-mer depuis le 31 mars 2011 et où l’application des règles nationales est donc de plein droit en vertu du principe d’« identité législative ».

Enfin, le II du présent article diffère l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction des articles 2 et 4 de la loi du 25 ventôse an XI. Celui-ci entrera en vigueur le premier jour du douzième mois suivant celui de la publication de la loi pour la croissance et l’activité, de façon à permettre :

– aux notaires institués « à vie » avant la promulgation de la présente loi, et qui exercent actuellement leurs fonctions après l’âge de 70 ans, de disposer du temps nécessaire pour trouver un successeur ;

– à l’Autorité de la concurrence et au Gouvernement d’établir la carte sur la base de laquelle pourra s’exercer la liberté d’installation des notaires consacrée par l’article 4 précité.

*

* *

La Commission examine les amendements identiques SPE2 de M. Patrick Hetzel, SPE157 de M. Philippe Houillon et SPE1190 de M. Marc Dolez, de suppression de l’article.

M. Patrick Hetzel. La France compte aujourd’hui plus de 9 500 notaires et plus de 4 500 offices auxquels s’ajoutent plus de 1 330 bureaux annexes. Cette profession emploie plus de 48 000 personnes. Recevant environ 20 millions de personnes par an, les notaires assument une mission de service public qui leur est déléguée par l’État. Cette mission a des répercussions économiques, puisqu’elle apporte un gain de confiance dans les échanges économiques constatés par les notaires, actes qui représentent 600 milliards d’euros de capitaux traités par an. Leur travail confère une sécurité juridique aux actes, incontestables et conservés sur le long terme. Il tend à garantir une administration non contentieuse de la justice – c’est un des avantages du système français. Or le projet de loi procède à un glissement vers un système ne correspondant pas au droit continental mais bien au droit anglo-saxon qui suscite bien plus de contentieux. Dans l’exercice de leurs responsabilités, les notaires sont amenés à collecter près de 22 milliards d’euros d’impôts annuels pour le compte de l’État.

Aussi, face à l’enjeu que représente cette profession en termes d’aménagement du territoire, devant la menace de voir des déserts juridiques se constituer, la sécurité juridique des actes s’affaiblir et, du coup, les contentieux se multiplier, il nous semble imprudent d’adopter l’article 14.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, il me semble que l’adoption de l’amendement SPE1746 a rendu sans objet les quatre ou cinq premiers alinéas de l’article 14 et que ne resteraient à examiner que les sixième à onzième alinéas. Pourriez-vous nous le confirmer ?

M. le Président François Brottes. Je vous répondrai une fois que nous aurons examiné les amendements de suppression de la totalité de l’article 14.

M. Sébastien Huyghe. L’adoption de l’amendement SPE1746 me semble cependant rendre superfétatoire l’article 14 dans sa totalité.

M. Marc Dolez. Je partage cette analyse. C’est pourquoi je retire mon amendement. Nous reprendrons le débat en séance publique, soyez-en sûrs !

L’amendement SPE1190 est retiré.

M. le président Brottes. Je vous confirme, après analyse, que les amendements portant sur l’article 14 ne sont pas tous devenus sans objet à la suite du vote précédent. Je souhaite donc que nous poursuivions.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ma remarque ne portait pas sur les amendements déposés à l’article 14 mais bien sur les cinq premiers alinéas de celui-ci. Les alinéas restants ne visent qu’à prévoir la publication d’un décret d’application.Pas du tout. L’article 14 n’est pas devenu sans objet dans sa totalité. Par conséquent, une fois que nous aurons voté sur les amendements de suppression, j’interrogerai le rapporteur général sur les alinéas restant en discussion.

M. le ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable à ces amendements.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Même avis.

La Commission rejette les amendements SPE2 et SPE157.

M. le président François Brottes. Monsieur le rapporteur général, l’adoption de l’amendement SPE1746 rend-elle sans objet la discussion sur les amendements restant à examiner à l’article 14 ?

M. Richard Ferrand. Non, l’ensemble des amendements demeure en discussion car il s’agit d’adapter des textes applicables à chaque profession afin de tenir compte de la nouvelle rédaction que nous venons d’adopter. S’agissant des notaires, nous allons modifier la loi du 25 ventôse an XI ; en ce qui concerne les huissiers, l’ordonnance de 1945 ; eu égard aux commissaires-priseurs judiciaires, des dispositions remontant à 1816, c’est-à-dire au règne de Louis XVIII. À l’article 15, nous débattrons de la compétence territoriale des huissiers et, à l’article 16, de la question des bureaux annexes des commissaires-priseurs judiciaires. L’amendement que nous venons d’adopter va nous permettre de replacer dans l’époque contemporaine toute une série de dispositions antiques.

M. le président François Brottes. Elles ne remontent tout de même pas à l’Antiquité, monsieur le rapporteur général… Cela montre en tout cas que ces professions avaient bien avant les autres le sens du développement durable. Nous pourrions suggérer à M. le ministre de les associer à la COP21 !

L’amendement SPE1196 de M. Marc Dolez est retiré.

La Commission examine en discussion commune les amendements SPE1779 du rapporteur général et des rapporteurs thématiques et SPE779 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement a pour objet d’instaurer une limite d’âge fixée à 70 ans pour l’exercice des fonctions de notaire sur l’ensemble du territoire national. En effet, selon les données démographiques du ministère de la justice au 1er janvier 2012, 131 notaires étaient âgés de plus de 70 ans et 1 624 notaires avaient plus de 60 ans et de moins de 70 ans. Le maintien en fonction de notaires ayant dépassé l’âge de 70 ans réduit les possibilités de reprise des candidats à la succession dans leurs offices. Aussi, en complément de la mesure visant à assouplir l’installation des notaires, l’instauration d’un âge limite permettra, dans un souci d’équité entre générations, le renouvellement des notaires âgés actuellement en service.

M. Jean-Louis Roumégas. Comme le précédent, l’amendement SPE779 vise à créer de l’emploi, et de façon plus certaine qu’une cartographie… Les calculs montrent que l’instauration d’une limite d’âge fixée à 70 ans permettrait dans un premier temps de créer un millier de postes de notaires. Ramenée à 67 ans, elle pourrait en créer 1 000 de plus.

Une telle mesure n’a rien de scandaleux : beaucoup de professions sont encadrées par une limite d’âge. La plupart des pays européens imposent des limites encore inférieures à celle que nous proposons : elle est de 65 ans aux Pays-Bas, par exemple. Il n’y a pas de raison que l’on ne puisse imposer une telle limite à des professions délégataires de l’autorité publique.

M. le ministre. Avis favorable à l’amendement SPE1779 et défavorable à l’amendement SPE779.

M. le président François Brottes. Je suppose que la rapporteure thématique est elle aussi défavorable à l’amendement SPE779.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Tout à fait.

M. le président François Brottes. Monsieur Roumégas, retirez-vous votre amendement au profit de celui de la rapporteure thématique ?

M. Jean-Louis Roumégas. Oui. Mieux vaut un tien que deux tu l’auras.

L’amendement SPE779 est retiré.

M. Patrick Hetzel. Je suis surpris qu’au cours de cette discussion, il n’ait pas été fait référence aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans lesquels les notaires sont depuis fort longtemps – sans doute depuis la loi du 25 Ventôse an XI – soumis à une limite d’âge fixée à 70 ans. Il aura donc fallu deux siècles pour que cette règle s’applique sur le reste du territoire national.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cela est précisé dans l’exposé sommaire de mon amendement.

La Commission adopte l’amendement SPE1779.

Suivant l’avis défavorable du ministre et de la rapporteure thématique, la Commission rejette l’amendement SPE1117 de M. Sébastien Huyghe.

Puis la Commission est saisie de l’amendement SPE1747 des rapporteurs et du sous-amendement SPE1867 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Par cohérence avec l’amendement SPE1746, l’amendement SPE1747 vise à préciser que la nomination en qualité de notaire par le ministre de la justice ne peut être refusée dans les zones où l’implantation d’offices ou l’association de notaires au sein des offices existants paraissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services. D’où la nouvelle rédaction des alinéas 3 à 5.

M. Jean-Louis Roumégas. Notre sous-amendement vise à conditionner cette libre installation à une expérience d’au moins cinq ans. Dans les faits, on compte suffisamment de notaires salariés en mesure de justifier de cette expérience. Une telle exigence n’entravera donc nullement le développement de l’installation et nous paraît indispensable dans une profession qui exige de l’expérience.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable à ce sous-amendement.

M. le ministre. Avis favorable à l’amendement et défavorable au sous-amendement.

M. le président François Brottes. Monsieur Roumégas, maintenez-vous votre sous-amendement ?

M. Jean-Louis Roumégas. Oui, compte tenu de l’exhaustivité des arguments avancés…

M. le rapporteur général. Pour exercer ès qualités, un notaire doit justifier d’au moins deux ans d’expérience. Ne lui infligeons pas un temps de formation supplémentaire pour pouvoir librement s’installer.

M. le président François Brottes. Êtes-vous convaincu par cet argument, monsieur Roumégas ?

M. Jean-Louis Roumégas. Pas vraiment.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la rapporteure thématique, votre amendement institue des restrictions à l’implantation d’office alors que son exposé sommaire précise que la nomination en qualité de notaire par le ministre de la justice est de droit. J’ai du mal à concilier les deux…

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. La nomination par le ministre de la justice est de droit dans les zones où la cartographie montre que cette installation est utile à l’offre de services de la profession, et lorsque toutes les conditions – nationalité, aptitude et diplôme – sont satisfaites.

M. Jean-Frédéric Poisson. Comment cette disposition s’articule-t-elle avec l’appel à manifestation d’intérêt et la pluralité de candidatures évoqués tout à l’heure ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Ce n’est pas exclusif. Dans les secteurs où aucune demande d’installation n’est formulée, on peut attendre du garde des Sceaux un appel à manifestation d’intérêt. Ce dispositif alternatif permet de garantir l’accès au droit dans les secteurs où personne ne souhaite s’installer.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Comment et par qui les critères démographiques de la cartographie seront-ils définis ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous sommes dans la déclinaison de l’amendement SPE1746 que nous avons voté précédemment et qui prévoit l’établissement d’une cartographie par l’Autorité de la concurrence. Ces critères seront déterminés par décret. Nous en tirons les conclusions en rappelant que toute personne remplissant les conditions pour être notaire est notaire de droit dans les secteurs identifiés par l’Autorité de la concurrence et validés par la Chancellerie ainsi que par le ministre de l’économie comme apparaissant utiles pour renforcer la proximité de l’offre de services. Par contre, cela peut lui être refusé si cela porte préjudice aux notaires en place.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Cela tombe bien que nous soyons en présence du ministre de l’économie et non de la garde des Sceaux…

M. le président François Brottes. Le cri du cœur !

Mme Catherine Coutelle. C’est bien de l’admettre à une heure moins cinq !

M. Jean-Charles Taugourdeau. La rédaction des décrets nous échappe totalement. Or vous savez bien, monsieur le ministre, que c’est l’excès de normes réglementaires, et non les lois, qui finit par tuer toute velléité de développement dans l’économie de production en France.

M. le ministre. Monsieur Roumégas, au troisième paragraphe de l’article 14, il est précisé que toute personne répondant à des conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance est nommée par le ministre de la justice en qualité de notaire. Le critère d’expérience est donc pris en compte lors de la nomination. Rajouter un critère de cinq ans d’expérience alourdirait le dispositif. Certains de vos collègues souhaitant au contraire supprimer ce critère d’expérience, je précise qu’il constitue malgré tout une garantie, puisqu’il restera à l’appréciation du garde des Sceaux.

M. Jean-Louis Roumégas. J’accepte de retirer mon sous-amendement.

Le sous-amendement SPE1867 est retiré.

Puis la Commission adopte l’amendement SPE1747.

Elle en vient ensuite aux amendements identiques SPE339 de M. Patrick Hetzel, SPE1076 de M. Martial Saddier et SPE1298 de M. Joël Giraud.

M. Patrick Hetzel. La rédaction de cet article est discriminante car en imposant des conditions d’expérience aux candidats à la profession de notaire, on exclut de facto les jeunes professionnels du droit. C’est pourquoi nous proposons de supprimer ce critère.

M. le président François Brottes. Vous souhaitez revenir sur le droit actuel…

M. le rapporteur général. Les conditions d’expérience sont consubstantielles à la compétence de notaire. Il n’est donc opportun ni d’en rajouter ni d’en soustraire.

M. le président François Brottes. J’invite les auteurs de ces amendements à les retirer afin d’éviter de réécrire le droit existant.

Les amendements SPE339, SPE1076 et SPE1298 sont retirés.

La Commission est saisie des amendements identiques SPE204 de M. Martial Saddier, SPE338 de M. Patrick Hetzel, SPE1028 de M. Alain Tourret, SPE1088 de M. Sébastien Huyghe et SPE1138 de Mme Audrey Linkenheld.

M. Martial Saddier. Cet amendement vise à supprimer la condition d’assurance à laquelle est subordonnée la titularisation des notaires.

M. Patrick Hetzel. L’amendement SPE338 est défendu.

M. Alain Tourret. Le mien également.

M. Sébastien Huyghe. Pour s’installer, un notaire doit forcément remplir des conditions d’assurance. Il est donc inutile de le préciser au risque de rendre la loi inutilement bavarde.

Mme Audrey Linkenheld. Même argumentation.

M. le ministre. Je suis sensible aux arguments de bon sens qui viennent d’être énoncés. Cela étant, cette précision permet de clarifier les choses et de couvrir l’intégralité des obligations d’assurance, qu’elles soient individuelles ou collectives, prévues dans les textes antérieurs. La Chancellerie juge préférable de conserver la formule proposée, plus sécurisante.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. Dès lors qu’il existe déjà, en l’état du droit, une obligation pour les notaires d’assurer leur responsabilité professionnelle, en application du décret du 2 mai 1955, il n’y a pas lieu de ne pas faire référence dans la loi au principe même de la condition d’assurance. Il ne s’agit pas d’entrer dans le détail, qui relève du domaine réglementaire, mais d’en énoncer le principe.

M. le président François Brottes. C’est ce qu’on appelle une disposition ceinture et bretelles…

La Commission rejette successivement les amendements SPE204, SPE338, SPE1028, SPE1088 et SPE1138.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel SPE1297 de M. Joël Giraud.

Elle aborde l’amendement SPE1023 de M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Cet amendement tend à préciser que la condition de nationalité s’entend comme la nationalité de tout État membre de l’Union européenne, sous réserve de réciprocité. Les magistrats pouvant être étrangers et juger au nom du peuple français, je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait se faire pour ces professions.

M. le ministre. Sont rappelées à l’article 14 les conditions générales qui doivent être respectées. Celles-ci sont détaillées dans le décret du 5 juillet 1973 relatif aux conditions d’accès aux fonctions de notaire et demeurent pleinement applicables. Sur le fond, l’article 3 du décret précité autorise d’ores et déjà la nomination en qualité de notaire des ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’Espace économique européen. Par conséquent, votre amendement ne modifie pas le droit positif. Il est satisfait.

L’amendement SPE1023 est retiré.

La Commission examine les amendements identiques SPE284 de M. Martial Saddier, SPE340 de M. Patrick Hetzel et SPE1093 de M. Sébastien Huyghe.

M. Martial Saddier. L’amendement SPE284 est défendu.

M. Patrick Hetzel. L’amendement SPE340 tend à insérer un alinéa ainsi rédigé : « Les conditions d’aptitude sont définies à l’article 3 du décret n° 73‑609 du 5 juillet 1973 et pour l’Alsace-Moselle aux articles 110 et suivants du même décret ». Le but est d’éviter une remise en cause des spécificités propres au droit applicable dans les trois départements d’Alsace-Moselle.

M. Sébastien Huyghe. Même argumentation. N’oublions pas les Alsaciens-Mosellans !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. J’émets un avis défavorable, car la loi ne peut faire référence à un décret susceptible d’être modifié par le pouvoir réglementaire, ce qui rendrait le dispositif caduc.

M. le président François Brottes. Cet argument de forme semble incontestable.

M. Patrick Hetzel. Certes, mais les dispositions touchant aux départements d’Alsace-Moselle ont été intégrées au préambule de la Constitution sans aucun problème. Il est important de rassurer les professionnels, à moins que le ministre puisse nous assurer qu’ils bénéficieront des mesures prévues par ces amendements. Si tel est le cas, j’ai toute confiance en sa parole.

M. le président François Brottes. La loi ne peut pas figer un décret ; vous devez donc réécrire votre amendement pour la séance, monsieur Hetzel, et le ministre vous répondra.

M. Martial Saddier. Monsieur le président, vous avez raison sur la forme, mais les travaux de la commission servent à informer la représentation nationale des intentions du Gouvernement. Celui-ci entend-il proroger des dispositions spécifiques du droit existant ?

M. le ministre. Le Gouvernement n’a pas l’intention de modifier ces dispositions.

M. Patrick Hetzel. Le Gouvernement est-il prêt à donner une suite favorable à un amendement déposé en séance qui ne comporterait pas cette faille juridique ?

M. le président François Brottes. Cela dépend de sa rédaction ! Proposez un nouvel amendement et le Gouvernement vous répondra.

M. Martial Saddier. Je retire mon amendement, à la suite de l’explication du ministre.

M. Sébastien Huyghe. Je le retire également, monsieur le président.

Les amendements SPE284, SPE340 et SPE1093 sont retirés.

L’amendement SPE780 de Mme Michèle Bonneton est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements SPE1748 des rapporteurs et SPE1091 de M. Sébastien Huyghe.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement vise à abroger, à compter du premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi, l’article 10 de la loi du 25 ventôse an XI, qui permet à un notaire d’habiliter un ou plusieurs de ses clercs assermentés à l’effet de donner lecture des actes et des lois et recueillir les signatures des parties.

Cet amendement, important à nos yeux, a pour objet de remettre les notaires au cœur de leur métier et de favoriser l’accès des diplômés en notariat à des postes ainsi libérés. Les clercs habilités pourront continuer d’avoir accès à la profession de notaire grâce à un dispositif de validation des acquis de l’expérience.

M. le ministre. Avis favorable.

M. Sébastien Huyghe. J’ai déposé un amendement garantissant le maintien de l’habilitation pour les clercs en bénéficiant aujourd’hui mais fermant cette possibilité pour l’avenir. Pourrions-nous sous-amender votre amendement, madame la rapporteure thématique, afin de maintenir les habilitations déjà accordées ?

La Commission adopte l’amendement SPE1748.

En conséquence, l’amendement SPE1091 tombe.

La Commission est saisie de l’amendement SPE3 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 7 de l’article 14 du projet de loi qui prévoit la disparition de la limite d’âge de 70 ans pour l’exercice de la profession de notaire en Alsace-Moselle.

M. le ministre. J’ai déjà répondu sur ce point : je vous suggère de retirer cet amendement.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cet amendement est déjà satisfait.

M. Patrick Hetzel. J’accepte de le retirer, puisqu’il sera satisfait par le droit commun.

L’amendement SPE3 est retiré.

La Commission examine les amendements identiques SPE282 de M. Martial Saddier et SPE1084 de M. Sébastien Huyghe.

M. Martial Saddier. Défendu.

M. Sébastien Huyghe. Le projet d’abroger l’article 52 rencontre l’incompréhension des notaires des trois départements d’Alsace-Moselle. Il s’oppose à leur statut dans ces départements et il contredit l’un des objectifs de la loi qui vise à faciliter l’accès des jeunes à la profession de notaire. Il convient donc d’abandonner cette disposition.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous avons adopté l’amendement SPE1779 qui supprimait l’alinéa 7 ; vos amendements étant satisfaits par l’instauration dans toute la France d’une limite d’âge à 70 ans, je demande à leurs auteurs de les retirer.

M. Sébastien Huyghe. Je retire mon amendement.

M. Martial Saddier. Également.

Les amendements SPE282 et SPE656 sont retirés.

La Commission étudie les amendements identiques SPE156 de M. Philippe Houillon et SPE341 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’amendement SPE156 est défendu. Il s’agit d’une question de délai, l’étude d’impact du projet de loi se révélant, sur ce point également, bien faible.

M. Patrick Hetzel. L’amendement SPE341 est défendu.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable.

M. le ministre. Même avis.

La commission rejette les amendements SPE156 et SPE341.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1749 des rapporteurs.

La Commission aborde les amendements identiques SPE158 de M. Philippe Houillon et SPE342 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’amendement SPE158 est défendu.

M. Patrick Hetzel. L’amendement SPE342 également.

M. le ministre. Je suggère le retrait de ces amendements, déjà satisfaits.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Même avis.

Les amendements SPE158 et SPE342 sont retirés.

Les amendements SPE785 et SPE786 de Mme Michèle Bonneton sont retirés.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe UMP votera contre l’adoption de l’article 14 du projet de loi.

La Commission adopte l’article 14 modifié.

*

* *

Après l’article 14

La Commission est saisie de l’amendement SPE891 de M. Michel Zumkeller.

M. le président François Brottes. Cet amendement est satisfait par ce que nous avons voté hier.

L’amendement SPE891 est retiré.

*

* *

Article 15
(art. 3, art. 4 [nouveau] et art. 4 bis [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945)

Conséquences de l’assouplissement des conditions d’installation
des huissiers de justice prévu à l’article 13 bis ;
modification du périmètre territorial d’exercice de leurs compétences ;
instauration d’une limite d’âge

I. 1. MODIFICATION DE LA TERRITORIALITÉ DES COMPÉTENCES DES HUISSIERS

Le 1° du I du présent article propose de modifier le cadre territorial dans lequel les huissiers de justice exercent leurs compétences.

L’article 1er de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers reconnaît à ces officiers publics et ministériels :

– un monopole pour la signification des actes et des exploits, pour l’accomplissement des notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n’a pas été précisé et pour la mise à exécution des décisions de justice, ainsi que des actes ou titres en forme exécutoire (alinéa 1er de cet article 1er) ;

– une compétence non-exclusive pour procéder au recouvrement amiable ou judiciaire de toutes créances et, dans les lieux où il n’est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires, aux prisées (143) et ventes publiques judiciaires ou volontaires de meubles et effets mobiliers corporels (alinéa 2 de cet article 1er) ;

– une compétence pour effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter, lorsqu’ils sont commis par justice ou lorsque des particuliers en font la requête (alinéa 2 de cet article 1er) ;

– une compétence pour accomplir les mesures conservatoires après l’ouverture d’une succession, dans les conditions prévues par le code de procédure civile (alinéa 2 de cet article 1er) ;

– une compétence pour assurer le service personnel près les cours et tribunaux lorsqu’ils sont huissiers audienciers (alinéa 3 de cet article 1er) ;

– une compétence pour exercer à titre accessoire certaines activités ou fonctions dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État (alinéa 4 de cet article 1er).

Un récent décret n° 2014-983 du 28 août 2014 relatif à la compétence territoriale des huissiers de justice, entré en vigueur le 1er janvier dernier, a modifié le cadre territorial dans lequel les huissiers exercent leurs diverses compétences.

En vertu de l’article 2 de ce décret du 28 août 2014, les huissiers de justice ont désormais une compétence départementale pour l’exercice des quatre premières séries de compétences énumérées plus haut, à savoir celles qui sont mentionnées aux alinéas 1 et 2 de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

En effet, cet article 2 a modifié les articles 5 à 6 du décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris pour l’application de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice.

Désormais, les articles 5 et 5-1 de ce décret précisent que les actes prévus aux premier et deuxième alinéas de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sont faits concurremment :

– par les huissiers de justice dans le ressort du tribunal de grande instance de leur résidence ;

– par tout huissier de justice ayant sa résidence dans le ressort d’un tribunal de grande instance dont le siège est situé dans le même département que le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils doivent être effectués.

L’article 5-2 du décret du 29 février 1956 prévoit désormais que les actes signifiés par voie électronique peuvent également être faits par tout huissier de justice ayant sa résidence :

– dans le ressort du tribunal de grande instance où l’un des destinataires a son domicile ou sa résidence ;

– mais aussi dans le ressort d’un tribunal de grande instance dont le siège est situé dans le même département que le tribunal de grande instance dans le ressort duquel un des destinataires a son domicile ou sa résidence.

L’article 5-3 du décret du 29 février 1956 précise que les actes signifiés par voie électronique à un tiers dans le cadre d’une procédure d’exécution ou d’une mesure conservatoire sont faits concurremment :

– par les huissiers de justice du ressort du tribunal de grande instance où le débiteur a son domicile ou sa résidence, sauf lorsque ceux-ci sont situés à l’étranger ;

– mais aussi par tout huissier de justice ayant sa résidence dans le ressort d’un tribunal de grande instance dont le siège est situé dans le même département que le tribunal de grande instance dans le ressort duquel le débiteur a son domicile ou sa résidence.

Enfin, l’article 6 du décret du 29 février 1956 ajoute que lorsqu’un département ne comporte qu’un seul tribunal de grande instance, le premier président de la cour d’appel peut, s’il n’existe aucun huissier de justice dans le ressort de ce tribunal ou s’il n’en existe qu’un et qu’en ce cas l’intérêt des parties l’exige, autoriser un des huissiers de justice établis dans les ressorts des tribunaux de grande instance limitrophes dépendant territorialement de la même cour d’appel à faire les actes prévus aux premier et deuxième alinéas de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Alors que le cadre territorial des compétences des huissiers de justice vient de changer il y a tout juste quelques semaines, le 1° du I du présent article propose une nouvelle rédaction de l’article 3 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 pour modifier à nouveau la territorialité de ces compétences.

En l’état, cet article 3 dispose qu’« un décret fixe la compétence territoriale des huissiers de justice, leur nombre, leur résidence, les modalités suivant lesquelles ils peuvent être admis à constituer des groupements ou des associations, leurs obligations professionnelles et les conditions d’aptitude à leurs fonctions ». Ce décret n’est autre que le décret n° 56-222 du 29 février 1956.

Alors que la compétence territoriale des huissiers de justice relevait jusqu’ici du domaine réglementaire, la nouvelle rédaction de l’article 3 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 conduit à l’élever au niveau législatif.

Dans sa nouvelle rédaction, l’article 3 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 étendrait :

– au niveau national : les compétences des huissiers de justice mentionnées au deuxième et quatrième alinéas de l’article 1er de cette même ordonnance (à savoir les compétences « hors monopole » : le recouvrement amiable ou judiciaire de toutes créances ; les prisées et ventes publiques judiciaires ou volontaires de meubles et effets mobiliers corporels dans les lieux où il n’est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires ; les constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ; l’accomplissement des mesures conservatoires après l’ouverture d’une succession ; l’exercice à titre accessoire de certaines activités ou fonctions) ;

– au niveau du ressort de la cour d’appel où est établie leur résidence professionnelle : toutes les autres compétences des huissiers de justice (à savoir les compétences « sous monopole », parmi lesquelles la signification des actes et des exploits, l’accomplissement des notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n’a pas été précisé ou encore la mise à exécution des décisions de justice, ainsi que des actes ou titres en forme exécutoire).

Ayant ainsi fixé les règles de compétence territoriale des huissiers de justice, l’article 3 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa nouvelle rédaction, renverrait à un décret en Conseil d’État le soin de préciser tout ce que contient aujourd’hui le décret du 29 février 1956, à savoir :

– les conditions d’aptitude à la fonction d’huissier de justice ;

– le ressort territorial au sein duquel ils sont tenus de prêter leur ministère ou leur concours ;

– les règles applicables à leur résidence professionnelle ;

– les modalités suivant lesquelles ils peuvent être admis à constituer des groupements ou des associations ;

– leurs obligations professionnelles.

Les rapporteurs ont estimé que la mesure d’extension de la territorialité des compétences monopolistiques des huissiers de justice devait entrer en vigueur de façon différée, le principe de la compétence départementale des huissiers de justice qui a été énoncé par le (récent) décret du 28 août 2014, venant d’entrer en vigueur le 1er janvier 2015.

En effet, lors de leur audition, le 6 janvier dernier, les représentants de la Chambre nationale des huissiers de justice se sont montrés plutôt favorables à une extension au niveau national du périmètre territorial de l’exercice des compétences de ces professionnels pour les activités « hors monopole ». En revanche, ils ont demandé un délai avant une nouvelle modification du (tout récent) périmètre territorial de l’exercice des compétences des huissiers de justice pour les activités « monopolistiques », dont ils ont souhaité qu’il reste encore quelques mois celui du département.

Les rapporteurs ont donc proposé un amendement, adopté par la commission, visant à différer l’entrée en vigueur des dispositions étendant la compétence territoriale des huissiers de justice au premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi.

Ce délai d’entrée en vigueur, prévu au I bis du présent article, ménagera à la profession le temps nécessaire pour se préparer à cette nouvelle extension du périmètre territorial de leurs compétences.

II. CONSÉQUENCES DE L’ASSOUPLISSEMENT DES CONDITIONS D’INSTALLATION DES HUISSIERS DE JUSTICE PRÉVU À L’ARTICLE 13 BIS.

L’installation des huissiers de justice est aujourd’hui strictement encadrée, comme la rapporteure thématique l’expose en détail dans son commentaire de l’article 13 bis. Les règles d’implantation des huissiers de justice sont énoncées dans le décret n° 75-770 du 14 août 1975 relatif aux conditions d’accès à la profession d’huissier de justice ainsi qu’aux modalités des créations, transferts et suppressions d’offices d’huissier de justice et concernant certains officiers ministériels et auxiliaires de justice.

Comme les notaires, les huissiers de justice sont des officiers publics et ministériels délégataires d’une mission d’intérêt général qui relève d’un service public du droit. On comprend donc que, dans un souci de garantie de la continuité de ce service public, la puissance publique contrôle leur localisation.

Pour autant, comme expliqué au sujet de l’article 13 bis du présent projet de loi, les procédures actuelles de régulation de l’implantation des offices d’huissiers de justice ne contribuent pas à ouvrir une profession qui est caractérisée par un relatif malthusianisme, comme en témoigne la baisse conséquente du nombre d’offices d’huissier de justice depuis 1990 (– 17,5 %).

Pour ouvrir davantage cette profession, l’article 13 bis du présent projet de loi propose d’assouplir les conditions d’installation des huissiers de justice.

Le 2° du I du présent article en tire les conséquences pour la rédaction de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, au sein de laquelle il est proposé d’insérer un chapitre Ier bis qui s’intitulerait : « De la nomination par le garde des Sceaux, ministre de la Justice » et qui comporterait un article 4 – dont l’ordonnance précitée est aujourd’hui dépourvue.

Dans la version initiale du projet de loi, le premier alinéa de cet article 4 prévoyait que « toute personne répondant à des conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance [serait] titularisée par le ministre de la Justice en qualité d’huissier de justice dans le lieu d’établissement de son choix ».

Quoique présentée comme générale, cette liberté d’installation n’aura de plénitude que dans les zones où l’implantation d’offices d’huissier de justice ou l’association d’huissiers de justice au sein des offices existants apparaîtront utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services.

C’est la raison pour laquelle la commission a précisé, sur proposition des rapporteurs, que la nomination en qualité d’huissier de justice par le ministre de la Justice ne pouvait être refusée dans ces zones.

À défaut d’installations spontanées en nombre suffisant dans ces zones, l’article 13 bis du présent projet de loi organise un appel à manifestation d’intérêt. C’est pourquoi le troisième alinéa de l’article 4 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 fait état de cet appel.

Dans les zones identifiées comme « saturées » par la carte mentionnée à l’article 13 bis du présent projet de loi, l’installation des huissiers de justice est régulée : le ministre de la Justice peut s’y opposer. Aussi le deuxième alinéa de l’article 4 précité prévoit-il que la nomination peut toutefois être refusée dans les cas prévus à l’article 13 bis du présent projet de loi.

Le dernier alinéa de l’article 4 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les modalités d’application des nouvelles conditions d’installation des huissiers de justice, ainsi que les conditions d’honorabilité, d’expérience, de garantie financière et d’assurance requises pour être nommé en qualité d’huissier de justice.

En complément du dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des huissiers de justice, la commission a décidé, sur proposition des rapporteurs, d’instaurer une limite d’âge pour l’exercice des fonctions d’huissier de justice.

En effet, selon les données démographiques du ministère de la Justice, au 1er janvier 2012 :

– 51 huissiers de justice étaient âgés de plus de 70 ans (soit 1,6 % du total) ;

– 435 huissiers de justice étaient âgés de plus de 60 ans et moins de 70 ans (soit 13,5 % du total).

Le maintien dans leurs fonctions d’huissiers de justice ayant dépassé l’âge de 70 ans réduisant les possibilités de reprises pour les candidats à la succession dans leurs offices, l’instauration d’un âge limite permettra, dans un souci d’équité entre générations, un renouvellement de la profession.

Le 2° du présent article introduit donc un nouvel article 4 bis dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 pour inscrire une limite d’âge légale, fixée à 70 ans, pour l’exercice des fonctions d’huissier de justice. Dans l’attente de la prestation de serment de leur successeur, les huissiers de justice ayant dépassé 70 ans pourront continuer à exercer provisoirement leurs fonctions, sur autorisation du garde des Sceaux, et pendant une durée de six mois maximum.

Enfin, le II du présent article diffère l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction des articles 4 et 4 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945. Celui-ci entrera en vigueur le premier jour du douzième mois suivant celui de la publication de la loi pour la croissance et l’activité. Ce délai d’entrée en vigueur ménage un temps suffisant :

– à l’Autorité de la concurrence et au Gouvernement pour établir la carte sur la base de laquelle pourra s’exercer la liberté d’installation des huissiers de justice consacrée par l’article 4 précité ;

– aux huissiers de justice qui exercent actuellement leurs fonctions après l’âge de 70 ans, de disposer du temps nécessaire pour trouver un successeur.

*

* *

La Commission examine l’amendement SPE164 de M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Cet amendement tend à supprimer l’article 15.

D’abord, le passage concernant les modalités de la libre installation devrait être revu en conséquence de l’amendement qui a été adopté hier soir. La mention du « lieu d’établissement de son choix » devrait au moins être complétée, par souci de cohérence. Il s’agit là d’une mesure d’ordre sur laquelle nous pouvons tous être d’accord ; il resterait alors à trouver les modalités et le moment de cette réécriture.

Mais l’article concerne aussi la compétence territoriale des huissiers de justice, qu’il a pour objet d’étendre au ressort de la cour d’appel. Or on vient de réformer cette matière, par un texte applicable au 1er janvier 2015, c’est-à-dire il y a seulement quelques jours. Maintenons la compétence départementale instaurée par cette réforme toute récente au lieu de bouleverser à nouveau le système. Dans ce domaine comme dans les autres, un minimum de sécurité juridique est nécessaire, notamment aux professionnels. Vous souhaitez à juste titre les encourager à investir, monsieur le ministre de l’économie : cessez donc de modifier les règles tous les quatre matins ! Laissons les mesures qui viennent d’entrer en vigueur s’appliquer quelque temps ; nous verrons plus tard, dans le cadre des multiples évaluations de l’autorité de la concurrence, s’il y a lieu de les modifier.

Nous défendrons ultérieurement un amendement concernant la date d’entrée en vigueur de la mesure, sur les fondements exposés hier soir. J’ai bien entendu que le ministre était finalement moins généreux que moi s’agissant des délais d’adaptation.

M. le ministre. La visibilité, et plus précisément le fait de prendre en considération le changement intervenu au 1er janvier, sont en effet importants. Nous ne modifions pas les règles à chaque instant, monsieur Houillon. La stabilité n’est pas l’ennemie de la réforme menée au bon rythme. Il est donc possible de tenir compte de votre argument sans supprimer l’article.

L’amendement SPE1863 des rapporteurs devrait ainsi apaiser votre inquiétude puisqu’il ménage un délai avant l’entrée en vigueur de la mesure, garantissant par là même aux professionnels une entière visibilité.

Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Vous avez raison, monsieur Houillon, il est nécessaire de tirer les conséquences de ce que nous avons adopté hier soir. Notre amendement, qui procède à une réécriture globale du dispositif d’assouplissement de l’installation des officiers publics ministériels, offre des garanties quant à la préservation du maillage territorial et de l’accès au droit, conformément à notre préoccupation commune. Par cohérence avec cet amendement et pour la clarté de la loi, il convient de modifier les textes régissant la profession d’huissier de justice. Tel est l’objet de nos amendements aux articles 14, 15 et 16.

Ainsi, aux termes de notre amendement SPE1753 à l’article 15, la nomination en qualité d’huissier de justice par le garde des Sceaux ne peut être refusée dans les zones où l’implantation d’offices ou l’association d’huissiers de justice au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services.

Par ailleurs, au nom de la stabilité de la norme, nous avons déposé un amendement SPE1863 auquel le ministre vient de faire allusion, et qui tend à reporter au 1er juillet 2016 les mesures d’extension du périmètre d’exercice des compétences des huissiers de justice en matière de signification des actes et des exploits ou encore de mise à exécution des décisions de justice, ainsi que des actes ou titres en forme exécutoire, puisque le nouveau périmètre est entré en vigueur au 1er janvier dernier.

Avis défavorable.

M. Sébastien Huyghe. Les deux amendements auxquels il vient d’être fait référence me paraissent contradictoires. D’un côté, on donne une compétence nationale aux huissiers de justice, ce qui va favoriser les grandes études puisque les entreprises qui auront besoin de faire appel à un huissier le feront à proximité de leur siège, le plus souvent parisien, au détriment des petites études de province qui risquent de disparaître. De l’autre, dans les zones menacées de désertification, toute personne satisfaisant aux conditions de diplôme pourra s’installer. En d’autres termes, vous tuez les petites études mais vous permettez de les remplacer par des personnes prêtes à prendre le risque de subir le même sort.

Mieux vaut s’en tenir à l’extension de la compétence territoriale qui vient d’entrer en vigueur. Laissons-la vivre trois à cinq ans, puis dressons-en le bilan lorsque nous disposerons d’un recul suffisant.

La Commission rejette l’amendement SPE164.

Puis elle en vient à l’amendement SPE892 de M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Cet amendement tend à maintenir la compétence départementale des huissiers.

Au-delà de cette question, le texte doit être appréhendé dans son ensemble. Il permet de créer de nouvelles sociétés par l’association de professionnels du droit et d’experts- comptables. Sans doute souhaitez-vous étendre à d’autres professions cette possibilité. Elle revient en tout cas à libéraliser totalement les capitaux de ces sociétés. Aujourd’hui, une société d’experts comptables peut être détenue par un banquier. En d’autres termes, tout le monde pourra entrer au capital de ces sociétés.

Certes, la loi prévoit que l’on ne peut détenir plus de 33 % des droits de vote au sein d’une société d’experts-comptables si on ne l’est pas soi-même. Mais nous sommes soumis à des directives européennes, et une société créée dans un pays voisin où les conditions d’exercice de la profession d’expert-comptable sont beaucoup plus libéralisées pourrait se trouver entièrement détenue par un établissement financier alors qu’elle compte des huissiers. Telles sont les implications du texte, et peut-être même sa philosophie. Ne nous dites pas que vous n’ouvrez le capital qu’aux experts-comptables : ce faisant, vous permettez à tout le monde de devenir majoritaire dans des sociétés d’exercice des professions juridiques.

Imaginons les conséquences : une société financière qui proposerait des prêts à la consommation pourrait détenir des cabinets d’huissiers. Cela ne vous choque-t-il pas ? N’avez-vous pas l’impression d’un véritable mélange des genres ? Moi si !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous avons fermé ces sociétés aux capitaux extérieurs par un amendement qui viendra ultérieurement en discussion.

M. le président François Brottes. On peut comprendre l’interpellation de notre collègue dans la mesure où le vote n’a pas encore eu lieu.

M. Michel Zumkeller. Nous verrons tout à l’heure, mais je doute que votre amendement suffise dès lors que les capitaux des sociétés d’experts-comptables dépendent d’une directive européenne.

M. le ministre. Je suis sensible à votre esprit de système, monsieur Zumkeller, ainsi qu’à vos inquiétudes concernant l’ouverture du capital, qui devraient être apaisées par l’amendement des rapporteurs auquel le Gouvernement sera favorable. On ne peut pas dire que l’Allemagne, où existe un dispositif analogue à celui proposé par la réforme actuelle, ait renoncé pour autant à toute vertu en la matière. Ne caricaturez donc pas l’esprit de la réforme en faisant craindre le pire. Vous avez d’ailleurs eu l’honnêteté de rappeler le plafonnement des droits de vote et le mécanisme de régulation applicable.

Dans le même esprit de système, je suis défavorable au présent amendement puisqu’il supprime plusieurs alinéas d’un article qui ne traite que des huissiers.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Rappelons en outre que la compétence nationale, qui existe pour les notaires, ne les a pas fait disparaître du maillage territorial – un enjeu qui nous préoccupe comme vous. Nous avons reporté d’un an et demi, au mois de juillet 2016, l’extension de la compétence des huissiers au ressort de la cour d’appel dans la perspective d’une harmonisation probable avec les autres professions.

Sur le reste, monsieur Zumkeller, le ministre vous a répondu. Nous approuvons votre intervention.

M. Olivier Carré. Un point de méthode. Nous examinons les articles amendement par amendement, soit. Le Gouvernement nous a livré son analyse de la philosophie générale du projet et de la conception des professions réglementées qui le sous-tend. Avec plusieurs de leurs collègues, dont des membres de l’opposition, les rapporteurs ont infléchi le texte après avoir entendu les professionnels, sans en remettre en cause l’économie générale, afin d’éviter des excès qui nous avaient nous-mêmes inquiétés. Je les en félicite. Mais il nous manque un résumé de ces modifications. Il n’est pas trop tard pour le mettre au point, même s’il eût été préférable d’en disposer dès le moment où nous avons abordé les professions réglementées.

M. le président François Brottes. Je vous entends, mon cher collègue, mais, dans un tel inventaire, certaines dispositions risquent d’être oubliées, ce que l’on pourrait nous reprocher. Il suffit qu’au fil de nos échanges, la rapporteure thématique puisse, comme elle l’a fait, annoncer des amendements à venir en s’y référant avec précision.

M. Philippe Vigier. Olivier Carré a raison : nous avons besoin d’une vision globale de l’évolution du texte sur ce point. L’épreuve des faits vous a conduits à le rééquilibrer par rapport à la libéralisation complète de ces professions initialement prévue, ce qui ne fait pas obstacle à la modernité.

À l’appui de l’argumentation de Michel Zumkeller, j’aimerais rappeler les conséquences de telles mesures pour d’autres professions libérales, dont les laboratoires de biologie médicale. Avec les experts-comptables ou les capitaux extérieurs, c’est la culture du résultat qui entre dans ces sociétés. Dans ce secteur, depuis dix ans, de grands monopoles se sont organisés. C’est la réalité du terrain ! Désormais, on va même autoriser des croisements de capitaux avec d’autres pays de l’Union européenne. Nous sommes sous les coups de boutoir de Bruxelles, contre laquelle vos prédécesseurs, monsieur le ministre, ont dû lutter pied à pied, notamment s’agissant des pharmacies. Les professions juridiques doivent rester entre elles. Prenons garde aux ouvertures qui les exposeraient aux risques de financiarisation et de déficit de résultat alors qu’elles sécurisent les usagers.

Madame la rapporteure, votre proposition de report au 1er juillet 2016 témoigne de vos doutes. D’ici à cette date, ces professions juridiques auront évolué, peut-être pour donner le jour à une nouvelle profession unique, en tout cas sans ouverture complète du capital. De la sorte, on saura si vos préconisations concernant les zones juridiquement vides portent leurs fruits.

Je ne suis moi-même pas certain que le ressort de la cour d’appel soit pertinent. Voyez la répartition des cabinets d’huissiers de justice : dans les territoires ruraux, il s’agit de petites structures de trois à six salariés, huit tout au plus ; ailleurs, on trouve des études qui en comptent cinquante à soixante. Un acte notifié par un huissier, c’est 18,53 euros, dont 13 euros de taxes pour l’État et 5 pour l’huissier. Là encore, c’est la réalité du terrain ! Les petites études survivront-elles ? Nous verrons bien si la nouvelle architecture que vous proposez – et nous ne contestons pas la nécessité d’une modernisation – fait la preuve de son efficience.

M. le rapporteur général. Permettez-moi d’apporter une clarification.

On évoque une vision générale : vous connaissez celle du Gouvernement ; celle des rapporteurs ne lui est pas opposée. Le premier objectif est de faciliter l’installation de jeunes et de déverrouiller l’accès à certaines professions. Le deuxième est de rendre les tarifs plus lisibles et plus accessibles, sans porter atteinte à la légitime prospérité de ces professions, qui rendent des services de très grande qualité. Le troisième – nous y reviendrons – est de permettre le développement de l’interprofessionnalité, comprise, dans le respect des règles européennes, comme la possibilité de s’associer dans l’exercice et non comme l’interprofessionnalité capitalistique avec les professions du chiffre. En d’autres termes, les professions du droit entre elles devraient pouvoir s’associer sur tous les plans ; en revanche, nous écartons l’association capitalistique pour les raisons très clairement exprimées par Michel Zumkeller.

La Commission rejette l’amendement SPE892.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques SPE159 de M. Philippe Houillon et SPE274 de M. Gilles Lurton.

M. Philippe Houillon. L’amendement SPE159 tend à supprimer les alinéas 2 à 9, qui concernent l’extension de la compétence des huissiers, pour les raisons déjà exposées.

J’ai vu avec quel enthousiasme le ministre insiste néanmoins pour faire passer le texte, alors que le dispositif vient d’être réformé. J’ai entendu qu’un amendement ultérieur des rapporteurs renverrait au 1er juillet 2016 l’entrée en vigueur de la mesure, ce qui ménage un délai d’un an et demi. Alors même que les professionnels viennent de se mettre en état de marche pour le 1er janvier 2015 comme on le leur avait demandé, il n’est guère responsable de leur annoncer une nouvelle formule assortie d’un nouveau délai d’adaptation. Ce n’est pas en désorganisant en permanence les professions que l’on préservera leurs performances. Mais c’est votre politique ; j’imagine donc que la mesure sera adoptée.

C’est avec le même enthousiasme et la même assurance martiale que certains de vos prédécesseurs avaient décrété les trente-cinq heures, monsieur le ministre ; on a vu les conséquences pour le pays. Continuons donc à tout changer sans arrêt ! Faut-il que le ministère de la justice de votre gouvernement ait mal travaillé en décidant et en préparant, dans la concertation, la précédente réforme pour que vous l’écartiez à peine entrée en vigueur !

M. Gilles Lurton. L’amendement SPE274 est identique.

En étendant la compétence territoriale des huissiers au ressort de la cour d’appel, on risque de créer des déserts juridiques, comme pour les barreaux ainsi que nous l’avons dit hier soir. On peut se satisfaire d’avoir moins d’huissiers de justice dans les secteurs les plus ruraux dans la mesure où il n’est jamais très agréable de recourir aux services de cette profession. Il n’empêche que le besoin de proximité en pâtirait.

M. le ministre. D’abord, cette réforme n’est pas une marque d’incohérence ; au contraire, elle poursuit et accélère ce qui a été précédemment entrepris. Ensuite, elle a fait l’objet d’échanges avec les huissiers et, à en croire ceux que nous avons eus dernièrement avec le président de leur chambre nationale, ils ont été satisfaits de ce délai additionnel, dont ils sont immédiatement avertis, ainsi que des aménagements sur les petites créances, auxquels nous reviendrons.

Enfin, il convient de tenir compte de la situation actuelle. Vous craignez un désert, mais le nombre d’études d’huissiers a déjà baissé de 20 % depuis 1980 et a encore diminué au cours des dix dernières années, ainsi que le nombre d’huissiers. Pourquoi, sinon faute de matière ? Voilà pourquoi nous permettons à ces professionnels d’accéder à d’autres actes, d’étendre leur activité et de mieux s’organiser entre eux. Si tout allait bien, nous pourrions ne rien faire, mais tel n’est pas le cas. La désertification est déjà une réalité, au vu de la démographie et de la situation dans certains territoires.

Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Même avis.

Les représentants de la Chambre nationale des huissiers de justice, que nous avons entendus le 6 janvier dernier – ce qui est bien normal au moment de modifier le périmètre de leur compétence –, se sont montrés plutôt favorables à l’extension à l’échelon national de leur compétence territoriale pour les activités hors monopole. J’ai confiance en leur capacité à s’organiser au niveau national. En revanche, ils ont demandé un délai pour l’extension de leurs compétences « sous monopole » au ressort de la cour d’appel puisque la dernière modification du périmètre est toute récente, comme l’a rappelé Philippe Houillon. Nous avons donc associé la profession à notre réflexion, elle n’est pas opposée à nos propositions et je doute que celles-ci puissent susciter de virulentes protestations de sa part.

Mme Véronique Louwagie. Le maillage territorial ne figurait pas parmi les objectifs énumérés tout à l’heure par le rapporteur général. Or nous sommes très inquiets des conséquences de la réforme à cet égard. Dans le territoire où je suis élue, une ville de 8 000 habitants où les huissiers sont chargés d’un secteur où vivent 25 000 personnes, ils sont proches des citoyens, les conseillent lorsqu’ils signifient certains actes, et cette proximité est essentielle.

Pour les avoir rencontrés, madame la rapporteure thématique, je doute que tous partagent le point de vue que vous avez recueilli auprès de leurs représentants. La base est vraiment inquiète. Dans des territoires déjà privés de tribunaux et, par suite, de bureaux annexes et d’avocats au cours des dernières années, nous ne voulons pas perdre ces professionnels du droit, les seuls qui aillent vers les habitants – à titre d’exemple, ce sont au contraire les citoyens qui vont vers les notaires. La compétence nationale risque d’entraîner une véritable désertification juridique.

M. Philippe Vigier. J’ajoute que le territoire des cours d’appel ne recoupe pas toujours celui des régions, anciennes ou nouvelles – car, ne l’oublions pas, nous sommes en train d’organiser la nouvelle France des régions. L’Eure-et-Loir dépend du ressort de la cour d’appel de Versailles ; d’autres parties du territoire partagent leur ressort avec d’autres régions. Le périmètre de la cour d’appel variant de 40 kilomètres dans certains cas à 250 kilomètres dans d’autres, les études les mieux organisées, les plus structurées, celles qui disposent des plus gros moyens, risquent d’accaparer les parts de marché au détriment de petites études qui garantissent aux citoyens la proximité du droit.

En somme, oui à l’évolution de la profession, oui à l’évolution du périmètre, mais à condition que les professions aient la capacité et le temps de s’organiser.

M. Philippe Houillon. Selon le ministre, le texte offrirait de nouvelles possibilités aux huissiers, qui sont dans une situation difficile dont témoigne la baisse du nombre d’études. Cet argument laisse perplexe : l’extension du secteur géographique de compétence ne peut qu’entraîner mécaniquement des concentrations ; en outre, pour cette profession comme pour d’autres, les clients, notamment institutionnels, vont suivre le mouvement, ce qui aura des conséquences sur le territoire. Vous êtes persuadé du contraire, monsieur le ministre ; nous évaluerons le moment venu cette loi qui portera votre nom.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, je vous ai demandé plusieurs fois quel rapport cette loi pouvait bien entretenir avec la croissance et l’activité. Je commence à comprendre : selon vous, l’activité des huissiers devrait croître avec leur nombre. En réalité, la situation n’est pas bonne pour les huissiers et ce n’est pas en multipliant leur nombre, ni en faisant accéder à la profession des personnes moins bien formées, que nous atteindrons cet objectif.

M. Marc Dolez. Je crains pour ma part les conséquences de la nouvelle carte régionale sur l’administration déconcentrée de l’État, et sur la carte judiciaire en particulier. On nous expliquera bientôt qu’il faut aussi supprimer certaines cours d’appel, ce qui ne fera qu’étendre le ressort territorial des autres et accentuer les phénomènes que l’article 15 nous fait redouter.

Madame la rapporteure thématique, la journée du 6 janvier 2015 devait vraiment être décisive pour qu’une partie des auditions auxquelles vous avez procédé ce jour-là remette en cause les conclusions de notre mission d’information. La manière dont vous venez de présenter vos échanges avec les huissiers me paraît très optimiste. Pour m’en être entretenu avec eux, je puis vous assurer que nombre d’huissiers à travers le pays ne partagent pas le sentiment dont vous faites état. Ils sont au contraire très inquiets – à juste titre, à mon avis.

M. Julien Aubert. Je ne reviens pas sur le diagnostic, qui est partagé. Nous avons tous reçu dans nos circonscriptions les représentants des professions réglementées. Le message d’ensemble était clair : ils sont inquiets de la libéralisation à marche forcée de leur profession. J’ai assisté à une partie des auditions conduites par la rapporteure thématique ; ils étaient alors moins vindicatifs, je peux en témoigner, mais leurs craintes demeuraient et n’ont pu être apaisées sur tous les points.

La rédaction de cette loi me paraît en outre marquée par une forme de parisianisme. Il semble qu’il y ait deux types d’huissiers, comme nous disions hier qu’il existait deux types d’avocats. L’Île-de-France d’une part, les territoires ruraux de l’autre ont chacun leurs problèmes propres.

Monsieur le ministre, nous savons que l’ouverture à la concurrence va détruire des emplois. Si le secteur postal en a perdu, c’est pour cette raison, même si ce n’est pas la seule. Or nous avons des attentes concernant les territoires périphériques, ruraux, dont nous craignons la fragilisation économique. Quel engagement pouvez-vous prendre afin d’éviter ces externalités négatives ? Peut-on faire en sorte que cette loi s’applique dans les métropoles, les régions urbaines, où ces effets seront moins massifs, tout en tenant compte des légitimes attentes et des avertissements de députés de tous bords issus de la ruralité ?

Ne caricaturons pas les positions en présence. Débloquer la croissance du pays, l’UMP n’y a jamais été opposée, mais pas à n’importe quel prix ! Car qu’en sera-t-il une fois que les œufs seront cassés ?

M. Jean-Yves Caullet. Le maillage territorial est une préoccupation partagée qui ne se réduit pas au problème des professions juridiques. Mais, en l’espèce, ce n’est rien de moins qu’une nécessité physique pour que celles-ci accomplissent leurs missions. On ne la fera pas disparaître par un texte ! Ici, nous offrons à ceux qui exercent ces professions la possibilité de s’associer, pour donner un peu d’air à ceux qui y parviendront, afin de maintenir leur présence sur le territoire.

Nous constatons tous la même difficulté. La mutualisation est une tentative pour y remédier, elle n’est pas la cause de cette difficulté qui est tendancielle. On a parlé des laboratoires d’analyse ; il est vrai que la concentration menace le maillage, mais, sans cette mutualisation par une forme de concentration, certains petits laboratoires auraient déjà disparu faute de pouvoir s’adapter aux normes en matière médicale.

C’est une dialectique, j’en conviens ; nous faisons le pari qu’elle sera bénéfique et que la mutualisation permettra aux professionnels de se maintenir au plus près des endroits où les actes sont nécessaires. Si le besoin d’actes ne se fait pas sentir, il sera difficile de conserver un maillage sans activité.

M. Sébastien Huyghe. Vous parlez de donner un peu d’air, mais c’est ce que l’on fait depuis le 1er janvier. Attendons que cette modification ait été évaluée ! Si l’évaluation est satisfaisante et que nous pouvons faire un pas de plus, nous le ferons. Mais sans connaître les conséquences de la départementalisation – et pour cause puisqu’elle n’est appliquée que depuis quinze jours –, ce serait bel et bien incohérent. Nous ne sommes pas a priori défavorables à une évolution et notamment à celle que prévoit le texte, à condition qu’elle tienne compte de la réalité du terrain. Car pour filer la métaphore de l’œuf, une fois que celui-ci est cassé, il est trop tard pour séparer le blanc du jaune.

M. le ministre. Je le répète, le statu quo serait possible si la situation actuelle était satisfaisante, si les huissiers eux-mêmes, lors de nos échanges avec eux, ne s’étaient pas montrés ouverts à l’éventualité d’une extension de leur compétence au ressort de la cour d’appel, si nous ne leur accordions pas pour cela un délai clairement annoncé.

Mais il est apparu que la profession est prête à se réorganiser dans les territoires. Nous lui permettons de le faire en se regroupant avec d’autres professionnels, nous lui donnons plus de matière – nous y reviendrons à propos des petites créances. Rappelons que la compétence nationale existe déjà pour des actes hors monopole, comme le recouvrement de créances amiables. Cette réorganisation n’est pas l’ennemie du maillage ; au contraire, elle va permettre à ces professionnels d’être présents sur le territoire, y compris au travers d’autres structures. C’est si nous ne faisons rien que le maillage sera menacé, à cause de l’anémie croissante de la profession.

Il ne faut pas caricaturer ce que nous instaurons ici. Il ne s’agit pas de la pression de l’ouverture à la concurrence. Dans le cas de La Poste cité par M. Aubert, le vrai problème n’est pas l’ouverture à la concurrence mais la transformation des pratiques. Or, précisément, le métier d’huissier est en train de changer – les huissiers le reconnaissent – et ce changement nécessite une réflexion d’ensemble sur la profession, celle-là même que porte la présente réforme. Tel est le sens de la révision du ressort des actes monopolistiques, assortie d’un délai que les huissiers ont accepté lorsque je les ai rencontrés le 10 décembre dernier ; des marges de manœuvre que nous leur donnons s’agissant des petites créances ; de la demande que nous leur adressons de mieux s’organiser avec La Poste – à laquelle je suis aussi attaché que vous, monsieur Aubert –, pour le bien des citoyens, de La Poste et des huissiers eux-mêmes.

M. le rapporteur général. Nous nous préoccupons tous du maillage territorial : personne ici n’a le monopole de la ruralité ni du désir de la préserver. Si les mesures que nous examinons devaient priver nos territoires de ressources dans les domaines dont nous parlons, à l’évidence nous y serions tous opposés.

En réalité, où ces professionnels sont-ils le plus installés ? Il y a un notaire pour 4 500 habitants dans l’Aveyron, contre un pour 17 000 en Seine-Saint-Denis. Quant aux huissiers, leur implantation est plus dense dans le Gard, la Lozère, l’Aveyron ou les Landes qu’ailleurs. Issu du Finistère intérieur, qui n’est pas la partie de la Bretagne la plus prospère ni la plus dense, je suis particulièrement sensible à ces questions. Tel était d’ailleurs l’axe de la mission que m’a confiée le Premier ministre sur les professions du droit.

Ces professions existent et vivent de leur activité. Étendre leur compétence, professionnelle et territoriale, devrait conforter cette activité, voire la développer, bien plutôt que l’amputer. Pourquoi l’extension du territoire de compétence permettrait-elle aux études ou cabinets situés dans les villes les plus importantes de siphonner les autres ? C’est une vision bien sombre !

Mme Véronique Louwagie. Elle est réaliste !

M. le rapporteur général. Pas du tout. Vos angoisses sont légitimes, car le changement est anxiogène ; voilà d’ailleurs pourquoi certains le refusent catégoriquement. Mais le pire n’est jamais sûr.

Je l’ai dit, ce n’est pas là où l’on pourrait s’y attendre que la présence de ces professionnels est la plus dense. Pourquoi ces disparités ? Dans certains des départements que j’ai cités, la clientèle des notaires ne se limite pas à celle du chef-lieu de leur canton d’implantation ou du département. On le constate en discutant avec eux sur le terrain, ainsi qu’avec leurs représentants. Pourquoi ce qui a été efficient pour telle profession deviendrait-il subitement nocif pour telle autre ?

En outre, le maillage territorial n’est pas mis en péril. Madame Louwagie, vous me reprochez de ne pas avoir cité le maillage territorial parmi les objectifs que j’ai évoqués en répondant à Olivier Carré. C’est que ce maillage ne constitue pas un objectif à proprement parler, puisqu’il existe déjà. Tout notre travail consiste en revanche à le préserver en amendant le texte du Gouvernement.

Quoi qu’il en soit, si je ne suis pas certain que le projet de loi déposé à l’Assemblée puisse être qualifié de « parisien », je suis sûr qu’il ne sortira pas de notre hémicycle sans être devenu « provincial » car tous les députés ont les mêmes préoccupations concernant les territoires. Ne suscitons pas les peurs sous prétexte que nous entrons dans une modernité qui doit bénéficier à tous les territoires y compris au monde rural où nous sommes nombreux à habiter !

M. Julien Aubert. Je vous laisse la responsabilité de vos propos sur la modernité. Qui aurait pu croire qu’un gouvernement socialiste nous expliquerait un jour que la mise en concurrence, la libéralisation, et « l’ultralibéralisme sauvage » dont on nous a rebattu les oreilles, sont du côté de la modernité ? C’est le monde à l’envers. Il faut enregistrer ces paroles historiques !

Nous avons des appréhensions parce que nous avons connu certaines expériences malheureuses. L’opposition a déjà eu l’occasion de dénoncer les dégâts économiques que pourraient causer certains textes et de s’entendre répondre que ses craintes n’étaient pas légitimes : au final, les réformes en question ont souvent failli s’écraser sur le mur de la réalité – je pense par exemple à la loi ALUR.

En termes économiques, vous proposez de mettre en concurrence des acteurs qui ne peuvent pas créer de nouveaux services, contrairement à ce qui se produit dans le secteur marchand, et qui ne pourront agir que sur les coûts. Dans ce cadre, je doute sincèrement que les « petits » puissent gagner face aux « gros » comme vous le laissez entendre. Inévitablement les acteurs les moins performants devront, soit baisser leurs marges, soit disparaître. L’Autorité de la concurrence a clairement indiqué que l’émulation devait conduire à une baisse des tarifs. Cela jouera inéluctablement sur la viabilité de certains des acteurs.

Vous semblez le nier, mais pouvez-vous citer un seul exemple d’une mise en concurrence dans le monde qui n’ait eu aucune répercussion sur la viabilité des acteurs les plus faibles ? Nous savons ce que dit la théorie économique : dans un premier temps, les acteurs les plus fragiles vont disparaître, dans un deuxième temps, les plus forts vont se concentrer, et dans un troisième temps l’efficacité de ces derniers va s’accroître. Le problème, pour citer Keynes, est qu’« à long terme, nous serons tous morts ». Je ne m’intéresse en conséquence qu’aux effets qu’aura ce projet de loi d’ici à cinq ou dix ans. Je ne dis pas que vos objectifs ne sont pas louables ; je rappelle seulement que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

M. Jean-Louis Bricout. Comme la plupart de mes collègues, j’éprouve une forme d’inquiétude concernant le maillage territorial, mais il me semble que les véritables enjeux en la matière ne se situent pas dans ce projet de loi.

La carte de la démographie médicale montre que tout se joue en fait en termes d’attractivité des territoires : les médecins ne s’installent pas dans les zones rurales où ils seraient certains d’avoir du travail ; ils privilégient les grandes villes où l’on trouve des universités, les territoires qui proposent une certaine qualité de vie, et les zones très touristiques.

M. Philippe Houillon. Je connais la rectitude intellectuelle et la bonne foi de notre rapporteur général, mais peut-être n’est-il pas suffisamment familier du fonctionnement des professions dont nous traitons. Le maillage territorial actuel n’existe en effet que parce que les clients institutionnels sont dans l’obligation de le respecter : les organismes de recouvrement de créances, les banques, les assurances représentent un pourcentage significatif du chiffre d’affaires de métiers dont ils assurent la survie. Aujourd’hui, la postulation et la compétence départementale des huissiers en matière de significations obligent en quelque sorte les institutionnels à assurer le maillage territorial. Si vous changez la règle du jeu, ces derniers voudront nécessairement réduire leurs coûts et ne s’adresser qu’à un professionnel au niveau de la cour d’appel plutôt qu’à cinq au niveau des tribunaux de grande instance. Mécaniquement, cette évolution conduira à des regroupements.

Si, par ailleurs, le ministre de l’économie donnait, un jour ou l’autre, suite aux avis de l’Autorité de la concurrence qui propose de réduire encore pour les notaires le périmètre de l’authentification et, pour les huissiers, celui de la signification, les effets conjugués de ces réformes feraient à coup sûr courir un véritable risque à ces professions.

Je ne prétends pas qu’il ne faut toucher à rien, mais est-il normal de réformer sans disposer d’une étude d’impact digne de ce nom ? Le Gouvernement engage l’avenir d’un secteur économique sans avoir évalué les conséquences de ses réformes : c’est irresponsable ! Monsieur le ministre, comment osez-vous présenter un projet de loi alors que le Conseil d’État considère que l’étude d’impact qui l’accompagne n’est ni faite ni à faire ?

M. le ministre. Monsieur Houillon, après un peu plus de vingt-quatre heures de débats, j’entends que vous reconnaissez finalement la nature économique des réformes qui vous sont proposées et, en conséquence, la légitimité de ma présence devant cette commission spéciale.

Si vos propos concernant l’étude d’impact étaient justifiés, sachez aussi que le Conseil d’État aurait tout simplement refusé d’examiner l’avant-projet de loi : cela n’a pas été le cas.

Enfin, j’ai été très clair dès le début de nos discussions sur la préservation de l’acte authentique et de l’exclusivité de la signification des actes. J’ai toujours dit que le Gouvernement n’avait pas l’intention de modifier le périmètre de ces actes, et qu’il n’entendait pas suivre les préconisations de l’Autorité de la concurrence en la matière. Je répète par ailleurs que ce domaine du droit, constitutif de la sécurité juridique de notre pays, relève tout entier de la garde des Sceaux, et que le Gouvernement est en plein accord sur ce sujet. Il n’est évidemment pas tenu de suivre les avis de l’Autorité de la concurrence. Ces avis ne doivent pas inquiéter qui que ce soit ; ils sont au contraire précieux afin d’améliorer la transparence des décisions. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement s’est engagé à ne revenir ni sur l’authenticité des actes dont sont garants les notaires ni sur la signification des actes qui incombe aux huissiers. Ce n’est pas parce que l’Autorité de la concurrence écrit qu’il faut le faire que nous le ferons. Nous ne le ferons pas !

La Commission rejette les amendements SPE159 et SPE274.

L’amendement SPE275 de M. Gilles Lurton est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les deux amendements identiques SPE893 de M. Michel Zumkeller et SPE1150 de Mme Audrey Linkenheld, et l’amendement SPE160 de M. Philippe Houillon.

M. Michel Zumkeller. Mon amendement vise à reporter au 1er janvier 2018 la mise en œuvre d’une mesure qui constitue une évolution majeure du métier d’huissier de justice.

Mme Audrey Linkenheld. Pour un certain nombre de territoires, le double impact de la nouvelle carte départementale et d’une nouvelle loi pourrait être difficile à absorber dans des délais très brefs. Ce sera le cas dans mon département du Nord, qui est le plus peuplé de France : l’adaptation aux nouveaux cantons n’y sera pas simple pour les huissiers de justice – d’autant que la région ne compte qu’une seule cour d’appel.

Nous proposons un report au 1er janvier 2018 de l’entrée en vigueur de la mesure.

M. Philippe Houillon. Mon amendement vise à fixer au 1er juillet 2017 la date d’application de la réforme relative à la compétence territoriale des huissiers.

Monsieur le ministre, mes propos justifient peut-être votre présence, mais vous ne pouvez pas vous contenter de vous en satisfaire sans répondre au fond de mes questions.

M. le ministre. Je suis défavorable aux trois amendements. Les rapporteurs ont déposé un amendement SPE1863 comportant un délai qui me semble plus raisonnable.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Même avis. L’amendement SPE1863 fixe au 1er juillet 2016 l’entrée en vigueur des dispositions concernées.

M. Julien Aubert. Je ne voudrais pas entamer un débat sur le mot « raisonnable » que vient d’utiliser M. le ministre. En revanche, la rapporteure thématique peut-elle nous expliquer comment la date du 1er juillet 2016 a été fixée ? Qu’en disent les professionnels du secteur ? Estimez-vous que cette date se situera environ un an après la promulgation de la loi ? Si tel est bien le cas, ce délai vous semble-t-il suffisant ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je ne vous cache pas que les professions concernées seront d’autant plus satisfaites que la réforme s’appliquera tardivement. Nous proposons qu’elle soit mise en œuvre d’ici à un an et demi : dès lors que nous considérons qu’il est urgent d’agir et que la réforme ne nuit pas à la profession, ce délai permet aux professionnels de s’adapter et de se préparer.

M. le rapporteur général. Le délai « raisonnable » permet à la fois aux professionnels de s’adapter, et à nos concitoyens de constater que les lois que nous votons s’appliquent bel et bien.

Nous entendons si souvent dire que les annonces de réformes ne sont pas suivies d’effets que nous devons prioritairement penser aux citoyens pour lesquels nous faisons la loi avant d’intégrer les divers soucis des professionnels. Procédons ainsi et, de grâce, pas dans l’ordre inverse !

M. Philippe Vigier. Nous ne proposons pas un report sine die mais un délai qui n’est pas si long pour répondre aux divers enjeux de la réforme. Le passage de la compétence départementale à celle du ressort de la cour d’appel, et la réunion de professions juridiques au sein de sociétés, qui va immédiatement entraîner des fusions-absorptions et des réorganisations, demandent du temps. À partir de la publication des décrets d’application de la loi, les divers chantiers nécessaires pourront être menés de front avec la garantie d’être opérationnel le 1er janvier 2018. Il faut du temps pour évaluer chacune des charges, modifier l’organisation humaine, appréhender les parts de marché et, surtout, pour répondre aux attentes du terrain afin d’en finir avec les déserts juridiques.

M. Julien Aubert. Il me semble que le délai proposé par les rapporteurs est dérogatoire par rapport aux ouvertures à la concurrence qui s’étalent en général sur plusieurs années. Je ne connais aucun secteur qui ait été ouvert à la concurrence en une seule année.

Je rappelle aussi que la seule annonce de ce projet de loi a provoqué le blocage de la vente de certaines études ou de certains cabinets car les notaires ou les huissiers attendent de voir à quelle sauce ils seront mangés. Avec un délai aussi bref, ne risquons-nous pas de constater un brutal effet de seuil ? Un délai supplémentaire permettrait aux acteurs de raisonner sur le plus long terme : il leur éviterait de prendre des mauvaises décisions et de céder à des effets de panique. Il garantirait aussi que tous les décrets d’applications auront été pris.

Vous parlez d’urgence. Je constate que le statut de ces professions a parfois plusieurs siècles ; je ne crois pas qu’un délai d’une année supplémentaire changera grand-chose à l’affaire.

Mme Colette Capdevielle. Pour l’application de cette disposition, ne pourrions-nous pas fixer un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi : cela serait cohérent avec ce que nous avons déjà retenu pour l’entrée en vigueur du dispositif relatif à la postulation des avocats au ressort de la cour d’appel ?

M. Gilles Lurton. La rapporteure thématique compte un an et demi entre aujourd’hui et le 1er juillet 2016, mais il faudrait plutôt prendre comme point de départ de ce décompte la sortie des décrets d’application, ce qui laisserait un délai extrêmement court. Je crois me souvenir que les représentants des huissiers ont demandé à juste titre que la mise en œuvre de la mesure n’ait pas lieu avant le 1er juillet 2017.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Les fonctionnaires du ministère de la justice, les juges et les greffiers, déjà débordés, se remettent à peine de la réforme de la carte judiciaire. Or vous allez leur imposer un surcroît d’activité en engageant une réorganisation. Peut-être serait-il judicieux de leur laisser un peu de temps – cela permettrait aussi à la garde des Sceaux d’analyser le texte ?

M. Denys Robiliard. Les réorganisations inévitables ne s’interrompront pas avec l’entrée en vigueur de la loi. Autant fixer une date qui ne soit pas trop lointaine afin que les choses bougent. Plus vous retarderez l’échéance, plus certains professionnels attendront pour voir ce qui se passera.

Les propos du ministre affirmant que l’avis de l’Autorité de la concurrence sur les significations ne sera pas mis en œuvre sont essentiels. La signification, qui coûte tout de même de 60 à 80 euros, rend en quelque sorte obligatoire le maillage territorial car il faut être sur le terrain pour signifier les actes, et le connaître finement pour être efficace. Il y aura en conséquence une sorte d’arbitrage effectué entre la nécessité de la proximité et la tendance à la concentration, notamment sous l’influence des institutionnels qu’évoquait Philippe Houillon.

M. Arnaud Leroy. Je soutiens la proposition pragmatique de Colette Capdevielle. Cette formulation déjà utilisée a le mérite de la cohérence.

M. le ministre. Le Gouvernement proposera au rapporteur général de modifier son amendement SPE1863 en remplaçant les mots « au 1er juillet 2016 » par les mots : « au premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi ».

M. Julien Aubert. Le « premier jour du douzième mois », cela fait onze mois ! La date du 1er juillet 2016 semblait calculée pour une entrée en vigueur un an après la promulgation de la loi. L’air de rien, alors que vous paraissiez accepter un allongement du délai, vous proposez de le faire passer de douze à onze mois.

M. le rapporteur général. Nous avons déjà adopté cette formulation hier.

M. le président François Brottes. Elle présente l’intérêt de ne pas figer la date de mise en œuvre sans tenir compte de celle de la promulgation.

L’amendement SPE1150 est retiré.

La Commission rejette les amendements SPE893 et SPE160.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE1751 des rapporteurs.

Puis elle est saisie de l’amendement SPE162 de M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. La suppression de la postulation au niveau du tribunal de grande instance (TGI) revient sur un monopole accordé aux huissiers. Je souhaitais en conséquence déposer un amendement proposant de les indemniser, mais il a été déclaré irrecevable. Nous sommes saisis à ce stade de l’amendement qui permettait de compléter ce dispositif et prévoyait la remise d’un rapport au Parlement relatif à cette indemnisation.

Nous reviendrons sur ces questions lorsque la loi sera promulguée à une date que les professionnels ne peuvent pas connaître…

M. le président François Brottes. En tout état de cause, la promulgation interviendra plus rapidement si le Conseil constitutionnel n’est pas saisi !

M. Philippe Houillon. Il serait préférable que le Conseil se prononce préalablement pour éviter les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ultérieures.

M. le président François Brottes. Je sais d’expérience qu’une décision du Conseil constitutionnel avant la promulgation d’une loi ne garantit en rien contre les QPC ! Peut-être avez-vous entendu parler de la « loi Brottes » sur les coupures d’eau ? (Sourires.)

M. le ministre. Avis défavorable. Monsieur Houillon, nous ne supprimons pas une profession ; nous ne supprimons pas un monopole : nous étendons une compétence territoriale au sein d’une même profession. Nous sommes certains qu’il n’y a pas d’indemnisation à prévoir. Nos échanges avec le Conseil d’État n’ont fait que nous conforter sur ce point.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. Le décret du 28 août 2014 qui a fait passer la compétence territoriale des huissiers du ressort du TGI au département ne comportait pas de dispositions relatives à une indemnisation. Pour ce qui est des rapports, nous savons qu’ils sont peu lus et, en l’espèce, celui qui est demandé porterait sur un dispositif encore hypothétique.

La Commission rejette l’amendement SPE162.

Elle adopte l’amendement rédactionnel SPE1752 des rapporteurs.

Puis elle en vient à l’amendement SPE1753 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. En cohérence avec l’amendement des rapporteurs portant article additionnel après l’article 13, le présent amendement vise à préciser que la nomination en qualité d’huissier de justice par le ministre de la justice ne peut être refusée dans les zones où l’implantation d’offices ou l’association d’huissiers de justice au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services.

M. le ministre. Avis favorable.

Mme Véronique Louwagie. Les articles 14, 15 et 16 font référence à des « conditions d’aptitude » des notaires, des huissiers et des commissaires-priseurs judiciaires. Le ministre peut-il nous donner des précisions à ce sujet ? Vise-t-on un niveau de formation, de compétence, de qualification ? Les diplômes existent pour chacune de ces professions mais ils ne sont jamais évoqués ; nous devons savoir s’ils constituent un élément essentiel de l’aptitude. Alors que l’on évoque l’élargissement des champs de compétence, celui des périmètres d’actions, ou encore la pluriactivité, une clarification s’impose.

M. le ministre. Le détail des conditions d’aptitude sera fixé par la voie réglementaire. Les diplômes universitaires sont concernés, de même que la validation de l’expérience professionnelle ou les diplômes professionnels.

La Commission adopte l’amendement SPE1753.

En conséquence, les amendements SPE277, SPE290, SPE670, SPE1159, SPE276, SPE666 et SPE766 tombent.

La Commission examine l’amendement SPE1780 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il vise à instaurer une limite d’âge pour l’exercice des fonctions d’huissiers de justice. Elle est fixée à 70 ans comme pour les notaires et les autres professions juridiques réglementées.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1780.

Elle est saisie de l’amendement SPE1863 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit de l’amendement que le Gouvernement a suggéré de modifier afin que les dispositions étendant la compétence territoriale des huissiers de justice entrent en vigueur « au premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi ». Nous sommes d’accord pour le rectifier dans ce sens.

M. le ministre. Sous cette forme, nous y sommes évidemment favorables.

La Commission adopte l’amendement SPE1863 ainsi rectifié.

L’amendement SPE163 de M. Philippe Houillon est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1754 des rapporteurs.

Puis elle adopte l’article 15 modifié.

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Article 16
(art. 1-1, 1-1-1 [nouveau], 1-1-2 [nouveau], 1-2, 1-3, 2, 3 et 12 de l’ordonnance du 26 juin 1816 ; art. 56 de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000)

Conséquences de l’assouplissement des conditions d’installation
des commissaires-priseurs judiciaires prévu à l’article 13 bis ;
modification des règles d’établissement de leurs bureaux annexes ;
instauration d’une limite d’âge

L’installation des commissaires-priseurs judiciaires est aujourd’hui strictement encadrée. Si ces officiers ministériels ont une compétence quasi-nationale, ils sont tenus, comme les notaires, de n’exercer à titre habituel leur activité que dans l’office dans lequel ils sont établis.

Les règles d’implantation des commissaires-priseurs judiciaires sont fixées par l’ordonnance du 26 juin 1816.

Si l’on peut comprendre que, dans un souci de garantie de la continuité des missions de service public dont les commissaires-priseurs judiciaires sont délégataires, la puissance publique encadre leur localisation, on peut cependant difficilement admettre que les actuelles règles d’implantation des offices de commissaire-priseur judiciaire participent à une baisse du nombre de ces offices depuis 1990 (– 6 %).

Les 1° à 4° du I du présent article tirent les conséquences l’assouplissement des conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires à laquelle procède l’article 13 bis du présent projet de loi.

Le 1° du I du présent article modifie l’article 1-1 de l’ordonnance du 26 juin 1816 qui établit, en exécution de la loi du 28 avril 1816, des commissaires-priseurs judiciaires dans les villes chefs-lieux d’arrondissement, ou qui sont le siège d’un tribunal de grande instance, et dans celles qui, n’ayant ni sous-préfecture ni tribunal, renferment une population de cinq mille âmes et au-dessus.

Le deuxième alinéa de cet article 1-1 dispose aujourd’hui que « deux offices de commissaire-priseur judiciaire peuvent être confiés au même titulaire sous réserve que leurs sièges soient situés dans le ressort d’une même chambre de discipline ».

Cette limitation du nombre maximal d’offices dont un même commissaire-priseur judiciaire peut être titulaire ne s’inscrit pas dans la logique d’assouplissement des conditions d’installation de cette catégorie d’officiers ministériels qui anime le présent projet de loi.

C’est la raison pour laquelle le a) du 1° du I du présent article propose de supprimer le plafond du nombre d’offices dont un même commissaire-priseur judiciaire peut être titulaire. À l’avenir, « plusieurs offices de commissaire-priseur judiciaire [pourront] être confiés au même titulaire ».

En cohérence avec la nouvelle procédure de création d’offices de commissaire-priseur judiciaire qu’organise l’article 13 bis du présent projet de loi et dans laquelle l’Autorité de la concurrence sera amenée à jouer un rôle crucial, en apportant une expertise et un éclairage nouveaux en matière d’implantation des offices, le b) du 1° du I du présent article supprime le troisième alinéa de l’article 1-1 de l’ordonnance du 26 juin 1816 qui prévoit aujourd’hui que « l’arrêté [du garde des Sceaux] portant création d’un office de commissaire-priseur est pris après avis de la chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires et de la chambre de discipline du ressort où est prévue la création » et que « la chambre nationale et la chambre de discipline sont saisies respectivement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, et par le procureur général ».

Le 2° du I du présent article inscrit dans l’ordonnance du 26 juin 1816 l’assouplissement des conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires qui résulte des dispositions de l’article 13 bis du présent projet de loi.

Dans sa rédaction initiale, ce 2° insérait dans l’ordonnance précitée un article 1-1-1 [nouveau] qui affirmait le principe selon lequel « toute personne répondant à des conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance est titularisée par le ministre de la Justice en qualité de commissaire-priseur judiciaire dans le lieu d’établissement de son choix ».

Bien que présentée comme générale, cette liberté d’installation ne pourra se déployer complètement que dans les zones où l’implantation de nouveaux offices de commissaire-priseur judiciaire ou l’association de commissaires-priseurs judiciaires au sein des offices existants apparaîtront utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services.

C’est la raison pour laquelle la commission a précisé, à l’initiative des rapporteurs, que la nomination en qualité de commissaire-priseur judiciaire par le ministre de la Justice ne pouvait être refusée dans ces zones.

À défaut d’installations spontanées en nombre suffisant dans ces zones, l’article 13 bis du présent projet de loi organise un appel à manifestation d’intérêt. C’est pourquoi le troisième alinéa de l’article 1-1-1 [nouveau] de l’ordonnance du 26 juin 1816 fait référence à cet appel.

Dans les zones identifiées comme « saturées » par la carte mentionnée à l’article 13 bis du présent projet de loi, l’installation des commissaires-priseurs judiciaires est régulée : le ministre de la Justice peut s’y opposer. Aussi le deuxième alinéa de l’article 1-1-1 précité prévoit-il que la nomination peut toutefois être refusée dans les cas prévus à l’article 13 bis du présent projet de loi.

Le dernier alinéa de l’article 1-1-1 [nouveau] de l’ordonnance du 2 novembre 1945 renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les modalités d’application des nouvelles conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires.

En complément du dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires prévu à l’article 13 bis du présent projet de loi, la commission a adopté un amendement des rapporteurs visant à instaurer une limite d’âge pour l’exercice des fonctions de commissaire-priseur judiciaire.

Selon les données démographiques du ministère de la Justice, au 1er janvier 2012 :

– 10 commissaires-priseurs judiciaires étaient âgés de plus de 70 ans (soit 2,5 % du total) ;

– 77 commissaires-priseurs judiciaires étaient âgés de plus de 60 ans et moins de 70 ans (soit 19,4 % du total).

Le maintien dans leurs fonctions de commissaires-priseurs judiciaires ayant dépassé l’âge de 70 ans réduit les possibilités de reprises pour les candidats à la succession dans leurs offices. Aussi, en complément de la mesure visant à instaurer une liberté d’installation encadrée, l’instauration d’une limite d’âge permettra, dans un souci d’équité entre générations, un renouvellement de la profession.

Le 2° du I du présent article introduit donc un nouvel article 1-1-2 dans l’ordonnance du 26 juin 1816 pour inscrire une limite d’âge légale, fixée à 70 ans, pour l’exercice des fonctions de commissaire-priseur judiciaire. Dans l’attente de la prestation de serment de leur successeur, les commissaires-priseurs judiciaires ayant dépassé 70 ans pourront continuer à exercer provisoirement leurs fonctions, sur autorisation du garde des Sceaux, et pendant une durée maximale de six mois.

En cohérence avec l’ouverture des conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires, le 3° du I du présent article ajuste la rédaction de l’article 1-2 de l’ordonnance du 26 juin 1816, dont le premier alinéa prévoit aujourd’hui que « le transfert d’un office de commissaire-priseur judiciaire ne peut intervenir que dans les limites du département », à l’exception des transferts des offices de commissaires-priseurs de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, qui peuvent s’effectuer dans les limites de l’ensemble de ces départements.

Ce premier alinéa de l’article 1-2 une fois supprimé, les transferts d’office de commissaire-priseur judiciaire pourront s’opérer sans limitation territoriale.

Par ailleurs, en cas de déplacement d’un office au sein d’une même commune, les commissaires-priseurs judiciaires n’auront plus à informer la chambre de discipline et le procureur général, car le 3° du I du présent article suggère de supprimer le deuxième alinéa de l’article 1-2 de l’ordonnance du 26 juin 1816 qui prévoit aujourd’hui cette obligation (144).

Le bis du I du présent article tire les conséquences de l’abrogation des deux premiers alinéas de l’article 1-2 de l’ordonnance du 26 juin 1816 pour la rédaction du dernier alinéa de ce même article.

En cohérence avec l’article 13 bis du présent projet qui organise un dispositif d’indemnisation par le titulaire d’un nouvel office lorsque l’installation de ce dernier porte atteinte à la valeur patrimoniale d’un office antérieurement créé, le 4° du I du présent article abroge les articles 1-3 et 2 de l’ordonnance du 26 juin 1816 qui, en l’état, prévoient un dispositif comparable (145).

Dans le prolongement de l’assouplissement des conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires, le 5° du I du présent article propose de reconnaître à ces officiers ministériels une compétence pleinement nationale.

En effet, si les commissaires-priseurs judiciaires peuvent aujourd’hui exercer leurs activités sur la quasi-totalité du territoire, c’est sous réserve d’exceptions énoncées au premier alinéa de l’article 3 de l’ordonnance du 26 juin 1816. Ce texte dispose que « les commissaires-priseurs judiciaires exercent leurs fonctions sur l’ensemble du territoire national, à l’exclusion des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle et de Mayotte, ainsi que de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon », ainsi que des « villes où il existe des monts-de-piété ». Car, en application de l’article 5 de l’ordonnance du 26 juin 1816, ce sont des commissaires-priseurs judiciaires choisis parmi ceux résidant dans ces villes qui sont exclusivement chargés de toutes les opérations de prisées et de ventes, ainsi que cela est établi pour les commissaires-priseurs judiciaires de Paris par le règlement du 27 juillet 1805.

Sans remettre en cause cette dernière réserve des villes où il existe des monts-de-piété, la nouvelle rédaction du premier alinéa de l’article 3 de l’ordonnance du 26 juin 1816 reconnaîtrait aux commissaires-priseurs judiciaires une compétence pleinement nationale, de sorte qu’ils pourraient exercer leurs activités en Alsace-Moselle, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, ces deux dernières collectivités étant respectivement soumises à des principes d’identité et d’assimilation législatives.

Toujours dans l’esprit d’assouplissement des conditions d’installation des commissaires-priseurs judiciaires qui anime le présent projet de loi, le 6° du I du présent article propose de substituer un régime déclaratif à l’actuel régime d’autorisation préalable qui préside à l’établissement des bureaux annexes de ces officiers ministériels.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 12 de l’ordonnance du 26 juin 1816 dispose que « le procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle est établi l’office peut, à la demande du titulaire de l’office, autoriser l’ouverture d’un ou plusieurs bureaux annexes, soit à l’intérieur du département, soit à l’extérieur du département dans un canton ou une commune limitrophe de la commune ou du canton où est établi l’office à l’exclusion toutefois des communes où est établi un office de commissaire-priseur judiciaire ».

Le ou les bureaux annexes ainsi ouverts restent attachés à l’office, sans qu’il soit besoin, lors de la nomination d’un nouveau titulaire, de renouveler l’autorisation précédemment accordée.

L’autorisation est donnée par le procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle est établi l’office, après avis de la chambre de discipline du ressort où est établi l’office et, le cas échéant, de la chambre du ressort où est envisagée l’ouverture du bureau annexe.

L’autorisation peut être retirée à tout moment, dans les mêmes formes, si les circonstances ont cessé de la justifier.

Par ailleurs, la transformation d’un bureau annexe en office distinct doit faire l’objet d’un arrêté du garde des Sceaux, pris après avis de la chambre nationale, de la chambre de discipline du ressort où est établi le siège de l’office et, le cas échéant, de la chambre du ressort où est envisagée la transformation du bureau annexe en office distinct.

Le 6° du I du présent article propose de mettre fin à cette lourde procédure d’autorisation préalable pour l’ouverture de bureaux annexes.

En vertu de la nouvelle rédaction de l’article 12 qui est proposée, le titulaire d’un office de commissaire-priseur judiciaire qui souhaiterait ouvrir un ou plusieurs bureaux annexes, n’aurait qu’à en informer le procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle est établi son office, ainsi que le procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle il ouvre un bureau annexe.

Ainsi, il n’aurait pas à recueillir l’avis d’instances ordinales locales qui pourraient n’être pas nécessairement enclines à voir la concurrence se développer dans leur ressort.

Pour les mêmes motifs, si la transformation d’un bureau annexe en office distinct devra toujours faire l’objet d’un arrêté du garde des Sceaux, ce sera dans le cadre des nouvelles procédures d’installation des commissaires-priseurs judiciaires, telles qu’elles sont assouplies par l’article 13 bis du présent projet de loi.

S’agissant tant du nombre d’offices dont un commissaire-priseur judiciaire peut être titulaire que du régime relatif à l’ouverture de bureaux annexes, les rapporteurs ont néanmoins fait valoir l’utilité de revenir au dispositif antérieur en limitant à deux le nombre d’offices dont un commissaire-priseur judiciaire peut être titulaire, ainsi qu’un régime d’autorisation avec avis favorable sous un mois en harmonisation avec les modalités prévues pour les autres officiers publics ministériels.

Le II du présent article diffère l’entrée en vigueur des nouveaux articles 1-1-1 et 1-1-2 de l’ordonnance du 26 juin 1816. Ceux-ci entreront en vigueur le premier jour du douzième mois suivant celui de la publication de la loi pour la croissance et l’activité. L’Autorité de la concurrence et le Gouvernement bénéficieront ainsi d’un délai d’un an environ pour établir la carte sur la base de laquelle pourra s’exercer la liberté d’installation des commissaires-priseurs judiciaires consacrée par l’article 1-1-1 précité. Par ailleurs, ce délai permettra aux commissaires-priseurs judiciaires qui exercent actuellement leurs fonctions après l’âge de 70 ans, de disposer du temps nécessaire pour trouver un successeur.

Enfin, le III du présent article procède à une coordination de façon à supprimer la dernière phrase de l’article 56 de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Cette phrase fait référence à l’article 1-3 de l’ordonnance du 26 juin 1816 dont le 4° du I du présent article propose l’abrogation.

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La Commission examine l’amendement de suppression SPE166 de M. Philippe Houillon.

Mme Véronique Louwagie. Le projet de loi vise à libéraliser l’installation des notaires, des huissiers de justice, et des commissaires-priseurs judiciaires. Il est ainsi prévu qu’une cartographie détermine progressivement les zones territoriales dans lesquelles l’implantation d’offices sera libre. Ces mesures sont à notre sens préjudiciables au maillage territorial. Nos territoires ruraux méritent de disposer d’un accès au droit et de bénéficier de l’installation de professionnels compétents.

Par ailleurs, alors que nous adoptons des amendements qui modifient le projet de loi en profondeur, je crains que l’étude d’impact menée sur la version initiale du texte ne soit plus valide.

Ces raisons nous poussent à demander la suppression de l’article.

M. le ministre. Avis défavorable. L’article 16 définit les conditions de libre installation des commissaires-priseurs judiciaires. Actuellement, le numerus clausus et les restrictions à la liberté d’installation ont des conséquences économiques dommageables. Je rappelle que le nombre d’offices décroît continûment depuis plus de dix ans, et que le maillage territorial connaît de fortes disparités régionales.

L’article 16 vise à supprimer les restrictions existantes pour permettre, dans les zones qui en auront besoin, la nomination des commissaires-priseurs judiciaires dans le lieu de leur choix sous réserve de répondre à des « conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance ». Ce dispositif, homogène avec celui relatif aux notaires et aux huissiers de justice, permettra de nommer un plus grand nombre de candidats. Il bénéficiera en particulier aux femmes et aux plus jeunes qui sont aujourd’hui trop souvent contraints de demeurer salariés comme le montrent les chiffres. Nous sommes convaincus que cette disposition permettra d’améliorer le maillage territorial.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable. Nous défendrons un amendement SPE1755 visant à préciser que la nomination en qualité de commissaire-priseur judiciaire par le ministre de la justice ne pourra être refusée « dans les zones où l’implantation d’offices de commissaire-priseur judiciaire ou l’association de commissaires-priseurs judiciaires au sein des offices existants apparaissent utiles pour renforcer la proximité et l’offre de services ».

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le ministre, vous évoquez ceux qui rejoindront la profession de commissaire-priseur judiciaire ; encore faudra-t-il que les nouveaux entrants veuillent s’installer dans les territoires ruraux ! Si leurs revenus ne permettent plus aux professionnels de vivre « raisonnablement », nous manquerons tout simplement de candidats. La réforme fait donc courir un risque sérieux aux zones rurales

Certes, le nombre d’offices décroît depuis plusieurs années, mais cela s’explique par un phénomène de regroupement qui concerne aussi, par exemple, les professions médicales et paramédicales.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, sur le terrain, les professionnels ne se sont jamais plaints auprès de nous. Peut-être votre point de vue est-il une nouvelle fois un peu « parisien » ? Auriez-vous raison, que les difficultés dont vous parlez s’expliqueraient d’abord par le ralentissement de l’activité.

Je vous suggère à nouveau de rencontrer en urgence le ministre du travail qui bloque la création d’emplois en France car il est bien votre pire ennemi. Il faut lui faire comprendre ce que sont vraiment la croissance et l’activité.

Mme Laure de La Raudière. Il est vrai que l’appellation « loi Macron » correspond mieux au contenu du texte que celle de « projet de loi pour la croissance et l’activité » !

Véronique Louwagie a eu raison de souligner que les amendements que nous adoptons modifient profondément le projet de loi initial. Monsieur le ministre, pourriez-vous vous engager à réviser l’étude d’impact avant l’examen du texte par le Sénat ? Je rappelle que l’amélioration des études d’impact constituait l’une des propositions majeures du rapport déposé le 9 octobre dernier par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la simplification législative à laquelle Cécile Untermaier et moi-même avons participé.

M. Jean-Yves Caullet. Madame Louwagie, vous laissez entendre que les professionnels contraints de s’installer en zone rurale ne peuvent plus vivre dignement. Ce n’est pas acceptable. La question du maillage territorial se pose, mais il faut cesser d’imaginer qu’il n’est pas possible de gagner sa vie dans le monde rural. La solution proposée par le texte est bonne pour nos territoires. Les meilleurs professionnels peuvent être choisis pour s’y installer, et vivre de leur travail.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur le ministre, vous plaquez une culture économique pure sur une culture juridique qui répond à d’autres ressorts. Vous constatez que le nombre d’offices ministériels diminue, mais les chiffres bruts méritent d’être analysés finement. Vous méconnaissez complètement le fonctionnement des offices qui sont poussés au regroupement, notamment par le ministère de la justice, afin d’éviter les difficultés économiques. Ces regroupements expliquent le recul du nombre d’offices et n’empêchent pas l’existence de bureaux secondaires sur les territoires. Le maillage territorial est donc assuré en même temps que les offices et les études atteignent la taille critique qui leur permet de subsister.

Mme Michèle Bonneton. Les habitants des territoires ruraux doivent avoir accès aux professionnels du droit dans de bonnes conditions. Nous souhaitons que davantage d’études soient mieux réparties sur le territoire et dessinent un maillage suffisamment fin. Les mesures proposées, comme l’élargissement du périmètre d’action des professionnels, conduiront à des concentrations et à la disparition des plus petites études. Vous organisez en quelque sorte cette disparition qui touche en particulier les territoires ruraux.

Pour notre part, nous souhaiterions que la loi aide plutôt les petites structures à s’adapter. Cela nous semble possible à condition de faire preuve d’un peu plus d’imagination et de dynamisme, et de sortir des sentiers battus.

M. le ministre. J’ai déjà montré que les mesures proposées ne sont pas de nature à déstabiliser un maillage territorial qui est par ailleurs déjà largement fragilisé. Elles visent au contraire à permettre à une profession de mieux s’organiser en lui offrant de nouvelles opportunités.

La solide argumentation de M. Huyghe va à l’encontre des volontés de son propre groupe politique qui veut s’opposer aux regroupements des offices de commissaires-priseurs judiciaires. De notre côté, nous ne défendons pas une doctrine sur le sujet, nous nous contentons, compte tenu de la démographie de la profession, de lui offrir une possibilité.

M. Hetzel pourra témoigner qu’en Alsace-Moselle, les huissiers exercent depuis longtemps le métier des commissaires-priseurs judiciaires, et que cela ne se passe pas si mal. Ce n’est qu’un clin d’œil mais, après tout, le système spécifique en vigueur sur ce territoire nous inspire par exemple en matière de limite d’âge.

Madame de La Raudière, je m’engage à faire actualiser l’étude d’impact sur les points qui feront l’objet de modifications dans le cours des débats devant l’Assemblée nationale. Le Gouvernement le doit à la représentation nationale. J’ai voulu que l’étude initiale soit enrichie en faisant appel à des organismes indépendants ou au Commissariat général à la stratégie et à la prospective : le débat doit être ouvert et alimenté par le plus grand nombre possible d’études objectives.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Au-delà de l’Alsace-Moselle, je rappelle que les huissiers de justice font d’ores et déjà très fréquemment fonction de commissaires-priseurs judiciaires sur l’ensemble du territoire. Ils exercent en particulier cette mission dans les zones désertées par cette profession.

Les auditions menées lors des travaux de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées nous ont montré que la profession de commissaire-priseur judiciaire s’est en quelque sorte gelée, qu’elle n’a pas vraiment fait évoluer ses modalités de fonctionnement, et qu’elle a plutôt fermé ses portes aux jeunes générations. Nous assistons en conséquence à un double mouvement : au repli des commissaires-priseurs judiciaires répond le développement des activités des huissiers de justice dans ce secteur.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur le ministre, j’ai décrit une situation que vous semblez méconnaître sans que mes propos soit le moins du monde contradictoires avec la position de mon groupe politique qui ne s’oppose pas aux regroupements mais aux conditions dans lesquels vous souhaitez qu’ils aient lieu.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le ministre, vous avez raison, les huissiers comme les notaires exercent en Alsace-Moselle la fonction de commissaire-priseur judiciaire. Toutefois nous sommes très loin de vos propositions puisque, sur ce territoire, contrairement à ce que vous souhaitez, il n’est pas question de libre installation. Nous sommes hostiles à l’article 16 car, au final, il dérégule le système.

La Commission rejette l’amendement SPE166.

La Commission examine les amendements identiques SPE348 de M. Patrick Hetzel et SPE625 de M. Gérard Cherpion.

M. le ministre. Avis défavorable. Ces amendements proposent de maintenir à deux le nombre d’offices pouvant être confiés au même titulaire dans le ressort d’une même chambre de discipline, ce qui est contraire aux principes du projet. Les commissaires-priseurs disposent d’une compétence nationale, mais le système ne permet pas, aujourd’hui, un maillage suffisant. C’est précisément ce que nous entendons corriger.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous sommes quant à nous favorables à ces amendements, car, en l’absence d’amendement du Gouvernement encadrant la mesure, la situation ne nous paraît pas satisfaisante. Nous partageons certes la logique d’assouplissement des conditions d’installation, mais celle-ci ne doit pas aboutir à la constitution de gros offices au détriment du maillage territorial et d’une saine concurrence favorisant l’installation des jeunes. L’ordonnance du 26 juin 1816 permet de confier deux offices de commissaire-priseur au même titulaire, sous réserve que leurs sièges soient situés dans le ressort d’une même chambre de discipline ; cette mesure vise à créer des synergies régionales tout en maintenant un contrôle déontologique par la même compagnie régionale et les mêmes parquets généraux. Il nous semble que l’actuelle rédaction du projet de loi favoriserait une concentration sans encadrement de l’activité, qui poserait problème. C’est pourquoi nous sommes favorables aux amendements de suppression.

M. le ministre. La situation actuelle, je le répète, n’est pas satisfaisante. Hyper-concentrés en région parisienne, les commissaires-priseurs sont l’une des professions qui présentent les plus grandes disparités. Si nous ne leur permettons pas de s’organiser sur le territoire, au niveau des cours d’appel ou autre, cette logique de concentration ne fera que s’accroître. Toutefois, afin de tenir compte des observations de la rapporteure thématique, je propose que nous traitions la question en séance sur la base d’un amendement que présentera le Gouvernement et qui répondra à ces craintes, sans supprimer les deux alinéas.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. La mesure doit absolument être encadrée. Sous cette réserve, je souscris à la proposition du ministre.

Les amendements SPE348 et SPE625 sont retirés.

La Commission est saisie de l’amendement SPE1755 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. En cohérence avec le vote, hier, de l’article 13 bis, il s’agit d’adapter des dispositions pour la profession de commissaire-priseur judiciaire.

La Commission adopte l’amendement SPE1755.

La Commission examine l’amendement SPE1781 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le présent amendement vise à instaurer une limite d’âge pour l’exercice des fonctions de commissaire-priseur judiciaire, à 70 ans, comme pour les autres professions juridiques réglementées.

La Commission adopte l’amendement SPE1781.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel SPE1756 des rapporteurs.

La Commission est saisie de trois amendements identiques SPE1758 des rapporteurs, SPE349 de Patrick Hetzel et SPE626 de M. Gérard Cherpion.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. En cohérence avec le maintien d’un régime d’autorisation pour l’ouverture des bureaux secondaires des avocats, nous proposons de supprimer les dispositions de l’article 16 du projet de loi qui substituent un régime déclaratif à l’actuel régime d’autorisation prévalant en cas d’ouverture d’un bureau annexe par un commissaire-priseur judiciaire.

M. le ministre. Dans la continuité de ce que j’ai annoncé au moment de la discussion des amendements SPE348 et SP625, je demande le retrait de ces amendements, afin que nous adoptions en séance une proposition du Gouvernement qui permettra d’encadrer la mesure.

Les amendements SPE1758, SPE349 et SPE 626 sont retirés.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette ensuite les deux amendements identiques SPE165 de M. Philippe Houillon et SPE350 de M. Patrick Hetzel.

Puis elle adopte successivement l’amendement rédactionnel SPE1759 et l’amendement de coordination SPE1757 des rapporteurs.

Puis la Commission adopte l’article 16 modifié.

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Article 16 bis [nouveau]
(art. L. 741-1 du code de commerce)

Instauration d’une limite d’âge pour l’exercice de la profession
de greffier des tribunaux de commerce

À l’initiative des rapporteurs, la commission a adopté un amendement visant à instaurer une limite d’âge pour l’exercice des fonctions de greffier de tribunal de commerce.

Selon les données démographiques du ministère de la Justice, au 1er janvier 2012 :

– 13 greffiers des tribunaux de commerce étaient âgés de plus de 70 ans (soit 5,5 % du total) ;

– 59 greffiers des tribunaux de commerce étaient âgés de plus de 60 ans et moins de 70 ans (soit 25,2 % du total).

Le maintien dans leurs fonctions de greffiers des tribunaux de commerce ayant dépassé l’âge de 70 ans réduit les possibilités de reprises pour les candidats à la succession dans leurs offices. Aussi, en complément de la mesure visant à améliorer le recrutement de ces officiers publics et ministériels par la voie du concours, l’instauration d’un âge limite permettra, dans un souci d’équité entre générations, un renouvellement de la profession.

Le présent article propose donc de compléter l’article L. 741-1 du code de commerce, qui dispose aujourd’hui que « les greffiers des tribunaux de commerce sont des officiers publics et ministériels », par un nouvel alinéa inscrivant une limite d’âge légale, fixée à 70 ans, pour l’exercice des fonctions de greffier de tribunal de commerce. Dans l’attente de la prestation de serment de leur successeur, les greffiers des tribunaux de commerce ayant dépassé 70 ans pourront continuer à exercer provisoirement leurs fonctions, sur autorisation du garde des Sceaux, et pendant une durée de six mois maximum.

Le II prévoit une entrée en vigueur du nouveau dispositif différée d’un an, afin de permettre aux greffiers des tribunaux de commerce qui exercent actuellement leurs fonctions après l’âge de 70 ans, de disposer du temps nécessaire pour trouver un successeur, le cas échéant par la voie du concours instituée par l’ordonnance prévue au III de l’article 20 du présent projet de loi.

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La Commission examine l’amendement SPE1776 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il s’agit d’instaurer une limite d’âge pour l’exercice des fonctions de greffier de tribunal de commerce, à 70 ans. L’entrée en vigueur de cette disposition est fixée au premier jour du douzième mois suivant la promulgation de la loi.

La Commission adopte l’amendement SPE1776.

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Article 17 [supprimé]
(art. L. 462-10 [nouveau] du code de commerce)

Assouplissement des conditions d’installation
des officiers publics et/ou ministériels

Ayant adopté l’amendement des rapporteurs qui reprend, en le clarifiant et en l’enrichissant, le dispositif d’assouplissement de l’installation des officiers publics ou ministériels prévu à l’article 17, et qui, dans un souci de bonne compréhension des articles 14, 15 et 16, le déplace au sein du projet de loi avant l’article 14, la commission a supprimé l’article 17, sur proposition des rapporteurs. On renverra au commentaire de l’article 13 bis (nouveau) la présentation des dispositions initialement prévues à l’article 17 du projet de loi.

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La Commission est saisie de quatre amendements de suppression de l’article 17 SPE1760 du rapporteur général, SPE23 de M. Julien Aubert, SPE177 de M. Philippe Houillon et SPE363 de M. Patrick Hetzel.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Sans grande surprise, nous vous proposons de supprimer cet article, puisque nous avons enrichi le texte par l’article 13 bis adopté hier.

La Commission adopte les amendements SPE1760, SPE23, SPE177 et SPE363.

En conséquence, l’article 17 est supprimé.

Les amendements SPE734, SPE712, SPE628, SPE894, SPE895, SPE214, SPE354, SPE1063, SPE167, SPE352, SPE760, SPE168, SPE353, SPE601, SPE170, SPE356, SPE788, SPE169, SPE355, SPE675, SPE791, SPE1120, SPE278, SPE1161, SPE781, SPE171, SPE357, SPE896, SPE676, SPE797, SPE1122, SPE172, SPE358, SPE602, SPE173, SPE359, SPE603, SPE897, SPE898, SPE899, SPE174, SPE360, SPE6, SPE175, SPE900, SPE215, SPE361, SPE176, SPE362, SPE604, SPE901, SPE902, SPE216, SPE903, SPE792, SPE904 et SPE833 deviennent sans objet.

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Article 17 bis [nouveau]
(art. L. 462-11 [nouveau] du code de commerce ; art. 3 de l’ordonnance du 10 septembre 1817)

Assouplissement des conditions d’installation
des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation

Le présent article vise à étendre à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation l’assouplissement des conditions d’installation des autres officiers ministériels auquel procède l’article 13 bis du projet de loi.

En effet, en 2013, d’après les indications des représentants de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, la juridiction suprême de l’ordre judiciaire a jugé près de 28 719 affaires et s’est prononcée sur 333 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), tandis que la juridiction suprême de l’ordre administratif a jugé 10 143 affaires et a traité 157 QPC. Au total, ce sont donc près de 40 000 pourvois qui ont été soutenus devant les cours suprêmes françaises l’an passé.

L’augmentation exponentielle du nombre des pourvois, encore récemment dénoncée (146) montre bien que le filtrage qu’exerceraient les quelque 110 avocats aux conseils soit ne fonctionne pas soit ne suffit pas.

Le nombre d’offices ministériels d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation est resté fixé à 60 depuis 1817 – et ce, malgré la « suppression du numerus clausus » par un décret du 23 avril 2009 qui a permis au garde des Sceaux de créer davantage d’office (147). L’article 15 de ce décret a en effet modifié l’article 3 de l’ordonnance du 10 septembre 1817 pour permettre au garde des Sceaux de créer, par arrêté, « de nouveaux offices d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour des motifs tenant à la bonne administration de la justice, au vu notamment de l’évolution du contentieux devant ces deux juridictions, après avis du vice-président du Conseil d’État, du premier président de la Cour de cassation, du procureur général près la Cour de cassation et du conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ». Or jusqu’à présent, cette faculté n’a pas été utilisée par le ministre de la Justice.

Un décret du 5 juin 2013 a porté de trois à quatre le nombre maximal d’associés au sein d’une société civile professionnelle d’avocats aux conseils (148). À ce jour, un seul office a fait usage de cette faculté nouvelle.

Face au relatif « malthusianisme » qui caractérise la profession d’avocat aux conseils, les rapporteurs estiment nécessaire d’assouplir les conditions d’installation de ces officiers ministériels :

1° en confiant à l’Autorité de la concurrence une compétence nouvelle (et complémentaire de celle qui lui serait reconnue pour les notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires), consistant à formuler, tous les deux ans, des recommandations qui, rendues publiques, viseraient à améliorer l’accès aux offices d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation dans la perspective de développer de façon progressive le nombre de ces offices, tout en prenant en compte les exigences de bonne administration de la justice ainsi que l’évolution du contentieux devant ces deux juridictions : c’est l’objet du I du présent article qui introduit dans le code de commerce un article L. 462-11 [nouveau] ;

2° en imposant au ministre de la Justice de créer des offices d’avocat aux conseils dans la limite des besoins identifiés par l’Autorité de la concurrence en application de l’article L. 462-11 [nouveau] du code de commerce, le cas échéant à la demande d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation déjà installé : c’est l’objet du II du présent article ;

3° en permettant au garde des Sceaux de créer des offices si, dans un délai de six mois suivant la publication des recommandations de l’Autorité de la concurrence, il constate un nombre insuffisant de demandes de créations d’office ou d’associations au sein des offices existants au regard des besoins identifiés ;

4° en assortissant l’ensemble du dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des avocats aux conseils d’un mécanisme d’indemnisation du préjudice patrimonial causé aux offices existants – mécanisme qui, conçu sur le modèle de celui prévu à l’article 13 bis du présent projet de loi, reposerait sur les titulaires des offices nouvellement créés ;

5° en prévoyant que les conditions d’accès à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation fixées par décret en Conseil d’État ne pourront prévoir ni dispense de formation ni dispense d’examen d’aptitude : c’est l’objet du III du présent article.

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La Commission est saisie de l’amendement SPE1761 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le présent amendement vise à étendre à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation l’assouplissement des conditions d’installation des autres officiers ministériels à laquelle procède l’article 13 bis du projet de loi.

En 2013, la juridiction suprême de l’ordre judiciaire a jugé près de 28 719 affaires et s’est prononcée sur 333 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), tandis que la juridiction suprême de l’ordre administratif a jugé 10 143 affaires et a traité 157 QPC. Au total, ce sont donc près de 40 000 pourvois qui ont été soutenus devant les cours suprêmes l’an passé.

Or le nombre d’offices ministériels d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation reste fixé à soixante depuis 1817 et ce, malgré la suppression du numerus clausus par un décret du 23 avril 2009 qui a permis au garde des Sceaux de créer davantage d’offices. Jusqu’à présent, cette faculté n’a pas été utilisée par le ministre.

Un décret du 5 juin 2013 a par ailleurs porté de trois à quatre le nombre maximal d’associés au sein d’une société civile professionnelle d’avocats aux conseils. À ce jour, un seul office a fait usage de cette faculté.

Face au relatif malthusianisme qui caractérise la profession d’avocat aux conseils, les rapporteurs estiment nécessaire d’assouplir les conditions d’installation de ces officiers ministériels.

Il s’agit ainsi, tout d’abord, de confier à l’Autorité de la concurrence une compétence nouvelle et complémentaire de celle qui lui serait reconnue pour les notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires, consistant à formuler, tous les deux ans, des recommandations qui, rendues publiques, viseraient à améliorer l’accès aux offices d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation dans la perspective de développer de façon progressive le nombre de ces offices.

Il s’agit ensuite d’imposer au garde des Sceaux la création d’offices d’avocat aux conseils, dans la limite des besoins identifiés par l’Autorité de la concurrence, en vertu du nouvel article L. 462‑11 du code de commerce.

Il convient également de permettre au garde des Sceaux de créer des offices si, dans un délai de six mois suivant la publication des recommandations de l’Autorité de la concurrence, il constate un nombre insuffisant de demandes de création d’office ou d’association au sein des offices existants au regard des besoins identifiés.

Il faut, enfin, assortir l’ensemble du dispositif d’un mécanisme d’indemnisation du préjudice patrimonial causé aux offices existants, mécanisme qui reposerait sur les titulaires des offices nouvellement créés, principe retenu pour les autres professions juridiques réglementées.

M. le ministre. Sagesse.

Mme Colette Capdevielle. Je félicite la rapporteure thématique pour cet amendement opportun, le statut de ces professionnels ne se justifiant plus aujourd’hui. Cette profession, dont nous avons longuement auditionné les représentants, a été complètement oubliée du rapport de l’Inspection générale des finances et ne figure pas non plus dans le projet de loi. Depuis 1817, le nombre des offices ministériels d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation est resté fixé à soixante. La proposition n° 2 du rapport de Cécile Untermaier tend à supprimer la charge d’officier ministériel des avocats aux conseils, et donc leur droit de représentation, en contrepartie d’une indemnisation, tout en maintenant un barreau spécialisé et en prévoyant un concours spécifique augmentant le nombre de ces avocats dans les limites d’un numerus clausus susceptible d’être révisé. Cet amendement est un pas de géant, même si nous pourrions aller plus loin à l’avenir.

M. Philippe Houillon. Je me réjouis de constater que l’avis n’a pas changé sur cette conclusion de la mission propre à la rapporteure thématique.

Le premier président de la Cour de cassation, dans son discours à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour, lundi, a indiqué que la politique de la Cour de cassation tendait à diminuer substantiellement les pourvois. Une évaluation devrait donc être conduite – il est du reste toujours préférable de procéder à une évaluation avant de prendre une décision plutôt que de prendre une décision avant de procéder à une évaluation – ; cela n’a pas été le cas. Le premier président de la Cour de cassation a également insisté sur la spécialisation et la compétence des avocats au Conseil, en soulignant qu’il ne souhaitait pas voir bouleverser l’ordre des choses.

Par ailleurs, l’amendement demande à l’Autorité de la concurrence un avis sur la liberté d’installation des avocats au Conseil. Ce n’est pas à une autorité administrative de prendre une décision de fond. Comme pour les autres professions, il appartient au Gouvernement, en l’occurrence au garde des Sceaux, de prendre une décision politique sur le principe même de la liberté d’installation.

Enfin, la seconde partie de l’amendement, concernant l’indemnisation, porte celle-ci à la charge des nouveaux entrants éventuels. L’amendement duplique ainsi le système retenu pour les autres professions, alors que les situations n’ont rien à voir. Il existe dans les autres professions une sectorisation géographique : une étude de notaire créée à tel endroit peut porter préjudice aux études déjà installées dans ce secteur. Mais pour la présente catégorie de professionnels, il existe une juridiction unique, à Paris, et les études sont toutes installées dans la capitale. Par conséquent, le même raisonnement ne peut trouver à s’appliquer. La création d’un office ne porte pas atteinte à « la valeur patrimoniale d’un office antérieurement créé » mais à celle de tous les offices antérieurement créés, puisque tous exercent au même endroit, auprès de la même juridiction. Ce texte est donc inapplicable. L’indemnisation devrait être déduite de la responsabilité de l’État du fait de la loi. Pour des raisons de fond comme de forme, je ne souhaite pas que cet amendement soit adopté.

M. Alain Tourret. Les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation participent de manière exceptionnelle et remarquable aux arrêts de ces deux juridictions. Si leur nombre n’est pas multiplié, ils ont en revanche diversifié leurs champs d’intervention : ils interviennent aujourd’hui auprès des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ainsi que dans le cadre des arbitrages, et pour les multiples consultations qui leur sont demandées, tant leur compétence est reconnue.

Les auteurs de l’amendement ont considéré que cette catégorie ne pouvait rester à l’écart de l’action menée, avec le présent projet de loi, au sujet des autres professions. Il est nécessaire d’augmenter le nombre de charges, et il ne me paraît pas possible d’accepter toutes les interventions de ces professionnels devant d’autres juridictions.

Enfin, je crois que Philippe Houillon a raison au sujet de l’indemnisation : la situation de ces avocats n’est pas comparable, notamment du fait de l’absence de ressort territorial. Ce serait à l’État de pourvoir à l’indemnisation, non au nouvel entrant.

M. Julien Aubert. S’il n’y a pas besoin d’indemnisation, puisque j’ai cru comprendre, en écoutant Philippe Houillon, qu’il n’y aurait pas d’impact sur tel ou tel cabinet mais sur l’ensemble des cabinets, je ne vois pas pourquoi l’État interviendrait.

La rapporteure thématique nous a expliqué que le nombre croissant de pourvois montrait que le filtrage était insuffisant. Or, en augmentant le nombre d’avocats, on améliorera l’accès à ces juridictions et on augmentera donc le volume d’activité ; je ne comprends donc pas comment le déblocage de ce quasi-monopole permettrait de mieux filtrer l’accès aux juridictions suprêmes. Avez-vous anticipé l’impact d’une telle mesure sur l’engorgement de ces juridictions ? Quel est, au fond, l’objectif ? Est-il d’améliorer l’accès au Conseil d’État et à la Cour de cassation ? De faire baisser les honoraires ?

M. Philippe Houillon. Le nombre de soixante études ne dit pas tout. Les textes réglementaires ont récemment porté à 240 le nombre maximal d’avocats. Or cette capacité n’est pas intégralement remplie à ce jour. Un dispositif répondant à la demande existe déjà, et il ne reste qu’à remplir les cases.

Le filtre, monsieur Aubert, est plus important quand interviennent des avocats au Conseil, car le taux de cassation est alors très supérieur.

M. Jean-Yves Caullet. La présence d’avocats peut en effet être en soi un filtre pour éviter les engorgements.

J’ai été frappé par le niveau sonore extrêmement bas de notre Commission après l’exposé de la rapporteure thématique. Je veux y voir le respect que nous avons pour l’ensemble des professions juridiques réglementées, plutôt qu’une forme de révérence craintive qui préviendrait toute évolution sur le présent sujet, et je félicite nos rapporteurs pour l’avancée proposée.

Notre système judiciaire présente l’aspect d’une pyramide. Il est important que les mêmes règles régissent l’ensemble de l’édifice ; or plus l’on s’élève dans une pyramide, plus l’espace se réduit et mieux on se connaît. Nous avons souhaité donner de l’oxygène à ces professions : comme vous le savez, plus on s’élève en altitude, plus le manque d’oxygène peut faire encourir des risques graves…

M. le rapporteur général. Nous devons faire ce pas pour indiquer notre volonté d’ouvrir cet îlot. L’avis de sagesse du Gouvernement est de bon augure pour avancer dans la bonne direction.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je salue le travail de Cécile Untermaier sur ce chantier, qu’il n’était pas évident d’ouvrir, les représentants de cet ordre et les chefs de juridiction nous ayant bien fait comprendre, en audition, qu’ils n’étaient pas très favorables à ce que les choses évoluent. Je pense que cette profession ne peut pas ne pas évoluer au moment où nous faisons avancer l’ensemble des organisations juridictionnelles et l’accès au droit.

La qualité et la compétence de ces avocats aux Conseils doivent être soulignées. Il ne faut pas non plus oublier qu’ils bénéficient, dans leur travail, d’un appui très important d’autorités universitaires et d’avocats. Ce qui nous a conduit à nous interroger, c’est le fait que ces avocats aux Conseils ont, ces dernières années, pris une place de plus en plus grande devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, passant auprès des avocats, de tous les barreaux, pour de redoutables concurrents, recevant davantage l’attention des magistrats.

Je m’étonne par ailleurs d’entendre dire que nous souhaiterions réduire la saisine de la Cour de cassation. Et ce d’autant plus que l’on compare notre système avec la Cour suprême de Karlsruhe, en Allemagne, par exemple. Compte tenu des spécificités françaises, ces comparaisons n’ont pas de sens.

Enfin, comment peut-on considérer qu’il n’y a pas besoin de davantage de représentation devant les deux juridictions, alors que le nombre des dossiers augmente, de manière légitime puisque les rapports individuels tendent à se judiciariser de plus en plus, et que les processus d’application jurisprudentielle sont de plus en plus subtils, au point de rendre une harmonisation absolument nécessaire ? Sans parler des QPC, pour lesquelles le Conseil d’État et la Cour de cassation jouent un rôle très important, et qui n’en sont qu’à leur début.

Le nombre d’offices n’a pas évolué depuis 1817. S’il est possible, depuis 2009, d’augmenter ce nombre, il ne s’est rien passé depuis cette date. De même, la possibilité d’augmenter le nombre d’avocats dans les études ne s’est traduite que par l’augmentation d’un seul conseiller. Ces grands corps ont manifestement des difficultés à évoluer. De même, les engagements pris par un précédent gouvernement, sous une autre législature, d’augmenter de mille les effectifs du notariat se sont traduits par une diminution d’une dizaine de notaires. Le législateur doit donc intervenir. Dans ce cadre, il semble rendre nécessaire de dédier un diplôme spécifique à l’exercice de cette profession.

Enfin, les propos de Philippe Houillon sur l’indemnisation sont pertinents. La compétence nationale de cette catégorie professionnelle la distingue des autres, et peut-être n’avons-nous pas complètement achevé notre travail sur ce point. Nous aurions intérêt à bien affiner le dispositif, car vous voyez le problème si, à la suite de contestations, c’est au Conseil d’État ou à la Cour de cassation qu’il appartient de procéder aux arbitrages.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Depuis les possibilités ouvertes il y a cinq ans, il ne s’est rien passé. Or il n’y a plus d’activité : les cabinets ne se développent pas, ils ont moins d’associés, moins de salariés, ils ne prennent pas de stagiaires, tout le monde sert les boulons. Il faut, monsieur le ministre, développer l’économie, la production des TPE-PME, qui créent la richesse : c’est ainsi que les cabinets pourront avoir des dossiers.

Mme Véronique Louwagie. Serait-il possible d’avoir une étude d’impact sur l’indemnisation, avant que le texte passe au Sénat ?

La Commission adopte l’amendement SPE1761.

La Commission est saisie de l’amendement SPE402 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit de traiter plus explicitement le sujet de l’implantation.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette l’amendement SPE402.

La Commission examine ensuite les deux amendements identiques SPE837 de M. Guénhaël Huet et SPE1124 de M. Sébastien Huyghe.

Mme Véronique Louwagie. Il est important de prendre en considération les spécificités des trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au plan à la fois des dénominations et des compétences. Un grand nombre de compétences y sont en effet dévolues aux notaires.

M. le ministre. L’adoption de ces amendements conduirait à un système très binaire, avec, d’un côté, un concours et, de l’autre, une libre installation procédant de l’article adopté hier. Je m’engage à travailler, d’ici à la séance, aux moyens de conserver ces spécificités, et je demande donc à ce stade le retrait des amendements.

Les amendements SPE837 et SPE1124 sont retirés.

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Article 18
(art. 1er ter de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ; art. 3 ter de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ; art. 3 de l’ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 ; art. L. 743-12-1 du code de commerce)

Développement de l’exercice des professions de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier des tribunaux de commerce en qualité de salarié

Depuis plus d’une vingtaine d’années, la possibilité d’exercer les fonctions d’officier public et ministériel sous forme salariée tend à se développer.

Cette faculté a d’abord été ouverte aux notaires, en 1990 (149). Prévu à l’article 1er bis de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, ce mode d’exercice de la profession a été initialement limité, le nombre de notaires salariés ne pouvant excéder le nombre de notaires titulaires d’office ou associés.

Toutefois, cette règle dite de « un pour un » a été très récemment assouplie par une ordonnance du 27 février 2014 (150). Désormais, en application du premier alinéa de l’article 1er ter de l’ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, « une personne physique titulaire d’un office notarial ne peut pas employer plus de deux notaires salariés. Une personne morale titulaire d’un office de notaire ne peut pas employer un nombre de notaires salariés supérieur au double de celui des notaires associés y exerçant la profession ».

Le décret n° 93-82 du 15 janvier 1993 précise les conditions d’exercice de ces professionnels dont le statut concilie plein exercice des fonctions d’officier public et ministériel et subordination juridique propre au salariat. C’est ainsi que sa nomination est organisée dans le même esprit que celle de ses confrères titulaires (intervention du procureur général de la cour d’appel à qui est présentée la demande conjointe du titulaire de l’office et du candidat à la nomination, avis motivé du conseil régional des notaires dans un délai de 45 jours, nomination par le garde des Sceaux avec mention du nom ou de la dénomination sociale du titulaire de l’office au sein duquel le notaire salarié exerce ses fonctions, prestation de serment par l’intéressé). Son licenciement est soumis à une procédure spécifique faisant intervenir une commission instituée par le garde des Sceaux, composée d’un magistrat et de notaires titulaires et salariés. Officier public et ministériel, il exerce la plénitude de ses fonctions dans le respect des règles déontologiques applicables à la profession.

Toutefois, lié par un contrat de travail écrit avec le titulaire de l’office, il ne peut avoir de clientèle personnelle, ne peut user de la faculté d’habilitation des clercs ni assurer la garde des minutes des actes qu’il a reçus, leur conservation revenant au titulaire de l’office notarial. De même, le régime de sa responsabilité professionnelle est spécifique puisque c’est le titulaire de l’office qui est « civilement responsable du fait de l’activité professionnelle exercée pour son compte par le notaire salarié » (article 6 du décret n° 93-82 précité).

Cette faculté d’exercer les fonctions d’officier public et ministériel en qualité de salarié a par la suite été étendue à d’autres professions, mais toujours dans la limite de « un pour un ».

Pour ce qui concerne les huissiers de justice, l’article 17 de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires a modifié l’article 3 ter de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers. Cet article 3 ter dispose désormais en son premier alinéa que « l’huissier de justice peut exercer sa profession en qualité de salarié d’une personne physique ou morale titulaire d’un office d’huissier de justice ». Mais il ajoute en son deuxième alinéa qu’« une personne physique titulaire d’un office d’huissier de justice ne peut pas employer plus d’un huissier de justice salarié » et qu’« une personne morale titulaire d’un office d’huissier de justice ne peut pas employer un nombre d’huissiers de justice salariés supérieur à celui des huissiers de justice associés qui y exercent la profession ».

Pour ce qui concerne les greffiers des tribunaux de commerce, l’article 31 de la loi du 22 décembre 2010 précitée a introduit dans le code de commerce un article L. 743-12-1 dont le premier alinéa prévoit qu’« une personne physique titulaire d’un greffe de tribunal de commerce ne peut pas employer plus d’un greffier de tribunal de commerce salarié » et « une personne morale titulaire d’un greffe de tribunal de commerce ne peut pas employer un nombre de greffiers de tribunal de commerce salariés supérieur à celui des greffiers de tribunal de commerce associés qui y exercent la profession ».

Enfin, pour ce qui est des commissaires-priseurs judiciaires, l’article 45 de la loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a rétabli l’article 3 de l’ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 relative au statut des commissaires-priseurs. Cet article 3 dispose désormais en son premier alinéa que « le commissaire-priseur judiciaire peut exercer sa profession en qualité de salarié d’une personne physique ou morale titulaire d’un office de commissaire-priseur judiciaire ». Mais le second alinéa du même article 3 précise qu’« une personne physique titulaire d’un office de commissaire-priseur judiciaire ne peut pas employer plus d’un commissaire-priseur judiciaire salarié » et qu’« une personne morale titulaire d’un office de commissaire-priseur judiciaire ne peut pas employer un nombre de commissaires-priseurs salariés supérieur à celui des commissaires-priseurs judiciaires associés y exerçant la profession ».

En proposant de supprimer le premier alinéa de l’article 1er ter de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, le deuxième alinéa de l’article 3 ter de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, le second alinéa de l’article 3 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des commissaires-priseurs et le premier alinéa de l’article L. 743-12-1 du code de commerce, le présent article vise à supprimer toute limitation du nombre d’officiers publics et/ou ministériels qui pourront exercer en qualité de salariés au sein des offices de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier des tribunaux de commerce.

Seront ainsi supprimées la règle de « un pour deux » qui prévaut depuis peu dans le notariat et celle de « un pour un » qui s’applique dans les autres professions précitées.

Les rapporteurs ne sont pas convaincus que cette mesure contribue à favoriser l’accès (notamment des jeunes et des femmes) à des professions dont la vocation première est de s’exercer dans un cadre libéral.

Comme l’a noté l’Inspection générale des finances à propos des notaires, le développement exponentiel du salariat dans cette profession illustre une tendance de la Chancellerie et du notariat à « poursuivre le développement du notariat salarié plutôt que d’autoriser l’ouverture de nouvelles études dans les secteurs à forte activité » (151).

Le nombre de notaires salariés a en effet fortement progressé en dix ans : alors qu’ils représentaient 3,2 % de l’ensemble des notaires titulaires le 31 décembre 2004, ils étaient, au 31 décembre 2013, 1 090 soit 11,3 % de l’ensemble de la profession. Or l’Inspection générale des finances a relevé que les notaires salariés, qui ont le même diplôme que les notaires titulaires et qui sont, comme ces derniers, nommés par le garde des Sceaux, mais qui ne sont pas associés au capital, ont une rémunération quatre fois inférieure à celle d’un notaire titulaire. Par ailleurs, ces notaires salariés sont majoritairement des femmes (62 %).

Bien qu’ouvert plus récemment, le salariat se développe également rapidement chez les autres officiers publics ou ministériels :

– en 2013, on compte 82 huissiers salariés ; ces derniers représentent actuellement seulement 2,5 % de la profession mais leur nombre a presque doublé en un an ;

– la même évolution est observée chez les commissaires-priseurs judiciaires dont 14 d’entre eux, soit 3,4 % en 2013, sont désormais salariés ;

– on dénombre également 4 greffiers de tribunal de commerce salariés, soit 1,7 % des professionnels, contre 2 en 2013.

Tout en admettant que le salariat puisse constituer un outil de promotion interne, voire une étape vers l’association, les rapporteurs estiment qu’il peut tout aussi bien être utilisé comme un substitut à l’association, et donc un obstacle à celle-ci.

Le salariat ne devant pas empêcher l’accès plein et entier à l’exercice d’une profession dont le mode d’exercice habituel est d’être libéral, les rapporteurs ont jugé préférable de ne pas faciliter le recours illimité au salariat mais de l’ouvrir dans les mêmes conditions à tous les officiers publics et ministériels.

C’est la raison pour laquelle la commission a adopté, sur proposition des rapporteurs, un amendement visant à instaurer une règle du « un pour quatre » pour les professions de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier des tribunaux de commerce. C’est l’objet des 1° des I, II et III ainsi que du IV du présent article.

Par ailleurs, la nouvelle rédaction du présent article interdit les clauses de non-concurrence entre les titulaires d’offices de commissaire-priseur judiciaire, huissier de justice ou notaire, et leurs salariés, dans un souci de coordination avec l’amendement ouvrant les conditions d’installation de ces professionnels : c’est l’objet des 2° des I, II et III du présent article. Un notaire, huissier de justice ou commissaire-priseur judiciaire titulaire ne pourra donc pas, par le biais d’une clause stipulée dans un contrat de travail, interdire à un notaire, huissier de justice ou commissaire-priseur judiciaire salarié de s’installer non loin de son office, une fois qu’un terme aura été mis à leur collaboration.

Il n’y a en revanche pas de lieu de prévoir de disposition analogue pour les greffiers des tribunaux de commerce, dans la mesure où ils ne sont ni en concurrence, ni concernés par le dispositif d’assouplissement des conditions d’installation : le nombre et le ressort territorial exclusif de chaque greffe est en effet régi par la carte judiciaire.

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La Commission examine les trois amendements de suppression SPE178 de M. Philippe Houillon, SPE366 de M. Patrick Hetzel et SPE1193 de M. Marc Dolez.

M. Julien Aubert. L’article 18 vise à supprimer les dispositions législatives actuelles qui limitent pour les professions réglementées le nombre de salariés pouvant être employés par étude ou par office. L’objectif est-il d’augmenter la taille des études ou offices, ou bien d’en augmenter le nombre ? Ne serait-il pas plus judicieux de maintenir une limite et d’uniformiser le nombre de professionnels salariés ? Le risque, en procédant à un véritable big bang – libéralisation de l’installation, fusion de certaines professions, augmentation du nombre des études ou offices, augmentation du nombre de personnes y travaillant, modification des règles d’exercice… –, c’est de créer des externalités négatives contraires aux intentions de cette loi. Il s’agit donc d’un amendement d’appel, invitant le ministre à nous présenter la philosophie du Gouvernement.

M. Patrick Hetzel. Je me permets de revenir sur le sujet précédent, car il existe dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, depuis les lois de 1924, une très forte cohérence juridique, et il est de tradition constante, depuis cette date, de ne pas procéder à un détricotage de ces dispositions de droit local de manière isolée.

M. Marc Dolez. Il n’y a pas de raison de modifier un dispositif s’agissant des notaires, qui vient tout juste d’être refondu par le législateur, le 1er mars dernier. Il vaut mieux laisser cette refonte entrer pleinement en application, avant de procéder à une nouvelle modification.

M. le ministre. Nous souhaitons lever des contraintes hétérogènes entre les différentes professions et garantir la liberté de s’organiser à ceux qui le souhaitent, alors même que, par les dispositions votées hier, nous avons offert des possibilités de créer des offices. Néanmoins, sensible à la crainte que les offices pourraient chercher à devenir trop gros, ou qu’il n’y ait pas assez d’associés, je vous propose, au lieu de supprimer l’article, d’adopter l’amendement que vont présenter les rapporteurs et qui consiste à restaurer une homogénéité entre les différentes professions, avec une règle d’un sur quatre. Ce serait une réforme équilibrée. Je demande donc le retrait de ces amendements.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous présenterons en effet un amendement qui répond aux inquiétudes exprimées par nos collègues et que nous partageons.

M. Philippe Vigier. Les rapporteurs ont bien compris que ces dispositions allaient provoquer l’effet inverse de celui escompté. Nous avons pour notre part déposé un amendement prenant en considération le chiffre d’affaires, comme cela existe dans certaines professions libérales. Où sont les jeunes, dans cette affaire ?

Les amendements SPE178, SPE366 et SPE1193 sont retirés.

La Commission examine l’amendement SPE1909 des rapporteurs.

M. le rapporteur général. Il nous a paru utile de procéder à une réécriture globale de l’article 18 qui propose de supprimer la règle d’« un pour deux » qui régit depuis peu l’exercice de la profession de notaire en tant que salarié, ainsi que la règle d’« un pour un » qui prévaut pour l’exercice en qualité de salarié des professions d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier des tribunaux de commerce.

Nous ne sommes pas convaincus que la faculté de recourir de façon illimitée au salariat favorise l’accès, notamment des femmes et des jeunes, à des professions dont la vocation première est de s’exercer dans un cadre libéral – nous renvoyons à cet égard au rapport de l’inspection générale des finances, ainsi qu’à ce que nous avons voté dans de précédents articles.

C’est pourquoi nous proposons d’appliquer une règle d’« un pour quatre » : une personne titulaire d’un office notarial ne peut pas employer plus de quatre notaires salariés.

Nous souhaitons, de même, que toute clause de non-concurrence soit réputée non écrite. Si nous voulons aider à l’association et à l’installation, il ne convient pas de « ficeler » ce salariat et de le priver du droit à l’installation. La même règle s’appliquerait aux commissaires-priseurs et aux huissiers de justice, mais pas aux personnes physiques titulaires d’un greffe de tribunal de commerce.

M. le ministre. Avis favorable.

M. Michel Zumkeller. Nous partageons la volonté de créer de nouveaux postes de notaires, mais ce n’est pas de cette façon que vous y parviendrez. Votre critère n’a pas de sens : un pour quatre dans une petite ville de province et un pour quatre à Paris, cela n’a rien à voir. Il faut se baser sur l’activité des cabinets, telle que mesurée par le chiffre d’affaires, avec des pondérations selon les territoires. Vous créerez de cette façon bien plus de postes.

M. Philippe Houillon. J’ai retiré mon amendement précédent pour me rallier à celui-ci. Il serait bon d’adopter la même règle pour les administrateurs et mandataires judiciaires.

M. Philippe Vigier. De l’audace, monsieur le ministre ! Si vous souhaitez que les jeunes entrent dans le métier, « un pour quatre » n’est pas le bon critère car les effectifs se placeront d’emblée au niveau du plafond, tandis que si vous adoptez un « panier » assis sur le chiffre d’affaires, comme cela se fait déjà pour les pharmacies d’officine, par exemple, vous êtes sûrs que cette assiette se répartira de façon identique sur le territoire ; ce sera une vraie stimulation. Je rappelle qu’il n’existe pas de grille salariale pour les notaires salariés et que ceux-ci sont souvent très mal rémunérés.

M. Guénhaël Huet. Il convient de trouver un équilibre. Je ne suis pas persuadé que permettre à un notaire d’employer quatre notaires salariés plutôt que deux représente un progrès : le rapporteur général ne nous a donné aucune explication précise quant à son choix. Pourquoi a-t-il retenu le chiffre quatre ? Pourquoi ne pas autoriser trois ou cinq notaires salariés par étude ? Nous avons l’impression que ce choix a été fait à l’aveuglette.

De plus, alors que la règle n’autorisant que deux notaires salariés par office n’a pas encore une année d’existence, elle se trouverait déjà modifiée, ce qui pose un vrai problème de stabilité juridique. Arrêtons de modifier sans cesse les règles !

Mme Sophie Errante. Monsieur Zumkeller, le chiffre d’affaires n’est pas un critère pertinent, car il n’est pas nécessairement révélateur de la bonne santé d’une entreprise. Les charges fixes n’étant pas les mêmes sur tout le territoire, je ne suis pas favorable à son introduction comme critère.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le rapporteur général, vous avez rappelé au début de cette séance que les objectifs essentiels à vos yeux sont l’installation des jeunes et l’ouverture.

La difficulté est de trouver la juste mesure. Or autoriser quatre notaires salariés pourrait engendrer une concentration importante, la moyenne étant, dans le secteur des services, de dix salariés par professionnel. Votre réécriture de l’article 18 risque donc de susciter l’émergence d’offices notariaux de cinquante collaborateurs !

Il convient de réfléchir à plusieurs indicateurs : l’activité de l’office en est un. Or le chiffre d’affaires est un élément qui traduit l’activité, même s’il ne traduit pas nécessairement la bonne santé financière d’un office.

Cette réécriture de l’article 18 ne correspond pas aux objectifs que vous avez-vous-même fixés, monsieur le rapporteur général, et auxquels j’acquiesce.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement a assurément le mérite de tenter de faire la synthèse des propositions des uns ou des autres. Je m’interroge toutefois sur les critères proposés.

Que son chiffre d’affaires ne révèle pas la bonne santé d’un office, c’est évident. Mais pourquoi avoir fixé le nombre de notaires salariés par étude à quatre ? Pourquoi pas trois, cinq ou six ?

De plus, cet article ajoute à l’instabilité juridique, puisqu’il tend à modifier des règles très récentes. Le manque de fiabilité et de stabilité juridiques risque de freiner la dynamique que le texte cherche par ailleurs à enclencher, ce qui serait contraire à l’effet recherché.

M. le rapporteur général. D’aucuns nous ont reproché à plusieurs reprises de créer des usines à gaz. Or voilà qu’on nous propose une tuyauterie directement reliée au chiffre d’affaires pour conditionner le recrutement de notaires salariés.

Cette nouvelle rédaction de l’article 18 ne vise nullement à imposer le recrutement de quatre notaires salariés. Il permet seulement au titulaire d’un office, qui juge utile ou nécessaire de recruter des notaires salariés, de le faire dans la limite de quatre.

Y aurait-il un paradoxe, comme je l’ai entendu, à faciliter l’installation tout en augmentant le nombre autorisé de notaires salariés par office ? Le paradoxe n’est qu’apparent. Nous avons en effet successivement voté la liberté d’installation régulée et la suppression des clercs habilités : limiter à quatre le nombre de notaires salariés offrira à ces salariés la possibilité d’acquérir une expérience professionnelle tout en permettant aux offices de fonctionner, dès l’instant que les clercs habilités n’exerceront plus sous cette qualité.

J’ajoute que l’interdiction de la clause de non-concurrence permettra d’éviter que soit bridée la capacité des salariés à s’installer.

Chacun se prévaut ici d’une expérience de terrain. Lorsqu’une étude sera parvenue à quatre notaires salariés, ou bien les plus brillants se verront proposer une association ou bien ils s’installeront. C’est une expérience que les avocats connaissent bien.

Ce dispositif global répond à la fois à la nécessité de favoriser l’acquisition d’une expérience professionnelle, de collaborer au développement des offices et de pallier les conséquences de la suppression des clercs habilités tout en créant un vivier pour de futures associations ou de futures installations.

La Commission adopte l’amendement SPE1909.

L’article 18 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements identiques SPE30, SPE99, SPE285, SPE364, SPE611, SPE662, SPE717 et SPE1095 ainsi que les amendements identiques SPE207, SPE365 et SPE629 et l’amendement SPE1664 tombent.

Après l’article 18

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement SPE367 de M. Patrick Hetzel.

Puis elle examine l’amendement SPE907 de M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Je regrette votre attitude sur nos propositions. Que vous refusiez de prendre en compte le chiffre d’affaires, soit, mais il est possible de travailler sur le critère de l’activité. Ne pas l’introduire est une erreur collective.

L’article 18 tel qu’il a été voté ne favorisera pas l’installation de nouveaux notaires : au contraire, il aura l’effet contraire en augmentant le nombre de notaires salariés car les offices en emploieront le nombre maximal.

Vous ne pouvez pas à la fois nous reprocher une attitude conservatrice et rejeter toutes nos propositions. Les professions étaient prêtes à adopter celle-ci : c’est un point de rupture entre nous. Nous regrettons que vous fermiez le débat sur le sujet.

Je regrette également que le ministre se soit si peu exprimé sur une question que je croyais importante à ses yeux. Nous sommes très déçus.

M. le rapporteur général. Mes chers collègues, l’adoption de l’amendement SPE1909 a permis de passer d’un nombre illimité de notaires salariés, prévu dans la rédaction initiale, à un salariat contingenté : ce n’est pas une mince avancée !

Je le répète : lorsqu’un notaire salarié compétent formulera l’envie de s’installer, l’étude qui l’emploie souhaitera l’associer plutôt que de le laisser partir.

Le critère du chiffre d’affaires n’est pas bon : écartons-le.

Si, d’ici à la séance publique, vous trouvez un moyen d’améliorer encore le texte sur ce point, je n’y suis pas opposé. Prenez garde, toutefois, à ne pas aboutir, vous aussi, à l’effet contraire à celui que vous recherchez !

Je laisse le débat ouvert sur ce point.

M. Philippe Vigier. Monsieur le rapporteur général, je prendrai pour exemple le secteur de la biologie médicale, dans lequel est entré l’ultraminoritariat. Pour être cogérant, il suffit d’avoir 1 % des parts. Depuis dix ans, on a assisté à l’explosion du nombre des associés ultraminoritaires. La profession a accompagné au départ cette évolution avant de souhaiter le retour à des participations plus importantes. Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, vous le confirmera.

Nous vous mettons en garde : l’article 18, tel qu’il est désormais rédigé, aura le même effet.

Nous vous demandons simplement de prendre en considération, d’ici à la séance publique, les nouveaux critères que nous vous proposons.

Mme Véronique Louwagie. Les instances des professionnels concernés ont-elles été contactées sur la nouvelle rédaction de l’article 18 ? Quels ont été leurs réactions ?

M. le rapporteur général. Monsieur Vigier, s’il nous est possible d’améliorer encore la rédaction de l’article 18 d’ici à la séance publique, sans que cela entraîne la création d’une usine à gaz, sachez que je n’y suis pas opposé.

Madame Louwagie, nous avons abordé la question avec les professionnels : ils étaient plus ouverts aux propositions du ministre qu’aux nôtres. Vous auriez donc été encore plus effrayée !

M. le ministre. Je suis sensible à votre volonté commune de trouver un point d’équilibre sans créer un plafond de verre.

S’il est possible, sans prendre le risque de créer une usine à gaz, d’améliorer le texte en prenant en considération des critères alternatifs ou cumulatifs selon les situations, dans une approche qui tienne compte de la réalité économique des offices, cela permettra sans aucun doute de résoudre globalement le problème.

Peut-être pourriez-vous travailler ensemble sur le sujet d’ici à la séance publique.

M. le président François Brottes. Monsieur le rapporteur général, rassurez-moi : ce contingentement ne conduira pas les notaires à renvoyer des collaborateurs surnuméraires…

M. le rapporteur général. Non, monsieur le président, puisque la nouvelle rédaction de l’article 18 va au-delà du nombre, actuellement autorisé, de notaires salariés par office.

M. Michel Zumkeller. Je retire l’amendement.

L’amendement SPE907 est retiré.

*

* *

Article 19
(art. L. 123-6 du code de commerce ; art. L. 411-1 du code de la propriété intellectuelle)

Facilitation de l’accès du public aux données
du registre national du commerce et des sociétés

Dans sa version initiale, le présent article proposait d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, et dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi pour la croissance et l’activité, « toute mesure, relevant du domaine de la loi, permettant, notamment en modifiant les conditions dans lesquelles l’Institut national de la propriété industrielle centralise le registre national du commerce et des sociétés, de faciliter l’accès du public aux données contenues dans ce registre ainsi que la réutilisation de ces informations ».

Le registre des commerces et des sociétés (RCS) constitue aujourd’hui le dispositif essentiel de l’information légale sur les entreprises dès lors que l’immatriculation constitue une obligation (152).

En application de l’article L. 123-6 du code de commerce, sa tenue relève de la compétence exclusive du greffier de chaque tribunal de commerce « sous la surveillance du président ou d’un juge commis à cet effet, qui sont compétents pour toutes contestations entre l’assujetti et le greffier ». Le monopole des greffiers des tribunaux de commerce porte ainsi sur la collecte des données, le législateur leur ayant confié la mission d’exercer un contrôle des demandes d’immatriculation, de modification ou de radiation, ainsi que des pièces et des actes qui doivent être déposés en annexe du RCS (153).

S’agissant en revanche de la gestion et de la diffusion des informations relatives aux entreprises, la loi organise un duopole entre les greffiers des tribunaux de commerce et l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI).

Il résulte de la combinaison des articles R. 123-50 du code de commerce (relatif à la radiation) et de l’article L. 411-1 du code de la propriété intellectuelle que seuls les greffiers des tribunaux de commerce et l’INPI sont habilités à délivrer à toute personne qui en fait la demande des certificats, copies ou extraits des inscriptions portés au RCS et des actes déposés en annexe.

Afin d’assurer la diffusion des données contenues dans le registre national du commerce et des sociétés (RNCS), les greffiers des tribunaux de commerce ont constitué en 1986 un groupement d’intérêt économique (GIE) dénommé Infogreffe.

Pour l’utilisation de ce GIE, les greffes des tribunaux de commerce s’appuient sur les dispositions de l’article R. 741-5 du code de commerce. Tout en posant le principe suivant lequel les inscriptions portées aux registres de publicité légale dont ils ont la charge doivent être directement diffusées par les greffiers compétents, l’article autorise par ailleurs les greffiers à s’associer au sein d’un groupement d’intérêt économique (GIE) ou d’un groupement européen d’intérêt économique (GEIE).

Le groupement d’intérêt économique Infogreffe

Infogreffe est administré par un conseil d’administration composé de 10 administrateurs qui désigne un bureau composé d’un président et d’un secrétaire. L’assemblée générale se compose de tous les membres du groupement. En vertu de l’article 14 des statuts, chaque membre (personne physique ou morale) se voit attribuer une voix, ainsi qu’une portion des 335 voix réparties au prorata du chiffre d’affaires de l’année civile précédente rétrocédé réalisé par chaque greffe.

Le GIE a pour objet la diffusion des données qui relèvent de l’information légale sur les entreprises en s’appuyant sur le recueil des données brutes issues des registres légaux de chaque greffe. Pour la réalisation de cette prestation, il dispose aujourd’hui d’un site internet (www.infogreffe.fr), d’un serveur vocal et d’une application pour téléphone mobile ou tablette numérique. Ce mode de diffusion procède de l’application de l’article R. 123-152-1 du code de commerce qui prévoit que « les copies, extraits ou certificats peuvent être délivrés par les greffiers par voie électronique dans les conditions prévues par l’article R. 741-5 ».

Infogreffe permet ainsi d’accéder à divers documents sur les sociétés dont les comptes annuels et les actes officiels (Kbis, statuts, inscriptions de privilèges, etc.).

De son côté, à partir de 1993, l’INPI avait confié à la société OR-Télématique (devenue Coface-services) une concession de service public portant sur la saisie, la numérisation, le stockage et la diffusion des données du RNCS. Mais ce marché a pris fin en octobre 2009, les tâches de saisie et de numérisation des bilans assurées par Coface-services représentant une charge trop importante pour l’INPI.

Certes, le GIE Infogreffe fournit des prestations susceptibles de simplifier la vie des entreprises et des greffes des tribunaux de commerce. Le groupement propose notamment des services d’aide à la gestion d’entreprise tels que la possibilité de mettre gratuitement sous surveillance un portefeuille d’entreprises et d’être alerté en cas de modification touchant l’une d’entre elles (ouverture de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, transfert de siège, changement de gérant, etc.). Depuis 2007, il propose un portail dédié aux formalités dématérialisées auprès des greffes des tribunaux de commerce.

Par ailleurs, l’activité du GIE Infogreffe ne paraît pas contrevenir au droit de la concurrence. Ainsi, dans une décision en date du 30 décembre 2013, l’Autorité de la concurrence a estimé que Infogreffe ne se trouvait pas dans une situation d’entente ou d’abus de position dominante, deux infractions au droit de la concurrence prohibées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce (154).

Néanmoins, la mainmise des greffiers des tribunaux de commerce sur la diffusion de l’information légale relative aux entreprises, à travers le GIE Infogreffe, n’est pas sans susciter de légitimes interrogations.

En effet, certaines données peuvent présenter un caractère public. Il en va ainsi des décisions de tribunal de commerce en matière de procédures collectives (sauvegardes, redressements et liquidations judiciaires) ou des éléments contenus dans les extraits K ou Kbis qui renseignent sur l’activité de l’entreprise (155).

Par ailleurs, la diffusion assurée par le GIE Infogreffe porte sur des données brutes extraites des registres des greffes des tribunaux de commerce. Dès lors, on peut s’interroger sur la légitimité du prix perçu pour ce service.

Certes, le droit français consacre le droit de réutilisation des données publiques. Dans le cadre de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (156), la qualification d’« information publique » repose sur deux critères :

– celui du service public : ne relèvent de cette qualification que des informations contenues dans des documents produits ou reçus dans l’exercice d’une mission de service public ;

– celui des acteurs publics : n’entrent dans cette catégorie que des informations contenues dans des documents produits ou reçus par des acteurs publics (État, collectivités territoriales ou les autres personnes de droit public ou de droit privé chargées d’une mission de service public).

En revanche, ne sont pas considérées comme des informations publiques les informations contenues dans des documents :

– dont la communication ne constitue pas un droit sauf si ces informations font l’objet d’une diffusion publique (par exemple, les avis du Conseil d’État) ;

– qui sont produits ou reçus par les administrations mentionnées à l’article 1er de la loi dans l’exercice d’une mission de service public à caractère industriel ou commercial (SPIC) ;

– sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.

La loi pose le principe que toute information publique est réutilisable, à titre commercial ou non, même si des restrictions restent possibles. Le régime de réutilisation existe principalement dans le but de favoriser la valorisation, notamment économique, des données contenues dans les documents administratifs. La réutilisation des données est définie comme leur utilisation par d’autres personnes que les acteurs publics et pour d’autres fins que celles répondant à des missions de service public.

Toutefois, dans un raisonnement par analogie, il convient de noter que si la loi autorise le prélèvement d’une redevance au titre de la réutilisation d’informations publiques, elle impose également pour la détermination de son montant par l’administration concernée, des critères qui – dans une certaine mesure – pourraient être interprétés comme supposant l’existence d’un travail de valorisation.

Ainsi, en application de l’article 15 de la loi précitée du n° 78-753 du 17 juillet 1978, « pour l’établissement des redevances, l’administration qui a produit ou reçu les documents contenant des informations publiques susceptibles d’être réutilisées tient compte des coûts de mise à disposition des informations, notamment, le cas échéant, du coût d’un traitement permettant de les rendre anonymes. » L’article précise que « l’administration peut aussi tenir compte des coûts de collecte et de production des informations et inclure dans l’assiette de la redevance une rémunération raisonnable de ses investissements comprenant, le cas échéant, une part au titre des droits de propriété intellectuelle. Dans ce cas, l’administration doit s’assurer que les redevances sont fixées de manière non discriminatoire et que leur produit total, évalué sur une période comptable appropriée en fonction de l’amortissement des investissements, ne dépasse pas le total formé, d’une part, des coûts de collecte, de production et de mise à disposition des informations et, d’autre part, le cas échéant, de la rémunération définie au présent alinéa ».

Tout l’enjeu est donc de savoir dans quelle mesure la diffusion des informations par le GIE Infogreffe relève de la réutilisation des données publiques.

S’interroger sur légitimité du prix de la consultation de données qui découlent du respect d’obligations légales ne présente pas qu’un intérêt théorique, car cette consultation représente un coût non négligeable pour les entreprises, comme en atteste le tableau ci-dessous.

TARIFICATION PRATIQUÉE PAR INFOGREFFE

DIFFUSION

 

EXTRAIT KBIS

TOTAL TTC

Extrait du Registre du Commerce et des Sociétés (sur place, au greffe)

3,12 euros

Extrait du Registre du Commerce et des Sociétés (envoi par courrier)

3,89 euros

Diligences de transmission par voie électronique

2,34 euros

COPIES

 

Copie de statuts ou d’acte de société (sur place, au greffe)

9,36 euros

Copie de statuts ou d’acte de société (transmission par voie électronique)

11,70 euros

Copie de statuts ou d’acte de société (envoi par courrier)

11,22 euros

Copie intégrale des comptes annuels (transmission par voie électronique)

11,70 euros

Copie intégrale des comptes annuels (envoi par courrier)

11,22 euros

ÉTAT DES INSCRIPTIONS DE PRIVILÈGES ET NANTISSEMENTS

 

État complet (sur place, au greffe)

46,80 euros

État complet (envoi par courrier)

48,05 euros

Diligences de transmission par voie électronique

2,34 euros

PROCÉDURES COLLECTIVES

 

Certificat relatif à l’existence d’une procédure collective (sur place, au greffe)

1,56 euro

Certificat relatif à l’existence d’une procédure collective (envoi par courrier)

2,33 euros

Diligences de transmission par voie électronique

2,34 euros

AUTRES SERVICES INFOGREFFE

 

Consultation des actualités et dossiers thématiques

Gratuit

Abonnement d’un an à Infogreffe

99,00 euros

Consultation du guide des formalités

Gratuit

Téléchargement de formulaires et modèles

Gratuit

Mise en place de veille d’entreprise(s)

Gratuit

Surveillance – prise de connaissance avis détecté domaine RCS

1,56 euro

Surveillance – prise de connaissance avis détecté domaine privilèges / nantissements

3,12 euros

Surveillance – prise de connaissance avis détecté dépôt / saisie de comptes annuels

1,56 euro

Surveillance – prise de connaissance avec détecté dépôt d’actes

1,56 euro

Visualisation de jugement / ordonnance

5,46 euros

Visualisation de jugement / ordonnance + envoi par courrier

6,23 euros

Source : https://www.infogreffe.fr/societes/documents-officiels/infogreffe-gratuit.html

Estimant que la consultation de données résultant du respect d’obligations légales ne doit pas nécessairement donner lieu à une exploitation commerciale, la rapporteure thématique a préconisé, dans le cadre de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, d’évaluer la possibilité de confier à l’INPI la mission d’assurer la diffusion gratuite des données retraitées informatiquement contenues dans le RNCS à des fins de réutilisation, notamment par les entreprises spécialisées dans la valorisation d’informations économiques (proposition n° 15).

Cette recommandation rejoint celle formulée par le rapporteur général dans le rapport qu’il a remis au Gouvernement (proposition n° 24) (157).

La commission a adopté un amendement du Gouvernement qui concrétise ces propositions et qui substitue un dispositif « en dur » à l’habilitation initialement sollicitée.

Le I du présent article modifie l’article L. 123-6 du code de commerce pour préciser les modalités de transmission par le greffier de tribunal de commerce à l’INPI des documents valant originaux des actes déposés par les entreprises, ainsi que des informations extraites de ces documents dans un format informatique compatible avec le RNCS, de façon à permettre leur interopérabilité et leur réutilisation.

Le II du présent article modifie l’article L. 411-1 du code de la propriété intellectuelle, pour y inscrire une nouvelle mission confiée à l’INPI. En lien avec le projet de bases de données ouvertes promu par le gouvernent, l’INPI sera désormais chargé d’assurer la diffusion gratuite des données retraitées informatiquement contenues dans le RNCS à des fins de réutilisation, notamment par les entreprises spécialisées dans la valorisation d’informations économiques.

Dans la mesure où il ressort des articles L. 930-1, L. 940-1 et L. 950-1 du code de commerce que l’article L. 123-6 du même code est respectivement applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna., le III du présent article prévoit une mention expression d’applicabilité dans ces collectivités.

De même, il ressort de l’article L. 811-1 du code de la propriété intellectuelle que l’article L. 411-1 du même code est applicable à Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie. Il convient donc de prévoir une mention expresse d’applicabilité dans ces territoires : c’est l’objet du IV du présent article.

*

* *

La Commission spéciale examine les amendements identiques SPE179 de M. Philippe Houillon et SPE368 de M. Patrick Hetzel tendant à supprimer l’article 19.

M. Philippe Houillon. L’article 19 prévoit d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant de la loi.

Monsieur le ministre, pour la troisième fois, je vous demande de nous communiquer le texte des ordonnances. Jusqu’à présent, il ne nous a été transmis pour aucun article.

M. le ministre. Le texte de l’ordonnance visé par l’article 19 étant déjà rédigé, le Gouvernement a décidé de l’intégrer au projet de loi – tel est l’objet de son amendement SPE1803.

M. Philippe Houillon. J’en prends bonne note.

Par ailleurs, cet article propose d’habiliter le Gouvernement à modifier les conditions dans lesquelles l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) centralise le registre national du commerce et des sociétés (RNCS), de façon que chacun puisse y accéder : ce serait la fin du système Infogreffe, alimenté par les bases locales, au profit d’un système public.

Or l’obligation pour les greffiers de transférer à une base de données nationale, qui serait ainsi créée, les données actuellement détenues dans leurs bases, ne sera pas sans poser un problème de propriété intellectuelle et donc d’indemnisation. Les greffes jouissent en effet de la propriété intellectuelle de ces bases de données.

M. Patrick Hetzel. Les parlementaires ne sont jamais favorables ex abrupto au recours aux ordonnances. J’observe par ailleurs avec amusement que la gauche se rallie désormais à un tel recours, alors qu’elle a longtemps voué les ordonnances aux gémonies.

Le Gouvernement nous a à plusieurs reprises déclaré qu’il nous communiquerait les textes des ordonnances : or nous les attendons toujours ! Par respect pour le travail parlementaire et pour lever toutes réserves de forme comme de fond, il serait utile que le Gouvernement nous les communique enfin.

M. le ministre. Je vous confirme que l’amendement du Gouvernement SPE1803 répond à votre préoccupation puisqu’il vise à remplacer l’habilitation donnée au Gouvernement par des dispositions inscrites directement dans le projet de loi, en vue de favoriser la diffusion et la réutilisation des informations légales d’entreprises contenues dans le RNCS.

Alors que ces informations sont déjà, aujourd’hui, des données publiques, les greffiers des tribunaux de commerce, qui sont une première fois rémunérés pour les collecter, perçoivent une seconde rémunération pour les diffuser.

La réforme ne pose donc aucun problème de propriété intellectuelle ni, a fortiori, d’indemnisation – l’analyse juridique de la question a été conduite. Les greffiers continueront d’être rémunérés pour alimenter l’INPI et de disposer de ces données pour les commercialiser après les avoir retraitées. Il convient de simplifier la diffusion de ces données brutes, d’ores et déjà centralisées par l’INPI et qui sont publiques, conformément à notre volonté commune, affirmée au commencement de nos débats, de favoriser l’accès de tous aux données publiques.

Tel est l’esprit dans lequel nous conduisons cette réforme.

J’émets donc un avis défavorable aux amendements de suppression de l’article 19 et considère, monsieur le président, avoir défendu l’amendement gouvernemental SPE1803.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable aux amendements de suppression.

Mme Audrey Linkenheld. Des chefs d’entreprise m’ont alerté sur les problèmes de propriété intellectuelle que leur posaient les informations disponibles sur Infogreffe. C’est pourquoi certains choisissent de verser des pénalités plutôt que de faire des déclarations complètes, de crainte que leurs concurrents ne disposent d’informations, y compris personnelles, qu’ils ne souhaitent pas rendre publiques.

Quelles sont les données concernées par le transfert visé à l’article 19 ?

M. le ministre. La réforme consiste non pas à rendre publiques de nouvelles données mais à modifier les modalités de leur transfert à l’INPI et à confier à cet organisme une nouvelle mission de diffusion gratuite de ces données. La réforme ne règle donc en rien le problème que vous évoquez.

Il est vrai que certaines entreprises, confrontées notamment à un marché réduit – un ou deux concurrents –, ne souhaitent pas rendre publiques les informations qu’elles jugent sensibles. C’est un problème d’intelligence économique qui concerne le secret des affaires – M. Jean-Frédéric Poisson a déposé un amendement sur le sujet – et sur lequel nous travaillons par ailleurs.

M. le président François Brottes. Il ne serait pas incongru que le rapporteur général de la Commission spéciale soit porteur du travail réalisé par Jean-Jacques Urvoas sur le secret des affaires.

Mme Bernadette Laclais. J’ai déposé un amendement sur la question de l’intelligence économique : vos propos me rassurent, monsieur le ministre.

Il faut savoir en effet que des entreprises font le choix de s’acquitter d’une amende plutôt que de livrer les informations légales auprès des tribunaux de commerce, ce qui crée des inégalités entre les territoires, les parquets ne réagissant pas tous de la même façon.

La Commission spéciale rejette les amendements SPE179 et SPE368.

Puis, suivant l’avis favorable de la rapporteure thématique, elle adopte l’amendement SPE1803 du Gouvernement.

L’article 19 est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement SPE849 de M. Jean-Frédéric Poisson tombe.

*

* *

Article 20
(art. L. 811-5 et L. 812-3 du code de commerce)

Création d’une profession de commissaire de justice,
aménagements des voies d’accès aux professions d’administrateur et de mandataires judiciaires ainsi que de greffier des tribunaux de commerce

Le présent article propose d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution :

• dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi pour la croissance et l’activité :

– « toute mesure relevant du domaine de la loi pour diversifier et aménager les voies d’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire afin de satisfaire aux besoins nouveaux des juridictions en matière de procédures collectives » (I du présent article) ;

– « toute mesure relevant du domaine de la loi pour améliorer, par la voie du concours, en fixant les conditions financières de cette mesure, le recrutement des greffiers de tribunaux de commerce » (III du présent article) ;

• dans un délai de dix mois à compter de la publication de la loi pour la croissance et l’activité :

– les mesures relevant du domaine de la loi pour « créer une profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire et commissaire-priseur judiciaire » (1° du II du présent article) ;

– les mesures de nature législative pour « clarifier les règles régissant l’activité de ventes judiciaires de meubles et améliorer sa connaissance par la création d’une liste pour l’information du public, dans le respect des dispositions statutaires de chaque profession » (2° du II du présent article).

I. DIVERSIFICATION DES VOIES D’ACCÈS AUX PROFESSIONS D’ADMINISTRATEUR ET DE MANDATAIRE JUDICIAIRES

Dans sa version initiale, le I du présent article proposait d’habiliter le Gouvernement à prendre les mesures de nature législative nécessaires pour diversifier et aménager les voies d’accès aux professions d’administrateur judiciaire (158) et de mandataire judiciaire (159) afin de satisfaire aux besoins nouveaux des juridictions en matière de procédures collectives.

En conduisant les travaux des missions d’information de la commission des Lois sur la justice commerciale (160) et sur les professions juridiques réglementées (161), la rapporteure thématique a pu constater à quel point l’ouverture des professions d’administrateur et de mandataire judiciaires était une nécessité, notamment au regard de l’augmentation du nombre de procédures collectives, qui s’élève à environ 60 000 procédures par an, comme l’illustrent les tableaux ci-dessous.

NOMBRE DE DÉFAILLANCES PAR DATE D’OUVERTURE DES PROCÉDURES

 

En 2010

En 2011

En 2012

En moyenne par an

En sauvegarde

1 166

1 251

1 762

1 393

En redressement judiciaire

17 786

17 127

18 058

17 657

En liquidation judiciaire

30 981

34 060

33 396

32 812

Nombre total de défaillances

49 933

52 438

53 216

51 862

Source : Observatoire économique du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires (CNAJMJ)

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PROCÉDURES DE SAUVEGARDE

Sauvegarde

En 2010

En 2011

En 2012

Nombre total

1 166

1 251

1 762

Nombre moyen de dossiers par AJ

10

11

15

En sauvegarde, le nombre de dossiers traités en moyenne par an est de 12 par administrateur judiciaire (AJ)

Source : Observatoire économique du CNAJMJ

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PROCÉDURES DE REDRESSEMENT JUDICIAIRE

Redressements judiciaires

En 2010

En 2011

En 2012

Nombre total de RJ

17 786

17 127

18 058

Nombre moyen de dossiers par AJ ou MJ

41

40

42

Source : Observatoire économique du CNAJMJ

En redressement judiciaire, le nombre de dossiers traités en moyenne par an est de 41 par administrateur judiciaire (AJ) OU mandataire judiciaire (MJ)

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PROCÉDURES DE LIQUIDATIONS JUDICIAIRES SANS CONVERSION

Liquidations judiciaires directes

En 2010

En 2011

En 2012

Nombre total de LJ

30 981

34 060

33 396

Nombre moyen de dossier par MJ

98

108

106

En liquidation judiciaire (LJ), le nombre de dossiers traités en moyenne par an est de 104 par mandataire judiciaire (MJ).

Source : Observatoire économique du CNAJMJ

Alors que le nombre de procédures collectives a significativement augmenté, celui des administrateurs et mandataires judiciaires a reculé depuis une dizaine d’années, comme en atteste le tableau ci-dessous.

NOMBRE D’ADMINISTRATEURS (AJ) ET DE MANDATAIRES (MJ) JUDICIAIRES

ANNÉE

AJ

MJ

AJ ET MJ

2005

118

319

437

2006

112

316

428

2007

111

316

427

2008

108

317

425

2009

108

306

414

2010

118

319

437

2011

119

317

436

2012

2013

2014 (162)

121

117

119

317

302

306

438

419

425

En moyenne par an

115

313,5

428,6

Source : Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ)

De fait, au 18 juillet 2014, on recensait 119 administrateurs judiciaires et 306 mandataires judiciaires. Le nombre des professionnels chargés du traitement des difficultés des entreprises se limitait donc, pour l’ensemble du pays, à 425 personnes travaillant dans 332 études (85 pour les administrateurs judiciaires et 247 pour les mandataires judiciaires). D’après les éléments recueillis au cours de l’audition des représentants de l’Institut français des praticiens des procédures collectives (IFPPC) par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, les quelque 430 administrateurs et mandataires judiciaires devraient actuellement traiter 65 000 dossiers, toutes procédures confondues, ce qui représente un nombre moyen de dossiers par professionnel situé entre 40 et 50 pour les administrateurs judiciaires et avoisinant la centaine pour les mandataires judiciaires.

Ainsi que M. François Legrand, mandataire, président de l’IFPPC, l’a admis devant la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, les administrateurs et mandataires judiciaires ne sont pas trop nombreux. Ces professions ont besoin d’ouverture sans être cependant tirées vers le bas et ce, en attirant des personnes extrêmement compétentes. Du point de vue de la rapporteure thématique, cette nécessité s’impose d’autant plus que la moyenne d’âge des mandataires de justice apparaît relativement élevée. D’après les chiffres disponibles, l’âge moyen de la profession s’élèverait aujourd’hui à 53,5 ans. Au 1er janvier 2012, 66 % des professionnels inscrits sur la liste nationale avaient au moins 50 ans. Ainsi que le concluait le rapport de l’Inspection générale des finances, il ne s’agit pas là d’une pyramide des âges très favorable (163).

À la faiblesse et au vieillissement des effectifs des administrateurs et mandataires judiciaires, s’ajoute leur inégale répartition sur l’ensemble du territoire, qui ne semble pas correspondre à l’importance et à la situation respective du tissu local des entreprises.

Même si dans les faits, les administrateurs et mandataires judiciaires exercent pour l’essentiel leur compétence auprès d’une seule juridiction, ces deux catégories de professionnels disposent, en droit, d’une compétence nationale à raison des modalités de leur désignation.

Or, compte tenu de la modestie de leurs effectifs, rien n’assure que les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires disposent des ressources nécessaires afin de répondre, de manière satisfaisante, à l’ensemble des besoins inhérents à la mise en œuvre des procédures de traitement des difficultés des entreprises.

Dans le cadre de ses travaux, la mission d’information de la commission des Lois sur la justice commerciale avait pour sa part estimé qu’en dépit de l’inexistence d’un numerus clausus, les deux professions se trouvaient objectivement dans un état de sous-effectifs (164). Cette conclusion procédait notamment de deux constats, établis par plusieurs personnes entendues : d’une part, des situations de pénurie imposant parfois le recours à des administrateurs judiciaires installés dans le ressort d’une cour d’appel autre que celle dans le ressort de laquelle une procédure collective était ouverte ; d’autre part et de manière plus générale, une insuffisance des effectifs laissant peu de latitude aux juges dans l’exercice de leur pouvoir de désignation.

On ne peut donc que se féliciter de ce que le Gouvernement ait proposé un dispositif complet, en lieu et place d’une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance, visant à ouvrir les professions d’administrateur et de mandataire judiciaires, par la voie d’un amendement adopté par la commission.

Le 1° du I du présent article modifie les dispositions de l’article L. 811-5 du code de commerce, qui énonce les conditions d’accès à la profession d’administrateur judiciaire.

Il s’agit de faire référence à une nouvelle voie d’accès universitaire à cette profession par le biais d’un nouveau « diplôme de master en administration et liquidation d’entreprises en difficulté », qui sera créé par voie réglementaire par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, et qui permettra d’être inscrit sur les listes d’accès aux fonctions d’administrateur, sans qu’il soit nécessaire de passer préalablement l’examen d’aptitude (a) du 1° du I du présent article).

Par ailleurs, le b) du 1° du I du présent article renforce la possibilité de dispense, totale ou partielle, des obligations de stage et de passage de l’examen d’aptitude pour l’accès à ces fonctions, en instaurant une dispense de droit lorsque sont remplies des conditions de compétence et d’expérience professionnelle fixées par décret en Conseil d’État.

Le 2° du I du présent article modifie les dispositions de l’article L. 812-3 du code de commerce, qui définit les conditions d’accès à la profession de mandataire judiciaire, pour faire référence à ce nouveau diplôme et à ces nouvelles dispenses, totales ou partielles, des obligations de stage et de passage de l’examen d’aptitude.

Le I bis du présent article rend la nouvelle rédaction de l’article L. 811-5 applicable à Wallis-et-Futuna. Une mention expresse d’applicabilité est en effet nécessaire pour que la modification apportée y soit également applicable.

II. CRÉATION D’UNE PROFESSION UNIQUE DE L’EXÉCUTION JUDICIAIRE ET CLARIFICATION DES RÈGLES RÉGISSANT L’ACTIVITÉ DE VENTES JUDICIAIRES DE MEUBLES

Au regard de la contrainte que représente le faible nombre d’administrateurs et de mandataires judiciaires, une grande profession de l’exécution pourrait également être utile en ce qu’elle favoriserait la création, sur l’ensemble du territoire, d’un vivier plus large de professionnels habilités à intervenir dans les procédures de traitement des difficultés des entreprises.

En effet, en associant aux mandataires judiciaires l’effectif des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires, au nombre respectif de 3 256 et 400 titulaires d’offices au 1er janvier 2013 (165), notre pays pourrait disposer de 3 962 professionnels en ce domaine, ce qui constitue le facteur d’une possible et utile mutualisation des compétences.

C’est la raison pour laquelle le 1° du II du présent article propose d’habiliter le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi pour « créer une profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire et commissaire-priseur judiciaire ».

En soi, l’idée d’une profession unique de l’exécution judiciaire n’est pas nouvelle. Dans le rapport qu’elle avait remis au président de la République en 2009, la mission présidée par M. Jean-Michel Darrois concluait ainsi à l’intérêt d’une fusion entre huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires voire mandataires judiciaires (166).

Du point de vue de la rapporteure thématique, la création d’une profession unique de l’exécution judiciaire peut représenter une piste à explorer dans un souci de modernisation.

En effet, rien n’interdit d’envisager des évolutions en phase avec le renouvellement des besoins des particuliers et des entreprises. La création d’une profession de l’exécution judiciaire en fait partie dans la mesure où elle s’assimile à un approfondissement des dispositifs actuels et pourrait apporter des réponses à deux préoccupations : améliorer l’offre de services ; renforcer le maillage du territoire en professionnels du traitement des difficultés des entreprises.

Il faut rappeler que le droit applicable permet déjà à certains professionnels d’exercer des activités qui, en principe, ne relèvent pas strictement du champ de leurs missions.

Il en va ainsi dans le domaine des ventes de meubles aux enchères publiques (167). Les dispositions de leur statut habilitent ainsi les huissiers de justice à procéder aux prisées et ventes publiques judiciaires ou volontaires de meubles et d’effets mobiliers corporels « dans les lieux où il n’est pas établi de commissaires-priseurs judiciaires » (168). Suivant une logique analogue, en application de l’article L. 322-7 du code de commerce, à défaut de courtiers de marchandises assermentés (169), les commissaires-priseurs judiciaires, les notaires et les huissiers de justice peuvent réaliser les ventes aux enchères publiques de marchandises en gros organisées en application de la loi ou ordonnées par décision de justice.

Par ailleurs, les statuts de certaines professions ouvrent la possibilité de réaliser des actes ou des prestations à titre accessoire. Ainsi, en application de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945, les commissaires-priseurs judiciaires peuvent, en principe, exercer à titre accessoire certaines activités et certaines fonctions dont la liste est arrêtée par décret en Conseil d’État.

Il convient par ailleurs de noter que dans certaines parties du territoire, les activités relevant du monopole des commissaires-priseurs judiciaires ressortissent de la compétence d’autres officiers publics ministériels. Tel est le cas dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle et de Mayotte, ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon où la compétence relève soit du notaire, soit de l’huissier local. L’article 3 de l’ordonnance du 26 juin 1816 (170), tel que modifié par la loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011 (171), prévoit en effet que « les autres officiers publics ou ministériels habilités par leur statut à effectuer des prisées et des ventes judiciaires ou volontaires de meubles corporels aux enchères publiques peuvent y procéder dans leur ressort d’instrumentation ».

Ces dispositions tendent à montrer qu’une relative souplesse dans la répartition des rôles entre les offices publics n’est pas inenvisageable, d’un strict point de vue juridique et dans l’accomplissement de certaines missions.

Consciente des réserves émis par le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, au sujet de l’inclusion de la profession de mandataire judiciaire dans la nouvelle profession de commissaire de justice, qui pourrait présenter des difficultés en termes statutaires et au regard des exigences d’indépendance pesant sur cette profession, la commission a adopté l’amendement de M. Patrick Hetzel visant à écarter cette profession du regroupement envisagé.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement des rapporteurs tendant à préciser que la création de la profession unique de l’exécution judiciaire se fera de façon progressive, en prenant en considération les incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions de chaque profession concernée.

Les rapporteurs appellent le Gouvernement à prévoir des dispositifs transitoires dans le cadre des ordonnances qu’il sera amené à prendre sur le fondement du 1° du II du présent article.

En effet, si nécessaire soit-elle, la création d’une profession de commissaire de justice est une réforme de moyen terme, qui doit s’accompagner d’une concertation et d’une expertise approfondies et qui doit passer par un rapprochement progressif des professions de commissaire-priseur judiciaire, et d’huissier de justice.

Il convient d’évaluer précisément les synergies possibles et de prendre en considération le temps nécessaire à une telle reconfiguration de l’offre de service des professions et de l’organisation des professionnels.

Au regard des disparités qui existent aujourd’hui entre les professions appelées à intégrer la profession de commissaire de justice, tant en termes de statut, de compétence territoriale que de formation et de culture professionnelles ou de déontologie, la rapporteure thématique a formulé dans le rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, plusieurs propositions pour bâtir une nouvelle profession :

– en privilégiant dans un premier temps l’interprofessionnalité d’exercice ainsi que la création de passerelles entre professions ;

– en s’appuyant sur la complémentarité et la proximité des compétences ;

– et en garantissant la place et les droits des salariés des professionnels concernés (qui sont aujourd’hui fixés par des conventions collectives distinctes).

Aux yeux de la rapporteure thématique, la création d’une profession unique de l’exécution judiciaire présente deux avantages essentiels, également identifiés dans la réflexion initiée depuis plusieurs années par les pouvoirs publics.

Le premier consiste en l’établissement d’une offre de prestations de services plus lisible pour les consommateurs et les justiciables, qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises.

Le rapport de M. Jean-Michel Darrois le soulignait déjà en 2009 en ce qui concerne la vente aux enchères publiques de meubles corporels : la répartition des rôles entre professionnels peut apparaître incompréhensible au justiciable ordinaire à raison d’une répartition des compétences insuffisamment précisée par les textes applicables (172). Il en résulte une incertitude préjudiciable à l’exercice de leur droit et source par ailleurs de conflits entre professions.

C’est sans doute la raison pour laquelle le 2° du II du présent article proposait initialement d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure législative nécessaire pour « clarifier les règles régissant l’activité de ventes judiciaires de meubles et améliorer sa connaissance par la création d’une liste pour l’information du public, dans le respect des dispositions statutaires de chaque profession ». Le Gouvernement ayant estimé que cette demande d’habilitation était redondante par rapport à celle sollicité au 1° du II du présent article, la commission a adopté l’amendement gouvernemental proposant la suppression du 2° dudit II.

Le second intérêt réside dans la réduction des coûts que pourrait favoriser l’office d’un professionnel unique dans le cadre de procédures parfois complexes et dont la mise en œuvre requiert des compétences distinctes.

Cette question se pose en l’occurrence dans le domaine des procédures de traitement des difficultés des entreprises. Par exemple, la conduite d’une liquidation judiciaire comporte nécessairement de multiples actes et opérations susceptibles d’excéder la compétence juridique et professionnelle d’un mandataire judiciaire. Ainsi, la réalisation des actifs et l’apurement du passif peuvent nécessiter d’obtenir le recouvrement forcé de créances, une mise sous séquestre ou la réalisation de ventes aux enchères. Or, chacune de ces opérations entraîne la facturation, au passif des entreprises mises en liquidation, des diligences accomplies par les huissiers ou les commissaires-priseurs judiciaires. Le problème du coût de ces interventions existe également dans le cadre des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

L’habilitation sollicitée par le Gouvernement au 1° du II du présent article permettrait de remédier à ces difficultés.

III. AMÉLIORATION DU RECRUTEMENT DES GREFFIERS DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

Le rapport de l’Inspection générale des finances sur les professions réglementées indique que l’organisation actuelle des greffiers des tribunaux de commerce, qui bénéficient du droit de présentation prévu par l’article 91 de la loi de finances de 1816, « est marquée par le poids de familles qui organisent la transmission des structures entre parents et enfants » (173). Ce rapport a notamment relevé qu’en Île-de-France, « trois des quatre greffes des tribunaux de commerce de petite couronne, parmi les plus importants de France, sont ainsi caractérisés par l’association d’un greffier et de deux ou trois de ses enfants (à l’exclusion de tout autre associé) » (174). Par ailleurs, « une famille constituée de trois frères et de leurs enfants contrôle quatre greffes, tandis qu’au total sept noms de famille sont associés à vingt et un greffes sur les 134 que compte le pays » (175).

Afin de garantir un égal accès aux offices de greffiers des tribunaux de commerce, la rapporteure thématique a préconisé, dans le récent rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées (176) de réformer les conditions d’accès à cette profession qui, aujourd’hui, imposent notamment l’obtention d’une maîtrise en droit (ou d’un diplôme équivalent), l’accomplissement d’un stage de formation d’une durée d’un an (qui constitue, dans les faits, un verrou d’entrée) et le succès à un examen d’aptitude professionnelle.

La rapporteure thématique a proposé de substituer un concours au stage et à l’examen d’aptitude actuellement prévus (proposition n° 3).

Le III du présent article concrétise cette proposition car il propose d’habiliter le Gouvernement à prendre, par ordonnance, « toute mesure relevant du domaine de la loi pour améliorer, par la voie du concours, en fixant les conditions financières de cette mesure, le recrutement des greffiers de tribunaux de commerce ».

Dans l’esprit de la rapporteure thématique, ce concours serait conçu de façon à valoriser les compétences non seulement en droit commercial mais aussi en management, les greffiers des tribunaux de commerce étant non seulement des officiers publics et ministériels garants de la validité d’actes ayant trait au droit des sociétés mais aussi des professionnels libéraux responsables de la viabilité économique de leurs études.

À l’issue de ce concours qui privilégierait ainsi la méritocratie serait établie une liste de lauréats constituant un vivier au sein duquel les titulaires des offices pourraient choisir leurs associés ou successeurs, au profit desquels ils pourront donc exercer leur droit de présentation, ainsi nullement remis en cause.

N’ignorant pas les réserves émises à ce sujet par le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, la rapporteure thématique a recommandé d’assortir ce dispositif de conditions financières dans la mesure où l’obligation, pour les titulaires des offices, de choisir leurs associés ou successeurs parmi les lauréats du concours pourrait être regardée comme une restriction partielle de leur liberté de choix, et donc une atteinte, non pas au principe même de leur droit de présentation, mais à son étendue.

C’est aussi la raison pour laquelle l’habilitation prévue au III du présent article impose au Gouvernement de fixer les conditions financières du recrutement, par concours, des greffiers des tribunaux de commerce.

*

* *

La Commission examine les amendements identiques SPE15 de M. Patrick Hetzel et SPE 187 de M. Philippe Houillon, qui tendent à supprimer l’article.

M. Patrick Hetzel. L’amendement SPE15 tend à supprimer l’article 20, qui vise à autoriser le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures relatives aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire.

Monsieur le ministre, le Gouvernement pourrait-il communiquer au Parlement les textes des ordonnances pour chaque article concerné ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, vous vous étiez engagé à nous communiquer les textes des ordonnances, dont la rédaction était, pour la plupart, nous aviez-vous assurés, achevée. Je vous demande donc de nouveau de communiquer au Parlement les ordonnances qui sont déjà rédigées.

Je m’associe évidemment à Patrick Hetzel pour souligner qu’il n’est pas nécessaire de recourir aux ordonnances sur des sujets de cette nature.

M. le ministre. Il ne nous est pas possible à l’article 20, contrairement à l’article 19, d’intégrer dans le projet de loi les dispositions que nous prévoyons de prendre par ordonnance, car la rédaction n’en est pas prête : c’est pourquoi le Gouvernement maintient à l’article 20 sa demande d’habilitation, qu’il précisera sur deux ou trois points.

Il s’agit bien d’aménager les voies d’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, de créer une profession de l’exécution en regroupant progressivement celles d’huissier de justice, de mandataire de justice et de commissaire-priseur judiciaire, de modifier le régime juridique des ventes judiciaires de meubles et d’organiser les concours de recrutement des greffiers de tribunaux de commerce.

Le Gouvernement a déposé plusieurs amendements pour préciser la nature de ces dispositions.

Je le répète : si les ordonnances étaient prêtes, leur rédaction, comme à l’article 19, aurait été intégrée au projet de loi. Tel n’est malheureusement pas le cas. Je peux toutefois vous en présenter les grandes lignes.

L’amendement du Gouvernement SPE1802 vise à soumettre au débat parlementaire les dispositions initialement prévues au premier alinéa.

L’amendement SPE1551 vise à supprimer le quatrième alinéa, qui concerne les ventes judiciaires de meubles.

Le Gouvernement ne peut en revanche intégrer dans le projet de loi les mesures envisagées au troisième alinéa, relatif à la profession de commissaire de justice, et au cinquième alinéa, relatif au concours de recrutement des greffiers de tribunaux de commerce, du fait que ces mesures soulèvent toujours des questions d’ordre technique sur lesquelles le Gouvernement poursuit ses travaux.

L’objectif est de rationaliser ces professions aux missions proches et complémentaires. La question a été évoquée ce matin : en Alsace et Moselle, les huissiers et les commissaires-priseurs judiciaires constituent d’ores et déjà une même profession. Dans la pratique, en un grand nombre de points du territoire, les huissiers assurent déjà les missions des commissaires-priseurs judiciaires. Le maillage territorial est donc à l’heure actuelle déjà défaillant, du fait que les commissaires-priseurs judiciaires se sont progressivement concentrés dans les grandes villes et les métropoles et ont souvent délégué leurs tâches aux huissiers.

L’objectif de cette demande d’habilitation est de poursuivre les travaux techniques et de prévoir un délai raisonnable pour réaliser la convergence de ces professions.

Je vous renvoie aux amendements du Gouvernement qui précisent ses intentions.

En conséquence, j’émets un avis défavorable aux amendements de suppression.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. J’émets également un avis défavorable à ces amendements.

M. Gérard Cherpion. La fusion de ces professions n’est pas sans nous interroger.

En effet, alors que la première mission des mandataires judiciaires est d’arrêter l’exécution, ils seront fusionnés à des professionnels qui ont, eux, pour mission d’assurer l’exécution. Les missions de ces professions étant incompatibles, il n’est pas possible de fusionner l’ensemble de leurs responsabilités.

La Commission rejette les amendements SPE15 et SPE187.

Elle examine ensuite les amendements identiques SPE180 de M. Philippe Houillon et SPE369 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Je voudrais profiter de la défense de l’amendement pour engager la discussion sur l’amendement SPE1915 du Gouvernement.

M. le président François Brottes. Le Gouvernement l’a retiré.

M. le ministre. Je confirme le retrait de l’amendement SPE1915 au profit de l’amendement SPE1802.

Avis défavorable aux amendements identiques SPE180 et SPE369.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. J’émets également un avis défavorable à ces deux amendements.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette les amendements SPE180 et SPE369.

L’amendement SPE1915 du Gouvernement est retiré.

Puis la Commission examine l’amendement SPE1802 du Gouvernement.

M. le ministre. Initialement, le premier alinéa de l’article 20 habilitait le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour diversifier et aménager les voies d’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire.

Le texte étant abouti, il y a lieu de le soumettre au débat parlementaire. C’est ce que fait l’amendement SPE1802, qui vise à remplacer le premier alinéa par les dispositions suivantes : créer une nouvelle voie d’accès universitaire à ces deux professions en prévoyant la mise en place d’un nouveau « diplôme de master en administration et liquidation d’entreprises en difficulté » et instaurer des dispenses de droit pour les personnes remplissant certaines conditions de compétences et d’expérience professionnelle.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis favorable.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement me surprend pour deux raisons.

Il prévoit tout d’abord la création d’un master spécifique, ce qui risque de créer une discrimination par rapport aux titulaires d’autres masters juridiques.

De plus, ce master sera créé par voie réglementaire par le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce qui va à l’encontre de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, qui fait de la création de diplômes une prérogative des établissements eux-mêmes, diplômes que le ministère ne fait qu’habiliter dans un second temps. L’amendement témoigne donc d’une votre conception très « administrée ». C’est un ancien directeur général de l’enseignement supérieur qui vous le dit : cela fait belle lurette qu’on ne procède plus de cette manière !

Enfin, le Conseil national du droit – CND –, placé sous la double autorité du garde des Sceaux et du ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, a-t-il été consulté sur cette question qui fait pleinement partie de ses prérogatives ? Le ministère chargé de l’enseignement supérieur s’était d’ailleurs engagé à ne pas procéder à des habilitations de formation avant un échange nourri avec le CND.

M. Sébastien Huyghe. Lors de votre audition préalable à l’examen du texte, monsieur le ministre, vous aviez déclaré que vous communiqueriez au Parlement l’intégralité des projets d’ordonnance. Or vous venez de souligner que vous avez décidé, comme à l’article 19, d’intégrer directement dans le projet de loi les textes des ordonnances lorsque leur rédaction est achevée.

Est-ce à dire que votre promesse de nous communiquer les projets d’ordonnance ne reflétait pas réellement vos intentions ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Le Gouvernement s’engage-t-il de manière formelle à solliciter les professions concernées avant la publication du décret en Conseil d’État mentionné au sixième alinéa de l’amendement et fixant les conditions de compétence et d’expérience professionnelle donnant droit à une dispense de l’examen d’accès au stage professionnel ?

M. Gérard Cherpion. La création de ce nouveau diplôme supprimera-t-elle la possibilité pour le parquet de nommer une personne non inscrite – un expert-comptable par exemple – pour certaines missions de mandataire judiciaire ?

M. le ministre. Monsieur Huyghe, comme je l’ai déjà souligné, chaque fois qu’un projet d’ordonnance était prêt, il a été introduit dans le texte.

Lorsque, compte tenu de la complexité de la matière, l’ordonnance n’était pas prête, nous n’avons pas proposé son intégration au texte. En revanche, le Gouvernement propose une rédaction permettant de clarifier l’habilitation. C’est dans cet esprit de transparence que nous avons proposé d’introduire dans l’article 20 certaines dispositions déjà abouties.

Le mieux étant perçu comme l’ennemi du bien, votre remarque, monsieur Huyghe, pourrait me conduire à laisser en l’état la rédaction initiale du texte... Telle n’est pas mon intention.

Monsieur Hetzel, le Conseil national du droit a été consulté : il nous a écrit qu’il était d’accord. Je suis prêt à amender en séance le texte s’il pose des problèmes d’ordre juridique, notamment avec le ministère chargé de l’enseignement supérieur.

Il s’agit d’inscrire les administrateurs ou les mandataires judiciaires dans la même démarche que celle que nous avons déjà prévue notamment pour les notaires : créer une formation universitaire s’inscrivant non pas de manière exclusive mais en complément des formations existantes. Quant au renvoi au décret fixant les conditions de compétence à l’accès à la profession, il reflète une ouverture.

Je le répète : la création de cette formation ne supprime pas les voies déjà existantes. Il s’agit d’une disposition d’harmonisation, notamment avec le notariat, et de clarification.

Enfin, le Gouvernement s’engage à consulter les différents professionnels concernés.

M. Denys Robiliard. À ma connaissance, seules deux formations universitaires sont à l’heure actuelle consacrées au droit des entreprises en difficulté, celle de M. François-Xavier Lucas, professeur à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne, et celle de M. Pierre-Michel Le Corre, professeur à l’université de Nice-Sophia Antipolis. Le diplôme de master en administration et liquidation d’entreprises en difficulté que vous envisagez de créer correspondra-t-il à ces formations actuellement dispensées par des éminences dans le droit des entreprises en difficulté ?

L’amendement prévoit par ailleurs une possibilité de dispense, totale ou partielle, des obligations de stage et de passage de l’examen d’aptitude pour l’accès à ces fonctions, lorsque seront remplies des conditions de compétence et d’expérience professionnelle fixées par décret en Conseil d’État. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur le contenu de ce décret ?

M. le ministre. Nous considérons évidemment comme des modèles ces deux formations que vous avez évoquées. Il n’existe donc aucun risque de retour en arrière.

En ce qui concerne les conditions de compétence, elles seront celles qui président à l’heure actuelle au choix de ces professionnels par la chancellerie. Le décret ne fera que clarifier l’existant, s’agissant notamment des salariés qui auront accès à ces professions.

La Commission adopte l’amendement SPE1802.

En conséquence, les amendements identiques SPE181 de M. Philippe Houillon et SPE370 de M. Patrick Hetzel, ainsi que les amendements identiques SPE372 de M. Patrick Hetzel et SPE1467 de M. Jean-Pierre Decool, tombent.

La Commission passe à l’examen des amendements identiques SPE183 de M. Philippe Houillon et SPE374 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. Si j’avais pu défendre l’amendement SPE181, j’aurais invité le Gouvernement à nous assurer que l’article apporte des garanties en matière de compétence et d’indépendance dans l’élaboration du décret.

L’amendement SPE183 porte sur la question de l’indemnisation des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires qui subiront un préjudice à la suite de la réforme de leur statut prévu à l’article 20, s’agissant notamment de la valorisation de leur activité.

Le Parlement souhaiterait être informé, par voie de rapport, de la manière dont ces professionnels seront indemnisés. Je sais, monsieur le président, que cette voie est devenue une forme de coutume, cet « amendement bibliothèque » venant s’ajouter à une collection déjà bien fournie.

M. le président François Brottes. Je vous remercie de reprendre cette jolie formule… (Sourires.)

M. le ministre. Ces amendements visent à compléter l’habilitation qui était prévue au premier alinéa de l’article 20.

Or, l’amendement SPE1802 du Gouvernement intégrant directement les mesures envisagées, l’habilitation est devenue sans objet sur ce point.

Comme il ne s’agit pas de modifier le statut des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires mais les conditions de leur formation initiale, il est exclu que ces professionnels subissent de ce fait un préjudice, a fortiori un « préjudice anormal et spécial ». Il est inutile de rappeler les jurisprudences du Conseil d’État en la matière.

C’est la raison pour laquelle je vous invite à retirer ces deux amendements.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Il est, comme l’a souligné M. le ministre, difficilement concevable que les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires, qui ne sont pas des officiers publics ou ministériels et ne possèdent donc pas de charge, et qui ont, en outre, une compétence nationale leur permettant de déployer leur activité sur l’ensemble du territoire, soient indemnisés du seul fait de la création d’un nouveau diplôme d’accès à la profession qui ne remet pas en question le statut des professionnels en place.

Je tiens à ajouter que l’augmentation du nombre de ces professionnels est une nécessité au regard de la multiplication des procédures collectives constatée ces dernières années. C’est également un moyen d’ouverture aux jeunes qui souhaitent exercer cette profession : or celle-ci leur est difficilement accessible en raison de la nécessité d’effectuer un stage d’au moins trois ans au sein d’une étude d’administrateur ou de mandataire. Actuellement, 425 professionnels – 119 administrateurs judiciaires et 306 mandataires judiciaires – traitent chaque année 60 000 procédures. Ils étaient 437 en 2005, avant la crise économique et financière. La mission d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale a permis de constater que cette profession se trouve objectivement dans un état de sous-effectif. La mise en place de ce dispositif universitaire me paraît donc une excellente solution.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je vous remercie, madame la rapporteure thématique, de m’avoir fourni toutes les raisons de maintenir mon amendement.

Vous avez en effet confirmé que cette disposition de l’article 20 a bien pour objectif de faciliter l’accès, notamment des jeunes, à la profession et donc de créer des offices supplémentaires pour la même activité sur le territoire national, sans limitation de compétence territoriale. La mesure aura donc bien un impact sur l’activité des études existantes.

M. le rapporteur général. Les représentants de la profession d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire que j’ai auditionnés au mois d’octobre dernier demandent eux-mêmes que l’accès au salariat soit ouvert afin de pouvoir recruter pour faire face à leurs obligations. Le nombre des études existantes n’est pas suffisant si on le rapporte à celui des procédures collectives et à l’évolution de celui-ci. De plus, la trop longue durée des procédures est préjudiciable à l’activité économique. Il faut donc créer des voies nouvelles de formation permettant d’accéder à ces formations.

Ce dispositif permettra de combler une carence objective, reconnue par les professionnels eux-mêmes.

M. Gilles Lurton. L’accès aux fonctions de mandataire judiciaire se fait par voie de concours. Or c’est un arrêté gouvernemental qui décide de la tenue d’un concours et les décisions d’ouverture sont très rares.

M. le président François Brottes. Il y a plusieurs moyens de limiter l’accès à des professions : soit en ne prévoyant pas de formation, soit en n’ouvrant pas de concours…

C’est la raison pour laquelle le texte aborde le sujet.

La Commission rejette les amendements SPE183 et SPE374.

La Commission examine ensuite les amendements identiques SPE379 de M. Patrick Hetzel, SPE562 de Mme Laure de La Raudière et SPE630 de M. Gérard Cherpion.

M. Patrick Hetzel. En l’état actuel des choses, la création de la profession de commissaire de justice semble inconciliable avec les exigences européennes des directives « services » et « reconnaissance des qualifications professionnelles ».

La démarche européenne impose de raisonner, non en termes d’opérateur mais en prenant en considération les caractéristiques de l’activité exercée, en l’espèce l’exécution qui est un concept très théorique.

Pouvez-vous nous indiquer ce qu’il est en est par rapport à cette directive européenne, car, tels qu’ils sont rédigés, les alinéas 2 à 4 posent problème ?

M. Sébastien Huyghe. Les alinéas 2 à 4 présentent un vice de forme : un projet de loi d’habilitation doit justifier le recours aux ordonnances et indiquer précisément la finalité et le domaine des ordonnances à venir. Les termes utilisés sont flous. En outre, ce n’est pas le regroupement des professions qui diminuera les coûts puisque les actes sont tarifés.

M. le ministre. L’alinéa 3 est relatif à la nouvelle profession de commissaire de justice. Au vu de la similitude et de la complémentarité des missions confiées aux commissaires-priseurs judiciaires, aux huissiers de justice et aux mandataires judiciaires, il est proposé de rationaliser l’organisation actuelle.

Je ne reviendrai pas sur la discussion de ce matin ni sur la proximité de fait entre ces professions. En effet, en certains endroits du territoire, les missions des uns sont accomplies par les autres. Pour être plus précis, les missions des commissaires-priseurs judiciaires sont accomplies par les huissiers.

À court terme, les professionnels continueront d’exercer leur métier comme aujourd’hui et ils pourront bénéficier de passerelles élargies pour accéder aux fonctions qui relèvent jusqu’à présent d’une profession distincte. À long terme, il est proposé que la profession de commissaire de justice regroupe des généralistes et des spécialistes avec des missions communes ou complémentaires aux trois professions.

La directive vise des critères d’activité, de déontologie, et non des professions spécifiques. Le rapprochement envisagé ici n’est donc pas incompatible avec cette directive, telle qu’elle est rédigée actuellement. C’est pourquoi la pratique n’y contrevient pas, ni le droit alsacien et mosellan.

Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

Mme Cécile Untermaier, rapporteur thématique. Défavorable, pour les mêmes motifs.

M. Julien Aubert. Monsieur le ministre, vous venez de parler de la similitude et de la complémentarité des missions confiées aux commissaires-priseurs judiciaires, aux huissiers de justice et aux mandataires judiciaires. Mais même si une partie des fonctions des commissaires-priseurs sont de droit effectuées des huissiers, j’ai l’impression qu’il s’agit plutôt d’une fusion-absorption. Ne risque-t-on pas de perdre la spécificité du métier exercé ?

Vous parlez de similitude ; c’est passer rapidement sur le fait qu’ils pratiquent en matière de nombre et de qualité professionnelle des choses différentes.

L’alinéa 4 traite de l’activité de ventes judiciaires de meubles. J’aimerais avoir la certitude que les ventes d’immeubles sont hors du champ de la réforme.

M. Philippe Vigier. Monsieur le ministre, vous faites état d’une convergence entre ces trois métiers. Or ceux d’entre nous qui ont assisté aux auditions ont pu voir à quel point les professionnels de ces trois métiers étaient opposés à la création de la profession de commissaire de justice.

Vous indiquez qu’il y aura des passerelles. Mais les niveaux de qualification et les métiers exercés ne sont pas les mêmes. Aussi, je ne vois pas comment on arrivera à harmoniser ces métiers dans le temps pour n’en faire plus qu’un seul.

Le métier d’huissier n’a strictement rien à voir avec celui de mandataire. Il peut même y avoir des conflits d’intérêts – c’est la profession elle-même qui le dit, ainsi que ceux qui connaissent bien ces problèmes de droit. Vous allez donc un peu vite en besogne.

Pour notre part, nous sommes plutôt pour une solution raisonnable et intermédiaire. Ces professionnels pourraient travailler au sein d’une société d’exercice libéral dans laquelle chacun des métiers serait représenté, comme cela se pratique dans le domaine médical. Ils apporteraient à une même société des éléments administratifs, techniques, immatériels, ce qui les encouragerait, les soutiendrait au quotidien dans la réalisation de leur activité, et leur donnerait certainement la possibilité d’atteindre une masse critique. Ils mettraient donc en commun des compétences complémentaires, mais ce ne sont en aucun cas les mêmes métiers.

Je ne comprends pas votre volonté de faire une seule profession. Il nous faut un débat de fond sur ce point, sinon nous allons dans le mur.

M. Denys Robiliard. Ce matin, Jean-Yves Le Bouillonnec a rappelé qu’en matière de vente aux enchères de meubles il y avait un chevauchement de compétences entre les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice. C’est d’ailleurs un chevauchement imparfait puisque, sauf erreur de ma part, les huissiers de justice ne peuvent procéder à des ventes que hors circonscription des commissaires-priseurs.

Je pense que l’activité d’un mandataire judiciaire est très différente de celle d’un huissier de justice et d’un commissaire-priseur. Il y a un risque majeur de conflit d’intérêts entre l’huissier et le mandataire judiciaire : les huissiers représentent les intérêts des créanciers et ils exécutent, tandis que les mandataires sont là principalement, dans les procédures simplifiées, pour gérer la société et retrouver un repreneur et pour la liquider. L’huissier de justice a intérêt à ce que ses mesures d’exécution fonctionnent et d’abord celles qu’il avait faites avant l’ouverture du redressement judiciaire. Quant au mandataire, son intérêt est d’exécuter au mieux, de façon objective et de répartir ensuite, en fonction de la règle dite de l’ordre, entre les différents créanciers. Il y a donc bien conflit d’intérêts.

L’huissier de justice va avoir à déclarer les créances des personnes qu’il représente. Or le mandataire judiciaire peut contester l’appréciation de ces créances. Un problème peut se poser dès lors que ces deux professions sont associées ou que le mandataire et l’huissier ne font plus qu’un.

Autre difficulté, je pense à ce que l’on appelle la période dite suspecte. Objectivement, le mandataire judiciaire a souvent intérêt à faire remonter la date de cessation des paiements – c’est à cette date, qui intervient au maximum dix-huit mois avant l’ouverture du redressement judiciaire, que démarre la période suspecte – et à faire annuler un certain nombre d’actes qui auront été passés pendant cette période. L’huissier qui a procédé à des mesures d’exécution, et obtenu parfois des paiements de façon un peu privilégiée, n’aura pas du tout intérêt à ce que la date de cessation des paiements soit avancée. Il y a donc bien objectivement un risque majeur de conflit d’intérêts et j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi on les regroupe sous une même casquette et que l’on envisage qu’à terme la même personne puisse exercer les deux métiers.

M. le président François Brottes. Sans prendre parti dans le débat, je dirai que je suis sensible à la description du conflit d’intérêts que vous venez d’évoquer.

M. Gilles Lurton. Monsieur le ministre, je suis en désaccord avec vous en ce qui concerne notamment le métier de mandataire judiciaire. Je vous rappelle la liste des missions exercées par un mandataire judiciaire : donner un avis sur la poursuite de la période d’observation en sauvegarde ou en redressement ; licencier et préparer les plans de sauvegarde de l’emploi – cela n’a rien à voir avec une fonction d’huissier – ; vérifier les créances salariales et assurer l’indemnisation des salariés ; agir en nullité de la période suspecte et en responsabilité pour insuffisance d’actifs ; traiter les actions de revendication et en restitution et éventuellement les plaider devant le juge commissaire ; vérifier les créances et plaider nombre de dossiers devant le juge commissaire ou le tribunal comme la vente de biens. Tout cela mérite que l’on réserve une attention particulière à cette fonction de mandataire judiciaire et que l’on ne l’assimile pas aux autres métiers.

Mme Michèle Bonneton. Le risque de conflit d’intérêts me paraît le plus important. Ce serait un retour en arrière par rapport à l’objectif de la loi du 25 janvier 1985 qui avait scindé l’activité des syndics pour répartir leurs missions entre les professions d’administrateur judiciaire d’une part, et de mandataire judiciaire d’autre part.

Dans le cadre d’une liquidation d’entreprise, l’intérêt d’un mandataire judiciaire est de bien gérer la liquidation, alors que celui de l’huissier est que la créance soit recouvrée, ce qui peut être contradictoire. Je ne vois pas quel garde-fou pourrait venir anéantir ces conflits d’intérêts potentiels et nombreux.

M. le président François Brottes. Le premier garde-fou, c’est le débat. C’est pourquoi nous avons raison de débattre.

M. Gérard Cherpion. L’huissier de justice exécute une décision. Il a un client, alors que le mandataire est là pour arrêter la procédure d’exécution et il n’a pas de client. Il est nommé par le tribunal. Il y a bien une différence très importante entre les deux professions et conflit d’intérêts.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, c’est là que l’on aurait besoin de toute l’expertise de Mme la garde des Sceaux, car ce ne sont pas les mêmes métiers ! Je ne sais pas si vous êtes un spécialiste en cuisine, mais ce n’est pas parce qu’on a décidé de faire une ratatouille que l’on doit y incorporer n’importe quel légume ! C’est comme si on voulait qu’un peintre décorateur, un peintre en bâtiment et un artiste peintre exercent le même métier. Si ces trois professions comportent le même mot « peintre », il s’agit à chaque fois d’un métier différent.

M. Alain Tourret. Monsieur le ministre, je vais essayer de vous proposer une solution.

Si ces trois professions faisaient la même chose, il n’y aurait qu’un seul métier.

M. Philippe Vigier. C’est le bon sens du Calvados qui parle !

M. Alain Tourret. Ces trois métiers ont des points communs, mais aussi des différences.

Les huissiers de justice et les commissaires-priseurs font beaucoup de ventes, plus ou moins importantes. Ce matin, on vous a expliqué quel était le rôle de l’huissier en la matière. Qu’il y ait une fusion entre les deux professions me paraît parfaitement normal.

Reste le problème des mandataires, qui concerne essentiellement les entreprises en difficulté. Une confusion peut exister entre les huissiers de justice et les commissaires-priseurs d’une part, et les mandataires judiciaires d’autre part.

Il se trouve que, dans le cadre de ce projet de loi, je suis chargé plus particulièrement des entreprises en difficulté et que je dois intervenir dans la suite de la discussion, sur la question des mandataires judiciaires. Nous avons prévu que le président du tribunal de commerce désignera désormais deux administrateurs judiciaires et deux mandataires judiciaires lorsqu’une entreprise dépassant certains seuils à déterminer par décret sera amenée à déposer son bilan. On me répondra que le président du tribunal de commerce peut déjà le faire – sauf qu’en réalité il ne le fait pas.

Pour illustrer mon propos, je prendrai le cas de l’affaire de la Société nationale Corse Méditerranée – SNCM –, où il faut licencier des centaines de personnes, organiser un plan de sauvegarde de l’emploi – PSE – et qui est confrontée à des problèmes très complexes de droit européen. Pourtant, un seul mandataire judiciaire a été désigné à la demande du procureur de la République. C’est pourquoi, lorsqu’on me dit qu’il faut se reporter à ce que va faire le procureur de la République, je réponds non. Dans tous les cas que j’ai dû traiter, et Philippe Vigier qui a participé à des auditions avec moi le sait bien, il n’y a pratiquement jamais eu de demande d’un second mandataire.

C’est presque la même chose pour les administrateurs judiciaires. Dans la circonscription de Coutances, une entreprise de 600 personnes spécialisée dans la découpe de viande de porc vient de déposer le bilan. Là encore, il n’y a eu qu’un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire alors qu’on avait la possibilité d’en désigner un second. De même, on avait la possibilité de demander une délocalisation, mais cela n’a pas été fait.

Dès lors que nous allons créer un appel d’air énorme pour les professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, que nous allons créer des diplômes complexes, que nous n’allons pas demander la désignation de personnes identiques – il y aura un administrateur judiciaire spécialisé sur le plan local, régional, ou national, un mandataire, et un autre qui aura des compétences par exemple en matière agroalimentaire – chacun comprend que l’on peut désigner une seconde personne qui aura des compétences spécifiques sur une liste prédéterminée qui sera établie par le ministère de l’économie.

Cela coûtera-t-il plus cher ? Tous les renseignements que Philippe Vigier et moi-même avons pu collecter montrent que non. C’est exactement le même prix qui sera supporté par l’entreprise en difficulté. Cela constituera un appel d’air énorme pour ces professions, ce qui justifie qu’elles aient leur unité. Je ne vois pas comment, dans de telles affaires, on désignera un huissier de justice. Sinon, cela voudrait dire, s’agissant de la SNCM, qu’une même personne serait à la fois chargée de toutes les créances de l’entreprise en tant qu’huissier.

Monsieur le ministre, je pense que vous aurez été sensible à mon argumentation. Vous avez parfaitement raison de vouloir regrouper les huissiers de justice et les commissaires-priseurs, mais traitons différemment la profession qui regroupera à la fois les administrateurs et les mandataires judiciaires.

M. Jean-Yves Caullet. Il y a effectivement plusieurs fonctions, dont l’exercice ne peut pas être mélangé. Le fait de regrouper plusieurs métiers dans une profession unique ne veut pas dire nécessairement que les gens exerceront les deux métiers en même temps. Pour ma part, je considère que l’on aurait pu regrouper dans une interprofession les futurs commissaires de justice, mais en gardant leur métier et leur fonction bien distincts.

M. le rapporteur général. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les propositions de Denys Robiliard et Alain Tourret ainsi que les arguments développés par les différents intervenants.

Regrouper plusieurs professions dans une même famille ne signifie pas nier les différences qui peuvent exister. J’ai bien compris qu’à moyen terme la situation demeurera inchangée pour les professionnels actuellement en exercice. C’est après une vaste concertation avec tous que vous jugerez s’il est opportun de repenser leurs missions et si cela constituera un gain d’efficacité supplémentaire pour notre vie économique – dans le respect, bien sûr, de la déontologie et des exigences éthiques et en évitant les conflits d’intérêts.

Les commissaires-priseurs judiciaires nous ont dit qu’il fallait réfléchir à une grande profession de l’expertise de la vente. Il est clair qu’un huissier de justice ce n’est pas simplement une personne avec un marteau, ce n’est pas comme cela qu’il devient commissaire-priseur. Ce que vous proposez permet de conserver le cadre actuel sur le court terme et de mener une réflexion pour parvenir à moyen terme à davantage d’efficacité collective.

M. le président François Brottes. Il est vrai que le même avocat défend rarement les deux parties adverses !

M. le ministre. Monsieur Taugourdeau, une ratatouille avec un œuf, c’est une piperade ! Et nous allons essayer de la préparer ensemble ! (Sourires.)

À aucun moment le Gouvernement n’a parlé de fusion. Il s’agit de regrouper de manière progressive des professions sous une ombrelle commune, la profession de commissaire de justice, pour clarifier les chevauchements qui existent déjà et qui sont évidents entre huissier de justice et commissaire-priseur judiciaire.

Madame Bonneton, nous reviendrions sur la loi dite « Badinter » si nous proposions de supprimer la distinction entre administrateur judiciaire et mandataire judiciaire. Tel n’est pas l’objet de la présente réforme. Il n’y a donc aucune confusion sur ce sujet.

Je le répète, notre intention n’est pas de fusionner ces professions dans une profession unique mais de répondre à un problème qui a été constaté et qu’a rappelé Alain Tourret, à savoir qu’il y a dans nombre de territoires des situations de conflit d’intérêts ou des situations insatisfaisantes du fait du faible nombre de professionnels. Il s’agit donc d’ouvrir les capacités d’accès.

Actuellement, dans les procédures de liquidation judiciaire, il est explicitement indiqué qu’à aucun moment le tribunal de commerce ne peut avoir recours ni à un huissier de justice ni à un commissaire-priseur judiciaire. Notre objectif est bien de donner la possibilité au tribunal de commerce, à travers ce regroupement, d’avoir un tel recours et de mieux faire fonctionner la justice et plutôt de réduire les conflits d’intérêts.

Je suis très sensible à la discussion qui vient d’avoir lieu puisqu’elle va dans le sens de ce que le Gouvernement essayait de résoudre. Vous permettez de clarifier son intention.

Je vous propose, non de supprimer ces trois alinéas car nous perdrions beaucoup par rapport à l’ambition de la réforme, mais de regrouper les seules professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire dans la profession de commissaire de justice, excluant donc le mandataire judiciaire. Nous intégrerons le résultat auquel nous voulons parvenir à l’article 69, qui permettra d’étendre les règles d’accès de la liste dans le cadre de laquelle les tribunaux de commerce peuvent aller chercher les agents officiant. Cette solution permet de résoudre le problème que nous cherchions initialement à traiter sans créer des risques de conflits d’intérêts ou des confusions.

M. Alain Tourret. Très bien !

M. le ministre. Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements visant à supprimer les alinéas 2 à 4 de l’article 20.

La Commission rejette les amendements SPE379, SPE562 et SPE360.

La Commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel SPE1763 des rapporteurs.

La Commission en vient aux amendements identiques SPE184 de M. Philippe Houillon, SPE376 de M. Patrick Hetzel et SPE793 de Mme Michèle Bonneton.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le ministre, de même qu’il n’y a pas d’œuf dans la piperade, le ministère de l’économie ne devrait pas intervenir de la manière dont il le fait sur la question des professions judiciaires.

Je comprends que l’on puisse considérer comme une bonne nouvelle la solution de repli que vous venez de proposer s’agissant de l’alinéa 3. J’observe que vous faites en sorte que votre proposition soit conforme à l’avis rendu par le Conseil d’État, celui-ci ayant indiqué qu’il ne voyait pas comment on pouvait décemment et raisonnablement incorporer les mandataires judiciaires dans cette nouvelle profession.

J’ai été sensible à l’intervention de Denys Robiliard qui a pointé les risques de conflits d’intérêts et l’impossibilité qu’il y aurait à réaliser de manière opérationnelle des missions de nature aussi différente en prenant exemple du mandataire judiciaire et de l’huissier. Pour autant, il y a aussi une différence très importante entre le métier de commissaire-priseur judiciaire et celui d’huissier de justice. Il ne faudrait pas écarter d’un revers de main le fait que ces différences substantielles demeurent entre ces deux activités. C’est la raison pour laquelle, tout en n’ayant pas bien compris l’utilité de regrouper d’une manière ou d’une autre ces trois professions qui ne seront plus que deux à être regroupées après la proposition du Gouvernement, je ne vois pas non plus comment on pourra gommer les disparités.

Mme Michèle Bonneton. L’alinéa 3 prévoit que le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures visant à la créer la profession de commissaire de justice. Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que nous avons besoin d’un maximum de précisions puisque nous n’aurons pas de prise sur cette ordonnance.

La fusion de ces professions soulevait plusieurs problèmes, dont celui de la formation. Vous nous avez indiqué qu’un master adapté sera mis en place. On peut supposer que toutes les difficultés qui ont été pointées seront résolues. Mais je reste quelque peu dubitative puisque l’article 20 prévoit de créer une seule profession de commissaire de justice alors qu’elle aura des activités différentes. J’aimerais que vous nous donniez des précisions.

J’ai bien pris note que vous sortirez de cette liste le mandataire judiciaire. Tel qu’il est rédigé, l’alinéa 3 ne me semble donc pas adapté.

M. le ministre. Défavorable.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette les amendements identiques SPE184, SPE376 et SPE793.

M. le président François Brottes. Je déduis de votre propos, monsieur le ministre, que vous donnerez tout à l’heure un avis favorable à l’amendement SPE7 de M. Hetzel.

M. le ministre. En effet.

M. Julien Aubert. J’ai une bonne nouvelle à annoncer : la piperade peut se faire avec ou sans œuf. Tout dépend s’il s’agit d’un plat principal ou d’un hors-d’œuvre. (Sourires.)

Monsieur le ministre, ce qui m’inquiète c’est que vous semblez découvrir qu’il y a conflit d’intérêts entre les mandataires judiciaires et les huissiers de justice. Ceci aurait dû être détecté en amont par les services, ce qui aurait évité qu’une telle proposition soit faite.

Les commissaires-priseurs judiciaires sont des experts sur le marché de l’art, ils exercent un métier extrêmement précis qui a nécessité plusieurs années d’études. Vous allez mélanger des gens qui ne font pas le même travail.

Je n’ai pas compris quel était l’intérêt de donner la même dénomination à deux métiers qui parfois font la même chose mais qui dans les faits n’ont pas la même fonction. Quelle croissance et quelle activité cela va-t-il créer ?

En réalité, on voit bien là qu’il y a une forme d’ambiguïté et que cette affaire a été mal préparée car ce type d’intervention ne devrait pas avoir lieu en commission. Il serait sage d’abandonner cette idée un peu biscornue qui va faire passer le nombre des commissaires de justice de 400 à 4 000. C’est tout un marché qui va devoir se réorganiser, sachant que la profession de commissaire-priseur judiciaire a déjà été restructurée à deux reprises ces dernières années sous l’influence européenne.

M. le président François Brottes. Monsieur Aubert, il ne faut jamais regretter que le Parlement serve à quelque chose !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Cette affaire concerne pleinement le ministre de l’économie et elle est plus facile à comprendre par lui que par le garde des Sceaux. Le garde des Sceaux pourrait avoir envie d’avoir davantage de mandataires judiciaires sur le territoire, mais comme l’a dit Alain Tourret, le but du jeu serait plutôt qu’il y en ait de moins en moins parce qu’il y aura de moins en moins de dossiers à traiter. Car n’oublions pas que nous examinons un projet de loi pour la croissance et l’activité. Le pari, c’est de laisser pour l’instant les mandataires judiciaires tranquilles et de passer de 60 000 à 25 000 dossiers par an, c’est-à-dire un petit train-train dans le cadre du plein-emploi.

Monsieur le ministre, j’ai confiance en vous, je suis sûr que vous allez y arriver !

M. le président François Brottes. Vous parlez de pari. Je me demande si vous n’avez pas parié avec quelqu’un que vous interviendriez toutes les dix minutes avec le même argumentaire…

Mme Colette Capdevielle. Monsieur Aubert, vous n’êtes jamais content ! Pour notre part, nous sommes satisfaits de la présence d’un ministre très investi sur ce texte et d’avoir un véritable débat parlementaire documenté, argumenté, fourni, avec des spécialistes. Nous sommes en train de créer une nouvelle profession – et on connaît tous les similitudes qui existent entre la profession d’huissier de justice et celle de commissaire-priseur judiciaire et l’on sait que l’un va s’enrichir de l’autre. On a pointé une difficulté, ce qui fait toute la richesse de notre discussion et on ne peut que se féliciter d’y avoir contribué ensemble.

Plutôt que de vous plaindre, de râler, félicitez-vous du débat parlementaire, applaudissez puisque vos arguments ainsi que les nôtres ont réussi à convaincre le ministre, ce qui veut dire que nous sommes pleinement dans notre rôle.

M. le président François Brottes. Madame Capdevielle, n’agacez pas M. Aubert ! (Sourires.)

Mme Colette Capdevielle. Bien sûr que non, monsieur le président. Je viens de lui dire cela gentiment !

M. Alain Tourret. Sachez que les commissaires-priseurs judiciaires qui vendent des tableaux à Drouot sont toujours accompagnés d’un expert. Pour avoir monté une grande exposition intitulée « Peindre en Normandie », riche de 150 tableaux impressionnistes, je puis vous dire qu’on n’achète jamais un tableau en salle des ventes sans qu’intervienne un expert en plus du commissaire-priseur. N’essayons pas de dire que le commissaire-priseur, étant lui-même un expert, n’a pas besoin d’un autre expert, car ce n’est pas vrai. Les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires ont de nombreux points communs et ils auront la possibilité de s’adjoindre l’avis d’experts, s’ils le jugent utile.

M. Olivier Carré. Ce qui me gêne dans cette affaire, c’est que le mandataire judiciaire est garant du passif, et qu’il valide le meilleur résultat possible que doit obtenir le commissaire-priseur par la vente éventuelle des actifs dont il a la charge.

L’ambiguïté qui peut exister entre les deux rôles prévalait il y a une trentaine d’années, et c’est pour cela que les professions avaient été disjointes. Je voudrais savoir ce qui nous garantit qu’il n’y aura aucun conflit d’intérêts possibles entre ces deux fonctions, sachant que chacun a une responsabilité bien distincte.

M. le président François Brottes. Il me semble que le ministre a déjà clarifié les choses tout à l’heure.

La Commission examine les amendements identiques SPE209 de M. Dino Cinieri, SPE375 de M. Patrick Hetzel et SPE631 de M. Gérard Cherpion.

M. Philippe Vitel. La création d’une profession de commissaire de justice est incompatible avec les exigences européennes des directives « services » et « reconnaissance des qualifications professionnelles ».

Aucune d’étude d’impact n’a été réalisée sur les conséquences que pourrait avoir la création de cette profession sur le marché de l’art français, marché à la fois réputé et fortement générateur d’emplois et de recettes fiscales.

M. Gérard Cherpion. Le mandat de justice français est considéré, au niveau européen, comme exemplaire. Je crains que ce texte ne constitue un véritable retour en arrière.

M. le ministre. Avis défavorable, car le Gouvernement vient de proposer de conserver l’alinéa 3 de l’article 20 en acceptant l’amendement SPE7 de M. Hetzel.

Quant à la limitation à l’activité de ventes judiciaires de meubles, j’ai répondu tout à l’heure à M. Aubert qu’elle était d’ores et déjà acquise.

Les amendements SPE209, SPE375 et SPE631 sont retirés.

La Commission examine l’amendement SPE908 de M. Michel Zumkeller.

M. Philippe Vigier. Je suis heureux que la notion de conflit d’intérêts ait été évoquée sur plusieurs bancs, ce qui permet de bien comprendre que les mandataires judiciaires n’ont rien à faire dans cette nouvelle profession que vous voulez instituer.

Je remercie Alain Tourret d’avoir expliqué avec beaucoup de précision le fruit de nos auditions et de nos expériences respectives, dont il ressort qu’il faut créer un appel d’air considérable pour ce genre de métiers.

Nous allons aboutir à la nouvelle profession de commissaire de justice qui sera constituée de deux professions, celle d’huissier de justice et celle de commissaire-priseur judiciaire. Mais, là encore, ce n’est pas la même formation ni le même métier.

Peut-être faut-il passer par un stade intermédiaire pendant quelques années avec des formations dûment validées par les professions elles-mêmes comme on le voit dans le domaine médical – quand vous êtes orthopédiste, par exemple, vous n’êtes pas anesthésiste mais vous pouvez le devenir en faisant trois années d’études supplémentaires. Le métier de commissaire-priseur judiciaire n’a pas grand-chose à voir avec celui d’huissier de justice, même s’ils suivent un cursus commun de droit pendant deux ans maximum.

Quant à la ventilation de l’activité de ces deux métiers, l’un réalise 60 à 70 % de son activité avec le privé, tandis que l’autre réalise jusqu’à 90 % de son activité avec des affaires judiciaires, donc avec le public, en tant qu’officier ministériel. Vous allez donc mettre dans un même moule deux métiers à la qualification juridique différente.

C’est la raison pour laquelle nous proposons de créer une société d’exercice libéral, qui permettrait à ces professions de travailler dans une même structure où ils pourraient partager des charges fixes et des compétences. Il convient, au-delà, de se donner un délai pour aboutir, non à l’unification des deux métiers, mais à de vraies passerelles permettant d’exercer l’un et l’autre après une formation validée et reconnue par les deux professions.

M. le ministre. Je partage totalement cet esprit de rapprochement progressif des formations que vient d’évoquer M. Vigier et qui figure dans l’étude d’impact. C’est d’ailleurs pour cela que l’on parle d’un regroupement et qu’il se fera progressivement.

Nous reviendrons sur les formes juridiques d’exercice dans les articles suivants. Mais le regroupement, la clarification, le rapprochement des formations nous semble plus ambitieux et correspondre davantage à ce dont nous avons besoin pour les deux professions évoquées. Nous avons pu, je crois, à travers la discussion, apporter des éclaircissements quant aux intentions du Gouvernement dans le cadre de l’habilitation demandée, pour bien préciser que ce regroupement n’était pas à confondre avec la clarification que nous voulons apporter à propos des mandataires, et qui sera traitée à l’article 69.

L’amendement SPE908 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1158 de M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Les huissiers des finances publiques ont toute leur place au sein de la future profession de commissaire de justice. Il ne serait pas cohérent, à l’heure où un tel regroupement est envisagé, qu’ils ne soient pas associés à la création de cette nouvelle grande profession des métiers de l’exécution.

M. le ministre. C’est un sujet que nous aurions pu évoquer dès le début tant le discours présente deux faces puisque les huissiers des finances publiques font partie de la fonction publique. Cela fait longtemps que les huissiers demandent à « récupérer de la matière », comme ils le disent. Mais cela ne va pas sans poser un problème d’organisation plus large, non pour mon ministère mais pour celui des finances. Nous sommes en train d’examiner comment l’on peut clarifier les missions du côté de l’État, mais ce n’est pas l’objet de la présente réforme, qui vise à regrouper des professions qui, pour être des professions de service public et des professions réglementées, n’en sont pas moins des professions libérales – à moins que vous ne souhaitiez aller vers leur fonctionnarisation, ce que je ne crois pas.

Reste que vous soulevez un vrai problème. Continuons à travailler la question, afin de voir si nous pouvons aboutir d’ici à l’examen du texte en séance publique. En tout cas, ce ne sera pas à cet endroit du texte.

Je suggère donc que vous retiriez l’amendement.

L’amendement SPE1158 est retiré.

La Commission en vient à l’amendement SPE7 de M. Patrick Hetzel.

M. le président François Brottes. Cet amendement a déjà été défendu, et approuvé par la rapporteure thématique comme par le Gouvernement.

La Commission adopte l’amendement SPE7 à l’unanimité.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements SPE1764 des rapporteurs et SPE794 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. L’amendement SPE1764 vise à préciser que la création de la profession unique de l’exécution judiciaire se fera de façon progressive, en prenant en considération les incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions de chaque profession concernée.

Je pense que nous avons été comblés par les propos qui ont été tenus précédemment.

Mme Michèle Bonneton. L’amendement SPE794 de repli vise à limiter les possibles conflits d’intérêts qui pourraient surgir si les professions de commissaire-priseur et d’huissier de justice venaient à être regroupées.

M. le ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement SPE1764.

Mme Michèle Bonneton. Je retire mon amendement SPE794.

L’amendement SPE794 est retiré.

La Commission adopte à l’unanimité l’amendement SPE1764.

La Commission examine ensuite les amendements identiques SPE1551 du Gouvernement, SPE185 de M. Philippe Houillon et SPE377 de M. Patrick Hetzel.

M. le ministre. Il s’agit de supprimer l’alinéa 4.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure thématique, la Commission adopte les amendements SPE1551, SPE185 et SPE377.

Elle examine ensuite les amendements identiques SPE186 de M. Philippe Houillon et SPE378 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’exposé sommaire de notre amendement fait référence à l’interrogation suivante, soulevée par le Conseil d’État à propos de l’article 20 : « Imposer au cédant de l’office de conclure avec le lauréat du concours, sans liberté de choix de son successeur affecterait de manière significative le droit de présentation sans ses dimensions morale et patrimoniale et réduirait sensiblement la marge de négociation sur le prix de cession. »

Comment le Gouvernement compte-t-il résoudre ce problème ? Recourir à une ordonnance sur un tel sujet d’une part, et sans avoir levé a minima cette difficulté d’autre part, paraît plutôt curieux. Voilà pourquoi nous en concluons qu’il faut supprimer l’alinéa 5 de l’article 20.

M. Patrick Hetzel. Vous l’aurez compris, il s’agit d’amendements d’appel. Nous souhaiterions en savoir davantage sur les intentions du Gouvernement en ce qui concerne ces questions.

M. le ministre. L’alinéa 5 vise à habiliter le Gouvernement à prendre des mesures par ordonnance pour organiser des concours de recrutement des greffiers de tribunaux de commerce. Vous conviendrez que c’est une idée que nous pouvons tous partager puisqu’elle accroît le caractère méritocratique qui m’a semblé faire consensus entre nous s’agissant de l’accès à nombre de ces professions.

Les conditions actuelles de nomination dans les offices de greffiers de tribunaux de commerce sont inégalement méritocratiques, et dépendent du bon vouloir des titulaires d’offices qui exercent pourtant leurs missions pour le compte de l’État. Pour accroître la transparence du recrutement des greffiers de tribunaux de commerce, le Gouvernement a retenu la solution du concours préconisée par le rapport remis par M. Ferrand au Premier ministre il y a quelques mois.

Monsieur Poisson, nous serons face à deux situations. D’une part, la création d’un concours pour sélectionner l’intéressé. Cette situation ne me semble pas nécessiter d’indemnisation – on verra comment la Chancellerie gérera cela. D’autre part, la création d’une possible succession. Les conditions financières de la reprise de l’office seront prévues dès l’avis des concours. C’est sans doute de cette façon que l’ordonnance devra s’organiser. Les candidats s’engageront à verser à l’ancien titulaire de l’office, s’ils sont lauréats, la valeur de son fonds d’exercice libéral puisque le droit de présentation qui existe aujourd’hui et dont il faut préserver la nature patrimoniale n’est pas cédé à titre gracieux actuellement. Cette valeur sera préalablement validée par le ministre de la justice, comme c’est le cas aujourd’hui en vertu de l’article 7 du décret du 20 juillet 1977.

À travers cette réforme, les droits patrimoniaux de l’ancien titulaire seront préservés. S’il fallait lever une ambiguïté, je le fais bien volontiers au travers des commentaires que je peux faire sur cet alinéa. Il me semble que l’organisation du concours s’impose et que l’ordonnance tiendra compte sans nul doute de l’argumentation du Conseil d’État.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’argumentation du ministre n’entame en rien notre détermination mais diminue l’énergie avec laquelle nous devons la mettre en œuvre. Nous maintenons l’amendement.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis défavorable à l’amendement.

La rédaction retenue par le Gouvernement est de nature à répondre aux observations faites par le Conseil d’État.

Je rappelle que le rapport de l’Inspection générale des finances sur les professions réglementées avait indiqué que l’organisation actuelle des greffiers des tribunaux de commerce, qui bénéficient du droit de présentation prévu par la loi de finances de 1816, est marquée par le poids de familles qui organisent la transmission des structures entre parents et enfants. Ce rapport a ainsi relevé qu’en Île-de-France, trois des quatre greffes des tribunaux de commerce de petite couronne, parmi les plus importants de France, sont caractérisés par l’association d’un greffier et de deux ou trois de ses enfants, à l’exclusion de tout autre associé. Par ailleurs, une famille constituée de trois frères et de leurs enfants contrôle quatre greffes tandis qu’au total sept noms de famille sont associés à vingt et un greffes sur les 134 que compte le pays.

Afin de garantir un égal accès aux offices de greffiers des tribunaux de commerce sans vouloir porter un jugement de mérite ou de démérite sur les personnes en place, les rapporteurs estiment utile pour l’avenir de réformer les conditions d’accès à cette profession qui aujourd’hui imposent notamment l’accomplissement d’un stage de formation d’une durée d’un an qui constitue dans les faits un verrou d’entrée.

Dans le rapport de la mission d’information que nous avions menée, nous avions préconisé de substituer à l’examen d’aptitude des greffiers des tribunaux de commerce un concours, les titulaires de greffes exerçant leur droit de présentation au profit des lauréats de ce concours.

M. Gilles Lurton. Je remarque qu’une fois de plus c’est l’Île-de-France qui est visée. Nous avons, dans nos départements, des tribunaux de commerce qui fonctionnent très bien et les greffiers de tribunaux de commerce sont extrêmement respectueux de la déontologie. Je trouve que c’est profondément vexatoire pour toutes ces personnes.

M. le président François Brottes. Chacun a bien compris que cette mesure n’aura justement pas d’impact particulier sur eux.

La Commission rejette les amendements identiques SPE186 et SPE378.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1765 des rapporteurs.

La Commission adopte l’article 20 modifié.

Article 20 bis [nouveau]
(art. 22 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945)

Clarification du domaines des activités
pouvant être réalisées à titre accessoire par les experts-comptables

La commission a adopté un amendement du Gouvernement proposant de substituer un véritable dispositif à l’habilitation sollicitée au 2° de l’article 21 du projet de loi dans sa version initiale.

Dans sa rédaction initiale, le 2° de l’article 21 du projet de loi proposait d’habiliter le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, dans un délai de huit mois à compter de la publication de la loi pour la croissance et l’activité, les mesures relevant du domaine de la loi pour « simplifier et clarifier les domaines d’intervention des professionnels de l’expertise comptable en matière administrative, économique, fiscale et sociale, auprès des entreprises ou des particuliers, en veillant à ce que :

a) Les consultations juridiques, fiscales et sociales, ainsi que la rédaction d’actes sous seing privé, ne soient réalisées par les professionnels de l’expertise comptable qu’à titre accessoire et au bénéfice de clients pour lesquels ils assurent des prestations en conformité avec les textes régissant leurs activités ;

b) Les incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions des commissaires aux comptes soient pris en considération. »

D’après l’étude d’impact jointe au projet de loi, l’habilitation sollicitée par le Gouvernement viserait à « moderniser et simplifier les prérogatives des professionnels de l’expertise comptable quant aux travaux d’ordre économique, administratif, social ou fiscal » en proposant :

– « une clarification du champ d’intervention des professionnels de l’expertise comptable pour les démarches effectuées au profit des entreprises et particuliers » ;

– un élargissement de leurs activités dans ces matières sans pour autant leur permettre de réaliser des consultations juridiques, fiscales et sociales ainsi que la rédaction d’actes sous seing privé qu’à titre accessoire, au profit de clients pour lesquels ils assurent des prestations en conformité avec les textes encadrant leurs activités.

La clarification des domaines d’intervention des professionnels de l’expertise comptable en matière administrative, économique, fiscale et sociale viserait donc, d’après l’étude d’impact, à ouvrir le champ d’intervention des professionnels en France et renforcer l’attrait de la profession en permettant notamment aux jeunes professionnels de développer leur activité.

L’alinéa 7 de l’article 22 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables autorise d’ores et déjà ces professionnels à « donner des consultations, effectuer toutes études et tous travaux d’ordre statistique, économique, administratif, juridique, social ou fiscal et apporter leur avis devant toute autorité ou organisme public ou privé qui les y autorise mais sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité et seulement s’il s’agit d’entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d’ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés ».

Par ailleurs, le dernier alinéa de l’article 2 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 prévoit que « les membres de l’ordre [des experts-comptables], les succursales et les associations de gestion et de comptabilité peuvent assister, dans leurs démarches déclaratives à finalité fiscale, sociale et administrative, les personnes physiques qui leur ont confié les éléments justificatifs et comptables nécessaires auxdites démarches ».

Cependant, comme l’explique l’étude d’impact, les possibilités d’intervention des professionnels de l’expertise comptable sont difficiles à appréhender. Les restrictions précitées font l’objet de difficultés d’interprétation. Selon l’étude d’impact, le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables considère pour sa part que les textes ne peuvent pas interdire à un professionnel de l’expertise comptable d’exercer une activité non soumise à une prérogative d’exercice par une autre profession réglementée dès lors qu’une telle activité n’est pas incompatible avec les règles déontologiques et professionnelles qui s’imposent lui.

Lors de leur audition par la rapporteure thématique, le 6 janvier 2015, tant le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables que l’Institut français des experts-comptables ont expliqué que les experts-comptables avaient besoin que soit clarifié le champ de leurs compétences en matière d’accompagnement des activités statistiques et informatiques des entreprises.

Il s’agit par exemple d’intégrer dans le périmètre des compétences que les experts-comptables peuvent exercer à titre principal les prestations de recueil de données statistiques qu’ils fournissent pour l’élaboration des rapports environnementaux des entreprises.

Ces difficultés appellent une clarification dont l’étude d’impact assure qu’elle ne remettra pas en cause le principe selon lequel les consultations juridiques, fiscales et sociales et la rédaction d’actes sous seing privé ne pourront être réalisées à titre principal que par les professions juridiques réglementées.

Les consultations juridiques devraient toutefois toujours pouvoir être réalisées par des experts-comptables, sans qu’ils puissent en faire l’objet principal de leur activité, et à la condition que ces consultations juridiques s’adressent à des personnes physiques ou morales pour lesquelles les experts-comptables réalisent une mission mentionnée à l’article 2 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 de caractère permanent, habituel ou dans la mesure où lesdits travaux ou études juridiques sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés.

La clarification envisagée s’accompagnera d’une extension des compétences des experts-comptables qui, selon l’étude d’impact, devrait leur permettre « d’accompagner les très petites entreprises, notamment les auto-entrepreneurs et les entreprises dans le cadre du financement participatif, et de les conseiller utilement en vue du développement de leur activité ». Les experts-comptables « pourront également aider les particuliers dans leurs démarches à finalité administrative ou fiscal. Il en résultera une meilleure qualité des documents transmis aux administrations, ce qui facilitera leur traitement ».

À l’initiative du Gouvernement, la commission a donc adopté un amendement substituant au septième alinéa de l’article 22 de l’ordonnance du 19 septembre 1945, deux alinéas prévoyant que les experts-comptables « peuvent également effectuer toutes études et tous travaux d’ordre statistique, économique, administratif, social et fiscal et apporter leur avis devant toute autorité ou organisme public ou privé qui les y autorise à titre accessoire de leur activité définie à l’article 2 », mais ajoutant qu’« ils ne peuvent donner des consultations juridiques, sociales et fiscales, effectuer des études et travaux d’ordre juridique et rédiger des actes sous seing privé que s’il s’agit de personnes pour lesquelles ils assurent des missions prévues à l’article 2 de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations et actes sous seing privé sont directement liés à ces missions ».

Il s’agit par-là d’autoriser les professionnels de l’expertise comptable à :

– effectuer, à titre accessoire, des prestations en matière administrative, statistique, économique, fiscale et sociale à l’égard de personnes pour lesquelles ils n’effectueraient pas de travaux comptables ;

– à effectuer des consultations juridiques, fiscales ou sociales ainsi qu’à rédiger des actes sous seing privé, cette possibilité étant, dans ce cas, subordonnée à la réalisation préalable, pour leurs clients ou adhérents, de travaux comptables ou de missions d’assistance en matière fiscale, sociale ou administrative tels que définis à l’article 2 de l’ordonnance du 19 septembre 1945.

*

* *

La Commission reprend l’examen des amendements SPE1852 et SPE1934 du Gouvernement.

Elle examine l’amendement SPE1852 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement vise à autoriser les professionnels de l’expertise comptable à effectuer à titre accessoire des prestations en matière administrative, statistique, économique, fiscale et sociale, à l’égard de personnes pour lesquelles ils n’effectueraient pas de travaux comptables. Toutefois, la possibilité d’effectuer des consultations juridiques, fiscales ou sociales ainsi que de rédiger des actes sous seing privé resterait, elle, subordonnée à la réalisation préalable, pour leurs clients ou adhérents, de travaux comptables ou de missions d’assistance en matière fiscale, sociale ou administrative tels qu’ils sont d’ores et déjà définis à l’article 2 de l’ordonnance du 19 septembre 1945.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Avis favorable.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement revient à mettre en adéquation le droit avec la pratique car dans les faits, la plupart des cabinets d’expertise comptable procèdent déjà ainsi. Il se situe donc dans une optique de sécurisation juridique.

Mme Véronique Louwagie. Je suis favorable à cet amendement car il répond à des problèmes que rencontrent les experts-comptables dans l’exercice de leur métier, que je connais bien. Outre leurs travaux comptables, ils doivent très souvent effectuer des démarches déclaratives à finalité fiscale, sociale, juridique, administrative. Des personnes physiques ou des associations pour lesquelles ils n’effectuent pas de missions comptables les sollicitent pour des travaux d’ordre social, comme les bulletins de salaires ou certaines déclarations, et il arrive aussi que des chefs d’entreprise en retraite leur demandent de les aider à établir leurs déclarations fiscales.

Il est très important d’apporter des garanties à cette profession, comme le fait l’amendement, tout en rappelant que ces prestations relèvent d’une activité accessoire et que les consultations juridiques, fiscales ou sociales ne peuvent être réalisées que pour des clients pour lesquels les experts-comptables effectuent des travaux comptables.

Mme Karine Berger. N’étant pas une spécialiste de la chose juridique, j’aimerais que l’on me fasse comprendre, si possible avec des exemples concrets, la différence entre une « étude » ou un « travail » d’ordre juridique et une « consultation » juridique. Je vous avoue que l’idée que l’on puisse donner à des professionnels du chiffre la possibilité de donner des avis juridiques et, plus encore, des avis sur les restructurations ou les rachats d’entreprise me paraît problématique.

Mme Colette Capdevielle. En l’état actuel du droit positif, l’expert-comptable peut être autorisé à effectuer une prestation juridique seulement si elle est l’accessoire indirect de la prestation comptable. Mais comment des « études », terme très général, pourraient-elles constituer une activité accessoire par rapport à des travaux comptables ? Cet amendement me paraît ouvrir la possibilité pour les experts-comptables d’effectuer des travaux de nature juridique, tels que la création ou la fusion de sociétés, qui relèvent habituellement de professionnels du droit. Or ceux-ci ne sont pas, à mon sens, de caractère accessoire par rapport à l’activité principale de nature comptable comme peut l’être l’établissement de procès-verbaux d’assemblée générale. Je suis donc très inquiète, comme Mme Berger.

M. Julien Aubert. À la lumière des auditions menées par Cécile Untermaier, nous avons pu comprendre que les métiers du chiffre souhaitaient de longue date la « fusion-absorption » avec les métiers du droit, lesquels s’y opposent. Cet amendement permet de leur octroyer quelque chose dans le cadre de la loi.

D’un autre côté, l’article 21 crée la profession d’avocat salarié en entreprise, et je me demande si ces professionnels ne pourraient pas être employés par les métiers du chiffre pour effectuer des consultations à titre accessoire.

Vous nous avez expliqué avec beaucoup de brio, monsieur le ministre, comment s’organiserait la protection du modèle français par rapport au modèle anglo-saxon. Mais je m’interroge : la conjonction de cet amendement et de l’article 21 ne va-t-elle pas aboutir à l’émergence de grosses sociétés à l’américaine, où activités du chiffre et activités du droit seraient mêlées sans que l’on puisse déterminer les parts respectives de l’accessoire et du principal ?

M. le rapporteur général. Avant de voter, examinons d’abord le droit actuel. L’article 22 de l’ordonnance de 1945 indique que les experts-comptables « peuvent également donner des consultations, effectuer toutes études et tous travaux d’ordre statistique, économique, administratif, juridique, social ou fiscal et apporter leur avis devant toute autre autorité ou organisme public ou privé qui les y autorise mais sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité et seulement s’il s’agit d’entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d’ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés ».

Regardons maintenant l’amendement qui nous est soumis et qui, je le reconnais, n’est pas d’une grande limpidité. Il propose d’élargir la possibilité pour les professionnels de l’expertise comptable d’effectuer à titre accessoire certaines prestations à l’égard des personnes pour lesquelles ils n’effectueraient pas de travaux comptables, en plus des entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d’ordre comptable. Autrement dit, la délimitation du champ des prestations autorisées à titre accessoire ne change pas, mais le périmètre des clients auprès desquels ces professionnels peuvent intervenir, lui, est modifié.

M. le ministre. C’est exactement cela.

M. Julien Aubert. Tout cela appelle une clarification, monsieur le ministre. Vous nous avez expliqué que les dispositions de l’article précédent étaient protectrices et permettaient d’éviter que les sociétés américaines où activités du chiffre et du droit sont mêlées ne prennent pied sur notre territoire et ne viennent changer le modèle français. Avec cet amendement, nous découvrons que cette évolution est rendue possible puisque des entreprises du chiffre pourront effectuer des activités juridiques. De surcroît, l’alinéa 3 de l’article 21 prévoit des mesures pour « simplifier et clarifier les domaines d’intervention des professionnels de l’expertise comptable en matière administrative, économique, fiscale et sociale ». Il existe donc bien une complémentarité entre cet amendement portant article additionnel et l’article 21.

De deux choses l’une : soit nous faisons en sorte de conserver le modèle français en séparant professions du chiffre et professions du droit, soit nous créons un nouveau modèle, à l’anglo-saxonne, où elles sont mêlées. Monsieur le ministre, dites-nous donc quel objectif poursuit le Gouvernement : veut-il maintenir une séparation entre ces deux types de profession ou veut-il les fusionner sans le dire ?

M. le ministre. Je vais être très simple et très direct, en me référant à un exemple très concret, car c’est comme cela qu’on peut le mieux répondre, Mme Berger a raison.

Vous pouvez tout relier quand les différents éléments font système, mais vous ne pouvez pas confondre les arguments que j’ai employés tout à l’heure avec ceux que j’ai avancés pour défendre cet amendement. Il s’agit non pas d’« anglo-saxonniser » le modèle français, mais de clarifier les conditions d’exercice de la profession d’expert-comptable par rapport à celle d’avocat, dans la continuité de l’ordonnance de 1945, et d’apporter une sécurisation juridique.

Aujourd’hui, un expert-comptable ne peut établir les fiches de paie pour une entreprise s’il n’en assure pas la comptabilité. Or il y a des demandes en ce sens, et c’est une tâche qui relève de ses compétences. Avec l’ouverture à laquelle nous procédons, nous permettons qu’il puisse désormais le faire tout en préservant le caractère accessoire de ce type d’activités, dans la continuité de l’ordonnance de 1945. Autrement dit, cet aménagement sécurise l’exercice de la profession d’expert-comptable sans changer la frontière entre les professionnels du chiffre et du droit.

Mme Karine Berger. Merci pour cet exemple concret. Pour avoir travaillé quelques années dans une entreprise, je sais qu’un expert-comptable n’effectuant pas des travaux de comptabilité pour une entreprise peut établir les fiches de paie. Toutefois mon interrogation portait non pas sur les travaux d’ordre administratif mais sur les études à caractère juridique. Si votre objectif ne concerne que l’administratif, monsieur le ministre, ne pourrait-on pas sous-amender votre amendement en supprimant les termes « toutes études et tous travaux d’ordre juridique » ?

Mme Véronique Louwagie. Aux termes de l’ordonnance de 1945, les cabinets d’expertise ne peuvent réaliser certaines prestations d’ordre social, juridique, administratif auprès d’une entreprise qu’à titre accessoire et seulement s’ils y effectuent une mission comptable. Or ils sont souvent sollicités par des entreprises, des associations ou même des particuliers pour ce genre de prestations alors même qu’ils n’effectuent pas pour eux de travaux comptables. Comme je le disais, certains chefs d’entreprise n’étant plus en activité, et n’ayant donc plus de comptabilité, leur demandent d’établir des déclarations fiscales ou de s’occuper de sociétés civiles immobilières. Ajoutons à cela le fait que, dans des territoires comme le mien, certaines entreprises ou particuliers sont situés à plus de soixante kilomètres d’un cabinet d’avocats.

Cet amendement permettra d’apporter une sécurité aux experts-comptables amenés à effectuer ces prestations tout en préservant leur caractère accessoire, nécessaire pour établir une stricte séparation entre professions du droit et du chiffre. Du reste, ladite séparation ne me paraît menacée car lorsqu’une entreprise ou un particulier va frapper à la porte d’un cabinet d’expertise comptable, ce n’est pas pour obtenir une consultation juridique très pointue mais d’abord pour avoir un soutien dans le domaine de la comptabilité.

M. le ministre. Je précise à Mme Berger que les termes « toutes études et tous travaux d’ordre juridique » reprennent la formulation de l’ordonnance de 1945.

Mme Colette Capdevielle. Monsieur le ministre, l’affirmation du caractère accessoire n’est pas formulée de la même manière dans l’article 22 de l’ordonnance de 1945 et dans votre amendement qui comporte deux parties nettement séparées, en sorte que seules les consultations juridiques, sociales et fiscales sont considérées comme pouvant être effectuées à titre accessoire. C’est un vrai cadeau que vous faites aux experts-comptables en leur permettant d’effectuer « toutes études et tous travaux d’ordre juridique, statistique, économique, administratif, social ou fiscal » dans une proportion qui pourra aller jusqu’à 40 %. Nous voyons bien d’où peut venir cette ouverture.

M. le ministre. Autrement dit, les termes « sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité » vous paraissent insuffisamment précis.

M. Jean-Christophe Fromantin. Je soutiens pour ma part cet amendement car il me paraît assez ouvert pour permettre aux entreprises de solliciter un type d’assistance juridique auprès des experts-comptables qui ne nécessite pas d’en passer par un cabinet d’avocat et qui ne requière pas que lesdits professionnels tiennent leur comptabilité. Je pense en particulier à tous les travaux liés à la tenue d’assemblées générales ou de conseils d’administration.

M. Olivier Carré. Nous voyons ce que recouvre le terme « travaux » – c’est ce que vient d’évoquer Jean-Christophe Fromantin – mais il me semble qu’il existe une ambiguïté autour du terme « études » : on ne peut imaginer qu’elles puissent ne pas recouvrir des avis susceptibles d’apporter des confusions avec les consultations, qui relèvent, elles, d’un tout autre registre. Je rejoins les réticences exprimées par mes collègues.

Je suggère donc de supprimer le mot « études » dans la première phrase et de conserver la deuxième partie qui indique bien que les experts-comptables ne peuvent donner des consultations que s’ils tiennent la comptabilité de l’entreprise demandeuse.

M. Christophe Caresche. Je me demande si l’ouverture de certaines prestations aux experts-comptables ne doit pas se comprendre comme formant un équilibre avec la création de la profession d’avocat en entreprise. Or cette disposition de l’article 21 risque d’être supprimée. Qu’adviendra-t-il alors de cette architecture générale ?

M. Alain Tourret. Que recherche-t-on ? La sécurité juridique. L’expert-comptable l’apporte incontestablement pour tout ce qui concerne les comptes, c’est le cœur de son métier. Il l’apporte également par son assistance pour la tenue des assemblées, qui relève de l’accessoire de son activité. Mais les experts-comptables ont voulu aller plus loin, en demandant l’extension de leurs prestations jusqu’au droit social. Je me suis occupé de ce domaine pendant quarante ans et je peux vous dire qu’ils n’ont pas les compétences nécessaires pour tout ce qui relève de la rupture du contrat de travail, qu’il s’agisse des licenciements collectifs ou individuels. Systématiquement, ils font condamner leurs clients, ce qui aboutit à des actions en responsabilité engagées contre eux.

La sécurité juridique n’est plus assurée à partir du moment où l’expert-comptable sort de son domaine d’activité auprès du chef d’entreprise tel qu’il est défini stricto sensu.

M. le ministre. La formulation « toutes études et tous travaux » provient de l’ordonnance de 1945, nous en restons là. En revanche, je suis sensible à l’argument avancé par Mmes Capdevielle et Berger lorsqu’elles soulignent que les termes « sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité » sont trop flous. Je propose donc de modifier le texte en précisant « à titre accessoire, et sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité telle que définie à l’article 2 ». Cela me paraît lever toute ambiguïté.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cela ne me paraît pas changer grand-chose car la formulation « sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité » veut bien dire que c’est à titre accessoire.

Mme Colette Capdevielle. Pas forcément, car cette formulation peut impliquer que ces prestations peuvent faire l’objet de leur activité à titre secondaire et non pas accessoire.

M. le président François Brottes. Nous allons suspendre la séance.

(Suspension des travaux)

M. le président François Brottes. Le ministre a mis à profit la suspension de séance pour établir une rédaction susceptible, semble-t-il, de lever les désaccords qui se sont exprimés. Avant que nous ne disposions de cette nouvelle version sous forme imprimée, je vais lui laisser le soin de présenter ces modifications.

M. le ministre. Nous avons souhaité préciser le champ couvert par notre amendement, sans pour autant revenir sur le partage des rôles déjà établi. La possibilité pour les experts-comptables d’effectuer des études et travaux d’ordre juridique, toujours à titre accessoire, est désormais limitée aux clients pour lesquels ils effectuent des travaux comptables. Nous avons donc supprimé le mot « juridique » de la première phrase et inséré les mots « études et travaux juridiques » dans la deuxième phrase. Cela me semble correspondre à l’encadrement que certains d’entre vous ont appelé de leurs vœux.

M. le président François Brottes. L’amendement SPE1934 du Gouvernement nous ayant été distribué, je suppose qu’il vaut retrait de l’amendement SPE1852.

M. le ministre. Oui.

L’amendement SPE1852 est retiré.

M. Denys Robiliard. Je me demande si le mot « ou » qui figure à l’avant-dernière ligne de cet amendement ne devrait pas être remplacé par le mot « et ».

M. Patrick Hetzel. Je salue la sagesse du Gouvernement. Ce nouvel amendement, qui tient compte de la réalité des pratiques, est de nature à rassurer tant les professions juridiques que les professions du chiffre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Si le Gouvernement n’avait pas revu sa position, j’aurais exprimé la grande perplexité de notre groupe. Compte tenu de la nouvelle rédaction proposée, nous ne nous opposerons pas à l’amendement.

M. le ministre. La référence aux consultations et travaux d’ordre juridique est en effet supprimée, ce qui était la principale préoccupation de nombre d’entre vous.

Pour répondre à M. Robiliard, il faut conserver le mot « ou », car c’est ce qui figure dans le texte de l’ordonnance de 1945. Le remplacer par « et » serait plus restrictif. La discussion que nous avons eue a été utile, mais il y aurait une forme de malice de l’Histoire à vouloir restreindre les prérogatives des experts-comptables par rapport à l’ordonnance de 1945.

M. Denys Robiliard. Le mot « ou » figure bien dans l’ordonnance de 1945, mais il me semble que c’est une erreur de rédaction. Je veux bien renoncer à ma demande de modification, mais il demeure que l’expression « lesdites consultations » se réfère nécessairement à celles qui sont l’accessoire de la prestation comptable et que, dans ce contexte, « ou » veut en fait dire « et ».

Mme Véronique Louwagie. Cette rédaction répond aux inquiétudes exprimées de part et d’autre. Est exclu tout ce qui concerne le juridique, ce qui apporte une garantie aux professionnels du droit. Cependant, les situations évoquées il y a quelques instants relevaient essentiellement du social, et il est important que, dans ce domaine, puissent être couvertes certaines prestations telles que l’établissement de bulletins de salaire, de déclarations sociales, de contrats de travail ou encore les conseils relatifs aux documents d’évaluation des risques professionnels, aux comptes personnels de formation ou aux procédures de licenciement.

Pour répondre à mon collègue Tourret, de nombreux cabinets d’expertise comptable qui s’occupent de contrats de travail et de bulletins de salaire travaillent en partenariat avec des cabinets d’avocats pour réaliser certaines prestations, et ces collaborations se passent très bien. Il faut donc maintenir ce qui existe sur le terrain.

M. Jean-Yves Caullet. En hommage à mes maîtres en algèbre booléenne (Sourires), je tiens à dire qu’il y a bien une catégorie d’actes qui peuvent être faits auprès de clients habituels, même si ces actes ne sont pas liés à la nature de la prestation habituelle. C’est le caractère habituel qui fait que l’on est autorisé à les faire. Si l’on n’a pas affaire à un client habituel, on est autorisé à faire ces prestations uniquement si elles sont liées à la prestation principale.

Il y a bien deux cas de figure, l’emploi du mot « ou » est donc justifié.

La Commission adopte l’amendement SPE1934.

*

* *

Article 20 ter [nouveau]
(art. 1er bis AA [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ; art. 1er bis de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ; art. 1er bis [nouveau] de l’ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 ; art. 7, 8 et 87 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; art. L. 811-7 et L. 812-5 du code de commerce ; art. L. 1242-2 et L. 1251-6 du code du travail)

Diversification des formes juridiques possibles pour l’exercice des professions d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, d’administrateur et de mandataire judiciaires

La commission a adopté un amendement des rapporteurs proposant de substituer un véritable dispositif à l’habilitation sollicitée par le Gouvernement au 4° de l’article 21 du projet de loi dans sa version initiale.

Le 4° de l’article 21 proposait d’habiliter le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, dans un délai de huit mois à compter de la publication de la loi pour la croissance et l’activité, toute mesure relevant du domaine de la loi pour « permettre, pour l’exercice des professions d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, le recours à toute forme juridique, à l’exclusion de celles conférant la qualité de commerçant à leurs associés, en soumettant la répartition du capital et des droits de vote à des conditions assurant le respect des règles déontologiques propres à chaque profession ».

Il s’agit par là de permettre à des professionnels du droit d’exercer en commun une même profession au sein de sociétés commerciales qui, telles les sociétés à responsabilité limitée (SARL) ou les sociétés anonymes (SA), ne confèrent pas la qualité de commerçant à leurs associés ou actionnaires.

Cette mesure vise à étendre le spectre des formes sociales ouvertes aux professions juridiques réglementées.

L’exercice en commun des professions juridiques et judiciaires réglementées a d’ores et déjà été considérablement encouragé et développé par la création de formes de sociétés permettant aux membres d’une même profession de mutualiser leurs moyens, sans que soit remise en cause la nécessité de respecter les règles et usages de la profession ainsi que les impératifs déontologiques.

La création des sociétés civiles de moyens (SCM) et des sociétés civiles professionnelles (SCP) en 1966 (177), puis, en 1990, des sociétés en participation et des sociétés d’exercice libéral (SEL) (178) pouvant adopter l’un des statuts prévus pour les sociétés commerciales (sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée – SELARL –, anonyme – SELAFA, ou par actions simplifiée – SELAS, ou en commandite par actions – SELCA) a permis aux membres d’une même profession de mettre en commun les locaux, le personnel et le matériel et de tenir une comptabilité unique.

Contrairement aux officiers publics et/ou ministériels, les avocats peuvent même exercer dans le cadre d’associations, et notamment d’associations à responsabilité professionnelle individuelle (AARPI) (179).

FORMES SOCIALES OUVERTES AUX PROFESSIONS DU DROIT ET DU CHIFFRE

Forme sociale

Responsabilité à l’égard des dettes sociales

Possibilité d’ouvrir le capital à des personnes n’exerçant pas dans la société

Professions juridiques et judiciaires

Commissaires aux comptes

Experts-comptables

Entreprise individuelle

Indéfinie

-

Oui

Oui

Oui

Entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL)

Limitée au montant de l’apport en capital

-

Oui

Oui

Oui

Société en nom collectif (SNC)

Indéfinie et solidaire

Oui

Non

Oui

Non

Société civile professionnelle (SCP)

Indéfinie et solidaire

Non

Oui

Oui

Oui

Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL)

Limitée au montant de l’apport en capital

Non

Non

Oui

Oui

Société à responsabilité limitée (SARL)

Limitée au montant de l’apport en capital

Oui

Non

Oui

Oui

Société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL)

Limitée au montant de l’apport en capital

Oui

Oui

Oui

Oui

Société par actions simplifiée (SAS)

Limitée au montant de l’apport en capital

Oui

Non

Oui

Oui

Société d’exercice libéral par actions simplifiée

Limitée au montant de l’apport en capital

Oui

Oui

Oui

Oui

Existence de restrictions à la détention du capital

-

-

Oui

Oui

Oui

Source : Rapport de l’Inspection générale des finances sur les professions réglementées, n° 2012-M-057-03, tome 2, p. 179.

L’exercice en commun des professions juridiques et judiciaires réglementées au sein de sociétés de personnes ou de sociétés de capitaux associant les membres d’une même profession a connu un grand succès au cours des quarante dernières années. Comme le fait remarquer la direction des Affaires civiles et du Sceau dans les réponses qu’elle a fournies à la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, « d’une manière générale, l’image de professionnels exerçant en solitaire est fausse : les officiers publics et/ou ministériels exercent en majorité dans un cadre sociétal. Les offices individuels sont minoritaires. Le recours aux SEL est de plus en plus fréquent notamment pour les jeunes. Les offices obéissent aux intérêts de la gestion libérale. Les professionnels exercent majoritairement en qualité d’associés (74 %), avec cependant certaines variations selon la profession. En effet, la part des associés s’élève à 85 % chez les avocats aux conseils et pour les greffiers de tribunaux de commerce, elle est de 53 % parmi les commissaires-priseurs judiciaires. Au 1er janvier 2014, 64 % des offices étaient constitués en société. Les offices en société sont proportionnellement les plus nombreux dans toutes les professions à l’exception des commissaires-priseurs où la part des offices en société s’établit à 41 %. Les sociétés constituées sont en très large majorité des SCP (3 810 sur les 4 385 sociétés, soit 87 %) mais le nombre de SEL […] tend à augmenter depuis plusieurs années. Au 1er janvier 2014, on recens[ait] 575 SEL contre […] 246 en 2010. Entre le 1er janvier 2010 et le 1er janvier 2014, le nombre de SEL a [donc] été multiplié par plus de deux ».

Pour ce qui concerne plus particulièrement les notaires, sur 4 555 offices pourvus en 2013, 2 948 (soit 64,7 %) l’étaient sous forme de société (dont 2 609 SCP, soit 88,5 % des offices en société). Et les études en société comptaient à la même date 2,37 associés en moyenne.

Quant aux huissiers de justice, 1 156 des 1 752 offices pourvus en 2013 étaient exercés en société (soit 65,9 %), dont 968 dans le cadre de SCP (soit 83,7 % des offices en société). Une étude d’huissier de justice en société comptait en moyenne 2,24 associés en 2013.

Pour ce qui est des avocats, on dénombrait, en 2013, 7 570 structures d’exercice en société (dont 2 327 en SCP, soit 30,7 %), contre 4 006 en 1999 (dont 2 138 en SCP, soit 53,3 %).

Le développement de l’exercice en société a été un peu moindre pour les « professions de l’exécution ». En 2013, 130 des 314 offices de commissaires-priseurs judiciaires étaient gérés en société (soit 41,4 %), dont 113 en SCP (soit 86,9 % des offices en société). La même année, 31 des 83 études d’administrateurs judiciaires (soit 37,3 %) prenaient la forme de sociétés, dont seulement 10 en SCP (soit 32,2 %), tandis que 88 des 244 études de mandataires judiciaires (soit 36 %) étaient constituées sous la forme de sociétés, dont 38 en SCP (soit 43,1 %).

L’essor de l’exercice en société des professions juridiques réglementées est cependant limité par l’interdiction qui leur est aujourd’hui faite de recourir à certaines formes sociales.

Comme l’indique le tableau ci-dessus, les professions juridiques et judiciaires ne peuvent constituer ni SA, ni SARL, ni SAS.

Cette situation contraste notamment avec celle des avocats qui, pour développer leur activité, peuvent recourir à un éventail assez large de formes sociales : SA, SARL, sociétés de partenariat, sociétés de partenariat à responsabilité limitée, etc. D’après les données fournies par l’équivalent allemand de notre Conseil national des barreaux, on dénombrait en Allemagne, en 2014, 625 sociétés d’avocats à responsabilité limitée, 26 sociétés par actions et 3 364 sociétés de partenariat.

Dans un souci d’amélioration de la compétitivité des professionnels du droit français, le 4° de l’article 21 vise, selon l’étude d’impact, à faciliter « la constitution de réseaux transeuropéens, de favoriser le développement des structures nationales à l’échelle européenne en leur permettant d’adopter toute forme juridique (notamment celle reconnue à l’étranger comme la SA) et d’y associer des professionnels européens ».

Plutôt que laisser ces mesures à des ordonnances, les rapporteurs ont proposé à la commission un amendement proposant un véritable dispositif pour permettre le recours à toute forme juridique pour l’exercice des professions d’huissier, de notaire, de commissaire-priseur judiciaire, d’avocat et d’administrateur et de mandataire judiciaires, à l’exclusion de celles conférant la qualité de commerçant à leurs associés, soit les sociétés en commandite par actions et les sociétés en nom collectif.

L’imposition de formes juridiques spécifiques contraint en effet la forme des structures juridiques offertes aux professionnels pour exercer leur activité. Elle conduit à faire renoncer les professionnels aux avantages attachés à telle ou telle forme et leur impose un cadre juridique contraint limité aux seules sociétés civiles professionnelles et sociétés d’exercice libéral.

Ce type de restrictions restreint également l’établissement d’autres opérateurs constitués sous une forme juridique différente, ce qui nuit à l’attractivité du territoire. En effet, les entrepreneurs qui choisissent un statut juridique le font selon des critères de simplicité, de protection juridique et de fiscalité. Le choix du statut à un impact non seulement sur l’objet mais également sur les charges fiscales et sociales auxquelles l’activité est soumise.

Les professions judiciaires et juridiques étant marquées par des règles déontologiques fortes, au premier rang desquelles l’indépendance d’exercice, la mesure appliquera à toutes les nouvelles formes juridiques de strictes exigences de détention du capital social et des droits de vote.

Certaines dispositions du code du travail relatives au remplacement du chef d’entreprise, conjoint ou associé par un salarié en contrat à durée déterminée ou en contrat de travail temporaire limitent aux seules sociétés d’exercice libéral le bénéfice de leur dispositif. La nouvelle mesure conduit donc à modifier ces dispositions.

*

* *

La Commission examine l’amendement SPE1784 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous vous proposons un dispositif en lieu et place de l’habilitation sollicitée au 4° de l’article 21 pour permettre le recours à toute forme juridique pour l’exercice des professions d’huissier, de notaire, de commissaire-priseur judiciaire, d’avocat et d’administrateur et de mandataire judiciaire, à l’exclusion de celles conférant la qualité de commerçant à leurs associés, soit les sociétés en commandite par actions et les sociétés en nom collectif.

Nous rappelons à ce sujet qu’en Allemagne les avocats peuvent exercer dans le cadre de sociétés anonymes – SA – et de société à responsabilité limitée – SARL –, et qu’ils peuvent s’installer en France en conservant ces formes sociales. Ces professionnels demandent en quelque sorte à être à égalité d’armes avec leurs concurrents, tout en excluant toute participation des experts-comptables au capital des sociétés des professions du droit.

M. le président François Brottes. Chacun conviendra qu’il plutôt bon d’intégrer cela dans le cœur du texte.

M. le ministre. Favorable. Cela correspond à un objectif que nous poursuivons.

M. Julien Aubert. L’adoption de cet amendement ferait-elle tomber l’article 22 ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Non. Il s’agit ici d’ouvrir la possibilité de travailler en SA ou en SARL, ce qui n’est pas possible actuellement. C’est une sorte de facilitation et d’homogénéisation sur le territoire européen.

M. Julien Aubert. L’amendement, si je le lis bien, prévoit que le capital social peut être détenu par toute personne légalement établie dans un État membre de l’Union européenne, dans un autre État partie à l’accord. En d’autres termes, les actionnaires peuvent être des personnes exerçant les mêmes fonctions à l’étranger.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Tout à fait !

M. Julien Aubert. Si, dans un autre pays, la fonction d’huissier de justice peut être cumulée avec d’autres fonctions, et que la société étrangère peut exercer aussi la fonction d’avocat, par exemple, cela veut donc dire que cette société étrangère pourrait importer en France son modèle via son actionnariat.

M. Alain Tourret. Madame la rapporteure thématique, je voudrais savoir si cet amendement concerne également les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Non.

M. Jean-Yves Caullet. J’ai une question de néophyte à poser qui pourrait répondre à la préoccupation de Julien Aubert. S’agit-il de personnes physiques ? Si c’est le cas, il n’y aurait pas ce cheval de Troie qu’il souhaite éviter.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cet amendement est bien volumineux. J’aimerais savoir ce que les différentes professions concernées en pensent...

Par ailleurs, quel est le lien entre cette mesure et l’article 22 ? Je ne vois pas, en effet, pourquoi le régime de l’article 22 ne suffit pas à lui seul à traiter ce genre de question. Mon interrogation porte plus sur une question de cohérence que de contenu en tant que tel.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Le présent dispositif donne la possibilité aux professionnels du droit d’exercer au sein de SA et de SARL, ce qu’ils ne peuvent pas faire jusqu’à présent.

Monsieur Aubert, la question que vous posez est difficile et je ne peux pas vous donner de réponse dans l’immédiat. Je vous propose de nous pencher sur ce point d’ici à l’examen du texte en séance publique.

M. le rapporteur général. L’article 22 ne vise que les sociétés d’exercice libéral et les sociétés de participations financières de professions libérales, tandis que le présent amendement traite des autres formes possibles de société que sont les SA et SARL.

M. Jean-Frédéric Poisson. Les professions concernées ont-elles été consultées sur ce sujet ? Quel est leur avis ?

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. C’est à leur demande, en particulier à celle des avocats, que la mesure vous est proposée.

M. le ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement. Il est dans la droite ligne de ce qui est prévu au 4° de l’article 21. Il permet d’importer le modèle français et de se protéger de la situation où un cabinet étranger relevant des espaces identifiés aurait à son capital un tiers, ou même un expert-comptable, qui voudrait engager cette procédure de rapprochement. Je vois cette mesure comme un modèle qui sécurise l’exercice et la forme juridique de ces professions tout en les rendant plus compétitives par rapport à l’étranger. Cela ne relève en rien des rapprochements capitalistiques sur lesquels nous reviendrons à l’article 22.

M. Julien Aubert. Je me réjouis de la présence du ministre. J’ai connu d’autres commissions spéciales où le débat était moins nourri et moins riche…

Monsieur le ministre, qu’est-ce qui garantit qu’est bien exclue une prise de participation des professions « du chiffre » dans les professions du droit ?

M. le ministre. L’amendement indique : « Toute personne exerçant une profession juridique ou judiciaire » et quelques lignes plus loin : « l’une de ces professions ». Ce sont donc ces deux types de professions qui sont visés, et non celles du chiffre. C’est plus restrictif que l’approche retenue par ailleurs dans le texte. Je dis cela sous le contrôle de la rapporteure thématique.

M. le président François Brottes. Cet amendement est important en effet. J’ai l’impression que l’ensemble des questions ont été posées et qu’on y voit un peu plus clair, même si d’autres réponses seront peut-être données en séance publique.

Mme Colette Capdevielle. Il conviendra d’ajouter dans le texte les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

M. le président François Brottes. Nous étudierons la question d’ici à l’examen du texte en séance publique.

La Commission adopte l’amendement SPE1784.

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Après l’article 20 ter

La Commission est saisie de l’amendement SPE1033 de Mme Catherine Coutelle.

M. Christophe Sirugue. Cet amendement fait suite à l’intervention de Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes, sur la sous-représentation des femmes dans les professions réglementées.

Il a pour objet de demander, dans un délai de trois ans suivant la promulgation de la loi, un rapport sur la démographie des professions réglementées du droit et sur son évolution, s’agissant en particulier des jeunes et des femmes.

M. le ministre. Je prends note de cette demande de rapport, mais je serais plus enclin à vous proposer d’intégrer cette dimension démographique dans le travail de cartographie effectué tous les deux ans par l’Autorité de la concurrence.

M. Jean-Louis Roumegas. La cartographie permettrait seulement de refléter la situation des jeunes et des femmes. Le rapport irait plus loin : il vise à trouver des solutions pour accroître leur représentation dans ces professions. Je sais que cela n’a rien d’évident, mais il existe des pistes de travail qui passent par les formations et la mobilisation des professions elles-mêmes. Il faudrait afficher davantage de volontarisme au lieu de se contenter d’un simple état des lieux.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. La cartographie permettrait de faire régulièrement le point de cette question. Je suis favorable à la proposition du ministre.

M. Jean-Louis Bricout. Nous avons examiné un amendement sur les nouveaux entrants, mais les équilibres globaux, notamment en matière de parité, évolueront aussi en fonction des flux de sortants et, à cet égard, c’est l’âge limite de la retraite qui est déterminant.

L’amendement SPE1033 est retiré.

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Article 21
Habilitation à moderniser les conditions d’exercice
des professions du droit et du chiffre

Le présent article propose d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine de la loi pour moderniser les conditions d’exercice d’un certain nombre de professions du droit, et en particulier de la profession d’avocat.

I. CRÉATION DE LA PROFESSION D’AVOCAT EN ENTREPRISE

Le 1° du présent article proposait d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de huit mois à compter de la publication de la loi pour la croissance et l’activité, les mesures relevant du domaine de la loi pour « créer la profession d’avocat en entreprise en définissant les conditions dans lesquelles les personnes titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avocat, ou ayant exercé des fonctions juridiques au sein d’une entreprise pendant ou depuis au moins cinq ans, peuvent être salariées par une entreprise pour lui apporter un conseil juridique, couvert par le secret professionnel lié à la qualité d’avocat, de façon à concilier les caractéristiques inhérentes à la situation de salarié et les règles déontologiques propres à l’exercice de la profession d’avocat ».

En l’état du droit, la profession d’avocat peut être exercée avec le statut de salarié depuis l’édiction d’un décret du 27 novembre 1991 (180). Mais l’article 137 de ce décret précise que « l’avocat salarié est lié par un contrat de travail écrit qui ne peut porter atteinte au principe déontologique d’égalité entre avocats, nonobstant les obligations liées au respect des clauses relatives aux conditions de travail ». En d’autres termes, l’indépendance de l’avocat salarié n’est pas menacée par le principe de subordination inhérent au salariat, car elle dérive de l’indépendance de l’avocat employeur.

D’après les données recueillies auprès la direction des Affaires civiles et du Sceau par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, en 2013, 3 176 des 60 223 avocats que comptait le pays exerçaient en qualité de salarié.

Ce chiffre est bien inférieur aux quelque 15 725 juristes d’entreprise que compte aujourd’hui la France, d’après les chiffres fournis par l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) dans une contribution écrite fournie à la rapporteure thématique.

La loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques a en effet consacré la profession (non réglementée) de juriste d’entreprise en introduisant un article 58 dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Cet article 58 dispose que « les juristes d’entreprise exerçant leurs fonctions en exécution d’un contrat de travail au sein d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises peuvent, dans l’exercice de ces fonctions et au profit exclusif de l’entreprise qui les emploie ou de toute entreprise du groupe auquel elle appartient, donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé relevant de l’activité desdites entreprises ».

À la différence de l’exercice de la profession d’avocat (y compris de l’avocat salarié), l’exercice de la profession de juriste d’entreprise :

– implique un lien de subordination qui est non seulement inhérent au contrat de travail, mais aussi exclusif de toute indépendance dérivant d’un statut ;

– n’implique le respect d’aucun texte déontologique ou disciplinaire autre que celui émanant de son employeur ;

– n’implique aucune obligation de prestation de serment, de formation continue, de souscription d’une assurance de responsabilité professionnelle ;

– ne permet pas de plaider devant les juridictions où le ministère d’avocat est obligatoire, mais seulement devant celles où la représentation par avocat est facultative.

En l’état du droit, en cas de contentieux, le juriste d’entreprise est chargé de défendre les intérêts de l’entreprise, le cas échéant en collaboration avec un avocat qui, lorsque la représentation par avocat est obligatoire, sera le seul à pouvoir plaider devant les juridictions compétentes.

Cet avocat sera aussi le seul dont les écrits bénéficieront d’un caractère confidentiel. En effet, en vertu de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, « en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention “officielle”, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel » (181).

À l’inverse, aucune disposition légale n’assortit les avis des juristes d’entreprise d’un caractère confidentiel, de sorte qu’un tiers peut y avoir accès. « Les autorités administratives (Autorité des marchés financiers ou Autorité de la concurrence) puisent dans les dossiers des juristes les éléments utiles à leurs enquêtes et leurs contrôles ; les juges étendent de plus en plus fréquemment les mesures d’instruction in futurum sollicitées par les concurrents ou adversaires de l’entreprise aux messageries électroniques des juristes de l’entreprise ; en cas de perquisition au sein de l’entreprise, les enquêteurs sont autorisés à saisir les dossiers des juristes ; se développent, sur commissions rogatoires étrangères, les procédures de disclosure ou de discovery (182), sur le territoire français, sans aucune protection des échanges entre l’entreprise et son juriste » (183).

M. Hubert de Vauplane a souligné les inconvénients, notamment en termes d’auto-incrimination, qui tiennent au caractère non-confidentiel des avis des juristes d’entreprises françaises lorsque des enquêtes pénales ou administratives sont diligentées, à l’initiative des autorités américaines, sur le fondement de lois d’application extraterritoriale (184).

La garantie de la confidentialité des échanges entre un juriste d’entreprise et son employeur (principe du « legal privilege »), sur le modèle de celle qui prévaut pour les correspondances entre un avocat et son client, est donc réclamée depuis longtemps par les juristes d’entreprise. Ces derniers font notamment valoir que cette garantie de confidentialité permettrait de placer les entreprises françaises à égalité d’arme avec leurs concurrentes étrangères. D’après l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), il est aujourd’hui beaucoup plus facile pour des juristes d’entreprise étrangers de travailler en France que pour des juristes d’entreprise français de travailler pour des entreprises françaises établies à l’étranger, dans la mesure où ces derniers n’appartiennent pas à une organisation imposant des règles déontologiques et assurant un contrôle disciplinaire, et où leur statut ne garantit pas la confidentialité de leurs avis juridiques.

Cette garantie de confidentialité étant liée au statut d’avocat et au respect des droits de la défense, ils proposent en conséquence de créer un statut d’« avocat en entreprise » qui, tout en autorisant des juristes à continuer de travailler dans un lien de subordination avec leur employeur, conférerait aux écrits produits dans le cadre de leur contrat de travail un caractère confidentiel dérivant du statut d’avocat.

Cette aspiration à la création d’un statut d’« avocat en entreprise » converge avec l’intérêt qu’aurait une partie des avocats – notamment d’affaires – à voir émerger un statut susceptible de diversifier leur carrière en leur permettant d’exercer soit en cabinet libéral soit en entreprise.

La création de ce statut a d’ailleurs été demandée lors des travaux menés par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions réglementées. Aussi bien M. Jean-Michel Darrois, qui l’avait déjà préconisée en 2009 (185), que M. Pierre Lafont, vice-président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), s’y sont montrés favorables. D’autres organismes ont fait preuve du même enthousiasme, en soulignant toutefois que la création d’un statut d’« avocat en entreprise » devait être encadrée :

– en ne permettant pas à cet avocat de plaider pour le compte de son employeur, comme l’ont suggéré les représentants du conseil de l’Ordre des avocats au Barreau de Paris ;

– en prévoyant un avis conforme du bâtonnier en cas de licenciement disciplinaire de cet avocat pour une faute ayant trait à sa déontologie, comme l’a proposé M. William Feugère, président du syndicat des avocats conseils d’entreprises (ACE) ;

– en négociant une convention collective applicable à cette nouvelle profession, comme l’ont précisé les représentants de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA – Fédération des syndicats de services, activités diverses, tertiaires et connexes), à l’occasion d’une table ronde réunissant les syndicats des salariés des cabinets d’avocats.

L’octroi de garanties de confidentialité aux correspondances entre un juriste d’entreprise et son employeur, en termes de compétitivité du droit français et de la place de Paris pourrait présenter un grand intérêt en termes de compétitivité. Comme le rappellent l’Association française des juristes d’entreprise et le Cercle Montesquieu, dans la contribution qu’ils ont fournie à la rapporteure thématique, « à ce jour, 18 pays de l’Union Européenne (dont l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, la Hollande, le Danemark, la Pologne, etc.) sur 28 reconnaissent la confidentialité des avis » et « les pays de Common Law en dehors de l’UE reconnaissent aussi très largement ce principe (États-Unis, Canada, Australie, Inde, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, etc.) », de sorte qu’« il est illusoire d’imaginer que notre modèle juridique pourra continuer de prospérer, alors pourtant qu’il a été moteur pendant longtemps notamment dans le droit institutionnel et matériel de l’Union Européenne, si la France ne rejoint pas le concert des grandes démocraties qui sont également les principales puissances économiques ».

Il faut remédier aux situations ubuesques qui ont été signalées par M. Jean-Michel Darrois lors de son audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées et qui conduisent aujourd’hui certains juristes d’entreprise à envoyer les notes juridiques qu’ils élaborent à un avocat pour que ce dernier les renvoie à leur employeur de façon à ce que ces notes bénéficient de la confidentialité attachée aux correspondances entre un avocat et son client. Alors que le juriste d’entreprise est censé favoriser le respect du droit par son employeur, une fois confronté au risque d’établir un document à charge contre son entreprise, il « ne peut qu’hésiter à adresser ses mises en garde et ses conseils », de sorte qu’« il n’a finalement d’autre choix que de se taire [ou] de recourir à l’oralité » (186).

Pour toutes ces raisons, il peut, de prime abord, paraître séduisant de créer une profession d’avocat en entreprise comme le propose le Gouvernement.

Si les rapporteurs perçoivent tout l’intérêt que pourrait présenter l’extension d’une garantie de confidentialité aux écrits produits par les juristes d’entreprise dans le cadre de leur contrat de travail, ils n’estiment pas souhaitable de créer une énième profession juridique réglementée qui emporterait le démembrement du statut d’avocat – ce que craint notamment le Conseil national des barreaux.

Ce statut d’« avocat en entreprise » pourrait en effet interdire aux professionnels concernés de développer une clientèle personnelle et de plaider pour le compte de leur employeur… de sorte que la profession d’avocat s’exercerait « à deux vitesses » : l’avocat « classique » pourrait plaider pour le client qui le rémunère, tandis que l’« avocat en entreprise », en quelque sorte ravalé au rang de « sous-avocat », ne pourrait défendre les intérêts de l’entreprise qui le salarie devant les juridictions où la représentation par avocat est obligatoire.

Par ailleurs, et surtout, le lien de subordination inhérent au contrat de travail apparaît aux rapporteurs comme incompatible avec l’indépendance qui constitue l’« ADN » de la profession d’avocat. Preuve en est le serment que prête l’avocat avant de pouvoir exercer et qui énonce : « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

Comme le note le rapporteur général dans son rapport sur les professions réglementées, « cette indépendance est en effet consubstantielle à la profession d’avocat qui nécessite fondamentalement, pour garantir les droits de la défense, une absence de lien de subordination. Or, le statut de salariat en entreprise induit cette subordination vis-à-vis de l’employeur qui n’est pas membre de la profession, à la différence de l’avocat salarié. Les avocats eux-mêmes admettent le lien de subordination de leurs confrères salariés, en arguant que la communauté de déontologie amoindrirait, d’une certaine manière, le lien de subordination » (187).

Les rapporteurs rappellent en outre que l’existence d’un lien de subordination avec un employeur qui ne serait pas lui-même avocat a conduit la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) à refuser de reconnaître, pour les seules procédures européennes, un caractère confidentiel aux correspondances entre un « avocat en entreprise » et son employeur (188). Si la position adoptée par la CJUE en la matière ne lie pas les juridictions nationales, les rapporteurs estiment toutefois que les arguments développés par le juge européen, qui tendent à établir une incompatibilité entre la subordination à un employeur non-avocat et l’indépendance exigée par l’exercice des droits de la défense, méritent d’être pris en considération.

Pour toutes ces raisons, la commission a adopté, à l’initiative des rapporteurs, un amendement de suppression du 1° du présent article.

Du point de vue de la rapporteure thématique, la solution à ces difficultés semble devoir être recherchée ailleurs que dans la création d’un statut d’« avocat en entreprise » qui porterait atteinte à l’essence et à l’unité de la profession d’avocat. Lors de leur audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, les représentants de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) se sont montrés ouverts à la mise en place d’un dispositif de garantie de la confidentialité des avis juridiques des juristes d’entreprise, à défaut de création d’un statut d’« avocat en entreprise ».

Comme le rapporteur général, la rapporteure thématique estime qu’il faut « étudier la possibilité d’accorder la confidentialité aux échanges et communications entre les juristes d’entreprise et leurs employeurs » en s’inspirant du dispositif belge (189). Dans une loi du 1er mars 2000, la Belgique a en effet consacré le caractère autonome de la profession de juriste d’entreprise et reconnu la confidentialité des avis juridiques émis par ces juristes dans le cadre de leur activité de conseil juridique et au bénéfice de leur employeur.

De son côté, M. Jean-Michel Darrois suggère de s’inspirer de la décision de la cour d’appel de Bruxelles du 5 mars 2013 qui a reconnu aux avis des membres de l’Institut belge des juristes d’entreprise une protection équivalente à celle dont bénéficient les avocats (190).

Dans son arrêt, la juridiction belge a jugé que seuls les avis émis par le juriste d’entreprise au profit de son employeur étaient confidentiels et que la notion d’avis s’étendait à la correspondance qui contient la demande d’avis, aux correspondances échangées au sujet de la demande, aux projets ainsi qu’aux documents préparatoires de l’avis. Un tel dispositif mériterait d’être étudié afin d’assortir d’un caractère confidentiel les écrits produits par les juristes d’entreprise, dans le cadre de leur contrat de travail, sans pour autant complexifier la politique de lutte contre les fraudes.

Comme le rappelle en effet M. Jean-Michel Darrois, « certains craignent que la confidentialité des échanges entre les juristes et leurs entreprises et l’absence d’indépendance des premiers ne favorise la commission d’infractions par celles-ci ; sûre de l’inviolabilité des secrets qu’elle confie à ses juristes, l’entreprise serait, selon eux, tentée de recourir à leurs compétences pour mieux contourner les règles auxquelles elle est soumise » (191).

Afin de satisfaire à l’ensemble de ces exigences, on pourrait imaginer un dispositif prévoyant que les juristes d’entreprise sont astreints au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, mais que ce secret n’est opposable :

– ni à leur employeur ;

– ni aux autorités judiciaires agissant dans le cadre d’une procédure pénale ;

– ni aux autorités administratives indépendantes ou administrations publiques agissant dans le cadre de leur mission légale.

Une telle mesure aurait l’avantage d’éviter que des groupes français ne se délocalisent, notamment dans des pays proches (Belgique, Pays Bas, etc.), pour bénéficier du « privilège de confidentialité » qui y est consacré.

7.  Modernisation des conditions d’exercice de la profession d’expert-comptable.

L’habilitation initialement sollicitée au 2° du présent article ayant été inscrite « en dur » à l’article 20 bis du présent projet de loi, le Gouvernement y a substitué une autre, avec l’assentiment de la commission.

Le 2° du présent article propose désormais d’habiliter le Gouvernement à autoriser, dans le respect des obligations déontologiques inhérentes à la profession d’expertise comptable, les rémunérations au succès, pour autant qu’elles ne rémunèrent ni les missions de tenue de comptabilité, ni celles de révision comptable ou celles participant à la détermination de l’assiette fiscale ou sociale du client.

Il s’agit également d’adapter la législation française applicable aux professionnels de l’expertise comptable à la directive du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 relative aux qualifications professionnelles (192). Cette directive organise notamment la mise en place d’une carte professionnelle européenne dont pourront se prévaloir tous les professionnels européens de l’expertise comptable et prévoit, sous conditions, l’accès à certaines activités de la profession. Elle modifie les conditions permettant aux ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne d’exercer temporairement en France l’activité d’expert-comptable, ainsi que les conditions liées à la reconnaissance des qualifications professionnelles, les exigences de formation et l’accès au titre permettant aux ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne d’exercer en France à titre permanent l’activité d’expert-comptable. Enfin, cette directive fixe un cadre commun de formation et des épreuves communes de formation.

Outre la modernisation des conditions d’exercice des experts-comptables, le Gouvernement propose leur rapprochement avec les professionnels du droit dans le cadre d’une interprofessionnalité d’exercice.

II. DÉVELOPPEMENT DE L’INTERPROFESSIONNALITÉ D’EXERCICE ENTRE PROFESSIONS DU DROIT ET PROFESSIONS DU CHIFFRE.

Le 3° du présent article suggère d’habiliter le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, dans un délai de huit mois à compter de la publication de la loi pour l’activité et la croissance, les mesures relevant du domaine de la loi pour « faciliter la création de sociétés ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs des professions judiciaires, juridiques et de la profession d’expert-comptable :

a) Dans lesquelles plus de la moitié du capital et des droits de vote est détenue par des personnes qui exercent ces professions ou toute personne légalement établie dans un État membre de l’Union européenne, des autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, qui exerce en qualité de professionnel libéral, dans l’un de ces États membres ou parties ou dans la Confédération suisse, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d’une qualification nationale ou internationale reconnue et dont l’exercice constitue l’objet social d’une de ces professions ;

b) En préservant les principes déontologiques applicables à chaque profession ;

c) En prenant en considération les incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions des commissaires aux comptes ».

Comme l’a montré la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, alors que l’interprofessionnalité capitalistique est possible entre les professions du droit et du chiffre, l’exercice au sein de structures associant des membres de différentes professions du droit (interprofessionnalité d’exercice) est, lui, quasi-impossible.

L’Institut sur l’évolution des professions juridiques note ainsi que « l’approche française n’est, pour le moment, que d’une interprofessionnalité capitalistique et non d’exercice [car] les professionnels sur le terrain ont toujours préféré des pratiques informelles d’interprofessionnalité à des structures intégrées sur lesquelles aucun consensus n’existe » (193).

Ce constat a été confirmé par les représentants du Conseil national des barreaux qui, lors de leur audition par la mission d’information, ont indiqué que l’interprofessionnalité d’exercice – ou « fonctionnelle » – commençait à se développer de façon informelle. Dans son Rapport sur les professions du droit, M. Jean-Michel Darrois notait en 2009 qu’« il existe des structures de mise en commun de moyens entre des personnes appartenant à des professions libérales différentes, ainsi que la possibilité de créer des GIE », mais que « ces structures ne rencontrent pas un grand succès et, surtout, ne sont pas de nature à apporter aux usagers une prestation de service globale » (194).

Cette prestation pourrait être proposée dans le cadre de structures ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs professions libérales. Or, si l’article 16 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat autorise l’avocat à « être membre ou correspondant d’un réseau pluridisciplinaire », il ajoute qu’« il ne peut participer à une structure ou entité qui aurait pour objet ou pour activité effective l’exercice en commun de plusieurs professions libérales, la loi française en vigueur excluant toute participation d’un avocat à une telle structure ou entité ».

L’interprofessionnalité d’exercice correspond pourtant à un besoin de la clientèle autant que des professionnels. Ces derniers ont en effet besoin de travailler en partenariat ou en association avec des professions complémentaires à la leur.

Comme l’explique le rapporteur général, « ces professions ont développé des habitudes de travail en commun, par exemple avec les notaires et les avocats », de sorte que la création de structures d’exercice communes permettrait d’enrichir la gamme de services proposés aux clients ce qui « induirait un gain de temps et une baisse des coûts pour les entreprises » (195).

L’intérêt de l’interprofessionnalité d’exercice est en effet de compléter l’offre des professionnels du droit en étendant la gamme de prestations qu’ils sont en mesure de proposer à leurs clients. Une structure de mutualisation des moyens regroupant des membres de diverses professions du droit peut avoir l’avantage d’offrir un service global avec un interlocuteur unique.

D’ailleurs, dans le domaine de la santé, il est possible aujourd’hui de constituer des sociétés civiles interprofessionnelles, par exemple sous forme de sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (SISA) (196).

Lors de leur audition par la mission d’information, les représentants de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA) ont d’ailleurs appelé de leurs vœux la promotion de cette forme d’interprofessionnalité.

C’est à ces attentes que répond l’habilitation prévue au 3° du présent article.

Cette habilitation concrétise, dans une certaine mesure, la proposition n° 16 du rapport de la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, qui a recommandé de développer l’interprofessionnalité d’exercice entre les professions du droit, au sein de sociétés civiles de moyens interprofessionnelles.

Dès 2009, M. Jean-Michel Darrois avait suggéré d’autoriser les professionnels du droit à constituer des sociétés civiles de moyens interprofessionnelles. C’est ainsi qu’il écrivait que « dans le respect de leurs règles déontologiques, les professionnels exerçant les métiers du droit […] doivent pouvoir mettre en commun des moyens (informatique, locaux, standard téléphonique, etc.), partager ainsi des frais et utiliser, à cette fin, des sociétés civiles de moyens et des GIE. De même, ces professionnels doivent pouvoir cohabiter et travailler ensemble pour fournir à leurs clients un service meilleur et plus complet dès lors qu’ils respectent leur indépendance et les principes de confidentialité » (197).

Dans son rapport sur les professions réglementées, le rapporteur général s’est prononcé en faveur de la création de ce type de structures (proposition n° 17). Cette mesure permettrait en effet de répondre à une forte demande des entreprises pour aller vers le concept et l’offre de « full services ». Elle ne ferait que donner un cadre à ce qui se fait en pratique, car, dans les faits, les experts-comptables ont développé des habitudes de travail en commun, par exemple avec les notaires et les avocats.

Cependant, les rapporteurs ont émis de grandes réserves quant à l’association au capital des structures interprofessionnelles constituées par les professions du droit et du chiffre, de tiers n’exerçant pas ces professions.

Lors de leur audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions réglementées, tant les représentants du syndicat des avocats conseils d’entreprises (ACE), que ceux de la Confédération nationale des avocats (CNA) ou du Syndicat des avocats de France (SAF) ont fait part de l’opposition à l’introduction en France d’« alternative business structures » associant, sur le modèle anglo-saxon, des banques, des compagnies d’assurances et d’importantes sociétés d’expertise comptable (les « Big Four ») dans des sociétés (d’avocats notamment) dont les professionnels du droit ne détiennent pas nécessairement la majorité du capital.

C’est la raison pour laquelle la commission a choisi, à l’initiative des rapporteurs, de réécrire le a) du 3° du présent article, de façon à ce que des tiers n’exerçant ni une profession juridique ou judiciaire ni la profession d’expert-comptable ne puissent prendre des participations au capital des structures interprofessionnelles dont la création est envisagée.

Il s’agit de faire en sorte que l’intégralité du capital et des droits de vote des structures d’exercice communes entre les professions juridiques ou judiciaires et la profession d’expert-comptable soit détenue par des membres de ces professions.

Le même souci de préservation de l’indépendance des professionnels du droit et du chiffre a présidé à la réécriture du c) du 3° du présent article qui précise que les mesures prises par voie d’ordonnance devront prendre « en considération les incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à chaque profession ».

Outre la limitation de son périmètre aux seules professions du droit, l’une des conditions du développement de l’interprofessionnalité d’exercice est aussi l’élaboration d’un socle de déontologie commun, en particulier en matière d’indépendance et de secret professionnel. En effet, si un notaire et un avocat venaient à s’associer au sein d’une société civile de moyens, et si l’avocat devait être amené à plaider contre le client du notaire avec qui il est associé, il faudrait à tout le moins prévoir une règle qui soit impose à l’avocat de renoncer à défendre le client en question, soit permette au notaire de déroger à son obligation d’instrumenter.

Sur ce point, le b) du 3° du présent article apporte les garanties souhaitées par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, dans la mesure où il prévoit que les mesures prises par le Gouvernement pour faciliter l’interprofessionnalité d’exercice devront préserver « les principes déontologiques applicables à chaque profession ».

À cet égard, la mission d’information a, dans son rapport, suggéré la mise en place de dispositifs de « secret partagé » comparables à ceux qui ont pu être mis en œuvre en matière médicale (198).

III. FORMES JURIDIQUES OUVERTES POUR L’EXERCICE DES PROFESSIONS DU DROIT.

Les mesures pour lesquelles le Gouvernement sollicitait une habilitation au 4° du présent article ayant été inscrites à l’article 20 ter du présent projet de loi, ce 4° n’a plus lieu d’être.

*

* *

La Commission examine les amendements identiques SPE16 de M. Patrick Hetzel et SPE195 de M. Philippe Houillon, tendant à supprimer l’article.

M. Jean-Frédéric Poisson. Avant de défendre l’amendement SPE195, je voudrais vous faire part, monsieur le président, de mon souhait de rectifier mon amendement SPE1377 afin de corriger une erreur rédactionnelle ayant échappé à ma vigilance : au lieu de « Rédiger ainsi l’article 21 », il faut lire « Rédiger ainsi l’alinéa 2 de l’article 21 ». Je le précise dès maintenant, car il sera alors examiné après les amendements de suppression de l’alinéa 2, si toutefois ils ne sont pas adoptés.

Nous contestons de manière constante le recours aux ordonnances qui est fait dans ce projet de loi. À cela s’ajoutent, dans cet article, des problèmes de forme, en particulier pour les dispositions relatives à la création de la profession d’avocat en entreprise, qui sont loin de recueillir notre suffrage.

M. le ministre. Avis défavorable.

M. le rapporteur général. Avis défavorable également.

Les amendements déposés par les rapporteurs sont de nature à vous satisfaire pleinement, chers collègues : l’amendement SPE1767 vise à supprimer l’habilitation à créer la profession d’avocat en entreprise ; l’amendement SPE1784 portant article additionnel après l’article 20 vise à permettre aux avocats, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, administrateurs et mandataires judiciaires de recourir à toute forme juridique, à l’exception de celle conférant la qualité de commerçant à leurs associés. Ce dispositif exclut toute possibilité pour les experts-comptables – ce qui nous évitera un débat supplémentaire – de prendre des participations au capital des sociétés ainsi créées.

Il n’y a pas lieu d’adopter ces amendements de suppression de l’article : le meilleur est à venir. (Sourires.)

La Commission rejette les amendements de suppression de l’article SPE16 et SPE195.

Puis la Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1766 des rapporteurs.

Elle examine ensuite les amendements identiques SPE1767 des rapporteurs, SPE8 de M. Patrick Hetzel, SP188 de M. Philippe Houillon, SPE541 de M. Arnaud Leroy, SPE685 de Mme Colette Capdevielle, SP795 de Mme Michèle Bonneton, SPE909 de M. Michel Zumkeller et SPE1061 de M. Alain Tourret.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. L’amendement SPE1767 vise à supprimer l’alinéa 2, soit l’habilitation sollicitée par le Gouvernement pour créer par voie d’ordonnance la profession d’avocat en entreprise.

Le rapporteur général comme moi-même percevons tout l’intérêt que pourrait présenter l’extension d’une garantie de confidentialité aux écrits produits par les juristes d’entreprise dans le cadre de leur contrat de travail mais nous n’estimons pas souhaitable de créer une énième profession juridique réglementée qui emporterait le démembrement du statut d’avocat – ce que craint notamment le Conseil national des barreaux – CNB.

M. le rapporteur général. Nous avons tous les deux eu l’occasion d’exprimer – Cécile Untermaier dans son rapport d’information, moi-même dans un rapport remis au Premier ministre – combien il nous paraissait inutile d’envisager de créer cette profession d’avocat en entreprise.

Ce statut pourrait en effet interdire aux professionnels concernés de développer une clientèle personnelle et de plaider pour le compte de leur employeur, de sorte que la profession d’avocat s’exercerait à deux vitesses : d’un côté, l’avocat classique pourrait plaider pour le client qui le rémunère ; de l’autre, l’avocat en entreprise serait en quelque sorte un avocat hybride qui ne pourrait défendre les intérêts de l’entreprise qui le salarie devant les juridictions où la représentation par avocat est obligatoire.

Par ailleurs, et surtout, le lien de subordination inhérent au contrat de travail apparaît aux rapporteurs comme incompatible avec l’indépendance qui constitue en quelque sorte l’« ADN » de la profession d’avocat. Preuve en est le serment que prête l’avocat avant de pouvoir exercer, qui énonce : « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité. »

Comme je l’avais noté de mon rapport sur les professions réglementées, « cette indépendance est en effet consubstantielle à la profession d’avocat qui nécessite fondamentalement, pour garantir les droits de la défense, une absence de lien de subordination. Or le statut de salariat en entreprise induit cette subordination vis-à-vis de l’employeur qui n’est pas membre de la profession, à la différence de l’avocat salarié. Les avocats eux-mêmes admettent le lien de subordination de leurs confrères salariés, en arguant que la communauté de déontologie amoindrirait, d’une certaine manière, le lien de subordination ».

Nous rappelons en outre que l’existence d’un lien de subordination avec un employeur qui ne serait pas lui-même avocat a conduit la Cour de Justice de l’Union européenne – CJUE – à refuser de reconnaître, pour les seules procédures européennes, un caractère confidentiel aux correspondances entre l’avocat en entreprise et son employeur. La jurisprudence est constante à cet égard.

Si la position adoptée par la CJUE ne lie pas les juridictions nationales, nous estimons toutefois que les arguments développés par le juge européen, qui tendent à établir une incompatibilité entre la subordination à un employeur non-avocat et l’indépendance exigée par l’exercice des droits de la défense, méritent d’être pris en considération.

M. le ministre. Je voudrais tout d’abord préciser l’architecture de l’article 21.

L’alinéa 2 dépendra du sort réservé aux présents amendements de suppression. Les alinéas 3, 4 et 5 seront supprimés si jamais le nouvel amendement du Gouvernement portant article additionnel après l’article 20 est adopté. Nous vous demanderons de maintenir les alinéas 6,7, 8 et 9. Quant aux mesures proposées à l’alinéa 10, elles ont déjà été adoptées.

Qu’est-ce qui a conduit le Gouvernement à vouloir créer le statut d’avocat en entreprise ? C’est le constat de la situation actuelle et les échanges que nous avons eus avec le monde économique. Dans beaucoup d’entreprises internationales amenées à intervenir à l’étranger, beaucoup d’informations confidentielles ne peuvent être traitées par les directeurs juridiques quand ils n’ont pas le statut d’avocat. Ce que l’on appelle en droit anglo-saxon le legal privilege et, en droit français, le privilège de confidentialité, ne peut aujourd’hui être détenu en France par un directeur juridique classique. Aussi plus d’une dizaine de sociétés du CAC40 ont-elles fait le choix de prendre pour directeur juridique des avocats étrangers afin de pouvoir opérer dans les meilleures conditions et préserver le privilège de confidentialité.

Grâce à ce nouveau statut, les entreprises françaises de dimension internationale pourraient recruter des avocats ayant les mêmes privilèges, les mêmes protections que les avocats étrangers et la transmission des informations serait fluidifiée. Il me paraît paradoxal qu’aujourd’hui, plusieurs grandes sociétés – je ne veux pas ici citer de nom – doivent avoir recours à un avocat britannique ou allemand pour manier des informations confidentielles.

Nous avions prévu d’établir des barrières dans cette nouvelle profession : l’avocat en entreprise aurait été inscrit à l’ordre, et donc soumis aux mêmes règles déontologiques que ses confrères ; il n’aurait en revanche pas eu le droit de plaider et pas eu le droit non plus d’avoir une clientèle – il ne se serait pas trouvé placé dans les situations de conflits évoquées.

Je reste, pour ma part, intimement persuadé que la proposition du Gouvernement est une bonne idée parce qu’elle permet de résoudre un problème. Je comprends en même temps qu’elle suscite une crainte au sein de la profession, qu’elle crée un inconfort chez les commissaires, et qu’elle donne le sentiment d’attenter à « l’ADN » de la profession, pour reprendre la formule du rapporteur général.

Ma conviction profonde est que la profession gagnerait, si cette création devait ne pas intervenir à travers ce texte, à se saisir d’elle-même de la question. Sinon, l’évolution entamée se poursuivra et demain, l’intégralité des directeurs juridiques de nos grandes sociétés sera étrangère, point préoccupant compte tenu du mouvement rampant de démantèlement des comités exécutifs des grands groupes.

Ce statut était à la fois protecteur et valorisant pour la profession d’avocat. Peut-être aurait-il fallu sophistiquer ce régime en laissant au Conseil national des barreaux – CNB – le soin de déterminer les conditions d’accès, afin d’éviter que ce statut ne se multiplie dans trop d’entreprises. J’ai bien présente à l’esprit la crainte de certains que telle banque ou tel assureur, en faisant appel à un avocat d’entreprise, aurait eu tendance à avoir moins recours aux professionnels libéraux.

Je pense fondamentalement que c’était une belle idée. Elle trouvera à se concrétiser, soit parce que nous aboutirons à une solution dans le cours de la discussion, soit, comme je l’espère, parce que la profession s’organisera d’elle-même pour que l’avocat en entreprise se structure à travers des règles progressivement édifiées par la conférence des bâtonniers.

Je crois profondément à l’intérêt de cette réforme, qui va dans le sens de l’histoire. Toutefois, après avoir longuement discuté avec les rapporteurs, je m’en remettrai à la sagesse de la Commission.

M. Alain Tourret. La création de la profession d’avocat en entreprise est un aspect très important de cette loi.

Il faut d’abord rappeler que la profession d’avocat n’est pas une profession comme une autre. Nous ne sommes pas des commerçants, nous ne sommes pas des vendeurs : nous sommes des conseillers au service de nos clients. C’est parce que la foi dans nos clients nous anime que nous nous situons en dehors du champ commercial.

Par ailleurs, l’avocat est par essence indépendant : il n’agit pas sur ordre d’une autre personne. Envisager que certains avocats soient liés par un contrat de travail à une entreprise est inconcevable car le contrat de travail, selon la définition même de la Cour de cassation, implique un lien de dépendance, de subordination.

Vous dites, monsieur le ministre, que ce statut était protecteur car les avocats en entreprise n’auraient pas eu la possibilité de plaider et d’avoir une clientèle. Or lorsque l’on devient avocat, on s’engage à ne pas avoir qu’un seul client pour éviter d’avoir à ne dépendre que d’une source de revenus. L’absence de clientèle apporte donc une fausse protection, qui renforce notre prévention à l’égard de cette disposition.

Je comprends l’importance de l’enjeu. Seize mille juristes d’entreprise sont concernés. Toutefois, ceux que nous avons entendus avec Mme Untermaier ont abordé le problème avant tout par le biais de la confidentialité : ils déplorent de perdre des marchés importants faute de pouvoir l’assurer. Leur donner le statut d’avocat est une mauvaise réponse ; leur accorder la confidentialité par une loi spécifique portant sur le secret professionnel serait la bonne solution.

Vous dites, monsieur le ministre, que les sociétés du CAC40 ont recours à des avocats étrangers mais elles ont aussi recours à des avocats français. Les grands responsables affirment que de grands marchés leur échappent, mais je n’en suis pas du tout certain, car nous savons bien qu’ils travaillent avec de grands cabinets d’avocats de la place de Paris qui leur permettent d’assurer la confidentialité.

Monsieur le ministre, vous faites preuve de grande sagesse en vous remettant à la sagesse de notre Commission. Et la sagesse est d’éviter la création de cette profession d’avocat en entreprise en votant ces amendements de suppression de l’alinéa 2.

M. Christophe Caresche. Il y a une convergence parmi les rapporteurs pour supprimer la création de cette profession.

Le problème de la confidentialité que rencontrent les entreprises est indéniable. La question qui se pose est de savoir s’il est possible de le régler autrement qu’en créant cette profession. Pourrait-on substituer à cet alinéa d’autres dispositions pour trouver une solution d’ici à l’examen du projet de loi en séance publique ?

M. Patrick Hetzel. Mon amendement est motivé par les mêmes raisons que les précédents. La profession d’avocat est une profession libérale, fondée sur l’indépendance. Un avocat salarié serait dans un lien de subordination qui ne pourrait garantir son indépendance. Il y a une contradiction de fond entre la profession d’avocat et le statut de salarié.

M. Jean-Frédéric Poisson. Remarque de méthode, monsieur le président : si nous pouvions disposer d’un récapitulatif des conséquences de certains amendements sur les articles dont nous discutons, cela nous permettrait d’y voir plus clair.

Tout a été dit ou à peu près sur l’incompatibilité entre le statut d’avocat et le statut de salarié. J’ajoute qu’il y a une ambiguïté du point de vue disciplinaire. Si l’avocat salarié ne donnait pas satisfaction dans la manière dont il exerce au sein de l’entreprise faudrait-il saisir le bâtonnier de son ordre ou faudrait-il s’en remettre à son employeur ?

J’entends, monsieur le ministre, les arguments que vous avez invoqués s’agissant des pratiques juridiques des groupes internationaux. Je ferai deux remarques.

Premièrement, rien n’empêche ces groupes de s’adresser à des avocats français.

Deuxièmement, au lieu de modifier le statut des avocats pour que la pratique anglo-saxonne du droit puisse s’imposer sur le territoire national, ne faudrait-il pas plutôt envisager la manière dont on pourrait soumettre les juristes d’entreprise au secret ? C’est l’esprit de l’amendement que j’ai déposé, et qui viendra en discussion plus tard, compte tenu de la rectification que j’ai signalée tout à l’heure. Nous pourrions définir les modalités selon lesquelles les juristes d’entreprise seraient soumis au régime du secret professionnel des avocats, ce qui me paraît à la fois simple et de bon sens.

Nous pourrons débattre de cette question si mon amendement SPE1377 survit à la proposition de suppression de l’alinéa 2, ce qui n’est pas certain...

M. Arnaud Leroy. La création du statut d’avocat salarié en entreprise va à l’encontre de l’indépendance de l’avocat, consubstantielle à cette profession.

Lors de l’audition du ministre, j’ai dit qu’il fallait également prendre garde à la multiplicité des situations des barreaux sur notre territoire. Les grands groupes du CAC40 rencontrent peut-être certaines difficultés, mais rien ne les empêche de contracter avec de grands cabinets d’affaires, notamment anglo-saxons, qui ont des sièges partout – à Londres, à Paris, à Sydney, à Shanghai, au Pirée, etc.

Il y a deux options. Soit on fait évoluer le statut des quelque 16 000 juristes d’entreprises, soit on fait évoluer celui des avocats. Pour ma part, je crois qu’il faut d’abord se pencher sur le premier, en traitant la question de la confidentialité, avant de s’attaquer au second.

Mme. Colette Capdevielle. Je veux d’abord vous remercier, monsieur le ministre, pour votre franchise : vous avez en effet reconnu que la demande était essentiellement parisienne et émanait notamment des entreprises du CAC40.

Je veux également féliciter Richard Ferrand et Cécile Untermaier pour leur travail, complémentaire l’un de l’autre, et je voterai leur amendement.

Si, en l’état, nous faisions droit, monsieur le ministre, à la création d’un statut d’avocat en entreprise qui permettrait à des juristes d’entreprise, au bout de cinq ans seulement d’activité professionnelle, d’accéder au statut d’avocat sans passer le diplôme, il y aurait une véritable rupture d’égalité dans l’accès à cette profession. En outre, il s’agirait d’un avocat « au rabais », puisqu’il ne plaiderait pas et n’aurait pas de clients propres. Il aurait certes le titre d’avocat, on l’appellerait « maître », mais ce qu’il ferait n’aurait rien à voir avec le cœur de métier d’un avocat.

Le métier d’avocat repose sur trois piliers : une indépendance totale par rapport à ses confrères, aux magistrats et à ses clients ; le secret professionnel, qui est d’ordre public ; l’absence de conflit d’intérêts. Or, le lien de subordination lié au contrat de travail porte atteinte à l’indépendance, quels que soient le niveau de rémunération et la qualification. Quant au secret professionnel, comment s’en délivrer sans être en rupture avec la loi ? Enfin, s’agissant du conflit d’intérêts, que fera un directeur juridique s’il doit répondre à des questions de ses collègues qui le mettent en délicatesse avec son employeur ? Cela créera une véritable situation de conflit d’intérêts au sein même de l’entreprise.

Enfin, notre collègue Tourret l’a rappelé, il faudrait modifier le serment que prête l’avocat puisqu’il n’est pas compatible avec la profession d’avocat en entreprise.

L’alinéa 2 vise censément à permettre des négociations couvertes par le secret professionnel. Soyons sérieux ! D’abord, cela n’arrive pas tous les jours. Ensuite, c’est déjà possible aujourd’hui. Nous sommes en 2014 et toutes les grandes entreprises, a fortiori celles du CAC40, ont des conseils spécialisés qui échangent des correspondances. Ce n’est pas au Conseil national des barreaux – CNB – qu’il appartient de réfléchir au moyen de rendre ces échanges confidentiels : c’est à la profession de juriste d’entreprise elle-même. Car c’est uniquement de cela qu’il s’agit : « aspirer » de la profession d’avocat cet avantage considérable qu’est le secret des échanges, des négociations et des correspondances, pour pouvoir mener des transactions. De là à provoquer un grand chambardement dans une profession…

Mme Michèle Bonneton. Nous proposons également la suppression de l’alinéa 2 et, partant, du statut d’avocat en entreprise qui s’attaquerait aux fondements mêmes de la profession d’avocat, tels que les a rappelés la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne.

C’est aussi la méthode qui est en cause, puisque ce statut serait défini par une ordonnance dont on ne connaît pas précisément le contenu, ce qui n’est pas pour nous rassurer.

Il n’y a pas lieu de se précipiter. Il convient, au contraire, d’affiner les conséquences des décisions que nous prenons. Je suis persuadée qu’il faut abandonner l’idée d’un tel statut.

M. Francis Vercamer. Le groupe UDI partage les arguments qui ont été avancés.

Le premier d’entre eux est celui de l’incompatibilité du lien de subordination consubstantiel au contrat de travail avec l’indépendance de l’avocat. On peut établir un parallèle avec le médecin du travail au sein de l’entreprise. Le principe d’indépendance du médecin du travail existe, mais il ne porte pas sur le même domaine. Quant au lien de subordination, il n’intervient pas dans l’exercice de son métier, alors que l’avocat d’entreprise recevra vraisemblablement des directives de son employeur.

Par ailleurs, on peut se demander si la création d’un tel statut ne pénaliserait pas avocats eux-mêmes en créant une sorte de sous-catégorie. Je pense notamment à l’accès à la profession par une voie autre que celle de l’examen.

Notre préférence va au renforcement du secret professionnel pour les professions juridiques au sein de l’entreprise. C’est sans doute la meilleure solution, puisqu’elle permet de garantir la confidentialité des informations et des correspondances.

M. Denys Robiliard. Je voudrais féliciter le ministre pour la souplesse dont il fait preuve. Il aurait manifestement souhaité que son projet de créer un avocat d’entreprise soit approuvé. Bien qu’il ne partage pas les objections avancées par les rapporteurs, il accepte de s’en remettre à notre sagesse, sachant que nous avons tendance, dans ce cas, à les suivre… Je veux également le féliciter pour sa loyauté, car il a exposé de façon très franche ses motivations.

La profession d’avocat, sur ce sujet, parle à plusieurs voix. Chacun sait qu’au barreau de Paris on est plutôt favorable à la création d’un avocat en entreprise. En revanche, le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers y sont très défavorables et qu’elles y voient un engrenage dangereux, pour des raisons qui ne sont pas seulement économiques.

Il y va surtout de l’indépendance de l’avocat, qui est exclusive du lien de subordination. Un avocat peut certes être le salarié d’un autre et avoir un lien de subordination à son égard, mais c’est un lien de subordination atténué, du fait de l’existence d’une clause de conscience et de l’interdiction de toute clause de non-concurrence.

Il y va surtout, de mon point de vue, du secret professionnel de l’avocat, qui est très particulier en ce que, comme celui des médecins ou des ministres du culte, il est opposable, non seulement à l’administration, mais encore à la justice. Il n’a d’ailleurs pas été conçu dans l’intérêt de l’avocat lui-même, mais dans celui de son client, dont il permet la défense.

Le danger est celui d’une extension du secret professionnel à des causes pour lesquelles il n’a pas été conçu. Au nom de quoi, en effet, pourrait-il être opposé à des juges par un avocat salarié d’une entreprise, alors même qu’il ne servirait pas les intérêts de la défense, mais ceux de l’entreprise ? Que l’entreprise ait droit au secret des affaires, oui. Que ce secret soit opposable aux juges, non. C’est là qu’est la difficulté. La discussion reste ouverte sur la nature du secret des affaires, mais je ne suis pas sûr que nous puissions la trancher aujourd’hui.

M. le président François Brottes. Chers collègues, nous avons eu un débat complet sur le sujet. Avant de passer au vote sur ces amendements, nous allons revenir à ceux, après l’article 20, dont le sort était resté en suspens.

M. le président François Brottes. Nous en revenons à l’article 21.

Je mets aux voix les amendements identiques de suppression de l’alinéa 2, qui ont été discutés et ont reçu un avis défavorable du ministre et des rapporteurs.

La Commission adopte les amendements identiques SPE1767 des rapporteurs, SPE8 de M. Patrick Hetzel, SPE188 de M. Philippe Houillon, SPE541 de M. Arnaud Leroy, SPE685 de Mme Colette Capdevielle, SPE795 de Mme Michèle Bonneton, SPE909 de M. Michel Zumkeller et SPE1061 de M. Alain Tourret, tendant à supprimer l’alinéa 2.

En conséquence, les amendements SPE1377 rectifié de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE857 de M. Jean-Christophe Fromantin tombent.

Les amendements identiques SPE189 de M. Philippe Houillon et SPE687 de Mme Colette Capdevielle sont retirés.

La Commission examine l’amendement SPE1553 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement consiste en une demande d’habilitation à réformer les conditions d’exercice des experts-comptables sur deux points.

Il s’agit en premier lieu d’autoriser, dans un cadre strict, les « honoraires de succès ». Il s’agit de permettre aux experts-comptables de facturer différemment certaines de leurs prestations selon l’issue plus ou moins favorable de l’opération qu’ils accompagnent.

Pour prendre un exemple, cela permettra à un expert-comptable qui assiste un client pour la transmission de son entreprise de facturer dans un premier temps des honoraires de base modérés, puis d’appeler dans un second temps un complément d’honoraires si et seulement si la transmission est couronnée de succès.

Cette méthode de facturation présente un intérêt évident pour le client, s’agissant d’opérations à l’issue aléatoire pour lesquelles il est inconfortable d’avoir à débourser d’emblée l’ensemble des honoraires, indépendamment du succès ou de l’insuccès de l’opération. Il n’est pas question ici de permettre les honoraires de succès pour la rémunération de missions de tenue de comptabilité ou de révision comptable, ni d’aucune mission participant à la détermination de l’assiette fiscale ou sociale du client. Il s’agit de transposer la directive du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 relative aux qualifications professionnelles. Cette directive prévoit notamment la mise en place d’une carte professionnelle européenne dont pourront se prévaloir tous les professionnels européens de l’expertise comptable et elle instaure sous condition l’accès à certaines activités de la profession.

Le présent amendement a par ailleurs pour effet de supprimer l’habilitation à « simplifier et clarifier les domaines d’intervention des professionnels de l’expertise comptable en matière administrative, économique, fiscale et sociale », jusque-là inscrite au 2° de l’article.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure thématique, la Commission adopte l’amendement SPE1553.

La Commission est saisie des amendements identiques de suppression SPE910 de M. Michel Zumkeller, SPE1099 de M. Sébastien Huyghe et SPE1140 de Mme Audrey Linkenheld, tendant à supprimer les alinéas 6 à 10.

L’amendement SPE910 est retiré.

M. Philippe Vitel. Les missions que l’État confie à tous ces professionnels au service des citoyens doivent les distinguer des commerçants. Or, nous avons le sentiment que ces alinéas pratiquent un amalgame non vertueux, de nature à dévaloriser ces missions.

Mme Audrey Linkenheld. La question de l’alinéa 10 a été, je crois, réglée tout à l’heure par un amendement des rapporteurs qui empêchait un trop grand rapprochement entre professions du droit et professions du chiffre. Je suis donc satisfaite sur ce point et retire l’amendement, car les alinéas 6 à 9 ont trait non aux questions de structure du capital, mais aux questions d’exercice, qui soulèvent moins de difficultés.

L’amendement SPE1140 est retiré.

M. le ministre. Pour les mêmes raisons que celles invoquées par Mme Linkenheld, j’invite M. Vitel à retirer son amendement, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable. Ce que vise l’alinéa 10 est devenu sans objet puisque nous avons adopté un amendement qui semble répondre à sa préoccupation.

M. Philippe Vitel. Je le maintiens.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette l’amendement SPE1099.

La Commission en vient à des amendements identiques SPE190 de M. Philippe Houillon, SPE382 de M. Patrick Hetzel et SPE798 de Mme Michèle Bonneton, tendant à supprimer les alinéas 6 à 9.

Mme Michèle Bonneton. Les alinéas 6 à 9 proposent de faciliter la création de sociétés rassemblant notamment des avocats et des experts-comptables, et ce par voie d’ordonnance.

Ces alinéas font naître un grave risque de conflit d’intérêts du type « Enron ». L’expert-comptable et l’avocat, s’ils font partie d’un même cabinet, pourraient en effet présenter à leur client commun une position commune.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure thématique, la Commission rejette les amendements SPE190, SPE382 et SPE798.

Puis, suivant l’avis également défavorable de la rapporteure thématique, elle rejette successivement les amendements identiques SPE292 de M. Philippe Houillon et SPE383 de M. Patrick Hetzel, les amendements identiques SPE294 de M. Philippe Houillon et SPE384 de M. Patrick Hetzel, l’amendement SPE1126 de M. Sébastien Huyghe et l’amendement SPE911 de M. Michel Zumkeller.

Elle examine ensuite l’amendement SPE1768 des rapporteurs.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Nous rejoignons, avec cet amendement, la préoccupation évoquée par Michèle Bonneton et Jean-Louis Roumegas. Il vise à ce que l’intégralité du capital et des droits de vote des structures d’exercice communes entre les professions juridiques ou judiciaires et la profession d’expert-comptable soit détenue par des membres de ces professions.

Dans son rapport sur les professions réglementées, le rapporteur général s’est prononcé en faveur de la création de ce type de structures, qui répond à une demande forte de full services de la part des entreprises. Elle ne ferait que donner un cadre à ce qui se pratique dans les faits, car les experts-comptables ont développé des habitudes de travail en commun, avec les notaires et les avocats par exemple.

Cependant, nous émettons de grandes réserves sur l’association au capital de ces structures de tiers n’exerçant pas ces professions.

Lors de leur audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions réglementées, tant les représentants du syndicat des avocats conseils d’entreprises que ceux de la Confédération nationale des avocats ou du Syndicat des avocats de France – SAF – ont fait part de leur opposition à l’introduction en France d’alternative business structures qui associeraient, sur le modèle anglo-saxon, des banques, des compagnies d’assurances et d’importantes sociétés d’expertise comptable au sein de sociétés – d’avocats notamment – dont le capital ne serait pas forcément détenu en majorité par des professionnels du droit.

Nous vous proposons donc de réécrire l’alinéa 7 de l’article 21 de façon à interdire que des tiers n’exerçant ni une profession juridique ou judiciaire ni la profession d’expert-comptable prennent des participations au capital des structures interprofessionnelles dont la création est envisagée.

Le a) de l’alinéa 7 serait ainsi rédigé : « Dans lesquelles la totalité du capital et des droits de vote est détenue par des personnes qui exercent ces professions » – et non plus « Dans lesquelles plus de la moitié du capital et des droits de vote est détenue par des personnes qui exercent ces professions ».

M. le ministre. Je suis tout à fait favorable à cet amendement, auquel nous avons travaillé ensemble. En créant cette interprofessionnalité d’exercice, nous allons permettre aux professionnels qui le veulent de s’organiser ensemble. Par cet amendement, nous répondons à l’inquiétude exprimée ce matin par plusieurs d’entre vous, notamment par M. Zumkeller.

La condition expresse qui est posée est que les professionnels qui s’associent de la sorte détiennent 100 % du capital de la structure. Cette mesure apporte toutes les garanties par rapport à ce que nous voulions faire, mais aussi par rapport à certaines situations du droit actuel.

Mme Audrey Linkenheld. Je me félicite de cette proposition qui justifie le retrait d’un certain nombre d’amendements qui visaient à supprimer les alinéas 6 à 10. Toutefois, pour la clarté de nos débats, les rapporteurs gagneraient à présenter les solutions alternatives qu’ils proposent dès le moment où ils émettent leur avis sur des amendements de suppression, car nous n’en avons pas toujours connaissance en temps utile.

Mme Véronique Louwagie. Je m’interroge sur la rédaction et sur l’esprit de l’amendement. Les « personnes » dont il est question sans autre précision peuvent-elles être, le cas échéant, des personnes morales ? Et, si tel est le cas, ne faudrait-il pas ajouter les mots « de manière directe ou indirecte », en ce qui concerne la détention du capital et des droits de vote ?

Mme Karine Berger. Si j’ai bien compris la dernière phrase de l’exposé sommaire, l’amendement s’inscrit dans le cadre de la création de structures interprofessionnelles mélangeant les professions du chiffre et les professions du droit, ce qui me pose problème à titre personnel.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. L’objet de la disposition, tel qu’il a été rappelé par le ministre, est de créer des structures d’exercice associant ces professions. Il me semble que ne sont pas seulement visées les personnes physiques, mais également, les personnes morales dès lors que leur capital n’a pas de détenteur extérieur. Peut-être faudrait-il préciser davantage le texte ?

M. le rapporteur général. Vous comprendrez que, pour ma part, cet amendement ne me pose pas de problème, puisque je l’ai déposé… (Sourires.) Il ne fait que proposer des solutions, notamment à la question de la propriété du capital. C’est pourquoi je vous engage à l’adopter.

M. Jean-Yves Caullet. Nous avons eu de longs débats sur le maillage territorial. C’est une façon de mutualiser des professions tout en apportant des garanties quant à la possession du capital. Je ne suis pas spécialiste de la question, mais il est évident que cela fonctionne parfaitement pour les personnes physiques ; reste à s’assurer que, pour les personnes morales, le risque qu’il y ait un « cheval de Troie » soit écarté. En tout cas, l’objectif est clair : il n’y a pas de mélange capitalistique possible.

Mme Karine Berger. Je pensais que nous aurions plutôt ce débat à l’article 22 mais, puisque les rapporteurs semblent favorables à ce mécanisme d’interprofessionnalisation, peuvent-ils justifier cette volonté ? Quels moyens sont prévus, en particulier, pour que le secret professionnel qui entoure les actes réalisés par un membre de la structure interprofessionnelle soit opposé aux autres membres ?

Il y a eu, dans le passé, un scandale énorme lié directement à l’association des professions du chiffre et des professions juridiques au sein de structures ayant une direction unique. Le problème n’est pas seulement celui du capital, mais aussi celui de la gouvernance.

Mme Colette Capdevielle. Nous sommes bien obligés d’aborder la question de l’interprofessionnalité dès maintenant. Je ne suis pas opposée au principe même, mais il faut chaque profession puisse exercer son activité de manière exclusive au sein de la structure, que personne ne puisse réaliser un acte relevant de la compétence exclusive d’un membre d’une autre profession ni un acte qui ne relève pas directement de son activité principale. Si interprofessionnalité il doit y avoir, il est nécessaire de prévoir une étanchéité entre les professions du droit et celles du chiffre.

M. le président François Brottes. C’est un peu le même problème dans un cabinet médical qui regroupe plusieurs médecins. Qu’en est-il, en effet, du secret médical entre médecins ?

Mme Karine Berger. Ce n’est pas du tout pareil ! Quand un médecin soigne un patient, ce dernier a rarement des intérêts communs avec le patient d’un autre médecin du cabinet !

Je prends l’exemple d’une grande entreprise de distribution qui a pour expert-comptable l’un des membres du cabinet. Une autre marque de grande distribution, sur le même territoire, a pour avocat de référence un membre du même cabinet. L’une des entreprises propose un rachat de l’autre surface commerciale. Le cabinet est à la fois le conseil et l’avocat de la cible et de celui qui rachète. Dans ce cas, l’avocat est obligé de se rétracter, contrairement à l’expert-comptable qui, lui, n’aura pas cette obligation, sauf si nous l’inscrivons dans le texte.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement est de nature à conforter l’ensemble des professionnels.

Était prévue dans le texte initial la possibilité de créer des sociétés regroupant l’ensemble des professionnels du chiffre et du droit pouvant détenir la moitié du capital social et des droits de vote. Avec cet amendement, nous donnons du confort et de la sécurité à l’ensemble des professionnels pour éviter que des entités ou des groupes autres, qui n’ont aucun lien avec les professions du chiffre et du droit, puissent intervenir.

J’en viens au cas évoqué par Karine Berger. Dans un cabinet d’expertise comptable, on peut très bien avoir le cas d’un client qui prévoit de racheter un autre client. Ces situations se produisent aujourd’hui sans pour autant qu’il y ait interprofessionnalité, et elles se règlent au cas par cas, avec pragmatisme et discernement. Je ne pense pas que cela crée des difficultés.

L’amendement est une vraie réponse aux situations concrètes. Il faut favoriser les partenariats, car ces professionnels ont intérêt à travailler ensemble. C’est d’ailleurs une demande forte de leur part. Nous serons encore plus forts au niveau national par rapport à ce qui peut se faire aujourd’hui chez nos voisins européens.

M. Patrick Hetzel. Je salue le travail des rapporteurs, car la version initiale du texte nous faisait craindre, dans ce type de structure, l’arrivée de fonds de pension. Avec cette nouvelle rédaction, le risque est totalement écarté. C’est une amélioration par rapport au projet initial du Gouvernement.

M. Jean-Yves Caullet. L’amendement cadre parfaitement l’objet de l’habilitation. Les alinéas suivants, qui font explicitement référence à la préservation des principes déontologiques de toutes les professions et aux incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions des commissaires aux comptes, me paraissent de nature à répondre à des préoccupations que je partage. Mais, s’agissant d’une habilitation, le Gouvernement a un mandat très clair pour éviter ces problèmes dans la rédaction de l’ordonnance.

M. Philippe Vitel. Le médecin que je suis est sensible au parallélisme des formes que vous évoquez. Cela étant, le type de société dont nous parlons n’est pas comparable à l’association de plusieurs médecins exerçant différentes spécialités dans un même cabinet. Elle ressemble plutôt aux centres médicaux dans lesquels on rencontre des dentistes, des médecins, des infirmiers ou des podologues. Ce type d’association, dans le monde médical, était encore interdit il y a peu de temps. Son développement a été une évolution très positive.

Il est très intéressant de fédérer les professions dont nous débattons aujourd’hui. Cet amendement, qui verrouille totalement l’apport financier et la gestion de ces sociétés aux intervenants de la nouvelle entreprise, va dans le bon sens. La détention de la moitié du capital aurait laissé la porte ouverte à des financements obscurs, totalement incompatibles avec les valeurs que défendent ces professions.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Cette discussion est intéressante, car nous avions perdu de vue qu’il s’agissait d’une habilitation. Il nous fallait donc rappeler le cadre dans lequel nous souhaitions que cette société d’exercice s’installe, avec un capital fermé, en préservant les principes déontologiques et en prenant en considération les incompatibilités et les risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions de l’ensemble de ces professions. Les règles de déport seront précisées strictement dans le cadre de l’ordonnance ; l’absence de lien hiérarchique entre les professions, toutes les règles d’incompatibilité et les principes déontologiques figureront également dans le dispositif.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, cet amendement vise à recadrer le mandat donné au Gouvernement pour l’habiliter à légiférer par ordonnance. Les conclusions des rapporteurs vous conviennent-elles ?

M. le ministre. Il y a, dans le texte, une incohérence qui n’a pas été évoquée dans le débat.

Le doute portait essentiellement sur l’association au capital, mais nous avons traité ce problème en excluant complètement les professions du chiffre. Nous en débattrons à l’article 22.

La référence à l’affaire « Enron », c’est-à-dire à ce que l’on veut absolument éviter, serait un argument si l’on intégrait les commissaires aux comptes dans le dispositif. Le même argument vaut pour le cas évoqué par Mme Berger. Voilà, selon moi, où se trouve l’erreur de plume. Il ne faut pas faire figurer à l’alinéa 9 les commissaires aux comptes, qui ne sont pas visés par cette réforme, mais seulement les experts-comptables. Je proposerai un amendement en ce sens pour lever toute ambiguïté.

La gestion des problèmes déontologiques ou des conflits d’intérêts potentiels est couverte par les alinéas 8 et 9. Tous les professionnels concernés, sans même entrer dans les interprofessions, ont à gérer ces problèmes, y compris les experts-comptables entre eux.

Il est nécessaire de corriger l’erreur de plume concernant les commissaires aux comptes. Avec, d’une part, la clarification apportée par les rapporteurs sur la nature capitalistique des professionnels, notamment du chiffre, qui peuvent être liés à cette interprofession, d’autre part, les alinéas 8 et 9, compte tenu de la rectification que je viens d’évoquer, le dispositif est sécurisé.

Nous n’avons jamais parlé des commissaires aux comptes, mais de la mission des experts-comptables, les deux ayant été séparés suite à l’affaire « Enron ». Nous reviendrons sur l’aspect capitalistique à l’article 22. En accord avec les rapporteurs, nous vous proposerons une clarification en excluant les professions du chiffre.

M. le rapporteur général. Nous pourrions profiter de cette erreur de plume, qui appelle une modification, pour introduire la notion de gouvernance de la structure.

Mme Karine Berger. Sauf erreur de ma part, un expert-comptable peut avoir une mission de commissaire aux comptes. Dès lors qu’on parle de tous les experts-comptables, exclure ceux qui sont missionnés en tant que commissaires aux comptes va dans le bon sens, mais je n’ai pas vu que ce soit inscrit dans l’article.

Mme Véronique Louwagie. La profession de commissaire aux comptes et celle d’expert-comptable sont deux professions indépendantes.

Mme Karine Berger. Mais 90 % des experts-comptables exercent la profession de commissaire aux comptes.

M. le président François Brottes. Non !

Mme Véronique Louwagie. Beaucoup d’experts-comptables sont commissaires aux comptes, mais ils sont de moins en moins nombreux à exercer cette profession. Dans les cabinets, les deux activités sont traitées par des cellules différentes, disposant chacune de leur propre comptabilité. Les obligations qui pèsent sur elles sont également différentes. Il y aurait sans doute un parallèle à tracer avec un médecin qui exercerait dans deux spécialités.

Mme Colette Capdevielle. Le mandat de commissaire aux comptes sera donc exclu du cadre de ces sociétés ? Un expert-comptable qui est commissaire aux comptes ne pourra gérer ce mandat au sein d’un cabinet ?

Mme Véronique Louwagie. Tout à fait. À La Défense, vous verrez ainsi quantité d’entités exerçant au même endroit des activités différentes.

Mme Karine Berger. Mais ne serait-il pas possible de rendre cette exclusion explicite en précisant que les structures juridiques de commissariat aux comptes ne peuvent faire partie de la raison sociale et des missions des sociétés ainsi créées ? Avec la rédaction actuelle, certains experts-comptables qui sont commissaires aux comptes peuvent être tentés de monter un cabinet avec des avocats.

M. le ministre. L’alinéa 6 du présent article évoque des « sociétés ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs des professions judiciaires, juridiques et de la profession d’expert-comptable », ce qui limite leur champ en excluant la profession de commissaire aux comptes. Le libellé de l’article est explicite, mais je m’engage à ce que l’ordonnance le soit aussi.

M. le président François Brottes. L’expert-comptable d’une entreprise ne peut exercer comme commissaire aux comptes dans cette même entreprise. Cela prévient dès l’origine les conflits d’intérêts.

Mme Colette Capdevielle. Il n’en reste pas moins que les experts-comptables exerçant la profession de commissaire aux comptes sont inscrits à deux ordres différents. Il y a donc un réel dédoublement, s’ils n’amènent qu’une partie de leurs activités dans la structure des sociétés.

M. le ministre. Je vous proposerai de remplacer, à l’alinéa 9, qui précise « en prenant en considération les incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions des commissaires aux comptes », ce dernier groupe de mots par « à l’exercice de leurs missions », supprimant ainsi la mention de commissaires aux comptes.

La Commission adopte l’amendement SPE1768.

Elle en vient à l’examen de l’amendement SPE385 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Le Conseil constitutionnel a jugé que les procédures collectives doivent se dérouler dans des conditions de particulière impartialité et indépendance, aussi bien du point de vue de la juridiction compétente que de ses mandataires, lesquels reçoivent une véritable délégation de service public. Dans ces conditions, l’indépendance et la neutralité de l’administrateur et du mandataire judiciaires doivent être préservées en entourant de garanties l’exercice de ces professions au sein de structures d’exercice en commun.

Je propose donc que soient insérés, à l’alinéa 8 de l’article 21, les mots suivants : « en prenant en considération les incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions d’administrateur judiciaire et mandataire judiciaire et en garantissant l’indépendance de ces professionnels ». Cela permettrait de lever toute ambiguïté dans la loi, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

M. le ministre. Je comprends votre préoccupation, mais le projet de loi est rédigé de telle sorte que l’ensemble des potentiels conflits d’intérêts soient couverts. Si cet amendement était adopté, cela signifierait que nous n’avons pas le même degré d’ambition pour les autres professions.

L’amendement SPE385 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE800 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. La profession de commissaires aux comptes n’est pas la seule profession à être exposée au risque de conflit d’intérêts et à être soumise à des incompatibilités. Dès lors, l’ordonnance prévue doit prendre en compte les risques de conflits d’intérêts et les incompatibilités de toutes les professions juridiques et judiciaires concernées. L’adoption du présent amendement substituerait ainsi, à l’alinéa 9, aux mots : « l’exercice des missions des commissaires aux comptes », les mots : « chaque profession ».

M. le ministre. Avis favorable. Cet amendement épargne en outre au Gouvernement la peine de déposer lui-même l’amendement que j’annonçais tout à l’heure à l’occasion de la discussion de l’amendement SPE1768.

M. le rapporteur général. Avis favorable. Je loue la grande clarté de la rédaction.

L’amendement SPE800 est adopté.

La Commission en vient à l’examen de l’amendement SPE193 de M. Philippe Houillon.

M. Gilles Lurton. Le présent amendement vise à supprimer l’alinéa 10. Le Gouvernement prévoit une ordonnance afin de permettre aux professionnels du droit de choisir la forme juridique sous laquelle ils souhaitent exercer. Mais ses intentions méritent d’être précisées. Une telle réforme risque en outre d’être source de confusion pour les clients et les usagers de la justice.

Mme Cécile Untermaier, rapporteur thématique. L’adoption de l’amendement SPE1784 a déjà réglé ce problème.

L’amendement SPE193 est retiré.

Les amendements identiques SPE194 de M. Philippe Houillon et SPE697 de Mme Colette Capdevielle sont retirés.

La Commission en vient à l’examen de l’amendement SPE801 de Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. À l’alinéa 10, nous proposons d’ajouter après le mot : « déontologiques », les mots : « et prenant en compte les risques de conflits d’intérêts ».

M. le ministre. J’y suis favorable.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure thématique, l’amendement SPE801 est adopté.

La Commission adopte l’article 21 modifié.

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Chapitre IV
Dispositions relatives au capital des sociétés

Avant l’article 22

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1782 des rapporteurs.

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Article 22
(art. 3, 5, 5-1, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 31-1, 31-2 et 34 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ; art. L. 5125-7 du code de la santé publique)

Simplification des conditions de création et de constitution
des sociétés d’exercice libéral et des sociétés de participations financières de professions libérales

Dans sa version initiale, le présent article proposait d’habiliter le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, dans un délai de huit mois à compter de la publication de la présente loi, les mesures, relevant du domaine de la loi, pour adapter, au bénéfice des professions autres que de santé :

– les conditions de création et de constitution des sociétés d’exercice libéral (SEL), notamment la législation régissant le capital social et les droits de vote, en vue de les simplifier ;

– les conditions de création et de constitution des sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL), notamment la législation régissant le capital social et les droits de vote, en vue de les étendre et de les simplifier ;

– le domaine des activités que peuvent exercer les SPFPL au bénéfice des sociétés ou groupements dont elles détiennent des participations, en vue d’élargir ce domaine.

Le dernier alinéa du présent article prend soin de préciser que « les mesures décidées en vertu du présent article [seront] prises dans le respect des règles déontologiques de chaque profession et au vu des incompatibilités et risques de conflits d’intérêts propres à l’exercice des missions des commissaires aux comptes ».

La société d’exercice libéral (SEL) est, avec la société civile professionnelle (SCP), la structure juridique ouverte à toutes les professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. Elle est régie par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

Le régime de la SEL distingue la détention du capital de celle des droits de vote : si la majorité des droits de vote doit nécessairement être détenue par des professionnels en exercice au sein de la société (directement ou indirectement), la majorité du capital social peut être détenue par des professionnels extérieurs à la société (199).

Il en résulte de ces dispositions, pour les professions autres que juridiques et judiciaires, que le complément du capital social et des droits de vote (minorité) de la SEL ne peut être détenu que par :

– des personnes physiques ou morales exerçant la ou les professions constituant l’objet social de la société ;

– pendant un délai de dix ans, des personnes physiques qui, ayant cessé toute activité professionnelle, ont exercé cette ou ces professions au sein de la société ;

– les ayants droit des personnes physiques mentionnées ci-dessus pendant un délai de cinq ans suivant leur décès ;

– certaines sociétés dont les membres exercent leur profession au sein de la SEL ou une SPFPL ;

– des personnes exerçant soit l’une quelconque des professions libérales de santé, soit l’une quelconque des professions libérales juridiques ou judiciaires, soit l’une quelconque des autres professions libérales selon que l’exercice de l’une de ces professions constitue l’objet social.

La loi du 31 décembre 1990 contient un ensemble de règles particulièrement complexes qui s’appliquent aux professions libérales selon la famille à laquelle elles appartiennent :

– pour les professions juridiques et judiciaires, une majorité du capital et des droits de vote doit être détenue par une même profession, qui constitue l’objet social de la société, le complément pouvant être détenu par les autres professions juridiques et judiciaires ;

– pour les professions de santé, des tiers non-qualifiés peuvent détenir jusqu’à 25 % du capital de la société ;

– pour les autres professions libérales, des tiers non-qualifiés peuvent détenir la minorité du capital.

Pour les professions juridiques et judiciaires, le choix d’exercer en SEL est variable selon les professions. Selon l’étude d’impact, sur 1 163 offices d’huissiers de justice exerçant dans une structure commune, seuls 138 (11,9 %) sont en SEL contre 1 019 en SCP (87,6 %). Les taux les plus importants concernent les administrateurs et mandataires judiciaires (respectivement 63,3 % et 54,3 %, mais pour un nombre de structures d’exercice très restreint : respectivement 30 et 81) et les avocats (48 % de SEL, 33 % de SCP et 13 % en association d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle (AARPI) sur un total de 7 534 structures d’exercice). Pour les autres professions (notaires, commissaires-priseurs, greffiers de tribunaux de commerce), les taux d’exercice en SEL ne dépassent pas 25 %.

Selon l’étude d’impact, le régime des SEL est un frein à l’investissement et à la création de structures secondaires (filiales, succursales) des professionnels nationaux et européens, dans la mesure où il empêche la détention majoritaire de capital et droits de vote par une même personne dans plusieurs sociétés, mais également parce qu’il interdit d’être actionnaire majoritaire de plusieurs sociétés sans y exercer. Il est aujourd’hui impossible pour un professionnel national comme européen d’investir de façon conséquente sur le territoire national, puisqu’il ne peut détenir la majorité des droits de vote d’une société d’exercice libéral sans exercer au sein de cette même société.

C’est la raison pour laquelle le a) du présent article proposait d’habiliter le Gouvernement à simplifier les conditions de création et de constitution des sociétés d’exercice libéral, en particulier les règles qui régissent la détention de leur capital et des droits de vote.

Alors que l’exercice au sein de SEL associant des membres d’une même profession est ancien, le rapprochement des membres de professions différentes par la prise de participations au sein de structures communes (« interprofessionnalité capitalistique ») est, lui, assez récent et encore embryonnaire.

Venant compléter la loi « MURCEF » du 11 décembre 2001 (200) et une loi du 11 février 2004 (201), la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées a donné une ferme impulsion à l’interprofessionnalité capitalistique en permettant aux sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL) de détenir des parts ou actions de sociétés d’exercice libéral (SEL) de différentes professions du droit et du chiffre.

Depuis 2001, l’article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 autorise les SPFPL à détenir des parts ou actions de sociétés ayant pour objet l’exercice d’une même profession libérale (SPFPL « monoprofessionnelle »). Ce texte prévoit en effet qu’« il peut être constitué entre personnes physiques ou morales exerçant une ou plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé des sociétés de participations financières ayant pour objet la détention des parts ou d’actions de sociétés [d’exercice libéral] ayant pour objet l’exercice d’une même profession ainsi que la participation à tout groupement de droit étranger ayant pour objet l’exercice de la même profession » (202).

Par ailleurs, depuis 2011, en application de l’article 31-2 de la loi précitée, ces SPFPL « peuvent également avoir pour objet la détention des parts ou d’actions de sociétés [d’exercice libéral ou de sociétés commerciales] ayant pour objet l’exercice de deux ou plusieurs des professions d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, d’expert-comptable, de commissaire aux comptes ou de conseil en propriété industrielle ainsi que la participation à tout groupement de droit étranger ayant pour objet l’exercice de l’une ou de plusieurs de ces professions ».

En d’autres termes, la loi du 28 mars 2011 a rendu possible la constitution de SPFPL « pluriprofessionnelles » ou « pluridisciplinaires » (« holdings ») détenant des parts ou actions dans des sociétés d’exercice libéral ou des sociétés commerciales, y compris étrangères (filiales), ayant pour objet l’exercice de professions variées qui relèvent aussi bien du droit (avocat, notaire, huissier de justice, commissaire-priseur judiciaire, conseil en propriété industrielle) que du chiffre (expert-comptable, commissaire aux comptes). « Un expert-comptable, un notaire, un huissier, un commissaire aux comptes peuvent donc investir aux côtés des avocats dans une SPFPL qui, elle-même, investira dans une SEL d’avocats » (203). Et ces SPFPL « pluriprofessionnelles » devraient être en mesure de constituer des réseaux nationaux et européens.

Deux décrets, l’un de 2011, l’autre de 2012, ont autorisé les greffiers des tribunaux de commerce et les administrateurs et mandataires judiciaires à constituer des SPFPL (204).

Mais les articles 31-1 et 31-2 de la loi du 31 décembre 1990 ont strictement encadré l’ouverture du capital des SPFPL.

Les dispositifs encadrant l’ouverture du capital et de la gouvernance des SPFPL

Au sein des SPFPL détenant des parts ou actions dans des sociétés ayant pour objet l’exercice d’une même profession, plus de la moitié du capital et des droits de vote doit être détenue par des personnes exerçant la même profession que celle exercée par les sociétés faisant l’objet de la détention des parts ou actions. Le complément peut notamment être détenu, pendant dix ans, par des personnes physiques qui, ayant cessé toute activité professionnelle, ont exercé la profession en cause au sein des sociétés faisant l’objet de la détention des parts ou actions. Il peut aussi être détenu par les ayants droit de ces personnes physiques pendant un délai de cinq ans suivant leur décès.

Toutefois, des décrets en Conseil d’État, propres à chaque profession, ont pu interdire la détention, directe ou indirecte, de parts ou d’actions représentant tout ou partie du capital social non détenu par des personnes exerçant la même profession, à des catégories de personnes physiques ou morales déterminées, lorsqu’il est apparu que cette détention serait de nature à mettre en péril l’exercice de la profession concernée dans le respect de l’indépendance de ses membres et de ses règles déontologiques propres.

Au sein des SPFPL détenant des parts ou actions dans des sociétés ayant pour objet l’exercice de différentes professions du droit et du chiffre, plus de la moitié du capital et des droits de vote doit être détenue par des personnes exerçant leur profession au sein des sociétés faisant l’objet d’une prise de participation. Le complément peut être détenu par :

1° Des personnes physiques ou morales exerçant la ou les professions constituant l’objet social de ces sociétés, sous réserve, s’agissant des personnes morales, du caractère civil de leur objet social et de la détention exclusive du capital et des droits de vote par des membres et anciens membres de professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi que leurs ayants droit ;

2° Pendant un délai de dix ans, des personnes physiques qui, ayant cessé toute activité professionnelle, ont exercé cette ou ces professions au sein de l’une de ces sociétés ;

3° Les ayants droit des personnes physiques mentionnées ci-dessus pendant un délai de cinq ans suivant leur décès ;

4° Des personnes exerçant l’une des professions d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, d’expert-comptable, de commissaire aux comptes ou de conseil en propriété industrielle ;

5° Des ressortissants des États membres de l’Union européenne, des autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, qui exercent en qualité de professionnel libéral, dans l’un de ces États membres ou parties ou dans la Confédération suisse, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d’une qualification nationale ou internationale reconnue et dont l’exercice constitue l’objet social de l’une des sociétés ou de l’un des groupements faisant l’objet d’une prise de participation.

Par ailleurs, au niveau de la SPFPL « holding », les gérants, le président et les dirigeants de la société par actions simplifiée, le président du conseil d’administration, les membres du directoire, le président du conseil de surveillance et les directeurs généraux, ainsi que les deux tiers au moins des membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance doivent être choisis parmi les personnes exerçant la même profession au sein des filiales (SPFPL « monoprofessionnelle ») ou parmi les membres des professions du droit et du chiffre exerçant au sein des filiales (SPFPL « pluriprofessionnelle »).

Qu’elles aient des participations dans des sociétés ayant pour objet l’exercice d’une même profession ou de professions différentes, plus de la moitié du capital et des droits de vote des SPFPL doit être détenue par des personnes exerçant, au sein des sociétés filiales, soit la même profession (« SPFPL monoprofessionnelles »), soit l’une des professions du droit ou du chiffre concernées (« SPFPL pluriprofessionnelles »). En outre, le complément ne peut être détenu que par un nombre limité de personnes : essentiellement des anciens membres des professions en cause, ou leurs ayants droit, et, pour ce qui concerne les seules SPFPL « multiprofessionnelles », des ressortissants européens appartenant aux mêmes professions.

Le régime actuel des SPFPL exclut donc quasiment toute ouverture de leur capital à des tiers n’exerçant pas la profession (ou l’une des professions) constituant l’objet social dans les filiales au sein desquelles sont prises des participations.

C’est la raison pour laquelle le b) du présent article proposait d’habiliter le Gouvernement à desserrer les contraintes qui pèsent sur les SPFPL de façon à leur offrir des outils de financement et d’expansion, dans le respect de l’indépendance des professionnels concernés, et en particulier des commissaires aux comptes.

Les SPFPL « monoprofessionnelles », créées en 2001, ont connu un certain succès puisqu’au 1er janvier 2014, on dénombrait 358 SPFPL (dont 88 % du capital étaient détenus exclusivement par des avocats) contre 144 SPFPL au 1er janvier 2011 (soit une progression du recours à cette forme sociale d’environ 150 % en l’espace de trois ans).

En revanche, le développement des SPFPL « pluriprofessionnelles » est encore embryonnaire. Un décret d’application était en effet nécessaire afin de parachever et de rendre effectif le dispositif des SPFPL « pluriprofessionnelles ». La direction des Affaires civiles et du Sceau a indiqué à la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées que ce décret n’a été publié que le 19 mars 2014 (205), car il « ne pouvait intervenir avant la publication d’autres textes réglementaires relatifs aux SPFPL mono-professionnelles (le dernier étant le décret n° 2013-746 du 14 août 2013 relatif aux sociétés de participations financières de la profession libérale de conseil en propriété industrielle) ».

D’après le rapporteur général, « trois SPFPL ont un capital ouvert à au moins un professionnel issu d’une autre profession que celle d’avocat », mais « aucune SPFPL d’officier public et/ou ministériel n’est constitué en mode interprofessionnel » (206).

Ce constat achève de convaincre de la nécessité de simplifier les conditions de création et de constitution des SEL et des SPFPL.

L’étude d’impact met en exergue tous les avantages qui pourraient en résulter :

– en termes d’emploi (tant au bénéfice des professionnels du droit que des fonctions supports comme les ressources humaines, le secrétariat et les services comptables) ;

– en termes de qualité des prestations et services proposés aux entreprises et aux particuliers qui profiteraient d’une offre de services plus large ;

– en termes de compétitivité, y compris à l’échelle européenne, et particulièrement au bénéfice des jeunes professionnels qui font aujourd’hui souvent face à la méfiance du secteur bancaire conventionnel.

Comme le souligne l’étude d’impact, « par rapport à un financement bancaire, l’apport en capital d’un confrère offre une plus grande souplesse à la société, en tant que ce dernier peut décaler la rémunération de ses parts sociales dans le temps alors qu’un emprunt doit être remboursé à échéance fixe et régulière. De manière classique, le professionnel poursuit certes des finalités économiques, mais qui auront des perspectives de rentabilité à plus long terme qu’un opérateur financier, mais également confraternel, dans une logique de parrainage ».

À l’initiative des rapporteurs, la commission a adopté un véritable dispositif visant à simplifier les règles relatives à la création et la constitution de société d’exercice libéral et de société de participations financières de professions libérales, tout en garantissant le respect des règles de déontologie propres à chaque profession, notamment pour prévenir les risques de conflits d’intérêts.

S’agissant des sociétés d’exercice libéral, la règle de détention majoritaire des droits de vote, et dans une moindre mesure du capital, par les personnes physiques en exercice au sein de la société empêche la détention majoritaire de capital et droits de vote (hors cas spécifique des SELAS) par une même personne physique dans plusieurs sociétés. Cette règle conduit de surcroît à interdire aux sociétés établies en France ou dans d’autres États membres de constituer des établissements secondaires sur le territoire national en détenant la majorité du capital et des droits de vote.

Le principe de détention majoritaire du capital et des droits de vote par les personnes en exercice au sein de la société continuera à s’appliquer. Cependant l’actuelle dérogation de l’article 5-1 est aménagée en vue de permettre aux personnes physiques ou morales exerçant la même profession que celle constituant l’objet social de la société de détenir la totalité du capital social et des droits de vote. De nouvelles structures d’exercice pourront ainsi être créées, notamment sous la forme d’établissements secondaires, pour permettre aux professionnels de développer leur activité. Néanmoins, conformément au droit existant, exceptées pour les professions juridiques et judiciaires, il sera toujours possible de déroger à cette règle lorsque cette dernière serait de nature à porter atteinte à l’exercice de la profession concernée, au respect de l’indépendance de ses membres ou de ses règles déontologiques propres, par décret en Conseil d’État.

S’agissant spécifiquement des sociétés d’exercice libéral exerçant une profession juridique ou judiciaire, la règle de détention capitalistique est adaptée pour permettre la détention de la totalité du capital d’une société d’exercice libéral dans le domaine du droit aux personnes physiques ou morales exerçant l’une des professions juridiques ou judicaires.

S’agissant des sociétés de participations financières de professions libérales, ces sociétés peuvent participer à tout groupement de droit étranger ayant pour objet l’exercice d’une des professions énumérées par la loi. Mais elles ne peuvent associer des professionnels européens établis dans un autre État membre, au titre du seul complément du capital, que dans l’hypothèse où la société a pour objet la détention de participations de sociétés d’exercice libéral ayant pour objet l’exercice de plusieurs professions (SPFPL « pluri-professionnelles »). Cette association apparaît purement interdite dans l’hypothèse où la société a pour objet la détention de participations de sociétés d’exercice libéral ayant pour objet l’exercice d’une seule profession (SPFPL « mono-professionnelles »). Le présent article permettra d’uniformiser les règles de détention du capital et des droits de vote. Concernant les professions juridiques ou judiciaires, il permettra également d’introduire par parallélisme les règles nouvelles applicables aux sociétés filles.

La participation au capital des SEL et SPFPL par des professionnels européens est subordonnée à la possession de qualifications déterminées et au respect d’exigences essentielles à l’exercice des activités libérales.

L’objet social des SPFPL est en outre élargi afin qu’elles puissent plus largement développer ses activités à destination des sociétés ou groupements dont elles détiennent des participations, telles que la mise à disposition de biens mobiliers ou immobiliers.

Il convient de noter que les SEL et les SPFPL seront soumises à l’obligation de fournir annuellement un état de la composition du capital à l’ordre ou aux ordres professionnels dont elles relèvent.

Par ailleurs, dans un souci d’une meilleure accessibilité du droit, cette simplification s’accompagne d’une réorganisation des dispositions de la loi du 31 décembre 1990, afin d’améliorer la lisibilité des règles applicables aux professionnels. Les dispositions ayant le même objet sont réunies au sein de mêmes articles faisant apparaître distinctement les différents principes et exceptions.

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La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques SPE238 de M. Jean-Frédéric Poisson, SPE912 de M. Michel Zumkeller, SPE1097 de M. Sébastien Huyghe et SPE1139 de Mme Audrey Linkenheld, tendant à supprimer l’article, et l’amendement SPE1783 des rapporteurs.

Mme Véronique Louwagie. Nous demandons la suppression de cet article, qui habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi pour simplifier les règles relatives à la société d’exercice libéral et à la société de participations financières de professions libérales, en excluant toutefois les professions de santé. Pareille habilitation conduit à dessaisir le parlement de la question, en fermant la possibilité d’un débat de fond.

Lors de votre audition par la commission spéciale au mois de décembre, vous vous étiez engagé, monsieur le ministre, à présenter à ses membres le contenu des ordonnances envisagées. Dans un souci de plus grande lisibilité, ne vaudrait-il pas mieux en insérer directement le texte dans la loi ? Par ailleurs, l’article 22 contient, à l’alinéa 5, une référence aux commissaires aux comptes. Cette mention des incompatibilités propres à l’exercice de la profession de commissaire aux comptes ne me paraît pas plus opportune que celle qui figurait à l’article 21 que nous avons modifié pour cette raison.

Mme Audrey Linkenheld. J’ai déposé moi aussi un amendement de suppression, car les dispositions prévues concernant le capital des sociétés d’exercice libéral me faisaient redouter une « anglo-saxonnisation » de notre droit, quoique les rapporteurs ne considèrent pas que cette crainte soit fondée. Voici qu’ils ont proposé un amendement de réécriture globale de l’article. Par avance, je leur apporte ma confiance.

L’amendement SPE1139 est retiré.

M. le rapporteur général. Nous présentons un amendement qui vise, en lieu et place de l’habilitation, à fixer dans la loi elle-même les mesures de simplification des règles relatives à la création et à la constitution de sociétés d’exercice libéral – SEL – et de sociétés de participations financières de professions libérales – SPFPL –, tout en garantissant le respect des règles de déontologie propres à chaque profession, notamment pour prévenir les risques de conflit d’intérêts.

L’objet social des sociétés de participation financières de professions libérales est en outre élargi afin qu’elles puissent plus largement développer leurs activités à destination des sociétés ou groupements dont elles détiennent des participations, telles que la mise à disposition de biens mobiliers ou immobiliers. Il faut noter que les sociétés d’exercice libéral et les sociétés de participations financières de professions libérales seront soumises à l’obligation de fournir annuellement un état de la composition du capital à l’ordre ou aux ordres professionnels dont elles relèvent.

Par ailleurs, dans un souci d’une meilleure accessibilité du droit, cette simplification s’accompagne d’une réorganisation des dispositions de la loi du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales – SPFPL –, afin d’améliorer la lisibilité des règles applicables aux professionnels. Les dispositions ayant le même objet seront réunies au sein de mêmes articles faisant apparaître distinctement les différents principes et exceptions.

M. le ministre. Le Gouvernement s’est fixé pour objectif de réformer les sociétés d’exercice libéral – SEL – et les SPFPL en vue non seulement de créer une interprofession d’exercice, mais aussi de faciliter une intégration capitalistique. Il a eu pour souci constant tant d’éviter une habilitation à prendre des ordonnances qu’à lever les ambiguïtés que pouvait porter le texte d’avoir une organisation capitalistique et la totalité des droits de vote dans cette organisation, sans qu’il y ait de tiers ni d’autres professions, comme les experts-comptables.

La possibilité serait ainsi offerte à ces sociétés de s’organiser de manière plus sécurisée sur le territoire, comme leurs concurrents étrangers, tout en préservant les règles françaises en matière de SEL. Une société allemande peut aujourd’hui exercer le métier d’avocat en France malgré une structure capitalistique qui n’est pas conforme au modèle français des SEL, sans qu’on puisse s’y opposer. Désormais, 100 % du capital de ces sociétés étrangères devrait être détenu par des titulaires de professions juridiques ou judiciaires. Avis favorable à l’amendement des rapporteurs.

M. Olivier Carré. Quelle comparaison feriez-vous avec la situation en Allemagne ?

M. le ministre. La situation est plus ouverte en Allemagne, où le capital de ces sociétés peut être détenu par d’autres que par des professions juridiques ou judiciaires. Dans un contentieux engagé sur la base du droit européen, il n’avait pourtant pas été possible de s’opposer à l’implantation de leurs filiales, bien que leur structure de tête soit plus ouverte que nos SEL. À l’avenir, notre modèle pourra au contraire être exporté.

La Commission rejette les amendements identiques SPE238, SPE 912 et SPE1097.

Puis elle adopte l’amendement SPE1783 et l’article 22 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements SPE719 de Mme Colette Capdevielle et les amendements SPE233, SPE234, SPE235, SPE236 et SPE237 de M. Jean-Frédéric Poisson tombent.

Article 22 bis [nouveau]
(art. 13, 13-1 [nouveau] et 22 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977)

Simplification des conditions de création et de constitution
des sociétés d’architecte

La commission a adopté un amendement du Gouvernement proposant de lever les barrières d’actionnariat pour les activités d’architecte en simplifiant les conditions de création et de constitution de société d’architecte sur le territoire national, y compris sous la forme de succursale.

L’article 13 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture exclut en effet les personnes morales exerçant la profession d’architecte et établies dans un autre État membre de l’Union européenne du capital des sociétés d’architecture nationales. Ce faisant, ces dispositions privent les sociétés nationales d’apports de capitaux extérieurs et restreignent les capacités de croissance externe de l’entreprise.

De telles restrictions pourraient être de nature à limiter l’emploi, la concurrence en prix et la disponibilité de ces services. Les modifications proposées présentent des avantages à la fois économiques (investissements, création sociétés et emplois) et en termes d’accès aux prestations de service des professionnels visés.

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La Commission examine l’amendement SPE1661 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement vise à faciliter la création de sociétés d’architecture, en permettant notamment à toute personne morale dont plus de la moitié du capital et des droits de vote est détenu par des personnes qualifiées exerçant la profession d’architecte, de créer des sociétés d’architecture. Cette mesure a recueilli l’accord de l’Ordre des architectes.

C’est un élargissement que ne permet pas aujourd’hui la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture. Il permettra l’apport de capitaux extérieurs, favorisant la croissance tant interne qu’externe des entreprises d’architecture. Il autorisera la constitution de filiales et de succursales sur le territoire national, tout en maintenant l’indépendance des professionnels qui conserveront la majorité du capital et droits de vote des entreprises.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure thématique. Je m’en remets à la sagesse de la Commission.

Mme Audrey Linkenheld. Qui seraient les détenteurs de capitaux extérieurs ? Est-on sûr que les architectes resteraient actionnaires majoritaires ?

M. le ministre. Le capital de ces sociétés serait ouvert à des architectes ressortissants d’autres États membres de l’Union européenne, s’ils ont les qualifications requises, ce que ne permet pas la loi du 3 janvier 1977. Les capitaux apportés par des non-architectes ne pourraient en tout état de cause dépasser la moitié du capital de ces sociétés, où les architectes conserveront donc la majorité.

La Commission adopte l’amendement SPE1661.

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Chapitre V
Urbanisme

Article 23
(art. L. 101-1 du code de la construction et de l’habitation)

Données sur la mobilité dans le parc social

Cet article vise à enrichir le rapport que le Gouvernement doit présenter tous les deux ans au Parlement sur la situation du logement en France afin d’y inclure des données sur la mobilité dans le parc social.

I. L’ÉTAT DU DROIT

L’article L. 101-1 du code de la construction et de l’habitation, créé par la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit, regroupe, dans un rapport unique, l’ensemble des informations que doit transmettre, tous les deux ans, le Gouvernement au Parlement sur la situation du logement en France. Ce rapport doit contenir une analyse territorialisée de l’offre et des besoins en matière de logements, des données sur l’évolution des loyers, des informations sur l’occupation des logements sociaux, ainsi qu’un bilan d’application du supplément de loyer de solidarité dans le parc social.

Ce rapport n’a, pour l’instant, été publié qu’une seule fois, en 2012. Théoriquement, un nouveau rapport devrait donc être présenté au Parlement très prochainement.

Depuis la loi du 4 mars 1996 relative au supplément de loyer de solidarité et la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite « loi MOLLE », de nombreux dispositifs ont été mis en place afin d’améliorer la mobilité dans le parc social pour que les logements HLM profitent en priorité à ceux qui en ont le plus besoin. Les locataires qui dépassent de plus de 100 % le plafond de ressources durant deux années successives doivent ainsi quitter leur logement social dans un délai de trois ans. En cas de sous-occupation d’un logement, le bailleur doit également proposer au locataire un nouveau logement correspondant à ses besoins, accompagné d’une aide à la mobilité. Après refus de trois offres de relogement, le locataire perd son droit au maintien dans les lieux.

Toutefois, le taux de rotation dans le parc social demeure très faible : il est seulement de 8,8 %, contre 18,7 % dans le parc libre (207). Cette faible mobilité accroît la tension sur le parc HLM alors qu’en 2014, 1,2 million de demandes de logement social ne sont pas satisfaites.

II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

Dans ce contexte, l’article 23 du projet de loi complète les éléments que doit obligatoirement contenir le rapport bisannuel du Gouvernement au Parlement sur la situation du logement en France en y ajoutant :

– des données sur le traitement des demandes de mutation et les parcours résidentiels des locataires des logements sociaux ;

– des données sur les freins à la mobilité des locataires des logements sociaux.

Ces données permettront d’améliorer l’information du Parlement et d’identifier éventuellement de nouveaux freins « internes » à la fluidité dans le parc HLM qu’il conviendrait de lever.

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le rapporteur approuve cette amélioration de l’information du Parlement tout en rappelant que les freins principaux à la mobilité dans le parc social ne sont pas internes mais externes. Le faible taux de départ du parc social est en effet principalement dû à la forte hausse, dans les années 2000, du niveau des loyers du parc libre dans les zones tendues et à la paupérisation des locataires de logements HLM.

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La Commission examine les amendements rédactionnels SPE1542 et SPE1544 des rapporteurs.

M. le ministre. Le Gouvernement est favorable à ces amendements.

M. Olivier Carré. Il me paraît juste en effet de considérer les freins à la mobilité résidentielle du point de vue des personnes, à savoir des locataires, plutôt que du point de vue des logements. Il ne s’agit pas d’amendements seulement rédactionnels.

La Commission adopte successivement les amendements SPE1542 et SPE1544.

Puis elle adopte l’article 23 ainsi modifié.

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Article 23 bis [nouveau]
(art. L. 301-3, L. 301-5-1 et L. 301-5-2 du code de la construction et de l’habitation et art. L. 3641-5, L. 5217-2 et L. 5219-1 du code général des collectivités territoriales)

Délégation des aides en faveur du logement intermédiaire
et de la location-accession

Cet article, introduit par un amendement du Gouvernement en commission, vise à déléguer les compétences de l’État en matière d’aides en faveur du logement intermédiaire et de la location-accession aux métropoles, aux EPCI compétents en matière d’habitat et aux départements.

I. L’ÉTAT DU DROIT

Depuis 2012, le Gouvernement s’est engagé, à travers différents textes et outils, à développer le logement intermédiaire, dont les niveaux de loyers et les plafonds de ressources se situent entre ceux du logement social et ceux du logement libre.

La forte hausse du niveau des loyers dans les zones tendues dans les années 2000, qui a mis fin au rapport plutôt stable qui existait depuis les années 1960 entre l’évolution des revenus des ménages et celle des loyers, a accru la difficulté des ménages aux revenus modestes et moyens d’accéder à un logement. L’écart de loyers entre le secteur locatif libre et le secteur social s’est creusé. Il est de 36 % sur l’ensemble du territoire et de plus de 10 euros/m2 par mois à Paris aujourd’hui. Le taux d’effort net médian des ménages (loyer/revenus) dans le secteur locatif libre est de 24,6 % contre 11 % (208) dans le secteur social. Cette situation conduit à l’éviction des classes moyennes des quartiers les plus recherchés et à une pression accrue sur le logement social, qui ne peut répondre, dans des délais raisonnables, à toutes les demandes.

Dans ce contexte, le Gouvernement a fait le choix raisonné d’encourager la diversification de l’offre de logements et le développement des logements intermédiaires destinés aux classes moyennes dont les revenus ne se situent pas sous les plafonds de ressources permettant d’accéder à un logement social, mais qui ne parviennent pas non plus à se loger dans les conditions de marché.

La loi de finances pour 2014 a donc institué des avantages fiscaux en faveur du logement intermédiaire. En application de l’article 279-0 bis A du code général des impôts, les investisseurs institutionnels réalisant des opérations de construction de logements intermédiaires bénéficient ainsi du taux intermédiaire de TVA de 10 %, à condition que l’opération contienne également 25 % de logements sociaux. Ce taux intermédiaire de 10 % est à comparer à celui de 5,5 % pour la construction de logements sociaux et de 20 % pour la construction de logements libres. Les logements intermédiaires neufs bénéficient ensuite d’une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pendant une durée de vingt ans.

L’octroi de ces deux avantages fiscaux est soumis à la délivrance d’un agrément par le préfet de département qui vérifie notamment le respect des plafonds de ressources et de loyers et la présence de 25 % de logements sociaux dans l’opération.

Il en est de même pour les opérations de location-accession qui, lorsqu’elles sont agréées par le préfet de département, peuvent bénéficier du prêt social location-accession (PSLA), d’un taux réduit de TVA et d’une exonération de TFPB pendant quinze ans.

II. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

Dans un souci de simplification et d’unification de la gouvernance de la politique de l’habitat, cet article additionnel permet à l’État de déléguer, aux métropoles, aux EPCI compétents en matière d’habitat et aux départements, la délivrance des aides en faveur du logement intermédiaire et de la location-accession.

Depuis 2004, l’État peut en effet déjà déléguer aux EPCI compétents en matière d’habitat et aux départements, à travers une convention de six ans, la délivrance des aides à la pierre de l’État en faveur du logement locatif social. Ces délégations de compétences ont été renforcées et élargies par la loi ALUR. Elles incluent désormais obligatoirement les aides à la pierre en faveur du logement locatif social et les aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) en faveur de l’habitat privé. De manière optionnelle, peuvent également être déléguées :

– la mise en œuvre du droit au logement opposable (DALO) ;

– la mise en œuvre de la politique de réquisition de logements vacants ;

– la gestion de la veille sociale et de l’hébergement d’urgence.

Le présent article prévoit que la délivrance des aides en faveur du logement intermédiaire et de la location-accession fasse partie du bloc « obligatoire » des conventions de délégation de compétences.

En l’absence de subventions directes de l’État pour le logement intermédiaire et la location-accession, cette compétence déléguée ne se résumera toutefois qu’à la délivrance de l’agrément ouvrant droit aux aides fiscales. La collectivité délégataire devra vérifier, en lieu et place de l’État, si les conditions requises pour obtenir cet agrément, telle que l’obligation de 25 % de logements sociaux dans les opérations de construction de logements intermédiaires, sont respectées.

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le rapporteur thématique approuve ces dispositions qui créeront un véritable guichet unique des aides au logement – qu’elles soient sous forme de subventions, de prêts aidés ou d’aides fiscales – dans les territoires où une délégation des aides à la pierre existe. Cet élargissement des délégations de compétences permettra, en outre, aux EPCI compétents en matière d’habitat de disposer de tous les outils nécessaires à la mise en œuvre de la politique qu’ils ont définie à travers leur programme local de l’habitat (PLH).

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La Commission examine l’amendement SPE1557 du Gouvernement.

M. le ministre. Le présent amendement vise à permettre de déléguer les aides en faveur du logement intermédiaire, tel l’agrément pour le logement locatif institutionnel, et le conventionnement « Borloo ancien » avec ou sans travaux aux collectivités locales qui sont déjà délégataires des aides à la pierre.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis favorable. Il s’agit de transposer ce qui se fait en matière d’aides à la pierre dans le domaine du logement social. Les établissements publics de coopération intercommunale
– EPCI – pourraient ainsi délivrer des agréments et définir, dans leur programme local de l’habitat, une stratégie qui couvre aussi le logement intermédiaire.

La Commission adopte l’amendement SPE1557.

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Article 23 ter [nouveau]
(art. L. 254-1, L. 302-1, L. 302-16, L. 302-1, L. 421-1 et L. 422-2 du code de la construction et de l’habitation)

Harmonisation du zonage relatif au logement intermédiaire

Cet article additionnel, introduit à l’initiative des rapporteurs en commission, incorpore directement, dans le texte du projet de loi, des mesures qu’il était envisagé de prendre par ordonnance à l’article 25. Il vise à simplifier les règles de zonage relatives au logement intermédiaire afin de faciliter le développement de cette offre destinée aux classes moyennes.

I. L’ÉTAT DU DROIT : DES DIFFICULTÉS LIÉES À LA MULTIPLICITÉ DES ZONAGES RELATIFS AU LOGEMENT INTERMÉDIAIRE

Les différents dispositifs législatifs relatifs au logement intermédiaire, mis en place depuis deux ans, relèvent de zonages géographiques précis, quelquefois peu cohérents entre eux, qui freinent le bon développement de cette nouvelle offre.

L’ordonnance du 20 février 2014, de même que les dispositifs fiscaux en faveur du logement intermédiaire, ont en effet créé des outils dont l’application est limitée aux zones les plus tendues. Toutefois, la définition des zones tendues est multiple.

Ainsi, les différents dispositifs fiscaux (TVA à 10 %, exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties et dispositif de réduction d’impôt Pinel) s’appliquent tous dans les zones A bis, A et B1 définies par l’arrêté du 1er août 2014 des ministres chargés du budget et du logement. Ces zones se caractérisent par « un déséquilibre important entre l’offre et la demande de logements entraînant des difficultés d’accès au logement sur le parc locatif existant » (209). Elles comprennent toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants, certaines villes aux loyers élevés comme Annecy, Bayonne, Cluses, Chambéry, Saint-Malo ou La Rochelle ainsi que l’ensemble des départements d’outre-mer (voir carte ci-dessous).

CARTE DU ZONAGE A / B / C APPLICABLE DEPUIS LE 1ER OCTOBRE 2014

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Source : Ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Or, l’ordonnance du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire, qui a également voulu limiter le développement de cette nouvelle offre aux zones les plus tendues, a choisi un autre zonage : celui de la taxe sur les logements vacants (TLV). Ce zonage, défini par le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013, comprend les 28 plus grandes agglomérations françaises dont la liste est ci-dessous : Ajaccio ; Annecy ; Arles ; Bastia ; Bayonne ; Beauvais ; Bordeaux ; Draguignan ; Fréjus ; Genève-Annemasse ; Grenoble ; La Rochelle ; La Teste-de-Buch-Arcachon ; Lille ; Lyon ; Marseille-Aix-en-Provence ; Meaux ; Menton-Monaco ; Montpellier ; Nantes ; Nice ; Paris ; Saint-Nazaire ; Sète ; Strasbourg ; Thonon-les-Bains ; Toulon ; Toulouse.

Si ces deux zonages se recoupent majoritairement, leur superposition n’est toutefois pas parfaite. Le zonage de l’ordonnance du 20 février 2014 (zonage TLV) n’est en effet pas recouvert de manière intégrale par les zones A bis, A et B1 et vice versa.

Cette incohérence crée des difficultés opérationnelles majeures qui freinent le développement du logement intermédiaire. Ainsi, les filiales des organismes HLM dédiées au logement intermédiaires qui, conformément à l’ordonnance du 20 février 2014, ne peuvent agir que dans le zonage de la TLV, n’ont pas systématiquement accès au taux réduit de TVA.

De même, les logements intermédiaires réalisés grâce aux avantages fiscaux dans les zones A bis, A et B1 ne peuvent pas être juridiquement qualifiés de logements intermédiaires s’ils ne sont pas également situés dans la zone de la TLV. Enfin, en application de l’ordonnance du 20 février 2014, seules les collectivités situées au sein de la zone de la TLV peuvent prévoir et encadrer dans leur programme local de l’habitat (PLH) le développement de logements intermédiaires, même si elles sont situées dans les zones A bis, A et B1 et qu’elles sont volontaires pour développer et aider des logements sous plafonds de loyer intermédiaire.

Cette incohérence de zonage juridique créé donc une illisibilité autour de la définition du logement intermédiaire alors que l’un des objets de l’ordonnance du 20 février 2014 était de clarifier cette notion et de lui donner une base légale unique.

C.  UNE CLARIFICATION ET UN ASSOUPLISSEMENT DU ZONAGE RELATIF AU LOGEMENT INTERMÉDIAIRE

Le présent article, introduit par un amendement des rapporteurs, supprime la condition de zonage applicable à l’ordonnance du 20 février 2014 (zone de la taxe sur les logements vacants), afin que seule subsiste le zonage des aides fiscales, limitées aux zones tendues A bis, A et B1. Ce zonage unique permet de rendre lisibles et cohérents les différents outils créés en faveur du logement intermédiaire de manière à ce que les acteurs concernés s’en saisissent. Un régime juridique commun et sans zonage servira de cadre à toutes les opérations de logements intermédiaires et les incitations fiscales demeureront ciblées sur les zones tendues, là où l’intérêt social des logements intermédiaires est le plus fort.

Le risque de la suppression du zonage de l’ordonnance du 20 février 2014 est que les organismes HLM, par l’intermédiaire de leurs filiales dédiées, mènent des opérations de logements intermédiaires, sans avantage fiscal, sur tout le territoire français. Ces opérations se rapprocheraient alors des opérations classiques de promotion immobilière leur permettant de réaliser des plus-values financières plus importantes et les détournant de leur mission principale : la construction et la rénovation des logements locatifs sociaux.

Toutefois, le rapporteur thématique considère que ce risque est minime. La construction de logements intermédiaires n’a en effet de sens économique et social que dans les zones les plus tendues, concernées par les avantages fiscaux, là où l’écart entre les loyers du marché et ceux du parc HLM est le plus grand. C’est ainsi que raisonnent les opérateurs et les investisseurs. En outre, sans les avantages fiscaux, ces opérations peinent à être équilibrées. Les trente-deux premières opérations validées par le Fonds de logement intermédiaire sont ainsi toutes situées dans une partie restreinte du zonage fiscal. Il en sera de même pour le nouveau fonds porté par l’État pour lequel seules 1 200 communes, toutes situées dans le zonage fiscal, seraient éligibles.

Par ailleurs, le logement intermédiaire et le logement social ne peuvent être schématiquement opposés dans la mesure où le premier a un effet d’entraînement sur le second. Le rapporteur thématique rappelle en effet, qu’en application de l’article 279-0 bis A du code général des impôts, le taux intermédiaire de TVA de 10 % ne peut être accordé que si l’opération de construction de logements intermédiaires comprend 25 % de logements sociaux. En outre, si l’ordonnance du 20 février 2014 a posé un principe d’étanchéité entre la maison mère de l’organisme HLM et sa filiale dédiée au logement intermédiaire, cette étanchéité est asymétrique : elle interdit en effet à la maison mère de fournir des fonds issus de son activité de logement social à sa filiale de logement intermédiaire, mais pas l’inverse. Les ressources issues de la construction et de la gestion de logements intermédiaires sont donc susceptibles de financer la construction et la rénovation de logements sociaux.

Enfin, le rapporteur thématique considère que les obligations en matière de construction de logements sociaux, nées de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et renforcées par la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social (dite loi Duflot I), sont suffisamment strictes pour dissuader toute commune, située ou non dans le zonage des aides fiscales, de privilégier massivement la construction de logements intermédiaires en lieu et place de logements sociaux.

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La Commission en vient à l’examen de l’amendement SPE1511 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement est dû au fait que l’article 73 de la loi de finances pour 2014 a introduit, au profit des investisseurs institutionnels, un régime fiscal applicable dans des zones plus larges que celles qui sont définies par l’ordonnance du 20 février 2014 ayant pour objet de favoriser le développement du logement intermédiaire.

L’ordonnance a défini ce qu’est le logement intermédiaire et ouvert aux communes et EPCI la faculté d’en prévoir le développement dans leur programme local d’habitat, dans les zones à forte tension sur l’habitat. La loi de finances pour 2014 prévoit quant à elle, pour ces mêmes logements, une TVA bonifiée au taux de 10 % et une exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties durant vingt ans. La différence de zonage empêche cependant les EPCI et les filiales des organismes HLM de profiter de l’exonération fiscale introduite en loi de finances. Il s’agit de mettre fin à cette contradiction.

Les entreprises sociales pour l’habitat, dont nous avons rencontré les représentants, sont favorables au contenu du présent amendement.

M. le ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement SPE1511.

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Article 23 quater [nouveau]
(art. L. 421-1, L. 422-2, L. 422-3 du code de la construction et de l’habitation)

Objet social des filiales des organismes HLM dédiées au logement intermédiaire

Cet article additionnel, introduit par un amendement des rapporteurs, vise à élargir l’objet social des filiales des organismes HLM dédiées au logement intermédiaire afin de leur ouvrir la possibilité d’acquérir, et pas uniquement construire, des logements intermédiaires.

La création, par les organismes HLM, de filiales dédiées au logement intermédiaire a été permise par l’ordonnance du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire, prise en application de la loi d’habilitation du 1er juillet 2013. L’objet social de ces filiales est fixé par la loi. Or, le texte de l’ordonnance permet aux filiales de construire et de gérer des logements intermédiaires mais pas d’en acquérir.

Comme pour les logements locatifs sociaux, les différents modes de constitution d’un patrimoine, la construction et l’acquisition, doivent être permis afin que cette nouvelle offre se développe. Cette modification permettra notamment à ces filiales d’acquérir des logements intermédiaires en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA).

Le présent article élargit donc l’objet social des filiales des trois formes d’organismes HLM : les offices publics de l’habitat, les sociétés anonymes d’HLM (ESH) et les coopératives d’HLM.

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Elle est ensuite saisie de l’amendement SPE1510 des rapporteurs, faisant l’objet des sous-amendements SPE1921 et SPE1919 de Mme Michèle Bonneton.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. L’ordonnance du 20 février 2014 permet aux filiales d’organismes HLM de construire et de gérer des logements intermédiaires, mais non d’en acquérir. Pour que cela soit désormais possible, le présent amendement modifie l’objet social des filiales des trois formes d’organismes HLM : offices publics de l’habitat, sociétés anonymes d’HLM – ESH – et coopératives d’HLM.

Mme Michèle Bonneton. Je crains que, par cet encouragement donné au logement intermédiaire, le législateur ne défavorise le logement social en dissuadant de remplir leurs obligations en la matière. Je rappelle que pas moins de 70 % des ménages français sont éligibles au logement social. C’est pourquoi mes sous-amendements visent à subordonner cette possibilité d’acquisition au strict respect des ratios de logement social sur le territoire concerné.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Quoique je partage vos préoccupations, j’estime qu’il ne faut pas passer d’un extrême à l’autre, que ce soit en privilégiant exclusivement le logement social ou exclusivement le logement intermédiaire. Ce dernier bénéficie désormais d’une TVA bonifiée au taux de 10 % et d’une exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pendant vingt ans. Mais les programmes de logement intermédiaire sont, par définition, des programmes mixtes, car ils incluent obligatoirement 25 % de logements sociaux. Aussi vos sous-amendements ne me semblent-ils pas s’imposer.

M. le ministre. Je suis favorable à l’amendement, mais défavorable aux sous-amendements.

Mme Audrey Linkenheld. Au cours du débat sur la ratification des ordonnances, nous avons abordé le problème de la création de logements intermédiaires, en veillant à ce qu’ils se réalisent en supplément, et non en substitution, du logement social. Il est très important de préserver l’étanchéité entre ces deux filières. Les logements qu’il est question d’acquérir ne sont pas des logements sociaux, mais des logements « lambda » qui deviendraient ainsi des logements intermédiaires. Il ne s’agit donc pas de transformer des logements sociaux en logements intermédiaires.

M. Jean-Marie Tetart. Il ne faut pas décourager le logement intermédiaire, qui contribue à l’accomplissement de parcours résidentiels. Des occupants de logements construits grâce à des prêts locatifs sociaux – PLS – peuvent déménager dans des logements intermédiaires, permettant de libérer du logement social. Je ne suis pas favorable à ce qui pourrait entacher le logement intermédiaire d’un signe négatif.

M. Jean-Louis Roumegas. Ce sous-amendement doit en fait être lu comme un sous-amendement d’alerte. Sa rédaction pèche par une certaine sécheresse, car beaucoup de communes n’atteignent pas le ratio légal de logements sociaux ; l’acquisition de nouveaux logements pour en faire des logements intermédiaires y serait tout simplement bloquée. Dans ces communes, des plans de rattrapage sont prévus pour combler le retard accumulé. L’engagement des organismes HLM dans une politique d’acquisition de logements intermédiaires pourrait être conditionné au respect de ces plans de rattrapage.

Ce qu’il faut avant tout, c’est faire plus de logement social, et non se contenter des 25 % qui lui sont réservés dans les programmes mixtes. En vue de la séance publique, les sous-amendements pourraient être reformulés pour définir une conditionnalité nouvelle, à savoir non plus le respect des ratios de logements sociaux, mais le respect des calendriers de rattrapage.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je partage ces préoccupations. La loi du 18 janvier 2013 a relevé le seuil minimal de logements sociaux défini par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains – SRU. Les ordonnances « Duflot » ont également prévu des dispositifs de garantie. Le préfet déclarerait en état de carence une commune qui ne s’engagerait que dans le logement intermédiaire.

M. Jean-Louis Roumegas. Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. Dans de nombreuses communes, le rattrapage du ratio de logements sociaux s’avère impossible. Qu’en est-il de l’éventuelle volonté du Gouvernement de faire respecter les calendriers de rattrapage ?

Mme Audrey Linkenheld. La réforme relative à la production de logements sociaux n’était pas contenue dans la loi ALUR, mais dans la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, dite « loi Duflot 1 ». Comme co-rapporteure de l’application de cette loi avec notre collègue Jean-Marie Tetart, j’ai pu en faire le bilan.

Vos préoccupations ont bien été prises en compte. Le logement intermédiaire ne se substitue pas au logement social, mais aux logements du secteur privé. Les communes qui ne respectent pas les ratios de logement social sont frappées d’un prélèvement sur leurs ressources désormais multiplié par cinq. Les programmes locaux de l’habitat – PLH – pourvoient au rattrapage en matière de logement social, voire très social.

J’appelle les membres du groupe écologiste à nous rejoindre. L’application des dispositifs existants répond déjà à leurs préoccupations.

M. Jean-Marie Tetart. L’arsenal législatif, tant incitatif que coercitif, produit en effet des résultats. Dans la première période triennale, nous assisterons sans aucun doute à un fort rattrapage. Peu de communes subiront les pénalités de coefficient cinq, car la mécanique positive est désormais enclenchée.

M. Jean-Louis Roumegas. Dire que la faculté d’acquisition ne retrancherait rien à l’application des pénalités, c’est ignorer que certaines communes préfèrent payer ces pénalités plutôt que de réaliser des logements sociaux. J’en connais des exemples, non à Montpellier, qui respecte ses obligations, mais dans des communes situées à la périphérie de cette ville. Nous devons dire à ces communes que l’acquisition de logements intermédiaires ne leur sera pas facilitée. Ce serait une pénalité de plus, un signal complémentaire.

M. le ministre. Je suis au devoir, quant à moi, de donner un avis négatif sur les sous-amendements. Sur le fond, monsieur Jean-Louis Roumegas, vous avez tous les éléments. Le travail même de cette majorité parlementaire a amélioré le dispositif existant. Le mieux devient parfois l’ennemi du bien. Sur ce sujet, je crains de ne pouvoir faire preuve de plus d’esprit d’ouverture.

Mme Michèle Bonneton. Nous voulons pourtant conserver l’étanchéité totale entre logement intermédiaire et logement social, pour éviter que le logement intermédiaire ne desserve le logement social.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Dans votre sous-amendement, vous évoquez le « maintien des ratios de logement social sur le territoire concerné ». Est-ce à dire qu’un ratio établi à 10 % serait suffisant ? Tel qu’il est rédigé, le sous-amendement peut encourager à faire moins bien.

M. Jean-Louis Roumegas. Il s’agit du ratio défini par la loi, non de celui observé dans la commune. Votre interprétation est tirée par les cheveux, même si je conviens que cet amendement d’alerte est peut-être trop radical.

Mme Audrey Linkenheld. Je me suis moi-même interrogée en lisant cet article du projet de loi, dans la crainte que des aides à la pierre soient accordées au logement intermédiaire, alors que celles qui sont destinées au logement social sont déjà insuffisantes. À ce stade, il m’est cependant apparu qu’il n’y a pas de raison de lancer d’alerte. Le dispositif issu de la loi « Duflot 1 » a permis de sécuriser la production de logement social. Aucun plan soumis au préfet ne peut proposer de construire du logement intermédiaire au détriment du logement social. Ne suscitons pas des inquiétudes inutiles.

M. le ministre. Si cette clarification peut vous rassurer, je vous indique que le Gouvernement n’entend pas étendre les aides à la pierre au logement intermédiaire.

M. Olivier Carré. C’est principalement la vente en état futur d’achèvement – VEFA – qui sera concernée. La VEFA est un outil de développement qui favorise la construction et la croissance. Nous soutenons toute mesure qui favorise la croissance.

La Commission rejette les sous-amendements SP1921 et SPE1919.

Puis elle adopte l’amendement SPE1510.

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Article 23 quinquies [nouveau]
(art. L. 421-1, L. 422-2, L. 422-3 du code de la construction et de l’habitation)

Conseil d’administration des filiales des organismes HLM dédiées au logement intermédiaire

Cet article additionnel a été introduit par un amendement des rapporteurs en commission. Il vise à corriger l’ordonnance du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire en supprimant l’interdiction faite aux organismes HLM et à leurs filiales dédiées au logement intermédiaires d’avoir des administrateurs communs.

Afin de bien séparer ce qui relève d’un service d’intérêt économique général (le logement social) et ce qui n’en est pas (le logement intermédiaire), des règles garantissant l’étanchéité entre la maison mère et la filiale ont en effet été instituées par cette ordonnance. Toutefois, certaines de ces règles rendent impossibles aujourd’hui, dans la pratique, la création de telles filiales par la plupart des organismes HLM de taille moyenne. Un seul opérateur est donc capable d’investir à grande échelle dans le logement intermédiaire : la SNI. Or, le mouvement HLM considère que, étant donné le parc de logements intermédiaires possédé par les organismes (80 000 logements, soit 2 % du parc immobilier des organismes HLM), dix à quinze filiales pourraient être créées à terme.

Parmi ces obstacles juridiques, figurent l’interdiction, pour la maison mère et la filiale, d’avoir des administrateurs, des membres du directoire ou des membres du conseil de surveillance communs. Seuls les représentants des collectivités territoires peuvent cumuler ces fonctions.

Cette situation créé une inégalité entre les offices publics de l’habitat (OPH) et les entreprises sociales de l’habitat (ESH). La majorité des membres des conseils d’administration des OPH sont en effet des élus locaux qui peuvent donc siéger à la fois au conseil de la maison mère et de la filiale. Par ailleurs, l’impossibilité de cumul de ces fonctions, qui demeurent bénévoles, empêche les organismes HLM de contrôler leur filiale dédiée au logement intermédiaire.

Le présent article supprime donc cette interdiction de cumul pour les trois formes d’organismes HLM : les OPH, les ESH et les coopératives HLM.

Le rapporteur thématique considère que les règles relatives à l’étanchéité financière entre les activités de logement social et celles de logement intermédiaire sont suffisantes pour garantir la séparation entre ce qui relève d’un SIEG et ce qui n’en est pas et pour s’assurer qu’aucune ressource issue du logement social ne soit investie dans le logement intermédiaire.

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La Commission examine l’amendement SPE1545 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement vise à harmoniser deux régimes de filialisation envisageables pour créer du logement intermédiaire. Alors que les offices HLM peuvent instituer des filiales où siègent des membres de leur conseil d’administration, cette possibilité n’est pas ouverte aux entreprises sociales pour l’habitat – ESH –, qui rechignent par conséquent à développer des entités sur lesquelles elles n’ont pas pleinement la main, ce qui pâtit au logement intermédiaire. Sans doute l’interdiction avait-elle été édictée au motif de quelque possible conflit d’intérêts, mais cette justification me semble baroque. Il convient que les mêmes règles prévalent pour les deux types de filialisation, et que les membres des conseils d’administration des ESH puissent également siéger au conseil d’administration de leur filiale.

M. le ministre. Avis favorable.

Mme Cécile Duflot. Il y a dans ces diverses propositions des sous-entendus à expliciter. Le problème actuel du logement en France ne tient pas au manque de logements intermédiaires, mais au manque de logements à un prix accessible à tous, y compris dans le parc social. La paupérisation s’y observe, du fait de loyers trop élevés qui font préférer aux bailleurs des locataires considérés comme plus faciles parce qu’ils ont des revenus plus importants et plus sûrs, tandis que les familles les plus en difficulté peinent à se loger, comme il était déjà apparu au cours de nos débats sur la loi du 5 mars 2007 instaurant le droit au logement opposable – DALO.

À ces problèmes, vous apportez une réponse formelle, madame Audrey Linkenheld. Certes, il est seulement prévu que les bailleurs puissent devenir des gestionnaires de logements intermédiaires, en association avec d’autres détenteurs de capitaux. Mais il suffira de modifier subrepticement la qualification de ces logements en vue de les reclasser en logement social pour que les seuils définis par la loi « SRU » soient soudainement atteints. Des amendements avaient été déposés en ce sens sur d’autres textes.

M. le président François Brottes. Certes, mais ils ne sont jamais passés, même sous une majorité de droite !

Mme Cécile Duflot. L’abbé Pierre avait dû se déplacer en personne dans l’hémicycle pour l’empêcher ! Je déplore que les gestionnaires sociaux ne veuillent pas construire davantage en recourant aux prêts locatifs aidés d’intégration – PLAI –, au profit de logements intermédiaires ou de logements PLS. Tout ce qui déverrouille le logement social au profit du logement intermédiaire fragilise de fait le premier.

Il est pourtant essentiel de construire sur des territoires en état de carence, et à des prix raisonnables. Le logement intermédiaire ne présente d’intérêt, à la rigueur, qu’en Île-de-France et dans les agglomérations où le marché du logement est très tendu ; ailleurs, il ne répond pas aux besoins. Les dispositions prévues incitent cependant les ESH à devenir des opérateurs de logement généralistes.

M. Olivier Carré. Ne nous engageons pas dans un débat trop long sur le logement. Comme président d’un office HLM, je me réjouis d’accueillir des locataires à faible revenu, mais bénéficiaires de l’aide personnalisée au logement - APL. Ils sont plus sûrs en effet que des locataires jouissant de revenus plus élevés, mais ne percevant pas cette allocation. Je me refuse au demeurant à trier entre les locataires.

Nous avons en outre besoin d’une chaîne de logements où puisse s’accomplir un parcours résidentiel. Loin de tout procès d’intentions à l’encontre des bailleurs, il faut construire, au contraire, un outil qui couvre l’ensemble de cette chaîne.

Mme Audrey Linkenheld. Je comprends le discours de Cécile Duflot. Je n’ai jamais été une partisane trop fervente du logement intermédiaire, tant pour des raisons de principe que parce que je suis élue à Lille, où l’encadrement des loyers s’avérera bientôt un outil bien plus efficace que le développement de logements intermédiaires. Les ordonnances issues de la loi Duflot ont rendu possible le développement de filiales compétentes en matière de logement intermédiaire. La question peut se poser de savoir si une partie de leurs capacités de production ne sont pas ainsi dirigées vers le logement intermédiaire au détriment du logement social. Mais en ratifiant ces ordonnances, nous avons nous-mêmes clos le débat sur la question.

La Commission adopte l’amendement SPE1545.

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Après l’article 23

La Commission est saisie de l’amendement SPE1152 de M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Cet amendement vise à faire appliquer les règles prudentielles en vigueur pour les garanties d’emprunt accordées par les communes aux personnes de droit privé, à savoir essentiellement les organismes d’habitations à loyer modéré (HLM) et les sociétés d’économie mixte (SEM), qui réalisent des opérations de construction, d’acquisition ou d’amélioration de logements sociaux.

Les garanties d’emprunt accordées au bénéfice des opérations de logement social avaient vocation à être soumises aux mêmes ratios prudentiels que ceux appliqués à l’ensemble des personnes de droit privé, mais la jurisprudence est venue inverser cette pratique. Les garanties d’emprunt sont des outils classiques. Toutefois, elles ne cessent de prendre de l’importance dans les engagements hors bilan, sous l’effet des politiques de logement. Actuellement, lorsqu’une commune souhaite mener une véritable politique en matière de construction de logements sociaux – tel est le cas de celle dont je suis maire –, la société d’HLM ne donne son accord que si la commune signe une garantie des emprunts qu’elle a contractés. On nous a toujours dit qu’il n’y avait aucun problème à cela, dans la mesure où la situation financière des sociétés d’HLM était particulièrement saine. Or, avec la crise financière mondiale que nous connaissons depuis 2007, les maires qui ont signé ces garanties se retrouvent dans une situation très délicate : les risques peuvent se réaliser à tout moment et devenir tels qu’ils ne peuvent plus les assumer.

On me dit qu’il y a deux solutions : se retourner soit vers le conseil général – mais celui de mon département n’accorde pas de telles garanties –, soit vers la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). La solution n’est-elle pas plutôt de rendre impossible les garanties d’emprunts ou le cautionnement pour les opérations de construction, d’acquisition ou d’amélioration des HLM ? Telle est la proposition que nous faisons, mon collègue Joël Giraud et moi-même, avec cet amendement.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Vous posez une très bonne question, monsieur Alain Tourret. Toutefois, selon moi, la solution ne peut pas être aussi hâtive et « tectonique » : si nous adoptions cet amendement aujourd’hui sans avoir envisagé d’autres solutions, nous provoquerions un tremblement de terre dans le monde du logement social ! Nous enverrions un signal dont nous aurions beaucoup de mal à nous remettre. Dans mon département, c’est le conseil général, en effet, qui accorde systématiquement les garanties d’emprunts à la place des communes, notamment des plus petites, car celles-ci ne peuvent pas s’exposer à ce point sans courir des risques inconsidérés. Notre philosophie, aujourd’hui, c’est de rectifier tout ce qui peut l’être dans le droit afin de redonner confiance à l’ensemble des investisseurs, qu’ils soient bailleurs sociaux ou non, et de relancer enfin la construction de logements. Celle-ci a beaucoup de mal à redémarrer en raison de la crise économique, qui se double d’une crise de confiance. Avis défavorable à l’amendement, mais il convient de répondre à l’interpellation légitime de son auteur. Nous devons travailler sur cette question dans la durée.

M. le ministre. Je partage entièrement les arguments présentés par le rapporteur thématique. La maîtrise des engagements hors bilan du secteur public local est une préoccupation légitime, et nous avons encore du travail à faire en la matière. Le système que vous proposez, monsieur Alain Tourret, est sans doute excessif par rapport à l’objectif poursuivi, même s’il peut inspirer certaines solutions ad hoc. Il risque de menacer l’équilibre du modèle de financement du logement social, lequel suppose que les collectivités territoriales puissent garantir à 100 % le montant des prêts accordés non seulement par les établissements de crédit, mais aussi et surtout par le Fonds d’épargne, pour les opérations réalisées par les bailleurs sociaux et les SEM. Je vous invite donc à retirer votre amendement. Ainsi que vient de l’indiquer le rapporteur thématique, nous nous engageons à travailler dans la durée avec les ministères concernés afin de trouver une solution pérenne.

M. Alain Tourret. Le problème est réel. Dans mon département, les maires n’ont pas d’autre solution que de garantir les emprunts, et des communes de la taille de la mienne ont accordé des garanties pour vingt à cinquante fois leur budget ! Quant aux bailleurs sociaux, ils connaissent bien ce mécanisme et continuent à demander notre garantie. Auparavant, il n’y avait guère de risque, mais, avec la crise économique actuelle, personne ne sait ce qui peut se passer. Si vous vous engagez, monsieur le ministre, à réunir autour de vous le ministère du logement et les représentants des maires de France afin de trouver une solution, je suis prêt à retirer mon amendement. Il faut absolument mettre les choses au clair, tant pour le passé – en sollicitant la CGLLS ? – que pour l’avenir. Je me permets de vous lancer cet appel.

M. le ministre. J’ai entendu votre appel. La ministre du logement et moi-même mettrons tous les acteurs concernés autour de la table afin de trouver une solution, notamment la Caisse des dépôts et consignations (CDC), en particulier la section du Fonds d’épargne, et la CGLLS, qui jouent, l’une et l’autre, un rôle important.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je m’étonne des proportions que vous avez mentionnées, monsieur Alain Tourret. La loi a fixé des règles prudentielles qui figurent dans le code général des collectivités territoriales et qui empêchent les communes de s’exposer à des risques inconsidérés. En particulier, aujourd’hui, une collectivité ne peut plus garantir complètement un objet, ni accorder une garantie nouvelle au-delà d’un certain niveau de risque déjà engagé. Cela étant, vous avez raison : il convient d’éviter que les collectivités territoriales ne connaissent une crise des subprimes.

M. Alain Tourret. C’est exactement cela.

M. Philippe Vigier. Je soutiens l’amendement d’Alain Tourret. Ce qu’il a dit est tout à fait juste. Actuellement, les départements et les régions se désengagent des opérations de rénovation urbaine, hormis des plus importantes. On demande donc aux communes de garantir les emprunts à 100 % pour ces opérations, ainsi que pour toute opération isolée. Tel est le cas dans mon département. Ainsi que vous venez de l’indiquer, monsieur le ministre, la solution passe certainement par la CDC.

L’amendement SPE1152 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1166 de M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Dans le plan local d’urbanisme (PLU), les élus locaux peuvent imposer aux bailleurs sociaux de réaliser des places de stationnement lorsqu’ils construisent des logements sociaux. Or il est fréquent que les locataires de ces logements ne louent pas les parkings et se garent sur la voie publique ou sur les trottoirs, notamment dans les communes petites ou moyennes qui n’ont pas les moyens de mettre en place une réglementation du stationnement et de la faire respecter par une police municipale. Nous nous retrouvons donc avec des parkings vides, mais avec des rues et des trottoirs encombrés. En d’autres termes, on oblige les bailleurs sociaux à construire des parkings qui ne servent pas. Pourtant, il serait bon de les utiliser, tant pour lutter contre l’étalement urbain que pour assurer la sécurité des piétons. Avec cet amendement, que j’ai déjà déposé à plusieurs reprises, je propose que la location du parking ne puisse pas être distincte de celle du logement.

M. le ministre. Je suis sensible à ce problème, monsieur Francis Vercamer, mais la disposition que vous proposez imposerait des contraintes supplémentaires et rendrait certains logements sociaux encore plus difficilement accessibles en renchérissant leur loyer. En outre, votre amendement ne devrait-il pas viser le code de la construction et de l’habitation plutôt que celui de l’urbanisme ? Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je comprends votre préoccupation, monsieur Francis Vercamer. Toutefois, il s’agit plutôt d’une affaire politique, qui peut se régler dans le cadre du PLU et du programme local de l’habitat (PLH). Je ne suis pas favorable à une disposition de portée générale : vu la très grande diversité des situations sur le territoire national, notamment en matière de structure des villes, on ne peut pas tout administrer depuis Paris ! En outre, je suis d’accord avec l’argument du ministre : il serait problématique d’obliger un foyer modeste qui ne possède pas de véhicule à louer une place de parking. Enfin, si l’urbanisme est bien conçu, le fait de disposer de places de parking libres qui ne sont pas directement rattachées à des logements peut constituer un avantage. Cela peut permette, par exemple, d’améliorer l’accessibilité ou de faciliter la desserte d’un petit centre commercial. Dans ce domaine, évitons de faire du « prêt-à-porter » national, car nous avons besoin d’une grande souplesse au niveau local. Avis défavorable.

M. Francis Vercamer. Selon moi, c’est bien le code de l’urbanisme qui oblige à séparer la location du parking de celle du logement. Il n’est donc pas possible de traiter cette question au niveau local. De plus, les parkings sont construits de toute façon et, si les bailleurs sociaux ne peuvent pas répercuter les coûts sur les loyers des parkings, ils le font sur ceux des logements. Le locataire paie donc aussi pour le parking sans en avoir l’usage. C’est ainsi que les choses se passent en province, notamment dans ma commune, qui compte 3 500 logements sociaux. Je retire mon amendement, mais le déposerai à nouveau pour que nous ayons un débat sur ce point en séance publique.

L’amendement SPE1166 est retiré.

Article 23 sexies [nouveau]
Ratification de l’ordonnance du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire

Cet article résulte de l’adoption d’un amendement des rapporteurs.

L’article 1er de la loi n° 2013-569 du 1er juillet 2013 a habilité le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction et la production de logements. En application de son article 2, le Gouvernement disposait d’un délai de huit mois, à compter du 2 juillet 2013, pour publier une ordonnance relative au logement intermédiaire. L’ordonnance n° 2014-159 du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire a été publiée au Journal officiel de la République française, le 21 février 2014.

Les mesures principales de cette ordonnance, qui vise à donner un cadre juridique susceptible de favoriser le développement de cette offre complémentaire, sont :

– la création d’un statut pour le logement intermédiaire, avec des plafonds de ressources et de loyers fixés par décret. Ces plafonds, rendus identiques à ceux du dispositif de réduction d’impôt pour l’investissement locatif (dit « dispositif Pinel »), sont situés entre ceux des logements HLM et ceux du marché libre (voir tableaux ci-dessous) ;

– l’autorisation, pour les organismes HLM, de créer des filiales dédiées à la construction et à la gestion de logements intermédiaires ;

– la possibilité, pour les collectivités, de définir des objectifs de construction de logements intermédiaires dans leur programme local de l’habitat (PLH) ;

– la création d’un « bail réel immobilier », permettant la dissociation du foncier et du bâti, réservé aux logements intermédiaires, afin de faciliter le portage foncier de ces opérations.

Le présent article ratifie cette ordonnance afin de faire entrer pleinement ses dispositions dans le domaine de la loi.

PLAFONDS DE LOYER MENSUEL PAR MÈTRE CARRÉ, CHARGES NON COMPRISES, APPLICABLES AU LOGEMENT INTERMÉDIAIRE

Zone A bis

16,72 €

Zone A

12,42 €

Zone B1

10,00 €

Zone B2

8,69 €

PLAFONDS ANNUELS DE RESSOURCES DES LOCATAIRES APPLICABLES AU LOGEMENT INTERMÉDIAIRE

(en euros)

 

Zone A

Zone B1

Zone B2

Personne seule

36 831

36 831

30 019

Couple

55 045

55 045

40 089

Personne seule ou couple ayant une personne à charge

72 159

66 169

48 210

Personne seule ou couple ayant deux personnes à charge

86 152

79 257

58 200

Source : décret n° 2014-1102 du 30 septembre 2014 relatif aux plafonds de loyer, de prix et de ressources applicables au logement intermédiaire

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La Commission examine l’amendement SPE1509 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement a pour objet de ratifier l’ordonnance du 20 février 2014, qui a créé notamment un statut pour le logement intermédiaire, avec des plafonds de ressources et de loyer fixés par décret, a autorisé les organismes HLM à créer des filiales dédiées à la construction et à la gestion de logements intermédiaires, a ouvert la possibilité de définir, dans les PLH, des objectifs de construction de logements intermédiaires et a également créé un « bail réel immobilier » afin d’alléger un certain nombre de programmes immobiliers de leur volet foncier. Cécile Duflot semble aujourd’hui moins favorable à ces mesures, qu’elle avait pourtant fait adopter en tant que ministre du logement. Pour ma part, je considère que c’est un très bon texte.

M. le ministre. Je ne peux qu’être favorable à la ratification de cette ordonnance importante, qui permet d’avancer sur la question du logement intermédiaire, en particulier dans les zones tendues. Les ordonnances s’imposent parfois dans le travail législatif, mais elles permettent de réaliser de belles choses.

Mme Cécile Duflot. Monsieur le rapporteur thématique, cette ordonnance est bien dimensionnée, si ce n’est parfaite, de mon point de vue. C’est pourquoi il ne me paraissait pas opportun de la modifier, ce que vous avez pourtant fait avant même de la ratifier ! Voilà une démarche d’un caractère quelque peu bucolique ! Néanmoins, vous avez salué la qualité de ce travail, qui n’est d’ailleurs pas que le mien : conformément à notre engagement, nous avions présenté cette ordonnance à la commission des affaires économiques avant sa signature par le Président de la République.

Permettez-moi de relancer brièvement le débat : le logement intermédiaire est très utile dans certaines circonstances, mais il ne doit pas être la porte ouverte à tout. La priorité, aujourd’hui, c’est le logement locatif très social. Il suffit de lire le rapport sur le droit au logement opposable (DALO) pour s’en convaincre. Je me félicite d’ailleurs du rééquilibrage des aides à la pierre opéré depuis trois ans en faveur du financement du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), qui est très utile pour répondre aux véritables besoins.

M. le président François Brottes. La méthode qui consiste à présenter les ordonnances avant qu’elles ne soient signées a aussi été adoptée pour le présent texte. Certaines d’entre elles figurent déjà dans le texte. Celles qui ne sont pas encore prêtes nous seront présentées avant leur signature.

M. le ministre. Je le confirme.

M. le président François Brottes. La voie étant désormais tracée, nous devons nous en tenir à cette ligne de conduite.

M. Jean-Frédéric Poisson. Comme ce texte prévoit de très nombreuses ordonnances et que certaines d’entre elles peuvent être prises dans un délai de dix-huit mois, nous aurons l’occasion de nous revoir souvent, et cela devrait nous occuper jusqu’aux Jeux olympiques de Rio ! Quoi qu’il en soit, le groupe UMP votera cet amendement.

La Commission adopte l’amendement SPE1509.

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Article 24
(art. L. 123-1-11, L. 123-13-2, L. 123-13-3, L. 128-3 et L. 127-2 [nouveau] du code de l’urbanisme)

Majoration des droits à construire pour le logement intermédiaire

Cet article vise à permettre aux communes ou aux EPCI de délimiter dans leur document d’urbanisme des zones à l’intérieur desquelles les programmes de logements comportant des logements intermédiaires peuvent bénéficier d’une majoration du volume constructible.

I. L’ÉTAT DU DROIT

Deux articles du code de l’urbanisme autorisent aujourd’hui les collectivités à délimiter, dans le règlement de leur PLU, des zones à l’intérieur desquelles les règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l’emprise au sol peuvent être dépassées.

L’article L. 123-1-11 du code de l’urbanisme autorise ainsi les collectivités à délimiter, au sein des zones urbaines, des secteurs à l’intérieur desquels les droits à construire peuvent être dépassés de 20 % pour permettre l’agrandissement ou la construction de logements. L’objectif de cette disposition est de favoriser l’optimisation du foncier bâti, en permettant d’ajouter une pièce aux maisons individuelles, voire un étage aux immeubles collectifs ou la construction d’un bâtiment plus dense que ne le permettent les règles du PLU.

Depuis 2009, l’article L. 127-1 du même code prévoit un dépassement spécifique pour le logement social. Celui-ci autorise les collectivités à délimiter des secteurs à l’intérieur desquelles les opérations comportant la construction de logements sociaux bénéficient d’une majoration des droits à construire qui ne peut excéder 50 %. Cette majoration spécifique des droits à construire poursuit un double objectif : favoriser la construction de logements sociaux et améliorer la rentabilité de ces opérations par rapport aux opérations de construction de logements libres.

II. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

L’article 24 du présent projet de loi autorise les communes et les EPCI à délimiter, au sein de leur plan local d’urbanisme (PLU), des secteurs à l’intérieur desquels la réalisation de programmes de logements comportant des logements intermédiaires bénéficie également d’une majoration spécifique du volume constructible qui ne peut excéder 30 %.

Cette majoration des droits à construire pour les logements intermédiaires prend la même forme que celle qui existe pour les logements sociaux.

Comme pour le logement social, l’objectif de cette majoration des droits à construire est de favoriser la construction de logements intermédiaires en permettant aux communes et aux EPCI de décliner de manière opérationnelle la programmation qui aurait été inscrite dans leur PLH et de rééquilibrer l’écart de rentabilité entre les opérations de construction de logements libres et celles de logements intermédiaires dans les zones tendues où le prix du foncier est le plus élevé.

Contrairement à la loi du 20 mars 2012 relative à la majoration des droits à construire, abrogée par la loi du 6 août 2012, qui prévoyait une majoration générale et automatique, la disposition du présent projet de loi est bien soumise à l’approbation des communes qui doivent inscrire elles-mêmes, dans le règlement de leur PLU, une telle majoration. Le taux de la majoration est, par ailleurs, fixé pour chaque secteur et peut donc varier en fonction de la typologie et des besoins de chaque quartier.

Afin que cette modification du règlement du PLU soit la plus rapide et la plus facile possible, le présent article prévoit, par ailleurs, qu’elle puise se faire par le biais de la procédure spécifique de modification simplifiée, comme c’est déjà le cas pour les autres majorations de constructibilité.

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le rapporteur thématique soutient cette nouvelle possibilité offerte aux communes et aux EPCI d’encourager, sur leur territoire, la production de logements intermédiaires dans la mesure où il s’agit d’une démarche volontaire. Le mécanisme de majoration de la constructibilité qui est proposé permettra aux collectivités de développer cette nouvelle offre, là où les besoins pour les ménages aux revenus modestes et moyens sont les plus importants. Par ailleurs, le rapporteur thématique se félicite qu’une hiérarchie soit bien conservée entre le logement social et le logement intermédiaire. L’un bénéficie d’une majoration qui peut aller jusqu’à 50 %, tandis que l’autre ne peut aller au-delà de 30 %.

IV. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

À l’initiative du rapporteur thématique, la commission spéciale a adopté un amendement afin que le programme local de l’habitat (PLH) définisse également, par commune, comme c’est le cas pour la majoration des droits à construire en faveur du logement social, les orientations relatives à l’application du nouveau mécanisme de majoration des droits à construire en faveur du logement intermédiaire.

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La Commission est saisie des amendements identiques SPE239 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE395 de M. Patrick Hetzel.

M. Jean-Marie Tetart. Depuis l’été 2012, le secteur du logement est sans doute celui qui a fait l’objet du volontarisme le plus soutenu de la part du Gouvernement, puisque pas moins de quatre lois ont été adoptées en la matière – loi d’abrogation du 6 août 2012 ; loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social ; loi d’habilitation pour accélérer les projets de construction ; loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) –, ainsi que de nombreuses ordonnances et les décrets correspondants. Mais le résultat n’est pas à la hauteur de cet engagement : si plus de 430 000 logements ont été construits en 2012, moins de 280 000 l’ont été en 2014. En outre, nous constatons une plus grande tension sur le marché du logement, une plus grande difficulté à se loger et, surtout, une décroissance de l’activité et une augmentation dramatique du chômage dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Ce projet de loi pour la croissance et l’activité s’inscrit donc dans un contexte délicat.

La loi du 20 mars 2012, votée à l’initiative du gouvernement Fillon, avait majoré les droits à construire de 30 % pour la construction de bâtiments à usage d’habitation, sauf délibération contraire des collectivités territoriales compétentes. L’objectif était d’augmenter la production de logements, de densifier les zones urbaines déjà bâties et de favoriser la mobilité, tout en respectant le droit des collectivités territoriales à ne pas prendre cette mesure. L’acte fondateur de la politique du logement de votre majorité a été d’abroger immédiatement cette loi, en août 2012, sans même essayer de comprendre si elle contenait des aspects positifs. De manière très symbolique, votre attitude a consisté à détricoter les lois antérieures. Or, pour la deuxième fois, vous proposez de revenir sur l’annulation de certaines de ses dispositions.

Pourquoi donc l’aviez-vous abrogée ? Vous craigniez d’abord que cette densification ne suscite des démarches spéculatives, mais celles-ci sont aujourd’hui très bien encadrées par le renforcement des obligations de la loi SRU : compte tenu de la rareté du foncier disponible, les communes ne peuvent guère se permettre d’encourager des démarches purement spéculatives. Ensuite, vous critiquiez le fait qu’elle était imposée aux communes. Mais n’avez-vous pas tenté de faire la même chose en encadrant les loyers dans la France entière ? Heureusement, ce dispositif a été récemment revu, et les communes sont désormais libres de l’appliquer ou non, à condition d’avoir mis en place un observatoire des loyers.

Vous avez fait machine arrière une première fois en 2014, en proposant, dans la loi ALUR, de majorer la constructibilité jusqu’à 30 %, le taux étant lié à la proportion de logements locatifs sociaux réalisés, avec un plafond. Aujourd’hui, vous rétropédalez pour la deuxième fois, en proposant d’étendre cette constructibilité renforcée à la réalisation de logements intermédiaires.

Je partage les objectifs de densification et de réalisation de logements sociaux. Mais, compte tenu du déficit dans la production de logements de manière générale, pourquoi continuer à lier les majorations de constructibilité à la réalisation de logements sociaux ou intermédiaires ? En ce qui concerne la production de logements sociaux, les mesures de la loi SRU commencent à produire leurs effets, ainsi que nous avons pu le vérifier au cours d’une mission d’information. Cette évolution se fait dans le cadre des incitations et des contraintes qui sont imposées aux communes. La production de logements a trop souffert de la défiance – le rapporteur thématique a évoqué une crise de confiance – qui est née de la loi ALUR, en particulier avec l’encadrement des loyers, ainsi que de l’instabilité fiscale dans le secteur du logement. Aujourd’hui, la situation catastrophique impose de libérer la production de logements quelle qu’en soit la nature, les contraintes de la loi SRU garantissant déjà, selon moi, que les communes ne réalisent pas uniquement des logements en accession libre. Avec cet amendement, que je présente au nom du groupe UMP, je propose d’en revenir aux dispositions de la loi du 20 mars 2012.

S’agissant des opérations mixtes, qui comprennent la réalisation de logements intermédiaires et de logements sociaux, comment combine-t-on les deux taux maximaux de majoration de la constructibilité, qui sont respectivement de 50 % pour le logement social et de 30 % pour le logement intermédiaire ? Donnerez-vous un mode d’emploi en la matière, monsieur le ministre ?

M. Patrick Hetzel. Il faut apporter une réponse adaptée à la situation catastrophique que nous connaissons et que nous avions d’ailleurs dénoncée dans l’hémicycle à l’occasion du débat sur la loi Duflot. La majoration des droits à construire doit être autorisée quel que soit le type de logement. Mon amendement vise, lui aussi, à reprendre les dispositions de la loi du 20 mars 2012. Cela nous semble une mesure de salubrité publique, après la désastreuse loi Duflot.

M. le ministre. On peut reconnaître à ces deux amendements la vertu de la constance dans le temps ! Je souhaite cependant rappeler la logique et la cohérence de notre action, y compris de la mesure que nous venons d’adopter concernant le logement intermédiaire. Ainsi que vous l’avez rappelé, la loi du 20 mars 2012 a été abrogée dès le début de la présente législature, car le Gouvernement a privilégié d’autres dispositifs pour relancer la construction de logements. Nous avons pris de nombreuses mesures depuis 2012 : les ordonnances de la fin de l’année 2013, le volet urbanisme de la loi ALUR, les importantes dispositions contenues dans la loi relative à la simplification de la vie des entreprises. Reprendre aujourd’hui le dispositif qui avait été instauré par l’ancien gouvernement aurait pour conséquence de rendre inopérants ceux qui ont été mis en place progressivement depuis mai 2012. Ce ne serait guère cohérent. En outre, ce serait une erreur, car les dispositions actuelles servent l’objectif de relance de la construction sans porter atteinte à la qualité urbaine ni aux enjeux environnementaux, ce qui n’était pas le cas de la loi du 20 mars 2012 que vous cherchez à rétablir. Ce serait, enfin, une mesure très difficile à comprendre pour les élus locaux, car elle remettrait directement en cause leur capacité à administrer leurs territoires, qui se caractérisent par leur diversité. Pour toutes ces raisons, ainsi que pour celles qui avaient conduit à la décision d’abroger la loi du 20 mars 2012, je donne un avis défavorable à ces deux amendements. Je partage néanmoins l’objectif de construire davantage de logements, qui a été celui d’un grand nombre des dispositions que j’ai citées.

Par ailleurs, il y a une grande différence entre une majoration de constructibilité de 30 % appliquée aux logements en accession libre et une même majoration appliquée aux logements intermédiaires. Si vous accordez un tel bonus de 30 % pour la réalisation de logements en accession libre, cela tend à faire augmenter fortement les prix. En revanche, si vous le faites pour les logements intermédiaires, dont les loyers sont plafonnés, cela accroît la rentabilité des opérations portant sur ce type de logements par rapport à celles qui portent sur les logements en accession libre. C’est donc un rééquilibrage qui rend les projets de construction de logements intermédiaires plus attractifs. Or faire venir les investisseurs institutionnels sur ces projets constitue un enjeu, particulièrement dans les zones tendues. Nous assumons donc le fait que la majoration de 30 % soit réservée aux logements intermédiaires et ne s’applique pas aux logements en accession libre.

Pour ce qui est des programmes mixtes, je vous rassure, monsieur Jean-Marie Tetart : on sait parfaitement séparer les mètres carrés qui sont affectés aux logements intermédiaires et ceux qui le sont aux logements sociaux. Il n’y aura donc pas de difficulté pour gérer la double contrainte.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Selon moi, il faut laisser très largement cette question aux élus locaux. Ils ont aujourd’hui en main l’ensemble des documents d’urbanisme et veulent gérer le design de leur ville. J’ai vécu dans une ville où les seuils de constructibilité ont été dépassés sous la pression de certaines sensibilités et d’une partie de la population qui, ensuite, l’a elle-même très mal vécu. Ceux qui demandent à ce que l’on évite l’étalement urbain et qui prônent la densification sont les premiers à s’y opposer sur le terrain, ce qui rend les choses très difficiles pour les maires. Dès lors, épargnons-leur une mesure nationale de déréglementation totale ! Nous avons mis en place les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUI) et un certain nombre de documents obligatoires. En matière de majoration des droits à construire, nous avons fixé des plafonds différents pour le logement social et pour le logement intermédiaire. Ayons l’humilité de considérer que les élus locaux feront le reste : la régulation locale sera mieux adaptée aux spécificités du terrain. Je suis défavorable à une mesure de libéralisation complète, qui laisserait les promoteurs densifier de manière totalement anarchique.

La Commission rejette les amendements SPE239 et SPE395.

L’amendement SPE1433 de Mme Michèle Bonneton est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel SPE1512 des rapporteurs.

Puis elle examine l’amendement SPE1245 de M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Avec cet amendement, je propose de réserver la possibilité de majorer les droits à construire pour les logements intermédiaires aux communes qui respectent, au préalable, les objectifs en matière de construction de logements sociaux fixés par la loi SRU, lesquels sont passés de 20 à 25 % dans certaines zones. Si nous n’encadrons pas la disposition introduite par l’article 24, elle risque d’être détournée de son objet.

M. le ministre. L’objectif est louable. Cependant, il n’y a pas de volonté de cannibaliser le logement social par le logement intermédiaire, pas plus qu’il n’y en avait tout à l’heure de cannibaliser le train par l’autocar. Avec les conditions que nous avons posées, tout a été fait, au contraire, pour que l’un vienne compléter l’autre. J’assume pleinement cette mesure. En réservant la possibilité de majorer la constructibilité pour les logements intermédiaires aux seules communes qui ont atteint les objectifs en matière de construction de logements sociaux fixés par la loi SRU, nous exclurions du dispositif Paris et environ mille autres communes, qui sont précisément celles qui se trouvent en zone tendue.

Mme Sandrine Mazetier. Paris respecte ses objectifs au titre de la loi SRU.

M. le ministre. C’est exact : elle respecte le rythme de construction de logements sociaux, mais elle n’atteint pas encore le taux qui figure dans l’amendement de M. Laurent.

Notre politique est cohérente : nous mettons en place un dispositif qui vise à développer le logement intermédiaire dans les zones tendues, où le passage du logement social au logement en accession libre est un saut impossible pour la plupart des ménages. Cela conduit à maintenir nombre de ces ménages dans des logements sociaux alors même qu’ils ont dépassé le plafond de ressources.

En revanche, il est légitime d’empêcher le développement du logement intermédiaire dans les communes carencées, ainsi que le prévoit l’ordonnance du 20 février 2014 que vous venez de ratifier. Il ne faut pas confondre la notion de déficit et celle de carence : l’une s’applique aux communes telles que Paris, qui n’atteignent pas le seuil de 20 ou 25 % de logements sociaux mais qui prennent toutes les mesures nécessaires pour rattraper leur retard ; l’autre caractérise les communes déficitaires qui réalisent des efforts insuffisants. Nous avons bien distingué les deux catégories. En outre, nous avons pris les dispositions nécessaires pour que le développement du logement intermédiaire garantisse, en parallèle, celui du logement social. À cet égard, je renvoie à l’argumentaire développé par Mme Audrey Linkenheld cet après-midi. Si nous adoptions votre amendement, monsieur Jean-Luc Laurent, nous exclurions du dispositif un grand nombre de territoires où le développement du logement intermédiaire est utile. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cécile Duflot a rouvert le débat tout à l’heure. Je suis favorable aux logements intermédiaires et à ce que les entreprises sociales pour l’habitat (ESH) construisent de tels logements, notamment pour éviter que leur image ne se résume à celle du « ghetto social ». Cependant, veillons à ce qu’elles ne soient pas tentées de ne faire que cela et mettons en place, à cette fin, des dispositifs prudentiels équilibrés. Il en existe déjà : les aides à la pierre seront réservées au logement social, et nous avons prévu un cloisonnement entre les filiales et les maisons-mères.

Nous ne pouvons pas adopter l’amendement sous peine d’exclure du dispositif des communes qui s’efforcent d’atteindre l’objectif de 25 % de logements sociaux fixé par la loi SRU. D’autant que, du fait du relèvement de cet objectif de 20 à 25 %, nombre de celles qui faisaient des efforts depuis des années se retrouvent aujourd’hui à la traîne. Je vous invite à retirer votre amendement, monsieur Jean-Luc Laurent, mais nous devons répondre à votre interpellation.

Mme Audrey Linkenheld. Nous avons déjà mis en place un certain nombre de garde-fous : non seulement toute opération de construction de logements intermédiaires doit comprendre au minimum 25 % de logements sociaux, mais il n’est pas possible de construire des logements intermédiaires dans les communes carencées au titre de la loi SRU, c’est-à-dire chez les « mauvais élèves » qui ne respectent ni l’objectif ni le rythme de construction de logements sociaux – ce qui n’est pas le cas de Paris.

Par ailleurs, l’équilibre entre les différents types de logements produits sur un territoire est régi par le PLH. En même temps que nous avons réformé la loi SRU, nous avons introduit, là aussi, des garde-fous pour encadrer la construction de logements sociaux dans les communes carencées, afin qu’elles réalisent un minimum de logements très sociaux et pas seulement des logements en prêt locatif social (PLS). Nous venons de décider, en adoptant un amendement précédent, que les collectivités déjà délégataires des aides à la pierre pourraient attribuer aussi les aides en faveur du logement intermédiaire.

Au vu des interventions des uns et des autres, je suggère que nous prenions le temps, d’ici à la séance publique, de voir si nous ne pourrions pas introduire des dispositions supplémentaires relatives au logement intermédiaire dans le cadre des PLH. Elles ne concerneraient pas les communes carencées, pour lesquelles nous avons déjà prévu des règles. Il s’agirait d’aider le préfet à vérifier qu’une commune ne donne pas trop la priorité au logement intermédiaire alors qu’elle ne respecte pas suffisamment son rythme de construction de logements sociaux. Cela me paraît la seule piste pertinente, les autres ayant déjà été explorées. J’invite nos collègues écologistes à mener ce travail avec nous s’ils le souhaitent.

Mme Cécile Duflot. Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, à propos de la majoration de constructibilité pour le logement intermédiaire. En revanche, votre parallèle avec le train et l’autocar n’est pas pertinent, car les autocars ne roulent pas sur des rails et les trains ne roulent pas sur des routes, alors que les logements intermédiaires et les logements sociaux se construisent les uns et les autres sur des terrains. Et on ne peut pas réaliser simultanément des logements intermédiaires et des logements sociaux sur un même terrain. Si l’on ne privilégie pas l’usage des terrains existants pour la construction de logements sociaux, on aboutit à un blocage. D’où les dispositions de la loi ALUR, qui permettent au préfet de se substituer au maire pour délivrer les permis de construire dans les communes qui s’obstinent à ne pas réaliser de logements sociaux alors qu’elles disposent de terrains à cet effet.

Par ailleurs, comme les logements intermédiaires ne sont pas pris en compte au titre des objectifs fixés par la loi SRU réformée, les communes qui construiront des logements intermédiaires verront leur ratio de logements sociaux se dégrader. Cela pose donc un problème important. À quelques exceptions près, les communes carencées et celles qui n’atteignent pas leur pourcentage de logements sociaux sont généralement les plus rétives à cet égard. Elles verront donc d’un bon œil la possibilité d’utiliser leurs terrains disponibles pour construire des logements intermédiaires plutôt que des logements sociaux, en espérant qu’ils seront pris en compte, ultérieurement, au titre des objectifs fixés par la loi SRU. Il y a donc un énorme « loup » dans ce dispositif. S’il n’est pas encadré par un amendement tel que celui de Jean-Luc Laurent, son effet sera totalement contre-productif : en rendant la construction de logements intermédiaires plus tentante pour les communes, la possibilité de majorer les droits à construire va freiner l’atteinte des objectifs fixés par la loi SRU.

M. Olivier Carré. Dans ma commune, je m’efforce de contribuer à la politique d’un maire « bâtisseur ». Je réunis régulièrement tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse des promoteurs privés ou des bailleurs sociaux. Compte tenu des difficultés auxquelles ils sont confrontés, ils viennent régulièrement « m’engueuler » – c’est le terme –, particulièrement depuis trois ans, même si le problème est antérieur à 2012 et à la loi Duflot.

Or nous multiplions les dispositifs et nous nous méfions de ceux dont nous avons pourtant déjà débattu. Je reconnais néanmoins que, si votre majorité n’a guère fait preuve de volontarisme en matière de développement du logement intermédiaire dans un premier temps, elle l’encourage désormais, tempérant ainsi ses attendus habituels en matière de politique du logement. Quoi qu’il en soit, les normes s’accumulent, et il est particulièrement difficile de les simplifier ensuite. Dans le même temps, les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) montrent que le recul de la construction de logements explique les deux tiers ou les trois quarts de notre déficit de croissance. Et cela relève de notre responsabilité de législateur ! Inutile d’aller chercher auprès du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ou d’autres experts les raisons des difficultés du secteur, notamment de l’augmentation des coûts et du blocage des projets !

Aujourd’hui, un plan de construction de logements s’étale sur cinq à six ans, contre quatre ans auparavant, durée que nous considérions déjà comme insupportable par rapport aux délais de deux ans à deux ans et demi qui ont cours dans la plupart des autres pays européens, notamment en Allemagne. En d’autres termes, à cause de cette inflation normative, nous diminuons d’un tiers notre capacité à construire sur une période donnée, alors que la population continue à augmenter. Il est certes possible d’améliorer telle ou telle règle, mais la sagesse devrait vous inciter à ne pas aller trop loin et, surtout, à ne pas revenir sur les débats que vous avez déjà eus !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Madame Cécile Duflot, le dogmatisme a des limites ! Vous êtes favorables à la biodiversité, mais guère à la diversité des logements ! Or, pour parvenir à un équilibre territorial ou à une certaine harmonie en zone urbaine constructible, il faut construire partout un peu de chaque type de logement, sinon vous créez des ghettos. Plus vous imposerez de contraintes, moins il y aura d’investisseurs. L’excès de normes aboutit à un déficit de logements, de la même manière que la surprotection de l’emploi aboutit à cinq millions de chômeurs !

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Mais la liberté totale de construire, c’est aussi ce qui a provoqué la crise de 2008, qui a ébranlé le monde !

M. Jean-Marie Tetart. Nous avons rappelé de manière exhaustive les mesures successives qui ont été prises afin d’amener les communes déficitaires en matière de logements sociaux à remplir leurs obligations. J’ai l’impression que l’on se méfie en permanence de la gouvernance locale et que, à cause de quelques situations anormales en matière de logement social, nous sommes en train de complexifier la législation, en ajoutant des normes, des indicateurs et des mécanismes d’alerte. C’est une maladie très française : à cause de 5 % de personnes qui ne respectent pas les règles de stationnement et se garent sur les trottoirs, nous encombrons nos textes de règles nouvelles, et nos trottoirs de quilles, de potelets et de barrières, au lieu de réprimer ceux qui n’adoptent pas le bon comportement. Afin d’éviter les effets d’aubaine en matière de logement intermédiaire, je préférerais que nous envisagions de sextupler – et non seulement de quintupler – le prélèvement sur les communes carencées plutôt que d’alourdir la réglementation.

M. le ministre. Madame Cécile Duflot, comparaison n’est pas raison, en effet. Mais il n’est pas vrai que les deux termes d’une alternative doivent systématiquement se compenser. Nous avons manqué l’intermodalité il y a quelques années : il aurait fallu développer à la fois l’autocar et le train, sans penser que l’un allait cannibaliser l’autre. Il en va de même aujourd’hui pour le logement intermédiaire et le logement social. J’ai bien entendu votre argument concernant les terrains disponibles, et vous avez raison sur ce point. Mais si ce n’était qu’une question de terrains disponibles, nous n’en serions pas là ! Il y a aussi un problème de rentabilité des projets et une difficulté à mobiliser les acteurs. En développant le logement intermédiaire, notre but est de faire venir des investisseurs sur des projets portant sur d’autres catégories de logements que les logements en accession libre, en zone tendue, dans des conditions strictement définies par la loi. Grâce aux dispositions que vous avez vous-même fait adopter, il existe des garde-fous : la loi SRU impose la construction de 30 % de logements sociaux dans les communes carencées, et toute opération de construction de logements intermédiaires doit comprendre au minimum 25 % de logements sociaux. Mais si nous empilons protection sur protection et contrainte sur contrainte, le résultat, c’est qu’on ne construira plus.

M. Alain Tourret. C’est déjà le cas !

M. le ministre. Cela le sera encore davantage. Je ne peux donc pas partager votre philosophie, madame Cécile Duflot. Néanmoins, je suis sensible à la question de fond soulevée par l’amendement de M. Jean-Luc Laurent et, pour répondre à Mme Audrey Linkenheld, je suis tout à fait prêt à réfléchir, avec la ministre du logement, à une amélioration des conditions fixées dans les PLH afin de prévenir certains risques. Je m’engage à travailler sur cette question dans les jours qui viennent avec tous ceux d’entre vous qui le souhaitent. Je vous invite à retirer votre amendement, monsieur Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Je retire mon amendement au bénéfice de la discussion que nous devons avoir d’ici à la séance publique. Je m’intéresse aux questions de logement depuis plusieurs années et je devine bien les effets d’aubaine ou d’éviction qui risquent de se produire, tant du fait d’élus que d’autres acteurs. Sans tout organiser ni édicter de règles trop rigides, il est nécessaire de définir non seulement les droits, mais aussi les devoirs de chacun. De mon point de vue de républicain, la loi doit réguler.

Par ailleurs, je ne crois pas que le développement du logement intermédiaire soit le levier qui permette le retour des investisseurs institutionnels dans les politiques du logement. J’avais déjà émis des doutes à cet égard lorsque Cécile Duflot était ministre. Je crois bien davantage à une action volontariste de la part de l’État auprès des investisseurs institutionnels pour qu’ils construisent des logements intermédiaires, ainsi qu’ils le faisaient il y a quelques années. La puissance publique doit assigner des objectifs en matière de logement intermédiaire. Elle le faisait hier ; il n’y a pas de raison qu’elle ne puisse pas le faire aujourd’hui sous une forme modernisée.

M. le ministre. Je tiens à vous rassurer : la puissance publique reste investie sur le dossier du logement intermédiaire. Au-delà des dispositions qui sont prises pour faire revenir les investisseurs institutionnels, l’État agit : avec la CDC et sa filiale Société nationale immobilière (SNI), la décision a été prise de recapitaliser une filiale commune ; grâce à des cessions d’actifs, 1 milliard d’euros seront réinvestis dans la construction de logements intermédiaires. C’est là l’illustration de la politique de l’État actionnaire que nous entendons mener – j’anticipe en cela le débat que nous aurons sur le titre II du projet de loi.

M. Jean-Luc Laurent. Qu’il y ait une intervention de l’État, ainsi qu’une action de la CDC et de son bras armé, la SNI, fort bien ! Je préférerais toutefois que l’État investisse davantage dans l’aide à la pierre au profit de la construction de logements sociaux, au lieu de se retirer comme il le fait depuis plusieurs années déjà.

Être élu local a parfois du bon. C’est ainsi que je retire de mon expérience avec la SNI, qui gère plus de 10 % du parc de logements locatifs dans ma commune, que celle-ci n’est un modèle ni pour le logement intermédiaire ni pour le logement social, tant du point de vue de la gestion patrimoniale que de celui du rapport avec les locataires, en particulier avec les agents du ministère de la défense, ce sujet devenant de plus en plus sensible. Je suis prêt à m’entretenir de ces questions avec vous, monsieur le ministre.

L’amendement SPE1245 est retiré.

La Commission en vient à l’amendement SPE733 de M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. Avec cet amendement, nous souhaitions éviter qu’il y ait une échappatoire en matière de logement social. Cependant, pour ma part, j’ai été convaincu par les arguments qui viennent d’être échangés : les règles qui ont été posées garantissent que le logement intermédiaire et le logement social seront développés de concert.

L’amendement SPE733 est retiré.

La Commission examine l’amendement de coordination SPE1513 des rapporteurs.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Cet amendement vise à ce que les orientations en matière de majoration des droits à construire pour le logement intermédiaire soient définies dans le PLH. Ainsi, les équilibres entre les différents types de logement dans chaque commune seront déterminés dans le PLH, avec l’accord des maires. Cet amendement mériterait d’être complété, le cas échéant, par la disposition, évoquée par Audrey Linkenheld, tendant à éviter que les communes ne construisent que des logements intermédiaires.

M. le président François Brottes. Il y a donc désormais un point d’accroche à cette fin dans le texte.

La Commission adopte l’amendement SPE1513.

Puis elle adopte l’article 24 ainsi modifié.

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Après l’article 24

La Commission est saisie de l’amendement SPE1480 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. La France est l’un des pays où le niveau de dépense pour les assurances en matière d’équipements publics, voire de logements, est le plus élevé : il peut aller jusqu’à 15 % du coût total d’une opération, ce qui est considérable. Après de larges consultations, je suis arrivé à la conclusion qu’aucun des acteurs concernés ne souhaitait modifier ce système dans lequel tout le monde s’assure, se sur-assure et se déresponsabilise – d’autant que les maîtres d’ouvrage paient et que les primes d’assurance représentent une cagnotte significative pour ceux qui les touchent. Ces assurances alourdissent le coût de la construction, posant ainsi un problème non seulement aux investisseurs, mais aussi aux ménages en matière d’accès aux logements locatifs, tandis que se développent des métiers consistant à contrôler ce que font les uns et les autres. Sachant, par ailleurs, que nous avons perdu des compétences dans les métiers de la construction, et que ceux qui croient être bien assurés ne le sont pas toujours, les contentieux se multiplient, et les décisions se font parfois attendre longtemps.

Monsieur le ministre, il me paraît indispensable d’ouvrir un chantier sur la question du poids des assurances dans le coût de la construction, qui n’est pas aussi élevé dans les autres pays. Pour ma part, malgré toutes mes recherches, je n’ai pas trouvé le moyen de faire baisser significativement leur prix. Néanmoins, je propose, avec mon amendement, que le maître d’ouvrage puisse demander communication du contrat d’assurance qui couvre le constructeur ou le maître d’œuvre pour la responsabilité décennale. Actuellement, ce dernier doit être en mesure de produire un justificatif attestant qu’il a bien souscrit un tel contrat, mais le maître d’ouvrage ne peut pas savoir exactement ce que couvre celui-ci.

M. le ministre. Actuellement, les assujettis au régime de la responsabilité civile décennale ont l’obligation de justifier qu’ils ont souscrit un contrat d’assurance à l’ouverture d’un chantier. Nous devons donc porter nos efforts sur ces justificatifs, qui prennent la forme d’attestations d’assurance. Lorsqu’il était ministre délégué à l’économie sociale et solidaire et à la consommation, M. Benoît Hamon avait lancé un travail pour rendre ces justificatifs plus lisibles et en harmoniser le contenu. En application de l’article 66 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, qui a complété l’article L. 243-2 du code des assurances, un arrêté doit fixer les mentions minimales devant figurer dans lesdites attestations d’assurance. Cet arrêté sera pris très prochainement. Il est actuellement en cours d’examen par le Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières (CCLRF).

Pour votre part, vous proposez que l’assureur communique la totalité du contrat. Je crains que cela ne crée une contrainte supplémentaire, sans pour autant permettre aux maîtres d’ouvrage d’appréhender toutes les informations contenues dans ce document, généralement long. Il me semble préférable de privilégier la qualité et la lisibilité des informations transmises, dans une approche de protection du consommateur. Ainsi, le maître d’ouvrage disposera d’une sorte de résumé lisible du contrat, qui en retrace les éléments essentiels. Nous vous transmettrons dès demain le texte de l’arrêté. S’il ne répond pas à votre préoccupation, je suis prêt à aborder à nouveau le sujet avec vous et à envisager un éventuel amendement en séance publique. Pour l’heure, je vous invite à retirer votre amendement.

M. le président François Brottes. Aux termes de mon amendement, la communication du contrat d’assurance ne serait pas systématique : elle se ferait à la demande du maître d’ouvrage – si celui-ci formule une telle demande, c’est bien qu’il s’intéresse au sujet. Par ailleurs, je me méfie des « mentions minimales », car elles ne reprennent pas nécessairement les points susceptibles de poser problème. Si nous sommes associés à la rédaction de l’arrêté, nous veillerons à ce que ces mentions ne soient pas trop « minimales ». En tout cas, il ne faudrait pas que l’arrêté empêche les maîtres d’ouvrage de demander des informations supplémentaires. Parfois, ceux-ci se rendent compte qu’ils se sont fait berner par une attestation, qui se révèle inutile en cas de problème.

Enfin, je le répète, nous devrions ouvrir ensemble un chantier sur la question du poids des assurances dans le coût de la construction.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Qui peut le plus peut le moins. Cependant, bien souvent, lorsque l’on rend obligatoire la communication de règlements ou de contrats, les intéressés ne les lisent pas, car ces documents sont longs et rébarbatifs. Néanmoins, il existe sans doute des cas particuliers dans lesquels il est nécessaire d’éplucher de tels contrats d’assurance.

Avis plutôt favorable sur cette mesure, même si je ne suis pas convaincu de son utilité et crains son éventuel caractère vexatoire.

M. Olivier Carré. Monsieur le président, je vous félicite pour votre initiative. La multitude de normes qui pèse sur la construction a conduit chaque corps de métier intervenant dans la création d’un ouvrage à se doter de son propre système assurantiel, ce qui est source de complexité au moment du dénouement. Aux termes des dispositions relatives à la garantie décennale, l’assureur du maître d’œuvre ou de la personne incriminée se reporte sur l’assureur de ceux qui ont réalisé l’ouvrage, corps de métier par corps de métier. La procédure s’achève classiquement par un renvoi. La résolution de ce type de contentieux nécessite environ deux ans, chacun se renvoyant la balle, ce qui conduit à un surenchérissement à hauteur, à chaque fois, de 1 ou 2 %. Il s’agit certes de sommes infinitésimales pour chaque corps de métier mais, à la fin de l’ouvrage, leur cumul représente un coût global important. Or c’est souvent de l’argent public qui est en jeu, donc gaspillé : on paie la complexité qui empêche d’avoir une bonne garantie.

Il me paraît plus simple, quand bien même un tel document est complexe et rébarbatif, de réaliser une photocopie de la totalité du contrat d’assurance sur demande, que de produire un résumé qui restera toujours sujet à interprétations. Si elle ne résout pas tout, la proposition du président François Brottes a au moins le mérite de mettre quelque chose entre les mains des maîtres d’ouvrage face aux maîtres d’œuvre dans des contentieux très difficiles et très longs à dénouer. Il faut savoir que le surcoût est de l’ordre de 7 à 8 %, ce qui est loin d’être négligeable. Cela représente une croissance à deux chiffres par rapport à la situation d’il y a une douzaine d’années. Je suis favorable, pour ma part, à cet amendement.

M. le président François Brottes. Le nombre de malfaçons et de contentieux non résolus a doublé ou triplé en dix ans, et l’incurie des assurances, qui se déchargent de leurs responsabilités les unes sur les autres, représente des millions d’euros. Je retire mon amendement, mais si je trouve l’arrêté plus dangereux que ce que je propose, je le présenterai de nouveau en séance publique, fort, au moins, du soutien d’Olivier Carré.

M. le ministre. En plus du soutien de M. Olivier Carré, vous bénéficierez de l’avis favorable du Gouvernement, je m’y engage. L’arrêté en question vous sera communiqué demain matin. Je n’en ai pas moins noté votre souci plus large concernant le coût des assurances, et nous allons y travailler.

L’amendement SPE1480 est retiré.

La Commission examine l’amendement SPE1507 du président François Brottes.

M. le président François Brottes. Les collectivités désireuses de signer un contrat de performance énergétique n’ont pas toujours les moyens d’engager les investissements nécessaires. Lesdits contrats devraient prévoir des modalités permettant, à ces collectivités, de passer commande et, à l’opérateur, de prendre sa rémunération sur les économies d’énergie constatées par rapport au contrat initial.

Je souhaite que l’on amorce plus que ce n’est déjà le cas les engagements d’investissements en matière de transition énergétique, pour le parc immobilier public, sans forcément effectuer le paiement immédiatement. Cela demande de modifier le code des marchés publics, ce que ne nous permet pas l’article 40 de la Constitution. Au fond, je me moque bien du rapport prévu par l’amendement, que je vais retirer : je souhaite seulement que vos services nous indiquent dans quelle mesure c’est possible ou pas.

M. le ministre. Je vous propose mieux : dans le cadre de la réforme des marchés publics, une ordonnance est en préparation, qui permettrait de prendre en compte votre proposition. Je vous invite donc à étudier la question avec mes services.

M. le président François Brottes. Je prends acte de votre proposition. Il s’agit bien de prévoir une clause de paiement différé aux entreprises qui l’acceptent. Il ne s’agit pas d’imposer un dispositif, mais de faire en sorte qu’il s’applique à la suite d’un accord entre les deux parties sur la rémunération des économies d’énergie.

Mme Audrey Linkenheld. N’est-ce pas prévu par les contrats de performance écologique ?

M. le président François Brottes. Pas la clause de paiement différé : il faut tout de même payer pour que les travaux soient engagés. L’idée, ici, est que la collectivité n’ait pas besoin d’engager des dépenses lorsqu’elle lance un investissement dans le cadre de la transition énergétique.

L’amendement SPE1507 est retiré.

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Article 25
(art. 3-2, 8-1, 11-2, 15, 24, 25-3 et 25-8 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989)

Clarification des règles relatives aux rapports entre bailleurs et locataires

I. L’ÉTAT DU DROIT : DES RAPPORTS LOCATIFS PROFONDÉMENT RÉNOVÉS PAR LA LOI ALUR

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a opéré la première grande refonte depuis quinze ans de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.

L’objectif de cette réforme était, outre de mettre en place un encadrement durable des loyers dans les zones tendues, de moderniser ces dispositions législatives afin de sécuriser juridiquement les rapports contractuels entre bailleurs et locataires, et de lutter contre les nouvelles pratiques abusives qui se sont développées depuis quinze ans.

A.  LE CONGÉ POUR VENTE

Parmi ces pratiques abusives figurent des opérations immobilières purement spéculatives visant à racheter des logements occupés et à les revendre immédiatement en donnant congé au locataire afin de réaliser une plus-value financière. Avant la loi ALUR, et en dehors des cas de vente à la découpe, un congé pour vente pouvait être donné six mois seulement après l’acquisition d’un bien occupé, si le bail en cours prenait fin. L’article 15 de la loi de 1989, modifié par la loi ALUR, a donc prévu une disposition plus protectrice : « en cas d’acquisition d’un bien occupé, tout congé pour vente n’est autorisé qu’à compter du terme du premier renouvellement du bail en cours ».

B.  LA VENTE À LA DÉCOUPE

Le cas des ventes à la découpe, où un investisseur rachète un immeuble occupé pour le revendre ensuite par lots, lui permettant de réaliser une plus-value financière très importante, a été, lui, plus encadré dès la loi du 13 juin 2006 relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d’un immeuble, dite « loi Aurillac ». Dans le cadre d’une vente par lots de plus de dix logements au sein d’un même immeuble, la reconduction du bail est en effet de droit si le congé pour vente intervient moins de deux ans avant le terme du bail (article 11-1 de la loi de 1989). Afin de protéger un plus grand nombre de locataires et de faire face au développement de cette pratique, la loi ALUR a élargi l’application de cette disposition aux ventes par lots de plus de cinq logements au sein d’un même immeuble. Parallèlement, un amendement a été adopté au Sénat prolongeant de droit, dans les zones tendues, tous les baux en cours de trois ans en cas de mise en copropriété d’un immeuble de plus de cinq logements (article 11-2 de la loi de 1989).

II. LE PROBLÈME DU CUMUL DES DÉLAIS

Or, ces deux dispositions et leur articulation posent problème, en particulier pour les bailleurs personnes morales (bailleurs institutionnels). Ces derniers doivent en effet proposer des contrats de location d’une durée minimale de six ans, et non trois ans.

Dans le cas des ventes à la découpe, la disposition prorogeant d’office de trois ans tous les baux en cours dans les zones tendues (article 11-2) et celle interdisant tout congé pour vente avant le terme du premier renouvellement du bail en cours (article 15) semblent se cumuler. Leur superposition est donc source de complexité et de délais anormalement longs. Pour les bailleurs personnes morales, elle peut en effet aboutir à l’interdiction de tout congé pour vente avant un délai de quinze ans (six ans du bail en cours, prorogation de trois ans et six ans du bail renouvelé).

De la même manière, le régime général de l’article 15 fait que le délai nécessaire avant de pouvoir donner un congé pour vente, à la suite d’une acquisition d’un bien occupé, peut atteindre douze ans (six ans du bail en cours et six ans du bail renouvelé). Cette durée semble excessive et de nature à dissuader tout acteur institutionnel de réaliser un investissement immobilier.

III. LE RÉGIME DE LA COLOCATION

La loi ALUR, en créant un nouvel article 8-1 dans la loi de 1989, a institué un régime spécifique pour la colocation afin de sécuriser et d’encadrer cette pratique en pleine expansion, qui relevait jusqu’alors majoritairement du régime de droit commun des contrats de location.

Aux termes de ce nouvel article, la colocation est définie comme la location d’un même logement par plusieurs locataires, constituant leur résidence principale et formalisée par la conclusion d’un contrat unique ou de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur. Il précise, afin de limiter l’engagement excessif des colocataires sortants et de leur caution, sans pour autant léser le bailleur, que la solidarité des colocataires et celle de leur caution prennent fin à la date d’effet du congé délivré et lorsqu’un nouveau colocataire figure au bail. À défaut, elles s’éteignent au plus tard six mois après la date d’effet du congé. Or, la loi ALUR n’a pas précisé que les couples mariés ou pacsés, dont la solidarité est totale et relève d’un autre régime juridique, étaient exclus de ce dispositif.

IV. LES DISPOSITIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION SPÉCIALE

Un amendement du Gouvernement adopté par la commission spéciale a permis d’inclure directement dans le texte du projet de loi les modifications de la loi de 1989 sans passer par une ordonnance.

A.  LA CRÉATION D’UN RÉGIME UNIQUE DU CONGÉ POUR VENTE PLUS ÉQUILIBRÉ POUR LES INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS

Afin de ne pas décourager les investissements immobiliers des acteurs institutionnels, un régime unique de protection du locataire en cas de congé pour vente a été institué par l’amendement du Gouvernement, que le bail soit de trois ans (bailleur particulier) ou de six ans (bailleur institutionnel). Le principe est le suivant :

– si le terme du bail en cours intervient moins de trois ans après la date d’acquisition du bien occupé, tout congé pour vente n’est autorisé qu’à compter du terme du premier renouvellement du bail en cours ;

– si le terme du bail en cours intervient plus de trois ans après la date d’acquisition du bien occupé, tout congé pour vente est autorisé à compter du terme du bail en cours.

Pour les locataires qui bénéficient d’un contrat de location de trois ans, et qui sont majoritaires en France, la protection est donc équivalente à celle offerte par la loi ALUR. Un congé pour vente ne pourra en effet pas être donné avant une durée allant de trois à six ans. En revanche, pour les locataires bénéficiant d’un contrat de location de six ans, le délai maximum pour donner un congé pour vente est ramené de douze à neuf ans après l’acquisition du bien occupé.

B.  UNE NOUVELLE RÉDACTION DE L’ARTICLE 11-2 LIMITANT L’EFFET DE CUMUL

Alors que l’amendement initial du Gouvernement prévoyait la suppression pure et simple de l’article 11-2 sur la vente à la découpe dans les zones tendues, afin de ne conserver que les dispositions de la loi Aurillac et éviter tout cumul avec l’article 15, la commission, à l’initiative de Mme Sandrine Mazetier, et avec le soutien du rapporteur thématique, a préféré conserver un article spécifique à la vente à la découpe qui limite les cas de cumul.

Les ventes à la découpe et les congés pour vente ne sont, en effet, pas systématiquement liés.

Les alinéas 9 à 12 de l’article 25 prévoient donc désormais qu’en cas de vente à la découpe, les baux en cours, dont le terme intervient moins de trois ans après la date de mise en copropriété, sont prorogés de plein droit d’une durée de trois ans, comme le prévoyait la loi ALUR. En revanche, pour les baux de six ans des bailleurs institutionnels, la prolongation n’est plus automatiquement de trois ans, mais « d’une durée permettant au locataire d’occuper le logement pour une durée de six ans à compter de la mise en copropriété ». Si le terme du bail en cours intervient dans cinq ans, la prorogation ne sera, par exemple, que d’un an, contre trois auparavant.

L’articulation entre cette nouvelle rédaction de l’article 11-2 et celle de l’article 15 limite fortement le cumul des délais, qui ne pourront aller au-delà de neuf ans, contre quinze auparavant.

C.  L’EXCLUSION DES COUPLES MARIÉS OU PACSÉS DU RÉGIME DE LA COLOCATION

Les alinéas 4 à 8 de l’article 25, issues de l’amendement du Gouvernement, excluent désormais explicitement les couples liés par un mariage ou un pacte civil de solidarité (PACS) du régime de la colocation. Les règles de solidarité entre personnes mariées seront donc bien les règles légales du mariage et non les règles contractuelles prévues par le régime de la colocation.

V. LA POSITION DU RAPPORTEUR THÉMATIQUE

Le rapporteur thématique soutient ces différentes clarifications de la loi ALUR. Les délais maximums de douze ou quinze ans avant un congé pour vente, spécifiques aux bailleurs institutionnels, semblaient en effet excessifs. Ils brisaient l’équilibre recherché par la loi de 1989 et la loi ALUR entre amélioration de la protection du locataire et maintien des droits du propriétaire.

Le texte de la commission est plus équilibré. Il réduit les délais maximums applicables aux bailleurs personnes morales, afin de continuer à inciter les investisseurs institutionnels à revenir sur le marché locatif résidentiel, tout en continuant à protéger le locataire contre les pratiques les plus abusives.

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* *

La Commission est saisie des amendements identiques SPE240 de M. Jean-Frédéric Poisson et SPE1432 de Mme Michèle Bonneton.

M. Jean-Marie Tetart. L’article 25 prévoit d’habiliter le Gouvernement à modifier par ordonnance la rédaction des dispositions de la loi ALUR concernant les rapports entre bailleurs et locataires. Nous rejetons une telle procédure, lui préférant un débat parlementaire classique. L’amendement SPE1624 du Gouvernement, que nous sommes sur le point d’examiner, semble nous apporter en grande partie satisfaction sur ce point. Par contre, il n’aborde pas les incohérences des dispositions relatives au logement intermédiaire, en particulier de sa définition, dont on ne sait si elle doit être entendue du point de vue géographique ou de l’éligibilité au financement. La proposition de rédaction nouvelle de l’article 25 est-elle donc complète ?

Mme Michèle Bonneton. Je retire mon amendement puisqu’il vise à supprimer l’article 25 dont le Gouvernement va nous proposer une nouvelle rédaction.

M. le ministre. Nous avons déjà répondu concernant l’alinéa 2 de l’article, et l’amendement du Gouvernement que nous allons examiner règle la question de l’alinéa 3. Je propose donc à M. Jean-Marie Tetart de retirer son amendement, faute de quoi le Gouvernement émettra un avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Avis défavorable.

Les amendements SPE240 et SPE1432 sont retirés.

La Commission examine l’amendement SPE1624 du Gouvernement, faisant l’objet du sous-amendement SPE1928 de M. Denis Baupin ainsi que des sous-amendements, soumis à discussion commune, SPE1929 de M. Denis Baupin, SPE1917 de Mme Sandrine Mazetier, SPE1930 de M. Denis Baupin et SPE1931 de Mme Michèle Bonneton.

M. le ministre. Cet amendement vise à modifier certaines dispositions de la loi ALUR afin de renforcer la sécurité juridique des parties au contrat. Il s’agit, en outre, d’améliorer la rédaction d’autres dispositions qui ont donné lieu à des difficultés d’interprétation. C’est notamment le cas des dispositions relatives à la colocation, en excluant les locations consenties exclusivement à des conjoints et à des partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS) au moment de la conclusion du bail.

Le présent amendement prévoit également une évolution des règles applicables en matière de congé pour vente et de ventes à la découpe afin d’assurer un équilibre entre la protection des locataires et l’incitation à l’investissement dans le logement. On ne revient ici en rien à la situation antérieure à l’adoption de la loi ALUR, et la plupart des avancées en matière de protection du locataire sont conservées. Et si certains malentendus devaient subsister, le sous-amendement SPE1917 permet d’y répondre.

Le cumul des trois années d’allongement des délais des baux en cas de vente à la découpe avec les congés pour vente au moment du renouvellement du contrat – six ans pour les institutionnels et trois ans pour les particuliers –, a conduit, dans certaines situations, à augmenter considérablement les délais, de douze ans en moyenne, jusqu’à quinze ans. Aussi, certains propriétaires bailleurs, dont je rappelle qu’ils n’achètent pas, par principe, un bien pour se séparer de leur locataire, pouvaient se retrouver bloqués. Certes, il faut protéger le locataire – et c’est l’objectif initial et un grand mérite de la loi ALUR qu’il faut conserver –, mais quand le délai de protection atteint douze années, on ne « baille » plus, si j’ose dire. Les risques de désinvestissement sont, par conséquent, importants.

Toute notre philosophie est, j’y insiste, de protéger le locataire sans bloquer les investisseurs dans un secteur où il est important de continuer à mobiliser les acteurs. L’un des sous-amendements borne le dispositif mieux encore que ne le propose le Gouvernement, en ce qu’il permet au locataire d’occuper un logement pendant une période d’au moins trois ans plafonnée à six ans, soit un espace protecteur qui n’est pas abusif.

Par ailleurs, l’amendement du Gouvernement vise à rendre applicable aux contrats de location meublée l’article 3 de la loi du 6 juillet 1989 qui prévoit certaines mentions obligatoires essentielles pour les locataires – notice d’information, description des locaux, surface habitable, règlement intérieur – et pour l’application de l’encadrement des loyers ou de l’encadrement durable des loyers. Il apporte, enfin, des modifications aux dispositions relatives aux congés concernant le logement meublé, afin d’harmoniser le formalisme de délivrance du congé en matière de location meublée et nue, et de tirer les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel.

M. Denis Baupin. L’avantage de proposer ainsi une réécriture plus détaillée de l’article est que nous pouvons en discuter, ce qui n’était pas le cas avec le texte initial, trop court et renvoyant à des ordonnances. J’ai déposé plusieurs sous-amendements dont deux portent, comme celui de Sandrine Mazetier, sur la vente à la découpe. Cela ne doit rien au hasard puisque la vente à la découpe est un phénomène essentiellement parisien contre lequel nous avions voulu protéger les locataires lors de la discussion de la loi ALUR. Or il menace toujours, d’où notre persistance à vouloir protéger les locataires. Votre volonté de compromis devrait nous permettre d’aboutir.

Le sous-amendement SPE1928 vise à corriger une disposition de l’amendement selon laquelle les conjoints qui se sépareraient resteraient solidaires du paiement du loyer, y compris après des années. Or la rupture d’un PACS ou d’un mariage entraîne la fin de la solidarité. Cette rupture est opposable à tous et donc au bailleur.

Quant au sous-amendement SPE1929, il vise à maintenir les dispositions de la loi ALUR permettant de réellement protéger les locataires face aux marchands de biens qui, par pure spéculation, procèdent à des ventes à la découpe.

Mme Sandrine Mazetier. Les ventes à la découpe – purement spéculatives – restent un phénomène massif en zone tendue. Ainsi, la foncière Gecina s’est-elle séparée d’un seul coup de 1 500 logements à Paris. Aucune collectivité locale n’est en mesure d’en acquérir autant, et tous les logements mis en vente n’ont pas pu être préemptés. Les 150 unités qui se trouvaient dans ma circonscription ont été vendues par Gecina à une filiale immobilière de la BNP, qui les a acquises à 4 900 euros le mètre carré et les a proposées à la vente aux locataires à 8 000 euros le mètre carré, cela à peine quelques mois plus tard et sans avoir effectué les moindres travaux. Il s’agit bien non seulement d’une vente à la découpe, mais encore d’une opération totalement spéculative. La plupart des occupants n’avaient, bien sûr, pas la capacité de se porter acquéreurs.

C’est à ce type de phénomène que nous avons souhaité apporter une réponse avec la loi ALUR. En aucun cas, il n’a été question de dissuader en quoi que ce soit les investisseurs – car nous en avons besoin en zone tendue. Le sous-amendement SPE1917 permet de corriger les effets induits de l’accumulation de prorogations des baux. De fait, nous n’avions pas perçu qu’un bailleur pouvait être dans l’impossibilité de vendre pendant une durée pouvant aller jusqu’à quinze ans, ce qui est, en effet, susceptible de dissuader un investisseur. Avec le dispositif proposé, une foncière ne serait pas dissuadée d’investir, mais dissuadée de spéculer, et les occupants seraient protégés.

Permettez-moi d’évoquer un sous-amendement que je n’ai pas encore déposé et qui revient sur la partie de votre amendement dont vous avez poliment déclaré qu’elle tirait les conclusions d’une décision du Conseil constitutionnel. Ce dernier a, en effet, rejeté l’élargissement aux personnes âgées à la charge d’un locataire de la disposition de protection des locataires âgés et à faibles revenus que j’avais fait adopter dans la loi ALUR. Plutôt que d’étendre la censure du Conseil aux logements meublés, comme le fait le Gouvernement, je proposerai, au contraire, de rétablir cette disposition, qui serait constitutionnelle pour peu qu’on encadre les revenus du locataire, de manière à répondre à l’inégalité devant les charges publiques reprochée par le Conseil. En zone tendue, et à Paris en particulier, parfois trois générations vivent dans le même logement ; les conséquences peuvent être désastreuses pour une famille aux faibles revenus qui se voit signifier un congé pour vente. Je trouverais dommage de ne pas retrouver dans le texte de telles mesures protectrices des personnes âgées ou handicapées.

M. Denis Baupin. Le sous-amendement SPE1930 vise à préserver les dispositions de la loi ALUR protégeant contre les ventes à la découpe. L’exposé sommaire de l’amendement gouvernemental précise qu’il s’agit d’aboutir à un équilibre entre protection du locataire et fluidité du marché. Il semblerait qu’on l’atteigne au bout de neuf ans d’occupation du logement et non plus au bout de douze ans. Pourquoi ce changement soudain ?

Mme Michèle Bonneton. Le sous-amendement SPE1931 vise à supprimer les alinéas 21 à 30, en raison de leur insuffisante solidité juridique. Nous souhaitons, par conséquent, une expertise complémentaire.

Le II présente des dispositions très techniques qui ont pour but de sécuriser le droit. De fait, c’est une réécriture de l’article 14 de la loi ALUR qui ne dit pas son nom. Il s’agirait ainsi de déterminer à quels baux – nouveaux ou en cours – s’appliquent les mesures nouvelles de la loi ALUR, comme le dépôt de garantie, la prévention des expulsions, les délais de prescription, la division de l’immeuble en copropriétés, la délivrance des congés. Nous avons été alertés sur le fait que la rédaction proposée mélange des mesures de différentes natures et risque de complexifier le droit, donc d’avoir un effet contre-productif. Une nouvelle rédaction est-elle possible ?

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Je suis, bien sûr, très favorable à l’amendement du Gouvernement, d’autant qu’un débat législatif vaut mieux qu’une ordonnance.

En ce qui concerne le sous-amendement SPE1928, je souscris aux interrogations de Denis Baupin, mais on ne peut pas proposer ici d’aligner les droits des couples mariés ou pacsés sur les droits des colocataires. Un tel dispositif ne me paraît pas acceptable en l’état.

Pour ce qui est des deux sous-amendements relatifs à la vente à la découpe, je suis plutôt favorable au second, défendu par Sandrine Mazetier. Reste que si ce débat est important, il demeure très parisiano-parisien, si bien que je ne parviens pas à identifier, en tant que modeste rapporteur de province, de quoi il est question.

M. Jean-Luc Laurent. On trouve des situations similaires à Bordeaux, monsieur le rapporteur !

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. À Bordeaux, il y a une situation similaire, en effet, mais qui concerne le parc de logements de maisons de ville, cela à une échelle considérable et qui n’est absolument pas traitée par la législation. Des ventes à la découpe massives ont été réalisées dans des maisons de ville de moins de cinq logements, dans des zones relevant de la loi Malraux. Je plaiderais donc plutôt pour une plus grande sévérité que l’inverse. Mon propos ne signifiait pas du tout qu’il ne fallait pas se montrer ferme ; seulement, il ne faut pas être dissuasif. La situation qui prévaut actuellement, qu’il s’agisse des logements intermédiaires ou des rachats de logements, conduit les investisseurs institutionnels à se détourner de l’investissement. Nous gagnerions, par conséquent, à adopter une approche mesurée.

J’émets donc un avis favorable sur le sous-amendement SPE1917, qui me semble équilibré, et défavorable sur les autres sous-amendements.

M. le ministre. L’argumentation de M. Denis Baupin concernant le sous-amendement SPE1928 souffre d’une confusion entre solidarité contractuelle et solidarité légale. L’amendement du Gouvernement prévoit d’exclure du régime de la colocation les pacsés et les mariés au moment de la signature du contrat de colocation. Ainsi, les concubins qui signent un contrat de location entrent dans le champ du régime qui n’est pas remis en cause par un PACS ou un mariage ultérieur à la signature du contrat de colocation. La colocation prévoit un régime spécifique de solidarité contractuelle – solidarité qui prend fin au bout d’un congé de six mois d’un colocataire – auquel s’ajoutera la solidarité légale prévue par le code civil pour les mariés ou les pacsés. La fin de la solidarité contractuelle n’a pas d’influence sur la solidarité légale et inversement. Aussi la préoccupation que vous manifestez, et que je comprends parfaitement, serait-elle légitime si l’on supprimait la solidarité légale, ce que le texte ne permet de toute façon pas. La coexistence des deux types de solidarité existe déjà dans la loi ALUR pour les concubins qui signent un bail sous le régime de la colocation et qui se marient en cours de bail. Le cas que vous citez, celui des mariés qui entrent dans un logement sous le régime de la colocation, est certainement très peu courant. La clarification ainsi faite entre les deux formes de solidarité me semble répondre à votre interrogation. Espérant vous avoir rassuré, je vous invite à retirer votre sous-amendement.

De même, je vous suggère de retirer le sous-amendement SPE1929. Je préfère en effet, je l’ai dit, le sous-amendement SPE1917 de Mme Sandrine Mazetier, car il permet de lever toute ambiguïté.

Je vous invite également à retirer le sous-amendement SPE1930. J’insiste sur le fait que la loi ALUR pouvait empêcher de vendre pendant parfois quinze ans contre les six ans de délai maximum que nous proposons. D’un côté, le locataire sera protégé puisque tranquille pendant trois ans, d’un autre côté, on évitera les comportements spéculatifs. Il y a donc un vrai changement car, pour ceux qui investissent de bonne foi, pour développer l’économie sans vouloir « sortir les locataires », le délai de six ans ne recouvre pas la même réalité économique qu’un délai de quinze ans, chacun en conviendra.

Le sous-amendement SPE1931, présenté par Mme Michèle Bonneton, précise l’application dans le temps des dispositions de la loi ALUR. Or l’objectif du texte est bien de sécuriser juridiquement les contrats en précisant quelles mesures de la loi ALUR s’appliquent aux baux en cours et quelles mesures s’appliquent aux baux reconduits ou renouvelés. Il est de notre responsabilité de lever les incertitudes qui font suite à la décision du Conseil constitutionnel. Il s’agit d’être explicite sur l’applicabilité dans le temps de ces mesures. C’est pourquoi je vous invite à retirer votre sous-amendement. Dans l’hypothèse où vous le maintiendriez et où j’émettrais, par conséquent, un avis défavorable, je reste prêt à vous expliquer dans le détail que nous ne dénaturons en rien les dates d’entrée en vigueur de la loi ALUR mais que nous sécurisons les acteurs pour les contrats en cours.

Mme Audrey Linkenheld. J’en reviens à l’article 14 de la loi ALUR qui, au-delà de la question des délais, a fait l’objet d’interprétations divergentes. Je me souviens d’avoir été saisie par un certain nombre de juristes qui ont découvert, sur le site de Légifrance, une explication de la loi ALUR qui ne décrivait absolument pas l’article 14 et ses conséquences telles que les avait entendues le législateur. Nous devons donc nous remettre tous ensemble autour de la table pour rappeler notre intention initiale, relire le texte et nous interroger sur le fait de savoir si la réponse proposée par le Gouvernement est la bonne.

Mme Cécile Duflot. Je suis embarrassée par la tonalité de la discussion. Il se trouve que j’ai un souvenir très aigu des débats qui ont abouti au vote de la disposition de la loi ALUR que l’article 25 du présent texte remet en cause.

Pour tout vous dire, je pensais vivre cette situation un jour – tout en espérant qu’elle n’arrive pas – mais pas avant le mois de juin 2017. Nous ne parlons pas ici de freiner les investisseurs, mais de limiter la vente à la découpe dont le seul but est le maximum de rentabilité à très court terme – et le maintien de certains locataires en place fait baisser la rentabilité. Il ne s’agit pas d’investir dans le logement, mais de mener des opérations – avec, parfois, l’inhumanité qu’on sait – consistant à acheter des logements, à les diviser en lots de copropriété puis à les revendre. Les seules activités ici créées sont la rédaction par un avocat du règlement de copropriété ainsi que le travail du géomètre.

L’autre versant de cette réalité est la fragilisation extrême des locataires, qui doivent quitter l’endroit où ils vivent parfois depuis des années, l’ayant souvent choisi parce que le sachant détenu par un propriétaire institutionnel, ils pensaient pouvoir y rester longtemps.

Je suis donc vraiment heurtée par ce que j’entends. J’ai le souvenir d’avoir dû, en tant que ministre, freiner certaines initiatives parlementaires. Aujourd’hui, les députés essayent de limiter les dégâts du dispositif que vous proposez, et je ne saurais nourrir de griefs à leur encontre. Mais tout de même, quelle formidable hypocrisie ! Autant on peut discuter du logement intermédiaire, autant on ne le peut pas de la vente à la découpe. La vente à la découpe, c’est de la rentabilité de barbouze, très bien décrite par Sandrine Mazetier : on achète un immeuble, on n’y réalise aucuns travaux et on le revend avec une marge énorme. Il s’agit de l’investissement le plus minime qu’on puisse imaginer puisqu’il se réduit à la division en lots de copropriété. De plus, comme elle ne porte que sur des immeubles existants, une telle pratique n’a aucun impact sur la construction de logements. Je peux comprendre qu’on trouve légitime d’acheter un immeuble et de le revendre avec une marge de 20 à 30 % en se fichant des locataires qui y habitent, mais je ne vois pas en quoi la croissance et l’activité s’en trouveront favorisées.

Je regrette donc, j’y insiste, cette hypocrisie qui me choque. J’étais, je le répète, préparée à ce que cela arrive, tout comme je le suis à l’éventualité, dans l’hypothèse – que je n’espère pas – où la présente majorité perdrait les élections de 2017, qu’on remette en cause un certain nombre d’avancées que nous aurons votées en matière de logement ou autre. Mais le faire nous-mêmes ! Et quelques mois après le vote de la loi ALUR, après des combats homériques, après la mobilisation de tous les élus locaux – oui, à Paris, et oui, essentiellement des élus socialistes ! C’était, du reste, l’un des engagements principaux de la campagne électorale de Mme Anne Hidalgo.

Tout cela est surprenant et regrettable, et destiné à satisfaire quelques intérêts bien compris, c’est certain. Reste qu’on ne peut pas soutenir une seconde que cet amendement favorisera la construction d’un seul logement. Tel qu’il est rédigé, il va améliorer la marge de certains découpeurs, point à la ligne ! Il ne poursuit aucun autre objectif, et je préférais que cela soit dit. Je trouve vraiment dommage que la mobilisation des associations, des collectifs de locataires, des élus soit remise en cause de manière hypocrite et qu’elle le soit aujourd’hui. Au fond, je ne m’y attendais pas.

M. Christophe Caresche. Ce n’est pas la loi ALUR qui a protégé les locataires de la vente à la découpe. Antérieure et votée à l’unanimité, c’est la loi Aurillac qui les en préservait significativement. La loi ALUR, pour sa part, a durci le dispositif, au-delà même, le ministre l’a rappelé, des intentions de ses auteurs. Nous ne faisons, par conséquent, que rétablir un équilibre qui me semble, honnêtement, tout à fait satisfaisant. Je n’ai pas du tout la même appréciation que Cécile Duflot, et je pense que les dispositions en vigueur, corrigées de celles que nous allons voter – qui concernent notamment les locataires âgés, qui du reste étaient déjà très protégés –, donnent un cadre tout à fait satisfaisant qui permet à la fois la protection des locataires et la fluidité du marché.

J’ajoute que les grandes opérations de vente à la découpe ont eu lieu dans les années 2000. Les investisseurs institutionnels sont pour l’essentiel partis dans l’immobilier de bureaux, même s’il peut en rester quelques-uns. La question aujourd’hui est bien de les faire revenir dans le secteur de l’immobilier résidentiel. Notre action me paraît donc parfaitement cohérente.

Mme Sandrine Mazetier. Il y a eu, certes, la loi Aurillac, mais je trouve la vision de notre collègue Christophe Caresche très optimiste sur la protection des locataires en cas de congé pour vente – en particulier pour les locataires âgés. Grâce à la loi ALUR, ces derniers peuvent demander à être relogés à partir non plus de 70 ans, mais de 65 ans, et leurs revenus ne doivent plus être inférieurs à 1,5 SMIC, mais au plafond de ressources du logement social PLUS (prêt locatif à usage social). Par ailleurs, le sous-amendement SPE1917 ne vise pas les congés pour vente, mais les mises en copropriété, donc les ventes à la découpe. Enfin, la loi ALUR permet précisément le retour des investisseurs et, en même temps, une bonne articulation entre investisseurs et collectivités locales, en créant un droit de postemption.

Les ventes à la découpe massives ont continué à Paris bien après les années 2000. Je suis la première à reconnaître que nous n’avions pas forcément perçu les effets de certaines dispositions de la loi ALUR. Les correctifs que nous proposons doivent permettre à la fois de protéger les locataires et d’inciter les investisseurs, tout en les dissuadant de mener des opérations strictement et honteusement spéculatives.

M. le ministre. Je perçois deux éléments dans votre intervention, madame Cécile Duflot. D’abord, une vraie sincérité toute à votre honneur, qui a sous-tendu votre action, avec laquelle vous avez montré du courage face à certains lobbies et qui, je le reconnais, a conduit à la réalisation de vrais progrès – ceux de la loi ALUR.

Toutefois, vous semblez adopter une posture facile, non seulement contre le Gouvernement – ce qui ne serait pas grave –, mais aussi contre vos collègues qui ont défendu, aussi sincèrement que vous, le projet de loi ALUR et qui défendent aujourd’hui, avec la même sincérité, l’équilibre du texte que nous proposons.

Mme Cécile Duflot. Je vous rappelle qu’il existe un compte rendu de nos débats !

M. le ministre. Cela a été dit, si le Gouvernement avait décelé le défaut en question, il l’aurait alors corrigé. L’empilement des délais, j’y insiste, nous conduit à des situations de fait intenables. Ne faites pas croire qu’à travers les modifications apportées par un sous-amendement, d’ailleurs signé par plusieurs de vos collègues qui connaissent bien le texte, nous ferions un cadeau aux « suceurs de sang » du peuple. Vous vous feriez plaisir à peu de frais et ce ne serait pas une attitude à la hauteur de notre débat. Tel qu’il sera sous-amendé, le texte trouvera un équilibre : les locataires seront protégés pendant une durée d’au moins trois ans, et les cas signalés par Mme Sandrine Mazetier, qui sont de vraies opérations spéculatives, seront bloqués. L’intention première de la loi ALUR est donc respectée, maintenue. Nous procédons à un aménagement technique du texte pour précisément éviter, à cause de l’empilement des délais, à cause d’une surprotection qui peut parfois nuire à la protection elle-même, une fuite des investissements.

Nous sommes tenus, les uns et les autres, à un devoir de vérité et de respect mutuel qui ne peut s’accommoder de postures. Ce texte ne correspond pas à la description que vous en faites. Il s’efforce de corriger un effet potentiellement pervers de la loi ALUR mais ne remet en rien en cause les limitations et les protections qu’elle a apportées.

M. Denis Baupin. Tenant compte des propos du ministre, je retire mon sous-amendement SPE1928. En revanche, je maintiens les deux autres. Comme Sandrine Mazetier, j’ai le sentiment que les dispositions de la loi ALUR ont permis d’endiguer les ventes à la découpe. Je n’ai pas constaté de mouvement massif de la population pour demander qu’on réduise les protections mises en place. Or le maintien de ces dispositions nous paraît le meilleur moyen de protéger les locataires.

Mme Michèle Bonneton. Comme nous, Audrey Linkenheld semble craindre une insécurité juridique d’une partie de l’amendement du Gouvernement. Je souhaite donc savoir si monsieur le ministre entend le récrire avant son examen en séance publique.

M. le ministre. Il ne sera pas procédé à une réécriture de l’amendement qui apporte les clarifications nécessaires pour les contrats et baux en cours. Je vous suggère de retirer votre sous-amendement. Toutefois, ayant entendu les interrogations rappelées par Mme Audrey Linkenheld quant à l’interprétation de l’article 14 de la loi ALUR, et afin de lever toute ambiguïté, je propose que nous organisions, avant l’examen du texte en séance publique, une réunion avec les députés que le sujet intéresse et avec les représentants des cabinets concernés. Notre objectif est bien de retranscrire les intentions premières du législateur à la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pas davantage. S’il se trouve, à l’issue de nos discussions, qu’on constate un décalage, je m’engage à donner un avis favorable en séance à un amendement de correction.

Mme Michèle Bonneton. Je maintiens mon sous-amendement, mais j’accepte le principe de le retravailler avant l’examen du texte en séance publique.

Le sous-amendement SPE1928 est retiré.

Successivement, la Commission rejette le sous-amendement SPE1929, adopte le sous-amendement SPE1917 et rejette les sous-amendements SPE1930 et SPE1931, puis adopte l’amendement SPE1624, sous-amendé.

En conséquence, l’article 25 est ainsi rédigé, et les amendements SPE1431 et SPE1475 de Mme Michèle Bonneton, les amendements identiques SPE1256 de M. Joël Giraud et SPE1412 de M. Denis Baupin, et les amendements SPE484 et SPE485 de M. Jean-Marie Tetart n’ont plus d’objet.

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Après l’article 25

La Commission est saisie de l’amendement SPE1255 de M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Alors qu’un fichier central recense l’ensemble des assurances construction, il n’existe pas d’équivalent pour les contrats d’assurance décennale. Je propose donc la création d’un tel fichier, car, en cas de sinistre, les maîtres d’ouvrage rencontrent souvent de grandes difficultés pour identifier l’assureur de l’entrepreneur.

M. le ministre. Je comprends l’intention, mais elle reviendrait à créer un nouvel organisme, ce qui soit engendrerait des coûts pour les finances publiques dans un contexte contraint, soit rendrait la construction plus onéreuse. Aussi, je vous suggère de retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement SPE1255 est retiré.

Article 25 bis [nouveau]
(article L. 133-8 du code de la construction et de l’habitation)

Obligation d’incinération des déchets infestés par la mérule

Cet article additionnel, adopté par la commission spéciale à l’initiative du Gouvernement, vise à supprimer l’obligation d’incinération sur place des déchets infestés par la mérule, obligation instaurée par la loi ALUR.

L’article 76 de la loi ALUR, sous l’impulsion de Mme Chantal Guittet, a en effet prévu une information accrue sur les risques de présence de mérule, ces champignons qui peuvent parfois détruire entièrement des logements. Sur le modèle des dispositions relatives aux termites, un amendement du Sénat avait ajouté une obligation : celle d’incinérer sur place les déchets infestés. Or, à l’inverse des déchets infestés par les termites, le transport de déchets infestés par la mérule n’a aucun impact sur la dissémination de ce champignon.

L’amendement du Gouvernement, adopté par la commission avec le soutien du rapporteur thématique, supprime donc de cette obligation source de complexité opérationnelle inutile.

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La Commission examine ensuite l’amendement SPE1618 du Gouvernement.

M. le ministre. La loi ALUR avait imposé l’incinération sur place des déchets infestés par la mérule, sur le modèle de la réglementation existante en matière de prévention de la dissémination des termites. Cette mesure n’apparaît pas justifiée, car, le risque de dissémination n’étant pas comparable, elle impose même des contraintes dont nous ont fait part les professionnels. Je vous propose donc de supprimer cette obligation.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. On essaie de contenir les feux de bois pour des raisons écologiques, j’émets donc un avis favorable.

M. Gilles Lurton. Je connais bien les problèmes liés à la mérule puisque nous en avons beaucoup à Saint-Malo. Je ne vois vraiment pas comment nous aurions pu appliquer les dispositions de la loi ALUR en la matière.

M. le président François Brottes. Pour ce qui est des termites, quand vous devez les incinérer sur place et qu’il est interdit d’allumer des feux parce qu’on est en période de canicule, c’est assez embêtant.

La Commission adopte l’amendement SPE1618.

Article 25 ter [nouveau]
(art. L. 201-5 du code de la construction et de l’habitation)

Habitat participatif

Cet article additionnel a été adopté par la commission, à l’initiative du Gouvernement. Il vise à corriger une erreur rédactionnelle de l’article 47 de la loi ALUR relatif à l’habitat participatif.

La loi ALUR a en effet favorisé le développement de ce nouveau mode d’habitat en créant deux régimes juridiques : celui des sociétés d’autopromotion et celui des coopératives d’habitants. Trois formes de transmission de parts sociales d’une coopérative d’habitants ont été prévues : la cession, le remboursement pour retrait et le remboursement pour exclusion. Dans le cas d’un remboursement pour retrait de l’associé, le prix maximal de remboursement des parts sociales est limité au montant nominal de ces parts, augmenté d’une majoration dont le plafond, prévu par les statuts, ne peut excéder l’indice de référence des loyers. Ce plafonnement vise à éviter que la société ne se trouve en trop grande difficulté en remboursant elle-même l’associé qui se retire.

Or, dans le cas des remboursements pour exclusion, l’article L. 201-5 du code de la construction et de l’habitation prévoit que le plafond de cette majoration correspond automatiquement à l’indice de référence des loyers. La société coopérative pourrait donc paradoxalement être amenée à rembourser une somme plus importante à l’associé exclu, dont le comportement est fautif, qu’à l’associé qui s’est retiré.

Afin de corriger cette anomalie, le présent article harmonise les conditions de remboursement pour retrait ou pour exclusion. En cas d’exclusion, le plafond de majoration du remboursement sera également fixé par les statuts, sans pouvoir excéder l’indice de référence des loyers.

Le rapporteur thématique soutient cette harmonisation logique.

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La Commission en vient à l’amendement SPE1617 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement tend à corriger une incohérence de la réglementation des coopératives d’habitants. Ce texte pouvait conduire à ce que soient mieux remboursés les coopérants fautifs exclus de la coopérative que les coopérants choisissant de se retirer.

Mme Audrey Linkenheld. Sans hypocrisie aucune, j’atteste qu’il y avait bien une erreur dans la loi ALUR sur ce point. Il est donc bon de la corriger.

Suivant l’avis favorable du rapporteur thématique, la Commission adopte l’amendement SPE1617.

Article 25 quater [nouveau]
(art. L. 261-10-1 du code de la construction et de l’habitation)

Garantie financière des opérations de vente en l’état futur d’achèvement

L’ordonnance du 3 octobre 2013, prise en application de la loi du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction, a supprimé la possibilité de recours à une garantie intrinsèque pour les promoteurs réalisant des opérations de vente en l’état futur d’achèvement (VEFA), et a donc rendu obligatoire le recours à une garantie extrinsèque : la garantie financière d’achèvement.

L’application de cette disposition nécessite un décret d’application. C’est ce que permet cet article additionnel adopté en commission à l’initiative du Gouvernement et que le rapporteur thématique soutient sans réserve.

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La Commission examine ensuite l’amendement SPE1619 du Gouvernement.

M. le ministre. Cet amendement vise à donner une base légale à un décret d’application de l’article L. 261-10-1 du code de la construction et de l’habitation dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 3 octobre 2013, qui a rendu obligatoire le recours à une garantie financière d’achèvement. Il apparaît, en effet, qu’un décret est nécessaire pour clarifier ces nouvelles dispositions.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement SPE1619.

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Après l’article 25 quater

La commission examine, en présentation commune, les amendements SPE496, SPE494 et SPE495, tous de M. Jean-Marie Tetart.

M. Jean-Marie Tetart. Ces amendements, lorsque je les ai déposés dans le cadre de l’examen du projet de loi ALUR, avaient suscité la sympathie, car ils répondent aux demandes d’un certain nombre d’ONG agissant dans le secteur du logement social ; les dispositions proposées sont, du reste, déjà appliquées par certains bailleurs sociaux.

Le mécanisme actuel d’attribution des logements consiste à vérifier qu’une fois prélevés le loyer et les charges, le reste à vivre du ménage est acceptable. S’il ne l’est pas, le logement est refusé, ce qui est aberrant au regard des objectifs du logement social et conduit d’ailleurs de nombreux dossiers DALO dans l’impasse. Par l’amendement SPE496, nous proposons de renverser cette approche, en calculant d’abord un minimum vital et en adaptant le loyer au disponible par des remises sur quittance plutôt que par une réduction du loyer, qui aurait pour conséquence de diminuer les aides au logement dont bénéficie la personne. Ces remises sur quittance pourraient être financées par le supplément de loyer de solidarité (SLS) acquitté par les locataires dépassant les plafonds de ressources. À cette fin, nous proposons, par les amendements SPE494 et SPE495, d’appliquer le SLS dès le premier euro de dépassement.

M. Le ministre. Je suis sensible à vos arguments, monsieur Jean-Marie Tetart, mais, dans les zones tendues, cette mesure d’équité ne favoriserait pas la mobilité et pèserait sur des classes moyennes qui dépassent, en effet, largement les plafonds. Soit on favorise véritablement la mobilité en définissant un seuil de ressources au-delà duquel les ménages les plus favorisés doivent quitter le parc social, et l’on risque de créer des injustices tant que le logement intermédiaire n’est pas suffisamment développé ; soit on opte pour une mesure d’équité et l’on ponctionne le pouvoir d’achat des classes moyennes dans des zones tendues où elles sont déjà en difficulté. Certes, la situation actuelle n’est pas satisfaisante, car de nombreux ménages dépassent les plafonds, mais je ne sais pas quel serait le « meilleur moindre mal ». Je vous propose donc que nous poursuivions la réflexion sur ce sujet, sachant que notre principal objectif doit être, me semble-t-il, de favoriser la mobilité. Aussi, je vous suggère de retirer vos amendements ; à défaut, j’y serai défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. C’est une belle interpellation, monsieur Jean-Marie Tetart, mais votre proposition revient à spéculer sur le fait que le surloyer des uns financera le sous-loyer des autres. L’un de vos amendements vise, du reste, à appliquer le SLS dès le premier euro de dépassement du plafond de ressources, ce qui aurait pour conséquence d’augmenter brutalement le loyer de milliers de personnes auxquelles on n’offre pas d’alternative par ailleurs. Le problème n’est pas simple, j’en conviens, mais je ne suis pas favorable à une telle fuite en avant, suscitée par un constat de faillite de notre politique de mobilité. On ne peut pas bloquer pendant plusieurs années dans le parc social des ménages qui devraient en sortir et leur imposer des surloyers de plus en plus importants pour régler des problèmes sociaux individuels. Il est vrai que la part du logement augmente structurellement dans le budget des ménages très modestes, mais il me semble que ce problème devrait être réglé par les aides à la personne, qu’elles soient versées par la caisse d’allocations familiales ou par le conseil général, même si je reconnais que cette solution n’est pas non plus entièrement satisfaisante. Quoi qu’il en soit, je suis défavorable à ces amendements.

M. Olivier Carré. Je veux rappeler à M. Jean-Marie Tetart que la loi MOLLE comporte un dispositif, que j’ai mis en application en tant que président d’un office HLM, qui permet de plafonner les loyers d’une certaine catégorie de locataires, en l’espèce les personnes âgées de plus de 62 ans, à 20 % de leurs ressources. Ce plafonnement a certes un coût pour l’organisme, mais le conseil d’administration a décidé d’affecter une partie de son autofinancement à cette mesure dans le cadre de sa politique sociale. J’encourage vivement mes collègues présidents d’office HLM à mettre en œuvre une politique de ce type, car il faut être pragmatique en la matière. Au demeurant, il me paraît difficile de régler par la loi un problème qui doit être résolu au sein de chaque organisme, lequel peut d’ailleurs bénéficier pour cela d’une subvention de la collectivité.

Mme Audrey Linkenheld. L’idée de Jean-Marie Tetart est séduisante, mais il me semble que la réflexion n’est pas suffisamment mûre pour que nous allions jusqu’à retenir sa proposition. Disant cela, je ne cherche pas à évacuer le problème. Je rappelle que le rapport sur le logement prévu à l’article 23 doit inclure des données relatives à la mobilité dans le parc social ; ce rapport comportera sans doute des recommandations. Par ailleurs, le titre III de la loi ALUR, dont les décrets d’application continuent de paraître, traite notamment de la procédure d’attribution des logements sociaux à l’échelle des EPCI. Si nous poursuivons dans cette voie avec l’ensemble des organismes HLM, alors nous pourrons, un jour, aboutir à un dispositif qui serait révolutionnaire pour notre modèle de logement social, dans lequel, par exemple, les loyers seraient adaptés aux revenus des locataires.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Il faut, en effet, poursuivre la réflexion sur ce sujet. Par ailleurs, nous manquons encore de recul sur ce point, mais l’ordonnance du 20 février 2014 a autorisé les entreprises sociales pour l’habitat (ESH) à créer des filiales dédiées au logement intermédiaire, en prévoyant un strict cloisonnement des comptes et des activités. Peut-être faudrait-il envisager un système de vases communicants dans l’hypothèse où l’activité liée au logement intermédiaire générerait des profits.

M. Jean-Luc Laurent. Je remercie notre collègue Jean-Marie Tetart d’avoir provoqué cette discussion, que nous avons déjà eue à plusieurs reprises dans le cadre de la commission des affaires économiques. Le logement social a une vocation large, et même quasi universelle – environ 65 % de nos concitoyens y sont en droit éligibles. Or, depuis la grande réforme de 1977, on a additionné les dispositifs, qu’ils soient d’aide à la pierre ou d’aide à la personne, multipliant ainsi les systèmes de financement, qui conditionnent les prix de la location. Aussi devrions-nous, me semble-t-il, simplifier le système et y introduire davantage de justice, en déconnectant les prix du logement social de ses modalités de financement, de façon à sortir du SLS et à établir des loyers proportionnels au niveau des ressources, avec évidemment un plafond. Ce faisant, on supprimerait les injustices de ce système, dans lequel le niveau d’effort de certains est supérieur à ce qu’il serait dans un parc social. Il me semble qu’une telle réforme mérite réflexion.

M. Jean-Marie Tetart. Monsieur le ministre, il s’agit pour moi, non pas de favoriser la mobilité des ménages assujettis au SLS, mais d’éviter que l’on refuse, comme c’est le cas dans toutes les commissions d’attribution aujourd’hui, un logement à un ménage au motif que son reste à vivre serait insuffisant. On est aux antipodes de la solidarité ! Encore une fois, il faut partir au contraire du net à vivre nécessaire et trouver des compensations si le disponible pour logement n’est pas suffisant. Le SLS, globalisé à l’échelle du bailleur, permettrait d’assurer une telle compensation en finançant des remises sur quittance. Peut-être s’agit-il d’une solution bâtarde qui n’est pas satisfaisante, mais, de grâce, réglons rapidement ce problème ! J’en ai assez de refuser un logement à une personne parce que son reste à vivre sera insuffisant. Il y a de quoi provoquer des révoltes ! Je déposerai ces amendements à chaque fois que l’occasion s’en présentera, tant que l’on ne me répondra pas autre chose que : « On étudie la question ».

M. le président François Brottes. Il est vrai que le logement privé est parfois plus social que le logement social. Monsieur Jean-Marie Tetart, je vous propose de retirer vos amendements, car vous nous avez tous convaincus et nous serions ennuyés de devoir voter contre.

Les amendements SPE496, SPE494 et SPE495 sont retirés.

La Commission est saisie de l’amendement SPE1168 de M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Cet amendement est le début d’une interpellation, monsieur le ministre. Certaines communes ne peuvent plus assumer les dépenses liées à l’adaptation de leurs équipements imposée par les incessants changements de normes édictés par les fédérations sportives. Je propose donc de freiner les ardeurs de ces dernières en les obligeant à apporter leur concours financier aux travaux rendus nécessaires par la modification des règles techniques.

M. le ministre. J’ai noté, monsieur Francis Vercamer, que vous admettiez presque que la question soulevée ne pouvait trouver une réponse immédiate. Tout d’abord, les règles techniques sont édictées à la fois par les fédérations internationales, le plus souvent, et par les fédérations nationales. Ensuite, la participation aux compétitions sportives, événements qui provoquent les frais de mise aux normes techniques les plus importants, repose sur un principe d’inscription volontaire. En tout état de cause, l’amendement conduirait à imposer aux fédérations sportives une obligation de cofinancement dont on sait qu’elles ne peuvent pas l’assumer, en tout cas pas toutes. Dès lors, je crains que nous ne créions un mécanisme dans lequel les communes se retourneraient vers l’État pour qu’il supplée ces fédérations. Je crois que ces problèmes se régleraient mieux au cas par cas, mais j’ai discuté de ce point avec mon collègue ministre des sports, et je vous propose que nous continuions à y réfléchir afin d’aboutir à une solution satisfaisante. C’est pourquoi, tout en comprenant votre préoccupation, je vous suggère de retirer votre amendement : à défaut, j’y serai défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. J’ai fait partie d’un exécutif qui a refusé de mettre le moindre centime dans la construction du futur stade de Bordeaux. On nous avait alors expliqué que celui-ci ne pourrait pas voir le jour ; il est maintenant construit. Mais il est vrai que l’économie du football est particulière et que de nombreux sports, notamment l’athlétisme, n’ont pas de public, donc pas de recettes, et ont besoin d’être aidés. Si je comprends vos motivations, monsieur Francis Vercamer, je ne suis pas certain que votre amendement soit réaliste. En la matière, je ne vois pas de meilleure solution que la libre négociation entre les élus et les fédérations, qui, pour la plupart, n’ont pas d’argent. Quant à moi, j’estime que le sport devrait être une compétence intercommunale. On réaliserait ainsi de nombreuses économies en évitant la multiplication des infrastructures, car chaque commune veut son équipe de football ou de basket-ball. La question est pertinente, mais la réponse proposée est d’une brutalité que je désapprouve. Avis défavorable, donc.

M. Francis Vercamer. Je sais que mon amendement n’est pas satisfaisant, mais mon objectif était de susciter le débat. J’ai interpellé le secrétaire d’État chargé des sports à ce sujet il y a quelques mois, et il ne m’a toujours pas apporté de réponse. Je vais retirer mon amendement, mais je le déposerai de nouveau en séance publique. Car je trouve un peu fort de café que la fédération de basket-ball, par exemple, décide brusquement de modifier les normes techniques applicables aux panneaux de basket et nous contraigne à réaliser les travaux nécessaires sans participer à leur financement ni nous avoir consultés !

M. le président François Brottes. Je vous suggère, dans la perspective du débat en séance publique, une solution de repli qui consisterait à obliger la fédération édictant la nouvelle norme à préciser le montant de la subvention qu’elle accordera aux collectivités pour l’adaptation de leurs équipements.

L’amendement SPE1168 est retiré.

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Article 25 quinquies [nouveau]
(art. 25-1 A de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et art. L. 741-2 du code de la construction et de l’habitation)

Obligation d’assermentation des agents chargés de l’inspection des logements insalubres

Afin d’améliorer la lutte contre l’habitat indigne, les articles 65 et 90 de la loi ALUR ont obligé l’administration à répondre à toute demande d’un citoyen en matière de salubrité dans un délai de trois mois en envoyant un agent assermenté constater l’état du logement.

Or, tous les agents exerçant actuellement ce type de compétence ne sont pas assermentés. L’assermentation est en effet une procédure lourde qui consiste en une prestation de serment solennelle devant le juge. Jusqu’alors, l’assermentation d’un agent n’était nécessaire que pour la réalisation d’un constat d’infractions prévues par le code pénal et la rédaction d’un procès-verbal d’infraction aux mesures indiquées par arrêté.

L’obligation d’assermentation induit donc une complexification des procédures et fait porter un risque contentieux sur l’ensemble des procédures relatives aux polices de l’habitat en cas de déplacement d’un agent non assermenté. Dans un souci de simplification et afin de ne pas fragiliser les procédures relatives aux polices de l’habitat, cet article additionnel, adopté par la commission à l’initiative du Gouvernement et avec le soutien du rapporteur thématique, supprime l’obligation d’assermentation de ces agents.

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La Commission examine l’amendement SPE1620 du Gouvernement.

M. le ministre. Il s’agit d’une correction technique de la loi ALUR. Il est actuellement demandé à l’administration qu’à la suite de toute demande d’un citoyen en matière de salubrité de logement, un agent assermenté se déplace pour établir un constat de logement indigne. Or tous les agents exerçant actuellement ce type de compétence ne sont pas assermentés. De fait, l’assermentation est une procédure lourde, consistant en une prestation de serment solennelle devant le juge, qui ne nous paraît pas indispensable à l’exécution de cette mission et induit une complexification de la procédure. Au reste, jusqu’alors, l’assermentation d’un agent n’était nécessaire que pour la réalisation d’un constat d’infraction prévu par le code pénal et la rédaction d’un procès-verbal d’infraction.

M. Jean-Louis Roumégas. Le défaut d’assermentation de l’agent permettra peut-être d’accélérer les procédures, mais ne les affaiblira-t-il pas si l’obligation de relogement n’est pas respectée ?

Mme Audrey Linkenheld. Je veux rassurer Jean-Louis Roumégas, il s’agit bien de corriger une erreur qui a été commise lors de la rédaction de la partie de la loi ALUR consacrée à l’habitat indigne. Les inspecteurs des services communaux d’hygiène et de santé ne sont pas nécessairement assermentés, ce qui ne signifie pas qu’ils ne sont pas qualifiés et compétents. Leur compétence est, du reste, reconnue par les tribunaux, qui utilisent, le cas échéant, leurs rapports dans des procès opposant des locataires à leur propriétaire. Cet amendement ne marque donc aucun recul des droits des locataires ; il s’agit uniquement d’une clarification.

M. Jean-Charles Taugourdeau. On parle, là encore, des grandes villes, car ma commune de 6 000 habitants ne comprend pas de service communal d’hygiène. Du reste, ne peut-on pas faire appel aux maires, qui sont officiers de police judiciaire ? Pour une famille qui habite dans un taudis, trois mois, c’est très long !

Mme Audrey Linkenheld. L’amendement ne porte que sur l’adjectif « assermenté ». Nous n’avons pas revisité, dans le cadre de la loi ALUR, l’ensemble des pouvoirs de police spéciale du maire, du préfet ou de l’intercommunalité en matière d’habitat indigne. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une collectivité a choisi de ne pas exercer la compétence en matière d’hygiène et de santé que les locataires sont privés de voie de recours : dans un tel cas, les agences régionales de santé assument cette mission. Au demeurant, la loi ALUR a plutôt renforcé la protection des locataires en matière d’habitat indigne.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement SPE1620.

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Après l’article 25 quinquies

La Commission est saisie de l’amendement SPE241 de M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Gilles Lurton. Depuis deux ans et demi, nous constatons un effondrement de la construction de logements dans notre pays : le nombre des logements produits était de 320 000 en 2013 et il atteindrait à peine 280 000 en 2014, alors que l’objectif fixé par le Gouvernement était de 500 000. Cette situation, qui met en péril un grand nombre d’entreprises, qui licencient quotidiennement, est en partie due, selon nous, à l’adoption du dispositif d’encadrement des loyers promis par le Président de la République pendant la campagne présidentielle de 2012. Du reste, en dépit d’un vote unanime de la majorité, le Premier ministre avait annoncé, en août dernier, que le Gouvernement n’appliquerait pas cette mesure. C’est pourquoi nous vous proposons, par cet amendement, de supprimer les dispositions relatives à l’encadrement des loyers et à la création d’un observatoire des loyers, qui se révèlent inapplicables.

M. le ministre. Le dispositif d’encadrement des loyers doit faire l’objet d’une expérimentation à Paris ainsi que dans certaines villes volontaires, notamment à Lille. Il est donc absolument inopportun de proposer sa suppression. Avis défavorable.

M. Gilles Savary, rapporteur thématique. Ce sujet fait l’objet d’une approche très politique : certains sont pour, d’autres sont contre. Quoi qu’il en soit, l’encadrement des loyers ne peut être la cause des difficultés du secteur du logement et de la construction puisqu’il n’a pas encore été mis en œuvre. Vouloir le supprimer avant d’avoir pu commencer à l’évaluer procède d’une démarche quelque peu dogmatique. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement SPE241.

Elle en vient à l’amendement SPE283 de M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Le Gouvernement avait prévu, dans le cadre de la loi ALUR, que le PLU serait transféré à l’échelon intercommunal pour les communautés de communes et pour les communautés d’agglomération, mais le Sénat s’y était opposé. Je propose, par cet amendement, d’offrir la possibilité de créer un PLU intercommunal aux seules communautés d’agglomération, dans l’espoir que le Sénat fasse preuve de davantage de compréhension.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il ne me paraît pas nécessaire de remettre en cause l’équilibre qui a été trouvé. En effet, la loi ALUR a prévu un transfert de la compétence en matière d’urbanisme à toutes les communautés d’agglomération et à toutes les communautés de communes en 2017, sauf opposition d’au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population. Quant aux communautés urbaines et aux métropoles, elles sont déjà compétentes en matière d’urbanisme. Le débat a donc été tranché. Cette continuité dans l’interpellation est une manière de témoigner de sa constance, mais je ne crois pas qu’il soit opportun de revenir sur ce dispositif, même si l’on peut être favorable à la généralisation du PLU intercommunal.

J’ajoute que lors de l’examen du projet de loi ALUR, il avait été convenu que la différence réelle entre les communautés d’agglomération et les communautés de communes n’était pas suffisante pour justifier une distinction entre ces deux types d’EPCI. C’est pourquoi je suggère le retrait de cet amendement, qui est certes pertinent mais pas forcément opportun.

M. le ministre. Je comprends l’ambition de M. Christophe Caresche, qui est partagée par beaucoup de celles et ceux qui ont participé au débat qui a eu lieu lors de l’examen du projet de loi ALUR. Mais un équilibre a été trouvé dans le cadre d’un compromis politique, et je doute, compte tenu du contexte, que l’on parvienne à l’améliorer. Par ailleurs, la loi de simplification de la vie des entreprises comporte une incitation supplémentaire pour les EPCI à se lancer sans attendre dans l’élaboration de PLUI, puisque, dans ce cas, les délais de caducité des POS sont repoussés jusqu’en 2020. J’ajoute que le transfert se fait progressivement. Je suggère donc que M. Christophe Caresche retire son amendement et que nous étudiions la possibilité de faire mieux une fois que certaines échéances seront passées.

M. Christophe Caresche. Je vais retirer l’amendement, mais j’ai toujours pensé que l’Assemblée nationale avait commis une petite erreur en liant le sort des communautés de communes à celui des communautés d’agglomération. Je suis persuadé que si nous avions opté pour la solution que je propose aujourd’hui, le Sénat ne s’y serait pas forcément opposé.

L’amendement SPE283 est retiré.

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Article 25 sexies [nouveau]
Habilitation à légiférer par ordonnance pour créer un bail réel solidaire

L’article 164 de la loi ALUR, introduit par un amendement de Mme Audrey Linkenheld, a créé une nouvelle catégorie d’opérateurs fonciers : les organismes de foncier solidaire. Ces organismes sans but lucratifs, agréés par le préfet de région, ont pour mission d’acquérir et de gérer des terrains en vue de réaliser des équipements collectifs et des logements sociaux (locatifs ou en accession à la propriété). Afin de faire baisser le prix d’acquisition du foncier, la loi ALUR a prévu que ces opérateurs puissent utiliser des baux de longue durée reposant sur une dissociation de la propriété du foncier et du bâti. Ce type de bail a également été créé, sous le nom de « bail réel immobilier », pour le logement intermédiaire par l’ordonnance du 20 février 2014.

Cet article additionnel, adopté par la commission à l’initiative du Gouvernement, vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour définir le régime juridique de ce nouveau bail de longue durée adapté aux organismes de foncier solidaire.

Le rapporteur thématique soutient cette mesure d’application de la loi ALUR qui, comme elle est très technique, justifie le choix d’une ordonnance.

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La Commission examine l’amendement SPE1806 du Gouvernement.

M. le ministre. La loi ALUR a créé les organismes de foncier solidaire, qui sont des organismes sans but lucratif ayant pour objet d’acquérir des terrains, notamment pour y réaliser des logements. Cet amendement tend à prévoir la création, par habilitation, d’un bail de longue durée adapté pour permettre à ces nouveaux organismes de mener des opérations d’accession sociale à la propriété selon un principe de dissociation de la propriété du sol et des logements. Ce bail réel solidaire avait fait l’objet, à l’époque, d’un amendement de Mme Audrey Linkenheld, mais il n’avait pu être déclaré recevable dans le cadre d’une habilitation à légiférer par ordonnance. Le Gouvernement reprend donc cette initiative à son compte.

Mme Audrey Linkenheld. Je remercie le Gouvernement d’avoir déposé cet amendement très attendu, qui apporte un complément très utile aux dispositions que nous avons votées dans le cadre de la loi ALUR en permettant la dissociation du foncier et du bâti.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement SPE1806.

© Assemblée nationale

1 () La composition de cette commission spéciale figure au verso de la présente page.

2 () Rapport sur la mobilité inclusive, Auxilia, 2013.

3 () Notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaire.

4 () Richard Ferrand, rapport au ministre de l’économie «  professions réglementées – pour une nouvelle jeunesse », octobre 2014

5 () Commission des Lois, Mme Cécile Untermaier et M. Philippe Houillon, rapport d’information sur les professions juridiques réglementées, décembre 2014.

6 () Rapport précité de M. Richard Ferrand.

7 () Inspection des finances, rapport n°2012-M-057-03 sur les professions réglementées, mars 2013.

8 () Inspection des finances, rapport n°2012-M-057-03 sur les professions réglementées, mars 2013.

9 () Administrateurs judiciaires, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, mandataires judiciaires et notaires.

10 () Rapport précité de la commission des Lois.

11 () Article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

12 () Rapport d’information de la commission des Lois précité.

13 () Ibid.

14 () Rapport de M. Richard Ferrand précité.

15 () Rapport de M. Jean-Paul Bailly au Premier ministre sur la question des exceptions au repos dominical dans les commerces : « Vers une société qui s’adapte en gardant ses valeurs », 2 décembre 2013.

16 () Rapport Bailly, p35.

17 () Rapport Bailly, p43.

18 () Voir les développements sur ce sujet dans le rapport Bailly pages38 et 39.

19 () Rapport Bailly p69.

20 () Rapport Bailly p46.

21 () Les Échos, édition du 16 octobre 2014.

22 () Communication du ministre de l’Économie et des finances et du ministre du redressement productif sur la modernisation de l’État actionnaire, Conseil des ministres du 2 août 2013.

23 () Annexe au projet de loi de finances pour 2015, rapport relatif à l’État actionnaire.

24 () Rapport spécial n° 2260, Participations financières de l’État, M. Guillaume Bachelay, député, 9 octobre 2014.

25 () Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, article 21.

26 () Lignes directrices de l’État actionnaire, 15 janvier 2014.

27 () Lignes directrices de l’État actionnaire, précitées.

28 () Décret n° 2005-1070 du 24 août 2005 fixant la liste des aérodromes civils appartenant à l’État exclus du transfert aux collectivités territoriales ou à leurs groupements.

29 () Loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports.

30 () Annexé au décret n° 2007-244 du 23 février 2007 relatif aux aérodromes appartenant à l’État et portant approbation du cahier des charges type applicable à la concession de ces aérodromes.

31 () Avis n°14-A-05 du 27 février 2014 relatif au fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier par autocar et avis n°14-A-13 du 17 septembre 2014 relatif au secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires.

32 () Avis n°10-A-26 du 7 décembre 2010 de l’Autorité de la concurrence, « Structural features of distributives trades and their impacts on prices in the euro area », BCE, 2011.

33 () Étude d’impact du projet de loi.

34 () Le Président de la République a déclaré vouloir « améliorer le régime des attributions gratuites d’actions et de bons de souscription de parts de créateurs d’entrerprises », lors d’une rencontre avec des entrepreneurs français au sein de la Silicon Valley, le 12 février 2014.

35 () Le Monde, édition du 13 février 2014.

36 () Article 163 bis G, II.3 du code général des impôts.

37 () Dares Analyses, Participation, intéressement et épargne salariale en 2012, juillet 2014, n° 53.

38 () Article L. 3322-6 du code du travail, s’agissant des accords de participation.

39 () Question posée par le député M. Razzy Hammadi lors des questions au Gouvernement, le 18 novembre 2014.

40 () Une vive polémique entoura fin octobre 2014 la révélation par la presse de la retraite chapeau du PDG du groupe industriel GDF Suez. M. Mestrallet touchera après son départ de GDF Suez, prévu au printemps 2016, 831 641 euros par an au titre de sa retraite complémentaire.

41 () Lors du 3ème CIMAP (Comité interministériel de modernisation de l’action publique), instance créée par le décret n° 2012-1199 du 30 octobre 2012 portant création du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique.

42 () Loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.

43 () Projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, adopté définitivement par le Sénat le 18 décembre 2014.

44 () Déclaration du Premier ministre, le 12 décembre 2014 sur sa page Facebook.

45 () Loi n° 2014-1 précitée.

46 () Ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement.

47 () Ordonnance n° 2014-619 du 12 juin relative à l’expérimentation d’une autorisation unique pour les installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement.

48 () Autorisation prévue à l’article L. 214-3 du code de l’environnement, anciennement issu de l’article 10 III de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau.

49 () Ordonnance n° 2014-356 du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’un certificat de projet.

50 () Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, article 7.

51 () Convention d’Aarhus du 25 juin 1988, entrée en vigueur le 30 octobre 2001.

52 () Rapport Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, remis le 25 avril 2013.

53 () Décret n° 2014-11 du 8 janvier 2014 instituant le conseil de la simplification pour les entreprises.

54 () http://www.simplifier-entreprise.fr/wp-content/uploads/2014/02/DP-CONSEIL_SIMPLIFICATION_50_Nouvelles_Mesures_141030.pdf

55 () Communiqué de presse IP/12/389 du 20 avril 2012 de la Commission européenne : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-389_en.htm.

56 () Décret n° 2014-136 du 17 février 2014 fixant les seuils prévus aux articles L. 123-16 et L. 123-16-1 du code de commerce.

57 () Articles R. 123-45, R. 123-46.6°, R. 123-46.8° et R. 123-66, R. 123-69.1°, R. 123-130 du code de commerce.

58 () Les micro-entreprises sont d’ores et déjà exonérées de l’obligation d’établir une annexe, conformément à l’article L. 123-16-1 du code de commerce.

59 () Livre VI, du code de commerce.

60 () Rapport n° 1038 fait au nom de la commission d’enquête sur l’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, présidée par M. François Colcombet et rapportée par M. Arnaud Montebourg, enregistré le 2 juillet 1998.

61 () L’étude d’impact associée au projet de loi cite le « Chapter 11 » américain et la loi ESUG en Allemagne.

62 () L’étude d’impact associée au projet de loi cite la note du Conseil d’analyse économique, relative aux enjeux économiques du droit des faillites, de Guillaume Plantin, David Thesmar et Jean Tirole, juin 2013.

63 () Loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle.

64 () « L’avenir des juridictions du travail : Vers un tribunal prud’homal du XXIème siècle », juillet 2014.

65 () Notamment la directive 92/6/CEE du 10 février 1992 relative à l’installation et à l’utilisation de limiteurs de vitesse sur certaines catégories de véhicules, la directive 96/53/CE du 25 juillet 1996 fixant, pour certains véhicules routiers, les dimensions maximales autorisées et les poids maximaux autorisés, la directive 2003/59/CE du 15 juillet 2003 relative à la qualification initiale et à la formation continue des conducteurs de certains véhicules routiers affectés au transport de marchandises ou de voyageurs, et le règlement (CE) n° 561/2006 du 15 mars 2006 relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route.

66 () Avis de l’Autorité de la concurrence n°14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires.

67 () Décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l’article 3 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005.

68 () Décret n° 93-584 du 26 mars 1993 relatif aux contrats visés au I de l’article 48 de la loi n° 93-122 du
29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

69 () Décret n° 2013-1243 du 23 décembre 2013 modifiant le décret n° 97-1017 du 30 octobre 1997 relatif au statut particulier du corps des délégués au permis de conduire et à la sécurité routière et le décret n° 2013-422 du 22 mai 2013 portant statut particulier du corps des inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière.

70 () M. Jean-Michel Bertrand, Faciliter l’accès des jeunes au permis de conduire : études et propositions, rapport remis au Premier ministre le 25 janvier 2005, La documentation française, février 2005, 114 pages ; MM. Claude Liebermann et Henri Legendre, Rapport sur la rénovation des relations entre l’administration et les écoles de conduite et de sécurité routière pour améliorer la qualité et l’efficacité de l’enseignement de la conduite et de la sécurité routière, Conseil général des Ponts et Chaussées (ministère des Transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer), rapport n° 2004-0084-01, 1er septembre 2005, 139 pages ; MM. Dominique Lebrun, Michel Mathieu et Firmino Fraccaro, Audit sur la modernisation de l’apprentissage de la conduite et de l’examen du permis, Conseil général des Ponts et Chaussées (ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer) et Secrétariat général du ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales, rapport n° 005621-01, 19 mai 2008, La documentation française, juin 2008, 146 pages ; Rapport du groupe de travail concernant les délais d’attente des candidats à l’examen du permis de conduire, remis le 7 avril 2014 au ministre de l’Intérieur, 32 pages ; et enfin, le rapport n° 2382 sur la proposition de loi n° 1606 de M. Jean-Christophe Fromantin visant à Accélérer, simplifier et réduire le coût du passage de l’examen du permis de conduire, novembre 2014.

71 () Rapport du groupe de travail concernant les délais d’attente des candidats à l’examen du permis de conduire, remis le 7 avril 2014 au ministre de l’Intérieur, page 9.

72 () Directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire.

73 () L’attribution des places à l’examen est opérée par le service de répartition des places des Préfectures, ou des directions départementales interministérielles et dépend du nombre d’élèves inscrits par l’auto-école, du taux de réussite de l’auto-école à la première présentation et du nombre d’inspecteurs disponibles. Les places n’étant pas nominatives et il appartient à l’établissement de répartir les places qui lui sont attribuées entre les candidates inscrits dans son établissement. Or, l’attribution des places reposait, jusqu’au 1er octobre 2014, sur le principe suivant : un élève reçu à la première présentation valait une place d’examen pour l’auto-école. À l’opposé, l’élève recalé qui devait de nouveau présenter l’examen ne générait pas de droit pour une nouvelle attribution de places.

74 () Voir notamment le décret n° 2014-1295 du 31 octobre 2014 portant diverses dispositions en matière de sécurité routière ; l’arrêté du 31 octobre 2014 modifiant l’arrêté du 20 avril 2012 fixant les conditions d’établissement, de délivrance et de validité du permis de conduire ; l’arrêté du 31 octobre 2014 modifiant l’arrêté du 22 décembre 2009 relatif à l’apprentissage de la conduite des véhicules à moteur de la catégorie B dans un établissement d’enseignement agréé ; et l’arrêté du 22 octobre 2014 fixant la méthode nationale d’attribution des places d’examen du permis de conduire.

75 () http://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Dossiers/Reforme-du-permis-de-conduire-priorite-jeunesse/II-La-reforme-reduire-les-delais-et-donc-reduire-les-couts.

76 () Arrêté du 21 juin 2007, JO du 22 juillet 2007, BOEN n° 30 du 30 août 2007.

77 () Arrêté du 18juin 2010, JO du 3 juillet 2010, BOEN n° 34 du 16 septembre 2010.

78 () Arrêté du 10 juin 2010, JO du 22 juin 2010, BOEN n° 29 du 22 juillet 2010.

79 () Arrêté du 3 juin 2010, JO du 19 juin 2010, BOEN n° 27 du 8 juillet 2010.

80 () http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027443167&categorieLien=id.

81 () Article 17 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.

82 () Article 129 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

83 () Article 38 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

84 () Article 19 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.

85 () Article 136 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

86 () Article 4 de l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence.

87 () Article 102 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

88 () Article 129 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 relative pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

89 () Article 48 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

90 () Article 102 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

91 () Avis n° 12-A-01 du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris (http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/12a01.pdf)

92 () Article 10 de la loi n°2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer.

93 () Article 112 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

94 () Avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 de l’Autorité de la concurrence relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et aux modalités d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire.

95 () « Quelle politique de concurrence pour la France et l’Union européenne ? », in Concurrences n° 2-2012.

96 () « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », Rapport remis au ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique par M. Richard Ferrand, novembre 2014, p. 28.

97 () « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475, op. cit., p. 79.

98 () Ibidem, p. 80.

99 () Inspection générale des finances, rapport n° 2012-M-057-03, tome n° 1, mars 2013, pp. 33 à 42.

100 () « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op. cit., pp. 24 à 30.

101 () L’avis de l’Autorité de la concurrence est consultable au lien suivant :

http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/15a02.pdf

102 () « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475 op. cit., p. 80.

103 () Décret n° 2014-506 du 19 mai 2014 modifiant l’article R. 743-140 du code de commerce relatif au tarif général des greffiers des tribunaux de commerce.

104 () Décret n° 2014-673 du 25 juin 2014 modifiant le décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris pour l’application de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice ainsi que le décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale.

105 () Décret n° 2011-1470 du 8 novembre 2011 relatif à l’assistance du greffier en chef en matière de vérification des comptes de tutelle par un huissier de justice.

106 () Inspection générale des finances, rapport n° 2012-M-057-03, tome n° 2, mars 2013, annexe III, p. 18.

107 () Inspection générale des finances, rapport n° 2012-M-057-03, tome n° 1, mars 2013, pp. 31 à 33.

108 () Richard Ferrand, « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op. cit., pp. 25 à 26.

109 () « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475, op. cit.,, p. 84.

110 () Lettre de saisine de l’Autorité de la concurrence par M. Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique.

111 () Dans son Vocabulaire juridique (8e éd., PUF, 2000), le doyen Gérard Cornu définit la licitation comme l’« opération ayant pour objet – moyennent une adjudication ou un  mode équivalent – de dénouer une situation complexe (indivision ou enchevêtrement de droits) avec les effets d’un partage ou d’une vente ». Il s’agit notamment de faire cesser un état, de droit ou de fait, caractérisé par la coexistence, sur un même bien, de plusieurs droits dont l’exercice immédiat est impossible (ex : licitation d’un immeuble indivis). La licitation peut intervenir à l’amiable, de gré à gré, ou par autorité de justice, par adjudication.

112 () L’avocat « maître de l’affaire » (« dominus litis ») est celui qui a la maîtrise du dossier sur le fond et en termes de définition de la stratégie contentieuse. C’est lui qui conseille et assiste son client, et qui plaide pour lui.

113 () La multipostulation entre Libourne et Bordeaux a été justifiée par l’extension du ressort de Libourne aux cantons qui relevaient de la compétence du tribunal d’instance de Blaye, ce qui a conduit à réduire le ressort géographique du tribunal de grande instance de Bordeaux, qui comprenait ces cantons. Le même raisonnement a été tenu pour le tribunal de grande instance d’Alès qui a été maintenu et auquel a été rattaché l’arrondissement du Vigan, qui relevait auparavant du ressort du tribunal de grande instance de Nîmes.

114 () Richard Ferrand, « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op. cit., p 54.

115 () J.-M. Darrois, Rapport sur les professions du droit, remis au président de la République en mars 2009, p. 29.

116 () Inspection générale des finances, rapport n° 2012-M-057-03 sur les professions réglementées, mars 2013, tome 3, annexe 4, p. 32.

117 () En application du décret n° 60-323 du 2 avril 1960 portant règlement d’administration publique et fixant le tarif des avoués.

118 () Décret n° 72-784 du 25 août 1972 relatif au régime transitoire de rémunération des avocats à raison des actes de postulation et à la taxe.

119 () Décret n° 75-785 du 21 août 1975 relatif aux droits et émoluments alloués à titre transitoire aux avocats à raison des actes de procédure.

120 () Cass. crim. 24 février 2009, pourvoi n° 08-84410.

121 () Certaines des professions juridiques et judiciaires réglementées ont :

– soit le statut d’officier ministériel (avocats aux conseils, commissaires-priseurs judiciaires), leurs membres étant nommés par le ministre de la Justice ;

– soit celui d’officier public et ministériel (greffiers des tribunaux de commerce, notaires, huissiers de justice), dans la mesure où leurs membres, outre leur nomination par le garde des Sceaux, ont le pouvoir d’établir des actes authentiques faisant foi jusqu’à inscription de faux en écriture publique.

122 () C. Carely et P. Chassaing, « Les conditions d’installation dans le notariat : suggestions pour un notariat moderne », JCP N, n° 48, 28 novembre 2014.

123 () Richard Ferrand, « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op. cit., p 15.

124 () Richard Ferrand, « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op. cit., pp.15-16.

125 () Conseil constitutionnel, décision n° 2000-440 DC du 10 janvier 2001, considérants n° 2 et n° 5 à n° 8 ; décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011, considérants n° 17 et n° 19.

126 () Voir en ce sens les décisions du Conseil constitutionnel n° 2007-550 DC du 27 février 2007 (considérants n° 4 et n° 10) et n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013 (considérant n° 14).

127 () Pour combler le déficit du budget de l’année 1816, lourdement grevé par l’importante indemnité de guerre imposée à la France par les coalisés en 1815, il fut décidé de demander aux officiers ministériels le versement à l’État de sommes d’argent (ou « cautionnement »), à titre de garantie de la bonne exécution de leurs missions.

En contrepartie, l’article 91 de la loi de finances du 28 avril 1816, toujours en vigueur, a reconnu aux « avocats à la Cour de cassation, notaires, greffiers, huissiers, prestataires de service d’investissement, courtiers, commissaires-priseurs », le droit de « présenter à l’agrément de Sa Majesté des successeurs, pourvu qu’ils réunissent les qualités exigées par les lois » – ces successeurs pouvant être soit des personnes physiques, soit des sociétés professionnelles.

128 () Inspection générale des finances, rapport n° 2012-M-057-03 sur les professions réglementées, mars 2013, tome 3, annexe n° 1, p. 49.

129 () Ordonnance du 26 juin 1816 qui établit, en exécution de la loi du 28 avril 1816, des commissaires-priseurs judiciaires dans les villes chefs-lieux d’arrondissement, ou qui sont le siège d’un tribunal de grande instance, et dans celles qui, n’ayant ni sous-préfecture ni tribunal, renferment une population de cinq mille âmes et au-dessus.

130 () Article 4 du décret n° 71-942 du 28 novembre 1971 ; article 42 du décret n° 75-770 du décret du 14 août 1975 ; article 1-3 de l’ordonnance du 26 juin 1816.

131 () Selon les informations fournies par la Chancellerie à la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, ces dispositifs n’ont jamais été mis en œuvre, ce qui peut notamment être interprété comme étant la preuve de l’insuffisante concurrence existant entre les offices.

132 () « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475, op. cit.

133 () Cass. 1ère civ. 7 novembre 2000, pourvoi n° 98-17731.

En effet, on peut se demander si, plus que le droit de présenter un successeur à l’agrément du garde des Sceaux, c’est, à travers ce qui est qualifié de « droit de présentation », l’accès à la clientèle et autres biens (archives, locaux, équipements, etc.) nécessaires à l’exercice de la profession (la « finance ») qui présente un caractère patrimonial. Plutôt que d’opposer le « titre » au « droit de présentation » au sens large, il faudrait donc, selon une certaine doctrine, opérer une distinction entre, d’une part, le « titre » et le droit de présentation au sens strict (c’est à dire le droit de présenter un successeur à l’agrément du garde des Sceaux), qui, en eux-mêmes, seraient dépourvus de caractère patrimonial, et, d’autre part, le « fonds libéral », qui, lui, revêtirait un caractère patrimonial, étant constitué de la clientèle civile, des infrastructures, du rendement de la charge lié à la situation géographique de l’étude et à la personnalité de l’officier public et/ou ministériel cédant. Lors de leur audition par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions juridiques réglementées, les représentants de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ont d’ailleurs eux-mêmes suggéré de parler d’« indemnité de clientèle », plutôt que de « droit de présentation ». Ils ont d’ailleurs confirmé cette analyse dans la contribution écrite qu’ils ont fournie à la mission, expliquant que « l’exercice concret du “droit de présentation” […] ne donne lieu à aucun autre paiement que celui de la cession d’un fonds libéral ».

134 () Jean-François Pillebout et Michel Corre, Jurisclasseur Notarial, fasc.n° 130.

135 () Articles L.O. 6213-1, L.O. 6313-1 et L.O. 6413-1 du code général des collectivités territoriales.

136 () Article 4 de loi n° 61-814 du 29 juillet 1961.

137 () Article 1-1 de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955.

138 () Il n’y a ni notaires, ni commissaires-priseurs judiciaires dans ce territoire. En revanche, des huissiers de justice y exercent (arrêté n° 2014-296 du 20 juin 2014 relatif à la désignation des fonctionnaires huissiers).

139 () Articles 13 et 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004.

140 () Article 22,I, 5° de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999.

141 () En Polynésie française : délibération 99-54 APF du 22 avril 1999 portant refonte du statut du notariat ; délibération 87-118 AT du 12 novembre 1987 relative aux commissaires-priseurs judiciaires et délibération 92-122 AT du 20 août 1992 relative aux huissiers de justice. En Nouvelle Calédonie : délibération n° 85/CP du 2 avril 2009 instituant un droit de présentation au profit des officiers publics ministériels de Nouvelle-Calédonie.

142 () C. Carely et P. Chassaing, « Les conditions d’installation dans le notariat : suggestions pour un notariat moderne », JCP N, n° 48, 28 novembre 2014.

143 () Une prisée désigne l’évaluation du prix d’une chose mise à l’enchère ou faisant l’objet d’un partage.

144 () « Ne constitue pas un transfert le déplacement du siège d’un office à l’intérieur d’une même commune ; toutefois, le titulaire doit informer de ce déplacement la chambre de discipline et le procureur général ».

145 () Sur ce dispositif, voir le commentaire de l’article 17 du présent projet de loi.

146 () Voir notamment l’article de MM. Denys de Béchillon et Marc Guillaume, « La régulation des contentieux devant les cours suprêmes. Enseignements des réformes étrangères et perspectives françaises », JCP G, n° 46-47, 10 novembre 2014, doctrine 1194.

147 () Décret n° 2009-452 du 22 avril 2009 relatif à l’évolution des professions juridiques et judiciaires.

148 () Décret n° 2013-470 du 5 juin 2013 portant augmentation du nombre d’associés au sein des sociétés civiles professionnelles d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

149 () Article 45 de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

150 () Ordonnance n° 2014-239 du 27 février 2014 relative à l’exercice des professions d’avocats au conseil d’État et à la Cour de Cassation et de notaire en qualité de salarié, prise en application de l’article 4 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 qui habilite le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises.

151 () Inspection générale des finances, rapport n° 2012-M-057-03 sur les professions réglementées, mars 2013, tome 3, annexe 1 p. 41.

152 () Article L. 123-6 du code de commerce et sous-section II, de la section I, du chapitre III, du titre II du livre Ier de la partie réglementaire du même code.

153 () Selon des modalités comparables à celles décrites ci-dessus pour le RCS, les greffiers sont également seuls chargés de la tenue d’autres registres de publicité légale afférents à l’état d’endettement des entreprises et aux droits et garanties des créanciers (privilège du Trésor public en matière fiscale, privilège de la Sécurité sociale et des régimes complémentaires, vente et nantissement des fonds de commerce, nantissement d’un fond agricole ou artisanal, nantissement judiciaire, gage des stocks, nantissement de l’outillage et du matériel, gage sur meubles corporels, warrants, nantissement de parts sociales ou de meubles incorporels, crédit-bail, contrat de location, inscription sur le registre spécial des prêts et délais, clause de réserve de propriété, clause d’inaliénabilité, protêts, etc.).

154 () Décision n° 13-D-23 du 30 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion par voie électronique des informations économiques et juridiques sur les entreprises. Selon les sociétés requérantes, l’entente était constituée entre les greffiers des tribunaux de commerce et le GIE dans la mesure où ce dernier se serait vu transférer les missions de collecte des données portées aux registres de publicité légale et de diffusion des copies, extraits et renseignements. Par ailleurs, les requérants mettaient en cause le fait qu’Infogreffe disposait de ces informations gratuitement et en temps réel, ainsi que de l’exclusivité d’accès à des données que les sociétés plaignantes considéraient être une ressource essentielle, sans être contraint d’obtenir une licence. L’Autorité a écarté ces griefs au motif que la diffusion de l’information légale sur les entreprises par le biais d’Infogreffe, ainsi que les tarifs pratiqués résultaient de l’application de dispositions légales ou réglementaires. Dès lors, les infractions au droit de la concurrence invoquées par les requérants ne pouvaient être caractérisées ».

155 () L’extrait K ou Kbis renseigne sur l’activité de l’entreprise et regroupe toutes les mentions portées au RCS, à savoir : le nom du greffe d’immatriculation ; la raison sociale, sigle, enseigne ; le numéro d’identification (anciennement numéro Siren) et le code NAF ; la forme juridique (SARL, SA, GIE, SCI...) ; le montant du capital social ; les adresses du siège et du principal établissement, et des éventuels établissements secondaires en Union européenne ou dans l’Espace économique européen ; la durée de la société ; la date de constitution ; l’activité détaillée ; le nom de domaine du ou des sites internet de l’entreprise, etc.

156 () Articles 10 à 19 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, telle que modifiée par l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques.

157 () Richard Ferrand, « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op. cit., pp. 56-58.

158 () En application des dispositions du chapitre Ier du titre I du livre VIII du code de commerce, il revient aux administrateurs judiciaires, mandatés par les tribunaux de grande instance ou de commerce, d’assister ou de remplacer les dirigeants d’entreprise en difficulté et d’en préparer le redressement. Leur mission consiste à prendre l’entreprise sous leur responsabilité afin qu’elle puisse poursuivre son activité ou faire l’objet d’une reprise. Les administrateurs sont également chargés d’aider le dirigeant à trouver des solutions pour régler ses difficultés dans le cadre de procédures collectives. Ils interviennent ainsi dans le cadre des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, chargés d’assister le dirigeant afin de trouver des solutions pour régler les difficultés de son entreprise et en préparer le redressement.

159 () Aux termes des dispositions du chapitre II du titre Ier du livre VIII du code de commerce, les mandataires judiciaires reçoivent mandat des tribunaux de grande instance ou de commerce afin de représenter les créanciers dans les procédures collectives, préserver les droits financiers des salariés, et liquider les actifs en cas de liquidation judiciaire.

160 () « Trente propositions pour l’avenir de la justice commerciale », rapport d’information n° 1006, fait au nom de la commission des Lois, par Mme Cécile Untermaier et M. Marcel Bonnot, députés.

161 () « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475, op. cit..

162 () Données provisoires extraites au 18 juillet 2014, nonobstant de nouvelles inscriptions sur les listes nationales.

163 () Inspection générale des Finances, Rapport n° 2012-M-057-03, tome n° 1, mars 2013, page 27.

164 () « Trente propositions pour l’avenir de la justice commerciale », rapport d’information n° 1006, op. cit., pp. 40 à 44.

165 () http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_stat_Chiffres_cles_2013.pdf.

166 () Rapport sur les professions du droit, op. cit., pp. 56-57.

167 () Les ventes de meubles aux enchères publiques se décomposent en deux catégories : les ventes volontaires, ventes pouvant être accomplies par toute personne physique ou morale qui remplit les conditions de nationalité, de résidence, d’honorabilité et d’assurance prescrites par les articles L. 321-4 et L. 321-6 du code de commerce et qui s’est acquittée des obligations déclaratives incombant aux opérateurs de ventes volontaires auprès du Conseil national des ventes volontaires ; les ventes judiciaires qui, en application de l’article 29 de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000, se définissent comme « les ventes de meubles aux enchères publiques prescrites par la loi ou par décision de justice, ainsi que les prisées correspondantes ».

168 () Article 1er de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers ; article 20 du décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris pour application de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relatif au statut des huissiers de justice.

169 () Les courtiers de marchandises assermentés sont des officiers publics dont le statut et les fonctions sont respectivement déterminés par les articles L. 131-12 à L. 131-22 et les articles L. 131-23 à L. 131-31 du code du commerce. Leur compétence consiste notamment à : intervenir dans le cadre d’expertises amiables ou judiciaires ; constater officiellement le cours des marchandises ; procéder à l’estimation des marchandises dans les magasins généraux ; à procéder à des reventes et rachats en bourse de commerce, à des inventaires, à des estimations d’actifs en valeur de réalisation ; à effectuer les ventes aux enchères publiques, volontaires et judiciaires de marchandises en gros, conformément aux textes régissant ces opérations.

170 () Ordonnance du 26 juin 1816 qui établit, en exécution de la loi du 28 avril 1816, des commissaires-priseurs judiciaires dans les villes chefs-lieux d’arrondissement, ou qui sont le siège d’un tribunal de grande instance, et dans celles qui, n’ayant ni sous-préfecture ni tribunal, renferment une population de cinq mille âmes et au-dessus.

171 () Article 43 de la loi n° 2011-850 du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

172 () Rapport sur les professions du droit, op. cit., pp. 56-57.

173 () Inspection générale des finances, rapport n° 2012-M-057-03 sur les professions réglementées, mars 2013, tome 3, p. 138.

174 () Idem.

175 () Idem.

176 () « Professions du droit : des métiers à adapter au XXIe siècle, un modèle à préserver », rapport d’information n° 2475, op. cit.

177 () Loi n° 66-879 du 29 novembre 1966.

178 () Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990.

179 () Loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006, complétée par le décret n° 2007-932 du 15 mai 2007.

180 () Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.

181 () Cette protection s’évanouit toutefois lorsque l’avocat est suspecté d’avoir participé à la commission d’une infraction pénale ou lorsque son client est suspecté de rechercher un conseil aux fins de blanchiment de capitaux.

182 () La procédure de « discovery » désigne une phase procédurale d’investigation préalable à tout procès, dont l’objectif est de recueillir des éléments de preuves destinés à favoriser le déroulement du procès.

183 () J.-M. Darrois, E. Vasseur, « La confidentialité des avis du juriste d’entreprise : pourquoi et comment ? », Juriste d’entreprise magazine, AFJE, numéro spécial sur la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, 2014, p. 68.

184 () H. de Vauplane, « Enquêtes et procédures internationales : un cauchemar qui peut devenir réalité pour une entreprise française », Juriste d’entreprise magazine, AFJE, op. cit., pp. 89-92.

185 () Dans le Rapport sur les professions du droit qu’il a remis en mars 2009 au président de la République, M. Jean-Michel Darrois recommandait de « créer un statut d’avocat en entreprise permettant au juriste d’entreprise d’être inscrit sur un tableau spécifique du barreau, avec les droits et obligations de l’avocat, sauf le droit de plaider et de développer une clientèle personnelle » (pp. 30-33).

186 () J.-M. Darrois, E. Vasseur, « La confidentialité des avis du juriste d’entreprise : pourquoi et comment ? », Juriste d’entreprise magazine, AFJE, op. cit., p. 68.

187 () Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse, Rapport remis par M. Richard Ferrand au ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, novembre 2014, p. 55.

188 () CJUE, 14 septembre 2010, « Akzo Nobel Chemicals contre Commission », affaire C-550/07 P ; CJUE, 6 septembre 2012, « PUKE contre Commission », affaires C-422/11 P & C-423/11 P.

189 () Richard Ferrand, « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op.cit., p. 56, proposition n° 23.

190 () Cour d’appel de Bruxelles, 18e chambre, 5 mars 2013, RG n° 2011/MR/3.

191 () J.-M. Darrois, E. Vasseur, « La confidentialité des avis du juriste d’entreprise : pourquoi et comment ? », Juriste d’entreprise magazine, AFJE, op. cit., p. 69.

192 () Directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 modifiant la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles et le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur («règlement IMI»).

193 () Institut sur l’évolution des professions juridiques, « L’interprofessionnalité capitalistique », décembre 2012, p. 137.

194 () J.-M. Darrois, Rapport sur les professions du droit, op.cit., p. 78.

195 () Richard Ferrand, « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op. cit., p. 42.

196 () Article L. 4041-2 du code de la santé publique.

197 () J.-M. Darrois, Rapport sur les professions du droit, op. cit., p. 82..

198 () Article L. 1110-4 du code de la santé publique.

199 () Article 5-1, premier alinéa, de la loi du 31 décembre 1990.

200 () Loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.

201 () Loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques.

202 () Qui plus est, les SPFPL peuvent avoir des activités accessoires en relation directe avec leur objet et destinées exclusivement aux sociétés ou aux groupements dont elles détiennent des participations (gestion du parc informatique, du personnel, des services administratifs, des services comptables, des services de documentation et de formation, secrétariat, etc.). Cet élargissement permet aux SPFPL d’avoir des produits propres, autres que les dividendes de ses filiales et de dégager ainsi des revenus complémentaires afin d’imputer les intérêts des emprunts contractés pour l’acquisition des titres de ses filiales. À titre d’exemple, ces activités accessoires en relation directe avec la détention de titres de participation peuvent être la gestion de la trésorerie du groupe, des bibles de savoir-faire ou d’actes, l’assistance dans l’élaboration d’un dossier.

203 () F. Moréas, Ph. Charles, « Et si la réforme des professions réglementées aidait les avocats ? », JCP G, n° 38, 15 septembre 2014, p. 939.

204 () Décret n° 2011-1541 du 15 novembre 2011 pris pour l’application à la profession de greffier de tribunal de commerce de la loi du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ; décret n° 2012-536 du 20 avril 2012 pris pour l’application aux professions de greffier de tribunal de commerce, d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

205 () Décret n° 2014-354 du 19 mars 2014 pris pour l’application de l’article 31-2 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

206 () Richard Ferrand, « Professions réglementées : pour une nouvelle jeunesse », op. cit., p. 38.

207 () Source : étude d’impact du projet de loi.

208 () Source : projet annuel de performance 2015 de la mission « Egalite des territoires et logement » - PLF 2015.

209 () Article 199 novovicies du code général des impôts.