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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 janvier 2015
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à lutter contre le gaspillage alimentaire (n° 2492)
PAR M. Jean-Pierre DECOOL
Député
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Voir le numéro :
Assemblée nationale : 2492.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LA RÉPLIQUE AU SCANDALE DU GASPILLAGE ALIMENTAIRE NE PEUT PLUS TARDER 11
A. AVOIR FAIM EN FRANCE EN 2014 : UNE SITUATION INTOLÉRABLE 11
B. L’IMPACT ÉCOLOGIQUE DU GASPILLAGE ALIMENTAIRE NE DOIT PAS ÊTRE PERDU DE VUE 12
C. FACE À LA CARENCE DE L’ACTION PUBLIQUE, LA SOCIÉTÉ CIVILE SE MOBILISE 13
1. La politique publique de lutte contre le gaspillage est d’ampleur modeste 13
a. Des initiatives publiques spontanées, sans impact durable 13
b. Les politiques menées à l’international sont des sources d’inspiration pour l’action publique en France. 15
2. Les efforts continus de la société civile dans la lutte contre le gaspillage 17
a. Les associations caritatives jouent un rôle historique dans la lutte contre le gaspillage alimentaire et la précarité alimentaire 17
b. Plus récemment, d’autres initiatives illustrent la dynamique d’innovation sociale pour lutter contre le gaspillage alimentaire 19
II. LA PÉDAGOGIE ALIMENTAIRE À L’ÉCOLE : RÉAPPRENDRE À NE PAS GASPILLER LA NOURRITURE 21
A. L’ÉDUCATION ALIMENTAIRE DANS LES RESTAURANTS SCOLAIRES 21
B. L’ÉDUCATION ALIMENTAIRE EN CLASSE 23
III. LE GASPILLAGE DE LA NOURRITURE INVENDUE : ENCOURAGER LE DON SANS LE FORCER 25
A. LE DON ALIMENTAIRE DE LA GRANDE DISTRIBUTION : UNE LOGIQUE GAGNANT-GAGNANT 25
B. GÉNÉRALISER LE DON DES INVENDUS ALIMENTAIRES POUR RENFORCER CETTE DYNAMIQUE DE SOLIDARITÉ 27
IV. REPENSER LE SYSTÈME DE DATAGE DES PRODUITS : LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE NE DOIT PLUS ALLER DE PAIR AVEC DES GASPILLAGES ABUSIFS 31
A. LES DATES LIMITES : UN ENCOURAGEMENT AU GASPILLAGE QUI N’EST PAS TOUJOURS JUSTIFIÉ 31
B. TROUVER UN JUSTE ÉQUILIBRE ENTRE LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR ET LA LUTTE CONTRE LE GASPILLAGE 32
EXAMEN EN COMMISSION 35
Article 1er : Sensibilisation à la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les établissements scolaires 47
Après l’article 1er 49
Article 2 : Convention d’organisation de la collecte de denrées alimentaires invendues par les grandes et moyennes surfaces 49
Article 3 : Demande de rapport sur le sujet des dates limites de consommation des produits alimentaires 53
Aujourd’hui, en France, de nombreuses personnes connaissent encore la précarité. Dans le même temps, notre société produit beaucoup plus qu’elle ne consomme, et gaspille des tonnes de nourriture saine tous les ans. Cette injustice, produit d’une société de consommation en crise, n’est plus tolérable.
C’est pourquoi votre rapporteur a pris l’initiative de déposer cette proposition de loi. Il en effet été alarmé, dans sa circonscription, où il a participé à des opérations de collecte de nourriture, mais aussi par de nombreux acteurs de la société civile qui connaissent son engagement sur le sujet, de l’ampleur du problème du gaspillage alimentaire.
Tandis que de nombreuses associations, soutenues par des centaines de bénévoles, des collectivités territoriales, mais également des grandes surfaces et des entrepreneurs sociaux, se mobilisent pour lutter au quotidien contre le gaspillage de la nourriture, l’action de l’État dénote par son faible activisme pour soutenir ces initiatives et pour parvenir aux résultats ambitieux qu’il s’est fixé : la réduction de moitié du gaspillage alimentaire en France à l’horizon 2025. C’est cette carence que la présente proposition de loi entend pallier.
Les trois articles initiaux de cette proposition ont pour objectif de susciter le consensus. Consensus des acteurs de la société civile, avec qui votre rapporteur a beaucoup dialogué pour faire évoluer sa rédaction dans un sens qui correspond aux attentes de l’ensemble des parties, mais également consensus des groupes politiques : sans aller jusqu’à parler d’union nationale, il est pourtant de bon sens de reconnaître que cette proposition doit créer l’unanimité sur nos bancs.
Certes, le gaspillage alimentaire n’est pas un problème franco-français. Il pose une question beaucoup plus large, une question écologique au sens propre : comment nourrir 10 milliards de personnes à l’horizon 2050 sans assécher la planète, sans épuiser nos ressources naturelles, ou engendrer de nouvelles « guerres de la faim » ? Aujourd’hui, 800 millions de personnes souffrent déjà de la faim dans le monde.
C’est pourquoi votre rapporteur propose, dans ce rapport, d’observer la question du gaspillage alimentaire au travers de deux prismes : le prisme de l’écologie, puisque la lutte contre le gaspillage alimentaire doit permettre de rendre nos modes de production de nourriture soutenables à l’échelle planétaire, et le prisme de la générosité, dès lors que notre effort pour ne pas gaspiller permet souvent d’aider les personnes qui ne peuvent pas se nourrir à leur faim.
Dans les deux cas, il semble important de rappeler que l’enjeu sous-jacent à la lutte contre le gaspillage alimentaire est la valeur qu’il faut attacher à la nourriture. Celle-ci ne réside pas uniquement dans sa valeur marchande – ce qui coûte peu pouvant alors être aisément gaspillé. La nourriture a aussi une valeur intrinsèque (c’est le fruit d’un travail) et une valeur sociale (pouvoir manger à sa faim). Le gaspillage alimentaire est une dénaturation de la valeur attachée à la nourriture : il signifie que le produit, bon à consommer, ne mérite pas d’efforts pour renoncer à le jeter. On lui nie donc une quelconque valeur, ce qui est sans doute le symptôme d’une société de consommation qui n’est plus habituée à la pénurie. C’est pour lutter contre cette dérive que l’initiative de la présente proposition de loi trouve son origine.
Le gaspillage alimentaire désigne plusieurs réalités, et ses définitions peuvent fluctuer. Selon la FAO (1), il convient de distinguer, selon où l’on se situe dans la chaîne alimentaire, la perte de nourriture du gaspillage de nourriture stricto sensu.
La perte de nourriture caractérise la diminution, au stade de la production alimentaire (qu’elle soit agricole ou industrielle), de la masse de denrées qui est destinée à la consommation humaine. Ce sont des denrées qui sont perdues à cause de mauvaises conditions de transport ou de stockage, écartées parce qu’elles sont mal calibrées pour être acceptées par les distributeurs, ou qui se retrouvent en surplus et ne sont pas fournies.
Le gaspillage de nourriture se manifeste au stade de la distribution et de la consommation. Ce sont les denrées qui sont gaspillées dans les commerces de détail, souvent parce qu’elles doivent être retirées des rayons lorsque leur date limite de consommation approche ; dans les ménages, qui ne les consomment pas à temps ; dans les lieux de restauration, lorsque la nourriture préparée n’est pas entièrement consommée.
Dans les pays développés, le stade de la production alimentaire engendre relativement peu de pertes. Les moyens logistiques (réfrigération, transport, entrepôts) sont performants, à la différence des pays en développement, qui connaissent de réelles difficultés à moderniser leurs infrastructures. En revanche, le comportement de consommation des sociétés développées conduit plus souvent au gaspillage.
Plusieurs éléments permettent de l’expliquer : nos sociétés développées sont des sociétés de consommation, où la valeur attachée à la nourriture n’est pas aussi importante qu’avant. En outre, les pratiques commerciales, qui mettent l’accent sur la satisfaction du client, préfèrent écarter un produit dont la qualité esthétique n’est pas parfaite plutôt que de le proposer au consommateur, afin de valoriser son image de marque. Enfin, le souci de vendre et de consommer des denrées qui ne présentent aucun risque sanitaire entraîne souvent des comportements excessivement prudents – comme le fait de jeter un produit dont la date de péremption vient à peine d’être dépassée.
Source : Gustavsson et al. (FAO, 2011).
Mais tous ces facteurs d’explication du gaspillage ne suffisent pas à illustrer l’ampleur du problème. Au niveau mondial, la FAO (2) a estimé que le tiers de la nourriture produite n’est pas consommé (soit 1,3 milliard de tonnes par an). Selon la Commission européenne, le gaspillage alimentaire dans l’UE représente 89 millions de tonnes par an, soit 179 kg par habitants. À défaut de mesures efficaces, la Commission estime que ce niveau atteindra 126 millions de tonnes en 2020. Enfin, selon l’ADEME (3), chaque Français jette en moyenne 20 kg de nourriture saine par an, dont 7 kg encore sous emballage.
Les chiffres de l’ADEME, de la Commission européenne ou de la FAO sont connus, repris largement dans les médias, dans les associations et par toutes les initiatives publiques ou privées qui souhaitent sensibiliser sur l’ampleur du phénomène.
Pourtant, si l’on veut mener une action publique efficace, il n’est pas possible de s’en satisfaire. Si ces chiffres ont une utilité au premier abord
– « percuter » l’opinion publique –, ils sont trop agrégés, établis selon une méthodologie à parfaire, et peu souvent mis à jour.
Combattre le gaspillage alimentaire réclame, au contraire, une connaissance fine de l’état du gaspillage à chaque stade de la chaîne alimentaire : au sein des filières agricoles et agro-alimentaires ; au sein de la grande distribution et de la restauration collective ; au sein des ménages. À cette condition seulement, il sera possible de mener des politiques publiques ciblées, en se focalisant sur les plus grands gisements de gaspillage. Les acteurs de la société civile, comme l’association France Nature Environnement, sont conscients que cette maîtrise statistique, qui ne peut provenir que d’une impulsion publique, est un préalable indispensable à la réduction durable du gaspillage alimentaire.
Votre rapporteur souhaite ainsi que l’engagement du Pacte national contre le gaspillage alimentaire, qui prévoit que « les outils statistiques de l’État soient mobilisés sur la thématique pour fournir, d’ici 2016, une mesure plus précise sur l’ensemble de la chaîne, de la production à la consommation, sans oublier les phases de transport, de transformation et de distribution », soit effectivement mis en œuvre, par la mobilisation des instituts statistiques (INSEE, DREES) ou des agences (ADEME).
La réponse publique doit être exemplaire, pour éviter de considérer que le gaspillage alimentaire serait consubstantiel de notre société de consommation – un mal nécessaire, en quelque sorte, qui conduit à des actions extrêmes comme celles du « freeganisme » au Royaume-Uni. Ces militants « freegans » ont fait le choix de ne se nourrir que de la nourriture gaspillée qu’ils trouvent dans les poubelles, pour démontrer les dérives de notre société de consommation. Il s’agit d’une forme de glanage anti-capitaliste, qui pose les bonnes questions, mais n’apporte pas, selon votre rapporteur, les bonnes réponses.
L’intervention publique est légitime, car elle sera efficace pour faire bouger les lignes. Pourtant, il ne faut pas penser qu’il est possible de mettre fin au gaspillage alimentaire par décret. En particulier, il ne faut pas minimiser la part que jouent les obstacles culturels et sociologiques dans l’évolution des comportements de consommation dans un sens plus responsable. Un exemple, qui n’est anecdotique qu’en apparence, est l’attitude des Français face aux assiettes non terminées dans les restaurants. Tandis que les pays anglo-saxons admettent bien volontiers le principe du « doggy bag », il existe en France un inconfort traditionnel à demander aux serveurs d’emporter les restes de nourriture chez soi. Plusieurs initiatives locales (4) visent aujourd’hui à encourager les consommateurs à franchir le pas.
L’évolution des comportements alimentaires des ménages est une tendance plus lourde de notre société contemporaine. L’influence des contraintes de temps sur l’acte de préparer et de consommer la nourriture a ainsi été observée (5). Ces contraintes de temps expliquent l’évolution de l’offre alimentaire en grande surface : de plus en plus de produits déjà préparés, de fruits et légumes déjà épluchés et nettoyés, sont proposés à la vente. Ce sont autant de produits dont la durée de consommation est considérablement réduite, et qui sont potentiellement gaspillés, soit au stade de la distribution, soit au stade de la consommation, dans les ménages.
Pourtant, il est faux d’affirmer que les consommateurs sont insensibles au gaspillage de la nourriture ; qu’en quelque sorte, ils n’attachent plus aucune valeur à la nourriture. Les enquêtes sociologiques qui ont été menées auprès des consommateurs montrent en revanche que les ménages sous-estiment largement la quantité de nourriture qu’ils gaspillent. Selon l’association Hispacoop, les consommateurs espagnols déclarent ne gaspiller que 4 % de la nourriture qu’ils achètent, cette proportion s’élevant en réalité à 18 %.
La première partie du rapport est consacrée à un état des lieux général de la lutte contre le gaspillage alimentaire, dans un contexte où la précarité alimentaire connaît une hausse continue, mais où, dans le même temps, les acteurs de la société civile se mobilisent (partie I).
Dans cette perspective, une initiative de nature législative se justifie à plusieurs titres. Elle permet de donner, sur plusieurs fronts, plusieurs impulsions dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.
En premier lieu, les actions de nature préventive demeurent prioritaires pour anticiper les comportements conduisant au gaspillage alimentaire. Beaucoup d’actions de sensibilisation aux bonnes pratiques sont menées pour informer l’opinion publique, mais ne relèvent pas de la loi. En revanche, il est possible d’intervenir en amont, dès l’école, pour que les futurs consommateurs que sont les enfants ne reproduisent pas les mauvaises habitudes et les mauvaises pratiques alimentaires qu’ils peuvent observer dans leur famille. C’est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi (partie II).
En second lieu, les actions de nature curative visent à donner une seconde vie aux denrées alimentaires qui risquent d’être gaspillées, notamment dans les commerces de détail. Il s’agit soit d’inciter les consommateurs à acheter des produits qui s’approchent de leur date limite de consommation (démarques, par exemple), soit d’orienter ces denrées vers le don alimentaire, ce qui permettra, par le biais des associations caritatives, de soutenir les personnes en situation de précarité alimentaire. L’article 2 a pour objet de prescrire un degré d’exigence minimale dans la lutte contre le gaspillage des commerces de détail : l’obligation de signer une convention de don des denrées invendues au profit d’associations caritatives (partie III).
Enfin, en dernier lieu, c’est sur le cadre réglementaire que l’intervention législative se justifie. Il s’agit ici d’inciter le Gouvernement, par une demande de rapport, à éclaircir les règles relatives aux dates limites (de consommation, de durabilité minimale) des produits alimentaires, dont la méconnaissance par le grand public encourage le gaspillage alimentaire. C’est l’objet de l’article 3 (partie IV).
Notre société ne connaît pas encore l’opulence. La montée de la précarité en France, déjà sensible depuis la fin des Trente glorieuses, est rendue plus flagrante par les effets de la récession économique. Le chômage de masse, l’exclusion sociale, la pauvreté sont autant de produits de la crise sociale que nous traversons, et qui se manifestent de la plus intolérable des façons : en France, aujourd’hui, il est possible de ne pas pouvoir manger à sa faim.
Selon l’INSEE, les ménages français connaissent une diminution régulière de la part du budget consacré à l’alimentation ces dernières décennies – même si les dépenses de restauration à l’extérieur augmentent. Cette part est passée de plus de 30 % au début des années 1960 à 16 % de nos jours.
Pourtant, les ménages précaires connaissent toujours des difficultés à s’alimenter correctement, ce qu’on peut qualifier d’insécurité alimentaire. La déclaration de Rome, signée lors du Sommet mondial de l’alimentation de 1996, en propose une définition : « la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont à tout moment un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».
Une des raisons principales de cette situation tient au fait que les dépenses alimentaires sont la variable d’ajustement de budgets trop contraints par les dépenses de logement ou par les factures d’énergie. Les aliments les plus chers, comme la viande rouge, les fruits et légumes, pourtant indispensables à l’équilibre des repas, sont parfois inaccessibles à ces ménages. Cela se traduit par une surconsommation de féculents ou de produits sucrés, meilleur marché : la précarité alimentaire se couple alors avec d’inévitables inégalités sociales de santé (obésité, diabète, etc.).
Par conséquent, selon le Conseil économique, social et environnemental (6), nous assistons à « une forte croissance de l’aide alimentaire en France due à l’affaiblissement du pouvoir d’achat et à la paupérisation croissante d’une partie de la population : elle concerne près de 3,5 millions de personnes, de façon ponctuelle, régulière ou permanente (en croissance de 8 % entre 2006 et 2008, de 12,5 % en 2009 et de 6 % en 2010-2011) ». Face à cette situation, les principales associations de soutien alimentaire, dans un contexte où les subventions qu’elles perçoivent diminuent tendanciellement, ont du mal à faire face.
Nous nous trouvons donc dans une situation paradoxale, qui contribue à la fracture sociale. D’un côté, la plupart des ménages français attachent de moins en moins de valeur à la nourriture – valeur marchande, puisqu’il est moins coûteux qu’avant de se nourrir, et valeur symbolique, le respect associé à la nourriture allant décroissant, et le gaspillage étant moins stigmatisé qu’avant. D’un autre côté, de plus en plus de ménages en situation de précarité doivent recourir à un soutien alimentaire pour compléter leur panier de courses ou pour bénéficier de repas chauds.
Dans les sociétés développées, l’ampleur du gaspillage alimentaire rend donc encore plus intolérable la persistance d’une précarité alimentaire : ce gaspillage devient le symbole de l’iniquité de la société de consommation.
Mais l’enjeu est plus général. Le gaspillage alimentaire à l’échelle mondiale est non seulement un scandale humain, mais aussi un scandale écologique. Il représente un prélèvement inutile de ressources naturelles (terres cultivables, eau douce), l’agriculture utilisant 70 % de la ressource en eau globale et en énergie. Il représente des émissions de gaz à effet de serre évitables et des tonnes de déchets supplémentaires.
Dans un contexte où, selon le Comité économique et social européen, il faudra augmenter la production agricole de 60 % pour nourrir les 10 milliards d’individus que comptera la planète en 2050, la lutte contre le gaspillage alimentaire est une piste sérieuse de développement soutenable de notre civilisation. En produisant autant, mais mieux, et en consommant de manière plus responsable – rappelons que si la France gaspille, c’est dans une proportion bien moindre que les États-Unis (estimé à 300 kg par habitant et par an) –, c’est aussi au défi écologique que nous pourrons répondre.
Il faut donc faire le lien entre la dimension nationale et la dimension planétaire du gaspillage alimentaire, ces deux dimensions n’étant pas indépendantes l’une de l’autre. Ainsi, si le rapport présenté ici concentre son attention sur la lutte contre le gaspillage alimentaire en France, le gaspillage des pays développés a une incidence sur l’accès à la nourriture des pays en voie de développement (7) : la demande en produits alimentaires des pays développés va croissante, malgré les quantités importantes de denrées gaspillées, ce qui tend les marchés de biens primaires, rendant l’accès à la nourriture coûteux même dans les pays pauvres – ce qui s’est manifesté ces dernières années par des « guerres de la faim ».
Face aux chiffres consternants du gaspillage alimentaire en France, l’État a répondu par deux initiatives nationales : d’une part, il a instauré, en 2013, une journée nationale de lutte contre le gaspillage alimentaire, fixée le 16 octobre. D’autre part, un pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire a été signé par différentes parties prenantes, fixant l’objectif de diviser par deux le gaspillage alimentaire d’ici 2025. Ce pacte réunit 28 acteurs de la société civile souhaitant se mobiliser contre le gaspillage alimentaire : collectivités territoriales, producteurs, marchés, acteurs de l’industrie agroalimentaire, de la grande distribution, de la restauration, associations et entrepreneurs sociaux.
Le pacte « anti-gaspi » mis en œuvre par le Gouvernement ne s’est pourtant pas concrétisé par des avancées concrètes très importantes, notamment dans le domaine réglementaire, où les principales mesures du pacte (cf. encadré ci-dessous) n’ont pas encore été suivies d’effet. En revanche, pour les enseignes et pour les associations, il s’est traduit par des effets vertueux : mettre tous les acteurs autour de la table dans une logique de concertation et d’action collective et mettre à l’agenda des enseignes la lutte contre le gaspillage alimentaire, par la production de guides de bonnes pratiques ou de recommandations d’actions simples à mettre en œuvre dans chaque magasin. On peut également avancer que la promotion de l’éthique sociale des enseignes, dont l’importance s’est considérablement accrue ces dernières années, encourage une concurrence vertueuse entre elles pour améliorer leur image de marque.
Les onze mesures du pacte national de lutte contre le gaspillage
- Création d’un logo en forme de pomme pour rallier la mobilisation dans la lutte contre le gaspillage et labelliser les bonnes pratiques ;
- Création d’une journée nationale de lutte contre le gaspillage (le 16 octobre) et d’un « prix anti-gaspi » ;
- Mise en place de formations dédiées dans les lycées agricoles et écoles hôtelières ;
- Inclusion de clauses relatives à la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les marchés publics de la restauration collective (devait être mis en œuvre en 2014) ;
- Éclaircissement du cadre réglementaire et du transfert de responsabilité en cas de don alimentaire ;
- Inscription de la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les plans relatifs à la prévention des déchets ;
- Inclusion de la lutte contre le gaspillage alimentaire dans la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ;
- Remplacement de la « date limite d’utilisation optimale » par la mention « à consommer de préférence avant » dans la réglementation ;
- Lancement d’une campagne de communication ;
- Mise à jour du site dédié au gaspillage alimentaire ;
- Mise en place d’une expérimentation du don alimentaire par plate-forme numérique
Enfin, un an plus tard, et le lendemain d’une question au Gouvernement de votre rapporteur sur le sujet, M. Guillaume Garot, ancien ministre délégué à l’agroalimentaire, a été chargé d’une mission pour le compte du Gouvernement sur le sujet du gaspillage alimentaire, dont les travaux doivent aboutir au printemps 2015.
Dans ce contexte, il n’est pas excessif de constater que la France accuse un certain retard dans la sensibilisation de l’opinion publique au problème du gaspillage alimentaire, en particulier par rapport aux initiatives internationales : le Pacte national de lutte contre le gaspillage a été mis en place en 2013, tandis que le WRAP (8) britannique, qui mène des campagnes de sensibilisation très actives, a été créé dès 2000. De fait, en France, le terrain est largement occupé, comme nous le verrons, par les initiatives spontanées de la société civile et des entreprises commerciales.
En outre, lorsque des actions sont menées, elles demeurent souvent ponctuelles. Ainsi, lors de la journée de lutte contre le gaspillage alimentaire, le Gouvernement a recensé près de 200 actions de sensibilisation sur l’ensemble du territoire, comme les « disco soups » (des soupes festives confectionnées à partir d’invendus), ainsi que des ventes de fruits et légumes abîmés ou déformés en grandes surfaces, ou des "challenge zéro poubelle" à l’école. Mais ces actions spontanées restent sans lendemain.
Au niveau réglementaire, il faut néanmoins noter l’assouplissement de la doctrine fiscale relative au don alimentaire, fruit des efforts de mobilisation de nombreuses associations, et qui pourra avoir des effets durables.
La défiscalisation d’une partie des dons en nature repose, selon cette doctrine fiscale en vigueur, sur un transfert direct, d’un distributeur ou d’un producteur à une association, sans intermédiaire.
Depuis plusieurs années, les associations comme les agriculteurs soulèvent une objection : lorsqu’un agriculteur, par exemple, souhaitait donner des œufs ou du lait, produits en surplus, à une association caritative, il ne pouvait obtenir de déduction fiscale. Ce sont des dons agricoles qui réclament un conditionnement, même simple : placer les œufs dans des boîtes ou le lait dans des briques sont des actions qui demandent la plupart du temps l’intervention d’un intermédiaire entre l’agriculteur et l’association. La défiscalisation du don n’est alors plus possible, puisque l’agriculteur n’est plus propriétaire des biens qu’il a transféré au centre de conditionnement ou à la coopérative agricole.
Sous l’impulsion de ces acteurs de la société civile, le Gouvernement a fait évoluer sa position. Depuis un an, les producteurs de lait et les grandes surfaces qui le commercialisent bénéficient de la déduction fiscale attachée aux autres dons alimentaires. Cette initiative a permis de récolter 2 millions de litres de lait pour les associations.
La même ouverture a été promise par le ministre de l’Agriculture en décembre 2014 pour les œufs. Ainsi, un éleveur de poules pondeuses pourra déclarer à son centre de conditionnement le nombre d’œufs qu’il souhaite donner à une association de soutien alimentaire, avec laquelle le centre est partenaire. Puis, une fois les œufs livrés à l’association, cette dernière adressera à l’éleveur une attestation du volume d’œufs donnés, sur la base des informations transmises par le centre de conditionnement.
Les associations – et votre rapporteur s’associe à leur démarche – souhaitent aller plus loin et permettre le don agricole de produits tels que la viande, qui nécessite le passage dans un abattoir, ou des produits transformés. Ainsi, selon l’association Solaal, des filières de dons nouvelles pourraient être créées, comme la fabrication de flocons de purée à partir de dons de pommes de terre qui ne peuvent être distribués en magasin.
b. Les politiques menées à l’international sont des sources d’inspiration pour l’action publique en France.
En premier lieu, au niveau européen, l’évolution de la réglementation a montré que des assouplissements n’étaient pas toujours synonymes de moindre rigueur dans la gestion de la chaîne alimentaire. Ainsi, en 2008, la Commission européenne a finalement approuvé la suppression de la normalisation réglementaire de la taille et de la forme des fruits et légumes : il s’agit d’éviter que des produits mal calibrés, même légèrement, ne soient jetés. En outre, l’année 2014 a été déclarée l’année européenne de lutte contre le gaspillage alimentaire.
Mais la politique européenne historique de lutte contre le gaspillage est le programme européen d’aide aux plus démunis. Créé en 1986, le PEAD permettait d’apporter une aide alimentaire aux 13 millions d’Européens vivant sous le seuil de pauvreté. En France, le programme allouait 72 millions d’euros et de denrées à quatre associations – les banques alimentaires, la Croix-Rouge française, les Restos du Cœur et le Secours populaire français – afin de soutenir près de 4 millions de personnes.
Originellement, le PEAD permettait de concilier deux intérêts généraux : aider les populations en situation de précarité alimentaire, et ne pas gaspiller les « stocks d’intervention » de la politique agricole commune qui n’étaient pas utilisés pour réguler les marchés agricoles. Afin d’assurer un niveau d’aide alimentaire continu, le PEAD a été modifié au milieu des années 1990 afin de compléter les stocks d’intervention, qui baissaient, avec des achats directs sur le marché, financés par les fonds de la PAC.
Depuis 2004, la France complétait les achats européens, par le Programme national d’aide alimentaire (PNAA), répondant aux besoins non pourvus par le PEAD (protéines animales, fruits, légumes).
La polémique de la suppression du PEAD
Les réformes successives de la PAC ont conduit à mettre en place un système qui ne fait presque plus appel aux stocks d’intervention. La pérennité du PEAD, qui était financé sur les fonds de la politique agricole commune, a été questionnée : un arrêt du Tribunal de l’Union européenne, rendu en 2011, a confirmé que la base juridique du PEAD était à revoir, puisque l’achat de denrées sur le marché constituait une exception à la règle. Pour l’exercice budgétaire 2012, la Commission, tenant compte de ce jugement, a donc réparti une enveloppe de 113,5 M€ entre les 20 États membres bénéficiaires, soit une réduction de 500 M€ en une seule année.
Le tollé suscité par cette décision, soutenue par certains États comme l’Allemagne, a entraîné la recherche d’un accord diplomatique, la France souhaitant quant à elle la continuité du programme. Le PEAD a finalement été prolongé sur 2012 et 2013 avec un budget de 500 M€ par an. Une déclaration franco-allemande a acté la fin du PEAD en 2014 et la création d’un nouveau Fonds.
La création du FEAD
À partir de 2014, l’Union européenne s’est dotée du Fonds européen d’aide alimentaire (FEAD), au budget équivalent mais ouvert à davantage d’États. La part de l’aide alimentaire européenne allouée à la France étant mécaniquement plus faible, le Gouvernement français s’est engagé à compenser la différence, soit un abondement exceptionnel du budget de l’État qui s’est élevé à 7,6 millions d’euros.
Il s’agit notamment de denrées alimentaires, de vêtements et d’autres biens essentiels à usage personnel, tels que des chaussures, du savon ou du shampooing. Cette assistance matérielle doit s’accompagner de mesures d’intégration sociale, notamment des services de conseil et d’assistance visant à aider les personnes à sortir de la pauvreté. Néanmoins, l’optique de lutte contre le gaspillage alimentaire n’est plus présente dans ce fonds.
Au niveau international, le succès de l’initiative britannique « WRAP » a déjà été évoquée. Par de grandes campagnes de sensibilisation, comme en 2007 la campagne Love food, hate waste, des progrès considérables ont été réalisés pour limiter le gaspillage des consommateurs britanniques.
Parfois, c’est l’initiative législative qui a été privilégiée pour faire bouger les lignes de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Certains États comme l’Italie ou les États-Unis ont adopté des dispositions législatives afin d’assouplir la responsabilité civile et pénale des donateurs de denrées alimentaires. Ces « clauses du bon samaritain » introduisent une présomption de bonne foi pour ces donateurs – qui peuvent être des particuliers, des distributeurs, des restaurateurs –, afin que leur geste ne soit pas retenu par la crainte de répercussions judiciaires si un problème sanitaire avait lieu. Un niveau plancher de « négligence grave » dans le respect de principes sanitaires élémentaires est fixé afin de ne pas dédouaner les donateurs de toute responsabilité.
Au Royaume-Uni, de nouveau, ce sont les pratiques de vente « deux pour le prix d’un » qui ont été prohibées, au bénéfice d’un système « un acheté pour un offert, mais plus tard ». Le gaspillage alimentaire est ainsi mécaniquement diminué, et les politiques de démarque abusive découragées.
a. Les associations caritatives jouent un rôle historique dans la lutte contre le gaspillage alimentaire et la précarité alimentaire
Les associations caritatives, de soutien alimentaire en particulier, concentrent leur action sur le don des denrées invendues ou non consommées. Cet objectif concilie deux intérêts généraux : ne pas gaspiller des denrées parfaitement consommables et aider des personnes en situation de précarité alimentaire. Les principales associations, dont le réseau est souvent national, sont le Secours populaire, la Croix-Rouge française, les banques alimentaires et les Restos du Cœur. Des milliers d’associations de quartier, d’épiceries solidaires, de fraternités complètent un paysage associatif mobilisé pour lutter contre le gaspillage en France.
En particulier, les banques alimentaires, réunies dans une fédération comptant 79 associations, ont comme objectif principal de collecter gratuitement partout en France des produits alimentaires, et ce tout au long de l’année. Elles récoltent des denrées auprès de plus de 1 800 grandes et moyennes surfaces. Elles distribuent l’équivalent de 150 millions de repas.
Les Restos du Cœur ont mis en place plusieurs types de soutien alimentaire : la distribution de paniers-repas à cuisiner chez soi ; la fourniture de repas chauds ; une aide spécifique pour l’alimentation des bébés.
Le Secours populaire, à côté de la distribution d’un soutien alimentaire traditionnel, a mis en œuvre plusieurs initiatives ayant pour objet d’accompagner les personnes précaires au-delà du seul repas. Les libres-services de la solidarité permettent aux personnes accueillies de faire librement leurs courses, en échange d’une somme symbolique. Le Secours populaire sensibilise également les personnes accueillies à une meilleure nutrition, afin d’éviter le cumul de la précarité sociale et de mauvaises habitudes alimentaires qui renforcent les inégalités de santé dont elles sont victimes. Enfin, des jardins solidaires ont été créés afin de renforcer le lien social qui accompagne la récolte de fruits et de légumes.
À un niveau plus local, nombreuses sont les associations qui ont sollicité votre rapporteur pour apporter leur témoignage. Par exemple, les « glaneurs du Châlonnais » représentent bien cette catégorie d’associations qui manifestent leur solidarité à dimension humaine, à l’aide de bénévoles. Les jours de marché, des glaneurs associatifs ramassent auprès des commerçants les légumes et les fruits invendus encore consommables. Ces derniers sont triés, lavés et mis en caisse par les bénévoles pour être ensuite distribués. Les bénéficiaires, cinquante par semaine environ, sont en situation précaire. Cette association a pu redistribuer 6 tonnes de fruits et légumes en 2012 et 8,8 tonnes en 2014.
Les « glaneurs du Châlonnais » ont également ouvert une « boutique gratuite », où les produits mis en rayon, provenant de dons de particuliers, sont disponibles gratuitement ou contre une contribution solidaire. Les destinataires sont incités à prendre une part active dans le fonctionnement de la structure, afin d’encourager la création de lien social et pour éviter le sentiment de culpabilité devant l’aide reçue.
Toutes ces associations ont une mission sociale qui va bien au-delà du soutien alimentaire stricto sensu : la distribution de denrées s’accompagne d’échanges, de conseils, de moments de sociabilité pour lutter contre l’isolement et pour encourager l’insertion des publics accueillis. C’est un des objectifs des « ateliers cuisine » organisés par les associations, en parallèle de la volonté d’assurer l’éducation alimentaire des familles participantes (guide de recettes simples, accommodement des restes, équilibre nutritionnel des repas).
D’autres associations agissent indirectement pour lutter contre le gaspillage alimentaire, souvent au travers du prisme du développement durable : le gaspillage n’est pas un mode de consommation soutenable sur le long terme, alors que les ressources naturelles sont déjà sous tension, que la démographie mondiale s’accroît, et que l’agriculture est toujours plus intensive. L’association France Nature Environnement (FNE) est ainsi particulièrement mobilisée sur ce domaine, et a conclu des partenariats avec des acteurs publics comme l’ADEME ou le ministère de l’Écologie.
b. Plus récemment, d’autres initiatives illustrent la dynamique d’innovation sociale pour lutter contre le gaspillage alimentaire
Beaucoup d’initiatives privées qui trouvent insupportables le gaspillage alimentaire ont émergé ces dernières années, complétant le paysage associatif traditionnel : applications innovantes sur smartphones, solutions logistiques pour aider les établissements scolaires ou les petites surfaces à moins gaspiller, solutions simples pour contourner les difficultés liées au respect des normes sanitaires dans la restauration collective… Votre rapporteur a pu auditionner des associations, entrepreneurs sociaux ou professionnels du secteur alimentaire qui ont pu démontrer que l’innovation sociale, dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, était très dynamique.
En amont de la chaîne alimentaire, c’est-à-dire au niveau de la production agricole et agro-alimentaire, le collectif « Gueules cassées » milite, par exemple, pour l’agroécologie et mobilise les producteurs – plus de 400 – afin de les aider à écouler des stocks de fruits et légumes ayant des défauts esthétiques. Grâce à des démarques parfois importantes (à hauteur de 30 %), ces produits parviennent à être vendus en supermarché, dans une logique de consommation responsable et éthique.
De même, l’association Solaal encourage le don de la part des producteurs agricole, ou auprès des industries agro-alimentaires pour des denrées telles que les céréales de petit-déjeuner. Ainsi, depuis sa création en mai 2013, 830 tonnes de produits ont été distribuées, soit l’équivalent de 1,66 million de repas. Cette intervention repose sur une demande expresse des associations caritatives, qui ont identifié là un levier de don important et, surtout, diversifié par rapport à la collecte traditionnelle de produits secs ou de boîtes de conserve. L’association fait l’interface entre les différents acteurs et les douze associations agréées par le gouvernement. Solaal répartit de manière équitable les denrées récupérées entre ces associations, sans favoritisme ou course au don.
Les gisements de denrées invendues sur lesquels se concentre l’action de Solaal sont les refus de palette par la grande distribution ; les fruits, légumes, et produits non calibrés ; les produits dont la date de durabilité minimale approche ; enfin, de manière moins intuitive, les marchés bloqués, comme le marché des pommes à destination de la Russie, sous embargo : 300 tonnes tous les deux mois sont ainsi sauvées du gaspillage.
En second lieu, au niveau de la grande distribution, la start-up « zero-gachis.com » a pour ambition d’aider les magasins à trouver des moyens de valoriser les produits alimentaires qui approchent leur date limite de consommation – dits produits en date courte –, afin d’éviter leur gaspillage. Elle apporte une solution logistique (étiquetage, calcul automatique de réduction, organisation des rayons) pour permettre des « ventes rapides » de ces produits, démarqués afin de concentrer les intentions d’achat.
On pourrait faire remarquer que le développement de telles solutions, si elles sont efficaces contre le gaspillage alimentaire, serait de nature à tarir, à long terme, une source de dons alimentaires dont dépendent des populations en situation de précarité. Mais dans certains magasins, surtout dans les zones rurales ou peu denses où le tissu associatif n’est pas aussi développé que dans les grandes villes, si des associations viennent effectuer des collectes un jour sur deux, les invendus sont jetés les autres jours, ce qui n’est pas une solution satisfaisante. En outre, on peut également considérer que les produits démarqués profitent aux publics de consommateurs dont le budget dédié à l’alimentation est contraint.
Cependant, la démarque systématique peut engendrer un autre effet pervers : habituer les consommateurs au discount, qui biaise leurs intentions d’achat ; les produits en date courte qui ne trouvent pas preneur ne peuvent ensuite plus être donnés, leur date de péremption étant trop proche.
De manière complémentaire, l’action de l’entreprise sociale Eqosphere se dirige vers les magasins, où les gisements de produits gaspillés sont systématiquement importants, même si les gérants sont souvent convaincus du contraire. Les équipes de l’entreprise inspectent les entrepôts, les manières de stocker et de placer les produits, afin de distinguer la « casse » qui ne peut pas être évitée de celle qui peut être récupérée au profit d’associations (sous forme de dons ou de ventes à tarif préférentiel). Eqosphère initie également les employés des magasins aux bons gestes et à la culture anti-gaspillage ; en même temps, elle délivre une formation de fond sur les aspects sanitaires et juridiques du don alimentaire.
En dernier lieu, des initiatives ont pour vocation de limiter le gaspillage alimentaire du consommateur, en intervenant sur ses pratiques au quotidien. Ainsi, l’application « Checkfood », développée par l’agence de communication 5e gauche, permet aux familles d’utiliser leur smartphone pour maîtriser les dates limites de consommation des produits qu’elles achètent. Une alerte est envoyée deux ou trois jours avant l’expiration de cette date, et l’application propose un choix : soit consommer le produit rapidement, soit le donner. Dans ce dernier cas, l’application propose de trouver sur une carte l’association la plus proche pour recueillir le don.
Cette solution se heurte à des problèmes pratiques : comment répertorier les dates de consommation de tous les produits ? Si ces données étaient présentes sur le code-barres, une avancée sensible pourrait prendre place, dans la logique de l’Internet des objets qui se développe à une vitesse exponentielle dans notre quotidien.
Ces initiatives privées illustrent la mobilisation des acteurs de la société civile pour lutter contre le gaspillage alimentaire. En retour, les initiatives publiques ont le devoir de l’exemplarité. Trois propositions concrètes vont être présentées.
Selon l’ADEME (9), la restauration collective est à l’origine de 134 grammes de denrées alimentaires gaspillées par repas servi. Cette proportion est considérable, et tous les acteurs s’accordent pour dire qu’il y a là un gisement de gaspillage très propice à des actions de lutte ciblées. Il s’agit tant des cantines scolaires que des restaurants d’entreprise ou de collectivités publiques.
Parmi les priorités d’action publique que votre rapporteur a voulu identifier, la question des restaurants scolaires arrive en bonne place. En effet, intervenir sur le gaspillage dans les cantines permet de combiner deux actions complémentaires : une réduction directe du gaspillage, dans les plateaux-repas, et une éducation alimentaire acquise à force de bonnes habitudes, qui peut prévenir le gaspillage à venir. Sans compter que, pour de nombreux parents, le repas du déjeuner représente le repas équilibré de l’enfant dans la journée.
Plus important, il s’agit d’un gisement de gaspillage sur lesquels les résultats sont probants dès que les premiers efforts de lutte sont mis en place. Selon une enquête menée par le cabinet Epistème et l’association « De mon assiette à ma planète » (10), le gaspillage au restaurant scolaire est évalué à 25 à 30 % en moyenne des quantités servies. L’enquête s’est déroulée dans cinq établissements d’enseignement primaire et secondaire d’Île-de-France : deux écoles primaires, un collège et deux lycées. Elle a été réalisée en associant les élèves, ainsi que les cuisiniers, les enseignants, et les personnels de santé et de direction, dans une volonté d’intégrer les personnes concernées – en premier lieu les élèves – au diagnostic de l’importance du gaspillage alimentaire et des actions à mener pour y remédier.
Selon E. Birlouez, du cabinet Epistème associé à l’enquête, « dans bien des situations, des marges de progrès existent en amont de la préparation des repas : gestion plus rigoureuse des commandes et des stocks, meilleure prévision des effectifs de convives… D’autres leviers résident dans l’amélioration de la qualité gustative mais aussi de l’aspect et de la présentation des plats et aliments proposés » (11).
La réalisation de l’étude a permis la sensibilisation des élèves concernés, d’une part à l’ampleur du gaspillage alimentaire, d’autre part à la facilité avec laquelle des progrès rapides peuvent avoir lieu. Ces élèves se sont ensuite fait les relais des conclusions de l’étude et des bonnes pratiques à adopter auprès de leurs camarades. Les résultats sont éclairants : les actions simples qui ont été menées ont permis une réduction de 15 % à 30 % du gaspillage alimentaire des cantines. L’enjeu est tout aussi économique qu’environnemental : en réduisant le gaspillage alimentaire, les établissements dégagent des marges de manœuvre financières qui peuvent être affectées à une amélioration qualitative de l’offre de restauration (notamment les produits frais, qui pourraient être obtenus en circuit court).
Préalablement aux actions mises en place dans le cadre de l’étude, les établissements avaient déjà conçu et déployé des actions pour réduire le gaspillage alimentaire, telles que la sensibilisation des animateurs à l’importance d’inciter les élèves à goûter les aliments, en école primaire, des fiches d’appréciation des repas, des ateliers de cuisine. D’autres établissements ont également mis en œuvre des actions spontanées : recours à des associations caritatives qui viennent présenter leur travail et les bons gestes à acquérir ; offrir plusieurs tailles de plats ou servir dans des assiettes plus petites dans les cantines ; placer systématiquement le pain en bout de service ; récupérer les restes de pain non consommé dans un sac transparent pour sensibiliser au gâchis, etc.
Une autre source importante de gaspillage alimentaire dans les restaurants collectifs – et, à cet égard, dans l’ensemble de la restauration – concerne la quasi-impossibilité de donner les restes des plats cuisinés à des associations ou à des structures sociales afin de nourrir des populations dans le besoin. À la fois les obligations réglementaires (normes d’hygiène, conditions sanitaires requises, respect de la chaîne du froid) et les risques pesant sur la responsabilité civile ou pénale du donateur découragent largement ces initiatives. Parfois, le contexte réglementaire défie tout bon sens (cf. encadré ci-dessous). C’est pourquoi votre rapporteur pense que des assouplissements devraient être possibles, au cas par cas, dans le respect du principe de précaution.
La sûreté alimentaire peut en effet être conciliée avec des initiatives spontanées visant à réduire les gaspillages alimentaires les plus flagrants, qui sont aussi les plus insupportables pour les manutentionnaires, cuisiniers, personnels qui doivent les jeter.
Les normes sanitaires applicables en restauration collective
Les règles européennes se sont inspirées du guide de pratiques internationales HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point). L’HACCP s’intéresse aux trois classes de dangers pour l’hygiène des aliments : les dangers biologiques (virus, bactéries) ; les dangers chimiques (pesticides, additifs) et les dangers physiques (bois, verre, etc.).
Les autorités européennes ont donc adopté en 1993 la directive 93/43/CE relative à l’hygiène des denrées alimentaires. Cette directive a aiguillé la réglementation applicable à la restauration collective (le « paquet Hygiène »). Les restaurants scolaires des collèges, par exemple, sont tenus de rédiger un plan de maîtrise sanitaire (PMS) en lien avec les services départementaux.
En vertu de telles normes, un plat « présenté » sous vitrine est considéré comme devant être consommé par les pensionnaires. Il est interdit de le réfrigérer en vue de le resservir, ou encore de le donner.
Cette obligation n’est pas valable tant que le plat est en cuisine. Cette logique peu intuitive conduit à des situations difficilement acceptables pour le personnel de restauration ou pour les fonctionnaires en charge de leur gestion, notamment lorsque ces plats sont des marmites de soupe ou des produits que l’on hésite pas à réfrigérer chez soi en vue de les consommer plus tard.
La seule solution, mise en place dans certains établissements, pourrait consister à autoriser les centres communaux d’action sociale ou des associations à accéder à la cantine, une fois les élèves restaurés, pour servir les repas chauds restants aux personnes qui ont faim.
Les questions de sécurité et de responsabilité découragent pourtant les chefs d’établissement, certainement à raison : il serait plus simple d’assouplir le cadre des normes sanitaires, sans mettre en péril la sécurité sanitaire des élèves, mais sans accepter une protection à outrance.
Ce n’est pas seulement dans les restaurants scolaires que des efforts sont à fournir. Les habitudes alimentaires sont une part du problème, mais le civisme alimentaire doit aussi pouvoir faire partie du bagage de tout élève. L’éducation au respect de la nourriture guide ensuite le comportement de toute une vie de consommateur.
Le civisme alimentaire peut donc se définir comme le respect attaché à la nourriture. Il s’agit de décourager le gaspillage, qui ne doit pas être considéré comme une action sans importance – en quelque sorte, il s’agit de rétablir la culpabilisation attachée au gaspillage de la nourriture. Il s’agit aussi de reconnaître que la nourriture est le fruit d’un travail et, qu’à ce titre, elle a une valeur en soi, qui dépasse sa seule valeur marchande. Enfin, le civisme alimentaire a également une composante solidaire : la reconnaissance de l’importance du don alimentaire, pour les produits que l’on ne consomme pas. De nos jours, les jeunes élèves peuvent avoir du mal à percevoir que se nourrir convenablement n’est pas une chance offerte à tout le monde.
C’est pourquoi la dispensation d’une sensibilisation au civisme alimentaire trouverait toute sa place au sein des enseignements – certes déjà lourds – d’enseignement civique. Il s’agit de donner une portée concrète, quotidienne, au problème du gaspillage alimentaire, au-delà des connaissances théoriques qui sont acquises sur l’importance d’un repas équilibré en cours de sciences et vie de la terre.
Votre rapporteur a conscience que l’école ne peut pas tout, et qu’en la matière, la famille doit jouer un rôle au moins aussi structurant. Mais, en tant qu’institution républicaine, qui vise à l’égalité de tous les élèves, l’école doit être le lieu qui gomme les inégalités entre les familles, sur ce sujet comme sur d’autres. En effet, l’école n’a évidemment pas pour objet de se substituer aux parents dans l’éducation alimentaire, mais dès lors que les enfants adoptent très tôt les pratiques alimentaires qui leur sont inculquées en famille, si l’école ne joue pas un rôle de dispensation de bonnes habitudes alimentaires, les inégalités sociales face à la nourriture (gaspillages fréquents, prises de repas peu équilibrés le soir et le week-end, risques sur la santé d’une alimentation peu saine) se reproduiront.
Selon l’INSEE, les courses réalisées par les ménages dans des grandes surfaces concentrent en 2010 les trois quarts des dépenses alimentaires (12). Dans le même temps, ces magasins concentrent une part importante du gaspillage total : stocks de produits invendus, abîmés, ou encore denrées retirées des rayons en raison de la proximité de leur date de péremption.
Parmi les principales causes du gaspillage des grandes surfaces figure la difficulté à anticiper la demande des consommateurs, qui rend délicate une gestion en flux tendus des stocks, mais aussi l’attitude des détaillants : la volonté de proposer des produits esthétiquement parfaits ou au calibre impeccable aux clients a entraîné une politique d’achat auprès des fournisseurs beaucoup plus stricte, ainsi que l’ont mis en avant plusieurs enquêtes télévisées récentes sur les « renvois de palette » (13). En outre, et de manière encore plus choquante, le gaspillage de cette nourriture est parfois la conséquence des relations – ouvertement dégradées – et des rapports de force entre les fournisseurs et les enseignes de la grande distribution, par exemple lorsque des stocks entiers de produits consommables sont « javellisés » pour un retard de livraison de quelques heures.
Enfin, les pratiques marketing, comme le « deux pour le prix d’un » ou la vente de portions « familiales » dont le prix au kilo est plus faible, sont des facteurs de gaspillage alimentaire, qui ont en plus pour effet de reporter l’origine effective du gaspillage sur le consommateur – en particulier lorsque les promotions concernent des produits dont la date limite de consommation est proche.
Dans ce contexte, il ne faut pas nier les efforts importants menés par les grandes et moyennes surfaces (GMS) pour limiter le gaspillage alimentaire, en particulier par la pratique du don des denrées invendues à des associations caritatives. Plusieurs motivations sont à l’œuvre pour expliquer la généralisation de cette pratique vertueuse :
– la motivation éthique n’est pas à exclure : la lutte contre le gaspillage alimentaire fait partie des actions qui relèvent de la responsabilité sociale et environnementale d’une entreprise ;
– la motivation économique joue également un rôle prépondérant : les produits donnés, en nature, sont éligibles à la réduction d’impôt qui vaut pour les dons financiers aux œuvres caritatives (cf. commentaire de l’article 2) ; dans ce contexte, la « défiscalisation » du don alimentaire entre pleinement dans le modèle économique des commerces, le don revenant parfois moins cher que la destruction des denrées ;
– la motivation liée à l’image de marque est une préoccupation plus récente : la réputation de l’enseigne repose aussi sur les actions responsables (pour l’environnement, pour lutter contre la précarité) dont sont témoins les consommateurs, qui peuvent ainsi choisir l’enseigne la plus solidaire ;
– on peut également déceler une motivation managériale : les personnels confrontés à la destruction quotidienne de denrées alimentaires encore consommables subissent ce gaspillage, et sont souvent prêts à travailler un peu plus pour assurer leur transfert à des associations qui leur donneront une seconde vie.
Ainsi, 30 % des dons alimentaires en France proviennent des GMS, ce qui équivaut à 120 millions de repas distribués chaque année. Selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), les relations avec les associations caritatives pour organiser des opérations de « ramasse » (cf. encadré ci-dessous) se sont généralisés, notamment pour les plus grandes surfaces (les hypermarchés).
La terminologie du don alimentaire doit évoluer
« Ramasse », « aide alimentaire », « bénéficiaires » : le vocabulaire associé au soutien des personnes en situation de précarité alimentaire est dévalorisant. Il ne rend pas honneur à la solidarité des bénévoles associatifs ni ne respecte les personnes qui en ont besoin.
Les « opérations de ramasse », qui désignent communément la récupération des produits invendus de la grande distribution, donnent l’image avilissante d’une nourriture abandonnée au sol, qu’il faut venir glaner. Il serait bien plus correct de parler d’opérations de collecte.
L’ « aide alimentaire », même si c’est un terme qui a désormais une portée juridique, ne rend pas compte de l’accompagnement social qui en est le pendant. L’expression de « soutien alimentaire » exprime mieux que l’action des associations n’est pas que de la fourniture de produits, mais aussi un effort pour créer du lien social et encourager l’insertion des personnes soutenues.
En outre, l’aide alimentaire donne l’impression d’une dépendance entretenue qui n’est pas le reflet de la réalité. Le soutien alimentaire est, en majorité, ponctuel : une famille, souvent, ne recourt aux associations que pour certaines denrées, pour compléter ses courses, et une ou fois par semaine. Les associations utilisent d’ailleurs cette expression : « soutenir, pas nourrir ».
Enfin, l’expression « bénéficiaires » du soutien alimentaire est connotée, elle renvoie à la rhétorique de l’assistanat qui est un coup porté à la solidarité sociale dans notre pays. Il serait bien plus judicieux d’évoquer les « destinataires ».
Les grandes enseignes que votre rapporteur a pu rencontrer ont un panel d’actions contre le gaspillage alimentaire et de soutien aux associations assez large. Ainsi, le groupe Auchan met à disposition des magasins des outils pour assurer la gestion des dons et des relations avec les associations, et signe avec eux une convention cadre pour garantir l’efficacité et la sécurité des transferts de denrées. Aujourd’hui, 119 hypermarchés ont généralement un partenariat avec au moins l’une des quatre principales associations évoquées ci-dessus.
Le groupe Leclerc tire parti de sa spécificité organisationnelle, la décentralisation de ses magasins se retrouvant dans la décentralisation des politiques de don des denrées alimentaires. Les GMS s’associent librement avec les organismes caritatifs, plus ou moins grands, appartenant souvent au réseau des banques alimentaires. Le groupe a tout de même une politique d’incitation de ses franchisés à la généralisation des pratiques de démarque et de retraitement des denrées dont la date limite de consommation est proche, ou de produits frais (fruits et légumes) invendus : confection de « smoothies », de soupes.
Le groupe Carrefour est particulièrement mobilisé pour le soutien alimentaire, et contribue à la fourniture de 68 millions de repas par an. Le groupe encourage les impulsions données au niveau des établissements, pour ne pas brider, par une politique nationale peu flexible, les initiatives locales.
Enfin, le groupe Casino a comme particularité d’aller au-delà de la seule fourniture de denrées, et met à disposition des associations son expérience logistique. Cette politique peut passer par le prêt de matériel comme par le transfert de compétence ou le partage d’expérience, pour former, sur le tas, les responsables associatifs en partenariat avec les magasins.
Cependant, malgré ces bonnes pratiques, le don alimentaire peut encore être encouragé, en ayant conscience des effets pervers qui peuvent être à l’œuvre et qu’il faut contrecarrer efficacement.
La défiscalisation dont bénéficient les grandes et moyennes surfaces en contrepartie du don de leurs invendus alimentaires permet de créer une incitation efficace à la lutte contre le gaspillage alimentaire et au soutien de l’approvisionnement des associations caritatives. Il n’a donc jamais été question, pour votre rapporteur, de la remettre en question – même si dans d’autres pays, comme la Belgique, il n’y a pas de défiscalisation mais une logique de don contraint.
Cependant, en contrepartie de cette incitation, qui repose in fine sur un effort supporté par le contribuable, il faut que la défiscalisation dont bénéficient les grandes surfaces se justifie par des actions de solidarité effective : le don alimentaire ne peut pas être considéré uniquement comme de la gestion de stock d’invendus.
En particulier, votre rapporteur souhaite insister sur l’importance de soutenir tout le tissu associatif, notamment les petites associations. En effet, les grandes surfaces ont tendance à ne conclure de partenariat qu’avec les plus grandes structures associatives. Celles-ci sont en effet plus à même de recueillir de grandes quantités de denrées, dans des conditions sanitaires irréprochables, et avec leur logistique propre.
Les Restos du cœur, une logistique et une force d’intervention impressionnantes
Selon leur rapport d’activité pour 2013, l’organisation logistique est de grande ampleur : 25 entrepôts nationaux, 125 000 palettes distribuées par le réseau national aux antennes départementales. Les conditions d’hygiène et de sécurité alimentaire sont vérifiées par un prestataire indépendant.
Les dons en nature (effectués par des agriculteurs et industriels, des grandes surfaces ou des consommateurs en sortie de magasin) représentent ainsi 23 % du volume de denrées distribuées – soit 27 000 tonnes –, tandis que les achats en gros auprès de quelques 120 fournisseurs représentent 49 % de ce volume.
En outre, les enseignes évoquent un « principe d’efficacité » : il s’agit d’aider les personnes in fine plutôt que les associations : il est tout aussi équitable – et plus simple – d’aider un public au travers d’une seule grosse association dont la logistique est efficace que d’aider plusieurs associations pour qu’elles puissent ensuite redistribuer aux mêmes personnes. Conclure des partenariats avec de petites associations comporte des risques : une association mal équipée peut faire peser un risque sanitaire sur les denrées données. Si la responsabilité de l’enseigne n’est pas engagée, c’est le cas de sa réputation.
Votre rapporteur estime, au contraire, que dans certaines zones moins denses, moins bien desservies par les réseaux des grandes associations, les petites associations locales couvrent des personnes qui n’auraient pas, sans elles, accès à un soutien alimentaire suffisant. En échange des efforts financiers consentis par la collectivité – la défiscalisation des denrées alimentaires –, des préoccupations d’intérêt général doivent irriguer les pratiques des grandes surfaces : favoriser une distribution équitable de denrées alimentaires invendues entre les grandes associations dotées d’une logistique et d’une compétence de nature à rassurer les enseignes, et les plus petites ; de même, accompagner les associations grâce à un soutien logistique (prêt de camions, de locaux, de réfrigérateurs), afin de démontrer qu’il ne s’agit pas seulement de se « débarrasser » de stocks d’invendus, mais qu’une réelle logique de solidarité est à l’œuvre.
Dans cette optique, l’objet de l’article 2 de la proposition de loi, dont le dispositif est décrit ci-dessous, est d’obliger la signature d’une convention de don des denrées alimentaires invendues entre les grandes et moyennes surfaces et les associations. Le don alimentaire sera ainsi généralisé, et des pratiques plus vertueuses pourraient voir le jour, à l’aide d’une convention type qui sera précisée par décret.
Plusieurs réserves ont été soulevées. Tout d’abord, la crainte que cette obligation de signer une convention ne se transforme en obligation de don. Or votre rapporteur a bien conscience que le don contraint doit être évité. C’est un don non qualitatif, indiscriminé, et porteur d’un réel effet pervers : si les enseignes ont l’obligation de donner, elles se déchargeront complètement sur les associations, qui n’ont pas les moyens matériels de détruire des tonnes de denrées inutilisables et pourraient rapidement se trouver saturées. Il faut éviter cette pratique à tout prix, et votre rapporteur veillera à la manière dont le décret prendra forme pour éviter qu’il ne s’écarte de l’esprit de la loi, qui est un esprit de souplesse et non de rigidité.
Une seconde réserve porte sur les effets de seuils qui pourraient surgir du fait de la fixation d’un seuil de contrainte à 1 000 m2 de surface commerciale pour déclencher l’obligation de signature de la convention. Dans les petites surfaces, entre 1 000 et 1 200 m2 de surface par exemple, il peut être délicat de réclamer la signature de conventions avec des associations caritatives car le coût associé peut être important, si la logistique de l’établissement ne suit pas. Les effets de seuil devraient donc être pris en compte par le décret d’application, qui pourra aménager l’obligation pour ne pas mettre ces GMS en difficulté.
IV. REPENSER LE SYSTÈME DE DATAGE DES PRODUITS : LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE NE DOIT PLUS ALLER DE PAIR AVEC DES GASPILLAGES ABUSIFS
Les consommateurs ont désormais le réflexe de consulter les dates limites de consommation qui figurent sur la très grande majorité des produits vendus dans les commerces de détail. Ces dates limites constituent un élément incontournable du choix d’acheter, de consommer ou de jeter.
Cependant, le système de datage des produits, réglementé et à la charge des fabricants, est loin d’être simple. Plusieurs dénominations cohabitent, plusieurs catégories de datage peuvent être répertoriées (cf. encadré ci-dessous), et le public en méconnaît souvent les nuances.
Ainsi, les denrées périssables, à conserver au frais, présentent une date limite de consommation (DLC). Elle s’applique aux produits dont la péremption est susceptible de présenter un danger pour la santé humaine, comme la viande vendue en barquette ou les produits laitiers.
À l’inverse, certains produits stérilisés ou secs, qui n’ont pas à être conservés au réfrigérateur, comportent généralement une date limite d’utilisation optimale (DLUO), devenue date de durabilité minimale (DDM) en vertu des dernières dispositions européennes (14). C’est le cas par exemple des gâteaux secs, ou encore des boîtes de conserve. Une fois la date passée, la denrée ne présente pas de danger mais peut en revanche avoir perdu tout ou partie de ses qualités organoleptiques (le goût, la couleur ou la texture du produit peuvent avoir évolué).
Les méandres des systèmes de datage
On entend par « date de fabrication » la date à laquelle la denrée alimentaire de départ devient, suite au processus de transformation, le produit tel que décrit.
On entend par « date limite de vente » la dernière date à laquelle le produit peut être mis en vente auprès du consommateur, après laquelle il reste encore une période raisonnable d’entreposage à la maison.
On entend par « date de durabilité minimale » (« à consommer de préférence avant ») la date d’expiration du délai, dans les conditions d’entreposage indiquées (s’il y a lieu), durant lequel le produit reste pleinement commercialisable et conserve toutes les qualités particulières qui lui sont implicitement ou explicitement attribuées. Le produit peut toutefois rester pleinement satisfaisant après cette date.
On entend par « date limite d’utilisation » (date limite de consommation recommandée) (date de péremption) la date estimée d’expiration du délai après lequel, dans les conditions d’entreposage spécifiées, le produit n’aura probablement pas la qualité que le consommateur est en droit d’attendre. Après cette date, le produit ne devrait plus être considéré comme commercialisable.
Source : FAO (ibid.)
En France, il n’existe aucune enquête qui démontre que les systèmes de datage sont directement à l’origine de gaspillages alimentaires. Mais selon la FAO (15), différentes études internationales – NRDC américaine, WRAP britannique, Hispacoop espagnole, pour évoquer des organismes déjà cités précédemment – ont mis en avant que la confusion des dates de péremption est l’une des principales causes de gaspillages des ménages et des distributeurs – lorsqu’ils retirent des rayons les produits approchant ces dates par souci de leur image auprès des consommateurs. Ainsi, selon le WRAP britannique, cité par une étude du Comité économique et social européen, 45 % des consommateurs interprètent de manière erronée les dates de validité des produits, entraînant 20 % du gaspillage alimentaire total des ménages.
La confusion réside dans la tendance à considérer que le datage donne une indication sur l’innocuité du produit alors qu’il vise parfois sa qualité (son goût, son aspect, ses qualités nutritionnelles). En outre, il est largement entendu que ces dates – surtout la date de durabilité minimale – relèvent davantage de la convention que de la prévention de risques sanitaires. Mais elles influencent considérablement les attitudes des ménages, qui préfèrent souvent jeter par peur de consommer un aliment périmé.
En dehors de l’attitude du consommateur, qui, légitimement, ne prend pas de risque pour sa santé au moment de consommer ou non un produit, les effets pervers liés à la complexité du système de datation des produits reposent également sur la possibilité de les donner.
Lorsque la date limite d’un produit est proche, les produits sont retirés des rayons, et souvent éligibles à un don alimentaire. Au niveau des fabricants, la « règle des deux tiers » s’applique : lorsqu’un produit dont la date limite (de consommation ou d’utilisation optimale) est proche des 2/3 de sa durée de vie, les distributeurs refusent de les acheter pour les disposer en rayon. Ces pratiques relèvent de logiques commerciales. En revanche, il est plus délicat de cerner les logiques à l’œuvre dans le choix, par le fabricant, d’une date limite plutôt qu’une autre.
La pratique peu scrupuleuse des doubles dates limites de consommation entre métropole et outre-mer
L’article 3 de la loi n° 2013-453 du 3 juin 2013, visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, a été adopté par voie d’amendement parlementaire, afin d’interdire d’apposer des dates de consommation plus tardives pour les produits alimentaires distribués outre-mer que pour les mêmes produits de même marque distribués en France hexagonale. Cette situation, mis en évidence dans la presse, était évidemment choquante.
Voici des extraits du rapport n° 824 rendu par Hélène Vainqueur-Christophe, au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, sur cet article :
« Il s’avère en effet que certains industriels hexagonaux ont mis en place un dispositif de double étiquetage en matière de date limite de consommation des produits périssables. Ainsi, alors que la quasi-totalité des yaourts se voient apposés la mention « à consommer jusqu’au… » assortie d’un délai de 30 jours lorsqu’ils sont commercialisés en France hexagonale, les mêmes produits, de même marque, se voient apposés une mention comportant un délai pouvant aller jusqu’à 55 jours lorsqu’ils sont distribués outre-mer.
(…)
Les dates limite des produits, ainsi que leurs conditions de conservation, sont fixées par le fabricant et relèvent de sa seule responsabilité. S’il lui appartient d’apporter la preuve que ses produits seront stables pendant la période définie, il reste néanmoins libre d’apposer les délais de consommation qu’il souhaite sur les produits qu’il met sur le marché.
(…)
S’agissant du consommateur ultra-marin, celui-ci ne sait pas que le produit importé de métropole qu’il achète a pu être fabriqué il y a bien plus longtemps qu’un produit équivalent produit localement vendu avec une DLC identique, de même qu’il ignore que ce même produit distribué en France serait peut-être déjà retiré des rayons. Le consommateur résidant en France hexagonale ignore quant à lui que le produit qu’il achète avec une DLC à 30 jours peut être considéré comme encore consommable pendant 15 ou 25 jours supplémentaires outre-mer.
Quel que soit le point de vue selon lequel on se place, cette situation est choquante et nécessiterait une enquête approfondie des services de l’État afin d’établir si oui ou non un même produit peut être consommé sans risque pour la santé humaine indifféremment jusqu’à 30 ou jusqu’à 60 jours après sa fabrication. Mais, quels que soient les résultats de cette enquête, il apparaît en tout état de cause inadmissible, du point de vue de l’égalité des droits des consommateurs sur le territoire français, que des délais différents de consommation, ne tenant pas aux qualités intrinsèques d’un produit, puissent être apposés sur les emballages en fonction du lieu de distribution de ces produits, a fortiori lorsque ces pratiques conduisent à fixer des durées plus longues pour des produits alimentaires périssables pour lesquels les facteurs de risque, liés au transport ou au stockage, sont potentiellement plus importants ».
En partant du principe du bien-fondé des dates limites apposées sur le produit, deux situations sont à considérer. S’il est normal qu’un produit frais dont la DLC est dépassée ne puisse pas être proposé à la vente ou éligible au don (c’est même une infraction pénale), la question se pose bien davantage pour un produit dont la date de durabilité minimale (DDM) est franchie. Son innocuité et son caractère comestible sont établis, même plusieurs mois après le dépassement de cette date.
Mais puisque les consommateurs (soutenus par des associations de soutien alimentaire ou non) ne font pas la différence entre DLC et DDM, il est impossible aux associations d’accepter des produits dont la DDM est dépassée, par respect pour les consommateurs. Une partie des denrées alimentaires encore consommables se confronte donc à cet écueil et se retrouve gaspillée. Le groupe Carrefour a pris l’initiative d’ôter la DLUO de certains produits impérissables – et dont l’obligation de fournir cette information n’existe pas – comme le sel, le poivre ou le vinaigre.
Dans ces conditions, la coexistence de plusieurs systèmes de datation crée plus d’effets pervers qu’elle n’apporte de solutions utiles pour le consommateur. C’est pourquoi votre rapporteur souhaite apporter sa contribution à la réflexion sur l’évolution nécessaire du cadre réglementaire qui entoure ces dates limites.
Lors de sa réunion du 28 janvier 2015, la commission a examiné la proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire sur le rapport de M. Jean-Pierre Decool.
M. le président François Brottes. Mes chers collègues, je vais sans plus attendre laisser la parole à M. Jean-Pierre Decool, pour nous présenter une proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire.
M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. Aujourd’hui, en France, de nombreuses personnes connaissent la précarité. Dans le même temps, notre société produit beaucoup plus que ce qu’elle consomme et gaspille des tonnes de nourriture saine tous les ans. Cette injustice, produit d’une société de consommation en crise, n’est plus tolérable. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative de déposer cette proposition de loi, cosignée par de nombreux collègues issus de tous bords politiques.
Ce sont les acteurs de la société civile de ma circonscription qui, connaissant mon engagement sur le sujet, m’ont alerté sur l’ampleur du problème du gaspillage alimentaire. Tandis que de nombreuses associations fortes de centaines de bénévoles, des collectivités territoriales, mais également des grandes surfaces et des entrepreneurs sociaux se mobilisent pour lutter au quotidien contre le gaspillage de la nourriture, l’État détonne par son faible activisme. Rien n’est fait aujourd’hui pour parvenir aux résultats ambitieux qu’il s’est fixés : la réduction de moitié du gaspillage alimentaire en France à l’horizon 2025. C’est cette carence que la présente proposition de loi entend pallier.
Certes, j’ai conscience qu’une mission parlementaire a été confiée à notre collègue, Guillaume Garot, qui a aussi été à l’initiative du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Mais le diagnostic est connu, le temps presse et les solutions concrètes tant attendues tardent à venir.
La proposition dont vous êtes saisis aujourd’hui a pour objectif de susciter le consensus. Consensus des acteurs de la société civile, d’abord. La première version du texte que j’avais rédigée l’été dernier a évolué dans un sens satisfaisant pour tout le monde : les grandes enseignes, le milieu associatif et les nombreux citoyens qui m’encouragent dans ce combat. Consensus aussi des groupes politiques : sans aller jusqu’à parler d’union nationale, le bon sens voudrait que cette proposition crée l’unanimité sur nos bancs. Je ne conçois pas qu’on puisse décemment s’y opposer. Les acteurs de la société civile, qui regardent nos débats, en seront juges.
Quelques chiffres viendront éclairer votre réflexion. Au niveau mondial, la Food and agriculture organization of the United nations (FAO) a estimé que le tiers de la nourriture produite n’était pas consommé, ce qui représente 1,3 milliard de tonnes par an. Selon la Commission européenne, le gaspillage alimentaire dans l’Union européenne pèse 89 millions de tonnes par an, soit près de 180 kilos par habitant. À défaut de mesures efficaces, la Commission estime que ce niveau atteindra 126 millions de tonnes en 2020. Enfin, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), chaque Français jette en moyenne 20 kilos de nourriture saine par an, dont 7 kilos encore sous emballage.
Parmi les éléments susceptibles d’expliquer ce gaspillage, on retiendra la société de consommation qui n’attache plus à la nourriture une valeur aussi importante qu’avant, les pratiques commerciales de mise à l’écart de produits dont la qualité esthétique n’est pas parfaite, mais aussi la volonté de ne prendre aucun risque sanitaire qui entraîne souvent des comportements excessivement prudents, comme le fait de jeter un produit dont la date de péremption vient à peine d’être dépassée.
Au-delà du seul problème de société, le gaspillage alimentaire pose la question beaucoup plus large, écologique au sens propre, de la possibilité de nourrir 10 milliards de personnes à l’horizon 2050 sans assécher la planète, sans épuiser nos ressources naturelles ou engendrer de nouvelles guerres de la faim. Déjà aujourd’hui, 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde.
C’est pourquoi j’estime pertinent d’observer la question du gaspillage alimentaire à travers deux prismes : le prisme de l’écologie, pour contribuer à rendre nos modes de production de nourriture soutenables à l’échelle planétaire ; le prisme de la générosité, pour aider les personnes qui ne peuvent pas manger à leur faim.
Dans les deux cas, le gaspillage alimentaire est une négation de la valeur attachée à la nourriture, qui ne s’apprécie pas uniquement du point de vue marchand. La nourriture a aussi une valeur propre – c’est le fruit d’un travail – et une valeur sociale – c’est pouvoir manger à sa faim. Il est sans doute le symptôme d’une société de consommation qui n’est plus habituée à la pénurie. C’est pour lutter contre cette dérive que j’ai consacré ces derniers mois à l’établissement de propositions concrètes.
Avant de les expliciter, je souhaite lever l’objection qui m’a souvent été opposée de la nécessité d’une loi. Faut-il, par exemple, légiférer sur le don alimentaire qui se pratique déjà ? Je pense que oui. Dès lors que la loi encourage les comportements vertueux, elle peut conduire à développer des mœurs plus responsables. L’intervention publique est légitime, car elle permettra de faire bouger les lignes et d’adresser un signe d’encouragement à tous les acteurs qui se mobilisent au quotidien.
Pour autant, il ne faut pas penser qu’on pourra mettre fin au gaspillage alimentaire par décret. En particulier, il ne faut pas minimiser la part des obstacles culturels et sociologiques dans l’évolution des comportements de consommation vers plus de responsabilité. L’attitude face aux assiettes non terminées dans les restaurants en est un exemple typique : alors que les pays anglo-saxons admettent bien volontiers le principe du doggy bag, il existe en France un inconfort traditionnel à demander aux serveurs d’emporter les restes de nourriture chez soi. Plusieurs initiatives locales visent aujourd’hui à encourager les consommateurs à franchir le pas.
Les Français ne sont pas insensibles au gaspillage de la nourriture. Pour autant, les enquêtes sociologiques menées auprès des consommateurs montrent qu’ils sous-estiment largement la quantité de nourriture qu’ils gaspillent. C’est notre mission que de les sensibiliser plus largement. Dans cette perspective, une initiative de nature législative permet de donner, sur plusieurs fronts, une impulsion dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.
En premier lieu, les actions de prévention demeurent prioritaires pour anticiper les comportements conduisant au gaspillage alimentaire. Il est possible d’intervenir en amont, dès l’école, pour que les futurs consommateurs que sont les enfants ne reproduisent pas les mauvaises habitudes et pratiques alimentaires qu’ils peuvent observer dans leurs familles. C’est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi, qui organise des actions de sensibilisation au gaspillage alimentaire dans les établissements scolaires.
En second lieu, les actions de nature curative visent à donner une seconde vie aux denrées alimentaires qui risquent d’être gaspillées, notamment dans les commerces de détail. Il s’agit, soit d’inciter les consommateurs à acheter des produits dont la date limite de consommation approche, soit d’orienter ces denrées vers le don alimentaire qui permettra, par le biais des associations caritatives, de soutenir les personnes en situation de précarité alimentaire.
L’article 2 a pour objet de prescrire un degré d’exigence minimale dans la lutte contre le gaspillage des commerces de détail à travers l’obligation de signer une convention de don des denrées invendues au profit d’associations caritatives. Par ailleurs, cet article grave dans le marbre la doctrine fiscale qui autorise la défiscalisation du don alimentaire des grandes surfaces, pour mettre un terme aux tentatives continuelles de la remettre en cause.
En dernier lieu, l’intervention législative a des visées réglementaires. Il s’agit, par une demande de rapport, d’inciter le Gouvernement à éclaircir les règles relatives aux dates limites de consommation et à la durabilité minimale des produits alimentaires, dont la méconnaissance par le grand public participe au gaspillage alimentaire. C’est l’objet de l’article 3.
Pour finir, soucieux d’améliorer le contenu de cette proposition de loi, j’ai procédé à de nombreuses auditions, toutes fascinantes. La dizaine d’amendements que j’ai déposée est de nature à renforcer les actions prévues par le texte.
M. le président François Brottes. Chacun reconnaîtra votre constance sur le sujet, cher collègue, et moi le premier. Il est difficile d’imaginer comment on pourrait s’opposer à votre démarche. Tous les parlementaires se sont un jour intéressés à ce sujet. Moi-même, j’ai lancé un projet de conserverie pour transformer les légumes voués à la poubelle bien qu’encore comestibles. Guillaume Garot, en particulier, a été le premier des ministres à lancer au niveau national une démarche contre le gaspillage. Il a été récemment chargé, sur cette question, d’une mission dont il remettra bientôt les conclusions.
M. Guillaume Garot. Je me réjouis que l’Assemblée se saisisse d’un sujet aussi rassembleur que le gaspillage alimentaire. Il intéresse les Français et suscite une mobilisation de plus en plus forte sur le terrain à travers les initiatives d’associations, d’entreprises, de grandes surfaces ou de producteurs. Il mérite que le législateur fasse en sorte de permettre à ces initiatives de s’épanouir et de tenir les objectifs que nous nous sommes fixés ensemble.
Lorsque j’étais en charge de l’agroalimentaire au Gouvernement, j’ai lancé le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, fixant l’objectif de diminuer de moitié le gaspillage dans notre pays à l’horizon 2025. Avant moi, Bruno Le Maire avait déjà posé quelques éléments d’action.
Cette question requiert à la fois détermination, constance et méthode. L’enjeu est de construire une véritable politique publique contre le gaspillage alimentaire. Aujourd’hui, les initiatives dispersées sur le terrain ne trouvent hélas ! pas de prolongement politique. Il faut passer à une nouvelle étape, car la bonne volonté n’est plus suffisante.
La présente proposition de loi est-elle de nature à fonder une politique publique contre le gaspillage ? À ce stade, je ne le crois pas. Le texte a le mérite de traiter de certains segments d’une politique contre le gaspillage, mais de façon restreinte et trop peu efficace. Certes, il faut sensibiliser les enfants, favoriser les conventions entre les grandes surfaces et les associations de solidarité sur le terrain, et réfléchir à la question des dates de péremption. Mais au-delà, il y a des sujets de fond que le législateur devrait aborder.
Comment, par exemple, mesurer le gaspillage ? Aujourd’hui, cette mesure repose surtout sur des estimations, il nous manque des données chiffrées vérifiables. Ce n’est pas le tout de dire que nous allons diminuer le gaspillage alimentaire de moitié d’ici à 2025. Encore faut-il savoir d’où l’on part et comment on progresse, année après année. Cette question est fondamentale pour engager une nécessaire politique contre le gaspillage alimentaire.
Le deuxième sujet est la mobilisation durable des acteurs. Rien ne serait pire que de lancer des initiatives pleines de bonnes intentions sans lendemain. Si nous voulons diminuer de moitié le gaspillage, la mobilisation locale doit être durable et animée en permanence. Autrement dit, il est impératif de donner une dimension territoriale à la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Le troisième point est la création d’outils efficaces contre le gaspillage. Il peut s’agir de choses extrêmement simples, pourvu qu’elles soient concrètes, et accessibles à chacun des acteurs de la chaîne alimentaire, du producteur jusqu’au consommateur. Par exemple, à côté d’une campagne nationale de sensibilisation, il faut aussi aider le principal d’un collège à lutter contre le gaspillage dans sa cantine et l’élu local à faire de même dans les maisons de retraite. Il faut surtout, s’agissant de ces outils, adopter une démarche de clarification juridique et de simplification des règles, car ce sont beaucoup de petits blocages qui empêchent d’être efficaces dans la lutte contre le gaspillage. Nous devons être précis et cohérents, ne serait-ce qu’au niveau des grands enjeux de cette politique. Malheureusement, cette proposition de loi ne couvre pas ce champ.
Nous devons également mettre en avant trois principes. Le premier est la responsabilité de chaque acteur face au gaspillage alimentaire : responsabilité du producteur, de l’industriel, de la grande surface, de l’association qui reçoit des dons et, bien sûr, du consommateur. Dans le travail législatif, nous devons veiller à ce que chacun puisse être mis en responsabilité et lui donner les outils pour exercer cette responsabilité.
Deuxième principe, redonner toute sa valeur à l’alimentation. On jette rarement du foie gras, mais beaucoup plus facilement des pâtes ou des fruits et légumes parce que l’on considère que ces produits n’ont pas de valeur. Je ne parle pas simplement de valeur marchande, je parle de la valeur culturelle de l’alimentation. La lutte contre le gaspillage passe par le respect de l’alimentation, donc par le respect du travail de celui qui a produit la nourriture. Il faut mettre en avant l’éducation à l’alimentation, la formation des personnels de cuisine dans les lycées, les collèges ou les maisons de retraite, mais aussi la formation des restaurateurs, bref, de tous ceux qui ont à voir avec l’alimentation, afin de valoriser l’acte de produire et de transformer.
Pour ce qui est du troisième principe, je le vois émerger depuis que je travaille sur le gaspillage alimentaire, c’est-à-dire depuis 2012 : c’est la naissance d’un nouveau modèle de développement. Lutter contre le gaspillage, c’est consommer autrement, mais c’est aussi produire autrement, et, d’une certaine façon, vivre ensemble autrement. Ce qui se joue dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, c’est bel et bien un choix de société en ce sens que la conscience qu’il faut éviter de gaspiller implique de modifier les comportements, les modes de production et de consommation, les façons d’enseigner, d’élaborer ou de se nourrir. Bref, c’est toute la société qui est interpellée.
Qui plus est, c’est un choix de société qui produit de la richesse, de l’activité et qui crée des emplois. Toutes les initiatives contre le gaspillage alimentaire sont très souvent créatrices d’emplois, telle l’association le Potager de Marianne, qui récupère les invendus de fruits et légumes à Rungis pour en faire des soupes et des jus. Le modèle économique qui est là en train de se développer permet de financer la création d’emplois d’insertion. Aujourd’hui, plusieurs dizaines d’hommes et de femmes en rupture sociale et professionnelle ont retrouvé une activité et une dignité dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, en créant de la valeur et en luttant contre un gâchis insupportable. Ce modèle a, de surcroît, une dimension éthique. Comment supporter que l’on jette aujourd’hui quand tant d’hommes et de femmes ont des difficultés à se nourrir correctement dans notre pays, et que près d’un milliard d’êtres humains souffrent de la faim à l’échelle planétaire ?
Le défi qui est devant nous concerne l’ensemble de la planète, et il est simple : en 2050, nous serons passés de 7 milliards d’êtres humains aujourd’hui à 9 milliards. Comment nourrir tout ce monde supplémentaire sur notre seule planète ? Selon la FAO, il faudrait augmenter de 70 % la production agricole. Je vous laisse imaginer le défi ! Dans le même temps, la FAO précise que 30 % de la production agricole mondiale sont aujourd’hui perdus, car, dans les pays en voie de développement, on ne sait pas stocker ni transformer sur place. Là est le défi alimentaire, et il nous concerne nous aussi, car lorsqu’on jette de la nourriture, c’est de l’énergie, de la capacité à produire et à créer de la richesse que l’on jette.
J’aimerais suggérer une méthode de travail. Le texte que nous examinons a le mérite de lancer le débat mais est toutefois très insuffisant pour fonder une politique publique contre le gaspillage alimentaire. Soucieux de participer à un travail collectif, je propose que nous reprenions ce travail sur la base du rapport que je dois remettre au Gouvernement à la fin du mois de mars, et qui sera riche des enseignements de 170 auditions, de nombreux déplacements sur le terrain et de dizaines de contributions écrites. Ensemble, nous pourrions élaborer une proposition de loi qui traiterait tous les aspects de la lutte contre le gaspillage, et qui pourrait être examiné au cours de ce semestre, dans le cadre d’une niche parlementaire. Ensemble, nous pourrions fonder une vraie politique contre le gaspillage, dotée d’un cadre législatif et d’une dimension contractuelle à l’adresse des acteurs de terrain, car c’est avec eux que nous construirons cette politique. Ne ratons pas cette occasion de faire preuve de l’efficacité et de la cohérence que les Français attendent de nous.
M. le président François Brottes. Si j’ai bien compris, cette proposition de loi pourrait être « intergroupes ».
M. Bruno Le Maire. Je serai bref, car ce que vient de dire Guillaume Garot me convient parfaitement. J’avais, en effet, posé les prémices de cette politique. Guillaume Garot l’a poursuivie en l’approfondissant. Les enjeux ont été parfaitement exposés.
Il y a, d’abord, un enjeu national, qui concerne directement nos concitoyens, lesquels sont très attachés à l’idée de sortir du gaspillage alimentaire. Je remercie Jean-Pierre Decool d’avoir déposé cette proposition de loi, à laquelle j’apporte tout mon soutien. Il y a, ensuite, un enjeu mondial : puisqu’on ne sait pas comment nourrir la planète, réduire le gaspillage peut constituer un moyen. Il y a, enfin, l’enjeu européen du programme d’aide aux plus démunis. Il est aujourd’hui financé par des moyens monétaires, mais si nous pouvions envisager d’autres possibilités, cela pourrait être un moyen de garantir, notamment aux Restos du Cœur et à d’autres associations, la pérennité de ce programme dans les années qui viennent.
Les bonnes idées, les plus simples, sont en général torpillées par les technocrates. Je le sais, pour en avoir suffisamment torpillé moi-même dans une vie antérieure ! Sur ce genre de sujet, le diable est dans les détails. Nous allons nous heurter à l’administration de la santé qui va nous mettre en garde pour ce qui concerne les dates de péremption. Elle va nous expliquer que nous prenons des risques en termes de responsabilité et que l’affaire est beaucoup plus compliquée que nous ne l’imaginons.
La proposition de Jean-Pierre Decool sur l’étiquetage, que je soutiens, va se heurter aux objections d’ordre économique que va opposer l’industrie agroalimentaire, laquelle va soutenir qu’il est impossible d’étiqueter davantage, car cela coûterait beaucoup trop cher. Le texte va également se heurter à des problèmes de responsabilité publique. Le principal de collège dira qu’il ne peut pas prendre de risques et qu’il faut utiliser des aliments frais. Tout cela demande donc un travail considérable.
Je soutiens totalement l’initiative de Jean-Pierre Decool et, de la même façon, j’estime que la proposition de Guillaume Garot est extrêmement intéressante. Nous devons pouvoir tomber d’accord sur une bonne articulation entre cette proposition de loi et ce rapport qui approfondirait le sujet, lequel est effectivement beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, même si l’idée de départ est bonne, simple et juste, et qu’elle dépasse largement les clivages politiques. Ce serait une bonne solution que de parvenir à un accord entre nous pour élaborer une proposition de loi plus étoffée.
Mme Brigitte Allain. Monsieur Decool, je vous remercie d’avoir mis sur la table un sujet qui met tout le monde d’accord.
J’ai annoncé, en septembre dernier, lors de la journée de la lutte contre le gaspillage alimentaire, mon souhait de présenter une proposition de loi sur ce sujet. J’avais, à plusieurs reprises, dans cette assemblée, avancé des propositions, qui ont eu un succès relatif, lors de l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi relatif à la transition énergétique.
Le gaspillage alimentaire constitue un vrai fléau en France et dans le monde entier, alors que de nombreuses personnes souffrent de la faim, voire en meurent. Les plans successifs nationaux ou européens n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu ni des objectifs fixés, car trop axés sur la communication. Il faut sortir de cette démarche.
Il est indispensable, aujourd’hui, de prendre des mesures fortes, d’autant que nos concitoyens y adhèrent. Les mesures soumises à examen sont intéressantes, comme le programme de sensibilisation dans les écoles sur le gaspillage, le don des invendus par les supermarchés aux associations caritatives via une convention ou le rapport sur la suppression de la date limite d’utilisation optimale (DLUO). Ces mesures, qui existent dans d’autres pays, doivent être mises en œuvre.
S’agissant d’un sujet qui touche de façon universelle notre citoyenneté, je ne rejetterai pas cette proposition de loi pour des motifs politiciens. Par contre, plusieurs éléments cruciaux ne sont pas pris en compte dans les mesures que vous proposez. Je pense à la surproduction des aliments et à la valorisation des déchets. Je souhaite aborder le sujet de la fourche à la fourchette pour nous éviter d’avoir à dire « de la fourche à la poubelle ».
Au bénéfice des spéculateurs qui jouent sur la fluctuation des prix, et au détriment des paysans et des consommateurs, nous épuisons nos ressources naturelles, car nous produisons beaucoup trop. De nombreux aliments restent dans les champs ou sont invendus dans les supermarchés et sortis des rayons qui débordent. Nous baignons dans l’opulence alimentaire. Nous pourrions avoir une gestion plus raisonnable de la production en définissant nos besoins alimentaires et nos capacités de commercialisation, dans le respect de la souveraineté alimentaire, en évitant la destruction de denrées alimentaires pour cause de surproduction. Nous devrions contrôler davantage les ratios entre les produits qui sont mis en rayon et ceux qui sont jetés. Autant de pistes que nous avons à creuser. C’est ce qu’a proposé M. Garot en évoquant la question du chiffrage.
Par ailleurs, créer des liens et des projets de territoire en s’orientant vers la production pour la consommation locale permet de réduire le gaspillage alimentaire, car produire, cuisiner et partager des aliments locaux, c’est valoriser une gastronomie locale qui relie de fait les générations et favorise les échanges culturels. C’est ce que nous confirmerons dans la mission d’information parlementaire sur les circuits courts.
J’ajoute qu’en France, les déchets alimentaires sont encore majoritairement enfouis ou incinérés. Ils sont responsables de 19 % des émissions de méthane, un gaz ayant un pouvoir de réchauffement climatique vingt-trois fois plus élevé que le CO2.
Monsieur Decool, vous êtes le premier à déposer une proposition de loi sur ce sujet. Elle présente des mesures intéressantes, mais vous conviendrez que les enjeux sont trop importants pour se contenter de ces trois articles et qu’il serait opportun d’adhérer à la proposition de Guillaume Garot.
M. André Chassaigne. Par définition, une proposition de loi n’offre qu’un cadre pour légiférer. Chacun sait qu’un texte de cette nature, examiné dans le cadre d’une niche parlementaire, ne permet pas d’aborder la totalité des questions liées à un thème ; ces propositions ne couvrent jamais la totalité du sujet. Ce manque d’exhaustivité ne saurait servir d’argument politicien pour rejeter le texte.
J’en appelle à une double éthique. Sur le fond, il s’agit d’apprécier la valeur du sujet abordé, en l’espèce le gaspillage alimentaire, dont une partie seulement est traitée. Mais il convient aussi d’observer une éthique parlementaire qui réclame que les niches parlementaires ne fassent pas l’objet de réponses à géométrie variable, alors qu’elles sont prévues pour donner sa noblesse au travail parlementaire. Il ne serait pas normal d’écarter ce texte au motif qu’il est porté par un député UMP.
Notre collègue Guillaume Garot a conduit une excellente réflexion, vraie et sensible. Il serait difficile de ne pas la partager. Il dessine à juste titre un projet de loi du Gouvernement comme l’objectif à plus long terme. Pourtant, est-ce qu’un seul élément de la présente proposition de loi serait en contradiction avec les observations qui ont été formulées, qu’il s’agisse de la mobilisation durable des acteurs sur les territoires, de la nécessité de campagnes nationales ou du chiffrage précis à obtenir ? Notre collègue Garot vante la simplification juridique et le recours à des outils faciles à utiliser. La proposition de loi s’y oppose-t-elle ?
Nous sont également opposés les principes de la responsabilité et de la valeur de l’alimentation. La proposition de loi n’y fait pas opposition non plus. Elle est plutôt un signal adressé à l’opinion publique. Notre groupe la soutiendra. Au-delà des clivages partisans, des membres du groupe GDR l’ont d’ailleurs cosignée. Sous la précédente législature, alors que j’appartenais clairement à l’opposition, il m’est arrivé de recueillir la majorité sur certains de mes amendements – je pense à celui portant sur les organismes génétiquement modifiés. Le soutien venait de tous les bancs ! Si le contenu concret d’une proposition nous convient, nous aurions tort de la rejeter. C’est aussi une question d’éthique.
M. Hervé Pellois. Notre collègue Jean-Pierre Decool a le grand mérite de nous réunir sur des enjeux importants au niveau national et mondial. Je voudrais saluer au passage l’ensemble des milieux associatifs qui mettent en place des actions contre le gaspillage alimentaire, que cette proposition de loi vise à favoriser. Force est cependant de constater que cette initiative entre en collision avec le rapport que Guillaume Garot remettra prochainement au Gouvernement. Aussi aurons-nous intérêt à en analyser le contenu en profondeur. Peut-être nous permettra-t-il de faire un examen plus pertinent du sujet que celui que nous conduisons aujourd’hui dans cette salle.
L’énorme gâchis commence dès le stade de la production, des récoltes entières restent parfois sur le champ. Les images de mise en décharge de matières parfois nobles nous choquent. Si les dons par les grandes surfaces sont déjà développés, il arrive encore que des palettes entières retournent chez les industriels, qui les détruisent au lieu de les confier à des organisations caritatives. La restauration collective connaît également des problèmes de gaspillage. La possibilité était évoquée tout à l’heure d’emporter les restes de son repas, et pour les plateaux entiers qui restent parfois intacts, la redistribution serait une meilleure issue que la poubelle.
D’autres initiatives peuvent prendre pour cible le consommateur. Les circuits de proximité rendent, par exemple, plus attentif aux contraintes du producteur, facilitant l’écoulement de pommes non standard. Il y aurait donc beaucoup à faire pour compléter l’article 2 de la présente proposition de loi. Il me semble que nous ne sommes pas à deux ou trois mois près.
M. Antoine Herth. Au nom du groupe UMP, j’apporte mon appui à notre collègue Decool. Sa proposition de loi s’inscrit dans la lignée d’un rapport de 2014 du Conseil économique, social et environnemental intitulé Favoriser l’accès pour tous à une alimentation de qualité, saine et équilibrée. S’y trouvent des éléments tant sur les dates limites de consommation que sur l’aide alimentaire, problématique qui concerne six millions de Français. Pour ma part, en 1995, j’avais publié un rapport au sein de cette institution, sur l’équilibre alimentaire mondial.
Nous sommes également ouverts à d’autres initiatives, telles que celles qui ont été annoncées par le ministre Stéphane Le Foll ou celles qui se dessinent à l’issue des travaux de la mission Garot. Comme l’a souligné André Chassaigne, une proposition de loi ne saurait, en effet, remplacer une politique publique plus globale poussée par le Gouvernement. Mais elle donne cependant les trois coups marquant le début de la pièce. Elle montre que le Parlement est en attente de solutions sur un sujet. Celle-ci propose des mesures limitées et ciblées, relatives à la sensibilisation des écoliers à l’article 1er, ou encore à la grande distribution, à l’article 2. Ces deux exemples sont autant de pierres apportées à l’édifice à construire, car le Parlement est prêt à prendre des initiatives sur ce sujet qui rassemble.
Notre collègue Guillaume Garot m’a presque fait peur, me rappelant mon expérience lorsque j’avais conduit une mission sur le commerce équitable, entendant des dizaines de personnes, sans plus savoir quel juste équilibre trouver entre l’action de l’État, la législation, le règlement, les initiatives des particuliers et du monde associatif. En tout état de cause, l’État ne saurait se substituer à tout. Le Parlement doit se garder de tout excès de bonne volonté qui étouffe les initiatives privées ; il convient, au contraire, de les accompagner.
Tout en marquant ma confiance à Guillaume Garot pour ses futures propositions, je réitère mon soutien à la démarche de notre collègue Jean-Pierre Decool.
M. le président François Brottes. Ce sujet nous rassemble. D’accord sur la nécessité d’agir, nous sommes néanmoins devant deux ou trois obstacles à lever, et le texte proposé n’est pas suffisamment armé pour infléchir les résistances. Pour vaincre les réticences et susciter l’adhésion de tous, du chemin reste à faire. La proposition, assortie des amendements du rapporteur, a déjà provoqué des remous, suscitant l’ire de supermarchés déjà engagés dans une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire. Je crois que l’adhésion des acteurs sera plus efficace que la coercition.
À ce sujet, notre collègue Guillaume Garot a de la suite dans les idées, tout comme le Gouvernement. Comme député du groupe socialiste, je crois que nous tenons maintenant un cap, avec pour objectif la promulgation d’une loi rapidement mise en application. Un texte plus complet sur le gaspillage alimentaire serait à déposer en commun par les groupes, ce qui serait une chose rarement vue. Au fond, il est impossible de voter contre un texte comme celui-là. Je n’ai, quant à moi, pas voulu envisager que l’issue de l’examen en séance publique puisse être le renvoi en commission, alors que nous sommes d’accord sur ce sujet. Aussi ai-je écarté cette hypothèse, pour des raisons à la fois politiques et éthiques.
Je préfère que nous nous servions de la proposition de loi de l’UMP comme support pour prendre date avec le Gouvernement au sujet du gaspillage alimentaire. Cela éviterait ainsi un vote négatif de la commission sur le texte, même si sa teneur en serait différente. Ainsi, le groupe SRC et le Gouvernement s’engageraient en séance publique à donner une suite aux travaux de la mission de Guillaume Garot, une fois connus ses résultats. La solution proposée n’est pas plus florentine que cela. Nous voulons éviter tant de manquer d’apporter notre soutien à notre collègue Decool, que de donner une fin de non-recevoir à une proposition relative à un sujet important. Les travaux de notre collègue Guillaume Garot devraient de toute façon aboutir dans les prochaines semaines.
M. le rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président, d’adopter cette approche cohérente. Tous les propos entendus convergent vers l’intérêt général, au confluent de l’écologie et de la générosité. J’observe seulement que le parlementaire en mission nommé par le Gouvernement au sujet du gaspillage alimentaire le fut au lendemain d’une question que j’ai posée en séance publique sur ce même sujet.
M. Guillaume Garot. Il n’y a pas de lien entre les deux.
M. le rapporteur. Il s’agissait d’évoquer, durant la période estivale, les problèmes rencontrés par les associations spécialisées dans la ramasse – que je préfère, quant à moi, appeler la collecte organisée. Ma proposition de loi était initialement portée par des élus de tous bords ; mon collègue André Chassaigne en est cosignataire, ce qui me fait un plaisir extrême. Je souhaite que le texte qui pourrait être déposé à l’issue des travaux de la mission Garot puisse réellement faire l’objet d’une réflexion commune entre les groupes, allant au-delà d’une cosignature formelle.
Je vous invite à consulter, dans le rapport qui va paraître, le compte rendu des nombreuses auditions réalisées. Vous y apprendrez notamment que la position des enseignes de la grande distribution a déjà évolué. J’ai bon espoir que l’ensemble des groupes politiques puisse apporter une contribution efficace à la réflexion sur la question du gaspillage alimentaire, sujet à propos duquel une forme d’union nationale me paraît en tout cas souhaitable.
Article 1er
Sensibilisation à la lutte contre le gaspillage alimentaire
dans les établissements scolaires
1. L’état du droit
Le code de l’éducation prévoit, dans son article L. 312-17-3, « une information et une éducation à l’alimentation, cohérentes avec les orientations du programme national relatif à la nutrition et à la santé » dans les établissements.
Pourtant, les retours du terrain ont prouvé que ces aspects sont généralement considérés comme traités lorsque les cours de sciences et vie de la terre abordent la question des différents nutriments (lipides, glucides, protéines, etc.). Or, c’est bien sur le plan du civisme alimentaire qu’il faudrait accomplir des progrès : améliorer les habitudes alimentaires des élèves tout comme apprendre le respect de la nourriture et l’importance de ne pas la gaspiller.
L’article premier vise à encourager spécifiquement la conduite d’actions de sensibilisation à la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les établissements scolaires. Afin de ménager la souplesse nécessaire à l’élaboration des programmes d’enseignement, un décret viendra préciser les conditions dans lesquelles cette sensibilisation aura lieu.
Dans l’esprit de ce dispositif, la priorité devrait être donnée à l’école primaire, quand les goûts des élèves se forment encore, et quand les bonnes habitudes peuvent être acquises. Mais le succès de nombreuses expériences spontanées menées dans les collèges et les lycées pour réduire le gaspillage alimentaire à la cantine démontre au contraire que chaque niveau d’enseignement doit être concerné.
Afin de renforcer le caractère nominatif de cet article, votre rapporteur propose de le codifier au sein du code de l’éducation, dans la section relative à l’éducation alimentaire.
Dans un second temps, votre rapporteur suggère d’adopter un article additionnel qui introduit explicitement la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les cursus des établissements de formation agricole (enseignement agronomique, formation professionnelle, lycées agricoles, etc.).
Votre rapporteur s’alarme enfin de la difficulté que peuvent éprouver des collectivités publiques à favoriser les circuits courts dans leur passation de marchés publics (restauration collective, en particulier). L’idée sous-jacente à la préférence donnée à l’achat de denrées produites localement est, au-delà d’encourager le développement économique des territoires, d’assurer la distribution d’une nourriture de meilleure qualité, plus durable et plus saine, et donc de limiter le gaspillage des plateaux-repas de la restauration collective. Les appels d’offres des marchés publics intègrent déjà des clauses du « mieux-disant » (c’est notamment le cas des clauses environnementales ou sociales) plutôt que du « moins-disant » qui encourage la course à la réduction des prix, et donc à la qualité des prestations fournies.
Votre rapporteur souhaite donc un éclaircissement réglementaire des procédures de passation des marchés publics pour privilégier les circuits courts, dans le respect du droit de l’Union européenne. Il salue ainsi la création d’une mission d’information de la commission des affaires économiques sur le sujet.
4. La position de votre commission
Votre commission a pris acte de la démarche de la proposition de loi. Mais elle paraît insuffisante pour être de nature à fonder une véritable politique publique de lutte contre le gaspillage.
C’est pourquoi cet article a été profondément remanié, par un amendement du président François Brottes, afin de prévoir une demande de rapport sur la question au Gouvernement. Il pourrait s’agir du rapport de M. Guillaume Garot, dont les conclusions sont attendues pour fin mars, et qui devrait comporter des pistes pour une nouvelle initiative parlementaire.
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La Commission est saisie de l’amendement CE12 du président François Brottes.
M. le rapporteur. Par cohérence avec ma démarche initiale, je ne peux qu’exprimer un avis défavorable, sans pour autant rejeter le travail pluraliste à venir.
M. le président François Brottes. J’en prends acte. Soyez cependant assuré que, dussent les travaux de la mission Garot ne pas déboucher sur le texte envisagé, je serai cosignataire de votre prochaine proposition de loi.
M. Antoine Herth. Faut-il comprendre qu’en adoptant cet amendement, la proposition de loi ne serait plus réduite qu’à un seul article ?
M. le président François Brottes. Oui, mais sur le plan thématique, le sujet est élargi.
M. Antoine Herth. Plutôt qu’une proposition de loi, une proposition de résolution ne serait-elle pas, dès lors, plus adaptée ?
M. le président François Brottes. Les exemples ne manquent pas de propositions de loi ne comportant qu’un article unique demandant au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur un sujet donné.
La Commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CE1 du rapporteur tombe, et l’article est ainsi rédigé.
La Commission est saisie de l’amendement CE2 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de faire en sorte que les établissements ou organismes d’enseignement, de formation professionnelle, de développement agricole et de recherche agronomique intègrent dans leurs cursus des modules dédiés à la sensibilisation et à la recherche de solutions contre le gaspillage alimentaire.
La Commission rejette l’amendement.
Article 2
Convention d’organisation de la collecte de denrées alimentaires invendues
par les grandes et moyennes surfaces
1. L’état du droit
Aujourd’hui, la pratique du don alimentaire par les grandes surfaces repose sur le volontariat. Dans de nombreuses enseignes, les magasins ont signé des conventions ad hoc avec les associations, afin de faire durer leur partenariat sur le long terme. Un encadrement juridique est intervenu en 2010.
La loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche : la reconnaissance légale de l’aide alimentaire
Cette loi a créé, au sein du code rural et de la pêche maritime, un article L. 230-6 reconnaissant légalement le régime de l’aide alimentaire et lui conférant un cadre normatif dans lequel s’inscrire.
Le décret n° 2011-679 du 16 juin 2011 est venu en application de cet article afin d’en préciser les modalités pour les acteurs.
« Art. L. 230-6. – L’aide alimentaire a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes les plus démunies. Cette aide est apportée tant par l’Union européenne que par l’État ou toute autre personne morale.
Les personnes morales de droit privé constituées sous forme d’associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association qui œuvrent dans le secteur caritatif peuvent mettre en place un dispositif de stockage privé consistant à acheter des produits alimentaires en période de surproduction agricole pour les entreposer et les redistribuer ensuite aux personnes les plus démunies.
Seules des personnes morales de droit public ou des personnes morales de droit privé habilitées par l’autorité administrative, pour une durée et selon des conditions et modalités fixées par décret en Conseil d’État, peuvent recevoir des contributions publiques destinées à la mise en œuvre de l’aide alimentaire.
Les conditions fixées par décret en Conseil d’État doivent notamment permettre de garantir la fourniture de l’aide alimentaire sur une partie suffisante du territoire et sa distribution auprès de tous les bénéficiaires potentiels, d’assurer la traçabilité physique et comptable des denrées et de respecter de bonnes pratiques d’hygiène relatives au transport, au stockage et à la mise à disposition des denrées. (…) ».
En effet, le don de denrées alimentaires aux associations caritatives est considéré, sur le fondement de l’article 238 bis du code général des impôts, comme un don en nature éligible, comme les dons financiers, à une réduction de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, à hauteur de 60 % du montant des dons, dans la limite de 5‰ de leur chiffre d’affaires.
À la différence du don financier, en revanche, l’association réceptrice ne s’engage que sur la nature et la quantité des produits donnés (poids ou volume), ce qu’on appelle le « tonnage » du don. Il revient à l’entreprise d’estimer la valeur monétaire du don, sous forme de déclaration, laquelle peut faire l’objet d’un contrôle fiscal. L’association signe un bon de sortie, préparé par l’entreprise, comportant des informations sur les produits donnés (comme les dates limites de consommation) et des éléments de traçabilité.
À noter que selon un rescrit fiscal du 2 juin 2006, « lorsque le versement prend la forme de produits alimentaires, le don peut être estimé à la valeur pour laquelle les produits sont ou devraient être inscrits en stock (…). La valeur d’inscription en stock s’entend de la valeur nette comptable, c’est-à-dire après prise en compte des provisions fiscalement déductibles. Ainsi, lorsque la valeur nette comptable est nulle, du fait par exemple de la proximité de la date de péremption du produit, aucune réduction d’impôt ne peut être pratiquée. »
Cet élément est souvent méconnu tant par les magasins que par les associations, qui reçoivent parfois des produits qui ne peuvent être redistribués du fait de la proximité de leur péremption (par exemple, des produits frais à une date limite de consommation j-1 ou j0).
L’existence de conventions est donc déjà une pratique courante. Mais votre rapporteur souhaite aller plus loin, et garantir sa généralité dans tous les magasins, notamment indépendants, et sur l’ensemble du territoire.
Dans ce contexte, l’article 2 a pour objet de mettre en place un seuil d’exigence minimale dans la pratique du don alimentaire des denrées invendues : les commerces de détail dont la surface dépasse 1 000 m2 – seuil qui déclenche l’obligation d’autorisation d’exploitation commerciale prévue à l’article L. 752-1 du code de commerce – auront désormais l’obligation de conclure une convention sécurisée de don alimentaire à une ou plusieurs associations.
Le contenu du décret d’application de cette disposition sera décisif pour dessiner les contours de cette obligation de signer une convention. Votre rapporteur veillera à ce qu’il ne soit pas trop contraignant pour les grandes surfaces comme pour les associations, l’objet de cet article étant d’encourager le don, non de le contraindre. En revanche, il pourra permettre de présenter une convention-type dont pourront s’inspirer localement les commerces et les associations.
Enfin, votre rapporteur souhaite inscrire dans le marbre, c’est-à-dire expressément dans la loi, l’application large de l’article 238 bis du code général des impôts, qui intègre dans le périmètre de la déduction d’impôt sur le revenu ou sur les sociétés des entreprises les dons en nature, tels que les dons alimentaires. Cette avancée précise, issue de nombreuses concertations avec tous les acteurs concernés, suscite l’unanimité.
La souplesse nécessaire à la pratique du don, qui ne doit pas être forcé, explique que seule cette exigence de l’existence d’une convention soit requise par l’article 2. Il ne s’agit pas d’obliger les magasins à donner, ou encore à donner tous leurs stocks d’invendus, mais de s’assurer – exigence minimale – que chaque GMS dispose d’une convention avec une ou plusieurs associations, dont la forme reste souple pour tenir compte de la taille et des problématiques propres à chaque établissement et à chaque territoire. Le rapporteur a conscience que beaucoup de magasins vont plus loin dans la lutte contre le gaspillage alimentaire et dans le soutien aux associations, et reconnaît l’inventivité et la proactivité de certaines enseignes dans ce domaine.
Par ailleurs, cette disposition sera de nature à encourager la conclusion de partenariats non seulement avec les grandes associations caritatives, mais aussi avec les associations locales de taille plus modeste, qui permettent de répondre au plus près des besoins des personnes en situation de précarité, notamment dans les zones mal desservies par le réseau des banques alimentaires ou des Restos du cœur. Votre rapporteur regrette d’ailleurs avoir pu observer que l’entraide entre les associations n’était pas une pratique naturelle – ce qui peut heurter le bon sens, certaines petites associations devant au contraire lutter pour leur survie et subir les tentatives d’éviction de la part des plus grandes. La rivalité présente dans le monde associatif est une dérive dangereuse qui doit être contenue – si l’opinion publique était alertée sur certaines pratiques peu solidaires, cela pourrait avoir un impact très dommageable sur l’envie de donner pour aider son prochain.
Au fil des auditions, votre rapporteur a également perçu l’importance d’affiner le dispositif proposé par voie d’amendements. Ainsi, il a été jugé opportun de préciser certaines clauses de la convention de collecte des dons alimentaires. En effet, les conventions signées actuellement entre les associations et les grandes surfaces manquent parfois de stipulations claires sur la qualité des transferts de denrées. Les associations réceptrices ne doivent pas supporter la charge de jeter les denrées qui ne sont plus consommables (date limite de consommation dépassée, notamment) à la place des magasins. Rappelons qu’en outre, la doctrine fiscale précise bien que lorsque la valeur nette comptable d’un produit alimentaire est nulle, du fait par exemple de la proximité de la date limite de consommation du produit, aucune réduction d’impôt ne peut être pratiquée. Cet élément devrait être porté à la connaissance des associations et des grandes surfaces.
De même, les magasins qui bénéficient d’une logistique importante (transports, moyens de réfrigération, lieux de stockage) peuvent apporter un soutien matériel aux associations, notamment les plus petites, qui ne disposent pas de tels moyens. De nombreux magasins opèrent déjà de cette manière de façon spontanée. Il s’agit d’encourager la généralisation de cette logique de solidarité qui doit accompagner le don alimentaire. Cette nouvelle disposition n’exerce aucune contrainte supplémentaire, elle précise simplement certaines des clauses qui devront être évoquées par les parties en vue de la signature d’une convention équitable et respectueuse des intérêts de chacun.
4. La position de votre commission
En cohérence avec la position adoptée sur l’article premier, la commission a voté un amendement de suppression de cet article.
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Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CE13 du président François Brottes.
En conséquence, l’article est supprimé, et les amendements CE3, CE6, CE7, CE8, CE4, CE5 et CE9 du rapporteur n’ont plus d’objet.
Article 3
Demande de rapport sur le sujet des dates limites de consommation
des produits alimentaires
Jusqu’à décembre 2014, l’article R. 112-22 du code de la consommation s’appliquait. Il prévoyait les « l’inscription, sous la responsabilité du conditionneur, d’une date jusqu’à laquelle la denrée conserve ses propriétés spécifiques dans des conditions de conservation appropriées ». La différence entre la date limite de consommation et la date limite d’utilisation optimale était figurait dans son dispositif.
Dans le cas des denrées microbiologiquement très périssables, l’article prévoyait que « cette date est une date limite de consommation, annoncée par l’une des mentions "À consommer jusqu’au..." ». Pour les autres denrées, « cette date est une date limite d’utilisation optimale, annoncée par la mention "À consommer de préférence avant...". »
À partir du 13 décembre 2014, le règlement européen n° 1169/2011 s’applique – sans que des mesures de transposition ne soient nécessaires. L’article R. 112-22 a donc été abrogé par le décret du 11 décembre 2014. Cette précision a son importance, car elle limite la capacité d’intervention du législateur français.
Ce règlement européen, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, s’appuie sur une directive européenne de 2000. Il modifie les dispositions régissant l’étiquetage des denrées alimentaires dans l’Union européenne, afin de mieux informer le consommateur sur les différences de datage et de décider en toute connaissance de cause de consommer ou non certaines denrées. La date limite d’utilisation optimale est renommée « date de durabilité minimale » ; la date limite de consommation ne change pas d’appellation.
Votre rapporteur juge que ces réformes d’appellation sont insuffisantes pour lutter de façon appropriée contre le gaspillage alimentaire de denrées comestibles mais jugées périmées par les consommateurs.
Conscient que le niveau d’intervention législatif n’est pas le mieux adapté à une réforme, votre rapporteur a donc estimé plus adéquate la demande d’un rapport au Gouvernement sur le sujet. Le Gouvernement aura donc six mois pour proposer des pistes d’évolution afin de mieux concilier respect de la sécurité sanitaire et lutte contre le gaspillage alimentaire.
Plusieurs pistes ont déjà été avancées pour sortir des effets pervers qu’entraîne la reconnaissance d’une date de durabilité minimale, confondue avec une date de péremption. Ainsi, le CESE, dans son avis précité (16), recommande la suppression pure et simple de la DDM, comme le font certains pays de l’Union européenne. Cependant, votre rapporteur ne s’associe pas à cette solution radicale, qui risque de susciter l’inquiétude des consommateurs.
Une solution alternative peut être avancée : plutôt que de figer une date – qui est vraisemblablement l’indicateur décisif de l’acte de consommer ou de jeter, et non les mots qui la précèdent –, on pourrait songer, sur les produits sans risque microbiologiques à une frise de couleur où trois zones seraient mises en avant : une zone verte où le fabricant garantit la complète teneur organoleptique du produit ; une zone orange où le produit est consommable – ou éligible au don alimentaire – même si le fabricant ne garantit plus que le goût, la couleur ou la texture soient parfaits ; une zone rouge où le produit n’est plus considéré comme bon à la consommation.
4. La position de votre commission
En cohérence avec la position adoptée sur l’article premier, la commission a voté un amendement de suppression de cet article.
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Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CE14 du président François Brottes.
En conséquence, l’article est supprimé, et les amendements CE10 et CE11 du rapporteur n’ont plus d’objet.
La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des affaires économiques vous demande d’adopter la proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire dans le texte figurant en annexe du présent rapport.
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Dispositions en vigueur ___ |
Texte de la proposition de loi ___ |
Texte adopté par la Commission ___ |
Article 1er |
Article 1er | |
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Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois, à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport portant sur des mesures concrètes, assorties de propositions législatives, pour lutter contre le gaspillage alimentaire. amendement CE12 | |
Article 2 |
Article 2 | |
Code de commerce LIVRE VII : Des juridictions commerciales et de l’organisation du commerce. TITRE V : De l’aménagement commercial. Chapitre II : De l’autorisation commerciale |
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Supprimé amendement CE13 |
Art. L. 752-1. – Sont soumis à une autorisation d’exploitation commerciale les projets ayant pour objet : |
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1° La création d’un magasin de commerce de détail d’une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés, résultant soit d’une construction nouvelle, soit de la transformation d’un immeuble existant ; |
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2° L’extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail ayant déjà atteint le seuil des 1 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet. Est considérée comme une extension l’utilisation supplémentaire de tout espace couvert ou non, fixe ou mobile, et qui n’entrerait pas dans le cadre de l’article L. 310-2 ; |
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3° Tout changement de secteur d’activité d’un commerce d’une surface de vente supérieure à 2 000 mètres carrés. Ce seuil est ramené à 1 000 mètres carrés lorsque l’activité nouvelle du magasin est à prédominance alimentaire ; |
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4° La création d’un ensemble commercial tel que défini à l’article L. 752-3 et dont la surface de vente totale est supérieure à 1 000 mètres carrés ; |
||
5° L’extension de la surface de vente d’un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 1 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet ; |
||
6° La réouverture au public, sur le même emplacement, d’un magasin de commerce de détail d’une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés dont les locaux ont cessé d’être exploités pendant trois ans, ce délai ne courant, en cas de procédure de redressement judiciaire de l’exploitant, que du jour où le propriétaire a recouvré la pleine et entière disposition des locaux ; |
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Pour les pépiniéristes et horticulteurs, la surface de vente mentionnée au 1° est celle qu’ils consacrent à la vente au détail de produits ne provenant pas de leur exploitation, dans des conditions fixées par décret. |
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7° La création ou l’extension d’un point permanent de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l’accès en automobile. |
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Par dérogation au 7°, n’est pas soumise à autorisation d’exploitation commerciale la création d’un point permanent de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l’accès en automobile, intégré à un magasin de détail ouvert au public à la date de publication de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, et n’emportant pas la création d’une surface de plancher de plus de 20 mètres carrés. |
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Le propriétaire du site d’implantation bénéficiant de l’autorisation d’exploitation commerciale est responsable de l’organisation de son démantèlement et de la remise en état de ses terrains d’assiette s’il est mis fin à l’exploitation et qu’aucune réouverture au public n’intervient sur le même emplacement pendant un délai de trois ans, ce délai ne courant, en cas de procédure de redressement judiciaire de l’exploitant, que du jour où le propriétaire a recouvré la pleine et entière disposition des locaux. |
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Un décret en Conseil d’Etat détermine les prescriptions générales régissant les opérations de démantèlement et de remise en état d’un site mentionnées à l’avant-dernier alinéa. Il détermine également les conditions de constatation par le représentant de l’Etat dans le département de la carence du ou des propriétaires mentionnés au même alinéa pour conduire ces opérations. |
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Article 3 |
Article 3 | |
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Supprimé amendement CE14 |
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Auchan France*
M. Franck Geretzhuber, secrétaire général d’Auchan France
M. Paul Hugo, responsable des relations institutionnelles
E.Leclerc
M. Stephan Arino, directeur du développement durable
M. Alexandre Tuaillon, chargé de mission auprès du président (relations institutionnelles)
Fédération du commerce et de la distribution (FCD)
Mme Fabienne Prouvost, directrice de la communication et des affaires publiques
M. Antoine Sauvagnargues, responsable des affaires publiques
Mme Austine Courroye, directeur général de la fondation Casino
M. Grégoire Laroyenne, responsable de projet de la fondation Casino
Mme Agathe Grossmith, responsable développement durable du groupe Carrefour
Fédération française des banques alimentaires
M. Joël Duc, responsable hygiène, sécurité alimentaire et développement durable à la Fédération française des banques alimentaires (FFBA)
M. Christian Becuwe, président de la Banque alimentaire de la Somme
M. Gaëtan Lassale, chargé des relations institutionnelles à la FFBA
Restos du cœur
M. Julien Payet, responsable du service approvisionnement national
M. Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles
Secours populaire
M. Jean-Louis Callens, secrétaire national
M. Mathieu Humbert, responsable solidarité France
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)
M. Étienne Gangneron, vice-président
Mme Marie Jousse, chargée de mission chaîne alimentaire
Mme Nadine Normand, attachée parlementaire
France nature environnement (FNE)*
Mme Agnès Banaszuk, coordinatrice du réseau prévention des déchets
Mme Clara Bouteiller, chargée de mission gaspillage alimentaire
Mme Morgane Piederrière, chargée des relations institutionnelles et du suivi législatif
SOLAAL
Mme Dorothée Briaumont, directrice
Zéro-Gâchis.com
M. Pierre-Adrien Menez, président-directeur général
Agence « 5e Gauche », développeur de l’application « Checkfood »
M. Arno Pons, directeur général
Eqosphere
M. Xavier Corval, président
Personnalités qualifiées
Mme Martine Wieczorek
Mme Chantal Vanpouille
M. Athos Cousin
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
© Assemblée nationale1 () Food and Agriculture Organization of the United Nations.
2 () FAO, Pertes et gaspillages alimentaires dans le monde, 2012.
3 () Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
4 () Le Figaro du 20 janvier 2015, « Des étudiants lancent un ‘doggy bag’ à la française ».
5 () A. Soyeux, « La lutte contre le gaspillage. Quel rôle face aux défis alimentaires ? », Futuribles, 2010.
6 () Avis du CESE, Favoriser l’accès pour tous à une alimentation de qualité, saine et équilibrée, janvier 2014.
7 () High Level Panel of Experts (FAO), Biofuels and food security, 2013.
8 () Waste and Resources Action Programme.
9 () ADEME, « Étude estimative de la production de bio-déchets au sein des établissements de restauration », novembre 2011.
10 () « Moins gaspiller, mieux manger à la cantine », pour le compte de la Direction régionale et interdépartementale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt d'Île-de-France (DRIAAF), 2012.
11 () Article publié sur le site de l’auteur : http://ericbirlouez.fr/articles/a28.html
12 () INSEE, « Le temps des courses depuis 1974 », Insee Première, janvier 2014.
13 () Par exemple, le documentaire « Global Gâchis » (2012) ou l’enquête de l’émission « Capital » sur le gaspillage des grandes surfaces diffusée en février 2013.
14 () Règlement n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, entré en application en décembre 2014.
15 () Ibid.
16 () Avis du CESE, Favoriser l’accès pour tous à une alimentation de qualité, saine et équilibrée, janvier 2014.