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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mars 2016.
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à prolonger la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité,
Députée.
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Voir le numéro :
Assemblée nationale : 2927 rect.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LA PROTECTION DE LA SALARIÉE ENCEINTE CONTRE LE LICENCIEMENT INJUSTIFIÉ, UN PRINCIPE FONDAMENTAL POUR L’INSERTION DES FEMMES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL 7
A. LE DROIT FRANÇAIS ÉTABLIT UN PRINCIPE DE PROTECTION DE LA FEMME ENCEINTE ET DE SON CONTRAT DE TRAVAIL 7
1. La protection relative de la salariée enceinte contre le licenciement 7
2. Les autres mesures de protection de la salariée enceinte prévue par le code du travail 8
B. L’INTERDICTION DES DISCRIMINATIONS LIÉES À L’ÉTAT DE GROSSESSE AU TRAVAIL RÉAFFIRMÉ PAR LE LÉGISLATEUR 11
C. UN PRINCIPE DE PROTECTION QUI SE DÉVELOPPE ÉGALEMENT DANS UN CADRE INTERNATIONAL 12
1. Un principe réaffirmé par plusieurs conventions de l’organisation internationale du travail 12
2. Un développement contrarié de la protection des salariées enceinte dans le cadre européen 14
a. La directive de 1992 fixant des normes minimales de protection des femmes enceintes au travail 14
b. Le regrettable abandon d’un approfondissement de ses dispositions 15
II. UNE RÉALITÉ MOINS FAVORABLE À LA CONCILIATION ENTRE MATERNITÉ ET TRAVAIL, NECESSITANT UNE PROTECTION PLUS ÉTENDUE 18
A. L’INTERRUPTION DES CARRIÈRES FÉMININES DU FAIT DE LA MATERNITÉ EST UN HANDICAP POUR LES FEMMES 18
1. Les risques d’interruption de carrière pour les salariées de retour de leur maternité 18
2. Des discriminations qui ne sont pas toujours sanctionnées 18
B. DES PROTECTIONS PLUS LONGUES PRÉVUES PAR LES AUTRES LÉGISLATIONS NATIONALES 21
III. UNE PROPOSITION DE LOI POUR ÉTENDRE DE SIX SEMAINES LA PROTECTION CONTRE LE LICENCIEMENT DE LA SALARIÉE ET DU PÈRE DE L’ENFANT 22
A. UNE PROTECTION RELATIVE DE QUATRE SEMAINES À L’ISSUE DES DROITS À CONGÉ DE MATERNITÉ AUJOURD’HUI INSUFFISANTE SELON LE DÉFENSEUR DES DROITS 22
1. Une période de vulnérabilité pour les salariées 22
2. Le principe d’une amélioration de leur protection défendu par le Défenseur des droits 23
3. Un texte soutenu par les organisations syndicales 23
B. UNE PROPOSITION DE LOI POUR AMÉLIORER LA PROTECTION DES SALARIÉES ET CODIFIER LES AVANCÉES DE LA JURISPRUDENCE 24
1. Faire passer de quatre à dix semaines à l’issue du congé de maternité la protection de la salariée 24
2. Inclure dans cette période de protection relative les congés payés pris à l’issue du congé de maternité 24
3. Prévoir une protection de dix semaines pour les pères 25
TRAVAUX DE LA COMMISSION 27
Article 1er (art. L. 1225-4 du code du travail) : Report de la fin de la période d’interdiction de licenciement de la salariée enceinte à dix semaines à compter de l’expiration de ses droits à congé de maternité ou à l’issue de ses congés payés subséquents 41
Article 2 (art. L. 1225-4-1 du code du travail) : Extension de la période d’interdiction de licenciement d’un nouveau parent de quatre à dix semaines suivant la naissance de l’enfant 49
AVIS DU DÉFENSEUR DES DROITS N° 16-05 DU 24 FÉVRIER 2016 53
PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE 59
Mesdames, Messieurs,
La politique familiale volontariste menée par les pouvoirs publics depuis les années 1990, explique en grande partie les bons résultats démographiques que notre pays connaît aujourd’hui : l’indicateur conjoncturel de fécondité de 1,96 enfant par femme en 2015 selon l’Insee est un des plus élevés d’Europe.
Cependant, la conciliation des vies familiale et professionnelle demeure source de difficultés, en particulier pour les femmes qui doivent concilier les réalités du travail et les charges liées à la maternité et à la famille.
Malgré l’avancée que représente notamment l’institution d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant par la loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002, dans les faits, les mères continuent de porter l’essentiel de la charge du travail domestique et des soins aux enfants, et ce sont elles qui en paient le plus lourd tribut en termes d’emploi et de carrière professionnelle.
Depuis 1909, les salariées enceintes disposent d’une protection relative contre le licenciement injustifié, qui s’étend actuellement du début de la grossesse jusqu’à quatre semaines après l’expiration de leurs droits à congé de maternité. Cette protection n’est cependant que relative, car elle n’est pas applicable à un licenciement qui serait dû à une faute grave ou non lié à l’état de grossesse de la salariée. La protection n’est absolue, et le licenciement impossible, que pendant la prise du congé de maternité.
Si ce dispositif représente une garantie pour les salariées, c’est surtout parce qu’il opère un renversement de la preuve au profit de la salariée enceinte, l’employeur devant alors prouver que le licenciement n’est pas lié à la nouvelle maternité.
Cette protection se conjugue avec un régime grandement amélioré de lutte contre les discriminations, qui interdit toute mesure prise en considération de l’état de grossesse de la salariée, si ce n’est à son avantage.
Ce principe républicain est désormais repris par des instruments internationaux de protection des droits des salariées, notamment plusieurs conventions élaborées dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou une directive européenne de 1992. Des tentatives d’amélioration des droits des salariées enceintes, dans le cadre d’une révision de cette directive, ont cependant récemment échoué, montrant qu’il serait utopique d’y voir un principe intangible et inattaquable.
En effet, la réalité apparait aujourd’hui moins favorable à la conciliation entre maternité et travail, justifiant une protection plus étendue.
La maternité reste un risque pour les carrières des femmes, notamment parce que les discriminations qu’elles subissent après leur retour ne sont pas toujours sanctionnées.
Une protection du travail des salariées enceintes limitées à un mois après leur retour de congé de maternité apparaît comme bien peu généreuse, notamment au vu des exemples étrangers ou de la proposition du Parlement européen en 2010 de porter ce délai à six mois.
Aussi cette proposition de loi envisage-t-elle de faire passer de quatre à dix semaines à l’issue du congé de maternité la protection de la salariée, mais également d’inclure dans cette période de protection relative les congés payés pris à l’issue du congé de maternité ; enfin, élargissant un droit introduit par notre assemblée il y a à peine dix-huit mois, elle prévoit une protection qui passerait de quatre à dix semaines à compter de la naissance de leur enfant pour les contrats de travail des nouveaux pères.
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I. LA PROTECTION DE LA SALARIÉE ENCEINTE CONTRE LE LICENCIEMENT INJUSTIFIÉ, UN PRINCIPE FONDAMENTAL POUR L’INSERTION DES FEMMES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
A. LE DROIT FRANÇAIS ÉTABLIT UN PRINCIPE DE PROTECTION DE LA FEMME ENCEINTE ET DE SON CONTRAT DE TRAVAIL
Depuis la loi du 27 novembre 1909 « garantissant leur travail ou leur emploi aux femmes en couches » adoptée à l’initiative de Fernand Engerand (1867-1938), député du Calvados, le législateur a prévu le principe de l’interdiction de rupture du contrat de travail de la salariée pendant la période de grossesse médicalement constatée. Codifiée en 1910 à l’article 29 du premier code du travail, cette règle disposait que « La suspension du travail, par la femme, pendant huit semaines consécutives, dans la période qui précède et suit l’accouchement, ne peut être une cause de rupture, par l’employeur, du contrat de louage de services, et ce à peine de dommages-intérêts au profit de la femme ».
Si le texte a connu par la suite de nombreuses évolutions, tant pour la durée de la protection accordée à la salariée que pour son intensité, le principe sera conservé dans le code du travail.
Le premier alinéa de l’article L. 1225-4 du code du travail prévoit ainsi actuellement qu’« aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l’expiration de ces périodes. » (1). La chambre sociale de la Cour de Cassation a précisé que lorsque la suspension du contrat de travail au titre du congé de maternité est suivie immédiatement par la prise de congés payés, la protection de la salariée contre le licenciement est prolongée de la durée de ces congés payés (2).
Cependant, cette protection contre le licenciement n’est que relative pendant la plupart du temps de la grossesse : en application du second alinéa du même article L. 1225-4, il reste possible à l’employeur de procéder à un licenciement « s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement ».
Cette protection ne devient absolue que pendant que la salariée est en congé de maternité : même dans les hypothèses où un licenciement serait justifié par une faute grave de la salariée ou un motif extérieur, notamment économique, l’employeur ne peut procéder au licenciement de l’employée durant son congé de maternité.
Par ailleurs, si une procédure de licenciement a été engagée avant que l’employée ait déclaré sa grossesse à son employeur, il lui reste loisible de réclamer l’annulation de cette procédure, dans un délai de quinze jours, en communiquant un certificat médical justifiant qu’elle est enceinte (article L. 1225-5 du code du travail).
De manière plus récente, l’article 9 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, introduit à l’initiative de son rapporteur notre collègue Sébastien Denaja, a introduit le principe d’une protection relative contre le licenciement pour le salarié nouvellement parent
– dans les faits le père – d’une durée de quatre semaines à compter de la naissance de l’enfant.
Le code du travail prévoit un certain nombre de mesures destinées à permettre la conciliation entre la grossesse et le travail.
Il interdit ainsi de prendre en compte l’état de grossesse d’une femme pour refuser de l’embaucher, pour rompre son contrat de travail au cours d’une période d’essai ou pour prononcer une mutation d’emploi non justifiée par des raisons médicales (article L. 1225-1).
Il protège la vie privée en interdisant à l’employeur de rechercher toute information sur l’état de grossesse de ses salariées (article L. 1225-1) et en ne contraignant pas la salariée enceinte à révéler son état à son employeur, sauf pour bénéficier des dispositions légales protectrices (article L. 1225-2).
La salariée enceinte doit pouvoir bénéficier d’un changement de poste en cas de nécessité médicale, puis retrouver son poste précédent (articles L. 1225-6 et L. 1225-7). Pendant la durée de sa grossesse et pendant la période du congé postnatal si elle effectue un travail de nuit, elle doit pouvoir être affectée sur sa demande à un poste de jour (article L. 1225-9) ou à un poste non exposé à des risques pour sa santé et celle de son enfant (article L. 1225-12) ou bénéficier d’un arrêt de travail rémunéré si cela est impossible.
Enfin la salariée bénéficie d’une autorisation d’absence pour se rendre aux examens médicaux obligatoires (article L. 1225-16) et d’un congé de maternité dans les conditions prévues par le code du travail et le code de la sécurité sociale.
Le congé de maternité Les femmes salariées bénéficient, avant et après l’accouchement, d’un congé de maternité pendant lequel leur contrat de travail est suspendu. La durée de ce congé dépend, le cas échéant, du nombre d’enfants vivant au foyer et du nombre de naissances attendues. Pendant leur congé de maternité, les femmes salariées peuvent bénéficier, dans les conditions fixées par le code de la Sécurité sociale, d’indemnités journalières versées par la sécurité sociale. Durée du congé de maternité En application des articles L. 1225-17 à L. 1225-19 du code du travail, la salariée peut, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, suspendre son contrat de travail pendant une durée fixée comme indiqué dans le tableau suivant (sous réserve des conventions collectives qui peuvent prévoir des dispositions plus favorables) : Cas général : avant l’accouchement (congé prénatal) 6 semaines ; après l’accouchement (congé postnatal) 10 semaines ; total 16 semaines Naissance d’un troisième enfant : avant l’accouchement (congé prénatal) 8 semaines ; après l’accouchement (congé postnatal) 18 semaines ; total 26 semaines Naissance de jumeaux : avant l’accouchement (congé prénatal) 12 semaines ; après l’accouchement (congé postnatal) 22 semaines ; total 34 semaines Naissance simultanée de plus de deux enfants : avant l’accouchement (congé prénatal) 24 semaines ; après l’accouchement (congé postnatal) 22 semaines ; total 46semaines La salariée qui attend un enfant et qui a déjà au moins deux enfants à charge peut choisir d’anticiper le point de départ de son congé prénatal de deux semaines maximum ; le congé postnatal est alors réduit d’autant. La salariée qui attend des jumeaux peut choisir d’anticiper le point de départ de son congé prénatal de quatre semaines maximum ; le congé postnatal est alors réduit d’autant (article L. 1225-19 du même code). En aucun cas, une femme ne peut être employée pendant une période de huit semaines au total avant et après son accouchement, dont obligatoirement six semaines après l’accouchement (article L. 1225-29). En dehors de cette période d’interdiction d’emploi, une femme salariée peut décider de ne pas prendre l’intégralité du congé de maternité auquel elle a droit. En cas d’état pathologique attesté par un certificat médical, le congé de maternité peut être prolongé de deux semaines avant la date prévue de l’accouchement et de quatre semaines après celui-ci (article L. 1225-21). Si l’accouchement a lieu avant la date présumée, la durée totale du congé de maternité n’est pas réduite : dans ce cas, la durée du congé prénatal qui n’a pas été prise est reportée à l’expiration du congé postnatal (article L. 1225-20). Conséquences du congé de maternité Le congé de maternité entraîne la suspension du contrat de travail (article L. 1225-24). La salariée avertit l’employeur du motif de son absence et de la date à laquelle elle entend y mettre fin ; cette information se fait par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. L’employeur ne peut s’opposer au départ de la salariée en congé de maternité. Si elle le souhaite, la salariée en état de grossesse médicalement constaté peut rompre son contrat de travail sans préavis et sans devoir d’indemnité de rupture (article L. 1225-34). Dispositions spécifiques Plusieurs dispositions spécifiques sont prévues pour faire face à des situations particulières : – en cas d’hospitalisation de l’enfant d’une durée supérieure à six semaines après sa naissance, la mère salariée peut reprendre son travail et reporter à la fin de l’hospitalisation de son enfant tout ou partie du congé postnatal auquel elle peut encore prétendre (article L. 1225-22) ; – lorsque l’accouchement intervient plus de six semaines avant la date prévue et exige l’hospitalisation de l’enfant après sa naissance, la période de suspension du contrat de travail telle qu’elle résulte des dispositions légales exposées ci-dessus est prolongée du nombre de jours courant de la date effective de l’accouchement au début de la période de congé prénatal (article L. 1225-23) ; – à sa demande et sous réserve d’un avis favorable du professionnel de santé qui suit sa grossesse, la salariée peut réduire la période de suspension du contrat de travail qui commence avant la date présumée de l’accouchement (le congé prénatal) d’une durée maximale de six semaines ; dans ce cas, la période postérieure à la date présumée de l’accouchement (le congé postnatal) est alors augmentée d’autant. Toutefois, lorsqu’elle a fait usage de cette faculté et qu’elle se voit prescrire un arrêt de travail entre la date normale du début de son congé et la date réelle résultant du report, celui-ci est annulé et la période de suspension du contrat de travail est décomptée à partir du premier jour de l’arrêt de travail ; la période initialement reportée est alors réduite d’autant (article L. 1225-17) ; – en cas de décès de la mère au cours de la période d’indemnisation définie au premier alinéa de l’article L. 331-6 du code de la sécurité sociale (c’est-à-dire au cours de la période d’indemnisation de la cessation d’activité comprise entre la naissance de l’enfant et la fin, selon le cas, de l’indemnisation au titre du régime d’assurance maternité ou, si la mère était fonctionnaire, du maintien de traitement lié à la maternité), le père peut suspendre son contrat de travail pendant une période au plus égale à la durée d’indemnisation restant à courir, le cas échéant reportée lorsque l’enfant est resté hospitalisé jusqu’à l’expiration de la sixième semaine suivant l’accouchement. Il doit avertir son employeur du motif de son absence et de la date à laquelle il entend mettre fin à la suspension de son contrat de travail. Le père bénéficie alors de la protection contre le licenciement prévue aux articles L. 1225-4 et L. 1225-5 du code du travail. Lorsque le père de l’enfant n’exerce pas son droit, le bénéfice de celui-ci est accordé au conjoint salarié de la mère ou à la personne liée à elle par un PACS ou vivant maritalement avec elle. Le père bénéficiera alors d’un droit à indemnisation pour la durée restant à courir entre la date du décès et la fin de la période d’indemnisation dont aurait bénéficié la mère ; si le père de l’enfant ne demande pas à bénéficier de l’indemnité, le droit à indemnisation sera accordé au conjoint de la mère ou à la personne liée à elle par un PACS ou vivant maritalement avec elle (article L. 1225-28). Situation de la salariée à l’issue du congé À l’issue de son congé de maternité, la salariée retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente (article L. 1225-25 du code du travail). La salariée qui reprend son activité à l’issue d’un congé de maternité a également droit à l’entretien professionnel mentionné au I de l’article L. 6315-1 du code du travail. Cet entretien est consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi ; il ne porte pas sur l’évaluation du travail de la salariée. Il donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise à la salariée (article L. 1215-27). Elle doit également bénéficier d’un examen de reprise du travail par le médecin du travail. Les salariés peuvent également choisir de bénéficier d’un congé parental d’éducation ou d’une période d’activité à temps partiel. Pour élever son enfant, le salarié (la mère ou le père) en contrat à durée déterminée peut, sous réserve d’en informer son employeur au moins 15 jours à l’avance, rompre son contrat de travail à l’issue du congé de maternité ou, le cas échéant, deux mois après la naissance de l’enfant, sans être tenu de respecter le délai de préavis, ni de devoir de ce fait d’indemnité de rupture. Dans l’année suivant la rupture de son contrat, le salarié peut solliciter sa réembauche. Il bénéficie alors pendant un an d’une priorité de réembauche dans les emplois auxquels sa qualification lui permet de prétendre ; les propositions d’embauche par priorité faites par l’employeur lui sont adressées par lettre recommandée avec accusé de réception (le refus de ces propositions est adressé à l’employeur dans les mêmes formes). Le salarié réembauché dans l’entreprise bénéficie d’un droit à une action de formation professionnelle, notamment en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail ; l’employeur doit également lui accorder le bénéfice de tous les avantages qu’il avait acquis au moment de son départ. |
Si ces dispositions obligent l’employeur à justifier que toute mesure concernant la situation d’une salariée enceinte est sans rapport avec son état de grossesse et sa maternité, la preuve d’une discrimination reste difficile à apporter.
B. L’INTERDICTION DES DISCRIMINATIONS LIÉES À L’ÉTAT DE GROSSESSE AU TRAVAIL RÉAFFIRMÉ PAR LE LÉGISLATEUR
La loi n° 82-689 du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, la première des « lois Auroux », a introduit le principe de l’interdiction des discriminations en matière d’embauche, de licenciement et de sanctions disciplinaires, au départ « en raison de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou de ses convictions religieuses ».
À cette liste la loi n° 90-602 du 12 juillet 1990 relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison de leur état de santé ou de leur handicap a ajouté l’état de santé, sauf inaptitude constatée par la médecine du travail, avant que la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes prévoie explicitement l’interdiction des discriminations liées à l’état de grossesse au travail.
Enfin la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, transposant notamment la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et la directive 2002/73 du 23 septembre 2002 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail a prévu aux 3° de son article 2 que « Toute discrimination directe ou indirecte est interdite en raison de la grossesse ou de la maternité, y compris du congé de maternité. »
En conséquence, les articles L. 1132-1 à L. 1132-4 du code du travail interdisent, sous peine de nullité, toute décision de l’employeur constitutive d’une discrimination liée à l’état de grossesse :
– dans le cadre d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise ;
– dans le cadre d’une sanction ou d’un licenciement ;
– par une mesure discriminatoire, notamment en matière de rémunération ou d’avantages annexes (mesures d’intéressement ou de distribution d’actions) mais également de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat.
Par ailleurs, la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 précitée a explicitement prévu aux articles 225-1 et 225-2 du code pénal que toute discrimination fondée sur l’état de grossesse, notamment dans l’embauche, la sanction ou le licenciement de salarié, est un délit punissable de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
L’Organisation internationale du Travail (OIT) a fait de la protection de l’enfance et de la maternité l’une de ses principales préoccupations depuis sa création en 1919.
Dès 1919, une Convention (n° 3) sur la protection de la maternité a prévu que « Au cas où une femme s’absente de son travail […] ou en demeure éloignée pendant une période plus longue, à la suite d’une maladie attestée par certificat médical comme résultant de sa grossesse ou de ses couches, et qui la met dans l’incapacité de reprendre son travail, il sera illégal pour son patron, jusqu’à ce que son absence ait atteint une durée maximum fixée par l’autorité compétente de chaque pays, de lui signifier son congé durant ladite absence, ou à une date telle que le délai de préavis expirerait pendant que dure l’absence susmentionnée. » La France a ratifié cette convention en 1950.
Par la suite, l’OIT a révisé cette convention-cadre en 1952 (convention n° 103) et la dernière fois en 2000 avec la convention (n°183) sur la protection de la maternité et sa recommandation associée (n° 191). Ces conventions prévoient des mesures de protection pour les femmes enceintes ou ayant récemment accouché, notamment en ce qui concerne la prévention de l’exposition à des risques pour leur santé et de leur sécurité durant et après la grossesse, le droit à un congé de maternité d’une durée de quatorze semaines au moins, à des soins de santé maternelle et infantile et à des pauses d’allaitement rémunérées, la protection contre la discrimination et le licenciement fondés sur la maternité, ainsi que le droit garanti de reprendre le travail après un congé de maternité.
Ainsi, l’article 7 de la convention n° 183 de 2000 précitée prévoit notamment « Il est interdit à l’employeur de licencier une femme pendant sa grossesse, le congé visé aux articles 4 ou 5, ou pendant une période suivant son retour de congé à déterminer par la législation nationale, sauf pour des motifs sans lien avec la grossesse, la naissance de l’enfant et ses suites ou l’allaitement. La charge de prouver que les motifs du licenciement sont sans rapport avec la grossesse, la naissance de l’enfant et ses suites ou l’allaitement incombe à l’employeur. »
Alors que la France respecte ces dispositions, il est regrettable que la convention n° 183 n’ait pas été ratifiée par la France, alors que trente pays ont d’ores et déjà procédé à cette ratification, dont treize pays de l’Union européenne (3), afin d’encourager à un respect universel des droits fondamentaux des travailleuses durant leur maternité.
Dans son rapport sur l’application de ces dispositions en 2014 (4) l’OIT note « Aujourd’hui, presque tous les pays ont adopté des dispositions législatives sur la protection de la maternité au travail. Des données récentes sur 185 pays et territoires démontrent que 34 pour cent d’entre eux satisfont pleinement aux dispositions de la convention (n° 183) et de la recommandation (n° 191) sur la protection de la maternité de 2000, concernant trois aspects essentiels: ils octroient au moins 14 semaines de congé, payées à un taux d’au moins deux tiers des revenus antérieurs, et financées par une assurance sociale ou des fonds publics.
« Malgré ces progrès, la grande majorité des travailleuses dans le monde – soit environ 830 millions de personnes – ne bénéficie pas d’une protection de la maternité adéquate. Environ 80 pour cent de ces travailleuses se trouvent en Afrique ou en Asie. La discrimination à l’égard des femmes pour des motifs liés à la maternité est un problème répandu à travers le monde. Lorsqu’une législation existe en la matière, assurer son application effective en pratique demeure un défi de taille ».
Dans le cadre européen, la directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail a établi les droits élémentaires de toutes les femmes avant et après leur grossesse dans l’Union européenne. Il s’agit de l’une des « directives filles » adoptées au titre de la directive-cadre 89/391/CEE sur la sécurité et la santé des travailleurs au travail.
En application de ses dispositions, les pays de l’Union européenne ont l’obligation d’informer les employeurs et les travailleuses des lignes directrices de la Commission européenne sur les risques pour la santé et la sécurité au travail des substances dangereuses et des procédés industriels. Si des risques ont été recensés, les employeurs sont tenus de prendre des mesures pour protéger les travailleuses concernées, par exemple en les affectant à un autre poste ou en leur accordant un congé.
Lorsqu’un congé est accordé, l’employeur doit garantir les droits liés au contrat de travail et le paiement d’une indemnité adéquate pour compenser toute perte de revenus.
Les travailleuses enceintes ne sont pas obligées de travailler à un poste de nuit, sous réserve de présentation d’un certificat médical.
Les travailleuses enceintes peuvent passer des examens médicaux anténataux pendant leurs heures de travail sans perte de revenus.
La directive prévoit quatorze semaines de congé de maternité, dont deux semaines obligatoires avant la naissance.
Enfin, l’article 10 de cette directive pose le principe de l’interdiction du licenciement :
« En vue de garantir aux travailleuses, au sens de l’article 2, l’exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que:
« 1) les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l’article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité visé à l’article 8 paragraphe 1, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord ;
« 2) lorsqu’une travailleuse, au sens de l’article 2, est licenciée pendant la période visée au point 1, l’employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit ;
« 3) les États membres prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses, au sens de l’article 2, contre les conséquences d’un licenciement qui serait illégal en vertu du point 1. »
La Cour de justice des communautés européennes a eu l’occasion d’interpréter ces dispositions dans le cadre d’une question préjudicielle (5) et a déterminé que cette protection interdisait à l’employeur d’engager des démarches préparatoires à une décision de licenciement pendant la période de protection du congé de maternité, même si celle-ci devait être notifiée ultérieurement (dans le cas d’espèce, l’employeur avait publié une annonce en vue de recruter un nouveau salarié, pendant la période de protection supplémentaire octroyée par le droit belge).
Cette solution a été appliquée par la chambre sociale de la Cour de cassation, qui a enjoint les juridictions compétentes de vérifier en cas de contestation du licenciement d’une salariée à l’occasion de son retour de congé si « l’engagement d’un salarié pour la remplacer durant son congé de maternité n’avait pas eu pour objet de pourvoir à son remplacement définitif, de sorte qu’il caractérisait une mesure préparatoire à son licenciement interdite pendant la période de protection prévue par l’article L. 1225-4 du code du travail, interprété à la lumière de l’article 10 de la Directive 92/85 du 19 octobre 1992 » (6).
En mars 2006, le Conseil européen a souligné la nécessité d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée et a approuvé le pacte européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est dans ce contexte qu’il a demandé à la commission européenne en décembre 2007, puis en mars 2008, de poursuivre et d’approfondir les efforts en vue de concilier vie professionnelle, vie familiale et vie privée, tant pour les femmes que pour les hommes.
Pour sa part, le Parlement européen a demandé à maintes reprises que la législation relative à la protection des travailleuses enceintes et à l’octroi du congé parental soit améliorée. C’est la raison pour laquelle la commission européenne a finalement réexaminé la directive 92/85/CEE et a décidé d’en proposer, en octobre 2008, la révision.
La proposition de directive COM/2008/0637 prévoyait six mesures :
– un allongement de la durée minimale européenne du congé de maternité, qui passerait de quatorze semaines actuellement – dont obligatoirement deux avant ou après l’accouchement –, à dix-huit semaines, dont six obligatoires après l’accouchement (7) ;
– l’assouplissement le régime du congé de maternité, en supprimant toute mention d’une faculté d’un congé prénatal ;
– l’amélioration de l’indemnisation du congé de maternité, en posant le principe que la prestation « adéquate » doit assurer des revenus au moins équivalents au dernier salaire mensuel ou d’un salaire mensuel moyen, tout en laissant cependant aux États membres la faculté de plafonner celui-ci à un montant au moins égal à la prestation de maladie ;
– l’amélioration de la protection contre le licenciement, en intégrant les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes interdisant de préparer, pendant le congé de maternité, un licenciement notifié après le retour de l’intéressée au travail ;
– la faculté pour les femmes reprenant le travail après un congé de maternité, de demander la modification de ses rythmes et horaires de travail, dans le sens de leur assouplissement ;
– le renversement de la charge de la preuve : il suffirait à la salariée de présenter des faits qui laissent présumer l’existence d’une infraction pour que l’employeur, à défaut de présenter des preuves mettant son comportement hors de doute, soit reconnu fautif.
Le 20 octobre 2010, le Parlement européen a adopté une résolution législative sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant modification de la directive 92/85/CEE. Les députés européens ont souhaité étendre le champ couvert par la directive :
– sur les conditions de travail, le Parlement a estimé que le libellé actuel de la proposition laisse trop de latitude aux employeurs pour faire valoir qu’ils ne peuvent adapter le poste de travail ou offrir un autre emploi ;
– sur le congé de maternité, les députés ont proposé que les travailleuses bénéficient d’un congé de maternité d’au moins vingt semaines continues, d’au moins six semaines après l’accouchement, intégralement rémunérées. En ce qui concerne les quatre dernières semaines du congé de maternité, un dispositif de congé pour événements familiaux existant au niveau national peut être considéré comme un congé de maternité, à condition qu’il offre un niveau de protection global qui soit équivalent au niveau fixé dans la directive ;
– si un État membre a mis en place un congé de maternité d’au moins dix-huit semaines, il peut décider que les deux dernières semaines sont couvertes par la possibilité offerte en droit national de prendre un congé de paternité, qui donne lieu à une rémunération équivalente ;
– les députés européens demandaient que les travailleurs ou travailleuses dont la conjointe ou la partenaire vient d’accoucher aient droit à un congé de paternité intégralement payé et non cessible d’au moins deux semaines continues, à prendre après l’accouchement de leur conjointe ou partenaire durant le congé de maternité ;
– sur les droits des travailleuses en matière de rémunération, les députés européens estiment qu’il importe de garantir le droit à l’intégralité de la rémunération, afin que les femmes ne soient pas financièrement pénalisées lorsqu’elles deviennent mères ;
– sur les dispositions relatives à la charge de la preuve, le Parlement les a supprimés, jugeant que la discrimination fondée sur la grossesse est déjà couverte par les textes communautaires ;
– sur le licenciement, celui-ci devrait être interdit pendant la période allant du début de la grossesse jusqu’à six mois, au minimum, après le terme du congé de maternité et pendant le congé de paternité.
Le Conseil a consacré le 6 décembre 2010 un débat d’orientation à la proposition de directive. Dans leur grande majorité, les ministres ont estimé que les amendements adoptés par le Parlement européen en première lecture, notamment l’allongement demandé de la durée du congé de maternité à vingt semaines, intégralement rémunérées, ne constituaient pas une base de négociation appropriée. Ils se sont déclarés préoccupés par les implications financières d’une telle mesure et ont souligné qu’une directive devrait instaurer des normes minimales tout en respectant le principe de subsidiarité et la diversité des situations que connaissent les États membres. La présidence belge a conclu que la proposition initiale de la Commission, visant à porter le congé de maternité de quatorze à dix-huit semaines, pourrait constituer une base de compromis plus acceptable que les modifications adoptées par le Parlement européen.
Après plusieurs tentatives de négociation, considérant l’absence de perspective de progrès, la Commission européenne a retiré la proposition de modification le 6 août 2015. Toutefois, comme elle l’avait annoncé à l’occasion de ce retrait, la Commission européenne a intégré dans son programme de travail pour 2016 « une série de mesures législatives et non législatives pour mieux relever les défis touchant à l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle auxquels les parents qui travaillent sont confrontés et favoriser la présence des femmes sur le marché du travail ».
II. UNE RÉALITÉ MOINS FAVORABLE À LA CONCILIATION ENTRE MATERNITÉ ET TRAVAIL, NECESSITANT UNE PROTECTION PLUS ÉTENDUE
En dépit de ces dispositions protectrices prévues par les textes internationaux, les directives européennes et la législation française, la fin du congé de maternité se traduit souvent par un point de rupture dans la carrière des femmes.
Certaines femmes décident d’élever leur enfant après sa naissance et donc de suspendre, voire de cesser, leur activité professionnelle, mais toutes les femmes ne font pas ce choix. Il existe parfois une discrimination non avouée à l’égard des mères lors de leur retour au travail : licenciement, pressions pour les inciter à démissionner, freins à une éventuelle promotion interne, etc.
De fait, les mères sont plus susceptibles que les femmes sans enfant de connaître des périodes hors du marché du travail. Or cette tendance est en contradiction avec la baisse du nombre de femmes qui cessent de travailler pour élever leurs enfants (8). Cette évolution s’explique à la fois par des facteurs démographiques (recul de l’âge à la maternité, baisse du nombre des familles nombreuses) et par la progression du niveau d’éducation.
Les ruptures de carrières pour les mères sont cependant une réalité qui s’accroît au fur et à mesure des naissances. Ainsi, l’Institut national d’études démographiques (INED) a établi qu’entre 2005 et 2008 la femme cesse ou réduit son activité professionnelle dans 25 % des cas si cette naissance est un premier enfant et dans 32 % des cas s’il s’agit d’un enfant supplémentaire (9).
S’il est difficile d’évaluer le nombre de femmes qui ont quitté volontairement leur emploi, ces ruptures de parcours professionnel sont parfois le fait de décisions des employeurs.
Selon un projet de recherche au niveau national, mandaté par le gouvernement français en 1998 et cité en 2012 par l’Organisation internationale du travail (OIT), chaque année, 4 % des femmes enceintes en France (soit 29 500 femmes) perdent leur emploi en raison de leur grossesse (10).
Bien que seuls 126 cas de discrimination fondée sur la grossesse aient été enregistrés par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) en 2008 (ce qui représentait 2 % du nombre total des cas), 615 cas de ce type ont été enregistrés en 2010 (ce qui représentait 5 % du nombre total de cas). D’après la HALDE, la discrimination fondée sur la grossesse, le sexe et les responsabilités familiales touchait 12 % des travailleuses en 2010 (11).
Selon un sondage réalisé par l’institut CSA pour la HALDE en février 2009 (12), une femme active ou retraitée sur trois (34 %) a le sentiment d’avoir été victime de discrimination sur son lieu de travail parce qu’elle est une femme. Plus précisément, 28 % des femmes ayant été enceintes pendant leur vie active ont eu le sentiment d’être victimes de discrimination sur leur lieu de travail en raison de leur grossesse : 16 % pour l’obtention d’un poste à responsabilité, 13 % dans le travail au quotidien, 13 % pour obtenir une augmentation, 10 % pour accéder à une formation et 6 % au moment d’un licenciement ou d’une embauche.
Au-delà de ce sentiment, la sensibilité de la question de la grossesse au travail est bien réelle, puisque 23 % des femmes actives et retraitées déclarent avoir été interrogées sur leurs projets familiaux lors d’un entretien d’embauche. Ce chiffre monte à 37 % chez les femmes de 30 à 39 ans et à 36 % chez les cadres et professions intermédiaires. Cette pratique est également plus fréquente dans le secteur privé (34 %) que dans le secteur public (22 %).
Le retour de congé de maternité apparaît également comme un moment de déclassement professionnel potentiel. L’affectation à des dossiers de moindre importance concerne 12 % des femmes ayant été enceintes au cours de leur vie active, tout comme l’imposition d’un changement de poste. Les catégories populaires se disent plus vulnérables à ces pratiques (respectivement 18 % et 19 %) que les catégories supérieures (10 % et 6 % pour les cadres et les professions intermédiaires). Les discriminations ressenties le sont avant tout comme venant du sommet de l’entreprise, c’est-à-dire de la direction, pour 53 % des femmes ayant le sentiment d’avoir été victimes de discrimination, et du supérieur hiérarchique pour 38 %. 14 % citent ensuite les collègues de travail et 7 % des clients ou fournisseurs.
Interrogées dans le cadre du même sondage sur leurs réactions suite à ces discriminations, 37 % des femmes déclarent n’avoir rien dit. Si le silence est la réaction la plus fréquemment citée, 31 % déclarent en avoir parlé à leur direction. Le recours à des actions hors hiérarchie est moins fréquent : 16 % ont alerté les représentants du personnel et seules 8 % ont pris conseil auprès d’un avocat ou d’une association. Au total, ces cas de discriminations n’ont débouché sur des procédures que dans 5 % des cas, ce qui confirme la nécessité d’une protection qui ne se fonde pas sur les seuls recours juridictionnels.
Dans le cadre d’une étude sur la perception des discriminations au travail réalisée en 2014 (13), pour le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail ont été confirmées les discriminations que subissent les femmes du fait de leur grossesse : plus du tiers des actifs déclare que le fait d’avoir des enfants contribue à ralentir, voire à stopper la carrière d’une femme.
En outre, 8 % des réclamations reçues par le Défenseur des droits dans le domaine de l’emploi au titre de sa mission de lutte contre les discriminations, concernent des difficultés rencontrées par les salariées en raison de leur état de grossesse ou de leur maternité (14). De fait, dans de nombreuses décisions (15), le Défenseur des droits a constaté la violation de la période de protection contre le licenciement et l’insuffisance de sa durée de quatre semaines pour garantir un retour effectif de la salariée dans son emploi et prévenir les discriminations.
Des situations récurrentes témoignent ainsi de l’obstacle que constitue la grossesse sur le marché du travail et du non-respect des droits afférents : licenciements ou ruptures conventionnelles immédiatement imposées à l’issue du congé de maternité, occupation pérennisée du poste de la salariée par son remplaçant au cours de son congé de maternité, suppression injustifiée de son poste à la faveur d’une réorganisation, réorganisation défavorable au poste de la salariée, rétrogradation, isolement et harcèlement (16), sont autant de situations inacceptables que le législateur ne peut laisser prospérer.
À l’expiration des congés liés à la grossesse ou à la maternité, ou à l’expiration du congé d’adoption, les femmes sont ainsi licenciables à tout moment après l’expiration d’une période de quatre semaines après la reprise de leur travail.
Cette durée de quatre semaines paraît extrêmement courte et place les femmes dans une situation de précarité, alors même que le foyer compte une personne à charge supplémentaire.
La législation en vigueur dans notre pays, si elle répond à la Convention n° 183 de l’OIT, offre cependant une protection moindre par rapport à ce qui est pratiqué dans nombre d’États.
Selon l’OIT, « Au moins 56 pays précisent la durée de cette période de protection, qui dans de nombreux cas s’étend bien au-delà de la fin du congé de maternité » (17).
En Allemagne, par exemple, les mères de famille salariées bénéficient depuis 1952 de dispositions particulières fixées par la loi sur la protection des mères. L’article 9 de cette loi interdit le licenciement des femmes pendant leur grossesse et jusqu’à la fin d’une période de quatre mois suivant la naissance de l’enfant, sous réserve que l’employeur ait été informé de ces événements. L’expiration de cette protection contre le licenciement n’est donc pas calculée en fonction de la fin du congé de maternité, mais de la date de l’accouchement. Ainsi, la législation allemande propose une durée de protection supérieure de deux semaines à la législation française pour les deux premières naissances et équivalente à partir du troisième enfant. À l’instar de l’Allemagne, l’Autriche (article 10 de la loi sur la protection des mères de 1979, modifiée en 2004) et la Suisse (article 336 c du code civil) appliquent une protection de seize semaines suivant l’accouchement.
En Belgique (chapitre IV de la loi du 16 mars 1971 sur le travail), il n’existe pas de protection spécifique suivant le retour au travail de la mère, mais si l’employeur n’est pas en mesure de prouver que le licenciement n’est pas lié à la grossesse ou à l’allaitement, il devra verser à son employée un dédommagement forfaitaire non sujet à cotisations sociales et équivalant à six mois de rémunération brute.
En Espagne (sections 53.4 c et 55.5 c du Statut des droits des travailleurs), l’employeur ne peut mettre fin au contrat de travail de sa salariée pendant les neuf mois qui suivent la naissance de l’enfant, cette mesure étant également valable en cas d’adoption.
En Italie (article 54 du décret législatif n° 151/2001, loi sur la protection de la maternité), les salariées ne peuvent être licenciées entre le début de leur grossesse et jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge d’un an.
Aux Pays-Bas (article 7:670 du code civil), il est interdit de licencier une employée à partir du début de sa grossesse et jusqu’à six semaines après son retour au travail.
Par ailleurs, l’OIT indique dans son rapport précité que la protection de l’emploi s’étend bien au-delà du congé de maternité au Chili et au Panama (de la grossesse jusqu’à l’issue d’une période d’une année à compter de la fin du congé de maternité), en Bolivie, en Somalie, au Venezuela et au Viêtnam (de la grossesse jusqu’à un an après l’accouchement) et en Argentine (de la notification de la grossesse jusqu’au septième mois après l’accouchement). Dans de nombreux pays, cette protection de l’emploi des mères est particulièrement importante : en Moldavie, elle court de la grossesse jusqu’aux six ans de l’enfant, au Portugal de la grossesse jusqu’aux deux ans de l’enfant et au Gabon de la grossesse jusqu’à l’issue d’une période de 15 mois consécutifs à l’accouchement (18).
III. UNE PROPOSITION DE LOI POUR ÉTENDRE DE SIX SEMAINES LA PROTECTION CONTRE LE LICENCIEMENT DE LA SALARIÉE ET DU PÈRE DE L’ENFANT
Face à cette situation, il importe que le législateur prenne une initiative pour mieux protéger les femmes salariées de retour d’un congé de maternité afin qu’elles puissent de manière plus harmonieuse réintégrer leur vie professionnelle.
La démarche proposée par la présente proposition de loi est ainsi soutenue par le Défenseur des droits.
A. UNE PROTECTION RELATIVE DE QUATRE SEMAINES À L’ISSUE DES DROITS À CONGÉ DE MATERNITÉ AUJOURD’HUI INSUFFISANTE SELON LE DÉFENSEUR DES DROITS
La période de quatre semaines durant laquelle les mères sont protégées dans l’emploi en France semble bien insuffisante au vu des réalités du monde du travail.
On pourrait même parler d’une période de vulnérabilité puisque cette période, particulièrement courte, est un obstacle à leur bonne réinsertion dans l’emploi. En fait, ces quatre semaines de protection ne permettent pas aux femmes qui ne souhaitent pas se retirer du marché du travail de démontrer à leur employeur la réalité de leur volonté de poursuivre leur carrière. Les femmes qui souhaitent réintégrer leur poste et leurs fonctions à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité se heurtent ainsi à des difficultés qui les fragilisent vis-à-vis de leur employeur.
Certains métiers, en particulier, nécessitent une remise à niveau de ces femmes qui se sont absentées en raison de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité. C’est notamment le cas des métiers du secteur des nouvelles technologies. Si la femme bénéficiait d’une protection plus longue lorsqu’elle reprend son travail, cela lui permettrait d’accroître ses chances de s’adapter aux nouvelles exigences du poste qu’elle retrouve.
Dans son avis du 24 février dernier rendu sur le présent texte (19), le Défenseur des droits « soutient pleinement l’opportunité de cette proposition de loi ».
Il a en effet pu constater dans de nombreux cas la violation de la période de protection contre le licenciement et l’insuffisance de sa durée de quatre semaines pour garantir un retour effectif de la salariée dans son emploi et prévenir les discriminations.
Des situations récurrentes témoignent ainsi de l’obstacle que constitue la grossesse sur le marché du travail et du non-respect des droits afférents : licenciements ou ruptures conventionnelles immédiatement imposées à l’issue du congé de maternité, occupation pérennisée du poste de la salariée par son remplaçant au cours de son congé de maternité, suppression injustifiée de son poste à la faveur d’une réorganisation, réorganisation défavorable au poste de la salariée, rétrogradation, isolement et harcèlement (20).
À cette occasion, il observe notamment que « la prolongation proposée permettrait de pallier une carence importante du dispositif actuel de protection de la salariée à l’issue de son congé maternité, lorsque le congé est suivi d’un arrêt de travail qui n’est pas un arrêt dit pathologique. En effet, à la différence de la protection de la période de congés payés consacrée par la Cour de cassation, l’arrêt de travail ne suspend pas la période de protection de quatre semaines suivant le congé maternité. Ainsi, une salariée en arrêt maladie pendant 4 semaines à l’issue de son congé de maternité pourrait ensuite reprendre le travail sans aucune protection. Cette situation met en échec le principe d’une période de protection à la date du retour effectif dans la situation d’emploi. ».
Dans le cadre de la préparation de l’examen de la présente proposition de loi, votre rapporteure a entendu les partenaires sociaux.
Les principes qu’elle met en œuvre sont explicitement soutenus par les confédérations syndicales, qui reconnaissent la nécessité d’allonger la protection relative des contrats de travail, aussi bien pour les mères que pour les pères qui doivent concilier leur activité professionnelle avec l’arrivée d’un nouvel enfant.
Les organisations patronales sont apparues plus réservées, mais s’interrogeant sur l’opportunité de légiférer, plus que sur le fond des dispositions du texte.
B. UNE PROPOSITION DE LOI POUR AMÉLIORER LA PROTECTION DES SALARIÉES ET CODIFIER LES AVANCÉES DE LA JURISPRUDENCE
1. Faire passer de quatre à dix semaines à l’issue du congé de maternité la protection de la salariée
La proposition de loi vise donc à assurer le maintien dans l’emploi des femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité, au-delà des quatre semaines suivant leur retour au travail prévues par le code du travail dans son article L. 1225-4 du code du travail.
L’article premier porterait cette période à dix semaines, ce qui correspond à la durée totale minimale du congé postnatal fixée par le code de la sécurité sociale et le code du travail. Il s’agirait ainsi d’établir un parallélisme des formes et, avant tout, d’instaurer un délai raisonnable de protection permettant aux femmes de se réinsérer totalement dans leur emploi.
Cette modification ne remettrait cependant pas en cause les dispositions du code du travail relatives aux licenciements « pour faute grave non liée à l’état de grossesse » ou si l’employeur justifie de son « impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement » (second alinéa de l’article L. 1225-4).
Cette protection relative, qui s’étend pendant toute la grossesse, le congé postnatal et quatre semaines postérieures, dure actuellement au moins 54 semaines : l’allonger de 6 semaines ne représenterait au plus une extension de 11 % de la durée totale de protection.
2. Inclure dans cette période de protection relative les congés payés pris à l’issue du congé de maternité
Il est aujourd’hui courant qu’une salariée amenée à suspendre son contrat de travail pour prendre son congé de maternité cumule celui-ci avec les congés payés auxquels elle a droit.
Cependant, le code du travail ne précise pas, dans ce cas, si la période protection des quatre semaines commence à la fin du congé de maternité ou lors du retour effectif de la salariée prenant immédiatement, à la suite de ce congé, des congés payés.
La chambre sociale de la Cour de cassation a eu récemment l’occasion de préciser que la protection comprenait cette période de congés payés (21), le II de l’article premier inscrit dans la loi cette jurisprudence, en reportant la fin de la période de délai de protection relative de quatre semaines suivant l’expiration des droits à congé de maternité, en cas d’interruption du contrat de travail pour prendre les congés payés auxquels a droit la salariée.
Cependant, en déterminant que « la prise de congés payés immédiatement après la fin du congé de maternité reporte le point de départ de la protection des dix semaines », la rédaction ainsi proposée par la proposition de loi initiale pourrait laisser à penser que la protection est interrompue par la période de congés payés, et non qu’elle est continue de la déclaration de grossesse à l’expiration du délai des dix semaines suivant les droits à congé de maternité, permettant le cas échéant à l’employeur de mettre en œuvre une procédure de licenciement pendant que la salariée est absente pour prendre ses congés payés.
Aussi à l’initiative de votre rapporteure, la commission des Affaires sociales a adopté un amendement de précision et de simplification rédactionnelle.
La rédaction adoptée pour l’article 1er prévoit ainsi explicitement que la protection relative du contrat de travail de la salariée s’étend sans interruption du début de la grossesse jusqu’à dix semaines à l’issue de l’expiration de ses droits à congé et s’applique donc également durant la période de congés payés pris immédiatement après le congé de maternité, cette suspension du contrat de travail n’interrompant pas la protection de la salariée.
L’article L. 1225-4-1 du code du travail, issu de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, prévoit actuellement une protection relative contre le licenciement pour le salarié nouvellement parent, d’une durée de quatre semaines à compter de la naissance de l’enfant – dans les faits, le père, cette période étant entièrement incluse dans les droits à congé de maternité de la mère.
Par parallélisme, l’article 2 de la proposition de loi porte de quatre à dix semaines à compter de la naissance de l’enfant la période de protection de son père salarié contre le licenciement, sans en modifier les autres caractéristiques : durant cette période, le salarié pourrait toujours faire l’objet d’un licenciement pour une cause extérieure à l’accueil du nouvel enfant ou en cas de faute grave.
Au cours de sa réunion du 2 mars 2016, la commission des Affaires sociales examine, sur le rapport de Mme Dominique Orliac, la proposition de loi visant à prolonger la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité (n° 2927 rect.).
Mme la présidente Catherine Lemorton. L’initiative de la proposition de loi que nous examinons relève du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste ; elle sera examinée en séance publique le jeudi 10 mars prochain, dans le cadre de la niche parlementaire de ce groupe. Un avis du Défenseur des droits sur ce texte nous est parvenu vendredi dernier et est en distribution dans cette salle. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette initiative, qui témoigne de l’attention que celui-ci porte aux travaux parlementaires et ne peut qu’enrichir nos débats.
Madame la rapporteure, je vous laisse présenter un texte dont l’objectif
– le renforcement de la protection de la femme devenue mère – est particulièrement important en période de crise, tant il est vrai que les femmes sont souvent les premières victimes.
Mme Dominique Orliac, rapporteure. La politique familiale volontariste menée par les pouvoirs publics depuis les années 1990 explique en grande partie les bons résultats démographiques que notre pays connaît aujourd’hui puisque l’indicateur de fécondité, de 1,96 enfant par femme en 2015 selon l’INSEE, est l’un des plus élevés d’Europe. Il convient toutefois de rester vigilant, car cet indicateur connaît une légère baisse depuis quelques années.
Cependant, la conciliation des vies familiale et professionnelle demeure source de difficultés, en particulier pour les femmes qui doivent conjuguer les réalités du travail avec les charges liées à la maternité ainsi qu’à la famille. Malgré l’avancée que représente notamment l’institution du congé de paternité et de l’accueil de l’enfant en 2001, dans les faits, les mères continuent de porter l’essentiel de la charge du travail domestique et des soins aux enfants, et ce sont elles qui en paient le plus lourd tribut en termes d’emploi et de carrière professionnelle.
Depuis 1909, les salariées enceintes bénéficient d’une protection contre le licenciement injustifié, qui s’étend du début de la grossesse jusqu’à quatre semaines après l’expiration de leurs droits à congé de maternité. Cette protection n’est cependant que relative, car, au cours de cette période, elle n’est ni applicable à un licenciement qui serait dû à une faute grave non liée à l’état de grossesse de la salariée ni si l’employeur justifie de son impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Cette précision est importante, et tout licenciement n’est impossible que pendant le congé de maternité. Par ailleurs, si une procédure de licenciement a été engagée avant que l’employée ait déclaré sa grossesse à son employeur, il reste loisible à cette dernière de réclamer l’annulation de cette procédure, dans un délai de quinze jours, en communiquant un certificat médical justifiant qu’elle est enceinte.
Plus récemment, l’article 9 de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a introduit, à l’initiative du rapporteur à l’Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, le principe d’une protection relative de quatre semaines à compter de la naissance de l’enfant contre le licenciement du salarié nouvellement parent – dans les faits le père.
Le code du travail prévoit, en outre, un certain nombre de mesures destinées à permettre la conciliation entre la grossesse et le travail. Il protège la vie privée en interdisant à l’employeur de rechercher toute information sur l’état de grossesse de ses salariées et ne contraint pas la salariée enceinte à faire part de son état à son employeur, sauf pour bénéficier des dispositions légales protectrices. La salariée enceinte doit pouvoir bénéficier d’un changement de poste en cas de nécessité médicale, puis retrouver son poste précédent.
Cette protection se conjugue avec un régime grandement amélioré de lutte contre les discriminations, qui interdit toute mesure prise en considération de l’état de grossesse de la salariée, si ce n’est à son avantage.
La loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations a ainsi prévu que « Toute discrimination directe ou indirecte est interdite en raison de la grossesse ou de la maternité, y compris du congé de maternité. » Toute discrimination fondée sur l’état de grossesse, notamment dans l’embauche, la sanction ou le licenciement de salarié, constitue désormais un délit punissable de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Ce principe républicain est repris par des instruments internationaux de protection des droits des salariées, que ce soit par des conventions élaborées dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou par la directive européenne 92/85/CEE du Conseil concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail. Si la France a ratifié la première convention de l’OIT de 1919, il est regrettable qu’elle n’ait pas fait de même pour celle de 2000, qui prévoit la protection contre le licenciement pendant la période de gestation ainsi que l’inversion de la charge de la preuve afin d’encourager à un respect universel des droits fondamentaux des travailleuses durant leur maternité.
La directive européenne précitée pose également le principe de l’interdiction du licenciement de la salariée enceinte « jusqu’au terme du congé de maternité ». Interprétant ces dispositions, la Cour de justice des communautés européennes a eu l’occasion de déterminer que cette protection interdisait également à l’employeur de prendre des mesures préparatoires à une décision de licenciement pendant la période de protection du congé de maternité, même si celle-ci devait être notifiée ultérieurement, solution adoptée par le juge français que je propose de codifier dans notre droit.
Cependant, le chantier de l’amélioration de ces dispositions, lancé par la Commission européenne en 2008, a malheureusement été arrêté en 2015, les institutions européennes n’ayant pas été en mesure d’aboutir sur un compromis, notamment sur l’augmentation du congé de maternité à quatorze voire vingt semaines pour toutes les femmes européennes. Dans le cadre de l’examen de ce projet de directive, le Parlement européen avait pourtant proposé, le 27 octobre 2010, de porter la période de protection à l’issue du congé de maternité à six mois, soit vingt-six semaines.
Une telle avancée n’apparaît pas si exceptionnelle si on regarde la protection prévue par d’autres législations nationales. Pour ne citer que quelques exemples au sein de l’Union européenne, elle est de quatre mois à compter de la naissance de l’enfant en Allemagne, neuf mois en Espagne, d’un an en Italie et de six semaines après le retour au travail pour les salariées néerlandaises.
Même s’il existe des textes protecteurs, il convient de constater que la réalité est moins favorable à la conciliation entre maternité et travail : l’interruption des carrières féminines du fait de la maternité reste un handicap pour les femmes.
Selon un projet de recherche mené à l’échelon national, mandaté par le gouvernement français en 1998 et cité en 2012 par l’OIT, chaque année, 4 % des femmes enceintes en France – soit 29 500 femmes – perdent leur emploi en raison de leur grossesse. À l’occasion de l’étude, La perception des discriminations au travail, réalisée en 2014, le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail ont mis en lumière les discriminations que subissent les femmes enceintes : plus du tiers des actifs déclare que le fait d’avoir des enfants contribue à ralentir, voire à stopper la carrière d’une femme. En outre, 8 % des réclamations reçues par le Défenseur des droits dans le domaine de l’emploi au titre de sa mission de lutte contre les discriminations, concernent des difficultés rencontrées par les salariées en raison de leur état de grossesse ou de leur maternité.
Des situations récurrentes témoignent ainsi de l’obstacle que constitue la grossesse sur le marché du travail et du non-respect des droits afférents : licenciements ou ruptures conventionnelles immédiatement imposées à l’issue du congé de maternité, occupation pérennisée du poste de la salariée par son remplaçant au cours de son congé de maternité, suppression injustifiée de son poste à la faveur d’une réorganisation, réorganisation défavorable au poste de la salariée, rétrogradation, isolement et harcèlement, sont autant de situations inacceptables que le législateur ne peut laisser prospérer.
C’est pourquoi le Défenseur des droits a rendu, le 24 février dernier, un avis dans lequel il fait part de son soutien aux dispositions prévues par la présente proposition de loi qu’il considère comme « un moyen juridique pertinent pour remédier à ces situations ». Par ailleurs, les auditions des partenaires sociaux que j’ai conduites ont fait ressortir que les confédérations syndicales soutiennent les principes sur lesquels le texte s’appuie. Elles reconnaissent la nécessité d’améliorer la protection relative des contrats de travail, aussi bien pour les mères que pour les pères qui doivent concilier leur activité professionnelle avec l’arrivée d’un nouvel enfant. Pour leur part, les organisations patronales se sont montrées plus réservées, s’interrogeant sur la pertinence de modifications législatives plus que sur le fond de la question.
La proposition de loi que je vous présente envisage d’améliorer la protection des salariées à l’issue de leur congé de maternité et de codifier les progrès de la jurisprudence.
Dans un premier temps, elle propose de porter la protection de la salariée à l’issue du congé de maternité de quatre à dix semaines, ce qui correspond à la durée totale minimale du congé postnatal fixée par le code de la sécurité sociale et le code du travail. Il s’agit ainsi d’établir un parallélisme des formes et, avant tout, d’instaurer un délai raisonnable de protection permettant aux femmes de se réinsérer pleinement dans leur emploi. Cette modification ne remettrait cependant pas en cause les dispositions du code du travail relatives aux licenciements « pour faute grave non liée à l’état de grossesse » ou si l’employeur justifie de son « impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement ». Cette protection relative, qui s’étend pendant toute la grossesse, le congé postnatal et les quatre semaines suivantes, dure actuellement au moins cinquante-quatre semaines ; l’allonger de six semaines ne représenterait au plus qu’une extension de 11 % de la durée totale de protection.
Dans un deuxième temps, elle propose d’inclure dans cette période de protection relative les congés payés pris à l’issue du congé de maternité. Il est aujourd’hui courant qu’une salariée amenée à suspendre son contrat de travail pour prendre son congé de maternité cumule celui-ci avec les congés payés auxquels elle a droit. Cependant, le code du travail ne précise pas, dans ce cas, si la période protection des quatre semaines commence à la fin du congé de maternité ou lors du retour effectif de la salariée prenant immédiatement des congés payés. La chambre sociale de la Cour de cassation a eu récemment l’occasion de préciser que la protection comprenait cette période de congés payés.
Enfin, dans un troisième temps, elle propose d’étendre également à dix semaines la protection du contrat de travail des pères. La loi du 4 août 2014 prévoit une protection relative contre le licenciement pour le salarié nouvellement parent, d’une durée de quatre semaines à compter de la naissance de l’enfant
– dans les faits, pour le père. L’article 2 porte de quatre à dix semaines à compter de la naissance de l’enfant la période de protection du père salarié contre le licenciement, cela sans en modifier les autres caractéristiques : durant cette période, le salarié pourrait toujours faire l’objet d’un licenciement pour une cause extérieure à l’accueil du nouvel enfant ou en cas de faute grave.
Ces progrès constitueront une amélioration et une clarification d’un régime de protection déjà existant dans le droit, mais dont la mise en place concrète reste problématique pour les femmes. Les droits attachés à la parentalité sont la condition nécessaire pour permettre à tous les salariés, hommes et femmes de participer à l’éducation de l’enfant et de concilier vie parentale et vie professionnelle.
En conclusion, ce texte constitue plus une évolution qu’une révolution : il s’agit de permettre aux femmes, mais également aux hommes, de mener une carrière tout en disposant du temps nécessaire à l’éducation de leurs enfants, ce que toutes les femmes, et notamment toutes les Européennes, ne sont pas encore en mesure de faire. Cette faculté reste un acquis que beaucoup nous envient : la bonne tenue de la natalité française en est la conséquence directe. C’est bien ce modèle français de développement de la conciliation entre travail et vie familiale, et de promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les tâches d’éducation des enfants que cette proposition de loi propose de conforter dans le droit.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Le texte que nous examinons aujourd’hui poursuit un double objectif : étendre la protection contre le licenciement des salariées de retour de congé maternité de quatre à dix semaines, et reporter le point de départ de la protection au retour du congé payé lorsqu’ils ont été pris immédiatement après le congé maternité. Il s’agit de consacrer, dans l’article L. 1225-4 du code du travail, la jurisprudence résultant de l’arrêt no 185 du 30 avril 2014 de la chambre sociale de la Cour de cassation. Ces mêmes dispositions sont reprises pour l’article L. 1225-4-1, qui résulte de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes créant un dispositif de protection équivalent à celui des salariées pour tout salarié après la naissance de son enfant, donc pour les pères.
Actuellement, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée pendant les quatre semaines suivant son retour de congé maternité, sauf en cas de faute grave de la part de celle-ci non liée à son état de grossesse ou s’il est dans l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse, l’accouchement ou l’adoption.
Pour chacun des deux articles qui le composent, le texte précise que la prise de congés payés immédiatement après la fin du congé maternité reporte le point de départ de la protection des dix semaines. Il ne faudrait cependant pas que la rédaction proposée puisse laisser entendre que les périodes de congé ne sont pas protégées – ce qui, évidemment, n’est pas le cas.
S’agissant de l’article L. 122-4-1 qui concerne les pères, il conviendrait de prévoir que la période de protection ne débute qu’au retour du congé maternité, faute de quoi, ceux-ci se verraient privés de la période de protection suivant immédiatement la naissance de l’enfant.
Comme l’a exposé la rapporteure, les mères font parfois l’objet de discriminations lors de leur retour au travail : licenciement, pression pour les inciter à démissionner ou frein à une éventuelle promotion. Nous partageons donc l’objectif poursuivi par ce texte de protéger les femmes à leur retour de congé maternité et de lutter contre les traitements discriminatoires exercés à l’encontre des salariés au motif de cette maternité. Toutefois, la rédaction de cette proposition de loi reste à préciser, tant en ce qui concerne l’allongement de la durée de la protection que la formalisation de l’article 2. En tout état de cause, mon groupe est favorable à l’adoption de ce texte.
Mme Isabelle Le Callennec. Cette proposition de loi présentée par notre collègue Dominique Orliac tend à faire évoluer l’article L. 1225-4 du code du travail. Cet article interdit à un employeur de rompre le contrat de travail d’une salariée en état de grossesse lors des dix semaines de congé maternité qui suivent la naissance de l’enfant ainsi que pendant une période de quatre semaines suivant son retour au travail.
L’article 1er du texte veut porter cette période de quatre à dix semaines. L’exposé des motifs souligne que, du fait de leur absence, les femmes de retour de congé maternité peuvent avoir besoin de plus de quatre semaines pour prouver à leur employeur leur volonté et leur motivation renouvelées. Certaines doivent se reconstituer une clientèle, telles les commerciales, d’autres doivent effectuer une remise à niveau, comme celles qui travaillent dans des métiers liés aux nouvelles technologies. Dans son avis rendu le 24 février dernier, le Défenseur des droits considère que cet article 1er constituerait un moyen juridique pertinent pour remédier à ces situations.
Il faut reconnaître que chez certains de nos voisins européens, la période de protection est plus longue que quatre semaines : six semaines en Allemagne, jusqu’aux neuf mois de l’enfant en Espagne et jusqu’aux douze mois de l’enfant en Italie.
L’article 1er inscrit également dans la loi une jurisprudence récente de la chambre sociale de la Cour de cassation précisant qu’en cas de prise de congés payés à la suite du congé de maternité, la période de protection ne prend effet qu’à l’issue des congés pris et donc au retour de la salariée au travail.
Pour ma part, je continue à me poser la question des naissances prématurées, mais nous aurons l’occasion d’en débattre puisque, à ma demande, notre assemblée a accepté la constitution d’un groupe d’études sur les prématurés ; je vous remercie, madame la présidente, d’avoir soutenu cette démarche.
Précision importante au sujet de l’article 1er : il ne remet pas en cause la possibilité pour l’employeur d’effectuer un licenciement pour faute grave ou pour un motif non lié à la grossesse, à l’accouchement ou à l’adoption, comme un motif économique par exemple.
L’article 2 modifie l’article L. 1225-4-1, résultant de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui étend au père ou au deuxième parent l’interdiction d’une rupture de contrat pendant les quatre semaines suivant la naissance d’un enfant. Votre proposition de loi propose de porter cette période à dix semaines.
Les discriminations sont bien réelles comme le montrent les statistiques que vous avez rappelées, madame la rapporteure.
La première question que s’est posée le groupe Les Républicains à la lecture de votre proposition de loi a été de savoir si le nombre de litiges sur les licenciements qui seraient effectués après la période actuelle de quatre semaines suivant le retour de congé de maternité était à ce point significatif.
La deuxième interrogation porte sur la durée : pourquoi dix semaines ? Pourquoi pas six comme en Allemagne ?
La troisième remarque porte sur l’article 2. Autant les arguments avancés pour la mère pourraient s’entendre – difficultés de reprise du poste compte tenu de l’évolution de l’emploi, moindres résultats commerciaux à la reprise –, autant ils ne sont plus fondés dès lors qu’il s’agit du père ou du deuxième parent qui n’arrêterait son activité que très peu de temps à l’occasion d’une naissance. À moins que cet article ne trouve sa justification dans la prévention d’un éventuel risque de rupture d’égalité entre les hommes et les femmes, car il manque de cohérence au regard de la transcription de la jurisprudence de la chambre sociale : le quatrième alinéa prévoyant logiquement que les pères ne bénéficient pas d’un congé maternité.
Par ailleurs, je ne sais, Madame la rapporteure si votre proposition a été rédigée avant ou après l’annonce du projet de loi que doit défendre la ministre du travail, et qui n’a toujours pas été présenté en conseil des ministres, mais a déjà beaucoup fait parler de lui. Son intitulé a également été modifié puisqu’il ne s’agit plus d’« instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » mais de créer de « nouvelles protections pour les entreprises et les salariés ». En tout état de cause, la proposition de loi que nous examinons ce matin concerne le licenciement, que le Premier ministre a dit vouloir réformer ; il touche ainsi au code du travail, dont le Président de la République a indiqué qu’il allait le refondre.
Vous comprendrez donc que, compte tenu de nos interrogations et des nombreuses incertitudes qui pèsent désormais sur le sort qui sera réservé à ce projet de loi, le groupe Les Républicains préfère, à ce stade, s’abstenir.
M. Francis Vercamer. Depuis le début de cette législature, le groupe Union des démocrates et indépendants n’a eu de cesse de défendre les droits des femmes. Récemment, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, nous avons salué l’institution de la garantie contre les impayés de l’obligation alimentaire. Nous défendions depuis longtemps la création d’une agence chargée du recouvrement de ces créances permettant aux parents créanciers de percevoir leur dû.
La protection d’ores et déjà offerte aux salariées pendant leurs périodes de grossesses constitue un acquis certain, cependant, les rares cas de licenciement ainsi que la comparaison avec d’autres pays européens montrent qu’il est possible de l’améliorer. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, à l’initiative du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, place la France au même rang que ses voisins tout en préservant la possibilité pour les employeurs de mettre un terme au contrat de travail pour faute grave non liée à la grossesse ou en cas d’impossibilité de maintien de ce contrat pour motif non lié à la grossesse.
Ce texte a, par ailleurs, le mérite d’inscrire dans la loi les évolutions de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, garantissant ainsi une meilleure protection des salariés et les mettant à l’abri de tout revirement de jurisprudence. Pour ces raisons, nous ne nous opposerons pas à l’adoption de cette proposition de loi.
Toutefois, nous déplorons qu’un seul aspect des droits des femmes soit traité et qu’il ne concerne que l’entreprise ; si cette amélioration de la protection dans les périodes de maternité est nécessaire, la réflexion mériterait d’être étendue aux femmes travailleuses indépendantes et non-salariées, qui ne bénéficient pas d’un régime social équivalent. Ce texte ne résoudra pas non plus les autres difficultés rencontrées par les femmes dans la sphère professionnelle en général. L’étude conduite par le cabinet Mazars et le comité ONU femmes a montré que près de 63 % des femmes considèrent toujours que la maternité constitue un frein à leur carrière.
Par ailleurs, de nombreuses mesures restent à adopter en matière d’égalité salariale et professionnelle. À l’occasion du débat relatif à la réforme des retraites, nous avions notamment proposé la globalisation des droits à la retraite acquis par les conjoints au cours de leur union, et de les partager selon le modèle du splitting. Une réflexion reste à conduire au sujet des professions non salariées qui ont, elles aussi, vocation à connaître une certaine égalité, car les mesures que nous étudions portent uniquement sur le monde salarié, oubliant par-là les problèmes du reste de la population.
Plus que l’amélioration de l’état du droit, c’est l’évolution des comportements que nous devons désormais infléchir. Ainsi, les indemnités perçues par les parlementaires sont égales pour les femmes et les hommes, mais c’est malheureusement loin d’être le cas dans d’autres structures ou dans les entreprises. Les chiffres sont sévères : à travail équivalent, on compte toujours 10 % d’écart entre le salaire d’une femme et celui d’un homme. Le gouvernement britannique a récemment annoncé que les entreprises de plus de 250 salariés seront, à partir de 2018, tenues de publier les écarts de salaire entre les hommes et les femmes : cela pourrait être étudié dans le cadre d’une prochaine réforme salariale.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Vercamer, il ne vous a pas échappé que notre Constitution prohibe la distinction entre les entreprises fondée sur la taille.
Mme Jacqueline Fraysse. Le groupe de la gauche démocrate et républicaine estime que ce texte est très positif puisqu’il allonge de quatre à dix semaines le délai durant lequel les femmes, à l’issue de leur congé de maternité, sont protégées contre un éventuel licenciement. Le sujet est d’une actualité brûlante puisque les femmes subissent encore, dans notre pays, de très importantes discriminations en matière salariale ou dans le déroulement de leur carrière, alors même que la forte natalité de notre pays est un facteur positif : il faut donc faire en sorte que la maternité ne soit pas un facteur pénalisant au plan professionnel.
Cette proposition de loi est d’autant plus essentielle que le Gouvernement entend s’attaquer au code du travail qui, je le rappelle, est un outil de protection des droits des salariés. Il est donc plus que jamais nécessaire d’inscrire dans la loi, comme le propose ce texte, les avancées produites par la jurisprudence en la matière. Soulignons enfin la nécessité de mieux protéger les salariés dans le contexte actuel de chômage massif.
Nous soutiendrons donc cette proposition de loi dont je voudrais m’assurer néanmoins qu’elle concerne également les congés pour adoption.
Qu’en est-il, par ailleurs, de la procréation médicalement assistée ? Il me semble que nous devrions étudier les conditions offertes aux femmes dans cette situation particulière, difficile à vivre.
Je découvre, à l’occasion de ce texte, que d’autres pays européens ont des législations plus favorables que la nôtre en matière de protection des femmes après leur congé de maternité, puisqu’elles sont protégées jusqu’à ce que l’enfant atteigne un an en Italie, jusqu’à ses neuf mois en Espagne et que les Allemandes sont également mieux protégées que les Françaises. Cette proposition de loi devrait donc ouvrir la voie à une réflexion plus approfondie visant à faire de notre pays l’un des plus avancés en matière de protection de la maternité.
M. Bernard Perrut. « Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris » : si chacun peut entendre Victor Hugo, on mesure néanmoins combien il est difficile, de nos jours, de concilier vie familiale et vie professionnelle. Cette proposition de loi va donc dans le bon sens, et nous devons tous nous accorder sur le fait que le retour au travail nécessite une période de réadaptation pour la mère, période au cours de laquelle elle pourra redéfinir son poste, récupérer ses attributions et reprendre ses marques, avant d’être de nouveau totalement opérationnelle. À l’instar d’autres pays, il est donc pertinent d’allonger de six semaines la période au cours de laquelle une salariée de retour de congé de maternité ne peut être licenciée, étant entendu que cette protection ne remet pas en cause la possibilité d’un licenciement en cas de faute grave ou pour un motif étranger à la grossesse.
On peut néanmoins s’interroger sur le parallélisme qu’établit le texte entre la situation de la mère et celle de l’autre parent, dès lors que ce dernier n’a pas cessé son activité : en effet, même si nous sommes tous d’accord ici pour que les pères s’impliquent autant que les mères dans les responsabilités parentales, et ce dès la naissance, leur étendre le dispositif de protection pourrait faire peser sur l’employeur des contraintes supplémentaires.
Ne vaudrait-il pas mieux, par ailleurs, attendre la grande réforme du Gouvernement sur la législation du travail pour examiner ce texte ?
Enfin, j’aimerais souligner que, bien que la majorité défende une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, la politique familiale du Gouvernement ne va pas toujours dans ce sens, ce qui est pour nous un motif d’inquiétude. Défendre la famille et défendre les enfants doit rester pour nous tous une priorité.
M. Jean-Pierre Barbier. Cette proposition de loi est pertinente sur le fond, notamment au regard de la législation européenne, plus favorable en la matière. Elle est également pertinente au regard des discriminations dont peuvent être victimes les femmes enceintes dans leur vie professionnelle et qui nécessitent que le législateur renforce la protection dont bénéficient ces femmes.
En revanche, est-il pertinent de légiférer aujourd’hui, alors que nous sommes censés examiner dans quelques semaines un projet de loi qui doit refondre l’ensemble de notre code du travail ? N’est-ce pas, par avance, compromettre la cohérence de notre travail ?
Par ailleurs, si les dispositions que nous adoptons doivent être favorables aux salariées, elles doivent également l’être aux chefs d’entreprise, qui connaissent aujourd’hui de grandes difficultés. À cet égard, je m’interroge sur l’opportunité de l’article 2, qui étend la protection au conjoint.
Mme la présidente Catherine Lemorton. En ce qui concerne la pertinence de légiférer aujourd’hui sur la question qui nous occupe, vos réticences sont légitimes, mais il s’agit d’un sujet très circonscrit : l’accompagnement de la femme qui reprend le travail après un congé de maternité. Quoi qu’il advienne de la réforme du travail qui va nous être soumise, je crois donc, après réflexion, qu’il n’est pas nécessaire d’attendre une réforme globale du code du travail pour légiférer sur ce point, qui mérite un débat spécifique.
Mme Sylviane Bulteau. M. Vercamer a soulevé le cas des femmes chefs d’entreprise ou indépendantes : elles ne peuvent, par définition, subir de licenciement et ne sont donc pas concernées par cette proposition de loi. Je voudrais également lui préciser que le régime social des indépendants propose des allocations maternité et qu’un avantage supplémentaire maternité doit être mis en place dès 2017 pour les professions libérales, notamment pour les médecins.
Je rejoins la présidente sur le fait que nous ne devons pas prendre prétexte de la prochaine loi sur le travail pour retarder l’examen de ces mesures de protection destinées aux femmes qui reprennent leur travail après un congé de maternité. J’ai, moi aussi, découvert avec surprise les chiffres que nous a communiqués la rapporteure sur le nombre de femmes qui perdent leur emploi au retour de leur congé de maternité. Je suis donc très favorable à l’adoption de cette proposition de loi.
M. Arnaud Viala. Comme certains de mes collègues, je pense que nous devrions attendre la prochaine réforme du code du travail pour nous pencher sur ce cas particulier des femmes de retour de congé de maternité, qui n’épuise d’ailleurs pas les situations devant faire l’objet d’une attention particulière – je pense notamment aux personnes en congé maladie de longue durée.
En tout cas, je ne comprends pas qu’on imagine étendre ces dispositions protectrices au conjoint, comme le propose l’article 2, même si j’entends qu’il s’agit d’une question d’égalité entre les sexes.
M. Christophe Cavard. Le groupe écologiste soutiendra cette proposition de loi. Je ne vois pas, pour ma part, l’intérêt d’attendre le projet de loi sur la réforme du code du travail pour légiférer sur ces dispositions, d’autant que la réforme annoncée porte déjà sur de nombreux points. Il est important que les femmes salariées puissent bénéficier d’une meilleure protection. Quant au conjoint, notre commission s’est toujours préoccupée de parvenir à un équilibre entre la situation des hommes et des femmes, même si la nature a fait que ce sont ces dernières qui portent les enfants, l’accompagnement du père est nécessaire.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je m’interroge, pour ma part, sur les ruptures conventionnelles, introduites dans notre droit du travail en 2008 et sur lesquelles les partenaires sociaux auraient tout intérêt à se pencher, au moment où l’on parle du déficit de l’Unédic.
Le Défenseur des droits parle dans son rapport de « rupture conventionnelle imposée », expression pour le moins paradoxale – même si elle ne m’étonne pas plus que cela – puisque, par définition, la rupture conventionnelle consiste en un accord entre l’employeur et le salarié. Or, souvent, les ruptures conventionnelles servent à contourner les procédures de licenciement dont les causes sont inscrites dans le code du travail, que ce soit à l’initiative des employeurs ou des salariés – ne nous voilons pas la face –, ces derniers préférant à la démission la rupture conventionnelle qui leur donne droit aux allocations chômage. S’il s’agit d’une procédure correspondant à un réel besoin, la multiplication de ces ruptures conventionnelles depuis 2008 montre qu’elles ont été détournées de leur but originel.
M. Arnaud Robinet. Les employeurs ne sont pas les seuls responsables de cette inflation.
Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est ce que je viens de dire, monsieur Robinet. La responsabilité est partagée entre les employeurs et les salariés.
Mme la rapporteure. Si cette proposition de loi vous est soumise aujourd’hui, c’est notamment parce que le groupe des radicaux de gauche et apparentés ne dispose que d’une seule niche parlementaire par session. Il s’agit d’un texte qui a nécessité plusieurs mois de travail et découle d’une question que j’avais posée à Najat Vallaud-Belkacem, lorsqu’elle était ministre des droits des femmes.
Si le hasard fait qu’il arrive en discussion au moment où l’on envisage de réformer le code du travail, il me paraît d’autant plus pertinent de l’examiner aujourd’hui que le projet de loi du Gouvernement n’aborde pas la problématique spécifique de la protection des salariées de retour de congé de maternité. Je remercie la présidente de la Commission d’avoir soutenu ce point de vue. Je la remercie également, comme Isabelle Le Callennec, d’avoir accepté la constitution d’un groupe de travail sur les naissances prématurées.
En ce qui concerne les litiges découlant de licenciements qui interviennent après la période de protection de la salariée mais auraient un lien avec le congé de maternité, il est difficile de disposer de chiffres précis puisque, de fait, les licenciements sont légaux. On sait néanmoins que ces derniers sont assez nombreux, même si certaines femmes renoncent à porter l’affaire devant les prud’hommes.
Je précise également qu’il n’est pas question de modifier le congé de paternité qui s’ajoute aux trois jours de congé de naissance et prévoit une absence de onze jours, portée à dix-huit jours en cas de naissances multiples, à prendre dans les quatre mois suivant la naissance. La proposition de loi entend simplement, dans un souci d’égalité entre les hommes et les femmes, étendre la période de protection pour les pères, ce qui n’entraîne pas de contrainte supplémentaire pour l’employeur.
Madame Fraysse, je vous confirme que ces mesures de protection concernent également les parents revenant de congé pour adoption. Quant à la PMA, elle nous conduirait à nous pencher sur le cas des couples homosexuels et des femmes seules, mais la protection à l’issue de la grossesse ou de l’adoption est un droit fondamental, et les droits sociaux qui se rattachent à la grossesse sont les mêmes quelle que soit l’origine de cette grossesse.
La situation des travailleuses indépendantes est une question cruciale, même si leur protection sociale s’est améliorée. Cette proposition de loi ne concerne néanmoins que les salariées, mais il serait intéressant que d’autres textes de loi puissent permettre aux femmes qui ont une activité libérale de bénéficier d’une meilleure couverture, bien que la question du licenciement ne les concerne pas.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que les artisans et les travailleurs indépendants n’ont pas souhaité, après la guerre, rejoindre le régime unique de protection sociale instauré par le Conseil national de la Résistance, notamment car ils jugeaient préférable de miser sur ce que pouvait leur rapporter la vente de leur outil de travail. C’est là le péché originel qui complique aujourd’hui la parfaite convergence entre les différents régimes.
La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er
(art. L. 1225-4 du code du travail)
Report de la fin de la période d’interdiction de licenciement de la salariée enceinte à dix semaines à compter de l’expiration de ses droits à congé de maternité ou à l’issue de ses congés payés subséquents
L’article L. 1225-4 du code du travail prévoit une double protection du contrat de travail de la salariée enceinte :
– il restreint les causes possibles de licenciement à la seule faute grave ou un autre motif non lié à la grossesse, pendant une période qui va du premier jour où l’état de grossesse est médicalement constaté jusqu’à quatre semaines après l’expiration des droits à congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit à congé ;
– il interdit à l’employeur de se prévaloir de ces motifs exceptionnels pendant la période de suspension du contrat de travail que constitue le congé de maternité pour exécuter ou notifier un licenciement dont la procédure avait été engagée avant la grossesse.
L’article 1er propose de porter l’expiration de ce délai de protection de la salariée contre tout licenciement lié à sa grossesse de quatre à dix semaines à compter de l’expiration de ces droits à congé de maternité (I) et de préciser que ceux-ci comprennent les congés payés pris par la salariée à l’issue immédiate de son congé de maternité (II).
1. Un principe centenaire de protection du contrat de travail de la salariée enceinte
La loi du 27 novembre 1909 « garantissant leur travail ou leur emploi aux femmes en couches » a, pour la première fois, introduit le principe de l’interdiction de rupture du contrat de travail de la salariée enceinte. Codifiée en 1910 à l’article 29 du premier code du travail, cette règle disposait que « La suspension du travail, par la femme, pendant huit semaines consécutives, dans la période qui précède et suit l’accouchement, ne peut être une cause de rupture, par l’employeur, du contrat de louage de services, et ce à peine de dommages-intérêts au profit de la femme ».
Si le texte a connu par la suite de nombreuses évolutions, tant pour la durée de la protection accordée à la salariée que pour son intensité, le principe sera conservé dans le code du travail, au sein de l’article L. 122-25-1 lors de la recodification intervenue par la loi n° 73-4 du 2 janvier 1973 relative au code du travail puis depuis le 1er mai 2008, au sein de l’article L. 1225-4 en application de l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).
La loi n° 66-1044 du 30 décembre 1966 relative à la garantie de l’emploi en cas de maternité a ainsi étendu la protection à « une période de douze semaines suivant l’accouchement », tout en prévoyant une suspension du contrat de travail pour une durée de congé de maternité de « huit semaines avant la date présumée de l’accouchement et douze semaines après la date de celui-ci », délai porté en 1978 à quatorze semaines après cette date, voire seize semaines en cas de naissances multiples. La réécriture intervenue par la loi n° 80-545 du 17 juillet 1980 portant diverses dispositions en vue d’améliorer la situation des familles nombreuses a finalement fixé la fin de la protection du licenciement à un délai de quatre semaines à compter de l’expiration des droits à congé de maternité, que la salariée exerce ses droits ou non.
La possibilité de licencier la femme en raison d’une faute grave ou d’une impossibilité de maintenir le contrat, pour un motif étranger à la grossesse, a été introduite par la même loi n° 66-1044 du 30 décembre 1966.
L’interdiction de notifier la rupture du contrat de travail liée à la faute grave ou l’impossibilité, pendant la période où le contrat de travail est suspendu, résulte pour sa part de la loi n° 75-625 du 11 juillet 1975 modifiant et complétant le code du travail en ce qui concerne les règles particulières au travail des femmes ainsi que l’article L. 298 du code de la sécurité sociale et les articles 187-1 et 416 du code pénal.
2. Un principe législatif dont les modalités d’application ont été précisées par la jurisprudence
Le contrat de travail de la salariée enceinte bénéficie ainsi d’une protection qui s’étend quatre semaines après l’expiration de ses droits à congé de maternité. L’expression « rompre le contrat de travail » est assez large mais sa portée a été précisée par la jurisprudence : la protection accordée à la femme ne concerne pas toutes les hypothèses de rupture, mais uniquement le licenciement, comme l’indique d’ailleurs l’intitulé de la sous-section 1, qui regroupe les questions d’« Embauche, mutation et licenciement » pendant la grossesse et la maternité. Aussi la jurisprudence refuse de faire application de ces dispositions pendant la période d’essai (Cass. Soc. 2 février 1983).
La date de fin de cette protection étant lié non à la date de reprise effective du travail par la salariée mais à la date d’expiration de ses droits à congé de maternité, même lorsqu’elle renonce à les prendre intégralement, il convient de déterminer précisément l’étendue de ces droits.
Les contours de cette protection contre le licenciement, ainsi que les sanctions en cas de violation des règles protectrices, ont été précisés par la jurisprudence de la Cour de cassation.
a. La protection relative du contrat de travail de la salariée pendant sa grossesse
Dès lors que l’employeur a connaissance de la grossesse d’une salariée, il ne peut licencier la salariée pendant la période qui précède le congé de maternité, ainsi que pendant les quatre semaines qui suivent l’expiration de ses droits à congé de maternité, que la salariée prenne l’intégralité des périodes de congé auxquelles elle a droit ou non.
Par exception, le licenciement est cependant possible, si l’employeur justifie :
– d’une faute grave non liée à la grossesse ;
– ou de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à la grossesse, à l’accouchement ou à l’adoption.
Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve des motifs du licenciement. Ainsi, le fait pour la salariée de porter des accusations mensongères de harcèlement à l’encontre de son supérieur hiérarchique constitue une faute grave justifiant le licenciement (Cass. Soc. 28 janvier 2015, n° 13-22378).
Le motif économique peut justifier une procédure de licenciement. Toutefois, la Cour de cassation exige que les motifs soient clairement précisés. Ainsi, le seul énoncé dans la lettre de licenciement des motifs économiques n’est pas suffisant (Cass. Soc. 10 mai 2012, n° 10-28.510). Le seul redressement judiciaire de l’entreprise ne suffit pas non plus à caractériser l’impossibilité de maintenir le contrat (Cass. Soc. 28 septembre 2004, n° 02-40.055).
En dehors de ces deux motifs, l’article L.1225-4 du code du travail exclut tout licenciement.
La salariée doit informer son employeur de sa grossesse en lui remettant un certificat médical attestant de son état et de la date présumée de son accouchement par lettre recommandée avec avis de réception ou contre récépissé (article R. 1225-1 du code du travail). Si la salariée n’a pas encore adressé le certificat médical de grossesse et est licenciée, elle peut toutefois contester le licenciement en démontrant que l’employeur avait connaissance de son état de grossesse avant le licenciement.
La salariée est protégée même si elle se trouve en congé parental pour une précédente grossesse (Cass. Soc. 4 février 1988, n° 86-40044).
Si l’employeur ignore l’état de grossesse de la salariée et lui notifie son licenciement, la salariée peut faire annuler cette mesure, à la condition d’envoyer un certificat médical de grossesse dans les quinze jours qui suivent la notification de son licenciement.
Le licenciement est alors nul de plein droit, sauf si le licenciement a été prononcé pour faute grave non liée à la grossesse ou pour impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à la grossesse ou à l’accouchement (articles L. 1225-5 et R. 1225-2 du code du travail).
La jurisprudence considère que le licenciement est nul même si la salariée s’est retrouvée enceinte après le licenciement (Cour cass. 2 juillet 2014, n° 13-12496).
b. L’interdiction absolue de licencier une salariée durant son congé de maternité
Pendant toute la durée du congé de maternité auquel a droit la salariée, qui suspend l’application du contrat de travail, l’employeur ne peut en aucun cas rompre ce contrat de travail et licencier la salariée, quel qu’en soit le motif.
La salariée bénéficie de cette protection pendant toute la durée théorique de son congé de maternité, même si elle a repris le travail avant la fin de son droit à congé.
c. La nullité du licenciement intervenu en violation de ces règles de protection et les conditions de réintégration de la salariée
Le licenciement prononcé en méconnaissance de la protection dont bénéficie la salariée est sanctionné par la nullité.
La salariée peut donc demander à être réintégrée dans son emploi ou à défaut, dans un emploi équivalent. Dès lors que la salariée en fait la demande, la réintégration est alors pour l’employeur obligatoire (Cass. Soc. 30 avril 2003, n° 00-44.811). Si la salariée ne sollicite pas la réintégration, elle peut réclamer les indemnités dues au titre de la nullité du licenciement.
Aussi, lorsque l’employeur apprend la grossesse, il doit renoncer à sa décision de licencier la salariée et lui proposer de réintégrer son poste de travail. Si l’employeur informe immédiatement la salariée de l’annulation du licenciement, le refus de la salariée de reprendre son poste la rend responsable de la rupture du contrat de travail (Cass. Soc. 8 mars 1984, n° 81-42.140).
Toutefois, la salariée peut légitimement refuser de réintégrer son poste si :
– l’employeur avait connaissance de son état de grossesse lorsqu’il a mis en œuvre le licenciement (Cass. 13 mars 1990, n° 87-41.534) ;
– la proposition de l’employeur de renoncer au licenciement est formulée de manière tardive (Cass. Soc. 6 octobre 2008, n° 07-41.927)
L’employeur doit donc proposer la réintégration à la salariée au plus vite, même si la salariée a saisi la justice afin d’obtenir l’annulation du licenciement et l’octroi de dommages et intérêts (Cass. 6 octobre 2010, n° 08-43171).
Si l’employeur tarde, la salariée peut alors légitimement refuser la réintégration et réclamer :
– les indemnités de rupture (indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, indemnité de préavis) ;
– une indemnité en raison du licenciement illicite au moins égale à six mois de salaire (Cass. 6 octobre 2010, n° 08-43171) ;
– les salaires qu’elle aurait perçus pendant toute la période de protection s’achevant 4 semaines après la fin du congé de maternité, en application de l’article L. 1225-71 du code du travail (Cass. 15 décembre 2015, n° 14-10522) ; les salaires sont dus en totalité même en l’absence de préjudice (Cass. Soc. 16 juillet 1987, n° 84-45052) le fait que la salariée ait retrouvé un emploi ou d’autres revenus après son licenciement étant sans incidence (Cass. 7 novembre 2006, n° 05-42.413).
Si la salariée refuse l’offre de réintégration, l’employeur doit alors mettre en œuvre une procédure de licenciement. En effet, la salariée ne peut être considérée comme démissionnaire (Cass. Soc. 3 février 2010, n° 08-45.105).
d. L’extension de cette solution au salarié en congé d’adoption
En application de l’article L. 1225-38 du code du travail, la protection relative contre le licenciement s’applique également aux parents ayant adopté un enfant puisque tout salarié en congé d’adoption bénéficie de la même protection qu’une salariée en congé de maternité :
– pendant son congé d’adoption, d’une durée maximale de dix semaines à dater de l’arrivée de l’enfant au foyer, durée portée à dix-huit semaines lorsque le salarié a déjà deux enfants et à vingt-deux semaines en cas d’adoptions multiples (article L. 1225-37 du code du travail) et majorée de onze ou dix-huit jours lorsque la durée du congé d’adoption est répartie entre les deux parents (article L. 1225-40 du code du travail) ;
– pendant les quatre semaines suivant l’expiration de ce délai, dans les mêmes conditions que celle prévue par l’article L. 1225-4 du code du travail.
La nullité du licenciement est également applicable au salarié dans un délai de quinze jours précédant l’arrivée au foyer d’un enfant placé en vue d’une adoption, mais n’est pas applicable en cas de faute grave ou d’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’adoption (article L. 1225-39 du code du travail).
e. Le report de la fin de la protection relative du contrat de travail de la salariée en cas de prise des congés payés à la suite du congé de maternité
À la suite d’interprétations divergentes de cours d’appel, la chambre sociale de la Cour de cassation a récemment précisé que la période de protection de quatre semaines suivant le congé de maternité étant suspendue par la prise des congés payés, son point de départ est reporté à la date de la reprise du travail par la salariée (Cass. Soc. 30 avril 2014, n° 13-12.321).
Cette solution donne également une résonnance plus large à la faculté offerte à la salariée depuis 2004 de prendre ses congés annuels au cours d’une période distincte de son congé de maternité et dès l’expiration de celui-ci (CJCE 18 mars 2004, aff. C-342/01).
Mais le juge n’a pas adopté la même solution en cas d’arrêt de travail pour maladie (Cass. Soc. 8 juillet 2015, n° 14-15.979).
Cependant, la jurisprudence n’a pas précisé explicitement si la protection relative du contrat de travail de la salariée était également applicable durant cette période de congés payés, s’intercalant entre le congé de maternité et la période de quatre semaines subséquente (22).
3. Les modifications proposées par le présent article
a. Porter à dix semaines à compter de l’expiration des droits à congé de maternité la protection relative de la salariée contre le licenciement
Le I modifie l’article L. 1225-4 du code du travail pour prévoir de faire passer de quatre à dix semaines la protection relative du contrat de travail de la salariée à l’issue « des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit ».
Cette durée de quatre semaines paraît extrêmement courte et place les femmes dans une situation de précarité, alors même que le foyer compte une personne à charge supplémentaire. En fait, ces quatre semaines de protection ne permettent pas aux femmes qui ne souhaitent pas se retirer du marché du travail de démontrer à leur employeur la réalité de leur volonté. Les femmes qui souhaitent réintégrer leur poste et leurs fonctions à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité se heurtent ainsi à des difficultés qui les fragilisent vis-à-vis de leur employeur.
Cette modification porterait ainsi à dix semaines la protection des femmes reprenant le travail après leur maternité, ce qui correspond à la durée de droit commun du congé postnatal fixée par l’article L. 1225-17 du code du travail.
Il s’agirait ainsi, avant tout, d’instaurer un délai raisonnable de protection permettant aux femmes de se réinsérer totalement dans leur emploi. Les ruptures de carrières pour les mères sont cependant une réalité qui s’accroît au fur et à mesure des naissances. Ainsi, l’Institut national d’études démographiques (Ined) a établi qu’entre 2005 et 2008 la femme cesse ou réduit son activité professionnelle dans 25 % des cas si cette naissance est un premier enfant et dans 32 % des cas s’il s’agit d’un enfant supplémentaire (23).
Par ailleurs, la prolongation de la période de protection laissera à l’employeur un temps suffisant pour prévoir un entretien professionnel en vue d’accompagner la salariée dans sa reprise d’activité. Cet entretien post-congé de maternité, prévu par l’article L. 1225-27 du code du travail, est consacré à « ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi ». Il permet d’envisager l’issue du congé de maternité comme le moment idéal pour réfléchir à la poursuite de sa carrière.
La prolongation proposée permettrait de pallier une carence importante du dispositif actuel de protection de la salariée à l’issue de son congé de maternité, lorsque le congé est suivi d’un arrêt de travail qui n’est pas un arrêt dit pathologique. En effet, à la différence de la protection de la période de congés payés consacrée par la Cour de cassation, l’arrêt de travail ne suspend pas la période de protection de quatre semaines suivant le congé de maternité (24). Ainsi, une salariée en arrêt maladie pendant quatre semaines à l’issue de son congé de maternité pourrait ensuite reprendre le travail sans aucune protection. Cette situation met en échec le principe d’une période de protection à la date du retour effectif dans la situation d’emploi.
Pendant cette période, il resterait cependant possible à l’employeur de procéder à un licenciement « s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement ».
b. Préciser les règles de report de l’expiration de la protection en cas de prise de congés payés à l’issue du congé de maternité
Le II vise à inscrire dans la loi la jurisprudence précitée de la chambre sociale de la Cour de cassation (25) qui reporte la fin de la période de délai de protection relative de quatre semaines suivant l’expiration des droits à congé de maternité, en cas d’interruption du contrat de travail pour prendre les congés payés auxquels a droit la salariée.
Cependant, en déterminant que « la prise de congés payés immédiatement après la fin du congé de maternité reporte le point de départ de la protection des dix semaines », la rédaction ainsi proposée pourrait laisser à penser que la protection est interrompue par la période de congés payés, et non qu’elle est continue de la déclaration de grossesse à l’expiration du délai des dix semaines suivant les droits à congé de maternité, permettant le cas échéant à l’employeur de mettre en œuvre une procédure de licenciement pendant que la salariée est absente pour prendre ses congés payés.
4. Les précisions apportées par la commission des Affaires sociales, garantissant la protection du contrat de travail de la salariée pendant la période de congés payés pris immédiatement après le congé de maternité
À l’initiative de votre rapporteure, la Commission a adopté un amendement de précision et de simplification rédactionnelle.
La rédaction du présent article adoptée prévoit ainsi explicitement que la protection relative du contrat de travail de la salariée s’étend sans interruption du début de la grossesse jusqu’à dix semaines à l’issue de l’expiration de ses droits à congé de maternité et s’applique donc également durant la période de congés payés pris immédiatement après le congé de maternité, cette suspension du contrat de travail n’interrompant pas la protection de la salariée.
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La Commission discute de l’amendement AS1 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Cet amendement met le droit positif en accord avec les avancées jurisprudentielles, en interdisant à l’employeur de prendre des mesures préparatoires au licenciement pendant la période de protection relative du contrat de travail de la salariée.
Mme Marie-Françoise Clergeau. J’entends votre volonté de codifier la jurisprudence. Sur le fond, nous sommes d’accord, mais il me semble que l’amendement n’est pas rédigé de manière satisfaisante. Il serait donc souhaitable de le retravailler en vue de la séance publique, en prenant le temps de s’assurer auprès de la Direction générale du travail qu’il ne pose guère de difficultés.
Mme la rapporteure. Quelle pourrait être une rédaction plus satisfaisante ?
Mme Marie-Françoise Clergeau. Nous avons découvert les amendements ce matin et je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir. Le droit du travail étant une matière compliquée, je tiens à m’assurer que la rédaction retenue sera adéquate. En tout état de cause, si vous maintenez l’amendement, notre groupe sera amené à voter contre. Mieux vaudrait le retirer pour le retravailler ensemble.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je tiens à préciser que les amendements à cette proposition de loi ont été diffusés hier mardi à midi.
L’amendement est retiré.
La Commission est saisie de l’amendement AS2 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Il s’agit de préciser que la période de protection dont bénéficie la salariée démarre à l’issue des congés payés, lorsque ceux-ci sont pris immédiatement après le congé de maternité.
Mme Marie-Françoise Clergeau. C’est un très bon amendement, qui concerne un point qui n’avait pas été pris en compte dans la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Nous y sommes favorables.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2
(art. L. 1225-4-1 du code du travail)
Extension de la période d’interdiction de licenciement d’un nouveau parent de quatre à dix semaines suivant la naissance de l’enfant
Alors que le principe de protection du contrat de travail de la salariée enceinte date de 1909, la protection du contrat de travail de l’autre parent a été introduite par l’article 9 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, pendant un délai de quatre semaines à compter de la naissance de l’enfant.
Par parallélisme avec l’extension de la protection prévue par l’article 1er pour les mères, l’article 2 propose de porter de quatre à dix semaines à compter de la naissance de l’enfant le délai de protection accordée à l’ensemble des parents
– dans les faits, aux pères.
1. Une protection récente prévue pour le père à l’occasion de l’accueil d’un nouvel enfant
L’article L. 1225-4-1 du code du travail est issu d’un amendement adopté en première lecture le 18 décembre 2013 par la commission des Lois de l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, à l’initiative de son rapporteur, notre collègue Sébastien Denaja.
Il prévoit une protection relative contre le licenciement pour le salarié nouvellement parent, d’une durée de quatre semaines à compter de la naissance de l’enfant. Comme le rapport de M. Denaja le mettait en exergue, « Sur un plan symbolique, cet article, en rapprochant la situation juridique des jeunes pères de celle des jeunes mères, envoie un signal fort aux entreprises : il présuppose en effet que les pères s’impliquent autant que les mères dans les responsabilités parentales à la naissance de l’enfant » (26).
En application de l’article L. 1225-4 du même code, la mère de l’enfant dispose d’une protection absolue contre tout licenciement pendant un délai excédant la durée de ses droits à congé de maternité. Or le droit à congé postnatal est d’une durée minimale de dix semaines suivant la naissance de l’enfant (articles L. 1225-17 à L. 1225-19), la prise d’un congé pendant les six premières semaines étant d’ordre public (article L. 1225-29). Aussi le bénéficiaire de cette nouvelle protection ne peut être que le père du nouveau-né (27).
Depuis la loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001 de financement de la sécurité sociale pour 2002, le père salarié ainsi que, le cas échéant, le conjoint salarié de la mère ou la personne salariée liée à elle par un pacte civil de solidarité ou vivant maritalement avec elle peuvent bénéficier d’un « congé de paternité et d’accueil de l’enfant » (28) de onze jours consécutifs, ou de dix-huit jours consécutifs en cas de naissances multiples, à prendre dans les quatre mois suivant la naissance de l’enfant (article L. 1225-35 du code du travail).
Les jours de congé de paternité et d’accueil de l’enfant se cumulent avec le congé de naissance de trois jours, accordé aux salariés pour la naissance de l’enfant (Article L. 3142-1 du code du travail). Le congé de paternité et d’accueil de l’enfant et le congé de naissance peuvent se succéder ou être pris séparément.
Si la prise de ce congé de paternité et d’accueil de l’enfant entraîne la suspension du contrat de travail, le salarié ne dispose pas de protection contre le licenciement pendant cette période comme en dispose la femme bénéficiant d’un congé de maternité : la protection prévue commence à la date de naissance de l’enfant, et sa fin quatre semaines plus tard n’est pas affectée par la prise ou non de ce congé de paternité.
La protection de quatre semaines ainsi prévue reste relative : la rupture du contrat de travail reste possible en cas de faute grave ou s’il s’avère impossible de le maintenir, notamment en raison d’éventuelles difficultés économiques de l’entreprise.
2. L’extension proposée de cette protection
Par parallélisme avec l’article 1er, le I porte de quatre à dix semaines à compter de la naissance de l’enfant la période de protection de son père salarié contre le licenciement, sans en modifier les autres caractéristiques : durant cette période, le salarié pourrait toujours faire l’objet d’un licenciement pour une cause extérieure à l’accueil du nouvel enfant ou en cas de faute grave.
Le II se propose, toujours par parallélisme, de décaler la période de protection de dix semaines en cas de congés payés pris « immédiatement après la fin du congé de maternité » : cependant, les bénéficiaires étant les pères, et la période de protection étant indépendante du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, cette disposition ne trouverait pas à s’appliquer.
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La Commission examine l’amendement AS3 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Cet amendement met le droit positif en accord avec les avancées jurisprudentielles, en interdisant à l’employeur de prendre des mesures préparatoires au licenciement pendant la période de protection dont bénéficie le père.
Mme Marie-Françoise Clergeau. Cet amendement, comme l’amendement AS4 que nous allons examiner ensuite, tend à mettre en conformité notre droit positif avec une directive européenne de 1992, laquelle a été appliquée à plusieurs reprises par nos juridictions sociales. Si nous partageons pleinement l’objectif poursuivi par ces amendements, leur dépôt tardif ne nous a pas permis de vérifier la nécessité d’une telle inscription dans notre droit national. Comme précédemment, il serait donc souhaitable de les retirer afin que nous procédions, avant la séance publique, aux expertises techniques qui s’imposent.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle en vient à l’amendement AS4 de la rapporteure.
Mme la rapporteure. Cet amendement tend, d’une part, à supprimer une disposition qui prévoit une protection du contrat de travail du père d’un enfant pendant un mois après sa naissance, sans lien avec le congé de maternité de la mère ; d’autre part, à étendre, par parallélisme, cette protection au congé de paternité et d’accueil de l’enfant, si ce congé est pris au-delà de la période des dix semaines.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 2 sans modification.
Enfin, la Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
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En conséquence, la Commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi visant à prolonger la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité, dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
AVIS DU DÉFENSEUR DES DROITS
N° 16-05 DU 24 FÉVRIER 2016
Le Défenseur des droits,
Vu l’article 71-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ;
Le Défenseur des droits émet l’avis ci-joint concernant la proposition de loi n° 2927 visant à prolonger la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pour les femmes à l’issue de leurs congés liés à la grossesse et à la maternité.
Le Défenseur des droits
Jacques Toubon
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La France est l’un des pays européens dans lequel les femmes ont le plus d’enfants (29), mais la grossesse et le congé maternité restent un frein dans la vie professionnelle pour près d’une femme active sur deux (30).
Les discriminations subsistent, alors que la première protection des salariées avant et après leur accouchement a été votée le 27 novembre 1909 (31) et qu’un important cadre juridique les protège, en plus des dispositifs garantissant l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
La loi sur l’égalité des chances n°2006-396 du 31 mars 2006 a introduit l’état de grossesse dans la liste des critères de discrimination interdits par la loi, transposant la directive 2006/54 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte). Elle a ainsi permis aux femmes de faire reconnaître les obstacles professionnels auxquelles elles se heurtent lors de la grossesse ou du congé maternité comme étant constitutifs de discriminations liées à la maternité, en plus de constituer par nature des discriminations en raison du sexe.
De fait, la salariée enceinte ou devenue mère, dont l’employeur doit anticiper l’absence et la réintégration dans l’emploi, est exposée à toutes formes de comportements et d’actes discriminatoires. Cette situation de particulière vulnérabilité justifie qu’elle soit protégée par un dispositif légal fort.
C’est la raison pour laquelle le principe de non-discrimination énoncé à l’article L. 1132-1 du code du travail dispose qu’« aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte [...] notamment en raison de sa grossesse ». Il s’agit d’une protection d’ordre public, à laquelle il n’est pas possible de déroger, puisque les articles 225-1 et 225-2 du code pénal punissent de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de sanctionner ou de licencier une personne notamment en raison de son état de grossesse.
En outre, parce que la réintégration de la salariée devenue mère est l’une des principales sources de traitements défavorables, l’article L. 1225-25 du code du travail prévoit qu’elle doit retrouver son emploi ou un emploi similaire.
L’article L. 1225-4 du même code interdit à l’employeur de rompre son contrat de travail, non seulement depuis qu’elle est enceinte, mais aussi lors du congé maternité et pendant les quatre semaines suivant son retour de congés. La proposition de loi n° 2927 du 1er juillet 2015, vise à étendre cette période de protection de quatre à dix semaines. Elle correspond à la période au cours de laquelle l’employeur ne peut pas rompre son contrat de travail sauf en cas d’impossibilité de le maintenir pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement, ou si la salariée commet une faute grave (article L. 1225-4 in fine).
La 7ème édition du baromètre du Défenseur des droits/OIT sur la perception des discriminations dans l’emploi centré en 2014 sur l’égalité entre les femmes et les hommes a mis en lumière les discriminations que subissent les femmes du fait de leur grossesse : plus du tiers des actifs déclare que le fait d’avoir des enfants contribue à ralentir, voire à stopper la carrière d’une femme. En outre, 8 % des réclamations reçues par le Défenseur des droits dans le domaine de l’emploi au titre de sa mission de lutte contre les discriminations, concernent des difficultés rencontrées par les salariées en raison de leur état de grossesse ou de leur maternité (32). Le Défenseur des droits soutient donc pleinement l’opportunité de cette proposition de loi.
De fait, dans de nombreuses décisions (33), il a constaté la violation de la période de protection contre le licenciement et l’insuffisance de sa durée de quatre semaines pour garantir un retour effectif de la salariée dans son emploi et prévenir les discriminations.
Des situations récurrentes témoignent ainsi de l’obstacle que constitue la grossesse sur le marché du travail et du non-respect des droits afférents : licenciements ou ruptures conventionnelles immédiatement imposées à l’issue du congé maternité (34), occupation pérennisée du poste de la salariée par son remplaçant au cours de son congé maternité (35), suppression injustifiée de son poste à la faveur d’une réorganisation (36) , réorganisation défavorable au poste de la salariée (37), rétrogradation (38), isolement et harcèlement (39), sont autant de situations inacceptables que la société ne peut laisser prospérer.
Ainsi, en premier lieu, le Défenseur des droits considère que l’article 1er de la proposition de loi qui prévoit de prolonger la période légale d’interdiction de rupture du contrat de travail à l’issue du congé maternité jusqu’à dix semaines est un moyen juridique pertinent pour remédier à ces situations. Cette disposition est nécessaire tant pour permettre à la salariée de retrouver ses repères professionnels, que pour permettre à l’employeur de prévoir et accompagner davantage son retour dans l’emploi. Tous deux pourront ainsi traverser sereinement une période de réadaptation réciproque.
Le Défenseur des droits ajoute que la prolongation de la période de protection laissera à l’employeur un temps suffisant pour prévoir un entretien professionnel en vue d’accompagner la salariée dans sa reprise d’activité. Cet entretien, prévu par l’article L. 1225-27 du code du travail et consacré à l’étude de ses perspectives d’évolution professionnelle, permet d’envisager l’issue du congé maternité comme le moment idéal pour réfléchir à la poursuite de sa carrière.
Le Défenseur des droits soutient, en deuxième lieu, la disposition énoncée à l’article 2 de la proposition de loi, qui envisage de codifier la décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 30 avril 2014, par laquelle elle a précisé que la période de protection contre le licenciement suivant le congé de maternité est suspendue par la prise de congés payés (40).
Son point de départ est reporté à la date de reprise effective du travail par la salariée. Ce faisant, cette codification répond à l’objectif d’assurer l’effectivité de la protection contre le licenciement.
En troisième lieu, le Défenseur des droits observe que la prolongation proposée permettrait de pallier une carence importante du dispositif actuel de protection de la salariée à l’issue de son congé maternité, lorsque le congé est suivi d’un arrêt de travail qui n’est pas un arrêt dit pathologique. En effet, à la différence de la protection de la période de congés payés consacrée par la Cour de cassation, l’arrêt de travail ne suspend pas la période de protection de quatre semaines suivant le congé maternité (41). Ainsi, une salariée en arrêt maladie pendant 4 semaines à l’issue de son congé de maternité pourrait ensuite reprendre le travail sans aucune protection. Cette situation met en échec le principe d’une période de protection à la date du retour effectif dans la situation d’emploi.
Enfin, le Défenseur des droits souhaite proposer de surcroit d’étendre la codification de la jurisprudence relative à la protection de la femme enceinte et accouchée en inscrivant expressément dans la loi l’interdiction faite à l’employeur d’adopter des mesures préparatoires au licenciement pendant la période de protection.
En effet, la Cour de cassation s’est alignée, par une décision du 15 septembre 2010 (42), à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle l’interdiction du licenciement pendant le seul congé maternité est privé d’effet utile si elle n’est pas prolongée à l’issue de celui-ci, dès lors que l’employeur peut attendre la reprise de l’activité de la salariée pour la contourner (43).
Cette codification permettrait à la France de rendre explicites les modalités de protection des femmes enceintes et accouchées contre les discriminations, de codifier la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour de justice, et de respecter ses engagements internationaux en matière de lutte contre les discriminations à l’égard des femmes.
En conclusion, les droits attachés à la parentalité sont la condition nécessaire pour permettre à tous les salariés, hommes et femmes, de participer à l’éducation de l’enfant et de concilier vie parentale et vie professionnelle.
Pour le Défenseur des droits, si la prolongation de la période de protection de la femme à son retour de congé maternité est un moyen de mieux accompagner le retour des femmes en emploi, il n’en reste pas moins qu’une réelle égalité professionnelle avec les hommes en termes d’évolution de carrière ne pourra être atteinte que par une extension des droits afférents à la parentalité des femmes et des hommes (44).
L’égalité professionnelle ne pourra être remplie que par la consécration d’un droit étendu et obligatoire au congé de paternité pour créer les conditions d’un impact partagé de la parentalité sur l’emploi et pour assurer un meilleur partage des tâches parentales, encore majoritairement assurées par les femmes.
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PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE
Organisations syndicales :
● Confédération française démocratique du travail (CFDT) (*) : Mme Dominique Marchal, secrétaire confédérale
● Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) : M. Franck Mikula, secrétaire national de l’emploi et de la formation
● Force ouvrière (FO) : M. Didier Porte, secrétaire confédéral et Mme Mélanie Serre, assistante confédérale
● Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) (contribution écrite)
Organisations patronales :
● Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (*) : Mme Delphine Benda, directrice de la protection sociale, Mme Chantal Foulon, directrice adjointe relations du travail à la direction des relations, et Mme Marine Binckli, chargée de mission à la direction des affaires publiques
● Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) : M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales
(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
1 () Les droits à congé de maternité postnatal étant de dix à vingt-deux semaines à compter de la naissance de l’enfant, selon la situation de la femme enceinte, cf. infra.
2 () Cass. Soc. 30 avril 2014, n° 13-12.321.
3 () Organisation internationale du travail, Ratifications de C183 - Convention (n° 183) sur la protection de la maternité, 2000.
4 () Organisation internationale du travail, Maternity and paternity at work: Law and practice across the world, Genève, 13 mai 2014.
5 () Affaire c-460/06, Nadine Paquay, 11 octobre 2007.
6 () Cass. Soc. 15 septembre 2010, n° 08-43.299.
7 () Dans treize Etats membres (Bulgarie, République tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, Hongrie, Irlande, Italie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Royaume-Uni), le congé de maternité dure d’ores et déjà dix-huit semaines ou plus cf. Sénat, rapport n° 555 (2010-2011) de Mme Claire-Lise Campion, fait au nom de la commission des affaires sociales, 25 mai 2011.
8 () Cédric Afsa et Sandrine Buffeteau, 2006, « L’activité féminine en France : quelles évolutions récentes, quelles tendances pour l’avenir ? », Économie et Statistiques, n° 398-399, pp. 85-97.
9 () Ined-Insee, Erfi-GGS1-2, 2005-2008, in Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’Études démographiques « Population & Sociétés » n° 461, novembre 2009.
10 () Organisation internationale du travail, « Kit de ressources sur la protection de la maternité », partie deux, module 9 « Protection de l’emploi et non-discrimination »,, 2012.
11 () Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), Délibération n°2011-66 du 7 mars 2011.
12 () Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), Femmes, carrière et discriminations : dossier de presse, mars 2009.
13 () Baromètre sur la perception des discriminations au travail, vague 7, Étude de l’IFOP pour le Défenseur des Droits et l’Organisation Internationale du Travail, janvier 2014.
14 () Défenseur des droits, Rapport annuel pour l’année 2015, janvier 2016.
15 () Cf. avis du Défenseur des droits n° 16-05 en annexe.
16 () Cf. avis du Défenseur des droits n° 16-05 en annexe.
17 () Organisation internationale du travail, Maternity and paternity at work: Law and practice across the world, Genève, 13 mai 2014.
18 () Organisation internationale du travail, Maternity and paternity at work: Law and practice across the world, Genève, 13 mai 2014.
19 () Avis n° 16-05 reproduit en annexe.
20 () Avis op. cit.
21 () Cass. Soc. 30 avril 2014, n° 13-12.321.
22 () Cf. Delphine Gardes, « Congé de maternité suivi de congés annuels : report de la période de protection relative à la reprise effective du travail », Revue de droit du travail 2014, p. 547.
23 () Ined-Insee, Erfi-GGS1-2, 2005-2008, in Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’Études démographiques « Population & Sociétés » n° 461, novembre 2009.
24 () Cass. Soc. 8 juillet 2015, n° 14-15.979.
25 () Cass. Soc. 30 avril 2014, n° 13-12.321.
26 () Assemblée nationale, rapport n° 1663 de M. Sébastien Denaja, fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi, adopté par le Sénat, pour l’égalité entre les femmes et les hommes, n° 1380, déposé le 18 décembre 2013.
27 () La loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe permet désormais à des époux homosexuels d’établir un lien de filiation envers un enfant, à condition d’être mariés, en procédant à l’adoption simple de l’enfant de leur conjoint - sous réserve d’obtenir aussi le consentement du second parent biologique, s’il existe - ou à l’adoption plénière de l’enfant dont la filiation ne serait établie qu’envers leur conjoint, avec maintien exceptionnel du lien de filiation préexistant et partage de l’autorité parentale. Cependant, il est hypothétique que les démarches établissant ce lien de filiation puissent aboutir dans un délai de quatre semaines.
28 () Bien que ce conjoint bénéficiaire puisse également être une femme.
29 () Avec l’Irlande, la France est le pays de l’Union européenne dans lequel le taux de fécondité est le plus élevé. En 2013, ce taux a atteint 2.01 enfants par femme. V. C. Beaumel et V. Bellamy, La situation démographique en 2013, Insee Résultats n° 167, avril 2015.
30 () Sondage réalisé par l’Institut CSA en février 2012, auprès de 1012 personnes pour le compte de la HALDE.
31 () Loi « Engerand », du 27 novembre 1909, sur la protection des femmes avant et après leur accouchement.
32 () V. Défenseur des droits. Rapport annuel pour l’année 2015, DILA, janvier 2016, p. 75.
33 () V., pour de nombreux exemples. Défenseur des droits, Bilan annuel d’activité pour l’année 2014, la Documentation française, janvier 2015, p. 46 et s.
34 () V., par exemple. Défenseur des droits, décisions MLD-2015-022 du 5 février 2015, MLD-2015-083 du 16 avril 2015 etMLD-2015-202 du 31 juillet 2015.
35 () Défenseur des droits, Décision MLD-2015-198, du 22 septembre 2015.
36 () Défenseur des droits. Décision MLD-2015-047, du 4 mars 2015.
37 () Défenseur des droits, Décision MLD-2015-047, du 4 mars 2015.
38 () Défenseur des droits, Décision MLD-2015-198, du 22 septembre 2015.
39 () Défenseur des droits. Décision MLD-2015-022, du 5 février 2015.
40 () Cass. soc, 30 avril 2014, pourvoi n° 13-12.321.
41 () Cass. soc, 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-15.979.
42 () Cass. soc, 15 septembre 2010, pourvoi n° 08-43.299.
43 () CJCE, 11 octobre 2007, Paquay, aff. C-460/06, Rec. CJCE1-8511, point 35.
44 () Les mères continuent d’assumer 65 % des tâches parentales selon une étude de l’Insee. En 2010, les hommes passent 16 minutes par jour à donner des soins aux enfants, les femmes 46 minutes. L’écart de durée entre les sexes a augmenté de 2 minutes depuis 1999. En matière de jeux et d’instruction, les hommes consacrent 10 min. et les femmes 15 min. ce chiffre étant stable. Insee, enquêtes Emploi du temps 1999 et 2010, in Regards sur la parité, 2012, p. 75.