N° 3675
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs,
Par M. Christophe SIRUGUE,
Député.
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 3600 et 3626.
SOMMAIRE
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Pages
I. AUDITION DE LA MINISTRE ET DISCUSSION GÉNÉRALE 21
II. AUDITIONS DES PARTENAIRES SOCIAUX PAR LA COMMISSION 73
A. AUDITION DES ORGANISATIONS REPRÉSENTATIVES DES SALARIÉS (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO) 73
B. AUDITION DES ORGANISATIONS REPRÉSENTATIVES DES EMPLOYEURS (CGPME, MEDEF, UPA) 113
III. EXAMEN DES ARTICLES 147
TITRE PREMIER – REFONDER LE DROIT DU TRAVAIL ET DONNER PLUS DE POIDS À LA NÉGOCIATION COLLECTIVE 147
Chapitre Ier – Vers une refondation du code du travail 147
Article 1er : Commission de refondation et principes essentiels du droit du travail 147
Après l’article 1er 176
Chapitre Ier bis – Renforcer la lutte contre les discriminations, le harcèlement moral et sexuel et les agissements sexistes 182
Article 1er bis (Art. L. 1154-1 du code du travail) : Régime de la preuve en matière de harcèlement 182
Article 1er ter (Art. L. 1321-2 du code du travail) : Interdiction des agissements sexistes par le règlement intérieur 184
Article 1er quater (Art. L. 4121-2 du code du travail) : Prise en compte des agissements sexistes dans les actions de prévention 186
Article 1er quinquies (Art. L. 4612-3 du code du travail) : Extension de la compétence des CHSCT aux agissements sexistes 187
Après l’article 1er quinquies 188
Chapitre II – Une nouvelle architecture des règles en matière de durée du travail et de congés 189
Article 2 (Art. L. 1225-9, L. 1263-3, L. 1271-5, L. 1272-4, L. 1273-3, L. 1273-5, L. 1274-2, L. 1522-8, L. 2323-3, L. 2323-17, L. 3111-1 et L. 3111-2, L. 3111-3 [nouveau], L. 3121-1 à L. 3121-48, L. 3121-49 à L. 3121-67 [nouveaux], L. 3122-1 à L. 3122-47, L. 3123-1 à L. 3123-37, L. 3123-38 [nouveau], L. 3131-1 et L. 3131-2, L. 3131-3 [nouveau], L. 3132-28, L. 3133-1 à L. 3133-12, L. 3134-1, L. 3134-16 [nouveau], L. 3141-1 à L. 3141-31, L. 3141-32 et L. 3141-33 [nouveau], L. 3164-4, L. 3171-1, L. 3253-23, L. 3422-1, L. 5125-1, L. 5132-6, L. 5132-7, L. 5134-60, L. 5134-63, L. 5134-126, L. 5221-7, L. 5544-10, L. 6222-25, L. 6325-10, L. 6331-35, L. 6343-2, L. 7122-24, L. 7213-1 et L. 7221-2 du code du travail ; art. L. 431-3, L. 432-2 et L. 433-1 du code de l’action sociale et des familles ; art. 39 du code général des impôts ; art. L. 191-2 du code minier ; art. L. 712-4, L. 712-6, L. 713-2, L. 713-3 à L. 713-5, L. 713-13, L. 713-19, L. 714-5, L. 714-6, L. 714-8 et L. 763-3 du code rural et de la pêche maritime ; art. L. 133-5, L. 133-5-1, L. 241-13, L. 241-3-1, L. 241-18, L. 242-8, L. 242-9 et L. 243-1-3 du code de la sécurité sociale ; art. L. 1321-6, L. 1321-7, L. 1321-10, L. 1821-8-1, L. 3312-1, L. 3312-3, L. 3313-2, L. 4511-1, L. 5544-1, L. 5544-3, L. 5544 8, L. 5544-10, L. 6525-1, L. 6525-3 et L. 6525-5 du code des transports ; art. 43 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011) : Durée du travail 189
Après l’article 2 275
Article 3 (Art. L. 1222-5, L. 3142-1 à L. 3142-116, L. 3142-117 à L. 3142-122 [nouveaux], L. 6313-1, L. 6315-1, L. 7211-3 et L. 7221-2 du code du travail ; art. L. 1114-3 et L. 1432-7-1 du code de la santé publique ; art. L. 161-9-3, L. 168-1, et L. 241-3-2 du code de la sécurité sociale ; art. L. 2123-9, L. 3123-7, L. 4135-7, L. 7125-7 et L. 7227-7 du code général des collectivités territoriales ; art. L. 114-24 du code de la mutualité ; art. L. 423-14 du code de l’action sociale et des familles ; art. L. 5544-25 et L. 6525-5 du code des transports) : Autres congés 276
Article 3 bis (Art. L. 1225-4 et L. 1225-4-1 du code du travail) : Extension de la durée de protection contre le licenciement à l’issue du congé de maternité 302
Article 4 (Art. L. 3151-1, L. 3151-2 à L. 3151-4 [nouveaux], L. 3152-1 à L. 3152-3, L. 3152-4 [nouveau], L. 3153-1 à L. 3154-3 et L. 3334-10 du code du travail ; art. 81, 163 A et 1417 du code général des impôts et art. 18 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014) : Compte épargne-temps 304
Article 5 : Sécurisation des conventions de forfait existantes 310
Article 6 (Art. L. 1321-7 et L. 4511-2 du code des transports) : Travail de nuit dans le domaine fluvial 317
TITRE II – FAVORISER UNE CULTURE DU DIALOGUE ET DE LA NÉGOCIATION 322
Chapitre Ier – Des règles de négociation plus souples et le renforcement de la loyauté de la négociation 322
Article 7 (Art. L. 2222-3, L. 2222-3-1 à L. 2222-3-3 [nouveaux], L. 2222-4, L. 2222-5-1 [nouveau], L. 2231-5-1 [nouveau] et L. 2232-20 du code du travail) : Préambule des accords, méthode et publicité 322
Article 8 (Art. L. 2232-21, L. 2232-22, L. 2232-24, L. 2232-24-1 [nouveau], L. 2261-7, L. 2261-7-1 [nouveau], L. 2261-10, L. 2261-13, L. 2261-14, L. 2261-14-2 à L. 2261-14-4 [nouveaux] du code du travail) : Mécanismes de révision et d’extinction d’un accord 339
Après l’article 8 362
Article 9 (Art. L.2232-22, L. 2322-5, L. 2323-9, L. 2323-26-1 [nouveau], L. 2323-60, L. 2325-14-1, L. 2326-5, L. 2327-15, L. 2392-4 et L. 4616-3 du code du travail) : Ajustements relatifs au fonctionnement des instances représentatives du personnel 363
Après l’article 9 379
Chapitre II – Renforcement de la légitimité des accords collectifs 381
Article 10 (Art. L. 2232-12, L. 2232-13, L. 2231-7 à L. 2231-9, L. 2242-20, L. 2391-1 et L. 7111-9 du code du travail, art. L. 6524-4 du code des transports) : Généralisation des accords majoritaires d’entreprise 381
Après l’article 10 407
Article 11 (Art. L. 2254-2 [nouveau], L. 2323-15 et L. 2325-35 du code du travail) : Accords de préservation ou de développement de l’emploi 410
Après l’article 11 437
Article 12 (Art. L. 2122-4, L. 2232-32 à L. 2232-35, L. 2232-36 à L. 2239 [nouveaux], L. 2253-5 et L. 2253-6 [nouveaux] du code du travail) : Sécurisation des accords de groupe et des accords interentreprises 438
Article 13 (Art. L. 2232-5-1 [nouveau], L. 2232-9 et L. 2261-32 du code du travail) : Missions des branches professionnelles 444
Article 14 (Art. L. 2261-32, L. 2261-33 et L. 2261-34 [nouveaux] du code du travail) : Restructuration des branches professionnelles 450
Chapitre III – Des acteurs du dialogue social renforcés 461
Article 15 (Art. L. 1311-18 [nouveau] et L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales) : Locaux mis à la disposition des syndicats par les collectivités territoriales 461
Après l’article 15 464
Article 16 (Art. L. 2143-13, L. 2143-15 et L. 2143-16 du code du travail) : Augmentation des heures de délégation des délégués syndicaux 465
Après l’article 16 467
Article 17 (Art. L. 4614-13, L. 4614-13-1 et L. 2325-41-1 [nouveaux] du code du travail) : Expertise du CHSCT 471
Après l’article 17 479
Article 18 (Art. L. 1232-12, L. 1442-2, L. 2135-11, L. 2145-1, L. 2145-5 à L. 2145-13 [nouveaux], L. 2212-1 et L. 2212-2 [nouveaux], L. 2325-43, L. 2325-44, L. 3142-7 à L. 3142-15, L. 3341-2, L. 3341-3 du code du travail) : Renforcement de la formation des acteurs de la négociation collective 481
Après l’article 18 488
Article 19 (Art. L. 2151-1, L. 2152-1, L. 2152-4 et L. 2261-19 du code du travail) : Mesure de l’audience patronale 489
Article 20 (Art. L. 2135-12 du code du travail) : Règles d’attribution des crédits du fonds de financement du dialogue social pour les professions du spectacle 501
TITRE III – SÉCURISER LES PARCOURS ET CONSTRUIRE LES BASES D’UN NOUVEAU MODÈLE SOCIAL À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE 502
Chapitre Ier – Mise en place du compte personnel d’activité 502
Article 21 (Art. L. 5151-1 à L. 5151-12 [nouveaux], L. 6323-1, L. 6323-2, L. 6323-4, L. 6323-6, L. 6323-7, L. 6323-11-1 [nouveau], L. 6323-24 à L. 6323-31 [nouveaux], L. 6111-6 du code du travail) : Création du compte personnel d’activité 502
Après l’article 21 545
Article 21 bis : Ouverture d’une concertation relative à l’élargissement du compte personnel d’activité 546
Après l’article 21 bis 550
Article 22 : Habilitation à étendre par ordonnance le compte personnel d’activité aux agents publics 550
Article 23 (Art. L. 5131-3 à L. 5131-7 du code du travail) : Renforcement de l’accompagnement des jeunes vers l’emploi et l’autonomie 552
Après l’article 23 562
Article 23 bis : Rapport relatif à l’évaluation des emplois d’avenir 564
Article 24 (Art. L. 3243-2 du code du travail) : Dématérialisation du bulletin de paie 565
Chapitre II – Adaptation du droit du travail à l’ère du numérique 569
Article 25 (Art. L. 2248-2 du code du travail) : Modalités d’exercice du droit à la déconnexion 569
Article 26 : Ouverture d’une concertation relative au travail à distance et à l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle 578
Après l’article 26 588
Article 27 (Art. L. 2142-6, L. 2324-19 et L. 2314-21 du code du travail) : Adaptation du dialogue social aux pratiques numériques 588
Article 27 bis (Art. L. 7341-1 à L. 7341-6 [nouveaux] du code du travail) : Définition de la responsabilité sociale des plateformes en ligne 592
TITRE IV – FAVORISER L’EMPLOI 594
Chapitre Ier – Faciliter la vie des TPE et des PME et favoriser l’embauche 594
Avant l’article 28 594
Article 28 (Art. L. 5143-1 [nouveau] du code du travail) : Droit à l’information des employeurs des entreprises de moins de 300 salariés 595
Après l’article 28 606
Article 28 bis (Art. L. 131-4-4 [nouveau] du code de la sécurité sociale) : Exonération de cotisations sociales sur les avantages et cadeaux accordés aux salariés par l’employeur 610
Après l’article 28 bis 611
Article 29 (Art. L. 2232-10-1 [nouveau] du code du travail) : Accords types de branche 612
Article 29 bis (Art. 39 du code général des impôts) : Provision pour risque pour les entreprises de moins de cinquante salariés 618
Après l’article 29 bis 622
Article 30 (Art. L. 1233-3, L. 1233-3-1 [nouveau] et L. 1233-3-2 [nouveau] du code du travail) : Motif économique de licenciement 623
Après l’article 30 656
Article 31 : Ratification de l’ordonnance relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l’administration, sur l’application d’une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur 660
Chapitre II – Renforcer la formation professionnelle et l’apprentissage 661
Article 32 : (Art L. 6241-5, L. 6241-9, L. 6242-6 et L. 6332-16 du code du travail) Apprentissage 661
Après l’article 32 665
Article 33 : Adaptation expérimentale du contrat de professionnalisation pour les demandeurs d’emploi 670
Article 34 (Art. L. 335-5, L. 613-3, L. 613-4 du code de l’éducation et art. L. 6315-1 et L. 6422-2 du code du travail) : Assouplissement de la validation des acquis de l’expérience (VAE) 672
Article 35 (Art. L. 6323-16 du code du travail) : Sécurisation des listes des formations éligibles au compte personnel de formation (CPF) 677
Article 36 (Art. L. 6111-7, L. 6111-8 [nouveau] et L. 6353-10 [nouveau] du code du travail) : Information et évaluation des formations 681
Article 37 (Art. L. 6111-7, L. 6111-8 [nouveau] et L. 6353-10 [nouveau] du code du travail) : Recrutement d’agents contractuels par les groupements d’établissements (GRETA) et les établissements d’enseignement supérieur 684
Chapitre III – Préserver l’emploi 688
Article 38 (Art. L. 1254-9, L. 1255-11, L.1255-14 à L. 1255-16, L. 1255-17 et L. 1255-18 [nouveaux] et L. 5132-14 du code du travail, art. L. 5542-51 du code des transports, ordonnance n° 2015-380 du 2 avril 2015 relative au portage salarial) : Portage salarial 688
Article 39 (Art. L. 1242-2, L. 1242-7, L. 1244-1, L. 1244-2, L. 1244-4, L. 1251-6, L. 1251-11, L. 1251-37, L. 1251-60, L. 2412-2 à L. 2412-4, L. 2412-7 à L. 2412-9, L. 2412-13, L. 2421-8-1, L. 5135-7 et L. 6321-13 du code du travail) : Emploi saisonnier 694
Après l’article 39 697
Article 40 (Art. L. 1253-24 du code du travail) : Groupement d’employeurs 699
Après l’article 40 701
Article 40 bis (Art. L. 1253-19 du code du travail) : Constitution des groupements d’employeurs « mixtes » sous la forme de sociétés coopératives 702
Article 41 (Art. L. 1233-24-2, L. 1233-57-19, L. 1233-61 et L. 1233-62 du code du travail) : Transfert d’entités économiques 703
Après l’article 41 710
Article 41 bis (Art. L. 1233-71 du code du travail) : Rectification d’une erreur matérielle 712
Article 42 (Art. L. 1233-85 et L. 1233-90-1 [nouveau] du code du travail) : Revitalisation des bassins d’emplois 712
Article 43 (Art. 28 de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion) : Accès aux formations du CNFTP pour les salariés en contrat d’accompagnement dans l’emploi dans les collectivités territoriales 717
Après l’article 43 721
TITRE V – MODERNISER LA MÉDECINE DU TRAVAIL 721
Article 44 (Art. L. 1225-11, L. 1225-15, L. 1226-2, L. 1226-2-1 [nouveau], L. 1226-8, L. 1226-10, L. 1226-12, L. 1226-15, L. 1226-20, L. 1226-21, L. 3122-45, L. 4622-3, L. 4624-1 à L. 4624-10, L. , L. 4625-1-1 [nouveau] du code du travail et article L. 717-2 du code rural et de la pêche maritime) : Réforme de la médecine du travail 721
Après l’article 44 759
TITRE VI – RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE DÉTACHEMENT ILLÉGAL 761
Article 45 (Art. L. 1262-4-1, L. 1262-4-4 [nouveau], L. 1264-1 et L. 1264-2 du code de travail) : Renforcement des obligations des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre lorsque ceux-ci ont recours à des prestataires établis à l’étranger 761
Après l’article 45 770
Article 46 (Art. L. 1262-4-5 [nouveau] du code du travail) : Création d’une contribution visant à compenser les coûts administratifs liés à la création d’un système de déclaration dématérialisé 771
Article 47 (Art. L. 1263-3, 1263-4-1 [nouveau], L. 1263-5 et L. 1263-6 du code du travail) : Application de la mesure administrative de suspension temporaire d’activité d’un prestataire étranger en cas d’absence de déclaration de détachement 774
Article 48 (Art. L. 1263-4 nouveau du code du travail) : Transposition de l’article 15 de la directive 2014/67/UE relative au recouvrement des sanctions prononcées par les autres États-membres à l’encontre d’entreprises françaises 779
Article 49 (Art. L. 1263-1 et L. 8271-3 du code du travail) : Élargissement de l’accès aux données issues des déclarations de détachement et aux établissements inspectés pour les interprètes assermentés 784
Article 50 (Art. L. 1263-3 et L. 4231-1 du code du travail) : Application de la suspension de la prestation de service internationale aux activités régies par le code rural et de la pêche maritime 789
Article 50 bis (Art. L. 1262-2 du code du travail) : Égalité de traitement entre travailleurs intérimaires détachés et travailleurs intérimaires locaux 791
TITRE VII – DISPOSITIONS DIVERSES 792
Article 51 (Art. L. 1233-30, L. 1253-6, L. 1263-3, L. 1263-6, L. 2143-7, L. 2313-11, L. 2314-10, L. 2315-12, L. 2323-18, L. 2323-24, L. 2324-8, L. 2324-12, L. 2325-19, L. 2326-5, L. 2392-2, L. 3121-7, L. 3121-36, L. 3122-23, L. 3123-2, L. 3171-3, L. 3172-1, L. 3221-9, L. 4132-3, L. 4154-2, L. 4311-6, L. 4526-1, L. 4612-7, L. 4613-1, L. 4614-11, L. 4614-8, L. 4616-2, L. 4624-3, L. 4711-3, L. 4721-1, L. 4721-2, L. 4721-4, L. 4721-5, L. 4744-7, L. 5213-5, L. 5424-16, L. 6225-4, L. 6361-5, L. 6363-1, L. 7122-18, L. 7232-9, L. 7413-3, L. 7421-2, L. 7424-3, L. 8112-3, L. 8113-1 à L. 8113-5, L. 8113-8, L. 8114-2, L. 8123-1, L. 8123-6, L. 8223-1-1, L. 8271-1-2, L. 8271-14, L. 8271-19 et L. 8291-2 du code du travail ; articles L. 1324-10, L. 5243-2-3, L. 5544-18, L. 5544-31, L. 5548-1 à L. 5548-4 et L. 5641-1 du code des transports) : Prolongation du plan de transformation des emplois de contrôleurs du travail en inspecteurs du travail 792
Article 52 (Art. L. 5426-1-1, L. 5426-8-1 et L. 5426-8-2 du code du travail) : Renforcement des sanctions en cas de versement indu de prestations d’assurance-chômage 797
Article 53 (nouveau) (Art. L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1235-4 et L. 1235-5 du code du travail) : Obligation pour l’entreprise de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées en cas de licenciement lié à un traitement discriminatoire ou à un harcèlement moral ou sexuel 806
Article 54 (nouveau) (Art. L. 1235-3-1[nouveau] du code du travail) : Versement d’une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois en cas de licenciement lié à un traitement discriminatoire ou en raison de faits de harcèlement sexuel 807
Après l’article 54 808
Titre 809
ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 811
ANNEXE 2 : LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES ADRESSÉES AU RAPPORTEUR 815
PRINCIPAUX APPORTS DE LA COMMISSION
Lors de ses réunions du mardi 5 avril, du mercredi 6 avril et du jeudi 7 avril 2016, la commission des affaires sociales a adopté le projet de loi relatif à l’institution de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. La Commission y a apporté les principales modifications suivantes :
– à l’article 1er, la Commission a, à l’initiative du rapporteur, souhaité encadrer le travail de la commission de refondation du code du travail, en prévoyant d’une part que celle-ci procéderait à une refonte à droit constant s’agissant des règles qui auront vocation à s’appliquer de manière supplétive, et d’autre part, qu’elle remettrait ses conclusions au plus tard le 1er juillet 2018. En conséquence de la mise en place de cette obligation de principe de refonte à droit constant, la Commission a supprimé les 61 principes fondateurs censés encadrer les travaux de la commission de refondation.
– après l’article 1er, la Commission a adopté quatre amendements présentés par des membres de la Délégation aux droits des femmes afin, notamment, de mieux lutter contre les agissements sexistes au travail.
– après l’article 3, la Commission a adopté deux amendements identiques de Mme Dominique Orliac et ses collègues, et de la commission des affaires économiques, afin d’introduire dans le projet de loi les dispositions de la proposition de loi n° 2927 de Mme Dominique Orliac, visant à étendre la durée de la période légale de protection contre le licenciement des mères à l’issue de leur congé de maternité. Cette proposition de loi avait été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, à l’unanimité, le 10 mars dernier.
– sur proposition du rapporteur, la Commission a adopté deux amendements visant respectivement à préciser que tout signataire peut s’opposer à la publication d’un accord collectif, et à reporter au 1er septembre 2017 les nouvelles modalités de publication des accords collectifs (article 7) ;
– la Commission a adopté deux amendements du rapporteur visant à reporter au 1er janvier 2017 l’entrée en vigueur des nouvelles règles de validité des accords portant sur la durée du travail, les repos et les congés, et à substituer à la généralisation des accords majoritaires au 1er septembre 2019, un rapport d’évaluation de l’application des nouvelles règles de majorité aux accords portant sur la durée du travail, les repos, les congés ainsi que les accords de préservation ou de développement de l’emploi (article 10) ;
– sur proposition du rapporteur, la Commission a adopté trois amendements à l’article 11 visant à préciser les modalités de négociation des accords de préservation ou de développement de l’emploi, ainsi que quatre amendements encadrant le contenu type d’un tel accord ;
– la Commission a adopté deux amendements présentés par le rapporteur visant à préciser les modalités de contestation du coût de l’expertise décidée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) (article 17) ;
– à l’initiative du rapporteur, la Commission a inscrit dans le texte le principe de fongibilité des droits, destiné à garantir la conversion des droits figurant sur le compte personnel d’activité (article 21) ;
– sur proposition de M. Yves Blein, rapporteur de la commission des affaires économiques, la commission des affaires sociales a adopté deux amendements visant à maintenir le compte personnel d’activité ouvert jusqu’au décès de son titulaire (article 21) ;
– à l’initiative du rapporteur, la Commission a adopté un amendement renvoyant à la négociation entre partenaires sociaux l’élargissement du compte personnel d’activité à des dispositifs supplémentaires (article 21 bis) ;
– la Commission a adopté un amendement du rapporteur complétant le droit à la déconnexion par un « devoir de déconnexion », c’est-à-dire la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’usage des outils numériques (article 25) ;
− la Commission a également adopté, sur proposition du rapporteur et de M. Yves Blein, deux amendements identiques permettant à une entreprise de moins de trois cents salariés d’attester de sa bonne foi en cas de contentieux, dès lors qu’elle a suivi les démarches et les procédures prescrites par l’administration pour faire face à une situation donnée (article 28) ;
– sur proposition du rapporteur, la Commission a adopté trois amendements proposant une importante réécriture de l’article 30 relatif à la définition du motif économique du licenciement. Elle a ainsi supprimé le renvoi à la négociation collective et, à défaut d’accord, à des dispositions supplétives pour déterminer les difficultés économiques d’une entreprise, en redonnant à la définition de ces difficultés un caractère d’ordre public. S’agissant de la définition des difficultés économiques, elle a maintenu le caractère mécanique d’un seul des indicateurs retenus par le projet de loi, celui de la baisse des commandes et du chiffre d’affaires pendant une durée déterminée : en conséquence, la Commission a introduit une différenciation de la durée exigée en fonction de la taille des entreprises. Les autres critères, auxquels la Commission a ajouté la dégradation de l’excédent brut d’exploitation, feront l’objet d’une appréciation du juge, qui continuera à se prononcer sur leur ampleur.
– sur proposition du rapporteur, la Commission a adopté un amendement permettant à Pôle emploi de disposer des informations relatives aux entrées, sorties et interruptions de formations des stagiaires de la formation professionnelle (article 36).
– sur proposition du rapporteur, la Commission a adopté une série d’amendements tendant à maintenir la notion d’emploi pour l’appréciation du reclassement des salariés déclarés inaptes et à revenir au droit en vigueur s’agissant des possibilités de reclassement (article 44).
– à l’initiative de Mme Catherine Coutelle, la Commission a adopté un amendement qui étend aux licenciements fautifs résultant de discrimination ou de harcèlement l’obligation pour l’employeur de rembourser à Pôle Emploi les indemnités versées par la victime (article 53).
– à l’initiative de Mme Catherine Coutelle, la Commission a adopté un amendement qui fixe un plancher d’indemnisation en cas de licenciement fautif lié à une discrimination, à des faits de harcèlement sexuel ou à une maternité (article 54).
Le projet de loi Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs s’inscrit dans une logique selon laquelle le droit du travail doit à la fois garantir les droits essentiels des salariés et être au service de la performance des entreprises.
Il s’inscrit ainsi dans la continuité des lois votées depuis 2012 dans le domaine du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle – loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale et loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.
Ces lois poursuivent un même objectif : moderniser notre système de relations collectives et individuelles du travail, afin de permettre à nos entreprises de s’adapter à un monde du travail de plus en plus mouvant, tout en maintenant et même en renforçant les protections couvrant l’ensemble des actifs. Le recours au dialogue social, synonyme de confiance entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics − confiance sans laquelle il ne saurait y avoir de progrès économique et social − est un fil conducteur de ces différentes lois.
Le présent projet de loi ajoute sa contribution à ce corpus législatif déjà riche, tout en portant en lui-même le terreau d’une réforme bien plus ambitieuse : celle de la modernisation de l’architecture du code du travail. Car rendre le droit du travail plus intelligible à la fois pour les salariés, pour leurs représentants et pour les entreprises, est un préalable indispensable pour redonner de la confiance à l’ensemble de ces acteurs.
Repenser l’architecture du code du travail implique néanmoins de ne pas perdre de vue les principes fondateurs de notre droit du travail, d’où l’intérêt qu’il faut accorder aux travaux de la commission présidée par M. Robert Badinter, qui a permis de dégager 61 principes essentiels à notre droit du travail.
L’ambition qui préside à la refondation du code du travail suppose également de repenser les règles d’articulation entre la loi et la négociation collective, l’articulation entre les différents niveaux de négociation, voire même l’articulation entre l’accord collectif et le contrat de travail. C’est dans cette perspective que le projet de loi donne autant que possible la priorité à la négociation collective, à tous les niveaux, car le Gouvernement, comme le rapporteur, sont convaincus que c’est au plus près du terrain que l’organisation et les conditions de travail sont le mieux définies.
Cette priorité donnée à la négociation collective suppose toutefois que les partenaires sociaux appelés à négocier, à réviser ou à dénoncer des accords collectifs soient investis d’une légitimité incontestable, ce qui justifie le renforcement, par le projet de loi, des moyens mis à leur disposition pour se former et pour exercer leurs mandats.
Le renforcement de la négociation collective devra également composer avec l’évolution de notre société, qui fait naître, notamment chez les jeunes, de nouvelles aspirations à l’autonomie : la généralisation de la « garantie jeunes » ou l’instauration d’un « droit à la déconnexion », sont autant de mesures fortes qui démontrent la volonté du Gouvernement de tenir compte de ces aspirations nouvelles.
Les mutations de l’économie, qui se traduisent depuis plusieurs années par la place accrue des services − secteur où les divergences sont les plus criantes entre l’organisation effective du travail et les règles sociales bâties initialement pour l’industrie − mais surtout par la place croissante du numérique, nous promettent par ailleurs des bouleversements dont personne n’est encore capable de mesurer les incidences futures. Le projet de loi s’efforce donc de répondre aux nouvelles attentes à l’égard de la sécurisation des parcours professionnels nées de ces mutations récentes, un effort qui se traduit notamment par la mise en place du compte personnel d’activité ou l’extension du compte personnel de formation aux non-salariés. Tout l’enjeu est de garantir la préservation des droits acquis sans créer de nouveaux obstacles aux changements de statut et d’emploi. À terme, c’est le fonctionnement même de notre système de protection sociale qui en ressortira transformé.
Par ailleurs, dans ce tissu économique de plus en plus mouvant, tous les instruments susceptibles de permettre aux entreprises de préserver ou de favoriser l’emploi doivent être mis à leur disposition : telle est la logique qui conduit à la création des accords de préservation ou de développement de l’emploi, mais aussi à des mesures visant à améliorer le recours au portage salarial, à l’emploi saisonnier ou encore aux groupements d’employeurs.
Le projet de loi met également un point d’honneur à favoriser les mesures en faveur des très petites et des petites et moyennes entreprises (TPE-PME), en veillant notamment à améliorer la prévisibilité des normes qui leur sont applicables et à leur apporter un soutien spécifique de la part de l’État et des branches professionnelles.
Le texte poursuit ensuite la réforme de la médecine du travail confrontée au défi démographique. Il maintient le principe du suivi individuel de l’état de santé des salariés, tout en recentrant les missions du médecin du travail sur les salariés pour lesquels un suivi particulier s’impose en raison de l’état de santé ou des risques encourus.
Enfin, le projet de loi complète l’arsenal législatif pour lutter contre le détachement illégal, prolonge le plan de transformation des corps de l’inspection du travail et donne plus de prérogatives à Pôle Emploi en cas de trop-perçus d’indemnités chômage.
L’article 1er propose d’instaurer une commission chargée de rendre plus intelligibles le code du travail tout en privilégiant les accords collectifs comme principale source du droit du travail.
Le projet de loi prévoyait que la commission devait s’appuyer sur les principes essentiels du droit du travail dégagés par la commission présidée par M. Robert Badinter. Ces principes sont tous issus du droit aujourd’hui applicable et se trouvent déjà inscrits dans des textes de niveau constitutionnel, conventionnel ou législatif. La volonté du rapporteur de faire travailler la commission créée à droit constant – c’est au législateur qu’il revient en effet de faire évoluer le droit – rend cependant inutile d’encadrer ses travaux par des principes. Ceux-ci restent toutefois fondamentaux pour la bonne intelligibilité du droit du travail et trouveront naturellement leur place à l’issue du processus de refondation engagé.
Comme on l’a vu, le renforcement du dialogue social sous toutes ses formes est l’un des axes directeurs de ce projet de loi. Le rapporteur est en effet convaincu que la négociation collective, au travers de laquelle s’exerce le dialogue social, peut également être un levier de performance pour les entreprises.
Les différentes mesures visant à insuffler un nouveau souffle à la négociation collective s’inspirent notamment du rapport de M. Jean-Denis Combrexelle, conseiller d’État et ancien Directeur général du travail, dont la lettre de mission invitait à réfléchir sur « l’élargissement de la place de l’accord collectif dans notre droit du travail et la construction de normes sociales », afin « de faire une plus grande place à la négociation collective et en particulier à la négociation d’entreprise, pour une meilleure adaptabilité des normes aux besoins des entreprises ainsi qu’aux aspirations des salariés ».
Il s’agit ainsi de donner, autant que faire se peut, la priorité et la primauté au niveau de l’entreprise, par l’application d’un principe de subsidiarité que le projet de loi traduit d’ores et déjà dans le code du travail, pour l’ensemble des dispositions relatives à la durée du travail, aux congés, ainsi qu’au compte épargne-temps.
La primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche consacre une démarche initiée il y a un peu plus de dix ans, et qui a consisté à dynamiser le dialogue social de proximité pour répondre aux besoins de souplesse des entreprises. Ce besoin de rapprocher le niveau de production de la norme conventionnelle de la vie quotidienne des entreprises est particulièrement évident s’agissant du temps de travail.
La démarche ne peut néanmoins être généralisée : il reste bien sûr des sujets pour lesquels le rôle de régulation sociale et économique de la branche ne saurait être écarté. C’est le cas par exemple en matière de travail à temps partiel, et c’est pourquoi le projet de loi maintient sur ce point le principe d’une primauté de l’accord de branche, les accords d’entreprise ne pouvant prévoir que des dispositions plus favorables.
Compte tenu de la diversité des sujets ayant vocation à être abordés par la voie du dialogue social dans l’entreprise, il va de soi que ces accords devront être marqués d’une légitimité incontestable : c’est ce raisonnement qui sous-tend l’extension des accords majoritaires d’entreprise proposée par le projet de loi.
Appliquée dans un premier temps aux seuls accords relatifs à la durée du travail, au repos et aux congés, ainsi qu’aux accords en faveur de l’emploi, l’obligation d’obtenir la signature de l’accord par la majorité des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise permettra d’assurer une pleine légitimité des accords ainsi négociés. Afin d’éviter toute paralysie du dialogue social lorsque la majorité s’avère difficile à obtenir, l’accord majoritaire est néanmoins complété d’une procédure de consultation directe des salariés permettant aux syndicats signataires de l’accord et représentant plus de 30 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles, de faire valider le projet d’accord.
Le renforcement du champ d’action de l’accord d’entreprise ne doit pas faire oublier les autres niveaux de négociation collective. En premier lieu, la branche professionnelle demeure, pour de nombreux secteurs d’activité, l’épicentre de la négociation collective. Elle joue également un rôle primordial en matière de régulation de la concurrence entre les entreprises d’un même secteur d’activité et de soutien aux très petites, petites et moyennes entreprises, un rôle qui est en conséquence réaffirmé par le projet de loi. Ce dernier envisage également d’accélérer le mouvement de restructuration des branches autour de deux cents branches – contre environ sept cents à ce jour – afin de renforcer l’efficacité de leur action. La sécurisation des accords de groupe et des accords interentreprises proposée en second lieu par le texte répond également au souhait d’encourager la négociation collective au niveau le plus pertinent.
Redorer le blason de la négociation collective suppose ensuite que les accords qui en résultent gagnent en intelligibilité ; car dans la mesure où les normes conventionnelles sont conduites à s’appliquer à de nouveaux pans de l’organisation du travail, cela suppose que l’ensemble des salariés et leurs représentants soient en mesure d’avoir connaissance de cette norme, de l’interpréter, voire de la dénoncer lorsqu’elle est devenue obsolète.
Le projet de loi s’efforce en conséquence de consolider les outils permettant d’améliorer la compréhension et la publicité des accords collectifs, grâce à l’instauration d’un « contenu-type » pour les accords collectifs, qui devront désormais contenir un préambule et des clauses de réexamen. Pour que chacune des parties autour de la table des négociations maîtrise les « règles du jeu » de la négociation collective, le projet de loi encourage également la conclusion d’accords de méthode.
La révision de l’architecture des accords collectifs s’accompagne par ailleurs d’une rénovation de leurs règles de révision et de dénonciation, dernière étape de la réforme de la représentativité syndicale proposée par la loi du 20 août 2008, qui vise à ouvrir les possibilités de mise en cause d’un accord à l’ensemble des organisations syndicales de salariés représentatives à un moment « t », et non plus aux seules organisations signataires de l’accord.
Le projet de loi intègre pleinement, par ailleurs, la nouvelle réalité du marché du travail et de l’emploi en procédant à un renforcement inédit des outils de sécurisation des parcours professionnels. Les mutations du marché du travail, la discontinuité des trajectoires professionnelles et la mise à l’épreuve du modèle salarial rendent indispensable d’adapter notre système de droits sociaux et professionnels et de les rattacher à la personne et non plus au statut ou au métier.
Le texte en tire toutes les conséquences en posant les fondements du compte personnel d’activité (CPA), dispositif construit autour d’un noyau dur de trois comptes destinés à faciliter l’accès aux droits. Le rapporteur appuie la démarche pragmatique du Gouvernement et insiste sur la nécessité de réfléchir dès à présent sur les dispositifs pouvant y être intégrés demain. Au-delà de son périmètre initial, le CPA a vocation à devenir le point d’accès à l’information sur l’ensemble des droits sociaux et au bulletin de paie dématérialisé qu’encourage le projet de loi. À ce titre, et dans la lignée de l’ouverture du compte personnel de formation (CPF) aux non-salariés, le CPA devra être progressivement universalisé et intégrer notamment les agents publics afin de garantir la préservation des droits tout au long du parcours professionnel.
Le rapporteur appuie, par ailleurs, l’attention particulière accordée aux jeunes et aux salariés sans qualification, placés au cœur de la démarche de qualification et de sécurisation de l’emploi. La généralisation de la « garantie jeunes », le financement d’une durée complémentaire de formation qualifiante pour les jeunes décrocheurs et l’alimentation renforcée du CPF des salariés sans qualification s’inscrivent dans cette démarche et participeront à l’objectif de sécurisation des parcours porté par le projet de loi.
Enfin, afin de renforcer l’accès aux droits, la validation des acquis de l’expérience est également facilitée. En effet, un an suffira pour y prétendre, au lieu de trois précédemment.
Le projet de loi contient également un ensemble cohérent de mesures orientées vers un objectif commun : le soutien à l’emploi.
Il comporte tout d’abord des mesures spécifiques en faveur des très petites et des petites et moyennes entreprises (TPE-PME) afin de remédier au relatif hermétisme du droit du travail. Le service d’appui de l’État aux TPE-PME en amont du contentieux et la mise en place des accords types de branche participent pleinement à cette démarche et permettront de réduire le poids des contraintes formelles et les incertitudes quant au droit en vigueur.
Il adapte, ensuite, notre code du travail à certaines formes d’emploi nécessitant un encadrement spécifique. Le texte proposé vise ainsi à sécuriser l’encadrement légal du portage salarial, à clarifier le régime des emplois saisonniers et à faire bénéficier les groupements d’employeurs des aides à l’emploi. Ces mesures devront permettre d’encourager le recours à ces formes d’emploi tout en clarifiant et en adaptant leur cadre juridique.
Pour donner aux entreprises la souplesse dont elles ont besoin pour conquérir un marché ou anticiper des difficultés, le projet de loi crée par ailleurs un nouveau type d’accord d’entreprise leur permettant d’ajuster temporairement l’organisation du travail, afin de poursuivre sans équivoque l’objectif de préservation ou de développement de l’emploi qu’elles se sont fixées.
Ce texte poursuit enfin l’objectif de donner davantage de lisibilité aux entreprises sur le plan juridique, en particulier aux plus petites d’entre elles, qui ne bénéficient souvent pas d’un conseil juridique suffisant et sont donc peu armées pour faire face à certains obstacles : c’est le cas notamment en cas de difficultés économiques, pour une entreprise amenée à faire face à un plan de licenciement.
Afin de permettre aux entreprises de mieux anticiper sur les conséquences potentielles d’un licenciement économique, le projet de loi propose de clarifier la définition des difficultés économiques qui rendent possible le recours à ce motif de licenciement, tout en revenant sur une interprétation jurisprudentielle large du périmètre d’évaluation de ces difficultés en présence d’un groupe exerçant ses activités à l’international.
Le souci d’offrir aux entreprises une meilleure lisibilité et une plus grande capacité d’anticipation en la matière ne saurait toutefois conduire à définir les critères présidant au licenciement économique de manière strictement mécanique : il est essentiel que le juge puisse conserver en aval une marge de manœuvre suffisante pour estimer la réalité et l’ampleur des difficultés économiques rencontrées, qui correspondent bien au caractère « réel » et « sérieux » du licenciement.
Par ailleurs, il est également important que la recherche d’une plus grande attractivité du territoire national pour les grands groupes internationaux n’interdise pas de juger invalides des licenciements qui sont le fait de groupes par ailleurs florissants économiquement.
En somme, le projet de loi pose les fondements d’un droit du travail rénové et adapté aux nouvelles réalités économiques. En faisant de la négociation collective un facteur de développement et de dialogue, il protège à la fois les droits des salariés et la compétitivité des entreprises et s’oriente en ce sens résolument vers le progrès économique et social.
La Commission procède à l’audition de Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs lors de sa séance du mardi 29 mars 2016.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je souhaite la bienvenue à Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, que nous allons entendre sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. Rarement un projet de loi aura fait autant parler de lui alors qu’il n’en était qu’au stade de l’avant-projet. Il était attendu pour de multiples raisons et peut-être est-il redouté par certains.
Demain matin, nous auditionnerons les syndicats de salariés et, demain après-midi, après les questions d’actualité, les organisations représentatives des employeurs.
La commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de ce texte et a désigné Yves Blein rapporteur pour avis. Elle examinera ce projet de loi lundi après-midi, 4 avril. Pour notre part, nous commencerons l’examen des articles de ce texte le mardi 5 avril, examen qui se poursuivra toute la semaine.
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je me réjouis de me retrouver devant vous pour une discussion constructive sur le projet de loi que je porte et qui a en effet suscité de nombreux débats avant même qu’il ne soit présenté. Le texte a été présenté jeudi dernier en conseil des ministres, et nous pouvons désormais en débattre sereinement.
Le délai supplémentaire que nous nous sommes donné a permis d’apporter les ajustements nécessaires issus des concertations avec l’ensemble des partenaires sociaux et des organisations de jeunesse. D’ailleurs, les syndicats représentant la majorité des salariés – je pense notamment à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), à l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et à la Confédération générale des cadres (CGC) – ont salué ces avancées.
Ce nouveau texte trouve aujourd’hui son équilibre au service d’une double ambition : réformer profondément notre droit du travail en donnant beaucoup plus de place à la négociation collective, afin de développer l’emploi, d’améliorer la compétitivité de notre économie et de mieux protéger les salariés ; revivifier notre modèle social grâce au compte personnel d’activité (CPA) qui apporte de nouvelles protections, en particulier pour les salariés et les indépendants les plus fragiles.
Depuis la remise du rapport Combrexelle il y a quelques mois, j’ai rencontré l’ensemble des partenaires sociaux. J’aborde le débat parlementaire avec beaucoup d’enthousiasme, et je précise à l’ensemble des députés ici présents, ainsi qu’à ceux qui ne sont pas membres de la commission des affaires sociales, que je suis à leur entière disposition pour prolonger les échanges, afin que ce travail d’enrichissement se poursuive, sans en dénaturer la philosophie.
Des désaccords peuvent exister ; ils sont légitimes. Certains doivent pouvoir se surmonter ou du moins s’atténuer. Je suis en tout cas certaine que nous saurons nous retrouver sur certains constats et sur la nécessité de ne pas nous en accommoder. On a parfois parlé de « préférence française pour le chômage ». Le fait est là : nous restons invariablement confrontés à un chômage de masse depuis plus de trente ans – nous ne sommes jamais passés sous la barre des 8 % – et nous créons aujourd’hui moins d’emplois que nos voisins européens, même si nous avons créé 100 000 emplois en 2015 après plusieurs années de destructions d’emplois.
Le monde du travail connaît chez nous une segmentation très forte, reléguant une grande partie de nos concitoyens à ses marges. Plus de 750 000 personnes sont aujourd’hui dans une spirale infernale, faite de chômage, d’intérim et de contrats très courts. Pour ces personnes, l’hyper-précarité est une réalité quotidienne et durable.
Pour un nombre croissant de jeunes, l’horizon du contrat à durée indéterminée (CDI) confine parfois au mirage. En vingt ans, l’âge moyen d’accès au premier CDI est passé de vingt-deux à vingt-sept ans.
Pour toutes ces raisons, pour toutes ces personnes, il nous revient d’agir avec la plus grande détermination.
Permettez-moi tout d’abord de revenir en quelques mots sur la philosophie de ce texte. Je crois que c’est essentiel avant d’évoquer plus précisément les principales mesures qui en constituent l’architecture.
Ce projet s’inscrit dans la continuité et la cohérence de l’action gouvernementale depuis le début du quinquennat. Depuis 2012, en effet, les lois successives dans le domaine du travail poursuivent la même finalité : renforcer le dialogue social et le rôle des partenaires sociaux pour construire dans notre pays une vraie culture de la négociation. La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, puis celle relative à la formation professionnelle et à la démocratie sociale du 5 mars 2014, et enfin celle relative au dialogue social du 17 août dernier ont confirmé cette vision.
Je citerai ici quelques avancées : l’association des comités d’entreprise aux orientations stratégiques des entreprises et la participation des salariés aux conseils d’administration de toutes les entreprises de plus de 1 000 salariés ; la création de la base de données unique, des négociations et consultations rénovées autour des enjeux les plus stratégiques ; la capacité à anticiper davantage pour éviter les licenciements et un renforcement de l’activité partielle, désormais au même niveau que celui de l’Allemagne ; un cadre entièrement refondu des procédures de licenciement collectif avec un poids majeur donné à l’accord majoritaire.
La liste serait longue si je devais détailler toutes ces avancées. Je citerai quelques points : le constat à la fois d’un formalisme trop grand de notre dialogue social qui s’éloigne des préoccupations des salariés et des vrais enjeux et la conviction qu’il n’y a pas de dialogue social sans acteurs forts de ce dialogue. Le projet de loi que je vous présente prolonge et amplifie ce mouvement. C’était d’ailleurs l’ambition des quarante-quatre propositions du rapport que Jean-Denis Combrexelle a remis au Premier ministre et à moi-même au mois de septembre dernier. Il renforce considérablement le dialogue social, notamment au sein de l’entreprise, mais aussi au niveau de la branche.
Cette confiance et cette place inédites accordées aux partenaires sociaux, et ce choix de la régulation par le dialogue social, sont à mon sens la voie la plus pertinente, à la fois pour la pérennité de notre modèle social et pour la compétitivité de notre économie. Car notre code du travail, à force de multiplier les dérogations, s’est complexifié au point de devenir illisible et parfois contre-productif.
La solution n’est sûrement pas dans la déréglementation sauvage, comme l’ont expérimenté certains pays en renvoyant massivement au contrat de travail ou en abolissant le monopole syndical de la négociation collective, comme le suggèrent d’autres. Car cela reviendrait à laisser le salarié livré à lui-même dans une relation de travail déséquilibrée. Ma conviction, au contraire, c’est que c’est par le collectif que le salarié est mieux défendu, que ses aspirations individuelles sont les mieux prises en compte. Et c’est par le collectif que l’entreprise peut trouver les marges de souplesse nécessaires à sa compétitivité, sans renoncer à rien sur le plan social. C’est ce que nous montrent certaines expériences étrangères.
Il ne s’agit pas d’avoir une vision angélique du dialogue social. Des blocages, des échecs, des pressions existent parfois. Je résumerai la philosophie de ce texte par l’équation suivante : aucune souplesse ne sera possible sans négociation. Et comme les entreprises ont besoin de souplesse, la négociation débouchera sur des accords équitables. Ces accords devront recueillir l’assentiment des organisations représentant la majorité des salariés, ce qui est une grande avancée, même si elle suscite des craintes de blocage. À défaut d’accord, les protections seront exactement au même niveau qu’aujourd’hui. S’il n’y a pas d’accord, c’est le droit actuel qui s’applique. Cela signifie que tout le monde sera gagnant : les salariés, qui seront mieux représentés et défendus ; les entreprises qui gagneront en capacité d’adaptation et de souplesse, pour mieux répondre à un pic d’activité, à un pic de commandes, pour ne pas perdre de clients. Cela améliorera la compétitivité de notre économie.
J’en viens au contenu du texte. Il consacre de nouveaux droits pour les travailleurs, quel que soit leur statut, en réaffirmant les droits fondamentaux des travailleurs, selon les principes dégagés par le comité de sages présidé par Robert Badinter. Bien qu’ils ne doivent pas constituer le préambule du futur code du travail, ces principes guideront le travail de réécriture qui s’achèvera en 2019.
Permettez-moi de dire quelques mots sur un sujet que certains ont tenté d’instrumentaliser, à savoir le fait religieux en entreprise. Nous savons tous que le principe de laïcité s’applique à l’État, aux administrations publiques et aux entreprises chargées d’une délégation de service public, mais pas à l’entreprise, laquelle n’est pas tenue à un devoir de neutralité. Le principe issu des travaux du comité Badinter rappelle le droit actuel, c’est-à-dire la jurisprudence issue à la fois de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de cassation et du Conseil d’État, à savoir la liberté d’exprimer ses convictions, y compris religieuses. Il précise aussi et surtout que des restrictions à cette liberté sont possibles au sein de l’entreprise lorsque sont en cause le bon fonctionnement de celle-ci ou l’exercice d’autres libertés. Si la rédaction actuelle a suscité des débats, elle pourra bien évidemment évoluer pendant la discussion parlementaire pour mieux mettre en lumière la possibilité de restrictions. Mais ne faisons pas croire que la loi modifie le droit actuel puisque ce n’est pas le cas.
Le projet de loi consacre aussi de nouveaux droits en développant le compte personnel d’activité, base d’une véritable sécurité sociale professionnelle. Le compte personnel d’activité doit nous permettre de répondre à la réalité du monde du travail d’aujourd’hui. Une personne n’entre plus dans une entreprise à l’âge de dix-huit ans pour en ressortir à soixante ans. La carrière professionnelle sera faite de plusieurs employeurs, de la possibilité de passer du statut de salarié à d’autres statuts. Il fallait donc à la fois répondre à la demande de nos concitoyens et anticiper leurs besoins futurs, sachant que la question de la reconversion professionnelle pose encore aujourd’hui des difficultés.
Il faut rendre nos concitoyens acteurs de leur parcours professionnel. De ce point de vue, le compte personnel d’activité constitue une avancée majeure en instaurant un droit universel à la formation, quel que soit son statut. Chacun sera doté de droits cumulables tout au long de son parcours, pour acquérir de nouvelles compétences, changer de métier, créer son entreprise. Tout le monde pourra en bénéficier : salariés, demandeurs d’emploi, indépendants, artisans, fonctionnaires. Et, surtout, ceux qui en ont le plus besoin seront davantage aidés : les jeunes décrocheurs auront droit à une nouvelle chance via le droit au retour en formation et la possibilité d’accéder tout au long de leur vie à un premier niveau de qualification ; les salariés sans qualification, qui sont les décrocheurs d’hier et d’avant-hier, verront leurs heures de formation significativement augmentées de vingt-quatre à quarante heures par an et leur plafond maximum relevé de 150 à 400 heures. Pour les demandeurs d’emploi, nous avons fait cette année un effort considérable avec le plan « 500 000 formations ». Je souhaite que les partenaires sociaux puissent pérenniser un soutien à la formation des demandeurs d’emploi les moins qualifiés.
Le CPA valorisera également l’engagement citoyen, avec la création du compte engagement citoyen. Un crédit d’heures de formation sera alloué en contrepartie d’activités reconnues pour leur utilité collective. Je pense aux maîtres d’apprentissage, au service civique, aux périodes de réserves, à ceux qui ont des responsabilités associatives. Avec le CPA, je n’hésite pas à le dire, nous posons les fondements d’un nouveau modèle social, celui du XXIe siècle, qui permet de rendre les Français acteurs de leur parcours professionnel.
Le projet de loi consacre encore de nouveaux droits, en généralisant la garantie jeunes pour tous nos concitoyens de moins de vingt-six ans qui sont en situation de grande précarité, c’est-à-dire sans qualification, sans formation, sans emploi – les fameux NEET, not in education, employment or training – et acceptent de s’inscrire dans un parcours d’insertion exigeant et adossé à une allocation. Je sais l’apport que ce dispositif peut apporter, dans vos circonscriptions, là où est expérimentée la garantie jeunes, notamment pour les jeunes, mais aussi pour les conseillers de la mission locale, pour les entreprises au plus près des territoires. La garantie jeunes, ce n’est pas une allocation, mais un dispositif d’accompagnement avec un contrat donnant-donnant en direction des jeunes qui sont volontaires et motivés pour s’engager dans ce dispositif.
Le projet de loi crée également un droit à la déconnexion pour tous les salariés, pour que le numérique ne soit pas facteur de souffrance au travail, mais une opportunité pour améliorer la qualité de vie. Sa mise en œuvre sera un item de la négociation obligatoire sur la qualité de vie au travail et, à défaut d’accord, les entreprises de plus de 300 salariés devront mettre en place une charte. Dans tous les cas, ce droit sera donc garanti, et il prendra en compte la réalité de l’entreprise. La situation n’est pas la même pour un cadre informatique que pour une plateforme d’appel. Ce droit majeur a été proposé par Bruno Mettling dans son rapport.
Enfin, le texte prévoit de réformer la médecine du travail, pour rendre le suivi médical des salariés plus effectif et mieux protéger ceux qui en ont le plus besoin. Ces dispositions s’inspirent des travaux menés par votre collègue Michel Issindou, qui a remis un rapport l’an dernier, ainsi que des travaux du Conseil d’orientation des conditions de travail, qui ont débouché sur des pistes novatrices, pour répondre aux enjeux en matière de santé au travail et de prévention.
Le projet ouvre ensuite de nouvelles marges d’adaptation pour les entreprises et les salariés par accord d’entreprise.
Toute la partie du code sur le temps de travail est réécrite pour donner à la négociation collective une place prépondérante. Cette nouvelle architecture du code du travail est issue des préconisations du rapport Combrexelle dont les conclusions ont été largement saluées au mois de septembre dernier.
Le Gouvernement a fait le choix de la transparence et de la clarté en réécrivant in extenso cette partie, y compris lorsque les règles ne changent pas, pour beaucoup mieux distinguer ce qui relève de l’ordre public, ce qui relève du champ de l’accord, et les dispositions dites « supplétives » qui s’appliquent en l’absence d’accord.
Cette clarification a conduit à des critiques souvent infondées, car elles sont dirigées contre des règles qui existent depuis bien longtemps et qui ne sont pas modifiées dans ma loi. Je pense notamment à la possibilité de travailler jusqu’à soixante heures par semaine ou jusqu’à douze heures par jour, à certaines conditions particulières que nous n’avons nullement modifiées.
Le Gouvernement a en revanche ouvert de nouvelles souplesses, par accord d’entreprise majoritaire, pour organiser le temps de travail au plus près du terrain. Beaucoup était déjà possible, et il s’agit de donner toute la cohérence à cette négociation d’entreprise. Soyons clairs, il n’y a pas non plus inversion de la hiérarchie des normes. Enfin, plusieurs thèmes resteront, même pour la durée du travail, du ressort de la branche : je pense au temps partiel ou à la modulation du temps de travail au-delà de l’année.
Le texte marque en outre une nouvelle étape ambitieuse dans la rénovation de la démocratie sociale.
Il généralise les accords majoritaires au niveau de l’entreprise pour tous les accords concernant le chapitre réécrit du code du travail. Pour être valides, les accords devront être signés par des organisations syndicales qui rassemblent 50 % des suffrages. Ce sera la règle générale qui a vocation à s’étendre en 2019 à l’ensemble du champ de la négociation collective d’entreprise. De manière exceptionnelle, dans les cas où l’enjeu de l’accord le justifiera aux yeux des organisations syndicales qui l’auront signé, un accord signé à 30 % sans atteindre la majorité pourra être soumis à la consultation des salariés.
Il me semble étrange de considérer que la consultation des salariés, à l’initiative des organisations syndicales, sur leurs conditions de vie au travail et les choix qui les concernent directement, serait une régression.
Ensuite, le texte clarifie la place des accords qui pourront, avec l’accord du salarié, se substituer aux contrats de travail lorsqu’ils visent à préserver ou à développer l’emploi. Là encore, il s’agit de donner plus de poids aux compromis collectifs dès lors que l’accord est majoritaire. De tels accords ne pourront évidemment pas avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle des salariés. C’est un acte de confiance dans le dialogue social, dans le caractère majoritaire des accords.
Le projet de loi améliore également les moyens des acteurs du dialogue social, dans le prolongement des lois précédentes, en augmentant de 20 % le crédit d’heures des délégués syndicaux et en protégeant mieux les bourses du travail.
Enfin, les règles de négociation et de révision sont profondément rénovées, pour favoriser la loyauté et le dynamisme des accords.
Le texte comporte un volet ambitieux pour mieux accompagner les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE), et favoriser l’emploi. Nous savons que c’est là que tout se joue en matière de création d’emplois.
Il élargit les sujets sur lesquels les salariés et élus mandatés peuvent négocier dans les petites entreprises, ce qui leur permettra d’utiliser toutes les souplesses permises par notre droit.
Il met en place des cellules d’appui dans les territoires qui proposeront des réponses rapides aux questions juridiques des PME et TPE.
Il restructure les branches professionnelles – cela fait plus de trente ans que l’on en parle –, dont le nombre sera réduit de plus de 700 à environ 200. On ne peut pas en effet renforcer le rôle des branches professionnelles si on reste dans le champ conventionnel actuel.
Il permet de créer des accords types de branche, spécifiquement dédiés aux PME et TPE. C’est une innovation qui a été insuffisamment mise en lumière et dont j’espère fortement qu’elle redonnera de la vigueur à la négociation de branche et la souplesse nécessaire pour les PME et TPE.
Le projet de loi clarifie la définition du motif économique. Je crois qu’il faut entendre le besoin de prévisibilité qui s’exprime fortement du côté des entreprises, notamment les petites entreprises qui ne peuvent pas s’appuyer sur des armées d’experts juridiques et pour lesquelles la complexité de la rupture peut être un frein à l’embauche, au moins en CDI.
À travers cette loi, je le dis avec force, notre objectif n’est pas de faciliter les licenciements, ce qui serait pour le moins paradoxal pour la ministre de l’emploi que je suis. Il est de poser des règles claires et intelligibles.
Ainsi, la précision du motif du licenciement économique permettra de lutter contre la précarité des salariés. D’une part, elle favorisera les recrutements en CDI, car on sait que le taux élevé de recours aux contrats à durée déterminée (CDD) – neuf embauches sur dix – est en partie dû aux craintes du contentieux de la rupture des CDI. D’autre part, elle évitera des licenciements fondés à tort sur un motif personnel, ou des ruptures conventionnelles parfois abusives, là où c’est un licenciement économique qui devrait être décidé, avec tout l’accompagnement qu’il comporte pour le salarié concerné.
La loi clarifie donc les conditions du licenciement économique, en reprenant très largement la jurisprudence et en précisant les situations qui justifient de se séparer d’un salarié, par exemple une baisse importante des commandes sur plusieurs trimestres.
Elle aligne notre droit sur celui de nos voisins européens pour les groupes implantés à l’international. En même temps, elle permet de lutter contre les contournements en prévoyant que, lorsque les difficultés économiques ont été créées artificiellement à la seule fin de supprimer des emplois, le licenciement sera dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il nous faut entendre et répondre aux difficultés des petites et moyennes entreprises et prendre la responsabilité, sur ce sujet, de faire bouger les lignes.
Sachez que j’examinerai avec beaucoup intérêt toute proposition complémentaire s’inscrivant dans l’esprit de cette loi et visant à soutenir les TPE et les PME. C’est un enjeu fort pour dynamiser notre tissu économique.
Voilà ce que je souhaitais vous dire pour expliquer à la fois la logique profonde de ce projet de loi et ses objectifs.
Bien sûr, le Gouvernement aurait pu choisir de ne rien faire, dressant le constat que notre démocratie sociale est encore perfectible, que les acteurs en sont souvent trop faibles, qu’il faut attendre qu’elle soit mûre pour lui donner de nouveaux espaces. Mais c’est précisément le pari inverse que fait le Gouvernement, parce que nous sommes convaincus qu’il existe un cercle vertueux à tracer. Il faut, dans un même mouvement, donner plus de moyens aux acteurs du dialogue social et plus de pouvoir, à travers une plus grande place et capacité de décision à la négociation au plus près du terrain. C’est la seule façon de faire bouger en profondeur les lignes dans notre pays.
Je comprends qu’un texte aussi profondément réformateur suscite des questionnements et nécessite des débats. Ceux-ci doivent se poursuivre et je vous redis ma volonté d’être à l’écoute de la représentation nationale pour construire collectivement une société où progrès économique et progrès social sont liés.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir présenté ce projet de loi en insistant sur ses grandes lignes.
Je me rends compte que les députés de l’opposition sont ébahis par l’aspect réformateur de cette loi !
Mes chers collègues, je vous rappelle que le projet de loi et l’étude d’impact ont été mis à votre disposition, jeudi dernier, à vingt heures quarante, et que les amendements pourront être déposés jusqu’à vendredi prochain, dix-sept heures.
M. Christophe Sirugue, rapporteur. Madame la ministre, votre présence parmi nous est l’occasion d’instaurer un dialogue sur le projet de loi tel qu’il a été présenté en conseil des ministres – et non pas sur la première version, même si, je l’ai constaté, certaines analyses persistent à s’appuyer sur le texte tel qu’il était avant d’être modifié. J’aurai l’occasion, le moment venu, de développer l’argumentation du rapporteur que je suis. Pour l’heure, afin que nous soyons parfaitement éclairés, je voudrais vous interroger sur quelques points spécifiques.
Ma première question porte sur la création de la commission de refondation du code prévue à l’article 1er, dont l’enjeu est important. Je n’ai pas vu de précisions sur sa composition. De quelle manière les partenaires sociaux seront-ils associés à ses travaux ? Il est important qu’ils soient des acteurs essentiels des échanges qui pourraient avoir lieu avec cette commission.
Je rappelle que les principes qui doivent encadrer les travaux de ladite commission existent déjà à des niveaux différents, constitutionnels, conventionnels. Ils me paraissent parfois porteurs d’ambiguïté. Pourquoi leur a-t-on retiré la valeur de préambule, ce que je crois satisfaisant, tout en les laissant dans le texte, sans que l’on sache quelle sera leur portée ?
La consécration de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour tous les sujets liés à la durée du travail peut poser quelques questions. Je pense, en particulier, à la fixation du taux de majoration des heures supplémentaires pour laquelle une entreprise pourrait désormais déroger au taux de majoration fixé par la branche dont elle relève dans un sens moins favorable aux salariés, ce qui pourrait favoriser une sorte de moins-disant social, pour ne pas parler de dumping social. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
La généralisation des accords majoritaires proposée par l’article 10 permettra à l’évidence de renforcer la légitimité des accords collectifs d’entreprise. Cependant, l’accord majoritaire peut également entraîner des blocages de la négociation collective. C’est pourquoi le Premier ministre avait proposé de procéder par étapes. Or le projet de loi prévoit une entrée en vigueur mécanique des accords majoritaires au 1er septembre 2019. Ne vaudrait-il pas mieux n’envisager la généralisation des accords majoritaires que si les retours d’expérience sont positifs ?
S’agissant des accords de préservation et de développement de l’emploi, l’article 11 crée des modalités de licenciement sui generis qui ne correspondent ni à un licenciement pour motif économique ni à un licenciement pour motif personnel. Or l’objet du licenciement est bien de nature économique, puisqu’il s’agit de préserver ou de développer l’emploi. Madame la ministre, pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Gouvernement n’a pas choisi la qualification de licenciement pour motif économique dès lors qu’un salarié refuserait un accord dit « offensif » ?
J’en viens au compte personnel d’activité. Il s’agit en effet d’une avancée extrêmement positive pour les droits des salariés, d’un dispositif clef de sécurisation des parcours et de préservation des droits acquis. Nous voulons travailler sur le CPA afin de nous assurer que la portabilité et la fongibilité des droits fonctionnent de manière simple. Il faut que le salarié puisse « lire » facilement les droits qu’il a acquis tout au long de sa carrière.
Par ailleurs, si l’on souhaite que le CPA soit réellement universel, que se passe-t-il pour les agents publics ? Actuellement, ceux-ci n’ont ni compte personnel de formation ni compte personnel de prévention de la pénibilité. Renvoie-t-on cette question à plus tard ? Si tel est le cas, quel est le calendrier envisagé ?
J’en arrive à un point difficile : le motif économique du licenciement. À l’article 30 du projet de loi, vous proposez de préciser, d’une part, la définition des difficultés économiques et, d’autre part, le niveau d’appréciation de ces difficultés.
Sur le premier point, je remarque que les indicateurs choisis – dont je ne discute pas la pertinence – reposent sur un critère unique de durée – pendant laquelle il y a une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, ou des pertes d’exploitation –, mais qu’ils ne comportent aucune référence à une quelconque ampleur des difficultés de l’entreprise, sauf pour la dégradation de la trésorerie. Or l’ampleur des difficultés rencontrées n’est pas la même pour une petite ou pour une grande entreprise. Dès lors, ne serait-il pas utile de définir une ampleur minimale pour caractériser les difficultés économiques ?
Sur le second point, je comprends le souci qui a conduit, pour les entreprises relevant d’un groupe, à fixer au niveau national le périmètre d’appréciation des difficultés économiques, a fortiori dans la mesure où la quasi-totalité de nos voisins européens font de même. Toutefois, tel n’est pas le cas de l’Espagne. Le texte précise – c’est une avancée importante – que le juge pourra continuer de juger dépourvus de cause réelle et sérieuse des licenciements liés à la création artificielle de difficultés économiques. Cependant, qu’est-ce qu’une « création artificielle » ? Comment le juge pourra-t-il exercer ce contrôle à l’avenir si son périmètre d’appréciation est cantonné au territoire national ? Comment pourra-t-il vérifier que c’est bien l’ensemble du groupe qui rencontre des difficultés ? Ce point me paraît très important.
Je termine par les mesures destinées à faciliter la vie des TPE et des PME. L’article 28 inscrit dans le code du travail le droit, pour les entreprises de moins de 300 salariés, d’obtenir une information précise sur l’application du droit du travail. Il est très important, madame la ministre, que nous travaillions à améliorer l’accès des PME au droit. Or l’article 28 tel qu’il est formulé actuellement a une portée normative très faible. Quid d’un service public de l’information et de l’accès au droit pour les chefs d’entreprise et les artisans ? Quid des propositions qui pourraient être faites en matière de rescrit social, dont certains éléments existent déjà, sachant que nous avons mis en place le rescrit fiscal ? D’autre part, comment peut-on associer l’ensemble des acteurs, notamment les chambres de commerce et d’industrie et les chambres des métiers, à ce devoir d’information et de réponse aux entreprises ? Cet élément me paraît déterminant.
Bref, madame la ministre, ce texte mérite encore d’être précisé, notamment sur la question du licenciement économique, afin qu’il n’y ait pas de doute sur la réalité des difficultés économiques ou financières auxquelles sont confrontées les entreprises. Ce texte doit aussi évoluer au regard des demandes des TPE et des PME, ainsi qu’en matière de protection des salariés. S’il est exact que les entreprises doivent pouvoir s’adapter au contexte économique, nous devons aussi prendre en compte le fait que les salariés sont inquiets pour leur avenir et qu’ils ont besoin d’être rassurés. Ma volonté, en tant que rapporteur, est de travailler sur ces deux points : des assouplissements pour être compétitifs dans le contexte de crise économique que nous connaissons ; des protections pour les salariés, qui ne doivent pas être sacrifiés au nom de ces enjeux.
Mme Monique Iborra. Merci, madame la ministre, pour votre intervention claire, qui peut paraître technique, mais a évidemment des implications politiques. Celles-ci concernent non seulement les partenaires sociaux et les salariés, mais aussi et d’abord les citoyens.
Vous avez donné des éléments de contexte qu’il est utile de rappeler : plus de neuf embauches sur dix se font aujourd’hui sous la forme d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat d’intérim de moins de trois mois – cette précarité croissante ne date pas de 2012 et touche principalement les jeunes ; les CDD de moins de trois mois représentent 40 % des embauches ; beaucoup, y compris parmi les représentants des salariés, conviennent aujourd’hui du fait que le code du travail n’est plus adapté au marché du travail.
Ces éléments de contexte nous obligent et vous obligent à l’action. C’est bien ce dont il s’agit aujourd’hui. Le chômage reste élevé dans notre pays, plus que chez nos voisins européens qui ont engagé des réformes du marché du travail. Pourtant, certains estiment que cette réforme n’était pas nécessaire. Tel n’est pas notre avis, et nous saluons le volontarisme politique dont fait preuve le Gouvernement.
Néanmoins, madame la ministre, cette loi suscite des interrogations légitimes, car elle induit de vrais changements et une véritable réforme dans les relations entre salariés et employeurs, en donnant aux accords d’entreprise une place prépondérante qu’ils n’avaient que partiellement jusqu’à ce jour, même s’ils étaient effectifs et signés par l’ensemble des organisations syndicales. Vous consacrez ainsi le dialogue social comme un élément prépondérant au sein de l’entreprise, et plus seulement au niveau de la branche. En d’autres termes, vous tentez de remplacer la culture de l’affrontement par celle de la négociation. Les décisions concernant la durée du travail, l’aménagement et la répartition des horaires, le repos quotidien, les jours fériés et les congés payés pourront faire l’objet d’accords majoritaires au sein de l’entreprise.
Les difficultés de l’entreprise qu’il convient de prendre en compte ne sont plus seulement structurelles, mais également conjoncturelles, c’est-à-dire liées à la vie de chaque entreprise. Lorsqu’elles sont réelles, elles doivent être prises en compte tant par le chef d’entreprise que par les salariés. Il était nécessaire, ainsi que vous entendez le faire avec ce projet de loi, d’élargir et de clarifier les possibilités qui existaient déjà en la matière, afin que les entreprises et leurs salariés s’en emparent plus facilement. Mais il fallait également borner ces possibilités et garantir aux salariés – qui sont, par définition, dans un rapport de subordination à l’égard de l’employeur – que leur statut serait préservé en cas d’absence d’accord, en prévoyant que l’accord de branche s’applique alors.
Cette nouvelle approche nécessite non seulement la mise en place de formations pour les partenaires sociaux, négociateurs au niveau local, mais également un bon niveau d’information des salariés, afin qu’ils puissent appréhender plus efficacement la situation de l’entreprise en cas de difficultés, notamment lorsqu’un référendum est organisé à l’initiative des organisations syndicales. Qu’envisagez-vous dans ce domaine ? Les entreprises auront-elles l’obligation de publier les accords d’entreprise ? Si tel est le cas, sous quelle forme ? Ne doit-on pas envisager une meilleure diffusion de l’information, afin que les salariés aient une connaissance plus précise de leurs droits et participent réellement et activement à la négociation d’entreprise ?
Enfin, avec le compte personnel d’activité, les droits seront désormais attachés à la personne plutôt qu’à son statut. Tel qu’il est prévu dans le projet de loi, le CPA s’adresse d’abord aux décrocheurs et aux jeunes en grande précarité, notamment par le biais de la garantie jeunes. Ne pourrait-on pas introduire également – nous y réfléchissons – une disposition qui concerne les jeunes diplômés, lesquels paient eux aussi un lourd tribut en termes de précarité et de chômage ?
M. Gérard Cherpion. Vous avez dit, madame la ministre, qu’il fallait donner plus de moyens et plus de pouvoir aux acteurs du dialogue social. Votre gouvernement se voulait exemplaire en matière de dialogue social. Or, à cette aune, le parcours de ce projet de loi est plutôt raté : certes, vous avez mené un certain nombre de concertations – personne ne le remet en cause –, mais le Gouvernement lui-même ne s’est pas donné les moyens de respecter l’article L. l du code du travail : avez-vous ouvert une concertation préalable en vue de proposer l’ouverture d’une négociation ? Avez-vous communiqué aux partenaires sociaux un document d’orientation en ce sens ? La réponse est non – sauf, je le reconnais, en ce qui concerne le compte personnel d’activité, qui a fait l’objet d’une négociation en soi. Comment expliquer sinon le besoin de démarrer un nouveau cycle de concertation après transmission du texte au Conseil d’État ? Comme toujours, ce contretemps va nuire au travail parlementaire. D’ailleurs, les rapporteurs des commissions saisies pour avis ne sont pas intervenus aujourd’hui devant notre commission, ce qui prouve à quel point il est difficile de travailler dans ces conditions.
L’inscription des « principes Badinter » dans l’article 1er suscite des interrogations : si vous renvoyez l’écriture du code à une commission, pourquoi inscrire les bases de sa refondation dans une loi préalable ? Ces principes n’avaient sûrement pas vocation à devenir un préambule – ce n’est plus le cas et c’est heureux. Ils n’ont pas davantage vocation à figurer dans la loi ! En plus d’être un objet législatif non identifié, ils sont contre-productifs : ils figent les travaux de la future commission. Et je ne parle pas du 6° de cet article sur le fait religieux, dont la rédaction cristallise les inquiétudes et risque d’éclipser la philosophie de l’ensemble du projet. Il y a deux ans, le groupe Les Républicains avait déposé une proposition de loi qui visait à donner à l’entreprise la responsabilité de fixer des règles en la matière dans son règlement intérieur.
Concernant l’article 2, la triple architecture que vous retenez pour la réécriture du code est intéressante. Elle va de pair avec la primauté donnée à l’accord d’entreprise pour un certain nombre de dispositions, notamment la modulation des heures supplémentaires, les temps de repos, les astreintes, etc. À cet égard, permettez-moi de faire une remarque : nous saluons les circonvolutions auxquelles vous vous prêtez pour remettre en cause les 35 heures sans le dire ! Tel est bien le cas avec la possibilité de négocier des taux de majoration des heures supplémentaires qui ne peuvent être inférieurs à 10 % et avec les accords offensifs, que nous avons proposés régulièrement depuis trois ans et que vous reprenez – à titre personnel, j’en suis heureux !
Cependant, nous avons un regret : les quinze jours de négociation qui se sont écoulés entre l’examen du texte par le Conseil d’État et son adoption en Conseil des ministres ont été marqués par le retour du monopole syndical en matière de négociation. Avec l’extension du mandatement, on ne laisse toujours pas sa place au dialogue social direct qui est caractéristique des petites entreprises. Or vous le rappelez vous-même dans l’étude d’impact : ce sont elles qui produisent des emplois, ce sont elles qu’il faut soutenir et laisser respirer. Avant même l’ouverture des discussions, nous regrettons le recul du champ que le premier projet laissait à la décision unilatérale de l’employeur. Ainsi, la période de référence en matière d’aménagement du temps de travail est passée de seize à neuf semaines en cas de décision unilatérale, et il est désormais impossible à l’employeur d’instaurer des forfaits en jours par décision unilatérale.
Le retour du monopole syndical marque profondément ce texte. Celui-ci se voulait un appui aux TPE, mais il en reste à des logiques qui sont celles des entreprises qui ont les moyens de mener le dialogue social tel que nous le connaissons aujourd’hui. Où est donc le changement de paradigme ? Toutefois, avec la redéfinition du rôle de la branche et les accords types, vous avez amorcé une réflexion qui nous semble intéressante et que nous suivrons.
S’agissant du compte personnel d’activité et de la garantie jeunes, nous notons le renforcement des droits des décrocheurs et des salariés peu qualifiés au titre du compte personnel de formation, mais nous posons la question de son impact sur le financement la formation professionnelle.
Sachez que nous ne baisserons par les bras en ce qui concerne la pénibilité, qui reste un sujet majeur d’inquiétude, en particulier pour les petites entreprises. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Comme tout le monde, nous avons assisté à la naissance du compte engagement citoyen. Bien sûr, vous nous prenez par les sentiments en y intégrant l’activité des maîtres d’apprentissage et des bénévoles qui prennent des responsabilités au sein de leurs associations. L’étude d’impact mentionne un coût relativement bas – 46 millions d’euros seulement, qu’il faudra tout de même trouver – et un taux de recours très bas lui aussi – 20 %. Ces hypothèses nous paraissent très risquées.
Nous pouvons soutenir le dispositif de la garantie jeunes, qui a fait ses preuves, ainsi que vous l’avez indiqué, madame la ministre, mais à condition que les choses soient parfaitement claires. Si le droit « universel » mentionné par le Président de la République est, ainsi que nous croyons le comprendre à ce stade, un droit réservé à certains jeunes selon certains critères de situation et de motivation, alors nous envisageons cette extension de manière positive. Mais nous serons opposés, je vous l’ai dit, à toute dénaturation de cette garantie jeunes qui en ferait un droit universel à une allocation sans la contrepartie d’un engagement fort de la part du jeune et celle de son suivi.
J’ai senti une inquiétude dans les propos du rapporteur. Pour notre part, ce qui nous inquiète, c’est le recul du Gouvernement depuis la première version du projet de loi. Il ne faut pas que vous reculiez davantage, madame la ministre : vous devez rester ferme sur les positions que vous avez exposées aujourd’hui.
M. Arnaud Richard. Nous commençons aujourd’hui l’examen tant attendu non pas d’un grand texte, mais d’un gros texte. Je tiens à saluer votre présence devant notre commission, madame la ministre. Sans vouloir raviver la polémique, le groupe Union des démocrates et indépendants regrette que le Parlement n’ait pas été associé à l’élaboration de ce texte, surtout les groupes qui composent l’actuelle opposition.
Bien que nous soyons convaincus de la nécessité de réformer le code du travail, nous ne pouvons que condamner la méthode. Quoi que vous en disiez, madame la ministre, cette réforme n’a pas été discutée en amont avec les partenaires sociaux et les représentants des branches autant qu’elle aurait dû l’être. C’est même un comble : vous contrevenez à l’article L. 1 du code du travail, qui prévoit – faut-il vous le rappeler, madame la ministre : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation. » Je le cite, car je pense que vous ne l’avez pas lu, madame la ministre.
M. Richard Ferrand. Quel mufle !
M. Arnaud Richard. Non seulement l’absence de concertation a nui au dialogue social, mais la présentation d’un second projet de loi a mis à mal la crédibilité de l’exécutif et de la majorité, et, de vous à moi, jette l’opprobre sur l’ensemble de la classe politique.
Au groupe Union des démocrates et indépendants, vous le savez, nous croyons à la démocratie et au dialogue social, qui constituent des leviers puissants pour moderniser et réformer notre pays. Ces outils de négociation et de compromis permettent de privilégier une approche globale des questions soulevées par les imperfections, réelles, de notre système et de prendre en compte l’ensemble des enjeux : la protection des salariés et la sécurisation des parcours professionnels, l’amélioration de la compétitivité, l’anticipation des mutations économiques et sociales.
Nous sommes convaincus qu’il faut faire évoluer notre code du travail, mais comment ne pas regretter que le Gouvernement choisisse la dernière année du quinquennat, alors qu’il aurait pu engager cette réforme bien plus tôt ? Depuis le début du quinquennat, le groupe Union des démocrates et indépendants propose sans succès des mesures concrètes afin de réformer le marché du travail et de renforcer le champ de la négociation collective.
Je ne m’attarderai que sur quelques articles – nous ne serons pas sans nous revoir, madame la ministre.
S’agissant, d’abord, de l’article 1er, la feuille de route et la composition de la commission de refondation sont au mieux – le rapporteur l’a dit – floues et inexploitables.
M. le rapporteur. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !
M. Arnaud Richard. Au pire, elles constituent un affront à l’égard du Parlement. D’après l’exposé des motifs, il est prévu que la commission dispose d’un délai de deux ans pour récrire chaque subdivision du code, puis que le Gouvernement lui-même dispose d’un délai de trois mois pour indiquer au Parlement les suites qu’il entend donner à ces travaux. Or, dans le texte de la loi, on ne trouve nulle trace d’un calendrier, ainsi que le rapporteur l’a relevé. Madame la ministre, vous conviendrez aisément qu’il faut éclairer la représentation nationale sur ce point précis du calendrier.
On ne peut que saluer – nos collègues du groupe Socialiste, républicain et citoyen le font également, ce qui est nouveau pour eux – le fait que la primauté soit donnée aux accords d’entreprise : il s’agit d’une mesure importante que nous attendions tous, dans l’opposition, de longue date. Cela peut paraître paradoxal, mais elle devra nécessairement s’accompagner d’un renforcement des acteurs du dialogue social dans l’entreprise. À titre personnel, je doute que l’augmentation de 20 % des heures de délégation soit suffisante. Pouvez-vous nous présenter de manière plus détaillée les mesures prévues à destination des partenaires sociaux ?
En outre, madame la ministre, comment se satisfaire d’un texte qui ne prend pas en compte les nouvelles opportunités économiques et ne contient aucune proposition pour prendre en compte les nouvelles formes de salariat ?
Le compte personnel d’activité aurait pu être une solution, si vous y aviez pleinement intégré le compte personnel de formation et le compte personnel de prévention de la pénibilité. Se limiter au compte engagement citoyen, c’est un peu le miroir aux alouettes ! Vous ne ferez rien en termes de sécurisation des parcours des actifs tout au long de leur carrière. À force de concessions, vous avez transformé le CPA en une usine à gaz, dont le Gouvernement lui-même ne semble plus vraiment saisir les contours. Je note que le rapporteur se pose la question de l’extension du CPA aux agents de la fonction publique.
Si, sur le principe, nous ne sommes pas opposés à la généralisation de la garantie jeunes sur tout le territoire, nous aurions aimé qu’il y ait un retour d’expérience, une étude d’impact et un financement. Pourriez-vous nous préciser, madame la ministre, sur quelles bases le coût total de 600 millions d’euros pour 2017 a été estimé ?
Le groupe Union des démocrates et indépendants aurait pu suivre le Gouvernement sur la base du texte initial, dans la mesure où de nombreuses mesures attendues y figuraient. Mais, pour embaucher, les entreprises ont besoin de visibilité et de confiance. Or, à force de dérobades et de descentes en slalom spécial, nous craignons fort que ce projet de loi n’assombrisse l’avenir du marché du travail.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Richard, même si vous n’êtes pas d’accord avec une partie du texte, rien ne vous empêche de rester courtois et respectueux à l’égard de la ministre. Affirmer qu’elle n’a pas lu l’article L. 1 du code du travail me paraît déplacé, d’autant que ce n’est pas vrai.
M. Christophe Cavard. Madame la ministre, je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui avec mes collègues pour avoir un échange franc et constructif à propos de ce projet de loi, dit précédemment « loi El Khomri », puis « loi travail » et, désormais, « projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ». Ce texte a déjà beaucoup fait parler de lui, alors que nous-mêmes, parlementaires, n’avons pas commencé à l’étudier ensemble en profondeur, afin de proposer et d’apporter des améliorations. Car, vous vous en doutez, madame la ministre, nous allons y travailler sérieusement !
Entre le texte que nous avons sous les yeux et l’avant-projet initial, qui a été retiré afin de prendre en compte les principales craintes qui se sont exprimées dans le pays, les choses ont évolué. Pour ma part, je m’en félicite. Ce texte est issu de multiples travaux et rapports, qui ont formulé des propositions dans la perspective d’une refondation de notre code du travail et de l’amélioration du dialogue social dans les entreprises. Ceci, dans la continuité des textes que nous avons votés précédemment sur ces mêmes sujets, à savoir la loi relative à la sécurisation de l’emploi, la loi relative à la formation professionnelle et la loi relative au dialogue social.
Les travaux de la commission Badinter ont vocation à former le socle de cette refondation, bien au-delà du seul article 1er de ce projet de loi. Les principes dégagés par la commission ont vocation à devenir le préambule du code du travail et doivent inspirer l’ensemble de ce qui suivra, car ce sont les droits fondamentaux de chacune et de chacun au travail.
Le rapport de Jean-Denis Combrexelle sur la négociation collective, le rapport Mettling sur la transformation numérique et la vie au travail, le rapport sur le compte personnel d’activité, et d’autres encore, ont nourri ce texte.
Puisque je n’aurai pas le temps d’aborder en détail tous ces sujets – nous y reviendrons bien sûr au cours des travaux de la Commission –, je voudrais m’exprimer brièvement sur l’esprit de ce projet de loi, dans lequel vous vous préoccupez de dialogue social, de sécurité professionnelle et de flexibilité.
Pour ce qui est du dialogue social, je défends avec conviction, en tant qu’écologiste, la démocratie sociale et la négociation au plus près des spécificités de la production et de l’organisation du travail, au plus près des acteurs concernés, au sein de chaque entreprise. Les écologistes souhaitent favoriser et renforcer la possible participation des salariés dans leurs entreprises. C’est pourquoi ils sont porteurs du modèle de l’économie sociale, où prévaut le principe « un homme, une voix ». Ils sont donc naturellement favorables au dialogue social et à la négociation collective au sein de l’entreprise.
Mais nous savons que, pour parvenir à des négociations réussies, il faut garantir que les conditions de la négociation sont loyales et équilibrées entre les parties. Il faut de l’information, de la confiance et de la compréhension mutuelle entre les négociateurs. Il faut donc définir au préalable les règles du jeu, de façon claire et avec les outils adéquats. La négociation est une culture : elle s’apprend, de part et d’autre. Nous y reviendrons au cours du débat parlementaire. Cela concerne au premier chef les accords de méthode, mais aussi le rôle des branches professionnelles.
Je défends également, bien entendu, la sécurisation des parcours professionnels. Nous avons commencé à y travailler avec le compte personnel de formation, qui est l’amorce d’une possibilité de formation tout au long de la vie. De ce point de vue, l’augmentation des heures attribuées au CPF pour les personnes peu ou pas qualifiées est une bonne nouvelle. Nous pouvons nous féliciter de la création du compte personnel d’activité – qui intègre de multiples dimensions non seulement de la vie professionnelle, mais aussi de la vie sociale –, de la garantie jeunes ou du renforcement de la validation des acquis de l’expérience. Reste la question du compte épargne-temps et de son association au CPA.
Au-delà de ces évolutions majeures, il y a néanmoins, dans ce texte, un sujet qui pose problème : celui de la flexibilité. Pourquoi ce sujet est-il sensible ? Parce qu’il est nécessaire, aujourd’hui, de différencier ce qu’on appelle l’économie réelle de l’économie virtuelle. Si nous voulons aider les très petites entreprises, les artisans, les petites et les moyennes entreprises ou les entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire, chefs d’entreprise et salariés, à s’adapter pour développer l’emploi, nous ne voulons pas pour autant faciliter la tâche du « monde de la finance ».
Ce texte doit apporter de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les actifs, mais pas pour les inactifs. Il ne faut pas offrir la possibilité d’accroître des dividendes issus de la spéculation et produits sur le dos des salariés tout autant que sur celui des entreprises sous-traitantes. Nous vivons dans un monde où, désormais, les rapports de subordination ne sont plus exclusivement entre employeurs et salariés, mais également entre entreprises multinationales ou donneuses d’ordres et leurs sous-traitants. Le débat n’est donc plus seulement entre salariés et patrons, mais entre économie réelle et économie virtuelle. Nous aborderons cette question dans les discussions et chercherons à proposer les meilleures solutions pour garantir les droits des salariés.
En conclusion, dans l’esprit de la loi, c’est-à-dire en faisant confiance à la négociation entre exécutif et parlementaires, et pour donner tout son sens à la démocratie parlementaire, je souhaite que nous continuions, dans les semaines qui viennent, à améliorer ce texte et à évacuer les peurs, par l’écoute et le dialogue, avec toutes celles et tous ceux qui souhaitent participer, hors des logiques de postures et de façon constructive.
Mme Dominique Orliac. Je vous remercie, madame la ministre, pour la présentation que vous avez faite aujourd’hui devant notre commission.
Chaque remaniement au ministère du travail est accompagné d’un nouveau projet de loi : après le texte portant sur la formation professionnelle et la démocratie sociale, puis le texte sur le dialogue social, voici maintenant ce projet de loi, qui vise à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. Je note, au passage, qu’il n’y a aucune référence directe aux « salariés » ou aux « travailleurs » dans le titre de votre projet de loi.
Après des semaines de déclarations, de pas en avant et en arrière, et une contestation sociale qui a parfois pris un visage violent, tant du côté des manifestants que des forces de sécurité, notre commission va se pencher dès la semaine prochaine sur les amendements à ce projet de loi. Il convient de relever l’ampleur prise par la contestation, tant sur les réseaux sociaux, avec cette fameuse pétition – qui, s’il y a des choses à dire sur le procédé, ne peut pas être écartée d’un revers de main –, que dans la rue, compte tenu de la position des partenaires sociaux, certains d’entre eux ayant néanmoins décidé de soutenir le texte après modifications. Cependant, celles-ci ont braqué les organisations patronales, pourtant acquises à la première version du projet de loi. Enfin, il est important de noter que de nombreux jeunes – certes, pas tous, je vous l’accorde – se sont montrés hostiles au projet de loi. Il faudra donc rassurer.
Disons-le d’emblée : ce texte contient des dispositions très intéressantes. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste reconnaît que, avec le code du travail actuel, la situation est compliquée tant pour les TPE et les PME que pour les salariés, qui peuvent se perdre dans la lecture d’un code parfois illisible et qui ne les aide guère à comprendre leurs droits.
Lors de la conférence de presse qu’il a donnée le 7 septembre dernier, le Président de la République a d’ailleurs déclaré : « Réformer, c’est aussi rendre lisible le code du travail, parce que c’est ce qui protège, parce que c’est aussi ce qui permet de créer de l’emploi. Nous donnerons toute la place nécessaire à la négociation collective et aux accords d’entreprise, pour permettre justement qu’il y ait une meilleure adaptation du droit du travail à la réalité des entreprises. »
Le Premier ministre, quant à lui, a déclaré lors du congrès des Radicaux de gauche à Montpellier, le 20 septembre 2015 : « Réformer, c’est enfin réformer notre marché du travail, avec un objectif : plus de souplesse, mais pas moins de protection. Le constat est très largement partagé : notre code du travail est trop rigide, trop complexe, au point même que les salariés ont du mal à connaître leurs droits. Il y a une perte de temps et d’énergie pour tout le monde. »
Sur la forme, nous déplorons à nouveau les délais relativement courts impartis à l’étude de ce texte important, ainsi que les multiples renvois à des décrets en Conseil d’État.
Sur le fond, nous avons plusieurs remarques à faire, notamment sur l’alinéa 11 de l’article 1er, qui porte sur les questions relatives à la laïcité en entreprise. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste et apparentés vous demande, madame la ministre, une clarification du texte en la matière.
L’article 2 récrit la totalité des dispositions du code portant sur la durée du travail, l’aménagement et la répartition des horaires, le repos quotidien, les jours fériés et les congés payés. Nous avons bien noté la volonté du Gouvernement de mettre en avant la négociation en entreprise.
L’article 3 assure pour chaque congé spécifique actuellement prévu par le code du travail une distinction claire entre, d’une part, les droits à congés ouverts aux salariés relevant de l’ordre public et, donc, non négociables et, d’autre part, les dispositions qui peuvent faire l’objet de négociations, pour plus de souplesse d’organisation au sein de l’entreprise. Toutefois, nous nous étonnons que les dispositions supplétives fixées par décret en Conseil d’État viennent presque systématiquement compléter ces dispositions, ainsi que je l’ai déjà indiqué. Cela n’augure pas nécessairement d’une réelle appropriation de cette nouvelle méthode par les partenaires que sont les employés et le patronat.
Nous sommes satisfaits de la suppression de la première version de l’article 6, qui portait sur le travail des apprentis mineurs.
Nous notons que l’article 7 concerne la méthode pour contracter des accords collectifs, ainsi que leur durée, et prévoit que les accords d’entreprise sont rendus publics sauf si l’employeur s’oppose à cette publicité notamment pour des raisons de non-divulgation d’informations sensibles sur la stratégie de l’entreprise. Nous émettons des réserves sur le fait que l’employeur puisse s’opposer à la transparence au motif de préserver la stratégie d’entreprise.
Nous soutenons, bien évidemment, l’idée de créer un compte personnel d’activité, qui fait l’objet des articles 21 et 22, ainsi que la généralisation de la garantie jeunes prévue à l’article 23. De même, nous portons une attention bienveillante aux dispositions concernant l’apprentissage, qui visent à simplifier son organisation. Ainsi que nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, tout ce qui peut contribuer à ce qu’on se défasse du sentiment que l’apprentissage est une « voie de garage » est bon à prendre.
Dans le temps limité qui m’est imparti, j’aimerais également revenir sur les dispositions de l’article 44 concernant la médecine du travail. Cet article réforme le suivi des salariés par la médecine du travail pour mieux concentrer les moyens sur les salariés exposés à des risques particuliers. Il supprime la visite médicale d’aptitude systématique à l’embauche et renforce le suivi personnalisé des salariés tout au long de leur carrière, en reconnaissant ce droit aux salariés intérimaires et titulaires de contrats courts. À ce stade de la discussion, notre groupe estime que ce changement est positif, car, dans les faits, cette visite ne semble pas toujours répondre à son objectif premier, puisque le médecin du travail n’a pas accès au dossier médical du patient et que ce dernier peut éventuellement omettre des informations. Un protocole défini par la médecine du travail et mis en œuvre par un professionnel de santé serait nécessaire, le médecin du travail validant l’aptitude ou convoquant la personne concernée.
Lors de l’examen des amendements par notre commission la semaine prochaine, nous serons extrêmement vigilants sur les avancées qui concerneront les artisans, les TPE et les PME, ainsi que sur la protection des salariés.
Mme Jacqueline Fraysse. Madame la ministre, comme vous le savez, nous rejetons ce projet de loi, en raison tant de la philosophie qui le sous-tend que de l’essentiel de son contenu. Il s’agit, ainsi que le précise l’exposé des motifs, de « refonder notre modèle social », car « les modes d’organisation du travail évoluent ». C’est une affirmation incontestable, que nous partageons, et qui justifie de « revisiter » le code du travail pour l’adapter à la société d’aujourd’hui, à l’ère du numérique, de l’Europe et de la mondialisation, qui ont d’ailleurs déjà induit une certaine réorganisation du travail.
Mais, avant toute réforme profonde du code du travail, il convient de répondre à cette question, que je me permets de vous poser : quelle réorganisation du travail voulons-nous promouvoir, pour quelle société demain ? Dans quel sens et au service de qui ? De la réponse à ces questions découle, évidemment, le type de réforme que l’on veut faire. Et, manifestement, nous formulons des réponses diamétralement opposées aux vôtres.
La vocation initiale du code du travail est la protection des salariés. Non seulement elle ne saurait être remise en cause, mais elle devrait être améliorée. Or vous faites le contraire : recul sur le temps de travail, recul sur la protection contre les licenciements abusifs, recul sur la santé au travail. Bref, ce n’est pas d’une modernisation qu’il s’agit, mais d’un retour en arrière, pour ne pas dire très en arrière. Nos concitoyens l’ont évidemment bien compris, et cela explique cette levée de boucliers dans tout le pays, d’autant plus légitime que votre texte s’appuie sur le postulat jamais démontré selon lequel il y aurait un lien entre le code du travail, autrement dit la protection des salariés, et le niveau de chômage.
Mais en quoi la création d’emplois serait-elle empêchée par une trop grande protection des salariés ? Autrement dit, en quoi permettre de licencier plus facilement, comme le prévoit le texte soumis à notre examen, stimulerait-il un marché de l’emploi dont chacun sait qu’il dépend essentiellement du carnet de commandes des entreprises ? Vous répondez en fait au détriment des salariés à une demande ancienne du patronat, sans lien avec l’emploi. Cette grossière mise en accusation du code du travail occulte les vraies raisons du chômage massif, qui sont de nature économique.
Vous dites vouloir redonner du pouvoir aux travailleurs, mais vous privez la loi de son caractère protecteur et subordonnez des pans entiers du contrat de travail à la conclusion d’accords collectifs d’entreprise qui prévaudront sur les conventions collectives de branche, y compris s’ils sont moins favorables pour les salariés – c’est la fameuse inversion de la hiérarchie des normes. Pensez-vous vraiment, madame la ministre, qu’en période de fort chômage et alors que les licenciements seront encore plus faciles les représentants du personnel pourront résister aux exigences d’un patronat qui exercera plus facilement qu’auparavant le chantage à l’emploi ? Et je ne parle pas du référendum, qui pourra être organisé pour court-circuiter les organisations syndicales et diviser les salariés.
Si votre projet de loi était voté en l’état, le contrat de travail ne vaudrait plus rien, puisqu’il pourrait à tout moment être remis en cause par des accords offensifs. Votre texte va jusqu’à permettre le licenciement pur et simple d’un salarié qui refuserait ces modifications de son contrat de travail ! Nul doute que les salariés les moins qualifiés, les femmes et les jeunes seront encore une fois les plus exposés. Il ne faut donc pas vous étonner que la jeunesse exige le retrait de ce texte et vous auriez tort de sous-estimer ce mouvement.
Nous ne voulons pas nous en tenir à un statu quo inopérant, mais travailler à des dispositions modernes et équilibrées, qui explorent des formes nouvelles de salariat et offrent des droits nouveaux qui tiennent compte de la diversité et des contraintes des entreprises. En un mot, nous souhaitons un texte ouvert sur l’avenir, et le moins que l’on puisse dire est que celui-ci est loin du compte. Voilà pourquoi les députés du Front de Gauche et l’ensemble du groupe de la Gauche démocrate et républicaine combattront résolument ce texte.
Mme Isabelle Le Callennec. Nous pourrions souscrire, madame la ministre, à l’objectif d’« instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » affiché dans le titre du projet de loi, mais nous aurions aimé être certains qu’il a aussi pour objectif de dé-rigidifier le marché du travail pour offrir des perspectives aux 6 millions de Français inscrits à Pôle emploi. Or, si la première version de ce texte contentait les entreprises, il n’en est plus de même de la deuxième. Ce sont pourtant les entreprises, singulièrement les PME et les TPE, qui créent les emplois, et elles hésitent à embaucher même lorsqu’elles le voudraient. Comment ferez-vous pour concilier des points de vue diamétralement opposés ? Pour qu’il y ait dialogue social, il faut être deux, et force est de constater que les ambitions divergent, comme nous le vérifierons demain en commission des affaires sociales : les auditions des organisations patronales et syndicales nous permettront de mesurer les désaccords. Vous avez dit, madame la ministre, que des désaccords étaient surmontables. Auxquels pensez-vous ?
Avant l’examen détaillé des articles la semaine prochaine, j’aborderai brièvement trois points. Tout d’abord, je m’interroge, comme le rapporteur Christophe Sirugue, sur la composition de cette commission d’experts qui va réécrire le code du travail. Je pensais que cette loi avait précisément pour ambition de réformer ce code et qu’il était donc demandé au législateur de le réécrire. Or l’article 1er du chapitre I confie ce soin à une commission d’experts.
Ensuite, sachez, madame la ministre, que la mise en œuvre du compte pénibilité, dont je crois savoir que vous le glissez dans le compte personnel d’activité, est très difficile dans la plupart des entreprises et que cela un coût pour elles.
Enfin, vous nous avez expliqué que le plafonnement des dommages et intérêts accordés par les prud’hommes ne serait pas discuté et que vous considériez que cela avait été évoqué dans la loi Macron. Le confirmez-vous ?
Par ailleurs, avez-vous compté les décrets auxquels renvoie ce projet de loi ? Leur nombre nous fait penser qu’il s’écoulera du temps d’ici à son application.
Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est le cas pour beaucoup d’autres lois, chère collègue.
M. Gérard Sebaoun. La très grande majorité des économistes, et non des moindres – de la présidente du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre à Daniel Cohen –, se sont exprimés sur le projet de loi. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont guère favorables à votre postulat selon lequel elle entraînera la création d’emplois. En fait, ils ne savent pas. Pouvez-vous fournir à la Commission des éléments prouvant que cette modification du code du travail permettra bien la création d’emplois ? Les investissements des entreprises étrangères en France montrent plutôt que notre droit du travail n’est probablement pas le repoussoir absolu décrit par le MEDEF. Le rapport 2015 de Business France, qui vient de paraître, vante l’attractivité de notre pays. Avec 1 000 décisions d’investissements et 34 000 emplois, ce sont cinquante-trois pays qui croient à l’avenir de la France avec le code du travail tel qu’il est actuellement rédigé.
Ma seconde question porte sur les heures supplémentaires. Le projet de loi prévoit de généraliser la primauté de l’accord d’entreprise sur la convention de branche en matière de temps du travail. Très souvent, heureusement, les conventions de branche se sont opposées à ce que le taux de majoration de la rémunération des heures supplémentaires soit abaissé au-dessous de 25 %, même si un taux de 10 % est déjà possible. Demain, avec ce projet de loi, les accords d’entreprise risquent de limiter cette majoration à 10 %, au détriment des salariés. J’y vois là une possibilité de baisse du salaire. Ajoutons à cela que la possibilité de moduler le temps de travail non sur un, mais sur trois ans – certes sous réserve d’un accord de branche –, risque d’entraîner la disparition quasi automatique des heures supplémentaires.
M. Denis Jacquat. Pour embaucher, les entreprises ont besoin avant tout de lisibilité, de visibilité et, surtout, de pérennité. Ayons constamment ces mots à l’esprit avant de prendre une décision, surtout quand un texte aussi complexe nous est présenté.
Je voudrais en savoir plus sur la garantie jeunes, dont Gérard Cherpion a déjà parlé, et sur la pénibilité, dont nous avons déjà longuement discuté dans cette commission. Ce texte nous offre la possibilité de répondre au souhait des TPE d’être soulagées de la lourdeur administrative résultant des textes précédents.
M. Michel Liebgott. Il y a une semaine, Le Figaro indiquait que le taux de croissance serait bien plus important que prévu, que le taux d’investissement des entreprises était en progression et que la consommation des ménages était également au-delà des prévisions. On pourrait donc se demander pourquoi le Gouvernement met en œuvre une nouvelle réforme qui suscite tant de débats et de contestation, et qui ne sera appliquée qu’après les élections de 2017. C’est tout simplement parce qu’il est un gouvernement de réforme, parce qu’il veut développer le dialogue social et qu’il a déjà multiplié les textes dans ce domaine, de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2013 au texte plus récent de François Rebsamen sur le dialogue social et l’emploi. C’est surtout parce que les chiffres du chômage n’ont pas encore baissé. Ces réformes ont bien un effet sur les créations d’emploi – plus nombreuses que les suppressions –, mais, le solde démographique nous étant pour l’instant défavorable, cela ne suffit pas.
Ce texte entend trouver un équilibre entre flexibilité et sécurité pour l’ensemble des salariés et, bien sûr, de créer des emplois – mais il ne s’agit pas de permettre le développement des mini-jobs comme en Angleterre, ou de faire disparaître le salaire minimum, comme c’était encore le cas récemment en Allemagne, mais de conserver l’essentiel de notre contrat social, tout en l’améliorant, parce qu’il est notoirement insuffisant. On peut, pour cela, s’inspirer de ce qui s’est passé dans ma région, avec l’exemple de l’usine de Florange. La nationalisation, qui fut envisagée, aurait été un échec total. Un accord, placé sous le signe du dialogue social avec des syndicats, a été passé entre le Gouvernement et ArcelorMittal, et, aujourd’hui, dans la sidérurgie, on embauche.
M. Francis Vercamer. La flexisécurité est un enjeu majeur et un défi. La mondialisation, l’environnement technologique, les évolutions du numérique transforment profondément le monde du travail, la manière de travailler dans l’entreprise, les relations du travail et la relation au travail. Nous pouvions espérer que le Gouvernement avait l’ambition de relever ce défi. Force est de constater qu’il n’en est rien. À défaut, peut-être, d’avoir plus ouvertement affiché l’objectif, d’avoir plus précisément défini son ambition de parvenir à trouver ce nécessaire équilibre entre flexibilité et sécurité, il aboutit à un texte mal compris qui suscite l’inquiétude et a mis la jeunesse dans la rue.
D’une manière générale, nous n’avons pas l’impression que ce texte permette de dépasser la vision de l’entreprise comme lieu d’opposition entre les salariés et les employeurs. Bien sûr, vous ouvrez des espaces de négociation dans l’entreprise, et c’est évidemment une bonne chose, mais ils sont tellement encadrés, normés, bornés – dans tous les sens du terme, allais-je dire – que la liberté de négociation reconnue aux partenaires sociaux est quand même très relative. Les dispositions de ce texte, particulièrement dans la partie consacrée à l’emploi, sont trop orientées, à quelques exceptions près, vers le constat des difficultés de l’entreprise, alors qu’il s’agit, pour elle, d’anticiper pour relever les défis qu’elle doit affronter.
Au terme de nos débats en commission et en séance, nous verrons si ces quelques espaces de liberté laissés à la négociation auront subsisté. Pour le Gouvernement et la majorité, donner une place plus importante à la négociation en entreprise, je l’admets, constitue un pas en avant important. Il en reste cependant un à franchir pour que ce texte puisse être perçu comme un véritable acte de confiance dans l’entreprise.
Par ailleurs, le projet de loi ne parvient pas à relever le défi de la sécurité des transitions professionnelles, à sécuriser la mobilité professionnelle. Rendre les formations plus accessibles à ceux qui en ont le plus besoin, faciliter l’accès à la formation, la reconversion, le passage d’un emploi salarié au statut de travailleur indépendant, faciliter la reprise d’entreprises artisanales, la mobilité géographique ou professionnelle, voilà l’enjeu de la transition professionnelle, et le compte personnel d’activité ne donne pas la visibilité nécessaire. Madame la ministre, comment ce texte peut-il permettre un équilibre entre flexibilité et sécurité ?
Mme Chaynesse Khirouni. Ce projet de loi, madame la ministre, suscite de grandes inquiétudes et j’ai rencontré de nombreux chefs d’entreprise qui pensent que, loin de simplifier le droit du travail, il risque au contraire de le complexifier. En effet, la remise en cause de la hiérarchie des normes, permettant de déroger à des accords de branche, notamment en matière de durée du travail ou de congés, fait craindre à de nombreuses TPE et PME une distorsion de la concurrence, une plus grande complexité et le risque d’une plus grande subordination dans les rapports de sous-traitance. Cela nous a été confirmé par les représentants de l’Union professionnelle artisanale et de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), qui estiment que le dialogue social au niveau de la branche est une source de sécurité juridique et d’harmonisation des règles sociales, et évite le dumping social. La négociation sociale nécessite une expertise et une méthode. Avec la loi de 2015, visant à renforcer le dialogue social, nous avions créé les commissions paritaires régionales, qui doivent constituer un cadre de discussion et de négociation efficace. Pourquoi, aujourd’hui, revoir ce dispositif, en privilégiant les accords d’entreprise ?
Évoquons aussi la situation des femmes au travail. Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) a émis des réserves significatives sur ce projet de loi. Or, nous le savons, sur le marché du travail, les femmes subissent plus que les hommes la précarité. Ainsi représentent-elles 80 % des salariés à temps partiel et des contrats précaires. Dans le même temps, elles sont les moins flexibles dans leur vie personnelle, puisqu’elles assument toujours, et bien plus que les hommes, les obligations familiales et domestiques. Je m’inquiète donc du risque qu’elles ne subissent davantage de pression dans les négociations qui s’ouvriront pour permettre des adaptations au niveau de l’entreprise. Il en va de même avec la possibilité de baisser la rémunération des heures complémentaires. Les femmes étant plus présentes dans les TPE et PME, il existe un risque accru de les fragiliser en renvoyant au niveau de l’entreprise la négociation sur les questions de temps de travail. Quelle est votre réponse face à ce risque et en quoi la fragilisation des droits des salariés permettrait-elle le développement de l’emploi ?
M. Gilles Lurton. Madame la ministre, quelles sont donc les « nouvelles libertés » que, selon son titre, vise à instituer ce projet de loi ? De mon point de vue, nos réflexions doivent se concentrer sur ce fait très concret : nous ne pouvons tolérer que 3,5 millions de personnes soient privées d’emploi – et les derniers chiffres ne sont pas faits pour nous rassurer, qui traduisent à eux seuls l’échec de votre gouvernement.
J’avais parfaitement compris en quoi certaines dispositions de la première version de votre projet de loi étaient susceptibles de redonner confiance aux entreprises et de relancer l’emploi des salariés. Aujourd’hui, pouvez-vous préciser quelles dispositions de cette deuxième version peuvent avoir cet effet ?
Le Premier ministre a insisté au début du mois de mars sur le fait que le CDI devait devenir la règle. Il concluait en affirmant que ce projet de loi offrait plus de visibilité pour les entreprises et plus de protection pour les salariés. Pouvez-vous préciser en quoi cette version édulcorée, exempte de toute mesure novatrice, donne plus de visibilité aux entreprises et plus de protection aux salariés ? Et en quoi s’adresse-t-elle aux petites et moyennes entreprises, comme l’affirme encore le Premier ministre, alors que tout passe par la négociation syndicale ?
Ma dernière question porte sur l’apprentissage. Le Président de la République s’est fixé comme objectif de parvenir à 500 000 apprentis à la fin de son mandat. J’ai bien compris que votre projet de loi comportait un certain nombre de dispositions sur l’apprentissage dans ses articles 32 à 37. J’ai bien compris, aussi, qu’il prévoyait une revalorisation des carrières des maîtres d’apprentissage, mais comment permettra-t-il d’atteindre les objectifs fixés par le Président de la République en matière d’apprentissage ?
Mme Fanélie Carrey-Conte. De nombreux économistes universitaires, des syndicalistes et des politiques, dont je fais partie, considèrent qu’il serait efficace, pour lutter contre le chômage, de poursuivre et d’amplifier le mouvement de réduction du temps de travail amorcé par la gauche en 1997. Je voudrais comprendre pourquoi le Gouvernement tourne aujourd’hui le dos à cet objectif, à cette ambition, en choisissant à l’inverse de favoriser l’allongement du temps de travail, notamment en facilitant la diminution, par voie d’accords d’entreprise, du taux de majoration de la rémunération des heures supplémentaires, en facilitant le dépassement de la durée quotidienne et hebdomadaire du temps de travail ou en mettant en place les accords dits « offensifs » de maintien dans l’emploi. Pour ma part, je vois dans cette logique une véritable régression et un contresens économique et social.
Ma deuxième question concerne le référendum qui pourrait être organisé à la demande des organisations syndicales atteignant 30 % des suffrages. Il ne s’agit pas d’être hostile par principe à toute forme de référendum, mais tout dépend, on le sait, des sujets sur lesquels ils porteraient et des contextes dans lesquels ils interviendraient. Avec le texte proposé aujourd’hui, les référendums qui se tiendront demain imposeront des choix cornéliens aux salariés, par exemple entre, d’une part, une augmentation du temps de travail ou une baisse de la rémunération et, d’autre part, des suppressions d’emplois ou des délocalisations. De quelle liberté de choix les salariés disposeront-ils dans ces conditions ? Pour qu’un référendum soit vraiment l’expression de la liberté de toutes les parties, il faut une égalité entre tous et non un lien de subordination. Or, il y aura, de toute façon, un lien de subordination. Je vois donc là une régression, parmi d’autres sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir longuement dans les débats en commission et dans l’hémicycle.
M. Yves Censi. Je suis assez impressionné par le flou des objectifs du projet de loi : on a beaucoup de mal à les retrouver dans la masse des articles. Quant aux quelques droits fondamentaux énumérés à l’article 1er, tels le respect de la dignité ou la protection des données personnelles, il ne s’agit là que d’une répétition de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et celle-ci s’applique, avec ou sans votre projet de loi. En fait de droits fondamentaux, c’est un peu de l’esbroufe : ces droits fondamentaux existent déjà et sont protégés.
En ce qui concerne l’expression des convictions religieuses, je ne fais pas partie de ceux qui vous accusent de faire entrer le communautarisme dans l’entreprise, mais je suis très étonné par votre rédaction : « La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Aujourd’hui, pour restreindre le droit de manifester ces convictions, il faut que la restriction présente un lien avec la tâche à accomplir et qu’elle soit proportionnée au but recherché. Si vous avez repris la dernière condition, quel est votre but lorsque vous supprimez la première ? De même, il n’y a pas de référence à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante », formule qui figure pourtant dans le droit en vigueur.
Par ailleurs, vous indiquiez que « la loi détermine les conditions et limites dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent prévoir des normes différentes » et que, « en cas de conflit de normes, la plus favorable s’applique aux salariés si la loi n’en dispose pas autrement ». C’est d’une grande ambiguïté. Je voudrais une réponse claire : êtes-vous d’accord pour qu’un accord d’entreprise puisse être moins favorable qu’un accord de branche ?
M. Jean-Patrick Gille. Je m’interroge sur le statut des principes essentiels du droit du travail, formulés par la commission Badinter. Dans le projet de loi, ils ne forment pas un simple préambule, et sont soumis à notre délibération. L’excellent travail accompli par la commission Badinter semble satisfaire tout le monde. Gérard Cherpion et moi-même avons proposé de suivre la même démarche pour la formation professionnelle, afin d’aider tout le monde à se repérer. Cependant, si nous délibérons de ces principes, je comprends mal le statut qu’ils auront. Pour tout dire, est-il vraiment nécessaire de les inscrire dans le texte ?
Le compte personnel d’activité regroupera le compte personnel de formation, qu’il faudrait consolider mais qui marche plutôt bien, le compte pénibilité, qui a déjà un impact sur le compte personnel de formation, et un compte engagement citoyen. Son champ sera étendu aux travailleurs indépendants et même, par ordonnance, à l’ensemble des agents publics – c’est l’objet de l’article 22. Les personnes qui n’ont pas atteint un niveau de formation sanctionné par un diplôme national ou un titre professionnel enregistré et classé au niveau V du répertoire national des certifications professionnelles bénéficieraient d’une surdotation – l’alimentation de leur compte se ferait à hauteur de quarante heures par an et le plafond serait porté à quatre cents heures. Je proposerais pour ma part de porter le crédit annuel à quarante-huit heures pour les autres, mais je me demande si cela se cumule.
Cela dit, ne devrait-on pas envisager d’indiquer que le compte d’activité est un compte temps ? Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas intégrer au compte d’activité le compte épargne-temps. Ce n’est peut-être pas encore abouti techniquement, mais nous pourrions envisager une externalisation de ce compte épargne-temps, dont certains sont déjà titulaires, à la Caisse des dépôts. Dans un deuxième temps, le principe du compte épargne-temps serait généralisé, et les comptes seraient externalisés à la Caisse des dépôts. Pourrait-on avancer sur cette voie ?
M. Arnaud Viala. Parce que votre texte intervient dans une période très délicate pour les territoires, les entreprises et les salariés, parce que vous l’avez présenté dans les médias comme la panacée, il a suscité trois grands espoirs : il allait résoudre tous les problèmes du moment ; il allait permettre une vraie discussion sur le rôle et la place du travail dans notre société, sur le rôle et la place des acteurs – entreprises et salariés – les uns par rapport aux autres ; il allait enfin déverrouiller la création d’emploi en donnant de la lisibilité aux entrepreneurs. Au bout du compte, je crains qu’il ne se solde par trois grandes déceptions.
Si l’on compare la première version et celle que vous défendez aujourd’hui – et qui serait en fait la troisième –, on voit que l’on a affaire à deux textes complètement différents. Le premier recueillait l’assentiment d’un grand nombre d’acteurs. Le dernier semble faire à peu près l’unanimité contre lui – nos échanges de cet après-midi le confirment. La méthode de la négociation que vous prônez et qui est au cœur du texte révèle son échec avant même que le Parlement n’entame l’examen du projet de loi : vous venez de passer des semaines, des mois, à discuter avec les uns et les autres, et aucun consensus ne s’est dégagé !
Enfin, le calendrier de la réforme déçoit. À plusieurs reprises dans votre exposé liminaire, vous avez évoqué 2019 comme la date à laquelle nous pourrions en voir les premiers effets. Je crains fort qu’il n’y ait plus alors 4 ou 5 millions de chômeurs, mais 6 ou 7, voire 8 millions, et que nombre d’entreprises n’aient disparu des écrans radars.
Madame la ministre, pouvez-vous citer une disposition de ce texte qui marquerait une avancée pour le salarié et une autre qui marquerait une avancée pour les PME-TPE ? Et pouvez-vous indiquer par quelles mesures ce texte est susceptible de relancer l’emploi ?
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Madame la ministre, il était nécessaire de prendre, comme vous l’avez fait, le temps de la concertation, grâce auquel des mesures importantes ont pu être inscrites dans le projet de loi. Nous partageons bien sûr votre souci de la négociation collective, du dialogue social et de la protection des salariés, comme de l’accompagnement des entreprises, en particulier les PME et les TPE, et nous aurons l’occasion de faire des propositions au cours des débats pour enrichir encore le texte. Mais j’appelle votre attention sur la situation des salariés en situation de handicap. Leur taux de chômage, qui atteint 22 %, demeure deux fois plus élevé que celui des autres salariés. Ils représentent la moitié des chômeurs de longue durée, et le handicap est la deuxième cause de discrimination à l’embauche, comme le rappelait le Défenseur des droits. Nous connaissons les raisons de cette situation : un manque de qualification, l’absence de formations adaptées, des lourdeurs administratives, un manque d’accompagnement des entreprises.
Le texte comporte des dispositions de droit commun qui bénéficieront aux travailleurs handicapés, par exemple le congé de proche aidant prévu par l’article 3, le compte personnel d’activité, le compte personnel de formation, qui sera d’ailleurs abondé par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), la garantie jeunes, le droit à la déconnexion, le développement du télétravail, etc. Cela ne suffit cependant pas, il faut aller plus loin. Je voudrais, madame la ministre, que nous puissions examiner la possibilité d’un cadre national unique pour les accords handicap dans les entreprises, avec des critères d’agrément et des outils de suivi communs, mais nous aurons l’occasion d’y revenir.
M. Rémi Delatte. Votre motivation initiale, madame la ministre, nous paraissait plutôt intéressante, et nous pouvions adhérer à plusieurs points de votre projet de loi. Mais nous ne voyons pas très bien, dans cette deuxième ou troisième version, comment sera limité le « formalisme » si contraignant du dialogue social – je ne fais là que reprendre votre expression.
Nous ne voyons pas non plus en quoi ce projet de loi va mettre le droit du travail au service de l’emploi. Or c’est bien cette préoccupation qui doit rapprocher les uns et les autres. Nos entrepreneurs attendent que l’on clarifie et que l’on simplifie, ils attendent également que les contraintes soient limitées. Or, aujourd’hui, vous prenez la direction opposée. Ainsi êtes-vous revenue sur le plafonnement des indemnités prud’homales. Accepterez-vous, madame la ministre, de réintroduire ce facteur de visibilité pour l’entreprise ? Accepterez-vous également de réintroduire le forfait jour dans les PME ? Ce levier a toute sa pertinence dans les petites entreprises. Enfin, pourquoi être revenue sur la possibilité d’offrir une certaine souplesse en matière d’apprentissage, en particulier sur le temps de travail ? Cela aurait indéniablement constitué un encouragement pour l’apprentissage.
Mme Isabelle Attard. Madame la ministre, en 2015, la France est le quatrième pays au monde à avoir versé le plus de dividendes à ses actionnaires : 47 milliards de dollars ! Dans le même temps, la fraude fiscale des plus riches continue de battre des records. Selon le rapport du sénateur Éric Bocquet, c’est un montant compris entre 60 et 80 milliards d’euros qui échappent aux caisses de l’État en raison de l’évasion fiscale. Or cet argent qui manque est la justification des politiques d’austérité des gouvernements UMP puis socialiste, de cette austérité qui grippe toute l’économie de la France en vidant les carnets de commandes.
Madame la ministre, pourquoi voulez-vous que les travailleurs portent le poids des problèmes des entreprises ? Pourquoi le code du travail, qui protège la santé des travailleurs, leur vie privée, leur vie tout court, devrait-il servir de variable d’ajustement ? Vous parlez de le simplifier, et, certes, il est un peu compliqué, mais pas autant qu’on tente de le faire croire. Pourquoi une loi qui le complexifie et le rallonge ? La partie du code consacré au temps de travail fait aujourd’hui 100 pages, votre projet de loi en ajouterait une vingtaine.
Le mouvement citoyen « On vaut mieux que ça ! » a récolté des milliers de témoignages. En voici quelques-uns : « nous survivons à deux sur mon SMIC » ; « mon patron me demande de faire avorter ma conjointe » ; « régulièrement, je me brûlais chimiquement le genou » ; « on me refusait les heures supp », parce que, « tu comprends, déjà que tu es là que la moitié du temps et que tu as des congés… » ; « licencié en apprentissage pour avoir été malade » ; « elles n’arrivent même plus à crier tellement on leur a fait entrer dans le crâne qu’elles n’avaient pas le droit ». Il y a aussi, en plus de ces milliers de témoignages, des citations d’employeurs : « c’est déjà une faveur que je vous fais en vous donnant du travail » ou bien « il y en a plein d’autres derrière toi qui attendent, estime-toi heureux ! » C’est aussi cela, la réalité en entreprise, des relations déséquilibrées entre un employeur qui ordonne et un salarié qui doit obéir.
Vouloir renvoyer au niveau de l’entreprise la négociation des droits, c’est prendre le risque que des salariés sous pression acceptent de céder le peu qu’ils ont. Les salariés ont bien du mal aujourd’hui à connaître les droits que leur accorde le code du travail, et encore plus de mal à les faire respecter. Qu’en sera-t-il demain, quand ils devront apprendre de nouveaux accords d’entreprise et de branche à chaque nouvel emploi ?
Madame la ministre, dix députés du groupe écologiste demandent le retrait pur et simple de ce projet. Quant à moi, il me reste une place de disponible à dix-neuf heures dans la salle de cinéma de l’Assemblée pour voir Merci patron ! Vous êtes la bienvenue !
Mme la présidente Catherine Lemorton. Chère collègue, il existe aussi des employeurs respectueux des salariés et des entreprises dans lesquelles les choses se passent bien !
M. Jean-Louis Costes. Nous sommes tous conscients de la nécessité de réformer en profondeur le droit du travail et les relations sociales dans notre pays. Si besoin était, les 38 000 chômeurs supplémentaires enregistrés au mois de février nous le rappelleraient avec cruauté. Mais il nous faut une véritable réforme, pas une réformette ou, en l’espèce, un texte fourre-tout dont certaines dispositions peuvent même se révéler contre-productives – en ramenant de trois à un an la durée de l’expérience requise pour entrer dans les dispositifs de valorisation des acquis de l’expérience (VAE), vous risquez, par exemple, de déstabiliser notre système de formation professionnelle.
La relation entre les entreprises et l’inspection du travail doit impérativement faire l’objet d’une modernisation. L’article 28 du projet de loi donne à l’employeur d’une entreprise de moins de trois cents salariés le « droit d’obtenir une information précise et délivrée dans un délai raisonnable lorsqu’il sollicite l’administration sur une question relative à l’application d’une disposition du droit du travail ». Cela crée une insécurité juridique durant une période incertaine. Pourquoi ne pas évoluer vers la formule, désormais courante dans notre droit, selon laquelle la non-réponse de l’administration vaut acceptation implicite après un délai donné ?
Vous n’osez pas aborder directement la question de la représentativité des organisations syndicales, bien qu’elle se lise en filigrane dans votre texte. Vous avez réintroduit l’extension du mandatement, ce qui va constituer un véritable problème pour nos petites entreprises.
M. Richard Ferrand. Les articles 45 à 50 du projet de loi forment son titre VI. Dans le cadre de la lutte contre le détachement illégal ou abusif de travailleurs, ils prévoient le renforcement de diverses obligations, notamment celle de vigilance du donneur d’ordres et du maître d’ouvrage à l’égard des sous-traitants.
On ne peut que se féliciter de l’action constante qu’ont menée le Gouvernement et la majorité sur ce sujet depuis 2012, tant sur le plan européen, avec la révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, qu’au plan national, puisque les mesures qui nous sont proposées s’inscrivent dans la continuité des dispositions votées dans la loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, et dans celle du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
L’article 46 créé une contribution visant à compenser les coûts administratifs engendrés par le détachement en France de salariés par des employeurs établis à l’étranger. La contribution sera due pour tout détachement de salarié en France, son montant étant fixé par décret. Comment envisagez-vous l’articulation de cette « taxe » avec le droit européen ? Ne craignez-vous pas qu’elle puisse être considérée comme une entrave à la libre circulation des travailleurs ? En la matière, nous savons qu’il n’est nul besoin de seuil d’effectivité : la potentialité d’une entrave peut être suffisante pour que l’on juge que nos pratiques sont contraires aux règles européennes. Entendez-vous légitimer cette contribution au motif du service rendu ? Comment comptez-vous surmonter ce risque juridique au regard du droit européen ?
La Commission européenne a présenté, le 8 mars dernier, sa proposition de directive d’application de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs. L’une de ses dispositions encadre l’un des trois types de détachement : celui effectué via des entreprises de travail temporaire – on compte 33 000 travailleurs détachés en France par ce type d’entreprise. Il est ainsi proposé qu’un travailleur intérimaire soit employé aux mêmes conditions, qu’il relève d’une agence d’intérim française ou qu’il soit détaché en France par une agence transfrontalière de travail temporaire. Cela permettra de supprimer l’avantage concurrentiel issu du différentiel de coût du travail entre États membres, sachant qu’en 2011 on dénombrait 18 000 Français détachés en France via des agences d’intérim luxembourgeoises. Comment accueilleriez-vous un amendement qui viserait à transposer « par anticipation » une telle mesure ?
M. Bernard Perrut. Madame la ministre, en vous écoutant, je songeais aux 6 millions de personnes à la recherche d’un emploi, qui se battent et qui galèrent. Ce texte constitue-t-il un espoir pour eux ? Que changera-t-il vraiment ?
Je ne doute pas de votre volonté, et je constate que votre texte propose certaines évolutions. Quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, nous souhaitons évidemment tous favoriser l’emploi, permettre aux entreprises d’anticiper les mutations économiques, protéger les salariés, favoriser le dialogue social, mais aussi adapter les règles du travail aux réalités de l’activité économique. J’ose parler du besoin de « flexisécurité », thème sur lequel une mission d’information de la commission des affaires sociales de notre assemblée avait travaillé lors de la précédente législature.
La réforme du code du travail n’aura vraiment son plein effet que si la croissance et la confiance sont au rendez-vous, si l’on baisse les charges et les contraintes, et si les carnets de commandes se remplissent parce que la consommation reprend, que les marchés extérieurs se développent et que les investissements redémarrent – je pense aux coupes claires de l’État dans les ressources des collectivités locales qui ne peuvent plus investir.
Nous sommes favorables à la garantie jeunes à condition qu’elle soit assortie de critères stricts en matière de motivation et de situation. Il ne doit pas s’agir d’un droit universel sans contrepartie mais, au contraire, d’une véritable prise en compte du cas individuel de chaque jeune pour permettre son insertion et sa formation, afin qu’il soit guidé vers l’emploi.
Les emplois saisonniers concernent de nombreux jeunes. Sur 1,5 million d’emplois de ce type, les deux tiers doivent se trouver dans le secteur agricole. J’aimerais être sûr que les mesures que vous proposez en la matière vont dans le bon sens, car notre agriculture a besoin de souplesse – pensez à la cueillette des fruits ou à la viticulture…
Il est vrai qu’il existe aujourd’hui un vide juridique pour les salariés en contrat aidé des collectivités territoriales : ceux qui ont signé un contrat d’accompagnement dans l’emploi ne bénéficient d’aucune formation. Cependant, la mesure que vous proposez pour résoudre ce problème aura un coût pour les collectivités correspondant à 0,05 % de leur masse salariale. Les soutiendrez-vous ? Comment le dispositif sera-t-il mis en place ?
Il faut renforcer la formation professionnelle en apprentissage. Je salue votre volonté de compléter la liste des établissements qui pourront bénéficier de la taxe d’apprentissage : elle comprendra désormais les établissements privés sous contrat d’association avec l’État. Il faut affirmer encore plus clairement une réelle motivation à ce sujet, et mettre des moyens sur la table pour soutenir les jeunes qui choisissent cette voie.
M. Michel Issindou. Madame la ministre, votre projet de loi va dans le bon sens : celui du dialogue social, celui des textes que nous examinons depuis quatre ans dans notre commission. Il poursuit un objectif partagé par tous : redonner aux entreprises la capacité de créer de l’emploi. Il prouve que l’on peut conjuguer la nécessaire flexibilité avec la sécurité des salariés, qui est tout aussi nécessaire. Le compte personnel d’activité, tel qu’il a été enrichi ces derniers jours, le montre amplement.
Depuis quarante ans, nul n’a trouvé la solution miracle pour juguler le fléau du chômage. Si beaucoup de croyances circulent, et si ceux qui ont des réponses sont nombreux, l’immobilisme serait la pire des solutions : c’est celle que vous n’avez pas choisie.
L’article 44 est consacré à la médecine du travail, sujet sur lequel le Gouvernement m’avait confié une mission l’année dernière. J’ai constaté ses carences. Elle ne parvient pas à accomplir les tâches que le législateur lui a confiées. Sa situation continue de se dégrader : l’effectif actuel de 5 000 médecins du travail sera divisé par deux d’ici à moins de quinze ans. Sur les 30 millions de visites médicales annuelles obligatoires, seules 9 millions ont vraiment lieu. Il faut agir rapidement pour que la médecine du travail reste ce qu’elle doit être : une bonne médecine au service des salariés et de leur santé.
Il faut aussi agir davantage en matière de prévention – autant éviter que la santé ne se dégrade –, et tout faire pour maintenir dans l’emploi ceux qui le peuvent grâce au médecin du travail, en bannissant les solutions systématiques et en donnant la priorité à ceux qui en ont besoin.
Madame la ministre, je ne doute pas que, après nos travaux, votre texte trouvera une majorité pour l’adopter. Ce projet de loi est absolument nécessaire pour essayer d’en finir avec le véritable cancer que le chômage représente pour notre société.
M. Dominique Tian. Madame la ministre, je vous ai déjà alertée sur les difficultés économiques que rencontre la mission locale de la ville de Marseille. Elle traite tous les ans les dossiers d’environ mille jeunes. Les aspects financiers de la garantie jeunes ont donc retenu mon attention.
Ce dispositif ne figurait pas dans le texte initial : il a été introduit après que les jeunes sont descendus dans la rue. Le Premier ministre aurait même parlé d’une garantie jeunes universelle, mais il ne me semble pas que son financement soit prévu.
Vous souhaitez que la garantie jeunes s’applique à plus de 100 000 jeunes alors que vous n’envisagez de consacrer au dispositif que 600 millions d’euros, en appelant l’Union européenne à la rescousse par l’intermédiaire du Fonds social européen (FSE). Or nous savons que nous ne récupérons le FSE qu’avec un an et demi ou deux ans de retard – sans même compter la longueur de l’établissement des dossiers administratifs. Nous risquons donc d’avoir un problème de financement. De plus, vous avez décidé que 70 % du paiement serait effectué sur des objectifs, et 30 % sur des variables dont l’État serait le maître d’œuvre. Cela représenterait beaucoup d’incertitudes pour les missions locales qui dépendent des villes. À Marseille, le travail accompli est utile, c’est certain, mais, financièrement, nous ne pourrons pas suivre. Pouvez-vous nous rassurer sur ce sujet ?
Mme Annie Le Houerou. Les travailleurs handicapés sont les plus exposés au chômage, mais aussi au licenciement suite à une inaptitude. Pourtant, depuis la loi de 2005, nous sommes engagés dans la construction d’une société inclusive. Cela vaut pour l’école, mais également pour l’entreprise qui doit pouvoir offrir des emplois en milieu ordinaire. C’est pourquoi je souhaite, madame la ministre, que votre projet de loi fasse une meilleure place aux travailleurs handicapés – 80 % le sont devenus au cours de leur vie professionnelle. La médecine du travail doit être mobilisée pour prévenir la désinsertion professionnelle. Il faut trouver, avec les employeurs, les salariés et les partenaires, des solutions d’accompagnement dans l’emploi. L’entreprise doit être davantage sensibilisée à ces questions.
Je proposerai que votre texte prévoie de donner explicitement une nouvelle mission au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour contribuer à faciliter le maintien dans l’emploi ou l’accès à l’emploi des personnes handicapées. L’emploi accompagné dans l’entreprise, y compris par une aide humaine, doit avoir été envisagé et étudié avant que l’employeur ne se sépare d’un salarié rencontrant des difficultés d’intégration professionnelle du fait de la survenue d’un handicap. L’employeur doit tout mettre en œuvre pour maintenir dans l’emploi une personne confrontée au handicap. Ce n’est pas le cas aujourd’hui ; l’inaptitude est trop souvent proposée.
M. Philippe Noguès. Les jeunes sont inquiets, et je crains que cela ne soit à juste titre. Vous avez annoncé, le 15 mars dernier, que la garantie jeunes, dispositif visant les jeunes de moins de vingt-cinq ans en difficulté d’insertion, deviendrait un droit universel. Selon vos propos, 900 000 jeunes de moins de vingt-cinq ans sont en situation de précarité. Ils seraient donc éligibles à cette garantie jeunes. Même si tous ne la demandent pas – on voit ce qu’il en est de la prime d’activité par exemple –, le nombre de personnes potentiellement concernées resterait vertigineux, ce qui pose un certain nombre de questions. Si l’on table sur le fait que 500 000 jeunes recevraient 460 euros par mois, le coût estimé dépasserait légèrement 1,5 milliard d’euros par an. Comment le Gouvernement compte-t-il financer cette mesure ?
La garantie jeunes était jusqu’à ce jour gérée par des missions locales qui n’ont accompagné que 46 000 précaires en deux ans. Comment feront-elles, demain, face à un afflux de demandeurs sans augmentation de leurs moyens humains et financiers ? Je sais que le Gouvernement vise en réalité l’entrée dans ce dispositif de 200 000 jeunes d’ici à 2017, mais peut-on alors encore parler d’universalité, sachant que le public potentiel est de 900 000 personnes ?
Mme Bernadette Laclais. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir donné votre accord, dès votre nomination, à la poursuite des travaux que mène, sur l’initiative de votre prédécesseur, un groupe de députés et de sénateurs, concernant la question du travail saisonnier.
Le phénomène est si complexe, avec une multitude de types de contrats et de secteurs concernés, qu’il est parfois bien difficile de savoir comment il évolue. Il touche en tout cas plus particulièrement les jeunes et les femmes. Les travaux effectués relèvent généralement de métiers peu qualifiés, souvent payés au SMIC, ou à peine plus, pour des horaires atypiques. Ces emplois cumulent donc toutes les caractéristiques des emplois précaires et de mauvaise qualité, sachant que les personnes concernées rencontrent aussi des problèmes spécifiques liés au travail saisonnier comme ceux relatifs à l’accès au logement et au transport.
Le Premier ministre avait donné son accord pour que ce projet de loi permette des évolutions positives pour les travailleurs et les salariés saisonniers. Je constate que ses articles 39 et 40 reprennent en partie les préconisations que nous avons formulées, Annie Genevard et moi, dans le rapport que nous avons remis au Gouvernement, en septembre dernier, sur l’évolution de la loi montagne. Il reste toutefois encore du chemin à parcourir.
Madame la ministre, comment accueilleriez-vous une proposition concernant le contrat de travail intermittent ? Le projet de loi pourrait traiter des deux causes qui expliquent qu’il ne soit pas utilisé. Seriez-vous prête à vous prononcer positivement sur des évolutions en matière de groupements d’employeurs ? L’article 40 constitue une première étape, mais nous pouvons aller plus loin.
Il faut trouver une solution gagnant-gagnant. Les entreprises ont besoin de salariés qualifiés, de plus en plus qualifiés, y compris dans le secteur du tourisme. Pour rester leader, notre économie touristique de montagne a besoin de salariés formés et « stabilisés ». Les salariés, de leur côté, ont besoin de sécurité. Comment être efficace dans son travail lorsque de multiples contraintes et incertitudes pèsent sur sa vie personnelle et professionnelle ?
M. Jean-Pierre Door. Madame la ministre, l’attente créée par votre projet de loi ne doit pas être déçue si nous voulons relancer une dynamique de création d’emplois. Vous le disiez d’ailleurs vous-même en visitant, la semaine dernière, l’usine Toutenkamion de Ladon, dans ma circonscription.
Votre projet de loi était ambitieux, dans sa première version. Il va indéniablement dans le bon sens, car il est susceptible de faire bouger les lignes sur le front de la création d’emplois. Il faut cependant parvenir à se placer loin des postures politiques et des contraintes d’appareil. J’espère que l’intérêt collectif va redevenir le centre de nos discussions. Pour une fois, l’opposition ne vient pas d’où vous l’auriez attendue ! J’espère que le climat redeviendra serein dans votre majorité et que nous pourrons avancer ensemble avec ce projet fondamental pour l’avenir.
Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Madame la ministre, vous avez affirmé que votre texte avait pour objectif de renforcer le dialogue social. On peut toutefois se demander si la modification de l’article L. 2232-12 du code du travail relatif aux conditions de signature d’un accord collectif – qui semble s’inspirer de ce qui s’est produit à la FNAC pour l’ouverture du dimanche – n’aura pas pour conséquence un recul du poids des organisations syndicales.
Le vingt-sixième des principes essentiels du droit du travail cités dans l’article 1er du projet de loi est ainsi rédigé : « Tout licenciement doit être justifié par un motif réel et sérieux. » Ce motif sera-t-il toujours contrôlé par un juge, ou le Gouvernement compte-t-il dresser une liste des motifs qui seront considérés par avance comme « réels et sérieux », comme cela est déjà le cas pour les accords de mobilité ? Quel sera le pouvoir du juge sur le contrôle du motif du licenciement ?
Le vingt-neuvième principe prévoit notamment que « le licenciement est précédé d’un préavis d’une durée raisonnable ». Pourquoi ne pas maintenir les délais de préavis déjà prévus par la loi ? Ce délai est indispensable pour que le salarié retrouve un emploi et prenne certaines dispositions.
M. Philip Cordery. Madame la ministre, je me félicite des avancées récentes de ce texte et de la capacité de dialogue dont vous avez fait preuve, que ce soit avec les partenaires sociaux, les organisations de jeunesse ou les parlementaires. Il dessine aujourd’hui les contours d’une flexisécurité à la française qui permet d’allier une souplesse encadrée, un renforcement des droits des salariés et un dialogue social assumé.
Ce texte crée de nouveaux droits et permet de faire de nouveaux progrès. Je pense à la garantie jeunes, au droit du salarié à la déconnexion, aux évolutions en matière de détachement de travailleurs, mais aussi, évidemment, au compte personnel d’activité qui en constitue le cœur.
Le CPA donnera aux salariés une véritable sécurité dans leur parcours professionnel. Il leur permettra de mieux passer d’un emploi à un autre, en particulier grâce aux droits à la formation et à la fongibilité. Je m’interroge néanmoins sur son périmètre. Pensez-vous que, au cours du débat, nous pourrons l’élargir au compte épargne-temps et aux droits à congé afin de renforcer les possibilités de formation des salariés ?
Il est également essentiel que l’accompagnement soit personnalisé pour que ceux qui sont le plus loin de l’emploi puissent en bénéficier.
Seule la visibilité pourra créer les vraies conditions de l’appropriation du dispositif par les salariés. Le portail en ligne du CPA doit être le plus clair possible. Une carte, du type carte Vitale, pourrait permettre à chaque salarié de connaître les droits attachés à son compte.
La mobilité étant aussi européenne, il faudra également faire en sorte que les droits restent acquis aux salariés, notamment les droits à la formation, lorsqu’ils partent travailler dans un autre pays de l’Union européenne. Ce sujet sera au cœur du rapport d’information sur le projet de loi, que je présenterai mardi prochain devant la commission des affaires européennes.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame la ministre, je souhaite à mon tour vous interroger, sur la définition du motif du licenciement économique telle qu’elle est précisée à l’article 30. Les difficultés économiques y sont en effet « caractérisées » soit par divers indicateurs précis et chiffrés – baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie –, soit par « tout élément de nature à justifier de ces difficultés ». Il me semble que l’on peut tout mettre dans cette dernière formule pour justifier un licenciement. Je souhaiterais avoir un éclaircissement sur ce point.
Mme la ministre. Vous me permettrez de faire une remarque d’ordre général avant que je ne réponde à vos questions. Le code du travail est épais parce que nous avons tenté de nous adapter à la multiplicité des besoins qui émergeaient sur le terrain – les dérogations étaient d’ailleurs souvent demandées par la partie patronale. Je crois que ce système est aujourd’hui à bout de souffle.
Avoir confiance dans la négociation, en réaffirmant le rôle de la branche et celui de l’entreprise, ce n’est absolument pas donner un chèque en blanc aux entreprises. C’est avoir conscience qu’il faut trouver au plus près du terrain, avec les représentants légitimes des salariés que sont les syndicats, les moyens de s’adapter. L’acte de confiance se fait à la fois en direction des organisations syndicales, des salariés et des chefs d’entreprise.
Combien de fois entendons-nous dire qu’une entreprise n’a pas pu répondre à un pic d’activité ou à une grosse commande ? Aujourd’hui, il n’existe que des solutions de contournement. On contourne en faisant appel aux travailleurs détachés ou aux indépendants, en ayant recours à l’intérim de façon massive, en donnant la préférence à la signature d’un CDD, même si cela coûte beaucoup plus cher, plutôt qu’à un recrutement en CDI parce que l’on pourrait perdre un client ou un contrat dans les huit mois à venir. Voilà la réalité que je me suis attelée à traiter dans ce projet de loi !
Ma vision du dialogue social n’est ni naïve ni béate : je ne considère pas que le salarié se trouve à égalité face à son employeur. J’ai pleinement conscience que cette relation est déséquilibrée. Mais parce que j’ai confiance dans le dialogue social, je sais que les militants syndicaux sont accompagnés et formés par des structures, je sais qu’ils sont défendus par le collectif, tout comme les salariés. Cette cohérence est au cœur de ce projet de loi qui renforce la formation et la position des acteurs du dialogue social. Je le répète : ce texte n’est pas un chèque en blanc donné aux entreprises.
En France, seulement 18 % de la population fait confiance aux représentants syndicaux – cette proportion descend à 11 % s’agissant du personnel politique. Je ne veux pas dénigrer les corps intermédiaires : toute démocratie en a besoin. C’est pour cela que le projet de loi ne laisse en aucun cas le salarié seul à l’employeur. Il renforce les acteurs du dialogue social.
Notre droit est protecteur, et on ne peut que s’en réjouir. La santé et la sécurité au travail restent évidemment des piliers de notre droit. Mais nous perdons des postes dans l’industrie depuis le deuxième trimestre de 2001 : en quoi nos protections ont-elles évité des licenciements dans l’industrie ? Comment l’Allemagne a-t-elle surmonté la crise de 2008 ? Elle a d’abord eu recours à l’activité partielle. Nous pouvons être fiers d’avoir porté la réforme de l’activité partielle en 2013 : nous avons rejoint l’Allemagne sur ce plan. Elle a aussi été en mesure de moduler, d’introduire de la souplesse en matière de travail. Résultat : en Allemagne, les salariés travaillaient à temps partiel et bénéficiaient de formations, alors qu’en France on licenciait. La reprise économique venue, les Allemands disposaient d’une main-d’œuvre qualifiée et toujours en poste ; ce n’était pas notre cas.
Je suis convaincue que la démarche que nous adoptons est la bonne. Je suis convaincue que, pour lever les blocages, nous devons trouver de nouvelles formes de régulation sociale qui passent par un dialogue social au plus près de l’entreprise. Dès lors que le droit actuel s’applique si aucun accord n’est signé, quel risque prend-on en essayant de conclure un accord ? C’est, en quelque sorte, un aveu de faiblesse de refuser que la négociation ait lieu au plus près de l’entreprise. Je crois aux organisations syndicales et en leur pouvoir en matière de négociation. C’est cela qui se joue aujourd’hui.
Certains syndicats considèrent que nous sommes à la croisée des chemins en matière de dialogue social. C’est vrai, et ce texte leur permet justement de redonner du sens au dialogue social et de renforcer leur légitimité. C’est pour cela qu’il s’agit à mes yeux d’un projet social-démocrate complètement assumé.
Je sais très bien ce qui se passe chez nos voisins européens. Je rencontre mes homologues. Nous ne proposons ni le contrat zéro heure ni les mini-jobs à l’allemande. Ce n’est pas cela, notre projet ! Nous proposons au contraire un renforcement du dialogue social pour mieux nous adapter à la demande. Bien sûr, l’embauche passe par un carnet de commandes rempli, mais il faut traiter la réticence à signer des CDI, qu’elle soit fondée sur des faits réels ou des éléments ressentis. En tant que ministre du travail et de l’emploi, je souhaite la traiter.
Monsieur le rapporteur, madame Le Callennec, les partenaires sociaux ne seront pas membres de la commission de refondation, dont le rôle sera de fournir une expertise au Gouvernement et non de négocier une réforme du droit du travail. Ils seront néanmoins très étroitement et concrètement associés à ses travaux. C’est à la fois une question de principe et une nécessité, puisque la réforme donnera une place sans précédent à la négociation, ce qui va dans le sens du rapport Combrexelle.
À ce sujet, sachez que j’ai non seulement lu l’article L. 1 du code du travail, mais que je l’ai appliqué ! Le 16 septembre dernier, j’ai demandé par courrier à l’ensemble des partenaires sociaux s’ils souhaitaient ouvrir une négociation sur les suites au rapport Combrexelle. Comme ils ne l’ont pas souhaité, nous avons mené des concertations bilatérales avec chacun d’entre eux.
Les partenaires sociaux ont toujours été associés à toutes les grandes réformes en matière de travail et d’emploi. J’ai mené une concertation avec eux sur l’intégralité du projet de loi. Certains arbitrages ayant été rendus tardivement, l’article relatif aux licenciements économiques n’était pas encore sur la table lors de cette première phase. Nous avons déjà reconnu qu’il avait manqué un temps d’explication, d’autant que des fuites avaient eu lieu dans la presse – je me souviens que M. Gérard Cherpion a été fort mécontent de découvrir le texte du projet de loi dans Le Parisien.
Les partenaires sociaux seront donc évidemment associés au travail de la commission de refondation. Je souhaite aussi qu’elle puisse accueillir en son sein des personnalités ayant un passé de syndicaliste, mais également des chefs d’entreprise. Sa composition n’aura rien à voir avec celle du comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail, présidé par M. Robert Badinter, dont les membres étaient des juristes.
Il est vrai que les soixante et un principes dégagés par le comité Badinter ont été établis à droit constant. À l’instar de M. Jean-Denis Combrexelle, plusieurs voix ont toutefois fait remarquer que leur insertion en tête du code du travail présentait un risque en termes de sécurité juridique au regard du nombre de textes en vigueur. Nous avons en conséquence souhaité ne pas en faire un préambule du code tout en nous assurant qu’ils guideraient le travail de la commission de refondation. Certains d’entre vous m’interrogent sur l’opportunité de les inscrire dans la loi. Il vous revient de prendre une décision en la matière, et il ne me revient pas de donner des injonctions au législateur.
Devrions-nous attendre les retours d’expérience pour généraliser les accords majoritaires ? Dès lors que nous élargissons l’objet des négociations, il est à mon sens essentiel d’affirmer le principe majoritaire qui garantit que les accords sont fondés sur un consensus large. Aujourd’hui, personne n’est dupe : tout le monde sait que l’on peut moduler le temps de travail sur la base d’un accord signé par des organisations syndicales représentant 30 % des salariés. Demain, ce ratio passera à 50 %. Les accords pourront ainsi être plus ambitieux en termes de contenu et plus efficaces dans leur mise en œuvre. Je tiens en conséquence à ce que le principe majoritaire soit inscrit dans la loi. Il s’agit d’une garantie apportée aux salariés et d’une évolution majeure.
J’entends cependant ceux qui s’inquiètent qu’une telle disposition puisse bloquer le dialogue social. Nous avons déjà prévu qu’elle s’applique, dès l’entrée en vigueur de la loi, pour les accords collectifs qui portent, par exemple, sur la durée du travail, les repos et les congés, mais, seulement à partir du 1er septembre 2019 pour ceux qui concernent une série d’autres sujets.
Le Premier ministre s’est engagé à présenter le bilan d’étape que vous réclamez à juste titre. Il sera présenté avant la généralisation du dispositif, et je suis évidemment prête à ce que cette précision soit apportée dans la loi.
Quant à la portabilité des droits acquis par le salarié et inscrits sur son CPA, elle sera pleine et entière grâce à ce dispositif : qu’il change d’emploi ou même de statut, ils lui seront conservés tout au long de sa carrière professionnelle. Aujourd’hui, la portabilité ne concerne que le secteur privé. Elle sera étendue aux travailleurs indépendants et aux travailleurs des plateformes collaboratives pour lesquels le droit à la formation sera ainsi ouvert dès 2018. Le principe de la portabilité fera l’objet d’un article dans le code.
S’agissant de la fongibilité des droits ouverts sur un CPA, nous voulons surtout que la personne titulaire décide elle-même de les exercer ou non. Cette capacité de décision sera augmentée. Les droits acquis pourront être utilisés pour de la formation, mais aussi pour de la validation des acquis de l’expérience ou de l’appui à la création d’entreprise, grâce à un soutien en management, en comptabilité ou au financement d’un bilan de compétences. Le nouvel espace numérique qui sera mis en place facilitera la conversion des droits inscrits sur le compte pénibilité en droit à la formation.
Qu’en est-il des agents publics, pour que le CPA soit réellement universel ? Je suis naturellement cette question avec ma collègue Annick Girardin. Il s’agit d’une revendication des syndicats, et nous devons nous donner le temps de la concertation. En l’occurrence, la fonction publique ne part pas du même point que le privé : elle n’a pas de compte personnel de formation (CPF), la question des parcours professionnels ne se pose pas pour elle dans les mêmes termes, elle bénéficie de la garantie de l’emploi et le statut des fonctionnaires garantit déjà la portabilité de certains droits d’une fonction publique à l’autre. L’article d’habilitation contenu dans le projet de loi prend en compte le temps nécessaire de la concertation avec les syndicats, pour que, d’ici à la fin de la législature, la portabilité des droits des salariés soit également garantie, qu’ils passent du secteur privé au secteur public ou du secteur public au secteur privé.
En ce qui concerne les accords pour favoriser l’emploi prévus dans ce projet, ils sont très différents des accords de maintien dans l’emploi prévus par l’accord national interprofessionnel (ANI) de sécurisation de l’emploi ; il est normal qu’ils obéissent à d’autres règles. Les accords de maintien dans l’emploi s’adressent aux entreprises qui sont confrontées à des difficultés économiques importantes. Plutôt que de supprimer des emplois, elles peuvent, dans le cadre de ces accords, recourir à la flexibilité interne. Le licenciement du salarié qui refuse le contenu de l’accord est un licenciement économique, la loi prenant en compte l’absence de plan de sauvegarde de l’emploi ou de l’obligation de mettre en place des mesures de reclassement.
Les accords pour développer l’emploi vont quant à eux s’appliquer à toutes les entreprises, qu’elles soient ou non en difficulté, hors du cadre des licenciements pour motif économique au sens juridique. Ces accords créent donc un licenciement sui generis qui ne sera analysé ni comme un licenciement pour faute ni comme une démission, comme en Allemagne. Nous ne voulons pas sanctionner un salarié, mais plutôt prendre acte d’un compromis collectif qui a été trouvé. Le dispositif est le même que celui qui avait été prévu par la loi Aubry sur l’aménagement du temps de travail. Dans le cadre de ce licenciement sui generis, le salarié conserve ses droits à indemnité de licenciement comme ses droits à l’indemnisation chômage.
Vous m’avez interrogée sur l’ampleur de la baisse minimale évoquée à l’article 30 relatif aux licenciements économiques. La définition de l’ampleur de cette baisse minimale est bien sûr assez délicate, monsieur le rapporteur. Quelle ampleur doit-on fixer dans la loi ? Nous avons pensé la qualifier simplement de « significative », mais une baisse, même peu importante, de chiffre d’affaires, ou une perte d’exploitation peut déjà être parfois le signe d’une détérioration de la situation économique de l’entreprise, l’incitant à réagir vite pour éviter d’être défaillante. Introduire le terme « significatif » ne ferait naître que de l’insécurité juridique, alors que la loi veut au contraire clarifier.
Je crois en revanche qu’il faut envisager une différenciation des critères économiques, selon qu’ils s’appliquent aux TPE et PME ou aux grandes entreprises. Car les employeurs des TPE et PME n’ont pas recours aujourd’hui au licenciement pour motif économique, pourtant plus protecteur du salarié, et n’utilisent pour ainsi dire que le licenciement pour motif personnel. C’est pourquoi cette précision est importante à apporter.
Vous m’avez interrogée aussi sur l’article 28 et les aides accordées aux TPE et PME, en particulier les services d’information dédiés. Je suis tout à fait favorable à votre approche opérationnelle de cette question. Des cellules d’information et d’appui aux TPE leur apporteront leur aide sur toute question relative au droit du travail et sur la manière d’accéder à un dispositif d’emploi. Elles ne connaissent en effet pas toujours les dispositifs existants, par exemple en matière de temps partiel. Après les attentats, grâce aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), d’intenses démarches ont été menées auprès d’entreprises des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, comme de l’événementiel et du secteur touristique ; au bout d’une semaine, les entreprises se sont emparées enfin de ces dispositifs, qu’elles connaissaient mal a priori.
Le coût de l’embauche fait l’objet d’une même méconnaissance, en témoigne celle de la nouvelle aide en faveur des TPE et PME. Dans le cadre du conseil de simplification, nous travaillons en ce moment à un simulateur du coût de l’embauche. C’est essentiel pour ces entreprises, qui ne disposent pas d’armées d’experts.
En tout état de cause, ces cellules ne se substitueraient pas aux DIRECCTE, mais compléteraient leur travail en s’appuyant sur les chambres consulaires, sur les branches et sur les commissions paritaires régionales. Naturellement, il reviendra aux travaux parlementaires d’apporter des améliorations ou des ajustements. Pour ma part, j’appelle de mes vœux un environnement plus simple et plus sûr pour les TPE et PME.
Vous m’avez interrogée, madame Iborra, sur la publicité des accords passés. Elle sera en effet prévue, sauf lorsque employeurs et salariés estiment qu’ils doivent rester confidentiels. Je suis, comme vous, favorable à une réelle transparence, dès lors qu’il est fait plus de place à la négociation collective.
S’agissant de la formation des acteurs du dialogue social, elle sera renforcée. Des formations conjointes aux représentants des salariés et aux représentants des employeurs auront lieu. Prévues par le projet de loi, de telles formations pourront être en outre financées sur le budget de fonctionnement du comité d’entreprise.
Quant au CPA, il n’est pas seulement destiné aux décrocheurs, mais à tous les jeunes, et même à tous les actifs en général, dès l’âge de seize ans. Vous avez eu raison de m’interroger en ce sens. Le compte engagement permettra aux jeunes diplômés qui s’engagent dans le service civique de bénéficier d’un abondement.
Je connais les difficultés des décrocheurs et je sais que la formation professionnelle ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin. Oui, je m’efforce d’abonder le CPA en direction des demandeurs d’emploi et des jeunes les moins qualifiés, qui connaissent des difficultés à entrer sur le marché du travail. Il faut faciliter le développement de l’emploi durable. Les économistes Jean Tirole et Philippe Aghion mettent l’accent sur la nécessité de lever les incertitudes liées aux contentieux nés de la rupture de CDI, pour ouvrir l’emploi aux catégories les plus précaires, comme les jeunes ou les femmes. Certes, d’autres économistes sont d’un autre avis ; il n’y a pas d’unanimité ici non plus. Cette incertitude à embaucher en CDI doit être traitée. Apporter de la clarté, ce n’est pas faciliter le licenciement, mais mieux définir ce que recouvre la notion de « difficultés économiques ».
L’apport des maîtres d’apprentissage sera reconnu à travers l’abondement des comptes engagement.
Messieurs Cherpion et Richard, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a toujours associé les partenaires sociaux aux grandes réformes. Le 16 septembre 2015, après la remise du rapport Combrexelle, j’ai adressé une lettre à tous les partenaires sociaux pour les inviter à négocier. Comme ils ne le faisaient pas, le Gouvernement a repris la main. Le Premier ministre a indiqué en novembre les grandes orientations du texte, sur la base desquelles mon ministère a travaillé pour élaborer le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui. Entre septembre et février, j’ai reçu à plusieurs reprises les numéros un des organisations tant patronales que syndicales ; ils pourront en témoigner. L’article L. 1 a donc été respecté, comme l’a souligné le Conseil d’État dans son avis, dont je vous invite à prendre connaissance.
Des négociations intenses ont eu lieu ces dernières semaines, tant à mon niveau qu’au niveau du Premier ministre et auprès d’Emmanuel Macron. Le projet de loi en est sorti amélioré et plus équilibré. Sans cette phase d’écoute, nous aurions été acculés à un retrait. En quinze jours, nous avons regagné de la confiance. Certes, ce texte de compromis ne recueille pas l’unanimité, mais les organisations syndicales majoritaires et des organisations de jeunesse ont salué son dépôt. Il est important de le souligner.
Monsieur Richard, vous avez évoqué la question du calendrier des travaux de la commission de refondation du code. Le Conseil d’État a souhaité enlever cette mention, estimant qu’il s’agirait d’une injonction que se donnerait le législateur à lui-même, ce qui serait inconstitutionnel. S’il n’y a pas de calendrier prévu dans le corps de la loi, son exposé des motifs contient cependant des indications très claires à ce sujet. Le Gouvernement s’y tiendra, soyez-en assuré.
Des mesures seront prises pour renforcer les syndicats. Les accords sur la flexibilité ne pourront être passés sans recours à la négociation ; les syndicats seront ainsi plus écoutés et auront plus de poids. De même, nous généralisons les accords majoritaires, ce qui rééquilibrera également les choses en leur faveur. Les délégués syndicaux bénéficieront d’une hausse de 20 % de leur décharge, tandis que la formation des négociateurs et des représentants du personnel sera renforcée ; de même, nous protégerons davantage les bourses du travail.
Cette démarche s’inscrit dans la lignée de lois déjà votées depuis 2012, telles que la loi d’août 2015 sur l’emploi et le dialogue, qui renforce les moyens des représentants du personnel dans les entreprises et a créé, notamment, une garantie de non-discrimination salariale pour les syndicalistes.
Quant au budget alloué à la garantie jeunes, la dernière loi de finances a prévu 256 millions d’euros en crédits de paiement supplémentaires, pour faire face à l’extension de cette garantie, 100 000 jeunes étant entrés dans ce dispositif d’ici à la fin 2016. Si 150 000 jeunes y entraient d’ici à la fin 2017, cela représenterait un coût de 600 millions d’euros. L’État et l’Union européenne continueront à le supporter, la garantie européenne à la jeunesse finançant une part de la garantie nationale.
Madame Attard, l’analyse d’Eurostat de 2013, reprise par la Cour des comptes dans son rapport de décembre 2015, évoque 750 000 jeunes NEET, qui ne sont ni étudiant, ni employé, ni stagiaire. Ces jeunes ne sont pourtant pas tous en grande précarité, ce qui limite le nombre de ceux qui entrent dans la garantie jeunes. En outre, tous ceux qui peuvent y entrer n’acceptent pas forcément un dispositif d’accompagnement intensif. Pour eux, nous prévoyons plusieurs niveaux dans la loi : le retour à la formation initiale, tout jeune ayant le droit de se voir payer l’accès à un premier niveau de qualification ; d’autres dispositifs sont également mis en œuvre par la garantie jeunes, tels le contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS) ou les emplois d’avenir. Le droit universel de la garantie jeunes vise à garantir que tout jeune en situation de précarité qui a le droit d’entrer dans ce dispositif puisse réellement le faire, s’il est volontaire et motivé, et qu’il appartient à la catégorie des NEET.
La garantie jeunes n’est pas une allocation, mais un contrat donnant-donnant qui prévoit l’accompagnement intensif de quinze jeunes, sous une forme collective, par deux intervenants des missions locales pendant six semaines. Il est l’occasion de faire un point sur ce qu’ils souhaitent faire, sur la voie dans laquelle ils voudraient s’engager, vers quelle orientation professionnelle. Ce dispositif, qui comporte une semaine de mise en situation professionnelle, est véritablement du cousu main. C’est ce qui promet des effets efficaces sur l’emploi. Dès le 1er janvier 2017, tout jeune qui remplit les critères de la garantie jeunes devra pouvoir bénéficier de ce dispositif.
S’agissant des fonds européens, nous travaillons avec la Caisse des dépôts et consignations pour étudier comment elle pourrait avancer des crédits, nous mettant à l’abri des fluctuations de paiement, notamment sur les écoles de la deuxième chance ou certaines missions locales en difficulté. Un comité scientifique travaille sur l’évaluation de la garantie jeunes sur tout le territoire ; il rendra ses conclusions d’ici au mois de juin. D’ici à la fin 2016, elle sera disponible dans 80 % des missions locales.
Chaque mission locale recevra 1 600 euros par jeune accompagné dans le cadre de ce dispositif. Rappelons qu’entre 100 000 et 200 000 jeunes, ou même davantage, pourront y accéder. Les moyens des missions locales seront donc renforcés, de façon qu’elles puissent recruter le personnel nécessaire à la mise en place de ce dispositif. Nous traitons d’ailleurs la question des locaux nécessaires à leur accueil, dans sa dimension collective. Tout sera prêt d’ici au 1er janvier 2017. L’Union nationale des missions locales (UNML) s’est déjà déclarée prête, si des moyens renforcés lui sont alloués, comme je m’y engage.
Monsieur Cavard, j’apprécie votre état d’esprit, certes sans concession, mais constructif. Le CPA doit assurer la continuité avec les lois déjà votées, notamment s’agissant du CPF. Tel est du moins le souci qui m’anime.
Mme Orliac, vous vous êtes inquiétée du renvoi à la norme supplétive. Que faut-il appliquer s’il n’y a pas d’accord ? Il paraît plus rassurant, y compris pour les salariés et pour les syndicats, de prévoir que ce sera le droit supplétif. Quant au départ opéré entre loi et règlement pour définir ce dernier, le projet de loi se calque sur l’équilibre actuel. Un droit supplétif sera de toute façon défini, que ce soit par la loi ou par le décret.
S’agissant de la laïcité, elle ne s’applique pas aujourd’hui au monde de l’entreprise. Je suis ouverte à une réécriture de l’article, mais je souligne que, loin de favoriser le communautarisme religieux, il reprend au contraire le droit constant. Nous sommes en train d’élaborer, avec les partenaires sociaux, un guide du fait religieux en entreprise, rédigé tant du point de vue des employeurs que du point de vue des salariés ; il faudra par exemple débattre de la question des règlements intérieurs. Rappelons toutefois à nos concitoyens que la laïcité en entreprise n’existe pas aujourd’hui, du moins en tant que principe.
Madame Fraysse, vous ne pouvez pas dire que le projet de loi vise à faciliter les licenciements. Ce serait d’ailleurs absurde, et assez paradoxal, pour une ministre de l’emploi, de proposer une telle mesure. Il s’agit seulement de donner une meilleure visibilité aux salariés et aux entreprises sur les cas dans lesquels, en raison de difficultés économiques, il peut être mis fin au contrat de travail. Nous précisons ce que peuvent être des difficultés économiques ; nous n’ajoutons pas de nouvelles formes de licenciement économique.
Certes, vous pouvez ne pas être d’accord, mais nous avons retenu le critère de quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d’affaires. Sur cette question, le droit, largement issu de la jurisprudence, n’est pas clair. Il est pourtant légitime que les chefs d’entreprise demandent des règles claires en ce domaine. À défaut, les TPE et PME préfèrent ne pas embaucher en CDI. Les premières victimes en sont les salariés en butte à la précarité, alternant périodes d’intérim, contrats courts et périodes de chômage. C’est pourquoi nous reprenons la jurisprudence de la Cour de cassation pour définir, dans la loi, ce qu’est la motivation d’un licenciement économique. Rappelons d’ailleurs que le licenciement économique ouvre au salarié plus de droits qu’un licenciement pour motif personnel ou une rupture conventionnelle.
Il est faux de dire que le projet de loi inverse la hiérarchie des normes. Cela signifierait que les accords, ou même le contrat de travail, seraient l’outil de la régulation du droit commun, sur lequel ils auraient prééminence. Il n’en est rien. Mon projet de loi ne laisse pas employeur et salariés seuls face à face. La loi continuera à protéger le salarié. Elle fixe ce qui relève d’elle-même ou de la négociation d’entreprise ; le champ des accords ne pourra être élargi que dans la mesure où la loi le permet. S’il n’y a pas d’accord, le droit actuel s’appliquera. Nous réaffirmons également le rôle des branches et des accords qu’elles passent. Ils sont essentiels sur des sujets comme la durée minimale du travail, notamment en temps partiel, les qualifications, les salaires, la protection sociale complémentaire, la lutte contre le dumping social… Les accords de branche continueront de l’emporter sur les accords d’entreprise en ces matières. D’ailleurs, ils pourront moduler le temps de travail sur une période plus longue qu’une année.
Nombre d’entre vous ont critiqué la consultation des salariés. Je souligne qu’elle ne peut avoir lieu qu’à la demande des syndicats. Il est donc impossible de les contourner ; c’est même un moyen de les renforcer. Le chef d’entreprise ne peut recourir de lui-même à cette consultation, qui doit être demandée par des organisations syndicales représentant 30 % des salariés. Elle peut offrir le moyen de surmonter un blocage. Le niveau de 30 % est celui qui est retenu pour la signature d’un accord. Même les modalités de la consultation font l’objet d’un accord avec les syndicats ; elle peut les relégitimer. Certains y sont d’ailleurs favorables – mais il n’y a pas unanimité, ni chez les syndicats ni chez les employeurs, sur l’ensemble du projet de loi.
J’en viens à la majoration des heures supplémentaires. Monsieur Sebaoun, un accord d’entreprise peut aujourd’hui fixer un taux de majoration de 10 % des heures supplémentaires, inférieur à celui que l’accord de branche a prévu, si celui-ci n’a pas entendu verrouiller lui-même ce taux. Concrètement, sur les cinquante branches les plus importantes – celles qui sont suivies dans le cadre du pacte de responsabilité –, il n’y en a que cinq où les accords d’entreprise peuvent réellement prévoir un taux de majoration inférieur à celui qui est prévu par l’accord de branche. Pourtant, un taux de majoration élevé peut être insoutenable pour des TPE, leur interdisant de recourir aux heures supplémentaires.
Le projet de loi vise à remédier à cette situation en prévoyant que les accords d’entreprise fixent, comme aujourd’hui, le taux de majoration des heures supplémentaires, tout en garantissant aux salariés une majoration minimale de 10 %. Quand un taux de 25 % est applicable, comme dans les grandes entreprises, il ne faut pas s’attendre à ce que les syndicats signent des accords au moins-disant. Mais, dans les TPE et PME, le projet de loi ouvrira des possibilités nouvelles de recourir aux heures supplémentaires, alors que, aujourd’hui, elles ne le peuvent pas.
En quoi cette loi créera-t-elle de l’emploi ? Elle s’inscrit dans la lignée de celles qui ont été adoptées depuis le début du quinquennat. Elle vise à renforcer la compétitivité de notre économie et sa capacité d’adaptation au plus près du terrain. En donnant plus de clarté aux entreprises, elle donnera de l’emploi durable. Vais-je m’engager sur des chiffres de création d’emplois à deux mois ou à trois mois ? Certes non. Il y a d’une part des mesures conjoncturelles, telles que le plan « 500 000 emplois », la baisse du coût du travail à travers le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) dans le cadre du pacte de responsabilité et l’aide à l’embauche dans les PME. Il y a d’autre part des mesures structurelles dont notre pays a besoin et qui produiront des effets à moyen terme. Je ne vais pas m’engager devant nous sur le nombre d’emplois qui seront créés. Mais, en tout état de cause, cette loi favorisera l’emploi, en permettant davantage de souplesse et une meilleure adaptation, par la négociation, à un contexte économique changeant. Elle pourra permettre d’éviter le recours au détachement des travailleurs, en offrant par exemple plus de modulation du temps de travail. Elle sera ainsi favorable tant à la compétitivité de notre économie qu’à l’emploi.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), qui fait partie du compte personnel d’activité, est pour moi une avancée sociale importante. Nous sommes en train de travailler avec l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (ANACT) sur certains référentiels de branche, notamment dans l’agriculture, ainsi que sur les incidences de la transposition de la directive européenne relative à la valeur limite d’exposition professionnelle pour la filière bois.
Monsieur Vercamer, vous m’avez interrogée sur la flexisécurité. Toute la philosophie de ma loi consiste à concilier flexibilité et sécurité. Je crois qu’il est possible de renforcer la capacité d’adaptation de nos entreprises tout en garantissant des droits aux salariés. Poser le principe qu’en l’absence d’accord, le droit actuel s’applique, voici une des garanties que nous apportons. Donner au salarié la capacité d’être acteur de son parcours professionnel et d’activer ses droits tout au long de sa carrière à travers le CPA, voici un droit nouveau que nous instaurons, qui correspond à une réalité vécue. Nous savons bien en effet que notre pays n’est pas bon en matière de reconversion professionnelle ou de formation professionnelle, laquelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin. La convention de l’assurance chômage est un autre élément de sécurité pour les salariés. Une négociation est en cours : comme elle relève, par définition, des partenaires sociaux, je ne peux rien en dire, mais je reste vigilante. Les dispositions concernant le niveau d’indemnisation tout comme la durée d’indemnisation contribuent également à améliorer la sécurité.
Mesures structurelles et mesures conjoncturelles sont liées et participent à l’élaboration d’une flexisécurité à la française – je dis « à la française », car mon but n’est pas de copier des modèles étrangers. Le taux de syndicalisation n’est pas aussi important qu’ailleurs dans notre pays. Nous ne connaissons pas de syndicalisme de services. Faut-il pour autant se contenter d’un taux de confiance dans les syndicats de 18 % ? Je ne le crois pas. En ouvrant le champ de la négociation, nous renforcerons la légitimité des acteurs.
Monsieur Lurton, je vais vous dire en quoi nous aidons les TPE et les PME. Tout d’abord, j’insisterai sur les accords types de branche, qui sont négociés au niveau de la branche et applicables directement. Comme il existe 700 branches, je conçois fort bien qu’il soit difficile de se figurer leurs résultats. Je suis toutefois persuadée qu’ils seront essentiels pour les TPE et les PME.
Par ailleurs, le projet de loi permet d’élargir le champ de la négociation avec les salariés mandatés. Je sais la crainte que soulève chez certains ce salarié mandaté : ils ont peur d’une incompatibilité culturelle. Que les choses soient claires : ce n’est pas un militant syndical qui va débarquer dans une entreprise qu’il ne connaît pas ! Ce mandat est donné par une organisation syndicale à un salarié de l’entreprise. Le regard des organisations patronales sur le mandatement sera sans doute appelé à changer.
Autre mesure : nous donnons concrètement la possibilité de moduler le temps de travail non plus sur vingt-huit jours, mais sur neuf semaines. Cela correspond à un besoin exprimé sur le terrain.
Enfin, nous voulons permettre aux entreprises appartenant à des groupements d’employeurs de bénéficier d’aides auxquelles elles seraient éligibles si le nombre de leurs salariés était seul pris en compte. C’est le cas, par exemple, des aides à l’embauche destinées aux PME.
Madame Khirouni, s’agissant du temps partiel, je dois vous dire que le projet de loi ne revient absolument pas sur l’avancée introduite par la loi relative à la sécurisation de l’emploi qu’a été l’instauration d’une durée minimale hebdomadaire de travail de vingt-quatre heures. Il n’y a pas de changement : à défaut d’accord de branche étendu, c’est la règle des vingt-quatre heures qui s’applique. De la même manière, le projet de loi ne modifie pas la rémunération des heures complémentaires.
Vous évoquez les droits des femmes. Sachez que je suis, comme vous, déterminée à mener le combat pour l’égalité entre hommes et femmes. Demain, devant la délégation aux droits des femmes, je présenterai les modifications apportées à la première mouture du projet de loi qui touchent à cet aspect, notamment la meilleure prise en compte de la formation des femmes dans le compte personnel d’activité. Nous avons également pris en compte les observations qui ont été faites à propos des négociations annuelles et les recommandations formulées par certaines instances, tel le CSEP. Je me montrerai ouverte aux amendements proposés.
Mme Carrey-Conte m’interrogeait sur les durées maximales, mais, comme elle n’est plus là, je passe à la question suivante.
Monsieur Viala, vous me demandez de citer une avancée du projet de loi en faveur des salariés : le compte personnel d’activité, vous dirai-je. Le droit à la formation pour les moins qualifiés est un vrai progrès social. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de courriers que je reçois de la part de demandeurs d’emploi qui ne trouvent pas de financement pour leur formation ou qui trouvent la bonne personne mais pas le cadre de formation. Vous me demandez encore de citer une avancée pour les TPE : l’accord type de branche, salué par l’Union professionnelle artisanale (UPA), qui favorisera l’emploi.
Monsieur Gille, vous émettez l’idée d’intégrer le compte épargne-temps dans le compte personnel d’activité, idée très intéressante qui soulève de nombreuses questions en termes d’opérationnalité. Nous avons besoin de davantage de temps pour y travailler avec les partenaires sociaux. Pour éviter que, au 1er janvier 2017, le CPA ne soit une usine à gaz, nous avons préféré n’y faire figurer que les éléments en mesure d’être mis en œuvre à cette date, comme le compte engagement citoyen, beaucoup plus simple à intégrer.
M. Delatte n’est plus là, lui non plus.
En matière de validation des acquis de l’expérience, monsieur Costes, il est clair que nous pouvons mieux faire. Depuis la mise en place du dispositif en 2002, 230 000 personnes ont été certifiées par la voie de la VAE. Depuis 2010, on enregistre une baisse du nombre de candidats s’étant présentés devant les jurys ainsi qu’une baisse du nombre des candidats ayant obtenu des certifications complètes. On constate un accès plutôt bon des publics de premier niveau, mais notre objectif est de renforcer par la loi l’accès au dispositif pour les moins qualifiés. Je me suis fondée sur le rapport qui m’a été remis par le Conseil national du numérique sur la validation des acquis de l’expérience.
La durée d’expérience en relation avec la certification visée passe certes de trois ans à un an, mais nous avons voulu élargir les conditions d’éligibilité. Les périodes de formation initiale ou continue en milieu professionnel sont prises en compte. Nous nous adaptons aux enjeux de mobilité professionnelle en reconnaissant les pistes de certification et nous rapprochons la VAE des salariés en introduisant une information à son sujet dans l’entretien professionnel. Enfin, nous supprimons les conditions d’ancienneté d’activité pour l’ouverture du droit au congé VAE en ce qui concerne les contrats à durée déterminée.
Monsieur Issindou, votre rapport sur la médecine du travail a été unanimement salué. Aujourd’hui, sur 20 millions d’embauches, seules 3 millions font l’objet d’une visite médicale préalable. Autrement dit, des personnes occupant des emplois à risques ne bénéficient pas de visite médicale. La conclusion qui s’impose est qu’il faut massivement recruter des médecins du travail, d’autant que la pénurie va aller croissant : d’ici à 2020, nous passerons de 5 000 à 2 500 médecins du travail. Le problème est qu’il n’y a pas assez de candidatures aux concours. Nous inspirant de vos recommandations, nous pensons qu’il importe de s’assurer que les personnes les plus exposées professionnellement bénéficient de la visite de médecins du travail et que les autres salariés reçoivent la visite d’infirmiers pour les former aux gestes de prévention. Vous le voyez, je m’attache à traiter les problèmes non pas en théorie, mais dans les faits.
S’agissant de l’éligibilité à la garantie jeunes, il y avait certes, en 2013, 900 000 jeunes relevant de la catégorie NEET, 750 000 selon le rapport de la Cour des comptes fondé sur les données Eurostat 2014. Toutefois, d’après les analyses de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), les dispositifs relatifs à la précarité concerneraient 300 000 jeunes. Comme le taux de recours n’atteindra sans doute pas 100 %, notre fourchette située entre 100 000 et 200 000 jeunes paraît pertinente. Toujours est-il que nous nous engageons à ce que tout jeune éligible à la garantie jeunes puisse en bénéficier.
Le droit de timbre que nous instituons dans le projet de loi ne fait que prolonger notre arsenal législatif, qui est l’un des plus stricts d’Europe grâce à la loi Savary et à la loi pour la croissance et à l’activité de l’été dernier. Le Conseil d’État, dans son avis, indique clairement que la mesure ne crée pas de « restriction à la libre prestation de services au sein de l’Union et ne présente pas de caractère discriminatoire », car son montant reste modeste et proportionné à l’objectif recherché. Cette contribution vise à couvrir le coût de la mise en place du traitement informatique des données relatives au détachement dans un contexte d’augmentation continue du recours à cette pratique.
J’en viens au principe selon lequel les règles du pays d’accueil s’appliquent aux intérimaires. Je suis d’accord avec vous, monsieur Savary. Dans le cadre de l’élaboration du paquet pour la mobilité des travailleurs dont a la charge la commissaire européenne à l’emploi, Mme Thyssen, la France avait formulé six demandes, notamment l’interdiction du travail intérimaire, du double détachement, de la pratique des entreprises boîtes aux lettres, qui ne se créent que pour détacher des travailleurs, la prise en compte d’une durée minimale contractuelle et la nécessité pour une entreprise ayant recours à des travailleurs détachés d’avoir une activité substantielle dans le pays. Les propositions présentées par Mme Thyssen devront s’appliquer aux intérimaires détachés. Même si je considère que le droit national le prévoit déjà, je conçois que certains députés souhaitent faire de ce projet de loi un instrument de lobbying auprès des institutions européennes. Je suis d’accord pour que nous intégrions dans ce texte l’interdiction des détachements en cascade de salariés intérimaires.
Concernant les travailleurs saisonniers, nous avons eu une approche pragmatique. Il s’est d’abord agi pour nous de définir le travail saisonnier. Les branches concernées devront engager des négociations sur les modalités de reconduction d’année en année pour donner plus de visibilité aux salariés. À défaut, une ordonnance fixera les règles supplétives. Nous donnons la priorité à l’accord de branche. J’entends, monsieur Perrut, madame Laclais, que vous appeliez de vos vœux des améliorations. Je suis tout à fait prête à ce que mes équipes travaillent avec vous autour d’amendements.
Nous avons également intégré une mesure sur les groupements d’employeurs et les aides à l’emploi. Lors de ma rencontre la semaine dernière avec la Fédération nationale des groupements d’employeurs agricoles et ruraux (FNGEAR), j’ai eu l’occasion de parler de ces questions, notamment des enjeux pour l’agriculture. Je suis également prête à travailler avec vous sur ce point.
La question de l’accompagnement des salariés dans l’appropriation du compte personnel d’activité est essentielle, monsieur Cordery. Et le projet de loi pourrait davantage affirmer cet impératif, si cela vous paraît souhaitable.
Je serai aussi très attentive à la question de la mobilité européenne des travailleurs. Il faut que nous sécurisions ces parcours, notamment dans le cas des retours d’expatriation. Là encore, nous pourrons travailler le texte en ce sens.
Venons-en aux travailleurs handicapés. L’article L. 4612-11 du code du travail prévoit déjà que le CHSCT est consulté sur les mesures mises en œuvre en faveur des travailleurs handicapés. Par ailleurs, la loi sur le dialogue social fait de l’emploi des travailleurs handicapés l’un des objets de la consultation du comité d’entreprise sur les politiques sociales et prévoit l’appui d’un expert. C’est, en outre, un sujet de négociation obligatoire sur la qualité de vie au travail et sur l’égalité professionnelle. Je propose d’évaluer l’impact de la loi en ce domaine, comme nous le faisons en matière d’égalité professionnelle, avant de légiférer sur cette question.
Depuis 2012, nous avons accru de 20 % les moyens de la politique de l’emploi en faveur des travailleurs handicapés : augmentation des aides au poste, élargissement de l’accès aux contrats aidés, amélioration de la formation. J’ai moi-même tenu avec Ségolène Neuville une conférence sociale avec les partenaires sociaux qui m’a permis de constater qu’il serait bon de redynamiser le dialogue social sur la question du handicap.
Se pose une question en particulier : l’accès des travailleurs handicapés à la formation. Cela renvoie à deux problèmes : d’une part, l’autocensure, car les travailleurs handicapés ou leur famille estiment que certains métiers sont hors d’atteinte ; d’autre part, l’attitude des entreprises. À cet égard, l’organisation des Abilympics, olympiades des métiers pour les personnes handicapées auxquelles je me suis rendue la semaine dernière à Bordeaux, revêt une grande importance pour faire changer le regard non seulement des intéressés mais aussi des entreprises. En outre, nous devons trouver le moyen de donner la priorité aux personnes en situation de handicap par le biais du financement de la formation professionnelle. Nous savons que ces personnes sont parmi les moins qualifiées, et c’est pourquoi leur taux d’emploi est particulièrement bas.
Je suis prête à ce que mes équipes travaillent avec vous en ce sens. Nous pouvons améliorer les choses ensemble.
M. Yves Censi. Madame la ministre, permettez-moi de vous rappeler mes deux questions.
Premièrement, quels sont vos objectifs en matière de restrictions apportées à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses dans l’entreprise ?
Deuxièmement, pouvez-vous nous dire clairement si vous acceptez qu’un accord d’entreprise puisse être plus défavorable qu’un accord de branche ?
Mme la ministre. En l’absence d’accord, c’est le droit existant qui s’applique. Le principe de faveur n’existe plus depuis 2004. L’objet de la négociation sera élargi et l’accord se fera sur la base du donnant-donnant. Les branches professionnelles continueront de négocier sur la classification et les salaires, entre autres, et l’accord d’entreprise prévaudra en matière de temps de travail et de congés.
Pour ce qui est du principe de laïcité, nous avons conservé la rédaction issue de la commission Badinter. Je ne sais pas quels débats ont présidé à ce choix juridique. Libre à vous d’amender les soixante et un principes retenus par la commission Badinter ou de faire en sorte de ne les faire figurer que dans la partie réglementaire. Ce n’est pas à moi de vous imposer mes vues. Nous pourrons en débattre à nouveau dans l’hémicycle.
Je terminerai par la question de Mme la présidente. Le juge apprécie, bien sûr, le motif économique lorsqu’un salarié conteste son licenciement. C’est le cas aujourd’hui et ce sera encore le cas demain. L’employeur, dans ce cadre, doit apporter des éléments qui justifient les difficultés économiques de son entreprise. Cette liste ne peut pas être limitative, car chaque entreprise est un cas particulier. C’est le sens de la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2012. Et je veux éviter tout risque de censure. L’expression que vous avez soulignée vise précisément à permettre de produire d’autres éléments que ceux énumérés. C’est au juge qu’il reviendra d’établir si ces éléments constituent ou non un motif économique de licenciement. Le projet de loi a pour but de donner des exemples clairs de critères pour les PME. Il ne vise pas l’exhaustivité.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, madame la ministre, pour toutes les réponses que vous avez apportées au cours de cet exercice aussi difficile pour nous que pour vous. J’adhère entièrement à votre choix de ne pas répondre aux questions des députés qui se sont absentés. S’agissant d’un texte de cette importance, chacun a le devoir de tout faire pour assister jusqu’à la fin à l’audition du ministre.
La Commission procède à l’audition des organisations représentatives des salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO) lors de sa première séance du mercredi 30 mars 2016.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons le marathon qui a débuté hier sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.
Après l’audition de la ministre Myriam El Khomri hier après-midi, dans un calme relatif malgré la présence de nombreux députés et l’existence d’un grand nombre d’incertitudes, nous ouvrons à présent la discussion avec les partenaires sociaux. Cet échange est un moment essentiel, et ce pas uniquement parce que ce serait un passage obligatoire quand il s’agit de modifier le code du travail.
La seule question que je poserai à nos invités avant de leur donner la parole, c’est s’ils ont le sentiment d’avoir été associés par le Gouvernement à l’écriture du projet de loi. Ont-ils été consultés et combien de fois ?
Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT. La concertation a été insuffisante avant la première version du texte. Non que nous n’ayons pas été invités à des discussions au ministère du travail, mais nous n’avons jamais eu l’occasion de discuter sur un texte. Nous avons été consultés sur un certain nombre de dispositions, avant de voir apparaître, dans la version initiale, des dispositions dont n’avions jamais entendu parler, en particulier l’ex-article 30 bis sur le licenciement économique. La CFDT et d’autres organisations ont donc demandé un report de la présentation du texte en conseil des ministres afin de laisser du temps à la concertation. C’est ce qui a été fait.
La CFDT a exprimé de nombreux désaccords avec la version initiale, qu’elle jugeait très déséquilibrée. À côté de réelles avancées sociales, telles que le compte personnel d’activité et la partie sur la lutte contre le travail détaché illégal, nous considérions que les mesures de sécurisation des parcours professionnels proposées étaient insuffisantes, et que certaines dispositions étaient dangereuses en raison de leur caractère libéral, en particulier la trop grande place laissée au pouvoir unilatéral de l’employeur, des licenciements économiques moins contrôlés, le barème des indemnités prud’homales – contre lequel la CFDT s’est toujours élevée depuis son introduction par la loi Macron –, un encadrement insuffisant des accords de préservation ou de développement de l’emploi, ainsi que des mesures sur le temps de travail pouvant porter atteinte à la santé des salariés, notamment le forfait-jours et les astreintes.
Nous avons mis le report à profit pour présenter des contre-propositions. Si l’objectif de ce texte était de faire croire qu’une réforme du marché du travail créerait des millions d’emplois en luttant contre une prétendue « peur de l’embauche », nous n’y avons jamais cru. Les travaux auxquels nous avons participé au Conseil d’orientation pour l’emploi montrent qu’un cycle économique déprimé n’est pas le bon moment pour prendre des mesures de réforme du marché du travail qui risquent d’augmenter encore la précarisation.
Nous sommes convaincus que, pour conduire les réformes nécessaires au progrès social dans une économie compétitive, trois choses sont nécessaires, que ce texte nous donne l’opportunité de faire : améliorer la sécurisation des parcours professionnels, permettre la montée en compétences des travailleurs – salariés, jeunes et demandeurs d’emploi – et favoriser un dialogue social de qualité capable de construire au niveau le plus pertinent les garanties dont les salariés ont besoin, la loi quand il s’agit de donner des garanties à tout le monde, la branche quand il faut faire de la régulation économique et sociale, enfin l’entreprise. En l’occurrence, sur la partie du code du travail récrite dans cette loi, à savoir le temps de travail, nous pensons que le lieu pertinent est, dans bien des cas, l’entreprise.
La deuxième version nous convient beaucoup mieux car nous avons réussi à effacer nombre de dispositions qui rendaient le projet trop déséquilibré et trop libéral. Cette nouvelle rédaction revient ainsi sur l’augmentation du pouvoir unilatéral de l’employeur. Sur le temps de travail, tout le droit supplétif, à quelques exceptions près, est revenu à droit constant. Le compte personnel d’activité a été renforcé de façon très sensible, en particulier pour améliorer la formation de ceux qui en ont le plus besoin : ces mesures parachèvent la réforme de la formation professionnelle que la CFDT demandait en 2014. Le barème, qui ne permettait pas l’indemnisation totale des salariés injustement licenciés aux prud’hommes, a été supprimé. L’article sur le licenciement économique a été partiellement récrit.
J’ai avec moi un document d’une cinquantaine de pages décrivant l’ensemble des demandes de la CFDT qui demeurent. Je reviendrai devant votre commission sur quatre points importants.
Tout d’abord, la partie concernant le dialogue social nous convient plutôt bien, car elle permet de le renforcer. On a fait reculer la possibilité de prise de décision unilatérale par l’employeur. En outre, le texte prévoit désormais le mandatement partout, y compris dans les très petites entreprises : un salarié de ces entreprises pourra être accompagné par une organisation syndicale pour mener une négociation. Cela nous semble important car c’est nous mettre en conformité avec le principe constitutionnel selon lequel tous les salariés ont droit à une représentation – droit que nous avions déjà fait avancer dans la loi Rebsamen.
L’article 1er de la loi reprend les principes généraux, à la suite du rapport Badinter. Nous pensons qu’il serait utile d’y ajouter les principes d’articulation des normes tels qu’ils sont proposés par le texte et que ces principes intègrent le code du travail à partir de 2019.
Le fait de passer à 50 % pour la validation des accords d’entreprise ou de branche est un élément extrêmement important du rapport de force nécessaire dans les entreprises pour que la négociation soit équitable ; c’est pour nous la condition sine qua non d’une nouvelle réécriture du code du travail. À nos yeux, ce texte ne porte pas une inversion de la hiérarchie des normes mais une nouvelle architecture, en raison de deux éléments encadrant le rapport de force : l’accord majoritaire et un droit supplétif à droit constant.
En ce qui concerne la consultation des salariés sur un accord négocié et signé, ce que l’on appelle le référendum, ce n’est pas la CFDT qui a demandé cette mesure : celle-ci est arrivée dans le texte car certains craignaient que le passage de 30 à 50 % diminue le dynamisme conventionnel dans les entreprises. Nous considérons que c’est une façon intelligente d’articuler la démocratie représentative et la démocratie participative, et qu’une organisation syndicale proche des salariés n’a rien à craindre de la validation par les salariés de textes préalablement négociés.
J’en viens aux trois points principaux sur lesquels nous demandons encore des modifications. Le premier est le compte personnel d’activité. Je répète que la CFDT se félicite du renforcement des droits des personnes qui en ont le plus besoin, mais nous pensons que la loi ne doit pas passer à côté de cette occasion de traiter la question du temps. Eu égard à l’allongement inéluctable de la durée de vie au travail, liée à l’augmentation de la durée de vie, nous pensons que la possibilité d’épargner du temps doit être au moins actée dans ce texte, quitte à renvoyer la construction des dispositifs à la négociation.
Le deuxième point concerne les licenciements économiques, qui nous paraissent encore insuffisamment sécurisants pour les salariés. Le droit supplétif est trop faible. Les quantums retenus pour la baisse de chiffre d’affaires ou la perte d’activité sont trop peu élevés. Le pouvoir du juge n’est pas suffisamment rétabli, en particulier dans sa capacité à vérifier qu’il n’y a pas d’organisation artificielle de la baisse du chiffre d’affaires ou de la perte d’activité. Par le pouvoir d’appréciation du juge ou des DIRECCTE (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), il nous paraît possible de rétablir un contrôle, administratif d’abord, juridictionnel ensuite.
Nous souhaitons également que l’encadrement des accords de maintien dans l’emploi soit renforcé selon trois modalités. Il convient tout d’abord de revenir à des durées déterminées. Il faut ensuite que les négociateurs syndicaux soient systématiquement accompagnés par un expert, qu’il y ait un comité d’entreprise ou non ; cet expert pourrait régulièrement – une durée de cinq ans semble raisonnable –, réévaluer avec les représentants du personnel la situation ayant conduit à la négociation des accords de maintien dans l’emploi. Enfin, nous souhaitons que les négociateurs soient invités à prévoir des portes de sortie en faveur des salariés pour lesquels les modifications qui s’imposeraient à leur contrat de travail seraient disproportionnées compte tenu de leur situation personnelle.
Le dernier point concerne la médecine du travail. Nous partageons les orientations générales de la réforme et nous avons travaillé avec l’ensemble des autres organisations syndicales dans le cadre du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT). Le reclassement des salariés déclarés inaptes est cependant limité à une proposition de reclassement, et nous souhaitons le voir élargi.
En conclusion, la seconde version du texte, encore améliorée par les propositions de la CFDT, nous paraît susceptible de moderniser le dialogue social et de mieux protéger les salariés dans les mutations que connaît notre économie.
M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO. La France est un pays de pluralisme politique ; vous allez voir que c’est aussi un pays de pluralisme syndical. Nous n’avons pas les mêmes analyses sur ce projet de loi.
La concertation préalable n’a abordé que certains points : nous n’avons jamais eu un texte complet en main. Nous avons reçu la version initiale en même temps que les médias. Quelques consultations ont eu lieu ensuite sur la base du texte, avec la ministre du travail et le Premier ministre, au cours desquelles nous sommes convenus que nos conceptions étaient très différentes.
Nous pensons que ce texte introduit une rupture dans l’histoire de nos relations sociales. La France est le premier pays au monde en termes de couverture conventionnelle ou statutaire : plus de 90 % des salariés français sont couverts par une convention collective ou un statut. À titre de comparaison, dans un pays comme l’Allemagne, seuls 60 % des travailleurs sont couverts par une convention collective car, depuis dix ou quinze ans, le patronat allemand a remis en cause une série de branches, qui ne fonctionnent plus ; c’est d’ailleurs pourquoi les Allemands ont recréé un SMIC, parce que certains salariés ne bénéficiaient plus d’aucun salaire minimum, ce salaire étant négocié par branche.
Notre articulation des niveaux de négociation collective est républicaine. Nous tenons à ce que, dans ce que l’on appelle la hiérarchie des normes, il y ait la loi, des accords nationaux interprofessionnels, des accords de branche et des accords d’entreprise. Tous ces niveaux doivent être respectés. Or on est en train de remettre en cause cette articulation. Dans certains cas, la branche est contournée. Par exemple, sur les heures supplémentaires, les premières heures payées au-delà de la durée légale du travail sont actuellement payées 25 % de plus, les suivantes 50 %. On peut, par un accord de branche étendu, passer de 25 à 10 %. Une seule branche – dans le secteur du tourisme et des loisirs – a négocié ce type d’accord, ce qui signifie qu’il n’y a pas eu de demande en ce sens dans les autres branches, y compris du côté patronal. Avec ce texte, la branche n’existe plus, on passe directement à l’entreprise. Je pourrais multiplier les exemples. La supplétivité n’est pas toujours à droit constant, contrairement à ce que pensent certains : des possibilités de déroger à certaines normes supplétives sont laissées aux employeurs.
On peut aussi se poser des questions sur la manière dont sera conçue demain la branche. Des commissions paritaires nationales vont être créées, dont on ne connaît pas le statut juridique, et qui seraient à la fois des structures d’interprétation des accords, comme cela existe aujourd’hui, et de négociation. La branche pourrait être au service des entreprises. De fil en aiguille, son rôle est remis en cause, et cela ne se passe pas qu’en France. Dans de nombreux pays européens, il existe la même volonté de remettre en cause les niveaux nationaux de négociation au profit de négociations d’entreprise. Je vous renvoie à l’avis de la Commission européenne du 13 mai 2015 sur le Programme national de réforme français, dans lequel elle conseille à la France de faciliter « les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail ». D’autres points de cet avis se retrouvent dans le projet de loi. La politique économique suivie au plan européen est aujourd’hui de caractère libéral et elle impose plus de flexibilité et de précarité.
Mon deuxième point porte sur les modalités de négociation. L’entreprise est le lieu où la pression peut être la plus forte sur les salariés, tandis que la liberté est plus grande au niveau de la branche, ce qui n’exclut pas, bien sûr, les négociations d’entreprise – et nous avons signé des accords dans toute une série d’entreprises quand il y avait des difficultés. Si l’on prévoit, ce qui était déjà prévu en 2008, un critère de 50 % et aujourd’hui un critère de 30 % plus référendum, c’est bien pour justifier une dérogation en moins pour les salariés. Nous sommes donc opposés au référendum. Nous pensons qu’il serait beaucoup plus responsable de rester par exemple à 30 % et de laisser vivre le droit d’opposition. Un syndicat a trois possibilités : ou il signe un accord, ou il ne le signe pas mais ne s’y oppose pas, ou il ne le signe pas et s’y oppose. Nous pensons que c’est plus démocratique qu’un système dans lequel une organisation syndicale qui aurait obtenu 32 % des votes a huit jours pour essayer de convaincre une autre organisation et parvenir à 50 % : cela fait huit jours de bordel dans l’entreprise, avant de pouvoir demander un référendum.
La démocratie sociale n’est pas la démocratie politique. Il faut une majorité de voix des députés pour qu’une loi soit votée, mais nous ne sommes pas quant à nous en mesure de décider seuls ; nous sommes plusieurs organisations mais surtout nous avons en face de nous des employeurs. On ne peut calquer un modèle sur l’autre. Nous considérons que le référendum est un outil de court-circuitage des organisations syndicales.
En ce qui concerne les accords de maintien de l’emploi, lorsque vous avez voté en 2013 la loi sur la sécurisation de l’emploi qui faisait suite à l’accord national interprofessionnel que n’avait pas signé FO, un salarié refusant de voir modifier son contrat de travail était, aux termes de l’accord, licencié pour motif personnel. FO a obtenu des élus de la Nation que ce soit un licenciement économique personnel, ce qui signifie que le salarié bénéficie des procédures de reclassement et d’accompagnement. Dans le présent projet de loi, ce n’est plus un licenciement économique : on retrouve le licenciement individuel, allant contre ce que vous avez voté en 2013.
Les négociations annuelles obligatoires (NAO), ensuite, passent à trois ans et, si l’inflation repart, seuls ceux qui ont signé l’accord sur trois ans pourront demander une réouverture de la négociation.
S’agissant de la durée du travail, tous les congés ne sont pas garantis dans le supplétif. On peut, par accord majoritaire ou référendum dans l’entreprise, remettre en cause certains congés existants.
Sur la médecine du travail, nous étions opposés à ce qu’a dit le COCT. Alors que l’on comptait 7 000 médecins du travail il y a quelques années, il n’y en a plus que 5 000 aujourd’hui. Comme on ne veut pas recruter, on espace les visites, auxquelles tous les salariés n’auront plus droit. Sur le travail de nuit, par exemple, l’obligation de visite préalable et le contrôle tous les six mois par le médecin du travail disparaissent.
Le licenciement économique est un des points que nous avons découverts à la dernière minute et auquel tient beaucoup M. Gattaz, président du MEDEF. Contrairement aux propos que celui-ci a tenus à la sortie de la rencontre du 14 mars, à Matignon, il a dit dans la salle de réunion que, mise à part la remise en cause du barème, la réforme allait dans le bon sens.
Cela pose le problème du périmètre – national ou international – car une grande entreprise sait mettre un établissement en difficulté par des prix de transferts, des fonds propres, etc. On met en avant la présence du juge ; or celui-ci peut d’ores et déjà se prononcer. Entre-temps, il aura fallu que le comité d’entreprise prenne un expert, que l’étude soit réalisée et que, si l’on constate que c’est abusif, on saisisse le juge… Et les gens auront été licenciés ! C’est là un des points clés.
S’agissant des TPE et des PME, il y a d’autres solutions. Il est ainsi tout à fait possible de passer des accords de branche d’application directe, ce que réclament d’ailleurs certaines organisations patronales telles celle des artisans. On peut négocier pour les TPE et PME des accords spécifiques. Nous ne sommes pas favorables au mandatement. Lorsqu’il a été institué, nous pratiquions le double mandatement : nous mandations une première fois le salarié pour négocier et une seconde fois pour vérifier le contenu de l’accord. Il est vrai qu’à l’époque, les chefs d’entreprise envoyaient un salarié vers une organisation syndicale afin de le mandater pour bénéficier des exonérations de cotisations sociales, tout en proposant de payer sa cotisation syndicale…
Si l’on procède en revanche par accord de branche, et qu’on permet à un syndicat de désigner un représentant syndical membre de l’entreprise, y compris dans les TPE et PME, sans pour autant demander d’heures de délégation – ce qui n’est pas concevable dans une entreprise de huit salariés –, le rôle du syndicat sera préservé sans le court-circuiter.
Sur le CPA, nous avons joué un rôle clé dans les négociations que nous avons menées à cet égard avec les organisations patronales. Certes, l’accord n’est pas encore signé, car deux d’entre elles ont dit qu’elles ne le feraient pas – c’est sans doute dû au débat sur le projet de loi, et j’ignore ce que fera le MEDEF. Deux points ont été intégrés : le compte personnel de formation (CPF) et le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP). Si nous voulons que cet outil fonctionne, il ne faut pas charger la bourrique en intégrant par exemple d’autres dispositifs tels le compte épargne temps (CET). Veillons à ne pas créer une usine à gaz ! Il faut commencer par appliquer le dispositif, en vérifier ensuite le fonctionnement et le compléter le cas échéant. Je rappelle à cet égard que seuls 10 % à 15 % des salariés bénéficient d’un CET.
Nous avions demandé au Gouvernement la suspension du projet de loi – et non son report. Nous militons aujourd’hui pour son retrait, la philosophie générale du texte, qui nous pose un problème de fond, n’ayant pas été discutée, et de nombreuses dispositions constituant pour nous des remises en cause de droits. Nous participerons donc aux actions du 31 mars.
M. Bernard Sagez, secrétaire générale de la CFTC. L’an dernier, nous avons été associés à des discussions relatives au code du travail. En revanche, nous n’avons pas été consultés en amont s’agissant de ce projet de loi. C’est seulement au mois de mars, à l’occasion du report de la présentation du texte que nous avons pu apporter nos réponses aux différents problèmes qu’il pose.
La CFTC avait réservé à la première version un accueil très mitigé, considérant qu’elle ne présentait pas un équilibre satisfaisant entre flexibilité et sécurité des salariés. Nous ne souhaitions cependant pas le retrait du texte dans la mesure où il comportait aussi des avancées.
Au titre de ce que nous souhaitons voir conserver figurent les éléments suivants.
La nouvelle architecture du code du travail, que chacun s’accordait à considérer trop compliqué, voire illisible, nous paraît beaucoup plus compréhensible, tant pour les salariés que pour le patronat, grâce à l’articulation entre dispositions d’ordre public, négociation collective et enfin mesures supplétives.
Le CPA constitue l’une des pierres angulaires du nouveau contrat social que la CFTC appelle de ses vœux : il s’agit d’attacher des droits à la personne, et il faudra, comme cela a déjà été dit, aller plus loin.
Le projet de loi revoit en profondeur le dispositif de la validation des acquis de l’expérience (VAE) afin de le rendre moins contraignant, et de ce fait, plus attractif : il permettra aux jeunes décrocheurs d’obtenir ainsi plus rapidement un diplôme.
Nous sommes également favorables à d’autres mesures importantes telles la lutte contre le détachement illégal, le droit à la déconnexion, le mandatement
– dès lors qu’une organisation syndicale mandate une personne au sein d’une entreprise. En outre, la notion de référendum ne nous fait pas peur, dès lors qu’il est organisé à l’initiative des organisations syndicales recueillant 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles. Nous considérons en effet que cela renforce les syndicats signataires.
La deuxième version du projet de loi apporte plus de garanties dans le domaine de la sécurité des salariés. Les organisations patronales se sont inquiétées de l’évolution du texte mais il était important d’en améliorer l’équilibre général. Nous estimons toutefois que des points restent à améliorer dans quatre domaines.
S’agissant des branches, tout d’abord, et même si certaines de nos observations ont été reprises, des modifications rédactionnelles doivent encore être apportées. La branche constitue en effet, pour nous, le meilleur rempart à la concurrence déloyale entre les entreprises, dont les salariés font souvent les frais. Elle doit donc rester un pivot de régulation. Le texte donne une définition de la branche qui ne prend pas assez en compte ce rôle, elle doit donc être revue dans quatre articles.
L’article 1er, qui affiche des principes, comporte un alinéa 55 qui limite les conditions dans lesquelles la convention collective peut prévoir des normes ; il devrait préciser que la négociation de branche définit les garanties communes aux salariés employés par les entreprises d’un même secteur ou ayant la même activité, et tient, à ce titre, un rôle pivot dans la négociation. Cela permettrait de confirmer que le projet de loi ne procède pas à un renversement de la hiérarchie des normes, et qu’il conforte la notion de branche.
L’article 7 dispose qu’un accord de branche peut définir la méthode de négociation d’entreprise applicable : nous souhaitons qu’il soit simplement écrit qu’un accord de branche définit la méthode de négociation d’entreprise applicable, pour éviter la caducité des négociations d’entreprise. De même, à l’article 13, qui définit la notion de branche, il faut préciser que la négociation de branche « définit », et non pas « peut définir » des garanties. Il importe de ne pas pouvoir écarter la branche.
L’article 29 concerne l’accord de branche étendu contenant des accords types applicables dans les PME ; il suffirait de prévoir des stipulations spécifiques pour les petites et moyennes entreprises, et de supprimer la mention des entreprises de moins de 50 salariés. Les PME n’emploient pas en effet nécessairement moins de 50 salariés – je rappelle que la loi Rebsamen a retenu le chiffre de 300.
L’article 7 traite encore des clauses de revoyure. Nous considérons qu’elles doivent être obligatoires au lieu d’être simplement possibles. Cela apportera une sécurité juridique aux accords.
S’agissant des accords sur le développement de l’emploi mentionnés à l’article 11, nous considérons qu’il n’est pas possible d’accoler dans la même expression les termes « développement » et « préservation », car la préservation, c’est le maintien l’emploi. Les accords de maintien existent et sont normés. Ne mélangeons pas les deux notions : le développement de l’emploi renvoie à la création d’emplois. Cet article comporte donc une ambiguïté qu’il faut supprimer.
La rédaction de l’article 30, qui concerne le licenciement économique, doit être précisée. Les critères justifiant le licenciement doivent être explicités : aux termes de « baisse des commandes », par exemple, il faut ajouter le mot « conséquente », ce qui est susceptible d’être pris en compte par le juge. De même, la rédaction « tout élément de nature à justifier ces difficultés » est trop vague, il convient de préciser que ces éléments revêtent un caractère significatif. Par ailleurs, le périmètre d’appréciation des motifs de licenciement économique doit être étendu au-delà du seul territoire national. Nous proposons d’ajouter les termes « quelle que soit leur implantation territoriale ou géographique », afin d’inclure les grands groupes.
L’article 44 concerne la médecine du travail sur les deux plans des maladies et accidents non professionnels et des maladies et accidents professionnels. Nous considérons qu’un salarié ne doit pas pouvoir être licencié avant la consolidation de son état de santé – ce serait contraire aux principes fondamentaux de la suspension de l’exécution du contrat de travail. Nous proposons donc de revenir à la rédaction de l’article L. 1226-2 du code du travail qui ne prévoit pas cette possibilité de licenciement.
Ce même article 44 crée une présomption de respect de l’obligation de reclassement pour l’employeur qui se voit ainsi libéré de cette contrainte dès lors qu’il a proposé un poste au salarié. Il faut retirer de la rédaction de l’article L. 1226-12 la partie mentionnant que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite dès lors que l’employeur a proposé un poste.
Sur le CPA, une autre organisation syndicale a déjà estimé que les dispositions proposées devaient être améliorées : nous partageons cet avis.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Lorsque vous évoquez les PME, j’imagine que c’est au sens de la définition donnée par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie qui retient le critère de moins de 250 salariés.
M. Bernard Sagez. C’est cela même.
M. Franck Mikula, secrétaire national au secteur emploi et formation professionnelle de la CFE-CGC. En amont de la présentation du projet de loi, un certain nombre de rapports ont été publiés à l’occasion desquels nous avons été entendus. Je pense notamment à ceux de Jean-Denis Combrexelle, de Terra Nova, de Bruno Mettling ou de Robert Badinter. Nous avons, quant à nous, exprimé le plus souvent nos désaccords. Ainsi, si nous étions favorables à la première partie du rapport de Jean-Denis Combrexelle qui consistait à renforcer le dialogue social en donnant plus de moyens, de temps et de formation aux acteurs de ce dialogue, nous ne pouvions approuver toutes les orientations visant à renvoyer la négociation prétendument au plus près du terrain, mais en réalité au plus loin des syndicats.
De notre point de vue, le dialogue social doit être renforcé au niveau de la branche, car c’est là que se construisent les lois de chacune des professions. La ministre nous a demandé la raison du verrouillage dans la négociation de branche, qui empêche de moins bien rémunérer les heures supplémentaires. Nous lui avons expliqué que c’était le souhait des partenaires sociaux au niveau des branches. Il est en effet aussi de l’intérêt des chefs d’entreprise de maintenir cette régulation pour empêcher le dumping social.
Certes, les représentants interprofessionnels nationaux tiennent un autre discours. Ainsi, M. Gattaz dira exactement le contraire de ce que disent ses représentants dans les branches qui, eux, ont bien compris l’intérêt d’harmoniser les conditions sociales pour permettre le développement des entreprises. Faute de quoi, ce sera la loi de la jungle avec un code du travail par entreprise, et tout le monde se fera concurrence.
Le fondement même de ce projet de loi nous paraît profondément choquant. Il est bien illustré par une phrase de l’ouvrage de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen Le travail et la loi qui lie le chômage et le droit social. Cette position a suscité bien des polémiques : c’était la première fois, en effet que d’aussi éminentes personnalités établissaient ainsi un lien que nous contestons. Si un tel lien existait, il y a belle lurette qu’il n’y aurait plus de chômage en France, puisque, depuis au moins trente ans, on ne cesse de rendre plus flexibles les conditions sociales et d’assouplir le code du travail ! Cela a commencé avec un certain Yvon Gattaz, qui promettait la création de milliers d’emplois si l’autorisation administrative de licenciement était supprimée ! Aujourd’hui, c’est un autre Gattaz, Pierre, qui promet des millions d’emplois si on lui donne beaucoup d’argent avec le pacte de responsabilité et si le code du travail devient plus souple. Malheureusement, aucune de ces mesures n’a produit les résultats annoncés et la France compte plus de cinq millions de chômeurs.
S’agissant du présent projet de loi, je n’évoquerai que quelques points qui montrent bien la nouvelle architecture souhaitée du code du travail.
Aujourd’hui, le forfait-jours constitue un dispositif dérogatoire au régime normal de la durée du temps de travail très faiblement encadré par la loi ; ce qui a conduit la Chambre sociale de la Cour de cassation à invalider la plupart des accords de branche s’y rapportant, car ils ne respectaient pas les impératifs de santé et de sécurité des travailleurs.
Il était donc temps de donner un cadre législatif à ce dispositif. Mais ce texte le fait très mal, à notre sens. De fait, dans cette nouvelle architecture et cette nouvelle hiérarchie, il ne reste pratiquement plus rien dans la loi, désormais appelée ordre public. Nous proposons donc d’enrichir le dispositif législatif en inscrivant dans l’ordre public la durée maximale du temps de travail en jours – qui n’est pas définie aujourd’hui –, la durée des repos quotidiens, et la durée des repos hebdomadaires, que nous souhaitons voir exprimés en forfait de jours civils et non plus en heures, ce qui est par trop complexe. Nous proposons un jour civil minimum de repos par semaine, mais huit jours de repos par mois et vingt-six jours par trimestre de façon à garantir la santé et la sécurité des travailleurs tout en permettant une certaine flexibilité.
Il faudra aussi inscrire dans l’ordre public la définition du temps partiel, l’obligation de visites médicales effectuées par un médecin pour les salariés employés en forfait-jours, la définition d’un niveau minimum de rémunération, quitte à renvoyer la détermination de ce dernier à la négociation tout comme le nombre d’entretiens portant sur la charge de travail avec l’employeur ou son représentant.
Il importe d’organiser le contrôle et la mesure de la charge de travail : c’est le cœur du dispositif. C’est au plus près de l’entreprise qu’il faudra trouver les bonnes méthodes pour y parvenir – en s’appuyant peut-être sur le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), avec une mesure annuelle.
Ce projet de loi cherche par ailleurs à simplifier le régime du licenciement économique en partant du principe que faciliter les licenciements favorisera l’embauche. Certes, les choses ne sont pas dites ainsi et nous savons à quel point cela est faux ! Le texte devrait prévoir au contraire qu’avant de procéder aux licenciements économiques, il faut utiliser tous les moyens alternatifs pour éviter de devoir y recourir, tels le chômage partiel, la réduction du temps de travail ou le non-renouvellement des contrats précaires. Il faut tout tenter pour préserver les emplois dans l’entreprise. C’est précisément ce qu’ont fait les Allemands en 2008, alors que nous faisions, nous, le choix des licenciements et de la rupture conventionnelle.
Nous sommes favorables aux accords majoritaires mais pas à la procédure de référendum. Nous pensons que le dialogue social est assez mûr pour adopter une telle disposition. Les difficultés qui surviendront dans un premier temps ne dureront pas longtemps : le même prétexte avait été avancé en 2008 au moment de passer à 30 %. Les accords gagneront en légitimité en passant à 50 % sans que les syndicats soient contournés par le référendum.
Nous demandons le retrait des accords offensifs. La loi de sécurisation de l’emploi a créé les accords de maintien de l’emploi. Le présent texte propose des accords préservant l’emploi : cela existe déjà. Certes, on peut considérait qu’ils ne sont pas assez nombreux : on en comptait sept ou dix lorsque nous avons établi le bilan à l’occasion de l’accord national interprofessionnel (ANI) en janvier 2013 avec le cabinet du ministère du travail. À cette occasion, le MEDEF avait expliqué que le développement de ce type d’emploi était freiné par l’obligation de licencier pour raison économique les salariés qui n’étaient pas d’accord et préconisait leur démission, ce qui était totalement inacceptable. Aujourd’hui, un tel dispositif revient par la fenêtre avec les accords dits offensifs, dans le cadre desquels lorsque les salariés refusent, ils sont licenciés pour un motif personnel – ce sont des licenciements sui generis.
Cette disposition est totalement inutile, puisque les accords de maintien dans l’emploi existent déjà et offrent de réelles garanties de préservation de l’emploi, de durée. L’ensemble des représentants participent à l’établissement du diagnostic préalable et les efforts sont partagés entre les salariés et la direction
– les dirigeants ne reçoivent pas de majoration de salaire contrairement à la pratique à la mode et il n’y a pas de distribution d’actions supplémentaires. L’article du projet de loi sur les accords offensifs sur l’emploi n’offre aucune de ces garanties et nous en demandons le retrait.
Le compte personnel d’activité (CPA) repose sur le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) et sur le compte personnel de formation (CPF), et, à l’issue de la concertation, s’est enrichi d’un compte citoyen. Il nous semble indispensable de créer un compte temps, même si la loi n’a pas à fixer son contenu ; il suffit ainsi qu’une case soit insérée dans le CPA, afin que le salarié puisse y stocker du temps. Il pourra l’utiliser pour abonder son compte de formation et pour gérer sa vie professionnelle. Cela constituerait les prémices d’une généralisation du compte épargne-temps (CET) que nous appelons de nos vœux ; ce processus prendra du temps, mais le législateur doit insérer cet étage dans le CPA afin de convenir dans le futur de dispositifs de portabilité et de fongibilité. Ceux-ci ne créeront certes pas d’emplois – pas plus que les mesures du projet de loi que vous examinerez –, mais nous devons favoriser l’autonomie à laquelle les salariés aspirent et les transferts d’activité entre la fonction publique, le secteur privé, le statut d’autoentrepreneur et le salariat.
L’avenir de la France dépend davantage de l’innovation et de la qualité du travail que d’un assouplissement du droit social. L’augmentation de la productivité ne sera possible qu’avec des salariés bien traités et plus autonomes, et en donnant davantage de pouvoir aux représentants des salariés. Il faut avancer vers la codécision que pratiquent d’autres pays et qui permet d’enrichir le dialogue social, de partager la définition de la stratégie de l’entreprise et de faciliter la gestion des emplois dans les périodes de crise.
M. Fabrice Angei, membre de la direction confédérale de la CGT. La CGT a découvert le projet de loi dans la presse et a reçu une convocation pour en discuter la semaine suivante. La CGT n’a pas participé au déjeuner de réécriture du projet de loi, celle-ci résultant de la mobilisation citoyenne et syndicale.
La CGT est opposée à ce projet de loi, même remanié, comme sept Français sur dix si l’on en croit les sondages ; si l’on organisait un référendum dans le pays sur ce texte, on n’aurait plus besoin d’en discuter. Nous demandons le retrait du texte, mais nous ne défendons pas le statu quo, puisque nous avons proposé un code du travail pour le XXIe siècle poursuivant une tout autre logique. Nous ne nous inscrivons pas dans une démarche d’amendement à la marge du texte, puisque l’ensemble de sa philosophie ne nous convient pas. Je me retrouve néanmoins dans 98 % des propos de mon camarade de la CGC – ou inversement –, ce qui remet en question la vision simpliste de la division syndicale.
Le projet de loi repose sur l’idée que les droits et les garanties des salariés doivent s’effacer devant les impératifs économiques et les intérêts financiers. Il promeut la baisse du coût du travail et fait du salarié une variable d’ajustement et de déflation pour conquérir des parts de marché. Cette philosophie s’oppose au droit du travail, qui vise à rééquilibrer le lien de subordination existant entre l’employeur et le salarié. Les droits et les protections des salariés n’ont jamais constitué un frein à l’efficacité économique, bien au contraire. La loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail et celle du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi ont instauré les ruptures conventionnelles – dont le nombre atteint des records – et les plans de maintien dans l’emploi, qui s’avèrent un échec ; si ces mesures de flexibilité avaient amélioré la situation de l’emploi, cela se saurait, puisque le chômage n’a jamais été aussi élevé dans toutes les catégories de la population. Il conviendrait d’analyser également les exemples européens avec attention, car les assouplissements y ont accru la précarité et la pauvreté, principalement celles des jeunes et des femmes.
Le projet de loi bâtit une nouvelle architecture des relations sociales : la loi fixe des grands principes, la négociation collective définit le droit et le volet supplétif instaure des minima inférieurs aux dispositions législatives actuelles. Les dérogations découlant des accords de branche permettent déjà d’indemniser les heures supplémentaires à un simple supplément de 10 %, mais une seule branche applique ce niveau. Les accords d’entreprise engendreront donc une régression sociale dans ce domaine, et il s’agit là d’un exemple parmi tant d’autres.
Le projet de loi donne la primauté aux accords d’entreprise, inversant ainsi la hiérarchie des normes, la loi cessant de fixer un socle commun et de prévoir des dérogations. Il y aura donc autant de codes du travail que d’entreprises, et le degré de protection des salariés dépendra de la présence de forces syndicales. En outre, l’inspection du travail rencontrera des difficultés pour jouer son rôle. Ce projet ne procède à aucune simplification, complexifie les relations sociales, ne supprime aucune rigidité et aggravera la situation économique et le chômage.
Mme Myriam El Khomri souhaite fluidifier le dialogue social, mais les accords d’entreprise le nient. Lors de l’examen de la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi, dite loi Fillon, le groupe parlementaire socialiste s’était opposé au renversement de la hiérarchie des normes en saisissant le Conseil constitutionnel.
L’adaptation ne doit pas entraîner de régression sociale, mais maintenir des droits voire apporter de nouvelles garanties pour les salariés. Voilà ce qu’est le progrès social ! Le Gouvernement ne veut pas entendre sur ce point les jeunes et les salariés, qui seront massivement en grève demain.
Les accords d’entreprise génèrent, dans la très grande majorité des cas, une régression sociale. Dans les deux tiers des établissements, il n’y a pas de délégués syndicaux ; cette situation concerne toutes les structures employant de dix à vingt salariés et dans la majorité de celles en comptant entre cinquante et cent. Par ailleurs, les négociations obligatoires n’ont pas lieu dans notre pays. La peur des représailles s’est répandue dans les entreprises, et l’action syndicale se trouve criminalisée – on attend toujours que vous votiez la loi d’amnistie. Des personnes souhaitant monter des listes pour les élections professionnelles se font licencier, et un chantage permanent à l’emploi est organisé.
Le référendum chez Smart sur l’augmentation du temps de travail hebdomadaire à 39 heures payées 37 a soulevé de nombreuses questions, notamment celle du corps électoral puisque les cadres, qui sont au forfait-jours et donc ne sont pas concernés par cette modification, ont pu voter. On ne peut pas confondre le référendum d’entreprise et le droit à la consultation des salariés, car le premier diffère de la démocratie sociale ; la CGT défend la seconde, les salariés devant disposer de temps pour analyser les accords et en discuter. Il serait opportun de prendre en compte dans les négociations les cahiers revendicatifs élaborés dans les entreprises. Si l’on veut soutenir la démocratie sociale, reprenons également la périodicité biennale des élections professionnelles.
Au lieu d’accorder des droits aux salariés, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen, a réduit le rôle des organisations syndicales et des délégués du personnel. On ne croit pas au mandatement de salariés dans les conditions prévues par ce texte ; on devrait plutôt conférer un pouvoir de négociation aux commissions régionales instaurées par cette loi.
Neuf salariés sur dix sont couverts par un accord de branche et une convention collective, et il est nécessaire de renforcer le poids de ces accords dans notre droit social.
L’inversion de la hiérarchie des normes et la flexibilité ont été mises en place en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Italie. On a constaté une chute sans précédent des accords de branche en Espagne et au Portugal – ce qui est logique puisqu’ils ont été vidés de leur substance –, mais également une diminution du nombre d’accords d’entreprise. On vise à renforcer le dialogue social et, au final, on l’affaiblit. Quant aux salariés, ils ont toujours été perdants dans cette évolution.
Ainsi, le référendum d’entreprise, que l’on appelle le référendum chantage, peut être déclenché à partir d’un accord signé entre un employeur et des organisations syndicales ne représentant que 30 % des salariés. Cela constitue une atteinte portée à la représentativité, au droit d’opposition, et nous réclamons, conformément aux principes de la démocratie sociale, une application stricte de l’accord majoritaire, signé par des syndicats représentant 50 % des salariés. Les accords minoritaires ne sont qu’un contournement des organisations syndicales et un encouragement à la création de syndicats maison ; en outre, ils n’améliorent en rien la situation de l’emploi, celle-ci nécessitant d’autres politiques économiques et sociales.
Les médecins du travail sont moins de 5 000 aujourd’hui en France et ont 55 ans en moyenne. Le projet de loi porté par Mme El Khomri ne cherche pas à régler ce problème, mais à gérer la pénurie. Ainsi, la médecine du travail est éloignée des salariés qui en ont besoin ; l’impossibilité de reclasser un salarié inapte se trouvera renforcée par cette inaction, ce qui multipliera les licenciements. Le projet de loi devrait plutôt se concentrer sur l’aménagement et la transformation du poste de travail ou sur la mutation du salarié vers un autre poste.
Mme Catherine Perret, membre de la direction confédérale de la CGT. Au printemps 2015, le président de la République avait annoncé un projet de loi destiné à compenser tous les efforts réalisés par les salariés depuis 2012. On attendait donc un texte sur la sécurité sociale professionnelle améliorant la situation des salariés. Or le projet de loi que vous examinerez ne comporte pas beaucoup d’éléments de progrès social et de sécurisation.
En 1999, la CGT a créé le concept de sécurité sociale professionnelle, qui a inspiré d’autres organisations et d’autres partis politiques de droite comme de gauche. Nous avons donc la prétention de penser posséder une certaine expertise en la matière.
La négociation sur le CPA a échoué puisqu’il n’y a eu ni accord, ni même de position commune, les organisations patronales ayant refusé de signer le texte qu’elles avaient écrit ! Elles n’acceptaient pas en effet les dispositions relatives au CPPP. Ce dernier n’a pas d’existence réelle dans le projet de loi, qui reprend même la définition de situations de travail par référentiel de branche, ce qui complexifiera davantage la question de la portabilité, essentielle pour le CPA. Dans ce dernier, il n’y a donc que le CPF et quelques dispositions de la deuxième version du projet de loi de Mme El Khomri sur la formation et les jeunes.
La CGT propose deux mesures qu’il aurait été intéressant d’étudier pour poser les premières pierres de la sécurisation des personnes pendant leur parcours professionnel – sécuriser les parcours, donc l’employabilité, et sécuriser les personnes différant grandement dans un contexte de fortes mutations technologiques qui crée beaucoup d’instabilité et de précarité. La première a trait à la progressivité de la qualification et à sa reconnaissance tout au long du parcours professionnel, celle-ci étant consignée dans un CPA pour sécuriser les personnes et accroître la prévisibilité de leur parcours professionnel. La population demande une telle évolution, car elle souhaite davantage de visibilité et de stabilité. Une telle réforme augmenterait l’attractivité de la formation continue : on a envie de se former quand on nourrit l’espoir d’en retirer quelque chose dans sa vie quotidienne, dans son entreprise, dans son évolution professionnelle et en matière de progression salariale. On entre là dans une démarche de progrès social, les augmentations salariales tout au long de la vie nourrissant les droits sociaux, notamment ceux à la retraite. La seconde proposition vise à maintenir le contrat de travail en cas de mobilité choisie ou subie ; aujourd’hui, bon nombre de salariés connaissant de grandes périodes de rupture et éprouvant des difficultés à retrouver un emploi appartiennent aux très petites (TPE) ou aux petites et moyennes entreprises (PME). Ces entreprises travaillent souvent comme sous-traitantes de grands donneurs d’ordres, qui utilisent ces salariés comme variables d’ajustement, y compris pour leurs dividendes. Les grandes entreprises doivent assumer une responsabilité sociale et assurer une sécurisation des contrats de travail des salariés de leurs filiales ou de TPE. On créerait ainsi une solidarité entre les entreprises et les branches pour que ces salariés ne soient pas trop tributaires des bons de commande des grandes entreprises.
La deuxième version du projet de loi porté par Mme El Khomri recycle beaucoup de mesures déjà présentes ailleurs ; j’attire notamment votre attention sur la généralisation de la garantie jeunes, disposition du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, présenté au conseil des ministres du 6 avril prochain. Elle a d’ailleurs davantage sa place dans ce projet de loi que dans celui sur le travail. Le Gouvernement effectue là un affichage grossier destiné à calmer la jeunesse qui descend dans la rue. C’est la CGT qui a négocié en Europe l’accord sur la garantie jeunes, signé unanimement ; notre Confédération défend donc cette mesure, mais l’expérimentation en cours depuis trois ans fait apparaître de nombreux problèmes, qui empêchent aujourd’hui sa généralisation. Parmi ces difficultés figurent la mise en péril des missions locales – qui se trouvent en déficit à cause de cette garantie, le forfait attribué à chaque jeune se révélant insuffisant – et l’absence de retour à un emploi stable pour les jeunes.
Les annonces sur la formation professionnelle représentent un coût de 500 millions d’euros par an, financé par des fonds mutualisés d’un milliard d’euros qui consacrent déjà 300 millions d’euros aux demandeurs d’emploi. Si cette mesure n’était pas financée, elle mettrait en péril l’ensemble des dispositifs de formation professionnelle destinés à tous les salariés.
M. Christophe Sirugue, rapporteur. Comme j’ai eu l’occasion d’auditionner de manière individuelle chacune des organisations syndicales – à l’exception de l’une d’entre elle, faute d’avoir trouvé une date –, je vais me concentrer sur un seul point. Ce texte traite fondamentalement des accords d’entreprises et d’une nouvelle articulation des normes. À défaut d’une approbation majoritaire par les partenaires sociaux sur un accord d’entreprise, l’accord de branche s’applique. Le dispositif traduit notre confiance en la capacité des partenaires sociaux à nouer un accord.
Cela étant, je suis sensible au déséquilibre qui peut exister dans l’entreprise entre l’employeur et les salariés – ou ceux qui négocient pour leur compte. Nous y avons répondu dans le texte par le principe du mandatement. Cependant, je me pose une question : les organisations syndicales sont-elles capables de couvrir la demande de mandatement qui pourrait surgir dans le cas d’une multiplication des accords d’entreprises ? J’aimerais avoir votre avis sur deux moyens de remédier à d’éventuels soucis en la matière. À côté du mandatement, ne pourrait-il pas y avoir aussi des accords validés par les DIRECCTE, ou des accords validés puis examinés a posteriori par les organisations syndicales qui en vérifieraient la pertinence ?
Pour que ces accords aient du sens, il faut qu’ils soient négociés dans de bonnes conditions, ce qui suppose l’accompagnement des organisations syndicales. Si celles-ci ne sont pas suffisamment mobilisables, pour une raison ou une autre, pensez-vous que les deux solutions que je viens d’évoquer pourraient faire office de complément ?
Mme Monique Iborra. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je vous remercie les uns et les autres de vos interventions argumentées. Nous aurions évidemment préféré que cette loi soit négociée avec les partenaires sociaux qui sont les premiers concernés – mais pas les seuls, j’y insiste – par le sujet. Ce texte marquant une évolution – et non une rupture –, notre groupe considère qu’il est légitime que les partenaires sociaux, les salariés et aussi les citoyens s’en emparent. Il vaut toujours mieux voir le réel que de vivre avec des représentations. Ce projet de loi va précisément au-delà des représentations que peuvent avoir les non-spécialistes du sujet, les personnes qui ne sont pas en entreprise tous les jours, ce qui peut d’ailleurs être notre cas.
Nous ne sommes pas favorables au statu quo. Il ne s’agit pas de réformer pour réformer, mais la situation nous impose d’agir. Rappelons que plus de neuf embauches sur dix se font sous la forme d’un CDD ou d’un contrat d’intérim d’une durée de moins de trois mois. Rappelons qu’il y a en France une précarité croissante qui ne date pas de 2012, au point que les CDD de moins de trois mois représentent désormais 40 % des embauches. La réforme du code du travail n’est pas forcément la seule réponse, mais c’est l’une des réponses.
Le débat est légitime puisque le chômage reste à un niveau très élevé. Nos voisins européens ont engagé des réformes du marché du travail. Je n’en ai pas la même vision que vous et je ne fais pas la même lecture que vous du rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi. Je ne mets pas en cause votre interprétation, mais ce n’est pas la mienne. Cela étant, s’il y avait une recette miracle, nous la connaîtrions.
Certains estiment que cette réforme n’est pas nécessaire. Pour notre part, nous saluons le volontarisme politique de notre gouvernement et sa décision de faire bouger les choses. Est-ce que cela signifie forcément une confrontation ? Les uns nous reprochent de donner trop aux chefs d’entreprise, les autres de trop favoriser les salariés, ce qui tendrait à prouver que le texte est équilibré, comme nous le souhaitons. Notre problème est de faire émerger une nouvelle culture, basée sur la négociation et non sur la confrontation. C’est la raison pour laquelle nous sommes globalement favorables aux accords d’entreprise, à condition que les accords de branches soient préservés et qu’ils s’appliquent en cas de non-accord dans l’entreprise. C’est ce que prévoit le texte.
Cependant, nous devons encore travailler sur le projet de loi car un rapport de subordination existe indéniablement entre les salariés et les dirigeants d’une entreprise. Notre démarche consiste à rendre certaines situations négociables, partant du constat que les salariés comme les citoyens sont en demande d’un minimum d’autonomie dans leurs décisions. Nous insistons aussi sur la transparence : il est important que les accords soient publiés puis, passé un certain temps, évalués soit par le Parlement soit par les partenaires sociaux eux-mêmes.
Tel est notre état d’esprit à ce stade d’un débat qui doit se poursuivre : tous les acteurs, y compris les citoyens, doivent être entendus.
Mme Isabelle Le Callennec. Au nom du groupe Les Républicains, je voulais remercier les organisations syndicales pour leur contribution au débat. Hier, nous recevions la ministre du travail et, cet après-midi, nous auditionnerons les organisations patronales.
Mme Myriam El Khomri nous a rappelé l’ambition du projet de loi, contenue dans le titre : « Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. » Nous lui avons indiqué que, si notre groupe partageait cet objectif, nous aurions aimé être rassurés sur son intention de redonner des perspectives aux 6 millions de Français inscrits à Pôle emploi. Ce matin, il n’a pas été beaucoup question des demandeurs d’emploi.
Il y a eu une première version du texte. Les organisations patronales estimaient qu’elle allait dans le bon sens. Ce n’était manifestement pas votre cas puisque certains d’entre vous réclamaient le retrait du texte tandis que d’autres plaidaient pour sa réécriture. Il existe bien un pluralisme syndical, nous l’avons mesuré ce matin, mais chacun doit s’interroger sur le très faible taux de syndicalisation dans les entreprises françaises : 6 %. Soyez rassurés, le désamour vis-à-vis des partis politiques est à peu près du même niveau.
Si nous sommes ici ce matin, c’est parce que le choix de faire évoluer le texte a primé, mais la nouvelle version disconvient, pour ne pas dire davantage, aux représentants des entreprises. Les entreprises soutenaient en effet plusieurs mesures : la légalisation des accords offensifs, la possibilité pour une TPE d’appliquer unilatéralement un accord-type, la sécurisation du licenciement pour motif économique, le plafonnement des dommages et intérêts dus en cas de licenciement.
La deuxième version du texte les inquiète. Elles craignent que les avancées ne soient remises en cause, notamment celles qui sont relatives aux critères de définition du licenciement économique, dont vous avez parlé les uns et les autres. Elles citent de nets reculs : l’extension du mandatement dans les TPE
– qui fait peur – ; la suppression du forfait-jours avec un risque d’insécurité des accords antérieurs ; la suppression de l’adaptation du temps de travail des apprentis en fonction du temps de travail de leur tuteur. Je passe sur la possibilité de fractionner le repos et sur l’augmentation de 20 % des heures de délégations syndicales, sans parler du compte pénibilité.
Si je rappelle cela, c’est parce qu’en vous écoutant, j’ai le sentiment que le consensus va être extrêmement difficile à trouver. La ministre du travail estime que le texte présenté en conseil des ministres est équilibré. Ce n’est absolument pas l’avis de ceux qui créent l’emploi dans notre pays, c’est-à-dire les entreprises, singulièrement les PME. Ce n’est pas non plus l’avis de certains d’entre vous, mais pour des raisons opposées.
Alors je me pose la question. Est-il possible de réformer dans notre pays ? Allons-nous rester le dernier pays en Europe à subir le chômage de masse ? Est-il possible de concilier compétitivité économique et cohésion sociale, dans un monde économique ouvert et en mutation profonde ? Peut-on donner plus de souplesse aux entreprises et fluidifier le marché du travail, tout en offrant plus de sécurité aux actifs et de l’espoir aux demandeurs d’emploi, ceux que l’on appelle les outsiders ?
Nous voudrions le croire. Quand je vous entends dire que vous souhaitez favoriser le dialogue social au niveau le plus pertinent, c’est-à-dire de la loi, de la branche ou de l’entreprise, je me dis que tout espoir est permis. C’est la raison pour laquelle notre groupe va examiner cette loi article par article, avec le souci de soutenir tout ce qui va dans le bon sens, c’est-à-dire tout ce qui permet de lutter efficacement contre le chômage et institue vraiment de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.
Nous souhaitons surtout que l’examen de ce texte soit l’occasion d’un diagnostic partagé sur la situation de l’emploi dans notre pays. Nous réalisons en effet que dans les entreprises, dans les régions, au plus près du terrain, quand le diagnostic est partagé entre les partenaires sociaux, patronat et syndicats, il est beaucoup plus facile de se fixer des objectifs communs. Le dialogue social devient alors une réalité vécue positivement. J’en veux pour preuve les démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences que nous élaborons à l’échelle de nos territoires, dans l’intérêt des entreprises, des salariés et – ne les oublions pas – des demandeurs d’emploi.
Pour conclure, j’aurai trois questions. L’article 1er du chapitre Ier, intitulé « Vers une refondation du code du travail », institue une commission d’experts et de praticiens des relations sociales, afin de proposer au Gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail – ce que nous estimions être l’objectif premier de ce texte. Cette commission vous associe à ses travaux. Partagez-vous tous les principes mentionnés dans cet article 1er ?
Vous avez travaillé avec les organisations patronales sur les critères, énoncés dans une lettre paritaire datée du 28 janvier, permettant d’accompagner la restructuration des branches dont le nombre doit être ramené de 700 à 100 ou 200. Avez-vous bon espoir de convaincre le Gouvernement de leur bien-fondé ?
J’ai bien entendu tout ce que vous avez dit au sujet des branches. Vous avez évoqué le pouvoir unilatéral de l’employeur. Ne pensez-vous pas que la décision unilatérale de l’employeur, la DUE, qui est une procédure simple, popularisée par la mise en place de la complémentaire santé, soit une voie d’avenir ?
M. Francis Vercamer. M’exprimant au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je dirais que nous avons un défi à relever ensemble : l’adaptation de la société à la mondialisation, à l’évolution de la technologie et du monde en général. Ce projet de loi devait permettre à l’entreprise de s’adapter tout en garantissant au salarié une certaine sécurisation dans l’emploi. Je dis bien dans l’emploi et non dans son emploi. La véritable sécurité du salarié est d’avoir un emploi, ce n’est pas d’être sclérosé dans son emploi même quand celui-ci est menacé de disparaître avec une entreprise incapable de s’adapter à son environnement.
Dans ce texte, il manque une réflexion sur le coût du travail, qui est un frein à l’embauche, sur le financement de la protection sociale, et sur l’écart qui s’amenuise entre les revenus des travailleurs pauvres et ceux des allocataires de revenus sociaux.
Deuxième sujet : la complexité du code du travail. Avec ses 134 pages, ce texte ne va pas contribuer à clarifier ce code. Nous-mêmes, nous avons du mal à nous repérer dans l’article 2 sur le temps de travail, qui fait cinquante pages. Comment va faire un patron de TPE ou de PME qui peine déjà à s’y retrouver dans les textes actuels ? Comme d’habitude, ce projet de loi est fait pour les grands groupes plutôt que pour les PME. Nous avons encore une fois raté la cible : les PME qui créent de l’emploi mais qui sont plus petites que leurs homologues européennes parce qu’on les empêche de se développer.
Troisième sujet : la formation. Il vaudrait mieux améliorer l’orientation et l’accès à la formation que d’augmenter le nombre d’heures qui y sont consacrées. À chaque fois que nous avons augmenté le temps de formation, nous avons constaté que la mesure profitait à ceux qui en avaient le moins besoin, et non pas à ceux qui étaient les plus éloignés de l’emploi. Ce texte devrait être revu sur ce point car il ne résout pas le problème.
Quatrième sujet : le CPA qui, je suis d’accord avec vous, est important. Il tend à attacher la sécurité à la personne et non plus au contrat de travail, et donc à désolidariser le salarié de son entreprise. Quand les représentants de la CFDT ont évoqué ce compte, à plusieurs reprises, j’ai été frappé par leur vision d’une sécurisation du salarié dans son entreprise. Si l’on veut réformer structurellement le code du travail, il faut permettre au salarié de changer d’emploi sans perdre ses droits, pour qu’il puisse s’adapter à la société et ne pas s’accrocher à un métier du passé.
Cinquième sujet : la hiérarchie des normes. Comme vous, je pense qu’il faut que la branche puisse éviter la concurrence déloyale. Il ne faut pas que l’entreprise puisse déroger à tout prix à cette hiérarchie des normes ou aux règles des branches. L’entreprise doit certes pouvoir s’adapter, notamment quand elle est en difficulté, quand elle affronte sur ses marchés à l’exportation des concurrentes qui ne sont pas soumises au même droit social qu’elle, quand elle subit le dumping social d’une voisine, située juste de l’autre côté d’une frontière. Il faut permettre à l’entreprise de s’adapter, mais je suis assez d’accord avec vous sur la hiérarchie des normes.
À cet égard, j’ai une question simple : pour remédier à la faiblesse du nombre des syndiqués, pourquoi ne pas changer de paradigme en faisant un syndicalisme de service ou simplement en supprimant l’effet erga omnes ? Seuls les syndiqués bénéficieraient des accords signés, ce qui obligerait les salariés à se positionner par rapport aux syndicats. En outre, tous les salariés étant syndiqués, les référendums auraient lieu à l’intérieur du syndicat plutôt que de l’entreprise.
Mme Éva Sas. Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre commission pour représenter le groupe Écologiste. Je remercie également les représentants des organisations syndicales pour la qualité de leurs éclairages.
J’avais cinq questions, dont les deux premières s’adressent plutôt à la CFDT et à la CFTC. Les accords de branche permettent d’éviter la concurrence déloyale et la course au moins-disant social. Pensez-vous pertinent qu’un accord d’entreprise puisse fixer la majoration des heures supplémentaires tel que le prévoit l’article 2 du projet de loi ? Je ne crois pas que vous vous soyez exprimés sur ce point.
Ma deuxième question porte sur l’article 11. Comment justifiez-vous qu’un salarié, qui refuse la modification de son contrat de travail dans le cadre d’un accord de préservation et de développement de l’emploi, puisse être licencié pour motif personnel et non plus pour motif économique comme c’est le cas actuellement ?
Ma troisième question s’adresse à l’ensemble des organisations syndicales. J’ai entendu peu de propositions sur la médecine du travail. Le projet de loi a introduit un doute et un risque d’affaiblissement du travail de prévention effectué dans ce cadre. La prévention ne peut se limiter aux métiers à risques, toutes les professions étant exposées notamment aux risques psychosociaux. Comment maintenir le rôle de prévention de la médecine du travail tout en tenant compte des difficultés de recrutement avérées dans ce secteur ?
En termes de propositions et de protections nouvelles pour les salariés, avez-vous des mesures à préconiser pour les travailleurs de l’économie collaborative ? Comment intégrer ces derniers dans le code du travail ? La majorité d’entre eux subissent un lien de subordination réelle sans bénéficier de droits sociaux. Comment remédier à cela ?
Enfin, quelle est votre position sur le renforcement de la présence des salariés dans les conseils d’administration, qui pourrait être une façon d’introduire une gestion partagée de l’entreprise ?
Mme Dominique Orliac. Au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, je vous remercie, mesdames et messieurs les représentants des syndicats, pour votre présentation et pour votre présence, ce matin, au sein de notre commission.
Ma première question se rapporte à l’article 10. Dans l’exposé des motifs, il est indiqué : « L’article 10 renforce la légitimité des accords d’entreprise en modifiant la règle de validité des accords d’entreprise : la règle de l’accord majoritaire sera progressivement étendue. » Cela signifie que la validité de l’accord est subordonnée à la signature d’une organisation syndicale représentative ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés. À défaut, l’accord pourra être valide s’il est signé par des organisations syndicales représentatives ayant obtenu 30 % des suffrages exprimés, et approuvé par une majorité de salariés directement consultés sur demande de ces organisations syndicales. Ces nouvelles dispositions reviennent donc sur la loi de 2008 relative à la représentativité syndicale ; elles subordonnent la validité d’un accord à un seuil de 30 %, tout en prévoyant un droit d’opposition majoritaire. Les syndicats ayant adopté des positions très divergentes sur le sujet, j’aurais aimé avoir l’avis de ceux qui ne se sont pas encore exprimés.
L’article 15, quant à lui, prévoit que les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent mettre des locaux à disposition des syndicats, lorsque ces derniers en font la demande. La mise à disposition de locaux au profit des syndicats est un usage répandu dans de nombreuses collectivités territoriales. Toutefois, le cadre juridique de ces pratiques est très incomplet. Les nouvelles dispositions vous semblent-elles aller dans le bon sens ? Répondent-elles aux demandes adressées l’an passé à François Rebsamen ? Les estimez-vous encore incomplètes ?
L’article 25 étend le champ de la négociation annuelle relative à la qualité de vie au travail aux modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion. L’inscription de ce nouveau droit vise à prendre en compte les contraintes afférentes aux outils numériques mis à disposition par l’employeur et pesant sur les salariés. Il est présenté comme un enjeu majeur pour certaines catégories de salariés. Qu’en pensez-vous ? Le texte prévoit une entrée en vigueur de la mesure au 31 décembre 2017, afin de permettre la négociation. À défaut, les modalités d’exercice de ce droit seront définies par l’employeur. Le délai accordé est-il suffisant pour permettre à l’ensemble des acteurs sociaux de s’accorder sur ces modalités ?
Ma dernière question porte sur l’article 27 qui vise à renforcer l’utilisation des outils électroniques et numériques de l’entreprise par les organisations syndicales, et à permettre le recours au vote électronique simplifié. Selon l’étude d’impact, le vote électronique offrirait de nombreux atouts : simplification de l’organisation du scrutin, limitation des risques d’erreurs et de fraude lors du dépouillement, augmentation du taux de participation avec la possibilité de voter à distance pendant plusieurs jours, inscription du processus électoral dans une démarche de préservation de l’environnement. Quel est votre avis ?
Mme Jacqueline Fraysse. Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je voudrais à mon tour remercier les organisations syndicales qui ont bien voulu participer à ces débats et qui nous éclairent sur leurs préoccupations. Pour l’essentiel, leurs préoccupations confirment les miennes.
Comme je l’ai dit hier, lors de l’audition de Mme la ministre, nous rejetons tant la philosophie qui sous-tend ce projet de loi que l’essentiel de son contenu. Il est absolument inacceptable d’établir un lien entre la baisse des protections des salariés et les créations d’emploi. Ce lien n’a jamais été démontré. J’ai interrogé Mme la ministre à ce sujet mais elle ne m’a pas répondu. Quelle étude permet d’établir un tel lien ? J’aimerais le savoir.
Le débat ne porte pas sur la nécessité de développer, de fluidifier, d’améliorer, de faciliter le dialogue social. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Mais il faut prendre en compte un rapport hiérarchique lourd. Dans quelles conditions le dialogue social se déroule-t-il ? C’est tout le problème qui nous est posé.
Comme certains l’ont rappelé, la vocation initiale du code du travail est la protection des salariés. Non seulement cette protection ne doit pas être remise en cause mais elle devrait être améliorée, modernisée, mieux adaptée à la société actuelle. Or le texte, y compris dans sa deuxième version, marque des reculs en matière de temps de travail, de protection contre les licenciements abusifs, de santé, etc. Ce n’est pas une modernisation, c’est un retour en arrière.
Pour conclure ces observations générales, je précise que nous ne prônons pas pour autant le statu quo. Il s’agit évidemment de travailler avec tous, organisations syndicales et citoyens, afin de mettre en place des dispositions modernes et équilibrées, qui permettront d’explorer des formes nouvelles de salariat et des droits nouveaux, tout en tenant compte de la diversité des contraintes des entreprises, que personne ne nie et qu’il faut effectivement examiner. Nous devrions débattre d’un autre texte, ouvert sur l’avenir. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que celui-ci soit retiré.
Vous avez déjà répondu aux questions que je désirais vous poser sur le CPA et le mandatement. Il m’en reste trois autres.
Comment souhaitez-vous être associés à la commission qui est chargée de la refondation du code du travail ?
Le texte prétend renforcer les moyens qui sont accordés aux représentants des personnels. Que pensez-vous des articles 15 et 16 qui traitent des locaux et des heures de délégation ?
Concernant la hiérarchie des normes, je crois savoir que la CGT évoque la constitutionnalisation du principe de faveur pour ne pas risquer ces retours en arrière. Que pensent les autres organisations syndicales de cette proposition qui me paraît intéressante ?
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous en venons aux questions des députés.
M. Gilles Lurton. Le code du travail, selon M. Mikula, n’a cessé d’être assoupli depuis trente ans. Cependant, nombreux sont ceux qui estiment que les lois adoptées au fil des dernières années n’ont fait qu’y ajouter des pages supplémentaires, le rendant ainsi plus complexe au point d’être incompréhensible par les entreprises, en particulier les PME, qui sont pourtant les plus créatrices d’emploi. La loi impose la consultation des partenaires sociaux lors de toute modification du code du travail. Je vous pose donc la question : êtes-vous tous convaincus que le code du travail doit être simplifié – ce qui constitue l’un des premiers objectifs de ce projet de loi ?
D’autre part, j’estime qu’une réforme du code du travail ne doit avoir pour seul objectif que la relance de l’emploi afin de permettre aux jeunes, aux personnes peu qualifiées et aux seniors au chômage de retrouver un emploi. Selon la CGT, les droits et intérêts des salariés ne doivent pas s’effacer derrière les intérêts économiques et financiers, et je pourrais partager ce point de vue ; il n’est pas tolérable, néanmoins, que notre pays compte plus de 3,7 millions de chômeurs et que les contrats précaires s’y multiplient. En quoi ce projet de loi, dans la version qui nous est présentée aujourd’hui, est-il susceptible de relancer l’emploi ?
Enfin, le plafonnement ou la fixation d’un barème des indemnités prud’homales ne figure plus dans cette version du projet. Pourquoi cette disposition, telle qu’elle était initialement conçue, était-elle selon vous inacceptable ?
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Ainsi conçu, le compte personnel d’activité, qui permet d’attacher des droits à la personne tout au long de son parcours, constitue la pierre angulaire d’un nouveau contrat social. Nos concitoyens attendent une plus grande autonomie des décisions qui les concernent. Vous avez été plusieurs à soulever la notion du temps concernant le CPA, et je partage cette préoccupation. Comment entendez-vous poursuivre le travail en la matière ? Il semble que des difficultés empêchent d’aller plus loin et de bâtir un CPA tenant pleinement compte de la notion de temps, pourtant essentielle.
D’autre part, chacun connaît les situations dramatiques que créent les problèmes de reclassement dans les entreprises. Le projet de loi ne saurait éluder cette question. Une seule proposition de reclassement ne peut suffire : il faut veiller à ce que plusieurs propositions soient faites et prévoir l’accompagnement adapté pour que les intéressés retrouvent concrètement un poste et s’y maintiennent. Nous améliorerons ce faisant la sécurisation des parcours professionnels.
M. Jean-Louis Costes. Il existe un principe général de laïcité dans le secteur public. Ne serait-il pas temps d’établir enfin un principe identique dans les entreprises du secteur privé ?
M. Michel Liebgott. Votre franchise, mesdames et messieurs les représentants des syndicats, a fait apparaître de profondes divergences, au point que l’on peut s’interroger sur ce qu’aurait été la version initiale de ce projet de loi si elle avait été maintenue – ou si d’autres devaient y revenir un jour. Je comprends mieux pourquoi M. Fillon, par exemple, déclarait récemment qu’il gouvernerait par ordonnances au cours des deux mois suivant son élection.
Nous sommes tous témoins sur le terrain d’accords passés par les organisations syndicales dans les entreprises – la CGT signe environ 84 % des textes, la CFDT 94 %. Autrement dit, la volonté de dialogue social existe. Paradoxalement, comme le rappelait M. Combrexelle, on semble préférer que la loi, plutôt que le dialogue social et les échanges qui ont lieu au sein de l’entreprise, impose les règles. Certains d’entre vous souhaitent se dessaisir de ce pouvoir, ce qui me semble préjudiciable pour les salariés, car nul ne connaît mieux une situation que celui qui la vit sur le terrain. Ainsi, dans le secteur sidérurgique à Florange, les accords passés n’ont pu être signés que parce que les syndicats étaient forts. Certes, je ne suis pas favorable au modèle allemand, dans lequel il est nécessaire d’adhérer à un syndicat pour bénéficier des avantages d’un accord. Nous pourrions cependant nous inspirer de la qualité du dialogue social qui existe dans ce pays et de mesures très concrètes concernant le temps partiel, par exemple, qui ont permis à l’Allemagne de traverser la crise sans compromettre la formation professionnelle.
Je conclurai par un point positif. « L’État n’avait jamais concédé le pilotage de ce type d’opération de formation aux conseils régionaux, et je m’en félicite », déclarait récemment le président de la nouvelle région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine : c’est la preuve que nous pouvons encore avancer ensemble, de manière concrète et pragmatique !
M. Arnaud Viala. Ce projet de loi vise à « instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » et à apporter des solutions au contexte économique pour le moins dégradé que nous connaissons. Il a également été présenté comme un outil permettant d’établir un dialogue constructif entre les différentes parties prenantes de l’économie et de l’emploi.
Selon vous, la réforme du code du travail n’améliorera pas les conditions économiques de notre pays. Pouvez-vous nous donner quelques pistes qui permettraient d’y parvenir ? Cette question est le nœud du problème, en effet ; faute d’y répondre, nous nous contenterions de postures, les organisations syndicales se contentant de défendre les salariés, les organisations patronales de défendre le patronat et les formations politiques de se ranger derrière ceux qu’ils estiment – parfois à tort – constituer leur électorat.
J’en viens à la question de la méthode, que j’ai posée hier à la ministre sans obtenir de réelles réponses. Vous avez eu connaissance bien avant nous de ce texte – à cet égard, Madame la présidente, les membres de la commission ne disposent toujours pas d’un exemplaire imprimé du texte, ce qui me semble tout à fait anormal – qui tend à placer le dialogue et la négociation au cœur du dispositif. Or, vous avez tous déploré le fait que vous n’auriez pas été suffisamment consultés. Qu’en est-il ?
Mme la présidente Catherine Lemorton. Le texte est disponible en ligne depuis jeudi dernier comme cela vous a été rappelé par mail hier. Libre à vous de l’imprimer, monsieur Viala.
Mme Chaynesse Khirouni. Concernant la question de savoir si l’entreprise serait le meilleur niveau auquel conduire certaines négociations, en particulier sur le temps de travail, nos auditions ont permis de recueillir plusieurs inquiétudes. Certains employeurs nous ont rappelé que les TPE et les PME craignent des distorsions de concurrence en raison de la coexistence de conditions de travail et d’organisation différentes dans un même secteur d’activité, d’où une préférence pour les accords de branche ; ils s’inquiètent également de la pression accrue des sous-traitants. Du point de vue des salariés, les accords d’entreprise peuvent prévoir des dispositions moins favorables que les accords de branche ce qui, dans un contexte économique difficile, modifie forcément le rapport de force et fragilise la situation et les droits des salariés, les pressions s’exerçant au sein de l’entreprise étant plus fortes. Quelle réponse faites-vous à ces différentes craintes ?
D’autre part, en quoi la multiplication des accords d’entreprise permettrait-elle de simplifier et de fluidifier le marché du travail ?
M. Bernard Perrut. Les jeunes sont au cœur de nos préoccupations en matière d’emploi. Le Premier ministre a déclaré que la garantie jeunes serait une révolution pour la jeunesse – encore faut-il que cela se vérifie dans les faits, ce qui n’est pas certain. Le représentant de la CGT a évoqué son rôle au niveau européen en faveur du financement de cette mesure. Avons-nous seulement la même vision de cette garantie ? À mon sens, elle ne doit pas constituer un droit universel sans contrepartie, ni une nouvelle trappe à précarité. Convenez-vous des strictes obligations dont elle doit être assortie en termes de sélection, d’engagement, de détermination et de motivation des jeunes concernés ?
Que pensez-vous d’autre part du budget nécessaire au déploiement de cette mesure, la presse s’étant fait l’écho d’un débat imprécis sur cette question ? Quoi qu’il en soit, la garantie jeunes ne réussira que si les obligations et exigences qui l’accompagnent sont respectées afin de conduire les jeunes vers la formation et l’emploi.
Mme Kheira Bouziane-Laroussi. L’un des objectifs de ce projet de loi vise à répondre au besoin des chefs d’entreprise de disposer d’une meilleure visibilité dans les situations de contentieux, ce qui permettrait, semble-t-il, de favoriser les créations d’emplois. Les organisations syndicales, qui font partie des juridictions prud’homales compétentes en la matière, ont-elles des propositions à formuler pour améliorer le règlement des litiges, lesquels ne constituent pas une période plus facile pour les salariés que pour les employeurs ?
M. Yves Censi. Le droit du travail est de nature éminemment jurisprudentielle ; c’est pourtant une dimension que l’on néglige souvent lorsque l’on envisage la simplification du code du travail, dont la complexité tient pour l’essentiel à la somme de jurisprudence émise par la chambre sociale de la Cour de cassation. Tout comme les organisations d’employeurs, les organisations syndicales sont des acteurs de la justice prud’homale ; ne pensez-vous qu’en la matière, ce projet de loi passe à côté de quelque chose ?
D’autre part, le sixième principe énoncé à l’article 1er ne contient aucune nouveauté concernant la liberté d’expression des salariés ; en revanche, certaines dispositions disparaissent. Ainsi, pour s’opposer à la libre expression religieuse d’un salarié, un employeur doit aujourd’hui arguer non seulement de nécessités proportionnées au but recherché – ce qui est maintenu dans le texte – mais aussi d’exigences essentielles et déterminantes, en lien avec la tâche à accomplir – qui disparaissent. Qu’en pensez-vous ?
Enfin, ce projet de loi me semble se caractériser par une profonde ambiguïté concernant la hiérarchie des normes. Il dispose que « En cas de conflit de normes, la plus favorable s’applique aux salariés si la loi n’en dispose pas autrement ». Une telle rédaction laisse à penser qu’il n’a pas été mis fin au principe de faveur – bien au contraire, elle le renforce. Êtes-vous opposés à la suppression de ce principe et pensez-vous que la chambre sociale de la Cour de cassation et les autorités jurisprudentielles l’accepteraient aisément ?
M. Gérard Sebaoun. Par principe, je suis favorable à l’article 25, relatif au droit à la déconnexion, mais je reste tout de même très dubitatif. En effet, aborder ce sujet revient à aborder celui de la place des outils numériques dans notre vie professionnelle et personnelle. Or, le chevauchement de l’une et de l’autre ne trouvera pas de solution dans la loi, car les usages n’ont pas le même poids selon les individus, les organisations, les entreprises. L’arc des champs concernés s’étend de la protection des salariés – qui incombe naturellement aux employeurs – à une autonomie revendiquée, laquelle peut aussi se traduire par un mieux-être – et non un mal-être – au travail. On ne saurait traiter de la même manière la situation des salariés qui gèrent leur messagerie au moment de leur choix et ne le font pas toujours depuis leur lieu de travail, et ceux qui reçoivent des instructions à toute heure du jour voire de la nuit, ce qui constitue manifestement un facteur de risque et de stress. Autrement dit, le texte peut-il se limiter à prévoir une charte élaborée après avis des instances représentatives du personnel ?
D’autre part, le télétravail – objet de l’article 26 – connaît un certain retard en France. Avez-vous une idée de son développement actuel ? Je suis favorable à ce qu’il se développe par la négociation, à domicile comme dans des espaces de co-working.
Ces deux articles entraîneront un profond bouleversement de l’architecture très hiérarchisée de nos entreprises et provoqueront une véritable révolution du rôle des managers.
Mme Véronique Descacq. L’insuffisance de la couverture des mandatés dans les petites entreprises – à laquelle M. Sirugue a proposé de remédier par deux pistes alternatives – n’est pas un sujet de préoccupation pour la CFDT, qui ne s’inquiète pas de l’éventualité qu’un salarié éprouve des difficultés à trouver une organisation syndicale qui le mandaterait, et pour cause : nous avons déjà fait cette expérience lors des accords sur la réduction du temps de travail, dans le cadre de l’application des lois Aubry, sans rencontrer de problèmes. Les organisations syndicales étant organisées par profession et par territoire, et compte tenu des moyens de communication modernes, il est toujours aisé de trouver la porte d’entrée menant à l’interlocuteur susceptible de mandater un salarié.
Quant à votre proposition de faire valider les accords issus de la négociation dans les petites entreprises par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), ce n’est pas une piste que nous envisageons : une telle mesure ne relève en effet plus du champ de la négociation collective, mais d’une décision administrative. Nous préférons en l’occurrence prévoir à l’échelle de la branche la négociation d’accords-types de deux catégories : les accords-types d’application directe et les accords-types pouvant être appliqués par la branche sous réserve de leur adaptation dans les entreprises, le mandatement pouvant alors intervenir. Dans ce domaine, la branche a toute sa place à tenir : songez aux dispositions de la loi Rebsamen concernant les commissions paritaires des TPE, qui ont permis à certaines branches de créer des commissions spécifiques aux TPE pouvant utilement contribuer à la négociation d’accords-types applicables à ces entreprises.
S’agissant du principe de publication des accords, madame Iborra, nous proposons qu’il n’appartienne plus à l’employeur de choisir unilatéralement si les accords doivent ou non être publiés. D’autre part, la question de l’évaluation est majeure : au fil des réformes adoptées ces dernières années, le contenu du modèle social et la manière dont il se construit ont profondément changé. Il est impératif d’en évaluer les résultats, ce qui a d’ailleurs été fait suite aux accords nationaux interprofessionnels de 2008 et 2013. Nous devons reconnaître que notre première réponse n’est pas forcément la bonne : il faut poursuivre le changement lorsque l’on constate que les orientations prises étaient malvenues ou insuffisantes. C’est précisément ce que nous avons fait au sujet des accords de maintien dans l’emploi : nous avons estimé que les mesures prises en 2013 n’avaient pas permis de développer ces dispositifs parfois utiles pour les entreprises et pour les salariés. En clair, il est légitime que les lois reviennent sur des expériences qui ont montré leurs limites.
La CFDT, madame Le Callennec, ne souhaite pas réformer à tout prix pour flexibiliser un marché du travail déjà très flexible. Nous ne croyons pas non plus un seul instant à la solution miracle d’une réforme du marché du travail qui libérerait les employeurs de leurs angoisses existentielles en matière d’embauche et qui, du même coup, donnerait naissance à une génération spontanée d’emplois. En revanche, nous croyons que la société et l’économie traversent des mutations profondes. Or, à n’y répondre qu’en réduisant le coût du travail et les contraintes, on s’engagerait dans une spirale qui tirerait vers le bas non seulement les droits des salariés, mais aussi l’économie dans son ensemble.
C’est pourquoi les réformes mises en œuvre doivent selon nous poursuivre un triple objectif. Le premier vise à permettre aux entreprises de s’adapter au contexte nouveau en renforçant leur compétitivité ; de ce point de vue, le dialogue social est le moyen le plus pertinent de faire coïncider le nécessaire objectif de compétitivité des entreprises et celui de la protection des salariés. Le deuxième objectif consiste à attacher des droits à la personne afin de permettre aux personnes d’être plus mobiles et de changer de métier à mesure que les secteurs d’activité, qu’ils soient industriels ou agricoles, évoluent. C’est précisément le sens du compte personnel d’activité et de la sécurisation des parcours professionnels. Le troisième objectif, enfin, a trait à la montée en compétences et à l’ensemble des orientations relatives à la formation professionnelle, dont on ne saurait prétendre qu’elle continue encore aujourd’hui à favoriser les salariés les mieux formés. C’était le cas autrefois, en effet, mais la réforme de la formation professionnelle de 2014 était justement destinée à mettre fin à cette situation. Elle commence seulement à produire ses effets, mais elle va réorienter massivement les fonds alloués à la formation professionnelle en direction des personnes les moins qualifiées, qu’il s’agisse de salariés, de demandeurs d’emploi ou de jeunes en insertion ou en recherche d’emploi. Si je me félicite de cette deuxième version du projet de loi, c’est parce qu’elle parachève l’ambition défendue dans la réforme de 2014 en privilégiant les personnes les moins qualifiées.
Il va de soi que nous souhaitons être associés aux travaux de la commission d’experts créée par l’article 1er, au moyen d’échanges intelligents permettant aux organisations syndicales de formuler des contre-propositions. C’est d’ailleurs cette démarche pertinente qui a été adoptée avec le comité présidé par M. Badinter.
J’en viens au fameux principe n° 6 de l’article 1er concernant la laïcité en entreprise. Cette disposition suscite nombre de polémiques et de malentendus. Nous pensons que son retrait ne serait pas préjudiciable : l’article 1er suffirait en lui-même à conserver les règles telles qu’elles existent aujourd’hui dans le droit du travail et, en grande partie, dans la jurisprudence, comme l’a rappelé M. Censi. Toutefois, on peut légitimement se demander s’il suffit de préserver le droit actuel. Pour la CFDT, la question de la laïcité relève en partie de la pratique et du dialogue social. Légiférer sur ce sujet très sensible ne permet pas forcément de répondre aux nombreuses questions qui se posent dans les entreprises – nombreux sont nos militants qui nous signalent des problèmes liés non seulement à la pratique religieuse en entreprise, mais aussi aux relations entre les hommes et les femmes. Cela étant, s’il est tout de même décidé de modifier le droit positif, ce n’est sans doute pas dans le présent texte qu’il convient de le faire, car il ne permettra pas de s’appuyer sur un nécessaire débat citoyen plus large et instruit. À ce stade, nous en proposons le retrait, le premier principe suffisant à répondre à la question.
Je rappelle que la mise en place d’un régime complémentaire de santé, qui peut relever de la décision unilatérale de l’employeur, se fait toujours par la négociation – soit d’entreprise, soit de branche, comme nous le souhaiterions davantage. Autrement dit, le pouvoir unilatéral de l’employeur est extrêmement limité puisqu’il consiste à signer – sans le négocier – le contrat avec l’organisme prestataire.
Ce projet de loi permettra-t-il de remédier à la complexité du code du travail ? Il n’est guère possible de répondre à la complexité du marché du travail par un principe simple et unique. En revanche, cette nouvelle architecture nous paraît très pertinente, puisqu’elle vise à établir pour tous des règles qui protègent. La CFDT s’est notamment battue pour que la règle des 35 heures soit préservée dans l’ordre public social afin de protéger tous les salariés. En clair, il nous semble important que cet ordre public social protège tous les salariés, qu’il s’agisse des grands principes ou de règles plus détaillées concernant le volume horaire hebdomadaire ou le contrat de travail. Cela étant, certaines branches professionnelles ont toute légitimité pour négocier telle ou telle mesure, en matière de classifications par exemple. Ainsi, il nous semble pertinent que les branches se saisissent de la question des parcours professionnels au sein de chaque métier. De même, pour protéger les salariés, nous avons souhaité que la négociation qui permet de déroger à la durée minimale hebdomadaire du travail à temps partiel demeure de la responsabilité de la branche, car c’est là que se font la régulation économique et la concurrence entre les entreprises en la matière.
Le renvoi à la négociation d’entreprise nous semble intelligent à quelques conditions près, qui ont trait à la question du rapport de force. De fait, ce rapport de force est déjà pris en compte par la loi, qui prévoit la protection des salariés mandatés. De ce point de vue, le discours du patronat concernant le dialogue social direct – qui n’est pas synonyme de management – est un leurre, car il ne saurait y avoir de dialogue social direct entre personnes qui entretiennent un lien de subordination. L’intermédiation des organisations syndicales et la protection des salariés mandatés, dont nous souhaitons qu’elle soit étendue aux commissions paritaires de branche, sont des éléments essentiels. Autre élément essentiel : les accords majoritaires. Enfin, le rapport de force s’appuie sur un socle supplétif. Dès lors qu’il est à droit constant, l’employeur sait que s’il veut négocier, il doit passer par un accord d’entreprise et, par conséquent, donner des contreparties.
J’en reviens à la question du temps de travail et de la rémunération des heures supplémentaires. Il faut arrêter de dire que désormais, dans les entreprises, il sera possible de rémunérer les heures supplémentaires à un taux de majoration inférieur à 25 % et qui pourra descendre à 10 % : c’est faux. Quelle organisation syndicale signerait sans aucune contrepartie un accord majoritaire prévoyant une moindre rémunération des heures supplémentaires ? Cela n’a aucun sens. S’il peut y avoir une marge de manœuvre entre 10 % et 25 %, c’est parce que, dans le cadre de la négociation au sein de l’entreprise, des contreparties peuvent être proposées qui sembleront pertinentes aux organisations syndicales, donc aux salariés : possibilité de choisir l’organisation de son travail, de faire financer le mode de garde de ses enfants, d’être indemnisé pour un transport en taxi selon l’heure à laquelle on termine, etc. Toutes ces modalités qui complètent ou remplacent les 25 % de majoration du paiement des heures supplémentaires ne peuvent être fixées ni par une loi ni par un accord de branche, mais par une approche au plus près des réalités et des besoins des salariés, afin de savoir ce que ces derniers demandent en contrepartie de l’abandon de ce seuil – qui, en mettant les choses au pire, atteindrait 10 %.
Voici ce que je veux dire sur ce sujet, et qui permet aussi de répondre à la question sur la hiérarchie des normes et le principe de faveur. Celui-ci est facile à appliquer lorsque l’on négocie sur les salaires : quand on parle chiffres, savoir ce qui est plus ou moins favorable relève de l’arithmétique élémentaire. Mais les accords que négocient aujourd’hui les représentants du personnel dans les entreprises et dans les branches sont beaucoup plus complexes : il s’agit d’un enchevêtrement de dispositions, de contreparties, de dérogations, d’avantages qui peuvent être appliqués au niveau de l’entreprise bien que l’on n’y ait pas nécessairement pensé au niveau de la loi ni de la branche. Dans cet enchevêtrement, qui va juger de ce qui est plus ou moins favorable ? Si l’on ne veut pas que ce soit le juge, afin de ne pas judiciariser les relations sociales, il faut que ce soient les organisations syndicales légitimement élues par les salariés et qui représentent au moins 50 % des voix. Je ne vois pas comment décréter un principe de faveur dans des accords qui ne sont pas uniquement financiers, mais qui constituent un ensemble complexe de contreparties touchant notamment à l’emploi.
Faute de temps pour m’exprimer plus longuement, j’espère que vous trouverez les autres réponses à vos questions dans le texte qui présente les propositions de modification formulées par la CFDT.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour la parfaite transparence de nos débats, je rappelle que le rapporteur procède depuis la semaine dernière à des auditions en vue desquelles des convocations sont envoyées à tous les députés de la commission. La plupart des syndicats ont répondu favorablement à son invitation, mais il y a une organisation syndicale dont nous attendons toujours la réponse. Or, même si l’on souhaite le retrait du texte, il est important, à des fins de transparence et d’échange, de répondre aux demandes d’audition du rapporteur, d’autant que celui-ci a su s’adapter, proposant beaucoup de dates différentes. Je lance donc un nouvel appel, en toute cordialité et amitié, au syndicat qui n’a pas répondu.
M. Fabrice Angei. Le 31 mars, c’est un peu compliqué !
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous avons proposé d’autres dates, par exemple la semaine dernière. Il ne s’agit pas de polémiquer, simplement de signaler que les autres syndicats ont répondu et que nous avons déjà beaucoup échangé.
M. Bernard Sagez. Pour ma part, je répondrai d’abord aux questions concernant les accords.
Nous sommes favorables au mandatement : au mandatement a priori
– puisque, à un moment donné, il faut bien mandater un salarié en l’absence de délégué syndical –, mais aussi à un contrôle a posteriori des termes de l’accord par l’organisation mandante : cela relève de sa responsabilité, qu’elle a engagée en désignant un mandataire.
Nous sommes également tout à fait favorables à la transparence complète des accords ainsi qu’à leur évaluation.
Sans être opposés aux accords majoritaires, nous restons favorables à la possibilité également offerte aux syndicats représentant au moins 30 % des suffrages de soumettre l’accord qu’ils approuvent au référendum des salariés. Elle ne met pas les syndicats hors-jeu, mais tient compte du fait que, dans une entreprise, il n’est pas toujours possible de faire approuver un accord par des organisations représentant 50 % des voix. On a d’ailleurs pu signer dans la fonction publique des accords qui étaient bien loin de susciter ce degré d’approbation et qui n’en ont pas moins permis des avancées pour les salariés. Cette seconde option permet aux organisations syndicales qui ont négocié l’accord de s’assurer qu’elles sont sur la bonne voie : le référendum est une confirmation. Nous souhaitons donc, je le répète, le maintien de ces deux niveaux de validation des accords sur le terrain.
Favorable à l’idée de subsidiarité permanente, la CFTC estime que ses délégués syndicaux ont toute compétence pour négocier au plus près des entreprises et faire en sorte que les accords soient équilibrés, et qu’ils doivent être formés à cette fin par l’organisation.
En ce qui concerne les questions de flexibilité, de précarité et d’emploi, il serait exagéré d’affirmer que ce projet de loi va créer de l’emploi. Toutefois, dans un monde en bouleversement où apparaissent de nouveaux métiers, il faut fluidifier le marché du travail. Les salariés doivent occuper un emploi, mais ils ne garderont pas le même pendant quarante-deux ans ; or cette fluidification sera impossible si ce n’est pas à la personne que les droits sont attachés. C’est donc ainsi qu’il faut procéder, sur le modèle du CPA, et dans le cadre des négociations locales. Ainsi, le salarié sait qu’il pourra rebondir – dans une autre entreprise, comme autoentrepreneur – même si, pour telle ou telle raison, l’emploi qu’il occupe devait ne plus exister. Nous ne parlons donc pas à ce sujet de précarité, mais de parcours professionnel et personnel. Il faut évidemment que le dispositif soit équilibré.
S’agissant du fameux sixième principe de l’article 1er, nous estimons nous aussi qu’il n’apporte rien de nouveau par rapport aux dispositions existantes et devrait donc être retiré, à moins de mentionner la laïcité au premier principe, comme cela a été proposé.
En ce qui concerne la décision unilatérale de l’employeur, nous avions contesté la place qui lui était faite dans la première version du texte, aux termes de laquelle elle s’imposait en l’absence d’accord. Or cet aspect a été largement remis en cause : dans la version actuelle, on reste presque toujours à droit constant lorsqu’il n’existe pas d’accord, ce qui nous paraît satisfaisant.
Enfin, sans revenir en détail sur notre position concernant la branche, nous approuvons l’application d’accords-types négociés par la branche aux PME et TPE, où elle permettra une régulation.
M. Franck Mikula. Je répondrai pour ma part à Mme Iborra que le débat traditionnel qui oppose CDD et CDI, travail indépendant et travail salarié, mérite d’être modernisé : aujourd’hui, c’est l’opposition entre consommateur et salarié qui se développe. D’où le recours au low cost : « ce n’est pas bien d’acheter ses billets d’avion chez Ryanair, mais ce n’est pas cher, et je n’ai pas trop les moyens, donc je le fais quand même » ; « ta fille ne pourra pas devenir hôtesse de l’air, travailler dans cette entreprise où elle sera payée moins du SMIC ! – c’est vrai, mais tant pis ; je le dénonce, mais je l’accepte ». Or je suis de ceux qui pensent que l’on ne fera qu’accentuer cette opposition en ramenant la négociation au niveau de l’entreprise. Prenez l’exemple de Walmart, aux États-Unis : partout où l’entreprise s’implante, elle ruine tous les épiciers de la ville, car, en rémunérant moins les heures supplémentaires, elle réduit les garanties dont bénéficient tous les salariés qui font le même métier ; c’est exactement ce que l’on est en train de faire ici. C’est ainsi que l’on détruit la régulation existante et celle que l’on tente de construire par les accords de branche. Mme Iborra a salué le « volontarisme » du Gouvernement, qui entend « faire bouger les choses » ; je suggère simplement de prendre garde au « bougisme », qui ne crée pas d’emplois.
Madame Fraysse, lors de la concertation qui a eu lieu dans le cadre de la mission Badinter, nous avions proposé de constitutionnaliser les principes du droit du travail, à l’instar de la Charte de l’environnement, pour en garantir la solidité. M. Badinter nous avait répondu que ce n’était pas nécessaire : il suffisait d’en faire le préambule du code du travail, sur le modèle du code de procédure pénale dont chacun sait que c’est du solide et que l’on n’y touche plus. Je n’y connais rien, n’ayant jamais été garde des Sceaux, n’étant pas appelé à le devenir : je l’ai cru. Or je constate aujourd’hui que ces principes ont presque totalement disparu, au point que je me demande à quoi ils vont servir. Antoine Lyon-Caen lui-même, qui faisait partie du comité Badinter, ne cautionne pas du tout le présent projet de loi et critique ce qu’y deviennent les principes qu’il avait contribué à dégager.
M. Viala nous a demandé ce que nous, syndicats, proposions puisque nous n’acceptons rien.
M. Arnaud Viala. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Franck Mikula. Je vous l’accorde. Mais c’est une objection que nous entendons souvent – il y a quelques jours encore de la part de vos collègues. Ma réponse est toujours la même : je ne suis pas chargé de l’intérêt général, contrairement à vous dont c’est la responsabilité et l’honneur ; je suis compétent dans le domaine de l’entreprise et du dialogue social ; il m’est très difficile d’aller plus loin.
Simplement, dans le champ social, nous évaluons dès que possible les accords qui ont été négociés. C’est dans ce cadre que nous nous sommes penchés sur les accords nationaux interprofessionnels (ANI) de 2008 et de 2013, ce qui nous a conduits à nous interroger sur la loi relative à la sécurisation de l’emploi de juin 2013. Je ne partage d’ailleurs pas le point de vue de Véronique Descacq sur les accords de maintien de l’emploi.
Pourquoi ne faites-vous pas de même, comme législateur, en ce qui concerne les lois adoptées en matière économique et financière ? Je ne citerai qu’un exemple, celui d’un illustre ministre de l’économie, M. Strauss-Kahn, qui brisa un tabou séculaire en autorisant le rachat par les entreprises de leurs propres actions. S’est-on jamais interrogé sur l’efficacité de cette mesure du point de vue de la compétitivité des entreprises ou de notre pays ?
Avant de s’attaquer au droit social et au code du travail, rien n’interdit de les simplifier. Réformer le code du travail, c’est ce que nous faisons en permanence : c’est notre travail – et le vôtre. Mais, chaque fois que nous y touchons, nous lui ajoutons dix ou quinze pages. C’est ce que vient de faire la loi Macron. Voilà pourquoi M. Lurton peut m’objecter que l’assouplissement du code de travail depuis trente ans n’a fait qu’en accroître le volume. S’il existait une seule règle, la loi, uniformément applicable sur tout le territoire, le code du travail occuperait quatre pages. Mais, à force de vouloir l’adapter au terrain, on ne cesse de le compliquer.
Ne méconnaissons pas les problèmes de compréhension que soulève ce code. Vous me dites que vous-mêmes, législateur, n’y comprenez plus rien : je vous avoue qu’il nous arrive, à nous aussi, de rencontrer quelques difficultés. Cependant, une entreprise n’utilise jamais la totalité du code : une PME en applique un tiers à peine, voire 20 %. Si c’est cela qui pose problème, alors sortons du code les règles applicables aux PME, éditons un code des PME, et l’on ne verra plus aucun candidat à l’élection présidentielle balancer sur la table, devant les journalistes, un code du travail pesant quatre kilos – oubliant de parler du code de l’environnement, du code général des impôts, du code du commerce, tout aussi épais et compliqués que le code du travail !
Mme Le Callennec a posé une autre question récurrente : celle de la proportion de syndiqués. La CFE-CGC est l’un des plus petits syndicats représentatifs en France ; pourtant, elle compte plus d’adhérents que la plupart de vos partis. Mais peu importe, car là n’est pas la question, et heureusement : votre légitimité, c’est de l’élection que vous la tenez, comme nous. Or les élections professionnelles bénéficient d’un taux de participation qui vaut bien celui des élections politiques, voire le dépasse. Dès lors, quand on parle emploi, entreprise ou négociation, nous sommes légitimes. Et nous sommes favorables aux accords majoritaires car c’est une source de légitimité supplémentaire. Née des urnes, notre légitimité est aussi valable et respectable que celle des élus et des hommes politiques.
M. Didier Porte, secrétaire confédéral de FO. Monsieur Sirugue, la pression est plus forte au niveau des entreprises, et la négociation peut s’y dérouler sous la contrainte d’un chantage à l’emploi ou d’éléments propres à l’entreprise. Lorsque la marge de manœuvre de nos équipes se limite à négocier une remise en cause du code du travail, ce n’est plus une question de confiance vis-à-vis des syndicats d’entreprise. Il faut se mettre à la place de ces syndicats : on est en train de leur refiler cette remise en cause du code !
Quant aux deux propositions destinées à faire face à une multiplication des demandes de mandatement, je rappellerai notre position : nous souhaitons qu’il soit possible de désigner des représentants syndicaux à la main des syndicats et de travailler sur des accords de branche d’application directe. Ici, on prend le problème à l’envers. S’il faut une validation de branche comme il a pu en exister auparavant, pourquoi pas ? Mais telle est bien notre revendication.
Je le répète, il ne s’agit pas pour nous d’une évolution, mais d’une remise en cause, dans le cadre de la négociation collective, de l’un des piliers du pacte républicain et de notre République sociale : c’est une véritable rupture. Tous les citoyens sont concernés par le droit du travail, notamment les jeunes qui vivent actuellement une prise de conscience. Pour notre part, nous n’avons jamais confondu l’intérêt général, qui est de votre ressort comme parlementaires, avec l’intérêt particulier des salariés. Le droit du travail s’applique aux salariés, mais tout le monde a conscience du fait que ce projet de loi remet fortement en cause leurs droits.
En ce qui concerne les CDD et les CDI, l’importante négociation de la convention d’assurance chômage, qui est en cours, va peut-être sécuriser l’embauche en CDI en soumettant les employeurs à un dispositif de bonus-malus. En revanche, je ne vois pas ce qui, dans le présent projet de loi, garantira l’embauche en CDI.
Quant aux conséquences de la décentralisation du dialogue social au niveau européen, je citerai quelques chiffres. En Espagne, entre 2008 et 2013, le nombre d’accords de branche ou nationaux est passé de 1 448 à 706 ; le nombre d’accords d’entreprise, de 4 539 à 1 702 – on voit combien les Espagnols, eux aussi, font confiance à leurs syndicats d’entreprise ! – et le nombre de salariés couverts de 12 à 7 millions. Ces chiffres, qui émanent d’un institut syndical rattaché à la Confédération européenne des syndicats, ne sont pas contestables, eux non plus ! Au Portugal, l’évolution est comparable puisque le nombre de salariés couverts y a été ramené de 1,9 million à 328 000. La situation est un peu différente en Allemagne ; je n’y reviens pas.
La publication des accords d’entreprise sera bien une obligation. Peut-être faudra-t-il envisager de créer un site Négofrance, sur le modèle de Légifrance, auquel le juge chargé de trancher un contentieux pourrait se reporter au lieu de devoir se mettre en quête d’accords très disparates, de même que les avocats ou les défenseurs syndicaux. Cela risque d’être problématique.
Si nous n’avons pas parlé des demandeurs d’emploi, la question n’en a pas moins été évoquée. Nous attendons toujours l’étude qui nous prouvera que la déréglementation crée des emplois. Nous sommes solidaires des demandeurs d’emploi ; nous ne croyons pas que les salariés veulent garder jalousement leur emploi aux dépens des chômeurs, ni que la déréglementation permettra à ces derniers de retrouver des emplois corrects.
Tous s’accordent à considérer qu’il faut réduire le nombre de branches et redynamiser celles-ci. J’ai entendu la proposition concernant les commissions paritaires régionales interprofessionnelles issues de la loi Rebsamen mais, pour notre organisation, ces CPRI, qui peuvent apporter des éléments favorables au droit du travail au sein des petites entreprises, ne sauraient être un lieu de négociation. Le risque est de dévitaliser la négociation de branche au profit d’une négociation interprofessionnelle pour les TPE.
S’agissant du CPA, il faudra aussi prendre garde qu’il ne devienne pas un outil de remise en cause des grandes garanties collectives et d’individualisation des droits. De ce dernier point de vue, il peut être dangereux d’affecter des droits non plus à un statut, mais à une personne.
La hiérarchie des normes contribue à la lutte contre le dumping social ; c’est l’une des raisons pour lesquelles nous y sommes attachés ainsi qu’au principe de faveur. L’égalité de droits et de traitement au niveau national, dont on entend parler en ce moment, fait partie des valeurs républicaines auxquelles nous tenons. Faire primer l’accord d’entreprise représenterait une véritable inversion de la hiérarchie des normes, favoriserait le dumping social et balkaniserait le droit des salariés. Comme l’a dit mon camarade, il y aura bientôt autant de codes du travail que d’entreprises : du point de vue des valeurs, cela pose d’énormes problèmes.
En ce qui concerne le dialogue social direct, il s’agit d’une revendication patronale destinée à contourner les syndicats, qui sont pourtant les représentants officiels et légitimes des salariés, désignés par leur vote. Alors que la loi de 2008, défendue par le patronat et certaines organisations syndicales, visait à accroître la légitimité syndicale – je le dis d’autant plus librement que nous n’en étions pas signataires –, cette légitimité même est aujourd’hui battue en brèche ! Sachez que 80 % du contentieux prud’homal émane de salariés d’entreprises dépourvues de syndicat. En d’autres termes, lorsque les organisations syndicales sont présentes au sein des entreprises, le contentieux est réglé en amont, sans qu’il soit nécessaire de le porter devant les prud’hommes. Lorsque le patronat le comprendra, il aura fait de gros progrès !
Quant au taux de syndicalisation, je pourrais évoquer à ce sujet la discrimination syndicale, mais il me faudrait beaucoup plus de temps.
Le problème de la médecine du travail est lié au manque d’attractivité de cette profession. Il faut y remédier au lieu d’adopter des dispositifs destinés à contourner le déficit de médecins du travail.
Par ailleurs, notre organisation syndicale est également à l’initiative de l’article de loi relatif à la mise à disposition de locaux aux syndicats. Je vous invite à relire le rapport de l’IGAS, dans lequel M. Dole préconisait une loi obligeant les communes, les départements et les régions, à héberger les syndicats, conformément à un usage datant de la création des bourses du travail. On nous a expliqué qu’on ne pouvait pas aller aussi loin : pour une raison de constitutionnalité, il n’était pas possible en effet d’imposer à des structures régionales, départementales, ou municipales, une telle obligation. Pour autant, l’hébergement des syndicats pose des difficultés dans les grandes villes. Donner aux organisations syndicales les moyens de représenter les salariés passe par la mise à disposition de locaux leur permettant de travailler dans de bonnes conditions. C’est une question de démocratie.
S’agissant du droit à la déconnexion, j’ai l’impression que l’on réinvente le droit au repos. Il est clair, là encore, que le texte ne va pas assez loin. D’abord, l’entrée en vigueur de ce droit va devoir attendre le 31 décembre 2018. Ensuite, on manque de précision sur sa teneur. Enfin, son application ne sera pas uniforme, ce qui aboutira à renforcer les différences de conditions de travail. Il semble en effet que certaines modalités seront réservées aux entreprises de moins de 300 salariés, tandis que les entreprises de plus de 300 salariés bénéficieront d’une charte. Nous revendiquons la mise en place d’une vraie négociation dans le cadre d’un ANI, pour assurer l’égalité de traitement entre les salariés s’agissant du droit à la déconnexion. Je rappelle en outre qu’aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de la disposition dans les entreprises. C’est donc complètement insuffisant.
En matière de télétravail, on progresse, même si c’est encore insuffisant. Ce sujet doit faire l’objet de négociations, et aboutir à un accord véritablement encadré. Il faut se pencher sur la question de l’isolement des salariés en télétravail, sur les conditions matérielles assurées aux intéressés. Les grands principes ont été mis en place : il faut à présent les renforcer. Le télétravail évite en effet à certains salariés de faire trois heures de transport par jour. C’est particulièrement appréciable en région parisienne.
Pour le CPA, il faut commencer par travailler sur le contenant ; nous verrons pour la suite. Comme l’a dit la ministre, nous ne participons pas à la commission de réécriture.
Par ailleurs, la constitutionnalisation du principe de faveur est une idée intéressante. Je n’ai pas de mandat pour en parler devant vous, mais, a priori, nous ne sommes pas contre.
J’en viens au code du travail. Aujourd’hui, il ne convient à personne. Mais il faut que l’on s’accorde sur certains objectifs. Ainsi, le code du travail n’est pas fait pour créer des emplois. Cela étant, notre organisation s’interroge. Que font les chambres consulaires ? Que font les organisations patronales ? Elles devraient, elles aussi, assurer un suivi et une assistance aux employeurs. En effet, personne ne peut connaître le code du travail sur le bout des doigts ; il faut être juriste pour cela. On veut simplifier le code du travail pour le rendre accessible aux employeurs des TPE et PME. Mais un code du travail réduit à quelques feuillets risque d’être problématique.
Je terminerai sur notre opposition au plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où cela ne permettait pas de prendre en compte l’ensemble des préjudices subis par les salariés. Seul le critère de l’ancienneté était retenu. Mais quid de l’âge du salarié licencié ? Quid de sa situation par rapport à l’emploi ? Il est parfois plus compliqué de retrouver du travail dans certains bassins d’emploi, quand on a cinquante ans, que l’on est moins mobile, etc.
Sans compter que l’on était dans une stratégie d’évitement du juge. Je rappelle tout de même que les juges sont paritaires – il y a des employeurs, et des salariés. On met en avant l’insécurité juridique. Mais le code du travail visait à l’origine à apporter de la sécurité juridique aux salariés, et pas aux employeurs. Or certaines dispositions, notamment dans le cadre du licenciement économique pour cause personnelle, peuvent aboutir au licenciement du salarié qui n’accepte pas la mise en place d’un accord pour l’emploi. Dans ces conditions, le salarié peut-il avoir une vision à long terme ?
M. Fabrice Angei. Je voudrais dire à M. le rapporteur que nous sommes disponibles pour trouver une date. De même, nous pourrons rencontrer l’ensemble des groupes qui nous ont sollicités – à l’exception bien sûr des députés Front national.
Sur la question du mandatement, nous avons une position commune avec la CFDT. Nous ne soutenons pas la proposition consistant à faire valider des accords par la DIRECCTE pour suppléer les difficultés de mandatement, dans la mesure où il s’agit là d’une autorisation administrative. Je rappelle que le droit à la négociation est un droit des salariés, qui figure dans le Préambule de la Constitution et qui est exercé par les représentants syndicaux. Il est important de s’y tenir. D’autres moyens existent que l’on a évoqués tout à l’heure et sur lesquels je ne reviendrai pas.
Nous avons également la même position que la CFDT s’agissant de la laïcité. Nous sommes favorables, nous aussi, au retrait du sixième principe. Il n’est pas nécessaire de légiférer en la matière, cela ne ferait qu’entraîner des complications. Un travail intéressant est actuellement conduit avec le ministère et l’ensemble des acteurs sociaux pour définir une sorte de déontologie en ce domaine. Une telle façon de procéder est préférable.
Sur le vote électronique, qui a été largement développé dans la fonction publique, nous avons constaté que sa mise en place ne facilitait pas la participation électorale. D’ailleurs, celle-ci est élevée dans les élections professionnelles – en cas de dépôt de listes. Cela étant, nous ne sommes pas opposés à une extension des modalités de vote. Pour élire les représentants du personnel au niveau de l’entreprise, le principe doit être le vote sur place. Mais les salariés et les cadres sont nombreux à se déplacer. Il faut donc trouver de nouvelles modalités pour tenir compte des spécificités de certains.
S’agissant de la représentation des salariés au conseil d’administration, nous y sommes favorables et nous avons des propositions précises à faire en ce domaine – nous vous les communiquerons. Malgré tout, nous raisonnons différemment : il ne suffit pas, selon nous, d’élargir la représentation dans les CA. Nous considérons qu’il faut doter les instances représentatives du personnel de droits élargis, notamment en matière de contrôle des aides aux entreprises, et de droit de suspension pour s’assurer du « bien-fondé », ou plutôt de la réalité des licenciements économiques décidés par une entreprise. Mieux vaut donner davantage de droits, que d’élargir la représentation.
Concernant ce que l’on appelle, et cela nous est insupportable, les « insiders » et les « outsiders », avec des salariés protégés par un contrat en CDI, qui empêcheraient les chômeurs d’accéder à l’emploi, les politiques que vous êtes doivent se méfier de ce genre de raisonnement qui désigne des boucs émissaires, favorise la division et renforce finalement l’extrémisme et le Front national, comme on le constate à chaque élection. Cela étant, il y a des choses à faire.
Je pense à la taxation des CDD, que la ministre a rejetée en expliquant que cela relevait de la négociation sur l’UNEDIC. Pourtant, elle l’avait proposée. Je ne vois pas pourquoi on ne s’engagerait pas sur cette piste, ni pourquoi on n’entend pas de recommandations fortes en ce sens – le Gouvernement sait le faire, dans les négociations qui se déroulent aujourd’hui.
Deuxièmement, le nombre des ruptures conventionnelles a explosé. En fait, ces ruptures permettent de pallier la pénibilité au travail qui est mal prise en compte, constituent une réponse à l’intensification du travail, à l’allongement de l’âge de départ en retraite et à la souffrance au travail. Ce sont les séniors qui ont le plus souvent recours à la rupture conventionnelle – déguisée ou non. Comme ils sont à bout, ils quittent l’entreprise. On les retrouve ensuite à l’UNEDIC, ce qui aggrave le déficit par ailleurs.
Pour favoriser l’accès à l’emploi, et dès lors que la rupture conventionnelle n’est pas motivée par un licenciement économique, mais découle d’une volonté contractuelle, il faudrait assujettir chaque rupture à un recrutement. Il faut aller jusqu’au bout de la logique. Sinon, il y a détournement du dispositif.
S’agissant de la complexité du code du travail, il faut relativiser les choses. Sur les 3 580 pages de l’édition Dalloz, 2 500 concernent la santé et la sécurité des travailleurs ; ce sont des dispositions très précises sur certains métiers et certaines activités. Chacun a donc du code une lecture sélective, « à la carte ». De la même façon, les TPE ou les entreprises de moins de 50 salariés ne sont pas concernées par les dispositions relatives aux délégués du personnel ou aux comités d’entreprise. Ainsi, l’ensemble du code ne s’applique pas à tout le monde.
En Grande-Bretagne, il n’y a pas de code du travail mais 500 dispositifs législatifs régissent les relations sociales du droit du travail. On ne peut pas dire que certains pays ont un droit surabondant, et d’autres pas. Le volume de notre législation du travail n’est pas plus important que celle de nos voisins, que l’on ne critique pas par ailleurs.
Bref, il convient de relativiser la complexité de notre code. Pour autant, à la CGT, nous ne sommes pas pour le statu quo. Nous sommes favorables à la simplification, à condition qu’elle ne se traduise pas par l’amoindrissement des droits et des garanties effectives. C’est en ce sens que nous prenons nos distances avec ce qui se passe aujourd’hui – l’ordre public social que l’on veut mettre en place, et le renversement de la hiérarchie des normes que l’on veut imposer.
Comment créer de l’emploi ? Tout le monde le dit : la situation de l’économie et de l’emploi est grave et l’heure est à l’action. Dans le même temps, chacun reconnaît – y compris le MEDEF – que ce n’est pas le code du travail qui va permettre de créer de l’emploi. Pour nous, il peut créer de l’emploi, mais pas par la flexibilité. Par exemple, la réduction du temps de travail, mesure de progrès social, est créatrice d’emploi. Pourquoi ne pas fixer la norme à 32 heures hebdomadaires, puis l’aménager selon les métiers et les entreprises ?
Les petites entreprises souffrent de la minceur de leurs carnets de commandes pas d’un manque de flexibilité. On ne crée pas assez d’emplois, parce que notre croissance est atone : moins de 60 000 emplois ont été créés en 2015. C’est donc bien un changement de politique économique qui est nécessaire. Et celui-ci passe, notamment, par l’augmentation des salaires, la réduction du temps de travail et le contrôle des aides.
La réponse est économique. Elle n’est pas dans le code du travail qui sert depuis deux cents ans à protéger les salariés. Notons qu’à l’époque, cette protection avait été demandée par les entreprises. Lorsqu’en 1918, on est passé à huit heures de travail par jour, c’était pour prendre en compte les personnes qui revenaient de la guerre. Il s’agissait de travailler moins pour que tous travaillent. Ainsi, la protection n’est pas l’ennemi de l’emploi. Bien au contraire.
Madame la présidente, je pense avoir dit l’essentiel. Je terminerai par un point sur lequel nous n’avons pas la même position que Force Ouvrière – mais plutôt la même que la CFDT : les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI). Nous considérons en effet que la sous-commission doit être un lieu de négociation pour les petites entreprises et les TPE.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci à tous de vous être prêtés à cet échange.
La Commission procède à l’audition des organisations représentatives des employeurs (CGPME, MEDEF, UPA) lors de sa seconde séance du mercredi 30 mars 2016.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons notre marathon sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs en entendant la voix des instances patronales.
Comme nous, vous avez noté qu’il existe une version 1 et une version 2 du projet de loi et vous avez le sentiment de ne pas y avoir été associés. Nous avons donc au moins deux points communs.
Avez-vous été un tant soit peu associés à l’élaboration de ce projet de loi avant qu’il en soit fait état dans la presse ? Comme je l’ai dit hier à la ministre, jamais on n’a autant débattu d’un avant-projet de loi. C’est une première dans ma vie de parlementaire que de discuter d’un texte qui n’a pas encore été soumis au Conseil d’État.
M. Alexandre Saubot, président du pôle social du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). L’évolution du droit social et du code du travail fait l’objet d’échanges réguliers avec le Gouvernement. Nous savions qu’un projet de loi El Khomri était en préparation, notamment pour transposer le rapport Combrexelle. Mais l’avant-projet de loi, avant sa parution dans la presse, n’a pas fait l’objet d’une concertation complète et détaillée sur l’ensemble de ses dispositions. Certains des éléments qui le composent – la déclinaison du rapport Combrexelle, l’évolution du droit du licenciement – ont toutefois donné lieu à des discussions récurrentes avec le Gouvernement. Comme tout le monde, nous avons découvert, avec la version finale du projet, les arbitrages par rapport à la première version dont l’ambition résidait non pas tant dans les mesures prises séparément que dans la cohérence de celles-ci.
Je ferai deux remarques préliminaires. D’abord, il faut être conscient de la gravité de la situation économique de notre pays. Depuis trois ou quatre ans, on observe une divergence assez nette entre la croissance économique française et celle de ses grands voisins européens. Ce constat vaut également pour l’évolution du taux de chômage. Face à l’urgence économique et sociale, le monde patronal
– mes voisins ne me contrediront pas – considère que des mesures ambitieuses et courageuses sont nécessaires pour inverser la situation et proposer aux entreprises un cadre plus adapté à la prise de risques et à la création d’emplois.
Les chiffres sont éloquents. Depuis 2012, la croissance française est sensiblement inférieure à la croissance moyenne de la zone euro. Quant au nombre de chômeurs sur les quatre dernières années, tandis qu’il augmentait en France de 600 000, il a baissé en Allemagne de 400 000 et de 800 000 en Angleterre. Cette situation atypique justifie, à tout le moins, de prendre certaines mesures.
Seconde remarque visant à lever toute ambiguïté, la réforme du code du travail ne peut pas être l’alpha et l’oméga d’une politique de l’emploi. Elle n’est qu’une brique de l’édifice, à côté de la réforme de la compétitivité qui, avec le pacte de responsabilité et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), vise à rapprocher la fiscalité française de la moyenne européenne, et du choc de simplification, dont les résultats sont malheureusement très limités sur le terrain. La construction normative et réglementaire, qui se poursuit, vient tous les jours compliquer la vie de nos entreprises, en particulier la « surtransposition » du droit européen que nous sommes les seuls à pratiquer. Certaines idées sont compréhensibles sur le plan philosophique mais nous sommes les seuls à vouloir les mettre en œuvre. En instaurant de nouvelles obligations sans en mesurer les conséquences sur l’emploi et sur la capacité de nos entreprises à se développer, on maintient ces dernières dans un environnement difficile.
Je le redis, la première version du texte traitait de manière assez cohérente des situations classiques que peuvent rencontrer les entreprises et proposait, de façon assez simple, des règles en matière d’emploi et de licenciement, économique ou individuel. Nos grands voisins européens connaissent ces dispositifs dont les effets sont incontestablement positifs sur l’emploi et neutres en termes de précarisation ou d’aggravation de la situation du marché de l’emploi.
Le débat né de la première version nous a paru assez surréaliste : le plafonnement des dommages et intérêts aux prud’hommes, et un régime clair du licenciement économique existent en Allemagne et dans d’autres pays européens ; le périmètre national pour apprécier les difficultés économiques de l’entreprise a été retenu dans tous les pays européens. Nous sommes le seul pays dans lequel cette appréciation porte sur un autre périmètre. L’Europe est certes un grand marché, mais avec des cycles économiques différents et des règles fiscales et sociales variables d’un pays à l’autre. La santé d’une entreprise présente dans trois ou quatre pays d’Europe est très rarement liée à des arbitrages de localisation ou d’optimisation, mais, comme on l’a observé ces dernières années, à la situation économique plus ou moins favorable dans chacun des pays. En termes d’attractivité pour les investisseurs, les spécificités françaises sont dissuasives.
La première version apportait des réponses au besoin de conquête de nouveaux marchés, avec les accords de développement de l’emploi. Ces accords traduisent la capacité à trouver dans l’entreprise des solutions pour être plus réactif et plus compétitif. Ils sont actuellement réservés aux entreprises disposant d’une représentation syndicale. Or 4 % seulement des entreprises françaises sont dotées d’une telle représentation. Cela signifie que 96 % des entreprises ne peuvent pas profiter de ce dispositif. Les solutions proposées gagneraient beaucoup à être enrichies pour tenir compte de cette réalité et de l’incapacité structurelle des syndicats à offrir une réponse à ces situations. Il ne faut y voir aucune tentative de contourner qui que ce soit. La grande majorité des entreprises françaises travaille très bien avec leurs représentants syndicaux, mais elles sont peu nombreuses à disposer d’interlocuteurs pour le faire.
Le retrait des dispositions relatives au plafonnement de l’indemnité prononcée par le conseil de prud’hommes fait également partie de nos regrets. Dans la première version, un salarié ayant vingt ans d’ancienneté était susceptible de partir avec vingt-cinq mois de salaire si le licenciement était reconnu comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. On peut considérer que ce n’est pas assez. Cependant, je ne connais aucun chef d’entreprise qui regarde ce montant avec détachement et qui le considère comme une incitation à licencier ou un blanc-seing pour faire ce qu’il veut, bien au contraire. Je ne connais aucun chef d’entreprise qui embauche en pensant à licencier. En revanche, nous le savons tous, le recrutement est une matière difficile : il arrive que le salarié se trompe d’entreprise ou que l’employeur se trompe dans le choix de son collaborateur. Lorsque cette incompatibilité est constatée, avoir de la visibilité évite à l’entreprise d’entrer dans une période d’aléa économique qui peut aboutir, en particulier pour les plus petites entreprises, à des situations compliquées. Les exemples sont nombreux d’entreprises mises en difficulté par des décisions du conseil des prud’hommes. A contrario, certaines décisions des conseils de prud’hommes sont peu généreuses. L’absence de barème crée une inégalité dans les conditions de départ, assez étonnante, qui doit nous faire réfléchir sur le fonctionnement de notre justice.
Autre pilier du projet de loi, la clarification des motifs de licenciement économique. La France a fait le choix, que certains regrettent, de s’inscrire dans une Europe ouverte et de jouer le jeu de la mondialisation. Dans ce monde ouvert, la croissance de l’activité n’est plus assurée, comme lors des Trente Glorieuses, pendant de nombreuses années. Dans les bonnes périodes, le chef d’entreprise doit penser sa capacité à réagir lorsque l’activité économique se contracte ou lorsque les commandes se tarissent. Dans ces circonstances, l’incertitude juridique et calendaire est un frein au développement des affaires ainsi qu’au recrutement.
La version initiale du projet de loi présentait une opportunité de réduire la dualité actuelle du marché du travail en offrant la perspective aux personnes qui sont au chômage ou dans des contrats précaires d’accéder plus facilement au Graal que peut être le CDI.
À notre grand dam, la faculté pour les PME de se saisir de certains outils
– mesure unilatérale, temps de travail des apprentis, et autres – a également été supprimée.
La seconde version a fortement réduit l’ambition de rapprocher le droit social français des standards européens que portait la première version. Tout nouveau recul, à travers l’examen de ce texte, serait perçu comme une grave erreur et une occasion manquée de donner une chance à notre pays d’entrer de plain-pied dans un environnement concurrentiel. Les entrepreneurs français aspirent seulement à bénéficier des mêmes règles que nos voisins et à travailler dans un monde ouvert, avec ni plus ni moins de boulets attachés aux pieds que leurs concurrents.
M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA). La première version du projet de loi comportait un certain nombre de dispositions qui concernaient directement les TPE et les PME. L’UPA regrette vivement qu’elles aient été retirées dans le projet de loi qui a été déposé.
Nous sommes particulièrement critiques sur la philosophie du texte. Nous sommes d’accord pour assouplir et simplifier un code du travail très complexe et sédimenté. C’est la raison pour laquelle nous avons beaucoup travaillé dans le cadre de la mission Badinter et de la mission Combrexelle. Mais, dans le texte tel qu’il vous est présenté, la mise en œuvre des quelques dispositions qui demeurent apportant des assouplissements dans l’entreprise est conditionnée à la signature d’un accord d’entreprise.
Je conteste l’idée, ancienne et qui dépasse les clivages politiques, selon laquelle on peut régler tous les problèmes sans s’attaquer au cœur du sujet qu’est le code du travail, et contourner certaines dispositions par des accords d’entreprise. Je préfère vous le dire tout de suite, cela ne marchera pas.
Pourquoi ? Ce n’est pas moi qui le dis mais la Commission nationale de la négociation collective. La France compte, hors agriculture, 1 160 000 entreprises dont 98 % sont des entreprises de moins de cinquante salariés ; ces dernières emploient 53 % des salariés français. Les grands groupes de plus de 500 salariés ne représentent que 10 % du salariat. On semble parfois croire que la France n’est composée que de grands groupes, mais ce n’est pas la réalité. Chaque année, 40 000 accords d’entreprise sont signés – cela ne signifie pas 40 000 entreprises signataires puisqu’une même entreprise peut signer plusieurs accords. Admettons cependant que 40 000 entreprises négocient de tels accords, il n’en reste pas moins que 1 120 000 entreprises ne le font jamais et le chiffre est certainement plus élevé.
La solution du mandatement est une illusion. Les entreprises de moins de cinquante salariés n’ont pas envie d’y recourir et ne sont pas outillées pour le faire. Les accords demandent à être négociés par des spécialistes dont la quasi-totalité de ces entreprises sont dépourvues.
Nous ne sommes pas favorables au verrouillage des accords d’entreprise, tout en reconnaissant l’existence de besoins spécifiques selon la taille de l’entreprise. L’UPA n’a jamais milité pour le renversement de la hiérarchie des normes. Nous considérons que l’ordre public social doit continuer à relever de la loi. En revanche, certaines dispositions devraient relever de la branche, voire de l’entreprise. Pour les règles sur le temps d’habillage et de déshabillage, par exemple, la branche semble le niveau approprié. La branche doit définir ce que j’appelle l’ordre public de branche, c’est-à-dire déterminer les dispositions auxquelles il est possible ou pas de déroger. Autour de la table d’une branche, les acteurs sont responsables. Ce système pouvait apporter une respiration aux entreprises.
Le déverrouillage total – lorsque tous les sujets sont renvoyés à l’accord d’entreprise qui peut déroger à l’accord de branche – risque de poser des problèmes dans certains secteurs d’activité, en particulier le bâtiment. Dans ce secteur, les problématiques ne sont pas les mêmes pour l’artisanat, qui réalise 50 % de l’activité, et pour les « majors », qui représentent 30 % de celle-ci. Dans certains cas, il est nécessaire de fixer des règles de solidarité entre toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Nous restons attachés à ce principe.
Je caricature volontairement un peu. D’après un sondage que nous avons réalisé localement, les TPE et les PME considèrent que le texte ne les concerne pas. Non seulement le projet de loi n’est pas fait pour ces entreprises, mais l’article 19, dont il n’a pas été fait état devant la ministre lors de son audition hier, me semble-t-il, vise à revoir la représentativité patronale telle qu’elle a été modifiée par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.
J’en profite pour répondre à votre question, madame la présidente. Le ministère du travail est traditionnellement un ministère qui discute avec les partenaires sociaux – c’est toujours vrai. Toutefois, la rédaction de ce projet de loi n’a pas donné lieu à une concertation spécifique. Tous les points qu’elle aborde ont été discutés de manière informelle. L’avant-projet nous a été présenté – et non remis – quelques jours avant sa publication dans Le Parisien.
L’article 19 revient sur la représentativité patronale alors que de nouvelles règles ont été fixées, voici quelques mois seulement, par la loi précitée, qui, elle, avait fait l’objet d’une concertation approfondie. Les organisations patronales n’avaient pas réussi à s’entendre sur un élément de pondération, mais elles avaient retenu le critère du nombre d’entreprises adhérentes pour mesurer la représentativité. Considérant que nous n’étions pas allés assez loin, le Gouvernement avait confié à Jean-Denis Combrexelle une mission. Les propositions législatives de son rapport sur la réforme de la représentativité patronale, qui était le fruit d’une large concertation, ont été reprises dans la loi.
Depuis 2015, le MEDEF ainsi que certaines fédérations représentant des grands groupes contestent les règles qui ont été arrêtées. Le décret d’application de la loi de 2014 a fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État, fondé sur l’inégalité de traitement, qui a donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 3 février 2016, que les dispositions concernant la représentativité étaient conformes à la Constitution. À l’époque, le Premier ministre défendait la réforme au motif que de nombreuses organisations représentant des TPE et des PME risquaient d’être écartées.
Les dispositions de l’article 19 ne feront pas disparaître l’UPA mais elles en limiteront assurément le poids. Plus grave, elles priveront de représentativité de très nombreuses fédérations dans toutes les branches professionnelles qui représentent les TPE et PME. L’histoire des organisations patronales depuis 1945 est ainsi faite que certaines fédérations représentent plutôt des grands groupes, et d’autres plutôt des petites ou moyennes entreprises, quelques organisations de branche représentant tout le monde.
On ne peut pas, d’un côté, vouloir redynamiser la négociation sociale et, de l’autre, faire en sorte que les TPE-PME ne puissent plus avoir voix au chapitre dans les négociations au niveau des branches. Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, souligne que ces dispositions n’ont fait l’objet d’aucune évaluation.
Le MEDEF et la CGPME ont signé un accord, que j’appelle occulte, car nous n’avons jamais pu en prendre connaissance. Pour justifier l’article 19, le Gouvernement prétend intégrer cet accord dans la loi. La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi prévoyait une concertation, qui devait prendre fin au plus tard le 15 novembre sur les évolutions possibles des règles de répartition des crédits et de gouvernance du fonds paritaire. La concertation a lieu le 16 novembre. Le président Crouzet n’a jamais dit que l’UPA ne voulait pas discuter.
Il nous semble que ce serait une erreur de changer le critère du nombre d’entreprises adhérentes servant à définir qui est autour de la table dans les négociations de branche ou interprofessionnelles. Puisque problème d’argent ou de répartition de sièges il y a, semble-t-il, l’UPA est tout à fait ouverte à la discussion sur ces sujets. Nous sommes prêts à examiner, par exemple, l’idée d’une répartition des crédits qui ne repose pas sur le nombre d’entreprises.
Il serait très grave que certaines fédérations ne soient plus représentatives et qu’elles ne s’assoient plus autour de la table de négociation. Cela posera un problème évident à de nombreuses branches professionnelles.
S’agissant des dispositions sur la modulation du temps de travail, nous notons qu’elles portent aujourd’hui sur neuf semaines, contre seize dans la première version.
Nous nous interrogeons aussi sur la réforme concernant la médecine du travail. La suppression de la visite d’aptitude ne nous semble pas une bonne chose, notamment pour les plus petites entreprises. Le code du travail impose au chef d’entreprise une obligation, non de moyens, mais de résultat. Or les artisans et les commerçants ne sont pas des médecins. Le fait qu’il n’y ait plus de visite d’aptitude va poser problème. Je pense même que cette suppression porte en germe la fin de la médecine du travail, qui trouvait son fondement précisément dans cette visite d’aptitude.
Certes, on a beaucoup fait pour améliorer la prévention, en s’inspirant notamment de ce qui existe dans les autres pays de l’Union européenne. Reste que je ne sais pas comment je vais expliquer aux artisans et aux commerçants qu’il leur faut cotiser sans pouvoir leur dire pourquoi.
M. Jean-Michel Pottier, vice-président de la CGPME, chargé des affaires sociales et de la formation. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu concertation : une concertation bilatérale a été organisée en décembre et en janvier. En revanche, la CGPME n’a eu connaissance du texte que le 18 février, une semaine après tout le monde et après que le rendez-vous a été reporté deux fois, c’est-à-dire le jour où la première version a été transmise au Conseil d’État, ce qui en dit long sur la prise en considération de l’appréciation de notre organisation. Autant dire que les carottes étaient déjà cuites…
Notre grande revendication, à la CGPME, est qu’un jour, le code du travail tienne compte de la réalité des TPE-PME, qu’il les distingue des grandes entreprises. Comme je le dis souvent, une petite entreprise n’est pas un modèle réduit de la grande. Nous avons eu un petit espoir puisqu’une fenêtre s’était ouverte dans la première version. Sans correspondre tout à fait aux propositions que nous avions faites, elle proposait trois ou quatre points intéressants.
Il y avait d’abord une disposition emblématique, que la loi Macron a failli nous accorder, mais qui a ensuite disparu : le plafonnement des dommages et intérêts, suite à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou à un licenciement abusif, sachant que des licenciements sont classés dans la première catégorie pour de simples problèmes de forme. Nombreux sont les chefs de TPE-PME qui, par maladresse ou méconnaissance, se voient reprocher un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Et cela arrive – cela m’est arrivé – même lorsque l’employeur apporte la preuve de méfaits commis par le salarié, car le juge a un pouvoir d’appréciation. Il faudrait canaliser les choses, car ce pouvoir d’appréciation peut conduire à des situations catastrophiques pour l’emploi et pour l’entreprise. Quinze mois correspondant à vingt ans d’ancienneté, plus les indemnités légales conventionnelles, soit vingt-quatre à trente mois de salaire à la sortie, c’est, pour une TPE, purement et simplement mortel.
Autre point important pour nous, le licenciement économique après quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d’affaires. Quand une TPE ou une PME subit une baisse de son chiffre d’affaires pendant quatre trimestres consécutifs, le licenciement se fait, en général, à la barre du tribunal de commerce. Il est trop tard ! Cela n’est peut-être pas vrai dans tous les cas, pour autant, c’est une réalité. Quand les employeurs, dans les TPE-PME, embauchent quelqu’un, c’est pour le garder. En cas de difficultés, ils font tout pour essayer de conserver leur personnel. Les TPE-PME ont-elles massivement licencié pendant la période de crise que nous vivons depuis 2008 ? Non. Le chef de TPE-PME n’utilise pas le licenciement comme un outil de régulation, simplement parce qu’il travaille au milieu de ses salariés. Leurs conditions de travail sont aussi les siennes ; il pousse le même caddie qu’eux au supermarché, pour faire ses courses. La qualité des relations humaines qu’il entretient avec ses salariés fait qu’en cas de problème, il ne pense pas au licenciement comme première mesure à prendre.
Il y avait deux dispositions intéressantes à conserver, qui ne relevaient pas, contrairement à ce qui a pu être dit, de la décision unilatérale de l’employeur : le forfait-jours, accessible dans les entreprises de moins de cinquante salariés, et la modulation du temps de travail. Il ne s’agissait que de la possibilité de proposer une modulation au salarié, celle-ci ne pouvant entrer dans les faits qu’après obtention de l’accord individuel du salarié. Là encore, on n’oblige personne ; on travaille ensemble, on discute, et on peut, de temps en temps, se mettre d’accord dans le cadre d’un intérêt partagé. Nombreux sont les salariés au forfait-jours qui veulent y rester ; tout aussi nombreux sont ceux qui voudraient bien y être parce que le système les intéresse. S’ils ont, par exemple, trois clients à voir sur différents chantiers, ils peuvent, s’ils le veulent, les voir dans la journée et rentrer chez eux. Le travail est terminé. Un forfait-jours, c’est beaucoup plus pratique, et de nombreux salariés le considèrent comme tel.
Au titre des mesures susceptibles d’améliorer le dialogue social, nous n’avons pas obtenu ce que nous réclamons depuis toujours : la possibilité d’avoir un dialogue social direct, mais encadré, au sein de l’entreprise. Les accords, dans les entreprises ne disposant pas de représentants syndicaux, seraient conclus avec les représentants élus du personnel. Ils seraient validés par un référendum dans l’entreprise et soumis à un contrôle de légalité par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), pour vérifier que personne n’a été abusé dans l’opération.
Outre ces garanties, déjà importantes, pour les deux parties, nous avons réfléchi à une garantie supplémentaire pour le salarié, qui serait, nous dit-on, moins capable dans une TPE-PME – je ne sais pas pourquoi – de résister à l’insatiable cruauté de son employeur. Nous proposons donc que ces salariés puissent accéder à une session de formation leur permettant d’avoir le même niveau de connaissance – bon nombre d’employeurs de TPE-PME pourraient, d’ailleurs, participer à cette session, dans la mesure où ils n’ont pas non plus forcément tous les éléments en leur possession.
Finalement, nous sommes devant une deuxième version assez désastreuse, qui fait naître, chez les chefs de TPE-PME, un sentiment d’exaspération que j’ai pu mesurer dans les territoires, ces dernières semaines. Une fenêtre s’était ouverte sur la prise en compte de la réalité de nos entreprises, mais elle s’est subitement refermée. Alors qu’on est en train d’élaborer un plan pour former 500 000 personnes supplémentaires, dans le même temps, on envoie à ceux dont on attend qu’ils créent de l’emploi un message qui les exaspère. C’est regrettable.
En fin de compte, que va-t-il rester dans le projet de loi ? Des charges supplémentaires financières et administratives liées à l’ouverture du CPA et aux nouveaux droits associés, charges dont on ne mesure pas les conséquences, en particulier au regard de la mise en œuvre complète du compte personnel de prévention de la pénibilité. Ce compte, c’est une arme de dissuasion massive pour les chefs de TPE-PME en matière d’emploi, un casse-tête épouvantable.
Reste, en outre, le problème de la distorsion de concurrence. Parce qu’elles ont des contreparties à donner dans la négociation et la possibilité de passer des accords d’entreprise, les grandes entreprises pourront négocier un coût du travail minoré par rapport aux petites et moyennes entreprises qui, elles, resteront au même point. Tout cela laisse un sentiment amer.
Il n’est pas trop tard pour améliorer les choses, reprendre certaines dispositions de la première version, voire les compléter par des propositions. La CGPME en fait tous les jours. Franchement, il est grand temps, dans ce pays, de prendre en compte la réalité que vivent les TPE-PME.
M. Christophe Sirugue, rapporteur. Merci, messieurs, pour votre présentation et pour les éclairages que vous nous donnez sur ce projet de loi. Pour ma part je m’en tiendrai au texte qui est en discussion à l’Assemblée nationale.
En ce qui concerne l’article 19 et la question de la représentativité, j’étais rapporteur du texte de la loi Rebsamen. À l’époque, on nous avait expressément demandé de laisser le soin aux organisations patronales de s’entendre entre elles, de ne pas inscrire dans la loi une disposition qui serait en contradiction avec leurs propres intérêts. J’entends que des accords ont été passés, mais pas entre toutes les organisations, selon le représentant de l’UPA. Je trouve toujours dommage que le législateur soit obligé de sanctionner un accord qui n’est pas unanime. Néanmoins, nous sommes ouverts pour avancer dans le sens d’une représentativité respectueuse de l’ensemble des organisations patronales.
Pour en revenir au fond, le texte a pour objectif de renforcer le dialogue social afin de trouver une adéquation entre l’accroissement de la compétitivité de nos entreprises et la préservation, voire l’amplification des droits des salariés. C’est à cet équilibre qu’il faut parvenir.
Pour ce faire, le texte propose des mesures qui constituent des avancées significatives. L’accord d’entreprise en fait partie. J’ai entendu la position de l’UPA. Elle ne me semble pas contradictoire avec le projet de loi, qui rappelle l’importance des accords de branche tout en faisant le pari de la confiance dans les partenaires sociaux à négocier au sein de l’entreprise pour trouver des accords majoritaires d’entreprise. Il s’agit d’assurer une forme de protection, au travers du supplétif ou des accords de branche, s’il n’y a pas d’accord d’entreprise. Cependant, il faut, en face, des contreparties. Or je n’ai pas entendu grand-chose sur le compte personnel d’activité, alors qu’il participe des éléments concourant à l’équilibre sans lequel le texte ne peut progresser.
Restent des difficultés, et des points qui méritent d’être précisés, en premier lieu, la clarification des motifs de licenciement. Aujourd’hui, le texte retient comme critère d’appréciation de la situation difficile de l’entreprise la durée : quatre trimestres, deux ou un, selon qu’on est sur l’ordre public, l’accord d’entreprise ou le supplétif.
Faut-il en retenir d’autres ? On peut comprendre que, pour certaines petites entreprises, un trimestre peut malheureusement suffire à les mettre en situation de fragilité, voire de fin d’activité. Je sais ce qui a été dit sur la distinction par la taille de l’entreprise, mais celle-ci vous paraît-elle un élément pertinent à retenir ?
En ce qui concerne l’ampleur de la difficulté économique, étant entendu qu’une baisse de 0,2 % peut être dramatique pour certaines entreprises mais pas forcément fragilisante pour les autres, quels pourraient être des motifs de licenciement qui ne porteraient pas seulement sur la durée ? Quatre mois, cela me paraît très long pour certaines entreprises.
J’en viens à la question du périmètre. J’entends l’argument de M. Saubot, selon lequel il y a, en Europe, des modèles différents du nôtre, et que nous sommes peut-être, de ce point de vue, une exception. Or la question du périmètre n’est pas neutre. J’ai, dans ma circonscription, un exemple qui illustre précisément ce que je crains. Il s’agit d’une entreprise locale, rachetée il y a près de deux ans par un groupe étranger qui avait promis des investissements. Or les investissements n’ont pas eu lieu et plus aucune commande n’a été donnée à l’entreprise locale, qui s’est retrouvée contrainte de licencier le personnel, puis les représentants syndicaux. Les licenciements ont été refusés par l’inspection du travail, qui n’a pas considéré que la situation économique était difficile. C’est là le type de situation que nous risquons d’avoir, c’est-à-dire une entreprise fragilisée, pas forcément volontairement, par un groupe parce qu’il peut y avoir des réalités propres au territoire. Comment anticiper, voire corriger ce type de difficulté ?
Je me demande s’il ne serait pas possible de faire une distinction entre des groupes qui n’ont qu’une même activité et qui peuvent se retrouver fragilisés par un retour de conjoncture, et une holding dont les activités sont diversifiées et qui pourrait être moins légitime à considérer qu’une entreprise, quelque part en France, est en situation fragile alors que l’ensemble du groupe pourrait être appelé à la solidarité. Ces considérations peuvent-elles constituer une piste de réflexion ?
Enfin, s’agissant des TPE-PME, une remarque m’a été faite, au cours des auditions, sur l’impossibilité de provisionner pour anticiper un risque de contestation ou la programmation d’un licenciement. Avez-vous, sur ce point, des éléments qui pourraient nous éclairer ?
Mme Monique Iborra. Nous avons bien compris, messieurs, que vos espoirs étaient déçus. Pourtant, lors des auditions que nous avons menées avec d’autres de vos représentants, ce texte ne paraissait pas aussi négatif que ce que vous nous décrivez aujourd’hui. Certes, nous vous demandons de nous dire ce qui ne va pas, mais il semble tout de même que ce projet de loi donne une souplesse qui n’existait pas auparavant.
Monsieur Burban, vous avez dit qu’il n’y avait pas grand-chose à négocier dans les entreprises de moins de cinquante salariés, et que la négociation au niveau de l’entreprise ne changerait rien. Selon vous, il faut se référer aux accords de branche, et on déroge ou on ne déroge pas. Dans ce cas, c’est la décision du chef d’entreprise qui prime sur toute autre négociation. Il est difficile de l’admettre.
La suppression de la visite d’aptitude va entraîner, dites-vous, la disparition de la médecine du travail. En tant que chef d’entreprise, en quoi cette suppression peut-elle vous gêner ?
Monsieur Pottier, vous avez fait des propositions que nous n’avions pas entendues jusqu’à présent, s’agissant notamment du référendum. Notre groupe est, en effet, très préoccupé par l’application de cette loi dans les petites et moyennes entreprises. Nous avons compris que les organisations syndicales tenaient à ce que le mandatement soit mis en place, arguant que ce dispositif avait bien fonctionné pour la mise en place des 35 heures.
Les accords de branche spécifiques adaptés aux TPE et aux PME pourraient-ils vous satisfaire ? Cette éventualité vous paraît-elle préférable au mandatement ?
M. Gérard Cherpion. J’ai le sentiment que l’article L. 1 du code du travail n’a pas été respecté. Nous l’avons entendu tant ce matin que cet après-midi, en fin de compte, il n’y a pas eu d’ouverture de négociation, la ministre se référant à une demande qui aurait été faite dans le cadre du rapport Combrexelle. Lorsqu’on veut parler de dialogue social, il faut respecter la règle.
En ce qui concerne les retours en arrière de la version 2 par rapport à la version 1, avec la fin du barème des indemnités prud’homales qui, de contraignant, devient uniquement indicatif, on revient finalement à la loi Macron, avec un décret qui devrait être publié avant juillet 2016. Cela va être un véritable problème pour les petites entreprises. Dans des cas d’ancienneté importante, on atteint des sommes qui représentent plus de quinze mois de salaire. Nombre de petites entreprises sont déjà confrontées à ce problème. On a vu des dépôts de bilan liés à des condamnations par le conseil de prud’hommes. J’aimerais que vous alliez un peu plus loin dans votre explication.
En ce qui concerne le retour du monopole syndical en matière de négociation collective, la version 1 prévoyait de donner une place plus importante au dialogue social direct entre les salariés des TPE et les employeurs, avec, notamment, l’aménagement du temps de travail sur seize semaines, contre quatre actuellement, et neuf semaines dans la version qui nous est proposée aujourd’hui.
Seul M. Saubot s’est exprimé sur le problème du forfait en jours et du mandatement dans les entreprises de moins de cinquante salariés. J’aimerais que vous alliez plus loin dans votre analyse.
Vous n’avez pas exprimé votre position sur le recul des mesures de simplification de l’apprentissage et de l’alignement du temps d’apprentissage sur le temps du chantier, qui pourrait être modulé. Cet article, en effet, a disparu du texte.
Par contre, le compte personnel d’activité sort renforcé de la deuxième version. La question sera de savoir s’il intégrera le compte épargne-temps. Il faudrait aussi revenir sur le compte personnel de prévention de la pénibilité. Enfin, le compte personnel de formation (CPF) a bien du mal à prendre son envol, comme le montre l’excellent rapport déposé récemment par deux parlementaires.
Vous n’avez pas évoqué l’introduction, par le 6° de l’article 1er du fait religieux dans l’entreprise, que le Gouvernement assure être à droit constant, reprenant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Cour de cassation, mais qui cristallise un certain nombre d’inquiétudes. Est-ce vraiment le moment de présenter ce type de dispositions ?
S’agissant du licenciement économique, j’estime que le critère des quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d’affaires est trop restrictif. Certaines entreprises risquent de mourir avant cette échéance. Il faut retenir une autre durée. Pensez-vous que le choix de deux trimestres serait pertinent ?
Enfin, d’autres points apparaissent préoccupants, tels le passage de la modulation du temps de travail de seize à neuf semaines et le fractionnement du temps de repos en fonction de l’astreinte dans le forfait en jours. Serait-il possible, selon vous, de revenir à la première version, sous réserve d’un accord de branche, en particulier dans les TPE et les PME ?
M. Arnaud Richard. Le groupe UDI est très satisfait que notre commission auditionne ce matin et cet après-midi les partenaires sociaux. Bien que nous soyons convaincus de la nécessité de réformer le code du travail, nous ne pouvons que désapprouver la méthode retenue par le Gouvernement. Ce texte n’a pas été discuté en amont dans le détail, et le diable se cache précisément dans les détails. Rédiger un texte aussi vaste, aussi important, avec autant de conséquences sur l’ensemble des partenaires sociaux sans appliquer le premier article du code du travail ne me paraît pas sérieux.
Ce cadre général posé, j’en viens à des questions plus précises.
Estimez-vous, messieurs, que ce projet de loi instaure de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, comme son titre extrêmement vendeur voudrait le suggérer ? En d’autres termes, est-il en mesure de créer des emplois ou permettra-t-il seulement de sécuriser les licenciements ?
Les TPE et les PME apparaissent comme les grandes oubliées. Quelles mesures les concernant auriez-vous souhaité voir figurer ?
Le Gouvernement entend développer, à travers cette loi, la culture de la négociation, mais il apparaît que les mesures liées au renforcement du dialogue social – augmentation des heures de délégation pour les délégués syndicaux, restructuration des branches – ne font pas consensus. Nous aimerions connaître vos différents points de vue sur ces sujets.
L’article 10 prévoit le renforcement de la légitimité des accords collectifs : pour être valide, un accord devra désormais être approuvé par des syndicats ayant recueilli au moins 50 % des suffrages. Dans le même temps, il ouvre la voie à la consultation des salariés à l’initiative des organisations syndicales. Êtes-vous satisfaits de ce nouveau dispositif ? Faut-il, selon vous, aller plus loin ?
Le Gouvernement envisage une réforme de la représentativité patronale à l’article 19 et prévoit une pondération selon le nombre de salariés. Quel regard celles des organisations qui ne se sont pas encore exprimées portent-elles sur ces dispositions ?
Le droit à la déconnexion a été introduit dans le projet de loi mais reste, à ce stade, extrêmement sommaire. Une place pleine et entière est laissée en ce domaine à la négociation d’entreprise. Avez-vous des propositions à faire pour mieux encadrer l’usage des nouvelles technologies et améliorer l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale ?
Concernant l’apprentissage, quelles seraient vos préconisations pour le développer et mieux intégrer l’apprenti dans la sphère professionnelle ?
Mme Dominique Orliac. Beaucoup de choses ont déjà été dites en amont sur ce projet de loi. Sortant d’une réunion à Matignon, Pierre Gattaz avait haussé le ton et dit sa déception devant les dispositions concernant les prud’hommes et la suppression unilatérale de mesures pour les PME, « grandes victimes de la version 2 du projet de loi », selon lui. Du côté de la CGPME, le constat est amer : son président, François Asselin, a déclaré que ce projet de loi n’allait rien changer dans la vie d’une entreprise patrimoniale et qu’il serait source de difficultés qui n’existaient pas avant. Enfin, les représentants de l’UPA ont dit avoir été entendus mais pas écoutés.
Y a-t-il, dans ce projet de loi, des points que vous considérez comme intéressants et positifs ?
J’aurais aimé avoir votre sentiment sur le compte personnel d’activité. Les organisations patronales avaient estimé que la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité, entré en vigueur le 1er janvier 2015, posait problème – ce que je peux concevoir dans certains cas. Le délai pour l’entrée en vigueur du CPA, fixée au 1er janvier 2017, ne vous paraît-il pas trop court ?
L’article 8 ajuste les règles de révision des accords pour tenir compte de la réforme de la représentativité syndicale et patronale, avec une pondération selon le nombre de salariés. Il clarifie les conséquences de la dénonciation ou de la mise en cause d’un accord en vue de sécuriser tant les employeurs que les salariés concernés. Il ouvre également la possibilité de réviser des accords d’entreprise par la négociation dérogatoire, y compris dans les entreprises dépourvues de délégué syndical par le biais d’un salarié mandaté. Ces nouvelles dispositions sont-elles, selon vous, de nature à provoquer des difficultés pour les TPE et les PME ?
Je souhaiterais également avoir l’avis des représentants du MEDEF et de la CGPME sur la visite médicale à l’embauche, puisque M. Burban s’est déjà exprimé sur ce sujet.
M. Michel Liebgott. Vos interventions laissent apparaître une évidence : un fossé sépare les grandes entreprises des PMI et des PME.
Les grandes entreprises s’en sortent plutôt bien, grâce notamment au CICE que nous avons mis en œuvre. La situation des grands groupes le montre. Dans ma région, frontalière de l’Allemagne et du Luxembourg, je constate qu’ArcelorMittal, Tata Steel, ThyssenKrupp n’ont jamais aussi bien fonctionné. Elles embauchent alors qu’on laisse entendre que la croissance n’est pas encore de retour. En outre, de 2014 à 2015, le nombre d’emplois créés en France par des entreprises étrangères a augmenté de 30 %. Les entreprises d’une certaine importance ne me paraissent donc pas aujourd’hui être en difficulté, bien au contraire.
En revanche, se pose un problème pour les PMI et les PME.
Je constate, depuis ma circonscription voisine de l’Allemagne, des différences sensibles entre la conception très familiale des entreprises allemandes et la conception que nous avons en France. J’aimerais que vous m’éclairiez sur ces différences, d’un point de vue historique et prospectif.
Je suis surpris que vous refusiez la démarche du mandatement. Vous soulignez souvent que l’on se parle au sein de la petite entreprise, mais parler ne suffit pas, il faut qu’un dialogue social puisse déboucher sur des résultats concrets. Les échanges au sein d’une entreprise ne se résument pas aux relations amicales.
S’agissant des branches, leur nombre est sans doute beaucoup trop important en France, la comparaison avec l’Allemagne ne le montre que trop. Le projet de loi ne prévoit pas véritablement de définition pour la branche. Comment la définiriez-vous ? Comment imaginez-vous le fonctionnement des branches si leur nombre est ramené à deux cents ?
Enfin, je considère que vous avez tort de vous opposer au compte personnel d’activité. C’est un excellent dispositif, appelé à fonctionner non seulement à l’intérieur de l’entreprise mais également à l’extérieur. Il sera utile pour les salariés, qui seront appelés à souvent changer de métier dans les années qui viennent.
Mme Isabelle Le Callennec. Nous partageons, messieurs, votre analyse sur la gravité de la situation de l’emploi dans notre pays et la nécessité d’établir un nouveau cadre plus adapté à la prise de risques des entreprises et à la création d’emplois.
Nous avons auditionné ce matin même les organisations syndicales. Inutile de vous dire qu’elles sont assez divisées et que leurs positions sont aux antipodes de celles que vous venez d’exprimer. Avec ce que nous entendons de part et d’autre, nous nous demandons à quel consensus il sera possible de parvenir, quel équilibre pourra être atteint pour répondre à l’ambition que cette loi affiche dans son titre.
Vous nous avez beaucoup parlé de la première version que vous trouviez intéressante, en particulier du point de vue des critères de licenciement. Vous aimeriez les voir évoluer en fonction de la taille et de la situation des entreprises. L’ancien ministre du travail nous a expliqué que la diminution du chiffre d’affaires devait se maintenir sur une période encore plus longue pour motiver des licenciements économiques ; j’imagine que vous aimeriez plutôt une évolution inverse.
J’ai cru comprendre que le mandatement constituait un vrai chiffon rouge pour vous. Vous avez pris soin de rappeler la très faible proportion d’entreprises pourvues de délégués syndicaux. Cela me semble faire partie des sujets sur lesquels vous ne voulez pas céder, comme les syndicats n’entendent pas céder sur d’autres.
S’agissant des accords-types, la ministre nous a expliqué que certaines organisations patronales y étaient assez favorables afin d’éviter les distorsions de concurrence à l’intérieur des branches. Il y aura, d’ailleurs, un énorme travail à effectuer pour réduire le nombre de ces branches.
Certains d’entre vous souhaitent conserver la visite d’embauche et l’avis d’aptitude pour ceux des métiers les plus exposés, car il y a un risque pour les entreprises. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Enfin, l’article 1er définit des principes essentiels sur lesquels devra se fonder une commission d’experts chargée de travailler à une nouvelle rédaction du code du travail. Auxquels de ces principes tenez-vous particulièrement ? Quels sont ceux que vous rejetez ?
M. Gérard Sebaoun. Le compte personnel de prévention de la pénibilité semble faire figure d’épouvantail. Je m’étonne que les organisations patronales en soient encore là après tous les débats que nous avons eus, les différentes missions qui ont été menées et les simplifications qui ont été apportées dans la loi.
Depuis la loi de 2010, je note que dans le BTP, où la prévention est essentielle compte tenu des forts risques d’accidents, un accord relatif à la prévention de la pénibilité et à l’amélioration des conditions de travail a été signé le 20 décembre 2011. Vous trouverez dans ses cent vingt pages l’ensemble des facteurs de risques que nous avons inscrits dans la loi. Nous dire qu’aujourd’hui les branches ne sont pas en mesure d’effectuer ce travail relève donc de l’intoxication, il n’y a pas d’autre mot. Je ne comprends pas ce combat d’arrière-garde. La pénibilité, messieurs, fait partie de la vie de vos salariés. Je sais que vous la prenez déjà en considération. Maintenant, il faut faire en sorte que les branches accomplissent ce nécessaire travail.
Ma deuxième question portera sur l’inaptitude. Le texte renvoie aux prud’hommes et à un expert près la cour d’appel ; le droit existant à l’inspection du travail et aux médecins contrôleurs régionaux. Il me semble que le droit actuel est suffisant ne serait-ce que parce que les prud’hommes ont déjà beaucoup à faire, et les experts en matière de médecine du travail près les cours d’appel n’existent pas.
M. Jean-Louis Costes. Messieurs, je vais vous poser une question que j’ai adressée ce matin aux représentants des organisations syndicales des salariés. Cette loi est présentée comme une remise à plat des relations sociales dans l’entreprise. Dans le secteur public, un principe général de laïcité s’applique. Ne serait-il pas temps d’appliquer ce principe au secteur privé pour résoudre certains problèmes dont nous avons pu avoir connaissance dans les années passées ?
Mme Fanélie Carrey-Conte. Merci, messieurs, de nous permettre de saisir la diversité de vos positions, en particulier sur la question qui est au cœur de nos débats : l’inversion de la hiérarchie des normes.
Ma question s’adresse à ceux qui, parmi vous, sont favorables à la possibilité de déroger par accord d’entreprise à l’accord de branche dans un sens moins favorable pour les salariés. Comment, selon vous, éviter, dans un tel schéma, la concurrence au sein d’une même branche et les risques de dumping à la baisse sur, par exemple, la rémunération des heures supplémentaires ou le temps de travail ? J’ai la conviction que nous avons besoin, en ce domaine, d’éléments forts de régulation.
Par ailleurs, j’aimerais avoir votre avis sur la possibilité pour les organisations syndicales recueillant 30 % des suffrages de déclencher un référendum d’entreprise.
M. Gilles Lurton. Alors que nous n’en étions qu’à la première version de la loi, le Premier ministre avait clairement affirmé que ce texte était fait pour les TPE et les PME. « C’est là où il y a la peur d’embaucher, nous devons lever cette crainte » a-t-il déclaré il y a environ un mois. Je ne cesse de le dire depuis le début de ces auditions, une réforme du code du travail doit effectivement avoir pour objectif de créer les conditions propices à la redynamisation de l’emploi et à l’inversion de la courbe du chômage, qui doivent être notre préoccupation à tous. Quand je vous écoute, messieurs, j’ai plutôt le sentiment que cette loi ne concerne absolument pas les PME et les TPE.
Dans ces conditions, quel est l’intérêt d’une telle loi, qui ne comporte pas moins de cinquante-deux articles ? Quels sont les éléments qui, selon vous, seraient susceptibles d’intéresser les entreprises ? Quels points mériteraient d’être retenus pour leur faciliter la vie ?
S’agissant de la pénibilité, je ne partage pas l’analyse de M. Sebaoun. J’aurais voulu avoir votre avis sur les dispositions intégrant le compte personnel de prévention de la pénibilité dans le compte personnel d’activité. Le calcul de la pénibilité a posé de nombreuses difficultés depuis l’instauration du compte pénibilité dans la loi sur les retraites de 2013. Ces difficultés, mes collègues du groupe Les Républicains et moi-même les avions pressenties et nous les avions largement dénoncées au cours des débats dans l’hémicycle. La loi s’est d’ailleurs révélée inapplicable et le Gouvernement a dû confier une mission à Michel de Virville pour trouver une solution applicable dans les entreprises. Quels constats tirez-vous de l’application des dispositions relatives à la pénibilité dans les entreprises, notamment les TPE et les PME ?
M. Michel Issindou. Merci, messieurs, de vos propos francs et directs. C’est sur le même ton que je m’adresserai à vous.
J’aimerais vous faire part du décalage qui sépare les propos des chefs d’entreprise sur le terrain des discours que vous tenez dans cette enceinte. Vous avez des mots durs pour cette deuxième version du projet de loi, qui vous semble non seulement moins bonne que la première, mais de nature à aggraver la situation actuelle.
Les chefs d’entreprise que je rencontre se plaignent des complexités du code du travail, des lourdeurs à l’embauche, du poids des charges et des difficultés à trouver du personnel qualifié. Nous avons procédé à des allégements de charges à travers le pacte de responsabilité et le CICE. Les 41 milliards d’allégements de charges patronales ont d’ailleurs fait débat parmi nous. Nous avons mis en place, sous la responsabilité commune de l’État, des régions et des partenaires sociaux, une formation professionnelle de qualité, axée notamment sur les chômeurs.
Et après que nous avons consenti tous ces efforts, vous nous dites qu’ils ne serviront à rien. Comprenez notre déception ! J’aimerais que vous nous expliquiez comment faire.
Pour ce qui est de la médecine du travail, votre volonté de conserver la visite d’embauche est une double illusion, et vous le savez tous. Premièrement, seules 3 millions sont aujourd’hui effectuées sur les 20 millions qu’il faudrait faire passer, compte tenu du très grand nombre de contrats à durée déterminée. Nous n’avons plus la capacité de les mener à bien. Qui plus est, dans les quinze années à venir, le nombre de médecins du travail sera diminué par deux. Expliquez-moi comment faire face à une telle réalité ? Deuxièmement, ces visites ne protègent pas les entreprises, qui sont soumises à une obligation de résultat. D’ailleurs, la visite d’aptitude se conclut par 99 % de réussite, personne n’ayant intérêt à dévoiler ses problèmes de santé éventuels.
Le véritable intérêt de la médecine du travail, à laquelle je crois beaucoup, réside dans la prévention, comme vous l’avez souligné, monsieur Burban. Son rôle est de maintenir les salariés en bonne santé. Or conserver la visite d’embauche systématique se fera au détriment de la prévention et de la prise en charge des cas difficiles.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous avez raison de rappeler ces difficultés. Il m’est arrivé, en tant qu’employeur, de demander la visite d’un médecin du travail : elle est intervenue après la fin du CDD du salarié concerné, mais la note m’a quand même été envoyée !
M. Bernard Perrut. Nous sommes bien conscients que cette loi, quels que soient ses mérites, ne résoudra pas tout. Sur le terrain, nos commerçants, nos artisans, nos agriculteurs attendent beaucoup d’une réforme qui ne sera, à mon sens, pas suffisante.
S’agissant du compte personnel d’activité, vous indiquez qu’il nécessite une véritable réflexion, tant au regard de son contenu que de sa mise en œuvre, car les conditions ne sont pas toutes remplies. Quelle solution pourrait vous satisfaire ? Peut-on ajouter au compte personnel de formation un nouveau compte engagement citoyen ? J’aimerais avoir votre avis sur cette question.
Vous voyez dans le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P, inclus dans le périmètre du CPA, une source d’incertitude forte pour les entreprises : contraintes, coûts administratifs, interprétation de critères obscurs susceptible de fragiliser les petites entreprises. Ne faudrait-il pas d’abord expérimenter le C3P avant de le généraliser ? Quelles sont vos préconisations en ce domaine ?
J’aimerais aussi vous entendre à propos de l’apprentissage pour savoir si les mesures qui le concernent vous paraissent suffisantes, s’agissant notamment de la simplification de la collecte et de la répartition de la taxe d’apprentissage.
Quelle est votre position sur l’expérimentation du contrat de professionnalisation pour le demandeur d’emploi ?
Enfin, que pensez-vous des nouvelles mesures relatives à la garantie jeunes ? Quelles seraient vos exigences pour qu’elle soit efficace en termes de formation et d’emploi afin de conduire les jeunes dans la voie qui semble la meilleure ?
Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Merci, messieurs, pour vos interventions qui ont mis en lumière le fait que vos préoccupations divergeaient selon la taille des entreprises. Je partage les propos qu’ont tenus certains de mes collègues à propos des TPE et des PME qui n’ont pas les moyens des grandes entreprises, cela va de soi.
Monsieur Saubot, vous avez affirmé que ce texte ne réglerait pas le problème de l’emploi. J’ai toutefois le sentiment que la création d’emplois est la raison première qui a présidé à son élaboration. D’où ce toilettage du code du travail qui pose problème aux entreprises.
Je m’attarderai sur l’argument du risque de contentieux qui empêcherait les entreprises d’embaucher. Il est sûr que les délais de règlement des litiges sont beaucoup trop longs et qu’ils sont anxiogènes pour les chefs d’entreprise, mais aussi pour les salariés.
Selon vous, la détermination des indemnités de licenciement pourrait remettre en cause jusqu’à l’existence d’une entreprise. Or les juridictions prud’homales sont paritaires, vos organisations en font donc partie. Sauf erreur de ma part, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation : il peut tenir compte de la réalité économique et sociale de l’entreprise pour déterminer les indemnités. Avez-vous des propositions pour améliorer le règlement de ces litiges autres que la systématisation des indemnités, solution qui n’est ni juste ni réaliste ?
Embaucher semble être vécu comme un risque. Peut-on imaginer un système assurantiel avec un fonds mutualisé pour couvrir les risques que vous invoquez ?
Enfin, comment voyez-vous le rôle des chambres consulaires en termes d’accompagnement et de conseil auprès de leurs membres, surtout lorsqu’il s’agit de petites et moyennes entreprises ?
M. Jean-Patrick Gille. Je suis troublé par vos positions. Il est malaisé de discerner une doctrine du patronat sur l’articulation entre le niveau de la branche et le niveau de l’entreprise, qui sera au cœur de nos discussions.
Je suis un peu déçu par vos réticences à propos du compte personnel d’activité. Elles sont sans doute liées au compte pénibilité, car il me semble que vous étiez initialement plutôt favorables au CPA. Pour ma part, je milite pour une voie audacieuse qui consisterait à intégrer un compte épargne-temps.
À propos de la représentativité, M. Burban n’a pas tout à fait tort. Il n’y a plus de pondération puisque le calcul est fondé à 20 % sur le nombre d’entreprises adhérentes et à 80 % sur le nombre de salariés. Je pense que nous aurons à préciser cette question, d’autant qu’elle est au cœur du débat sur l’articulation entre les grandes entreprises et les petites entreprises et sur le poids des branches. Tous ces sujets se tiennent. Il faut éviter un décrochage entre les différents niveaux d’entreprise. La solution n’est certainement pas simple. En outre, les autres secteurs d’entreprises, qui relèvent de ce que l’on nomme le multi-professionnel, ne se retrouvent pas dans les propositions faites.
Enfin, j’aimerais avoir votre retour sur des propositions peu évoquées mais qui sont importantes, car elles sont au cœur des débats qui agitent les Français et des enjeux liés du marché de l’emploi. Je veux parler de la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs.
M. Bernard Accoyer. Le Gouvernement a reculé sur la barémisation des indemnités prud’homales. Cela implique un retour au barème indicatif de la loi Macron, dont les juridictions prud’homales feront ce qu’elles voudront. Il représente déjà, pour les petites entreprises, des montants très élevés, sources de grandes difficultés qui aboutissent parfois à leur mort.
Quelle est la position de vos organisations sur ce point ? Qu’attendez-vous des parlementaires en termes d’amendements ?
M. Richard Ferrand. Deux points m’étonnent particulièrement.
Voici quelques années, on nous expliquait que le problème principal rencontré par les entreprises, c’était le coût du travail : nous avons essayé d’apporter des réponses, notamment par le CICE et les quelque 40 milliards déjà rappelés par Michel Issindou. Certains ont même arboré un pin’s laissant entendre qu’il existait un lien automatique entre la baisse du coût du travail et la création de nombreux emplois. On connaît la suite.
Ensuite, on nous a dit qu’il fallait renforcer le dialogue social dans l’entreprise, ce que ce projet de loi s’efforce, je crois, de faire. Nous entendons vos réticences sur le mandatement, qui est pourtant monnaie courante dans le modèle allemand qu’on nous cite souvent en exemple. Là encore, je voudrais comprendre : peut-on, au sein du modèle allemand, effectuer de cette façon un tri sélectif ?
Je rappelle, par ailleurs, que le barème dont il est question ici ne concerne pas les indemnités de licenciement, mais les dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ou abusif. L’enjeu est plutôt, me semble-t-il, d’encadrer la qualification du caractère abusif d’un licenciement que de borner ce qui doit relever de la liberté des juges, c’est-à-dire l’ampleur de la réparation d’un préjudice. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé, dans sa censure de l’article concerné de la loi Macron, que l’on ne peut pas faire varier le barème suivant la taille de l’entreprise.
Vous paraîtrait-il, messieurs, préférable que le conseil des prud’hommes fonctionne sur le mode de l’échevinage, c’est-à-dire qu’il soit présidé par un magistrat professionnel ?
Enfin, le projet de loi part du postulat que ce sont la complexité et la rigidité du code de travail qui découragent les chefs d’entreprise d’embaucher. Est-ce vraiment le cas ? Les dirigeants d’entreprise sont-ils à ce point inhibés ? Je précise ici que j’ai moi-même créé quelques entreprises, et que j’en ai dirigé toute ma vie.
M. Yves Censi. Monsieur Burban, l’exposé des motifs de ce projet de loi et tous les textes qui l’accompagnent font moult références aux changements de la société et de l’environnement économique, ainsi qu’à la complexité du code du travail. Mais je ne vois, dans le texte du Gouvernement, aucune mesure qui amènerait un changement profond – pour l’essentiel, il ne fait que confirmer la jurisprudence de la Cour de cassation. Le droit du travail est, en effet, pour l’essentiel jurisprudentiel : la complexité ne vient pas tant de la loi que de l’instabilité de la jurisprudence. Voyez-vous vraiment dans ce projet de loi un changement profond ? Ne se contente-t-il pas de confirmer une jurisprudence qui, devenue loi, fera à son tour l’objet d’une nouvelle jurisprudence, tout aussi instable, de la chambre sociale de la Cour de cassation ? Ce n’est pas un reproche que j’adresse à la Cour de cassation, mais enfin nous savons tous que c’est la justice qui est à l’origine de ces variations de la norme.
Par ailleurs, le projet de loi indique qu’en cas de conflits de normes, notamment entre accords d’entreprise et accords de branche, c’est la norme la plus avantageuse qui s’appliquera. Mais l’on entend aussi que le principe de faveur sera en réalité abandonné. Où est, d’après vous, la vérité ? Les juges ne vont-ils pas, une fois encore, fixer la norme, et rendre ce projet caduc ?
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je m’interroge, comme Kheira Bouziane-Laroussi, sur le rôle des chambres de commerce et d’industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l’artisanat : sont-elles pleinement utilisées ? Remplissent-elles leurs missions au service des artisans et des commerçants – qui cotisent ?
S’agissant de l’article 19, comme la CGPME et l’UPA, je m’interroge : élue du territoire où est implanté Airbus, je peux vous assurer que la situation n’est pas la même dans cette très grosse société et dans les nombreuses PME sous-traitantes de la région. Si nous n’y prenons pas garde, il peut y avoir une inégalité des voix qui sont entendues.
L’article 29 va, me semble-t-il, plutôt dans le sens des PME – même si l’on pourrait, suivant la proposition d’un syndicat de salariés ce matin, porter le seuil de 50 à 250 salariés, par cohérence avec la définition des PME retenue par la loi de modernisation de l’économie. Cet article n’est-il pas un signal envoyé aux dirigeants des TPE et PME, qui pourront appliquer des accords-types spécifiques et les adapter à leur entreprise à travers un document unilatéral qu’ils porteront à la connaissance des salariés ? Ma lecture est-elle bonne ou mauvaise ?
M. Alexandre Saubot. Merci de ces nombreuses questions, auxquelles je vais essayer de répondre de façon synthétique.
En ce qui concerne, tout d’abord, les prud’hommes et le fameux barème, on ne peut pas nier la forte dualité de notre marché du travail : 80 % du stock de contrats composé des CDI, mais 80 % des embauches en CDD. C’est là l’un des effets de notre code du travail, même s’il n’est, bien sûr, pas la seule cause de ce phénomène ; dire le contraire, refuser de reconnaître là la peur du recrutement en CDI, c’est méconnaître les chiffres.
Il faut souligner, en outre, que ce barème intervient à la quatrième étape d’un licenciement : lorsqu’une entreprise est obligée – et c’est toujours dans des circonstances malheureuses, voire dramatiques – de se séparer d’un salarié, elle lui verse des indemnités légales, et le plus souvent aussi des indemnités conventionnelles. S’il y a discussion, transaction, début de négociation, alors l’entreprise lui verse souvent des indemnités supplémentaires. Ce n’est que si, une fois déterminées ces indemnités, le salarié allait devant les prud’hommes et que ceux-ci jugeaient le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, que le barème proposé par le projet de loi s’appliquerait. Il n’y a donc là aucune précarisation, aucune fragilisation ; il s’agit de clarifier et d’encadrer, afin que les uns et les autres puissent prévoir ce qui peut arriver en cas de recours devant le juge prud’homal. Dans de nombreux domaines, les dommages et intérêts sont encadrés, sans que cela pose de difficulté majeure ; des dispositifs de ce type existent dans de nombreux pays. Il y a eu beaucoup de désinformation sur ce sujet. Je redis donc qu’il s’agit seulement de clarifier et d’encadrer.
Aujourd’hui, cela a été dit, 80 % des annulations de licenciements par les prud’hommes se fondent sur des motifs de forme, c’est-à-dire des motifs complètement indépendants de ce qui s’est réellement passé dans l’entreprise. Nos propositions visent à faire prévaloir le fond sur la forme dans les décisions des prud’hommes : elles permettraient d’atténuer la peur de l’embauche et le sentiment d’injustice souvent éprouvé aujourd’hui.
La question de la nature des causes réelles et sérieuses a également été évoquée. Souvent, je viens de le dire, le juge s’arrête aux questions de forme ; mais il faut aussi souligner que le droit français confie au juge un pouvoir d’appréciation très large. Dans les faits, les prud’hommes essayent de réparer ce qu’ils perçoivent comme des injustices : la séparation étant le plus souvent à l’initiative de l’employeur, ils essaient de réparer le dommage. Les critères de licenciement individuels sont larges, et devraient la plupart du temps permettre au juge de constater la réalité du motif invoqué ; mais, souvent, celle-ci n’est pas reconnue, et la lecture de la loi qui a cours aujourd’hui conduit fréquemment à la condamnation de l’employeur.
Le barème était un vrai outil qui permettait d’aller au-delà de ces questions de forme et de clarification du droit, qui sont juridiquement très complexes : les réponses des experts et des avocats spécialisés aux questions qui leur sont posées sont très variées. La limitation des dommages et intérêts à des niveaux raisonnables et surtout clairs permettait de redonner de la visibilité. Le premier effet de ce dispositif aurait été de vider les tribunaux prud’homaux, puisqu’au moment de la discussion, le gain financier espéré de cette activité contentieuse aurait été mieux estimé. La probabilité de trouver un accord aurait augmenté ; l’on aurait infiniment moins sollicité les prud’hommes pour obtenir un supplément par nature extrêmement aléatoire, parfois très bon et parfois très mauvais.
Beaucoup de questions portaient également sur le licenciement économique et les critères qui permettent de l’apprécier. Le projet de loi, je le redis, ne fait que clarifier ou mettre noir sur blanc la jurisprudence actuelle.
Cela a été dit : quatre trimestres de baisse d’activité, dans la vie de beaucoup d’entreprises, surtout des petites, c’est beaucoup trop. En inscrivant dans la loi, pour des entreprises plus petites ou pour certaines catégories d’entreprises, des durées plus courtes, on se rapprocherait de la réalité économique et du fonctionnement des entreprises. Cela permettrait aux entreprises de réagir avant d’être en péril, comme elles le font dans leur activité économique.
En revanche, monsieur le rapporteur, nous sommes très réservés, voire franchement hostiles, à l’ajout de nouveaux critères – quantification, par exemple, de la baisse du chiffre d’affaires. On apporterait une rigidité qui n’existe pas aujourd’hui, et on réduirait encore la capacité des entreprises à démontrer une difficulté économique ! Mieux vaudrait retirer tous les critères du texte et en rester au droit actuel, quelque imparfait qu’il soit.
La médecine du travail a été évoquée à de nombreuses reprises. Le projet de loi prévoit, non pas de supprimer la visite d’aptitude, mais de la réserver aux situations où elle a une valeur de protection du salarié et de la responsabilité de l’employeur. Nous sommes favorables à cette mesure : il paraît raisonnable de considérer qu’un employé de bureau, assis toute la journée devant un ordinateur, ne rencontre pas les mêmes problèmes qu’un ouvrier travaillant en usine ou sur des chantiers, dont la condition physique et la capacité à faire le boulot sont essentielles. L’employeur a une responsabilité pour la période où ce salarié aura travaillé : nous sommes, dès lors, attachés à l’idée de disposer d’un point de référence au moment où débute la carrière dans l’entreprise. La mesure inscrite dans le projet de loi répond surtout à la pénurie actuelle de médecins du travail, à laquelle personne n’a apporté de réponse satisfaisante.
S’agissant de la responsabilité, nous sommes porteurs d’amendements en ce domaine : un chef d’entreprise qui a fait toute diligence pour organiser la visite ne doit pas se voir reprocher un retard ! Mme la présidente disait elle-même qu’elle avait connu un cas où une date de visite médicale d’aptitude avait été proposée trois mois après la fin du CDD. Nous sommes prêts à assumer toutes nos responsabilités, mais les obligations qui pèsent sur l’employeur doivent être raisonnables : un peu de clarification s’impose.
La question de la capacité des TPE et PME à se saisir des accords est revenue régulièrement ; elle est liée à celle du mandatement. Il faut le redire, le mandatement existe depuis une bonne quinzaine d’années, et il ne marche pas. Il n’a fonctionné que lorsque les 35 heures ont rendu obligatoire de négocier, dans chaque entreprise, un accord destiné à limiter les conséquences dramatiques de ce choc considérable qui s’est abattu sur l’économie française.
Nous ne parlons pas ici d’accords obligatoires partout, mais d’occasions données de faire des choses de façon plus intelligente et plus souple. J’ai entendu parler de moins-disant, de réduction des droits. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ces accords doivent permettre aux entreprises non pas de faire la même chose en moins bien, mais de faire des choses qu’elles ne feraient pas si elles ne pouvaient pas s’adapter. Quel chef d’entreprise va proposer à ses salariés un accord prévoyant une majoration de la rémunération des heures supplémentaires de 10 % au lieu de 25 % si ce n’est pas pour explorer un nouveau marché, pour saisir une opportunité ? C’est dans ce type de circonstances qu’un accord pourra être obtenu. Imaginez une entreprise qui a une nouvelle affaire en Pologne, une opportunité aux États-Unis, mais qui fait face à une forte concurrence : les règles habituelles ne permettront pas de prendre ce business ; il faut alors donner de la souplesse pour aller chercher cette nouvelle activité. Les heures supplémentaires rémunérées à 10 % de plus, il ne faut pas les comparer à des heures supplémentaires rémunérées à 25 % de plus, mais à pas d’heures supplémentaires du tout, voire à pas de boulot du tout ! C’est ainsi que, dans la majorité des cas, se poseront les questions, puisque ces outils seront accessibles par accord au sein de l’entreprise.
Le mandatement ne fonctionnant pas, nous avons fait des propositions sur le dialogue social dans l’entreprise. À notre sens, syndicats ou pas, tous les systèmes qui fonctionnent – la comparaison avec nos voisins le montre – reposent sur la légitimité de l’interlocuteur du chef d’entreprise. Or la vraie légitimité passe par l’élection.
Il ne s’agit nullement pour nous d’engager quelque contournement des syndicats que ce soit, car il y a de la compétence chez eux, et nous avons besoin, sur des sujets complexes, d’interlocuteurs formés et compétents. Mais nous avons d’abord besoin d’interlocuteurs légitimes : quelle que soit la structure retenue, le chef d’entreprise doit discuter avec des salariés élus – syndiqués ou pas, peu importe, car ces élus pourront aller chercher du conseil et du soutien auprès des syndicats à chaque fois que c’est nécessaire.
Dans les plus petites entreprises, il n’y a pas d’élus : notre proposition
– dont nous sommes prêts à discuter – est que les salariés désignent en leur sein un interlocuteur pour la négociation. C’est la meilleure solution ; on peut ensuite, comme l’a dit Jean-Michel Pottier, imaginer qu’un référendum ratifie l’accord.
De nombreux petits assouplissements, concernant par exemple les astreintes et les temps de repos, ont disparu du texte, comme l’a remarqué M. Cherpion. Pourtant, autoriser la modification de ces règles par un accord de branche ou d’entreprise permettrait aux entreprises de s’adapter à un monde qui change et où le temps de travail ne se calcule plus comme avant. Il s’agit, en fait, de ne pas obliger ces entreprises à vivre dans l’illégalité – illégalité subie, contrainte, et d’ailleurs parfaitement acceptée par les salariés concernés, dans des banques ou des assurances par exemple. S’il y a une surcharge ponctuelle dans un service, les salariés concernés ne pourront pas respecter les règles légales, tout le monde le sait : en accord avec eux, un dispositif est mis en place, et les salariés reçoivent une rémunération complémentaire, une prime, un soutien. Ces situations sont bien identifiées ; elles sont techniquement illégales, mais acceptées des salariés. Ensuite, l’inspection du travail passe derrière et aligne les gens : dans le monde d’aujourd’hui, on ne peut pas travailler dans le parfait respect des règles.
Il s’agit donc uniquement de permettre à un corps collectif – branche ou entreprise – de fractionner le temps de repos, et non de le réduire, ou bien de gérer autrement les astreintes. Ce sont de petites choses, mais qui pourraient apporter beaucoup à la qualité de la vie dans l’entreprise et au dialogue social. Ces mesures allaient dans le bon sens, et nous nous réjouirions qu’elles soient réintégrées dans le texte.
Il a aussi beaucoup été question du C3P. Je le redis avec une certaine solennité : avant la loi de 2014, les critères de pénibilité s’attachaient au poste de travail ; dans le dispositif de 2014, ces critères s’appliquent à la personne, qui se voit octroyer des droits.
Il y a dès lors deux problèmes : celui de la polyvalence, puisqu’il n’y a pas une seule entreprise – et c’est encore plus vrai des plus petites – qui sache dire ce que fait exactement tel employé à tel moment de la journée ; celui des droits créés, qui engendrent un appétit du salarié pour occuper le poste réputé pénible. Le lien entre l’appréciation théorique de la pénibilité d’une tâche et les conditions de travail ressenties par le salarié est en effet, notamment dans l’industrie mais pas seulement, tout à fait ténu : il y a donc des gens qui veulent occuper ou continuer d’occuper des postes pénibles, parce qu’ils y gagnent des points. Un tel dispositif décourage de surcroît la prévention.
Le monde patronal présent ici sera unanime, je crois, pour dire qu’il faut réfléchir à la pénibilité et à sa prévention, ne serait-ce qu’en raison de l’allongement de la durée de vie au travail. Mais le dispositif retenu fait courir un risque considérable à l’attractivité de notre pays et au fonctionnement de nos entreprises.
D’autres questions portaient sur l’ambition de la loi ou sur son manque d’ambition. À l’évidence, ce projet contient des dispositions intéressantes, même si elles concernent finalement peu d’entreprises ; d’autres nous inquiètent plus ou nous paraissent difficilement applicables. Dans mon introduction, j’ai voulu me demander si cette loi était à la hauteur de l’enjeu : 5,5 millions de chômeurs, un pays qui décroche par rapport à ses grands voisins. Sommes-nous capables d’apporter à cette situation des réponses équivalentes à celles qui l’ont été en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni ? Sommes-nous prêts à utiliser des outils qui ont fait leurs preuves chez nos voisins pour endiguer enfin le fléau du chômage ? Voilà les questions que nous devons nous poser.
S’agissant du CICE, je rappelle qu’il concerne tout le monde. Je rappelle également que la baisse des charges de 2014 à 2017 ne permet que de revenir à la situation de la fin de 2010 : à 40 milliards d’augmentation des charges ont répondu 40 milliards d’allégements. Et l’on ne peut pas dire que notre situation économique était florissante en 2010.
Néanmoins, le CICE constitue à l’évidence un pas dans la bonne direction, reconnu et salué comme tel par l’ensemble des organisations patronales à de nombreuses reprises. Ce que nous demandons, que ce soit en matière fiscale ou plus largement juridique, c’est de pouvoir travailler dans un environnement équivalent à celui de nos concurrents allemands, anglais, italiens ou espagnols. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
S’agissant de l’apprentissage, nous soutenons pleinement l’idée de bon sens que si un apprenti mineur pouvait avoir le même temps de travail que son tuteur, on faciliterait considérablement le fonctionnement de ce dispositif. Il ne s’agit pas d’exploiter qui que ce soit, mais d’emmener un apprenti sur un chantier, par exemple : si tuteur et apprenti travaillent aux mêmes horaires, le binôme fonctionnera mieux. Nous ne demandons rien d’autre dans le cadre de ce projet de loi. Nous avons, par ailleurs, d’autres propositions pour une réforme en profondeur de l’apprentissage, mais cela dépasse le cadre fixé ici.
S’agissant enfin de la garantie jeunes, c’est un dispositif récent et dont l’efficacité a été très peu évaluée. Si je puis émettre un avis éclairé, il me semble que le seul critère de performance de ces outils devrait être celui du retour à l’emploi ; mais je n’ai pas l’impression que le recul soit suffisant aujourd’hui pour apprécier la pertinence de cette mesure.
M. Pierre Burban. Plusieurs questions portaient sur la question des accords d’entreprise, des accords de branches et de la hiérarchie des normes. Nous restons convaincus, par pragmatisme et absolument pas par idéologie, que l’accord de branche est indispensable à l’immense majorité des entreprises françaises. Permettre aux accords d’entreprise de déroger à ces accords de branche n’est pas forcément une bonne chose : nous considérons qu’il aurait été préférable que les assouplissements soient prévus par l’accord de branche.
Le mandatement peut évidemment poser problème, et d’abord un problème symbolique, puisqu’un syndicat envoie quelqu’un dans votre entreprise. Et, très concrètement, ce qui est facile à Paris ne l’est pas toujours ailleurs. Je peux vous l’assurer pour l’avoir constaté au moment des négociations des 35 heures. D’abord, il fallait que l’artisan trouve une organisation syndicale de salariés, ce qui n’est pas évident dans tous les départements ; ensuite, malgré mon affection et mon grand respect pour ces syndicats, je dois bien dire qu’elles ne répondaient pas toujours !
Par ailleurs, je me suis mal fait comprendre, je crois, ce qui veut dire que je m’explique mal. Croyez-vous que le PDG de Renault négocie lui-même tous les accords et connaisse le code du travail par cœur ? Évidemment non : il dispose d’experts ; il adhère, qui plus est, à une bonne organisation qui aide les services compétents au sein de Renault. Mais à un artisan, à un commerçant, même s’il a vingt ou trente salariés, on demande tout : c’est l’homme-orchestre ! Il doit être parfait : bon à la production, bon commercial, bon dans la relation avec ses fournisseurs… Doit-il en plus devenir un spécialiste du code du travail ?
Vous me direz qu’en obligeant ces entreprises à recruter quelqu’un pour gérer ces problèmes, on va créer des emplois. Mais c’est une illusion !
Prenons des exemples très concrets. Lors de l’instauration des 35 heures, la branche de la boucherie a voulu attendre, pour élaborer son accord de branche, qu’arrive l’échéance pour les entreprises de moins de vingt salariés. Les adhérents de la confédération, dont certains étaient des entreprises de plus de vingt salariés, ont protesté. Leurs cotisations devaient servir, précisément parce qu’ils ne disposaient pas des compétences nécessaires en interne, à ce qu’elle s’occupe de leur accord de branche.
Autre exemple, nous venons de renégocier un accord avec les syndicats de salariés. Il nous a fallu cinq mois et six réunions pour y arriver. C’est du boulot de négocier ! Cela ne fait pas partie du quotidien de toutes les entreprises de France. Ce n’est pas qu’il faille interdire la négociation, mais ce n’est pas la vraie vie, ne nous berçons pas d’illusions.
Si l’on ressent une forme d’exaspération chez les chefs d’entreprise, mais aussi chez le citoyen de base, c’est parce qu’ils ne voient pas les effets des lois votées. Les entreprises que nous représentons nous disent toutes que le code du travail est compliqué, mais elles n’ont pas le sentiment, pour l’instant, que ce projet de loi leur simplifiera la vie. Gare aux illusions ! Au bout du compte, ce sont les extrêmes et le mécontentement qui progressent.
S’agissant du critère de licenciement économique, Jean-Michel Pottier l’a dit, la condition de durée des difficultés rencontrées n’est pas du tout adaptée pour les plus petites entreprises. Au bout d’un tel délai, elles sont déjà devant le tribunal de commerce ! L’un des gros problèmes des TPE-PME est celui des fonds propres, et, globalement, de la trésorerie. Aujourd’hui, on ne peut provisionner que pour un risque avéré ; mais lorsqu’il est avéré, il est trop tard. Le président de l’UPA Jean-Pierre Crouzet a fait une proposition qui consisterait à envisager un mécanisme de provisionnement pour le risque de rupture du contrat de travail.
En ce qui concerne la laïcité, l’article 1er ne fait effectivement que reprendre la jurisprudence actuelle. Mais voir cela écrit noir sur blanc, c’est tout de même autre chose, et cela suscite beaucoup d’inquiétudes. Je ne suis pas mandaté pour le dire mais, on ne peut pas poser le principe de laïcité dans l’entreprise de la même manière que dans la sphère publique. Pour des raisons historiques et culturelles, la vie de certaines professions est ponctuée par des fêtes liées à la religion – songeons à la Saint-Honoré, par exemple. Nous sommes attachés au principe de laïcité, mais je pense qu’il faut examiner la question de manière approfondie.
Enfin, la lutte contre la fraude au détachement est une bonne chose. Il faut être très attentif à cette pratique, car, dans certains secteurs, il n’y aura bientôt plus que des salariés détachés – le mouvement est déjà bien engagé. Je sais bien qu’il est illusoire de l’envisager, mais il faut réviser la directive détachement de telle sorte que la protection sociale accordée au salarié soit celle du pays d’accueil et non plus celle du pays d’origine. Ainsi, le problème du détachement serait immédiatement réglé.
M. Jean-Michel Pottier. En ce qui concerne les critères du licenciement économique, je le répète, la pratique des PME n’est pas de licencier à tout-va, bien au contraire. On a vu, pendant la crise économique que, globalement, les chefs de TPE-PME ont tout fait pour conserver leur personnel. Certains ont même trop tardé à licencier et c’est le tribunal de commerce qui s’en est chargé.
Je l’ai dit tout à l’heure, en quatre trimestres, on se retrouve devant le tribunal de commerce. Retenir une telle durée ne sert donc pas à grand-chose.
Dès lors, quel autre critère retenir ? C’est extrêmement compliqué. Que fait un chef d’entreprise quand il a des difficultés ? Pour ma part, lorsque j’ai été condamné à payer 65 000 euros pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, je ne me suis pas payé pendant six mois et j’ai remis de l’argent dans l’entreprise. De ce fait, si l’on avait pris comme critères la situation de la trésorerie et celle du compte d’exploitation, on aurait vu une amélioration. Aurait-on pu, pour autant, en déduire qu’il y avait ou non matière à licenciement économique ? Si j’avais voulu procéder à un licenciement économique, à tous les coups, le juge m’aurait condamné. Pourtant, la situation de l’entreprise ne s’est pas redressée pour des raisons économiques, c’est moi qui l’ai sauvée.
En ce qui concerne le mandatement syndical, nous avons l’expérience des 35 heures. Pourquoi le mandatement syndical est-il compliqué en France ? L’idée est communément répandue que les patrons de PME ne veulent pas entendre parler des syndicats. Mais croyez-vous que leurs salariés le veuillent ? Pas du tout ! D’ailleurs, dans 94 % ou 96 % des entreprises, ils ne sont pas syndiqués. Cette très faible syndicalisation tient au discours même des grandes organisations syndicales, un discours formaté pour la grande entreprise, où règne un climat de lutte et de conflit qui n’a rien à voir avec ce que vivent les salariés de PME au quotidien : ils travaillent ensemble avec leur patron et sont plus préoccupés de trouver des solutions communes que d’entretenir un conflit permanent.
Le leurre du dialogue social, c’est le privilège syndical : rien ne se fait si on ne passe pas par une organisation syndicale. Nous proposons une autre approche, avec des garanties multiples : un accord négocié avec un salarié élu, validé par référendum à la majorité qualifiée et soumis à un contrôle de légalité. Ce dernier, en détectant immédiatement si tel ou tel point du code du travail n’est pas respecté, permet de situer d’emblée un accord dans les clous. Je ne vois pas l’intérêt du rescrit social : il n’empêche pas le contrôle du juge et ne permet pas d’éviter les contestations puisque le rapport est contractuel. Ce n’est pas la même chose qu’en cas de rescrit sur une cotisation due par l’entreprise.
Nous proposons comme autre garantie un accès facilité à la formation pour les salariés élus d’une TPE-PME qui s’engagent dans une négociation, mais ce pourrait être intéressant également pour le chef d’entreprise. On pourrait même imaginer – mais cela n’engage que moi – que cette formation soit éligible de droit au compte personnel de formation. La qualité des acteurs et de leur dialogue serait ainsi garantie.
On parle toujours des indemnités prud’homales, mais il s’agit, en fait, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou pour un motif dit « abusif ». Nous l’avons dit, dans bien des cas, la forme l’a emporté sur le fond. Il y a peut-être là quelque chose à améliorer. Une autre piste d’amélioration consisterait à favoriser la conciliation, ce que ne fait pas le système actuel. Plutôt qu’une prime fiscale et sociale au jugement en dernier ressort, mieux vaudrait donner une prime à la conciliation le plus tôt possible. Inversons les choses.
Quant au plafonnement, si vous m’interrogez sur son intérêt, je vais raconter mon histoire de licenciement sans cause réelle et sérieuse pour la vingt-quatrième fois…
Aujourd’hui, le provisionnement est fiscalement impossible. Je vous livre une réflexion personnelle sur laquelle la CGPME n’a pas pris position. De même que les entreprises peuvent aujourd’hui se prémunir de la charge que représentent les indemnités de départ à la retraite, on pourrait imaginer d’avoir dans un même cadre fiscal cette possibilité d’une provision externe pour ce type de risque. Des expérimentations sont en cours et cette piste mériterait d’être creusée.
S’agissant de la visite médicale d’aptitude, si on ne la supprime que pour une partie du personnel, qui déterminera quels sont les postes dits « à risque » pour lesquels elle devra être maintenue ? Comme d’habitude, cela restera de la responsabilité de l’employeur ! S’il y a un manquement de la médecine du travail, c’est l’employeur qui en est responsable. Mme la présidente a fait part de son expérience, permettez-moi de vous raconter la mienne. Vous le savez, toute entreprise qui emploie plus de dix salariés doit faire établir par le médecin du travail une fiche d’entreprise dans laquelle celui-ci répertorie les risques et les moyens de protection collectifs ou individuels qu’il préconise. Des mois durant, j’ai réclamé cette fiche, j’ai envoyé deux lettres de relance à la médecine du travail, et, pour finir, après une descente de la patrouille, on m’a collé un avertissement parce que je n’avais pas de fiche d’entreprise ! Attention, donc, à tout cela. Je ne suis pas sûr que la suppression de la visite médicale d’aptitude soit de nature à offrir à l’employeur cette sécurité annoncée dans l’exposé des motifs du projet de loi.
La CGPME a toujours été très favorable aux accords types de branche ; nous l’avons dit à l’époque du rapport Combrexelle et nous n’avons pas changé d’avis. Seulement, aujourd’hui, le projet de loi prévoit que les accords devront être approuvés par une majorité de 50 %. Ce sera déjà difficile pour un accord de branche tout court, alors pour des accords types de branche, c’est-à-dire des accords pour les TPE-PME discutés avec des représentants syndicaux issus de la grande entreprise, cela risque de prendre vraiment beaucoup de temps. D’ici à ce que cela produise des effets, la prochaine législature sera terminée ! Nous soutenons donc l’esprit, mais pas cette condition de majorité de 50 %.
D’autant que ces accords types ne sont même pas fléchés dans cette deuxième version du projet de loi. Faut-il vraiment attendre des accords types de branche pour régler les problèmes d’aménagement du temps de travail ? Excusez-moi, mais, c’est en interne, entre le patron et les salariés de la TPE-PME, que cela se règle. On n’a pas besoin d’un outil complètement démesuré sur un sujet, du reste, consensuel. Quand il y a du boulot, on voit ensemble comment faire face au carnet de commandes ; quand il y a moins de commandes, on s’organise ensemble aussi. Pour une fois, ne pourrait-on nous faire confiance ? Au fond, c’est tout ce que nous demandons.
Sur le fait religieux, la CGPME voit une différence entre la jurisprudence et la transcription qui en a été faite dans le texte : la jurisprudence est en creux, alors que, dans le projet de loi, l’article est en relief. Il retient comme postulat qu’« il est possible de… sauf… », alors que la jurisprudence procède par la démarche inverse.
J’ai oublié de citer, parmi les améliorations possibles, la réduction du délai de contestation du licenciement, qui est de six mois en France. En Allemagne, il est de deux semaines ! Nous ne demandons pas qu’il soit raccourci à ce point, mais nous voudrions un début de sécurité juridique.
Pourquoi le compte personnel d’activité nous inspire-t-il quelque réticence ? J’ai demandé aux branches professionnelles pourquoi elles n’étaient pas en mesure, aujourd’hui, de faire des référentiels de branche. La première difficulté, c’est la confusion entre le poste de travail et l’individu, comme l’a dit Alexandre Saubot. Le compte de pénibilité s’adresse à l’individu et pas au poste. Le deuxième problème tient à la polyvalence qui caractérise l’activité des salariés dans les TPE-PME. Dans mon entreprise, il faudrait que je les équipe d’une caméra GoPro ! En fonction des nécessités de production, ils passent d’un travail répétitif sur une machine pendant deux heures à autre chose. J’invite les sceptiques à passer une journée dans mon entreprise. Qu’ils viennent avec le code du travail, les arrêtés et les machins et qu’ils m’expliquent à quel point tout cela est simple !
M. Gérard Sebaoun. Ce n’est pas le sujet !
M. Jean-Michel Pottier. Si !
Les branches professionnelles ont deux problèmes. Si elles édictent des référentiels, elles vont ipso facto faire basculer des salariés polyvalents des TPE-PME, qui ne sont pourtant pas exposés. De surcroît, la loi impose à la branche, dans le cadre du référentiel, de dénoncer les coupables, c’est-à-dire de désigner dans la branche tel pourcentage de salariés soumis aux facteurs de pénibilité. À moins de vouloir faire voler en éclats la branche professionnelle, il s’agit d’une injonction impossible à réaliser.
Puisqu’on ne veut pas nous croire, nous proposons de faire fonctionner le système à blanc pendant un an. On verra si c’est si facile que cela et si tous les problèmes sont résolus. On verra aussi combien cela va coûter et comment on va le financer – vous aurez aussi remarqué, en effet, qu’un décret relatif au financement du compte personnel d’activité a été annulé. On parle beaucoup d’allégements, mais, en l’occurrence, ce n’est pas du tout un allégement.
J’en termine par l’apprentissage. De ce point de vue, alors que nous allons bientôt atteindre les 100 000 jeunes qui n’auront pas bénéficié de contrat d’apprentissage depuis trois ans, le texte est d’une faiblesse insigne – comme sur la formation professionnelle. Il faudrait déjà pouvoir aligner, avec tout un luxe de précautions, le temps de travail de l’apprenti sur celui de son maître d’apprentissage. Ce serait quand même logique dans la mesure où ils partent ensemble dans la même camionnette sur un chantier ou participent à un même cycle de production. Si nous n’y arrivons pas, c’est bien dommage.
M. Alexandre Saubot. En ce qui concerne la laïcité, méfions-nous de toute mesure générale. N’imposons pas une laïcité qui n’aurait aucun sens aux entreprises qui se sont construites avec une vraie problématique religieuse, et utilisons, dans chaque entreprise, l’outil du règlement intérieur, en redéfinissant correctement sa valeur juridique et les effets qu’emportent son non-respect ou son refus par les salariés. Cela permettrait de régler le problème sans engager de nouvelles guerres de religion. Qui plus est, l’application au privé du dispositif en vigueur dans le public se heurterait à la liberté d’entreprendre et à des situations très diverses.
L’accord type ne pourra jamais couvrir l’intégralité des situations en matière d’organisation du temps de travail – puisque c’est ce dont il est surtout question. Il faudra des parties adaptées à la réalité de chaque entreprise. Même si la branche dessine un canevas ou un modèle d’accord, il faudra bien que l’entreprise remplisse de petites cases avec des éléments précis, et il faudra valider ce dispositif au sein de l’entreprise.
Cela m’amène à la validation de l’accord. La règle actuelle la conditionne à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles, et à l’absence d’opposition d’une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli 50 % des suffrages exprimés à ces mêmes élections. C’est le reflet de l’abstention, c’est-à-dire que, dans le système français, vous ne pouvez pas vous abstenir. Si vous exigez une majorité de 50 %, cela veut dire que vous inventez un système dans lequel l’entrée en vigueur d’un accord requiert l’accord, non de 50 % des votants, mais de 50 % des inscrits. La règle des « 30 % sauf si 50 % s’y opposent » avait essentiellement pour but de couvrir la problématique de l’abstention. Évidemment, si, demain, la validation d’un accord était obtenue à la majorité des membres d’un comité d’entreprise, d’une instance unique, la difficulté serait réglée. Nous retrouvons là des schémas qu’en tant que députés vous connaissez bien. La majorité des inscrits serait réservée à des situations très particulières.
J’ai oublié d’évoquer le périmètre retenu pour la définition du licenciement économique. Les dispositions prévues par le texte, à la suite du travail d’orfèvre fait par le Conseil d’État, permettent au juge de vérifier qu’il n’y a pas eu d’abus sans faire courir à l’entreprise de risque juridique majeur. Toucher au texte tel qu’il est rédigé rouvrirait la boîte de Pandore des menaces pesant sur l’attractivité de notre pays. Cela dissuaderait tous les groupes et toutes les entreprises qui l’envisagent de s’installer, revenir ou se développer en France, car le droit en vigueur est une grande source d’incertitude. Les chiffres montrent qu’il n’a pas bénéficié à notre pays. Nous étions les seuls, ces quinze dernières années, en Europe, à avoir un dispositif de ce type. A-t-il empêché quelque fermeture d’usine que ce soit ? A-t-il empêché que notre déclin industriel soit beaucoup plus marqué que celui d’aucun autre grand pays d’Europe ? C’est un dispositif repoussoir dont l’efficacité réelle sur les quelques situations critiques est marginale en termes de délai ou de coût. S’il a pu retarder l’échéance de six mois ou un an, avec un surcoût de quelques dizaines de milliers d’euros par tête à la clé, il n’a jamais empêché la moindre fermeture.
En revanche, croyez-moi, cela a décidé de nombreuses entreprises à ne pas s’installer ou se réinstaller en France. J’en veux pour exemple l’un de nos grands adhérents, dans le secteur de la métallurgie, qui a longtemps fabriqué des téléviseurs en France. Alors que toute sa production était partie en Chine et en Corée, le juge a décidé que cette société n’avait pas le droit de fermer son activité française de fabrication de téléviseurs, à l’évidence pourtant non rentable. Cette situation ne relevait pas d’une décision stratégique, mais était le fruit de l’évolution de la concurrence et du marché. Le jour où cette entreprise a été condamnée à plusieurs dizaines de milliers d’euros, elle a fait une croix sur la France comme territoire d’activité industrielle, et on ne l’a jamais revue. La décision procédait très clairement de notre droit, qui n’était pas attractif. Pour ce qui est d’éviter les abus et les pratiques scandaleuses, je répète que le texte issu des travaux du Conseil d’État est équilibré. Y toucher affecterait son efficacité économique et son message d’attractivité. Compte tenu du niveau du chômage dans notre beau pays, ce serait très dommage.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, messieurs, d’avoir répondu à toutes les questions et pour votre disponibilité.
TITRE PREMIER
REFONDER LE DROIT DU TRAVAIL ET DONNER PLUS DE POIDS À LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
Chapitre Ier
Vers une refondation du code du travail
Article 1er
Commission de refondation et principes essentiels du droit du travail
Cet article vise à créer une commission « d’experts et de praticiens » du droit du travail qui proposera au Gouvernement une réécriture intégrale du code du travail.
I. RENDRE LE CODE DU TRAVAIL PLUS INTELLIGIBLE ET FAIRE UNE PLACE PLUS IMPORTANTE À LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
Le code du travail regroupe l’ensemble des lois et règles ayant trait au droit salarié et aux relations professionnelles qui l’entourent. Il est consubstantiel du lien de subordination qui existe entre l’employeur et le salarié. En effet, c’est ce lien qui justifie que des protections spécifiques soient garanties à la partie la plus faible des deux signataires du contrat de travail.
La loi ne doit et ne peut cependant pas encadrer l’activité dans toutes les entreprises du pays qui connaissent des réalités diverses. Ainsi existent des accords de branches professionnelles qui jouent notamment un rôle de régulation économique et sociale et des accords d’entreprises, négociés au plus près du terrain, destinés à donner de l’agilité à l’organisation du travail.
Or le débat public est depuis plusieurs années saturé par les différentes expressions politiques et médiatiques sur un code du travail censé être devenu « obèse » et constituant de ce fait un « frein à l’emploi ». La « modernité » consisterait de ce fait à réduire le code du travail avec comme seul critère le nombre de pages supprimées. De nombreuses propositions ont fleuri pour réduire le code à la portion congrue, voire le supprimer avec en filigrane une préférence de principe pour la négociation collective, si possible au niveau de l’entreprise, censément la plus vertueuse.
Cette approche est à l’évidence simpliste. En effet, renvoyer l’ensemble des dispositions régissant la vie des salariés à une myriade d’accords spécifiques sans encadrement conduirait non seulement à renoncer à la régulation de la concurrence en laissant libre cours au moins-disant social mais également à remplacer tout un code du travail « indigeste » par autant de « codes du travail de l’entreprise » aussi « indigestes ». En outre le salarié qui change d’entreprise ou l’employeur qui change de secteur d’activité devrait s’adapter à une réglementation complètement nouvelle.
Il ne s’agit pas de supprimer le code du travail, ni même de le raboter mais simplement de l’adapter afin de le rendre plus lisible et de faire une plus grande place au dialogue social. En effet, parmi les difficultés qui affectent nos entreprises figure un dialogue social insuffisant. Or depuis quatre ans, sous l’impulsion du Président de la République, le Gouvernement et la majorité ont privilégié le dialogue social comme méthode principale de la réforme. Le dialogue social est synonyme de confiance, confiance entre des partenaires capables de trouver des compromis, confiance dans un avenir à inventer ensemble, confiance in fine dans les potentialités du pays. Dès le 11 janvier 2013, les partenaires sociaux ont signé l’accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, transposé depuis dans la loi déjà évoquée. À la suite de cet accord, de nombreux accords de branches ont également été trouvés. Toutefois, la qualité du dialogue social dans l’entreprise, celui qui a lieu au plus près des acteurs, reste encore à fluidifier afin d’en faire un véritable levier de compétitivité et de progrès social.
Il ne s’agit pas en définitive de choisir entre d’un côté un code du travail protecteur et de l’autre un dialogue social permissif mais de créer les conditions d’une complémentarité fructueuse entre les deux sources du droit social, étant observé que la loi doit continuer et continuera d’encadrer le dialogue social.
Fort de ce constat, le Premier ministre a chargé, par lettre de mission du 1er avril 2015, M. Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’État et ancien Directeur général du travail, d’une mission sur « l’élargissement de la place de l’accord collectif dans notre droit du travail et la construction de normes sociales. Il s’agira (…) de faire une plus grande place à la négociation collective et en particulier à la négociation d’entreprise, pour une meilleure adaptabilité des normes aux besoins des entreprises ainsi qu’aux aspirations des salariés. »
Le rapport remis au Premier ministre propose notamment une nouvelle architecture du code du travail pour distinguer, dans l’ensemble des dispositions, ce qui relève de l’ordre public, du renvoi encadré à la négociation collective et ce qui revêt un caractère supplétif en l’absence de conclusion d’un accord.
Le projet de loi s’inscrit dans cette nouvelle architecture visant à clarifier le code du travail, le rendre plus aisément applicable et en assurer l’adéquation aux réalités du terrain. Les articles 2, 3 et 4 constituent ainsi une « vitrine » de ce que sera le nouveau code du travail tel qu’envisagé à ce stade par le Gouvernement.
Ce nouveau code serait organisé sur chaque sujet en trois blocs :
– Des dispositions d’ordre public issues de grands principes auxquels il sera impossible de déroger par accord. Elles fixent les garanties minimales accordées aux salariés, ainsi que le cadre de référence de l’organisation collective du travail. À titre d’exemple, l’article 2 prévoit que : « La durée effective du travail est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » ou : « Au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures » ou encore : « La durée légale du travail effectif des salariés à temps complet est fixée à 35 heures par semaine ». Telles sont les bases à partir desquelles devra s’engager le dialogue social.
– Le champ de la négociation collective : celui-ci donne la priorité aux conventions et aux accords de branche d’entreprise ou d’établissement. On relèvera l’accent mis sur la négociation au niveau de l’entreprise. En matière de temps de travail par exemple, ce n’est en principe qu’à défaut d’accord d’entreprise que la branche recouvre une compétence. L’article 2 prévoit ainsi que : « une convention ou un accord collectif d’entreprise… ou à défaut, une convention ou un accord de branche prévoit le taux de majoration des heures supplémentaires (…). Ce taux ne peut être inférieur à 10 % » contre 25 % actuellement pour les 8 premières heures et 50 % au-delà. Toutefois, le niveau conventionnel de droit commun peut varier selon les sujets et il serait prématuré, voire faux, de considérer que l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche dans tous les aspects de cette réforme.
– Le retour à la loi en l’absence d’accord, par l’application de dispositions dites supplétives. En cas d’absence d’accord, les dispositions législatives reprennent la main sous la forme de dispositions supplétives renforçant les garanties minimales découlant de l’ordre public. Par exemple, l’article 2 prévoit, s’agissant de majoration des heures supplémentaires, que « les heures accomplies au-delà de la durée légale (…) donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour les 8 premières heures et (…) de 50 % pour les suivantes », soit le droit existant.
La nouvelle architecture issue du rapport Combrexelle et du projet de loi ne constitue pas une inversion de la hiérarchie des normes puisque les accords d’entreprises ou de branche restent encadrés par les termes de la loi mais un nouvel assouplissement de l’articulation des normes conventionnelles, antérieurement fondées sur le principe de faveur en vertu duquel une norme inférieure ne pouvait déroger à une norme supérieure que dans un sens plus favorable aux salariés.
Au-delà de la mise en place immédiate de la nouvelle architecture concernant la durée du travail, les congés et le compte épargne-temps proposée par les articles 2, 3 et 4, le présent article propose la création d’une commission chargée de refonder l’ensemble du code du travail sur le même modèle.
Ainsi il est prévu que la « commission d’experts et de praticiens des relations sociales » propose « au Gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail ».
Il ne s’agit ni d’une injonction au Gouvernement, car celui-ci aura tout le loisir de s’inspirer des conclusions de la commission pour déposer un projet de loi à la date qu’il trouvera opportune ou d’ailleurs ne pas le faire, ni d’une injonction au législateur qui garde bien sûr l’ensemble de sa compétence si un projet de loi venait à être déposé.
La commission est amenée à faire des propositions de modifications sur la partie législative en attribuant « une place centrale à la négociation collective » sans toutefois méconnaître les dispositions de l’article 34 de la Constitution qui prévoit que la loi seule détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. La feuille de route est bien en conséquence de réorganiser le code du travail selon l’architecture définie ci-dessus.
Enfin, le troisième alinéa de l’article 1er prévoit que la commission « associe à ses travaux les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés représentatives au niveau national ». Au cours des auditions organisées par le rapporteur, il a été précisé que la commission entendra périodiquement les partenaires sociaux à différents stades de l’avancement de ses travaux afin de prendre en compte leurs remarques et avis. Le rôle des partenaires sociaux est purement consultatif s’agissant des travaux de la commission mais le processus d’élaboration d’un code du travail remanié devant passer par un projet de loi puis par un examen au Parlement, l’article L. 1 du code du travail qui dispose que « tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation (…) fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives » devra être bien évidemment respecté. Les partenaires sociaux joueront en conséquence tout leur rôle dans la refondation du code du travail.
Le véritable enjeu de cette nouvelle architecture réside dans la répartition opérée entre les mesures d’ordre public, la négociation collective et les dispositions supplétives et le niveau auquel placer le curseur de celles-ci, afin que les partenaires sociaux aient un intérêt à négocier un accord. Si le droit supplétif est vécu comme faible par rapport au droit actuel, les organisations patronales n’auront pas d’intérêt à négocier : s’il offre un niveau trop élevé de protections ou de droits aux salariés, ce sont les organisations syndicales de salariés qui n’auront plus intérêt à négocier.
Le deuxième alinéa de l’article donne une feuille de route à la commission mais est muet sur cette question pourtant essentielle. Le législateur ne peut laisser à une commission composée « d’experts et de praticiens des relations sociales », sans doute compétents mais sans légitimité suffisante, le soin de proposer des dispositions supplétives constituant le droit applicable en cas d’absence d’accord d’entreprise ou de branche et de déterminer le cadre des futures négociations. Le projet de loi initial ne comportait aucune autre précision sur la composition de la commission qui ne relevait pas du domaine de la loi. En revanche, il est apparu utile de prévoir dans celle-ci le principe de la parité de cette composition. La commission des affaires sociales a adopté à cet effet un amendement AS612 présenté par Mme Coutelle.
De ce fait, sans toucher à la composition de la commission, – qui deviendrait une enceinte purement technique chargée de faire des propositions, le rapporteur propose d’inscrire dans son mandat que l’ensemble des dispositions supplétives devront correspondre aux règles légales aujourd’hui applicables. En revanche, la commission aura toute latitude, dans le respect de l’ordre public et des dispositions supplétives, pour proposer les règles minimales encadrant la négociation collective. La rédaction des dispositions supplétives devra donc être opérée à droit constant. C’est le sens de l’amendement AS874 proposé par le rapporteur et adopté par la Commission.
Enfin, si l’étude d’impact accompagnant le projet de loi indique que les travaux de la commission seront menés « sur deux ans », aucune disposition ne fixe dans l’article de terme pour ses travaux. Le rapporteur a proposé, dans un amendement AS875 adopté par la Commission, qu’elle rende ses travaux au plus tard le 1er juillet 2018.
Par lettre de mission du 24 novembre 2015, le Premier ministre a confié à un comité de sages, présidé par M. Robert Badinter, le soin de « dégager les principes juridiques les plus importants » du droit du travail.
Au cours de son audition par le rapporteur, M. Robert Badinter a précisé qu’il s’agissait de bien opérer la différence entre le principe – intangible – et la règle qui en découle et qui est soumise aux contextes politique, économique et social du moment. La démarche s’est inspirée de celle utilisée par le Conseil d’État lorsqu’il dégage un principe général du droit ou de la Cour de cassation lorsqu’elle s’appuie sur un principe fondamental.
Les 61 principes ainsi dégagés procèdent soit de dispositions constitutionnelles – Déclaration des droits de l’homme et de citoyen de 1789, Préambule de la Constitution de 1946 – soit de textes internationaux – Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – ou simplement de la jurisprudence nationale constante.
La commission « Badinter » a dégagé 61 principes relevant des 8 grands domaines suivants :
Le premier principe prévoit que « les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation du travail » et que des limitations peuvent leur être apportées si d’autres libertés sont en jeu ou si les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise le justifient et ce, selon un strict principe de proportionnalité.
La liberté est bien la règle et les restrictions apportées à celle-ci l’exception lorsque la situation le commande et seulement en respectant le principe de proportionnalité.
Les autres principes rappellent le droit au respect et la dignité dans le travail, le droit au secret de la vie privée, la liberté du salarié de manifester ses convictions, le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, l’interdiction des discriminations et du harcèlement moral et la nécessaire conciliation entre vie privée et vie professionnelle.
Ces principes sont au nombre de 10.
Cette section comprend 19 principes. Ceux-ci rappellent principalement des dispositions déjà présentes dans le code du travail actuel.
Il est rappelé que le contrat est la loi des parties et doit de ce fait se former et s’exécuter de bonne foi. Il est conclu pour une durée indéterminée sauf dans des cas précis prévus par la loi. Il comprend une période d’essai d’une durée raisonnable.
Un principe concerne le transfert du contrat de travail en cas de transfert d’entreprise.
Par ailleurs, plusieurs principes rappellent le droit de chacun à la formation professionnelle tout au long de sa vie et l’obligation faite à l’employeur d’assurer l’adaptation du salarié à l’évolution de l’emploi.
Enfin, huit principes règlent les questions liées à la rupture du contrat de travail. Ainsi les principes 26 à 29 rappellent ceux de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui distingue le licenciement pour motif personnel devant reposer sur un motif réel et sérieux et le licenciement pour motif économique donnant droit à un reclassement.
Ces trois principes édictent que la rémunération doit assurer une vie digne au salarié, qu’elle doit être versée selon une périodicité régulière et que l’employeur assure une égale rémunération aux salariés pour un même travail.
Le temps de travail est fixé par la loi sauf dérogation. La durée légale du travail n’est pas une limite mais fixe seulement le seuil au-delà duquel débute le régime des heures supplémentaires et des contreparties qu’elles comportent.
Les 6 principes de cette section rappellent l’existence de durées maximales de travail, d’un repos quotidien et hebdomadaire minimum, du droit à des congés payés à la charge de l’employeur et prévoient un régime spécifique pour le travail de nuit.
Cinq principes, progressivement élaborés depuis la grande loi du 9 avril 1898, constituent selon la commission « Badinter » ceux applicables à la santé et à la sécurité du travail : la responsabilité de l’employeur auquel il incombe d’assurer la sécurité et de protéger la santé des salariés, le droit de retrait en cas de situation de danger grave et imminent mais aussi l’importance de la médecine du travail et la nécessité de mesures spécifiques en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
Le droit du travail réglemente les rapports individuels mais également les rapports collectifs, ceux qui se nouent entre un employeur ou un groupement d’employeurs et un groupement de salarié.
Sept principes viennent en rappeler les fondements à savoir la liberté syndicale, le principe de non-discrimination syndicale, le rôle des syndicats dans l’entreprise, le statut de salarié protégé ainsi que le droit de grève et les limites qui encadrent celui-ci.
Ce champ comporte également sept principes. Le principe n° 51 reformule l’article L. 1 du code du travail qui dispose que les partenaires doivent être consultés avant toute réforme dans le champ du droit du travail.
Les autres principes dégagent le socle sur lequel doit s’articuler la négociation collective, notamment le principe de faveur, « sauf si la loi en dispose autrement ».
Enfin, la dernière section concerne le contrôle administratif – rôle de l’inspection du travail – et la liberté d’accès à une juridiction aussi bien pour un salarié que pour une organisation syndicale.
Les principes présentés ci-dessus devaient initialement constituer le préambule du code du travail. Cependant, leurs origines disparates ne leur confèrent pas la même portée.
En effet, ces 61 principes sont tous issus du droit aujourd’hui applicable et se trouvent déjà inscrits dans des textes de niveau constitutionnel, conventionnel ou législatif sous une rédaction identique ou dont l’esprit est similaire sans être parfaitement identique. La présence de deux principes « similaires », de même niveau dans la hiérarchie des normes juridiques est ainsi susceptible de générer des divergences de jurisprudence selon que le juge s’attache à l’une ou l’autre des dispositions, divergences qui seraient malvenues à l’heure où il est question de rendre le code du travail plus intelligible pour les employeurs et les salariés.
Le Gouvernement a donc décidé de proposer que les principes constituent seulement un guide pour la commission de refondation du code.
Sans contester le bien-fondé de principes qui figurent déjà dans le droit positif, ou solidement ancrés dans la jurisprudence, leur place n’apparaît toujours pas clairement.
En effet, le quatrième alinéa prévoit que les « travaux [de la commission] s’appuient sur les principes essentiels du droit du travail » présentés ci-dessus. Or la commission devra organiser le code du travail selon le triptyque ordre public
– négociation collective – dispositions supplétives. Les dispositions d’ordre public sont bien plus précises que les simples principes. À titre d’exemple, le principe n° 33 énonce que « la durée normale du travail est fixée par la loi » et l’ordre public tel qu’il est prévu par l’article 2 du présent projet de loi dispose que « la durée légale du travail effectif des salariés (…) est fixée à trente-cinq heures ». Il apparaît alors clairement que le principe dans sa rédaction même a une prétention supra légale sans en avoir pour autant la valeur.
La volonté du rapporteur de faire travailler la commission à droit constant – au moins en ce qui concerne les mesures supplétives, ainsi, par essence, que pour les dispositions d’ordre public – rend inutile l’existence de dispositions normatives pour encadrer ses travaux.
La commission et le futur projet de loi qui s’appuiera sur ses travaux pourront reprendre les principes dégagés par la commission « Badinter » comme source d’inspiration, proposer d’en faire un préambule au code du travail refondu, voire même proposer de les adosser à la Constitution sur le modèle de la charte de l’environnement. À ce stade, leur suppression apparaît non comme une renonciation mais comme un facteur de clarification répondant à l’un des objectifs majeurs du projet de loi.
En conséquence, sur proposition du rapporteur, la commission des affaires sociales a supprimé les alinéas 4 à 73, renvoyant aux principes, en votant l’amendement AS876 du rapporteur et cinq amendements identiques.
*
La commission examine les amendements identiques AS33 de M. Patrick Hetzel, AS42 de M. Lionel Tardy, AS256 de Mme Jacqueline Fraysse, AS447 de M. Alain Tourret, AS569 de M. Arnaud Richard et AS742 de Mme Eva Sas.
M. Patrick Hetzel. L’amendement AS33 vise à supprimer l’article 1er, car les principes qui y figurent, proposés par le comité que présidait Robert Badinter, ne sont pas de nature normative et ne doivent donc pas figurer dans le code du travail. Dans le cas contraire, nous créerions ipso facto une insécurité juridique considérable. Les experts qui se sont exprimés sur le sujet estiment en effet que si l’article 1er tel qu’il est rédigé était adopté, s’ouvrirait une période de cinq à dix ans d’instabilité de la jurisprudence, négative pour nos entreprises.
M. Lionel Tardy. Le projet de loi commence bien mal, puisque son article 1er compte soixante-treize alinéas correspondant aux principes qui serviront de base de réflexion à une commission chargée de réécrire le code du travail. Certes, les principes ainsi énoncés ne viennent pas alourdir celui-ci, mais il ne s’agit que de bavardage puisqu’ils ne font que reprendre, sous une formulation différente, des textes existants dans le code du travail. Au lieu de nous concentrer sur l’essentiel, nous allons discuter de ces principes alors qu’une simple feuille de route destinée à la commission aurait suffi. À part figer des choses parfois contestables, ils n’apportent rien. Or, dans la loi, tout ce qui n’est pas nécessaire doit être évacué. C’est pourquoi nous proposons, par l’amendement AS42, de supprimer l’article 1er.
Mme Jacqueline Fraysse. L’article 1er, qui porte sur les modalités de la refondation du code du travail, est emblématique de la philosophie de ce projet de loi, que nous contestons tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, « une commission d’experts et de praticiens des relations sociales » sera chargée de la réécriture du code du travail ; les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés y seront seulement « associées ». Cette démarche, qui n’est pas sans rappeler celle du comité Badinter, simplement composé d’éminents spécialistes du droit, nous paraît très insuffisante pour accomplir une tâche d’une telle ampleur qui concernera au premier chef les travailleurs et leurs employeurs.
Sur le fond, cet article consacre l’inversion de la hiérarchie des normes, puisqu’il s’agira d’attribuer une place centrale à la négociation collective d’entreprise, en remettant en cause le principe de faveur. Ainsi, les principes nos 56 et 57 du comité Badinter, désormais réduit à guider la main de la commission chargée d’écrire le nouveau code du travail, ouvrent clairement la porte à la conclusion d’accords collectifs moins favorables que la loi.
Pour ces différentes raisons, qui sont diamétralement opposées à celles que viennent d’exposer les orateurs qui m’ont précédée, nous demandons la suppression de l’article 1er.
Mme Dominique Orliac. Les principes essentiels définis par le comité Badinter, même s’ils constituent l’armature des normes applicables en droit du travail, n’ont pas à figurer dans un texte de loi par essence normatif, d’autant qu’ils mêlent des normes législatives, constitutionnelles, conventionnelles, européennes et jurisprudentielles. S’appuyer sur de telles propositions tout en donnant une place centrale à la négociation collective est un facteur d’imprécision et une source de difficultés contentieuses, car, dans chaque conflit, les parties ne manqueront pas d’invoquer la violation de tel ou tel des soixante et un principes établis par le rapport Badinter. Il est donc proposé de supprimer l’article 1er.
M. Arnaud Richard. L’article 1er soulève deux difficultés : la première concerne la fameuse commission de refondation du code du travail ; la seconde a trait à l’énumération des principes essentiels du droit du travail. Si, bien entendu, la plupart de ces principes nous conviennent, la méthode choisie par le Gouvernement nous étonne, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il nous semble étrange de confier à une commission ad hoc le soin de réécrire le code du travail en lieu et place du Parlement, sachant qu’une fois les travaux de cette commission achevés, à une date d’ailleurs inconnue, le Gouvernement décidera des suites à leur donner. En outre, les partenaires sociaux n’ont manifestement pas été consultés sur le projet de loi, puisque M. Mailly a indiqué dans une lettre adressée à la ministre que le fameux document d’orientation qui doit leur être transmis n’existe pas. De ce fait, le projet de loi ne respecte pas le premier article du code du travail. J’ajoute que nous aurions pu examiner en premier lieu l’amendement AS876 du rapporteur, qui vise à supprimer, comme nous le souhaitons tous, les principes « Badinter » figurant à l’article 1er. Ainsi nous aurions pu débattre plus sereinement de la création de cette commission.
Telles sont les raisons qui nous conduisent à demander la suppression de l’article 1er.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous rappelle, monsieur Richard, que nous commençons toujours par examiner les amendements de suppression d’un article.
Mme Eva Sas. Contrairement à l’ambition affichée, le projet de loi ne réécrit que les passages du code du travail consacrés au temps de travail. L’article 1er vise, pour le reste, à confier la réécriture du code à un groupe d’experts dont la composition ne figure pas à l’article 1er. En encadrant cette réécriture par l’énonciation de principes essentiels du code du travail, cet article fait passer pour une opération technique un sujet éminemment politique. Il est important de noter, en outre, que les principes censés guider la réécriture du code ont, eux aussi, changé de statut, puisqu’ils ne constituent plus un préambule. Surtout, l’article 1er consacre l’inversion de la hiérarchie des normes.
De plus, contrairement à ce que prétend la communication officielle, le texte ne simplifie pas le code du travail. En effet, si la législation actuelle, que le projet entend modifier, représente environ 151 000 caractères, soit une centaine de pages, selon le groupe de recherche « Pour un autre code du travail », sa réécriture augmenterait ce volume de 27 %. Du reste, cette épaisseur est relative, compte tenu de l’importance des sujets traités : le code monétaire et financier pèse le double du code du travail et le livre du code du commerce consacré aux sociétés commerciales plus du triple ! Le véritable problème du droit du travail est son caractère mouvant et l’absence de mécanismes de conseil et d’accompagnement qui aideraient les salariés et les employeurs à se repérer dans ces changements permanents. Il nous paraît donc judicieux de supprimer l’article 1er.
M. Christophe Sirugue, rapporteur. J’avoue que je me suis moi-même demandé s’il fallait supprimer l’article 1er, qui comporte deux éléments distincts : d’une part, la création et la composition de la commission et, d’autre part, la liste des soixante et un principes dits du comité Badinter.
Tout d’abord, je précise qu’il n’est aucunement question que cette commission réécrive le code du travail, tout simplement parce que cela n’entre pas dans ses prérogatives. Elle proposera des conclusions, que le Gouvernement retiendra – en totalité ou en partie – ou non. Du reste, il m’a paru important de bien limiter le rôle de cette commission – et c’est l’objet de plusieurs de mes amendements – à celui d’une commission technique, en précisant qu’elle doit travailler à droit constant et que sa vocation est d’éclairer le Gouvernement. Encore une fois, ne lui prêtons pas des objectifs et des prérogatives qu’elle n’aura pas. Quant aux principes dits du comité Badinter, j’ai considéré – c’est l’objet d’un amendement que nous examinerons ultérieurement – qu’ils n’avaient pas de raison de figurer dans l’article 1er.
En résumé, je suis donc défavorable aux amendements de suppression de cet article, qui amalgament la question de la commission – dont le rôle est de réfléchir et d’éclairer le législateur, lequel prendra ses responsabilités le moment venu – et celle des soixante et un principes.
Mme Isabelle Le Callennec. Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que cette commission sera chargée de faire des propositions, mais c’était également la mission du comité présidé par M. Badinter. Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas rendu ses premiers arbitrages sur les préconisations de ce comité ? Pourrions-nous déjà avoir connaissance de la liste des experts qui composeront cette commission ? Combien de temps se donne-t-on pour réformer le code du travail ? M. Combrexelle, lors de son audition, avait évoqué un délai de trois ans. Des entreprises auront disparu, d’ici là !
M. Christophe Cavard. La suppression des soixante et un principes proposés par le comité Badinter semble faire l’unanimité. Or je souhaiterais rappeler que la plupart de ces principes ont été formulés à droit constant.
Mme Jacqueline Fraysse. Cela ne sert donc à rien !
M. Christophe Cavard. Je mets chacun d’entre vous au défi de me dire où se trouvent précisément ces soixante et un principes dans le code du travail. Cette liste présente l’avantage de rappeler les droits fondamentaux des salariés – je pense, par exemple, à l’égalité entre les hommes et les femmes ou à la question du harcèlement – de manière claire et précise, si bien que quiconque lit ce seul article comprend la réalité du droit du travail. C’est, du reste, la raison pour laquelle je proposerai, par l’amendement AS401, que ces principes fassent « office de préambule au code du travail ».
M. Patrick Hetzel. Monsieur le rapporteur, vous vous êtes vous-même interrogé, et vous l’avez rappelé, sur la possible suppression de l’article 1er, en insistant notamment sur les risques d’insécurité juridique qu’il comporte. Pourquoi n’avez-vous pas évoqué ce risque tout à l’heure ?
Mme Jacqueline Fraysse. Comme l’a souligné le rapporteur, l’article 1er comporte deux aspects : d’une part, la liste des soixante et un principes formulés à droit constant – qui ne présente, selon moi, aucun intérêt puisque ces principes figurent déjà dans le droit – et, d’autre part, la création et la composition de la commission. Or, sur ce dernier point, le résultat des comités présidés par M. Combrexelle et M. Badinter ne nous incite pas à renouveler l’expérience. C’est pourquoi j’estime nécessaire de supprimer l’article 1er dans son ensemble et de confier le soin de réfléchir à ces questions à la société – y compris à des experts, mais pas exclusivement – dans des formes que nous saurons certainement définir. Je maintiens donc mon amendement de suppression.
M. Francis Vercamer. Dès lors que le rapporteur entend supprimer les soixante et un principes de l’article 1er, je m’étonne qu’il souhaite y maintenir la création et la composition de la commission qui, comme l’a fait remarquer le Conseil d’État, relèvent du domaine réglementaire. Par ailleurs, certains de ces principes peuvent poser problème. Je n’en citerai qu’un seul exemple : il est énoncé au 25° que « le salarié peut librement mettre fin au contrat à durée indéterminée ». Or ce principe est contraire au code du travail, puisque celui-ci impose un préavis au salarié. Que ferait le juge dans un tel cas ?
J’ajoute que ces principes sont en partie issus de la jurisprudence. Mais depuis quand la jurisprudence est-elle la loi ? Jusqu’à nouvel ordre, le Parlement est seul habilité à la voter ; la jurisprudence n’est que l’interprétation que les juges font de la loi et elle ne peut en aucun cas y être transposée sans avoir été discutée au Parlement.
Mme Dominique Orliac. Monsieur le rapporteur, j’ai bien entendu vos arguments, mais je maintiens, au nom de mon groupe, mon amendement de suppression. La loi ne peut pas comporter un article qui renvoie à une commission d’experts. C’est au Parlement de voter la loi. Le Gouvernement peut toujours solliciter, s’il le souhaite, l’avis de tel ou tel expert sans pour autant faire de cet avis une refondation législative du code du travail.
M. Bernard Accoyer. L’article 1er, qui est un objet législatif absolument inqualifiable, au sens littéral du terme, est l’illustration d’un mauvais travail législatif. Ces soixante et un paragraphes seront autant de prétextes à des décisions judiciaires qui contribueront à rendre notre droit du travail encore plus complexe et instable, et donc encore plus dissuasif pour un employeur qui souhaite embaucher. L’article 1er est ainsi totalement contraire non seulement au bon travail législatif, mais aussi à l’emploi et aux droits des salariés. En conséquence, il convient de le supprimer.
M. Gérard Sebaoun. Je soutiens, quant à moi, la position équilibrée du rapporteur. Ayant assisté à l’ensemble des auditions, j’ai été très impressionné par le président Badinter et Antoine Lyon-Caen, éminent professeur de droit du travail, lorsqu’ils sont venus nous présenter leurs travaux auxquels ont contribué les sommités du droit de notre pays, travaux qui avaient pour objectif de synthétiser l’ensemble des textes relatifs au travail. Le fait que nous prévoyions dans la loi la création d’une commission d’experts – même si elle relève, selon certains, du domaine réglementaire – me paraît donc une bonne idée, d’autant que le champ de réflexion des membres de cette commission – qui, bien évidemment, n’ont pas encore été nommés, madame Le Callennec – a déjà été largement exploré par des spécialistes du droit du travail.
Mme Eva Sas. Comme l’a indiqué notre collègue Vercamer, on peut s’étonner qu’une telle commission soit instituée par la loi : cela ne paraît pas nécessaire. Par ailleurs, les différents principes énoncés à l’article 1er consacrent déjà, de fait, une inversion de la hiérarchie des normes. En effet, en précisant que certains domaines relèvent du domaine de la loi – « La durée normale du travail est fixée par la loi […] », « Tout salarié a droit chaque année à des congés payés […], dont la durée minimale est fixée par la loi » –, ils laissent entendre a contrario que le reste est du ressort de la négociation de branche ou de la négociation d’entreprise. Il me paraît donc plus sage de supprimer l’article 1er.
M. Rémi Delatte. L’article 1er envoie d’emblée un mauvais signal, puisqu’il place des verrous là où il faudrait donner de l’air. Les principes du comité Badinter verrouilleraient en effet la réflexion de la commission de refondation du code du travail et créeraient de la confusion plus qu’ils n’apporteraient de la clarté. Or, aujourd’hui, on attend de la souplesse, de l’audace, de la lisibilité : bref, les conditions d’une confiance retrouvée entre les employeurs et les salariés. C’est pourquoi je suis favorable à la suppression de l’article 1er.
M. Richard Ferrand. J’estime, à l’instar de mon collègue Sebaoun, que la position du rapporteur est parfaitement équilibrée. Tout d’abord, il serait paradoxal que le législateur renonce à créer une commission, préférant en confier le soin au pouvoir réglementaire. Il est en effet de notre devoir d’exercer autant que possible nos compétences et de ne pas en laisser toujours plus au pouvoir exécutif. Cet argument ne me paraît donc pas recevable, surtout dans cette enceinte.
Ensuite, l’un de nos collègues a affirmé que la jurisprudence n’était pas la loi. C’est une découverte assez ancienne… Il n’en reste pas moins que la jurisprudence s’applique dans le règlement des conflits. Aussi convient-il de se réjouir lorsque la loi vient opportunément la codifier, car, ce faisant, elle crée de la sécurité en en supprimant les aléas et les variations.
Quant à l’argument selon lequel l’article 1er enverrait un mauvais signal parce qu’il poserait un verrou là on attendrait de l’air, il n’est pas non plus valable. Il me semble, au contraire, que définir précisément les principes crée l’espace requis pour l’organisation des relations sociales. « Donner de l’air », comme le souhaite l’un de nos collègues, permettrait toutes les variations et insécuriserait les rapports sociaux.
L’article 1er tel que le conçoit notre rapporteur est donc équilibré. C’est pourquoi il faut accepter sa proposition.
M. Arnaud Richard. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas, pour nous, de critiquer les travaux du comité Badinter, qui seront utiles à l’avenir, mais ses conclusions qui, selon l’engagement qu’avait pris le Gouvernement, devaient être le grand préambule du code du travail – à l’instar de ce qu’est la Charte pour l’environnement pour la Constitution – ne sont finalement que la feuille de route d’une commission. J’en suis désolé, mais il est temps de mettre fin à ce triste épisode.
M. Bernard Perrut. Évoquant la commission d’experts et de praticiens mentionnée à l’article 1er, le rapporteur nous a indiqué qu’il s’agissait d’une « commission technique ». À quoi bon prévoir dans la loi la création d’une simple commission technique, sur laquelle nous avons, de surcroît, peu de précisions ? Surtout, les principes essentiels du droit du travail énoncés par MM. Badinter et Lyon-Caen n’ont pas à figurer dans un texte de loi par définition normatif, d’autant qu’ils mêlent des normes législatives, constitutionnelles, européennes et conventionnelles. On imagine sans peine les difficultés contentieuses que provoquerait, dans un droit du travail avant tout jurisprudentiel, l’inscription dans la loi de ces principes.
Par ailleurs, si l’on veut que cette commission propose un nouveau code du travail, on doit lui laisser toute liberté de juger par elle-même quels sont les points les plus importants, ceux qui méritent d’être repris. Je pense notamment au principe relatif au fait religieux : on ne peut lui imposer qu’un tel principe soit mentionné dans le texte.
M. le rapporteur. Je ne reviendrai pas en détail sur les soixante et un principes, puisque je défendrai dans un instant un amendement visant à les supprimer de l’article 1er – et j’expliquerai les raisons d’une telle proposition. Néanmoins, sur le rôle de ces principes, j’ai entendu tout et son contraire : certains estiment qu’ils devraient avoir valeur constitutionnelle tandis que d’autres ne veulent pas qu’ils perturbent la législation existante. J’y reviendrai.
En ce qui concerne la commission, on ne peut pas à la fois regretter de n’en rien savoir et nous reprocher de la mentionner dans le texte pour qu’elle ait une place et pour qu’une réflexion s’engage sur son rôle et sa composition. J’ajoute que nous devons être prudents. En effet, cette commission devant avoir une influence sur le débat, il est préférable que nous l’encadrions par la loi. Comme Mme Fraysse le disait elle-même, consulter des experts n’est pas en soi scandaleux. Ainsi, si l’on poussait son raisonnement jusqu’au bout, cette commission pourrait exister, mais elle serait en dehors de la loi. Je préfère, quant à moi, qu’elle soit encadrée.
Pour ces différentes raisons, je maintiens mon avis défavorable sur les amendements de suppression de l’article 1er.
La Commission rejette les amendements.
Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement AS232 de Mme Marie-Lou Marcel et les amendements AS175 et AS178 de Mme Isabelle Bruneau.
Mme Marie-Lou Marcel. Il n’apparaît pas souhaitable qu’une commission composée d’experts et de praticiens des relations sociales se charge de la refondation de la partie législative du code du travail, qui doit demeurer du ressort du législateur. Je propose donc de substituer aux alinéas 1 à 4 de l’article 1er l’alinéa suivant : « La refondation du code du travail s’appuie sur les principes essentiels. »
Mme Isabelle Bruneau. Dans sa version actuelle, l’article 1er confie à une commission d’experts et de praticiens la responsabilité de refonder le code du travail. Or le mode de désignation des membres de cette commission n’est pas précisé, non plus que l’obligation de respecter le principe de parité. Les parlementaires ayant la légitimité et les compétences pour engager une réflexion visant à refonder le code du travail selon les principes établis à l’article 1er, mes deux amendements visent donc à substituer à la commission dont la création est proposée par le Gouvernement une commission mixte composée de parlementaires des deux assemblées issus des commissions et délégations compétentes en matière de droit du travail, et ce, afin de garantir la transparence des discussions, d’assurer la légitimité de la commission et d’associer le Parlement, en amont et dans un délai raisonnable, à toute réforme du droit du travail.
M. le rapporteur. Avis défavorable à l’amendement AS232. J’ai en effet indiqué les raisons pour lesquelles il me paraît important que cette commission soit créée.
S’agissant des amendements AS175 et AS178, il me paraît contradictoire de refuser que la commission ait des prérogatives qui donneraient à ses propositions une force particulière, notamment par rapport à la loi, et de vouloir dans le même temps qu’elle soit composée de parlementaires. Que ces derniers souhaitent auditionner les membres de la commission et qu’il existe un lien particulier entre celle-ci et le Parlement me paraît tout à fait légitime. Mais, si la commission était composée de parlementaires, elle aurait une force que je ne souhaite pas lui donner, préférant lui réserver un caractère technique. Avis défavorable, donc.
Mme Isabelle Le Callennec. Madame la présidente, comment expliquer que ce texte ne soit pas examiné, à l’instar du projet de loi Macron, par une commission spéciale qui aurait réuni, outre les membres de la commission des affaires sociales, ceux des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, qui se sont saisies du projet de loi pour avis, ainsi que de la délégation aux droits des femmes ?
Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame Le Callennec, il faudrait que vous vous mettiez d’accord avec les autres membres de votre groupe, car certains d’entre eux m’ont remerciée d’avoir su défendre notre commission. Certes, d’autres commissions se sont saisies pour avis du texte, comme c’est le cas pour de nombreux autres textes. Mais le projet de loi relève essentiellement du droit du travail et il n’y avait aucune raison de créer une commission spéciale.
La Commission rejette successivement les amendements AS232, AS175 et AS178.
Puis elle examine l’amendement AS433 de Mme Dominique Orliac.
Mme Dominique Orliac. La loi n’a pas à comporter, à titre de prolégomènes, un article prévoyant la création d’une commission d’experts. C’est au Parlement de voter la loi. Le Gouvernement peut toujours solliciter, s’il le souhaite, l’avis de tel ou tel expert sans pour autant qualifier cet avis de refondation législative du code du travail.
M. le rapporteur. Je partage entièrement votre avis, Madame Orliac. Je ne confonds pas le travail parlementaire et la mission de la commission. Que les choses soient claires : celle-ci n’a pas le pouvoir de modifier la loi. En outre, votre amendement présente un problème de rédaction, puisque vous maintenez le mot : « commission » alors que vous entendez supprimer celui-ci. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement AS612 de Mme Catherine Coutelle.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Merci, madame la présidente, de m’accueillir au sein de votre commission. Mes collègues et moi défendrons un certain nombre d’amendements qui ont été examinés par la délégation aux droits des femmes.
Par l’amendement AS612, nous demandons que la commission qui sera créée afin de proposer une refondation de la partie législative du code du travail soit composée à parité de femmes et d’hommes. La commission Badinter, où siégeaient, d’après ce que nous a dit le ministère du travail, « les figures les plus reconnues en matière de droit du travail », ne comptait qu’une seule femme parmi ses six membres. La commission Combrexelle comprenait seize membres, dont seulement quatre femmes. J’incline à penser qu’il y a, en France, quelques femmes reconnues pour leur compétence en droit du travail. S’il y a des difficultés pour trouver des chercheures ou des femmes personnalités qualifiées, nous pouvons donner des noms.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement AS705 de Mme Monique Orphé.
M. Gérard Sebaoun. Je défends cet amendement au nom de Mme Orphé. Elle souhaite que la commission d’experts et de praticiens des relations sociales qui sera instituée prenne en compte la spécificité des outre-mer, car elle constate, dans sa pratique quotidienne d’élue locale et de députée d’outre-mer, des difficultés d’application de la loi dans les outre-mer, en dépit du principe d’assimilation législative prévu par la Constitution pour les départements et les régions d’outre-mer.
M. le rapporteur. Je vous invite à retirer cet amendement. Les départements d’outre-mer sont régis par l’article 73 de la Constitution et ne bénéficient pas du principe de spécialité législative : la loi s’y applique systématiquement, contrairement à ce qui se passe dans les collectivités d’outre-mer qui relèvent de l’article 74 de la Constitution. D’autre part, le problème soulevé par Mme Orphé est celui de l’application des conventions collectives outre-mer. Nous sommes convenus de travailler ensemble sur ce point.
L’amendement est retiré.
La Commission en vient à l’amendement AS874 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de faire en sorte que la commission d’experts travaille à droit constant. Ainsi que je l’ai expliqué précédemment, je ne souhaite pas que nous lui reconnaissions une capacité à modifier la loi.
M. Francis Vercamer. Je n’ai pas compris votre explication, monsieur le rapporteur.
M. Jean-Patrick Gille. Pour ma part, j’ai compris, mais je suis un peu surpris. Selon moi, le terme de « refondation » n’est pas approprié, car « refonder », cela signifie « revenir sur les principes ». Or il est précisé que la commission devra s’appuyer sur les principes de la commission Badinter, laquelle a fait un travail – tout le monde en convient – à droit constant. Donc, en réalité, la commission sera chargée de proposer une « réécriture » du code du travail, simplifiée par rapport à la version actuelle, en passant de la hiérarchie entre la loi, l’accord de branche et l’accord d’entreprise à une organisation entre l’ordre public, le champ de la négociation collective et les dispositions supplétives. C’est ce qui a été fait dans les articles 2, 3 et 4 du projet de loi. Sauf que je n’ai pas le sentiment que ces articles ont été rédigés totalement à droit constant. D’où mes interrogations : ces articles n’ont pas été rédigés à droit constant, mais on explique que le reste du code du travail devra être rédigé, lui, à droit constant. C’est bien le cœur du sujet.
M. le rapporteur. Il y a une confusion entre le rôle de la commission et celui du Parlement. Je souhaite que la commission travaille à droit constant, notamment en ce qui concerne les dispositions supplétives, car je ne souhaite pas que nous lui reconnaissions des prérogatives qui appartiennent au législateur.
M. Gérard Cherpion. Je crains de ne pas avoir bien compris non plus. Comment peut-on introduire des dispositions supplétives à droit constant ? Il y a, selon moi, un problème d’incompatibilité.
M. Christophe Cavard. Jusqu’à preuve du contraire, le droit, c’est la loi. Dès lors que nous aurons voté les articles qui modifient le droit actuel, cela deviendra du droit constant.
Je regrette que l’amendement suivant du rapporteur fasse disparaître du texte les soixante et un grands principes de la commission Badinter, car ceux-ci rappelaient de manière très claire et lisible ce qu’était le droit constant. Tout le monde pouvait en prendre connaissance. Certes, ces soixante et un principes figurent déjà dans le code du travail, mais je défie quiconque de les y retrouver ! Ceux-là mêmes qui, hier, dénonçaient un code du travail illisible de plus de 1 000 pages, renoncent finalement à ces principes, qui nous auraient pourtant simplifié la vie.
Ainsi que l’a relevé M. Vercamer, nous aurions d’ailleurs pu avoir un débat sur certains de ces principes, notamment sur ceux qui figurent respectivement à l’alinéa 6 et à l’alinéa 25. Il est dommage de reporter ce débat.
Néanmoins, l’amendement du rapporteur protégera le droit constant, ce qui est déjà une bonne chose.
M. Francis Vercamer. Que se passera-t-il entre la promulgation de la présente loi et le moment où la commission rendra son travail ? Comment fera-t-on si, après l’adoption de ce texte, un projet ou une proposition de loi, voire des amendements à des textes qui ne portent pas sur le champ social, modifient le droit ? Dans votre amendement, vous indiquez que la commission devra travailler à droit constant en se basant sur les « règles légales en vigueur à la date de promulgation de la présente loi ». J’en déduis qu’on ne fera aucun cas de ce qui peut se passer ensuite.
M. Jean-Patrick Gille. Si j’ai bien compris la démarche telle qu’elle a été clairement expliquée par le rapporteur, la commission procédera non pas à une « refondation », mais à une « réécriture », avec une nouvelle organisation du code, mais non avec de nouveaux principes. Selon moi, il faudra récrire l’alinéa 1er en séance publique, car, si l’on indique qu’il s’agit d’une refondation, cela signifie que l’on s’interrogera à nouveau sur les principes. Quant aux soixante et un principes de la commission Badinter, si on les retire du texte, on ne les renie pas pour autant.
M. Arnaud Richard. Le présent amendement, qui a l’air anodin, n’est vraiment pas neutre. Il est même fondamental. C’est « Signé Furax » ! Monsieur le rapporteur, vous laissez entendre que les articles 2, 3 et 4 ne changent rien ou presque au droit actuel. Tel n’est pas, cependant, l’avis de M. Gille ni le mien. En tout état de cause, vous considérez que le travail de la commission ne devra, pour sa part, rien changer au droit. Je m’inquiète en peu de l’interprétation qui sera faite de cette disposition.
M. le rapporteur. Je redis les choses clairement : le droit peut être modifié par le législateur chaque fois qu’il le souhaite et qu’il dispose de la majorité pour le faire. Quant à la commission, elle travaillera à droit constant. Elle pourra le cas échéant suggérer, dans ses conclusions, de faire évoluer le droit sur tel ou tel point, mais il appartiendra au législateur d’en décider ensuite. Je ne veux pas donner à la commission le droit de modifier, par elle-même, la législation en vigueur. C’est d’ailleurs pour cette raison que la présence de parlementaires au sein de la commission n’est, selon moi, pas souhaitable. Il ne faut pas qu’il y ait de confusion entre le travail de la commission et celui de la représentation nationale, qui a seule la légitimité pour modifier le droit, à tout moment.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement AS566 de M. Arnaud Richard.
M. Arnaud Richard. Nous nous apprêtons à créer une commission de « refondation », ou plutôt de « réécriture » ou de « chambardement », qui va discuter sur la base des travaux d’une autre commission, lesquels travaux ont été repris dans le texte… Il nous paraît nécessaire que le Parlement exerce un contrôle sur la composition de cette commission. Par cet amendement, nous proposons, d’une part, que ses membres soient auditionnés, préalablement à leur nomination, par les commissions parlementaires compétentes et, d’autre part, que la désignation de son président fasse l’objet d’un vote conforme desdites commissions parlementaires. Il s’agit d’un ultime amendement de repli.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Si l’on vous suivait, ces dispositions devraient relever de la loi organique.
Mme Isabelle Le Callennec. Pardon d’insister, mais il faudrait que nous ayons des éléments plus concrets sur cette commission et sur sa composition : combien de membres comptera-t-elle ? Combien de temps lui donnera-t-on ? Qui envisage-t-on d’y nommer ? Cette dernière question est importante, car, en fonction des personnes que l’on choisira, on orientera les fameux principes dont nous parlons – d’autant que, si j’ai bien compris, nous allons retirer du texte les principes de la commission Badinter. On fait toujours appel aux mêmes experts du droit du travail. Ils font des propositions, mais, à un moment donné, il faut que les responsables politiques, au Gouvernement et au Parlement, arbitrent et fassent des choix. J’ai le sentiment qu’on ne cesse de repousser la réécriture du code du travail, qui était pourtant, a priori, une des ambitions de ce texte. Or notre pays ne peut plus attendre. L’article 1er va se résumer à la création d’une commission d’experts sans qu’on en sache davantage, si ce n’est qu’elle sera composée à parité, conformément à l’amendement que nous avons voté. Je trouve que cela ne fait pas très sérieux.
M. le rapporteur. J’avoue que je ne sais plus trop comment vous répondre... Il s’agit d’une commission d’experts, qui sera en effet composée à parité. Je ne me vois pas inscrire les noms de ses membres dans la loi. Mme Fraysse a demandé tout à l’heure si les organisations syndicales et patronales pourraient disposer de représentants en son sein. Nous pourrions en débattre. Cependant, à mon sens, le terme « expert » est assez large et n’interdit pas d’y nommer, le cas échéant, des représentants syndicaux ou patronaux, lesquels disposent souvent, en tout cas de mon point de vue, d’une expertise réelle. Si nous commençons à dresser une liste, je crains que nous ne « fermions » cette commission. Notre objectif, c’est qu’elle soit composée de personnes qui ont une compétence relative au monde du travail.
La Commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement AS665 de M. Jean-Patrick Gille.
M. Jean-Patrick Gille. Le projet de loi prévoit que la commission associera à ses travaux les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés représentatives au niveau national. Pour ce qui est des organisations professionnelles d’employeurs, je propose de préciser qu’il s’agit des organisations représentatives « au niveau interprofessionnel et multi-professionnel ». Au niveau interprofessionnel, il s’agit du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Dans la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, nous avons reconnu en outre la représentativité au niveau multi-professionnel, dans le domaine de l’agriculture, dans celui de l’économie sociale et solidaire, ainsi que pour les professions libérales. Le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine prévoit de la reconnaître également dans le domaine de la culture. L’amendement vise donc à ce que toutes les organisations patronales représentatives à ces niveaux soient associées aux travaux de la commission.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.
La Commission est saisie de l’amendement AS613 de Mme Catherine Coutelle.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Outre les organisations patronales et syndicales, nous demandons que la commission chargée de la refondation du code du travail associe à ses travaux le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Je tiens à souligner l’importance et la qualité du travail du CSEP. Nous aimerions d’ailleurs que ses avis soient rendus publics plus tôt. Nous présenterons tout à l’heure un amendement à cette fin.
S’agissant des principes de la commission Badinter repris à l’article 1er, le CSEP nous a alertés sur un certain nombre de formulations qu’il conviendrait, selon lui, de modifier. Nous avons déposé des amendements en ce sens.
À l’alinéa 9, nous demandons que l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes soit non pas « respectée », mais « assurée » dans l’entreprise. Ce terme figure déjà dans notre législation.
À l’alinéa 10, il conviendrait de préciser que les discriminations sont interdites non seulement « dans toute relation de travail », mais aussi « à l’embauche », avant que la relation de travail soit établie.
À l’alinéa 14, nous souhaitons qu’il soit question non pas de « conciliation », mais d’« articulation » entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, afin de les mettre sur un pied d’égalité.
La rédaction du principe repris à l’alinéa 23 – « La grossesse et la maternité ne peuvent entraîner des mesures spécifiques autres que celles requises par l’état de la femme » – est un peu surprenante. Elle montre que les commissions ne sont pas assez féminines ou féministes. Nous souhaiterions écrire : « Pendant la grossesse et la maternité, les salariées bénéficient de mesures spécifiques en cas de risque pour leur santé et leur sécurité. »
Enfin, l’alinéa 38 dispose : « L’employeur assure l’égalité de rémunération entre les salariés pour un même travail ou un travail de valeur égale. » Nous ajouterions que cette égalité doit être assurée « entre les femmes et les hommes » et préciserions que « les salariés à temps partiel bénéficient des mêmes droits ».
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je précise que Mme Coutelle m’avait demandé la permission d’intervenir à propos des principes dont la rédaction pose problème au regard de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’avenir de ces alinéas étant incertain, j’ai jugé important qu’elle puisse le faire.
M. le rapporteur. Je ne reviens pas sur les principes eux-mêmes : j’expliquerai ma position lorsque je présenterai mon amendement qui vise à les supprimer.
Le projet de loi précise que la commission associera les partenaires sociaux à ses travaux, ce qui me paraît important. En revanche, je ne suis pas favorable à ce que nous inscrivions dans le texte le fait qu’elle doit y associer également le CSEP. Si nous le faisons, nous risquons d’avoir à dresser la liste de tous les conseils et organismes qui pourraient légitimement être consultés par la commission, ce qui surchargerait inutilement le texte. Rien n’interdira à la commission de se rapprocher du CSEP et de travailler avec lui. Je partage d’ailleurs votre avis, madame Coutelle, sur la qualité des travaux du CSEP. Je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, je donnerai un avis défavorable.
Mme Isabelle Le Callennec. Lorsqu’elles seront associées aux travaux de la commission, les organisations patronales et syndicales devront-elles être représentées à parité par des femmes et des hommes ? La parité s’imposera-t-elle à elles ou bien seulement à la commission elle-même ?
M. le rapporteur. « Être associé aux travaux de la commission » ne signifie pas « participer à tous ses travaux ». Aux termes de l’amendement AS612 de Mme Coutelle que nous avons adopté, la parité s’appliquera à la composition de la commission, mais non à celle des délégations patronales et syndicales qui participeront ponctuellement à ses travaux. Selon moi, nous ne pourrions d’ailleurs pas prévoir une telle disposition dans le cadre de ce texte.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je me rends aux arguments du rapporteur. Je rappelle néanmoins que le CSEP doit être consulté par le Gouvernement sur tous les projets de loi ayant trait à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Je précise à l’attention de Mme Le Callennec que nous avons instauré la parité dans les institutions représentatives du personnel. Les syndicats ont d’ailleurs parfois des difficultés à trouver des femmes et à les placer à des postes de responsabilité, ainsi que nous le constatons dans d’autres domaines.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement AS704 de Mme Monique Orphé.
Mme Monique Orphé. Bien que le principe de l’assimilation législative prévu à l’article 73 de la Constitution prévoie l’application systématique du droit national dans les départements et collectivités d’outre-mer, l’expérience révèle souvent une inadaptation du droit aux spécificités de nos territoires. C’est notamment le cas en matière de droit du travail, le présent projet de loi ne faisant pas exception à la règle. Son ambition de refondation pourrait être l’occasion de remédier définitivement à ce problème.
La commission d’experts et de praticiens des relations sociales créée par l’article 1er est présentée comme une instance fondamentale de cette refondation. Sa tâche serait incomplète si son mode de fonctionnement ne permettait pas de tenir compte des problématiques spécifiques aux territoires d’outre-mer. C’est pourquoi cet amendement vise à y associer les représentants des organisations d’employeurs et de salariés représentatives dans les territoires d’outre-mer, dont la représentativité aura été établie conformément au nouvel article L. 2121-1-1, à côté de ceux des organisations nationales.
M. le rapporteur. Je comprends votre intention, madame Orphé, mais il me semble qu’il n’existe aucune organisation syndicale ou patronale compétente dans l’ensemble des départements et territoires d’outre-mer. Or il est naturellement impossible d’ajouter à cette commission l’ensemble des organisations professionnelles de chacun de ces territoires. En l’état, je vous suggère donc de retirer cet amendement.
Mme Monique Orphé. Il est vrai qu’il n’existe pas de représentant compétent pour l’ensemble des territoires d’outre-mer.
L’amendement est retiré.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements AS875 du rapporteur et AS567 de M. Arnaud Richard.
M. le rapporteur. L’étude d’impact prévoit que la commission remet ses travaux au Gouvernement dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, mais l’article ne mentionne aucun délai. Par cohérence, cet amendement vise à ce que ces travaux soient remis au plus tard en juillet 2018, étant entendu que le Gouvernement sera libre de proposer au Parlement de suivre – ou non – les recommandations de la commission.
M. Arnaud Richard. Dans le même esprit, l’amendement AS567 vise à donner un cadre temporel aux travaux de cette commission. Il nous a semblé qu’un délai de dix-huit mois, quoique discordant par rapport à l’étude d’impact, serait plus pertinent puisqu’il aboutirait à fixer une date de remise en octobre 2017, après les élections législatives. Contrairement au comité Badinter, cette commission aurait ainsi travaillé utilement pour la prochaine majorité.
M. le rapporteur. Je préfère un délai cohérent avec l’étude d’impact. Quoi qu’il en soit, la date de remise des travaux sera postérieure aux élections législatives – un horizon dont j’ai préféré ne pas tenir compte en l’occurrence. Votre objectif est donc satisfait.
M. Bernard Accoyer. Ne s’agit-il pas d’une injonction au Gouvernement ?
M. le rapporteur. Encore une fois, il n’y a là nulle injonction au Gouvernement : une fois saisi du rapport de la commission, le Gouvernement aura toute liberté de retenir en tout ou partie les recommandations qui y figurent. Sa liberté de choix et celle du législateur demeurent donc entières.
Mme Bérengère Poletti. Compte tenu des délais de publication des décrets d’application de la loi, qui retardent souvent la mise en œuvre concrète des textes, je m’interroge sur la pertinence d’un tel délai.
Mme Isabelle Le Callennec. La commission devra proposer au Gouvernement une réécriture intégrale du code du travail. Est-ce à dire qu’elle dispose de deux ans pour accomplir cette tâche ?
M. le rapporteur. À droit constant, ce délai, prévu dans l’étude d’impact, devrait suffire. Quant aux délais de publication des décrets, madame Poletti, les dispositions créant la commission de refondation donneront lieu à des décrets d’application directe.
M. Arnaud Richard. Par souci de concorde, je me range à l’avis du rapporteur.
L’amendement AS567 est retiré.
La Commission adopte l’amendement AS875.
Puis elle examine les amendements identiques AS876 du rapporteur, AS157 de M. Gérard Cherpion, AS324 de M. Élie Aboud, AS568 de M. Arnaud Richard, AS598 de M. Rémi Delatte et AS604 de M. Bernard Perrut.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 4 à 73 de l’article 1er, afin d’en ôter les soixante et un principes énoncés par le comité Badinter. Permettez-moi d’emblée de souligner la valeur des travaux et des réflexions de cette instance. Comme plusieurs d’entre vous l’ont dit, ces soixante et un principes ne sont pas nouveaux : ils existent déjà, tantôt dans la Constitution, tantôt dans la jurisprudence ou dans le droit international. Tous ont leur pertinence, en dépit de leurs origines disparates.
Ces principes n’ont pas force constitutionnelle, mais, s’ils étaient intégrés au préambule du code du travail, ils se superposeraient à la législation existante. Il en résulterait un risque important de contentieux et le juge pourrait peiner à interpréter la loi au regard de ces principes. Soyons clairs : le texte ne prévoit pas qu’ils soient inscrits dans le préambule, mais qu’ils éclairent les travaux de la commission de refondation. En toute franchise, je n’imagine guère qu’elle ne s’en inspire pas, puisque le débat public sur le code du travail se les est déjà appropriés. Nonobstant leur qualité et leur raison d’être, je vous propose donc de retirer ces soixante et un principes du texte dès lors qu’ils ne possèdent plus de valeur législative.
M. Gérard Cherpion. L’article 1er inscrit dans la loi les soixante et un principes issus des conclusions du comité Badinter afin de fonder les travaux de la commission d’experts qui est appelée à proposer au Gouvernement une nouvelle rédaction de la partie législative du code du travail. Aussi essentiels soient-ils, ces principes n’ont pas davantage vocation à figurer dans la loi que dans un préambule du code du travail créé spécialement pour l’occasion : nul besoin, en effet, de les graver dans le marbre législatif pour guider la réécriture du futur code.
Pour mémoire, nous avons déposé, il y a environ deux ans, une proposition de loi signée par quatre-vingts de nos collègues, qui visait la réécriture du code du travail et fixait même la composition de la commission qui en serait chargée ; vous l’avez balayée d’un revers de main sans même vouloir l’examiner. Je me réjouis de constater que l’idée nous revient aujourd’hui, même si nous avons perdu deux ans.
Quoi qu’il en soit, l’inscription dans la loi de normes de valeur différente
– qu’elle soit constitutionnelle, législative ou jurisprudentielle – qui se superposent au code du travail ne peut que favoriser la complexité et même l’illisibilité du droit et nourrir les inquiétudes des salariés et des employeurs, comme en témoigne l’accueil qui a été fait au sixième de ces principes relatif au fait religieux. C’est pourquoi l’amendement AS157 vise à s’en tenir aux premiers alinéas de l’article et à supprimer les alinéas 4 à 73.
M. Élie Aboud. Pour simplifier et oxygéner le code du travail, l’inscription de ces principes est inutile, voire contre-productive. Il serait salutaire de les supprimer.
M. Arnaud Richard. Nous ne remettons nullement en cause les travaux du comité Badinter et les différents rapports qui l’ont précédé, mais l’inscription dans la loi de ces soixante et un prolégomènes dits « essentiels » nous pose plusieurs problèmes. Dans la version initiale du texte, ces principes devaient constituer le préambule du code du travail. Dans le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui, leur énumération constitue une sorte de guide légistique sur lequel la commission de refondation devra s’appuyer en vue de réécrire le code du travail. A priori, ces principes n’ont pourtant pas de valeur normative ; ils demeureraient pourtant in fine inscrits dans une loi votée par le Parlement, et nul ne sait le sort qui pourrait leur être réservé.
Autre reproche : ces principes, qui sont à droit constant, ne répondent pas à l’évolution du code du travail initialement souhaitée. Pire, s’ils étaient repris dans la loi, ils s’ajouteraient aux principes du droit actuel, créant une complexité et une instabilité juridiques aussi bien pour les salariés que pour les employeurs.
Enfin, il faut envisager avec la plus grande prudence toute remise en cause de la jurisprudence établie. De ce point de vue, il nous semble maladroit d’avoir consacré le 6° aux questions de neutralité et de laïcité, qui sont encore très sensibles dans notre pays, et que l’on ne saurait traiter par une simple ligne dans un guide légistique. Pour aborder ce sujet plus en détail, nous défendrons un amendement visant à offrir la possibilité aux chefs d’entreprise d’inscrire le principe de laïcité dans le règlement intérieur de leur société.
Mme Véronique Louwagie. L’amendement AS598 vise également à supprimer les alinéas 4 à 73 de l’article, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, nous devons, en ce domaine comme en d’autres, rechercher la simplification, la lisibilité et la visibilité des mesures. Pour ce faire, il faut se contenter de cadres généraux et de principes essentiels sans pour autant s’abandonner dans un enchevêtrement complexe.
Ensuite, l’article 1er doit demeurer général et ne pas enfermer les choses, ce que ne permettraient pas des normes aussi précises et détaillées.
Enfin, il y aurait beaucoup à dire des valeurs contenues dans ces principes, dont certaines ne sont pas partagées – je pense à la mention, pour la première fois, du fait religieux dans l’entreprise.
M. Bernard Perrut. L’article 1er vise à apporter une reconnaissance à des principes qui sont issus de travaux et de rapports et qui n’ont pas leur place dans la loi, comme le reconnaît le rapporteur lui-même. Nous pouvons tous en convenir : pourquoi ajouter de la complexité, de l’illisibilité, de l’instabilité juridique alors qu’il vaudrait mieux ménager la liberté de cette commission de refondation sans lui imposer un quelconque principe relatif au fait religieux, par exemple ? On ne saurait pas davantage mélanger des règles de niveaux différents, certaines étant législatives, d’autres constitutionnelles, d’autres encore conventionnelles. Chacun sait en effet que le droit du travail est essentiellement jurisprudentiel ; s’ils avaient force législative, ces principes pourraient être utilisés devant une juridiction, ce qui nuirait à la clarté du code du travail que nous souhaitons tous.
M. Christophe Cavard. Je ne soutiendrai pas ces amendements précisément parce que nous souhaitons un code du travail clair. Certes, l’absence de ces soixante et un principes dans le texte facilitera sans doute les travaux de la commission, mais je rappelle qu’ils existent en droit, ce qui permet aux juridictions de s’appuyer sur eux, en dépit de leurs origines variées. Il me semble utile que ces soixante et un principes rassemblent une série de droits créés au fil des années dans les textes et par la jurisprudence. En les ôtant du texte, nous prendrions le risque qu’ils soient revus dans leur ensemble, même à droit constant. Le juge est libre de décider s’il souhaite ou non suivre la jurisprudence, nous dit-on ; au contraire, il me semble pertinent de faire de la jurisprudence un élément de droit qui protège les salariés.
Plusieurs alinéas – le 6° et le 25°, par exemple – auraient certes pu donner lieu à un débat, et nous aurions même pu préciser que la commission a la possibilité, et non le devoir, de fonder ses travaux sur eux. Quoi qu’il en soit, la lecture de ces soixante et un principes permet à tout salarié, à tout chef d’entreprise de comprendre ce qu’est le code du travail en l’état. Sans en faire un article opposable à part entière, il me semble judicieux de les placer en préambule du code du travail pour rappeler leurs droits aux salariés – car, soyons francs, ils les ignorent souvent.
M. Gérard Sebaoun. Je soutiendrai quant à moi ces amendements. Concernant la laïcité, j’estime néanmoins que certains de nos collègues commettent un contresens profond. Une entreprise est un lieu privé, et le droit actuel reconnaît tout à fait la liberté de chacun d’exprimer ses convictions religieuses, sous réserve qu’un règlement intérieur ne limite la manière dont peut s’exprimer cette liberté à l’intérieur de l’entreprise. Ainsi, le débat parfois polémique ouvert au sujet du 6° méconnaît totalement le droit en vigueur qu’a repris le comité Badinter.
Mme Dominique Orliac. Je voterai contre ces amendements, puisque nous souhaitions la suppression de l’ensemble de l’article 1er. La loi n’a pas à contenir un article renvoyant à une commission d’experts.
Je me félicite tout de même de la suppression de certains alinéas, en particulier l’alinéa 11. En effet, la liberté de manifester ses convictions, y compris religieuses, dans l’entreprise, reflète la jurisprudence actuelle. Rappelons toutefois que le rôle du législateur ne consiste pas à enregistrer passivement la jurisprudence, mais à fixer le cas échéant des règles plus appropriées. De surcroît, la formulation retenue – « manifester ses convictions, y compris religieuses » – est très proche du prosélytisme. Or, l’entreprise ne saurait devenir un lieu de propagande confessionnelle sans que cela se traduise par des clivages et des tensions. En revanche, le principe de neutralité permet à tous de vivre et de travailler ensemble par-delà les diverses appartenances religieuses.
Mme Isabelle Le Callennec. En clair, si ces amendements sont adoptés, l’article 1er ne comportera plus que trois alinéas portant création d’une commission d’experts, précisant que la refondation attribue une place centrale à la négociation collective et que la commission associe à ses travaux les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés. Cependant, le chapitre Ier est intitulé « Vers une refondation du code du travail », tandis que l’étude d’impact utilise l’expression de « réécriture » dudit code.
Dès lors, je m’interroge sur le démarrage de nos travaux : nous examinons un texte portant refondation du code du travail en édulcorant d’emblée l’article 1er, et en parlant tantôt de refondation, tantôt de réécriture – deux mots qui ne sont pas synonymes. Les intentions ne sont pas claires, y compris aux yeux de l’opinion publique. Sans doute s’agit-il d’éviter telle ou telle discussion, mais j’estime que nous ne donnons pas un signal fort de notre volonté de refonder le code du travail de telle sorte qu’il soit plus adapté à la période de mutations que nous traversons et à la volonté manifeste – exprimée dans le titre du projet – de donner davantage de libertés et de protections aux entreprises et aux actifs.
Mme Eva Sas. L’amendement du rapporteur est tout à fait judicieux, car il permet de ne pas ériger en guide présidant aux travaux de la commission des orientations que nous estimons contraires au principe de faveur. Il me semble particulièrement important de supprimer le 6°, qui crée plus de problèmes que de solutions ; il n’est pas opportun d’aborder la question des libertés religieuses dans l’entreprise d’une façon aussi lapidaire.
M. Élie Aboud. Personne, monsieur Sebaoun, n’a condamné l’esprit des travaux du comité Badinter. Toutefois, s’il faut naturellement tenir compte de l’esprit des textes et de l’interprétation qui peut en être faite, il faut aussi prendre garde aux éventuelles dérives. Même dans une entreprise privée, il est essentiel d’être intraitable en matière de laïcité.
M. Gérard Sebaoun. Vous faites un contresens sur la laïcité !
M. Jean-Patrick Gille. Le rapporteur a la sagesse de nous proposer de ne pas entrer dans un débat sur les travaux du comité Badinter. Nous sommes nombreux à saluer la qualité de ces travaux et même à regretter qu’ils n’aient pas été le fait de parlementaires, tant on nous accuse souvent de complexifier les choses – je crains de ce point de vue que, à l’issue de nos débats, nous ne soyons pas parvenus à simplifier le code du travail… Quoi qu’il en soit, le comité Badinter a fourni un remarquable travail qui permet à chacun de s’approprier l’esprit du code du travail tel qu’il existe. Si nous entrions dans un débat sur le contenu de ces principes, en particulier le sixième, nous en modifierions la teneur ; quel serait alors le statut du texte que nous rédigeons ? Il me semble plus sage de ne pas faire figurer ces principes dans le texte.
S’agissant de la distinction entre réécriture et refondation, précisons que la commission est chargée de réécrire le code du travail à droit constant en vue de préparer un travail de refondation qu’il appartiendra au législateur de mener le moment venu – travail déjà effectué pour partie dans les articles 2, 3 et 4. Le titre est donc exact : la réécriture est préalable à la refondation. En l’occurrence, il me semble que nous avons nettement clarifié la portée de l’article 1er.
Enfin, je m’interroge sur l’opportunité de supprimer non seulement les principes eux-mêmes, mais aussi toute référence auxdits principes. Sans doute pourrons-nous y revenir en séance publique.
M. Lionel Tardy. Je soutiens cet amendement, qui fera tomber un certain nombre d’amendements ultérieurs. Le sixième principe a suscité de nombreux débats et, à juste titre, des inquiétudes : à quoi bon lier religion et entreprise en en faisant un principe fondamental, si ce n’est pour ouvrir une brèche favorable au communautarisme ? Laissons les entreprises et le monde du travail en dehors de tout cela. Encore une fois, il est risqué d’inscrire dans la loi des dispositions dont on ne mesure pas toujours la portée.
M. Arnaud Viala. À ce compte-là, monsieur Gille, mieux vaut tout simplement supprimer le texte entier ; le Premier ministre pourra nommer une commission sur les travaux de laquelle nous nous contenterons de nous prononcer dans un an. Si le débat sur les intentions du Gouvernement n’a plus lieu d’être en commission saisie du texte, je me demande à quoi nous servons et pourquoi nous nous apprêtons à discuter de dispositions dont nous savons qu’elles ne seront pas appliquées. Pourquoi Mme El Khomri et le Premier ministre ont-ils fait tout ce barouf médiatique concernant leur intention d’améliorer les conditions économiques du pays, pour que nous envisagions maintenant de supprimer l’essentiel des alinéas, voire des articles et pourquoi pas du texte, afin de laisser travailler une commission dont nous ignorons la composition, qui rendra des conclusions dans un délai indéterminé et qui nous conduira à prendre des décisions dont nous ignorons la nature ?
M. le rapporteur. Je précise à M. Gille que l’amendement tel qu’il est proposé vise notamment à supprimer l’alinéa 4.
Si je propose la suppression des principes du comité Badinter, ce n’est pas pour éviter le débat sur tel ou tel d’entre eux. La question que je pose est la suivante : quelle légitimité auraient ces soixante et un principes dès lors qu’il a été décidé de ne pas les insérer dans le préambule du code du travail ? Je ne répondrai donc pas à l’interprétation qui a été faite de tel principe particulier : je ne crains pas le débat, mais il n’est pas mon objectif.
J’ajoute, monsieur Viala, que les articles 2, 3 et 4 constituent déjà une modification dont la commission devra tenir compte. Il est faux de prétendre que nous sommes passifs alors que nous modifions déjà l’architecture du code.
La Commission adopte les amendements.
En conséquence, les amendements AS401 de M. Christophe Cavard, AS243 de M. Yannick Moreau, AS319 de M. Christophe Cavard, AS585 de M. Philippe Houillon, AS614 à AS616 de Mme Catherine Coutelle, AS34 de M. Patrick Hetzel, AS43 de M. Lionel Tardy, AS158 de M. Gérard Cherpion, AS377 de M. Arnaud Viala, AS434 de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, AS565 de M. Arnaud Richard, AS610 de M. Bernard Perrut, AS759 de Mme Eva Sas, AS510 de M. Jean-Louis Costes, AS182 de Mme Isabelle Bruneau, AS159 de M. Gérard Cherpion, AS571 de Mme Anne-Yvonne Le Dain, AS231 de M. Marcel Rogemont, AS233 de Mme Marie-Lou Marcel, AS497 de Mme Anne-Yvonne Le Dain, AS32 de M. Patrick Hetzel, AS617 et AS618 de Mme Catherine Coutelle, AS741 de Mme Eva Sas, AS564 de M. Arnaud Richard, AS436 et AS435 de M. Alain Tourret, AS547 de M. Arnaud Richard, AS619 de Mme Catherine Coutelle, AS437 de M. Alain Tourret, AS290 de M. Christophe Cavard, AS438, AS439 et AS441 de M. Alain Tourret, AS620 de Mme Catherine Coutelle, AS402 de M. Christophe Cavard, AS378 de M. Arnaud Viala, AS1 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, AS379 de M. Arnaud Viala, AS442 de M. Alain Tourret, AS740 de Mme Eva Sas, AS440 de M. Alain Tourret, AS292 de M. Christophe Cavard, AS443 et AS444 de M. Alain Tourret, AS31 de M. Patrick Hetzel, AS45 de M. Lionel Tardy, AS730 de Mme Eva Sas, AS445 et AS446 de M. Alain Tourret et AS727 de M. Jean-Louis Roumégas n’ont plus d’objet.
La Commission adopte l’article 1er modifié.
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La Commission examine l’amendement AS537 de M. Arnaud Richard.
M. Arnaud Richard. La notion de neutralité religieuse est très débattue en France. La laïcité est un principe constitutionnel énoncé dès l’article 1er de la Constitution de 1958. Le principe de neutralité religieuse s’applique aux agents publics ; il est rappelé par la charte de la laïcité dans les services publics du 13 avril 2007, qui précise que « tout agent public a un devoir de stricte neutralité ». En revanche, aucun texte législatif ou réglementaire n’impose cette obligation de neutralité aux salariés des entreprises privées. Les employeurs qui désirent limiter la liberté d’expression religieuse de leurs employés ne peuvent le faire que dans un cadre précis, pour des motifs déjà admis par la jurisprudence tels que l’hygiène, la santé, la sécurité ou les relations avec la clientèle accueillie.
L’amendement AS537 propose une solution – certes imparfaite – concernant la neutralité dans l’entreprise et visant à renforcer la sécurité juridique, en inscrivant dans la loi la possibilité pour le chef d’entreprise d’inscrire dans le règlement intérieur le principe de neutralité et de définir ses modalités d’application en s’inspirant de la charte de la laïcité et de la diversité adoptée par une fameuse entreprise de recyclage de papier voici quelques années.
Il serait ainsi possible de transcrire dans les entreprises la règle existant dans les administrations et les services publics, déduite du principe de neutralité des pouvoirs publics et d’interdiction générale pour leurs agents du port de signes religieux. En un mot, il s’agit d’appliquer le modèle de la République dans l’entreprise.
M. le rapporteur. Le 1° et le 2° de cet amendement me semblent entrer en contradiction. Le 1° prévoit la possibilité de faire figurer des règles relatives au principe de laïcité dans le règlement intérieur de l’entreprise : pourquoi pas ? Mais, dans le même temps, le 2° vise à abroger le troisième alinéa de l’article L. 1321-3 du code du travail qui dispose que le règlement intérieur ne peut contenir « des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap ». Avis défavorable.
Mme Isabelle Le Callennec. Si nous déposons en séance publique un amendement comportant le 1°, mais pas le 2° de cet amendement AS537, y serez-vous favorable ?
M. le rapporteur. Je ne me prononce pour l’instant que sur les amendements déposés.
M. Arnaud Richard. Puis-je proposer une rectification supprimant le 2° de mon amendement ? Compte tenu des remarques de notre rapporteur, nous ne pourrions que l’adopter.
M. le rapporteur. Je souhaiterais pouvoir expertiser le fait que ce soit « à l’initiative de l’employeur » que le règlement intérieur peut définir les modalités d’application du principe de neutralité religieuse. Si l’amendement, même rectifié, n’est pas retiré, j’y serai défavorable.
M. Jean-Louis Roumégas. Il paraît sage, en effet, de rejeter cet amendement, de même qu’il faut refuser la consécration d’un droit à l’expression religieuse dans l’entreprise. Les deux positions sont tout aussi risquées. On ne peut parler des « modalités d’application du principe de neutralité religieuse » alors qu’il ne s’applique pas aujourd’hui aux lieux privés. Mieux vaut en rester à la situation actuelle.
M. Jean-Patrick Gille. La proposition de M. Richard n’est pas inintéressante. Mais, s’il proposait, dans le 2°, de supprimer l’article L. 1321-3 du code du travail, c’est que cet article dispose qu’un règlement intérieur ne peut contenir de dispositions discriminantes à l’égard du salarié, du fait de ses convictions religieuses. On ne peut supprimer complètement cet article sans ouvrir une brèche considérable, mais, dans le même temps, nous devons trouver un équilibre. L’introduction du principe de neutralité est peut-être une idée à creuser – elle est en tout cas attendue par beaucoup. Mais, en attendant que la bonne formulation soit trouvée, le rapporteur a raison de proposer de retravailler sereinement l’amendement.
M. Gérard Cherpion. Cet amendement est intéressant, à condition d’en supprimer le 2°, car le règlement intérieur est en règle générale élaboré à l’initiative de l’employeur. D’autre part, il existe aujourd’hui dans certaines entreprises des salles de prière qui ont été autorisées par le règlement intérieur. Il me semble donc possible d’adopter cet amendement rectifié.
M. Hervé Morin. Cet amendement permet de donner une base légale à des initiatives qui ont été prises dans nombre d’entreprises. Ainsi, le groupe PAPREC a adopté une charte de laïcité dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle manque de fondement légal, mais l’opinion publique a salué cette initiative. Nous ne créons pas ici les conditions de l’affrontement, mais, au contraire, celles de la sérénité dans l’entreprise.
M. Arnaud Richard. Ceux de nos collègues qui considèrent que cet amendement est imparfait ont raison. Le mieux serait certainement de ne pas légiférer. Mais le problème devient de plus en plus criant. Voilà des années que nous parlons du fait religieux en droit du travail et nous savons qu’il va falloir traiter le sujet. Il n’y aura pas mort d’homme si nous ne le faisons pas dans cette loi, et peut-être la France serait-elle condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme si nous votions mon amendement. Cependant, des entreprises pourraient avoir besoin d’utiliser un tel dispositif. Il me paraît donc sage de permettre aux chefs d’entreprise, qui ont à affronter des problèmes de ce genre et qui sont désemparés face au vide sidéral de la loi en la matière, de faire figurer les modalités d’application du principe de neutralité religieuse dans leur règlement intérieur.
Je m’en suis entretenu hier encore au ministère du travail avec les représentants patronaux. Le représentant du MEDEF, que j’ai interrogé à la fin de son intervention sur cet amendement, a répondu qu’il lui paraissait fondé de donner la possibilité aux chefs d’entreprise d’intégrer ces modalités d’application dans le règlement intérieur.
J’entends les positions des uns et des autres sur ce sujet délicat. Même s’il ne faut peut-être pas légiférer, je vous propose d’adopter la position qui me paraît la plus sage.
Mme Bérengère Poletti. Il faut de toute urgence légiférer sur ce sujet, car certaines entreprises ayant déjà décidé de modifier leur règlement intérieur, elles se trouvent dans une situation d’insécurité juridique : en cas de recours, cette décision, demandée par l’employeur et validée par les partenaires sociaux présents au sein de l’entreprise, sera annulée. Il est donc indispensable que nous assurions rapidement la possibilité d’appliquer le principe de laïcité dans l’entreprise, à l’initiative de l’employeur et après vote du comité d’entreprise.
M. Jean-Louis Costes. Nous ne pouvons pas, alors que nous travaillons sur un texte qui a la prétention de refonder les relations en entreprise, ne pas y inscrire le principe de neutralité. Il ne serait pas sérieux de renvoyer à une commission le soin d’étudier ce problème quand les incidents se multiplient dans les entreprises. Cet amendement me semble tout à fait satisfaisant, puisque, en faisant référence au règlement intérieur, il laisse la liberté, tant à l’employeur qu’aux organisations syndicales, de trouver un accord. Sans doute pourrait-il être réécrit, mais à condition de conserver le principe qu’il énonce.
M. Jean-Louis Roumégas. Le mieux est parfois l’ennemi du bien. Contrairement à la loi en vigueur, cet amendement permettrait à un employeur d’interdire le port de la croix, de la kippa ou du voile dans une entreprise. Ce débat me paraît excessif et cette disposition risque de créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. Autant il était dangereux de consacrer un droit à l’expression religieuse, autant vous allez ici beaucoup trop loin et donnez trop de pouvoir à l’employeur. La loi ne prévoit pas aujourd’hui l’application du principe de neutralité religieuse dans l’entreprise : elle réserve cette application à l’école et aux lieux publics.
M. Francis Vercamer. Le projet de loi dispose que le salarié a la liberté de manifester ses convictions à condition que cela n’entrave pas le bon fonctionnement de l’entreprise. Or c’est bien le règlement intérieur qui fixe les modalités de ce fonctionnement. Il ne me semble donc pas contraire au droit européen ni au droit en vigueur de permettre au règlement intérieur de définir les modalités d’application du principe de neutralité religieuse. Il s’agit simplement d’acter dans un texte que la manifestation de convictions religieuses peut contrevenir au fonctionnement normal de l’entreprise et de conforter le chef d’entreprise au cas où un salarié se targuerait de la loi actuelle pour manifester de telles convictions. Le règlement intérieur permettra de régler les litiges potentiels.
M. Jean-Louis Costes. Monsieur Roumégas, nous demandons seulement l’application du principe de laïcité.
Mme Isabelle Le Callennec. En permettant au règlement intérieur de traiter cette question, nous apporterions de la sécurité juridique à des situations de plus en plus nombreuses. Nous venons de supprimer du projet de loi l’énoncé des soixante et un principes fondamentaux du rapport Badinter qui allait assez loin – partant du principe que la liberté religieuse primait. C’est cela qui inquiétait à la fois des chefs d’entreprise et des salariés. Si nous n’adoptons pas l’amendement d’Arnaud Richard, très pragmatique en ce qu’il fait référence au règlement intérieur, nous risquons encore de passer à côté de l’occasion d’apporter dans la loi des précisions qui sont très attendues et le débat risque de s’envenimer. Au lieu de renvoyer à cette fameuse commission d’experts le soin de traiter ce sujet récurrent, n’avons-nous pas intérêt à trancher ?
Mme Véronique Louwagie. Ne nous voilons pas la face. La question de la neutralité religieuse se pose sur le terrain dans les entreprises. Il nous faut donc l’aborder. J’ai entendu un de nos collègues qualifier ce débat d’excessif : il porte au contraire sur un sujet délicat, nous devons avoir le courage de le mener et nous avons la responsabilité de proposer des solutions. Le règlement intérieur, dont l’objet est de prendre en compte les particularités de l’entreprise en matière de relations avec le public, de métier et d’environnement, me semble l’outil adapté pour répondre aux situations susceptibles de créer des tensions dans l’entreprise. Ce serait commettre une faute que de ne pas aborder la question du principe de neutralité religieuse alors même que le débat a été ouvert parmi les Français.
M. Alain Calmette. Il s’agit bel et bien d’un débat d’actualité : des questions concrètes, pragmatiques, se posent sur le terrain, auxquelles il est de notre devoir de répondre. Mais encore faut-il évaluer l’ensemble des conséquences juridiques et pratiques de l’adoption d’un tel amendement. Si je suis d’accord avec l’esprit de cette proposition, il me semble prématuré de la voter.
M. Jean-Patrick Gille. Chacun conviendra que personne ne refuse de débattre. Nous sommes face à un amendement, introduisant un principe de neutralité religieuse, qu’il a fallu rectifier, son auteur lui-même ayant compris qu’on ne pouvait, sans créer de difficultés, supprimer un alinéa du code du travail interdisant les dispositions discriminatoires dans le règlement intérieur. Mais cet amendement me semble encore devoir faire l’objet d’une expertise plus approfondie. Si nous l’adoptons, certains employeurs pourront interdire tout signe religieux dans l’entreprise – ce qui, d’ailleurs, satisfera beaucoup de gens – à la suite de quoi des salariés objecteront que cela est contraire au droit européen. Je salue le travail d’Arnaud Richard, mais il me semble que cela ne tient pas juridiquement.
M. Jean-Louis Bricout. Il me semble que le règlement intérieur n’est obligatoire que dans les entreprises de plus de vingt salariés. En passant par ce biais pour faire appliquer le principe de neutralité religieuse, on risquerait donc de créer une différence de traitement entre les petites entreprises et les autres – à moins de rendre le règlement obligatoire dans toutes les entreprises, ce qui serait source de complexité.
M. Arnaud Richard. Je tiens à saluer la sagesse du rapporteur qui a proposé un amendement, identique au nôtre, de suppression des alinéas 4 à 73 de l’article 1er. Si nous avions eu cette discussion sur le fait religieux dans l’entreprise au regard du 6° de cet article, sans doute l’ambiance et la qualité du débat n’auraient-elles pas été les mêmes.
Très satisfait de partir sur cette base, j’entends l’argument de Jean-Patrick Gille. Il est vrai que nous proposons une évolution importante, mais cela fait plusieurs années que, en tant qu’élu de Chanteloup-les-Vignes, je réfléchis à la question de la laïcité au travail. Bien qu’imparfaite, la réponse forte que nous proposons d’apporter permettra d’appliquer le modèle de la République dans l’entreprise.
M. Gérard Sebaoun. Je vous renvoie à la lecture exacte et exhaustive du 6° proposé par Robert Badinter et ses collègues. Cet alinéa fait référence non seulement à la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, mais aussi aux restrictions « justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Cette liberté était donc tout de même extraordinairement encadrée et cet alinéa ne faisait que rappeler le droit en vigueur.
Nous nous accordons tous à dire que nous nous exposons à un océan de difficultés si nous n’expertisons pas l’amendement d’Arnaud Richard. Lors d’une audition, le professeur Antoine Lyon-Caen, à qui je demandais si les salariés qui le souhaitaient pouvaient prier pendant les pauses qui leur étaient accordées, a répondu que personne n’était empêché de méditer. Nous ne pourrons pas empêcher un salarié de prier. Si, demain, une entreprise emploie comme salariés des moines ou des religieuses, leur interdirons-nous de porter l’habit ? On sait qu’il y a des activistes dans certaines entreprises. Légiférer à la va-vite comme nous le faisons leur donnerait l’oriflamme de la discrimination. Je vous demande donc à tous d’être extrêmement prudents.
M. le rapporteur. Ce sujet étant en effet très présent aujourd’hui dans le débat politique, il mérite que nous y réfléchissions. Mais, en levant une insécurité juridique par le biais de l’outil le plus faible dans l’échelle normative, nous prendrions un risque considérable. Une multitude de normes relevant de la loi, du droit européen et du droit international, sans parler de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’impose au règlement intérieur. C’est pourquoi je réitère ma proposition, qui n’est pas une fin de non-recevoir, et vous suggère, monsieur Richard, de retirer cet amendement pour que je puisse l’expertiser et vous transmettre mon analyse. À défaut, j’y serai défavorable.
M. Arnaud Richard. Je maintiens mon amendement.
La Commission rejette l’amendement AS537 rectifié.
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Chapitre Ier bis
Renforcer la lutte contre les discriminations, le harcèlement moral et sexuel et les agissements sexistes
Article 1er bis
(Art. L. 1154-1 du code du travail)
Régime de la preuve en matière de harcèlement
Cet article est issu de l’amendement AS634 présenté par Mme Coutelle. Il vise à renforcer la lutte contre le harcèlement moral et sexuel et à créer une nouvelle division dans le projet de loi accueillant ces dispositions ainsi que celles, du même auteur, relatives aux agissements sexistes.
Aux termes de l’article L. 1154-1 du code du travail relatif au harcèlement sexuel ou moral, « Lorsque survient un litige (…), le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ». En revanche, en matière de discriminations, l’article L. 1134-1 prévoit que le salarié « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence » d’un harcèlement.
Le régime est donc différent selon qu’il s’agisse d’un contentieux lié à une discrimination ou à un harcèlement qu’il soit moral ou sexuel. En effet, la personne doit présenter les faits dans le premier cas mais en revanche les établir dans le second. Établir les faits renvoie à une démonstration et va au-delà de la simple présentation, ce qui bien évidemment amoindrit les chances du plaignant de voir sa plainte aboutir car il est généralement très difficile d’apporter des preuves tangibles et directes dans les cas de harcèlement.
Le présent article vise donc à créer un régime commun aux discriminations et aux harcèlements afin de permettre aux plaignants d’apporter des éléments de faits constituant un faisceau de présomptions.
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La Commission examine les amendements AS635 et AS634 de Mme Catherine Coutelle, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. La délégation aux droits des femmes a adopté cinq amendements relatifs au harcèlement sexuel au travail et aux agissements sexistes dans l’entreprise.
Lors d’une audition, une association de défense des salariés a attiré l’attention de la délégation aux droits des femmes sur la difficulté de faire la preuve du harcèlement sexuel au travail. Je rappelle que nous avions défini cette notion dans une loi de 2012 pour ensuite la faire figurer dans le code du travail. Cette association nous a fait remarquer que, lorsqu’une personne se considérait comme victime d’une discrimination, elle ne devait présenter, aux termes de l’article L. 1134-1 du code du travail, que des « éléments de fait laissant supposer l’existence » d’un tel acte et que c’était à l’employeur de démontrer que ces éléments n’étaient pas réunis. Lorsque, en revanche, un salarié se considère comme victime de harcèlement sexuel ou moral, il doit, selon l’article L. 1154-1 du même code, en faire la preuve, c’est-à-dire établir les faits, ce qui lui est beaucoup plus difficile. Nous voudrions donc aligner le régime probatoire du harcèlement sexuel sur celui des discriminations.
Quant à l’amendement AS635, il concerne les agissements sexistes. Lors du vote de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, nous avons prévu dans le code du travail que « nul ne doit subir d’agissement sexiste […] ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Nous n’avons cependant pas précisé à l’époque le régime de probation applicable. Or il semble là aussi très difficile de faire la preuve de tels agissements. Nous proposons donc là encore d’aligner le régime probatoire des agissements sexistes sur celui des discriminations.
M. le rapporteur. Je suis favorable à l’amendement AS634 et à un alignement des régimes probatoires. J’ai cependant une difficulté concernant l’amendement AS635. Car, lorsque l’on parle de discriminations, les faits sont là. Vous proposez une inversion de la charge de la preuve en matière d’agissements sexistes : ce serait à l’employeur de justifier qu’il n’y a pas eu d’agissements sexistes. Cela me paraît très difficile à définir. Avis défavorable.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Des études ont montré que les agissements sexistes au travail peuvent dégrader la santé des salariés, provoquer des arrêts de travail... Nous avons inscrit ces agissements dans le code du travail, en les définissant comme, notamment, « créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Toutefois, le régime de la preuve rend difficile la tenue d’un procès et les salariés n’arrivent pas à faire condamner ces agissements. Il faut résoudre ce problème.
M. Hervé Morin. Nous avons voté une loi relative au harcèlement sexuel en 2012 et de nouvelles dispositions en 2015. L’encre de ces textes est à peine sèche, il n’y a pas encore la moindre jurisprudence, et voilà qu’on voudrait légiférer à nouveau ! Cela me paraît ahurissant. La situation en matière de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes a-t-elle vraiment beaucoup changé en deux ans ? Ces textes étaient-ils vraiment bien rédigés ? N’y a-t-il pas là un dysfonctionnement de la fabrique de la loi ?
M. le rapporteur. Monsieur Morin, cet amendement ne traite pas de harcèlement sexuel, mais d’agissements sexistes – dont les dommages sont en effet démontrés. Certes, le problème est réel, madame Coutelle, et je partage votre analyse sur ce point ; mais je n’en tire pas les mêmes conclusions. Demander à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas d’atteinte à la personne ne me paraît pas une réponse adaptée.
La Commission rejette l’amendement AS635.
Puis elle adopte l’amendement AS634.
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Article 1er ter
(Art. L. 1321-2 du code du travail)
Interdiction des agissements sexistes par le règlement intérieur
Cet article est issu de l’amendement AS638 présenté par Mme Coutelle. Il prévoit le rappel obligatoire de l’interdiction de tout agissement sexiste dans le règlement intérieur.
En application de l’article L. 1321-2 du code du travail, le règlement intérieur de l’entreprise rappelle les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés ainsi que « les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel prévues par le présent code ».
L’article L. 1142-2-1 issu de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a défini les agissements sexistes, prévoyant que : « nul ne doit subir d’agissement sexiste défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité… ».
Le présent article a pour objet de prévoir le rappel obligatoire de l’interdiction de ces agissements dans le règlement intérieur de l’entreprise.
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La Commission examine l’amendement AS638 de Mme Catherine Coutelle.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Il s’agit de prévoir un rappel obligatoire dans le règlement intérieur des entreprises des dispositions relatives au harcèlement moral ainsi qu’au harcèlement sexuel. Le droit européen va d’ailleurs dans le même sens de promotion d’une égalité de traitement des femmes et des hommes.
M. Bernard Accoyer. Comme l’exposé des motifs de l’amendement le précise lui-même, la législation réprimant le harcèlement sexuel est déjà abondante. Il n’y a pas lieu d’en rajouter.
M. le rapporteur. Je ne commenterai pas les propos de M. Accoyer.
Avis favorable à l’amendement.
Mme Isabelle Le Callennec. Quid des entreprises qui n’ont pas de règlement intérieur, c’est-à-dire celles qui comptent moins de vingt salariés ?
M. Francis Vercamer. Quand il s’agit du fait religieux, monsieur le rapporteur, vous dites que le règlement intérieur est l’outil le plus bas de la hiérarchie normative ; par contre, pour traiter d’agissements sexistes, il vous paraît adapté ! On voit bien quelle est votre échelle de valeurs.
M. Élie Aboud. La remarque de Mme Le Callenec est d’autant plus judicieuse que c’est souvent dans les TPE, peu structurées, pas assez organisées, que l’on voit ce genre de comportements. À ce niveau-là, le vide demeure.
M. le rapporteur. Monsieur Vercamer, je rappelle simplement qu’il existe, dans le cas des agissements sexistes, une base législative : c’est l’article L. 1142-2-1 du code du travail. Nous ne parlons pas ici d’une liberté, mais au contraire d’un délit ! Le sujet n’a rien à voir.
Avis favorable à l’amendement.
M. Francis Vercamer. On voit bien quelle est votre échelle de valeurs !
M. le rapporteur. Je le dis de façon quelque peu solennelle, monsieur Vercamer : une lutte doit être menée contre les agissements sexistes, et évoquer ma soi-disant échelle de valeurs comme vous le faites me paraît particulièrement déplacé.
M. Francis Vercamer. N’exagérons rien : il y a cinq minutes, le règlement intérieur, c’était le plus bas niveau de l’échelle normative, mais, pour les agissements sexistes, il est parfaitement adapté. Et c’est moi qui dévaloriserais les femmes ? Soyons sérieux !
M. le rapporteur. Je viens de vous dire, monsieur Vercamer, que les agissements sexistes étaient réprimés par la loi – ce qui n’est pas le cas du sujet dont nous traitions précédemment. Vos propos sont honteux !
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je ne comprends pas bien vos propos, monsieur Vercamer : harcèlement sexuel et agissements sexistes figurent dans la loi ; ils se déclinent ensuite dans le règlement intérieur des entreprises.
La Commission adopte l’amendement.
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Article 1er quater
(Art. L. 4121-2 du code du travail)
Prise en compte des agissements sexistes dans les actions de prévention
Cet article est issu de l’amendement AS637 présenté par Mme Coutelle. Il prévoit les agissements sexistes doivent être pris en compte dans les actions de prévention en matière de santé et de sécurité.
En application de l’article L. 4121-2 du code du travail, les employeurs doivent mettre en œuvre des actions de prévention fondées sur neuf principes généraux, parmi lesquels : « planifier la prévention en y intégrant… l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel ».
Or, L’article L. 1142-2-1 issu de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a défini les agissements sexistes, prévoyant que : « nul ne doit subir d’agissement sexiste défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité… ».
Dans la mesure où les agissements sexistes peuvent avoir des répercussions sur la santé des salariés, le présent article a pour objet de les prendre en compte au même titre que le harcèlement dans les actions de prévention en matière de santé et de sécurité des salariés.
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La Commission examine l’amendement AS637 de Mme Catherine Coutelle.
L’employeur est aujourd’hui tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Dans la logique des amendements précédents, l’amendement AS637 vise à prévoir que la prévention des agissements sexistes est incluse dans ces actions.
Ces agissements sont nombreux, des études le montrent, et pas seulement dans les TPE, mais dans l’ensemble des entreprises ; or la santé des femmes victimes de ces agissements peut être gravement atteinte. Certaines sont mêmes amenées à démissionner. J’ai recueilli des témoignages qui montrent la gravité de ces faits.
M. le rapporteur. Je vous suggère de retirer cet amendement : il me paraît faire double emploi avec le suivant, AS636, qui renforce les missions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et qui me paraît préférable.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je vous fais confiance, monsieur le rapporteur ; il me semblait qu’il s’agissait de deux étapes quelque peu différentes : le CHSCT doit s’impliquer dans la prévention des agissements sexistes – ce qui vaut la peine d’être précisé, car rien ne dit que tous les représentants du personnel sont sensibilisés à ces problèmes –, mais l’employeur met ensuite les mesures en œuvre.
Mme Jacqueline Fraysse. Je voudrais insister sur l’importance des problèmes soulevés par Mme Coutelle. Il y a là des problèmes de santé, sans aucun doute, mais aussi tout simplement de respect de la personne, quelle qu’elle soit.
Mme Isabelle Le Callennec. Toutes les entreprises n’ont pas de CHSCT.
Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. D’où la pertinence de cet amendement, peut-être plus protecteur de tous les salariés.
M. le rapporteur. Ces arguments sont convaincants : avis favorable.
La Commission adopte l’amendement.
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Article 1er quinquies
(Art. L. 4612-3 du code du travail)
Extension de la compétence des CHSCT aux agissements sexistes
Cet article est issu de l’amendement AS636 présenté par Mme Coutelle. Il vise à élargir les compétences des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) afin que ceux-ci participent à la prévention des agissements sexistes.
En application de l’article L. 4612-3 du code du travail, le CHSCT « peut proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral et du harcèlement sexuel ».
Par ailleurs, l’article L. 1142-2-1 issu de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a défini les agissements sexistes, prévoyant que : « nul ne doit subir d’agissement sexiste défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité… ».
Le présent article a pour objet d’élargir les compétences du CHSCT pour lui permettre de mener des actions de prévention des agissements sexistes.
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La Commission examine l’amendement AS636 de Mme Catherine Coutelle.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement.
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La Commission examine, en discussion commune, les amendements AS180 de M. Élie Aboud et AS14 de M. Jean-Charles Taugourdeau.
M. Élie Aboud. Il s’agit de permettre aux entreprises de prendre toutes les mesures nécessaires pour ajuster par accord collectif les conditions de travail à leurs besoins spécifiques, en donnant ainsi la parole aux salariés d’une entreprise, lesquels auraient ainsi directement prise sur leurs conditions de travail.
M. Christophe Sirugue, rapporteur. Ces deux amendements proposent en réalité de généraliser l’accord d’entreprise, au détriment des accords de branche. Cette inversion ne nous paraît pas opportune. Avis défavorable.
La Commission rejette successivement les amendements AS180 et AS14.
Puis elle est saisie de l’amendement AS412 de Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Nous souhaitons avec cet amendement rétablir le principe de faveur en matière de négociations collectives, un principe fondamental sur lequel s’est construit notre droit du travail. En vertu de ce principe, un accord d’entreprise ne peut comporter que des dispositions plus favorables aux salariés que celles inscrites dans l’accord de branche, lui-même ne pouvant contenir que des dispositions plus favorables que celles inscrites dans la loi.
Plusieurs interventions législatives ont progressivement remis en cause ce principe, notamment en ce qui concerne le temps de travail – je pense à la loi du 4 mai 2004 ainsi qu’à celle du 20 août 2008 qui fait primer l’accord d’entreprise en matière de temps de travail.
Loin de simplifier le code du travail et de protéger les salariés, le développement de la négociation dérogatoire a, au contraire, complexifié ce droit en même temps qu’il revenait sur des acquis sociaux essentiels, la remise en cause la plus significative étant l’assouplissement de la durée légale des trente-cinq heures.
Avec ce projet de loi, il nous est proposé de franchir une étape supplémentaire en ce sens, puisqu’il s’agit de consacrer cette négociation dérogatoire, ce que nous refusons.
J’ajoute que cet amendement prévoit également la suppression de l’article L. 3122-6 du code du travail, issu de la loi Warsmann de mars 2012, qui permet d’imposer par accord d’entreprise l’annualisation de la durée du travail aux salariés. Cette annualisation constitue un bouleversement des conditions de travail et devrait, à ce titre, être considérée comme une modification essentielle du contrat de travail et, de ce fait, nécessiter pour sa mise en place l’accord préalable du salarié.
M. le rapporteur. Vous souhaitez revenir à l’état du droit antérieur à 2004 et interdire à un accord d’entreprise de déroger aux dispositions d’un accord de branche, sauf si ces dispositions sont plus favorables. Si nous devions suivre votre proposition, nous nous interdirions toute possibilité d’évoluer à l’échelon de proximité, ce qui ne me semble pas correspondre à l’esprit du texte. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
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Chapitre II
Une nouvelle architecture des règles en matière de durée du travail et de congés
Article 2
(Art. L. 1225-9, L. 1263-3, L. 1271-5, L. 1272-4, L. 1273-3, L. 1273-5, L. 1274-2, L. 1522-8, L. 2323-3, L. 2323-17, L. 3111-1 et L. 3111-2, L. 3111-3 [nouveau], L. 3121-1 à L. 3121-48, L. 3121-49 à L. 3121-67 [nouveaux], L. 3122-1 à L. 3122-47, L. 3123-1 à L. 3123-37, L. 3123-38 [nouveau], L. 3131-1 et L. 3131-2, L. 3131-3 [nouveau], L. 3132-28, L. 3133-1 à L. 3133-12, L. 3134-1, L. 3134-16 [nouveau], L. 3141-1 à L. 3141-31, L. 3141-32 et L. 3141-33 [nouveau], L. 3164-4, L. 3171-1, L. 3253-23, L. 3422-1, L. 5125-1, L. 5132-6, L. 5132-7, L. 5134-60, L. 5134-63, L. 5134-126, L. 5221-7, L. 5544-10, L. 6222-25, L. 6325-10, L. 6331-35, L. 6343-2, L. 7122-24, L. 7213-1 et L. 7221-2 du code du travail ; art. L. 431-3, L. 432-2 et L. 433-1 du code de l’action sociale et des familles ; art. 39 du code général des impôts ; art. L. 191-2 du code minier ; art. L. 712-4, L. 712-6, L. 713-2, L. 713-3 à L. 713-5, L. 713-13, L. 713-19, L. 714-5, L. 714-6, L. 714-8 et L. 763-3 du code rural et de la pêche maritime ; art. L. 133-5, L. 133-5-1, L. 241-13, L. 241-3-1, L. 241-18, L. 242-8, L. 242-9 et L. 243-1-3 du code de la sécurité sociale ; art. L. 1321-6, L. 1321-7, L. 1321-10, L. 1821-8-1, L. 3312-1, L. 3312-3, L. 3313-2, L. 4511-1, L. 5544-1, L. 5544-3, L. 5544 8, L. 5544-10, L. 6525-1, L. 6525-3 et L. 6525-5 du code des transports ;
art. 43 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011)
Durée du travail
Cet article applique aux dispositions du livre Ier de la troisième partie du code du travail, relatif à la durée du travail, aux repos et aux congés, la nouvelle architecture préconisée par le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle remis au Premier ministre le 9 septembre 2015. Il s’agit d’articuler les normes autour de trois niveaux : en premier lieu, les règles qui relèvent de l’ordre public et qui s’imposent de manière absolue au niveau conventionnel ; en deuxième lieu, les règles renvoyées à la négociation collective ; et enfin, en dernier lieu, les dispositions supplétives, applicables à défaut d’accord. Il s’agit par ce biais de donner plus d’espace à la négociation collective.
Sur le fond, cet article entend également déterminer le niveau le plus approprié de fixation de la norme. Le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle préconise en effet l’application d’un principe de subsidiarité, qui consiste à privilégier autant que faire se peut l’accord d’entreprise, pour redonner au niveau de la branche son rôle traditionnel de régulation sociale et économique. Il s’agit bien de mettre le dialogue social en pleine capacité de régulation, dans le respect d’un socle législatif de principes relevant de l’ordre public.
I. UNE TRADUCTION DE LA PHILOSOPHIE GÉNÉRALE DU PROJET DE LOI POUR LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA DURÉE DU TRAVAIL ET AUX CONGÉS PAYÉS
A. LA DURÉE DU TRAVAIL, « VITRINE » DE L’AXE CENTRAL DU PROJET DE LOI : DONNER PLUS DE PLACE À LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
Cet article traduit, dans le code du travail, les préconisations du rapport de M. Jean-Denis Combrexelle, en faveur d’une nouvelle architecture des normes du droit du travail qui passe par le renforcement du rôle donné à la négociation collective. En effet, comme l’indique ce rapport, « à la loi de fixer les grands principes du travail et de l’emploi, aux accords de branche de fixer l’ordre public conventionnel et aux accords d’entreprise de définir en priorité le droit conventionnel du travail sur tous les sujets qui ne relèvent pas de l’ordre public ».
La longueur de cet article tient essentiellement à ce choix d’une nouvelle articulation des normes, qui se voit appliquée à la quasi-totalité des dispositions du livre premier de la troisième partie du code du travail, qui couvrent les règles applicables à la durée du travail, au repos et aux congés.
Sont ainsi réorganisées autour du triptyque : ordre public ; champ de la négociation collective ; dispositions supplétives, l’ensemble des dispositions suivantes :
– celles qui concernent le travail effectif, les astreintes et le régime des équivalences ;
– celles relatives à la durée légale et aux heures supplémentaires ;
– les règles fixant les durées maximales du travail ;
– les conventions de forfait ;
– les mesures de répartition et d’aménagement des horaires et les règles relatives au travail de nuit ;
– les règles relatives au travail à temps partiel et au travail intermittent ;
– les dispositions sur le repos quotidien et les jours fériés ;
– et enfin, les règles relatives aux congés payés.
Sont exclues de cette réorganisation les dispositions relatives au repos hebdomadaire qui ont été amplement et récemment revues dans le cadre de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Pour l’ensemble des mesures précitées, le présent article propose une refonte de leur architecture : sont ainsi constitutives de l’ordre public la plupart des règles fixant un cadre global aux différentes dispositions concernées. Le champ de la négociation collective couvre l’ensemble des règles auxquelles il est ouvert une possibilité d’adaptation par voie conventionnelle, dans le respect bien entendu des dispositions d’ordre public. Enfin, sont renvoyées au rang des dispositions supplétives la majorité des règles fixant des minima, des planchers ou encore des délais. Celles-ci n’auront plus vocation à s’appliquer qu’à défaut d’accord collectif.
Notons toutefois que dans certains cas, le champ de la négociation collective se voit tout de même contraint par des règles minimales. C’est le cas par exemple en matière d’heures supplémentaires, puisque les accords collectifs conclus dans ce domaine ne pourront pas fixer un taux de majoration inférieur à 10 % ou encore prévoir une contrepartie obligatoire en repos des heures accomplies au-delà du contingent annuel de moins de 50 % pour les entreprises d’au moins 20 salariés et de moins de 100 % pour les entreprises de plus de 20 salariés. C’est également le cas pour la durée quotidienne maximale de travail, pour laquelle les règles négociées par voie d’accord ne peuvent excéder le plafond de douze heures de travail quotidien.
Notons également que l’ensemble des dispositions supplétives correspondent à des règles légales aujourd’hui applicables et sont donc recodifiées à droit constant.
Le véritable enjeu de cette nouvelle architecture réside dans la répartition opérée entre les mesures d’ordre public et les dispositions supplétives : où doit-on placer le curseur pour laisser à la fois plus de marge de manœuvre à la négociation collective, sans sombrer dans une situation où l’hétérogénéité des règles serait totale, laissant libre cours aux pratiques de dumping social et à une politique du moins-disant sur le plan de la protection des travailleurs ?
Dans la continuité des lois du 4 mai 2004 et du 20 août 2008, le projet de loi propose d’aller au bout de la démarche de renforcement du niveau de l’entreprise, au sein de la hiérarchie des normes conventionnelles.
Rappelons que la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et du dialogue social a permis dans certains cas à l’accord d’entreprise de déroger aux dispositions d’un accord de branche dans un sens moins favorable aux salariés, à moins que ce dernier ne l’ait expressément exclu. Cette possibilité était en tout état de cause exclue en matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives et enfin, en matière de mutualisation des fonds de la formation professionnelle.
La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail est allée plus loin en faisant primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche même dans l’hypothèse où ce dernier l’exclurait, dans les six catégories suivantes relatives au temps de travail :
– fixation du contingent d’heures supplémentaires et conditions de son dépassement ;
– mise en place d’un repos compensateur de remplacement et conditions de prise du repos ;
– conventions de forfait en heures ou en jours sur l’année ;
– aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année ;
– mise en place d’un compte épargne-temps ;
– et, enfin, choix de la date de la journée de solidarité.
Le projet de loi souhaite achever ce processus de renforcement du rôle de la négociation collective en entreprise, en accordant désormais un primat généralisé à ce dernier sur l’accord de branche, y compris pour fixer des règles moins favorables aux salariés, pour l’ensemble des règles applicables à la durée du travail, aux repos et aux congés payés. Cette primauté donnée à l’accord d’entreprise aurait donc vocation à s’appliquer désormais :
– à la rémunération spécifique possible des temps de pause et de restauration ;
– à l’assimilation des temps d’habillage ou de déshabillage à du temps de travail effectif ou à la fixation de contreparties à ces opérations ;
– à la fixation de contreparties aux temps de trajets inhabituels ;
– à la mise en place des astreintes ;
– à la fixation de temps de pause supérieurs à vingt minutes toutes les six heures ;
– au dépassement de la durée quotidienne maximale de douze heures ;
– au dépassement de la durée hebdomadaire maximale de travail, dans la limite de 46 heures sur une période de douze semaines ;
– à la fixation du taux de majoration des heures supplémentaires ;
– aux modalités de report d’heures en cas d’horaires individualisés et de récupération des heures perdues ;
– au recours au travail de nuit, à la dérogation à la définition légale de la période de nuit, et au dépassement de la durée maximale de travail du travailleur de nuit ;
– à la mise en place d’horaires à temps partiel, à la détermination du contingent d’heures complémentaires et aux modalités de modification de la répartition des horaires des salariés à temps partiel ;
– à la mise en place du travail intermittent ;
– au dépassement de la durée minimale de repos quotidien ;
– à la définition des jours fériés chômés ;
– et à la mise en œuvre des congés payés dans l’entreprise : fixation de la période de référence pour l’acquisition des congés, majoration en raison de l’âge ou de l’ancienneté, fixation de la période de prise des congés, fixation de l’ordre des départs, ainsi que des règles de fractionnement et de report des congés.
On notera toutefois que dans quelques domaines, le texte proposé maintient la primauté donnée à l’accord de branche : c’est le cas en matière de temps partiel, pour la fixation d’une durée minimale de travail inférieure au socle légal de 24 heures, pour la détermination du taux de majoration des heures complémentaires, pour la mise en place de compléments d’heures par avenant au contrat de travail, ainsi que pour les modalités de regroupement des horaires des salariés à temps partiel. Dans chacun de ces domaines, la loi prévoit aujourd’hui que ces modalités relèvent d’un accord de branche étendu. Le texte proposé maintient ce niveau de négociation, à l’exclusion de tout autre.
C’est le cas aussi pour la mise en place d’un régime d’équivalences, pour laquelle il est aujourd’hui prévu qu’elle relève d’une convention ou d’un accord de branche, validé par un décret et, à défaut d’accord de branche, d’un décret en Conseil d’État : le présent article propose de maintenir le niveau de négociation de la branche, en prévoyant qu’un régime d’équivalences peut être mis en place par un accord de branche étendu, celui-ci n’ayant toutefois plus besoin d’être validé par décret. À défaut d’un tel accord, un décret en Conseil d’État peut le prévoir.
C. LA PRISE EN COMPTE DES BESOINS SPÉCIFIQUES DES ENTREPRISES EN MATIÈRE DE MODULATION DU TEMPS DE TRAVAIL
Le troisième objectif du présent article est de mieux répondre aux besoins des entreprises – petites et grandes – en matière d’aménagement du temps de travail. Il s’agit d’une part de l’allongement, jusqu’à trois ans, de la période de référence pour la mise en place d’un accord d’aménagement du temps de travail, et d’autre part, d’un allongement de cette même période de référence à neuf semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés, dans le cadre du dispositif spécifique d’aménagement du temps de travail par la voie unilatérale.
Ÿ La loi du 20 août 2008 déjà citée a unifié les dispositifs d’aménagement du temps de travail au sein d’un outil unique d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année. Ce dispositif est mis en place par accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par accord de branche. On notera que la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche existe donc déjà sur cette thématique.
Si ce dispositif est relativement souple, il ne répond pas complètement aux besoins de certaines entreprises : comme l’indique l’étude d’impact, certaines « entreprises industrielles dont l’activité porte par nature sur des projets pluriannuels (construction aéronautique, navale, automobile, transport, etc.) » ou encore « certaines entreprises du secteur tertiaire qui remportent un marché » et bénéficient par ce biais d’une visibilité accrue, peuvent avoir besoin d’une capacité d’organiser la durée du travail sur une période excédant un an.
Pour répondre à cette problématique spécifique, le présent article propose de porter jusqu’à trois ans la période de référence qui sert de socle à l’aménagement négocié du temps de travail, tout en réservant la possibilité d’aller au-delà d’un an au seul accord de branche.
Ÿ Il existe aujourd’hui un dispositif permettant d’aménager le temps de travail de manière unilatérale sur une durée pouvant aller jusqu’à quatre semaines. Cet outil, prévu au dernier alinéa de l’article L. 3122-2 dans sa rédaction actuelle, est aménagé par décret (articles D. 3122-7-1 à D. 3122-7-3). Il permet à toute entreprise non couverte par un accord d’aménagement du temps de travail, de procéder à une telle modulation sur une période de quatre semaines au maximum.
Plusieurs conditions sont fixées à ce dispositif d’aménagement du temps de travail : en premier lieu, les heures effectuées au-delà de 39 heures par semaine sont en tout état de cause considérées comme des heures supplémentaires rémunérées à la fin du mois, de même que les heures effectuées au-delà de 35 heures hebdomadaires calculées sur la période de référence, déduction faite le cas échéant des heures supplémentaires comptabilisées au titre du dépassement de la durée hebdomadaire. Il fixe également à sept jours ouvrés au moins le délai de prévenance des éventuels changements d’horaires des salariés. Il prévoit enfin le lissage de la rémunération des salariés, en précisant qu’elle est indépendante de l’horaire réel et est calculée sur la base de 35 heures hebdomadaires (article D. 3122-7-2).
Le présent article propose de porter à neuf semaines la période de référence pour l’aménagement du temps de travail par voie unilatérale pour les entreprises de moins de 50 salariés. La période de référence de quatre semaines demeure pour les entreprises de plus de 50 salariés.
Il s’agit là de répondre à la problématique spécifique des petites entreprises, non dotées de délégués syndicaux, et dans lesquelles il est donc concrètement impossible de négocier un accord d’entreprise d’aménagement du temps de travail. Ces petites entreprises sont ainsi soumises à d’éventuelles dispositions en matière d’aménagement du temps de travail négociées au niveau de la branche dont elles relèvent, celles-ci n’étant le plus souvent pas adaptées aux caractéristiques propres des petites entreprises. Ces dernières se trouvent donc souvent handicapées par rapport aux autres entreprises et privées d’un instrument de souplesse qui leur serait pourtant d’un grand secours. Le dispositif proposé vise à lever cet obstacle.
Les quelque cinquante-six pages de dispositif juridique que présente cet article font l’objet de plus substantiels commentaires ci-dessous.
Le I modifie tout d’abord le champ d’application du livre Ier de la troisième partie du code du travail, relatif à la durée du travail, aux repos et aux congés. L’article L. 3111-2 exclut du champ d’application de ces dispositions les cadres dirigeants. Son deuxième alinéa définit plus précisément ce que recouvre cette catégorie : « sont [ainsi] considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
Le I propose de préciser que les cadres concernés sont bien ceux qui participent à la direction de l’entreprise. Il s’agit de consacrer au plan législatif une définition donnée de manière constante par la jurisprudence. En effet, saisi dans le cadre de contentieux relatifs à l’application des règles relatives à la durée du travail – et en particulier au paiement des heures supplémentaires –, le juge a extrait des trois critères légaux un critère de finalité, celui de la participation à la direction de l’entreprise. Dans un arrêt du 31 janvier 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître le statut de cadre dirigeant à un cadre classé au plus haut niveau de coefficient de la convention collective applicable, qui disposait d’une véritable autonomie dans l’organisation de son travail et avait de hautes responsabilités, mais qui ne participait pas à la direction de l’entreprise. Cette position de principe a été confirmée par un arrêt du 26 novembre 2013, et plus récemment encore, par un arrêt du 2 juillet 2014, dans lequel le juge a considéré que les trois critères cumulatifs légaux impliquaient que seuls les cadres participant à la direction de l’entreprise relèvent de la catégorie des cadres dirigeants : en l’espèce, un cadre qui a la responsabilité d’une agence, dispose de toute son autonomie dans l’organisation de son emploi du temps, et perçoit la rémunération la plus élevée de tous les salariés de deux agences, ne peut être pour ces seules raisons reconnu comme étant un cadre dirigeant, s’il ne participe pas à la direction de l’entreprise.
Il s’agit donc simplement d’entériner la jurisprudence, en reprenant ce critère essentiel qu’elle a dégagé, qui a des conséquences importantes : si la qualification de cadre dirigeant n’est pas reconnue à un salarié, celui-ci peut obtenir le paiement des heures supplémentaires.
Le II insère un nouvel article L. 3111-3 dans le titre relatif au champ d’application des dispositions relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés, qui prévoit que celles-ci définissent les règles d’ordre public, le champ de la négociation collective et les règles supplétives applicables en l’absence d’accord. Ne sont pas concernées par cette nouvelle architecture le chapitre II du titre III, relatif au repos hebdomadaire, et les titres VI et VII, respectivement relatifs aux jeunes travailleurs et au contrôle de la durée du travail et des repos.
La nouvelle architecture des normes préconisée par le rapport issu des travaux menés par M. Jean-Denis Combrexelle sous l’égide de France Stratégie et remis au Premier Ministre le 9 septembre 2015 est appliquée aux autres dispositions de ce livre, à savoir à la durée du travail et à la répartition et à l’aménagement des horaires (titre II), aux repos et aux jours fériés (titre III) à l’exclusion donc des règles encadrant le repos hebdomadaire, aux congés payés et aux autres congés (titre IV) – en partie dans le présent article et pour le reste, au sein de l’article 3 du projet de loi, et au compte épargne-temps (titre V) dans le cadre de l’article 4 du projet de loi.
Ÿ Les dispositions relatives au temps de travail effectif font l’objet des articles L. 3121-1 à L. 3121-4 dans leur rédaction actuelle : elles définissent le temps de travail effectif et traitent du statut des différents moments qui scandent le temps de travail : temps de pause, temps de restauration, temps d’habillage et de déshabillage et temps de trajet.
Dans le droit actuel, les temps de pause et de restauration sont par défaut considérés comme du temps de travail effectif (article L. 3121-2) ; les temps d’habillage et de déshabillage ne relèvent pas, par défaut, du temps de travail effectif, mais font l’objet d’une contrepartie financière ou sous forme de repos (article L. 3121-3) ; enfin, le temps de déplacement professionnel n’est pas considéré comme du temps de travail. S’il dépasse le temps normal de trajet, il fait l’objet d’une contrepartie soit financière, soit sous forme de repos et n’entraîne pas de perte de salaire.
La loi laisse un champ à la négociation collective. Ainsi :
– une convention ou un accord collectif de travail ou, à défaut, le contrat de travail peut prévoir la rémunération spécifique des temps de pause et de restauration ;
– une convention ou un accord collectif de travail ou, à défaut, le contrat de travail, prévoit en revanche obligatoirement les contreparties aux opérations d’habillage et de déshabillage, sauf si le temps qui leur est consacré est par ailleurs considéré comme du temps de travail effectif ;
– enfin, une convention ou un accord collectif de travail ou, à défaut d’accord, une décision unilatérale de l’employeur prise après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, s’ils existent, prévoit obligatoirement les contreparties au temps de trajet inhabituel.
Ÿ Le présent article revoit l’architecture de la sous-section consacrée au travail effectif, en l’organisant autour du triptyque : ordre public ; champ de la négociation collective ; dispositions supplétives, au sein des articles L. 3121-1 à L. 3121-7 nouvellement rédigés.
Si le champ de la négociation collective reste inchangé, l’accord d’entreprise ou d’établissement doit désormais primer sur l’accord de branche pour prévoir, le cas échéant, une rémunération des temps de pause et de restauration, et pour prévoir obligatoirement les contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage et aux temps de déplacement professionnel qui dépassent le temps normal de trajet (articles L. 3121-5 et L. 3121-6 dans leur nouvelle rédaction).
Enfin, l’article L. 3121-7 dans sa nouvelle rédaction énonce les dispositions supplétives, applicables en l’absence d’accord : dans ce cas, le contrat de travail peut fixer la rémunération des temps de restauration et de pause. En outre, il prévoit obligatoirement d’accorder des contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage ou d’assimiler ces temps à du temps de travail effectif. Enfin, les contreparties – toujours à défaut d’accord – aux temps de trajet dépassant le temps de trajet habituel sont obligatoirement déterminées par l’employeur après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Aucune modification de fond n’affecte donc les règles encadrant ces différents temps, leur rémunération ou les contreparties auxquelles ils peuvent donner lieu, en dehors de la primauté désormais donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, ce dernier ne s’appliquant plus qu’à défaut d’accord conclu au niveau de l’entreprise ou de l’établissement.
Ÿ Le dispositif actuel des astreintes est prévu aux articles L. 3121-5 à L. 3121-8 : il définit en premier lieu l’astreinte comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit demeurer à son domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au sein de l’entreprise. La durée de l’intervention est considérée comme du temps de travail effectif. Exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul des durées minimales de repos quotidien et de repos hebdomadaire. En l’occurrence, si une intervention a lieu pendant l’astreinte, le repos quotidien ou hebdomadaire doit être donné intégralement à compter de la fin de l’intervention sauf si le salarié a déjà bénéficié entièrement avant le début de celle-ci, de la durée minimale de repos continue (11 heures pour le repos quotidien, 35 heures pour le repos hebdomadaire).
L’article L. 3121-7 dans sa rédaction actuelle prévoit que les astreintes sont mises en place par convention ou accord collectif étendu, d’entreprise ou d’établissement, qui doit fixer leur mode d’organisation et la compensation, financière ou sous forme de repos, à laquelle elles donnent lieu.
À défaut d’accord, ces modalités sont fixées par l’employeur après information et consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’ils existent, et après information de l’inspecteur du travail.
L’employeur est tenu de porter à la connaissance de chaque salarié la programmation individuelle de ses astreintes quinze jours à l’avance, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, auquel cas le salarié doit avoir été averti au moins un jour franc à l’avance.
Ÿ Le présent article procède à la réécriture de la sous-section 2 relative aux astreintes, et la réorganise autour de la nouvelle architecture en trois niveaux de règles, autour des articles L. 3121-8 à L. 3121-11.
Le texte commence par modifier la définition des astreintes sur un point : alors qu’elles supposaient jusqu’alors pour le salarié de demeurer à domicile ou à proximité de ce dernier, il est proposé de prévoir que le salarié est simplement absent de son lieu de travail (article L. 3121-8 dans sa nouvelle rédaction).
Le principe de la contrepartie aux astreintes reste d’ordre public. Toutefois, la programmation individuelle des périodes d’astreinte doit faire l’objet d’une information des salariés concernés « dans un délai raisonnable », et non plus comme c’est le cas pour l’heure quinze jours à l’avance, sauf circonstances exceptionnelles où ce délai de prévenance peut être réduit à un jour franc.
Le texte renvoie à la négociation collective pour fixer le mode d’organisation des astreintes, les modalités d’information des salariés et la compensation sous forme financière ou sous forme de repos à laquelle elles donnent lieu. Par rapport au droit existant, on constate donc deux modifications :
– Tout d’abord, la priorité est donnée à l’accord d’entreprise ou d’établissement sur l’accord de branche, qui devient donc supplétif et n’aura vocation à s’appliquer qu’en l’absence d’accord collectif de niveau inférieur.
– Ensuite, si les modalités d’organisation des astreintes et leur compensation sont déjà du ressort de la négociation collective, le seront désormais aussi les modalités d’information des salariés.
Ce n’est qu’à défaut d’accord collectif que, comme aujourd’hui, le mode d’organisation des astreintes et leur compensation sont fixés par décision unilatérale de l’employeur après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s’ils existent et après information de l’inspecteur du travail. Les modalités d’information des salariés et les délais de prévenance en la matière doivent, en l’absence d’accord, être prévus par décret en Conseil d’État.
Le régime d’équivalence, prévu à l’article L. 3121-9 dans sa rédaction actuelle, peut être mis en place pour des professions et des emplois déterminés comportant des périodes d’inaction. Une telle durée du travail équivalente à la durée légale peut être instituée par décret pris après conclusion d’une convention ou d’un accord de branche. À défaut, ce régime peut être mis en place par décret en Conseil d’État.
Le présent article réaménage les dispositions relatives au régime d’équivalence au sein des articles L. 3121-12 à L. 3121-14, sans modification substantielle de fond.
Deux changements affectent néanmoins le dispositif : d’une part, ce régime sera désormais mis en place par une convention ou un accord de branche étendu, sans qu’il soit nécessaire de l’avaliser par décret ; d’autre part, le texte précise que l’accord en question doit notamment déterminer la rémunération des périodes d’inaction.
À défaut d’accord de branche, le régime peut toujours être institué par décret en Conseil d’État (article L. 3121-14 dans sa nouvelle rédaction).
Les durées maximales de travail font l’objet des articles L. 3121-33 à L. 3121-37 dans leur rédaction actuelle. Comme pour l’ensemble des dispositions relatives à la durée du travail, le présent article revoit leur architecture pour les réorganiser sous la forme du triptyque : mesures d’ordre public; champ de la négociation collective; dispositions supplétives.
En la matière, la nouvelle architecture ne s’applique pas pleinement. La règle selon laquelle toutes les six heures, le salarié a droit à au moins vingt minutes de pause est réaffirmée comme une règle d’ordre public (article L. 3121-15 dans sa nouvelle rédaction). La possibilité pour des dispositions conventionnelles de fixer un temps de pause supérieur est renvoyée dans un paragraphe isolé, consacré au champ de la négociation collective : l’article L. 3121-16 dans sa nouvelle rédaction prévoit en outre désormais de donner la priorité à l’accord d’entreprise ou d’établissement sur l’accord de branche en la matière. Il n’existe pas de dispositions supplétives.
Ÿ L’article L. 3121-34 dans sa rédaction actuelle fixe la durée maximale quotidienne de travail à 10 heures. Aujourd’hui, les seules dérogations sont déterminées par décret.
En effet, les articles D. 3121-15 à D. 3121-19 aménagent les conditions de dérogation à la durée maximale de douze heures. Elles sont de trois ordres :
– Une dérogation peut être accordée par l’inspection du travail en cas de surcroît temporaire d’activité (travaux devant être exécutés dans un délai déterminé en raison de leur nature, des charges imposées à l’entreprise ou des engagements de celle-ci) ;
– Elle peut être initiée par l’employeur sous sa propre responsabilité en cas d’urgence, sous réserve que la régularisation de sa demande de dérogation auprès de l’inspection du travail intervienne dans les plus brefs délais ;
– Enfin, elle peut être initiée par accord de branche étendu ou par accord d’entreprise ou d’établissement, dans la limite de douze heures.
L’article L. 3121-17 dans sa nouvelle rédaction pose la durée de dix heures comme étant d’ordre public, en ménageant toutefois la possibilité d’y déroger en cas d’autorisation accordée par la Direccte ou en cas d’urgence. Dans les deux cas, les conditions de ces dérogations sont renvoyées au décret.
Conformément au droit existant, aujourd’hui prévu au niveau réglementaire, le projet de loi propose qu’il soit possible de déroger à la durée maximale de dix heures par accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par accord de branche, « en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise », dans la limite de douze heures (article L. 3121-18 dans sa nouvelle rédaction). Si le renvoi à la négociation collective existe donc bien aujourd’hui, il sera désormais possible de faire prévaloir la durée fixée par accord d’entreprise sur celle par accord de branche.
Le rapporteur rappelle donc que le plafond de douze heures n’est en réalité applicable qu’aux dérogations à la durée maximale quotidienne de travail prévues par accord collectif. Les deux autres modalités ne sont pas aujourd’hui plafonnées, ce qui s’explique aisément : en cas d’urgence, pour la réalisation de certains travaux spécifiques, il est légitime que ce plafond ne trouve pas à s’appliquer, dans la mesure où il s’agit d’une situation temporaire, liée à un surcroît d’activité pendant une période déterminée.
À l’instar du temps de pause, il n’est pas prévu de dispositions supplétives dans ce domaine.
Ÿ Le droit existant prévoit que la durée hebdomadaire maximale de travail est de 48 heures, cette durée ne pouvant excéder 44 heures sur une période quelconque de 12 semaines consécutives (articles L. 3121-35 et L. 3121-36). Aujourd’hui, les seules dérogations à ces règles sont les suivantes :
– pour certaines entreprises qui y ont été dûment autorisées par les DIRECCTE, il est possible de dépasser le plafond de 48 heures pour une période limitée, en cas de circonstances exceptionnelles, dans la limite de 60 heures par semaine. L’article R. 3121-23 précise que ces circonstances exceptionnelles doivent entraîner un « surcroît extraordinaire d’activité » ;
– un décret pris après conclusion d’une convention ou d’un accord collectif de branche peut permettre de dépasser la durée maximale de 44 heures sur 12 semaines, à condition de ne pas aller au-delà de 46 heures sur 12 semaines. Cette dérogation est pour l’heure très peu utilisée : d’après les informations transmises au rapporteur, il n’a ainsi pas été possible de trouver trace de décret entérinant les stipulations d’un accord de branche qui prévoirait la possibilité de dépasser la durée maximale évoquée ;
– enfin, à titre exceptionnel, dans certains secteurs, dans certaines régions ou dans certaines entreprises, des dérogations peuvent être accordées à cette limite de 46 heures pour des périodes déterminées. En pratique, ces dérogations sont accordées lors de la survenance d’événements exceptionnels (Euro 2016, salons et défilés de mode, surcroît de commandes), ceux-ci pouvant au demeurant être saisonniers (travaux agricoles lors de récoltes ou de vendanges).
Ÿ Le texte maintient les plafonds existants de 48 heures sur une semaine, de 44 heures sur 12 semaines et de 46 heures sur 12 semaines en présence d’un accord : toutefois, alors que cette possibilité n’était pour l’heure autorisée que par la conclusion d’un accord de branche validé par un décret, il sera désormais possible de passer par un accord d’entreprise ou d’établissement, et ce dernier niveau de norme conventionnelle sera d’ailleurs prioritaire sur l’accord de branche. Il ne sera enfin plus nécessaire de faire « valider » par décret l’accord ainsi conclu.
À défaut d’accord, l’autorité administrative pourra accorder un dépassement de la durée maximale hebdomadaire dans la limite de 46 heures sur douze semaines et la possibilité exceptionnelle de dépasser la durée de 46 heures dans certains secteurs, dans certaines entreprises ou dans certaines régions est conservée intacte.
Dans les deux cas, ces autorisations accordées par l’autorité administrative font l’objet d’un avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’ils existent ; cet avis est transmis à l’inspecteur du travail.
Cette nouvelle architecture des règles fait l’objet des articles L. 3121-20 à L. 3121-26 dans leur nouvelle rédaction.
Ÿ Les dispositions actuelles relatives à la durée légale du travail et aux heures supplémentaires figurent aux articles L. 3121-10 à L. 3121-25.
La durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 35 heures par semaine civile (article L. 3121-10) ; au-delà de cette durée, les heures effectuées sont donc des heures supplémentaires.
Celles-ci sont accomplies dans la limite d’un contingent annuel, dont le dépassement constitue le seuil de déclenchement de la contrepartie obligatoire en repos. Ce contingent annuel relève du champ de la négociation collective. Ainsi, la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 a, pour la première fois, permis à l’accord d’entreprise de primer sur l’accord de branche en matière de fixation du contingent d’heures supplémentaires et des conditions de son dépassement. Aux termes de l’article L. 3121-11 dans sa rédaction actuelle, le contingent annuel d’heures supplémentaires – avec leur majoration – est défini par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche, de même que les conditions d’accomplissement des heures supplémentaires au-delà du contingent avec contrepartie obligatoire en repos. Autrement dit, un accord d’entreprise ou d’établissement peut fixer un contingent supérieur à celui éventuellement prévu par accord de branche.
À défaut d’accord, un décret détermine le contingent annuel et les conditions du repos compensateur pour les heures accomplies au-delà du contingent. Le contingent réglementaire est fixé à 220 heures.
De la même manière, la loi de 2008 a permis à l’accord d’entreprise de primer sur l’accord de branche pour prévoir un repos compensateur pour les heures accomplies dans la limite du contingent. L’accord collectif peut aussi remplacer tout ou partie du paiement des heures supplémentaires ainsi que de leur majoration par un repos compensateur équivalent. Dans les entreprises dépourvues de délégué syndical et non assujetties à l’obligation annuelle de négocier, l’employeur peut prévoir ce remplacement de manière unilatérale, avec toutefois l’approbation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, s’ils existent.
La loi fixe, par principe, le taux de majoration des heures supplémentaires à 25 % pour les huit premières heures et à 50 % pour les heures suivantes (article L. 3121-22). Dans le droit actuel, un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut prévoir un taux de majoration différent, celui-ci ne pouvant en tout état de cause être inférieur à 10 %.
Ÿ Le projet donne aux principes suivants un caractère d’ordre public :
– la durée légale du travail effectif, qui est de trente-cinq heures (article L. 3121-26 dans sa nouvelle rédaction) ;
– les principes selon lesquels, d’une part, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée équivalente est une heure supplémentaire, ouvrant droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent ; et, d’autre part, les heures supplémentaires se décomptent par semaine. Le premier principe n’est aujourd’hui pas affirmé en tant que tel par la loi, bien qu’il existe et soit néanmoins déjà appliqué (article L. 3121-27 dans sa nouvelle rédaction) ;
– la règle selon laquelle les heures supplémentaires sont accomplies dans la limite d’un contingent annuel ; au-delà de ce contingent, les heures accomplies font l’objet d’une contrepartie obligatoire en repos. Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel sont celles accomplies au-delà de la durée légale. Les heures donnant lieu à un repos compensateur équivalent ou celles accomplies dans le cadre de travaux urgents ne s’imputent pas sur le contingent annuel ;
– enfin, le principe de l’annualisation de la durée du travail qui permet aux entreprises dont la durée collective hebdomadaire est supérieure à 35 heures de mensualiser les heures comprises entre 35 heures et la durée collective (article L. 3121-30 dans sa nouvelle rédaction).
L’ensemble de ces règles sont d’ores et déjà applicables : elles ne font l’objet d’aucune modification de fond, à l’exception du principe de la majoration ou, à défaut, du repos compensateur auquel ouvrent droit les heures supplémentaires qui est désormais explicitement affirmé.
Ÿ Le champ relevant de la négociation collective est élargi par le présent article.
En premier lieu, alors que l’article L. 3121-10 pose le principe selon lequel la semaine civile commence le lundi à 0 heure et se termine le dimanche à 24 heures, la règle d’ordre public se contente désormais de renvoyer à la notion de « semaine » (article L. 3121-26 dans sa nouvelle rédaction), et permet à une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut à une convention ou un accord de branche de fixer toute autre période de sept jours consécutifs pour décompter la durée hebdomadaire de travail (article L. 3121-31 dans sa nouvelle rédaction). Cette possibilité n’est pas entièrement nouvelle, puisque l’article L. 3122-1 prévoyait déjà que la période correspondant à la semaine civile s’appliquait sauf dispositions contraires prévues par accord d’entreprise ou d’établissement ; désormais un accord collectif de branche pourra également définir cette période. Il s’agit de permettre aux petites entreprises qui ne seraient pas couvertes par un accord d’entreprise de bénéficier de cette souplesse par le biais d’un accord de branche.
L’article L. 3121-32 dans sa nouvelle rédaction reprend les dispositions prévues par la loi du 20 août 2008, tout en élargissant le périmètre de ce qui relève désormais en priorité de l’accord d’entreprise ou d’établissement, en y intégrant le taux de majoration des heures supplémentaires.
Ainsi, un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, un accord de branche définit le contingent annuel d’heures supplémentaires et fixe les conditions d’accomplissement des heures supplémentaires au-delà de ce contingent ainsi que la durée, les caractéristiques et les conditions de prise de contrepartie obligatoire sous forme de repos compensateur, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.
La priorité est également, fait nouveau, donnée à l’accord d’entreprise pour fixer le taux de majoration des heures supplémentaires, qui est au minimum de 10 %. Jusqu’alors, l’accord de branche étendu prévalait sur tout accord d’entreprise ou d’établissement.
Si la loi du 20 août 2008 avait déjà permis à un accord d’entreprise de primer sur un accord de branche pour définir le contingent annuel d’heures supplémentaires et les conditions de son dépassement, ainsi que la mise en place d’un repos compensateur de remplacement et les conditions de prise de ce repos, en revanche, la fixation de taux de majoration des heures supplémentaires continue aujourd’hui de relever en priorité et par primauté à l’accord de branche : en effet, l’article L. 3121-22 soumet de ce point de vue les dispositions prises par accord d’entreprise aux conditions éventuellement prévues par un accord de branche, à moins que ce dernier n’ait expressément prévu la possibilité pour un accord de branche d’y déroger. Tel ne sera donc plus le cas à l’avenir, puisqu’un accord d’entreprise pourra, sous réserve de respecter le taux plancher de 10 %, fixer un taux de majoration inférieur à celui qui s’applique en vertu de l’accord de branche.
Le texte précise également que le repos compensateur obligatoire pour les heures accomplies au-delà du contingent, qui est défini par accord collectif, ne peut être inférieur à 50 % pour les entreprise jusqu’à 20 salariés et à 100 % pour les entreprises de plus de 20 salariés: il s’agit là d’une disposition déjà existante, mais non codifiée, puisqu’elle figure au IV de l’article 18 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.
Il s’agissait initialement de dispositions transitoires qui avaient vocation à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2009 : or, dans sa décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution, en l’absence de toute autre garantie légale, le renvoi à la négociation collective pour fixer « la durée, les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie » en repos et a ainsi, par voie de conséquence, pérennisé ces dispositions que le projet de loi propose donc de codifier.
Le II de l’article L. 3121-32 dans sa nouvelle rédaction reprend également, sans les modifier, les possibilités déjà existantes pour un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, pour un accord de branche, d’une part de prévoir qu’un repos compensateur est accordé au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent annuel, et d’autre part d’organiser le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires et de leur majoration par un repos compensateur équivalent.
Le III de l’article L. 3121-32 prévoit enfin que la convention ou l’accord d’entreprise peut adapter les conditions et les modalités d’attribution et de prise du repos compensateur de remplacement à l’entreprise. Ces dispositions, qui existent depuis la loi n° 93-1313 du 21 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle ne concernent pas le niveau de l’établissement : toutefois, rien n’empêcherait que cette possibilité soit ouverte également à ce niveau-là.
Ÿ Le projet d’article énumère enfin les dispositions supplétives, qui s’appliqueront à défaut d’accord collectif, aux articles L. 3121-34 à L. 3121-38 dans leur nouvelle rédaction.
– La définition de la semaine civile du lundi à 0 heure au dimanche à 24 heures est d’ordre supplétif ; elle s’applique seulement par défaut, en l’absence d’accord collectif. Tel est déjà le cas dans le droit actuel qui réserve cependant la possibilité d’un accord en la matière à l’entreprise ou l’établissement, qui sera désormais ouvert à la branche.
– La majoration des heures supplémentaires est, par défaut, de 25 % pour les huit premières heures, puis de 50 % pour les heures suivantes. Ce principe posé à l’article L. 3121-22 figurera désormais à l’article L. 3121-36 dans sa nouvelle rédaction.
– Comme aujourd’hui, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, où la conclusion d’un accord collectif n’est pas possible, l’employeur peut, de manière unilatérale, prévoir le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires et de leur majoration par un repos compensateur équivalent (sous réserve de la non opposition du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’ils existent).
Dans ces mêmes entreprises, l’employeur peut, comme aujourd’hui, adapter les conditions et modalités d’attribution et de prise du repos compensateur de remplacement, après avis des mêmes instances représentatives du personnel.
– Toujours à défaut d’accord, la contrepartie en repos obligatoirement accordée pour les heures effectuées au-delà du contingent est de 50 % dans les entreprises de moins de 20 salariés et de 100 % dans les entreprises de plus de 20 salariés.
– Enfin, en l’absence d’accord, un décret fixe le contingent annuel d’heures supplémentaires et le régime du repos compensateur pour les heures accomplies au-delà de ce contingent.
Les règles relatives à l’aménagement du temps de travail font l’objet des articles L. 3122-1 à L. 3122-6 dans leur rédaction actuelle.
Elles organisent deux modalités d’aménagement sur plusieurs semaines ou sur l’année : l’une qui relève de la négociation collective, et qui permet l’aménagement des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année, et l’autre qui constitue un régime réglementaire supplétif qui permet d’aménager les horaires sur quatre semaines au maximum.
L’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égal à l’année est possible par accord collectif d’entreprise ou d’établissement, ou à défaut, par convention ou accord de branche. Celui-ci prévoit obligatoirement : les conditions et délais de prévenance des changements de durée ou d’horaire de travail ; les limites de décompte des heures supplémentaires ; les conditions de prise en compte des absences, arrivées et départs sur la période. L’accord collectif peut également prévoir, le cas échéant, les modalités particulières applicables aux salariés à temps partiel (communication et modification de la répartition de la durée et des horaires). Par défaut, le délai de prévenance des changements de durée ou d’horaire est de sept jours.
Notons que la primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière d’aménagement du temps de travail a été ouverte par la loi du 20 août 2008.
En l’absence d’accord, c’est le dispositif réglementaire supplétif qui trouve à s’appliquer. Ces dispositions sont détaillées aux articles D. 3122-7-1 à D. 3122-7-3 : elles permettent, dans toute entreprise non couverte par un accord collectif en la matière, d’aménager par la voie unilatérale le temps de travail des salariés sur une période de quatre semaines au maximum, comme détaillé supra.
Notons également qu’aux termes de l’article L. 3122-3 dans sa rédaction actuelle, dans les entreprises fonctionnant en continu, le temps de travail peut être organisé sur plusieurs semaines par décision unilatérale de l’employeur.
En cas d’aménagement du temps de travail sur tout ou partie de l’année, par accord ou par décret, sont considérées comme des heures supplémentaires, en vertu de l’article L. 3122-4 :
– les heures effectuées au-delà de 1 607 heures annuelles ou de la limite inférieure fixée par l’accord (déduction faite des heures supplémentaires effectuées au-delà de la limite haute hebdomadaire éventuellement fixée par l’accord et déjà comptabilisées)
– les heures effectuées au-delà de la moyenne de 35 heures calculée sur la période de référence fixée par l’accord ou le décret, déduction faite le cas échéant des mêmes heures.
Un accord collectif peut prévoir que la rémunération des salariés est indépendante de l’horaire réel. Toutefois, lorsque les heures supplémentaires sont accomplies au-delà des limites prévues par l’accord, les rémunérations correspondantes sont payées avec le salaire du mois considéré (article L. 3122-5).
La mise en place d’un dispositif d’aménagement du temps de travail par accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail pour les salariés à temps complet (article L. 3122-6).
Le présent article procède à la réorganisation des règles encadrant l’aménagement du temps de travail, qui occupent désormais les articles L. 3121-39 à L. 3121-45.
Ÿ Les articles L. 3121-39 à L. 3121-41 comportent les dispositions d’ordre public. Il s’agit des principes suivants:
– en présence d’un dispositif d’aménagement du temps de travail, les heures supplémentaires sont décomptées à l’issue de la période de référence, qui ne peut dépasser trois ans en cas d’accord collectif et neuf semaines en cas de décision unilatérale.
Il s’agit là de deux changements majeurs par rapport au droit actuel : d’une part, la période de référence peut désormais excéder un an, pour aller jusqu’à trois ans ; d’autre part, la loi prévoit désormais la possibilité de mettre en place un dispositif d’aménagement du temps de travail par voie unilatérale, sur une période pouvant aller jusqu’à neuf semaines.
Le texte prévoit également que pour une période de référence annuelle, les heures supplémentaires sont celles effectuées au-delà de 1 607 heures. Pour toute autre période de référence, les heures supplémentaires sont celles effectuées au-delà d’une durée hebdomadaire moyenne de 35 heures calculées sur la période de référence.
Le rapporteur s’est interrogé sur la compatibilité de l’introduction d’une période de référence allant au-delà de l’année avec le droit communautaire : en effet, l’article 19 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail dispose que la prise de mesures dérogatoires aux durées minimales de repos et aux durées maximales de travail « ne peut avoir pour effet l’établissement d’une période de référence dépassant six mois. Toutefois, les États membres ont la faculté, tout en respectant les principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, de permettre que, pour des raisons objectives ou techniques ou pour des raisons ayant trait à l’organisation du travail, les conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux fixent des périodes de référence ne dépassant en aucun cas douze mois ».
Dans le cadre d’une pluri-annualisation du temps de travail, l’employeur restera en réalité tenu de respecter ces durées minimales et maximales, ainsi que les périodes de référence pour leur décompte ; la pluri-annualisation est simplement destinée à lisser les heures supplémentaires sur une période supérieure à l’année.
– Sont également d’ordre public les règles relatives à l’information des salariés de tout changement dans la répartition de la durée du travail dans un délai de prévenance raisonnable, et le principe selon lequel l’aménagement du temps de travail par voie d’accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail pour les salariés à temps complet.
Ÿ S’agissant du champ de la négociation collective, l’article L. 3121-42 dans sa nouvelle rédaction précise que l’accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, l’accord de branche fixe la période de référence, qui ne peut excéder un an ou, si un accord de branche l’autorise, trois ans.
Sont également précisés les éléments suivants :
– l’accord collectif peut prévoir une limite annuelle inférieure à 1 607 heures pour le décompte des heures supplémentaires ;
– si la période de référence est supérieure à un an, il prévoit obligatoirement une limite hebdomadaire supérieure à 35 heures au-delà de laquelle les heures effectuées sont en tout état de cause des heures supplémentaires rémunérées avec le salaire du mois considéré. Il s’agit par ce biais d’atténuer pour les salariés le mécanisme de compensation des « semaines hautes » et des « semaines basses », en prévoyant que tout heure travaillée au-delà de cette limite haute est considérée comme une heure supplémentaire et est rémunérée à la fin du mois au cours duquel elle a été effectuée ;
– si la période de référence est inférieure ou égale à l’année, l’accord peut également prévoir cette même limite hebdomadaire. Cela reste donc une simple possibilité dans le cadre d’un aménagement du temps de travail sur une durée infra-annuelle.
Ces heures ne sont pas décomptées des heures travaillées à l’issue de la période de référence retenue par l’accord.
Ÿ Enfin, le projet d’article pose, aux articles L. 3121-43 à L. 3121-45 les dispositions supplétives applicables en l’absence d’accord collectif.
On remarquera en premier lieu qu’est supprimé le dispositif réglementaire supplétif d’aménagement du temps de travail sur une période pouvant aller jusqu’à quatre semaines. En effet, désormais, à défaut d’accord collectif, l’aménagement du temps de travail pourra se faire sur décision unilatérale de l’employeur, au maximum sur 9 semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés et sur 4 semaines pour les entreprises de plus de 50 salariés. Le projet d’article substitue donc au dispositif actuel, prévu par voie réglementaire, d’organisation du travail sous forme de périodes de quatre semaines au plus, un dispositif plus large et plus souple, en particulier pour les entreprises de moins de 50 salariés qui pourraient ainsi plus facilement recourir à l’aménagement du temps de travail sur une période allant jusqu’à neuf semaines.
Le texte reprend sans changement le principe de la mise en place d’une répartition de la durée du travail sur plusieurs semaines dans les entreprises qui fonctionnent en continu.
Enfin, le délai de prévenance en cas de changement de durée ou d’horaires reste bien fixé à sept jours en l’absence de stipulations contraires prévues par accord collectif.
Le dispositif des horaires individualisés, prévu aux articles L. 3122-23 à L. 3122-26 est en principe subordonné à une demande expresse du personnel : il permet, à la demande du salarié, d’organiser le temps de travail à l’intérieur de plages fixes, correspondant à des périodes de présence obligatoire et de plages mobiles pendant lesquelles sa présence est facultative. Ce dispositif permet de reporter des heures d’une semaine à une autre sans paiement d’heures supplémentaires. La mise en place d’horaires individualisés requiert l’avis conforme du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et l’information de l’inspecteur du travail, ce dernier devant en autoriser le recours dans le cas où l’entreprise est dépourvue de représentants du personnel. Ce dispositif peut aussi bénéficier, à leur demande, aux travailleurs handicapés et aux aidants familiaux ou aux proches d’une personne handicapée.
L’article L. 3122-27 pose les conditions de possibilité de récupération des heures perdues, qui sont limitées à trois cas d’interruption collective du travail : soit une cause accidentelle, une intempérie ou un cas de force majeure ; soit un inventaire ; soit le chômage d’un ou de deux jours ouvrables compris entre un jour férié et un jour de repos hebdomadaire ou un jour précédant les congés annuels.
Le projet réorganise ces deux dispositifs, qui ne relèvent aucunement dans le droit existant de la négociation collective, autour du triptyque : ordre public ; négociation collective ; dispositions supplétives. Autrement dit, il sera désormais possible d’aménager les règles relatives aux horaires individualisés et de recourir au mécanisme de récupération des heures perdues par voie d’accord collectif.
S’agissant des mesures d’ordre public, le texte propose, aux articles L. 3121-46 à L. 3121-48 dans leur nouvelle rédaction, en premier lieu de se passer de l’information de l’inspecteur du travail en présence d’institutions représentatives du personnel qui seraient néanmoins toujours appelées à donner leur aval à la mise en place d’horaires individualisés. Rappelons que cet outil n’est mis en place qu’à la demande d’un salarié. L’inspecteur du travail continuerait en revanche d’être consulté pour la mise en place de tels horaires dans les entreprises dépourvues de représentants du personnel.
Le présent article propose également de renvoyer à la négociation collective pour prévoir les limites et modalités de report d’heures d’une semaine à l’autre en cas de mise en place d’horaires individualisés, ainsi que pour fixer les modalités de récupération des heures perdues (article L. 3121-49 dans sa nouvelle rédaction). À défaut d’accord, ces limites et modalités sont déterminées par décret en Conseil d’État : elles ont vocation à demeurer inchangées.
Ÿ Les règles relatives aux conventions de forfait figurent aujourd’hui aux articles L. 3121-38 à L. 3121-48 du code du travail.
Il existe deux types de conventionnement : l’un, au forfait en heures sur la semaine ou le mois, qui peut concerner tout salarié et n’est pas soumis à des modalités relevant de la négociation collective ; l’autre, au forfait annuel en heures ou en jours, qui ne peut concerner que certaines catégories de salariés, et dont les modalités relèvent obligatoirement d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, d’un accord de branche. Dans tous les cas, une convention individuelle de forfait écrite doit être conclue avec l’accord du salarié.
Dans le cas du forfait annuel, l’accord collectif en question détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, la durée annuelle du travail sur laquelle le forfait est établi ainsi que les caractéristiques principales des conventions individuelles. En effet, comme on l’a dit, le forfait en heures ou en jours sur l’année ne peut être prévu que pour des catégories délimitées de salariés :
– s’agissant du forfait en heures sur l’année, ne peuvent être concernés que les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ou les salariés disposant d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps ;
– s’agissant du forfait en jours sur l’année, ne sont potentiellement concernés que les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif, ainsi que les salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.
Si la possibilité de mettre en place des forfaits annuels, en heures ou en jours, a été ouverte par la loi « Aubry II » – loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail –, c’est la loi du 20 août 2008 qui a permis à l’accord d’entreprise de primer sur l’accord de branche pour la mise en place de forfaits en heures ou en jours sur l’année.
Qu’il s’agisse du forfait hebdomadaire ou mensuel ou du forfait annuel, la rémunération du salarié au forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l’entreprise pour le nombre d’heures correspondant à son forfait, augmentée des majorations afférentes pour heures supplémentaires.
S’agissant du forfait annuel en jours, l’accord collectif qui en aménage les modalités ne peut aller au-delà de 218 jours travaillés sur l’année (article L. 3121-44), ce qui correspond au plafond légal existant depuis la création du dispositif du forfait jours en 2000. Aux termes de l’article L. 3121-45, le salarié peut, en accord avec son employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de salaire, sous réserve de ne pas aller au-delà d’un plafond de jours travaillés fixé par l’accord collectif. À défaut de fixation de ce plafond par accord, celui-ci est fixé à 235 jours. Le taux de la majoration applicable à ce travail supplémentaire, qui ne peut être inférieur à 10 %, fait l’objet d’un avenant à la convention de forfait. Dans tous les cas, le nombre de jours travaillés doit être compatible avec les dispositions relatives au repos quotidien et hebdomadaire, aux jours fériés chômés dans l’entreprise et aux congés payés.
Les salariés au forfait annuel en jours bénéficient d’un entretien annuel individuel avec l’employeur, destiné à évaluer la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération du salarié (article L. 3121-46).
L’article L. 3142-47 prévoit que, sur saisine du juge judiciaire, une indemnité peut être allouée à un salarié au forfait jours qui percevrait une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées.
Contrairement aux salariés au forfait hebdomadaire ou mensuel ou à ceux qui relèvent d’un forfait annuel en heures, qui se voient appliquer les mêmes règles de durée du travail que les autres salariés, l’article L. 3121-48 prévoit que les salariés au forfait jours ne sont soumis ni à la durée légale hebdomadaire du travail de trente-cinq heures, ni à la durée quotidienne maximale de travail de dix heures, ni aux durées maximales hebdomadaires de 48 heures et de 44 heures
– 46 heures par décret pris après conclusion d’un accord de branche – sur douze semaines, ni aux règles relatives aux heures supplémentaires. Ils bénéficient en revanche des repos quotidien et hebdomadaire.
Ÿ Le présent article propose de revoir la structure des dispositions relatives aux conventions de forfait, qui figureraient désormais aux articles L. 3121-51 à L. 3121-64, en les réorganisant autour de la nouvelle architecture globale : dispositions d’ordre public ; champ de la négociation collective ; et dispositions supplétives.
Néanmoins, le texte proposé reprend pour l’essentiel les dispositions existantes. Les seules modifications apportées sur le fond sont les suivantes :
– Pour le forfait en jours sur l’année, la possibilité pour le salarié de renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de salaire fait l’objet d’un avenant qui est valable seulement pour l’année en cours, et qui ne peut être reconduit de manière tacite.
– L’employeur est tenu, en cas de forfait jours, de s’assurer que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail. Cet ajout par rapport au droit existant a vocation à entériner les exigences de la jurisprudence : en effet, depuis un arrêt de principe du 29 juin 2011, la Cour de cassation juge de manière constante que les stipulations d’un accord collectif instaurant un forfait jours doivent assurer le respect du droit à la santé et à la sécurité du salarié et, pour ce faire, doivent garantir que sa charge de travail reste raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
En outre, lorsque l’employeur a fixé des échéances et une charge de travail compatibles avec le respect des repos quotidien et hebdomadaire et des congés du salarié, sa responsabilité ne peut être engagée au seul motif que le salarié n’a, de sa propre initiative, pas bénéficié de ces repos ou congés. Cette précision vise à éviter qu’un employeur ne soit abusivement mis en cause par un salarié qui lui reprocherait le non-respect de ses droits à repos et congés alors qu’il choisit lui-même de ne pas en bénéficier. On peut toutefois s’interroger sur les conséquences du tempérament apporté à ce sujet par le projet de loi, au regard en particulier de l’obligation générale incombant à l’employeur de veiller au respect de la charge de travail des salariés.
– La mise en place de forfaits annuels (en heures ou en jours) reste soumise à la conclusion d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, à un accord de branche, celui-ci devant déterminer la période de référence du forfait, qui peut être l’année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs. L’accord doit également spécifier le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait dans la limite de 218 jours pour le forfait jours, ce plafond demeurant inchangé par rapport au droit existant. La nouvelle rédaction proposée prévoit également que l’accord doit fixer les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période, ainsi que les caractéristiques principales des conventions individuelles, en particulier le nombre d’heures ou de jours compris dans chaque forfait individuel.
Dès lors qu’est prévue la conclusion de forfaits jours, l’accord doit également fixer les modalités d’évaluation et de suivi régulier de la charge de travail du salarié au forfait, ainsi que les modalités d’échange sur la charge de travail du salarié, l’articulation entre sa vie personnelle et son activité professionnelle, sa rémunération et l’organisation du travail dans l’entreprise (1) . L’accord détermine également les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion. Il peut également fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l’année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos.
– Enfin, s’agissant du forfait jours, dans l’hypothèse où un accord collectif ne prévoit pas de dispositions spécifiques concernant le suivi de la charge de travail du salarié et l’échange périodique entre l’employeur et le salarié, l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle du nombre de jours travaillés – celui-ci peut être établi par le salarié, sous le contrôle de l’employeur – ; il doit également s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire, et organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération. Cet entretien annuel est déjà prévu par la loi dans le droit actuel.
Lorsque le salarié renonce à des jours de repos et dans l’hypothèse où l’accord collectif ne prévoit rien en la matière, le nombre maximal de jours travaillés dans l’année est de 235 jours.
Le présent article propose de restructurer la section 3 du chapitre II consacrée au travail de nuit (articles L. 3122-29 à L. 3122-45 dans leur rédaction actuelle), qui devient le chapitre II du titre II, autour de trois sections, la première comportant les dispositions d’ordre public, la deuxième les dispositions relevant de la négociation collective et enfin, la troisième énumérant les dispositions supplétives.
Rappelons que cette section a été modifiée récemment, par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, pour intégrer la possibilité pour les commerces de détail situés en zone touristique internationale d’employer des salariés et donc d’ouvrir jusqu’à minuit.
Très peu de modifications de fond sont en réalité apportée au contenu de ces dispositions, qui font surtout l’objet d’une refonte formelle.
Ÿ Ainsi, sont d’ordre public les règles suivantes :
– le caractère exceptionnel du recours au travail de nuit (article L. 3122-1 dans sa nouvelle rédaction), qui prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale, ces principes fondamentaux demeurant inchangés par rapport au droit existant ;
– la définition du travail de nuit comme période d’au moins neuf heures consécutives comprises entre minuit et cinq heures, cette période commençant au plus tôt à 21 heures et s’achevant au plus tard à 7 heures. Pour les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, de radio, de télévision, de production et d’exploitation cinématographiques, de spectacles vivants et de discothèque, la période de nuit est d’au moins sept heures consécutives, comprenant l’intervalle entre minuit et 5 heures. Si ces règles font l’objet d’une réécriture, aucun changement n’est en réalité opéré sur le fond (articles L. 3122-2 et L. 3122-3 dans leur nouvelle rédaction). Les précisions selon lesquelles, en l’absence d’accord, le travail de nuit correspond à la période 21 heures – 6 heures (24 heures – 7 heures pour les activités spécifiques précitées), qui figurent aujourd’hui respectivement aux articles L. 3122-29 et L. 3122-30, sont renvoyées au niveau des dispositions supplétives, à l’article L. 3122-20 dans sa nouvelle rédaction.
Le travail de nuit dans les commerces de détail est en revanche modifié : alors que le texte actuel de l’article L. 3122-29-1 prévoit que le début de la période de nuit peut être reporté jusqu’à minuit et que s’il est fixé au-delà de 22 heures, la période de nuit se termine à 7 heures, le projet de loi propose, à l’article L. 3122-4 dans sa nouvelle rédaction, de définir la période de nuit comme la période d’au moins 7 heures consécutives comprenant l’intervalle entre minuit et 7 heures, dans le cas où le début de la période de nuit est fixé après 22 heures.
– la définition du travailleur de nuit, qui reste inchangée et qui correspond soit au fait de travailler au moins deux fois par semaine, selon un horaire de travail habituel, trois heures de travail pendant la période de nuit ; soit d’accomplir, au cours d’une période de référence, un nombre minimal d’heures de travail de nuit. Ce plancher est aujourd’hui fixé soit par un accord collectif étendu, soit par décret en Conseil d’État pris après consultation des organisations représentatives des employeurs et des salariés au niveau national. Il est de 270 heures sur 12 mois consécutifs, aux termes de l’actuel article R. 3122-8. Le projet d’article reprend ces deux modalités de fixation du plancher : l’article L. 3122-16 prévoit qu’il peut être fixé par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par un accord de branche étendu, tandis que l’article L. 3122-23 définit le plancher applicable de manière supplétive, en l’absence d’accord collectif, celui-ci ayant désormais valeur légale, à hauteur – inchangée – de 270 heures sur douze mois consécutifs.
– la durée quotidienne maximale de travail d’un travailleur de nuit, qui ne peut excéder huit heures (article L. 3122-6 dans sa nouvelle rédaction), sauf en présence d’un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, un accord de branche étendu (article L. 3122-17 dans sa nouvelle rédaction), en présence d’équipes de suppléance, ou en cas de circonstances exceptionnelles sur autorisation de l’inspecteur du travail, après consultation des délégués syndicaux et après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s’ils existent, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État. Ces dispositions ne subissent pas de modification de fond, hormis le procédé qui consiste à désormais donner la priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour fixer la durée quotidienne maximale de travail de nuit ;
– la durée hebdomadaire maximale de travail d’un travailleur de nuit, de quarante heures sur douze semaines, comme dans le droit actuel. Ce plafond peut être porté à 44 heures sur 12 semaines consécutives – comme c’est déjà le cas aujourd’hui – lorsque les caractéristiques propres à l’activité d’un secteur le justifient, par accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par accord de branche. D’une part, il n’est plus requis de ce dernier qu’il soit étendu et, d’autre part, c’est désormais l’accord d’entreprise ou d’établissement qui prime sur les dispositions prévues par accord de branche.
– le régime des contreparties accordées aux salariés travaillant la nuit
– sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale –, la consultation du médecin du travail en amont de la mise en place ou de la modification de l’organisation du travail de nuit, ainsi que le principe d’une surveillance médicale particulière des travailleurs de nuit, demeurent inchangés. La seule modification concerne précisément cette surveillance médicale, dont il est aujourd’hui prévu qu’elle s’exerce au moins tous les six mois : à l’avenir, ces conditions sont renvoyées à un décret en Conseil d’État, ce qui ne permet plus de garantir que la périodicité de cette surveillance médicale soit au maximum de six mois. En effet, l’article 44 du projet de loi prévoit notamment de modifier la teneur et la périodicité du suivi médical spécifique des travailleurs de nuit : il est apparu qu’un suivi semestriel n’était pas forcément garant d’une meilleure protection de cette catégorie de salariés ; en revanche, ce suivi médical doit pouvoir être plus approfondi. Si le texte revient donc ici sur cette périodicité, c’est dans le cadre d’une réforme plus vaste du contrôle exercé par la médecine du travail, qui est opérée à l’article 44 du projet de loi.
– L’ensemble des dispositions qui encadrent la possibilité pour le salarié de refuser le passage au travail de nuit ou celle de demander l’affectation à un poste de jour en cas d’obligations familiales impérieuses, le mécanisme de priorité à occuper un poste de jour ou inversement, et enfin, l’affectation sur un poste de jour pour des raisons de santé constatées par un médecin du travail, demeurent inchangées sur le fond. Elles sont désormais prévues aux articles L. 3122-12 à L. 3122-14.
S’agissant du champ laissé à la négociation collective, l’article L. 3122-15 dans sa nouvelle rédaction récapitule les modalités de la négociation collective pour la mise en place du travail de nuit ou pour son extension à de nouvelles catégories de salariés. Ainsi, un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, un accord de branche peut mettre en place le travail de nuit ou l’étendre à de nouvelles catégories de salariés, sous réserve de comporter les justifications du recours au travail de nuit, la définition de la période de travail de nuit, une contrepartie sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale, les mesures destinées à améliorer les conditions de travail des salariés, celles destinées à faciliter l’articulation entre l’activité professionnelle nocturne et la vie personnelle, celles destinées à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et enfin, l’organisation des temps de pause.
La seule modification notable qui est opérée par le présent article réside dans la primauté accordée à l’accord d’entreprise ou d’établissement sur l’accord de branche ; notons enfin que ce dernier ne nécessite plus de procédure d’extension. Ainsi, un accord d’entreprise pourra fixer désormais le niveau de la contrepartie obligatoire sous forme de repos, et le cas échéant, sous forme de compensation salariale, les dispositions qu’il prévoit s’imposant face aux contreparties éventuelles figurant dans un accord de branche, même si ces dernières sont plus favorables.
L’article L. 3122-19 dans sa nouvelle rédaction reprend sans changement sur le fond les dispositions relatives aux accords collectifs requis pour instaurer le travail de nuit dans les commerces de détail situés dans les zones touristiques internationales (article L. 3132-24).
Ÿ Enfin, au rang des dispositions supplétives, outre la définition de la période nocturne applicable en l’absence d’accord (entre 21 heures et 6 heures du matin ; entre minuit et 7 heures pour les activités culturelles, audiovisuelles, de presse et les discothèques) et les dispositions supplétives déjà évoquées, on retrouve :
– la possibilité, inchangée, d’affecter des travailleurs à des postes de nuit sur autorisation de l’inspecteur du travail, en l’absence d’accord et à condition que l’employeur ait engagé sérieusement et loyalement des négociations sur ce thème;
– ainsi que la possibilité de fixer par décret la liste des secteurs pour lesquels la durée maximale hebdomadaire de travail est fixée entre 40 et 44 heures.
Ces deux modalités sont prévues aux articles L. 3122-21 et L. 3122-24 dans leur nouvelle rédaction (articles L. 3122-36 et L. 3122-35 actuels).
Le présent article revoit également la structuration de la section 1 (travail à temps partiel) du chapitre III du titre II relatif à la durée du travail, et à la répartition et l’aménagement des horaires : la hiérarchie de cette section est revue comme toutes les autres dispositions relatives à la durée du travail pour intégrer la nouvelle articulation des normes autour, en premier lieu, des mesures d’ordre public, en deuxième lieu, des règles relevant de la négociation collective, et en dernier lieu, des dispositions supplétives.
Ÿ Figurent désormais au rang des règles d’ordre public, prévues à la sous-section 1, les dispositions suivantes :
– la définition du temps partiel, prévue à l’article L. 3123-1, qui ne fait l’objet d’aucune modification. Rappelons qu’est considéré comme étant à temps partiel le salarié dont la durée du travail est inférieure à celle d’un salarié à temps plein, celui-ci correspondant à la durée légale du travail ou, si elle est lui est inférieure, à la durée du travail fixée pour la branche, l’entreprise ou l’établissement ;
– les modalités de passage à temps partiel ou à temps complet, qui demeurent également inchangées sur le fond, et qui font désormais l’objet des articles L. 3123-2 et L. 3123-3. Seules sont reformulées les dispositions relatives à la possibilité pour l’employeur de proposer un emploi présentant des « caractéristiques différentes » à un salarié à temps partiel souhaitant reprendre un emploi à temps complet ou inversement, à un salarié à temps complet souhaitant occuper un poste à temps partiel : cette possibilité doit avoir été prévue par une convention ou un accord de branche étendu, ce qui est déjà le cas aujourd’hui. Le texte proposé se contente en fait de parler de caractéristiques différentes là où le droit actuel évoque un emploi ne ressortissant pas à la catégorie professionnelle du salarié ou un emploi non équivalent ;
– le principe du refus du salarié de passer à temps partiel, qui ne peut être considéré ni comme une faute, ni comme un motif de licenciement (article L. 3123-4 sans changement);
– les mesures destinées à garantir l’égalité de traitement entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps complet (article L. 3123-5 qui se substitue sans aucune modification de fond aux actuels articles L. 3123-9 à L. 3123-13) ;
– les dispositions relatives au contrat de travail et les mentions obligatoires que ce dernier doit comporter (actuel article L. 3123-14 qui devient l’article L. 3123-6 sans modifications autres que de coordination) ;
– le principe d’une durée minimale hebdomadaire de travail, dont seule la formulation est nouvelle (cette durée minimale existe déjà aujourd’hui à l’article L. 3123-14-1), qui figure à l’article L. 3123-7 dans sa nouvelle rédaction, et qui continue de ne pas s’appliquer aux contrats dont la durée est inférieure ou égale à sept jours, aux CDD de remplacement de même qu’aux contrats de travail temporaire de remplacement ;
– les dérogations, déjà existantes, à la durée minimale hebdomadaire de travail, à la demande du salarié soumis à des contraintes personnelles ou qui cumule plusieurs activités, ainsi qu’au salarié de moins de 26 ans poursuivant ses études (article L 3123-7 qui se substitue aux actuels articles L. 3123-14-2 et L. 3123-14-5) ;
– les règles encadrant les heures complémentaires aux articles L. 3123-8 à L. 3123-10 dans leur nouvelle rédaction (principe de la majoration des heures complémentaires, interdiction de porter l’horaire de travail au niveau du temps complet par le biais de ces heures, interdiction de licencier un salarié refusant d’accomplir les heures complémentaires ou refusant d’accomplir des heures dont il a été informé moins de trois jours avant). Aucune modification de fond n’affecte ces dispositions ;
– les règles qui encadrent la répartition de la durée du travail (principe d’un délai de prévenance pour modifier la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ; conditions du refus du salarié de modifier la répartition de sa durée du travail ; modification de l’horaire prévu au contrat en cas de dépassement de l’horaire moyen accompli par le salarié pendant une période donnée). Ces dispositions, prévues aux articles L.3123-11 à L. 3123-13 ne sont modifiées que sur un seul point : celui du délai de prévenance pour la modification de la répartition de la durée du travail, pour lequel le délai de sept jours est renvoyé au niveau des dispositions supplétives ;
– les dispositions relatives à l’utilisation du crédit d’heures d’un salarié à temps partiel titulaire d’un mandat de représentant du personnel, reprises sans modification (article L. 3123-14 dans sa nouvelle rédaction) ;
– et enfin, les mécanismes d’information des représentants du personnel sur le recours au temps partiel dans l’entreprise. Le texte intègre d’ailleurs le principe du bilan annuel du travail à temps partiel présenté au comité d’entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel, s’ils existent, à la consultation sur la politique sociale de l’entreprise.
Ÿ La sous-section 2 est consacrée à l’ensemble des règles pour lesquelles il est renvoyé à la négociation collective.
Le texte propose de faire primer désormais l’accord d’entreprise ou d’établissement sur un accord de branche étendu pour :
– mettre en œuvre des horaires de travail à temps partiel à l’initiative de l’employeur ;
– fixer les conditions de mise en place d’horaires à temps partiel à la demande des salariés (article L. 3123-17 dans sa nouvelle rédaction).
En revanche, les autres conditions d’encadrement du temps partiel qui relèvent exclusivement d’une convention ou d’un accord de branche étendu, sont maintenues dans ce cadre conventionnel strict : il s’agit en premier lieu des modalités selon lesquelles il est possible de proposer au salarié à temps partiel un emploi à temps complet ou équivalent à la durée conventionnelle applicable dans l’entreprise ne ressortissant pas à sa catégorie professionnelle ou un emploi à temps complet non équivalent, et inversement les modalités selon lesquelles l’employeur peut proposer au salarié à temps complet un emploi à temps partiel ne ressortissant pas à sa catégorie professionnelle ou un emploi à temps partiel non équivalent. Si la première option figure déjà aujourd’hui à l’article L. 3123-8, la seconde (proposer à un salarié à temps complet un emploi à temps partiel non équivalent) est nouvelle.
En second lieu, le texte reprend aussi, en se contentant de modifications formelles, les modalités selon lesquelles seul un accord de branche étendu peut fixer une durée minimale de travail inférieure à 24 heures hebdomadaires (garanties d’horaires réguliers, possibilité de cumul de plusieurs activités, et regroupement des horaires du salarié à temps partiel sur des journées ou demi-journées régulières ou complètes).
S’agissant des heures complémentaires, le projet d’article donne la primauté à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour porter jusqu’au tiers de la durée hebdomadaire ou mensuelle la limite dans laquelle peuvent être accomplies des heures complémentaires.
Seul un accord de branche étendu peut en revanche, comme aujourd’hui, fixer le taux de majoration de ces heures, qui est au minimum de 10 %.
De même, le monopole de la convention ou de l’accord de branche étendu est maintenu s’agissant des compléments d’heures : ainsi, le projet reprend sans modification le dispositif du complément d’heures par avenant au contrat de travail qui figure aujourd’hui à l’article L. 3123-25 et devient l’article L. 3123-22.
Les conditions de répartition de la durée du travail, qui figurent aujourd’hui aux articles L. 3123-16 et L. 3123-22 sont en revanche modifiées : alors que les dispositions actuelles renvoient à une convention ou un accord de branche étendu ou à un accord d’entreprise ou d’établissement le soin d’organiser la répartition des horaires de travail des salariés à temps partiel dans la journée de travail, la primauté sera désormais accordée à l’accord d’entreprise ou d’établissement, même en cas de conditions moins favorables aux salariés.
Ainsi, si un accord collectif prévoit plus d’une interruption d’activité ou une interruption supérieure à deux heures, ledit accord doit définir les amplitudes horaires auxquelles sont soumis les salariés et prévoir des contreparties spécifiques en tenant compte des exigences propres à l’activité exercée.
S’agissant des règles relatives au délai dans lequel la modification de la répartition de la durée du travail est notifiée au salarié, le texte conserve le délai minimum de trois jours ouvrés, et l’existence de contreparties au salarié dès lors que ce délai est inférieur à sept jours ouvrés. La seule différence consiste également à privilégier désormais l’accord d’entreprise ou d’établissement, en ne faisant intervenir l’accord de branche qu’en second lieu, à défaut d’accord d’entreprise ou d’établissement et en faisant primer les dispositions d’un accord d’entreprise sur celles d’un accord de branche, même si ces dernières sont plus favorables.
Ces dispositions figurent désormais aux articles L. 3123-23 et L. 3123-24 dans leur nouvelle rédaction.
Ÿ La sous-section 3 comporte l’ensemble des dispositions supplétives, applicables en l’absence d’accord collectif. Ces règles sont les suivantes :
– Tout d’abord, s’agissant de la mise en place d’horaires à temps partiel, l’article L. 3123-26 dans sa nouvelle rédaction reprend sans modification de fond la possibilité, en l’absence d’accord collectif, de mettre en place des horaires à temps partiel à l’initiative de l’employeur après consultation des institutions représentatives du personnel. En l’absence de telles instances, des horaires à temps partiel peuvent être instaurés à l’initiative de l’employeur ou à la demande des salariés, après information de l’inspecteur du travail, comme c’est déjà le cas aujourd’hui. Enfin, toujours à défaut d’accord, un salarié peut demander à bénéficier d’horaires à temps partiel dans des conditions fixées par voie réglementaire ; le refus de l’employeur de faire droit à cette demande est strictement encadré, mais les conditions demeurent inchangées.
– En matière de durée minimale du travail et d’heures complémentaires, le présent article reprend, par défaut, la durée minimale de travail de 24 heures par semaine (ou l’équivalent mensuel de cette durée ou l’équivalent sur la période de référence éventuellement retenue par un accord d’aménagement du temps de travail) ; il laisse également inchangées les règles encadrant le recours aux heures complémentaires, qui ne doivent pas dépasser un dixième de la durée prévue au contrat ou sur la période de référence déjà citée, pas plus qu’elles ne peuvent porter la durée accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale ou conventionnelle du travail. Enfin, sont également repris les deux taux de majoration des heures complémentaires applicables à défaut d’accord collectif – de 10 % pour les heures complémentaires dans la limite du dixième des heures prévues au contrat, et de 25 % entre le dixième et le tiers des heures prévues au contrat.
– Enfin, les règles supplétives applicables en l’absence d’accord en matière de répartition de la durée du travail sont reprises sans changement : d’une part, l’interdiction d’imposer plus d’une interruption de travail ou une interruption de plus de deux heures à un salarié à temps partiel ; et d’autre part, le délai de prévenance d’au moins sept jours ouvrés pour notifier au salarié toute modification de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.
Les dispositions relatives au travail intermittent sont réorganisées autour de deux sous-sections, l’une comportant les dispositions d’ordre public, l’autre les règles relevant du champ de la négociation collective. On notera donc l’absence de dispositions supplétives dans ce domaine, pour des raisons évidentes : le recours au travail intermittent ne peut être aménagé que par voie d’accord ; autrement dit, en l’absence d’accord, aucune disposition supplétive ne s’applique. De ce point de vue, le projet d’article se contente de modifier l’ordre de priorité donné aux accords collectifs, en privilégiant l’accord d’entreprise ou d’établissement par rapport à l’accord de branche étendu. Les dispositions prévues par accord d’entreprise auront donc désormais vocation à primer sur les conditions prévues dans un accord de branche, même si ces dernières sont plus favorables.
Les caractéristiques principales du contrat de travail intermittent sont en revanche reprises sans modification : c’est le cas pour les mentions devant obligatoirement figurer dans le contrat de travail, le plafond d’heures fixé à ce type de contrat (un tiers de la durée annuelle minimale prévue au contrat, sauf accord du salarié), l’alignement des droits du salarié en contrat de travail intermittent sur ceux du salarié à plein temps, ainsi que la possibilité de recourir à travail intermittent en l’absence d’accord dans les seules entreprises adaptées.
Le champ de la négociation collective se voit enrichi par le projet d’article qui précise que l’accord collectif qui autorise le recours au travail intermittent :
– définit les emplois permanents pouvant être pourvus par des salariés en contrat de travail intermittent ;
– détermine le cas échéant les droits conventionnels spécifiques de ces salariés ;
– peut prévoir que la rémunération de ces salariés est indépendante de l’horaire réel, auquel cas il en définit les modalités de calcul. Ce dispositif est déjà prévu dans le droit existant ;
– et enfin, détermine les adaptations nécessaires et les conditions du refus du salarié des dates et horaires de travail proposés, dans les secteurs particuliers dans lesquels la nature de l’activité ne permet pas de prédéterminer précisément les périodes de travail et la répartition des heures de travail au sein de ces périodes.
Le titre III consacré aux repos et aux jours fériés subit les mêmes modifications que le titre II relatif à la durée du travail et à la répartition et l’aménagement des horaires, avec l’introduction de la nouvelle architecture en triptyque : ordre public, champ de la négociation collective, dispositions supplétives. Toutefois, seuls les chapitres Ier – relatif au repos quotidien – et III
– relatif aux jours fériés – sont concernés par ces changements, le chapitre II qui porte sur le repos hebdomadaire ne fait l’objet d’aucune modification. Les modifications afférentes figurent au IV du présent article.
Sur le fond, les dispositions relatives au repos quotidien figurant aux articles L. 3131-1 et L. 3131-2 ne sont pas modifiées : seules le sont leur architecture et la place de l’accord collectif d’entreprise. Ainsi, le principe d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives reste affirmé, avec trois dérogations possibles :
– la première, par une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par un accord de branche – et non plus seulement par un accord de branche étendu –, qui concerne les activités caractérisées par la nécessité d’assurer une continuité du service ou par des périodes d’intervention fractionnées. C’est l’objet de l’article L. 3131-2 qui constitue la sous-section relative au champ de la négociation collective. Désormais, un accord d’entreprise pourra donc déroger à la durée minimale de repos de onze heures en fixant des conditions moins favorables à celles qui figureraient dans un accord de branche ;
– la deuxième, en l’absence d’accord, en cas de surcroît exceptionnel d’activité, dans des conditions définies par décret. Ce cas correspond aux dispositions supplétives ;
– et enfin, en cas d’urgence dans des conditions déterminées par décret, celles-ci devant a priori recouvrir les dispositions actuelles qui renvoient à des travaux urgents en raison d’un accident ou d’une menace d’accident.
Seules sont concernées par des modifications les sections consacrées aux jours fériés légaux (section 1) et à la journée de solidarité (section 3). La section 2, qui recouvre le 1er mai, reste inchangée.
Le projet d’article reprend les dispositions existantes figurant aux articles L. 3133-1 à L. 3133-3 relatives aux onze jours fériés légaux. Il complète ces dispositions par deux nouveaux articles L. 3133-3-1 et L. 3133-3-2, qui correspondent respectivement au champ de la négociation collective et aux dispositions supplétives : ainsi, un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, un accord de branche définit les jours fériés chômés ; à défaut d’accord, l’employeur fixe les jours fériés chômés.
Que change cette nouvelle architecture par rapport au droit actuel ?
Les jours fériés légaux ne sont, dans le droit actuel, pas obligatoirement chômés : ils ne le sont en effet légalement que pour les moins de 18 ans (article L. 3164-6) et en Alsace-Moselle (article L. 3134-13). Néanmoins, des conventions collectives, de même que des accords collectifs prévoient d’ores et déjà que les jours fériés, ou un certain nombre d’entre eux, sont chômés. Ainsi, en 2015, sept accords de branche ont été conclus, qui prévoient des dispositions plus favorables que celles du code du travail en la matière.
En l’absence d’accord, l’employeur peut fixer de manière unilatérale si et combien de jours fériés sont chômés. L’employeur peut aujourd’hui déjà prendre un engagement unilatéral pour rémunérer tout ou partie des jours fériés. Bien que le code du travail ne prévoie pas de manière expresse que les jours fériés puissent être fixés par usage, il n’est pas rare qu’un tel usage règle cette question.
La principale différence par rapport au droit actuel repose sur la primauté donnée à l’accord d’entreprise : si les conventions collectives qui s’appliquent aujourd’hui demeureront applicables, il n’en demeure pas moins qu’un accord d’entreprise ou d’établissement pourra dorénavant primer sur ces règles prévues par convention collective, soit en prévoyant d’autres jours fériés chômés, soit en en prévoyant moins. La convention collective n’aura plus alors vocation qu’à s’appliquer dans les entreprises où il n’y a pas d’accord conclu à ce niveau.
Les dispositions relatives à la journée de solidarité ne sont modifiées que très formellement. Ainsi, les actuels articles L. 3133-7 et L. 3133-10 à L. 3133-12 sont regroupés au sein des règles d’ordre public : il s’agit de la définition de la journée de solidarité, du principe de l’absence de rémunération pour les sept heures de travail accomplies au titre de cette journée, des modalités applicables aux salariés à temps partiel, ainsi que des règles relatives à une seconde journée de solidarité qui serait demandée aux salariés en cas de changement d’employeur.
L’actuel article L. 3133-8 est scindé en trois parties :
– les cinq premiers alinéas de cet article deviennent l’article L. 3133-11 : il comporte, à droit constant, les règles de conclusion d’un accord collectif fixant les modalités d’accomplissement de la journée de solidarité. Autrement dit, le texte ne revient pas sur la possibilité, ouverte par la loi du 20 août 2008, de fixer les modalités d’accomplissement de la journée de solidarité par le biais d’un accord d’entreprise ou d’établissement et seulement par défaut par un accord de branche ;
– le sixième alinéa de cet article devient l’article L. 3133-12, qui constitue la sous-section relative aux dispositions supplétives : il prévoit qu’en l’absence d’accord, les modalités d’accomplissement de cette journée sont définies par l’employeur, après consultation des instances représentatives du personnel ;
– enfin, le dernier alinéa de cet article, relatif aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, est basculé dans un chapitre IV déjà existant et entièrement dédié au régime particulier de l’Alsace-Moselle, avec un nouvel article L. 3134-16, qui prévoit que dans ces départements, ni le 25, ni le 26 décembre, ni le Vendredi Saint ne peuvent être désignés comme la date de la journée de solidarité.
Le présent article revoit l’architecture du chapitre Ier du titre IV, consacré aux congés payés, en procédant à la même structuration que pour les dispositions relatives à la durée du travail et au repos, en trois niveaux : les mesures d’ordre public, les règles relevant de la négociation collective et enfin, les dispositions supplétives.
Ÿ La section 1 qui définit le droit au congé ne subit pas de modification de fond : elle comporte les articles L. 3141-1 et L. 3141-2, dont la numérotation reste par ailleurs inchangée.
Ÿ On constate un quasi maintien en l’état des dispositions relatives à la durée du congé : elles figurent à la section 2 et couvrent les articles L. 3141-3 à L. 3141-9, et sont désormais intégrées au sein d’une sous-section 1 qui comporte les mesures d’ordre public. Notons qu’un seul article disparaît de cette sous-section : il s’agit de l’actuel article L. 3141-8, dont le contenu est renvoyé dans la sous-section 2 relative au champ de la négociation collective, puisqu’il prévoit la possibilité, par accord collectif, de majorer la durée du congé en raison de l’âge ou de l’ancienneté.
La sous-section 2 déjà évoquée retrace donc l’article L. 3141-10 dans sa nouvelle rédaction, qui prévoit qu’un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, un accord de branche peut fixer le début de la période de référence pour l’acquisition des congés, ainsi que – comme on vient de l’évoquer – majorer la durée du congé en fonction de l’âge ou de l’ancienneté. Jusqu’à présent, la loi prévoyait que le début de la période de référence pour l’acquisition des congés pouvait être fixée par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut par un accord collectif de branche portant aménagement du temps de travail. La majoration de la durée du congé en fonction de l’ancienneté était déterminée par convention ou accord collectif de travail, sans plus de précision: autrement dit, sur ce dernier aspect, un accord d’entreprise ne pouvait pas prévaloir sur les dispositions d’un accord de branche, ce qui ne sera plus le cas à l’avenir puisque l’accord d’entreprise primera sur l’accord de branche
Enfin, la sous-section 3 comporte le seul article L. 3141-11 qui prévoit qu’à défaut d’accord, le début de la période de référence pour l’acquisition des congés est fixé par décret en Conseil d’État : il s’agit du droit existant. Ce point de départ, prévu par l’article R. 3141-3 correspond au 1er juin de chaque année.
Ÿ La section 3 concerne la prise des congés.
La sous-section 1 traite de la période de congés et de l’ordre des départs.
Sont d’ordre public :
– le principe de la prise de congés dès l’ouverture des droits, sans préjudice des règles de détermination de la période de prise des congés et de l’ordre des départs, ainsi que des règles de fractionnement du congé ;
– la période de prise des congés, qui comprend nécessairement la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année ;
– le principe du droit à congé simultané pour les conjoints et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité.
Ces principes sont réunis au sein des articles L. 3141-12 à L. 3141-14 et ne font l’objet d’aucune modification de fond.
Relèvent de la négociation collective, c’est-à-dire, en premier lieu, de l’accord d’entreprise ou d’établissement et, à défaut d’un accord de branche :
– la période de prise de congé ;
– l’ordre des départs pendant cette période ;
– et les délais à respecter par l’employeur pour modifier l’ordre et les dates des départs.
La priorité est donc donnée à l’accord d’entreprise ou d’établissement, dont les dispositions pourront s’imposer face à celles prévues par un accord de branche.
Rappelons qu’aujourd’hui, ces règles sont fixées par les conventions collectives ; à défaut, c’est l’employeur qui les définit. Désormais, si une entreprise ou un établissement signe un accord sur ce sujet, ce dernier primera sur celui de la branche ; autrement dit, la convention collective ne trouvera plus à s’appliquer que dans les entreprises où il n’y aura pas d’accord conclu à ce niveau.
Enfin, à défaut d’accord, les dispositions supplétives suivantes s’appliquent :
– L’employeur fixe, après avis des instances représentatives du personnel, la période de prise de congés et l’ordre des départs (en tenant compte de la situation de famille des bénéficiaires, de la durée des services chez l’employeur et de l’éventuelle activité chez un ou plusieurs autres employeurs). Ces dispositions supplétives et les critères sur lesquels elles reposent demeurent inchangés ;
– Sauf circonstances exceptionnelles, l’employeur ne peut modifier l’ordre et les dates de départ moins d’un mois avant le départ prévu. Ce délai existe déjà dans le droit actuel.
S’agissant de la sous-section 2 relative aux règles de fractionnement et de report, sont maintenus – et figurent désormais au sein du paragraphe 1, parmi les mesures d’ordre public – les articles L. 3141-17, L. 3141-18 et L. 3141-20, qui deviennent les articles L. 3141-17 à L. 3141-19 : la seule modification apportée consiste à supprimer l’avis conforme des délégués du personnel ou, à défaut, l’accord des salariés pour fractionner les congés en cas de fermeture de l’établissement.
Le paragraphe 2, qui définit le champ de la négociation collective prévoit qu’un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, un accord de branche :
– fixe, en cas de fractionnement, la période pendant laquelle la fraction d’au moins douze jours ouvrables est attribuée ainsi que les règles de fractionnement du congé au-delà du douzième jour ;
– peut prévoir, en cas de décompte de la durée du travail sur l’année, une possibilité de report des congés ouverts au titre de l’année de référence, sans modifier les conditions dans lesquelles ce report peut être organisé.
Pour l’heure, les règles de fractionnement des congés sont d’ordre légal, et ne peuvent pas être adaptées par voie de convention ou d’accord collectif. Les règles de report sont indifféremment fixées par un accord collectif étendu ou par un accord d’entreprise ou d’établissement : ce sera désormais ce dernier qui s’imposera en cas de coexistence d’accords de niveaux différents portant sur cette question.
Enfin, l’article L. 3141-23 dans sa nouvelle rédaction comporte les dispositions supplétives suivantes, qui reprennent sans modification de fond les mesures déjà existantes :
– En cas de fractionnement, et en l’absence d’accord, la fraction d’au moins douze jours ouvrables continus est attribuée pendant la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année.
– Les règles de fractionnement des congés au-delà du douzième jour sont reprises telles quelles : possibilité d’accorder les jours restants en une ou plusieurs fois en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre ; attribution de deux jours ouvrables de congé supplémentaire lorsqu’au moins six jours ont été attribués hors de cette période, et d’un seul si entre trois et cinq jours l’ont été. Les jours de congé principal dus en plus de vingt-quatre jours ouvrables ne sont pas pris en compte pour l’ouverture du droit à ce supplément.
Il reste possible de déroger à ces conditions après accord individuel du salarié.
Ÿ Les indemnités de congés et les caisses de congés payés
Les sections 4 et 5 relatives respectivement aux indemnités de congés et aux caisses de congés payés sont reprises sans autre modifications que rédactionnelles.
Dispositions concernées |
Droit existant |
Droit proposé |
Travail effectif, astreintes et équivalences | ||
Temps de travail effectif : temps de pause et de restauration, temps d’habillage et de déshabillage, temps de trajet inhabituel |
– Rémunération spécifique possible des temps de pause et de restauration par accord collectif ou dans le contrat de travail – Contreparties obligatoires aux opérations d’habillage ou de déshabillage par accord collectif ou par le contrat de travail (sauf si considérées comme du temps de travail effectif) ; – Obligation de prévoir les contreparties au temps de trajet inhabituel par accord collectif ou, à défaut, par DUE. |
– Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour fixer ces contreparties – À défaut d’accord, pas de changement. |
Astreintes |
Accord collectif |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Équivalences |
Convention ou accord de branche + décret et, à défaut, d’accord de branche, décret en Conseil d’État |
Accord de branche étendu simple et, à défaut, décret en Conseil d’État |
Durées maximales du travail | ||
Temps de pause |
Possibilité de fixer une durée supérieure par voie d’accord |
Primauté à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Durée quotidienne maximale |
Dérogation par voie de décret |
Dérogation par accord d’entreprise qui prime sur l’accord de branche et seulement à défaut d’accord, dérogation par décret. |
Durée hebdomadaire maximale |
Dérogations par décret en cas de circonstances exceptionnelles ou à titre exceptionnelle ou, par accord de branche validé par un décret |
Maintien de dérogations par décret / Dérogation par accord d’entreprise primant sur l’accord de branche (non validé par un décret). |
Durée légale et heures supplémentaires | ||
Contingent d’heures supplémentaires |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour fixer le contingent d’heures supplémentaires et les conditions de son dépassement (loi du 20 août 2008) |
Inchangé |
Repos compensateur de remplacement |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour prévoir un repos compensateur de remplacement et conditions de prise du repos (loi du 20 août 2008) Pour les entreprises dépourvues de délégué syndical, DUE soumise à l’approbation des représentants du personnel. |
Inchangé |
Taux de majoration des heures supplémentaires |
Possibilité de déroger par accord collectif de branche étendu ou par accord d’entreprise ou d’établissement, avec plancher de 10 % minimum. |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour fixer le taux de majoration des heures supplémentaires, avec plancher maintenu à 10 %. |
Définition de la semaine |
Aujourd’hui, semaine civile, sauf accord d’entreprise ou d’établissement |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour fixer sept jours consécutifs. |
Aménagement du temps de travail |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche (loi du 20 août 2008) |
Inchangé (sauf période de référence qui passe potentiellement à trois ans par accord de branche) |
Horaires individualisés et récupération des heures perdues |
– Horaires individualisés uniquement à la demande des salariés et après approbation des représentants du personnel et information de l’inspecteur du travail – Récupération des heures perdues par décret |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche (maintien de l’approbation des représentants du personnel, mais information de l’inspecteur du travail seulement en l’absence de représentants du personnel). |
Conventions de forfait | ||
Forfait en heures sur la semaine ou le mois |
Possibilité d’ordre public |
Inchangé |
Forfait annuel en heures ou en jours |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche (loi du 20 août 2008). |
Inchangé |
Travail de nuit |
||
Détermination de la « période » de travail de nuit |
Dérogation à la période légale par accord de branche étendu ou par accord d’entreprise ou d’établissement |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Mise en place du travail de nuit, justifications du recours au travail de nuit et fixation des contreparties |
Convention ou accord de branche étendu ou accord d’entreprise ou d’établissement |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Durée quotidienne maximale de travail de nuit |
Dérogation par accord de branche étendu ou accord d’entreprise ou d’établissement (conditions fixées par décret) |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche (conditions fixées par décret) |
Durée hebdomadaire maximale de travail de nuit |
Dérogation par accord de branche étendu ou accord d’entreprise ou d’établissement dans la limite de 44 heures sur 12 semaines consécutives |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, mais maintien du plafond de 44 heures sur 12 semaines |
Travail à temps partiel | ||
Mise en place du travail à temps partiel |
Accord collectif de branche étendu ou accord collectif d’entreprise ou d’établissement |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Proposition de l’employeur d’un poste à temps complet à un salarié à temps partiel et inversement |
Accord de branche étendu |
Inchangé : maintien du niveau de l’accord de branche étendu |
Fixation de la durée minimale de travail | ||
Heures complémentaires |
Accord de branche étendu ou accord d’entreprise ou d’établissement |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Taux de majoration des heures complémentaires |
Accord de branche étendu, avec plancher à 10 % |
Inchangé |
Complément d’heures par avenant |
Accord de branche étendu |
Inchangé |
Modalités de regroupement des horaires des salariés à temps partiel |
Accord de branche étendu ou accord d’entreprise |
Inchangé |
Répartition des horaires et modification de la répartition des horaires de travail |
Accord de branche étendu ou accord d’entreprise ou d’établissement |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Travail intermittent |
Accord de branche étendu ou accord d’entreprise ou d’établissement |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Repos et jours fériés | ||
Repos quotidien |
Dérogation par accord de branche étendu ou par accord d’entreprise ou d’établissement, dans des conditions fixées par décret |
Primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, dans des conditions fixées par décret. |
Jours fériés |
Silence de la loi |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Journée de solidarité |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche (loi du 20 août 2008). |
Inchangé : Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Congés payés |
||
Fixation du début de la période de référence pour l’acquisition des congés |
Accord collectif |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Majoration en raison de l’âge ou de l’ancienneté |
Accord collectif |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Fixation de la période de prise des congés |
Accord collectif |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Fixation de l’ordre des départs |
Accord collectif |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
Fractionnement et report des congés |
Ordre public pour le fractionnement / Accord d’entreprise ou d’établissement pour le report |
Primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche |
*
Lors de son examen du texte, votre commission a adopté une série d’amendements, qui visent :
– à rétablir l’information ou la consultation des institutions représentatives du personnel en cas de demande d’autorisation de dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail dans la limite de soixante heures, dans le cadre de l’accomplissement d’heures supplémentaires dans la limite et au-delà du contingent annuel ainsi que des modalités de son utilisation et de son éventuel dépassement (amendements AS921, AS920 et AS912 de votre rapporteur) ;
– à supprimer le principe du non engagement de la responsabilité de l’employeur concernant la charge de travail d’un salarié au forfait jours dès lors que les échéances et la charge de travail prévue sont compatibles avec le respect des repos quotidien et hebdomadaire et des congés du salarié (amendements identiques AS296 de M. Cavard, AS675 de Mme Linkenheld et AS762 de Mme Fraysse) ;
– à préciser que la rupture du contrat d’un travailleur de nuit déclaré inapte à son poste est soumise à l’impossibilité pour l’employeur de proposer tout autre poste correspondant à la qualification de ce salarié et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, la rédaction actuelle pouvant laisser entendre que l’employeur pourrait se contenter de ne proposer qu’un seul autre poste (amendement AS504 de M. Sebaoun) ;
– à supprimer la possibilité de déroger par voie d’accord collectif à la durée minimale de repos quotidien de onze heures (amendement AS739 de Mme Sas) ;
– à ouvrir au salarié la possibilité de prendre ses congés dès l’embauche et non plus dès l’ouverture de ses droits (amendement AS579 de Mme Clergeau) ainsi qu’à ouvrir le bénéfice de l’indemnité de congés payés aux salariés licenciées pour faute lourde qui en sont aujourd’hui privés (amendement AS580 Rect. de Mme Clergeau).
*
La Commission est saisie de deux amendements de suppression identiques AS411 de Mme Jacqueline Fraysse et AS756 de Mme Éva Sas.
Mme Jacqueline Fraysse. L’article 2 est révélateur de la philosophie du projet de loi. En réécrivant toute la partie du code du travail relative à la durée du travail, à l’aménagement des horaires, aux repos et aux congés payés, il met en place une architecture à trois niveaux qui étend la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche et sur la loi.
Pour les salariés, cette décentralisation de la négociation collective au niveau de l’entreprise, combinée à une remise en cause du principe de faveur, se traduira inévitablement par un recul des protections actuellement garanties par la loi.
Vous prétendez que cette réécriture est faite à droit constant ; nous pensons que ce n’est pas vrai. En effet, plusieurs dispositions dans cet article de quarante pages démontrent le contraire : je pense à la possibilité pour les accords d’entreprise de fixer le niveau de rémunération des heures supplémentaires, avec un taux plancher à 10 % et sans tenir compte de l’accord de branche – à l’alinéa 9 ; à la modulation du temps de travail, qui serait désormais possible sur trois ans et non plus sur une année seulement – à l’alinéa 132. De plus, la nouvelle mouture du projet de loi laisse inchangée la possibilité pour l’employeur de décider unilatéralement une modulation du temps de travail sur neuf semaines, au lieu de quatre actuellement dans les entreprises de moins de cinquante salariés – à l’alinéa 149 –, sachant que ces nouvelles possibilités de modulation vont se traduire par une intensification du travail pour les salariés et une perte de salaire immédiate, puisque les heures supplémentaires seront calculées et payées non pas chaque semaine mais à la fin du cycle.
Enfin, vous nous dites que cette nouvelle architecture va contribuer à simplifier le droit du travail. Là encore nous le contestons, puisque la nouvelle rédaction augmente de 27 % le volume de texte sur la partie relative au temps de travail.
Mme Éva Sas. L’article 2 va clairement dans le sens d’un allongement du temps de travail des salariés. Ainsi, une journée de travail pourra-t-elle atteindre douze heures, contre dix aujourd’hui, et la moyenne hebdomadaire sur douze semaines atteindre quarante-six heures contre quarante-quatre actuellement. La modulation du temps de travail sera, quant à elle, possible sur trois ans, contre un an aujourd’hui, façon pour les employeurs de ne pas régler les heures supplémentaires. De plus, pour les entreprises de moins de cinquante salariés, l’employeur pourra décider unilatéralement d’une modulation du temps de travail sur neuf semaines contre quatre dans le droit actuel.
Cet article va donc à contre-courant de ce qui est souhaitable et nécessaire pour la société, c’est-à-dire la reprise du mouvement historique de réduction du temps de travail, qui s’est interrompu en 2002 sans raison apparente, alors qu’elle est un instrument de lutte contre le chômage et permet la création d’emplois.
M. le rapporteur. Ces deux amendements ont pour objectif de revenir sur la nouvelle architecture préconisée par le rapport Combrexelle, qui organise le droit du travail en trois parties : les règles d’ordre public, le champ renvoyé à la négociation collective et les règles supplétives. Ils me paraissent procéder de l’idée que les accords d’entreprise devraient automatiquement induire une dégradation de la situation des salariés.
Je rappelle que le texte prévoit, d’une part, que les règles supplétives protègent le salarié en l’absence d’accord et, d’autre part, que les accords sont des accords majoritaires. A-t-on si peu confiance dans les partenaires sociaux qu’on imagine qu’ils pourraient signer des accords majoritaires contribuant à dégrader la situation des salariés ? Soyons plus mesurés : s’il peut y avoir dans un accord global des éléments défavorables aux salariés, c’est en général en contrepartie d’améliorations.
Au-delà des mesures d’ordre public, auxquelles on ne pourra déroger, le nouveau droit du travail offrira aux entreprises – grâce aux accords majoritaires – davantage de souplesse, pour leur permettre de s’adapter à un contexte économique et à un monde du travail en pleine évolution. Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable.
M. Jean-Patrick Gille. Renvoyant dos à dos ceux qui proposent que les accords d’entreprise puissent déroger aux dispositions légales en matière de temps de travail et ceux qui, à l’instar de la CGT, prônent un retour au principe de faveur et à la hiérarchie des normes, ce projet de loi propose une nouvelle architecture en trois strates : l’ordre public, la négociation collective et le supplétif, sachant que la question de la négociation collective est d’articulation complexe entre ce qui relève de la branche et ce qui relève de l’entreprise.
Il faut admettre que, pour ceux qui attendaient une simplification, cette nouvelle organisation requiert dans un premier temps une certaine gymnastique. Quoi qu’il en soit, une fois son principe acté, le législateur va devoir opérer des choix au cas par cas et déterminer si la réforme s’opère à droit constant ou non.
Il me semble que nous devons être prudents sur les décisions que nous allons prendre. Nous ne pouvons revenir au principe de faveur, car l’organisation du temps de travail doit pouvoir se mettre en place au niveau de l’entreprise. Soyons très vigilants néanmoins sur la question des dérogations : elles sont au cœur de la problématique de ce projet de loi qui entend substituer à un système de normes strictement descendant, un système descendant qui comporte également des portions ascendantes.
Mme Monique Iborra. La plupart des organisations syndicales sont d’accord pour admettre que le code du travail aujourd’hui ne protège plus les salariés. Devons-nous continuer à prétendre le contraire ?
Par ailleurs, depuis 2013, ce sont 44 000 accords d’entreprise qui ont été signés, et pas par une organisation syndicale unique mais, pour la plupart d’entre eux, par l’ensemble des organisations.
Il est donc faux de parler d’inversion de la hiérarchie des normes, alors qu’il ne s’agit que d’acter, dans la loi, un élargissement du champ des accords d’entreprise, sachant que la validité de ces accords sera désormais subordonnée à leur approbation par des syndicats majoritaires à 50 %, contre 30 % aujourd’hui, ce qui fait d’ailleurs dire à certains qu’il sera extrêmement difficile de parvenir à ces accords. Nous pensons nous, que ce taux protège les salariés tout en permettant la négociation.
Enfin, la plupart des salariés ne sont pas favorables à la centralisation des négociations autour des accords de branche, car ils veulent légitimement pouvoir être impliqués dans l’organisation de leurs conditions de travail, d’où également l’idée du référendum d’entreprise. Quant aux accords nationaux, on ne peut considérer qu’ils sont le seul niveau de négociation valable lorsque l’on constate à quel point, sur le terrain, ils sont mal appliqués, très peu appliqués, voire pas appliqués du tout.
C’est au regard de cette réalité que ce projet de loi entend privilégier la négociation tout en protégeant les salariés.
Mme Éva Sas. Le rapporteur s’interrogeait – de manière purement rhétorique, il me semble – sur le fait de savoir pourquoi des organisations syndicales accepteraient des conditions de travail globalement moins favorables aux salariés de leur entreprise : il ne lui aura pas échappé que c’est tout simplement pour s’aligner sur les entreprises concurrentes. C’est la raison pour laquelle c’est au niveau de la branche qu’il faut favoriser les négociations.
Mme Isabelle Le Callennec. Ce projet de loi réorganise le droit du travail selon trois niveaux : les règles d’ordre public, auxquelles personne ne peut déroger et qui constituent les droits et devoirs fondamentaux du chef d’entreprise et de ses salariés ; ce qui relève du champ de la négociation collective, partie sur laquelle les entreprises attendent que nous leur procurions de la souplesse et la possibilité, notamment pour les PME, d’organiser le travail en fonction des réalités du terrain ; les règles supplétives enfin, en l’absence d’accord d’entreprise ou d’accord de branche.
Tout cela est séduisant au premier abord, mais le diable se cache dans les détails et, selon les amendements qui seront ou non adoptés, le degré de liberté accordé aux entreprises et le niveau de sécurité dont bénéficieront les salariés vont varier.
Je ne pense pas, contrairement à Mme Fraysse, que le projet de loi diminue d’emblée le niveau de protection des salariés, et je considère que nous devons avant tout l’examiner à l’aune des 6 millions de chômeurs inscrits à Pôle emploi. Notre divergence tient au fait que Mme Fraysse considère que renforcer la protection des salariés – lesquels sont à 80 % employés en CDI – n’empêchera pas les chômeurs d’avoir accès à l’emploi – dans 80 % des cas en CDD. Nous ne sommes pas d’accord avec cette analyse, et c’est la raison pour laquelle nous défendons cet article 2, qui redonne des marges de manœuvre aux entreprises et entend favoriser le dialogue social. Soyons attentifs néanmoins à ce que contiennent ses nombreux alinéas, et efforçons-nous d’aboutir à un résultat simple et lisible pour les chefs d’entreprise.
Mme Jacqueline Fraysse. Il n’est pas question pour nous de s’en tenir à un statu quo. Nous pensons qu’il est indispensable de réviser le code du travail pour l’adapter à la société d’aujourd’hui. Nous sommes conscients qu’il faut, dans certaines activités, introduire, grâce à la négociation collective, de la souplesse dans l’organisation du travail, mais il n’est pas question pour nous d’acter des reculs dans la protection des salariés. C’est la raison pour laquelle nous tenons au principe de faveur.
Loin de moi, monsieur le rapporteur, l’idée que les accords d’entreprise seront systématiquement défavorables aux salariés mais, compte tenu de la situation économique et du poids du chômage, on ne peut exclure que les négociations soient biaisées par une forme de chantage à l’emploi. Or, en la matière, le texte affaiblit la protection des salariés. C’est la raison pour laquelle nous pensons que cet article doit être réécrit, et nous vous ferons, ultérieurement, des propositions en ce sens.
M. Bernard Accoyer. Le texte qui nous est soumis et qui correspond à la version revue par le Gouvernement a été vidé de plusieurs dispositions qui étaient favorables aux PME. C’est d’autant plus regrettable que ce sont elles qui créent le plus d’emplois. Nous proposerons donc de les réintroduire par voie d’amendements.
M. le rapporteur. Vouloir revenir à l’état du droit antérieur à 2004 revient à défendre un principe de faveur exclusif, ce qui est incompatible avec l’introduction de souplesse dans le dispositif, ou alors uniquement en faveur des salariés. Nous devons tenir compte du fait que le monde économique a évolué.
Le chantage à l’emploi existe déjà aujourd’hui et on ne peut imaginer d’en revenir à une organisation pyramidale qui interdirait toute discussion au sein de l’entreprise et empêcherait les organisations syndicales d’accepter éventuellement, dans le cadre d’un accord majoritaire, des dispositions défavorables aux salariés en contrepartie d’avancées en leur faveur.
C’est point par point que nous devons examiner cet article. Dans certains domaines, nous entendons renforcer le principe de l’accord de branche ; dans d’autres, au contraire, nous nous efforcerons d’introduire davantage de souplesse dans le dispositif.
Éva Sas évoque le risque de dumping social. C’est un risque réel en effet, et nous devrons être d’autant plus vigilants dans certains domaines que ce risque est grand.
M. Jean-Louis Bricout. L’idée de privilégier l’accord d’entreprise m’inquiète, car les négociations dans un tel contexte peuvent être perturbées par le facteur humain et la complexité des relations entre les différents acteurs. Par ailleurs, outre le risque de chantage à l’emploi que l’on a évoqué, ces accords peuvent également aboutir à des distorsions de concurrence au sein d’une même branche.
La Commission rejette les amendements.
Puis elle en vient à l’examen des amendements identiques AS215 de Mme Bernadette Laclais et AS448 de M. Joël Giraud.
M. Michel Liebgott. Dans le cas des salariés n’ayant pas de « lieu habituel de travail » se pose la question du premier déplacement, entre le lieu de résidence et le premier lieu d’intervention, qui peut être très éloigné du domicile. Cet amendement a donc pour objet d’interpeller le Gouvernement et d’obtenir de sa part des réponses, pour que la prise en compte de ces déplacements soit favorable aux salariés.
Mme Dominique Orliac. Les travailleurs itinérants sont en effet de plus en plus nombreux. Si le temps de déplacement entre deux interventions est compris dans le temps de travail quotidien, ce n’est pas le cas du trajet – parfois fort long – qu’ils doivent effectuer entre leur domicile et le lieu de leur première intervention.
M. Gérard Sebaoun. En intégrant ce premier déplacement dans le temps de travail, nous ouvririons un champ qui dépasse largement l’objectif de ces amendements. J’y suis donc défavorable.
M. Élie Aboud. Il me semble en effet que ce sont des éléments qu’il est difficile de figer dans la loi.
M. le rapporteur. Ces amendements sont des amendements d’appel. Le problème est que la solution qu’ils proposent n’est pas conforme à la définition du temps de travail effectif qui ressort de la jurisprudence, laquelle ne prend en compte que les trajets effectués entre les interventions du salarié. En outre, si l’on adoptait ces amendements, certains salariés, qui ne sont pas ceux visés ici, pourraient légitimement prétendre à bénéficier des mêmes avantages. Avis défavorable.
Mme Bérengère Poletti. Cela pourrait également constituer une source de discrimination lors du recrutement, notamment pour les salariés habitant en milieu rural.
L’amendement AS215 est retiré.
La Commission rejette l’amendement AS448.
La Commission examine les amendements identiques AS449 de M. Alain Tourret et AS596 de M. Gilles Lurton.
Mme Dominique Orliac. L’accord de branche permet de garantir une égalité de traitement à des salariés exerçant les mêmes métiers et d’éviter ainsi une concurrence déloyale entre les entreprises par le biais d’un dumping social.
De plus, dans les TPE, l’application directe d’un accord de branche apporte une réelle sécurité juridique puisqu’elle ne les expose pas au contentieux, à l’inverse du recours au mandatement syndical avec lequel elles seraient livrées à elles-mêmes.
M. Gilles Lurton. Je partage l’argumentation de Mme Orliac. Il y a lieu de replacer l’accord de branche au-dessus de l’accord d’entreprise car, comme l’a dit le rapporteur, celui-ci sécurise le cadre juridique pour les TPE.
M. le rapporteur. Autant je comprends la position de Mme Orliac, autant je m’étonne d’un tel amendement venant des bancs de l’opposition.
Votre amendement fait écho à notre discussion précédente. Sur certains sujets, l’accord de branche sera plus intéressant car plus protecteur – la branche jouant pleinement son rôle de régulation sociale – tandis que sur d’autres sujets, qui relèvent de l’organisation de chaque entreprise – le temps de pause, le temps d’habillage et de déshabillage –, l’accord d’entreprise sera plus approprié.
Ces amendements prévoient la primauté de l’accord de branche sur l’accord d’entreprise, assortie d’une clause de verrouillage. Je ne peux donc pas y être favorable. Je redis mon étonnement de voir cet amendement émaner des rangs de l’opposition.
M. Gilles Lurton. Je suis parfaitement cohérent. Je n’ai signé aucun des amendements précédents de mes collègues.
M. Jean-Louis Roumégas. Nonobstant ses signataires, je soutiens cet amendement qui protège les petites entreprises et évite le dumping social en donnant la primauté à la branche. Il faut se départir de son a priori sur les signataires de cet amendement qui me paraît presque de gauche.
La Commission rejette ces amendements.
La Commission est saisie de l’amendement AS743 de Mme Éva Sas.
Mme Éva Sas. La négociation du temps de travail dans chaque entreprise comporte un risque de course au moins-disant social. Ce projet de loi va encore plus loin puisqu’il permet, par le biais des accords d’établissement, de mettre les sites d’une même entreprise en compétition. C’est d’autant plus dangereux que c’est au niveau de l’entreprise ou de l’établissement que le lien de subordination entre salarié et employeur pèse de tout son poids et que les menaces de ce qu’il faut bien appeler le chantage à l’emploi sont les plus fortes. En outre, l’argument de la souplesse ne peut pas être invoqué puisqu’un accord d’entreprise peut prévoir des modalités différentes selon les établissements.
M. le rapporteur. Votre amendement a pour conséquence de supprimer la possibilité de négocier des accords d’établissement dans l’ensemble de l’article 2. Il témoigne d’une méfiance de principe à l’égard de ces accords qui seraient nécessairement défavorables aux salariés de l’établissement.
Je ne nie pas les risques mais il me semble préférable d’examiner au cas par cas dans l’article 2 comment les limiter.
M. Jean-Patrick Gille. Cet amendement pose un problème de forme puisqu’il s’applique à l’ensemble de l’article. Il n’en demeure pas moins que nous devons préciser les sujets de négociation susceptibles d’être verrouillés au niveau de la branche. Le texte présente lui aussi un caractère systématique : dans la plupart de cas, il fixe le niveau de négociation
– entreprise, établissement, branche. Il nous appartient d’apporter des nuances.
Mme Isabelle Le Callennec. Le projet de loi indique : « à défaut, un accord de branche », conformément au principe de subsidiarité. L’amendement propose de renverser cette logique.
La Commission rejette l’amendement.
La Commission passe à l’amendement AS358 de M. Serge Bardy.
M. Serge Bardy. Cet amendement prévoit que le temps de déplacement accompli lors de périodes d’astreintes constitue un temps de travail effectif. Il vise, dans un souci de clarté et de lisibilité du droit du travail, à transcrire dans la loi la jurisprudence en vigueur.
M. le rapporteur. Quel est l’intérêt d’inscrire dans la loi une jurisprudence qui n’est pas contestée ?
Mme Isabelle Le Callennec. L’amendement est en contradiction avec l’alinéa 18 aux termes duquel « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. »
M. le rapporteur. L’amendement concerne le cas particulier des astreintes.
Mme Jacqueline Fraysse. Je regrette la réponse du rapporteur. Je considère pour ma part préférable d’inscrire la jurisprudence dans la loi .
M. Christophe Cavard. On m’a expliqué tout à l’heure, pour justifier la suppression des principes définis par le comité Badinter, qu’il fallait s’en tenir à la jurisprudence. Il faut être cohérent !
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
La Commission en vient à l’amendement AS94 de M. Gérard Cherpion.
M. Gérard Cherpion. Cet amendement prévoit le fractionnement du temps de repos en cas d’intervention pendant une période d’astreinte.
Il permet de combler un vide juridique en répondant à des situations qui peuvent se présenter en pratique et ainsi d’éviter des non-sens dans l’application du respect des temps de repos.
En effet, l’intervention est la seule période considérée comme une période effective de travail méritant un repos compensateur égal au temps utilisé pendant l’astreinte. Quant au temps d’astreinte sans intervention, il fait l’objet d’une contrepartie spécifique justifiée par l’entrave à la liberté d’agir du salarié. Ainsi, le salarié doit rester à disposition mais ne travaille pas effectivement pendant l’astreinte sauf au moment de l’intervention. Or, le repos quotidien ou hebdomadaire est nécessaire en cas d’intervention. Dès lors, il paraît normal de prévoir que le temps antérieur à une intervention sous astreinte est pris en compte dans le décompte du temps de repos. L’intervention n’a plus pour effet d’interrompre le temps de repos mais de le suspendre.
Par ailleurs, les règles actuelles posent des difficultés d’organisation du temps de travail dans les TPE-PME.
La précision qu’apporte cet amendement met fin à une ambiguïté juridique sans pour autant porter préjudice au salarié, qui voit son temps de repos respecté mais fractionné.
M. le rapporteur. J’émets un avis très défavorable sur cet amendement qui remet en cause le principe de continuité du repos compensateur et qui risque de nuire à la santé des salariés.
M. Bernard Accoyer. Je conteste l’analyse erronée du rapporteur sur cet amendement qui nous paraît particulièrement adapté aux problèmes rencontrés par les PME.
La Commission rejette l’amendement.
La Commission est saisie de l’amendement AS356 de M. Serge Bardy.
M. Serge Bardy. Aujourd’hui, la programmation individuelle des périodes d’astreinte est portée à la connaissance de chaque salarié concerné quinze jours à l’avance, sauf circonstances exceptionnelles. Le projet de loi prévoit de renvoyer à un décret les modalités d’information et les délais de prévenance, seul le caractère raisonnable des délais demeurant prescrit par la loi. On ne comprend pas pourquoi ces dispositions sortent du champ de la loi.
En l’absence d’accord collectif, il convient d’allonger les délais de prévenance en les portant à quatre semaines hors circonstances exceptionnelles. Cela paraît tout à fait raisonnable et devrait inciter l’employeur à la négociation.
M. Bernard Accoyer. Je suis défavorable à cet amendement qui accentue encore un peu plus la rigidité dont le Gouvernement entend corriger les excès qui sont à l’origine des difficultés de notre économie.
Cet amendement durcit, complique et alourdit le droit du travail. Si ce n’est pas l’objectif du Gouvernement, il semble que ce soit celui de sa majorité.
M. Patrick Hetzel. Cet amendement est étonnant. Les responsables de TPE-PME se plaignent déjà du caractère très contraignant du délai de quinze jours. Votre amendement les obligeant à informer le salarié des périodes d’astreinte un mois avant contribue à alourdir les obligations qui pèsent sur les entreprises, à contre-courant de la pratique dans les autres pays de l’Union européenne.
Si notre droit du travail se doit d’être protecteur, il doit aussi être en adéquation avec celui des autres pays européens sous peine de nuire à la compétitivité de nos entreprises. Veillons à ne pas être contre-productifs.
M. Gérard Sebaoun. Le droit actuel – le délai de quinze jours – me paraît raisonnable. En revanche, je m’interroge sur le choix de laisser le soin à un décret en Conseil d’État de fixer le délai de prévenance. Je vous invite à la plus grande vigilance sur ce point, monsieur le rapporteur.
M. le rapporteur. Je partage l’avis de M. Sebaoun sur l’inutilité de doubler le délai de prévenance.
Le Gouvernement m’a confirmé que le décret serait rédigé à droit constant. Je demanderai à la ministre de le repréciser en séance. D’une manière générale, pour les dispositions supplétives, le principe est de codifier à droit constant.
M. Serge Bardy. Je retire l’amendement.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement AS357 de M. Serge Bardy.
M. Serge Bardy. Cet amendement prévoit que « l’instauration d’astreintes ou la modification des éléments prévus au premier alinéa constitue une modification du contrat de travail et doit donc recueillir l’accord du salarié. »
Dans un souci de clarté et de lisibilité du droit du travail, il vise à transcrire dans la loi la jurisprudence en vigueur, notamment un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 31 mai 2000.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous vous référez à un arrêt de la Cour de cassation mais un autre arrêt de la même cour du 16 décembre 1998 considère que l’accord du salarié n’est pas requis si les astreintes sont prévues par un accord collectif. Il me paraît donc difficile de transposer une jurisprudence qui n’est pas univoque.
L’amendement est retiré.
La Commission en vient à l’amendement AS467 de Mme Jeanine Dubié.
Mme Dominique Orliac. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 64 dans la mesure où, contrairement à l’avant-projet, la limite de douze heures de travail quotidien n’est plus garantie par le projet de loi.
M. le rapporteur. Je suis gêné car l’alinéa visé par votre amendement porte en réalité sur le temps de pause de vingt minutes après six heures de travail.
Mme Dominique Orliac. Il y a sans doute une erreur dans l’alinéa. Je retire l’amendement.
L’amendement est retiré.
La Commission passe à l’amendement AS642 de Mme Fanélie Carrey-Conte.
M. Gérard Sebaoun. Cet amendement tend à maintenir le principe d’une durée maximale quotidienne de travail de dix heures.
L’alinéa 78 qu’il propose de supprimer permet de déroger à ce principe par simple accord d’entreprise, en portant cette durée à douze heures, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise. Cette dernière notion me paraît extrêmement large.
Cette disposition comporte des risques non seulement pour les salariés, en particulier les femmes, mais aussi de dumping social entre les entreprises.
M. Élie Aboud. Lorsqu’on parle d’organisation de l’entreprise, on fait allusion à la gestion des carnets de commandes, par exemple.
M. Bernard Accoyer. Heureusement que nous sommes là pour soutenir le Gouvernement et les avancées qu’il propose pour permettre aux entreprises de mieux résister à la concurrence mondiale et ainsi lutter contre le chômage !
M. le rapporteur. La disposition prévue par l’alinéa 78 figure déjà dans l’article D. 3121-19 du code du travail qui énonce qu’« une convention ou un accord collectif de travail étendu ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement peut prévoir le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail à condition que ce dépassement n’ait pas pour effet de porter cette durée à plus de douze heures. »
Le projet de loi précise la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche dans cette matière – et je connais votre appréciation de cette architecture – mais le reste de l’article n’introduit aucune nouveauté.
La Commission rejette l’amendement.
La Commission est saisie des amendements identiques AS293 de M. Christophe Cavard, AS450 de Mme Jeanine Dubié et AS561 de M. Arnaud Richard.
M. Christophe Cavard. C’est l’un des rares sujets sur lequel les dispositions supplétives ne sont pas prévues. Si l’ordre public et le champ de la négociation collective sont décrits respectivement dans les paragraphes 1 et 2, le paragraphe 3 qui figurait dans l’avant-projet a en effet disparu du projet de loi. Afin que la limite de douze heures quotidiennes maximales de travail soit garantie en l’absence d’accord collectif, il est nécessaire de réintroduire cette disposition dans le texte.
Mme Dominique Orliac. L’amendement AS450 est défendu.
M. Arnaud Richard. L’amendement propose de rétablir l’article L. 3121-18-1 qui figurait dans l’avant-projet de loi. Il nous paraît souhaitable que la limite de douze heures de travail quotidien soit garantie par la loi.
M. Bernard Accoyer. Cet amendement n’apporte rien au regard des objectifs qui sont poursuivis par ce projet de loi.
M. le rapporteur. Je vous invite à retirer ces amendements puisque votre exigence est satisfaite au-delà même de ce que vous demandiez. La question de la dérogation à la durée quotidienne de travail est traitée dans l’alinéa 73 du projet de loi, parmi les mesures d’ordre public.
Mme Isabelle Le Callennec. L’alinéa 73 fait référence à un décret pour déterminer les conditions de dérogation.
M. le rapporteur. C’est déjà le cas aujourd’hui. Il est plutôt encourageant que cette disposition, jusqu’à présent prévue par la partie réglementaire du code du travail, figure désormais dans les dispositions d’ordre public.
M. Christophe Cavard. Je fais évidemment confiance au rapporteur. Mais quelle garantie avons-nous que le décret prévu par l’alinéa 73 fixera la durée maximale à douze heures ?
M. Arnaud Richard. M. Cavard a raison, il y a un loup, monsieur le rapporteur.
M. le rapporteur. La limite des douze heures a été supprimée car elle n’est pas appliquée aujourd’hui. Je vous rappelle en outre que la dérogation est soumise à l’autorisation de l’inspection du travail. Il me semble que toutes les garanties sont apportées. Mais je demanderai à la ministre de le préciser en séance.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Le rapporteur vous a-t-il rassuré ?
Mme Dominique Orliac. Je maintiens l’amendement car je ne vois pas ce qui empêche de le voter.
La Commission rejette ces amendements.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements AS921 du rapporteur et AS295 de M. Christophe Cavard.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à rétablir la consultation des instances représentatives du personnel, prévue aujourd’hui, en cas d’autorisation octroyée par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail du fait de circonstances exceptionnelles.
M. Christophe Cavard. Dans le même esprit, notre amendement prévoit un avis conforme du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, conformément aux prescriptions de la directive européenne 203/88/CE.
M. Gérard Cherpion. Il me semble préférable de nous en tenir à la rédaction du projet de loi. Il n’est pas nécessaire de complexifier un texte dont, je vous le rappelle, le titre fait référence aux nouvelles libertés pour les entreprises
Mme Isabelle Le Callennec. Si les instances émettent un avis négatif, quelle est la marge de manœuvre de l’inspection du travail ? Leur avis est-il simplement consultatif ?
M. le rapporteur. L’avis est transmis à l’agent de contrôle de l’inspection du travail. Mon amendement se borne à revenir au droit actuel tandis que celui de M. Cavard prévoit un avis conforme des instances représentatives. Je lui propose de retirer son amendement.
M. Gérard Sebaoun. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous préciser ce que sont les circonstances exceptionnelles ?
M. Christophe Cavard. Je suis satisfait du rétablissement de la consultation des instances du personnel que propose le rapporteur. Je retire donc mon amendement.
M. Francis Vercamer. Cette disposition conduirait à un allongement des délais de décision.
M. Bernard Accoyer. Il s’agit d’une nouvelle complexification du code du travail. Je ne comprends pas pourquoi le rapporteur va dans cette direction alors qu’il est prévu un décret en Conseil d’État.
M. Gérard Cherpion. Nous nous situons dans le cadre d’une activité exceptionnelle. Or la transmission de l’avis introduira des délais supplémentaires.
Je ne m’imagine pas qu’un inspecteur du travail puisse trancher sans disposer d’une explication sur les circonstances exceptionnelles pour donner sa réponse. Restons-en au texte du Gouvernement, qui correspond bien à la réalité des choses.
M. le rapporteur. Monsieur Cherpion, cette procédure existe aujourd’hui et fonctionne. Pourquoi inventer des freins ?
Pour répondre à votre question, monsieur Sebaoun, je précise que la dérogation à la durée maximale hebdomadaire ne peut être accordée « qu’en cas de circonstances exceptionnelles entraînant temporairement un surcroît extraordinaire de travail », impliquant par exemple un travail d’urgence.
L’amendement AS295 est retiré.
La Commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques AS95 de M. Gérard Cherpion et AS541 de M. Arnaud Richard.
M. Gérard Cherpion. L’objet de cet amendement est de rétablir la rédaction initiale du projet de loi, qui prévoyait la possibilité, par accord collectif, de dépasser la durée maximale hebdomadaire jusqu’à quarante-quatre heures sur une période de seize semaines, et non de douze, afin de donner plus de souplesse à l’entreprise pour gérer des pics d’activité.
M. Arnaud Richard. Cet amendement vise à porter à seize semaines la période de référence. Cette extension permettrait d’apporter davantage de souplesse face aux variations d’activité. En l’absence de cette possibilité d’ajustement, les entreprises peinent à faire face aux hausses temporaires d’activité. Précisons que cette durée est conforme à la législation européenne : elle est déjà prévue par l’article 16 de la directive européenne sur le temps de travail.
M. le rapporteur. Monsieur Cherpion, je ne connais qu’un texte du Gouvernement, c’est celui qui a été adopté par le conseil des ministres. Je ne souhaite pas revenir sur le droit constant établi à propos de cet élément. Avis défavorable sur ces amendements.
M. Élie Aboud. Ce projet de loi va faire des mécontents partout, monsieur le rapporteur. Avec ces amendements, vous tenez une occasion unique d’envoyer un signal clair au monde économique. Pourquoi la rater ?
Croyez-vous vraiment que les entreprises décident d’allonger la durée maximale hebdomadaire pour leur plaisir ? Non, vous le savez bien : elles veulent pouvoir faire face aux surcroîts d’activité.
Mme Isabelle Le Callennec. Il est tout de même difficile d’ignorer qu’il y a eu une première version de ce projet de loi, monsieur le rapporteur, même si elle n’a pas été examinée par le conseil des ministres. Nous n’avons pas inventé les échanges qui ont eu lieu et nous savons tous qu’une période de seize semaines était prévue. J’ajoute qu’une organisation syndicale est même prête à ester en justice parce qu’elle estime que l’article L. 1 du code du travail n’a pas été respecté.
M. Arnaud Richard. Monsieur le rapporteur, vous vous êtes contenté d’une réponse formelle. Que vous ne vouliez pas entendre parler de cette première version, je le conçois, vous êtes pleinement dans votre rôle, compte tenu de la difficulté de la tâche qui vous incombe. Touefois, vous ne pouvez pas faire comme si elle n’avait jamais existé. Nous attendons des arguments de fond.
M. Gérard Sebaoun. J’estime au contraire très heureux que le Gouvernement soit revenu à douze semaines. Rappelons tout de même que les salariés pourront travailler quarante-quatre heures par semaine pendant trois mois consécutifs, ce qui n’est pas rien.
Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est juste. S’agissant d’une période aussi longue, l’entreprise pourrait même recruter une personne sous CDD.
M. Rémi Delatte. Il y a des moments où il faut savoir donner des signes au monde économique. L’activité dans l’entreprise est souvent aléatoire. Il faut faire preuve de pragmatisme et permettre de déroger à la règle. Ne pensons pas que les décisions sont toujours imposées par le chef d’entreprise à ses salariés, elles s’inscrivent aussi dans une relation de confiance et dans une logique gagnant-gagnant.
Mme Monique Iborra. Cette logique du gagnant-gagnant est tellement manifeste que le texte prévoit des accords d’entreprise !
Nous le voyons, pour certains, le projet de loi n’irait pas assez loin quand pour d’autres, il irait trop loin. C’est le propre d’un texte équilibré que de susciter de telles réactions.
M. Jean-Louis Bricout. Quarante-quatre heures hebdomadaires pendant douze semaines, cela me semble déjà beaucoup, surtout dans certains métiers. Rappelons qu’il existe d’autres outils de flexibilité pour répondre aux surcroîts d’activité. Pensons, par exemple, à l’intérim.
La Commission rejette ces a