Nos 3785 et 3786
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 mai 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI (n° 3623), APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, ET SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE (n° 3770), APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, relative à la compétence du Défenseur des droits
pour la protection des lanceurs d’alerte
PAR M. Sébastien DENAJA,
Député
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Voir les numéros :
Assemblée nationale: 3756.
INTRODUCTION 11
I. VINGT-TROIS ANS APRÈS LA LOI « SAPIN I », DES PROGRÈS RESTENT À ACCOMPLIR DANS LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET L’AFFIRMATION DE LA TRANSPARENCE PUBLIQUE 12
A. UNE CORRUPTION LOCALE OU INTERNATIONALE QUI N’A PAS DISPARU FAUTE DE MOYENS DE LUTTE SUFFISANTS 12
1. La France fait l’objet de critiques récurrentes de la part des organisations internationales spécialisées 12
2. La mobilisation de la majorité gouvernementale depuis 2013 15
B. LES EXIGENCES RENOUVELÉES DE TRANSPARENCE DE LA VIE PUBLIQUE ET DU PROCESSUS NORMATIF 16
1. Les avancées permises par les lois du 11 octobre 2013 et la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique 16
2. La mise en place de registres des représentants d’intérêts à l’Assemblée nationale et au Sénat 16
II. LA LOI « SAPIN II » OUVRE QUATRE CHANTIERS LÉGISLATIFS DISTINCTS NÉCESSITANT LA MOBILISATION DE TROIS COMMISSIONS PARLEMENTAIRES 17
A. LA PLURALITÉ ASSUMÉE DU TEXTE GOUVERNEMENTAL 17
1. La prévention et la répression des atteintes à la probité commises en France ou par des personnes morales françaises 17
2. La protection effective des lanceurs d’alerte 18
3. L’encadrement de l’activité des représentants d’intérêts 18
4. Des dispositions diverses d’ordre économique et financier 20
B. LES TRAVAUX DES COMMISSIONS DES LOIS, DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DES FINANCES 21
1. Une procédure peu courante : la délégation d’articles 21
2. Les principaux apports de la commission des Lois 22
a. En matière de lutte contre la corruption 22
b. En matière de protection des lanceurs d’alerte 24
c. En matière de transparence de la vie publique 24
d. En matière d’immunité des biens étatiques 27
e. En matière de reporting pays-par-pays 27
f. En matière de rémunération des dirigeants des grandes entreprises 28
AUDITION COMMUNE DE M. MICHEL SAPIN, MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS, ET DISCUSSION GÉNÉRALE 29
EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI 57
TITRE IER – DE LA LUTTE CONTRE LES MANQUEMENTS À LA PROBITÉ 58
CHAPITRE Ier – De l’Agence française anticorruption 58
Article 1er : Création d’un service à compétence nationale chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption 59
Article 2 : Organisation du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption 62
Article 3 : Compétences du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption 71
Article 4 : Attributions des agents du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption 83
Article 5 (art. L. 561-29 du code monétaire et financier, art. 40-6 du code de procédure pénale, art. 1er à 6 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques) : Mesures de coordination avec la suppression de l’actuel service central de prévention de la corruption (SCPC) 85
Article 5 bis (nouveau) : Bilan annuel des signalements effectués au titre de l’article 40 du code de procédure pénale 85
CHAPITRE II – Mesures relatives aux lanceurs d’alerte 87
Avant l’article 6A 87
Article 6A (nouveau) : Définition des lanceurs d’alerte 95
Article 6B (nouveau) : Conciliation du statut de lanceur d’alerte avec les secrets pénalement protégés 97
Article 6C (nouveau) : Gradation des canaux de signalement à la disposition des lanceurs d’alerte 97
Article 6D (nouveau) : Confidentialité des données concernant les lanceurs d’alerte et les personnes visées par une alerte 98
Article 6E (nouveau) : Protection des lanceurs d’alerte contre les représailles 98
Article 6F (nouveau) : Soutien financier des lanceurs d’alerte par le Défenseur des droits 99
Article 6G (nouveau) : Coordination avec les dispositions sectorielles intéressant les lanceurs d’alerte, concrétisant la définition d’un socle réellement commun 99
Article 6 [supprimé] (art. 706-161 du code de procédure pénale) : Financement par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) de la protection des lanceurs d’alerte 100
Après l’article 6 101
Article 7 (art. L. 634-1 à L. 634-4 du code monétaire et financier) : Dispositif spécifique de protection des lanceurs d’alerte dans le secteur bancaire et financier 103
Après l’article 7 108
CHAPITRE III – Autres mesures de lutte contre la corruption et divers manquements à la probité 109
Article 8 : Mesures internes de prévention et de détection des risques de corruption 109
Article 9 (art. 131-37, 131-39-2, 433-26, 434-48 [nouveaux], 435-15, 445-4 et 443-43-1 [nouveau], art. 705 et 764-44 [nouveau] du code de procédure pénale) : Peine de mise en conformité 118
Article 9 bis (nouveau) (art. 432‑11‑1, 432‑2‑1, 432‑6‑1 et 432‑11‑1 du code pénal) : Exemption de peine pour les repentis en matière de corruption 124
Article 10 (art. 432-17 et 432-22 du code pénal) : Extension de la peine de publicité aux condamnations pour atteinte à la probité 128
Après l’article 10 135
Article 11 (art. 435-2 et 435-4 du code pénal) : Extension de l’infraction de trafic d’influence 140
Article 12 (art. 435-6-2 et 435-11-2 [nouveaux] du code pénal) : Compétence pour poursuivre des faits de corruption ou trafic d’influence commis à l’étranger 143
Avant l’article 12 bis 146
Article 12 bis (nouveau) (art. 41-1-2 et 180-2 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Convention judiciaire d’intérêt public 157
Avant l’article 12 ter 160
Article 12 ter (nouveau) (art. 705 et 705-1 du code de procédure pénale) : Extension de la compétence exclusive du parquet national financier 161
Article 12 quater (nouveau) (art. 706-1-1 du code de procédure pénale) : Techniques spéciales d’enquête en matière de corruption 162
Avant l’article 12 quinquies 163
Article 12 quinquies (nouveau) : Rapport sur la corruption par des entreprises françaises d’agents publics étrangers 165
TITRE II – DE LA TRANSPARENCE DES RAPPORTS ENTRE LES REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS ET LES POUVOIRS PUBLICS 166
Article 13 (art. 18-1 [nouveau] et 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) : Création d’un répertoire des représentants d’intérêts auprès du pouvoir exécutif 166
Article 13 bis (nouveau) (art. 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) : Avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en matière de représentation d’intérêts 235
Article 14 (art. 11 et 23 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) : Obligations déclaratives des membres et des agents des autorités administratives ou publiques indépendantes 236
Article 14 bis (nouveau) (art. L. 135 ZF [nouveau] du livre des procédures fiscales) : Accès direct de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique aux fichiers de l’administration fiscale 248
Après l’article 14 bis 250
Article 14 ter (nouveau) (art. 9 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) : Vérification de la situation fiscale des membres du Gouvernement 251
Après l’article 14 ter 252
Article 15 : Habilitation à réformer par ordonnance le droit domanial 254
Article 16 : Habilitation à élaborer par ordonnance un code de la commande publique 261
Après l’article 16 263
Article 16 bis (nouveau) : Ratification de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics 265
Article 16 ter (nouveau) : Ratification de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession 266
Article 16 quater (nouveau) (art. L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales) : Composition des commissions des délégations de service public 267
Article 17 : Habilitation pour la transposition de la directive « MAD » (« Market abuse directive ») et du règlement « MAR » (« Market abuse regulation ») 268
Article 18 (art. L. 621-14-1 du code monétaire et financier) : Extension du champ de la composition administrative de l’Autorité des marchés financiers 269
Article 19 (art. L. 621-9 et L. 621-15 du code monétaire et financier) : Harmonisation du champ de compétence de la commission des sanctions de l’AMF avec la réglementation applicable aux offres de titres 269
Article 20 : Transposition des dispositions répressives de divers textes européens en matière financière aux dispositifs de sanction mis en œuvre par l’Autorité des marchés financiers (AMF) 269
Article 21 : Élargissement des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution visant à faciliter le rétablissement de la situation financière et la résolution des organismes d’assurance 270
Article 21 bis (nouveau) (art. L. 612-33, L. 631-2-1 et L. 631-2-2 du code monétaire et financier) : Élargissement et renforcement des pouvoirs du Haut Conseil de stabilité financière 270
Article 22 : Intégration des organes centraux des groupes bancaires coopératifs et mutualistes dans le champ de la supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) 271
Article 22 bis (nouveau) (art. L. 322-27-1 du code des assurances) : Transformation de l’organe central Groupama SA en caisse de réassurances mutuelle agricole à compétence nationale 271
Article 22 ter (nouveau) (art. L. 141-4 du code monétaire et financier) : Exclusion du droit de compensation à l’encontre des banques centrales du Système européen de banques centrales en cas de réalisation des créances privées 271
Article 22 quater (nouveau) (art. L. 144-1 du code monétaire et financier) Ouverture aux conseils régionaux de l’accès au fichier bancaire des entreprises 272
Article 22 quinquies (nouveau) (art. L. 612-44 du code monétaire et financier) : Levée du secret professionnel des commissaires aux comptes dans le cadre des auditions de la Banque centrale européenne 272
Article 23 : Renforcement de la transparence et de la sécurité des opérations sur produits dérivés 272
TITRE III – DU RENFORCEMENT DE LA RÉGULATION FINANCIÈRE 273
Article 24 [supprimé] (art. L. 111-1 du code des procédures civiles d’exécution) : Immunité d’exécution des États étrangers 273
Article 25 (art. L. 131-59 du code monétaire et financier) : Réduction de la durée de validité du chèque d’un an à six mois 279
Article 25 bis (nouveau) (articles L. 731-1, L. 732-1, L. 732-3, L. 732-4 et L. 733-1 du code de la consommation) : Amélioration de la procédure de surendettement 280
Article 26 : Habilitation pour la transposition de la directive sur la comparabilité des frais bancaires, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti des prestations de base 280
Article 27 : Habilitation pour la transposition de la directive 2015/2366/UE du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur 280
Article 27 bis (nouveau) (art. L. 511-7 du code de la consommation, art. L. 361-1, L. 361-2 et L. 631-1 du code monétaire et financier) : Modalités de contrôle et de sanction des infractions au règlement européen relatif aux commissions d’interchange 281
Article 28 (art. L. 533-12-1 [nouveau] et L. 532-18 du code monétaire et financier) : Interdiction de la publicité par voie électronique sur les instruments financiers hautement risqués 281
Article 28 bis (nouveau) (art. L. 121-31-1 [nouveau] du code de la consommation) : Élargissement du champ de l’interdiction des publicités en faveurs des produits financiers 282
Article 28 ter (nouveau) (art. L. 121-31-2 [nouveau] du code de la consommation) : Interdiction du parrainage en faveur des produits financiers risqués 282
Article 29 : Création d’une option solidaire pour le livret de développement durable 282
Article 29 bis (nouveau) (art. L. 112-10 du code des assurances) Extension de la faculté de renonciation en cas de multi-assurance aux assurances associées aux moyens de paiement 283
Article 29 ter (nouveau) (art. L. 313-22 du code monétaire et financier) Gratuité de l’information annuelle transmise à la caution d’un prêt par l’établissement de crédit 283
Article 30A (nouveau) (art. L. 143-7-3 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Limitation de l’acquisition de foncier agricole 283
Article 30B (nouveau) (art. L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime) : Ajout d’un cas de déclenchement du contrôle des structures foncières agricoles 284
Article 30C (nouveau) (art. L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime) : Ajout d’une référence aux indicateurs publics des coûts de production et des prix des produits agricoles ou alimentaires dans les contrats agricoles 284
Article 30 (art. L. 631-24-1 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Interdiction de la cessibilité marchande des contrats laitiers 284
Article 30 bis (nouveau) : Demande de rapport au Gouvernement 285
Article 31 (art. L. 692-1 du code rural et de la pêche maritime) : Renforcement de l’obligation légale de dépôt de leurs comptes annuels par les sociétés agroalimentaires 285
Article 31 bis (nouveau) (art. L. 441-7 du code de commerce) : Mention du nom du rédacteur ou du négociateur dans chaque écrit 285
Article 31 ter (nouveau) (art. L. 441-7 du code de commerce) : Introduction de la possibilité de conclure des conventions écrites pluriannuelles 286
Article 31 quater (nouveau) (art. L. 442-6 du code de commerce) : Limitation de l’assiette du calcul des contributions des fournisseurs aux centrales européennes de distribution au chiffre d’affaires réalisé hors du territoire français 286
Article 31 quinquies (nouveau) (art. L. 442-6 du code de commerce) : Augmentation à 5 millions d’euros du plafond de l’amende civile pouvant être infligée en cas de pratique restrictive de concurrence 286
Article 31 sexies (nouveau) (art. L. 112-12 du code de la consommation) : Généralisation de l’expérimentation de l’étiquetage de l’origine des produits carnés et laitiers 287
Article 31 septies (nouveau) (art. 60-1 [nouveau] de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics) : Intégration d’une clause de révision des prix de prix des marchés publics de fourniture de denrées alimentaires 287
Article 32 (art. 14 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération) : Réforme du dispositif de plafonnement de l’intérêt servi par les coopératives à leur capital et encadrement de la commercialisation des parts sociales 287
Article 33 : Habilitation pour la réforme du régime prudentiel des activités de retraite professionnelle supplémentaire et modernisation de certains dispositifs de retraite supplémentaire à adhésion individuelle 292
Article 33 bis (nouveau) (art. L. 144-2 du code des assurances) : Sortie en capital des plans d’épargne retraite populaire aux faibles encours 300
Article 34 : Habilitation pour la modernisation du financement par dette des entreprises 300
Article 35 : Habilitation pour la séparation des entreprises d’investissement et des sociétés de gestion de portefeuille 301
Article 36 (art. L. 441-6, L. 443-1 et L. 465-2 du code de commerce, article L. 141-1-2 du code de la consommation et article 40-1 de la loi n° 2013-100 du 23 janvier 2013 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière) : Renforcement des sanctions en cas de manquement aux règles relatives aux délais de paiement et modalités de cumul des amendes administratives 301
Article 37 : Lissage des seuils de la micro-entreprise 301
Article 38 (art. 2 de la loi n° 82-1091 du 23 décembre 1982 relative à la formation professionnelle des artisans) : Stage de préparation à l’installation des artisans 302
Article 39 (art. L. 133-6-8-4 du code de la sécurité sociale) : Suppression de l’obligation d’un compte bancaire dédié pour les micro-entrepreneurs 302
Article 40 (art. L. 526-8, L. 526-10, L. 526-12 et L. 526-14 du code de commerce) : Permettre à l’entrepreneur individuel (EI) qui passe sous le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) de retenir les valeurs comptables sans nouvelle évaluation et simplifier le régime de l’EIRL 304
Article 41 (art. L. 141-1 et L. 141-21 du code de commerce) : Simplifier l’apport du fonds de commerce à une société unipersonnelle 308
Article 42 (art. L. 223-9 et L. 227-1 du code de commerce) : Lever l’obligation de faire appel à un commissaire aux apports en cas de passage du statut d’entreprise individuelle au statut de société unipersonnelle 309
Article 43 (art. 16, 17, 17-1 et 21 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat et loi n° 46-1173 du 23 mai 1946 portant réglementation des conditions d’accès à la profession de coiffeur) : Qualifications des artisans 310
Article 44 : Habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnance la directive 2013/55/UE relative aux qualifications professionnelles et à rendre applicables dans certaines collectivités d’outre-mer les dispositions liées à cette transposition 312
Article 44 bis (nouveau) (article L. 225-18 du code du commerce) : Possibilité, pour l’assemblée générale d’une société anonyme, de désigner un administrateur chargé de l’innovation et de la transformation numérique 313
Article 45 : Habilitation pour la simplification des obligations de reporting 313
Articles 45 bis et 45 ter (nouveaux) (art. L. 225-102-3 du code de commerce et 233 quinquies C du code général des impôts) : Renforcement des obligations des grandes entreprises en matière de déclaration pays par pays 317
Article 45 quater (nouveau) : Ratification de l’ordonnance du 17 mars 2016 relative au commissariat aux comptes 333
Article 46 : Habilitation pour la simplification de la prise de décision dans les entreprises et de la participation des actionnaires 333
Article 46 bis (nouveau) (art. L. 225-40 et L. 225-88 du code de commerce) : Précision sur les conditions d’autorisation des conventions réglementées par l’Assemblée générale 340
Article 47 : Habilitation pour la simplification des opérations concourant à la croissance de l’entreprise 340
Article 47 bis (nouveau) (art. L. 411-1, L. 611-2, L. 612-1 et L. 612-15 du code de la propriété intellectuelle) : Mesures diverses en matière de propriété intellectuelle 344
Article 48 (art. L. 651-2 du code de commerce) : Encadrement de la faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif 345
Article 49 : Habilitation pour la transposition de la directive relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence 347
Article 50 : Habilitation pour le recentrage du champ de la mission « défaillance » du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) 349
Article 51 : Modification de la hiérarchie des créanciers de liquidation ordonnée des banques 350
Article 52 (art. L. 711-2, L. 711-4, L. 711-5, L. 711-6, L. 711-7 et L. 711-9 à L. 711-12 du code monétaire et financier) : Intégration de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer au sein de la Banque de France 350
Article 53 : Modalités de changement des actifs des sociétés de crédit foncier 350
Article 54 [supprimé] (art. L. 5312-13-1 du code du travail) : Droit de communication de Pôle emploi 351
Avant l’article 54 bis 353
Article 54 bis (nouveau) (art. L. 225-41, L. 225-47, L. 225-53, L. 225-63, L. 225-81 et L. 225-89) : Encadrement des rémunérations des dirigeants par les assemblées générales 354
Après l’article 54 bis 357
Article 55 : Habilitation à réformer le régime des plans d’équipement et de développement outre-mer 357
Articles 56 et 57 (art. L. 390-1 du code des assurances, art. L. 950-1-1 du code de commerce [nouveau], art. L. 742-1, L. 742-2, L. 744-11, L. 745-1-1, L. 745-1-2, L. 745-9, L. 745-11, L. 746-2, L. 746-3, L. 746-5, L. 746-8, L. 751-2, L. 752-1, L. 754-11, L. 755-1-1, L. 755-1-2, L. 755-9, L. 755-11, L. 756-2, L. 756-3, L. 756-5, L. 756-8, L. 761-1-1, L. 762-1, L. 764-11, L. 765-1-2 L. 765-11, L. 765-9, L. 766-2, L. 766-3, L. 766-5 et L. 766-8 du code monétaire et financier, art. 35 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) : Modalités d’application outre-mer 359
EXAMEN DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE 363
Article 1er : Extension des missions du Défenseur des droits à la protection des lanceurs d’alerte 363
Article 2 : Gage de recevabilité financière 367
PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 369
Il est des lois qui marquent le cours d’une législature, parce qu’elles façonnent durablement notre droit. Elles emportent des changements décisifs qu’aucune majorité ne songerait, ensuite, à remettre en cause.
Les deux lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique étaient de celles-là, en imposant une moralisation de l’exercice des fonctions électives. Tel était aussi le cas de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui a créé le Procureur national financier et punit désormais sévèrement les atteintes à la probité.
Il en est de même du présent projet de loi, déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 30 mars 2016 et sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.
L’ampleur et la variété des thèmes abordés ne doivent pas occulter les avancées capitales qu’il comporte en matière de lutte contre la corruption et de transparence du processus normatif. La création d’une Agence française anticorruption, la mise en place d’un répertoire des représentants d’intérêts intervenant auprès de l’État ou des administrations locales, ou la mise en place d’un socle commun des droits des lanceurs d’alerte sont autant d’avancées décisives.
Comme il est fréquent dans les douze derniers mois d’une législature, ce texte sert également de « point d’ancrage » à des dispositions de modernisation de la vie économique et financière. Leur diversité ne doit pas conduire à en sous-estimer la portée : les articles renforçant les pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers, par exemple, sont importants pour l’efficacité de la supervision du secteur financier. D’autres dispositions, notamment sur le foncier agricole, ont fait l’objet de longs débats, preuve que leur caractère technique ne doit pas occulter leurs conséquences concrètes.
Renouant avec la détermination qui avait permis l’adoption, en 1993, d’une première loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, déjà présentée, à l’époque, par M. Michel Sapin au nom du Gouvernement, ce projet de loi est ambitieux. Son examen a mobilisé, en plus de la commission des Lois saisie au fond, deux autres commissions saisies pour avis – celles des Affaires économiques et des Finances – auxquelles certains articles ont été délégués. Y a été adjointe, à l’initiative de votre rapporteur, une proposition de loi organique qui donne au Défenseur des droits compétence pour assurer la protection des lanceurs d’alerte (1).
Les débats en séance, puis au Sénat, devront conserver à cet ensemble toute sa force, sans en dénaturer la cohérence.
I. VINGT-TROIS ANS APRÈS LA LOI « SAPIN I », DES PROGRÈS RESTENT À ACCOMPLIR DANS LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET L’AFFIRMATION DE LA TRANSPARENCE PUBLIQUE
1. La France fait l’objet de critiques récurrentes de la part des organisations internationales spécialisées
La corruption constitue un frein au développement économique et à la prospérité des peuples. Lorsqu’elle affecte des secteurs tels que la police, la justice ou l’administration pénitentiaire, elle devient une menace pour l’état de droit. C’est pourquoi, sous l’impulsion de la société civile, des travaux décisifs ont été lancés, à l’échelle internationale, dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe.
Des progrès considérables ont été enregistrés en la matière au cours des vingt dernières années, grâce à la signature de plusieurs accords internationaux. Signée le 17 novembre 1997, la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de l’OCDE a été adoptée par les 30 membres de cette organisation, rejoints par huit autres pays (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Bulgarie, Chili, Estonie, Israël, Slovénie). Elle est entrée en vigueur, en France, le 29 septembre 2000.
Deux conventions pénale et civile, issues des travaux du Groupe multidisciplinaire sur la corruption (GMC), ont été élaborées dans le cadre du Conseil de l’Europe. La convention pénale sur la corruption du 27 janvier 1999 vise à incriminer de façon coordonnée un large éventail de conduites de corruption, y compris dans le secteur privé, et à améliorer la coopération internationale. La convention civile du 4 novembre 1999 a pour objet de permettre aux personnes physiques ou morales ayant subi des dommages du fait d’actes de corruption de pouvoir en obtenir réparation.
D’autres organisations régionales ont adopté des instruments internationaux de lutte contre la corruption : le Conseil de l’Union européenne (convention du 26 mai 1997 relative à la lutte contre la corruption active et passive impliquant des fonctionnaires des communautés européennes ou des États membres), l’Organisation des États américains (convention interaméricaine contre la corruption du 29 mars 1996) et l’Union africaine (convention sur la prévention et la lutte contre la corruption du 12 juillet 2003).
La Convention des Nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003, dite « Convention de Mérida », premier instrument juridique universel destiné à prévenir et à lutter contre ce phénomène, est entrée en vigueur en 2005. Les États parties à cet instrument doivent incriminer et sanctionner pénalement la corruption active d’agents publics nationaux, internationaux et étrangers. Cette convention organise également la restitution des avoirs détournés ou blanchis et l’extradition de personnes convaincues de corruption.
Bien qu’elle soit partie à ces conventions, et qu’elle ait adopté en 2006 une stratégie interministérielle sur la lutte contre la corruption destinée, notamment, à guider sa politique de coopération internationale, la France est apparue en retard, par rapport à ses principaux partenaires, à l’occasion des évaluations conduites par le GRECO (2).
Si le droit pénal français est jugé suffisamment sophistiqué, c’est le caractère insuffisamment dissuasif des sanctions qui est plus particulièrement dénoncé. Les condamnations pour des atteintes à la probité sont trop peu nombreuses : selon le rapport pour l’année 2014 du Service central de prévention de la corruption (SCPC), le nombre d’infractions relevées atteignait 299 en 2013, enregistrant même une baisse par rapport à 2012 (317 infractions) et 2011 (342). Les peines d’emprisonnement ferme sont rarement prononcées : sur 72 condamnations pour corruption active, quatre seulement ont comporté, en 2013, un emprisonnement ferme, avec un quantum moyen de huit mois. La majorité des condamnations pour corruption se traduit par une simple peine d’amende, avec un quantum très faible s’établissant en moyenne à 7 943 euros.
NOMBRE DE PERSONNES CONDAMNÉES POUR MANQUEMENTS À LA PROBITÉ
Source : Rapport du SCPC pour 2014.
Il est surtout reproché à la France l’insuffisante application des textes, en particulier lorsque la corruption concerne des États ou des marchés étrangers. Votre rapporteur rappelle, à cet égard, le faible nombre de condamnations pour corruption active d’un agent public d’un État étranger ou d’une organisation internationale publique. Après plusieurs années « blanches », deux condamnations définitives ont été prononcées en 2013, et encore, n’étaient-elles assorties que de peines d’amende, à hauteur de seulement 7 500 euros chacune.
NOMBRE D’INFRACTIONS AYANT DONNÉ LIEU À CONDAMNATION
Analyse des données statistiques concernant les infractions répertoriées dans le casier judiciaire national (2011-2013)
Source : Rapport du SCPC pour 2014.
Enfin, les observateurs internationaux pointent l’inexistence de toute forme d’encouragement à la prévention de la corruption au sein des entreprises. Le présent projet de loi vise à remédier à ces critiques.
En 2013, la majorité a voté deux textes déterminants en matière de lutte contre la corruption.
La loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (3) a permis des avancées significatives :
– l’augmentation des peines encourues pour le délit de fraude fiscale aggravée et la création du délit de fraude fiscale en bande organisée ;
– l’application du statut de repenti en matière de corruption, de blanchiment et de fraude fiscale ;
– la possibilité de porter les peines d’amende encourues par les personnes morales à 10 % de leur chiffre d’affaires en matière correctionnelle et 20 % en matière criminelle ;
– l’aggravation des peines encourues pour les faits de corruption ;
– la création d’un délit d’abus de biens sociaux aggravé ;
– l’extension de la compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) au blanchiment de fraude fiscale et de celle du service national de la douane judiciaire (SNDJ) à l’association de malfaiteurs, ainsi que la possibilité pour ce service de recourir aux logiciels de rapprochement judiciaire ;
– la protection des lanceurs d’alerte, confiée au SCPC ;
– la facilitation des saisies et confiscations en matière pénale ;
– la création d’un registre des trusts ;
– l’encadrement de la politique transactionnelle de l’administration fiscale et la modification de la composition de la commission des infractions fiscales.
En complément, une loi organique a tiré les conséquences de la création du Procureur national financier (4).
1. Les avancées permises par les lois du 11 octobre 2013 et la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
La loi organique n° 2013-906 et la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique ont fait progresser notre pays vers une plus grande exemplarité de ses responsables publics.
Ces lois ont généralisé, pour les membres du Gouvernement, les parlementaires et les principaux élus locaux et décideurs publics, l’obligation d’établir des déclarations de situation patrimoniale et des déclarations d’intérêts. Elles ont mis en place un ensemble de mécanismes de prévention et de traitement des conflits d’intérêts, sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), autorité administrative indépendante qui a succédé à la Commission pour la transparence financière de la vie politique.
Ces exigences déontologiques ont été transposées aux agents publics et aux membres des juridictions administratives et financières par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Elles sont en passe de l’être aux magistrats de l’ordre judiciaire par le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, adopté par l’Assemblée nationale, en première lecture, le 24 mai 2016.
Afin d’accroître la transparence du processus normatif, les assemblées parlementaires se sont, dès 2009, dotées d’outils encadrant le lobbying, s’inspirant notamment des dispositifs mis en place par le Parlement européen et par la Commission européenne.
À l’Assemblée nationale, les « représentants d’intérêts » peuvent s’inscrire sur un registre public, consultable sur internet (5), qui les engage à respecter un code de conduite dans leurs relations avec les députés.
Les règles en la matière ont été renforcées par le Bureau de l’Assemblée nationale en 2013, à la suite des propositions de M. Christophe Sirugue, vice-président de l’Assemblée, alors président de la délégation chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études. En particulier :
– les informations figurant dans le registre ont été enrichies et précisées ;
– les badges d’accès spécifiques aux lobbyistes ont été supprimés ;
– des contreparties ont été prévues pour les personnes inscrites sur le registre : mention particulière de leur audition dans les rapports parlementaires ; alertes sur des sujets particuliers ; possibilité de mettre en ligne des contributions sur le site de l’Assemblée nationale.
Ces dispositions ont été formalisées dans un nouveau code de conduite adopté par le Bureau le 26 juin 2013.
Au Sénat, l’activité des « groupes d’intérêt » est encadrée par une série de règles adoptées par son Bureau en 2009. Le droit d’accès au Sénat est accordé, dans les conditions déterminées par les Questeurs, aux représentants des groupes d’intérêt inscrits sur un registre public et qui s’engagent à respecter un code de conduite défini par le Bureau.
II. LA LOI « SAPIN II » OUVRE QUATRE CHANTIERS LÉGISLATIFS DISTINCTS NÉCESSITANT LA MOBILISATION DE TROIS COMMISSIONS PARLEMENTAIRES
1. La prévention et la répression des atteintes à la probité commises en France ou par des personnes morales françaises
Les articles 1er à 5 du projet de loi remplacent l’actuel service central de prévention de la corruption (SCPC), créé par les six premiers articles de la loi précitée du 29 janvier 1993 (6) dite « loi Sapin I », par une Agence de prévention et d’aide à la détection de la corruption.
Cette nouvelle agence prend la forme d’un service à compétence nationale, placé sous une double tutelle ministérielle, mais elle bénéficie de garanties d’indépendance fortes : son directeur est nommé par décret du Président de la République, il est choisi parmi les magistrats hors hiérarchie de l’ordre de judiciaire et, enfin, il lui est interdit de recevoir ou de solliciter des instructions de toute autorité administrative ou judiciaire.
L’agence est dotée d’une commission des sanctions, composée exclusivement de magistrats administratifs, judiciaires et financiers. Elle est chargée de prononcer des injonctions et des amendes à l’égard des sociétés, ou de leurs représentants, n’ayant pas respecté les obligations de prévention et de détection de la corruption leur incombant en application de l’article 8.
Quittant le versant préventif, l’article 9 crée une nouvelle peine de mise en conformité qui pourra être prononcée par les tribunaux correctionnels, à l’encontre de personnes morales, en complément de la sanction encourue pour certains délits de corruption.
Les articles 10 et 11 du projet de loi complètent l’arsenal répressif applicable, plus généralement, aux délits d’atteinte à la probité :
– le premier étend les possibilités d’ordonner la publicité des condamnations prononcées pour ces délits, sous la forme d’une peine complémentaire ;
– le second crée une nouvelle incrimination pour les faits de trafic d’influence actif impliquant un fonctionnaire ou agent public étranger.
Par ailleurs, l’article 12 étend les cas d’application extraterritoriale de la loi pénale française, en assouplissant les conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger par des Français, des personnes résidant habituellement en France ou des entreprises françaises peuvent être poursuivis en France.
Le projet de loi comporte des avancées concernant la protection des lanceurs d’alerte. L’article 3 fait de leur accueil l’une des compétences de la nouvelle Agence, au titre de sa mission générale de « soutien (…) à toute personne physique ou morale » intervenant dans le champ de la lutte contre la corruption. À titre plus anecdotique, l’article 6 prévoit le versement d’une contribution de l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) destinée à participer au financement des dépenses liées à la protection de ces lanceurs d’alerte.
Mais c’est dans le champ financier que le dispositif proposé par l’article 7 est le plus détaillé. Sous l’influence de plusieurs règlements et directives récemment intervenus en la matière à l’échelle de l’Union européenne, il est prévu la mise en place, par les régulateurs sectoriels et les entités placées sous leur supervision, de procédures destinées à permettre le signalement des manquements détectés ou constatés ; une protection adéquate contre les représailles est également introduite au bénéfice des salariés à l’origine du signalement mais celle-ci demeure limitée au secteur financier.
L’article 13 du projet de loi crée un répertoire numérique des représentants d’intérêts auprès du pouvoir exécutif, tenu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il s’inspire d’une recommandation du rapport de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité, relatif à l’exemplarité des responsables publics, remis au Président de la République en janvier 2015. À la différence des registres de l’Assemblée nationale et du Sénat, l’inscription à ce répertoire sera obligatoire.
Les représentants d’intérêts sont définis comme « les personnes physiques et les personnes morales de droit privé, qui exercent régulièrement une activité ayant pour finalité d’influer sur la décision publique, notamment en matière législative ou règlementaire, en entrant en communication avec » les responsables publics suivants (7) :
– un membre du Gouvernement ;
– un collaborateur du Président de la République ou un membre de cabinet d’un membre du Gouvernement ;
– le directeur général, le secrétaire général ou un membre du collège d’une autorité administrative ou publique indépendante (AAI ou API) ;
– une personne titulaire d’un emploi ou d’une fonction à la décision du Gouvernement ayant donné lieu à une nomination en conseil des ministres.
Sont exclus, par principe, de la qualification de représentant d’intérêts les élus dans l’exercice de leur mandat, les partis et groupements politiques, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs, « en tant qu’acteurs du dialogue social », ainsi que les associations à objet cultuel.
Tout représentant d’intérêts devra s’inscrire au répertoire tenu par la Haute Autorité et lui fournir une série d’informations, qui seront consultables sur internet : identité des dirigeants, champ de l’activité de représentation d’intérêts, nom des tiers au profit desquels cette activité est exercée. Ils devront également respecter une série d’obligations déontologiques dans leurs relations avec les responsables publics, dont le contenu s’inspire des codes de conduite existant à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au niveau européen.
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera chargée de s’assurer du respect de ces règles, au moyen, notamment, de pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place. Elle disposera, en outre, d’un pouvoir de sanction financière, d’un montant maximal de 30 000 euros, laquelle pourra être rendue publique.
Afin de ne pas affecter le bon fonctionnement des pouvoirs publics, l’ensemble du dispositif ne fait peser aucune obligation sur les représentants du pouvoir exécutif entrant en relation avec les représentants d’intérêts.
De nombreuses mesures de modernisation et de moralisation de la vie économique sont introduites aux titres III à VIII.
Le titre III propose de renforcer la régulation financière par le biais de la transposition de nombreux textes européens en la matière et par des mesures améliorant les capacités de contrôle de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Il introduit également, à l’article 24, une réforme du régime d’immunité d’exécution dont bénéficient les biens des États étrangers situés sur le territoire national.
Le titre IV renforce la protection et les droits des consommateurs en matière financière en transposant les directives européennes relatives aux frais bancaires et aux frais de paiement, ainsi qu’en réduisant la durée de validité des chèques bancaires. Il prévoit également :
– à l’article 28, une interdiction de la publicité en ligne sur les instruments financiers hautement spéculatifs et risqués ;
– à l’article 29, l’introduction d’une option solidaire visant à permettre aux détenteurs de livrets de développement durable de procéder à des dons au bénéfice des acteurs de l’économie sociale et solidaire.
Les articles 30 et 31 du titre V visent à mieux garantir aux producteurs agricoles des prix de production leur permettant de dégager une marge satisfaisante et de mieux répartir le partage de la valeur ajoutée avec les transformateurs et les distributeurs.
Les articles 32 à 36 de ce même titre V visent quant à eux à :
– améliorer la rémunération des parts sociales des coopératives et encadrer leur commercialisation (article 32) ;
– introduire, par voie d’ordonnance, de nouveaux organismes dédiés à la gestion des régimes de retraite supplémentaire (article 33) ;
– moderniser et rendre plus transparent le financement des entreprises (articles 34 et 35) ;
– renforcer les sanctions en cas de retards de paiement. Cette mesure doit permettre de garantir un strict respect des règles en matière de délais de paiement par l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille, et à rétablir des échanges équitables entre elles (article 36).
Le titre VI prévoit de nombreuses mesures en faveur de la croissance des entreprises. La plupart de ces mesures visent à faciliter leur changement de statut et à renforcer leur gouvernance. Elles s’inscrivent ainsi dans l’objectif, poursuivi par la majorité, d’améliorer les conditions de gestion et d’activité des entreprises.
Certains articles ont suscité d’importants débats au sein des commissions chargées de leur examen, à l’instar de l’article 37, délégué à la commission des Finances, sur le lissage des seuils de la microentreprise, et de l’article 38, délégué à la commission des Affaires économiques, sur l’encadrement de l’obligation du stage préalable à l’installation des artisans.
L’article 43 prévoit le recentrage des qualifications requises pour certaines activités artisanales sur les exigences liées à la protection de la santé et de la sécurité du consommateur.
Le titre VII prévoit quant à lui diverses mesures relatives à la modernisation de la vie économique qui n’appellent pas de commentaires particuliers, hormis l’article 54 introduisant un droit de communication pour Pôle emploi qui, s’il présente une disposition favorable à la lutte contre la fraude sociale qu’il faut encourager, a peu de liens avec les autres mesures proposées par le présent projet de loi.
Enfin, le titre VIII introduit des mesures spécifiques à l’outre-mer.
Saisie au fond, la commission des Lois a délégué l’examen de 25 articles sur 57 (soit 47 articles adoptés sur 102) aux deux commissions saisies pour avis, comme le détaille le tableau ci-dessous. Cette méthode, qui a permis de tenir compte de la nature « transversale » du présent texte et de respecter les compétences des uns et des autres sans recourir à une commission spéciale, a déjà été employée, à l’Assemblée nationale, pour le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, sous la précédente législature, et pour le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière, en 2013.
RÉPARTITION DES ARTICLES DU PROJET DE LOI ENTRE LES COMMISSIONS
Articles |
Commission saisie au fond (le cas échéant, par délégation) |
1er à 16 quater |
Commission des Lois |
17 à 23 |
Commission des Finances |
24 |
Commission des Lois |
25 et 25 bis |
Commission des Affaires économiques |
26 à 29 |
Commission des Finances |
30 A à 31 septies |
Commission des Affaires économiques |
32 et 33 |
Commission des Lois |
34 et 35 |
Commission des Finances |
36 |
Commission des Affaires économiques |
37 |
Commission des Finances |
38 |
Commission des Affaires économiques |
39 à 42 |
Commission des Finances |
43 à 44 bis |
Commission des Affaires économiques |
45 à 49 |
Commission des Finances |
50 à 53 |
Commission des Finances |
54 à 57 |
Commission des Lois |
La commission des Affaires économiques a désigné M. Dominique Potier rapporteur pour avis, tandis que la commission des Finances choisissait M. Romain Colas. Le présent rapport renvoie donc, pour chacun des articles qui leur ont été délégués ainsi que pour les articles additionnels qui s’y rattachent, aux commentaires publiés dans ces deux avis (8).
La proposition de loi organique relative à la protection des lanceurs d’alerte relevait nécessairement de la commission des Lois, conformément à l’article 36 de notre Règlement.
Votre commission des Lois a donné un nom – Agence française anticorruption – au service à compétence nationale chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption, objet de l’ensemble du chapitre Ier. Elle a renforcé, à l’article 2, les garanties d’indépendance de son directeur et de son personnel :
– en rendant inamovible le magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire, nommé à la tête de cette agence, pendant la durée de son mandat, sauf démission expresse ou empêchement ;
– en soumettant le personnel de l’agence à l’interdiction de recevoir des instructions et à l’obligation de respect du secret professionnel, formellement déjà prévues pour le directeur.
Les missions de cette agence ont été complétées par la réintroduction d’une procédure d’avis ou d’expertise sur demande des magistrats et une plus grande publicité donnée à ses travaux grâce à l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption et la publication d’un rapport annuel (amendement de M. Lionel Tardy).
À l’article 8, votre commission a étendu aux établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) l’obligation de prévention et de détection des risques liés à la corruption (amendement de M. Lionel Tardy). Elle a imposé des obligations déontologiques aux experts, personnes ou autorités qualifiés auxquels peut recourir l’Agence dans la mise en œuvre de la peine de mise en conformité, prévue à l’article 9, dans le souci de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts
Elle a également mis en cohérence les peines de délit d’entrave aux contrôles de l’Agence prévues aux articles 4 et 9 du projet de loi, retenant deux ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende.
Votre commission a, par ailleurs, renforcé les dispositions réprimant les atteintes à la probité :
– en prévoyant, à l’article 9 bis, une exemption de peine pour les personnes qui coopèrent avec la justice ;
– en rendant obligatoire, à l’article 10, la peine complémentaire d’inéligibilité pour certains manquements à la probité ;
– en créant, à l’article 11, des circonstances aggravantes, telles que l’agissement en bande organisée ou l’interposition d’une structure offshore, pour l’ensemble des manquements au devoir de probité ;
– en étendant, à l’article 12, pour certains délits de corruption et de trafic d’influence, les cas dans lesquels la justice française peut exercer une compétence extraterritoriale sans condition préalable (amendement de M. Pierre Lellouche) ;
– en modifiant, à l’article 12 ter, le champ de compétence exclusive du parquet financier à compétence nationale (amendement de Mme Sandrine Mazetier) ;
– en permettant d’utiliser les techniques de surveillance, d’infiltration et d’écoute judiciaires pour certains délits d’atteinte à la probité, comme le permet l’article 12 quater.
La Commission a également introduit, à l’article 12 bis du projet de loi, une « convention judiciaire d’intérêt public » (amendement de Mme Sandrine Mazetier). Cette procédure transactionnelle doit permettre, sous le contrôle du juge et avec de fortes garanties de publicité, de conclure avec les personnes morales mises en cause pour des délits d’atteinte à la probité un accord prévoyant, en échange de l’abandon des poursuites, le versement d’une amende pénale et le suivi d’un programme de mise en conformité avec les obligations de prévention et de détection des risques liés à la corruption.
À l’initiative de votre rapporteur, votre commission des Lois a adopté sept nouveaux articles, numérotés 6A à 6G, qui forment un socle commun des droits des lanceurs d’alerte.
Elle a également adopté, après l’avoir modifiée, une proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte déposée le 18 mai dernier par les membres du groupe Socialiste, radical et citoyen. Elle a été conduite à tirer les conséquences de ce transfert dans le projet de loi ordinaire, en supprimant l’article 6 relatif au financement par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) de la protection des lanceurs d’alerte.
Par ailleurs, elle a adopté, à l’article 5 bis, le principe d’un rapport annuel publié par le ministre de la Justice dressant un bilan des signalements effectués par les fonctionnaires auprès des procureurs de la République, au titre du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale (amendement de Mme Sandrine Mazetier).
● Votre commission des Lois a modifié et complété le répertoire numérique des représentants d’intérêts créé à l’article 13.
À l’initiative de votre rapporteur, elle a élargi la définition du représentant d’intérêts :
– en faisant référence aux « politiques publiques », plutôt qu’à la « décision publique », ces derniers termes pouvant inclure des décisions individuelles ;
– en n’exigeant plus que l’activité d’influence soit exercée « régulièrement » ;
– en étendant le champ des personnes morales concernées à certaines personnes publiques : les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), les groupements d’intérêt public (GIP) exerçant une activité industrielle et commerciale, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métier et de l’artisanat. En conséquence, les personnes physiques ne seraient plus concernées par l’inscription au répertoire que lorsqu’elles exercent leur activité de manière individuelle dans un cadre professionnel.
La commission des Lois est, en outre, revenue sur l’exclusion de principe de la qualification de représentant d’intérêts :
– des organisations professionnelles d’employeurs (amendement de Mme Sandrine Mazetier) ;
– des associations à objet cultuel (amendements de Mme Sandrine Mazetier et de M. Bertrand Pancher).
Par ailleurs, votre commission des Lois a étendu aux assemblées parlementaires le champ des interlocuteurs publics des représentants d’intérêts, ouvrant la voie à la création d’un répertoire unique, commun au Parlement et au pouvoir exécutif – conformément à ce qu’avait souhaité, dès l’automne dernier, le Président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone (9).
En effet, sur proposition de votre rapporteur et de M. David Habib, vice-président de l’Assemblée nationale, président de la Délégation du Bureau chargée des représentants d’intérêt et des groupes d’études, la commission des Lois a étendu le champ des acteurs publics dont les relations avec les représentants d’intérêts sont régies par l’article 13 aux députés et aux sénateurs. Corrélativement, sur proposition de votre rapporteur, elle a étendu le périmètre des acteurs publics concernés aux collaborateurs parlementaires et aux fonctionnaires des assemblées.
Afin de se conformer aux principes de séparation des pouvoirs et d’autonomie des assemblées, un dispositif spécifique a été prévu : les représentants d’intérêts entrant en communication avec les députés ou les sénateurs, leurs collaborateurs et les fonctionnaires parlementaires ne seront pas soumis aux obligations déontologiques définies dans la loi, mais aux règles déterminées par le Bureau de chaque assemblée. L’organe chargé, au sein de chaque assemblée, de la déontologie parlementaire s’assurera de leur respect. En cas de manquement, il saisira le Président de l’assemblée qui pourra, après avis du Bureau, saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – seule détentrice du pouvoir de sanctionner un représentant d’intérêts.
Sur proposition de votre rapporteur, la commission des Lois a également étendu le périmètre du futur répertoire aux activités de représentation d’intérêts exercées auprès des collectivités territoriales, des intercommunalités et de certains fonctionnaires – notamment – territoriaux.
Sont concernés, d’une part, les exécutifs locaux (ainsi que leurs directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet) et les élus locaux déjà tenus d’établir une déclaration d’intérêts et une déclaration de situation patrimoniale en application de la loi du 11 octobre 2013 précitée. Sont concernés, d’autre part, les fonctionnaires prochainement soumis à l’obligation de fournir une déclaration de situation patrimoniale en vertu de la loi du 20 avril 2016 précitée. L’entrée en vigueur de ces dispositions sera différée au 1er janvier 2018, afin de permettre une montée en charge progressive du répertoire. Un décret en Conseil d’État déterminera quels types d’actes réglementaires des collectivités territoriales devront être pris en compte.
En outre, à l’initiative de votre rapporteur et de M. David Habib, la commission des Lois a complété les informations – notamment financières – que devront fournir les représentants d’intérêts et qui seront rendues publiques.
Elle a également précisé et complété les obligations déontologiques incombant aux représentants d’intérêts.
Enfin, sur proposition de votre rapporteur, la Commission a renforcé les pouvoirs de contrôle et de sanction des représentants d’intérêts par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. En particulier, elle a :
– porté la pénalité financière maximale de 30 000 à 50 000 euros ;
– introduit une sanction supplémentaire, en cas de récidive, permettant à la Haute Autorité d’interdire à un représentant d’intérêts, pendant une durée maximale d’un an, d’entrer en communication, de sa propre initiative, avec tout ou partie des acteurs publics mentionnés à l’article 13. Cette interdiction ne lierait pas ces derniers, mais s’imposerait au seul représentant d’intérêts.
● Sur proposition de votre rapporteur, la commission des Lois a triplement renforcé les prérogatives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique :
– l’article 14 permet désormais à la Haute Autorité de rendre public ses avis relatifs au départ vers le secteur privé (« pantouflage ») d’un membre du Gouvernement ou d’un président d’exécutif local (10) ;
– le nouvel article 14 bis donne aux agents de la Haute Autorité un accès direct à plusieurs fichiers de l’administration fiscale : le fichier des comptes bancaires « FICOBA », le fichier des contrats de capitalisation et d’assurance-vie « FICOVIE », le fichier des transactions immobilières « PATRIM » et la « Base nationale des données patrimoniales » (BNDP). Cela permettra à la Haute Autorité, sans être tributaire de l’administration fiscale, d’obtenir directement les informations indispensables à l’exercice de ses missions, en particulier le contrôle des déclarations de situation patrimoniale ;
– le nouvel article 14 ter complète la procédure de vérification de la situation fiscale des membres du Gouvernement prévue à l’article 9 de la loi du 11 octobre 2013 précitée, en remédiant à l’absence de mécanisme d’information du Président de la République et du Premier ministre en cas d’anomalie. La Haute Autorité sera désormais tenue de les avertir lorsque la procédure de vérification aura révélé qu’un ministre ne respecte pas ses obligations fiscales.
La Commission a supprimé l’article 24 relatif au régime d’immunité d’exécution des biens appartenant à des États étrangers au motif que les effets de la réforme proposée pourraient priver leurs créanciers de toute capacité à obtenir l’exécution d’une décision de justice définitive prononcée en leur faveur.
La Commission a introduit, à l’initiative de votre rapporteur et des rapporteurs pour avis des commissions des Affaires économiques et des Finances, deux nouveaux articles visant à renforcer les obligations de reporting auxquelles sont soumises les grandes entreprises.
L’article 45 ter abaisse de 750 à 50 millions d’euros le seuil de chiffre d’affaires conditionnant l’obligation de procéder à une déclaration fiscale pays-par-pays auprès des administrations fiscales, introduite en loi de finances pour 2016 en application du plan de l’OCDE « BEPS » (11). Cette mesure doit permettre à l’administration fiscale de disposer de toute l’information nécessaire au contrôle des entreprises actives à l’internationale, hors PME.
L’article 45 bis introduit une nouvelle obligation de reporting public, inspirée des travaux de la Commission européenne. Celle-ci concernera les sociétés dont le chiffre d’affaires, consolidé ou non, est supérieur à 750 millions d’euros ainsi que les filiales situées en France de sociétés étrangères dont le chiffre d’affaires est supérieur à ce seuil. Les informations transmises et le périmètre géographique retenus sont identiques à ceux prévus par la Commission européenne de manière à :
– renforcer la position de cette dernière dans les négociations en cours pour l’adoption de cette directive, qui a pu susciter des réserves de la part de certains pays ;
– assurer l’équilibre entre le principe de libre entreprise et l’obligation de transposition de la directive en préparation. La commission des Lois, en anticipant sur cette obligation tout en prévoyant une entrée en vigueur différée de l’article, permet aux entreprises de se préparer à la mise en œuvre de cette réforme au niveau européen ;
– améliorer substantiellement les données publiques sur l’activité économique des entreprises multinationales, sans toutefois exposer de façon dommageable nos entreprises à la concurrence internationale.
L’article 54 bis, introduit par la Commission à l’initiative de votre rapporteur, prévoit un nouveau dispositif d’encadrement par l’assemblée générale des actionnaires de la rémunération des dirigeants de l’entreprise, s’inspirant de la procédure de « say on pay », appliquée depuis 2013 par la plupart des grandes entreprises, mais en la rendant désormais contraignante. L’objectif est de ne plus permettre à un conseil d’administration ou de surveillance de passer outre la décision défavorable de l’assemblée générale sur le niveau de rémunération des mandataires sociaux.
Ce dispositif, mis en œuvre par plusieurs de nos principaux partenaires économiques, comme le Royaume-Uni et l’Allemagne, devrait permettre de moraliser davantage le comportement de certains dirigeants et de limiter pour l’avenir les excès trop fréquemment dénoncés au cours des dernières années.
*
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AUDITION COMMUNE DE M. MICHEL SAPIN, MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS, ET DISCUSSION GÉNÉRALE
Sous la présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, de Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des Affaires économiques, et de M. Dominique Baert, vice-président de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, il est procédé, lors de la réunion du mardi 24 mai 2016, à l’audition de M. Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics, sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (n° 3623) (M. Sébastien Denaja, rapporteur ; MM. Dominique Potier et Romain Colas, rapporteurs pour avis).
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Avec Frédérique Massat, présidente de la commission des Affaires économiques et Dominique Baert, vice-président de la commission des Finances, nous avons le plaisir d’accueillir M. Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics.
Nous allons vous entendre et vous questionner, monsieur le ministre, au sujet du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Ce texte a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 30 mars 2016, et renvoyé à la commission des Lois, laquelle a désigné M. Sébastien Denaja comme rapporteur. Deux commissions se sont saisies pour avis, la commission des Affaires économiques et la commission des Finances, qui ont respectivement désigné, comme rapporteur pour avis, M. Dominique Potier et M. Romain Colas.
En accord avec la présidence des deux autres commissions, Dominique Raimbourg, le président de la commission des Lois, a proposé, pour mieux respecter les compétences des commissions concernées et tenir compte de la nature spécifique de ce projet de loi, que l’examen des articles relevant des commissions saisies pour avis leur soit délégué. C’est la raison pour laquelle il a été jugé opportun de donner à cette audition un caractère conjoint.
La commission des Affaires économiques s’est réunie la semaine dernière ; la commission des Finances le fera cet après-midi ; enfin, la commission des Lois se réunira demain matin, chacune examinant les articles et les amendements relevant du processus de délégation mis en place. Le débat en séance publique aura lieu, quant à lui, à partir du lundi 6 juin.
Mme la présidente Frédérique Massat. Je salue l’initiative du président de la commission des Lois, qui a souhaité une délégation partielle de l’examen de ce texte aux commissions pour avis, grâce à laquelle la commission des Affaires économiques a examiné l’ensemble des articles qui lui ont été délégués, quasiment comme si elle avait été saisie au fond.
Il s’agissait de l’article 25, sur la réduction de la durée de la validité des chèques ; de l’article 30, sur l’interdiction de la cession à titre onéreux des contrats de vente de lait de vache ; de l’article 31, sur le renforcement de l’obligation légale de dépôt de leurs comptes annuels par les sociétés transformant des produits agricoles ou commercialisant des produits alimentaires ; de l’article 36, sur le renforcement de la réglementation sur les délais de paiement ; de l’article 38, sur la modification des conditions du stage préalable à l’installation des artisans ; de l’article 43, modifiant les obligations de qualifications professionnelles pour l’accès à certaines activités artisanales ; de l’article 44 enfin, qui autorise le Gouvernement à transposer par ordonnances des directives relatives aux qualifications professionnelles.
La commission des Affaires économiques a reçu le 17 mai le ministre Emmanuel Macron, directement concerné par plusieurs de ces articles. Elle a examiné 216 amendements et en a finalement adopté 61, dont 22 créant des articles additionnels.
Parmi les amendements qui n’ont pas été adoptés, plusieurs sujets ont retenu l’attention de notre rapporteur pour avis Dominique Potier, et nous avons eu des débats nourris sur l’agriculture, les négociations commerciales et les qualifications professionnelles. Les commissaires ont souhaité que les décrets appelés à fixer les exigences de qualifications donnent lieu à la consultation des représentants des professions concernées, ce qui n’était pas initialement prévu par le texte.
Cela étant, je demeure très réservée sur l’article 43, qui suscite beaucoup d’inquiétude parmi ces professionnels et dans nos territoires. L’allégement envisagé des qualifications ne risque-t-il pas de créer une nouvelle catégorie de professionnels non qualifiés, au risque d’exposer les autres à une concurrence déloyale ? La qualité du service rendu au consommateur ne s’en trouvera-t-elle pas diminuée ? Comment enfin articuler politiquement une telle réforme avec la valorisation des métiers et l’apprentissage ? Il demeure difficile de répondre à ces questions au vu du texte proposé, puisqu’il renvoie à des décrets d’application. Nous souhaiterions donc avoir le projet de décret afin de pouvoir nous prononcer en toute connaissance de cause.
M. Dominique Baert, président. Je vous prie tout d’abord d’excuser le président de la commission des Finances Gilles Carrez, qui ne peut être présent à notre réunion conjointe.
La commission des Finances s’est saisie de dix-huit articles du projet de loi, que nous examinerons pour avis dès cet après-midi, dans les conditions qui viennent d’être rappelées par Jean-Yves Le Bouillonnec.
L’intérêt de notre commission va de soi s’agissant de dispositions intéressant les secteurs financier, bancaire et assurantiel, mais aussi de dispositions relatives à l’épargne, à la fiscalité ou au financement des entreprises.
Nous avons même anticipé sur ce projet de loi, en déposant, avec Dominique Lefebvre, une proposition de loi visant à réformer le système de répression des abus de marché. À la suite d’une décision prise par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, il y avait en effet urgence à mettre fin au cumul des poursuites et des sanctions administratives et pénales en matière financière pour les procédures relevant du même ordre de juridiction. Marquée par l’urgence et par la nécessité de combler un vide juridique, cette proposition de loi, qui a pris soin d’intégrer en tant que de besoin les dispositions de la directive et du règlement européens de 2014, a été élaborée de façon consensuelle, d’abord entre les autorités judiciaires et administratives, puis entre l’Assemblée nationale et le Sénat : la semaine dernière, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord qui sera soumis au début du mois prochain au vote successif des deux chambres.
M. Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics. Ce projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est porté par plusieurs ministres : Jean-Jacques Urvoas pour les dispositions à caractère pénal, Emmanuel Macron pour ce qui touche à l’économie, mais également Stéphane Le Foll pour les dispositions à caractère agricole. À l’instar de votre commission des Lois, je jouerai le rôle de chef de file dans les débats que nous aurons ensemble. Sachez que c’est avec une grande ouverture d’esprit vis-à-vis de vos propositions que j’aborde ces discussions, convaincu que le Parlement doit être étroitement associé à la construction de ce texte, dont l’objectif fondamental est de hisser la France aux meilleurs standards internationaux, pour renforcer la confiance de nos concitoyens dans leur système politique et économique.
Il porte à mon sens deux objectifs qui peuvent tous nous rassembler. Il s’agit, d’une part, d’accroître la transparence dans le fonctionnement de nos institutions, laquelle a déjà fait, au cours de ces dernières années, l’objet de plusieurs textes de loi. C’est en effet la condition sine qua non pour que nos concitoyens retrouvent confiance dans les institutions publiques et dans une économie ouverte et saine.
Il s’agit, d’autre part, de développer la liberté du commerce et de l’industrie en encourageant le financement de l’économie réelle – nos entreprises ont en effet besoin que l’épargne de nos concitoyens et les investissements s’orientent vers elles –, tout en luttant contre la finance qui corrompt et en sanctionnant plus sévèrement les dévoiements qui menacent notre modèle économique et social.
C’est dans ce cadre politique que j’ai travaillé étroitement ces dernières semaines avec les rapporteurs des trois commissions saisies, MM. Denaja, Colas et Potier, afin d’améliorer le texte. Je les remercie chaleureusement et salue le travail qu’ils accomplissent.
Je commencerai par trois remarques avant d’en venir au fond du texte. En premier lieu, mon expérience parlementaire – relativement longue puisque peu d’entre vous siégeaient déjà dans cette assemblée avant que j’y sois élu – m’incite à penser que le travail parlementaire est utile et efficace. Le premier pas vers la transparence passe par le débat démocratique, d’autant que nous avons tous à cœur de partager des valeurs et un souci d’efficacité.
Ensuite, je voudrais vous mettre en garde contre le risque de charger ce texte, déjà considérable, de toutes les bonnes – ou moins bonnes – idées que vous pourriez avoir. Je propose donc que toutes les propositions de nature fiscale soient renvoyées au débat que nous aurons à l’automne sur la loi de finances ; je vous invite par ailleurs à vous méfier des cavaliers législatifs, ce qui est à l’évidence le cas de bon nombre d’amendements. Ils ne manqueraient pas d’être sanctionnés comme tels par le Conseil constitutionnel qui, on l’a vu, se montre sur ce point de plus en plus sévère.
Cela m’amène à ma troisième remarque : nous touchons avec ce projet à des sujets extrêmement délicats sur lesquels les acteurs économiques concernés ne manqueront pas, et on ne peut les en blâmer, de vouloir se défendre, le cas échéant en en appelant à la justice, comme c’est naturel dans un pays démocratique. Aussi, que le Conseil soit saisi ou pas, et peut-être plus encore s’il ne l’est pas, nous devons donc être très vigilants sur la constitutionnalité des dispositions envisagées. Car s’il n’était pas saisi, des QPC pourraient naître en bien des occasions – on le voit à propos d’autres sujets, avec le non bis in idem, et je ne doute pas que certains spécialistes y travaillent déjà –, qui viseraient à remettre en cause certaines procédures. C’est la raison pour laquelle je vous demande la plus grande rigueur possible sur les questions de constitutionnalité. Même si personne ne peut prétendre détenir la vérité absolue dans ce domaine, puisqu’elle arrive toujours a posteriori, mieux vaut tirer les enseignements de certaines décisions récentes.
J’en viens à présent au fond. Ce projet de loi s’articule autour de quatre grands axes, au premier rang desquels la protection des lanceurs d’alerte. Le texte comporte d’ores et déjà des dispositions qui constitueront l’accroche nécessaire pour ajouter par amendements un statut général des lanceurs d’alerte. Cela en effet n’a pu être fait en amont, les services du ministère ne disposant pas encore lors de la rédaction du projet du rapport que le Conseil d’État vient de rendre sur la question. Il contient de très bonnes idées, même si le sujet peut donner lieu à bien des débats de toute nature ; je compte sur vous pour apporter les compléments nécessaires.
L’affaire des Panama Papers ou celle des Luxleaks et d’Antoine Deltour ont encore mis en lumière très récemment, s’il en était besoin, le rôle éminent des lanceurs d’alerte, et la manifestation de cette conscience citoyenne au bénéfice de l’intérêt général doit être mieux protégée. Il faut d’abord pour cela définir, et ce n’est pas si simple, ce qu’est un lanceur d’alerte afin de l’identifier juridiquement et, ainsi, de le protéger, en évitant l’utilisation abusive du concept. Il faut ensuite définir le « canal » que la révélation des informations dont le lanceur d’alerte est dépositaire doit emprunter. Ce canal doit être balisé clairement et précisément défini, afin, d’une part, de vérifier les informations et de protéger les tiers ainsi que l’organisation en cause contre tout signalement malveillant et, d’autre part, de permettre aux autorités compétentes de les traiter. Il faut enfin que tous les lanceurs d’alerte puissent bénéficier de la même protection, quel que soit le domaine dans lequel ils interviennent. Cette protection doit être renforcée au regard de ce qui existe, afin qu’aucun lanceur d’alerte n’ait à pâtir, notamment au point de vue financier, de la divulgation, dans les conditions légalement prévues, d’une information d’intérêt général au public ou à la presse. C’est la raison pour laquelle je crois que la protection des lanceurs d’alerte doit être confiée, quelle que soit la formule retenue, à une autorité publique indépendante.
Deuxième axe, le projet de loi prévoit la création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts – ou lobbyistes – auprès du Gouvernement, à l’image du fichier mis en place il y a quelques années par l’Assemblée nationale et le Sénat pour répertorier les représentants d’intérêts s’adressant aux parlementaires. L’objectif du Gouvernement est bien d’encadrer l’activité des représentants d’intérêts et non de l’interdire ou de la stigmatiser. Les représentants d’intérêts, par leur action, contribuent à la réflexion collective ; ils constituent des relais d’opinion que le Gouvernement et le législateur doivent écouter et dont les informations et les arguments doivent être pris en considération. Mais c’est parce qu’ils ont un pouvoir d’influence sur les pouvoirs publics qu’il faut rendre transparents les rapports qu’ils entretiennent avec ces derniers, en encadrant l’activité de représentation d’intérêts. Là encore, le projet du Gouvernement a naturellement vocation à être enrichi lors de l’examen que vous ferez du texte – votre rapporteur y travaille. Je suis favorable à toute extension qui ira dans le sens de la transparence, et notamment à la création d’un registre unique, commun au Gouvernement, à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Troisième axe, très important : la lutte contre la corruption. Vous le savez, et cela me fait toujours mal lorsque cette remarque m’est faite au niveau international : la France est très mal classée par les organisations internationales comme l’OCDE ou par les organisations non gouvernementales, comme Transparency International. Il lui est notamment reproché de manquer de dispositifs légaux suffisamment puissants pour prévenir la corruption internationale – nous nous sommes déjà, par d’autres lois, dotés de gros moyens pour détecter et punir les actes de corruption sur notre territoire, l’actualité juridico-politique en témoigne.
Je trouve notamment très choquant que notre justice n’ait condamné définitivement aucune société française pour corruption d’agent public étranger depuis 2000, date de la création de cette infraction, cependant que plusieurs de ces sociétés françaises étaient sanctionnées, parfois lourdement, par des justices étrangères, au premier rang desquelles la justice américaine, mais également par la justice britannique ou la justice hollandaise. C’est de toute évidence une situation inacceptable, nuisible à l’image de la France et de ses entreprises. C’est ce retard que je souhaite voir combler pour mettre notre pays au niveau des grandes démocraties modernes.
Il s’agit d’abord de mieux prévenir et détecter la corruption. Le projet de loi prévoit à ce titre la création de l’Agence nationale de prévention et de la détection de la corruption, qui remplacera le Service central de prévention de la corruption (SCPC), créé par la loi du 29 janvier 1993, dont elle reprendra les missions, tout en assurant celles, nouvelles, qui lui seront attribuées.
Le texte crée aussi une obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption, applicable notamment aux très grandes entreprises.
Il vise ensuite à rendre plus effective la répression de la corruption, à travers un renforcement de notre arsenal répressif. Je me bornerai à ce stade à mentionner la création d’une peine complémentaire dite de mise en conformité des procédures de prévention et de détection de la corruption pour les entreprises.
Je suis convaincu que, là encore, vous aurez l’audace nécessaire pour compléter le texte afin de mettre notre pays aux meilleurs standards de lutte contre la corruption, et en particulier de la corruption transnationale.
Quatrième axe, la modernisation de la vie économique. Il porte quatre ambitions cohérentes. À l’examen les amendements que vous avez pu déposer, je remarque que bon nombre d’entre vous brûlent d’envie d’apporter leur contribution… Prenons garde, je le répète, à ne pas trop alourdir la barque, déjà bien chargée.
Notre première ambition est de renforcer la régulation financière française, ce qui contribuera à la stabilité financière et à la compétitivité de la place financière de Paris. Cela permettra également d’accroître la protection des épargnants. Pour en avoir beaucoup discuté avec lui, je sais que c’est une préoccupation que partage le rapporteur de la commission des Finances.
Le projet de loi prévoit ainsi plusieurs mesures pour étouffer (Sourires), étoffer, pardon, les pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers – pour éviter justement qu’ils ne soient étouffés… L’autre superviseur financier français, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, verra également ses pouvoirs renforcés : nous allons en particulier créer un régime de résolution pour les assurances – une première en Europe –, afin de renforcer la stabilité financière et la protection des assurés.
Enfin, je sais que vous envisagez de renforcer les pouvoirs du Haut Conseil de stabilité financière, que je préside depuis maintenant deux ans. Cette institution, qui veille à l’interaction entre les développements financiers et la stabilité économique, a effectivement un rôle majeur à jouer : je salue donc votre initiative, qui vise à enrichir ses pouvoirs.
Notre deuxième ambition est d’améliorer la protection des consommateurs et des épargnants. Je voudrais insister ici sur deux mesures particulièrement importantes. Nous souhaitons d’abord interdire purement et simplement la publicité pour des plateformes internet qui proposent des instruments financiers très risqués et promettent de vous transformer en trader en quelques heures pour décrocher le gros lot en quelques jours, sans préciser qu’au bout du compte, vous vous exposez surtout à perdre beaucoup d’argent. Vous vous apprêtez pour cela à donner à l’AMF des pouvoirs supplémentaires, ce qui est une bonne initiative.
Je veux également faciliter l’usage des moyens de paiement modernes, de façon sécurisée pour les consommateurs. C’est notamment la raison pour laquelle je souhaite restreindre la durée de validité du chèque à six mois, ce qui permettra également de diminuer l’incertitude liée au délai d’encaissement. La commission des Affaires économiques a souhaité fixer une date claire d’entrée en vigueur afin de permettre aux acteurs de s’adapter ; j’en suis tout à fait d’accord.
La troisième ambition concerne le financement de l’économie française. Une première mesure qui me paraît majeure consiste à faciliter le financement de l’économie par les investisseurs. C’est pourquoi, conformément à ce que permet le droit communautaire et tout en maintenant un niveau de protection élevé pour les assurés, le projet de loi crée un régime prudentiel adapté pour les régimes de retraite supplémentaire – ce qu’on a faussement appelé des « fonds de pension à la française », alors qu’il s’agit d’une épargne que les Français ont volontairement mis de côté pour leurs vieux jours. Or ces retraites supplémentaires sont aujourd’hui régies par le système assurantiel, dont les règles prudentielles extrêmement contraignantes limitent considérablement le fléchage de ces sommes vers l’économie réelle.
Vous souhaiteriez que cette évolution puisse également s’appliquer aux plans d’épargne retraite populaire (PERP). Cependant, les PERP ne sont pas des produits de retraite professionnelle au sens de la réglementation communautaire. À droit constant, cela n’est donc pas possible, mais je suis prêt à plaider à Bruxelles pour que ce type de produits puisse bénéficier des mêmes souplesses.
Par ailleurs, le livret de développement durable (LDD) comportera désormais un volet dédié à l’économie sociale et solidaire, qui représente 10 % du PIB en France : concrètement, les banques proposeront annuellement à leurs clients détenteurs d’un LDD d’en affecter une partie au financement d’une personne morale relevant de l’économie sociale et solidaire. Vous souhaitez également étendre les obligations d’emploi de l’épargne réglementée qui incombent aux banques aux entités de l’économie sociale et solidaire. Cela me paraît une bonne mesure, qui incitera les banques à investir davantage dans ce secteur.
Enfin, ce texte doit permettre d’améliorer les conditions d’exercice de nombreuses professions, en assurant plus de transparence et en adaptant le système de qualifications professionnelles pour en améliorer l’accessibilité et la qualité. Je n’entrerai pas dans le détail de mesures dont la commission des Affaires économiques a déjà longuement discuté avec le ministre de l’Économie ; je tiens d’ailleurs à saluer ces travaux, et particulièrement ceux du rapporteur pour avis, qui ont contribué à enrichir le texte et à en clarifier les objectifs là où cela était nécessaire.
Je comprends en particulier les préoccupations qui ont conduit à faire évoluer les dispositions en matière d’agriculture, pour apporter plus de transparence sur les ventes de foncier agricole et sur la formation des prix au sein des filières : on y retrouve parfaitement l’esprit du projet de loi.
Je suis satisfait également des clarifications qui ont pu être apportées sur certaines mesures chères au monde de l’artisanat. L’objectif est bien de tirer vers le haut les créateurs d’entreprise et en particulier les primo-créateurs, autrement dit ceux qui le font pour la première fois, en leur offrant d’autres passerelles – c’est le sens des modifications qui ont été apportées, que je trouve de bonne qualité.
Enfin, s’agissant des questions relatives au droit des sociétés, certains d’entre vous souhaitent enrichir le projet de loi pour rendre contraignantes les décisions des actionnaires en matière de rémunération. Je m’en félicite.
Mesdames et messieurs les députés, c’est avec une vraie émotion que, près de vingt-cinq ans après avoir présenté à votre assemblée un projet de loi qui portait quasiment le même titre – c’est ce qui vaut à celui-ci de porter un numéro en plus d’un nom –, j’engage aujourd’hui le débat avec vous.
Charles de Courson. Ça ne nous rajeunit pas !
M. Michel Sapin. Le hasard et la vie politique me donnent l’occasion de vous présenter un texte qui s’inscrit dans une totale continuité ; je me souviens que les débats sur la première loi avaient été particulièrement riches, et que le texte avait été adopté par l’Assemblée nationale à une assez large majorité, et avait fait ensuite l’objet d’une adoption conjointe de l’Assemblée et du Sénat. Je ne vois pas pourquoi il n’en serait pas de même aujourd’hui, sur un texte fidèle à nos valeurs, quel que soit le contexte politique – et je me souviens que celui de janvier 1993 n’était pas particulièrement calme (Sourires). Ce qui tend à prouver que, même dans un climat politique animé, il est possible de faire un travail législatif de qualité sur des sujets qui peuvent nous rassembler.
M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Ce projet de loi s’inscrit avec cohérence dans l’action menée avec constance par le Gouvernement et la majorité depuis 2012. Il fait écho à un discours célèbre prononcé par François Hollande en janvier 2012 au Bourget et dans lequel l’ennemi avait été désigné : la finance dévoyée, cette finance que nous entendons aujourd’hui démasquer au moyen d’outils comme l’agence Anticorruption.
Il s’agit d’un texte ambitieux et courageux. Ambitieux, tant son champ est large : favoriser une plus grande transparence de l’action publique, garantir la probité des comportements économiques, améliorer la régulation financière, renforcer les droits des consommateurs et faciliter le financement des entreprises et de l’économie réelle. Courageux, parce qu’il aborde des sujets difficiles et propose des réformes trop longtemps différées : le renforcement de la lutte contre la corruption, la protection des lanceurs d’alerte, la transparence du lobbying.
Je souhaite donc que l’Assemblée nationale, et en particulier les trois commissions qui se sont saisies de ce projet de loi, contribuent à l’enrichir, tout en maintenant sa cohérence d’ensemble. C’est en tout cas l’objectif que je me fixe en tant que rapporteur de la commission des Lois. Je salue l’esprit de co-construction dans lequel nous avons travaillé avec mes deux collègues rapporteurs, Romain Colas et Dominique Potier, et le Gouvernement.
En ce qui concerne la prévention et la détection de la corruption, le projet de loi renoue avec l’esprit de la loi du 29 janvier 1993, que le ministre connaît bien. C’est l’honneur de notre majorité d’assumer les engagements internationaux de notre pays et de doter notre législation d’instruments efficaces pour lutter contre les maux de la corruption.
Le Gouvernement nous propose la création d’une agence – que je proposerai de rebaptiser plus simplement Agence française anticorruption – dotée enfin de ressources à la hauteur du défi. Je rappelle en effet qu’en 2012, le SCPC ne disposait plus que de 4,75 équivalents temps plein… En Italie, le service équivalent compte 350 agents ! Cette agence sera notamment chargée de contrôler la mise en œuvre, par les entreprises condamnées, de la nouvelle peine de mise en conformité prononcée par les tribunaux. Le projet de loi en fait un service à compétence nationale qu’il entoure de certaines garanties d’indépendance fonctionnelle, notamment pour son directeur. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre à accueillir favorablement les amendements prévoyant notamment l’inamovibilité de son directeur et visant à étendre les garanties d’indépendance à tous ses agents ?
Dans l’avant-projet figurait une procédure de transaction spécifique aux atteintes à la probité qui nourrit les débats. Ces débats, il est essentiel que nous les ayons, en commission comme dans l’hémicycle, car on ne peut occulter le fait que notre pays n’ait, de toute son histoire, jamais condamné à titre définitif une seule personne morale pour des faits de corruption, alors que trois cents personnes physiques en moyenne sont chaque année condamnées par les tribunaux pour des faits de même nature.
Ne vous semble-t-il pas néanmoins qu’il serait utile, au-delà de cette procédure, de renforcer les moyens juridiques à la disposition des parquets ? Si l’on peut en effet saluer les moyens importants affectés par le projet de loi à la prévention et à la détection – l’étude d’impact parle de soixante à soixante-dix agents –, je rappelle qu’à l’heure actuelle le parquet national financier (PNF) ne peut compter que sur quinze magistrats, et je plaide pour ma part en faveur d’un doublement de ses moyens. Ne faudrait-il pas également envisager la création d’une infraction de corruption en bande organisée, afin d’étendre les moyens d’enquête et de permettre le prononcé de peines plus sévères ? Pourquoi, enfin, ne pas imaginer une exemption de peine pour les repentis, comme elle est déjà possible en matière de blanchiment ?
En ce qui concerne les lanceurs d’alerte, nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à souhaiter que ce projet de loi permette de jeter les fondements d’un socle commun des droits des lanceurs d’alerte. C’est notamment l’objet de la récente proposition de loi déposée sur le bureau de notre assemblée par Yann Galut, et la récente étude du Conseil d’État doit nous aider à donner corps à ces fondements au travers de ce projet de loi. Je ne doute pas que vous accompagnerez plusieurs de nos initiatives en la matière. Je proposerai donc dès demain en commission des Lois des amendements visant à créer un véritable régime général de protection des lanceurs d’alerte, sous la forme de sept nouveaux articles ordinaires et d’une proposition de loi organique qui a reçu l’assentiment du groupe Socialiste et de son président, Bruno Le Roux, ainsi que de sa porte-parole pour ce texte, Sandrine Mazetier. Elle répond à l’exigence que vous venez, monsieur le ministre, de rappeler : seule une autorité indépendante peut garantir l’efficacité et la protection des lanceurs d’alerte. Nous proposons de faire du Défenseur des droits, autorité dont l’indépendance est garantie par la Constitution, la clef de voûte du dispositif de traitement et de protection des lanceurs d’alerte. Afin de nous permettre de passer l’obstacle de l’irrecevabilité financière prévue par l’article 40 de la Constitution, le Gouvernement est-il prêt à nous soutenir en indiquant son intention d’abonder les moyens budgétaires et en personnel du Défenseur des droits, afin de lui permettre d’exercer les nouvelles compétences que nous entendons lui confier ?
Pour ce qui concerne le répertoire des représentants d’intérêts, je me félicite qu’après le registre de transparence européen et les registres des représentants d’intérêts de l’Assemblée nationale et du Sénat, le pouvoir exécutif se dote à son tour d’un dispositif permettant de faire la lumière sur le lobbying, sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Mais nous souhaitons aller plus loin encore, notamment sur le périmètre des acteurs publics concernés et, dans le prolongement de l’avis rendu par le Conseil d’État, étendre ce registre aux collectivités territoriales et aux intercommunalités, de plus en plus souvent l’objet des sollicitations des représentants d’intérêts. Le Gouvernement y est-il favorable ? De même, est-il favorable à l’idée que ce répertoire unique comporte « l’empreinte normative » des représentants d’intérêts, en d’autres termes qu’il retrace quelle aura été leur influence réelle ?
Dans un autre domaine, les dispositions de l’article 24 suscitent de nombreuses interrogations sur l’interprétation des conventions internationales relatives à la protection des biens des États étrangers ; nous aimerions que vous nous précisiez les intentions du Gouvernement.
Pour ce qui concerne enfin les mesures relatives aux entreprises, le projet de loi comporte de nombreuses mesures en faveur de la simplification de la vie des entreprises, qui ont été, pour la plupart, bien accueillies par leurs représentants – je parle des dispositions dont la commission des Lois s’est saisie et non de celles qu’a évoquées Frédérique Massat, au nom de la commission des Affaires économiques, dont je ne suis pas loin de partager la circonspection.
Plusieurs d’entre elles ont retenu mon attention, notamment une des dispositions de l’article 45, qui prévoit que le Gouvernement pourra prendre par ordonnance des mesures autorisant les entreprises à déposer leurs comptes annuels sous un format dématérialisé dans un délai de deux ans. Or, les représentants des entreprises y voient le risque de se faire imposer une technologie appelée XBRL – extensible Business Reporting Language –, dont certains éditeurs de logiciels et avocats font la promotion et qui est de plus en plus utilisée dans le monde. Est-ce bien l’objet de cette disposition ?
Je souligne également que deux initiatives parlementaires importantes devraient venir compléter ces mesures. La première, qui porte sur l’encadrement des rémunérations des mandataires sociaux, donnera force contraignante à la décision de l’assemblée générale des actionnaires, selon le principe du say on pay, déjà en vigueur chez les Allemands, les Anglais ou les Américains ; ce faisant, nous nous alignerons sur des standards bien connus des grandes économies occidentales. La seconde proposition fait suite aux débats que nous avons eus à l’automne dernier au sujet du reporting pays par pays – public country-by-country reporting – et vise à inscrire dans la loi des dispositions permettant sa mise en œuvre. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quelle sera votre position sur ces deux propositions ?
Sachez en tout cas que, de notre côté, nous sommes déterminés à enrichir ce texte et à ce qu’il puisse aboutir dans les meilleures conditions – je l’espère, avant la fin de l’été –, ajoutant à la loi Sapin I ce que nos amis anglais appelaient la semaine dernière « the Sapin two bill » (Sourires), qui permettra à notre pays de se poser en véritable leader européen dans le domaine de la protection des lanceurs d’alerte et de la transparence du lobbying.
M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques. La commission des Affaires économiques s’est concentrée sur deux volets importants de ce projet de loi : les mesures touchant à l’agriculture et celles touchant à l’artisanat.
Concernant l’agriculture, il s’agissait avant tout d’établir des conditions d’équité dans une activité économique qui a partie liée avec la question de notre souveraineté alimentaire et celle de la maîtrise de notre territoire, enjeux singuliers qui participent du bien commun.
Ainsi, la commission des Affaires économiques s’est montrée unanime à soutenir et à renforcer les dispositions visant à augmenter les sanctions applicables aux pratiques commerciales abusives, à la non-publication des comptes ou au non-respect des délais de paiement ; elle a aussi souhaité que les contrats laitiers post-quotas ne puissent faire l’objet d’une transaction commerciale dans un délai étendu de cinq à sept ans.
En créant dans le texte des articles additionnels, la commission a également tenu à ouvrir plusieurs chantiers en vue de la séance. C’est notamment le cas sur la question des coûts de production, pour lesquels nous avons inscrit dans le projet de loi qu’ils devaient être évalués en référence à un ou plusieurs indicateurs publics qui reflètent la diversité des bassins de production et des modes de production agricoles, au regard de la valorisation de la triple performance économique, sociale et environnementale de l’agro-écologie, chère à Stéphane Le Foll.
Nous nous sommes également retrouvés unanimes sur la proposition visant à ouvrir la possibilité de conclure des contrats pluriannuels et tripartites entre producteurs, transformateurs et distributeurs, et avons également posé les jalons d’une réforme de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, autant de dispositions qui pourraient constituer les prémices d’une refonte de la loi de modernisation de l’économie et rendre à nos producteurs un peu de leur dignité.
Bref, nous avons du travail et des rendez-vous dès cet après-midi avec toutes les forces vives et les parties prenantes à ce volet agricole. Nous avons accueilli des amendements venant de tous les horizons et qui convergeaient vers le même but : c’est une unanimité sur le volet agricole qui se dessine pour la séance publique.
Le combat que nous avons à mener sur l’artisanat sera plus difficile, dans la mesure où il relève moins de l’équité que de l’agilité… Cela étant, j’ai entendu vos encouragements, monsieur le ministre, et il me sont précieux à ce stade, car de nombreux malentendus subsistent.
Sur la question du stage de préparation à l’installation (SPI), nous avons rapidement trouvé un terrain d’entente, tombant d’accord sur le fait que ce stage devait évidemment s’effectuer avant l’installation, mais plus rapidement. Le SPI est précieux et nous devons le renforcer. C’est dans cette optique que nous y avons intégré l’information sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE), qui ne doit pas rester le monopole des multinationales.
En revanche, l’autre nouveauté que le ministre de l’Économie a souhaité introduire dans la loi et qui concerne les qualifications nous posait d’autant plus problème que, outre le fait que cela conduisait à ouvrir une boîte de Pandore, elle nous paraissait s’inscrire en porte-à-faux par rapport à la loi Pinel relative à l’artisanat, qui prônait la reconnaissance des métiers. La tentation était grande à ce stade de rejeter en bloc la proposition du ministre et de nous enfermer dans une logique opposant conservateurs et libéraux, ancienne et nouvelle économie. Mais nous ne sommes pas tombés dans ce piège et nous avons préféré examiner au fond les sujets posés dans le diagnostic du Gouvernement et qui méritaient peut-être des réponses différentes de celles qu’il proposait. C’est donc dans une logique de réforme de l’article 43 que nous nous sommes inscrits : autrement dit, l’article 43 auquel certains ici s’opposent n’existe plus. Nous travaillons sur de nouvelles pistes.
Ainsi, il n’y aura pas de remise en cause des tâches ou des métiers de l’artisanat qui ne fasse l’objet d’une concertation avec l’assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA) et avec les professions concernées. Cela étant, l’enjeu reste de sortir de l’économie informelle grâce à ce sas vers l’artisanat que constitue la micro-entreprise ; or nous avons identifié une réelle carence à ce niveau. En effet, si la voie royale vers l’artisanat reste l’enseignement initial délivré par nos lycées professionnels – qui doivent devenir des lycées des métiers – et l’apprentissage, il nous faut en parallèle réformer la validation des acquis de l’expérience (VAE), pour donner leur chance à des personnes qui ont acquis un savoir-faire leur permettant d’intégrer cette économie de l’excellence et du contrat de confiance avec le consommateur, qui est la marque de l’artisanat, une de nos fiertés nationales.
Si nous voulons parvenir à un consensus sur l’article 43, le « déminer » en quelque sorte, il nous faut tirer tout le monde vers le haut. Cela exige de faire bouger les lignes et de faire preuve d’inventivité. C’est le chantier que nous proposons d’ouvrir à travers une réforme de la VAE, voire en élargissant la catégorie des « hommes toutes mains » et autres métiers du bricolage, qui, en marge de l’artisanat, répond à une attente croissante de nos concitoyens et constitue donc un précieux réservoir d’activité pour d’éventuels autoentrepreneurs.
Je tiens, pour conclure, monsieur le ministre, à saluer la disponibilité dont vous-même et votre cabinet avez fait preuve autour d’un chantier qui dépasse largement le champ de la commission économique mais que j’ai néanmoins souhaité ouvrir : la lutte contre les fonds vautours, qui s’attaquent aux dettes des États les plus fragiles et les plus pauvres. Nous devons prendre des mesures de protection des biens acquis par des pays tiers sur notre sol et concourir à débarrasser l’économie de ces fonds vautours qui sont souvent les mêmes que l’on retrouve dans les Panama Papers, acteurs d’une économie de la fraude et de la triche qui désespère le peuple et fabrique de la misère au bout du monde comme au bout de la rue.
Votre disponibilité ne s’est pas non plus démentie sur la question du marché foncier. Il ne peut en effet y avoir de politique alimentaire ou de politique agricole qui ne s’appuie sur une politique foncière. Or les multiples lois que nous avons adoptées ont laissé des « trous dans la raquette », qui ont permis à une société chinoise de racheter des terres en Berry. La présence de fonds spéculatifs sur nos terres depuis 2008, d’abord sur des terres à enjeu – terres périurbaines ou viticoles – mais bientôt sur des terres simplement destinées à la production de blé ou de colza, nous inquiète fortement. Il s’agit d’un dévoiement profond d’une politique agricole qui fait consensus depuis la Libération, d’une remise en cause de notre modèle de production et des valeurs de civilisation que nous attachons à la terre. C’est la raison pour laquelle, j’ai déposé un amendement d’appel visant à éviter que notre espace rural ne devienne un supermarché pour sociétés écrans.
M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Ce projet de loi est un texte fondamental qui s’inscrit dans la cohérence de l’action menée par la majorité depuis 2012 pour accroître la transparence et la moralisation de la vie publique et de la vie économique.
Je rejoins Sébastien Denaja sur l’importance de créer des dispositifs de protection des lanceurs d’alerte, des systèmes anticorruption, mais également des outils de régulation financière, en France comme à l’échelle européenne et transnationale.
Mais ce projet de loi touche également à notre quotidien, en apportant des protections aux consommateurs et aux épargnants comme aux investisseurs.
Je veux à mon tour, comme l’ont fait mes prédécesseurs, saluer votre disponibilité, monsieur le ministre, et celle de vos équipes, qui ont permis ce travail de co-construction législative. Je remercie les autres rapporteurs, mais également Christophe Castaner, qui m’ont accompagné dans l’examen de ce texte. J’ai pris bonne note, monsieur le ministre, de votre assentiment sur certaines des dispositions que nous proposons – je pense notamment à l’extension des pouvoirs du Haut Conseil de stabilité financière et à l’émergence d’un régime macroprudentiel inspiré du régime macroprudentiel bancaire pour le secteur assurantiel, ou encore à l’extension des dispositifs prévus à l’article 28 visant à interdire efficacement la publicité pour les contrats à haut risque, extrêmement toxiques pour ceux qui se laisseraient berner. La proposition de la commission des Finances en la matière s’inspire des moyens dont dispose l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), et vise à permettre la fermeture par l’AMF, sous contrôle du juge, des sites illégaux.
Vous approuvez également que l’ouverture du livret de développement durable à l’économie sociale et solidaire soit étendue aux autres produits de l’épargne réglementée. Pensez-vous qu’on puisse envisager à terme un produit d’investissement qui viendrait compléter ces dispositions et permettrait de flécher du capital vers l’économie sociale et solidaire ?
Enfin, Sandrine Mazetier et Éric Alauzet ont travaillé sur la création d’un registre public des bénéficiaires effectifs des sociétés. Il me semble que ce texte sur la transparence serait le véhicule idoine pour inscrire dans la loi un tel outil ; qu’en pensez-vous ?
Êtes-vous favorable au fait que notre commission des Finances puisse se prononcer sur les décisions relatives à la liste des États non coopératifs et des paradis fiscaux ? L’actualité récente et le fait que le Panama ait été sorti de cette liste sans que le Parlement ait eu son mot à dire en prouve, me semble-t-il, la nécessité. De telles décisions doivent faire l’objet d’un débat public.
S’agissant enfin du reporting public pays par pays, une proposition de la Commission européenne est actuellement à l’étude. Grâce notamment aux efforts de la France, ce sujet est désormais entré dans une phase opérationnelle au niveau européen. La majorité a toujours souhaité accompagner avec exigence le Gouvernement français sur cette question. Pensez-vous que notre assemblée pourra s’en saisir dans le cadre de nos débats sur ce projet de loi ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes.
Mme Sandrine Mazetier. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je salue les objectifs de ce texte qui emporte notre adhésion pleine et entière : lutter contre la corruption, renforcer la transparence dans l’élaboration des décisions publiques, moderniser la vie économique. Ce projet de loi prend ainsi la suite de la loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique ainsi que de la loi du 6 décembre 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale et contre la grande délinquance économique et financière, qui avait créé le parquet national financier.
Nous vous remercions, monsieur le ministre, de vous être d’emblée placé dans une logique collaborative en invitant les parlementaires à compléter le dispositif proposé par le Gouvernement.
Ce texte permettra incontestablement de lutter contre les atteintes à la probité, notamment au niveau international, en corrigeant notre législation tant sur le plan de la prévention – aujourd’hui, nos entreprises ne sont ni obligées ni même incitées à mettre en place des programmes de conformité anticorruption – que sur celui de la répression.
Nous sommes obligés de constater que les condamnations de personnes morales pour corruption sont extrêmement rares ; et quand elles interviennent, c’est toujours tellement longtemps après la commission des faits qu’on ne peut pas vraiment considérer que la justice passe. Et la peine est toujours d’une légèreté proportionnelle à la durée interminable de la procédure… Ce texte vise à corriger cet état de fait ; le groupe Socialiste déposera des amendements pour mettre définitivement fin à cette impunité, et pour faire en sorte que la corruption – qui jette l’opprobre sur notre pays – soit sanctionnée rapidement, efficacement et de manière exemplaire. Nos entreprises, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, sont lourdement condamnées à l’étranger, notamment aux États-Unis où quatre grands groupes français sont entrés dans le top 10 des sanctions les plus sévères ! Nous sommes déterminés à sortir du statu quo et nous attendons beaucoup des réponses de l’exécutif dans ce domaine.
Le projet de loi entend également renforcer la protection des lanceurs d’alerte. Nous vous remercions d’avoir levé les contraintes de l’article 40 de la Constitution pour nous permettre de confier la protection des lanceurs d’alerte à une autorité indépendante, efficace et reconnue, en l’occurrence le Défenseur des droits.
Le groupe Socialiste a déposé des amendements visant à mieux définir les lanceurs d’alerte, mais aussi à améliorer leur protection : avance des frais de justice, mais aussi accès au référé prud’homal, afin de contrer les représailles qui détruisent la vie des lanceurs d’alerte.
M. Pascal Cherki et M. Yann Galut. Très bien !
Mme Sandrine Mazetier. Enfin, nous nous félicitons de la création d’un registre des représentants d’intérêts : vouloir participer de la décision publique n’est pas illégitime ; mais le faire de façon opaque et avec des moyens financiers considérables est condamnable.
Je ne reviens pas sur la question du reporting. L’ensemble des membres du groupe SRC veulent avancer sur ce point.
Malheureusement, dans ce texte qui marque de nombreuses avancées et qui illustre par bien des aspects la volonté de la France de respecter ses engagements internationaux, et même d’être souvent à l’avant-garde, une disposition fait tache : l’article 24, parfaitement contradictoire avec toutes les belles intentions et promesses exprimées ailleurs. S’il était adopté en l’état, il contreviendrait à la mission historique de notre pays qu’est la défense de l’État de droit et des citoyens. Il serait regrettable de laisser de telles scories au risque de jeter le trouble sur les intentions du Gouvernement.
M. Joël Giraud. Sur l’ensemble de ces sujets, le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste vous soutient, monsieur le ministre, comme il soutient votre action déterminée à Bercy comme à Bruxelles. Ce soutien s’accompagne, cela va de soi, de propositions auxquelles nous tenons.
Nous relevons avec enthousiasme les récentes déclarations du Premier ministre indiquant son souhait d’introduire en séance une mesure législative d’encadrement des très hautes rémunérations, qu’il est judicieux de dénommer avec lui les « rémunérations indécentes » – particulièrement lorsqu’elles ne sont pas conformes au vote des actionnaires, comme on l’a vu dernièrement !
Concernant la transparence, la France est en pointe et doit le rester. Aussi souhaitons-nous reposer la question des déclarations préalables des schémas d’optimisation fiscale par les conseils et professionnels en fiscalité, déclaration préalable en vigueur au Royaume-Uni mais censurée par le Conseil constitutionnel en 2014. Cette proposition, faite par de nombreux rapports et adoptée par la représentation nationale en 2013, vise à accroître la réactivité de vos services ; sa présence dans ce texte se justifie pleinement. Nous sommes toutefois ouverts à toute solution qui ferait progresser le droit et la morale fiscale. Vous avez rappelé votre souci de sécurité juridique. Avez-vous des propositions pour faire avancer ce dossier ?
Comme de nombreux collègues de la majorité, nous sommes attachés à l’obligation d’un reporting complet et public pour les sociétés cotées. Nous saluons bien entendu la mesure adoptée dans le projet de loi de finances pour 2016 ; toutefois les règles européennes vont évoluer rapidement sous la pression de l’affaire des Panama Papers et il serait dommage que la France ne maintienne pas son rôle pionnier.
Nous formulons également des propositions de protection des consommateurs. Nous souhaitons ainsi clarifier le devoir d’information des banques à l’égard de leurs clients lorsqu’elles prélèvent des commissions d’intervention sur les comptes de dépôt. Cette information doit être transmise au préalable, via un support distinct du relevé bancaire ; cette obligation figure dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013, mais elle n’est majoritairement pas appliquée, sans conséquence pour les banques – mais pas pour les clients ! Il est donc nécessaire de prévoir des sanctions.
Toujours concernant les banques, nombreuses sont celles qui facturent à leurs clients l’obligation légale d’informer chaque année la personne qui s’est portée caution du montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie. Nous proposons de prohiber la facturation de cette obligation légale, facturation injustifiable s’il en est !
Nous proposons aussi plusieurs mesures sur le crédit affecté, notamment pour éviter que le consommateur ne se retrouve engagé à ce titre sans en avoir conscience.
S’agissant des articles sur lesquels la commission des Affaires économiques était saisie, ma collègue Jeanine Dubié a défendu une quinzaine d’amendements dont trois ont été votés et plusieurs satisfaits.
Sur l’agriculture, on tâtonne depuis des années sur la question du prix à payer à nos paysans pour nos productions agricoles. Contractualisation, Observatoire des prix et des marges, structuration des interprofessions : autant de tentatives utiles, mais qui n’ont pas encore réussi à inverser la grande tendance de fond qu’est la captation de la valeur ajoutée par la grande distribution et l’industrie agroalimentaire. Le pouvoir de négociation des acteurs est trop déséquilibré en défaveur de nos paysans ; nous devons rétablir de l’équité dans les relations commerciales. La commission des Affaires économiques a prévu de renforcer cet aspect du projet de loi, mais nous sommes encore loin du compte et il faudra faire mieux en séance publique.
S’agissant enfin de l’artisanat, nous constatons les blocages et nous demandons plus de fluidité et de simplicité, mais nous voulons aussi défendre la nécessité de la qualification. Sur le maintien du stage préalable à l’installation (SPI) comme sur le maintien de qualifications professionnelles pour certains métiers du bâtiment, par exemple, nous devons être vigilants : ne prenons pas le risque de basculer dans une « uberisation » mal maîtrisée aux conséquences sociales, économiques et fiscales souvent préjudiciables.
M. Olivier Marleix. Il est indispensable de lutter contre la corruption sur notre territoire, mais aussi de jouer à armes égales avec des puissances étrangères, fussent-elles amies : la création d’une agence spécialisée digne de ce nom, outil équivalent à ceux dont disposent d’autres grands pays, est une bonne chose. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, l’absence de condamnations d’entreprises en France pour corruption ; aux États-Unis, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) a permis d’engager une centaine de poursuites pour un montant supérieur à 15 milliards d’euros au cours des dernières années.
Malheureusement, tel que votre texte est rédigé, il risque de passer « à côté de la plaque » : d’un côté vous imposez de nouvelles contraintes aux entreprises françaises – je pense aux obligations nouvelles de vigilance, dont le non-respect sera sanctionné à partir d’un seuil très bas –, et de l’autre vous créez une agence dépourvue de réels moyens d’action depuis que vous avez renoncé à la transaction pénale à la suite de l’avis du Conseil d’État. Notre dispositif risque de demeurer inopérant. Nous souhaitons vivement que le Gouvernement revienne sur ce point au cours du débat.
S’agissant des lanceurs d’alerte, le groupe Les Républicains salue l’intention du Gouvernement mais reste « sur sa faim ». Les lanceurs d’alerte prennent des risques très importants ; nous avons tous en tête le témoignage de Stéphanie Gibaud, cette ancienne salariée d’UBS, que vous avez vous-même reçue. Ils collaborent avec l’État pour résoudre ces affaires. Or le texte actuel ne prévoit pas d’indemnisation, et l’encadrement du secret des alertes paraît très insuffisant. La protection de ces démarches est pourtant essentielle.
Il nous paraîtrait hasardeux d’élargir la définition des lanceurs d’alerte – je pense au texte de notre collègue Yann Galut, qui est très large – sans les protéger véritablement et aller jusqu’au bout de la démarche.
S’agissant des représentants d’intérêts, le besoin de transparence dans les relations entre lobbyistes et autorités publiques est évident. Mais les décideurs doivent aussi être confrontés à ces intérêts particuliers, privés, n’ayons pas peur des mots : il ne faut pas entrer dans une logique de suspicion a priori. Or le projet de loi tend à alimenter une défiance généralisée, en raison de lacunes dans sa rédaction : je regrette notamment le peu de garanties procédurales prévues. Il est seulement question d’un secret professionnel dont la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique serait le garant ; cela me paraît insuffisant, la Haute Autorité n’ayant pas toujours montré un respect parfait de ce secret. Il est nécessaire d’aller plus loin, car les enjeux pour la réputation de ces entreprises sont importants.
La question de l’interaction entre intérêts privés et publics ne saurait d’ailleurs pas se limiter au rôle de lobbyistes ; il ne faudrait pas que la relation d’influence ne soit peu à peu réservée aux anciens élèves des grandes écoles de la fonction publique – je ne vise bien évidemment aucune promotion en particulier. Le départ annoncé ce matin même du directeur général du Trésor, l’homme qui connaît le mieux les participations de l’État actionnaire, qui est membre des conseils d’administration des dix plus grosses entreprises françaises et qui part se mettre au service d’un fonds d’investissement franco-chinois, nous rappelle combien il serait intéressant que les avis de la commission de déontologie soient rendus publics – à supposer qu’elle ait été saisie, d’ailleurs. Êtes-vous favorable à cette transparence systématique ?
S’agissant enfin de l’artisanat et des qualifications, notre groupe est évidemment opposé aux dispositions initiales du projet de loi ; les renvoyer à des textes réglementaires ne changera rien à notre position.
M. Charles de Courson. Le groupe UDI est un groupe ouvert, divers, qui essaye de ne pratiquer ni la langue de bois, ni l’opposition systématique.
Le risque de censure de cavaliers législatifs, monsieur le ministre, est infime : ce texte, entre nous, est déjà un patchwork. Il aurait dû s’intituler « projet de loi portant diverses dispositions économiques et financières » : autrement dit, on peut y mettre de tout. Les risques d’inconstitutionnalité sont ailleurs, mais ils sont majeurs, sur le fondement de la disproportion entre les faits et les sanctions mais aussi de la rupture du principe d’égalité.
Franchement, monsieur le ministre, ce texte est brouillon et mal rédigé (Murmures). Ne vous vexez pas, mes chers collègues, vous le verrez bien au fur et à mesure…
M. Eduardo Rihan Cypel. Nous comptons sur votre plume !
M. Charles de Courson. Précisément : j’ai déposé de nombreux amendements.
Venons-en au fond. Nous sommes bien sûr favorables à la lutte contre la corruption. Vous avez rappelé le vote de la loi Sapin I – adoptée juste avant que vous ne nous quittiez, en 1993, avant de revenir à l’Assemblée presque quinze ans plus tard. Mais cette loi a échoué, vous l’avez reconnu vous-même, monsieur le ministre, avec honnêteté : aucune sanction n’a été prise contre les personnes morales coupables de corruption active. Pourquoi ?
J’y vois deux grandes raisons. La première a été soulevée par un de nos rapporteurs : les gouvernements successifs n’ont jamais donné aux magistrats les moyens de lutter efficacement contre la corruption.
M. Pascal Cherki. C’est très juste.
M. Charles de Courson. Était-ce intentionnel ? Il y a eu, je crois, une volonté de ne pas aller au fond des choses. On ne saurait le reprocher à ce seul gouvernement, bien que cela fasse déjà quatre ans que vous êtes au pouvoir.
Quant à la deuxième raison, elle nous concerne tous : il n’y a pas de majorité au Parlement pour réviser la Constitution et donner au parquet son indépendance, c’est-à-dire pour prévoir que les nominations de ces magistrats sont soumises à un avis conforme du Conseil de la magistrature.
Si le parquet était indépendant, et si les moyens étaient fortement renforcés, la lutte contre la corruption pourrait être efficace ; et alors seulement nous pourrions parler de transaction pénale et nous commencerons à avoir une véritable efficacité dans la lutte contre la corruption. La France est mal notée, et a même perdu des places dans le classement international, et nous devons nous interroger.
Quant à l’encadrement du lobbyisme, nous y sommes naturellement favorables. Mais prenons garde à ne pas créer de rupture d’égalité entre les avocats lobbyistes et les autres !
Mme Sandrine Mazetier. Très juste !
M. Charles de Courson. Faisons bien attention au problème de la territorialité de notre droit. Nous sommes, vous et moi, des Européens convaincus depuis plus de quarante ans, et nous nous félicitons toujours de voir ceux qui ont combattu l’Europe finalement s’y rallier. Mais aujourd’hui, tous les proeuropéens feraient bien de s’unir : reprenons ce qu’a fait l’Union européenne ! Il faut nous caler sur les mêmes concepts, et aller plus loin que le registre unique ; or le texte que vous nous proposez est relativement étroit.
Il faut également, bien sûr, améliorer le statut des lanceurs d’alerte. Là encore, il est toutefois nécessaire de veiller à bien articuler ce dispositif avec l’obligation de loyauté et de discrétion qui s’impose aux salariés.
Sur la modernisation de la vie économique enfin, là encore nous avons affaire à un patchwork. Rappelons-nous que toutes les majorités ont échoué à contrôler internet : interdire la publicité pour certains instruments financiers risqués, ce sera un nouveau coup d’épée dans l’eau : la publicité se fera à partir de sites hébergés à l’étranger. Réfléchissons et adaptons nos outils.
Sur le reporting, nous sommes d’accord, mais nous ne devons agir que dans un cadre européen : c’est d’ailleurs, ou plutôt c’était, la position du Gouvernement.
Enfin, je défends depuis quinze ans la fixation des rémunérations des dirigeants par l’assemblée générale des actionnaires : où est la démocratie économique si les propriétaires d’une entreprise ne peuvent pas fixer la rémunération de ceux qui la dirigent ? Un peu de bon sens, enfin !
M. le ministre. Monsieur de Courson, pourquoi cherchez-vous à vous montrer désagréable alors que vous êtes au fond très ouvert ? Est-ce un moyen de vous excuser de vous montrer si constructif ? (Sourires.) Quoi qu’il en soit, je vous remercie pour le travail que vous avez réalisé : je me doute que bon nombre de vos amendements seront utiles, cela ne m’étonne pas de vous.
« Brouillon », « mal rédigé » : voilà des termes bien déplaisants pour tous ceux qui ont travaillé à ce texte, y compris au Conseil d’État. Ce projet de loi est un gros travail, et de qualité. Ne prenez pas prétexte de notre souci d’ouverture… De deux choses l’une : ou bien notre texte est impeccable, circulez, il n’y a rien à voir, et vous allez nous accuser d’être autoritaires ; ou bien nous restons ouverts aux propositions et aux amendements, et aussitôt vous nous dites que notre texte est brouillon ! Je pense au contraire qu’un texte bien écrit peut être bien amendé, et je souhaite que ce soit le cas.
Vous dites, monsieur de Courson, que la loi Sapin I a été un échec. Mais si vous l’aviez lue, vous sauriez que cette loi s’arrêtait aux frontières de la France. Cette loi n’est pas un échec en France.
M. Charles de Courson. Mais si ! Vous l’avez dit vous-même.
M. le ministre. Non. Le fait d’avoir introduit de la transparence dans la vie publique et son financement, dans les délégations de service public, dans les marchés publics, etc., a été incontestablement dissuasif. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous sommes débarrassés de la corruption, car on ne se débarrasse jamais du mal ; mais l’effort a été considérable.
Mais la loi Sapin I ne traitait pas de la corruption à l’étranger – je l’avais souhaité, mais on m’en avait dissuadé. Voilà pourquoi, vingt-cinq ans après, je suis à nouveau devant vous, après avoir eu tout le temps d’y réfléchir dans les nombreuses collectivités territoriales que j’ai dirigées lorsque je n’ai plus été député.
En ce qui concerne la lutte contre la corruption, nous instaurons des règles nouvelles, des droits nouveaux, des institutions nouvelles, et nous manifestons notre volonté d’être plus efficaces contre la corruption tant en France qu’à l’étranger : cela implique des moyens supplémentaires. Le garde des Sceaux et moi-même nous y attacherons. Je ne suis pas pour l’affichage, mais pour l’efficacité : et j’entends bien que ce texte soit efficace, ne serait-ce que pour éviter d’entendre dans vingt-cinq ans M. de Courson m’adresser les mêmes remarques désagréables. (Sourires.)
Mme Aurélie Filippetti. Nous vous souhaitons à tous deux d’être encore là !
M. le ministre. Monsieur le rapporteur de la commission des Lois, le Gouvernement est favorable à vos propositions sur le Défenseur des droits. Je lève le gage afin que le débat s’engage dans les meilleures conditions.
Le débat sur la protection des lanceurs d’alerte est important mais difficile. Mes collaborateurs sont prêts à vous apporter tous les éléments techniques. Le problème n’est pas simple : nous sommes tous d’accord sur les principes, mais il faut arrêter les modalités précises. La première voie que nous pourrions emprunter serait la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante spécialisée ; ce qui nous ferait une autorité indépendante de plus, alors que nous essayons par ailleurs d’en diminuer le nombre. La deuxième solution serait celle d’une amélioration de la procédure judiciaire : cette voie, défendue par certains, peut être explorée, mais il paraît difficile de penser qu’elle puisse prendre en charge l’ensemble des lanceurs d’alerte. D’où la troisième solution, défendue par le rapporteur, qui consisterait à élargir les compétences du Défenseur des droits. Le débat nous éclairera. J’insiste seulement sur la nécessité d’attribuer cette compétence à une autorité qui dispose de moyens suffisants, et surtout qui soit parfaitement indépendante.
S’agissant des représentants d’intérêts, beaucoup d’entre vous souhaitent aller plus loin. Beaucoup souhaitent également s’inspirer des règles européennes, ce que nous avons déjà fait ; il est sans doute possible de progresser encore, mais je me permets de rappeler un point de droit constitutionnel. S’il existe un registre unique des représentants d’intérêts, c’est parce que l’Assemblée nationale et le Sénat ont souhaité qu’il en soit ainsi ; la séparation des pouvoirs interdit à l’exécutif de l’imposer au législatif. La mise en place d’un registre unique facilite certes les choses, mais elle résulte d’une décision des bureaux des deux chambres et non à proprement parler d’une volonté d’améliorer le texte.
S’agissant de l’article 45 et de la norme XBRL, je veux vous rassurer, monsieur le rapporteur : son application n’est pas une obligation, mais une simple faculté ; on me souffle, de plus, qu’il est d’ores et déjà tout à fait possible d’utiliser une norme moins complexe, nommée Edifact.
S’agissant de l’article 24, madame Mazetier, je veux à tout prix éviter un malentendu. Je comprends votre inquiétude, exprimée avec fougue : vous craignez qu’il ne s’agisse de protéger des États voyous et des voyous d’États étrangers qui disposeraient chez nous de biens mal acquis, ce qui serait effectivement anormal. Ce n’est absolument pas le but de cet article, qui vise au contraire à permettre au juge de se prononcer a priori plutôt qu’a posteriori sur la saisie d’un bien diplomatique par un privé. Ce juge écartera évidemment les cas manifestes de fraude ou d’abus de droit : autrement dit, il ne suffira pas d’apposer une belle plaque dorée « Ambassade de Je-ne-sais-où » à l’entrée d’un immeuble privé sis avenue Hoche pour le transformer en bien diplomatique.
On pense, à raison, aux biens mal acquis ; on pense également à une affaire récente qui touche à la Russie. Mais je vous demande de ne pas oublier ce qui s’est passé, ou qui pourrait se passer, quand des fonds privés, des « fonds vautours », ont pu saisir, pour des raisons strictement privées, des biens incontestablement diplomatiques dans différents pays dans le but de récupérer des sommes qui leur étaient par ailleurs dues. De tels procédés sont parfaitement tout à fait inadmissibles. Je reste ici, vous le comprenez, très prudent sur ce cas russe, mais il est arrivé qu’un fonds demande la saisie des comptes d’une ambassade, et l’ait obtenue dans certains pays, comme la Belgique. C’est à ce genre de situation que cette disposition vise à répondre. Je suis donc tout prêt à me pencher sur des amendements qui préciseraient ce qu’est un bien diplomatique, par exemple, pour éviter les malentendus. Mais je redis que cet article ne vise qu’à mettre en place en France les règles de protection des biens diplomatiques qui prévalent dans la plupart des grands pays du monde.
D’autres sujets ont été abordés sans figurer dans le texte.
Monsieur Giraud, le débat sur la déclaration préalable des schémas d’optimisation fiscale est récurrent. Le Gouvernement avait donné un avis favorable à plusieurs amendements l’an dernier, mais ils ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Je suis prêt à reprendre ce sujet, mais il serait de meilleure méthode de le faire à l’occasion de la prochaine loi de finances.
De même, nous nous pencherons sur vos propositions qui concernent la transparence de la facturation par les banques afin qu’elles soient techniquement impeccables.
Monsieur Marleix, j’avais moi-même, vous l’avez dit, initialement proposé la création d’une transaction pénale. Le Gouvernement a en effet suivi sur ce point l’avis du Conseil d’État, qui a souhaité la sortir du texte. Les parlementaires sont évidemment libres d’aborder le sujet. À mon sens, il ne faut toutefois pas tenter de transposer sans précaution des modèles étrangers. Nous sommes attachés à la présence dans la procédure, le plus souvent possible, dans les transactions de quelque nature qu’elles soient, du juge du siège. Mais il me semble également nécessaire, même si c’est le procureur de la République qui agit, de ménager des moments de publicité : de telles affaires ne peuvent être traficotées dans un coin sombre du palais de justice, fût-ce sous le regard du procureur. À ces deux conditions, et en prenant garde à l’avis du Conseil d’État qui estime que la transaction pénale ne saurait s’appliquer qu’à la corruption transnationale, nous pourrons mener un travail constructif. Je m’en remets à l’inventivité du Parlement – nous serons bien sûr heureux d’apporter tous les éléments techniques nécessaires.
En ce qui concerne les rémunérations des chefs d’entreprise, des amendements ont été déposés ; le Gouvernement est favorable à l’adoption de dispositions législatives. Je souligne toutefois qu’une limitation par la loi du montant des rémunérations serait contraire à la Constitution, car contraire à la liberté des contrats et à la liberté du commerce et de l’industrie – la jurisprudence du Conseil constitutionnel est à cet égard sans ambiguïté. À mon sens, il faut donc privilégier le renforcement des pouvoirs de l’assemblée générale des actionnaires pour définir les politiques de rémunération. En clair, il s’agit d’éviter ce qui s’est produit chez Renault, qui a été très choquant non seulement par les montants mais aussi par la méthode employée : un conseil d’administration demande son avis à l’assemblée générale, qui répond qu’elle n’est pas d’accord, et une heure après, on repart en conseil d’administration et on passe outre… Tout cela est contraire au bon fonctionnement de nos entreprises.
S’agissant du rapport public pays par pays, puisque telle est la traduction française de l’expression public country-by-country reporting, nous avons déjà eu ce débat à deux occasions l’an dernier, vous vous en souvenez certainement. La première fois, en loi de finances, les choses s’étaient plutôt bien passées ; la seconde fois, en loi de finances rectificative, cela s’est passé dans des conditions plus compliquées…
Rappelons que le reporting pays par pays est pratiqué en France : il permet aux administrations fiscales, notamment européennes, d’échanger les informations nécessaires. Du point de vue fiscal, nous disposons donc des outils nécessaires pour identifier les « trous » et faire régulariser les situations et payer l’impôt. Je comprends très bien la volonté d’étendre cette transparence ; j’ai dit l’an dernier que j’étais favorable à ce que nous progressions.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a été très explicite sur le fait que le rapport pays par pays n’était conforme à la Constitution que parce qu’il ne donnait pas lieu à publicité. Voter à nouveau une disposition rendant ce rapport public nous mettrait donc inévitablement en situation d’inconstitutionnalité.
Mais dès lors qu’une directive européenne prévoira cette règle, sa transposition dans le droit français ne sera pas contraire à l’ordre juridique interne et à la Constitution. Or cette directive est en cours de discussion. C’est la raison pour laquelle je soutiendrai un amendement prévoyant un reporting public pays par pays dès que cette directive sera applicable. Et je vous rassure, ce ne sera pas à la Saint-Glinglin : ce texte est d’ores et déjà sur la table et devrait être définitivement adopté d’ici à la fin de l’année. Je suis favorable au rapport public pays par pays, je soutiens très clairement et très fermement au niveau européen, mais nous devons nous entourer de toutes les garanties juridiques nécessaires.
S’agissant du registre des bénéficiaires effectifs, je rappelle qu’un décret du 11 mai prévoit la transparence sur les bénéficiaires effectifs des trusts en France. Nous avons été l’un des premiers pays au monde à prendre une telle mesure. Nous travaillons également aux modalités d’actualisation du registre du commerce, afin que l’on puisse savoir en temps réel qui sont exactement les propriétaires de telle ou telle société. Je suis donc, vous l’avez compris, favorable à ce que nous avancions. Là aussi, une directive européenne est en préparation.
S’agissant enfin de la liste des États non coopératifs, je suis favorable à votre proposition, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des Finances. Aujourd’hui, c’est moi qui décide de l’inscription ou non sur la liste noire. Je viens d’ailleurs d’y réinscrire Panama, en raison de ce que j’appellerai, pour ne pas créer de soucis à notre ambassadeur, une coopération limitée des autorités panaméennes, qui ne tiennent pas toujours leurs engagements – je n’en dis pas plus. Cette inscription entrera en vigueur au 1er janvier de l’année prochaine.
Vous proposez, monsieur le rapporteur pour avis, qu’il soit possible d’actualiser cette liste en cours d’année : je suis favorable à cet amendement. Je suis également favorable à ce qu’un débat ait lieu en commission des finances.
Mme Véronique Louwagie. Je souhaite évoquer le statut des autoentrepreneurs, auquel le projet de loi, dans ses articles 37 et 39, entend apporter de la souplesse. Le chiffre d’affaires trimestriel moyen des micro-entrepreneurs s’élevait à 3 319 euros au deuxième trimestre 2015 ; moins de 3 % des micro-entreprises réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 10 000 euros, selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Combien d’entreprises sont concernées par le dispositif de lissage que vous proposez, monsieur le ministre ?
Avez-vous mesuré les éventuelles distorsions de concurrence entre les micro-entreprises et celles qui sont soumises au régime réel ?
L’article 39 prévoit la suppression de l’obligation pour les micro-entrepreneurs de détenir un compte bancaire dédié à leur activité professionnelle. Pourquoi modifier un dispositif adopté il y a deux ans seulement ?
M. Yann Galut. Je salue à mon tour les avancées marquées par ce projet de loi et la volonté du Gouvernement de travailler avec les parlementaires ; en particulier, vous nous avez laissé l’espace nécessaire pour imaginer un statut des lanceurs d’alerte, question sur laquelle je travaille depuis dix mois. Pourvu que nous agissions, qu’importe le véhicule législatif ! Je soutiens la proposition du rapporteur de confier au Défenseur des droits la protection des lanceurs d’alerte.
Je suis extrêmement favorable à la création d’une Agence anticorruption. Mais le Gouvernement doit aussi donner tous les moyens nécessaires au parquet national financier, qui en sera le bras armé judiciaire. Le doublement du nombre de magistrats proposé par le rapporteur me paraît une excellente idée.
M. Eduardo Rihan Cypel. Je salue l’engagement du Gouvernement. Cette loi est essentielle, car la lutte contre la corruption doit faire l’objet dans toutes les démocraties d’un effort constant.
Pouvez-vous nous préciser l’étendue des pouvoirs et les moyens qui seront accordés à la nouvelle agence anticorruption ? Je m’associe aux propos du rapporteur et de Yann Galut sur la nécessité de renforcer les moyens dont dispose le parquet national financier. Cette lutte doit aussi être menée à l’échelon local, car certains liens entre les entreprises et les élus minent la démocratie. L’agence pourra-t-elle agir également au niveau local ?
M. Pascal Cherki. Je n’ai pas ici le temps de m’appesantir sur les motifs de satisfaction et les avancées de ce projet de loi : je me concentrerai sur ce qui fait encore débat. Les questions des lanceurs d’alerte et du renforcement des moyens du parquet national financier viennent d’être abordées et je n’y reviens pas non plus.
S’agissant du reporting public, la seconde délibération à laquelle il a été procédé lors de la discussion de la loi de finances rectificative a été très mal vécue par ceux qui mènent ce combat et a fait douter de la sincérité du Gouvernement. Celui-ci doit fait la preuve de sa volonté d’agir. Je suis ouvert à tous les débats juridiques, mais ceux-ci ne doivent pas servir de paravent. Trouvons les moyens d’aboutir ensemble.
M. Jacques Bompard. La lutte contre la corruption est une exigence populaire ; La Croix révélait hier que moins de 20 % des Français étaient prêts à s’engager dans un parti ou à financer un candidat à l’élection présidentielle.
Quelle sera l’attitude du ministère des Finances devant la concurrence sur le marché du financement obligataire qui résultera de l’application de l’article 34 de votre texte ? Des mécanismes sont-ils prévus pour prévenir l’émergence de positions dominantes et les pressions sur les donneurs d’ordre ? Comment envisagez-vous de traiter les effets d’éviction qui s’ensuivront ?
L’article 35 aborde la question des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Vous faites sortir certains OPCVM du domaine des prestataires d’investissement, ce qui renforcera la concurrence étrangère et ses effets sur les fluctuations du marché. La France ne cède-t-elle pas encore une fois aux sirènes du cosmopolitisme financier ?
Enfin, l’article 22 soumet de nouveaux organes au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Les services de votre ministère, ou une éventuelle structure indépendante, disposeront-ils des moyens de mener des enquêtes sérieuses sur le comportement de certains groupes peu regardants, mais très efficaces ?
M. le ministre. Je souhaite avancer sur le reporting pays par pays, monsieur Cherki. Mais je ne suis pas favorable au vote d’une disposition qui sera immanquablement annulée par le Conseil constitutionnel. Ce ne serait ni sérieux, ni respectueux ceux qui, en France, en Europe et dans le monde, sont très attachés à faire progresser ce dispositif. Il y a une marge de progression. Et le Gouvernement saura vous prouver sa totale sincérité sur ce sujet.
S’agissant des moyens, je veux, je le répète, une loi réelle et non une loi formelle. L’Agence anticorruption devra avoir les moyens d’agir contre la corruption internationale, mais aussi contre la corruption sur notre territoire : le service central créé en 1993 sera largement renforcé. L’étude d’impact mentionne un format de croisière de l’ordre de soixante-dix agents.
Monsieur Bompard, vos questions portent sur des sujets sur lesquels vous êtes visiblement très informé ; je vous apporterai des précisions ultérieurement.
Madame Louwagie, les dispositions qui concernent les micro-entreprises seront examinées par la commission des finances, qui les complétera sans doute. Aujourd’hui, tout franchissement du plafond de chiffre d’affaires – 82 200 euros pour les activités de ventes et 32 900 euros pour les activités de prestations de services – impose une sortie brutale du régime de la micro-entreprise. Nous proposons donc d’assouplir le passage du régime de la franchise en base au régime réel de TVA. Ce lissage évitera l’effet de yo-yo et simplifiera la vie des entreprises concernées – qui ne sont pas très nombreuses : 1 % des autoentreprises sont radiées chaque année pour dépassement du seuil, soit 4 000 à 5 000 entreprises. Mais il n’est pas question de réévaluer le plafond de manière durable. Ce statut a été créé pour favoriser la naissance d’entreprises ; il n’a pas vocation à se prolonger tout au long d’une vie professionnelle.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Merci, monsieur le ministre.
EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI
Lors de ses trois réunions du mercredi 25 mai 2016, la commission des Lois procède à l’examen, après engagement de la procédure accélérée, des articles du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (n° 3623) et de ceux de la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte (n° 3770) (M. Sébastien Denaja, rapporteur).
Mme Marie-Françoise Bechtel, présidente. Je vous propose d’entamer l’examen, sur le rapport de M. Sébastien Denaja, des articles du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Le président Dominique Raimbourg sera là dans un bref moment.
Je vous rappelle que le ministre a été entendu hier matin, salle Lamartine. Ceux qui souhaitaient intervenir ont pu le faire.
La commission des Lois, saisie au fond, a délégué l’examen d’un certain nombre d’articles aux commissions des Affaires économiques et des Finances. Cette méthode a déjà été employée sous la précédente législature – pour le projet de loi portant engagement national pour l’environnement – comme sous l’actuelle – pour le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière ; elle a permis, tout en respectant les compétences des différentes commissions permanentes, d’éviter le recours à une commission spéciale, dont l’organisation est plus contraignante.
Comme cela a été convenu avec la présidente de la commission des Affaires économiques et le président de la commission des Finances, notre Commission statuera donc formellement sur ces articles « délégués » et sur les articles additionnels qui s’y rattachent, mais s’en tiendra – du moins pour l’essentiel – à l’avis qu’ils donneront. Nous verrons s’il y a lieu de déroger ou non à cette règle lorsque des amendements nouveaux ont été déposés postérieurement à la réunion de la commission saisie pour avis.
Les rapporteurs pour avis sont M. Dominique Potier pour la commission des Affaires économiques, qui s’est réunie la semaine dernière, et M. Romain Colas pour la commission des Finances, qui s’est réunie hier.
Près de 700 amendements ont été déposés, et à l’issue de ce travail nous devrons encore nous prononcer sur la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte qui a été déposée par notre rapporteur. Vous êtes donc invités à la plus grande concision.
TITRE IER
DE LA LUTTE CONTRE LES MANQUEMENTS À LA PROBITÉ
CHAPITRE Ier
De l’Agence française anticorruption
La Commission examine l’amendement CL570, portant sur l’intitulé du chapitre Ier du titre Ier du projet de loi.
M. Sébastien Denaja, rapporteur. Cet amendement est le premier d’une série qui vise à arrêter le nom du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption. Je propose que la nouvelle entité soit nommée « Agence française anticorruption ». Il convient d’y faire référence dans l’intitulé du chapitre Ier du Titre Ier du projet de loi.
M. Charles de Courson. Je suis favorable à cet amendement.
Monsieur le rapporteur, j’avais déposé un amendement tendant à faire de l’Agence anticorruption une véritable autorité administrative indépendante, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Pourtant, le coût serait le même !
L’article 2 du projet de loi dispose que ce nouveau service est dirigé par « un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire [qui] ne reçoit et ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale ». Qu’est-ce qu’un service sous l’autorité d’un ministre qui n’est autorisé à donner aucune instruction ? C’est une bizarrerie. Seriez-vous prêt, monsieur le rapporteur, à reconnaître que la vraie nature de cette nouvelle institution est d’être une autorité administrative indépendante ?
M. le rapporteur. Aux termes du projet de loi, cette entité dispose déjà d’une grande indépendance fonctionnelle, et j’ai déposé des amendements visant à la renforcer encore. Mais la jurisprudence est constante : l’article 40 interdit au Parlement de voter un amendement créant une nouvelle autorité administrative indépendante.
La doctrine reconnaîtra très rapidement l’indépendance de l’Agence anticorruption, j’en suis certain : procédures de nomination particulière, qualité de ceux qui dirigeront ce service… Par ailleurs, la double tutelle du ministère de la justice et du ministère des finances ne me paraît pas inutile, notamment pour son attractivité.
Mme Marie-Françoise Bechtel, présidente. Nous avons tous été victimes, à un moment ou à un autre, de l’interprétation très extensive de l’article 40 par la commission des Finances…
M. Olivier Marleix. Je suis également favorable à cet amendement. Mais, pour éviter que ces dispositions ne relèvent du marketing politique et que cette agence ne devienne un parquet national financier bis, il faut aller jusqu’au bout de la logique de la double tutelle, sur la composition – le recrutement ne doit pas être exclusivement judiciaire, une double culture est nécessaire – mais aussi sur les moyens. Il faudra aussi aller au-delà des simples réponses judiciaires : c’est la question de la transaction pénale.
M. le rapporteur. En effet, l’Agence anticorruption n’est pas un parquet national financier bis : ses missions – détection, prévention – sont très différentes. Il ne s’agit pas ici de communication politique, car les moyens accordés seront conséquents. Je rappelle, sans volonté polémique, qu’en 2012, le service central de prévention de la corruption (SCPC) ne disposait que de 4,5 emplois équivalents temps plein ; le Gouvernement nous promet pour cette nouvelle institution 60 à 70 agents.
Je défends la double tutelle : c’est aussi un gage d’autonomie de cette structure, et l’État doit pouvoir mener une politique de lutte contre la corruption. Je redis que l’indépendance fonctionnelle de l’Agence la mettra à l’abri de tout soupçon.
La Commission adopte l’amendement. Le chapitre Ier est intitulé : « De l’Agence française anticorruption ».
Article 1er
Création d’un service à compétence nationale chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption
Le présent article entérine la mise en place d’une Agence anticorruption, appelée à se substituer à l’actuel service central de prévention de la corruption (SCPC). Ce service avait été créé par l’article 1er de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 (12), en raison des pouvoirs d’investigation étendus dont le législateur avait entendu le doter (13). Pour les mêmes raisons, son remplacement par la nouvelle agence emprunte la forme législative.
I. UN ANCIEN SERVICE AUX MOYENS INSUFFISANTS
Placé sous la tutelle du garde des Sceaux, le SCPC exerce aujourd’hui trois missions principales définies par l’article 1er de la loi du 29 janvier 1993.
Il centralise les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption, de trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique ou par des particuliers, de concussion, de prise illégale d’intérêts ou d’atteinte à la liberté et à l’égalité des candidats dans les marchés publics.
Lors de son audition, la cheffe de ce service, Mme Xavière Simeoni, a souligné l’important travail de sensibilisation réalisé auprès des entreprises françaises.
Le service prête son concours, généralement sous la forme de notes techniques, sur leur demande aux autorités judiciaires saisies de délits de cette nature. Bien que l’on puisse imaginer que ce soutien puisse être précieux pour les parquets des petites juridictions peu habitués à traiter ce type de contentieux, Mme Simeoni a indiqué que ces procédures étaient mal connues des magistrats et peu utilisées.
Le SCPC émet, enfin, des avis sur les mesures susceptibles d’être prises pour prévenir des actes de corruption à certaines autorités administratives (ministres, préfets, chefs des juridictions financières, comptables publics, présidents de divers organismes, exécutifs locaux). À ce titre, il peut formuler des recommandations sur des projets de loi ou de décret.
Ses compétences sont donc limitées et n’empiètent pas sur le rôle exclusif des autorités judiciaires spécialisées dans la répression de la corruption. L’article 2 de la loi du 29 janvier 1993 prévoit ainsi que le service saisisse immédiatement le procureur de la République dès que les informations qu’il centralise mettent en évidence des faits susceptibles de constituer des infractions. De plus, conformément à l’article 3 de la même loi, le service est dessaisi dès l’ouverture d’une procédure judiciaire d’enquête ou d’information.
EVOLUTION DES MOYENS HUMAINS DU SERVICE DE PRÉVENTION DE LA CORRUPTION
(Équivalents temps plein travaillés - ETPT)
Année |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
Effectifs (hors mises à disposition) |
4,75 |
5,81 |
6,06 |
8,60 |
10,24 |
11,00 |
12,00 |
Source : Projets annuels de performance du programme 310 de la mission Justice.
À l’heure actuelle, alors que ses effectifs étaient tombés à des niveaux très faibles il y a quelques années, le SCPC comprend un effectif théorique total de seize personnes, dont douze équivalents temps plein (ETP) relevant de la mission Justice et quatre agents mis à disposition par d’autres administrations.
II. UNE NOUVELLE AGENCE AUX COMPÉTENCES ÉLARGIES
Comme le souligne l’étude d’impact, la création de l’Agence anti-corruption s’inscrit dans le cadre des engagements pris par la France auprès de l’Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Les États parties à la Convention des Nations-Unies contre la corruption s’engagent en effet sur la mise en place d’un organe spécifique « chargé de prévenir la corruption », et plus particulièrement :
– de la mise en place et de la promotion de pratiques efficaces visant à prévenir la corruption ;
– de l’évaluation périodique des instruments juridiques et mesures administratives pertinents en vue de déterminer s’ils sont adéquats pour prévenir et combattre la corruption ;
– de l’accroissement et la diffusion des connaissances concernant la prévention de la corruption.
L’alinéa unique du présent article lui confère le statut de service à compétence nationale, garant d’une relative autonomie de gestion, et le place sous l’autorité conjointe du ministre de la justice et du ministre des finances afin de marquer l’importance de sa dimension interministérielle. L’hypothèse de doter l’Agence du statut d’autorité administrative indépendante n’a pas été retenue.
Le choix d’une double tutelle, et non plus simple comme c’est actuellement le cas pour le SCPC, est cependant de nature à garantir à l’Agence l’autorité et l’indépendance nécessaires pour coordonner l’action administrative en cette matière. Cette indépendance est encore renforcée par les garanties entourant le choix du directeur général et la composition de la commission des sanctions, conformément à l’article 2.
Enfin, comme le prévoit l’article 3 du présent projet de loi, les missions de la nouvelle Agence sont considérablement élargies par rapport à l’ancien SCPC, puisqu’elle se voit confier, en plus des missions générales destinées à mieux appréhender un phénomène par nature occulte, des missions spécifiques vis-à-vis des acteurs publics, d’une part, et des agents économiques, d’autre part.
III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS
À l’initiative de votre rapporteur, une série d’amendements à l’article 1er et aux autres articles du chapitre Ier ont été adoptés afin de fixer, dans la loi, le nom du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption. Le choix des termes « aide à la détection », à la place de « détection », ayant fait l’objet de débats au Conseil d’État, il a été proposé de retenir plus simplement ceux d’« Agence française anticorruption ».
*
* *
La Commission adopte l’amendement de conséquence CL571 du rapporteur.
En conséquence, l’amendement CL253 de M. Charles de Courson tombe.
Puis la Commission adopte l’amendement rédactionnel CL572 du rapporteur.
Elle adopte alors l’article 1er modifié.
Article 2
Organisation du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption
Cet article fixe la structure de la nouvelle Agence anti-corruption et détermine les modalités de son indépendance.
I. DES GARANTIES FORTES D’INDÉPENDANCE DE LA PHASE D’INSTRUCTION
En application de l’alinéa 1 du présent article, la nouvelle Agence est dirigée par un directeur général, choisi parmi les magistrats hors hiérarchie de l’ordre judiciaire, comme le prévoyait l’article 1er de la loi du 29 janvier 1993 pour l’actuel service central de prévention de la corruption (SCPC) (14). À la différence de celui-ci, ce directeur général sera nommé par décret du Président de la République (15) pour un mandat d’une durée de six ans, ce qui constitue un gage d’indépendance supplémentaire. Ce mandat ne sera pas renouvelable.
Le directeur général de l’Agence ne pourra recevoir ou solliciter d’instruction d’aucune autorité administrative dans l’exercice des missions visées aux 1° et 3° de l’article 3 – c’est-à-dire la mise en œuvre de la peine de mise en conformité et l’audit des organismes publics – non plus que pour l’établissement des rapports qui en résultent.
Dans son avis du 24 mars 2016, rendu public, le Conseil d’État indiquait avoir disjoint les dispositions, qui figuraient dans l’avant-projet de loi, relatives à un conseil stratégique placé auprès du directeur de la nouvelle Agence. De nature réglementaire, la création de cette structure pourra être prévue par décret en Conseil d’État. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, ce conseil stratégique se réunirait une fois par an pour être consulté par le directeur général de l’agence concernant la stratégie globale qu’il entend mettre en œuvre. Il serait composé de six membres désignés à raison de leur compétence financière et juridique ainsi que de leur expérience dans le domaine de la lutte contre la corruption.
II. UN POUVOIR DE SANCTION CONFIÉ À UNE COMMISSION DÉDIÉE
Afin de garantir une totale impartialité, il est prévu que le directeur général de l’Agence ne prononce pas de sanction pécuniaire mais puisse saisir, à cette fin, une « commission des sanctions », dont l’organisation est fixée par les alinéas 2 à 10 du présent article.
Il s’agit d’une précaution qui peut paraître superfétatoire au regard de la jurisprudence constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a en effet admis la possibilité pour un service administratif – en l’occurrence la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – de relever des manquements à des dispositions relatives à la protection des consommateurs, puis de prononcer des sanctions administratives (16).
La composition de la commission des sanctions reflètera également le souci d’en garantir l’indépendance. Celle-ci sera composée de trois membres issus du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation, comme le prévoient les alinéas 3 à 6. Ces membres seront nommés par décret, ainsi que des suppléants en nombre identique (alinéa 8). La durée de leur mandat sera fixée à cinq ans, renouvelable une seule fois (alinéa 7).
Comme le directeur général de l’Agence, les membres de la commission des sanctions seront astreints au secret professionnel, en application de l’alinéa 9.
Cette commission pourra prononcer des sanctions administratives graduées, détaillées au V de l’article 8, allant de l’injonction de se mettre en conformité à la sanction pécuniaire assortie d’une prise en charge financière de la publication de la décision du service.
III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS
Outre des amendements de nature rédactionnelle, plusieurs modifications ont été apportées au présent article, sur proposition de votre rapporteur, dans le souci de renforcer l’indépendance de la nouvelle Agence :
– le magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire, nommé à la tête de cette agence, sera inamovible pendant la durée de son mandat, sauf démission expresse ou empêchement ;
– le personnel de l’agence sera astreint à l’interdiction de recevoir des instructions et à l’obligation de respect du secret professionnel, formellement prévues que pour le seul directeur.
Par ailleurs, deux amendements de votre rapporteur imposent que la désignation des membres de la commission des sanctions respecte la parité entre les femmes et les hommes ; cette évolution a nécessité de porter de trois à six le nombre de ces membres.
*
* *
La Commission adopte l’amendement de conséquence CL574 du rapporteur.
Puis elle examine l’amendement CL117 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. L’Agence anticorruption doit absolument promouvoir une double culture, judiciaire mais aussi économique et financière ; et cette culture doit être profondément internationale, puisqu’il s’agit de nous doter d’un outil équivalent à ceux dont disposent certains États amis. Pourquoi, dès lors, inscrire dans la loi que l’Agence anticorruption sera dirigée par un magistrat ?
Mme Sandrine Mazetier. Cela constitue une importante garantie d’indépendance. C’est d’ailleurs également le cas des Douanes, dont on peut saluer ici l’action efficace et déterminée.
M. le rapporteur. Le fait que l’Agence soit dirigée par un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire est en effet une garantie. Les magistrats – je pense par exemple à Mme Xavière Simeoni, actuelle cheffe du SCPC – sont parfaitement à même de faire vivre cette double culture sur laquelle, monsieur Marleix, vous avez raison d’insister. Ils sont sensibles à l’effort international qui est demandé : Mme Simeoni a par exemple participé à la formation de magistrats financiers à Madagascar.
L’équilibre du texte me paraît donc bon, et il repose en particulier sur le fait que le directeur ou la directrice de ce service soit un magistrat.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL234 de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Il me semble dommage que la nomination du directeur du service n’intervienne pas après avis des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cela renforcerait l’importance de la fonction.
M. le rapporteur. Sur le fond, je vous rejoins : cette procédure aurait permis de renforcer davantage encore l’indépendance de ce service. Mais je ne peux pas vous suivre car, pour accéder à cette demande, il faudrait une loi organique, s’agissant de la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution. Je vous renvoie à un précédent, celui de la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Avis défavorable.
C’est aussi parce que la nomination n’est faite que par décret simple du Président de la République que je tiens à ce que le service soit dirigé par un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire.
M. Charles de Courson. Mon amendement ne demande pas un avis conforme, ce qui serait en effet la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution, mais un avis simple. Juridiquement, cela me paraît correct, et cet avis permettrait d’impliquer le Parlement.
M. le rapporteur. Je vous invite à retirer cet amendement, afin d’approfondir ce point. Même un simple avis poserait des problèmes juridiques, sans pour autant apporter grand-chose…
Mme Marie-Françoise Bechtel. Les nominations soumises à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution sont celles de personnalités qui jouent un rôle important, notamment sur des questions économiques. Or c’est exactement le cas ici. Il me semble donc que prévoir, pour ce seul cas, un avis simple, pourrait jeter le trouble dans notre pratique constitutionnelle : une autorité qui entre dans le champ concerné ne relèverait que de l’avis simple.
M. Charles de Courson. Je retire l’amendement, et je le déposerai à nouveau au titre de l’article 88 du Règlement. Il me semble que l’avis des deux commissions donnerait plus de lustre à la fonction.
M. le rapporteur. Rien n’empêche de toute façon les commissions parlementaires d’entendre les directeurs, pressentis ou désignés.
L’amendement est retiré.
La Commission examine ensuite l’amendement CL573 rectifié du rapporteur.
M. le rapporteur. Le projet de loi donne déjà des garanties d’indépendance fortes dans la phase d’instruction menée par l’Agence anticorruption : le directeur est un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire ; il ne reçoit pas d’instruction ; son mandat de six ans n’est pas renouvelable ; il n’est pas membre de la commission des sanctions.
Il s’agit ici de renforcer l’indépendance fonctionnelle du magistrat qui la dirige, en prévoyant l’inamovibilité de ce directeur pendant la durée de son mandat – sauf évidemment empêchement ou demande de sa part.
M. Georges Fenech. Qui met en œuvre cette éventuelle procédure d’impeachment ? Qui constate l’empêchement ? Le texte n’est pas précis sur ce point.
M. Olivier Marleix. Je n’ai pas de problème philosophique avec l’inamovibilité de ce magistrat, mais vous lui confiez des missions vastes ; en particulier, il aura la responsabilité de veiller au respect de la loi du 26 juillet 1968. Cette loi est extrêmement importante : c’est la loi dite « de blocage » qui permet à la France de ne pas répondre à la sollicitation d’une puissance étrangère lorsqu’elle estime que sa souveraineté est en jeu.
Vous risquez de rendre ce magistrat schizophrène ! Si vous voulez qu’il soit inamovible, ne lui confiez pas l’application de la loi de blocage. Ce sera ingérable. Je vous invite à y réfléchir : il s’agit là de la protection de données utiles à la souveraineté nationale.
M. le rapporteur. Nous reviendrons sur la loi de 1968 un peu plus loin dans le texte : elle n’est concernée ici que dans des cas très limités, pour la mise en œuvre de procédures de monitoring.
Monsieur Fenech, le parallélisme des formes s’applique : celui qui nomme peut mettre fin aux fonctions. Le cas échéant, un recours en justice serait possible au titre de ce principe d’inamovibilité.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle se saisit de l’amendement CL118 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Je crains que votre projet de loi n’ait finalement pour effet que d’imposer de nouvelles contraintes aux entreprises françaises – encore un effet, sans doute, du choc de simplification. Mais en quoi sommes-nous assurés que ce service aura les moyens d’agir ? Or certaines procédures étrangères déstabilisent purement et simplement nos entreprises ; les sanctions américaines peuvent représenter des milliards d’euros.
J’ai déjà souligné l’importance de la double culture, judiciaire mais aussi économique et financière. Une vision uniquement judiciaire serait bien trop étroite, et l’agence échouerait. C’est pourquoi cet amendement vise à prévoir que l’Agence anticorruption sera composée d’un nombre équivalent de magistrats et de fonctionnaires du ministère du budget : la tutelle de Bercy ne doit pas être théorique, ce qui est un risque, puisque le directeur du service est un magistrat, inamovible de surcroît.
M. Pierre Lellouche. Les commissions des Affaires étrangères et des Finances de l’Assemblée nationale ont constitué une mission d’information commune sur l’extraterritorialité de certaines lois des États-Unis ; je mène ce travail avec Mme Karine Berger. Il rejoint certains sujets traités par la loi Sapin II, et j’ai déposé plusieurs amendements.
La situation est devenue très grave. Les organismes internationaux, notamment l’OCDE, nous reprochent de mal lutter contre la corruption. Au moins un grand pays étranger, qui est aussi l’un de nos alliés, les États-Unis, s’octroie le droit de faire lui-même la police au sein des entreprises françaises en infligeant des amendes, en obligeant à la mise en place de procédures de conformité et même en prononçant des interdictions de témoigner de ce que contiennent les accords passés avec la justice américaine.
La France est complètement court-circuitée, et il est important de prendre la mesure du phénomène.
L’Agence anticorruption sera présidée par un magistrat. Fort bien. Mais elle devra surtout être composée de gens qui ont le sens de l’intelligence économique et de la compétition internationale, et qui comprennent ce que font les Américains.
Je souligne d’ailleurs, au cas où vous finissiez par accepter l’amendement de M. de Courson, que l’avis des commissions des Affaires étrangères devrait également être sollicité. Je vous demande d’y veiller.
M. le rapporteur. Ces préoccupations nous sont communes, monsieur Lellouche.
Je suis défavorable à l’amendement : je comprends votre intention, monsieur Marleix, mais il ne faut pas à mon sens prévoir un dispositif trop rigide.
Nous espérons que, telle qu’elle est construite, l’Agence sera attractive et attirera les meilleurs talents – certains acteurs le craignent déjà. Elle sera de plus composée à la fois de fonctionnaires – fonctionnaires du Trésor, de la direction générale des finances publique (DGFiP), des Douanes, magistrats financiers, personnels de la police judiciaire… – et de contractuels, puisque des experts seront nécessaires. Une grande souplesse est donc nécessaire.
M. Olivier Marleix. La loi va parfois très loin dans le détail, monsieur le rapporteur : c’est le cas pour la composition de l’Autorité des marchés financiers, par exemple. Dans ce projet de loi même, la composition de la commission des sanctions est très détaillée.
Sur le fond, nous sommes d’accord : si ce service devait être peu à peu entièrement judiciarisé, il manquerait totalement son objectif et nous n’aurions fait qu’affaiblir encore un peu plus notre pays, qui n’a pas besoin de cela. Le but est bien de tenir notre rang dans la compétition internationale décrite par M. Lellouche.
M. le rapporteur. La commission des sanctions est obligatoirement composée de magistrats. Je précise ici qu’elle ne peut pas être présidée par le directeur du service anticorruption, et naturellement elle n’instruit pas les dossiers.
Rassurez-vous : les magistrats financiers ont une culture juridique étendue.
Nous reviendrons également sur le monitoring, qui ne sera en général pas mené par l’Agence elle-même ; très souvent, la mission de mise en conformité sera externalisée. Je vous proposerai de préciser les exigences notamment déontologiques qui doivent être respectées avant de faire appel à des experts extérieurs de ce sujet.
M. Pierre Lellouche. Aux États-Unis, l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) travaille en lien avec les services de renseignement américain. Les Américains font leur marché et choisissent une entreprise : quand celle-ci est convoquée, les enquêteurs disposent d’informations très précises, et elle est obligée d’avouer sur la base de renseignements dont on ignore la provenance – puisque l’entreprise se voit interdire de divulguer la façon dont les informations sont parvenues au Department of Justice. La mission d’information a rencontré des cas où les services de renseignement étaient évidemment intervenus.
L’Agence française doit, de la même façon, être liée à nos services d’intelligence économique. C’est fondamental.
Par ailleurs, certains pays, comme les Pays-Bas, ont déjà mis en place un dispositif crédible et dissuasif. Dans ce cas, si une entreprise est prise la main dans le sac, et si elle est sanctionnée, l’OFAC peut demander à partager les amendes ! L’Agence anti-corruption devra donc être capable de tenir tête à l’OFAC : elle ne devra pas se coucher devant la pression des États-Unis.
M. le rapporteur. Il y aura un conseil stratégique, qui pourra prendre en compte la dimension de renseignement que vous indiquez.
Par ailleurs, des précisions seront apportées ultérieurement par le pouvoir réglementaire. L’Agence anticorruption n’est pas un calque de l’OFAC ; ses missions sont différentes. Mais j’entends l’intérêt de la connecter davantage à nos services de renseignement : elle pourrait par exemple être intégrée au deuxième cercle des services de renseignement. Je vous engage à poursuivre votre réflexion afin de sensibiliser le Gouvernement à ces problèmes.
L’amendement est retiré.
Puis la Commission adopte l’amendement de conséquence CL575 du rapporteur.
La Commission examine l’amendement CL576 rectifié du rapporteur.
M. le rapporteur. En lien avec Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes, je propose par cet amendement que la composition de la commission des sanctions soit paritaire. Partant du principe que la collégialité renforce l’indépendance, je suggère donc d’en doubler le nombre de membres pour le porter de trois à six, le président conservant une voix prépondérante. Ainsi, le vice-président du Conseil d’État, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes désigneront chacun un homme et une femme. Il n’y a aucune raison pour qu’un quelconque domaine de l’action publique échappe à la logique de la parité entre les femmes et les hommes.
Mme Sandrine Mazetier. Nous sommes tout à fait favorables à cet amendement.
Mme Marie-Françoise Bechtel. À titre personnel, j’y suis défavorable.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL577 et l’amendement de conséquence CL578 rectifié du rapporteur.
Elle passe à l’amendement CL119 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Il me semble utile – même si je m’attends d’emblée à ce que M. le rapporteur en juge autrement – de rappeler que la notion de secret professionnel n’est pas qu’une simple expression destinée à embellir les textes. La violation du secret professionnel est une infraction grave qui est sanctionnée dans le code pénal.
En matière de transparence, en effet, on ajoute volontiers le secret professionnel aux mesures de protection ; pourtant, les autorités qui en sont chargées ne semblent pas toujours en faire grand cas. Or, les violations du secret professionnel sont parfois maladroites. En l’espèce, elles pourraient avoir pour effet d’éventer une affaire en cours – à l’initiative d’un agent craignant qu’elle soit étouffée, par exemple – alors même que TRACFIN y travaille.
M. le rapporteur. En effet, monsieur Marleix, ce rappel est inutile puisque l’article 226-13 du code pénal punit déjà l’atteinte au secret professionnel. De plus, votre amendement – que je vous invite à retirer – présente une difficulté rédactionnelle : il pourrait avoir pour conséquence qu’une violation du secret professionnel ne soit plus constitutive que d’une infraction pénale, en lui ôtant toute dimension disciplinaire et civile. Mieux vaut éviter cet écueil.
M. Olivier Marleix. Connaissant l’esprit d’ouverture dont fait preuve la majorité à l’égard des amendements de l’opposition, même lorsqu’ils portent sur les mesures les plus évidentes, j’ai anticipé votre objection, monsieur le rapporteur, en me contentant de recopier la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en vertu de laquelle ceux-ci « sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal ». Autrement dit, cette loi, que je vous invite à relire, ne prévoit nullement que l’infraction pénale est exclusive de la sanction administrative. Votre réponse est donc loin de me satisfaire.
M. le président Dominique Raimbourg. La majorité n’a certes pas toutes les qualités, monsieur Marleix…
M. Guy Geoffroy. Et l’opposition n’a pas tous les défauts !
M. le président Dominique Raimbourg. Certes ; cependant, nous avons ici même adopté plusieurs lois, dont une encore récemment, qui étaient présentées par l’opposition. Le sectarisme n’est pas notre ligne de conduite.
M. Georges Fenech. Vous avez là l’occasion d’en faire la preuve !
M. le président Dominique Raimbourg. Il arrive que des arguments techniques s’y opposent…
M. le rapporteur. J’ajoute, monsieur Marleix, que la majorité aura très rapidement l’occasion d’approuver certains des nombreux amendements que vous avez déposés et qui, contrairement à cet amendement, sont utiles et fondés.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. M. Marleix a raison, cependant, de préciser que l’action civile ne serait nullement affectée par cet amendement, puisqu’elle est de droit commun. Il s’agit simplement de rappeler la dimension pénale de la violation du secret professionnel ; vous devriez y être résolument favorables.
M. Philippe Houillon. Chacun sait en effet qu’une infraction pénale donnant lieu à une condamnation n’est évidemment pas exclusive d’une action civile ou disciplinaire, bien au contraire.
M. le président Dominique Raimbourg. Chacun sait aussi que la violation du secret professionnel est sanctionnée pénalement.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Si peu !
M. le président Dominique Raimbourg. C’est une autre question.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine l’amendement CL579 rectifié du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à étendre à l’ensemble des agents de l’Agence française anticorruption les garanties d’indépendance fonctionnelle, notamment l’interdiction de solliciter et de recevoir des instructions, qu’il est déjà prévu d’appliquer à son directeur. Il répond ce faisant à l’une de vos préoccupations, monsieur Marleix, puisque l’obligation du respect du secret professionnel figure parmi ces règles.
La Commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL580 et l’amendement de conséquence CL581 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
Article 3
Compétences du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption
Le présent article détaille les compétences de la nouvelle Agence anti-corruption. Ces missions, très variées, excèdent largement celles jusqu’alors dévolues au Service central de prévention de la corruption (SCPC) et empruntent à plusieurs modèles étrangers.
I. UNE ACTIVITÉ GÉNÉRALE DE VEILLE ET DE REPRÉSENTATION
1. La participation à la coordination administrative
Afin de renforcer la cohérence de la position française, l’alinéa 10 (a du 5°) confie à la nouvelle Agence le soin de participer à la coordination de l’action des délégations françaises dans les diverses enceintes internationales (OCDE, Groupe d’États contre la corruption, Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime, Commission européenne et G20).
2. La centralisation et la diffusion des informations
Mentionnée à l’alinéa 11 du présent article, cette mission vise à bâtir une cartographie des risques concernant les marchés publics et les transactions commerciales internationales suspectes. Elle doit permettre d’orienter les missions de contrôle sur pièce et sur place de la nouvelle Agence.
Selon les informations transmises à votre rapporteur, la nouvelle Agence pourra ainsi recueillir auprès des administrations et des juridictions des documents en lien avec une collectivité ou une entreprise donnée :
– des décisions de juridictions administratives concernant, par exemple, l’annulation de marchés publics ;
– des rapports d’observations des juridictions financières ;
– les témoignages émanant de lanceurs d’alerte ;
– des informations transmises par le groupe anticorruption de l’OCDE qui recense – par pays – l’intégralité des articles de presse mettant en cause des entreprises du chef de corruption internationale ;
– des comptes rendus des missions de contrôle réalisés par l’Agence elle-même ;
– des décisions de juridictions pénales, ou des décisions alternatives aux poursuites décidées par des parquets.
3. Le soutien aux administrations et l’accueil des lanceurs d’alerte
Conformément à l’alinéa 12 (c du 5°), la nouvelle Agence est chargée d’ « apporte[r] son soutien aux administrations de l’État, aux collectivités territoriales et à toute personne physique ou morale ».
Cette rédaction, de prime abord peu intelligible, renvoie en fait à des formes très différentes d’intervention, dont l’évaluation préalable donne quelques exemples.
Il s’agira, par exemple, d’assurer des actions de formation et de sensibilisation sur la problématique de la lutte contre la corruption. Ces interventions pourront également prendre la forme de notes techniques ou d’avis, répondant à des demandes ponctuelles. Votre rapporteur rappelle que le service central de prévention de la corruption (SCPC) avait ainsi été saisi, en 2014, de 66 demandes de concours, dont 9 émanaient d’autorités administratives, 2 d’autorités judiciaires et 57 de particuliers, associations et conseillers municipaux.
C’est sur ce seul fondement législatif que l’Agence sera, par ailleurs, appelée à apporter son soutien aux lanceurs d’alerte qui s’adresseront à elle (17).
Il lui appartiendra ainsi de renseigner les lanceurs d’alerte sur les dispositions organisant leur protection vis-à-vis de leur employeur ou supérieur hiérarchique. Dans l’hypothèse où ceux-ci feraient l’objet de mesures de rétorsion, l’Agence pourra prendre en charge financièrement les frais de procédure nécessaires à la défense de leurs droits devant les tribunaux, comme le prévoit indirectement l’article 6 du présent projet de loi.
À leur demande, elle pourra ensuite les orienter vers l’autorité judiciaire compétente pour recevoir leur plainte ou leur témoignage.
II. UN RÔLE INÉDIT DE CONSEIL AUPRÈS DES ORGANISMES PUBLICS
1. L’élaboration de recommandations destinées à aider les administrations de l’État et les collectivités territoriales dans la mise en œuvre de procédures internes de prévention et de détection des atteintes à la probité
Cette mission, prévue par les alinéas 3 et 4 (a du 2°), charge la nouvelle Agence d’établir des lignes directrices destinées à guider les administrations dans l’élaboration de leurs plans d’action anticorruption. Comme le souligne l’évaluation préalable du présent article, elle s’inspire de l’expérience italienne avec l’Autorité Nationale Anti-Corruption (ANAC).
L’Agence devra ainsi rédiger, après concertation avec les différentes administrations et représentants des collectivités territoriales, des recommandations destinées à les guider dans la mise en place de dispositifs de contrôle internes efficaces permettant la prévention et la détection en leur sein d’atteintes à la probité.
Les recommandations pourront ainsi inciter à la création pour les collectivités de grande taille d’une instance de contrôle et d’audit interne, à cartographier les zones et hiérarchiser les risques, ou encore à contribuer à l’amélioration et à la sécurisation des procédures.
Afin de conférer une publicité à ces recommandations, l’alinéa 6 impose que celles-ci soient publiées sous la forme d’un avis au Journal officiel.
2. La conduite de missions d’audit et de conseil auprès des acteurs publics
L’alinéa 7 (3°) du présent article permet à la nouvelle Agence de réaliser des audits de la qualité et de l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein du secteur public pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.
Elle pourra conduire ces missions soit de sa propre initiative, soit à la demande du président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), du Premier ministre et des ministres pour les administrations et établissements publics de l’État, du préfet pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics ou sociétés d’économie mixte.
Ces contrôles donneront lieu à l’établissement de rapports qui seront transmis aux autorités à l’origine de la demande ainsi qu’aux représentants de l’entité contrôlée. Ils comporteront les observations de l’Agence concernant la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place dans les services contrôlés ainsi que des recommandations visant à l’amélioration des procédures existantes.
III. DES MISSIONS SPÉCIFIQUES VIS-À-VIS DES ACTEURS ÉCONOMIQUES
1. L’élaboration de recommandations destinées à aider les entreprises à se conformer à leurs nouvelles obligations
Les alinéas 5 et 6 (b du 2°) confient à l’Agence le soin d’élaborer un ensemble de recommandations destinées à aiguiller « les sociétés » dans la mise en place des dispositifs internes de prévention et de détection de la corruption prévus à l’article 8 du présent projet de loi.
L’alinéa 6 prévoit également que le contenu de ces recommandations soit proportionné à la taille des sociétés et à la nature des risques identifiés. Il impose leur publication au Journal officiel, sous la forme d’un avis, afin de leur conférer un caractère public suffisant.
Enfin, l’actualisation périodique de ces recommandations devra être assurée par l’Agence ; dans le silence de la loi, le décret en Conseil d’État auquel renvoie l’alinéa 13 pourra utilement en préciser les modalités.
2. La conduite de missions de contrôle au sein des entreprises
L’alinéa 1 (1°) de cet article prévoit que l’Agence, de sa propre initiative ou à la demande du ministre des Finances ou du ministre de la Justice, puisse réaliser un contrôle, dans les conditions prévues au III de l’article 8, du respect de l’obligation de prendre les mesures destinées à détecter et à prévenir la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence.
Conformément au IV de ce même article 8, le directeur général de l’Agence pourra, en cas de manquement grave constaté :
– soit adresser un simple avertissement,
– soit décider de saisir la commission des sanctions en recommandant une sanction administrative qui pourra prendre la forme d’une injonction ou d’une sanction pécuniaire assortie d’une publication de cette décision.
3. Le contrôle des peines de mise en conformité ordonnées par les tribunaux
Ce même alinéa 1 (1°) confie à l’Agence le soin de s’assurer, en cas de condamnation d’une entreprise du chef de corruption ou de trafic d’influence et si le tribunal en a expressément décidé conformément au nouvel article 131-39-2 du code pénal, de la mise en place d’un programme de prévention et de détection efficace au sein de celle-ci.
4. Le contrôle de la mise en œuvre des mesures de mise en conformité ordonnées par des autorités étrangères
Comme le précise l’évaluation préalable, des accords (deferred prosecution agreements ou DPA) sont susceptibles d’être passés aux États-Unis afin de mettre un terme aux poursuites, moyennant le paiement d’une amende et l’engagement de se plier pendant une période déterminée à un suivi, par un tiers – un moniteur indépendant, en général un cabinet d’avocats –, de la mise en conformité avec la législation anticorruption américaine des procédures internes au sein d’une entreprise.
En France, le SCPC a été désigné à deux reprises par les services du Premier ministre comme autorité française compétente pour surveiller le déroulement de telles mesures au regard des obligations posées par la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 (18) modifiée par la loi n° 80-538 du 14 juillet 1980, dite « loi de blocage », qui interdit la communication de documents ou de renseignements d’ordre économique sensibles à toute autorité étrangère.
Les accords conclus prévoyaient que le moniteur français indépendant chargé de ce contrôle de conformité ne rende pas compte directement aux autorités étrangères mais transmette ses rapports à une autorité française spécialement désignée à cette fin afin d’apprécier si les informations y figurant étaient susceptibles d’être transmises au regard des dispositions de la loi précitée. En pratique, le SCPC supervisait l’action d’un cabinet d’avocat désigné par les autorités de poursuite américaines dans le cadre d’un DPA passé avec une société française.
L’alinéa 8 (4°) de cet article donne un fondement législatif à cette mission et en confie logiquement l’exercice à la nouvelle Agence, appelée à remplacer le SCPC.
IV. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS
Les débats en commission ont permis de préciser les missions de l’Agence française anticorruption. Une plus grande publicité devra être donnée aux travaux de celle-ci grâce à l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption, introduite sur la suggestion de votre rapporteur, et à la publication d’un rapport annuel, proposée par notre collègue Lionel Tardy.
À l’initiative de votre rapporteur, la possibilité de formuler des avis et expertises, sur demande des magistrats, qui était prévue à l’article 1er de la loi du 29 janvier 1993 pour le SCPC, a été réintroduite au profit de la nouvelle Agence. Cette procédure d’avis n’a été utilisée qu’à deux reprises en 2014, compte tenu du manque de moyens mais aussi de la méconnaissance dont a souffert ce service. Toutefois, la cheffe du SCPC et le Procureur national financier ont confirmé en audition l’intérêt de cette procédure.
*
* *
La Commission adopte l’amendement de conséquence CL582.
Puis elle examine l’amendement CL583 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement porte sur la répartition des tâches entre l’Agence française anticorruption et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique mais, la réflexion sur ce point étant encore inachevée, je préfère à ce stade le retirer.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement CL129 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. En effet, je ne suis pas certain qu’il soit pertinent de distinguer entre le secteur privé, qui relèverait de l’Agence anticorruption, et le secteur public, qui relèverait de la Haute autorité. Un tel saucissonnage risquerait de nuire à l’objectif recherché. Pour nourrir la réflexion sur ce sujet, j’ajoute qu’il est indispensable de renforcer les moyens de la Haute autorité, dont les missions seront considérablement étendues, a fortiori si le précédent amendement ou celui-ci étaient adoptés en séance. En attendant, je retire cet amendement.
M. Pierre Lellouche. Par cohérence avec d’autres amendements à venir, il serait très utile que le champ de compétences de l’Agence anticorruption couvre non seulement l’administration et les sociétés françaises, mais aussi les sociétés étrangères et leurs filiales installées en France, de sorte que le système soit réciproque – puisque l’on n’hésite pas, à l’étranger, à l’appliquer aux sociétés françaises.
M. le rapporteur. Nous en débattrons le moment venu.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement CL120 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Quelle ambition voulons-nous vraiment donner à cette Agence ? Vous étendez son champ de compétences aux collectivités territoriales ; soit. Dans les petites communes telles que celle dont je suis le maire, qui compte trois mille habitants, la lutte contre la corruption n’a guère de pertinence. Au contraire, il s’agit d’une question d’ampleur mondiale qui nous oblige à regarder vers l’extérieur, notamment les activités des filiales, plutôt que vers nos propres collectivités – je pense à celles qui sont plus modestes, madame Mazetier, que la ville de Paris.
Je crains en effet que cette Agence ne se fourvoie si l’on lui assigne de tels objectifs. Je ne prétends pas que la corruption ne concerne aucunement les collectivités. La première priorité de cette agence, néanmoins, ne doit pas être de s’occuper des collectivités territoriales françaises ; avec les chambres régionales des comptes et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, qui le font déjà très bien, nous disposons d’un arsenal complet.
Je veux bien croire le Gouvernement sur parole lorsqu’il s’engage à affecter soixante, voire soixante-dix agents à l’Agence anticorruption, contre les quatre agents du SCPC évoqués par M. Denaja – qui, curieusement, semble avoir cessé de les compter en 2012 ; il ne me semble pas que cet effectif ait beaucoup augmenté depuis.
M. le rapporteur. Il a été porté à seize agents.
M. Olivier Marleix. Soit ; admettons qu’il soit prioritaire d’y ajouter plusieurs dizaines de fonctionnaires et magistrats, j’espère que ceux-ci auront autre chose à faire que de s’intéresser aux collectivités, car l’enjeu est autrement plus important : nos entreprises courent le risque de sanctions de plusieurs milliards d’euros et, pour maintenir leur compétitivité, doivent avoir les moyens de se battre à armes égales. Ne faisons donc pas de cette Agence un tigre de papier qui ne fera peur qu’à nous-mêmes, y compris à nos collectivités territoriales.
M. Charles de Courson. En effet, il y a là un véritable problème de proportionnalité. L’alinéa 6 précise que les recommandations formulées par l’Agence « sont adaptées à la taille des entités concernées » ; ne serait-il pas opportun de rappeler ce principe à l’alinéa qui concerne les collectivités – tant il va de soi que les plus petites d’entre elles ne seront guère concernées ?
M. le rapporteur. Par principe, il me semble inenvisageable d’exclure du champ de compétences de l’Agence les collectivités territoriales, qui constituent une cible privilégiée des corrupteurs, et ce quelle que soit leur taille. À preuve, Mme Simeoni nous a indiqué lors de son audition que les sollicitations qu’elle reçoit de communes, y compris de communes de moins de trois mille habitants, monsieur Marleix, portent en majorité sur les comportements de certaines grandes entreprises du secteur des énergies renouvelables. Il est donc tout à fait utile que cette Agence puisse formuler des recommandations non seulement à telle ou telle commune particulière, mais aussi à l’intention de catégories de collectivités et de leurs associations représentatives, pour proposer des lignes de conduite face aux efforts appuyés de séduction dont font l’objet de nombreux maires de petites communes afin qu’ils acceptent l’installation sur leur territoire d’équipements d’énergies renouvelables. Je vois Mme Batho froncer les sourcils, mais chacun sait bien de quoi je parle.
Mme Cécile Untermaier. J’approuve pleinement le raisonnement du rapporteur. La taille de la commune n’est pas le seul critère à retenir : une commune est aussi un territoire convoité, ce dont il faut tenir compte dans la lutte contre la corruption.
Mme Sandrine Mazetier. J’ajoute que l’alinéa 7 prévoit que l’Agence ne se contente pas de recommander ; elle contrôle.
M. Olivier Marleix. C’est bien le problème !
Mme Sandrine Mazetier. Je comprends qu’il s’agisse pour vous d’un problème, monsieur Marleix ; pour nous, c’est un impératif catégorique. Il serait étonnant, en effet, que les collectivités territoriales, qui passent des marchés publics, soient exclues du champ de l’action de l’Agence anticorruption. Aucune collectivité n’est à l’abri des stratégies de corruption pouvant être déployées par tel ou tel prestataire. L’Agence doit pouvoir agir dans l’ensemble de l’économie ; or, les collectivités territoriales font partie de l’économie.
M. le rapporteur. Précisons, monsieur de Courson, que l’alinéa 6 s’applique aux deux précédents ; autrement dit, l’adaptation des recommandations à la taille des entités concerne les administrations et collectivités comme elle concerne les entreprises.
M. Olivier Marleix. Au fond, ce n’est pas tant l’inclusion des collectivités dans le champ de compétences de l’Agence qui me préoccupe que la dispersion de ses objectifs. Comme l’a rappelé le ministre de l’économie hier, le but est de nous conformer aux normes internationales en matière de lutte contre la corruption. Si la seule mission de l’Agence – et aujourd’hui du SCPC – consiste, comme vous l’évoquiez, monsieur le rapporteur, à recevoir les sollicitations de collectivités locales, alors il n’est guère étonnant qu’aucune personne morale n’ait jamais fait l’objet, depuis quinze ans, de la moindre condamnation concernant une affaire transnationale ! Dans ces conditions, nous ratons notre objectif principal. Dois-je vous rappeler la liste de toutes les entreprises – Total, Alcatel-Lucent, BNP-Paribas, Crédit Agricole, pour ne citer qu’elles – poursuivies pendant ce temps par l’agence américaine ? Les montants en jeu atteignent des milliards d’euros.
Il faut donc se battre à armes égales. Sans faire de procès d’intention, je crains le tropisme de notre administration qui ne se contenterait que d’un confortable mécanisme franco-français, alors qu’il faut en l’occurrence inventer une nouvelle culture. En clair, je ne suis pas choqué que l’article soit ainsi rédigé ; je tiens juste à ce que nous puissions débattre des objectifs primordiaux de l’Agence.
M. le rapporteur. Je rappelle que cette Agence comportera un conseil stratégique dont la composition diverse permettra de donner des orientations qui aideront l’Agence à éviter les écueils que vous craignez. C’est pourquoi je vous suggère de retirer cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL229 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Il me semble dangereux de confier le contrôle de l’application de la loi du 26 juillet 1968, dite « loi de blocage », à l’Agence anticorruption. Les deux sujets sont tout à fait antinomiques ! L’Agence poursuit un objectif de transparence, tandis que la loi de 1968 vise à préserver la souveraineté nationale en interdisant, sous peine de sanction, la communication à des autorités publiques étrangères qui en font la demande de documents et de renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique, sous réserve des traités et accords internationaux. Autrement dit, elle empêche de transmettre des informations qui relèvent de la souveraineté nationale.
Je crains que le magistrat inamovible placé à la tête de l’Agence ne devienne complètement schizophrène une fois chargé de cette responsabilité, tant elle est différente de ses autres missions. Mieux vaudrait donc ne pas inclure la loi de 1968 dans le présent texte.
M. Pierre Lellouche. Je m’interroge moi aussi sur le bien-fondé de cet alinéa 8. Le ministère de la justice des États-Unis impose des sanctions et des procédures de « mise en conformité » à des entreprises étrangères, y compris françaises, qui se trouvent obligées de lui transmettre toutes les informations qui la concernent, dans le cadre d’un accord secret dont aucun directeur des affaires juridiques des entreprises visées – dont M. Marleix vient de vous donner la liste – ne pourra vous communiquer le contenu.
Il vous sera proposé, monsieur le rapporteur, d’adopter une disposition visant à ce que les informations exigées par une autorité étrangère transitent par l’administration française. En l’état actuel de sa rédaction, je crains, hélas, que le texte ne fasse fausse route. Mieux vaut prévoir que toute information dont la transmission est demandée à une entreprise française doit être communiquée non pas directement, mais par l’intermédiaire du ministère des finances, faut de quoi nous échouerons à régler le problème.
Mme Sandrine Mazetier. Je crois au contraire que le fait de consacrer des moyens supplémentaires à l’application de la loi de 1968 constitue une avancée. Il se peut en effet que certaines informations soient aujourd’hui transmises à l’étranger dans le cadre de mécanismes d’entraide judiciaire, et qu’elles y soient exploitées par des juridictions étrangères alors que nous pourrions en faire notre miel et que la justice française pourrait intervenir avant que d’autres juridictions ne se saisissent de tel ou tel fait. Il est donc utile que l’application de la loi de 1968 entre dans le champ des missions de l’Agence anticorruption.
M. Charles de Courson. L’alinéa 8 prévoit que l’Agence « veille » au respect de la loi de 1968 ». Quel est ici le sens du verbe « veiller » ? De quels moyens disposera l’Agence pour accomplir cette mission ?
À supposer, d’autre part, que l’on confie ce pouvoir à l’Agence, ne convient-il pas de modifier l’alinéa 8 de telle sorte que le caractère secret de l’accord visant à mettre en conformité les procédures internes à une entreprise soit levé ? Autrement, les entreprises ne pourront donner aucune information sur le contenu de l’accord en question.
M. le rapporteur. Vous abordez un sujet plus vaste que l’objet du seul alinéa 8, qui se contente de légaliser une pratique existante. Il est arrivé à deux reprises que la protection des données prévue par la loi de 1968 soit invoquée pour empêcher la transmission d’informations économiques sensibles – vers les États-Unis, en particulier. Dans les deux cas en question, en l’absence de base légale, le Premier ministre a chargé le SCPC de vérifier quelles informations pouvaient être transmises aux autorités américaines, dans le respect de la loi de 1968 qui protège certaines données. Il ne s’agit donc pas à proprement parler de l’application de la loi de 1968, mais du respect des grandes exigences qu’elle comporte en matière de transmission de données économiques sensibles. Pour ce faire, il faut bien désigner un arbitre.
Vous abordez un sujet différent, monsieur Lellouche. Je n’ai pas encore pris connaissance des préconisations de votre mission d’information, mais il sera fort utile de les examiner le moment venu. À ce stade, néanmoins, il n’y a aucune inquiétude à avoir : nous ne faisons que légaliser la pratique du filtre consistant à déterminer quelles informations peuvent être transmises et quelles informations ne le peuvent pas. Jusqu’à présent, confronté à cette situation, le Premier ministre a demandé au SCPC d’apporter son expertise. Nous reproduisons donc ce mécanisme en prévoyant qu’à la demande du Premier ministre, l’Agence, qui possède l’expertise la plus adaptée, veille au respect des exigences de la loi de 1968, que vous souhaitez garantir. La réflexion que vous ouvrez, monsieur Lellouche, dépasse ce cadre ; la majorité, cependant, sera certainement réceptive à vos propositions lorsque vous les aurez formulées.
M. Pierre Lellouche. Nous partageons les mêmes objectifs, mais je crains que vous n’ayez pas compris ceci : il ne s’agit pas de sanction ou d’entraide judiciaire, madame Mazetier, puisque le juge américain n’intervient même pas dans la procédure. Tout se passe hors du territoire de la République française – ce qui est scandaleux. En clair, une agence américaine se fonde sur certains renseignements pour imposer un accord secret à telle ou telle entreprise française, laquelle se trouve obligée de transmettre toutes les informations dont elle dispose, y compris des données comptables, par exemple, qui, même si elles ne sont pas sensibles, ont une valeur stratégique pour les entreprises américaines concurrentes.
Vous prévoyez que l’Agence se prononcera « à la demande du Premier ministre », mais celui-ci n’aura-t-il pas autre chose à faire que d’intervenir à chaque fois qu’une sanction est prononcée ? Il faut au contraire adopter un dispositif simple consistant ni plus ni moins à ce que toute information susceptible d’être demandée suite à une transaction pénale à l’étranger doive transiter par l’administration française – étant entendu que cette loi vise à supprimer les transactions effectuées à l’étranger, puisqu’elle vise à les réaliser en France. Autrement, les entreprises françaises continueront d’envoyer des valises d’informations à nos concurrents américains – ce qui doit cesser.
M. le rapporteur. Si l’amendement était adopté et l’alinéa supprimé, les choses resteraient en l’état, en effet. Nous légalisons une pratique existante, voilà tout. Le sujet que vous évoquez est différent – et, si votre raisonnement était prolongé, il reviendrait tout simplement à interdire les transactions avec des entreprises étrangères aux États-Unis, ce à quoi je suis certain que Mme Bechtel serait favorable…
Mme Marie-Françoise Bechtel. En effet !
M. le rapporteur. En clair, nous ne faisons qu’inscrire dans la loi une pratique qui existe et qui perdurerait si l’alinéa 8 était supprimé, car il n’existe aucun autre moyen que celui qui consiste à utiliser le filtre le plus compétent, en l’occurrence le SCPC puis l’Agence. La navette parlementaire, monsieur Lellouche, vous permettra de formuler vos propositions et de les soumettre à l’avis du Gouvernement.
M. Olivier Marleix. La présente séance, première étape de la navette, est aussi l’occasion d’entamer ce débat très important. Si le Gouvernement a voulu prévoir le mécanisme que vient de proposer M. Lellouche, alors il a très mal rédigé le texte ! Sans doute vous appartient-il, monsieur le rapporteur, d’améliorer cette rédaction – nous pourrons vous y aider – pour sortir de l’équivoque et préciser que les entreprises françaises ne répondent pas aux demandes d’agences étrangères sans passer par l’État français.
Faut-il pour autant confier cette responsabilité à l’Agence anticorruption ? J’en doute, car ces missions ne sont pas les mêmes. La loi de 1968 prévoit que l’État décide, pour des raisons de souveraineté – au sens du décret « Montebourg », madame Mazetier, puisque l’objectif est de protéger des intérêts industriels français majeurs – de répondre ou non à la demande d’information d’une autorité étrangère. Que cette souveraineté soit désormais confiée à un magistrat inamovible me préoccupe. Aujourd’hui, c’est le chef du SCPC qui intervient par défaut ; soit. Il me paraît néanmoins déplacé qu’un magistrat chargé de la lutte contre la corruption devienne l’arbitre de ce qui constitue notre souveraineté. Pourquoi ne pas confier cette mission au délégué à l’intelligence économique du ministère de l’économie ?
La Commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL584 du rapporteur.
Puis elle examine l’amendement CL585 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à préciser que l’Agence élabore une stratégie nationale de lutte contre la corruption.
La Commission adopte l’amendement.
Elle passe à l’amendement CL130 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Lorsque des agences, autorités administratives et autres médiateurs sont créés par la loi, il est généralement prévu un rapport public. Il n’y a aucune raison pour que la future Agence anticorruption ne remette pas un rapport annuel, qui donnera un éclairage, notamment statistique, sur son activité. C’est là aussi une question de transparence.
M. le rapporteur. Pour confirmer mon esprit d’ouverture, monsieur Tardy, j’émets un avis favorable à cet amendement, car un tel rapport sera utile – même s’il va de soi que l’Agence le rédigera, comme le fait déjà le SCPC.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL586 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à doter l’Agence de la capacité qu’avait déjà le SCPC de formuler des avis à la demande des autorités judiciaires. Nombreux sont les magistrats qui, ces dernières années, se sont plaints de la rareté de ces avis – certains ignorant jusqu’à l’existence du SCPC. Compte tenu de la spécialisation des juridictions financières, il semble utile que les magistrats puissent solliciter l’avis de cette nouvelle Agence, qui possèdera une expertise approfondie.
M. Guy Geoffroy. Je m’interroge sur l’expression « Prête son concours » : le style ne commande-t-il pas d’écrire « Apporte son concours » ?
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Prêter est un acte gratuit, apporter un acte payant…
M. Georges Fenech. Gratuit ou payant, je propose tout bonnement de supprimer cette expression. Que l’Agence anticorruption transmette ses avis à l’autorité judiciaire est utile, et le SCPC le faisait déjà. Comment une autorité indépendante peut-elle cependant « prêter son concours » à l’autorité judiciaire sans perdre elle-même son indépendance ? Par cette formule, ne transformez-vous pas cette Agence en auxiliaire de justice, portant du même coup atteinte à la séparation entre le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire ?
M. le rapporteur. Soit, supprimons ce membre de phrase, étant entendu que ma seule intention consiste à ce que l’Agence puisse émettre des avis.
La Commission adopte l’amendement ainsi rectifié.
Puis elle adopte l’article 3 modifié.
Article 4
Attributions des agents du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption
Le présent article encadre le pouvoir de contrôle du personnel de la nouvelle Agence anti-corruption.
Les alinéas 1 à 3 (I) rendent le secret professionnel inopposable aux agents de l’Agence, lorsque ceux-ci agissent dans le cadre des attributions du service. Ils les autorisent à se faire communiquer tout document professionnel ou information utile (alinéa 1), à procéder à des contrôles sur place destinés à vérifier l’exactitude des informations fournies (alinéa 2) et à s’entretenir avec toute personne dont le concours leur paraîtrait nécessaire (alinéa 3).
La possibilité pour ces agents de recourir à des experts, qui figurait dans l’avant-projet de loi, a été disjointe par le Conseil d’État car de nature règlementaire.
L’alinéa 6 (IV) renvoie à un décret en Conseil d’État pour prévoir les modalités d’habilitation des agents.
Parallèlement, l’alinéa 4 (II) de cet article astreint les agents de l’Agence au secret professionnel, à raison des faits, actes ou renseignements dont ils pourraient avoir connaissance. Une dérogation est heureusement prévue pour l’établissement de leurs rapports.
Enfin, l’alinéa 5 (III) punit de 30 000 euros d’amende le délit d’entrave au contrôle de l’Agence pour vérifier l’efficacité des dispositifs de prévention de la corruption mis en place (19).
Saisie de cet article, votre commission des Lois a procédé à plusieurs aménagements rédactionnels ; elle a également mis en cohérence la peine de délit d’entrave avec celle prévue à l’article 9 du présent projet de loi, retenant dans l’un et l’autre des cas deux ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende.
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La Commission adopte successivement l’amendement rédactionnel CL587, l’amendement de conséquence CL589 rectifié ainsi que l’amendement rédactionnel CL588, tous trois du rapporteur.
La Commission examine l’amendement CL2 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cet amendement a pour objet de préciser le lieu du contrôle, les termes « sur place » pouvant prêter à confusion.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Je suis très surprise de cet amendement car la notion de contrôle sur pièces et sur place est bien connue de notre droit.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Ce n’est pas l’expression utilisée dans le projet de loi.
M. le rapporteur. La rédaction proposée par votre amendement aurait pour conséquence d’interdire la vérification de pièces comptables dès lors qu’elles seraient conservées dans un cabinet extérieur. À vouloir préciser, vous introduisez une ambiguïté dont le texte est dépourvu.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL590, CL591 et CL592 du rapporteur.
Ensuite, suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL121 de M. Olivier Marleix.
La Commission est saisie de l’amendement CL593 rectifié du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à harmoniser les peines proposées au sein du texte et de les aligner sur celles qui s’appliquent pour d’autres délits – les entraves à l’exercice de la justice sont punies d’amende allant de 30 000 à 75 000 euros et de deux ou trois ans d’emprisonnement ; en matière d’abus de marché, l’entrave au contrôle de l’AMF peut être sanctionnée par une amende jusqu’à 300 000 euros.
Pour garantir une sanction proportionnée du délit d’entrave aux contrôles effectués par la nouvelle agence, l’amendement prévoit une peine d’emprisonnement de deux ans et une amende maximale de 50 000 euros pour les personnes physiques, et de 250 000 euros pour les personnes morales.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL594 et CL595, ainsi que l’amendement de conséquence CL596 rectifié, tous trois du rapporteur.
Elle adopte ensuite l’article 4 modifié.
Article 5
(art. L. 561-29 du code monétaire et financier, art. 40-6 du code de procédure pénale, art. 1er à 6 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques)
Mesures de coordination avec la suppression de l’actuel service central de prévention de la corruption (SCPC)
Le présent article opère trois mesures de coordination :
– il abroge les articles 1er à 6 de la loi du 29 janvier 1993 relatifs au SCPC, remplacé par la nouvelle Agence nationale de prévention et de détection de la corruption créée par les quatre premiers articles du projet de loi ;
– il supprime l’article 40-6 du code de procédure pénale, introduit par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (20), en vertu duquel un lanceur d’alerte pouvait être mis en relation, à sa demande, avec le SCPC lorsque l’infraction entrait dans son champ de compétence ;
– il adapte la rédaction de l’article L. 561-29 du code monétaire et financier afin de permettre à Tracfin de communiquer à la nouvelle Agence les informations nécessaires à l’exercice de ses missions.
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La Commission adopte successivement l’amendement de correction d’une erreur matérielle CL667, l’amendement de conséquence CL598 ainsi que l’amendement rédactionnel CL597, tous trois du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 5 modifié.
Article 5 bis (nouveau)
Bilan annuel des signalements effectués au titre de l’article 40 du code de procédure pénale
Inséré à l’initiative de notre collègue Sandrine Mazetier et des membres du groupe Socialiste, écologiste et républicain, le présent article prévoit la publication, par le ministère de la Justice, d’un bilan précis des signalements effectués par les fonctionnaires auprès des procureurs de la République, au titre du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale.
On le sait, cette obligation de portée générale, qui n’est pas assortie de sanctions pénales, ne constitue pas un dispositif d’alerte réellement opérationnel. Il est donc proposé de mieux mesurer la portée réelle de l’injonction faite aux fonctionnaires. Il aurait pu être intéressant de compléter le présent article afin de connaître, sous forme statistique, les suites données aux signalements ainsi recueillis.
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La Commission examine l’amendement CL328 de Mme Sandrine Mazetier.
Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement prévoit que le ministre de la justice rend public chaque année un bilan statistique des signalements reçus par les procureurs de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.
M. le rapporteur. Votre amendement dépasse très largement le champ des atteintes à la probité, dont traite le présent projet de loi. En outre, il semble que les données que vous demandez figurent dans les rapports annuels publiés par les parquets.
Je suggère le retrait de l’amendement, à défaut, je m’en remets à la sagesse de la commission.
Je partage votre préoccupation de transparence en matière de signalements mais il me semble qu’elle pourrait être satisfaite par un engagement du ministre en séance. À vous d’en juger.
M. Olivier Marleix. Je trouve intéressante l’initiative de Mme Mazetier consistant à instaurer une sorte de contrôle des parquets en leur demandant de rendre des comptes. Je ne relève pas la contradiction avec l’indépendance du parquet que vous défendez par ailleurs.
Il me semble que pour être complète, votre demande devrait porter aussi sur les suites qui sont données à ces signalements.
À titre personnel, je suis favorable à cette idée.
Mme Sandrine Mazetier. Cet amendement est cohérent avec le texte, en particulier avec les dispositions relatives aux lanceurs d’alerte.
Le groupe Socialiste, écologiste et républicain a présenté un amendement proposant une définition du lanceur d’alerte, inspirée de l’étude du Conseil d’État sur le droit d’alerte. Parmi les recommandations de cette dernière, l’absence de sanction des fonctionnaires qui ne signaleraient pas des infractions portées à leur connaissance fait consensus.
L’amendement ne remet nullement en cause le fonctionnement des parquets. En mettant à notre disposition des données supplémentaires, il doit permettre à la représentation nationale et au public de savoir comment fonctionne l’article 40 et quels sont les domaines dans lesquels les infractions sont signalées.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. J’avoue ne pas bien comprendre. Au cours de l’enquête sur l’affaire Cahuzac, Mediapart avait déploré l’absence de sanction en cas de non-respect de l’article 40. Aujourd’hui, on va rendre public des éléments nominatifs ?
M. le président Dominique Raimbourg. Ce ne sont pas des éléments nominatifs, mais statistiques.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il me semble dangereux d’aller sur ce terrain-là.
La Commission adopte l’amendement. L’article 5 bis est ainsi rédigé.
CHAPITRE II
Mesures relatives aux lanceurs d’alerte
La Commission est saisie de l’amendement CL24 rectifié de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Cet amendement vise à compléter le dispositif de protection des lanceurs d’alerte. Le texte comporte un certain nombre d’avancées mais la question de la divulgation de l’identité ou des rumeurs sur cette dernière n’est pas traitée.
Les rumeurs sur l’identité du lanceur d’alerte peuvent compromettre la carrière de ce dernier, voire l’exposer à des menaces pour sa vie.
L’amendement prévoit donc de punir le fait de divulguer l’identité du lanceur d’alerte ou de lancer des rumeurs à ce propos.
M. le rapporteur. Je comprends votre préoccupation. Nous portons les mêmes exigences en matière de respect de l’anonymat des lanceurs d’alerte.
Dans les amendements à venir, je propose un régime général de protection des lanceurs d’alerte qui prévoit notamment une obligation de confidentialité plus large que celle prévue par votre amendement.
Je vous invite donc à retirer cet amendement au profit des amendements que je viens d’évoquer.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Je le retire en attendant de connaître le sort des amendements du rapporteur.
L’amendement est retiré.
La Commission examine, en présentation commune, l’amendement CL181 de M. Bertrand Pancher, les amendements identiques CL684 du rapporteur et CL329 rectifié de Mme Sandrine Mazetier, ainsi que les amendements CL333 de Mme Sandrine Mazetier, CL685 à CL687 du rapporteur, CL392 de Mme Sandrine Mazetier et CL688 à CL690 du rapporteur.
M. Bertrand Pancher. Cet amendement, inspiré par les grandes organisations nationales et internationales qui travaillent sur la transparence, vise une parfaite protection des lanceurs d’alerte. C’est le devoir d’un pays que de protéger ses citoyens qui, par souci de l’intérêt général, ont le courage de dénoncer des dysfonctionnements ou des malversations et qui font évoluer la réglementation.
De nombreuses affaires plus ou moins récentes – Mediator, Panama papers, LuxLeaks – l’ont montré, les lanceurs d’alerte sont trop souvent mis au ban de la société et pris dans une spirale judiciaire, ce qui brise leur vie sociale et familiale et les empêche de trouver un emploi. Ce serait peut-être une œuvre salutaire que de les y aider.
La législation française est bien en deçà des textes internationaux Nous sommes nombreux à avoir apporté notre soutien à Antoine Deltour dans l’affaire LuxLeaks, dans laquelle le parquet a requis dix-huit mois de prison.
Cet amendement élargit la définition des lanceurs d’alerte, il prévoit un dispositif pour les protéger des représailles dans le milieu professionnel. Le Défenseur des droits est chargé de leur apporter conseil, soutien et protection, ainsi que le préconise le Conseil d’État.
M. le rapporteur. Alors que le projet de loi prévoit le cas des lanceurs d’alerte dans le secteur financier, je vous propose de poser le cadre juridique d’un régime de protection de tous les lanceurs d’alerte, souhaité sur tous les bancs, me semble-t-il, au travers d’une série d’amendements.
Je vous demande de privilégier ces amendements qui forment un tout et qui s’articulent avec la proposition de loi organique étendant les compétences du Défenseur des droits dont nous souhaitons faire la clé de voûte du dispositif de protection. Ces amendements constituent une base de discussion. Chaque disposition proposée est susceptible d’évolution lors de la séance. Je suis à la disposition de tous ceux qui le souhaitent pour travailler sur ce sujet.
Le premier amendement propose une définition du lanceur d’alerte qui s’inspire largement de celle proposée par le Conseil d’État. Il dispose : « toute personne qui a connaissance de manquements graves à la loi ou au règlement, ou de faits porteurs de risques graves, a le droit de communiquer, dans l’intérêt général, les renseignements qui y sont relatifs. Ce lanceur d’alerte agit de bonne foi, sans espoir d’avantage propre ni volonté de nuire à autrui. ». Il n’est pas question de rémunérer les lanceurs d’alerte en France.
Mme Sandrine Mazetier. Notre amendement est identique à celui du rapporteur. Le groupe Socialiste, écologiste et républicain s’est inspiré de l’étude du Conseil d’État pour définir la notion de lanceur d’alerte. Il a également déposé une proposition de loi organique qui confie au Défenseur des droits la protection des lanceurs d’alerte. Tous les amendements doivent être lus à l’aune de ce parti pris de doter les lanceurs d’alerte d’un socle commun de protection. Le choix du Défenseur des droits garantit une protection efficace, immédiate et accessible sur l’ensemble du territoire. D’autres scénarios étaient envisageables mais celui-ci nous a paru le plus efficient. Nous sommes nombreux ici à partager l’objectif de mettre fin aux persécutions dont sont victimes les personnes qui signalent des dysfonctionnements, et qui voient leur vie personnelle et professionnelle détruite.
L’amendement CL333 porte sur le secret professionnel et l’obligation de confidentialité. Ceux-ci peuvent être levés dès lors que le lanceur d’alerte s’adresse au Défenseur des droits pour signaler un manquement à la loi ou un préjudice pour l’intérêt général.
M. le rapporteur. L’amendement CL685 cherche à concilier l’alerte éthique et les secrets protégés par la loi. Il prévoit d’exonérer de responsabilité pénale le lanceur d’alerte de bonne foi qui révèle des informations portant atteinte à un secret pénalement protégé, à l’exclusion du secret de la défense nationale, du secret médical et du secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.
L’amendement CL686 prévoit une gradation des canaux de signalement. C’est celui qui s’écarte le plus des recommandations du Conseil d’État qui, à mon sens, introduisaient une certaine rigidité.
Cet amendement, comme les autres, est une base de discussion susceptible d’être enrichie.
Le premier niveau de signalement est représenté par le déontologue de l’entreprise ou de l’administration, ou à défaut, le supérieur hiérarchique. Il ne faut pas exclure a priori l’information du supérieur hiérarchique mais celle-ci ne doit pas être un impératif catégorique car le supérieur, selon les cas, peut ne pas être la personne la plus indiquée. Le deuxième niveau est celui des interlocuteurs externes – justice, autorités administratives et sectorielles, Défenseur des droits mais aussi délégués du personnel et ordres professionnels. Ce que veulent d’abord les lanceurs d’alerte, c’est le traitement de l’alerte. Troisième niveau, en dernier ressort, si l’alerte n’a pas été prise en compte dans un délai raisonnable ou si l’urgence l’exige, l’information peut être divulguée à l’opinion publique.
En outre, l’amendement prévoit d’imposer aux administrations, y compris locales, et aux entreprises de se doter de procédures internes de signalement.
S’agissant de l’anonymat, l’amendement CL687 garantit la protection de l’identité du lanceur d’alerte mais aussi celle de la personne mise en cause tant que les faits ne sont pas établis. Ces garanties sont capitales pour la protection en amont du lanceur d’alerte, en particulier contre les représailles. Des dispositions analogues sont prévues à l’article 7 pour le secteur financier, qui n’était pas couvert jusque-là.
M. Philippe Houillon. Je soutiens l’amendement sur le maintien du secret professionnel pour certaines professions pour lesquelles celui-ci constitue le cœur de l’activité et le socle de la confiance avec la clientèle. J’attire votre attention sur le fait que le personnel de ces professions sera également concerné puisqu’il est tenu au secret professionnel en vertu des conventions collectives.
S’agissant de l’anonymat, c’est évidemment une bonne chose de protéger les lanceurs d’alerte de bonne foi, guidés par le souci de l’intérêt général. Mais, pour les inévitables cas de lanceurs d’alerte de mauvaise foi qui agissent au nom d’un intérêt particulier – pour assouvir une vengeance –, rien n’est prévu. Le texte n’est pas suffisamment équilibré.
Il faut préciser le délai pendant lequel l’anonymat est assuré afin de permettre les poursuites contre une personne de mauvaise foi. Il faut aussi revoir le texte sur la dénonciation calomnieuse pour aggraver les peines et envisager la sanction du non-respect de l’anonymat, qui n’est pas prévue dans vos amendements. Il est regrettable que les conséquences de dénonciations calomnieuses ou infondées, qui peuvent être gravissimes tant pour l’entreprise que pour la personne, ne soient pas abordées.
La justification de la protection accordée au lanceur d’alerte réside dans l’intérêt général que celui-ci défend. Pour faire comprendre aux futurs lanceurs d’alerte l’importance de cette bonne foi, il faut prévoir des sanctions lourdes pour ceux qui ne respectent pas cette éthique. On ne peut pas rétablir la bocca del leone de Venise, que M. Devedjian aime à citer, sans prévoir des sanctions.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Je souhaite insister sur un des points soulevés par Philippe Houillon. Sans sanction de la divulgation de l’anonymat, le dispositif n’est pas très opérationnel.
M. le rapporteur. Je suis ouvert à la discussion. Je n’ai pas pu embrasser tous les sujets. Mme Kosciusko-Morizet, je vous encourage à déposer des amendements pour prévoir un mécanisme de sanction approprié et donner ainsi une portée effective au dispositif de protection.
Je rejoins votre préoccupation sur la dénonciation calomnieuse, monsieur Houillon. Le Conseil d’État, dans son étude, estime que le droit positif suffit. À titre personnel, je considère qu’il y a matière à réfléchir aux fausses alertes. Il ne s’agit pas d’une dénonciation calomnieuse comme les autres puisqu’elle s’est parée des atours de la vertu. Pour ceux qui se font passer pour un chevalier blanc alors même qu’ils sont animés par une volonté de nuire, on peut envisager une aggravation des peines prévues pour la dénonciation calomnieuse, sans aller jusqu’à la création d’un délit spécifique
Je ne connais pas la position du Gouvernement sur ces sujets. Je le répète, je suis réceptif à des propositions d’amendement sur les sanctions et la dénonciation calomnieuse. Je n’en ai pas déposé car je suis resté dans l’épure des propositions du Conseil d’État.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Lorsque nous avons examiné l’amendement CL24 rectifié de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, que j’ai cosigné, le rapporteur n’a pas souhaité ouvrir de débat sur la création d’un délit spécifique visant à protéger les lanceurs d’alerte. Il souhaitait présenter ses amendements. Il convient à présent qu’il nous fournisse des explications précises.
D’autre part, je n’ai pas compris le rôle que le rapporteur souhaite confier au Défenseur des droits. Ayant été rapporteur de la loi relative à ce dernier, je me rappelle que la gauche était alors très hostile à la fusion de cette instance avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).
M. le rapporteur. Je propose que nous discutions du rôle du Défenseur des droits par la suite, lors de l’examen de la proposition de loi organique le concernant, sans quoi nous ne comprendrons plus rien à nos débats. Je vous fournirai alors toutes les explications nécessaires, d’autant que nous avons organisé avec lui et ses services une concertation approfondie. Nous n’aurions pu nous permettre de légiférer sur un tel sujet sans une telle concertation qui me semble la plus élémentaire des courtoisies républicaines quand il s’agit d’étendre le périmètre d’action d’une institution.
Quant à l’amendement CL24 rectifié de Mme Kosciusko-Morizet, il ne visait que les faits pouvant constituer des actes de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Or, je propose pour ma part l’instauration d’un régime applicable à l’ensemble des situations. Je vous ai par ailleurs indiqué tout à l’heure que j’étais disposé à envisager l’instauration de mécanismes de sanction.
Mme Sandrine Mazetier. Il nous faut mener une réflexion afin de rendre cohérente et lisible la hiérarchie des sanctions applicables car nous partageons, je crois, les mêmes objectifs : protéger l’alerte éthique et les lanceurs d’alerte et éviter l’instrumentalisation du dispositif à des fins de règlement de comptes. L’amendement CL24 rectifié prévoit de sanctionner d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de divulguer l’identité d’un lanceur d’alerte. Or, dans le droit actuel, la dénonciation calomnieuse est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
M. Olivier Marleix. Notre débat est révélateur de la confusion que nous risquons de semer en retenant une définition très large du lanceur d’alerte. L’amendement CL684 du rapporteur me semble à cet égard poser un problème d’intelligibilité de la loi. L’article 40 du code de procédure pénale impose déjà des obligations à toute personne ayant connaissance d’un manquement grave à la légalité. Il existe également des procédures applicables en cas de risque grave dans les collectivités locales ou en entreprise : il y a les instances paritaires, les CHSCT. Une personne de bonne foi aura au final du mal à s’y retrouver sur la procédure à suivre.
En revanche, comme le soulignaient Nathalie Kosciusko-Morizet et Philippe Houillon, le texte proposé par le rapporteur ne va pas assez loin dans la protection du lanceur d’alerte en matière financière. Nous avons tous à l’esprit ces exemples d’affaires très lourdes dans lesquelles des personnes, telle Mme Stéphanie Gibaud chez UBS, ont vécu de véritables cauchemars. Malheureusement, l’État, tout en en faisant des collaborateurs de la justice, ne leur a apporté aucune garantie que ce soit. Le lanceur d’alerte de bonne foi se distingue de celui de mauvaise foi en ce qu’il est plutôt demandeur de secret et de protection. Or, l’amendement CL687 du rapporteur, qui vise à garantir une stricte confidentialité, ne prévoit aucune sanction en cas de manquement à cette obligation. Je pense – et c’est l’objet de mon amendement CL122 à venir – qu’il faut imposer une obligation de résultat aux personnes auxquelles se confient les lanceurs d’alerte, en assortissant cette obligation de peines très lourdes, comme celles prévues par Nathalie Kosciusko-Morizet ou moi-même.
M. Philippe Houillon. J’entends l’argument de Mme Mazetier quant au parallélisme des formes à respecter en matière de sanctions applicables. Mais il ne faudrait pas non plus négliger l’exercice des droits de la défense. Comme vous le savez, le secret de l’instruction est imposable à tous, sauf pour les besoins de la défense. En d’autres termes, il ne faudrait pas que la personne mise en cause soit empêchée de se défendre si l’identification de l’auteur de la délation est justement un moyen de défense. L’anonymat ne doit donc pas être opposable aux droits de la défense – qui priment sur tout le reste. Il conviendrait d’en tenir compte dans la rédaction des amendements.
M. Charles de Courson. L’amendement CL684 du rapporteur dispose que les lanceurs d’alerte, qui sont généralement des salariés, ont le droit de communiquer tout manquement grave à la loi. Or, il s’agit non pas d’un droit mais d’un devoir, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale. Et il n’est pas tout à fait exact d’affirmer que cette obligation n’est pas sanctionnée car quiconque est informé de faits constitutifs d’un crime ou d’un délit et ne le dénonce pas s’en rend complice.
Quant au second alinéa de cet amendement, il soulève des questions délicates. Je souscris à la notion de bonne foi. Mais qu’est-ce qu’un « avantage » ? Je rappelle que les personnes qui dénoncent des infractions douanières sont rémunérées.
M. le rapporteur. Les aviseurs fiscaux ne sont pas des lanceurs d’alerte.
M. Charles de Courson. Il convient d’articuler le nouveau dispositif avec ceux qui existent déjà. Ne faudrait-il pas prévoir une rémunération ?
Enfin, je vous mets en garde contre la mention, dans la loi, de « la volonté de nuire à autrui ». Chaque fois que quelqu’un lance une alerte, il est accusé en effet de nuire à son entreprise ou de régler ses comptes avec elle. Les motivations des lanceurs d’alerte sont diverses et complexes. Faut-il aller jusqu’à sonder les reins et les cœurs pour déterminer s’il y a volonté de nuire ou pas ?
Mme Sandrine Mazetier. Je rappelle que les auditions du rapporteur de la commission des Lois sont ouvertes à tous les membres de celle-ci. En l’occurrence, il aurait été utile que nos collègues assistent à l’audition au cours de laquelle Maryvonne de Saint-Pulgent a présenté l’étude du Conseil d’État : elle y a abordé toutes les questions que nous nous posons aujourd’hui – étude désormais disponible à la bibliothèque de notre assemblée.
L’amendement CL392 prévoit une mesure de protection supplémentaire au profit des lanceurs d’alerte. Inspiré de l’audition de Mme Stéphanie Gibaud par le rapporteur, il permet aux lanceurs d’alerte de bénéficier du référé prud’homal. Souvent, en effet, la première mesure de représailles que subit un lanceur d’alerte consiste à se faire licencier par son entreprise. Lorsqu’il vous faut vingt-quatre mois pour accéder au juge prud’homal et contester votre licenciement, le mal est fait.
M. le rapporteur. L’amendement CL688 vise lui aussi à protéger les lanceurs d’alerte contre les mesures de représailles, notamment dans le cadre professionnel, dès lors que la bonne foi est établie. Les représailles les plus évidentes sont ici énumérées mais le juge conserve la faculté d’apprécier chaque cas d’espèce.
Est également prévue une inversion de la charge de la preuve de la discrimination, qui pèserait ainsi sur la partie défenderesse et non plus sur le lanceur d’alerte de bonne foi.
S’agissant de l’amendement CL392, il ne nous semble pas nécessaire pour l’instant de prévoir la possibilité pour les lanceurs d’alerte de saisir le conseil des prud’hommes en référé car le droit commun le permet déjà. Plusieurs députés, dont Mme Mazetier, affirmant le contraire, il nous faudra confronter les points de vue juridiques sur le sujet. Je ne suis moi-même pas suffisamment spécialiste de la question pour pouvoir trancher.
Encore une fois, plusieurs aspects du dispositif que je propose doivent encore être revus. Il conviendra notamment de déterminer s’il convient d’accorder au juge administratif un pouvoir d’injonction en la matière.
Mme Sandrine Mazetier. J’accepte de retirer l’amendement CL392, tout comme l’amendement CL333.
M. Charles de Courson. Comme notre collègue Houillon, je pense que la rédaction de l’amendement CL688 pose problème. Il conviendrait de préciser qu’un lien doit être établi entre l’alerte et les mesures discriminatoires précitées – ce qui n’est pas simple.
M. le rapporteur. C’est pourquoi je propose d’inverser la charge de la preuve. Et pour avoir auditionné plusieurs lanceurs d’alerte, je ne pense pas qu’il sera difficile au juge d’établir un tel lien. La loi a parfois du mal à embrasser toutes les situations possibles mais je ne crois pas que cela aurait posé problème dans les affaires passées les plus connues.
J’en viens à l’amendement CL689. Nous nous accordons tous sur le fait qu’un lanceur d’alerte ne doit pas être rémunéré. En revanche, il doit pouvoir bénéficier de soutiens financiers. Cet amendement prolonge donc une disposition de la proposition de loi organique que j’ai déposée, en organisant les conditions dans lesquelles le Défenseur des droits peut être amené à avancer les frais de justice auxquels fait face le lanceur d’alerte, qui représentent parfois des sommes très importantes, ou à dédommager celui-ci des préjudices subis.
La situation des aviseurs fiscaux est très différente, monsieur de Courson. Ce ne sont pas des lanceurs d’alerte. Leurs conditions de rémunération sont donc une autre question. Je crois d’ailleurs que le Gouvernement aura des propositions à faire à ce sujet en séance publique.
M. Charles de Courson. Votre amendement CL689 dispose que les demandes de soutien financier présentées par les lanceurs d’alerte sont « limitées à l’avance des frais de procédure », ce qui veut dire que ces lanceurs d’alerte devront in fine les assumer. Je rappelle que normalement, lorsqu’un fonctionnaire est gravement accusé, sa défense est assurée par son employeur. Il me semble donc insuffisant de limiter à l’avance des frais de justice le soutien financier accordé aux lanceurs d’alerte, alors même qu’ils prennent des risques.
Quant à la réparation des dommages moraux et financiers, qui va la prendre en charge si le lanceur d’alerte ne l’emporte qu’au bout de dix ans d’un contentieux épuisant ? La création d’un fonds est-elle prévue ?
M. le rapporteur. Ce point reste à éclaircir.
M. Bertrand Pancher. Je me félicite, monsieur le rapporteur, que vous preniez en compte l’ensemble des préconisations des grandes organisations engagées dans ce domaine. Néanmoins, votre amendement me semble bien restrictif. Vous proposez que soit prise en charge l’avance des frais de procédure mais cette dernière est soumise aux aléas. L’amendement CL181 que j’ai déposé, inspiré par les organisations précitées, visait plutôt à ce que le Défenseur des droits ait toute latitude pour fixer les modalités de ces interventions.
M. Olivier Marleix. Je trouve le dispositif proposé insuffisant. Le cas de Stéphanie Gibaud est édifiant à cet égard : les lanceurs d’alerte subissent un discrédit organisé par leur employeur qui dispose à cette fin de moyens considérables. L’indemnisation du préjudice subi par la personne, qui devient un collaborateur de l’État, doit aller au-delà de la simple protection juridique. Je comprends, monsieur le rapporteur, que l’article 40 de la Constitution ne vous permette pas plus qu’à nous de prendre des initiatives d’ordre budgétaire mais comme vous avez le privilège de discuter davantage que nous avec le ministre à ce sujet, nous comptons sur vous pour que le Gouvernement complète le dispositif. Il ne paraît pas illégitime d’étendre aux lanceurs d’alerte le régime des aviseurs fiscaux chaque fois que l’État le jugera nécessaire et justifié.
M. le rapporteur. J’en viens pour finir à l’amendement CL690, qui opère une coordination.
M. le président Dominique Raimbourg. Si je comprends bien, Monsieur le rapporteur, vous souscrivez à l’idée, formulée par plusieurs de nos collègues, selon laquelle le texte n’est pas suffisamment élaboré. Cela étant, les amendements que nous venons d’examiner vous paraissent tous intéressants en eux-mêmes mais ne s’intègrent pas au statut que vous appelez de vos vœux. Vous êtes donc défavorable aux amendements que vous n’avez pas cosignés mais disposé à rouvrir la discussion en séance publique. Ai-je bien synthétisé votre pensée ?
M. le rapporteur. Oui. Je ne suis pas nécessairement défavorable sur le fond à tous les amendements qui ont été proposés. Mais dans la mesure où nous discuterons dans l’hémicycle du texte adopté en commission, je propose de commencer par définir un cadre commun cohérent pour pouvoir ensuite approfondir la discussion, en tenant compte des remarques de M. de Courson, de Mme Kosciusko-Morizet, de M. Marleix et de Mme Mazetier.
M. Bertrand Pancher. Les lanceurs d’alerte peuvent être fiers de la qualité de nos réflexions. Je souhaite leur rendre hommage ainsi qu’à Oxfam, à One et à Bloom, grandes organisations ayant depuis des semaines contribué à porter à un très haut niveau ce débat.
Je retire évidemment mon amendement CL181 puisque ceux du rapporteur le reprennent en quasi-totalité. Nous reviendrons sur ce débat en séance publique s’il apparaît nécessaire de les compléter.
L’amendement CL181 est retiré.
Article 6A (nouveau)
Définition des lanceurs d’alerte
Insérés à l’initiative de votre rapporteur, les sept nouveaux articles 6A à 6G forment un socle commun des droits des lanceurs d’alerte.
Notre pays connaît de longue date des obligations de signalement au sein des services publics et des entreprises. Mais ce n’est que très récemment qu’il s’est doté de règles ayant pour objet de protéger les lanceurs d’alerte contre les risques de représailles. L’article 7 du projet de loi crée d’ailleurs un régime spécifique de protection des lanceurs d’alerte destiné à être appliqué aux personnes signalant à l’Autorité des marchés financiers ou à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution des manquements à des obligations issues du droit dérivé de l’Union Européenne.
Ces textes épars et incomplets n’assurent pas une protection générale et effective des lanceurs d’alerte.
Plusieurs tentatives de créer un tel statut ont récemment vu le jour – comme la proposition de loi de notre collègue Yann Galut (21) – sans toutefois être inscrites à l’ordre du jour du Parlement.
Saisi par le Premier ministre, le Conseil d’État a recommandé, le 12 avril 2016, dans une étude sur « Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger », la création par la loi d’un socle de dispositions communes applicables à tous les lanceurs d’alerte.
L’article 6A, introduit par votre rapporteur et les membres du groupe Socialiste, écologiste et républicain, donne ainsi une définition du lanceur d’alerte. Il est complété par les articles suivants qui déterminent les procédures mises à la disposition des lanceurs d’alerte pour émettre un signalement, les modalités qu’il reviendra aux destinataires de l’alerte de mettre en œuvre et la protection dont disposeront les lanceurs d’alerte de bonne foi contre toute mesure de représailles.
L’alinéa 1 détermine ainsi un droit, et non pas une obligation, pour toute personne à lancer une alerte éthique, c’est-à-dire émise dans l’intérêt général.
L’alinéa 2 identifie des critères pour pouvoir prétendre au statut de lanceur d’alerte : être de bonne foi (même en cas d’erreur), ne pas tirer de profit ou de rémunération de l’alerte émise, ne pas chercher à nuire (sous peine de tomber dans la dénonciation calomnieuse).
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La Commission adopte les amendements identiques CL684 et CL329 rectifié.
L’amendement CL333 est retiré.
L’article 6A est ainsi rédigé.
Article 6B (nouveau)
Conciliation du statut de lanceur d’alerte avec les secrets pénalement protégés
Introduit à l’initiative de votre rapporteur, le présent article assure l’articulation entre l’alerte éthique et les secrets (notamment professionnels) pénalement protégés.
Il exonère ainsi de responsabilité pénale le lanceur d’alerte qui a émis un signalement répondant aux critères évoqués précédemment, et notamment celui de la bonne foi.
Les cas du secret de la défense nationale, du secret médical et du secret des avocats sont expressément exclus de ce dispositif et continueront donc à être opposables aux lanceurs d’alerte.
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La Commission adopte l’amendement CL685. L’article 6B est ainsi rédigé.
Article 6C (nouveau)
Gradation des canaux de signalement à la disposition des lanceurs d’alerte
Le présent article prévoit une gradation des canaux de signalement de l’alerte éthique. Il a été ajouté sur la proposition de votre rapporteur.
S’inspirant des préconisations du Conseil d’État, cette gradation comportera trois niveaux détaillés par les alinéas 1 à 3 (I) :
– premier niveau : le déontologue de l’entreprise ou de l’administration concernée, à défaut le supérieur hiérarchique ;
– deuxième niveau : les interlocuteurs externes que sont la justice, les autorités administratives sectorielles (AMF, Agence française anticorruption...), le Défenseur des droits, les délégués du personnel, les ordres professionnels...
– troisième niveau, enfin : en dernier ressort, si l’alerte n’a pas été prise en compte précédemment, ou si l’urgence l’exige, la divulgation à l’opinion publique.
Par ailleurs, les alinéas 4 et 5 de cet article imposent aux entreprises et aux administrations (y compris locales) de se doter de procédures internes de signalement.
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La Commission adopte l’amendement CL686. L’article 6C est ainsi rédigé.
Article 6D (nouveau)
Confidentialité des données concernant les lanceurs d’alerte et les personnes visées par une alerte
Issu d’un amendement de votre rapporteur, cet article vise à garantir la protection de l’identité du lanceur d’alerte, mais également celle de la personne mise en cause par l’alerte tant que les faits ne sont pas établis.
Ces garanties sont capitales pour la protection – en amont – du lanceur d’alerte contre les représailles.
Des dispositions analogues, adaptées de plusieurs règlements européens, sont prévues à l’article 7 du présent projet de loi s’agissant du secteur financier.
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La Commission adopte l’amendement CL687. L’amendement CL392 est retiré. L’article 6D est ainsi rédigé.
Article 6E (nouveau)
Protection des lanceurs d’alerte contre les représailles
Adopté à l’initiative de votre rapporteur, le présent article met en place une protection du lanceur d’alerte contre les mesures de représailles, notamment dans le cadre professionnel, dès lors que la bonne foi de celui-ci est établie.
Les alinéas 1 et 2 (I) procèdent par une énumération, volontairement longue, des représailles les plus évidentes mais qui demeure ouverte afin de laisser au juge apprécier chaque cas d’espèce.
L’alinéa 3 (II) complète ces dispositions et prévoit, en cas de contentieux, une inversion de la charge de la preuve de la discrimination qui pèsera sur la partie défenderesse et non plus sur le lanceur d’alerte, dès lors que celui-ci est de bonne foi.
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La Commission adopte l’amendement CL688. L’article 6E est ainsi rédigé.
Article 6F (nouveau)
Soutien financier des lanceurs d’alerte par le Défenseur des droits
Inséré à l’initiative de votre rapporteur, cet amendement prolonge les dispositions de la proposition de loi organique (22), débattue conjointement avec le présent projet de loi, en organisant les conditions dans lesquelles le Défenseur des droits peut être amené à avancer les frais de justice auquel fait face le lanceur d’alerte, ou à dédommager celui-ci des préjudices subis.
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La Commission adopte l’amendement CL689 rectifié. L’article 6F est ainsi rédigé.
Article 6G (nouveau)
Coordination avec les dispositions sectorielles intéressant les lanceurs d’alerte, concrétisant la définition d’un socle réellement commun
Inséré, comme les six précédents, à l’initiative de votre rapporteur, ce dernier article procède à plusieurs abrogations des dispositions sectorielles relatives aux lanceurs d’alerte introduites depuis 2007. Il est en effet de meilleure méthode de créer un socle – réellement – commun, plutôt que de prévoir que les dispositions générales sur les lanceurs d’alerte s’appliquent « sans préjudice » des lois spéciales.
Les alinéas 3 et 4 (III) réservent toutefois le cas particulier de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), pour laquelle la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement (23) a créé un dispositif spécifique pour les lanceurs d’alerte : cette commission demeurera seule habilitée à recueillir l’alerte, mais la mise en œuvre de la protection juridique du lanceur sera du ressort du Défenseur des droits.
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La Commission adopte l’amendement CL690. L’article 6G est ainsi rédigé.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Beaucoup a été dit sur les lanceurs d’alerte et l’on sent bien que la discussion ne fait que s’ouvrir. Je tiens quand même à rappeler que nous avons ici et dans l’hémicycle débattu d’un texte relatif au devoir de vigilance des sociétés-mères à l’égard de leurs donneurs d’ordres. Ce texte sous-tend l’idée que les entreprises ont un devoir de vigilance, y compris à l’extérieur de leurs murs. À quel stade de la navette parlementaire ce texte se trouve-t-il ? Je n’attends pas de réponse ce matin mais la question est posée, monsieur le président.
Article 6 [supprimé]
(art. 706-161 du code de procédure pénale)
Financement par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) de la protection des lanceurs d’alerte
Le présent article permet à la nouvelle Agence anti-corruption de percevoir une contribution de l’AGRASC, aux fins de participer au financement des dépenses liées à la protection juridique des lanceurs d’alerte.
Conformément au troisième alinéa de l’article 706-161 du code de procédure pénale, l’AGRASC centralise les sommes saisies lors de procédures pénales et abonde soit le budget général de l’État, soit le fonds de concours « Stupéfiants » géré par la mission interministérielle de lutte contre la drogue et les conduites addictives (MILDECA). Depuis les modifications introduites par la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 (24), elle a également la faculté de verser à l’État des contributions destinées au financement de la lutte contre la délinquance et la criminalité.
Hors opérations exceptionnelles, l’AGRASC a ainsi versé en 2014 des contributions de 7,43 millions d’euros à la MILDT et de 3,15 millions d’euros au budget général. Ces contributions pourraient atteindre un montant total de 15 millions d’euros, selon les informations communiquées à votre rapporteur.
L’alinéa unique complète ces dispositions afin de donner une base législative au versement de contributions à la nouvelle Agence. Les sommes concernées seront, aux termes du projet de loi, affectées au financement « de la protection juridique des personnes ayant relaté ou témoigné de faits susceptibles de constituer les infractions de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics ou de favoritisme ».
Ce faisant, le présent article pose une définition – incomplète – des lanceurs d’alerte éthique s’agissant des atteintes à la probité. Celle-ci n’est toutefois pas coordonnée avec les autres définitions légales applicables dans certains secteurs.
Tirant les conséquences de l’adoption des articles précédents, et du transfert de la protection juridique des lanceurs d’alerte au Défenseur des droits prévu par la proposition de loi organique examinée concomitamment, la commission des Lois a supprimé cet article, à l’initiative de votre rapporteur.
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La Commission est saisie de l’amendement CL741 du rapporteur.
M. Sébastien Denaja, rapporteur. L’article 6 prévoyait le versement par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) d’une contribution à la nouvelle Agence française anticorruption destinée à la protection des lanceurs d’alerte. Le présent amendement tire les conséquences du choix que je vais vous proposer de confier au Défenseur des droits l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte et supprime cet article.
La Commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 6 est supprimé.
La Commission discute de l’amendement CL122 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. En matière de protection des lanceurs d’alerte, nous proposons d’imposer une véritable obligation de résultat à l’Agence en lui demandant de mettre tout en œuvre pour garantir le secret de l’identité des auteurs de signalements. Tout manquement éventuel serait sanctionné par les peines prévues pour la violation du secret défense. En ce sens, nous complétons l’amendement qu’avait présenté le rapporteur et qui ne prévoyait pas de sanction.
M. le rapporteur. Il me semble que votre amendement, qui ne s’applique qu’au secteur financier, est satisfait par les amendements que nous avons adoptés dans un cadre plus général. Voilà pourquoi, même s’il ne pose pas de difficulté de fond, je vous invite à le retirer.
Mme Sandrine Mazetier. Dans son objet, cet amendement est parfaitement légitime, mais dans son accroche, il est inadapté au dispositif qui est proposé par le texte et par les amendements du rapporteur. En effet, nous allons confier la protection des lanceurs d’alerte au Défenseur des droits tandis que vous assignez cette tâche à l’Agence française anticorruption, dont vous craigniez pourtant, ce matin, qu’elle ait trop de travail. Mieux vaut armer le Défenseur des droits.
M. Olivier Marleix. Sont visés là les signalements faits auprès de l’Agence anticorruption dans le domaine particulier des délits financiers, dont les auteurs s’exposent parfois à des représailles très lourdes. L’Agence doit tout mettre en œuvre pour protéger elle-même le secret dont elle est détentrice. Il faut donc sanctionner la violation éventuelle de ce secret, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En ce sens, mon amendement n’est pas du tout satisfait.
M. le rapporteur. Je n’ai aucune difficulté concernant l’obligation du respect de la confidentialité. Mais dans la mesure où je prévois déjà une obligation générale du respect de la confidentialité, je considère que nous sommes prémunis.
En revanche, il y a un vrai souci avec les peines que vous prévoyez en cas de manquement à cette obligation : sept ans de prison et 100 000 euros d’amende, cela me semble disproportionné, voire inconstitutionnel. J’ai dit ce matin que j’étais preneur de propositions de sanctions, d’où qu’elles viennent. Mais celle-là risquerait de fragiliser le texte. Nous avons le temps d’en rediscuter avant la séance publique et de la réévaluer. Un an ou deux ans de prison et des peines d’amende nettement inférieures me sembleraient raisonnables.
Je vous propose donc de retravailler le sujet. Je pense que la majorité souscrira à vos propositions si elles restent dans un cadre constitutionnel établi.
M. Charles de Courson. Dans la mesure où il y a un certain consensus, ne pourrait-on pas adopter cet amendement, quitte à le corriger en séance publique ?
M. le rapporteur. J’ai créé, dans le cadre général que nous avons adopté ce matin, une obligation de respect de la confidentialité. Sur ce point, votre amendement est satisfait. Et, par souci d’ouverture, je suis prêt à accueillir des propositions de sanction en cas de manquement à cette obligation générale de confidentialité.
M. le président Dominique Raimbourg. Finalement, c’est un avis défavorable…
M. Olivier Marleix. Mon amendement concerne des affaires extrêmement graves, comme celles que nous a décrites Stéphanie Gibaud. Les personnes qui ont le courage de faire ces signalements prennent des risques considérables ; elles sont soumises à des pressions, à des intimidations extrêmement fortes. Si l’on ne garantit pas de la manière la plus stricte, la plus ferme, le secret que ces gens viennent confier à l’Agence anticorruption, celle-ci risque bien de ne pas recueillir beaucoup de confidences de leur part.
Il s’agit de protéger les lanceurs d’alerte. Or, monsieur le rapporteur, vous n’avez pas fait de propositions précises en ce sens, et vous avez invité la Commission à rejeter les amendements de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Il faut se donner une vraie obligation de résultat pour protéger ce secret, et une sanction qui soit à la hauteur du préjudice subi. Évidemment, en cas de violation du secret, c’est le juge qui appréciera ce préjudice, qui peut être énorme.
M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur Marleix, il n’y a pas d’obligation de résultat. Votre texte dit qu’il faut mettre « tout en œuvre » et prévoit une sanction de sept ans d’emprisonnement lorsque tout n’a pas été mis en œuvre. Le niveau de subjectivité laissé au juge est beaucoup trop important ! Qui va apprécier l’étendue de la mise en œuvre ? On sanctionne quelqu’un quand il a violé une obligation précise, dont le manquement est simple à constater. Le droit pénal doit tout de même être un peu strict.
M. Olivier Marleix. On n’est pas très loin de la mise en danger délibérée de la vie d’autrui !
M. le président Dominique Raimbourg. Mais la mise en danger de la vie d’autrui suppose la violation d’une règle précise. En outre, je ne crois pas que la sanction soit de sept ans de prison.
La Commission rejette l’amendement.
Article 7
(art. L. 634-1 à L. 634-4 du code monétaire et financier)
Dispositif spécifique de protection des lanceurs d’alerte dans le secteur bancaire et financier
Le présent article prévoit la mise en place, par l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et les entités placées sous leur supervision, de procédures pour permettre le signalement, par les employés du secteur bancaire et financier, des manquements qu’ils détectent ou constatent.
Ce faisant, il met en conformité le droit français avec cinq textes européens récemment intervenus en matière bancaire et financière, qui imposaient un dispositif de protection des lanceurs d’alerte, à savoir :
– le règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (25) ;
– le règlement (UE) n° 909/2014 du 23 juillet 2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres (26) ;
– le règlement (UE) n° 1286/2014 du 26 novembre 2014 sur les documents d’informations clés relatifs aux produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance (27) ;
– le règlement (UE) n° 600/2014 du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers (28) ;
– la directive n° 2014/91/UE du 23 juillet 2014 modifiant la directive 2009/65/CE concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (29).
I. LES DEUX AUTORITÉS DE SUPERVISION DEVRONT SE DOTER DE PROCÉDURES PERMETTANT DE RECEVOIR LES ALERTES LANCÉES PAR LES EMPLOYÉS DES ENTREPRISES DU SECTEUR BANCAIRE ET FINANCIER
Le domaine bancaire et financier a constitué, pour le droit de l’Union européenne, l’un des champs privilégiés d’affirmation d’un statut et d’un régime de protection des lanceurs d’alerte.
Afin de garantir le bon fonctionnement des marchés de valeurs mobilières et de détecter les délits d’initiés, le 1 de l’article 32 du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 prévoit par exemple la mise en place chez les acteurs du marché de « dispositifs efficaces » permettant aux lanceurs d’alerte de saisir les autorités compétentes « des violations potentielles ou réelles ».
Ces mécanismes comprennent notamment « des procédures spécifiques pour la réception des signalements des violations et leur suivi », y compris la mise en place de canaux de communication sûrs pour ces signalements, conformément au a du 2 du même article 32.
Le 4 de cet article du règlement autorise même à rémunérer les lanceurs d’alerte « à condition que [leurs] informations soient nouvelles et qu’elles amènent à infliger une sanction administrative ou pénale ou à prendre une autre mesure administrative pour cause de violation (…) du règlement ». Votre rapporteur rappelle que cette faculté existe déjà aux États-Unis où la SEC peut rémunérer les lanceurs d’alerte ayant signalé des faits de corruption d’agents publics étrangers (30).
Les alinéas 1 à 10 insèrent ainsi, dans le code monétaire et financier, un nouveau chapitre comportant un article L. 634-1 qui se borne à prévoir que l’AMF et l’ACPR mettent en place « des procédures permettant que leur soit signalé tout manquement » aux obligations fixées par l’un de ces cinq textes. Conformément à l’alinéa 10, les modalités concrètes d’application sont renvoyées à des textes règlementaires, en l’espèce le règlement général de l’AMF et, s’agissant de l’ACPR, à un arrêté ministériel puisque celle-ci est dépourvue de pouvoir règlementaire.
Comme l’a souligné le Conseil d’État, dans son avis du 28 avril 2016, les manquements susceptibles d’être signalés sont définis de manière très étroite par le présent projet de loi. Ils pourraient être étendus, au-delà de la mise en conformité avec le droit européen, à d’autres manquements professionnels susceptibles d’être sanctionnés par l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
II. LES ENTREPRISES CONCERNÉES DEVRONT METTRE EN PLACE DES PROCÉDURES INTERNES PERMETTANT À LEUR PERSONNEL DE TRANSMETTRE DES ALERTES AUX AUTORITÉS DE CONTRÔLE COMPÉTENTES
Le 3 de l’article 32 du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 prévoit également que les États membres exigent des employeurs exerçant des activités relevant de la réglementation relative aux services financiers qu’ils mettent en place « des procédures internes appropriées permettant à leur personnel de signaler toute violation du présent règlement ».
Les alinéas 11 à 13 ajoutent, par conséquent, un nouvel article L. 634-2 traduisant expressément cette obligation.
Le champ des entreprises concernées est large puisqu’il couvre l’ensemble des entreprises du secteur financier : les établissements de crédit, services de paiement, entreprises d’assurance ou mutuelles (31) placés dans le champ de supervision de l’ACPR, qui sont énumérés à l’article L. 612-2, ainsi que les entités et personnes régulées par l’AMF, qui sont mentionnées au II de l’article L. 621-9, à l’exception des démarcheurs visés au 9° qui ne sont, en effet, pas soumis aux obligations fixées par les textes européens.
Le b du 2 de l’article 32 du règlement impose également que soit garantie une protection adéquate pour « les personnes travaillant dans le cadre d’un contrat de travail » qui signalent des violations ou qui sont accusées d’avoir commis des violations ; ces salariés devront être protégés « au moins contre les représailles, la discrimination ou d’autres types de traitement inéquitable ».
Le nouvel article L. 634-3 du code monétaire et financier, introduit par les alinéas 14 à 16, détaille cette obligation.
Il esquisse une définition des lanceurs d’alerte ainsi protégés, entendus comme des « personnes physiques » ayant signalé « de bonne foi » à l’une ou l’autre des deux autorités de régulation sectorielles des faits susceptibles de caractériser des manquements. Celle-ci peut paraître restrictive, en ce qu’elle exclut les personnes morales des lanceurs d’alerte et qu’elle ne retient pas la simple dénonciation d’un risque comme pouvant constituer une alerte éthique. L’articulation de cette définition, spécifique au secteur bancaire et financier, avec le statut commun préconisé dans une récente étude par le Conseil d’État devrait être prévue si le législateur s’orientait dans cette direction.
La nullité de plein droit des mesures de rétorsion est également prévue à l’alinéa 15, celles-ci étant énumérées par la loi ; il peut s’agir d’un licenciement, d’une sanction, d’une mesure discriminatoire même indirecte, ou de toute autre mesure défavorable.
En tout état de cause, la protection de ces lanceurs d’alerte contre d’éventuelles mesures de rétorsion ou de représailles relèvera du juge, judiciaire en l’espèce. L’alinéa 16 organise cependant une forme d’inversion de la charge de la preuve en imposant, en cas de litige, à la partie défenderesse d’établir que « sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement ».
À côté de la protection de la personne à l’origine du signalement, le nouvel article L. 634-4 introduit par l’alinéa 17 précise l’entendue de la protection dont bénéficie la personne physique qui est présumée avoir commis la violation.
Cet ajout ne résulte pas des textes européens. Il a été préconisé par le Conseil d’État qui a ainsi entendu distinguer clairement la protection accordée à un lanceur d’alerte de celle accordée à une personne mise en cause par un signalement adressé à l’AMF ou à l’ACPR, en relevant que l’une et l’autre se trouvaient placées dans des situations différentes.
Pour cette dernière, la protection prohibe uniquement les mesures de rétorsion directement motivées par l’existence d’un signalement. Dès lors, la personne mise en cause, dans l’hypothèse où elle aurait effectivement commis le manquement ayant donné lieu au signalement, pourra être sanctionnée ou licenciée par son employeur.
III. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES DES LANCEURS D’ALERTE ET DES MIS EN CAUSE NE NÉCESSITENT PAS D’ÊTRE REPRISES EN DROIT INTERNE POUR S’APPLIQUER
Le c du 2 de l’article 32 du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 octroie aux personnes ayant adressé un signalement aux autorités de supervision du secteur financier, ainsi qu’aux personnes mises en cause dans un signalement, une protection contre l’utilisation de leurs données personnelles et contre les mesures défavorables ou discriminatoires prises à leur encontre « pour ce seul motif de signalement ».
Les dispositions en cette matière qui figuraient dans l’avant-projet de loi ont été supprimées par le Conseil d’État qui a estimé qu’elles reprenaient, sans les préciser, celles du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 et de l’article 65 du règlement (UE) n° 909/2014 du 23 juillet 2014.
De surcroît, il existe déjà des règles, en droit interne, pour garantir la protection de l’identité et des autres données à caractère personnel des personnes mises en cause ou appelées à témoigner devant les services et les commissions des sanctions de l’AMF et de l’ACPR.
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La Commission est saisie de l’amendement CL389 de M. Yann Galut.
M. Éric Alauzet. Le présent amendement, conformément aux recommandations du Conseil d’État relatives à l’alerte éthique, vise à mettre en place un dispositif interne dans chaque administration pour garantir le recueil de l’alerte et orienter le lanceur d’alerte dans sa démarche.
M. le rapporteur. Il est tout à fait satisfait par l’article 6 C que nous avons adopté précédemment. Je vous invite donc à le retirer.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte successivement l’amendement de précision CL668 et l’amendement rédactionnel CL600, tous deux du rapporteur.
Puis elle examine l’amendement CL391 de M. Yann Galut.
M. Éric Alauzet. Cet amendement propose de supprimer les alinéas 14 à 17 de l’article 7, dans la mesure où ce dispositif ne semble pas assurer une protection générale et effective de l’ensemble des lanceurs d’alerte.
Permettez-moi de dire un mot de l’article 6. J’ai en tête le procès d’Antoine Deltour. Si d’aventure il était condamné, ne serait-ce qu’à une peine symbolique, l’impact serait désastreux sur le dispositif que nous souhaitons mettre en place. Il faut que le soutien aux lanceurs d’alerte que nous allons proposer soit franc et massif – dans la mesure, bien sûr, où l’on aura écarté toutes les dérives possibles de dénonciations calomnieuses. Une condamnation d’Antoine Deltour risquerait de dissuader les gens de faire des signalements.
M. le rapporteur. J’ai peur que la loi française n’ait pas d’influence sur une procédure luxembourgeoise. Pour le moment, nous sommes en train de faire une loi pour répondre à ce type de situation à l’avenir. Et en tout état de cause, c’est la justice du Luxembourg qui est saisie.
S’agissant de l’amendement, je rappelle qu’il y a un cadre général qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble des secteurs, lesquels, par ailleurs, peuvent faire l’objet d’une législation spéciale. Pour le secteur financier, nous sommes obligés de tenir compte d’un certain nombre de règlements européens, notamment du règlement de 2014 sur les abus de marché.
Je vous assure, monsieur Alauzet, que nous poursuivons les mêmes objectifs. Et si sur un certain nombre de points, il faut préciser des choses, nous le ferons.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’article 7 modifié.
La Commission est saisie de l’amendement CL131 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. L’article 7 prévoit, pour les lanceurs d’alerte, un mécanisme de signalement à l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou l’Autorité de contrôle prudentiel. Par ailleurs, l’article 4 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires prévoit une architecture semblable pour les lanceurs d’alerte fonctionnaires. Cependant, ils doivent en référer « aux autorités judiciaires ou administratives ».
Il convient de prévoir également un mécanisme d’alerte à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour les délits commis dans la vie publique. Il reviendra ensuite à la HATVP de mettre en place une procédure de signalement.
M. le rapporteur. Il y a une logique d’ensemble, qui repose notamment sur le fait que nous voulons faire du Défenseur des droits la clé de voûte du système de protection, mais aussi de traitement des alertes. Nous aurons l’occasion d’apporter des précisions au moment de la discussion de la proposition de loi organique qui accompagne ce texte.
Nous ne souhaitons pas dissocier protection et traitement des alertes. Nous ne souhaitons pas non plus orienter les agents publics vers la HATVP dont le champ d’intervention est très étroit. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL235 de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Trois lois comportaient déjà des dispositions relatives aux lanceurs d’alerte : celle de 2007 relative à la lutte contre la corruption, et deux de 2013 relatives, l’une, à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, l’autre, à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte. Avec celles que nous venons d’adopter à l’article 7, cela fait maintenant quatre lois.
Mon amendement suggère, sans aller jusqu’à créer un code spécifique aux lanceurs d’alerte, que l’on unifie ces dispositions au sein d’un même code, pour que l’on s’y retrouve. L’idée a été développée par des associations et des ONG.
M. le rapporteur. L’article 6 G, que nous avons voté ce matin, fait exactement ce que vous proposez, même si je reconnais qu’il n’est pas très lisible. Nous toilettons les législations spéciales existantes pour les mettre en cohérence avec les articles et le cadre général que nous avons adoptés ce matin.
En tout cas, nous allons sur la voie d’une harmonisation des textes. Chaque fois, nous harmonisons le code de la défense, le code de la santé publique, le code de la sécurité intérieure, les dispositions concernant la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, le code du travail, la loi de 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, et un certain nombre d’autres dispositions spécifiques.
L’amendement est retiré.
CHAPITRE III
Autres mesures de lutte contre la corruption et divers manquements à la probité
Article 8
Mesures internes de prévention et de détection des risques de corruption
Le présent article introduit une obligation générale de prévention de la corruption pesant sur les sociétés dépassant un seuil d’effectifs et de chiffre d’affaires. Les manquements à cette obligation pourront faire l’objet d’une injonction de mise en conformité ou d’une sanction pécuniaire prononcées par la future Agence nationale de prévention et de détection de la corruption.
I. UNE OBLIGATION LÉGALE DE PRÉVENTION ET DE DÉTECTION DES RISQUES DE CORRUPTION QUI VISE LES GRANDES ENTREPRISES
Comme le précise l’étude d’impact, l’objectif de cette réforme est de faire en sorte que « les plus grandes entreprises » disposent systématiquement en leur sein d’un dispositif interne complet et efficace de nature à prévenir et à détecter les faits de corruption qui sont susceptibles de survenir à l’occasion de transactions commerciales nationales ou internationales comme lors de la passation de marchés publics.
Les alinéas 1 et 2 (I) ne visent, par conséquent, que les seuls sociétés ou groupes de sociétés employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires dépasse 100 millions d’euros, ce qui correspond aux grandes entreprises et à certaines entreprises de taille intermédiaire.
L’obligation créée par le présent article pèse sur les mandataires sociaux de ces sociétés qui sont « tenus de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence ».
Cette obligation ne pèse pas sur les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), en dépit du fait que cette forme particulière d’« entreprises publiques » fait face aux mêmes problématiques en matière de prévention et de détection de la corruption que les entreprises sous forme sociale. Suivant un amendement de notre collègue Lionel Tardy sous-amendé par votre rapporteur, la commission des Lois a étendu à cette catégorie juridique l’obligation posée au présent article.
L’alinéa 3 introduit un aménagement dans le cas spécifique des groupes consolidés, dont les filiales et les entités contrôlés par une société-mère peuvent s’exonérer de l’obligation dès lors que celle-ci adopte les mesures prévues et les applique à l’ensemble du groupe.
Les alinéas 4 à 11 (II) du présent article détaillent les mesures et procédures devant être mises en œuvre pour satisfaire à l’obligation générale de prévention contre les risques de corruption ou de trafic d’influence. Il s’agit :
- d’un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire car susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence (alinéa 5) ;
- d’un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de l’entreprise (alinéa 6) ;
- d’une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de l’entreprise à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels l’entreprise déploie son activité commerciale (alinéa 7) ;
- des procédures de vérification de la situation des clients, des fournisseurs de premier rang, ainsi que des intermédiaires, au regard de la cartographie des risques (alinéa 8) ;
– des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne soient utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence (alinéa 9) ;
– un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence (alinéa 10) ;
– un régime de sanction disciplinaire permettant de sanctionner les membres de l’entreprise en cas de violation du code de conduite de l’entreprise (alinéa 11).
Les contrôles comptable et financier visés à l’alinéa 9 peuvent être réalisés soit par les services propres à la société, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes prévus à l’article L. 823-9 du code de commerce.
II. UNE OBLIGATION CONTRÔLÉE ET SANCTIONNÉE PAR LA NOUVELLE AGENCE
Le texte précise le régime de responsabilité applicable en cas de manquement à l’obligation légale de prévention et de détection des risques de corruption.
Même si ce sont les mandataires sociaux et les organes de direction qui sont visés par cette nouvelle obligation, l’alinéa 12 précise expressément que cette responsabilité individuelle ou collective se double de la responsabilité de la société concernée, en tant que personne morale.
Au demeurant, les manquements constatés ne seront pas sanctionnés pénalement mais par une sanction administrative, n’emportant donc pas inscription au casier judiciaire.
La procédure durant la phase de contrôle et d’enquête est encadrée par les alinéas 13 et 14 (IV). Les contrôles du respect de l’obligation générale de prévention de la corruption peuvent être engagés soit à la demande des ministres de tutelle, soit à l’initiative du directeur de la nouvelle Agence. Une fois achevés, ces contrôles donnent lieu à l’établissement d’un rapport d’enquête, qui comporte des observations et des recommandations.
Les alinéas 15 à 17 (IV) détaillent les modalités d’engagement des poursuites et les garanties des personnes susceptibles d’être sanctionnées. En cas de manquement constaté, et après avoir mis la société concernée en mesure de présenter ses observations, l’alinéa 15 ouvre deux possibilités :
– le directeur de l’Agence peut adresser un simple avertissement ;
– il peut saisir la commission des sanctions soit pour que celle-ci prononce une injonction, soit pour qu’elle inflige une sanction pécuniaire.
Il est précisé à l’alinéa 17 que lorsque le directeur de l’Agence décide de saisir la commission des sanctions d’une demande de sanction, il notifie simultanément les griefs à la personne mise en cause.
Les alinéas 18 à 24 encadrent la procédure suivie par la commission des sanctions durant la phase d’instruction et de jugement. Le montant maximal des sanctions qu’elle peut prononcer est fixé à 200 000 euros pour les personnes physiques, et au quintuple pour les personnes morales (alinéa 19). L’injonction ou la sanction pécuniaire peut faire l’objet de publicité, afin de la rendre plus dissuasive (alinéa 21).
Le caractère contradictoire de l’instruction et de l’audience est rappelé par l’alinéa 22, ainsi que l’obligation de motivation des décisions. En revanche, il n’est pas prévu que la personne mise en cause puisse demander à ce que l’audience devant la commission des sanctions soit publique, ce qui ne paraît pas conforme aux exigences résultant de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
L’article 25 fixe à trois ans le délai de prescription de l’action de l’Agence, ce qui correspond à l’actuel délai de prescription des atteintes à la probité.
Enfin, l’article 26 ouvre une garantie supplémentaire en prévoyant que les recours formés contre une sanction sont des recours de pleine juridiction.
*
* *
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL147, CL149 et CL148 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Nous avons essayé de trouver un équilibre entre les obligations nouvelles que nous imposons aux entreprises en les obligeant à mettre en place un certain nombre de dispositions de prévention et de détection de la corruption, et la nécessité de ne pas trop charger celles dans lesquelles l’enjeu n’est pas très élevé. Dans le nom de l’office britannique de lutte contre la fraude, le Serious Fraude Office, le terme « serious » montre qu’il faut se focaliser sur les enjeux les plus importants, qui ne me semblent pas concerner les petites collectivités locales ou les petites entreprises. Je propose de nous inscrire dans le choc de simplification cher au Président de la République, et de remonter les seuils au-dessus des 500 salariés et des 100 millions d’euros de chiffre d’affaires.
M. le rapporteur. Je suis clairement défavorable à la modification de ces seuils, parce que ce serait restreindre considérablement le champ d’action de l’Agence. Par ailleurs, à 500 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, je ne sais pas si l’on peut parler de petites entreprises.
La Commission rejette successivement les amendements CL147, CL149 et CL148.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL132 de M. Lionel Tardy, qui fait l’objet du sous-amendement CL742 du rapporteur.
M. Lionel Tardy. En avançant dans le texte, on remarque, comme souvent, une disparité entre les exigences à remplir par le secteur privé, d’un côté, et le secteur public, de l’autre. La corruption et le trafic d’influence ne sont malheureusement pas le fait d’un secteur plus que d’un autre. L’article 8 prévoit toute une série de mesures de prévention à destination des entreprises privées au-delà d’un certain seuil – code de conduite ou programme de formation du personnel –, mais je ne vois pas d’obligations similaires pour les entreprises publiques sous forme d’EPIC, telle la SNCF. Mon amendement tend donc à rétablir l’égalité.
M. Charles de Courson. Nous avons eu le même débat concernant le périmètre des lanceurs d’alerte : au début, seul le privé était concerné, mais on a reconnu qu’il fallait élargir le dispositif aux entreprises publiques ayant les mêmes caractéristiques. Cet amendement me paraît être de coordination.
M. le rapporteur. J’y suis favorable, sous réserve que nous adoptions mon sous-amendement de précision, dans la mesure où il n’y a pas de gérant dans un EPIC.
La Commission adopte le sous-amendement CL742.
Puis elle adopte l’amendement CL132 sous-amendé.
Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL601 du rapporteur.
La Commission discute de l’amendement CL125 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Pour certaines filiales d’entreprises à l’étranger, le droit applicable localement pourrait ne pas permettre la mise en place des mesures exigées par la loi française. Il s’agit de combler un éventuel vide juridique en créant l’obligation, pour ces entreprises, de signaler à l’Agence de lutte contre la corruption, sans attendre un éventuel contentieux, la particularité de la situation.
M. le rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement. Du moment que les filiales appartiennent à un groupe français, elles sont soumises aux mêmes obligations que toutes les entreprises françaises. Pourquoi les filiales à l’étranger échapperaient-elles aux obligations de prévention de la corruption ? Nous souhaitons que la France, là où elle se déploie, montre les mêmes vertus que sur le sol national.
M. Charles de Courson. Notre collègue Marleix soulève tout de même le problème, sérieux, de l’extraterritorialité du droit français, comme il existe une extraterritorialité du droit américain. Mais l’amendement est-il compatible avec nos engagements internationaux ? On voit bien, sinon, que toutes les filiales étrangères pourront échapper à leurs obligations. Et comment s’articule-t-il avec le droit des autres pays ?
M. le rapporteur. Nous parlons de filiales d’entreprises françaises, qui appartiennent à des groupes français. Je ne vois pas où est la difficulté.
Mme Sandrine Mazetier. Le travail des enfants est interdit en France. Les sociétés françaises, en France comme à l’étranger, ne font pas travailler les enfants.
M. Charles de Courson. Comment allez-vous le contrôler en Chine ? C’est voter pour se faire plaisir !
Mme Sandrine Mazetier. Nous avons adopté une proposition de loi du groupe socialiste portant sur la responsabilité des sociétés mères vis-à-vis de leurs filiales. Beaucoup de choses sont possibles, contrairement à ce que vous imaginez.
M. Charles de Courson. En l’occurrence, on impose une organisation dans un État étranger, ce que font, certes, les Américains.
M. le rapporteur. On l’impose à un ressortissant français ou une personne morale française !
M. Charles de Courson. On parle d’une personne morale de droit français quand la tête est installée en France. Il suffit de la déplacer au Luxembourg ou ailleurs pour qu’elle échappe à certaines obligations.
Pour revenir à l’amendement, est-on certain qu’il peut être opérationnel dans le respect des traités internationaux ?
M. Olivier Marleix. Il s’agit d’être mieux-disant et plus précautionneux par rapport à la rédaction actuelle. Je ne partage pas l’optimisme de Mme Mazetier sur l’automaticité de l’application de notre droit à une entreprise qui peut être une filiale de filiale de filiale installée dans un autre pays, et qui peut aussi se trouver dans un pays où s’applique une législation particulière, du genre de notre loi de 1968, dite « loi de blocage », qui interdit à une entreprise de faire remonter certaines informations sensibles.
Je ne voudrais pas que des filiales d’entreprises françaises localisées à l’étranger puissent échapper au dispositif contraignant que nous sommes en train de mettre en place. Cet amendement va dans le sens de l’intention du Gouvernement. Je trouverais dommage qu’en restant muet sur ce sujet, l’on crée un vide ou une incertitude juridique.
M. le président Dominique Raimbourg. J’adhère à ce que dit M. de Courson : comment peut-on imposer le droit français à une société étrangère installée à l’étranger ?
Mme Sandrine Mazetier. Avec ce type de raisonnement, on ne pourrait rien contre ce qui peut se passer en dehors de nos frontières et qui implique, même indirectement, certaines de nos entreprises. Pourtant, au cours de cette législature, nous nous attachons à faire quelque chose. J’en veux pour preuve la proposition de loi qui a été adoptée à l’Assemblée nationale, il y a un mois, sur la responsabilité des sociétés contractantes. Ou encore l’action d’ONG et de syndicats de salariés français, grâce à laquelle de grandes entreprises intervenant dans des pays organisateurs de manifestations sportives d’envergure ayant un lien avec le ballon rond, sont mises en cause pour les conditions de travail de travailleurs employés sans droit ni titre dans ces pays.
Les possibilités du droit sont vastes, sauf à ce que le législateur décide de les restreindre lui-même. L’objet de cette loi est précisément de diffuser une culture de la prévention, de la détection de la corruption, et de l’organisation d’entreprises afin que les pratiques que nous condamnons à l’intérieur de nos frontières ne se retrouvent pas à l’étranger.
M. Sergio Coronado. Il me semble que nous sommes d’accord pour promouvoir des critères sociaux, environnementaux et de lutte contre la corruption très élevés. L’interrogation porte sur la dimension opérationnelle de l’amendement et sur de possibles conflits de droit, notamment avec le droit international.
S’agissant de la fracturation hydraulique, par exemple, elle est interdite en France, et je m’en félicite. Mais Total, une entreprise française, est pionnière dans la fracture hydraulique qui est autorisée en Argentine. Prévoit-on de faire condamner Total parce qu’elle viole la loi française ? C’est le problème de la territorialité du droit. La même question peut se poser sur la GPA, sujet tout à fait polémique dont nous avons débattu par ailleurs. Malgré ces interrogations, je voterai l’amendement.
M. le rapporteur. La discussion déborde du cadre de l’amendement. On en oublie que l’article 8 introduit l’obligation de prévenir et de détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption, de trafic d’influence. Lorsque la société établit des comptes consolidés, cette obligation s’impose à la société elle-même, ainsi qu’à l’ensemble de ses filiales au sens du code de commerce. Juridiquement, la chose est bordée.
Ma crainte, alors que nous partageons bien la même préoccupation, c’est que les termes de votre amendement ne permettent à des filiales de sociétés françaises basées à l’étranger de s’exonérer de ces obligations, qu’elles ont d’ailleurs à l’égard de leur société mère d’abord.
Personnellement, je ne vois pas de contradiction ni de difficulté par rapport à des mécanismes classiques d’articulation du droit français et du droit des pays étrangers dans lesquels sont basées ces entreprises. Ces filiales sont, par ailleurs, tenues de respecter, par exemple, le code de l’urbanisme dudit pays. Là, il s’agit d’obligations, internes au groupe, de prévention et de détection de la corruption. La loi française a tout à fait la possibilité de dire à un groupe, jusqu’à la filiale, qu’il doit remplir un certain nombre d’obligations en la matière. Sinon, nous mettrions hors du champ toute la corruption transnationale.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL602, CL603, CL604, CL605 et CL606, et l’amendement de précision CL681, tous du rapporteur.
Elle examine ensuite l’amendement CL126 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Cet amendement vise à faire en sorte que les obligations que l’on crée pour les entreprises soient proportionnelles à la taille des entités concernées et à la nature des risques encourus.
M. le rapporteur. Il me semble que le texte le précise déjà. Je vous renvoie à l’article 3 qui prévoit, en son sixième alinéa, que « ces recommandations sont adaptées à la taille des entités concernées » et, en ses quatrième et cinquième alinéas, qu’elles s’appliquent aux collectivités territoriales et aux sociétés.
La précision serait redondante, aussi l’amendement pourrait-il être retiré ?
L’amendement CL126 est retiré.
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL607 du rapporteur.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL7 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
M. Lionel Tardy. Le présent amendement a pour objet d’étendre le dispositif aux associations.
M. le rapporteur. Ce n’est pas notre volonté. Avis clairement défavorable.
La Commission rejette l’amendement CL7.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL608, CL609 et CL610, l’amendement de conséquence CL612, les amendements rédactionnels CL611 et CL614, et les amendements de conséquence CL613 rectifié et CL615, tous du rapporteur.
Elle en vient à la discussion de l’amendement CL123 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Entre l’avant-projet de loi du Gouvernement et le projet qui a été finalement déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, la procédure a été sensiblement modifiée. Par cet amendement, je souhaite qu’il soit rappelé que la commission des sanctions instruit le dossier dans le respect du principe du contradictoire, même si cela peut paraître une évidence.
De fait, à chaque fois que l’on crée une autorité indépendante ou un service doté de pouvoirs quasi-juridictionnels, malheureusement, on n’applique pas le code de procédure pénale. Le respect des droits de la défense s’en trouve quelque peu dégradé. Voyez la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dont les procédures ne sont pas aussi codifiées ni aussi exigeantes que celle du droit pénal, ou même du droit fiscal.
Le contradictoire a beau être une évidence, un principe général du droit, je serais plus à l’aise si on l’écrivait.
M. le rapporteur. Le respect du contradictoire devant la commission des sanctions va de soi. Je vous renvoie aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, à la jurisprudence du Conseil d’État et à jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce point.
Par ailleurs, en termes de légistique, c’est au pouvoir réglementaire de fixer les conditions de la procédure à même de garantir cet impératif.
Je vous invite à retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce n’est pas en précisant le caractère impératif du contradictoire dans chaque texte que l’on renforcera ce principe, c’est même l’inverse. Le principe du contradictoire s’impose à tous les organismes, les conseils, les commissions qui ont une compétence susceptible de causer des griefs à quelqu’un. C’est de le tenir pour un principe fondamental qui le renforce. Si un processus doit porter grief à quelqu’un, il ne peut être pris que dans le cadre du contradictoire. D’ailleurs, si ce n’était pas le cas, il serait possible d’annuler les décisions prises.
La Commission rejette l’amendement.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL13 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
Puis elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CL616 et l’amendement de conséquence CL617 du rapporteur.
Elle adopte ensuite l’article 8 modifié.
Article 9
(art. 131-37, 131-39-2, 433-26, 434-48 [nouveaux], 435-15, 445-4 et 443-43-1 [nouveau], art. 705 et 764-44 [nouveau] du code de procédure pénale)
Peine de mise en conformité
Le présent article crée une peine dite de « mise en conformité », dont l’objet est de contraindre les entreprises condamnées pour certains délits de corruption à mettre en œuvre les mesures internes de prévention et de détection définies à l’article 8 du projet.
Incomplète, l’étude d’impact n’évalue pas l’utilité d’une peine complémentaire de ce type et se borne à rappeler le développement aux États-Unis de programmes similaires de « corporate monitoring » dans le cadre de transactions pénales.
I. UN PROGRAMME DE MISE EN CONFORMITÉ IMPOSÉ PAR LE JUGE ET DESTINÉ À PRÉVENIR LA RÉITÉRATION DES FAITS DE CORRUPTION
Les alinéas 14 à 21 rendent cette peine applicable à trois infractions uniquement :
– la corruption active, définie à l’article 433-1 du code pénal (alinéas 14 et 15) ;
– la corruption active du personnel judiciaire, définie à l’article 434-9-1 ;
– et la corruption passive du personnel judiciaire, définie à l’article 434-9-1 (alinéas 16 et 17).
L’objet de la peine de mise en conformité et les mesures qu’elle comporte sont définis dans un nouvel article 131-39-2 du code pénal, introduit par les alinéas 3 à 12.
En théorie, cette peine pourrait s’appliquer à toute personne morale, y compris des collectivités territoriales ou des établissements publics, conformément à l’alinéa 4. Toutefois, comme l’a relevé le Conseil d’État dans son avis du 28 avril 2016, elle devrait concerner quasi-exclusivement des entreprises, dans la mesure où la corruption active émane généralement de ces dernières, tandis que la corruption passive est le fait d’organes ou dirigeants d’autorités publiques.
Les alinéas 5 à 12 du présent article définissent les mesures, sur le modèle du programme de mise en conformité dont l’article 8 du projet rend obligatoire la mise en œuvre par certaines sociétés, à raison de leur importance. Elles consistent en :
– un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire car susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence (alinéa 6) ;
– un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de l’entreprise (alinéa 7) ;
– une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de l’entreprise à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels l’entreprise déploie son activité commerciale (alinéa 8) ;
– des procédures de vérification de la situation des clients, des fournisseurs de premier rang, ainsi que des intermédiaires, au regard de la cartographie des risques (alinéa 9) ;
– des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne soient utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence (alinéa 10) ;
– un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence (alinéa 11) ;
– un régime de sanction disciplinaire permettant de sanctionner les membres de l’entreprise en cas de violation du code de conduite de l’entreprise (alinéa 12).
La peine de mise en conformité sera prononcée sous la forme d’une peine complémentaire applicable aux personnes morales déclarées responsables pénalement, conformément aux alinéas 18 à 21.
II. UNE PEINE COMPLÉMENTAIRE EXÉCUTÉE SOUS LE CONTRÔLE DE LA NOUVELLE AGENCE DE PRÉVENTION ET DE DÉTECTION DE LA CORRUPTION
Les alinéas 22 à 25 créent, dans un nouvel article 434-43-1 du code pénal, un délit destiné à sanctionner l’inexécution ou la mauvaise exécution de la peine de mise en conformité. La définition de ce délit est précise : celui-ci serait constitué par le fait, pour les organes ou représentants d’une personne morale condamnée, de s’abstenir de prendre les mesures nécessaires ou de faire obstacle à la bonne exécution des obligations résultant de la peine prononcée contre la personne morale.
Les alinéas 29 à 36 complètent ce dispositif en insérant un nouvel article 764-44 dans le code de procédure pénale précisant que l’Agence de la prévention et de la détection de la corruption est chargée de rendre compte de l’exécution de la mesure au procureur de la République, régulièrement, en cas d’incident et en fin de mesure.
Dans la mise en œuvre de ce contrôle, l’Agence peut recourir à « des experts, personnes ou autorités qualifiés, pour l’assister dans la réalisation d’analyse juridique, financière, fiscale et comptable », conformément à l’alinéa 13.
Il est également prévu que la personne morale condamnée puisse informer le procureur de la République de toute difficulté dans la mise en œuvre de la peine (alinéa 34).
Enfin, dans le souci d’assurer une articulation avec l’article 8 du projet de loi instaurant pour certaines sociétés, à raison de leur importance, une obligation administrative de mettre en œuvre un programme de conformité, l’alinéa 35 précise que, dans l’hypothèse où la peine sera prononcée à l’encontre d’une société soumise à cette obligation, il devra être tenu compte, dans l’exécution de la peine, des mesures et procédures déjà mises en œuvre.
III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS
Par coordination avec l’article 4 du projet de loi, votre Commission a suivi les préconisations de votre rapporteur et aligné les sanctions encourues en cas de délit d’entrave qu’il s’agisse de faire obstacle à l’action a priori de l’Agence ou aux contrôles qu’elle met en œuvre dans le cadre de l’exécution d’une peine de mise en conformité prévue par le présent article. Dans les deux cas, la peine maximale encourue est portée à deux ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende.
À l’initiative de votre rapporteur, elle a également souhaité imposer des obligations déontologiques aux experts, personnes ou autorités qualifiés auxquels peut recourir l’Agence dans la mise en œuvre d’une peine de mise en conformité, dans le souci de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.
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* *
La Commission adopte successivement l’amendement de conséquence CL618 et l’amendement rédactionnel CL619, tous deux du rapporteur.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL15 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
Puis elle examine l’amendement CL16 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Cet amendement vise à prendre en compte l’historique de la société pour l’établissement de la cartographie des risques.
M. le rapporteur. Cette exigence est satisfaite. Qui plus est, je crains que cette précision inutile ne crée une difficulté en limitant la portée de l’exercice. Avis défavorable. Je vous invite à retirer votre amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de précision CL620 du rapporteur.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l’amendement CL17 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL621 et CL622 du rapporteur.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement CL18 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL19 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
Puis elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CL623, l’amendement de conséquence CL625 et l’amendement rédactionnel CL624, tous du rapporteur.
Elle en vient à l’examen de l’amendement CL626 du rapporteur.
M. le rapporteur. En disposant que l’Agence française anticorruption peut recourir à des experts extérieurs pour contrôler la mise en œuvre du programme de mise en conformité, nous allons créer un marché du monitoring en France. Il existe déjà des entreprises positionnées dans ce secteur, et il faut prévoir un certain nombre de garanties. En particulier, il importe de préciser que l’Agence ne peut pas désigner n’importe quel expert.
Cependant, il est inutile d’alourdir la loi. Je propose donc qu’un décret en Conseil d’État précise les règles déontologiques applicables à ces experts. Dans le temps qui m’était imparti, je n’avais guère d’autre choix que de renvoyer au pouvoir réglementaire. Au demeurant, cela ne nous dessaisit pas de notre compétence.
Mme Sandrine Mazetier. Je souscris pleinement aux propos du rapporteur. Néanmoins, je pense qu’il serait utile pour le pouvoir réglementaire de connaître les intentions du législateur : nous devrions définir très clairement les impossibilités ou les interdictions qui devraient figurer dans ce décret. Par exemple, la mission de monitoring – il faudrait d’ailleurs trouver une terminologie française : « pilotage » ou « accompagnement sourcilleux » – ne saurait être exercée par une personne qui a des intérêts dans l’entreprise surveillée ou un lien de famille avec elle. Par ces nouvelles dispositions, nous créons effectivement un marché. Celui-ci doit être régi par des règles strictes.
M. Charles de Courson. Je crains qu’un certain nombre de ces règles déontologiques ne relève du domaine législatif. Dans les codes de déontologie, il y a une partie législative, certaines règles étant attentatoires aux libertés publiques. Peut-on prévoir de telles règles dans un acte réglementaire ? Avez-vous mené des investigations sur ce point, monsieur le rapporteur ?
M. le rapporteur. Pour l’heure, le texte du Gouvernement prévoit simplement que l’Agence peut faire appel à des experts. Avec cet amendement – que vous pouvez sous-amender, madame Mazetier, monsieur de Courson –, mon intention est de faire en sorte qu’un certain nombre de règles soient définies afin que l’Agence n’ait pas totalement les mains libres.
L’Agence étant un service à compétence nationale relevant de l’État, des exigences peuvent d’ailleurs être posées dans le cadre des procédures de marché public. Le monitoring est certes une forme d’accompagnement, madame Mazetier, mais un accompagnement très poussé et qui prend beaucoup de temps. Dans certains cas, les contrats dépasseront le seuil au-delà duquel un marché public est obligatoire. C’est pourquoi j’ai indiqué qu’un marché du monitoring allait s’ouvrir, ainsi que nous l’avons constaté à l’étranger.
À ce stade de la discussion, je suggère que nous adoptions mon amendement pour marquer notre intention, quitte à revenir sur le sujet en séance publique ou au cours de la navette parlementaire. Si j’avais été en mesure d’établir une liste d’exigences déontologiques, j’aurais proposé de les inscrire dès maintenant dans la loi. Cela étant, je ne pense pas que le problème que vous avez soulevé se pose, monsieur de Courson. Il convient néanmoins de s’en assurer.
M. Charles de Courson. Que veut-on ? Que ces experts, personnes ou autorités qualifiées soient indépendants par rapport à la personne morale contrôlée. Or ce principe d’indépendance relève du domaine législatif. Il faudrait donc l’inscrire dans le texte, à charge pour l’Agence de l’appliquer, en vérifiant que l’expert est bien indépendant.
M. le rapporteur. En quoi cela relève-t-il du domaine législatif ?
M. Charles de Courson. Les règles d’incompatibilité touchent au droit des personnes, lequel entre dans le champ de l’article 34 de la Constitution.
M. le rapporteur. Il s’agit de personnes morales.
M. Charles de Courson. De personnes morales ou physiques : les experts peuvent avoir un statut d’indépendant.
M. Pierre Lellouche. Le système pratiqué actuellement dans notre pays échappe complètement, de fait, à la loi française. Il ne s’agit pas de marchés publics : c’est l’entreprise qui assume, dans le cadre de sa mise en conformité, le coût du moniteur, accompagnateur ou contrôleur – comme on voudra l’appeler. Ce moniteur est généralement un avocat spécialisé en droit des affaires intégré dans l’entreprise. Certaines entreprises françaises emploient ainsi jusqu’à cinq avocats américains. Je préférerais que ce soient des avocats français. La notion d’indépendance soulevée par M. de Courson et Mme Mazetier me paraît pertinente. Il faudrait, en effet, préciser dans le texte que ces experts doivent être des personnalités reconnues et indépendantes.
M. le rapporteur. D’après le projet de loi, le recours au moniteur sera bien aux frais de l’entreprise, mais c’est l’Agence qui le choisira.
En tout cas, il conviendra d’interroger le Gouvernement. Pour être tout à fait transparent – c’est bien le moins s’agissant d’un texte tel que celui-ci –, j’attends moi-même un certain nombre d’éclaircissements de la part du cabinet du ministre compétent concernant ces nouvelles dispositions. Compte tenu de la législation applicable, nous pensons que nous sommes plutôt dans le cadre des marchés publics, mais nous ne sommes pas certains qu’un système de marché public payé par une personne privée par ailleurs condamnée fonctionne parfaitement.
Nous pouvons continuer à travailler sur cette question en vue de la séance publique, mais je maintiens mon amendement afin de marquer notre intention que les experts ne soient pas désignés n’importe comment.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL627, CL628, CL629 et CL630 du rapporteur.
Elle examine ensuite l’amendement CL631 rectifié du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de relever les peines pour délit d’entrave à la bonne exécution du programme de mise en conformité de 30 000 à 50 000 euros pour une personne physique, ce qui donne, en quintuplant, 250 000 euros pour une personne morale. Compte tenu des sujets dont il est question, le montant de 30 000 euros était dérisoire. De plus, il y avait un problème d’harmonisation des peines au sein même du texte. Les montants auxquels nous parvenons sont tout à fait proportionnés.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL632 du rapporteur.
Elle en vient à l’amendement CL32 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Cet amendement vise à préciser que les représentants légaux qui doivent mettre en place des mesures et procédures de prévention de la corruption sont considérés comme complices s’ils ne mettent pas effectivement en œuvre ces mesures de prévention.
M. le rapporteur. Vous proposez de considérer les représentants légaux de l’entreprise comme complices en cas de manquement de la part de leurs salariés. Or cela se heurte au principe selon lequel il ne peut y avoir de responsabilité pénale automatique du fait d’autrui. En outre, vous allez au-delà des intentions des auteurs du texte. Avis défavorable à cet amendement, de même qu’aux trois suivants. Je vous invite à les retirer.
L’amendement est retiré.
Sont également retirés les amendements CL22, CL23 et CL21 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
La Commission adopte successivement l’amendement rédactionnel CL633, l’amendement de conséquence CL636 et les amendements rédactionnels CL634, CL635 et CL637 rectifié, tous du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 9 modifié.
Article 9 bis (nouveau)
(art. 432‑11‑1, 432‑2‑1, 432‑6‑1 et 432‑11‑1 du code pénal)
Exemption de peine pour les repentis en matière de corruption
Le présent article vise à améliorer l’efficacité de la lutte contre les infractions économiques et financières, en prévoyant une exemption de peine pour les personnes qui coopèrent avec la justice. Il prolonge les dispositions introduites, à l’initiative de la commission des Lois, par l’article 5 de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
En effet, si le dispositif voté prévoit une possibilité d’exemption de peine en matière de blanchiment, il s’est borné à prévoir un mécanisme de réduction de moitié de la peine d’emprisonnement s’agissant des auteurs ou complices d’infraction de corruption ou de trafic d’influence. Comme l’a constaté votre rapporteur au cours des auditions qu’il a conduites, ce statut des « repentis » n’est pas suffisamment incitatif et il n’a pas permis de faciliter la preuve des infractions.
S’agissant d’infractions de gravité comparable, il est donc proposé d’aligner les dispositions applicables en matière de corruption et de trafic d’influence sur celles du blanchiment. Celles-ci exemptent de peine sans toutefois supprimer l’infraction ni exclure la culpabilité ; de plus, le « repenti » ne pourra en bénéficier que si ses déclarations permettent d’empêcher que l’infraction qu’il a préparé soit commise, et d’identifier les auteurs ou complices.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL638 du rapporteur.
M. le rapporteur. Je vous propose de prévoir une exemption de peine pour les repentis en matière de délits d’atteinte à la probité, de même que nous l’avons fait pour le délit de blanchiment en 2013. On peut d’ailleurs se demander pourquoi, en 2013, nous n’avons pas cherché à libérer davantage la parole sur les faits de corruption, car c’est le premier matériau exploitable pour engager des procédures judiciaires. Il s’agirait d’une exemption de peine pour les personnes qui ont averti la justice à l’avance, à bien distinguer de la réduction de peine déjà prévue, qui ne concerne que les personnes qui, après la commission de l’infraction, aident à identifier les complices.
Mme Sandrine Mazetier. Cette exemption concernerait-elle les personnes physiques ou les personnes morales ?
M. le rapporteur. « Toute personne », ainsi que nous l’avions prévu pour le blanchiment en 2013.
Mme Sandrine Mazetier. En l’espèce, nous ne sommes pas exactement dans la même situation que pour le blanchiment, où l’on exempte de peine les complices du blanchiment qui coopèrent avec la justice en donnant le nom de l’auteur de l’infraction initiale. Cette proposition soulève donc un certain nombre de questions, surtout s’agissant de personnes morales.
M. Charles de Courson. Je suis hésitant, voire réticent à l’égard de cette idée du rapporteur qui nous fait tomber dans une justice à l’américaine. Certains sont pour, mais, pour ma part, je ne m’inscris guère dans la tradition anglo-saxonne en la matière. Certes, c’est sans doute efficace : il y a des gens qui livrent des informations pour se disculper. Mais certains auteurs d’infraction vont adopter des stratégies de négociation avec la justice, en disant aux magistrats : « Si vous m’exemptez de peine, je suis prêt à livrer mes petits camarades ou à dénoncer des cas bien plus graves. » Qui plus est, en l’espèce, on exempterait de peine non pas un complice, mais l’auteur même de l’infraction.
M. le rapporteur. Le mécanisme que je propose concerne les personnes qui ont tenté de commettre une infraction ; il vise donc à prévenir l’infraction. Nous nous appuyons sur une analyse simple : le mécanisme de réduction de peine ne fonctionne pas du tout, pour ne pas dire qu’il ne sert absolument à rien. Si l’on veut que la justice obtienne des informations avant que l’infraction ne soit commise, il faut rendre le dispositif plus attractif en allant jusqu’à l’exemption de peine.
M. Charles de Courson. Il me semblait qu’en droit français, on ne pouvait être sanctionné que si on avait commis une infraction, non si on avait seulement tenté de la commettre.
M. le président Dominique Raimbourg. La tentative d’infraction a toujours été sanctionnée, monsieur de Courson. La tentative, c’est une infraction qui a été commencée, mais dont la réalisation a échoué pour une raison indépendante de la volonté de l’auteur.
M. Charles de Courson. Est-ce bien ce que vise le rapporteur ?
M. le président Dominique Raimbourg. Oui, le mécanisme qu’il propose concerne « toute personne qui a tenté de commettre l’infraction ». Certes, d’un point de vue moral, l’infraction ne s’est pas arrêtée grâce à l’individu en question, mais parce qu’il a raté son coup. C’est donc une prime aux maladroits repentants !
M. le rapporteur. Un tel individu devrait être doublement sanctionné : non seulement, il a tenté de commettre une infraction, mais il est maladroit !
M. le président Dominique Raimbourg. Il est déjà sanctionné dans la mesure où il a raté son infraction.
M. le rapporteur. Il s’agit, je le répète, d’un mécanisme de détection et de prévention de la corruption, qui se situe en amont de la réalisation de l’infraction. Je vous propose d’aller au-delà de la simple réduction de peine, car nous nous sommes aperçus, à la faveur des auditions que nous avons menées, qu’elle ne donne aucun résultat. Le législateur pourra apprécier, dans les années qui viennent, si ces dispositions ont vraiment permis de libérer la parole et de prévenir autant d’infractions que nous le souhaiterions.
M. Charles de Courson. Qui vous a donné cette idée, monsieur le rapporteur ?
M. le rapporteur. Je suis totalement transparent sur mes sources d’inspiration, anticipant en cela sur les travaux concernant l’empreinte normative : il s’agit de M. Adrien Roux, doctorant à l’université d’Aix-Marseille, spécialiste de ces questions, qui achève actuellement sa thèse. Il a d’ailleurs signé une tribune publiée aujourd’hui dans Le Monde à propos du présent projet de loi. J’ai fait expertiser cette proposition à la suite de son audition, et elle tient du point de vue juridique.
Il serait très intéressant, du reste, que chaque dépositaire d’amendement soit transparent sur ses sources, en particulier pour ce qui est de ce texte.
M. Olivier Marleix. Tout l’intérêt de ce texte, avec la création d’une nouvelle agence de lutte contre la corruption, c’est de trouver des moyens un peu plus opérants que ceux qu’offre actuellement le code pénal pour mieux détecter les faits de corruption. L’effort d’imagination du rapporteur va tout à fait dans le bon sens. Nous verrons si ce mécanisme fonctionne. En tout cas, il me paraît un apport tout à fait souhaitable à notre droit. La convention pénale pourrait en être un autre.
Mme Cécile Untermaier. Ce mécanisme d’exemption totale de peine me fait un peu peur : on ne peut pas afficher qu’il est possible d’échapper à une peine en allant se dénoncer.
M. Charles de Courson. Je vais faire de l’humour : notre individu a tenté de commettre une infraction, mais ne l’a pas commise, le maladroit ! Et, pour s’exempter de sa responsabilité pénale, il dénonce les petits camarades avec qui il a manqué son coup, grâce à quoi ceux-ci vont être condamnés alors qu’il sera, lui, exempté de peine. Cela me paraît une histoire de fous !
M. Pierre Lellouche. C’est pourtant un mécanisme qui est utilisé par tous nos concurrents économiques.
M. le rapporteur. M. Lellouche a raison, c’est un mécanisme qu’utilisent un certain nombre de nos voisins, notamment outre-Atlantique, et qui fonctionne. Or, pour l’instant, les mécanismes dont nous disposons ne fonctionnent pas. Je vous propose, dans une certaine mesure, une voie expérimentale.
Dernier point, mais non le moindre : j’ai soumis cette proposition à Mme le procureur de la République financier, qui a vu tout l’intérêt de ce nouvel outil. Or c’est elle qui traite actuellement les dossiers les plus importants en matière de lutte contre la corruption, notamment transnationale. Nous l’avons vu avec la perquisition chez Google hier et l’ouverture d’une enquête à la suite des révélations des Panama Papers.
M. Pierre Lellouche. Cet amendement est intéressant, car il est au carrefour des cultures, notre philosophie du droit étant très différente de celle qui prévaut de l’autre côté de l’Atlantique. Or nous vivons dans un univers mondialisé du point de vue de la compétition économique. Faute d’un système suffisamment efficient – au cours des vingt ou vingt-cinq dernières années, quels que soient les gouvernements, nous n’avons pas été très bons en matière de lutte contre la corruption –, nous laissons d’autres États appliquer leur droit directement à nos entreprises et, ce faisant, s’approvisionner en intelligence économique à leurs frais.
L’intérêt de ce texte est de nous permettre de réintroduire l’État et la France dans le dispositif. En général, le parquet financier, avec les moyens dont il dispose, ne peut pas aller au bout des enquêtes sur des infractions commises à l’autre bout du monde, qu’il s’agisse de corruption ou de versement de pots-de-vin. Le problème est donc, non seulement la compromission des pouvoirs publics, mais aussi l’insuffisance de notre appareil. Par comparaison, les Américains alignent des centaines d’enquêteurs. Les moyens de l’appareil répressif américain, notamment du FBI (Federal Bureau of Investigation), en matière de lutte contre la corruption viennent en deuxième après ceux qui sont consacrés à la lutte contre le terrorisme, l’intention étant de gagner des points contre la concurrence internationale, de tirer un maximum d’informations des cibles choisies et de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État.
Je suis conscient des réticences que peuvent susciter ce mécanisme ainsi que les dispositions prévues à l’article 12, mais c’est une question d’efficience. Il faut choisir : soit nous voulons être efficaces, soit nous restons dans la tradition juridique française, avec le juge d’instruction, le parquet et le droit pénal. Or ce n’est pas de cette manière que nous lutterons sérieusement contre la corruption transnationale, et nous laisserons les Américains continuer à faire leur marché dans les entreprises françaises. Je dis les choses crûment, mais telle est la réalité. Ensuite, c’est à chacun de prendre ses responsabilités. Je suis venu devant votre commission uniquement pour vous dire ce qui se passe, et souhaiter que nous adoptions un texte efficace, même s’il est en effet à cheval entre deux cultures juridiques. Cela étant, dans le fonctionnement de notre République, il y a beaucoup d’autres exemples de changements culturels imposés par la mondialisation.
M. le rapporteur. Il n’est pas difficile d’être plus efficace qu’aujourd’hui : la justice française n’a jamais condamné une seule fois, à titre définitif, une personne morale pour des faits de corruption. Nous devons donc nous doter d’outils supplémentaires, le cas échéant en empruntant à d’autres traditions juridiques. Le mécanisme que je propose concerne certes le repenti pied nickelé, monsieur de Courson, mais il sert à dévoiler des faits et à condamner des complices – peut-être tout autant pieds nickelés, puisque leur tentative a échoué. Notre volonté est, non pas d’exempter en soi, mais d’exempter pour condamner des complices, notamment pour des faits de corruption en bande organisée. L’objectif que je cherche à atteindre avec cet amendement, que je maintiens bien évidemment, c’est le démantèlement des systèmes de corruption en bande organisée.
La Commission adopte l’amendement. L’article 9 bis est ainsi rédigé.
Article 10
(art. 432-17 et 432-22 du code pénal)
Extension de la peine de publicité aux condamnations pour atteinte à la probité
Le présent article étend la possibilité, prévue à l’article 432-17 du code pénal, de prononcer la peine complémentaire de publication ou d’affichage de la condamnation à de nouvelles infractions d’atteinte à la probité.
Jusqu’à présent, seules les condamnations dans les cas de corruption et de trafic d’influence, passifs ou actifs, commis par des personnes exerçant une fonction publique pouvaient faire l’objet d’une peine complémentaire de ce type, comme le rappelle le tableau ci-contre.
L’alinéa unique complète la liste des infractions visées, à savoir :
– la prise illégale d’intérêt, sanctionnée à l’article 432-12 du code pénal ;
– la prise illégale d’intérêt par un ancien fonctionnaire ou un fonctionnaire en disponibilité (autrement dit le « pantouflage »), à l’article 432-13 ;
– l’atteinte à la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public (encore appelé délit de favoritisme), à l’article 432-14 ;
– la soustraction ou le détournement de fonds publics commis intentionnellement par des personnes exerçant une fonction publique, à l’article 432-15 ;
– et la soustraction ou le détournement de fonds publics résultant de la négligence de ces mêmes personnes, à l’article 432-16.
Il faut remarquer que cette énumération demeure partielle puisque la concussion, définie à l’article 432-10, n’est pas expressément mentionnée.
LISTE DES ATTEINTES À LA PROBITÉ ET PEINES ENCOURUES
Infractions |
Peines maximales |
Peines complémentaires | ||
Inélig. |
Int. prof. |
Publicité | ||
Trafic d’influence et corruption - agent public national : (art. 432-11 et 433-1 du code pénal) Corruption - personnel judiciaire (art. 434-9 du code pénal) Corruption - agent public étranger (art. 435-1 et 435-3 du code pénal) Corruption – personnel de juridiction étrangère ou internationale (art. 435-7 et 435-9 du code pénal) Détournement de fonds publics (art. 432-15 du code pénal) |
10 ans d’emprisonnement 1 000 000 € d’amende pour les personnes physiques et 5 000 000€ d’amende pour les personnes morales (*) |
X X X X X |
X X X X X |
X X X X |
Concussion (article 432-10 du code pénal) Prise illégale d’intérêts (art. 432-12 du code pénal) Trafic d’influence - particulier (art. 433-2 du code pénal) Trafic d’influence - personnel judiciaire (art. 434-9-1 du code pénal) Trafic d’influence - personnel d’organisation internationale publique (art. 435-2 et 435-4 du code pénal) Trafic d’influence – personnel de juridiction internationale (art. 435-8 et 435-10 du code pénal) Corruption - secteur privé (art. 445-1 et 445-2 du code pénal) Corruption sportive (art. 445-1-1 et 445-2-1 du code pénal) |
5 ans d’emprisonnement 500 000 € d’amende pour les personnes physiques et 2 500 000 € d’amende pour les personnes morales (*) |
X X X X X X X X |
X X X X X X X |
X X X X X X |
Prise illégale d’intérêt - ancien fonctionnaire (art. 432-13 du code pénal) |
3 ans d’emprisonnement 200 000€ d’amende (*) |
X |
X |
|
Favoritisme (art. 432-14 du code pénal) |
2 ans d’emprisonnement 200 000 € d’amende pour les personnes physiques et 2 500 000 € d’amende pour les personnes morales (*) |
X |
X |
|
Détournement de fonds publics par négligence (art. 432-16 du code pénal) |
1 an d’emprisonnement 15 000 € d’amende pour les personnes physiques et 75 000 € d’amende pour les personnes morales (*) |
X |
X |
(*) Amende dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.
À l’initiative de votre rapporteur, votre commission des Lois a complété le présent article, afin d’instaurer une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité en cas de condamnation pour atteinte à la probité.
Ces dispositions mettent en œuvre la proposition n° 18 du rapport Renouer la confiance publique, remis au Président de la République en janvier 2015 par M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Aujourd’hui, l’inéligibilité, lorsqu’elle sanctionne des infractions pénales, est une peine complémentaire facultative que le juge n’est jamais contraint de prononcer. Afin de rendre cette inéligibilité plus fréquente, le présent article en fait une peine complémentaire obligatoire, que le juge est en principe tenu de prononcer. Toutefois, le juge demeurera libre de décider de la durée de l’inéligibilité (inchangé par rapport au droit en vigueur : voir ci-après) et pourra, par une décision spécialement motivée, décider d’écarter le prononcé de l’inéligibilité : il ne s’agit donc pas d’une peine automatique, qui serait manifestement inconstitutionnelle.
Des peines complémentaires obligatoires de ce type figurent aujourd’hui, par exemple, aux articles 221-8 (atteintes à la vie de la personne), 224-9 (atteintes aux libertés de la personne), 225-20 (atteintes à la dignité de la personne) et 311-14 (vol commis avec violence ou puni d’une peine criminelle) du code pénal et aux articles L. 234-12 et L. 234-16 du code de la route (conduite sous l’influence de l’alcool).
Les infractions concernées par la peine complémentaire obligatoire d’éligibilité instituée au présent article sont :
– l’ensemble des manquements au devoir de probité commis par des personnes exerçant une fonction publique (article 432-17 du code pénal, renvoyant à la section 3 du chapitre II du titre III du livre IV du même code) : concussion, corruption passive, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, soustraction et détournement de biens. Pour les personnes concernées, la peine d’inéligibilité est celle prévue aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal, qui en fixent la durée maximale à dix ans en cas de condamnation pour crime et à cinq ans en cas de condamnation pour délit (cette dernière durée pouvant être portée à dix ans si l’auteur du délit est un ministre ou un élu) ;
– la corruption active et le trafic d’influence commis par des particuliers (article 433-22 du code pénal, renvoyant aux articles 433-1 et 433-2 du même code). Pour ces derniers, la peine d’inéligibilité est celle prévue à l’article 131-26 précité, qui en fixe la durée maximale à dix ans en matière criminelle et à cinq ans en matière délictuelle.
*
* *
La Commission examine l’amendement CL477 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à appliquer plus fréquemment la peine complémentaire d’inéligibilité en cas de condamnation pénale pour manquement à la probité, selon un mécanisme connu de notre droit pénal : la peine serait obligatoire, sauf décision en sens contraire spécialement motivée par le juge. Celui-ci resterait libre de prononcer la durée de l’inéligibilité, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. En principe, cette durée est de dix ans en cas de condamnation pour crime et de cinq ans en cas de condamnation pour délit. Toutefois, depuis la loi sur la transparence de la vie publique de 2013, la peine peut parfois être portée à dix ans, même en cas de délit, lorsque le condamné est un ministre ou un élu.
Seraient concernés par ce mécanisme, d’une part, les manquements à la probité commis par des personnes exerçant une fonction publique – concussion, corruption passive, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les procédures de marché public et de délégation de service public, soustraction et détournement de biens – et, d’autre part, la corruption active et le trafic d’influence commis par des particuliers.
La source de cet amendement, monsieur de Courson, est la proposition n° 18 du rapport que M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a remis au Président de la République en janvier 2015. De prime abord, cette mesure n’apparaissait pas comme une évidence absolue, mais rappelons-nous le titre dudit rapport Nadal : Renouer la confiance publique. Nos concitoyens ne comprennent plus l’impunité dont bénéficient certains responsables publics qui continuent à faire carrière alors même qu’ils ont porté atteinte à la probité en commettant l’une des infractions que je viens de citer, qui sont d’une extrême gravité, précisément parce qu’elles détruisent le pacte de confiance entre les citoyens et les élus. J’attache beaucoup de prix à l’adoption de cet amendement. Cette mesure est attendue par nos concitoyens. Elle constitue un élément de réponse à la crise démocratique que nous traversons.
M. Lionel Tardy. La proposition n° 18 du rapport Nadal est, en effet, de rendre obligatoire la peine complémentaire d’inéligibilité. À première vue, j’étais plutôt favorable à cette disposition. Cependant, dans la réponse qu’elle a faite le 12 avril 2014 à ma question écrite n° 73274, que je vous invite à consulter, la garde des Sceaux indiquait que cette mesure était « de nature à restreindre le pouvoir d’appréciation des juges et le principe d’individualisation des peines ». Je vous alerte donc sur le fait que cette disposition risque d’être jugée inconstitutionnelle.
M. Charles de Courson. Nous voyons bien que nos concitoyens ne supportent plus ces grandes canailles – d’ailleurs assez bien réparties sur tous les bancs de l’Assemblée nationale – qui ont piqué dans la caisse et qui restent élues pendant des années ! Car on peut être une canaille sympathique !
Je suis donc tout à fait favorable à l’idée du rapporteur. À une petite réserve près : la disposition ne risque-t-elle pas d’être annulée par le Conseil constitutionnel en raison du caractère obligatoire conféré à la peine ? Avez-vous vérifié ce point, monsieur le rapporteur ?
Mme Sandrine Mazetier. Sous réserve du point soulevé par M. Tardy, le groupe Socialiste, écologiste et républicain souscrit pleinement à l’objectif de cet amendement. Néanmoins, il y a un petit déséquilibre au regard de l’amendement que nous venons d’adopter : les élus corrompus seront lourdement sanctionnés – et nous avons raison de le prévoir –, alors que ceux qui auront tenté de les corrompre pourront être exemptés de peine.
M. Olivier Marleix. Dans notre droit, il est rarissime que les peines complémentaires aient un caractère obligatoire. Cela étant, vous essayez de répondre au problème posé en matière d’individualisation des peines en permettant au juge de ne pas prononcer la peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. Je pense donc qu’il n’y a pas de risque d’inconstitutionnalité
Cette mesure à l’égard des élus corrompus est tout à fait justifiée, car les élus ont un devoir d’exemplarité. Cependant, j’aimerais – c’est une question de principe – que l’on fasse preuve de la même rigueur à l’égard d’autres criminels. Or, à chaque fois que l’on essaie de créer de nouvelles incriminations, on entend le même discours sur l’impossibilité de la chose. Je me souviens notamment que lors du débat sur les peines planchers, c’est le principe d’individualisation des peines qui était invoqué. Je me réjouis donc de l’ouverture d’esprit de nos collègues de la majorité aujourd’hui, mais j’aimerais, encore une fois, que l’on manifeste la même fermeté à l’égard d’autres criminels que les élus corrompus.
Mme Cécile Untermaier. Cet amendement est, selon moi, bien rédigé, car il ne rend pas la peine d’inéligibilité obligatoire : la juridiction a la possibilité de ne pas la prononcer en motivant sa décision. Le dispositif me paraît donc, au contraire, équilibré.
M. le président Dominique Raimbourg. Je suis tout à fait favorable à cette mesure. Néanmoins, nous avons toujours été assez prudents, voire réticents, en ce qui concerne les peines obligatoires. Ce mécanisme n’a pas que des avantages : ceux qui ont fréquenté régulièrement les palais de justice savent qu’il arrive au tribunal d’oublier de statuer sur la peine complémentaire, ce qui la rend automatique, et la personne condamnée doit alors faire appel pour s’en faire relever.
M. René Dosière. Dans une de ses décisions, la Cour de cassation a, en effet, cassé une peine d’inéligibilité obligatoire prononcée contre un élu assez connu de Polynésie française. La rédaction proposée par le rapporteur est excellente : la peine complémentaire d’inéligibilité n’est pas obligatoire, puisque le tribunal peut ne pas la prononcer en motivant sa décision eu égard au cas d’espèce. Le problème soulevé par M. Tardy me paraît donc résolu. Selon moi, la disposition devrait passer les fourches caudines du Conseil constitutionnel. En tout cas, cela vaut la peine d’essayer et, donc, d’adopter cet amendement.
M. Pierre Lellouche. Récemment, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs, j’avais proposé une disposition qui me tenait beaucoup à cœur, visant à instaurer une peine complémentaire automatique d’interdiction d’activité professionnelle en contact habituel avec des mineurs, pour une personne condamnée pour pédophilie ou pédopornographie. Cette proposition a été rejetée jusqu’en commission mixte paritaire, au motif qu’il serait impossible de prévoir une peine complémentaire automatique : je ne vois donc pas pourquoi cela deviendrait possible aujourd’hui pour les élus. Concernant ces derniers, il serait beaucoup plus utile de prévoir qu’ils doivent mettre fin immédiatement à leur mandat lorsqu’ils ont commis des indélicatesses, car c’est bien le fait qu’ils restent en place qui choque nos concitoyens. Cela dit, une telle mesure relève davantage du règlement de l’Assemblée que de la loi, et rien ne nous empêche de la mettre en œuvre – à condition que le Bureau de l’Assemblée fasse preuve d’un peu de courage.
M. le rapporteur. La peine complémentaire obligatoire n’est pas une nouveauté, mais un mécanisme juridique éprouvé que l’on trouve déjà dans le code de la route, dans le code de la consommation et dans le code pénal – notamment en ce qui concerne la traite des êtres humains et le proxénétisme. Elle n’est pas automatique et, si le juge ne la prononçait pas, la décision rendue pourrait faire l’objet d’un pourvoi en cassation.
Par ailleurs, pour respecter le principe d’individualisation, la formulation retenue précise que « la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».
Si j’avais été amené à participer à la commission mixte paritaire que vous évoquez, monsieur Lellouche, j’aurais voté en faveur de votre proposition. Sur de tels sujets, nous devons nous garder de faire de l’idéologie et de rester fermés à l’introduction de certaines adaptations juridiques. L’idée de cet amendement est de répondre à une très forte attente de nos concitoyens, que nous pouvons satisfaire sans méconnaître les exigences constitutionnelles.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 10 modifié.
La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL195 et CL194 de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Ces amendements visent à éviter que des personnes condamnées à des peines infamantes puissent se présenter et être élues.
L’amendement CL195 propose que nul ne puisse être élu s’il a été condamné pour atteinte à la probité dans les dix ans précédant l’année de l’élection. Pour en donner l’assurance, le candidat à une élection au suffrage universel devrait fournir un extrait de casier judiciaire B2 avec sa déclaration de candidature.
L’amendement CL194 vise à ce que nul ne puisse être élu s’il n’a pas satisfait à ses obligations de contribuable. Il serait donc demandé au candidat un certificat de conformité fiscale délivré par l’administration fiscale et garantissant qu’il a accompli son devoir de contribuable sur les trois années précédant sa candidature.
La mise en œuvre de ces dispositions éviterait que ne surviennent des affaires fâcheuses, rejaillissant sur l’ensemble de la classe politique.
Mme Sandrine Mazetier. Nous souscrivons pleinement à l’amendement CL195, l’interdiction proposée étant fondée sur une décision définitive, ayant l’autorité de la chose jugée.
Pour ce qui est de l’amendement CL194, s’il constitue une proposition séduisante au premier abord, il suscite en réalité certaines difficultés, en particulier pour l’année précédant l’élection. Si je me réfère au cas de l’un de nos collègues – n’appartenant pas à notre groupe, je le précise – élu en 2012 alors qu’il avait hérité d’un compte en Suisse non déclaré, je ne suis pas sûre que la mesure prévue par l’amendement CL194 eût été de nature à empêcher qu’il se présente aux suffrages : le secret bancaire suisse n’avait pas été levé et nous ne disposions pas, à l’époque, de la capacité d’exploiter les informations ayant permis de révéler l’identité de bien des personnes détenant un compte en Suisse sans l’avoir déclaré à l’administration fiscale française ; il aurait sans doute pu obtenir un quitus fiscal. Ainsi, en 2011, l’administration fiscale aurait délivré un blanc-seing à un fraudeur, fût-il passif aux yeux de la loi.
M. le rapporteur. Avant que nous ne nous lancions dans un débat passionnant, mais sans doute inutile, je précise que ces deux amendements présentent une faille juridique majeure : pour que ces dispositions puissent viser les parlementaires, il faudrait qu’elles s’inscrivent dans un projet de loi organique, conformément à l’article 25 de la Constitution qui renvoie à une loi organique le régime des inéligibilités. Si les dispositions en question ne sont pas censurées par le Conseil constitutionnel, elles ne pourront être lues que comme concernant les seuls candidats aux élections locales, ce qui, de notre part, risque de faire mauvaise impression.
M. Bertrand Pancher. Je suis assez séduit par l’amendement CL195 mais plus dubitatif au sujet de l’amendement CL194 : du fait de la complexité fiscale française, nul ne peut exclure d’avoir un jour des démêlés avec l’administration des impôts, c’est pourquoi il ne me paraît pas souhaitable de mettre en œuvre cette proposition.
M. Charles de Courson. L’amendement CL195 ne peut effectivement s’appliquer aujourd’hui qu’aux élus locaux : qu’à cela ne tienne, adoptons déjà cette disposition et attendons une loi organique pour nous occuper des élus nationaux !
Pour ce qui est de l’amendement CL194, j’insiste sur le fait que le certificat de conformité n’est pas un certificat de virginité fiscale, mais simplement un document par lequel l’administration constate qu’à la date de son dépôt de candidature, la personne concernée a accompli son devoir de contribuable au cours des trois années précédentes : ce document ne se substitue pas à un contrôle fiscal, qui pourrait éventuellement mettre en évidence des comportements frauduleux. Pour répondre à Mme Mazetier, hériter d’un compte en Suisse non déclaré ne s’oppose pas à la délivrance d’un certificat de conformité fiscale, pour peu que la personne concernée ait manifesté la volonté de se mettre en conformité avec la loi.
M. le rapporteur. Puisque le débat sur le fond est ouvert, je me vois amené à exposer des arguments supplémentaires, auxquels il m’avait initialement semblé inutile de faire référence.
S’agissant de l’amendement CL195, la production d’un extrait de casier judiciaire B2 est impossible, puisqu’une personne privée ne peut accéder qu’au casier B3 la concernant. Le même amendement ne précise pas, en outre, quelle autorité serait amenée à apprécier les éléments sur la base desquels on constaterait qu’une condamnation a été prononcée dans un délai de moins de dix ans.
Également, les amendements CL195 et CL194 commencent tous deux par la formule : « Nul ne peut être élu… », alors qu’il aurait fallu écrire : « Nul ne peut être candidat… ».
Si vous tenez à poser la première pierre d’un dispositif portant sur l’inéligibilité des élus locaux – ce qui, à mon sens, donnerait une fâcheuse impression des députés –, il me semble nécessaire de réécrire ces deux amendements afin de tenir compte des observations que j’ai exposées.
En tout état de cause, dans la mesure où vous prévoyez une sanction automatique d’inéligibilité, ce qui viole le principe constitutionnel d’individualisation des peines, le risque d’une censure du Conseil constitutionnel ne peut être écarté.
Compte tenu de l’ensemble des difficultés suscitées par ces amendements, je vous suggère de les retirer, monsieur de Courson – à défaut, sans doute Mme Mazetier invitera-t-elle le groupe majoritaire à les rejeter.
M. Pierre Lellouche. La démarche de M. de Courson me semble éminemment sympathique, mais force est de reconnaître qu’il y a une grande différence entre être candidat et être élu : il y a là un problème de rédaction dont on ne peut faire abstraction.
Au demeurant, si quelqu’un a triché vis-à-vis des impôts, on finira par le savoir, et l’élection de la personne concernée sera alors invalidée. Je rappelle que lorsqu’une personne est nommée ministre, elle est soumise à un contrôle fiscal et a intérêt à se mettre en règle rapidement si sa situation présente une anomalie : la même chose devrait être possible pour les élus.
Pour ce qui est de l’amendement CL195, relatif à l’obligation de produire un casier judiciaire, je suis d’accord avec l’idée selon laquelle quiconque s’est rendu coupable d’actes graves ne devrait pouvoir être candidat à aucune fonction publique. Cela dit, on peut aussi considérer qu’une personne qui a purgé sa peine a réglé sa dette vis-à-vis de la société : certains ont la volonté sincère de s’amender. Si les amendements de M. de Courson ont le mérite de formuler des propositions répondant à une demande de la société, nous devons nous garder de toute tentation démagogique, ainsi que du risque d’instaurer une différence entre nous et les élus locaux. Pour ces raisons, je suis plutôt partisan d’un retrait de ces amendements et de la poursuite de la réflexion sur les propositions qu’ils portent.
Mme Delphine Batho. Je soutiens depuis longtemps l’idée du certificat de conformité fiscale pour les candidats aux élections législatives, et suis donc plutôt favorable à l’amendement CL194.
Pour ce qui est de l’amendement CL195, j’appelle à faire preuve de cohérence au sujet de la sanction politique ou démocratique de certains comportements. S’il est absolument nécessaire de réprimer la fraude fiscale, il est tout aussi nécessaire de réprimer le harcèlement sexuel.
M. Charles de Courson. C’est autre chose !
Mme Delphine Batho. Mais ce n’est pas moins grave !
M. René Dosière. Ces deux amendements ne sont pas seulement sympathiques, monsieur Lellouche : ils me paraissent toucher à des questions fondamentales si nous voulons que les Français aient à nouveau confiance en leurs élus. Cela dit, la discussion qui vient d’avoir lieu a mis en évidence quelques difficultés, c’est pourquoi je suggère à M. de Courson de prévoir, en vue de la réunion qui se tiendra en application de l’article 88, une rédaction tenant compte des observations qui ont été formulées.
Pour ce qui est de l’objection portant sur le fait qu’une loi ordinaire ne peut s’appliquer aux élus nationaux, elle ne me paraît pas recevable, car à l’inverse une loi organique ne réglerait pas le problème des élus locaux. Puisqu’une seule disposition ne peut suffire à régler l’intégralité de la question, autant adopter dès aujourd’hui celle visant les élus locaux : nous réussirons bien, d’ici à la fin de la législature, à inclure dans une loi organique une disposition relative aux parlementaires.
Au demeurant, pour ce qui est des élus locaux, je rappelle qu’ils gèrent 250 milliards d’euros de dépenses, ce qui n’est pas rien. Il y a sans doute plus de corruption parmi eux que parmi les parlementaires – je parle évidemment de ceux qui ne sont que parlementaires.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. L’intention de ces deux amendements est louable, mais qu’entend M. de Courson par « certificat de conformité fiscale » ? S’agit-il d’un simple document reconnaissant qu’une déclaration fiscale a été déposée, ou implique-t-il qu’une analyse de fond a été effectuée ? L’administration fiscale peut-elle aujourd’hui délivrer un tel certificat ?
M. Charles de Courson. Si l’amendement CL195 ne s’applique effectivement qu’aux élus locaux, je pense, comme certains de nos collègues l’ont dit, qu’il peut être opportun de commencer par régler ce problème avant d’aborder celui des élus nationaux dans le cadre d’une loi organique. Quant à la question de l’accès au casier judiciaire B2, j’estime que la loi peut être modifiée afin de permettre aux candidats de faire cette demande. C’est pourquoi, j’accepte de retirer cet amendement pour le représenter lors de la réunion qui se tiendra au titre de l’article 88, après en avoir corrigé la rédaction.
Pour ce qui est du certificat de conformité mentionné à l’amendement CL194, il s’agira d’un document attestant que la personne concernée a rempli ses obligations fiscales, c’est-à-dire qu’elle a déposé ses déclarations fiscales et qu’elle paye ses impôts normalement. Ce n’est pas un certificat de virginité fiscale, qui nécessiterait de procéder à un contrôle fiscal. Ma proposition s’inspire de ce qui a été mis en œuvre en Irlande en 2011, et je suis persuadé qu’elle a son utilité. Si une personne fait l’objet d’une taxation d’office parce qu’elle n’a jamais rempli ses déclarations d’impôt ni a fortiori jamais payé d’impôt, comme nous l’avons découvert s’agissant d’un de nos collègues – mais il y en a quelques autres, paraît-il –, elle ne devrait pas pouvoir se présenter à une élection.
Aujourd’hui, aucun contrôle n’est prévu : il est donc tout à fait injustifié de reprocher aux partis d’appartenance de ces personnes indélicates d’avoir fait preuve de négligence. Depuis l’affaire Cahuzac, il est prévu un contrôle s’appliquant aux futurs ministres, afin d’éviter de faire entrer au Gouvernement des personnes qui ne seraient pas en règle avec l’administration fiscale. À défaut de mettre en œuvre une disposition similaire pour les élus, nous prenons le risque d’affaiblir la démocratie : c’est pour écarter ce risque que je propose d’exiger la production d’un certificat de conformité – qui pourrait être délivré à une personne dont la situation ne serait pas régulière, à condition que celle-ci s’engage à la mettre en conformité dans les meilleurs délais.
Enfin, monsieur le rapporteur, êtes-vous certain qu’il faille une loi organique pour modifier les conditions d’éligibilité des élus nationaux ?
M. le rapporteur. Bien sûr, c’est pourquoi il aurait fallu faire ces propositions quand nous avons examiné, il y a quelques semaines, deux textes relatifs aux élections présidentielle et législatives.
Je rappelle que la loi dont nous débattons est relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, ce qui justifie que j’aie proposé une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité pour des élus condamnés pour des atteintes à la probité : ce mécanisme préventif permettra en principe au juge d’empêcher certaines personnes de se présenter aux élections durant un certain temps. De la même manière, on peut considérer que l’amendement CL195, que vous avez retiré, correspondait à l’objet de ce projet de loi en prévoyant l’obligation de produire un quitus pénal.
En revanche, l’amendement CL194, prévoyant l’obligation de produire un certificat de conformité fiscale, me paraît constituer un cavalier législatif, puisqu’il ne peut être rattaché à l’idée de lutte contre la corruption et n’est donc pas en lien avec l’objet du texte.
Pour tout vous dire, j’avais moi-même commencé à travailler à la rédaction de dispositions relatives aux sujets dont nous débattons, avant d’y renoncer, constatant l’existence des difficultés que l’examen des amendements de M. de Courson a mises en évidence. Si vous parvenez à contourner ces difficultés au moyen d’une rédaction ingénieuse, je ne demande pas mieux que d’adopter des dispositions répondant à l’attente de nos concitoyens et correspondant à une recommandation de M. Jean-Louis Nadal. En revanche, en l’état actuel, il ne me paraît pas opportun d’adopter des dispositions ne s’appliquant qu’aux élus locaux, ce qui ne manquerait pas de faire dire à certains, à moins d’un an d’une élection législative – peut-être moins –, que nous avons veillé à nous exempter des obligations que nous mettons en place pour d’autres.
M. Charles de Courson. Je retire également l’amendement CL194, mais êtes-vous sûr, monsieur le rapporteur, que les arguments que vous m’avez opposés ne s’appliquaient pas à votre amendement CL477 ?
M. le rapporteur. L’amendement CL477, qui vise les condamnations prononcées pour des infractions à la probité, est en lien direct avec l’objet du texte, à savoir la corruption.
M. Charles de Courson. Il s’agit tout de même de permettre au juge de retirer son mandat à un parlementaire ayant fauté.
M. le rapporteur. Il faut distinguer les inéligibilités répressives prononcées par le juge de l’inéligibilité préventive constatée par l’autorité préfectorale.
Les amendements CL195 et CL194 sont retirés.
Article 11
(art. 435-2 et 435-4 du code pénal)
Extension de l’infraction de trafic d’influence
Cet article incrimine les faits de trafic d’influence actif d’agent public étranger, en complétant l’article 435-2 et le premier alinéa de l’article 435-4 du code pénal relatifs au trafic d’influence, respectivement passif et actif, des titulaires d’une fonction publique, élective ou non, dans une organisation internationale.
Cette modification était recommandée depuis plusieurs années par les instances internationales en charge du suivi des conventions de lutte contre la corruption – l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le groupe d’États contre la corruption (GRECO) et l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
I. L’ÉTAT DU DROIT
La législation pénale française incrimine la corruption sous deux formes :
– la corruption au sens propre qui désigne une pratique illicite consistant à utiliser et à abuser d’une fonction, publique ou privée, à des fins privées en vue par exemple de s’enrichir personnellement. La corruption passive est le fait de la personne corrompue – que celle-ci sollicite ou accepte l’avantage indu. La corruption active est le fait du corrupteur – que celui-ci recherche ou accepte la corruption ;
– le trafic d’influence s’applique à une relation triangulaire dans laquelle une personne dotée d’une influence réelle ou supposée sur certaines personnes échange cette influence contre un avantage fourni par un tiers qui souhaite en profiter. Comme pour la corruption, le droit pénal français distingue le trafic d’influence dans ses deux dimensions (active et passive).
L’article 432-11 du code pénal punit la corruption passive d’une personne exerçant une fonction publique, à savoir le fait pour cette personne de solliciter tout don ou avantage. Il identifie trois sortes d’agents publics : les personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public, ou investies d’un mandat électif public.
Transposant en droit français la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics dans les relations commerciales signée en 1997, l’article 2 de la loi du 30 juin 2000 (32) a complété ces dispositions et introduit quatre incriminations spécifiques figurant aux articles 435-1 à 435-4 ; celles-ci visaient la corruption et le trafic d’influence d’agents publics exerçant une fonction publique au sein de l’Union européenne et, avec un champ d’application plus restreint, en dehors de l’Union européenne.
L’article 2 de la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption (33) a réaménagé ces dispositions afin de transcrire l’article 12 de la convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe signée en 1999. Depuis, l’article 435-2 du code pénal prévoit une incrimination de trafic d’influence passive d’agents d’une organisation internationale publique (juge d’une cour internationale, élu d’une assemblée internationale ou fonctionnaire international) tandis que le premier alinéa de l’article 435-4 punit le trafic d’influence actif d’un agent public international.
Dernièrement, l’article 6 de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (34) a porté les peines encourues pour ces deux incriminations à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende.
II. LE DROIT PROPOSÉ
Depuis les modifications introduites par la loi du 13 novembre 2007, la loi pénale incrimine à l’identique le trafic d’influence exercé en direction d’un de ses agents ou d’un agent international.
En revanche, le cas de trafic d’influence en direction d’un agent public étranger, par exemple d’un fonctionnaire d’un autre État, n’est pas prévu alors même que la corruption d’agent public étranger – passive ou active – est incriminée par les articles 435-1 et 435-3 du code pénal.
Comme le rappelle l’étude d’impact, plusieurs États étrangers prévoient l’incrimination de trafic d’influence d’agents publics étrangers (Luxembourg, Grèce, Islande, Norvège) ou se caractérisent par des systèmes juridiques dans lesquels les éléments constitutifs de cette infraction peuvent se retrouver dans l’infraction générale de corruption d’agent public étranger (États-Unis, Allemagne).
L’absence d’incrimination du trafic d’influence d’agent public étranger est reprochée aux autorités françaises de manière répétée par l’OCDE, le GRECO et l’ONUDC : elle favorise une pratique pouvant exister chez certains acteurs économiques afin de remporter des marchés publics auprès de responsables publics étrangers.
L’alinéa unique du présent article complète donc le champ des incriminations prévues à l’article 435-2 et au premier alinéa de l’article 435-4 afin de viser, en plus des agents publics internationaux, les « agents publics dans un État étranger ».
III. LES MODIFICATIONS INTRODUITES PAR VOTRE COMMISSION
Suivant l’exemple de l’infraction de fraude fiscale prévue à l’article 1741 du code général des impôts, votre rapporteur a proposé de compléter l’objet du présent article afin de créer des circonstances aggravantes, telles que l’agissement en bande organisée ou l’interposition d’une structure offshore, pour l’ensemble des manquements au devoir de probité (35). Lorsque ces circonstances seront retenues par le juge, celui-ci pourra prononcer des peines, dont le quantum est porté au double de celui prévu pour les infractions habituelles.
Cette modification aboutit à criminaliser, en cas de circonstances aggravantes, certaines infractions majeures, qui seront alors jugées par une cour d’assise. Deviendront, à l’instar du vol en bande organisée, passibles de quinze ans de réclusion criminelle : le trafic d’influence et la corruption d’agent public national (articles 432-11 et 433-1 du code pénal), la corruption du personnel judiciaire (article 434-9), la corruption d’agent public étranger (articles 435-1 et 435-3), la corruption du personnel de juridiction étrangère ou internationale (articles 435-7 et 435-9) et le détournement de fonds publics (article 432-15).
L’objectif d’une telle mesure est de faciliter le prononcé de peines davantage proportionnées et dissuasives.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL639 du rapporteur.
M. le rapporteur. Je vous propose de créer des circonstances aggravantes pour les manquements au devoir de probité, d’une part, en procédant à un doublement des peines lorsque les faits d’atteinte à la probité sont commis en bande organisée ou au moyen d’une structure interposée – en d’autres termes, une société offshore –, comme nous le faisons en matière de fraude fiscale ; d’autre part, en incitant les magistrats à prononcer des peines plus lourdes. Je rappelle que, selon le dernier rapport du service central de prévention de la corruption de 2014, la moyenne des peines prononcées ne dépasse pas huit mois avec sursis et 8 000 euros d’amende.
La Commission adopte l’amendement.
L’article 11 est ainsi rédigé.
Article 12
(art. 435-6-2 et 435-11-2 [nouveaux] du code pénal)
Compétence pour poursuivre des faits de corruption ou trafic d’influence commis à l’étranger
Cet article assouplit les conditions dans lesquelles certains faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger par des Français, des personnes résidant habituellement en France ou des entreprises françaises peuvent être poursuivis en France.
La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République (article 113-2 du code pénal) et au cas de complicité en France d’un fait principal commis à l’étranger (article 113-5).
Elle est également applicable à un très grand nombre d’infractions commises à l’étranger par un Français ou contre un Français – personne physique ou morale. Lorsque l’auteur a la nationalité française, l’extraterritorialité concerne tous les crimes et, sous condition de double-incrimination, les infractions relevant des délits, conformément à l’article 113-6. Si, de surcroît, la victime a la nationalité française, l’extraterritorialité concerne, en application de l’article 113-7, tout crime et tout délit puni d’emprisonnement, sans condition de double-incrimination.
Toutefois, en application de l’article 113-8, la poursuite ne peut être exercée en matière de délits qu’à l’initiative du Ministère public ; elle requiert également une plainte des victimes ou une dénonciation par les autorités de l’État sur le territoire duquel les faits ont été commis (36).
Dans le cadre des travaux menés sous l’égide de l’OCDE, plusieurs organisations internationales – le groupe d’États contre la corruption (GRECO), l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et la Commission européenne – ont recommandé à la France de modifier sa loi pénale. Elles estiment que ces dispositions font obstacle au plein déploiement des poursuites diligentées par les autorités françaises contre des justiciables français du chef de corruption d’agent public étranger lorsque les faits ont été intégralement commis à l’étranger.
La sévérité de cette analyse doit être relativisée puisque l’article 113-2 du code pénal permet, en pratique, de poursuivre l’essentiel des faits de corruption transnationale :
– d’une part, il répute commis en France les faits de corruption dès lors qu’au moins un élément constitutif de ce délit a été commis sur le territoire national ;
– d’autre part, la Cour de cassation considère que l’infraction a été commise en France lorsqu’elle résulte d’une décision de gestion prise depuis le siège social de la personne morale et que celui-ci est situé en France ; cette jurisprudence permet notamment d’inclure les paiements effectués par une filiale à l’étranger en exécution d’une décision de la société-mère ayant son siège social en France.
Cette modification n’est cependant pas dépourvue d’intérêt s’agissant de l’hypothèse particulière où l’ensemble des actes matérialisant la corruption – proposition de dons, avantages, cadeaux ainsi que la décision de l’autorité publique étrangère favorable au corrupteur – auront été commis à l’étranger.
Le présent article procède ainsi à ces aménagements pour les infractions de corruption et de trafic d’influence, actifs et passifs, concernant, d’une part, les agents publics internationaux ou d’un État étranger (délits incriminés par les articles 435-1 à 435-4), et, d’autre part, les personnes participant à l’activité juridictionnelle d’un État étranger ou d’une cour internationale (délits incriminés par les articles 435-7 à 435-10).
Pour chacune de ces deux catégories de délits, les nouveaux articles 435-6-2 et 435-11-2 du code pénal, insérés par les alinéas 2 à 4 et 5 à 7, écartent les trois conditions normalement requises pour l’exercice d’une compétence extraterritoriale :
– la condition de double incrimination ;
– le monopole des poursuites attribué au ministère public ;
– et l’exigence d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle de l’État dans lequel les faits ont été commis.
Comme l’a relevé le Conseil d’État dans son avis du 28 avril 2016, la suppression du monopole des poursuites n’est pas sans précédent puisque celui-ci était déjà écarté pour les délits d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et les délits terroristes. Il faut toutefois relever que ce monopole demeure maintenu pour la majorité des délits pour lesquels la France dispose d’une compétence extraterritoriale, y compris les plus graves : recours à la prostitution de mineurs, proxénétisme, mercenariat, clonage humain…
À l’initiative de notre collègue Pierre Lellouche, avec un avis de sagesse du rapporteur, la commission des Lois a élargi la portée de ce dispositif en incluant dans son champ les délits commis à l’étranger, non seulement par des Français ou des entreprises françaises, mais également par toute entreprise exerçant totalement ou partiellement son activité dans notre pays. Dans l’esprit de son auteur, il s’agit de permettre aux autorités judiciaires françaises de poursuivre des entreprises étrangères s’étant rendu coupables, à l’étranger, de faits de corruption d’agent public ou de magistrat, avec la même facilité que le département de la justice américain peut le faire à l’égard d’entreprises françaises, par exemple.
*
* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL640 du rapporteur.
Elle est saisie de l’amendement CL208 de M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. L’article 12 du projet de loi vise à donner un caractère d’extraterritorialité aux poursuites françaises pour des faits de corruption ou de trafic d’influence commis en direction d’officiels étrangers : il supprime certaines conditions traditionnellement posées pour l’exercice de ces poursuites, telles que la double incrimination et la nécessité d’une plainte des victimes ou d’une dénonciation par les autorités locales.
Reste à savoir, en ce qui concerne les corrupteurs actifs, à quelles entreprises il s’applique dans un contexte où certains de nos partenaires ont à cet égard une conception très large : la loi américaine Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) pénalise potentiellement – et effectivement, vu le nombre important d’entreprises européennes sanctionnées – toutes les entreprises cotées sur les marchés financiers américains, indépendamment de leur nationalité et de celle des bénéficiaires de la corruption, du lieu de leur siège social et du lieu de commission des infractions.
En réaction à la FCPA, les Britanniques ont adopté la loi UK Bribery Act 2010 (UKBA), dont le champ également très large permet de pénaliser toute entité qui « fait des affaires », même si ce n’est qu’une partie de celles-ci, au Royaume-Uni.
Au vu de ces législations mises en œuvre par des États sur les territoires desquels nos entreprises sont en compétition avec d’autres entreprises, le présent projet de loi apparaît beaucoup trop restrictif dans sa rédaction, puisqu’il ne vise que les personnes françaises ou résidant habituellement en France : cela couvre sans doute les filiales françaises des entreprises étrangères – car, d’après le code de commerce, les sociétés sont soumises au droit français dès lors que leur siège est en France –, mais pas les succursales, bureaux commerciaux et autres établissements sans personnalité.
Il est donc proposé de nous doter de moyens extraterritoriaux comparables à ceux de nos principaux concurrents, au moyen de cet amendement de bon sens qui, en dehors de toute inspiration politique, ne vise que l’efficacité et la défense de nos intérêts économiques.
Mme Karine Berger. Je soutiens l’amendement de M. Lellouche. Si nous avons l’ambition de lutter contre toute forme de corruption, nous devons aussi avoir conscience du fait que certains pays, soit sont moins allants que nous, soit n’hésitent pas à utiliser certaines dispositions anticorruption contre des entreprises françaises, dans un contexte de compétition internationale. En matière de lutte contre la corruption, nous devons veiller à ce que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, ce qui est l’objet de cet amendement issu des travaux de la mission d’information commune sur l’extraterritorialité de la législation américaine.
Mme Sandrine Mazetier. Le groupe Socialiste votera pour cet amendement.
M. le rapporteur. Si la nécessité s’est fait sentir de créer une mission d’information sur le thème de l’extraterritorialité de la législation américaine, c’est bien qu’il y a là matière à réflexion. L’amendement proposé comportant certaines imprécisions…
M. Pierre Lellouche. À dessein !
M. le rapporteur. …je préfère m’en remettre à la sagesse de la Commission. En tout état de cause, le débat que nous avons ouvert se prolongera sans doute en séance, car il est important que le garde des Sceaux puisse donner le point de vue du Gouvernement sur ce sujet.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL641 du rapporteur.
Elle adopte ensuite l’article 12 modifié.
La Commission est saisie de l’amendement CL458 de M. Joël Giraud.
M. Joël Giraud. L’amendement CL458 vise à faciliter l’action des associations de consommateurs en faisant en sorte que, par exception aux dispositions de l’article 11 du code de procédure pénale ou à celles relatives au secret professionnel, elles soient informées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d’une transmission de procès-verbal aux services du parquet, afin qu’elles puissent assurer, par le biais des expertises et enquêtes qu’elles réalisent, un appui à certaines procédures.
M. le rapporteur. Premièrement, cette disposition me paraît constituer un cavalier législatif, et dans ce texte et a fortiori au sein de ce titre Ier. Deuxièmement, sur le fond, je ne pense pas que vos intentions, au demeurant louables, justifient une telle dérogation au secret professionnel. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL25 de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, CL331 de Mme Sandrine Mazetier, CL464 de Mme Karine Berger et CL251 de M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. L’amendement CL25 a pour objet de réinsérer la convention de compensation d’intérêt public pour les délits de corruption et de trafic d’influence actifs transnationaux. Il s’agit ici du texte soumis au Conseil d’État avant que celui-ci ne censure la convention de compensation lorsque la victime est française. Alors que le Conseil avait indiqué ne pas être opposé à la convention de compensation lorsque la victime est étrangère, le texte soumis au conseil des ministres a purement et simplement été débarrassé des dispositions s’y rapportant.
Mme Sandrine Mazetier. L’amendement CL331 vise à nous permettre de sortir de l’impunité que tout le monde dénonce en matière d’atteintes à la probité commises par des personnes morales. À la différence des auteurs de l’amendement précédent, nous ne souscrivons pas au mécanisme de convention de compensation d’intérêt public.
Aux termes de l’amendement qui vient d’être présenté, les autorités judiciaires n’auraient qu’une maîtrise très limitée du dispositif, ce qui peut légitimement nourrir une forme de défiance à son endroit. C’est, au contraire, une convention judiciaire d’intérêt public que nous proposons. Nous voulons que le juge soit au centre du système.
Ensuite, la convention de compensation ne prévoit aucune procédure publique et contradictoire, ce qui donne le sentiment d’une justice opaque. L’audience publique prévue ne vise qu’à permettre au juge de constater que la personne morale concernée accepte les termes de la convention.
En outre, le dispositif qui a été proposé peut faire craindre une justice à deux vitesses : l’une pour les grandes entreprises qui auraient les moyens de s’offrir les services d’avocats d’affaires capables d’élaborer ce genre de convention, l’autre pour les entreprises ou les personnes plus modestes qui ne le pourraient pas. Notre dispositif, lui, prévoit expressément que la convention conclue ne peut dégager ni atténuer la responsabilité des dirigeants et personnes physiques responsables de l’infraction ; il n’empêche donc en rien que ces derniers soient visés par des poursuites.
Enfin, l’amendement présenté par M. Morel-A-L’Huissier ne prend pas assez en considération les intérêts des victimes de l’infraction. C’est ce que le Conseil d’État reprochait au dispositif initial de transaction pénale que ledit amendement nous propose de rétablir : « la victime se trouve privée d’une participation personnelle au procès pénal et son intervention est cantonnée à une demande d’indemnisation devant une juridiction civile ».
Pour toutes ces raisons, nous sommes opposés à l’amendement CL25 et nous défendons l’amendement CL331 – « nous » s’entendant comme les signataires nommément désignés de l’amendement plus des membres du groupe Socialiste, républicain et citoyen, certains autres ayant décidé de présenter une proposition alternative.
Mme Karine Berger. Je défendrai l’amendement CL464, mais la discussion commune devrait s’étendre à l’amendement CL463, qui concerne le même sujet.
Selon les conclusions auxquelles la mission d’information sur l’extraterritorialité de la législation américaine est en train de parvenir, le meilleur moyen de combattre les mécanismes d’extraterritorialité en matière de lutte contre la corruption est de montrer l’efficacité de notre justice dans ce domaine. Il nous faut donc obtenir des résultats. Or notre bilan est, à ce jour, assez cruel : en vingt ans d’application de la loi, pas une seule condamnation définitive n’a visé des personnes morales en France pour des faits de corruption. Cette situation, au demeurant curieuse, qui résulte sans doute de multiples facteurs, nous affaiblit dans les discussions internationales. Il arrive, en particulier, que la justice américaine veuille s’emparer de cas de corruption observés hors du territoire américain et concernant des entreprises françaises, au motif que notre justice ne serait pas assez active en la matière.
Il nous faut donc faire en sorte que les mesures de lutte contre la corruption soient suivies d’effets. C’est l’objet des amendements CL331, CL464 et CL463. Les dispositifs qu’ils proposent sont nécessaires si l’on veut faire preuve d’efficacité et permettre l’échange d’informations, au service du juge et du procureur du parquet financier.
L’amendement CL464 propose une nouvelle version de la convention de compensation d’intérêt public qui peut être établie en lien avec la justice.
Quant à l’amendement CL463, il adopte une autre approche en calquant un mécanisme existant qui, de l’avis de tous les juristes, fonctionne très bien : la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Mais je laisserai Mme Batho le présenter.
M. Pierre Lellouche. Mon amendement CL251 est très proche de celui de Karine Berger, rapporteure de la mission d’information sur l’extraterritorialité de la législation américaine, dont je suis le président. On constate à ce sujet une véritable convergence transpartisane, dès lors que l’on veut bien réfléchir en termes d’efficacité.
Nous sommes confrontés à une offensive tous azimuts. C’est un véritable impérialisme juridique que les États-Unis sont en train d’instaurer, depuis maintenant plusieurs années. La semaine dernière encore était adopté le Justice Against Sponsors of Terrorism Act (JASTA), après un arrêt de la Cour suprême allant dans le même sens.
Ce phénomène affecte plusieurs domaines. En matière fiscale, d’abord, nous venons d’adopter – contre mon avis – une convention internationale qui fait entrer la législation américaine dans le droit français. Elle oblige les institutions financières françaises, sans réciprocité, à dénoncer au fisc américain tous les résidents américains en France – dont des citoyens français qui ne parlent pas l’anglais, qui n’ont aucun lien avec les États-Unis, qui se trouvent simplement être nés là-bas et dont on bloque pourtant les comptes.
Même si nous ne sommes pas signataires des conventions, des sanctions nous sont également imposées unilatéralement – près de 9 milliards de dollars pour la BNP !
En matière de corruption, enfin, au nom de la morale et de la convention de l’OCDE, et face à l’incurie du droit français, incapable de punir nos propres entreprises, le shérif américain a décidé d’appliquer le droit tout seul, par divers moyens.
Voici comment les choses se passent. Le FBI ou d’autres agences ont vent de pratiques pas très nettes, à l’autre bout du monde, de la part d’entreprises françaises qui n’ont rien à voir avec les États-Unis mais qui, en vertu d’une clause de rattachement – l’utilisation du dollar ou de la Poste américaine –, deviennent sujettes du droit américain. Dès lors, soit on arrête un cadre, comme dans le cas d’Alstom, soit on fait venir les représentants de l’entreprise pour leur faire part des éléments dont on dispose contre elle et entamer un processus de confession. On vous propose d’aller au pénal, ce qui vous expose au risque d’une condamnation qui vous interdirait à jamais toute activité aux États-Unis, ou alors de vous confesser – totalement, en reconnaissant tous vos autres crimes, ce à quoi vous êtes incité puisque l’on vous dit que l’on a déjà beaucoup d’informations sur vous. Une fois cette confession achevée, comme on n’a pas entièrement confiance en vous, on vous flanque d’un inspecteur, à vos frais ; en outre, vous vous acquittez d’une pénalité. Après quoi vous obtenez la rédemption.
Voilà le régime qui est appliqué aux entreprises françaises en ce moment. Karine Berger le sait comme moi, pour avoir assisté aux mêmes auditions. C’est au point que les présidents des entreprises punies n’ont même pas le droit de nous dire ce que celles-ci ont signé dans leur plaider-coupable. Ce n’est d’ailleurs pas à la justice américaine qu’elles ont affaire, mais à un bureau séparé : il n’y a ni plaidoirie ni jugement, mais un simple accord de compensation extrajudiciaire.
Madame Mazetier, entre Français, abstraction faite de toute considération idéologique : qu’est-ce qui est le plus efficace ? Je comprends que vous vouliez défendre notre tradition juridique par la réintroduction du juge d’instruction, la convention pénale, la mise en branle de la justice. Mais, en pratique, la justice pénale n’a pas les moyens d’agir ainsi. Le pôle financier vous le confirmera. La situation d’inégalité et l’inefficacité que nous déplorons vont donc perdurer, permettant à nos grands voisins et partenaires d’affirmer que la France n’est pas à la hauteur, ce que l’OCDE – dont Mme Berger et moi-même avons reçu les représentants – confirmera, et le droit américain continuera d’être appliqué en France. Je suis désolé, mais je ne veux pas cela.
Ce que je souhaite, ce que souhaite Mme Berger, c’est que nous nous dotions d’un système équivalent à celui des Américains, même si cela me navre de devoir le copier. Nous serons ainsi en mesure de leur dire que nous avons posé une limite, qu’ils peuvent rester chez eux et que nous nous chargeons de punir les sociétés, y compris les leurs – d’où notre précédent amendement, que vous avez voté. Nous installons des moniteurs, mais c’est à nous, État français, que les informations recueillies sont transmises, avant de l’être aux Américains – c’est mon amendement suivant. Vous voyez que ma démarche est cohérente. Je souhaite, en somme, que la France se dote de la même force de frappe que les États-Unis.
Je le répète, madame Mazetier, je comprends très bien votre argumentation. Moi aussi, j’ai fait des études de droit en France, et je suis très attaché à nos traditions. Mais, en l’espèce, je vous demande d’accepter un dispositif beaucoup plus efficace, qui nous permettra d’être sur un pied d’égalité avec nos partenaires, au lieu de passer pour un pays sous-développé à qui l’on dit que, puisqu’il n’est pas capable de faire justice, d’autres vont la faire à sa place en appliquant leur propre droit.
Cet exemple n’est pas le seul. En ce qui concerne l’immunité souveraine, la jurisprudence de la Cour suprême américaine est rigoureusement contraire aux dispositions de l’article 24 : alors que la France veut protéger les États étrangers, les États-Unis mettent la main sur l’immunité souveraine. Ils viennent ainsi de condamner l’Iran à 2 milliards de dollars de pénalité, au profit de victimes du terrorisme iranien – pourquoi pas ? Or il se trouve que nous avons signé l’année dernière, après dix ans de négociations, un accord sur le nucléaire iranien dont découle la reprise de nos relations économiques avec Téhéran. Si les sanctions sur la chambre de compensation en dollars, à New York, ne sont pas levées – et elles ne le sont pas –, et si les citoyens américains peuvent faire saisir les biens de l’État iranien aux États-Unis, alors il n’y aura pas de levée des sanctions. La France aura beau s’agiter, envoyer M. Fabius ou M. Ayrault, nous ne pourrons pas avoir de relations économiques avec l’Iran. On en est là !
Il nous faut donc pouvoir combattre à armes égales, y compris en matière d’immunité souveraine. Si nous voulons poursuivre un État terroriste, nous devons pouvoir le faire. Ne soyons pas naïfs, ne faisons pas du juridisme entre nous pendant que nos rivaux font du droit américain en France !
Mme Karine Berger. Lisons-nous les uns les autres avant de proférer des accusations. Monsieur Lellouche, du point de vue du processus, l’amendement de Mme Mazetier va dans le même sens que le vôtre. Lisez-le avant de sortir la mitraillette ! Il soulève la question de la deuxième voie, c’est-à-dire le risque de recours pénal parallèle. Nous suivons tous la même logique.
L’amendement de Mme Mazetier a, en outre, l’avantage de faire référence aux articles 433-1 et 434-9 du code pénal, qui portent respectivement sur la corruption active et sur la corruption de magistrat. Nous devrions intégrer ces références au texte.
Mme Sandrine Mazetier. Monsieur Lellouche, l’adoption de l’un de vos précédents amendements a montré que vos préoccupations pouvaient être partagées.
Pour ce qui est de l’adoption de la convention de compensation, elle ne nous mettrait absolument pas à la hauteur de la justice américaine. Je vous invite à lire attentivement mon amendement – qui est perfectible, j’en ai conscience, et qui pourra être amélioré d’ici à la séance. Refuser d’exclure les victimes ne relève pas d’une tradition juridique vieillotte à la française : c’est un aspect central du droit français. Nous voulons que le procureur les recherche et qu’elles soient informées et parties prenantes de la convention conclue. Ce que nous proposons n’est pas nécessairement une alternative aux poursuites – même si cela peut l’être. Les poursuites peuvent être suspendues par le juge d’instruction, qui bénéficie d’un rapport de force dont le parquet ne peut pas toujours se prévaloir au stade de l’enquête préalable. Ce dispositif me paraît plus efficace que celui que vous défendez ou que celui présenté par M. Morel-A-L’Huissier ; en outre, il a l’avantage d’inclure les victimes et la société, de présenter un caractère public et contradictoire, sans s’apparenter à la procédure pénale classique, actuellement un peu longue, c’est vrai.
Au demeurant, je note que vous joindrez votre voix aux nôtres afin de demander au garde des Sceaux plus de moyens pour le parquet national financier et pour les juges d’instruction des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), qui s’occupent d’infractions complexes et de délinquance économique et financière.
M. le président Dominique Raimbourg. Je rappelle que le rapporteur a émis un avis de sagesse. Par ailleurs, je crois savoir que le garde des Sceaux est opposé à tout mécanisme de transaction. Tout cela va donc revenir en séance. Soyons brefs sur ce sujet puisque, visiblement, nous ne sommes pas au point et que, de toute façon, nous allons en rediscuter.
Mme Delphine Batho. L’amendement CL463 est-il en discussion commune avec les quatre autres ?
M. le rapporteur. Il ne porte pas sur le même sujet.
Mme Delphine Batho. Si ! Je me permettrai de le défendre en même temps que j’interviens sur les quatre amendements en discussion commune.
D’abord, je n’ai pas une approche naïve du problème. Je ne considère pas la France comme un pays sous-développé en matière de corruption. Elle a réformé ses lois sur le sujet, notamment en 2000. Dès lors, si elle a été particulièrement permissive en la matière, en tolérant des actes de corruption dans le cadre de stratégies de conquête de marchés à l’international, ce ne pouvait être qu’avec le consentement des plus hautes autorités de l’État. L’application des lois et l’ouverture des poursuites pour mettre fin à ces pratiques très anciennes est une question de volonté politique. Ce point faible est aujourd’hui utilisé, comme l’a bien expliqué Pierre Lellouche, pour porter atteinte à notre souveraineté ; on l’a vu lors de l’affaire Alstom.
Ce à quoi je ne souscris pas dans la logique transactionnelle, c’est qu’elle assure une forme d’impunité : elle ne permet pas la reconnaissance des faits et de la culpabilité.
M. Pierre Lellouche. Mais si ! C’est même rendu public !
Mme Delphine Batho. Que la chose soit rendue publique ne signifie pas que la culpabilité soit reconnue.
Ne serait-il pas beaucoup plus intelligent et simple d’appliquer la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité aux faits de corruption d’agents publics à l’étranger ? Tel est le sens de l’amendement CL463, qui permet des poursuites dans un cadre transactionnel, mais sur le fondement de la reconnaissance des faits et non pas de l’impunité.
M. Pierre Lellouche. Comme le disait Karine Berger, nous devrions nous lire les uns les autres, et nous poursuivons tous le même objectif. Dans le dispositif que nous proposons, le juge est prévenu et la sanction est publique. L’amende est assurée, et elle est lourde puisqu’elle peut atteindre 30 % du chiffre d’affaires. En outre, ce dispositif nous permet d’afficher une arme de dissuasion face à ceux qui se sont déjà dotés d’un tel système mais empochent l’argent à la place du Trésor public français.
Il n’est pas question de dénier son rôle au juge français, madame Mazetier : celui-ci intervient tout au long de la procédure. Si la procédure de compensation s’arrête ou si elle est mise en œuvre de mauvaise foi, les poursuites pénales commencent : cette épée de Damoclès n’est pas supprimée. Simplement, un aiguillage s’opère au moment où les faits sont constatés. L’entreprise peut admettre les faits de corruption et payer un prix élevé, et tout cela est rendu public, mais elle échappe au poids d’une sanction pénale qui lui nuirait sur la totalité des marchés internationaux.
Nous parlons de grands groupes français qui sont en compétition au niveau international avec des gens qui se livrent à ce genre de manœuvres à longueur de journée ! Cela inclut nos amis américains, sans doute plus malins que nous. Nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours. Sur nombre de marchés de haute technologie, marchés publics et marchés d’armement, il est rare que des intermédiaires ou des gens bien placés ne fassent pas en sorte qu’un pays donné emporte le contrat. La voilà, la réalité des affaires internationales !
Madame Batho, on ne peut pas parler d’une compromission particulière de tel ou tel gouvernement français. J’ai été ministre du commerce extérieur ; je sais la violence de la compétition internationale, et je sais ce que font les gouvernements étrangers pour aider leurs entreprises. De grâce, pas d’autoflagellation ! Nous prenons part à une compétition féroce ; nous devons être au même niveau que les autres en matière de lutte contre la corruption, et nous mettre à l’abri de tout reproche.
Pour cela, quelle méthode adopter ? L’enjeu est de ne pas pénaliser nos entreprises. Si celles-ci subissent une sanction pénale, la loi leur interdira l’accès aux marchés publics à l’international : l’absence de condamnation antérieure est l’une des premières conditions requises pour soumissionner. Je vous laisse y réfléchir.
Quant à l’argument de Mme Mazetier concernant les victimes, prenons l’exemple d’un cas réel. Il s’agit d’un marché concernant une petite centrale électrique en Indonésie, pour 40 millions de dollars, à propos duquel Alstom était en compétition avec une entreprise américaine. Par malheur, celle-ci n’a pas obtenu le contrat. Différentes écoutes américaines ont alors révélé qu’un intermédiaire indonésien était intervenu en faveur d’Alstom, ce que l’entreprise a reconnu dans sa confession publique, disponible sur internet. Dans cette affaire, qui sont les victimes ? Elles ne sont pas françaises – encore que l’entreprise ait été vendue aux Américains à vil prix, et je poursuivrais volontiers ceux qui ont fait cela. Les victimes indonésiennes ont eu leur centrale, au prix fixé. Quelles sont ici les victimes que vous voudriez associer à la plainte au pénal en France, madame Mazetier ?
Quand un contrat est négocié à l’autre bout du monde, que la partie adverse utilise un intermédiaire, que nous nous interdisons de le faire, que la transparence est totale s’agissant des irrégularités commises par nos entreprises, je demande la même transparence aux entreprises étrangères travaillant en France. C’est un système efficace que nous voulons. Il n’est pas question de protection des victimes au sens où on l’entend habituellement dans des affaires modestes : il s’agit de contrats à l’international à propos desquels nos entreprises ne doivent pas être pénalisées. Ne leur apposons donc pas le sceau d’une condamnation au pénal en France.
M. Olivier Marleix. Nous poursuivons tous le même objectif. L’argument que vient de défendre Pierre Lellouche mérite une attention particulière : toute condamnation formelle exclut l’entreprise concernée des marchés, notamment sur le continent américain. Il convient donc de trouver une autre qualification que la condamnation judiciaire, comme le font habilement les Américains.
Quant aux victimes, soyons réalistes…
Mme Sandrine Mazetier. La corruption peut faire des victimes françaises à l’étranger. Rappelez-vous Karachi !
M. Olivier Marleix. J’ai compris que c’est ce que vous aviez à l’esprit. Mais, en pratique, la victime est le plus souvent l’entreprise étrangère évincée. Vouloir l’associer à la procédure ou la convoquer à l’audience me paraît assez illusoire et inapproprié. Aucun des systèmes juridiques que ce dispositif cherche à imiter n’est allé jusque-là. Ne prenons pas le risque de recréer un mécanisme inopérant !
L’amendement CL251 me paraît plus prudent. Mais peut-être pourrions-nous tenter tous ensemble de progresser encore d’ici à la séance.
M. Charles de Courson. Il n’y a eu, en France, aucune condamnation définitive d’une entreprise pour corruption depuis quinze ans, quand, aux États-Unis, on en dénombrait au moins une cinquantaine au cours des dix dernières années. Si l’on rapporte ce chiffre à notre population, nous devrions en avoir prononcé une vingtaine, à supposer que nous soyons aussi corrompus que les Américains !
Pourquoi le système existant ne fonctionne-t-il pas ? D’abord, le rapporteur nous l’a rappelé, les gouvernements successifs n’ont pas voulu consacrer les moyens nécessaires à la lutte contre la corruption.
La seconde raison est l’absence d’indépendance du parquet. Nous ne pourrons avancer tant que cette question ne suscitera pas un consensus politique, ou du moins la formation d’une majorité constitutionnelle. Car le Gouvernement demandera toujours au parquet de faire en sorte de classer l’affaire, au nom des intérêts économiques – légitimes – du pays. La position gouvernementale en faveur du statu quo est intenable. Tout le monde ou presque en est d’accord.
Une condamnation publique expose au risque de ne pouvoir accéder ensuite aux marchés publics en France et à l’étranger. Qui en paiera les pots cassés ? Ce ne seront pas les dirigeants, mais le personnel de l’entreprise. Ne jouons donc pas les Bisounours, et soyons vigilants à cet égard !
En somme, il faut sortir du statu quo en évitant de porter préjudice aux entreprises françaises – ce qui réjouirait nos concurrents – et en respectant notre système juridique. L’amendement présenté par Mme Mazetier a le mérite de s’y efforcer. Notre rapporteur ne pourrait-il tenter une synthèse ?
M. le rapporteur. Si nous avons ce débat, c’est parce que le Gouvernement lui-même avait souhaité, au départ, introduire dans ce texte un mécanisme appelé convention de compensation d’intérêt public. Mais il s’agit d’une transaction pénale qui ne peut concerner que des personnes morales, lesquelles n’ont jamais été condamnées par la France pour corruption – n’oublions pas cet état de fait : c’est pour y remédier que nous avons commencé d’imaginer les différents dispositifs en discussion.
Comme beaucoup, j’éprouve quelque difficulté à me faire une religion définitive à ce sujet. Nous sommes à ce point imprégnés de culture juridique française que nous avons du mal à envisager d’intégrer à notre droit, notamment processuel, des mécanismes habituels en droit anglo-saxon.
Au cours de la cinquantaine d’heures d’auditions que j’ai menées, deux positions principales se sont dégagées à ce sujet, qui m’ont donné à réfléchir et me font penser que nous devons poursuivre nos échanges. La première personne que j’ai entendue était Mme Siméoni, chef du service central de prévention de la corruption (SCPC), future Agence française anticorruption. Auparavant juge d’instruction au pôle financier pendant vingt-cinq ans, elle a instruit les dossiers les plus connus des trente dernières années. Elle me l’a dit très clairement : à l’origine, elle était a priori défavorable à ce genre de mécanismes, mais son expérience l’a conduite à penser que ce pouvait être une bonne orientation. C’est une approbation de principe, mais c’est un premier pas. La dernière audition était celle de Mme Houlette, procureur national financier. Ces deux personnalités éminentes, d’une grande compétence, me l’ont dit dans les mêmes termes, sans aucun mépris : il faut vraiment ne jamais avoir ouvert un dossier de cette nature pour ne pas comprendre que certains mécanismes sont plus adaptés et plus efficaces que d’autres.
Je souhaite verser ces éléments de réflexion au débat pour en faire bénéficier ceux de mes collègues qui, comme moi, restent hésitants.
À Londres, où nous nous sommes rendus avec le ministre des finances, nous avons pu nous informer auprès de différents interlocuteurs au sujet du dispositif mis en œuvre en Grande-Bretagne, et dont nous pourrions nous inspirer si nous allions jusqu’à inscrire cette nouvelle procédure dans notre droit. En effet, les mécanismes de publicité dont il est assorti devraient apaiser les craintes que suscite la coexistence d’une justice de l’ombre pour les puissants et d’une justice transparente pour les simples particuliers.
J’en viens aux différentes propositions qui ont été formulées.
En ce qui concerne l’amendement CL463, j’en comprends l’intention, mais la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne me paraît pas adaptée au domaine très particulier de la corruption internationale, en raison des écueils qui viennent d’être signalés. La reconnaissance de culpabilité empêche d’accéder ensuite aux marchés publics internationaux, notamment américains, ce qui risque de dissuader les personnes morales de s’orienter vers ce mécanisme. Je suis donc défavorable à cet amendement.
Les amendements respectifs de M. Lellouche et de Mme Berger ont un champ plus restreint que celui de Mme Mazetier. Ils sont assez comparables, à ceci près que le premier inclut les cas de corruption et de trafic d’influence impliquant un magistrat étranger, à la différence du second. Ils ne prévoient pas d’homologation par le juge, contrairement à celui de Mme Mazetier.
M. Pierre Lellouche. Si !
M. le rapporteur. Je vous ai entendu, monsieur Lellouche : le juge intervient, mais il ne procède pas à une homologation stricto sensu. Se pose ensuite le problème du degré de publicité de la mesure et des garanties offertes par le système judiciaire.
Pour m’en tenir au champ couvert par le dispositif, abstraction faite du détail de la procédure, il me semble qu’il doit être aussi étendu que possible si l’on veut s’attaquer à ces phénomènes. Je suis donc défavorable aux amendements CL464 et CL251.
J’ai le même avis, pour les mêmes raisons, concernant l’amendement CL25, le plus proche de l’avant-projet : il se limite à la corruption transnationale, ce qui est trop restrictif.
Reste l’amendement de Mme Mazetier. Je ne veux pas être catégorique, mais si un amendement portant sur ce sujet devait être adopté, ce serait celui-là. Tout en incorporant des mécanismes juridiques en œuvre outre-Atlantique, il reste fidèle à la tradition française en proposant une convention judiciaire. Il couvre tous les délits d’atteinte à la probité, c’est-à-dire un champ bien plus vaste que les autres amendements. Il ne vise que les personnes morales, comme les amendements CL464 et CL251. Il n’a pas les conséquences néfastes de l’amendement CL463 sur l’accès aux marchés internationaux. Il prévoit expressément l’homologation de la convention par le juge. Il étend même cette possibilité au juge d’instruction, ce qui suscite une petite divergence entre nous : on nous a fait observer au cours des auditions que de tels mécanismes relevaient plus de la culture du parquet que de celle des juges d’instruction. Quoi qu’il en soit, l’exigence d’un contrôle judiciaire de la procédure n’en est pas amoindrie. Enfin, l’amendement prévoit expressément que les représentants légaux de la personne morale demeurent responsables en tant que personnes physiques, comme complices de l’infraction ; c’est important du point de vue pédagogique.
Bref, tout en poursuivant le même objectif que les autres, cet amendement présente une rédaction préférable à celle qu’a écartée le Conseil d’État. Si, après que je m’en suis remis à votre sagesse, vous deviez adopter un amendement, je vous conseillerais vivement d’adopter celui-là.
Mais, s’il était adopté, il devrait être revu d’ici à la séance. En particulier, il n’y a pas de raison de subordonner la publication de l’ordonnance à la désignation d’un commissaire à l’exécution du programme de conformité. Vous pourriez également, madame Mazetier, renvoyer le cumul des responsabilités de la personne morale et des personnes physiques aux conditions posées à l’article 121-6 du code pénal, relatif à la punition des complices d’infraction.
Enfin, les objections traditionnelles ne me semblent pas dépendre des personnes qui occupent les fonctions concernées, mais bien des institutions qu’elles incarnent. De telles dispositions sont vues différemment de Bercy ou de la Chancellerie, et selon les fonctions que chacun occupe : tel député pense une chose qu’il ne pensera plus devenu ministre, et inversement.
Ce débat devra se poursuivre avec le Gouvernement. Je me suis contenté de vous faire part des éléments qui m’ont le plus donné à penser, en particulier les deux auditions dont je vous ai parlé : si les deux plus grandes spécialistes de la lutte contre la corruption en France depuis trente ans estiment qu’il faudrait peut-être tenter de se doter d’un outil supplémentaire, cela mérite réflexion.
La Commission rejette l’amendement CL25.
Article 12 bis (nouveau)
(art. 41-1-2 et 180-2 [nouveaux] du code de procédure pénale)
Convention judiciaire d’intérêt public
Introduit à l’initiative de notre collègue Sandrine Mazetier, avec un avis de sagesse de votre rapporteur, cet article crée une convention judiciaire d’intérêt public afin de garantir l’efficacité de la réponse pénale aux atteintes à la probité.
Le dispositif s’inspire de la procédure de deferred prosecution agreement (DPA) américaine, au terme de laquelle plusieurs entreprises françaises ont récemment dû s’acquitter de lourdes sanctions pécuniaires pour des faits constitutifs de délits économiques (37).
PRINCIPAUX ACCORDS TRANSACTIONNELS CONCLUS
AVEC LES AUTORITÉS AMÉRICAINES
Source :Rapport du Service central de prévention de la corruption pour 2014.
Cet article constitue une alternative à la procédure transactionnelle qui figurait dans l’avant-projet de loi sous la dénomination de convention de compensation d’intérêt public et visait également certaines atteintes à la probité commises par les seules personnes morales.
Il ne se limite pas à la seule corruption internationale mais vise tous les délits de corruption active ou passive et certains délits de trafic d’influence : corruption d’agent public national (article 435-1 du code pénal), corruption d’agent public étranger (article 435-3), trafic d’influence de fonctionnaire international (article 435-4), corruption et trafic d’influence de magistrat étranger ou d’une juridiction internationale (articles 435-9 et 435-10), corruption et trafic d’influence dans le secteur privé (articles 445-1 et 445-2), corruption et trafic d’influence dans le domaine sportif (articles 445-1-1 et 445-2-1), corruption de magistrat national (articles 434-9 et 434-9-1).
À la différence de la convention de compensation d’intérêt public, le dispositif proposé confie à un magistrat du siège le soin d’homologuer la convention de transaction, à l’occasion d’une audience publique et contradictoire. De surcroît, il est expressément prévu que le juge du siège peut refuser cette homologation conformément aux exigences qui découlent du principe constitutionnel de séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement. La souveraineté du juge du siège est donc parfaitement protégée : il n’est pas lié par la convention et pourra en refuser la validation au regard de la nature des faits, la situation de la victime ou des intérêts de la société.
Par ailleurs, alors que le dispositif initialement envisagé par l’avant-projet de loi ne pouvait être mis en œuvre qu’avant la mise en mouvement de l’action publique, l’amendement proposé prévoit la possibilité de conclure une convention judiciaire d’intérêt public lorsque le juge d’instruction est saisi de faits délictueux tenant à la commission d’infractions par des personnes morales. La réintroduction du juge d’instruction au centre du dispositif permet de respecter pleinement le principe de séparation de l’action publique et des autorités de jugement, à rebours de toute critique tenant à la faible maîtrise du dispositif par les autorités judiciaires.
La convention conclue avec l’entreprise ne pourra pas non plus prévoir de clause atténuant ou dégageant la responsabilité des dirigeants.
Dans la rédaction proposée, les personnes ayant subi un préjudice sont associées en amont de la procédure. Le procureur de la République est tenu de rechercher ces personnes, de les informer sans délai afin qu’elles soient mises en mesure de présenter leurs observations ainsi que tous éléments permettant d’apprécier l’étendue de leur préjudice.
Il est explicitement prévu que « si la personne morale mise en cause justifie de la réparation du préjudice commis, le procureur de la République doit lui proposer de réparer les dommages causés par les manquements constatés dans un délai qui ne peut être supérieur à six mois ». De surcroît, le procureur de la République « informe la ou les personnes ayant subi un préjudice de cette proposition ». Le dispositif est donc susceptible d’inclure, outre l’amende pénale d’intérêt public qui a un objet d’ordre punitif, l’indemnisation des personnes ayant subi un préjudice qui a une fonction réparatrice, selon des modalités propres à assurer son caractère effectif.
Cet article prévoit également que les personnes ayant subi un préjudice pourront prendre part à l’audience publique et contradictoire d’homologation de la convention.
Enfin, ce dispositif impose la mise en œuvre d’un mécanisme de recouvrement similaire à celui dont bénéficient les personnes ayant subi un préjudice dans le cadre de la procédure de composition pénale prévue à l’article 41-2 du code de procédure pénale pour les personnes physiques.
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La Commission adopte l’amendement CL331. L’article 12 bis est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements CL464 et CL251 tombent.
La Commission est saisie de l’amendement CL179 de M. Jean-René Marsac.
M. Jean-René Marsac. Nous suggérons de suivre l’exemple de l’Italie en prévoyant un système de réutilisation des biens fonciers et immobiliers confisqués par voie judiciaire, au profit des entreprises de l’économie sociale et solidaire telles que définies par la loi de 2014. Les Italiens ont prévu un tel système dès 1996 et une directive européenne d’avril 2014 nous incite à aller dans le même sens. Aussi cet amendement tend-il à permettre à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués d’établir une convention de gestion qui permettrait de soutenir des projets de logement social ou très social, des projets d’insertion par l’activité économique ou autres.
M. le rapporteur. Cette disposition a un lien extrêmement ténu avec le texte. Il existe des principes régissant la propriété des personnes publiques, et les biens confisqués entrent dans le patrimoine de l’État. Il vaudrait donc mieux, en tout état de cause, modifier les règles applicables au domaine de l’État plutôt que le code de procédure pénale. Je demande le retrait de l’amendement.
M. le président Dominique Raimbourg. Il existe une agence de recouvrement des avoirs criminels, et je vois mal comment les deux dispositifs s’articuleraient. Il conviendrait que vous retravailliez l’amendement d’ici à la séance.
M. Charles de Courson. Nous avons déjà prévu ce genre de chose en matière de trafic de drogue, notamment avec la saisie des véhicules, ce qui permet à notre police d’avoir aujourd’hui des voitures aussi rapides que celles des gangsters. Il me semble toutefois que la mesure est une affectation de recettes, et seul le Gouvernement peut dès lors y procéder. Il faudrait donc reformuler l’amendement pour demander un rapport.
M. Jean-René Marsac. La question a été posée dès le texte sur l’économie sociale et solidaire en 2014 et à plusieurs reprises depuis lors, avec toujours pour issue une proposition du Gouvernement de faire une étude approfondie. Il faut que votre commission agisse. Si nous avons choisi de présenter l’amendement à cet endroit, c’est parce que c’est ici qu’est définie la fonction de l’AGRASC. Il ne s’agit pas d’un transfert de propriété : l’État reste propriétaire des biens, mais des acteurs pourront en disposer pour la durée de la convention ou du bail.
La Commission rejette l’amendement.
Article 12 ter (nouveau)
(art. 705 et 705-1 du code de procédure pénale)
Extension de la compétence exclusive du parquet national financier
Introduit à l’initiative de notre collègue Sandrine Mazetier, avec l’avis favorable de votre rapporteur, le présent article modifie le champ de compétence exclusive du parquet financier à compétence nationale (PNF).
Le Procureur de la République financier, qui dirige le PNF, a été créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (38).
Le PNF s’est ainsi vu reconnaître compétence en matière de lutte contre la corruption et la fraude fiscale de grande complexité, aux niveaux national, européen et international.
Toutefois, la loi du 6 décembre 2013 ne lui a donné compétence exclusive que pour les seules atteintes à la transparence des marchés et a retenu une compétence d’attribution concurrente avec les tribunaux de grande instance ou les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) pour les autres infractions.
Compte tenu de la centralisation des moyens et des compétences qu’exige ce type d’affaires, il est proposé de revenir sur cette répartition de compétences en confiant au seul PNF la poursuite des infractions de corruption d’agent public étranger et des délits de fraude fiscale complexe ou commise en bande organisée.
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La Commission examine l’amendement CL330 de Mme Sandrine Mazetier.
Mme Sandrine Mazetier. Il s’agit de préciser le champ de compétences du parquet national financier (PNF), même si je ne suis pas certaine que la Chancellerie apprécie l’adoption de cet amendement.
M. le rapporteur. Avis favorable. La centralisation de ces poursuites auprès du PNF est de nature à renforcer la cohérence de la politique pénale en la matière sur le territoire.
La Commission adopte l’amendement. L’article 12 ter est ainsi rédigé.
Article 12 quater (nouveau)
(art. 706-1-1 du code de procédure pénale)
Techniques spéciales d’enquête en matière de corruption
Introduit à l’initiative de votre rapporteur, le présent article étend la faculté d’utiliser les techniques de surveillance, d’infiltration et d’écoute judiciaires à certains délits d’atteinte à la probité.
Depuis la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (39), le code de procédure pénale prévoit la possibilité de recourir à des interceptions de correspondances émises par la voie de télécommunications, dans le cadre d’une enquête de flagrance ou préliminaire.
Le juge des libertés et de la détention peut alors, à la requête du Procureur de la République, autoriser des interceptions de communications pour une durée maximum d’un mois, renouvelable une fois et le parquet peut autoriser la réalisation, sous son contrôle, d’opérations de surveillance et d’infiltration.
Les infractions concernées sont limitativement énumérées :
– les diverses formes de corruption d’agent public et de trafic d’influence ;
– la fraude fiscale complexe ou commise en bande organisée ;
– certains délits douaniers ;
– le blanchiment de ces délits.
Toutefois, quatre infractions majeures ont été omises lors du vote de la loi du 6 décembre 2013. Il s’agit de :
– la prise illégale d’intérêts (prévue à l’article 432-12 du code pénal) ;
– le détournement de fonds publics (article 432-15 du code pénal) ;
– la corruption de personnes n’exerçant pas de fonction publique (articles 445-1 et 445-2 du code pénal) ;
– la corruption d’un acteur d’une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs (articles 445-1-1 et 445-2-1 du code pénal).
Les infractions pour lesquelles le parquet peut déjà être amené à mettre en œuvre ces techniques spéciales d’investigation et celles énumérées ci-dessous sont proches et font encourir à leurs auteurs des peines similaires. Il n’est pas cohérent que la mise en œuvre des techniques d’enquête dépende de la qualification juridique retenue ou de la qualité des personnes suspectées.
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La Commission examine l’amendement CL642 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit d’ajouter la corruption aggravée au régime procédural de la criminalité organisée. Depuis la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le code de procédure pénale prévoit la possibilité de recourir, dans le cadre d’une enquête de flagrance ou préliminaire, à des interceptions de correspondances émises par la voie de télécommunications. Le juge des libertés et de la détention peut alors, à la requête du procureur de la République, autoriser des interceptions de communications pour une durée maximale d’un mois, renouvelable une fois, et le parquet peut autoriser la réalisation, sous son contrôle, d’opérations de surveillance et d’infiltration.
Les infractions concernées sont limitativement énumérées : ce sont les diverses formes de corruption d’agents publics et de trafic d’influence, la fraude fiscale complexe ou commise en bande organisée, certains délits douaniers, le blanchiment de tous ces délits. Toutefois, quatre infractions majeures ont été omises lors du vote de la loi de 2013 : la prise illégale d’intérêts, le détournement de fonds publics, la corruption de personnes n’exerçant pas de fonction publique et la corruption d’un acteur d’une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs. Elles sont proches de celles pour lesquelles le parquet peut déjà être amené à mettre en œuvre ces techniques spéciales d’investigation et font encourir à leurs auteurs des peines similaires. Il ne me semble pas cohérent que la mise en œuvre des techniques d’enquête dépende de la qualification juridique retenue ou de la qualité des personnes suspectées, et je propose donc d’aligner les techniques d’enquête.
La Commission adopte l’amendement. L’article 12 quater est ainsi rédigé.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL231 de M. Olivier Marleix et CL209 de M. Pierre Lellouche.
M. Olivier Marleix. Il s’agit de répondre aux intrusions du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) américain dans notre vie économique en améliorant la loi de 1968 par l’obligation faite aux entreprises françaises faisant l’objet d’une demande de renseignement dans le cadre d’une procédure FCPA d’informer les autorités françaises de cette procédure. L’amendement CL231 renforce également le régime de sanction.
M. Pierre Lellouche. L’amendement CL209 tend d’abord à éviter qu’au nom de la lutte anticorruption, nous facilitions l’espionnage industriel d’autres pays. À cette fin, toutes les informations recueillies par les moniteurs au sein des entreprises françaises devront transiter par les autorités administratives françaises. Ensuite, il vise à augmenter les amendes prononcées. Tout en renforçant la loi de blocage, il évite que les informations partent directement outre-Atlantique.
M. le rapporteur. Avis défavorable à l’amendement CL231. L’objet de ce texte n’est pas de procéder à une refonte de la loi de blocage.
S’agissant de l’amendement CL209, je crains que le dispositif ne conduise à une double peine pour les entreprises concernées, qui, tout en étant obligées de payer de lourdes amendes aux États-Unis, seraient plus sévèrement condamnées en France. Avis défavorable également.
M. Pierre Lellouche. Je croyais que nous menions le même combat ! L’amendement cherche à éviter la situation présente où une puissance étrangère peut faire son marché dans les informations stratégiques de nos entreprises au nom de la lutte contre la corruption. Les informations seront transmises à l’autorité française, qui décidera ou non de les communiquer. Par ailleurs, les Américains nous disent qu’ils agissent par eux-mêmes parce que notre loi de blocage n’est pas appliquée ; il convient donc de renforcer cette loi. Beaucoup d’entreprises françaises sont aujourd’hui extrêmement nerveuses face aux premières poursuites américaines ; elles attendent un texte qui leur permettrait d’y échapper.
M. le président Dominique Raimbourg. Si l’on interdit à une société française de transmettre les informations à la puissance américaine, celle-ci lui refusera l’accès à son marché.
M. Pierre Lellouche. La puissance publique américaine est pragmatique. Elle agit comme elle le fait car notre loi de blocage n’est pas appliquée et ne donne lieu à aucune condamnation. Cette défaillance française est confirmée par l’OCDE. Créons donc un système dissuasif, avec des peines lourdes prononcées par le juge et rendues publiques, sans condamnation pénale. Quant au transit par l’autorité administrative française, il existe déjà en matière de coopération fiscale.
M. le rapporteur. Mon avis est moins fermement défavorable sur l’amendement CL209, car nous avons la même intention, mais le risque de double peine existe et je pense, compte tenu des enjeux considérables, que ce débat doit avoir lieu en présence du Gouvernement.
M. Olivier Marleix. Je retire mon amendement au profit de celui de Pierre Lellouche. Les déclarations du Gouvernement depuis qu’il a annoncé ce texte témoignent d’une double intention : nous mettre à niveau en termes de lutte contre la corruption et nous doter d’un outil équivalent au FCPA pour mener des procédures de manière aussi pragmatique que le Gouvernement américain.
La loi de 1968 n’est pas en dehors du champ du présent texte puisque l’article 3 charge l’Agence nationale de lutte contre la corruption de veiller à la bonne application de cette loi. Demander aux entreprises convoquées par l’agence américaine d’informer les autorités françaises des documents qui leur sont réclamées me semble être au cœur du sujet.
L’amendement CL231 est retiré.
Mme Sandrine Mazetier. Les propositions de nos collègues sont des cavaliers mais ce qu’ils disent est juste : il faut prévoir un filtre avant la transmission d’informations à des autorités étrangères. C’était l’objet de la loi de blocage, malheureusement contournée. Je souhaite le retrait de ces amendements mais il faudra en discuter en séance.
M. le rapporteur. À l’article 3, nous étions sur du monitoring en France, alors qu’il s’agit là de monitoring aux États-Unis. L’amendement fait un pari, car nous ne savons pas comment réagiront les Américains. Nous placerions nos entreprises entre le marteau américain et l’enclume française.
M. Pierre Lellouche. Je pensais qu’il y avait encore des gaullistes au parti socialiste ! La mollesse n’est jamais bonne avec nos amis américains. Nous ne voulons plus qu’ils appliquent leur droit tout seuls sur le sol français, avec des moniteurs introduits au sein de nos entreprises et des informations partant directement aux États-Unis.
Mme Karine Berger. Si ces amendements sont discutés en séance, ils viendront après la validation par le Gouvernement, je l’espère, du mécanisme de transaction pénale entre les entreprises et la justice. Dans ce cas, votre amendement aura une lecture cohérente de lutte contre la corruption. Mais que ce soit lu par un juge constitutionnel un peu tatillon comme une réduction de la lutte contre la corruption est également possible, à moins de démontrer précisément que cela vient après un système de renforcement de la lutte anticorruption. C’est pourquoi je trouve raisonnable de ne pas adopter cet amendement avant le débat dans l’hémicycle.
M. Pierre Lellouche. Je maintiens l’amendement. Si nous prévoyons un système d’ensemble répondant aux objectifs, il n’y a aucun problème.
La Commission rejette l’amendement CL209.
L’amendement CL463 de Mme Karine Berger est retiré.
Article 12 quinquies (nouveau)
Rapport sur la corruption par des entreprises françaises
d’agents publics étrangers
Introduit à l’initiative de notre collègue Pierre Lellouche avec l’avis favorable de votre rapporteur, cet article prévoit la remise par le Gouvernement, dans les douze mois, d’un rapport au Parlement.
L’objet de ce rapport est double : il porte sur « le niveau et l’évolution, à l’échelon mondial et par pays ou groupes de pays, de la corruption et du trafic d’influence commis par des entreprises sur des agents publics et officiels étrangers » et sur « l’action diplomatique [que l’État] mène (…) dans le cadre des travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques » (OCDE).
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La Commission examine l’amendement CL210 de M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Au cours de nos pérégrinations, avec Karine Berger, nous avons demandé à l’OCDE, réceptacle de la convention de 1997 contre la corruption, ce qui garantissait, d’une part, que nos partenaires économiques, à commencer par les États-Unis, se conduisent bien et, d’autre part, que les pays qui ne sont pas membres de l’OCDE, dont les très grandes puissances asiatiques, jouent le jeu de la lutte anticorruption. La réponse est que rien ne le garantit. Dans les Panama Papers, vous aurez noté que l’on trouve beaucoup d’Européens mais pas d’Américains. Un travail d’enquête serait utile.
M. le rapporteur. Dans cette commission s’imposait jusqu’à présent la « jurisprudence Urvoas », selon laquelle les propositions de rapport sont rejetées. Mais c’est désormais la « jurisprudence Raimbourg » qui s’impose et, dans le cas d’espèce, j’émets un avis favorable.
La Commission adopte l’amendement. L’article 12 quinquies est ainsi rédigé.
TITRE II
DE LA TRANSPARENCE DES RAPPORTS ENTRE LES REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS ET LES POUVOIRS PUBLICS
Article 13
(art. 18-1 [nouveau] et 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013
relative à la transparence de la vie publique)
Création d’un répertoire des représentants d’intérêts
auprès du pouvoir exécutif
Cet article vise à créer un répertoire des représentants d’intérêts auprès du pouvoir exécutif. Il comble un manque, un tel répertoire n’existant à ce jour qu’auprès de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Parlement européen et de la Commission européenne. La mesure proposée s’inspire d’une recommandation du rapport de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP – ci-après dénommée : « Haute Autorité »), relatif à l’exemplarité des responsables publics, remis en janvier 2015, dont la proposition n° 10 suggère de « créer un répertoire numérique des représentant d’intérêts » (40).
I. LA PRISE EN COMPTE TARDIVE DU LOBBYING
« Lobbies », « groupes d’intérêt », « groupes de pression », « groupes d’influence », « représentants d’intérêts » : nombreux sont les termes désignant les personnes ou les organismes cherchant à influencer les décisions des pouvoirs publics.
Ces activités sont souvent perçues négativement, lorsque l’influence s’exerce de façon occulte ou qu’elle bénéficie aux seuls intérêts économiques les plus puissants. Plus fondamentalement, le lobbying suscite une méfiance traditionnelle dans les pays d’Europe continentale, dans lesquels, à la différence des pays anglo-saxons (41), l’intérêt général est vu comme un idéal non réductible à la somme d’intérêts particuliers. L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame à cet égard que « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’ (…) émane expressément » de la Nation. L’article 3 de la Constitution de 1958 lui fait écho, en disposant qu’ « aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’ (…) attribuer l’exercice » de la souveraineté nationale. À l’inverse, aux États-Unis, le lobbying est perçu comme l’un des moyens permettant à tout citoyen « d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre », au sens du Premier amendement à la Constitution (42).
En dépit de cette traditionnelle méfiance, le lobbying fait l’objet, dans plusieurs États européens, d’une reconnaissance croissante depuis quelques années. Se sont dotés d’une réglementation ou de nouvelles normes en la matière la Pologne en 2005, la Hongrie en 2006, la France en 2009 (voir ci-après), la Slovénie en 2010, l’Autriche, l’Italie et les Pays-Bas en 2012 (43).
Dès lors que le lobbying est de plus en plus perçu comme un moyen d’information des décideurs publics et de participation de la société civile à l’élaboration des normes, les enjeux se déplacent : il ne s’agit plus de le combattre dans son principe, mais de l’encadrer, afin de le rendre plus responsable et plus transparent.
Une réglementation de l’activité de représentation d’intérêts peut profiter à la fois :
– aux responsables publics, en les protégeant de pressions intempestives, mais aussi en favorisant la diversité des points de vue exprimés auprès d’eux ;
– aux lobbyistes eux-mêmes, en leur garantissant, quel que soit leur poids économique ou leur influence politique, un égal accès, non discriminatoire et transparent, aux pouvoirs publics ;
– aux citoyens, en leur permettant de faire la lumière sur l’origine d’une décision publique et les conditions d’élaboration d’une norme. Comme l’a souligné M. Jean-Louis Nadal, « les relations entre responsables publics et représentants d’intérêts restent marquées par le secret, susceptible d’alimenter l’inquiétude des citoyens quant à la probité de leurs dirigeants. L’idée d’une forme de collusion entre les groupes d’intérêts, qui tenteraient par tous les moyens d’imposer leur intérêt particulier, et les hommes politiques, qui le feraient primer sur l’intérêt général, est largement répandue et contribue à l’érosion de la confiance des citoyens dans leurs institutions » (44). Rendre le lobbying plus transparent et « faire apparaître l’empreinte normative de la loi et du règlement » permettraient d’y remédier (45).
Une des difficultés de l’édiction d’une telle réglementation réside dans la définition du représentant d’intérêts.
La plupart des définitions convergent pour considérer qu’il se caractérise par la défense d’un intérêt particulier, sectoriel ou catégoriel, matérialisée par une action visant à influencer la décision publique – mais sans prétendre, à la différence d’un parti politique, à la conquête et à l’exercice du pouvoir.
Une autre difficulté tient au caractère multiforme du lobbying :
– du point de vue de ses acteurs : il peut s’agir de personnes physiques (chargées des relations publiques ou institutionnelles d’une personne morale), d’entreprises ou de fédérations d’entreprises, de syndicats professionnels, d’associations, de sociétés de conseil, de cabinets de consultants, d’organismes consulaires (chambres de commerce, d’industrie, d’agriculture ou de métiers), mais aussi d’entreprises publiques ou d’autorités administratives ;
– du point de vue de ses moyens d’action : l’influence peut notamment s’exercer en rencontrant des responsables publics, en leur remettant des notes d’analyse ou d’expertise, en participant à des auditions ou à des consultations conduites par les pouvoirs publics, en organisant des conférences et des colloques, en participant à des comités d’experts ou en offrant à des responsables publics des cadeaux, des invitations ou des « voyages d’études ».
À l’heure actuelle, les modalités d’encadrement du lobbying empruntent essentiellement au droit souple.
De nombreuses entreprises ont, par exemple, élaboré des chartes éthiques ou des codes de conduite – parfois sous l’égide de l’association Transparency International France, qui s’essaie à promouvoir un « lobbying responsable » (46).
Les lobbyistes « professionnels » se sont, quant à eux, organisés en associations, dotées de chartes de déontologie, telles que l’Association de déontologie de l’Association professionnelle des responsables des relations avec les pouvoirs publics (ARPP, créée en 1985), l’Association française des conseils en lobbying et affaires publiques (AFCL, créée en 1991) ou encore l’Association des avocats lobbyistes (AAL, créée en 2011).
Si de véritables normes, de rang législatif, existent parfois en la matière, celles-ci portent non sur l’activité de représentation d’intérêts en général, mais sur le lobbying dans des secteurs spécifiques. Ainsi, l’article 26 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé impose aux acteurs du tabac des obligations d’information sur leurs dépenses de communication et sur leurs actions d’influence (voir l’encadré ci-après).
Un exemple de réglementation sectorielle du lobbying :
les activités d’influence ou de représentation d’intérêts des professionnels du tabac
(extraits de l’article 26 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016
de modernisation de notre système de santé)
« I.- Après l’article L. 3511-4 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3511-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3511-4-1.- I.- Les fabricants, les importateurs et les distributeurs de produits du tabac ainsi que les entreprises, les organisations professionnelles ou les associations les représentant adressent chaque année au ministre chargé de la santé un rapport détaillant l’ensemble des dépenses liées à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts.
« II.- Sont considérées comme des dépenses liées à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts :
« 1° Les rémunérations de personnels employés en totalité ou en partie pour exercer des activités d’influence ou de représentation d’intérêts ;
« 2° Les achats de prestations auprès de sociétés de conseil en activités d’influence ou de représentation d’intérêts ;
« 3° Les avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, dont la valeur dépasse 10 €, procurés à :
« a) Des membres du Gouvernement ;
« b) Des membres des cabinets ministériels ou à des collaborateurs du Président de la République ;
« c) Des collaborateurs du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat ;
« d) Des parlementaires ;
« e) Des personnes chargées d’une mission de service public que leur mission ou la nature de leur fonction appelle à prendre ou à préparer les décisions et les avis des autorités publiques relatifs aux produits du tabac ;
« f) Des experts, personnes physiques ou morales, chargés, par convention avec une personne publique, d’une mission de conseil pour le compte d’une personne publique qui a pour mission de prendre ou de préparer les décisions et les avis des autorités publiques relatifs aux produits du tabac.
« III.- Le rapport mentionné au I indique, pour chaque entreprise tenue de l’établir :
« 1° Le montant total des rémunérations mentionnées au 1° du II et le nombre des personnes concernées ;
« 2° Le montant total et l’identité des bénéficiaires des dépenses mentionnées au 2° du même II ;
« 3° La nature et l’identité du bénéficiaire de chaque dépense mentionnée au 3° dudit II.
« IV.- Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article, notamment le modèle du rapport, ses modalités de transmission, la nature des informations qui sont rendues publiques et les modalités selon lesquelles elles le sont. »
II.- Après l’article L. 3512-2 du même code, il est inséré un article L. 3512-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3512-2-1.- Est puni de 45 000 € d’amende le fait pour les fabricants, les importateurs et les distributeurs de produits du tabac, ainsi que les entreprises, les organisations professionnelles ou les associations les représentant de ne pas adresser au ministre chargé de la santé le rapport prévu à l’article L. 3511-4-1 ou d’omettre sciemment de rendre publiques les dépenses qui doivent y être incluses en application du même article. »
II. LES RÉPERTOIRES DE REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS EXISTANTS
A. LE « REGISTRE DE TRANSPARENCE » COMMUN AU PARLEMENT EUROPÉEN ET À LA COMMISSION EUROPÉENNE
Un « registre de transparence » a été créé en 2011 à l’initiative du Parlement européen et de la Commission européenne (47) : les représentants d’intérêts peuvent s’y enregistrer, de manière volontaire, en contrepartie d’un accès facilité aux locaux de ces deux institutions.
Le dispositif a été renforcé à partir du 1er janvier 2015 (48). La représentation d’intérêts est désormais définie comme « toutes les activités, autres que celles visées aux paragraphes 10 à 12 (49), menées dans le but d’influer directement ou indirectement sur l’élaboration ou la mise en œuvre des politiques et sur les processus de décision des institutions de l’Union, quel que soit le lieu où elles sont réalisées et quel que soit le canal ou le mode de communication utilisé, par exemple l’externalisation, les médias, les contrats avec des intermédiaires professionnels, les groupes de réflexion, les "plates-formes", les forums, les campagnes et les initiatives populaires ».
L’inscription sur le registre s’accompagne de la fourniture d’informations, telles que les centres d’intérêts de l’organisme, le nombre de personnes participant aux activités de représentation d’intérêts en son sein, certaines données financières (coûts et chiffres d’affaires annuels liés à ces activités) et, le cas échéant, l’identité des principaux clients.
Le registre est public et peut être consulté sur internet. Au 13 mai 2016, on comptait 9 196 entités enregistrées, appartenant aux catégories suivantes (50) :
– 1 062 cabinets de consultants spécialisés, cabinets d’avocats ou consultants agissant en qualité d’indépendants ;
– 4 672 « représentants internes » (lobbyistes agissant pour le compte de leur propre entreprise), groupements professionnels et associations syndicales et professionnelles ;
– 2 340 organisations non gouvernementales (ONG) ;
– 656 groupes de réflexion, organismes de recherche et institutions académiques ;
– 44 organisations représentant des églises et des communautés religieuses ;
– 422 organisations représentant des autorités locales, régionales et municipales ou autres entités publiques ou mixtes.
Un code de conduite régit les relations entre le Parlement européen ou la Commission européenne et les représentants d’intérêts, y compris s’ils ne sont pas enregistrés sur le registre (voir l’encadré ci-après).
Code de conduite européen applicable aux représentants d’intérêts
(annexe 3 de l’accord interinstitutionnel du 16 avril 2014)
Les parties estiment que tous les représentants d’intérêts, enregistrés ou non, qui interagissent avec elles en une ou plusieurs occasions, doivent se comporter conformément au présent code de conduite.
Dans leurs relations avec les institutions de l’Union ainsi qu’avec les membres, fonctionnaires et autres agents de celles-ci, les représentants d’intérêts :
(a) indiquent toujours leur nom et, le cas échéant, leur numéro d’enregistrement ainsi que l’entité ou les entités qu’ils représentent ou pour lesquelles ils travaillent ; déclarent les intérêts, objectifs ou finalités qu’ils promeuvent et, le cas échéant, précisent quels clients ou membres ils représentent ;
(b) ne se procurent pas ou n’essaient pas d’obtenir des informations ou des décisions d’une manière malhonnête ou en recourant à une pression abusive ou à un comportement inapproprié ;
(c) ne prétendent pas avoir une relation formelle avec l’Union ou l’une de ses institutions dans leurs relations avec des tiers et ne présentent pas l’effet de l’enregistrement d’une manière pouvant induire en erreur les tiers ou les fonctionnaires ou autres agents de l’Union, et n’utilisent pas les logos des institutions de l’Union sans autorisation expresse ;
(d) veillent à fournir, lors de l’enregistrement et, ensuite, dans le cadre de leurs activités couvertes par le registre, des informations qui, à leur connaissance, sont complètes, à jour et non trompeuses ; acceptent que toutes les informations fournies soient soumises à un examen et consentent à satisfaire aux demandes administratives d’informations complémentaires et de mises à jour ;
(e) ne vendent pas à des tiers des copies de documents reçus des institutions de l’Union ;
(f) d’une manière générale, respectent toutes les règles, tous les codes et toutes les pratiques de bonne gouvernance établis par les institutions de l’Union et s’abstiennent de toute obstruction à la mise en œuvre et à l’application de ces règles, codes et pratiques ;
(g) n’incitent pas les membres des institutions de l’Union, les fonctionnaires ou autres agents de l’Union, ou les assistants ou stagiaires de ces membres à enfreindre les règles et les normes de comportement qui leur sont applicables ;
(h) respectent, lorsqu’ils emploient d’anciens fonctionnaires ou autres agents de l’Union ou des assistants ou stagiaires de membres des institutions de l’Union, l’obligation incombant à ces personnes de se conformer aux règles et aux exigences en matière de confidentialité qui leur sont applicables ;
(i) obtiennent l’accord préalable du député ou des députés du Parlement européen concernés pour toute relation contractuelle avec une personne de l’entourage désigné du député ou toute embauche d’une telle personne ;
(j) se conforment à toute réglementation sur les droits et responsabilités des anciens membres du Parlement européen et de la Commission européenne ;
(k) informent tous ceux qu’ils représentent de leurs obligations envers les institutions de l’Union ;
Les personnes qui se sont enregistrées auprès du Parlement européen afin de recevoir un titre nominatif non transférable d’accès aux bâtiments du Parlement européen :
(l) veillent à porter le titre d’accès visiblement et en permanence dans les bâtiments du Parlement européen ;
(m) respectent strictement les dispositions applicables du règlement du Parlement européen ;
(n) acceptent que toute décision sur une demande d’accès aux bâtiments du Parlement européen relève exclusivement des prérogatives du Parlement et que l’enregistrement ne confère pas un droit automatique à un titre d’accès.
Un mécanisme d’alerte et de plainte permet à toute personne de déclencher une enquête administrative, soit à propos d’informations mentionnées dans le registre, soit en cas de violation présumée du code de conduite par des organisations enregistrées. Dans ce dernier cas, le représentant d’intérêts peut, le cas échéant, être radié du registre pour un ou deux ans.
L’inscription sur le registre confère certains droits aux représentants d’intérêts. Le Parlement européen octroie ainsi un accès spécial à ses bâtiments aux personnes travaillant pour les organismes enregistrés. Depuis 2015, l’inscription sur le registre est même une condition nécessaire pour permettre à un représentant d’intérêts de s’exprimer lors d’auditions par les commissions du Parlement européen ou de rencontrer un commissaire européen, un membre de cabinet d’un commissaire ou un directeur général des services de la Commission
– soit environ 300 personnes (51) dans une administration de plus de 30 000 agents. Cette nouvelle condition a entraîné une augmentation significative du nombre d’inscrits, passé d’environ 7 000 à la fin de l’année 2014 à plus de 9 000 aujourd’hui.
Le registre de transparence ne s’applique pas, en revanche, aux activités de lobbying exercées auprès du Conseil de l’Union européenne ou de la Cour de justice de l’Union européenne.
Des réflexions sont en cours pour rendre obligatoire l’inscription au registre et pour élargir son champ au Conseil de l’Union : le 1er mars 2016, la Commission européenne a lancé une consultation publique de douze semaines sur ce sujet.
B. LE REGISTRE DES REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Notre Assemblée a pris des mesures relatives aux représentants d’intérêts dès 2009, le Bureau adoptant le 2 juillet « des règles de transparence et d’éthique applicables à l’activité des représentants d’intérêts à l’Assemblée nationale ». En octobre 2009 est entré en vigueur un mécanisme d’inscription volontaire des lobbyistes sur un registre public (consultable sur internet) qui les engage à respecter un code de conduite et leur donne droit à un badge d’accès
– non exclusif – à certaines salles de l’Assemblée.
Ces mesures ont été renforcées en 2013. Les 27 février et 26 juin, sur proposition de M. Christophe Sirugue, vice-président de l’Assemblée nationale, alors président de la délégation chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études (52), le Bureau a adopté une nouvelle réglementation, qui consiste principalement à :
– renforcer les obligations déclaratives des représentants d’intérêts (ressources financières affectées au lobbying, nom des clients des cabinets de consultants, part des dons et des subventions publiques dans les recettes des organismes, etc.) ;
– rendre l’inscription sur le registre automatique (sans filtrage du Bureau), dès lors que l’ensemble des rubriques est dûment renseigné ;
– rendre publiques les informations délivrées par les représentants d’intérêts lors de l’inscription ;
– supprimer les badges d’accès spécifiques aux lobbyistes, qui leur permettait d’accéder à la salle des quatre colonnes et la salle des pas perdus ;
– publier dans les rapports parlementaires la liste des auditions et des personnes entendues. L’article 22 de l’Instruction générale du Bureau dispose désormais que les rapports doivent distinguer entre les auditions menées auprès de représentants d’intérêts inscrits sur le registre et les autres auditions ;
– mettre en place des alertes pour les représentants d’intérêts inscrits sur le registre, lorsqu’ils ont déclaré être intéressés par un sujet particulier ;
– permettre aux représentants d’intérêts inscrits sur le registre de mettre en ligne des contributions sur le site de l’Assemblée nationale.
Ces dispositions ont été formalisées dans un nouveau code de conduite (voir l’encadré ci-après).
Code de conduite applicable aux représentants d’intérêts
(adopté par le Bureau de l’Assemblée nationale le 26 juin 2013)
1. Les représentants d’intérêts se conforment aux obligations déclaratives prévues par le Bureau et acceptent de rendre publiques les informations contenues dans leur déclaration. Ils doivent ultérieurement transmettre au Bureau tout élément de nature à modifier ou compléter ces informations.
2. Dans leurs contacts avec les députés, les représentants d’intérêts doivent indiquer leur identité, l’organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts qu’ils représentent. Lors d’une rencontre avec un député, les sociétés de conseil doivent informer de façon claire le député du nom du client qu’elles représentent lors de ce rendez-vous ; elles doivent être en mesure de produire tout document permettant au député de connaître la nature du mandat confié par leur client.
3. Les représentants d’intérêts se conforment aux règles d’accès et de circulation dans les locaux de l’Assemblée nationale. Ils sont tenus d’y porter leur badge en évidence. Ils n’ont accès à ces locaux que dans le cadre de la mission ponctuelle qui les amène à l’Assemblée : ils ne peuvent en aucun cas avoir accès à d’autres locaux que ceux concernés par les motifs donnés à l’accueil pour obtenir leur badge d’accès.
4. Il leur est interdit de céder à titre onéreux, ou contre toute forme de contrepartie, des documents parlementaires ainsi que tout autre document de l’Assemblée nationale.
5. Il leur est interdit d’utiliser du papier à en-tête ou le logo de l’Assemblée nationale.
6. Les représentants d’intérêts doivent s’abstenir de toute démarche en vue d’obtenir des informations ou des décisions par des moyens frauduleux.
7. Les informations apportées aux députés par les représentants d’intérêts doivent être ouvertes sans discrimination à tous les députés quelle que soit leur appartenance politique.
8. Ces informations ne doivent pas comporter d’éléments volontairement inexacts destinés à induire les députés en erreur.
9. Toute démarche publicitaire ou commerciale est strictement interdite aux représentants d’intérêts dans les locaux de l’Assemblée nationale.
10. Les représentants d’intérêts ne peuvent se prévaloir, vis-à-vis de tiers, à des fins commerciales ou publicitaires, de leur présence sur la liste fixée par le Bureau. Ils ne présentent pas, dans leurs relations avec l’Assemblée nationale ou des tiers, l’inscription sur le registre des représentants d’intérêts comme une reconnaissance officielle ou un lien quelconque avec l’Assemblée nationale de nature à induire leurs interlocuteurs en erreur.
11. Les prises de parole dans les colloques organisés au sein de l’Assemblée nationale par les représentants d’intérêts inscrits sur le registre, ou toute autre entité extérieure à l’Assemblée nationale, ne peuvent en aucune façon dépendre d’une participation financière, sous quelque forme que ce soit.
12. Le non-respect du code de conduite par ceux qui s’enregistrent ou par leurs représentants peut conduire le Bureau, après instruction, à la suspension ou la radiation du registre ; cette décision peut être publiée sur le site internet.
L’existence du registre a été consacrée dans le Règlement de l’Assemblée nationale par la résolution du 28 novembre 2014, dans un nouvel article 80-5 : « Il est tenu un registre public des représentants d’intérêts sous l’autorité du Bureau. Le déontologue est habilité à faire toute remarque sur les informations contenues dans ce registre ».
Le registre de l’Assemblée nationale compte actuellement (53) 287 représentants d’intérêts, soit plus du double du nombre d’inscrits sous l’empire de la réglementation antérieure à 2013. Ils se répartissent en :
– 71 entreprises ;
– 68 organisations professionnelles ;
– 46 associations ou autres organismes analogues ;
– 41 cabinets de consultants spécialisés ;
– 21 syndicats ;
– 11 organismes publics ;
– 7 consultants agissant en qualité d’indépendants ;
– 6 autorités administratives ;
– 5 organisations non gouvernementales (ONG) ;
– 5 cabinets d’avocats ;
– 1 groupe de réflexion ;
– 2 organismes de recherche ;
– 3 autres organismes.
Lors de sa réunion du 11 mai 2016, sur le rapport de M. David Habib, vice-président de l’Assemblée nationale, président de la Délégation du Bureau chargée des représentants d’intérêt et des groupes d’études, le Bureau de l’Assemblée nationale a été saisi de la possibilité d’étendre le registre des représentants d’intérêts de l’Assemblée nationale, en vue de la création d’un répertoire unique, commun au Parlement et au pouvoir exécutif.
C. LE REGISTRE DES GROUPES D’INTÉRÊT DU SÉNAT
Depuis le 1er janvier 2010, l’activité des « groupes d’intérêt » au Sénat est encadrée par une série de règles adoptées par son Bureau le 7 octobre 2009.
Le chapitre XXII bis de l’Instruction générale du Bureau dispose désormais que le droit d’accès au Sénat est accordé, dans les conditions déterminées par les Questeurs (54), aux représentants des groupes d’intérêt inscrits sur un registre public et qui s’engagent à respecter un code de conduite défini par le Bureau (voir l’encadré ci-après). À la différence de l’Assemblée nationale, l’inscription sur le registre donne droit à un badge spécifique.
Le registre comporte actuellement 91 groupes d’intérêt (55), dont ;
– 22 organisations professionnelles ;
– 20 associations ;
– 18 entreprises privées ;
– 16 sociétés de conseil ;
– 7 organismes publics ;
– 4 autorités administratives ;
– 2 sociétés anonymes ;
– 1 syndicat professionnel ;
– 1 personne physique.
Code de conduite applicable aux groupes d’intérêt du Sénat
(adopté par le Bureau du Sénat le 7 octobre 2009)
Article 1er :
Le registre des représentants des groupes d’intérêt comprend les informations suivantes :
– leur nom et leurs coordonnées ;
– le nom et les coordonnées de leur employeur ;
– leur domaine d’intervention ;
– ainsi que, le cas échéant, le nom des clients pour le compte desquels ils exercent leur activité.
Ce registre est rendu public sur le site Internet du Sénat.
Article 2 :
Dans leurs contacts avec les sénateurs, les représentants des groupes d’intérêt doivent indiquer leur identité, l’organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts qu’ils représentent. Ils doivent s’abstenir de chercher à rencontrer ou contacter les sénateurs de façon importune.
Article 3 :
Les représentants des groupes d’intérêt se conforment à la réglementation du Sénat applicable aux personnes admises dans ses locaux.
Article 4 :
Les représentants des groupes d’intérêt se conforment aux règles applicables aux colloques, manifestations et autres réunions organisées au Sénat. Ils s’interdisent notamment d’organiser des colloques, manifestations ou réunions dans lesquels les modalités de prise de parole sont liées au versement d’une participation financière sous quelque forme que ce soit.
Article 5 :
Toute démarche publicitaire ou commerciale est interdite aux représentants des groupes d’intérêt dans les locaux du Sénat.
Article 6 :
Il leur est interdit d’utiliser le logo du Sénat, sauf autorisation expresse délivrée par le service de la Communication.
Article 7 :
Il leur est interdit d’engager toute démarche en vue d’obtenir des informations ou documents par des moyens frauduleux ou déloyaux.
Article 8 :
Il leur est interdit de céder à titre onéreux, ou contre toute forme de contrepartie, des documents parlementaires ainsi que tout autre document du Sénat.
Article 9 :
Les représentants des groupes d’intérêt doivent s’abstenir de fournir aux sénateurs des informations volontairement incomplètes ou inexactes destinées à les induire en erreur.
Les informations qu’ils communiquent doivent être accessibles à tous les sénateurs qui le demandent.
Article 10 :
Les représentants des groupes d’intérêt s’engagent à communiquer par voie électronique aux services compétents, en vue de leur publicité sur le site Internet du Sénat, toute information sur les invitations à des déplacements à l’étranger qu’ils adressent aux sénateurs, à leurs collaborateurs, aux fonctionnaires du Sénat et aux instances du Sénat.
III. LE RÉPERTOIRE DES REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS CRÉÉ PAR LE PRÉSENT ARTICLE
Le présent projet de loi crée, à compter du 1er janvier 2017 (X du présent article), un « répertoire numérique », géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, auquel seront tenus de s’inscrire les représentants d’intérêts agissant auprès du pouvoir exécutif, ce qui les astreindra au respect de plusieurs obligations déontologiques. L’objectif est, comme l’a relevé le Conseil d’État (56), de renforcer la probité et la loyauté des pratiques des représentants d’intérêts et d’accroître la transparence de leurs relations avec les pouvoirs publics.
Il convient d’exposer la définition du représentant d’intérêts, les obligations qui lui incombent et le rôle de contrôle de la Haute Autorité.
A. LA DÉFINITION DU REPRÉSENTANT D’INTÉRÊTS
Le I du présent article définit les représentants d’intérêts, au sens de la future loi, à la fois positivement (ce qu’ils sont) et négativement (ce qu’ils ne sont pas).
1. La définition positive du représentant d’intérêts
a. Une définition en deux catégories
Positivement, la définition distingue deux catégories de représentants d’intérêts.
● D’une part, sont visées « les personnes physiques et les personnes morales de droit privé, qui exercent régulièrement une activité ayant pour finalité d’influer sur la décision publique, notamment en matière législative ou règlementaire, en entrant en communication » avec certains représentants du pouvoir exécutif (voir ci-après).
Le texte initialement transmis au Conseil d’État mentionnait les personnes « dont l’activité principale ou accessoire » a pour finalité d’influer « sur l’élaboration d’une loi ou d’un règlement ». La rédaction proposée par le Conseil d’État, retenue par le Gouvernement, est à la fois plus restrictive et plus large.
Elle est plus restrictive, en ce qu’elle mentionne les seules personnes qui exercent « régulièrement » une activité d’influence. Le présent article exclut donc du champ du répertoire les personnes pratiquant le lobbying :
– exceptionnellement (ainsi d’un collectif ad hoc, constitué de façon ponctuelle pour défendre une position dans le débat public) ;
– occasionnellement (par exemple une entreprise n’exerçant une action d’influence qu’au moment de la discussion d’un projet de loi la concernant) ;
– ou accessoirement (sans que l’activité d’influence soit le principal objet de l’organisme).
Cette approche restrictive a été ainsi justifiée par le Conseil d’État : « à défaut [de la définition retenue par le Conseil], toute association, personne ou entreprise s’apprêtant à entrer en contact, à son initiative, ou à celle de ses interlocuteurs, avec un collaborateur ou un représentant du pouvoir exécutif, serait, de fait, susceptible de devoir préalablement se soumettre à une inscription au répertoire et de se voir par suite appliquer l’ensemble des obligations qui en découlent, rares étant les sujets relevant de la politique gouvernementale sans traduction législative ou règlementaire présente, à venir ou possible. (…) [C]es dispositions seraient difficilement applicables, en raison du nombre de personnes concernées, comparé aux capacités de contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Jointe à l’obligation générale de déclaration préalable, ce dispositif serait en effet susceptible d’apporter une limitation excessive à l’accès des personnes aux représentants du pouvoir exécutif ».
En sens inverse, la définition prévue au présent article est plus large que celle initialement envisagée par le Gouvernement dans la mesure où est visée toute « décision publique », et non pas seulement l’élaboration d’une loi ou d’un règlement. Cette définition est susceptible d’inclure les activités exercées en vue d’obtenir telle ou telle décision individuelle, voire d’influer sur le contenu des politiques publiques.
● D’autre part, le présent article vise également « les personnes qui, au sein d’une personne morale de droit privé » (57) ou « d’un groupement ou établissement public industriel et commercial ont pour fonction principale » d’influer sur la décision publique, dans les mêmes conditions que ci-dessus.
Pourront ainsi être inscrites dans le répertoire les personnes physiques chargées des relations institutionnelles ou des relations publiques au sein :
– soit d’une personne morale de droit privé (quelle que soit son objet et qui, par hypothèse, n’entre pas dans le champ de la première branche de la définition) ;
– soit d’une personne publique telle qu’un groupement d’intérêt public (GIP) ou qu’un établissement public industriel et commercial (EPIC), par exemple l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), la Société du Grand Paris (SGP), la RATP ou encore la SNCF (58).
b. Le périmètre des responsables publics concernés
Au sens du présent article, sont qualifiées de représentants d’intérêts les personnes précitées qui entrent en relation avec certains représentants du pouvoir exécutif, à savoir :
– les membres du Gouvernement ;
– les collaborateurs du Président de la République. Le texte initial du projet de loi mentionnait également le chef de l’État lui-même. Il en a été retiré à la suite de l’examen par le Conseil d’État, ce dernier ayant souligné que « le statut du Président de la République relève de la seule Constitution » ;
– les membres de cabinet d’un membre du Gouvernement ;
– les directeurs généraux, les secrétaires généraux et les membres du collège d’une autorité administrative ou publique indépendante (AAI ou API) mentionnée aux 6° du I de l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Les autorités en question, désormais explicitement énumérées à l’article 14 du présent projet de loi, seraient au nombre de trente ;
– les personnes titulaires d’un emploi ou d’une fonction mentionné au 7° du I de l’article 11 de la même loi, c’est-à-dire un emploi ou une fonction à la décision du Gouvernement ayant donné lieu à une nomination en conseil des ministres. Il s’agit principalement des secrétaires généraux de ministère, des directeurs d’administration centrale ou équivalents, des préfets, des recteurs et des ambassadeurs, soit environ 685 personnes (59).
Le Conseil d’État a souligné que ce périmètre pourrait être élargi à d’autres responsables publics, en particulier :
– aux membres du Parlement : même si des registres sont déjà prévus par les règlements des assemblées parlementaires (60), le Conseil d’État estime qu’ « à l’instar de la loi organique du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique à propos des déclarations patrimoniales à la HATVP, et de la loi du 11 octobre 2013 à propos du traitement des conflits d’intérêts, des dispositions applicables aux parlementaires pourraient être insérées dans le projet de loi » ;
– aux élus locaux et aux fonctionnaires territoriaux, « eu égard à l’importance des enjeux existants dans le domaine des investissements et de la commande publique des collectivités territoriales et de leurs groupements » ;
– aux dirigeants des principaux opérateurs publics et aux présidents de « certaines instances collégiales investies d’un pouvoir de décision ».
2. Les personnes exclues de la qualification de représentant d’intérêts
Le présent article exclut de la qualification de représentants d’intérêts quatre catégories de personnes, quand bien même elles satisferaient à la définition précitée.
a. Les élus « dans l’exercice de leur mandat »
Il serait inopportun d’exiger l’inscription au répertoire, en tant que représentants d’intérêts, de tous les élus nationaux et locaux, dont l’une des raisons d’être est de chercher à « influer sur la décision publique ». La rédaction proposée exclut également les associations d’élus locaux représentant les différentes catégories de collectivités territoriales ou leurs groupements.
Aujourd’hui, plusieurs associations d’élus sont inscrites sur les registres existants. Par exemple, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) est inscrite sur le registre européen (dans la rubrique « Organisations représentant des autorités locales, régionales et municipales ») et sur les registres de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Le présent article n’exclut cependant les élus que dans la mesure où ils agissent « dans l’exercice de leur mandat », ouvrant la voie à l’inscription au répertoire d’élus ou d’associations d’élus qui interviendraient sur des thèmes étrangers à la défense des intérêts de la collectivité publique qu’ils représentent.
b. Les partis et groupements politiques
Outre que leur mention dans le répertoire n’aurait pas grand sens, une telle obligation se heurterait manifestement à l’article 4 de la Constitution, selon lequel les partis et groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement ». Au demeurant, ces derniers diffèrent fondamentalement des représentants d’intérêts, en ce qu’ils ont vocation à chercher à conquérir et à exercer le pouvoir.
c. Les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs « en tant qu’acteurs du dialogue social »
Inspiré du registre européen (61), cette exclusion du répertoire doit, selon votre rapporteur, être interprétée strictement comme jouant dans la seule mesure où les partenaires sociaux agissent en tant qu’acteurs de la négociation collective en droit du travail.
Cela correspond au champ défini à l’article L. 1 du code du travail : inclus dans le chapitre préliminaire de ce code (précisément intitulé : « Dialogue social »), cet article dispose notamment que « tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation ».
d. Les associations à objet cultuel
Prise au sens strict, l’exclusion des associations à objet cultuel devrait concerner les associations « pour l’exercice des cultes » régies par la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État, créées pour « subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte » (communément dénommées « associations cultuelles »), les associations exerçant un culte dans le cadre de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association (62) et les associations de droit local à but cultuel dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
En revanche, les associations religieuses dénuées d’objet cultuel ne sont pas exclues par principe du répertoire : à titre d’exemple, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) ou le Comité protestant évangélique pour la dignité humaine (CPDH) sont inscrits sur le registre européen, dans la catégorie « organisations représentant des églises et des communautés religieuses ».
B. LES OBLIGATIONS PESANT SUR LES REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS
Deux types d’obligations pèseront sur les représentants d’intérêts :
– s’inscrire au répertoire tenu par la Haute Autorité et lui fournir une série d’informations, à actualiser chaque année (II du présent article). À l’inverse, l’inscription sur les registres existants de l’Assemblée nationale, du Sénat ou de l’Union européenne est aujourd’hui facultative ;
– respecter plusieurs obligations déontologiques dans les relations entretenues avec les acteurs publics (IV du présent article).
1. Les informations à fournir à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
Dans le mois suivant le début de son activité, puis chaque année avant le 1er octobre, tout représentant d’intérêts, au sens du présent article, devra communiquer à la Haute Autorité, par voie électronique :
– son identité ou, pour les personnes morales, celle de ses dirigeants et des personnes physiques chargées des activités de représentation d’intérêts en son sein ;
– le champ des activités de représentation d’intérêts ;
– le cas échéant, l’identité des tiers au profit desquels ces activités sont exercées. À cet égard, on peut relever que, depuis 2011, le Barreau de Paris autorise les avocats à faire mention, dans les registres de représentants d’intérêts, de l’identité de leurs clients (après avoir recueilli leur accord) et du montant des honoraires perçus (63).
À titre de comparaison, le registre de l’Assemblée nationale comporte d’autres informations, telles que le nombre d’employés de l’organisme, l’appartenance ou non à un réseau ou à une fédération, l’adhésion ou non à un code de conduite ou à une charte éthique, le chiffre d’affaire de l’entreprise et les coûts liés aux activités directes de représentation d’intérêts auprès du Parlement ou encore le budget de l’organisme et ses sources de financement.
L’inscription au répertoire sera effectuée par la Haute Autorité, qui en assurera la publicité sur internet, en open data (64) – y compris celle des informations que seront tenus de fournir les représentants d’intérêts (III du présent article).
La Haute Autorité pourra être saisie par chacun des acteurs publics précités de « toute demande relative à ce répertoire ». Il s’agit, par exemple, de répondre à des interrogations relatives au maniement du répertoire ou à l’absence d’inscription de tel ou tel lobbyiste.
2. Les obligations déontologiques à respecter
Le présent article édicte une série d’obligations incombant aux représentants d’intérêts lorsqu’ils « entrent en communication », par quelque moyen que ce soit, avec l’un des représentants du pouvoir exécutif déjà évoqués.
Elles s’apparentent à une « charte de déontologie » ou à un « code de conduite » – dont l’élaboration relève pourtant du législateur, dès lors que leur méconnaissance est sanctionnée par des pénalités financières, prononcées par la Haute Autorité (voir ci-après). Le juge constitutionnel considère en effet qu’« appliquée en dehors du droit pénal, l’exigence d’une définition des infractions sanctionnées se trouve satisfaite, en matière administrative, dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l’activité qu’ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent, de l’institution dont ils relèvent ou de la qualité qu’ils revêtent » (65).
Ainsi, dans leurs relations avec les acteurs publics précités, mais aussi « avec l’entourage direct » de ces derniers (8° du IV du présent article), les représentants d’intérêts seront tenus de :
– déclarer leur identité, l’organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou entités qu’ils représentent. Il s’agit d’indiquer clairement qui s’exprime, au nom de qui ;
– s’abstenir de proposer ou de remettre aux responsables publics des présents, dons ou avantages quelconques « d’une valeur significative ». L’absence de fixation d’une valeur précise dans la loi est justifiée : le décret en Conseil d’État prévu au IX du présent article pourra apporter les précisions nécessaires, l’appréciation du caractère « significatif » nécessitant, en tout état de cause, une approche au cas par cas ;
– s’abstenir de toute incitation à l’égard des acteurs publics à enfreindre leurs propres règles déontologiques. Rappelons que ces règles ont été consacrées et renforcées par plusieurs lois récentes, en particulier celles du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique et celle du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ;
– s’abstenir d’obtenir ou d’essayer d’obtenir des informations ou décisions en communiquant « délibérément » aux acteurs publics « des informations erronées » ou en recourant à « des manœuvres destinées à les tromper ». L’enjeu est essentiel : il s’agit d’assurer la fiabilité des informations délivrées par les lobbyistes. La fourniture d’informations erronées ou manipulées ne serait néanmoins interdite que pour autant qu’elle vise à obtenir des informations ou des décisions de la part du responsable public concerné ;
– s’abstenir d’organiser des colloques, manifestations ou réunions dans lesquels les modalités de prise de parole par les acteurs publics sont liées « au versement d’une participation financière sous quelque forme que ce soit ». De semblables dispositions figurent dans les codes de conduite applicables à l’Assemblée nationale et au Sénat, dont la portée est cependant plus large, puisque sont concernées l’ensemble des prises de parole (pas seulement celles des députés ou des sénateurs) dans les colloques organisés en leur sein ;
– s’abstenir de divulguer à des tiers, à des fins commerciales ou publicitaires, les informations obtenues auprès du pouvoir exécutif. Le représentant d’intérêts ne pourra naturellement être sanctionné que s’il a la connaissance de l’utilisation qu’en feront les tiers concernés : l’objectif est d’éviter le démarchage commercial ou publicitaire ;
– s’abstenir de vendre à des tiers des copies de documents provenant du Gouvernement, d’une autorité administrative ou publique indépendante ou d’utiliser « du papier à en-tête ainsi que le logo » d’organes administratifs. Des dispositions similaires existent dans les codes de conduite de l’Assemblée nationale et du Sénat.
La portée de ces obligations pourra être précisée par le décret en Conseil d’État prévue au IX du présent article, ainsi que par la Haute Autorité, à qui il reviendra de s’assurer de leur respect au quotidien.
Votre rapporteur souligne, en revanche, que le présent article ne fait peser aucune obligation sur les responsables publics entrant en relation avec les représentants d’intérêts.
Dans sa version initiale, le projet de loi imposait aux représentants du pouvoir exécutif de s’abstenir de recevoir les représentants d’intérêts non inscrits au répertoire ou d’examiner tout élément que ces derniers leurs soumettraient. Toutefois, outre que cette obligation était dépourvue de sanction et assortie d’importantes exceptions (66), le Conseil d’État a estimé que ces dispositions étaient de nature « à affecter le bon fonctionnement du pouvoir exécutif » et « l’exercice des prérogatives que le Président de la République et le Gouvernement tiennent des articles 13, 20 et 21 de la Constitution » et susceptibles de « modifier l’équilibre des pouvoirs, notamment au regard de l’article 24 de la Constitution, qui réserve au Parlement le contrôle de l’action du Gouvernement ».
En conséquence, le VII du présent article se borne à prévoir que si, à l’occasion d’un contrôle concernant un représentant d’intérêts, la Haute Autorité constate qu’un des responsables publics précités – autre qu’un membre du Gouvernement – a répondu favorablement à la sollicitation d’un représentant d’intérêts méconnaissant ses obligations, la Haute Autorité peut en aviser ce responsable et, sans le rendre public, lui « adresser tout conseil ».
C. LE CONTRÔLE DE LA HAUTE AUTORITÉ
À l’heure actuelle, la Haute Autorité ne dispose que de très peu de prérogatives en matière de régulation du lobbying. Tout au plus peut-elle, sur saisine du Premier ministre ou de sa propre initiative, émettre des « recommandations portant sur les relations avec les représentants d’intérêts » (5° du I de l’article 20 de la loi du 11 octobre 2013 précitée). Le présent article lui confie désormais un rôle et des pouvoirs plus étendus.
1. La mission de contrôle de la Haute Autorité
La Haute Autorité est chargée de contrôler le respect de l’ensemble des obligations incombant aux représentants d’intérêts en application du présent article (V de l’article).
Elle devra, en premier lieu, veiller à l’effectivité de l’inscription au répertoire de représentants d’intérêts qui ne se déclareraient pas spontanément. Il s’agira donc de vérifier si telle personne ou tel organisme répond à la définition fixée au I du présent article.
La Haute Autorité devra, en deuxième lieu, s’assurer du respect des obligations informatives pesant sur les représentants d’intérêts et, partant, des données figurant dans le répertoire.
Elle devra, en dernier lieu, veiller à l’absence de méconnaissance des différentes obligations déontologiques applicables aux représentants d’intérêts dans leurs relations avec les acteurs publics.
En dehors des contrôles qu’elle pourra engager de sa propre initiative (67), la Haute Autorité pourra être saisie, sur chacun de ces trois aspects (inscription au répertoire, fourniture des informations et respect des règles déontologiques) :
– par une personne physique ou une personne morale de droit privé, qui s’interrogerait par exemple sur sa propre qualification ou sur la portée de telle ou telle obligation (dernier alinéa du V du présent article) ;
– par un des représentants du pouvoir exécutif précités, notamment s’il a été sollicité par un représentant d’intérêts ou est entré en contact avec lui (VI du présent article) ;
– par toute personne souhaitant procéder à un « signalement relatif à un manquement » commis par un représentant d’intérêts (VI du présent article).
2. Les moyens de contrôle de la Haute Autorité
En application du V du présent article, la Haute Autorité peut se faire communiquer par les représentants d’intérêts « toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission », sans que le secret professionnel puisse lui être opposé (68).
Les informations appelées à figurer dans le répertoire doivent être communiquées à la Haute Autorité :
– « quel que soit le support utilisé pour leur conservation ». Cette mention a pour objet d’éviter que la personne visée par le droit de communication puisse invoquer une quelconque spécificité du support de conservation pour faire obstacle à la transmission des informations demandées (69) ;
– dans des délais qu’elle fixe (y compris en dérogeant à la date d’actualisation périodique du 1er octobre prévue au premier alinéa du II).
Le Haute Autorité peut, le cas échéant, accéder à ces informations par un contrôle « sur pièces ou sur place ».
Des dispositions spécifiques aux avocats (70) sont prévues : elles excluent les contrôles sur place et réglementent les contrôles sur pièces. Pour ces derniers, les demandes de communication doivent être présentées par la Haute Autorité auprès, selon le cas, du président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou du bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit. Le président de l’ordre ou le bâtonnier est alors tenu de transmettre à la Haute Autorité les informations demandées. La méconnaissance de cette procédure autoriserait l’avocat concerné à s’opposer à la communication. Votre rapporteur rappelle que, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel, « aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats » (71).
Enfin, à la suite d’une suggestion du Conseil d’État, l’effectivité de ces différentes prérogatives conférées à la Haute Autorité est garantie par la création d’un délit d’entrave à l’exercice de ses pouvoirs, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (72). Ce délit est proche de celui prévu au II de l’article 26 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui punit des mêmes peines le fait, pour une personne soumise à cette loi, de ne pas déférer aux injonctions de la Haute Autorité ou de ne pas lui communiquer les informations et pièces utiles à l’exercice de sa mission. Il est identique à celui en vigueur, par exemple, pour le Défenseur des droits (73).
3. Le pouvoir de sanction de la Haute Autorité
En application du VIII du présent article, lorsque la Haute Autorité constate un manquement aux obligations de s’inscrire au répertoire, de fournir les informations prévues au II ou aux dispositions déontologiques prévues au V, son président adresse au représentant d’intérêts une mise en demeure de respecter ses obligations. Il pourra s’agir de communiquer ou de compléter les informations nécessaires à l’inscription au répertoire ou de mettre fin à des pratiques contrevenant aux obligations déontologiques régissant les relations avec les pouvoirs publics.
Si cette mise en demeure n’est pas suivie d’effet et si, dans un délai maximal de cinq ans, le représentant d’intérêts réitère le manquement ou en commet un nouveau, le président de la Haute Autorité peut engager une procédure de sanction. Celle-ci est inédite, les lois du 11 octobre 2013 précitées ne conférant aucun pouvoir de sanction à la Haute Autorité.
Le présent article précise la procédure applicable, qui tend à satisfaire aux exigences d’impartialité :
– le président de la Haute Autorité notifie les griefs aux personnes mises en cause et désigne un rapporteur pour instruire l’affaire. En application du V de l’article 19 de la loi du 11 octobre 2013 précitée, la Haute Autorité est assistée de rapporteurs désignés par le vice-président du Conseil d’État parmi les membres, en activité ou honoraires, du Conseil d’État et du corps des conseillers de tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, par le premier président de la Cour de cassation parmi les magistrats, en activité ou honoraires, de la Cour de cassation et des cours et tribunaux et par le premier président de la Cour des comptes parmi les magistrats, en activité ou honoraires, de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ;
– le président de la Haute Autorité n’assiste ni à la séance ni au délibéré. Une séparation est ainsi assurée entre l’autorité poursuivante et l’autorité sanctionnatrice ;
– la Haute Autorité statue par une décision motivée. La personne concernée ou son représentant doit avoir été entendu ou, à défaut, dûment convoqué.
La Haute Autorité peut prononcer une sanction financière d’un montant maximal de 30 000 euros. Conformément à la jurisprudence constitutionnelle, il lui reviendra de tenir compte « des circonstances propres à chaque espèce » (74).
À titre de comparaison, l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) peut prononcer des sanctions d’un montant maximal de 150 000 euros, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de 300 000 euros (75), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) de 375 000 euros, l’Autorité de la concurrence de 3 millions d’euros et l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de 100 millions d’euros (76).
La Haute Autorité pourra également rendre publique cette sanction financière – ce qui peut être particulièrement dissuasif dans les secteurs où la réputation est un enjeu primordial. Cette publicité doit être effectuée sans mentionner l’identité et la fonction du responsable public éventuellement concernée.
En revanche, la suspension ou l’exclusion du répertoire ne sont pas prévues par le présent article – à la différence, par exemple, du registre européen ou de celui de l’Assemblée nationale (77). Une telle sanction n’aurait de sens que si elle aboutissait à priver les lobbyistes concernés de certains droits attachés à l’inscription au répertoire. Or, en l’état, cette inscription – obligatoire – ne leur confère aucun avantage particulier, si ce n’est une forme de consécration publique.
Enfin, le présent article précise que les recours contre les décisions de sanction de la Haute Autorité – qui relèvent du Conseil d’État – sont des recours de pleine juridiction. La décision attaquée pourra ainsi, le cas échéant, être réformée par le juge, ce qui représente une garantie supplémentaire en faveur de la proportionnalité entre la gravité du manquement et la sévérité de la sanction.
IV. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS
Votre commission des Lois a adopté 89 amendements au présent article, qui le modifient sur cinq principaux points. Pour une meilleure clarté de la loi, l’ensemble de ces dispositions figurerait dans un nouvel article 18-1, introduit dans la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
A. LA DÉFINITION DU REPRÉSENTANT D’INTÉRÊTS
À l’initiative de votre rapporteur, la commission des Lois a adopté une définition du représentant d’intérêts :
– faisant référence aux « politiques publiques », plutôt qu’à la « décision publique ». En effet, la plupart des décisions administratives individuelles, par exemple l’attribution d’un permis de construire, pourraient être qualifiées de décisions publiques. C’est plutôt l’influence exercée sur l’orientation des politiques publiques qui permet de caractériser l’action d’un représentant d’intérêts ;
– ne mentionnant plus la notion d’activité exercée « régulièrement ». Une telle exigence serait sujette à interprétations et à contestations et, surtout, aboutirait à une définition trop restrictive. Au contraire, doivent aussi pouvoir être qualifiés de représentants d’intérêts ceux qui n’interviennent qu’exceptionnellement ou occasionnellement auprès des pouvoirs publics.
Ces deux modifications conduisent à privilégier une définition matérielle de la représentation d’intérêts, centrée sur l’activité d’influence, plutôt qu’une définition organique, portant sur l’entité qui exerce cette activité.
Pour l’application de cette définition, la commission des Lois a, en outre, clarifié la distinction entre :
– les personnes morales, dont le champ ne serait plus limité aux seules personnes privées (entreprises, associations, etc.), mais élargi à certaines personnes publiques. Pourraient ainsi entrer dans le champ de la définition les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), les groupements d’intérêt public (GIP) exerçant une activité industrielle et commerciale, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métier et de l’artisanat. Il n’apparaît pas souhaitable à votre rapporteur d’étendre ce champ à l’ensemble des personnes publiques, ce qui inclurait l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements et aboutirait tant à diluer à l’excès la définition qu’à méconnaître la distinction entre intérêts sectoriels et intérêt général ;
– les personnes physiques, qui ne seraient plus concernées par l’inscription au répertoire que lorsqu’elles exercent leur activité de manière individuelle dans un cadre professionnel (rémunéré ou à titre bénévole).
À la différence du projet de loi initial, ces modifications conduisent à privilégier l’inscription au répertoire d’une entreprise ou d’une association, en tant que personne morale (78), plutôt que le seul directeur des relations institutionnelles de cette entreprise ou de cette association.
Enfin, la commission des Lois a modifié les quatre catégories de personnes exclues par principe de la qualification de représentant d’intérêts :
– à l’initiative de M. Bertrand Pancher, elle a limité l’exclusion des élus au cas du « strict » exercice de leur mandat ;
– sur proposition de M. Olivier Marleix, elle a précisé que l’exclusion des partis et groupements politiques s’entendant dans l’exercice de leur mission prévue à l’article 4 de la Constitution (79). En conséquence, si un parti sortait manifestement de sa mission constitutionnelle (celle de concourir « à l’expression du suffrage »), il pourrait éventuellement être qualifié de représentant d’intérêts ;
– à l’initiative de Mme Sandrine Mazetier, la Commission a supprimé l’exclusion du champ de la notion de représentant d’intérêts des organisations professionnelles d’employeurs. N’en bénéficieraient ainsi que les organisations syndicales de salariés, sans plus de référence au dialogue social ;
– sur proposition de Mme Sandrine Mazetier et de M. Bertrand Pancher, l’exclusion en faveur des associations à objet cultuel a été supprimée.
Au total, ces différentes modifications conduisent à définir les représentants d’intérêts comme les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les chambres de commerce et d’industrie, les chambres de métier et de l’artisanat et les personnes physiques agissant dans un cadre professionnel qui, « afin d’influer sur les politiques publiques, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire, entrent en communication » avec certains acteurs publics – dont votre Commission a élargi le périmètre.
B. L’ÉLARGISSEMENT DES ACTEURS PUBLICS CONCERNÉS
Alors que le répertoire prévu au présent article ne devait régir que les relations entre les représentants d’intérêts et le pouvoir exécutif, votre commission des Lois a étendu son champ au Parlement et aux collectivités territoriales, ainsi qu’y invitait le Conseil d’État.
1. L’extension du répertoire aux assemblées parlementaires
Sur proposition de votre rapporteur et de M. David Habib, vice-président de l’Assemblée nationale, président de la Délégation du Bureau chargée des représentants d’intérêt et des groupes d’études, la commission des Lois a étendu le champ des acteurs publics dont les relations avec les représentants d’intérêts sont régies par le présent article aux députés et aux sénateurs (5° du I de l’article 18-1 de la loi du 11 octobre 2013 précitée). Cela ouvre la voie à la création d’un répertoire unique, commun au Parlement et au pouvoir exécutif – conformément à ce qu’avait souhaité, dès l’automne dernier, le Président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone (80).
Corrélativement, votre Commission, sur proposition de votre rapporteur, a étendu le périmètre de la mesure aux collaborateurs parlementaires et aux fonctionnaires des assemblées parlementaires (6° du I du même article).
À l’initiative de votre rapporteur et de M. David Habib, un dispositif spécifique a été prévu afin de se conformer aux principes de séparation des pouvoirs et d’autonomie des assemblées parlementaires (81). En application du VII bis de l’article 18-1 précité, les représentants d’intérêts entrant en communication avec les parlementaires, leurs collaborateurs et les fonctionnaires parlementaires ne seront pas soumis aux obligations déontologiques définies dans la loi (au IV du même article) (82), mais aux règles qui seront déterminées par le Bureau de chaque assemblée.
C’est l’organe chargé, au sein de chaque assemblée, de la déontologie parlementaire – le Déontologue à l’Assemblée nationale, le Comité de déontologie parlementaire au Sénat – qui s’assurera du respect de ces règles. Il pourra, à cet effet, être saisi par tout député, sénateur, collaborateur ou fonctionnaire parlementaire et se faire communiquer toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de cette mission.
En cas de manquement aux règles arrêtées par le Bureau, l’organe chargé de la déontologie saisira le Président de l’assemblée concernée qui pourra, après avis du Bureau, saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – seule détentrice du pouvoir de sanctionner un représentant d’intérêts.
En outre, par parallélisme avec les dispositions régissant les autres acteurs publics (VII de l’article 18-1), votre Commission a prévu que s’il constate qu’un parlementaire, un collaborateur ou un fonctionnaire parlementaire a répondu favorablement à une sollicitation effectuée par un représentant d’intérêts méconnaissant soit ses obligations déclaratives relatives au répertoire, soit les règles arrêtées par le Bureau, l’organe chargé de la déontologie parlementaire pourra en aviser le parlementaire ou la personne concernée et, sans le rendre public, lui adresser tout conseil.
En dehors de ces spécificités, les autres dispositions régissant le registre seront applicables aux assemblées parlementaires. En particulier, la Haute Autorité pourra être saisie par un parlementaire, un collaborateur ou un fonctionnaire parlementaire (83) :
– de toute demande relative au répertoire (dernier alinéa du III de l’article 18-1) ;
– d’une demande d’avis sur l’éventuelle qualification de représentant d’intérêts à donner à une personne qui ne serait pas inscrite dans le répertoire (première phrase du VI de l’article 18-1). En revanche, les obligations déontologiques figurant au IV de l’article 18-1 n’étant pas applicables aux relations entre les représentants d’intérêts et les assemblées parlementaires, la saisine de la Haute Autorité ne pourra pas porter sur la question du respect de ces obligations. En ce domaine, c’est le Déontologue de l’Assemblée nationale ou le Comité de déontologie parlementaire du Sénat qui pourra être saisi, dans les conditions déjà évoquées.
2. L’extension du répertoire au secteur local
Sur proposition de votre rapporteur, la commission des Lois a étendu le périmètre des décideurs publics concernés par le présent article aux collectivités territoriales et aux intercommunalités (7° du I de l’article 18-1), ainsi qu’aux fonctionnaires – notamment – territoriaux (8° du I du même article).
S’agissant des collectivités territoriales et des intercommunalités, le champ retenu est celui déjà couvert par les obligations de déclaration d’intérêts et de déclaration de patrimoine prévues par les 2°, 3° et 8° du I de l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 précitée, à savoir :
– les exécutifs locaux : présidents des conseils régionaux et départementaux, maires d’une commune de plus de 20 000 habitants ou président d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant des recettes de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d’euros et présidents des autres EPCI dont le montant des recettes de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d’euros ;
– certains élus locaux : conseillers régionaux et départementaux, adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants et vice-présidents des EPCI à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants, lorsqu’ils sont titulaires d’une délégation de signature ;
– les directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet des présidents d’exécutifs locaux précités. Ceux-ci sont tenus aux obligations déclaratives de la loi sur la transparence de la vie publique depuis la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
S’agissant des fonctionnaires, le présent article retient le champ des agents publics qui seront tenus d’établir une déclaration de situation patrimoniale en application de la même loi du 20 avril 2016. Cette dernière a introduit un article 25 quinquies dans le statut général de la fonction publique (84), prévoyant que les agents publics nommés « dans l’un des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionné sur une liste établie par décret en Conseil d’État » adressent à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dans un délai de deux mois suivant leur nomination, une déclaration de situation patrimoniale.
Le décret en question n’a pas encore été publié, mais pourrait concerner au moins 5 000 agents (85). Ce renvoi permet, en particulier, de faire entrer les plus hauts fonctionnaires territoriaux – directeurs généraux des services, directeurs généraux adjoints, etc. – dans le périmètre des acteurs publics dont les relations avec les représentants d’intérêts seront régies par le présent article.
L’ensemble de ces dispositions n’entreront en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2018, afin de permettre une montée en charge progressive du répertoire numérique (premier alinéa du X du présent article).
En outre, pour l’application de la définition du représentant d’intérêts, un décret en Conseil d’État déterminera quels types d’actes réglementaires des collectivités territoriales devront être pris en compte (second alinéa du X). Il s’agit de proportionner les nouvelles obligations aux enjeux réels : par exemple, si l’influence exercée à l’égard d’un schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) ou d’un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) a évidemment vocation à être prise en compte pour qualifier une personne de représentant d’intérêts, tel n’est sans doute pas le cas à l’égard de la délibération d’un conseil municipal fixant les tarifs des droits de voirie et de stationnement.
C. L’ENRICHISSEMENT DES INFORMATIONS À FOURNIR PAR LES REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS
À l’initiative de M. David Habib, la commission des Lois a complété les informations que devront fournir les représentants d’intérêts et qui seront rendues publiques dans le répertoire numérique. En vue d’élaborer un répertoire commun au pouvoir exécutif et au Parlement, il importe que les obligations informatives résultant du présent article ne soient pas moindres que celles incombant aujourd’hui aux représentants d’intérêts ayant choisi de s’inscrire sur le registre de l’Assemblée nationale.
C’est ainsi que le répertoire devra comporter (II de l’article 18-1 de la loi du 11 octobre 2013 précitée) :
– la description des principales actions relevant du champ de la représentation d’intérêts menées l’année précédente, en précisant les coûts liés à l’ensemble de ces actions ;
– le nombre de personnes employées par les personnes morales concernées et, le cas échéant, le chiffre d’affaires de l’année précédente ;
– les organisations professionnelles ou syndicales ou les associations en lien avec la représentation d’intérêts auxquels appartient le représentant d’intérêts.
Par ailleurs, afin de pouvoir disposer d’informations plus régulières, mais aussi plus qualitatives, la commission des Lois, sur proposition de votre rapporteur, a prévu que les représentants d’intérêts devront adresser à la Haute Autorité des bilans semestriels, rendus publics de façon distincte du répertoire (II bis de l’article 18-1). Ces monographies devront faire le point sur les activités du représentant d’intérêts réalisées pendant le semestre écoulé, en précisant le montant des dépenses et du chiffre d’affaires associés à ces activités, ainsi que les principales sources de financement de la personne concernée.
D. DES COMPLÉMENTS APPORTÉS AUX OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES DES REPRÉSENTANTS D’INTÉRÊTS
La commission des Lois a précisé et complété les obligations déontologiques incombant aux représentants d’intérêts en application du IV de l’article 18-1 de la loi du 11 octobre 2013 précitée (86).
À l’initiative de M. Lionel Tardy, elle a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de préciser la « valeur significative » des présents, dons ou autres avantages que les représentants d’intérêts ne peuvent proposer ou remettre à un acteur public.
Sur proposition de votre rapporteur, la Commission a :
– ajouté une obligation de s’abstenir de toute démarche visant à obtenir des informations ou des décisions « par des moyens frauduleux », reprenant ainsi les termes du code de conduite applicable à l’Assemblée nationale ;
– prohibé la fourniture d’informations que le représentant d’intérêts sait erronées, peu importe que cette fourniture vise ou non à obtenir une contrepartie de la part du responsable public ;
– interdit la fourniture d’informations dont la source n’est pas précisée.
Enfin, à l’initiative de M. Olivier Marleix, votre commission des Lois a donné un effet utile aux dispositions relatives aux colloques, manifestations et réunions. Celles figurant dans la version initiale du projet de loi s’inspiraient des codes de conduite de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui visent à éviter que les prises de parole des intervenants à un colloque organisé au sein d’une assemblée soient conditionnées à une participation financière – au risque de monopoliser l’expression au profit de ceux disposant des moyens les plus importants. Transposées hors de l’Assemblée nationale et du Sénat, ces dispositions n’ont plus grand sens, sauf à prétendre légiférer sur l’ensemble des colloques que peuvent organiser des représentants d’intérêts. Votre Commission a donc prévu, plus simplement, qu’un représentant d’intérêts ne pouvait pas rémunérer un acteur public afin qu’il participe à un colloque.
E. LE RENFORCEMENT DES CONTRÔLES ET DES SANCTIONS
À l’initiative de votre rapporteur, la commission des Lois a renforcé les pouvoirs de contrôle et de sanction des représentants d’intérêts par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
En premier lieu, elle a garanti que les pouvoirs de contrôle de la Haute Autorité seront applicables à toute personne répondant à la définition du représentant d’intérêts, pas seulement à celles déjà inscrites au répertoire (deuxième alinéa du V de l’article 18-1 précité). En effet, ces pouvoirs peuvent être utiles afin de déterminer si tel ou tel organisme doit être qualifié de représentant d’intérêts et s’il doit donc être inscrit au répertoire.
En deuxième lieu, la commission des Lois a étendu aux membres du Gouvernement le pouvoir de recommandation de la Haute Autorité en cas de manquement d’un représentant d’intérêts (VII de l’article 18-1). Dès lors que ce pouvoir se borne à l’émission d’un « conseil », qui demeure confidentiel, il n’y a pas de raison d’exclure les ministres de son champ
En troisième lieu, la Commission a précisé que le déclenchement du mécanisme de sanction d’un représentant d’intérêts n’est pas conditionné à la découverte d’un manquement au cours d’un contrôle sur pièces et sur place : il peut s’exercer à l’égard de tout manquement aux obligations posées par le présent article, y compris s’il a été signalé par un citoyen ou par un acteur public (premier alinéa du VIII de l’article 18-1).
En quatrième lieu, votre commission des Lois a porté la sanction financière de 30 000 euros à 50 000 euros, afin de la rendre plus efficace (sixième alinéa du VIII). Comme l’a jugé le Conseil constitutionnel, une sanction pécuniaire prononcée par une autorité administrative indépendante doit être dissuasive : « le montant des sanctions fixées par la loi [doit être] suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des infractions assignée à la punition » (87).
En cinquième lieu, la Commission a introduit une sanction supplémentaire, permettant à la Haute Autorité d’assortir la pénalité financière infligée à un représentant d’intérêts ayant déjà été sanctionné au cours des trois dernières années d’une interdiction, pendant une durée maximale d’un an, d’entrer en communication, de sa propre initiative, avec tout ou partie des acteurs publics mentionnés au présent article (septième alinéa du VIII). L’interdiction ne pèserait que sur le représentant d’intérêts, et non sur les responsables publics – lesquels resteraient entièrement libres de prendre l’initiative d’entrer en relation avec le représentant d’intérêts en question. Cette interdiction serait mentionnée dans le répertoire numérique.
Cette sanction supplémentaire apparaît plus pertinente qu’une suspension ou qu’une radiation du répertoire, qui n’aurait de sens que si l’inscription à ce dernier conférait des droits particuliers aux représentants d’intérêts – ce qui n’est pas le cas. Une suspension ou une radiation aurait, en outre, l’inconvénient de soustraire le représentant d’intérêts à l’ensemble des obligations déclaratives et déontologiques prévues au présent article.
En dernier lieu, votre Commission a renforcé le caractère contradictoire et impartial de la procédure de sanction (premier, troisième et quatrième alinéas du VIII).
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL491 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de codifier le nouveau dispositif dans la loi relative à la transparence de la vie publique.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle discute de l’amendement CL435 de Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Tout le monde n’est pas lobbyiste. La loi doit faire la différence entre les représentants d’intérêts privés, autrement dit les lobbies, et les acteurs du débat public, par exemple des associations d’intérêt général.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Il faut un équilibre entre ceux qui pensent comme vous et ceux qui souhaiteraient inclure toutes les personnes publiques. Le dispositif est ciblé sur les personnes privées mais inclut aussi celles des personnes publiques qui interviennent dans le secteur concurrentiel.
Mme Delphine Batho. Le débat n’est pas celui que certaines associations ont soulevé, sur les grandes entreprises publiques, dont la plupart ont d’ailleurs été transformées en sociétés anonymes. La question est plutôt celle de la différence entre, par exemple, la Croix-Rouge et le groupe Total. Je trouve anormal que le registre des représentants d’intérêts mette sur un même plan des organismes qui n’ont rien à voir entre eux. Les profits d’un lobby sont directement corrélés à la décision publique qui sera prise tandis qu’une association reconnue d’intérêt général défend un point de vue sur la décision publique sans avoir d’intérêt mercantile. Je souhaite que la définition d’un lobby tienne compte de la défense d’intérêts privés mercantiles.
M. le rapporteur. Qui fait le tri et comment ? Dans le cas de la Croix-Rouge, c’est à peu près clair, mais dans bien d’autres cas, ça l’est moins. En audition, des personnes ont proposé de retenir le critère de la reconnaissance d’utilité publique, mais sur cette liste on trouve des carpes et des lapins : des milliers d’associations ont cette reconnaissance pour des raisons fiscales. Il faut un critère juridique, sauf à examiner l’objet social au cas par cas, ce qui est trop compliqué. L’établissement du registre ne signifie pas que les entreprises multinationales privées et les ONG seront mises sur le même plan – je suis d’accord avec vous pour dire que ce n’est pas possible. En la matière, nous avons un modèle au Parlement européen, dont le registre comporte plusieurs catégories.
M. Bertrand Pancher. Je ne suis pas d’accord avec Delphine Batho. Il n’y a pas d’organisation plus légitime que d’autres. Je suis, au contraire, pour une ouverture complète, dans un souci de transparence.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle est saisie de l’amendement CL492 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la référence aux personnes physiques à l’alinéa 1er pour ne plus les mentionner qu’à l’actuel alinéa 6. Cela nous fera gagner en clarté tout en nous permettant de prendre en compte les lobbyistes exerçant leur activité de manière individuelle. Nous répondons ici à une demande formulée par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Ce qui nous intéresse, ce n’est pas de savoir si un grand groupe est représenté par M. Durand ou M. Dupont, mais de déterminer quel grand groupe a tenté d’influer sur la décision publique. Néanmoins, le répertoire fera mention des personnes physiques représentant une personne morale.
M. Charles de Courson. Permettez-moi de ne pas être d’accord avec vous : les lobbyistes professionnels ne sont pas tous organisés sous forme de société. Pour quelle raison repousser la mention des personnes physiques à l’alinéa 6 ?
M. le rapporteur. Nous voulons clarifier la rédaction : nous visons d’abord les personnes morales. Nous ne voulons pas que les simples citoyens soient pris en compte, sinon nous devrions créer un répertoire avec des millions d’entrées potentielles, incluant notamment les personnes qui nous envoient des mails par centaines pour nous inciter à adopter telle ou telle position sur un texte en examen.
Je vous demande de me faire confiance. Cette modification est de nature rédactionnelle. Nous poursuivons le même but.
La Commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL153 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Cet amendement se propose de modifier la définition de l’activité des représentants d’intérêts prévue par l’alinéa 1er.
Tout d’abord, il supprime le mot « régulièrement » : l’activité de représentation d’intérêts peut tout aussi bien être occasionnelle. Un grand banquier d’affaires issu de l’inspection générale des finances ne sollicitant Bercy qu’une fois par an ne devrait-il pas aussi être visé par le texte ?
Ensuite, il supprime la restriction aux personnes de droit privé, qui risque de créer une rupture d’égalité non conforme à la Constitution. De nombreux établissements publics industriels et commerciaux se situent, par définition, dans le champ concurrentiel : pensons à la RATP, à la SNCF, à l’Union des groupements d’achats publics (UGAP), au Commissariat à l’énergie atomique. Peut-on raisonnablement penser qu’ils ne représenteraient pas des intérêts ?
M. le rapporteur. Je vous rejoins sur l’adverbe « régulièrement ». Je l’ai d’ailleurs supprimé dans la nouvelle rédaction que je propose dans un amendement ultérieur.
J’ai opté pour une définition essentiellement matérielle, qui cerne ce que recouvre l’activité des représentants d’intérêts. Ce parti me semble préférable à la tentative d’une définition organique. Les termes « en tant que conseil ou représentant d’entreprise ou d’organisation » que vous avez choisis, monsieur Marleix, introduisent un flou qui serait source de difficultés d’interprétation. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme Delphine Batho. Dans un amendement ultérieur, je propose également de supprimer le mot « régulièrement ».
Dans votre amendement, monsieur Marleix, vous supprimez la référence au droit privé, ce qui revient à considérer qu’un établissement public de recherche peut s’apparenter à un lobby. Cela ferait du répertoire un grand fourre-tout qui détournerait l’attention des lobbies qui pèsent véritablement sur la décision publique à des fins d’intérêts financiers et commerciaux. Cette confusion est non seulement grave au regard des principes républicains, mais elle nuit à l’efficacité du dispositif de lutte contre la corruption.
M. Charles de Courson. L’hypothèse implicite de Mme Batho, c’est de postuler que les lobbyistes n’existent que dans le privé. Mais, ma chère collègue, il y a aussi des lobbyistes dans le secteur public, vous en faites vous-même l’expérience. Ne recevez-vous pas des messages des représentants de la SNCF ?
Mme Delphine Batho. Et le CEA ?
M. Charles de Courson. Le CEA est un établissement public, qui comprend une direction des relations publiques comme la plupart des établissements publics ou des groupes privés. Il est normal que l’on traite tout le monde de la même façon. Je ne suis pas du tout d’accord avec votre approche.
M. le rapporteur. Les choses sont claires : les établissements publics intégrés dans le champ des acteurs visés par le répertoire ne sont que les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), qui sont assimilables à des entreprises privées.
M. Charles de Courson. Pourraient être dans le même cas des établissements consulaires ou des établissements comme le CEA, curieux hybride d’EPIC et d’établissement public administratif.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL177 de M. Olivier Marleix et CL237 de M. Charles de Courson, l’amendement CL182 de M. Bertrand Pancher et l’amendement CL493 du rapporteur, qui fait l’objet du sous-amendement CL679 de M. Lionel Tardy.
M. Olivier Marleix. L’amendement CL177 vise à supprimer la restriction de la définition au droit privé.
M. Charles de Courson. Si nous n’adoptons pas une définition large, nous nous heurterons à un problème : quel découpage opérer à l’intérieur du secteur public entre les personnes morales qui relèvent de la définition et celles qui n’en relèvent pas ?
M. le rapporteur. Adopter ces amendements nous ferait aller dans un sens que le Conseil constitutionnel n’acceptera pas. Il y a une limite à ne pas franchir : on ne peut considérer comme étant des représentants d’intérêts les collectivités locales ou l’État lui-même. Avis très défavorable.
Mme Delphine Batho. Je suis favorable à un dispositif très lourd, dont je me suis attachée à définir les contours à travers toute une série d’amendements : un dispositif au périmètre bien défini permettant d’aller très loin dans les mesures de contrôle des stratégies d’influence, des budgets qui y sont consacrés, et comportant des dispositions comparables à celles adoptées pour les lobbies du tabac dans la loi « santé » de 2016.
Supprimer la référence au droit privé, c’est mélanger tout le monde dans un même salmigondis. Or les établissements publics ne peuvent être considérés de la même manière que les entreprises privées. Prenons le cas d’un établissement public dépendant du Gouvernement : comment soutenir qu’il pourrait tenter de mener une stratégie d’influence à l’égard du Gouvernement, à l’instar d’un lobby ? Si problème il y avait, ce serait à l’intérieur même de l’appareil d’État.
Que des dispositions de nature organique rendent obligatoire la mention de toutes les personnes ayant été auditionnées ou ayant écrit des messages dans le cadre de travaux préparatoires à une loi ou un décret, y compris celles appartenant aux établissements publics, aux établissements de recherche, ou aux ONG, j’y suis mille fois favorable. Mais dans le cas qui nous occupe, il s’agit de définir des obligations qui s’appliqueraient aux entreprises privées identifiées comme souhaitant influer sur la décision publique.
Je suis favorable à ce que nous instaurions un dispositif permettant de déterminer clairement la volonté du secteur privé d’influer sur la décision publique.
M. Bertrand Pancher. Mon amendement CL182 est analogue aux précédents.
M. Lionel Tardy. Poser une bonne définition est une condition indispensable si l’on veut réguler correctement les activités de lobbying. Dans sa rédaction, le Gouvernement se limitait aux personnes morales de droit privé ; le rapporteur propose une extension aux EPIC et aux groupements d’intérêt public, partant du principe que, dans le secteur public, seuls peuvent être considérés comme représentants d’intérêts ceux qui agissent dans un domaine économique et concurrentiel. Je ne partage pas cette position. Le but de ce répertoire est de rendre l’élaboration des décisions publiques aussi transparente que possible. Pour chercher à influer sur les décisions, point n’est besoin de défendre des intérêts commerciaux et concurrentiels. Le cas des agences d’État ou des autorités administratives indépendantes ne doit pas être évacué. Tel est le sens de mon sous-amendement CL679.
M. le rapporteur. Je suis défavorable aux amendements CL177, CL237 et CL182 et au sous-amendement CL679.
Nous touchons là à la délimitation entre intérêt général et intérêt privé, qui sont intrinsèquement différents. Une autorité administrative indépendante défend, à mon sens, l’intérêt général.
En outre, se poserait un problème de circularité de la définition. Si l’on adoptait l’extension que vous proposez, le président d’une autorité indépendante rentrant en contact avec le président d’une autre autorité indépendante serait obligé de s’inscrire dans le répertoire. Et cette obligation inclurait jusqu’au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui a en charge la gestion dudit registre !
M. Charles de Courson. Je suis d’accord avec votre amendement, monsieur le rapporteur, mais j’ai cru comprendre que vous excluiez les collectivités territoriales. Il y a pourtant de nombreux lobbies de collectivités territoriales. Il suffit de penser à l’Association des maires de France.
Mme Sandrine Mazetier. Le premier lobby, monsieur de Courson, c’est le cumul des mandats !
M. Bertrand Pancher. Et la SNCF, qui est un État dans l’État ?
M. le rapporteur. Comme il s’agit d’un EPIC, elle est bel et bien prise en compte, monsieur Pancher.
M. Charles de Courson. Qu’en est-il du CEA ?
Mme Delphine Batho. Croyez-moi, ce n’est pas le CEA qui est le plus fervent défenseur des intérêts du lobby du nucléaire en France. Je pourrai vous raconter bien des choses un jour.
La Commission rejette successivement les amendements identiques CL177 et CL237, l’amendement CL182 et le sous-amendement CL679.
Enfin, elle adopte l’amendement CL493.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL494 du rapporteur, CL466 de Mme Delphine Batho, CL261 de M. Charles de Courson, CL183 de M. Bertrand Pancher, les amendements identiques CL154 de M. Olivier Marleix et CL322 de Mme Sandrine Mazetier, les amendements CL155 de M. Olivier Marleix et CL465 de Mme Delphine Batho.
M. Sébastien Denaja, rapporteur. L’amendement CL494 supprime la référence à la « décision publique », introduite sur la suggestion du Conseil d’État, car elle apparaît trop large. Elle engloberait en effet des décisions administratives individuelles. Lui sont préférés les termes de « politiques publiques », plus appropriés à l’objectif que nous visons : mettre en évidence les activités destinées à influer sur des décisions d’ordre général et impersonnel, telles que les lois et les actes réglementaires.
Mme Delphine Batho. Pour ma part, l’expression « décision publique » me parait plus adéquate et moins restrictive. Les lobbies peuvent chercher à influer sur des décisions de diverses natures, par exemple sur la position de la France dans des dossiers de nature internationale. Ne doivent donc pas seulement être visées les activités liées à la définition des politiques publiques.
M. le président Dominique Raimbourg. Ces arguments sont-ils de nature à modifier votre position, monsieur le rapporteur ?
M. le rapporteur. Non : j’estime que nous sommes allés au bout de l’expertise juridique sur ces sujets. Une politique publique est définie en sciences politiques comme une « grappe » de décisions publiques. Il s’agit pour nous de préciser l’intention du législateur, lequel n’entend pas prendre en compte les décisions individuelles.
Soulignons au passage que cet amendement satisfait une demande exprimée par Mme Batho et M. Marleix, puisqu’il supprime l’exigence d’un exercice régulier de l’activité d’influence.
M. Olivier Marleix. Je me félicite en effet de la suppression de l’adverbe « régulièrement » et salue la volonté du rapporteur d’exclure les décisions individuelles, dont la mention serait problématique pour les collectivités locales. En revanche, le terme « notamment » m’apparaît d’une qualité législative douteuse : je m’étonne que le Conseil d’Etat ait recommandé son emploi...
Mme Delphine Batho. Dans l’exposé sommaire, monsieur le rapporteur, vous citez l’attribution du permis de construire parmi les décisions individuelles qui pourraient être qualifiées de « décisions publiques ». L’exemple me paraît mal choisi, puisqu’il s’agit justement d’une des nombreuses décisions d’espèce susceptibles d’être influencées par des lobbies, tout comme les autorisations de projet ou celles relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
M. le rapporteur. Dans ces cas, il est aisé de retracer le processus décisionnel, puisque la demande est déposée par le bénéficiaire de la décision. Par ailleurs, de nombreuses décisions individuelles se fondent sur une base réglementaire ou législative. Je maintiens que la référence à la décision publique comporte un risque juridique, car elle recouvre un champ beaucoup trop large. Je reprends ici une réflexion de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui aura la charge de tenir le répertoire.
Il faut avoir la modestie de reconnaître que nous changeons de culture et que nous aurons à évaluer les dispositions que nous aurons votées.
La Commission adopte l’amendement CL494.
En conséquence, les amendements CL466, CL261, CL183, CL154, CL322, CL155 et CL465 tombent.
La Commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL238 de M. Charles de Courson et CL436 de Mme Delphine Batho.
M. Charles de Courson. Nous proposons d’inclure dans la liste des personnes susceptibles d’être l’objet d’activités d’influence le Président de la République et le Premier ministre – les termes « membre du Gouvernement » pourraient laisser planer un doute sur le fait qu’ils figurent bien dans cette liste.
Mme Delphine Batho. Mon amendement vise simplement à ajouter le Président de la République, sachant que le Premier ministre est membre du Gouvernement.
M. le rapporteur. Je suis défavorable aux deux amendements.
Le Premier ministre est nécessairement visé par les termes « membres du Gouvernement ».
S’agissant de la mention du Président de la République, je fais mien l’avis du Conseil d’État selon lequel le statut du Président de la République relève de la seule Constitution. Souvenons-nous qu’à l’été 2012, alors que la majorité parlementaire croyait pouvoir voter la réduction de 30 % du traitement du Président de la République, le Conseil constitutionnel avait précisé que cette décision ne pouvait être prise que par décret – lequel a d’ailleurs bien été signé par François Hollande.
M. Charles de Courson. J’entends votre propos, monsieur le rapporteur, mais j’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi il est fait mention au 2° de l’« un des collaborateurs du Président de la République ».
Mme Delphine Batho. L’argument constitutionnel n’est pas recevable dans la mesure où ma proposition n’affecte ni la fonction ni le statut du Président de la République : elle vise uniquement les représentants d’intérêts susceptibles d’entrer en communication avec lui pour l’influencer.
M. le rapporteur. Moi, j’écoute le Conseil d’État lorsqu’il suggère de ne pas ajouter le Président de la République. Passer outre son avis augmenterait les risques de censure du Conseil constitutionnel. Or je ne veux pas fragiliser cet important article dès son premier alinéa.
Quant aux collaborateurs du Président, leur statut ne relève pas de la Constitution. Il n’y a donc aucun problème pour que nous les incluions dans cette liste. Prendre en compte les tentatives menées pour les influencer, c’est, me semble-t-il, s’approcher de la personne du Président, puisque cela couvre une grande part du personnel de l’Élysée.
La Commission rejette successivement les deux amendements.
Elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CL495, les amendements de coordination CL496 et CL497, et les amendements de conséquence CL498 et CL499 du rapporteur.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL437 de Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Cet amendement vise à inclure parmi les fonctionnaires visés au 4° ceux soumis aux obligations prévues à l’article 5 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Rappelons que cet article oblige au dépôt d’une déclaration d’intérêts toute une série de hauts fonctionnaires, notamment ceux dirigeant des administrations impliquées dans des décisions économiques et financières.
M. le rapporteur. Pour des raisons de légistique, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, qui trouverait une meilleure place à un autre alinéa de l’article 13 ; si vous le redéposez en séance à cet endroit, j’émettrai un avis favorable. Je considère en effet qu’il est pertinent d’élargir le champ des fonctionnaires visés à ceux qui sont soumis à l’obligation de déclarations d’intérêts, et non pas seulement à l’obligation de déclaration de patrimoine comme je le propose dans mon amendement CL504 rectifié qui viendra en discussion plus loin.
L’amendement CL437 est retiré.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL189 de M. Bertrand Pancher, CL438 de Mme Delphine Batho, CL271 de M. Charles de Courson, les amendements identiques CL500 du rapporteur et CL357 de M. David Habib, les amendements CL150 et CL151 de M. Olivier Marleix, les amendements CL501 et CL503 rectifié du rapporteur.
M. Bertrand Pancher. Afin de viser toujours plus de transparence et de renouer un lien de confiance avec nos concitoyens, il convient d’élargir la définition du représentant d’intérêts, en ajoutant à la liste des interlocuteurs publics avec lesquels il fait profession d’entrer ou de chercher à entrer en communication les parlementaires et leurs collaborateurs – dans la mesure où une large part des amendements que nous déposons sont inspirés par les organisations et associations que nous sommes amenés à rencontrer – mais aussi les représentants de la France auprès d’institutions communautaires ou internationales, les directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet des autorités territoriales, et les membres du Conseil d’État.
M. le rapporteur. S’agissant des représentants de la France auprès d’institutions communautaires ou internationales, vous avez satisfaction à l’alinéa 5, qui vise les emplois soumis à la décision du Gouvernement et pourvus en conseil des ministres, ce qui inclut notamment les ambassadeurs.
S’agissant des parlementaires, vous aurez satisfaction grâce aux amendements que David Habib défendra en sa qualité de président de la délégation du Bureau chargée des représentants d’intérêts.
Enfin, pour ce qui est des collectivités territoriales, vous aurez satisfaction grâce à mes propres amendements.
En revanche, je suis défavorable à l’inclusion des membres du Conseil d’État. Outre qu’il faudrait opérer une distinction entre les membres des sections consultatives et ceux de la section du contentieux, les avis qu’il rend sont déjà entourés d’une large publicité et cette institution est marquée par un effort croissant de transparence.
M. Bertrand Pancher. Je retire donc avec plaisir mon amendement.
L’amendement CL189 est retiré, de même que l’amendement CL438.
M. Charles de Courson. Je retire également mon amendement, car j’ai en grande partie satisfaction. Nous laisserons provisoirement les membres du Conseil d’État à l’extérieur de cette liste, même si chacun sait que les lobbies peuvent exercer leurs activités à leur endroit.
L’amendement CL271 est retiré.
M. David Habib. Les représentants des groupes Socialiste, écologiste et républicain, Gauche démocrate et républicaine et Radical, républicain, démocrate et progressistes au Bureau de l’Assemblée nationale ont proposé aux membres des groupes Union des démocrates et indépendants et Les Républicains de se joindre à eux pour rédiger et signer cet amendement. Je le précise afin de témoigner de la volonté du Président de l’Assemblée nationale d’associer toutes les sensibilités politiques à l’élaboration du dispositif visant à créer un répertoire commun aux pouvoirs publics – exécutif, Sénat et Assemblée nationale.
La mesure sera déclinée dans huit autres amendements afin d’élargir le champ des exigences dans le domaine de la déontologie, mais aussi quant au contenu du répertoire et aux conditions de saisine de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
M. Olivier Marleix. Il faut rappeler que c’est une majorité précédente qui a créé le répertoire de l’Assemblée nationale. Le Gouvernement ne fait que rattraper son retard. Il me semble d’ailleurs que l’Assemblée nationale est en avance par rapport à lui puisqu’elle est dotée d’un déontologue, alors que l’équivalent n’existe pas pour les services de l’État.
Notre réserve porte sur le principe de séparation des pouvoirs ; c’est à ce titre que le Président de la République a été laissé à part. Or on voudrait soumettre le travail parlementaire au contrôle d’une autorité dont le président est nommé par le chef de l’État. Ce dispositif n’est pas satisfaisant au regard de l’indépendance des assemblées parlementaires. J’entends bien que le rapporteur prend des précautions en proposant que la saisine de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique intervienne à l’initiative du Bureau de chaque assemblée, mais rien n’empêchera la Haute Autorité de connaître, à travers ce répertoire, des relations de travail des membres du Parlement avec des personnes extérieures.
Le Conseil d’État ne s’est pas ému de cette situation, il est vrai, mais la question du respect du principe de séparation des pouvoirs nous a détournés de cosigner cet amendement.
M. le rapporteur. La rédaction retenue pour l’amendement CL500 nous préserve de tout risque d’atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Nous avons d’ailleurs consulté le déontologue de l’Assemblée nationale, qui a su nous prodiguer quelques conseils en tant que professeur de droit public.
Le Conseil d’État nous incite à recourir à ce registre commun. On comprendrait mal qu’il existe un registre pour chaque assemblée plus un registre pour le Gouvernement et un autre pour le Parlement européen.
Je rappelle que ce texte fait reposer l’essentiel des contraintes sur les représentants d’intérêts, qui sont aussi des acteurs économiques que l’on ne peut traiter a priori comme des corrupteurs en puissance, et à qui l’on ne va pas demander de remplir les mêmes formalités trois fois !
M. David Habib. Le vice-président Marc Le Fur avait bien lancé la création de ce registre sous la présidence de M. Accoyer, mais chacun sait qu’elle ne s’est réellement concrétisée que par la volonté de M. Claude Bartolone, relayé par Christophe Sirugue qui m’a précédé à cette vice-présidence et a finalisé le registre.
M. Marleix omet de rappeler que le Sénat a refusé la proposition d’un registre commun aux deux assemblées… Par ailleurs, je confirme les propos du rapporteur : aucune contrainte ne pèse sur les parlementaires, toutes visent les représentants d’intérêts. En effet, le Bureau ne souhaite pas que les parlementaires soient l’objet d’une surveillance exercée par une Haute Autorité relevant d’une désignation du Président de la République.
Il est vain, me semble-t-il, de chercher à tout prix à briser l’unanimité qui aurait pu se faire autour de cette rédaction.
M. Charles de Courson. Le groupe UDI est favorable au registre unique, car la multiplication des registres serait inutile. La préoccupation légitime exprimée par M. Marleix ne tient pas au regard des engagements pris.
La Commission adopte les amendements identiques CL500 et CL357.
M. Olivier Marleix. Je ne comprends pas les réserves du rapporteur vis-à-vis de l’inclusion des membres du Conseil d’État, que mon amendement CL150 tend à introduire. Ceux-ci, en effet, délibèrent sur les projets de loi. Il suffit de vous écouter, monsieur le rapporteur, pour constater à quel point vous vous en remettez aux avis du Conseil ! Considérer ses membres comme des êtres purs et vierges de tout soupçon de tentative d’influence me paraît angélique. Les conseillers d’État tiennent une place éminente au sein du processus législatif, qu’il ne s’agit pas de remettre en cause, mais il faut aussi garantir la pleine efficacité du processus.
Mme Sandrine Mazetier. L’empreinte normative du Conseil d’État est bien concrète, puisqu’il a la capacité de supprimer des articles entiers de projets de loi. Mais, depuis peu, et parce que le Président de la République a accédé à notre demande, les avis du Conseil d’État sont publics, et le processus est transparent puisque consultable par tout citoyen sur internet.
M. le rapporteur. Je répète que je suis opposé à l’inclusion des membres du Conseil d’État dans le périmètre du registre ; il existe une dualité de fonctions au sein du Conseil et la séparation n’est pas étanche entre les sections consultatives et celle du contentieux.
J’observe que le Parlement européen n’a pas non plus inclus dans son registre les membres de la Cour de justice ou des autres organes juridictionnels de l’Union.
Le Conseil d’État tient un rôle important dans le processus normatif, c’est d’ailleurs là une spécificité française, mais l’institution offre elle-même des garanties, et des exigences particulières s’imposent à chacun de ses membres, ce qui les met à l’abri d’un certain nombre d’influences.
La Commission rejette l’amendement CL150.
M. Olivier Marleix. Dès lors que les parlementaires figurent dans le registre, je ne comprendrais pas que les membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) en soient absents, car eux aussi donnent des avis sur les projets de loi ou évaluent des dispositifs législatifs. Tel est l’objet de mon amendement CL151.
M. le rapporteur. Cette extension me semble excessive, car l’apport normatif du CESE n’est guère avéré ; dans la mesure où je fais partie de ceux qui souhaitent sa fusion avec le Sénat, je n’entends pas lui rendre un tel hommage…
La Commission rejette l’amendement CL151.
M. le rapporteur. L’amendement CL501 tend à insérer un alinéa incluant, dans le champ des acteurs publics concernés par l’entrée en relation avec les représentants d’intérêts, un collaborateur du président de l’Assemblée nationale, du président du Sénat, d’un député, d’un sénateur ou d’un groupe parlementaire ou un fonctionnaire des assemblées parlementaires. Il suffit en effet d’observer le déroulement d’une réunion de commission ou d’une séance dans l’hémicycle pour constater que les fonctionnaires parlementaires participent, d’une certaine façon, au processus législatif.
La Commission adopte l’amendement CL501.
M. le rapporteur. L’amendement CL503 rectifié étend le champ des acteurs publics concernés aux collectivités territoriales. Il n’était pas envisageable de laisser ces dernières hors du dispositif car, trente ans après leur création, elles constituent de véritables pouvoirs locaux qui ne sont pas à l’abri d’un certain nombre d’influences, alors même qu’elles prennent des décisions extrêmement lourdes.
Le Conseil d’État a regretté que le Gouvernement n’ait pas mentionné les collectivités territoriales dans le projet de loi et de ne pas avoir eu le temps de formuler lui-même des propositions.
Le champ retenu par l’amendement est celui déjà couvert par les déclarations d’intérêt et de patrimoine prévu par l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, car il fallait trouver un critère objectif afin de fixer un seuil.
Sont donc concernés les exécutifs locaux : présidents de conseils régionaux ou départementaux, maires de communes de plus de 20 000 habitants ou présidents d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant des recettes de fonctionnement est supérieur à 5 millions d’euros.
Sont également visés les conseillers régionaux et départementaux, les adjoints aux maires de communes de plus de 100 000 habitants, les vice-présidents d’EPCI à fiscalité propre dont la population excède 100 000 habitants, lorsqu’ils sont titulaires d’une délégation de signature.
Enfin, depuis la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, il faut ajouter les directeurs, directeurs-adjoints et chefs de cabinet des exécutifs locaux précités.
Je proposerai plus loin que ces dispositions n’entrent en vigueur qu’au 1er janvier 2018, mais je suis tout disposé à débattre d’une date ultérieure, car des milliers d’entrées dans le dispositif sont concernées.
Je propose en outre, dans un autre amendement, de préciser davantage les décisions réglementaires locales que nous souhaitons viser, car le champ risquerait d’être trop large ; ce qui importe, en effet, c’est que le dispositif soit lisible et intelligible.
La Commission adopte l’amendement CL503 rectifié.
M. le rapporteur. L’amendement CL504 rectifié devra être complété par l’amendement CL437 de Mme Batho, afin d’allonger la liste des fonctionnaires soumis à déclaration d’intérêts, car le mien ne mentionne que les fonctionnaires soumis à déclaration de patrimoine.
La Commission adopte l’amendement CL503 rectifié.
Les amendements identiques CL178 de M. Olivier Marleix et CL239 de M. Charles de Courson sont retirés.
La Commission adopte l’amendement CL505 rectifié du rapporteur.
En conséquence, les amendements CL260 de M. Charles de Courson, CL184 de M. Bertrand Pancher, CL156 de M. Olivier Marleix et CL185 de M. Bertrand Pancher tombent.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL240 de M. Charles de Courson et CL439 de Mme Delphine Batho.
M. Charles de Courson. Mon amendement vise à supprimer les dispositions qui excluent de la définition des représentants d’intérêts les élus dans l’exercice de leur mandat, les partis et groupements politiques, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs.
En conséquence de l’adoption, voici un instant, de l’amendement CL503 rectifié du rapporteur, il convient de réintégrer dans la liste les élus dans l’exercice de leur mandat. En revanche, les partis et groupements politiques posent problème : faut-il les exclure ?
Mme Sandrine Mazetier. Bien entendu !
M. Charles de Courson. Si un lobby vient influencer un parti politique, cela ne revient-il pas à peser sur les élus eux-mêmes ?
S’agissant des organisations syndicales, la distinction pratiquée entre la fonction d’acteur du dialogue social par rapport à leurs autres fonctions paraît singulièrement ténue ; dans ces conditions, l’exclusion de ces organisations ne semble pas crédible.
Je comprends mal par ailleurs pourquoi les associations cultuelles ne sont pas mentionnées.
Mme Delphine Batho. Mon point de vue est strictement inverse de celui de M. de Courson : dans ce débat, la notion de lobby fait l’objet de la plus totale confusion, et tout le monde se voit rangé sous cette bannière. De ce fait, les vrais lobbyistes seront noyés dans un magma au sein duquel on ne les reconnaîtra pas.
Je suis pour la traçabilité des décisions publiques de l’ensemble des personnes concernées, mais, en ce qui concerne le registre ainsi que les obligations qu’il emporte, il ne faut pas confondre les représentants d’intérêts économiques et les acteurs du débat démocratique concourant à l’intérêt général que sont les associations, les syndicats et les partis politiques.
M. le rapporteur. Nous sommes confrontés à deux logiques radicalement différentes. Si les élus ont été exclus de la liste, c’est parce que, comme l’a considéré le Conseil d’État, les regarder comme des représentants d’intérêts compliquerait singulièrement le fonctionnement de la République. L’article 4 de la Constitution disposant que les partis politiques concourent à l’expression du suffrage universel, leur exclusion est justifiée.
Concernant les syndicats, je proposerai un compromis consistant à les exclure de la liste des représentants d’intérêts au titre des actions qu’ils mènent dans le cadre de l’article L. 1 du code du travail, même si je n’ignore pas que d’aucuns souhaiteraient qu’organisations syndicales et patronales fassent l’objet d’un traitement différencié.
Par ailleurs, si les associations cultuelles devaient être incluses dans la liste des représentants d’intérêts, il faudrait exclure les relations habituelles qu’elles entretiennent avec le ministère de l’Intérieur, qui est chargé des cultes.
Je suis donc défavorable à l’amendement CL240 de M. de Courson, qui pose bien des problèmes faisant l’objet de très fortes réserves de la part du Conseil d’État.
L’amendement de Mme Batho tend à revenir au dispositif de l’avant-projet, à l’exception près de la mention des associations à but non lucratif. À ce stade, je ne suis pas prêt à émettre un avis favorable, car j’ai proposé des améliorations du texte qui concernent les associations cultuelles ainsi que les organisations représentatives de salariés. Il me semble toutefois que nous ferions œuvre utile si nous parvenions à reformuler votre proposition, madame Batho, car je partage votre préoccupation de mettre de côté les associations à but non lucratif reconnues d’intérêt général – même si le départ est difficile à établir.
Mme Delphine Batho. Il serait tout de même contestable d’exclure les associations cultuelles et d’inclure les associations représentées au Conseil national de la transition écologique. De la même façon que le ministre de l’Intérieur consulte les associations cultuelles, de nombreuses instances incluant beaucoup d’acteurs sociaux et associatifs concourent au dialogue social ainsi qu’au dialogue social environnemental.
Je suggère que nous trouvions pour la séance publique une rédaction de nature à lever cette difficulté.
M. le président Dominique Raimbourg. Excellente suggestion ! Retirez-vous votre amendement ?
Mme Delphine Batho. Pas à ce stade, monsieur le président.
La Commission rejette successivement les amendements CL240 et CL439.
Elle adopte successivement, suivant l’avis favorable du rapporteur, l’amendement CL186 de précision de M. Bertrand Pancher et l’amendement CL157 de M. Oliver Marleix.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL136 de M. Lionel Tardy et CL187 de M. Bertrand Pancher, ainsi que les amendements CL324 de Mme Sandrine Mazetier et CL506 du rapporteur.
M. Lionel Tardy. Je ne vois pas au nom de quoi les partenaires sociaux seraient exclus du champ des représentants d’intérêts ; le projet de loi sur le code du travail en donne un exemple flagrant : ces organismes interviennent bien pour influencer la décision politique.
Il serait extrêmement complexe de distinguer les cas où ils rencontrent les décideurs publics en tant qu’acteurs du dialogue social ou en tant que représentants d’intérêts. Le cadre des diverses discussions paritaires échappe à ce texte. Pour le reste, les organisations représentatives, patronales comme syndicales, doivent figurer dans la liste, et toute distinction serait inégalitaire.
M. Bertrand Pancher. Il est indispensable de revenir sur l’exclusion des organisations représentatives de salariés ainsi que des organisations professionnelles d’employeurs que les décideurs publics rencontrent régulièrement.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Cette exclusion est justifiée par le fait que les syndicats salariés et patronaux ont une fonction de négociation collective consacrée par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Je vous proposerai, en revanche, de circonscrire cette exclusion, en la bornant au seul dialogue social au sens de l’article L. 1 du code du travail.
Le registre européen consacre la même exception, ce qui constitue une bonne référence dont nous pourrions nous inspirer.
Mme Sandrine Mazetier. Parce que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, et non capitalistique, je propose que les organisations syndicales de salariés soient exclues du champ de la notion de représentant d’intérêts, mais non pas les organisations professionnelles d’employeurs qui représentent effectivement des intérêts privés.
M. le rapporteur. Je laisserai nos collègues de la majorité prendre leurs responsabilités à ce sujet. Il me semble qu’un parallélisme existe entre les deux, particulièrement au regard de l’article L. 1 du code du travail. Je m’en remets toutefois à la sagesse de la Commission.
M. Charles de Courson. Si cet amendement est adopté, nous attaquerons la disposition devant le Conseil constitutionnel, qui annulera l’article en totalité. Dans un pays libre, il n’est pas possible d’établir une discrimination entre les organisations patronales et de salariés, car elles sont toutes légitimes…
Mme Sandrine Mazetier. La question n’est pas celle de la légitimité ou de l’illégitimité, mais celle du rang constitutionnel des uns et des autres. Tout à l’heure, M. Marleix a fait valoir l’article 4 de la Constitution pour exclure les partis politiques, et nous l’avons approuvé. Or, l’article 1er de la Constitution dispose que la France est une République sociale…
M. le président Dominique Raimbourg. Je vous propose d’écouter le rapporteur, dont l’amendement va peut-être résoudre toutes les difficultés.
M. le rapporteur. Il s’agit, en renvoyant à l’article L. 1 du code du travail, d’exclure les organisations représentatives patronales et de salariés au titre des seules relations de dialogue social qu’elles entretiennent. Il me semble préférable qu’un équilibre existe entre les unes et les autres, même si la pratique, j’en suis certain, ne manquera pas de montrer que ni l’empreinte normative ni les sommes déployées ne sont les mêmes de part et d’autre… C’est la transparence qui permettra de déterminer les pouvoirs d’influence respectifs de ces deux types d’organisations.
M. le président Dominique Raimbourg. Madame Mazetier, êtes-vous convaincue ?
Mme Sandrine Mazetier. Aucunement. Il s’agit d’un amendement du groupe Socialiste, écologiste et républicain, je ne le retire donc pas.
M. Olivier Marleix. Je me satisfais de l’amendement du rapporteur, et voudrais simplement rappeler à Mme Mazetier que, notre République étant sociale, elle est fondée sur le paritarisme, et que tous nos organismes sociaux sont gérés de cette façon par les syndicats d’employeurs comme de salariés. Vous ne pouvez donc pas provoquer une rupture de l’égalité entre ces deux acteurs du dialogue social.
La Commission rejette les amendements identiques CL136 et CL187.
Puis elle adopte l’amendement CL324.
En conséquence, l’amendement CL506 tombe.
La Commission examine en discussion commune les amendements identiques CL188 de M. Bertrand Pancher et CL323 de Mme Sandrine Mazetier, ainsi que les amendements CL507 du rapporteur et CL158 de M. Olivier Marleix.
M. Bertrand Pancher. Mon amendement vise à ne pas exclure, comme le texte le prévoit, les associations à objet cultuel de la définition des représentants d’intérêts dans la mesure où ils jouent aussi un rôle d’influence sur la décision publique. J’attire votre attention sur le fait que nous sommes en passe d’établir une très belle, mais très vaine procédure, car le registre ne concernera que quelques entreprises et associations. Il est regrettable d’en exclure un certain nombre d’acteurs dont l’une des activités principales consiste à faire valoir leur point de vue.
Mme Sandrine Mazetier. L’amendement que je défends est celui du groupe Socialiste, écologiste et républicain, qui considère qu’il n’y a aucune raison d’exclure les associations à objet cultuel du champ de la notion de représentants d’intérêts.
M. le rapporteur. Je crois pouvoir proposer une bonne articulation d’intérêts parfois contradictoires.
Nous ne pouvons pas totalement exclure les associations à objet cultuel, mais les inclure y compris au titre des relations qu’elles entretiennent avec le ministère chargé des cultes me paraît être source de difficulté. C’est pourquoi je suggère de ne pas supprimer l’alinéa, mais de restreindre sa portée aux relations qu’elles entretiennent avec le ministre chargé des cultes, notamment parce qu’il s’agit quasi exclusivement de questions d’organisation.
M. Charles de Courson. Prenons garde au cas de l’Alsace et de la Moselle, qui vivent sous le régime du concordat !
M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur Pancher, êtes-vous satisfait par l’amendement du rapporteur ?
M. Bertrand Pancher. Tout à fait.
M. le président Dominique Raimbourg. Madame Mazetier, maintenez-vous votre amendement ?
Mme Sandrine Mazetier. Je vous ferai la même réponse que précédemment.
M. Olivier Marleix. Mon amendement, qui n’est pas aussi restrictif que celui du rapporteur, tend à rappeler ce qu’est une association à objet cultuel et à introduire une référence au statut des associations relevant de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
M. le rapporteur. Je suis à la fois rapporteur et membre du groupe Socialiste, écologiste et républicain comme Mme Mazetier, dont je partage les propositions, mais je propose, afin de ménager la plus grande collégialité possible, d’adopter mon amendement et de poursuivre ce débat en séance publique.
Mme Sandrine Mazetier. Je considère l’inverse…
La Commission adopte les amendements identiques CL188 et CL323.
En conséquence, les amendements CL507 et CL158 tombent.
La Commission est saisie de l’amendement CL270 de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Cet amendement vise à étaler sur trois ans l’entrée en vigueur de ces dispositions, afin d’éviter l’engorgement de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
M. le rapporteur. Cette préoccupation est satisfaite, même si nous divergeons sur les dates, par mon amendement CL567, que j’ai annoncé en présentant l’amendement CL503 rectifié, et qui tend à reporter l’entrée en vigueur du dispositif applicable aux collectivités territoriales au 1er janvier 2018. Nous disposerons ainsi de plus d’un an pour la prise en compte des spécificités de ces collectivités ; ce délai peut par ailleurs évoluer à l’occasion du débat dans l’hémicycle.
Je vous propose donc de retirer cet amendement.
L’amendement est retiré.
La Commission étudie l’amendement CL241 de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Le présent amendement propose de rappeler les objectifs auxquels doit répondre l’encadrement des échanges entre représentants d’intérêts et décideurs publics : garantir l’équité d’accès aux décideurs publics, l’intégrité des échanges et la traçabilité de la décision publique.
M. le rapporteur. Je comprends l’objectif visé, mais, si l’amendement a le mérite de préciser l’intention du législateur, il n’a aucune portée normative : je souhaite donc son retrait.
M. Charles de Courson. Lorsque des contentieux surviendront, nous apprécierons que les juridictions puissent s’appuyer sur la définition de nos trois objectifs, qui nous sont communs.
La Commission rejette l’amendement.
Elle aborde ensuite, en discussion commune, les amendements CL242 de M. Charles de Courson, CL190 de M. Bertrand Pancher, CL358 de M. David Habib faisant l’objet du sous-amendement CL508 rectifié du rapporteur, CL440 de Mme Delphine Batho, CL160 et CL161 de M. Olivier Marleix.
M. Charles de Courson. Je propose de compléter la liste des informations devant être transmises par les personnes exerçant les fonctions mentionnées au I du présent article, et de préciser le contenu des publications auxquelles elles sont astreintes en y ajoutant le budget annuel et le budget consacré aux activités couvertes par ce Registre, les affiliations à des organisations, réseaux ou fédérations, ainsi que le rapport annuel concernant les activités conduites sur les différents domaines d’intérêt.
M. le rapporteur. Avis défavorable, car cet amendement sera satisfait par l’amendement CL358, déposé par M. David Habib au nom du Bureau de l’Assemblée nationale.
Je reconnais qu’une divergence subsiste au sujet de la publication des positions transmises. En tout état de cause, avant l’examen du texte en séance publique, nous devrons trouver un accord sur ce que pourra être la restitution normative. De fait, l’expression « positions transmises » me paraît trop imprécise ; une nouvelle formulation devra être trouvée.
L’amendement CL242 est retiré.
M. Bertrand Pancher. Mon amendement CL190 va encore plus loin que celui de M. Charles de Courson, puisqu’il vise à compléter la liste des informations devant être transmises par les représentants d’intérêt à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique afin que les citoyens puissent mieux appréhender leurs actions, les arguments qu’ils utilisent ainsi que les propositions normatives qu’ils transmettent.
Cela garantirait une plus grande transparence des influences réelles sur l’élaboration des décisions. Cet amendement vise par ailleurs à prévenir les conflits d’intérêts en incluant, dans les informations à transmettre, le budget consacré par les lobbyistes à leurs activités ainsi que l’origine des fonds qui les alimentent.
J’ai pris connaissance de l’amendement CL358 de M. David Habib, qui toutefois n’entre pas assez dans le détail pour rassurer tous ceux qui ont le plus grand souci de la transparence.
M. le rapporteur. Nous ne souhaitons pas établir un simple annuaire, mais nous n’avons pas pour autant la prétention de rivaliser avec les Rougon-Macquart… (Sourires). Votre liste me semble exagérément longue, et nous ne voulons pas aboutir à un document illisible.
Par ailleurs, vous obtiendrez satisfaction sur un certain nombre de points, notamment sur la définition de ce qui constitue une dépense de lobbying, car elle pourra être précisée par voie réglementaire ou par la Haute Autorité elle-même. Il va de soi que les données financières relatives aux dépenses engagées dans les activités de lobbying doivent être connues, mais il n’est pas souhaitable que leur nomenclature détaillée soit figée dans la loi. Nous fixons des principes et des intentions dont le pouvoir réglementaire déterminera les détails.
Par ailleurs, je ne suis pas favorable à la publication des noms de tous les décideurs publics rencontrés, car ce serait trop intrusif.
La Commission rejette l’amendement CL190.
Mme Sandrine Mazetier. L’amendement CL358, qui émane du Bureau de l’Assemblée nationale – bien que tous ses membres ne l’aient pas cosigné –, vise à aligner les critères d’inscription dans le répertoire numérique des représentants d’intérêts sur ceux qui s’appliquent au registre de l’Assemblée nationale. De tels critères fournissent en effet des éléments précis concernant l’action des représentants d’intérêts et permettent à tous les citoyens, mais aussi à tous les décideurs publics, de retracer les interventions des lobbyistes au cours de l’élaboration de la loi, depuis son origine jusqu’à son adoption définitive par le Parlement.
M. le rapporteur. Par cohérence avec les dispositions que nous venons d’adopter, je vous propose, par le sous-amendement CL508 rectifié, d’étendre le champ d’application de cet amendement aux collaborateurs et fonctionnaires parlementaires.
M. Olivier Marleix. Notre amendement CL161 vise, quant à lui, à compléter les obligations déclaratives des représentants d’intérêts en ajoutant aux informations devant être communiquées le budget et les sommes allouées à l’action conduite. Puisque cet amendement tombera en cas d’adoption du précédent, peut-être pourriez-vous, monsieur le rapporteur, vous en emparer en sous-amendant de nouveau l’amendement CL358 ?
M. le rapporteur. C’est inutile : je proposerai plus loin une disposition concernant les rapports semestriels qui seront à présenter à la HATVP, rapports qui comprendront naturellement des données budgétaires. Votre préoccupation est donc partagée et satisfaite.
Mme Delphine Batho. En l’état, ce répertoire ne constituera qu’un progrès modeste et ne servira pas à grand-chose s’il ne permet pas de tracer les positions transmises par les représentants d’intérêts privés et s’il ne contient pas la liste des personnes auxquelles ils se sont adressés. Si nous nous bornons à indiquer leur domaine d’intervention, le nombre de personnes qu’ils emploient et les fédérations professionnelles auxquelles ils appartiennent, nous disposerons certes d’un beau répertoire, mais qui ne permettra pas de déceler l’influence d’intérêts privés sur des décisions publiques.
M. le rapporteur. Je ne puis laisser dire que ce répertoire n’est qu’un petit pas inutile ! Au contraire, c’est un grand pas fort utile, qui produira un profond changement de culture dans notre pays. Je suis déterminé à ce que ce répertoire, tel qu’il sera défini à l’issue de nos travaux, permette de tracer l’empreinte normative des représentants d’intérêts. Cependant, la notion de « position transmise » doit être clairement définie : s’agit-il simplement d’une brève synthèse, ou du recueil de l’ensemble des amendements suggérés par les intéressés ?
Je propose que nous conduisions une réflexion collective sur ce point car, au terme d’une cinquantaine d’heures d’auditions approfondies, je ne suis toujours pas convaincu qu’une telle expression conviendrait, tant elle présenterait de difficultés pratiques. Par principe, je suis favorable à ce que ce répertoire permette de restituer l’empreinte normative des représentants d’intérêts, mais nous devons en évaluer les conditions pratiques, quitte à ce que nous revoyions ensemble, madame Batho, cette disposition d’ici à la séance, en consultant la Haute autorité.
La Commission adopte successivement le sous-amendement CL508 rectifié et l’amendement CL358 ainsi sous-amendé.
En conséquence, les amendements CL440, CL160 et CL161 tombent.
La Commission examine l’amendement CL243 de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Cet amendement vise à modifier la rédaction de l’alinéa 15 pour préciser que les représentants d’intérêts exerçant leurs activités pour le compte de tiers déclarent seulement l’identité des clients pour lesquels cette activité est exercée. Ces activités, en effet, peuvent être exercées auprès de nombreuses organisations non concernées par le dispositif, puisqu’elles ne sont pas des décideurs publics.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL441 de Mme Delphine Batho et CL509 rectifié du rapporteur.
Mme Delphine Batho. Cet amendement est le plus important de tous ceux que j’ai déposés. Il vise à inscrire dans le présent texte les mêmes dispositions que celles qui figurent dans la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, suivant la proposition du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, M. Jean-Louis Nadal. Ce dernier, dans une tribune publiée par Le Monde, a souligné que, pour agir concrètement sur l’influence des lobbies, il n’y avait aucune raison de cantonner les dispositions de l’article 26 de la loi sur la santé au seul lobby du tabac ; il convient de les généraliser.
C’est le sens de cet amendement, en cohérence avec la définition précise des représentants d’intérêts que j’ai défendue à l’article 1er : pourquoi, en effet, obliger le seul secteur du tabac à communiquer des informations telles que la rémunération des personnels employés, les achats de prestations, les avantages en nature ou en espèces ou encore la rémunération d’experts alors que d’autres secteurs y échapperaient – les fabricants de pesticides et les laboratoires pharmaceutiques, par exemple, ainsi qu’une série d’autres secteurs industriels ?
M. le rapporteur. Je vous propose de vous rallier à l’amendement 509 rectifié, qui remplit votre objectif en prévoyant l’obligation, conformément à une recommandation de la Haute Autorité elle-même, de fournir des informations semestrielles plus précises que celles qui figureront dans le registre, et qui recouperont forcément celles que vous indiquez dans votre amendement. De plus, il est difficile de reprendre telles quelles des dispositions qui n’ont pas fait expressément l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
Les états semestriels contiendront des informations qualitatives et quantitatives bien plus substantielles que les données figurant dans le répertoire, en particulier le bilan des activités de représentation d’intérêts, le montant des dépenses et du chiffre d’affaires associés à ces activités et, surtout, les principales sources de financement de l’organisme concerné. Il existe en effet des associations – que vous souhaitiez exclure du champ du dispositif – qui sont en réalité les « faux nez » de lobbies, y compris des organisations non gouvernementales qui, bien qu’elles offrent le visage de la vertu, sont financées par de grandes banques internationales compromises dans des affaires de corruption ou d’évasion fiscale transnationale – raison pour laquelle il vaut mieux ne pas distinguer les associations des autres organismes aussi nettement que vous le souhaitiez.
En résumé, la présentation régulière de rapports semestriels est préférable à la communication d’informations dont vous ne précisez d’ailleurs pas à quelle fréquence elles seront mises à jour.
Mme Delphine Batho. J’appelle votre attention sur la contradiction manifeste entre l’amendement CL358 de M. Habib, qui vient d’être adopté et qui prévoit la communication d’informations concernant les actions menées l’année précédente et les budgets qui leur ont été alloués, et votre amendement CL509 rectifié qui prévoit la transmission d’un rapport semestriel.
Quant à votre argument relatif à la fréquence de mise à jour des informations, il n’est pas recevable, puisque les alinéas que je propose d’insérer suivent celui qui concerne la périodicité à laquelle les représentants d’intérêts sont tenus de communiquer leurs données.
Sur le fond, j’estime que nous devons être bien plus précis que nous ne le sommes. La question de la rémunération des experts, par exemple, est loin d’être anecdotique : nous avons ainsi découvert a posteriori que certains experts entendus par des commissions d’enquête parlementaires étaient rémunérés par telle ou telle entreprise.
M. le rapporteur. En signalant la légère contradiction qui existe entre l’amendement de M. Habib et le mien, vous touchez du doigt la difficulté du rôle qui est le mien sur un tel texte : croyez que je suis très attentif à élaborer celui-ci de telle sorte qu’il constitue, en séance, un socle de discussion aussi cohérent que possible. C’est justement parce que je souhaite aller plus loin que l’amendement CL358 que j’ai déposé l’amendement CL509 rectifié, quitte à mieux articuler les deux dispositifs par la suite.
Je comprends que vous souhaitiez imposer la communication d’informations aussi complètes que celles que vous proposez, mais votre proposition s’explique par la vision restreinte que vous avez des représentants d’intérêts.
Mme Delphine Batho. Restreinte, mais efficace !
M. le rapporteur. Ma vision est plus large : on ne saurait cibler de la même manière les lobbies internationaux du tabac et les représentants d’intérêts plus modestes.
Je vous propose à ce stade de vous rallier à mes amendements pour poursuivre nos échanges d’ici au débat en séance.
Mme Delphine Batho. Du point de vue des politiques publiques, rien ne justifie d’assujettir – à juste titre – le lobby du tabac à un régime strict de dépistage de son influence sur la décision publique sans y assujettir d’autres secteurs qui ont eux aussi une influence considérable en matière de santé publique ou encore de pollution.
La Commission rejette l’amendement CL441.
Elle adopte l’amendement CL509 rectifié.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL510 du rapporteur.
Elle en vient à l’amendement CL137 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Aucune précision n’étant apportée concernant la mise à jour du répertoire numérique des représentants d’intérêts, cet amendement vise à ce que la Haute Autorité l’actualise chaque année.
M. le rapporteur. Avis défavorable : cette précision relève du pouvoir règlementaire. Surtout, la Haute Autorité actualisera certainement le répertoire au fil de l’eau, et non pas une fois par an seulement.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL193 rectifié de M. Bertrand Pancher.
M. le rapporteur. Je suggère à l’auteur de cet amendement de le retirer, car il est satisfait par l’alinéa 17.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL511 et CL512 du rapporteur.
Puis elle examine l’amendement CL287 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Cet amendement vise à ce que la mission de conseil de la Haute Autorité englobe les relations qu’entretiennent les acteurs publics avec les représentants d’intérêts.
M. le rapporteur. L’alinéa 33 le prévoit déjà.
L’amendement est retiré.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL513 rectifié du rapporteur et CL359 de M. David Habib.
M. le rapporteur. Mon amendement est un amendement de conséquence, qui devrait satisfaire les auteurs de l’amendement CL359.
Mme Sandrine Mazetier. Nous nous y rallions.
L’amendement CL359 est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL513 rectifié.
Elle étudie ensuite l’amendement CL288 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Comme il a été souligné lors des débats relatifs aux lois sur la transparence, il convient d’instaurer un véritable lien entre les organes chargés de la déontologie au Parlement et la Haute Autorité – lien d’autant plus indispensable que l’on aboutira à terme à un registre commun. C’est pourquoi cet amendement vise à ce que la Haute Autorité réponde à toute demande concernant le répertoire qui lui sera adressée par le déontologue de l’Assemblée ou le comité de déontologie du Sénat.
M. le rapporteur. Des amendements ultérieurs de M. Habib satisferont votre demande.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL167 de M. Olivier Marleix et CL442 de Mme Delphine Batho.
M. Olivier Marleix. En l’état, le texte est très léonin : toutes les obligations portent sur les représentants d’intérêts, mais aucune ne concerne les personnes exerçant dans la sphère publique qu’ils sont susceptibles d’approcher. La moindre des obligations que nous pourrions imposer à ces personnes – y compris à nous-mêmes – consisterait à consulter le répertoire afin de s’assurer que les représentants d’intérêts qui les sollicitent sont effectivement déclarés et reconnus. Le répertoire aurait ainsi une utilité.
M. le rapporteur. J’ai beaucoup réfléchi à cette question. On peut légitimement s’interroger sur le fait de n’imposer des obligations qu’aux seuls représentants d’intérêts, et non à leurs interlocuteurs publics. Toutefois, le Conseil d’État a soulevé plusieurs obstacles auxquels se heurterait un dispositif réellement contraignant pour les acteurs publics, et son avis, que je vous invite à relire, est très clair : nous entraverions l’expression du suffrage ou l’action gouvernementale.
Inversement, un dispositif plus souple sous la forme d’une simple déclaration de principe, que j’ai envisagé un temps, serait non normatif. Quelles seraient les conséquences concrètes de la méconnaissance d’une disposition ne consistant qu’à « tenir compte » du répertoire ?
N’ayant pas encore trouvé de solution pleinement satisfaisante, je crois à ce stade – et à regret – qu’il est préférable, pour passer sous les fourches caudines du juge constitutionnel, de ne rien prévoir dans la loi. Il appartiendra ensuite à chaque institution, dans le respect de la séparation des pouvoirs et de l’autonomie des assemblées, de se doter en interne des règles permettant de donner corps à cet outil déontologique. En l’état, les obstacles juridiques sont trop importants pour que nous puissions espérer les lever dans le présent texte.
Mme Delphine Batho. Il n’est pas question de réciprocité des obligations entre représentants d’intérêts et décideurs publics, qu’ils soient élus, membres du Gouvernement ou hauts fonctionnaires. La véritable question est celle-ci : quelle est l’efficacité d’un registre que personne n’est obligé de consulter ? Les députés, par exemple, peuvent recevoir au cours des travaux parlementaires une série d’interlocuteurs qui n’y sont pas nécessairement inscrits. Il en va de même du système que nous inscrivons dans la loi. C’est pourquoi l’amendement CL442 vise à ce que les acteurs publics s’assurent que les représentants d’intérêts qui les sollicitent sont inscrits au registre.
J’ai pu constater, dans le cadre des travaux parlementaires que je mène sur l’affaire Volkswagen et le secteur automobile, que la Commission européenne, pour définir les normes de pollution, a notamment reçu des représentants d’intérêts sans les mentionner dans la liste obligatoire des entretiens, ce qui soulève la question des jeux d’influence qui ont lieu en coulisses – et renvoie au débat que nous avons eu sur la communication des agendas et de la liste des rendez-vous.
Encore une fois, plutôt que de s’interroger sur la réciprocité des obligations, mieux vaut questionner l’utilité d’un registre que personne ne consulte.
M. le rapporteur. Avis défavorable pour les mêmes raisons que sur l’amendement précédent. Je proposerai d’instituer une interdiction temporaire d’entrer en contact avec un interlocuteur public donné, ce qui renforcera les obligations pesant sur les représentants d’intérêts sans présenter les mêmes difficultés constitutionnelles que ces deux amendements. Je vous invite, madame Batho, à relire l’avis du Conseil d’État, qui est parfaitement clair et qui vous incitera peut-être à retirer cet amendement pour le retravailler.
Les deux amendements sont retirés.
La Commission examine l’amendement CL162 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. À mon sens, il ne faut pas inscrire les règles déontologiques dans la loi ; mieux vaudrait qu’elles figurent dans un décret en Conseil d’État.
M. le rapporteur. Je reconnais que certaines des dispositions qui nous sont proposées dans ce texte – l’interdiction d’utilisation du papier à en-tête, par exemple – relèvent davantage du code de conduite ou de la charte éthique que d’obligations de rang législatif, mais le projet de loi est ainsi rédigé.
Cela étant, nous ne saurions supprimer l’ensemble de ces obligations déontologiques en les renvoyant à un futur code qui serait défini par décret en Conseil d’État. Il existe une marge entre un mode d’emploi d’appareil ménager et l’établissement de grandes orientations ! Ne nous privons pas du pouvoir que nous avons de fixer des principes et des règles, qui relèvent au moins partiellement du législateur dans la mesure où leur méconnaissance est sanctionnée par des pénalités financières. Le Conseil constitutionnel estime en effet qu’appliquée « en dehors du droit pénal, l’exigence d’une définition des infractions sanctionnées se trouve satisfaite, en matière administrative, dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l’activité qu’ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent, de l’institution dont ils relèvent ou de la qualité qu’ils revêtent ». J’émets donc un avis défavorable à cet amendement, qui présente un risque de censure par le Conseil constitutionnel.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte successivement l’amendement de conséquence CL514 rectifié, l’amendement rédactionnel CL515 et l’amendement de conséquence CL516 rectifié du rapporteur.
Elle en vient à l’amendement CL289 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. L’alinéa 21 dispose que les représentants d’intérêts doivent s’abstenir de proposer ou de remettre aux personnes qu’ils sollicitent des présents, dons ou avantages quelconques d’une « valeur significative ». À partir de quel montant cette valeur devient-elle « significative » ? À l’Assemblée nationale, ce seuil est fixé à 150 euros. Il convient néanmoins de préciser par décret ce que l’on entend par « valeur significative », quitte à harmoniser les dispositions déjà en vigueur.
M. le rapporteur. Avis favorable : il serait utile, en effet, qu’un décret en Conseil d’État précise ce qu’il faut entendre par « valeur significative », étant entendu que cette valeur pourra varier selon les autorités qui sont sollicitées – les cadeaux honorifiques offerts à un ministre pouvant être différents de ceux que reçoit un élu local. En tout état de cause, il serait quelque peu trivial de fixer une somme dans la loi ; cela doit relever du pouvoir règlementaire.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL517 du rapporteur.
M. le rapporteur. S’inspirant du code de conduite en vigueur à l’Assemblée nationale, cet amendement vise à imposer aux représentants d’intérêts une obligation déontologique consistant à ce qu’ils s’abstiennent d’obtenir des informations et des décisions par des moyens frauduleux.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de précision CL518 du rapporteur.
En conséquence, l’amendement CL168 de M. Olivier Marleix tombe.
La Commission se penche sur l’amendement CL519 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à obliger les représentants d’intérêts à préciser la source des informations qu’ils fournissent aux acteurs publics. Vous constaterez ainsi, madame Batho, que nous sommes disposés à préciser davantage les informations qu’ils doivent apporter. En l’occurrence, cette demande nous a été adressée par de nombreux interlocuteurs. Il arrive en effet que les débats parlementaires se concentrent autour de documents factices et de chiffres de provenance indéterminée. En clair, madame Batho, le répertoire et les bilans semestriels permettront concrètement de retracer l’empreinte normative des représentants d’intérêts, en comprenant notamment des données relatives à ce que vous appelez les « positions transmises ».
La Commission adopte l’amendement CL519.
Puis elle adopte l’amendement de conséquence CL520 rectifié du rapporteur.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement rédactionnel CL169 de M. Olivier Marleix.
En conséquence, l’amendement CL244 de M. Charles de Courson tombe.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL170 de M. Olivier Marleix et CL245 de M. Charles de Courson.
M. Olivier Marleix. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 25, qui prévoit des obligations peu réalistes.
M. Charles de Courson. L’amendement CL245 a le même objet.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Ces craintes n’ont pas lieu d’être, puisque seule la divulgation d’informations « à des fins commerciales ou publicitaires », c’est-à-dire dans un but promotionnel, est interdite. Il ne s’agit pas d’empêcher les activités de veille législative ou réglementaire des représentants d’intérêts.
La Commission rejette successivement les deux amendements.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL521 du rapporteur.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL171 de M. Olivier Marleix et CL246 de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. L’alinéa 7 interdit aux représentants d’intérêts de vendre des documents officiels ou d’utiliser du papier à en-tête et des logos officiels. L’amendement CL246 vise à clarifier cette rédaction en excluant explicitement de ce dispositif les services de veille et en précisant que c’est le service fourni qui fait l’objet d’une facturation, non les documents officiels eux-mêmes.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette successivement les deux amendements.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL522, CL523 et CL524 ainsi que l’amendement de conséquence CL525 rectifié du rapporteur.
Elle aborde l’amendement CL163 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Cet amendement vise à éviter de renforcer une spécificité française consistant à réserver de facto l’influence aux anciens élèves d’une certaine grande école du service public, et ce sans toujours faire preuve de la plus grande transparence, en interdisant aux anciens fonctionnaires et aux anciens élèves de l’école en question qui exercent une activité de représentants d’intérêts de faire état de leur qualité au cours de leur démarche.
M. le rapporteur. Avis défavorable : je comprends certes votre intention, mais pourquoi cibler particulièrement les fonctionnaires ? En outre, je doute de la portée normative de cet amendement.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL164 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Imaginons, monsieur le rapporteur, qu’un ancien directeur de la législation fiscale exerce la profession d’avocat et fasse état de ses anciennes qualités : cela poserait problème.
L’amendement CL164 vise à éviter que des représentants d’intérêts s’abstiennent d’exercer des fonctions de représentation ou d’administration d’une association d’anciens élèves d’une école de la haute fonction publique.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Une fois de plus, je ne vois pas au nom de quoi il faudrait cibler les fonctionnaires en particulier. De plus, cet article ne vise pas à réglementer toute l’activité des représentants d’intérêts, mais seulement leurs relations avec les acteurs publics ; or, votre amendement prévoit une nouvelle incompatibilité.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL165 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Je m’étonne que le rapporteur laisse systématiquement de côté la question du rôle des hauts fonctionnaires qui passent d’une sphère à l’autre sans guère de transparence, en dépit des avis émis par la commission de déontologie. J’ajoute que ces avis sont secrets, et je proposerai un amendement visant à les rendre publics. Faut-il rappeler que le directeur général du Trésor, qui a siégé au conseil d’administration des dix plus grandes entreprises françaises, est parti du jour au lendemain diriger un fonds d’investissement franco-chinois sans même que les éventuelles réserves de la commission de déontologie soient connues ?
C’est un domaine dans lequel nous devons progresser. La place à part qu’occupe le lobbying dans notre pays s’explique en partie par l’entre-soi qu’entretiennent indéniablement les anciens élèves d’une certaine grande école. Si, par exemple, nous ne nous interrogeons pas sur le fait que la présidente de l’association des anciens élèves de cette école est également à la tête d’un cabinet de conseil, alors notre débat rate son objectif.
M. le rapporteur. Vous faites une confusion entre la règlementation des activités de lobbying et des cas de pantouflage. L’article 13 vise les activités de lobbying en lien avec les acteurs publics. On pourrait ainsi faire de vos amendements l’interprétation suivante : ils ne viseraient à réglementer le pantouflage que lorsqu’il a une incidence sur la relation des représentants d’intérêts avec les acteurs publics, au point que les premiers ne pourraient plus rencontrer les seconds.
Distinguons donc nettement entre la règlementation des activités de lobbying dans leur ensemble et le lien entre représentants d’intérêts et interlocuteurs publics. Je comprends vos préoccupations, et je sais précisément à quels cas vous faites référence ; vos propositions pourraient à la rigueur faire l’objet d’articles additionnels, mais ne sauraient s’insérer dans le présent article, qui porte spécifiquement sur le registre.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL290 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. La création d’un registre unique ne doit pas empêcher l’existence de règles spécifiques telles que celle consistant à conditionner l’accès aux locaux de l’Assemblée nationale à l’inscription sur le registre. Le Bureau de l’Assemblée prend régulièrement de nouvelles mesures, et de telles règles particulières ne doivent pas disparaître, mais plutôt cohabiter avec le registre. Chaque institution doit conserver la liberté d’adapter ses règles.
M. le rapporteur. Je vous propose de retirer cet amendement au profit de l’amendement CL361 de M. David Habib, que nous examinerons plus tard et qui définira le régime applicable aux relations avec les parlementaires.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement CL138 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Le Conseil d’État a écarté la disposition de l’avant-projet prévoyant que les décideurs publics s’abstiennent de recevoir des représentants d’intérêts qui ne sont pas inscrits au registre, car elle serait inconstitutionnelle. Il faut néanmoins trouver un équilibre : si les représentants d’intérêts doivent être tenus par certaines obligations, les décideurs doivent eux aussi jouer le jeu. Cet amendement vise à préciser qu’ils s’appuient autant que possible sur le registre dans leurs relations avec les représentants d’intérêts. L’expression « autant que possible » permet en effet d’éviter tout risque d’inconstitutionnalité tout en renforçant l’utilité du registre.
M. le rapporteur. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà expliquées lors de l’examen de l’amendement CL442 de Mme Batho.
La Commission rejette l’amendement CL138.
Puis elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CL527, l’amendement de clarification CL528, l’amendement rédactionnel CL529, l’amendement de conséquence CL533 et l’amendement de précision CL530 du rapporteur.
Elle examine l’amendement CL172 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. En prévoyant un contrôle sur pièces et sur place visant les cabinets de lobbying, mais un simple contrôle sur pièces pour les cabinets d’avocats qui exercent une activité de lobbying, cet article crée une véritable rupture d’égalité et présente un risque d’inconstitutionnalité. Mon amendement vise à ne prévoir qu’un contrôle sur pièces.
M. le rapporteur. Avis très défavorable. La possibilité de contrôle sur pièces et sur place ne concerne pas seulement les cabinets de lobbying. Votre amendement affaiblirait considérablement le pouvoir de contrôle de la Haute Autorité.
Mme Sandrine Mazetier. Les contrôles sur place sont tout aussi nécessaires que les contrôles sur pièces. La Haute Autorité aura-t-elle la possibilité d’effectuer les uns et les autres dans les cabinets d’avocats lobbyistes ?
M. Charles de Courson. De trois choses l’une : soit les contrôles sur place ne s’appliquent ni aux avocats lobbyistes, ni aux lobbyistes qui ne sont pas avocats ; soit ils s’appliquent aux seconds mais pas aux premiers, d’où une rupture d’égalité ; soit ils s’appliquent aux uns et aux autres, auquel cas, compte tenu du statut spécial des avocats, il faudra recourir à la procédure de saisine du bâtonnier.
Mme Sandrine Mazetier. C’est une procédure très simple.
M. Charles de Courson. Certes, mais encore faut-il qu’elle soit prévue dans le texte.
M. le rapporteur. Pour mémoire, l’alinéa 30 prévoit que le droit de contrôle de la Haute Autorité s’exerce sur pièces et sur place, et il est précisé : « Dans le cas où ce droit est exercé auprès d’un avocat, les demandes de communication s’exercent seulement sur pièces et sont présentées par la Haute Autorité auprès, selon la qualité de l’avocat en cause, du président de l’ordre de avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou du bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit. » Autrement dit, ce dispositif reprend celui qui s’applique au système « traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins » (TRACFIN) pour tenir compte des spécificités liées à la profession d’avocat.
M. Olivier Marleix. Il n’y aura donc pas de contrôle sur place pour les avocats.
M. Charles de Courson. L’Association des conseils en lobbying et affaires publiques (AFCL) s’inquiète de cette rupture d’égalité : les entreprises se tourneront vers les cabinets d’avocats, qui ne seront pas exposés à des contrôles sur place. C’est une distorsion de concurrence !
M. le rapporteur. Je comprends votre préoccupation, mais je rappelle que l’amendement de M. Marleix vise à supprimer le contrôle sur place pour tout le monde, et non à l’imposer partout.
M. Olivier Marleix. C’est la seule façon de rétablir l’égalité.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL531 et CL532 du rapporteur.
Elle se saisit ensuite de l’amendement CL176 de M. Olivier Marleix.
M. le rapporteur. L’ajout proposé par cet amendement ne me paraît pas indispensable : les agents de la HATVP sont déjà tenus au secret professionnel. Mais, si vous y tenez, pourquoi pas ? Je m’en remets à la sagesse de la Commission.
M. Olivier Marleix. Ces informations sensibles doivent être très protégées. Rappeler l’obligation de confidentialité ne me semble pas superflu.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL534 du rapporteur.
En conséquence, l’amendement CL173 de M. Olivier Marleix tombe.
La Commission adopte ensuite successivement l’amendement rédactionnel CL535 et l’amendement de conséquence CL536 du rapporteur.
En conséquence, l’amendement CL247 de M. Charles de Courson tombe.
La Commission adopte successivement l’amendement de conséquence CL537 et l’amendement CL540 rectifié du rapporteur.
En conséquence, l’amendement CL360 de M. Olivier Marleix tombe.
La Commission se saisit de l’amendement CL291 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Il s’agit toujours de faire le lien entre les organes déontologiques parlementaires et la HATVP. Cet amendement vise à permettre au déontologue d’interroger la Haute Autorité sur la qualification de l’activité d’un représentant d’intérêts et sur le respect des règles déontologiques.
M. le rapporteur. Cet amendement n’apparaît pas utile, dès lors que les amendements de M. Habib permettront une saisine par chaque parlementaire, ainsi que par le président de chaque assemblée.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte successivement l’amendement de conséquence CL539 et l’amendement rédactionnel CL538 du rapporteur.
Elle se saisit ensuite de l’amendement CL248 de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Cet amendement permet aux associations agréées en application du II de l’article 20 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui ont montré leur utilité en tant qu’interlocuteurs privilégiés pour les citoyens, de faire un signalement à la Haute Autorité.
M. le rapporteur. Cet amendement est satisfait : « toute personne » pourra saisir la Haute Autorité, ce qui inclut les personnes morales et en particulier les associations que vous mentionnez. Je vous invite à le retirer.
M. Charles de Courson. Je le retire et je le déposerai à nouveau en vue de la séance afin que le Gouvernement confirme ce point.
M. le rapporteur. Vous aurez ainsi l’onction du garde des sceaux.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’amendement de conséquence CL541 rectifié du rapporteur.
Puis elle se saisit de l’amendement CL546 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement étend aux membres du Gouvernement le pouvoir de recommandation de la Haute Autorité en cas de manquement d’un représentant d’intérêts. Dès lors que ce pouvoir se borne à l’émission d’un « conseil », qui demeure confidentiel, il n’y a pas de raison d’exclure de son champ les membres du Gouvernement.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte successivement l’amendement de conséquence CL543 rectifié, les amendements rédactionnels CL544 et CL542, l’amendement de conséquence CL545 et l’amendement de précision CL547 du rapporteur.
Elle examine l’amendement CL361 de M. David Habib, qui fait l’objet du sous-amendement CL548 du rapporteur.
Mme Sandrine Mazetier. En vertu du principe de séparation des pouvoirs, cet amendement prévoit de confier au Bureau de chaque assemblée le soin de déterminer les règles déontologiques applicables aux représentants d’intérêts ; il existe en effet déjà, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, un code de conduite des représentants d’intérêts.
L’amendement met également en place une procédure spécifique pour la sanction des manquements à ces règles, en conformité avec l’article 80-5 du Règlement de l’Assemblée nationale qui confie déjà au déontologue le soin de faire toute remarque sur les informations contenues dans le registre. Le président de l’une ou l’autre assemblée aura la possibilité de saisir in fine la Haute Autorité, seule à même de prononcer les sanctions financières prévues.
M. le rapporteur. Avis favorable, sous réserve de l’adoption du sous-amendement, qui tire les conséquences de l’élargissement aux collaborateurs parlementaires et aux fonctionnaires parlementaires du champ des acteurs publics concernés par l’entrée en relation avec les représentants d’intérêts.
M. Olivier Marleix. Les bureaux des assemblées saisissent, dites-vous, la HATVP : faut-il en conclure qu’il n’y pas d’auto-saisine dans les cas de relations entre les parlementaires et les représentants d’intérêts ?
M. le rapporteur. C’est cela.
Mme Sandrine Mazetier. Ce sont les présidents des assemblées qui saisissent la Haute Autorité, non leurs Bureaux.
La Commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement ainsi sous-amendé.
Elle adopte ensuite successivement l’amendement rédactionnel CL549 et l’amendement de conséquence CL550 du rapporteur.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement CL362 rectifié de M. David Habib.
Elle examine ensuite l’amendement CL152 de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix. Il me paraît utile de rappeler l’importance d’une procédure contradictoire et de l’échange écrit. Certains de nos collègues parlementaires ont été convoqués de façon plutôt cavalière par la Haute Autorité, dans des délais très courts, sans savoir exactement ce qui leur était reproché. En droit fiscal, les procédures sont bien plus claires.
M. le rapporteur. Il est en effet nécessaire que la procédure soit contradictoire. Toutefois, je vous invite plutôt à vous rallier à mon amendement CL551, qui prévoit que le représentant d’intérêts doit être à même d’avoir pu présenter ses observations. Le caractère contradictoire de la procédure est ainsi garanti.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL551 du rapporteur.
Elle adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels CL552 et CL553, l’amendement de précision CL554 et l’amendement de conséquence CL555 du rapporteur.
Elle se saisit de l’amendement CL363 de M. David Habib.
Mme Sandrine Mazetier. Il s’agit de donner une base juridique aux sanctions prononcées par la Haute Autorité lorsqu’elle sera saisie par le président de l’une ou l’autre assemblée.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL556 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit cette fois de garantir le caractère contradictoire de la procédure de sanction.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte successivement l’amendement rédactionnel CL557 et l’amendement de conséquence CL558 du rapporteur.
Elle examine l’amendement CL559 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement exclut le rapporteur du délibéré afin de garantir l’impartialité de la procédure de sanction.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle se saisit, en discussion commune, des amendements CL445 rectifié de Mme Delphine Batho et CL560 rectifié du rapporteur.
Mme Delphine Batho. Je propose de porter la sanction maximale à 100 000 euros. Toutefois, même ce montant me paraît finalement assez peu dissuasif : ne faudrait-il pas appliquer un pourcentage du chiffre d’affaires, comme cela existe dans d’autres domaines ?
M. le rapporteur. C’est un sujet auquel nous avons beaucoup réfléchi, et je suis prêt à y revenir. Qu’il faille aller au-delà de 30 000 euros, c’est une certitude, car cette somme est dérisoire pour de grands groupes de lobbying. J’avais d’abord pensé à un plafond de 150 000 euros, qui correspond à la plus petite pénalité que peut prononcer la plus petite autorité indépendante – sans que ces termes soient péjoratifs – qui est l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).
Je ne pense pas que nous rencontrerions des difficultés constitutionnelles avec une limite fixée à 75 000 euros.
Je suggérerai tout à l’heure d’autres sanctions, dont l’effet pratique serait plus important.
M. Olivier Marleix. Je rejoins Mme Batho sur la nécessité d’exprimer plutôt les amendes en proportion du chiffre d’affaires : une somme considérable pour un cabinet de deux avocats peut être tout à fait dérisoire pour de grands groupes.
Mme Delphine Batho. Même mon amendement ne règle pas le problème, c’est sûr.
M. le rapporteur. Le mien me paraît constituer une base de discussion. Nous serons en tout cas prémunis contre tout risque d’inconstitutionnalité.
J’appelle votre attention sur le fait que l’utilisation d’une proportion du chiffre d’affaires peut poser des problèmes, dans le cas d’une association par exemple.
Nous y reviendrons à coup sûr dans l’hémicycle.
La Commission rejette l’amendement CL445 rectifié.
Puis elle adopte l’amendement CL560 rectifié.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL676 de Mme Delphine Batho, CL561 rectifié du rapporteur et CL175 de M. Olivier Marleix.
Mme Delphine Batho. Il s’agit de prévoir de nouvelles sanctions : suspension d’activité ou radiation.
M. le rapporteur. Entre la suspension du registre et l’impossibilité d’exercer une activité, je préfère la seconde sanction : la suspension serait une aubaine, puisqu’il n’y aurait plus aucune obligation à remplir !
Ce sont les associations de lobbyistes elles-mêmes qui nous ont dit que la sanction financière ne serait pas nécessairement la plus dissuasive, évoquant l’idée d’une suspension. C’est pourquoi je vous propose de compléter le pouvoir de pénalité financière en prévoyant la possibilité d’interdire à un représentant d’intérêts d’entrer en relations avec certains acteurs publics pendant une durée limitée. La limitation de la durée est rendue nécessaire par l’indispensable proportionnalité entre la gravité des manquements et la sanction encourue.
Je souligne que cette interdiction ne liera pas les pouvoirs publics – ministres, parlementaires, fonctionnaires… – puisqu’il n’est pas question de restreindre leurs prérogatives.
M. Olivier Marleix. Cette discussion montre que notre dispositif est bancal. Les règles européennes prévoient, elles, une obligation pour les acteurs publics de se renseigner avant de recevoir quelqu’un pour savoir s’il est, ou non, inscrit au registre ; s’il n’y figure pas, on s’abstient de les recevoir. Dans ce cas, la suspension du registre prend tout son sens.
Nous ne voulons pas créer d’obligation de consultation du registre ; dès lors, vous avez raison, la suspension est inopérante. Ce serait pourtant une solution intéressante.
Nous pouvons vraiment, je crois, améliorer le texte d’ici à son passage dans l’hémicycle.
La Commission rejette l’amendement CL676.
Puis elle adopte l’amendement CL561 rectifié.
En conséquence, l’amendement CL175 tombe.
La Commission adopte successivement l’amendement rédactionnel CL564, l’amendement de précision CL562 rectifié et l’amendement rédactionnel CL563 rectifié du rapporteur.
L’amendement CL364 de M. David Habib est retiré.
La Commission étudie l’amendement CL565 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement impose la consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et de la HATVP sur le projet de décret en Conseil d’État qui précisera les modalités d’application de cet article.
La Commission adopte l’amendement.
Elle se saisit ensuite de l’amendement CL566 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement vise à garantir l’autonomie des assemblées parlementaires et la séparation des pouvoirs.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CL567 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement porte sur les modalités d’entrée en vigueur du dispositif : il entre en vigueur immédiatement, dès la publication du décret en Conseil d’État, sauf pour le dispositif de sanction qui entrera en vigueur au 1er janvier 2017 et pour les mesures relatives aux collectivités territoriales et aux fonctionnaires qui entreront en vigueur au 1er janvier 2018.
Au besoin, nous pourrons ultérieurement procéder à des ajustements de ces délais.
La Commission adopte l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL139 de M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Cet amendement vise à prévoir une révision du dispositif dans un délai maximal de cinq ans. Il a fallu du temps et plusieurs versions avant que le registre de l’Assemblée nationale ne ressemble à quelque chose ; ce sera sans doute le cas de ces dispositions également. L’extension au niveau local que vous prévoyez est logique, mais ne faudrait-il pas auparavant s’assurer de l’efficacité du dispositif ?
En outre, ce registre n’est pas une fin en soi : il conviendra de réfléchir à son utilisation pour le développement de « l’empreinte normative ». C’est encore une proposition du « rapport Nadal ». Malheureusement, l’inscription de l’empreinte normative dans l’étude d’impact relèverait d’une loi organique.
M. le rapporteur. L’article 24 de la Constitution rend inutile de prévoir dans la loi une évaluation par le Parlement. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle étudie l’amendement CL738 rectifié du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement prévoit qu’un décret en Conseil d’État précisera les actes réglementaires des collectivités territoriales qui devront être pris en considération dans la définition du représentant d’intérêts. C’est un élément de souplesse supplémentaire : nous nous avançons en terre inconnue, et il paraît judicieux de laisser le pouvoir réglementaire apporter des précisions. Ainsi, il pourrait être intéressant de soumettre à ce dispositif les grands schémas de développement économique des régions, mais ce n’est pas forcément le cas de tous les actes des collectivités territoriales – il y a un risque de surcharge, et donc d’inefficacité.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de coordination CL568 du rapporteur.
Elle adopte ensuite l’article 13 modifié.
Article 13 bis (nouveau)
(art. 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique)
Avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en matière de représentation d’intérêts
Introduit à l’initiative de M. Lionel Tardy et de votre rapporteur, cet article complète l’énumération des missions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) à l’article 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, par coordination avec le nouvel article 18-1 de la même loi, inséré par l’article 13 du présent projet de loi.
Ainsi modifié, l’article 20 disposera que la Haute Autorité répond aux demandes d’avis des différents décideurs publics mentionnés à l’article 18-1 (88) sur :
– les questions qu’ils rencontrent dans leurs relations avec les représentants d’intérêts, comme le prévoit la première phrase du VI de l’article 18-1 (89) ;
– sur les questions relatives au répertoire des représentants d’intérêts, conformément au dernier alinéa du III du même article 18-1 (90).
*
* *
La Commission examine l’amendement CL292 rectifié de M. Lionel Tardy, faisant l’objet des sous-amendements CL682 rectifié et CL683 du rapporteur.
M. Lionel Tardy. J’avais déposé un amendement similaire lors de l’examen de la loi sur la transparence de la vie publique : il s’agit de confier à la Haute Autorité une véritable mission de conseil vis-à-vis des acteurs publics sur les questions de lobbying. Le registre n’est que la partie émergée de l’iceberg ; il faut aussi que la HATVP réponde plus généralement aux questions sur les relations avec les représentants d’intérêt.
Les parlementaires ont un interlocuteur : le déontologue. Les autres acteurs publics doivent bénéficier de l’aide de la HATVP.
M. le rapporteur. Avis favorable, sous réserve de l’adoption des deux sous-amendements, qui sont de conséquence.
La Commission adopte successivement les sous-amendements, puis l’amendement ainsi sous-amendé. L’article 13 bis est ainsi rédigé.
Article 14
(art. 11 et 23 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique)
Obligations déclaratives des membres et des agents des autorités administratives ou publiques indépendantes
Cet article énumère les autorités administratives ou publiques indépendantes (AAI ou API) dont les membres sont tenus de déclarer leurs intérêts et leur situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). En outre, il étend ces obligations déclaratives aux directeurs généraux et aux secrétaires généraux de ces autorités, ainsi qu’à leurs adjoints.
1. Le droit en vigueur
Tous les membres d’AAI et d’API sont aujourd’hui tenus de remettre une déclaration d’intérêts et une déclaration de situation patrimoniale à la Haute Autorité, ainsi qu’au président de l’autorité indépendante en cause, en application du 6° du I de l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
Toutefois, l’identification des organismes concernés est malaisée. Comme l’indique la Haute Autorité dans son rapport d’activité 2015, « ni la loi du 11 octobre 2013 ni ses travaux préparatoires ne fixent la liste des autorités concernées mais le législateur avait entendu, dans les travaux préparatoires, donner une acception large à cette notion : avaient en effet été évoquées, dans les débats parlementaires, des institutions non expressément qualifiées d’AAI par la loi, telles que la Commission de régulation de l’énergie ou l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ».
En pratique, la Haute Autorité a donc retenu la quasi-totalité des organismes mentionnés, à titre indicatif, sur le site gouvernemental Légifrance (91), moyennant l’ajout du médiateur du livre et l’exclusion de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui ne dispose pas de pouvoir de décision spécifique et s’apparente davantage à un organe consultatif, et de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l’élection du Président de la République, dont l’existence est limitée à la durée de cette campagne.
Au total, les obligations déclaratives découlant de la loi du 11 octobre 2013 se sont ainsi appliquées à 597 personnes, au sein de 40 AAI ou API (92).
2. Les modifications envisagées par la proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes
Le 28 avril 2016, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une proposition de loi d’origine sénatoriale portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, qui comporte plusieurs dispositions interférant avec le présent article.
En premier lieu, elle dresse une liste de 26 AAI ou API (article 1er et son annexe) (93). Combinée avec l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 précitée, elle a pour effet de soumettre leurs membres à l’obligation de transmettre à la Haute Autorité une déclaration d’intérêts et une déclaration de situation patrimoniale.
En deuxième lieu, elle étend le champ des obligations déclaratives aux secrétaires généraux et aux directeurs généraux des AAI et des API, ainsi qu’à leurs adjoints (a du 1° du I de l’article 46). La même mesure est prévue au présent article.
Enfin, la proposition de loi impose aux membres de plusieurs organismes de déclarer leurs intérêts et leur situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité, sans que ces organismes soient qualifiés d’AAI par la proposition. Cette obligation concerne les membres de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la Commission des participations et des transferts (CPT) (94), ainsi que les médiateurs du cinéma, du livre et de la musique (95).
3. Les modifications prévues au présent article
Le présent article tend à modifier le 6° du I de l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 précitée, qui prévoit aujourd’hui que « les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes » doivent transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, ainsi qu’au président de l’organisme concerné, des déclarations d’intérêts et des déclarations de situation patrimoniale.
Il précise, tout d’abord, que ces obligations déclaratives incombent tant aux « membres des collèges » qu’aux « membres des commissions investies de pouvoirs de sanction ». Cette disposition consacre la pratique suivie par la Haute Autorité, qui considère comme membre d’une AAI ou d’une API « toute personne ayant voix délibérative au sein d’une telle autorité, y compris les membres suppléants, les personnes qui peuvent représenter un membre absent et les membres de commissions chargées de pouvoirs de sanction » (96).
En outre, le présent article étend les obligations déclaratives aux directeurs généraux, aux secrétaires généraux, aux directeurs généraux adjoints et aux secrétaires généraux adjoints des AAI et API – à l’instar de la proposition de loi précitée portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes adoptée par l’Assemblée nationale le 28 avril 2016.
Enfin, le présent article remplace, dans la loi du 11 octobre 2013 précitée, la référence générale aux autorités administratives ou publiques indépendantes par une énumération explicite des organismes concernés par les obligations déclaratives. Ceux-ci n’en demeureraient pas moins expressément qualifiés d’AAI ou d’API, en application du 3° du I de l’article 13 du présent projet de loi, relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts (97).
La liste dressée au présent article compte 30 AAI ou API :
– l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ;
– l’Autorité de la concurrence ;
– l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) ;
– l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ;
– l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) ;
– l’Autorité des marchés financiers (AMF) ;
– l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) ;
– l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ;
– l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Il convient de souligner que l’article 47 bis de la proposition de loi précitée portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 avril 2016, autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures visant à « faire évoluer le statut de l’Autorité de régulation des jeux en ligne en procédant par fusion avec d’autres entités ou par transfert de ses compétences et en distinguant, le cas échéant, entre les compétences qui doivent être exercées par une autorité indépendante et celles qui peuvent être exercées par une administration » ;
– l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ;
– le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) ;
– la Commission nationale d’aménagement cinématographique ;
– la Commission nationale d’aménagement commercial ;
– la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ;
– la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ;
– la Commission nationale du débat public (CNDP) ;
– la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ;
– la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) ;
– le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ;
– la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ;
– la Commission des participations et des transferts (CPT) ;
– la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ;
– le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ;
– le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ;
– le Défenseur des droits ;
– la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI). Signalons que l’article 43 bis de la proposition de loi précitée portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 avril 2016, prévoit la suppression de la HADOPI à compter de l’expiration du mandat en cours du dernier de ses membres nommés, soit le 4 février 2022 ;
– la Haute Autorité de santé (HAS) ;
– la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ;
– le Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C) ;
– le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES).
Comportant 30 autorités, cette liste est plus longue que celle de la proposition de loi portant statut général des AAI et des API qui, telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale le 28 avril 2016, en retient 26 (98). Quatre organismes non qualifiés d’AAI par la proposition de loi sont, malgré tout, soumis aux obligations de déclarations d’intérêts et de patrimoine : l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; la Commission des participations et des transferts (CPT) ; la Commission nationale d’aménagement cinématographique ; la Commission nationale d’aménagement commercial (99). En sens inverse, la proposition de loi qualifie d’AAI le Médiateur national de l’énergie, à la différence du présent article. Au delà de la question de la qualification, les champs des obligations déclaratives résultant des deux textes sont très proches :
– le seul organisme couvert par le présent article sans l’être par la proposition de loi est le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) ;
– les seules entités couvertes par la proposition de loi sans l’être par le présent article sont, outre le Médiateur national de l’énergie précité, les médiateurs du cinéma, du livre et de la musique.
Par rapport aux 40 organismes jusqu’à présent identifiés par la Haute Autorité pour la transparence