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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 juin 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :
– LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Lituanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité,
et
– LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie relatif à la coopération dans le domaine de la défense,
PAR M. Didier QUENTIN
Député
——
ET
ANNEXE : TEXTES DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir les numéros :
Sénat : 74 (2014-2015), 803 (2013-2014), 362, 364, 363 et T.A. 89, 90 (2015-2016)
Assemblée nationale : 3501, 3500, 3842 et 3840
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LITUANIE ET CROATIE, DEUX NOUVEAUX PAYS DU CERCLE « EURO-ATLANTIQUE », DEUX PARTENAIRES À NE PAS NÉGLIGER 7
A. DEUX PAYS NOUVELLEMENT INTÉGRÉS À L’ESPACE EURO-ATLANTIQUE 7
1. La Lituanie entre reprise économique et obsession sécuritaire russe 7
a. Une reprise économique solide tempérée par la dépendance énergétique 7
b. Un atlantisme crispé dans le contexte de la crise russo-ukrainienne 8
2. La Croatie, un pôle de stabilité régionale ? 9
a. Face à une situation économique fragile, la Croatie affiche son réformisme. 9
b. La Croatie se veut un élément de stabilité et d’intégration régionale. 10
B. DEUX PARTENAIRES À NE PAS NÉGLIGER 11
1. La coopération franco-lituanienne sur un mode donnant-donnant 11
a. La France ne fait pas partie du cercle proche lituanien. 11
b. La coopération militaire se développe selon un principe de solidarité réciproque. 12
2. La coopération franco-croate encore en devenir 14
a. La France accuse un certain retard dans ses relations avec la Croatie. 14
b. La coopération de défense gagnerait à être approfondie à la faveur d’une nouvelle proximité de vues. 14
II. DEUX ACCORDS AUX STIPULATIONS CLASSIQUES POUR UN CADRE DE COOPÉRATION RÉNOVÉ ET PORTEUR 17
A. GENÈSE DES ACCORDS 17
1. Le but d’un accord de coopération militaire 17
2. La nécessaire rénovation du cadre juridique de la coopération avec la Lituanie et la Croatie 17
B. ANALYSE DES STIPULATIONS 19
1. Le champ et les formes de la coopération 19
2. Les questions relatives au statut des forces en visite 21
3. Les autres stipulations 23
C. PERSPECTIVES 24
1. La coopération structurelle plafonnée par la contrainte financière 24
2. Des opportunités à saisir ? 26
CONCLUSION 29
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 31
EXAMEN EN COMMISSION 33
ANNEXE : TEXTES DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 39
La commission des Affaires étrangères est saisie de deux projets de loi portant approbation d’accords de coopération dans le domaine de la défense. L’accord entre la France et la Lituanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité a été signé le 12 juillet 2013, et l’accord entre la France et la Croatie relatif à la coopération dans le domaine de la défense le 14 juillet 2013.
Cette concomitance des signatures n’est pas le seul trait commun entre les deux accords. Tous deux visent à actualiser le cadre juridique de la coopération militaire de la France avec deux pays issus de l’ancien bloc communiste, la Lituanie et la Croatie. Après l’effondrement de l’URSS et l’éclatement de la Yougoslavie au début des années 1990, ces pays ont été progressivement intégrés au « cercle euro-atlantique », processus couronné par leur adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne.
Situés en périphérie de l’Union européenne, la Lituanie et la Croatie font aujourd’hui face à des mutations géostratégiques singulières. Dans le contexte de la crise russo-ukrainienne, la Lituanie perçoit l’attitude russe comme une menace existentielle à sa sécurité. En conséquence, elle appelle ses alliés de l’OTAN à renforcer la présence de l’Alliance sur son flanc est et a pris sur elle d’accroître considérablement son effort de défense. Quant à la Croatie, elle a été l’un des pays d’entrée dans l’Union européenne de la vague migratoire massive en provenance du Moyen-Orient et se trouve exposée, par sa façade adriatique, aux menaces du flanc sud.
Avec la Lituanie comme avec la Croatie, la France entretient des relations cordiales mais empreintes d’une certaine distance. Ces pays sont traditionnellement plus proches de l’Allemagne, des États-Unis et, pour la Lituanie, du Royaume-Uni et des pays scandinaves. Cependant, la qualité du dialogue stratégique qui a été noué avec la Croatie et la Lituanie sur la période récente laisse entrevoir la possibilité de densifier quelque peu notre coopération avec eux. C’est vrai en particulier dans le domaine de la défense et de la sécurité, ces deux pays étant, en raison du contexte international, plus réceptifs aux problématiques sécuritaires.
Pour toutes ces raisons, il a semblé opportun à la commission d’examiner conjointement les accords de coopération avec la Lituanie et la Croatie. Ces accords encadrent, sans en modifier la substance, la coopération militaire de la France avec ces pays. Leur approbation pourra toutefois donner à ces coopérations une nouvelle impulsion politique, prolongeant ainsi une dynamique récente.
I. LITUANIE ET CROATIE, DEUX NOUVEAUX PAYS DU CERCLE « EURO-ATLANTIQUE », DEUX PARTENAIRES À NE PAS NÉGLIGER
La Lituanie et la Croatie font toutes deux partie des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), progressivement intégrés dans l’espace euro-atlantique après l’effondrement de l’URSS et de la Yougoslavie. La Lituanie, premier des trois États baltes à avoir proclamé sa souveraineté le 11 mars 1990, a fait partie de la première vague d’adhésion des PECO à l’Union européenne, qu’elle a intégrée le 1er mai 2004, quelques semaines après son entrée dans l’OTAN, le 29 mars 2004. Quant à la Croatie, elle a rejoint l’OTAN en 2009 et intégré l’Union européenne le 1er juillet 2013. Dans ces deux pays, l’intégration aux cercles euro-atlantiques répondait à une demande forte. Cette aspiration est peut-être encore renforcée aujourd’hui, étant données les évolutions du contexte stratégique.
La Lituanie est, depuis 1992, une démocratie semi-présidentielle, où la Présidente de la République élue au suffrage universel, Mme Dalia Grybauskaite, conserve des pouvoirs non négligeables, notamment en politique étrangère. Le Gouvernement de coalition est, depuis les élections législatives de novembre 2012, conduit par le Premier ministre Algirdas Butkevicius, de sensibilité social-démocrate. Ce couple exécutif a affermi l’ancrage européen de la Lituanie, cet ancrage se faisant toutefois plus crispé dans le contexte de la crise russo-ukrainienne.
La Lituanie a connu l’une des plus fortes récessions observées en Europe, avec une chute de 14,8% de son PIB en 2009. Pourtant, au prix d’une sévère cure d’austérité qui a fortement entamé les revenus des salariés et des retraités, elle est parvenue à renouer rapidement avec des taux de croissance élevés, de l’ordre de 3 à 3,5% par an entre 2011 et 2014. Le chômage a connu une baisse continue pour s’établir à 9,5% en 2015. Le 1er janvier 2015, la Lituanie a ainsi pu entrer dans la zone euro après un parcours sans faute.
Cette embellie économique a pourtant été tempérée par la grande dépendance énergétique (environ 80%) du pays à l’égard de la Russie, problématique qui est devenue plus aigüe encore dans le contexte de la crise ukrainienne. La Lituanie était en effet totalement dépendante du gaz russe et étranglée par Gazprom qui pratiquait des tarifs très élevés. Elle s’est donc attelée à la construction d’un terminal gazier dans le port de Klaipeda, lequel doit, à l’horizon 2016-2017, lui permettre de couvrir l’ensemble de ses besoins, à des tarifs néanmoins élevés du fait du coût de l’installation. La Lituanie poursuit par ailleurs sa politique de désenclavement par des projets d’interconnexions électriques et gazières avec la Pologne et la Suède.
Cette dépendance à l’égard du voisin russe s’observe aussi, dans une moindre mesure, sur le plan commercial. La crise ukrainienne a entraîné une baisse des exportations lituaniennes vers la Russie, son premier partenaire, conséquence directe des sanctions adoptées par les pays européens. La Lituanie recherche ainsi de nouveaux débouchés vers l’Europe et les pays émergents et soutient mieux ses entreprises à l’export pour faire face à cette nouvelle donne.
Dès son indépendance, la Lituanie avait accordé une priorité forte à son intégration dans l’OTAN, perçue comme une garantie pour sa sécurité. Après son adhésion en 2004, la Lituanie a prioritairement déployé ses militaires dans le cadre des opérations de l’OTAN. Elle a participé aux opérations de l’ISAF en Afghanistan jusqu’en septembre 2013, puis à la mission de conseil aux forces armées afghanes Resolute support qui lui a succédé en janvier 2015.
Dans le contexte de la crise ukrainienne, l’appartenance de la Lituanie aux cercles européen et atlantique a pris un tour plus défensif. La Lituanie a longtemps été privée d’État par la Russie, de 1795 à 1918 et de 1940 à 1990. La crise ukrainienne a donc réveillé des craintes profondément ancrées. Elle a conduit la Lituanie à se focaliser complètement sur le contexte régional et à concevoir sa politique étrangère et de défense à travers le prisme d’une menace russe imminente sur les trois États baltes, dont la Lituanie serait le porte-parole, en raison de sa plus faible minorité russe (6%, contre 25% chez ses voisins). La Russie a entretenu cette psychose par des provocations répétées consistant notamment à frôler l’espace aérien des États baltes.
Face à cette nouvelle donne, la Lituanie a appelé à ce que la posture de l’OTAN soit recentrée sur la défense collective de ses membres, ce qui correspondait à sa vocation initiale du temps de la Guerre froide. Elle a partiellement obtenu satisfaction lors du sommet de l’OTAN de Newport, en septembre 2014, qui a entériné l’augmentation, en fréquence et en ampleur, des activités militaires d’entraînement et le renforcement de la mission de police du ciel dans les États baltes, ainsi que l’installation en Lituanie (effective depuis septembre 2015) et dans cinq autres pays européens baltes et orientaux de six unités d’intégration des forces de l’OTAN, les NFIU, sortes de petits quartiers généraux censés faciliter, au besoin, le déploiement des forces de l’OTAN sur le flanc est de l’Alliance.
En outre, face aux demandes conjointes et répétées des alliés baltes et orientaux, les membres de l’OTAN ont acté au mois de février 2016 le principe d’une « présence avancée renforcée », qui consistera à déployer, dans les pays concernés, des troupes alliées « par rotation », à organiser davantage d’exercices militaires et à installer d’autres dépôts d’équipements et de matériels afin de faciliter l’envoi rapide de renforts en cas de besoin. En outre, deux autres NFIU devraient être créés.
Dans le même temps, la Lituanie a revu à la hausse son effort de défense. Avant 2014, l’investissement de défense n’était pas jugé prioritaire dans ce pays qui avait vu son budget de défense chuter à 0,8% du PIB, soit environ 300 millions d’euros. Les forces armées lituaniennes avaient un format très réduit, environ 8000 militaires au total, dotés d’équipements hérités de l’époque soviétique. En mars 2014, la Lituanie a affiché son intention de porter le budget de la défense à 2% du PIB au plus tard en 2020, si possible dès 2018. En 2016, il devrait déjà s’élever à 575 millions d’euros, soit 1,48% du PIB, en augmentation de 150 millions d’euros par rapport à 2015.
Par ailleurs, afin de doper ses effectifs militaires, la Lituanie a réintroduit la conscription en 2015, après l’avoir supprimée en 2008. L’armée lituanienne compte désormais environ 15 200 soldats, dont 13 500 dans l’armée de terre, 1 100 dans l’armée de l’air et 600 dans la marine. La priorité est à présent d’accroître la préparation et la capacité au combat des forces terrestres, ainsi que de les moderniser. Par ailleurs, la Lituanie investit dans le domaine de la cybersécurité, afin de mieux lutter contre la guerre hybride, réalité à laquelle elle s’estime directement confrontée avec les agissements de la Russie.
La Croatie est, depuis son tournant européen du début des années 2000, une démocratie parlementaire. Sa Présidente, Mme Kolinda Grabar-Kitarović, élue en janvier 2015, incarne l’aile modérée du parti conservateur, favorable à l’ancrage de la Croatie au sein de l’Union Européenne et de l’OTAN. Les élections législatives de novembre 2015 n’ayant pas permis de dégager une majorité claire, c’est finalement un expert, M. Tihomir Orešković, qui a été porté au poste de Premier ministre en janvier 2016.
La Croatie a été durement affectée par la crise économique, qui lui a fait perdre 13% de son PIB entre 2009 et 2013. Elle a finalement renoué avec la croissance en 2015 (+1,6%). Cette évolution, rendue possible par de bonnes performances à l’exportation et par le dynamisme du secteur touristique et de la consommation intérieure, devrait se confirmer au cours des prochaines années. Le pays pourra aussi compter sur une importante enveloppe de fonds structurels européens : 11 milliards d’euros lui sont affectés pour la période 2014-2020. Cela devrait aider le pays à mener à bien les réformes structurelles nécessaires pour améliorer le climat des affaires, rétablir les finances publiques (déficit supérieur à 5% du PIB entre 2009 et 2014, ramené à 3,2% en 2015) et faire baisser le taux de chômage (17% actuellement).
Face à cette situation fragile, le nouveau Premier ministre Tihomir Orešković affiche résolument la priorité qu’il souhaite donner aux réformes économiques : maîtrise des finances publiques, réforme administrative et territoriale (privatisations, meilleure gouvernance des entreprises publiques, fusion de régions, création d’un impôt sur l’immobilier) et réforme de la protection sociale.
Par ailleurs, la Croatie a dû faire face à une importante vague migratoire, en tant que pays de transit des migrants empruntant la « route des Balkans ». Le pays a ainsi vu 650 000 migrants transiter par son territoire entre septembre 2015 et avril 2016. Le flux est désormais interrompu avec la fermeture de la route des Balkans. Les dirigeants croates ont géré la situation migratoire avec un certain pragmatisme.
Néanmoins, plusieurs organisations internationales, dont l’OSCE et le Conseil de l’Europe, ont pointé du doigt certains sujets de vigilance à l’égard de la Croatie, concernant en particulier la liberté des médias, la situation des minorités, notamment serbe, et le rapport à l’histoire européenne. La nomination d’un ministre de la culture connu pour ses positions révisionnistes, M. Zlatko Hasanbegović, a contribué à attiser ces craintes. Les autorités croates devront donc faire preuve de vigilance et de fermeté face à la montée des extrémismes et des discours de haine dans le pays.
La Croatie fait preuve d’une attitude plutôt constructive dans ses relations extérieures. Elle a fait de l’intégration européenne et euro-atlantique des Balkans occidentaux une ligne directrice de sa politique étrangère. La Croatie affiche ainsi un soutien politique de principe aux négociations d’adhésion avec la Serbie, bien qu’elle estime que certains sujets sensibles doivent être traités entre les deux pays en amont (compétence extraterritoriale de la justice serbe pour les crimes de guerre, coopération de la Serbie avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, représentation politique de la minorité croate en Serbie). La Croatie soutient par ailleurs le processus d’adhésion de la Bosnie à l’UE. Elle fait partager son expérience des négociations d’adhésion, par exemple par des échanges d’experts et une aide à la traduction de l’acquis communautaire. La Croatie a aussi fortement soutenu le processus d’adhésion du Monténégro à l’OTAN. Enfin, elle est présente à toutes les initiatives de coopération régionale. À côté de cette coopération « horizontale » avec les pays du voisinage, la Croatie promeut une coopération « verticale » avec les pays d’Europe centrale : Pologne, République Tchèque, Slovaquie et Hongrie, évoquant la constitution d’un « axe Baltique-Adriatique-Mer noire ».
Sur le plan militaire, la Croatie dispose d’une armée de 15 000 soldats environ, professionnalisée depuis 2008. Le cadre financier très contraint ne lui permet pas de dégager des moyens importants pour sa défense, à laquelle elle consacre 610 millions d’euros en 2015, soit 1,24% du PIB. Les possibilités d’acquisition d’équipements s’en trouvent fortement limitées, conduisant le pays à prolonger au maximum la durée de vie des matériels majeurs, à renoncer à certaines capacités (patrouilleurs) ou à rechercher des donations. En 2013, l’aide en nature des États-Unis a atteint 150 millions d’euros, soit 20% du budget total.
La politique de défense de la Croatie a comme lignes directrices la cohésion et la stabilité de l’espace balkanique, la prise en compte des menaces exercées sur le flanc sud de l’Europe et en Méditerranée et la primauté accordée à l’OTAN, bien que la Croatie semble plus disposée aujourd’hui à s’engager dans la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). À l’heure actuelle, environ 220 soldats croates sont déployés à l’étranger, principalement dans le cadre des opérations de l’OTAN : environ 90 soldats pour la mission Resolute support en Afghanistan et 40 au sein de la KFOR, au Kosovo.
La France ne fait pas partie du premier cercle des partenaires de la Croatie et de la Lituanie, y compris parmi les grands pays européens. Avec ces deux pays, elle dispose cependant d’une relation de qualité qui peut trouver des applications sur le plan de la coopération de défense.
• Des relations anciennes
Napoléon Ier passa le mois de juillet 1812 à Vilnius, dont il garda une excellente impression. Il y séjourna à nouveau en décembre 1812, en pleine retraite de Russie. Cette présence napoléonienne a marqué la noblesse lituanienne qui y voyait une promesse d’autonomie nationale face à la Russie. L’art de vivre à la française y a exercé une certaine influence, attestée par la création de plusieurs parcs à l’initiative d’Édouard François André. Les troupes françaises furent de nouveau en Lituanie entre 1920 et 1923, à la demande de la Société des Nations, pour contraindre l’Allemagne à renoncer à cette région jusqu’alors partie de la Prusse orientale. L’entre-deux guerres connut un grand rayonnement du français, première langue étrangère enseignée.
• Une influence culturelle française désormais modeste
Depuis lors, l’influence culturelle française en Lituanie s’est quelque peu étiolée. C’est aujourd’hui un pays peu francophone : sur un peu moins de 3 millions d’habitants, seuls 14 000 apprennent le français. Cependant, l’Institut français de Vilnius bénéficie d’une certaine visibilité, et la culture reste sans doute le moyen privilégié de rayonnement de la France dans ce pays doté d’un aménagement culturel très riche.
Car, pour le reste, la France ne compte pas parmi les partenaires de premier plan pour la Lituanie, qui est plus proche des mondes anglo-saxon et scandinave et de l’Allemagne, l’un de ses premiers partenaires économiques. La Lituanie a des liens assez étroits avec le Royaume-Uni, où vit une communauté lituanienne de plus de 200 000 habitants. Avec la France, la Lituanie entretient une relation de qualité – quoiqu’un temps dégradée, avant que la vente des BPC Mistral à la Russie ne soit annulée – mais empreinte d’une certaine distance.
La coopération militaire entre la France et la Lituanie, a priori modeste, s’est néanmoins développée au cours des quatre dernières années.
• La primauté du lien atlantique
Du fait de son positionnement géostratégique, la Lituanie accorde une importance primordiale à l’OTAN et, en son sein, au grand allié américain, qui la rassurent. L’atlantisme de la Lituanie est renforcé par l’existence d’une communauté d’origine lituanienne d’environ 700 000 personnes aux États-Unis. Les États-Unis se sont réinvestis en Europe de l’Est dans le contexte de la crise ukrainienne, avec l’envoi d’équipements militaires et l’annonce du stationnement rotationnel d’une brigade blindée américaine à partir de février 2017.
De manière générale, sur le plan militaire, la Lituanie entretient une relation plus intime avec les pays alliés qui envoient des troupes et matériels sur son territoire et participent aux exercices, en particulier l’Allemagne. Par ailleurs, la Lituanie participe à une « joint expeditionary force » (JEF) conduite par le Royaume-Uni et destinée à renforcer l’intégration des forces armées des pays du nord de l’Europe (1).
• La coopération structurelle
Les crédits affectés à la coopération structurelle avec la Lituanie via la Direction de coopération de sécurité et de défense (DCSD) demeurent limités et essentiellement consacrés à l’enseignement du français en milieu militaire, avec la mise à disposition d’un lecteur français à l’Académie militaire de Vilnius.
S’agissant de la coopération dans le domaine de la sécurité intérieure mise en place à partir de 2011, elle sera fortement limitée à l’avenir du fait de la suppression, à l’automne 2015, du poste d’attaché de sécurité intérieure (ASI) à Vilnius. Ainsi, aucune action n’est prévue dans ce domaine pour l’année 2016.
Au total, un peu moins de 13 000 euros avaient été consacrés aux actions de coopération de la DCSD en Lituanie en 2014, dont 7000 euros pour la coopération de défense et 6000 euros pour la coopération en matière de sécurité intérieure. En 2016, 5000 euros y seront affectés au total.
• Le renouveau du dialogue stratégique franco-lituanien
La coopération de défense entre nos deux pays a pu prospérer selon d’autres modalités à la faveur du réinvestissement de la France dans l’OTAN. Un dialogue stratégique de qualité a pu se nouer. La France a accepté de participer au centre d’excellence de l’OTAN sur la sécurité énergétique créé par la Lituanie à Vilnius. Elle a mis sur pied un forum franco-balte des industries de défense dont la dernière édition s’est tenue à Paris à l’automne dernier. Les conditions d’une relation plus étroite ont ainsi été créées.
• Le développement de la coopération opérationnelle
Dans le contexte de la crise ukrainienne, la coopération opérationnelle franco-lituanienne a trouvé à s’épanouir sur le mode du donnant-donnant : que la France prenne en compte les préoccupations de son allié lituanien sur le flanc est de l’Europe, et la Lituanie se montrera disposée à s’investir davantage aux côtés de la France sur le flanc sud.
La France a participé à cinq reprises à la mission de l’OTAN de police du ciel des États baltes, lesquels n’ont pas les moyens d’assurer leur propre défense aérienne. Elle y participera à nouveau, avec quatre avions de chasse et 120 personnels, pendant les quatre derniers mois de l’année 2016. La France participe également aux vols de surveillance maritime en mer baltique.
En contrepartie, la Lituanie a répondu rapidement à la demande de solidarité faite par la France à ses partenaires européens au titre de l’article 42§7 du traité sur l’Union européenne au lendemain des attaques terroristes de novembre 2015. Le 22 décembre 2015, le Parlement lituanien a relevé l’autorisation de déploiement des forces lituaniennes sur les théâtres d’opération extérieurs à 130 militaires, dont 40 pourront être déployés au sein de la MINUSMA, au Mali, ce qui correspond à un doublement des effectifs.
• Un retard lié à l’histoire des deux pays
La relation franco-croate a longtemps pâti du lien traditionnel de la France avec la Serbie, rival historique de la Croatie, qui était de son côté plus proche de l’Allemagne. Cette distorsion ancienne – bien que la France ait reconnu l’indépendance de la Croatie dès le 15 janvier 1992 – a retardé le développement de la relation bilatérale entre les deux pays.
L’intégration de la Croatie dans l’Union européenne et dans l’OTAN a relancé la dynamique. La France a apporté son soutien constant – politique, mais aussi technique – au processus d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne.
• Une relation de défense en retrait par rapport aux autres grands de l’OTAN
Dans le domaine de la coopération de défense, la Croatie a une relation quasi-exclusive avec les États-Unis, qui sont, d’après l’étude d’impact, le premier bailleur en équipement (par des dons ou des cessions) et le premier partenaire de la Croatie pour les entraînements et la préparation opérationnelle. Les États-Unis ont développé avec la Croatie un véritable partenariat : une coopération en matière de renseignement a été établie, la Croatie adhère aux objectifs stratégiques des Américains et participe aux opérations de l’OTAN derrière eux.
De son côté, la France est le seul grand État européen à ne pas disposer d’un accord de coopération de défense avec la Croatie, situation d’autant plus regrettable qu’elle en a un avec la Serbie, pourtant membre ni de l’OTAN ni de l’Union européenne. D’après l’étude d’impact, notre pays se situe à l’heure actuelle sous la moyenne du nombre d’activités militaires bilatérales des pays européens comparables (Allemagne, Grande-Bretagne). À l’inverse de ses principaux partenaires européens, la France ne participe pas aux exercices régionaux conduits par l’OTAN ni aux manifestations du RACVIAC (Regional arms control verification and implementation assistance centre), qui constitue pourtant le seul forum régional de sécurité où tous les pays balkaniques sont représentés.
b. La coopération de défense gagnerait à être approfondie à la faveur d’une nouvelle proximité de vues.
À l’heure actuelle, la coopération de défense avec la Croatie repose sur un plan de coopération établi par l’attaché de défense à Zagreb qui recense les différentes actions de coopération – structurelle, opérationnelle et institutionnelle – planifiées pour l’année à venir.
• La coopération structurelle
Les sommes affectées à la coopération structurelle menée par la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) avec la Croatie ont fondu depuis 2010. Le budget de la coopération militaire est passé d’environ 100 000 euros par an entre 2005 et 2010 à 5000 à 6000 euros actuellement.
D’après l’étude d’impact, la chute des crédits de coopération militaire s’explique par des restrictions budgétaires ainsi que par l’accès de la Croatie aux programmes de formation et d’entraînement de l’OTAN après son adhésion. Auparavant, des officiers croates suivaient la formation du Collège interarmées de défense, du diplôme d’état-major de l’armée de terre ou encore des actions de formation du cycle discontinu en France (écoles de spécialités de l’armée de terre, école nationale des sous-officiers d’active).
À l’heure actuelle, la coopération structurelle avec la Croatie se limite à des missions d’expertise et à l’enseignement du français en milieu militaire. Pour 2016, les crédits de la DCSD financeront une place de stage de perfectionnement pour un enseignant croate au Cours international de français de Rochefort (CIFR) ainsi qu’un intervenant français pendant un mois à l’Académie de défense de Zagreb. Il s’agit donc d’actions très modestes.
• La coopération opérationnelle
D’après le Gouvernement, la coopération opérationnelle entre les forces armées françaises et croates a jusqu’à présent été limitée par la taille réduite des armées croates et par l’effort consenti par la Croatie pour déployer des militaires dans les opérations de l’OTAN.
Cette coopération est principalement centrée sur le domaine maritime. D’après l’étude d’impact, « le partenaire croate, fort conscient de ses responsabilités en matière de surveillance des frontières de l’Union européenne », s’approprie progressivement le concept d’action de l’État en mer. C’est donc dans ce champ, qui concerne à la fois la lutte contre la pollution, la surveillance maritime, la lutte contre les trafics, l’immigration clandestine, le contrôle des approches et la guerre des mines, que s’exerce en priorité la coopération maritime franco-croate. Les actions entreprises comportent des exercices ou des séminaires lors d’escales de bâtiments de la marine nationale ou l’embarquement d’officiers croates à bord de bâtiments français. En 2016, il était prévu qu’un séminaire soit organisé lors de l’escale du patrouilleur hauturier L’Adroit à Split du 2 au 6 mai.
• Les perspectives
D’après le Gouvernement, il y aurait matière à approfondir notre coopération avec la Croatie à la faveur d’une nouvelle proximité de vues. La Croatie partage avec la France une préoccupation pour les menaces de sécurité sur les flancs sud et sud-est de l’Europe et manifeste l’ambition de s’impliquer davantage sur les sujets de sécurité et de stabilité dans son voisinage immédiat et au-delà. La France peut tirer parti de cette évolution pour approfondir son dialogue stratégique avec la Croatie, dont l’actuel ministre des Affaires étrangères, M. Kovač, manifeste la volonté de nouer des relations étroites avec tous les États membres de l’Union européenne, au-delà du traditionnel partenaire allemand.
La Croatie se montre en effet de plus en plus disposée à s’investir dans des opérations de PSDC, en dépit de son fort attachement à l’OTAN. Elle a ainsi participé à l’opération Atalante au large de la Corne de l’Afrique. Dans ce cadre, les forces françaises à Djibouti ont été appelées en 2015 – et le sont à nouveau à compter d’avril 2016 – à fournir un soutien logistique aux équipes de protection embarquée croates. La Croatie participe aussi à l’opération Eunavfor Sophia en Méditerranée occidentale. Enfin, il convient de noter que la Croatie a répondu à la demande de solidarité de la France au titre de l’article 42§7 du Traité sur l’Union européenne par une dotation en armement et en matériel. En contrepartie, elle attend de la France un appui à sa candidature à l’espace Schengen.
Les accords soumis à l’examen de la commission et relatifs, d’une part, à la coopération avec la Lituanie dans le domaine de la défense et de la sécurité, et d’autre part, à la coopération avec la Croatie dans le domaine de la défense ont été conclus respectivement le 12 juillet et le 14 juillet 2013.
Ces deux accords visent à actualiser l’encadrement juridique de la coopération de défense avec la Lituanie et la Croatie.
Les accords de coopération militaire doivent être distingués des accords de défense, du type de ceux qui liaient la France à ses anciennes colonies d’Afrique et prévoyaient les conditions dans lesquelles la France leur portait assistance en cas d’attaque. Conformément aux orientations définies par le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, dans un discours prononcé le 28 février 2008 devant le Parlement sud-africain, ces accords de défense ont été progressivement révisés pour devenir des accords de coopération militaire, lesquels ne comportent pas de telles clauses d’assistance en cas d’agression.
En réalité, tel n’est pas l’objet de la coopération militaire. Celle-ci vise à instaurer un partenariat politico-militaire entre deux pays, fondé sur un principe de réciprocité. Le but de l’accord est alors, d’une part, de marquer une volonté politique conjointe de mettre en place et renforcer ce partenariat, et d’autre part, de prévoir le champ et les modalités précises de cette coopération afin de sécuriser l’intervention des différents acteurs qui la mettent en œuvre.
Il convient cependant de noter qu’à côté de ces accords de coopération militaire, la France est liée par des clauses de défense collective (article 5 de la Charte de l’Alliance Atlantique) et d’assistance mutuelle (article 42§7 du Traité sur l’Union européenne) aux membres de l’OTAN et de l’Union européenne que sont la Lituanie et la Croatie, en vertu desquelles elle est tenue de leur porter assistance en cas d’agression armée sur leur territoire, et réciproquement.
• Des cadres juridiques obsolètes
Jusqu’alors, la coopération militaire entre la France et la Lituanie d’une part, la Croatie d’autre part, n’était encadrée par aucun accord intergouvernemental, mais simplement par des arrangements techniques conclus entre les ministres de la défense le 11 mai 1994 pour la Lituanie et le 7 octobre 1997 pour la Croatie. Ces arrangements techniques, cantonnés au seul domaine de compétences des ministres de la défense, avaient un champ par nature plus limité que des accords de coopération de portée interministérielle.
Avec l’adhésion de la Lituanie et de la Croatie à l’OTAN et à l’Union européenne, le champ de la coopération militaire de la France avec ces deux pays a été considérablement élargi en raison de la relation nouvelle que créait l’appartenance conjointe à ces ensembles. Le dialogue politico-militaire s’en est trouvé de facto renforcé, tandis que nos forces armées ont été appelées à se côtoyer dans le cadre des structures, exercices et opérations de ces organisations. L’encadrement juridique constitué par les arrangements techniques de 1994 et 1997 était ainsi devenu tout à fait obsolète.
Les nouvelles modalités de coopération étaient en grande partie encadrées par les traités et accords de l’Alliance Atlantique, en particulier par la convention de Londres du 19 juin 1951 sur le statut des forces, mais pas intégralement. À titre d’exemple, cette convention ne prévoyait pas de statut spécifique pour le personnel civil du ministère des Affaires étrangères appelé à séjourner en Croatie ou en Lituanie dans le cadre des actions de coopération de la DCSD, lequel relevait alors du droit local, ce qui constitue un statut moins protecteur.
• La réactualisation du cadre juridique de la coopération militaire avec les PECO
Il convenait ainsi de réactualiser le cadre de la coopération militaire française avec la Croatie et la Lituanie. D’après l’étude d’impact, cette démarche s’inscrit dans le cadre plus large « d’une réactualisation et d’une évolution globale des modalités de coopération avec les pays d’Europe centrale et orientale », qui s’est notamment traduite par la signature d’accords avec la Roumanie (accord du 24 octobre 1998 amendé le 11 juillet 2008), la Pologne (accord du 4 avril 2002 amendé le 8 mars 2006) et l’Estonie (accord du 13 septembre 2011), tandis qu’un accord avec la Lettonie est sur le point d’être finalisé.
Les négociations en vue de conclure des accords de coopération avec la Croatie et la Lituanie ont été engagées respectivement en 2009 et en 2011 et se sont achevées en juillet 2013 avec la signature des accords, sans avoir posé de problème particulier. Ces deux accords établissent un cadre juridique rénové et adapté aux nouvelles modalités de coopération de la France avec la Croatie et la Lituanie. Par rapport aux arrangements techniques en vigueur, ils ont pour effet d’élargir considérablement le champ et le contenu de la coopération avec ces deux pays.
Les stipulations des accords de coopération soumis à l’examen de la commission sont celles que l’on trouve traditionnellement dans des accords de ce type. Une fois les définitions usuelles des termes de l’accord effectuées (article 1er de l’accord avec la Lituanie et 2 de l’accord avec la Croatie), l’objet des accords est explicité : il s’agit de renforcer la coopération entre ministères et forces armées des deux pays. L’accord avec la Lituanie englobe des actions de coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité, tandis que l’accord avec la Croatie prévoit seulement une coopération dans le domaine militaire. En matière de sécurité, la coopération avec la Croatie est régie par deux accords distincts signés le 10 octobre 2007 (2).
Une clause spécifique précise, s’agissant de la Lituanie, que l’accord ne vise pas à associer des personnels français « à la préparation ou à l’exécution d’actions de guerre ni à des actions de maintien ou de rétablissement de l’ordre, de sécurité publique ou relatives à l’exercice de la souveraineté nationale, ni intervenir dans ces opérations sous quelque forme que ce soit » (article 2§3). D’après le Gouvernement, cette clause, qui rappelle la distinction explicitée par le rapporteur (cf supra) entre accord de défense et accord de coopération, est de plus en plus souvent insérée dans les accords que la France négocie avec ses partenaires. L’absence de cette clause dans l’accord franco-croate tient, d’après le Gouvernement, à l’antériorité de la négociation et à l’alignement du texte sur celui des accords similaires signés avec des pays voisins, en particulier la Slovénie.
Pour le reste, les accords contiennent les clauses habituelles visant à préciser le champ et les modalités de la coopération, les questions relatives au statut des forces en visite et les modalités des échanges d’informations classifiées.
• Le champ de la coopération
Les articles 3 des deux accords examinés précisent les domaines dans lesquels la coopération pourra porter. Ces domaines sont largement appréhendés, une clause prévoyant en outre, dans les deux accords, que les parties peuvent d’un commun accord élargir leur coopération à « tout autre domaine ».
Les domaines de coopération énumérés dans les deux accords se recoupent en partie seulement. D’après le Gouvernement, les différences entre les deux documents ne traduisent pas des définitions différentes des enjeux stratégiques de la France ou des difficultés ou blocages avec l’un ou l’autre partenaire. Elles sont simplement le résultat du processus empirique ayant conduit à la rédaction des deux accords, en reprenant partiellement les termes des arrangements techniques de 1994 pour la Lituanie et 1997 pour la Croatie. À titre d’exemple, l’accord avec la Lituanie cite la cyberdéfense, la sécurité énergétique, la gestion de crise et la recherche, domaines qui ne sont pas explicitement mentionnés par l’accord avec la Croatie. En revanche, seul l’accord avec la Croatie prévoit dans le détail une coopération sur l’organisation des forces armées (commandement, soutien, transmissions), ainsi que sur les problématiques de défense anti-aérienne, nucléaire, chimique ou biologique. En tout état de cause, le Gouvernement souligne que, dans les deux cas, la liste des domaines énumérés ne se veut pas exhaustive, la possibilité d’une extension de ces domaines étant à chaque fois clairement mentionnée.
• Les formes de la coopération
S’agissant des formes que peut prendre la coopération dans les différents domaines énumérés (articles 4 des deux accords), les accords avec la Lituanie et la Croatie se recoupent largement : visites officielles et de militaires, échanges de personnels civils et militaires, d’élèves ou d’experts techniques, escales d’aéronefs et de bâtiments, exercices et entraînements, conférences et séminaires, échanges d’informations et de documentation, manifestations à caractère sportif ou culturel sont autant de possibilités décrites par les deux documents.
L’accord avec la Croatie consacre un article spécifique aux exercices et entraînements communs (article 6) qui ont vocation à « renforcer l’interopérabilité des capacités dans le cadre de l’OTAN et de l’Union européenne ». L’accord avec la Lituanie précise que la coopération pourra aussi prendre d’autres formes définies par les parties. Les deux accords prévoient (article 3.2 de l’accord avec Lituanie et 4.3 de l’accord avec la Croatie) que les modalités précises de la coopération pourront être déterminées dans le cadre d’accords ou d’arrangements techniques dédiés entre ministères et institutions concernés.
• La coopération d’armement
Les deux accords consacrent un article spécifique à la coopération dans le domaine de l’armement (articles 5) qui a vocation à prospérer dans les domaines reconnus comme étant « d’intérêt mutuel » et dans le respect des réglementations nationales. Elle pourra prendre la forme de contacts, d’échanges d’informations et d’un recensement des secteurs dans lesquels cette coopération pourrait plus particulièrement se développer, ainsi que de rencontres bilatérales entre responsables des administrations concernées pour assurer le suivi de cette coopération.
• Le pilotage des actions de coopération
L’article 6 de l’accord avec la Lituanie et l’article 7 de l’accord avec la Croatie organisent le pilotage des actions de coopération entreprises dans le cadre des présents accords.
Les différences entre les deux accords tiennent à la spécificité de l’organisation institutionnelle des relations internationales militaires dans chaque pays. En Lituanie, le pilotage de l’accord est assuré par des entretiens bilatéraux coprésidés par des responsables du ministère de la défense des deux parties, auxquels sont associés les attachés de défense des deux pays ainsi que d’autres personnels civils ou militaires en fonction des sujets abordés. Ces entretiens sont aussi l’occasion d’aborder « les sujets politico-militaires d’actualité » (article 6.1). S’agissant de la Croatie, c’est dans le cadre de réunions d’état-major présidées par un responsable des armées de chaque partie que ce suivi est effectué. Les attachés de défense et autres personnes compétentes selon les sujets abordés y sont également associés.
Les entretiens bilatéraux et réunions d’état-major se tiennent alternativement en France et respectivement en Lituanie et en Croatie. Ils sont l’occasion de dresser un bilan des actions de coopération entreprises et d’établir un plan de coopération définissant le contenu des actions pour la période à venir. Dans les deux accords, les attachés de défense ont vocation à jouer un rôle central dans l’élaboration et la mise en œuvre des plans de coopération.
• Un statut en principe réglé par le SOFA OTAN
Les articles 10.2 de l’accord avec la Lituanie et 10.1 de l’accord avec la Croatie renvoient aux dispositions du SOFA OTAN pour les questions relatives au statut des membres du personnel civil et militaire et des personnes à charge d’une partie séjournant sur le territoire de l’autre partie dans le cadre des présents accords. Les articles 11 de l’accord avec la Lituanie et 12 de l’accord avec la Croatie renvoient également au SOFA OTAN (article VIII) s’agissant des questions relatives au règlement des dommages entre les parties à l’occasion de la mise en œuvre des présents accords.
Le SOFA OTAN, ou convention entre les États parties au traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, a été signé à Londres le 19 juin 1951. Il détermine le statut des forces armées des parties lorsque celles-ci se trouvent en service sur le territoire métropolitain d’une autre partie. Il fixe notamment les modalités d’entrée et de sortie du territoire, d’utilisation du permis de conduire, du port de l’uniforme et des armes, l’exercice de la compétence juridictionnelle des États ainsi que les modalités de règlement des dommages et les dispositions applicables en matière douanière fiscale.
• Le statut des personnels civils du ministère des affaires étrangères
La Croatie, la Lituanie et la France étant toutes trois parties au SOFA OTAN, un simple renvoi à ses clauses suffisait pour régler l’ensemble de ces questions. En revanche, le SOFA OTAN ne s’applique qu’aux personnels civils relevant des ministères en charge des questions de défense. En l’état actuel des choses, il n’inclut donc pas dans son champ les experts civils du ministère des affaires étrangères qui peuvent être mobilisés dans le cadre de la coopération de sécurité et de défense. Ceux-ci relèvent ainsi du droit local lorsqu’ils se trouvent sur le territoire de la Croatie ou de la Lituanie.
Les articles 10 des présents accords avec la Croatie et la Lituanie ont pour effet d’étendre l’application du SOFA OTAN à ces personnels, ce qui leur conférera un statut plus protecteur. Il s’agit d’ailleurs d’un des principaux apports de ces accords sur le plan juridique, et c’est l’une des raisons pour lesquelles ils sont soumis à l’approbation du Parlement en vertu de l’article 53 de la Constitution, en ce qu’ils « sont relatifs à l’état des personnes ».
• Les stipulations fiscales dans l’accord franco-lituanien
L’accord avec la Lituanie comporte un article 9 qui vient préciser le champ de l’application de l’article X du SOFA OTAN s’agissant des questions relatives à la fiscalité des personnels en visite. Ce dernier prévoit que les personnels en visite conservent leur résidence fiscale dans leur pays d’origine pour toute rémunération ou bien corporel lié à leur activité de coopération. L’article 9 de l’accord avec la Lituanie précise les impôts concernés : il s’agit de l’impôt sur le revenu et sur la fortune et des droits de succession et de donation.
D’après le Gouvernement, cette clause est à présent systématiquement insérée dans les accords bilatéraux négociés par la France à la demande des services du ministère des finances. Si elle ne figure pas dans l’accord franco-croate, cela tient à nouveau à l’antériorité des négociations.
• Des adaptations des clauses du SOFA OTAN dans l’accord franco-croate
En sus du renvoi aux stipulations du SOFA OTAN, l’accord franco-croate compte plusieurs clauses relatives au statut des personnels en visite qui constituent, d’après le Gouvernement, des adaptations formelles du SOFA OTAN liées à la relation bilatérale franco-croate, et n’excèdent pas ce qui est prévu par le SOFA OTAN.
L’article 9§2 stipule que les personnes à charge et le personnel civil demeurent soumis à la législation de la partie d’accueil en matière d’entrée et de séjour sur son territoire. L’article 10 prévoit que les personnels déployés conservent leur statut militaire ou civil national et relèvent de l’autorité de leur État d’envoi, lequel a un pouvoir disciplinaire exclusif sur eux. Ils sont tenus de respecter l’ordre juridique interne et les règlements en vigueur dans l’État d’accueil.
L’article 11 de l’accord franco-croate prévoit des stipulations spécifiques en cas de décès d’un membre du personnel déployé dans le cadre des actions de coopération sur le territoire de la partie d’accueil. Le SOFA OTAN prévoit la réciprocité des conditions de soin des personnels mais n’organise pas cette situation. Le décès doit être constaté par un médecin habilité et déclaré à l’autorité compétente de la partie d’accueil. Celle-ci pourra ordonner une autopsie. Les autorités militaires de la partie d’envoi pourront disposer du corps quand l’autorisation leur en aura été donnée ; les frais de transport seront à la charge de cette partie.
• Les échanges d’informations et de matériels classifiés
Les accords de coopération avec la Croatie et la Lituanie précisent les règles applicables aux échanges d’informations et de matériels classifiés qui pourraient avoir lieu dans le cadre des actions de coopération entreprises. Ces échanges sont régis par les accords de sécurité conclus par la France avec la Lituanie et la Croatie : respectivement l’accord général de sécurité relatif à l’échange et à la protection des informations classifiées du 26 juin 2009 et l’accord de sécurité sur la protection mutuelle des informations classifiées du 25 janvier 2011.
D’après le Gouvernement, ces accords, conclus après une étude de la législation de l’autre partie en la matière, stipulent que chaque partie protège les informations classifiées de l’autre partie conformément à sa législation nationale. Pour ce faire, les accords identifient et prévoient une reconnaissance mutuelle des autorités nationales de sécurité et des habilitations des personnes, donnent des équivalences de classifications et prévoient les modalités de transmission et de protection des informations et supports classifiés.
• Les questions financières
S’agissant des dépenses, les deux accords stipulent que, par principe, la partie d’envoi assume les frais liés au transport vers le territoire de la partie d’accueil des membres de son personnel civil ou militaire, ainsi que ceux liés à leur hébergement et à leur alimentation sur place. Quant à la partie d’accueil, il lui revient, dans le cadre de l’accord avec la Croatie, de leur mettre à disposition, « à titre gratuit, les moyens nécessaires à l’exercice de leurs fonctions administratives » voire de financer « au cas par cas (…) les seuls frais de transport de service ainsi que les communications téléphoniques de service avec la partie d’envoi » (article 8 de l’accord avec la Croatie).
L’accord avec la Lituanie prévoit que la partie d’accueil « assume les dépenses liées à l’organisation des actions de coopération, à l’accueil des délégations et à leur éventuel transport par des moyens militaires » sur son territoire. Les deux accords prévoient la possibilité pour l’État d’accueil de prendre en charge les frais de scolarité ou de formation associés aux stages dans les organismes militaires de formation ou au sein des unités des forces armées sur son territoire. L’accord avec la Croatie prévoit que ces règles doivent être évaluées à l’aune des disponibilités budgétaires de chaque partie, tandis que l’accord avec la Lituanie précise que les parties peuvent, d’un commun accord, décider d’autres règles de financement.
• Les stipulations finales
En vertu des articles 12 de l’accord avec la Lituanie et 14 de l’accord avec la Croatie, tout différend lié à l’interprétation ou à l’application de l’accord doit être réglé exclusivement par voie de consultations ou de négociations entre les parties.
Les articles 13 et 15 arrêtent les modalités d’entrée en vigueur, de modification et de dénonciation des accords. Dans les deux cas, ils prendront effet « le premier jour du deuxième mois suivant le jour de réception de la dernière notification », c’est-à-dire, dans les deux cas, suivant la notification de l’instrument de ratification français. En effet, le Parlement croate a voté l’approbation de l’accord de coopération dès le 28 octobre 2013 et le Parlement lituanien dès le 14 novembre 2013.
• La finalité de la coopération structurelle de défense
La coopération structurelle vise à renforcer sur le long terme les capacités militaires et sécuritaires d’États partenaires fragiles. Elle est conduite par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), qui est rattachée au ministère des affaires étrangères : il s’agit en effet d’un important outil diplomatique d’influence et de prévention des conflits. Les actions de la DCSD portent sur trois leviers principaux :
– « la formation des cadres des forces militaires ou de sécurité intérieure et civile à l’étranger ou en France ;
– la mise en place d’officiers supérieurs français auprès de hautes autorités politiques, militaires ou civile afin de leur proposer conseils et avis stratégiques leur permettant d’élaborer des réformes structurelles indispensables ;
– le déploiement de missions d’audit, d’appui à la mise en œuvre et d’évaluation conduites par des spécialistes français de l’expertise technique et conceptuelle (comme l’élaboration de doctrines d’emploi) dans les domaines ayant trait à la restructuration des forces armées et de sécurité intérieure et civile » (3).
• Des budgets fortement impactés par les mesures de restriction budgétaire
Le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2016 indique que « depuis plusieurs années, le ministère rationalise son dispositif pour répondre autant aux nouveaux enjeux de la coopération de sécurité et de défense qu’aux impératifs de diminution des coûts budgétaires. (…) Aussi, le ministère a établi des priorités sur ses actions traditionnelles et privilégié les projets relatifs aux grands enjeux sécuritaires (terrorisme, trafics, sécurité maritime) ainsi que dans les domaines de l’influence (conseil de haut niveau, formation) et du soutien aux exportations ».
Concrètement, le budget de la coopération de sécurité et de défense a drastiquement diminué depuis une dizaine d’années. Parallèlement, le nombre de coopérants techniques déployés à travers le monde a été nettement réduit.
ÉVOLUTION DES MOYENS DE LA COOPÉRATION DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 (LFI) | |
Budget DCSD (millions d’€) |
106,4 |
98,0 |
95,4 |
95,4 |
91,8 |
91,0 |
95,2 |
88,3 |
93,4 |
87,8 |
Nombre de coopérants |
334 |
322 |
316 |
310 |
310 |
303 |
285 |
289 |
281 |
n.r. |
Source : avis n°166 de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2016, « Action de la France en Europe et dans le monde ».
• Une coopération structurelle résiduelle avec la Lituanie et la Croatie
De fait, la Croatie et la Lituanie ne font pas partie des partenaires prioritaires dans le cadre de la coopération de sécurité et de défense. Les montants affectés sont modestes : 5000 euros pour la Lituanie et 50 000 euros pour la Croatie en 2016 pour l’ensemble défense – sécurité intérieure. D’après le Gouvernement, la DCSD n’envisage pas d’accroître ses actions de coopération qui devraient être à peu près maintenues à leur niveau actuel.
L’axe essentiel de la coopération de défense structurelle avec ces deux pays est désormais l’enseignement du français en milieu militaire afin de pouvoir « disposer d’officiers francophones aptes à s’intégrer dans une opération de maintien de la paix en Afrique francophone, le cas échéant » (4). Cet objectif circonscrit ne pourra être atteint que dans la mesure des budgets qui y sont affectés, lesquels ne financent que des actions très ponctuelles : le budget 2016 de la coopération avec la Croatie finance ainsi un stage pour un enseignant croate au Centre d’instruction au français de Rochefort et un intervenant français pendant un mois à l’Académie militaire de Vilnius.
Les perspectives sont donc limitées s’agissant de la coopération structurelle avec la Croatie et la Lituanie. Il importe cependant de maintenir un effort minimal. En effet, la coopération structurelle permet d’aider à la structuration des élites militaires de ces pays. Elle permet d’avoir, au sein des armées étrangères, des officiers qui parlent français et pensent « à la française ». C’est donc un outil d’influence très important et qui doit être préservé.
Si les montants consacrés à la coopération structurelle avec ces pays sont voués à rester modestes, la ratification des accords de coopération avec la Croatie et la Lituanie permettra d’amplifier la dynamique positive du dialogue stratégique de la France avec ces deux pays sur la période récente. En approuvant ces accords – ratifiés depuis longtemps par nos partenaires – la France montrera sa volonté de donner une impulsion politique nouvelle à son partenariat avec ces deux pays. Cela pourrait ouvrir la voie à certaines opportunités sur le plan de la coopération d’armement et des opérations extérieures.
• Perspectives en matière de coopération d’armement
L’article 5 des deux accords facilite l’exportation d’armement pour les industriels français, notamment en prévoyant des échanges d’information d’un certain niveau de confidentialité.
Sensibilisée à l’urgence de la sécurisation de ses frontières, la Croatie pourrait se lancer dans l’acquisition de patrouilleurs pour renforcer le contrôle de ses côtes. Les industriels français seraient bien positionnés pour répondre à cette offre, l’escale du patrouilleur L’Adroit ayant permis de faire connaître ce bâtiment aux autorités croates. Il faudrait cependant que la Croatie obtienne des fonds européens substantiels à cette fin, sa situation budgétaire ne lui permettant pas de dégager un budget d’investissement suffisant.
Quant à la Lituanie, elle a signé un contrat avec Airbus helicopters pour l’achat de trois hélicoptères, dont le premier a été livré en juin 2015. Étant donnée la hausse du budget de défense de ce pays, il existe des opportunités en matière d’armement pour les industriels français (VBCI, caesar, hélicoptères d’occasion). Ceux-ci ne sont certes pas les mieux positionnés pour y répondre du fait des affinités plus grandes de la Lituanie avec l’Allemagne ou les pays anglo-saxons. La densification de la coopération entre nos deux pays, avec notamment la tenue du forum annuel franco-balte des industries de défense et l’intensification de la coopération opérationnelle, notamment au Mali où la Lituanie déploie des troupes au sein de la MINUSMA, pourrait toutefois créer des opportunités pour les industriels français.
• Perspectives sur le plan opérationnel
La poursuite des bonnes relations avec la Croatie et la Lituanie pourrait permettre d’approfondir notre coopération dans le cadre des opérations extérieures.
En plus du doublement de ses effectifs intégrés au sein de la MINUSMA au Mali, la Lituanie pourrait s’investir dans les domaines du transport stratégique et des forces spéciales pour lesquels il y a un réel besoin. En retour, elle attendra de la France un certain engagement sur la présence avancée renforcée de l’OTAN à l’est ainsi qu’un investissement concret à travers la participation aux exercices ou la politique d’escale.
Quant à la Croatie, elle pourrait, dans le cadre de la demande faite par la France au titre de l’article 42§7 du TUE, décider de déployer des troupes au Mali dans les prochains mois. De son côté, la France gagnerait probablement à se réinvestir au sein du RACVIAC (Regional arms control verification and implementation assistance centre) dont elle est absente alors qu’elle en fut l’un des membres fondateurs, et qu’il s’agit du seul forum de sécurité réunissant tous les États balkaniques. Le Gouvernement indique que, sans parler d’une contribution financière à ce forum, un réengagement a minima pourrait se faire par l’envoi d’intervenants français.
Les présents accords avec la Lituanie et avec la Croatie constituent une actualisation bienvenue du cadre juridique de la coopération militaire de la France avec ces deux pays. Pour l’heure, cette coopération demeure modeste, mais elle pourrait être appelée à se densifier dans un contexte où les problématiques sécuritaires sont mieux prises en compte et où les visions stratégiques convergent.
Les accords soumis à l’examen de la commission apportent un cadre favorable à cette coopération approfondie et protecteur pour les personnels chargés de la mettre en œuvre. Le rapporteur ne peut donc qu’encourager les membres de la commission à en voter l’approbation.
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
Néant
La commission examine les deux présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 15 juin à 9h30.
M. Didier Quentin, rapporteur. La commission m’a laissé le soin de vous présenter deux accords de coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité, le premier avec la Croatie et le second avec la Lituanie.
Pourquoi cet examen conjoint des deux textes ? Sans vouloir établir des analogies douteuses, on peut tout de même souligner des similitudes dans le contexte de négociation des deux accords qui appuyaient ce choix.
Premièrement, la Croatie et la Lituanie font toutes les deux partie des PECO (pays d’Europe centrale et orientale), ces pays anciennement compris dans la sphère communiste et progressivement intégrés dans l’OTAN et dans l’Union européenne à partir des années 2000. La Lituanie a ainsi intégré l'OTAN et l'Union européenne en 2004, tandis que la Croatie est entrée dans l'OTAN en 2009 et dans l'Union européenne en 2013.
Deuxièmement, pour ces deux pays, la France ne fait pas partie du premier cercle de partenaires. Ce sont deux pays très atlantistes, pour qui la relation avec l'OTAN et avec les États-Unis est primordiale, et qui sont très proches de l'Allemagne sur le plan économique. Les actions de coopération militaire bilatérale entreprises par la France avec ces pays sont ainsi plutôt modestes.
Cependant, et c'est mon troisième point, dans les deux cas, les évolutions du contexte stratégique mondial rendent ces pays plus réceptifs aux problématiques sécuritaires. À cette occasion, la France renforce son dialogue stratégique avec eux ; cette nouvelle proximité peut trouver des applications dans les domaines de l'armement ou des opérations extérieures.
Enfin, les deux accords ont été signés en même temps, le 12 juillet 2013 pour la Lituanie et le 14 juillet 2013 pour la Croatie. Dans les deux cas, il est donc temps de les approuver, sachant que nos partenaires ont accompli leurs procédures de ratification dès la fin de l’année 2013.
Je vous présenterai d’abord les enjeux de la coopération militaire avec la Lituanie et avec la Croatie avant d’en venir aux apports concrets des textes que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui.
Notre relation avec la Lituanie est ancienne. Pour l’anecdote, on peut se souvenir que Napoléon 1er y a séjourné à plusieurs reprises, notamment en 1812 en pleine retraite de Russie, et qu’il en avait gardé une excellente impression. Par le passé, la France a eu une influence culturelle non négligeable en Lituanie. Dans l’entre-deux guerres, le français y était la première enseignée.
Mais cette influence s’est aujourd’hui quelque peu étiolée au profit des pays anglo-saxons et de l’Allemagne, qui est l'un de ses premiers partenaires économiques. En matière de défense, la Lituanie a toujours accordé une priorité forte à l'OTAN et à la relation avec les États-Unis. La crise russo-ukrainienne a accentué à l'outrance le réflexe otanien de la Lituanie en même temps qu'elle a provoqué un réveil des consciences dans ce pays qui avait complètement délaissé son outil militaire. Face à ce qu'elle perçoit comme une menace russe imminente et existentielle, la Lituanie a décidé d'accroître son effort de défense de 0,8 à 2% du PIB au plus tard en 2020. Cet effort volontariste est rendu possible par un taux de croissance soutenu, de l'ordre de 3 à 3,5% du PIB depuis 2011.
Par ailleurs, La Lituanie a fait appel à la solidarité de ses alliés en demandant à ce que l'OTAN soit recentrée sur sa mission de défense collective. Les alliés ont réagi en adoptant des mesures de réassurance : accroissement en taille et en fréquence des exercices sur le territoire des alliés baltes et orientaux, prépositionnement de matériels et d'équipements, renforcement de la police du ciel des États baltes et bientôt déploiements par rotation de troupes alliées. La France a pris sa part de l'effort de réassurance. Elle assurera pour la sixième fois à partir du mois de septembre la mission de police du ciel des États baltes, ce qui mobilisera 4 avions de chasse et 120 personnels pendant 4 mois. La France conduit également des vols de surveillance maritime en mer baltique. Étant données les tensions qui pèsent sur notre outil militaire déjà fortement sollicité, cet effort n'est pas négligeable.
Plus généralement, le réinvestissement de la France dans l'OTAN a permis de nouer un dialogue stratégique de qualité avec la Lituanie et d'échanger sur nos préoccupations de sécurité respectives. Cette méthode s'avère payante. La Lituanie se montre désormais disposée à s'investir davantage dans les opérations en Afrique pourvu que nous maintenions notre effort sur les mesures de réassurance. En réponse à l'invocation par la France de l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne, le Parlement lituanien a accepté de doubler les effectifs engagés au sein de la Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA), de 20 à 40 militaires, ce qui n'est pas négligeable pour ce pays qui compte au maximum 130 militaires déployés en opération extérieure.
Au total, c'est une coopération modeste que nous avons avec la Lituanie mais qui a trouvé à s'épanouir selon un principe de donnant-donnant. Il nous reviendra d'entretenir cette dynamique en marquant notre attention pour les préoccupations de sécurité de ce pays. De ce point de vue, l'approbation de l'accord (certes près de trois ans après notre partenaire...) sera un signal politique positif.
J'en viens aux enjeux de la coopération militaire entre la France et la Croatie. Si la relation franco-lituanienne est ancienne, la France a tardé à développer ses relations avec la Croatie. Notre pays était traditionnellement plus proche de la Serbie, le rival historique de la Croatie. C’est ainsi que le Monument de la reconnaissance à la France situé à Belgrade, que nous avons vu lors d’une récente mission de la commission des Affaires européennes, porte l’inscription : « Nous aimons la France comme elle nous a aimé – 1914-1918 ». Ce monument, dont l’inscription a été quelque peu effacée ces dernières années, aurait d’ailleurs besoin d’être restauré, et je profite de cette occasion pour émettre le souhait que l’Assemblée nationale contribue à cette restauration.
De son côté, la Croatie a toujours eu des liens plus forts avec l'Allemagne. Ce retard continue de se faire sentir aujourd'hui dans le domaine de la coopération de défense, où la Croatie a une relation presque exclusive avec les États-Unis. La France était le seul grand pays européen à ne pas avoir d'accord de coopération avec la Croatie. D'après le Gouvernement, nous sommes en dessous de la moyenne européenne pour les activités militaires bilatérales avec la Croatie. A la différence des autres grands États européens, nous ne participons pas aux exercices régionaux conduits par l'OTAN ni aux manifestations du RACVIAC (regional arms control verification and implementation assistance centre), qui est le principal forum de sécurité balkanique.
Par ailleurs, les sommes que notre pays consacre à la coopération structurelle avec la Croatie ont fondu depuis 2010. Auparavant, la Direction de coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères consacrait environ 100 000 euros par an à la coopération militaire avec la Croatie, contre 6000 au maximum actuellement. Rappelons que ce type de coopération dite structurelle a pour objet de renforcer sur le long terme les capacités militaires d'États partenaires fragiles par des actions de formation, la mise en place de coopérants techniques auprès des responsables politiques et militaires et la conduite de missions d'expertise. D'après le Gouvernement, la chute de crédits de la coopération structurelle avec la Croatie s'explique en partie par son adhésion à l'OTAN en 2009, qui lui a permis d'avoir accès aux programmes de l'Alliance. Cependant, elle découle surtout de la forte réduction des moyens de la coopération structurelle française, recentrée sur des cibles prioritaires, principalement en Afrique.
Quant à la coopération opérationnelle conduite par les militaires français avec l'armée croate, elle est, de fait, très limitée par la taille réduite de l'armée et les faibles moyens de notre partenaire. La Croatie a perdu 13% de son PIB avec la crise économique et accuse aujourd'hui des déséquilibres macroéconomiques importants : déficit public supérieur à 5% du PIB entre 2009 et 2014 ramené à 3,2% en 2015, taux de chômage de 17% entre autres. Dans ce contexte, la Croatie fait partie des pays qui continuent de réduire leur effort de défense. Celui-ci s'élevait à 610 millions d'euros, soit 1,24% du PIB, en 2015. C'est ainsi essentiellement dans le domaine maritime que nos deux armées sont conduites à coopérer, la plupart du temps lors d'escales de bâtiments de la marine nationale en Croatie. Ces escales sont l'occasion d'organiser des exercices ou des séminaires ou de prévoir l'embarquement d'officiers croates. En 2016, une escale était prévue au mois de mai, celle du patrouilleur hauturier l'Adroit.
Les actions de coopération avec la Croatie sont donc très limitées. Mais d'après le Gouvernement, il y aurait matière à approfondir cette coopération en raison d'une nouvelle proximité de vues entre nos deux pays. Le nouveau ministre des affaires étrangères croate, M. Kovac, est un francophone qui manifeste la volonté de nouer des relations étroites avec notre pays. Et la Croatie se montre plus disposée à s'investir dans les opérations militaires de l'Union européenne, alors qu'elle privilégiait en principe systématiquement le cadre de l'OTAN. Elle a d'ores et déjà participé aux opérations maritimes Atalante au large de la Corne de l'Afrique et Sophia en Méditerranée occidentale. Par ailleurs, elle a répondu à la demande de solidarité de la France au titre de l'article 42.7 par une dotation en armement et en matériel et pourrait déployer des soldats au Mali d'ici la fin de l'année.
Quels sont les apports des deux accords sur lesquels nous devons nous prononcer ? Sur le plan juridique, ces textes ont le mérite de proposer un cadre actualisé pour les actions de coopération conduites avec la Croatie et la Lituanie. Auparavant, ces actions étaient encadrées par des arrangements techniques conclus dans les années 1990. Ces arrangements, dont la portée et le champ étaient beaucoup plus étroits, ont été rendus obsolètes par l'adhésion à l'OTAN de la Croatie et de la Lituanie, qui a complètement modifié notre relation de défense avec ces pays. Il était donc utile de prévoir un cadre rénové qui tenait compte de ces évolutions. La France a entrepris la même démarche avec la plupart des autres PECO, à l'image de la Roumanie (avenant de 2008), de la Pologne (avenant de 2006), de l'Estonie (accord de 2011) ou encore de la Lettonie (négociation en cours).
Je ne m'attarderai pas sur l'analyse des stipulations des accords, qui sont dans l'ensemble conformes à ce que l'on trouve dans ce type de textes, avec des petites variantes liées aux contextes de négociation ou aux spécificités de chaque pays. Les deux accords énumèrent dans un premier temps le champ et les modalités de la coopération, qui sont largement appréhendés. Suivent les questions relatives au statut des forces en visite, pour lesquelles les deux accords procèdent par renvoi au SOFA OTAN. On appelle SOFA OTAN la Convention entre les États parties au traité de l'Atlantique nord sur le statut des forces en visite, qui définit les différents éléments du statut des forces en visite sur le territoire d'une autre partie : conditions d'entrée et de séjour, facilités opérationnelles, questions juridictionnelles, modalités de règlement des dommages et questions fiscales. La Lituanie et la Croatie étant toutes deux membres de l'OTAN et parties au SOFA OTAN, il suffisait de renvoyer à ce traité pour régler l'ensemble de ces questions. Il faut pourtant noter que le renvoi au SOFA OTAN dans les accords que nous examinons conduit à étendre le bénéfice de ses clauses au personnel civil du ministère des affaires étrangères susceptible d'être déployé dans le cadre des actions de coopération structurelle. En effet, le SOFA OTAN ne s'applique qu'aux personnels civils du ministère de la défense. Or, la coopération structurelle relève en France du ministère des affaires étrangères. Jusqu'à présent, son personnel civil se trouvait soumis au droit local dans le cadre des actions de coopération, ce qui était nettement moins protecteur. Cette extension du bénéfice du SOFA OTAN est en réalité le principal apport des deux accords d'un point de vue juridique.
Que penser de la portée de ces accords sur le plan politique ? Ils permettront d'entretenir la dynamique positive de notre dialogue stratégique avec la Lituanie et la Croatie observée au cours des dernières années. Cela pourra peut-être ouvrir quelques possibilités en matière d'exportation d'armement, en particulier en Lituanie où des acquisitions d'équipements seront prévues dans le cadre de la hausse de l'effort de défense. La France a d'ailleurs pris l'initiative de créer un forum franco-baltes de l'industrie de défense qui donne l'occasion aux industriels français de se faire connaître. Avec la Croatie, les perspectives en matière d'armement seront beaucoup plus restreintes en raison de la contrainte budgétaire. Ces accords permettront aussi de renforcer notre partenariat politico-militaire avec deux pays qui ne font pas partie de notre sphère traditionnelle. Nous avons d'ores et déjà constaté, avec la Lituanie, que l'on pouvait trouver des terrains d'entente sur le plan opérationnel tout en ayant des intérêts de sécurité prioritaires différents.
En conclusion, il me semble que ces deux accords permettent une actualisation juridique plutôt positive de notre coopération militaire avec la Lituanie et la Croatie. Ils ne peuvent en outre qu'être bénéfiques sur plan politique. Je vous encourage donc à les approuver, comme le Sénat les a approuvés le 11 février dernier.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. La Lituanie vit effectivement avec une certaine angoisse son voisinage avec la Russie.
Je ne manquerais pas de faire part au Président de l’Assemblée nationale de votre vœu s’agissant de la restauration du Monument de la reconnaissance à la France situé à Belgrade. C’est effectivement un témoignage très émouvant.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les projets de loi (n° 3501) et (n° 3500) sans modification.
TEXTES DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Lituanie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité, signé à Paris le 12 juillet 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie relatif à la coopération dans le domaine de la défense, signé à Paris le 14 juillet 2013.
NB : Le texte des accords figurent en annexe aux deux projets de loi (n° 3501 et n° 3500)
© Assemblée nationale1 () La Joint expeditionary force (JEF) est une force expéditionnaire conjointe menée par le Royaume-Uni en partenariat avec le Danemark, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas et la Norvège en vue de renforcer l’interopérabilité des forces armées des pays concernés. Elle doit être opérationnelle à l’horizon 2018.
2 () Accords entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie relatifs d’une part, à la coopération en matière de sécurité intérieure et d’autre part, à l'assistance et à la coopération dans le domaine de la protection et de la sécurité civiles, signés à Paris le 10 octobre 2007.
3 () Extrait du projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2016, mission action extérieure de l’État, programme n°105 « Action de la France dans l’Europe et dans le monde »
4 () Réponse du Gouvernement au questionnaire adressé par le Sénat sur les projets de loi autorisant l’approbation des accords avec la Lituanie et la Croatie relatifs à la coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité.