N° 1863

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 octobre 1999.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2000 (n° 1805),

TOME VI

DÉFENSE

PAR M. JEAN-BERNARD RAIMOND,

Député

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

                      Voir le numéro 1861 (annexe n° 40)

                      Lois de finances

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, François Loncle, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Cochet, Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I – L’EUROPE 9

    A – LA SÉCURITÉ DU CONTINENT EUROPÉEN 9

    1) Les progrès et les difficultés du désarmement 9

    2) La relation OTAN-Russie 13

    B – L’ÉMERGENCE D’UNE IDENTITÉ EUROPÉENNE
    DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE
    15

    1) Le sommet de Saint-Malo 15

    2) Le sommet de Washington 17

    3) Le Conseil européen de Cologne 19

II –L’IRAK 21

    A –L’ÉCHEC D’UNE STRATÉGIE 21

    B –QUELLE SOLUTION ? 24

CONCLUSION 27

EXAMEN EN COMMISSION 29

Mesdames, Messieurs,

Si l’on devait résumer d’une formule lapidaire les conclusions qu’inspire l’examen de ce budget, l’on pourrait dire que les armées ne perçoivent pas les dividendes de leur participation brillante aux opérations du Kosovo.

En effet, le projet de loi de finances pour 2000 prévoit pour la Défense une augmentation des crédits de fonctionnement qui passent de 104 milliards de francs en 1999 (hors pensions) à 105 milliards et une diminution des crédits de paiement affectés à l’équipement qui passent de 86 milliards de francs en 1999 à 82,9 milliards. Au total, le budget de la Défense, hors pensions, diminue de 2,1 milliards de francs.

Certes, l’évolution des crédits de fonctionnement paraît globalement satisfaisante dans la mesure où elle accompagne la professionnalisation des armées. Les deux tiers de ce dernier processus seront accomplis à la fin de l’année 2000 ; l’Armée de l’air, notamment, aura pratiquement achevé cette mutation avec deux années d’avance sur la programmation. Les effectifs d’appelés diminueront de 35.369 tandis que 7.713 emplois de militaires du rang seront créés ainsi que 1.206 emplois de personnels civils et 6.500 emplois de volontaires.

En revanche, l’évolution des crédits de paiement affectés à l’équipement est à la baisse ce qui peut paraître à première vue décevant.

Le Gouvernement avance un certain nombre de justifications.

Il estime que ce projet de budget reste dans l’épure tracée lors de la revue de programmes réalisée en 1998 qui a fixé à 85 milliards de francs l’enveloppe annuelle moyenne des crédits d’équipement pour les années de la programmation restant à courir.

Le budget 2000 prévoit des crédits d’un montant inférieur à cette moyenne (82,9 milliards au lieu de 85) mais, selon le Gouvernement, cela n’affectera pas l’exécution de la programmation. D’une part, le faible montant de cette année succède à une année où le niveau des crédits de paiement était supérieur d'un milliard à la moyenne de 85 milliards. D’autre part, les autorisations de programme ouvertes par le budget 2000 sont en augmentation (87,5 milliards contre 86 milliards en 1999) ce qui permettra d’accélérer le rythme d’engagement des commandes.

Par ailleurs, la baisse des crédits de paiement serait la conséquence des trop faibles engagements de dépenses en 1995 et 1996, retards qui auraient été rattrapés par une accélération du rythme d’engagement des commandes et de consommation des autorisations de programme en 1997 et 1998.

Le Gouvernement compte aussi poursuivre la politique de commandes pluriannuelles qui permet de réduire les coûts des programmes en donnant une plus grande visibilité aux industriels de l’armement.

Enfin, il fait valoir que la baisse des crédits de paiement affectera principalement l’espace (-15%) qui subit les conséquences des difficultés rencontrées dans la coopération avec nos partenaires européens en raison des réductions budgétaires qu’ils ont opérées.

Aucun programme d’équipement ne devrait donc être retardé ou annulé.

La dissuasion nucléaire bénéficiera d’une hausse des autorisations de programme de 38% par rapport à 1999 en raison du développement du missile M51. Le deuxième sous-marin nucléaire de nouvelle génération, Le Téméraire, sera admis au service actif cet automne. La commande du quatrième et dernier sous-marin interviendra en 2000 ; ce bâtiment sera directement équipé de missiles M51 dont la mise en service a été avancée à 2008 au lieu de 2010. Par ailleurs, le missile ASMP, destiné à équiper la composante aéroportée de la dissuasion entrera dans sa phase de développement en 2000.

Les différentes armes recevront chacune des matériels nouveaux axés notamment sur le développement de leurs forces projetables :

- la Marine admettra au service actif le porte-avions Charles de Gaulle et ses trois premiers avions Rafale lui seront livrés. Par ailleurs, la première commande de la frégate anti-aérienne Horizon sera lancée en dépit du retrait des Britanniques ;

- l’Armée de terre recevra 22 nouveaux chars Leclerc, s’ajoutant aux 205 qui lui ont été livrés, et 44 autres chars Leclerc lui seront commandés ;

- l’Armée de l’air prendra livraison en 2000 de son deuxième avion Rafale, de 12 Mirage 2000-D et des trois derniers Mirage 2000-5.

Cependant, alors que certains de nos partenaires, les Etats-Unis notamment, commencent à inverser la tendance à la baisse de leurs budgets de défense, on peut regretter que la France ne s’oriente pas vers une modernisation plus soutenue de ses forces dont la nécessité a été démontrée lors du conflit du Kosovo.

Les autorisations de programme comme les crédits de paiement pour la Marine sont en baisse. Il en est de même pour l'Armée de l'air, ce qui est paradoxal, compte tenu du rôle joué par l'arme aérienne dans la guerre du Kosovo. La deuxième tranche groupée de commandes de Rafale est différée à 2001. Eurocopter a conclu une commande sur 10 ans de 160 Tigre mais une forte interrogation pèse sur le NH 90 dont le développement est pourtant achevé. Aucun accord en vue d'un contrat pour l'industrialisation et un premier lot de 150 appareils n'a été signé. Les Allemands tergiversent pour des raisons budgétaires mais l'impulsion française fait défaut pour la version transport alors que le vieillissement des Puma devrait nous inciter à ne pas attendre pour les remplacer par le NH 90 dès 2011. Ceci risque de décourager les Hollandais, de retarder une alliance plus solide avec les Italiens et de compromettre les possibilités d'exportations très fortes vers les quatre pays nordiques : Norvège, Suède, Finlande, Danemark.

I – L’EUROPE

A – La sécurité du continent européen

A partir de l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev et dans la foulée des événements qui ont suivi l’éclatement de l’Union soviétique, une entente au plus haut niveau a permis de conclure une série d’accords de désarmement et d’instituer un partenariat stratégique entre la Russie nouvelle et les pays occidentaux. Cette évolution a malheureusement été soumise à rude épreuve du fait de la situation intérieure de la Russie et des crises balkaniques.

1) Les progrès et les difficultés du désarmement

L’exécution des accords de désarmement (Start-I et FCE) a été épargnée par les aléas des relations entre la Russie et les pays occidentaux. Cependant, le processus se heurte à des difficultés préoccupantes.

Ainsi, en dépit de difficultés d’ordre technique, le calendrier de réduction des armements nucléaires stratégiques est pour le moment respecté.

Le traité START-I, signé le 31 juillet 1991, a établi un calendrier de sept ans à compter de son entrée en vigueur pour une réduction d’un tiers des arsenaux américains et soviétiques, avec pour objectif le chiffre de 6.000 têtes nucléaires pour chacune des deux parties. Partie d’un total de 11.012 têtes à la fin des années 1990, la Russie disposerait début 1999 d’un total de 6.454 têtes. S’agissant des Américains, les chiffres indiqués de source officielle, soit 6.227 têtes, sont également proches de l’objectif qui doit être atteint en 2001.

A moyen terme, il s’agit d’obtenir l’entrée en vigueur du deuxième accord de désarmement, le traité START-II, signé le 3 janvier 1993, dont la ratification par la Douma est toujours en instance. Ce traité prévoit une nouvelle réduction en deux phases du nombre de têtes ; la première s’achèverait en 2004 et la seconde en 2007. Le plafond doit passer à 4.250 têtes à la fin de la première phase et à 3.000 pour la Russie et 3.500 pour les Etats-Unis à la fin de la seconde.

Cette ratification a été repoussée par les crises diplomatiques ouvertes avec les Etats-Unis à propos de l’Irak puis du Kosovo. Cependant, ces crises n’ont pas empêché la conclusion, en septembre 1997, d’un accord sur la désactivation anticipée des têtes devant être éliminées au 31 décembre 1997, ni l’engagement de commencer les négociations d’un nouvel accord START-III qui devrait fixer à 2.000 ou 2.500 le nombre de têtes déployées sur des vecteurs stratégiques par chacune des parties.

La renégociation du traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) est en bonne voie.

Ce traité, signé en novembre 1990 entre les 16 pays de l’Alliance atlantique et les 6 pays du pacte de Varsovie, visait à réduire le matériel à caractère offensif et obligeait les Etats à procéder à une certaine répartition des matériels dans toute la profondeur de la zone du traité. Les plafonds prévus à cet effet étaient respectés à la date prévue du 15 novembre 1995 : 48.000 équipements d’importance majeure ont ainsi été détruits.

Cependant, la Russie a demandé dans un premier temps une révision de certaines dispositions qui limitaient ses possibilités de déploiement dans la région militaire de Saint-Pétersbourg et dans le Nord-Caucase (zone des flancs) ; puis elle a mis en avant l’effet numériquement déstabilisateur de l’élargissement de l’OTAN.

La renégociation a débuté en janvier 1997 mais les Alliés ont refusé de lier cette adaptation et l’élargissement de l’OTAN, aussi est-ce seulement le 30 mars 1999 que les 30 Etats-parties sont parvenus à un accord intérimaire. Cet accord remplace le découpage initial par un système de plafonds nationaux et territoriaux et diminue à nouveau les plafonds. Par ailleurs, il prévoit des éléments de flexibilité : possibilité de dépasser les plafonds à l’occasion d’exercices, d’opérations sous mandat ou de déploiements temporaires, non-prise en compte des matériels en transit. Les Etats d’Europe centrale, pour répondre aux préoccupations de la Fédération de Russie, ont pris l’engagement de baisser leur niveau d’équipement et de ne pas utiliser les mécanismes de révision des plafonds. La Russie a également obtenu un aménagement de la zone des flancs.

Les discussions se poursuivent quant à la forme définitive que prendra le traité et son ouverture à d’autres Etats.

Cette bonne entente au niveau des exécutifs américain et russe est cependant contrariée, dans certains domaines, par les volontés divergentes des parlements russe et américain.

Ainsi, il existe des incertitudes sur l’enchaînement des événements devant conduire de START-II à START-III. La première incertitude est liée à l’attitude du Sénat américain à l’égard du report de l’entrée en vigueur de START-II qui amènerait les Etats-Unis à maintenir en état 6.000 têtes, ce qui induirait une dépense supplémentaire de 4 milliards de dollars. La seconde incertitude est que l’accord de la Douma à propos du protocole additionnel sur la désactivation des têtes et l’extension de l’échéance de destruction des lanceurs n'est pas assuré.

Le Congrès américain a donné également une tournure nouvelle aux négociations sur la clarification du traité ABM.

Ce traité, conclu en 1972, limite la possibilité de déployer des systèmes de défenses antimissiles. Par la suite, il est apparu nécessaire aux deux parties de s’entendre sur une interprétation commune entre les défenses contre les missiles stratégiques et celles contre les missiles non stratégiques. Jusque en 1995, les négociations avaient porté sur des aspects techniques puis, en 1997, les présidents russe et américain avaient réaffirmé un mandat de négociation permettant de distinguer les matériels destinés à détruire les missiles balistiques de courte et moyenne portée (systèmes de théâtre) et ceux capables d’intercepter des missiles balistiques intercontinentaux.

Le Président Eltsine avait obtenu des Américains la réaffirmation solennelle de l’attachement au traité ABM, qualifié de « pierre angulaire de la stabilité stratégique » et diverses restrictions : pas de tests sur les systèmes de haute vélocité avant 1999, pas de systèmes dans l’espace, ni utilisant des « principes physiques nouveaux » basés dans l’espace. En échange, les Américains pouvaient poursuivre l’ensemble de leurs programmes, en particulier ceux visant à réaliser une défense du territoire américain.

Mais, en 1999, l’administration Clinton a cédé à la demande du Congrès d’accélérer le déploiement d’une défense du territoire limitée qui exigera d’amender substantiellement le traité ABM, ce que les Russes ne peuvent accepter. Tout récemment les Etats-Unis auraient proposé à la Russie de l'aider à se doter d'un système de défense en échange d'une renégociation du traité ABM.

Le Sénat américain est également à l’origine d’un nouvel obstacle apporté à l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE).

Ouvert à la signature le 24 septembre 1996, ce traité a été signé le même jour par 72 Etats dont les cinq puissances nucléaires. A ce jour, 152 pays l’ont signé mais seulement 33 l’on ratifié, parmi lesquels la France et le Royaume-Uni. Son entrée en vigueur est subordonnée à la ratification des 44 Etats qui possèdent des capacités nucléaires de recherche ou de production d’énergie, ce qui permet d’inclure les 3 Etats du seuil (Inde, Pakistan, Israël).

Jusqu’à présent, le principal obstacle résidait dans le fait que l’Inde et le Pakistan n’étaient pas signataires du Traité. Mais, après leurs essais de 1998, des évolutions positives s’étaient dessinées, indiquant que ces deux pays pourraient réexaminer leur position.

Depuis, le Sénat des Etats-Unis a rejeté le TICE. Cette attitude est motivée par les comportements de la Chine et de la Corée du Nord et par le constat que le traité ne permettrait pas de contrôler effectivement que les autres Etats, la Russie notamment, ne procèdent pas à certaines formes d’expérimentation. Certains experts américains ont également la conviction que la simulation ne peut suppléer l'expérimentation.

Même si cette initiative ne constitue pas une menace directe pour le continent européen, il s’agit sans nul doute d’un mauvais signal adressé à la Russie et aux Etats du seuil. Par ailleurs, il est inquiétant qu'à cette occasion des voix conservatrices se soient élevées pour demander une réévaluation d'ensemble de l'approche américaine du désarmement.

D’autres processus de désarmement marquent le pas.

La négociation de la convention d’interdiction de production des matières fissiles pour les armes nucléaires n’a toujours pas réellement débuté.

La Convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction a été signée par 133 Etats mais plusieurs Etats significatifs ne figurent pas dans cette liste (Russie, Chine, Etats-Unis, Inde, Pakistan, Egypte…).

L’issue de la négociation du protocole qui doit rendre universellement vérifiables les clauses de la Convention d’interdiction des armes biologiques de 1972 est encore imprévisible. La France et le Royaume-Uni sont parmi les éléments moteurs de la négociation mais les Etats-Unis, la Russie et la Chine s’opposent à un régime d’inspection contraignant et d’autres Etats souhaitent obtenir en préalable la levée des restrictions aux transferts de biens et d’équipements biologiques en compensation de mesures intrusives de vérification.

La Convention sur les armes chimiques signée le 13 janvier 1993 est entrée en vigueur ; 171 pays l’ont signée et 126 l’ont ratifiée. Cependant, le pacte de Wyoming signé entre la Russie et les Etats-Unis en 1989 n’a pu être mis en œuvre suite à un revirement de Moscou. Seules des visites réciproques d’installations ont pu avoir lieu.

2) La relation OTAN-Russie

Les développements qui précèdent illustrent que les relations entre la Russie et l’OTAN n’ont pas encore atteint une qualité satisfaisante. Le conflit du Kosovo, en outre, a démontré l’importance de cette question pour la stabilité du continent.

En effet, pour la première fois depuis la disparition de l’Union soviétique, on a pu craindre une rupture des liens établis entre la Russie et l’OTAN et la Russie a pris des initiatives unilatérales qui auraient pu se révéler dangereuses si elles étaient allées au bout de leur logique. Dans l'analyse de l'attitude de la Russie durant le conflit du Kosovo, il convient de relativiser la part de la solidarité panslave car la Yougoslavie n’a jamais fait réellement partie de la zone d’influence russe et car les dirigeants russes partageaient largement les objectifs politiques des Occidentaux.

Cette attitude s’explique plus vraisemblablement par la crise politique interne de la Russie et par le sentiment qu’ont les Russes de ne pas être suffisamment considérés par les Occidentaux.

Après huit années de crise économique et sociale, le régime issu de la tentative manquée de putsch contre Mikhaïl Gorbatchev paraît à bout de souffle. Les réformes économiques n’ont pas rempli leurs promesses et la société russe en subit toutes les conséquences. A cela s’ajoute la perte d’influence et de prestige d’un pays qui jadis traitait sur un pied d’égalité avec les plus grands.

La Russie se trouve aujourd’hui face à une échéance décisive pour l’avenir de sa démocratie : la succession de Boris Eltsine, c’est-à-dire la première véritable alternance russe depuis 1991. Les élections législatives de décembre 1999 qui seront suivies par des présidentielles en juin 2000 se traduiront sans doute par de profonds changements sans qu’il soit encore possible d’en définir précisément les bénéficiaires. Il paraît peu probable en effet que les élections permettent au parti communiste de revenir au pouvoir. L’alternance devrait donc profiter à des forces politiques qui ne sont pas encore aujourd’hui en parfait ordre de marche et dont les leaders ne sont pas encore des candidats déclarés. La richesse et la qualité de la classe politique russe nous réservent peut-être des surprises. Il existe en Russie deux "centres" : celui qui est animé par MM. Primakov et Loujkov et celui qui est représenté par le mouvement Iabloko, dirigié par M. Iavlinski et auquel l'ancien Premier Ministre Stepachine s'est rallié. Ces huit années éprouvantes n’ont pas épuisé les forces de ceux qui, en Russie, souhaitent une réforme profonde, conforme aux vœux des Occidentaux.

Par ailleurs, les rebondissements de la crise tchétchène pourraient avoir de fortes répercussions, analogues à celles de la guerre en Afghanistan, sur le régime soviétique.

Ces considérations justifient que les Occidentaux prennent garde à ce que leur politique ne donne pas de nouveaux arguments au courant nationaliste russe.

Les raisons pour lesquelles la Russie se sent marginalisée par l’OTAN sont bien connues. Elles tiennent à l’affaiblissement général du pays et à certaines initiatives de l’Alliance, en particulier à l’élargissement de l’OTAN. Rien ne permet de penser que ces raisons disparaîtront dans un avenir proche.

L’Alliance, lors du sommet de Washington en avril 1999, a maintenu le principe de la poursuite de son élargissement. Dans la déclaration finale de ce sommet, les neuf candidats sont explicitement cités, suivant une hiérarchisation qui préserve la place de la Slovénie et de la Roumanie, conformément à la conception française : Roumanie, Slovénie, Estonie, Lituanie, Bulgarie, Slovaquie, Macédoine et Albanie. Un plan de préparation à l’adhésion a été proposé et un calendrier de réexamen des candidatures a été précisé, la prochaine échéance étant fixée au prochain sommet qui se tiendra au plus tard en 2002.

Il était difficile pour l’Alliance de fermer sa porte à ces Etats alors que certains d’entre eux étaient directement exposés à un éventuel débordement du conflit du Kosovo et manifestaient une solidarité sans failles avec l’Alliance. Par ailleurs, la perspective d’adhésion à l’OTAN est un facteur de stabilisation de ces Etats confrontés à une transition difficile.

Cependant, cette politique doit s’accompagner d’une association étroite entre l’OTAN et la Russie.

En mai 1997, l’Alliance avait œuvré en ce sens en concluant avec la Russie un « Acte fondateur » qui a créé un Conseil permanent conjoint OTAN-Russie et qui comporte une déclaration par laquelle ses signataires ne se considèrent plus comme des adversaires.

Au Sommet de Washington, une nouvelle étape a été franchie puisque le nouveau concept stratégique privilégie une approche globale des risques, notamment des risques nouveaux telle la prolifération. Contrairement au concept stratégique de 1991, il ne mentionne pas les capacités militaires de Moscou comme une menace mais insiste sur la nécessité de développer avec la Russie un « partenariat fort, stable et durable ».

Ces bonnes intentions ne doivent pas faire illusion. En réalité, tant que la Russie sera confrontée à des crises internes ou dans son étranger proche, ses relations avec l’OTAN demeureront fluctuantes. Par ailleurs, la prédominance américaine dans l’Alliance constitue une autre raison de défiance. A ce titre, le développement d’une identité européenne au sein de l’Alliance peut avoir des effets positifs.

B – L’émergence d’une identité européenne de sécurité et de défense

Dans son précédent avis, votre Rapporteur soulignait la timidité des avancées du concept d’une identité européenne de sécurité et de défense (IESD) au sein de l’Alliance atlantique car, jusqu’à présent, ces avancées se limitaient à trois décisions :

- la reconnaissance du principe que les moyens propres de l’OTAN pouvaient être mis à la disposition de l’UEO pour des opérations conduites sous son contrôle politique et sa direction stratégique ;

- la mise en œuvre d’une nouvelle structure de commandement définissant une chaîne de commandement européenne au sein de l’OTAN ;

- la mise en œuvre du concept de Groupe de forces interarmées multinationales permettant de donner un contenu opérationnel aux deux premières décisions.

Votre Rapporteur concluait que ces évolutions n’étaient pas suffisantes pour que la France puisse réintégrer pleinement les structures militaires de l’OTAN.

Depuis, des évolutions positives se sont produites.

1) Le sommet de Saint-Malo

Le sommet de Saint-Malo des 3 et 4 décembre 1998 a marqué un renforcement significatif de la coopération franco-britannique dans le domaine de la défense, tant en matière politico-militaire qu'en matière strictement militaire.

La déclaration adoptée à Saint-Malo a été précédée et suivie par le développement d’une coopération concrète et marque un changement d’orientation politique du Royaume-Uni, jusqu’ici peu disposé à admettre la possibilité de participer à des opérations militaires hors participation des Américains.

Depuis plusieurs années, la relation militaire franco-britannique s'est considérablement développée. Depuis 1994, chaque sommet franco-britannique a été l'occasion de décisions dans le domaine de la défense : lancement du projet du groupe aérien et de la concertation sur la prévention des conflits en Afrique (1994), inauguration du groupe aérien et développement de la coopération nucléaire (1995), lancement du projet de Haut Comité pour le maintien de la paix et signature de la lettre d'intention pour la coopération entre les marines (1996) et signature de la lettre d'intention entre les armées de terre (1997).

A l'occasion du sommet de Saint-Malo, la France et le Royaume-Uni se sont engagés, sur la base d'une lettre d'intention, dans une coopération pour les opérations de gestion de crise, d'aide humanitaire, de maintien et de rétablissement de la paix, avec l'ambition de donner aux deux forces armées une capacité de réaction opérationnelle rapide et concertée dès l'apparition d'une crise.

Dans le domaine opérationnel, la recherche d'une interopérabilité croissante s’est déjà développée, qu’il s’agisse de la coopération entre les marines ou entre les armées de terre ou du groupe aérien franco-britannique qui s'est élargi à d'autres pays européens, pour devenir le Groupe Aérien Européen. S'inscrivant dans le processus de construction de l'Europe de la défense, il poursuit d'ailleurs son élargissement. L'Italie en est devenue un membre à part entière, tandis que l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et l'Espagne ont annoncé officiellement leur intention de le rejoindre. Cette entité a vocation à traiter des questions d'entraînement et d'interopérabilité entre les différentes armées de l'air.

La coopération en matière d'armement s'est également amplifiée. La participation britannique à l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) et à la lettre d'intention sur les restructurations industrielles confirme une certaine volonté de s'impliquer dans les initiatives structurantes pour l'Europe de l'armement.

Toutefois, le développement de la coopération franco-britannique concernant l'émergence d'une défense européenne n'a pas trouvé à ce stade de prolongement direct et réel dans le domaine de l'armement. En témoignent notamment le retrait des Britanniques, en 1998, du programme Trimilsatcom (satellites) puis, en 1999, du programme Horizon (frégates) ainsi que la constitution d'un champion national dans le domaine industriel préféré à une alliance européenne. L'engagement du Royaume-Uni en faveur de l'Europe de l'armement reste donc partiel. Bien souvent, en effet, les choix concrets britanniques, influencés par les industriels, privilégient les aspects financiers et économiques.

Sur le terrain, en revanche, la coopération franco-britannique s'est considérablement renforcée. En Afrique, neuf mois après la déclaration de Saint-Malo, le bilan de la coopération bilatérale sur la prévention des conflits est en effet très positif. Les vues et les positions des deux pays convergent sur un certain nombre de crises africaines (Guinée-Bissau, Sierra Leone, Niger, Angola, Ethiopie, Erythrée).

La qualité du travail effectué en ex-Yougoslavie a ouvert la voie à l'approfondissement de la coopération franco-britannique en matière de défense européenne, selon une approche pragmatique. La crise du Kosovo a encore renforcé le travail en commun.

Le projet politique de Saint-Malo en matière de défense européenne donne davantage de poids à la coopération bilatérale franco-britannique. La déclaration commune sur la défense européenne constitue une avancée décisive en direction d'une Europe de la défense.

Elle marque en effet le rapprochement de la France et du Royaume-Uni pour doter l'Union européenne d'une "capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles". L'approche franco-britannique sur la défense européenne repose sur la volonté de doter l'Union européenne de structures appropriées pour pouvoir prendre des décisions dans ce domaine et pour disposer en propre d'une "capacité d'évaluation des situations, de sources de renseignement et d'une capacité de planification stratégique" lui permettant de prendre ses décisions en connaissance de cause.

Quelques mois plus tard, à Toulouse, en mai 1999, le sommet franco-allemand a permis d’enregistrer le soutien de l’Allemagne à ces orientations ainsi qu’une réorientation des missions du Corps européen.

En effet, le Corps européen n’est pour le moment pas adapté aux missions que les Européens seraient susceptibles d’assumer en commun, à savoir des missions de type Petersberg (opérations humanitaires et opération de maintien ou de rétablissement de la paix). Composé de la France, l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique et le Luxembourg, il est constitué essentiellement de blindés et son effectif (50.000 hommes) comporte une forte composante d’appelés, ce qui ne le prédestine pas aux opérations extérieures.

Aussi, à Toulouse, il a été décidé de le transformer en Corps de réaction rapide européen.

2) Le sommet de Washington

La révision du concept stratégique de l’Alliance était l’occasion de prendre en compte l’évolution du contexte stratégique en Europe et de faire progresser le concept d’IESD. Elle présentait aussi un risque : celui de faire la part trop belle aux conceptions américaines.

Les principales modifications par rapport au concept adopté en 1991 portent sur la définition des tâches de sécurité fondamentales de l'Alliance. Aux trois missions traditionnelles, issues directement du Traité de Washington (sécurité, consultation, défense collective) s'ajoutent deux nouvelles missions : gestion des crises d'une part, coopération, dialogue et partenariat d'autre part.

Pour la France, le débat sur l'insertion des nouvelles missions de l'Alliance dans le système onusien a été au cœur des négociations. Elle jugeait important que soit réaffirmée la "responsabilité primordiale du Conseil de sécurité pour le maintien de l'ordre et de la sécurité internationale", tout comme les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies. Sur ce point, le Sommet a répondu à ses vues : l'Alliance reste fermement ancrée dans l'ordre juridique sur lequel est fondé l'ordre international. L'usage de la force pour les opérations de gestion de crise reste soumis à un mandat du Conseil de sécurité. Cependant, on doit noter que l'Alliance adopte une approche pragmatique, "au cas par cas et par consensus", évitant de la placer sous la tutelle automatique de l'ONU. Enfin, au titre de ces nouvelles missions, l'Alliance interviendra "pour renforcer la sécurité et la stabilité de la région euro-atlantique", ce qui limite le champ géographique de son intervention, ainsi que la France le souhaitait.

Concernant le développement de l'identité européenne de sécurité et de défense, l'ambition de la France était à la fois d'obtenir la mise en œuvre des dispositions adoptées à la réunion ministérielle de Berlin en 1996 et la reconnaissance par l'Alliance qu'une véritable prise de responsabilité des Européens dans le domaine de la défense ne peut se limiter à une IESD à l'intérieur de l'OTAN.

De ce point de vue, le Communiqué des Chefs d'Etat répond à la position française : il reconnaît l'apport positif pour le lien transatlantique de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la déclaration de Saint-Malo et affirme la disponibilité de l'Alliance pour établir demain avec l'Union européenne des relations fondées sur les mécanismes OTAN/UEO.

D'autre part, trois nouvelles dispositions seront mises en œuvre pour renforcer l'IESD : accès assuré de l'Union européenne aux moyens de planification de l'OTAN, présomption d'accès aux moyens et capacités de l'Alliance, identification d'une série d'options de commandement européen renforçant le rôle de l'adjoint du SACEUR dont le mandat comme commandant d'une opération dirigée par l'UEO avec les moyens de l'OTAN avait été défini en 1997 au sommet de Madrid.

Ce feu vert donné à l’IESD reste cependant soumis à des conditions conformes aux principes américains. Il n’y aura ni de découplage entre les Européens et les autres membres de l’Alliance, ni de duplication des moyens collectifs.

3) Le Conseil européen de Cologne

Lors du Conseil européen de Cologne, en juin 1999, l’Union a adopté une déclaration concernant le renforcement de la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense.

Outre l’affirmation des Européens de poursuivre un effort de défense soutenu et de favoriser la restructuration des industries européennes de défense, cette déclaration prévoit l’adaptation des institutions européennes afin que l’Union soit en mesure de conduire des missions de type Petersberg.

A cet effet, le Conseil Affaires Générales devra définir les modalités de l’inclusion des fonctions de l’UEO relatives à ces missions et l’Union devra se doter d’un dispositif décisionnel pour « assurer le contrôle politique et la direction stratégique des opérations de Petersberg ».

Selon le rapport de la présidence allemande adopté à Cologne, ce dernier dispositif comportera :

- des sessions régulières du Conseil Affaires Générales avec la participation des ministres de la Défense ;

- un comité politique et de sécurité (COPS), organe permanent comprenant les représentants compétents en matière politique et militaire ;

- un comité militaire composé de représentants militaires ;

- un état-major de l’Union européenne, appuyé sur un centre de situation ainsi que sur le centre satellitaire et l’institut d’étude et de sécurité de l’UEO.

Par ailleurs, pour la première fois, l’Union européenne distingue clairement la possibilité de conduire des opérations avec les moyens de l’OTAN (notamment les GFIM) et celle de recourir à des moyens nationaux ou multinationaux purement européens.

Cette dernière possibilité est importante car on avait pu craindre jusqu'à présent que l'identité européenne était condamnée à se développer uniquement dans le cadre OTAN.

Les décisions adoptées à Cologne devront aboutir d’ici la fin de l’an 2000 et la France a saisi ses partenaires de propositions visant à leur donner plus de poids et plus de précision quant à l’articulation du nouveau dispositif avec les autres organisations (OTAN et UEO).

Ainsi, pour le Comité politique et de sécurité, la France souhaite qu'il comporte des représentants permanents des Etats et que ceux-ci soient différents de ceux qui siègent à l’OTAN. La France souhaite aussi que la présidence soit assurée par le Haut Représentant de l’Union européenne.

En revanche, au Comité militaire, l’on pourrait admettre, selon la France, que les représentants soient également membres du Comité militaire de l’OTAN.

D'une manière générale, la France souhaite que le schéma retenu à Cologne se traduise par ce que le Chef de l'Etat a appelé récemment, devant l'assemblée générale de l'Association du Traité de l'Atlantique-nord : "une instance permanente susceptible de définir en toutes circonstances les positions que l'actualité impose". Les crises récentes prouvent en effet que la cohésion et le poids des pays européens sont d'autant plus forts quand ces pays ont entrepris une analyse commune approfondie.

L'avenir de ce projet est encore incertain. Il se heurte à la traditionnelle défiance de nos partenaires à l'égard de tout ce qui pourrait distendre le lien transatlantique. La conversion britannique est encore trop récente pour qu'on puisse la considérer comme définitive, à l'abri des alternances politiques.

Par ailleurs, son aboutissement complet suppose l'acquisition par les Européens des capacités de commandement et de contrôle efficaces et la convergence de leurs politiques de défense, qu'il s'agisse des équipements, de la professionnalisation ou des industries d'armement.

II –L’IRAK

Alors que les Alliés sont parvenus à une solution au Kosovo après une campagne aérienne relativement courte, neuf années d’embargo n’ont pas permis de venir à bout de l’obstination de Saddam Hussein et depuis décembre de l’année dernière, les forces anglo-américaines conduisent des opérations aériennes pour contraindre l’Irak d’accepter les décisions du Conseil de Sécurité.

Votre Rapporteur estime que le débat sur la politique de défense de la France est une excellente occasion de souligner à nouveau l’échec de cette stratégie et d’exposer les solutions alternatives proposées par la France.

A –L’échec d’une stratégie

La résolution 687 adoptée par le Conseil de Sécurité le 11 avril 1991 a confié à la Commission Spéciale des Nations Unies (UNSCOM) la mission d'identifier et de démanteler les programmes d'armes de destruction massive, chimique, biologique et de leurs vecteurs balistiques, puis d'organiser et d'effectuer le contrôle à long terme des activités de l'Irak dans ces domaines. Elle donne à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) le même type de mission concernant les activités nucléaires, activité pour laquelle elle doit recevoir le soutien de l'UNSCOM.

En octobre 1997, le processus de démantèlement était quasiment achevé mais, par la suite, la coopération entre l’Irak et l’UNSCOM a été gravement perturbée et n’a pu se maintenir malgré de nombreuses tentatives de conciliation. A la suite d’une première suspension de cette coopération, Russes et Français étaient ainsi parvenus à la signature d’un accord russo-irakien en novembre 1997 qui devait permettre la reprise des activités de l’UNSCOM. Mais, en refusant l’accès aux « sites présidentiels », l’Irak a ouvert une nouvelle crise qui a nécessité les interventions de la France et du Secrétaire général de l’ONU. L’accord du 23 février 1998 qui en résulta, ne survécut pas à l’été 1998 puisque l’Irak, une nouvelle fois, décida au mois d’août d’interdire à l’UNSCOM l’accès à des sites. Cette fois, il fallut attendre le mois de novembre pour qu’une solution paraisse possible mais, finalement, après son retour en Irak, le chef de l’UNSCOM, M. Butler, déclara en décembre 1998 que l’Irak ne fournissait pas la coopération promise.

Cette déclaration décida les Etats-Unis et le Royaume-Uni à lancer leurs opérations militaires contre l’Irak.

On peut estimer aujourd’hui que cette action a échoué pour des raisons symétriques de celles qui ont conduit au succès au Kosovo.

Tout d’abord, l’action militaire souffre manifestement d’un manque de légitimité, sinon de légalité.

Les buts affichés paraissent aujourd’hui pour partie sans objet et pour partie inaccessibles. Sans objets, car, comme l’exposait votre Rapporteur dans son précédent avis, dans le domaine nucléaire, l’Irak, sous la pression de l’AIEA et de l’UNSCOM, ne dispose plus d’un potentiel réel. S’il subsiste encore des zones d’ombre, le passage au contrôle à long terme est désormais possible. Inaccessibles, car, dans les domaines chimique et biologique, il est en pratique impossible de parvenir à la certitude absolue qu’un Etat ne développe pas des capacités militaires.

D’autre part, les Etats-Unis et le Royaume-Uni se sont fondés pour enclencher l’opération « Renard du désert » sur une résolution du Conseil de Sécurité (la résolution 1153 du 20 février 1998) qui ne mentionne pas la possibilité de recourir à la force. Cette résolution en effet menace l’Irak « de très graves conséquences » ou « des conséquences les plus graves », selon que l’on se réfère aux versions française ou anglaise. Sans doute, une imprécision beaucoup plus prononcée affectait les résolutions sur lesquelles se sont fondées les Alliés pour lancer « Force Alliée » mais, dans ce dernier cas, il existait un consensus solide entre les membres permanents quant à la solution politique et la situation humanitaire justifiait que l’on prenne des libertés par rapport au droit.

En Irak, au contraire, c’est l’action des Occidentaux qui a des conséquences humanitaires très préoccupantes. L’économie irakienne a été ruinée par l’embargo : le PIB est tombé de 3000 dollars en 1990 à 750 dollars aujourd’hui ; la plupart des usines sont fermées ou ne tournent qu’à 15% de leurs capacités ; l’électricité n’est plus distribuée dans les campagnes ; le traitement des eaux est devenu insuffisant. Selon les autorités irakiennes, plus d’un million de personnes seraient décédées du fait de l’embargo. Ces chiffres officiels doivent être interprétés avec les réserves d’usage mais la gravité de la situation humanitaire est confirmée par des sources indépendantes. Au mois d’août dernier, l’UNICEF a publié un rapport démontrant que la mortalité infantile avait plus que doublé. Il a fallu attendre cet automne pour que le Comité des sanctions accepte d’entendre le représentant d’une agence humanitaire de l’ONU en la personne de Mme Carol Bellamy, directrice de l’UNICEF.

La résolution « pétrole contre nourriture » du mois d’avril 1995 (n°986) n’a apporté qu’une réponse partielle à cette situation dramatique. Outre que le montant autorisé d’exportations pétrolières est faible, les conditions imposées à l’Irak pour en bénéficier sont particulièrement lourdes. L’Irak ne perçoit que 66% de ces recettes pétrolières et les contrats d’importations sont soumis à l’agrément du Comité des sanctions dont le fonctionnement paraît opaque.

Il est sans doute difficile d’établir précisément dans quelle mesure le directeur de l’UNSCOM a été objectif ou non dans ses appréciations du mois de décembre 1998 mais on ne peut s’empêcher de penser que la rigidité des uns et des autres masquait en fait d’autres enjeux.

En second lieu, cette stratégie est inefficace et peut-être même contre productive.

Entre le 16 et le 19 décembre 1998, les forces américaines et anglaise ont procédé à des bombardements massifs sur l’Irak.

Depuis la fin de l'opération "Renard du Désert", en décembre 1998, Américains et Britanniques tentent de détruire les systèmes de défense sol-air irakiens ainsi que les centres de transmissions et de commandement situés au sud du 33ème parallèle et au nord du 36ème parallèle. Plus de cent soixante dix frappes aériennes ont eu lieu entre janvier 1999 et juillet 1999. Une centaine de sites de défense aérienne et une quarantaine de centres de télécommunications ont été traitées par ces bombardements, limitant fortement le potentiel sol-air moyenne portée irakien. L'attaque, le 28 février 1999, de deux stations de l'oléoduc acheminant le pétrole irakien vers la Turquie a eu pour conséquence d'interrompre pendant plusieurs jours le flux pétrolier.

Le régime de Saddam Hussein ne semble pas affecté par les sanctions civiles ou militaires. Assis sur le parti Baath, l’armée et les services de sécurité, il a toujours les caractères d’un pouvoir absolu et a même renforcé son contrôle de la société par le biais de l’organisation du rationnement. La brutalité du régime exclut a priori tout soulèvement de masse et l’opposition en exil est affaiblie et divisée. Tous les témoignages émanant du terrain indiquent que la population a perdu tout espoir et ne comprend pas l’acharnement des Anglo-Saxons.

Par ailleurs, l’engagement des opérations militaires a empêché tout contrôle des activités suspectes de l’économie irakienne. L’UNSCOM, qui avait réalisé un remarquable travail de démantèlement du complexe de production des armes de destructions massives de l’Irak n’est plus en mesure d’accomplir le moindre contrôle.

B –Quelle solution ?

La France se distingue des Etats-Unis et du Royaume-Uni par son refus de participer aux opérations militaires contre l’Irak et par ses propositions de solution qui se fondent sur une idée simple : on ne peut demander à l’Irak de prouver qu’il ne dispose pas de ce qu’il n’a pas ; par conséquent, la suspension de l’embargo est possible à condition que l’Irak accepte un mécanisme de contrôle nouveau de son désarmement.

La mise en place d'un contrôle continu efficace, fiable et crédible en Irak est aujourd'hui possible. Il constitue une condition indispensable à la suspension des sanctions et de l'embargo contre l'Irak. Mais il faudrait pour cela que l'Irak accepte de nouveau la présence d'inspecteurs et que le Conseil de Sécurité s'accorde sur une nouvelle procédure de contrôle.

La France a proposé au Conseil de Sécurité des améliorations sur trois volets : le contrôle continu, le contrôle financier et la suspension de l’embargo.

L'élément central du contrôle continu demeure la reconduction des droits des inspecteurs à accéder aux sites suspects en toute circonstance et de celui d'enquêter sur les points non éclaircis des programmes passés.

Les autres propositions de la France portent essentiellement sur :

        - le recentrage des activités du futur organisme de contrôle sur l'Irak, avec en particulier une autonomie technique et décisionnelle accrue du centre de Bagdad vis-à-vis de l'échelon politique de New-York ;

        - l'amélioration du professionnalisme et de la qualité des inspecteurs en particulier à travers des cycles de formation adaptés. De plus, la France estime important de disposer d'experts plus divers dans leur origine géographique ;

        - l'amélioration des moyens techniques de surveillance des activités irakiennes dans les domaines touchant à l'armement.

Pour le contrôle financier, la France propose, en parallèle avec la suspension de l'embargo sur les exportations de pétrole et sur les importations de biens (à l'exception des matériels militaires ou duaux), que les avoirs irakiens continuent à être gérés par une banque de réputation incontestable, ce qui permettrait le paiement des importations vers l'Irak. L'Irak serait amené à effectuer ses transactions commerciales extérieures à partir de ce compte. Sur proposition du Secrétariat général, et après négociation avec l'Irak, ce dernier serait autorisé à virer un montant fixe vers la Banque centrale irakienne de façon à assurer le relèvement de la devise irakienne et le paiement de la dette extérieure de ce pays.

Quant à la suspension de l'embargo, la France propose un mécanisme de suspension des sanctions et de l'embargo par périodes renouvelables de cent jours. Cette suspension des sanctions pourrait prendre effet dès l'acceptation par l'Irak de la mise en place du contrôle continu et du mécanisme financier tel que préconisé par nos propositions. Elle toucherait à la fois les exportations de pétrole brut irakien mais également la plupart des importations courantes vers l'Irak et donnerait aux compagnies étrangères quitus pour investir dans l'appareil économique irakien.

Le Comité des sanctions mis en place pour examiner les importations de biens vers l'Irak ainsi que la résolution 986 (dite pétrole contre nourriture) seraient supprimés. Un comité mixte constitué de l'AIEA et du nouvel organe de contrôle examinerait les demandes de contrats concernant des biens à double usage sur la base des critères internationaux applicables.

Les discussions au Conseil de Sécurité n’ont pas permis jusqu’à présent un réel rapprochement entre les membres permanents.

Un projet de texte britannique soutenu par les Etats-Unis propose, en substance, une suspension conditionnelle de l'embargo sur les exportations de pétrole par période renouvelable de cent vingt jours accompagnée d'un nouveau dispositif de contrôle continu comportant un volet de contrôle financier.

Les Russes et les Chinois, pour leur part, demandent une levée unilatérale des sanctions (exportations et importations) et la mise en place d'un nouvel organisme de contrôle continu.

La France s’efforce de faire valoir que l’enclenchement de la suspension des sanctions doit dépendre, non du constat (impossible) que l’Irak est effectivement désarmé, mais de la reprise des contrôles.

Jusqu’à présent, les discussions n’ont abouti qu’à un seul rapprochement : Américains et Britanniques admettent désormais que la suspension des sanctions s’étendra aussi à l’ensemble des importations.

CONCLUSION

Depuis de nombreuses années, la France s'efforce de faire émerger une politique étrangère et une politique de défense européennes, sans rien céder de son indépendance.

Elle a manifesté son indépendance en refusant de s'associer aux frappes aériennes sur l'Irak et en proposant une solution alternative raisonnable.

On lui a parfois reproché son alignement sur les positions américaines au cours du conflit du Kosovo. Pourtant, dans la conduite de la guerre, la France a fait valoir ses propres conceptions à la fois sur le plan militaire et diplomatique. Si le bilan de ses actions n'est pas encore définitif, tout le monde s'accorde pour considérer que ses forces se sont bien comportées et que les choix fondamentaux des dernières années (professionnalisation, acquisition de forces projetables, etc.) ont été validés par cette guerre.

Ce conflit a cristallisé et précipité une lente évolution de nos partenaires européens en faveur d'une identité européenne de sécurité et de défense qui pourrait être dotée d'une structure décisionnelle idoine.

Le budget 2000 de la Défense peut paraître "présentable" dans la mesure où le Gouvernement nous garantit que son exécution permettra de respecter la programmation, révisée en 1998.

Cependant, le niveau des autorisations de programme pour la Marine et l'Armée de l'Air ne paraît pas suffisant et le strict respect de la programmation devrait, selon votre Rapporteur, être suivi dans les prochaines années par un effort plus soutenu, à la hauteur des ambitions politiques affichées.

En conséquence, votre Rapporteur, considérant que le budget 2000 ne tient pas suffisamment compte des enseignements de la crise du Kosovo et ne répond pas pour l'avenir à nos ambitions pour la Défense européenne émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2000.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 2 novembre 1999, la Commission a examiné pour avis les crédits de la Défense pour 2000.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Roland Blum a, d’une part, demandé des précisions sur la position française en ce qui concerne l’hélicoptère NH 90. D’autre part, il s’est dit frappé par les propos du Rapporteur pour avis faisant état d’un renforcement de la présence militaire américaine dans le Caucase, chasse gardée de la Russie. Dans ces conditions, d’éventuels problèmes entre Russes et Américains ne sont-ils pas à craindre ?

Mme Bernadette Isaac-Sibille a regretté que le Rapporteur pour avis n’ait pas développé la question tellement importante de l’Irak, estimant qu’il revenait à l’Assemblée nationale de faire état des événements terribles qui se passent dans ce pays.

Saluant l’objectivité du rapport de M. Jean-Bernard Raimond mais désapprouvant sa conclusion, M. François Loncle a souhaité revenir sur l’insuffisance des crédits consacrés à l’espace. Le Rapporteur pour avis ayant évoqué une défaillance des partenaires européens de la France, il a demandé qui, en Europe, « traînait des pieds ».

Il a également souhaité faire une remarque s’agissant de la nécessité d’accentuer la stratégie de l’Union européenne pour l’élaboration d’une défense européenne. Faisant état de la prise en compte de ce dossier par la future présidence française de l’Union européenne, il a estimé qu’il serait intéressant d’avoir une évaluation objective des coûts de cette défense, y compris dans leur progressivité.

M. Jean-Bernard Raimond a répondu que les Etats-Unis étaient dans une position d’attente à l’égard des conflits du Caucase, intimement liés à la situation politique intérieure de la Russie. Il faut espérer qu’une solution au centre de l’échiquier politique russe permettra de démêler ces imbroglios.

Les retards dans le programme NH90 sont pour partie imputables à l’Allemagne mais la France paraît elle aussi passive.

L’Irak ne représente plus aujourd’hui un danger réel en raison du travail réalisé par l’UNSCOM. Pourtant les bombardements anglo-américains continuent et l’Irak n’est plus du tout contrôlé. La France œuvre au Conseil de Sécurité pour promouvoir une solution combinant la suspension de l’embargo et le reprise d’un contrôle. La politique des Etats-Unis à l’égard de l’Irak ne paraît pas rationnelle.

En 1999, le projet d’une identité européenne de sécurité et de défense a progressé. Les déclarations adoptées lors des différents sommets, en particulier la déclaration de Saint-Malo, sont très positives. Il convient à présent de leur donner une suite concrète. A cet effet, la France est favorable à l’attribution de responsabilités dans le domaine de la défense au Haut représentant pour l’Union européenne et à la création d’une instance permanente chargée d’analyser les crises.

La coopération européenne dans le domaine spatial souffre de la réticence de certains pays comme l’Allemagne.

Le Président Jack Lang a estimé qu’il conviendrait d’établir les scénarii envisageables pour la définition d’une politique européenne de défense. Au service de quel projet serait placé cette défense européenne, pour défendre qui ? Alors que l’Union européenne s’impose des contraintes budgétaires lourdes, est-il raisonnable d’augmenter l’effort de défense ? L’Union ne devrait-elle pas plutôt investir en priorité dans les nouvelles technologies ?

M. Jean-Bernard Raimond a répondu que le scepticisme à l’égard de la défense européenne était de bon aloi. Cependant, comme l’a démontré la politique des Etats-Unis à l’égard de la Yougoslavie jusqu’en 1995, les Américains pouvaient se désintéresser d’une crise européenne. Par ailleurs, les Européens, comme ils l’ont fait durant la crise du Kosovo, doivent s’efforcer de peser davantage au sein de l’Alliance atlantique.

Contrairement aux conclusions du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2000.

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N°1863-V. - Avis de M. Jean-Bernard Raimond, au nom de la commission des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2000. - Défense.

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