N° 1865

          ——

          ASSEMBLÉE NATIONALE

          CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

          ONZIÈME LÉGISLATURE

          Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 octobre 1999.

          AVIS

          PRÉSENTÉ

          AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2000 (n° 1805),

          TOME V

          JUSTICE

          ADMINISTRATION CENTRALE
          et SERVICES JUDICIAIRES

        PAR M. JACQUES FLOCH,

        Député.

        ——

          (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

          Voir le numéro : 1861 (annexe 35).

          Lois de finances.

          La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Roger Franzoni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, José Rossi, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

        INTRODUCTION 5

        I. — POUR LA TROISIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, LES CRÉDITS DE LA JUSTICE SONT EN NETTE PROGRESSION 10

        A. LE NOMBRE D’EMPLOIS DE MAGISTRATS CRÉÉS EST LE PLUS ÉLEVÉ DEPUIS VINGT-CINQ ANS 10

        B. TOUTES LES RÉFORMES ANNONCÉES SONT FINANCÉES 12

        C. DE NOUVELLES OPÉRATIONS D’ÉQUIPEMENT SONT LANCÉES 13

        II. —LE FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS 14

        A. L’ACTIVITÉ DES JURIDICTIONS 14

          1. L’activité judiciaire civile 15

          2. L’activité judiciaire pénale 17

          3. L’activité des juridictions administratives 22

        B. LES PERSONNELS 25

          1. Les services judiciaires 25

          2. Les juridictions administratives 29

        III. — LES RÉFORMES CONDUITES PAR LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE 32

        A. LES TRIBUNAUX DE COMMERCE 32

          1. L'activité des juridictions commerciales 33

          2. La réforme de la carte judiciaire des tribunaux de commerce 36

          3. La réforme des tribunaux de commerce 38

        B. LA MISE EN CAUSE DE LA RESPONSABILITÉ DES MAGISTRATS 38

          1. Les procédures disciplinaires concernant les magistrats 39

          2. Le régime de responsabilité des magistrats 40

          3. Les évolutions législatives 42

        AUDITION de Mme Elisabeth GUIGOU, garde des sceaux, ministre de la justice et EXAMEN EN COMMISSION 45

        ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES REÇUES PAR LE RAPPORTEUR 83

          MESDAMES, MESSIEURS,

          D’un montant de 27,291 milliards de francs, le budget de la justice pour 2000 augmente de 3,9 %, soit trois plus que la croissance moyenne du budget général de l’Etat : pour la première fois, il atteint 1,6 % du budget général.

          Le service public de la justice continue donc de bénéficier de la priorité voulue par le gouvernement de Lionel Jospin. Depuis le début de la législature, les crédits du ministère de la justice se seront ainsi accrus de 3,4 milliards de francs, ce qui représente une hausse cumulée de 14 %. À ce rythme de progression annuelle, le budget de la justice devrait pouvoir franchir la barre des 30 milliards de francs dans le projet de loi de finances pour 2002, ce qui paraissait de l’ordre du rêve il y a seulement quelques années.

ÉVOLUTION DU MONTANT DES CRÉDITS
DE LA JUSTICE ET DE LA PART DU BUDGET DE LA JUSTICE
DANS LE BUDGET DE L’ETAT

         

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        1999

        PLF

        2000

        Budget général

        en milliards de francs

        1 220,4

        1 280,2

        1 321,8

        1 369,9

        1 429,6

        1 494,3

        1 558,2

        1 582,0

        1 600,5

        1 686,5

        1 677,7

        Budget de la justice

        en millions de francs

        16 881,0

        18 177,0

        19 047,0

        20 393,0

        21 265,7

        22 131,3

        23 476,9

        23 903,5

        24 868,6

        26 264,8

        27 291,1

        Part justice / Etat

        1,38 %

        1,42 %

        1,44 %

        1,49 %

        1,46 %

        1,49 %

        1,51 %

        1,51 %

        1,55 %

        1,56 %

        1,62 %

N.B. : Les chiffres portés pour le budget de l’Etat sont ceux qui figurent en lois de finances initiales publiées au Journal officiel (tableau d’équilibre général) à la ligne dépenses nettes.

          En 2000, les effectifs du ministère de la justice connaîtront une nouvelle hausse remarquable de 1 239 emplois :

          — 5 emplois à l’administration générale, dont 4 pour l’inspection des services judiciaires ;

          — 382 emplois pour les juridictions judiciaires (212 magistrats, 155 fonctionnaires des greffes, 15 agents contractuels) ;

          — 85 emplois pour le Conseil d’Etat et les juridictions administratives (40 magistrats, 44 fonctionnaires, 1 ingénieur) ;

          — 386 emplois pour les services pénitentiaires ;

          — 380 emplois pour les services de la protection judiciaire de la jeunesse ;

          — 1 emploi de chargé de mission pour la CNIL.

          Sur les trois derniers budgets, le ministère de la justice aura ainsi bénéficié de 2 929 créations de postes (762 en 1998 et 930 en 1999), dont 422 magistrats judiciaires.

        CRÉATIONS D’EMPLOIS
        POUR LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE

         

        1997

        1998

        1999

        2000

        Administration centrale

        – 43

        0

        5

        5

        Services judiciaires

        96

        300

        370

        382

        Services pénitentiaires

        167

        300

        344

        386

        Protection judiciaire de la jeunesse

        60

        100

        150

        380

        Juridictions administratives

        48

        61

        61

        83

        Autres institutions rattachées

        1

        1

        0

        1

        Total des créations d’emplois

        327

        762

        930

        1 237

        Total des effectifs budgétaires

        60 102

        60 864

        67 794

        63 031

          A côté des créations d’emplois, le budget de la justice pour 2000 prévoit également le financement de 100 assistants de justice aux services judicaires et de 2 000 agents de justice, dont 1 050 dans les services judiciaires.

          Consultées par votre rapporteur, les organisations syndicales ont, dans l’ensemble, jugé le budget satisfaisant, tout en faisant part des réserves ou des inquiétudes suivantes.

          L’Association des greffiers en chef des tribunaux d’instance et de police s’est inquiétée du nombre d’emplois vacants dans les greffes, tout en estimant que les effectifs étaient mal répartis et insuffisamment redéployés. Elle a souhaité que, à l’image des magistrats placés, des emplois de greffiers en chefs placés soient créés plutôt que de recourir à des délégations très difficiles à gérer en pratique. Après avoir souligné le poids croissant des gestions de tutelle, elle a estimé que les greffiers en chef n’avaient ni le temps ni la formation pour assurer cette tâche de façon satisfaisante et a souhaité que l’avis des agents des impôts puisse être sollicité dans les dossiers les plus complexes. Enfin, elle s’est étonnée qu’aucun renforcement des greffes ne soit prévu alors que la loi relative au pacte civil de solidarité entrera en vigueur l’année prochaine.

          L’Association professionnelle des magistrats a jugé préférable de privilégier l’aide à la décision, en renforçant le nombre des collaborateurs assistant le magistrat, plutôt que de créer des emplois supplémentaires de magistrats. À cet égard, elle a souhaité la création d’un véritable corps d’assistants de justice, dont l’accès ne serait pas limité à des étudiants, qui aujourd’hui sont recrutés pour une durée limitée, sans statut et sans perspectives de carrière. Par ailleurs, elle a souhaité que la réforme statutaire annoncée par la garde des sceaux ait lieu au plus vite, afin que de remédier au blocage des carrières dans la magistrature.

          La Fédération FO de l’administration générale de l’Etat a estimé que les créations d’emplois de fonctionnaires étaient insuffisantes pour lutter contre l’encombrement des greffes et que les agents de justice ne correspondaient pas aux besoins des tribunaux. Elle a réclamé l’élaboration d’un plan de désamiantage des bâtiments judiciaires.

          La Fédération justice CFDT a rappelé son attachement à la réforme de la carte judiciaire, mais aussi de la carte pénitentiaire et de la carte de la protection judiciaire de la jeunesse, afin qu’il n’y ait plus qu’une seule circonscription pour tous les services dépendant du ministère de la justice. Elle a estimé qu’une certaine confusion régnait dans les tâches imparties aux différents personnels affectés dans les juridictions. Ainsi, elle a souligné que certains assistants de justice remplissaient des fonctions en principe réservées aux magistrats, que les missions des personnels de greffes n’étaient pas clairement identifiées et que les tâches de gestion devraient revenir aux fonctionnaires et non aux magistrats, y compris à la Chancellerie. Enfin, elle a souhaité que les associations participant au service public de la justice fassent l’objet d’un contrôle plus attentif.

          Le Syndicat CGT des chancelleries des services judiciaires a fait par de ses réserves quant au recrutement de 2 000 agents de justice, s’inquiétant notamment de la formation qu’ils recevront et soulignant l’importance des fonctions d’accueil qui nécessitent en fait une bonne connaissance du fonctionnement des juridictions. Il a estimé que le recrutement d’assistants de justice avait donné lieu à des dérives, certains d’entre eux rédigeant des jugements. En outre, il a réclamé un alignement du régime indemnitaire de l’ensemble des fonctionnaires des services judiciaires, quelles que soient leurs catégories et la fonctionnarisation des greffes des tribunaux de commerce.

          Le Syndicat de la juridiction administrative a souhaité qu’un plan spécifique de résorption des contentieux soit arrêté pour les cours administratives d’appel. Il ne s’est pas déclaré hostile à une réduction du nombre de magistrats siégeant dans les formations de jugement, si seuls des magistrats ayant le grade de président étaient affectés dans les cours. Il a souhaité que des emplois de catégorie A soient créés dans les greffes afin d’élargir les possibilités de recrutement au-delà du corps des attachés de préfecture et que le timbre à 100 francs, qui ne dissuade pas les requérants mais pose de multiples problèmes de gestion, soit supprimé.

          Le Syndicat de la magistrature a souhaité qu’un statut des assistants de justice soit élaboré car les tâches qui leur sont confiées diffèrent énormément d’une juridiction à l’autre, certains allant jusqu’à assister au délibéré pour être à même d’orienter leurs recherches préparatoires à la rédaction d’un projet de jugement. Il a jugé indispensable que les agents de justice affectés à des fonctions d’accueil soient systématiquement encadrés par des fonctionnaires. Il a souligné que le nombre d’emplois de magistrats prévus pour renforcer les juridictions, hors réformes, était inférieur au nombre des emplois actuellement vacants.

          L’Union syndicale autonome justice s’est inquiétée du développement des emplois précaires, qu’il s’agisse des agents de justice ou des assistants de justice, l’activité de ces derniers devant donner lieu à un rapport de la Chancellerie qui n’a toujours pas été rédigé. Après avoir rappelé son intérêt pour la réforme de la carte judiciaire, il s’est étonné qu’aucune mesure ne soit prévue pour permettre aux greffes de se préparer à recevoir et à traiter les déclarations liées au pacte civil de solidarité.

          L’Union syndicale des magistrats a regretté qu’il n’y ait pas davantage d’emplois de magistrats affectés à la résorption des stocks d’affaires, que les primes des magistrats placés et les frais de déplacement des magistrats en général ne soient pas améliorés. Tout en soulignant l’utilité des assistants de justice, elle s’est déclarée hostile à la création d’un statut, qu’ils ne lui paraissent pas revendiquer, qui risquerait de « scléroser une dynamique », cette fonction devant s’assimiler à une étape dans un cursus, tel un stage. Favorable à la réforme de la carte judiciaire, qui devrait permettre la réalisation d’économies d’échelle, elle a par ailleurs souligné l’intérêt des délégués du procureur qui remplissent un rôle que nombre de parquets débordés ne remplissaient plus.

          L’Union syndicale des magistrats administratifs a regretté que le référé administratif, dont la création est examinée par le Parlement, ne soit pas pris en compte dans les créations d’emplois, d’autant que les emplois de greffe restent insuffisants hors réformes. Elle s’est inquiétée de l’évolution du chantier de la cour administrative d’appel de Paris. Il s’est déclaré satisfait de la récente réforme du statut des magistrats administratifs.

          Cette année, votre rapporteur s’est rendu au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris. Il y a rencontré des magistrats et des fonctionnaires très satisfaits des conditions dans lesquelles ils pouvaient exercer leurs fonctions, même si l’éloignement de l’île de la Cité peut poser quelques difficultés, que l’informatique atténue néanmoins. Les magistrats ont, par ailleurs, insisté sur la très précieuse aide technique que leur apportent les assistants spécialisés détachés du ministère de la justice. On ne peut que souhaiter que des conditions de travail, que certains ont injustement qualifiées de luxueuses alors qu’elles sont seulement adaptées aux tâches juridictionnelles, deviennent au plus vite la norme. Il reste encore beaucoup à faire, même si les progrès accomplis ces dernières années sont réels, pour que, par exemple, tous les magistrats de France disposent d’un bureau au siège de la juridiction dont ils relèvent. À cet égard, votre rapporteur juge indispensable que Paris soit doté au plus vite d’un nouveau palais de justice dans lequel pourrait être installé, par exemple, le tribunal de grande instance.

*

* *

          I. — POUR LA TROISIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, LES CRÉDITS DE LA JUSTICE SONT EN NETTE PROGRESSION

          Dans le prolongement des lois de finances pour 1998 et 1999, le budget 2000 poursuit la mise en œuvre de la réforme de la justice, dont les orientations ont été définies lors d’une communication de la garde des sceaux au conseil des ministres du 27 octobre 1997 : une justice au service des citoyens, une justice au service des libertés, une justice indépendante et impartiale.

          Les moyens budgétaires alloués aux services judiciaires traduisent concrètement cet engagement : renforcement des effectifs, modernisation du statut des magistrats et du régime indemnitaire des fonctionnaires, augmentation des crédits de fonctionnement des juridictions et poursuite des travaux de construction et de rénovation de bâtiments judiciaires. Les juridictions judiciaires bénéficient de 382 créations d’emplois, dont 212 magistrats, et de 450 millions de francs pour les moyens des services et les crédits d’intervention (+ 4,2 %) et les juridictions administratives disposent de 85 créations d’emplois, dont 40 magistrats, et de 33,6 millions de francs en dépenses ordinaires (4,5 %).

        ÉVOLUTION EN CRÉDITS DU BUDGET DE LA JUSTICE

        Tous secteurs

        LFI 1999
        (en MF)

        PLF
        (en MF)

        Evolution
        (en %)

        Crédits de paiement :

          – dépenses ordinaires (CP/DO) Titres III et IV

        – dépenses en capital (CP/DC) Titres V et VI

        26 264,846

        24 701,246 (1)

        1 563,600 (1)

        27 291,153

        25 972,153

        1 319,000

        + 3,91 

        + 5,15 

         15,64 

        Autorisation de programme (AP)

        1 732,000

        1 571,500

         9,27 

        Capacité d’engagement (CP/DO+AP)

        26 433,246

        27 543,653

        + 4,20 

        Part du budget Justice dans le budget général de l’Etat

        1,557 %

        1,626 %

         

          N.B. : Les séries du ministère de la Justice se référent au « montant des dépenses nettes » qui figurent au tableau d’équilibre général inclus dans les lois de finances ou, dans l’attente de leur adoption, dans les PLF, soit : en LFI 1999 (art. 64) 1 686,563 milliards ; en PLF 2000 (art. 36), 1 677,752 milliards.

            (1)  Compte tenu de 7,1 MF d’amendements parlementaires (0,1 MF en DO et 7 MF en DC).

            A. LE NOMBRE DE CRÉATION D’EMPLOIS DE MAGISTRATS EST LE PLUS ÉLEVÉ DEPUIS VINGT-CINQ ANS

          Le renforcement des effectifs des juridictions prévu pour le budget de la justice pour 2000 a un double objectif : permettre la mise en œuvre des réformes (contentieux de la détention provisoire, lutte contre la délinquance des mineurs, répression du crime organisé grâce au développement de pôles financiers, réforme des tribunaux de commerce …) ; améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien (résorption des stocks d’affaires à juger dans les cours d’appel, accélération du traitement des procédures pénales, poursuite de la professionnalisation de l’administration des juridictions…).

          Dans les services judiciaires, un effort exceptionnel est fourni pour les postes de magistrats : la création de 212 postes de magistrats est la plus importante depuis 25 ans. En trois ans, ce sont 422 créations d’emplois de magistrats qui auront été obtenues, soit autant que pendant les dix années ayant précédé 1997. En outre, cette hausse s’inscrit dans le cadre d’une politique de réduction des taux de vacances des emplois de magistrats : dans le cadre d’un plan d’urgence de recrutement, la loi organique du 24 février 1998 a autorisé l’organisation de concours pour 100 postes de magistrats, en 1998 et 1999, et modifié les conditions de nomination de conseillers en service extraordinaire.

          Le renforcement des greffes et de l’administration déconcentrée se poursuit avec la création de 140 emplois de greffiers et de 5 emplois de greffiers en chef. Par ailleurs, afin de développer la gestion déconcentrée, les services judiciaires bénéficieront de 25 emplois administratifs et techniques.

          En outre, le projet de loi de finances pour 2000 prévoit le recrutement de 100 assistants de justice supplémentaires, titulaires d’une maîtrise en droit et travaillant à mi-temps auprès de magistrats, ce qui portera leur nombre à 1 050. Il est également prévu, conformément aux décisions prises par le Conseil de sécurité intérieure, de recruter 1 050 agents de justice : ces emplois-jeunes, sous contrat de droit public, seront affectés à l’accueil du public dans les juridictions et les maisons de justice.

          Ces augmentations d’effectifs sont accompagnées des différentes mesures statutaires et indemnitaires en faveur des personnels. Une enveloppe de 20 millions de francs, qui s’ajoute à une première provision de 18 millions de francs inscrite dans la loi de finances pour 1999, est prévue pour la réforme du statut de la magistrature, qui doit notamment permettre de surmonter le blocage des carrières lié aux déséquilibres démographiques du corps. La ministre de la justice s’est engagée à soumettre un projet de loi organique au Parlement dès que la révision constitutionnelle relative au Conseil supérieur de la magistrature sera adoptée.

          Par ailleurs, 17 millions de francs sont consacrés à des revalorisations indemnitaires pour les fonctionnaires des greffes : + 0,5 point pour les greffiers en chef et greffiers, + 1 point pour les agents de catégorie C. Enfin, il est prévu de créer 4 emplois d’inspecteurs à l’inspection générale des services judiciaires, qui comprend déjà 19 membres : afin de créer un service à la hauteur des enjeux, les effectifs de l’inspection générale auront ainsi été presque doublés en deux ans.

          Concernant les juridictions administratives, 40 emplois de magistrats et 40 emplois de fonctionnaires sont créés pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel et 4 autres emplois de fonctionnaires et 1 emploi d’ingénieur informaticien de haut niveau pour le Conseil d’Etat. Par ailleurs, la réforme statutaire des chefs de service du Conseil d’Etat est inscrite dans le projet de loi de finances pour un montant de 0,2 million de francs et les indemnités des membres et des agents du Conseil d’Etat sont revalorisées respectivement de 7 millions de francs et de 0,2 million de francs. Enfin, 36 emplois sont transformés en 34 emplois après pyramidages statutaires et transformations liées aux besoins des services.

            B. TOUTES LES RÉFORMES ANNONCÉES SONT FINANCÉES

          Les 26 millions de francs de crédits supplémentaires inscrits au titre des moyens de fonctionnement et de formation des services judiciaires (chapitre 37-92) bénéficieront par priorité à la déconcentration, à la mise en service de nouveaux bâtiments judiciaires et à la constitution de pôles financiers, pour lesquels quinze agents du ministère des finances ont été mis à disposition depuis juin 1999. Ils seront également consacrés à la politique de la ville, aux conseils départementaux d’accès au droit (CDAD) et aux maisons de justice et du droit, dans le prolongement de la loi du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits.

          Les crédits supplémentaires inscrits au projet de loi de finances pour 2000 sont destinés essentiellement à l’application du projet de loi sur la présomption d’innocence (30 millions de francs) et de la loi du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière (19 millions de francs), à l’affiliation au régime général de la sécurité sociale des collaborateurs occasionnels du service public de la justice (41 millions de francs) et à la prise en charge de 200 délégués du procureur supplémentaires (10 millions de francs).

          Comme la garde des sceaux s’y était engagée, la réforme de la détention est donc financée dans tous ses aspects : 110 créations de postes de juges de la détention en deux ans, 47 millions de francs pour l’aide juridictionnelle pour payer la présence de l’avocat dès la première heure de la garde à vue et 30 millions de francs de crédits de frais de justice pour l’indemnisation des personnes relaxées, acquittées ou bénéficiant d’un non-lieu.

            C. DE NOUVELLES OPÉRATIONS D’ÉQUIPEMENT SONT LANCÉES

          Le montant total des autorisations de programmes pour les services judiciaires s’élève à 805 millions de francs, contre 673 millions de francs en 1999. Il permettra la poursuite des opérations déjà lancées : les grands chantiers de Grenoble, Avignon, Fort-de-France, Toulouse, Besançon et la rénovation ou l’extension des palais de justice de Saint-Etienne, Rodez, Roanne, Bastia, Béziers, Douai, Dunkerque, Belfort, Lisieux et Rouen.

          De nouvelles opérations seront également lancées : grande construction de Pontoise, désamiantage du tribunal de grande instance de Nanterre, restructuration de la cour d’appel de Bordeaux et du tribunal de grande instance de Cahors, lancement de la construction d’un nouveau tribunal de grande instance à Narbonne. Des études seront engagées pour le relogement de la cour d’appel de Versailles, la reconstruction du tribunal de grande instance de Laval, l’extension et la restructuration du patrimoine immobilier à Niort, la construction d’une extension à Bobigny.

          Concernant les juridictions administratives, 50 millions de francs d’autorisations de programme permettront de : poursuivre les travaux de modernisation et de restauration du Conseil d’Etat (7,8 millions de francs) ; créer le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (29,5 millions de francs) ; reloger le tribunal administratif de Rouen (7,5 millions de francs) ; mettre en conformité les installations électriques des tribunaux administratifs de Grenoble et de Rennes (3,2 millions de francs) ; procéder à divers travaux dans la cour administrative d’appel de Nancy et dans les tribunaux administratifs de Nancy et de Marseille (2 millions de francs).

        ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA JUSTICE PAR SECTEUR

        Fonctionnement et investissement

        (en millions de francs)

        Secteur

        LFI
        1998

        LFI
        1999

        PLF
        2000

        Progression 2000
        par rapport à 1999

        Administration centrale (et dépenses d’intérêts communs non ventilables)


        3 320,77


        3 439,40


        514,45


        75 MF


        2,18 %

        Services judiciaires

        11 038,78

        11 667,91

        11 742,18

        74,3 MF

        0,64 %

        Services pénitentiaires

        7 015,46

        7 421,88

        7 856,10

        434,2 MF

        5,85 %

        Protection judiciaire de la jeunesse

        2 603,76

        2 770,98

        3 179,43

        468,5 MF

        14,74 %

        TOTAL Chancellerie seule

        23 978,77

        25 300,17

        26 292,17

        992 MF

        3,92 %

        Conseil d’Etat et juridictions administratives

        735,30

        810,00

        841,66

        31,7 MF

        3,91 %

        Autres institutions rattachées

        154,51

        154,68

        157,32

        46 MF

        1,71 %

        TOTAL JUSTICE

        24 868,58

        26 264,84

        27 291,15

        1 026,3 MF

        3,91 %

          Au-delà de ce bon budget, qui donne à la justice les moyens de poursuivre sa rénovation, votre rapporteur note avec satisfaction que, en réponse à une demande qu’il formulait depuis plusieurs années, la Chancellerie lui a indiqué qu’un travail d’estimation du coût moyen d’une procédure serait engagé dans les prochains mois.

          Cette estimation – coût moyen d’un divorce, d’un procès aux assises, d’une gestion de tutelle, par exemple – suppose l’existence préalable d’un embryon de comptabilité analytique, non disponible à ce jour au ministère de la justice, permettant au moins d’affecter à chacune de ces procédures les principales charges de fonctionnement de la justice, et notamment les rémunérations de magistrats, greffiers et fonctionnaires qui mettent en œuvre ces procédures. Une telle affectation suppose, dans un premier temps, une ventilation des frais de fonctionnement du ministère entre les différents types de juridictions civiles et pénales (les juges aux affaires familiales, les cours d’assises, les services des tutelles) puis, dans un deuxième temps, une imputation de ces frais de fonctionnement aux différentes procédures traitées par une même juridiction : par exemple, pour les juges aux affaires familiales, une imputation – au prorata du temps passé – entre les divorces, les affaires postérieures aux divorces et les contentieux de l’enfant naturel.

          Pour porter une appréciation complète sur le budget de la justice pour 2000, qui sous l’angle des crédits est, comme on l’a vu, tout à fait satisfaisant, il convient aussi de considérer le fonctionnement des juridictions.

          II. — LE FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS

          Après avoir analysé l’activité des juridictions (A), votre rapporteur examinera la situation des personnels (B).

            A. L’ACTIVITÉ DES JURIDICTIONS

          Le rapport annexé à la loi de programme du 6 janvier 1995 relative à la justice a fixé pour objectif de réduire, en cinq ans, les délais de jugement à 3 mois devant les tribunaux d’instance, 6 mois devant les tribunaux de grande instance et 12 mois devant les cours d’appel. Au fil des années, cet objectif paraît de plus en plus difficile à atteindre, d’autant que les délais de jugement se sont encore accrus en 1998 dans les cours d’appel et les tribunaux de grande instance.

              1. L’activité judiciaire civile

          En 1998, le nombre d’affaires civiles nouvelles a baissé dans les cours d’appel et dans les tribunaux de grande instance et d’instance mais le stock des affaires restant à traiter s’est accru dans toutes les juridictions, tandis que le nombre d’affaires terminées n’a augmenté que dans les cours d’appel.

          L’ACTIVITÉ JUDICIAIRE CIVILE EN 1998

        Juridictions

        Affaires
        nouvelles

        Affaires
        terminées

        Affaires
        en cours au
        31 décembre

        Durée moyenne de règlement

        Cour de cassation

        21 928

        19 815

        36 733

        n.c.

        Cours d’appel

        209 790

        207 125

        321 309

        17,4 mois

        Tribunaux de grande instance

        632 604

        631 728

        579 375

        9,3 mois

        Tribunaux d’instance

        467 488

        453 060

        354 207

        5,1 mois

          La Cour de cassation

          En 1998, le nombre d’affaires civiles nouvelles devant la Cour de cassation (près de 22 000) est en hausse de 9,7 % par rapport à 1997, atteignant ainsi son niveau record depuis 1990, tandis que le nombre d’affaires terminées (19 815) est en légère baisse (– 1,4 %). Le stock d’affaires en cours (33 887) s’est accru de près de 6 % pour retrouver, après la baisse de 1995, un niveau équivalent à celui de 1996.

          Les cours d’appel

          En 1998, le nombre d’affaires civiles nouvelles devant les cours d’appel (209 790) est en diminution sensible (– 2,1 %) par rapport à l’année précédente, ce qui confirme le caractère durable du retournement de tendance observé depuis 1996 après la croissance ininterrompue des affaires nouvelles pendant dix ans.

          Le nombre d’affaires terminées (207 125) a recommencé à croître en 1998 (+ 2,2 %), après la légère diminution de 1997, pour atteindre son niveau le plus élevé depuis 1990.

          Malgré cette configuration favorable, le niveau des affaires terminées en 1998 est encore inférieur à celui des affaires nouvelles. Il en résulte donc un accroissement du stock d’affaires en cours restant à traiter au 31 décembre 1998 (environ 321 300 affaires). Au rythme moyen des affaires terminées en 1998, il faudrait 18,5 mois pour l’évacuer.

          La durée moyenne des affaires terminées en 1998 s’établit à 17,4 mois : 25 % des affaires ont été traitées en moins de 7,7 mois ; 50 % en moins de 15,7 mois et 25 % en plus de 24 mois. Cette durée moyenne, la plus élevée depuis 1990, constitue une nouvelle dégradation par rapport à 1997 où elle atteignait 16,6 mois.

          Sur les 1 135 000 décisions civiles, commerciales et prud’homales prononcées au fond en 1997, 160 000 ont fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel, soit 14,1 %. Ce taux est légèrement plus élevé que celui observé en 1996 (13,4 %). Le taux d’appel des décisions prud’homales arrive très largement en tête, 40 % des décisions de cette juridiction étant frappées d’appel et si l’on ne considère que les décisions prononcées en premier ressort, c’est-à-dire les seules susceptibles d’appel, ce taux dépasse alors 55 % : ces taux sont en progression de deux points par rapport à l’année précédente. Viennent ensuite deux juridictions dont les taux d’appel sont comparables, le tribunal de grande instance (15,3 %) et le tribunal de commerce (12,4 % pour le taux brut et 14,6 % pour le taux « premier ressort ») : le taux d’appel des décisions des tribunaux de grande instance s’est accru d’un point, tandis que celui des tribunaux de commerce est stable.

          Les tribunaux de grande instance

          Le nombre d’affaires civiles nouvelles dont ont été saisis les tribunaux de grande instance a connu une hausse ininterrompue jusqu’en 1996. Cette croissance s’est accélérée en 1993 et 1994 à la suite de la réforme du juge aux affaires familiales et de la création du juge de l’exécution. En 1998, avec 632 604 affaires nouvelles portées devant les tribunaux de grande instance, la tendance à la décélération (– 1,9 %) se confirme pour la deuxième année consécutive. Les contentieux du juge aux affaires familiales ont décliné pour la première fois (– 1,5 %) et le volume du contentieux de l’exécution a continué à baisser (– 7 %).

          Le nombre d’affaires terminées par les tribunaux de grande instance (631 700) est en baisse de 1,6 % par rapport à 1997. Cette baisse tient à la chute des jugements en matière de contentieux de l’exécution hors surendettement.

          Le niveau des affaires terminées en 1998 s’établissant encore un peu en dessous de celui des affaires nouvelles, le stock d’affaires restant à traiter au 31 décembre 1998 (environ 579 000 affaires) s’est très légèrement accru par rapport à l’année précédente : au rythme moyen des affaires terminées par les TGI en 1998, il faudrait onze mois pour le traiter. La durée moyenne des affaires terminées s’établit à 9,3 mois, soit une légère hausse par rapport à 1997 (9,1 mois) : 25 % des affaires ont été terminées en moins de 2,5 mois, 50 % en moins de 5,9 mois et 25 % en plus de 12,3 mois.

          Les tribunaux d’instance

          Après une forte baisse de 1993 à 1995 (– 7,5 % en moyenne annuelle), due au transfert des contentieux familiaux vers les tribunaux de grande instance, le nombre d’affaires civiles nouvelles devant les tribunaux d’instance a continué de décroître, mais à un rythme plus modéré. En 1998, il a encore diminué (467 488 affaires nouvelles) mais à un rythme inférieur à celui de l’année précédente (– 1,2 % contre – 2,2 % en 1997). Cette évolution s’explique par une diminution régulière de tous les contentieux, à l’exception des affaires de tutelle qui ne cessent de progresser (+ 6 000 affaires en 1998).

          Le nombre d’affaires terminées par les tribunaux d’instance en 1998 s’élève à 453 060, soit pratiquement le même niveau qu’en 1997. Cette évolution est cohérente avec la légère baisse des affaires nouvelles.

          Le niveau des affaires terminées en 1998 continuant à s’établir significativement en dessous de celui des affaires nouvelles, le stock d’affaires restant à traiter au 31 décembre 1998 (354 207) s’est accru mécaniquement par rapport à l’année précédente (339 779). La durée moyenne des affaires terminées en 1998 par les tribunaux d’instance s’établit à 5,1 mois, chiffre voisin de celui de 1997 : 25 % des affaires terminées en 1998 par les tribunaux d’instance l’ont été en moins de 1,6 mois, 50 % l’ont été en moins de 3,2 mois et 25 % en plus de 6 mois.

              2. L’activité judiciaire pénale

          En 1997, 537 353 condamnations ont été inscrites au casier judiciaire national. Le délai de réponse pénale a augmenté pour toutes les condamnations, la progression la plus forte étant enregistrée pour les crimes.

        DÉLAI DE RÉPONSE PÉNALE  *

        ÉVOLUTION 1988 – 1997

        (en mois)

         

        1988

        1989

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997
        (p)

        Toutes condamnations

        12,4

        10,0

        10,9

        11,3

        11,4

        11,5

        11,1

        10,3

        9,7

        10,1

        Crimes

        32,9

        34,6

        36,4

        38,7

        39,0

        39,1

        41,5

        42,6

        45,0

        49,1

        Délits

        12,8

        10,4

        11,2

        11,6

        11,6

        11,8

        11,3

        10,3

        9,9

        10,2

        Contraventions
        de 5ème classe

        7,5

        7,1

        9,0

        9,6

        9,8

        9,5

        9,2

        7,5

        7,1

        8,5

        Source : Casier judiciaire national. (p) : donnée provisoire.

        *  calculée par différence entre la date de la condamnation définitive et celle des faits.

          La durée de traitement des affaires criminelles ne cesse de s’allonger depuis dix ans. En 1997, les cours d’assises ont prononcé leurs condamnations en moyenne plus de quatre ans après les faits, délai en augmentation de quatre mois par rapport à l’année précédente. Pour le traitement des délits, la durée moyenne est à peu près la même en 1997 qu’en 1995, cette stabilité d’ensemble comprenant un raccourcissement pour les affaires de circulation routière et un léger allongement pour les affaires de stupéfiants dont la complexité nécessite souvent l’ouverture d’une information. Après l’effet bénéfique de l’amnistie de 1995 sur le temps de traitement des contraventions, la durée enregistrée en 1997 se situe à un niveau encore relativement faible de 8,5 mois.

          La Cour de cassation

          Amorcée en 1994, la tendance à l’augmentation des affaires nouvelles portées devant la chambre criminelle de la Cour de cassation se poursuit avec une ampleur sans précédent en 1998 où le chiffre de 8 180 affaires est atteint, soit 22 % de plus qu’en 1997.

          La forte augmentation du nombre d’affaires terminées en 1997 (+ 20 %) se ralentit en 1998 avec une hausse de près de 10 % et 7 335 affaires. Les cassations prononcées se stabilisent autour de 400 tandis que les rejets de pourvoi (4 848) continuent à progresser.

          Le stock d’affaires restant à juger au 31 décembre s’établit à 4 700 affaires, soit 22 % de plus qu’en 1997 mais sensiblement moins qu’en 1996.

          Les cours d’appel

          En 1998, les chambres d’accusation ont rendu 34 206 arrêts : cette augmentation de 5,4 % par rapport à 1997 confirme une tendance bien installée à l’augmentation de l’activité de ces chambres. Cette hausse est notamment due aux arrêts statuant sur la détention provisoire et le contrôle judiciaire.

          Les chambres des appels correctionnels ont été saisies de près de 50 000 affaires (+ 2,8 %), niveau se rapprochant des années record que sont 1992 et 1995. Si le nombre d’arrêts rendus (48 000) est inférieur de 4,4 % à celui de 1997, il reste néanmoins un des plus élevé depuis 1990. Le stock d’affaires en cours est en forte augmentation : il frôle les 23 000 affaires, soit deux fois plus qu’en 1990.

          Les tribunaux de grande instance

          En 1998, 4 961 315 plaintes, dénonciations et procès-verbaux sont parvenus aux parquets : ce volume est le plus faible depuis dix ans, mais l’amélioration de la qualité des statistiques a pu accentuer la décroissance apparente des procédures pénales transmises aux parquets. Environ 3 147 000 procédures ont été établies contre auteur inconnu ; les affaires non élucidées, en hausse de 1 % par rapport à 1997, représentent désormais plus de 63 % des saisines des parquets. La tendance à l’augmentation de la part des procédures contre auteur inconnu, qui s’élevait à 42 % en 1990, quelque temps interrompue après « la pointe » de 1993 (61 %), s’est donc à nouveau confirmée en 1998.

          En 1998, les parquets ont traité 4 573 493 procédures pénales, soit un volume en légère diminution (– 0,7 %) par rapport à 1997. Comme pour les procédures reçues, cette baisse d’activité porte sur les procédures « auteur connu » (1 496 979 procédures traitées, soit – 3,6 %) et non sur les procédures « auteur inconnu » (+ 0,7 %).

          Le taux de classement sans suite global, calculé sur les affaires reçues, s’établit pour 1998 à 76,5 %, soit 1,3 point de moins qu’en 1997. Calculé sur les seules affaires traitées dans l’année, c’est-à-dire en retirant les dessaisissements qui constituent un double compte et les affaires reçues en 1998 mais qui n’ont pas été orientées dans l’année, le taux de classement se situe alors à 83 %, soit près d’un point de moins qu’en 1997 (83,7 %).

          Dans 720 104 affaires classées sans suite, l’auteur était connu. Si l’on rapproche ce chiffre de l’ensemble des affaires reçues avec auteur connu, on obtient un taux de classement sans suite « auteur connu » de 39,7 %, soit 4 points de moins qu’en 1997. Le même calcul effectué sur les seules affaires « auteur connu » traitées donne un taux plus élevé de 48,1 % mais en baisse également de 4 points par rapport à 1997. Ce bon résultat tient à la progression des poursuites judiciaires (+ 1,7 %), à la progression rapide des classements après réussite d’une troisième voie (+ 17 %) et à la réduction importante des classements d’affaires « auteur connu » (– 11 %), le tout appliqué à un volume d’affaires élucidées en légère diminution (– 3,6 %).

          Le passage de la notion d’affaires reçues à la notion d’affaires traitées devrait permettre de mieux évaluer les orientations données aux affaires par le parquet. Pour la première fois en 1998, il est possible de connaître précisément les raisons qui sont à l’origine de ces orientations. On a pu ainsi isoler, parmi les affaires classées, celles qui l’ont été pour motif juridique (absence d’infraction ou infraction insuffisamment caractérisée, prescription, amnistie, immunité …). Ne pouvant faire l’objet de poursuite, elles sont classées non pas en application du principe d’opportunité des poursuites mais uniquement parce que cette décision s’impose au magistrat : ces affaires, au nombre de 327 000 pour l’année 1998, soit 7,2 % des affaires traitées dans l’année, doivent être retirées du champ des affaires classées sans suite à l’initiative du parquet. Une autre raison de ne pas poursuivre est l’absence d’auteur connu : 66,6 % des affaires traitées sont ainsi classées sans suite pour défaut d’élucidation.

          Il ne reste alors que 1 196 400 affaires « poursuivables », soit 26 % des affaires traitées dans l’année. Analyser les réponses données à ces seules affaires est désormais possible : 14 % ont fait l’objet d’un classement sans suite après mise en œuvre d’une procédure alternative, 51 % ont donné lieu à une décision de poursuite et 35 % sont classées sans suite pour poursuites inopportunes, le plus souvent en raison du peu d’importance du trouble ou du préjudice causé par l’infraction. En conséquence, sur les 1,12 million d’affaires poursuivables en 1998, près de deux sur trois ont fait l’objet d’une réponse judiciaire et plus d’une sur trois ont été classées sans suite (419 500 affaires).

          En 1998, la répartition entre les modes de poursuite a été la suivante :

          —  Un peu plus de 40 000 affaires ont fait l’objet d’une ouverture d’information devant un juge d’instruction : cette nouvelle diminution de 7 % par rapport à 1997 confirme une tendance à la baisse constante depuis dix ans.

          —  Un peu plus de 50 000 affaires ont été transmises par les parquets aux juges des enfants, soit une augmentation de 12 % : cette évolution confirme le renversement de tendance amorcé en 1996.

          —  Près de 378 000 affaires ont été poursuivies devant les tribunaux correctionnels, soit à peu près autant qu’en 1997 : cette stabilisation interrompt une tendance à la baisse observée depuis dix ans et accentuée certaines années par les déqualifications et dépénalisations de certains délits de masse.

          —  Enfin, 144 500 affaires ont été poursuivies devant les tribunaux de police : ce nombre, en progression de 6,2 % par rapport à 1997, s’inscrit dans une tendance à la hausse observée depuis 1996.

          En ce qui concerne l’activité des tribunaux correctionnels en 1998, les modes de comparution rapide sont en constante augmentation. Les affaires faisant l’objet d’une procédure de convocation par officier de police judiciaire (211 600) représentent plus de 56 % du total. La part des procédures de comparution immédiate (32 300) continue à diminuer avec 8,5 % de l’ensemble des poursuites correctionnelles. L’accroissement des procédures rapides se fait au détriment de la citation directe qui continue à perdre du terrain : elle ne représente plus qu’un tiers des affaires poursuivies devant les tribunaux correctionnels contre 90 % en 1986 et 49 % en 1994.

          Les officiers du ministère public et les tribunaux de police

          Près de 13 000 000 de procédures ont été transmises aux officiers du ministère public en 1998, soit un million de moins que l’année précédente : cette diminution de 8 % permet de revenir au niveau de 1996. La baisse du nombre d’amendes forfaitaires impayées constitue la raison essentielle de cette évolution (– 9 %), tandis que les affaires relevant d’une autre procédure augmentent de 1,3 % après une baisse continue et parfois spectaculaire depuis dix ans.

          Les décisions de poursuite devant le tribunal de police (603 000) ont continué à baisser, mais à un rythme plus lent qu’en 1997 (– 4 %), conformément à la diminution régulière constatée depuis 1990. C’est la procédure de la citation directe qui supporte la baisse la plus forte (– 6 %), suivie par les ordonnances pénales (– 2,7 %). Les affaires devant le tribunal de police ont diminué de 2 % : cette baisse est exclusivement due à la baisse des saisines de l’officier du ministère public (– 4 %), les procédures en provenance du parquet ayant progressé de plus de 6 %.

        ACTIVITÉ DU PARQUET EN 1998

           

        Ratios (en %)

        Procès-verbaux reçus

        Dont auteur inconnu

        4 961 315

        3 146 929

        100,0

        63,4

         

        Affaires traitées

        4 573 493

        100,0

         

        Affaires non poursuivables

        Infractions mal caractérisées, motif juridique

        Défauts d’élucidation

        3 377 113

        329 143

        3 047 970

        73,8

        7,2

        66,6

         

        Affaires poursuivables

        Classement sans suite *

        Procédures alternatives aux poursuites (a)

        Poursuites (b)

            Devant le tribunal correctionnel

            Devant le tribunal de police

            Devant le juge d’instruction

            Devant le juge des enfants

        1 196 380

        419 505

        163 819

        613 056

        377 911

        144 526

        40 370

        50 249

        26,2

        9,2

        3,6

        13,4

        100,0

        35,1

        13,7

        51,2

        Taux de réponse pénale (a + b)

           

        64,9

        * Motifs : recherches infructueuses, désistement ou carence du plaignant, état mental déficient, responsabilité de la victime, victime désintéressée d’office, régularisation d’office, préjudice ou trouble peu important.

              3. L’activité des juridictions administratives

          En 1998, le délai théorique d’élimination du stock d’affaires en cours s’est maintenu à moins de deux ans dans les tribunaux administratifs et à moins d’un an au Conseil d’Etat. La situation des cours administratives d’appel, qui subissent de plein fouet les transferts de compétences, s’est en revanche dégradée avec des délais de jugement moyens qui approchent trois ans. Il faut espérer que la création de deux nouvelles cours et le renforcement des effectifs permettra de réduire sensiblement ce délai. L’objectif de la loi de programme sur la justice était de ramener à un an le délai de jugement à chaque niveau de juridiction.

          Le Conseil d’Etat

          Après une forte progression des affaires enregistrées en 1995, suivie d’un fléchissement en 1996 (– 18 %) et en 1997 (– 4 %), le Conseil d’Etat connaît une nouvelle augmentation des entrées (+ 17 %), tenant notamment au contentieux des visas, qu’il connaît en premier ressort, et à celui des reconduites à la frontière, dont il est juge d’appel.

        AFFAIRES NOUVELLES
        devant le Conseil d’Etat

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        8 069

        9 843

        10 705

        10 335

        8 743

        9 162

        7 527

        7 193

        8 427

        NB : Données nettes, corrigées des séries

          En 1998, le volume des affaires jugées a baissé de 15,8 %. L’explication avancée est que, après avoir réussi en 1994 à augmenter le nombre d’affaires jugées de 28 % en deux ans et à réduire le délai de jugement à dix-huit mois, le Conseil d’Etat s’attache maintenant à régler les dossiers les plus anciens et les plus complexes.

        AFFAIRES JUGÉES
        par le Conseil d’Etat

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        9 269

        9 907

        9 976

        10 395

        11 314

        10 598

        11 684

        11 228

        9 450

        NB : Données nettes, corrigées des séries

          La réforme de l’organisation du traitement des dossiers au Conseil d’Etat et le transfert de compétences aux cours administratives d’appel ont permis de réduire progressivement le stock d’affaires en cours, qui s’élevait à 23 350 dossiers en données brutes en 1993. En 1998, ce chiffre s’établit à 8 479 affaires en données nettes (– 18,3 % par rapport à 1997), soit un délai théorique d’élimination d’environ onze mois.

        AFFAIRES EN STOCK
        au Conseil d’Etat

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        21 489

        21 425

        22 342

        22 388

        19 403

        18 016

        13 756

        10 385

        8 479

        NB : Données nettes, corrigées des séries

          Les cours administratives d’appel

          Depuis 1992, les cours administratives d’appel ont connu, du fait du transfert échelonné de l’appel des recours pour excès de pouvoir qui s’est achevé en 1995, une progression des entrées sans précédent : en données brutes, le nombre annuel d’affaires enregistrées a triplé entre 1991 et 1996. L’accroissement du nombre annuel d’entrées, qui avait connu un fléchissement sensible en 1997 (+ 3 % contre + 34 % en 1996), a repris à un rythme soutenu en 1998 (+ 15 %).

        AFFAIRES NOUVELLES
        devant les cours administratives d’appel

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        4 271

        5 069

        5 570

        6 794

        7 804

        9 057

        12 168

        12 477

        14 330

        NB : Données nettes, corrigées des séries (sauf 1990 et 1991)

          Le nombre d’affaires jugées a augmenté de 23 % en 1998, soit un doublement depuis 1992. A partir de 1992, le rapport affaires traitées / affaires enregistrées est devenu inférieur à 100 % et a baissé régulièrement pour arriver à 52 % en 1996. Depuis 1997, la situation a commencé à se redresser jusqu’à atteindre 64 % en 1998. Cette amélioration sensible s’explique par la création de la cour administrative d’appel de Marseille en septembre 1997, le renforcement des effectifs des autres cours et l’augmentation de la productivité.

        AFFAIRES JUGÉES
        par les cours administratives d’appel

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        4 753

        5 711

        5 447

        6 129

        5 786

        6 110

        6 317

        7 461

        9 199

        NB : Données nettes, corrigées des séries (sauf 1990 et 1991)

          De 1992 à 1996, les cours administratives d’appel, prises de plein fouet par l’achèvement des transferts de compétences, ont vu leur stock d’affaires en cours tripler et leur délai théorique d’élimination de ce stock frôler les trois ans. Les efforts faits depuis lors ont seulement permis de contenir ce délai en dessous de ce seuil, ce qui est très préoccupant. Toutefois, la création de la cour de Marseille et le réaménagement des ressorts territoriaux des cours sont encore trop récents pour mesurer leur impact. De plus, une nouvelle cour vient d’être installée à Douai, ce qui laisse espérer une nouvelle amélioration à partir de 2000.

        AFFAIRES EN STOCK
        dans les cours administratives d’appel

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        7 242

        6 837

        6 697

        7 605

        9 392

        12 269

        18 383

        24 016

        29 334

        NB : Données nettes, corrigées des séries (sauf 1990 et 1991)

          Les tribunaux administratifs

          De 1990 à 1998, le nombre annuel d’affaires enregistrées a augmenté de plus de 77 %, soit une moyenne de près de 10 % par an. De 1997 à 1998, l’augmentation est de 22 % : même, si une partie de cette croissance est liée à des facteurs conjoncturels, tels que les recours relevant de la police des étrangers à la suite de l’opération de régularisation des immigrés clandestins, on peut raisonnablement fixer le taux structurel d’augmentation à 10 %.

        AFFAIRES NOUVELLES
        devant les tribunaux administratifs

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        69 853

        73 922

        84 082

        87 632

        88 949

        97 025

        95 246

        101 590

        123 834

        NB. : Données nettes, corrigées des séries.

          De 1990 à 1998, le nombre annuel d’affaires traitées a augmenté de 79 %, grâce au renforcement des effectifs et à l’amélioration de la productivité. Toutefois, alors que le rapport affaires traitées sur affaires enregistrées était de 95 % en 1997, la très forte augmentation des entrées a réduit ce ratio à 84 % en 1998.

        AFFAIRES TRAITÉES
        par les tribunaux administratifs

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        58 302

        65 484

        72 176

        78 217

        82 854

        90 103

        91 371

        96 367

        104 615

        NB. : Données nettes, corrigées des séries.

          Le rapport affaires traitées/affaires enregistrées n’ayant jamais atteint 100 %, le stocks d’affaires en cours a continué d’augmenter de 1990 à 1998. Le rythme d’augmentation, qui s’était stabilisé à 2 ou 3 % par an, atteint 10 % en 1998. Le délai théorique d’élimination du stock, qui était de deux ans et demi en 1991, s’est réduit progressivement pour se stabiliser un peu en dessous de deux ans.

        AFFAIRES EN STOCK
        dans les tribunaux administratifs

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        146 914

        148 243

        156 554

        165 895

        171 311

        179 874

        183 641

        188 653

        207 920

        NB. : Données nettes, corrigées des séries.

            B. LES PERSONNELS

          Les services judiciaires (1), comme les juridictions administratives (2), bénéficient d’importantes créations d’emplois dans le projet de budget pour la justice.

              1. Les services judiciaires

          Le budget de la justice pour 2000 prévoit la création de 382 emplois, se répartissant en 212 magistrats, 155 fonctionnaires et 15 contractuels. La création de 48 emplois de juge de la détention provisoire et de 48 emplois de greffier permettra de poursuivre la réforme du contentieux de la liberté et celle de 100 emplois de magistrat d’introduire la mixité dans les tribunaux de commerce. Par ailleurs, 4 emplois de magistrats sont prévus pour la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, 5 emplois de greffiers en chef et 4 emplois de greffiers pour les conseils départementaux de l’accès au droit, 1 emploi de magistrat et 1 emploi de greffier pour la réforme de l’état civil de Mayotte. La déconcentration sera poursuivie avec la création de 10 emplois de greffiers en chef destinés à devenir chef de service administratif régional et de 5 greffiers.

          Les magistrats

          En 2000, la loi de programme du 6 janvier 1995 relative à la justice sera exécutée au-delà des prévisions avec la création de 300 emplois de magistrats et de 1 029 emplois de fonctionnaires au lieu des 835 prévus.

          Au 1er juillet 1999, 6 327 emplois de magistrats étaient affectés dans les juridictions de métropole et d’outre-mer, selon la répartition suivante :

        EFFECTIFS BUDGÉTAIRES DE MAGISTRATS

        JURIDICTIONS

        SIÈGE

        PARQUET

        AUTRE

        TOTAL

          Magistrat de la Cour de cassation

        140

        24

         

        164

          Magistrat au service de documentation et d’études

           

        13

        13

          Secrétaire général

           

        2

        2

        TOTALITÉ DES EMPLOIS DE LA COUR DE CASSATION

        140

        24

        15

        179

          Magistrat des cours d’appel et des tribunaux supérieurs d’appel (dont conseillers en service extraordinaire)


        1 000


        248

         


        1 248

          Secrétaire général (cours d’appel de Paris : 2 et de Versailles : 2)

           

        4

        4

          Magistrat placé

        103

        51

         

        154

        TOTALITÉ DES EMPLOIS DES COURS D’APPEL ET T.S.A.

        1 103

        299

        4

        1 406

          Magistrat du siège non-spécialisé

        2 530

           

        2 530

        dont emplois de magistrat chargé du service de l’instance

        852

             

          Juge du livre foncier

        36

           

        36

          Juge d’instruction

        570

           

        570

          Juge des enfants

        339

           

        339

          Juge de l’application des peines

        177

           

        177

          Magistrat du parquet

         

        1 077

         

        1 077

          Emplois de secrétaire général (tribunal de grande instance de Paris)

           

        2

        2

        TOTALITÉ DES EMPLOIS DES T.G.I. ET T.P.I.

        3 652

        1 077

        2

        4 731

        ENSEMBLE DES EMPLOIS EN JURIDICTIONS

        4 895

        1 400

        21

        6 316

          Aux 6 316 emplois en juridictions, il convient d’ajouter 6 emplois de magistrats au Conseil supérieur de la magistrature, 2 à l’École nationale des greffes et 3 emplois non localisés, soit un total de 6 327 emplois de magistrats.

          Les magistrats de l’administration centrale du ministère de la justice sont au nombre de 153 (21 premiers substituts et 132 substituts), auxquels s’ajoutent 3 magistrats au service central de prévention de la corruption et 19 inspecteurs des services judiciaires.

          Cette année, votre rapporteur s’est plus particulièrement intéressé aux magistrats maintenus en activité. En effet, la loi organique du 12 juillet 1999 relative au statut de la magistrature a prorogé jusqu’au 31 décembre 2002 les dispositions de la loi organique du 7 janvier 1988 portant maintien en activité des magistrats des cours d’appel et des tribunaux de grande instance. Les magistrat hors hiérarchie de la Cour de cassation peuvent également être maintenus en activité en application de la loi organique du 26 décembre 1986.

          Lorsqu’ils atteignent la limite d’âge, ces magistrats peuvent, sur leur demande et en surnombre, être maintenus en activité pour exercer, respectivement, les fonctions de conseiller ou de substitut général de la cour d’appel, de juge ou de substitut, de conseillers ou d’avocat général à la Cour de cassation. Ils conservent la rémunération afférente aux grade, classe et échelon qu’il détenaient lorsqu’ils ont atteint la limite d’âge. Cette rémunération comprend le traitement, l’indemnité de fonctions, l’indemnité de résidence et, le cas échéant, le supplément familial de traitement.

          Actuellement, 82 magistrats bénéficient de ces dispositions. Ils constituent un renfort appréciable pour les juridictions connaissant les taux d’activité les plus élevés :

          —  23 magistrats complètent de 13 % l’effectif budgétaire de la Cour de cassation ;

          —  27 magistrats sont en poste dans les cours d’appel, en particulier dans les plus chargées ;

          —  28 magistrats renforcent l’effectif des tribunaux de grande instance, 19 d’entre eux étant affectés à Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil ;

          —  2 magistrats sont affectés dans les départements d’outre-mer et 2 autres dans les territoire d’outre-mer.

          Votre rapporteur est tout à fait favorable au maintien en activité des magistrats, cette mesure permettant aux juridictions de bénéficier du concours de magistrats expérimentés et de faire l’économie d’une formation.

          Les fonctionnaires des services judiciaires

          L’évolution des effectifs réels des fonctionnaires depuis 1990 permet de constater une augmentation des effectifs des greffiers en chef et des greffiers, ceux-ci passant, pour les cadres A, de 1 373 en 1990 à 1 613 en 1999, et pour les cadres B, de 4 226 en 1990 à 6 581 en 1999. Parallèlement, les effectifs de catégorie C, après avoir diminué de 1994 à 1996, sont depuis lors en progression passant de 10 972 en 1996 à 11 526 en 1999.

          Cette évolution générale des effectifs des fonctionnaires des services judiciaires s’inscrit dans la poursuite des opérations de transformation et de repyramidage d’emplois, tendant notamment à augmenter la proportion de personnels de catégorie B par transformation d’emplois de catégorie C en B.

          EFFECTIFS DES FONCTIONNAIRES DES SERVICES JUDICIAIRES
          ET DES CONTRACTUELS

        (1er juillet 1999)

         

        Effectif budgétaire

        Effectif réel
        en nombre d’agents

        Catégorie A

        1 637

        1 613

        Catégorie B

        6 395

        6 581

        Catégorie C

        11 509

        11 526

        Contractuels

        38

        37

        Autres administrations

        10

        10

        TOTAL

        19 589

        19 767

        Source : Chancellerie

          En dix ans, le ratio magistrats/fonctionnaires a peu évolué, comme le tableau suivant permet de le constater :

        RATIO MAGISTRATS/FONCTIONNAIRES
        DANS LES SERVICES JUDICIAIRES

         

        1989

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        1999

        Magistrats

        5.847

        5.850

        5.901

        5.903

        5.928

        5.974

        6.029

        6.087

        6.117

        6.187

        6.327

        Fonctionnaires *

        16.416

        16.467

        16.839

        16.298

        16.916

        16.903

        16.926

        17.392

        17.460

        17.686

        17.819

        Ratio

        2,81

        2,81

        2,85

        2,87

        2,85

        2,83

        2,81

        2,86

        2,85

        2,86

        2,82

      * greffiers en chef, greffiers et agents de catégorie C (à l’exclusion des agents de catégorie C technique)

          En 1998, il est à noter que, parmi les actes de greffe, ceux relatifs à la nationalité ont diminué : les manifestations de volonté (25 536) ont été taries après l’entrée en vigueur, le 1er septembre 1998, de la loi du 16 mars 1998 rétablissant l’acquisition de droit de la nationalité française à la majorité, sous condition de résidence, pour les jeunes nés en France de parents étrangers. Les déclarations de nationalité, essentiellement à raison du mariage avec un Français, sont légèrement en retrait (22 779) par rapport à 1997. Enfin, 214 367 certificats de nationalité française ont été délivrés, soit 7 % de moins qu’en 1997.

          Par ailleurs, la Chancellerie a commencé à expérimenter, en mars 1998, la mise en place d’un guichet unique de greffe où le citoyen peut déposer les pièces de la procédure, accomplir diverses formalités administratives ou divers actes de procédure, même si le contentieux n’est pas jugé sur le lieu où se trouve implanté ce guichet, et être informé sur l’état d’avancement de la procédure en cours devant l’une des juridictions concernées.

          Engagée dans le ressort de cinq cours d’appel, cette expérimentation se déroule sur les sites pilotes d’Angoulême (tribunal de grande instance, tribunal d’instance, conseil de prud’hommes et tribunal de commerce), de Compiègne (tribunal de grande instance et tribunal d’instance), de Limoges (cour d’appel, tribunal de grande instance, tribunal d’instance et, à terme, conseil de prud’hommes), de Nîmes (cour d’appel, tribunal de grande instance et tribunal d’instance) et de Rennes (tribunal de grande instance, tribunal d’instance et conseil de prud’hommes).

          Cette expérimentation a nécessité l’affectation d’un greffier supplémentaire dans chacun des sites pilotes et des financements pour la réalisation de travaux informatiques, l’acquisition de matériels et l’aménagement de locaux.

          Un suivi régulier est effectué par les services de la Chancellerie dans le cadre de déplacements sur les sites pilotes et de réunions du comité de suivi associant les représentants des juridictions, de la Chancellerie et du commissariat à la réforme de l’Etat.

          Votre rapporteur souhaite vivement que cette expérimentation très positive de guichet unique de greffe soit étendue à d’autres juridictions en 2000.

              2. Les juridictions administratives

          En ce qui concerne le Conseil d’Etat et les juridictions administratives, la loi de programme du 6 janvier 1995 relative à la justice a été exécutée à 95 %, soit un manque de 5 emplois de magistrats et de 10 emplois de fonctionnaires. Elle sera intégralement exécutée au projet de loi de finances pour 2000, et même largement dépassée, puisqu’il est prévu de créer 40 emplois de magistrats et 44 emplois de fonctionnaires, ainsi qu’un emploi d’ingénieur.

EFFECTIFS BUDGÉTAIRES DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

         

        CONSEIL D’ÉTAT

        COURS ADMINISTRATIVES D’APPEL
        ET TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS

        TOTAL

        Années

        Membres

        Personnels

        Effectif total

        Magistrats

        Agents
        de greffe

        Effectif total

        Total CE,
        CAA, et TA

        1991

        219

        289

        508

        549

        630

        1 179

        1 687

        1992

        218

        286

        504

        561

        696

        1 257

        1 761

        1993

        218

        286

        504

        571

        759

        1 330

        1 834

        1994

        217

        287

        504

        583

        797

        1 380

        1 884

        1995

        217

        296

        513

        605

        843

        1 448

        1 961

        1996

        217

        303

        520

        625

        871

        1 496

        2 016

        1997

        217

        309

        526

        641

        895

        1 536

        2 062

        1998

        217

        317

        534

        662

        927

        1 589

        2 123

        1999

        217

        325

        542

        683

        959

        1 642

        2 184

        PLF 2000

        217

        330

        547

        723

        997

        1 720

        2 267

          La création du tribunal administratif de Melun en 1996, de la cour administrative d’appel de Marseille en 1997, dernièrement de la cour de Douai ainsi que du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en 2000 s’est accompagnée d’une augmentation des effectifs.

          Les magistrats

          Cette année, votre rapporteur a souhaité dresser un premier bilan de l’application de la loi du 25 mars 1997 portant dispositions statutaires relatives aux corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

          La succession des grades est désormais plus simple et plus en rapport avec l’organisation des juridictions et avec les activités d’un corps moins hiérarchisé que celui des administrateurs civils et s’apparentant davantage aux corps d’inspection et de contrôle.

          Le nombre de grades a été ainsi ramené de sept à trois : conseiller, premier conseiller et président. Les fonctions de rapporteur et de commissaire du gouvernement sont confiées aux magistrats ayant le grade de conseiller ou de premier conseiller. Les fonctions d’encadrement sont regroupées dans un grade unique, celui de président : des échelons fonctionnels permettent, à l’intérieur de ce grade, de tenir compte de la variété et des caractéristiques spécifiques des diverses responsabilités que l’on trouve à ce niveau. L’accès à certaines de ces fonctions d’encadrement est subordonné à l’inscription sur des listes d’aptitude annuelles établies sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

          La réduction du nombre de grades facilite le déroulement des carrières. La fusion des anciens grades de conseiller de première classe et de conseiller hors classe en un grade unique de premier conseiller limite le risque « d’embouteillage » pour les tableaux d’avancement. En outre, l’échelonnement indiciaire est revalorisé pour le grade de premier conseiller et de président.

          Ces avancées très positives ne doivent pas masquer certaines difficultés persistantes. Ainsi, le grade d’accueil dans le corps n’a pas été amélioré, ce qui rendrait plus attractive la carrière de magistrat administratif : les magistrats recrutés par la voie du concours externe de l’ENA sont toujours classés, lors de leur prise de fonctions, à l’indice nouveau majoré 450 et l’accès au grade de premier conseiller n’est possible qu’en sept ans en moyenne.

          Toutefois, les conseillers de tribunal administratif issus du concours interne et du troisième concours de l’ENA bénéficient désormais d’un reclassement indiciaire dans le corps des tribunaux administratifs plus favorable qu’auparavant. Par ailleurs, les nouvelles conditions requises pour accéder au grade supérieur pourraient retarder l’accès de certains conseillers à ce grade.

          Enfin, les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel qui sont entrés dans le corps par la voie du recrutement complémentaire et n’avaient pas déjà la qualité de fonctionnaire subissent un retard de deux ans dans leur carrière par rapport à ceux issus de l’ENA.

              Les agents du Conseil d’Etat et les agents des greffes des juridictions administratives

          Dans le cadre de la loi de programme relative à la justice, 38 emplois ont été créés de 1995 à 1999 : 5 nouvelles créations sont prévues au projet de loi de finances pour 2000, ce qui portera les effectifs budgétaires des agents du Conseil d’Etat à 330.

          De 1995 à 1999, 190 emplois de greffe ont été créés, auxquels s’est ajouté le transfert de 10 emplois, en provenance du ministère de l’intérieur, ce qui a porté les effectifs des greffes des juridictions administratives à 959 en 1999, soit un ratio de 1,4 agent par magistrat contre 1,15 en 1990. Les 40 créations d’emplois prévues pour 2000 permettront de conserver un ratio sensiblement identique en effectifs budgétaires : 1,38 agent par magistrat.

RATIO AGENTS DE GREFFE / MAGISTRATS
DANS LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

        Date

        Effectifs budgétaires
        d’agents de greffe

        Effectifs budgétaires
        de magistrats

        Ratio agents de greffe / magistrats

        31/12/1991

        630

        549

        1,15

        31/12/1992

        696

        561

        1,24

        31/12/1993

        759

        571

        1,33

        31/12/1994

        797

        583

        1,37

        31/12/1995

        843

        605

        1,39

        31/12/1996

        871

        625

        1,39

        31/12/1997

        895

        641

        1,40

        31/12/1998

        927

        662

        1,40

        31/12/1999

        959

        683

        1,40

        31/12/2000

        997

        723

        1,38

          Après avoir analysé les crédits du ministère de la justice et le fonctionnement des juridictions, votre rapporteur souhaite maintenant examiner les réformes, en cours et à venir, conduites par le ministère de la justice.

          III. — LES RÉFORMES CONDUITES PAR LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE

          Cette année, votre rapporteur s’intéressera plus particulièrement aux tribunaux de commerce (A) et à la responsabilité des magistrats (B), la garde des sceaux ayant annoncé qu’elle présenterait prochainement au Parlement un projet de loi réformant la justice commerciale et un projet de loi organique relatif au statut de la magistrature.

            A. LES TRIBUNAUX DE COMMERCE

          Après avoir analysé l’activité des juridictions commerciales (1), votre rapporteur examinera les modifications en cours de la carte judiciaire des tribunaux de commerce (2) et la future réforme relative au fonctionnement de ces tribunaux (3).

              1. L’activité des juridictions commerciale

          L’activité des juridictions commerciales peut s’appréhender à travers les décisions rendues et le taux d’appel de ces décisions.

          Les décisions des tribunaux de commerce

          Aussi surprenant que ce soit, le suivi statistique des affaires nouvelles a été interrompu pour des raisons budgétaires : les derniers chiffres connus remontent à 1992, où les tribunaux de commerce avaient enregistré 307 910 affaires nouvelles. L’activité des juridictions commerciales n’est donc retracée qu’au travers des affaires terminées.

          En 1998, les tribunaux de commerce ont rendu 184 291 jugements, ce qui représente une diminution d’activité de 6,4 % par rapport à 1997. Cette baisse confirme, en la prolongeant, la tendance déjà observée avec une même ampleur en 1997. Plus du quart des jugements rendus concerne des procédures collectives et consiste principalement en des liquidations judiciaires. L’évolution à la baisse de ce contentieux peut être interprétée comme le signe indirect d’une amélioration de la santé économique des entreprises en 1998.

          Si l’on ajoute à ces jugements au fond, qui représentent 80 % du volume des affaires traitées, les autres décisions – radiations, incompétence ou autres fins –, on arrive à 236 094 décisions rendues en 1998, soit une baisse de 5,2 % par rapport à 1997 faisant suite à une baisse de 7,5 % en 1996.

          La durée moyenne de traitement des affaires a été de 5,6 mois en 1998, contre 5,8 mois en 1997. Elle tombe à 4,6 mois pour les contentieux liés aux redressements et liquidations judiciaires et à 6 mois pour les contentieux de la vie courante des entreprises.

          Les référés prononcés en 1998 ont également baissé (– 11,9 %), pour atteindre 40 083 ordonnances. Cette diminution est un peu supérieure à celle déjà constatée au cours des deux années précédentes. Les ordonnances de référé sont rendues dans un délai de 1,1 mois en moyenne.

ÉVOLUTION DE L’ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

France métropolitaine et départements d’outre-mer

         

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998 (p)

        Volume d’affaires traitées

                         

        Instances au fond

                         

        Nombre d’affaires nouvelles

        275 651

        298 632

        307 910

        nd

        nd

        nd

        nd

        nd

        nd

        Nombre d’affaires terminées

        233 314

        259 062

        266 305

        297 746

        254 858

        282 070

        269 350

        248 988

        236 094

              Jugements rendus

        183 142

        196 082

        201 444

        223 563

        191 107

        209 534

        210 692

        196 920

        184 291

              Autres décisions

        50 172

        62 980

        64 861

        74 183

        63 751

        72 536

        58 658

        52 068

        51 803

        Référés

                         

        Nombre d’ordonnances de référés

        49 831

        54 370

        56 853

        62 945

        55 066

        54 158

        51 033

        45 474

        40 083

        Durée moyenne de traitement – instances au fond (en mois)

                         

        Contentieux

        nd

        5,0

        5,1

        5,6

        6,0

        6,5

        6,5

        6,2

        6,0

        Redressements et liquidations judiciaires

        nd

        3,5

        4,5

        4,8

        5,3

        5,4

        5,3

        4,7

        4,6

        Référés

        1,1

        0,9

        0,9

        1,0

        1,0

        1,0

        1,1

        1,2

        1,1

        Appel

                         

        Nombre d’affaires en appel

        27 804

        30 181

        32 052

        35 236

        35 179

        35 128

        35 233

        30 338

        28 592

        Pourcentage d’affaires portées en appel *

        15,2

        15,4

        15,9

        15,8

        17,4

        16,8

        16,7

        16,0

        15,5

            Source : Répertoire général civil.

            * Rapport de l’ensemble des affaires portées en appel dans l’année au volume des jugements rendus au fond la même année par les tribunaux de commerce.

            nd : donnée non disponible.

            p : donnée provisoire.

              Le taux d’appel des décisions des tribunaux de commerce par nature de contentieux

          Rapportés aux 167 200 décisions des tribunaux de commerce prononcées en 1997 et susceptibles d’appel, les 24 500 appels interjetés aboutissent à un taux d’appel de 14,7 % : ce taux n’a pas beaucoup varié par rapport à 1996 et reste proche de celui des tribunaux de grande instance.

          Le taux d’appel pour les affaires contentieuses est de 19,1 %, alors que pour les ouvertures de redressement ou liquidation judiciaire, il est de 4,3 %. Cet écart se retrouve pour les décisions comparables des tribunaux de grande instance à compétence commerciale.

          Les affaires contentieuses connaissent des taux d’appel très contrastés : en droit des affaires, un jugement sur trois donne lieu à un appel alors qu’en droit du travail, cette proportion est inférieure à un sur cent.

TAUX D’APPEL DES TRIBUNAUX DE COMMERCE
PAR NATURE D’AFFAIRE

Appels interjetés en 1997 et 1998 contre les jugements au fond
susceptibles d’appel prononcés en 1997

        Nature des affaires

        Appel de jugements
        au fond de 1997

        Jugements au fond
        de 1997 *

        Taux d’appel
        1997

        Taux d’appel
        1996

        Toutes affaires

        24 516

        167 228

        14,7

        14,2

        Contentieux général

        21 570

        112 749

        19,1

        18,8

        Droit des affaires

        3 075

        9 338

        32,9

        33,3

        Entreprises en difficulté

        5 347

        34 215

        15,6

        13,8

        Droit des contrats

        12 617

        50 050

        25,2

        24,8

        Responsabilité et quasi-contrats

        230

        283

        81,3

        45,7

        Biens – Propriété littéraire et artistique

        134

        176

        76,1

        65,2

        Relations du travail et protection sociale

        167

        18 687

        0,9

        1,2

        Ouverture de redressement ou de liquidation judiciaire


        2 356


        54 207


        4,3


        3,9

        Non renseigné

        590

        272

            s.o. **

            s.o. **

    * Jugements rendus en premier ressort

    ** Sans objet

          Les affaires du droit du travail sont en fait des demandes de recouvrement d’impayés exercés par les organismes sociaux contre les entreprises commerciales. D’une manière générale, les demandes d’impayé suscitent peu d’appel.

          Le contentieux du droit des contrats, qui représente 30 % de l’activité, a un taux d’appel de plus de 25 %. Ce taux recouvre des réalités très différentes selon la nature des affaires traitées. Les taux d’appel sont élevés pour les contrats de prestation de services (30 %) et de prêt d’argent et de crédit-bail (44 %). Il sont en revanche très faibles pour les contrats de vente (7,5 %), qui sont majoritairement des demandes d’impayés.

          Le droit des affaires génère un contentieux présentant un taux d’appel encore plus élevé (33 %). En matière de banque et d’effets de commerce, contentieux le plus important en volume du droit des affaires, le taux d’appel est en retrait (21,6 %), toujours du fait des demandes d’impayés.

          Tout comme pour les tribunaux de grande instance, le taux d’appel des demandes relatives aux procédures de redressement ou de liquidation judiciaires (15,6 %) est bien plus important que celui des ouvertures (4,3 %).

              2. La réforme de la carte judiciaire des tribunaux de commerce

          Le 24 mars 1998, une mission pour la réforme de la carte judiciaire a été créée au sein de la direction des services judiciaires : sa première mission consistait à redessiner, avant la fin de l’année 1999, la carte des tribunaux de commerce qui n’avait été touchée ni par la réforme Poincaré, ni par la réforme Debré. Les délais seront tenus, une première étape ayant déjà été franchie en août dernier.

          Un tribunal de commerce sur six a été supprimé en juillet dernier

          La rationalisation du ressort des six cours d’appel où les tribunaux de commerce sont les plus nombreux a été jugée prioritaire : les cours de Caen, Dijon, Montpellier, Poitiers, Riom et Rouen totalisent 20 départements et 81 tribunaux de commerce, soit plus du tiers des 227 juridictions commerciales existant au plan national. Après un dialogue approfondi avec l’ensemble des partenaires, la suppression des 34 tribunaux de commerce suivants a été décidée :

          —  Falaise, Vire, Granville, Saint-Lô, L’Aigle, Flers, Vimoutiers (ressort de la cour d’appel de Caen) ;

          —  Auxonne, Chatillon-sur-Seine, Nuits-Saint-Georges, Langres, Autun, Charolles, Louhans (ressort de la cour d’appel de Dijon) ;

          —  Castelnaudary, Limoux, Espalion, Saint-Affrique, Lodève, Pézenas (ressort de la cour d’appel de Montpellier) ;

          —  Jonzac, Saint-Jean-d’Angély, Châtellerault (ressort de la cour d’appel de Poitiers) ;

          —  Saint-Flour, Brioude, Ambert, Billom, Issoire (ressort de la cour d’appel de Riom) ;

          —  Bernay, Louviers, Eu, Fécamp, Gournay-en-Bray, Saint-Valéry-en-Caux (ressort de la cour d’appel de Rouen).

          Deux autres tribunaux ont également été supprimés : le tribunal de Clamecy, dans le ressort de la cour d’appel de Bourges, qui ne fonctionnait plus car il avait été rattaché à celui de Nevers ; le tribunal de commerce de Saint-Valéry-sur-Somme, dans le ressort de la cour d’appel d’Amiens, qui a demandé à fusionner rapidement avec celui d’Abbeville.

          Au total, 36 tribunaux de commerce ont été supprimés sur les 86 que comptent les 22 départements concernés, le nombre des tribunaux de commerce passant ainsi, au plan national, de 227 à 191.

          Ces décisions se sont traduites par la publication de deux décrets datés du 30 juillet 1999. Le décret n° 99-559 porte suppression de tribunaux de commerce et le décret n° 99-560 fixe la composition des tribunaux de commerce dont le ressort est élargi : il a en effet été décidé d’accroître le nombre des juges consulaires dans ces juridictions, qui devront traiter d’un nombre accru de contentieux, et de permettre à des magistrats du tribunal supprimé de siéger dans la juridiction de rattachement.

          D’autres tribunaux de commerce seront supprimés à la fin de l’année

          La concertation dans les autres cours d’appel a commencé en janvier 1999. Le délégué à la réforme de la carte judiciaire a visité les cours d’Agen, Bordeaux, Bourges, Reims, Nancy, Pau, Orléans, Angers, Grenoble, Amiens, Rennes, Versailles. Un nouveau décret relatif aux tribunaux de commerce situés dans ces cours d’appel et dans celles restant à étudier devrait être adopté, au plus tard, au début de l’an 2000.

          Une première mesure budgétaire de 5 millions de francs destinée à l’accompagnement des réformes de la carte judiciaire, toutes juridictions comprises, a été votée en loi de finances pour 1999. Le projet de loi de finances pour 2000 reconduit cette dotation pour un montant identique.

          Votre rapporteur approuve pleinement la méthode retenue et juge indispensable que la réforme de la carte judiciaire de l’ensemble des juridictions aille à son terme.

              3. La réforme des tribunaux de commerce

          A la suite des travaux de la commission d’enquête créée par notre assemblée pour examiner le fonctionnement des tribunaux de commerce, le Gouvernement a décidé d’introduire la mixité dans ces juridictions en associant des magistrats professionnels et des juges élus. Pour préciser les modalités de cette mixité, une commission a été installée sous la présidence de MM. Michel Bernard et Christian Babusiaux, qui ont remis leur rapport en avril dernier. Le 31 mai, les ministres de la justice et des finances ont présenté les grandes orientations de la réforme de la justice commerciale :

          —  Le président du tribunal de commerce resterait un juge élu avec des pouvoirs propres ;

          —  Présidées par un magistrat professionnel, les formations de jugement mixtes seraient compétentes pour les litiges mettant en jeu l’ordre public économique (procédures collectives, contentieux spécialisés, litiges entre associés, contentieux mettant en cause des non-commerçants ou des établissements de crédit) ;

          —  Les formations de jugement purement consulaires continueraient de traiter du reste du contentieux général, constitué de litiges courants entre commerçants.

          Des mesures d’accompagnement sont prévues, concernant notamment la formation des juges, leur mode d’élection et les règles déontologiques. Ainsi, la réforme devrait contenir de nouvelles règles d’incompatibilité et des dispositions visant à empêcher toute interférence entre les fonctions juridictionnelles et l’exercice d’une activité professionnelle ou de mandats judiciaires. De plus, des passerelles permettront aux juges élus les plus expérimentés d’accéder aux cours d’appel, soit par intégration dans le corps des magistrats, soit par nomination à la fonction de conseiller en service extraordinaire dans les chambres commerciales des cours d’appel. Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2000 prend en compte la future réforme des tribunaux de commerce : une première étape est engagée avec la création de 100 postes de magistrats.

            B. LA MISE EN CAUSE DE LA RESPONSABILITÉ DES MAGISTRATS

          Au moment où le Congrès est enfin saisi du projet de loi constitutionnelle relative au Conseil supérieur de la magistrature et tandis que le Parlement poursuit l’examen du projet de loi relatif à l’action publique en matière pénale, ces deux textes ayant pour objet d’accroître l’indépendance et les pouvoirs des magistrats, votre rapporteur souhaite qu’une réflexion s’engage sur la responsabilité des magistrats. A cet égard, il est intéressant de faire le point sur les procédures disciplinaires engagées à l’encontre des magistrats (1), sur leur régime de responsabilité (2) et sur les réformes à venir (3).

              1. Les procédures disciplinaires concernant les magistrats

          Aux termes de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont : la réprimande avec inscription au dossier ; le déplacement d’office ; le retrait de certaines fonctions ; l’abaissement d’échelon ; la rétrogradation ; la mise à la retraite d’office ou l’admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n’a pas droit à une pension de retraite et la révocation avec ou sans suspension des droits à pension.

PROCÉDURES DISCIPLINAIRES ENGAGÉES À L’ENCONTRE
DES MAGISTRATS ET SANCTIONS PRONONCÉES

        Années

        Procédures disciplinaires – Nature des sanctions

         

        Siège

        Parquet

        1988

        1 mise à la retraite d’office

         

        1989

           

        1990

        1 déplacement d’office

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

         

        1991

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        2 déplacements d’office

        1992

        1 déplacement d’office

        1 admission à cesser ses fonctions

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        1 déplacement d’office

        1993

        2 révocations sans suspension des droits à pension

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        1 réprimande avec inscription au dossier

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        1994

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        1 mise à la retraite d’office

        1 déplacement d’office

        1 réprimande avec inscription au dossier

        1 interdiction temporaire d’exercice des fonctions

        1 déplacement d’office

        1 abaissement d’échelon + déplacement d’office

        2 interdictions temporaires d’exercice des fonctions

        1995

        2 déplacements d’office

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        3 interdictions temporaires d’exercice des fonctions

        1 révocation sans suspension des droits à pension

        1 mise à la retraite d’office

        1 rétrogradation + déplacement d’office

        2 déplacements d’office

        1996

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        1 révocation avec suspension des droits à pension

        1 révocation sans suspension des droits à pension

        1 interdiction temporaire d’exercice des fonctions

        2 déplacements d’office

        1 réprimande avec inscription au dossier

        1997

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        1 interdiction temporaire d’exercice des fonctions

        2 réprimandes avec inscription au dossier

        1 retrait des fonctions avec déplacement d’office

        1998

        2 interdictions temporaires d’exercice des fonctions

        1 abaissement d’échelon + déplacement d’office

        1 révocation sans suspension des droits à pension

        1 interdiction temporaire d’exercice des fonctions

        1 déplacement d’office



        1999
        (au 1er novembre)

        1 abaissement d’échelon

        1 abaissement d’échelon + déplacement d’office

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        2 interdictions temporaires d’exercice des fonctions

        8 dossiers pendants devant le CSM, dont 2 ayant donné lieu à une interdiction temporaire d’exercice des fonctions

        2 mises à la retraite d’office

        1 retrait des fonctions + déplacement d’office

        Source : Chancellerie.

          Les faits motivant les poursuites engagées à l’encontre de magistrats consistent en des insuffisances professionnelles ou des comportements incompatibles avec les devoirs de l’état de magistrat. Ces poursuites ont donné lieu, de 1988 à 1998, à 53 sanctions disciplinaires, soit 34 à l’encontre de magistrats du siège et 19 à l’encontre de magistrats du parquet.

          Concernant l’année 1999, la ministre de la justice a indiqué, lors de son audition par la commission des Lois, qu’elle avait saisi quinze fois le Conseil supérieur de la magistrature sur des faits très divers, allant de la conduite en état d’ivresse au non-respect du secret professionnel ou à l’utilisation abusive de la liberté de parole pour attaquer des tiers, et qu’elle l’avait souvent fait sur le rapport des chefs de cour, qui ont eux-mêmes donné une cinquantaine d’avertissements à des magistrats placés sous leur autorité.

              2. Le régime de responsabilité des magistrats

          Aux termes de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire, l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice, mais cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. La responsabilité de l’Etat sur le fondement de cet article ne se limite pas aux seuls actes des magistrats, mais s’étend à l’ensemble des actes relatifs à l’exécution du service public de la justice, en particulier les activités des greffes et des collaborateurs du service public de la justice.

          En complément de ces dispositions, l’article 11-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit que les magistrats ne sont responsables que de leurs fautes personnelles et précise que la responsabilité d’un magistrat ayant commis une faute personnelle se rattachant au service public de la justice ne peut être engagée que sur l’action récursoire de l’Etat, exercée devant une chambre civile de la Cour de cassation. Cette action récursoire n’a jamais été mise en œuvre, de sorte que les fautes personnelles qui auraient pu être commises par des magistrats n’ont pas été isolées.

          Les deux régimes de responsabilité dérogatoires à celui de l’article L. 781-1 du code de l’organisation n’imposent pas l’existence d’une faute lourde ou d’un déni de justice : il suffit d’une faute quelconque du juge, du greffier ou du gérant de tutelles en matière de tutelles (art. 473 du code civil) ou de l’existence d’un préjudice en matière de détention provisoire (art. 149 du code de procédure pénale), préjudice qui, depuis le vote de la loi du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire, n’a plus à être manifestement anormal et d’une particulière gravité. Ces deux régimes de responsabilité n’ont pas nécessairement pour effet la mise en évidence de faute personnelle des magistrats.

          Plus généralement, le fonctionnement collégial des juridictions et le secret du délibéré font naturellement obstacle à la recherche d’une faute personnelle des magistrats.

          Il n’est pas possible, au travers des chiffres communiqués par la Chancellerie, de distinguer responsabilité de l’Etat et responsabilité des magistrats à raison de leur faute personnelle, étant précisé que les recours gracieux, précédant le cas échéant les procédures contentieuses, sont en augmentation croissante pour l’ensemble des régimes de responsabilité : elles sont passées de 82 en 1997 à 123 en 1998. En outre, il doit être précisé que l’Etat indemnise également les collaborateurs du service de la justice et les victimes de dommages résultant de l’exécution par la police de ses missions de police judiciaire, d’une part sur le fondement de la responsabilité sans faute pour rupture de l’égalité devant les charges publiques, et d’autre part sur le fondement de la faute lourde.

          L’évolution de l’outil statistique et l’évolution du contentieux sur les dix dernières années imposent de scinder l’examen du contentieux lié aux dysfonctionnements du service de la justice judiciaire en trois périodes.

          Sur la période 1989-1992, l’Etat a été assigné à soixante-trois reprises en responsabilité : 15 procédures engagées sur le fondement de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire ont abouti à une condamnation, deux condamnations étant par ailleurs prononcées pour faute dans la gestion des dossiers de tutelle et deux autres pour erreur dans la tenue du livre foncier (Alsace–Lorraine). Il n’est techniquement pas possible de produire des données fiables sur les autres régimes de responsabilité pour la période considérée, même s’il peut être précisé que 22 des 82 requêtes amiables présentées au bureau du contentieux de la direction des services judiciaires ont donné lieu à indemnisation.

          Sur la période 1993-1998, la responsabilité de l’Etat a été recherchée au titre de l’article 781-1 du code de l’organisation judiciaire au travers de 155 dossiers contentieux nouveaux, alors qu’au cours de la même période les tribunaux saisis rendaient 161 décisions, dont 28 de condamnations pour un montant de 5 819 484 F. Au titre du régime des tutelles, 13 procédures ont abouti à trois condamnations pour un montant de 1 048 578 F. A titre de comparaison, la commission d’indemnisation de la détention provisoire a alloué une somme totale de 12 556 700 F pour les 250 dossiers qu’elle a accepté d’indemniser sur les 729 procédures dont elle avait été saisie. Par ailleurs, 7 procédures introduites sur le fondement de la responsabilité sans faute ont conduit à la condamnation de l’Etat dans 5 dossiers pour un montant de 1 440 103 F.

contentieux lié aux dysfonctionnements
de la justice judiciaire sur la période
1993–1998

        Fondement

        Nombre
        de décisions rendues

        Nombre de décisions de condamnation

        Montant
        des condamnations

        Article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire

        161

        28

        5 819 484 F

        Tutelles

        13

        3

        1 048 578 F

        Indemnisation de la détention provisoire

        729

        250

        12 556 700 F

        Responsabilité sans faute

        7

        5

        1 440 103 F

        TOTAL

        910

        286

        20 864 865 F

          Au total, sur la période 1993/1998, 286 condamnations sur les 910 dossiers contentieux introduits ont justifié le versement d’indemnités à hauteur de 20 864 865 F.

          Pour l’année 1999, les seuls chiffres de condamnation qui peuvent être produits, l’année n’étant pas achevée, concernent des procédures engagées les années précédentes et ne peuvent donc être en eux-mêmes significatifs. Toutefois, les neuf dossiers jugés à ce jour, pour lesquels les prétentions s’élevaient à 39 500 513 F, ont amené les tribunaux à condamner l’Etat à verser 10 394 217 F, dont 10 348 216 F dans un seul dossier concernant la responsabilité sans faute de l’Etat à raison de la non-désignation d’un mandataire liquidateur par un tribunal de commerce. D’autre part, le bureau du contentieux de la direction des services judiciaires a enregistré 40 assignations en responsabilité et 52 requêtes amiables, dont 20 au titre des dégâts de police.

              3. Les évolutions législatives

          Un projet de loi organique relative au statut de la magistrature, dont le Gouvernement a annoncé la discussion pour le mois de mars prochain, devrait modifier la discipline des magistrats et leur régime de responsabilité.

          Statut des magistrats

          La ministre de la justice a annoncé plusieurs modifications du statut de la magistrature, notamment lors de son audition par la commission des lois le 20 octobre dernier.

          Concernant la discipline des magistrats, elle a fait part de son intention de redéfinir les sanctions disciplinaires, d’élargir la saisine du Conseil supérieur de la magistrature siégeant en formation disciplinaire aux chefs des cours et tribunaux, de rendre publiques les audiences disciplinaires et d’instituer des commissions d’examen des réclamations des justiciables dans le ressort des cours d’appel. Il serait souhaitable que ces commissions ne soient pas exclusivement composées de magistrats et puissent être saisies par toute personne s’estimant lésée par un acte commis par un magistrat dans l’exercice de ses fonctions et susceptible de recevoir une qualification disciplinaire. Si la commission transmet la réclamation au ministère de la justice, il appartiendra à celui-ci, le cas échéant, d’engager des poursuites disciplinaires.

          Concernant la carrière des magistrats, la ministre s’est déclarée favorable à une limitation du temps d’exercice des fonctions de chef de juridictions et à une mobilité accrue de tous les magistrats. Elle a également jugé souhaitable de réformer l’inspection générale des services judiciaires et de modifier les modalités de la responsabilité financière de l’Etat en cas de dysfonctionnement de la justice.

          Par ailleurs, plusieurs textes déjà présentés par la ministre contiennent des dispositions de nature à faciliter la mise en jeu de la responsabilité professionnelle des magistrats, qu’il s’agisse des recours contre les classements sans suite ou de l’obligation de rendre compte de l’exécution des orientations générales de la politique pénale prévus par le projet de loi relatif à l’action publique en matière pénale ou de l’indemnisation du préjudice subi à raison d’une détention provisoire, dont les modalités sont modifiées par le projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence (art. 149 du code de procédure pénale). Cette indemnisation ne serait plus facultative mais de droit à la demande de la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement ; le préjudice serait évalué par expertise contradictoire ; les débats auraient lieu en audience publique et non plus en chambre du conseil ; la décision de la commission d’indemnisation allouant une indemnité serait motivée et communiquée aux magistrats ayant concouru à la mise ou au maintien en détention provisoire.

          Enfin, l’article 25 de la loi du 23 juin 1999 a amélioré le régime de l’indemnisation du préjudice subi par un condamné reconnu innocent à la suite d’une demande de révision. Il est précisé, dans l’article 626 du code de procédure pénale qu’il s’agit d’un préjudice matériel et moral. Par ailleurs, alors que l’indemnité ne pouvait être allouée que par la commission de révision des condamnations pénales, composée de 5 magistrats de la Cour de cassation, il est désormais possible à l’intéressé de demander à ce que l’indemnisation soit allouée par la décision d’où résulte son innocence.

*

* *

          Avant d’émettre un avis sur les crédits, la Commission a procédé à l’audition de Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ().

          Mme Catherine Tasca, présidente : Nous inaugurons la nouvelle procédure d’examen mise au point par le groupe de travail présidé par Laurent Fabius. Cette réforme a pour objectifs de rendre la discussion budgétaire plus vivante et d’éviter la répétition systématique, en séance publique, des débats de la commission.

          Nous allons entendre le rapporteur spécial de la commission des finances, les rapporteurs pour avis et tous les députés qui souhaiteront participer à cette discussion. La séance publique, quant à elle, aura lieu le 9 novembre : il n’y aura qu’un orateur par groupe. La procédure d’examen simplifié est ainsi appliquée à la discussion budgétaire.

          Pour les questions les plus ponctuelles, je vous demande d’utiliser la procédure des questions écrites, celles-ci pouvant être déposées jusqu’à demain midi, soit quinze jours avant la séance publique.

          La procédure des commissions élargies ne sera un succès que si nos débats conservent le caractère direct, vivant, du travail en commission, ce qui nous impose à tous d’être concis. Je n’ai pas de moyens de coercition, mais l’intérêt même de notre débat est en jeu.

          Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux : Je suis heureuse d’inaugurer avec vous cette nouvelle procédure. Cette expérience valorisera le travail des commissions et nous permettra d’avoir un échange plus direct qu’en séance.

          Le budget de la justice pour l’an 2000 est un très bon budget, pour la troisième année consécutive. Les crédits de mon ministère progressent en effet de 3,9 % soit une hausse d’un milliard. On enregistre 1 237 créations de postes : c’est encore plus que les années précédentes, puisque on en comptait 930 en 1999 et 762 en 1998.

          Les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse augmentent dans une proportion historique.

          Les crédits de fonctionnement des services progressent de 5,15 %.

          Nous bénéficierons en outre de 1,5 milliard d’autorisations de programme pour la construction et la rénovation des palais de justice et des établissements pénitentiaires.

          Sur les trois premiers budgets de la législature, les crédits de mon ministère auront donc progressé de 3,4 milliards, soit un gain de 14 %, et les effectifs auront gagné près de 3 000 postes. Nous rompons donc avec la vieille habitude des budgets « feux de paille ».

          Les services judiciaires gagneront 382 emplois, 450 millions de crédits de fonctionnement et d’intervention et 805 millions d’autorisations de programme. Cet effort vise à améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien et à mettre en œuvre les réformes entreprises.

          Nous comptons aussi 212 créations de postes de magistrats judiciaires : c’est le plus haut niveau atteint depuis vingt ans. En trois ans, nous aurons créé 422 postes de magistrats judiciaires, c’est-à-dire davantage que pendant les dix ans qui ont précédé 1997.

          S’agissant de la répartition de ces postes, cent iront à la mixité des tribunaux de commerce : il s’agit d’une réforme que je présenterai prochainement au Parlement, mais qui est d’ores et déjà financée. Quarante-huit postes sont prévus pour le contentieux de la liberté : 62 ont déjà été créés en 1999. Suite au dernier conseil de la sécurité intérieure, il a été décidé de consacrer 25 postes aux juges et substituts des mineurs. Trente-quatre postes serviront à la résorption des stocks, 4 à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et un poste est prévu pour l’état civil de Mayotte.

          Nous avons aussi besoin de postes administratifs et c’est pourquoi nous créerons l’an prochain 145 postes de greffiers, contre 122 cette année. Si, en 2000, nous recrutons plus de magistrats que de fonctionnaires, c’est que les tribunaux de commerce ont déjà leurs greffes. Par ailleurs, nous renforcerons les moyens des tribunaux d’instance pour la mise en œuvre du PACS.

          Pour accompagner la déconcentration des services, nous allons créer 25 postes administratifs et techniques. Par ailleurs, seront recrutés 100 assistants de justice supplémentaires – ce qui nous permettra d’atteindre un total de 1 050 – et 1 000 emplois-jeunes pour l’accueil du public.

          Au plan statutaire, une provision de 20 millions sera constituée pour la réforme des carrières. Elle s’ajoutera aux 18 millions provisionnés en 1999. Dès que le Congrès se sera réuni, je pourrai vous présenter mon projet de loi organique relatif au statut des magistrats. Une fois de plus, il s’agit d’une réforme financée dès maintenant.

          Au plan indemnitaire, une enveloppe de 17 millions ira aux agents de catégorie C et aux fonctionnaires des greffes.

          Le fonctionnement courant n’est pas oublié avec 26 millions de plus pour les juridictions, ce qui permettra de financer la déconcentration, la mise en service de nouveaux bâtiments et la constitution des pôles de lutte contre la délinquance économique. A cet égard, nous avons déjà reçu 15 agents du ministère des finances. Les pôles de Paris, Bastia, Lyon, Marseille sont déjà constitués. Douze devraient être créés à terme.

          Ces moyens supplémentaires seront aussi consacrés aux conseils départementaux d’accès au droit et aux maisons de la justice et du droit. Nous avons engagé une politique de partenariat avec les collectivités locales, qu’il s’agisse des contrats locaux de sécurité, des maisons de la justice ou des contrats de plan Etat-régions. Sur ce dernier point les crédits de mon ministère ont augmenté de manière spectaculaire.

          Si la dotation des frais de justice augmente de 109 millions, cette hausse ne servira pas à financer une dérive des coûts mais à soutenir des mesures nouvelles. Ainsi, conformément à la loi sur la présomption d’innocence, 30 millions iront à l’indemnisation des personnes abusivement détenues. : conséquence d’un amendement adopté par votre Assemblée à l’initiative de M. Tourret. Suite à l’adoption de la loi du 18 juin 1999 relative à la sécurité routière, présentée par Jean-Claude Gayssot, 19 millions seront consacrés au dépistage de l’usage de stupéfiants dans les accidents mortels de la circulation. Dix millions financeront le recrutement de 200 délégués du procureur décidé lors du conseil de sécurité intérieure et 41 millions garantiront la couverture sociale des collaborateurs occasionnels du service public de la justice.

          D’un montant de 1,54 milliard, l’aide juridictionnelle est en hausse de 100 millions, dont 47 millions pour renforcer la présomption d’innocence en garantissant l’intervention de l’avocat dès la première heure de garde à vue. En outre, 17 millions sont prévus pour revaloriser l’unité de valeur, ce qui s’ajoute à la hausse de l’année précédente.

          Par ailleurs, 805 millions sont inscrits en autorisations de programme, ce qui permettra de lancer la construction des palais de justice de Pontoise, Cahors, Laval, Bobigny, Versailles ainsi que le désamiantage de Nanterre. En 1999 ont été réalisés les palais de Rennes, Nice, Grasse et ce sera bientôt le tour de Nantes. L’an 2000 devrait voir l’achèvement des chantiers de Grenoble et d’Avignon.

          Un effort important est consenti en faveur des juridictions administratives : 83 créations de postes, dont 40 magistrats, contre 61 en 1999, dont seulement 20 magistrats. L’investissement sera renforcé grâce à une nouvelle tranche de 50 millions d’autorisations de programme, ce qui permettra de financer la restauration du Conseil d’Etat et l’ouverture des chantiers de Cergy-Pontoise et de Rouen.

          Publique, la répartition des moyens s’est traduite par la mise au point d’un véritable plan d’urgence pour les cours d’appel, qui ont augmenté de 10 % leurs effectifs.

          Je souhaite par ailleurs évaluer dans de meilleures conditions la qualité du service public de la justice, ce qui implique l’amélioration des statistiques, les indicateurs actuels étant trop grossiers.

          La justice a fait un gros effort de productivité depuis vingt ans. Alors que le nombre des affaires est passé d’un million en 1979 à 2 millions aujourd’hui, les délais n’ont augmenté que de 25 % tandis que l’effectif des magistrats ne s’est accru que dans la même proportion.

          Les frais de justice ont connu une augmentation spectaculaire, puisqu’ils sont passés de 1,1 milliard en 1993 à 1,6 milliard en 1998 : 100 millions par an en moyenne ! Nous avons donc pris des mesures réglementaires dès 1999, comme le contrôle des devis des expertises par le Parquet ou la révision du tarif des fourrières, et nous avons passé des contrats de gestion avec les cours d’appel : ces contrats consistent à verser aux juridictions un complément de crédits de fonctionnement à proportion des économies qu’elles réalisent sur les frais de justice. Les résultats sont là, puisque depuis neuf mois, le montant en volume des frais de justice s’est stabilisé.

          S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, notre politique a trois objectifs : se donner les moyens de répondre systématiquement aux actes de primo-délinquance, renforcer les dispositifs d’hébergement et développer les mesures de réparation.

          Quels sont les moyens mis en œuvre ? Nous changeons d’échelle pour les créations d’emplois avec 380 postes nouveaux contre 150 en 1999, soit un saut quantitatif très important. En outre, par anticipation sur le plan décidé par le CSI, nous aurons l’an prochain l’autorisation de lancer des concours exceptionnels pour 300 postes supplémentaires ce qui portera à 680 les recrutements effectifs de l’an 2000. Quand on sait que le total des postes est actuellement de 6 000, on mesure l’effort du Gouvernement.

          Les crédits de fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse augmenteront de 67 millions de francs, soit 22 %, et ceux du secteur associatif habilité de 234 millions de francs, soit 19 %. Au total les moyens des services de la protection judiciaire de la jeunesse progresseront de 16 %.

          Nous avons engagé la création de 100 centres éducatifs renforcés et de 50 centres de placement immédiat ; les deux tiers de ces CPI seront opérationnels fin 2000.

          Nous renforçons également le service de protection de la jeunesse par 600 emplois-jeunes, par l’affectation d’éducateurs dans les classes relais et les maisons de justice et par l’augmentation des effectifs des délégués du Procureur. Tous ces efforts vont nous permettre d’augmenter la prise en charge des jeunes délinquants. Le chiffre des mesures de réparation ordonnées par les juges est passé de 7 500 en 1998 à plus de 10 000 en 1999 et devrait atteindre 12 000 l’an prochain. C’est la façon la plus efficace de traiter la primo-délinquance.

          Des mesures indemnitaires sont également prévues pour un total de 9,1 millions de francs, en particulier pour revaloriser les primes du travail du dimanche et des jours fériés du personnel de protection de la jeunesse.

          En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, elle reçoit 386 emplois, 434 millions de francs de crédits supplémentaires et 611 millions de francs d’autorisation de programmes nouvelles.

          173 emplois serviront, première priorité, à améliorer les conditions de travail et de sécurité des personnels ; 122 emplois de surveillants sont ainsi prévus pour les actions sanitaires (douches des détenus, escortes pour les consultations médicales) et 51 pour le renforcement de l’encadrement, de la gestion et de la formation.

          Deuxième priorité, 85 postes, dont 40 surveillants, sont créés pour améliorer la prise en charge des détenus notamment en détention provisoire, pour préparer le réinsertion et développer les projets d’exécution de peine, les alternatives à l’incarcération, les unités de visite familiale et pour achever la réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

          Troisième priorité, 128 emplois, dont 118 personnels de surveillance, doivent améliorer la détention des mineurs, effort complété par 30 millions de francs de crédits d’équipement pour rénover une vingtaine de quartiers de mineurs et créer des quartiers supplémentaires. L’objectif est qu’il y ait pas plus de 15 ou 20 mineurs par quartier.

          Des mesures indemnitaires sont également prévues pour l’administration pénitentiaire, notamment pour les primes du dimanche et des jours fériés.

          En ce qui concerne la construction et la rénovation des prisons, le programme 4000 permettra la construction de six établissements nouveaux. Une première tranche (Toulouse, Lille et Avignon) a déjà été engagée, une seconde (Toulon, Meaux et Liancourt) va l’être, grâce à 150 millions supplémentaires en l’an 2000.

          Au total 1,65 milliard d’autorisations de programme auront été ouvertes entre 1998 et 2000, pour un programme d’environ 2 milliards de francs, alors que seulement 350 millions de crédit étaient inscrits fin 1997. Après les chantiers routiers et autoroutiers, c’est le plus grand programme d’équipement civil de l’Etat.

          Les travaux de réhabilitation courante seront menés à un bon rythme. J’ai lancé un programme de rénovation lourde des cinq plus grandes maisons d’arrêt (Fresnes, Fleury-Mérogis, la Santé, les Baumettes et Loos).

          Enfin, 21 millions sont consacrés à l’aménagement de zones protégées pour les détenus dans plusieurs hôpitaux.

          Je terminerai par les mesures générales. Un effort supplémentaire de 25 millions est prévu pour les associations qui apportent leur concours au service public de la Justice. Les crédits d’action sociale du ministère (restaurant, aide au logement, colonies de vacances) connaissent une nouvelle progression, de sorte qu’ils auront été revalorisés de 30 % en trois ans.

          L’inspection générale du casier judiciaire bénéficie de quatre créations de poste, après cinq en 1999, soit un quasi doublement en deux ans. Vous savez l’importance que j’attache au renforcement des contrôles internes, non seulement pour le casier judiciaire mais aussi pour l’ensemble du service du ministère.

          En conclusion, ce budget nous permettra de moderniser l’équipement, de poursuivre la rénovation des méthodes de travail, de simplifier les procédures et de renforcer les outils de contrôle.

          Mme Catherine Tasca, présidente : Nous sommes extrêmement sensibles à la constance de vos efforts et de ceux du Gouvernement pour améliorer les crédits de la justice. Nous allons maintenant entrer dans le détail des masses budgétaires. Je profite de l’occasion pour saluer la présence parmi nous de M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, et M. Didier Migaud , rapporteur général du budget, qui a beaucoup contribué à la mise en place de cette nouvelle procédure.

          Avant de donner la parole à M. Patrick Devedjian, je signale qu’il a souhaité, à titre personnel, que son rapport soit mis dès aujourd’hui à la disposition des parlementaires.

          M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances : Je me contenterai d’éclairer quelques points essentiels de ce budget.

          Je voudrais d’abord décerner un satisfecit aux services du ministère qui, pour la première fois, m’ont donné des réponses complètes.

          C’est un bon budget en termes quantitatifs puisque les crédits augmentent de 3,91 %, représentant 1,62 % du budget général. Cette évolution s’inscrit d’ailleurs dans un effort continu de tous les gouvernements successifs en faveur du budget de la Justice, puisqu’il a augmenté de 84 % depuis 1988. Je n’aurai pas l’audace de réclamer davantage, sachant ce que sont les disponibilités budgétaires.

          Mais il faut voir aussi l’aspect qualitatif. A quoi servent de bons chiffres de crédit si le taux de consommation n’est pas satisfaisant ? Or il s’est fortement dégradé. Pour les dépenses en capital, la consommation des crédits de paiement est passée de 79 % à 64 % et les autorisations de programme de 81 % à 51 % ; même pour les dépenses ordinaires, le taux a légèrement baissé : 96 % contre 98 %. Certes les dépenses de fonctionnement augmentent, mais les dépenses d’investissement baissent de 9,27 %.

          En outre, les délais de jugement se sont encore allongés, passant de 16,6 à 17,4 mois en cour d’appel et de 9,1 à 9,3 mois dans les tribunaux de grande instance.

          Je vous félicite d’avoir augmenté le nombre de places en maison d’arrêt, mais la surpopulation carcérale n’en reste pas moins un problème lancinant. La gauche avait réduit le programme de 15 000 places lancé par M. Chalandon et il faut maintenant rattraper ce retard. Cette surpopulation carcérale est un vrai drame.

          La réorganisation générale de la justice n’est pas assez abordée dans ce budget. En particulier le réforme de la carte judiciaire n’avance que très lentement. Certes vous avez supprimé cet été 36 tribunaux de commerce et vous avez bien fait. Mais pour les autres juridictions l’indispensable remise en ordre de la carte judiciaire ne progresse guère. Je sais que c’est une réforme difficile et impopulaire car tous les conservatismes, ceux des élus locaux, des avocats, des magistrats se conjuguent pour ne rien changer dans leur ressort. Pourtant la réforme concernant le juge de la détention provisoire, par exemple, ne pourra se faire que dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.

          Le ministère a besoin, lui aussi, d’une réforme. Vous vous y êtes attelée mais là aussi les choses vont trop lentement. Les observations de la Cour des comptes en 1997 n’ont pas eu de suite. Le régime particulier fait aux juridictions administratives ne se justifie pas. L’informatisation progresse et la dotation correspondante aussi, mais celle-ci reste inférieure à celle de 1993 ; en particulier l’informatique pénale reste fragmentaire et l’informatique civile est en retard. Est en revanche très positive l’informatisation du système de gestion des détenus.

          Vous avez détaillé les recrutements de magistrats. Mais il faut bien voir que les contraintes de la pyramide des âges obligent à recruter de toute façon. Je regrette qu’il n’y ait pas de nouveaux magistrats exerçant à titre temporaire et pas de recrutements latéraux. Le productivité des magistrats se heurte à de grandes carences : à Paris, les trois quarts des magistrats du siège n’ont pas de bureaux. Et alors que nous avons de plus en plus besoin de magistrats spécialisés, le système d’avancement les pénalise. Il faudrait une réforme sur ce point.

          Les assistants de justice sont une bonne institution mais il faudrait une évaluation, un statut plus clair, peut-être des perspectives d’intégration. L’expérience du pôle financier de Paris est très instructive : c’est un progrès indéniable, mais qui ne représente qu’un ballon d’oxygène. On voit déjà poindre des difficultés et interrogations : le parquet reste coupé en deux, ce qui fait perdre beaucoup de temps dans les déplacements.

          Et l’on voit bien en effet que le seul moyen d’assurer l’avenir de ce pôle financier est, comme vous semblez d’ailleurs vous-même y songer, de créer un nouveau tribunal de grande instance à Paris afin de restaurer l’unité physique du Parquet. Je souhaite donc que vous preniez rapidement cette mesure, qui permettrait en outre aux magistrats du siège de disposer des bureaux que le Palais de justice actuel ne peut leur offrir. On gagnerait en efficacité, d’autant que la juridiction de Paris est la plus importante de France.

          Je m’interroge sur l’intérêt qu’il y a à multiplier les pôles financiers : après tout, la grande délinquance financière est elle-même concentrée à l’échelle nationale, tandis que les juges hautement qualifiés dans cette matière sont relativement rares. On pourrait par conséquent imaginer, comme en matière de terrorisme, une juridiction de compétence nationale. Bien que je sois député des Hauts-de-Seine, je me demande par exemple s’il s’imposait de créer un pôle à Nanterre : si près de Paris, cela ne peut conduire qu’à une dilution des moyens.

          J’en ai terminé avec les coups de projecteur que j’annonçais. Au total, ce budget est un bon budget en termes quantitatifs, mais il ne dispensera pas des réformes toujours indispensables, qu’il s’agisse de réduire les délais de jugement ou de lutter contre la surpopulation carcérale, notamment.

          M. Jacques Floch, rapporteur pour avis : Madame la Garde des Sceaux, je ne vais certainement pas contredire M. Patrick Devedjian lorsqu’il constate que ce budget est à bien des égards en amélioration. De fait, ces crédits vous permettront de mener une politique intelligente et de financer les réformes nécessaires. Cependant, pour porter une bonne appréciation, il importe de considérer le fonctionnement de votre ministère et, plus généralement, le fonctionnement de la justice en France.

          Ces dix dernières années, le budget de la justice a connu un accroissement considérable, de plus de dix milliards, ce qui nous permet d’espérer franchir en 2002 la barre des 30 milliards dont on se contentait de rêver il y a quelques années. Il importe toutefois de se demander à propos de tous ces crédits : pour quoi faire, et avec qui ? Le rôle de votre ministère est aujourd’hui mieux reconnu mais cela vous oblige à tout faire pour que votre département puisse rendre à la société le service qu’elle en attend, dans les meilleures conditions possibles. Comme je l’ai déjà dit l’an dernier, un tiers de nos concitoyens, soit près de vingt millions de personnes, ont, à un moment ou à un autre, affaire à la justice. Or beaucoup se plaignent de retards, ou regrettent l’insuffisance des crédits ou le manque d’activité des juridictions. Leur principal reproche est celui dont a fait état M. Patrick Devedjian : il a trait à la longueur excessive des procédures. Des progrès considérables ont été enregistrés ces dernières années, grâce au ministère, au Parlement qui a voté les budgets nécessaires, ainsi qu’à l’ensemble des personnels. En étant à mon dix-huitième budget de la justice… (Exclamations sur divers bancs)

          M. Renaud Donnedieu de Vabres : C’est trop ! Vous êtes mûr pour le Sénat ! (Sourires)

          M. Jacques Floch, rapporteur pour avis : … Je puis témoigner que tous ces efforts commencent à porter leurs fruits, mais qu’il reste encore beaucoup à faire.

          La justice administrative fonctionne relativement vite, grâce à une transformation importante. On pourrait même considérer que, malgré le timbre à 100 francs, nos concitoyens ont un accès trop facile à ces juridictions de sorte qu’on s’adresse à elles pour tout et rien. Faut-il pour autant revenir sur cette mesure et relever ce droit ? Ce serait reconstituer la barrière de l’argent… Par ailleurs, cette justice n’est pas non plus à l’abri de lenteurs : à Paris, les 3 800 dossiers de reconduite à la frontière sont traités en un an, alors qu’ils devraient l’être en 48 heures.

          Reste que la justice administrative actuelle permet aux Français de se faire mieux entendre, ce qui lui garantit d’être mieux reconnue.

          M. Patrick Devedjian a jugé insuffisantes les autorisations de programme mais je crois que c’est à juste titre que vous avez souligné l’effort fait en ce domaine, en le comparant à celui dont bénéficiaient les programmes routiers et autoroutiers. Il me semble même que les dépenses prévues commencent à dessiner la nouvelle carte judiciaire : lorsque l’on consacre un million de francs à des travaux dans un tribunal, ce n’est certainement pas pour fermer celui-ci. On peut donc se féliciter de la concordance entre les crédits de ce budget et la carte qui m’a été communiquée en réponse à mes questions. Les études menées sur ce point doivent à tout prix être poursuivies, d’autant que la réforme des tribunaux de commerce a été bien accueillie.

          J’ouvre une parenthèse pour remercier vos services d’avoir répondu à toutes les questions que j’avais posées en juillet,… sauf une –mais il est vrai qu’elle avait un caractère insidieux, sinon méchant : je demandais quel était le coût des erreurs de procédure, qui obligent à recommencer un travail déjà fait. Des économies seraient sans doute possible dans ce domaine.

          S’agissant maintenant des emplois, vous avez raison d’insister sur l’accroissement des effectifs de magistrats et de fonctionnaires, mais il importerait de savoir précisément qui fait quoi, pour préciser les recrutements nécessaires. Les organisations syndicales que j’ai reçues parlent de supplétifs à propos des emplois temporaires. Il importerait donc de déterminer le rôle, ainsi que l’avenir, des agents de justice : la question est ici la même que pour les emplois-jeunes en général. Quant aux assistants de justice, la plupart des magistrats se félicitent de leur création, mais il importerait de dresser un bilan et d’examiner si certains n’ont pas été conduits à outrepasser leurs fonctions, voire à rédiger des arrêts. Enfin on oublie le rôle des délégués du procureur et, là aussi, un bilan s’imposerait.

          Ces 27 milliards, tels qu’ils sont répartis, vous autorisent à mener une véritable politique de la justice et permettent d’espérer une amélioration de ses conditions de fonctionnement. Cependant, il importerait de mettre aussi l’accent sur la formation des personnels. Il faudrait aussi résoudre le problème des magistrats spécialisés, obligés par leur carrière de quitter le service pour lequel ils ont été formés. Il est dommage que l’effort ainsi consenti par la société soit perdu. Peut-être la loi sur le statut des magistrats permettra-t-elle d’y remédier – et il est d’autant plus urgent que nous nous rendions à Versailles afin de mettre en place un nouveau Conseil supérieur !

          Au total, ce budget contribuera à la modernisation de la justice. Certains pourront critiquer telle ou telle insuffisance, mais pour ma part, je conclurai qu’il n’est pas si mal que ça !

          M. André Gerin, rapporteur pour avis : Je veux dire d’entrée de jeu que ce budget, quantitativement intéressant, augure d’une politique ambitieuse. Toutefois, l’effort devra encore être amplifié. On constate en effet trop souvent un décalage entre les décisions et leur mise en œuvre, décalage qui s’explique en partie par la façon dont fonctionne l’administration, en partie par des réticences du personnel, souvent dues à l’insuffisance de la concertation.

          Cet effort qualitatif qui justifie mon avis très positif se heurte cependant aux retards accumulés ces vingt dernières années.

          Il y a bien diminution de la surpopulation carcérale, mais elle reste insuffisante : le taux d’occupation des prisons est passé de 114 % en 1998 à 107 % en 1999. La politique de prévention du suicide qui a été mise en place doit être renforcée. Une réforme est en cours pour mieux préparer la sortie de prison. Il faut se soucier en particulier des unités de vie familiale et de la libération conditionnelle.

          En ce qui concerne le personnel pénitentiaire, l’action est sensible même si elle reste incomplète, avec des créations d’emplois, des mesures statutaires et indemnitaires et un effort de formation. L’élaboration d’un code de déontologie contribue également à un meilleur contrôle de l’administration pénitentiaire. Enfin, vous avez annoncé un effort de rénovation et de construction des établissements. Je souligne en particulier la situation insupportable de la prison de Saint-Denis de la Réunion.

          S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, l’augmentation des moyens en personnel est sans précédent. Cet effort se traduit par des mesures de revalorisation statutaire et indemnitaire, par un effort pour le recrutement et la formation des délégués du Procureur, une meilleure prise en compte des situations d’urgence grâce à une coordination accrue. On a décidé une prise en charge immédiate dans les vingt six départements prioritaires, elle est effective dans neuf d’entre eux. Même si elle se heurte à des difficultés, la mise en place des centres de placement immédiat est une réelle innovation.

          Vous manifestez la volonté politique de diversifier les réponses judiciaires. Ce n’est pas facile de la faire entrer dans les faits. On prend un plus grand nombre de mesures de réparation, mais beaucoup sont en attente d’application. Les centres éducatifs renforcés se développent, pour un coût certes élevé, mais leur bilan est positif. Les mineurs incarcérés sont mieux suivis, mais on peut regretter que leur nombre augmente.

          Ayant rendu hommage sans complaisance à l’effort engagé, j’insisterai sur le dialogue social : il est fondamental pour la mise en œuvre de vos décisions. On s’efforce d’améliorer l’état du parc, mais comment rattraper le retard accumulé ? Il faut aussi que la création des unités de vie familiale prenne tout son sens et que la concertation soit meilleure avec le personnel concerné. En ce qui concerne l’exécution des peines, on a pris des mesures pour mieux gérer les longs séjours mais il en faudrait d’autres pour lutter contre leur caractère criminogène. D’autre part, il faut se soucier des effectifs du personnel de surveillance et notamment des départs à la retraite. En 1999, on a rattrapé une partie du retard mais qu’en sera-t-il en 2000 ? J’insiste encore sur le fait que 5 400 mesures judiciaires concernant les mineurs sont en attente d’exécution. En ce qui concerne les emplois-jeunes, la question fondamentale est leur pérennisation.

          L’enfermement n’est pas une finalité en soi, et ce n’est pas notre philosophie. La question des mineurs délinquants – dans l’agglomération lyonnaise ils constituent 30 % du total – mérite tous les efforts. Le Gouvernement les a entrepris, communes et départements, doivent y participer.

          Définir clairement les missions du service public de la justice pose un problème réel dans le personnel comme pour la société. A mes yeux, le service public doit être un service au public, dans une démarche véritablement républicaine.

          Mme Catherine Tasca, présidente : Avant d’ouvrir le débat, j’exprimerai deux préoccupations.

          La première : l’extrême dénuement des établissements pénitentiaires de femmes et de l’outre-mer. Alors que nous abordons les droits des femmes, non plus avec commisération, mais avec une réelle volonté d’agir partagée par le Gouvernement, il faut offrir aux femmes incarcérées des conditions dignes de notre temps. S’agissant de l’outre-mer, M. Gerin a mentionné le cas de Saint-Denis de la Réunion. Je sais que vous y êtes attentive. Nous sommes engagés dans la rénovation des relations entre l’outre-mer et la République et une loi d’orientation est en cours d’élaboration. Elle doit concerner l’institution pénitentiaire qui fait partie de l’image de la République et a souffert jusqu’ici d’un très grand abandon.

          En second lieu, je me préoccupe de la formation de l’encadrement, en ce qui concerne les mineurs délinquants. Un obstacle à la mise en œuvre de votre politique est le nombre insuffisant d’animateurs et d’éducateurs compétents. Pour ouvrir des centres d’un type nouveau, il faut aussi du personnel d’un type nouveau. Quelles actions concrètes le Gouvernement envisage-t-il ?

          M. Louis Mermaz : Après les rapporteurs, je salue à mon tour les efforts que vous déployez pour la troisième année afin que les moyens financiers soient à la hauteur des réformes. Néanmoins, comme l’a souligné M. Patrick Devedjian, il y a un problème de consommation des crédits d’investissement.

          Vous affirmez l’ambition de rattraper le retard accumulé pendant tant d’années et de consacrer de nouveaux moyens à la mise en œuvre de réformes portant sur l’accès au droit, la procédure pénale, l’alternative aux poursuites, la présomption d’innocence, la médiation et les maisons de justice, l’aide judiciaire, l’indemnisation des victimes, la prévention de la délinquance des mineurs et les conditions de leur détention. Nous espérons que toutes ces réformes seront bientôt couronnées par celles du Conseil supérieur de la magistrature.

          Il suffit d’écouter la radio pour constater la judiciarisation croissante de notre société. Ce matin encore, certains procès en cours tenaient plus de place que les 35 heures ou la mort de Nathalie Sarraute. On indiquait également que le tribunal de grande instance de Toulouse est extrêmement embouteillé. On parle surtout des affaires pénales, on parle moins du civil, où la situation est plus critique. C’est le cas en particulier pour le droit du travail ; il faut plusieurs années pour que la Cour d’appel se prononce sur un jugement prud’homal.

          Nous vivons dans un climat sécuritaire. Pour l’opinion, il n’y a jamais assez de gens en prison. On finit par songer à Harpagon, qui voulait se donner la question à lui-même ! Ces comportements influencent parfois les élus. Or il faut aussi se préoccuper des droits de l’homme, de l’habeas corpus. Je suis sûr que vous le faites. On peut par exemple réfléchir à l’excellente idée de M. Toubon de créer un appel pour les arrêts des cours d’assises.

          Le juge de la détention représente un progrès, mais bien des magistrats seraient prêts à aller vers la collégialité prônée par M. Badinter.

          Le problème de la détention provisoire est immense. A l’occasion de l’examen d’une proposition de loi de M. Tourret, en avril 1998, nous nous étions penchés sur l’échelle des délits et des peines, totalement inadaptée à une société moderne. Le dépoussiérage du code pénal s’impose. Récemment un magistrat de rang élevé me disait qu’il y a 20 000 personnes de trop en prison ; revoir l’échelle des peines réglerait des difficultés, sans dispenser bien sûr de moderniser les établissements.

          Lequel d’entre nous n’a pas été frappé en prenant le train, de voir un prévenu menotté, traîné en laisse par deux gendarmes tout aussi gênés que lui et que les voyageurs ? Le Garde des Sceaux Pierre Méhaignerie avait dit que l’usage des menottes devait être exceptionnel. Tout le monde n’a pas le caractère d’un José Bové brandissant ses menottes avant de devenir un héros national qui va aider le Gouvernement à se battre à Seattle… Une justice humaine ne saurait tolérer davantage un procédé moyenâgeux.

          M. Jean-Luc Warsmann : L’examen de ce budget nous donne chaque année l’occasion de faire le point sur le fonctionnement du service public de la justice.

          Force est de constater que des retards déjà colossaux ne cessent de s’accroître. Tous les délais s’allongent : devant les tribunaux d’instance, ils sont passés de 5 mois à 5,1, devant les tribunaux de grande instance, de 8,9 à 9,3 mois et, devant les cours d’appel, soit après les délais précédents, ils sont aujourd’hui de plus de 17 mois. Et si l’affaire va en cassation, un nouveau délai s’ajoute encore. Cela conduit dans un très grand nombre de cas à de véritables dénis de justice. Cela vaut particulièrement, on l’a dit, en matière de droit du travail, au mépris de l’égalité entre les parties car ce sont les salariés qui ont intérêt à un jugement rapide.

          Les affaires en stock forment un océan : 579 000 devant les TGI pour les seules procédures civiles, 321 000 en appel, 111 000 en correctionnel. La résorption du stock doit être notre première priorité, c’est là que l’argent doit aller d’abord. Or, parmi les affectations de postes, la résorption du retard ne vient qu’en troisième position, avec 34 créations, soit un agent pour 7 cours ou tribunaux. Celui-ci sera certes le bienvenu mais vos choix, Madame la Garde des Sceaux, montrent votre méconnaissance des priorités. Chaque fois que vous faites voter une nouvelle loi, vous annoncez qu’elle sera financée : soit, mais, du coup, il n’y a presque plus de moyens pour la résorption.

          Dans le secteur pénitentiaire, les conditions de travail des personnels et les conditions de détention sont indignes. Il y a eu, en un an, 118 suicides dans nos prisons et 278 agressions contre les personnels. Comment s’étonner que tous les syndicats critiquent votre projet de budget en parlant de « bricolage », de « résultats très insuffisants », ou, comme la fédération de la justice CFDT, en se demandant « à quoi servent les grands discours devant les parlementaires ? » Il y a quelque distance entre votre autosatisfaction et des dysfonctionnements de plus en plus mal vécus.

          Les dépenses d’équipement diminuent de 9,27 %, et surtout le taux d’exécution des autorisations de programme tombe à 51 %. Aussi parlons-nous d’effet d’affichage. Les moyens doivent être effectivement affectés à l’amélioration du fonctionnement du service public de la justice et des conditions de vie et de travail dans les services pénitentiaires. Je m’associe pleinement aux propos de Mme Tasca sur les établissements, en particulier celui de Saint-Denis de la Réunion. Le Vaucluse et Avignon sont, eux, particulièrement chanceux puisqu’ils ont bénéficié de la construction d’un nouveau palais de justice, pour un coût de 212 millions, d’un nouveau centre pénitentiaire doté de 122 emplois, pour un coût de 270 millions et du renforcement du TGI. Je souhaite que le dynamisme de ce département s’étende à toute la France…

          M. Georges Hage : Les chiffres de ce budget montrent que l’effort destiné à répondre aux besoins de justice de nos concitoyens se poursuit. Si je fais confiance à la dialectique du quantitatif, pour autant je suis saisi par l’accroissement du nombre des affaires ainsi que du besoin de justice de nos concitoyens. Cela vaut particulièrement devant les prud’hommes et en matière de justice pénale. Je me demande donc si ce budget remédiera enfin à la lenteur du règlement des affaires. Bien sûr, je me félicite des créations d’emplois annoncées, mais le retard est si considérable !

          Il faut donner un véritable statut aux auxiliaires et aux vacataires.

          Je me félicite du recrutement de 680 agents et de 600 adjoints de justice. J’aimerais toutefois avoir des précisions sur la formation dont ils bénéficieront et sur leur intégration au sein des équipes.

          Les incarcérations injustifiées ne sont pas acceptables dans un régime républicain. Si on les évitait, les prisons seraient plus confortables et le travail des surveillants serait plus facile. C’est à juste titre que l’on a insisté sur la situation dans les DOM. Dans tous ces domaines, il convient de réfléchir aux alternatives à l’incarcération et de renforcer les textes sur la présomption d’innocence.

          Je m’interroge sur les efforts qui pourraient être accomplis pour faciliter la réinsertion des détenus libérés, car qui a péché risque de retomber dans le péché…

          Les représentants syndicaux que j’ai rencontrés souhaiteraient, Madame la Garde des Sceaux, dialoguer davantage avec vous.

          Enfin, le plafond requis pour l’obtention de l’aide juridictionnelle ne permet pas, me semble-t-il, de satisfaire au principe d’égalité d’accès au droit.

          Mon groupe votera ce budget.

          Un mot encore. Comment, quand on parle de justice, ne pas penser au sort réservé à Abu Jamal ? Je souhaiterais une intervention de votre part à ce propos.

          M. Jean-Antoine Léonetti : Madame la Garde des Sceaux, vous vous réjouissiez que ce budget augmente de 3,9 %, soit trois fois plus vite que celui de l’Etat. Mais n’aviez-vous pas affirmé devant notre commission que la comparaison entre le budget de la justice et celui de l’Etat n’était pas pertinente… M. Floch a dit : ce n’est pas si mal que cela. Je dirai plutôt : ce n’est pas si bien que cela. Tout dépend en fait si l’on regarde d’où l’on vient ou les chantiers qui demeurent.

          Certes 1 237 emplois sont créés, mais le Gouvernement nous dit qu’ils seront essentiellement affectés aux nouvelles réformes – juges de la détention et juges professionnels dans les tribunaux de commerce. Les retards ne seront donc pas comblés.

          M. Mermaz a rappelé à juste titre que nos concitoyens demandent de plus en plus de justice et une justice de plus en plus sévère. Mais il faut plus de moyens. Comment ne pas voir, un an après le vote de la loi sur la délinquance sexuelle, qu’ils ne sont toujours pas suffisants pour procéder aux enregistrements des enfants.

          L’augmentation de la population carcérale peut réjouir si on la voit avec les yeux du ministre de l’intérieur, mais on peut la déplorer quand on sait que les prisons sont surpeuplées et que des innocents peuvent être incarcérés.

          La création d’un nouvel espace judiciaire européen va augmenter les besoins.

          Par ailleurs, la délinquance des mineurs ne fait que s’aggraver : elle représente 50% de la violence de rue et jusqu’à un tiers des délits dans certaines agglomérations. Cette explosion de la délinquance juvénile devrait vous inciter à revoir l’ordonnance de 1945 plutôt que de créer des postes dont l’utilité est douteuse.

          Au quotidien, la situation de la justice reste misérable. Sa lenteur a été soulignée par tous. Les délais ont augmenté de 25 % : « seulement 25 % », avez-vous dit. Nos concitoyens retiennent que la justice est de plus en plus lente.

          Les greffes manquent de moyens, l’informatique est en retard et dans les prisons, on incarcère des personnes présumées innocentes, sans pour autant parvenir à réduire le taux de récidive. Dans l’esprit des Français, le doute persiste, d’autant que des dossiers disparaissent, du fait des sectes ou, à Nice, nous dit-on, d’un réseau maçonnique…

          S’agissant du procès Papon, le Gouvernement nous a indiqué hier que vous vous étiez personnellement impliquée, afin que M. Papon soit condamné à la peine qu’il mérite. Je note donc qu’il n’est pas inutile que le Garde des Sceaux intervienne individuellement dans certaines affaires (Sourires).

          Le ministère de la justice est celui qui crée le plus d’emplois précaires. Les personnes recrutées en emploi-jeune rempliront nécessairement des missions techniques en remplacement des fonctionnaires indispensables.

          Le partenariat avec les collectivités locales, sympathique en apparence, est surtout inquiétant. Les maisons de la justice et du droit devront-elles toutes être fournies par les communes ? La rénovation des tribunaux de commerce devra-t-elle être financée par les municipalités ? Nous assistons à un nouveau transfert financier en direction des collectivités locales, alors que c’est une fonction régalienne de l’Etat qui est en cause.

          Au lieu d’engager des réformes médiatiques, il aurait mieux valu répondre aux préoccupations des Français, par exemple en déposant un projet de loi de programme sur les fonctions régaliennes de l’Etat. Vous me répondrez que de telles lois trouvent rarement une traduction budgétaire ; cependant, vous semblez envisager les choses dans la durée, puisque vous programmez des investissements jusqu’en 2004. Mieux vaudrait définir des priorités et agir de manière globale plutôt que de saupoudrer.

          Sur une augmentation de 3,9 % des crédits, moins d’un point servira à améliorer la justice au quotidien. Vous ne répondez pas à l’attente des Français.

          M. Alain Tourret : A l’aube de l’an 2000, la France commence enfin à disposer d’une justice suffisamment pourvue en emplois et moyens.

          Les Français attendaient un signal fort. Ils l’ont avec ce budget qui s’inscrit dans la continuité des deux précédents et, par rapport à ceux-ci, est même en progression. Il s’agit à la fois d’améliorer le fonctionnement quotidien de la justice et de mettre en œuvre les réformes votées. C’est donc un satisfecit que je vous donne.

          Vous créez 1 237 emplois, ce qui est exceptionnel : c’est grâce à votre ministère que le solde des emplois dans la fonction publique sera positif. Il faudra cependant s’interroger sur la courbe des âges. En effet, 750 000 fonctionnaires partiront en retraite dans les 15 ans à venir : il faudra éviter de les remplacer par à-coups.

          Le dispositif de l’aide juridictionnelle devra être revu pour les procès de longue durée. Cela existe déjà en cour d’assises, mais pas en correctionnelle, si bien qu’on ne peut rémunérer les avocats. Il faut remédier à ce problème.

          S’agissant des établissements pénitentiaires, celui de Saint-Denis de la Réunion est une honte pour la République. La France sera fatalement condamnée par les juridictions internationales. On enferme dans un véritable mouroir des personnes qui ne devraient qu’être privées de leur liberté. Il faut prendre immédiatement des mesures.

          Plus largement, nous devrons réfléchir à la fonction même de l’emprisonnement. Les condamnés à perpétuité n’ont aucun espoir de voir leur situation s’améliorer : on place ainsi de la dynamite dans nos établissements pénitentiaires.

          L’assignation à domicile n’a pratiquement jamais lieu. Par ailleurs, je trouve anormale la présence de jeunes mères de famille dans les centres de détention. Leur situation est insupportable, d’autant qu’on leur enlève leur enfant dès qu’il atteint ses 18 mois. L’Italie a su résoudre ce problème.

          M. Devedjian a parlé de la carte judiciaire. Il s’agit là d’une réforme inscrite dans la loi : elle doit intervenir dans les deux années qui suivront le vote de la loi sur la présomption d’innocence. Ce ne sera pas simple. En outre, il ne faudra pas se contenter de mesures de suppression, mais réadapter le dispositif, par exemple en créant des chambres déléguées.

          L’utilisation des vidéo-conférences reste insuffisante, alors que de nombreux magistrats ont déjà réfléchi à ce sujet. On pourrait par cette technique moderniser notre justice.

          Nos concitoyens réclament une justice plus rapide. L’exécution provisoire doit être de plein droit dans tous les dossiers – sauf dans les affaires touchant à l’état des personnes – sous le contrôle des premiers présidents. Actuellement, l’exécution provisoire reste l’exception et c’est pourquoi notre justice traîne.

          Madame la Garde des Sceaux, votre budget est remarquable. Les Français ont un besoin toujours plus fort de justice. N’est-ce pas une société moderne qu’une société qui a confiance en ses juges ?

          M. Pascal Clément : Analysé quantitativement, ce budget se caractérise par une hausse importante. Mais je voudrais me placer dans une autre perspective : comme l’a dit M. Tourret, notre société, parce qu’elle est moderne, fait de plus en plus appel à la justice, si bien que vos efforts budgétaires ne suffiront pas à supprimer le décalage qui persiste entre les moyens dont elle dispose et son rôle actuel dans notre société. Nous sommes même loin du compte. Aucun gouvernement n’a pris en compte ce changement de dimension.

          Sur 212 postes de magistrats créés, 100 iront aux tribunaux de commerce et les autres serviront à mettre en œuvre la réforme de la détention provisoire. Au total, le nombre des juges restera donc inchangé dans les autres juridictions.

          S’agissant de la délinquance économique, vous nous dites que 15 agents des finances ont été mis à la disposition de votre ministère. Leur compétence technique sera bien venue, mais compte tenu de la faiblesse de la formation économique des magistrats, est-ce suffisant ? Ce le sera d’autant moins que nous allons vers l’échevinage dans les tribunaux de commerce.

          Il faut aussi rationaliser la décision dans les jugements d’assises, mais personne n’a pris la décision politique de prévoir un effort budgétaire supplémentaire en vue d’instituer un double degré de juridiction.

          Pour réprimer la délinquance des mineurs, 10 millions sont consacrés à augmenter le nombre des délégués du procureur. Compte tenu des statistiques, en particulier dans la région parisienne, c’est tout à fait dérisoire.

          Oui, c’est un bon budget comparativement aux autres, mais c’est un mauvais budget si on considère la place qu’a prise la justice dans notre société.

          Mme la Garde des Sceaux : Je trouve cet échange très intéressant et je remercie les rapporteurs et intervenants qui ont salué l’effort budgétaire accompli depuis trois ans. C’est vrai qu’un bon budget ne résout pas tous les problèmes : les délais de jugement, la qualité du travail, la situation des prisons restent des difficultés majeures. Je voudrais donc maintenant être plus explicite sur la politique que nous menons pour améliorer les performances quantitatives et qualitatives de ce grand ministère.

          M. Devedjian s’est interrogé sur la consommation des crédits. C’est une question à laquelle je suis très attentive. Nous constatons un bon taux de consommation pour les dépenses de fonctionnement, des progrès pour les vacances d’emploi. C’est vrai qu’il y a un retard en ce qui concerne l’administration pénitentiaire, mais c’est l’effet du coup de frein donné en 1996 et 1997. Par exemple, pour le programme de construction de prisons, 2 milliards de francs ont été inscrits en 1995, mais seulement 350 millions en 1996. C’est moi qui ai sauvé ce programme en inscrivant 800 millions de francs d’autorisations de programme en 1998 et 700 millions en 1999. Il faudrait éviter ce genre de coups d’accordéon pour les programmes de construction. Mieux vaut annoncer moins et tenir le rythme. Nous avons maintenant lancé la procédure de concours mais il est certain que le taux de consommation des crédits serait meilleur s’il n’y avait pas eu de rupture pendant deux ou trois ans. Hors le programme 4000, la consommation des crédits est actuellement très bonne.

          Vous avez à juste titre appelé l’attention sur le grave problème des délais. C’est peut-être le sujet qui me préoccupe le plus. En moyenne le délai de jugement s’élevait en 1998 à un peu plus de 9 mois dans les tribunaux de grande instance, à 16 mois dans les juridictions pénales et à 17 mois dans les cours d’appel. Je rappelle que nous avons connu des délais analogues dans les cours d’appel au début des années 80 ; puis il y a eu une réduction des délais avant qu’ils ne remontent à nouveau.

          Les statistiques de 1998 ne peuvent pas refléter l’augmentation de moyens réalisée en 1998-1999 : les premiers magistrats supplémentaires sont arrivés dans les tribunaux en juin 1999, grâce au concours exceptionnel. Auparavant, pardonnez-moi, mais on a géré la pénurie, même si cela vous fait sourire, Monsieur Warsmann !

          M. Jean-Luc Warsmann : L’an prochain, ce sera plus dur d’argumenter comme cela !

          Mme la Garde des Sceaux : Le décalage entre les moyens budgétaires et les résultats est inévitable.

          Dans les tribunaux de grande instance, on observe des disparités importantes selon les contentieux : par exemple le délai moyen pour le divorce pour faute est de 15 mois, celui pour le divorce simple est de 9 mois. C’est la preuve que les réformes déjà engagées concernant le divorce, comme celles à venir, font diminuer les délais. Quand les procédures sont interminables et tendent à aggraver les conflits, les délais augmentent.

          Toujours dans les tribunaux de grande instance, la moitié des affaires civiles se règlent en moins de six mois, les trois-quarts en moins de neuf mois. Ce sont les 10 % d’affaires très longues qui font remonter la moyenne. Cette longueur tient en partie à la complexité de ces affaires, mais on observe aussi de grandes disparités selon les tribunaux ; c’est pourquoi je m’efforce d’améliorer l’information interne sur les procédures et pratiques qui réduisent les délais, par des notes et par le réseau Intranet. Les contrats de juridiction amènent également des progrès.

          Cette question n’est pas simple à résoudre, car il faut également être attentif à la qualité des jugements : un tribunal de grande instance juge un divorce en six ou sept mois, mais crée des conflits qui se poursuivent après le divorce alors qu’un autre peut prendre neuf mois, mais régler tous les problèmes.

          M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial : Il y a aussi ceux qui sont plus longs et qui ne règlent rien ! (Rires)

          Mme la Garde des Sceaux : On ne peut donc pas se contenter d’une approche purement quantitative. L’augmentation des moyens peut servir aussi à améliorer la qualité du service rendu.

          Néanmoins je pense qu’il faut une action plus forte pour réduire les délais de jugement et c’est pourquoi j’ai développé les contrats de gestion : par exemple, nous avons donné à la cour d’appel de Douai des emplois en surnombre contre l’engagement de résorber le retard accumulé en cour d’assises ; résultat, en 18 mois le délai de jugement est passé de deux ans à six-huit mois. Nous avons fait la même chose avec la cour d’appel d’Aix : l’effectif de la chambre sociale a été renforcé de façon à créer une deuxième section et cela a permis de stabiliser les stocks d’affaires en cours.

          La réduction des délais passe aussi par une modification des règles de procédure – j’y reviendrai.

          Plusieurs d’entre vous ont souligné qu’il faudrait affecter plus de moyens à la résorption des délais et des stocks, et moins aux réformes. Mais je note certaines contradictions dans vos propos car M. Léonetti, par exemple, a réclamé en même temps la réforme de la cour d’assises prévue par M. Toubon, qui mobiliserait 100 magistrats par an !

          M. Jean-Antoine Léonetti : Je n’ai pas dit cela !

          Mme la Garde des Sceaux : Excusez-moi, c’est M. Clément.

          Les réformes en cours devraient aboutir à une réduction des délais. Ainsi la création d’un juge de la détention provisoire et la réforme de la présomption d’innocence sont de nature à diminuer le nombre des détenus. La réforme des tribunaux de commerce devrait également éviter un certain nombre de détresses sociales qui génèrent des contentieux.

          Il ne faut donc pas avoir une vue mécanique des choses. Les réformes qualitatives sont nécessaires à la fois pour améliorer la justice et pour réduire les délais. M. Mermaz a cité les lois sur l’accès au droit et la simplification de la procédure pénale qui, sans mobiliser de moyens très importants, vont permettre de désencombrer les juridictions en remplaçant le recours au tribunal par la transaction, la médiation et l’arbitrage.

          Nous allons poursuivre le travail entamé avec les chefs de cours d’appel en vue de la déconcentration. Le fait de créer des postes de chefs de service administratifs régionaux auprès des présidents de cour d’appel va leur permettre de mieux répartir les moyens et d’améliorer la gestion des juridictions.

          Cela dit, il faut être toujours prudent avant de parler de réduction des délais car il est vrai que l’allongement actuel vient aussi de l’augmentation considérable du contentieux. C’est un phénomène de société important et je n’ai pas la prétention de le contenir.

          En ce qui concerne l’informatisation, pour répondre aux questions posées par M. Devedjian, je précise que le logiciel civil a été labellisé en 1998 et qu’il équipe les deux tiers des cours d’appels et la moitié des tribunaux de grande instance. C’est un réel succès. A Paris, une chaîne informatique civile sera introduite en janvier 2000 et son déploiement devrait être achevé en mars.

          A propos de la carte judiciaire, je voudrais rappeler quelques faits simples. Au cours de ce siècle, il n’y a eu que deux réformes, la réforme Poincaré et la réforme Debré.

          M. Jacques Floch : Il va y avoir la réforme Guigou !

          Mme la Garde des Sceaux : Ce ne sera que la troisième réforme du siècle et ce sera la première à toucher à la carte judiciaire des tribunaux de commerce. Cela devient urgent.

          M. Pascal Clément : Bon courage !

          M. Robert Pandraud : Il vous faudrait des ordonnances !

          Mme la Garde des Sceaux : Ce serait plus facile mais les temps ont changé, Monsieur Pandraud.

          M. Robert Pandraud : Alors, parlons de décrets-lois !

          Mme la Garde des Sceaux : Je préfère jouer sur le partenariat.

          Cela prendra sans doute beaucoup plus de temps que si l’on procédait par ordonnance ou par décret loi, mais la réforme sera beaucoup mieux acceptée !

          Nous allons donc poursuivre sur la voie engagée. S’agissant des tribunaux de commerce, la réforme devrait être achevée à la fin de l’année ; un nouveau décret va paraître, car le premier ne concernait, je le rappelle, que les six circonscriptions les plus encombrées. Pour la suite, j’entends m’en tenir à une méthode fondée sur la concertation et le partenariat car il est indispensable d’obtenir l’accord des élus locaux et des barreaux, qui sont concernés autant que les magistrats. Comme l’a dit M. Tourret, il ne faut pas raisonner seulement en termes de suppressions, il faut recourir à des moyens multiples tels que les chambres détachées ou les audiences foraines. La justice peut en effet être rendue efficacement ailleurs qu’entre les murs des tribunaux. Déjà, dans la mesure où il ne pourra y avoir un juge de la détention provisoire dans chaque TGI, la réforme de la détention provisoire nous incite à renouveler notre approche.

          Faute de comptabilité analytique et parce que les dépenses ne sont pas organisées en fonction de l’utilisation des moyens, il est bien difficile de répondre à la question de M. Floch sur le coût d’un procès. Nous allons cependant essayer d’apprécier plus finement l’activité des juridictions. Cela suppose d’étudier préalablement les questions de méthodologie.

          S’agissant des assistants de justice, la direction des services judiciaires est en train de dresser un bilan. J’ai demandé des rapports à tous les chefs de cour et j’ai l’intention de rédiger une circulaire à ce sujet avant la fin de l’année, pour préciser les choses. Pour moi, – et c’est d’ailleurs conforme à la conception traditionnelle –, ces assistants ne sont pas destinés à se substituer aux fonctionnaires ; ils ne sont là que pour assister les magistrats en faisant pour eux des recherches documentaires…

          M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial : Les pratiques sont très diverses.

          Mme la Garde des Sceaux : En effet, mais il faut rappeler qu’il s’agit d’étudiants en fin de cursus. Ils trouvent là le moyen d’une formation pratique, mais tous ne sont pas destinés à être magistrats et ce stage n’est pas non plus la voie d’accès privilégiée aux concours de la magistrature.

          Il existe actuellement quatre pôles financiers, mais le besoin s’est fait sentir d’en créer d’autres. Je n’ai pas encore pris de décision sur leur localisation mais on peut penser à Bordeaux, par exemple. Et s’il est vrai, M. Devedjian, qu’on peut s’interroger sur la nécessité de celui de Nanterre, je vous ferai observer que les affaires de délinquance économique et financière sont aussi nombreuses dans la circonscription de Versailles que dans celle de Paris. Quant à la centralisation, je ne crois pas qu’elle soit opportune en l’occurrence. D’ailleurs, comme j’ai pu le constater en Corse, les différents pôles commencent à travailler en collaboration. Surtout, cette centralisation ferait courir le risque d’une déresponsabilisation des juridictions. J’estime donc préférable de disposer de dix ou douze de ces pôles sur l’ensemble du territoire.

          Par ailleurs, il importe de se garder d’un excès de spécialisation. Les magistrats doivent rester des généralistes et, même si je ne discute pas la nécessité d’une meilleure formation aux matières économiques et financières, ils n’ont pas à devenir eux-mêmes des experts. Il suffit qu’ils sachent et puissent recourir à des experts extérieurs, ce qui leur permettra de garder la hauteur de vue indispensable à leur mission.

          Pour ce qui est de la pénitentiaire, nous allons expérimenter les unités de vie familiale dans trois établissements dont la liste est encore à établir. Parmi les trois, figurera sans aucun doute un établissement pour femmes : celui de Rennes certainement. Pour les autres, une concertation avec les personnels est indispensable.

          Afin de lutter contre la délinquance des mineurs, je me suis engagée à ouvrir d’ici à 2001, cinquante centres de placement immédiat. Il est vrai que l’opération a commencé difficilement, le budget précédent ne comportant pas de moyens supplémentaires à cet effet, il a fallu demander un effort au personnel. Cependant, tout devrait s’arranger l’an prochain compte tenu de l’importance des crédits prévus. Plusieurs de ces centres vont être créés avant la fin de l’année : ainsi à Villeneuve-d’Ascq et à Bruay la Buissière, à Savigny, à Coulonges au Mont-d’Or, à Saint-Genis, à Saint-Etienne, à Perpignan, à Toulon et à Schoelcher, à la Martinique. Dans beaucoup de cas, il ne s’agira en fait que de transformations, mais il devrait y avoir aussi de véritables créations, dont une dans la Seine-Saint-Denis, en liaison avec le secteur associatif. Cinq transformations devraient avoir lieu d’ici à la fin du mois et trois créations d’ici à la fin de l’année : à Toulon, à Chartres et en Seine-Saint-Denis. Les derniers arbitrages vont être rendus et la liste sera publiée prochainement.

          Vous avez raison, le suicide dans les établissements pénitentiaires représente un vrai drame. On en a constaté 118 l’an passé, ce qui était moins que l’année précédente, mais le nombre en a augmenté à un rythme inquiétant cette année malgré la vigilance accrue des personnels et la circulaire que j’ai adressée l’an dernier aux chefs d’établissements pour leur demander d’être particulièrement attentifs aux moments les plus cruciaux : le retour de garde à vue et l’entrée dans les quartiers d’isolement. L’action doit être multiforme : il faut améliorer les conditions d’hygiène, rompre l’isolement de ceux qui ne reçoivent aucune visite, lutter contre l’indigence…

          M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial : La période la plus dangereuse se situe à l’arrivée en prison, qui représente un véritable choc.

          Mme la Garde des Sceaux : En effet, surtout si cette entrée se fait en pleine nuit. Dans la circulaire de mai 1998, j’ai donc insisté pour que les intéressés puissent prendre rapidement une douche, après ces deux jours passés sans pouvoir se laver. Mais j’ai aussi appelé l’attention sur les détenus dépressifs, en souhaitant une prise en charge individualisée. Pour cette opération de vigilance, j’ai désigné des sites pilotes et nous avons ainsi pu sauver plusieurs vies.

          Mme la Présidente : Tous ces efforts sont sans doute indispensables mais il me semble que l’essentiel est d’améliorer globalement les conditions de détention, comme vous essayez de le faire. Je ne nie pas l’intérêt d’un suivi individidualisé, par exemple, mais je ne suis pas convaincue que ceux qui se tuent aient été prédisposés au suicide : ce qui joue surtout, c’est le choc produit par l’arrivée en détention.

          Mme la Garde des Sceaux : En ce qui concerne les prisons les plus dégradées, je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit des crédits de construction et de rénovation, et je répondrai simplement à la question posée par plusieurs d’entre vous à propos de Saint-Denis. Comme je l’ai déjà dit en réponse à une question orale, des crédits ont été dégagés pour essayer de remédier à la surpopulation, pour accroître la capacité d’accueil du centre du Port et pour réaménager les cuisines. J’ai aussi demandé au préfet d’étudier les possibilités d’achat de terrain. Les problèmes les plus préoccupants devraient donc être réglés.

          Il y a sans doute trop de mineurs en détention mais je pense que la loi sur la détention provisoire permettra d’en réduire le nombre. D’autre part, il convient de construire de nouveaux centres de détention et d’assurer une meilleure prise en charge de ces jeunes détenus, en désignant un surveillant référent. Cela demande des moyens supplémentaires mais j’espère que nous y parviendrons l’an prochain.

          Au passage j’indique que si des mesures concernant les mineurs sont en attente d’exécution, leur nombre diminue. Nous espérons résoudre ce problème grâce à l’affectation des moyens supplémentaires, et notamment d’éducateurs, prévus au budget.

          Le dialogue social est l’une de mes premières préoccupations. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Au ministère, je m’efforce de le mener avec les syndicats. Il faut faire des progrès dans les juridictions. J’ai demandé un effort aux chefs de cour. Les choses avancent, mais il y avait beaucoup d’habitudes et toute une culture à changer. Cela prend du temps.

          Pour ce qui est des emplois-jeunes, en l’occurrence les agents de justice, nous sommes très attentifs à leur formation. Dans les juridictions nous avons mis en place une formation initiale d’adaptation à l’emploi en 4 à 6 semaines ainsi qu’une formation continue, et nous nous attachons à faciliter l’accès aux concours administratifs. Nous procédons de même dans l’administration pénitentiaire, avec notamment un livret de suivi du jeune.

          J’ai déjà répondu sur les prisons d’outre-mer, dont Mme Tasca s’est également préoccupée. Depuis quelques années, nous avons construit de nouveaux établissements à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Restent les deux établissements de Saint-Denis et de Nouméa où la situation est effectivement déplorable. J’espère que nous pourrons y remédier sans tarder.

          Le nombre de femmes incarcérées est stationnaire. Il est encore plus important dans leur cas de préparer et d’améliorer les conditions de sortie car leur réinsertion professionnelle est plus difficile. Des programmes de formation sont en cours, dans des établissements comme celui de Rennes. Nous sommes attentifs en particulier à l’accueil des enfants. Il est vrai qu’il est déchirant de les faire partir entre 18 mois et 2 ans, mais les psychologues disent bien qu’ils ne peuvent rester en milieu clos. Grâce aux cellules ouvertes, nous veillons à une première forme de socialisation. Le contact avec le père pose également problème, notamment quand les deux parents sont détenus. Nous cherchons à placer les enfants dans des familles qui ne soient pas trop éloignées de l’établissement afin de maintenir le contact.

          Enfin, j’ai conscience de l’importance de la déontologie. Un code est en cours d’élaboration et la commission Canivet fera un rapport sur le contrôle externe. Il faut rendre plus claires les missions du service public de la justice. Nous nous y efforçons en particulier avec les maisons de justice et du droit. Il y en avait 16 à mon arrivée, il devrait y en avoir une centaine à la fin de l’année prochaine.

          M. Mermaz a raison, on porte beaucoup d’attention au pénal et peut-être pas assez au civil. Je n’oublie pas la réforme de la cour d’assises qu’il a mentionnée, mais il faut arbitrer sur l’affectation des moyens. J’espère progresser sur la mise au point du système tournant, – sans pouvoir prendre d’engagement puisque cela ne dépend pas que de moi –, et disposer des moyens nécessaires en 2001.

          M. Mermaz a évoqué également les droits de l’homme. S’agissant du juge de la détention, la collégialité était prévue dans la réforme Badinter, elle ne l’était plus dans la réforme Vauzelle. Là encore ce sera une question de moyens. Voyons d’abord comment fonctionne le système. S’il fonctionne bien, mieux vaut affecter les moyens qui nous restent à réduire les délais. En ce qui concerne l’utilisation des menottes, l’article 803 du nouveau code de procédure pénale fixe déjà des conditions précises. Mais l’escorteur, qui est un gardien sur lequel pèse toute la responsabilité, prend des précautions parfois excessives. Le débat sur la présomption d’innocence permettra de parler de nouveau de ce problème et, j’espère, d’aller dans le bon sens.

          M. Louis Mermaz : Il y a également les transferts en train…

          Mme la Garde des Sceaux : et en avion, c’est certain. Lorsque l’usage des menottes est inévitable, je préfère qu’au moins, on ne prenne pas de photos.

          M. Warsmann est intervenu sur un ton plus polémique…

          M. Patrick Devedjian : Il est dans l’opposition !

          Mme la Garde des Sceaux : Vous aussi, et vous n’êtes pas intervenu sur ce ton… cette fois (Rires). Il a parlé d’Avignon, ma terre d’élection. Je suis heureuse de confirmer que la livraison du palais de justice d’Avignon aura bien lieu début 2000, si tout va bien, et que celle de la nouvelle prison du Pontet – dont le maire est RPR – qui remplacera celle d’Avignon, devrait avoir lieu en 2001. A mon arrivée j’ai trouvé des dossiers techniques tout prêts concernant la prison et le palais de justice d’Avignon ; il ne manquait que le financement.

          M. Patrick Devedjian : Encore l’héritage !

          Mme la Garde des Sceaux : J’ai débloqué le financement. Je pense que tout le monde ne peut que s’en réjouir.

          M. Pascal Clément : Nous sommes dans une autre conjoncture économique !

          Mme la Garde des Sceaux : M. Hage m’a interrogée sur la résorption de l’emploi précaire. Sur 611 personnes à titulariser après les concours particuliers, 89 l’ont été en 1997, 138 en 1998, 157 en 1999, soit 384 au total. Nous devrions titulariser les 227 qui restent en l’an 2000.

          Des moyens ont été dégagés sur le budget 1999 pour mettre en œuvre la loi relative à la délinquance sexuelle. Mais cela ne concerne pas le seul ministère de la justice.

          En ce qui concerne le palais de justice de Paris, tout le monde est maintenant d’accord pour dire que de la cour d’appel, de la Cour de cassation et du tribunal de grande instance, c’est ce dernier qui quittera l’île de la Cité. Sur les 90 000 m² du site, il en occupe 40 000 et il en manque 60 000. Les magistrats travaillent dans des locaux extérieurs loués qui sont coûteux et où la sécurité est insuffisante. J’ai étudié la question avec les magistrats et mon collègue du Budget. Nous avons plusieurs sites en vue, dont la ZAC du XIIIe arrondissement, envisagée par mon prédécesseur (Rires). Dans ce cas également il y avait des études techniques mais pas de financement.

          M. Patrick Devedjian : Nous étions pauvres.

          Mme la Garde des Sceaux : Je ne peux évidemment prendre seule la décision d’engager une opération de plusieurs milliards. Je travaille dans la perspective du prochain collectif budgétaire et j’ai bon espoir d’aboutir.

          M. Patrick Devedjian : S’agit-il bien de 2 milliards ?

          Mme la Garde des Sceaux : 2 milliards à 2,5 milliards. Ce qui coûte cher la première année c’est le foncier. Nous avons donc cherché des terrains appartenant à l’État pour diminuer cette charge. Par la suite, nous pourrons assurer plus facilement le financement sur les crédits du ministère, avec un étalement.

          M. Pascal Clément : Quelles sont les différentes hypothèses ?

          Mme la Garde des Sceaux : Il y en a plusieurs – pas beaucoup d’ailleurs. Vous comprendrez que je réserve ma réponse. Ce choix ne différera d’ailleurs pas la décision, et je le répète, j’espère obtenir une décision dans la prochaine loi de finances.

          M. Georges Sarre : J’ai deux questions portant sur la prison, en commençant par la sortie. Lors d’une visite de nuit avec le SAMU social de Paris, j’ai constaté qu’il était fréquent qu’on libère des prisonniers la nuit, notamment des jeunes, avec tous les problèmes que vous pouvez imaginer. Ce n’est pas acceptable. Comment y remédier et dans quels délais ?

          S’agissant de l’entrée en prison, je voudrais évoquer le cas du citoyen Papon. Comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi n’a-t-il pas été placé sous contrôle judiciaire ce qui permettrait de savoir où il se trouve ? Les associations d’anciens résistants et de déportés s’inquiètent. Serge et Arno Klarsfeld ont fait plusieurs démarches. Je m’étonne que le dossier soit resté pendant.

          D’autre part, concernant le fichier ADN, je trouve légitime de prendre toutes les précautions pour que des sadiques et des détraqués ne retrouvent pas la liberté sans que leur nom soit inscrit dans un fichier. Presque tous les pays ont adopté cette méthode et en sont satisfaits. Il faut protéger les droits de l’homme. Je souhaite que le Gouvernement prenne une décision dans ce domaine.

          M. Jacky Darne : Vous avez déjà répondu, Madame la Garde des Sceaux à la plupart de mes préoccupations, mais je veux revenir sur le système pénitentiaire. En effet, quand on rencontre les représentants des syndicats et les responsables de l’Observatoire international des prisons, quand on visite les établissements, on ne peut manquer de relever un certain nombre de problèmes.

          Tout d’abord, l’organisation des visites de familles et leur accueil ne sont pas satisfaisants. Par ailleurs, les conditions du cantinage et des travaux confiés aux prisonniers varient considérablement d’un établissement à l’autre de même que les moyens destinés à préparer la sortie, notamment la formation professionnelle, dont on sait pourtant qu’ils sont primordiaux. On peut également regretter l’insuffisance de l’encadrement au moment où les détenus quittent la prison et retournent, le plus souvent, vers leur territoire d’origine. Un travail social renforcé éviterait sans doute les récidives. Les surveillants se déclarent souvent incapables d’accueillir les jeunes des quartiers difficiles. Une véritable formation s’imposerait donc, afin qu’ils puissent s’adapter aux nouveaux types de délinquants.

          On peut regretter les changements d’affectation trop fréquents des juges des enfants, souvent sans qu’ils l’aient demandé et après deux ans seulement dans un poste ; cela ne facilite pas leur travail. Ces juges doivent en outre traiter un trop grand nombre de dossiers, ce qui les empêche de les suivre dans de bonnes conditions.

          Je déplore, comme d’autres, les délais d’attente trop longs devant la chambre sociale de la cour d’appel comme devant les conseils de prud’hommes. En effet, des décisions trop tardives ne peuvent être exécutées.

          Il me semble par ailleurs qu’un trop grand nombre de ministères est souvent appelé à intervenir. Cela se vérifie en particulier dans l’obtention des documents d’identité pour les personnes d’origine étrangère, mais aussi dans les enquêtes sur le blanchiment d’argent. La multiplication des intervenants nuit à l’efficacité de la politique pénale.

          M. Robert Pandraud : Ne pourriez-vous, Madame la Garde des Sceaux, revoir en profondeur les modalités d’obtention des certificats de nationalité. Il s’agit en effet aujourd’hui d’un véritable parcours du combattant, d’autant que nul ne sait où sont situés les greffes des tribunaux d’instance. Pourquoi ne pas confier cette tâche aux préfets, représentants du Gouvernement, bien sûr sous votre autorité ?

          J’aimerais par ailleurs connaître le nombre de magistrats qui sont actuellement en congé de longue durée et en congé de maternité, ce qui fait perdre de nombreuses heures de travail, ainsi que le nombre de congés liés à des maladies mentales, précision qui contribuerait à l’étude psychologique de cette catégorie socio-professionnelle.

          Enfin je regrette que trop d’instructions et de procès soient conduits sans que l’on mesure leur impact financier. Le souci de ne pas gaspiller l’argent des contribuables semble trop peu présent. Saura-t-on un jour ce qu’à coûté l’affaire des paillotes, à coup d’envois d’experts sur les lieux et de transferts des prévenus de Paris à Ajaccio ? Sans doute y aurait-il de quoi construire dix très beaux restaurants en Corse ou de quoi payer le traitement du juge d’instruction pendant des années…Vraiment, l’argent public pourrait être mieux utilisé qu’à de telles parodies.

          Mme Nicole Feidt : Vous nous avez fait part, Madame la Garde des Sceaux, de vos intentions en matière de construction et de rénovation des établissements. J’aimerais savoir si la gestion des établissements publics pourra être mixte entre privé et public et à qui incombera la compétence de la santé.

          On sait que le fait de côtoyer, au cours de leur incarcération, des délinquants confirmés accroît le risque de récidive chez les primo-délinquants. Il me semble donc que les peines aménagées comme la semi-liberté, les chantiers extérieurs, le placement sous surveillance ne sont pas assez développées. Les moyens qui leur sont consacrés sont-ils suffisants ? Les structures d’accueil pour mineurs sont souvent utilisées par la protection judiciaire de la jeunesse en matière pénale, mais il semble que l’on n’y recoure pas suffisamment en matière civile. Il faut pourtant absolument rechercher toutes les solutions alternatives à l’incarcération. Le partenariat entre la protection judiciaire de la jeunesse et l’aide sociale à l’enfance des départements progresse-t-il ?

          M. Jean Pontier : Je souhaite insister sur les problèmes de la protection judiciaire. Bien sûr, des moyens exceptionnels sont dégagés pour faire face à l’urgence sociale qu’est la délinquance des mineurs, mais un temps d’adaptation sera nécessaire avant qu’ils soient effectivement déployés. Ne pourrait-on imaginer, comme on l’a fait dans les années 1950 pour l’éducation surveillée, d’embaucher comme contractuels des gens de talent, peut-être sous-diplômés, mais capables de rendre service immédiatement et qui pourraient être intégrés ultérieurement par la voie de la formation ?

          Je souhaiterais par ailleurs que l’on fasse un point complet sur les unités à encadrement éducatif renforcé et sur les centres de placement immédiat. Plus globalement, où en sont les départements en matière de protection judiciaire ? L’Observatoire a en effet montré une judiciarisation du système de protection de l’enfance avec 189 849 mesures judiciaires d’action éducative en milieu ouvert.

          M. Claude Hoarau : Tous les collègues ont salué l’augmentation de ce budget et j’aurais envie de me joindre à l’enthousiasme du vote solennel. Mais une question demeure : quand fermera-t-on l’immonde prison de Saint-Denis de la Réunion qui est une honte pour la République ? Quand construira-t-on un nouvel établissement ?

          Vous annoncez, Madame la Garde des Sceaux, cinq prisons nouvelles pour l’an prochain, mais pourquoi celle-ci n’est-elle pas une priorité ? Dès 1995, les services d’hygiène du ministère concluaient à la nécessité de la fermer. Il y a un an, vous répondiez à M. Tamaya que la reconstruction ne figurait pas dans le programme actuel. L’urgence a été soulignée l’an dernier mais cette priorité n’a pas été retenue, l’urgence est à nouveau soulignée cette année et la priorité n’est toujours pas retenue.

          Un terrain avait été choisi, situé à quinze minutes de la cour d’appel et de la cour d’assises, mais les atermoiements devraient conduire à en choisir un autre.

          Pourquoi accepte-t-on à la Réunion ce que l’on n’accepte pour la population carcérale de la métropole ? Existe-t-il des citoyens de la République de seconde zone ? Cette honte doit disparaître. Il faut que vous engagiez de toute urgence la construction de la nouvelle prison de Saint-Denis.

          J’ai entendu la réponse que vous avez faite il y a quelques jours à Huguette Bello. Elle visite, aujourd’hui encore, en compagnie d’Elie Hoarau, les prisons de la Réunion afin que soit prise en compte la demande des Réunionnais et du personnel qui n’en peut plus. J’ai pris acte de votre volonté d’avancer mais j’attends maintenant la programmation rapide de la construction. Nos collègues de la commission des lois, qui se sont déplacés à la Réunion, nous ont apporté leur soutien. J’aimerais que notre ténacité soit récompensée dans les meilleurs délais.

          M. Jérôme Lambert : Les délais sont toujours trop longs, de plus certains jugements mis en délibéré sont rendus avant même d’avoir été rédigés, ce qui est contraire à la loi.

          Malgré les importants moyens apportés par le Gouvernement actuel, la justice doit faire face à l’accroissement des affaires. Celui-ci n’étant pas lié à l’augmentation de la population, quelles raisons voyez-vous, Madame la Garde des Sceaux, à cette judiciarisation de la vie et des rapports humains ? Y discernez-vous une dérive qui pourrait trouver réponse hors du champ de votre ministère ?

          M. André Gerin : L’ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs avait cette vertu fondamentale qu’elle s’inscrivait dans une démarche éducative. Elle n’a jamais été appliquée dans sa totalité. Il faut résister au harcèlement textuel et judiciaire, c’est-à-dire rechercher des solutions alternatives à la détention. Les mineurs délinquants, notamment les récidivistes, doivent être pris en charge dans des conditions plus humaines, afin de favoriser leur réinsertion dans la société.

          Les collectivités doivent s’engager au plus près du terrain sur cette question, sans quoi nous préparons des lendemains douloureux.

          Se pose aussi la question de la responsabilité des parents, des institutions, de l’exemplarité. Il faut combattre l’individualisme, et penser en termes éducatifs, afin que ces jeunes fassent l’apprentissage de la responsabilité.

          M. René Dosière : J’apprécie votre préoccupation, Madame la ministre, d’améliorer le fonctionnement de la justice, et j’approuve le renforcement de l’inspection générale. Comme dans toute administration, on constate des dysfonctionnements : des dossiers se perdent, certains magistrats ont une activité réduite… Mais les dysfonctionnements de votre administration sont plus médiatisés que les autres, si bien que l’opinion a l’impression qu’ils ne sont pas corrigés. D’ailleurs, qui est responsable ? Le procureur général, les juges, les greffiers ? Comment allez-vous remédier à ces problèmes ?

          M. Bruno Le Roux : Des décisions ont été prises au cours des conseils de la sécurité intérieure de juin 1998 et de janvier 1999. Je m’interroge sur leur mise en œuvre. Existe-t-il des obstacles qui pourraient vous empêcher d’atteindre vos objectifs ? Par ailleurs, ce sont en général les communes qui ont le plus besoin de moyens supplémentaires qui peuvent le moins participer aux efforts budgétaires.

          S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, il sera difficile de recruter, de former et d’installer des fonctionnaires dans un délai court. Avez-vous constitué une structure de pilotage ?

          Mme la Présidente : Cet échange, Madame la Garde des Sceaux, montre la satisfaction des parlementaires quant à votre budget, mais aussi les attentes accrues que nourrit l’augmentation des moyens.

          Mme la Garde des Sceaux : Je n’ai pas répondu tout à l’heure à M. Tourret sur l’exécution de plein droit : nous allons réactiver le groupe de travail que présidait M. Canivet avant de changer d’attributions.

          M. Sarre a évoqué le problème des libérations tardives. En théorie, les personnes concernées peuvent rester dans les établissements pénitentiaires, mais ce n’est évidemment pas une solution (Sourires). Nous préparons donc une convention avec la Croix Rouge pour l’accueil de ces personnes.

          S’agissant de la délinquance sexuelle, le fichier ADN a été transmis à la CNIL. Dès que celle-ci aura rendu son avis, le Conseil d’Etat sera saisi et le décret publié. Il nous a fallu réaliser un important travail interministériel et j’ai bon espoir qu’il aboutisse rapidement.

          J’en viens à l’affaire Papon. Quelques jours après le début du procès, la cour d’assises de la Gironde a décidé de mettre M. Papon en liberté, ce qui a ensuite interdit de le placer sous contrôle judiciaire, cette procédure étant une alternative à la détention provisoire. Il semble que M. Papon ne se constituera pas prisonnier. Dans ce cas, son pourvoi en cassation tombera et nous disposerons d’une base légale pour faire exécuter le jugement qui le condamne à dix ans de réclusion criminelle pour crime contre l’humanité.

          Inutile de dire que j’ai déjà envoyé des instructions au procureur général de Bordeaux qui devra, dans l’hypothèse que j’évoque, agir avec la plus grande diligence. M. Léonetti en a profité pour souligner que, moi aussi, je donnais des instructions aux magistrats. Ne confondons pas tout : il ne s’agit pas en l’occurrence de dévier le cours de la justice, mais de faire exécuter un jugement. Il y a quelques mois, par exemple, j’ai ordonné à un procureur de mettre en liberté quelqu’un qui était maintenu en prison à tort.

          Dans l’affaire Papon, la Cour de cassation rendra sa décision demain matin, sauf si elle accepte d’entrer dans le débat ouvert par la Cour européenne de justice, pour laquelle on ne peut demander, comme nous le faisons en France, aux justiciables de se constituer prisonniers avant l’examen de leur recours en cassation. Les avocats de M. Papon ont introduit un recours sur ce point, mais un tel recours n’est pas suspensif, non plus qu’une demande de grâce présidentielle. Dans tous les cas, la décision sera notifiée à M. Papon. S’il n’est pas là, l’ordre de l’arrêter sera diffusé au plan national et international. Il serait particulièrement choquant que M. Papon puisse se soustraire à la justice, lui qui a bâti son système de défense sur l’argument qu’il avait « servi l’Etat ».

          Jacky Darne a évoqué la détention des mineurs. Il faut s’en tenir à l’ordonnance de 1945, qui comporte certes un volet éducatif, mais qui autorise aussi la détention : en matière criminelle pour les 13-18 ans et en matière correctionnelle également pour les 16-18 ans. Il faut améliorer la prise en charge des mineurs, et c’est pourquoi nous tâcherons d’augmenter les crédits des centres de placement immédiat et des centres d’éducation des mineurs.

          Lutter contre le blanchiment des capitaux, j’y travaille depuis deux ans. Avant que M. Strauss-Kahn et moi-même abordions ensemble ce problème, la justice n’utilisait pas les informations dont disposent les établissements financiers, tenus de se montrer vigilants à l’égard des dépôts anonymes.

          Hier, à Moscou, s’est tenue la réunion du G8, au cours de laquelle j’ai abordé cette question. Notre priorité est l’adoption définitive de la convention de Vienne relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, qui donnera à tous les pays signataires une définition commune du crime organisé et un système analogue de sanctions. Les décisions prises au sommet de Tampere sont bonnes. Il nous faut bâtir Europol.

          Avec la Grande-Bretagne, nous avons décidé hier de mettre en place un groupe de travail réunissant les ministères de la justice, de l’intérieur et des finances des deux pays. Les Américains, quant à eux, ont beaucoup évolué sur cette question. Ils nous soupçonnaient de vouloir réglementer de manière déguisée les marchés internationaux. Mais je leur ai indiqué qu’on ne pourrait lutter efficacement contre le crime organisé sans le frapper au cœur, c’est-à-dire empêcher le blanchiment.

          A Tampere, la France a proposé de renforcer le contrôle des centres offshore, d’établir une liste des territoires délinquants et d’étudier comment certains instruments juridiques et commerciaux ont pu être dévoyés. En outre, une réunion des ministres de la justice, de l’intérieur et des finances doit être organisée au niveau de l’Union européenne. Il faudra la préparer soigneusement.

          Comme l’ont indiqué MM. Darne et Pandraud, les certificats de nationalité française nous posent de gros problèmes. Nous avons décidé d’inscrire en marge des actes de naissance toute première délivrance de certificat de nationalité.

          J’ai diffusé fin 1998 une circulaire aux juridictions pour les amener à tenir compte de la possession d’état de Français – par la carte d’électeur, l’accomplissement du service national, le statut de fonctionnaire, etc. – plutôt que d’obliger à rechercher les actes civils des parents et grands-parents, ce qui est particulièrement difficile quand ils sont nés à l’étranger. L’application de cette circulaire devrait éviter des recherches interminables qui aboutissent à des situations absurdes.

          M. Robert Pandraud : Le citoyen de base ne sait pas toujours où sont les tribunaux d’instance et les greffes !

          Mme la Garde des Sceaux : On ne peut pas fonctionner uniquement avec les préfectures et les sous-préfectures.

          En ce qui concerne le coût des procédures judiciaires, les procédures les plus spectaculaires ne sont pas forcément les plus onéreuses. Les déplacements de magistrats et de greffiers ne représentent que 0,25 % des frais de justice pénale et sont en baisse régulière. Nous ne voulons pas de justice expéditive, surtout dans ce domaine.

          Mme Feidt, nous avons demandé un rapport à M. Pradier sur la gestion des services de santé pénitentiaire : il a conclu en faveur de la gestion mixte et, avec ma collègue Dominique Gillot, nous nous orientons plutôt vers cette solution.

          M. Pontier, nous avons recruté 50 contractuels ; on ne peut pas aller trop loin car il faut pouvoir ensuite intégrer ces personnes.

          En ce qui concerne la prison de Saint-Denis, le problème est que d’autres établissements pénitentiaires sont dans une situation comparable. On ne peut pas résoudre tout à la fois.

          M. Gerin a eu raison de rappeler le principe de l’ordonnance de 1945 et la nécessité d’élargir la responsabilité à tous les acteurs.

          La judiciarisation évoquée par M. Lambert est un fait réel. Nous travaillons à développer la conciliation, la médiation, la transaction. Je reviendrai plus longuement sur la responsabilité pénale des élus à l’occasion d’un autre débat ; j’ai demandé à une commission spécialisée de me fournir un rapport d’ici la fin de l’année.

          M. Léonetti a évoqué les préoccupantes pertes de documents dans certaines juridictions. Je ne laisserai pas ces événements sans suite. A Marseille, nous savons qu’il y a eu une erreur des services et j’ai demandé au procureur de prendre toutes les dispositions nécessaires pour qu’elle ne se renouvelle pas. A Nice, beaucoup de rumeurs courent depuis des années ; deux enquêtes préliminaires de la police n’ont pas donné de résultat et l’inspection des services judiciaires n’a pas non plus découvert de preuves. Il a fallu l’arrivée d’un nouveau procureur pour que nous ayons des indications plus précises. Je l’ai reçu et, sur la base de son rapport écrit, des moyens seront donnés pour remédier aux dysfonctionnements et prendre d’éventuelles mesures disciplinaires.

          Sur la question de la responsabilité des magistrats soulevée par M. Dosière, je pense que nous devons progresser. Déjà l’ensemble des textes que j’ai présentés contiennent des dispositions qui facilitent la mise en jeu de la responsabilité professionnelle des magistrats.

          En ce qui concerne leur responsabilité disciplinaire et déontologique, la loi organique sur le statut de la magistrature contiendra plusieurs dispositions : création d’une commission d’examen des plaintes des justiciables, limitation du temps d’exercice de la fonction de chef de juridiction, mobilité accrue, possibilité de saisine du CSM, publicité des audiences disciplinaires du CSM, redéfinition des sanctions, responsabilité financière de l’Etat en cas de dysfonctionnement de la justice – nous en discutons avec Bercy – réforme de l’inspection générale des services judiciaires.

          En un an, j’ai saisi 15 fois le CSM sur des faits très divers, allant de la conduite en état d’ivresse au non-respect du secret professionnel, à l’utilisation abusive de la liberté de parole pour attaquer des tiers, etc. Je l’ai fait souvent sur le rapport des chefs de cour, qui ont eux-mêmes lancé une cinquantaine d’avertissements. C’est donc une question que nous suivons de très près.

*

* *

          Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la justice pour 2000 concernant l’administration centrale et les services judiciaires.

ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES

REÇUES PAR LE RAPPORTEUR

          —  Association des greffiers en chef des tribunaux d’instance et de police ;

          —  Association professionnelle des magistrats ;

          —  Fédération FO de l’administration générale de l’Etat ;

          —  Fédération justice CFDT ;

          —  Syndicat CGT des chancelleries et des services judiciaires ;

          —  Syndicat des greffiers de France ;

          —  Syndicat de la juridiction administrative ;

          —  Syndicat de la magistrature ;

          —  Union syndicale autonome justice ;

          —  Union syndicale des magistrats ;

          —  Union syndicale des magistrats administratifs.

____________

N°1865-V. - Avis de M. Jacques Floch, au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de finances pour 2000. - Administration centrale et services judiciaires.

- Cliquer ici pour retourner au sommaire général

- Cliquez ici pour retourner à la liste des rapports et avis budgétaires

- Cliquez ici pour retourner à la liste des discussions budgétaires



© Assemblée nationale

() Le compte rendu intégral de cette audition, qui était ouverte au public, sera annexé au Journal Officiel (Débats parlementaires) du 9 novembre 1999.