N° 1865

          ——

          ASSEMBLÉE NATIONALE

          CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

          ONZIÈME LÉGISLATURE

          Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 octobre 1999.

          AVIS

          PRÉSENTÉ

          AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2000 (n° 1805),

          TOME VI

          JUSTICE

          SERVICES PÉNITENTIAIRES
          et PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

        PAR M. ANDRÉ GERIN,

        Député.

        ——

          (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

          Voir le numéro : 1861 (annexe 35).

          Lois de finances.

          La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Roger Franzoni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, José Rossi, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

        INTRODUCTION 5

        I. —  LES SERVICES PÉNITENTIAIRES 7

        A. L’AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE DES DÉTENUS 7

          1. Une diminution encore insuffisante de la surpopulation carcérale 7

          2. La mise en place d’une politique de prévention du suicide 10

          3. Des réformes destinées à mieux préparer la sortie de prison 12

        B. LA PRISE EN COMPTE DE L’ÉVOLUTION DES MISSIONS DES PERSONNELS 15

          1. Des créations d’emploi et des mesures statutaires et indemnitaires nécessaires mais incomplètes 15

          2. Un effort indispensable en faveur de la formation 17

          3. Un meilleur contrôle de l’administration pénitentiaire 20

        C. DES MOYENS NOUVEAUX POUR LA MODERNISATION DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES 21

          1. Un programme important de construction et de rénovation 21

          2. Le délabrement des établissements pénitentiaires de La Réunion 24

        II. —  LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE 25

        A. UNE AUGMENTATION SIGNIFICATIVE DES MOYENS EN PERSONNELS 26

          1. Des créations d’emploi sans précédent 26

          2. Des revalorisations statutaires et indemnitaires attendues 28

          3. Un effort important en faveur du recrutement et de la formation des délégués du procureur 29

        B. UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES SITUATIONS D’URGENCE 31

          1. La coordination de l’accueil d’urgence 31

          2. La difficile mise en place des centres de placement immédiat 32

        C. UNE DIVERSIFICATION DES RÉPONSES JUDICIAIRES 34

          1. Le développement des mesures de réparation 34

          2. La montée en puissance des centres éducatifs renforcés 35

          3. L’amélioration du suivi des mineurs incarcérés 37

        AUDITION de Mme Elisabeth GUIGOU, garde des sceaux, ministre de la justice et EXAMEN EN COMMISSION 41

        ORGANISATIONS SYNDICALES REÇUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 77

          MESDAMES, MESSIEURS,

          L’effort que la Nation consent en faveur de la justice semble s’inscrire dans la durée : après deux années d’augmentations substantielles, le budget de la justice en 2000 progresse encore de 3,91 %, soit trois fois plus que la croissance moyenne du budget de l’État.

          Cette augmentation est encore plus sensible pour les crédits consacrés aux services pénitentiaires et à la protection judiciaire de la jeunesse qui s’accroissent respectivement de 5,85 % et de 14,7 %, illustrant ainsi la priorité que le Gouvernement entend donner à ces deux secteurs. Cette priorité se traduit notamment en termes d’emplois, puisque sur les 1 237 emplois dont bénéficie le ministère de la justice, 386 seront affectés aux services pénitentiaires et 380 à la protection judiciaire de la jeunesse.

          Cet effort financier important ne doit pas faire oublier que les besoins en la matière sont immenses et justifient pleinement de faire de l’amélioration de la justice en général et de la lutte contre la délinquance en particulier une priorité nationale. Or si la part du budget de la justice dans le budget de l’État ne cesse de progresser, elle ne représente encore que 1,63 % du budget général.

          La politique ambitieuse affichée par la Garde des sceaux en matière de lutte contre la délinquance des mineurs et d’amélioration de la vie carcérale doit également pouvoir trouver une application concrète sur le terrain. Or, malgré le vote des crédits correspondants, il existe souvent un décalage entre les objectifs annoncés et les réalisations. Ce décalage s’explique en partie par les pesanteurs inhérentes aux administrations, mais aussi par les réticences des personnels concernés, qui se voient imposer de nouvelles missions sans véritable concertation préalable.

          L’ensemble des organisations syndicales rencontrées par votre rapporteur pour avis ont en effet dénoncé l’absence de dialogue social, tant au niveau national qu’au niveau local, prenant notamment pour exemple l’annonce de la mise en place expérimentale des unités de vie familiales, qui s’est faite sans aucune consultation des personnels concernés. Cette absence de dialogue social aboutit à une opposition de forme, souvent doublée de réticences sur le fond, qui se traduit par des retards dans la mise en œuvre des réformes.

          Or, l’importance et l’urgence des problèmes posés nécessitent l’adhésion de tous les acteurs potentiels. Seul un véritable projet partagé permettra d’obtenir des résultats concrets perceptibles dans la vie quotidienne de nos concitoyens.

*

* *

I. —  LES SERVICES PÉNITENTIAIRES

          Comme l’année précédente, les crédits consacrés aux services pénitentiaires dans le projet de budget pour 2000 sont en forte progression : ils s’élèvent en effet à 7 856,1 millions de francs, soit une augmentation de 5,85 % par rapport à 1999. La poursuite de l’effort financier engagé depuis deux ans traduit la volonté du Gouvernement de mettre en œuvre les quatre grandes orientations de la politique pénitentiaire définies lors du conseil des ministres du 8 avril 1998 : améliorer la prise en charge des détenus, revaloriser les conditions de travail des personnels, développer les alternatives à l’incarcération et mettre en œuvre un programme de rénovation et de construction d’établissements. Votre rapporteur pour avis a choisi cette année d’évoquer, à l’intérieur de ces quatre thèmes, certains sujets qui lui apparaissent prioritaires.

            A. L’AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE DES DÉTENUS

              1. Une diminution encore insuffisante de la surpopulation carcérale

          Les statistiques

          La population carcérale a connu une progression importante pendant une quinzaine d’année, le nombre de détenus au 1er janvier de chaque année passant de 36 934 en 1980 à 55 062 en 1996. Depuis cette date, on observe un léger ralentissement de la hausse : le nombre de détenus a diminué de 3,8 % pour s’établir à 52 961 au 1er janvier 1999.

POPULATION CARCÉRALE AU 1ER JANVIER

         

        1996

        1997

        1998

        1999

        Population carcérale

        55 062

        54 269

        53 845

        52 961

        – dont prévenus

        21 917

        22 521

        21 591

        20 452

        – dont condamnés *

        33 145

        31 748

        32 254

        32 509

        – dont mineurs

        561

        628

        669

        714

        – dont femmes

        2 217

        2 223

        2 136

        2 029

        – dont nationalité étrangère **

        15 674

        15 120

        13 557

        12 525

* y compris condamnés à une contrainte par corps

** y compris apatrides et nationalités non définies

          Rappelons, toutefois que le nombre de détenus au 1er janvier de chaque année ne donne qu’une vision partielle de l’évolution de la population carcérale, puisqu’il ne tient pas compte des fluctuations qui existent en cours d’année. Ainsi, entre les mois de janvier et de juillet 1999, la progression du nombre de détenus a été de 9,2 %, ce qui correspond à une augmentation classique en cette période de l’année.

          Le taux d’occupation des établissements au 1er janvier 1999 est de 107 %, en diminution par rapport à l’année précédente (114,8 %) ; notons cependant qu’outre-mer, ce taux d’occupation s’élève à 127 %. Les maisons d’arrêt et les centres de semi-liberté connaissent toujours une surpopulation inquiétante, avec une densité de 115,7 %, qui atteint même 203,9 % outre-mer. Les maisons centrales sont, elles, sous-occupées, avec un taux moyen de 89,2 %.

EFFECTIFS DE LA POPULATION DÉTENUE AU 1er JANVIER 1999

« PARC CLASSIQUE ET PARC 13 000 »

(métropole et outre-mer)

         


        Prévenus


        Condamnés


        Détenus

        Nombre de places
        capacité
        opérationnelle

        Nombre de places
        capacité
        opérationnelle

        Métropole

        19 212

        30 460

        49 672

        46 967

            106 %

        Outre-mer

        1 240

        2 049

        3 289

        2 582

            127 %

        Ensemble

        20 452

        32 509

        52 961

        49 549

            107 %

        Parc classique

        15 999

        21 798

        37 797

        34 184

            110,6 %

        Parc « 13 000 »

        3 213

        8 662

        11 875

        12 783

            92,9 %

        Maison d’arrêt + centre de semi-liberté


        20 452


        16 995


        37 447


        32 353


            115,7 %

        Centre de détention

        0

        13 269

        13 269

        14 679

            90,4 %

        Maison centrale

        0

        2 245

        2 245

        2 517

            89,2 %

        Ensemble

        20 452

        32 509

        52 961

        49 549

            107 %

    Source : statistique trimestrielle PMJI Capacité : SDI

          Cette surpopulation des maisons d’arrêt est d’autant plus inadmissible que ces établissements sont destinés à accueillir des prévenus bénéficiant de la présomption d’innocence et des condamnés à de très courtes peines amenés à retourner rapidement à l’extérieur.

          L’évolution de la population carcérale dépend de deux facteurs :

          —  l’évolution des flux d’entrée en détention, qui diminuent de manière constante depuis 1994, notamment grâce au développement des mesures alternatives à l’incarcération ;

          —  l’évolution de la durée de détention, qui, elle, ne cesse de croître. Depuis 1980, la durée moyenne de détention a presque doublée, passant de 4,6 mois à 8,7 mois en 1998. Les détenus effectuant une peine de plus de cinq ans représentent désormais, au 1er janvier 1999, plus de 40 % de l’ensemble des condamnés. A cette date, 500 condamnés purgeaient une peine de 30 ans de réclusion criminelle et 550 étaient condamnés à perpétuité, soit 4 % des condamnés.

          Ainsi, si on entre moins en prison, on y reste pour plus longtemps, ce qui explique la baisse très limitée de la population carcérale. Par ailleurs, le taux d’octroi de libérations conditionnelles par les juges de l’application des peines diminue d’année en année, atteignant 14 % en 1999 contre 23 % en 1986.

          Les perspectives d’évolution

          Les efforts pour lutter contre cette surpopulation carcérale ont jusqu’ici essentiellement porté sur les flux d’entrée en détention. Outre le développement des mesures alternatives à l’incarcération, avec la réforme des services d’insertion et de probation, analysée lors du précédent rapport budgétaire, la Garde des sceaux a engagé une réforme de la détention provisoire. En confiant la décision de placement en détention à un juge différent du juge d'instruction et en étendant la procédure du témoin assisté, le projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence, actuellement en discussion au Parlement, devrait permettre de limiter les détentions provisoires, et donc l’encombrement des maisons d’arrêt. Rappelons toutefois que ces dispositions ne concernent que les infractions donnant lieu à une instruction, soit 7 % des affaires pénales.

          Lors de la discussion de ce texte, à l’initiative de M. Jacques Floch, les députés ont modifié l’article 716 du code de procédure pénale, qui, après avoir posé le principe de l’emprisonnement individuel des prévenus, prévoit un certain nombre d’exceptions à ce principe. Ils ont ainsi supprimé la possibilité de déroger à l’emprisonnement individuel en raison « de la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou de leur encombrement temporaire », en reportant toutefois l’application de cette disposition trois ans après la publication de la loi ; à la demande du Gouvernement, les sénateurs ont porté ce délai d’application à cinq ans. Si cette disposition est adoptée en l’état, les prévenus pourront bientôt disposer de cellules individuelles, à condition toutefois que le Gouvernement augmente de manière substantielle le nombre de places.

          Dans la mesure où la politique de limitation des flux d’entrée en détention trouve rapidement ses limites, le seul moyen direct et efficace pour lutter contre la surpopulation des maisons d’arrêt reste en effet la construction de nouveaux établissements. Le Gouvernement s’est d’ailleurs engagé dans cette voie, avec la création des centres pour peines aménagées ; deux sites pilotes ont d’ores et déjà retenus à Metz-Barrès et aux Baumettes (Marseille) et un troisième est à l’étude ; le projet de loi de finances pour 2000 prévoit par ailleurs 20 millions de francs pour la construction d’un quatrième établissement de ce type.

              2. La mise en place d’une politique de prévention du suicide

          Le nombre de suicides dans les établissements pénitentiaires a augmenté depuis une dizaine d’années dans des proportions inquiétantes : de 59 en 1990, ce nombre est passé à 118 en 1998, soit un doublement en moins de dix ans. L’année 1999 ne sera sans doute pas meilleure, après la vague de suicides enregistrée dans certains grands établissements, notamment à Fleury-Mérogis, et dont la presse s’est largement faite l’écho. D’après une étude réalisée par Nicolas Bourgoin, chercheur à l’Institut national des études démographiques, le taux de suicide en prison est en moyenne six fois plus élevé que celui observé à l’extérieur.

ÉVOLUTION DES SUICIDES DEPUIS 1990

         

        1990

        1991

        1992

        1993

        1994

        1995

        1996

        1997

        1998

        Nombre de suicides

        59

        67

        95

        101

        101

        107

        138

        125

        118

        Selon le sexe :

                         

          hommes

        56

        64

        93

        94

        91

        101

        134

        121

        112

          femmes

        3

        3

        2

        7

        10

        6

        4

        4

        6

        Selon la catégorie pénale :

                         

          prévenus

        41

        46

        60

        66

        64

        68

        62

        76

        60

          condamnés

        18

        21

        35

        35

        37

        39

        76

        49

        58

Source : Chancellerie

          Les pouvoirs publics n’ont pas attendu ces derniers suicides pour mettre en place une politique de prévention.

          Un groupe de travail a été constitué dès 1996 pour analyser les données socio-démographiques de la psychopathologie suicidaire et définir, à partir de ces données, les grandes orientations d’une politique de prévention.

          Sur la base de ce rapport, un plan d’action a été mis en place en janvier 1997, comprenant à la fois des mesures d’application immédiate rassemblées dans une circulaire et un programme expérimental.

          La circulaire du 29 mai 1998 rappelle un certain nombre d’obligations destinées à assurer une surveillance renforcée de l’administration pénitentiaire dans les moments où les détenus fragiles sont le plus exposés, c’est à dire dans les jours qui suivent l’incarcération et lors d’un éventuel placement en quartier disciplinaire.

          Le détenu doit être informé lors de son arrivée de son parcours carcéral par le greffe judiciaire, le personnel de direction et les travailleurs sociaux. Il doit pouvoir être mis en mesure de prendre rapidement une douche et un nécessaire de toilette doit être mis à sa disposition.

          Pendant la détention, une observation particulière des détenus présentant un risque suicidaire important doit être mise en place, notamment la nuit. Les détenus commettant un acte auto-agressif, (mutilations, grèves de la faim ou tentative de suicide) doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des surveillants et d’un suivi médical. Le taux de suicide dans les quartiers disciplinaires étant sept fois plus élevé que dans le reste de la détention, il est recommandé de n’y recourir que dans des cas exceptionnels.

          Dans le cadre du programme expérimental, onze sites pilotes ont été sélectionnés en fonction de leur répartition sur le territoire national, de leur catégorie, de leur taille, du nombre de suicides enregistrés les dernières années et du contexte local ; tous les types d’établissements étaient représentés, afin que l’évaluation de l’expérience puisse servir de base à l’éventuelle généralisation du dispositif.

          Trois axes de travail ont été retenus. Il a tout d’abord été décidé de formaliser une procédure d’accueil individualisée, de rédiger une plaquette d’information du détenu et de développer les relations avec les associations spécialisées. Chaque site devait par ailleurs engager une réflexion sur l’amélioration de la prévention et du suivi des détenus présentant un risque suicidaire. Enfin, l’organisation des quartiers disciplinaires devait être repensée, avec notamment la désignation d’un premier surveillant référant et la mise en conformité des cellules avec les règles d’hygiène et de sécurité.

          Le comité national chargé d’évaluer ce dispositif, composé de représentants des personnels pénitentiaires, d’un médecin, d’une infirmière et d’un responsable associatif, a rendu ses conclusions au mois de mai dernier. D’une manière générale, il a constaté la difficulté de mettre en œuvre les orientations proposées ; les délais de réalisation ont été jugés insuffisants, les sites pilotes n’ayant pu développer l’ensemble des thématiques. Malgré son caractère partiel, le comité a proposé de généraliser le dispositif aux établissements pénitentiaires connaissant un fort taux de suicide.

          Sur la base de cette évaluation, le groupe national qui coordonne et anime la politique de prévention du suicide est chargé de proposer de nouveaux modes d’action.

          Une politique de prévention efficace susceptible d’accentuer la légère baisse du nombre de suicide enregistrée ces deux dernières années (118 en 1998 contre 125 en 1997 et 138 en 1996) est en effet indispensable si on souhaite retrouver les chiffres moins élevés des années 1990. Lors de sa rencontre avec votre rapporteur pour avis, le syndicat FO des personnels de direction a fait part de son soutien à toute mesure permettant de limiter le suicide en prison.

              3. Des réformes destinées à mieux préparer la sortie de prison

          Pour réussir l’insertion du condamné ayant purgé sa peine, la phase post carcérale doit faire l’objet d’une préparation en amont. Or, cette préparation, essentielle pour prévenir la récidive, a longtemps été négligée par les pouvoirs publics.

          Le Gouvernement actuel tente de rattraper ce retard : outre le projet d’exécution des peines, qui permet de placer les personnes condamnées dans une perspective de réinsertion dès le début de la peine, et les centres pour peines aménagées, qui ont fait l’objet d’un long développement dans le précédent rapport budgétaire, la Chancellerie étudie actuellement deux réformes susceptibles de faciliter la réinsertion des détenus.

          La mise en place des unités de vie familiales

          Les liens familiaux sont à l’évidence un élément essentiel de la réinsertion des condamnés. Les unités de vie familiale (UVF) devraient contribuer à faciliter le maintien de ces liens, en permettant aux détenus condamnés à de longues peines qui ne bénéficient pas de permissions de sortir de recevoir, pendant plusieurs heures, les membres de leur famille dans un espace sans surveillance. Ces nouvelles structures ne remplaceront pas les parloirs traditionnels, mais s’y ajouteront.

          Avant de généraliser les UVF à l’ensemble des établissements recevant des détenus condamnés à de longues peines, le Gouvernement a souhaité faire fonctionner ce dispositif sur deux ou trois sites pilotes.

          Le fonctionnement de telles structures soulève en effet des problèmes nouveaux portant notamment sur l’organisation matérielle des locaux, les règles de sécurité et l’organisation du travail des personnels de surveillance. Ces derniers devront assurer de nouvelles tâches, comme la prise de rendez-vous téléphoniques et la tenue du planning d’utilisation des UVF ou l’accueil et le contrôle des visiteurs à l’arrivée et au départ.

          La plupart des organisations syndicales rencontrées par votre rapporteur pour avis sont très réticentes face à ces nouvelles structures. Outre l’absence totale de concertation préalable, évoquée dans l’introduction, elles critiquent le manque de lisibilité du projet. Il est vrai que pour des structures dont l’ouverture est prévue à la fin de l’année prochaine, les informations disponibles sont extrêmement limitées ; ainsi, on ne connaît toujours pas le nom des sites retenus. Certains syndicats, comme l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP), s’opposent à l’esprit du projet lui-même.

          Votre rapporteur pour avis estime indispensable que les organisations syndicales soient associées à la mise en place des premières UVF. Seul ce travail d’échange avec les représentants des personnels concernés permettra de définir un mode de fonctionnement à même d’assurer le succès de ces nouvelles structures. Il est à cet égard de mauvaise augure de lire dans un document de la chancellerie commentant la création de 15 emplois dans le budget 2000 destinés aux UVF, que ces emplois doivent permettre « d’une part, de tester le dispositif sur deux ou trois sites pilotes avant d’envisager l’engagement du programme sur l’ensemble des établissements pour peine à vocation nationale, d’autre part, d’anticiper l’extension en 2001 », alors même que cette extension est supposée dépendre des résultats de l’expérience engagée sur les sites pilotes.

          La réforme de la libération conditionnelle

          La libération conditionnelle est l’une des mesures les plus efficaces pour préparer la réinsertion des condamnés. On estime en effet que le taux de récidive est deux fois moins important chez les détenus ayant bénéficié de cette mesure.

          Pourtant, depuis plusieurs années, le nombre de libérations conditionnelles ne cesse de décroître, qu’il s’agisse de celles qui dépendent des juges de l’application des peines (lorsque la peine est inférieure à cinq ans) ou de celles qui dépendent du Garde des sceaux (lorsque la peine est supérieure à cinq ans) : alors qu’en 1973, 30 % des condamnés susceptibles d’en bénéficier avaient fait l’objet d’une mesure de libération conditionnelle, ce pourcentage est tombé à 14 % en 1998 ; le nombre de libérés conditionnels sur décision des juges de l’application des peines a baissé de 12 % en 1997 et de 2,1 % en 1998 ; le nombre des libérés conditionnels relevant du Garde des sceaux stagne à 553. Seulement 4 685 mesures de libération conditionnelle ont été prononcées en 1999.

          Plusieurs facteurs expliquent cette évolution : difficultés économiques qui rendent très difficile la recherche d’un emploi et d’un logement stables, manque de motivation, en particulier chez les jeunes détenus, pour construire un projet de sortie, allongement de la durée des peines, dont l’une des conséquences est que les mesures d’individualisation de la peine interviennent tardivement.

          La Garde des sceaux a confié au Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire le soin de conduire, au sein d’un groupe de travail de quinze membres présidé par M. Farge, président du comité consultatif de libération conditionnelle, une réflexion sur cette question. L’un des enjeux de ce groupe de travail, qui devra rendre ses conclusion d’ici la fin de janvier 2000, sera de réfléchir à l’éventuelle « judiciarisation » de la libération conditionnelle, avec la mise en place d’une procédure contradictoire aboutissant à une décision motivée susceptible de recours.

          Ces réflexions sont suivies avec attention par l’association Recherches, Confrontations et Projets, composée de juristes, de démographes, de magistrats et de personnels de l’administration pénitentiaire, qui propose, elle, de réfléchir de manière plus globale à l’application des peines. Parmi ses quinze propositions figurent la « judiciarisation » de la libération conditionnelle et le réexamen des critères d’octroi des mesures d’aménagement de la peine, notamment celui de « gages sérieux de réadaptation sociale » utilisé pour la libération conditionnelle.

          Même si ce groupe de travail sur la libération conditionnelle constitue un premier pas intéressant, votre rapporteur pour avis estime que notre société ne peut plus faire l’économie d’un débat plus général sur l’application des peines.

            B. LA PRISE EN COMPTE DE L’ÉVOLUTION DES MISSIONS DES PERSONNELS

              1. Des créations d’emploi et des mesures statutaires et indemnitaires nécessaires mais incomplètes

          Les créations d’emploi

          Le projet de loi de finances pour 2000 prévoit la création de 386 emplois, auxquels s’ajoute le transfert de 8 emplois de la direction des services judiciaires à la direction de l’administration pénitentiaire, contre 344 emplois en 1999. Les trois-quarts de ces 386 emplois, soit 290, concernent les personnels de surveillance. 22 emplois sont par ailleurs prévus pour le personnel de direction, 32 pour le personnel administratif et 14 pour le personnel d’insertion et de probation.

          Ces créations d’emplois sont destinées à assurer la mise en œuvre des objectifs prioritaires définis lors du conseil des ministres du 8 avril 1998.

          L’amélioration de la prise en charge des détenus et la mise en œuvre des nouvelles missions bénéficieront de 152 emplois : renforcement de la sécurité, de l’hygiène et de l’action sanitaire, avec notamment l’augmentation du nombre de douches et la mise en place d’escortes pour les consultations médicales (122 surveillants), projet d’exécution des peines (10 psychologues), amélioration des conditions de détention provisoire (5 psychologues), création d’unités de vie familiale dans les établissements de longues peines (15 emplois).

          Les mesures alternatives à la détention et à la réinsertion recevront 55 emplois répartis de la manière suivante : 25 emplois administratifs pour la réforme des services d’insertion et de probation, qui bénéficieront en outre de 8 emplois transférés des services judiciaires, et 30 emplois destinés aux centres pour peines aménages.

          Le suivi des mineurs incarcérés sera renforcé par la création de 128 emplois, dont 118 emplois de surveillance et 10 emplois de conseillers d’insertion et de probation.

          Enfin, 51 emplois contribueront à la modernisation de la gestion, à l’application du programme GIDE (gestion informatisée des détenus en établissement) et à la reforme de l’enseignement à l’ENAP.

          Il est prévu par ailleurs de recruter 350 agents de justice, dont on ne connaît pour l’instant ni les modalités de formation, ni les missions exactes.

          Les mesures statutaires et indemnitaires

          Deux séries de mesures statuaires sont inscrites au projet de budget pour 2000 : un million de francs est demandé à titre de provision pour le nouveau statut de chefs de services pénitentiaires, aligné sur celui de leurs homologues de la police nationale ; 2,14 millions de francs sont demandés dans le cadre de l’accord salarial pour achever la création du statut d’emploi de directeur des services pénitentiaires d’insertion et de probation et la réforme statutaire des personnels techniques.

          Le projet de loi de finances prévoit par ailleurs 13,16 millions de francs de revalorisation indemnitaire.

          Une dotation de 10 millions de francs est inscrite afin de créer une indemnité spécifique au profit du personnel de surveillance pour les deux nuits encadrant les dimanches et jours fériés ; le taux de cette indemnité forfaitaire est fixée à 100 F, ce qui permet, conformément aux demandes de certaines organisations syndicales, d’aligner les services effectués les nuits encadrant les dimanches et jours fériés (actuellement 48,7 F par nuit) sur les services de jour des dimanches et jours fériés (actuellement 103 F).

          Plus de 3 millions de francs sont consacrés à revaloriser les primes d’encadrement : 1,76 million de francs sont destinés à l’extension aux directeurs de service pénitentiaire d’insertion et de probation de l’indemnité de responsabilité ; 0,83 million de francs financeront la revalorisation de la prime de sujétions spéciales du personnel de direction et 0,57 million de francs la revalorisation du régime indemnitaire des chefs de service pénitentiaire.

          Les observations des organisations syndicales

          Les organisations syndicales rencontrées par votre rapporteur pour avis ont jugé l’augmentation des effectifs proposée insuffisante par rapport aux besoins réels de l’administration pénitentiaire. Le syndicat FO des personnels administratifs a ainsi estimé à 500 le nombre d’emplois administratifs supplémentaires nécessaires, soulignant que les rares créations d’emploi prévues pour cette catégorie de personnel étaient destinées à appuyer les nouvelles réformes (ENAP, service d’insertion et de probation) ; il a souhaité la mise en place dans chaque établissement d’un organigramme permettant une gestion prévisionnelle des besoins en personnels ; le syndicat FO des personnels de direction a lui aussi regretté la faiblesse des créations de postes de personnels administratifs. L’union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP), l’union syndicale pénitentiaire (USP), le syndicat Force national des personnels de surveillance et le syndicat CFDT-Fédération justice se sont inquiétés des prochains départs à la retraite liés à la bonification du cinquième et demandé, pour l’UFAP le syndicat FO des personnels de surveillance, le recrutement en surnombre de personnels de surveillance.

          Les syndicats FO des personnels de direction et de surveillance se sont inquiétés des conditions d’intégration des emplois-jeunes, s’interrogeant sur leurs conditions de formation et leur affectation.

          L’UFAP et le syndicat FO des personnels administratifs ont déploré que les personnels administratifs n’aient bénéficié d’aucune revalorisation indemnitaire et que l’indemnité de sujétions spéciales ne leur soient toujours pas accordée. Le syndicat FO des personnels de surveillance a jugé insuffisante l’indemnité pour les nuits encadrant les dimanche et jours fériés, faisant valoir que la prime pour les services de jour les dimanches et jours fériés, sur laquelle cette indemnité est alignée, est elle-même trop faible.

          Le syndicat FO des personnels techniques a regretté que cette catégorie de personnels soit une fois de plus oubliés par la Chancellerie et a insisté sur les problèmes posés par les personnels de surveillance occupant des postes techniques.

          Après s’être félicité du nouveau statut des chefs de service pénitentiaire et de la revalorisation des primes d’encadrement, le syndicat FO des personnels de direction a souhaité que les pouvoirs publics réfléchissent à l’extension de la bonification du cinquième aux cadres de direction, afin que ceux–ci puissent disposer d’une certaine flexibilité dans le choix de l’âge de départ à la retraite ; il a fait valoir que cette réforme, peu coûteuse pour le budget de l’État puisqu’elle ne concerne que 300 directeurs, permettrait d’accorder à ce corps une reconnaissance à laquelle il aspire.

              2. Un effort indispensable en faveur de la formation

          La formation initiale et continue

          Outil d’adaptation aux évolutions des missions du service public pénitentiaire et aux besoins des services, la formation, tant initiale que continue, fait l’objet d’efforts importants de la part du Gouvernement.

          L’élaboration du référentiel pour la gestion des emplois et la formation, achevée en 1998, constitue une étape importante dans la modernisation de la gestion des ressources humaines, qui doit permettre une anticipation des évolutions des métiers et une adaptation en conséquence des formations initiales et continues.

          La formation initiale statutaire est assurée par l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), dont les enseignements sont orientés vers le travail en équipe pluridisciplinaire et en partenariat avec les institutions concernées.

          La formation continue est déconcentrée au niveau des directions régionales des services pénitentiaires. Celles-ci sont en effet dotées d’un service régional de formation, auquel s’ajoutent 72 formateurs de personnels présents au sein des établissements pénitentiaires. L’ENAP intervient également en organisant des sessions de portée nationale destinées à un nombre restreint d’agents ou dont l’objet est spécifique.

          Les orientations générales de la formation continue pour les années 1998-2000 rejoignent les priorités de la politique pénitentiaire définies par le Gouvernement : formation spécifique des personnels de surveillance affectés dans les quartiers de mineurs et des personnels prenant en charge les auteurs d’infractions à caractère sexuel et les longues peines, adaptation des personnels à la réforme des services d’insertion et de probation et à la création des CPA ; de façon générale, la formation continue doit permettre d’accompagner les politiques de déconcentration et les politiques sectorielles telles que l’amélioration des relations sociales, la prévention des risques sanitaires, l’informatisation des services…

          Les actions de formation continue ont fortement progressé ces dernières années : ainsi, le nombre de stagiaires a augmenté de 210 % entre 1990 et 1996, alors que les effectifs des personnels de l’administration pénitentiaire augmentaient parallèlement de 20,19 % ; le taux de stagiaires par rapport à l’effectif réel est passé dans le même temps de 28 % à 71 %. On assiste cependant depuis quelques mois à une diminution du nombre d’agents formés, notamment chez les personnels de surveillance. Cette diminution est due en grande partie aux départs massifs à la retraite liés à la bonification du cinquième, qui entraînent des difficultés de service dans de nombreux établissements. Pour relancer la formation continue, il est envisagé de mettre en place des équipes régionales d’intérim pour la formation ; après une expérience réussie, deux nouvelles directions régionales des services pénitentiaires seront dotées d’une telle équipe d’ici fin 1999.

          Le syndicat CFDT-Fédération justice a regretté la faiblesse des sommes consacrées à la formation, soulignant que les recrutements prévus, en nécessitant un effort important en matière de formation initiale, auront inéluctablement des répercussions sur les actions de formation continue.

          La réforme de l’ENAP

          L’Ecole nationale d’administration pénitentiaire a formé en 1998 plus de 2500 personnes, en formation initiale statutaire comme en formation continue. Ce nombre est appelé à augmenter dans les prochaines années, tant en raison des créations d’emploi que de l’augmentation qualitative des formations initiales depuis 1993 (passage de quatre à huit mois de la formation des surveillants, formation de deux ans des élèves directeurs).

          Ces perspectives, auxquelles s’ajoute la délocalisation de l’ENAP à Agen en 2000 décidée dans le cadre du comité interministériel pour l’aménagement du territoire du 20 septembre 1994, ont conduit la direction de l’administration pénitentiaire à faire réaliser un audit pédagogique et organisationnel de l’école. Cet audit a permis de dégager un certain nombre d’objectifs : faire de l’école un lieu d’enseignement avec ses propres capacités de production, rendre les formations plus proches des pratiques professionnelles, en lien avec le référentiel emploi-formation de l’administration pénitentiaire, mettre en place des parcours individualisés de formation adaptés à un public d’adultes et de professionnels en cours de carrière.

          A partir de ces orientations, un nouvel organigramme a été défini, avec trois directions. La direction de la scolarité a en charge la gestion des flux des élèves et la personnalisation des parcours de formation ; elle veille en particulier au suivi pédagogique sur le terrain des élèves et des stagiaires. La direction des enseignements, composée de trois départements de formation initiale et d’un service de formation continue, est chargée de traduire dans la formation les orientations nationales et les réformes de l’institution sur la base du référentiel emploi-formation ; à cette fin, elle créée des programmes de formation initiale ou continue. La direction de la recherche et de la diffusion regroupe les activités de recherche, d’animation scientifique, de diffusion de documents pédagogiques et de suivi des politiques partenariales avec les universités et les autres écoles. Par ailleurs, afin d’assurer son autonomie, l’ENAP bénéficiera du statut d’établissement public administratif à compter du 1er janvier 2001.

          L’ENAP compte actuellement 154 agents, ce qui ne lui permet pas de remplir les nouvelles missions qui lui sont confiées. Les 15 créations de postes et les 46 transformations d’emplois prévues par le projet de budget pour 2000 devraient contribuer à adapter l’organigramme de l’école à son nouveau projet pédagogique.

          S’agissant du calendrier de délocalisation à Agen, qui nécessite un investissement total de 300 millions de francs, il est prévu un achèvement des travaux en juin 2000 pour une mise en service à la rentrée 2000. Une dotation de 25 millions de francs, dont 10,64 millions de francs de crédits non reconductibles, est inscrite dans le projet de loi de finances, pour le déménagement et le fonctionnement de l’ENAP à Agen : 14,36 millions de francs pour le fonctionnement de l’ENAP sur son nouveau site, le budget de fonctionnement ne pouvant être identique à celui alloué actuellement en raison du changement de dimension de l’école, 8,84 millions de francs au titre de l’accompagnement social (indemnité spéciale de décentralisation, allocation à la mobilité des conjoints), 1 million de francs au titre des frais de changement de résidence et 0,8 million de francs pour les opérations de déménagement de l’ENAP.

          Le syndicat FO des personnels de direction s’est félicité de la réforme de l’ENAP, qu’il juge essentiel pour améliorer la formation des agents de l’administration pénitentiaire, et a souligné l’importance des crédits qui y sont consacrés.

              3. Un meilleur contrôle de l’administration pénitentiaire

          L’élaboration d’un code de déontologie

          Lors du conseil supérieur de l’administration pénitentiaire du 19 mars 1998, la ministre de la justice a rappelé que l’administration pénitentiaire serait exclue du champ de compétence de la commission nationale de la déontologie de la sécurité. Cette autorité administrative indépendante, dont la création est toujours en instance devant le Parlement, devrait être chargée à terme de contrôler l’action de la police, de la gendarmerie et de toute personne assurant des activités de sécurité. Pour justifier cette exclusion, la Garde des sceaux a fait valoir que l’administration pénitentiaire était déjà soumise au contrôle de l’autorité judiciaire. Reconnaissant néanmoins que cette administration ne pouvait rester à l’écart de toute réflexion sur l’intégration d’impératifs d’ordre éthique dans les pratiques professionnelles, elle a annoncé l’élaboration d’un code de déontologie.

          Un groupe de travail composé de représentants de l’administration pénitentiaire et des organisations représentatives du personnel a réfléchi à l’élaboration d’un texte. Ce texte réunit en un document unique, facilement accessible aux personnels, l’ensemble des dispositions internes et internationales actuellement éparses (convention européenne des droits de l’homme, statut spécial des fonctionnaires des services pénitentiaires, code de procédure pénale…). Il n’a pas vocation à s’appliquer uniquement aux agents soumis à l’autorité hiérarchique du garde des sceaux, mais aussi à l’ensemble des intervenants extérieurs qui participent aux missions de l’administration pénitentiaire telles qu’elles sont définies par la loi du 22 juin 1997 (enseignants, concessionnaires, visiteurs de prisons…), à l’exception des personnels médicaux. Ce texte souligne notamment la nécessité pour l’administration pénitentiaire de s’impliquer davantage sur ce sujet en donnant à ses personnels les moyens d’exercer leurs missions dans des conditions satisfaisantes.

          Le projet de décret a été présenté au conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, qui en a approuvé le principe lors de sa dernière réunion du 8 juillet 1999. Il sera ensuite soumis pour avis aux instances paritaires et à la commission nationale consultative des droits de l’homme, avant d’être transmis au Conseil d’Etat.

          Le contrôle externe de l’administration pénitentiaire

          La question du contrôle externe de l’administration pénitentiaire a rebondi à la suite d’une lettre ouverte d’une dizaine d’associations (observatoire international des prisons, syndicat de la magistrature, syndicats des avocats de France..) demandant que cette administration soit soumise au contrôle de la commission nationale de la déontologie de la sécurité. Cette intervention, largement relayée par les médias, faisait suite à un rapport de l’inspection des services pénitentiaires dénonçant les sévices subis par les détenus à la maison d’arrêt de Beauvais, dans l’Oise, entre 1995 et 1998.

          Tout en renouvelant son refus de soumettre l’administration pénitentiaire au contrôle de cette commission, la Garde des sceaux, soucieuse favoriser la transparence de cette administration, a décidé de mettre en place un groupe de travail sur le contrôle externe des prisons, dont la présidence a été confiée à M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation. Composé de quinze personnes, parmi lesquelles votre rapporteur pour avis, ce groupe de travail devrait rendre ses conclusions d’ici la fin du mois de janvier prochain.

          Se démarquant des certaines organisations syndicales, la CFDT-Fédération justice, l’USP et FO personnels de direction se sont prononcées en faveur d’un contrôle de l’administration pénitentiaire par une autorité indépendante.

          Signalons enfin que les députés, dans le cadre du projet de loi relatif à l’action publique en matière pénale actuellement en discussion, ont adopté une disposition permettant aux parlementaires de visiter à tout moment les établissements pénitentiaires de leur département, sans avoir à obtenir au préalable une autorisation de la Chancellerie.

            C. DES MOYENS NOUVEAUX POUR LA MODERNISATION DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

              1. Un programme important de construction et de rénovation

          Le parc de l’administration pénitentiaire comprend 187 établissements, dont 119 maisons d’arrêt, 55 établissements pour peines, 12 centres de semi-liberté et un hôpital national pénitentiaire (EPSNF). Un important effort de modernisation a été effectué ces dernières années puisque 30 établissements vétustes ou inadaptés ont été fermés et 41 nouveaux établissements construits depuis la fin des années quatre-vingts. Mais cet effort demeure insuffisant et la plupart des établissements pénitentiaires restent vétustes, dégradés et fonctionnellement inadaptés, la maison d’arrêt de Lyon-Perrache en étant l’un des exemples le plus évident.

          Plusieurs éléments sont à l’origine de cette situation : l’absence de tout programme de maintien à niveau des immeubles pendant la période 1940-1964, la surpopulation des maisons d’arrêt depuis dix ans et la faiblesse des crédits consacrés à l’entretien régulier des bâtiments. Cette insuffisance des crédits d’entretien, dénoncée dans un rapport de la Cour des comptes de 1991 sur la gestion du patrimoine immobilier, est estimée à 140 millions de francs par an, soit 2 milliards pour les quinze dernières années.

          Le programme de rénovation du parc classique

          Un programme de rénovation a donc été engagé en 1998. Il porte sur l’ensemble du parc classique, mais un effort particulier a été entrepris pour les cinq établissements vétustes et particulièrement encombrés que sont les prisons de Fresnes, Fleury, La Santé, Les Baumettes et Loos. Ces cinq établissements regroupent 18,6 % de la population pénale avec, au 1er janvier 1999, un taux d’occupation de 100,4 %. Les dégradations observées concernent les structures (chutes d’éléments en béton, façades..), les installations et le matériel (notamment électrique), les dispositifs préventifs inexistants ou hors normes (protection contre l’incendie), les cuisines. D’après les premières études, le coût d’ensemble du programme de rénovation pour ces cinq établissements, initialement estimé à 900 millions de francs, serait largement dépassé et pourrait atteindre près de 2 milliards de francs.

          Le projet de loi de finances prévoit une enveloppe de 50 millions de francs pour la rénovation de ces cinq établissements. D’ores et déjà, des travaux d’urgence ont été programmés, avec la création d’un monte-charge à La Santé pour la distribution des repas, la réfection des douze monte-charges et la protection des personnes au pied des façades à Fleury-Mérogis. D’autres opérations sont envisagées comme la réfection du réseau des eaux usées à Fleury-Mérogis ou la réfection de la toiture à Loos.

          70 millions sont par ailleurs inscrits au projet de loi de finances pour la réhabilitation de l’ensemble du parc pénitentiaire classique, hors ces cinq établissements, afin notamment d’équiper les établissements en câblage GIDE (le coût total du programme, qui s’étale sur quatre ans, est de 300 millions de francs) et d’engager les premiers travaux des UVF. Par ailleurs, 200 millions de francs sont demandés pour financés des travaux de rénovation déconcentrés.

          Signalons enfin que 12,9 millions de francs sont également prévus pour financer la première tranche d’un programme de mise aux normes des installations électriques, programme qui devrait s’étaler sur cinq ans pour un montant total de 150 millions de francs.

          Le programme de construction de places nouvelles

          Un programme de construction de six nouveaux établissements a été lancé en 1997. Les trois premiers établissements seront implantés à Lille, Toulouse, et Le Pontet et devraient entrer en service en 2002. La deuxième tranche de ce programme permettra la construction de trois autres établissements près de Liancourt (Oise), Meaux et Toulon, avec une mise en service prévue en 2003.

        PROGRAMME DE CONSTRUCTION « 4000 »

        Programme

         

        Sites (terrains pressentis)

        Catégorie
        de places

        Capacité

        1ère tranche

        1

        Agglomération de Lille (Sedequin)

        Maison d’arrêt

        645

        1ère tranche

        2

        Agglomération d’Avignon (Le Pontet)

        Centre pénitentiaire

        610

        1ère tranche

        3

        Agglomération de Toulouse (Seysses)

        Maison d’arrêt

        605

        2ème tranche

        4

        Agglomération de Meaux (Chauconin-Neufmontiers)

        Maison d’arrêt

        600

        2ème tranche

        5

        Agglomération de Toulon (La Farlède)

        Maison d’arrêt

        600

        2ème tranche

        6

        Agglomération de Liancourt (Oise)

        Centre pénitentiaire

        600

          Le programme technique et fonctionnel de ces nouveaux établissements reprend pour une large part les recommandations du rapport Parriaud, qui préconise notamment le recours aux équipements qui ont fait leurs preuves dans les établissements du programme « 13 000 ». Il intègre en outre les demandes de la Chancellerie en matière d’hygiène et d’hébergement et de maintien des liens familiaux. Ainsi, les cellules, individuelles ou doubles, seront équipées d’une douche, et des cellules « mère-enfant » et des cellules pour personnes handicapées, avec sanitaires et mobiliers adaptés, seront installées. Chaque établissement disposera d’un centre scolaire, d’une bibliothèque centrale, d’un lieu de culte œcuménique, d’un gymnase polyvalent, d’un terrain de football et d’un plateau omnisports. Les établissements recevant des condamnés seront dotés de locaux pouvant être utilisés comme unités de visites familiales. L’amélioration des conditions de travail des personnels a également été prise en compte avec l’installation de vestiaires pour femmes et de chambres individuelles pour les services de nuit.

          Le projet de budget consacre 150 millions de francs à ces nouvelles constructions. Par ailleurs, 20 millions seront destinés à financer la construction de centre pour peines aménagées et 30 millions pour la création et la rénovation des quartiers pour mineurs.

          Le Gouvernement a également décidé de lancer un nouveau programme de construction de trois ou quatre établissements. Le coût total de ce programme est estimé à un milliard de franc s’il est limité à trois établissements, et à 1,3 à 1,4 milliard s’il en comprend quatre. Le projet de loi de finances prévoit une dotation de 70 millions de francs qui, outre l’achèvement de la construction de l’ENAP à Agen, devrait permettre d’engager les recherches foncières et de procéder aux premières études préliminaires (études d’impact et études des sols) pour l’implantation de ces futurs établissements.

              2. Le délabrement des établissements pénitentiaires de La Réunion

          Lors d’une mission à La Réunion en septembre dernier, une délégation de la commission des Lois a été amenée à visiter la maison d’arrêt de Saint-Denis de La Réunion. Elle en est ressortie scandalisée par les conditions de détention, jugées « humainement inacceptables », et par l’inconséquence des mesures de sécurité. Cette analyse est partagée par les organisations syndicales, notamment par le syndicat FO des personnels de surveillance, qui dénoncent depuis plusieurs année le surpeuplement et la vétusté des établissements pénitentiaires de La Réunion.

          Les trois établissements pénitentiaires de l’île connaissent en effet une surpopulation bien supérieure aux taux observés en métropole. La population pénale y est en constante augmentation, puisqu’elle est passée de 1 030 détenus au 1er juillet 1998 à 1 128 détenus au 1er juillet 1999, soit une augmentation de 9,4 % en un an. Pendant la même période, la population pénale totale a augmenté de 0,8 %.

          Le taux moyen d’occupation est de 189 %, réparti de la manière suivante : 161,8 % pour le centre pénitentiaire du Port, qui comprend un quartier maison d’arrêt, un quartier maison centrale et un centre de détention, 220 % pour la maison d’arrêt de Saint-Pierre et enfin 229 % pour la maison d’arrêt de Saint-Denis. Le taux moyen pour les maisons d’arrêt (métropole et outre-mer) est, lui, de 115 %.

          La situation de la maison d’arrêt de Saint-Denis, de loin la plus surpeuplée, est aggravée par la vétusté des locaux : installée dans un ancien comptoir édifié au début du siècle dernier, elle a été mise en service en 1876. Composé d’un ensemble de bâtiments qui n’ont pas été conçus pour une prison, complètement enclavé dans un tissu urbain très dense, l’établissement ne dispose pas des structures nécessaires pour assurer la sécurité minimale (absence de double enceinte et de chemin de ronde).

          Le Gouvernement a cherché à parer au plus pressé en consacrant 13 millions de francs en 1997 à la rénovation du centre de détention du Port afin de désencombrer la maison d’arrêt de Saint-Denis. Il a par ailleurs créé dans ce dernier établissement un quartier pour mineurs et choisi de procéder à des aménagements de sécurité. Il est également envisagé de construire deux nouveaux établissements dans le centre de détention du Port et de réhabiliter un quartier de la maison d’arrêt de Saint-Pierre, ce qui permettrait de créer quatre vingt quinze places et de limiter ainsi la surpopulation à Saint-Denis.

          Il n’en demeure pas moins que la construction d’un nouvel établissement est indispensable, comme le reconnaît d’ailleurs elle-même la Garde des sceaux. Les premières recherches foncières n’ont pas abouti, le terrain pressenti étant inondable. La ministre a demandé au préfet d’engager de nouvelles démarches afin de pouvoir constituer des réserves foncières dès l’année prochaine. Il semble désormais que l’ouverture d’un nouvel établissement à Saint-Denis soit la première priorité du nouveau programme de construction.

          Tout en se félicitant de la prochaine fermeture d’un établissement qui constitue « une honte pour la République », pour reprendre les termes de la délégation de la commission des Lois, votre rapporteur pour avis souhaite que le futur établissement ait une capacité d’accueil suffisante pour absorber une éventuelle augmentation de la population carcérale.

II. —  LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

          Le conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998, dont les orientations, traduites dans la circulaire du 15 juillet 1998, ont été confirmées par le conseil du 27 janvier 1999, a défini la politique gouvernementale en matière de lutte contre la délinquance des mineurs. L’amélioration de la prise en charge éducative des mineurs en danger et des mineurs délinquants a fait, elle, l’objet d’une circulaire spécifique en date du 24 février dernier. L’objectif poursuivi est de s’adapter aux nouvelles réalités que constituent l’accroissement constant de la délinquance juvénile et le rajeunissement des mineurs concernés en proposant des réponses pédagogiques diversifiées. Rappelons en effet que le nombre de mineurs mis en cause dans une affaire pénale est passée d’une fourchette oscillant entre 90 000 et 100 000 au début des années 1990 à 171 787 en 1998 ; les mineurs représentent désormais près de 22 % des personnes mises en cause.

          Cette redéfinition de la politique menée à l’égard des mineurs délinquants et des mineurs en danger s’accompagne d’un effort budgétaire important : en l’an 2000, les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse progresseront de 14,7 % pour atteindre 3,179 milliards de francs, alors que cette progression n’était « que » de 6,42 % en 1999 et de 4,14 % en 1998.

          Cette progression sensible des crédits budgétaires permettra une augmentation significative des moyens en personnels, une meilleure prise en compte des situations d’urgence et une diversification des réponses judiciaires.

            A. UNE AUGMENTATION SIGNIFICATIVE DES MOYENS EN PERSONNELS

              1. Des créations d’emploi sans précédent

          Les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse

          Pendant de nombreuses années, les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse ont augmenté de manière beaucoup moins rapide que le nombre de mineurs pris en charge. Le Gouvernement a décidé d’inverser cette tendance et a annoncé, lors du conseil de sécurité intérieure du 27 janvier dernier, la création de 1000 emplois supplémentaires d’ici 2001.

          Le projet de loi de finances pour 2000 prévoit, quant à lui, la création de 380 emplois (contre 150 en 1999), dont 258 éducateurs, pour un montant total de 68,4 millions de francs. En l’an 2000, la PJJ disposera de 3 325 éducateurs et élèves éducateurs.

          Pour répondre aux besoins de la filière éducative, le Gouvernement a organisé dès cette année un concours exceptionnel de 200 postes d’éducateurs ; ces agents, qui disposent déjà d’une expérience professionnelle d’au moins trois ans, seront opérationnels au premier trimestre 2000 après une formation de six mois. D’autres concours exceptionnels seront organisés en 2000 et 2001.

          L’affectation de ces nouveaux emplois sera réalisée en fonction de critères objectifs permettant de définir des régions prioritaires : taux de chômage, indice de précarité, délinquance juvénile. Le Nord, Rhône-Alpes, l’Alsace et les départements d’outre-mer apparaissent d’ores et déjà comme des régions prioritaires.

          L’ensemble des organisations syndicales rencontrées par votre rapporteur pour avis a regretté que les créations d’emploi ne concernent presque uniquement que les éducateurs, rappelant l’importance des autres catégories de personnels pour la bonne marche des structures éducatives. Le syndicat national des personnels de l’éducation surveillée-protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-PJJ) a exprimé des craintes sur les conditions d’intégration des nouveaux éducateurs, faisant valoir que ces derniers verraient leur formation limitée à six mois, ce qui paraît trop court même si les nouveaux venus ont déjà une expérience professionnelle d’au moins trois ans : cette quasi-absence de formation lui a paru d’autant plus dangereuse que ces nouveaux éducateurs représenteront à terme un tiers de l’effectif total. Le syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse-fédération de l’éducation nationale-fédération autonome justice-union nationale des syndicats autonomes (SPJJ-FEN-FAJ-UNSA) a également regretté la faiblesse des crédits de formation.

          Les emplois-jeunes

          L’article 29 de la loi du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale a autorisé le Gouvernement à recruter, en qualité de contractuels de droit public et pour une durée maximale de cinq ans, des agents de justice auprès des magistrats et fonctionnaires du ministère de la justice. Ces jeunes se verront confiés des mission d’animation culturelle, sportives, d’orientation ou d’enseignement auprès des mineurs suivis par les services de la protection judiciaire de la jeunesse.

          Sur les 2000 emplois-jeunes affectés au ministère de la justice, la protection judiciaire de la jeunesse devrait pouvoir en recruter 600, dont un peu moins de la moitié cet automne, pour un montant total de 14,16 millions de francs. Les candidats retenus par les comités de sélection bénéficieront d’une formation organisée par les centres de formation du ministère de la justice. Cette formation sera notamment destinée à faciliter un accès ultérieur aux emplois publics.

          Le SPJJ-FEN-FAJ-UNSA a exprimé des doutes sur le contenu de la formation dont bénéficieront les agents de justice, en particulier sur la capacité de celle-ci à faciliter leur accès à un emploi stable. Le SNPES-PJJ a craint que ces agents de justice ne se cantonnent pas à un rôle d’assistance, mais occupent des emplois existants.

          Signalons enfin que le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier dernier a prévu le recrutement de 50 postes de juges des enfants, de 25 substituts des mineurs et de 80 greffiers.

              2. Des revalorisations statutaires et indemnitaires attendues

          Les mesures statutaires

          Une deuxième provision de 800 000 F, qui fait suite à celle de 500 000 F obtenue en 1999, est inscrite dans le budget en vue de la création d’un statut d’emploi de chef de service éducatif. L’objectif recherché est de renforcer l’encadrement et l’animation des services éducatifs de faibles effectifs qui ne seront donc pas pourvus d’un directeur, des services multifonctions (centres d’action éducative) n’ayant qu’un seul directeur ou encore des services ayant des annexes éloignées géographiquement de plusieurs dizaines de kilomètres du centre d’action éducative de rattachement.

          Cette réforme permettra d’accorder un statut à un certain nombre de chefs de service éducatif qui assurent déjà cette mission.

          Le SNPES-PJJ et le SPJJ-FEN-FAJ-UNSA ont regretté que la réforme statutaire du corps des éducateurs, avec leur passage en catégorie A, ait été une fois de plus oubliée. Le SPJJ-FEN-FAJ-UNSA s’est en revanche félicité de la modification statutaire des chefs de services éducatifs, soulignant que ceux-ci avaient un vrai rôle d’animation à jouer.

          Les mesures indemnitaires

          Le projet de budget pour 2000 prévoit également une mesure générale de revalorisation du régime indemnitaire des agents des services de la protection judiciaire de la jeunesse pour un montant global de 6,2 millions de francs. Cette revalorisation est destinée à rapprocher le niveau du régime indemnitaire de ces personnels de celui dont bénéficient les personnels des autres directions du ministère exerçant des fonctions comparables ou de catégorie équivalente. La ventilation de cette mesure devrait faire l’objet d’une concertation avec les organisations syndicales.

          Les taux de l’indemnité de surveillance de nuit et de l’indemnité horaire pour travaux du dimanche et des jours fériés sont revalorisées pour un montant respectif de 51 494 F et de 48 233 F. Le rapporteur pour avis note avec satisfaction que la revalorisation de la prime de surveillance de nuit permet d’aligner celle-ci sur celle des agents de l’administration pénitentiaire.

          Une dotation de 801 360 F est prévue pour la création d’une prime de surveillance pour les nuits encadrant les dimanches et les jours fériés. Rappelons que cette prime est également prévue pour les personnels de l’administration pénitentiaire.

          Enfin, une provision de 1,795 million de francs est consacrée à la refonte du régime indemnitaire des directeurs de la protection judiciaire de la jeunesse, dont la spécificité des missions a été reconnue. Cette provision constitue la première tranche d’une revalorisation qui devrait se poursuivre ultérieurement.

          Le SPJJ-FEN-FAJ-UNSA a jugé insuffisantes les différentes mesures de revalorisation indemnitaire, rappelant l’importance du différentiel qui existe avec les autres administrations du ministère de la justice. Il a, par ailleurs, exprimé le souhait que la réforme indemnitaire des directeurs de service aboutisse rapidement.

              3. Un effort important en faveur du recrutement et de la formation des délégués du procureur

          Les missions des délégués du procureur

          Les délégués du procureur ont pour mission de mettre en œuvre, sous le contrôle du parquet, les différentes mesures désignées sous le terme générique « d’alternatives aux poursuites », c’est à dire principalement le rappel à la loi et la médiation-réparation.

          Leur rôle est amené à se développer, puisque la circulaire du 15 juillet 1998 sur le traitement de la délinquance juvénile a expressément recommandé le recours à de telles mesures, qui permettent de limiter le nombre de classement sans suite « simples ». Par ailleurs, depuis la loi du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale, ces mesures ont une base légale puisqu’elles figurent à l’article 41-1 du code de procédure pénale ; ce même article consacre l’existence des délégués du procureur en précisant que ces mesures peuvent être mis en œuvre par le procureur de la République « directement ou par délégation ». Notons toutefois que la principale mesure mise en place par cette loi, la composition pénale, n’est applicable qu’aux délinquants majeurs.

          Les effectifs

          Il est donc important que les effectifs des délégués du procureur soient adaptés à ces nouvelles orientations. Alors qu’ils n’étaient que 117 il y a un an, ils sont aujourd’hui près de 300, dont environ une centaine qui se consacrent exclusivement aux mineurs ; 120 délégués supplémentaires sont en cours de recrutement. Le projet de loi de finances prévoit quant à lui 10 millions de francs supplémentaires sur les frais de justice pour financer ces recrutements, contre 6 millions de francs l’année précédente.

          Les affaires traitées par les délégués du procureur concernent principalement les violences dans les collèges et les dégradation d’équipements publics ; dans 80 % des cas, les auteurs d’infractions sont des garçons. Les entretiens, qui réunissent le mineur, ses parents et la victime pendant environ une heure, se déroulent dans l’enceinte de la juridiction ou dans les maisons de justice et du droit ; un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse peut y assister. Les résultats de ces missions sont communiqués au procureur concerné, qui apprécie seul la suite à donner à la procédure (classement sans suite ou poursuite du mineur).

          La formation

          L’expérience professionnelle des délégués du procureur varie selon les juridictions : s’il y a de nombreux retraités de la magistrature, on compte également beaucoup d’anciens policiers et des enseignants à la retraite ; quelques parquets ont recruté des personnes en activité (juriste, infirmière, chef d’entreprise..).

          Or, malgré leurs profils très variés et la difficulté de leur tâche, les délégués du procureur ne reçoivent pas de véritable formation. Celle-ci est en effet actuellement laissée à l’initiative des parquets, ce qui donne lieu à des pratiques très diverses : stage dans des parquets ayant une expérience approfondie en la matière, formation dispensée par les associations INAVEM… Cette situation a d’ailleurs été sévèrement critiquée par notre collègue Louis Mermaz lors de l’examen du projet de loi renforçant l’efficacité de la procédure pénale.

          Il semble cependant que cette critique ait été entendue, puisque la formation des délégués du procureur va être confiée à l’École nationale de la magistrature, qui associera le centre national de formation et d’études de la protection judiciaire de la jeunesse à l’élaboration des modules.

            B. UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES SITUATIONS D’URGENCE

              1. La coordination de l’accueil d’urgence

          Comme le souligne le bilan d’étape du 5 juillet 1999 sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, les situations d’urgence concernant les mineurs sont très diverses.

          Au civil, ce sont les enfants victimes de mauvais traitements ou dont les parents viennent d’être incarcérés, qui nécessitent une prise en charge immédiate, les enfants déférés par la police ou envoyés par les services sociaux, les mineurs en fugue ou encore les mineurs suivis en milieu ouvert en situation de crise.

          Au pénal, ce sont les mineurs au tribunal, les mineurs placés en alternative à l’incarcération, les mineurs sortant de prison ainsi que les mineurs sortant d’établissements spécialisés et ayant commis des délits.

          L’organisation de l’accueil d’urgence est variable selon les départements. Certains d’entre eux disposent d’un ou plusieurs foyers spécialisés ; la majorité a mis en place un système de places réservées, soit tournantes, chaque structure assurant à tour de rôle une permanence, soit permanentes, avec un nombre de places qui dépend de la taille de la structure et des besoins du département.

          Conformément aux décisions du Conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a demandé à ses services territoriaux de mettre en place une cellule de coordination de l’accueil d’urgence associant les juridictions, le secteur public et le secteur associatif habilité ainsi que les services de l’aide sociale à l’enfance. Cette demande ne concerne dans un premier temps que les vingt-six départements considérés comme prioritaires. L’objectif est d’assurer une permanence d’accueil pour tous les mineurs déférés au tribunal et d’obtenir une mise à jour hebdomadaire des capacités disponibles.

          Au 1er juillet 1999, neuf départements disposaient d’une telle cellule, celle-ci étant en cours de création dans six autres départements.

          Votre rapporteur pour avis se félicite vivement de cette initiative : il lui semble en effet indispensable d’éviter toute rupture dans le traitement de la délinquance des mineurs, notamment dans les heures suivant la décision du parquet.

              2. La difficile mise en place des centres de placement immédiat

          Dans le droit fil de ces nouvelles orientations, le Gouvernement a décidé en janvier dernier la création de centres de placement immédiat destinés à assurer « l’immédiateté et la continuité de la prise en charge des mineurs et notamment des plus difficiles d’entre eux, au besoin dans le cadre d’une rupture avec leur environnement » ainsi qu’un contrôle strict de ces mineurs.

          L’organisation et le fonctionnement de ces centres

          Le cahier des charges présentant l’organisation de ces centres a été soumis aux professionnels le 11 mars dernier.

          Les centres de placement immédiat sont destinés à accueillir des mineurs âgés de treize à dix-huit ans. L’accueil des mineurs de dix à treize ans est possible, mais à titre exceptionnel, un accueil individualisé étant préférable pour cette classe d’âge.

          Ces centres ont une vocation interdépartementale, leur champ d’intervention pouvant être régional ou même interrégional. Leur capacité d’accueil varie entre 10 et 12 places. Des centres de 6 à 8 places pourront néanmoins être créés dans certains cas spécifiques.

          Le cahier des charges énumère un certain nombre d’exigences que doivent respecter les projets de service des centres : immédiateté de la prise en charge, élaboration d’une évaluation de la situation du mineur et d’une proposition d’orientation, contrôle strict de la présence du mineur et de ses activités par un encadrement permanent de professionnels, continuité des actions éducatives en groupe ou individualisées à l’intérieur ou à l’extérieur de la structure. Les centres doivent mettre en place des activités individuelles ou collectives (soutien scolaire, activités sportives ou socioculturelles) qui permettent de remobiliser les mineurs tout en permettant d’évaluer leurs besoins. L’encadrement des mineurs doit être permanent, de jour comme de nuit. En cas de manquement au règlement interne du centre, le mineur doit être sanctionné.

          L’évaluation de la situation du mineur doit s’appuyer sur un bilan de santé, un bilan psychologique et un bilan scolaire ou professionnel. Les parents des mineurs sont invités à prendre contact avec les directeurs des centres, la connaissance du contexte familial étant indispensable pour une analyse complète de la situation des mineurs.

          L’orientation du mineur vers une autre structure d’hébergement doit avoir lieu dans un délai de un à trois mois, sauf si la situation particulière du mineur justifie un complément d’évaluation. La cellule de coordination de l’accueil d’urgence doit s’assurer de l’existence de places d’accueil suffisante pour permettre l’orientation effective des mineurs issus des centres de placement immédiat.

          Une mise en place difficile

          Lors du Conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999, le Gouvernement a annoncé la création de 50 centres de placement immédiat d’ici 2001, dont 15 avant la fin de l’année. L’ouverture de ces 15 centres, qui se situeront principalement en région parisienne, dans le Nord et dans la région Rhône-Alpes, doit se faire par la transformation de structures existantes, les créations étant limitées à trois, dont une à Toulon.

          Or, ces structures, très contrôlées, nécessitent un encadrement important : selon le cahier des charges, un centre accueillant 10 à 12 mineurs doit bénéficier de l’assistance de 17 personnes : 1 directeur, 1 chef de service éducatif, 1 psychologue, 9 éducateurs, 2 agents techniques d’éducation, 2 ouvriers professionnels et 1 secrétaire. Les 200 éducateurs recrutés lors du concours exceptionnel de cette année ne seront opérationnels qu’au premier trimestre 2000. L’ouverture des premiers centres nécessitent donc un redéploiement d’effectifs qui n’est pas toujours bien vécu par les personnels.

          Tout en reconnaissant les difficultés actuelles, la Garde des Sceaux, lors de la présentation du bilan d’étape sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, a affirmé qu’elles étaient transitoires. Le projet de budget pour 2000 semble lui donner raison puisqu’une dotation de 21 millions de francs est prévue pour l’ouverture des vingt prochains centres de placement immédiat, dont la localisation devrait être arrêtée avant la fin de l’année.

          Malgré cet effort budgétaire, l’ensemble des organisations syndicales rencontrées par votre rapporteur pour avis, à l’exception du SPJJ-FEN-FAJ-UNSA, se sont montrés sceptiques, si ce n’est réticents, sur ces nouvelles structures annoncées dans la précipitation et sans concertation préalable. Le syndicat national force ouvrière de la protection judiciaire de la jeunesse (SN-FO-PJJ), en particulier, a exprimé des inquiétudes sur les modalités de mise en œuvre, estimant qu’il était impossible de faire fonctionner ces centres sans faire appel à des services extérieurs de formation professionnelle et d’insertion. Tous ont souhaité être étroitement associés à la phase de lancement opérationnel de ces centres.

          L’adhésion de l’ensemble des personnels concernés est en effet indispensable pour faire fonctionner dans de bonnes conditions des structures, dont l’intérêt semble par ailleurs certain : en éloignant les mineurs délinquants de leur environnement et de leur mode de vie tout en leur proposant une évaluation approfondie débouchant sur des solutions éducatives à long terme, les centres de placement immédiat concilient répression et insertion, rejoignant ainsi les préoccupations formulées par votre rapporteur pour avis lors de son précédent avis budgétaire.

            C. UNE DIVERSIFICATION DES RÉPONSES JUDICIAIRES

          La circulaire de politique pénale du 15 juillet 1998 a défini les grands axes de la politique gouvernementale en matière de lutte contre la délinquance juvénile : il s’agit d’apporter une réponse judiciaire dès les premiers faits de délinquance commis par les mineurs, de développer les mesures de réparation, de répondre rapidement à tous les infractions commises et d’assurer une continuité des interventions auprès des mineurs, d’adapter les conditions d’incarcération des mineurs et d’associer davantage les familles. Tout en approuvant largement l’ensemble de ces orientations, il a semblé intéressant à votre rapporteur pour avis de s’intéresser cette année plus particulièrement aux mesures de réparation, aux centres éducatifs renforcées et au suivi des mineurs incarcérés.

              1. Le développement des mesures de réparation

          Aux termes de la circulaire du 13 mars 1993, les mesures de réparation ont pour objectif de favoriser un processus de responsabilisation du mineur vis à vis de l’acte commis, en lui faisant prendre conscience des conséquences de la violation de la loi pénale pour lui-même, pour la victime et pour la société toute entière.

          La mesure de réparation peut être proposée soit par le parquet lors de la présentation du mineur, soit au cours de l’instruction. Elle peut aussi être prononcée par les juridictions pour mineur. La réparation peut être directe (excuses à la victime, remise en état de l’objet détérioré) et suppose alors l’accord de la victime ; elle peut aussi être indirecte (entretien d’espaces verts, cours de sécurité routière…), nécessitant la mise en place préalable d’un réseau de partenaires capables de proposer des activités pédagogiques en adéquation avec les capacités des mineurs concernés. L’exécution de la mesure doit faire l’objet d’un compte-rendu au magistrat qui en est à l’origine.

          Le nombre de mesures de réparation prononcées est en augmentation constante : de 3 740 en 1994, elles sont passées à plus de 7 500.

        MESURES DE RÉPARATION

        Années

        Ensemble

        Secteur public

        Secteur associatif

        1994

        3 740

        3 740

        //

        1995

        4 653

        n.d.

        n.d.

        1996

        5 029

        4 251

        778

        1997

        6 144

        5 051

        1 093

        1998 (*)

        7 590

        6 080

        1 510

        (*) Estimation

        // Le secteur associatif habilité Justice est habilité à prendre en charge des mesures de réparation depuis le 01.01.1995.

        Source : Bilan d’étape sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs.

          Les projections effectuées à partir des huit premiers mois de cette année permettent d’évaluer à environ 10 000 le nombre de mesures pour 1999. Pour 2000, le renforcement des effectifs de personnels éducatifs permet d’espérer 1 500 à 2 000 mesures supplémentaires.

          Il reste à espérer que ces mesures de réparation seront effectivement appliquées. Rappelons en effet que le nombre de mesures en attente d’exécution s’élevait en 1998 à 5 404, un chiffre en augmentation constante depuis plusieurs années.

              2. La montée en puissance des centres éducatifs renforcés

              Un projet basé sur l’encadrement des mineurs et la rupture avec leur environnement habituel

          Les centres éducatifs renforcés ont pour mission d’assurer le suivi des mineurs multirécidivistes dans le cadre de programmes d’activités intensives avec un encadrement éducatif permanent. L’objectif est de créer une rupture avec leur mode de vie habituel qui leur permette de transformer leur vision de la vie en société.

          Comme l’indique le cahier des charges pour la création de ces centres, « il ne s’agit pas d’installer les mineurs dans un projet long à partir d’un hébergement en institution, mais bien de créer pour eux les conditions d’une coupure avec leur milieu et avec leur parcours propre, que celui-ci se joue dans la délinquance réitérative ou bien dans la marginalisation et l’exclusion. Ce temps court doit être aussi un temps d’évaluation des mineurs, de leur situation et des potentialités existantes en termes de solutions éducatives durables ».

          Initialement baptisés unités à encadrement éducatif renforcés, l’appellation de ces centres et certaines de leurs modalités de fonctionnement ont été modifiées à la suite des évaluations réalisées par le cabinet d’ingénierie sociale CIRESE et par les inspections générales de l’administration, des affaires sanitaires et sociales et des services judiciaires. Ces évaluations ont fait notamment ressortir la fragilité des équipes éducatives due à un trop grand isolement et à une formation insuffisante. Elles ont néanmoins conclu au bien-fondé de ces structures, soulignant le caractère globalement positif des résultats obtenus.

          Un bilan positif malgré un coût élevé

          De fin 1996 à fin 1998, les centres ont accueilli 411 jeunes, dont 99 % de garçons ; la moyenne d’âge se situait autour de 16 ans et 3 mois. 28 % des mineurs étaient incarcérés avant leur placement dans la structure. A l’issue du séjour, 21 % des mineurs sont retournés dans leur famille sans mesure éducative ou sont devenus majeurs, 33 % sont retournés dans leur famille avec un suivi éducatif, 34 % ont été placés en foyer et 12 % ont été incarcérés à la suite d’une nouvelle infraction.

          Il existe actuellement seize centre éducatifs renforcés, gérés par le secteur public ou le secteur associatif habilité, qui prennent en charge des groupes de cinq à sept jeunes ; les sessions durent de trois à six mois, avec des phases d’interruption entre deux sessions, afin de permettre aux personnels de bénéficier d’un temps de récupération tout en préparant la session suivante. Les équipes sont constituées d’éducateurs et d’un chef de service éducatif, le principe étant d’avoir autant de personnels d’encadrement que de jeunes ; un psychologue participe par ailleurs à cette équipe.

          Ainsi, le centre éducatif renforcé de Malakoff accueille depuis le 22 novembre 1996 des mineurs délinquants en quatre sessions de dix semaines. Sa caractéristique est de fonctionner sur le modèle des lieux de vie, c’est à dire en recréant des conditions proches de la vie familiale. Un éducateur habite sur place et les jeunes sont pris en charge dans la journée sur d’autres lieux éducatifs ; ils y suivent des séances de remise à niveau scolaire et d’insertion professionnelle. Des séjours de « dégagement » à la mer ou à la montagne sont régulièrement organisés. Au centre éducatif renforcé de Saint-Léger-du-Bourg-Denis (Rouen), la matinée est consacrée au travail réalisé avec le soutien de partenaires associatifs (débroussaillage de sentiers de randonnée, restauration de sites anciens, entretiens d’espaces verts pour la municipalité), tandis que l’après-midi est réservée aux activités de loisirs ou aux activités culturelles. Chaque centre a son propre projet éducatif, en liaison avec les autres services éducatifs ou dispositifs d’activités de jour. La maintien des liens avec les autres structures éducatives est en effet essentiel pour assurer la continuité du suivi au delà du séjour en centre éducatif renforcé.

          Le coût annuel de fonctionnement d’un centre éducatif renforcé du secteur public s’élève à 2,13 millions de francs répartis de la manière suivante : 1,347 million de francs pour la rémunération des personnels (un directeur, un chef de service éducatif et cinq éducateurs), 0,786 million de francs de frais de fonctionnement dont 250 000 francs de frais de première installation, 400 000 francs de fonctionnement courant et 136 000 francs de vacations médico-psychologiques. Dans le secteur habilité, ce coût est de 2,8 millions de francs, charges patronales comprises.

          Devant les résultats positifs obtenus par ces structures restreintes fortement encadrée dans la prévention de la récidive, le Gouvernement, lors du conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999, a décidé la création de 100 centres éducatifs renforcés d’ici la fin de l’année 2000.

          S’ajoutant aux seize centres déjà en activité, six nouvelles ouvertures sont d’ores et déjà programmées pour l’automne 1999 à Dunkerque (Pas-de-Calais), Saint-Gaudens (Haute-Garonne), Saint-Girons (Ariège), Saint-Behervin (Mayenne), Angers (Maine-et-Loire) et Toulon (Var).

          Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000, une nouvelle mesure de 63 millions de francs est inscrite au chapitre 37-33 afin de créer 45 centres éducatifs renforcés dans le secteur associatif habilité. Pour le secteur public, une partie de la dotation de 67,85 millions de francs inscrite au chapitre 34-34 sera consacrée à l’ouverture de centres.

          Les centres éducatifs renforcés ne font pas l’unanimité, loin s’en faut, chez les organisations syndicales. Le SPJJ-FEN-FAJ et le SNPES-PJJ dénoncent en particulier la précipitation avec laquelle le Gouvernement a voulu mettre en place ces structures.

              3. L’amélioration du suivi des mineurs incarcérés

          Des chiffres en progression constante

          Tant en stock qu’en flux, le nombre de mineurs incarcérés est malheureusement en progression constante. Ainsi, en 1998 , 4 030 mineurs ont été incarcérés en métropole, contre 2 368 en 1993. Au 1er janvier 1999, le nombre de mineurs placés en détention provisoire en métropole était de 510, le nombre de mineurs condamnés de 152, soit un total de 662 mineurs incarcérés.

        COMPARAISONS INCARCÉRATIONS DE MINEURS / ENSEMBLE DES INCARCÉRATIONS

        (Métropole uniquement)

        Années

        Incarcérations
        de mineurs

        Ensemble des
        incarcérations

        Proportion
        de mineurs

        1993

        2 247

        82 201

        2,7 %

        1994

        2 661

        84 684

        3,1 %

        1995

        2 936

        81 398

        3,6 %

        1996

        3 271

        78 778

        4,2 %

        1997

        3 495

        75 980

        4,7 %

        1998

        4 303

        71 758

        5,6 %

          Source : Bilan d’étape sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs.

          Les motifs de l’incarcération ont également évolué : alors qu’elles ne représentaient que 14,9 % des condamnations en 1992, les violence et les agressions sexuelles représentent 25,6 % des condamnations en 1999.

          Une meilleure prise en charge des mineurs détenus

          Devant l’augmentation du nombre de mineurs incarcérés et les risques que présentent de telles incarcérations pour la récidive, les pouvoirs publics ont été amenés à modifier leur politique en la matière.

          Depuis 1991, les mineurs sont incarcérés dans des quartiers spécifiques aménagés dans des établissements habilités à les accueillir, afin d’éviter les contacts avec des détenus adultes et de permettre la mise en place d’une politique de suivi adaptée.

          La direction de la protection judiciaire de la jeunesse et la direction de l’administration pénitentiaire ont engagé une révision de cette carte pénitentiaire des mineurs  : l’objectif est de favoriser la création de petites unités de quinze à vingt places tout en limitant l’éloignement des mineurs de leur milieu d’origine. Le coût total de ce programme a été estimé à 80,6 millions de francs et 30 millions sont d’ores et déjà inscrit dans le projet de budget 2000.

          En 1999, l’administration pénitentiaire a consacré dix millions de francs à l’amélioration des équipements des quartiers de mineurs : à Fleury-Mérogis, deux cours de promenade réservées aux mineurs ont été créées et six unités de vie de vingt places chacune ont été aménagées ; un quartier des mineurs d’une capacité de vingt places sera ouvert à la maison d’arrêt de Nanterre en 2001 ; des opérations ont également été engagées à Perpignan, Reims et Nancy. En 2000, une vingtaine de quartiers de mineurs devraient être rénovés.

          Le projet de loi de finances pour 2000 prévoit par ailleurs deux millions de francs pour l’acquisition de matériel culturel, éducatif et sportif pour les quartiers de mineurs ; deux millions de francs de subventions sont également inscrits afin d’encadrer les activités physiques et sportives de groupes de mineurs.

          50 postes de personnels de surveillance ont été créés en 1998 et affectés en juin 1999 dans les quartiers mineurs de certains établissements habilités ; les 40 postes créés en 1999 seront déployés durant l’année 2000. La spécialisation de ces postes réside à la fois dans leur mode de fonctionnement (présence d’un surveillant en poste fixe) et dans la formation reçue. Cette formation, élaborée conjointement par l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse, comporte notamment un enseignement sur les problématiques de la délinquance juvénile. Le projet de budget pour 2000 amplifie l’effort observé ces deux dernières années en prévoyant, rappelons-le, la création de 128 emplois : 118 concernent les personnels de surveillance et 10 les personnels d’insertion et de probation qui seront chargés, conformément aux décisions du conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999, de coordonner les prises en charge socio-éducatives en milieu fermé et en milieu ouvert ; notons enfin que 1,413 million de francs seront consacrés à la formation des personnels et 2,5 millions de francs à des vacations de psychologues pour les équipes intervenant dans les quartiers des mineurs ; ces vacations permettront notamment d’aider les personnels concernés à définir des comportements personnels et collectifs adaptés.

          Par ailleurs, 600 emplois-jeunes viendront appuyer l’action des personnels pénitentiaires et de l’éducation nationale auprès des mineurs et des jeunes majeurs détenus. Ces jeunes bénéficieront d’une formation spécifique financée par une dotation de 3,187 millions de francs inscrite au budget 2000.

          Les actions d’enseignement menées par l’éducation nationale auprès des mineurs incarcérés ont augmenté de 173 % entre les années scolaires 1996-1997 et 1997-1998 à la suite de la circulaire Éducation nationale-Justice sur l’enseignement auprès des jeunes détenus signée en mai 1998. En 1998, 166 jeunes ont réussi le certificat de formation générale, 12 le brevet des collèges, 2 un CAP, 1 le bac et 2 le diplôme d’accès aux études universitaires. 22 postes supplémentaires d’enseignants en milieu carcéral ont été créés par le ministère de l’éducation nationale, en concertation avec le ministère de la justice, pour la rentrée scolaire 1998-1999 dans les quartiers des mineurs des maisons d’arrêt.

          Les directions de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse ont par ailleurs mis en place deux groupes de travail : l’un, composé de magistrats, est chargé de définir les attentes des autorités judiciaires sur l’incarcération des mineurs en matière correctionnelle ; l’autre, auquel participe la direction des affaires criminelles et des grâces, porte sur le régime de détention des mineurs et les aménagements de peine.

          De son côté, l’administration pénitentiaire a créé un groupe chargé de définir un guide méthodologique de prise en charge des mineurs incarcérés pour les personnels de surveillance et les équipes pluridisciplinaires ayant en charge les quartiers de mineurs ; les travaux de ce groupe devraient être achevés à la fin du premier semestre 2000.

          Signalons enfin l’institutionnalisation des commissions de suivi d’incarcération des mineurs qui associent les acteurs de la protection judiciaire de la jeunesse et les magistrats concernés (juge de l’application des peines et juge des enfants) pour des réunions mensuelles ou trimestrielles dans les établissements habilités à recevoir des mineurs.

          Même si les récents efforts du Gouvernement ont permis de réduire le caractère criminogène de l’univers carcéral, votre rapporteur pour avis tient à rappeler son appui à toute politique d’alternative à l’incarcération : il lui semble en effet grandement préférable de soumettre les mineurs délinquants à des mesures éducatives plutôt que de les enfermer dans un environnement qui risque de favoriser la récidive.

*

* *

          En conclusion, votre rapporteur pour avis tient à rappeler la nécessité d’avoir une vision d’ensemble de la politique à mener sur des sujets aussi sensibles que la prison ou la délinquance des mineur. La cohérence des objectifs poursuivis est en effet une condition essentielle de leur lisibilité auprès des citoyens, lisibilité dont dépend leur confiance dans l’institution judiciaire. Cette observation s’applique également aux organisations syndicales, dont votre rapporteur pour avis regrette la dispersion qui nuit à l’efficacité et à la crédibilité de leur action.

          Avant d’émettre un avis sur les crédits, la Commission a procédé, le mercredi 20 octobre 1999, à l’audition de Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

          Mme Catherine Tasca, présidente : Nous inaugurons la nouvelle procédure d’examen mise au point par le groupe de travail présidé par Laurent Fabius. Cette réforme a pour objectifs de rendre la discussion budgétaire plus vivante et d’éviter la répétition systématique, en séance publique, des débats de la commission.

          Nous allons entendre le rapporteur spécial de la commission des finances, les rapporteurs pour avis et tous les députés qui souhaiteront participer à cette discussion. La séance publique, quant à elle, aura lieu le 9 novembre : il n’y aura qu’un orateur par groupe. La procédure d’examen simplifié est ainsi appliquée à la discussion budgétaire.

          Pour les questions les plus ponctuelles, je vous demande d’utiliser la procédure des questions écrites, celles-ci pouvant être déposées jusqu’à demain midi, soit quinze jours avant la séance publique.

          La procédure des commissions élargies ne sera un succès que si nos débats conservent le caractère direct, vivant, du travail en commission, ce qui nous impose à tous d’être concis. Je n’ai pas de moyens de coercition, mais l’intérêt même de notre débat est en jeu.

          Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux : Je suis heureuse d’inaugurer avec vous cette nouvelle procédure. Cette expérience valorisera le travail des commissions et nous permettra d’avoir un échange plus direct qu’en séance.

          Le budget de la justice pour l’an 2000 est un très bon budget, pour la troisième année consécutive. Les crédits de mon ministère progressent en effet de 3,9 % soit une hausse d’un milliard. On enregistre 1 237 créations de postes : c’est encore plus que les années précédentes, puisque on en comptait 930 en 1999 et 762 en 1998.

          Les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse augmentent dans une proportion historique.

          Les crédits de fonctionnement des services progressent de 5,15 %.

          Nous bénéficierons en outre de 1,5 milliard d’autorisations de programme pour la construction et la rénovation des palais de justice et des établissements pénitentiaires.

          Sur les trois premiers budgets de la législature, les crédits de mon ministère auront donc progressé de 3,4 milliards, soit un gain de 14 %, et les effectifs auront gagné près de 3 000 postes. Nous rompons donc avec la vieille habitude des budgets « feux de paille ».

          Les services judiciaires gagneront 382 emplois, 450 millions de crédits de fonctionnement et d’intervention et 805 millions d’autorisations de programme. Cet effort vise à améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien et à mettre en œuvre les réformes entreprises.

          Nous comptons aussi 212 créations de postes de magistrats judiciaires : c’est le plus haut niveau atteint depuis vingt ans. En trois ans, nous aurons créé 422 postes de magistrats judiciaires, c’est-à-dire davantage que pendant les dix ans qui ont précédé 1997.

          S’agissant de la répartition de ces postes, cent iront à la mixité des tribunaux de commerce : il s’agit d’une réforme que je présenterai prochainement au Parlement, mais qui est d’ores et déjà financée. Quarante-huit postes sont prévus pour le contentieux de la liberté : 62 ont déjà été créés en 1999. Suite au dernier conseil de la sécurité intérieure, il a été décidé de consacrer 25 postes aux juges et substituts des mineurs. Trente-quatre postes serviront à la résorption des stocks, 4 à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et un poste est prévu pour l’état civil de Mayotte.

          Nous avons aussi besoin de postes administratifs et c’est pourquoi nous créerons l’an prochain 145 postes de greffiers, contre 122 cette année. Si, en 2000, nous recrutons plus de magistrats que de fonctionnaires, c’est que les tribunaux de commerce ont déjà leurs greffes. Par ailleurs, nous renforcerons les moyens des tribunaux d’instance pour la mise en œuvre du PACS.

          Pour accompagner la déconcentration des services, nous allons créer 25 postes administratifs et techniques. Par ailleurs, seront recrutés 100 assistants de justice supplémentaires – ce qui nous permettra d’atteindre un total de 1 050 – et 1 000 emplois-jeunes pour l’accueil du public.

          Au plan statutaire, une provision de 20 millions sera constituée pour la réforme des carrières. Elle s’ajoutera aux 18 millions provisionnés en 1999. Dès que le Congrès se sera réuni, je pourrai vous présenter mon projet de loi organique relatif au statut des magistrats. Une fois de plus, il s’agit d’une réforme financée dès maintenant.

          Au plan indemnitaire, une enveloppe de 17 millions ira aux agents de catégorie C et aux fonctionnaires des greffes.

          Le fonctionnement courant n’est pas oublié avec 26 millions de plus pour les juridictions, ce qui permettra de financer la déconcentration, la mise en service de nouveaux bâtiments et la constitution des pôles de lutte contre la délinquance économique. A cet égard, nous avons déjà reçu 15 agents du ministère des finances. Les pôles de Paris, Bastia, Lyon, Marseille sont déjà constitués. Douze devraient être créés à terme.

          Ces moyens supplémentaires seront aussi consacrés aux conseils départementaux d’accès au droit et aux maisons de la justice et du droit. Nous avons engagé une politique de partenariat avec les collectivités locales, qu’il s’agisse des contrats locaux de sécurité, des maisons de la justice ou des contrats de plan Etat-régions. Sur ce dernier point les crédits de mon ministère ont augmenté de manière spectaculaire.

          Si la dotation des frais de justice augmente de 109 millions, cette hausse ne servira pas à financer une dérive des coûts mais à soutenir des mesures nouvelles. Ainsi, conformément à la loi sur la présomption d’innocence, 30 millions iront à l’indemnisation des personnes abusivement détenues. : conséquence d’un amendement adopté par votre Assemblée à l’initiative de M. Tourret. Suite à l’adoption de la loi du 18 juin 1999 relative à la sécurité routière, présentée par Jean-Claude Gayssot, 19 millions seront consacrés au dépistage de l’usage de stupéfiants dans les accidents mortels de la circulation. Dix millions financeront le recrutement de 200 délégués du procureur décidé lors du conseil de sécurité intérieure et 41 millions garantiront la couverture sociale des collaborateurs occasionnels du service public de la justice.

          D’un montant de 1,54 milliard, l’aide juridictionnelle est en hausse de 100 millions, dont 47 millions pour renforcer la présomption d’innocence en garantissant l’intervention de l’avocat dès la première heure de garde à vue. En outre, 17 millions sont prévus pour revaloriser l’unité de valeur, ce qui s’ajoute à la hausse de l’année précédente.

          Par ailleurs, 805 millions sont inscrits en autorisations de programme, ce qui permettra de lancer la construction des palais de justice de Pontoise, Cahors, Laval, Bobigny, Versailles ainsi que le désamiantage de Nanterre. En 1999 ont été réalisés les palais de Rennes, Nice, Grasse et ce sera bientôt le tour de Nantes. L’an 2000 devrait voir l’achèvement des chantiers de Grenoble et d’Avignon.

          Un effort important est consenti en faveur des juridictions administratives : 83 créations de postes, dont 40 magistrats, contre 61 en 1999, dont seulement 20 magistrats. L’investissement sera renforcé grâce à une nouvelle tranche de 50 millions d’autorisations de programme, ce qui permettra de financer la restauration du Conseil d’Etat et l’ouverture des chantiers de Cergy-Pontoise et de Rouen.

          Publique, la répartition des moyens s’est traduite par la mise au point d’un véritable plan d’urgence pour les cours d’appel, qui ont augmenté de 10 % leurs effectifs.

          Je souhaite par ailleurs évaluer dans de meilleures conditions la qualité du service public de la justice, ce qui implique l’amélioration des statistiques, les indicateurs actuels étant trop grossiers.

          La justice a fait un gros effort de productivité depuis vingt ans. Alors que le nombre des affaires est passé d’un million en 1979 à 2 millions aujourd’hui, les délais n’ont augmenté que de 25 % tandis que l’effectif des magistrats ne s’est accru que dans la même proportion.

          Les frais de justice ont connu une augmentation spectaculaire, puisqu’ils sont passés de 1,1 milliard en 1993 à 1,6 milliard en 1998 : 100 millions par an en moyenne ! Nous avons donc pris des mesures réglementaires dès 1999, comme le contrôle des devis des expertises par le Parquet ou la révision du tarif des fourrières, et nous avons passé des contrats de gestion avec les cours d’appel : ces contrats consistent à verser aux juridictions un complément de crédits de fonctionnement à proportion des économies qu’elles réalisent sur les frais de justice. Les résultats sont là, puisque depuis neuf mois, le montant en volume des frais de justice s’est stabilisé.

          S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, notre politique a trois objectifs : se donner les moyens de répondre systématiquement aux actes de primo-délinquance, renforcer les dispositifs d’hébergement et développer les mesures de réparation.

          Quels sont les moyens mis en œuvre ? Nous changeons d’échelle pour les créations d’emplois avec 380 postes nouveaux contre 150 en 1999, soit un saut quantitatif très important. En outre, par anticipation sur le plan décidé par le CSI, nous aurons l’an prochain l’autorisation de lancer des concours exceptionnels pour 300 postes supplémentaires ce qui portera à 680 les recrutements effectifs de l’an 2000. Quand on sait que le total des postes est actuellement de 6 000, on mesure l’effort du Gouvernement.

          Les crédits de fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse augmenteront de 67 millions de francs, soit 22 %, et ceux du secteur associatif habilité de 234 millions de francs, soit 19 %. Au total les moyens des services de la protection judiciaire de la jeunesse progresseront de 16 %.

          Nous avons engagé la création de 100 centres éducatifs renforcés et de 50 centres de placement immédiat ; les deux tiers de ces CPI seront opérationnels fin 2000.

          Nous renforçons également le service de protection de la jeunesse par 600 emplois-jeunes, par l’affectation d’éducateurs dans les classes relais et les maisons de justice et par l’augmentation des effectifs des délégués du Procureur. Tous ces efforts vont nous permettre d’augmenter la prise en charge des jeunes délinquants. Le chiffre des mesures de réparation ordonnées par les juges est passé de 7 500 en 1998 à plus de 10 000 en 1999 et devrait atteindre 12 000 l’an prochain. C’est la façon la plus efficace de traiter la primo-délinquance.

          Des mesures indemnitaires sont également prévues pour un total de 9,1 millions de francs, en particulier pour revaloriser les primes du travail du dimanche et des jours fériés du personnel de protection de la jeunesse.

          En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, elle reçoit 386 emplois, 434 millions de francs de crédits supplémentaires et 611 millions de francs d’autorisation de programmes nouvelles.

          173 emplois serviront, première priorité, à améliorer les conditions de travail et de sécurité des personnels ; 122 emplois de surveillants sont ainsi prévus pour les actions sanitaires (douches des détenus, escortes pour les consultations médicales) et 51 pour le renforcement de l’encadrement, de la gestion et de la formation.

          Deuxième priorité, 85 postes, dont 40 surveillants, sont créés pour améliorer la prise en charge des détenus notamment en détention provisoire, pour préparer le réinsertion et développer les projets d’exécution de peine, les alternatives à l’incarcération, les unités de visite familiale et pour achever la réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

          Troisième priorité, 128 emplois, dont 118 personnels de surveillance, doivent améliorer la détention des mineurs, effort complété par 30 millions de francs de crédits d’équipement pour rénover une vingtaine de quartiers de mineurs et créer des quartiers supplémentaires. L’objectif est qu’il y ait pas plus de 15 ou 20 mineurs par quartier.

          Des mesures indemnitaires sont également prévues pour l’administration pénitentiaire, notamment pour les primes du dimanche et des jours fériés.

          En ce qui concerne la construction et la rénovation des prisons, le programme 4000 permettra la construction de six établissements nouveaux. Une première tranche (Toulouse, Lille et Avignon) a déjà été engagée, une seconde (Toulon, Meaux et Liancourt) va l’être, grâce à 150 millions supplémentaires en l’an 2000.

          Au total 1,65 milliard d’autorisations de programme auront été ouvertes entre 1998 et 2000, pour un programme d’environ 2 milliards de francs, alors que seulement 350 millions de crédit étaient inscrits fin 1997. Après les chantiers routiers et autoroutiers, c’est le plus grand programme d’équipement civil de l’Etat.

          Les travaux de réhabilitation courante seront menés à un bon rythme. J’ai lancé un programme de rénovation lourde des cinq plus grandes maisons d’arrêt (Fresnes, Fleury-Mérogis, la Santé, les Baumettes et Loos).

          Enfin, 21 millions sont consacrés à l’aménagement de zones protégées pour les détenus dans plusieurs hôpitaux.

          Je terminerai par les mesures générales. Un effort supplémentaire de 25 millions est prévu pour les associations qui apportent leur concours au service public de la Justice. Les crédits d’action sociale du ministère (restaurant, aide au logement, colonies de vacances) connaissent une nouvelle progression, de sorte qu’ils auront été revalorisés de 30 % en trois ans.

          L’inspection générale du casier judiciaire bénéficie de quatre créations de poste, après cinq en 1999, soit un quasi doublement en deux ans. Vous savez l’importance que j’attache au renforcement des contrôles internes, non seulement pour le casier judiciaire mais aussi pour l’ensemble du service du ministère.

          En conclusion, ce budget nous permettra de moderniser l’équipement, de poursuivre la rénovation des méthodes de travail, de simplifier les procédures et de renforcer les outils de contrôle.

          Mme Catherine Tasca, présidente : Nous sommes extrêmement sensibles à la constance de vos efforts et de ceux du Gouvernement pour améliorer les crédits de la justice. Nous allons maintenant entrer dans le détail des masses budgétaires. Je profite de l’occasion pour saluer la présence parmi nous de M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, et M. Didier Migaud , rapporteur général du budget, qui a beaucoup contribué à la mise en place de cette nouvelle procédure.

          Avant de donner la parole à M. Patrick Devedjian, je signale qu’il a souhaité, à titre personnel, que son projet de rapport soit mis dès aujourd’hui à la disposition des parlementaires.

          M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances : Je me contenterai d’éclairer quelques points essentiels de ce budget.

          Je voudrais d’abord décerner un satisfecit aux services du ministère qui, pour la première fois, m’ont donné des réponses complètes.

          C’est un bon budget en termes quantitatifs puisque les crédits augmentent de 3,91 %, représentant 1,62 % du budget général. Cette évolution s’inscrit d’ailleurs dans un effort continu de tous les gouvernements successifs en faveur du budget de la Justice, puisqu’il a augmenté de 84 % depuis 1988. Je n’aurai pas l’audace de réclamer davantage, sachant ce que sont les disponibilités budgétaires.

          Mais il faut voir aussi l’aspect qualitatif. A quoi servent de bons chiffres de crédit si le taux de consommation n’est pas satisfaisant ? Or il s’est fortement dégradé. Pour les dépenses en capital, la consommation des crédits de paiement est passée de 79 % à 64 % et les autorisations de programme de 81 % à 51 % ; même pour les dépenses ordinaires, le taux a légèrement baissé : 96 % contre 98 %. Certes les dépenses de fonctionnement augmentent, mais les dépenses d’investissement baissent de 9,27 %.

          En outre, les délais de jugement se sont encore allongés, passant de 16,6 à 17,4 mois en cour d’appel et de 9,1 à 9,3 mois dans les tribunaux de grande instance.

          Je vous félicite d’avoir augmenté le nombre de places en maison d’arrêt, mais la surpopulation carcérale n’en reste pas moins un problème lancinant. La gauche avait réduit le programme de 15 000 places lancé par M. Chalandon et il faut maintenant rattraper ce retard. Cette surpopulation carcérale est un vrai drame.

          La réorganisation générale de la justice n’est pas assez abordée dans ce budget. En particulier le réforme de la carte judiciaire n’avance que très lentement. Certes vous avez supprimé cet été 36 tribunaux de commerce et vous avez bien fait. Mais pour les autres juridictions l’indispensable remise en ordre de la carte judiciaire ne progresse guère. Je sais que c’est une réforme difficile et impopulaire car tous les conservatismes, ceux des élus locaux, des avocats, des magistrats se conjuguent pour ne rien changer dans leur ressort. Pourtant la réforme concernant le juge de la détention provisoire, par exemple, ne pourra se faire que dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.

          Le ministère a besoin, lui aussi, d’une réforme. Vous vous y êtes attelée mais là aussi les choses vont trop lentement. Les observations de la Cour des comptes en 1997 n’ont pas eu de suite. Le régime particulier fait aux juridictions administratives ne se justifie pas. L’informatisation progresse et la dotation correspondante aussi, mais celle-ci reste inférieure à celle de 1993 ; en particulier l’informatique pénale reste fragmentaire et l’informatique civile est en retard. Est en revanche très positive l’informatisation du système de gestion des détenus.

          Vous avez détaillé les recrutements de magistrats. Mais il faut bien voir que les contraintes de la pyramide des âges obligent à recruter de toute façon. Je regrette qu’il n’y ait pas de nouveaux magistrats exerçant à titre temporaire et pas de recrutements latéraux. Le productivité des magistrats se heurte à de grandes carences : à Paris, les trois quarts des magistrats du siège n’ont pas de bureaux. Et alors que nous avons de plus en plus besoin de magistrats spécialisés, le système d’avancement les pénalise. Il faudrait une réforme sur ce point.

          Les assistants de justice sont une bonne institution mais il faudrait une évaluation, un statut plus clair, peut-être des perspectives d’intégration. L’expérience du pôle financier de Paris est très instructive : c’est un progrès indéniable, mais qui ne représente qu’un ballon d’oxygène. On voit déjà poindre des difficultés et interrogations : le parquet reste coupé en deux, ce qui fait perdre beaucoup de temps dans les déplacements.

          Et l’on voit bien en effet que le seul moyen d’assurer l’avenir de ce pôle financier est, comme vous semblez d’ailleurs vous-même y songer, de créer un nouveau tribunal de grande instance à Paris afin de restaurer l’unité physique du Parquet. Je souhaite donc que vous preniez rapidement cette mesure, qui permettrait en outre aux magistrats du siège de disposer des bureaux que le Palais de justice actuel ne peut leur offrir. On gagnerait en efficacité, d’autant que la juridiction de Paris est la plus importante de France.

          Je m’interroge sur l’intérêt qu’il y a à multiplier les pôles financiers : après tout, la grande délinquance financière est elle-même concentrée à l’échelle nationale, tandis que les juges hautement qualifiés dans cette matière sont relativement rares. On pourrait par conséquent imaginer, comme en matière de terrorisme, une juridiction de compétence nationale. Bien que je sois député des Hauts-de-Seine, je me demande par exemple s’il s’imposait de créer un pôle à Nanterre : si près de Paris, cela ne peut conduire qu’à une dilution des moyens.

          J’en ai terminé avec les coups de projecteur que j’annonçais. Au total, ce budget est un bon budget en termes quantitatifs, mais il ne dispensera pas des réformes toujours indispensables, qu’il s’agisse de réduire les délais de jugement ou de lutter contre la surpopulation carcérale, notamment.

          M. Jacques Floch, rapporteur pour avis des crédits de l’administration centrale et des services judiciaires : Madame la Garde des Sceaux, je ne vais certainement pas contredire M. Patrick Devedjian lorsqu’il constate que ce budget est à bien des égards en amélioration. De fait, ces crédits vous permettront de mener une politique intelligente et de financer les réformes nécessaires. Cependant, pour porter une bonne appréciation, il importe de considérer le fonctionnement de votre ministère et, plus généralement, le fonctionnement de la justice en France.

          Ces dix dernières années, le budget de la justice a connu un accroissement considérable, de plus de dix milliards, ce qui nous permet d’espérer franchir en 2002 la barre des 30 milliards dont on se contentait de rêver il y a quelques années. Il importe toutefois de se demander à propos de tous ces crédits : pour quoi faire, et avec qui ? Le rôle de votre ministère est aujourd’hui mieux reconnu mais cela vous oblige à tout faire pour que votre département puisse rendre à la société le service qu’elle en attend, dans les meilleures conditions possibles. Comme je l’ai déjà dit l’an dernier, un tiers de nos concitoyens, soit près de vingt millions de personnes, ont, à un moment ou à un autre, affaire à la justice. Or beaucoup se plaignent de retards, ou regrettent l’insuffisance des crédits ou le manque d’activité des juridictions. Leur principal reproche est celui dont a fait état M. Patrick Devedjian : il a trait à la longueur excessive des procédures. Des progrès considérables ont été enregistrés ces dernières années, grâce au ministère, au Parlement qui a voté les budgets nécessaires, ainsi qu’à l’ensemble des personnels. En étant à mon dix-huitième budget de la justice… (Exclamations sur divers bancs)

          M. Renaud Donnedieu de Vabres : C’est trop ! Vous êtes mûr pour le Sénat ! (Sourires)

          M. Jacques Floch, rapporteur pour avis : … Je puis témoigner que tous ces efforts commencent à porter leurs fruits, mais qu’il reste encore beaucoup à faire.

          La justice administrative fonctionne relativement vite, grâce à une transformation importante. On pourrait même considérer que, malgré le timbre à 100 francs, nos concitoyens ont un accès trop facile à ces juridictions de sorte qu’on s’adresse à elles pour tout et rien. Faut-il pour autant revenir sur cette mesure et relever ce droit ? Ce serait reconstituer la barrière de l’argent… Par ailleurs, cette justice n’est pas non plus à l’abri de lenteurs : à Paris, les 3 800 dossiers de reconduite à la frontière sont traités en un an, alors qu’ils devraient l’être en 48 heures.

          Reste que la justice administrative actuelle permet aux Français de se faire mieux entendre, ce qui lui garantit d’être mieux reconnue.

          M. Patrick Devedjian a jugé insuffisantes les autorisations de programme mais je crois que c’est à juste titre que vous avez souligné l’effort fait en ce domaine, en le comparant à celui dont bénéficiaient les programmes routiers et autoroutiers. Il me semble même que les dépenses prévues commencent à dessiner la nouvelle carte judiciaire : lorsque l’on consacre un million de francs à des travaux dans un tribunal, ce n’est certainement pas pour fermer celui-ci. On peut donc se féliciter de la concordance entre les crédits de ce budget et la carte qui m’a été communiquée en réponse à mes questions. Les études menées sur ce point doivent à tout prix être poursuivies, d’autant que la réforme des tribunaux de commerce a été bien accueillie.

          J’ouvre une parenthèse pour remercier vos services d’avoir répondu à toutes les questions que j’avais posées en juillet,… sauf une –mais il est vrai qu’elle avait un caractère insidieux, sinon méchant : je demandais quel était le coût des erreurs de procédure, qui obligent à recommencer un travail déjà fait. Des économies seraient sans doute possible dans ce domaine.

          S’agissant maintenant des emplois, vous avez raison d’insister sur l’accroissement des effectifs de magistrats et de fonctionnaires, mais il importerait de savoir précisément qui fait quoi, pour préciser les recrutements nécessaires. Les organisations syndicales que j’ai reçues parlent de supplétifs à propos des emplois temporaires. Il importerait donc de déterminer le rôle, ainsi que l’avenir, des agents de justice : la question est ici la même que pour les emplois-jeunes en général. Quant aux assistants de justice, la plupart des magistrats se félicitent de leur création, mais il importerait de dresser un bilan et d’examiner si certains n’ont pas été conduits à outrepasser leurs fonctions, voire à rédiger des arrêts. Enfin on oublie le rôle des délégués du procureur et, là aussi, un bilan s’imposerait.

          Ces 27 milliards, tels qu’ils sont répartis, vous autorisent à mener une véritable politique de la justice et permettent d’espérer une amélioration de ses conditions de fonctionnement. Cependant, il importerait de mettre aussi l’accent sur la formation des personnels. Il faudrait aussi résoudre le problème des magistrats spécialisés, obligés par leur carrière de quitter le service pour lequel ils ont été formés. Il est dommage que l’effort ainsi consenti par la société soit perdu. Peut-être la loi sur le statut des magistrats permettra-t-elle d’y remédier – et il est d’autant plus urgent que nous nous rendions à Versailles afin de mettre en place un nouveau Conseil supérieur !

          Au total, ce budget contribuera à la modernisation de la justice. Certains pourront critiquer telle ou telle insuffisance, mais pour ma part, je conclurai qu’il n’est pas si mal que ça !

          M. André Gerin, rapporteur pour avis des crédits des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse : Je veux dire d’entrée de jeu que ce budget, quantitativement intéressant, augure d’une politique ambitieuse. Toutefois, l’effort devra encore être amplifié. On constate en effet trop souvent un décalage entre les décisions et leur mise en œuvre, décalage qui s’explique en partie par la façon dont fonctionne l’administration, en partie par des réticences du personnel, souvent dues à l’insuffisance de la concertation.

          Cet effort qualitatif qui justifie mon avis très positif se heurte cependant aux retards accumulés ces vingt dernières années.

          Il y a bien diminution de la surpopulation carcérale, mais elle reste insuffisante : le taux d’occupation des prisons est passé de 114 % en 1998 à 107 % en 1999. La politique de prévention du suicide qui a été mise en place doit être renforcée. Une réforme est en cours pour mieux préparer la sortie de prison. Il faut se soucier en particulier des unités de vie familiale et de la libération conditionnelle.

          En ce qui concerne le personnel pénitentiaire, l’action est sensible même si elle reste incomplète, avec des créations d’emplois, des mesures statutaires et indemnitaires et un effort de formation. L’élaboration d’un code de déontologie contribue également à un meilleur contrôle de l’administration pénitentiaire. Enfin, vous avez annoncé un effort de rénovation et de construction des établissements. Je souligne en particulier la situation insupportable de la prison de Saint-Denis de la Réunion.

          S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, l’augmentation des moyens en personnel est sans précédent. Cet effort se traduit par des mesures de revalorisation statutaire et indemnitaire, par un effort pour le recrutement et la formation des délégués du Procureur, une meilleure prise en compte des situations d’urgence grâce à une coordination accrue. On a décidé une prise en charge immédiate dans les vingt six départements prioritaires, elle est effective dans neuf d’entre eux. Même si elle se heurte à des difficultés, la mise en place des centres de placement immédiat est une réelle innovation.

          Vous manifestez la volonté politique de diversifier les réponses judiciaires. Ce n’est pas facile de la faire entrer dans les faits. On prend un plus grand nombre de mesures de réparation, mais beaucoup sont en attente d’application. Les centres éducatifs renforcés se développent, pour un coût certes élevé, mais leur bilan est positif. Les mineurs incarcérés sont mieux suivis, mais on peut regretter que leur nombre augmente.

          Ayant rendu hommage sans complaisance à l’effort engagé, j’insisterai sur le dialogue social : il est fondamental pour la mise en œuvre de vos décisions. On s’efforce d’améliorer l’état du parc, mais comment rattraper le retard accumulé ? Il faut aussi que la création des unités de vie familiale prenne tout son sens et que la concertation soit meilleure avec le personnel concerné. En ce qui concerne l’exécution des peines, on a pris des mesures pour mieux gérer les longs séjours mais il en faudrait d’autres pour lutter contre leur caractère criminogène. D’autre part, il faut se soucier des effectifs du personnel de surveillance et notamment des départs à la retraite. En 1999, on a rattrapé une partie du retard mais qu’en sera-t-il en 2000 ? J’insiste encore sur le fait que 5 400 mesures judiciaires concernant les mineurs sont en attente d’exécution. En ce qui concerne les emplois-jeunes, la question fondamentale est leur pérennisation.

          L’enfermement n’est pas une finalité en soi, et ce n’est pas notre philosophie. La question des mineurs délinquants – dans l’agglomération lyonnaise ils constituent 30 % du total – mérite tous les efforts. Le Gouvernement les a entrepris, communes et départements, doivent y participer.

          Définir clairement les missions du service public de la justice pose un problème réel dans le personnel comme pour la société. A mes yeux, le service public doit être un service au public, dans une démarche véritablement républicaine.

          Mme Catherine Tasca, présidente : Avant d’ouvrir le débat, j’exprimerai deux préoccupations.

          La première : l’extrême dénuement des établissements pénitentiaires de femmes et de l’outre-mer. Alors que nous abordons les droits des femmes, non plus avec commisération, mais avec une réelle volonté d’agir partagée par le Gouvernement, il faut offrir aux femmes incarcérées des conditions dignes de notre temps. S’agissant de l’outre-mer, M. Gerin a mentionné le cas de Saint-Denis de la Réunion. Je sais que vous y êtes attentive. Nous sommes engagés dans la rénovation des relations entre l’outre-mer et la République et une loi d’orientation est en cours d’élaboration. Elle doit concerner l’institution pénitentiaire qui fait partie de l’image de la République et a souffert jusqu’ici d’un très grand abandon.

          En second lieu, je me préoccupe de la formation de l’encadrement, en ce qui concerne les mineurs délinquants. Un obstacle à la mise en œuvre de votre politique est le nombre insuffisant d’animateurs et d’éducateurs compétents. Pour ouvrir des centres d’un type nouveau, il faut aussi du personnel d’un type nouveau. Quelles actions concrètes le Gouvernement envisage-t-il ?

          M. Louis Mermaz : Après les rapporteurs, je salue à mon tour les efforts que vous déployez pour la troisième année afin que les moyens financiers soient à la hauteur des réformes. Néanmoins, comme l’a souligné M. Patrick Devedjian, il y a un problème de consommation des crédits d’investissement.

          Vous affirmez l’ambition de rattraper le retard accumulé pendant tant d’années et de consacrer de nouveaux moyens à la mise en œuvre de réformes portant sur l’accès au droit, la procédure pénale, l’alternative aux poursuites, la présomption d’innocence, la médiation et les maisons de justice, l’aide judiciaire, l’indemnisation des victimes, la prévention de la délinquance des mineurs et les conditions de leur détention. Nous espérons que toutes ces réformes seront bientôt couronnées par celles du Conseil supérieur de la magistrature.

          Il suffit d’écouter la radio pour constater la judiciarisation croissante de notre société. Ce matin encore, certains procès en cours tenaient plus de place que les 35 heures ou la mort de Nathalie Sarraute. On indiquait également que le tribunal de grande instance de Toulouse est extrêmement embouteillé. On parle surtout des affaires pénales, on parle moins du civil, où la situation est plus critique. C’est le cas en particulier pour le droit du travail ; il faut plusieurs années pour que la Cour d’appel se prononce sur un jugement prud’homal.

          Nous vivons dans un climat sécuritaire. Pour l’opinion, il n’y a jamais assez de gens en prison. On finit par songer à Harpagon, qui voulait se donner la question à lui-même ! Ces comportements influencent parfois les élus. Or il faut aussi se préoccuper des droits de l’homme, de l’habeas corpus. Je suis sûr que vous le faites. On peut par exemple réfléchir à l’excellente idée de M. Toubon de créer un appel pour les arrêts des cours d’assises.

          Le juge de la détention représente un progrès, mais bien des magistrats seraient prêts à aller vers la collégialité prônée par M. Badinter.

          Le problème de la détention provisoire est immense. A l’occasion de l’examen d’une proposition de loi de M. Tourret, en avril 1998, nous nous étions penchés sur l’échelle des délits et des peines, totalement inadaptée à une société moderne. Le dépoussiérage du code pénal s’impose. Récemment un magistrat de rang élevé me disait qu’il y a 20 000 personnes de trop en prison ; revoir l’échelle des peines réglerait des difficultés, sans dispenser bien sûr de moderniser les établissements.

          Lequel d’entre nous n’a pas été frappé en prenant le train, de voir un prévenu menotté, traîné en laisse par deux gendarmes tout aussi gênés que lui et que les voyageurs ? Le Garde des Sceaux Pierre Méhaignerie avait dit que l’usage des menottes devait être exceptionnel. Tout le monde n’a pas le caractère d’un José Bové brandissant ses menottes avant de devenir un héros national qui va aider le Gouvernement à se battre à Seattle… Une justice humaine ne saurait tolérer davantage un procédé moyenâgeux.

          M. Jean-Luc Warsmann : L’examen de ce budget nous donne chaque année l’occasion de faire le point sur le fonctionnement du service public de la justice.

          Force est de constater que des retards déjà colossaux ne cessent de s’accroître. Tous les délais s’allongent : devant les tribunaux d’instance, ils sont passés de 5 mois à 5,1, devant les tribunaux de grande instance, de 8,9 à 9,3 mois et, devant les cours d’appel, soit après les délais précédents, ils sont aujourd’hui de plus de 17 mois. Et si l’affaire va en cassation, un nouveau délai s’ajoute encore. Cela conduit dans un très grand nombre de cas à de véritables dénis de justice. Cela vaut particulièrement, on l’a dit, en matière de droit du travail, au mépris de l’égalité entre les parties car ce sont les salariés qui ont intérêt à un jugement rapide.

          Les affaires en stock forment un océan : 579 000 devant les TGI pour les seules procédures civiles, 321 000 en appel, 111 000 en correctionnel. La résorption du stock doit être notre première priorité, c’est là que l’argent doit aller d’abord. Or, parmi les affectations de postes, la résorption du retard ne vient qu’en troisième position, avec 34 créations, soit un agent pour 7 cours ou tribunaux. Celui-ci sera certes le bienvenu mais vos choix, Madame la Garde des Sceaux, montrent votre méconnaissance des priorités. Chaque fois que vous faites voter une nouvelle loi, vous annoncez qu’elle sera financée : soit, mais, du coup, il n’y a presque plus de moyens pour la résorption.

          Dans le secteur pénitentiaire, les conditions de travail des personnels et les conditions de détention sont indignes. Il y a eu, en un an, 118 suicides dans nos prisons et 278 agressions contre les personnels. Comment s’étonner que tous les syndicats critiquent votre projet de budget en parlant de « bricolage », de « résultats très insuffisants », ou, comme la fédération de la justice CFDT, en se demandant « à quoi servent les grands discours devant les parlementaires ? » Il y a quelque distance entre votre autosatisfaction et des dysfonctionnements de plus en plus mal vécus.

          Les dépenses d’équipement diminuent de 9,27 %, et surtout le taux d’exécution des autorisations de programme tombe à 51 %. Aussi parlons-nous d’effet d’affichage. Les moyens doivent être effectivement affectés à l’amélioration du fonctionnement du service public de la justice et des conditions de vie et de travail dans les services pénitentiaires. Je m’associe pleinement aux propos de Mme Tasca sur les établissements, en particulier celui de Saint-Denis de la Réunion. Le Vaucluse et Avignon sont, eux, particulièrement chanceux puisqu’ils ont bénéficié de la construction d’un nouveau palais de justice, pour un coût de 212 millions, d’un nouveau centre pénitentiaire doté de 122 emplois, pour un coût de 270 millions et du renforcement du TGI. Je souhaite que le dynamisme de ce département s’étende à toute la France…

          M. Georges Hage : Les chiffres de ce budget montrent que l’effort destiné à répondre aux besoins de justice de nos concitoyens se poursuit. Si je fais confiance à la dialectique du quantitatif, pour autant je suis saisi par l’accroissement du nombre des affaires ainsi que du besoin de justice de nos concitoyens. Cela vaut particulièrement devant les prud’hommes et en matière de justice pénale. Je me demande donc si ce budget remédiera enfin à la lenteur du règlement des affaires. Bien sûr, je me félicite des créations d’emplois annoncées, mais le retard est si considérable !

          Il faut donner un véritable statut aux auxiliaires et aux vacataires.

          Je me félicite du recrutement de 680 agents et de 600 adjoints de justice. J’aimerais toutefois avoir des précisions sur la formation dont ils bénéficieront et sur leur intégration au sein des équipes.

          Les incarcérations injustifiées ne sont pas acceptables dans un régime républicain. Si on les évitait, les prisons seraient plus confortables et le travail des surveillants serait plus facile. C’est à juste titre que l’on a insisté sur la situation dans les DOM. Dans tous ces domaines, il convient de réfléchir aux alternatives à l’incarcération et de renforcer les textes sur la présomption d’innocence.

          Je m’interroge sur les efforts qui pourraient être accomplis pour faciliter la réinsertion des détenus libérés, car qui a péché risque de retomber dans le péché…

          Les représentants syndicaux que j’ai rencontrés souhaiteraient, Madame la Garde des Sceaux, dialoguer davantage avec vous.

          Enfin, le plafond requis pour l’obtention de l’aide juridictionnelle ne permet pas, me semble-t-il, de satisfaire au principe d’égalité d’accès au droit.

          Mon groupe votera ce budget.

          Un mot encore. Comment, quand on parle de justice, ne pas penser au sort réservé à Abu Jamal ? Je souhaiterais une intervention de votre part à ce propos.

          M. Jean-Antoine Léonetti : Madame la Garde des Sceaux, vous vous réjouissiez que ce budget augmente de 3,9 %, soit trois fois plus vite que celui de l’Etat. Mais n’aviez-vous pas affirmé devant notre commission que la comparaison entre le budget de la justice et celui de l’Etat n’était pas pertinente… M. Floch a dit : ce n’est pas si mal que cela. Je dirai plutôt : ce n’est pas si bien que cela. Tout dépend en fait si l’on regarde d’où l’on vient ou les chantiers qui demeurent.

          Certes 1 237 emplois sont créés, mais le Gouvernement nous dit qu’ils seront essentiellement affectés aux nouvelles réformes – juges de la détention et juges professionnels dans les tribunaux de commerce. Les retards ne seront donc pas comblés.

          M. Mermaz a rappelé à juste titre que nos concitoyens demandent de plus en plus de justice et une justice de plus en plus sévère. Mais il faut plus de moyens. Comment ne pas voir, un an après le vote de la loi sur la délinquance sexuelle, qu’ils ne sont toujours pas suffisants pour procéder aux enregistrements des enfants.

          L’augmentation de la population carcérale peut réjouir si on la voit avec les yeux du ministre de l’intérieur, mais on peut la déplorer quand on sait que les prisons sont surpeuplées et que des innocents peuvent être incarcérés.

          La création d’un nouvel espace judiciaire européen va augmenter les besoins.

          Par ailleurs, la délinquance des mineurs ne fait que s’aggraver : elle représente 50% de la violence de rue et jusqu’à un tiers des délits dans certaines agglomérations. Cette explosion de la délinquance juvénile devrait vous inciter à revoir l’ordonnance de 1945 plutôt que de créer des postes dont l’utilité est douteuse.

          Au quotidien, la situation de la justice reste misérable. Sa lenteur a été soulignée par tous. Les délais ont augmenté de 25 % : « seulement 25 % », avez-vous dit. Nos concitoyens retiennent que la justice est de plus en plus lente.

          Les greffes manquent de moyens, l’informatique est en retard et dans les prisons, on incarcère des personnes présumées innocentes, sans pour autant parvenir à réduire le taux de récidive. Dans l’esprit des Français, le doute persiste, d’autant que des dossiers disparaissent, du fait des sectes ou, à Nice, nous dit-on, d’un réseau maçonnique…

          S’agissant du procès Papon, le Gouvernement nous a indiqué hier que vous vous étiez personnellement impliquée, afin que M. Papon soit condamné à la peine qu’il mérite. Je note donc qu’il n’est pas inutile que le Garde des Sceaux intervienne individuellement dans certaines affaires (Sourires).

          Le ministère de la justice est celui qui crée le plus d’emplois précaires. Les personnes recrutées en emploi-jeune rempliront nécessairement des missions techniques en remplacement des fonctionnaires indispensables.

          Le partenariat avec les collectivités locales, sympathique en apparence, est surtout inquiétant. Les maisons de la justice et du droit devront-elles toutes être fournies par les communes ? La rénovation des tribunaux de commerce devra-t-elle être financée par les municipalités ? Nous assistons à un nouveau transfert financier en direction des collectivités locales, alors que c’est une fonction régalienne de l’Etat qui est en cause.

          Au lieu d’engager des réformes médiatiques, il aurait mieux valu répondre aux préoccupations des Français, par exemple en déposant un projet de loi de programme sur les fonctions régaliennes de l’Etat. Vous me répondrez que de telles lois trouvent rarement une traduction budgétaire ; cependant, vous semblez envisager les choses dans la durée, puisque vous programmez des investissements jusqu’en 2004. Mieux vaudrait définir des priorités et agir de manière globale plutôt que de saupoudrer.

          Sur une augmentation de 3,9 % des crédits, moins d’un point servira à améliorer la justice au quotidien. Vous ne répondez pas à l’attente des Français.

          M. Alain Tourret : A l’aube de l’an 2000, la France commence enfin à disposer d’une justice suffisamment pourvue en emplois et moyens.

          Les Français attendaient un signal fort. Ils l’ont avec ce budget qui s’inscrit dans la continuité des deux précédents et, par rapport à ceux-ci, est même en progression. Il s’agit à la fois d’améliorer le fonctionnement quotidien de la justice et de mettre en œuvre les réformes votées. C’est donc un satisfecit que je vous donne.

          Vous créez 1 237 emplois, ce qui est exceptionnel : c’est grâce à votre ministère que le solde des emplois dans la fonction publique sera positif. Il faudra cependant s’interroger sur la courbe des âges. En effet, 750 000 fonctionnaires partiront en retraite dans les 15 ans à venir : il faudra éviter de les remplacer par à-coups.

          Le dispositif de l’aide juridictionnelle devra être revu pour les procès de longue durée. Cela existe déjà en cour d’assises, mais pas en correctionnelle, si bien qu’on ne peut rémunérer les avocats. Il faut remédier à ce problème.

          S’agissant des établissements pénitentiaires, celui de Saint-Denis de la Réunion est une honte pour la République. La France sera fatalement condamnée par les juridictions internationales. On enferme dans un véritable mouroir des personnes qui ne devraient qu’être privées de leur liberté. Il faut prendre immédiatement des mesures.

          Plus largement, nous devrons réfléchir à la fonction même de l’emprisonnement. Les condamnés à perpétuité n’ont aucun espoir de voir leur situation s’améliorer : on place ainsi de la dynamite dans nos établissements pénitentiaires.

          L’assignation à domicile n’a pratiquement jamais lieu. Par ailleurs, je trouve anormale la présence de jeunes mères de famille dans les centres de détention. Leur situation est insupportable, d’autant qu’on leur enlève leur enfant dès qu’il atteint ses 18 mois. L’Italie a su résoudre ce problème.

          M. Devedjian a parlé de la carte judiciaire. Il s’agit là d’une réforme inscrite dans la loi : elle doit intervenir dans les deux années qui suivront le vote de la loi sur la présomption d’innocence. Ce ne sera pas simple. En outre, il ne faudra pas se contenter de mesures de suppression, mais réadapter le dispositif, par exemple en créant des chambres déléguées.

          L’utilisation des vidéo-conférences reste insuffisante, alors que de nombreux magistrats ont déjà réfléchi à ce sujet. On pourrait par cette technique moderniser notre justice.

          Nos concitoyens réclament une justice plus rapide. L’exécution provisoire doit être de plein droit dans tous les dossiers – sauf dans les affaires touchant à l’état des personnes – sous le contrôle des premiers présidents. Actuellement, l’exécution provisoire reste l’exception et c’est pourquoi notre justice traîne.

          Madame la Garde des Sceaux, votre budget est remarquable. Les Français ont un besoin toujours plus fort de justice. N’est-ce pas une société moderne qu’une société qui a confiance en ses juges ?

          M. Pascal Clément : Analysé quantitativement, ce budget se caractérise par une hausse importante. Mais je voudrais me placer dans une autre perspective : comme l’a dit M. Tourret, notre société, parce qu’elle est moderne, fait de plus en plus appel à la justice, si bien que vos efforts budgétaires ne suffiront pas à supprimer le décalage qui persiste entre les moyens dont elle dispose et son rôle actuel dans notre société. Nous sommes même loin du compte. Aucun gouvernement n’a pris en compte ce changement de dimension.

          Sur 212 postes de magistrats créés, 100 iront aux tribunaux de commerce et les autres serviront à mettre en œuvre la réforme de la détention provisoire. Au total, le nombre des juges restera donc inchangé dans les autres juridictions.

          S’agissant de la délinquance économique, vous nous dites que 15 agents des finances ont été mis à la disposition de votre ministère. Leur compétence technique sera bien venue, mais compte tenu de la faiblesse de la formation économique des magistrats, est-ce suffisant ? Ce le sera d’autant moins que nous allons vers l’échevinage dans les tribunaux de commerce.

          Il faut aussi rationaliser la décision dans les jugements d’assises, mais personne n’a pris la décision politique de prévoir un effort budgétaire supplémentaire en vue d’instituer un double degré de juridiction.

          Pour réprimer la délinquance des mineurs, 10 millions sont consacrés à augmenter le nombre des délégués du procureur. Compte tenu des statistiques, en particulier dans la région parisienne, c’est tout à fait dérisoire.

          Oui, c’est un bon budget comparativement aux autres, mais c’est un mauvais budget si on considère la place qu’a prise la justice dans notre société.

          Mme la Garde des Sceaux : Je trouve cet échange très intéressant et je remercie les rapporteurs et intervenants qui ont salué l’effort budgétaire accompli depuis trois ans. C’est vrai qu’un bon budget ne résout pas tous les problèmes : les délais de jugement, la qualité du travail, la situation des prisons restent des difficultés majeures. Je voudrais donc maintenant être plus explicite sur la politique que nous menons pour améliorer les performances quantitatives et qualitatives de ce grand ministère.

          M. Devedjian s’est interrogé sur la consommation des crédits. C’est une question à laquelle je suis très attentive. Nous constatons un bon taux de consommation pour les dépenses de fonctionnement, des progrès pour les vacances d’emploi. C’est vrai qu’il y a un retard en ce qui concerne l’administration pénitentiaire, mais c’est l’effet du coup de frein donné en 1996 et 1997. Par exemple, pour le programme de construction de prisons, 2 milliards de francs ont été inscrits en 1995, mais seulement 350 millions en 1996. C’est moi qui ai sauvé ce programme en inscrivant 800 millions de francs d’autorisations de programme en 1998 et 700 millions en 1999. Il faudrait éviter ce genre de coups d’accordéon pour les programmes de construction. Mieux vaut annoncer moins et tenir le rythme. Nous avons maintenant lancé la procédure de concours mais il est certain que le taux de consommation des crédits serait meilleur s’il n’y avait pas eu de rupture pendant deux ou trois ans. Hors le programme 4000, la consommation des crédits est actuellement très bonne.

          Vous avez à juste titre appelé l’attention sur le grave problème des délais. C’est peut-être le sujet qui me préoccupe le plus. En moyenne le délai de jugement s’élevait en 1998 à un peu plus de 9 mois dans les tribunaux de grande instance, à 16 mois dans les juridictions pénales et à 17 mois dans les cours d’appel. Je rappelle que nous avons connu des délais analogues dans les cours d’appel au début des années 80 ; puis il y a eu une réduction des délais avant qu’ils ne remontent à nouveau.

          Les statistiques de 1998 ne peuvent pas refléter l’augmentation de moyens réalisée en 1998-1999 : les premiers magistrats supplémentaires sont arrivés dans les tribunaux en juin 1999, grâce au concours exceptionnel. Auparavant, pardonnez-moi, mais on a géré la pénurie, même si cela vous fait sourire, Monsieur Warsmann !

          M. Jean-Luc Warsmann : L’an prochain, ce sera plus dur d’argumenter comme cela !

          Mme la Garde des Sceaux : Le décalage entre les moyens budgétaires et les résultats est inévitable.

          Dans les tribunaux de grande instance, on observe des disparités importantes selon les contentieux : par exemple le délai moyen pour le divorce pour faute est de 15 mois, celui pour le divorce simple est de 9 mois. C’est la preuve que les réformes déjà engagées concernant le divorce, comme celles à venir, font diminuer les délais. Quand les procédures sont interminables et tendent à aggraver les conflits, les délais augmentent.

          Toujours dans les tribunaux de grande instance, la moitié des affaires civiles se règlent en moins de six mois, les trois-quarts en moins de neuf mois. Ce sont les 10 % d’affaires très longues qui font remonter la moyenne. Cette longueur tient en partie à la complexité de ces affaires, mais on observe aussi de grandes disparités selon les tribunaux ; c’est pourquoi je m’efforce d’améliorer l’information interne sur les procédures et pratiques qui réduisent les délais, par des notes et par le réseau Intranet. Les contrats de juridiction amènent également des progrès.

          Cette question n’est pas simple à résoudre, car il faut également être attentif à la qualité des jugements : un tribunal de grande instance juge un divorce en six ou sept mois, mais crée des conflits qui se poursuivent après le divorce alors qu’un autre peut prendre neuf mois, mais régler tous les problèmes.

          M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial : Il y a aussi ceux qui sont plus longs et qui ne règlent rien ! (Rires)

          Mme la Garde des Sceaux : On ne peut donc pas se contenter d’une approche purement quantitative. L’augmentation des moyens peut servir aussi à améliorer la qualité du service rendu.

          Néanmoins je pense qu’il faut une action plus forte pour réduire les délais de jugement et c’est pourquoi j’ai développé les contrats de gestion : par exemple, nous avons donné à la cour d’appel de Douai des emplois en surnombre contre l’engagement de résorber le retard accumulé en cour d’assises ; résultat, en 18 mois le délai de jugement est passé de deux ans à six-huit mois. Nous avons fait la même chose avec la cour d’appel d’Aix : l’effectif de la chambre sociale a été renforcé de façon à créer une deuxième section et cela a permis de stabiliser les stocks d’affaires en cours.

          La réduction des délais passe aussi par une modification des règles de procédure – j’y reviendrai.

          Plusieurs d’entre vous ont souligné qu’il faudrait affecter plus de moyens à la résorption des délais et des stocks, et moins aux réformes. Mais je note certaines contradictions dans vos propos car M. Léonetti, par exemple, a réclamé en même temps la réforme de la cour d’assises prévue par M. Toubon, qui mobiliserait 100 magistrats par an !

          M. Jean-Antoine Léonetti : Je n’ai pas dit cela !

          Mme la Garde des Sceaux : Excusez-moi, c’est M. Clément.

          Les réformes en cours devraient aboutir à une réduction des délais. Ainsi la création d’un juge de la détention provisoire et la réforme de la présomption d’innocence sont de nature à diminuer le nombre des détenus. La réforme des tribunaux de commerce devrait également éviter un certain nombre de détresses sociales qui génèrent des contentieux.

          Il ne faut donc pas avoir une vue mécanique des choses. Les réformes qualitatives sont nécessaires à la fois pour améliorer la justice et pour réduire les délais. M. Mermaz a cité les lois sur l’accès au droit et la simplification de la procédure pénale qui, sans mobiliser de moyens très importants, vont permettre de désencombrer les juridictions en remplaçant le recours au tribunal par la transaction, la médiation et l’arbitrage.

          Nous allons poursuivre le travail entamé avec les chefs de cours d’appel en vue de la déconcentration. Le fait de créer des postes de chefs de service administratifs régionaux auprès des présidents de cour d’appel va leur permettre de mieux répartir les moyens et d’améliorer la gestion des juridictions.

          Cela dit, il faut être toujours prudent avant de parler de réduction des délais car il est vrai que l’allongement actuel vient aussi de l’augmentation considérable du contentieux. C’est un phénomène de société important et je n’ai pas la prétention de le contenir.

          En ce qui concerne l’informatisation, pour répondre aux questions posées par M. Devedjian, je précise que le logiciel civil a été labellisé en 1998 et qu’il équipe les deux tiers des cours d’appels et la moitié des tribunaux de grande instance. C’est un réel succès. A Paris, une chaîne informatique civile sera introduite en janvier 2000 et son déploiement devrait être achevé en mars.

          A propos de la carte judiciaire, je voudrais rappeler quelques faits simples. Au cours de ce siècle, il n’y a eu que deux réformes, la réforme Poincaré et la réforme Debré.

          M. Jacques Floch : Il va y avoir la réforme Guigou !

          Mme la Garde des Sceaux : Ce ne sera que la troisième réforme du siècle et ce sera la première à toucher à la carte judiciaire des tribunaux de commerce. Cela devient urgent.

          M. Pascal Clément : Bon courage !

          M. Robert Pandraud : Il vous faudrait des ordonnances !

          Mme la Garde des Sceaux : Ce serait plus facile mais les temps ont changé, Monsieur Pandraud.

          M. Robert Pandraud : Alors, parlons de décrets-lois !

          Mme la Garde des Sceaux : Je préfère jouer sur le partenariat.

          Cela prendra sans doute beaucoup plus de temps que si l’on procédait par ordonnance ou par décret loi, mais la réforme sera beaucoup mieux acceptée !

          Nous allons donc poursuivre sur la voie engagée. S’agissant des tribunaux de commerce, la réforme devrait être achevée à la fin de l’année ; un nouveau décret va paraître, car le premier ne concernait, je le rappelle, que les six circonscriptions les plus encombrées. Pour la suite, j’entends m’en tenir à une méthode fondée sur la concertation et le partenariat car il est indispensable d’obtenir l’accord des élus locaux et des barreaux, qui sont concernés autant que les magistrats. Comme l’a dit M. Tourret, il ne faut pas raisonner seulement en termes de suppressions, il faut recourir à des moyens multiples tels que les chambres détachées ou les audiences foraines. La justice peut en effet être rendue efficacement ailleurs qu’entre les murs des tribunaux. Déjà, dans la mesure où il ne pourra y avoir un juge de la détention provisoire dans chaque TGI, la réforme de la détention provisoire nous incite à renouveler notre approche.

          Faute de comptabilité analytique et parce que les dépenses ne sont pas organisées en fonction de l’utilisation des moyens, il est bien difficile de répondre à la question de M. Floch sur le coût d’un procès. Nous allons cependant essayer d’apprécier plus finement l’activité des juridictions. Cela suppose d’étudier préalablement les questions de méthodologie.

          S’agissant des assistants de justice, la direction des services judiciaires est en train de dresser un bilan. J’ai demandé des rapports à tous les chefs de cour et j’ai l’intention de rédiger une circulaire à ce sujet avant la fin de l’année, pour préciser les choses. Pour moi, – et c’est d’ailleurs conforme à la conception traditionnelle –, ces assistants ne sont pas destinés à se substituer aux fonctionnaires ; ils ne sont là que pour assister les magistrats en faisant pour eux des recherches documentaires…

          M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial : Les pratiques sont très diverses.

          Mme la Garde des Sceaux : En effet, mais il faut rappeler qu’il s’agit d’étudiants en fin de cursus. Ils trouvent là le moyen d’une formation pratique, mais tous ne sont pas destinés à être magistrats et ce stage n’est pas non plus la voie d’accès privilégiée aux concours de la magistrature.

          Il existe actuellement quatre pôles financiers, mais le besoin s’est fait sentir d’en créer d’autres. Je n’ai pas encore pris de décision sur leur localisation mais on peut penser à Bordeaux, par exemple. Et s’il est vrai, M. Devedjian, qu’on peut s’interroger sur la nécessité de celui de Nanterre, je vous ferai observer que les affaires de délinquance économique et financière sont aussi nombreuses dans la circonscription de Versailles que dans celle de Paris. Quant à la centralisation, je ne crois pas qu’elle soit opportune en l’occurrence. D’ailleurs, comme j’ai pu le constater en Corse, les différents pôles commencent à travailler en collaboration. Surtout, cette centralisation ferait courir le risque d’une déresponsabilisation des juridictions. J’estime donc préférable de disposer de dix ou douze de ces pôles sur l’ensemble du territoire.

          Par ailleurs, il importe de se garder d’un excès de spécialisation. Les magistrats doivent rester des généralistes et, même si je ne discute pas la nécessité d’une meilleure formation aux matières économiques et financières, ils n’ont pas à devenir eux-mêmes des experts. Il suffit qu’ils sachent et puissent recourir à des experts extérieurs, ce qui leur permettra de garder la hauteur de vue indispensable à leur mission.

          Pour ce qui est de la pénitentiaire, nous allons expérimenter les unités de vie familiale dans trois établissements dont la liste est encore à établir. Parmi les trois, figurera sans aucun doute un établissement pour femmes : celui de Rennes certainement. Pour les autres, une concertation avec les personnels est indispensable.

          Afin de lutter contre la délinquance des mineurs, je me suis engagée à ouvrir d’ici à 2001, cinquante centres de placement immédiat. Il est vrai que l’opération a commencé difficilement, le budget précédent ne comportant pas de moyens supplémentaires à cet effet, il a fallu demander un effort au personnel. Cependant, tout devrait s’arranger l’an prochain compte tenu de l’importance des crédits prévus. Plusieurs de ces centres vont être créés avant la fin de l’année : ainsi à Villeneuve-d’Ascq et à Bruay la Buissière, à Savigny, à Coulonges au Mont-d’Or, à Saint-Genis, à Saint-Etienne, à Perpignan, à Toulon et à Schoelcher, à la Martinique. Dans beaucoup de cas, il ne s’agira en fait que de transformations, mais il devrait y avoir aussi de véritables créations, dont une dans la Seine-Saint-Denis, en liaison avec le secteur associatif. Cinq transformations devraient avoir lieu d’ici à la fin du mois et trois créations d’ici à la fin de l’année : à Toulon, à Chartres et en Seine-Saint-Denis. Les derniers arbitrages vont être rendus et la liste sera publiée prochainement.

          Vous avez raison, le suicide dans les établissements pénitentiaires représente un vrai drame. On en a constaté 118 l’an passé, ce qui était moins que l’année précédente, mais le nombre en a augmenté à un rythme inquiétant cette année malgré la vigilance accrue des personnels et la circulaire que j’ai adressée l’an dernier aux chefs d’établissements pour leur demander d’être particulièrement attentifs aux moments les plus cruciaux : le retour de garde à vue et l’entrée dans les quartiers d’isolement. L’action doit être multiforme : il faut améliorer les conditions d’hygiène, rompre l’isolement de ceux qui ne reçoivent aucune visite, lutter contre l’indigence…

          M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial : La période la plus dangereuse se situe à l’arrivée en prison, qui représente un véritable choc.

          Mme la Garde des Sceaux : En effet, surtout si cette entrée se fait en pleine nuit. Dans la circulaire de mai 1998, j’ai donc insisté pour que les intéressés puissent prendre rapidement une douche, après ces deux jours passés sans pouvoir se laver. Mais j’ai aussi appelé l’attention sur les détenus dépressifs, en souhaitant une prise en charge individualisée. Pour cette opération de vigilance, j’ai désigné des sites pilotes et nous avons ainsi pu sauver plusieurs vies.

          Mme la Présidente : Tous ces efforts sont sans doute indispensables mais il me semble que l’essentiel est d’améliorer globalement les conditions de détention, comme vous essayez de le faire. Je ne nie pas l’intérêt d’un suivi individidualisé, par exemple, mais je ne suis pas convaincue que ceux qui se tuent aient été prédisposés au suicide : ce qui joue surtout, c’est le choc produit par l’arrivée en détention.

          Mme la Garde des Sceaux : En ce qui concerne les prisons les plus dégradées, je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit des crédits de construction et de rénovation, et je répondrai simplement à la question posée par plusieurs d’entre vous à propos de Saint-Denis. Comme je l’ai déjà dit en réponse à une question orale, des crédits ont été dégagés pour essayer de remédier à la surpopulation, pour accroître la capacité d’accueil du centre du Port et pour réaménager les cuisines. J’ai aussi demandé au préfet d’étudier les possibilités d’achat de terrain. Les problèmes les plus préoccupants devraient donc être réglés.

          Il y a sans doute trop de mineurs en détention mais je pense que la loi sur la détention provisoire permettra d’en réduire le nombre. D’autre part, il convient de construire de nouveaux centres de détention et d’assurer une meilleure prise en charge de ces jeunes détenus, en désignant un surveillant référent. Cela demande des moyens supplémentaires mais j’espère que nous y parviendrons l’an prochain.

          Au passage j’indique que si des mesures concernant les mineurs sont en attente d’exécution, leur nombre diminue. Nous espérons résoudre ce problème grâce à l’affectation des moyens supplémentaires, et notamment d’éducateurs, prévus au budget.

          Le dialogue social est l’une de mes premières préoccupations. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Au ministère, je m’efforce de le mener avec les syndicats. Il faut faire des progrès dans les juridictions. J’ai demandé un effort aux chefs de cour. Les choses avancent, mais il y avait beaucoup d’habitudes et toute une culture à changer. Cela prend du temps.

          Pour ce qui est des emplois-jeunes, en l’occurrence les agents de justice, nous sommes très attentifs à leur formation. Dans les juridictions nous avons mis en place une formation initiale d’adaptation à l’emploi en 4 à 6 semaines ainsi qu’une formation continue, et nous nous attachons à faciliter l’accès aux concours administratifs. Nous procédons de même dans l’administration pénitentiaire, avec notamment un livret de suivi du jeune.

          J’ai déjà répondu sur les prisons d’outre-mer, dont Mme Tasca s’est également préoccupée. Depuis quelques années, nous avons construit de nouveaux établissements à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Restent les deux établissements de Saint-Denis et de Nouméa où la situation est effectivement déplorable. J’espère que nous pourrons y remédier sans tarder.

          Le nombre de femmes incarcérées est stationnaire. Il est encore plus important dans leur cas de préparer et d’améliorer les conditions de sortie car leur réinsertion professionnelle est plus difficile. Des programmes de formation sont en cours, dans des établissements comme celui de Rennes. Nous sommes attentifs en particulier à l’accueil des enfants. Il est vrai qu’il est déchirant de les faire partir entre 18 mois et 2 ans, mais les psychologues disent bien qu’ils ne peuvent rester en milieu clos. Grâce aux cellules ouvertes, nous veillons à une première forme de socialisation. Le contact avec le père pose également problème, notamment quand les deux parents sont détenus. Nous cherchons à placer les enfants dans des familles qui ne soient pas trop éloignées de l’établissement afin de maintenir le contact.

          Enfin, j’ai conscience de l’importance de la déontologie. Un code est en cours d’élaboration et la commission Canivet fera un rapport sur le contrôle externe. Il faut rendre plus claires les missions du service public de la justice. Nous nous y efforçons en particulier avec les maisons de justice et du droit. Il y en avait 16 à mon arrivée, il devrait y en avoir une centaine à la fin de l’année prochaine.

          M. Mermaz a raison, on porte beaucoup d’attention au pénal et peut-être pas assez au civil. Je n’oublie pas la réforme de la cour d’assises qu’il a mentionnée, mais il faut arbitrer sur l’affectation des moyens. J’espère progresser sur la mise au point du système tournant, – sans pouvoir prendre d’engagement puisque cela ne dépend pas que de moi –, et disposer des moyens nécessaires en 2001.

          M. Mermaz a évoqué également les droits de l’homme. S’agissant du juge de la détention, la collégialité était prévue dans la réforme Badinter, elle ne l’était plus dans la réforme Vauzelle. Là encore ce sera une question de moyens. Voyons d’abord comment fonctionne le système. S’il fonctionne bien, mieux vaut affecter les moyens qui nous restent à réduire les délais. En ce qui concerne l’utilisation des menottes, l’article 803 du nouveau code de procédure pénale fixe déjà des conditions précises. Mais l’escorteur, qui est un gardien sur lequel pèse toute la responsabilité, prend des précautions parfois excessives. Le débat sur la présomption d’innocence permettra de parler de nouveau de ce problème et, j’espère, d’aller dans le bon sens.

          M. Louis Mermaz : Il y a également les transferts en train…

          Mme la Garde des Sceaux : et en avion, c’est certain. Lorsque l’usage des menottes est inévitable, je préfère qu’au moins, on ne prenne pas de photos.

          M. Warsmann est intervenu sur un ton plus polémique…

          M. Patrick Devedjian : Il est dans l’opposition !

          Mme la Garde des Sceaux : Vous aussi, et vous n’êtes pas intervenu sur ce ton… cette fois (Rires). Il a parlé d’Avignon, ma terre d’élection. Je suis heureuse de confirmer que la livraison du palais de justice d’Avignon aura bien lieu début 2000, si tout va bien, et que celle de la nouvelle prison du Pontet – dont le maire est RPR – qui remplacera celle d’Avignon, devrait avoir lieu en 2001. A mon arrivée j’ai trouvé des dossiers techniques tout prêts concernant la prison et le palais de justice d’Avignon ; il ne manquait que le financement.

          M. Patrick Devedjian : Encore l’héritage !

          Mme la Garde des Sceaux : J’ai débloqué le financement. Je pense que tout le monde ne peut que s’en réjouir.

          M. Pascal Clément : Nous sommes dans une autre conjoncture économique !

          Mme la Garde des Sceaux : M. Hage m’a interrogée sur la résorption de l’emploi précaire. Sur 611 personnes à titulariser après les concours particuliers, 89 l’ont été en 1997, 138 en 1998, 157 en 1999, soit 384 au total. Nous devrions titulariser les 227 qui restent en l’an 2000.

          Des moyens ont été dégagés sur le budget 1999 pour mettre en œuvre la loi relative à la délinquance sexuelle. Mais cela ne concerne pas le seul ministère de la justice.

          En ce qui concerne le palais de justice de Paris, tout le monde est maintenant d’accord pour dire que de la cour d’appel, de la Cour de cassation et du tribunal de grande instance, c’est ce dernier qui quittera l’île de la Cité. Sur les 90 000 m² du site, il en occupe 40 000 et il en manque 60 000. Les magistrats travaillent dans des locaux extérieurs loués qui sont coûteux et où la sécurité est insuffisante. J’ai étudié la question avec les magistrats et mon collègue du Budget. Nous avons plusieurs sites en vue, dont la ZAC du XIIIe arrondissement, envisagée par mon prédécesseur (Rires). Dans ce cas également il y avait des études techniques mais pas de financement.

          M. Patrick Devedjian : Nous étions pauvres.

          Mme la Garde des Sceaux : Je ne peux évidemment prendre seule la décision d’engager une opération de plusieurs milliards. Je travaille dans la perspective du prochain collectif budgétaire et j’ai bon espoir d’aboutir.

          M. Patrick Devedjian : S’agit-il bien de 2 milliards ?

          Mme la Garde des Sceaux : 2 milliards à 2,5 milliards. Ce qui coûte cher la première année c’est le foncier. Nous avons donc cherché des terrains appartenant à l’État pour diminuer cette charge. Par la suite, nous pourrons assurer plus facilement le financement sur les crédits du ministère, avec un étalement.

          M. Pascal Clément : Quelles sont les différentes hypothèses ?

          Mme la Garde des Sceaux : Il y en a plusieurs – pas beaucoup d’ailleurs. Vous comprendrez que je réserve ma réponse. Ce choix ne différera d’ailleurs pas la décision, et je le répète, j’espère obtenir une décision dans la prochaine loi de finances.

          M. Georges Sarre : J’ai deux questions portant sur la prison, en commençant par la sortie. Lors d’une visite de nuit avec le SAMU social de Paris, j’ai constaté qu’il était fréquent qu’on libère des prisonniers la nuit, notamment des jeunes, avec tous les problèmes que vous pouvez imaginer. Ce n’est pas acceptable. Comment y remédier et dans quels délais ?

          S’agissant de l’entrée en prison, je voudrais évoquer le cas du citoyen Papon. Comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi n’a-t-il pas été placé sous contrôle judiciaire ce qui permettrait de savoir où il se trouve ? Les associations d’anciens résistants et de déportés s’inquiètent. Serge et Arno Klarsfeld ont fait plusieurs démarches. Je m’étonne que le dossier soit resté pendant.

          D’autre part, concernant le fichier ADN, je trouve légitime de prendre toutes les précautions pour que des sadiques et des détraqués ne retrouvent pas la liberté sans que leur nom soit inscrit dans un fichier. Presque tous les pays ont adopté cette méthode et en sont satisfaits. Il faut protéger les droits de l’homme. Je souhaite que le Gouvernement prenne une décision dans ce domaine.

          M. Jacky Darne : Vous avez déjà répondu, Madame la Garde des Sceaux à la plupart de mes préoccupations, mais je veux revenir sur le système pénitentiaire. En effet, quand on rencontre les représentants des syndicats et les responsables de l’Observatoire international des prisons, quand on visite les établissements, on ne peut manquer de relever un certain nombre de problèmes.

          Tout d’abord, l’organisation des visites de familles et leur accueil ne sont pas satisfaisants. Par ailleurs, les conditions du cantinage et des travaux confiés aux prisonniers varient considérablement d’un établissement à l’autre de même que les moyens destinés à préparer la sortie, notamment la formation professionnelle, dont on sait pourtant qu’ils sont primordiaux. On peut également regretter l’insuffisance de l’encadrement au moment où les détenus quittent la prison et retournent, le plus souvent, vers leur territoire d’origine. Un travail social renforcé éviterait sans doute les récidives. Les surveillants se déclarent souvent incapables d’accueillir les jeunes des quartiers difficiles. Une véritable formation s’imposerait donc, afin qu’ils puissent s’adapter aux nouveaux types de délinquants.

          On peut regretter les changements d’affectation trop fréquents des juges des enfants, souvent sans qu’ils l’aient demandé et après deux ans seulement dans un poste ; cela ne facilite pas leur travail. Ces juges doivent en outre traiter un trop grand nombre de dossiers, ce qui les empêche de les suivre dans de bonnes conditions.

          Je déplore, comme d’autres, les délais d’attente trop longs devant la chambre sociale de la cour d’appel comme devant les conseils de prud’hommes. En effet, des décisions trop tardives ne peuvent être exécutées.

          Il me semble par ailleurs qu’un trop grand nombre de ministères est souvent appelé à intervenir. Cela se vérifie en particulier dans l’obtention des documents d’identité pour les personnes d’origine étrangère, mais aussi dans les enquêtes sur le blanchiment d’argent. La multiplication des intervenants nuit à l’efficacité de la politique pénale.

          M. Robert Pandraud : Ne pourriez-vous, Madame la Garde des Sceaux, revoir en profondeur les modalités d’obtention des certificats de nationalité. Il s’agit en effet aujourd’hui d’un véritable parcours du combattant, d’autant que nul ne sait où sont situés les greffes des tribunaux d’instance. Pourquoi ne pas confier cette tâche aux préfets, représentants du Gouvernement, bien sûr sous votre autorité ?

          J’aimerais par ailleurs connaître le nombre de magistrats qui sont actuellement en congé de longue durée et en congé de maternité, ce qui fait perdre de nombreuses heures de travail, ainsi que le nombre de congés liés à des maladies mentales, précision qui contribuerait à l’étude psychologique de cette catégorie socio-professionnelle.

          Enfin je regrette que trop d’instructions et de procès soient conduits sans que l’on mesure leur impact financier. Le souci de ne pas gaspiller l’argent des contribuables semble trop peu présent. Saura-t-on un jour ce qu’à coûté l’affaire des paillotes, à coup d’envois d’experts sur les lieux et de transferts des prévenus de Paris à Ajaccio ? Sans doute y aurait-il de quoi construire dix très beaux restaurants en Corse ou de quoi payer le traitement du juge d’instruction pendant des années…Vraiment, l’argent public pourrait être mieux utilisé qu’à de telles parodies.

          Mme Nicole Feidt : Vous nous avez fait part, Madame la Garde des Sceaux, de vos intentions en matière de construction et de rénovation des établissements. J’aimerais savoir si la gestion des établissements publics pourra être mixte entre privé et public et à qui incombera la compétence de la santé.

          On sait que le fait de côtoyer, au cours de leur incarcération, des délinquants confirmés accroît le risque de récidive chez les primo-délinquants. Il me semble donc que les peines aménagées comme la semi-liberté, les chantiers extérieurs, le placement sous surveillance ne sont pas assez développées. Les moyens qui leur sont consacrés sont-ils suffisants ? Les structures d’accueil pour mineurs sont souvent utilisées par la protection judiciaire de la jeunesse en matière pénale, mais il semble que l’on n’y recoure pas suffisamment en matière civile. Il faut pourtant absolument rechercher toutes les solutions alternatives à l’incarcération. Le partenariat entre la protection judiciaire de la jeunesse et l’aide sociale à l’enfance des départements progresse-t-il ?

          M. Jean Pontier : Je souhaite insister sur les problèmes de la protection judiciaire. Bien sûr, des moyens exceptionnels sont dégagés pour faire face à l’urgence sociale qu’est la délinquance des mineurs, mais un temps d’adaptation sera nécessaire avant qu’ils soient effectivement déployés. Ne pourrait-on imaginer, comme on l’a fait dans les années 1950 pour l’éducation surveillée, d’embaucher comme contractuels des gens de talent, peut-être sous-diplômés, mais capables de rendre service immédiatement et qui pourraient être intégrés ultérieurement par la voie de la formation ?

          Je souhaiterais par ailleurs que l’on fasse un point complet sur les unités à encadrement éducatif renforcé et sur les centres de placement immédiat. Plus globalement, où en sont les départements en matière de protection judiciaire ? L’Observatoire a en effet montré une judiciarisation du système de protection de l’enfance avec 189 849 mesures judiciaires d’action éducative en milieu ouvert.

          M. Claude Hoarau : Tous les collègues ont salué l’augmentation de ce budget et j’aurais envie de me joindre à l’enthousiasme du vote solennel. Mais une question demeure : quand fermera-t-on l’immonde prison de Saint-Denis de la Réunion qui est une honte pour la République ? Quand construira-t-on un nouvel établissement ?

          Vous annoncez, Madame la Garde des Sceaux, cinq prisons nouvelles pour l’an prochain, mais pourquoi celle-ci n’est-elle pas une priorité ? Dès 1995, les services d’hygiène du ministère concluaient à la nécessité de la fermer. Il y a un an, vous répondiez à M. Tamaya que la reconstruction ne figurait pas dans le programme actuel. L’urgence a été soulignée l’an dernier mais cette priorité n’a pas été retenue, l’urgence est à nouveau soulignée cette année et la priorité n’est toujours pas retenue.

          Un terrain avait été choisi, situé à quinze minutes de la cour d’appel et de la cour d’assises, mais les atermoiements devraient conduire à en choisir un autre.

          Pourquoi accepte-t-on à la Réunion ce que l’on n’accepte pour la population carcérale de la métropole ? Existe-t-il des citoyens de la République de seconde zone ? Cette honte doit disparaître. Il faut que vous engagiez de toute urgence la construction de la nouvelle prison de Saint-Denis.

          J’ai entendu la réponse que vous avez faite il y a quelques jours à Huguette Bello. Elle visite, aujourd’hui encore, en compagnie d’Elie Hoarau, les prisons de la Réunion afin que soit prise en compte la demande des Réunionnais et du personnel qui n’en peut plus. J’ai pris acte de votre volonté d’avancer mais j’attends maintenant la programmation rapide de la construction. Nos collègues de la commission des lois, qui se sont déplacés à la Réunion, nous ont apporté leur soutien. J’aimerais que notre ténacité soit récompensée dans les meilleurs délais.

          M. Jérôme Lambert : Les délais sont toujours trop longs, de plus certains jugements mis en délibéré sont rendus avant même d’avoir été rédigés, ce qui est contraire à la loi.

          Malgré les importants moyens apportés par le Gouvernement actuel, la justice doit faire face à l’accroissement des affaires. Celui-ci n’étant pas lié à l’augmentation de la population, quelles raisons voyez-vous, Madame la Garde des Sceaux, à cette judiciarisation de la vie et des rapports humains ? Y discernez-vous une dérive qui pourrait trouver réponse hors du champ de votre ministère ?

          M. André Gerin : L’ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs avait cette vertu fondamentale qu’elle s’inscrivait dans une démarche éducative. Elle n’a jamais été appliquée dans sa totalité. Il faut résister au harcèlement textuel et judiciaire, c’est-à-dire rechercher des solutions alternatives à la détention. Les mineurs délinquants, notamment les récidivistes, doivent être pris en charge dans des conditions plus humaines, afin de favoriser leur réinsertion dans la société.

          Les collectivités doivent s’engager au plus près du terrain sur cette question, sans quoi nous préparons des lendemains douloureux.

          Se pose aussi la question de la responsabilité des parents, des institutions, de l’exemplarité. Il faut combattre l’individualisme, et penser en termes éducatifs, afin que ces jeunes fassent l’apprentissage de la responsabilité.

          M. René Dosière : J’apprécie votre préoccupation, Madame la ministre, d’améliorer le fonctionnement de la justice, et j’approuve le renforcement de l’inspection générale. Comme dans toute administration, on constate des dysfonctionnements : des dossiers se perdent, certains magistrats ont une activité réduite… Mais les dysfonctionnements de votre administration sont plus médiatisés que les autres, si bien que l’opinion a l’impression qu’ils ne sont pas corrigés. D’ailleurs, qui est responsable ? Le procureur général, les juges, les greffiers ? Comment allez-vous remédier à ces problèmes ?

          M. Bruno Le Roux : Des décisions ont été prises au cours des conseils de la sécurité intérieure de juin 1998 et de janvier 1999. Je m’interroge sur leur mise en œuvre. Existe-t-il des obstacles qui pourraient vous empêcher d’atteindre vos objectifs ? Par ailleurs, ce sont en général les communes qui ont le plus besoin de moyens supplémentaires qui peuvent le moins participer aux efforts budgétaires.

          S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, il sera difficile de recruter, de former et d’installer des fonctionnaires dans un délai court. Avez-vous constitué une structure de pilotage ?

          Mme la Présidente : Cet échange, Madame la Garde des Sceaux, montre la satisfaction des parlementaires quant à votre budget, mais aussi les attentes accrues que nourrit l’augmentation des moyens.

          Mme la Garde des Sceaux : Je n’ai pas répondu tout à l’heure à M. Tourret sur l’exécution de plein droit : nous allons réactiver le groupe de travail que présidait M. Canivet avant de changer d’attributions.

          M. Sarre a évoqué le problème des libérations tardives. En théorie, les personnes concernées peuvent rester dans les établissements pénitentiaires, mais ce n’est évidemment pas une solution (Sourires). Nous préparons donc une convention avec la Croix Rouge pour l’accueil de ces personnes.

          S’agissant de la délinquance sexuelle, le fichier ADN a été transmis à la CNIL. Dès que celle-ci aura rendu son avis, le Conseil d’Etat sera saisi et le décret publié. Il nous a fallu réaliser un important travail interministériel et j’ai bon espoir qu’il aboutisse rapidement.

          J’en viens à l’affaire Papon. Quelques jours après le début du procès, la cour d’assises de la Gironde a décidé de mettre M. Papon en liberté, ce qui a ensuite interdit de le placer sous contrôle judiciaire, cette procédure étant une alternative à la détention provisoire. Il semble que M. Papon ne se constituera pas prisonnier. Dans ce cas, son pourvoi en cassation tombera et nous disposerons d’une base légale pour faire exécuter le jugement qui le condamne à dix ans de réclusion criminelle pour crime contre l’humanité.

          Inutile de dire que j’ai déjà envoyé des instructions au procureur général de Bordeaux qui devra, dans l’hypothèse que j’évoque, agir avec la plus grande diligence. M. Léonetti en a profité pour souligner que, moi aussi, je donnais des instructions aux magistrats. Ne confondons pas tout : il ne s’agit pas en l’occurrence de dévier le cours de la justice, mais de faire exécuter un jugement. Il y a quelques mois, par exemple, j’ai ordonné à un procureur de mettre en liberté quelqu’un qui était maintenu en prison à tort.

          Dans l’affaire Papon, la Cour de cassation rendra sa décision demain matin, sauf si elle accepte d’entrer dans le débat ouvert par la Cour européenne de justice, pour laquelle on ne peut demander, comme nous le faisons en France, aux justiciables de se constituer prisonniers avant l’examen de leur recours en cassation. Les avocats de M. Papon ont introduit un recours sur ce point, mais un tel recours n’est pas suspensif, non plus qu’une demande de grâce présidentielle. Dans tous les cas, la décision sera notifiée à M. Papon. S’il n’est pas là, l’ordre de l’arrêter sera diffusé au plan national et international. Il serait particulièrement choquant que M. Papon puisse se soustraire à la justice, lui qui a bâti son système de défense sur l’argument qu’il avait « servi l’Etat ».

          Jacky Darne a évoqué la détention des mineurs. Il faut s’en tenir à l’ordonnance de 1945, qui comporte certes un volet éducatif, mais qui autorise aussi la détention : en matière criminelle pour les 13-18 ans et en matière correctionnelle également pour les 16-18 ans. Il faut améliorer la prise en charge des mineurs, et c’est pourquoi nous tâcherons d’augmenter les crédits des centres de placement immédiat et des centres d’éducation des mineurs.

          Lutter contre le blanchiment des capitaux, j’y travaille depuis deux ans. Avant que M. Strauss-Kahn et moi-même abordions ensemble ce problème, la justice n’utilisait pas les informations dont disposent les établissements financiers, tenus de se montrer vigilants à l’égard des dépôts anonymes.

          Hier, à Moscou, s’est tenue la réunion du G8, au cours de laquelle j’ai abordé cette question. Notre priorité est l’adoption définitive de la convention de Vienne relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, qui donnera à tous les pays signataires une définition commune du crime organisé et un système analogue de sanctions. Les décisions prises au sommet de Tampere sont bonnes. Il nous faut bâtir Europol.

          Avec la Grande-Bretagne, nous avons décidé hier de mettre en place un groupe de travail réunissant les ministères de la justice, de l’intérieur et des finances des deux pays. Les Américains, quant à eux, ont beaucoup évolué sur cette question. Ils nous soupçonnaient de vouloir réglementer de manière déguisée les marchés internationaux. Mais je leur ai indiqué qu’on ne pourrait lutter efficacement contre le crime organisé sans le frapper au cœur, c’est-à-dire empêcher le blanchiment.

          A Tampere, la France a proposé de renforcer le contrôle des centres offshore, d’établir une liste des territoires délinquants et d’étudier comment certains instruments juridiques et commerciaux ont pu être dévoyés. En outre, une réunion des ministres de la justice, de l’intérieur et des finances doit être organisée au niveau de l’Union européenne. Il faudra la préparer soigneusement.

          Comme l’ont indiqué MM. Darne et Pandraud, les certificats de nationalité française nous posent de gros problèmes. Nous avons décidé d’inscrire en marge des actes de naissance toute première délivrance de certificat de nationalité.

          J’ai diffusé fin 1998 une circulaire aux juridictions pour les amener à tenir compte de la possession d’état de Français – par la carte d’électeur, l’accomplissement du service national, le statut de fonctionnaire, etc. – plutôt que d’obliger à rechercher les actes civils des parents et grands-parents, ce qui est particulièrement difficile quand ils sont nés à l’étranger. L’application de cette circulaire devrait éviter des recherches interminables qui aboutissent à des situations absurdes.

          M. Robert Pandraud : Le citoyen de base ne sait pas toujours où sont les tribunaux d’instance et les greffes !

          Mme la Garde des Sceaux : On ne peut pas fonctionner uniquement avec les préfectures et les sous-préfectures.

          En ce qui concerne le coût des procédures judiciaires, les procédures les plus spectaculaires ne sont pas forcément les plus onéreuses. Les déplacements de magistrats et de greffiers ne représentent que 0,25 % des frais de justice pénale et sont en baisse régulière. Nous ne voulons pas de justice expéditive, surtout dans ce domaine.

          Mme Feidt, nous avons demandé un rapport à M. Pradier sur la gestion des services de santé pénitentiaire : il a conclu en faveur de la gestion mixte et, avec ma collègue Dominique Gillot, nous nous orientons plutôt vers cette solution.

          M. Pontier, nous avons recruté 50 contractuels ; on ne peut pas aller trop loin car il faut pouvoir ensuite intégrer ces personnes.

          En ce qui concerne la prison de Saint-Denis, le problème est que d’autres établissements pénitentiaires sont dans une situation comparable. On ne peut pas résoudre tout à la fois.

          M. Gerin a eu raison de rappeler le principe de l’ordonnance de 1945 et la nécessité d’élargir la responsabilité à tous les acteurs.

          La judiciarisation évoquée par M. Lambert est un fait réel. Nous travaillons à développer la conciliation, la médiation, la transaction. Je reviendrai plus longuement sur la responsabilité pénale des élus à l’occasion d’un autre débat ; j’ai demandé à une commission spécialisée de me fournir un rapport d’ici la fin de l’année.

          M. Léonetti a évoqué les préoccupantes pertes de documents dans certaines juridictions. Je ne laisserai pas ces événements sans suite. A Marseille, nous savons qu’il y a eu une erreur des services et j’ai demandé au procureur de prendre toutes les dispositions nécessaires pour qu’elle ne se renouvelle pas. A Nice, beaucoup de rumeurs courent depuis des années ; deux enquêtes préliminaires de la police n’ont pas donné de résultat et l’inspection des services judiciaires n’a pas non plus découvert de preuves. Il a fallu l’arrivée d’un nouveau procureur pour que nous ayons des indications plus précises. Je l’ai reçu et, sur la base de son rapport écrit, des moyens seront donnés pour remédier aux dysfonctionnements et prendre d’éventuelles mesures disciplinaires.

          Sur la question de la responsabilité des magistrats soulevée par M. Dosière, je pense que nous devons progresser. Déjà l’ensemble des textes que j’ai présentés contiennent des dispositions qui facilitent la mise en jeu de la responsabilité professionnelle des magistrats.

          En ce qui concerne leur responsabilité disciplinaire et déontologique, la loi organique sur le statut de la magistrature contiendra plusieurs dispositions : création d’une commission d’examen des plaintes des justiciables, limitation du temps d’exercice de la fonction du chef de juridiction, mobilité accrue, possibilité de saisine du CSM, publicité des audiences disciplinaires du CSM, redéfinition des sanctions, responsabilité financière de l’Etat en cas de dysfonctionnement de la justice – nous en discutons avec Bercy – réforme de l’inspection générale des services judiciaires. En un an, j’ai saisi 15 fois le CSM sur des faits très divers, allant de la conduite en état d’ivresse au non-respect du secret professionnel, à l’utilisation abusive de la liberté de parole pour attaquer des tiers, etc. Je l’ai fait souvent sur le rapport des chefs de cour, qui ont eux-mêmes lancé une cinquantaine d’avertissements. C’est donc une question que nous suivons de très près.

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          Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la justice pour 2000 concernant les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.

ORGANISATIONS SYNDICALES

REÇUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS

          — Syndicat CFDT – Fédération justice (branches administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse, services judiciaires)

          — Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse – Fédération de l’éducation nationale – Fédération autonomie justice – Union nationale des syndicats autonomes (SPJJ – FEN – FAJ – UNSA)

          — Syndicat national des personnels de l’éducation surveillée – Protection judiciaire de la jeunesse (SNPES – PJJ)

          — Syndicat national FO de la protection judiciaire de la jeunesse (SN – FO – PJJ)

          — Syndicat national FO des personnels administratifs

          — Syndicat national FO des personnels de surveillance

          — Syndicat national FO des personnels techniques

          — Syndicat national FO des personnels de direction

          — Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP)

          — Union syndicale pénitentiaire (USP)

N°1865-06. - Avis de M. André Gérin, au nom de la commission des Lois, sur le projet de loi de finances pour 2000. - Justice : services pénitentiaires et protection judiciaire de la jeunesse

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