N° 3322

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 octobre 2001.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2002 (n° 3262),

TOME VI

DÉFENSE

PAR M. JEAN-BERNARD RAIMOND

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

La Commission des Affaires étrangères est composée de :

La Commission des affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Philippe Briand, M. Bernard Brochand, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Jean-Claude Decagny, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Michel Fromet, M. Georges Frêche, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. Michel Grégoire, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Le Vern, M. Jean-Claude Lefort, M. Pierre Lequiller, M. François Léotard, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. Jean Rigal, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Georges Sarre, M. Henri Sicre, M. Dominique Strauss-Kahn, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle.

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LA NÉCESSITÉ D'AFFIRMER DES PRIORITÉS DANS UN MONDE
DE PLUS EN PLUS INCERTAIN
7

II - UN BUDGET QUI NE RÉPOND PAS TOTALEMENT À CERTAINES FAIBLESSES DE NOTRE SYSTEME DE DÉFENSE 21

CONCLUSION 30

EXAMEN EN COMMISSION 32

ANNEXE 1 - Evolution du budget de la défense depuis 1981 30

Mesdames, Messieurs,

Le XXème siècle aura été celui de l'affrontement entre totalitarismes et démocratie. Cette période de l'histoire a heureusement pris fin en 1989 avec l'effondrement du mur de Berlin et du système communiste. Il est pour le moins paradoxal de constater que jamais les armées n'auront été autant sollicitées que depuis la disparition de cet affrontement bipolaire direct. « La fin de la guerre froide crée une situation d'apesanteur stratégique inconnue en France depuis deux siècles ». Il n'existe plus d'ennemi pré-désigné, ni de codification de montée aux extrêmes, mais au contraire une accentuation de l'imprévisibilité des situations portant aussi bien sur la nature de l'ennemi que celle des dangers contre lesquels il convient de se prémunir. Il ne faut pas en conclure que le monde actuel est plus dangereux ou pire que le précédent.

Les attentats du 11 septembre 2001 apparaissent moins comme une rupture que comme la confirmation de la permanence d'une violence planétaire, et plus encore de sa prolifération. Le scénario de ces attentats avait déjà été écrit dans des romans de science-fiction ou des logiciels de jeu vidéo : ils étaient donc en partie prévisibles. Pourtant, ils n'ont pas été prévus et n'ont pu être déjoués. C'est cette contradiction que nous voudrions essayer de comprendre à travers ce rapport.

Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur l'adéquation entre les efforts de défense menés ces dernières années et le nouvel environnement géostratégique ; nous étudierons dans un second temps les faiblesses persistantes de notre système de défense et les réponses que tente d'apporter le projet de budget pour 2002.

I - LA NÉCESSITE D'AFFIRMER DES PRIORITÉS DANS UN MONDE DE PLUS EN PLUS INCERTAIN

Les événements du 11 septembre ont causé un désarroi important dans les pays occidentaux qui se sont (re)découverts vulnérables. Cette période de troubles rend d'autant plus nécessaire la définition de quelques grandes priorités, qui constitueront autant de points de repères pour la définition des politiques futures.

A - Les nouvelles conditions de sécurité

Pour nous, les attentats du 11 septembre constituent moins une rupture qu'un révélateur des nouvelles conditions de sécurité dans lesquelles nous vivons depuis 1989 : un monde instable marqué par la prolifération insidieuse des armes de destruction massive et porteur pour nos pays de nouvelles vulnérabilités.

1) L'utopie d'un monde pacifié

La disparition d'un ennemi central, dont les forces armées étaient massées à 200 kms de Strasbourg, a favorisé l'illusion d'un monde irénique succédant à celui de la guerre froide. Cette espérance a toutefois vite été détrompée. La problématique de la guerre est demeurée très présente au cours de ces dix dernières années durant lesquelles les Nations Unies ont en permanence recensé entre trente et trente-cinq conflits ouverts. Le fait toutefois que tant l'Amérique du Nord que l'Europe de l'Ouest aient été épargnées par cette violence entretenait la croyance que la guerre appartenait sinon à un autre temps, du moins à un autre espace. Les attentats du 11 septembre 2001 ont rappelé certaines évidences que l'on avait voulu oublier, à savoir que ce que l'on appelle aujourd'hui la globalisation concerne également la violence, et qu'il ne saurait indéfiniment exister de conflits dits périphériques sans incidence sur la sécurité des nations occidentales.

Le monde actuel, par rapport à celui d'avant 1989, est plus instable tant du fait du danger représenté par certains Etats que par des acteurs non-étatiques.

La menace représentée par une superpuissance ennemie a certes disparu mais elle a été remplacée par celle d'Etats perturbateurs, tout aussi difficiles à contrôler et à intimider. Certes, ces Etats ne sont pas susceptibles de menacer nos frontières et ne représentent pas un risque d'invasion. Mais ils peuvent en revanche utiliser à l'encontre de tous les autres pays, dans le cadre d'une agression caractérisée ou d'un chantage, toute une panoplie d'instruments allant de l'attaque balistique sur des sites névralgiques, à des attentats terroristes, éventuellement chimiques ou biologiques.

Les Etats-Unis ont popularisé la notion de «Rogue States » que l'on traduit habituellement en français par «Etats voyous ». Sont ainsi qualifiés par les Etats-Unis divers pays répondant à plusieurs critères : soutien au terrorisme international, acquisition ou développement d'armes de destruction massive, régime politique répressif.... Sont particulièrement visés la Corée du Nord, l'Irak, l'Iran, la Libye et la Syrie.

Il est bien difficile d'établir des critères objectifs de classification des Etats et la notion de «Rogue States » transformé récemment en celle de «States of concern » demeure assez floue : elle reflète de fait essentiellement l'animosité de ces pays à l'égard des Etats-Unis. C'est peut-être la raison pour laquelle l'Afghanistan des Taliban, autrefois soutenu par les Etats-Unis, ne figurait pas en première place sur cette liste.

Cette notion a toutefois un mérite, celui de rappeler que les règles que la communauté internationale essaie de définir -règlement pacifique des conflits, respect des droits de l'Homme, mise en _uvre d'un droit international humanitaire ou pénal...- ne font pas l'unanimité et qu'elles se heurtent à certaines réticences de la part d'acteurs étatiques. Certains pays n'hésitent d'ailleurs pas à violer les engagements internationaux auxquels ils ont pu souscrire, ce qui affaiblit d'autant toute politique de prévention.

Cette même notion souligne également l'urgence d'une politique de règlement des tensions régionales : Proche-Orient, Golfe, Asie du sud, Asie du nord-est.... Lorsque l'ennemi n'est plus aux frontières, la sécurité dépend de la plus ou moins grande stabilité des environnements sociaux, économiques, culturels. Dans ces régions, une montée de la violence aux extrêmes est toujours possible et la plus grande incertitude demeure sur les capacités militaires pouvant être mises en jeu et les raisonnements qui prévaudront pour leur emploi. Le débat sur le droit d'ingérence collective est aujourd'hui définitivement derrière nous ; ce droit est aujourd'hui devenu un devoir. Une telle évolution influe sur les scénarios militaires qui prennent de plus en plus en compte les projections de forces.

Les acteurs non-étatiques ont pris ces dernières années une dimension de plus en plus importante sur la scène internationale. C'est le cas pour les ONG mais c'est le cas aussi d'organisations plus souterraines, dont les buts ne sont pas principalement humanitaires. Pour éviter toute confusion, il est éminemment souhaitable que les ONG pratiquent la plus totale transparence quant à leurs ressources, car ce que l'on est en train de découvrir sur certaines d'entre elles ne doit pas conduire à discréditer l'ensemble de ce mouvement.

La globalisation des économies a été de pair avec celle de la criminalité, qui autrefois structurée sur des bases nationales constitue aujourd'hui un véritable réseau mondial, dont la puissance s'appuie sur des trafics également mondialisés : drogue, organes ou êtres humains, armes... Cela veut dire que notre système de défense doit ajouter à la logique de territoire une logique de réseau qui prenne en compte une menace dont les acteurs sont répartis de façon plus ou moins complémentaire le long d'une chaîne opérationnelle n'ayant pas obligatoirement d'assise territoriale. Celle nouvelle logique était ainsi décrite dans la revue Défense nationale : « Tournez-vous vers l'Afghanistan, le Pakistan, la Colombie, l'Amérique centrale. Limitez-vous aux données locales, et vous n'aurez qu'une vue bancale des réalités, amputées d'éléments essentiels : l'univers ramifié des trafiquants de narcotiques, leurs appuis internationaux, l'acheminement de la drogue par des chemins tracés par des allégeances personnelles. Pour mesurer les difficultés de l'Algérie, prenez en compte les filières islamistes plutôt que de repérer les lieux des embuscades ».

Le réseau Al-Qaida par exemple étend ses ramifications, d'après ce qu'on en a découvert, en Afghanistan bien sûr, mais également en Arabie Saoudite, au Pakistan, en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie...

L'organisation de la défense doit en tenir compte, dont l'objet défini à l'article 1 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 est «d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ». Une telle conception, qui conduit aujourd'hui à substituer à la notion d'affrontement ou de guerre, celle autrement plus floue et complexe de sécurité, devient à l'évidence chaque jour plus exigeante. Elle nécessite clairement une dimension qui dépasse le seul cadre national et prend en compte une dimension européenne voire intercontinentale. Mais cette nécessité d'une coopération avec des partenaires étrangers ne doit pas servir de prétexte à baisser la garde au niveau des moyens nationaux, bien au contraire.

2) La prolifération des armes de destruction massives

Diverses études récentes, dont un rapport de trois de nos collègues de la Commission de la Défense, ont dressé un panorama inquiétant de la prolifération des armes de destruction massive.

En matière nucléaire, la prolifération a jusqu'à présent été limitée. Seuls trois pays ont réussi à se doter clandestinement de l'arme nucléaire : Israël, l'Inde et le Pakistan. Les efforts en ce sens de la Corée du Nord et de l'Irak n'ont pas abouti, ces deux pays ayant été contraints d'arrêter leurs recherches, le premier au terme d'une négociation bilatérale avec les Etats-Unis qui ont proposé en contrepartie une aide économique, le second à la suite de la guerre du Golfe. Les risques d'une prolifération nucléaire accrue ne peuvent toutefois être écartés pour l'avenir en raison notamment de la banalisation des savoir-faire technologiques et de la disponibilité dont ont fait preuve dans le passé certains Etats pour partager leur expertise.

Tout aussi préoccupants apparaissent aujourd'hui les risques de prolifération des armes chimiques et biologiques.

Les armes chimiques sont relativement bien connues puisqu'elles ont été employées massivement dès la première guerre mondiale et une certaine expérience a été acquise pour s'en protéger. Une convention, signée à Paris en 1993, en interdit non seulement l'usage mais également le développement, la production et le stockage et en prescrit la destruction. Cette convention a été ratifiée par 143 Etats, parmi lesquels figurent l'Iran, le Pakistan et l'Inde mais pas l'Irak, la Corée du Nord, non plus qu'Israël, l'Egypte, la Syrie ou la Libye. La dangerosité des armes chimiques est indéniable. En 1984, le relargage accidentel de 5 à 6 tonnes d'isocyanate de méthyle dans l'atmosphère, au Bhopal en Inde, provoqua la mort de 2 500 personnes et l'hospitalisation de 50 000 autres. L'Irak a massivement utilisé cette arme dans la guerre menée contre l'Iran au cours des années 80. Les caractéristiques d'emploi des armes chimiques en font moins, comme le rappelait le rapport de la Commission de la défense, une arme de théâtre militaire qu'une arme de terreur à l'encontre des populations civiles.

Un bilan dressé lors de la XXVème session du conseil exécutif de l'Organisation internationale contre les armes chimiques en octobre 2001 soulignaient notamment que seuls 53 Etats sur les 143 Etats parties avaient adopté des législations nationales d'application de la convention, et encore certaines d'entre elles demeuraient-elles incomplètes. L'objectif de ces législations est de mettre en place un dispositif pénal permettant à l'Etat partie de poursuivre toute personne physique ou morale placée sous sa juridiction qui entreprendrait quelque activité que ce soit interdite par la convention, ainsi que toute personne possédant sa nationalité qui se serait livré à des activités interdites par la convention en quelque lieu que ce soit (article VII de la convention). Un plan d'action d'application de cette convention dans ce domaine paraît indispensable.

Les armes biologiques sont probablement les plus terrifiantes ; elles font, elles aussi, l'objet d'un traité international, signé en 1972, qui en interdit l'emploi, la fabrication, le stockage et en prescrit la destruction. Cette convention compte à ce jour également 143 Etats signataires dont l'Irak, l'Iran, l'Inde et le Pakistan mais pas Israël, l'Egypte, la Syrie, l'Algérie ou la Corée du Nord. Cette quasi-unanimité ne doit cependant pas faire illusion, car la vérification des dispositions de la convention est extrêmement difficile, voire impossible, non seulement en raison de la discrétion des infrastructures et des équipements nécessaires à la production de tels produits mais également en raison de leur autre usage médical. Il est symptomatique qu'un protocole de renforcement de la convention de 1972, qui devait logiquement être adopté en août 2001 au terme de plus de six années de négociations, a finalement été rejeté. Il serait opportun de tirer partie de la mobilisation actuelle pour redonner une impulsion à l'amélioration de la convention et en faire véritablement un instrument dissuasif pour le terrorisme biologique.

Car non seulement aujourd'hui les souches «classiques » (anthrax, variole, peste...) sont facilement disponibles, mais le commerce légal des germes et des virus, sous couvert de recherches scientifiques, constitue un moyen d'accès à des produits plus «sophistiqués » (virus de fièvres hémorragiques...). Le risque de prolifération des armes biologiques doit être pris au sérieux. Nous savons aujourd'hui à quel point les Occidentaux avaient sous-estimé l'ampleur du programme biologique (Biopreparat) conduit par l'Union soviétique pendant la guerre froide qui a mobilisé 30 000 personnes, 40 sites et qui portaient sur 50 souches différentes. Et la plus grande incertitude demeure du reste sur le désarmement biologique complet de la Russie et sa maîtrise des risques de transfert de savoir-faire.

Certes, ainsi que l'écrit un membre à la direction générale de l'armement, «il y a très loin du tube à essais aux fermentateurs qui permettent de préparer les quantités nécessaires d'agents biologiques, et plus loin encore du fermentateur à une munition ». Néanmoins, on constate à travers ce qui se passe aujourd'hui aux Etats-Unis que s'il existe des verrous technologiques à l'utilisation des agents biologiques comme armes de destruction massive, leur utilisation comme moyen de désorganisation sociale est beaucoup plus aisée.

La prolifération balistique a pris un relief particulier depuis la relance des projets américains de défenses antimissiles, national ou de théâtre. Cette prolifération est naturellement très liée à celle des armes de destruction massive, dont les missiles sont les vecteurs privilégiés. Les essais de missile iranien et nord-coréen, en juillet et août 1998, ont alimenté la perception d'une dérive hors contrôle de la prolifération balistique. Il convient toutefois de distinguer la prolifération des missiles à courte portée, effectivement très préoccupante, notamment parmi les Etats répartis sur un axe allant de l'Extrême-Orient jusqu'au Maghreb, de celle des missiles intercontinentaux, beaucoup plus limitée, en raison des verrous technologiques que constituent les techniques de séparation des étages de lanceurs et des systèmes de guidage. L'impact de cette prolifération sur la sécurité et la stabilité de certaines régions n'en reste pas moins réel, notamment au Moyen-Orient et dans la zone indo-pakistanaise. Sur le plan global, une telle prolifération complique les interventions et les engagements de défense ; elle constitue à l'évidence une menace pour des concentrations de forces alliées déployées en mission extérieure.

Ce rapide tour d'horizon de la prolifération des armes de destruction massive nous amène à conclure que cette menace est aujourd'hui plus ou moins contenue : il n'existe pas à proprement parler de course mais un développement continu des efforts d'appropriation. Cette prolifération doit en conséquence être impérativement prise en compte dans la constitution de notre dispositif de défense. La fin de la guerre froide qui gelait les conflits régionaux a accru la demande de ce type d'armes. Inversement, la dissémination des technologies et des savoir-faire (du fait de l'éclatement de l'Union soviétique, des nouvelles technologies de l'information, d'Internet ...) a multiplié les offres. Ces évolutions sont d'autant plus préoccupantes que l'expérience montre que la prolifération s'auto-entretient, soit par un effet de synergie par le biais de coopérations plus ou moins clandestines, soit par un effet d'imitation ou d'action/réaction (c'est le cas de l'Inde et du Pakistan) ou encore par un effet de recherche de rentabilité par le biais des exportations. Une raison supplémentaire d'inquiétude vient de ce que très probablement nous ne pouvons voir que la partie émergée de l'iceberg.

3) Les nouvelles vulnérabilités

Les nouvelles vulnérabilités sont un sujet sur lequel les experts insistent souvent, et à juste raison. Elles sont liées à la fois aux nouvelles technologies et à la mondialisation.

La sécurité des systèmes d'information, c'est à dire  la protection à la fois de la disponibilité et de la confidentialité des données, est devenue une préoccupation de défense car une attaque ciblée pourrait mettre en péril de nombreux secteurs stratégiques comme, par exemple, les télécommunications, les transports ou les systèmes de paiements. Certes, l'ampleur de cette menace est pour l'instant limité et nous disposons encore de quelques années pour mettre eu point des défenses efficaces. Mais dès aujourd'hui les dégâts causés par la diffusion de virus informatiques comme «I love you » sont suffisamment importants pour que l'on imagine ceux provoqués par un virus encore plus agressif et rapide. Pour la défense, il est urgent de développer de nouveaux domaines d'expertise et nécessaire de travailler en réseau avec nos partenaires.

La seconde vulnérabilité provient de l'acceptation de zones de pauvreté et de non-droit, laissées de côté et de plus en plus marginalisées par la mondialisation économique. Les pays occidentaux ont cru pouvoir s'accommoder sans danger de l'existence de ces zones grises, réceptacles de violence, qui étaient censées ne compromettre ni leur croissance ni leur sécurité. Le 11 septembre a montré que ce cloisonnement était illusoire et que la violence présente dans ces zones pouvait, elle aussi, être exportée.

B - Des priorités à maintenir

La rapide analyse ci-dessus nous conduit naturellement à examiner les priorités affichées de la défense française au regard de l'évolution de ces conditions de sécurité. Au-delà des changements de gouvernement, il est possible de distinguer trois priorités qui nous semblent devoir être maintenues et accentuées dans les années à venir : le maintien de notre dissuasion nucléaire, l'autonomie stratégique de nos armées et le développement d'une dimension européenne.

1) Le maintien de notre dissuasion nucléaire

Dans son discours du 8 juin 2001 devant la 53ème  session nationale de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, le Président de la République, M. Jacques Chirac, a souligné que «notre sécurité est et sera avant tout garantie par la dissuasion nucléaire ». Ce concept, faut-il le rappeler, se définit par la volonté et la capacité de faire redouter à un adversaire, quel qu'il soit et quels que soient ses moyens, des dommages inacceptables, hors de proportion avec l'enjeu du conflit, s'il cherche à s'en prendre à nos intérêts vitaux. Il est fondé sur la détention d'une capacité nucléaire reposant actuellement sur deux types de moyens, jugés complémentaires : les missiles balistiques équipant la composante océanique, emportés par des sous-marins, et des missiles à trajectoire aérobie pour la composante aéroportée.

Ce concept de dissuasion nucléaire est-il encore adapté aux incertitudes et menaces nouvelles que nous avons rappelées ci-dessus ? Certains voudraient voir en effet dans les propos du Président de la République l'expression soit d'une stratégie par défaut, soit d'une nostalgie gaulliste anachronique.

Il ne fait pas de doute que la dissuasion nucléaire constitue une réponse adaptée face à des incertitudes et des menaces nouvelles telles que la prolifération ou les effets de tensions dans certaines régions du monde. Elle constitue une assurance-vie irremplaçable pour notre pays, bien acceptée par les citoyens et d'un coût supportable.

Ainsi que l'a rappelé le Président de la République dans son discours du 8 juin devant l'IHEDN, la possession de l'arme nucléaire est un moyen de maintenir une crédibilité de ripostes face à toutes les nouvelles menaces. Dans le cas où des Etats seraient animés d'intentions hostiles à notre encontre, a déclaré le Président de la République, «le choix ne serait pas entre l'anéantissement complet d'un pays ou l'inaction. Les dommages auxquels s'exposerait un éventuel agresseur s'exerceraient en priorité sur ces centres de pouvoir, politique, économique et militaire ».

La mise en _uvre du programme américain antimissile NMD devrait représenter dans le futur un facteur de relance de la prolifération. Les attaques du 11 septembre ont renforcé la détermination de l'administration américaine à mettre en place cette défense antimissile, alors même qu'il est évident que l'existence d'une telle défense n'aurait pas empêché les attentats. Ce paradoxe apparent s'explique par la motivation qui fonde cette défense, conçue dans l'esprit de Georges Bush moins comme une protection contre la menace balistique que contre ceux qu'ils appellent «les terroristes, les dictateurs et les fous ». Pour sa part, le Secrétaire d'Etat Rumsfeld a bâti autour de la défense antimissile une rhétorique sur l'impossibilité de prévoir les menaces de demain, sur l'impréparation intellectuelle et pratique de l'Occident pour y faire face, et sur le développement de la menace asymétrique du faible au fort.

La prochaine visite de M. Poutine aux Etats-Unis du 13 au 15 novembre - qui n'a pas encore eu lieu au moment où nous donnons ce rapport à l`impression - devrait permettre de trouver les termes d'un compromis à la fois sur la possibilité pour les Etats-Unis de développer leur bouclier anti-missile, l'avenir du traité ABM et la réduction des têtes nucléaires. La question du devenir de l'Irak devrait être également abordé. Ce spectaculaire rapprochement de la Russie et des Etats-Unis depuis les événements du 11 septembre ne s'explique pas seulement par la volonté des Russes d'accroître leur marge de man_uvre en Tchétchénie, en faisant assimiler la guerre qui s'y déroule à un combat contre le terrorisme. Il s'inscrit en droite ligne de la politique adoptée par les dirigeants soviétiques puis russes depuis 1985 en vue d'un rapprochement avec les pays occidentaux, politique conçue comme la seule de nature à servir les intérêts de la Russie sur le moyen terme.

La dissuasion nucléaire française n'est pas contradictoire avec la construction européenne. Aujourd'hui l'Europe limite ses ambitions à l'accomplissement des missions de maintien de la paix définies à Petersberg, mais on ne peut exclure pour demain qu`elle recherche en elle-même les moyens d'assurer sa sécurité. Dans ce cadre, et sans qu'il soit besoin d'évoquer l'hypothèse d'une dissuasion concertée, la force nucléaire française peut constituer l'une des composantes fortes de la défense européenne. D'ores et déjà, le Président de la République a indiqué dans son discours du 8 juin 2001 «le v_u de la France » selon lequel «la dissuasion nucléaire doit aussi contribuer à la sécurité de l'Europe ».

La France n'a jamais été un acteur de la course aux armements. En témoignent notre renoncement ancien au chimique et au bactériologique, comme celui plus récent aux essais nucléaires ou encore le démantèlement de la composante terrestre de notre dissuasion nucléaire. Le maintien de la crédibilité de cette dissuasion à un niveau qu'il est convenu d'appeler de «stricte suffisance » ne doit pas être perçu comme le sacrifice à un dogme ou un mythe mais comme une réponse toujours actuelle aux risques et menaces de l'avenir.

Le concept de dissuasion étant tout autant politique que militaire, il est essentiel de maintenir un dialogue permanent avec les opinions publiques sur l'adéquation de cette réponse à l'évolution du contexte stratégique. C'est à quoi s'emploie le Président de la République.

2) La professionnalisation des armées

L'évolution de notre environnement stratégique avait conduit le Président de la République à proposer en 1996 une réforme de notre système de défense. L'objectif fixé était de mettre sur pied «une armée professionnelle, rodée à la gestion des crises, immédiatement disponible et parfaitement interopérable avec nos alliés ».

La professionnalisation des armées a été la grande affaire de la loi de programmation militaire 1997-2002. Elle s'est réalisée dans des conditions satisfaisantes. Lors du Conseil des ministres du 27 juin 2001, le Président de la République et le Gouvernement ont décidé d'anticiper la fin des incorporations dès l'été 2001. Cette décision a été accompagnée de la libération anticipée d'ici le 31 décembre 2001 des appelés du service militaire et d'ici le 31 mai 2002 des appelés des formes civiles du service national.

Cette professionnalisation s'accompagne d'un resserrement du format des armées. Les effectifs de l'armée de terre au cours de la période 1997-2002 ont été réduits de 100 446 postes (-37%) pour s'établir à 168 126 (civils et militaires) ; ceux de la marine ont diminué de 15 445 postes, ce qui s'est également traduit par une réduction de 20% du nombre de nos bâtiments ; ceux de l'armée de l'air ont baissé de 23 885 postes (soit - 5,5%). La gendarmerie est la seule force armée à voir croître ses effectifs, qui passeront de près de 94 000 en 1996 à environ 98 000 en 2002.

Notre capacité de projection devrait passer de 20 000 hommes en 1996 à 35 000 hommes en 2002, voire 50 000 en cas d'engagement majeur.

D'après le chiffre communiqué par le ministère de la Défense, la professionnalisation devrait entraîner une hausse pérenne des crédits de rémunération et charges sociales de 451 millions d'euros. 297 millions d'entre eux sont dus à la création d `emplois de militaires du rang, de civils et de volontaires dont le coût est supérieur à celui des emplois d'appelés et de cadres militaires supprimés. Les armées ont ainsi recruté 80 000 personnes depuis 1997.

En matière de recrutement de civils, dont le nombre au sein de l'armée est en augmentation de 10 % sur la période 1996-2002, certaines régions, comme l'Ile de France et le Nord -Est, et certains services, comme la Direction centrale de l'informatique et de l'électronique et la Direction centrale du génie, se heurtent à des difficultés de recrutement, que l'on impute aux tensions constatées sur le marché du travail.

Nous nous félicitons également que cette professionnalisation aille de pair avec une féminisation. Les femmes représentent aujourd'hui 10% de l'effectif de nos armées contre 8,5 % en 1997. Il est probable que l'on augmentera encore vers un seuil de 11-12 %. Une telle féminisation entraîne certains problèmes spécifiques, liés notamment à la gestion des congés de maternité qui nécessitent un volant de gestion plus étoffé. Mais l'expérience prouve que ces problèmes peuvent aisément être surmontés.

Un chiffre illustre tout particulièrement l'ampleur des restructurations auxquelles les armées se sont soumises : depuis 1997, deux cadres sur trois de l'armée de terre ont été géographiquement déplacés. C'est un bel exemple de flexibilité.

3) La dimension européenne

Nous ne ferons pas ici un historique détaillé de la construction de l'Europe de la défense. Nous rappellerons simplement l'étape majeure qu'a représentée le Sommet de Saint-Malo au cours duquel Français et Britanniques ont évoqué pour la première fois une «capacité d'action autonome » de l'Union européenne à gérer des crises. Cette autonomie de décision et d'action des Européens constitue aujourd'hui le fondement de la Politique européenne de sécurité et de défense commune (PESC).

A Cologne, en juin 1999, les Quinze se sont fixé pour objectif que l'Union dispose de cette capacité d'action autonome, s'appuyant sur des capacités militaires crédibles ainsi que sur des instances et des procédures de décision appropriées. A cette fin, les Etats membres ont décidé lors du Conseil européen d'Helsinki en décembre 1999, de mettre en place, au sein de l'Union, une architecture décisionnelle destinée à évaluer les situations de crise et à faire des recommandations au Conseil sur les réponses, y compris militaires, à la gestion de ces crises. Trois organes ont ainsi été prévus : le Comité politique et de sécurité, composé des quinze ambassadeurs en fonction des Etats membres, dont le rôle est de définir la réponse de l'Union à une crise ; le Comité militaire de l'Union européenne constitué des quinze chefs d'état-major, éventuellement représentés par leurs délégués militaires, et chargé de donner des avis militaires ; et enfin l'état-major de l'Union européenne. Cet état-major, qui a vocation à être l'expertise militaire de l'Union européenne, n'a été mis en place que le 11 juin dernier ; il est composé d'environ 135 experts militaires des Etats membres détachés auprès du Secrétariat général du Conseil.

Au cours de ce même sommet d'Helsinki, les Quinze se sont engagés à se doter de capacités militaires européennes pour mener l'ensemble des missions dites de Petersberg : missions humanitaires et d'évacuation de ressortissants, missions de maintien de la paix et missions de force de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix. Il s'agit d'être en mesure, d'ici 2003, de déployer dans un délai de 60 jours une force de 50 000 à 60 000 militaires (l'équivalent d'un corps d'armée) et de la soutenir pendant un an.

L'objectif n`est pas de mettre sur pied une force permanente, mais de constituer un réservoir de capacités dans lequel seront puisés les éléments constitutifs d'une force à déployer. Ce réservoir représente environ 100 000 hommes, 400 avions de combat et une centaine de navires. La conférence d'engagement des capacités, qui s'est déroulée à Bruxelles le 20 novembre 2000, a permis de rassembler les différentes contributions des Etats membres. La contribution française s'élève à 12 000 hommes (dix bataillons), une centaine d'avions de combat et douze navires dont un porte-avions, soit un cinquième des capacités de projection de force dont l'Union européenne a entrepris de se doter.

Une nouvelle conférence d'amélioration des capacités est prévue pour le 19 novembre 2001 qui devrait permettre aux Etats d'annoncer des projets concrets visant à combler les lacunes capacitaires qui résultent de la différence entre les contributions annoncées en novembre dernier et l'objectif global fixé à Helsinki. La réussite de cette conférence sera un bon indice de la crédibilité qu'il convient d'accorder au projet européen de gestion des crises. Il est prévu que l'Union européenne sera déclarée opérationnelle au sommet de Laeken en décembre 2001.

L'Europe de la défense veut se développer non pas de façon concurrente à l'Alliance atlantique, qui demeure le socle de la défense euro-atlantique, mais de manière complémentaire à elle. En améliorant les capacités de gestion des crises des Européens, elle contribue au renforcement de la sécurité et de la stabilité du continent européen. Si la décision autonome d'agir appartient en exclusivité aux pays membres de l'Union européenne, cela n `exclut bien évidemment pas la concertation avec l'OTAN. La formule agréée au sommet franco-britannique de Londres, en novembre 1999, et reprise constamment dans les déclarations depuis le Conseil européen d'Helsinki, est que l'Union interviendra «là où l'Alliance en tant que telle n'est pas engagée », ce qui exclut un droit de «premier refus » à l'Alliance. Il n'est pas exclu que pour la gestion de certaines crises et pour des opérations conduites par l'Union européenne, celle-ci puisse avoir recours aux moyens et capacités de l'OTAN. Un accord entre l'union et l'OTAN devrait préciser les conditions d'accès aux moyens et capacités collectifs de l'Alliance ; un tel accord serait un gage important de complémentarité et de non-duplication.

Nous insistons toutefois sur l'importance qu'il convient d'attacher à une capacité européenne autonome de commandement, et tout spécialement à une capacité de planification susceptible de fournir au Comité politique et de sécurité les données des différentes options possibles. Une dépendance de cette planification à l'égard de l'OTAN rendrait illusoire une autonomie européenne car elle ouvrirait le champ à toutes les manipulations.

Nous conclurons cette première partie sur la nécessité constante pour notre défense d'adapter en permanence ses formes d'action aux évolutions de la menace. Les logiques militaires s'entrecroisent désormais étroitement avec les logiques diplomatiques et c'est vers une vision plus globale qui prend en compte les moyens d'actions les plus diversifiés que sont la règle de droit, le jeu des alliances, les frappes à distance, la force de l'opinion internationale, l'intervention ciblée.. que doit s'orienter notre système de défense.

II - UN BUDGET QUI NE RÉPOND PAS TOTALEMENT À CERTAINES FAIBLESSES DE NOTRE SYSTEME DE DÉFENSE

Le jugement que nous serons amené à porter sur les crédits de défense pour 2002 dépendra de la capacité de ce budget à répondre à certaines faiblesses actuelles de notre système de défense.

A - Des faiblesses demeurent dans notre système de défense

1) L'héritage des restrictions budgétaires

Depuis 1991, l'évolution en volume du budget de la défense est constamment négative (à l'exception de l'année 1999) (voir annexe 1) ; elle l'est à nouveau en 2002. Les efforts imposés à la Défense sont encore plus importants que ne le traduisent les chiffres du tableau de l'annexe 1. D'une part, Bercy a imposé une extension du périmètre des personnels pris en charge (exemple : gendarmes d'autoroutes) ; d'autre part ces chiffres sont ceux des lois de finances initiales et ne tiennent pas compte des annulations de crédits en cours d'année.

Au sein du titre III, la montée en puissance des crédits de rémunération et de charges sociales a écrasé les dotations de fonctionnement, avec les conséquences que l'on rappellera ci-après. Quant aux crédits d'équipement, une simple comparaison entre les dotations prévues dans la loi de programmation militaire 1997-2002 et celles effectivement inscrites dans les lois de finance successives fait apparaître un déficit de 16%. C'est ce que le Ministère de la Défense appelle aujourd'hui pudiquement un «contexte évolutif ». Certains programmes ont purement et simplement été suspendus, tandis que ceux qui étaient maintenus étaient affectés dans leur programmation, ce qui au total a conduit à des retards et des surcoûts qui se sont révélés parfois très importants.

A titre d'exemple, en ce qui concerne le programme de l'avion de combat Rafale, les livraisons sont actuellement censées s'étaler jusqu'en 2019, soit trente ans après le lancement du développement de ce programme. La Marine est la première victime de ces étalements : elle ne bénéficiera de la pleine polyvalence du Rafale qu'avec la livraison des avions en standard F3, c'est à dire en 2007. Il existe d'autres exemples de cette dérive : celui des chars Leclerc dont les premiers exemplaires ont été livrés à l'Armée de terre en 1996 alors que les études de faisabilité remontaient à 1977 ou encore celui de l'avion de transport du futur (A 400 M) dont la première livraison n'interviendra qu'en juillet 2007 alors même que les Transall de première génération actuellement en service seront retirés à partir de 2005. Interrogé sur les solutions qui devront être apportées, le Ministère nous a répondu que «plusieurs voies sont à l'étude. Cependant, aucune de ces solutions ne pourra répondre seule et de manière significative à ce déficit temporaire ».

Moins souvent mis en avant mais tout aussi important, nous regrettons la stagnation ces dernières années des crédits consacrés à la recherche et au développement par le ministère de la Défense. Au cours de ses cinq dernières années, ces crédits ont augmenté en francs courants de 11%, ce qui correspond à peu près au maintien de l'effort en pouvoir d'achat. A titre de comparaison -même si cet exercice est délicat-, les Etats-Unis ont augmenté leurs crédits équivalents de recherche-développement de 87%. Est-il crédible de prétendre à l'excellence sans moyens suffisants pour préparer le futur ?

La révolution des technologies de l'information a entraîné d'importantes conséquences sur la façon de mener une guerre. A titre d'exemple, la numérisation de l'espace de bataille permet sa transparence, accélère les cycles de décision et favorise la préservation de l'initiative ainsi que la supériorité opérationnelle.

2) Des faiblesses actuelles encore trop nombreuses

Les armées françaises ont montré dans le cadre des opérations extérieures auxquelles elles ont participé - y compris des opérations de secours d'urgence- les grandes qualités qui sont les siennes. Néanmoins, la France s'étant dotée d'une armée professionnelle, les exigences en terme de moyens de fonctionnement et d'équipements s'en trouvent bien évidemment rehaussées. Les faiblesses qui sont celles aujourd'hui de l'armée française sont d'autant moins acceptables.

Une première faiblesse concerne la disponibilité des matériels.

En ce qui concerne l'armée de terre, la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels de l'armée de terre connaît une chute importante depuis 1998. Elle est descendue jusqu'à 68% pour les matériels terrestres (hors chars Leclerc et AMX 10 RC pour lesquels elle chute à 30%) et 60% pour les matériels aériens. Le niveau considéré comme satisfaisant serait respectivement de 80% et 70%. Les raisons de ce mauvais résultat sont diverses : difficultés, qui durent depuis plusieurs années, dans l'approvisionnement en pièces de rechanges ; l'utilisation intensive des matériels, notamment en opérations extérieures ; âge important de certains équipements... Un plan d'action a été mis en _uvre depuis janvier 2000 pour redresser cette situation. On a observé une stabilisation de la DTO au premier semestre 2001. Le retour à des niveaux plus satisfaisants est prévu pour la fin de 2002.

Pour l'armée de l'air, on observe également une dégradation, depuis 1996, de la disponibilité des moyens aériens tout particulièrement en ce qui concerne les avions de transport et les avions de complément. L'origine de ces difficultés tient principalement aux difficultés de négociation et de passation de certains marchés de maintien en condition opérationnelle. La création d'une structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD) en décembre 2000 devrait résoudre une partie des difficultés. On prévoit une amélioration des disponibilités à partir de 2002, pour un réel rétablissement en 2003.

En ce qui concerne la marine nationale, le taux moyen de disponibilité des bâtiments est d'environ 62%, ce qui est considéré comme très bas. Les difficultés sont de trois ordres : mise en service de bâtiments modernes dont le processus de maintenance n'est pas parfaitement maîtrisé ; fragilité de certaines installations complexes et délicates à entretenir ; et à nouveau difficultés liées aux pièces de rechange. Le porte-avions «Charles de Gaulle » a illustré jusqu'à la caricature les difficultés de maintenance entraînées par la mise en service de bâtiments modernes. La création en juin 2000 du service de soutien de la flotte (SSF) a pour objet d'améliorer la disponibilité des bâtiments, de maîtriser les flux logistiques et réduire les coûts. Ce service a également mis en place un processus permettant un meilleur retour d'expérience sur les faits techniques.

En ce qui concerne les aéronefs de la marine nationale, la moyenne des disponibilités est actuellement de 60% pour un objectif de 75%. Les experts considèrent que cet objectif est un seuil minimal, la Marine disposant d'un parc hétérogène d'aéronefs en petites séries fréquemment déployés sur de multiples plates-formes : bâtiments porteurs d'hélicoptères, porte-avions, terrains outre-mer... La disponibilité des aéronefs a baissé d'environ 4% depuis 1995 à la suite de difficultés provenant essentiellement de la dispersion du processus de maintien en condition opérationnelle, des difficultés de contractualisation avec l'industrie et des contraintes budgétaires. Ces difficultés ont eu pour conséquence des ruptures d'approvisionnement des pièces de rechange et des délais importants de réparation. Les efforts d'amélioration sont ceux déjà indiqués pour l'armée de l'air.

Une deuxième faiblesse concerne les quotas annuels d'entraînement des forces armées qui ont connu ces dernières années une lente dégradation. De 1995 à 2000, le taux moyen d'activités de l'armée de terre, exprimé en nombre de journées passées sur le terrain, a chuté de 100 jours à 68 jours. En ce qui concerne la Marine, pour la même période, le nombre d'heures de vol consacrées à l'entraînement des unités de surface est passé de 80 272 à 50 749. Toujours, selon les informations communiquées par le ministère de la Défense, les restrictions budgétaires concernant les munitions et les cibles engendrent actuellement des difficultés à satisfaire les normes d'entraînement aux lancements d'armes. Ces chiffres sont très inquiétants car ils ont bien sûr des répercussions sur la qualité de la formation et par conséquent la sécurité des hommes engagés sur les terrains d'opérations. Des actions doivent être entreprises en priorité et en urgence pour y remédier.

Une troisième faiblesse concerne le fonctionnement des industries publiques d'armement. Un récent rapport de la Cour des comptes publié fin octobre 2001 concluait à l'urgence de la modernisation de leur mode de gestion, tout en reconnaissant la grande valeur technique et humaine de cet outil. Le groupe GIAT industries a réalisé depuis sa création en 1990 un total de pertes nettes supérieures à 3,66 milliards d'euros (24 milliards de francs). Quant à la Direction des constructions navales (DCN), le rapport de la Cour dénonce tout à la fois des dérives budgétaires importantes, une faible productivité et un encadrement insuffisant. La décision annoncée le 6 juillet 2001 de transformer cette direction, jusqu'alors partie intégrante du Ministère de la Défense, en société anonyme à capitaux publics, devrait être l'occasion de rénover à la fois son fonctionnement interne et externe, en lui permettant de nouer des alliances industrielles et commerciales.

Au regard de ces difficultés auxquelles il convient d'ajouter le sentiment des personnels militaires d'un décalage croissant entre leur condition par rapport à la société civile (en terme de rémunération, de compensation de la spécificité militaire, de la politique sociale et familiale), il n'est pas étonnant de constater une baisse du moral au sein de nos armées, que traduisent les rapports internes et dont s'est récemment inquiété le Président de la République. Les difficultés de recrutement des volontaires ayant vocation à remplacer les appelés, notamment au sein de l'armée de terre où les effectifs moyens réalisés en 2000 sont inférieurs de 25% aux effectifs budgétaires, sont une autre expression de ce malaise.

3) Les nouveaux besoins issus des événements du 11 septembre

Même si les événements du 11 septembre ne constituent pas pour nous une rupture historique, il convient d'en tirer un certain nombre d'enseignements quant aux besoins des armées françaises pour l'avenir. Il nous paraît très étonnant que l'actuel gouvernement n'ait pu cru devoir en tirer déjà quelques leçons budgétaires, préférant repousser cet exercice dans un avenir mal défini.

L'un des besoins les plus clairement mis en évidence par les attentats du 11 septembre est l'urgence pour les démocraties de se doter de services de renseignements extérieurs performants. Le renseignement au sens large, c'est à dire comprenant l'information issue du réseau diplomatique, constitue en effet la pierre angulaire de toute politique de lutte contre le terrorisme.

Il existe en France une longue tradition de méfiance vis-à-vis du renseignement, qui n'est pas totalement injustifiée force est de le reconnaître. De l'affaire Dreyfus jusqu'à celle du Rainbow warrior, en passant par l'affaire Ben Barka, les exemples sont nombreux de dysfonctionnement des services de renseignements. La guerre froide facilitait en quelque sorte le travail de ces services : l'ennemi était clairement désigné et l'on savait à peu près ce que l'on cherchait. La situation actuelle, nous l'avons déjà évoqué, est plus complexe : la menace est plus diffuse, à la fois dans son contenu et sa localisation. Un tel contexte rend plus que jamais nécessaire la définition d'une politique du renseignement -comme on parle d'une politique de coopération- avec ses priorités, ses moyens d'action (collecte et exploitation du renseignement) et son évaluation.

Le renseignement extérieur français n'est pas aujourd'hui à son optimum, et ce jugement est d'autant plus flagrant quand on regarde ce qui se passe en Grande-Bretagne. Les services anglais bénéficient certes d'une coopération avec les services américains, mais ils sont bien supérieurs aux services français en terme d'effectifs et de moyens techniques (le rapport habituellement retenu est de 1 à 10). C'est donc une priorité pour nous d'augmenter nos moyens et de les spécialiser sur les zones qui nous apparaissent sensibles pour l'avenir, et pas seulement sur nos zones traditionnelles (comme l'Afrique).

Il importe d'améliorer nos méthodes et le traitement du renseignement, notamment en terme de coordination et de synthèse. La capacité d'analyse est tout aussi importante que la collecte brute. C'est pourquoi je considère qu'il est très dommageable de tenir nos services de renseignement trop à l'écart de l'appareil d'Etat ; c'est prendre le risque de les ériger en lieu de pouvoir, ce qu'ils ne doivent pas être. Une meilleure intégration passe d'abord, comme c'est le cas au Royaume-Uni, par une coopération accrue entre les services diplomatiques et les services de renseignements, notamment pour l'analyse politique. Il nous semble également essentiel, si l'on veut faire accepter le renseignement comme un élément parmi d'autres du processus de décision, de sensibiliser davantage les futurs décideurs publics à cette problématique du renseignement.

Ce qui est important en matière budgétaire pour le renseignement, c'est la régularité dans la progression de la ressource. Le temps des politiques n'est pas celui des renseignements : pénétrer les milieux islamistes intégristes demandent des mois, voire des années. Il est essentiel pour cela d'avoir une programmation rationnelle.

La deuxième priorité à tirer des attentats du 11 septembre est le renforcement de nos forces d'opérations spéciales. Certes, nos moyens en ce domaine sont déjà très performants mais ces forces ne peuvent agir actuellement que dans le cadre de scénarios restreints. Aujourd'hui, il faut être en mesure de s'adapter à un changement d'échelle, à la fois en terme de distance, de durée et de volume. Cela suppose bien sûr une augmentation des effectifs mais également des équipements perfectionnés, susceptibles notamment d'être opérationnels de nuit.

La troisième priorité concerne notre capacité à protéger nos forces, notamment en opérations extérieures contre les attaques chimiques ou biologiques, ainsi que les populations civiles. Une telle politique à un coût en terme budgétaire, notamment pour renforcer la sécurité de notre territoire (défense aérienne, protection des installations sensibles...). Il nous apparaît d'ailleurs nécessaire de faire entrer cette dimension de la protection civile dans les objectifs de la défense européenne : les populations comprendraient mal que cette défense soit uniquement concentrée sur l'envoi de troupes sur des théâtres extérieurs et ne soit pas mobilisée pour assurer la protection des Européens eux-mêmes.

Au total, ce que nous préconisons, ce n'est pas une rupture avec la politique conduite en matière de défense, mais une accélération du rythme de renforcement de nos capacités. Et c'est cette accélération que nous aurions souhaité trouver dans le budget 2002.

B - Un budget décevant qui ne répond pas aux besoins d'équipement

Le Gouvernement actuel a une tendance certaine à repousser au vote de la prochaine loi de programmation militaire 2003-2008 les réponses aux difficultés actuelles, semblant passer ainsi par pertes et profits le budget 2002. Nous estimons au contraire que le budget 2002 placé ainsi à la charnière de deux lois de programmation militaire termine tout autant l'une qu'il prépare l'autre.

Les crédits du budget de la Défense pour 2002 s'élèvent à 38 milliards d'euros, en augmentation de 1,9% par rapport au budget initial 2001. Hors pensions, ce budget est de 29,3 milliards d'euros en hausse de 1,6% par rapport à la loi de finances initiale 2001.

1) Des crédits de rémunération et de fonctionnement satisfaisants

Les crédits de rémunération et de fonctionnement (titre III) hors pensions connaissent une hausse de 2,3% pour s'établir à 16,5 milliards d'euros. Cette croissance bénéficie à la fois aux rémunérations et charges sociales (+2,27%) et au fonctionnement (+2,46%).

Cet effort budgétaire devrait permettre la réalisation de la programmation des effectifs. Le nombre d'emplois de militaires du rang devrait croître en 2002 de 8 141 unités, au profit essentiellement de la Marine (5 884 postes) et de l'Armée de l'air (2191 postes). Les effectifs de volontaires et de personnels civils continueront également de croître respectivement de 18 250 et 1 075 personnes.

Par ailleurs, le projet de loi de finances (PLF) pour 2002 prévoit des mesures spécifiques nouvelles en faveur des personnels militaires pour un total de 38 millions d'euros, un chiffre à comparer aux 7,6 millions d'euros du PLF 2000 et aux 0,15 million d'euros du PLF 1999.

Trois catégories sont particulièrement visées. Tout d'abord, les sous-officiers font l'objet de trois séries de mesures : en faveur des jeunes sergents dont la solde sera revalorisée de 50 euros par mois ; en faveur des sous-officiers confirmés (adjudants principalement) ; et en faveur de certaines spécialités comme celles des atomiciens de la marine ou celles des contrôleurs aériens.

Ensuite, des mesures financières (à hauteur de 15 millions d'euros) sont également prévues pour mieux prendre en compte les contraintes affectant le personnel de gendarmerie dont l'effectif augmentera de 700 personnes en 2002.

Enfin, les médecins militaires, que l'on souhaite fidéliser, font l'objet de mesures spécifiques pour un montant global de 2,6 millions d'euros, ce qui leur permettra d'accéder plus rapidement au grade de médecin principal et de bénéficier d'une indemnité hospitalière de 5 000 francs mensuels.

La politique de rémunération du Ministère de la Défense est actuellement orientée vers la recherche de l'attractivité des métiers militaires et la fidélisation du personnel de carrière et sous contrat. Cette politique ne peut être qu`encouragée.

L'augmentation des crédits de fonctionnement devrait permettre principalement un renforcement des activités des armées, notamment de leurs normes d'entraînement aujourd'hui trop basses, nous l'avons déjà vu, ainsi qu'une amélioration de leur budget de fonctionnement courant. Nous avons également déjà dit à quels points ces mesures étaient attendues ; elles sont donc les bienvenues même si elles demeurent limitées.

2) Un budget d'équipement décevant

La véritable faiblesse de ce budget concerne les équipements.

Les crédits d'équipement pour 2002 s'élèvent à 13,01 milliards d'euros en autorisation de programmes et à 12,4 milliards d'euros en crédits de paiement. Il est prévu d'ajouter à ces derniers la mobilisation d'un report de crédits 2001 de 400 millions d'euros, ce qui portera les crédits de paiement à 12,8 milliards d'euros. Par rapport à l'année dernière, les autorisations de programme comme les crédits de paiement sont en francs courants en quasi-stagnation (+0,7% pour les deux).

Lors de son audition devant la Commission de la défense du 2 octobre 2001, le Chef d'état-major des armées, le général Jean-Pierre Kelche, n'a pas caché que de tels montants lui posaient «un problème concret de réalisation physique des objectifs de la réalisation en cours et de cohérence avec les perspectives fixées pour 2003 ». Lors de son audition budgétaire devant la même Commission, le général Yves Crène, Chef d'Etat-major de l'armée de terre a été tout aussi explicite en jugeant les autorisations de programmes insuffisantes pour conclure un certain nombre de commandes pourtant prévue par la programmation 1997-2002 : « Seront notamment décalés le programme d'automatisation des tirs et des liaisons de l'artillerie sol-sol (ATLAS Canon), les programmes d'acquisition du radar contre-batterie COBRA et du système de guerre électronique de l'avant (SGEA), les programmes de postes radio pour équiper les hélicoptères et de systèmes de défense sol-air (terminaux de distribution d'information multi-directionnelle MIDS) ainsi que les commandes des abris mobiles pour équiper les PC. La commande gilets pare-balles sera diminuée, ce qui ralentira le rythme de renouvellement d'un équipement très utilisé en opérations. » Pour sa part, l'amiral Jean-Louis Battet, chef d'état-major de la Marine a estime que « le montant des autorisations de programme engendrera des difficultés, en particulier pour financer la version biplace du Rafale Marine, du moins au rythme initialement décidé, et pour passer la totalité de la commande du développement du sous-marin Barracuda ».

Ces nouveaux reports viendront s'ajouter aux précédents retards que nous avons déjà évoqués.

En ce qui concerne le Rafale, aucune commande n'est prévue en 2002 ; 61 commandes (36 air et 25 marine) ont été passées les années antérieures. Les livraisons en 2002 concerneront 1 monoplace air et 1 marine, ce qui portera le total des livraisons fin 2002 à 3 air et 10 marine (le standard F3, comme nous l'avons déjà indiqué, ne sera disponible qu'en 2007). Ces chiffres sont bien en deçà de ceux prévus dans le programme initial.

Les premiers NH 90 - sur une commande de 27 appareils - ne seront livrés à la Marine qu'en 2005. L'armée de Terre ne disposera de sa version NH 90 - 133 appareils sont prévus - qu'à partir de 2011, soit bien après l'armée de Terre allemande (2004), italienne (2004), portugaise (2008). Ces délais handicaperont l'armée de Terre française en terme d'interopérabilité.

Le sacrifice demandé aux armées françaises concernant leurs équipements nous semble particulièrement anachronique. Nous ne vivons plus sur le modèle d'une armée de masse, avec un usage intensif et indiscriminé de la violence. Les conflits présents et futurs mettent et mettront davantage encore à l'épreuve notre capacité d'un emploi dosé et adapté de la force. Les événements de Yougoslavie en 1999 constituent à cet égard un bon exemple de ce nouveau modèle : « pour la première fois, une guerre a été gagnée sans présence physique sur le terrain ». Délaisser les équipements, c'est nous priver de flexibilité et mettre en danger la légitimité de nos modes d'action dans les crises futures.

Au regard de la situation internationale, on pouvait espérer un effort en ce domaine. Le redressement attendu n'a pas eu lieu.

CONCLUSION

Pour ceux qui en doutaient, les événements du 11 septembre ont rappelé que les dépenses de défense n'étaient pas du gaspillage et qu'assurer la sécurité de ses citoyens est le premier devoir d'un Etat. Nous voudrions à nouveau faire part de notre étonnement de ce que le budget de la défense pour 2002, préparé avant les attentats, n'a pas été modifié depuis. Comme si rien ne s'était passé.

La Défense a un coût et il serait à la fois suicidaire et irresponsable de vouloir en faire l'économie. Tout au long de ces dernières années, prenant prétexte de ce qui apparaissait comme un desserrement de la menace, le budget de la Défense n'est pas apparu comme une priorité mais bien plutôt comme une variable budgétaire dans laquelle on pouvait puiser. La nouvelle situation internationale et la volonté de l'Union européenne de se donner les moyens d'exister en tant que telle sur la scène internationale changent la donne.

Il n'existe pas de divergences fondamentales entre la majorité et l'opposition sur les grandes orientations de défense. Il en existe à l'évidence sur le rythme. Une fois encore, la défense a été sacrifiée lors des arbitrages budgétaires. C'est une fois de trop. Au moment des échéances, le temps perdu ne se rattrapera pas. Ce budget ne prend en compte ni les événements du 11 septembre, ni les difficultés de fonctionnement qui accablent les armées depuis plusieurs années en raison de leurs contributions à l'effort de restrictions budgétaires.

Les armées sont façonnées par les choix politiques. Mais il ne sert à rien de rénover les concepts si le politique ne donne pas à l'outil militaire les moyens de remplir les missions qu'il lui fixe. Le choix du gouvernement de maintenir l'armée dans l'obligation qui est aujourd'hui la sienne de gérer la pénurie n'est plus acceptable. Il hypothèque pour l'avenir la capacité de nos armées à relever les défis d'une éventuelle dégradation de la situation internationale. Il contraste avec l'effort supplémentaire entrepris par nos voisins, notamment l'Allemagne. Il n'est pas cohérent avec la future loi de programmation militaire, dont il affecte la crédibilité.

Voilà pourquoi votre Rapporteur ne peut que donner un avis négatif à l'adoption de ces crédits.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 6 novembre 2001, la Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Bernard Raimond, les crédits de la Défense pour 2002.

M. Jean-Bernard Raimond a rappelé la rupture historique qu'a constituée 1989, et la fin de l'affrontement bipolaire. Les événements du 11 septembre s'inscrivent dans la logique de l'après-guerre froide. Le terrorisme actuel est un terrorisme politique déguisé en terrorisme religieux ; tous les pays sont visés, y compris les pays arabes. Il importe de distinguer l'islam authentique de cette expression de la haine. Le Pape ne s'y est pas trompé qui, quelques jours après le 11septembre, s'est rendu au Kazakhstan - 11 millions d'habitants et 180 000 catholiques - et à maintes reprises, en langue russe, a mis en garde contre tout amalgame.

Les événements du 11 septembre ont servi de révélateur d'une nouvelle situation géopolitique. En témoigne le rapprochement entre la Russie et les Etats-Unis qui va au-delà de la question tchétchène mais s'inscrit dans la droite ligne de la politique russe suivie depuis 1985 de rapprochement avec l'Occident. Une prochaine rencontre prévue dans quelques jours aux Etats-Unis entre les Présidents Bush et Poutine devrait permettre la conclusion d'un accord sur le système anti-missile et une restriction drastique du nombre de têtes nucléaires de part et d'autre.

M. Jean-Bernard Raimond a estimé dans un premier temps que, face à un monde de plus en plus incertain, il était nécessaire d'affirmer certaines priorités de défense.

Les nouvelles conditions de sécurité concernent un monde de plus en plus instable marqué par la prolifération insidieuse des armes de destruction massive et l'apparition de nouvelles vulnérabilités.

La problématique de la guerre est demeurée très présente ces dix dernières années durant lesquelles les Nations Unies ont en permanence recensé sur la planète entre trente et trente-cinq conflits ouverts. Le monde actuel, par rapport à celui d'avant 1989, est plus instable, du fait du danger représenté tant par certains Etats que par des acteurs non-étatiques. Les Etats-Unis ont notamment popularisé la notion de « Rogue States », qui a souligné l'urgence d'une politique de règlement des tensions régionales. La querelle sur la notion d'ingérence est désormais derrière nous ; le droit d'ingérence est devenu aujourd'hui un devoir d'ingérence.

M. Jean-Bernard Raimond a ensuite présenté un rapide bilan des proliférations des armes nucléaires, chimiques et biologiques ainsi que des missiles à moyenne et courte portée. Il a notamment souligné les difficultés, voire l'impossibilité, d'un contrôle efficace des armes biologiques.

Il a enfin abordé ce qu'il a appelé les nouvelles vulnérabilités concernant la sécurité des systèmes d'informations et l'acceptation de zones de pauvreté et de non-droit, à la fois réceptacles et exportatrices de violence.

Le Rapporteur a souligné, face à ces incertitudes, la nécessité de maintenir les priorités de défense que constituent le maintien de notre dissuasion nucléaire, l'autonomie stratégique de nos armées et le développement d'une dimension européenne de notre sécurité.

M. Jean-Bernard Raimond a estimé, dans un second temps, que le budget pour 2002 ne répondait pas totalement à certaines faiblesses de notre système de défense.

Ces faiblesses sont la conséquence tout d'abord des restrictions budgétaires des années passées qui ont conduit notamment à des retards et des surcoûts de la plupart des programmes d'équipements. Le taux très faible de la disponibilité technique opérationnelle des équipements et la réduction des quotas d'entraînement représentent également des sources d'inquiétudes, ainsi que le fonctionnement des industries publiques d'armement, durement critiqué dans un récent rapport de la Cour des comptes.

Les attentats du 11 septembre ont mis en évidence un certain nombre de besoins. Non seulement il est nécessaire d'améliorer les moyens de nos services de renseignements mais il est indispensable de faciliter leur coopération avec le réseau diplomatique, qui constitue une source unique d'informations. Il importe également de renforcer nos forces d'opérations spéciales et notre capacité à protéger nos soldats et les populations civiles contre d'éventuelles attaques chimiques et biologiques. Ces nouveaux besoins n'ont pas été pris en compte par la loi de finance initiale pour 2002.

Si le budget présenté est relativement satisfaisant en ce qui concerne les crédits de rémunération et de fonctionnement, il est insuffisant en ce qui concerne les crédits d'équipement. Le montant de ces crédits obligera à repousser un certain nombre de commandes initialement prévues pour 2002 et ne permettra pas d'assurer la cohérence avec les perspectives tracées par la future loi de programmation militaire.

En conclusion, M. Jean-Bernard Raimond a proposé d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la Défense.

S'agissant du projet de budget de la Défense pour 2002, M. Jacques Myard a regretté le manque dramatique de crédits que d'éventuels redéploiements ne sauraient combler puisqu'il n'y a plus rien à redéployer. Concernant l'Europe, il faut être quelque peu sérieux et réaliste dans la mesure où sous le terme de missions de Petersberg se cachent des actions humanitaires et où les réels problèmes de défense sont aujourd'hui traités dans le cadre de l'OTAN uniquement.

M. Pierre Brana a souhaité connaître l'avis du Rapporteur sur deux points : le dernier rapport de la Cour des comptes dénonce la mauvaise santé des industries d'armement et la Direction des constructions navales doit être progressivement, d'ici 2002, transformée en société commerciale.

Le Président François Loncle a précisé que le rapport de la Cour des comptes parlait sans détour de mauvaise gestion des industries d'armement, voire des crédits militaires.

M. Jean-Bernard Raimond a souligné la rapidité avec laquelle s'était construite l'Europe de la défense depuis 1998. Il a rappelé que cette construction n'avait pas bien sûr comblé le fossé qui existait entre les capacités américaines et européennes, et que à l'évidence la modestie de ce budget n'y contribuerait pas.

Il a rappelé que le futur statut de la DCN devrait entraîner une amélioration de l'organisation interne et faciliter les partenariats et s'est étonné de l'absence de réponse du Ministre de la Défense au rapport de la Cour des comptes.

Contrairement à l'avis du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2002.

Source : Ministère de la défense

____________________

N° 3322-VI.- Avis de M. Jean-Bernard Raymond (commission des affaires étrangères) sur le projet de loi de finances pour 2002 - Défense.


- Cliquer ici pour retourner au sommaire général

- Cliquez ici pour retourner à la liste des rapports et avis budgétaires

- Cliquez ici pour retourner à la liste des discussions budgétaires



© Assemblée nationale

André Glucksman in Stratégique, quatrième trimestre 1998, n°72

Marc Bonnefous in Défense nationale, juillet 2001.

Pierre Lellouche, Guy-Michel Chauveau et Aloyse Warhouver, La France et les bombes, rapport d'information n° 2788.

Claude Eon in Défense nationale, août-septembre 2000

Voir notamment l'audition de M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale, le 28 mai 2001 par la Commission de la défense.

Voir le discours de George Bush du 1er mai 2001 à la National Defense University

Discours de M. Jacques Chirac du 8 juin devant l'IHEDN.

Avions de transport : C130, C160, CASA, N262

Avions de complément : MXX, Falcon 50, Falcon 900, TBM.

Dominique David, La mondialisation et le militaire, dans le Rapport Ramsès 2002, Dunod