N° 3323
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 octobre 2001.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES(1),
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2002 (n° 3262)
TOME II
DÉFENSE
DISSUASION NUCLÉAIRE
PAR M. René GALY-DEJEAN,
Député.
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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.
Voir le numéro : 3320 (annexe no 40).
Lois de finances.
La Commission de la Défense nationale et des Forces armées est composée de :
M. Paul Quilès, président ; M. Robert Gaïa, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Voisin, vice-présidents ; M. Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Jean-Claude Viollet, secrétaires ; M. Jean-Marc Ayrault, M. Jacques Baumel, M. Jean-Louis Bernard, M. André Berthol, M. Jean-Yves Besselat, M. Bernard Birsinger, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Pierre Braine, M. Jean Briane, M. Marcel Cabiddu, M. Antoine Carré, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy-Michel Chauveau, M. Alain Clary, M. François Cornut-Gentille, M. Charles Cova, M. Michel Dasseux, M. Jean-Louis Debré, M. François Deluga, M. Philippe Douste-Blazy, M. Jean-Pierre Dupont, M. François Fillon, M. Christian Franqueville, M. Yves Fromion, M. Yann Galut, M. René Galy-Dejean, M. Roland Garrigues, M. Henri de Gastines, M. Bernard Grasset, M. Jacques Heuclin, M. François Hollande, M. Jean-Noël Kerdraon, M. François Lamy, M. Claude Lanfranca, M. Jean-Yves Le Drian, M. Georges Lemoine, M. François Liberti, M. Jean-Pierre Marché, M. Franck Marlin, M. Jean Marsaudon, M. Christian Martin, M. Guy Menut, M. Gilbert Meyer, M. Michel Meylan, M. Jean Michel, M. Jean-Claude Mignon, M. Charles Miossec, M. Alain Moyne-Bressand, M. Arthur Paecht, M. Jean-Claude Perez, M. Robert Poujade, M. Jean-Pierre Pujol, Mme Michèle Rivasi, M. Michel Sainte-Marie, M. Bernard Seux, M. Guy Teissier, M. André Vauchez, M. Émile Vernaudon, M. Aloyse Warhouver, M. Pierre-André Wiltzer.
INTRODUCTION 5
I. - APRÈS LE 11 SEPTEMBRE : QUEL AVENIR POUR LA DISSUASION ? 9
A. POURQUOI LA DISSUASION RESTE PLUS QUE JAMAIS NÉCESSAIRE 10
1. Le choc du 11 septembre : la dissuasion contournée ? 10
2. L'évolution des menaces reste imprévisible : la dissuasion comme « garantie de sécurité » 13
3. Dissuasion et défense antimissile : un débat probablement dépassé 19
B. LES POLITIQUES DE DÉSARMEMENT ET DE NON-PROLIFÉRATION : UN AVENIR TRÈS INCERTAIN 22
C. LA DISSUASION ADAPTÉE, CLÉ DE VOÛTE DE LA SÉCURITÉ DE LA FRANCE 26
1. Des outils complémentaires et flexibles 27
2. La simulation comme pivot de la crédibilité de la dissuasion 29
3. La France et la défense antimissile 30
II. - LA DISSUASION DANS LE PROJET DE BUDGET POUR 2002 : DES MOYENS QUI RÉPONDENT STRICTEMENT AUX BESOINS 33
A. QUELS MOYENS BUDGÉTAIRES POUR LA DISSUASION ? 33
1. 1997-2002 : une dissuasion globalement épargnée 34
2. La hausse des crédits de la dissuasion en 2002 : un effet mécanique 36
3. L'inéluctable augmentation des crédits de la dissuasion dans les années à venir : quel équilibre entre le nucléaire et le conventionnel ? 38
B. QUELLE COHÉRENCE POUR LA DISSUASION ? LES PROGRAMMES 39
1. Les études, un secteur clé 41
2. Les deux composantes de la dissuasion : la poursuite de la modernisation 44
3. Le maintien en condition opérationnelle des instruments de la dissuasion : une vigilance nécessaire 52
4. Les progrès du programme de simulation 54
5. Les programmes de transmission 55
C. LES RESTRUCTURATIONS DANS LE SECTEUR NUCLÉAIRE MILITAIRE 56
1. Le démantèlement de la composante terrestre 56
2. Les conséquences de l'arrêt des essais nucléaires 57
3. Le démantèlement des sites de production de matières fissiles : une _uvre de longue haleine 57
4. Un CEA restructuré 60
CONCLUSION 63
EXAMEN EN COMMISSION 65
Mesdames, Messieurs,
Fruit d'un contexte stratégique spécifique, aujourd'hui révolu, la dissuasion nucléaire est actuellement soumise à un renouveau des débats sur son efficacité, voire sa pertinence.
Ce sont d'abord, depuis plusieurs mois, nos alliés américains qui déploient des efforts diplomatiques intenses pour faire accepter par leurs partenaires l'idée que la dissuasion ne doit plus seulement reposer sur les armes nucléaires, mais également se fonder sur le déploiement de systèmes de défense antimissile.
Au-delà de cette remise en cause profonde, non de la pertinence du concept de dissuasion, mais de ses modalités d'application, des voix s'élèvent ici et là depuis le 11 septembre pour interpréter les terribles attentats contre les Etats-Unis comme la preuve que la dissuasion nucléaire américaine a été contournée et, par conséquent, que l'arme nucléaire n'est plus que marginalement opératoire dans le monde du XXIème siècle.
D'emblée, votre rapporteur tient à s'inscrire en faux contre cette théorie du « contournement » qui méconnaît le rôle de la dissuasion nucléaire. En effet, d'une part, jamais celle-ci n'a été conçue pour parer à toutes les menaces. D'autre part, ce qu'a surtout montré le 11 septembre, c'est que des menaces imprévisibles et nouvelles sont aujourd'hui susceptibles de venir s'ajouter à celles déjà envisagées par les stratèges, qu'il s'agisse de celles liées à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs ou de l'éventuelle renaissance d'une menace massive dans les quinze à vingt années à venir.
Il serait toutefois dangereux de balayer d'un revers de la main les débats qui se font jour. Les interrogations actuelles sont le signe que l'heure est venue de rappeler les raisons qui justifient le maintien de l'effort budgétaire que la France consacre à la préservation d'un outil militaire crédible, fondement de notre dissuasion nucléaire. Votre rapporteur en est convaincu : seule une pédagogie de la dissuasion est à même de préserver l'indispensable soutien dont elle a besoin de la part de l'ensemble de nos concitoyens. Ce travail d'explication, le principal responsable de la dissuasion qu'est le Président de la République en a posé les fondements dans un discours très important du 8 juin 2001, rappelant les éléments constitutifs de notre concept de dissuasion. A l'occasion de la présentation des crédits consacrés à la dissuasion dans le projet de loi de finances pour 2002, c'est également dans cette perspective pédagogique que le présent rapport entend s'inscrire.
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La dissuasion nucléaire n'est pas une vieille idée héritée de la guerre froide que la France conserverait par inertie ou qu'elle gérerait tant bien que mal, ne sachant trop que faire de ce lourd héritage. Au contraire, c'est un concept vivant, dont le Président de la République a récemment rappelé toute la pertinence.
Pertinente, la dissuasion le reste au début du XXIème siècle à deux titres. D'abord parce que les principes qui la fondent, en bref le concept lui-même, sont pérennes : pour la France, la dissuasion reste indissociablement liée à la préservation des intérêts vitaux, notion qui garantit la validité de notre concept dans l'espace - tout adversaire potentiel, où qu'il soit, est visé - ou dans le temps. A cet égard, nul doute que la politique européenne de la France en matière de défense et de sécurité n'est pas neutre quant à l'étendue des intérêts vitaux.
Pertinente, la dissuasion l'est aussi - et paradoxalement - de par ses facultés d'adaptation au contexte stratégique : en effet, si la dissuasion est pérenne dans son concept, en revanche, dans ses modalités, c'est bien d'une dissuasion adaptée qu'il s'agit, qui s'est toujours inscrite dans le cadre du concept de stricte suffisance. Celle-ci, qui se traduisit par l'existence de trois composantes et par une politique d'essais durant la guerre froide, autorise, après la disparition d'une menace massive, la réduction du système de forces à deux composantes, océanique et aéroportée, ainsi que le remplacement des essais en grandeur réelle par un programme de simulation. Cette évolution des modalités de mise en _uvre de la dissuasion ne doit pas tromper : quelle que soit la configuration retenue, seule la perfection est autorisée et il n'existe aucun droit à l'erreur.
Conscients de nos limites à imaginer ce que sera le monde de demain, nous devons garantir notre sécurité avec les moyens les plus fiables qui soient, et la dissuasion vient assurément au premier rang d'entre eux. Nous ne devons par ailleurs pas rejeter a priori les éventuelles évolutions de notre posture stratégique traditionnelle avant d'avoir examiné sereinement et objectivement si elles sont en mesure d'accroître le gain net de sécurité pour nos troupes en mission extérieure ou notre territoire.
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L'adaptation du concept de dissuasion au contexte stratégique d'aujourd'hui et demain conduit immanquablement à poser la question de l'évolution du système de forces lui-même et, par conséquent, des moyens qui lui sont consacrés. La crédibilité de la dissuasion réside en effet dans cette double dimension de volontarisme politique, tel que l'a fortement affiché le Président de la République le 8 juin 2001 devant l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale, et de volontarisme budgétaire.
Dans cette optique, votre rapporteur ne peut se réjouir de la forte augmentation des crédits consacrés à la dissuasion prévue en 2002, d'autant plus notable qu'elle fait suite à une annuité relativement morose en 2001 et qu'elle contraste singulièrement avec un budget d'équipement militaire global à nouveau amputé par une forte encoche :
- en autorisations de programme, l'augmentation est de 22,9 %, à 2,518 milliards d'euros (contre 2,05 en 2001) ;
- en crédits de paiement, elle est de 13,1 % (en termes de crédits disponibles, c'est-à-dire si les crédits de 2001 sont effectivement reportés), soit 2,68 milliards d'euros, contre 2,37 en 2001.
En réalité, ces chiffres ne font que prendre acte du cumul de plusieurs échéances relatives à des programmes d'importance (simulation, SNLE-NG, M 51, ASMP amélioré), de manière imparfaite d'ailleurs dans le cas du programme de missile balistique M 51. Il s'agit donc d'une augmentation des crédits que l'on pourrait qualifier de mécanique, qui permet d'assurer la cohérence du système de forces sur lequel repose la dissuasion.
Conséquences stratégiques des attentats du 11 septembre 2001 en regard des moyens budgétaires consacrés à la dissuasion nucléaire française, cette analyse ne pouvait être conduite sans se référer obligatoirement et à de nombreuses reprises à l'intervention du Président Jacques Chirac, le 8 juin 2001, devant l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale. Ce discours n'a pas eu, en son temps, l'écho médiatique que son importance justifiait pourtant.
En effet, il comportait toute une série d'affirmations, de mises au point et d'intentions clairement affichées, susceptibles de constituer les fondements prochains de la doctrine nucléaire de la France. Les événements mondiaux en cours depuis le 11 septembre 2001 donnent à ce discours un relief accru que le présent rapport se devait de prendre en compte.
I. - APRÈS LE 11 SEPTEMBRE : QUEL AVENIR POUR LA DISSUASION ?
Avant les événements du 11 septembre, « l'actualité » du concept de dissuasion portait exclusivement sur les effets induits par les projets américains de défense antimissile. Depuis le 11 septembre, de nouvelles questions se posent, sans pour autant que les anciennes disparaissent, même si leur formulation s'adapte au nouveau contexte.
S'agissant tout d'abord de la défense antimissile, les attentats du 11 septembre incitent à s'interroger sur la priorité qui va désormais être accordée à la défense antimissile par les Etats-Unis, eu égard aux efforts massifs qu'ils entendent déployer dans le domaine de la défense du territoire (Homeland Defense). Cette question vaut autant en termes d'affichage politique que d'affectation des moyens budgétaires, plus encore dans un contexte de récession économique. Faut-il s'attendre à un phénomène de « concurrence », budgétaire et conceptuelle, entre la protection contre le terrorisme et la défense antimissile ? Dans l'hypothèse, fort probable comme nous le verrons, où la défense antimissile reste une priorité de l'administration américaine, il convient de s'interroger également sur les interactions, certaines, entre les négociations russo-américaines sur ce dossier et la coopération étroite et active des deux pays dans la lutte contre le terrorisme. Il apparaît en effet clairement que le Président Poutine dispose aujourd'hui de cartes maîtresses dans la mesure où son discours sur la primauté du risque terroriste semble validé et où, dans leur lutte de long terme contre le terrorisme, les Etats-Unis ne peuvent pas se passer du soutien russe. Comment la Russie va-t-elle utiliser ce nouvel atout ?
Cette question, qui reste ouverte à l'heure où ce rapport est écrit, est essentielle pour l'Europe puisqu'elle traite en filigrane de l'avenir du traité ABM, que les Européens considèrent comme un élément fondamental de l'équilibre stratégique depuis plusieurs décennies. Plus largement, ce qui est en jeu après le 11 septembre, c'est l'avenir de l'ensemble des traités internationaux de désarmement et de non-prolifération : les Etats-Unis vont-ils revenir à une approche multilatérale de ces questions, alors qu'ils sont soucieux aujourd'hui de réunir une coalition aussi large que possible dans la lutte contre le terrorisme ? Au contraire, assiste-t-on à une sorte de politique étrangère « à la carte » des Etats-Unis, fondée sur le multilatéralisme dans certains domaines, et un processus de décision unilatéral dans d'autres ?
Fondamentales pour l'avenir du concept de dissuasion, les questions de la défense antimissile et de la lutte contre les différentes formes de prolifération ne revêtent toutefois pas le caractère radical de certaines interrogations nées au lendemain des attentats aux Etats-Unis. En effet, certaines analyses sont apparues ici et là, mettant en cause le bien-fondé même de la dissuasion, en vertu d'un raisonnement aussi simple que séduisant : comment les Etats-Unis, puissance nucléaire, ont-ils pu subir une attaque aussi massive sur leur propre sol, sinon parce que la dissuasion américaine a échoué ?
La dissuasion américaine a-t-elle été contournée le 11 septembre ?
Cette question radicale ne vaut pas pour les seuls Etats-Unis, mais se pose pour l'ensemble des pays nucléaires, dont la France bien évidemment. A l'heure où l'opinion publique se pose de multiples questions sur les conditions de notre sécurité, il importe de l'examiner sereinement et sans préjugés. Il est, en effet, nécessaire aujourd'hui de faire _uvre de pédagogie dans un domaine trop longtemps confiné aux spécialistes. L'époque est révolue où il suffisait d'affirmer que la dissuasion était la meilleure garantie, sans plus de détails ni de justifications. Dans une période de doutes et d'interrogations fortes sur la réalité des menaces auxquelles nous devons faire face, il importe que la dissuasion soit totalement acceptée par nos concitoyens, donc comprise, donc expliquée.
Les attentats de New York et de Washington ont-ils mis en échec la dissuasion nucléaire américaine et, à travers elle, le principe même de la dissuasion nucléaire ? Rappelons que, le 7 septembre encore, soit quatre jours avant les attentats, le département d'Etat américain rappelait que « la dissuasion doit rester et restera une composante décisive de notre posture de sécurité. (...) Le maintien d'une dissuasion fiable contre les attaques contre les Etats-Unis et nos alliés est un objectif critique de notre stratégie de sécurité nationale ». Doit-on pour autant en conclure au « contournement » de la dissuasion américaine comme certains commentateurs n'ont pas hésité à le faire ?
Le 11 septembre 2001 marque assurément une rupture, à cinq titres.
Tout d'abord, c'est la première fois dans l'histoire des Etats-Unis que des victimes civiles sont attaquées sur le sol américain par une organisation étrangère. En cela, la comparaison avec l'attaque de Pearl Harbour le 7 décembre 1941 trouve une sérieuse limite puisqu'à l'époque, c'est une base militaire américaine qui a été bombardée par les avions japonais. Rien de semblable le 11 septembre 2001 : les 5 000 personnes enfouies sous les décombres du World Trade Center étaient de simples civils qui vaquaient à leurs occupations professionnelles.
L'horreur d'un tel acte a été d'autant plus fortement ressentie aux Etats-Unis que les Américains éprouvaient sur leur sol et dans leur ville un sentiment de quasi-invulnérabilité. Sans doute les Twins avaient-elles d'ores et déjà fait l'objet d'un attentat en 1993, sans doute également l'attentat très meurtrier d'Oklahoma City a-t-il quelque peu ébranlé cette conviction que rien ne pouvait arriver aux Américains sur le sol national ; mais, dans le premier cas, le nombre de victimes a, somme toute, été marginal et, dans le deuxième, l'agression a été perpétrée par un ressortissant américain. Ce que les Etats-Unis ont découvert le 11 septembre, c'est l'apprentissage de la vulnérabilité que connaissent les habitants de toutes les grandes métropoles européennes, telles que Paris, par exemple, durement frappée par plusieurs vagues d'attentats au cours des vingt dernières années.
Si le 11 septembre marque une rupture, c'est également par le caractère imprévisible de l'attaque. Certes, les services de renseignement américains ont sous-estimé les risques d'attentats contre les intérêts américains. Mais, au-delà de ces défaillances qui dépassent le sujet du présent rapport, qui pouvait sérieusement concevoir un tel attentat ? C'est une chose d'évoquer le caractère diffus, multiforme, des menaces qu'ont aujourd'hui à affronter les acteurs étatiques dans le monde de l'après-guerre froide ; c'en est une tout autre d'imaginer le scénario du 11 septembre.
La rupture est également quantitative : avec plus de 5 000 victimes, les attentats du 11 septembre donnent le sentiment d'une modification radicale des paramètres traditionnels du terrorisme. Par ailleurs, l'identité de l'agresseur introduit une donnée nouvelle dans le paysage stratégique, dans la mesure où l'attaque massive contre la première puissance mondiale a été perpétrée, non par un Etat, mais par un réseau terroriste. Pour autant que l'on sache, Al Qaida est certes une machine de guerre extrêmement bien organisée, complexe, financièrement puissante, qui bénéficie de la complicité d'un acteur étatique, mais ce n'est pas un Etat pour autant.
Dans cette déconnexion entre l'identité de l'agresseur et les effets des attentats réside, in fine, cette impression d'une rupture profonde de l'ordre stratégique, puisqu'elle met en cause la notion même de puissance. Or, depuis la guerre froide, la notion de puissance est étroitement liée à la détention de l'arme nucléaire. D'où le raccourci saisissant opéré par certains sur le « contournement » de la dissuasion américaine.
C'est ainsi que les attentats du 11 septembre posent de vraies questions sur la dissuasion, que l'on connaissait d'ailleurs bien avant, mais que chacun évitait soigneusement de formuler, tant il est difficile d'y apporter des réponses précises. On ne peut plus désormais faire l'économie d'une telle réflexion.
La première question concerne le lien entre dissuasion et acteurs non étatiques. Concept politique, la dissuasion s'adresse par nature à la forme politique par excellence de communauté humaine qu'incarne l'Etat parce qu'elle vise la pérennité même de son existence. Tout dirigeant politique ne pourra qu'être sensible au message envoyé par un Etat détenteur de l'arme nucléaire : « si vous touchez à mes intérêts vitaux, je suis en mesure de détruire votre Etat ». En revanche, quel peut être le message envoyé à un réseau terroriste ? Les armes nucléaires présentes dans certains arsenaux peuvent certes effectuer des frappes très ciblées, en visant les centres, voire les dirigeants eux-mêmes de tels réseaux : tout au plus, par conséquent, la dissuasion peut-elle s'exercer vis-à-vis de la tête ou d'une partie du réseau. Mais, dans le cas d'un réseau transnational, elle est par nature moins crédible dans la mesure où menacer de décapiter celui-ci ne l'empêcherait pas de survivre ailleurs, à partir d'autres branches du réseau, et de recouvrer son entière capacité d'action.
Dans le cas présent, la complexité de la question est accrue par le fait que les mobiles du réseau Al Qaida sont difficiles à interpréter. S'agit-il d'un groupe aux visées exclusivement religieuses, aux objectifs politiques et religieux, ces deux domaines étant d'ailleurs totalement imbriqués, ou d'un réseau somme toute classique qui poursuit des fins politiques ? La question n'est pas neutre car elle met en jeu, là encore, la pertinence de ce concept politique qu'est la dissuasion. Si vraiment les fondements de ce réseau sont religieux et reposent sur la valorisation du martyre, alors la dissuasion a toute chance d'être inopérante. On retrouve ici le point faible de la démarche nucléaire confrontée à l'ennemi irrationnel. Le kamikaze individuel est à l'opposé de la volonté de puissance collective incarnée par un Etat entendu au sens traditionnel. L'histoire de l'humanité a déjà connu des engagements suicidaires de cette nature. Ils n'avaient cependant jamais bénéficié des moyens financiers et de l'organisation des réseaux Al Qaida.
La deuxième question posée par les attentats du 11 septembre concerne l'efficacité de la dissuasion face aux menaces dites asymétriques. Ces menaces visent à utiliser des moyens inattendus mais dont les résultats sont néanmoins très déstabilisants. Jusqu'au 11 septembre, le concept pouvait sembler un peu flou mais les événements de New York et de Washington en ont cruellement montré la virulence : quatre avions détournés par quelques hommes à peine armés mais totalement déterminés, des cibles parfaitement choisies, ont suffi à ébranler, non seulement la première puissance mondiale, mais en réalité l'ensemble du monde puisqu'aujourd'hui, aucun continent n'est épargné par les remous suscités par ces attentats. Poser la question de la dissuasion face à de telles menaces, c'est, en réalité, une autre manière de s'interroger sur la définition de la puissance dans le monde de l'après-guerre froide. Cette question est peut-être moins déstabilisante que la précédente, dans la mesure où ni les Etats-Unis, ni la France par exemple, n'ont jamais considéré que le nucléaire ne dissuadait que le nucléaire : peu importe la nature des moyens utilisés puisque seul compte le but poursuivi par l'agresseur. Dans le cas de la France ainsi, c'est à l'aune des intérêts vitaux que serait jugée la nécessité d'une riposte, et non à celle des moyens utilisés.
Faut-il déduire de ce constat de rupture dans l'ordre international et des questions soulevées par les événements du 11 septembre au regard de la dissuasion que le concept lui-même a vécu et ne justifie plus les sacrifices financiers qu'il entraîne ? Le problème garde sa complexité et il n'est pas possible à ce jour d'y apporter des réponses totalement satisfaisantes.
Je considère cependant qu'il est faux de dire que la dissuasion américaine a été contournée le 11 septembre. Ce qui a été mis à mal, c'est la posture de défense et de sécurité des Etats-Unis. La dissuasion est un élément de cette posture mais elle n'en est pas, ni ne l'a jamais été d'ailleurs, la globalité. Les tenants de la thèse d'un « contournement » de la dissuasion mélangent plusieurs données : ce n'est pas parce que l'arme nucléaire, arme de destruction massive, dissuadait la menace massive qu'était l'Union soviétique qu'elle dissuade ipso facto les autres types de menaces, qui ne visent pas à l'invasion ou l'anéantissement immédiat d'un Etat. L'arme nucléaire n'est pas l'arme absolue, mais l'arme ultime.
De telles analyses sont d'autant plus étonnantes que, jusqu'alors, personne n'a jamais établi de lien entre dissuasion nucléaire et terrorisme quand la France ou le Royaume-Uni, par exemple, étaient frappés par des attentats meurtriers. Sans nul doute, ceux-ci n'avaient ni le caractère massif ni la dimension inédite qu'ils ont eus aux Etats-Unis, mais ils ont ceci de commun qu'ils relèvent d'actes de terrorisme. D'ailleurs, alors que des menaces terroristes réelles existent aujourd'hui dans les pays alliés des Etats-Unis et toujours aux Etats-Unis même, nul chef d'Etat ne met en avant le concept de dissuasion nucléaire pour y parer. Ce qui est efficace aujourd'hui pour lutter contre le terrorisme, c'est tout un arsenal de mesures financières, diplomatiques, juridiques, politiques et militaires. Cet arsenal de mesures se veut lui-même dissuasif, mais il est d'un autre ordre que la dissuasion nucléaire. Il est adapté à la nature de la menace : c'est, en France, l'application du plan Vigipirate renforcé et d'un certain nombre de dispositions préventives visant à rendre inopérantes les tentatives d'actions terroristes, à affaiblir les moyens des réseaux terroristes, à découvrir ceux-ci et à les neutraliser. Se trouve ainsi posé un problème de sécurité intérieure qui avait été perdu de vue. Mais à supposer que ce problème soit résolu, faut-il pour autant considérer que les menaces étatiques extérieures auraient disparu sur la longue durée ?
Nous devons préserver notre arsenal nucléaire et la crédibilité de la dissuasion parce qu'il existe d'autres menaces contre lesquelles l'arme nucléaire reste le meilleur moyen de nous protéger. Pour actuel et terrible qu'il soit, le terrorisme n'est pas le seul danger. Le 11 septembre a certes mis en avant une menace particulière, contre laquelle il va nous falloir lutter activement et longuement. Il a certes créé une rupture dans l'ordre international mais il n'a pas pour autant créé un effet de table rase. Les crises, les tendances géopolitiques de fond qui préexistaient au 11 septembre sont toujours là et, avec elles, les incertitudes quant à l'évolution du contexte stratégique pour les quinze à vingt années à venir.
Ainsi, pour la France, la question de la sécurité des intérêts vitaux reste posée, à deux titres.
En premier lieu, même si, aujourd'hui et dans un délai prévisible, il est difficile d'imaginer un scénario qui ferait resurgir une menace massive du type de celle que nous avons connue avec l'Union soviétique, qui peut dire à ce jour ce qu'il en sera dans deux décennies ? De même qu'il était assez difficile d'imaginer, il y a quelques mois encore, que les Etats-Unis et la Chine se déclareraient prêts à coopérer sur la lutte contre le terrorisme et afficheraient d'excellentes relations, comme ce fut le cas au sommet de l'APEC à Shanghai les 20 et 21 octobre 2001, peut-on exclure un scénario inverse qui se traduirait par une brusque dégradation des relations avec la Chine ou avec la Russie et à un durcissement de ces pays ? De même, les événements actuels montrent l'extrême fragilité de l'arc asiatique qui va du Moyen-Orient à la péninsule indienne, en passant par les républiques d'Asie centrale, autant de zones qui se trouvent aux confins de plusieurs Etats nucléaires : la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan et, plus à l'ouest, Israël. Ainsi, par exemple, que signifierait, pour la sécurité du continent européen, un Pakistan nucléaire qui passerait sous contrôle islamiste ?
En second lieu, le défi posé par la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs est plus actuel que jamais. De même, le fait que l'Inde et le Pakistan soient aujourd'hui des détenteurs de l'arme nucléaire est le résultat d'une prolifération active et d'un échec des politiques censées la prévenir. Or, tant que les moyens diplomatiques et juridiques n'ont pas mis fin aux risques de prolifération, quel meilleur moyen avons-nous de nous en protéger, si ce n'est la dissuasion nucléaire ? Sans doute la question de savoir sous quelles conditions celle-ci peut agir face à des menaces biologiques ou chimiques reste ouverte. Aucun gouvernement responsable, placé à la tête d'un Etat doté de l'arme nucléaire, ne donnera la réponse à cette question, sous peine de mettre à bas la dissuasion elle-même.
Néanmoins, en toute logique, on peut avancer que, face aux menaces bactériologiques et chimiques, la validité du nucléaire dépend de deux critères : l'ampleur de l'action offensive et l'identité de celui qui l'engage. Dans le cas du 11 septembre, l'action était certes de grande ampleur mais, comme nous l'avons vu ci-avant, les responsables ne sont pas des acteurs étatiques susceptibles d'être dissuadés. En revanche, en cas d'intervention étatique dans un tel scénario, la dissuasion a jusqu'alors fonctionné en France comme aux Etats-Unis, dans la mesure où aucun acteur étatique n'a eu recours à des armes de destruction massive contre ces pays, et rien ne permet à ce jour d'en mettre l'efficacité en doute.
Les incertitudes liées aux évolutions stratégiques demeurent donc. Tel est d'ailleurs le principal enseignement des attentats du 11 septembre : ils ont validé l'hypothèse posée depuis la fin de la guerre froide par tous les experts, selon laquelle, dans un contexte international fluctuant, les menaces sont multiformes, diffuses et souvent difficilement prévisibles. Dans cette optique, et même si la dissuasion n'est pas une garantie absolue, elle représente à tout le moins une police d'assurance essentielle sur le moyen et le long terme. C'est le message qu'avait rappelé le Président de la République dans son discours du 8 juin dernier devant l'IHEDN : « fondée sur le droit, appuyée sur une défense plus mobile, plus collective et plus européenne, notre sécurité est et sera avant tout garantie par la dissuasion nucléaire. C'est vrai aujourd'hui, cela le sera plus encore demain. (...) Elle est aujourd'hui, grâce aux efforts consentis de manière continue depuis le Général de Gaulle, un fondement essentiel de notre sécurité et elle le restera pendant de longues années encore dans le nouveau contexte stratégique où elle garde tout son sens et toute son efficacité ».
De fait, la dissuasion reste notre meilleure garantie contre un certain nombre de menaces, y compris contre les menaces nouvelles apparues dans l'après-guerre froide. Le raisonnement qui prétend que la dissuasion nucléaire américaine a échoué car elle n'a pas protégé le territoire américain est simplifié à l'extrême et ne fait que répondre à un effet de mode. Tout au contraire, affirmer que la sécurité de la France reste, après le 11 septembre, étroitement liée à la crédibilité de sa dissuasion repose, non sur l'inertie des habitudes ni sur une quelconque nostalgie de l'ordre stable qu'avait instauré la guerre froide, mais sur une analyse objective de la situation internationale dans laquelle nous vivons aujourd'hui.
Dans son discours du 8 juin, le Président de la République évoque encore les « menaces que pourraient faire peser sur nos intérêts vitaux des puissances régionales dotées d'armes de destruction massive » et rappelle « le développement par certains Etats de capacités balistiques qui pourraient leur donner les moyens, un jour, de menacer le territoire européen avec des armes nucléaires, biologiques ou chimiques ». Et le Président de la République d'ajouter que « s'ils étaient animés d'intentions hostiles à notre égard, les dirigeants de ces Etats doivent savoir qu'ils s'exposeraient à des dommages absolument inacceptables pour eux ».
De tels scénarios pouvaient susciter l'incrédulité le 8 juin dernier. Ils relèvent désormais de la triste réalité. Dans les deux cas de figure évoqués précédemment - renaissance d'une menace massive, nouvelles menaces créées par la prolifération -, on peut par exemple se référer au Pakistan. De fait, l'inquiétude est aujourd'hui palpable de voir l'instabilité en Afghanistan s'étendre au Pakistan voisin. De toutes les conséquences négatives que pourraient avoir les événements actuels, la pire serait sans nul doute de voir l'arsenal nucléaire pakistanais tomber dans les mains des Taliban, d'Al Qaida ou de tout autre groupe islamique proche de ces mouvances. N'oublions pas qu'en 1998, Ben Laden publia une déclaration intitulée « La bombe nucléaire de l'Islam », dans laquelle il disait qu'« il était du devoir des Musulmans de préparer autant de forces que possible pour terroriser les ennemis de Dieu ». Ce texte pouvait passer pour une provocation d'illuminé jusqu'au 11 septembre ; aujourd'hui, il serait irresponsable de ne pas prendre en compte le scénario d'une mainmise des Taliban ou d'Al Qaida sur l'arsenal nucléaire pakistanais, d'autant plus que, arme de terreur par excellence, l'arme nucléaire est particulièrement séduisante aux yeux de groupes terroristes.
Jusqu'au 11 septembre, la proximité entre les deux Etats était très forte et les nombreuses mises à pied dans l'appareil militaire pakistanais depuis le 11 septembre témoignent des liens très forts entre une partie de l'appareil d'Etat pakistanais et le régime des Taliban. Un sondage récent de Newsweek faisait par ailleurs état d'un taux de sympathie de 83 % pour les Taliban de la part des Pakistanais. Certes, le chef de l'Etat pakistanais, le Général Musharraf, s'emploie activement à tenir ses engagements de solidarité à l'égard de la politique américaine. Il n'en reste pas moins que le Pakistan, Etat nucléaire, subit aujourd'hui des tensions extrêmes et un risque majeur de déstabilisation.
Or, cet Etat possède suffisamment de matériaux nucléaires pour fabriquer, selon les experts, entre 25 et 40 armes nucléaires. Le Pakistan a choisi la filière à l'uranium hautement enrichi pour la fabrication de ses armes. Il met pour cela en oeuvre la technique de l'ultracentrifugation gazeuse dans les installations de la KRL (Khan Research Laboratories). Le site principal de production est à Kahuta, à 80 km à l'est d'Islamabad. Une autre installation d'enrichissement est située à Golra Sharif, à l'ouest de la capitale. Les capacités d'ultracentrifugation existantes auraient ainsi permis au Pakistan de détenir aujourd'hui un stock d'uranium hautement enrichi qui autoriserait la fabrication de plusieurs dizaines d'armes nucléaires. Par ailleurs, le réacteur nucléaire de Kushab (Penjab), entré en service en 1998, ainsi que l'installation de retraitement de Rawalpindi doivent permettre au Pakistan d'isoler plusieurs kilogrammes de plutonium de qualité militaire par an. Le Pakistan détiendrait plusieurs armes nucléaires, vraisemblablement des bombes gravitaires et des charges intégrables dans des missiles sol-sol mobiles.
En outre, le Pakistan produit plusieurs types de missiles. Depuis le début des années 1980, il développe la série de missiles Hatf à propulsion solide, dont le Hatf-I qui s'apparente plutôt à une roquette à charge conventionnelle, le Hatf-II qui est un missile tactique d'une portée inférieure à 300 km. Le Hatf-III s'inspirerait du missile chinois M-9. Le 14 avril 1999 a été testé un missile Shaheen ou Hatf IV, à propulsion solide. Le directeur du programme d'essais à la Pakistan Atomic Energy Commission a précisé que ce missile était déjà opérationnel et qu'il pouvait être équipé de têtes nucléaires. Un nouveau missile Shaheen II, d'une portée de 2 000 à 2 500 km, a été annoncé par les responsables de la PAEC. En avril 1998, le missile balistique Ghauri ou Hatf-V a été testé et affiche une portée supérieure à 1 000 km. Une version améliorée de ce missile a été lancée le 14 avril 1999. Baptisé Ghauri II ou Hatf VI, ce missile à propulsion liquide a parcouru la distance de 1 100 km alors que la portée annoncée par les responsables du programme est de 2 000 km pour une charge de 1 000 kg.
L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DU SECTEUR BALISTIQUE
AU PAKISTANDeux organismes pakistanais sont en compétition pour développer un missile balistique de moyenne portée capable d'emporter une tête nucléaire. D'un coté, la Pakistan Atomic Energy Commission ou PAEC dont une des entités, le National Develoment Complex ou NDC développe des missiles à carburant solide de type Shaheen depuis le milieu de la précédente décennie, de l'autre Khan Research Laboratories (KRL), avec à sa tête Abdul Qadeer Khan souvent présenté comme un des pères du nucléaire militaire pakistanais, qui a choisi de mettre au point un lanceur à ergols liquides (Ghauri) s'inspirant fortement du missile nord-coréen Nodong. Le 30 mars 2001, ces deux organismes ont changé de président. Abdul Qadeer Khan a quitté la présidence de KRL pour être nommé conseiller du gouvernement alors que Ashfaq Ahmed quittait la présidence de PAEC qui était confiée à M. Pervez Butt. Outre la nécessité de régler une rivalité entre les deux institutions toutes deux fortement impliquées dans le programme nucléaire militaire pakistanais, il est possible que ce changement soit le signe d'une restructuration du secteur visant à séparer les activités militaires et civiles. La PAEC prendrait en charge le nucléaire civil, le NDC, détaché de PAEC, regrouperait les programmes nucléaires militaires et balistiques avec la collaboration, de KRL pour le nucléaire et Suparco (Pakistan Space and Upper Atmosphere Research Commission) pour les vecteurs.
Ajoutons que le Pakistan possède une aviation capable d'emporter ce type d'armes et a la capacité de développer des missiles sol-sol de moyenne portée à capacité nucléaire. Selon une déclaration du ministre pakistanais des affaires étrangères, l'équipement des vecteurs par des charges nucléaires sera une décision gouvernementale.
La menace liée au programme nucléaire pakistanais pourrait également être liée au vol de matières fissiles, dont quelques kilogrammes pourraient suffire à fabriquer ce qu'on appelle une « bombe sale », c'est-à-dire de conception classique, mais dont l'explosion pourrait répandre des matières radioactives. Le Pakistan assure que ses installations et ses matériaux nucléaires sont sous contrôle. Ainsi, le 3 février 2000, le gouvernement a annoncé la mise en place d'une autorité nationale de commandement (National Command Authority ou NCA) chargée de gérer les forces nucléaires pakistanaises, notamment de définir la politique de contrôle de l'arsenal, qu'il s'agisse du contrôle des personnels ou des options stratégiques. Cette structure rassemble le chef du gouvernement, les ministres compétents (Affaires étrangères, Défense, Intérieur) et les chefs d'état-major. Toutefois, nul ne sait précisément dans quelles conditions cette sécurité est effectivement assurée, ne serait-ce parce que l'AIEA, pourtant de longue date spécialisée dans le contrôle des infrastructures nucléaires, n'a jamais eu accès aux installations pakistanaises, ce pays n'étant pas partie au TNP. Les spécialistes sont généralement relativement confiants : ainsi, un chercheur du centre d'études de non-prolifération de Monterey, l'un des meilleurs en la matière, écrivait récemment qu'il existait très peu de preuves que la sûreté des installations nucléaires ou les structures de commandement et de contrôle des forces stratégiques soient en danger. Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, alors qu'il s'est déclaré en faveur de la lutte contre le terrorisme et sort de l'isolement dans lequel sa double situation politique et stratégique l'avait placé depuis quelques années, le Pakistan aurait tout intérêt à s'ouvrir aux contrôles internationaux pour rassurer ses alliés. Cela impliquerait naturellement de réfléchir à son statut au regard des régimes de non-prolifération nucléaire.
L'hypothèse d'un Pakistan qui tomberait aux mains d'extrémistes ou contrôlerait mal son arsenal ne doit pas faire oublier un autre scénario, beaucoup plus classique : celui d'un affrontement avec l'Inde sur le Cachemire, dans un contexte régional déjà profondément bouleversé par les opérations en Afghanistan. L'Inde est en effet également une puissance nucléaire : elle maîtrise toutes les filières du nucléaire militaire (enrichissement de l'uranium par l'ultracentrifugation, retraitement pour isoler le plutonium), ce qui lui donne la capacité de produire des armes nucléaires de première génération ou des armes à fission exaltée (voire thermonucléaire selon les Indiens). Deux de ses réacteurs de recherche installés au BARC près de Bombay participent à la production de plutonium de qualité militaire, les réacteurs Cirus, entré en service en 1960, et Dhruva, entré en service en 1985. Grâce à ces deux réacteurs, les Indiens ont pu accumuler depuis leur entrée en service un stock de plutonium de qualité militaire de plusieurs centaines de kilogrammes, suffisant pour réaliser entre 25 et 100 armes selon les estimations. Ils pourraient être capables d'assembler plusieurs dizaines de bombes dans un délai très court. Il faut souligner que les réacteurs du BARC, capables de produire du plutonium 239, ne sont pas soumis aux garanties de l'AIEA. Par ailleurs, les Indiens maîtrisent depuis quelques années la production d'uranium hautement enrichi par la méthode de centrifugation gazeuse, ce qui leur permet notamment de couvrir leurs besoins pour l'étude d'un réacteur nucléaire pour sous-marin (phase prototype à terre).
Si l'équilibre de la relation nucléaire indo-pakistanaise peut susciter quelques inquiétudes, c'est notamment parce qu'aucun des protagonistes n'a formulé de doctrine claire. Du côté pakistanais, aucun document officiel n'a été publié. Quant à l'Inde, elle a, en août 1999, rendu public un « document de travail » définissant la « doctrine nucléaire indienne ». Synthétique et bien construit, ce document définit les bases d'une « dissuasion nucléaire minimale crédible ». Présenté à la veille d'une échéance électorale majeure, ce document est une affirmation publique de l'intention de l'Inde de s'affirmer comme une puissance nucléaire à part entière. Il s'agit d'une doctrine fondée sur la menace de représailles punitives. Elle est donc - en théorie - fidèle au principe du non-emploi en premier prônée officiellement par les autorités indiennes. Elle suppose également le développement d'un arsenal nucléaire conséquent reposant sur une triade nucléaire et capable de résister à une première frappe adverse. Enfin, la décision nucléaire appartient au Premier ministre. Malgré l'effort de transparence qu'elle représente, cette doctrine qui est toujours restée « un document de travail » ne répond pas à toutes les questions. Le rôle des armes tactiques n'est ainsi pas mentionné et la question des moyens financiers nécessaires à ces objectifs ambitieux reste également sans réponse. Enfin l'organisation des forces nucléaires indiennes est en cours d'examen à New Delhi. Le contrôle de l'autorité politique sur les militaires semble avoir été mise au point. Il reste à résoudre la question de la mise en place d'un commandement stratégique, liée à la création du poste de Chef d'état-major des Armées.
De ce document, il ressort que l'Inde vise à constituer une « force de dissuasion minimale » basée sur trois composantes, terrestre, aérienne et navale. Le projet de doctrine publiée, rendu public le 17 août 1999, mentionne notamment que l'arsenal nucléaire dissuasif devra se composer de 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, 60 missiles Agni et 40 Prithvi. La constitution de ces forces nucléaires est en cours avec une réussite plus ou moins grande selon les domaines :
- s'agissant de la composante aérienne, l'Inde possède des vecteurs capables de délivrer des armes nucléaires. Elle dispose en effet de plusieurs centaines d'avions de type Jaguar, Mirage 2000 ou Mig-21, 23, 27 et 29 ; elle a en outre commandé à la Russie 40 SU-30 (3 000 km de rayon d'action pour une capacité d'emport de huit tonnes) qui ont commencé à être livrés en juin 1997 ;
- dans le domaine sol-sol, l'Inde a lancé au début des années 80 un programme ambitieux visant à développer une large gamme de missiles allant du missile stratégique sol-sol Agni d'une portée de 2 000 km, testé le 11 avril 1999 puis le 17 janvier 2001, aux missiles sol-sol de courte portée Prithvi, dont une version navale. Le Ministre de la Défense indien, Jaswant Singh, a informé en mai 2001 la Commission de la Défense du Parlement indien que la production limitée du missile Agni était commencée et que les premiers missiles devraient être livrés aux forces en 2002. D'autres missiles de la famille Agni seraient à l'étude, il s'agit de projets baptisés Agni III (3 700 km de portée), Agni IV (4 500 km de portée). Ces missiles qui posséderont sans doute des capacités améliorées, seraient capables d'atteindre les principaux centres chinois ;
- enfin, les Indiens projettent de compléter leur triade avec une composante navale. Ils ont ainsi en projet la construction d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engin. Initialement prévu pour être lancé en 2004, ce projet se heurte à la difficulté de maîtriser la réalisation du réacteur nucléaire naval. Pourtant M. Chidambaram, président de la Commission de l'énergie atomique indienne, a annoncé le 16 août 1999 que le réacteur naval en développement au centre de Kalppakkam, à coté de Madras, serait transféré à la marine indienne. Selon les indications données, le réacteur utiliserait l'uranium enrichi à 6 % comme combustible et son autonomie serait de 10 années avant renouvellement du c_ur.
Peut-être que le risque d'une ascension aux extrêmes entre les deux pays reste limité. Mais c'est précisément pour le contenir, pour être en mesure de pouvoir éventuellement dire aux acteurs locaux de cesser l'escalade vers le conflit, qu'un pays comme la France doit préserver sa capacité de dissuasion. Le rôle politique de l'arme nucléaire garderait toute sa valeur dans un tel cadre. De la même façon que le nucléaire dissuade le nucléaire, il est hors de doute que seul un Etat nucléaire peut parler de manière crédible à un autre état nucléaire. C'est d'ailleurs dans cet esprit que si l'Europe doit un jour exister en tant que puissance elle n'y parviendra que dotée de moyens nucléaires.
Si les attentats ont réactivé la question de la validité de la dissuasion dans l'après-guerre froide sous un angle radical, ils n'ont pas pour autant mis fin au débat sur les liens entre défense et dissuasion relancé par les projets américains de défense antimissile. En un mot, la dissuasion reste valide mais quelle sera-t-elle au XXIème siècle ?
Très rapidement, quoique discrètement et dans un climat d'unité nationale, deux écoles sont apparues aux Etats-Unis au lendemain des attentats quant à la politique à suivre en matière de défense antimissile.
D'un côté, certains estimèrent que le 11 septembre avait montré que la menace n'était pas prioritairement balistique et qu'aucun système de défense antimissile ne garantirait les Etats-Unis contre des attaques terroristes similaires ou encore contre une attaque terroriste de type « nucléaire sale », bactériologique ou chimique. En un mot, l'administration Bush avait fait fausse route en affichant comme priorité absolue la défense antimissile, alors que ce qui était en jeu, c'était la protection du territoire contre le terrorisme, c'est-à-dire la « défense de la patrie » (Homeland Defense).
D'autres virent au contraire dans les événements du 11 septembre la confirmation de l'imprévisibilité de la menace et une justification pour poursuivre un effort sur tous les fronts : les attentats de New York et de Washington avaient mis en lumière une menace totalement sous-estimée par les services de renseignement américains, déjà pris en flagrant délit de cécité sur les essais nucléaires de l'Inde et du Pakistan ou sur les progrès de la Corée du Nord en matière balistique. Plus encore, ils ont fait la preuve de la vulnérabilité des Etats-Unis. Or, aux sources du projet de défense antimissile, on trouve cette obsession de préserver l'invulnérabilité du territoire et de la population américaine, qui risque désormais de se muer en une quête de l'invulnérabilité perdue.
C'est cette dernière ligne que les Etats-Unis ont, in fine, choisi de suivre : faut-il d'ailleurs s'en étonner, quand, depuis son arrivée au pouvoir, le Président Bush et ses conseillers n'ont cessé de marteler l'importance déterminante du projet de défense antimissile et quand les Etats-Unis sont engagés dans un renforcement global de leur système de sécurité ?
LES PROJETS DE L'ADMINISTRATION BUSH EN MATIERE
DE DEFENSE ANTIMISSILEEn matière de défense antimissiles du territoire des Etats-Unis, le programme développé sous l'administration Clinton devait s'appuyer sur un réseau d'alerte avancée composé à la fois de radars et de satellites infrarouge, ainsi que sur un système d'interception constitué de radars de poursuite et de missiles destinés à des interceptions hors atmosphère. Depuis 1997, ce programme avait connu une forte progression financière, avec un budget pour la période 2000-2005 établi aux environs de 11 milliards de dollars. Le budget programmé en 2000 s'élève à 1,6 milliard de dollars, celui de 2001 atteint 1,9 milliard de dollars. La NMD était devenue depuis 1997 un Major Defense Acquisition Program avec un budget cumulé d'environ 7 milliards de dollars. Ce système a fait l'objet de 4 essais en vol, dont 2 ont été des succès ; la nouvelle administration entend le poursuivre et procéder à un premier déploiement effectif dès 2004, afin de donner aux Etats-Unis une première capacité de défense antimissiles.
Pour l'administration américaine, le déploiement d'un système antimissiles devra par ailleurs répondre à plusieurs critères :
- évolutivité : capacité à prendre en compte l'évolution, même drastique, de la prolifération balistique. De fait, l'architecture du système ne sera jamais totalement figée et sera amenée à évoluer au fur et à mesure du développement des recherches. Ainsi, des prototypes pourraient venir s'ajouter à l'architecture globale en fonction des besoins.
- multicouches: pour obtenir la meilleure efficacité possible, le système recherché comprendra plusieurs niveaux d'interception afin de tenter de détruire le missile adverse durant toutes les phases de son vol ;
- multisenseurs : la multiplicité des senseurs est nécessaire afin d'améliorer l'efficacité globale du système. Le système disposerait de senseurs sur terre, aéroportés et dans l'espace afin d'assurer la détection et la discrimination des missiles assaillants.
Pour ce faire, la nouvelle administration entend poursuivre toutes les pistes qui permettraient de répondre à ces critères.
Ainsi, le 11 octobre dernier, le Président Bush a réaffirmé sans ambiguïté sa détermination à aller de l'avant sur la défense antimissile et a, à nouveau, appelé son homologue russe à en finir avec le traité ABM. Aux yeux des Etats-Unis en effet, les attentats du 11 septembre ont confirmé leurs analyses sur l'obsolescence des schémas stratégiques traditionnels et, par conséquent, des traités qui régissaient l'ordre ancien. « L'argument selon lequel le traité ABM est démodé, dépassé et reflète une période différente est plus puissant qu'il ne l'était le 10 septembre », a déclaré le Président Bush le 10 octobre dernier.
Cette analyse a trouvé une traduction budgétaire immédiate puisque, le 25 septembre dernier, la Chambre des Représentants votait le projet de budget pour la défense en ne redéployant qu'à la marge les crédits destinés à la défense antimissile : seuls 400 millions de dollars, sur les presque 7 milliards destinés à la défense antimissile, ont été redéployés en faveur de la lutte contre le terrorisme. Quant au Sénat démocrate, plus réservé sur la défense antimissile, il a laissé au Président la possibilité d'utiliser 1,3 milliard de dollars destinés au projet de MD en faveur de la lutte antiterroriste. Ce qui ressort par conséquent, c'est que, tout au plus, les Etats-Unis étaleront-ils leurs moyens budgétaires en faveur de la MD, plus encore dans un contexte économique morose, mais ils ne mettront pas en jeu l'avenir même du programme.
Rappelons que le budget proposé par le Président Bush en matière de défense antimissiles du territoire pour l'année fiscale 2002 s'élève à environ 6,8 milliards de dollars, en augmentation par rapport à 2001, du fait que certains programmes considérés par l'administration précédente comme de défense de théâtre (laser aéroporté ABL ou système de défense antimissile exoatmosphérique de la Marine américaine Navy Theater Wide) font à présent partie des systèmes susceptibles de défendre le territoire afin de répondre au besoin d'une architecture multicouches.
Ces crédits sont répartis de la façon suivante :
- défense en phase intermédiaire (mid-course defense) : 3,9 milliards de dollars ;
- défense en phase finale (terminal defense) : 968,2 millions de dollars ;
- défense en phase propulsée (boost phase) : 685,3 millions de dollars ;
- intégration/architecture globale/essais : 780 millions de dollars ;
- senseurs : 485 millions de dollars.
D'un certain point de vue, l'administration américaine profite de l'établissement d'une nouvelle relation stratégique avec la Russie pour essayer d'en exclure le traité ABM et de promouvoir la défense antimissile : « J'ai dit à M. Poutine que le traité ABM était dépassé, daté et inutile. Et j'espère qu'il nous rejoindra dans une nouvelle relation stratégique. (...) je vais demander à mon ami [Poutine] d'imaginer un monde dans lequel un voyou terroriste et/ou un Etat qui l'abrite pourrait avoir la possibilité de développer, de délivrer une arme de destruction massive à l'aide d'un missile. Ne serait-il pas dans l'intérêt de nos pays d'être capable de l'abattre ? ».
Il est certain que le contexte actuel se prête à des discussions ouvertes entre les deux anciens rivaux de la guerre froide : le Président Poutine apporte un soutien sans ambiguïté aux Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme, laisse les Américains utiliser les bases militaires des ex-Républiques soviétiques d'Asie centrale et a assoupli sa position sur l'élargissement de l'OTAN. Cette bienveillance s'étendra-t-elle au dossier de la défense antimissile ? C'est une hypothèse, notamment nourrie par les propositions américaines de partage de technologie avec les Russes. On peut également soutenir à l'inverse que, sur ce dossier précis, la Russie ne fera aucune concession, d'autant qu'une grande partie des militaires russes y reste opposée. Telle ne semble pas, toutefois, être la voie suivie aujourd'hui. Au total, il est certain que la question de la défense antimissile et de l'avenir du traité ABM va rester au premier plan dans la relation américano-russe. Les Etats-Unis prendront-ils toutefois le risque de laisser ce dossier remettre en cause la coopération nouvelle entre les deux Etats si la Russie se montrait réticente ? La réaffirmation du caractère inéluctable de la défense antimissile par le président américain n'a, en tout état de cause, pas soulevé de réticence particulière de la Russie à ce jour.
Ce qui pourrait être une nouvelle donne sur la défense antimissile ne manquera pas de rejaillir sur l'Europe et, notamment, alors qu'on assiste au retour du « N » dans NMD, le problème va se poser de la réaction des pays européens. Pour certains d'entre eux, la tentation va être grande de rejoindre la logique américaine et il se pourrait bien que, comme ils avaient commencé à le faire, les Etats-Unis transfèrent leur débat public en Europe.
La France a, de longue date, axé sa politique de sécurité sur deux volets : d'un côté, la dissuasion, outil politique et militaire, de l'autre, une action diplomatique soutenue en faveur du désarmement et de la non-prolifération. Il faut rappeler à cet égard, que, seule de toutes les puissances nucléaires, elle a totalement démantelé ses sites d'essais nucléaires et qu'elle est en train de le faire s'agissant de ses installations de production de matière fissile. En outre, l'abandon de la composante terrestre s'est traduit par un effort de désarmement nucléaire sans commue mesure avec celui qu'ont pu réaliser les autres Etats nucléaires. C'est pourquoi elle ne peut qu'exprimer aujourd'hui sa préoccupation quant au devenir de l'arsenal diplomatique international mis en place dans ce domaine.
Dès avant le 11 septembre, il faut admettre qu'un certain nombre de traités stratégiques étaient d'ores et déjà fragilisés, notamment par le fait qu'un grand nombre d'entre eux n'étaient pas signés par des Etats dont l'adhésion au dispositif de désarmement et de non-prolifération était pourtant essentielle à l'efficacité, voire à la crédibilité de l'édifice. Que dire aujourd'hui, alors que l'extrême tension internationale repousse à un avenir indéfini toute perspective de progrès ? Jamais les perspectives de paix n'ont été aussi éloignées au Moyen-Orient alors que c'est là que se joue en partie l'avenir des politiques de non-prolifération. De même, la redistribution de la donne stratégique et des alliances dans le sous-continent indien n'est pas faite pour favoriser, à court terme du moins, les discussions sereines sur le statut de ces deux Etats nucléaires de facto. En outre, les initiatives américaines en matière de défense antimissile et, plus largement, les tendances lourdes des Etats-Unis à se démarquer des dispositifs internationaux multilatéraux n'ont pas contribué au renforcement des dispositifs internationaux de désarmement et de lutte contre la prolifération, tant s'en faut.
Quel va être l'impact des attentats du 11 septembre sur la posture américaine en matière de politique étrangère ? Un certain nombre de commentateurs, dont l'analyse des attentats du 11 septembre repose sur l'idée que, d'une certaine manière, cette attaque monstrueuse est le fruit de la politique étrangère américaine, estiment que les Etats-Unis, tirant les leçons de leurs erreurs passées, vont revenir au multilatéralisme et faire taire leurs tendances unilatéralistes. Aux yeux de votre rapporteur, il s'agit là d'une vision très optimiste : le scénario le plus probable serait plutôt celui d'une utilisation très égoïste des enceintes internationales par les Etats-Unis en tant que de besoin, c'est-à-dire si et seulement si elle sert au mieux leurs intérêts nationaux. Plus précisément, ce qui se dessine aujourd'hui, c'est, non pas tant le refus systématique par les Etats-Unis de toute négociation diplomatique sur ces sujets, au profit des seules solutions militaires, mais plutôt la formation de coalitions ou de groupes de réflexions internationaux ad hoc, suscités par les Etats-Unis, dont le périmètre variera selon les sujets traités.
Tel est en tout état de cause l'option vers laquelle les Etats-Unis semblent s'orienter, si l'on en juge d'après deux exemples récents. Ainsi, en matière de financement du terrorisme, si les Etats-Unis reconnaissent que seule une enceinte aussi large que les Nations Unies est à même de traiter cette question globale, il en va différemment s'agissant de la prévention de la guerre biologique. En effet, alors qu'est en cours, au sein des instances de désarmement onusiennes, la négociation d'un protocole de surveillance de la convention de 1972 sur les armes biologiques, les Etats-Unis proposent aux Européens d'ouvrir des consultations sur le sujet. Leur proposition porte sur l'utilisation, la production, l'importation et l'exportation d'armes biologiques, qu'ils souhaiteraient voir qualifiées de crimes dans les Etats européens en l'absence de lois nationales. Il est extrêmement intéressant de constater que les Etats-Unis se montraient plus que réticents à l'égard du protocole de vérification négocié depuis de nombreuses années à Genève et que, cet été encore, ils avaient indiqué qu'ils ne signeraient pas ce texte dont la négociation devait s'achever cet automne, au motif qu'il ferait peser des risques inacceptables sur leur sécurité nationale, notamment en exposant les laboratoires de recherche américains de défense contre les armes biologiques au piratage de pays en développement ou hostiles. A ce jour (octobre 2001), même si le Président Bush a esquissé une proposition de renforcement de ce protocole, l'administration américaine s'en tient globalement à cette analyse et fait remarquer que les Etats-Unis « ne peuvent pas se limiter à ce forum de désarmement multilatéral (...) On ne peut pas s'en tenir aux instruments de maîtrise des armements pour traiter la menace posée par les armes biologiques ». Et un responsable - anonyme - américain de faire remarquer que le protocole rejeté par les Etats-Unis « n'aurait servi à rien contre les attentats à l'anthrax ici. A rien du tout ».
Le ton est donné : s'ils estiment que les outils traditionnels du désarmement, de la maîtrise des armements et de la non-prolifération ne servent pas leurs intérêts, voire les menacent, les Etats-Unis se tourneront vers des solutions ou des coalitions ad hoc. En l'occurrence, au protocole qui ne liera que ceux qui le respecteront et qui n'offre pas une garantie totale contre les tricheries de certains Etats, ils préféreront, en complément ou en substitut, une harmonisation des législations entre pays alliés, c'est-à-dire des mesures unilatérales négociées.
A dire vrai, peut-on, aujourd'hui, leur en faire le reproche ? Il serait certes possible de faire valoir que le protocole négocié à Genève n'a pas pour objet d'éradiquer la prolifération biologique mais fait partie d'une stratégie d'ensemble de lutte contre la dissémination de ce type d'armements. Il doit davantage être considéré comme un moyen d'alerte et de pression. Mais comment faire valoir l'argument du droit ou de la morale, quand les Etats-Unis ont pour eux, comme en ont convenu les Nations Unies, le droit à la légitime défense, droit fondamental pour un Etat ?
Tout ceci est encore plus vrai lorsque, comme dans le cas de la lutte contre la prolifération des armes biologiques, ils font des propositions à leurs alliés et ne se contentent pas de prises de position unilatérales. Faut-il ajouter, qu'aux yeux des Etats-Unis aujourd'hui, l'heure n'est pas à la prévention, mais à la répression ? La secrétaire d'Etat adjointe à la maîtrise des armements, Madame Avis Bohlen, déclarait ainsi récemment à l'ONU que Washington voulait que la communauté internationale « déclare clairement que toute utilisation de l'arme biologique, qu'elle émane d'un Etat, d'une organisation ou d'un individu, serait un crime contre l'humanité auquel la communauté internationale devait répondre ».
L'argumentaire qui vient d'être développé concernant la lutte contre les armes biologiques vaut pour l'ensemble des dispositifs diplomatiques relatifs à la prolifération nucléaire, chimique ou balistique ou encore traitant des grands équilibres stratégiques. Pour reprendre le cas de la défense antimissile évoqué précédemment, personne ne niera que le traité ABM était d'ores et déjà fortement ébranlé par la détermination américaine en faveur de son projet de défense antimissile. Sans être dupe d'une éventuelle utilisation opportuniste du contexte actuel de la part des Etats-Unis pour parvenir à des objectifs de politique étrangère qu'ils poursuivaient dès avant le 11 septembre, il faut avouer qu'il est plus difficile aujourd'hui de nier l'évolution radicale du contexte stratégique. Qu'il faille en déduire que le traité ABM est mort, comme le font les Etats-Unis, est un pas que nous ne franchirons pas. A tout le moins peut-on admettre que l'argumentation qui était la nôtre sur le rôle stabilisateur de ce traité est plus difficile à faire entendre au vu du contexte présent, même si, pour l'heure, l'instabilité reste régionale.
Les mêmes interrogations se posent pour les traités relatifs à la maîtrise des armements nucléaires. Le traité de non-prolifération (TNP), déjà très ébranlé par l'explosion des bombes indiennes et pakistanaises, ne l'est-il pas plus encore aujourd'hui alors qu'une reconfiguration stratégique majeure est en cours dans le subcontinent indien ? Que dire du traité d'interdiction totale des essais nucléaires dont l'administration Bush a laissé la ratification au libre choix du Sénat ? Il est peu vraisemblable que l'état d'esprit actuel aux Etats-Unis, qui n'est pas seulement le fruit de la légitime émotion soulevée par les attaques dont ils sont l'objet, mais correspond plus profondément à une nouvelle approche des questions de politique étrangère, soit propice à la ratification d'un traité qui ferait peser une forte contrainte sur la posture de sécurité des Etats-Unis, même aux yeux d'un Sénat démocrate.
Au total, votre rapporteur ne peut se défendre d'un profond pessimisme quant à l'avenir d'un certain nombre de traités multilatéraux de maîtrise des armements et de non-prolifération. Il n'est nullement question ici de dire, comme le font la majorité des responsables et experts américains, que la non-prolifération a globalement échoué et qu'il faut par conséquent lui substituer une politique de lutte contre la prolifération de nature essentiellement militaire. Mais il ne faut pas non plus se voiler la face sur la réalité de la situation internationale : que valent les traités qui ne sont pas signés par les pays dont la coopération et l'engagement dans ces domaines est nécessaire ? La prévention de la prolifération chimique et biologique n'implique-t-elle pas, pour être pleinement efficace, la participation active d'un certain nombre de pays du Moyen-Orient ? Quel est aujourd'hui le sens de la lutte contre la prolifération nucléaire quand ni l'Inde, ni le Pakistan, ni Israël ne sont associés aux régimes internationaux qui existent dans ce domaine ?
En bref, nul ne peut sérieusement affirmer que la non-prolifération fonctionnait correctement. Dans son discours devant l'IHEDN, le Président de la République a d'ailleurs évoqué, pour la regretter et appeler à y mettre fin, la « dérive » de ces régimes et dit sa « préoccupation » de constater « l'impasse dans laquelle se trouvent depuis plusieurs mois les travaux de la Conférence du désarmement à Genève ». Ceci est tout particulièrement vrai de la négociation sur le traité d'interdiction de la production des matières fissiles, qui est au point mort. Le Président Jacques Chirac est également revenu sur « les failles qui ont pu exister dans les régimes de contrôle mis en place ». Quant au traité ABM, faut-il continuer à le considérer comme le fondement de l'équilibre stratégique international quand l'un des deux Etats parties le considère d'ores et déjà comme mort ? Le président de la République l'a rappelé : c'est avant tout à la Russie qu'il appartient de se prononcer sur le constat de décès dressé par les Etats-Unis. Pour ce qui la concerne, la France est pleinement consciente que le monde a changé mais elle s'accommoderait mal du remplacement d'un système contraignant par un système fondé sur des obligations floues, qui correspondrait à ce qu'on désigne outre-Atlantique comme de la soft law. L'absence de dispositif solide ouvrirait en effet la porte à une reprise de la course aux armements, raison pour laquelle notre pays se montre particulièrement circonspect à l'égard d'un abandon du cadre fixé par le traité ABM. Cela est d'ailleurs vrai pour l'ensemble des dispositifs évoqués. Ainsi, il est à craindre, qu'un certain nombre de pays interprètent le rejet probable, par les Etats-Unis, d'une approche multilatérale systématique et leur moindre engagement dans les enceintes de désarmement, comme la porte ouverte à la reprise de la course aux armements. A-t-elle d'ailleurs jamais cessé, dans certaines parties du monde telles que le Moyen-Orient ou l'Asie ?
La France a, quant à elle, mené « une politique constante de refus de la course aux armements », comme l'a rappelé le Président de la République le 8 juin dernier. Elle a elle-même très activement contribué au désarmement nucléaire : « première puissance nucléaire à avoir éliminé les systèmes sol-sol, la France a ratifié en avril 1998 le traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Et, seule parmi les puissances nucléaires, elle a entrepris le démantèlement de son centre d'expérimentation et de ses installations de production de matières fissiles pour les armes nucléaires ». Faut-il aujourd'hui, alors que les tensions s'accroissent en Asie du Sud et au Moyen-Orient et que la reprise de la course aux armements semble inéluctable, renoncer à la politique active qui est la nôtre depuis de nombreuses années en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaire ? Ce serait sans aucun doute une erreur : comme l'a rappelé le Président de la République, « il faut redonner un élan aux efforts de non-prolifération (...) les entorses à la règle ne doivent pas conduire à l'abandonner. Au contraire, il faut en tirer les leçons pour l'améliorer et la renforcer. Les chantiers engagés doivent être approfondis et conclus. De nouvelles pistes doivent être explorées ».
Les événements du 11 septembre ne remettent pas en cause ces objectifs, même s'ils en rendent la mise en _uvre sans aucun doute plus délicate. La question est néanmoins posée de l'équilibre entre nos efforts diplomatiques et nos efforts militaires pour répondre aux défis lancés à notre sécurité par le nouveau contexte stratégique ou, du moins, les nouvelles instabilités nées des attentats de New York et de Washington. La mise en relief de notre politique très active en faveur du désarmement et de la non-prolifération ne doit, en effet, pas faire oublier que nous avons toujours considéré que notre sécurité reposait aussi sur des moyens militaires. Cette constante de la politique de sécurité de la France depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le Président de la République l'a également soulignée lors de son intervention du 8 juin : « Parallèlement à ces efforts prioritaires en vue d'un meilleur contrôle des armements, nous n'excluons pas la possibilité de rechercher des réponses militaires à certains défis posés par la prolifération ». Après le 11 septembre, cette éventualité devient encore plus prégnante et la dissuasion y occupe une place centrale.
Votre rapporteur estime notamment que, confrontés à une instabilité grandissante, nous serions contraints à une réflexion approfondie sur le concept de stricte suffisance. Il n'est pas question ici de jouer les Cassandre ; mais il est de notre devoir d'examiner en toute sérénité comment notre dissuasion devrait s'adapter si l'aggravation du contexte géostratégique s'inscrivait dans la durée.
En rappelant, le 8 juin dernier, qu'une politique de défense ne saurait être fondée sur la seule projection et en expliquant pourquoi la dissuasion restait la « garantie (...) fondamentale » de notre sécurité, le Président de la République a apporté une réponse très claire à ceux qui, dès avant le 11 septembre, s'interrogeaient sur les raisons du maintien de la dissuasion dans un monde sans menace massive. A posteriori, ce discours répond tout autant aux doutes exprimés aujourd'hui par ceux qui estiment que la dissuasion n'est plus adaptée aux menaces.
Concrètement, quelle forme cette garantie suprême doit-elle prendre ? Comment la dissuasion peut-elle répondre à la fois à l'éventuelle réémergence d'une menace vitale et à la multiplication de menaces mal définies mais cependant liées à la prolifération des armes de destruction massive ? L'intervention du Président de la République devant l'IHEDN répond à ces questions : ce qu'a décrit le Chef de l'Etat, c'est ni plus ni moins qu'une dissuasion adaptée aux nouvelles réalités géostratégiques. Comme l'a rappelé le Président Jacques Chirac, en cas d'agression, « le choix ne serait pas entre l'anéantissement complet d'un pays ou l'inaction. Les dommages auxquels s'exposerait un éventuel agresseur s'exerceraient en priorité sur ses centres de pouvoir, politique, économique et militaire ». La pérennité du concept ne doit pas, en effet, faire oublier que, dans ses modalités, la dissuasion est une réalité vivante, dont les moyens varient avec le contexte, avec, pour étalon constant, la notion de crédibilité.
Alors que le 11 septembre a dramatiquement montré que le danger pourrait être totalement imprévisible, les principes d'adaptation du système de forces mettant en _uvre la dissuasion sont plus que jamais d'actualité. Ces principes avaient connu un début d'application au cours de la décennie précédente. Aujourd'hui, ils se traduisent par la poursuite de trois grands chantiers : la modernisation des deux composantes de la dissuasion, la simulation et l'ébauche d'une politique de défense antimissile pour la protection des troupes projetées en opérations extérieures.
Diversité et crédibilité : tels sont aujourd'hui les principes qui commandent la configuration des moyens de la dissuasion. Le Président de la République l'a rappelé le 8 juin dernier : « j'ai défini une programmation de nos moyens nucléaires garantissant à la France de disposer d'un ensemble suffisamment diversifié pour assurer la crédibilité de notre dissuasion en toutes circonstances et quelles que soient la localisation ou la nature de la menace ». Ainsi, conformément au modèle d'armée pour 2015, « notre capacité nucléaire repose sur deux types de moyens aux caractéristiques techniques différentes et complémentaires. Des missiles balistiques équipant la composante océanique, emportés par des sous-marins, et des missiles à trajectoire aérobie pour la composante aéroportée ».
S'agissant de la première de ces composantes, la force océanique stratégique (FOST) repose sur deux éléments : les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, qui servent de plates-formes aux vecteurs que sont les missiles balistiques stratégiques. Ces deux éléments de la composante océanique sont en cours de modernisation :
- d'une part, il est prévu de renouveler complètement les SNLE par des sous-marins de nouvelle génération, plus performants, notamment en termes de furtivité. Jusqu'alors, deux des quatre bâtiments de la FOST ont été remplacés ; le troisième le sera dès 2003 et le quatrième, commandé en 2000, sera livré en 2010, aux termes du projet de loi de programmation 2003-2008 ;
- pour ce qui est des vecteurs, la France dispose aujourd'hui de missiles M 45, qui seront remplacés en 2010 par de nouveaux missiles, les M 51, plus performants en matière de portée, de capacités de pénétration et de précision.
La composante aéroportée est, elle aussi, en cours de modernisation. A l'heure actuelle, elle est constituée par deux types d'avions, les Super Etendard modernisés et le Mirage 2000 N, tous deux armés de missile air-sol à moyenne portée, ASMP. En 2007, ce dernier sera remplacé par l'ASMP amélioré, tout comme le Rafale, dans ses versions Air et Marine, succédera aux deux avions actuellement en service.
Ces deux outils présentent trois caractéristiques essentielles.
En premier lieu, comme l'a souligné le Président de la République, ils répondent au principe de stricte suffisance.
Deuxièmement, ils sont néanmoins extrêmement performants et devraient voir leurs capacités encore accrues par la modernisation en cours. S'agissant par exemple du missile M 51, il sera capable d'atteindre une portée largement supérieure à 6 000 kilomètres - là où celle du M 45 est de 4 000 kilomètres -, avec chargement complet, et disposera d'une capacité multi-objectifs. Il est en outre durci vis-à-vis des agressions nucléaires, sachant que le M 45 l'est d'ores et déjà vis-à-vis des effets à impulsion électromagnétique d'origine nucléaire. Pour ce qui est de la composante aéroportée, à l'horizon 2008, le Rafale nucléaire sera le seul appareil capable d'emporter le successeur de l'ASMP. Dans la continuité de la mission de dissuasion, cet aéronef en améliorera les capacités et les performances. L'avion sera notamment capable de mener des attaques tous temps sur des objectifs au sol ou en mer. Il pourra être engagé en haute ou moyenne altitude, ainsi qu'en très basse altitude en suivi de terrain automatique. Le missile amélioré, quant à lui, verra ses diverses performances accrues, notamment pour ce qui est de son extrême précision d'impact.
Le caractère hautement confidentiel et stratégique du domaine traité ne permet pas d'entrer dans un exposé technique détaillant les capacités opérationnelles des outils de notre dissuasion. Soulignons seulement que la composante aéroportée a pour elle sa souplesse d'emploi, son allonge, sa précision et ses capacités d'affichage. Quant à la composante balistique, elle est à même de remplir des missions très variées, qui vont de la frappe massive sur un théâtre d'opérations même éloigné du territoire métropolitain, à la frappe également très précise et très limitée. Le M 51 répondra en effet à des scénarios variés, d'autant qu'en vertu d'un principe physique de base, sa portée peut être modulée selon le poids de la charge utile qu'il emporte.
Enfin, ces moyens sont complémentaires. Ils permettent de répondre à des situations stratégiques variées tant du point de vue géographique que de la graduation de la menace qu'ils autorisent.
La préservation des deux composantes répond donc à des motivations de sécurité fondamentales et non à une quelconque politique dispendieuse dont la remise en cause pourrait justifier que l'une d'entre elles soit sacrifiée au nom d'économies à court terme. Les choix faits par le Président de la République en 1995 s'inscrivent dans une logique de cohérence qu'il importe de ne jamais perdre de vue, même lorsque le contexte budgétaire conduit à faire des choix entre les grands programmes de défense ou qu'une mauvaise interprétation du contexte stratégique conduit certains à envisager des redéploiements hâtifs.
Faut-il enfin rappeler que le porte-avions participe aussi à la man_uvre de dissuasion, dont il constitue un élément méconnu ? Tous les porte-avions français ont eu la capacité nucléaire. Tel est également le cas du Charles-de-Gaulle, à travers les Super Etendard et les Rafale marine. L'embarquement et la présence des missiles nucléaires sur le bâtiment restent soumis à une procédure secrète mais l'on peut constater que le Charles-de-Gaulle possède tous les dispositifs et toutes les soutes à munitions adaptées au traitement et à l'emploi éventuel de missiles nucléaires ASMP ou, demain, ASMP améliorés.
Même en l'absence d'essais, il est vital pour notre dissuasion de conserver néanmoins sa crédibilité. Le programme de simulation permet-il de mener à bien l'adaptation des moyens de notre dissuasion au contexte géostratégique, dont les événements actuels soulignent l'instabilité et le caractère évolutif ?
Votre rapporteur en est convaincu : le choix de la simulation tel qu'il est techniquement mis en _uvre depuis 1995 répond à nos impératifs de sécurité. La force de ce choix réside dans sa cohérence, qui n'existe dans aucun autre Etat nucléaire, pas même aux Etats-Unis. Ainsi, ceux-ci dont une partie de l'arsenal est vieillissant, ne savent pas, en l'absence d'essais, quels écarts valider par la simulation ; d'où le choix de diminuer leur stock pour garantir la crédibilité de leur dissuasion, en se débarrassant des armes trop vieilles.
La France, pour sa part, a fait le double choix de la simulation et des charges robustes, après la dernière campagne d'essais qui lui a permis d'acquérir un capital d'informations irremplaçable. Grâce à l'option prise en 1995, les armes vieilles de plus de vingt ans seront remplacées par des charges robustes qui garantissent le maintien de l'efficacité de la dissuasion : pour prendre une comparaison, le choix opéré en 1995 conduit à remplacer des Formule 1 par des voitures normales, moins perfectionnées certes, mais dont on est certain qu'elles fonctionneront systématiquement. Ce choix de la robustesse est à tel point le bon que les Etats-Unis en viennent aussi à la notion de « robust device ».
Dans ce contexte, qu'en est-il de la miniaturisation ? A-t-on besoin d'essais pour mettre au point de petites têtes équipant des missiles de plus en plus précis, ce qui répond précisément à la notion de dissuasion adaptée ? En réalité, miniaturisation ne signifie pas nécessairement sophistication dès lors que l'on ne cherche pas à fabriquer une tête thermonucléaire. A dire vrai, quelle en serait l'utilité ? Ce qui est certain en revanche, c'est que les moyens de la simulation permettent de mettre au point de petites têtes de faible puissance (inférieure à 10 KT). A cet égard, la machine de radiographie Airix, qui permet d'observer certaines phases du fonctionnement des armes, avant l'explosion nucléaire proprement dite, et qui est en service depuis un an environ, donne des résultats au-delà de ce qui était espéré. Quant au calculateur, qui permet de construire des schémas suffisamment précis pour rendre compte de modèles physiques perfectionnés, il devrait atteindre en décembre 2001 la puissance de 100 téraflops, ce qui place la France au premier rang européen et en fait le seul calculateur à disposer à lui seul d'une telle puissance.
Reste qu'il est extrêmement important de ne pas perdre la compétence thermonucléaire, même si, pour l'heure, ce domaine n'est pas d'actualité.
Traditionnellement, la France a toujours fait de la dissuasion nucléaire l'ultima ratio de sa politique de sécurité. Toujours vraie s'agissant de la sécurité du territoire national, cette doctrine évolue aujourd'hui pour ce qui concerne la protection des forces envoyées sur des théâtres étrangers. Ainsi, le 8 juin dernier, le Président de la République a fait part de son souhait « que soit étudiée la possibilité de doter nos forces, dans des délais compatibles avec l'émergence des nouvelles menaces balistiques, d'une capacité de défense contre des missiles de théâtre ». Par conséquent, à la différence de la politique globale suivie par les Etats-Unis en la matière, notre priorité va à la protection de nos forces et de nos moyens en opération, qui seront les premiers amenés à évoluer sous la menace éventuelle d'armes de destruction massive.
Le ministère de la Défense projette d'étudier la possibilité de se doter d'une première capacité opérationnelle embryonnaire permettant la défense d'un point d'appui de troupes déployées contre la menace de missiles de portée inférieure ou égale à 600 km, qui pourrait être acquise à partir de 2012.
Cette capacité est construite à partir de l'évolution de programmes existants et de mesures nouvelles :
- en matière de gestion du champ de bataille, de commandement et de contrôle (BMC3I), les évolutions du programme de commandement des opérations aériennes (SCOOA) vont être étudiées dans la perspective de la défense antimissiles ;
- s'agissant de l'interception, l'examen va porter sur les évolutions du missile ASTER et du système sol - air de moyenne portée / terre (SAMP/T), qui donneront une première capacité antibalistique de théâtre susceptible de traiter une menace de 600 km de portée ;
- la trajectographie et la capacité de suivi des missiles assaillants seront assurées par des radars de type M3R (mobiles, modulaires, multifonctions) à modules actifs, dont le développement serait réalisé à partir de 2005.
Par ailleurs, des études amont ou technico-opérationnelles seront menées sur l'interception (évolutions ultérieures du système SAMP/T), la détection et l'alerte avancée, ainsi que sur le système de commandement et de contrôle.
En parallèle aux travaux nationaux sur les systèmes basse couche de défense active des déploiements de troupes, la France participe aux études de l'OTAN concernant la défense antimissiles contre les missiles de théâtre, balistiques et de croisière, de portée inférieure ou égale à 3 500 km. Ces études, qui prennent en compte les divers programmes ou projets existants dans les différentes nations, ont été lancées en avril 2000 et déboucheront en 2003-2004. Elles donneront des recommandations d'architecture possible et définiront la nature de l'effort à fournir pour doter l'OTAN des systèmes de défense adéquats, ainsi que sa réalisation dans le temps.
Notre participation à cette étude s'inscrit principalement dans une volonté de complémentarité entre les études de défense antimissiles balistiques de théâtre entreprises au niveau national et celles de nos alliés, européens et américains. Elle nous semble donc essentielle pour obtenir le socle d'interopérabilité nécessaire en matière de défense antimissiles en opération avec nos alliés.
Reste que votre rapporteur s'étonne que le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 fasse l'impasse sur le concept de chaîne intégrée d'observation : satellite d'alerte avancée, drones... Or, ces moyens valent tant pour la cohérence de la doctrine de dissuasion que comme élément d'un système de défense antimissile (MD), et, loin d'aller contre la dissuasion, la renforcent, en permettant la détection des départs de tirs de missiles et l'identification des auteurs d'essais. Rappelons à cet égard que la défense antimissile de théâtre met en jeu trois pavés technologiques :
- l'alerte avancée ;
- le suivi de trajectoire ;
- les techniques d'interception directes (hit-to-kill).
Or, rien ou très peu n'est prévu à ce jour dans les premier et troisième domaine. L'Europe est pourtant à un tournant puisqu'est en jeu l'avance technologique massive des Etats-Unis. Pour ne pas se laisser distancer sur tous les fronts, l'Europe devrait par conséquent identifier des domaines d'investissement pour d'éventuelles coopérations futures et maintenir une veille technologique dans des domaines précis, veille dont les retombées civiles mériteraient d'ailleurs d'être examinées avec attention. N'oublions pas, par exemple, que le système de positionnement global par satellite (GPS) est un sous-produit du projet d'Initiative de défense stratégique lancé par le Président Reagan en 1983.
II. - LA DISSUASION DANS LE PROJET DE BUDGET POUR 2002 : DES MOYENS QUI RÉPONDENT STRICTEMENT AUX BESOINS
Le budget de la dissuasion dans le projet de loi de finances pour 2002 s'établit à 2,51 milliards d'euros en autorisations de programme et à 2,68 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui signifie une très forte augmentation des moyens budgétaires destinés aux forces nucléaires, de 22,9 % pour les autorisations de programme et de 13,1 % pour les crédits de paiement. Les montants inscrits pour la dissuasion dans le projet de loi de finances pour 2002 ne sauraient toutefois faire oublier la tendance à la baisse du budget destiné aux forces nucléaires depuis une décennie. Le tableau suivant fait nettement apparaître cette érosion lente, mais régulière, qui traduit les multiples restructurations du nucléaire militaire, notamment depuis 1996, et les effets du désarmement partiel mis en _uvre depuis une décennie.
L'ÉROSION TENDANCIELLE DES CRÉDITS OUVERTS
EN LOI DE FINANCES INITIALE POUR LA DISSUASION DEPUIS 1990
En millions d'euros courants |
En millions d'euros 2002 | |||
Autorisations de programme |
Crédits de paiement |
Autorisations de programme |
Crédits de paiement | |
1990 |
4 774,70 |
4 891,94 |
5 724,54 |
5 868,18 |
1991 |
4 770,28 |
4 729,58 |
5 558,62 |
5 511,19 |
1992 |
3 984,41 |
4 553,04 |
4 552,03 |
5 201,67 |
1993 |
3 321,71 |
4 027,70 |
3 708,99 |
4 497,29 |
1994 |
3 188,32 |
3 311,35 |
3 501,06 |
3 636,16 |
1995 |
2 967,27 |
3 162,55 |
3 204,89 |
3 415,81 |
1996 |
2 817,11 |
2 965,44 |
2 999,21 |
3 157,13 |
1997 |
3 001,57 |
2 873,36 |
3 155,16 |
3 020,39 |
1998 |
2 500,47 |
2 534,92 |
2 620,68 |
2 639,71 |
1999 |
2 033,21 |
2 534,31 |
2 107,50 |
2 626,91 |
2000 |
2 808,57 |
2 417,08 |
2 884,91 |
2 482,78 |
2001 |
2 049,31 |
2 373,31 |
2 073,90 |
2 401,79 |
2002(*) |
2 518,06 |
2 681,25 |
2 518,06 |
2 681,25 |
* Projet de loi de finances. |
Dans le rapport qu'il avait présenté l'an dernier sur les crédits de la dissuasion dans le budget 2001, votre rapporteur avait regretté l'érosion continue des crédits de paiement destinés à la dissuasion de 4,6 % en 2000, puis de 1,8 % en 2001. Aussi ne peut-il aujourd'hui que saluer l'effort budgétaire consenti en faveur de la dissuasion dans le projet de budget pour 2002.
Cependant, pour en apprécier la portée et la signification dans une dynamique globale de baisse des crédits de la dissuasion depuis dix ans, il faut examiner ce budget dans un contexte plus large. L'arrivée à échéance de la loi de programmation militaire 1997-2002 représente une excellente occasion, non seulement d'en présenter un premier bilan - partiel puisque l'exécution du budget 2002, dont tout laisse penser qu'elle sera difficile, est encore devant nous -, mais également de s'interroger sur les perspectives à venir, notamment dans le cadre du projet de loi de programmation militaire 2003-2008.
Dans son rapport sur les crédits de la dissuasion dans le projet de loi de finances pour 2001, votre rapporteur s'était interrogé sur le rôle réel de la loi de programmation militaire et avait noté qu'elle représentait davantage un cadre de référence théorique que la norme de l'évolution réelle des crédits de la dissuasion. Force est de constater qu'avec le projet de budget pour 2002, les crédits consacrés à la dissuasion se rapprochent du modèle 1997-2002 tel qu'il est défini dans le rapport annexé à la loi de programmation militaire du 2 juillet 1996 : « la part du budget du ministère de la Défense consacrée aux forces nucléaires s'établira, en fin de période, à un niveau inférieur à 20 % du titre V (contre 31,4 % en 1990), au sein d'un budget d'équipement lui-même en diminution ». Mais la loi de programmation militaire 1997-2002 ne se contente pas de fixer la part relative du budget de la dissuasion : elle précise en effet également que l'enveloppe totale de ces crédits s'établit à 105,8 milliards de francs pour 1995.
Ainsi, alors que, jusqu'en 2001, chaque annuité successive creusait un peu plus l'écart entre les crédits programmés et les crédits effectivement ouverts en loi de finances initiale, le niveau de l'annuité 2002 permet de rattraper un peu cet écart.
ÉCART ENTRE LES PRÉVISIONS
DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 1997-2002
ET LES CRÉDITS DE PAIEMENT OUVERTS
EN LOI DE FINANCES INITIALE
(en millions d'euros 2002) | ||||||||
Crédits |
Crédits loi de finances initiale |
Ecart entre crédits programmation |
||||||
Annuité |
Cumul |
Annuité |
Cumul |
Par annuité |
Sur les montants cumulés | |||
1997 |
3 023,22 |
3 023,22 |
3 020,39 |
3 020,39 |
- 0,09 % |
- 0,09 % | ||
1998 |
2 980,84 |
6 004,06 |
2 639,71 |
5 660,10 |
- 11,44 % |
- 5,73 % | ||
1999 |
2 929,16 |
8 933,22 |
2 626,91 |
8 287,01 |
- 10,31 % |
- 7,23 % | ||
2000 |
2 872,75 |
11 805,97 |
2 482,78 |
10 769,79 |
- 13,57 % |
- 8,77 % | ||
2001 |
2 822,59 |
14 628,56 |
2 401,79 |
13 171,58 |
- 14,90 % |
- 9,96 % | ||
2002* |
2 789,82 |
17 418,38 |
2 681,25 |
15 852,83 |
- 3,89 % |
- 8,99 % | ||
* Projet de loi de finances. |
Ainsi, en 2001, les crédits ouverts en loi de finances initiale étaient inférieurs de 14,90 % au montant de crédits prévus par la loi de programmation, écart qui s'établissait à 9,96 % en montant cumulé. Grâce au niveau de la sixième et dernière annuité de la loi de programmation militaire, l'écart se réduit à 3,89 % pour l'année 2002 et à 8,99 % en montant cumulé.
Si l'on prend en compte les conséquences de la revue des programmes, qui s'est traduite par la diminution de l'enveloppe ouverte par la programmation en faveur de la dissuasion de deux milliards de francs, on peut considérer que la loi de programmation militaire 1997-2002 a été appliquée avec un écart d'environ 6 à 7 % en loi de finances initiale, ce qui n'est pas si négatif au regard du sort des autres composantes du budget d'équipement des armées. Si l'on considère toutefois les dépenses effectuées, l'écart se situait en 2000 à 15,7 %, en montant cumulé, par rapport à la loi de programmation militaire et à 5,3 % par rapport à la revue de programmes.
L'exécution relativement correcte des crédits de la programmation permet de respecter globalement les échéances fixées pour les programmes.
LA DISSUASION : DE LA LOI DE PROGRAMMATION
AUX RÉALISATIONS EFFECTIVES
LPM |
Revue de |
Situation (ou Prévision) actuelle | |
Admission au service actif du SNLE-NG |
1999 |
1999 |
01.12.1999 |
Admission au service actif du SNLE-NG |
fin 2002 |
mi-2004 |
fin 2004 |
Commande du SNLE-NG n° 4 |
2000 |
2000 |
28 juillet 2000 |
Mise en service du M 51 et admission au service actif du SNLE-NG n°4 |
2010 |
2008 |
2010 |
Lancement de l'ASMP-A |
1997 |
1997 (phase de faisabilité) |
faisabilité : 1997 |
Mise en service de la ligne d'intégration laser |
2000 |
2000 |
2001 |
Démantèlement Hadès |
terminé en 1997 |
inchangé |
terminé |
Démantèlement plateau d'Albion |
terminé en 1998 |
inchangé |
terminé |
Démantèlement des installations de Pierrelatte |
entrepris dans la période |
inchangé |
entrepris |
Démantèlement des installations de Marcoule |
entrepris dans la période |
inchangé |
entrepris |
Le bilan retracé dans le tableau ci-dessus fait apparaître seulement deux modifications, qui concernent la composante océanique : d'une part, l'admission au service actif du 3ème SNLE-NG, le Vigilant, est retardée de six mois environ ; d'autre part, la mise en service opérationnel du système M 51 est repoussée de deux ans, en 2010, et avec elle l'admission au service actif du 4ème SNLE-NG, ce qui annule les décisions de la revue des programmes sur ce dossier et signifie en réalité un retour au calendrier initial.
Pour satisfaisante qu'elle soit, l'augmentation des crédits destinés à la dissuasion en 2002 ne doit pas faire oublier qu'elle était, de toute façon, inéluctable. Comme l'a expliqué le Général Kelche, Chef d'état-major des Armées, lors de son audition par la Commission de la Défense, « l'exercice 2002 se caractérise par une augmentation au bénéfice du nucléaire en raison du cumul de plusieurs échéances relatives à des programmes d'importance considérable (simulation, SNLE-NG, M 51, ASMP amélioré) ».
Comme le montre en effet le tableau suivant, les trois secteurs responsables de la croissance des crédits du nucléaire sont les études, le développement et l'entretien programmé des matériels, ce qui correspond effectivement aux programmes évoqués.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT DESTINÉS
À LA DISSUASION DEPUIS 1999 : PRÉSENTATION PAR FONCTION
(en millions d'euros) | ||||
Exercice 1999 |
LFI 2000 |
LFI 2001 |
PLF 2002 | |
Etudes |
217 |
205 |
179 |
200,58 |
Développement |
538 |
678 |
730 |
1008,29 |
Fabrication |
571 |
554 |
516 |
502,15, |
EPM |
749 |
716 |
638 |
659,23 |
Infrastructures |
323 |
263 |
311 |
311,00 |
Restructuration |
6 |
2 |
- |
- |
TOTAL |
2 405 |
2 417 |
2 373 |
2 681,25 |
L'analyse de l'évolution des crédits par gouverneur de crédit va logiquement dans le même sens, comme l'indique le tableau ci-après :
- la montée en puissance des programmes de missiles balistiques, en cours de développement, explique pourquoi la hausse des crédits du nucléaire bénéficie essentiellement à l'état-major des armées qui en assure le gouvernorat ;
- la Marine est également fortement bénéficiaire de cette hausse, presque exclusivement du fait de l'accroissement des coûts d'entretien des SNLE.
L'ORGANISATION ET LE POIDS BUDGÉTAIRE DE LA DISSUASION EN 2001 ET 2002
(en millions d'euros) | |||||||||||
Gouverneur |
Chapitre et article budgétaire |
Montant |
Montant |
Montant total |
Transfert(1) | ||||||
AP |
CP | ||||||||||
2001 |
2002* |
2001 |
2002* |
2001 |
2002* |
2001 |
2002* | ||||
AIR |
Ch. 51.71-11 |
- Forces nucléaires |
84,8 |
199,7 |
93 |
93,1 |
non | ||||
Ch. 51.71-12 |
- Véhicules forces nucléaires |
- |
6,7 |
- |
3,2 |
84,8 |
206,4 |
93 |
96,3 |
non | |
MARINE |
Ch. 51.71-31 |
- Programme SNLE-NG |
289,8 |
280,6 |
295,3 |
282,6 |
635,7 |
712,3 |
600 |
664,8 |
oui |
Ch. 51.71-32 |
- FOST hors SNLE |
316,8 |
218,6 |
268,3 |
166,6 |
non | |||||
Ch. 51.71-33 |
- Programme de transmission FOST |
12,3 |
10,1 |
17,5 |
19,3 |
||||||
Ch. 51.71-34 |
- MCO(2) SNLE |
16,8 |
20,6 |
18,9 |
20,6 |
non | |||||
Ch. 51.71-35 |
- Aéronautique navale |
- |
3 |
- |
- |
non | |||||
Adaptation des moyens aériens |
|||||||||||
Ch. 51.71-36 |
- MCO-SNLE |
- |
173,6 |
- |
171,9 |
non | |||||
Ch. 51.71-37 |
- Soutien de la FOST |
- |
5,8 |
- |
3,8 |
non | |||||
DGA |
Ch. 51.71-51 |
- Armement et propulsion nucléaires |
778,4 |
992,7 |
778,4 |
809,4 |
814,4 |
1 032,5 |
820 |
852 |
oui |
Ch. 52.81-57 |
- Etudes amont domaine nucléaire |
36 |
39,8 |
40,5 |
39,2 |
non | |||||
Ch. 54.41 |
- Infrastructures |
||||||||||
ETAT-MAJOR |
Ch. 51.71-61 |
- Charges nucléaires |
227,6 |
225 |
218,4 |
217,8 |
507,4 |
562,1 |
860 |
1 068,2 |
oui |
Ch. 51.71-62 |
- Missiles stratégiques |
159,3 |
165,1 |
193,1 |
170,7 |
non | |||||
Ch. 51.71-63 |
- Transmissions nucléaires |
24,5 |
54,1 |
22,6 |
21,5 |
non | |||||
Ch. 51.71-64 |
- Programme M 51 |
53,9 |
71,6 |
350,5 |
550,9 |
non | |||||
Ch. 51.71-65 |
- Systèmes nucléaires |
- |
- |
- |
- |
non | |||||
Ch. 51.71-66 |
- Véhicules spéciaux (3) |
- |
- |
- |
- |
non | |||||
Ch. 51.71-67 |
- Programme ASMP-A |
39,2 |
44,2 |
71,5 |
104,3 |
||||||
Ch. 52.81-62 |
- Etudes technico-opérationnelles |
2,9 |
2,1 |
3,7 |
3 |
non | |||||
TOTAL |
2 042,3 |
2 513,3 |
2 373 |
2 681,3 |
|||||||
* Projet de loi de finances. | |||||||||||
(1) Le transfert peut être partiel. | |||||||||||
(2) MCO : maintien en condition opérationnelle. | |||||||||||
(3) Charge utile de l'avion ASTARTE. |
L'accroissement du budget de la dissuasion en 2002 est d'autant plus notable qu'il s'inscrit dans le cadre d'un budget d'équipement militaire extraordinairement contraint et marqué par une nouvelle encoche. Plus encore, la forte croissance des autorisations de programme dédiées aux forces nucléaires intervient alors que tous les responsables du ministère de la Défense rencontrés par votre rapporteur ont évoqué la situation catastrophique des autorisations de programme du ministère de la Défense, l'un d'eux expliquant que la politique des commandes globales avait littéralement asséché les ressources du ministère en autorisations de programme.
Ce constat préoccupant incite à poser une question sans doute iconoclaste sous la plume du rapporteur des crédits de la dissuasion : la modernisation et l'entretien des forces nucléaires écrasent-ils le budget d'équipement global du ministère de la Défense ? En un mot, le poids respectif du nucléaire et du conventionnel est-il optimal alors que l'actualité souligne tous les jours le rôle déterminant des moyens de projection, la nécessité de disposer de moyens de renseignement très performants et l'obligation de maintenir les matériels militaires à un niveau de disponibilité élevé, qui est loin d'être atteint aujourd'hui ?
Cette interrogation est d'autant plus cruciale que la modernisation de notre arsenal nucléaire est loin d'être terminée et que la présente décennie est rythmée par les échéances des grands programmes de la dissuasion : 2003, livraison du 3ème SNLE-NG ; développement du M 51 jusqu'en 2005 puis fabrication pour un déploiement en 2010 ; construction du 4ème SNLE-NG et livraison en 2010 ; livraison en 2007 de l'ASMP amélioré sur le Mirage 2000 N ; en 2008, livraison de ce même missile sur le Rafale ; en 2008 également, mise à disposition du laser mégajoule à pleine puissance dans le cadre du programme de simulation. S'agissant de l'entretien des matériels, il faut s'attendre à un accroissement des coûts de maintien en condition opérationnelle dû à la sophistication accrue des nouveaux matériels, tels que les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération, par exemple, accroissement d'autant plus sensible qu'il semble avoir été sous-estimé. En un mot, les effets mécaniques de la modernisation de l'arsenal nucléaire, dont le projet de budget pour 2002 prend acte comme nous l'avons montré, vont se poursuivre au cours des prochaines années. Faudra-t-il, chaque année, « rogner » ici et là sur les programmes conventionnels pour respecter les grandes échéances de la dissuasion ?
En réalité, ce que fait apparaître le projet de budget pour 2002 concerne moins l'accroissement des charges liées aux grands programmes nucléaires que l'insuffisance criante du budget global d'équipement militaire. La hausse des crédits de paiement et des autorisations de programme destinés au nucléaire était totalement prévisible, sauf peut-être s'agissant de l'entretien des nouveaux bâtiments de la FOST. Par conséquent, si les armées peuvent avoir aujourd'hui le sentiment que des programmes conventionnels seraient « sacrifiés » au nucléaire, c'est parce que le Gouvernement a délibérément choisi d'affecter un montant de crédits très contraint au budget d'équipement militaire, tout en sachant pertinemment qu'en raison du statut particulier de la dissuasion dans notre système institutionnel, celle-ci était de toute façon « sanctuarisée » et le resterait selon toute probabilité dans tous les cas de figure politique. Il serait donc tendancieux et intellectuellement malhonnête de désigner implicitement les forces nucléaires comme responsables de l'étalement de programmes conventionnels, quand celui-ci résulte en réalité d'un choix politique conscient.
La leçon à tirer de la situation présente est, en définitive, assez simple : passées les échéances électorales importantes de 2002, le gouvernement en place n'échappera pas à des choix fondamentaux sur le budget d'équipement des armées. Soit il lui faudra augmenter l'annuité prévue dans le projet de loi de programmation militaire 2003-2008, qui est de 87,5 milliards de francs, afin de financer et la modernisation et l'entretien des forces nucléaires, et l'ensemble des programmes conventionnels ; soit il devra décider l'abandon de certains programmes. Lors de son audition devant la Commission le 24 octobre dernier, le Délégué général pour l'Armement a estimé qu'avec l'annuité prévue dans le projet de loi de programmation militaire 2003-2008, il serait possible de financer tous les programmes prévus.
Mais, précisément, comment croire que cette annuité sera respectée, quand un bref regard sur les années récentes montre que le budget d'équipement des armées a été systématiquement mis à contribution, soit pour financer les surcoûts des opérations extérieures, soit pour compenser les recapitalisations d'entreprises publiques, soit enfin comme variable d'ajustement du déficit budgétaire ? Au total, 70 milliards de francs ont été soustraits à l'enveloppe initiale prévue par la loi de programmation militaire 1997-2002, et 45 milliards de francs par rapport aux montants fixés par la revue des programmes en 1998.
Il serait étonnant que la prochaine loi de programmation échappât à la règle, notamment dans la mesure où le ministère de l'Economie et des Finances reste de toute façon, par culture et par principe, totalement fermé à la notion de pluriannualité pourtant essentielle à un bon fonctionnement du budget d'équipement des armées. Or, dans la mesure où les choix ne sauraient conduire à une remise en cause de la cohérence de la dissuasion, pour les raisons présentées dans la première partie de ce rapport, ce sont les programmes conventionnels qui, à montant constant, serviraient de variable d'ajustement.
Depuis 1996, les forces nucléaires françaises connaissent une modernisation sans précédent, que le projet de budget pour 2002 permet de poursuivre. Comme il a été souligné précédemment, ce sont essentiellement les programmes de missiles balistiques des deux composantes qui bénéficient de l'augmentation des crédits budgétaires inscrits dans le projet de budget pour 2002, auxquels il convient d'ajouter les crédits reportés.
LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE LA DISSUASION
EN 2001 ET 2002 : RÉPARTITION PAR PROGRAMME
Autorisations |
Crédits de paiement | |||
2001 |
2002 |
2001 |
2002 | |
SNLE-NG |
289,81 |
280,66 |
295,29 |
282,64 |
Adaptation M51 des SNLE-NG |
126,08 |
93,45 |
60,52 |
89,33 |
M51 |
53,97 |
71,65 |
350,48 |
550,95 |
M4 & M45 |
0,00 |
0,00 |
10,98 |
9,15 |
TN75 |
69,67 |
78,82 |
79,73 |
72,26 |
TNO |
58,39 |
60,21 |
58,85 |
60,37 |
ASMP amélioré |
39,18 |
44,21 |
71,50 |
104,28 |
TNA |
49,39 |
54,73 |
47,87 |
52,44 |
Simulation |
299,41 |
396,06 |
307,34 |
319,54 |
Démantèlement des usines |
98,18 |
131,41 |
101,68 |
79,58 |
Programme RES |
33,69 |
102,29 |
34,30 |
53,82 |
SYDEREC |
0,00 |
0 |
8,08 |
3,66 |
TRANSFOST (étape 2) |
1,68 |
0,68 |
9,91 |
7,15 |
Autres dont maintien |
930,09 |
1 157,39 |
936,80 |
950,80 |
Etudes et infrastructure BEM Monge |
- |
46,49 |
- |
47,26 |
TOTAL |
2 049,37 |
2 518,05 |
2 373,33 |
2 683,23 |
L'objectif de cette modernisation est défini dans le modèle d'armée 2015 qui permettra à notre pays de disposer de deux composantes totalement renouvelées :
- la composante océanique reposera sur une flotte dont le c_ur sera formé par 4 SNLE-NG armés de missiles balistiques M 51 équipés d'une nouvelle tête, la tête nucléaire océanique ;
- la composante aéroportée sera fondée sur le couple Rafale-ASMP amélioré.
Quant à la validité des armes, elle sera garantie par le programme de simulation.
LES MOYENS FUTURS DES FORCES NUCLÉAIRES
1996 |
2002 |
Modèle de référence (2015) | |
Dissuasion nucléaire |
5 SNLE dont 1 NG |
4 SNLE dont 3 de nouvelle génération |
4 SNLE-NG |
1 lot TN 75 |
2 lots TN 75 |
3 lots TNO*** | |
Mirage 2000 N/ASMP |
Mirage 2002 N/ASMP |
||
18 Mirage IV P/ASMP |
Super Etendard ASMP |
Rafale-ASMP-A | |
Super Etendard ASMP |
|||
Simulation |
LMJ* phase 1 (LIL)**Airix |
LMJ* pleine puissance |
* Laser mégajoule.
** Ligne d'intégration laser.
*** Tête nucléaire océanique.
Dans un secteur qui met en jeu des compétences techniques et scientifiques aussi complexes et aussi pointues que le nucléaire, les études amont jouent un rôle stratégique, même s'il est moins visible que celui des armes elles-mêmes. C'est en effet dès le stade de la recherche que se joue la cohérence d'un programme nucléaire. Plus spécifiquement, cinq missions sont assignées aux chercheurs dans le domaine de la dissuasion :
- la réduction du coût global de possession des systèmes d'armes participant à la dissuasion, ce qui inclut des actions sur les propulseurs et sur la conception des chaînes fonctionnelles ;
- l'amélioration des performances opérationnelles face à l'évolution de la menace, avec des travaux portant sur la pénétration des missiles balistiques, le recalage et la navigation des sous-marins nucléaires lanceurs d'engin (SNLE), la précision des systèmes d'armes nucléaires, la discrétion des SNLE, la lutte sous-marine et la guerre des mines, la pénétration des missiles aérobies, les performances et la survie des transmissions nucléaires ;
- la sûreté nucléaire, avec notamment des travaux sur la connaissance des réponses des propulseurs aux diverses agressions et sur l'amélioration des méthodologies d'acquisition de la sûreté ;
- le maintien de la capacité nationale en matière de conception et de réalisation des armes nucléaires et la simulation du fonctionnement de ces armes ;
- l'amélioration des connaissances sur le fonctionnement des réacteurs de la propulsion navale (aspects système, sécurité nucléaire et facteurs humains, combustibles et c_urs, technologie et composants des réacteurs).
Pour mener à bien ces missions, deux données sont essentielles. En premier lieu, la coordination des différents acteurs intervenant dans le système doit être parfaite. Or, si l'on distingue traditionnellement deux grandes familles d'études amont en matière de dissuasion, à savoir, d'une part les études amont concernant les têtes et les chaufferies nucléaires (études amont CEA), d'autre part les études relatives au reste des systèmes d'armes (études amont DGA intéressant le domaine nucléaire), l'organisation concrète du dispositif fait intervenir plusieurs acteurs. Du côté des prescripteurs, on trouve ainsi les services de programme de la DGA (service des programmes nucléaires, service des programmes naval, etc.) d'un côté, et le Comité mixte armés-CEA de l'autre. Les organismes prestataires sont, quant à eux, extrêmement divers puisqu'on y trouve aussi bien des établissements publics que des industriels, privés et publics. La direction des applications militaires du CEA est au c_ur du système, avec quelque 250 chercheurs qui travaillent sur des études de base dont seul le CEA a la maîtrise technique et scientifique. La DGA est présente via les établissements de la direction des centres d'essais, ainsi que DCN. Enfin, l'ONERA et les bureaux d'études des industriels du secteur (EADS/LV, G2P, Thales, Sagem) sont également présents.
Le niveau des flux financiers est également essentiel. A cet égard, il faut regretter que les crédits inscrits dans le projet de budget pour 2002 soient en retrait par rapport à l'année précédente.
Ainsi, seules les autorisations de programme destinées aux études amont financées par la DGA (chapitre 52-81-57) augmentent, passant de 35,95 millions d'euros à 39,79 millions d'euros, soit une hausse de 10,7 %. En revanche, les crédits de paiement ouverts sur ce chapitre pour la DGA diminuent de 40,5 millions d'euros à 39,18 millions d'euros, ce qui représente une réduction de 3,3 %. De même, le montant des crédits destinés aux études technico-opérationnelles et inscrites au chapitre 52-81, sous gouvernorat de l'état-major des armées (chapitre 52-81-62), enregistre une diminution de 26,6 % en autorisations de programme, de 2,9 millions d'euros à 2,13 millions d'euros, et de 16,7 % en crédits de paiement, de 3,66 millions d'euros à 3,05 millions d'euros. Par ailleurs, d'après les données fournies par le ministère de la Défense, il faut ajouter à ces montants 158 millions d'euros en autorisations de programme et 159 millions d'euros en crédits de paiement inscrits sur le chapitre 51-71-51 destinés, via la direction des systèmes d'armes de la DGA, au CEA, pour les recherches et les études sur les armes, la simulation, la propulsion navale et les matières nucléaires.
Il serait pour le moins paradoxal de compenser - de toute façon très partiellement étant donné les montants en cause - l'inéluctable accroissement des dépenses de développement, de fabrication et d'entretien, par une réduction des crédits d'études, quand le principe d'une dissuasion adaptée en permanence aux évolutions du contexte stratégique implique au contraire une veille et une vigilance technologique dans un domaine où il faut raisonner à dix ou vingt ans d'écart.
Or, il apparaît que les études amont du domaine nucléaire ont pâti de la régulation de court terme exercée au cours de l'exécution de la loi de programmation militaire 1997-2002. Celle-ci fixait en effet une enveloppe globale de 1,96 milliard d'euros en autorisations de programme et 2,08 milliards d'euros en crédits de paiement pour les études amont du domaine nucléaire.
LES ÉTUDES AMONT DU DOMAINE NUCLÉAIRE
DANS LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 1997-2002
(en millions d'euros courants) | ||||||||||||||
LPM 1997-2002 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
Total 97-02 | |||||||
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP | |
Recherches et EA d'armes |
145 |
140 |
152 |
149 |
156 |
154 |
163 |
162 |
185 |
179 |
194 |
190 |
995 |
974 |
Simulation du fonctionnement des armes nucléaires |
123 |
130 |
105 |
111 |
85 |
94 |
77 |
81 |
55 |
63 |
45 |
51 |
490 |
530 |
EA propulsion navale |
16 |
16 |
16 |
16 |
8 |
11 |
11 |
11 |
11 |
10 |
10 |
10 |
72 |
74 |
EA matières nucléaires |
9 |
8 |
9 |
9 |
9 |
9 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
27 |
26 |
Total armes et propulsion |
293 |
294 |
282 |
285 |
258 |
268 |
251 |
254 |
251 |
252 |
249 |
251 |
1 584 |
1 604 |
EA nucléaires (hors armes) |
79 |
115 |
66 |
96 |
58 |
80 |
57 |
70 |
57 |
60 |
63 |
58 |
380 |
479 |
Or, il apparaît aujourd'hui que cette loi est loin d'avoir été appliquée dans ce domaine : dans l'hypothèse, assez peu probable au regard de l'expérience des années récentes, où la totalité des crédits inscrits en 2001 et 2002 était dépensée, seulement 1,13 milliard d'euros en autorisations de programme et 1,37 milliard d'euros en crédits de paiement auront été effectivement dépensés, soit respectivement 57,8 % et 65,7 % des montants programmés.
LES ÉTUDES AMONT DU DOMAINE NUCLÉAIRE :
DÉPENSES RÉALISÉES ET ESTIMÉES DE 1997 À 2002
(en millions d'euros courants) | ||||||||||||||
DÉPENSES |
1997 (réalisé) |
1998 (réalisé) |
1999 (réalisé) |
2000 (réalisé) |
2001 (LFI) |
2002 (prévision) |
Total 97-02 | |||||||
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP | |
Recherches et EA d'armes (1) |
48 |
51 |
73 |
70 |
71 |
75 |
72 |
68 |
61 |
59 |
62 |
60 |
387 |
383 |
Simulation (1) |
153 |
157 |
53 |
47 |
63 |
63 |
77 |
60 |
68 |
70 |
59 |
77 |
473 |
474 |
EA propulsion navale (1) |
9 |
8 |
8 |
9 |
5 |
6 |
6 |
5 |
5 |
5 |
5 |
4 |
38 |
37 |
EA matières nucléaires (1) |
9 |
8 |
7 |
7 |
0 |
0 |
3 |
3 |
1 |
0 |
7 |
6 |
27 |
24 |
Total armes |
219 |
224 |
141 |
133 |
139 |
144 |
158 |
136 |
135 |
134 |
133 |
147 |
925 |
918 |
EA nucléaires hors armes (2) |
58 |
100 |
28 |
65 |
17 |
68 |
30 |
43 |
36 |
41 |
41 |
42 |
210 |
359 |
(1) Crédits transférés au CEA. |
Pour expliquer ces écarts, le ministère de la Défense invoque notamment la mise en place des opérations budgétaires d'investissement à partir de 1998, qui se seraient traduites par une nouvelle répartition entre catégories de coûts, et notamment de la place réservée aux études amont, plus représentative de la réalité. En outre, pour la part études amont nucléaire (hors armes et propulsion nucléaire navale), le ministère de la Défense explique l'évolution des dépenses par l'effet des décisions prises lors de la revue des programmes qui ont conduit à une réduction des crédits programmés.
C'est au début des années 1960 qu'est décidée la constitution d'une composante océanique de la force de dissuasion, avec la création, en 1962, de l'organisation C_lacanthe qui reçoit mandat de bâtir ce qui deviendra la force océanique stratégique (FOST) aux débuts des années 1970. En 1972, en effet, le premier bâtiment de la FOST, le sous-marins nucléaire le Redoutable, appareille pour sa première patrouille opérationnelle de la base de l'Ile Longue.
Aujourd'hui, la FOST est toujours cet outil exceptionnel qui assure en permanence sa mission de dissuasion. Cette permanence ne signifie pas immobilisme dans la posture : alors que, pendant la guerre froide, trois sous-marins patrouillaient simultanément, l'adaptation au nouveau contexte stratégique a conduit le chef de l'Etat à réduire la FOST à quatre sous-marins, dont trois dans le cycle opérationnel, armés à deux équipages. Ainsi, tandis qu'un premier assure une patrouille permanente, un deuxième est disponible à quai ou à la mer, en essais ou en entraînement, afin de pallier le risque d'une éventuelle avarie sur le premier. Quant aux deux derniers, ils sont en entretien, l'un de courte durée, l'autre de longue durée.
Afin de préserver les qualités exceptionnelles de la FOST dans son nouvel environnement stratégique, l'ensemble des éléments qui la composent sont en cours de modernisation, qu'il s'agisse de la propulsion (programme RES) de la plate-forme (programme SNLE-NG), des vecteurs (programme M 51) ou des têtes elles-mêmes (TNO). Au-delà de la préparation de l'avenir, le maintien de l'excellence passe par un entretien vigilant, dont la maîtrise du coût représente un enjeu majeur pour les années à venir.
Au total, les crédits inscrits pour la FOST dans le projet de budget 2002 s'établissent à 712,36 millions d'euros en autorisations de programme et à 664,95 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 12,05 % pour les premières et de 10,81 % pour les seconds.
· La propulsion navale : le programme de réacteurs d'essais
Les programmes de propulsion navale nucléaire sont, paradoxalement, souvent oubliés, voire méconnus, alors qu'ils sont essentiels à la mise en _uvre de la FOST, par la discrétion acoustique et l'autonomie qu'ils confèrent aux sous-marins lanceurs d'engins.
C'est en vertu de ce rôle stratégique des programmes de propulsion qu'a été mise en place, en 1993, une organisation institutionnelle particulière, destinée à garantir le fonctionnement optimal d'un programme qui fait intervenir le CEA, la DGA et la Marine. Ainsi, le 4 février 1993 a été créé le service technique mixte des chaudières nucléaires de propulsion navale (STXN), qui regroupe le bureau des chaufferies nucléaires de DCN, le bureau matériel-énergie-propulsion de l'état-major de la Marine et les personnels rattachés au directeur délégué à la propulsion navale du CEA, soit 36 personnes (8 pour la Marine, 8 pour la DGA et 20 pour le CEA).
Cinq missions précises lui ont été assignées, dont le seul énoncé traduit le rôle essentiel de cet organisme doté d'un budget de fonctionnement - hors rémunérations et charges sociales des personnels DGA et Marine, rémunérés par leur administration d'origine - à 3,8 millions d'euros pour 2002 :
- renforcer la synergie entre les trois organismes étatiques en rassemblant les compétences spécifiques acquises par chacun au cours du temps ;
- assurer la cohérence des actions concernant la sûreté nucléaire et le retour d'expérience dans la marine, depuis les premières études de faisabilité jusqu'au démantèlement du dernier système de propulsion nucléaire correspondant ;
- soutenir l'action du CEA pour la maîtrise d'ouvrage déléguée des études amont et des réacteurs à terre ;
- assister les directeurs de programme de la DGA dans leur rôle de maîtrise d'ouvrage pour les chaufferies nucléaires ;
- établir et suivre les contrats de maîtrise d'_uvre conclus principalement avec la société Technicatome et l'établissement d'Indret de DCN sur la base de relations contractuelles.
C'est au STXN qu'il revient de mettre en _uvre le programme de réacteur d'essais (RES), programme destiné à remplacer le RNG (réacteur de nouvelle génération) qui a permis, depuis 1975, la mise au point des chaudières nucléaires embarquées et la qualification des c_urs ou des générateurs de vapeur, dont la fin de vie est prévue pour 2005.
Au total, le STXN gère donc non seulement les crédits destinés à couvrir l'entretien des chaudières existant mais également ceux qui financent les études et le développement des programmes futurs. Pour 2001, ceci représente un budget qui devrait avoisiner 51 millions d'euros en autorisations de programme et 62 millions d'euros en crédits de paiement. En 2002, il est prévu de lui transférer 105 millions d'euros d'autorisations de programme et 94 millions d'euros de crédits de paiement, ce qui représente une augmentation sensible des crédits alloués à la propulsion navale. Le ministère de la Défense n'a pas fourni d'explications au rapporteur sur les raisons de cette hausse. Toutefois, dans la mesure où les revues de programmes conduites à la demande du ministère ont confirmé la nécessité de mettre en _uvre au plus tôt le RES, dont la divergence est prévue pour la fin de l'année 2006, on peut raisonnablement penser que ce programme est, au moins partiellement, à l'origine de l'augmentation des crédits de propulsion navale.
· Les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE)
Depuis bientôt trente ans, au moins un sous-marin nucléaire français sillonne en permanence les mers et les océans, avec, à son bord, des missiles balistiques : à n'en pas douter, les quelque huit SNLE construits depuis quarante ans à Cherbourg ont parfaitement rempli la mission qui leur avait été assignée et leur rôle de pilier de la dissuasion.
A ce jour, quatre SNLE composent donc la FOST :
- deux d'entre eux, l'Indomptable et l'Inflexible, sont des sous-marins du type le Redoutable, admis au service actif en 1976 et 1985. Ces deux bâtiments, qui ont un déplacement de 7 900 tonnes en surface et de 9 000 tonnes en plongée, mesurent 128,7 mètres de long pour 10,6 mètres de large ;
- les deux autres sont des SNLE de nouvelle génération. Le Triomphant, prototype et premier SNLE-NG, a été admis au service actif à Brest le 21 mars 1997 ; le Téméraire a rejoint la FOST en 1999. Ces sous-marins de nouvelle génération sont plus longs et beaucoup plus lourds que leurs prédécesseurs : longs de 138 mètres, pour un diamètre de 12,5 mètres, ils ont un déplacement en surface de 12 640 tonnes et de 14 120 tonnes en plongée. D'une surface habitable de 240 m², ils peuvent accueillir 111 hommes. Quant à la vitesse de déplacement, elle est sensiblement supérieure à celle des bâtiments de la génération précédente.
Petit à petit, celle-ci est d'ailleurs destinée à disparaître. Ainsi, à la fin de l'année 2004, l'Indomptable sera retiré après 28 ans de service opérationnel, pour céder la place au 3ème SNLE-NG, le Vigilant, actuellement en construction à Cherbourg. Ensuite, en 2010, le Terrible achèvera la relève entre les deux générations de sous-marins lorsque l'Inflexible, en service depuis 1985, sera retiré de la FOST.
LE CALENDRIER DU PROGRAMME SNLE-NG
SNLE/NG |
Commande |
Essais officiels |
Service actif |
LE TRIOMPHANT |
18 juin 1987 |
30 juin 1994 |
21 mars 1997 |
LE TEMERAIRE |
18 octobre 1989 |
28 juillet 1998 |
23 décembre 1999 |
LE VIGILANT |
27 mai 1993 |
décembre 2003 |
décembre 2004 |
LE TERRIBLE |
28 juillet 2000 |
juillet 2009 |
juillet 2010 |
On remarquera que l'échéance de 2010, initialement fixée par la loi de programmation militaire 1997-2002, avait été ramenée à 2008 par la revue de programmes menée en 1998. Le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 en revient à l'échéance initiale, notamment pour des raisons financières : extrêmement contraint, le budget de la Marine doit d'ores et déjà faire face à la montée en puissance du programme SNLE-NG et surtout à l'accroissement des coûts de maintien en condition opérationnelle des sous-marins. Le Chef d'état-major de la Marine, que votre rapporteur a rencontré, a certifié que ce nouveau changement de calendrier ne porterait pas atteinte aux capacités de la FOST à remplir ses missions, et notamment que la prolongation du service actif de l'Inflexible de deux ans ne posait pas de difficultés techniques. Votre rapporteur s'étonne néanmoins de ces hésitations et de ces revirements de position dans des délais si proches, tout particulièrement quand l'avancement de deux ans de l'admission au service actif (ASA) du 4ème SNLE-NG et de la mise en service du M 51 avaient été présentés comme une mesure phare des travaux du groupe Minos dans le cadre de la revue des programmes, en 1998. A l'époque, nous disait-on, l'avancement du programme M 51 et de l'ASA du Terrible permettrait, avec d'autres mesures, de réduire le coût à terminaison du programme de 5,5 milliards de francs.
Or, au moment même où chacun constate que le budget d'équipement de la Marine, déjà très contraint, sera extrêmement difficile à gérer dans les années à venir, il est pour le moins paradoxal de prendre une décision qui se traduira immanquablement par un alourdissement du coût du programme. Jamais, en effet, l'étalement d'un programme d'armement n'a entraîné d'économies, bien au contraire. Rappelons en outre que le coût du programme SNLE-NG est d'ores et déjà supérieur de 36 % par rapport au devis initial, en prenant le coût moyen d'un bâtiment. Ceci dit, il n'est pas à exclure qu'en repoussant la mise en service du 4ème SNLE-NG à 2010, les concepteurs de la future loi de programmation 2003-2008 n'aient fait que prendre acte d'une réalité simple : tous les programmes dérivent, y compris le 4ème SNLE-NG. Le report de 2008 à 2010 n'est donc pas un choix qui permet de desserrer la contrainte dans d'autres domaines ; c'est le constat d'un fait accompli. Il n'existe donc plus de marge de man_uvre sur ce programme, même si la prolongation de deux ans du service de l'Inflexible ne pose pas de problème.
LE COÛT DU PROGRAMME SNLE-NG
Devis initial |
Cumul des dépassements constatés à ce jour |
Augmentation du devis |
Part des décisions d'étalement du | |
Développement |
1 959,7 |
800,7 |
+ 41 % |
|
Industrialisation et logique |
1 531 |
418,9 |
+ 27 % |
|
Prix moyen d'un SNLE-NG |
1 447,5 |
526,7 |
+ 36 % |
181,2 |
Dans le projet de budget pour 2002, les crédits inscrits pour le programme SNLE-NG s'élèvent à 280,6 millions d'euros en autorisations de programme, soit une réduction de 3,17 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2001, et à 282,6 millions d'euros en crédits de paiement, en baisse de 4,3 % par rapport à l'année précédente.
Les crédits destinés à la FOST hors SNLE chutent fortement, de 316,8 millions d'euros en autorisations de programme à 218,6 millions d'euros (- 31 %), et de 268,3 millions d'euros à 166,6 millions d'euros en crédits de paiement (- 38 %), ce qui correspond au déroulement nominal des programmes.
· Les programmes de missiles balistiques mer-sol
Le nombre de missiles nucléaires embarqués sur SNLE se décompose comme suit au 1er août 2001 :
- 16 missiles type M 4, équipés de TN 71, sur l'Indomptable ;
- 32 missiles type M 45, équipés de TN 75, sur les 2 SNLE du type le Triomphant, c'est-à-dire sur le Triomphant et sur le Téméraire, ainsi que sur le dernier des SNLE du type le Redoutable, c'est-à-dire l'Inflexible, qui a été adapté fin 2000 pour accueillir le missile M 45. Cette évolution a été validée par la réalisation d'un lancement de M 45 d'exercice en avril 2001.
Le missile M 4 est un missile mer-sol balistique stratégique de masse totale de 35 tonnes, piloté par une centrale inertielle et propulsé par propergol solide. Il est constitué de deux étages propulsifs et d'une partie haute, composée d'une case propulsive et d'espacement, du système d'emport et de largage des têtes nucléaires, d'aides à la pénétration, et d'une coiffe.
Le M 45 constitue l'une des trois versions du missile M 4, embarqué sur SNLE, lesquelles diffèrent uniquement par leurs parties hautes :
- le M4.70 emportait le tête nucléaire TN 70 et a été retiré du service en 1996 ;
- le M4.71 actuellement en service et emportant la tête nucléaire TN 71 ;
- le M 45 est en service sur les SNLE de type le Triomphant et, depuis le deuxième trimestre 2001, sur le dernier SNLE type le Redoutable en service : l'Inflexible. Il emporte des aides à la pénétration et la tête nucléaire TN 75 de capacité de pénétration améliorée.
Pour ce qui concerne les têtes du missile, la tête nucléaire TN 71 emporte une charge thermonucléaire qui développe une énergie d'une centaine de kilotonnes. Elle est durcie aux agressions des systèmes anti-balistiques à charge nucléaire. La tête nucléaire TN 75 est nettement plus petite et moins lourde que la TN 71. Thermonucléaire, elle développe une énergie du même ordre que celle de la TN 71. Elle présente des qualités de furtivité et de durcissement très améliorées qui lui confèrent d'excellentes capacités de pénétration. Le troisième et dernier lot de TN 75 destiné à remplacer le lot de TN 71 est en cours de constitution. Les crédits alloués à la TN 75 dans le projet de budget pour 2002, qui font partie des crédits transférés au CEA, s'élèvent, hors maintien en condition opérationnelle, à 78,82 millions d'euros en autorisations de programme et à 72,26 millions d'euros en crédits de paiement.
Au-delà de cette modernisation relative de la composante balistique de la FOST, qui se traduit par la juxtaposition de deux missiles de générations différentes, mais qui appartiennent néanmoins à la même famille, la FOST est engagée dans une modernisation radicale de ses vecteurs, à travers le programme M 51. Ce dernier, par sa précision, sa furtivité, son allonge et ses capacités de pénétration, marquera un véritable saut technologique, absolument nécessaire pour répondre à l'impératif d'adaptation précédemment évoqué. Le bien-fondé de ce programme, dont les prémisses remontent à 1992, est donc entier : même dans sa version modernisée qu'est le M 45, le M 4 sera obsolète avant même le retrait du service des sous-marins lanceurs d'engins. En outre, des considérations géostratégiques se conjuguent à cet impératif technique : avec la prolifération des armes de destruction massive dans plusieurs régions du monde, y compris très éloignées, la France se doit de disposer de missiles d'une portée suffisante.
Dans son rapport de l'an dernier, votre rapporteur avait évoqué les difficultés contractuelles entre la DGA et l'entreprise EADS-LV, responsable du programme M 51. Un accord avait finalement été trouvé in extremis sur le contrat relatif à la deuxième tranche de développement du missile. On aurait pu penser que, cette rude bataille livrée, le développement du M 51 se poursuivrait sans autre difficulté que les problèmes techniques habituellement rencontrés dans le déroulement des programmes d'une telle ampleur et d'une complexité aussi importante.
Paradoxalement, ce n'est pas sur le plan technique que les problèmes se posent. En effet, même si le programme n'en est encore qu'à ses débuts, il se déroule bien : comme tous les programmes de grande envergure, il est en avance sur certains points, en retard sur d'autres. Néanmoins, techniquement, il est en bonne voie et il n'existe pas de risque en matière de calendrier. Les problèmes techniques rencontrés (la polymérisation par exemple) ont été réglés par des choix adéquats.
Il n'en reste pas moins, au-delà de ce constat global, que le programme est aujourd'hui confronté à trois difficultés, plus ou moins importantes, d'ordre financier, industriel et juridique.
La première d'entre elles, qui est aussi la moins grave, concerne l'insuffisance du montant des autorisations de programme inscrites dans le projet de budget 2002 pour le M 51.
Un tel constat peut sembler éminemment paradoxal dans la mesure où l'on observe une très forte augmentation des crédits consacrés au M 51 dans le projet de budget pour 2002. En autorisations de programme, elle est de 32,8 %, avec une hausse des crédits de 53,9 millions d'euros à 71,6 millions d'euros ; quant aux crédits de paiement, ils explosent, avec une croissance de 57,23 %, de 350,4 millions d'euros à 550,95 millions d'euros. Et pourtant, tous les acteurs, étatiques et industriels, admettent que le montant des autorisations de programme est insuffisant pour faire face aux échéances mécaniques de ce programme. Le choix a, en effet, été, lors de la préparation du budget 2002, de préserver le programme de frégates multimissions mené en coopération avec l'Italie, le niveau extraordinairement contraint des autorisations de programme dans le projet de budget pour 2002 ne permettant pas de mener de front les deux programmes. Le « choix » auquel ont été confrontés les responsables militaires en matière d'autorisations de programme dans le projet de budget 2002 n'était pas satisfaisant, voire impossible : casser la commande globale soit sur le M 51 soit sur le FSAF (famille de missile sol-air futur, système d'armes des frégates Horizon). Le choix s'est porté sur le M 51 : 9 milliards de francs de commandes étaient prévus pour le 27 décembre 2002. Celle-ci est reportée de quelques semaines. L'échéance du système étant à 8 ans, on a estimé possible de perdre 3 à 4 mois sur deux années de développement. En revanche, le programme FSAF s'effectuant en coopération avec l'Italie, tout report aurait menacé de le compromettre.
De ce fait, le contrat portant sur la tranche conditionnelle n° 1 entre EADS et la DGA ne pourra être signé à l'échéance prévue, soit le 27 décembre 2002. Cette rupture de la continuité contractuelle entraîne, en l'état du contrat, le versement d'un million d'euros par jour de pénalités par le ministère de la Défense à l'industriel ; si elle se poursuit au-delà de 3 mois, le contrat est considéré comme annulé et une pénalité supplémentaire de 65 millions d'euros sera exigible par EADS. Cette rupture a par ailleurs des effets industriels, EADS ne pouvant faire travailler ses personnels en dehors de toute couverture contractuelle.
Le ministère de la Défense tente de renégocier une passation de commande fin mars 2003 sans pénalité.
Il s'agit sans doute d'une péripétie bureaucratique et financière mais l'incertitude qu'elle crée est particulièrement malvenue dans un contexte dans lequel les ressources humaines, civiles et militaires d'EADS sont mises à rude épreuve. Le problème est également posé de l'hypothèque qui pèsera d'emblée sur la loi de programmation militaire 2003-2008, avec un surplus de 9 milliards de francs de commandes en autorisations de programme à supporter. Le handicap sera financier, et non physique. Le programme suit en effet sa progression : le choix de la synchronisation 4ème SNLE-NG/M 51 reste le bon (1 milliard de francs d'économies). Pour l'instant, aucun retard rédhibitoire n'a été pris ; mais il n'y aura plus de marges de man_uvre.
La deuxième difficulté concerne la remise en cause de la logique d'essais de missiles M 51 par la DGA. En 1998, les travaux du groupe Minos avaient conclu à une limitation des tirs d'essai à cinq (ce qui est peu par rapport au M 4), les premiers étant réalisés dans un caisson sous-marin au large de Quimper et, une fois la qualification de missile acquise, l'essai du tir de synthèse étant directement effectué dans le 4ème SNLE. Toutefois, le moyen d'essai - que doit fabriquer DCN - n'est pas prêt et on évoque un retard d'un à deux ans du fait de DCN. La DGA propose par conséquent d'effectuer les deux premiers tirs au sol : le sort des trois suivants est encore en débat. On évoque l'idée d'une piscine construite au centre d'essais des Landes (sorte de pyramide inversée de 60 mètres de profondeur) pour effectuer un essai de validation de la sortie d'eau.
Cette péripétie se greffe sur un calendrier déjà tendu : si, techniquement, il n'existe pas de risque d'échec majeur en termes d'essais, c'est un problème de calendrier qui se pose désormais. Tout retard pris ne pourra plus être rattrapé, le calendrier ne peut plus être modifié : d'où, d'ailleurs, un projet de budget pour 2002 qui respecte globalement les besoins.
Enfin, le report du 4ème SNLE de 2008 à 2010 pose deux problèmes. D'abord en termes de plan de charges : pendant deux ans, une centaine de personnes ayant des spécialités très pointues seront inoccupées ; ensuite, cette décision revient à déconnecter le développement et la production. De son côté, EADS n'a pas encore arrêté ses conditions de production ; il n'en reste pas moins que la déconnexion entre développement et production posera des problèmes de personnels - inactivité et problème de déqualification des équipes - aux alentours de 2005-2007. Dans le cas d'un missile produit à dose homéopathique, il existe en effet une totale interaction entre les deux processus, plus encore quand il n'y a plus d'études amont à côté et quand le civil - programme Ariane - et le militaire ne se complètent plus.
Les forces aériennes stratégiques (FAS) participent à la mission de dissuasion depuis 1964. Tout comme la composante océanique, elles ont assuré la mission prescrite par les Présidents de la République successifs dans le strict respect du principe de permanence. En outre, à l'instar de la FOST, elles sont engagées dans un processus de modernisation destiné à adapter notre posture au contexte stratégique.
A ce jour, compte tenu du retrait de service des Mirage IV P réalisé à l'été 1996, la capacité nucléaire aéroportée est intégralement maintenue et assurée par trois escadrons de Mirage 2000 N armés du missile ASMP, associés à l'escadron de ravitailleurs C-135. Par son allonge, sa souplesse et ses capacités démonstratives, l'ensemble cohérent « Mirage 2000 N/ASMP/C-135 » apporte complémentarité et diversification à nos moyens stratégiques.
L'annuité 2002 se caractérise par une très forte croissance des crédits alloués aux FAS qui sont gouvernés, d'une part par l'armée de l'air pour les vecteurs, les transmissions et l'infrastructure spécifiques, et, d'autre part, par l'EMA pour les missiles et les têtes nucléaires.
LE BUDGET DES FORCES AÉRIENNES STRATÉGIQUES
EN 2000 ET 2001
(en millions d'euros courants) | |||||||
Gouverneur |
Chapitre - article |
Autorisations de programme |
Crédits de paiement |
Evolution | |||
2001 |
2002* |
2001 |
2002* |
AP |
CP | ||
AIR |
51.71 - 11 |
84,76 |
206,35 |
92,99 |
96,35 |
+ 143,4 |
+ 3,61 |
EMA |
51.71 - 61/62/65 |
130,34 |
138,27 |
189,65 |
220,59 |
+ 60,84 |
+ 16,31 |
Total général |
215,11 |
344,62 |
282,64 |
316,94 |
+ 60,2 |
+ 12,13 | |
* Projet de loi de finances. |
Ces crédits sont destinés à financer cinq types de dépenses liées à :
- l'évolution des Mirage 2000 N vers le standard K3 ;
- la rénovation de l'avionique des ravitailleurs C-135 ;
- le maintien en condition opérationnelle des avions et de l'infrastructure ;
- l'évolution des transmissions des Mirage 2000 N, des transmissions spécifiques FAS et des systèmes de préparation de mission ;
- le développement, l'acquisition et le maintien en condition opérationnelle des véhicules de transport d'armes.
S'agissant plus spécifiquement de la modernisation des vecteurs, notons que, depuis le 29 décembre 2000, le programme ASMP amélioré est entré dans sa phase de réalisation. Le coût prévisionnel du programme est de 1,219 milliard d'euros, en incluant le financement des travaux complémentaires rendus nécessaires à la suite de la suspension du programme du missile ANF. Par rapport au coût annoncé l'an passé, ce coût prend en compte les gains obtenus lors de la négociation du marché de réalisation (30 millions d'euros). Sur l'ensemble de la période de la programmation, 286,2 millions d'euros d'autorisations de programme et 240,1 millions d'euros de crédits de paiement auront été d'ores et déjà dépensés pour ce programme placé, comme tous les programmes de missiles balistiques, sous gouvernorat de l'Etat-major des Armées.
BILAN FINANCIER DE L'ASMP-A
DE 1997 À 2002
(en millions d'euros courants) | ||||||
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 | |
Autorisations de programme |
28,2 |
20,0 |
41,0 |
113,6 |
39,2 |
44,2 |
Crédits de paiement |
0 |
11,9 |
21,0 |
31,4 |
71,5 |
104,3 |
On notera que, là encore, l'accroissement des crédits de paiement dédiés à ce programme dans le projet de budget pour 2002 était tout à fait prévisible puisqu'il résulte mécaniquement du niveau des autorisations de programme engagées en 2000, un délai d'environ deux ans en moyenne séparant l'acte juridique d'engagement du paiement effectif.
Les armées sont aujourd'hui confrontées à une forte réduction du taux de disponibilité des équipements dont elles disposent, notamment due aux économies faites au cours des dernières années sur l'entretien programmé des matériels. Ainsi, comme l'a expliqué le Chef d'état-major de l'armée de Terre aux membres de la Commission de la Défense, un retard de 15 points avait été accumulé pour le parc de l'armée de Terre en 2000, par rapport à un objectif de disponibilité de 80 %.
En vertu du principe de crédibilité, l'entretien des matériels concourant à la dissuasion ne saurait être délaissé et constitue au contraire un domaine sur lequel il convient d'être extrêmement vigilant. L'analyse du projet de budget pour 2002 montre que cette donnée est prise en compte par les responsables du ministère de la Défense : les autorisations de programme passent en effet à 687,8 millions d'euros en 2002, contre 614,6 millions d'euros en 2001, les crédits de paiement augmentant moins fortement, à 586,7 millions d'euros.
LES CRÉDITS DE MCO DES SYSTÈMES D'ARMES
CONCOURANT À LA DISSUASION DEPUIS 1997
(en millions d'euros courants) | ||||||||||||
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 | |||||||
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP |
AP |
CP | |
SNLE* |
216,17 |
214,19 |
136,59 |
181,11 |
189,80 |
181,11 |
171,90 |
185,20 |
166,17 |
172,42 |
197,10 |
195,60 |
Missiles |
144,52 |
153,82 |
144,52 |
144,06 |
120,74 |
135,68 |
73,20 |
161,10 |
131,26 |
123,33 |
139,50 |
111,60 |
Têtes |
60,22 |
58,85 |
36,28 |
35,98 |
30,34 |
30,18 |
34,00 |
29,60 |
41,62 |
22,11 |
24,20 |
25,90 |
Total composante |
420,91 |
426,86 |
317,40 |
361,15 |
340,88 |
346,97 |
279,10 |
375,90 |
339,05 |
317,86 |
360,80 |
333,10 |
Missiles |
46,19 |
47,87 |
48,48 |
53,66 |
43,91 |
54,12 |
32,00 |
46,50 |
34,91 |
41,47 |
32,80 |
42,20 |
Têtes |
7,62 |
7,62 |
7,47 |
7,32 |
9,60 |
9,30 |
8,20 |
8,00 |
6,86 |
6,25 |
6,60 |
6,40 |
Total composante aéroportée |
53,81 |
55,49 |
55,95 |
60,98 |
53,51 |
63,42 |
40,20 |
54,50 |
41,77 |
47,72 |
39,40 |
48,60 |
Transmissions |
25,46 |
25,15 |
21,04 |
18,60 |
10,37 |
23,93 |
10,50 |
12,20 |
13,87 |
9,91 |
15,60 |
14,00 |
Autres** |
196,20 |
220,14 |
254,28 |
227,15 |
239,80 |
243,46 |
229,00 |
223,00 |
219,37 |
207,03 |
272,00 |
191,00 |
Total dissuasion |
696,39 |
727,64 |
648,67 |
667,88 |
644,55 |
676,26 |
558,8 |
665,60 |
614,06 |
582,51 |
687,80 |
586,70 |
S'agissant par exemple du maintien en condition opérationnelle des bâtiments de la FOST, le projet de budget 2002 se caractérise par une forte augmentation des crédits destinés aux SNLE. Le phénomène incite à s'interroger sur les conditions de l'entretien de la flotte de sous-marins nucléaires, plus encore après que le rapport consacré par la Commission de la Défense à ce problème a mis en lumière de sérieux dysfonctionnements qui, semble-t-il, n'épargnent plus les bâtiments de la FOST.
Ce rapport fait apparaître un problème global d'entretien de la flotte, non pour des raisons financières, mais pour des raisons internes à DCN. D'une part, les mesures d'âge se sont traduites par une perte de compétence chez les ouvriers, tandis que, parallèlement, dans un contexte de crise, les cadres ont rejoint les entreprises d'armement. Au total, DCN manque de cadres ; elle a recours massivement à la sous-traitance, ce qui, à Toulon par exemple, a eu des conséquences catastrophiques. S'ajoutent à cela la pusillanimité et la complexité des procédures de passation de marché. In fine, le système est grippé. Dans ce contexte drastique, les forces vives ont été prioritairement orientées sur les constructions neuves et l'export tandis que le maintien en condition opérationnelle (MCO) a été délaissé. Dans le cas du nucléaire, s'ajoutent à ces problèmes structurels des difficultés de financement. La première IPER du Triomphant s'est en effet révélée beaucoup plus chère que prévu. Le devis initial était de 1,5 milliard de francs, contre 650 millions de francs pour un SNLE-M4. Après négociation, il est passé à 1,025 milliard de francs, le contrat étant sans marge pour aléas et doté d'une clause incitative, à savoir un gain partiel de la différence pour DCN en cas de coût moindre.
Le constat du coût très élevé du MCO des SNLE-NG est d'autant plus préoccupant qu'il n'est pas pris en compte par le projet de loi de programmation militaire 2003-2008. Ce constat vaut d'ailleurs pour d'autres matériels de nouvelle génération : par exemple, l'entretien du Rafale est supérieur à celui du Super Etendard. La Marine compte sur la réalisation de gains de productivité, par exemple via le Service de soutien de la flotte, pour que la balance financière s'équilibre au niveau fixé par le projet. Si tel n'est pas le cas, les constructions neuves en pâtiront.
Dès 1991, avec le moratoire sur les essais nucléaires décidé par le Président de la République, la direction des applications militaires du CEA s'est préparée à l'arrêt des expérimentations nucléaires en proposant le programme Palen qui comportait deux volets : la mise au point d'armes robustes, c'est-à-dire présentant une fiabilité tolérante aux écarts de modélisation ou de réalisation, et le passage à la simulation. Ces deux éléments ont pu être validés lors de la dernière campagne d'essais nucléaires, en 1995 et 1996 et forment aujourd'hui le socle du programme simulation lancé depuis 1996, avec la décision du Président de la République de mettre définitivement un terme aux essais nucléaires.
La simulation consiste à reproduire, à l'aide d'expériences ou par le calcul, les phénomènes rencontrés au cours du fonctionnement d'une charge nucléaire. Le but visé est de disposer d'un ensemble de logiciels décrivant les différentes phases du fonctionnement d'une arme nucléaire et reposant sur une représentation, maîtrisée sans essai en vraie grandeur, des lois physiques mises en jeu. La validation globale en sera obtenue par recalage sur les résultats des essais nucléaires passés tandis que la validation des modèles physiques décrivant les phénomènes essentiels du fonctionnement des armes nucléaires reposera sur des moyens de laboratoire performants. Les deux principaux moyens spécifiques sont la machine radiographique Airix, pour la visualisation détaillée du comportement dynamique de l'arme, et le laser mégajoule (LMJ), pour l'étude de nombreux processus physiques élémentaires dont celle des phénomènes thermonucléaires. L'intégration des nombreux modèles physiques et la précision requise pour les évaluations numériques nécessiteront par ailleurs des calculateurs environ 1 000 fois plus puissants que ceux disponibles actuellement. Ces super-ordinateurs seront mis en place dans le cadre du projet Tera.
Cette démarche suppose la mise à disposition de physiciens de grande qualité, de numériciens et d'expérimentateurs de haut niveau. L'un des buts du programme de simulation est de constituer cet ensemble de compétences, élément essentiel de crédibilité de la dissuasion, pour l'adapter aux nouvelles conditions de travail résultant des décisions du Président de la République. Conformément à ces décisions, le programme simulation n'a pas pour finalité le développement de concepts nouveaux mais doit garantir le renouvellement de l'arsenal nucléaire français en exploitant les filières d'armes robustes mises au point lors de la dernière campagne d'essais nucléaires.
Les crédits prévus pour le programme de simulation comprennent l'ensemble des coûts des agents du CEA travaillant dans ce cadre (environ un millier de personnes) et les dépenses externes du CEA/DAM pour l'acquisition des moyens de simulation (développement et fabrication). L'ensemble de ces crédits est imputé au chapitre 51-71, article 51, du budget de la défense et transféré au CEA.
L'ensemble du programme de mise en place des moyens de simulation représente un coût global d'environ 5 milliards d'euros PIB 2001, de 1996 à 2010.
Depuis 1997, on constate un net accroissement des crédits consacrés au LMJ (qui est entré en phase de développement) et, dans une moindre mesure, des autres moyens de simulation. En revanche, les crédits consacrés aux études sont en diminution. Conformément à l'avancement des programmes de simulation, Airix n'est plus doté depuis 2001. Depuis le lancement effectif du programme de simulation, c'est-à-dire après l'ultime campagne d'essais nucléaires, l'ensemble des crédits engagés au titre des dépenses externes du CEA/DAM jusqu'en 2000 inclus s'élève à environ 750 millions d'euros courants.
Dans le projet de loi de finances pour 2002, les crédits inscrits au titre de la simulation représentant 396 millions d'euros en autorisations de programme et 320 millions d'euros en crédits de paiement, soit, respectivement, une augmentation de 32,4 et 42,3 % par rapport à 2001.
Les programmes de transmission liés à la dissuasion nucléaire sont au nombre de trois : RAMSES, TRANSFOST 1 et 2 et SYDEREC. Par ailleurs, les transmissions de secours étaient assurées, jusqu'en juillet 2001, date de son retrait de service, par l'avion ASTARTE.
· Le programme RAMSES (Réseau Amont Maillé Stratégique Et de Survie), en phase d'utilisation depuis 1998, permet l'acheminement en toutes circonstances des ordres exceptionnels et la mise en _uvre de la conduite des opérations. Le système étant en phase d'exploitation, seuls des crédits destinés à son maintien en condition opérationnelle sont inscrits dans le projet de budget pour 2002, à hauteur de 9,6 millions d'euros en autorisations de programme et de 9,8 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui traduit une augmentation d'environ 10 % par rapport à 2001.
· Le programme TRANSFOST 1 et 2, qui concerne les transmissions de la FOST, est doté, dans le projet de budget pour 2002, de 0,68 million d'euros en autorisations de programme et de 7,15 millions d'euros en crédits de paiement, en diminution de 30 % par rapport à 2001, dans la mesure où il devrait s'achever à la mi-2002.
· Enfin, le programme SYDEREC a pour mission d'assurer la transmission des communications nucléaires essentielles dès lors que les autres moyens auront été détruits ou neutralisés. Sa mise en service opérationnel est prévue en 2002, ce qui explique là encore la diminution des crédits de paiement qui lui sont consacrés dans le projet de budget pour 2002, qui passent de 8 millions d'euros en 2001 à 3,7 millions d'euros.
La décennie 1990 s'est traduite, pour le secteur du nucléaire militaire, par une restructuration sans précédent depuis la création de la dissuasion, due à la conjonction de trois facteurs :
- le retrait définitif de la composante terrestre de la dissuasion, suite à la décision annoncée en février 1996 par le Président de la République ;
- l'arrêt des essais nucléaires et le démantèlement du centre d'essais du Pacifique ;
- l'arrêt de la production des matières fissiles.
Toutes ces décisions ont également conduit à une restructuration de l'organisme qui se situe, depuis 1945, au c_ur de la politique nucléaire civile et militaire de la France, à savoir le Commissariat à l'énergie atomique.
Depuis 1998, le démantèlement du système d'armes Hadès et des sites militaires qui soutenaient la composante terrestre est achevé. Son coût total sur la période 1996-2002 est évalué à 15,4 millions d'euros courants se répartissant comme suit :
(en millions d'euros) | ||
Programme |
Travaux |
Montants |
Têtes nucléaires |
Réactivation du centre de Valduc, transport, stockage et démontage |
4,9 |
Transmissions et informatique des PC |
Démantèlement |
1,5 |
Système de tir (part Aérospatiale) |
Démantèlement et maintien en condition partiel |
7,2 |
Divers |
Infrastructure, sûreté nucléaire, contrôle gouvernemental... |
1,8 |
Dans le projet de loi de finances pour 2002, les crédits consacrés au démantèlement du système d'armes Hadès concernent uniquement les sous-ensembles nucléaires. Imputés sur l'article 51-71.61, ils sont de 0,3 million d'euros en autorisations de programme et de 0,3 million d'euros en crédits de paiement.
La Direction des centres d'expérimentation nucléaire (DIRCEN) a été dissoute en 1998, suite à la décision d'arrêt définitif des essais nucléaires et des démantèlements du site de Mururoa. Par la suite, a été créé le Département de suivi des centres d'expérimentation nucléaire (DCSEN) dont la mission est la surveillance radiologique et géomécanique des sites de Mururoa et Fangataufa.
Le coût de la surveillance radiologique et géomécanique mise en _uvre se décompose en plusieurs parties :
- les coûts liés à la structure spécifique créée en métropole pour assurer cette surveillance représentent 0,4 million d'euros ;
- les coûts représentatifs des prestations de la Direction des Applications militaires du CEA (acquisition et entretien des matériels de prélèvements d'échantillons, réalisation des analyses radiochimiques, mise en _uvre, entretien et exploitation du réseau de surveillance Telcit...) s'élèvent à 2,9 millions d'euros en 2001 et devraient être, en 2002, de 2,4 millions d'euros ;
- enfin, il existe des coûts liés au soutien apporté par le Commandement supérieur de Papeete, qui ne sont pas individualisés.
Au total par conséquent en 2002, le financement lié à la surveillance des sites d'essais représentera 2,8 millions d'euros en autorisations de programme et en crédits de paiement, hors prestations fournies par les Armées.
On rappellera par ailleurs qu'à la suite de la décision d'arrêter les essais, un fonds de reconversion économique de la Polynésie française a été mis en place, qui est alimenté par le chapitre 66-50 du budget de la Défense. En 2002, ce sont ainsi 144,9 millions d'euros en autorisations de programme et 86,6 millions d'euros en crédits de paiement qui irrigueront ce fonds, notamment en vue de constructions d'équipements publics ou touristiques dans les archipels, du logement social, de l'emploi et du soutien des activités productives.
L'arrêt de la production de matières fissiles a pour conséquence le démantèlement de deux sites de production de la Vallée du Rhône : Marcoule et Pierrelatte.
· L'arrêt de la production de plutonium de qualité militaire sur l'unique site français habilité de Marcoule a été notifié en octobre 1991. Il est justifié par le fait que la France dispose depuis cette date des quantités de plutonium nécessaires pour atteindre le niveau de suffisance qu'elle s'est fixée pour sa dissuasion.
L'usine UP1 de production de plutonium de Marcoule, qui appartient à la Cogema, a été mise en service en 1958 et a fonctionné jusqu'à la fin de l'année 1976 exclusivement pour les programmes militaires. A partir de cette date, elle a progressivement réservé une part d'activité croissante pour le retraitement des combustibles des réacteurs civils graphite-gaz. En 1995, la part Défense ne représentait plus que 30 % de l'activité.
La disparition de la filière graphite-gaz a entraîné la cessation d'activité d'UP1 en 1997. Le démantèlement de l'usine UP1 de Marcoule a été engagé dès l'arrêt des productions sur la base des directives données par le Ministre de la Défense et le Ministre de l'Industrie, directives qui consistent respectivement à :
- mettre en place une structure client à l'intention des anciens utilisateurs de l'usine de retraitement UP1 pour la gestion des opérations, action qui s'est traduite par la création en juillet 1996 d'un groupement d'intérêt économique (GIE Codem) associant EDF, le CEA agissant pour son compte et celui du ministère de la Défense, ainsi que la Cogema ;
- à confier le rôle d'opérateur principal des travaux à la Cogema.
La contribution financière des partenaires de Codem aux travaux de démantèlement et d'assainissement s'établit en fonction des disponibilités budgétaires au prorata des activités passées réalisées à leur profit. Sur l'ensemble des opérations, le financement moyen attribuable à chacun des partenaires est le suivant : EDF, 45 % ; Défense, 40 % ; CEA, 5 % ; Cogema, 10 %. Le calendrier des opérations de démantèlement et d'assainissement se présente de la façon suivante :
- mise à l'arrêt définitif de l'usine UP1 (1998 à 2005) ;
- démantèlement d'UP1 (2002 à 2020) ;
- reprise et reconditionnement des déchets accumulés sur le site et consécutifs à l'activité de l'usine de retraitement UP1 (1999 à 2020) ;
- démantèlement des ateliers supports (2020 à 2030) ;
- évacuation des déchets de haute activité vers un site national approprié dont la mise à disposition n'est envisagée qu'à l'horizon 2030 (de 2030 à 2040).
Le coût total des opérations de démantèlement et d'assainissement consécutives à la production du plutonium sur le site de Marcoule est évalué à 5,6 milliards d'euros hors taxes. Il est difficile d'établir une estimation précise du coût à terminaison des travaux sur une période aussi longue (plus de quarante ans). Les actions sur le court terme de mise à l'arrêt et de démantèlement d'UP1 et de reconditionnement des déchets sont bien définies mais les opérations qui se dérouleront de 2020 à 2040 ne pourront être confirmées que beaucoup plus tard sur la base de l'acquis des premiers travaux et des décisions qui auront été prises par le législateur sur l'avenir des déchets. Les personnels de la Cogema initialement employés dans l'usine UP1 ont été reconvertis, dans la mesure du possible, dans les opérations de démantèlement et d'assainissement, ce qui a permis de réduire la contrainte sociale résultant de l'arrêt de la production de plutonium. A ce jour, force est de constater que l'importance des frais fixes liés à la baisse de l'ensemble des activités du site de Marcoule limite fortement les travaux de démantèlement et d'assainissement réalisables avec les fonds disponibles. Ainsi, 187,2 millions d'euros ont été consommés depuis 1997, ce qui montre à l'évidence que les flux financiers annuels ne sont pas à la hauteur du problème.
(en millions d'euros courants) | ||||||
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 | |
AP |
33,2 |
61,0 |
57,9 |
60,0 |
62,4 |
65,4 |
CP |
13,9 |
52,1 |
57,9 |
60,0 |
63,0 |
40,3 |
Afin de ne pas léguer un trop lourd fardeau aux générations suivantes, il faudrait engager 148 millions d'euros en moyenne par an pour les 38 années restantes du programme. Sans doute est-il plus séduisant, pour des raisons de court terme, de « rogner » sur ce poste de dépenses, mais cela n'est certainement pas conforme à l'esprit de responsabilité que devraient susciter des travaux aussi importants et cruciaux pour l'avenir de nos concitoyens et la préservation de notre environnement.
· La fermeture des usines d'enrichissement par diffusion gazeuse (UDG) de Pierrelatte, annoncée par le Président de la République en février 1996, est justifiée par le fait que la France dispose désormais des quantités d'uranium très enrichi nécessaires pour atteindre le niveau de suffisance qu'elle s'est fixée pour sa dissuasion. Dans ces conditions, il est inutile de conserver cet outil devenu sans emploi, ce qui implique son démantèlement.
Le démantèlement a été engagé dès l'arrêt des productions sur la base des directives données par le Ministre de la Défense et le ministre de l'Industrie, directives qui consistent à associer l'exploitant nucléaire Cogema à cette opération dans des conditions et avec des responsabilités qui prennent en compte les contraintes de gestion sociale. L'arrêt définitif de la production est intervenu fin juin 1996. Les premières opérations de mise à l'arrêt définitif et de récupération des matières nucléaires contenues dans l'usine ont été menées en 1997 et 1998. Les opérations de mise à l'arrêt définitif de l'usine se sont achevées fin 2000. Les procédés de démantèlement, de traitement et de conditionnement des déchets seront acquis sur la base d'opérations pilotes mi-2002. La réalisation industrielle du démantèlement débutera en septembre 2002. L'objectif est qu'elle intervienne sur une période aussi courte que possible, de 2002 à 2007, de manière à limiter l'impact des frais fixes de la Cogema. L'estimation du coût du programme, sans marge pour aléas, est de 478,3 millions d'euros, au coût des facteurs de janvier 2001.
Le coût du programme devrait être consolidé en juin 2002 sur la base du scénario de démantèlement industriel et des dispositions réglementaires à cette date pour la gestion des déchets de très faible activité. En effet, le démantèlement des usines de Pierrelatte produira un grand volume de déchet de ce type pour la gestion desquels il n'existe pas à ce jour de disposition réglementaire précise, et notamment de site de stockage.
Les personnels de la Cogema initialement employés dans les UDG ont été reconvertis, dans la mesure du possible, dans les opérations de démantèlement et d'assainissement, ce qui a permis de gérer au mieux la contrainte sociale résultant de l'arrêt de la production d'uranium hautement enrichi. Près de 250 personnes de la Cogema sont concernées aujourd'hui par cette opération. La forte diminution des diverses activités du site de Pierrelatte a par ailleurs entraîné un repli des effectifs vers des tâches de soutien. Cette situation pèse fortement, via les frais fixes, sur les activités de démantèlement. La Cogema Pierrelatte a apparemment bien pris conscience du problème et s'est engagée dans une stratégie de réduction des coûts en gérant au mieux l'incidence de la fin des grands travaux de démantèlement c'est-à-dire l'après 2007.
Les crédits consommés depuis 1997 et prévus en 2001 et 2002 représentent au total 286,3 millions d'euros.
(en millions d'euros courants) | ||||||
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 | |
AP |
85,5 |
29,4 |
24,1 |
47,1 |
35,8 |
66,0 |
CP |
88,9 |
37,7 |
42,0 |
39,7 |
38,7 |
39,3 |
Le CEA, qui représente le c_ur institutionnel et historique de notre dissuasion, a été fortement touché par le double mouvement de restructuration du secteur nucléaire militaire et de réduction des flux financiers affectés à la dissuasion au cours de la dernière décennie. Peu d'organismes publics ont vu, en effet, leurs moyens diminuer de 41,4 %, comme ce fut le cas pour la direction des applications militaires du CEA.
Ce plan de restructuration a également entraîné plus de 2 000 mutations intervenues pour l'essentiel au cours de l'été 1997. Le coût de cette restructuration, inscrit dans la loi de programmation militaire 1997-2002 au titre du Fonds d'adaptation industrielle (FAI), recouvre le financement des mesures concernant le personnel, des investissements pour accueillir les activités transférées et de la logistique associée. Il s'élève à 123,2 millions d'euros aux conditions économiques de janvier 2001. En 2000, le CEA/DAM a bénéficié d'un retour sur investissement, correspondant à une réduction des frais de soutien, de l'ordre de 44 millions d'euros. La réduction cumulée des frais de soutien depuis 1996 s'élève à 183 millions d'euros et s'avère déjà nettement supérieure au coût de la restructuration.
LES CRÉDITS DE PAIEMENT TRANSFÉRÉS AU CEA DEPUIS 1990
(en millions d'euros 2001) | ||||||||||||
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 | |
51-70 |
1 638 |
1 549 |
1 410 |
1 262 |
1 298 |
1 205 |
1 110 |
1 043 |
1 023 |
|||
53-80 |
150 |
81 |
127 |
108 |
123 |
86 |
111 |
106 |
76 |
|||
51-71 |
1 113 |
1 061 |
1 019 | |||||||||
53-81 |
14 |
17 |
3 | |||||||||
55-11 |
1 |
1 |
4 | |||||||||
55-21 |
11 |
11 |
22 | |||||||||
Total |
1 787 |
1 630 |
1 537 |
1 371 |
1 421 |
1 291 |
1 221 |
1 150 |
1 099 |
1 139 |
1 090 |
1 047 |
En 2002 toutefois, le CEA bénéficie de la hausse des crédits inscrits dans le projet de budget pour la dissuasion. Les crédits prévus en 2002 pour financer les activités Défense du CEA sont en nette augmentation en autorisations de programme par rapport à 2001 (+ 23,16 %), 1301,2 millions d'euros et dans une moindre mesure en crédits de paiement (+ 7,1 %), à 1121,7 millions d'euros. L'évolution des ressources en autorisations de programme s'explique notamment par l'étude et la définition du bâtiment destiné à abriter le laser mégajoule, la réalisation étant prévu pour 2003, par le passage en phase industrielle du démantèlement des anciennes usines d'enrichissement de l'uranium par diffusion gazeuse de Pierrelatte et par la réalisation du réacteur d'essais dédié à la propulsion navale.
TRANSFERTS DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
VERS LE CEA EN 2001 ET EN 2002
(en millions de francs courants) | ||||
Prévisions 2001 |
Prévisions 2002 | |||
AP |
CP |
AP |
CP | |
Chapitre 51-71 |
||||
Article 31 (programme SNLE NG) |
18,55 |
20,37 |
16,62 |
25,76 |
Article 32 (force océanique stratégique hors SNLE NG) |
11,34 |
10,63 |
3,31 |
3,31 |
Article 36 (MCO SNLE) |
12,81 |
12,81 | ||
Article 51 (armement et propulsion nucléaires) |
769,11 |
769,11 |
982,52 |
799,18 |
Article 61 (charges nucléaires) |
226,69 |
215,56 |
225,02 |
217,85 |
Sous-total 51-71 |
1 025,69 |
1 015,66 |
1 240,28 |
1 058,91 |
Chapitre 53-81 |
||||
Article 62 (programmes et constructions neuves) |
6,13 |
4,60 |
1,52 |
1,52 |
Article 71 (programme PA CdG) |
0,00 |
0,93 |
- |
- |
Article 77 (sous-marins Barracuda) |
22,87 |
22,87 | ||
Sous-total 53-81 |
6,13 |
5,53 |
24,39 |
24,39 |
Chapitre 55-11 |
||||
Article 37 (équipements militaires à terre) |
3,89 |
3,43 |
1,22 |
1,22 |
Article 38 (infrastructures) |
0,39 |
2,61 | ||
Sous-total 55-11 |
3,89 |
3,43 |
1,61 |
3,83 |
Chapitre 55-21 |
||||
Article 33 (maintien en condition opérationnelle des bâtiments) |
20,38 |
23,46 |
34,91 |
34,45 |
Sous-total 55-21 |
20,38 |
23,46 |
34,91 |
34,45 |
Total des transferts prévus vers le CEA |
1 056,09 |
1 048,09 |
1 301,19 |
1 121,58 |
Le projet de budget pour la dissuasion en 2002 est globalement conforme aux besoins liés à la modernisation et à l'entretien des programmes qui concourent à la dissuasion nucléaire de la France.
Paradoxe, diront certains, d'une dissuasion dont le budget augmente quand, à leurs yeux, elle aurait été contournée le 11 septembre 2001 par les terribles attentats perpétrés contre les Etats-Unis et qu'elle ne répondrait pas aux nouvelles menaces. En réalité, le paradoxe n'est qu'apparent : même si la dissuasion est un concept de la guerre froide, elle est plus que jamais nécessaire. Elle reste pertinente au nom de la préservation des intérêts vitaux, quand l'actualité nous montre tous les jours l'ampleur du défi posé par la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.
La dissuasion est, par conséquent, aussi un concept vivant : nous avons besoin d'une dissuasion adaptée aux nouveaux enjeux stratégiques, ce qui signifie une dissuasion modernisée. Or, celle-ci ne pourra être mise en _uvre qu'au prix d'un effort budgétaire soutenu, notamment dans la présente décennie. Au nom de la préservation de la sécurité des générations à venir, c'est à nous d'y veiller, aujourd'hui.
La Commission de la Défense s'est réunie le 31 octobre 2001, sous la présidence de M. Paul Quilès, Président, pour examiner les crédits du ministère de la Défense pour 2002 consacrés à la dissuasion nucléaire, sur le rapport de M. René Galy-Dejean, rapporteur pour avis.
M. René Galy-Dejean a d'emblée indiqué que les crédits de la dissuasion étaient les seuls qu'il approuvait au sein du projet de budget de la défense. Il a précisé que sa position était en particulier motivée par leur très forte augmentation, de 22,9 % pour les autorisations de programme et de 13,1 % pour les crédits de paiement. Estimant que ces évolutions étaient en contradiction avec celles des autres composantes du projet de budget, il a souligné que l'enveloppe des crédits d'investissement militaire initialement prévue par la loi de programmation 1997-2002 avait été réduite de 70 milliards de francs et celle fixée en 1998 par la revue des programmes de 45 milliards de francs, ce qui plaçait les armées dans une situation extrêmement difficile, voire de rupture.
Il a alors fait observer que l'augmentation des crédits destinés aux armements nucléaires pouvait être considérée comme paradoxale dans la situation internationale actuelle, certains experts prétendant que le concept de dissuasion avait été contourné le 11 septembre dernier. Il a rappelé à ce propos que des doutes avaient pu être émis sur l'utilité de la dissuasion, dès lors qu'il avait suffi de quelques hommes, armés de cutters et de canifs, pour atteindre très profondément la première puissance mondiale.
Le rapporteur a jugé ce raisonnement inexact et pernicieux pour deux raisons. En premier lieu, s'il est vrai que les actes terroristes du 11 septembre 2001 ont ébahi le monde entier par leur imprévisibilité, leur efficacité et leur barbarie, il serait totalement absurde de jauger la valeur de la dissuasion à la lumière d'un seul événement, quand celle-ci représente une garantie de sécurité pour les quinze ou vingt années à venir. En second lieu, la dissuasion est pleinement justifiée par la démarche d'armement de certains pays qui, dans le cas de la Chine par exemple, ne permet essentiellement que des supputations mais qui, s'agissant de l'Inde ou du Pakistan, autorise quelques certitudes. M. René Galy-Dejean a en effet estimé que ces deux pays étaient engagés dans une politique tout à fait comparable à celle de la France dans les années 1960, à savoir une marche forcée vers un armement nucléaire aussi développé et sophistiqué que possible. Alors que jusqu'à récemment, cet effort était jugé quelque peu artisanal, il faut aujourd'hui prendre conscience du fait qu'il est tout au contraire scientifique, technologique, industriel et politique. L'Inde et le Pakistan se donnent les moyens de disposer, dans un futur assez proche, de dizaines, voire d'une centaine d'ogives. Ces pays poursuivent de même, dans le domaine des missiles balistiques, une politique très active, qui les conduit à effectuer des tirs d'essais très régulièrement et à développer des engins de portée toujours plus grande. Enfin, ils travaillent à la construction d'une dissuasion comprenant plusieurs composantes. L'Inde achète ainsi à la Russie des avions susceptibles de mettre en _uvre un armement nucléaire et les deux pays s'efforcent de mettre au point des chaudières nucléaires destinées à la constitution d'une composante sous-marine. A cet égard, le rapporteur a expliqué que le Pakistan cherchait, dans le cadre de sa rivalité avec l'Inde, à compenser l'infériorité qui résultait de son manque de profondeur stratégique en faisant de l'Afghanistan une sorte de réserve territoriale mais aussi en se dotant de sous-marins nucléaires lance-engins. Au total, c'est un arsenal nucléaire impressionnant et diversifié qui se construit en Inde et au Pakistan.
M. René Galy-Dejean a jugé que, dans ce contexte, le danger nucléaire était plus menaçant que jamais pour l'Europe, qui devait observer avec vigilance les évolutions en cours dans l'arc asiatique allant de la Turquie à la Chine. Non seulement quatre puissances nucléaires s'y trouvent (Israël, Inde, Pakistan, Chine) mais une cinquième (le Japon) pourrait, à l'avenir, être incitée à la nucléarisation. Le rapporteur a alors fait valoir qu'une telle situation rendait manifeste la nécessité de l'effort financier consenti en faveur de la dissuasion, afin d'en maintenir la crédibilité.
S'interrogeant sur le contenu concret de cet effort, il a rappelé que la dissuasion française reposait aujourd'hui sur deux composantes : une composante océanique formée par les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins armés de missiles traditionnellement considérés comme ayant une capacité anticité ; une composante aéroportée formée par le couple Mirage 2000 N-ASMP (ASMP amélioré en 2007). Il a souligné que ces deux composantes étaient complémentaires, la première garantissant l'exercice d'une dissuasion tous azimuts, notamment à l'égard des Etats nucléaires, alors que la seconde, qui permettait des frappes précédemment qualifiées de pré-stratégiques et aujourd'hui de limitées, présentait, notamment grâce à son allonge et à ses capacités de pénétration, des qualités propres de souplesse d'emploi et de pouvoir démonstratif. En effet, le simple décollage d'un Mirage 2000 N peut constituer à lui seul une menace dissuasive. Evoquant les analyses de certains spécialistes qui jugeaient la composante océanique suffisante, il les a considérées comme erronées et estimé que l'abandon du dispositif aéroporté déséquilibrerait la dissuasion. Il a en outre insisté sur les dangers d'une telle décision dans le contexte d'incertitude actuelle, évoquant, à titre d'illustration, le scénario d'une prise du pouvoir au Pakistan de forces proches des Taliban.
En conclusion de son analyse, M. René Galy-Dejean a fait valoir que deux difficultés se poseraient à l'avenir aux responsables politiques en matière d'équipement militaire. En premier lieu, dans la mesure où aucune économie ne pourra être faite sur la dissuasion pour les raisons évoquées précédemment, il faudra, soit augmenter le budget d'équipement militaire dans son ensemble, soit sacrifier certains programmes classiques pour retrouver des marges de man_uvre. En second lieu, les responsables politiques ne pourront plus à l'avenir étaler selon leur convenance les investissements à réaliser dans le domaine de la dissuasion, dans la mesure où les programmes correspondants sont aujourd'hui mis en _uvre, non plus par des entreprises publiques, mais par des sociétés privées. Le rapporteur a évoqué à cet égard la privatisation d'Aérospatiale et la création de la société EADS, qui a notamment en charge les programmes de missiles balistiques. Il a souligné que, sous peine de payer des indemnités de dédit considérables, les responsables politiques étaient contraints de fournir un effort budgétaire régulier, comme ils le font d'ailleurs dans le projet de budget pour 2002.
Il a alors proposé à la Commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la dissuasion pour 2002.
Soulignant la pertinence et l'intérêt de l'analyse présentée par M. René Galy-Dejean, le Président Paul Quilès a néanmoins fait observer qu'il y a quinze ans, il était généralement admis que la dissuasion devait reposer sur trois composantes, de même que le besoin en chars Leclerc était alors évalué à 1 400 alors qu'aujourd'hui, chacun affirme que deux composantes sont nécessaires à l'exercice de la dissuasion tandis que, de l'avis général, une dotation de 400 chars Leclerc est considérée comme suffisante. Se déclarant en total accord avec le rapporteur sur la nécessité de la dissuasion comme garantie face aux évolutions futures, il a fait observer que le contexte stratégique pouvait changer rapidement et profondément et qu'il fallait toujours être conscient qu'on évaluait trop souvent les besoins militaires de demain en fonction d'une analyse du monde d'aujourd'hui. Il a alors plaidé pour une politique militaire qui permette une action résolue dans le présent tout en laissant la place au doute quant aux évolutions stratégiques futures. Puis, s'interrogeant sur l'avenir de la dissuasion en Europe d'ici dix à quinze ans, il s'est demandé si, compte tenu des progrès de la construction européenne, elle pourrait encore être exercée, à cette échéance, dans un cadre strictement national.
Evoquant les évolutions possibles du contexte géostratégique, M. René Galy-Dejean a estimé que, dans l'hypothèse d'un risque de montée aux extrêmes dans la guerre actuellement menée par les Etats-Unis contre le fondamentalisme islamique, des discussions pourraient apparaître nécessaires avec les Etats visés par cette guerre. Il est peu probable que les Etats-Unis puissent alors assumer cette fonction d'interlocuteur, pas plus d'ailleurs que le Royaume-Uni. En revanche, la France, parce qu'elle a su observer une attitude prudente et parce qu'elle est une puissance nucléaire, serait en mesure d'engager des conversations de paix avec des interlocuteurs qui seraient eux-mêmes de statut nucléaire.
M. Guy-Michel Chauveau, pour illustrer le caractère changeant de l'évaluation des menaces, a rappelé les descriptions du potentiel militaire soviétique que faisait le Pentagone au milieu des années 80. Puis il a jugé qu'il était impossible d'évoquer la confrontation entre l'Inde et le Pakistan sans faire référence à la situation de la Chine, qui est, en l'occurrence, au c_ur des évolutions stratégiques en Asie. Il s'est demandé si, dans ce pays, les financiers, notamment de Shanghai, n'allaient pas, d'ici dix ans, l'emporter définitivement sur les militaires. Il s'est par ailleurs interrogé sur les dangers de la course aux armements nucléaires entre l'Inde et le Pakistan : l'Inde n'a pas la capacité financière de mener un effort massif ; le Pakistan, pour sa part, dispose d'un outil nucléaire mais pas de l'ensemble de la chaîne qui pourrait faire de lui une puissance nucléaire. Il a ajouté qu'il ne pourrait y avoir de dénucléarisation du Moyen-Orient tant que le conflit entre Israël et les Palestiniens ne serait pas résolu. Il a enfin jugé, comme le Président Paul Quilès, que l'avenir de la dissuasion devait être envisagé à terme dans un cadre européen.
M. René Galy-Dejean a alors exprimé la crainte que les événements du 11 septembre 2001 n'aient anéanti la démarche diplomatique visant à encadrer la dissuasion par des traités internationaux tels que le traité d'interdiction complète des essais ou le traité ABM. Il a fait observer que la situation de légitime défense où se trouvaient les Etats-Unis depuis le 11 septembre rendait inopérante toute pression morale pour les engager à s'impliquer dans la maîtrise des armements nucléaires en ratifiant des traités existants ou en négociant l'élaboration de nouveaux dispositifs internationaux.
M. Robert Poujade s'est félicité de la qualité du débat que la Commission venait de tenir. Puis il a estimé qu'à l'heure où des interrogations se faisaient entendre sur l'utilité de l'effort de dissuasion, le rapporteur avait su en démontrer la nécessité de façon convaincante. Après avoir souligné qu'une augmentation des dotations allouées à l'équipement classique était également indispensable, il a indiqué que le Groupe RPR voterait les crédits de la dissuasion.
La Commission a alors émis, à l'unanimité, un avis favorable à l'adoption des crédits de la dissuasion nucléaire.
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Au cours de sa réunion du 6 novembre 2001, la Commission de la Défense a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2002, les membres des groupes RPR, UDF et DL votant contre.
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N° 3323-II.- Avis de M.Galy-Dejean rapporteur de la commission de la défense sur le projet de loi de finances pour 2002 - dissuasion nucléaire
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Cf rapport de la mission d'information n° 3302 du 3 octobre 2001, « L'entretien de la flotte : défis et perspectives » par MM. Charles Cova et Jean-Noël Kerdraon, députés.