N° 1113

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 octobre 1998.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 1999 (n° 1078),

TOME VI

DÉFENSE

PAR M. JEAN-BERNARD RAIMOND,

Député

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir le numéro 1111 (annexe n° 40)

Lois de finances

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, MM. Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean Espilondo, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Jean Rigal, Mme Yvette Roudy, MM. Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LA SÉCURITÉ EN EUROPE

A - L'ÉVOLUTION DE LA RUSSIE

B - L'ÉVOLUTION DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE

II - LA PROLIFÉRATION DES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE

A - LES ESSAIS NUCLÉAIRES DANS LE SOUS-CONTINENT INDIEN

B - LA CRISE IRAKIENNE

CONCLUSION

EXAMEN EN COMMISSION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi de finances pour 1999 prévoit pour la Défense des crédits un peu plus satisfaisants que ceux qui avaient été votés pour l'année 1998. En effet, l'année précédente, l'équipement avait fait les frais de la politique de maîtrise du déficit public en se voyant doté de crédits nettement inférieurs à ceux prévus par la loi de programmation militaire : 81 milliards au lieu de 86 milliards en francs constants de 1995 prévus par la programmation. Cette année, le projet de budget de la défense (hors pensions) est en augmentation de 2,9%, par rapport à la loi de finances initiale pour 1998. Il représente 190 milliards de francs, dont 103,7 milliards pour le titre III et 86 milliards pour les titres V et VI.

Ce projet de budget doit permettre la poursuite de la professionnalisation des forces. Globalement, les effectifs diminueront de 27.640 postes ; ce solde résultant de la baisse du nombre d'appelés et de sous-officiers, partiellement compensée par les recrutements de militaires du rang, de volontaires et de civils.

S'agissant des équipements, le projet prévoit une remise à niveau conforme à la loi de programmation actualisée. En effet, le Gouvernement a mené une revue de programmes qui s'est traduite par des modifications de calendrier, des réductions de cibles et des abandons de programme. Cet exercice s'est traduit par 20 milliards d'économie pour la période 1999-2002.

Votre Rapporteur ne mentionnera pas chacun des programmes d'équipement en cours dont la liste est impressionnante. Il convient de souligner cependant que beaucoup d'entre eux, lancés dans les années 1980, ont subi d'importants retards. Le porte-avions Charles de Gaulle devrait entrer en service actif vers la fin de l'année 1999. Le char Leclerc sera opérationnel à la fin de 1998 et le Rafale en 2002 pour la Marine et 2005 pour l'Armée de l'Air. Initialement, il avait été prévu que tous ces équipements seraient mis en service en 1996. Quant au NH-90, il devrait être livré en 2003 à l'Allemagne et aux Pays-Bas, en 2005 à notre Marine et en 2011 à notre Armée de Terre alors que la date retenue à l'origine était 1999.

Le Rafale est certainement le programme qui aura connu le plus grand nombre d'aléas. Les premières livraisons d'appareils de série interviendront en 1999. Sur le plan technique, le Rafale est un succès incontestable. Par sa polyvalence, cet avion est beaucoup plus performant que ses rivaux américain et européen. Selon certaines estimations, il serait également moins coûteux que son concurrent européen, le F-2000, qui n'a pas les mêmes capacités militaires. Il convient désormais d'assurer l'avenir de ce programme. Le Gouvernement doit encore confirmer publiquement la commande groupée de 48 avions Rafale, indispensable pour que Dassault puisse récolter les fruits de son travail.

L'hélicoptère NH-90, quant à lui, a subi de nombreux décalages. On nous dit qu'il sera financé au rythme prévu. Cet hélicoptère permettra le transport tactique de 14 à 20 commandos ou d'un véhicule de combat antichar en zone ennemie par tous temps. Il contribuera, en outre, aux missions de soutien et commandement des hélicoptères armés. Il servira, enfin, à la lutte anti sous-marine et anti-navire à partir de frégates. Il faut souhaiter que le calendrier prévu ne soit plus remis en cause.

Certes, depuis une dizaine d'années, le monde a changé. La menace d'agression globale a disparu, ou presque. Mais nos troupes n'ont jamais été autant sollicitées et notre armée connaît une mutation profonde.

La projection, que l'on appelle également "stratégie de l'action", a succédé à la stratégie d'attente. Les programmes d'armement en cours doivent donner à la France les moyens de sa politique étrangère, notamment de sa politique d'intervention extérieure. A la lumière de ce qui se passe aujourd'hui au Kosovo, qui peut dire que l'obtention de ces moyens peut sans cesse être différée ?

Par ailleurs, la modernisation de la force de dissuasion doit se poursuivre. La réalisation du deuxième SNLE-NG, le Téméraire, s'achèvera à l'été 1999 avec la mise au service actif du bâtiment. Il faut se féliciter que la revue de programmes ait abouti à avancer la mise en service du M51 à 2008, au lieu de 2010. A court terme, le budget consacré au nucléaire est satisfaisant. En revanche, les autorisations de programme diminuent de 18,9%, après qu'elles ont baissé de 17% en 1998.

Les dépenses de défense de la France, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne entre 1990 et 1998 se sont caractérisées par leur réduction, surtout sur la période 1994-1997. Cependant, ces dépenses semblent avoir atteint un plancher et nos alliés programment même une légère reprise des budgets. En 1998, la France a consacré 2,8% de son PIB à la défense, soit un pourcentage proche de celui consenti par la Grande-Bretagne (2,73%), supérieur à celui de l'Allemagne (1,55%) mais inférieur à celui des Etats-Unis (3,25%). La France est le pays qui a le moins diminué son effort depuis 1990 mais c'était le prix à payer pour conserver et renouveler un potentiel qui préserve son indépendance.

La Commission des Affaires étrangères n'a pas vocation à analyser dans le détail les crédits inscrits au projet de loi de finances. Aussi, la suite de cet avis se concentrera-t-elle sur l'analyse du contexte international dans lequel s'inscrit notre politique de défense.

I - LA SÉCURITÉ EN EUROPE

A - L'évolution de la Russie

Les équilibres militaires demeurent marqués par l'affaiblissement durable du potentiel militaire de la Russie. On pourrait en déduire que l'Alliance atlantique peut tranquillement et cyniquement imposer sa loi. Cependant, la Russie demeure un acteur stratégique majeur sur le continent européen et au-delà. Les Occidentaux doivent veiller à ce que leur politique étrangère et leur politique de défense ne contribuent pas à attiser les ressentiments nationalistes qui se développent dans ce pays.

La politique russe se caractérise en premier lieu par sa bonne exécution des accords de désarmement stratégique. Le sort de l'armement stratégique de l'ex-URSS est lié à l'application des accords START-I, signé en juillet 1991, et START-II, signé en janvier 1993. Après transfert des têtes nucléaires et des lanceurs détenus par l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan, la Fédération de Russie est l'unique héritière de ce potentiel, à l'exception de 44 bombardiers basés en Ukraine et de 18 lanceurs stationnés en Biélorussie. Le traité START-II prévoit de réduire le nombre des ogives nucléaires stratégiques à 3000 têtes pour la Russie. Il n'a toujours pas été ratifié par la Douma, ce qui retarde son application dont l'échéance était fixée à 2003. Cependant, lors du sommet d'Helsinki de mars 1997, les présidents américain et russe ont repoussé cette échéance à 2007 et se sont engagés à entamer, dès l'entrée en vigueur de START-II, des négociations sur un traité START-III. Celui-ci comprendrait un nouvel abaissement du nombre de têtes nucléaires à 2000-2500, ainsi qu'un échéancier sur la désactivation des têtes nucléaires.

Sans doute, la Russie dispose encore d'un arsenal important (1577 vecteurs et 7540 têtes) mais le désarmement, pour des raisons technologiques, ne peut se faire sans délais. En outre, depuis 1990, cet arsenal a considérablement diminué : de 40% pour les lanceurs et de 25% pour les têtes.

D'autre part, il faut souligner que la Russie considère comme objectif prioritaire le maintien de sa capacité nucléaire stratégique, laquelle représente le fondement de sa politique de dissuasion. Dans cette perspective, et devant la nécessité de remplacer les matériels obsolètes ou non conformes aux accords START-II (qui n'autorisent que les missiles monotêtes) un processus de modernisation des matériels a été engagé. Ce dernier prévoit le développement du missile SS-27, successeur du SS-25, le développement du missile SS-N-28 embarqué sur sous-marin et la construction d'un SNLE de quatrième génération. Signataire du traité d'interdiction des essais nucléaires, la Russie, néanmoins, n'a pas démantelé son centre d'essais au Kazakhstan.

Les armes nucléaires tactiques sont la seule catégorie d'armes pour laquelle il n'existe ni convention, ni traité de désarmement et donc, aucun dispositif institutionnel de vérification. Dans ces conditions, les évaluations de l'arsenal tactique sont très imprécises, elles vont de 10.000 à 30.000 têtes selon les sources. Néanmoins, il est pratiquement avéré que toutes les armes nucléaires tactiques qui étaient stationnées en Ukraine, au Kazakhstan et en Biélorussie ont été rassemblées en Russie, en mai 1992, pour démantèlement, conformément aux accords de Minsk et d'Alma-Ata de décembre 1991. Il resterait actuellement en Russie 7.000 à 13.000 armes tactiques, réparties sur une soixantaine de sites (au lieu d'environ quelque 250 sites à la fin des années 80). On ne dispose cependant d'aucun état officiel de l'avancement du calendrier, ni d'aucune indication sur les conditions de protection des sites, des matières fissiles et des sous-ensembles sensibles issus du démantèlement.

Alors que le désarmement stratégique de la Russie résulte d'un processus maîtrisé, la réduction de son potentiel conventionnel est largement la conséquence de la crise intérieure russe. Le budget de la défense russe est légèrement inférieur à celui de la France, pour des effectifs militaires très supérieurs. Il est largement accaparé par le fonctionnement sans pour autant assurer le paiement des soldes. Ces contraintes empêchent la modernisation de l'armée russe, en particulier la professionnalisation, dont le principe a été retenu par le Président Eltsine à l'horizon 2000 mais dont la mise en oeuvre ne devrait pas intervenir avant 2005. En 1995, les autorités ont dû allonger de 18 mois à deux ans la durée du service pour pallier la crise du recrutement.

Les effectifs théoriques s'élèvent à 1,5 million d'hommes, mais les effectifs réellement opérationnels sont estimés à 1,2 million d'hommes.

Les forces terrestres se composent de : 64 divisions et 41 brigades, 24.200 chars, 31.000 véhicules de combat d'infanterie, 35.000 pièces d'artillerie de plus de 100 mm et 1.300 hélicoptères de combat. Mais on estime que seuls 20% de ces forces sont opérationnels, soit environ vingt divisions.

Les forces aériennes regroupent 2.800 appareils de combat, auxquels s'ajoutent 500 appareils de l'aéronavale, 1.250 avions de transport et 2.600 appareils de réserve. On estime que 50% de cette flotte aérienne sont réellement opérationnels.

La marine russe est répartie en quatre ensembles d'importance décroissante : la flotte du Nord, la flotte du Pacifique, la flotte de la mer Noire et la flotte de la Baltique. Soit, au total : 136 sous-marins d'attaque, dont 75 sous-marins nucléaires d'attaque, 46 grands bâtiments de surface, 103 bâtiments de surface moyens.

Les restructurations n'ont réellement commencé qu'à l'été 1997. Elles s'imposent comme une priorité compte tenu des contraintes budgétaires. Les orientations de la réforme du système de défense russe pour la période 1998-2005, confirment un projet de restructuration en profondeur et de modernisation de l'outil militaire.

Compte tenu de la déliquescence des moyens conventionnels russes, la priorité est accordée sur le long terme aux forces nucléaires comme garantie ultime de sécurité. Dans ces conditions, l'horizon 2000-2005 semble beaucoup trop proche pour envisager la mise sur pied effective d'un outil conventionnel moderne et opérationnel, ramené aux dimensions nouvelles de la Russie.

Néanmoins, la Russie a cherché, au cours des dernières années, à assurer une présence militaire durable au-delà de ses frontières en utilisant les conflits en Transcaucasie et en Asie centrale.

La Russie tente de se présenter dans chacun de ces conflits comme un élément stabilisateur, garant d'accord de cessez-le-feu et arbitre des négociations. Elle réclame, pour ses interventions, le soutien de la communauté internationale, mais y revendique la conduite politique et diplomatique dans les négociations et le contrôle des opérations sur le terrain. Force est de constater qu'aucun conflit de l'ex-URSS, dans lequel la Russie est impliquée, n'est à ce jour réglé. La situation militaire sur le terrain est le plus souvent figée dans un fragile statu quo.

La caractéristique principale des "forces d'interposition" ou de "maintien de la paix" dans ces conflits, est qu'elles sont soit à dominante russe, soit intégralement russes. Cette formule permet à la Russie de tenter de faire accréditer la CEI comme enceinte internationale de règlement des conflits. Pour autant, l'impartialité des troupes russes est souvent sujette à caution. L'implication des militaires dans toutes sortes de trafics ou compromissions avec les parties aux conflits ne donne pas une grande crédibilité à ces opérations dites de "maintien de la paix".

Toutes ces données ont probablement incité les Etats-Unis à ne pas ménager la Russie ; en particulier, à précipiter le processus d'élargissement de l'Alliance atlantique, qui connaîtra une première étape au printemps 1999 avec l'adhésion de la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Sans doute, la Russie a obtenu des garanties limitant le stationnement des troupes de l'OTAN sur ces territoires, un engagement de ne pas y déployer d'armes nucléaires et un statut de partenaire privilégié avec la création d'un Conseil permanent conjoint OTAN-Russie. Par ailleurs, le traité sur les forces conventionnelles, signé en novembre 1990, doit être adapté au nouvel environnement stratégique européen. Mais cette dernière négociation n'a pas abouti et la Russie ressent toujours l'élargissement comme une humiliation.

La Russie a gardé les réflexes ombrageux d'une grande puissance. Son armée est restée neutre au cours des derniers soubresauts de la politique intérieure russe, mais pour combien de temps ? La France n'a pas intérêt à avaliser l'extension illimitée de l'influence américaine sur le continent. Nous avons besoin de la Russie pour résoudre les conflits régionaux qui sont apparus en Europe. Toutes ces considérations nous incitent à promouvoir un dialogue équilibré avec la Fédération de Russie.

On devrait s'interroger d'ailleurs sur la pertinence du Concept stratégique de l'Alliance élaboré en novembre 1991. En effet, si ce concept prend acte que la menace d'une agression de grande ampleur est "beaucoup plus improbable", il précise également , à propos de l'ex-Union soviétique : "les risques et les incertitudes qui accompagnent le processus de changement ne peuvent être dissociés du fait que ses forces classiques sont largement supérieures à celles de tout autre Etat européen et que ce pays dispose d'un arsenal nucléaire considérable". Une telle prudence était justifiée immédiatement après la dislocation de l'empire soviétique. Sept ans plus tard, elle ne paraît plus d'actualité. Si la défense collective demeure une dimension fondamentale de l'Alliance, il ne paraît plus indiqué de désigner aussi précisément un éventuel agresseur.

B - L'évolution de l'Alliance atlantique

En dehors de son élargissement, l'Alliance atlantique a entrepris depuis 1990 de se rénover, à la fois pour tenir compte de l'évolution des forces militaires et s'adapter à de nouvelles contraintes.

Le premier changement que l'Alliance a connu est certainement la restructuration des forces américaines en Europe, entamée dès 1989, qui a ramené le niveau de ces forces de 500.000 à 100.000 hommes. Parallèlement, les forces nucléaires américaines basées en Europe ont pratiquement disparu. Ce niveau de présence devrait rester stable, aucune réduction supplémentaire de troupes n'étant envisagé à ce stade.

Par ailleurs, alors que la guerre froide se caractérisait par l'absence de conflits militaires en Europe, la paix s'est traduite, paradoxalement, par l'apparition de crises régionales, parfois particulièrement meurtrières. L'Alliance a dû s'adapter à de nouvelles missions, tel le maintien ou le rétablissement de la paix.

Ces deux données pouvaient ouvrir la voie à un nouveau partenariat euro-atlantique, c'est-à-dire à une relation plus équilibrée entre les Etats-Unis et l'Europe. En fait, les évolutions dans ce sens sont restées timides.

Sans doute, sur le plan des principes, une identité européenne de défense a été reconnue. Les moyens propres de l'OTAN pourront être mis à disposition de l'UEO pour des opérations conduites sous son contrôle politique et sa direction stratégique. Mais le Conseil atlantique, dans cette hypothèse, gardera le contrôle de la décision politique d'un engagement. En somme, les Etats-Unis conservent un droit de veto sur ces opérations, quand bien même seuls les Européens en assumeraient les risques.

Le Comité militaire de l'OTAN a également proposé, le 2 décembre 1997, une nouvelle structure de commandement qui doit être mise en oeuvre à l'issue du sommet de Washington en avril 1999. Cette structure est censée conférer plus de responsabilités aux Alliés et mieux prendre en compte l'identité européenne de défense. Cette réorganisation prévoit la réduction du nombre de quartiers généraux de 65 à 20. La nouvelle structure comportera deux commandements stratégiques, un pour l'Atlantique et l'autre pour l'Europe, avec trois commandements régionaux pour la région Atlantique et deux pour la région Europe. Cependant, la France n'a pas obtenu que le deuxième commandement régional de la région Europe soit attribué à un Européen. De ce fait, la visibilité de l'identité européenne est très limitée. Elle se résume en la création d'un poste de SACEUR adjoint qui sera attribué à un Européen.

La mise en oeuvre du concept de Groupe de Forces Interarmées Multinationales (GFIM) a progressé. Ce concept a une première utilité, purement militaire, dans la mesure où il répond à l'impératif de flexibilité inhérent aux nouvelles missions de l'Alliance. Il doit aussi favoriser l'identité européenne puisque les GFIM, bien qu'ils soient aujourd'hui étudiés et mis en place à l'OTAN, sont prévus aussi pour être mis en place conjointement avec l'UEO. Trois états-majors ont été désignés comme quartiers généraux et deux exercices ont été effectués en novembre 1997 et en mars 1998. Ces derniers devraient permettre de mieux évaluer les changements qu'impliquent les GFIM dans l'organisation militaire de l'Alliance et dans la coordination avec d'autres institutions européennes.

Les GFIM constituent un pôle de développement majeur pour l'OTAN : ils sont l'expression de l'adaptation de l'Alliance, du progrès en matière de flexibilité, de légèreté et de rapidité de la mise en place des forces. Les GFIM sont sans conteste le nouveau concept d'emploi des forces de l'Alliance. Bien que n'étant pas membre des structures militaires intégrées, la France participe pleinement à leur mise en place puisqu'elle dispose d'officiers en poste à la cellule de planification.

Au sommet de Madrid de juillet 1997, les chefs d'Etat et de gouvernement ont annoncé leur volonté de réviser le Concept Stratégique de l'Alliance afin que celui-ci soit compatible avec "la nouvelle situation et les nouveaux défis qui existent en Europe sur le plan de la sécurité". Les résultats de cette étude et les propositions éventuelles d'actualisation devraient en principe être prêts pour le sommet de Washington.

Bien que les travaux soient encore dans une phase d'élaboration, il est possible de présenter dès à présent certains sujets que les travaux d'actualisation devront prendre en compte : les nouvelles missions qui devront faire l'objet d'un cadre juridique rénové, les nouveaux risques dus à la prolifération d'armes de destruction massive, l'élargissement et le partenariat pour la paix, le souhait des Européens de parachever l'interdépendance entre les diverses institutions (OSCE et UEO).

A travers cet exercice se pose clairement la vision que chaque nation a du rôle et du champ de compétences de l'OTAN dans un contexte géostratégique marqué par la disparition de ce qui avait présidé à la création de l'organisation atlantique. En préalable, les Alliés ont tenu à souligner que le nouveau concept devait réaffirmer le maintien du lien transatlantique et rappeler que la défense collective demeure le principe fondant la solidarité au sein de l'OTAN.

S'agissant de l'identité européenne de sécurité et de défense, les évolutions majeures intervenues depuis 1991 devront se refléter dans le nouveau concept. L'Alliance est devenue l'un des vecteurs privilégiés du développement de l'Identité Européenne de Sécurité et de Défense (IESD), mais, au-delà, le Traité d'Amsterdam et les compétences reconnues du Conseil européen en matière d'orientations dans le domaine de la sécurité et de la défense ne peuvent être ignorées.

Le nouveau concept prendra également en compte les modifications structurelles que les Alliés ont arrêtées afin d'adapter l'Organisation atlantique à l'évolution sécuritaire. La nouvelle structure de commandement adoptée en décembre figurera en bonne place, mais les décisions prises à Madrid sur le SACEUR adjoint européen ne devront pas être oubliées.

Le champ des missions de l'Alliance, dans un environnement géostratégique européen renouvelé, s'est considérablement diversifié. A la faveur de cet exercice, devront être définies clairement les limites de la compétence de l'OTAN, en termes géographique, juridique et technique. Notamment, si l'Alliance compte intégrer dans ses prérogatives la lutte contre le terrorisme, la prolifération d'armes de destruction massive et les trafics organisés.

La question de la nécessité ou non d'un mandat du Conseil de sécurité fondant toute opération de l'Alliance envisageant l'emploi de la forces armée hors-zone soulève un vrai débat. La France refuse que l'OTAN puisse se prévaloir d'un droit d'auto-saisine en de telles circonstances, et rappelle que l'OTAN doit travailler en étroit partenariat avec les autres institutions internationales.

Sur un plan général, la France a marqué sa disponibilité à s'engager totalement dans cet exercice refondateur pour l'Alliance. Cette démarche s'inscrit dans sa vision de l'Organisation atlantique et de l'architecture de sécurité européenne dans son ensemble. Il lui appartiendra en particulier de continuer à promouvoir un plus grand équilibre des responsabilités comme des devoirs entre Européens et Américains au sein de l'Alliance.

Il convient de mesurer le chemin parcouru depuis 1990. A l'époque, on pouvait imaginer que l'OTAN demeurerait essentiellement une assurance contre la réapparition d'une menace collective et que d'autres institutions - l'OSCE et l'UEO - prendraient en charge les nouvelles missions. Par la suite, on a pu penser que l'extension des missions de l'OTAN, notamment sa participation active aux opérations de maintien de la paix, s'accompagnerait d'un rééquilibrage entre les Etats-Unis et l'Europe. En réalité, on a abouti à un renforcement considérable du rôle de l'OTAN sans réelles contreparties politiques pour les Européens.

Ces considérations doivent inciter la France à en rester là quant à son rapprochement avec l'OTAN tant que certaines évolutions politiques ne se seront pas dessinées. Ce rapprochement s'est traduit par la participation du Ministre de la Défense français aux réunions ministérielles du Conseil atlantique, par la participation au Comité militaire et par le renforcement des liaisons auprès des commandements de l'OTAN. En revanche, le retour dans les commandements intégrés n'est plus à l'ordre du jour.

Les conditions politiques d'une réintégration sont bien connues. Les Etats-Unis devraient accepter un partage des tâches et responsabilités au sein de l'Alliance quitte à renoncer à une partie de leur influence. Les Européens devraient avoir la volonté de bâtir une Europe de la défense plus autonome. La France, quant à elle, doit convaincre ses partenaires que sa singularité et ses initiatives ne sont pas inspirées par un anti-atlantisme systématique.

II - LA PROLIFÉRATION DES ARMES
DE DESTRUCTION MASSIVE

La prolifération des armes de destruction massive est souvent présentée comme une menace qui justifierait une action particulièrement vigoureuse de la communauté internationale.

Certes, on ne peut qu'approuver le développement de différentes conventions qui visent à prohiber l'usage, la détention et la fabrication de telles armes. D'autre part, force est de constater que ces textes constituent des barrières souvent fragiles. Cette faiblesse justifie bien entendu que la France se donne les moyens d'assurer l'avenir de sa dissuasion nucléaire, seule susceptible de répondre à ces menaces.

Votre Rapporteur souhaiterait néanmoins, dans le cadre de cet avis, relativiser les dangers de la prolifération selon les régions.

A - Les essais nucléaires dans le sous-continent indien

Au lendemain des cinq essais réalisés par l'Inde les 11 et 13 mai 1998, suivis par six essais pakistanais, de nombreux observateurs ont craint une escalade militaire entre l'Inde et le Pakistan et une remise en cause du régime anti-prolifération.

Sans doute, ces essais ont-ils rappelé que le monde n'était pas sorti de l'âge nucléaire. Mais qui peut vraiment s'en étonner ? Sans doute aussi, la multiplication du nombre d'Etats détenteurs de l'arme nucléaire complique-t-elle la dissuasion et accroît-elle les risques que des terroristes puissent se procurer ces armes. Mais, comme l'écrivait Henry Kissinger dans un récent article : "pour promouvoir la non prolifération, nul besoin d'exagérer la thèse que les essais augmentent le risque de guerre nucléaire"

En l'occurrence, les essais indiens, puis pakistanais n'ont pas fondamentalement transformé les équilibres militaires de la région.

En effet, ces équilibres sont surtout affectés par la modernisation de l'arsenal nucléaire chinois.

En nombre de têtes, l'arsenal chinois est comparable à celui de la France ou du Royaume-Uni. Les forces nucléaires chinoises évolueraient vers une force moderne avec des missiles mobiles à propulsion solide et des têtes nucléaires mirvées dont la mise au point justifierait la poursuite des essais nucléaires. Un consensus semble émerger en Chine, au moins dans le discours officiel, pour une doctrine de suffisance, ce qui nécessite un nombre restreint d'armes nucléaires anti-forces et anti-cités.

La Chine détiendrait un arsenal de 225 à 300 têtes stratégiques auxquelles s'ajouteraient 150 têtes tactiques non déployées, divisées en trois composantes. La composante aérienne est emportée par trois types de bombardiers. La composante terrestre comprend, notamment, quatre à dix missiles intercontinentaux susceptibles d'atteindre les principales zones stratégiques du globe.

La Chine est en train de moderniser son arsenal. Les efforts de recherche actuels visent à mettre au point des missiles mobiles intercontinentaux de longue portée (8 à 12 000 km) qui couvriront l'ensemble de l'Europe et des missiles pour sous-marins de 8 000 km de portée. Il est probable que la génération de missiles en développement (ICBM et SLBM) sera capable d'emporter des têtes mirvées. Certains estiment que les Chinois posséderont de 50 à 70 ICBM de 12 000 km de portée à l'horizon 2010.

Face à ce potentiel, l'Inde dispose d'une capacité nettement inférieure. Ses contentieux nombreux avec la Chine et le sentiment que la communauté internationale, à l'exception de la Russie, accorderait de toute façon la priorité à la relation avec la Chine, ont incité l'Inde à rétablir une parité stratégique qu'elle estimait menacée. L'arrivée au pouvoir d'un parti nationaliste hindou, le BJP, a précipité une évolution qui se dessinait de longue date.

L'Inde n'est pas membre du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) qu'elle dénonce comme discriminatoire. Elle a également refusé de signer le Traité d'Interdiction Complète des Essais nucléaires (TICE). Elle est le seul pays, autre que les cinq Etats nucléaires déclarés, a avoir réalisé en 1974 un essai nucléaire. L'engin nucléaire testé était déclaré comme ayant une puissance de douze kilotonnes, mais il est probable que la puissance réelle fut inférieure. L'Inde maîtrise toutes les filières du nucléaire militaire lui permettant de produire des armes nucléaires de première génération ou des armes dopées. L'Inde est supposée avoir produit suffisamment de plutonium 239 pour réaliser entre vingt cinq et cent armes selon les estimations, et pourrait être capable d'assembler plusieurs dizaines de bombes dans un délai très court.

Les pressions politiques externes avaient jusqu'à cette année repoussé la réalisation de nouveaux essais nucléaires en Inde.

Depuis les essais de mai 1998, l'Inde serait désormais capable de produire un engin thermonucléaire de 200 kt. Toujours selon les autorités indiennes, l'Inde peut maintenant concevoir et produire des têtes nucléaires à des fins stratégiques pouvant être transportées par leur missile AGNI, afin de faire face à toute menace nucléaire.

L'Inde possède des vecteurs capables de délivrer des armes nucléaires. Elle dispose au total d'environ huit cents avions de combat Jaguar, Mirage-2000, Mig-21, 23, 27 et 29 et a en outre commandé à la Russie quarante SU-30 dont les livraisons ont commencé en juin 1997.

L'Inde a lancé au début des années 80 un programme ambitieux visant à développer une large gamme de missiles allant du missile stratégique sol-sol AGNI aux missiles sol-sol de courte portée PRTIHVI. Plusieurs sources indiquent que l'Inde cherche à développer un missile de croisière, le SAGARIKA, et un missile balistique intercontinental futur, le SURYA.

Le Pakistan, comme son rival indien, aurait les moyens de rendre opérationnelles très rapidement plusieurs armes nucléaires de première génération. Il n'a cependant pas atteint le niveau technologique de son voisin en matière nucléaire, mais essaie de maintenir la parité en multipliant les tentatives d'importations illégales de matériels et d'équipements sensibles. Il en est évidemment de même dans le domaine des vecteurs, et tout particulièrement des missiles balistiques.

Le Pakistan détiendrait plusieurs armes nucléaires, vraisemblablement des bombes gravitaires et de charges intégrables dans des missiles sol-sol mobiles. Il possède une aviation capable d'emporter ce type d'armes (F16, Mirage-V) et développe par ailleurs des missiles sol-sol de moyenne portée à capacité nucléaire.

Le Pakistan s'est doté de missiles mobiles à propulsion solide d'une portée de 80 à 300 km. Par ailleurs, le Pakistan vient de tester, le 16 avril dernier, un nouveau missile, le Ghauri, qui aurait atteint sa cible à 1 100 km de son pas de lancement. Un tel missile, qui pourrait intégrer aisément une charge nucléaire, aurait la capacité d'atteindre New-Delhi, ainsi que plusieurs agglomérations indiennes. Un nouveau missile Shaheen II (ou Gaznavi), d'une porté de 2 000 km, a été annoncé par le Pakistan pour la fin de l'année.

Il est très peu probable que l'Inde ait cherché, par ces essais, à établir un rapport de forces favorable à l'égard du Pakistan. Comme il est peu probable que cette crise puisse déboucher sur une guerre entre les deux pays. La question du Cachemire a provoqué trois guerres. Depuis que ces Etats du seuil détiennent l'arme nucléaire, un équilibre stratégique s'est instauré.

Quant au régime de la non-prolifération, il sort ébranlé de cette crise mais pourrait aussi en tirer profit.

Incontestablement, un tabou a été violé. Deux Etats ont ouvertement remis en cause le monopole que cinq Etats s'étaient octroyé avec le traité de non-prolifération. Mais, après leurs essais et la flambée politique dans le sous-continent qui les a accompagnés, l'Inde et le Pakistan ont annoncé un moratoire. De manière séparée, ils ont déclaré qu'ils pourraient, sous certaines conditions, envisager la signature du TICE. Leur attitude vis-à-vis du traité est susceptible de continuer à évoluer progressivement dans un sens positif. Récemment, le Premier ministre indien a réitéré son intention de transformer le moratoire sur les essais annoncé par son pays en un engagement juridique contraignant, tandis que le Pakistan a déclaré qu'il examinait activement, avec "prudence" et "circonspection", la question de la signature du TICE. De fait, leur adhésion aurait des effets d'entraînement non négligeables, voire décisifs, sur l'évolution du traité vers l'universalité et sur son entrée en vigueur.

En revanche, ces essais ont relativisé la confiance que l'on pouvait avoir à l'égard du réseau de surveillance international. En effet, seuls deux essais ont été détectés sismiquement et localisés.

Les Indiens et les Pakistanais ont tous deux choisi volontairement d'effectuer leurs essais en séries simultanées et colocalisées. Cette méthode entraîne la quasi-impossibilité de séparer à l'aide de détecteurs sismiques les caractéristiques des tirs et explique une certaine incertitude sur leur puissance, incertitude soigneusement entretenue par les autorités indiennes et pakistanaises.

La difficulté de détecter et de localiser certains tirs résulte d'une part de la très faible puissance de certains d'entre eux, et d'autre part du fait que le réseau de surveillance international est à ce jour en cours de définition et d'installation.

B - La crise irakienne

Dans le cas de l'Irak, un conflit a été évité de justesse après une escalade de déclarations et d'initiatives disproportionnées par rapport à l'enjeu. La crise s'est dénouée en raison de la volonté des pays tiers - la France et les pays arabes en particulier - de promouvoir une solution diplomatique. L'histoire dira peut-être un jour quelle a été la part respective des objectifs avoués et des intentions cachées des uns et des autres.

Toujours est-il que l'on ne peut manquer d'être frappé par les faibles bases qui permettent aujourd'hui de maintenir l'Irak sous un régime de sanctions sévère au nom de la lutte contre la prolifération.

Dans le domaine nucléaire, depuis octobre 1997, l'AIEA considère que le passage au contrôle à long terme est envisageable même si quelques zones d'ombre mineures demeurent.

Depuis 1991, l'AIEA, a effectué, avec l'aide de la Commission spéciale des Nations Unies (UNSCOM), de nombreuses missions en Irak pour inspecter plus d'une centaine de sites. A l'issue de ces missions, au cours desquelles les inspecteurs de l'AIEA se sont entretenus avec des experts irakiens et ont eu accès à des milliers de documents, les déclarations faites par les autorités irakiennes ont pu être vérifiées. Un tableau cohérent du programme nucléaire irakien a pu être dressé.

Ainsi, avant 1991, selon le rapport de l'AIEA au Conseil de Sécurité d'avril 1996, les Irakiens auraient été en mesure de fabriquer une arme nucléaire de première génération en quelques mois s'ils avaient pu se procurer les matières fissiles nécessaires. L'Action Team pense que les Irakiens étaient en outre très proches de la conception d'une arme suffisamment compacte pour être délivrée par un missile de type Al Hussein.

L'AIEA a supervisé la destruction de nombreuses installations et équipements utilisés pour la production d'uranium enrichi et la mise au point d'armes nucléaires. Les installations d'Al Etheer, de Tarmiya et d'Ash Shargat ont été détruites. Par ailleurs, au cours de la guerre du Golfe, les installations d'Al Jezira et d'Al Qaim liées à la production d'armes nucléaires avaient été détruites et le centre nucléaire de Tuwaïtha gravement endommagé par les bombardements.

En outre, quantité de matières, équipements et composants ont été détruits ou enlevés d'Irak, ou sont conservés sur place sous scellés et régulièrement vérifiés. L'uranium enrichi, qui servait de combustible pour le réacteur nucléaire de Tuwaïtha, a été retiré d'Irak sous le contrôle étroit de l'AIEA. Les matières ont été acheminées en Russie pour y être retraitées, puis remises à disposition de l'AIEA.

Depuis octobre 1994, l'AIEA applique le plan de vérification et de contrôle continu à long terme prévu par la résolution 715. Ce plan prévoit, entre autres, des contrôles radiométriques périodiques des eaux de surface en Irak afin d'obtenir des assurances supplémentaires quant à ses activités nucléaires. Une équipe permanente visite régulièrement un certain nombre de sites répertoriés et peut inspecter des sites nouveaux. Elle assiste également les équipes d'inspection envoyées par Vienne pour vérifier des aspects précis du programme nucléaire irakien passé.

Il existe, malgré tout, des zones d'ombres dans les déclarations irakiennes, sur le savoir-faire en matière d'enrichissement de l'uranium et les activités menées par Hussein Kamel, gendre de Saddam Hussein, jusqu'en 1995 dans ce domaine. Des interrogations subsistent donc toujours sur les capacités exactes de l'Irak à fabriquer des armes nucléaires. Le savoir-faire des très nombreux ingénieurs et techniciens impliqués pendant des années dans le programme nucléaire irakien est en partie préservé. Ce vivier scientifique permettrait à l'Irak de relancer ses programmes, si les contrôles de l'ONU se relâchaient.

Mais, à l'heure actuelle, l'AIEA ne dispose pas d'éléments permettant de penser que les Irakiens ont la matière fissile ou les installations de production nécessaires à la réalisation d'une arme nucléaire.

Dans le domaine chimique, quelques doutes subsistent mais une garantie absolue certifiant l'absence de tout agent, produit ou équipement prohibé est inaccessible dans ce domaine. D'autre part, le potentiel chimique irakien est, pour l'essentiel, démantelé.

En 1991, le niveau acquis par les Irakiens dans le domaine des armes chimiques était excellent, notamment pour la production des agents neurotoxiques G (sarin, tabun,...) qu'ils maîtrisaient parfaitement, étant allés jusqu'à un niveau perfectionné de militarisation.

La Commission spéciale a supervisé, depuis 1991, des destructions de grande ampleur (690 tonnes d'agents, 38 000 munitions chimiques remplies ou non, 3 000 tonnes de précurseurs). Le bilan pour les précurseurs, les agents et les munitions demeurera toutefois incomplet en raison de l'étendue du programme chimique passé de l'Irak. Récemment, le président de la Commission, l'Australien Richard Butler, estimait que 75 % du travail a été effectué.

En revanche, l'UNSCOM se heurte à de plus grandes difficultés pour ce qui concerne les activités dissimulées en 1991 relatives au VX, qui constitue le dernier sous-dossier sensible actuellement.

Le VX, un des plus puissants neurotoxiques connus à ce jour, est une arme particulière compte tenu de sa persistance, et donc de sa qualité d'arme d'interdiction de zone pendant de longues périodes. Cet agent, à l'instar des agents biologiques pathogènes, pourrait être considéré par les autorités irakiennes comme une arme stratégique, éventuellement utilisable à des fins dissuasives en l'absence de capacités nucléaires.

Les déclarations irakiennes n'ont pas cessé de varier depuis 1991 sur le VX et l'existence de travaux à grande échelle n'a été reconnue qu'en 1995. De même, le résultat de la réunion du groupe d'experts techniques spécifique, tenue début 1998, a été particulièrement défavorable à la thèse irakienne niant toute réussite industrielle et opérationnelle du programme. L'état des capacités irakiennes concernant ce produit en 1990 pose de sérieux problèmes d'analyse pour la Commission spéciale.

En effet, les Irakiens ont réalisé de vastes efforts sur le VX. Par ailleurs, les preuves documentaires en possession de l'UNSCOM semblent accréditer la thèse d'une réussite avancée de ce programme, thèse confirmée par les experts internationaux ayant travaillé sur le sujet. De nombreuses zones d'ombre portent donc sur le niveau réel du savoir-faire en matière de production, de stabilisation et de militarisation du produit, mais également sur la possible dissimulation de précurseurs-clés, importés ou fabriqués, pour lesquels aucune preuve documentaire ne vient attester les déclarations irakiennes faisant état de destructions unilatérales exhaustive. L'intime conviction des experts de l'UNSCOM serait corroborée si la récente découverte de produits de dégradation spécifiques du VX par un laboratoire américain était confirmée par les contre-expertises menées cet été par des laboratoires français et suisse.

Les autres questions présentées par l'UNSCOM au Conseil de sécurité les 3 et 4 juin 1998 ne relèvent en revanche pas du même degré de priorité : la recherche d'un niveau de garantie de 100 % est clairement inaccessible s'agissant du décompte des munitions tactiques chimiques.

Contrairement au domaine chimique, où les capacités irakiennes étaient relativement bien connues, la révélation du programme biologique offensif irakien a été difficile et demeure, selon l'UNSCOM, un problème central du désarmement irakien.

Les autorités irakiennes ont nié l'existence d'un tel programme en 1991, et auraient décidé de l'oblitérer totalement afin de le dissimuler à la communauté internationale. Aux doutes des experts de l'UNSCOM sont venus s'ajouter en août 1995 les révélations du gendre de Saddam Hussein, Hussein Kamel. Ces révélations ont contraint l'Irak à reconnaître l'existence d'un programme par une première déclaration officielle fournie à l'UNSCOM à l'été 1996, déclaration renouvelée plusieurs fois depuis.

Toutefois, même cet aveu de principe s'avère, aux yeux des experts, tout-à-fait insuffisant dans la mesure où aucune preuve documentaire ou matérielle sérieuse ne vient étayer ces déclarations. Celles-ci semblent a priori minimiser fortement l'étendue et le niveau du savoir-faire acquis. En effet, l'Irak n'a reconnu qu'une production limitée d'agents biologiques (quelques 30 000 litres d'anthrax, de toxine botulique et d'aflatoxine).

Il est aujourd'hui extrêmement difficile d'établir un bilan du dossier biologique pour plusieurs raisons indépendantes. Ce dossier est en fait relativement nouveau car il n'a vraiment pu être traité qu'à la suite des déclarations de Hussein Kamel. Les destructions unilatérales ont concerné l'intégralité des constituants de ce programme, c'est-à-dire que, contrairement au domaine chimique par exemple, il n'y a eu aucun décompte d'agents, de "matières premières" ou d'équipements sous supervision de l'UNSCOM. Peu ou pas de documents sont disponibles, relatifs aux milieux de culture, aux souches biologiques et aux équipements supposés détruits. Enfin, la dualité dans le domaine biologique est très importante, rendant la vérification d'autant plus délicate.

On peut raisonnablement estimer que les points critiques du programme biologique irakien résident pour l'essentiel dans l'approvisionnement en milieux de culture, dans la production des agents à divers niveaux de concentration, dans la militarisation et l'organisation générale du programme.

La question des milieux de culture demeure centrale. Ce pays a importé jusqu'en 1990 des milieux de culture du Royaume-Uni et de Suisse. Sur un total de 39 tonnes environ, l'UNSCOM et les experts français considèrent que le décompte de 13 tonnes déclarées détruites n'est corroboré ni par des preuves matérielles ni par des documents pertinents.

Les interrogations en matière de production d'agents sont multiples. Par exemple, le choix de l'aflatoxine, qui est un agent cancérogène à long terme qui n'a aucune application réellement opérationnelle, demeure mystérieuse. Il est difficile de croire à la production effective de cet agent, qui pourrait servir de couverture à des travaux ayant des retombées militaires plus sérieuses.

Une autre difficulté majeure réside dans le concept d'emploi, la planification et la militarisation du programme. L'arme biologique ayant été qualifiée par les autorités irakiennes d'arme de dissuasion, on comprend mal le motif des travaux sur l'épandage aérien ou les bombes gravitaires classiques à vocation tactique.

On constate donc un décalage flagrant entre le dossier biologique et les autres dossiers. C'est pourquoi, selon le Conseil de Sécurité, le domaine biologique demeure déterminant pour la levée des sanctions économiques et le passage au contrôle à long terme.

De toutes ces données, il résulte que la capacité de nuisance de l'Irak a été fortement réduite mais qu'il existe encore des doutes dans les domaines chimique et biologique. Le problème est que ces doutes peuvent difficilement être levés. L'armement biologique, notamment, est pratiquement incontrôlable en Irak comme dans tout autre Etat.

Faut-il dans ces conditions maintenir des sanctions qui ont des conséquences dramatiques sur la population irakienne sans ébranler le régime politique ? Selon un rapport publié par l'OMS au début du mois d'octobre 1997, le blocus serait responsable d'un accroissement sensible de la mortalité, en particulier de la mortalité infantile, passée de 61°/oo en 1990 à 117°/oo en 1996. L'Irak a perdu le contrôle du nord de son territoire et le sud est de plus en plus autonome. Saddam Hussein se sert de l'embargo comme catalyseur de la cohésion nationale. Il ne paraît pas exister d'alternative crédible à son régime. Dans ces conditions, on ne peut exclure que le maintien de l'embargo conduise ce pays au chaos et à la guerre civile.

Sans doute, la décision récente de Bagdad d'interrompre sa coopération avec les Nations Unies est-elle une erreur grave dans un processus dont on pouvait penser qu'il aboutirait à la levée de l'embargo. Cependant, selon votre Rapporteur, cette levée n'est plus un problème de désarmement mais un problème politique.

CONCLUSION

L'Assemblée nationale examine ce budget alors que la crise du Kosovo n'est pas encore dénouée.

Dans ce conflit, la responsabilité des autorités serbes est écrasante. Depuis la suppression de l'autonomie du Kosovo, les autorités imposent aux albanophones un régime qui n'est pas acceptable. Pendant huit ans, elles ont tourné le dos à tout compromis alors que les Albanais du Kosovo s'étaient donné un représentant, Ibrahim Rugova, réputé pour sa modération et son pacifisme. Pendant toutes ces années, elles ont passé outre à toutes les demandes de la communauté internationale à propos du statut de cette province et du respect des droits de l'Homme. L'insurrection armée des Albanais au Kosovo était inévitable.

Depuis sept mois, les pays du Groupe de contact se sont engagés dans une action qui combine les propositions d'ouverture à la Fédération yougoslave et les pressions militaires.

L'emploi de la force est légitime en ces circonstances mais il doit respecter certaines conditions.

Tout d'abord, l'usage de la force n'a de sens que si une solution politique a été définie. En l'occurrence, le Groupe de contact estime que le Kosovo devrait obtenir un statut d'autonomie substantielle. L'indépendance du Kosovo ne peut être envisagée. Elle est contraire au principe d'intangibilité des frontières. Surtout, elle pourrait avoir de graves répercussions en Albanie et en Macédoine.

La France estime également que le recours à la force doit être autorisé par le Conseil de Sécurité. La résolution 1199, adoptée le 24 septembre dernier, se fonde sur le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Le Président de la République a estimé qu'une situation d'urgence humanitaire et l'absence de tout progrès politique pourraient amener à agir sur la base de cette seule résolution.

Sur le plan militaire, il est essentiel aussi qu'une chaîne de commandement efficace soit définie et que les forces aient un mandat clair.

Enfin, en cas d'engagement de forces au sol, qui n'est pas envisagé pour le moment, la présence de troupes américaines est une condition fondamentale.

Il est important de garder ces principes à l'esprit alors que l'évolution de la situation au Kosovo demeure imprévisible. Le Groupe de contact paraît cohérent ; en particulier, la collaboration est désormais excellente entre les Etats-Unis et les Européens. En revanche, les intentions de Slobodan Milosevic sont encore obscures et l'Armée de libération du Kosovo ne paraît pas décidée à temporiser.

Par conséquent, l'engagement ferme de la France en faveur d'une solution négociée doit s'accompagner d'une grande prudence et d'une grande patience.

Cette crise est l'occasion de souligner aussi l'importance du budget de la défense qui doit être à la hauteur des ambitions de la politique étrangère. Les programmes d'équipement ont pour la plupart pour objectifs de donner à nos forces la capacité d'intervenir loin de nos frontières. Si l'échéancier initialement prévu avait été respecté, le Rafale serait probablement impliqué dans les opérations de l'OTAN au Kosovo.

Le projet qui nous est soumis est plus satisfaisant que le budget précédent mais des doutes subsistent. Par exemple, les commandes de Rafale ne sont pas encore certaines.

Aussi, votre Rapporteur s'en remettra à la sagesse de notre Commission.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 28 octobre 1998, la Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Bernard Raimond, les crédits de la Défense pour 1999.

Après l’exposé du Rapporteur, M. François Loncle a estimé que le traité d'Amsterdam, en créant un "M. PESC", permettra de renforcer la conscience européenne dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. Mais cela suppose que cette personnalité soit un politique.

M. Pierre Brana s'est demandé si l'élargissement de l'OTAN aux pays d'Europe centrale et orientale, notamment à la Roumanie, ne permettrait pas de renforcer le pilier européen au sein de l'Alliance.

M. Jean-Bernard Raimond a approuvé la réflexion de M. François Loncle en rappelant que M. Tony Blair avait estimé que "M. PESC" devait être "un homme de qualité".

L'élargissement de l'OTAN à la Roumanie doit être soutenu mais les pays d'Europe centrale et orientale se tournent essentiellement vers les Etats-Unis. On peut espérer cependant qu'ils évolueront lorsqu'ils seront membres de l'Alliance.

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 1999.

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