ASSEMBLÉE NATIONALE

 

 

 

 

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

 

 

 

 

COMPTE RENDU N° 13

(Application de l'article 46 du Règlement)

 

 

 

 

Mercredi 4 novembre 1998
(Séance de 9 heures 30)

 

 

 

 

 

Présidence de M. Paul Quilès, Président

 

 

 

 

 

SOMMAIRE

 

 

 

 

 

 

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Examen pour avis du projet de loi de finances pour 1999 :

  • Comptes spéciaux du Trésor (M. Loïc Bouvard, rapporteur pour avis)Espace, Communication et Renseignement (M. Bernard Grasset, rapporteur)

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La Commission a examiné les articles 54 à 57 du projet de loi de finances pour 1999 relatifs aux comptes spéciaux du Trésor, sur le rapport de M. Loïc Bouvard, rapporteur pour avis.

Le Président Paul Quilès a rappelé que la Commission de la Défense avait décidé de rendre un nouvel avis sur les comptes spéciaux du Trésor pour deux raisons. D’une part, plusieurs comptes de commerce intéressent directement la Défense, tout particulièrement celui géré par la Direction des constructions navales (DCN), qu’il peut être utile d’examiner au moment où cette entreprise se transforme et s’adapte. D’autre part, la Commission de la Défense a souhaité se prononcer sur l’évolution du compte d’affectation spéciale qui retrace la gestion des participations de l’Etat lorsqu’elle donne lieu à l’affectation des produits de leur cession, notamment à des dotations en capital. Le Président Paul Quilès a évoqué à ce sujet les opérations de recapitalisation dont avait bénéficié Giat Industries.

 

M. Loïc Bouvard a estimé que les comptes spéciaux du Trésor, qui constituaient un sujet sans aucun doute aride et technique, n’en touchaient pas moins des domaines très concrets et très actuels, tels que la réforme de la DCN et l’avenir de Giat Industries. Il a ensuite rappelé que ces comptes étaient régis par des règles quelque peu dérogatoires aux principes classiques du droit budgétaire. D’une part, les comptes spéciaux du Trésor dérogent au principe d’unité puisqu’ils ne font pas partie du budget général, ce qui rend d’ailleurs leur contrôle malaisé, les documents budgétaires dont dispose le Parlement étant peu explicites. D’autre part, le principe de non-affectation des recettes aux dépenses ne s’applique pas à ces comptes qui ont précisément pour but de rapprocher des recettes de certaines dépenses, de façon à suivre certaines opérations pendant tout leur déroulement. C’est d’ailleurs pourquoi le résultat annuel d’exécution de ces comptes est reporté d’année en année.

Le rapporteur pour avis, s’attachant ensuite à définir le champ de son rapport, a estimé qu’existaient deux manières de le concevoir. Il a jugé qu’une conception étroite aurait conduit à n’envisager que les quatre comptes de commerce gérés par le ministère de la Défense, dont l’objet est de retracer les opérations industrielles et commerciales des services de l’Etat et qui représentent, à ce titre, un compromis entre une gestion de type administratif et un mode de fonctionnement proche de celui d’une entreprise. Il a rappelé qu’en 1998, le ministère de la Défense gérait quatre comptes :

— le compte n° 904-01 " subsistances militaires ", géré par le commissariat à l’armée de terre, qui assure les opérations d’achat de vivres et de matériaux nécessaires au chauffage ou à l’éclairage des armées ;

— le compte n° 904-03 " exploitations industrielles des ateliers aéronautiques de l’Etat ", géré par le Service de maintenance aéronautique, l’une des trois directions industrielles de la DGA ;

— le compte n° 904-05 " constructions navales de la marine militaire ", qui gère les opérations industrielles dont la Direction des constructions navales (DCN) assume la charge ;

— et enfin, le compte n° 904-20 " approvisionnement des armées en produits pétroliers ", géré par le Service des essences.

Il a fait observer que les comptes de commerce du ministère de la Défense constituaient le coeur de son rapport pour avis, certains d’ailleurs plus que d’autres, notamment du fait des enjeux financiers, industriels et sociaux de leur gestion. Il a cité à cet égard le compte géré par la DCN qui s’élève dans le projet de loi de finances pour 1999 à 11,6 milliards de francs, à comparer par exemple aux 670 millions de francs du compte " subsistances militaires ".

Il a fait valoir qu’il avait toutefois opté pour une définition plus large du champ de son rapport pour avis, de façon à prendre en compte la réalité de la dépense de défense. Il a en effet jugé nécessaire d’inclure dans sa réflexion les opérations retracées par le compte d’affectation spéciale n° 902-24 du ministère des Finances, qui gère les participations de l’Etat dans le secteur public. Observant que c’est par ce compte que transitaient les dotations en capital en faveur des entreprises publiques d’armement, il a rappelé que 8 des 12 milliards de francs que Giat Industries avait reçus de son actionnaire depuis 1996 en étaient issus, de même que les 11 milliards de francs en faveur de Thomson CSF dans le cadre de sa privatisation.

Il a estimé que, si le champ de ce rapport pour avis, ainsi délimité, était vaste, une question commune à l’ensemble des comptes examinés se posait pourtant : dans quelle mesure et sous quelles conditions la modernisation du secteur public de l’armement est-elle compatible avec sa gestion, soit en compte de commerce, soit en société à capitaux d’Etat ? Il a ajouté qu’il lui avait paru important de poser cette question, alors que le Gouvernement a apporté, en choisissant de réformer la DCN à statut constant, une réponse totalement opposée à celle qui avait été apportée en 1989 pour le GIAT. Il a rappelé qu’à l’époque, la quasi-unanimité s’était faite pour constater l’incompatibilité entre la gestion du GIAT en compte de commerce et son nécessaire redéploiement international, ce qui avait conduit à la création, par la loi du 23 décembre 1989, de Giat Industries, société nationale possédée à 100 % par l’Etat.

Il a estimé qu’à l’heure où l’avenir de la DCN était en jeu et dans la mesure où les mécanismes du compte de commerce ne permettaient pas d’assurer le fonctionnement optimal de cette entreprise, comme il avait pu le constater à la suite d’un entretien avec son Directeur, il était nécessaire de tirer les enseignements de l’expérience de Giat Industries. Il a précisé qu’une telle démarche devait notamment permettre de répondre à deux questions :

— le mauvais fonctionnement du compte retraçant les opérations de la DCN est-il dû aux limites inhérentes à la nature même d’un compte de commerce ou existe-t-il une incompatibilité entre les activités de la DCN et le compte de commerce ?

— quelles peuvent être, dans ces conditions, les voies alternatives ?

Evoquant tout d’abord les dysfonctionnements du compte de commerce des constructions navales de la marine militaire, il a attiré l’attention des membres de la Commission sur trois points. Il a constaté, en premier lieu, que, le système actuel reposant sur le principe du coût constaté, la DCN ne disposait pas des outils aptes à lui permettre d’évaluer a priori, sur la base d’un devis, le coût total d’une commande. Il a fait observer, en deuxième lieu, que les mécanismes du compte de commerce favorisaient même l’augmentation des coûts, les dépenses n’étant pas toutes rattachées de façon précise à une autorisation d’engagement selon qu’elles correspondent à des achats directs ou indirects. Il a enfin indiqué que, dans un tel système, le compte de résultat de la DCN, que la loi organique lui fait obligation de tenir, n’avait aucune signification économique. Il a rappelé que la Cour des comptes avait déjà relevé cette situation en 1990.

Il a ensuite présenté le plan DCN 2000 qui vise à permettre à la DCN de fonctionner réellement comme une entreprise. Il a indiqué que ce plan prévoyait, outre la mise en place d’outils de gestion fiables, un recours au principe de contractualisation, la DCN établissant des devis, à partir d’une évaluation a priori des coûts, et fonctionnant de ce fait sous enveloppe globale pour chaque commande.

M. Loïc Bouvard a jugé que, si cette réforme allait dans la bonne direction, elle ne répondait pas, toutefois, à la question des limites inhérentes aux règles budgétaires du compte de commerce et à l’inadaptation des activités de la DCN à ce mode de gestion.

S’agissant des limites inhérentes aux règles régissant les comptes de commerce, il a fait observer, d’une part, que la DCN n’avait pas de personnalité juridique propre, et ne disposait de ce fait que d’une très faible autonomie de gestion, et, d’autre part, qu’elle ne pouvait ni emprunter, ni exécuter des opérations d’investissement financier, ce qui, pour une activité génératrice d’un fort besoin en fonds de roulement comme la construction navale, était pour le moins paradoxal. Il a souligné que la souplesse du compte de commerce était donc toute relative et que, comparé à un régime d’entreprise publique, le compte de commerce était au contraire une source de rigidités très lourdes.

Reconnaissant que d’autres comptes de commerce, comme celui qui retrace les opérations de maintenance aéronautique, fonctionnent bien, il a rappelé que là où le Service de maintenance aéronautique (SMA) gérait une activité dont le budget s’élevait à 1,7 milliard de francs, avec des effectifs limités à 3 400 personnes, et dans un environnement national fortement concurrentiel qui le contraignait à s’adapter, la DCN, quant à elle, devait gérer plus de 11 milliards de francs et plus de 17 000 personnes régies par 25 statuts, dans un environnement qui n’avait jusqu’alors pas favorisé les adaptations. Il a conclu, faisant écho au constat fait par la Cour des comptes dès 1990, que la gestion en compte de commerce n’était pas adaptée à tous les services industriels de l’Etat.

Il s’est demandé s’il fallait, pour autant, faire évoluer rapidement le statut de la DCN et a jugé utile, pour répondre à cette question, de faire le bilan de l’expérience de Giat Industries, démarche comparative qu’avait d’ailleurs adoptée le groupe de travail dirigé par M. Henri Conze sur l’avenir de la DCN en 1996. Il a estimé que cette comparaison incitait à la prudence, étant donné la situation préoccupante de la société Giat Industries. A cet égard, il a jugé qu’il ne fallait pas incriminer le statut de société nationale choisi en 1989, mais qu’en revanche, les modalités de mise en place de cette société avaient créé, d’entrée de jeu, des handicaps dont elle ressentait tout le poids aujourd’hui.

Il a souligné tout d’abord l’insuffisante capitalisation initiale de Giat Industries, qui s’élevait à trois milliards de francs, dont 2 milliards de francs en nature sous la forme d’actifs d’une valeur largement surévaluée qui rendait aujourd’hui leur cession très difficile, sous peine de faire apparaître des pertes importantes. Il a relevé ensuite que la complexité de la gestion des ressources humaines, due à la multiplicité des statuts du personnel, constituait un deuxième handicap. Enfin, il a jugé que l’absence persistante d’une véritable culture d’entreprise constituait la principale entrave à l’adaptation de l’entreprise dans un environnement international extrêmement concurrentiel.

Il a expliqué que cette analyse le conduisait à porter un jugement prudent sur la question du statut de la DCN, même si l’on pouvait craindre qu’elle ne soit posée à nouveau, à plus ou moins long terme, par la nécessité de son redéploiement international. Il a jugé qu’il était visible que la procédure d’exportation des matériels navals souffrait de handicaps majeurs et qu’il était révélateur qu’on ait ressenti le besoin de créer DCN International, en 1991, société de droit privé possédée à 100 % par l’Etat et chargée de commercialiser à l’étranger les produits de la DCN. S’agissant enfin des partenariats, il a fait valoir que, même si la DCN réalisait des opérations de coopération ponctuelles, elle n’était pas en mesure pour autant de participer à des rapprochements " structurants ", alors que cette possibilité est déterminante pour son avenir. Il a cité, à ce propos, le programme Horizon ainsi que l’éventuel porte-avions franco-britannique.

Concluant son intervention, il a estimé que ce premier rapport pour avis de la Commission de la Défense sur les comptes spéciaux du Trésor mettait fin à une lacune et permettait d’aborder, sous un nouvel angle, des questions déterminantes pour la réforme du secteur public de l’armement. Il a indiqué que, sur le fond, il était conduit à formuler un jugement nuancé, tant sur la pertinence de certains de ces comptes que sur les modalités de leur fonctionnement. S’agissant des comptes de commerce, et plus particulièrement du principal d’entre eux, celui des constructions navales de la marine militaire, il a douté que la réforme actuelle soit suffisante, tout en estimant que, si elle conduisait la DCN à acquérir un véritable esprit d’entreprise, un certain progrès aurait toutefois été accompli. S’agissant enfin du compte d’affectation spéciale qui retrace notamment l’affectation du produit des cessions des participations financières de l’Etat à des dotations en capital en faveur d’entreprises du secteur public, il a noté, pour prendre le seul cas de Giat Industries, qu’il était nécessaire de lui accorder l’autonomie dont il avait besoin, en faisant observer que, s’il était normal que l’Etat actionnaire exerce son pouvoir de contrôle, ses interférences, parfois arbitraires, dans le fonctionnement de la société lui paraissaient à la fois inefficaces et contraires aux principes de la réforme opérée en 1989.

Au vu de ces observations, il a invité la commission de la Défense à donner un avis défavorable à l’adoption des comptes spéciaux du Trésor.

Rappelant que la DCN n’avait pas actuellement la capacité d’établir des devis cohérents et évoquant la réforme en cours de cette entreprise, M. Didier Boulaud a demandé s’il ne serait pas possible d’affecter dans ses services de comptabilité et de gestion des personnels qualifiés et spécialisés, issus d’horizons divers, qui permettraient d’améliorer ses méthodes.

 

M. Guy-Michel Chauveau, après s’être félicité de la décision de la Commission de se saisir pour avis des articles du projet de loi de finances relatifs aux comptes spéciaux du Trésor intéressant la défense, a regretté que la DCN ne dispose pas actuellement des moyens adaptés à ses missions et a souhaité que des mesures soient prises pour corriger les insuffisances de sa gestion. Il a remarqué que l’une des causes majeures de ses dysfonctionnements provenait de la réunion, dans un même service de l’Etat, des fonctions de maître d’œuvre et de maître d’ouvrage. Reconnaissant que certaines réserves du rapporteur pour avis pouvaient être admises, il a fait valoir cependant que les services industriels de la DGA disposeraient globalement, avec la réforme de la DCN, de réels moyens d’adaptation. Il a alors indiqué que le groupe socialiste se prononcerait en faveur des articles 54 à 57 du projet de loi de finances relatifs aux comptes spéciaux du Trésor.

 

M. André Vauchez a souligné l’intérêt du rapport pour avis qui permettait d’analyser les dysfonctionnements des activités industrielles du ministère de la Défense et a approuvé la démarche dont procédait l’actuelle réforme de la gestion de la DCN. Il a fait remarquer que, si dans le passé l’Etat était le principal, voire l’unique client de la DCN, la réforme en cours devait à présent prendre en compte la nécessité d’alliances industrielles dans le domaine des constructions navales. Il a alors demandé quelles étaient les possibilités de renforcer l’action commerciale de la DCN, qu’il s’agisse de sa présence au sein de partenariats industriels ou du renforcement de la compétence de ses personnels. Il a indiqué qu’il était nécessaire de donner un avis favorable à l’adoption du compte de commerce géré par la DCN pour encourager les réformes entreprises.

 

M. Loïc Bouvard a apporté les éléments de réponse suivants :

— l’excellence technique est longtemps restée le seul critère de gestion de la DCN. S’il a permis d’atteindre des résultats qui font à juste titre l’orgueil des services industriels de la DGA, les critères de rentabilité financière ont été négligés ;

— le plan DCN 2000, élaboré avec la collaboration d'un consultant extérieur, vise à donner à la DCN les moyens d’une réelle gestion d’entreprise et prévoit la formation de 6 000 personnels à ce type de gestion. Cette formation a été jugée prioritaire mais elle ne sera pas suffisante car la contrainte majeure provient de l’impossibilité de rapprochements " structurants " avec d’autres sociétés européennes de construction ou de réparation navales ;

— les règles de fonctionnement du compte de commerce interdisant de lui imputer directement les dépenses résultant du paiement des traitements ou indemnités des agents de l’Etat, la DCN ne peut gérer ses ressources humaines dans les mêmes conditions que tout opérateur industriel. Dans la pratique, en effet, les crédits d’équipement du titre V du budget de la Défense qui concernent les activités de la DCN sont virés sur le compte de commerce qui, par rétablissements de crédit, rembourse le titre III de ce même budget. Ces difficultés de gestion du personnel sont accentuées par la culture d’autonomie propre aux établissements de la DCN et par la multiplicité des statuts existants ;

— la réforme de la DCN n’est pas assez ambitieuse puisqu’aucune disposition ne modifie son statut, qui constitue pourtant une entrave au développement, vital pour l’avenir de l’entreprise, des partenariats industriels et des exportations d’armements navals. L’action de la société DCN International, qui joue le rôle d’une direction commerciale, est limitée par la faiblesse de ses fonds propres, d’un montant de 400 millions de francs, et la difficulté de passer des contrats à l’exportation d’un montant élevé ;

— il est nécessaire d’accompagner les réformes en cours car, si les contraintes de gestion ne sont pas levées, la DCN sera exclue des rapprochements industriels en cours au niveau européen.

 

Le Président Paul Quilès a souligné que le débat sur les comptes spéciaux du Trésor permettait d’engager utilement une réflexion sur la situation de la DCN et d’insister auprès du Ministre de la Défense pour qu’il provoque un réel changement d’approche dans les modes de gestion de cette entreprise. Il a fait cependant observer que les réformes de gestion nécessitaient des délais et qu’il fallait tenir en compte, non seulement des traditions des services industriels de la DGA qui pouvaient rendre leur application difficile, mais aussi de leurs conséquences sur la situation des personnels. Il a estimé que ce premier avis de la Commission de la Défense permettrait d’illustrer de manière concrète les difficultés de l’adaptation d’une entreprise telle que la DCN et de prendre date pour apprécier l’amélioration de sa situation.

La Commission de la Défense a alors donné un avis favorable à l’adoption des article 54 à 57 du projet de loi de finances pour 1999 relatifs aux comptes spéciaux du Trésor, le groupe DL votant contre.



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