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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 18 septembre 2012

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Débat sur les sujets soumis à la réflexion de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par M. Lionel Jospin

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 10 heures 05.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je souhaite la bienvenue à M. Carlos Da Silva, qui assiste pour la première fois à notre Commission et à M. Lionel Tardy qui n’en est pas membre, mais qui souhaite participer à nos travaux – faculté accordée à tous les parlementaires.

Traditionnellement, notre ordre du jour porte sur l’étude de textes, projets ou propositions de loi, ou sur des auditions. Je vous propose que, par ailleurs, nous échangions et nous réfléchissions ensemble régulièrement sur des points qui feront l’actualité. C’est l’objet de notre réunion d’aujourd’hui.

Ainsi que je l’avais annoncé en juillet, il m’a semblé légitime que nous consacrions une séance à la réflexion voulue par le Président de la République sur « la rénovation et la déontologie de la vie politique », pour reprendre les termes de la lettre de mission qu’il a adressée à M. Lionel Jospin le 16 juillet dernier.

Ces sujets concernent pleinement le Parlement. Nous aurons d’ailleurs certainement à en débattre puisqu’il est probable qu’une fois les travaux de la commission Jospin terminés, le Gouvernement sera amené à prendre des décisions et à nous saisir de textes de réforme.

La lettre de mission ouvre en effet un champ assez vaste puisqu’elle évoque « des réformes qui pourront trouver leur traduction dans une modification de la Constitution, mais aussi dans la loi organique ou dans la loi ordinaire. » Pour autant, pourquoi attendre que l’exécutif nous fasse des propositions ? Pourquoi ne pas contribuer dès ce mois de septembre à la réflexion qui a été entamée ? C’est ce à quoi je vous invite.

À ma connaissance, les groupes ne m’ont pas saisi de leur intention d’intervenir en leur nom. Je prendrai donc vos contributions comme étant le point de vue de chacun d’entre vous.

Pour ouvrir nos échanges, je voudrais soumettre à vos éventuels commentaires deux remarques et deux propositions.

En premier lieu, je suis persuadé qu’une constitution démocratique gagne, pour l’essentiel, à ne pas être trop souvent refaite. Je crois d’ailleurs, à lire les différents engagements des candidats à l’élection présidentielle, que le temps de la révision constitutionnelle est globalement derrière nous.

Il est de bonne politique de tenir compte du fait que la transformation de nos comportements politiques demande du temps. Plutôt que d’envisager un énième renversement des règles constitutionnelles, nous devons réfléchir à des corrections ou à des ajouts pour combler certaines lacunes. C’est ma première remarque.

En second lieu, je ne crois pas que nous ayons intérêt à allonger à l’infini le catalogue des droits.

Une Constitution, ce sont des valeurs et des droits, des libertés et des devoirs. Cette définition vaut dans tous les pays. Mais le nôtre présente une spécificité. On y considère que les textes constitutionnels relatifs aux droits fondamentaux sont une matière vivante susceptible d’être remodelée en permanence. C’est ainsi que régulièrement sont introduits des droits nouveaux qui affectent certains principes existants, modifient l’équilibre établi et surtout, renforcent le rôle des juges dans le nécessaire exercice de conciliation. Je fais référence, par exemple, au principe de précaution. Mais il n’est pas certain que la sécurité juridique y gagne.

Fort de ces deux garde-fous, je tiens à vous livrer les propositions que j’évoquais dans mon propos introductif, et qui concernent l’élection présidentielle. J’ai d’ailleurs l’intention d’adresser à la commission Jospin le recensement des propos que vous allez tenir, et donc les propositions que vous pourrez éventuellement être amenés à faire.

Je crois d’abord que nous pourrions réformer le système des parrainages.

Depuis 1965, neuf élections présidentielles se sont déroulées, qui ont vu 91 candidats se présenter. 32 d’entre eux, soit le tiers, n’ont pas atteint 2 % des voix. Un tel constat révèle deux défauts du système actuel. Ce dernier devait éliminer les candidatures non représentatives et permettre l’accès des autres. Il a échoué dans les deux cas.

Il résulte de cette dispersion qu’avant le premier tour, la campagne présidentielle est un casse-tête pour ceux qui sont chargés de la faire vivre à l’opinion. Puisqu’il est compliqué d’organiser un débat entre douze candidats, on s’en dispense, et il faut attendre la fin de la campagne présidentielle pour assister à ce type de confrontation.

Dès lors, pourquoi ne pas relever la barre des parrainages requis – à 750 ou 1 000 – et, parallèlement, ouvrir la voie au parrainage citoyen – par exemple 350 000 signatures, soit 0,75 % des électeurs inscrits ? Je gage que ceux qui représentent une sensibilité réelle de l’opinion atteindront ce seuil sans difficulté et que ceux qui n’y parviendraient pas conserveront les autres scrutins pour faire connaître leurs idées.

Je crois ensuite qu’il conviendrait de se pencher sur la collecte des signatures, séquence obligée d’une campagne présidentielle. L’objectif des 500 parrains est en effet devenu source d’instrumentalisation, voire d’atteinte au caractère personnel et volontaire de l’acte de présentation d’un candidat.

Pour l’éviter, pourquoi ne pas décider que seul le Conseil constitutionnel serait habilité à recevoir les imprimés par voie postale ? Ainsi, les opérations retrouveraient une sérénité qu’elles n’auraient jamais dû perdre, et les pressions que subissent les élus diminueraient d’autant.

Il n’y aurait plus de collecte, les élus adressant leur parrainage directement au Conseil constitutionnel. Celui-ci vérifierait au fur et à mesure la validité des parrainages et publierait le nombre des signatures recueillies par tel ou tel candidat – alors qu’aujourd’hui il doit attendre la date limite pour le faire. Cela mettrait fin au suspense.

Ces deux propositions ne sont pas exclusives d’autres. Elles ne sont que des pistes. Et je ne doute pas que vous contribuerez à nourrir notre futur compte rendu, qui sera adressé à M. Lionel Jospin.

M. Marc Dolez. Avant de vous livrer quelques réflexions sur les sujets étudiés par la commission Jospin qui a été mise en place, je voudrais faire une remarque qui portera à la fois sur l’opportunité de sa création et sur sa composition.

S’agissant de son opportunité, je rappelle que les sujets à traiter concernent principalement le déroulement de l’élection présidentielle, le statut du chef de l’État, les modes de scrutin, le cumul des mandats et la prévention des conflits d’intérêts. Or, sur certains d’entre eux, des rapports d’experts ont déjà été déposés ces dernières années. Je pense bien sûr à celui du comité Balladur ou au rapport, plus récent, de la commission Sauvé sur la prévention des conflits d’intérêts. Ensuite, sur d’autres de ces sujets, nous avons moins besoin d’avis d’experts ou d’avis juridiques que de décisions politiques. Je pense, notamment, au cumul des mandats. Enfin, je constate qu’un certain nombre de propositions qui figuraient dans les engagements du Président de la République n’ont pas été reprises. Je pense au renforcement du pouvoir d’initiative et de contrôle du Parlement, s’agissant en particulier des nominations aux postes les plus importants de l’État.

Mais nous nous interrogeons aussi sur la composition de cette commission. Sur quatorze membres, seuls deux responsables politiques – Mme Bachelot et M. Jospin – sont censés représenter les sensibilités diverses mentionnées dans la lettre de mission, ce qui est un peu réducteur. En tous cas, les parlementaires que nous sommes ont été écartés de cette commission. C’est la raison pour laquelle je vous félicite, monsieur le président, de l’initiative que vous avez prise aujourd’hui. Bien sûr, nous serons, le moment venu, saisis de projets de loi que le Gouvernement pourrait déposer devant le Parlement. Mais il est important que les parlementaires, notamment ceux de notre commission des Lois puissent, en amont, faire remonter un certain nombre de réflexions.

J’en viens maintenant aux différents thèmes qui sont soumis à la réflexion de la commission, en commençant par le déroulement de l’élection présidentielle.

Vous avez dit tout à l’heure que nos interventions étaient des contributions personnelles. Certes, mais vous comprendrez que je puisse, ici ou là, rappeler les positions bien connues de notre groupe et des députés du Front de gauche : nous sommes opposés à la présidentialisation du régime, laquelle a été renforcée en 2000 par l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Cette réforme n’a fait qu’accentuer le fait majoritaire et la bipolarisation de la vie politique. Pour notre part, nous souhaitons rétablir la primauté du législatif sur l’exécutif.

À titre personnel, je pense qu’il faudrait revenir sur le principe même de l’élection du Président de la République au suffrage universel – même si cela semble aujourd’hui peu réaliste. Quoi qu’il en soit, nous considérons que les pouvoirs exorbitants du Président de la République devraient être supprimés dans le cadre d’une redéfinition générale et d’une réduction de ses attributions.

Concernant le statut pénal du chef de l’État, nous avons eu l’occasion d’indiquer sous la précédente législature que celui-ci ne pouvait pas être au-dessus des lois et qu’il nous apparaissait illégitime qu’il bénéficie d’une immunité pendant toute la durée de son mandat concernant les actes commis antérieurement ou sans lien avec son mandat. Évidemment, pour éviter le risque de déstabilisation des institutions par des dérives procédurières, nous pensons intéressant de prévoir un filtre comme il en existe, par exemple, en cas de plainte d’un justiciable contre un magistrat.

Concernant la réforme des modes de scrutin, nous sommes favorables à la proportionnelle à tous les niveaux. C’est en effet la meilleure manière de refléter la diversité des courants de pensée et d’opinion, et d’assurer la parité entre les hommes et les femmes.

Enfin, concernant la prévention des conflits d’intérêts, nous nous prononçons pour un renforcement des incompatibilités, dans un système qui associerait incompatibilités, code de bonne conduite, déclaration d’intérêts et sanctions pénales. Plusieurs pays se sont d’ailleurs d’ores et déjà dotés de règles ou d’organismes chargés de l’éthique des dirigeants politiques, afin de lutter contre les conflits d’intérêts, conformément aux recommandations de l’OCDE formulées en 2005. Dans cet esprit, nous souhaitons l’adoption d’une loi révisant le régime d’incompatibilités s’appliquant aux responsables exerçant des fonctions publiques, électives ou non, ainsi qu’aux membres du Gouvernement, pour mieux prévenir en amont les conflits d’intérêts.

Telles sont, monsieur le président, les quelques remarques que je voulais faire au nom de mon groupe. Et cela ne vous étonnera pas si je rappelle en conclusion que, pour ce qui nous concerne, nous sommes favorables à l’élaboration d’une VIe République.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, vous avez pris une bonne initiative. Il aurait été inexplicable que la commission des Lois ne fasse pas connaître à la commission présidée par l’ancien Premier ministre, M. Lionel Jospin, sa position en toute liberté. Et dans la mesure où ce ne sont pas les groupes qui s’expriment, nous avons l’occasion d’affirmer quelques positions iconoclastes. Profitons-en !

Dans un premier temps, vous avez soulevé le problème des parrainages. Je vous rejoindrai mais m’éloignerai un peu de vous s’agissant de l’obligation d’obtenir la signature de 500 parrains.

Ce système a été souvent critiqué. Certains estiment qu’il permettrait d’éliminer un candidat représentant un courant de pensée significatif de la vie politique française – comme M. Charles Pasqua ou M. Dominique de Villepin. Certains ont relevé que le Front national aurait pu être éliminé en 2007 ou en 2012. En réalité, nul ne sait si ce prétendu barrage constitutionnel invoqué par le Front national était invalidant ou, au contraire, source de motivation pour ses sympathisants. Je constate en tout cas que la victimisation a toujours été l’argument essentiel du Front national et qu’à chaque fois, il a pu présenter un candidat.

Un candidat obtenant moins de 2 % des voix n’est pas forcément un candidat farfelu. Bien sûr, il y a eu des candidats farfelus comme M. Barbu, M. Ducatel, voire M. Cheminade. En tout cas, je constate que la règle des 500 signatures a rempli son rôle et que les candidatures farfelues n’existent plus en réalité.

Reste que de nombreux élus refusent désormais de donner leur parrainage. Certains estiment que la publicité donnée aux parrainages leur cause un préjudice important dans leur commune, en particulier en milieu rural. C’est un problème, alors même que le vote républicain est attaché à la notion de secret, surtout dans les désignations de personnes publiques.

Lorsqu’un candidat a recueilli plus de 500 signatures, 500 seulement de ces signatures sont tirées au sort et rendues publiques. Mon sentiment est qu’il faut rendre publics tous les noms des parrains. Et je suis d’accord avec vous pour que les parrainages, une fois validés, soient publiés au fur et à mesure.

Maintenant, qui peut être choisi comme parrain ? Faut-il se limiter aux maires et aux élus, sachant que les maires représentent 80 % des parrains ? Faut-il ouvrir la possibilité de parrainer un candidat à l’élection présidentielle à un vaste corps électoral qui serait composé de tous les conseillers municipaux ? Cela amènerait à relever de manière très importante le nombre de parrains, et nous irions dans le sens de votre proposition. Faut-il l’ouvrir aux partis qui ont des élus, nationaux, au Sénat, à l’Assemblée ou au Parlement européen ? Faut-il l’ouvrir, comme pour les référendums d’initiative populaire, à quelques dizaines ou centaines de milliers d’électeurs élus ou non élus ?

Toute réforme entraînera davantage de difficultés que la loi actuelle. Cela dit, nous pourrions suggérer un système alternatif, inspiré de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur les référendums d’initiative populaire – demandés par un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits. Ce pourcentage aboutissant à un nombre astronomique de signatures, on pourrait adopter le nombre que vous avez proposé, soit 350 000 signatures, ou peut-être 500 000 signatures. Il y aurait ainsi d’un côté 500 000 signatures de citoyens et de l’autre 500 signatures d’élus. On peut en discuter. Mais en tout état de cause, par nécessité de transparence, le nom de chaque signataire devrait être rendu public.

La commission Jospin a été saisie des modalités de financement de la campagne présidentielle. Selon moi, les règles ne sont pas susceptibles d’être remises en cause. J’ai pourtant été fortement interpellé par les déclarations – publiques – de M. Roland Dumas, ancien président du Conseil constitutionnel : l’élection présidentielle et les comptes ont été validés en 1995 à 5 voix contre 4, alors que les comptes de M. Balladur et M. Chirac auraient dû être rejetés. M. Dumas a dit avoir préféré une injustice à un désordre. Soit. Je tiens à rappeler que la justice pénale est encore actuellement saisie du litige, mais je note qu’aucun candidat n’a encore été mis en examen. Je ne sais pas si ce sera toujours le cas à l’avenir.

En réalité, le problème relève plutôt de la nomination et de l’indépendance des membres du Conseil constitutionnel, dont les décisions se doivent d’être incontestables. Je pense donc que c’est à ces deux exigences, l’indépendance des membres du Conseil et l’aspect incontestable de leurs décisions, que l’on devrait s’intéresser.

Monsieur le président, nous avons été également saisis de la question du calendrier. En 2002, lorsque nous avons dû nous prononcer à ce sujet, les radicaux de gauche ont proposé l’élection présidentielle et les élections législatives aient lieu le même jour. Se poserait bien évidemment, dans le cadre de la réforme constitutionnelle, le problème du deuxième tour. Je rappelle qu’aux termes de la Constitution, le délai de quinze jours entre les deux tours de la présidentielle n’a été fixé que pour permettre des désistements – celui du candidat arrivé en deuxième position en faveur du candidat arrivé en première position – ce qui demandait un certain temps. Tout le monde se rend bien compte que cela n’a plus aucun intérêt. Une harmonisation s’impose donc.

Quant au statut juridictionnel du Président de la République élu, je pense qu’il n’y a aucune raison de le modifier. Le tribunal correctionnel de Paris vient de condamner le président Chirac pour des délits commis avant son élection. Il a ainsi justifié le statut tel qu’il existe actuellement, même si on peut espérer l’améliorer avec la loi organique en cours d’examen.

La commission Jospin devra se prononcer sur les conséquences de la suppression de la Cour de justice de la République. Pour ma part, je ne suis pas du tout persuadé qu’il faille supprimer cette cour. Aurait-on dû, dans l’affaire du « sang contaminé », renvoyer les trois responsables devant une cour d’assises – si l’on retenait la qualification d’empoisonnement – ou devant un tribunal correctionnel ? Croyez dans la sagesse d’un avocat qui termine sa vie d’avocat : je me méfie de l’idée de s’en remettre à la justice des cours d’assises ou à celle des seuls magistrats de profession. Cela ne m’apparaît pas être la meilleure des solutions pour des infractions commises dans l’exercice des fonctions de ministre.

De la même façon, la commission Jospin devra se prononcer sur les modes de scrutin. L’ajout d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives semble faire consensus. Elle aurait le mérite d’assurer une meilleure représentation de l’opinion et de renforcer la participation électorale. Pour autant, de tels arguments ne me semblent guère convaincants. Permettre à des extrémistes de droite ou de gauche de siéger à l’Assemblée nationale ne renforcera pas la légitimité de celle-ci. Ils sont déjà présents au Parlement européen, dans les conseils régionaux et même ici : que veut-on de plus ? Par ailleurs, la République a trop souffert de l’instabilité parlementaire sous la IVe République pour que l’on n’en tire pas des conséquences.

Le nombre de députés apparaît à peu près intangible. L’élection de 100 députés élus à la proportionnelle amènerait à chambouler toute la carte électorale. Les contestations seraient multiples. Tout le monde n’a pas les ciseaux de M. Pasqua et son habileté ! Cela ruinerait bien évidemment dans l’opinion le surplus de légitimité qui aurait pu être obtenu.

Quitte à faire une révolution électorale, je peux vous en proposer une, qui avait été proposée par un certain nombre de professeurs de droit : l’élection du Sénat à la proportionnelle intégrale. Une telle réforme amènerait de nombreuses femmes au Sénat – un sénateur sur deux serait une femme. Elle détruirait peut-être le lien avec les collectivités territoriales, mais renforcerait la légitimité électorale du Sénat. Le principe de stabilité serait par ailleurs préservé, puisque le dernier mot revient à l’Assemblée nationale. Nous gagnerions sur les deux tableaux.

M. Patrick Devedjian. C’est la proposition Rocard !

M. Alain Tourret. Mais venons-en à la question du cumul des mandats. Je viens de démissionner de mon poste de vice-président de la région de Basse-Normandie.

Plusieurs commissaires du groupe UMP. Bravo !

M. Alain Tourret. Je n’en avais aucune obligation. Je l’avais d’ailleurs déjà fait en 1997. Cela dit, je ne vois pas ce que la démocratie a à gagner avec l’interdiction de cumul entre un mandat de parlementaire et une fonction exécutive. Et je me souviens de mon ami Crépeau qui était député-maire de La Rochelle et estimait qu’il fallait absolument maintenir ce lien.

M. Guy Geoffroy. Il était sage !

M. Alain Tourret. La loi n’a pas pour seule vocation d’interdire. Elle peut également faire confiance au bon sens des élus et des électeurs, que l’on ampute chaque fois un peu plus de leur souveraineté populaire. Je suis d’accord, en revanche, pour qu’on sanctionne beaucoup plus fortement l’absentéisme des parlementaires, qu’on interdise le cumul des indemnités, comme l’avait proposé notre collègue René Dosière. Il est insupportable en effet qu’un parlementaire ou un élu puisse toucher des indemnités complémentaires – par exemple en siégeant dans un conseil d’administration – du fait des mandats qu’il exerce. Toute fonction obtenue par un parlementaire ou un élu du fait de sa fonction de parlementaire ou d’élu est gratuite par essence !

S’agissant du non-cumul dans le temps, il faut rappeler sans sourire que les Verts avaient inventé le principe du « tourniquet » : nul ne pouvait rester plus d’une année élu lorsqu’il était en situation de cumul, en particulier lorsqu’il était député européen. Les Verts en sont revenus avec une belle indigestion d’excès de démocratie. En ce domaine, nous suivrons leur sagesse.

Je terminerai par une réflexion sur les conflits d’intérêts. Il se trouve que je suis avocat, que je ne suis pas fonctionnaire et que je m’interroge : peut-on rester fonctionnaire et exercer un mandat de parlementaire ? En Grande-Bretagne, c’est impossible et l’on doit même donner sa démission en tant que fonctionnaire avant de se présenter à un vote.

Je vous invite à vous reporter au Livre blanc que des anciens élèves de l’ENA ont publié sur ce sujet. Ceux-ci proposent qu’il y ait compatibilité pendant la durée du mandat. Ensuite, l’élu devra choisir entre la fonction publique et son mandat de parlementaire. Cela me semble très sage.

Telles étaient mes observations, monsieur le président.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, dès la fin du mois de juillet, je m’étais moi aussi étonné que la mission présidée par M. Jospin n’ait pas prévu d’auditionner les commissions des Lois des deux chambres. Je suis heureux que, grâce à votre initiative, vous nous donniez l’occasion, ce matin, de rattraper cette lacune.

Les questions que vous nous posez sont de deux sortes : certaines n’ont qu’un impact sur l’organisation de la vie publique, sa fluidité ou son bon fonctionnement ; d’autres, par certains aspects, touchent à la place, à l’image et à la force du pouvoir politique dans le pays. Et je dois dire que je me suis reconnu dans les propos de notre collègue Alain Tourret : autant je suis favorable à ce qu’on apporte des améliorations quand c’est nécessaire, autant je m’insurge lorsque l’on prend le risque, par certaines décisions, d’affaiblir le pouvoir politique ou sa réputation.

Sur le déroulement de la campagne présidentielle, j’ai l’impression que l’on confond parfois le déroulement des opérations et la « campagne officielle ». Il conviendrait de réfléchir davantage sur cette période qui est en effet à l’origine de désordres et de problèmes – liés, par exemple, à l’obligation d’égalité devant les médias ou au calendrier de publication des signatures. J’observe d’ailleurs que rencontrons des problèmes équivalents pendant la durée de la campagne officielle au moment des élections municipales.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de modifier le système des parrainages. Monsieur le président, vous avez parlé de la nécessité d’éliminer les candidatures non représentatives. Mais qu’est-ce qu’un candidat représentatif ? D’après les textes, un candidat est considéré comme représentatif à partir du moment où il a recueilli 500 signatures de maires. Et c’est parce qu’il est suffisamment représentatif qu’il a le droit de concourir. Veillons donc à ne pas mettre dans les textes des dispositions trop rigides pour régir ce qui relève à mon sens de la liberté des citoyens et de ceux qui les représentent.

Sur les modalités de financement de la campagne électorale, je n’ai pas de remarque particulière à faire. Je pense que nous nous sommes nous-mêmes tiré une balle dans le pied en limitant le plafond des dépenses de campagne. La raison en est que dans notre pays, on ne veut pas admettre que la démocratie a un coût et que l’on préfère tout contrôler. Cette posture, à mon avis trop rigide, aboutit à des aberrations. En l’occurrence, même si les dépenses de campagne engagées par le candidat élu Président de la République dépassaient de 50 % le plafond autorisé, le Conseil constitutionnel n’annulerait pas l’élection. Cela prouve que la règle limitant ce plafond ne sert à rien. Et nous pourrions trouver bien d’autres exemples, dans le code électoral, de règles qui ne servent à rien…

S’agissant du calendrier des élections législatives, le problème me paraît résider davantage dans le quinquennat que dans l’ordre des scrutins. J’avais fait campagne contre ce quinquennat et milité pour un septennat non renouvelable. Un tel système assurerait une certaine durée d’action au pouvoir exécutif et laisserait la possibilité de vérifier par un scrutin législatif – organisé tous les cinq ans – la légitimité de son action et la résonance de celle-ci dans l’opinion publique.

La grande tentation de celui qui entame un mandat de cinq ans est évidemment d’en faire un deuxième. Ce n’est pas interdit en soi, la réforme constitutionnelle de 2008 permettant justement l’exercice de deux mandats. Mais à partir du moment où nous sommes dans un système de quinquennat, si nous souhaitons faire en sorte que l’Assemblée nationale donne une majorité au Président pour qu’il puisse gouverner, cela n’aurait pas de sens d’inverser l’ordre des élections, contrairement à ce que disait notre collègue Dolez tout à l’heure.

S’agissant de la proportionnelle, je veux rappeler à la commission des Lois que la représentation de la diversité n’est pas une fonction reconnue dans la Constitution à l’Assemblée nationale, qui est élue par le peuple souverain pour le représenter. Il n’y a donc pas d’obligation particulière à ce que, au-delà du scrutin, la diversité devienne un principe d’organisation et un principe identitaire pour notre Assemblée.

Je ne vois pas non plus de raison de faire évoluer le statut juridictionnel du Président de la République. Pour moi, il y a deux principes à respecter.

Le premier est de protéger à tout prix la fonction du Président de la République pendant l’exercice de son mandat. La procédure américaine de l’impeachment a montré ses limites il y quelques années, sous la présidence de M. Clinton. Quand un président en vient à prendre la décision de bombarder un pays au seul motif de détourner les caméras de ses propres turpitudes, il y a en effet de quoi s’interroger.

Le deuxième principe est de faire en sorte que la justice s’applique très normalement au Président de la République lorsqu’il quitte ses fonctions. À ce moment-là en effet, il devient, sinon un citoyen tout à fait comme les autres, du moins un justiciable au même titre que les autres. C’est la raison pour laquelle je crois que le régime actuel est tout à fait satisfaisant.

Je n’ai aucune idée sur les conséquences de la suppression de la Cour de justice de la République. Je me range aux arguments de notre collègue Tourret. Je pense que nos collègues qui y siègent sont les garants d’une justice équilibrée, susceptible de prendre en compte des éléments complexes, ce que les jurys d’assises ne pourraient peut-être pas faire. Encore une fois, attention à ne pas édicter une règle universelle applicable à tous. Tout le monde n’a pas la même fonction, ne prend pas les mêmes décisions et n’a pas les mêmes responsabilités.

Ensuite, sur les modes de scrutin applicables aux élections législatives et sénatoriales, j’ai déjà dit ce que je pensais : je suis opposé à l’instauration d’une dose de proportionnelle dans les élections législatives. Nous en avions assez largement débattu il y a quatre ans au moment de la réforme de la Constitution. Je ne reviendrai donc pas sur les réponses que ma famille politique avait alors apportées en séance, par la voix du garde des Sceaux.

Je terminerai monsieur le président sur les deux derniers sujets – le non-cumul des mandats et la prévention des conflits d’intérêts – qui me paraissent devoir être liés du point de vue symbolique, même s’ils ne le sont pas nécessairement sur le plan juridique et technique.

Je précise que je suis réfractaire à tout contrôle des modalités d’exercice des mandats de parlementaires par la fonction publique, quelle qu’elle soit. En dépit du très grand respect que j’ai pour les fonctionnaires qui exercent ces métiers de contrôle, je n’accepte pas l’idée qu’un parlementaire doive rendre des comptes à qui que ce soit d’autre que ses propres électeurs ou ses pairs, sur les décisions qu’il prend, sur les dépenses qu’il engage, sur l’opportunité des choix qu’il fait, sur les lieux où il se déplace, etc. Cela me paraît radicalement contraire à la liberté d’exercice des parlementaires.

Je n’ai rien à cacher sur l’utilisation de mon indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) – même si cette question ne figure pas dans la lettre de mission de la commission Jospin. Mais quand j’entends que l’on va mettre au point des mécanismes pour contrôler ce que je pourrais être amené – comme vous tous ici – à dépenser, ou à ne pas dépenser, lors de l’exercice de ce mandat, j’y suis violemment opposé ! Aucun fonctionnaire ne devrait être en situation de contrôler ou d’apprécier l’opportunité d’action d’un parlementaire. Cela me paraît contraire à l’esprit même de la Constitution et au fondement de la démocratie représentative.

J’ajouterai que l’article du code électoral qui définit actuellement les régimes d’incompatibilité est équilibré.

Je n’accepte pas l’idée que les parlementaires seraient, par principe, un peu plus malhonnêtes que les autres, ce qui justifierait qu’on leur applique des règles de contrôle supérieures à celles qui s’appliquent à n’importe quel autre concitoyen. Je n’accepte pas non plus l’idée qu’un président d’association puisse diriger une autre association et être vice-président d’une troisième, mais que les parlementaires français soient les seuls à être considérés comme incapables d’exercer correctement plusieurs responsabilités à la fois. Je ne vois pas pourquoi.

Il convient sans doute de faire évoluer les textes relatifs à la déontologie de la vie publique. Pour autant, faut-il accroître la précision chirurgicale de la déclaration de patrimoine ? Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que cela veut dire. J’ai rempli la mienne, comme l’ont fait tous mes collègues. Il n’empêche que je trouve la méthode franchement intrusive et que je déplore le soupçon de principe qui pèse sur nous au motif que nous aurions des fonctions parlementaires.

Je me suis dit que nous vivions dans un drôle de pays le jour où Mme Marisol Touraine a été épinglée par un journal – qui n’est pourtant pas politiquement son ennemi – au motif qu’étant elle-même ministre de la Santé et son frère professeur de chirurgie dans un hôpital parisien, on pourrait imaginer des conflits d’intérêts. Ira-t-on jusqu’à la troisième, quatrième ou cinquième génération ? Attention : un peu d’équilibre ne nuit pas, et un peu de liberté personnelle non plus !

S’agissant enfin du cumul des mandats, je pense que l’exercice d’un mandat local et d’une fonction exécutive locale enrichit les missions d’un parlementaire – ce qui ne disqualifie pas ceux qui n’en exercent pas.

Nous sommes sans doute nombreux ici à avoir monté les marches une par une, d’abord comme conseiller municipal, puis adjoint, puis maire ou vice-président puis président. Nous savons qu’il y a un monde entre chacun de ces mandats, que l’expérience qu’ils procurent et la responsabilité qu’ils confèrent ne peut évidemment pas être comparée.

Je crois nécessaire de maintenir la possibilité de cumuler le mandat parlementaire et une fonction exécutive. S’il faut vraiment aller plus loin dans le sens de la restriction, je vous propose de réfléchir à cette solution : à partir du moment où une personne exerce un mandat parlementaire, une fonction exécutive et une seule est compatible avec ce mandat. Reste à savoir si, dans les fonctions exécutives, il faut inclure celles exercées dans les centres communaux d’action sociale, les syndicats mixtes, les centres d’incendie et de secours, les établissements publics, les établissements publics de coopération intercommunale, les sociétés d’économie mixte, etc.

Monsieur le président, j’en ai terminé. J’espère que, quelles que soient les conclusions sur lesquelles nous aurons à travailler, la liberté d’action des parlementaires et la préservation de l’image de leur mission resteront une préoccupation constante. Je crains en effet qu’en les soupçonnant systématiquement, nous ne finissions par affaiblir notre propre mandat.

M. Lionel Tardy. À la suite du rapport Sauvé sur la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, les deux assemblées parlementaires ont mis en place de nouveaux dispositifs. Ainsi, l’Assemblée nationale a créé un poste de déontologue. Cette avancée n’est cependant pas suffisante et une réforme du régime des incompatibilités inscrites dans le code électoral est également nécessaire pour rendre le dispositif réellement opérationnel et répondre aux attentes fortes de nos concitoyens.

Le 24 juillet 2012, j’ai déposé une proposition de loi organique, n° 106, visant à réformer les incompatibilités parlementaires. Au travers de ses onze articles, elle entend répondre à cette demande en instaurant une limitation plus importante des cumuls, que ce soit des mandats ou des fonctions, afin de rendre les parlementaires plus disponibles pour l’exercice de leurs mandats, et limiter les risques de conflits d’intérêts.

Elle propose aussi de soumettre les parlementaires à un véritable contrôle, en rendant certaines déclarations plus complètes et publiques, et en permettant aux citoyens de saisir le Conseil constitutionnel afin de faire appliquer la loi.

Je souhaite donc que cette proposition de loi organique soit versée au débat.

M. Matthias Fekl. Grâce à votre initiative, monsieur le président, la réflexion de notre Commission va pouvoir nourrir les travaux de la commission Jospin : soyez-en remercié.

Nos concitoyens ont des attentes fortes en matière d’exemplarité de la République, de normalisation de la vie de nos institutions, de meilleure participation, de plus grande transparence. Nos travaux doivent s’inscrire dans le cadre des engagements que le Président de la République a pris lors de la campagne électorale à propos du statut pénal du chef de l’État, de la question des membres de droit du Conseil constitutionnel, de la revalorisation du rôle du Parlement, du cumul des mandats, du renforcement de la parité ou des règles d’inéligibilité en cas de condamnation pour fait de corruption.

Je voudrais pour ma part vous soumettre quatre propositions concrètes concernant les conflits d’intérêts, la revalorisation du rôle du Parlement, un nouveau souffle pour notre démocratie et le Conseil constitutionnel.

La question des conflits d’intérêts a été traitée de manière quasi exhaustive par l’excellent rapport de la commission que présidait le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé. Il nous appartient aujourd’hui de réfléchir aux modalités de mise en œuvre de ses préconisations pour les élus et, notamment, pour les parlementaires. Je tiens toutefois à exprimer les réserves que m’inspire tout code de déontologie : un tel document risque en effet d’entretenir le plus grand flou en se contentant d’énumérer des principes non normatifs ou des évidences. Or nous avons l’obligation d’inscrire dans la loi une définition opérationnelle des conflits d’intérêts et d’inventer ensuite les mécanismes de leur contrôle.

Nous devons en outre mener une réflexion sur les incompatibilités qui frappent les parlementaires. Certaines sont évoquées avec insistance dans le débat public. Ainsi, s’il est concevable qu’un avocat devenu parlementaire continue d’exercer sa profession pour éviter de voir péricliter son cabinet, il me semble profondément choquant qu’un parlementaire ait la possibilité, grâce à un système d’équivalences d’ailleurs assez contestable et auquel il faudrait mettre un terme, de devenir avocat en cours de mandat. On est élu pour siéger au Parlement, pas pour exercer le métier d’avocat.

Le non-cumul s’impose comme un principe fort. Il constitue d’ailleurs un engagement du Président de la République, que le Parlement doit rendre opérationnel en en précisant les modalités d’application. Cette avancée démocratique progresse depuis trente ans, grâce à des lois qui ont souvent été votées par des majorités de gauche, mais elle n’est pas une fin en soi et n’a aucun sens si elle ne sert qu’à stigmatiser des élus, à jeter le discrédit, voire l’opprobre, sur leur travail. Elle doit au contraire contribuer à revaloriser le rôle du Parlement. C’est pourquoi elle nécessite toute une série de réformes d’accompagnement.

Ainsi, il convient de définir un statut de l’élu, faute de quoi de très nombreux élus, parlementaires ou élus locaux, n’auront plus les moyens de remplir concrètement les missions et les mandats qui leur ont été confiés par les électeurs.

Il faut également s’atteler à une véritable revalorisation du rôle du Parlement, car, une fois qu’il ne sera plus composé que d’élus ne cumulant pas, il ne sera plus possible de le traiter de manière cavalière.

Il faut envisager de renforcer nos missions et nos compétences en matière d’évaluation : évaluation de l’application de la loi que nous votons, évaluation des politiques publiques – domaine dans lequel, malgré de récents progrès, nous restons les parents pauvres en Europe. Il paraît, à cet égard, indispensable de renforcer les capacités d’audit et d’expertise dont nous disposons. Nombre d’organes consultatifs relevant de l’exécutif pourraient nous être rattachés : je pense notamment au Centre d’analyse stratégique, mais il serait bon de nouer en même temps des rapports plus étroits avec la Cour des comptes.

Il faut, en outre, faire avancer la question de la représentation proportionnelle : le Président de la République a pris des engagements à cet égard.

Enfin, posons la question du redécoupage des circonscriptions, qui devra se faire dans la transparence et l’indépendance.

Permettez-moi de verser au débat – fût-ce sous une forme interrogative – une idée de Guy Carcassonne, qui proposait qu’un candidat à l’élection présidentielle n’ayant pas été élu mais ayant obtenu un nombre significatif de suffrages puisse automatiquement devenir député pour la législature qui suit. Cette proposition mérite d’être expertisée : elle renforcerait la représentativité de notre assemblée.

Il n’y aura pas de nouveau souffle démocratique si l’on ne donne pas aux étrangers le droit de vote aux élections locales et si l’on ne limite pas le cumul des mandats, mais il faudra également renforcer la parité en prévoyant des sanctions beaucoup plus sévères pour les formations politiques qui ne se plient pas à cette exigence. On peut aussi imaginer d’inscrire dans une loi organique l’obligation d’un gouvernement paritaire : cela reviendrait à prendre acte d’un objectif qui, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, est aujourd’hui atteint.

En ce qui concerne les parrainages, je rejoins la proposition que vous avez formulée, monsieur le président, d’accorder aux citoyens la possibilité de parrainer un candidat à l’élection présidentielle. Cela permettrait de concilier l’exigence de représentativité et la diversité des candidatures, à condition de prévoir des filtres pour garantir le sérieux du débat.

Il me semble enfin indispensable de réviser la Constitution en abrogeant l’alinéa qui prévoit que les anciens Présidents de la République font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel. Cette disposition, qui pouvait se justifier en 1958, eu égard aux missions qui étaient alors celles du Conseil constitutionnel, paraît aujourd’hui dépassée, étant donné la juridictionnalisation croissante d’une institution qui, aujourd’hui, s’apparente davantage à une cour suprême. Il nous faut tirer toutes les conséquences de cette évolution, que ce soit en termes de fonctionnement du Conseil constitutionnel ou pour l’image qu’il offre à nos concitoyens, lesquels acceptent de moins en moins sa politisation.

En ce domaine aussi, nous aurons à mener une réflexion sur les règles d’incompatibilité. N’est-il pas surprenant, par exemple, qu’un membre du Conseil constitutionnel puisse en même temps exercer la profession d’avocat ? Si cela pouvait se concevoir à la création du Conseil, les nouvelles missions qui lui ont été confiées rendent aujourd’hui cette possibilité inacceptable, car elle peut entraîner toute sorte de problèmes en matière de fonctionnement interne de l’institution, de conflits d’intérêts, de déontologie, d’image. On ne peut pas en même temps être juge constitutionnel et plaider en tant qu’avocat dans un barreau. La révision de la loi organique relative au Conseil constitutionnel s’impose.

Nombre de ces propositions concrètes pourraient être d’application rapide et aisée. Puissent ces réflexions nourrir les travaux de la commission Jospin. Elles n’épuisent certes pas le débat. Il reste en effet la question centrale, qu’a évoquée tout à l’heure notre collègue Jean-Frédéric Poisson, de la nature de notre régime constitutionnel depuis qu’a été instauré le quinquennat et que majorité présidentielle et majorité parlementaire coïncident presque automatiquement. Il est toutefois probable que la commission Jospin n’est pas le lieu où toutes ces questions pourront être réglées.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je voudrais d’abord féliciter notre président pour l’initiative qu’il a prise. Il serait singulier que le Parlement ne puisse faire entendre sa voix, fût-ce indirectement, devant la commission Jospin. On a critiqué ici les comités dans lesquels siègent des fonctionnaires. J’ai moi-même été appelée à siéger en tant que telle au comité Vedel, qui est un peu le modèle du genre et dont je fus le rapporteur général. Il est fondamental – cette expérience me l’a prouvé – que le Parlement souverain fasse entendre sa voix auprès de telles instances. Nombre de questions se posent, dont certaines concernent notre statut, nos indemnités. Nous devons donc être à la hauteur de l’initiative, pour le rayonnement même du Parlement.

J’aborderai rapidement quatre questions. Le président a évoqué la première dans son introduction : il faudrait éviter de voir trop de droits proliférer dans la Constitution. Certes, nous n’y dressons pas un catalogue des droits fondamentaux, comme on en trouve dans la plupart des États dont la démocratie est en rupture avec un régime totalitaire, à commencer par l’Allemagne. Ce n’est là ni la tradition française ni la tradition britannique. Il y a, chez nous, notamment sous la IIIe République, toute une histoire des libertés publiques vues par le Parlement, et la définition des droits doit avoir une certaine consistance. Aussi, comme le président Urvoas, je m’interroge sur le principe de précaution, exemple même d’un droit déstabilisateur, intégriste, qui conduit le législateur à tenter de le contourner. Le Conseil constitutionnel a adopté en la matière une position d’une rigidité excessive, reconnaissant une portée normative stricte à la Charte de l’environnement qui a été adjointe à la Constitution, allant jusqu’à considérer que, si la Charte n’y est pas respectée, toute loi, tout règlement touchant à l’environnement peut être invalidé, soit par le Conseil constitutionnel, soit par le Conseil d’État. Cette règle est absolument extravagante et il serait bon que nous puissions, en réécrivant cette partie de la Charte de l’environnement, revenir sur la définition du principe de précaution et sur son extension dans la Constitution, pour lui donner une nature d’objectifs et non pas une nature de règles.

En tout état de cause, la question du rôle du Conseil constitutionnel doit être posée. Aujourd’hui, le Parlement est dépossédé de la loi par le haut et par le bas. Il en est dépossédé par le haut, c’est-à-dire par l’intervention des textes européens. En matière de droits et de libertés publiques, l’intégration de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans le titre II du traité de Lisbonne est un sujet de préoccupation. La tradition française veut que le Parlement soit en quelque sorte l’auteur des libertés publiques. Mais la Charte européenne garantit seulement le maintien des traditions constitutionnelles communes aux États membres, et la France a des traditions constitutionnelles spécifiques, à commencer d’ailleurs par le principe de laïcité.

Mais le Parlement est aussi largement dépossédé par le bas, en raison d’une intervention souvent excessive du Conseil constitutionnel, ainsi que le prouve l’exemple du principe de précaution. Sans doute, on peut mettre ses espoirs dans la révision du mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel, mais prenons garde : s’il devient une cour suprême intouchable, il en prendra alors toutes les prérogatives et ira encore plus loin dans la dépossession du Parlement. Le remède, hardi, pourrait consister en ce que le doyen Vedel appelait, sans y être d’ailleurs nécessairement favorable, le « lit de justice » : lorsqu’une décision du Conseil constitutionnel lui paraît excessive, le Parlement peut l’infirmer par un vote à la majorité qualifiée. Il faut donc, pour cela – c’est tout l’intérêt de la réforme –, qu’une part substantielle de l’opposition soit d’accord avec la majorité.

Pour avoir beaucoup réfléchi à la question depuis 1993, il me semble d’autre part que la tradition républicaine française impose la mixité des politiques et des juges et ne souffre guère que l’on confie au juge de droit commun, fût-il de niveau très élevé, le soin de juger les actes des politiques. Il nous faut donc conserver une Cour de justice marquée par la mixité.

On a parfois confondu ici cumul des mandats et cumul des fonctions. À l’égard du premier, je conserve une certaine hésitation intellectuelle. On a évoqué, à propos du second, la possibilité de demander aux anciens énarques de démissionner de leurs fonctions. Sans vouloir prononcer un plaidoyer pro domo, je fais remarquer qu’il n’y a pas que des énarques à l’Assemblée nationale, il y a des enseignants, des attachés, différents fonctionnaires. La règle ne doit-elle pas s’appliquer à tous ? Pourquoi, d’ailleurs, ne l’appliquer qu’aux fonctionnaires ? Durant la durée de leur mandat de député, ils ne sont plus fonctionnaires, tandis que divers parlementaires continuent d’appartenir à des cabinets ou à des sociétés dont ils tirent des revenus, ce qui, du point de vue de la règle normale du cumul des fonctions, n’est pas acceptable.

La question du quinquennat a été évoquée. Elle déborde naturellement le cadre de la commission Jospin, dont on n’imagine guère qu’elle puisse revenir sur cette réforme. Le quinquennat a renforcé les deux camps principaux, ce qui pose un problème aujourd’hui où l’on voit émerger de fait, dans l’électorat, un troisième bloc dont chacun sait ce qu’il représente. Peut-être la réponse à cette question se trouve-t-elle dans une certaine dose de proportionnelle. La réforme a été proposée. Elle ne sera utile que si elle ne déstabilise pas les majorités présidentielles, acquis de la Ve République sur lequel nous aurions tort de revenir.

Enfin, je suis favorable à la réforme des parrainages qui a été proposée par le président.

M. Pascal Popelin. Contrairement à M. Dolez et à M. Poisson, je me réjouis que la commission Jospin ne comporte pas de parlementaires. Je ne suis pas choqué que l’exécutif sollicite l’avis d’une commission de personnalités dont les compétences en matière institutionnelle et juridique sont reconnues, mais, fussent-ils d’anciens et éminents responsables politiques, ils n’ont pas vocation à y faire entendre la voix de la représentation nationale. C’est au sein du Parlement, et en particulier au sein de cette Commission, que doit s’exprimer la diversité des opinions des représentants de la nation. Je vous remercie donc à mon tour, monsieur le président, d’avoir provoqué une réunion qui prélude sans doute à plusieurs autres. Je ne doute d’ailleurs pas que l’exécutif qui, dans sa démarche de rénovation de la vie publique, est très attaché au respect des prérogatives du Parlement réservera aux réflexions que nous menons ici autant d’intérêt qu’il en accordera aux conclusions de la commission Jospin. Plus les mesures que nous adopterons seront consensuelles, mieux ce sera pour la République : cela suppose que chacun fasse des efforts.

Permettez-moi de dire un mot sur la question des parrainages. Notre collègue Jean-Frédéric Poisson a expliqué qu’il était favorable au statu quo. Sans doute, il n’y a ni système idéal ni réponse toute faite, mais, à chaque campagne présidentielle, la chasse aux signatures devient une forme de folklore qui n’honore pas la démocratie. Certains ont fait des propositions, notamment le président Urvoas. Il me semble que le parrainage citoyen s’exprime avant tout à l’occasion des élections. Plutôt que d’ajouter à la chasse aux signatures d’élus une chasse aux signatures de citoyens, procédure complexe et qui ne garantit nullement qu’on atteindra l’objectif, ne pourrait-on réfléchir à un mécanisme qui permettrait aux formations politiques ayant obtenu une représentativité significative et continue à l’occasion des scrutins organisés au cours du quinquennat écoulé de présenter un candidat à l’élection présidentielle. Je ne sais pas si cette mécanique pourrait fonctionner, mais il me semble bon d’explorer cette piste.

Enfin, et même si ce sujet n’est pas compris dans le périmètre de la commission Jospin – ce qui est bien normal, étant donné la séparation des pouvoirs –, je suis bien d’accord avec Jean-Frédéric Poisson : ce n’est pas aux fonctionnaires de contrôler l’usage que les parlementaires font de leur IRFM, mais rien n’empêche les parlementaires d’organiser un tel contrôle en leur sein. Ils ont d’ailleurs également toute latitude pour décider de rendre des comptes à leurs électeurs s’ils le souhaitent – c’est ce que je ferai moi-même.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Plusieurs orateurs ont souligné que le périmètre de la commission Jospin était clairement circonscrit : je ne saurais trop inciter chacun d’entre vous à ne pas en sortir, quitte à s’affranchir de la règle lors du futur débat parlementaire. En ce qui concerne l’inversion du calendrier, par exemple, dans sa lettre de mission à M. Jospin, le Président de la République écrit que la commission « s’interrogera sur le calendrier des élections législatives qui suivent l’élection présidentielle », ce qui me paraît exclure toute autre hypothèse.

M. Jacques Valax. Sans doute vais-je tenir des propos iconoclastes. Je ne cacherai pas la surprise qui fut la mienne lorsque j’ai appris la création de la commission Jospin. L’un des principaux thèmes de la campagne électorale avait été la nécessité de revaloriser le pouvoir du Parlement, le second tour des élections législatives s’était déroulé le 17 juin et voilà que, le 16 juillet, l’un des premiers actes du nouveau Président fut la création de cette commission ! Je m’étonne donc et, sans aller jusqu’à la colère, suis d’autant plus réservé que cette commission a clairement reçu le pouvoir de rédiger « des projets de textes » qui serviront ensuite à l’élaboration des réformes proposées, comme s’il s’agissait d’authentiques projets ou propositions de loi.

L’un des principaux critères ayant présidé à sa composition a sans doute été la répartition géographique de ses membres : les uns sont de Toulouse, les autres de Bordeaux, de Paris ou de sa banlieue. Y siègent nombre de personnes « anciennes », une ancienne ministre, un préfet honoraire, un ancien professeur : je suis surpris que l’on n’ait pas songé à se tourner vers l’avenir et à faire confiance aux générations nouvelles.

L’expérience aurait pourtant dû nous instruire. En 2007, sous l’impulsion de son président Jean-Luc Warsmann, la commission des Lois avait créé une mission d’information sur la clarification des compétences des collectivités territoriales, dont Jean-Jacques Urvoas était le rapporteur. Elle avait merveilleusement fonctionné et rendu un rapport préparant le « big-bang territorial » et présentant dix points pour réformer l’organisation administrative de la France. Mais elle ne tarda pas à être dépossédée de tout pouvoir car, dans le même temps, le Président de la République avait cru utile de créer la commission Balladur, laquelle œuvra sans tenir compte du travail accompli ici même par le législateur, qui fut ensuite appelé à se prononcer non pas sur le fameux document du « big-bang territorial », mais sur le texte de la commission Balladur.

Aujourd’hui, tournons-nous résolument vers l’avenir. La commission Jospin doit aborder une douzaine de thèmes. Si nous voulions les reprendre tous dans le cadre de notre travail législatif, nous n’aurions pas trop de deux législatures pour en venir à bout. Il va donc falloir choisir. Pour ma part, je considère deux sujets comme prioritaires.

Le premier est le cumul des mandats. J’ai déposé naguère une proposition de loi aux termes de laquelle un député n’aurait pas pu exercer de mandat exécutif : 151 élus de gauche ont voté pour ce texte alors qu’il y en avait 220 qui normalement auraient dû le faire —  il a donc manqué globalement 70 voix ; quant aux députés de droite, après avoir laissé entendre qu’ils pourraient également le voter, ils ont été 314 sur 320 à le repousser. Ne serait-il pas judicieux de revenir aujourd’hui à ce texte ? Un engagement a été pris pendant la campagne présidentielle. Chacun a son idée sur la question du cumul, qu’il s’agisse du cumul des mandats, du cumul des fonctions, du cumul dans le temps ou du cumul des rémunérations. Mais plus nous compliquerons, moins il sera facile de prendre rapidement des mesures concrètes. Il faut que nous soyons simples, pragmatiques, et il serait bon que, dès aujourd’hui, nous puissions constituer un groupe de travail au sein duquel, droite et gauche confondues, nous tâcherions de synthétiser nos conceptions, nos volontés, et d’aboutir à un texte qui serait rapidement voté.

En toute logique, un autre texte, concernant la réforme des collectivités territoriales, devrait découler de celui-ci. Lorsque, en 2009, nous avons examiné le texte relatif à l’intercommunalité, il a été envisagé de faire en sorte que toutes les communes appartiennent à une intercommunalité avant la fin 2010. Mais différents clivages ont alors fait échec à cette réforme : outre le traditionnel clivage entre la droite et la gauche, on a vu les députés siégeant dans un conseil général se battre pour la sauvegarde du département, tandis que ceux qui siégeaient dans un conseil régional faisaient tout pour que la région soit sauvegardée. À l’époque, nous avons manqué de rigueur et d’objectivité intellectuelles. Si nous voulons à nouveau aborder la réforme de l’organisation administrative de la France, il faut que, les uns et les autres, nous nous débarrassions de nos réflexes et oubliions nos origines locales. Commençons donc par traiter rapidement du non-cumul des mandats, pour décliner ensuite la réforme des collectivités. Il serait bon, là aussi, qu’une commission se mette rapidement en place pour travailler sur cette question essentielle.

M. Guy Geoffroy. Je voudrais commencer par quelques observations de méthode. Loin de moi l’idée de porter un jugement négatif sur l’initiative du président : il est bon que la commission des Lois se réunisse pour évoquer des sujets qui, par leur nombre, leur diversité, leur complexité et leur enchevêtrement, méritent plus d’un débat pour aboutir au consensus que certains appellent de leurs vœux. Le groupe UMP regrette toutefois que la seule contribution de notre Assemblée soit la réunion d’aujourd’hui, qui n’est certes dépourvue ni de valeur ni d’utilité, mais qui est probablement – passez-moi l’expression – un peu courte. Je forme des vœux pour que le deuxième paragraphe du courrier du président de la Commission nous invitant à cette rencontre ne soit pas de pure forme et que puissent se tenir autant de réunions qu’il sera nécessaire pour évoquer tous ces dossiers. Ne serait-il pas nécessaire, d’ailleurs, de créer en notre sein une mission d’information sur ces questions ? Elle offrirait à ceux qui, dans chaque groupe, s’y intéressent plus particulièrement un cadre plus réduit, plus propice à un travail fructueux.

Nous pourrions par exemple y auditionner toutes les personnalités qu’il nous paraîtrait utile d’entendre. C’est d’ailleurs ce que va faire le groupe UMP qui, dès cet après-midi, à l’initiative de son président et sous la conduite de Jean-Luc Warsmann, invite diverses personnalités qu’il souhaite auditionner, à commencer par Lionel Jospin lui-même – qu’il accepte ou non de nous rencontrer, du moins aura-t-il été invité. Cela se fera sans aucun esprit d’hostilité à l’encontre des travaux de la Commission, monsieur le président : il s’agit simplement de contribuer à ce que la parole de l’Assemblée nationale soit aussi claire et profonde que possible.

Il est bon de parler de rénovation, de modernisation de la vie publique, car il faut toujours être non seulement dans son temps, mais dans la prospective, pour préparer les temps qui viennent. Mais à quoi bon se fustiger soi-même en s’acharnant à parler de déontologie ? Vous ne trouverez dans cette salle que des représentants du peuple qui ont, chevillée au corps, la volonté de travailler pour le bien public, des femmes et des hommes qui ont leur éthique, leur déontologie, et dont la réunion forme, dans son ensemble, la déontologie naturelle de la représentation nationale. Certes, on peut toujours observer, au sein des différentes assemblées, des travers, des excès à corriger, on peut toujours trouver des personnalités qui « sortent des clous » et trahissent la confiance de leurs concitoyens. Mais accepter que la règle soit l’absence de déontologie et que l’exception soit le respect de cette déontologie me choque profondément. C’est d’autant plus vrai à l’Assemblée nationale qui, sous la précédente législature, avait décidé à l’unanimité de créer un poste de déontologue et d’y nommer un professeur émérite, éminent spécialiste du droit parlementaire, que certains d’entre nous connaissent bien pour l’avoir rencontré dans diverses activités, notamment à l’occasion de la remise du prix de thèse de notre assemblée. Or, aujourd’hui, ce déontologue n’a plus accès à son bureau et ne peut plus exercer ses fonctions.

M. Bernard Roman. C’est vous qui l’avez nommé pour un temps donné et il a achevé sa mission !

M. Guy Geoffroy. N’y a-t-il pas une certaine duplicité à parler de déontologie, alors que le déontologue qui a été nommé par le Bureau de l’Assemblée ne sait même pas quel sort va lui être réservé ni ce qu’on lui reproche exactement ?

M. Bernard Roman. C’est affligeant !

M. Pascal Popelin. Relisez les textes que vous avez votés !

M. Guy Geoffroy. Le fait que vous réagissiez de cette manière prouve qu’il y a bien anguille sous roche !

Je voudrais également évoquer la question du cumul. Là non plus, je ne comprends pas que nous nous fustigions nous-mêmes. Accepter que l’on parle du cumul, c’est reconnaître une tare a priori, c’est laisser entendre qu’il y a quelque chose d’anormal, d’antidémocratique à exercer en même temps deux fonctions, deux missions, et de surcroît deux missions électives. Pour ma part, j’ai toujours préféré parler de la complémentarité des mandats nationaux et locaux. Les élus de la République – y compris ceux qui ont signé l’engagement de renoncer à la complémentarité des mandats – sont beaucoup plus attachés à la tradition française qu’ils ne veulent bien le dire. Il semblerait qu’ils aient toujours trouvé un intérêt à la complémentarité des mandats : pourquoi changeraient-ils d’avis ?

Certains, ici même, considèrent que le véritable fléau, c’est l’absentéisme, et qu’il diminuera si les parlementaires ne cumulent plus. Puis-je me permettre de citer les deux députés qui se sont classés premiers en matière d’assiduité au palmarès de la précédente législature ? Le premier, c’est votre serviteur : il est maire de sa commune. Le deuxième est l’un de nos collègues du groupe SRC, François Brottes : il est également maire de sa commune.

M. Bernard Roman. Il faudrait alors rendre le cumul obligatoire ?

M. Guy Geoffroy. Je ne crois pas qu’on se soit plaint, dans leur commune, de leur absentéisme pour motif de présence au Parlement. Cette réalité, en tout cas, apporte un démenti à tous ceux qui prétendent, conformément aux faux-semblants et aux poncifs en vigueur, qu’un parlementaire sera d’autant plus efficace qu’il n’exercera plus aucune fonction. Dans bien des cas, pourtant, l’expérience des parlementaires exerçant des fonctions locales a permis d’éviter des erreurs lors d’une discussion législative, et cela devrait nous faire réfléchir.

On pourrait – on devrait – parler de ces questions pendant des heures : il ne semble pas que notre Commission se mette en situation de le faire. Le groupe UMP s’en chargera donc.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Avant que le débat ne se poursuive, je me dois de rectifier ce qui a été dit au sujet du déontologue de l’Assemblée nationale, diverses imprécisions laissant entendre que nous nous serions débarrassés d’une personnalité que chacun respecte. Je rappelle qu’en application de la décision du Bureau de notre assemblée relative au respect du code de déontologie des députés prise le 6 avril 2011, M. Jean Gicquel a été nommé déontologue de l’Assemblée nationale le 15 juin 2011 et installé dans ses fonctions le 20 du même mois. Il est expressément prévu à l’article 2 de cette décision que la personnalité nommée exerce ses fonctions pour la durée de la législature au cours de laquelle sa nomination est intervenue et que, pour assurer son indépendance, son mandat n’est pas renouvelable pour la législature suivante. Les fonctions de M. Jean Gicquel ont donc pris fin en même temps que la XIIIe législature. Il les a closes par un rapport en tous points remarquable, qui porte notamment sur la participation des députés à des clubs parlementaires – cette question touche aux conflits d’intérêts potentiels, un des sujets que nous évoquons aujourd’hui. Lors de sa prochaine réunion, le 10 octobre, le Bureau de l’Assemblée nationale, sur proposition de son président, nommera comme il convient un nouveau déontologue ; et, aux termes de la décision du 6 avril 2011, cela ne pourra se faire sans l’accord d'au moins un président de groupe de l'opposition.

M. Philippe Doucet. Il a été longuement question du cumul des mandats mais beaucoup plus brièvement, sinon lors de l’intervention de notre collègue Marie-Françoise Bechtel, du cumul des fonctions, une situation qui me choque profondément. J’ai ainsi par le passé affronté un adversaire politique qui était à la fois chef de clinique dans un hôpital et député ; que la loi permette ce cumul de fonctions est une source de conflit d’intérêts potentiel, et en tout cas d’inégalité entre les députés. Le cas des avocats a été évoqué tout à l’heure, mais ils ne sont pas les seuls concernés. Moderniser la vie politique signifie aussi dresser la liste des fonctions que l’on peut continuer d’exercer après que l’on a été élu député et celle – élargie – des emplois dont la députation interdit l’exercice.

M. Paul Molac. Je regrette que l’ordre du jour de notre Commission m’empêche de participer aux journées parlementaires écologistes organisées à Nantes ; je souhaite que l’on parvienne, à l’avenir, à une meilleure coordination des différents travaux.

Pour éviter des candidatures farfelues, je suis favorable à ce que le système de parrainage des candidats à l’élection présidentielle demeure assez semblable à ce qu’il est. Comme le prouve le taux de participation, l’élection du Président de la République au suffrage universel est un mode d’élection très populaire ; cela étant, l’Histoire montre – sans même rappeler que Louis-Napoléon Bonaparte, ainsi élu, a fini par instaurer une dictature – que ce type de scrutin nous a joué des tours. Aussi aurais-je préféré, à titre personnel, l’avènement d’une VIe République caractérisée par un mode d’élection plus parlementaire, mais je sais que ce n’est pas à l’ordre du jour.

Notre groupe est globalement favorable à une réforme du mode de scrutin tendant à l’extension de la proportionnelle à toutes les élections, sur le modèle des élections régionales. Un mode d’élection tel que 25 % des sièges sont alloués à la liste arrivée en tête et qu’il faut avoir obtenu 10 % des voix pour pouvoir se maintenir au second tour et 5 % pour pouvoir fusionner au second tour permet des majorités stables. Ce système devrait être généralisé, qu’il s’agisse des élections législatives ou des élections des conseils généraux ; se pose alors la question de la répartition territoriale, mais l’on peut concevoir des scrutins de liste avec des choix de personnalités. J’ajoute que ce type de scrutin devrait être étendu aux élections sénatoriales et que, le Sénat ayant selon nous vocation à devenir la Chambre des régions, présidents de région et présidents de conseil général y auraient davantage leur place qu’à l’Assemblée nationale.

J’en viens à la question du cumul des mandats et en particulier des responsabilités exécutives. Dans mes anciennes fonctions de président d’association, il m’est arrivé de chercher à rencontrer, sans y parvenir, des élus qui étaient parlementaires tout en exerçant des responsabilités exécutives locales : ils expliquaient eux-mêmes qu’ils ne parvenaient pas à tout faire. Peut-être certains de nos collègues sont-ils mieux organisés ou plus efficaces que d’autres ; pour ce qui me concerne, mon travail de député, dans ma circonscription d’une part et à l’Assemblée d’autre part, constitue à lui seul un temps plein, sinon deux. Autant dire que je ne suis pas favorable à ce qu’un député ait des responsabilités exécutives locales ; je ne vois pas d’objection en revanche à ce que l’on soit en même temps député et membre d’un conseil municipal ou conseiller régional.

Enfin, il me paraît évident qu’il y a conflit d’intérêts lorsqu’un parlementaire est actionnaire majoritaire d’une entreprise ou membre du conseil d’administration de grandes entreprises ; je n’ai pas entendu que cela ait été mentionné.

M. Gilbert Collard. Je ferai une observation « transversale », pour reprendre l’expression de Mme Taubira, en ce que la même idée sous-tendra toutes mes remarques. La commission Jospin me pose une difficulté, car si, au nombre des académiciens de la moralité républicaine qui la composent, on trouve nombre de professeurs et de professeures ainsi qu’un magistrat, n’y figure aucun représentant d’associations – l’Association des contribuables par exemple.

M. Bernard Roman. Et d'où cette association tire-t-elle son argent ? J’ai demandé plusieurs fois ses comptes, sans jamais les obtenir.

M. Gilbert Collard. Je ne comprends pas que l’on crée une commission sur la déontologie de la vie politique en oubliant d’y faire siéger les citoyens. De même, s’agissant des parrainages, la seule solution est le parrainage citoyen – c’est le peuple qui doit décider, même si cela dérange certains. Dans le même esprit, n’est-il pas grand temps de faire siéger à la Cour de justice de la République un, deux ou trois jurés issus de la nation, qui porteraient le regard du citoyen sur le fonctionnement de la Cour ? Étant moi-même avocat, je sais d’expérience qu’il est difficile de choisir entre le tribunal correctionnel et la cour d’assises ; la seule solution serait-elle alors la création de tribunaux sur le modèle de ceux que voulait Jean-Paul Sartre ? Ce ne serait pas, vous me l’accorderez, la meilleure des choses.

Je suis contre le cumul de mandats car je crois nécessaire d’aérer la circulation démocratique. Pour que la jeune génération puisse accéder à la représentation, comme elle le souhaite légitimement, le ménage doit être fait. Du balai ! Laissons les jeunes qui veulent œuvrer au travail démocratique y parvenir.

La proportionnelle me paraît le seul moyen qui permette aux citoyens de s’exprimer – et M. Molac ne devrait pas confondre plébiscite et élections. Je me permettrai enfin, bravant l’orage d’insultes qui ne manquera pas de s’abattre sur moi, de suggérer une réforme sémantique. Le mot « parrain » ne me plaît pas. Imaginez que Patrick Mennucci soit candidat à la présidence de la République ; on lirait alors dans le journal : « Un Marseillais a eu ses parrains » ? (Mouvements divers)

Mme Marietta Karamanli. Je traiterai de la place de nos institutions dans le processus de décision européen. Il est question d’améliorer la représentativité de nos assemblées ; mais, alors que le semestre européen donnera à la Commission européenne et au Conseil une plus grande marge de manœuvre pour orienter les politiques, il me semble utile de rappeler que nous devons aussi préserver la force de la représentation nationale et profiter du débat sur la rénovation de la vie politique pour affirmer la place et le rôle de notre Parlement.

Ainsi, il serait bon d’évoquer le droit d’amendement par le Parlement français des textes relatifs au programme de stabilité et au programme national de réforme avant leur transmission aux instances européennes. Il conviendrait aussi de rappeler que la Commission européenne doit impérativement publier les hypothèses qui sous-tendent ses prévisions macro-économiques et budgétaires et les transmettre aux parlements nationaux – ce qu’elle doit faire puisque cette publication est prévue par une directive, mais qu’elle ne fait pas ; une loi organique devrait peut-être l’envisager. Il faudrait établir par ailleurs que le Parlement français devrait être en mesure de donner un avis sur les évaluations des conséquences sociales et économiques des recommandations faites. Voilà une série de questions qui touchent le cadre européen et à propos desquelles notre rôle a beaucoup évolué.

S’agissant du statut du chef de l’État et de la composition du Conseil constitutionnel, il est largement temps d’abroger pour partie l’article 56 de la Constitution. Etant donné l’extension du domaine de compétence du Conseil, son collège devrait être élargi à un plus grand nombre de juristes éminents – ce qui règlerait la question des conflits d’intérêts.

La question du cumul des mandats parlementaires et des fonctions exécutives doit être envisagée de manière globale, ce qui implique d’en traiter en même temps que du mode de scrutin, de la nature des responsabilités exercées, du type d’exercice, plus ou moins collégial, des responsabilités ainsi cumulées et de l’égalité de tous vis-à-vis du cumul. En outre, la question doit se poser aussi pour les mandats locaux, notamment pour ce qui est du cumul entre fonctions exécutives dans les départements et les régions d’une part, les intercommunalités, les communes et les autres organismes de coopération d’autre part.

Se pose enfin la question de la transparence des revenus et des intérêts. Je suis favorable à ce que l’on rende publics les revenus tirés de l’exercice d’un mandat, à condition de donner à connaître aussi les frais supportés. Ainsi, la charge pour un parlementaire n’est pas la même selon qu’il publie un journal réalisé avec l’aide d’entreprises grâce à l’apport d’encarts publicitaires ou qu’il finance une communication par la seule indemnité qui lui est allouée à cette fin. Tout cela doit être porté à la connaissance du public. S’agissant de l’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat, je suis favorable à ce que les charges apparaissent au regard des dépenses et que les comptes soient certifiés préalablement à leur publication. Ces règles devraient s’appliquer à tous les élus, élus locaux compris, à partir d’un certain montant d’indemnités. Si l’on veut moderniser la vie politique et permettre un appel d’air, il faut envisager ces questions de manière globale pour avancer progressivement. La question du cumul des mandats n’est pas une fin en soi mais elle impose une démarche permettant de donner du sens à ce que l’on fait et à ce que l’on est.

M. Jacques Bompard. Nous croulons sous les textes au point que les même les spécialistes ne peuvent pas suivre, alors même que nul n’est censé ignorer la loi. Comme beaucoup, je considère qu’il faut agir avec prudence et ne pas modifier la loi trop souvent. Pour ce qui concerne les parrainages, notre objectif doit être le libre accès à la démocratie. Or les partis politiques font écran entre la politique et les citoyens, ce qui suscite le mécontentement populaire, le peuple ne se sentant pas représenté. Une des raisons en est que bien souvent les élus sont davantage au service des partis qu’à celui des citoyens. A ce sujet, entendre parler du vote des étrangers me choque. Nous sommes la représentation nationale ; on ne peut ouvrir le vote à tous – ou alors, passons à un gouvernement mondial, et que tout le monde vote pour tout le monde. Sinon, on est dans l’incohérence, et quand on est incohérent, il ne faut pas s’étonner de ne plus être compris.

S’agissant du cumul des mandats, le débat est devenu idéologique et l’on se moque du monde. On peut très bien avoir un mandat local et un mandat national. Le mandat local nous ancre dans notre responsabilité nationale et nous permet de ne pas perdre racine ; or les élus, bien souvent, perdent racine. Par ailleurs, il ne peut y avoir non-cumul des mandats sans un nouveau statut des élus. Et là, on délire, car choisir l’unicité du mandat, c’est aller vers une explosion du coût des élus à un moment où, me semble-t-il, la santé financière de notre pays n’est pas extraordinaire et où l’on devrait plutôt avoir le souci de faire des économies que de générer des dépenses nouvelles dont on ne sait ce qu’elles apporteraient.

Évocation a été faite de l’évaluation des politiques publiques. Mais n’est-ce pas ce à quoi procède la Cour des comptes ? Tout ce que dit la Cour, sur les intercommunalités par exemple, est remarquable : la création des intercommunalités a fait exploser les finances publiques, bien souvent sans résultats concrets. Mais, en dépit de la pertinence de ces observations, aucune correction n’est apportée. Il faudrait réfléchir à instaurer un système de primes aux bons gestionnaires et de pénalités aux mauvais gestionnaires.

M. Pascal Popelin. Ce système existe ; il a pour nom « suffrage universel ».

M. Jacques Bompard. Si, comme dans le secteur privé, les élus étaient payés à la rentabilité, peut-être aurait-on des résultats autres. Mais cela ne plairait peut-être pas à tout le monde.

Pour en revenir au statut de l’élu, on voudrait donc le mandat unique ; mais qu’en sera-t-il des élus qui, tout en étant parlementaires, continuent d’exercer une autre fonction ? On oublie, dans ce pays, que c’est à l’électeur qu’il revient de sanctionner l’élu ; on semble vouloir systématiquement le guider, sans qu’il ne soit plus maître de ses décisions. Je regrette cette dérive totalitaire.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Mes propos seront plus modérés que ceux que nous venons d’entendre. Je traiterai d’abord de la première des missions confiées à la commission présidée par M. Lionel Jospin : établir les conditions d’un meilleur déroulement de l’élection présidentielle. Lors des élections législatives, les Français de l’étranger pouvaient voter de quatre manières – à l’urne, par procuration, par correspondance postale et par l’Internet. Dans cette Commission, nous sommes quelques députés des Français de l’étranger qui avons été élus grâce à des suffrages exprimés aux deux tiers par l’Internet. Mais, à l’élection présidentielle, les Français de l’étranger ne pouvaient voter qu’à l’urne ou par procuration. Autant dire que pour beaucoup d’entre eux, le vote était, par force, virtuel : sauf à être richissime ou violemment dévoué à la cause citoyenne, qui s’obligerait à un aller-retour de mille kilomètres pour participer au scrutin ? On ne peut avoir deux types d’organisation pour deux élections distantes de quatre semaines ; c’est incompréhensible pour les intéressés, et au demeurant inexplicable. J’espère donc que la décision sera prise de permettre aux Français résidant hors de France de voter par l’Internet à l’élection présidentielle, avec toutes les conditions de sécurité requises.

Par ailleurs, à aucun moment au cours de ce débat je n’ai entendu la moindre référence aux expériences étrangères. Il est pourtant urgent de se livrer à un exercice de droit comparé. Quand on parle d’introduire une dose de proportionnelle dans le scrutin, on pourrait à titre d’exemple se référer à l’expérience de l’Allemagne. Il y a beaucoup à apprendre, en bien et moins bien, de ce que nos amis ont fait à ce sujet, et aussi des règles de non-cumul des mandats en vigueur ailleurs. La France a, sur ce point, une position singulière. Si ce n’est en Belgique, au Luxembourg et, me semble-t-il, en Grèce, l’exercice cumulé d’une fonction exécutive locale et d’un mandat parlementaire n’existe pas à l’étranger ; or personne n’a jamais dit que les parlementaires allemands, pour ne citer qu’eux, étaient complètement coupés de la réalité du terrain. Prenons garde de ne pas camper sur nos singularités historiques et juridiques pour éviter de regarder autour de nous ; nous avons beaucoup à apprendre des expériences étrangères.

M. Bernard Roman. En me référant à ce qui s’est fait par le passé, j’ai le sentiment que nous pourrions progresser, ensemble, sur trois sujets au moins. Pour commencer, rappelons-nous que la loi du 30 décembre 1985, dite « loi Joxe », a marqué la première étape, modeste, vers le non-cumul, en interdisant le cumul du mandat de parlementaire avec plus d’un des mandats suivants : député au Parlement européen, conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, maire d’une commune de 20 000 habitants ou plus autre que Paris, adjoint au maire d’une commune de 100 000 habitants ou plus autre que Paris. La disposition relative aux adjoints n’avait rien de constitutionnel, car on détient une délégation d’adjoint par la volonté du maire ; malgré cela, elle n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel car un accord avait été trouvé au sein de l’Assemblée nationale pour accomplir cette première démarche. Dans le même esprit, la proposition faite par notre collègue Jacques Valax de créer un groupe de réflexion bipartisan sur le cumul des mandats pourrait être suivie. La France n’est-elle pas la seule démocratie européenne à accepter que ceux qui sont chargés de voter la loi et de contrôler l’action du Gouvernement exercent en même temps des responsabilités locales très lourdes ?

Nous pourrions aussi avancer en matière de parité. Puisqu’il reste un long chemin à parcourir pour les scrutins majoritaires, nous pourrions formuler une proposition aussi utile que radicale : qu’il s’agisse des élections aux conseils généraux ou à l’Assemblée nationale, le principe selon lequel le parti qui ne respecte pas la parité dans les candidatures renonce de facto au financement public me semble pouvoir être entendu par toutes les formations politiques.

Enfin, j’ai entendu évoquer le poids du Conseil constitutionnel, dont nous avons coutume de nous plaindre, les uns et les autres, quand il rend une décision qui nous incommode. Nous n’avons plus à gémir, mais à agir pour redéfinir son rôle, sa composition et la manière dont il travaille. Le Conseil constitutionnel ne peut dissoudre le Parlement, mais le Parlement peut dissoudre le Conseil constitutionnel – il lui suffit pour cela d’une loi organique. De nombreuses démocraties n’ont pas de juridiction de cette nature. Débattre de la composition du Conseil constitutionnel, du mode de désignation de ses membres, de son mode de travail, de la publicité donnée à ses débats et à ses décisions, ferait progresser la démocratie parlementaire.

Notre Commission, ou une émanation de notre Commission, pourrait poursuivre un travail sur ces trois sujets au moins.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. En parlant de dissoudre le Conseil constitutionnel, avez-vous pour objectif de supprimer un contrôle de constitutionnalité ou de supprimer le Conseil dans sa configuration actuelle ?

M. Bernard Roman. Certaines démocraties achevées parlementaires fonctionnent sans instance de ce type ; l’existence de cette instance relevant de la décision du Parlement, c’est à lui de déterminer quelle doit être la composition du Conseil et comment il doit délibérer et statuer. Nous devons arrêter de gémir et à nous d’agir. Nous avons des choses à dire.

Mme Pascale Crozon. Je considère que les parlementaires ne devraient pas cumuler leur mandat avec des fonctions exécutives. L’interdiction du cumul permettrait un renouveau de la vie démocratique et donnerait la possibilité à des femmes, à des jeunes gens et à des représentants de la diversité d’accéder plus facilement à des fonctions électives.

S’agissant de la parité, je ne suis pas sûre que l’introduction d’un zeste de proportionnelle règlerait le problème. Sous la précédente législature, mon collègue Bruno Le Roux et moi-même avions déposé une proposition de loi visant à renforcer l'exigence de parité des candidatures aux élections législatives. Le texte posait le principe de la suppression de la dotation publique aux partis politiques qui ne présenteraient pas 50 % de femmes aux élections législatives et cantonales. Cette proposition, monsieur Poisson, n’a pas été adoptée par la majorité de l’époque, dont le vote m’a désolée.

Une autre solution consisterait, comme on en discute pour les élections aux conseils généraux, à réunir deux circonscriptions, puis à ce que, dans chaque nouvelle circonscription, les électeurs soient appelés à un scrutin binominal, chaque parti devant obligatoirement présenter la candidature d’un homme et d’une femme, siégeant tous deux. Cela ne serait pas sans poser quelques problèmes, mais ce serait une manière de progresser. On ne peut en effet se satisfaire que la proportion de députées soit passée de 18,6 % dans la législature précédente à 26 % seulement dans la législature actuelle. Le principe du respect de la parité, pourtant inscrit dans la Constitution, n’est toujours pas respecté.

M. Sébastien Denaja. Nous devons réfléchir à la place du Parlement et du peuple. S’agissant de la place du Parlement – il ne s’agit évidemment que d’une boutade – peut-être pourrions-nous commencer par suggérer à la commission Jospin de proposer de limiter la possibilité de créer des commissions de ce type … (Sourires).

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Voilà qui est au moins aussi original que de proposer, comme cela a été fait tout à l’heure, d’auditionner la commission Jospin… (Sourires).

M. Sébastien Denaja. Par ailleurs, plus sérieusement, je suis convaincu que l’on peut à la fois accroître les pouvoirs du Parlement et renforcer le rôle du Conseil constitutionnel en en faisant une véritable cour constitutionnelle – le changement de terminologie serait plus que symbolique. Pour cela, il conviendrait notamment de passer au crible le curriculum vitae des membres de cette institution, ce qui n’est pas la règle en France, contrairement à ce qui vaut pour nombre de cours constitutionnelles étrangères. Le temps n’est-il pas aussi venu de revoir les conditions actuelles de nomination des membres du Conseil par le Président de la République, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour passer à un vote par les parlementaires ? Ne serait-il pas judicieux de rendre publiques les opinions dissidentes ? Certains membres de la commission Jospin, tel le professeur Dominique Rousseau, ont beaucoup écrit sur tous ces sujets – peut-être était-il finalement préférable de rester universitaire plutôt que de devenir député pour faire valoir ces vues… Notre Commission devrait en tout cas appuyer la proposition notre collègue Marie-Françoise Bechtel qui, reprenant une recommandation du comité Vedel, tend à permettre qu’une majorité qualifiée du Parlement puisse tenir un lit de justice pour revenir sur une décision du Conseil constitutionnel. Une telle possibilité aurait été fort utile après la censure de la loi sur le harcèlement sexuel et ce seul exemple suffit à prouver la pertinence d’un tel dispositif.

Pour ce qui est de la place du peuple, peut-être pourrions-nous assouplir les conditions de mise en œuvre de ce que l’on appelle, abusivement pour l’instant, le référendum d’initiative populaire. Pour que le dispositif mérite son nom, il faudra, en abaissant le seuil d’électeurs défini et en revoyant le rôle dévolu au Parlement, réviser la procédure prévue lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008 et qui, en réalité, bloque l’application du mécanisme.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le projet de loi organique devant permettre l’application des nouvelles dispositions n’ayant pas été présenté au Parlement au cours de la précédente législature, le référendum d’initiative populaire est d’ailleurs resté virtuel.

Mme Élisabeth Pochon. L’abstentionnisme sans cesse croissant signale une crise de confiance des citoyens envers le politique qui nous oblige au changement dans la transparence. Un grand effort de pédagogie sera nécessaire pour expliquer les raisons qui conduisent à modifier le système de parrainage, pour éviter que les citoyens aient l’impression que l’on voudrait les déposséder de leurs choix. De même, si les temps de parole sont revus, il faudra expliquer que l’on ne cherche pas à favoriser certains candidats.

À propos du cumul des mandats, j’observe que les citoyens ont des sentiments ambivalents : souvent, il leur plaît que leur maire soit aussi député. Ce sont plutôt les militants qui souhaitent avoir accès aux fonctions électives et qui demandent une plus grande diversité dans les candidatures, et une parité réelle.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La liste des orateurs est close. Dix-huit d’entre nous auront donc pris la parole. Comme je l’ai indiqué en préambule, nos échanges, très ouverts et marqués par la liberté de ton, dans le respect de nos différences, qui caractérise notre Commission, seront consignés dans un compte rendu qui sera adressé à la commission Jospin avec une présentation remettant en perspective nos propos.

Le débat prend fin à douze heures quinze.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

—  M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur sur sa proposition de loi portant création des principes d’adaptabilité et de subsidiarité en vue d’une mise en œuvre différenciée des normes en milieu rural (n° 142 rectifiée) ;

—  M.  Bernard Gérard, rapporteur sur sa proposition de loi visant à former aux cinq gestes qui sauvent face à un accident de la route lors de la préparation des permis de conduire (n° 144) ;

—  M. Bernard Lesterlin, rapporteur pour avis sur le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer (en attente de sa transmission) ;

—  M.  Bernard Gérard, membre de la mission d’information sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises en remplacement de M. Philippe Goujon.

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La séance est levée à 12 heures 15.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, M. Dominique Bussereau, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Carlos Da Silva, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. René Dosière, M. Philippe Doucet, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Bernard Lesterlin, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Corinne Narassiguin, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Didier Quentin, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François-Xavier Villain, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Hugues Fourage, M. Édouard Fritch, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoue, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, M. Jean-Luc Warsmann

Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy